VOLUME 1 FASCICULE 3

LES ARCHIVES BERBÈRES

PUBLICATION

DU COMITÉ D'ÉTUDES BERBÈRES DE RABAT

ANNÉE 1915~1916

4 1 SOMMAIRE:

1. NEIH.II.. — l.'Azref des Tribus et Qsour berbères du Haut-Guir {suite et fin) 107 1!. BRUNO. — Note sur le statut coutumier des Berbères marocains... 135 III. Dr J HERBER — Mythes et légendes du Zerhouu 1 >2 IV. Capitaine MAITROT. — La fortification nord africaine 161 V. TRKNGA. — Les Branès (à suivre) 200

PARIS

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

28, RUK BONAPARTE, 28.

1 9 1 6

1 LES ARCHIVES BERBÈRES

PUBLICATION DU COMITÉ D'ÉTUDES BERBERES DE RABAT

Fondées par le Comité d'études berbères de Rabat qui en assure la publication, les Archives Berbères sont consacrées à l'étude des mœurs, des arts, des institutions et des dialectes des populations berbères de l'Afrique du Nord. Ces populations sont étudiées aussi bien dans ceux de leurs groupes qui ont conservé la quasi-intégrité de leurs mœurs primitives et l'usage exclusif et prédominant de la langue berbère que dans ceux chez qui la langue, les mœurs, la mentalité et les caractères de race ont été influencés plus ou moins profondément par le contact avec des civilisations étrangères. Les Berbères seront suivis également bois du pays dont ils sont les autochtones (par exemple en Espagne où ils furent conquérants et importateurs de la civilisation musulmane). Les populations berbères pures, à demi arabisées ou complètement arabisées, étudiées au point de vue de l'anthropologie, de l'ethnogra­ phie, du folklore, de la linguistique des institutions juridiques, de l'histoire, sont l'objet propre des investigations des Archives de même- que l'archéologie, l'épigraphie punique, romano-païenne, romano- chrétienne, byzantine et arabe dans la mesure où elles peuvent éclairer l'histoire des rapports de ces différentes civilisations avec la société berbère et de leur influence sur cette dernière. La variété des sujets traités est de nature à intéresser, non seulement les spécialistes, mais tous ceux que leurs fonctions, leurs affaires ou leurs voyages mettent en contact avec les populations de l'Afrique du Nord. Le prix de l'abonnement aux Archives Berbères est ainsi fixé :

France, Maroc, Algérie, Tunisie 15 fr. par an. Etranger 18 fr. — VENTE AU NUMÉRO France, Maroc, Algérie, Tunisie 4 fr. 50 Étranger 5 fr. Les demandes d'abonnement ou d'achat de numéro, accompagnées de leur montant, les rectifications d'adresses doivent être adressées à M. Ernest Leroux, éditeur, 28, rue Bonaparte, Paris. Les manuscrits destinés à être insérés dans les Archives, les com­ munications, les ouvrages pour comptes rendus et, en général, ce qui concerne la rédaction des Archives Berbères doivent être envoyés au Comité d'études berbères à l'École supérieure de langue arabe et de dialectes berbères à Rabat. L'AZREF DES TRIBUS ET QSOUR BERBÈRES DU HAUT-GUIR

(Suitc ET fin.)

VI AZREF DE SAHELI '

Louange à Dieu seul ! Les marabouts de la djem'a de Saheli, descendants de Mou- lay Mohammed ben Abderrahman — Dieu nous fasse profiter de ses mérites! Ainsi soit-il! —ont, d'un commun accord, arrêté les mesures ci-après, dans le but de protéger leurs intérêts les plus importants contre les vicissitudes du temps. 1. Celui qui s'introduit pour voler, dans une maison du qsar, paye 50 metqalsd'amende. 2. Si un vol est commis dans un troupeau et que l'animal volé soit introduit dans le qsar, l'amende à infliger au voleur est celle qui est prévue par la coutume du village en pareille matière et s'élève à 50 metqals. Celui qui est simplement accusé d'un pareil vol doit jurer et présenter un co-jurcur, homme ou femme, pour pouvoir se disculper. S'il ne trouve personne qui veuille jurer pour lui, il jurera seul. 3. Tout vol commis dans le qsar une fois la porte franchie, est puni de la même manière que les délits analogues commis à l'intérieur des maisons. 4. Celui qui vole un ovin dans un troupeau doit payer deux douros d'amende et restituer l'ovin à son propriétaire. 5. Le montant de l'amende payée par un voleur coupable de s'être introduit dans une maison habitée est partagé par moitié entre le propriétaire de cette maison et la djem'a. Quant au

1. Sahdi ou Zaouïa Ben Abderrahnian comprend deux qsour situés sur la rive droite de l'Oued Guir c: habités par les marabouts OuladMoul Sehoul, ou encore Oulad Ben Abderrahman, ainsi nommés parce que leur ancêtre s'ap­ pelait Si Mohammed Ben Abderrahman Moul Sehoul. Cette Zaouïa aurait été fondée vers le XVIe siècle et se rattacherait à l'ordre des Chadliva. L'azref de Saheli, de même q.ie celui des Choifa de Bou Djnib, mjntre à quel point la législation primitive des Berbères est encore vivace dans le Sud Marocain puisqu'elle s'impose même .1 desgroupements religieux. 8 — Io8 — montant de l'amende infligée au voleur qui s'introduit dans une maison non habitée, elle revient entièrement à la djem'a. 6. Celui qui commet un vol dans un jardin: i réal. 7. Celui qui, en quelque lieu que ce soit, fût-ce au milieu d'une caravane ou ailleurs, vole un objet tel que hache, serpette, « Selham » ou toute autre chose, 1 réal. En outre, les objets volés sont estimés et remboursés. 8. Celui qui cueille un ou plusieurs régimes de dattes sur un palmier: 1 réal. 9. Celui qui vole de la luzerne, des céréales, du maïs, des légumes, et tout ce qui est susceptible d'être planté, ou bien grimpe sur un palmier pour en secouer les branches ou en enlever les fruits : 1/2 réal d'amende. 10. Celui qui fauche de l'herbe au milieu des cultures : 5 ouqias. 11. Si une bête de somme est trouvée errante, sans être entra­ vée ni recherchée par son propriétaire: 10 mouzounas d'amende à ce dernier. De plus, il est tenu de dédommager le proprié­ taire au préjudice duquel l'animal aura commis des dégâts. 12. Si un ovin est trouvé paissant dans les cultures, que ce soit dans le qsar ou dans les champs situés le long de la vallée de l'oued, entre « Dhab'a » et a Cha'ba-Gharqa », ou encore dans les champs de céréales ou sur les aires à battre: 2 mouzounas. 13. Celui auquel le Mc^zfln 1 réclamera de la paille ou toute- autre chose, pour nourrir la monture d'un hôte et qui refusera d'en donner payera 1 metqal, le mc^mi devant rapporter ce refus aux 0№/(jfl/î \ De plus, le récalcitrant sera tenu de payer le salaire au menait, sinon ce dernier en référera à la Djem'a et celle-ci obligera le récalcitrant à payer 1 metqal d'amende en plus du salaire du mezzan. i.]. La femme qui vole de la farine appartenant à la djem'a : 1 metqal. 15. Celle qui refuse de moudre le blé de la djem'a: 1 metqal. 16. Celle qui se dispute avec le mc^an, le berger, le gardien et le muezzin ou les injurie : 1/2 douro. 17. Quiconque a une altercation avec le feqih ou le déten-

1. Forme arabisée du mot berbère amazana, l'envoyé, l'émissaire, le délégué. 2. Arabe jr celui qui veille à l'application d'une règle, qui participe à l'exercice de l'action publique, terme svnonyme de reffadl, mzrag. — 109 — tcur des chefs de la djem'a : i douro. S'il les insulte, il est nécessaire que les injures qu'il leur adresse soient publiques pour entraîner l'amende. 18. Les ovins ne pourront pacager dans la vallée de l'oued qu'après la fin des moissons. Si on les surprend pacageant avant la fin des moissons, il sera infligé aux propriétaires l'amende prévue. 19. Il est expressément interdit de mener les bovins dans les champs de l'oued avant la fin des dépiquages. 20. La bête de somme qui sera trouvée paissant dans un ver­ ger attirera à son propriétaire l'amende prévue pour les dégâts commis par ces sortes d'animaux. 21. Celui qui abat un palmier de ceux qui appartiennent à la mosquée sans l'autorisation de la djem'a et des préposés à l'ordre public : 1/2 douro. De plus le bois reviendra â la mosquée et le délinquant n'obtiendra aucun salaire (pour l'abatage de l'arbre). 22. Celui qui introduit (dans le qsar) des céréales en été, des dattes en automne et qui n'en donne pas la part revenant à la djem'a, paye 1 metqal d'amende au profit des indigents. 23. Le propriétaire du fonds d'où proviennent ces céréales ou ces dattes doit en outre payer 2 douros et partager sur-le-champ avec la djem'a. 24. En été et en automne lorsque la djem'a décidera de tenir les issues du qsar fermées, (les habitants) doivent remettre leurs clefs à la djem'a et celui qui refusera de remettre sa clef et de fermer sa porte : 5 metqals. 25. Celui qui se livre à une rixe et blesse son adversaire avec une arme tranchante : 2 douros. 26. Celui qui dégaine une arme quelconque contre son adver­ saire sans toutefois l'en blesser: 1 douro. 27. Quiconque blesse une personne autrement qu'avec une arme tranchante : 1 douro. 28. Celui qui tire un coup de fusil sur quelqu'un : 4 douros d'amende, peu importe que le coup ait porté ou non. 29. Celui qui soufflette son semblable : 1 douro. 30. Celui qui frappe quelqu'un à coups de poings ou de bâton ou de toute autre manière : 1/2 douro s'il n'y a pas effu­ sion de sang. 31. Si deux hommes se disputent sans cependant se colleter, par suite de l'intervention de gens qui les séparent : 1 metqal. — I 10 —

32. Celui qui prend parti pour quelqu'un (dans une rixe) paye une amende double (de celle infligée à celui qui se bat). 33. Celui qui s'approprie de la viande provenant de bêtes sacrifiées dans la « raoudha » 1 paye 1 douro, sauf lorsque cette viande a été achetée pendant la criée -. 34. Celui qui détourne quoi que ce soit des offrandes dépo­ sées dans la « raoudha » avant qu'elles ne soient inventoriées par les onqqafs est tenu de restituer ce qu'il a pris et de payer comme amende une somme égale au prix de la chose volée. 35. Si un marabout part en voyage et reste un an absent, il doit (à son retour) payer sa quote-part des dépenses de la Com­ munauté et recevra par ailleurs sa part des offrandes recueillies pendant son absence. S'il reste deux années absent, il n'aura rien à donner ni à recevoir. 36. Celui d'entre les marabouts qui perçoit les offrandes chez les serviteurs religieux de la Zaouïa aux Oulad Nehar, Oulad Sidi Cheikh, Oulad Bou Azza, Oulad Raho, Amour en s'y rendant avant les marabouts ayant qualité pour percevoir les- dites offrandes, quand bien même la destinée du voyage serait cause qu'il ait simplement traversé ces tribus, doit restituer tout ce qu'il a recueilli et payer, en outre, le montant des mêmes sommes à titre d'amende. 37. Si la djem'a commande des travaux dans la saqia et qu'un khammes ou tout autre parmi les bartanis ou les nègres ne réponde pas à l'appel : d'amende. 38. Si des Abid jouent du tambour 1 et organisent des hadhras > en dehors des jours de fête : 1 douro d'amende à chacun. 39. Si des particuliers (autres que les Abid) se livrent aux mêmes démonstrations en dehors des circonstances de mariages et de circoncisions, ils sont punis d'une amende de 1 réal cha­ cun. 40. Le particulier qui organise une hadlira ou fait jouer des

1. Mausolée de l'ancêtre des Marabouts de Saheli. 2. La viande provenant des sacrifices faits dans le sanctuaire de Sidi Ben Adberrahman est vendue à la criée au profit des Chorfa du lieu. 3. Les Oulad Kéhar, quelques Oulad Sidi Cheïkh de l'ouest, les Oulad Bou Azza, les Oulad Raho et les Amour, sont des serviteurs religieux de la Zaouïa de Saheli. 4. Les nègres sont à peu près les seuls qui exercent le métier de musiciens dans les qsours du sud. S- Fêtes en l'honneur d'un marabout ou d'un saint. — III —

musiciens dans la raoudha à l'occasion des fêtes indiquées, plus haut, est puni d'une amende de I réal. 41. Si des faqirs étrangers viennent au village et qu'un des habitants participe à leurs exercices, une amende lui est infligée. 42. Si les membres de la djem'a se mettent d'accord pour adopter une règle nouvelle et qu'ils la fassent connaître aux habi­ tants par le moyen de la criée publique qui indique l'amende à infliger en cas d'infraction, il y aura lieu de considérer cette règle nouvelle comme incorporée au présent règlement. 43. Les amendes sont infligées quand l'infraction est établie par le témoignage de la personne lésée ou de toute autre qu'elle. 44. Si l'un des ouqqafs part en voyage sans laisser de rem­ plaçants : 2 douros. 45. Les ouqqafs chargés de faire respecter le présent règle­ ment sont, entre autres: Sidi Kl Madani Ben Mohammed, Sid Ismaïl, Sidi Tahar ben Touhami, Sidi El-Hachmi. Chacun des susnommés a déclaré répondre de ses frères. Le Cheikh Hadoui ou Ali El-Attaoui, hhabbachi d'origine, demeurant à Bou-Denib, a été investi de l'autorité et chargé de l'exécution des règlements ci-dessus. Il aura en conséquence le pouvoir de recouvrer les amendes, d'ordonner et de défendre. S'il est établi par un des susnommés que quelqu'un a encouru une amende, c'est le Cheikh qui est chargé de la perception de cette amende. 46. Celui que le destin de Dieu conduit à tuer son semblable paye ioometqals d'amende. 47. Aucune affaire ne pourra être décidée sans l'accord entre les ouqqafs. 48. Si trois de ces derniers sont d'accord sur une décision à prendre et qu'un autre émette une opinion contraire, ses objec­ tions ne seront pas acceptées. 49. Si les avis sont également partagés, le serment est déféré à ceux qui font acte d'opposition. 50. Si le Cheikh (qui est des Aït Khabbache de Bou-Denid) se rend (à Saheli) pour percevoir une amende sur quelqu'un, la première nuit de son séjour dans le qsar est à la charge de la Zaouïa, les nuits suivantes à celle de l'individu qui doit l'amende et de ceux qui vivent sous son toit jusqu'à ce que cette amende soit payée. Témoignage a été porté sur ce que dessus. Fait dans la 3e décade du mois de Doul hidja 1310. — 112 —

COMPLÉMENT AU RÈGLEMENT PRÉCÉDENT

Les marabouts ont ajouté les règles ci-après :

51. Tout nègre qui sera surpris dans un jardin devra payer 1 douro. 52. Celui qui se dispute avec un nègre et le blesse ou le frappe paye une amende de 53. Celui qui prend parti pour son nègre (dans une rixe) paye 10 douros d'amende. 54. Celui qui est vu dans un champ interceptant l'eau ser­ vant à l'irrigation de ce champ paye 1 douro, s'il n'est pas à son tour d'irriguer ou s'il n'est pas le gardien du champ. 55. Celui qui dit au Cheikh : « Je te ferai destituer » : 10 douros. 56. Celui qui contredit le Cheikh en conversation : 10 douros. 57. Celui qui est frappé d'une amende et qui amène des Bra- bers ou d'autres étrangers (pour le soutenir) paye 10 douros. 58. Moha ou Hasaïn a pris l'engagement de faire respecter ces dispositions jusqu'à la fin du mois d'octobre. Témoignage a été porté relativement aux règlements contenus dans le présent « Azref ».

VII

FRAGMENT DE I.'AZEF DE TAZOl'GGA RT 1

La Djem'a des habitants de Tazouggart a élaboré le règlement qui suit, dans l'intérêt du village et pour couper court aux abus. Le règlement antérieurement élaboré continue de recevoir l'ap­ probation des habitants sous réserve des modifications suivantes : i. En ce qui concerne le vol de grains, luzerne, dattes, fruits, l'amende à infliger est de 4 douros pour les pubères, hommes ou femmes, et 1 douro pour les enfants impubères. S'il s'agit d'un enfant qui ne jouit pas de ses facultés intellec­ tuelles, l'amende est laissée à l'appréciation du Cheikh et de ses liamils z.

1. Qsar sur la rive gauche de l'oued Guir peuplé de Qbala et de quelques Ait Izdeg et Chorfa. 2. Terme synonyme de rtffad « répondant » de l'arabe « porter, sup­ porter, répondre de quelqu'un ou de quelque chose ». 2. Pour le vol nocturne, l'amende est double de celle infligée en cas de vol diurne. 3. Si une dispute survient entre des caravaniers de passage et des gens du qsar et qu'une alerte 1 ait lieu, quiconque n'accourt pas et reste à l'intérieur ou à l'extérieur du village: 1 douro. 4. La personne qui, dans l'intérêt de la tribu, renonce à ce qui lui est dû à propos d'une blessure à quelqu'un, un meurtre ou quoi que ce soit d'analogue, est dédommagée par la tribu. 5. Celui qui s'approprie une chose dans le périmètre compris entre le houl* jusqu'au bas de la mazra'ah' est tenu de la remettre à la qabila. 6. Celui qui arrête un voleur et ne le remet pas à la djem'a: 1 douro, que ce voleur soit du qsar ou du dehors. 7. Le Aar * des juifs et des artisans appartient à la qabila. 8. Le taleb Brahim s'engage à répondre de ses frères de frac­ tion des Ait Hamou ou Raho, de même Mohammed Aazouz répond de ses frères de fraction ; Haddou ben Brahim de ses frères les Ait Chaïb ; Ali ou Lhousaïn et le Chérif Sidi Moulay Ali répondent des Ait Haddi ; Mbarek ou Rezzouq et Moham­ med el Ghazi, répondent des Ait Abbou. 9. Celui qui cause des dommages au Cheikh dans ses récoltes, dans sa maison, dans ses troupeaux, ses bêtes de somme et en général dans ce qui constitue ses intérêts : 20 douros d'amende.

VII

AZRE1-- DE QADDOUSA 5

Les membres de la djem'a de Qaddousa ont décidé, d'un com­ mun accord, de réglementer par écrit tout ce qui touche à leurs intérêts communs afin d'attirer vers eux ce qui est profitable et

1. I.c peu de sécurité qui existait dans les qsour du sud menacés à tout moment d'irruption ou d'attaque subite des nomades ou des voisins imposait aux qsouriens une vigilance de tous les instants et l'obligation de se tenir prêts à répondre à toute fc^a ou « alerte ». 2. Lacune dans le texte arabe. 5. Le mot m.ura'a désigne ici les champs et jardins cultivés situés le long de la vallée de Guir, en face de Tazouggart. .4. Privilège de protéger les juifs. Ce privilège réglé par l'azref au profit de la gabila est au besoin revendiqué par la force étant une source de revenus pour ceux qui l'exercent. 5. Petit Qsar de 200 hommes environ situé sur la rive gauche de l'Oued Guir, en amont de Tazouggart. de rejeter loin d'eux ce qui est nuisible. De cette façon ils espèrent écarter de leur village toute cause de désordre. Puisse Dieu les diriger dans le droit chemin et leur accorder un juge­ ment sain par la Grâce du Prophète Rédempteur et de ses Com­ pagnons. Ainsi soit-il ! 1. Quiconque pénètre dans une maison pour y commettre un vol ou s'y livrer à l'adultère : 20 réaux. 2. Quiconque vole un mouton ou toute autre chose au pré­ judice d'un habitant du qsar ou d'un hôte de passage : 10 réaux. 3. Quiconque fait passer une chose volée par-dessus les rem­ parts du qsar : 5 douros. ,|. Le vol commis sur des aires à battre sera puni d'une amende de 10 douros. 5. Quiconque vole un ovin à l'extérieur du qsar paye 5 douros et restitue ce qu'il a volé. 6. Pour un vol commis dans un jardin : 2 douros d'amende. 7. Quiconque vole des dattes sur pied paye 2 douros et resti­ tue les dattes volées. 8. Quiconque attaque avec un lusil et tire sur son adversaire : 10 douros d'amende. S'il ne tire pas il ne paie que 2 douros. 9. Celui qui lance des pierres contre un palmier : 1/2 réal. 10. Celui qui vole de la luzerne ou du fourrage vert dans le champ d'autrui : 1 douro. 11. Celui qui vole du fourrage vert sur une plate-bande sépa­ rant deux propriétés : 1/2 réal. 12. Celui qui vole en allongeant la main de l'extérieur à l'in­ térieur d'un jardin : 2 metqals d'amende. 13. Les personnes, hommes ou femmes qui se disputent payent 5 ouqias chacune. 14. Celui qui blesse son semblable avec une arme tranchante : 1 douro. 15. Si la blessure est faite au moyen d'une pierre, d'un bâton ou de tout autre instrument : 1/2 réal d'amende seulement. 16. Quiconque prendra fait et cause pour quelqu'un au cours d'une dispute : 1 douro. 17. Quiconque refuse de comparaître devant le char a1 à la requête de quelqu'un : 1/2 réal d'amende. 18. Celui qui offre une dchiha à un personnage étranger aux Ahl Qaddousa paye 50 douros d'amende et est expulsé du qsar. 19. Celui qui incite un étranger à s'immiscer dans un difTé- — ii5 — rend entre Ahl Qaddousa soit en lui donnant une procuration à cet effet, soit de toute autre manière paye 50 réaux d'amende, s'il est établi qu'il pouvait se faire rendre justice sans recourir à cette intervention d'un étranger. Si au contraire il lui a été impossible de se faire rendre justice et que la djem'a ne lui ait pas prêté son appui, aucune amende ne lui est infligée, lors même qu'il aurait hébergé cet étranger. 20. Celui qui vole des olives (appartenant à autrui) : 2 douros d'amende. 21. Dans le cas de vol commis à l'intérieur d'une maison, s'il y a des témoins, cela suffît comme preuve; s'il n'y a pas de témoins, le propriétaire de la maison est tenu de jurer avec 5 co- j tireurs. 22. Les infractions non prévues dans le présent Azref et qui cependant ont une certaine importance seront punies de 1/2 réal d'amende. 23. Au point de vue des pénalités qui viennent d'être indi­ quées, les femmes et les hommes sont traités de la même manière. C'est ainsi que si une femme manque d'égards à un homme en l'insultant ou en l'injuriant elle paye 1/2 réal d'amende; l'homme paye la même amende pour le même délit.

I.Ol'ANGK A DIEU !

Copie textuelle ifun acte. — Hammou ou Tayeb ayant été solli­ cité, par les Chorfa et les notables des Ahl Qaddousa, d'être leur Cheikh, accepte cette offre à condition que les « répondants » soient pris parmi lesdits Chorfa et notables. En conséquence, les désignations suivantes ont été faites : Lahsen Amellal repré­ sente toute la fraction des lîarqia; Ou Qasem représente ses frères de fraction les Aït Iladdou; Mohammed'Azelmat et Moham­ med Ali dit Sakhman représentent tous les Aït Ali ou Mohammed ; Lahsen ould Hammou ou 'Alla représente tous les Aït Abde- laziz; Mohammed Ammennad représente tous les Ait 'Azza et les Ait Hammou 'Alla; 'Assoit ou Hammou représente tous ses proches les Ikhrenidjiouen ; Moulay Ali ben Lekbir représente ses proches les Aït Moulay Cheïkh; Moulay Abdallah ben Ahmed représente ses proches les Aït Mouley Ben Ahmed ; Moujan représente les Ait Yahya ou Khalifa. Les répondants susnommés s'engagent à remplir le devoir qui — n6 — leur incombe et quiconque y faillira sera voué à la colère de Dieu et de son Prophète. Si les parents de l'un des répondants refusent de se soumettre aux décisions de la djem'a et si, pour faire exécuter les décisions en question, ledit répondant sollicite l'intervention de ses col­ lègues, quiconque parmi ces derniers négligera d'intervenir sera voué à la punition de Dieu. Témoignage a été porté sur ce qui précède. La rédaction du présent acte a été reculée jusqu'au milieu de Djoumada deuxième mil trois cent vingt-sept.

VIII

AZRF.F D'.U. COR'AN '

Les membres de la djem'a d'Al Gor'an ont, d'un commun accord, arrêté les mesures ci-après dans l'intérêt de leur qsar:

1. Celui qui vole dans une maison paye 20 réaux d'amende si le délit est bien prouvé. S'il n'y a pas contre lui de preuve certaine, l'homme ainsi accusé doit jurer avec 10 co-jureurs de ses parents. Si le propriétaire de la maison prétend avoir surpris en flagrant délit celui qu'il accuse de vol et qu'il prétende que celui-ci ait pris la fuite, ledit propriétaire est tenu de jurer avec 5 co-jureurs pour qu'il soit infligé une amende à l'accusé. 2. Quiconque, après avoir surpris chez lui un voleur, ne le dénonce pas et nie l'avoir surpris, sera mis en demeure, par le Cheikh, de jurer avec 5 co-jureurs. 3. Celui qui à l'intérieur du qsar commet un vol au préjudice d'un hôte de passage est puni comme pour un vol commis à l'intérieur d'une maison. 4. Celui qui vole une brebis restitue un mouton. 5. Celui qui vole une chèvre restitue un bouc. 6. Celui qui vole un mouton paye 4 réaux. 7. Celui qui vole un bouc au delà du chemin paye 3 réaux. Si le vol est commis hors du qsar : 2 réaux d'amende; s'il est com­ mis à l'intérieur du qsar, l'amende infligée au coupable est celle qui est prévue pour les vols commis dans les maisons privées. 8. Quiconque injurie le Chérif, des témoins, ou le fqih paye 4 réaux d'amende.

1. Petit qsar sur la rive droite de l'Oued Guir, tu amont de Qaùousa. 9. Quiconque donne un coup de poing à quelqu'un paie I metqal. 10. Même amende pour un soufflet. n. Quiconque crache sur quelqu'un : 5 ouqias. 12. Quiconque prend ouvertement parti pour quelqu'un dans une rixe : 1 metqal. 13. Quiconque dégaine une arme tranchante contre quelqu'un: 1 metqal, si la mesure n'est pas suivie d'exécution. S'il y a coup porté et sang répandu : 1 réal. S'il n'y a pas de sang répandu et si le coup a déchiré seulement les vêtements : 2 metqals. 14. Quiconque refuse de comparaître en justice à la requête d'un adversaire : 2 réaux. 15. Quiconque lance des pierres ou donne des coups de bâton : 2 metqals. ié. Les délits de pacage sont punis à raison de trois mouds de céréales pour un troupeau de plus de 12 têtes; au-dessous de ce chiffre, un roubou' d'amende par mouton, un moud par bovidé ou par âne. 17. Une femme qui insulte un homme : 1 metqal. Et inver­ sement un homme qui insulte une femme : même somme. 18. Quiconque décharge une arme à feu sur quelqu'un sans l'atteindre : 1 réal ; s'il atteint son adversaire : 2 réaux. 19. Celui qui prononce des paroles désobligeantes pour la djem'a : 2 metqals. 20. Celui qui se laisse entraîner à une dispute par intérêt pour les affaires de la djem'a n'encourt aucune amende. 21. Quiconque, homme ou femme, blesse quelqu'un avec une pierre, une arme tranchante, ou un bâton : 1 réal. 22. Celui qui donne une giflle à quelqu'un : 2 réaux d'amende. En ce délit, hommes et femmes payent la même amende. 23. Les chevaux nés au printemps sont considérés pouvant commettre des dégâts dès fin août, et ceux nés en été en fin octobre. 24. Quiconque vole dans un jardin paye 1 réal s'il est adulte; s'il est enfant : 1 metqal. 25. Quiconque, enfant ou adulte, vole du grain dans les champs ou sur les aires à battre : 1 réal. 26. Quiconque témoigne contre quelqu'un et revient ensuite sur sa première déclaration : 1 réal. 27. Quiconque se dispute avec un hôte de passage, à Tinté- — n8 — rieur du qsar, dans le périmètre compris entre Bordj Hamman ou Hsaïn et Bordj Hamman-Zin : i réal. 28. Si des enfants se disputent et se blessent : 1 réal d'amende. 29. S'il survient une affaire de quelque importance que ce soit et que personne ne sache dire quelle solution elle doit rece­ voir, la loi mahométane sera appliquée d'office. 30. Les questions de Me^rug, de butin de guerre et d'expédi­ tion seront réglées d'après les usages des Brabers. Telles sont les règles d'Azref qui ont été établies dans l'intérêt général. Lù Dieu peut seul conduire dans la bonne voie.

IX

AZREI-- DES AIT AZAGIIOU '

Les membres de la djem'a des Aït A/.aghou sont tombés d'ac­ cord sur les moyens susceptibles d'assurer la sauvegarde de leurs intérêts et d'éviter qu'ils subissent un préjudice quelconque. Dans ce but, ils ont établi les règles ci-après, applicables indis­ tinctement au fort comme au faible et conformes à la coutume qui régit les qsour. 1. Celui qui commet un vol dans une maison particulière et est reconnu coupable pour avoir laissé dans la maison un vête­ ment quelconque lui appartenant, ou toute autre chose, doit payer 20 réaux d'amende, moitié pour le propriétaire de la maison, moitié pour la djem'a. Préalablement la victime du vol doit, à l'appui de la preuve qu'elle produit, présenter 10 co- jureurs. Si elle ne peut produire aucune preuve, le voleur pré­ sumé et soupçonné par la victime doit jurer avec 10 co-jureurs qu'il n'a pas commis le vol dont il est accusé. 2. Celui qui habite dans la maison d'un particulier gratui­ tement ou de toute autre manière et qui attire une amende au propriétaire du logis supporte la moitié de cette amende. Si, par contre, il est demeuré étranger à l'infraction et habite seulement avec le propriétaire, il n'aura rien à supporter avec ce dernier.

1. Le qsar des Ait Azaghou, appelé également Baknou, est situé sur la rive gauche de l'Oued Cuir, en amont d'Kl Gor'an. Il est habité par des Aît AIssa, des Chorfa et des Qbala, et comprend 150 hommes environ. — ii9 —

5. Celui qui commet un vol à l'entrée du qsar, au préjudice d'une personne, paye 10 metqals, nonobstant la restitution de la chose volée. Si la victime du vol est un hôte étranger et qu'il n'y ait pas de preuve contre le voleur qui est simplement accusé par la rumeur publique, le Cheikh doit faire jurer cet homme avec 5 co-jureurs. 4. Celui qui vole un ovin et qui est reconnu coupable du vol paye 10 metqals, nonobstant la restitution de l'animal volé, s'il l'a toujours. Dans le contraire, la victime doit jurer en faisant la description de l'animal, qui est alors estimé, et le voleur est tenu de restituer deux animaux. Le serment est prêté par la victime du vol et non par des co-jureurs. 5. Celui qui soupçonne la victime d'un vol d'avoir transigé avec le voleur doit jurer devant la djem'a à ce sujet. Si l'arran­ gement a lieu avant l'intervention du Cheikh de la djem'a, le voleur est tenu de payer l'amende ci-dessus : (10 metqals). 6. Celui qui commet un vol dans une mosquée paye une amende égale à celle infligée au voleur qui s'introduit dans une maison particulière. 7. Le Cheikh de la djem'a et les reffads doivent s'occuper de toute affaire exposée devant eux par un homme quelconque de la tribu ; si l'adversaire de cet homme fait défaut : 5 metqals d'amende. S. Celui qui refuse de se rendre devant le chara1, : 3 metqals. 9. Si la personne citée en justice dit à son adversaire : «je refuse de me conformer à ta justice à toi mais non à celle du Prophète », et qu'ensuite, après avoir été condamnée par la djem'a, elle acquiesce à la décision de cette assemblée, aucune amende ne lui est infligée. 10. Si au contraire, elle refuse de payer le montant de la condamnation : 3 metqals. 11. Celui qui se dispute avec quelqu'un considéré comme 'ar de la djem'a paye une amende équivalente à celle infligée à tout particulier de la tribu . 12. Est traité comme car' de la djem'a et comme tel assimilé

1. Protégé. Le lecteur relèvera facilement les différents sens du mot 'iir qu'il aura rencontrés en parcourant nos azrefs. à l'hôte étranger et au pauvre, celui qui n'a pas le pouvoir d'in­ sulter ou de frapper. Celui qui peut insulter et frapper ne peut être traité comme 'ar. 13. Celui qui se dispute avec une autre personne et lui porte des coups, soit avec un couteau, soit avec des pierres, soit avec un bâton, au point de le faire saigner : 2 metqals. 14. Quiconque se livre aune rixe à coups de poings, souf­ flette son adversaire ou saisit ce dernier à la poitrine ou par ses vêtements: cinq ouqias. 15. Celui qui prend parti pour l'un des adversaires en cas de rixe paye 16. Celui qui fait usage d'un fusil armé contre son sem­ blable, qu'il le manque ou qu'il l'atteigne : 25 metqals. 17. Celui qui prend un fusil ou un pistolet sans avoir l'in­ tention de s'en servir et qui laisse néanmoins partir le coup : 5 metqals. 18. Celui qui, pour défendre les intérêts de la djem'a, se livre à une altercation ne paye aucune amende, même si l'alter­ cation a lieu avec le Cheikh ou avec un des reffads. 19. Celui qui vole des grains sur les aires à battre et qui est reconnu coupable : 3 .. . 20. Celui qui vole les produits d'un jardin ou des céréales en épis non encore moissonnés, ou de l'herbe, et est surpris par le propriétaire : 1 réal. 21. Quiconque manque de respect à une femme : 5 ouqias. 22. La femme qui se montre irrespectueuse envers l'homme: 1 metqal. 23. L'amende à payer pour des animaux tels que vache, mule, jument dévastant un champ est de 1/2 moud. Quand il s'agit d'un âne, l'amende à payer est de 1/4 de moud, pour les ovins le 1/8 de moud par animal; si le chiffre des animaux dépasse seize, l'amende à infliger est de 4 mouds pour tous les animaux. 24. Quiconque insulte le Cheikh : 5 ouqias. Cette amende n'est pas payée si la discussion qui a amené l'insulte a trait aux affaires de la djem'a; mais si l'insulteur n'a en vue que ses affaires personnelles, l'amende qui lui est infligée est double de celle indiquée plus haut. 25. Quiconque intercepte l'eau (de la saqia) destinée à une — 121 — autre personne pour la faire passer dans sa propriété, s'il est vu par une autre personne: 5 ouqias. 26. Celui qui se sert de l'eau de la « Saqia » alors que ce n'est le tour de personne d'arroser a le droit de le faire ; bien plus, si quelqu'un autre vient ensuite à accaparer cette eau à son profit il aura à verser 5 ouqias et devra laisser l'eau au premier ayant droit. 27. Quiconque jette des pierres ou frappe sur la porte du Qsar avec une hache: 5 ouqias. 28. Celui qui outrage le portier du qsar : 5 ouqias. 29. Si le portier s'endort dans un tout autre endroit qu'à Dar 'Addi, la mosquée et le seuil de l'entrée intérieure du qsar : 5 ouqias. 30. Quiconque introduit des objets volés par-dessus la muraille du qsar: 2 metqals. 31. De même quiconque entre dans le qsar par-dessus la muraille d'enceinte : 1 réal. 32. Celui qui ne se présente pas à son tour de garde à la porte du qsar à partir de l'appel à la prière de Y'acha et qui n'a pas l'excuse d'avoir quitté le village jusqu'à l'heure où se termine le Shah : 5 ouqias. 33. Quiconque frappe un « reffad » au point de lui tuméfier la peau : 1 metqal. Le « reffad » continuera à exercer ses fonc­ tions . 34. De même si quelqu'un frappe le Chcïkh au point de lui faire mal : 2 metqals. 35. Si l'un des « reffads » part en voyage sans charger quel­ qu'un de le remplacer : 5 ouqias. 36. Si le Cheikh s'absente dans les mêmes conditions : 1 metqal. 37. Quiconque coupe du laurier rose dans le barrage ou un peuplier appartenant à la djem'a : 5 ouqias. En outre il est tenu de rendre à la djem'a ce qu'il a coupé. 38. Si des ovins sont amenés pour être mis en vente et que quelqu'un en retienne pour lui un certain nombre, avant tout autre, les bêtes retenues ainsi lui reviennent de droit. 39. Si après avoir marqué les animaux qu'il a retenus, le premier acquéreur les abandonne sans revenir les prendre et qu'un autre individu veuille les acheter, l'acquisition ne pourra avoir lieu qu'au profit du premier, à moins que celui-ci veuille céder son droit de préférence. •

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jo. Celui qui arrose (son champ) et néglige ensuite- de fer­ mer la « Saqia » : 8 mouzounas. 41. Quiconque commet un vol sans pouvoir payer l'amende qui lui est infligée, peu ou prou, est tenu de quitter le qsar et ne peut y revenir. Cette règle n'est applicable qu'à celui dont l'amende dépasse 3 metqals. Si elle est inférieure à cette somme, il est tenu de la payer de toute façon. 42. Quiconque est cause de l'arrivée dans le qsar, d'un étranger, est tenu de lui donner l'hospitalité jusqu'à son départ. La djem'a n'a pas à s'occuper de cet étranger. 43. Quiconque livre dispute à quelqu'un et nie ensuite l'avoir fait sans que le Cheïkh puisse établir un témoignage contre lui, doit prêter serment dans le sanctuaire de Sidi Mohammed ben Ahmed. Ceci n'a lieu que pour les personnes majeures. Quant aux enfants, ils doivent prêter serment à la mosquée. 44. Ces règles de pénalités ne sont pas applicables au delà du seuil du qsar. 45. Toute règle utile non contenue dans le présent règle­ ment pourra y être ajoutée ultérieurement. 46. Le délai imparti à ceux qui sont frappés d'amendes pour payer celles-ci est de 1 mois pour 50 metqals. 15 jours pour 10 metqals, 10 jours pour 5 metqals et 3 jours pour toute somme inférieure. 47. Quiconque surprend un individu dans sa maison et le frappe, ne paye rien. 48. Si un enfant se dispute avec une grande personne, l'amende à infliger à celle-ci est égale à celle payée par l'enfant. Si l'un d'eux blesse l'autre, il sera tenu de payer 1 metqal. 49. Si le Cheïkh accorde une diminution à qui que ce soit sur l'amende qui lui est infligée, il sera tenu de la payer de ses deniers personnels. 50. Cette mesure n'est pas applicable si le Cheïkh est d'accord avec les « reliads » sur l'opportunité de la remise d'une partie de l'amende. 51. L'amende à infliger aux femmes est la moitié de celle des hommes, sauf en matière de vol; dans ce cas les femmes payent ce que payent les hommes. 52. Celui qui surprend son enfant en train de se battre avec un autre enfant et bat ce dernier ou pousse son fils à le battre : 2 metqals. — 123 —

5 3- Le d/ww/(Israélite) vendant des drogues doit payer à la djem'a 5 ouqias pour entrer dans le qsar. 54. Les personnes formant le conseil du Cheïkh peuvent per­ mettre à celui-ci d'accorder la remise (totale ou partielle) d'une amende quelconque pourvu qu'elle soit inférieure à 5 ouqias et que cette remise n'entraîne aucun trouble. Si cela est, il n'y aura pas lieu d'accorder de remise. 55. Les enfants au-dessous de l'âge de six ans ne payent rien; ceux qui dépassent cet âge payent r réal quand il s'agit de vol dans les maisons, etc., à condition que le propriétaire volé pré­ sente ) co-jureurs et jure lui-même contre l'enfant. 56. Si les enfants commettent un vol dans les jardins: 5 ouqias, et dans les terrains ensemencés : 10 mouzounas. 57. Si le Cheïkh soupçonne la victime d'un vol de s'être récon­ ciliée avec le voleur et que la victime nie, celle-ci devra jurer qu'elle n'a conclu aucun arrangement avec le voleur, sinon elle payera la djem'a la moitié de la somme qui a servi de base à l'arrangement.

X

AZREE DE TOULAL 1

Ceci est un acte béni, renfermant les règles et les coutumes du pays de Toulal, transmises de génération en génération et appli­ cables à tous les habitants sans distinction, car d'elles dépend la prospérité du pays. Elles ont été rédigées après une réunion des chefs, des notables et de diverses personnes qui ont échangé des vues sur des ques­ tions devant avoir les plus heureuses conséquences dans ce monde et dans l'autre, s'il plaît à Dieu, et destinées à établir entre les uns et les autres des rapports de confiance mutuelles, à prévenir les injustices et à sauvegarder le droit des faibles. Il a été reconnu nécessaire de donner à ces règles une rédac­ tion sous forme d'acte et à la manière de lois. Le but poursuivi est de prévenir les désordres qui peuvent surgir avec le temps et de couper court aux rixes, meurtres, blessures, vols et autres

i. L'agglomération de Toulal comprend les 8 qsour suivants : Aghlaf ou qsar des Ait Fargati : qsar Ait Mouraraou ou Sa'd Allah: Mechtag; qsira des Ait Oussal ; qsira des Ait Moussa ou AU ; qsira des Mrabtin ; qsar Djedid ; Tam- zilt. 9 délits pouvant être commis aussi bien dans les demeures privées que dans les jardins, les points d'eau, les champs cultivés, les barrages.... Les habitants ont arrêté des dispositions précises qui seront indiquées plus bas et chacun s'est engagé à y obéir de son plein gré- En conséquence, nul ne pourra faire obstacle à l'application de ces règles ni s'en déclarer l'adversaire, ni prétendre les modi­ fier, et cela d'une façon durable jusqu'à ce que Dieu hérite de la terre, de ce qui existe à sa surface, car il est le meilleur des héritiers (Coran). Celui qui tentera de les fausser ne sera point approuvé et Dieu lui infligera un châtiment qui servira d'exemple à tous. Les règles adoptées concernent également ceux qui vivent au milieu des Ahl Toula), par exemple les Chorfa et autres catégo­ ries de personnes d'entre les créatures d'Allah. D'une façon générale, les délits pour crimes, blessures, affaires de femmes, sont réglés d'après l'acte de la qabila; pour le détail des délits, voici les règles : 1. Si un vol est commis à l'intérieur d'une maison, le proprié­ taire de cette maison doit d'abord faire, selon les coutumes de la qaliba, la preuve contre le voleur et ce dernier est condamné à 10 metqals d'amende. 2. Celui qui introduit une chose volée dans le qsar soit en la faisant passer par-dessus la muraille, soit par la porte d'entrée : 10 metqals d'amende, si l'accusation est appuyée par deux témoins. Si ces témoins manquent, l'accusé doit présenter dix de ses parents pour jurer qu'il est innocent, et il est mis hors de cause. 3. Le receleur de toute chose volée est traité comme le voleur lui-même au point de vue de l'amende. 4. Celui qui indique à un voleur une chose à voler est traité comme le voleur. 5. Celui qui commet un vol au préjudice d'un hôte étranger, à l'intérieur du qsar : 5 metqals d'amende, nonobstant la resti­ tution de la chose volée. S'il est simplement accusé, il doit pré­ senter cinq de ses proches parents pour jurer qu'il est inno­ cent. 6. Celui qui commet un vol dans un jardin : 5 metqals. 7- Celui qui vole de la luzerne dans les champs : 4 metqals. 8. Celui qui vole des céréales sur des aires à battre : 5 met­ qals. 9. Celui qui intercepte l'eau d'une saqia : 1 metqal, nonobs­ tant le payement de la valeur de la quantité d'eau interceptée. 10. Celui qui vole de l'herbe à fourrage, de l'orge ou du maïs dans les champs : 1 metqal. 11. Celui qui vole sur des branches de figuier dépassant l'en­ clos des jardins, ou sur d'autres arbres fruitiers : 1 metqal. 12. Celui qui fauche de l'herbe fourragère sur une plate-bande de terrains ne lui appartenant pas : 5 ouqias. 13. Celui qui vole sur des branches d'oliviers dépassant l'en­ clos des jardins : 5 metqals. 14. Celui qui, après avoir arrosé son jardin ou son champ, ne renvoie pas l'eau de la saqia chez ceux qui y ont droit après lui : 1 metqal, à condition que celui qui a droit à cette eau en ait constaté l'accaparement à son préjudice. 15. Celui qui, après avoir arrosé son champ renvoie l'eau en la laissant déborder le long de la saqia... 16. Ces dispositions sont applicables depuis l'endroit où bifurquent les chemins conduisant à Taouasilt et à Bou-Rdim, près de Taouasilt jusqu'au barrage de la qabila. 17. L'étranger qui séjourne dans la qabila plus de trois jours est traité comme un habitant ordinaire (au point de vue de l'ap­ plication des règles de l'Azref). 18. Celui qui se bat à coups de poings : 1 metqal. 19. Celui qui prend parti pour quelqu'un dans une querelle : 2 metqals. 20. Si des femmes se battent entre elles, chacune est condam­ née à 5 ouqias d'amende. 21. La femme qui insulte un homme, s'il y a des témoins : 1 metqal. 22. L'homme qui frappe une femme : 2 metqals. 23. Celui qui vole un mouton à un berger, en dehors du qsar : 5 metqals s'il y a des témoins. 24. Celui au préjudice de qui un vol est commis, doit dénon­ cer le voleur. S'il ne le fait pas et que quelqu'un témoigne contre lui de cette abstention, il paye la même amende que le voleur. 25. Dans le cas de rixe entre deux hommes, celui qui inter- vient pour les séparer et nie ensuite par-devant le Cheikh qu'il y ait eu rixe, paye la même amende que ceux qui se sont battus s'il est prouvé qu'il a assisté à cette rixe. 26. Celui qui après avoir arrosé son champ renvoie l'eau de la saqia dans le champ d'un voisin (au lieu de la laisser aller dans la saqia) : 5 ouqias. 27. Si, en faisant cela, il abîme ce champ, il paye 5 ouqias d'amende et est mis dans l'obligation de faire travailler à nouveau le terrain inondé. 28. Celui qui abandonne un hôte étranger sans nourriture paye 1 dirhem d'amende. En outre, il est tenu de lui donner à manger, s'il apprend qu'il l'a oublié, sinon il doit rembourser celui qui s'est occupé de lui. 29. Si une bête de somme met bas dans les champs au milieu des orges ou sur les aires à battre : 12 mouzounas d'amende à celui qui en est le propriétaire. 30. La même amende est infligée dans les mêmes conditions lorsqu'il s'agit de brebis. Toutefois, si l'animal après s'être échappé a été rattrapé et ramené par le propriétaire, ce dernier ne paye pas d'amende. Si la bête s'échappe à son insu, il est néan­ moins tenu de jurer qu'il a ignoré l'escapade de l'animal. 3r. Celui qui détrousse quelqu'un entre Barq Iladjar el Khil, près deTakhlaht et Khelidj MaDarel Hadj, l'oued et Ras Imaren, 5 ouqias d'amende. 32. Celui qui pille un Toulali ou un Attaoui ou un ennemi quelconque sans la permission du Cheikh ou de l'un des hommes de son Conseil : 1 metqal. 33. Celui qui surprend dans son jardin, ou dans son champ, ou sur ses figuiers, un voleur étranger au qsar peut le traiter comme bon lui semble sans encourir d'amende. 34. Celui qui trouve une bête errante et la garde chez lui ou la fait garder chez quelqu'un durant 3 jours, pendant que son pro­ priétaire la recherche : 5 metqals. 35. Si quelqu'un est mis dans l'obligation de présenter des jureurs, il doit les choisir uniquement dans le pays et ne doit point les chercher dans un autre village. Il est de règle chez les Brabers que les pénalités ne soient pas applicables en dehors du territoire où elles ont été édictées. 36. Celui qui outrage le Cheikh ou le feqih ou leur cherche querelle : 1 metqal. 37- Celui qui se laisse entraîner à une rixe pour défendre les intérêts de la Qabila, n'encourt aucune amende. 38. Quiconque, dans une affaire intéressant toute la Qabila, prend une décision en dehors du Cheïkh et de ceux qui composent son conseil, paye 1 metqal et la décision prise dans ces conditions est nulle. 39. Si le Cheïkh ordonne une corvée d'utilité générale et que quelqu'un refuse d'y prendre part : 12 mouzounas d'amende. En outre, le Cheïkh peut prendre un ouvrier pour travailler à la place du récalcitrant et ce dernier paye le salaire fixé par le Chef de la Qabila. 40. Celui qui déchire un acte renfermant les lois de la qabila : 10 metqals. 41. Nul ne peut prétendre diminuer les amendes, hormis le Cheïkh et les membres de son conseil. 42. Celui qui prend de la terre dans le champ ou le jardin d'autrui pour monter une bordure de saqia : 1 metqal. 43. Celui qui coupe les lauriers roses d'une quantité égale à une bête de somme ou d'homme : 1 metqal. 44. Le Cheïkh en exercice, ne peut abandonner ses fonctions avant d'être remplacé par un autre Cheikh. 45. Celui qui après avoir arrosé son champ, laisse couler l'eau sans que cela soit cependant d'une manière voulue, n'encourt aucune amende. 46. Si deux hommes, l'un de Taouasilt, l'autre d'un autre Qsar, se battent, chacun paye 1 metqal au Cheïkh de la Qabila. 47. Celui qui refuse de se rendre devant le charà ou d'accep­ ter une sentence rendue contre lui, 2 metqals, si le refus est cons­ taté par des témoins. 48. Tout Cheïkh en fonction doit répondre de tous les habi­ tants de son qsar, vis-à-vis du Cheïkh principal. 49. Il sera perçu au bénéfice de la Zaouïa de Qenadsa ' deux mounds de céréales par Sabja 2 et ce don sera périodiquement renouvelé, jusqu'à ce que Dieu hérite de la terre et de ce qui vit à sa surface, car il est le meilleur des héritiers. 50. Celui qui est soupçonné par le Cheïkh d'avoir volé, bien

1. Sur la Zaouïa de Qenadsa, dans le sud Oranais, consulter le travail de A. Cour. Le Cheikh Hl Hadj Mohammed bon tëou Zian, Revue du Momie musulman, t. XII, 359, 371. 2. Une sahfa, ar. W-^, contient 60 mouds. — 128 — qu'il n'y ait pas de preuves matérielles contre lui, doit présenter cinq de ses parents pour jurer qu'il est innocent. 51. Celui qui, pour n'importe quelle affaire, se voit contraint de jurer avec des co-jureurs, doit présenter ces derniers au bout de trois jours. S'il ne trouve pas de co-jureurs dans le village, il peut les faire venir d'un autre village, pourvu qu'ils soient choisis parmi ses proches. 32. Si une bête attachée dans un champ au moyen d'une corde, rompt son lien et pénètre dans le champ ou le jardin voisin en y commettant des dégâts, le propriétaire paye 5 ouqias d'amende. 53. Celui qui fait pacager des moutons dans les récoltes, paye 1 dirhem par animal. 5.). Celui qui empiète sur le chemin d'autrui en s'appropriant les plates-bandes de terrain le séparant de ses voisins et ne recon­ naît pas cet empiétement, paye 1 metqal d'amende et évacue le terrain, après vérification sur les lieux faite par le Cheïkh et trois personnes. 55. Celui qui coupe des roseaux dans la propriété d'autrui pour en faire une toiture ou s'en servir comme combustible : 2 metqals. 56. S'il coupe seulement des feuilles de roseaux, il paye l'amende prévue quand on coupe l'herbe chez autrui. 57. Les règles applicables quand il s'agit de dégâts commis dans les ifasan 1 sont les mêmes que pour les jardins, qu'il y ait coupe d'arbres ou non. 58. Celui qui inarche dans le champ d'autrui, seul ou avec une bête, alors que le champ renferme des cultures ou a été arrosé en vue d'être labouré, paye 2 dirhems. 59. Celui qui est trouvé longeant la saqia, n'encourt aucune amende si c'est son tour d'arroser et à moins qu'il ne touche à quelque chose ne lui appartenant pas, auquel cas il paye l'amende prévue lorsqu'on s'approprie quelque chose dans les jardins. 60. L'étranger qui possède une propriété à Toulal est soumis en ce qui le concerne aux règles applicables aux habitants du vil­ lage. 61. Celui qui irrigue son champ à son tour de le faire et laisse l'eau de la saqia couler chez lui plus longtemps qu'il n'y a droit : 5 ouqias d'amende.

1. Mot berbère synonyme de l'arabe pl- .i-î'-Vs, champs. 62. Celui qui, pour irriguer son jardin, utilise l'eau de lasaqia de Dar el Hadj ou celle d'ifetsan : i metqal. 63. Celui qui irrigue avec l'eau de la grande saqia avant le mois d'octobre : ,| metqals; après le mois d'octobre : 1 met-

64. Celui qui vole du maïs, de l'orge, du blé ou des fèves dans les champs : 4 metqals à percevoir par le Cheïkh de la djem'a de la qabila. 65. Celui que le Cheïkh soupçonne d'avoir volé doit faire jurer cinq de ses proches qu'il est innocent. 66. Celui qui prend de la terre près du barrage où se réunissent les eaux de pluie, ou près de celui de ou de celui qui se trouve au-dessus de Qsar Sa'd Allah et de Tafraout, ou encore autour des tombes, paye 1 metqal d'amende. 67. Celui qui prend quelqu'un en flagrant délit de vol dans son jardin ou son champ et s'arrange directement avec lui, paye, au cas où il viendrait à être dénoNcé, la même amende que le voleur. 68. Celui qui hors du qsar, vole soit des vêtements, soit des armes, soit des engins de chasse, paye 5 metqals. 69. Celui qui vole des olives ou des céréales appartenant à la mosquée, paye l'amende prévue quand le vol est commis au préju­ dice des particuliers, c'est-à-dire 20 metqals, si la preuve du vol est bien établie. 70. S'il y a seulement présomption de vol (au préjudice de la mosquée), l'accusé doit présenter 10 jureurs. 7r. Le terrain situé au-dessus du barrage du village, connu sous le nom d'AImou, ne peut ni être labouré ni recevoir une saqia, ni quoique ce soit de pareil. Celui qui contrevient à cette défense: 10 metqals d'amende. 72. Celui qui établit un barrage en amont des anciens bar­ rages du village et le long de l'oued el Kebir ou de l'oued Dar Hl-Hadj paye 20 metqals et remet la terre en état. 73. Celui qui se querelle avec l'iman, l'insulte ou porte la main sur lui : 4 metqals. 74. Celui qui ouvre un barrage pour en laisser couler l'eau : 10 metqals. 75. Celui qui est soupçonné par le Cheïkh de quelque infrac­ tion que ce soit, doit présenter 5 parents pour jurer qu'il est innocent. j6. Celui qui reçoit chez lui un ancien toulali 1 jeune ou vieux, sans la permission de la djem'a, paye une amende de 10 douros par nuit passée chez lui par ce toulali. 77. Si un étranger vient demander la diffa et le coucher et qu'il y ait lieu de ne le faire séjourner qu'une nuit dans le vil­ lage, s'il reste davantage, celui qui l'a reçu chez lui paye 10 metqals d'amende. 78. Si un étranger est accueilli comme hôte de la djem'a sans être connu de personne et qu'on découvre ensuite que c'est un ancien toulali, le Cheikh du qsar intéressé doit certifier qu'il ne le connaissait pas ou ne l'avait pas reconnu; en outre il faut que cet homme n'ait rien à se reprocher. 79. Celui qui vole de la luzerne dans les champs ou dans les jardins ; 5 metqals. 80. Si le propriétaire de cette luzerne fait le silence sur le vol commis à son préjudice et s'arrange avec le voleur, il paye 5 metqals d'amende. 81. Si quelqu'un est soupçonné par le Cheikh d'avoir commis un vol, il doit, pour se disculper, produire 5 jureurs parmi les siens. 82. Le Cheïkh doit veiller à l'exécution des décisions prises, tant qu'il demeurera en (onctions. Tout ce qui précède a été arrêté d'un commun accord par la djem'a composée du Cheïkh investi et des notables ci-après : Mouha ou Ilammou Azeroual. La 'id Azeroual, 'Addi ou Ilammou Azouggagh. 'Ammou des Ait Mcssa'oud, Mouha ou Ahmed, Cheïkh de Taouasilt, 'Ali ou Lemchi, 'Ali ou Djan, Mouha ou Sa'ïd El Khreir.djioui, Bihhi ou Qerrou, 'Ali Aouragh, Mouha ou Badja, 'Assou ou 'Attou, 'Ali Abaghadb, 'Assou ou Ahmed Lahtioui, Mouha ou Qachri, Ilammou ou El Hadj, Moulay el Hachem El Gherisi.

De ce qui précède et en ce qui concerne la présence effective à la réunion des notables désignés, et rengagement pris par les uns et les autres de garantir l'exécution des décisions arrêtées, témoignage a été porté par le feqih Moulay Tayeb. Dieu lui accorde sa miséricorde.

1. A la suite de luttes intestines, un grand nombre de loulalis ont été chassés de leur pays sous le règne de Moulay Abd er Kahman et se sont fixés aux alentours de Meknès. C'est de ces émigrés qu'il est question dans cet azref. XI

AZHH1: nr.S AIT IZDF.G 1

Louange à Dieu qui a institué le bien et le mal, le premier clans l'harmonie, le second dans le désordre. Copie d'un acte provenant de la tribu des Aït I/dcg et dont on s'est servi dans cette tribu depuis les temps les plus reculés jusqu'à ce jour. La première djem'a des Aït Izdeg a pris des décisions qui ont été suivies par l'autre djem'a. Kn voici les termes : 1. Si des brigands s'attaquent au pays et que la population les poursuive, celui qui s'abstiendra de prendre part à cette pour­ suite doit payer 100 metqals à la tribu et paver ce qui a été volé. 2. La personne qui en blesse une autre d'un coup de fusil ou de pistolet paye 20 metqals si la balle ne reste pas dans le corps. Dans le cas où elle y demeure logée : 100 metqals. 3. Quiconque blesse quelqu'un avec un instrument de fer paye 50 metqals par blessure. 4. Avec un bâton ou des pierres: 20 metqals. 5. Pour le soufflet et le coup de pied : 5 metqals s'il y a preuve valable. Dans le cas contraire, l'accusé sera quitte en pré­ sentant 5 jtireurs. 6. Quand un meurtre est commis, le nombre des parents qui doivent jurer est de 10 du côté de la victime et de 5 du côté de l'accusé. 7. Quiconque estropie quelqu'un en le privant de l'usage soit d'un bras, soit d'une jambe, soit d'un œil, soit de toute autre partie du corps: 400 metqals.

1. Les Ait Izdcg forment une des grandes tribus qui composent le ïeff ou Confédération des Ait Yafelman. Ils habitent les régions du Haut Guir, de l'Oued Ziz (districts de Qsar Ils-Souq, Kheneg, Ti'allalin, Ziz, OuedSidi Hamza et Oued Nzala. Originaires des Ait Atta du Sud et fixés anciennement dans le district du Reteb, ils se séparèrent d'avec leur tribu d'origine à la suite de luttes violentes qui les amenèrent à conclure avec les Aït Aïssa, Ait Seghrou- chen et Ait Ouafella, une alliance qui aboutit à la constitution du leff des Aït Yafelman. Les Ail Izdeg comprennent actuellement trois fractions: Ait Moummou, Ait Toulout, Ait Fergan. 8. Quiconque fait un affront blessant à quelqu'un : 10 metqals. 9. Celui qui entre chez autrui avec l'intention de commettre une mauvaise action : 20 metqals par seuil franchi si preuve valable est apportée contre lui. Dans le contraire, l'accusé doit présenter 10 co-jureurs et il est mis hors de cause. 10. Ce qui a été volé doit être rendu en quintuple : pour une mule volée, 5 sont remises à la personne lésée. De même si c'est un cheval, un âne, un mouton, une chèvre, un bcuuf ou un chameau. 11. Pour le fer (c.-à-d. les objets en métal), si la quantité- volée atteint la valeur de 10 metqals, l'accusé qui nie doit four­ nir iojureurs. Si la valeur du fer est moindre : 5 jureurs. 12. Quiconque vole de la luzerne, ou des fèves, ou de la paille, ou une pioche, ou des fruits : 5 metqals si la preuve valable est apportée. Dans le cas contraire, l'accusé doit présenter 5 jureurs et il est mis hors de cause. 13. Celui qui s'enfuit avec une femme dont lés cris ont été entendus par 5 personnes: 500 metqals. En outre, il est tenu de la laisser retourner chez elle. 14. Celui qui ravit une femme mariée : 400 metqals. Le mari doit fournir 10 jureurs choisis parmi les gens d'honneur appar­ tenant à 20 tentes; s'il ne le peut, l'accusé fournit 10 jureurs de ses proches et on le tient pour quitte. 15. S'il s'agit d'une femme sans mari, veuve ou jeune fille : 200 metqals et le ravisseur est tenu de l'épouser. Il doit lui donner 100 metqals d'avance et lui compléter les 100 metqals restant, en cas de séparation. Les parents de la femme sont tenus de présenter 10 jureurs pour que l'accusation de rapt lancée par cette femme soit reçue. 16. La tente qui ne compte plus de mâles, sera régie par le Chara' musulman (au point de vue successoral). 17. Le 1/8 et le 1/4 d'héritage sont prélevés par la femme sur la succession de son mari, et il ne lui revient rien de plus. 18. Un homme perd son fils qui a un ou deux garçons. Son (ou ses)petit-fils hérite par représentation du père'.

1. Il est intéressant défaire remarquer ici l'opposition avec la loi musulmane qui n'admet pas la représentation. Cf. IbnAcem, tiad. Hondas et Martel, vers 1650. — 133 —

19- Le père prend la part qui revient, dans une succession, à ses jeunes garçons et à ses filles. Cependant il ne doit pas faire tort aux uns ni aux autres, garçons ou filles. 20. Si une personne vend son patrimoine et laisse l'acquéreur en disposer pendant un an sans qu'aucune contestation contre l'un ou l'autre se soit élevée, la propriété n'est établie néanmoins qu'avec l'intervention de io jureurs. 21. Quiconque dit à quelqu'un: «vous êtes mon débiteur, vous m'avez donné telle chose ou : vous m'avez dit telle chose, et cela sans acte ni garantie», et que ce dernier nie, il doit jurer en personne et est mis hors de cause. 22. Celui qui accorde sa protection à quelqu'un, doit, au cas où un meurtre serait commis sur la personne qu'il protégeait, présenter io jureurs honorables pour'témoigner contre l'auteur de cette violation du Mezrag et, dans ce cas, ce dernier doit ioo douros d'amende à celui qui a accordé le mezrag sans préju­ dice des réparations dues aux parents de la victime. 23. Celui qui prête une bête à une personne n'encourt aucune responsabilité si la bête désarçonne son cavalier. 24. Quiconque bouscule le Cheïkh ou le taleb paye 10 metqals. 25. Le réfugié est accepté au sein de la tribu quand il est reçu par les Chorfa, les marabouts et les notables. 26. Celui qui offre une debilia à quelqu'un pour obtenir sa protection, ne peut avoir d'autre protecteur que celui-ci. 27. Le mari est tenu de fournira sa femme répudiée, reconnue enceinte, ses frais d'entretien jusqu'à l'expiration de la période d'allaitement. Il nepeut, en aucun cas, se soustraire à cette obli­ gation. Le montant de cette pension est fixé d'après le Chara'. 2

FIN

NF.I.HII.. NOTES

SUR I.K STATUT COUTUM1ER DES BERBÈRES MAROCAINS

(iGUKROUAN DU SUD, AIT NDHIR, AIT MGLTI.D 1

I

L'unité politique et administrative, en pays berbère, est la tiguemmi ou douar -. C'est un groupement d'importance très variable qui a son individualité et sa vie propre : il désigne ses chefs, fixe ou modifie ses lois et s'administre lui-même. La tiguemmi se subdivise en sous-groupements générale­ ment nommés « rif ». Chaque rif se compose d'un certain nombre de familles, groupées par tentes, dont les chefs sont unis par un lien de parenté consanguine qui ne remonte généralement pas au delà de deux générations ; il est quelquefois composé exclusivement des membres d'une seule famille. Dans le rif peuvent s'introduire des éléments étrangers: les uns (adjar) sont simplement autorisés à s'établir à l'intérieur du grou­ pement dont ils deviennent les clients; les autres (amhars, pl. Imharsen) s'incorporent au rif. s'y marient avec l'autorisation de la djemaa et y acquièrent droit de cité. L'ensemble de plusieurs tigomma que groupent généralement un lien de communauté d'origine, ou, plus rarement, de simples raisons d'intérêt ou de nécessité, forme la fraction ou ir's >.

1. Ces notes ont été recueillies au cours d'une enquête faite en tribu avec le concours de M. ABKS, interprète à l'Ktat-Major du commandement général du Nord. 2. La tiguemmi (pl. tigoumma) paraît être pour les tribus semi-nomades du moyen Atlas ce que le village (thaddart) est pour les populations sédentaires de la Kabylie ou de l'Aurès. Cpr. HAN'OTEAC et LETOURNEUX, t. II, p. 4 et suiv. 3. Il semble qu'à l'origine l'ii's (mot à mot : os) n'ait réuni que des douars pouvant se réclamer d'une même origine. Il constituait alors véritablement une famille étendue, un clan. Mais aujourd'hui cette communauté d'origine est souvent difficile à établir; il est arrivé, en effet, que des douars se sont sépa- - I36 -

La réunion de plusieurs ir's forme la tribu ou taqbilt '. Chacun de ces groupements est administré par une djemaa et ce sont respectivement les djemaa de tiguemmi, d'ir's ou de taqbilt qui délibèrent des affaires selon que ces affaires intéressent le douar, la fraction ou la tribu2. La djemaa de douar est la réunion de tous les hommes valides du groupement. En principe tout homme valide du douar fait donc partie de la djemaa et y a voix délibérative, mais, en fait, seuls les hommes influents et respectés, les « ikhataren » dirigent le groupement; ils constituent ainsi une sorte de djemaa restreinte dont les décisions sont toujours adoptées par rassem­ blée générale du douar. La djemaa d'ir's est composée des représentants des djemaa de douar». La djemaa de taqbilt comprend les délégués des djemaa d'ir's4. Elle a à sa tête un chef ou « amr'ar » qui est choisi par toute la tribu. On l'appelle « ain'rar n'touga », l'ancien à la poignée d'herbe Il est nommé pour un an, mais peut, après ce délai, être maintenu en fonctions. L'amr'ar n'touga, chef de guerre de la tribu, nomme à la tête de chacun des ir's de son commandement un amasaï ou répon­ dant, responsable de tout ce qui se passe dans son groupement. L'amasaï d'ir's place à la tète de chacune des tigomma de son ir's un répondant qui est le chef du douar. Ce dernier désigne à son tour les imasaïen qui doivent l'assister dans ses fonctions. Il existe en effet presque toujours à la tête de chaque rif de la

rcs de leur ir's pour se réunir a un autre ir's même d'une tribu étrangère. Ct. AJJKS, Recherches historiques sur les Berbères de la région de : les Ait Llrasen. 1. Ce n'est pas le dernier terme de la série fédérative chez les Berbères; il y a eu des confédérations de tribus. Cf. ABÈS, op. cit. 2. Cl. Appendices. A) l'ir's et la tiguemmi chez les Iguerouandu Sud, et B) l'ir's, la tiguemmi et le rif chez les Ait Ndhir. 3. Akhater pl. ikhataren (ni. à m. grand). 4. On trouvera des détails très intéressants sur la composition et les attribu­ tions des djemaa d'ir's et de taqbilt dans une monographie extrêmement inté­ ressante et documentée dont M. Anks a bien voulu nous communiquer le manuscrit, La Société Berbère che^ une tribu de VAtlas marocain: les Ait Ndhir. 5. Lors de l'élection chacun des assistants jette en effet sur l'élu une poi­ gnée d'herbe. tiguemmi un amasaï1 qui assure l'exécution des ordres du chef de douar. Les djemaa d'ir's ou de taqbilt ne se réunissent que pour des questions d'intérêt tout à fait général, par exemple lorsqu'il s'agit de décider de la paix ou de la guerre, de conclure des pactes d'alliance avec les fractions ou les tribus voisines, etc.... Au contraire, la djemaa de douar réunit des attributions étendues et ses pouvoirs s'étendent à tout ce qui intéresse le groupement. Elle établit ou modifie les règlements qui dirigent la vie inté­ rieure du douar ?, fixe les époques de transhumance, procède à l'allotissement des terrains de campement, décide de l'admission des étrangers dans les rit, et délibère de toutes les affaires qui intéressent la tiguemmi.

II

La djemaa, qui réunit l'ensemble des pouvoirs administratifs et politiques du douar, n'a cependant pas à proprement parler d'attributions judiciaires. Il n'existe pas, en effet, chez les tribus de coutumes berbères, au moins en matière civile, de pouvoir judiciaire régulièrement constitué et les litiges se règlent le plus souvent par une série de transactions ou d'arbitrages, à moins que l'un des adversaires ne se sente assez fort pour recourir à la violence et en appeler au sort des armes. Justice civile. — Les parties ont la faculté de désigner d'un commun accord un arbitre (aneheham pl. inehehamen) auquel elles soumettent leur différend. « Chez les Berbères il est d'usage constant que les parties peuvent choisir leurs juges » L'arbitre est généralement choisi parmi les hommes réputés sages et de bon conseil ; il peut être pris dans un autre douar ou même dans une tribu étrangère. L'opinion publique seule con¬

I. On le désigne aussi quelquefois sous le nom d'« ahmil » ou de «rafed ».

Dans certains douars les fonctions d'amasaï sont héréditaires. 2. Ces règlements sont quelquefois constatés par écrit. 3. Cette idée essentielle qui est la base de toute la tiiéoric de l'izref chez les tribus de coutumes a été pour la première fois mise en lumière, dans des tra­ vaux encore inédits, par M. le capitaine LE G LA Y, chargé par M. le général HBNRYS d'étudier les principes d'organisation et d'administration de ces tri­ bus. fère le titre d' « anehcham » et il y a souvent plusieurs « inehchamen » dans une même tribu. Souvent, d'ailleurs, lors­ qu'il s'agit de questions de pur fait, les parties s'en remettent à la décision d'un personnage influent qui n'a pas la qualité d'aneheham. Les arbitres statuent conformément à 1' «izref» ' ou coutume juridique née du consensus ommum et de la répétition des précé­ dents, qui se transmet de génération en génération par la tradi­ tion orale. Les Berbères sont en effet très attachés à leurs cou­ tumes traditionnelles qui règlent tout ce qui touche à la condition des personnes, à la loi des contrats et au régime des biens. A côté de cette coutume générale qu'on appelle aussi « abrid 2 », il existe, dans chaque douar, des usages intérieurs qui n'ont force de loi qu'à l'intérieur de ce groupement. Ces usages, au respect desquels doivent veiller les imasaïen de chaque douar, sont quelquefois simplement transmis par la tradition orale et confiés au souvenir des anciens, mais souvent aussi ils sont constatés par écrit. Les coutumes écrites ' .sont généralement détenues par les imasaïen du douar et constituent presque uni­ quement des tarifs d'amendes Ce sont en somme des décisions de la djemaa rédigées par les fqih qui vivent au milieu des tri­ bus berbères où ils occupent d'ailleurs une situation tout à fait inférieure. Les parties peuvent porter leur différend devant un arbitre, soit directement, soit après comparution devant la djemaa. Les parties s'accordent généralement à désigner un arbitre auquel elles confient le soin de statuer sur leurs prétentions.

1. Le mot « izref» sert .1 designer à la fois les prescriptions de la coutume traditionnelle et l'autorité qui en prononce l'application. On dit couramment qu'on va devant l'izrel quand on se présente devant un arbitre. 2. M. à m. chemin. 3. On leur donne le nom d'« ichadh l'ada » . 4. Cpr. HANOTKAU et LETOURNFXK, O/\ cit., t. 11, p. 138, et Moit.wn, Les Kanoun du Mzab, in Eluda de Droit iniisu/iii.in al^'risu, p. J19 et suiv. Nous avons rencontré au cours de notre enquête plusieurs de ces «coutumiers ». On ne saurait y voir une rédaction exacte et complète des coutumes berbères, niais à raison de l'importance des renseignements qu'ils fournissent sur les institutions locales il y aurait, croyons-nous, un réel intérêt à les faire connaître. On trou­ vera, en appendice, les traductions de deux ichadh l'ada, recueillis l'un chez les Iguerouan du Sud (Douar d'Ait Abdesselam), l'autre chez les Ait Xdhir (Douar des Ait Ouchchen) et dont nous sommes redevables à l'obligeance de M. Abès auquel nous adressons nos plus vifs remerciements. Chacune d'elles choisit un amasaï ou répondant avec lequel elle doit se présenter devant l'anehcham ; ces imasaïen qu'il ne faut pas confondre avec les imasaïen de tiguemmi sont des cautions qui répondent, dans les conditions ci-après déterminées, de l'exé­ cution de la décision à intervenir. Dans les affaires importantes, ces imasaïen dont la désignation est toujours exigée des parties . par l'arbitre chargé de connaître du litige sont généralement choisis dans des douars étrangers à celui ou à ceux des plai­ deurs. L'arbitre peut, dans les affaires délicates, prendre l'avis d'autres nehchamen, mais lui seul a qualité pour trancher le litige; les parties ont d'ailleurs la faculté de désigner elles-mêmes au lieu d'un arbitre unique deux ou trois savants qu'elles chargent de trancher leurs différends. La décision de l'arbitre est sans appel toutes les fois qu'il y a eu préalablement convention expresse des parties sur ce point. Tel est le principe; il comporte cependant une exception. Il peut arriver, en etlet, que l'arbitre accorde à la partie qui a suc­ combé et qui se déclare mécontente de sa décision, l'autorisation de recourir au jugement d'un autre anehcham 1 : dans cette hypothèse l'affaire peut être soumise à un nouvel arbitre, encore que les parties aient préalablement convenu de considérer la déci­ sion de leur premier juge comme souveraine. En l'absence de toute convention de ce genre, la partie qui succombe peut demander que le litige soit examiné à nouveau par un autre arbitre. La décision que rendra ce second juge ne sera elle-même souveraine que si les parties lui ont reconnu le droit de prononcer sans appel, encore que la seconde solution soit conforme à la première. La partie succombante dans cette deuxième instance peut provoquer la désignation d'un troisième arbitre ; la décision rendue à la suite de cette nouvelle épreuve sera sans appel 2. Il est possible que les deux plaideurs, après avoir désigné

1. On dit alors qu'il lui donne 1' « asououal ». 2. La partie succombante en première instance, et à laquelle les second et troisième arbitres ont successivement donné gain de cause, pourrait, dans cer­ taines conditions, obtenir que le premier arbitre dont la décision l'aurait lésée fût condamné à lui payer des dommages-intérêts. Ces dommages-intérêts payables en nature ou en argent représenteraient le préjudice qu'aurait causé l'exécution de la première décision. 10 — 140 — d'un commun accord un premier arbitre, n'arrivent pas à s'en­ tendre sur le choix d'un second ou d'un troisième aneheham. Dans ce cas ce sont les imasaïen qui désignent, à leurs lieu et place, l'arbitre auquel sera soumise la contestation. Ce sont encore les imasaïen qui assurent l'exécution des déci­ sions définitives prononcées par les arbitres. Lorsque les parties ne peuvent se mettre d'accord sur le choix d'un arbitre, le demandeur appelle généralement son adversaire à comparaître devant la djemaa du 'douar et il est rare que ce der­ nier refuse de s'y présenter ; s'il tente de se dérober, il y est con­ traint par l'amasaï de son rif. Les membres de la djemaa ' s'efforcent de concilier les parties et leur proposent des bases de transaction. Très souvent lesadver- saires se laissent convaincre et le litige se règle ainsi par un accord conclu devant la djemaa. Si la djemaa ne réussit pas à concilier les plaideurs, elle les invite à soumettre leur différend à un arbitre et leur indique tel ou tel aneheham connu. Les parties déclarent souvent s'en rap­ porter à la désignation faite par la djemaa et acceptent l'arbitre devant lequel elles se présentent avec leurs imasaïen ; la procé­ dure suit alors son cours normal. Mais la djemaa ne peut pas imposer aux plaideurs le choix d'un arbitre ni retenir l'affaire pour la juger elle-même; lorsque l'une des parties refuse absolument de choisir un amasaï et de se présenter devant un arbitre, son adversaire n'a d'autre ressource que de recourir à la force et de se faire justice lui-même, car il n'existe pas dans les tribus de pouvoir judiciaire régulièrement constitué. Justice pénale. — L'amr'ar, chef de la tribu, a, en principe, l'exercice du pouvoir répressif. Il a le droit d'infliger à ceux qui contreviennent à ses ordres des amendes (izmaz) dont il a géné­ ralement fixé le montant lors de son entrée en fonctions. Les djemaa de chaque douar veillent, par l'intermédiaire de leurs imasaien, au respect des usages intérieurs du groupement, dont les principales dispositions concernent la répression des crimes et délits -.

1. Il s'agit ici des anciens (ikhat.iren) qui composent la djemaa restreinte dont il est parlé ci-dessus. 2. Cf. les Appendices. — i4i -

III

Les institutions des tribus de coutumes n'ont pu subsister dans toute leur intégrité dans les régions qui ont été soumises à la domination du pouvoir du Makhzen. Des Caïds, assistés dans leur commandement d'un ou plusieurs khalifas et de nombreux chioukh ont été placés à la tète des fractions qu'ils adminis­ traient au nom du Sultan. C'est ainsi que dans ces régions les douars ont perdu leur autonomie politique pour obéir à l'auto­ rité de chefs nommés sans leur concours '. Au contraire, il est remarquable de constater chez ces tribus qui ont dû renoncer à leur constitution politique, la permanence des pratiques judiciaires et du droit coutumier. C'est en effet l'izref qui continue à régir toutes les transactions de la vie civile, ce sont les arbitres qui appliquent les prescrip­ tions de cette coutume traditionnelle tandis que, dans chaque douar, les imasaien veillent au respect des usages qui règlent la vie intérieure du groupement. Les Berbères marocains ont donc su au cours des siècles et alors même qu'ils étaient obligés de subir la domination des Sultans conserver intactes leurs coutumes traditionnelles, et le Chra Musulman n'a pas supplanté l'Izref. L'ancien Makhzen a toujours dû tenir compte de cet état de fait dans ses rapports avec les tribus berbères et a renoncé depuis longtemps à leur imposer la loi officielle de l'État 2. Les vieilles traditions de l'izref au moins en matière civile sont

1. « L'ingérence du Makhzen dans les tribus à sa portée, la désignation de chefs responsables ont en principe disloqué le pouvoir populaire. Mais ce pou­ voir n'en est pas moins demeuré instinctivement le seul valable pour tous et n'a jamais cessé d'agir d'une façon occulte quand il a été supprimé en fait, lit chaque fois que la tribu a pu secouer le joug et se mettre en siba. le pouvoir populaire a instinctivement reparu et chassé les caïds. » Cap. LE CÎLAY, Causerie sur les populations berbères du Maroc faite à l'Exposi­ tion l'Yanco-Marocaine de Casablanca. 2. ("est ainsi que MOULAY KL HASSAN dut accorder aux tribus berbères du Sous de conserver leurs coutumes et leurs usages. Cf. COI/FOUIUKH, Chronique de la vie de Moulay e! Hassan (Arck. Mar.), vol. VIN, p. 339). Cf. Cap. LK Gl.AY, Op . (il . De même les usages intérieurs de la tribu et du douar sont applicables aux agents du Makhzen; tout récemment encore un Caïd des Ait Xdhir dut paver à la djemaa une assez forte amende pour violation lie la coutume. - I42 — d'ailleurs plus souvent en harmonie avec l'esprit de notre code que les lois de l'Islam, et si nous ne pouvons laisser aux Ber­ bères marocains leur organisation politiqueancestrale, du moins avons-nous tout intérêt à leur conserver, sous notre contrôle, l'usage de leurs coutumes civiles '.

i. L'existence légale de la coutume berbère a été consacrée par dahir du 12 septembre 1914. Cf. Archives berbères, n° I. — x43 —

APPENDICE A

IGUEROUAN OU SUD

IK'S DES AIT YA/KM

(539 tentes) L'ir's des Ail Ya^em comprend <•) {[gomma : i° les Ait Ali ou Daoud ; 2" les Ait Msafer et les Ait Malidi ; 3" les Izerraren ; 40 les Ait Tsidi ; 5° les Ait Said ou Moussa; 6° les Igourramen ; 7° les Ait Abdesselam ; 8° les Ait Ali ou Moussa; 9° les Ait Bcrrekni. A ces 9 tigomrna a été rattachée administrativetnent la tiguemmi des Ait Aissa Addi qui faisait originairement partie d'un autre ir's, celui des Ait Lahssen.

TIGUEMMI DES AIT AI.I OU MOUSSA

(94 tentes)

La tiguemmi des Ait Ali ou Moussa comprend quatre groupements importants de familles !. Ce sont : Les Ait A/.zou ; Les Ait Mcrghadh ; Les Ait Brahim ; Les Ait Ikko. La djemaa de cette tiguemmi est composée des représentants de ces quatre groupements. Ce sont les ikhatarcn : Moha ou Said pour les Ait Azzou ; Hammou Iannaaen pour les Ait Mcrghadh ; Bouazza bon Hammou pour les Ait Brahim ; Moha ou Zaid pour les Ait Ikko. Il y a douze imasaien chez les Ait Ali ou Moussa ; deux chez les Ait Azzou ; trois chez les Ait Mcrghadh ; trois chez les Ait Brahim ; quatre chez les Ait Ikko.

1. Ce sont les « rif » des Ait Ndhir. •- 144 —

TIGUKMMI DES AIT ABDESSELAM

(37 tentes)

La tiguemmi des Ait Abdesselam comprend sept groupements de familles. Ce sont : Les Ait Guenaoui ; Les Ait Haddou ou Ali ; Les Ait Mohand ; Les Ait Benhacein ; Les Ait Khouia Ali ; Les Ait Bellal ; Les Ait Mohammed.

La djcmaa de cette tiguemmi est composée des représentants de ces quatre groupements. Ce sont : Assou ben Guenaoui ; Said Ait Kour ; Allah ou Lhassen ; Hocein ou Omar ; Hocein ou Allah ; Ali ou Hocein ; Haddou ou Hamad. Il y a sept imasaïen chez les Ait Abdesselam, un par groupe de famille.

Les juges arbitres de l'ir's sont : Kl Hoccinc ou Said, des Igourramcn ; Ali ou 'Ahr, des Ait Said ou Moussa ; Hammou ou Said, des Izcrraren ; Moha ou Bouazza, des Ait M'safer ; Ali ou Bouazza, des Ait Ali ou Daoud. Le fqih de la tribu est Moulay Chérif, originaire de la tribu berbère des Toulal. Informateur : MOULAY Au Ki. M'KANI.

APPENDICE B

AIT NDHIR

IU'S DES IQEDDAKEX L'ir's desIqeddaren comprend 12 ligomma :

1° Ait Blal ; 2° Ait Said ; 3° Ait ben Hsin ; .1° Ait Said ou Othman ou M'Droun et Ait Said ou Othman Ait Baba ; — i45 —

5° Ait Lhadj ; 6" Ait Aissa ; 7» Ait Ali ; 8° Ait Taleb ; 9° Ait Yahia ou Hsin ; io" Ait Hamza : 11" Ait Youccf ou Ali ; i2n Ait Qassou.

TIOUh'M.MI DI-S AIT HI.AI.

La tiguenuni tics Ait Blal comprend trois groupements importants de familles ou rif. Ce sont : 1° les Ait ben Raho ; 2" les Ait Ikhnias ; 3" les Ait Lahcen. Il y a trois imasaien chez les Ait Blal : i" le Caid Driss ou Raho ; 2° Mouloud ould AliTehami ; 3" Bouazza ben Nacer. La réunion des imasaien forme la djemaade tigucmmi.

Informateur : Caid DRISS OU RAHO.

APPENDICE C

TRIBU DES IGUEROUAN

L'OIU: DES AIT AH» KS SAI.AM

Louange à Dieu ! Tous les gens des Ait Abd F.s Salant, jeunes et vieux, de la tribu des Iguerouan, se sont réunis et ont adopté d'un commun accord ce qui suit : Celui qui s'absente de chez lui et constate à son retour que sa femme s'est enfuie le jour même, recevra quatre réaux et demi, comme « lavage 1 ». La Djeniâa a ensuite nommé pour gérer la zaouia 2 le moqaddem El Hocein ben Mohand qui sera aussi le chef de ses frères les Ait ben Hocein.

1. Cette indemnité « de lavage » (tarda en berbère) varie de douar à douar et de tribu à tribu. Une fois versée par le séducteur à l'époux que sa femme a trompé ou quitté, l'honneur de ce dernier est en quelque sorte « lavé » de toute souillure. A l'origine, le mari trompé se lavait le visage avec une pièce d'étoffe qui avait appartenu soit à sa femme, soit à son ravisseur. 2. 11 s'agit de la zaouia de Sidi Hamza, située en territoire Iguerouan. — 146 —

Ben'AIla s'est constitué, vis-à-vis de ce chef, le répondant ' de ses frères, les Ait Khouia Ali et les Ait Dib; 'Assou ou Lgnaoui, celui de ses frères les Ait Mahraz ; Mohand ben Ahsen, venant à la place de son père, celui de ses frères les Ait Blal ; 'Alla Lhocein celui de ses frères Idardar et Ait M'barek ; Said Mohand celui des Ait Ouachtni et des Ait Mansour ; Moha ben Ahsen, celui des Ait Mimoun ben Aziz ; Said Naît Kou celui des Ait Haddou ben Said 2. La Djemâa a décidé que celui qui enlèverait une femme devrait donner, si possible, une autre femme de sa propre tente, une somme de cent vingt-cinq mitqals > et trois moutons -, le délai fixé pour ce règlement est de trois mois 4. Celui qui commet un crime dans sou douar doit s'enfuir avec sa femme et ses'frères. Tous changent de résidence jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois. Ils reviennent ensuite et s'ils transigent (avec la famille de la victime), la « dia » est de 600 mitqals. Celui qui prend part à une querelle verse une amende de cinq mit­ qals. Si quelqu'un de la fraction est tué, une dia entière est due ; si un homme de la fraction adverse tombe et si l'on transige, on paye la moitié de la dia. Si un malheur atteint quelqu'un, par exemple si, pendant la garde d'un troupeau, une vache se perd, le préposé à la garde du troupeau verse la moitié et le groupement l'autre moitié de l'indemnité à titre de dédommagement. Celui qui blesse quelqu'un au-dessus des sourcils paye deux douros ; au-dessous, l'indemnité est de quatre douros. Pour un coup qui provoque la chute de dents on verse une indem­ nité. Si une blessure entraîne la perte des deux yeux, on verse une demi¬ dia; pour la perte d'un seul œil, on verse un quart de dia. Pour la perte des deux membres inférieurs, une demi-dia est due ; pour un seul membre, un quart de dia.

r. Le hamel ou refad (en berbère amasaï, du verbe asi, prendre, se charger de) est l'homme influent et énergique qui se fait le représentant responsable des gens de son groupement. 2. Ici finit la liste des répondants responsables des groupements des Ait Abd lis Salam. Il est intéressant de noter que la fonction d'amasaï est quelque­ fois héréditaire comme cela résulte du texte et comme nous l'ont affirmé des informateurs. 3. Cent vingt-cinq mitqals représentent environ iS D. H. en prenant 0,60 comme valeur ancienne du mitqal. 4. Cette indemnité versée, au mari 'libère définitivement 11 femme enlevée; les Berbères l'appellent « Ifra » (libération). — M7 —

Le blessé qui perd les deux mcmdres supérieurs touche une demi¬ dia ; s'il en perd un, il reçoit un quart de dia. Si quelqu'un tue un homme et si les proches parents du criminel veulent réintégrer leur douar, ils ne peuvent y revenir qu'après expi­ ration d'un délai de trois mois et payement de dix douros à chaque tente (du douar de la victime). Si quelqu'un se rend coupable de 'ar ce 'ar s'étend à tout son groupement. Tout membre du groupement qui commet un vol doit restituer l'objet volé ou une chose d'une valeur équivalente. L'individu qui en prend un autre sous son mezrag a droit à une somme de cent mitqals. Celui qui bénéficie de la protection jouit du mezrag jusqu'à son retour chez lui. Celui qui changera ces dispositions et les modifiera subira le pire des châtiments. Ecrit, le 4 Chaban béni année 1307 de l'hégire (1889 J. C). Sceau portant l'inscription suivante :

Le noble, l'élevé par Dieu : EL HOCEIN BEN ET TOUHAMI EL-'AZMAOUI ! Que Dieu l'assiste ! Pour traduction conforme :

Signé : ABÉS.

Le texte dont nous venons de donner la traduction a été écrit en arabe, par un taleb des Ait Abd Ks Salam. Quelques autres groupe­ ments des Igucrouan ont aussi fixé leur orf dans des écrits en arabe dont nous donnerons la traduction ailleurs. 11 n'existe pas, nous croyons pouvoir l'affirmer, d'écrits rédigés en langue berbère.

APPENDICE D

TRIBU DES AIT DH'NIR

ORI: DES OUCHCHAN

Louange à Dieu l'unique ! Puisse-t-il rendre efficace le but de cet écrit et châtier le fauteur de troubles ! 11 n'y a de durable que son empire ; salut et bénédiction sur notre seigneur et maître le Prophète.

1. I.'ar est le déshonneur qui accompagne toute action honteuse ou dégra­ dante. Le manque de parole, la rupture des engagements et d'une façon géné­ rale toute faute contre l'honneur constitue un 'ar passible d'une amende dont le montant varie avec les groupements. 2. El Hocein ben et Touhami était Caid des Ait Yazem au temps ... r,8 -¬ Dieu sait — car rien ne lui échappe, sur terre ni dans les deux — que deux fractions se sont réunies : les Ouchchan et les Ait Said, qui forment quatre tentes : celle de Hammou Mantich et celles de ses frères Dris, Hammad et Alla Aou leurs enfants. Tous les membres des djemàa des Ait Oubouhou et des Ait Mlis, jeunes et vieux, se sont réunis ; leurs avis ont été identiques, leurs vues uniformes et leurs jugements analogues pour instituer une coutume, un orl qui fixera leurs décisions et que nul ne pourra violer. Qui­ conque enfreindra l'orf, y contreviendra et ne s'y conformera pas, encourra les peines prévues et édictées. Les membres des djemàa ont désigné comme répondants respectifs des étrangers (aux groupements) et fixé les peines encourues partout répondant ou tout individu de leur groupement qui dérogera à la cou­ tume. Ils ont stipulé que ces décisions seraient de véritables lois que nulle autre convention ne saurait remplacer ; ils ont pris l'engagement et la résolution de ne pas modifier ni altérer cet écrit dans les temps à venir. Quiconque de leurs enfants, cousins ou descendants, changera ces dispositions jusqu'au jour où son cadavre se décomposera dans la tombe, violera les traditions de ses aïeux. De la bouche même des membres de la djemàa, voici la teneur des conventions auxquelles il a été fait allusion : Quiconque enlève une femme mariée, verse au mari 300 mitqals, payés : un tiers en brebis, un tiers en bovins, un tiers en argent ; chaque brebis est estimée 25 ouqias, chaque vache 25 mitqals. Si la victime du rapt est une jeune fille vierge, le ravisseur verse 200 mitqals, dont : un tiers en brebis, un tiers en bovins, un tiers en argent. Brebis et vaches sont de la valeur ci-dessus mentionnée. Si la femme ravie est sans mari, la somme que doit verser le séduc­ teur est de 150 mitqals payés par tiers comme il a été indiqué. Une femme trompe son mari ; ce dernier crie, appelle (pour que quelqu'un accoure constater avec lui le délit), il poursuit le séducteur et constitue des témoins. Le « lavage » versé par le coupable doit être de 40 mitqals par tiers selon l'usage ; la femme devient alors licite pour son mari qui la ramène chez lui s'il le veut bien. Si Dieu veut affliger quelqu'un en décrétant lafuitede ces femmes ', qu'elles quittent (par exemple) les Ait Moussa Ou Rahou pour se rendre chez des étrangers, qu'elles y séjournent une année entière, l'in­ du Sultan Moulay Fl Hassan. Il est intéressant de voir, au bas d'un écrit codifiant la coutume berbère, le sceau d'un agent représentant le pouvoir Makh/.en. 1. C'est-à-dire d'une femme mariée, d'une vierge, d'une divorcée ou d'une veuve. — i 19 —

dividu chez lequel l'une de ces femmes s'est réfugiée s'entend avec le mari 1 et acquitte la somme prévue par l'usage pour la « libération d'une fugitive ». Si le payement n'a pas été effectué dans l'année même, le mari délègue, autant que possible, des répondants pour forcer le ravisseur à faire droit à ses revendications. Pour une incisive brisée, le coupable donne un bovin de quatre ans à sa victime ; pour une molaire, l'indemnité est un bovin de deux ans. Quiconque cause la perte d'un des membres supérieurs doit payer i/.f de dia ; la même indemnité est duc lorsqu'il s'agit d'un membre inférieur ou d'un œil ; pour la perte des deux yeux, une dia entière est due. Pour une blessure légère et bénigne, on éirorae simplement une béte chez le blessé ; pour toute blessure qui entraine une paralysie ou une faiblesse, la djemâa fixe elle-même l'indemnité qui lui parait convenir aux deux parties. Pour toute blessure qui intéresse une partie délicate du corps, le visage par exemple, la djemâa estime l'indemnité convenable. Quiconque commet un crime doit s'enfuir niais avec sa tente seu­ lement ; point n'est besoin que ses proches partent avec lui ; ils ne doivent pas non plus prendre fait et cause pour lui. Si les parents de la victime sont présents, ils essayent de la venger ; quant au criminel, ses parents ne peuvent prendre sa défense que le jour même du crime ; après ce jour, aucun d'eux ne devra prendre sa défense. Dans le cas où les membres de la famille du meurtrier accompagnent ou rejoignent ce dernier, on constitue des répondants 2, car sitôt que le coupable a quitté la région, personne de sa famille ne peut le rejoindre; lui-même ne peut revenir chez ses proches ni le jour ni la nuit. S'il est prouvé que le meurtrier a eu une rencontre avec les membres de sa famille, il esttenu de payer un 'ar de dix têtes de bétail. Les étrangers à sa famille peuvent toutefois aller le visiter. Pendant les pourparlers qui suivent le meurtre d'un étranger, c'est le meurtrier qui fournit la première bête égorgée. La djemâa lui vient en aide pour les autres bêtes jusqu'à ce qu'elle ait réglé l'affaire. Si Dieu veut qu'un individu tue quelqu'un parmi les Ouchchan ou parmi nos frères les Ait Belkacem, tout individu — sauf le meurtrier — ou même la djemâa, peut toujours offrir une certaine somme

1. Il va sans dire que ce sont le père, ou les frères ou les beaux-parents qui sont consultés au cas où la fugitive est jeune fille, divorcée ou veuve. 2. Ces répondants sont sans doute constitués pour protester contre la viola­ tion de la coutume en matière de meurtre et empêcher que les deux familles de la victime et da coupable n'en viennent aux mains. — i5o - comme rachat du crime commis ; lorsque cette transaction a lieu, le meurtrier paye un quart de la somme fixée, plus sa part comme membre de la djemàa '. Pour une bête de somme, un cheval empruntés, la collectivité n'est pas tenue d'en rembourser le prix au propriétaire s'ils périssent ou disparaissent par la faute de l'emprunteur. Si la bête a été tuée exprès, une indemnité est due. Quiconque doit payer le 'ar à un groupement quelconque en verse à lui seul 1/4 indépendamment de sa part comme membre du grou­ pement. L'individu auquel un groupement quelconque doit au contraire le 'ar, en garde une partie pour lui et donne le reste à la djemàa de son propre groupement. Quiconque tue une femme mariée verse : au mari, une somme égale à l'indemnité due en cas d'enlèvement, et aux parents de la vic­ time, une demi-dia. Le meurtrier d'une jeune fille ou d'une veuve doit une indemnité aux parents de la victime. Celui qui renvoie sa femme après avoir tué l'homme avec lequel elle le trompait, paye, outre la dia due, 60 mitqals ; s'il ne la renvoie pas, il tic verse que 40 mitqals, dont un tiers en brebis, un tiers en bovins et le reste en argent. Il quitte le pays, selon l'usage établi, jusqu'à ce qu'une transaction soit intervenue. Si quelque chose a été omis dans cet écrit, on jugera d'après la décision de la djemàa. Les répondants des Ait Hlis qui se sont chargés de représenter leurs parents sont : i° Ben Aissa et son fils Hz Zin, pour les Ait Aqqa ; 2° Dris Ou lîr Rami et Djilali Ymouri, pour les Ait Fdhil ; 3" Ben Aissa Ou Mo h and Ou Rahou, pour les Ait Mouloud ; 4° Le répondant des Ait Haddou Ou Aqqa. Les répondants des Ait Oubouhou sont : i° Dris Ou Ali, pour ses parents ; 20 Aziz Ou Djilali, pour ses parents; 3" Ben Ser'Rouchcban et Mohand Ou Dris, pour ses parents ; 4''' Hammou Manticli, son fils Ben Ali et son neveu LahsenOu Ali, répondants de leurs parents. C'est l'une de ces trois personnes qui est choisie par les membres de sa famille pour les représenter. Voilà ce que les gens ont décidé d'un commun accord.

1. La djemàa, à titre de secours, paye en effet les trois quarts restant qu'elle répartit entre toutes les tentes du groupement. — i5i —

Puisse Dieu nous accorder le salut et la paix, nous préserver de tout ce qui peut être regardé comme une faute ! Le secrétaire a rédige cet écrit le 28 djoumada 1, année 1324. Le serviteur de son Dieu : Mohamed ben Ali Ed Doukkali Que Dieu l'assiste ! Pour traduction conforme :

Signé : ABKS.

BRUNO. MYTHES ET LÉGENDES DU ZERHOUN

PAR

LE D' J. HERBEK (DE CETTE)'

Le djebel Zerhoun e.st cette haute montagne, couverte de vil­ lages blancs, qui ferme au nord et commande la plaine de Mek- nès. Ses contreforts qu'entourent l'Oued Rdom, l'Oued Mikkès et le Sebou, dominent les pistes qui suivent les vallées, et ses cols livrent passage aux voies les plus fréquentées pour aller à la mer. Ainsi que le remarque J... Homo2, le Zerhoun joua un très grand rôle dans 1'« élaboration du système défensif » romain, et il retrouva son importance lorsque nos troupes vinrent en aide aux Sultans. Mais au point de vue de l'ethnographie, il n'a pas cette unité que semblerait lui valoir sa situation géographique et qu'a utilisée la stratégie; il est habité de peuplades diverses, les unes berbères, les autres arabes, constituant des groupements insuffisamment individualisés pour que le voisinage et la fusion consécutive des races ne leur aient enlevé leurs caractères primitifs. Le Zerhoun est néanmoins le centre de la région où mou­ rurent les saints les plus célèbres du Maroc. Moulev Idriss I repose à la zaouïa qui porte son nom ; Si Ali ben Hamdouch, fondateur de la confrérie des Harnacha, a son tombeau à Beni Rached, —• Sidi Ahmed Dghouri, son disciple, à BeniOurad, — Mouley Idriss II à Eex et Mahmed ben Aïssa, fondateur de l'ordre des Aïssaoua, à Meknès. Au milieu d'un pareil foyer de sainteté, les mythes et les légendes peuvent avoir acquis des caractères spéciaux, bien que

1. MM. Doutté et Van Gennep, grâce à leurs livres, ont été mes conseillers ; Si Kansab, instituteur français à Mouley-Idriss, m'a très aimablement servi d'in­ terprète, c'est un devoir pour moi de le dire ici et de leur exprimer ma recon­ naissance. 2. L. Homo, La première intervention européenne au Maroc, Rev. îles Deux Momies, t. IX, 2< liv., ij mai 1912. — 153 — les lieux de pèlerinage ne donnent pas toujours à ceux qui les habitent, une foi plus profonde ; on ne le saura que le jour où le folklore des tribus marocaines sera plus connu J'ai recueilli ces documents, autour de la Zaouïa, comme M. Doutté le long de ses itinéraires, et je n'attribue au titre « Légendes et mythes du Zerhoun », qu'une signification pure­ ment loealisatrice ; il est au texte ce que l'habitat est pour une plante, dans un herbier. Des travaux de ce genre ont été commencés par de nombreux savants français, Doutté, Mauchamp, Michaux-Bellairc, Moulié- ras; ils ont permis à Westermarck d'écrire un bel ouvrage. Il y a aussi, en Allemagne, des spécialistes en cette matière et c'est une façon de les battre que de les devancer. Chaque légende a une valeur individuelle par les interpréta­ tions qu'elle suscite ; elle renseigne sur la mentalité des peuples, puisqu'elle en est fonction ; elle est un document ; sa rédaction précise, à un moment donné, fixera un jour, sur son évolution, de même que, par comparaison, elle permettra de mieux con¬ naitre la genèse des légendes. « La conquête de l'Algérie, écrit M. Van Gennep, l'étude des Arabes et des Berbères, a démontré l'existence, dans l'Afrique du Nord, de maints thèmes, jouissant d'une vogue étendue dans l'Europe centrale. » « Chaque groupement humain possède une sorte d'individua­ lité spécifique qui s'exprime et se consolide même par la trans­ mission de générations en générations, de mythes, de légendes et de contes'. » Leur recueil permettra peut-être un jour, de retrouver les composantes de l'âme arabo-berbère et de les déter­ miner.

LA GROTTE DE MOUI.EY-1DRISS

A mi-hauteur de la falaise qui termine brusquement le plateau où est bâti le village de Kouar, se trouve une grotte. Si l'on en croit les habitants de Mouley-Idriss, elle s'étend jusqu'au Djebel-Tselfet, c'est-à-dire à iS kilomètres de là. Trois indigènes tentèrent de l'explorer ; ils firent des mèches avec trois pièces de toile et brûlèrent trois cruches d'huile, sans en avoir

i. A. Van Gennep, La formation des légendes, pp. 9, 10, 285. Paris, E. Flammarion, 1912. trouvé le fond . Elle est habitée par des génies et l'on dit que des bijoutiers arabes s'y réfugièrent autrefois pour exercer leur pro­ fession . La grotte est à 12 mètres environ au-dessus des terrains d'éboulis qui permettent de l'atteindre ; son orifice est peu acces­ sible, mais son trajet qui a la forme d'un S peut être facilement exploré, malgré certaines dénivellations et un passage étroit. Elle a 38 mètres de long et sert de refuge aux ramiers, aux chauves- souris et aux oiseaux de proie. Elle n'est l'objet d'aucun culte; on ne dit point qu'elle recèle un trésor. Le souvenir des bijou­ tiers qui l'habitèrent lui donne son véritable caractère, le carac­ tère magique, comme le laissait déjà entendre l'histoire des trois explorateurs où se retrouve 3 fois le fatidique chitfre 3. Les idées de trésor, de bijoutier, de génie sont connexes; elles ressortissentà la magie. Les travailleurs du fer et du feu, bijou­ tiers et forgerons qui disciplinent la flamme comme les diables qui la touchent sans se brûler, ne peuvent être que les commen­ saux des génies, et c'est pour cela qu'ils travaillèrent dans la caverne. Il ne faut pas expliquer la répulsion que la grotte inspire aux habitants de la région par la présence d'animaux fabuleux ; ils n'y songent pas. Les animaux réels ne les effraient pas davantage. Ils ont certains égards pour les rapaces, et la chauve-souris, l'oi­ seau des cavernes et de la nuit, ne leur paraît pas avoir d'in­ fluence fâcheuse 1. En Algérie, on compose avec ses cendres une encre pour écrire des formules contre le mauvais sort ; à Mouley Idriss, elle sert à faire des embrocations contre la stérilité. L'homme a sans doute toujours craint les grottes, comme le cheval répugne à traverser la rivière dont il ne voit pas le fond, et son ignorance les a peuplées de mystère. La grotte de la falaise n'a peut-être pas été souvent visitée, mais il est indéniable que certaines gens du pays la connaissent; les légendes survivent et sont plus fortes que la vérité.

* *

I. Mauchamp {Sorcellerie au Maroc, p. 114) relate qu'à Marrakech, les enfants naissant habituellement atteints d'ophthalmie mettent un oiguon, pour faire fuir les chauves-souris, causes des ophthalmies antérieures. I.A RECHERCHE DES TRÉSORS. I.E MEURTRE MAGIQUE

Les chercheurs de trésors sont très répandus. Ils tirent leur perspicacité de procédés magiques divers dont l'un donne à l'autre toute sa signification . On dit que les tolba ont souvent recours à un jeune garçon, en état d'innocence : ils tracent dans sa main des signes magiques qui lui donnent le pouvoir de découvrir les cachettes. Ils uti­ lisent, comme en France et ailleurs, la main innocente, la voix de l'innocence dont l'idée est si commune qu'elle passe pour un truisme, alors qu'elle montre seulement la ténacité d'une sur­ vivance. Les chercheurs ont aussi recours aux recettes magiques, imprimées dans les ouvrages, recettes souvent anodines, mais qui conduisent parfois au meurtre sacrificiel. Les sorciers exposent à des fumigations aromatiques une feuille sur laquelle ils disposent des cendres ; alors, des caractères se dessinent d'eux- mêmes qui livrent le secret. Il suffit de sacrifier un coq, une poule ou une chèvre noire, pour être assuré de la réus­ site . Un des plus importants personnages de Mouley-Idriss contait, qu'après avoir égorgé des animaux, il fit remuer la terre de tout son jardin, qui, suivant la tradition, recelait un trésor. Mais parfois, les mots écrits sur la cendre disent qu'il faut sacrifier un homme pour obtenir le succès. On va trouver la future victime durant la nuit, on la séduit et l'entraîne par l'appât d'un partage, et on l'égorge selon le rite orthodoxe, en la tour­ nant vers l'Est, à l'endroit où est le trésor. Le génie, sous forme d'un serpent à la tète couverte de poils, sort de son trou pourboire le sang répandu sur le sol; on profite de ce moment pour s'emparer des richesses convoitées. Cette croyance au meurtre magique est profondément ancrée dans les esprits. On raconte qu'il y a un an, vers midi, un homme vint chercher un habitant de Mouley-Idriss; il n'appa­ raissait pas qu'il dût rester longtemps dehors, puisqu'il ne revêtit même pas sa djellaba. Il sortit ; on ne le revit plus jamais, et chacun est convaincu qu'il fut victime d'un chercheur de trésors.

11 - I56 -

Une croyance peut ainsi s'emparer d'un banal fait-divers et l'adapter à ses fins: la foule ne s'embarrasse pas de logique, et ne songe pas que le meurtre magique s'accomplit la nuit, qui est sans doute défavorable aux témoins, mais surtout propre aux manifestations des génies. L'Islam a conservé au Maroc le culte des ténèbres. Doutté raconte que l'on va dormir dans la grotte de Lalla Takhandout « pour recevoir de la divinité pendant le sommeil», des conseils « sur la conduite à suivre dans des circonstances difficiles ' ». A Bou Znika, les Arabes malades espèrent la guérison d'une nuit passée sur la tombe de Sidi Embarek. L'orthodoxie musulmane, en échange, a fourni à la magie moderne l'une de ses pratiques, puisqu'il convient d'égorger la victime selon le rite coranique ; c'est la condition nécessaire pour que le sacrifice, comme en vraie religion, ait son plein effet. Les génies qui, sous forme d'un serpent chevelu, sortent du trou, appartiennent au cycle d'animaux fabuleux, gardiens de trésors, qui existent dans le folklore de tous les pays. Ce meurtre magique a tous les caractères d'un sacrifice où le Dieu est représenté par un génie zoomorphe ; il a bien « pour objet (selon la définition de Doutté) de mettre en relation le sacrificiant avec la divinité ». Le meurtre qui est la rançon du succès, semble le degré suprême de ces offrandes, si communes au Maroc, faites aux génies, pour obtenir leur bienveillance. A Mogador, on met des plats de couscous aux quatre coins de la maison que l'on va habiter; à Marrakech, on place des dattes sous l'oreiller de l'enfant que l'on veut sauvegarder : ces modestes repas destinés aux génies sont les équivalents des sacrifices humains qui existent encore dans la mémoire et les convictions des habitants du Zerhoun. * * *

KÇAU I'ARAOU\

Lorsque Windus, en 1721, demanda ce qu'était le Faraoun qui avait donné son nom au pays, on lui dit que c'était un chrétien2. A la réflexion, une réponse aussi inattendue ne saurait sur-

1. E. Doutté, En tribu. Paris, P. Geuthner, ;

i. Léon l'Africain, s'appuvaut sur les textes de « plusieurs historiens », dit que le peuple de la légion de Volubilis était « d'opinion que Pharao, roy d'Fgvptc, édifia cette cité du temps de Moy.se, la nommant de son nom, » (Dsscript. Je VAfrique, éd. Schcfer, t. II, p. 201). «Cette opinion, ajoute-t-il, est causée par la lecture d'un livre intitulé... : Livre des paroles de Mahoni- met, qui fut composé d'un auteur appelé Klcalbi. » Léon l'Africain attribue donc une origine savante à une version qui, au début du xvie siècle était le contraire de la légende actuelle : Pharaon était le fondateur de Kçar Faraoun alors qu'il en est considéré aujourd'hui comme le démolisseur. établies sur des terrains de remblai, recouvrant les ruines pri­ mitives, des tombes creusées dans la terre, entre le sol romain et les pierres de l'arc de triomphe tombées durant les siècles der­ niers, établissent qu'il y eut sur l'antique Volubilis, une nouvelle ville, dont les anthropologistes nous feront connaître la véritable population. Cette ville fut-elle désertée à l'époque de Mouley-Idriss ? Le doute reste ; « la catégorie des légendes la plus considérable, dit M. Van Genncp, est due à l'interprétation du nom d'un person­ nage historique, réel, accolé après coup à un phénomène naturel ou artificiel, ou à un événement 1 ». Enfin, la tradition veut qu'un trésor soit caché sous une marche de la basilique. Une histoire de ce genre est toujours mêlée à celle de toutes les fouilles, et quelques indigènes n'at­ tribuent-ils pas aux recherches d'une si haute portée scientifique, qu'a prescrites le général Lyautey, le but inavoué de trouver un trésor ?

SI ARO-F.I.-KRIM

Abd-cl-Krim ben Raddhi était chérif d'Ouezzan ; il reçut un très mauvais accueil à Mouley-Idriss, et dut habiter hors la ville, parce qu'on lui refusait un logement. Il construisit sa demeure sur le rocher qui surplombe la source d'; on en voit aujourd'hui les ruines qui ressemblent à un bourg féodal. Tout le monde le fuyait; il ne pouvait trouver d'ouvriers parce qu'on disait qu'il ne les payait pas, alors qu'il était très généreux. Il acquit bien vite une grande réputation de sainteté; il asservit les génies et connut alors la popularité. Quand il eut terminé sa maison, il y mit des lions, des tigres et des panthères, et on montre la salle voûtée où il les enfermait avec des esclaves. Son culte pour les saints était très grand; c'est lui qui fit revê­ tir de faïences le sol du marabout de Sidi Rached, disciple de Mouley-Idriss. Très vertueux, il ramenait à leur père les jeunes filles qu'il rencontrait seules dans les rues ; ami des humbles, il enlevait leurs vêtements aux riches pour les donner aux malheu­ reux. Les pauvres lui faisaient cortège, les puissants fuyaient à son approche, les marchands fermaient leur échope ; aussi l'entendit-

i. A. Van Gennep, loc.a'L, p. iS.| — 159 — on souvent crier : « Dussent les Français intervenir, il faut mettre fin à cet état de choses ! » Il aurait pu être personnelle­ ment très généreux, puisqu'il lui suffisait de se passer la main sur le front pour qu'elle s'emplît de doublons d'or, mais il préférait imposer l'aumône à ceux qui vivaient du grand saint et n'étaient pas vertueux. L'ne nuit, sentant venir la mort, il se fit porter à Meknés, parce qu'il avait juré de ne pas reposer à Mouley-Idriss, où régnait l'injustice: il y rendit le dernier soupir avant le lever du jour, et y fut enterré. Abd-el-Krim commence à prendre place dans l'hagiographie marocaine ; déjà, on observe à son sujet la discrétion qui convient en matière religieuse, on se refuse à raconter une vie qui, ramenée à ses justes proportions, fut parfois ornée de contes- testables vertus; on noue deschilfons aux branches du caroubier sous lequel il aimait s'asseoir et aux figuiers qui ont poussé parmi les ruines de sa demeure. Ceux qui ont connu Abd-el-Krim —il mourut, il y a moins de 50 ans — savent qu'il avait des lions, mais ne disent point qu'ils les ont vus, et ils se demandent aujourd'hui si ces animaux étaient des saints ou des génies. Leur sens critique est défail­ lant. La sainteté n'est pas reconnue à la suite d'un débat ; elle est décrétée par l'opinion populaire ; la méconnaître serait un blas­ phème, et les vieux, qui ne sont pas des esprits forts, accommodent leurs souvenirs aux idées du jour. L'opinion des autres devient la leur, et comme ils ont vu Abd-el-Krim battre des esclaves, ce qui était assez naturel, ils affirment aujourd'hui que c'étaient des génies que le saint avait domestiqués. En lui attribuant le pouvoir de dompter les bêtes féroces et de faire de l'or, les gens de Mouley-Idriss n'avaient pas reconnu à Si Abd-el-Krim une baraka inédite: Sidi Rahal ' se rendit à Marrakech, par la voie des airs, sur le dos d'un lion ; Mahmcd ben Aïssa n'avait qu'à agiter « l'olivier miraculeux », pour en faire tomber une pluie d'or. 11 faut que la croyance à la magie soit bien forte pour que la mentalité marocaine pare de ses vertus les derniers nés de ses Saints, et, à ce titre seul, la légende de Si Abd-el-Krim serait

1. E. Doutté, loc. cil., p. 177. — i6o — un document. Mais elle a une portée sociale et locale plus pro­ fonde, elle critique comme une fable à personnages humains, les chorfa de Mouley-Idriss ; elle met en scène le chérif d'Ouezzan d'une part, et de l'autre les riches de la ville qui, en fait, sont aussi des chorfa. Il y a bien entre eux une querelle de dévots, une rivalité de chapelles, il y a surtout l'apologue du mauvais riche, la critique de ceux qui vivaient largement des offrandes portées à la zaouï'a, et qui déjà ne pratiquaient pas la vertu. Les imprécations de Si Abd-el-Krim sont la morale de la fable; elles sont ce qu'elles pouvaient être dans la bouche d'un chérif d'Ouezzan; elles sont brodées sur le thème des prophéties que Si el Madj Addesselam multiplia en faveur de la France, tandis qu'il régissait la zaouï'a d'Ouezzan (1851-1892)" . Abd-el-Krim fut-il vertueux ? La pensée populaire en a fait son héros, elle lui a donné tous les mérites, et cela suffit. Quelques témoins oculaires pourraient y contredire, mais leurs dénégations seraient mal accueillies et ils se sont rangés à l'opi­ nion de ceux qui n'avaient rien vu, mais qui avaient la foi. Ce n'est pas autrement qu'apparaissent et s'imposent les légendes.

Malgré que ces légendes soient nées dans le honn de Mouley- Idriss, il est évident qu'elles sont le reflet d'une foi ancienne, dont l'Islam a modifié le caractère religieux, sans pouvoir en supprimer la tendance magique. L'examen comparé des folk-lore permettra peut-être un jour de distinguer ce que l'Arabe apporta au Berbère, ce qu'il lui emprunta, et de dissocier ces effets de la pénétration réciproque des races au Maroc. Le pays n'est pas encore touché par les idées européennes; il convient d'en recueillir les légendes et de leur donner la préci­ sion de documents. Sans doute, les commentaires dont on les entoure varieront ; elles ne resteront pas davantage immobiles, mais si elles évoluent ce ne sera pas à la suite de pensées individuelles comme la science, mais en harmonie avec la mentalité générale, et, à ce titre encore, il sera précieux de les avoir recueillies.

D' J. IIJCKBF.R.

1. F.. Aubin, Le Maroc d'aujourd'hui, •p. .(7j. P.iris, A. Colin, 1912. LA FORTIFICATION NORD-AFRICAINE

Il existe sur ou sous le sol du Maroc, des traces nombreuses d'un passé qui fut certainement glorieux mais qui est encore bien mystérieux. Ce passé a été fait du passage, de l'occupation et de la civilisation de peuples très divers, qui, tous, ont laissé le sceau de leurs conceptions souvent très diverses, mais ce sceau, presque toujours, est venu s'imprimer sur l'empreinte laissée par les pré­ décesseurs. 11 semble intéressant de donner, aux chercheurs, quelques directives qui leur permettent de se reconnaître au milieu de cet amas de ruines et de donner Caesari quod Caesari. Or, dans le pays de la « défiance mutuelle », où aujourd'hui encore des kasbah se regardent menaçantes à quelques centaines de mètres l'une de l'autre, la construction la plus fréquente est la construction militaire. C'est pourquoi, il m'a paru intéressant d'écrire ce petit traité sans aucune prétention.

I

LKS CARTHAGINOIS

La fortification carthaginoise est très simple. Elle cherche à former un obstacle insurmontable à l'ennemi, mais] en même temps, elle cherche à rester indépendante de la cité et à avoir avec elle, le moins de relations possible. Elle se présente sous deux aspects, suivant qu'il s'agit des ports de guerre ou des murailles d'enceinte. Le mode de construction lui-même est très particulier. Con­ trairement à ce que l'on pourrait croire, étant donnée l'affinité des Phéniciens pour les Egyptiens, les pierres de taille, sous grand ou petit appareil, sont employées très rarement. Presque tous les monuments militaires sont en pisé, mais un pisé très spécial. Dans deux parties de chaux cuite et réduite en poudre, on malaxait des petites pierres de tuf calcaire, de formation récente, concassées de même grosseur. Le tout était damé très fortement entre deux moules de bois. — 162 —

Ce mode de construction était employé même en fortification passagère, en y ajoutant quatre à six parties de bonne terre vierge. Annibal fortifia, ainsi, le camp de ses troupes et Pline était en admiration devant ce procédé simple, rapide et durable. Une fois la composition sèche, la pierre faisait corps avec le mortier, de telle sorte « qu'un rocher ne saurait être plus dur et plus solide 1 ». Le parement extérieur ne présentait aucune saillie, sauf quel­ quefois une moulure assez vague en boudin : il était passé au goudron puis au lait de chaux. Lorsque des pierres de taille étaient employées, elles servaient simplement de placage exté­ rieur. L'épaisseur, surtout dans les parties basses, était très considé­ rable de façon à pouvoir résister aux coups des béliers. Ce mode de construction avait pour avantage de former une forteresse d'une seule pièce, coulée dans un moule unique et dont toutes les parties étaient solidaires les unes des autres. Ce n'est qu'à la deuxième époque phénicienne, après la fon­ dation de Carthage, que l'on commença à construire d'une façon continue avec des pierres de taille. Le port militaire ou Cothon 2 était généralement creusé, en partie du moins, dans l'intérieur des terres. Il était rectangulaire > avec des angles arrondis et recouverts d'un parement de pierres de taille. Le reste du quai était en conglomérat. Le quai proprement dit était à fleur d'eau ; sa largeur était de 5 à 6 mètres jusqu'au pied des calles ou magasins. Ceux-ci étaient hauts de 7 mètres environ, profonds de 18 à 20 mètres et larges de 4 à 6 mètres4; ils étaient séparés les uns des autres par des murettes de o 111 50 environ K Ils servaient de cale sèche'' aux navires que l'on amenait à l'intérieur à l'aide de rouleaux de bois. Ils pouvaient contenir un nombre considérable de bâtiments'.

1. I> SIIAW, Voyage en Barbarie (1727). 2. « Cothones appclantur portus in mari interiores arti et manu lacti(l'estus, Servais). » 3. A Carthage, il était semi-quadrangulaire d'un côté et semi-circulaire de l'autre (Appien). 4. 4 ™ 60 à Utique, 5 1,1 90 à Carthage. 5. o 111 60 à Utique, om 50 à Carthage. 6. D'après la théorie de Daux. Houle veut voir là des cales en pleine eau. 7. 320 à Carthage, 380 à 400 i Utique.

La Fortification e*. ЛИЛО

norJ africaine

- Ié3 -

Au-dessus de ces cales et en retrait, de façon à former un second quai, se trouvaient des magasins d'agrès, haut de 6 mètres approximativement '. L'étage supérieur des magasins était coupé au milieu de la face du fond et laissait un passage libre d'une quarantaine de mètres de largeur aboutissant à un escalier qui descendait au niveau du quai inférieur, pénétrait dans l'euripe ou port, sur le terre-plein d'une jetée dite Toenia et ascendait par un nouvel escalier au palais amiral, qui n'était autre que l'île signalée par Appien, mais une île fortifiée, un château fort. C'était un gros bâtiment massif, sous forme de parallélo­ gramme irrégulier, flanqué, à chaque angle, d'une tour ronde de 5 à 6 mètres de diamètre à la base. Les Phéniciens avaient résolu le problème des angles morts, procédé tactique qui se per­ dit ensuite jusqu'au moyen-âge, avec l'emploi des tours carrées, sauf à l'époque de César qui, à un moment donné, à Ruspina rompit, pour quelque temps, avec la tradition. Au centre du" bâtiment, se découpait une cour rectangulaire sur laquelle s'ouvraient toutes les baies, de façon à laisser les parements extérieurs complètement lisses et nus. Une porte gardée par deux tours et garnie de mâchicoulis, s'ouvrait sur un petit bassin réservé au service du port dans lequel il était encavé. Une autre porte, défendue de la même façon, faisait face au toenia. Deux grands bastions carrés, à cour intérieure, flanquaient le palais, à droite et à gauche; sur leur plate-forme, se trouvaient des machines de guerre. Deux petits fortins, également carrés, servaient d'appuis au môle du bassin de service. Un quai à fleur d'eau séparait le pied des murailles de la mer; ce quai était creusé de citernes remplies d'eau d'alimentation recueillie sur les terrasses et les dômes. Ces citernes se trouvaient en dehors des salles de façon que le puisement et la sortie d'eau fussent plus faciles. Des escaliers en spirale, éclairés de meurtrières et creusés dans l'épaisseur des tours et des murailles permettaient d'atteindre aux salles supérieures. Mais ils partaient du parement intérieur de la cour, en respectant toute l'épaisseur du rempart et il n'en­ tamaient celle-ci que, petit à petit, en montant.

i. Appien. — —

Les murailles à l'endroit le plus étroit, mesuraient encore i m r 5 au minimum. Les tours ne semblent avoir servi que de cage d'escalier, car leur diamètre de 5 mètres à la base, allait se rétrécissant et, au sommet, n'avait plus que 2 m 50 environ, alors que, pour une machine, il faut 4 à 5 mètres de plate-forme avec 6 à 8 mètres de base. D'ailleurs, les terre-pleins des bastions remplissaient ce rôle, ceux des tours devaient seulement servir de vigie. L'escalade de cette forteresse était très difficile, car les pare­ ments lisses et sans ouverture ne présentaient aucune saillie ; les échelles ne pouvaient être dressées que sur des navires instables et les créneaux des tours battaient toutes les courtines. Il ne fal­ lait pas davantage songer à employer des machines compliquées, à l'intérieur d'un port garni de défenseurs sur tout son pourtour. En avant du palais, se trouvait un môle qui fermait l'curipe. C'était un gros mur d'une douzaine de mètres d'épaisseur, domi­ nant la mer de 5 mètres. Il était percé d'une série d'évents de façon à diminuer le choc des vagues. Un canal de on'2> Xo"i7 parcourait tout le blocage, dans le sens de la longueur. Il était recoupé, lui-même, d'évents dis­ tants de 1 "'44 (3 coudées') et traversant la maçonnerie de part en part, avec une légère pente vers la haute mer. A 1 "'20, au- dessus (2 coudées et demie), se trouvait une autre série d'évents. La vague se brisait sur le parement, pénétrait dans les canaux et retournait d'elle-même à la mer. Ce môle avait des retours de flanc à angles arrondis qui reve­ naient vers les quais latéraux, de façon à former de chaque côté un chenal de 11 mètres de largeur sur 40 à 50 mètres de lon­ gueur et que bordait un chemin de halage défendu par un petit fortin construit sur le môle. Dans certain cas, le môle, formant le quatrième côté du port, pouvait, lui aussi, contenir des cales de même que le palais amiral -. Du côté de la terre, les villes phéniciennes ou carthaginoises étaient défendues d'une façon tout aussi formidable. Avant d'en entreprendre la description, il faut signaler ce point particulier

1. Il s'agit ,de coudées chaldéennes dites Avnetha de o <« .179: la coudée sacrée valait 0 55. 2. Théorie de Beulé à Carthage. - léi) que, les troupes étant composées de mercenaires, les Puniques les avaient isolées complètement de la ville. Les murailles leur ser­ vaient de casernes ; le dessous était formé de citernes et les mar­ chands adjudicataires apportaient les vivres nécessaires à leur ali­ mentation. La fortification punique comportait trois lignes de retranche­ ment : Les murs de la place, La ligne intermédiaire, La ligne avancée correspondant au vallum romain. Les remparts proprement dits ' comportaient dans leurs sous- sols des petites citernes accolées par séries, suivant lenrgrand axe. Rlles mesuraient 4m20 de longueur sur 2m8o, étaient voûtées en cul-de-four et séparées par des murs de 1 '"40. Leur fond était de niveau avec celui du fossé, leur sommet était au-dessous du niveau du sol normal. Au-dessus, se trouvait la muraille proprement dite 'qui avait 8 mètres d'épaisseur2. Sur la partie pleine, haute de 8 mètres 5 environ, s'élevaient deux étages de salles sous voûte destinées, celle du bas aux chevaux, celle du haut aux hommes. La hauteur totale, sans les créneaux, était de 12 à 15 mètres4. Des tours en saillies, carrées, étaient espacées les unes des autres de 62 "' 16 de façon à permettre de croiser le tir sur les assaillants. Le fossé triangulaire avait 11 à 12 mètres de largeur. L'enceinte de Carthage semble avoir été exceptionnellement puissante; car les mesures relevées à Utiqueet inférieures à celles de Carthage sont les mêmes à Iladrumete, Thapsus, Lcptis et Thysdrus. La deuxième ligne, distante de 30 à 40 mètres de la première, se composait d'un large fossé derrière lequel se trouvait une banquette avec muraille élevée de 4 à 5 mètres et crénelée &. La banquette formée de terre damée était comprise entre le mur cré­ nelé et un second mur en contre-bas duquel se trouvait une

1. Uir./.a, Polvbe et Appien. 1 10 20 à Carthage, 6 1,1 60 à Utique. 3.

II

Ll-'.S ROMAINS

Les Carthaginois s'étaient bornés à occuper certains points de la côte ; les Romains, au contraire, colonisèrent réellement le pays et, pour bien asseoir leur autorité, couvrirent la Province d'Afrique d'un réseau complet de fortifications, soutenu par des points d'appui extrêmement forts. La fortification romaine comportait trois sortes de camps : Les Castra Aestiva étaient de durée très temporaire ; stations d'été en principe, ils pouvaient également être d'une journée. Les Castra Hiberna, ou quartiers d'hiver, contenaient des con­ structions appelées hibernacula ou hibernorum aedifieii; ils

1. Ti;vTi;ifw (Polybe et Appien). 2. Uor.aTr./'.sua [ioay<.> (Polvbc et Appieil). 5. J'ite-Live, LXXIX. devinrent à la longue des stations ou des villes. Lámbese, The- veste leur durent leur naissance. Mais il faut ajouter que ce n'était pas le camp lui-même qui se transformait, mais l'empla­ cement qui en était occupé. Les Castra Staliva, ou stations, étaient occupées par destroupes permanentes qui y tenaient garnison. Les premiers de ces camps relevaient de la fortification passa­ gère. Ils étaient entourés d'un agger ou levée 'de terre précédée d'un fossé et constitué lui-même par l'enlèvement de la terre employée aux remblais. Au-dessus, on plaçait des pieux (valli, cippi 1 ou radii :, s'ils étaient très pointus). Des traverses étaient fixées avec des clous (clavi). L'ensemble formait le vallum. Quel­ quefois, on faisait l'agger en troncs d'arbre surmontés d'un han­ gar couvert (porticus). On élevait, dans certaines circonstances, des tours aux angles. C'est dans un retranchement de ce genre, à Ruspina, que César employa les tours rondes. Dans les castra hiberna, des lignes de fortification (bracchia) réunissaient entre eux les points à garder ou les points auxquels on avait souvent à se rendre, comme les sources. Ces bracchia étaient soutenus par des Castella qui étaient construits en terre et prenaient le nom de Castella temeré m un i ta ou tumultuaria (faits à la hâte). C'était de la fortification semi-permanente dont le mode de construction ne différait pas sensiblement de celle des camps quotidiens. On disposait de place en place des catas- copia ou petites guérites. F.n avant des fossés, on plaçait des abat­ tis, concaedes >, on creusait des trous de loup en quinconce, ou on semait des chausse-trappes (murex ferreus, ferrum, tribulus stilus caccus...). Ce système de fortification était complété par des tours ou des observatoires de diflérents modèles. Les unes s'appelaient simple­ ment spécula, les autres spécialement destinées au service de nuit, portaient le nom de vigiliaria Ces constructions servaient non seulement à surveiller les points du terrain, mais à trans­ mettre les signaux. Pour ce qui est de la fortification permanente, l'organisation était basée sur des principes qui font encore l'admiration de ceux

1. César. 2. Titc-Live, XXXV. 3. Tacite, A. I., 4. 4. Sénèque, l:p. 37. — i6

qui les étudient et surtout peuvent en voir les applications très fréquentes en Afrique. Dans la Numidie et dans l'Afrique, provinces soumises effec­ tivement, les Romains s'étaient contentés de prendre en main la défense immédiate des confins, de mettre des garnisons aux endroits les plus menacés, le long des routes les plus suivies des indigènes et aux passages où ils avaient coutume de franchir la frontière, de relier ces postes par des voies grandes et solides pour faciliter le mouvement des troupes et le transport des vivres de l'un à l'autre, et en même temps d'établir en arrière des camps permanents (centres de commandement et de ravitaille­ ment ') servant de soutiens et de points de ralliement à tous ces postes disséminés. Mais en Maurétanie, la situation n'était pas la même ; dans ce pays presque de Protectorat, les tribus étaient loin d'être sou­ mises et devenaient souvent un danger au lieu d'être un sou­ tien. Les points fortifiés pouvaient appartenir à quatre catégories principales dépendant toutes du même système. Ces points formaient de grandes lignes d'occupation ou de sur­ veillance. Des Castella étaient semés un peu partout, soit pour protéger des exploitations agricoles, soit pour occuper des points stratégiques ou surveiller des tribus. Mais c'est surtout le long des routes créées par eux, que les Romains faisaient sentir leur emprise. Aux points les plus importants, des villes de garnison, des statives ou des colonies militaires servaient de réserve à tout le système. De ces villes, partaient des lignes ininterrompues de petits postes, voire même de simples tours. Ils portaient le nom de turres ou de burgi. Ces burgi étaient des constructions très solides, munies de tours à leurs angles ; on ne peut mieux les comparer qu'aux bordjs actuels. Aux frontières, ils étaient dis­ tants les uns des autres de iooo pas (1475 mètres) et reliés entre eux par des spécula ou des vigiliaria, lorsque le terrain coupé gênait leurs vues réciproques. Certains points de la ligne étaient munisde postes plus importants,c'étaient des castella ou oppidula distants les uns des autres d'une longueur d'étape, 20.000 pas

I. R. GAGNÂT, Arme? romaine d'Afrique. — 169 —

(2S km. 500). Tout autour, se trouvaient des jardins cultivés par la garnison. Ces petits postes, de forme variable, étaient entourés de murs (castella murata). Dans le cas qui nous occupe, comme ils avaient un but spécial qui était non seulement de tenir certains points, mais de mar­ quer des gîtes d'étapes, on les appelait praesidia (garnisons). Leurs garnisaires étaient des cavaliers destinés à se porter rapi­ dement au secours des colonnes qui auraient été attaquées sur la route entre deux burgi et en vue des castella ou qui auraient été bloquées dans un de ces fortins, événements dont l'avis aurait été donné par les tours à signaux. Les habitants des cas­ tella et les voisins des burgi avaient la garde sédentaire de ces ouvrages, ils en formaient la milice et en payaient l'entretien. Sur les hauteurs, on plaçait des postes (spécula) carrés lors­ qu'ils étaient en pierre, ronds lorsqu'ils étaient faits de blocage. Ils gardaient des points stratégiques ou servaient d'observatoires. On les nommait oppida, quand ils étaient poussés en avant d'une ville ou d'un castellum. La fortification des villes n'était pas très compliquée. C'était surtout une ceinture. Mais la position tactique était générale­ ment assez bien choisie, de préférence le confluent de deux rivières ou de deux ravins qui formaient obstacle et l'occupation des positions dominantes. Ce choix donnait, souvent en Afrique, la forme dite en Turris, c'est-à dire ' allongée. Comme il sera vu, pour la fortification berbère, cette façon de choisir le terrain avait pour résultat de mettre l'obstacle à une certaine distance de la muraille et d'empêcher le commandement de la place par l'ex­ térieur. Le mur de pierres de taille, ce point esta retenir, était généra­ lement de grand appareil, c'est-à-dire composé de blocs de om)i de hauteur sur 1 mètre de largeur. L'intérieur de l'enceinte était rempli par un terre-plein qui prenait le nom d'agger murorum. Tous les 10 mètres, se trouvait une tour de 10 mètres de côté ; elle-même faisait saillie à l'extérieur, suivant le principe qui voulait qu'un assaillant placé entre deux tours pût être atteint par le tir des deux constructions. Les machines qui occupaient les tours à cette époque, étaient dirigées vers la campagne, car le

1. Ft-stus. flanquement réciproque était dangereux par des appareils dont l'effort et l'effet étaient loin d'être réguliers et constants, et, d'autre part, ne pouvaient être réalisés en tir plongeant. On était donc obligé d'avoir recours au tir à bras. Or, les armes de jet étaient à cette époque, presque toutes actionnées directement à la main ; c'étaient des javelots, des javelines, ou des traits de modèles très nombreux et très perfectionnés, mais dont l'émis­ sion était relativement restreinte comme portée. Il était donc nécessaire pour avoir un flanquement efficace d'avoir un flanque­ ment rapproché. Les tours étaient percées de différentes ouvertures; c'étaient, pour quelques-unes, les portes voûtées dites « fornix ». On y descendait de l'agger, par des escaliers qui occupaient une partie de la cage de la tour. Elles se trouvaient adjacentes à une cour­ tine de façon à ne pas offrir une ligne de moindre résistance aux coups directs de l'ennemi et à pouvoir être battues de la tour voisine, dans le cas où l'assiégeant serait venu s'y attaquer direc­ tement. Elles servaient à effectuer des sorties dans le cas d'une tentative d'escalade et permettaient à la contre-attaque de faire un trajet beaucoup plus court, plus rapide et plus imprévu, par suite moins dangereux pour l'assiégé, que s'il avait fallu passer par une des portes de la ville. Dans les parois des étages, étaient ménagées des meurtrières ou fenestrae qui, par leur disposition, ne permettaient que le tir de l'arc ou du trait, privant les assié­ gés des avantages de la fronde plus meurtrière et tout aussi ajustée que les autres armes de jet. Enfin le parapet de la plate­ forme était découpé par des créneaux, pinnae. On dénommait ainsi parce que l'arête du mur était terminée par un biseau dont le tranchant était aussi affiné qu'une plume d'oiseau. Cescréneaux se retrouvaient le long des murailles, ils étaient séparés les uns des autres par un petit cavalier qui était appuyé au côté droit du créneau, mais se trouvait, du second, à une distance à gauche égale à la largeur de ce même créneau, de sorte que le tireur pouvait lancer ses projectiles, en se découvrant seulement le côté droit du corps; il était en même temps couvert des traits qui auraient pu venir d'enfilade pour une raison quelconque.

Les grandes portes se présentaient de face, mais étaient com­ prises entre deux tours plus rapprochées que les autres. Cela permettait de faire descendre, du haut des plates-formes des deux tours, un appareil dit lupus ferreus, ou gros crampon de fer qui saisissait le bélier dirigé contre les vantaux et gênaient leurs mouvements. Si deux lupi agissaient en même temps en oblique, à droite et à gauche, le bélier était complètement immobilisé. Plus tard, en particulier, sous le règne de Philippe l'Arabe (244-2.19), les principes de fortification se modifièrent un peu, il fut, davantage encore, fait usage du terrain; aux tours, furent substitués en partie des redans, puis les courtines s'allongèrent en même temps que les plates-formes des tours s'élargissaient de façon à assurer le Manquement par de petites machines. Il n'y a plus de tours qu'aux angles, et pour embrasser plus de terrain on multiplie les faces du tracé qui devient polygonal. On cite ainsi des tours à 120 mètres, l'une de l'autre, avec des machines dont les trajectoires se recoupaient à partir du milieu du par­ cours. lui Afrique, la question de l'eau a toujours été une question primordiale ; aussi dans le tracé, se trouvent toujours des sources, des puits, des citernes de réserve alimentées par des conduites ou à défaut par les toitures '.

III

LES VANDALES

11 est une chose absolument certaine et indéniable, c'est que le premier soin de Gcnséric, en prenant possession de son royaume d'Afrique, fut de raser les fortifications. Le roi vandale, lui-même, l'affirme et en donne la raison. Il voulait que « les Africains qui tenaient encore pour les Romains, ne possédassent aucun endroit où ils puissent cacher et conserver leur butin dans le cas où ils viendraient à s'agiter ou à piller et aussi que les Romains qui seraient envoyés par l'Empereur, ne puissent pas, après leur départ, laisser aucune garnison en une ville 2. » Furent, seules,exceptées Cartilage et Ilippone \ Mais l'enceinte de Canhage était bien peu de choses, car après avoir pris la ville, Bélisaire fit creuser un large fossé muni d'une

1. A. ROBKHT, Xotes sur les ruines de Ccistclliiin-.4u-Jeiisc-Au~ia et ses envi­ rons. 2. PRor.orR, R. V., I. 3. A. MA [TROT, lione Mililiiiie. palissade. Gelimcr, ramené prisonnier dans son ancienne capi­ tale, s'émerveilla des dispositions prises par son vainqueur. C'est assez dire que la science de la fortification était chez les Vandales réduite à sa plus simple expression. Malgré cette absence totale de construction défensive, il existe cependant dès cette époque, en Afrique, une conception absolu­ ment extraordinaire et unique en son genre. Procope la signale à Syllectc : « Les murailles étaient couchées depuis longtemps à terre. Les habitants, pour les remplacer, avaient fortifié leurs maisons par crainte des irruptions des Maures. » 11 y a quelques années, je découvris, dans les jardins arabes qui couvrent les glacis de l'enceinte byzantine de Tebessa, des tours trop rapprochées pour pouvoir être considérées comme des burgi isolés. Leur construction, quelquefois assez soignée, était cependant le plus souvent très rudinientaire, sans toutefois appro­ cher du conglomérat des Turcs. C'était du byzantin mal fait, si c'est possible. Leur situation, en plaine, dominée par les rem­ parts de Solomon, ne s'expliquait pas au point de vue tactique, de quelque façon que ce fût. Je relevai 58 tours bien nettes, formant 10 ilôts distincts, plus une 59% qu'il n'a pas été impossible de rattacher à un système quelconque. Ces tours sont réunies les unes aux autres par des murailles; les unes excessivement bien construites en blocage romain de la bonne époque, étaient vraisemblablement les murailles des mai­ sons primitives dont le groupement forma les îlots. A d'autres endroits, c'étaient'simplement des hcrmulae plus ou moins gros­ sières avec un remplissage de pierraille, de galets ou de gros blocs ayant eu une destination primitive tout autre: une imitation grossière du mode de construction dit en Harpe. Ces clôtures devaient très probablement se trouver à un endroit où il n'y avait pas de murs primitivement et où il fallait créer un obstacle. Comment se firent les groupements ? Il est bien difficile de le déduire de l'examen du terrain ou de la carte. Il semblerait que les îlots se formèrent par palier, car ils comportent, dans leurs différents organes, une différence de niveau maxima de ro mètres entre les extrêmes et beaucoup d'ilots sont nettement encadrés entre deux courbes maîtresses. Ou bien cette conception mise à part, y a-t-il eu une affinité de famille ou une facilité de fortifi­ cation ? Mystère ! Faut-il voir des groupements suivant les rues principales de l'ancienne cité romaine ? On pourrait le croire en examinant le parallélisme des côtes des deux îlots qui bordent la rive gauche du ruisseau, alignement à peu près prolongé de l'autre côté par le groupe pentagonal. De toute laçon, il fut construit des tours aux angles des mai­ sons et l'intervalle entre ces tours étant trop considérable, on dut mettre des intercalaires. Quelle fut la longueur des courtines ? D'après l'examen des tours les plus rapprochées existant encore, on trouve une distance sensiblement constante de 20 mètres. Il serait un peu hasardeux de dire que ces courtines furent de lon­ gueur constante et que les distances plus considérables indiquent des disparitions de tours. Mais cette distance de 20 mètres, bien que double de celles des tours romaines d'une certaine époque, quand on la compare à celle de 120 qui a été indiquée dans le chapitre précédent, semble prouver que ce furent là des fortifi­ cations presque privées dont lés défenseurs n'étaient armés que d'armes de main. Les dimensions des tours ne sont pas absolument égales les unes aux autres ; on peut toutefois admettre une superficie moyenne de 6 ;v2. Il est impossible d'indiquer leur hauteur, aucune d'elles ne dépassant 2 :"50 à 3 mètres au maximum. Les murs des maisons devaient être certainement percés de très rares portes flanquées de deux tours ou découpées dans un parement d'une de ces tours. A-t-on utilisé les portes déjà existantes des maisons, ou en a-t-on percé d'autres ? Je l'ignore. F.n tout cas, les portes non utilisées durent être bouchées de façon à diminuer les ouvertures dangereuses et quelques-unes doivent certainement figurer dans le remplissage entre les hermulae qui seraient alors des chambranles '.

Il ne faudrait pas conclure que la rencontre de semblables grou­ pements, qui doivent exister non seulement en Numidie, mais encore dans toute l'Afrique du Nord, sont l'œuvre des Vandales. Tout au contraire, ce sont des moyens de défense construits par les anciens habitants du pays, découverts par les démolitions des Vandales et se défendant contre les incursions des pillards de la montagne. C'est la résistance des anciens Romains citoyens ou protégés contre les Berbères invaincus, sous l'œil indifférent des

1. A. MAITKOT, 'l'hciï'sU: Vandales vautrés dans l'or et dans la soie, nous apprend Pro¬ cope.

IV

I.ES BYZANTINS

Le système de fortification des Byzantins était imposé par les conditions particulières dans lesquelles ils se trouvaient. L'armée peu solide avait horreur de la rase campagne, que les traités de- tactique conseillaient, d'ailleurs, d'éviter ; elle se dressait des remparts de boucliers quand elle était obligée de combattre. Le pays était très peu sûr : les tribus qui y habitaient pouvaient d'un moment à l'autre se révolter et courir sus aux paisibles habitants qui n'auraient pas fait pacte avec elles. 11 fallait donc créer des postes qui permissent aux troupes et aux populations de trouver un asile contre l'ennemi. Aussi, comme le fut la Mau- rétanie romaine, allons-nous voir l'Afrique byzantine se couvrir de villes fortes, de fermes crénelées, de tours de communication à signaux et de couvents fortifiés. D'abord, sur la frontière, sur les limes, ce sont des villes reliées par des postes (Castella, çpivs-a) pourvus d'eau et de vivres, solidement construites et occupées par une garnison pour barrer le chemin aux envahisseurs et servir de bases d'opéra­ tions aux troupes byzantines. En arrière, une seconde ligne formée de villes plus impor­ tantes devant soutenir la première avancée et servir de refuge aux populations. Pour assurer la sécurité de ces dernières d'une part et laisser libre le terrain des évolutions d'autre part, les habi­ tants de la région étaient prévenus du danger par des signaux faits par les tours de la première ligne. Ce qui n'empêchait pas de semer des redoutes, petits postes ou simples tours, en dehors de ces lignes, aux endroits qui semblaient dangereux ou dont la possession était précieuse. Ces postes étaient très nombreux ; aussi ne faut-il pas s'éton­ ner de la phrase de Procope : «Si nous dressions la liste des forte­ resses élevées par Justinien devant des hommes habitant en pays éloigné et incapables de voir de leurs yeux la preuve de nos as- sortions, assurément la multitude de ces constructions ferait paraître notre récit fabuleux et incroyable1. » Le principe général de la fortification byzantine était celui des Carthaginois : Etablir trois lignes de résistance. La première, la plus importante, formait le mur d'enceinte

(TÎ'.'-/:; OU -£Î'.,;i'/,::). Il avait généralement deux étages ; le rez- de-chaussée était percé de meurtrières pour tirer de plein fouet sur l'ennemi; au-dessus, un chemin de ronde couvert et voûté courait à la hauteur de 9 à 10 mètres, enfin ce couloir était sur­ monté souvent d'une terrasse crénelée. Des tours carrées flan­ quaient les courtines. Elles avaient trois étages de créneaux et pouvaient souvent servir de réduit. La seconde ligne s'appelait l'avant-mur ou •zp:-i<.yia\xx, elle était placée à un quart de la hauteur du rempart ; en avant de celui-ci, le sol en glacis était utilisé par la population suburbaine, pour la défense commune. Enfin un fossé, Tstçp:;, rempli d'eau mesurait 18 mètres de largeur et sa profondeur, variable, était très considérable. Ce fossé devait être creusé de façon que l'ennemi ne pût saper le mur. Les déblais jetés en avant formaient un nouvel obstacle. Telles sont les indications très précises données par Procopc dans ses Edifices, mais en Afrique on se contenta d'un très faible approché de cet idéal. Le temps manqua bien souvent, l'eau du fossé fut presque toujours un mythe et enfin les tribus n'étaient ni armées, ni instruites en vue d'une guerre de sic'ge. Aussi trouve-t-on rarement deux des obstacles, souvent il ne s'en trouve qu'un, le mur d'enceinte, mais d'un appareil moins com­ pliqué qu'il n'est prescrit. Ce mur est généralement plein, de 8 à 10 mètres de hauteur, à deux parements, formés de pierres dissemblables prises dans les ruines romaines avoisinantes, mais toujours merveilleusement agencées. Souvent des colonnes sont engagées dans le mur, couchées et le fût perpendiculaire à la courtine ; elles servent de chaînage. Les deux parements du mur distants l'un de l'autre de cinq coudées (2"\|o), dit le traité de Tactique, en réalité de 2'" 30 à 2 "'70 en Afrique, étaient formés de pierres de taille, l'intérieur était rempli de blocage souvent non maçonné. C'est, d'ailleurs, la caractéristique de la construction byzantine; les Romains ne se seraient pas permis cette infraction au grand appareil.

1. Acdificii. - I76 -

Le mur devait être disposé de telle façon que les défenseurs fus­ sent couverts et ne pussent être dominés. F.n dehors, donc, de la question de hauteur du rempart, la question de l'emplacement des forts dut être étudiée de près. Autrement on était obligé de faire les galeries couvertes prévues'par Procope. On plaçait aussi descavaliers en pierres, en laine, en étoffe, en matelas et on tendait en avant du rempart, à o"!8o, un filet pour amortir le choc des pierres. F.n dehors des cavaliers périssables qui peuvent avoir été utilisés, il ne reste, en Afrique, aucune trace des traverses ou des galeries de pierres. Un chemin de ronde faisait le tour de l'enceinte, il pouvait être posé sur piliers, sur voûte, sur massif de maçonnerie, sur corbeaux en simple encorbellement, sur la courtine bordée du côté de l'extérieur par un mur de l'épaisseur du parement et percé de créneaux de I 50 de hauteur, et du côté de l'intérieur par une murette de o1" 50. On y accédait par des escaliers posés soit sur voûtes, soit sur blocs de maçonnerie, soit plus rarement dans une tour. F.n général, tout ce dispositif était massif et il n'était pas ques­ tion des meurtrières ou des archères du rez-de-chaussée. Les tours, d'après la Tactique, devaient être hexagonales extérieurement, circulaires intérieurement. Le cas était rare. Elles étaient le plus souvent rondes, hexagonales et surtout carrées. Elles comprenaient deux salles ne communiquant pas entre elles. Celle du bas s'ouvrait sur le boulevard, celle du haut sur le chemin de ronde. Leurs murailles étaient généralement moins épaisses que le mur d'enceinte. Elles dépassaient rarement deux mètres, dans ce sens. Leur hauteur moyenne était de 16 à 17 mètres. Les salles pouvaient être couvertes en voûte en berceau, en voûtes d'arêtes, en coupole, en plancher sur un encorbelle­ ment ou en mortaises. La terrasse était crénelée, on y ascendait par un escalier extérieur accolé à la face intérieure de la tour. Comme ces tours renfermaient les seules dalles de toute la for­ tification, on avait intérêt à ne pas y mettre les escaliers. Les tours étaient en saillie de 6 à 7 mètres sur la courtine et étaient flanquées, de chaque côté, à hauteur du chemin de ronde, d'une guérite faisant saillie sur la courtine et surveillant, par des meurtrières, celle-ci et la campagne. Toutes les tours commu­ niquaient entre elles par le chemin de ronde qui était de plein pied avec elles. On a dit que les Berbères avaient pris aux By- zantins l'habitude de ne pas lier les tours au mur ; en tout cas, je ne connais pas de tours byzantines qui, en Afrique, soient comprises de cette façon. Mlles sont, d'ailleurs, creuses et forment» de ce fait, corps avec la fortification. Dans beaucoup de forteresses, on trouve des réduits, -'jpy;- •/.a-TsXÀiv. Ce peut être une tour plus forte, plus massive, d'épais­ seur de murailles allant quelquefois à 2"'60, de faces de 12 à 15 mètres d'étendue. Ce sont alors de véritables bastions, ou bien ce sont des donjons isolés, en retrait, dominant la ville ou encore une citadelle à tours flanquantes indépendante de l'en­ ceinte. Les portes étaient de différentes sortes ; généralement, elles étaient resserrées entre deux tours et avaient tout au plus trois mètres d'ouverture. Les poternes atteignaient un mètre environ. On en trouve aussi quelques-unes percées'dans la face latérale d'une tour pour ressortir à angle droit dans le parement du rem­ part entre deux contreforts ; ou ouvertes entre deux contreforts saillant à l'extérieur et creux de façon à pouvoir, en cas de for­ cement, couper la retraite à l'ennemi, à l'aide de quelques hommes cachés dans les couloirs latéraux. Ces portes étaient fermées par des battants qui atteignaient quelquefois on'55 d'épaisseur et arc-boutés par une barre transversale à encastre­ ments. Les dépendances de la place devaient comprendre un aque­ duc, un puits ou à défaut une chambre d'eau, des écuries, des casernes.... La seconde enceinte existe quelquefois, mais elle se présente sous un aspect beaucoup plus large que ne le conseille Procope. Nombreuses furent, à un moment donné, les tribus qui vinrent se grouper autour des forteresses byzantines et il fallut construire une chemise complète et continue, comportant des tours comme la première, qui devint, de ce fait, une sorte de grand réduit. Mais le second mur fut beaucoup plus léger, son épaisseur ne dépassa pas 0^50 dans certaines places. Les fortifications byzantines ont toujours été élevées hâtive­ ment ; aussi a-t-on souvent eu recours à des moyens de fortune. Non contents d'utiliser les pierres des murs romains, les ingé­ nieurs se sont servis non pas d'un côté mais de la totalité de monuments déjà existants. Ils ont transformé des édifices encore debout, ou ont englobé des façades dans leurs fortifications, se contentant d'un remplissage hâtif. Pour la même raison et dans bien des endroits, ils ont diminué le nombre des tours ou même ils les ont supprimées. 'La faiblesse des effectifs, d'autre part, a souvent influé sur l'exiguïté des superficies couvertes, c'étaient d'ailleurs les instructions de Justinien. Il ne faudrait pas croire que la fortification byzantine offre toujours le type romain, rectangulaire à courtines régulières. On a des exemples de tracé d'adaptation. On a suivi les sinuosités du terrain pour, comme à 'Bagliai, utiliser l'appui d'un ravin. C'est déjà un peu le dispositif qu'emploieront les Berbères dans leurs places fortes. La tour n'est plus carrée ou plutôt n'est plus régulière de section, l'angle droit est un minimum et l'angle obtus est souvent employé pour tirer du sol tout ce qu'on peut en extraire au point de vue défensif. On n'ose pas encore en venir à l'adoption générale du bastion, mais c'est un premier pas dans cette voie, on le sent. Les fortifications d'Afrique peuvent se ramener à sept types : i° Les citadelles des villes ouvertes (castella) ; c'étaient générale­ ment des châteaux d'assez grandes dimensions, ne contenant que des bâtiments militaires et dominant la ville. L'un des plus beaux est celui de Timgad ; il mesure 111 "' 25 X 67™ 50 ; il est rectangulaire, avec huit tours carrées, quatre d'angle et quatre de face, dont une contient la porte défendue par des couloirs, dans l'intérieur des murs. 2° Les châteaux placés sur un point stratégique (burgi). Celui de Lemsa est un rectangle à quatre tours d'angle, il mesure 28 7,185 X 31 "'• i) à l'intérieur et a des murs de 2 "'20 à 2 m 25 d'épaisseur. Des burgi plus petits n'ont que 9 m 70 de côté. Ces châteaux bien que construits avec des moyens de fortune, pierres quelconques ou pisé, quelquefois les deux, étaient très solides. Ils faisaient l'admiration des Arabes du moyen-âge1. 30 Des places de refuge (Castra) pour les habitants ; elles étaient construites d'ailleurs par eux : « Consentientes sibi cives istius loci... de suis propriis laboribus », à proximité des places fortes déjà existant dansla région, lesquelles servaient alors de réduits et de citadelles. L'idée date de l'époque de Justin II et de Tibère IL Celui de Sullectum mesure 200 pas sur chaque face (288 mètres).

1. SCIIF.ICK Lvr-TiDjA.Ni, Voyage dans la Régence de Tunis (i}o6-i¿09). ,|° Des barrières (clisurae) de murailles sans autre appareil à travers des défilés, gorges... 5" Des monasteria (y-avcsa, cloîtres) ou couvents fortifiés. On en voit à Leptis Magna, Sousse, Carthage et à Ruspina qui en a tiré son nom actuel Monastir. Etant donné le faible effectif des troupes d'occupation, les Byzantins eurent l'idée d'armer les moines des couvents qui furent fortifiés. Aux angles, on éleva des tours rondes, généralement exiguës à cause du peu de personnel ; sur chacune des quatre faces, on accola des tours demi-rondes ; des créneaux et des meurtrières furent percés. Sous les courtines de couronnement, furent cons­ truites les cellules des moines-soldats ; dans la cour, furent creu­ sées une ou deux citernes ; la porte fut défendue par deux demi-tours et une herse; un fossé fut creusé surtout le péri mètre. Les murailles curent là i 50 d'épaisseur et furent étayées par des rampes et des terre-pleins. Les tours étaient trop petites pour y placer des machines. 6" Des prisons d'Etat 011 l'on enfermait les prisonniers, les condamnés et les otages. Elles comprenaient des cellules, une caserne et des réserves d'eau. Les tours étaient en saillant inté­ rieur et commandaient le préau. Celle de Théveste avait une enceinte de 85 mètres X 126 mètres surveillée par 7 tours car­ rées. Autour d'une basilique d'une époque antérieure, se trou­ vaient des cellules de trois genres ; les unes n'avaient ni porte, ni fenêtre ; les secondes étaient destinées à des prisonniers enchaînés à des oeillets de pierre ; les dernières formaient de véritables appartements destinées aux otages. En dehors de l'en­ ceinte fortifiée et entourés d'un seul mur, se trouvaient une caserne pour 90 hommes et 30 chevaux, et un immense réservoir pouvant contenir plusieurs millions de litres d'eau fournis par un aqueduc qui desservait la ville. 7" Les cités fortifiées (civitates). Elles rentraient dans le type qui a été décrit au début de ce chapitre. Tebessa mesure 320 mètres X 280. L'enceinte comporte 14 tours carrées de 16 mètres de hauteur avec 6"'50 de saillant extérieur. Trois portes pé­ nètrent dans la ville. La seconde enceinte mesure 1.200 X 1.000 mètres. — 180 —

Y

I.KS BKKHl-RKS

La domination byzantine finit avec le vin' siècle, la domina­ tion berbère commença à se manifester qu'au xE siècle. Pendant deux siècles, ce fut une véritable période d'anarchie, au cours de laquelle l'art militaire, comme les autres arts, ne fit aucun pro­ grès, dans l'Afrique Mineure, tout au moins; car, en Egypte, prit naissance l'art fatimide, dont nous subirons plus tard l'in­ fluence. L'art berbère passa trois périodes en décroissance. Après des innovations très heureuses, il souffrit des influences étrangères puis entra rapidement dans la période d'abâtardissement ou même de régression.

I

Irunn'alions.

Cette période est caractérisée par remploi de la pierre et de la brique. Elle est représentée par des vestiges que le général de Beylié appela « des documents archéologiques authentiques de la deuxième moitié du xte siècle de notre ère 1 ». Ils furent précédés par ceux du littoral, à Bône en particulier où se trouvent les fortifications de Medinat-Zaoui 2 (x1-' siècle). D'une façon générale, la fortification de cette époque se plie merveilleusement au terrain, non seulement en en épousant les formes, ce qui serait d'un intérêt tactique moindre, mais en en utilisant les plus petits accidents. A Bône, à la Kalaa des Beni Hammad, les rivières servent de fossés ; mais comme le lit de ces rivières est assez peu facile à franchir, soit qu'il soit fangeux, soit qu'il soit encaissé, la muraille au lieu de se dresser à pic au bord même de la rive, se recule de façon à laisser entre elle et l'obstacle, des places de rassemblement où se réunissait néces­ sairement l'ennemi désorganisé par le passage difficile et main¬ i. La Kalaa tics Beni Hammad, Introduction. 2. A. MAITROT, Lesfortificaltom de Medinat Zaoui. tenu de ce fait sous les projectiles dont la trajectoire était soi­ gneusement repérée. Un autre front, au contraire, était assis sur les positions dominantes et était flanqué non plus de tours ma­ thématiquement égales à elles-mêmes, mais de bastions fermés ou même de redans en échelons d'une conception très hardie. Dans d'autres endroits, à la Kalaa, à Tihamamine ', à Bougie 2, la rivière ou le ravin n'entrait plus en ligne de compte que comme fossé, car la rive était alors un escarpement à pic et les obstacles se complétaient l'un l'autre ; toutefois il faut remar­ quer que, contrairement à ce qu'auraient fait les Romains et les Byzantins, les Berbères ne se contentèrent pas de cette disposi­ tion naturelle et n'élevèrent pas simplement un mur-barricade en haut de l'escarpement ; mais, ils firent suivre à leur chemise les moindres sinuosités pour avoir des Manquements, dont les longueurs de courtine étaient proportionnées au commandement. On ne trouve de tours que dans les parties rectilignes et planes. Mais l'orgueil de ces petits Yaubans les perdit. A la Kalaa, ils négligèrent quelque peu le front Sud, couvert par la rivière ; les Almohades trouèrent ce front en 1152. A Bougie, ils jugèrent les pentes du Gouraya inaccessibles; les Espagnols, en 1509, péné­ trèrent dans l'enceinte par la mi-côte. Les murs d'enceinte de développement considérable, 5 kil. 400 à Bougie, 7 kilomètres à la Kalaa, 1.065 mètres à Tihamamine, pouvaient être compris dedeux façons. Dans la montagne, c'est- à-dire dans les deux dernières villes, il était en pierres de taille peu soignée, mais parfaitement ajustées, il mesurait 1 m20 à 1 "' 60 d'épaisseur ; les parements étaient rigoureusement alignés avec des blocs, en dalles épaisses mesurant plus d'un mètre de longueur. Le mur n'a queo"'62 à Tihamamine dans la partie à tours, tours de la même hauteur que le mur, c'est-à-dire de 2 à 2m5o. C'est exactement le dispositif que l'on voit encore dans certaines kasbah du Maroc. A Bougie, par contre, les tours répondent exactement à leur nom; elles dominent légè­ rement un mur qui a 1 m 90 à 2 mètres de largeur et qui est couronnéd'un chemin de ronde, alors que les tours ont 6 mètres de hauteur et une base de 4X3 mètres. Le mode de construc­ tion est différent de celui de la montagne. Il est composé de

1. Boulets dits Hadjar al Medjanek retrouvés à Tlemcen et provenant des machines du Sultan Noir. 2. SCHKICK E'i-TinjAN'i, Voyage dans la Régence de Tunis. moellons de o 111 20 et de briques de o m 20 X omoq (mêmes dimensions que dans les ruines delà Kalaa) alternées par lits. A Medina Zaoui, les matériaux étaient les mêmes, mais avec une disposition différente. Le mur large de 1 '" 20 était soutenu en arrière par des voûtes de plusieurs étages, faites de piliers de- briques supportant des cintres de pierres légères, calcaires, entées dans le parement entre des cordons de briques en forme de créneaux. L'ajustage était tellement solide que des salles de 4 mètres de hauteur sont tombées de 5 mètres et ne se sont pas brisées, elles gisent actuellement couchées sur leso!. Les deux ou trois étages de voûtes étaient surmontés de parapets, de plates- formes, de tir et de guérites de surveillance. Mais ce qu'il y avait de plus remarquable, c'était un revêtement complet de briques noyées dans un mortier de chaux, de sorte que le choc des béliers s'émiettait et s'annihilait sans vibrations sur la brique qui s'écra­ sait par endroits au lieu de vibrer à faux, de se fendre et de se déchausser comme l'auraient fait des pierres. Ces briques avaient toujours les mêmes dimensions (o'"20 X O"'II X om04). Les gouttières étaient faites de tuyaux tronconiques de o "'40 de longueur et de o'11 20 de grand diamètre. Les portes étaient de deux sortes. Dans la montagne, elles étaient étroites (i":50 à Tihamamine) (4 mètres à la porte Kl Akouasà la Kalaa, qui était double), mais ces portes sont des plus soigneusement dissimulées soit qu'elles se trouvent dans un retrait du mur, soit qu'elles soient en atf (ancien fornix des Romains).Sur la côte, elles sont beaucoup plus larges et sont défendues soit par des tours pentagonales, c'est-à-dire à grand développement de tir, soit par des bastions crevés de nombreuses meurtrières. A Bou­ gie, la porte El Bounoud (des Armées), actuellement Bab Eouka, était recouverte de lames de fer. Il fallait bien prendre de telles précautions, quand on songe que les catapultes de cette époque lançaient des boulets de marbre de 100 à 130 kilog. Dans les grandes villes, un quartier spécial servait de réduit ; à Bougie, il a disparu dans les remaniements successifs de la cité, mais il est très visible, à la Kalaa, où il est clos de murailles. Son emplacement n'est pas merveilleux, car bien que séparé de la ville par un ravin, il est dominé de 400 mètres par le fortin de l'angle Nord de l'enceinte. Dans ce réduit, se trouvait une tour à signaux, dénommée le Menar, comme il y en avait sur toute la côte et dans tous les - i83 - postes élevés de la montagne. 11 y en avait de semblables depuis Alexandrie jusqu'à Ceuta, en passant par Sousse, Cartbage et Bougie. Ils avaient été construits par Ibn cl Arbel. Celui de la Kalaa était à cheval sur l'enceinte, il mesurait 12 mètres de hauteur, sur un escarpement absolument inabordable. Il était construit en grosses pierres et sa surface extérieure était couverte de cannelures mésopotaniiennes. A l'intérieur, un cou­ loir à angles autour d'une pièce centrale, permettait de gagner une terrasse où se trouvait, dit-on, un jeu de miroirs pendant le jour, des feux pendant la nuit. En sous-sol une salle voûtée com­ muniquait avec l'extérieur par une petite poterne, mais à cette hauteur, la rampe était coupée d'un haha, à pont-levis, de2m50 de profondeur, de sorte que celui qui avait pénétré dans la salle était fatalement pris. Cette disposition est à rapprocher de la porte à couloirs latéraux des Byzantins. Dans l'épaisseur du mur extérieur, était creusée une chambre à meurtrières qui servait soit à surveiller la campagne, soit à diriger par ses meurtrières les faisceaux lumineux. Rien ne l'in­ dique, mais rien ne s'y oppose, surtout si l'on veut bien réfléchir que ces signaux destinés à certaines personnes, avait tout intérêt à passer inaperçus de l'assiégeant. C'est le système de nos postes optiques à trajectoires fixes.

II

Iujliwiii'fs cl rangércs.

C'est l'époque du pisé. Quelques fortifications en pierres s'é­ taient élevées au Maroc. Certaines avaient adopté le mode des Eatimides, c'est-à-dire les tours carrées ou barlongues, les portes ayant des commandements élevés sur les courtines, des ouver­ tures en plein cintre, des courtines épaisses de 3 à 5 mètres, avec des réduits sous le chemin de ronde. On peut citer dans cet ordre d'idées : Mehedyia, dont il reste encore la porte, pré­ cédée, comme Bab Zouieila, au Caire, d'un talus en pierres des­ tiné à rompre l'élan des chevaux, défendue par deux tours, en saillie et surmontée d'une corniche et de deux consoles qui per­ mettaient de hourder au moment de l'assaut un mâchicoulis mobile en bois. Son couloir est coudé suivant le mode atf, comme à la porte de Damas à Jérusalem. Son mode de con­ struction est très proche du classique et rappelle l'appareil pseusi- sodonum. L'Almoravide Ali líen Youssouf, en 1107, détruisit la ville et fortifia Marrakech. Mais il fortifia Marrakech suivant un nou­ veau mode, ou plutôt suivant l'ancien mode, avec des tours car­ rées régulières, disposées géométriquement le long des cour­ tines. Il négligea la pierre et reprit le pisé. Toutefois, il faut remarquer qu'il plaça ses tours sur un talus oblique rappelant de très loin celui de Mehedyia. Il avait, pour raisons, à Marrakech, que le terrain était plat et que la pierre était relativement rare. Mais pourquoi à Rabat et au Chella, Yacoub bcn Mansour, l'Ahnohade reprit-il le même dispositif de tours régulières et de murs en pisé (1914). Au Chella, le tracé épouse bien les formes du terrain mais dans des conditions absolument stupéfiantes qui font que tout l'intérieur de la forteresse est commandé par un ravin qui lui fait face '. Les portes restèrent ce qu'elles étaient du temps des Almorá­ vides couronnées de nierions, percées d'embrasures, munies de mâchicoulis mobiles et même disposées en coude, suivant le mode fatimide. Mais le prince qui a construit la tour Hassan n'avait pas l'ex­ cuse de manquer de pierres et cependant, là aussi, le mur est en pisé. L'influence byzantine y est, de plus, très nette. Au Chella, les tours sont creuses et liées au mur. A la tour Hassan, elles sont pleines et collées simplement au mur duquel elles se détachent actuellement. C'est un précepte que les Byzantins eux- mêmes n'avaient pas observé en Afrique. Le bas des tours fut recouvert de moellons destinés à jouer le rôle des briques à Medinat Zaoui, et, de plus, on engagea dans le même but, des longrines de thuya dans le pisé, suivant les conseils de Philon de Byzance ! Puis plus tard, Abou Yousouf Yacoub le Mérinide en 1299 et Abou l'Hassan, le sultan Noir de 1325 à 1338, donnèrent le dernier coup au style berbère en matière de fortification cita­ dine, en créant en face de Tlemcen, la ville de pisé à laquelle ils donnèrent le nom de Mansourah, la Victorieuse. Les remparts

1. A. MAITROT, /•!' Chdhi. - .85 - avaient la forme d'un trapèze de -1-095 mètres de développement encerclant 100 hectares et ils mesuraient 12 mètres de hauteur sur 1 50 d'épaisseur. La fortification berbère s'était alors réfugiée au Sahara et dans les montagnes. Mais avec le .\vc siècle, arrivèrent les moines ! musulmans chassés d'Espagne par les chrétiens. Le principal fut El Merili, le massacreur des juifs sahariens (1492). Il fit des­ cendre les Berbères de montagnes de façon à les coloniser, à les attacher à la glèbe, à les démocratiser sous la férule religieuse. On créa alors les villages sahariens à fortifications régulières, carrées, flanquées aux angles de tours quadrangulaircs avec des murs de pisé lisses et presque vernis, surmontés de la dentelure de leurs petits créneaux ornementatifs aux arêtes vives. On com­ pléta ce dispositif par des défenses accessoires constituées par les murs de pisé des jardins. Cela constitua un ensemble très fort, mais on y sent un architecte à la volonté directrice et absolue c'est du schéma administratif'. L'art militaire berbère avait vécu.

III

Régression.

Cette question fera sous le nom de « Fortification berbero- marocaine » le sujet d'une étude spéciale. Ce serait me laisser entraîner trop loin que d'entreprendre ici l'étude de toute la Fortification marocaine, complètement différente de ce que l'on trouve dans le reste de l'Afrique du Nord.

VI

LliS Tt'RCS

A la désorganisation du Maroc, correspondit une désorganisa­ tion en Algérie et en Tunisie et lorsqu'on connaît bien les méthodes ! introduites par les Turcs au xvic siècle, on se demande si leur influence nétaste n'a pas présidé à la conception

1. GAUTIER, La conquête du Sahara. tactique ! à laquelle ont obéi certains ingénieurs militaires maro­ cains. Il est extrêmement difficile de se faire une idée exacte de la fortification chez les Turcs du Nord de l'Afrique. Les villes retranchées sont très nombreuses, mais fort peu nous offrent un système d'ensemble. Presque partout il a été fait des rajouts sur des murailles déjà existantes, ou il a été fait autour de cités anciennes des appropriations plus ou moins judicieuses nécessi­ tées par le développement de la tactique et le progrès des armes à feu. Alger, par exemple, est excessivement curieux sous ce rapport. Infime bourgade avant que les Barberousse n'en fissent le siège de leur empire, Kl Djezair ne doit donc son développement qu'aux Turcs, l'antique Icosium n'étant plus qu'un souvenir pas encore classique. Malgré cette unité d'origine, la ceinture qui enserrait la ville était loin d'être d'une conception unique. Les parties rapportées n'ont même pas le mérite d'avoir été inspirées par celles déjà existantes. C'était la reproduction exacte et maté­ rielle des règlements, une série d'adjonctions nécessitées par le moment, sans aucune corrélation, sans aucune directive. Les exemples de ce que j'avance abondent. En 1541, l'Empereur Charles-Quint avait établi des batteries, qui, d'ailleurs, n'ouvrirent pas le feu, sur la colline de Saboun ; conclusion, il était nécessaire de prévenir le retour de semblable situation, en occupant ladite colline par un fort. C'est le raison­ nement puéril d'un impulsif : « Ote-toi de là que je m'y mette », sans, d'ailleurs, réfléchir davantage, sans faire de distinction entre l'offensive et la défensive. Ce qui était très bien conçu de la part d'un assiégeant, qui, par là, dominait la ville et qui avait ses derrières assurés, l'était beaucoup moins de la part d'un assiégé dominant la ville mais dominé par les collines avoisinantes. Le marquis de Curion-Nitas 1 écrit : « Il est commandé par les crêtes et les petits plateaux en arriére qui sont au moins de niveau avec les parapets. » M. D'Ault-Dumenil2 signale la même situation et ajoute que les crêtes dominantes n'étaient pas à 500 mètres. Le fort pris, le Dey se rendit compte, mais un peu tard, que la ville était indéfendable, étalée qu'elle était à

1. Aperçu historique et tojvgriipl'ique mr Plit,il d'Alger. 2. De l'expédition d'AJrique en iS;o. 30 mètres en contre-bas et prête à recevoir les coups de canon de la colline. On construisit des batteries basses pour défendre l'entrée du port, mais cette édification ne se lit qu'après le bombardement de 1685, après que Duquesne n'eut trouvé pour lui répondre que quelques pièces dressées dans le fort du cap Matifou. telle­ ment mal compris lui-même, avec sa forme octogonale, que la moitié seulement de son artillerie était utilisable contre l'as­ saillant, alors que le reste aurait pu être dirigé contre la ville par un ennemi victorieux. L'enceinte de la ville était, suivant l'expression du chroni­ queur, à l'antique, laissée sans flanquement par des tours d'a­ plomb avec le parement extérieur. On peut se demander à quel mobile avait obéi le constructeur en employant ce dispositif oublié dès avant les Romains. Le fossé était précédé d'un mur et son fond garni d'un autre mur parallèle à la contrescarpe. C'était vouloir atteindre au résultat déjà obtenu avec le fort. L'Empereur créa des abris à l'ennemi, une lois le premier obs­ tacle enlevé, pour lui permettre de tirer sur le mur d'enceinte et de plonger sur les défenseurs du mur du fond garni de cré­ neaux pour fusils. D'autre part, le dispositif de la ville en amphithéâtre incliné vers la mer en rendait le bombardement plus facile et plus effi­ cace : Alger ne peut être pris comme un modèle de la fortifica­ tion turque. A Bône, je ne serai pas plus heureux. Quand 'es Espagnols quittèrent la ville en 1540, ils firent sauter les remparts, mais les Turcs les réédifièrent l'année suivante sur le même plan, d'origine berbère, datant de 1058, relait en 1157 parle conqué­ rant du Maroc Abd el Moumen et complété en 1300 par une Casbah tenue en expectative par le Fort génois, en 1400. Des tours étaient espacées de quinze pas à la ville, et de dix pas à la Casbah. La description faite, le 15 septembre 1535, par le capitaine espagnol Don Alvar Cornez el Zagal, ressemble à celle donnée en 1608, par l'auteur des « Hstraines Royales •> après l'expédi­ tion toscane et toutes deux auraient pu servir de guide à l'ami­ ral de Cornulier-Lucinières, en 1832. La distance de la Casbah à la ville était une grande faute qu'excuse l'existence préalable du fort de la Casbah. Aussi voit-

>3 on tous les occupants s'ingénier à trouver un moyen de com­ munication qui permit d'aller d'une enceinte à l'autre à couvert des vues de la mer ; mais qui, par là même, aurait donné des facilités à l'assaillant maître de l'un et de l'autre des deux ouvrages. A Bougie, les constructions chevauchent les unes sur les autres ; le berbère est écrasé contre le romain et l'espagnol ; le turc a profité du tout et a semé des forts un peu partout. De l'enceinte romaine, il reste l'emplacement des deux Castella qui sont devenus les forts Moussa et Bridja. L'enceinte sarrazine de 1067 dresse encore une superbe porte dite Bab cl Bahar classée comme monument historique, deux murailles flanquées de tours qui se hérissent sur les crêtes et le fort Abd el Kader. Pierre de- Navarre a construit en 1509, la casbah et le fort de Moussa. Charles-Quint a refait les murailles en 15.11. Les Turcs, en 1545, ont réédifié sous le nom de Roidj bou Lila, parce que, dit-on, élevé en une nuit, le vieux fort Kl Ahmar construit par Kn Nace, en 1067, et détruit par les Espagnols. Oran est complètement espagnol ; du reste, il ne devint musulman qu'en 1792 et ne le resta que 40 ans. Tébessa est entièrement byzantin, les occupants turcs se trou­ vèrent tellement en sûreté à l'abri des murailles de Solomon qu'ils ne s'inquiétèrent même pas d'en effectuer les réparations et à l'arrivée des français en 1842, une des portes, celle de Caracalla, était' presque entièrement enterrée, et le sous-voûte primitif de 6 mètres était à peine suffisant pour laisser passer un homme. On y voit encore les traces de la fumée du corps de garde ; tout le parapet sud de l'enceinte était écroulé. A Constantine, la fortification était imposée par le site de la ville, il suffisait d'élever un mur sur le bord du rocher à pic ; les Numides l'avaient fait, les Byzantins s'en servirent et les Turcs recueillirent l'héritage de leurs prédécesseurs, se conten­ tant de transformer le palais du Patrice en casbah. Tunis n'offre aucune des conditions de solidité et aucune des idées d'ensemble que l'on peut demander; d'ailleurs, sauf les portes de la Casbah, il reste bien peu de choses. Les murs bas- tionnés actuels furent construits au commencement du xi.\c siècle, par le Hollandais Hombert, Ils étaient percés de huit portes et soutenus de trois forts extérieurs : le Bordj l-'elfel et le Bord) Kl Andalous à l'ouest, le Bordj Sidi ben Hassan au sud. Cette dis- - i89 - position est à rapprocher de celle de Fez. De l'ancienne enceinte, il ne peut rien être dit, les portes Souikà, au Nord, Carthagena, à l'Est, et El Behar 'ou de France, au Sud, sont actuellement noyées dans les constructions et ne sont pas suffisantes pour nous donner une idée de l'ancienne Médina de Tunis. En dehors de la ville, il n'y aurait d'intéressant que le vieux fort de la Gou- Iette, pris et repris au x\T siècle par les Espagnols et les Turcs. On y remarque une pièce de canon vénitienne dont la culasse figure la tête de saint Pierre. A Bizerte, les démolisseurs ont abattu récemment à coups de pioche ce que n'avaient pu ébranler les boulets de Charles-Quint. D'ici quelques années, il ne restera tnêine plus trace des énormes murailles de 3 mètres d'épaisseur qui encerclaient le port. L'en­ semble était admirablement compris. Hippo Xarytus avait disparu sans laisser de traces suffisantes pour permettre aux Turcs de s'égarer en dehors de leurs conceptions normales. Le port, d'ori­ gine carthaginoise, ne communiquait avec la mer que par un goulet formé par une chaîne et défendu par deux forts faisant partie de l'enceinte même. Située en plaine, suffisamment éloi­ gnée des montagnes dominantes, un peu en retrait du bord de la mer, la ville, vu le peu de portée des pièces de canons de l'é­ poque, ne présentait aux coups île l'assaillant que les deux forts de l'entrée du goulet, puissamment armés, autant que l'on petit le juger d'après le nombre d'embrasures et de bastions que l'on peut relever à la casbah. Ce dernier fort seul était garni de tours, l'enceinte ne comportait que des bastions aux saillants. Kairouan offre un beau spécimen de la fortification de la fin du xvine siècle. L'enceinte a un développement de 3125 mètres. Elle est en briques et pierres de taille. C'est donc une excep­ tion à la règle. La hauteur est de 10 mètres, l'épaisseur de 2 à 4 mètres ; le dessus est couronné de créneaux. Des tours rondes ou carrées, assez rapprochées, flanquent les remparts percés de cinq portes en atf. 11 n'est pas à parler de Biskra, malgré la grande place qui lui est donnée, dans les règlements de la Régence '. 11 existe encore un vieux fort turc célèbre par le massacre de la garnison fran­ çaise, le 4 mars 1844; mais construit en terre et en pisé, ce fort, du moins je le crois, ne fut jamais qu'un ouvrage fortifié

1. A. DE Voui.x, Titcbrifal (18))). que les Turcs ont élevé dans la région pour simplement affirmer la suprématie du Dey sur les confins du Sahara et surveiller les agissements des tribus nomades sur les Ksouriens sédentaires. Mais il existe, ou plutôt il existait en Algérie, un exemple complet de la fortification turque, c'est Mascara ou M'asker '. En 1707, le bev de Mazouna, Mustapha bou Chelaghem, chargé dti commandement des territoires de l'ouest, trouva sa capitale trop exentrique par rapport aux tribus de sa province et s'établit à Keurth. C'était une ville arabo-berbère construite sur les ruines de la ville romaine de Victoria Colonia. Et bientôt, il créa la ville de M'asker, à 6 kil. S.-E. de Keurth. Le second de ses successeurs, son beau-frère Mustapha cl Amar, construisit les remparts sur un plan de conception unique. Hauts de 6 à 8 mètres, épais de 1 "' 50, construits en pisé, les murs avaient un développement de 1.080 mètres et étaient cou­ ronnés d'une petite banquette pour permettre aux défenseurs de tirer par les créneaux. L'enceinte était flanquée de grosses tours très solides en saillants extérieurs et assez larges pour supporter de l'artillerie. Un des saillants les plus élevés comme altitude, fut occupé par la Casbah triangulaire, qui empruntait deux de ses faces aux remparts et par la troisième, base d'un triangle isocèle, surveillait toute la cité. Mohammed ben Rabah cl Kebir, avant d'abandonner sa capi­ tale et de venir s'établir à Oran reconquise sur les Espagnols en 1792, avait fait construire par des prisonniers de cette nation, une seconde enceinte distincte de la première, séparée d'elle par un ruisseau très raviné et reliée par un pont à deux arches. Pure de tout mélange, de toute réminiscence, l'enceinte de Mascara nous offre bien toutes les caractéristiques de la fortifica­ tion turque. Les bastions deviennent plus rares, leur hauteur diminue inversement à leur superficie. Ils sont en saillant, mais au lieu de s'espacer régulièrement comme les tours dans les fortifica­ tions romaine et byzantine, ils cherchent à se flanquer récipro­ quement et à battre en même temps les points dangereux du terrain. Ce n'est plus la tour, ce n'est pas encore le saillant en redan, mais c'est la réalisation pratique de l'idée que le manque de canon avait empêché les premiers Berbères de mette à exécu­ tion:

1. A. MAITROT, L'Algérie tïautrefoi>. Au lieu d'être construits en pierres qui, pourtant, taisaient peu défaut, les murailles sont en congloméré, formé de galets, d'é­ clats de pierres, de morceaux de brique noyés dans un lit de mortier de chaux, briques pilées et 'terre, quelquefois même un peu de paille hachée, le tout recouvert d'un enduit de plâtre. Ce mode de construction résistait bien mieux aux coups de canon que les remparts de pierres qui finissaient par s'écrouler. Au Fort l'Empereur, le 4 juillet 1830, la tour circulaire du centre construite en pierres s'abattit sous les coups de canon, tandis qu'au bout de six heures de bombardement, les murs s'étaient erlrités mais se dressaient toujours aussi fiers. Le même phéno­ mène fut remarqué, ces dernières années, lors du bombarde­ ment des Ksour de l'Extrême Sud, construits en pisé (paille hachée et mortier de terre) ; les obus modernes, malgré leur supériorité sur les boulets de 1830, traversaient les murs à l'em­ porte-pièce et ceux-ci restaient debout. L'enceinte généralement trop grande pour la faible garnison qui occupait les places turques, était destinée à être garnie par les auxiliaires : Saga de kabyles ou milices urbaines, et comme très méfiants et pour cause, les Turcs n'avaient qu'une très médiocre confiance dans leurs concitoyens d'occasion, ils se con­ struisaient un réduit à eux seuls réservé. Généralement de forme triangulaire de façon à avoir moins de développement et d'angles morts, cette casbah empruntait deux des côtés de la muraille de la ville de façon à avoir des vues d'enfilade sur cette muraille et à pouvoir, étant de ce fait en communication avec l'extérieur, être secourue par des renforts. Elle occupait le haut de la ville et fermait son pourtour par une muraille dont la position en base de triangle permettait de battre toute la cité sans pouvoir être tournée ou enfilée d'où que ce soit. C'est le cas de Bougie, Constantine, Alger, Tunis. A Bizerte, chargée d'un rôle spécial, la casbah est disposée d'une façon un peu différente, bien que rationnel vu le cas ; à Bône, en revanche, elle ne remplit pas du tout son rôle, le réduit n'est qu'une souricière sans communi­ cation avec la ville et dont la montée assez longue était en butte à tous les coups des remparts et qui, sans eau, pouvait être en­ tourée de toutes parts. Enfin les tribus douayrs et Zemala, qui venaient, à certaines époques, assurer la rentrée des impôts, étaient parquées dans une enceinte spéciale qui pouvait leur permettre de se défendre, en cas d'attaque de l'extérieur, et d'être séparés de la citadelle la dominant, en cas de révolte de l'intérieur. Mais il n'y a pas qu'à Mascara que l'on trouve une enceinte aussi vaste et bien comprise que celle de l'Argoub. A Boue, il y a une timide idée dans le bâtiment dénommé caravansérail de la cavalerie turque, de même qu'à Constantine, au Bardo. 11 était très rarement fait usage du fossé chez les Turcs. Il n'y en avait pas à Mascara, pas plus que dans toutes les villes que je puis connaître. Il en est cependant signalé un à Alger et autour de la Casbah de cette ville. Le Fort du cap Matifou et celui des Anglais en avaient également un, mais tellement mal compris qu'il est presque inutile de le mentionner. A Bône, les circon­ stances avaient donné naissance à un fossé le long des remparts ouest, mais c'était simplement le canal exutoire du drainage des jardins à sol marécageux, il ne pouvait pas passer autre part pour aller se jeter à la mer. A Mascara, le cours de l'Oued Toudman formait aussi obstacle entre l'enceinte de l'Argoub et celle de la ville, mais c'était un accident naturel. Que cette posi­ tion ait été choisie, c'est possible, mais il ne faut pas en con­ clure que la fortification turque comportait un fossé, les autres faces de la ville sont là pour démentir cette assertion, dans le cas où l'on serait tenté de l'émettre '. Le svstème de fortification des Turcs était complété par toute une organisation militaire qui enserrait le pays dans un vaste réseau. Des colonies de Kouloughis, comme celle des Oulad Zitoun, occupaient des caravansérails compris comme l'étaient les praesidia romains ; des colonnes mobiles de troupes turques circulaient entre eux et surveillaient les agissements des tribus maghzen inféodées aux conquérants et chargées de la police du Deylick.

VIII

LES AKAI1KS

Les Arabes sont des nomades qui ont envahi l'Afrique Mineure à la fin du vnc siècle, et qui se sont faits absorber par les Berbères. Leurs derniers représentants sont restés nomades.

i. Archives de la subdivision de Mascara. Documents de 1842. Malgré cela et quelque anormal que cela paraisse, il y eut des for­ tifications arabes. L'émir Abd el Kader créa trois postes fortifiés : Boghar, Taxa et Tagdempt. Ce dernier était le plus important de beaucoup et devait, comme capitale de l'empire arabe, remplacer Mascara, tombée aux mains des Français'. « Dans mes projets, disait Abd el Kader, Tagdempt devait être une ville immense, un centre reliant le commerce du Tell à celui du Sahara. Ce point avait plu aux Arabes ; ils y venaient avec plaisir, parce qu'ils y trouvaient de grands avantages. C'é­ tait aussi une épine que j'avais placée dans l'œil des tribus indé­ pendantes du désert ; elles ne pouvaient plus ni fuir, ni m'in- quiéter, je les tenais par le ventre. Tagdempt avait été bâtie sur leurs terres ; elles l'avaient compris et s'étaient empressées de se soumettre. En effet de cette ville, je pouvais toujours, avec mes goums, m'élancer à l'improviste sur elles et saisir au moins leurs troupeaux, si je ne parvenais pas à enlever leurs tentes \ » Mais les résultats furent loin de répondre à l'attente. Abd el Kader prétendait que Tagdempt avait été fondée autrefois par ses ancêtres, se faisant descendre ainsi des Rostémides des vme et ixc siècles et que les ruines que l'on voyait encore sur le pla­ teau circulaire ; étaient d'origine arabe et ne pouvaient receler aucune inscription. L'histoire ne confirme pas ces dires. Le Gaedaum Castra d'An- tonin avait laissé des traces assez visibles. On y voyait les ves­ tiges d'une enceinte de 1.200 coudées de longueur sur 900 de- largeur ' mesurant 7 coudées d'épaisseur au pied puis se rétré­ cissent à 5. On remarquait encore les assises de neuf tours en saillie extérieure. Mais cette enceinte ne fut pas relevée. .L'émir groupa les maisons neuves sur la pente qui descend vers l'Oued Mina, au-dessous de l'agglomération en amphithéâtre des cinq ou six cents habitations existant déjà. L'emplacement était assez mal choisi. Si l'Oued formait un fossé presque infranchissable au sud, grâce à ses rives escarpées, la colline de la «citadelle romaine dominait la nouvelle ville et la route de Médéah per-

1. Les 6 et 9 décembre 1853. 2. Alex. KI-.I.I.HMAKK (1863 ). 5. Tagdempt. Tambourin. 4. Ernest ALBI (1847). mettait de franchir l'Oued et de tourner la position. La vieille- ville était composée de constructions à un rez-de-chaussée en pierres sèches et recouvert de chaume, les rues très étroites lais­ saient à peine circuler deux hommes de front : c'était le véri­ table village kabyle. Les nouvelles maisons 1 furent beaucoup plus solides, blan­ chies à la chaux et recouvertes de tuiles. Au milieu, s'éleva la casbah à murs très épais et crénelés, ce fut la demeure de l'émir. A proximité, à deux cents pas, à l'Est, fut construite la redoute, mesurant de 50 à 60 mètres de côtés suivant les uns, 40 mètres suivant les autres. Les remparts de i"1 50 d'épaisseur et de 5 à 6 mètres de hauteur étaient percés d'une seule porte. A chaque angle, se trouvait une petite tourelle d'observation. Au centre, se dressaient les hangars, les magasins du service courant, une fabrique d'armes, la monnaie2, une fonderie de canons'-. Le matériel de réserve était déposé dans une grande citerne d'ori­ gine romaine situé à cent cinquante pas à l'est de la Casbah et à cinquante pas à l'ouest de la redoute. Elle avait été remplie de fer, plomb, poudre, salpêtre, soufre..., puis la porte avait été murée et un corps de garde avait été construit par-dessus. Ces trois ouvrages étaient armés de : un obusier, deux petits mor­ tiers, et de sept pièces de six et de huit d'origine espagnole montées sur des affûts à roues pleines. Comme elles avaient été enclouées, on leur avait refait une lumière de douze lignes de circonférence.

Certains auteurs ont prétendu que les ouvrages pouvaient contenir 1.800 homuies ; c'est possible, mais je ne crois pas que l'expérience ait jamais été faite, à moins de comprendre dans ce nombre les goumiers irréguliers qui ont pu, à certains jours, être parqués dans les cours. La garnison régulière était d'une centaine d'hommes relevés tous les mois et qui devait apporter ses vivres avec eux. La construction était assez mal comprise. Les fossés étaient loin d'avoir une égalité constante de profondeur et de largeur. Placée sur un plan incliné, la redoute n'avait pas d'ouverture pour l'écoulement des eaux, les talus retenus par quelques

1. A' ' ' Abd-el-Kader et sa nouvelle capitale (1841). 2. Situation de 1X55. 5. Situation des litablissc.ments français de F'Algérie (ISJS). •\. Comte SAINT-HIPPOLVTI:, Spectateur militaire {avril 1$]'/). branches de lentisques et de lauriers roses ne pouvaient résister à la poussée des pluies. L'emplacement en dehors de la question fortification était très mal choisi. Il y faisait très froid. Il y gela le 2 octobre 1836. Les plaines environnantes étaient très riches à six heures vers le sud, mais sur les lieux-mêmes, il n'y avait même pas d'herbe pour les chameaux. La population se composa tout au plus dans les commencements de 10 à 20 familles de Mascara venues à regret ; elle monta péniblement à 200 familles ', puis à 400 2 et enfin à 600 \ Mais lorsque la ville fut prise en 1841, les maisons n'étaient pas achevées, et la Casbah, qui avait coûté très cher, l'était à peine1. Tagdempt fut certainement une erreur de l'émir. Son rôle et la tactique qui en découlait devaient l'éloigner des positions stables. Sa force résidait surtout dans sa mobilité : il le comprit après la ruine de sa deuxième capitale et organisa sa smala ; mais il était déjà un peu tard, et le temps, l'argent, le travail et les fatigues dépensés à Tagdempt ne devaient jamais être retrou­ vés par lui.

IX

I.KS FRANÇAIS

Je n'ai pas l'intention d'étudier ici les principes qui ont pré­ sidé à la mise en état de défense de l'Algérie actuelle. Je ne veux pas décrire les grands canons de 24 allongeant au-dessus de la mer bleue leur col noirâtre, pendant que des affûts perfectionnés les promènent sur des rails modernes au milieu des arbousiers complices; c'est de la fortification d'ordre général. Je ne veux pas dévoiler non plus les secrets de la mobilisa­ tion intérieure ni parler des enceintes sans fossés qui enserrent les plus petites villes de leur tracé bastionné, que trouent les volées vert bronze ou noir acier de pièces variant du Reflye au 90, en passant par le de Bange et le 95, ni décrire les bordjs

1. Situation tics litablisseiuents fiançais de l'Algéiie en 2. C. SAiNi'-tliproi.viTi - Spectateur militaire, avril iS}8. 3. Général OUDINOT. .). Docteur BAUDENS, Musée îles familles (¡841). — 196 — remplis d'armes portatives qui, solidement assis sur un contre­ fort, veillent sur le sort des centres de colonisation. Mais je veux étudier les systèmes plus ou moins extraordi­ naires qui furent préconisées à l'époque de la conquête. Dès le début, on ne savait si l'on se bornerait à occuper la côte en créant des princes féodaux arabes feudataires dans l'in­ térieur des terres ou si l'on franchirait franchement la limite des Hauts Plateaux. On s'était emparé des villes du littoral, on avait monté quelques blockhaus venus tout prêts de France, et les premiers feudataires, réalisés dans la personne de l'émir Abd cl Kader, empêchaient les colons de s'installer, autre part que dans la banlieue immédiate des postes occupés. Un quart de lieue était une distance énorme qui représentait l'extrême limite de la sécurité. On se rappela alors le système des Romains ; on invoqua l'exemple des Turcs et on proposa de cerner des portions de ter­ ritoire entre plusieurs routes fortifiées. Ces routes, tous les 25 ou 30 kilomètres, auraient traversé un camp retranché. Dans chaque province, elles auraient enserré une surface de 600 lieux carrées et auraient été divisées en dix étapes sur 70 lieues. A chaque gîte, on aurait construit une enceinte carrée de 30 à qo mètres de côté. Dans l'intérieur se seraient trouvés des casernes pour 1.000 hommes, des maga­ sins pour des approvisionnements d'un mois, des appentis pour les voyageurs. Sur une tour voûtée, auraient été placées une ou deux pièces de canon de fer. Il aurait fallu sept postes intermédiaires avec 100 hommes er coûtant 10.000 fr. chacun. Tous les mille mètres, on aurait construit un blockhaus de .1.000 fr. en pierres, voûté, armé d'une couleuvrine et pouvant contenir 20 hommes munis d'approvisionnements divers pour un mois. Sur l'un des côtés extérieurs, il y aurait eu une cour pour les voyageurs. 11 aurait fallu 270 blockhaus de ce genre. La route aurait eu 5 mètres de largeur, le côté extérieur aurait été bordé d'un fossé de 2 mètres de profondeur et de 3 mètres de largeur. Les voitures auraient pu circuler librement, toujours en vue d'un blockhaus. En cas d'attaque, si l'on n'avait pu établir de télégraphe aérien, un coup de canon répété de poste en poste aurait pu prévenir les colonnes mobiles des villes, — 197 — composées par provinces de deux régiments de chasseurs d'A­ frique à éoo hommes, de S pièces de montagne et d'un régi­ ment de gendarmerie de 800 hommes, détachant de plus une bri­ gade dans chaque gite. Les postes étaient tenus par une garni­ son fixe de 600 hommes et de 2.400 miliciens, ces derniers commandés par des officiers en retraite. La route construite par la main-d'œuvre militaire, à raison de o fr. 25 par homme et par jour, ce qui amenait le mètre à 3 fr. 75, aurait été entrete­ nue par les hommes des blockhaus. Il aurait fallu par province 10.600 hommes et 2.230.000 fr., soit avec les travaux d'art et les matériaux, 4 millions. La route passait, dans la province de Constantine, par Bone, Guelma, Constantine, Milah, Djidjelli ; dans la province d'Al­ ger, par Delys, Hamza, Medeah, Milianah, Cherchel ; dans la province d'Oran, par Mostaganem, Mascara, Tlemcem, LaTafna. Ces grandes routes devenues par jonctions parallèles à la côte auraient été réunies a celles-ci par des lignes secondaires : Bou­ gie à Sétif, Philippeville, Constantine Puis plus tard, une autre route aurait été tracée par Tlemccn et Biskra que l'on considérerait à cette époque comme l'extrême limite possible de l'Algérie. Pour 12 à 20 millions, on aurait ainsi rapidement circonscrit 1.800 lieues carrées, cultivées par 1 million de colons. Au point de vue pratique, ce projet admis, on l'aurait réalisé en établissant d'abord une ligne de camps retranchés puis en colonisant militairement avant de le livrer le terrain aux civils '. Les camps auraient été établis par un détachement partant d'une origine de route quelconque, s'arrêtant après une journée de marche à un endroit choisi par un officier du génie, tant au point de vue militaire qu'au point de vue agricole. L'enceinte aurait été tracée, les fossés creusés à demi-largeur, les logements dressés et l'armement de la défense mis au com­ plet, puis le camp aurait été laissé à achever à une garnison ravi­ taillée par le point de départ. De là, le premier détachement aurait ouvert une route dans la direction du second poste 2.

1. LKIU.ANC DK PRMOIS, De la nécessité de substituer le gouvernement civil au gouvernement militaire pour le succès de la colonisation d'Alger (1S40). 2. M. T.. de B'\ . De la consolidation de la puissance française en Algé­ rie {iS/i). L'organisation d'un camp aurait été la suivante. L'emplace­ ment destiné à devenir une ville ou un village aurait varié de formes suivant les nécessités du terrain. A l'endroit le plus élevé, on aurait "construit une enceinte fortifiée formant citadelle. Au-dessous, une seconde enceinte avec logements militaires et magasins. La garnison aurait été de 300 à 1.000 hommes, elle aurait entretenu, de chaque côté du camp, la moitié de la route de communication. Les camps auraient reçu des otages des tribus ; en cas de rébel­ lion, il aurait été fait appel aux colonnes mobiles. La correspondance journalière aurait été rassurée par route et par télégraphe. Des escortes auraient été fournies aux voyageurs et aux convois. Une autre personne conseilla de ne faire ce travail d'occupa­ tion que pour rendre ensuite les villes aux indigènes '. Mais un officier du Bureau arabe de Tenés trouva une note plus exacte en essayant de la colonisation indigène à côté de la colonisation européenne •'. Cependant l'idée assez séduisante, au premier abord, de la création de régions compartimentées, ne plut pas à tout le monde. De nombreux adversaires se déclarèrent et parmi eux le plus illustre des Africains, le maréchal Bugeaud Cette école adverse déclara que circonscrire une portion de l'Algérie et en faire une île isolée, était assez mesquin pour une grande nation et que c'était surtout d'application difficile. Le système obligeait, en effet, à une défensive absolue, à moins d'en­ tretenir une seconde arme indépendante de la première ; il pri­ vait la l'rance des revenus de l'impôt et du recrutement desquels auraient joui l'ennemi dans les régions non circonscrites. Le Maréchal conseillait de concentrer sur un petit nombre de points bien choisis qui étaient au nombre de sept dans l'inté­ rieur : Tlemcen, Mascara, Milianah, Médéah, Sétif, Constantine et Guelma, et de neuf sur la côte : Oran, Mostaganem, Tenès,

1. Résumé du système du général I.KTANG sur l'Algérie (avril 1813). 2. Capitaiuc F. LAFASSET, Mémoire tur In colonisation indigène et la colo­ nisation européenne (iS./S). 3. Général BUGEAUD, L'Algérie ; des mo\ens de conserver et d'utiliser cette conquête (1842). — *99 "

Cherche! 1, Alger, Philippeville, Bénie, Bougie et Djidjelli, une armée de 63.200 hommes de troupes actives, toujours mobili­ sées et pourvues de leur matériel. Les autres postes devaient être défendus par des milices « sachant non pas manœuvrer à la Prussienne, mais sachant se servir de leurs armes et bien commandées ». Mlles devaient être formées d'ailleurs d'anciens soldats devenus colons selon le plan général du Maréchal, plan qu'il est inoportun de dévelop­ per ici, mais qui est résumé par sa devise : « Ense et aratro ». C'est, d'ailleurs, ce plan réalisé qui a donné naissance à l'Al­ gérie moderne avec ses villes aux rues alignées au cordeau, encloses dans une enceinte sans fossé, dominée par un réduit dit, par couleur locale, Kasbah. Moralité : Point trop ne faut d'archéologie dans les questions économiques.

Capitaine MAITROT. LES BRANÈS

NOTES POUR SERVIR A UNE MONOGRAPHIE DES TRIBUS BERBÈRES

DE LA RÉGION DE I-T-S

« Le Benioussi est un félon; La perfidie ne le quitte jamais. « Il trompe pour un fer à cheval et des clous « Ht pour tout héritage, ses ancêtres lui ont légué la traîtrise. » C'est par ces phrases lapidaires qu'Abou Zaid Abderrahman el Majdoub, le Saint illuminé, a défini les Branès. Si l'on en croit les indigènes, Si Abderrahman n'a jamais menti, il ne s'est jamais trompé dans ses appréciations et les Branès ainsi qualifiés parle Saint au début du x5 siècle de l'Hé­ gire, c'est-à-dire il y a trois cents ans, n'ont jamais rien fait, dit- on, pour ne plus mériter cette accusation. Ibn Khaldoun nous donne les Branès comme descendants de la grande famille du même nom, qui avec les Botr ont constitué- la nationalité berbère. Les lettrés de la Région, peu savants dans l'histoire de leur pays et peu experts en étymologie, traduisent le mot « Branès, par Bénins, les gens, les descendants de Bcr, ceux de la tribu de Ber. Les autres, plus nombreux, amis de la légende, et qui n'ont jamais entendu parler de leurs origines berbères, préfèrent une autre leçon : Monalin el Branès les hommes an burnous et, pleins de leur sujet, ils racontent comme le tenant de leurs grands- pères qui eux-mêmes l'avaient appris de leurs ancêtres, que lors de son arrivéeau Maghrib en 78S J.-Ch. Mouley Idris el Akbar, suivi du fidèle Rachid, était accompagné de contingents arabes Houmaïr, tous vêtus de burnous. Les Branés racontent encore que leur installation dans le pays date de Mouley Idris Ier. A cette époque vivait près de Haskoura, le puissant Abdel Mejid Louerbî, chef de la tribu païenne des Ouerba', qui possédait également un palais à Khiber (Zerhoun). Lorsque Mouley Idris arriva au Zerhoun avec Si Rachid, il

1. D'après le KaouJh el Qartas, la tribu des Ouaraba fut la première à pro­ clamer Moule)- Idris. — 201 —

descendit chez le Secrétaire d'Abdel Mejid; les tout premiers temps, il ne sortait que la nuit et se promenait sous la conduite du teqih qui fut le premier à embrasser la religion musulmane; dix autres, tout aussitôt, suivirent son exemple, et ces dix autres, grâce à la baraka de Moulcy Idris, eurent la valeur de mille com­ battants. Alors Mouley Idris décida d'entrer en campagne; le feqib alla trouver son maître, le mit au courant de ce que désirait faire le cbérif. Abdel Mejid lui répondit qu'il voulait avant tout voir l'étranger. La jeune Ken/a, fille d'Abdel Mejid, qui avait déjà aperçu Moulev Idris et qui depuis ce jour était possédée du désir de se convertir à l'Islam, accompagna son père chez le feqih. Elle reconnut aussitôt Moulcy Idris, et le désigna à son père. Et tous deux, touchés de la grâce divine, prirent à témoin le « Maître » qu'ils se livraient à l'Islam. Comme tous les néophytes, Abdel Mejid devint farouche et même sectaire, et c'est sous la menace de son glaive que ses con- tribules embrassèrent l'Islam. Pour le récompenser, Mouley Idris lui demanda en mariage la vierge Kenza, première musul­ mane du Maghrib. Cette légende vient à l'appui 'des dires des historiens qui donnent les Branès comme Berbères, puisqu'elle reconnaît que les « Ouerba », fraction actuelle des Branès, professaient le paga­ nisme avant l'arrivée de Mouley Idris ; or l'on sait que les Ber­ bères du Maghrib ont connu le paganisme, le christianisme et le judaïsme. Les Branès tirent vanité de ce que Mouley Idris voulut bien choisir comme épouse la vertueuse Kenza, des Ouerba. Ils ne sont pas les seuls à se dire les premiers soutiens de l'Islam au Maghrib. Leurs voisins Ghiata1, comme eux, d'origine berbère, et qui, lors de l'arrivée de Mouley Idris, professaient le judaïsme, se disent les « aides par excellence de la dynastie idrisside ». Mouley Idris ne leur dit-il pas alors : « 7 agbiloit она lain ton- g bat ou », « Vous serez des aides pour les autres et vous n'aurez

pas besoin d'être secourus», et depuis ils se sont appelés Ghiata; le secours de la religion. Ils se disent Mandat cl MonJoitk, « la Mine des Empereurs», la tribu d'où les sultans sortent et qui leur donne aide.

1. I.e Raoudh If.l-Q.anas cite les Ghiata parmi les tribus qui, après les Ouaraba, proclamèrent Moule)' Idris. Ht n'étaient-ils pas au courant de tous ces détails et de cet orgueil tous ceux qui vinrent se faire consacrer à , par les Ghiata, ou tentèrent de se faire proclamer, Bou Hmara, Mouley el Kebir, et plus près de nous le Chenguiti ? A Oulili, lorsque Mouley Idris invita la députation des Ouerba à choisir dans un lot d'étendards celui qu'elle désirait avoir désor­ mais pour combattre à ses côtés, il fm étonné qu'elle choisît le rouge, lit comme il voulait du bien aux Ouerba devenus ses alliés de par son union avec la fille d'Abdel Mejid, il leur demanda pour quelles raisons leur choix s'était arrêté sur cette couleur : « Ne savez-vous pas que le rouge est le signe du mal ? — Nous le voulons de cette couleur », répondirent-ils simple­ ment, et depuis cette époque le « rouge » est de bon augure pour eux. Les Branès possèdent encore la hampe et la soie du premier étendard. Il est confié à la garde du Moqqadem de Sidi Moham­ med bel Hadadia (Oulad aïssa Ouerba). Les Oulad Hammou (Tirbiyin) sont les seuls à pouvoir pré­ tendre à le porter les jours de combat, parce que la légende veut que Mouley Idris leur ait confié ce soin au début de ses conquêtes. Dire d'une tribu qu'elle est d'origine arabe pure ou berbère arabisée est toujours très délicat. Les savants rompus à cet exer­ cice de classification ne sont pas encore arrivés à se mettre d'ac­ cord en ce qui concerne les tribus d'Algérie, et il y a plusieurs générations qu'ils pâlissent sur ce sujet. Aussi, pour la tribu qui nous occupe, nous appuyant sur les hypothèses des histo­ riens qui admettent comme Berbères les Branès et sur nos observations personnelles basées sur l'étude de leurs coutumes, où se retrouvent, à peine voilées, les mœurs de leurs ancêtres, nous supposerons que les Branès sont des Berbères arabisés; mais pour eux, comme pour les autres, la discussion est ouverte.

I.1M1TKS l)K i A TRI nu

La limite \\es Branès est assez exactement donnée par une ligne passant par les points suivants:

Kerdoussa; Meknassa Tahtania (Oulad Ali); Oued Lahdar jusqu'à Majret Mouley Rachid ; Sartit ; Ain Haouara entre Fezazra et Tamdert (Tsoul); Jebel Tamdert ; Jebel des Beni Foughal ; Hajer Melloul; Jebel entre Ahel Ez Zaouia (Tsoul) et Oulad Bou Saaden So- d'Aghilan ; Khemis de Jenna Mejbeur ; Jebel Bou Ileujja ; Versant Sud-Est du Jebel Timtras ; Oued el Kebir des Assamour ; Jebel Tainast ; Jebel oulad Iladdou ; Ain el Cbiakh ; Aghrem ; Jebel Azdem ; Oulad Mansour (Oulad Bekkar) ; Bab Timalo ; Bab ben Salah ; Kerdoussa. Le territoire Bernoussi, délimité par cette ligne, peut avoir une superficie approximative de i .200 kilomètres carrés pour une popu­ lation de 2S.000 habitants environ. Le territoire Bernoussi est arrosé par: L'Oued Lahdar ; L'Oued Larba ; Le haut Oued Lcbcn, tous affluents de l'Oued Inaoucn. 1° L'Oued Lahdar prend sa source dans le Jebel Tainast. Il est successivement appelé : a) Oued el Kébir ou Oued de Tainast, de sa source à Marticha ; /;) Oued Marticha, de Marticha à Sidi Bou Amran ; r) Oued Lahdar, de ce point à son confluent avec l'Oued Larba. Il a pour principaux affluents : Rive droite : l'Oued Tartaïan. Rive gauche : a) L'Oued Sebt, qui vient des Beni Fettah, appelé Oued Je m ma dans sa partie supérieure, et qui se jette dans l'Oued Lahdar, un peu au nord de Marticha ; — 204 —

/>) L'Oued Aherrar, qui prend sa source chez les Oulad Abbou (Ouerba), arrose le territoire des Oulad Seida, passe au Tu in d'Aherrar et jette dans l'Oued Lahdar, à hauteur des Nobka Bab es Sebt ; r) L'Oued Ouertza (ou Ouertzaou), qui prend sa source dans le Jebel des Kechamra, au pied du Jaina el Khamsin, et se jette dans l'Oued Lahdar, un peu au nord de Meknassa Tahtania. 2° L'Oued Larba prend sa source dans le Jebel 'd'Ain Tlata. On l'appelle l'Oued Tlata, de Bou Lejbah aux Lehalha ; de ce point, il prend le nom d'Oued Larba. 3° L'Oued Leben prend sa source à Jorfata. On le dénomme tout d'abord Oued el Kebir ; il passe au pied de Bab el Acheub et ne prend le nom d'Oued Leben qu'après avoir traversé le territoire de Haoura d'Kl Hajar. Nous avons dit plus haut que l'Oued Lahdar et l'Oued Larba sont des affluents de l'Inaouen. Il y a lieu de dire ici l'opinion des indigènes. Pour eux, l'Inaouen est formé des eaux de trois oueds : Bou Lajeraf ; Larba ; Lahdar. D'après eux, l'Oued Bou Lajeraf est l'affluent de l'Oued Larba. qui continue à porter ce nom jusqu'à son confluent avec l'Oued I^ihdar, et l'Inaouen n'est ainsi appelé qu'à partir de ce point et jusqu'à son confluent avec le Sebou. Indépendamment de ces rivières, le territoire Bernoussi pos­ sède d'innombrables sources qui, presque toutes, ne tarissent jamais en été et qui ont permis aux Branès de créer de jolis ver­ gers où ils cultivent la vigne et de nombreuses essences d'arbres fruitiers.

OROGRAPHIE

Pour les Branès, leur territoire se divise en deux parties : la montagne et la plaine. Les Beni Bon Iala et les Onerba habitent la partie montagneuse; les Taifa et les Beni Irqqotts, la plaine (outa), mais il faut comprendre ce dernier mot comme les Branès l'entendent eux-mêmes, c'est-à- dire la partie fortement mamelonnée de leur pays, mais qui n'est pas aussi tourmentée et aussi difficile que le haut pavs. — 205 —

La chaîne partant de Timtras (Beni Oulid) et qui se poursuit par : i° le Jebel Teirara (Mohriyin) ; 2° le Jebel Tadernous (Beni- Krama); 3° le Jebel Tainast (Ouerba); 40 le Jebel el Heubeila ; 5° le Jebel oulad Iladdou jusqu'au Jebel geznaia limite au Nord le territoire Bernoussi. Les massifs qui ont la plus forte altitude sont : i° Le Jebel Hazamat, qui baigne dans l'Oued Lahdar et qui se poursuit jusque chez les Oulad Bou Chaara (Beni-Fettah- Beni-Feqqous). Il appartient en totalité aux Ouerba. 20 Le Jebel Haskoura des Oulad Jero. 30 Le Jebel El Alaia, dont le versant nord est aux Ahel Tiliouan et le versant sud aux Bou llellil. 4" Le Jebel Taqoutenit qui a 1.040 mètres d'altitude. Son ver­ sant ouest est aux Beni Bou Iala, le versant est, aux Ouerba. 5° Le Jebel Azdem, entre Si Ahmed Zerrouq et Haskoura.

FRACTIONNEMENT DE LA TRIIiU

Autrefois les Branès comprenaient 5 Khoms, c'est-à-dire qu'ils étaient divisés en 5 fractions de force à peu près égale :

1/5 Beni Bou Iala; 1/5 Ouerba; 1/5 Beni Feqqous; 1/5 Taifa; 1/5 Beni Mahammed. Dans la suite, ces derniers ont presque disparu ; ce qu'il en est resté a été annexé au Beni Bou Iala, et depuis, les Branès comptent 4 Reba' : Reba' des Beni Bou Iala; Reba' des Ouerba ; Reba' des Beni Feqqous; Reba' des Taifa. Les Beni Bou Iala comprennent 3 fractions : Fezazra, Ahel Sakhra, Hajer Abdallah, auxquelles sont ajoutés les Oulad Bou Saaden, les Beni Maham­ med et le groupe de Bab el Acheub. Les Ouerba se divisent en 5/5

Tirbi yin, Beni Khallad, Oulad Rahmoun, Oulad Abbou, Oulad A issa.

Les Beni Feqqous comptent 5/5 :

, Beni Fettah, I Oulad Jero, < Traïba, I Lehalha, \ Oulad Haddo, d'inégale force: c'est ainsi que la population des Traiba est beau coup plus nombreuse que celle de chacun des quatre autres cin quièmcs.

Les Alici Taïfa, enfin, comprennent 5/5 :

; Ahel Tiliouan, ^ Ahel Bou Hellil, < Beni Ouriaghel, j Chqarna, \ Oulad Seïda.

BENT BOL' IALA

Ils se divisent en 3 fractions (toulout) :

.... i Fezazra, A) FF.ZAZ.RA 5 ^ ' - l Qraqra.

B) AHEL SAKIIRA.

C) HAJER ABDALLAH. Population mâle : 2.060 hommes. Rehahla El Hasnaoua Oulad Chaibia El Amrivin 600 hommes ! El Araj A Oulad Lahsen Oulad FE7.AZKA ' Lahsen 7 hommes. Rcfatna Drari Aicha Kahla Bou Saidat Moualin Qam Kerakra 100 hommes Melliles Ahel Bou Haroun Ahel el Oued (annexes)

H! Ayaicha (7 goulassi) El Amarna 1 Oulad Ahmed 200 nommes Drari de Ber, Jilali Ben Hammouyin Boujajivin Hajer 100 hommes Oulad Ben Aissa Oulad el Mir Chouiab. .|0 hommes [ Yamaniyin AflF.L-SAKMRA ^ Oulad Mohand d'Ali El \ 510 hommes. Kl Attatra Attar 100 hommes Oulad Amei Attar Oulad Allai ( El Arqoub El Khettaria \ 30 hommes \ El Khettaria ( Beratla 1 jemaa I 25 hommes Merabtin de l'Oulja Noqba j 15 hommes

Avec les AHEI. SAKHRA comptent :

i° Les OULAD BOU SAADEX;

2° les BEXI MAHAMMKD, reste de l'ancien cinquième ;

30 le groupe de BAIS F.L ACHHUB.

. Oulad Belqassem 1 Oulad Ali Moussa \ Oulad cl Hachemi OUI.AU Tiatia 130 hommes HOC SAADEN j Oulad Abdessellam 150 hommes. f Guenaina Ain Asti Jelaila Oulad Moussa Oulad HI Ghazi Beni Ari ju El Mohammadiyin 50 hommes HI Mezaira Sellahma BENI MAHAMMEI) L;l Haouadfa ioo hommes F.l Klnyaita Haniaouza Oulad Arous Beratla >o hommes Dehahoua Oulad Amed

Oulad Amed Ben Mohamed El Jedian 3° El Qta Qraicha 100 hommes BAD KI. ACHKUB Oulad Si Mahammed 150 hommes. OulaJ E! Madj Oulad Ben Zeineb Bab el Acheub) 50 hommes llammousiy'm (Amarna)

Drari d'El Radi Drari de Bel l.ahsen Xebabla i : 5 hommes Orari d'El Qpichi Drari de Sliman Chqirbanat Chqirbanat 70 hommes Oulad Zerioual 1 Drari de Brahim i Drari de Mhd ben Amenrj HAJER ABDALLAH 1 Me»hazo;hazouu a 450 hommes Gherbiyin 125 hommes Bouiouissat Bou Qpriat I Drari d'Abderlali Belhaianat j Khivaouat Berarha 140 hommes Drari de Qaddour Ain Azlaf

OUERBA

Se divisent en 5 fractions. Population mâle : 2.550 hommes. — 209 —

j Abdelkhalqin I Oulad Guennoun V Oulad Hammou

TERBIYIN 1 Ahel el (Jouzat 750 hommes. Nekhakhsa I Oùlad Ben Moussa (Ben Moussât) I El Haina ': El Qta el Foukiyin

I Hellafiyin l Semakiyin

BENI KIIELLAD ) Oulad Abdallah 300 hommes, j Oulad Mansour / Ahel Tainast el Eulia I Ahel Tainast de Mczdar

Mechamra Ma'ada Zeraouta Ahel Dar El Amri j Khcrachfa

OUI.AD ABBOU Oulad Ben Ali 600 hommes. Lefafgha Oulad Amar Oulad el Iladj Oulad cl Mokhtar Oulad Tayeb

; Oulad Yahia ben Ali 1 Oulad Taleb \ Oulad Amar

OULAD AISSA ! Meharcha 500 hommes, j Oulad Taleb d'Ain Salah I El Ouraba ! Ahel Fej Tahar El Iliakna 2 10 • —

Ahel Bab el Mourouj Chettiouiyin Merazqa OTJI.AI) RA1IM0UN Sellahma 400 hommes. Oulad Mahammed El Haraik El Assaria

BENI FEQQOUS

Se divisent en 5 fractions :

Population mâle : 2.500 hommes.

Zouvar El Atamna ) Oulad Ben Salah \ Ahel Bou Tchich Oulad La h se n ' Ahel Laoudad i" ' Debadba TRA1BA 'l'ouahara 850 hommes. Hedadna Rehamna Bekhacha Souaida Oulad Salem

Chouaouiya Oulad Hessain Oulad Bou Jcdaida Chaara El Haddada El Houaoura BENI EETTAIl El Hebaila 650 hommes. Oulad Moussa Ahel En Aqarcha Nouail El Meharda Oulad el Mir

1 I-l Habaza 3° | El Iïeuzla ' Me/.azra OULAD JERO i / Oulad Bou Aïch 500 hommes. Ahel el Ouad — 211 —

I i Oulad Lahsen 1 Lchalha Oulad Mouh ,4,„, ) ' Oulad Ali LF.HAI.HA Ahel el Qcssil (2 ou 5 feux) 300 hommes. Jelaila Oulad Ben Hammad

5" OULAD H ADDO 200 hommes.

TAIFA

Se divisent en 5 fractions :

Population mâle : 2.100 habitants.

Oulad Ben Harania S PI Khelalfa Ahel el Haoud OULAD SKI DA 1 FI Haraicha 300 hommes. Xebabla Oulad Farès

Oulad Abdessellam Ghebabra Bettaïta

AHEL TII.IOUAX Ahel Sedati 500 hommes. Oulad Seghiouer Taalba Metaina

El Fiamadna El Kbouchna

AHEL BOU HHLI.IL Ahel el Qaria 550 hommes. Mehamha Qecbamra

Felalha 4" Daana BENI OUKIAGHEL So nam ra 450 hommes. Ghouaoula — 212 —

Oulad Bou Noua Rebabza • CHEKARNA Meddadcha 300 hommes Nebabla

RÉCAPITULATION

Population mâle :

Beni Boti Iala 2.060 hommes Ouerba 2.550 - Beni Feqqous. 2.500 Taifa 2.100 —

Total 9.210

LA VIE RELIGIEUSE

A. — LES CHORFA ET MERABTIVIN

Les Chorfa sont représentés par : i° Les A bel Ouazzan ; 2° Les Oulad Mouley Abdessellam Ben Mechich; 3" Les Oulad Sidi Ahmed el Harrak. i° A bel Ouatait. a) Les Oulad Sidi El Mebdi installés à Jorfata, aux sources de l'Oued Leben, affluent de l'Oued Inaouen, comptent quatre fils de Sidi El Mebdi : Sid Larbi ; Si Hmidou ; Mouley Tayeb ; Mouley Abdallah. Us forment une assez forte agglomération autour du tombeau de leur ancêtre, Sidi Mohammed Zin El Abidin et sont écoutés des Branès et des Senadja de Ghèddo. Le frère de feu Si El Mebdi, Si Mohammed Ould Si Moham­ med Zin El Abidin, jouit chez les Branès, d'une excellente répu­ tation. Deux fils de Si El Hadj Radi, dont l'un se nomme Si Moham­ med et les Oulad Si Admed Zin El Abidin, au nombre de deux, sont installés dans l'Oued Jorfata. />) Le groupe de Marlicha comprend les Onlnrl Sid cl Hadj Ahmed, leur chef est Si Belqassem, auprès de qui vivent Si Moham­ med Ould Si Abdeljebbar et Si Tehami Ould Kl Hadj Ahmed, tous deux de bonne réputation. La Zaouia de Marticha compte une quinzaine de chorfa. r) Les Oulad El Gharghari sont installés à Bab el Acheub (Beni Bou Iala). Le chef du groupement, Si El Hadj Mohammed, qui fut un moment, l'an dernier, cheikh er Rebi' des Tsoul, est mort il y a deux mois environ. En plus de ces trois forts groupements, on compte encore : (/) Les Oulad Si El Hadj Brahim, proches parents de Si El Medhi de Jorfata, installés à Ghadir Choaib (Oulad Rahmoun) où ils possèdent une maison. e) Si Mohammed Ben Abdallah Kohibcl, installé à Bou Chouka, village des Maada, avec ses deux fils. j) Si Mohammed Ben Mohammed, neveu de Si El Hadj Brahin, installé chez les Oulad Seida (Taifa). * * * 2° Oulad Mouley Abdessellam Ben Mechich. a) Un fort groupe habite à Ain Maarfa, un gros village fort de ioo chorfa environ, sis entre les Oulad Aïssa et les Beni Fettah. Ils ont pour chef Si Abdessellam Ould Si El Bachir, très aimé dans la région; ils sont appelés « Oulad Abdelouahab ». b) Les Oulad Sidi Tayeb comprennent 15 à 10 chorfa; ils sont installés à Si Bou Rebii' (Oulad Abbou). 30 Les Harrakiyin se disent chorfa descendants de Sidi Ahmed E'1 Harrak et originaires des Ahel Serif. Us comptent une vingtaine d'hommes et deux habitats : a) A Ain-Telj, près de Jorfata; b) A Sartit, près des Fezazra. Ils n'ont pas d'importance et peu d'influence. *

Les Merabiiyin comprennent : i° Les Oulad Sidi Yaqoub ; 20 Les Oulad Sidi Ahmed El Hadj; 30 Les Oulad Ben Azouz. i° Oulad Sidi Yaqoub. Ils forment 4 groupes installés :

a) A Aghrem, près de Ain Dro (Beni Feqqous); b) A El Karia, près de Kharrouba, entre Beni Fettah et Traiba ; c) A El Mizab, près des Nouail (Beni Fettah); . d) A Ain Souq. lisse disent descendants de Sidi Yaqoub Moula Qobrin, ainsi appelé parce que son corps repose à la fois dans deux tombeaux, l'un à Rechida, à 20 kilom. sud-ouest de Debdou, le deuxième à Feqqous, au nord de Herrego, sur la rive gauche de la Mou- louya. Le Saint Sidi Yaqoub, qui vivait heureux, tranquille et entouré de ses enfants, à Rechida, se rendit un jour à Feqqous, où il se maria. Il y mourut et y fut enterré. Dès qu'ils apprirent cette nouvelle, ses enfants de Rechida se hâtèrent d'aller à Feqqous et, de nuit, exhumèrent le corps de Sidi Yaqoub et l'emportèrent. Au matin, les enfants de Feqqous s'aperçurent de la violation de la sépulture de leur père; aussitôt, ils se mirent à la poursuite des ravisseurs qu'ils rejoignirent à Botma de 'Fandit, située entre Feqqous et l'Oued. Ils leur réclamèrent le corps, mais ceux de Rechida refusèrent de s'en séparer. Les frères ennemis allaient en venir aux mains, lorsque Sid Ahmed El Yaqoubi, dont le mauso­ lée s'élève chez les Beni Illoul, dit à ceux de Feqqous : « Ren­ trez chez vous, vous trouverez le Chérif dans sa tombe. » lit en effet, dès leur retour à Feqqous, ils purent se rendre compte que leur auteur reposait intact dans son tombeau. Les Oulad Sidi Yaqoub n'ont que très peu de relations avec Rechida et Feqqous. Un autre îlot existe dans le Fehama au sud de Dar Cheikh (Zourgan).

2° Oulad Sidi Ahmed El Hadj. Ils comptent 100 merabtiyin environ. La plus forte aggloméra­ tion se trouve à El Mejma, sis chez les Beni Bou Iala, entre Fezazra et les Qraqra. Les autres vivent, dispersés, dans la tribu. Leur chef est le nommé Si Amor Ould Si Ali Ben Qaddour, domicilié à (Qrapra, Beni Bou Iala). Ils se disent originaires de Tlemeen et descendants de Sidi Abdallah Mansour. * *

En outre de ces familles dont personne n'ose contester le titre de chorfa ou de merabtiyin, d'autres fractions se donnent comme d'origine noble. C'est ainsi que les Oulad Bon Saatlai et les Ilaina se prétendent chorfa. Les qta se disent chorfa, descendants de Sidi Abdelaziz Sighaoui, dont l'ancêtre est enterré chez les Oulad Iladdo (Beni Feqqous). Enfin les Oulad Ben A^oni se donnent comme descendants du Cherif Sidi Yahia, dont la Qoubba s'élève entre les Oulad Abou et les Oulad Guenoun (Ouerba). Ils sont dispersés dans la tribu et la plupart vivent chez les Taifa.

B. — LES CONERÉRIKS

Deux confréries se partagent inégalement la tribu des Bra- nes. Les Touhamiyin (Ouazzan) ont recruté parmi les Ouerba les Oulad Seida et très peu chez les Beni Leqqouset les Taifa. Les Tidjaniyin ont remporté plus de succès : la presque totalité des Beni Bou lala sont leurs affiliés. Les qta de Bab el Acheub et de Tamzerart, les Ahel Gouzat et une dizaine de Bou Hellil sont : « foqra Tidjaniyin ». Il peut être intéressant de connaître les maqaddemsen fonctions; en voici la liste :

Ta^a : Moqaddcm Si Mohammed Ben Ahmed El qebaqbi, ori­ ginaire des Oulad Sidi Yaqoub (Taza et Ghiata). Beni Bon Iala :

Si Abdelqader Ben Abdessellam ; Si Abderrahman Ben Abdesselam ; Si Mohammed El Malouli; Si Mohammed Ben Ali, nommé mokaddem par Si Mahmoud, lors de son passage chez les Branès ; Si Ahmed Ben Abdallah ; Abdallah Ben Ahmed Ben Nasseur (Oulad Bou Yian) ; El Feqir Amcur (Oulad Qaddour); Larbi Ben Abdallah (Oulad Qaddour) ; Abdallah Bel Feqir Ahmed Bel Lahsen; El Feqir Ali Ben Qaddour; El Feqir Mohammed OudSeghir; El Mehdi Ould Ali Ben Mohammed; El Feqir Hammou Ben Taveb Ould Laissaoui ; Mohammed Bel Iladi ; Boujemaa Ould Si Ali ; El Fladj Mohammed ; El Feqir Ali Ben Jilali ; El Hadj Mohammed ; Si Mohammed Ould Ali Bel Qadi ; El Hadj Messaoud Ben Cherrad. Darkaonyin. - - On trouve encore chez les Branès quelques Darqaouyin, mais en très petit nombre. Les autres confréries ne sont pas représentées. Tout indigène qui fait partie d'une confrérie fait précéder son nom du mot « Feqir ».

C. — L'EXSEIGNEMENT RELIGIEUX

Il est donné dans la jamè que possède tout village, par un taleb pris à gages. Ce sont les Jebala, les Senhadja et les Tsoul surtout qui consentent à faire le métier de maître d'école. Avant Bou Hmara, les maîtres les plus instruits venaient des Ghomara et des Khmas. On prétend que les Tolba originaires de ces deux tribus se rendent maintenant jusqu'en Oranie où leur contrat d'engagement leur procure un traitement . plus rémunéra­ teur. Le maître ne touche aucune somme en espèces. Celui pris à gages par une jemaa de peu d'importance reçoit pour l'année : i° Une sahfa : 1/2 blé, 1/2 orge chez les gens de la plaine ' ; Une sahfa : 2/3 de blé, 1/3 d'orge chez ceux du haut pays. 20 Une toison de laine par troupeau de 10 à 100 moutons. Le propriétaire de moins de 10 bêtes ne donne rien. 3° Une makhda Je senien (beurre), environ 2 livres par an, à l'époque du Nissan (8 au 15 mai). 40 La nourriture lui est fournie par tous les habitants du vil­ lage à tour de rôle. De plus, une touï/a est faite à son profit ; chaque habitant verse un demi-moud de blé comme semences. Les gens du haut pays qui ne cultivent pas beaucoup de blé donnent un demi-moud d'orge. La superficie à ensemencer est prélevée sur celles habous- sées au profit de la « jamé ». S'il n'en existe pas, le lot nécessaire est loué à un habitant de la jcmaa. Le lundi et le vendredi, les étudiants donnent à leur maître quelque menue monnaie de billon, pour être libérés de meilleure heure. Hnfin, aux vacances, et suivant le degré d'instruction auquel il est parvenu, chaque élève remet au feqih, en cadeau, une somme variant d'un guerch à une peseta. Le contrat ne lie le maître que pour un an ; il est renouvelable à son gré. Les tolba, presque tous recrutés chez les Jebala, ont de conti­ nuels rapports avec leurs tribus d'origine. Ce sont eux qui, la plu­ part du temps, lancent de fausses nouvelles leur arrivant de con­ trées que n'a pas encore « souillées la présence du Chrétien ». Us font l'oifice d'écrivains publics et connaissent tous les potins de la tribu. Ils peuvent être de bons agents d'information, par l'inter­ médiaire d'un tiers, mais ils sont à surveiller. Les Chorfa et les Merabtiyin bien vus en tribu, mais dont l'in­ fluence semble décroître à mesure que nous pénétrons à l'intérieur du territoire, peuvent nous servir efficacement. Bien souvent, au début, ils sont lents à venir à nous, mais une fois qu'ils se sont faits nos agents, leur prestige devenant moindre, ils demandent une compensation et une place de Qaïd. Notre sentiment est qu'il vaut mieux tenir écarté d'un com­ mandement effectif tout homme religieux, eût-il rendu de signa­ lés services (dans ce cas. il y a divers moyens de le récompenser), car, un jour, il peut être pour nous un grand danger et la tribu dont il est à la fois le chef spirituel et temporel est à la fois tondue par le Cherif et le Qaïd.

1. La saHfa vaut 30 mouds de Fes, soit environ 600 kilogs. Dans les régions occupées par nous, dans chaque famille il y a un sacrifié, chargé d'entretenir les relations avec les autorités françaises, de demander les permis de Ziara, etc., pendant que le détenteur de la baraka, toujours à l'écart, évite tout contact avec les Bureaux ou les représentants de l'autorité française. Nous avons des exemples typiques à Fès, dans les familles d'Ouazzan et de Darqaoua.

TKKNGA.

(A suivre.)

Le Cjéviinl : DKSHOIS. ERNEST LEROUX, ÉDITEUR, 28, RUE BONAPARTE

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