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L'autorité Du Passé Dans Les Sociétés Médiévales

L'autorité Du Passé Dans Les Sociétés Médiévales

COLLECTION DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME 333

INSTITUT HISTORIQUE BELGE DE ROME - BIBLIOTHÈQUE BELGISCH HISTORISCH INSTITUUT TE ROME - BIBLIOTHEEK LU

L'AUTORITÉ DU PASSÉ DANS LES SOCIÉTÉS MÉDIÉVALES

sous la direction de Jean-Marie Sansterre

EXTRAIT

tas Bruxellensis SILO

ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME 2004 i27 ALAIN DIERKENS

AD INSTAR ILLIUS QUOD BESELEEL MIRO COMPOSUIT STUDIO ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES DE LA «RENAISSANCE CAROLINGIENNE»'

Éginhard (v. 770-14 mars 840)^ est, sans conteste, un des plus célèbres protagonistes de la «Renaissance carolingienne», ce mou• vement global de réforme à la fois artistique, culturelle, morale et

' Cet article reprend les idées présentées le samedi 4 mai 2002, dans les lo• caux de l'École française de Rome, dans le cadre du colloque L'autorité du passé dans les sociétés médiévales. Je tiens à remercier les organisateurs de ce colloque, mon ami Jean-Marie Sansterre, Régine Le Jan et François Bougard, ainsi que tous ceux qui, par leurs remarques et suggestions, m'ont permis de clarifier mes idées sur la Renaissance carolingienne; je pense tout particulièrement à Arnaud Knaepen, Jean-Marie Sansterre et Pol Tombeur. La citation latine du titre, issue de la Vita Benedicti Ananiensis d'Ardon (chap. XVII), ne concerne probablement pas Éginhard; voir infra, n. 34. ^ Sur Éginhard, parmi une bibliographie gigantesque et en plus des ré• férences plus spécifiques que je donnerai dans les notes suivantes, je réserverais une place particulière à : W. Berschin, Biographie und Epochenstil im lateinis- chen Mittelalter. III. Karolingische Biographie, 750-920 n. Chr., Stuttgart, 199L p. 199-220; G. Binding, Derfriih - und hochmittelalterliche Bauherrals sapiens ar- chitectus, Darsmtadt, 1996 (le chap B. 1 Einhard, p. 35-57, est une version revue de G. Binding, Multis arte fuit utilis. Einhard als Organisator am Aachener Hof und als Bauherr in Steinbach und Seligenstadt, dans Mittellateinisches Jahrbuch, 30, 1995, p. 29-46); Fr. Brunhôlzl, Histoire de la littérature latine du Moyen Age. I. De Cassiodore à la fin de la Renaissance carolingienne. 2. L'époque carolingienne, éd. mise à jour, trad. par H. Rochais et compl. par J.-P. Bouhot, Tumhout, 1991, p. 77-82; G. Declercq, Een karolingisch lekenabt in Cent : Einhard en de Gentse abdijen van Sint-Pieters en Sint-Baafs, dans Handelingen der Maatschappij voor Geschiedenis en Oudheidkunde te Cent, n. r., 55, 2001, p. 37-76; Ph. Depreux, Pro- sopographie de l'entourage de Louis le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997 (Instru• menta, 1), p. 177-182, n" 82; P. Edw. Dutton, 's Courtier. The Complète Einhard, Peterborough (Canada), 1998; J. Fleckenstein, Einhard, dans Lexikon des Mittelalters, III, Munich-Zurich, 1986, col. 1737-1739; K. Hauck (éd.), Das Einhardkreuz. Vortrage und Studien der Mtinsteraner Discussion zum Arcus Einhardi, Gôttingen, 1974 (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Gôttingen. Philologisch-Historische Klasse, 3. F., 87); H. Lôwe, Einhard, dans Reallexikon zur Germanischen Altertumskunde, 2" éd., VII, Berlin, 1989, p. 20-22; H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild aus karolingischer Zeit, -Stein- bach, 1993; H. Schefers (éd.), Einhard. Studien zu Leben und Werk. Dem Geden- 340 ALAIN DIERKENS

idéologique destiné à «corriger» {corrigere, emendare, renovaré) le peuple chrétien (populus Deï), notamment par un effort général d'é• ducation impliquant le retour délibéré aux modèles de l'Antiquité romaine (et chrétienne), un surcroît d'érudition et le recours systé• matique aux auctoritates^. Mais, à mon sens, si l'on a énormément écrit sur l'auteur de la Vita Karoli, on n'a pas encore assez tenu compte, particulièrement dans l'historiographie francophone, des résultats de recherches monographiques récentes" qui permettent notamment de poser sur des bases mieux éprouvées la question de la place d'Éginhard dans la concrétisation des idéaux artistiques des premières décennies du IX'" siècle. À la cour de Charlemagne, on le sait, les surnoms sont fréquents et significatifs'. Éginhard a deux surnoms*. L'un (Nardus) est construit sur son nom {Einhardus) et fait allusion au parfum, au nard; son diminutif, Nardulus, s'explique par la petite taille de l'in-

ken an Helmut Beumann gewidmet, Darmstadt, 1997 {Arbeiten der Hessischen His- torischen Kommission, n. F., 12); R. Van Caenegem, Einhard, dans Nationaal Bio- graphisch Woordenboek, II, Bruxelles, 1966, col. 190-194; W. Wattenbach, W. Levison et H. Lôwe, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vorzeit und Karolinger. II. Die Karolinger, vom Anfang des 8. Jahrhunderts bis zum Tode Karls des Grossen, Weimar, 1953, p. 267-275. ^ Dans la vaste bibliographie relative à la Renaissance carolingienne, je puis me contenter ici de citer une étude ancienne (P. Lehmann, Das Problem der karo- lingischen Renaissance, dans / problemi délia civiltà carolingia. Spolète, 1954 [Set- timane di studio del Centra italiano di studi sull'alto medioevo, I, 1953], p. 309- 358) et quelques études récentes : G. Brown, Introduction : the Carolingian Re• naissance, dans R. McKitterick (éd.), Carolingian Culture : Emulation and Inno• vation, Cambridge, 1994, p. 1-51; R. McKitterick, Die karolingische Renovatio, dans Chr. Stiegmann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur der Karolinger- zeit. Karl der Grosse und Papst Léo III. in Paderbom, Katalog der Ausstellung Pa- derbom 1999, Mayence, 1999, II, p. 668-685; J. Strothmann, Chr. Jakobi-Mirwald et V. Schupp, Karolingische Renaissance, dans M. Landfester et al. (éd.), Der Neue Pauly. Enzyklopàdie der Antike, XIV, Stuttgart-Weimar, 2000, col. 816-835 et St. Vanderputten, Een heilig volk is geboren. Opkomst en ondergang van een chris- telijke staatsideologie uit de vroege Middeleeuwen (c. 750-900), Hilversum, 2001. D'autres titres seront cités plus loin. " Comment ne pas mentionner ici le monumental ouvrage de M. M. Tischler, Einharts Vita Karoli. Studien zur Entstehung, Uberlieferung und Rezeption, Ha• novre, 2 vol., 2001 (M.G.H., Schriften, 48), LXX-1828 p. qui regorge d'informa• tions neuves, notamment en matière chronologique? Je n'ai, hélas, pu lire la thèse inédite de H. Schefers, Studie zu Einhards Heiligen- und Reliquienvereh- rung, diss. Munich, 1992. Sur les surnoms à la cour carolingienne (pratique d'origine anglo- saxonne?), voir J. Fleckenstein, Karl der Grosse und sein Hof, dans W. Braunfels (éd.), Karl der Grosse. Lebenswerk und Nachleben, I : H. Beumann (éd.), Persôn- lichkeit und Geschichte, Dùsseldorf, 1965, p. 24-50 : p. 43-46. *• Chr. Beutler, Statua. Die Entstehung der nachantiken Statue und der euro- pàische Individualismus, Munich, 1982, p. 62-65. ÉGINHARD ET LES IDÉAtJX ARTISTIQUES téressé'. On trouve Nardus et Nardulus, par exemple, sous la plume d'* et de Théodulphe', deux des représentants les plus signifi• catifs de la première génération de l'École palatine. L'autre, Beseleel, renvoie à deux passages de l'Exode (Ex. 31 et 36-39). Dans l'épisode relaté dans Ex. 31, 1-11, qui se place juste avant la remise des Tables de la Loi à Moïse (Ex. 31, 18) et l'épisode du Veau d'or (Ex. 32, 1-5), Beseleel, fils d'Uri, a été désigné par Yahvé : «Je l'ai comblé de l'es• prit de Dieu qui lui a départi habileté, intelligence et savoir pour toutes sortes d'ouvrages, pour concevoir des projets d'œuvres et les réaliser en or, en argent et en bronze, pour tailler les pierreries à en• châsser, comme pour ouvrer le bois et pour exécuter toute espèce d'ouvrages»; à ce titre, Beseleel est responsable de la conception et de la réalisation de l'Arche d'Alliance et de la totalité des objets litur• giques (autel, candélabre, vêtements sacerdotaux, bassin, etc.) desti• nés au Sanctuaire. Quant à Ex. 36, 30 à 39, 43, il concerne la des• cription détaillée des travaux prescrits à Moïse par Yahvé et donc réalisés sous la surveillance de Beseleel. Cette identification d'Égin- hard à Beseleel est d'autant plus intéressante qu'elle est attestée de• puis 796 au plus tard'", c'est-à-dire très peu de temps après l'arrivée d'Éginhard à la Cour.

' En plus des passages cités n. 8 et 9, cf. par exemple Walahfrid Strabon, Ad Karoli Magni vitam prologus (préface, rédigée entre 840 et 849, de la Vita Karoli d'Éginhard), éd. L. Halphen, Éginhard, Vie de Charlemagne, Paris, 4'' éd., 1967 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Âge, 1), p. 106 : homuncio, nam statura despicabilis videbatur... Un portrait d'Éginhard a probablement été conservé dans un manuscrit de la Translatio sanctorum Marcellini et Pétri; ce ma• nuscrit de la fin du IX" ou peut-être du début du X" siècle, originaire de Saint- Amoul de Metz et conservé à la Bibliothèque municipale de Metz (ms. 306, an• cien ms. E 99), a été détruit pendant la seconde Guerre mondiale (1944). Sur ce manuscrit, voir M. Tischler, Einharts Vita Karoli... cité n. 4, p. 1540-1541 et n. 597 et M. Heinzelmann, Einhards' Translatio Marcellini et Pétri : eine hagio- graphische Reformschrift von 830, dans H. Schefers (éd.), Einhard. Studien... cité n. 2, p. 269-298 : p. 273-274. On trouvera une reproduction de ce portrait dans H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 3. "Alcuin, Carmen XXX-2, éd. E. Duemmler, M.G.H., Poet. Lat., I-l, Berlin, 1880, p. 248 : Janua parva quidem et parvus habitator in aede est. / Non spemas nardum, lector, in corpore parvum; / Nam redolet nardus spicato gramine multum : I Mel apis egregium portât tibi corpore parvo. /Parva quidem res et oculorum, cerne, pupilla, I Sed régit imperio vivacis corporis actus. / Sic régit ipse domum totam sibi Nardulus istam, / «Nardule», die lector pergens, «tu parvule, salve». ' Théodulphe, Carmen XXV {Ad Carolum regem), éd. E. Duemmler, M.CH., Poet. Lat., 1-2, Berlin, 1881, p. 487, v. 155-161 (Nardulus hue illuc discurrat perpete gressu, / Ut formica tuus pes redit itque frequens. / Cujus parva domus habitatur ab hospite magnai / Res magna et parvi pectoris antra colit) et 177-178 {Nardus et Er- cambald si conjungantur Osulfo, / Très mensae poterunt unius esse pedes). Sur ces passages, cf. H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 34-35, n. 23. '» Alcuin, Carm. XXVI, éd. E. Duemmler, M.CH., Poet. Lat., I-l, p. 245, v. 18- 22 : Quid Maro versificus solus peccavit in aula? / Non fuit ille pater jam dignus 342 ALAIN DIERKENS

En effet, c'est en 794 au plus tard qu'Éginhard fut envoyé de Ful- da par son abbé, Baugulphe, auprès de Charlemagne, pour parfaire son éducation". Mais, très vite, il fut considéré comme par inter pares et il n'est pas interdit de penser qu'Alcuin avait songé au jeune Éginhard pour lui succéder à la tête de l'École palatine lorsqu'il quitta Aix pour Saint-Martin de Tours dans les dernières années du VHP siècle'^. Apprécié pour sa science, Éginhard le fut aussi (et sur• tout?) pour ses qualités humaines". Le surnom de Beseleel, peut- être indirectement lié aux débats qui, dans ces années 790, portaient sur le statut des images (cfr. Ex. 20, 4)"'', trouve un prolongement dans un passage des Gesta abbatum Fontenellensium, la Chronique des abbés de Fontenelle / Saint-Wandrille, qui signale qu'Anségise

habere magistrum, / Qui daret egregias pueris per tecta camenas? / Quid faciet Be- leel Hiliacis doctus in odis? / Cur, rogo, non tenuit scolam sub nomine patris? - Long commentaire, plus tardif (829) : Walahfrid Strabon, Carm. XXIII {Versus in Aquisgrani palatio editi anno Hludowici imperatoris XVI. De imagine Tetrici), éd. E. Duemmler, M.G.H., Poet. lat., II, Berlin, 1884, p. 370-378 : p. 377, vers 221- 226 : (De Einharto magno) Nec minor est magni reverentia patris habenda / Bese• leel, fabre primum qui percipit omne I Artificum praecautus opus : sic denique summus / Ipse legens infirma deus, sic fortia temnit. / Magnorum quis enim maiora receperat umquam, / Quam radiare brevi nimium miramur homullo? Sur ces pas• sages, cf. H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 35-36, n. 24-25. " Walahfrid Strabon, Prologus, éd. L. Halphen, p. 104-106 : potius propter singularitatem capacitatis et intetligentiae, quam jam tum in illo magnum quod postea claruit spécimen sapientiae promittebat, quam ob nobilitatis, quod in eo munus erat insigne, a Baugulfo abbate monasterii supradicti (= Fuldensis) in pala- tium Karoli translatus est. Cf. le passage d'Alcuin, Carm. XXVI, éd. E. Duemmler, Poet. Lat., I-l, p. 245, V. 18-22 cité {Cur rogo non tenuit scolam sub nomina patris?). Dans le même sens, J. Fleckenstein, Einhard, seine Griindung und sein Vermàchtenis in Seligenstadt, dans K. Hauck (éd.), Dos Einhardkreuz... cité n. 2, p. 96-121 : p. 99 et G. Binding, Derfruh - und hochmittelalterliche Bauherr... cité n. 2, p. 37. Cette opinion est contestée par H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 35- 36, n. 24 et Id., Einhard und die Hofschule, dans H. Schefers (éd.), Einhard. Stu- dien... cité n. 2, p. 81-93. " Walahfrid Strabon, Prologus, éd. L. Halphen, p. 106 : (Einhardus) in aula Karoli, amatoris scientiae, tantum gloriae incrementum merito prudentiae et probi- tatis est assecutus ut inter omnes majestatis regiae ministros pene nullus haberetur cui rex id temporis potentissimus et sapientissimus plura familiaritatis suae sécréta commiteret. Et re vera non immerito... Sur les qualités morales d'Eginhard et les sentiments d'estime et de sympathie que celui-ci suscitait, cf. J. Fleckenstein, Einhard... cité n. 12, p. 96-97. Sur les discussions sur les images qui secouèrent alors la cour de Charle• magne, on se reportera aux Actes du colloque édités par J.-M. Sansterre et J.-Cl. Schmitt, Les images dans les sociétés médiévales. Pour une histoire compa• rée, Bruxelles, 1999 {Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, 69) ainsi qu'à diverses études de J.-M. Sansterre (comme Attitudes occidentales à l'égard des mi• racles d'images dans le haut Moyen Âge, dans Annales. Histoire, sciences sociales, 53, 1998, p. 1219-1241) où l'on trouvera mentionnée et utilisée la bibliographie an• térieure (surtout Jean-Claude Schmitt, Anne Freeman et Hans Belting). ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES m fut, un moment (vers 814-817?), employé et chargé des travaux royaux au palais d'Aix sous la direction d'Éginhard : exactor operum regalium in Aquisgrani palatio regio sub Einhardo abbate, viro unde- cunque doctissimo^^. En confrontant ces données'*, on est tenté de penser à une assimilation du palais d'Aix" au Tabernacle ou de l'église du palais à l'Arche d'Alliance".

" Gesta abbatum Fontenellensium, XIII, 1, éd. P. Pradié, Chronique des abbés de Fontenelle (Saint-Wandrille), Paris, 1999 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Âge), p. 150 (avec une stupéfiante erreur de traduction : viro unde- cunque doctissimo rendu par «un des onze hommes les plus savants»!). H. Schefers et G. Binding rappellent, à bon droit, qu'Éginhard ne peut être considéré comme l'architecte du palais (H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 7-8; G. Binding, Der frilh - und hochmittelalterlche Bauherr... cité n. 2, p. 40-41), mais l'argument d'H. Schefers selon lequel il existait à Aix un Hi- ram, Eudes de Metz, ne peut être accepté tel quel, comme le montre G. Binding (p. 41-43). Pour les rares références connues sur Eudes, voir H. K. Siebigs, Neuere Untersuchungen der Pfalzkapelle zu , dans H. Schefers (éd.), Ein• hard. Studien... cité n. 2, p. 95-137 : p. 116, n. 150. On notera que la réputation d'Éginhard comme bâtisseur se marque, au X'' siècle à Gand, par le surnom qui lui est donné de Zorobabel, dont on sait qu'il rebâtit le Temple de Jérusalem; sur cet élément de la Ratio fundationis de Saint-Pierre-au-Mont-Blandin de Gand (M. Gysseling et A. C. F. Koch [éd.], Diplomata Belgica ante annum millesimum centesimum scripta, s.l., 1950, I, p. 125; datation [entre 944 et 946] et critique : G. Declercq, Traditievorming en tekstmanipulatie in Vlaanderen in de tiende eeuw. Het Liber Traditionum Antiquus van de Gentse Sint-Pietersabdij, Bruxelles, 1998 [Verhandelingen van de Koninklijke Académie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, 60, 1998, n° 164), p. 34-64], voir G. Declercq, Een ka- rolingisch lekenabt... cité n. 2, p. 67-68. " Sur le palais d'Aix, voir notamment L. Falkenstein, Charlemagne et Aix-la- Chapelle, dans Byzantion, 61, 1991 (= A. Dierkens et J.-M. Sansterre [éd.]. Le sou• verain à Byzance et en Occident du VIII' au X' siècle. Actes du colloque... 27-28 avril 1990), p. 231-289; M. Untermann, Opère mirabili constructa. Die Aachener «Residenz» Karls des Grossen, dans Chr. Stiegemann und M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur der Karolingerzeit. Karl der Grosse und Papst Léo III. in Pader- bom. Beitràge zur Katalog der Ausstellung Paderbom 1999, Mayence, 1999, p. 152- 164; St. Vanderputten, La chapelle palatine à Aix-la-Chapelle et l'héritage classique, dans Bulletin de l'Institut historique belge de Rome, 70, 2000, p. 5-38. '* Sur l'iconographie du Tabernacle dans ce contexte (par ex. la mosaïque de l'abside orientale de l'église de Germigny-des-Prés, conçue par et sous Théo- dulphe, l'auteur des Libri Carolini), voir P. Bloch, Das Apsismosaik von Germigny- des-Prés. Karl und der alte Bund, dans W. Braunfels (éd.), Karl der Grosse. Lebens- werk und Nachleben, III : W. Braunfels et H. Schnitzler (éd.), Karolingische Kunst, Diisseldorf, 1965, p. 234-261; A. Grabar, Les mosaïques de Germigny-des- Prés, dans Cahiers archéologiques, 7, 1964, p. 171-184; M. Vieillard-Troiekouroff, Germigny-des-Prés. L'oratoire privé de l'abbé Théodulphe, dans Dossiers de l'archéo• logie, 30 : Charlemagne et la Renaissance carolingienne, septembre-octobre 1978, p. 40-49; V. H. Elbem, Die Libri Carolini und die liturgische Kunst um 800, réimp. dans V. H. Elbem, Fructus operis. Kunstgeschichtliche Aufsàtze aus funf Jahrzehnten, éd. par P. Skubiszewki, Ratisbonne, 1998, p. 229-246; A. Freeman et P. Meyvaert, The Meaning of Theodulfs Apse Mosaic at Germigny-des-Prés, dans Gesta, 40, 2001, p. 125-139. 344 ALAIN DIERKENS

Mais une question reste sans réponse : pourquoi (et sur quelles bases) a-t-on confié à Éginhard une telle responsabilité, en dépit de son jeune âge et de sa récente arrivée au Palais? Alcuin et Walahfrid Strabon font état des relations privilégiées qu'il entretenait avec Charlemagne, dont il aurait été un familiaris adjutor^"^ et qui lui au• rait confié ses secrets les plus intimes^". Notre ignorance est vrai• semblablement liée au fait que la majeure partie des informations dont nous disposons sur Éginhard date de la fin de la vie de 1 erudit et est fort discrète sur sa carrière politique comme sur sa vie au pa• lais^' : la Vita Karoli (et son prologue) remontent aux années 829- 830^^; les lettres d'Éginhard regroupées, probablement au scripto- rium de l'abbaye gantoise de Saint-Bavon, en vue de servir de recueil de formules, concernent presque toutes les années 830-836"; les quatre livres, achevés dans la seconde moitié de l'année 830, de la Translatio sanctorum Marcellini et PetrP* largement autobiogra• phiques et notamment destinés à justifier le retrait d'Éginhard à Se- ligenstadt, ne nous éclairent que sur les années 827-830".

" Alcuin, Ep. 172, éd. E. Duemmler, M.G.H., Ep., IV (= Epistolae Karolini Ae- vi, II), Berlin, 1895, p. 284-285, n" 172 : Et si minus quid exemplorum habeant praedictae species, Beselel, vester immo et noster familiaris adjutor, de patemis ver- sibus adponere patent. Necnon et figurarum rationes in libella arithmeticae disci- plinae cansiderare valet. 2° Walahfrid Strabon, Pralogus, éd. L. Halphen, p. 106 (passage cité n. 13). Autres exemples mentionnés dans Ph. Depreux, Prasapagraphie... cité n. 2, p. 180-181. ^' Ce qui est d'autant plus étonnant que, selon toute apparence, Éginhard oc• cupait les toutes premières places dans la politique carolingienne sous Charle• magne. Ainsi, il est cité en deuxième position dans la liste de confraternité de la Reichenau en 824 (entre Hilduin et l'archichapelain Helisachar) et dans celle de Saint-Gall en 820-821 (entre Benoît d'Aniane et Helisachar). Cf. D. Geuenich, Ge- betsgedenken und anianische Refarm. Beabachtungen zu den Verbriiderungsbezie- hungen der Abte im Reich Ludwigs des Frommen, dans R. Kottje et H. Maurer (éd.), Monastische Refonnen im 9. und 10. Jahrhundert, Sigmaringen, 1989 (Var- tràge und Forschungen, 38), p. 79-106 : p. 87-89, et H. Schefers, Einhard. Ein Le- bensbild... cité n. 2, p. 44, n. 73. " M. Tischler, Einharts Vita Karoli... cité n. 4, surtout p. 151-239. " Éd. K. Hampe, M.G.H.. Ep.. V (= Epistolae Karalini Aevi, III), Berlin, 1898, p. 105-149. Sur la date (troisième quart du IX" siècle?) et l'origine du manuscrit unique (Paris, Bibliothèque Nationale de France, ms. lat. 11379) qui nous a conservé cette correspondance, voir la description de J. J. Contreni, Le formulaire de Laan, source pour l'histoire de l'école de Laon au début du X' siècle, dans Scrip- torium, 27,1973, p. 21-29 : p. 28-29 et G. Declercq, Een karolingisch lekenabt... ci• té n. 2, p. 73. Pour une mise en contexte de cette correspondance, voir M. Strat- mann, Einhards letzte Lebensjahre (830-840) im Spiegel seiner Briefe, dans H. Schefers (éd.), Einhard. Studien... cité n. 2, p. 323-339. ''B.H.L., 5233. Éd. G. Waitz, M.G.H.. SS, XV, 1, Hanovre, 1887, p. 238-264. Bibliographie, voir infra n. 64 et suiv. M. Heinzelmann, Einhards Translatio... cité n. 7, par ex. p. 277-278 et n. 43; M. Tischler, Einharts Vita Karoli... cité n. 4, p. 173-176 (avec la longue ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 345

Grâce à ces œuvres d'Éginhard lui-même, à la préface que Wa- lahfrid Strabon composa pour la Vita KarolP'' et à l'épitaphe d'Égin• hard que rédigea Raban Maur^^, on connaît les grandes lignes de sa carrière et des responsabilités politiques sous Charlemagne puis sous Louis le Pieux jusqu'aux environs de 830. On a également quel• ques informations sur ses fonctions d'abbé laïc à Saint-Servais de Maastricht^', à Saint-Pierre" et à Saint-Bavon de Gand^°, à Saint- Wandrille^', etc.".

n. 306) insiste sur les parallèles textuels entre Vita Karoli et Translatio sanctorum Pétri et Marcellini. Réf. citées n. 7. ^' Raban Maur, Carm. LXXXV (= Epitaphium Einhardi), éd. E. Duemmler, M.CH., Poet. lat., II, p. 237-238 : Te peto, qui hoc templum (= Seligenstadt) ingre- deris, ne noscere spemas, / Quid locus hic habeat quidque tenens moneat. / Condi- tus ecce jacet tumulo vir nobilis isto, Einhardus nomen cui genitor dederat. / Inge- nio hic prudens, probus actu atque ore facundus / Extitit, ac multis arte fuit utilis / Quem Carolus princeps propria nutrivit in aula, / Per quem et confecit multa satis opéra. / Nam horum sanctorum condigno functus honore, / Exquirens Romae cor- pora duxit et hue : / Ut multis prosint precibus curaque medelae / Ipsiusque animae régna poli tribuant. I Christe deus, hominum salvator, rector et auctor, / Aetemam huic requiem da super astra plus. ^* Première attestation de cette fonction abbatiale dans une charte de manu- missio faite à Maastricht {Actum Trajecto [...] in monasterio Sancti Servasii), ac• cordée par Éginhard, en tant qu'abbé, à un famulus de son abbaye et datable des environs de 820 (en fait, 819 ou 821), éd. K. Zeumer, M.CH., Farm., Hanovre, 1886, p. 313 (= Form. imp. 35) : Einhardus abbas venerabilis monasterii sancti Servacii confessoris Christi. Sur l'abbatiat laïc d'Éginhard à Maastricht, voir J. Deeters, Servatiusstift und Stadt Maastricht. Untersuchungen zu Entstehung und Verfassung, Bonn, 1970 {Rheinisches Archiv, 73), p. 27-29. ^' Première attestation de cette fonction abbatiale dans un diplôme de Louis le Pieux du 2 juin 815, éd. M. Gysseling et A. C. F. Koch, Diplomata Belgica... cité n. 16, I, n" 49, p. 126-127 (dans le Liber Traditionum de l'abbaye) : vir venerabilis Einhardus abba ex monasterio Blandinio, quod est constructum in honore sancto• rum apostolorum Pétri et Pauli quod est situm in pago Tumacense super fluvium Scaldum. Sur l'abbatiat laïc d'Éginhard à Saint-Pierre, voir Fr.-L. Ganshof, Égin• hard à Gand, dans Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de Gand, 34, 1926, p. 13-33; G. Declercq et A. Verhulst, Einhard und das karolingische Gent, dans H. Schefers (éd.), Einhard. Studien... cité n. 2, p. 223-246; G. Declercq, Een karolingisch lekenabt... cité n. 2, p. 47-65. Première attestation de cette fonction abbatiale dans un diplôme de Louis le Pieux du 13 avril 819, éd. M. Gysseling et A. C. F. Koch, Diplomata Belgica... ci• té n. 16, n" 132, p. 222-223 : vir venerabilis Einhardus abba ex monasterio quod di- citur Ganda, quod est situm in pago Bracbantinse, constructum in honore sancti Pétri principis apostolorum, ubi etian sanctus Bavo confessor Christi corpore re- quiescit. Pour le contexte, voir la bibliographie citée dans la note précédente. 3' De 817 à 823 (?). Gesta abbatum Fontenellensium, XXX, 2, éd. P. Pradié... cité n. 15, p. 152 : (anno igitur imperii domni Hludovici augusti HI...) Einhardus hoc coenobium per VH ferme tenuit annos. Quod demum ultro derelictum, ... " Sur les abbatiats laïcs d'Éginhard, voir Fr. Felten, Àbte und Laienàbte im Frankenreich. Studie zum Verhàltnis von Staat und Kirche im friiheren Mittelalter, Stuttgart, 1980, p. 283-286; Id., Laienàbte in der Karolingerzeit. Ein Beitrag zum 346 ALAIN DIERKENS

Mais les sources sont minces pour appréhender son œuvre culturelle et artistique. Tout au plus, faut-il mentionner que, dans les premières années du IX' siècle, Éginhard était suffisamment re• nommé pour que l'abbé de Fulda, Ratgaire (815-822), lui confie la formation «artistique» {lato sensu) d'un de ses moines dont on sait par ailleurs qu'il fut peintre". En plus d'un passage de la Vita Bene- dicti Ananiensis d'Ardon (vers 821-822) dont on ne sait avec certitude s'il concerne le «vrai» Beseleel ou Éginhard^", on dispose de deux ensembles documentaires que je vais examiner successivement : deux dessins d'un arc de triomphe offert à Saint-Servais de Maas• tricht et un vaste dossier relatif aux saints Pierre et Marcellin (récit hagiographique détaillé, reliques et reliquaires, lettres, églises, cryptes).

L'Arc de Maastricht L'arcus d'Éginhard est une œuvre, aujourd'hui disparue (dé• truite lors des troubles consécutifs à la Révolution française?), qu'aucun texte conservé ne rapprochait de l'œuvre ou de l'abbatiat d'Éginhard. Le mérite de la découverte de cette œuvre revient à Jo-

Problem der Adelsherrschaft iiber die Kirche, dans A. Borst (éd.), Mônchtum, Epis- kopat und Adel zur Griindungszeit des Klosters Reichenau, Sigmaringen, 1974 (Vortràge und Forschungen, 20), p. 397-432 : p. 406 et Ph. Depreux, Prosopogra- phie... cité n. 2, p. 178-179. Sur la nature canoniale des communautés régies par Éginhard, cf. J. Semmler, Einhard und die Reform geistlicher Gemeinschaften in der ersten Hàlfte des 9. Jahrhunderts, dans H. Schefers (éd.), Einhard. Studien... cité n. 2, p. 179-189. " Catalogus abbatum Fuldensium, éd. G. Waitz, M.CH., SS, XIII, Hanovre, 1881, p. 272-274 : p. 272 ou, plus récemment, K. Schmid (éd.). Die Klosterge- meinschaft von Fulda im friiheren Mittelalter, Munich, I, 1978 {Munstersche Mitte- lalter-Schriften, 8/1), p. 212-213 : p. 212 : Eo quoque tempore Hrabanum et Hatton Turonis direxit ad Albinum magistrum libérales discendi gratia artes, Brunan ad Einhartum variarum artium doctorem peritissimum, Modestum cum aliis ad Cle- mentem Scottum grammaticam studendi (texte des environs de 916 conservé en manuscrit unique). Ce moine confié à Éginhard n'est autre que Bruun Candidus, moine de Fulda, hagiographe (auteur d'une Vita Baugulfi et d'une Vita Egili) et peintre (peut-être l'auteur de la peinture de l'abside de Saint-Michel de Fulda); cf., par exemple, Fr. Brunhôlzl, Histoire de la littérature... cité n. 2,1, 2, p. 99-100. ^"Ardon, Vita Benedicti Ananiensis (=B.H.L., 1096), XVII, éd. G. Waitz, M.G.H., SS, XV, 1, Hanovre, 1887, p. 200-220 : p. 205-206 : Benoît a fait réaliser un chandelier ad instar videlicet illius (= candelabris) facta, quod Beseleel miro composuit studio. Traduction française récente : Ardon, Vie de Benoît d'Aniane, trad. par P. Bonnerue, F. Baumes et A. de Vogué, Abbaye de Bellefontaine, 2001 (Vie monastique, 39), p. 71. À dire vrai, le caractère nettement vétérotestamen- taire du passage (relatif à la description du mobilier liturgique de l'église d'Aniane) n'est guère favorable à une identification Beseleel/Éginhard; dans le même sens, V. H. Elbem, Einhard und die karolingische Goldschmiedekunst, dans H. Schefers (éd.), Einhard. Studien... cité n. 2, p. 155-178 : p. 161. ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 347 seph Brassinne en 1938 qui, étudiant avec attention un intéressant manuscrit du XVIP siècle conservé aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Université de Liège (ms. 840 : Henry Van den Berch, Monumenta historiae Leodiensis, I)", a retrouvé la trace d'un grand nombre de monuments mosans disparus et, notamment, un dessin schéma• tique d'un arc de triomphe (p. 86-87), accompagné de la mention des dimensions, d'une description soigneuse de l'iconographie et de la transcription de l'inscription qui attribuait cet arc à Éginhard^*". De son côté. Biaise de Montesquiou-Fezensac retrouvait à la Biblio• thèque Nationale de France un manuscrit du XVIP siècle (ms. fr. 10440, f° 45) qui donnait, presque en vraie grandeur, un dessin dé• taillé de cet arc". Dans la publication qu'il a consacrée à cette dé• couverte en 1949, il ne prend pas nettement position sur l'identité de YEinhardus peccator mentionné sur le cartouche de l'arc mais il plaide pour une datation carolingienne et retient l'hypothèse d'une œuvre liée à Eginhard^*. Le premier rapprochement des publications de J. Brassinne et de Bl. de Montesquiou-Fezensac est l'œuvre de Jan Karel Steppe dans un article d'une rare perspicacité, mais resté totalement inaperçu". Revenant en 1956 sur la question, Bl. de Montesquiou-Fézensac (qui n'avait pas connaissance de l'ar• ticle de J. K. Steppe mais à qui on venait de communiquer celui de J. Brassinne) se fait plus nef"; l'attribution à Éginhard est avalisée; certaines des hypothèses émises en 1949 sont confirmées; les rap• ports avec Saint-Servais de Maastricht sont signalés. L'arc fait, de• puis lors, l'objet de reproductions et/ou de mentions dans la quasi- totalité des synthèses sur l'art carolingien'" et un colloque lui a été

Dans ses Monumenta historiae Leodiensis comme dans d'autres œuvres (restées inédites), Henry van den Berch (1592-1666), spécialiste d'héraldique et grand amateur d'antiquités, a dessiné un grand nombre de monuments, parti• culièrement hinéraires, de la région liégeoise. Dans une série d'études pionnières, Joseph Brassinne en a signalé l'intérêt, mais le dossier est loin d'être clos. " J. Brassinne, Monuments d'art mosan disparus, II. Reliquaire d'Éginhard, dans Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, 29, 1938, p. 155- 164 et 194-195. " Bl. de Montesquiou-Fezensac, L'arc de triomphe d'Einhardus, dans Cahiers archéologiques, 4, 1949, p. 79-103. ^*B1. de Montesquiou-Fezensac, L'arc de triomphe d'Einhardus... cité n. 37, surtout p. 102-103. J. K. Steppe, Het voormalig schrijn van Eginhard in de St.-Servaaskerk te Maastricht. Een bijdrage tôt de geschiedenis van de karolingische Renaissance, dans Gentse Bijdragen tôt de Kunstgeschiedenis, 16, 1955-1956, p. 71-97. Bl. de Montesquiou-Fezensac, L'arc d'Éginhard (deuxième article), dans Cahiers archéologiques, 8, 1956, p. 147-174. Synthèse : Id., L'arc de triomphe d'Éginhard, dans Karolingische und ottonische Kunst, Werden-Wesen-Wirkung, , 1957 (Forschungen zur Kunstgeschichte und christliche Archàologie, 3), p. 43-48. •" Exemple récent : K. Bierbrauer, Einhardsbogen, dans Chr. Stiegmann et

2] 348 ALAIN DIERKENS consacré en 1971 à Gôttingen''^ L'édition des actes de cette belle réu• nion scientifique"' a, elle-même, suscité quelques remarques impor• tantes'"'. L'arc, mentionné comme porta dans les archives du Trésor de Saint-Servais de Maastrichf^ était en argent massif ou, plus vrai• semblablement, en bois recouvert d'une plaque d'argent décorée au repoussé"^; il mesurait environ 32 x 24,5 x 11,6 cm. Il affectait la forme d'un arc de triomphe à simple arc, sans colonne ni pilastre. Au-dessus de l'arc, un cartouche à queues d'arondes (en forme de di• plôme romain), entouré par deux anges, portait l'inscription AD TROPAEUM AETER/NAE VICTORIAE SUSTI/NENDUM EINHAR- DUS / PECCATOR"' HUNC AR/CUM PONERE AC DEO / DEDI- CARE CURA VIT. Au même niveau que l'inscription, au revers (ou plutôt à l'avers) et sur les côtés de l'arc était représenté le Christ en• seignant aux douze apôtres"*. L'arc portait aussi les représentations des quatre Évangélistes et de leurs symboles"', deux scènes du Nou• veau Testament (une Annonciation et une scène peu fréquente : le Témoignage de saint Jean-Baptiste proclamant la venue du Christ)'",

M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur... Katalog... cité n. 3, II, p. 700 (n" X.9). Cf. aussi V.-H. Elbem, Einhard und die karolingische Goldschmiedekunst... cité n. 34, p. 155-178 : p. 158-162. "^ C'est à la suite de ce colloque, et indépendamment des Actes mentionnés dans la note suivante, qu'H. Belting publia un excellent aperçu synthétique : Der Einhardbogen, dans Zeitschrift fur Kunstgeschichte, 36, 1973, p. 93-121. K. Hauck, Das Einhardkreuz-• • cité n. 2. ** Particulièrement le compte rendu critique de K. Hoffmann, dans Gôttin- gische Gelehrte Anzeigen, 228, 1976, p. 90-105. Sur les mentions de deux portae (dont l'une est celle d'Éginhard) dans les archives de Saint-Servais de Maastricht, voir J. K. Steppe, Het voormalig schrijn... cité n. 39, p. 86-88 et K. Hauck, Die Maastrichter archivalische Uberliefe- rung zur Einhard-Porta, dans K. Hauck (éd.), Das Einhardkreuz... cité n. 2, p. 206-210. * Par ex. Bl. de Montesquiou-Fezensac, L'arc de triomphe d'Éginhard... cité n. 40, p. 44. Éginhard aime utiliser la formule Einhardus peccator. Ainsi, dans la dédi• cace de la Translatio sanctorum Pétri et Marcellini (éd. Waitz, p. 239 : Veris veri ei cultoribus et Ihesu Christi Domini nostri sanctorumque eius non fictis amatoribus Einhardus peccator), dans un acte non daté pour Saint-Pierre de Gand (éd. M. Gysseling et A. C. F. Koch, Diplomata Belgica... cité n. 16, p. 127), dans une charte de précaire pour l'abbaye de Lorsch (texte du 12 septembre 819, cité infra n. 87) ainsi que dans nombre de lettres conservées (lettres 10, 53, 54... de l'édition K. Hampe). •** En dernier lieu, E. Kitzinger, Christus und die zwôlf Apostel, dans K. Hauck (éd.), Das Einhardkreuz.•• cité n. 2, p. 82-92. •" En dernier lieu, C. Nordenfalk, Die Evangelistensymbole, dans K. Hauck (éd.), Das Einhardkreuz.• • cité n. 2, p. 50-67. ™ En dernier lieu, H. Belting, Das Zeugnis des Johannes und die Verkiindi- gung an Maria. Die beiden Szenen des Einhardsbogen, dans K. Hauck (éd.), Das Einhardskreuz... cité n. 2, p. 68-81. ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 349 deux groupes de deux fantassins qui, munis d'une lance et d'un bou• clier, gardaient l'entrée de l'arc, quatre personnages tenant le laba- rum (sur les faces latérales), deux cavaliers piétinant un serpent (sur l'interprétation desquels les historiens d'art sont divisés : figures al• légoriques de Vertus triomphant de Vices? empereurs d'Occident et d'Orient? Constantin et Charlemagne ou Louis le Pieux? Constantin et Lothaire I"?)". Selon toute apparence, l'arc supportait une croix (une crux gemmata?) disparue au XVIIP siècle au plus tard et pou• vait éventuellement faire allusion à l'entrée dans l'Au-delà". Aucun élément concret ne permet d'accréditer l'hypothèse ingénieuse de Karl Hauck qui, pensant à un reliquaire de la Vraie Croix, se deman• dait si ce fragment de croix n'avait pas été donné à Lothaire par Pas• cal à Rome le jour de Pâques 823 (lors du couronnement impérial du fils aîné de Louis le Pieux, dont l'éducation avait été confiée à Éginhard), puis par Lothaire à Éginhard entre 823 et 828". De la même façon, il ne semble pas nécessaire de rapprocher ce reliquaire du De adoranda cruce qu'Éginhard rédigea en 836 et qu'il dédia à Loup de Ferrières^'' : le culte voué à la Croix est trop général et trop bien attesté à l'époque carolingienne" pour qu'on puisse le rappro• cher d'un écrit précis. Pour dater cet arc, aucun argument chronologique ne me semble probant. Tout au plus peut-on donner comme terminus post quem le début de l'abbatiat d'Éginhard à Maastricht (819?). L'ab• sence de mention, dans le texte de l'inscription ou ailleurs sur l'arc, de Pierre et Marcellin pour lesquels Éginhard avait une dévotion quasi-exclusive après les années 828-830, pourrait offrir un utile ter• minus ante quem. Par ailleurs, l'arc vaut per se; il est inutile de pen• ser à la copie servile d'une œuvre byzantine perdue'^ ou à la miniatu• risation d'une œuvre «en vraie grandeur» (du genre de la porte de l'abbatiale de Lorsch ou de Xarcus mentionné au-dessus de la tombe

" En dernier lieu, K. Weitzmann, Der Aufbau und die unteren Felder des Ein- hard-Reliquiars, dans K. Hauck (éd.), Das Einhardkreuz.-- cité n. 2, p. 33-49. " A. Grabar, Observations sur l'arc de triomphe de la Croix, dit Arc d'Éginhard, et sur d'autres bases de la Croix, dans Cahiers archéologiques, 27, 1978, p. 61-83. " K. Hauck, Versuch einer Gesamtdeutung des Einhard-Kreuzes, dans K. Hauck (éd.), Das Einhardkreuz... cité n. 2, p. 143-205. Voir les critiques per• tinentes de K. Hoffmann cité n. 44. "Éd. K. Hampe, M.G.H., Ep., V, p. 146-149. Cf. aussi K. Hauck, Einhard beantwortet 836 Lupus von Ferrières dessen Quaestio de adoranda cruce, dans K. \ia.\ick{éd.), Das Einhardkreuz... ciién. 2,p. 211-216 (trad. allemande du traité). " C. Chazelle, The Crucified God in the Carolingian Era, Cambridge, 2001 ; B. Baert, Een erfenis van Heilig Hout. De neerslag van het teruggevonden kruis in tekst en beeld tijdens de Middeleeuwen, Louvain, 2001, p. 51-70. ^'A. Zôller, Einhardbogen. Seligenstadt, dans H. Roth et E. Wamers (éd.), Hessen im Frtihmittelalter. Archàologie und Kunst, Sigmaringen, 1984, p. 331, n" 222a. 3S0 ALAIN DIERKENS

de Charlemagne à Aix-la-Chapelle)", comme on a pu le proposer, sans véritable fondement, pour la célèbre statuette dite de Charle• magne (auparavant conservée dans le Trésor de la cathédrale de Metz, aujourd'hui au Musée du Louvre) qui se serait inspirée de la statue de Théodoric ramenée en 801 de Ravenne pour être installée devant le palais d'Aix'*. Si formellement l'arc est bien romain (y compris dans l'idée de triomphe associée à l'arc), l'iconographie en est chrétienne sans au• cune ambiguïté idéologique. Éginhard connaissait bien l'histoire ro• maine^' et, en 806, il s'était rendu à Rome dans le cadre d'une mis• sion politique particulièrement délicate. À cette occasion, il a dû voir l'arc de Titus (son évident modèle direct pour l'Arc de Maastricht*") et, peut-être, lui accorder un intérêt d'autant plus grand qu'y sont re• présentés la victoire de Rome sur les Juifs et, dans ce contexte, cer• tains des objets qu'aurait façonnés Beseleel". Du passé romain (glo• balisé puisque mêlant types du Haut et du Bas Empire), il ne garde ici que la forme et le symbole idéologique. La forme antique du triomphe est associée à un programme triomphal chrétien"; l'arc est glorifié et «sur-christianisé» pour mieux élever la Croix, pour rendre plus effective Velevatio Crucis^^.

" Par ex. H. Belting, Der Einhardsbogen... cité n. 42, p. 113. Sur cette statuette, synthèse récente de D. Gaborit-Chopin, La statuette équestre de Charlemagne, Paris, 1999 (avec bibliographie complémentaire). Sur la statue de Théodoric à Aix, qui a suscité la rédaction du curieux poème polémique de Walahfrid Strabon, De imagine Tetrici (= Carm. XXIII) cité n. 10, voir, par ex., L. Falkenstein, Charlemagne et Aix-la-Chapelle... cité n. 17, p. 247-248 (avec la bi- bliogr. des n. 51-52). " Contrairement à ce que l'on affirme souvent, Éginhard semble n'avoir eu que tardivement connaissance de la Vie des douze Césars de Suétone. <* Par ex. H. Belting, Der Einhardsbogen... cité n. 42, p. 93-96 ou Chr. Beu- tler. Statua... cité n. 6, p. 102-127. C'est la suggestion, très fine (mais complètement hypothétique) d'H. L. Kessier, Rome's Place between Judaea and Francia in Carolingian Art, dans Roma fra Oriente e Occidente, Spolète, 2002 (Settimane di studio del Centro italia- no di studi suU'alto medioevo, XLIX, 2001), p. 695-718 : p. 705-707. "H. Belting, Der Einhardsbogen... cité n. 42, p. 97; K. Hoffmann, Bespre- chung K. Hauck... cité n. 44, p. 103 (analogie souverain / Christ dans l'idée d'ad- ventus). " On pourrait, sur la base du parallèle idéologique entre l'arc d'Éginhard et la colonne de Bemward d'Hildesheim (vers 1020), esquisser certaines constantes dans l'idée de Renaissance/iîeMovûïîo Imperii (pistes dans V. H. Elbem, Einhard und die karolingische Goldschmiedekunst... cité n. 34, p. 161-163). Sur la colonne, conçue pour Saint-Michel mais visible aujourd'hui dans la cathédrale d'Hildes• heim, voir, notamment, H.-J. Adamski, Die Christussdule, dans K. Algermissen (éd.), Bemward und Godehard von Hildesheim. Ihr Lehen und Wirken, Hildes- heim, 1960, p. 191-201 ou, plus récemment, R. Kahsnitz, Bemwardsàule, dans M. Brandt et A. Eggebrecht (éd.), Bemward von Hildesheim und das Zeitalter der Ottonen. Katalog der Ausstellung Hildesheim, Hildesheim-Mayence, 1993, II, ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 351

Le. dossier des saints Pierre et Marcellin

L'histoire de la translation des reliques de Pierre et Marcellin de Rome à Michelstadt / Steinbach puis à Mûhlinheim / Seligenstadt est bien connue. Un bref rappel des faits est cependant indispen• sable, ne serait-ce que pour fixer quelques jalons chronologiques. Le récit qu'en a laissé Éginhard dans la Translatio sanctorum Pétri et Marcellini {BHL, 5233)*'' regorge d'éléments intéressants, notam• ment en rapport avec le culte des reliques (commerce, vol, etc.)''^ mais aussi sur la vie de cour sous Louis le Pieux. Conservé seule• ment en sept manuscrits (dont deux carolingiens)'*, ce texte a béné-

p. 540-548. Sur le parallèle Bemward/Éginhard, voir tout récemment L. Cle- mens, Tempore Romanorum constructa. Zur Nutzung und Wahmehmung antiker Uberreste nôrdlich der Alpen wahrend des Mittelalters, Stuttgart, 2003 {Mono- graphien zur Geschichte des Mittelalters, 50), p. 273, n. 106. Sur ce texte, 1 étude classique de M. Bondois, La translation des saints Mar• cellin et Pierre. Étude sur Éginhard et sa vie politique, de 827 à 834, Paris, 1907, est aujourd'hui remplacée par le superbe article de M. Heinzelmann, Einharts Trans• latio... cité n. 7. De façon générale : H. R. Seeliger, Einhards rômische Reliquien. Zur Uber- tragung der heiligen Marzjellinus und Petrus ins Frankenreich, dans Rômische Quartalschrift fiXr christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte, 83, 1988, p. 58-75 et H. Schefers, Einhards rômische Reliquien. Zur Bedeutung der Reli- quientranslation Einhards von 827/828, dans Archiv fUr Hessische Geschichte und Altertumskunde, 48, 1990, p. 279-292. Sur un de ces aspects (celui du vol de re• liques) amplement mis en évidence dans l'historiographie, cf. récemment P. Gea- ry, Furta sacra. Thefts of Relies in the Central Middle Ages, Princeton, 1990 (trad. fr. Le vol des reliques au Moyen Âge. Furta sacra, Paris, 1993, surtout p. 75-81 et 172-180). Mais voir déjà J. Guiraud, Le culte des reliques au commencement du IX' siècle, dans Mélanges G. B. de Rossi (supplément au t. 12, 1892, des Mélanges d'ar• chéologie et d'histoire [de l'École Française de Rome]), Rome, 1892, p. 73-95 (réimpr. dans Id., Questions d'histoire et d'archéologie chrétienne, Paris, 1906, p. 235-261); la belle mise en contexte de J. Fleckenstein, Einhard... cité n. 12, p. 105-114 ou, plus récemment, l'article de vulgarisation de J. Stiennon, Éginhard, pilleur de catacombes, Liège, 1984 (réimpr. dans Id., Un Moyen Âge pluriel. Recueil d'articles, Malmedy-Liège, 1999, p. 153-162). En dernier lieu, H. Rôckelein, Reli- quientranslationen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Uber Kommunikation, Mobi- litàt und Offentlichkeit im FrUhmittelalter, Stuttgart, 2002 {Beihefte der Francia, 48), p. 148 (avec les n. 103 et 105) etpassim. Aux cinq manuscrits mentionnés par Martin Heinzelmann, il faut en ajou• ter deux, dont un du XP siècle; cf. M. Tischler, Besprechung H. Schefers, Stu- dien..., dans Historische Zeitschrift, 268, 1999, p. 740-743 : p. 742. Des deux ma• nuscrits carolingiens lato sensu, l'un a disparu (Metz, Bibl. municipale 306/ex E 99; IX" plutôt que début X° s.?; cité n. 7), l'autre provient de Fleury (aujourd'hui Vatican, Reg. lat. 318; vers 900?); cf. M. Heinzelmann, Einharts Translatio... cité n. 7, p. 273-274. On peut de surcroît être assuré de l'existence d'un manuscrit de la Translatio à Lorsch dans le deuxième quart du IX' siècle; cf. M. Heinzelmann, Einharts Translatio... cité n. 7, p. 274 et 291. On est cependant très loin des quel• que cent trente-quatre manuscrits recensés de la Vita Karoli; voir M. Tischler, Èinharts Vita Karoli... cité n. 4, surtout p. 17-44. 352 ALAIN DIERKENS

ficié (et bénéficie encore) d'un succès historiographique qui dépasse vraisemblablement les espoirs de son auteur. La Translatio est, certes, un texte de piété et de dévotion mais, au-delà des données ha• giographiques, elle est aussi un écrit polémique, apologétique, aux traits moralisateurs exprimés en termes bien dans la ligne de la Re• naissance carolingienne*' : injonctions implicites à Louis le Pieux**; justifications du retrait d'Éginhard du pouvoir, de l'acquisition de reliques romaines, du changement de lieu de culte Steinbach/Se- ligenstadt; présentation favorable de certains éléments du conflit qui opposait Éginhard à Hilduin (notamment abbé de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Médard de Soissons)*' et dans lequel il risquait de «perdre la face», etc. Éginhard et sa femme Emma avaient reçu de l'empereur Louis le Pieux, le 11 janvier 815, le locus de Michlinstat I Michelstadt (Steinbach) dans l'Odenwald et la villa royale de Mulinheim superior I Obermûlheim sur le Main (aujourd'hui Seligenstadt) dans le pagus de Maingau'". Une dizaine d'années plus tard, au palais d'Aix-la- Chapelle - où se trouvaient aussi l'empereur et l'archichapelain Hil• duin, qui venait (octobre 826) d'acquérir à Rome les reliques de saint Sébastien -, il a l'occasion de rencontrer un diacre romain, Deusdona, dont on sait par ailleurs qu'il s'était spécialisé dans le commerce des reliques. Il profite de cette rencontre pour tenter d'obtenir des reliques prestigieuses, romaines (aliquid de veris sanc- torum reliquiis qui Romae requiescunt), pour l'église de Michelstadt / Steinbach dont il vient d'achever la construction {ad dedicationem novae basilicae nostrae). Deusdona monnaie son entremise. Un ac• cord est conclu : le notaire (notarius) d'Éginhard, Ratleik", ac• compagnera Deusdona à Rome et ramènera les reliques. Sur le che• min vers Rome, les voyageurs font un détour par Soissons et Hun, un envoyé d'Hilduin, se joint à eux dans le but d'acquérir un nouvel

" Éginhard, Translatio, praef., éd. G. Waitz, p. 239 : Éginhard affirme écrire ad emendandos pravos mores et conlaudandam Dei omnipotentiam per ejusmodi exempta quorumcumque animas incitarent. ''Cf. Éginhard, Ep., 10, éd. Hampe, p. 113-114. Commentaire : H. R. Seeli- ger, Einhards rômische Reliquien... cité n. 65, p. 67-69; M. Tischler, Einharts Vita Karoli... cité n. 4, p. 168-171. "Sur Hilduin, cf. Ph. Depreux, Prosopographie... cité n. 2, p. 250-256, n" 157. ™ Acte de l'empereur Louis le Pieux, 11 janvier 815, conservé dans le Chroni- con Laureshamense, éd. K. A. F. Pertz, M.CH., SS, XXI, Hanovre, 1869, p. 334- 453 : p. 359-360. Cf. aussi l'édition, plus récente, de K. Glôckner, Codex Laures- hamensis, Darmstadt, 1929, I, p. 299-300, n" 19. " Ratleik deviendra abbé de Seligenstadt et passera ensuite dans la chancel• lerie de Louis le Germanique; cf. H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 28 et W. Hartmann, Ludwig der Deutsche, Darmstadt, 2002 (Gestalten des Mit- telalters und der Renaissance), p. 134-135. ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 353 ensemble de reliques romaines. Peu de temps après leur arrivée à Rome, les Francs prennent l'initiative; leur intérêt se tourne vers les catacombes situées sous l'église Saints-Pierre-et-Marcellin (cata• combes aujourd'hui connues sous le nom de catacombes «Aux deux lauriers»)'^. Au cours de deux expéditions mouvementées, Ratleik dérobe les reliques de Pierre et Marcellin; l'envoyé d'Hilduin, celles de saint Tiburce. Le départ de Rome se fait avec un grand luxe de précautions pour ne pas susciter la méfiance. Lors d'une halte à Pa• vie, dans une des églises (Saint-Jean-Baptiste) dont la gestion avait été confiée à Éginhard {ex bénéficia regum), l'envoyé d'Hilduin pro• fite de l'inattention des envoyés d'Éginhard pour voler une grande partie des reliques de Marcellin; cet épisode sera, par la suite, contesté (les reliques auraient été dérobées à Rome, dans la maison même de Deusdona et avec la complicité du frère de celui-ci, Luni- son). Après avoir passé les Alpes et être arrivé à Saint-Maurice, le cortège de retour se fait triomphal. Ratleik et ses compagnons ar• rivent au début du mois de novembre 827 à Michelstadt / Steinbach, où les reliques, déposées provisoirement dans le chœur de l'église {basilicam noviter a me constructam sed nondum dedicatam), font ra• pidement et miraculeusement savoir qu'elles souhaitent reposer dans un autre lieu de culte : ce sera une autre église d'Éginhard, à Mûlinheim (dont le nom actuel de Seligenstadt vient de la présence des reliques de Pierre et Marcellin). Elles arrivent là les 16/17 janvier 828 et elles sont placées dans un nouveau reliquaire {novo loculo re- condità) disposé dans l'abside de l'église {in absida basilicae), sous une structure de bois d'un modèle courant en Francie {sicut in Fran- tia mos est, superposito ligneo culmine, linteis ac sericis palleis oman- di gratià). A Pâques 828, Éginhard acquiert d'Hilduin, en les payant (100 pièces d'or, une somme considérable"), les reliques de Marcel• lin qui avaient été volées à Pavie ou à Rome. Pour faire connaître l'efficacité et la qualité de «ses» saints, Éginhard distribue aux églises dont il est responsable (notamment aux abbayes de Saint- Sauve de Valenciennes, Saint-Servais de Maastricht et Saint-Bavon de Gand) des reliques de Pierre et Marcellin, dont, aux livres III et IV de la Translatio, il détaille les actions miraculeuses sur la base des li- belli qui lui ont été communiqués. Par ailleurs, il devient indispen-

J. Guyon, La catacombe aux deux lauriers, dans Les Dossiers de l'archéolo• gie, 18 : Débuts de l'art chrétien : Rome, septembre-octobre 1976, p. 66-85; Id., Le cimetière «Aux deux lauriers». Recherches sur les catacombes romaines, Rome-Cité du Vatican, 1987, surtout p. 207-239; Id., Cours et atriums paléochrétiens. Retour sur les prototypes romains, dans Chr. Sapin (éd.), Avant-nefs et espaces d'accueil dans l'église entre le IV' et le XII' siècle, Paris, 2002, p. 13-23. "M. Heinzelmann, fîn^ariis'Translatio... cité n. 7, p. 265. 354 ALAIN DIERKENS

sable de concevoir, pour les reliques de Seligenstadt, un nouveau re• liquaire et une nouvelle église, mieux adaptés au succès du culte et à l'excellence de la réputation de Pierre et Marcellin. En tenant compte des divers paramètres connus (dates de l'arri• vée des reliques à Michelstadt / Steinbach puis à Obermulheim / Se• ligenstadt), de ce que l'on sait de la rapidité des transports à l'époque et, notamment, sur les problèmes pratiques liés à la traversée des Alpes (voyage que l'on n'entreprend pas en hiver), on en arrive à sug• gérer que la rencontre d'Éginhard et de Deusdona a dû avoir lieu entre décembre 826 et mai 827, mais très vraisemblablement en mars ou avril 827; le début du voyage aurait eu lieu en mai 827; le trajet Aix-Soissons (cinq jours?), Soissons-Rome (deux mois?) est suivi d'un séjour à Rome dont on ne peut estimer la durée; le trajet de re• tour Rome-Steinbach est, lui aussi, estimé à deux mois minimum'''. Julia Smith a réexaminé systématiquement les données connues sur l'acquisition de reliques romaines pendant le haut Moyen Âge". Elle a montré qu'entre les pontificats de Paul I" (757-767) et d'Étienne II (768-772) d'une part, celui de Léon IV (847-855) d'autre part, on assiste à une interruption de la «distribution» de reliques hors de Rome et de son Hinterland. À Rome, la situation politique troublée consécutive au décès de Pascal I" en février 824 et le contrôle du pape Eugène III (824-827) par les Carolingiens (parti• culièrement Lothaire et Hilduin) favorisèrent évidemment un cer• tain nombre de vols ou de ventes mal surveillées de reliques^''. L'ac• quisition des reliques de Sébastien et du pape Grégoire le Grand par Hilduin (826), de Pierre et Marcellin par Éginhard (827), de Tiburce par Hilduin encore (827) s'inscrit donc dans un contexte particulier", très favorable aux amateurs de «grandes» reliques inscrites dans un passé prestigieux, d'autant plus appréciées que les idées à la cour ca• rolingienne étaient alors particulièrement favorables à Rome. On peut analyser l'histoire des reliques de Pierre et Marcellin en tenant compte du conflit d'autorité et de prestige entre Hilduin et Eginhard : Hilduin, déjà abbé de Saint-Denis (avec ce que cette charge implique comme accès à une belle collection de pièces somp-

" Sur ces questions de chronologie, voir, tout récemment. Th. Ludwig, O. Millier et I. Widdra-Spiess, Die Einhard-Basilika in Steinbach bei Michelstadt im Odenwald, Mayence, 2 vol., 1996, I, p. 16. " J. Smith, Old Saints, New Cuits. Roman Relies in Carolingian Francia, dans J. Smith (éd.), Early Médiéval Rome and the Christian West. Essays in Honour of Donald A. Bullough, Leyde-Boston-Cologne, 2000, p. 317-339. " J. Smith, Old Saints... cité n. 75, p. 323-324. " J. Smith, Old Saints... cité n. 75, tableau de la p. 336 (où manque cepen• dant la mention des reliques de Tiburce : oubli? ou omission volontaire, compte tenu des doutes que l'on peut avoir sur la véracité de ces reliques, du moins si l'on en croit la Translatio sanctorum Pétri et Marcellini d'Éginhard?). ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 355 tueuses), venait d'acquérir les reliques d'un saint romain (Sébas• tien), Éginhard en veut plus, Hilduin surenchérit immédiatement en joignant un de ses envoyés à l'expédition romaine. Dans ce contexte, il convenait de ne pas critiquer trop ouvertement Deusdona (dont l'opprobre risquait a posteriori de toucher les reliques de Pierre et Marcellin)'* mais aussi d'éviter, ou du moins de minimiser, le ridi• cule (car Éginhard a bel et bien été roulé par Hilduin). Dans cette compétition par reliques romaines interposées", Éginhard ne songe pas à faire appel au passé romain qu'il connaît bien, par exemple en rappelant (mais le savait-il?) que sur la catacombe «Aux deux lau• riers» avait été élevé un mausolée impérial de la famille constanti- nienne, jointif à la basilique dédiée à Pierre et Marcellin : peut-être conçu, au départ, pour Constantin lui-même (avant la fondation de Constantinople), ce monument a servi à la mère de Constantin, sainte Hélène, dont le grand sarcophage en porphyre est aujourd'hui visible au Musée du Vatican"*. L'examen des bâtiments qui sont cités dans la Translatio est in• téressant. Du point de vue des reliques, il conviendrait d'étudier suc• cessivement Steinbach / Seligenstadt I / Seligenstadt II. D'un point de vue chronologique et typologique, l'ordre est différent : Seligens• tadt I / Steinbach / Seligenstadt IP'.

- L'église de Seligenstadt*^ conçue par Éginhard peu après 815 (et nécessairement achevée avant 827) et qualifiée dans la Translatio de nova basilica^^, a été détruite en 1817; elle est connue par des

" Après avoir fait envoyer à Éginhard des reliques romaines des saints Pro- tus et Hyacinthe, Deusdona en personne lui apportera à Sehgenstadt en 830 des rehques de saint Hermès; cf. Éginhard, Translatio, FV, 15-18, éd. Waitz, p. 263- 264, repris et amplifié par Rodulphus, Miracula sanctorum in Fuldenses ecclesias translatorum, éd. G. Waitz, M.G.H., SS, XV, 1, Hanovre, 1887, p. 329-341 : p. 332. Voir, par ex., M. Heinzelmann, Einhards' Translatio... cité n. 7, p. 287-288. "H. R. Seeliger, Einhards rômische Reliquien... cité n. 65, p. 62 et 65-66; H. Schefers, Einhards rômische Reliquien... cité n. 65, p. 284-286. Fr.-W. Deichmann et A. Tschira, Das Mausoleum der Kaiserin Helena und die Basilika der heiligen Marcellinus et Petrus an der Via Labicana vor Rom, dans Jahrbuch des Deutschen Archàologischen Instituts, 72, 1957, p. 44-109; Chr. Beu- tler, Statua... cité n. 6, p. 159-174; J. Guyon, La catacombe aux deux lauriers... ci• té n. 72, p. 70-73; Id., Le cimetière «Aux deux lauriers»... cité n. 72, p. 256-258. *' L'aperçu de Carol Heitz, L'architecture religieuse carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, 1980, p. 134-137 et 245-246 est commode mais non dé• pourvu d'approximations, voire d'erreurs d'interprétation. " H. Schefers, Seligenstadt, ehemalige Pfarrlirche (basilica nova Einhards), dans J. Fried (éd.), 794 - Karl der Grosse in Frankfurt am Main. Ein Kônig bei der Arbeit. Ausstellung zum 1200-Jahre-Jubilàum der Stadt Frankfurt am Main, Sig- maringen, 1994, p. 140-141, n- VII/3. "Par ex. Éginhard, Translatio, I, 1, éd. G. Waitz, p. 240. 356 ALAIN DIERKENS fouilles archéologiques menées en 1961 et 1964. Il s'agit d'une église en pierre extrêmement simple (qui remplace l'ancienne église en pierre du domaine royal de Miilinheim, mentionnée dans l'acte de donation de 815 : basilicam parvam muro factam) : édifice mononef de 24 m sur 10, comportant un chœur oriental de plan grossière• ment carré et une tour occidentale appartenant à un petit massif oc• cidental; deux autels : un à l'est, au-delà du chancel (c'est là que se• ront déposées les reliques de Pierre et Marcellin le 18 janvier 828) et un à l'ouest. Cette église modeste n'a assurément pas été conçue pour accueillir des reliques importantes, pour développer un pèleri• nage et/ou pour être le siège d'une communauté religieuse*". - L'église de Steinbach, qui remplace une petite église de bois (mentionnée dans l'acte de donation de 815 : m cujus medio est basi- lica lignea modica constructa), est un édifice complexe*\ objet de fouilles multiples et d'un examen attentif dont les résultats ont été publiés très récemment (1996)**". Ce bâtiment d'ampleur moyenne (26,40 sur 15,40 m) se présente comme un édifice de type basilical dont la nef compte trois vaisseaux; les bas-côtés aboutissent à deux annexes qui, en plan, affectent une forme de transept mais ne livrent aucun accès aux collatéraux et un accès très réduit au chœur stricto sensu. Sous la partie orientale de l'église se développe une crypte dont le plan sophistiqué est basé sur trois croix latines réunies par une traverse commune Nord-Sud et dont les deux escaliers d'accès prennent naissance dans les collatéraux. La date de construction peut être déterminée à la fois par les textes (charte de precaria oblata en faveur de Lorsch du 12 septembre 819", récit de la Translatio) et par la dendrochronologie (chênes servant de soutien aux arcs de tuf du vaisseau central de la nef^O : on pourrait penser à des travaux s'échelonnant entre 822 et 825*', soit trois ans, laps de temps très

Dans le même sens, G. Binding, Der friih- und hochmittelalterliche Bau- herr... cité n. 2, p. 48-49 et 55. D. Grossmann, Einhard-Basilika Steinbach, dans H. Roth et E. Wamers (éd.), Hessen im Fruhmittelalter... cité n. 56, p. 312-313, n" 212; Th. Ludwig, O. Miiller et H. Schefers, Michelstadt-Steinbach, Einhardsbasilika, dans J. Fried (éd.), 794 - Karl der Grosse... cité n. 82, p. 141-143, n" VII/4. ''Th. Ludwig, O. Miiller et I. Widdra-Spiess, Die Einhard-Basilika... cité n. 74. " Dont le texte est conservé dans le Chronicon Laureshamense, éd. K. A. F. Pertz, M.G.H., SS, XXI, p. 360; voir aussi éd. K. Glôckner, Codex Laures- hamensis... cité n. 70, I, p. 300-301, n" 20. Th. Ludwig, dans Id., O. Muller et L Widdra-Spiess, Die Einhards-Basilika cité n. 74, p. 15 (considérations critiques et techniques à partir du terminus post quem de 811 pour l'abattage). " On peut exclure la date de 821 proposée par J. Fleckenstein sur la base des Annales Fuldenses (J. Fleckenstein, Einhard... cité n. 12, p. 96-121 : p. 106). ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 357 bref mais similaire à ce que l'on a pu observer à Komelimûnster (815-817) et à Fulda (820-822)'». On a suggéré qu'un des prototypes de cette église aurait pu être l'église romaine de Santa Maria in Cosmedin, qu'Éginhard a peut- être vue à Rome en 806". Quoi qu'il en soit de cette hypothèse un peu audacieuse, de réelles similitudes existent avec des bâtiments sensiblement contemporains et construits dans la mouvance de la «réforme» monastique et canoniale du début du règne de Louis le Pieux : l'église abbatiale de Komelimûnster, l'église abbatiale de Fulda et l'église cathédrale de Cologne (sous l'épiscopat d'Hildebald, archichapelain pendant les premières années de la vie d'Éginhard à la cour d'Aix)'^ Par ailleurs, la crypte extrêmement sombre est bien dans la ligne des cryptes plus anciennes du type des églises anglo-saxonnes de la fin du VIP siècle (Ripon, Hexham)'\ La similitude avec l'atmos• phère des catacombes est manifeste'". Le plan complexe suggère la nécessité de disposer des reliques de plusieurs saints (idéalement trois; un par autel) et le couloir central, aboutissant à un cul-de-sac, comprend deux vastes niches destinées probablement à accueillir les sarcophages d'Éginhard et de sa femme''. L'emplacement prévu pour ces tombes est intéressant : près des saints (ad sanctos), sous la nef (et donc éloignées du chœur, réservé aux clercs) mais dans l'é• glise (espace alors autorisé pour certains fidèles laici et les fonda• teurs d'église)'*.

'"Th. Ludwig, dans Id., O. Muller et I. Widdra-Spiess, Die Einhards-Basili- ka... cité n. 74, p. 15-17. " Th. Ludwig, dans Id., O. Muller et I. Widdra-Spiess, Die Einhards-Basili- ka... cité n. 74, p. 18. Sur ces différentes églises, cf. W. Jacobsen, Allgemeine Tendenzen im Kir- chenbau unter Ludwig dem Frommen, dans P. Godman et R. CoUins (éd.), Charle- magne's Heir. New Perspectives on the Reign of (814-840), Oxford, 1990, p. 641-654 et Id., Gab es die karolingische «Renaissance» in der Baukunst?, dans Zeitschrift fiir Kunstgeschichte, 51, 1988, p. 313-347. Pour la comparaison avec Komelimûnster, voir Th. Ludwig, dans Id., O. Muller et I. Widdra-Spiess, Die Einhards-Basilika... cité n. 74, p. 51-52. R. N. Bailey, Saint Wilfrid's Crypts at Ripon and Hexham, Newcastle upon Tyne, s. d. (avec biblogr. compl.). '••Th. Ludwig, dans Id., O. Muller et I. Widdra-Spiess, Die Einhards-Basili• ka... cité n. 74, p. 49; H. R. Seeliger, Einhards rômische Reliquien... cité n. 65, p. 67. " Sur la difficile question de l'interprétation des arcosolia creusés à l'ex• trémité occidentale du drain central de la crypte de l'église de Steinbach, on trou• vera la bibliographie dans un chapitre de Th. Ludwig (Zur Nutzung der Krypta oder Unterkirche), dans Id., O. Millier et I. Widdra-Spiess, Die Einhards-Basili• ka... cité n. 74, p. 48-50. " Sur la législation canonique carolingienne en la matière, on se reportera à C. Treffort, L'Église carolingienne et la mort. Christianisme, rites funéraires et pra- 358 ALAIN DIERKENS

- L'église de Seligenstadt II est de plus grande ampleur que Stein- bach (nef : 33 m de long, transept : presque 30 m)". L'aspect est très similaire à celui de certaines églises paléochrétiennes de Rome'* : une façade simple (sans massif occidental) avec un portail central et deux portes latérales; une nef à trois vaisseaux; un véritable transept avec accès direct des bas-côtés"; une crypte annulaire à laquelle on accède par deux petits escaliers latéraux qui prennent naissance près du chœur. Ce type de crypte, très romain (influence de Saint-Pierre du Vatican?), permet une déambulation simple. Devant l'autel de la crypte, une fenestella permet de voir dans la memoria. Les tombes d'Éginhard et d'Emma ont été conçues à côté de la memoria"^. La construction de cette vaste église a posé bien des problèmes à Éginhard; peut-être son retrait de la Cour a-t-il tiédi l'enthousiasme de certains de ses amis et/ou bienfaiteurs"". On estime généralement que cet édifice, commencé après 830, a été achevé sous Ratleik peu après 840; la chronologie ne me semble pas aussi limitative et je penserais à des travaux commencés avant 830 (dès 828P)"'^ et quasi• ment terminés vers 836"". Il a été conçu, dès l'origine, pour accueil• lir une communauté religieuse"** (souhaitée tant par Eginhard que

tiques commémoratives, Lyon, 1996 et, surtout, à S. Scholz, Dos Grab in der Kirche. Zu einem theologischen und rechtlichen Hintergriinden in Spàtantike und FrUhmittelalter, dans Zeitschrift der Savigny-Stiftung fUr Rechtsgeschichte, 115, Ka- nonistische Abteilung, 84, 1998, p. 270-306. " A. Zôller, Einhard-Basilika. Seligenstadt, dans H. Roth et E. Wamers, Hes- sen im FrUhmittelalter... cité n. 56, p. 314-315, n" 213; H. Schefers, Seligenstadt, Einhardsbasilika St. Marcellinus und Petrus, dans J. Fried (éd.), 794 - Karl der Grosse... cité n. 82, p. 143-145, n° VII/5. Pour la façade, on a pensé à Sainte-Praxède de Rome réédifïée en 817/824 (H. Schefers, Seligenstadt... cité n. 97, p. 143). Éginhard n'a pu l'avoir vue. Faut-il penser à une suggestion de Ratleik, qui l'aurait visitée lors de son séjour romain de 827? De façon plus générale, voir la belle synthèse de W. Jacobsen, Die Renais• sance der fruhchristlichen Architektur in der Karolingerzeit, dans Chr. Stiegemann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur... Beitrage... cité n. 17, p. 623-642. " Voir les exemples de St-Pierre du Vatican, de l'église abbatiale de Saint- Denis reconstruite sous Fulrad vers 768, de l'église abbatiale de Fulda III (805- 819); cf. H. Schefers, Seligenstadt... cité n. 97, p. 144. C'est la conclusion à laquelle aboutit, après discussion nuancée, H. Sche• fers, Seligenstadt... cité n. 97, p. 144-145. Voir notamment, dans la correspondance d'Éginhard, les lettres 33 et 36 (éd. K. Hampe, p. 126-128). La lettre 10 de la correspondance d'Éginhard (éd. K Hampe, p. 113-114) ne s'oppose pas à cette proposition chronologique. ""Arguments dans ce sens : visite de Louis le Pieux à Seligenstadt; pre• mières attestations de la communauté religieuse de Seligenstadt avec Éginhard comme abbé et avec un avoué (lettres 50 et 53, éd. K. Hampe, p. 134 et 136); mort (janvier-février 836) et inhumation d'Emma dans la crypte de Seligenstadt. Canoniale et non monastique, comme l'a montré J. Semmler, Einhard... cité n. 32, p. 189. ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQIIES 359 par Ratleik) et la crypte est destinée, dès l'origine, à accueillir des re• liques dont on connaissait la nature et la provenance romaine. Peut- être faut-il trouver là une des vraies raisons de l'abandon de Stein- bach'°\ abandon qui a dû être programmé comme le prouve le fait que, si l'on suit le récit très détaillé de la Translatio, les reliques de Pierre et Marcellin ont été placées dans le chœur de l'église de Stein- bach mais jamais dans la crypte. Manifestement, l'église de Seligen- stadt II - qui n'a toujours pas bénéficié d'une monographie satis• faisante - incame les espoirs d'Éginhard, devenu «monomaniaque» de Pierre et Marcellin qu'il ne veut plus quitter'"*, surtout après la mort d'Emma (13 décembre 835?)"". Le choix d'un modèle romain n'en est que plus évocateur. Comme on vient de le voir, les trois églises qu'a fait construire Éginhard répondent à des motivations très différentes"". Seligen- stadt I est une église domaniale, au plan simple mais de grand mo• dule. Michelstadt / Steinbach a été conçue dans l'atmosphère de ré-

Parmi les autres raisons possibles (et ne s excluant d'ailleurs pas l'une l'autre), j'insisterais sur les conséquences de la charte de précaire de 819 (citée n. 87) en vertu de laquelle Michelstadt/Steinbach appartiendrait à l'abbaye de Lorsch à la mort d'Éginhard et d'Emma (la clause prévoyant la dévolution à un éventuel enfant d'Éginhard et d'Emma devait être ressentie comme sans effet vers 828). Non seulement ce contrat faisait naître la possibilité d'une intrusion de Lorsch dans la gestion du domaine de Michelstadt, mais il hypothéquait lourde• ment l'avenir d'une communauté religieuse (canoniale) créée autour des reliques de Pierre et Marcellin. Le rôle de Ratleik, plus proche de Fulda que de Lorsch, et manifestement successeur désigné d'Éginhard a dû être important. Par ailleurs, Éginhard n'a jamais dû penser à des reliques aussi prestigieuses que celles que Ratleik lui a ramenées de Rome. L'effet d'heureuse surprise, joint à la dévotion exclusive d'Éginhard envers «ses» saints, a également dû pousser à la création d'une nouvelle église ad hoc, siège d'une communauté religieuse dont Éginhard puis Ratleik seraient les supérieurs. '"<' En ce sens, la lettre à Gerward (Éginhard, lettre 52, éd. K. Hampe, p. 135) dans laquelle Éginhard signalait à son ami et possible successeur qu'il lui serait désormais impossible de quitter plus d'une semaine ses saints (qui le lui avaient d'ailleurs ordonné de la façon la plus nette) est extrêmement significative. Cette mort fait l'objet d'un bel échange épistolaire entre Éginhard et Loup de Ferrières; éd. L. Levillain, Loup de Ferrières, Correspondance. I. 829-847, Paris, 1927 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Âge, 10), p. 10-41 (lettres 2 à 4) ou éd. P. K. Marshall, Servatus Lupus. Epistulae, Leipzig, 1984 (Bibliotheca Scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana), p. 3-15. Sur Emma, dont on a conservé deux lettres dans la correspondance d'Éginhard (lettres 37 et 38, ed. K. Hampe, p. 128-129), voir J. Fleckenstein, Einhard... cité n. 12, p. 106 et 114; M. Stratmann, Einhards letzte Lebensjahre... cité n. 23, p. 333 et R. McKitterick, Women and Literacy in the early Middle Ages, dans Ead., Books, Scribes and Lear- ning in the Frankish Kingdoms, 6'''-97''' Centuries, Aldershot, 1996, art. XIII (p. 36) (trad. anglaise de Frauen und Schriftlichkeit im FrUhmittelalter, dans H.-W. Goetz (éd.), Weibliche Lebensgestaltung im frûhen Mittelalter, Cologne-Weimar-Vienne, 1991, p. 65-118). '™ G. Binding, Derfriih - und hochmittelalterliche Bauherr... cité n. 2, p. 54-57. 360 ALAIN DIERKENS forme religieuse incamée par Benoît d'Aniane et par les conciles de 816-817, pour qu'Éginhard et Emma puissent s'y retirer à la fin de leur vie. Le plan de l'église, dont le plan complexe de la crypte (ou de l'église inférieure"") intègre les tombes des fondateurs, suggère qu'elle a été prévue pour accueillir une communauté religieuse. Se- ligenstadt, délibérément romaine dans son plan (peut-être la façade, assurément la nef, le transept et la crypte annulaire), a été conçue en connaissance de cause, comme écrin pour des reliques romaines prestigieuses. Elle devait également abriter une communauté reli• gieuse dont, à brève échéance, l'abbé devait être Ratleik, lui aussi ex• trêmement sensible au milieu romain"". Les proportions de ces églises sont très comparables et remontent à des options mathéma• tiques fondamentales pour Éginhard'". En ce qui concerne l'œuvre artistique d'Éginhard, je ne crois pas qu'il faille retenir une hypothèse de l'historien d'art Christian Beu- tler qui, ici comme dans d'autres publications, aime à vieillir un cer• tain nombre d'œuvres romanes auxquelles il confère une datation carolingienne Dans le présent cas, partant de l'idée qu'il existait une grande statuaire carolingienne, surtout en stuc (et, sur ce point, il a certainement raison)'", Christian Beutler date du IX= siècle une statue - un «porte lavabo» - de Seligenstadt qu'il interprète comme le résultat de la réunion, vers 1870, d'une tête romane de Pierre et d'un corps carolingien de Marcellin"''. Si la réunion, à la fin du XIX'' siècle, de deux éléments hétérogènes semble se confirmer, le corps de la statue n'est pas carolingien, mais roman'".

""Th. Ludwig, Die Krypta oder Unterkirche, dans Id., O. Millier et I. Widdra- Spiess, Die Einhards-Basilika... cité n. 74, p. 48-49, s'interroge sur une impor• tante question de terminologie : «Eine Krypta diente der Aufnahme aines Schreines mit den Gebeinen eines Heiligen, uber dem in der Basilika ein Altar gestânden hâtte; durch dièse Beziehung wâren Krypta und Basilika eng mitei- nander verbunden worden. Die Dégriffé Unterkirche und Oberkirche dagegen be- zeichnen eine stârkere Eigenstândigkeit und Trennung beider Kirchenteile vonei- nander : Hier wâre in der Oberkirche der Schrein mit den gebeinen des Heiligen aufgestellt, wâhrend die Unterkirche als Grablege des Stifters und seiner Gattin diente, in der Gottesdienste fur den Verstorbenen abgehalten werden konnten». "° Éginhard, Translatio sanctorum Pétri et Marcellini, I, 1, éd. Waitz, p. 240 : ...notarium meum nomine Ratleicum, quia et ipse orandi causa Romam eundi vo- tum habebat. "' G. Binding, Derfriih - und hochmittelalterlichen Bauherr... cité n. 2, p. 56. Un autre exemple, parmi d'autres : Chr. Beutler, Die Entstehung des Altar- aufsatzes. Studien zum Grab Willibrords in Echtemach, Munich, 1978. Chr. Beutler, Einhard und Bonifatius. Ein Beitrag zur Bildpolitik der Karo- linger, dans H. Scheffers, Einhard. Studien... cité n. 2, p. 139-153 : p. 152-153. ""Chr. Beutler, Statua..., cité n. 6, p. 13-32. H. Schefers, Einhards rômische Reliquien... cité n. 65, p. 292, n. 25. Opi• nion prudente : H. R. Seeliger, Einhards rômische Reliquien... cité n. 65, p. 69 et p. 75, n. 75. ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 361

Par contre, à l'évocation des bâtiments carolingiens, il faut ici ajouter les fragments de petits éléments architecturaux en ivoire trouvés en 1939 dans un reliquaire de Pierre et Marcellin scellé dans l'autel majeur de Seligenstadt et accompagnés d'une authentique des années 1030/1040 Rel(iquiae) s(anct)orum martyrum Marcellini et PelrV"". L'intérêt de ces éléments d'ivoire n'a été perçu que récem• ment'" : vingt-trois plaquettes en ivoire décorées de petits cercles, douze fragments de colonnes d'une dizaine de centimètres de haut (colonnes cannelées, chapiteaux ioniques, bases attiques) de propor• tions classiques'". Il semble évident qu'il s'agit des restes d'un reli• quaire classicisant. Comment ne pas le rapprocher d'une mention dans une lettre conservée dans la correspondance d'Éginhard'" et adressée à un nommé Vussin, qui n'est pas connu par ailleurs? L'ex• péditeur de la lettre s'interroge sur le sens de passages obscurs de l'œuvre de Vitruve, qui, croit-il, ont été mis en pratique (demonstra- tio) dans une capsella quam domnus E. columnis ebumeis ad instar antiquorum operum fabricavit. Les opinions sont divisées sur l'iden• tité de ce domnus E. nécessairement différent de l'expéditeur de la lettre (expéditeur qui ne peut pas être Éginhard, qui connaissait bien Vitruve). Dans l'état actuel des recherches, l'interprétation la plus solide me semble celle qui identifie Éginhard avec le domnus E. et qui voit dans la capsella mentionnée le reliquaire dont des frag• ments ont été conservés à Seligenstadt'^"; Vussin aurait été un dis• ciple d'Éginhard à Seligenstadt (comme le suggère un mot de la lettre : ibidem) et la lettre, dont il faut se résoudre à ignorer l'ex-

Publication : R. Biichler et H. Zeilinger, Reste einer karolingische Elfenbeinarbeit in Seligenstadt, dans Kunst in Hessen undam Mittelrhein, II, 1971, p. 19-31. Résumé actualisé : R. Zeilinger, Éginhard et la sculpture carolingienne, dans Dossiers de l'Archéologie, 30... cité n. 18, p. 104-112. Voir les publications citées dans la note précédente ainsi que D. von Reit- zenstein, Fragmente eines Reliquiares, dans H. Roth et E. Wamers (éd.), Hessen im Fruhmittelalter... cité n. 56, p. 324-325, n° 217; A. Thiel, Sdulchen von einem Reliquiar, dans J. Fried (éd.), 794 - Karl der Grosse... cité n. 82, p. 157, n" VII/18. V. Mortet, La mesure et les proportions des colonnes antiques, dans Biblio• thèque de l'École des chartes, 59, 1898, p. 56-72. '"Éginhard, Ep. 57, éd. K. Hampe, M.G.H., Ep., V, p. 137-138. Cette lettre sans nom d'expéditeur est envoyée karissimo filio Vussin. Le passage qui m'in• téresse ici se trouve à la fin de cette brève lettre : Misi igitur tibi verba et nomina obscura ex libris Vitruvi, quae ad praesens occurrere poterant, ut eorum notitiam ibidem perquires. Et credo, quod eorum maxima pars tibi demonstrari possit in capsella, quam domnus E. columnis ebumeis ad instar antiquorum operum fabri• cavit. C'est l'hypothèse, par exemple, de H. Belting, Der Einhardsbogen... cité n. 42, p. 114; de K. Hoffmann, Besprechung Hauck, Das Einhardkreuz..• cité n. 44, p. 98-99 et n. 41; et de G. Binding, Derfriih - und hochmittelalterliche Bau- herr... cité n. 2, p. 38. 362 ALAIN DIERKENS

péditeur, aurait fait partie du corpus épistolaire conçu à Saint-Ba- von à cause de son contenu, lié à l'activité d'Éginhard.

Conclusions

Éginhard ne fut vraisemblablement pas architecte, artiste ou arti• san lui-même'^' et on ne peut dissocier Éginhard homme de lettres et Éginhard responsable d'œuvres d'art. Par contre, on pourrait se de• mander si Éginhard homme public s'identifie complètement avec Éginhard homme privé. Peut-on lui appliquer le constat, récemment fait à propos de la correspondance de Loup de Ferrières'", que ses écrits privés seraient moins «filtrés» que sa correspondance et ses œuvres publiques? Ainsi, la première des lettres conservées de Loup à Éginhard semble témoigner d'un amour des lettres profanes dont on ne trouve pas l'équivalent dans les œuvres officielles d'Éginhard'". Quels sont les rapports d'Éginhard avec la Renaissance carolin• gienne? Je voudrais en examiner conjointement deux aspects qui re• joignent les préoccupations de ce colloque : connaître et utiliser le passé (le passé comme autorité et comme modèle); améliorer le présent. Éginhard connaît bien le passé antique, à la fois chrétien et pro• fane ou non-chrétien (termes préférables, je crois, à celui de «païen», notion trop connotée'^"). Il le connaît et l'aimera jusqu'à la fin de sa vie. C'est ce que prouvent ses fonctions de bibliothécaire et d'archiviste au palais, le catalogue des œuvres de sa bibliothèque'^^.

Dans le même sens, J. Leclercq-Marx, Les signatures d'orfèvres au Moyen Âge. Entre sociologie, théologie et histoire, dans Mélanges offerts à Michel Hano- tiau, Bruxelles, 2000, p. 89-112 : p. 99-100. Opinion plus nuancée : H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 9. A. Knaepen, L'histoire gréco-romaine dans les sources littéraires latines de la première moitié du IX' siècle : quelques conclusions provisoires, dans Revue belge de philologie et d'histoire, 79, 2001, p. 341-372. Voir aussi sa thèse de docto• rat, en voie d'achèvement sous la direction de Jean-Marie Sansterre et de Régine Le Jan : La matière historique gréco-romaine dans les sources littéraires latines du VIII' au XI' siècle. Images de l'Antiquité au Moyen Âge (2004). '"Loup de Ferrières, Ep. 1, éd. L. Levillain, Correspondance... cité n. 107, p. 1-11 ou éd. P. K. Marshall, Servatus Lupus... cité n. 107, p. 1-3. i^" Le mot et le concept de «paganisme» me semblent souvent utilisés de fa• çon ambiguë. Sur cette question de terminologie, je me permets de renvoyer aux quelques réflexions préliminaires que j'ai publiées dans un tout autre contexte : A. Dierkens, Christianisme et «paganisme» dans la Gaule septentrionale aux V' et VI' siècles, dans D. Geuenich (éd.). Die Franken und die Alemannen bis zur «Schlacht bei Zulpich» (496/97), Berlin-New York, 1998 {Ergànzungsbànde zum Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, 19), p. 451-474. Catalogue, manifestement très détaillé, dont l'existence est connue par une lettre de Loup de Ferrières à Éginhard (v. 829-830), éd. L. Levillain, Corres- ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 363 le contenu de sa correspondance avec Loup de Ferrières'^', son usage de Suétone'". Mais ce passé est trié, épuré, vidé de toute allusion au paganisme en tant que tel (que l'on pense à l'arc de Maastricht). Il reste des sous- entendus, des correspondances implicites ainsi qu'une syntaxe aux nettes connotations idéologiques, qui permet de mobiliser le passé, comme modèle, comme formulaire, comme référence pratique. Ce passé épuré est celui sur lequel on construit pour un meilleur état de la société chrétienne; la syntaxe antique sert à élever le christianisme, comme l'arc de Maastricht utilisait la forme artistique du triomphe antique pour magnifier la croix ou comme, deux siècles plus tard, l'é- vêque Bemward d'Hildesheim décrira, sur la colonne de bronze conservée aujourd'hui à la cathédrale d'Hildesheim, la vie du Christ selon un mode issu des victoires des empereurs antiques'^*. Et qu'en est-il de l'autorité du passé dans l'œuvre littéraire et ar• tistique d'Éginhard? André Vauchez, dans ses mots d'introduction au colloque, a parlé d'une «culture du remploi». Helmut Beumann disait, avec pertinence et sobriété : «Zitat, Entlehnung, Topos und Formular sind légitime Formen der Aussage in einem Zeitalter, dem Autoritât ailes, Originalitàt nichts bedeutete»'". Certes, mais il s'agit - pour reprendre les termes de Michel Zimmermann - d'un passé «à géométrie variable»"". Pour illustrer cette idée et avant de l'appliquer à Éginhard, on peut envisager le cas des sarcophages antiques remployés'" pour y

pondance, I, p. 2-11 : p. 8 {in brevi voluminum vestrorum et, plus loin, in praedicto brevi) ou éd. P. K. Marshall, Servatus Lupus, p. 1-3 : p. 2. '"Loup de Ferrières, Lettres, 1-5, éd. P. K. Marshall, Servatus Lupus... cité n. 107, p. 1-15 ou éd. L. Levillain, Correspondance... cité n. 107, I, p. 2-51. "Unfra, n. 150. Supra, n. 63. H. Beumann, Topos und GedankenfUge bei Einhard, dans Archiv fUr Kul- turgeschichte, 33, 1951, p. 337-350 : p. 350 (article réimprimé dans H. Beumann, Ideengeschichtliche Studien zu Einhard und anderen Geschichtsschreibem des frii- heren Mittelalters, Darmstadt, 1962). Cette belle phrase d'H. Beumann est égale• ment citée par H. Belting, Der Einhardsbogen... cité n. 42, p. 114. ""M. Zimmermann, Sicut antiquitus sancitum est... Tutelle des anciens ou protection de l'innovation ? L'invocation du droit et la terminologie politique dans les représentations médiévales en Catalogne (IX'-XII' siècle), dans le présent volume. Sur les remplois de sarcophages romains au Moyen Âge, voir Chr. Beu- tler, Statua... cité n. 6, p. 65-76; A. Effenberger, Die Wiederverwendung rômischer, spàtantiker und byzantinischer Kunstwerke in der Karolingerzeit, dans Chr. Stiegemann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur... Beitràge... cité n. 17, p. 643-661 : p. 650-651. On espère la parution rapide de Br. Christem, Wie- derverwendete fruhchristliche Sarkophage im Mittelalter in Frankreich, dans G. Koch et Fr. Baratte (éd.), Fruhchristliche Sarkophage. Symposium Marburg 1999, sous presse.

16 364 ALAIN DIERKENS placer le corps des membres de la famille carolingienne'". L'ordre chronologique des exemples cités n'est peut-être pas contraignant, même si je le crois significatif d'une évolution de pensée'". - Carloman, frère de Charlemagne, est enterré à Saint-Remi de Reims en 771 dans un sarcophage figurant une chasse (occupation magnifiée au sein de l'aristocratie médiévale et particulièrement pri• sée par les Carolingiens)'^'* et présenté sur quatre colonnes'^^. - Charlemagne, enterré à Aix en 814, a opté pour un thème nette• ment païen (l'enlèvement de Proserpine aux Enfers) mais susceptible d'explication et d'interprétation chrétienne; son sarcophage (Rome, premier quart du IIP siècle) est enterré et n'est donc plus visible'^*. - Louis le Pieux, dont les funérailles à Saint-Amoul de Metz, en 840, ont été orchestrées par son demi-frère Drogon'", repose dans

Sur cette question, Alain Dierkens, Autour de la tombe de Charlemagne. Considérations sur les sépultures et les funérailles des souverains carolingiens et des membres de leur famille, dans Byzantion, 61, 1991 (= Le souverain... cité n. 17), p. 156-180; J. Nelson, Carolingian Royal Funeral, dans Fr. Theuws et J. L. Nelson (éd.), Rituals of Power. From Late Antiquity to the Early Middle Ages, Leiden- Boston-Cologne, 2000 {The Transformation of the Roman World, 8), p. 131-184; A. Dierkens, Les funérailles royales carolingiennes, dans J. Marx et A. Dierkens (éd.), La sacralisation du pouvoir. Images et mises en scène , Bruxelles, 2003 (Pro• blèmes d'histoire des religions, 13), p. 45-58. Le principe du remploi d'un sarcophage est, en soi, extraordinairement éloquent : certains souverains choisissent délibérément comme réceptacle éter• nel (ou supposé tel) de leur corps, un sarcophage qui a déjà servi. Là oii certains historiens seraient enclins à parler de «second choix», il faut au contraire insister sur la valeur ajoutée que confèrent à un sarcophage antique de qualité sa réalisa• tion par un artiste antique et son premier usage dans une période de référence. Sur la chasse au Haut Moyen Âge, je retiendrai, dans une bibliographie immense, A. Paravicini Bagliani et B. Van den Abeele (éd.), La chasse au Moyen Age. Société, traités, symboles, Florence, 2000 (Micrologus' Library, 5). A. Erlande-Brandenburg, Le roi est mort. Étude sur les funérailles, les sé• pultures et les tombeaux des rois de France jusqu'à la fm du XIII' siècle, Genève, 1975 {Bibliothèque de la Société française d'archéologie, 7), p. 178-179; R. Ha- mann-Mac Lean, Die Reimser Denkmale des franzôsischen Kônigtums im 12. Jahr- hundert. Saint-Remi als Grabkirche im fruhen und hohen Mittelalter, dans H. Beu- mann (éd.), Beitràge zur Bildung der franzôsischen Nation im Friih - und Hoch- mittelalter, Sigmaringen, 1983 {Nationes, 4), p. 93-259 : p. 126-138; A. Prache, La tombe du roi Carloman à Saint-Remi de Reims, dans M. Rouche (éd.), Clovis. His• toire et mémoire. Actes du colloque international d'histoire de Reims. II. Le baptême de Clovis, son écho à travers l'histoire, Paris, 1997, p. m-19i'\. P. E. Schramm et Fl. Mùtherich, Denkmale der deutschen Kônige und Kai• ser. Ein Beitrag zur Herrschergeschichte von Karl dem Grossen bis Friedrich H. (769-1250), Munich, 1962, p. 120, n" 18; E. G. Grimme, Der Aachener Dom- schatz, Dûsseldorf, 1972 {Aachener Kunstblàtter, 42), p. 8, n" 3; Th.-M. Schmidt, Proserpina-Sarkophag, dans Chr. Stiegmann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur... Katalog... cité n. 3, II, p. 758-763, n" X.41. S. Glansdorff, L'évêque de Metz et archichapelain Drogon (801/802 - 855), dans Revue belge de philologie et d'histoire, 81, 2003, sous presse. Rappelons qu'en ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 365 un sarcophage romain (fin IV' siècle) à motif biblique (le passage de la Mer Rouge par les Hébreux sous la conduite de Moïse), christiani• sé par l'adjonction d'un chrisme''^ qu'il s'agit de comprendre au se• cond degré, par typologie est-on tenté de dire mais une typologie où à la correspondance Ancien Testament / Nouveau Testament s'a• joute le rapprochement entre l'Ancien Testament et la politique im• périale (Moïse et le peuple juif / Louis et le peuple chrétien)"'. - Quant aux tombes de Charles le Chauve et de Louis le Germa• nique, elles montrent un passé totalement épuré, désincarné, dé• pouillé et s'inscrivent dans la ligne d'une simple syntaxe faisant, de façon très différente, référence au passé classique comme idéologie du pouvoir : une baignoire romaine pour Charles le Chauve à Saint- Denis'"", un sarcophage carolingien aux motifs décoratifs antiqui- sants pour Louis le Germanique à Lorsch''". On peut appliquer mutatis mutandis ces réactions face au passé à Éginhard qui apparaît, je crois, comme une extraordinaire incar• nation des différentes options culturelles de la Renaissance carolin• gienne face au passé. Comme l'écrit si bien Josef Fleckenstein, Égin-

un premier temps, Louis le Pieux avait probablement pensé à se faire enterrer de• vant le porche de 1 église abbatiale de Komelimùnster; cf. L. Hugot, Komeli- munster. Untersuchung iiber die baugeschichtliche Entwicklung der ehemaligen Be- nediktinerklosterkirche, Cologne-Graz, 1968, p. 103-110. J. Doignon, Le monogramme cruciforme du sarcophage paléochrétien de Metz représentant le passage de la Mer Rouge, dans Cahiers archéologiques, 12, 1962, p. 65-87. ™ J. A. SchmoU gen. Eisenwerth, Das Grabmal fraiser Ludwigs des Frommen in Metz, dans Aachener Kunstblàtter, 45, 1974, p. 75-96; R. Melzak, Antiquaria- nism in the Time of Louis the Pious and its Influence on the Art of Metz, dans P. Godman et R. Collins (éd.), Charlemagne's Heir... cité n. 92, p. 629-640; M. Gaillard, L'éphémère promotion d'un mausolée dynastique : la sépulture de Louis le Pieux à Saint-Amoul de Metz, dans Médiévales, 33, 1997, p. 141-151; Th.- M. Schmidt, Fragmente eines Sarkophags, dans Chr. Stiegmann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur... Katalog... cité n. 3, II, p. Ibi-lbb, n" X.42; E. Bos- hof, Ludwig der Fromme, Darmstadt, 1996 (Gestalten des Mittelalters und der Re• naissance), p. 247-250; I. Bardiès, Sarcophage de Louis le Pieux, dans Le chemin des reliques. Témoignages précieux et ordinaires de la vie religieuse à Metz au Moyen Age, Metz, 2000, p. 23-25. D. Gaborit-Chopin, Baignoire de prophyre, dans Le Trésor de l'abbaye de Saint-Denis. Catalogue d'exposition, Paris, 1991, p. 69, n" 6; J. Nelson, La mort de Charles le Chauve, dans Médiévales, 31, 1996 {La mort des grands), p. 53-66; M. Hageman, Rottend lijk of reliek? De begrafenis van Karel de Kale binnen de vorstelijke beeldvorming, dans Millenium. Tijdschrift voor Middeleeuwse studies, 15, 2001, p. 3-17. ''" P. E. Schramm et Fl. Mùtherich, Denkmale... cité n. 136, p. 128, n- 37; E. Berlet, Der Sarkophag Ludwigs des Deutschen, dans Beitràge zur Geschichte des Klosters Lorsch, Lorsch, 2' éd., 1980 {Geschichtsbldtter Kreis Bergstrasse, Sonder- band 4), p. 165-172; W. Hartmann, Ludwig der Deutschen... cité n. 71, p. 61-62. 366 ALAIN DIERKENS

hard est un vir palatinus parfait"'^ Sa sagesse est unanimement louée; les textes (pourtant volontiers polémiques) parlent de sapien- tia, d'honestas morum, de prudentia, de probitas'^^. Il est Beseleel, le responsable de la construction de l'Arche (c'est-à-dire, à un titre ou à un autre, du palais impérial carolingien). Par ses fonctions à la cour (archives et bibliothèque), il est le gardien de la mémoire récente'"'' et de la mémoire ancienne. Mais qu'en est-il de son attitude envers le passé, «à géométrie variable»? Les quatre attitudes que je viens d'es• quisser en prenant les sarcophages comme exemples se retrouvent chez Éginhard : - le stade du passé récupéré sans danger pour le Salut : «il est permis de récupérer dans les œuvres païennes tout élément utile, à condition qu'il soit compatible avec la religion chrétienne, ou qu'il soit christianisable»'''^ On trouve cette idée, aux accents parfois uti- litaristes, dans l'amour d'Éginhard pour les mathématiques'"*, pour Vitruve''",pour certains canons esthétiques classiques, pour les artes libérales (Éginhard semble avoir toujours été plus sensible au qua- drivium qu'au trivium). Cet amour, manifeste depuis la première lettre d'Alcuin jusqu'à la dernière lettre conservée de Loup de Fer- rières à Éginhard en SSé'"', est présent dans les proportions des

'•"^ J. Fleckenstein, Einhard... cité n. 12, p. 97. J. Fleckenstein, Einhard... cité n. 12, p. 96-97. '"'*'On pourrait parler de «passé proche», mais un long passé proche... car Éginhard a vécu soixante-dix ans, dont plus de trente à la cour. On ne sait quand Éginhard abandonna ses fonctions de bibliothécaire et de chargé des travaux royaux, peut-être en faveur de Gerward, dont le rôle est manifestement fort im• portant pour Éginhard, puisque c'est à lui qu'il envoie la première version de la Vita Karoli (cf. M. Tischler, Einharts Vita Karoli... cité n. 4, p. 78-101); cf. aussi Éginhard, Lettre 52, éd. K. Hampe, p. 135 et Id., Translatio, IV, 7, éd. G. Waitz, p. 258 : Gerwardus palatii bibliothecarius, cui tune temporis etiam palatinorum operum ac structurarum a rege cura commissa erat. Il faudrait, me semble-t-il, pousser plus loin les investigations sur ce personnage; cf. les indications d'H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 10-12. '•"A. Knaepen, L'histoire gréco-romaine... cité n. 122, p. 370. Supra n. 20 (lettre d'Alcuin) et infra n. 148-149. Voir H. Schefers, Einhard. Ein Lebensbild... cité n. 2, p. 7 et n. 25; G. Binding, Der friih - und hochmitte- lalterlichen Bauherr... cité n. 2, notamment p. 183-195 et 275-287. '•" Lettre à Vussin, citée n. 119. Sur cette question particulière, voir C. Heitz, Vitruve et l'architecture du haut Moyen Age, dans La cultura antica nell'Occidente latino dal Vil all'Xl secolo, Spolète, 1975 (Settimane di studio del Centra italiano di studi sull'alto medioevo, XXII, 1974), p. 725-752 : p. 747-750 et A. Zettler, Zeich- nungen, dans Chr. Stiegmann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur... Ka- talog... cité n. 3, t. I, p. 78-79 (n» IL 40). Depuis la lettre d'Alcuin citée supra n. 19 jusqu'à la dernière lettre de Loup de Ferrières à Éginhard (mai 836), éd. L. Levillain, Loup de Ferrières. Cor• respondance... cité n. 107, p. 40-51 ou éd. P. K. Marshall, Servatus Lupus... cité n. 107, p. 13-15 (à propos d'un passage du De arithmetica de Boèce). ÉGINHARD ET LES IDÉAUX ARTISTIQUES 367

églises conçues par Éginhard, dans l'arc de Maastricht et dans le re• liquaire de Seligenstadt. - le stade du passé a priori «connoté» et donc potentiellement dangereux, qu'il faut expliquer, dépouiller, dédramatiser, purifier, se trouve dans la Vita KaroW*"^, car il fallait éviter que Charlemagne soit inscrit dans une suite d'empereurs païens, en faisant donc l'impasse sur Constantin ou Théodose. - le stade d'exaltation d'un passé sélectionné (le passé chrétien, à l'exclusion de tout autre élément) est perceptible dans le choix de re• liques romaines, dans la typologie des cryptes de Michelstadt / Stein- bach et, surtout, de Seligenstadt II, etc. - le stade du passé désincarné utilisé seulement comme ré• férence idéologique, lointaine mais fondamentale, comme syntaxe pure : ainsi l'idée de l'arc triomphal pour exalter au mieux la Croix. Éginhard le Sage est, dans sa Vita Karoli comme dans sa Trans- latio sanctorum Pétri et Marcellini, le gardien de la mémoire an• cienne et de la mémoire récente. Mais il est aussi, par les modèles qu'il propose et dont certains apparaissent comme désincarnés, l'au• teur d'une mémoire étemelle.

Alain DIERKENS

Post-scriptum : Le manuscrit de cet article était confié à l'imprimeur quand j'ai pu prendre connaissance de deux importants articles récents de Julia Smith. Dans le premier {Einhard : the Sinner and the Saints, dans Tran• sactions of the Royal Historical Society, 6" s., 13, 2003, p. 55-77), Julia Smith éclaire d'un jour extrêmement neuf la biographie d'Éginhard et, surtout, celle de sa femme Emma. À quelques détails près (ainsi, p. 58, elle suggère que Vussin {supra, n. 119 et 120) ait pu être le fils d'Emma et d'Éginhard; ce qui me semble improbable), son interprétation est totalement convaincante. Avec sensibilité et finesse, Julia Smith analyse la piété du couple, insiste sur la place du péché dans la spiritualité d'Éginhard (p. 60-61) et met en contex-

J. Meyers, Éginhard et Suétone. A propos des chapitres 18 à 27 de la Vita Karoli, dans M. GouUet et M. Parisse (éd.). Les historiens et la latin médiéval. Col• loque tenu à la Sorbonne les 9, 10 et 11 septembre 1999, Paris, 2001, p. 129-150, pro• cède à une superbe réhabilitation de la valeur de la Vita Karoli. Il écrit notam• ment : «l'originalité d'Éginhard est d'avoir écrit une treizième Vie des Césars pour faire apparaître l'empereur des Francs comme un nouvel Auguste, mais d'a• voir suffisamment d'indépendance pour ne pas transformer son héros en sosie de l'empereur romain» (p. 143). Ne peut-on aller plus loin encore et voir, dans les rapports entre Charlemagne et les douze empereurs de Suétone, l'expression de l'assimilation discrète du roi des Francs avec le Christ, guide des douze apôtres? 368 ALAIN DIERKENS te la dévotion d'Éginhard et d'Emma pour Pierre et Marcellin. Enfin, p. 73- 75, elle montre l'intérêt du ms. Vercelli, Bibl. Cap. 149 (éd. P. Salmon, 1977), une abréviation du psautier due à Éginhard lui-même («his most private, heartfelt work»). Dans le second {«Emending Evil Ways and Praising God's Omnipotence». Einhard and the Uses of Roman Martyrs, dans K. Mills et A. Grafton (éd.), Conversion in Late Antiquity and the Early Middle Ages. Seeing and Believing, Rochester, 2003, p. 189-223), Julia Smith approfondit la conception de la «Renaissance» carolingienne (renovatio, correctio, emen- datio, reformatio etc.) d'Éginhard d'après les miracles rapportés dans la Translatio sanctorum Marcellini et Pétri. Dans ce contexte, elle étudie notam• ment le plan des cryptes des églises de Michelstadt / Steinbach et de Se- ligenstadt; elle les met en relation avec des églises de Rome, notamment Sainte-Praxède (cfr. les p. 206-210, qui complètent avantageusement la n. 98 supra), et le culte de certains saints martyrs romains.