NOTES TECHNIQUES par Norman McLaren (1933-1984)

Tout au long de sa carrière, McLaren a reçu de nombreuses questions concernant ses films et ses techniques. Pour répondre facilement et précisément à ces demandes, il a élaboré des notes techniques sur plusieurs de ses oeuvres.

Toutes ces notes techniques, rédigées et révisées par Norman McLaren entre 1933 et 1984, ont été traduites en français et rassemblées en un seul recueil.

Certains de ces textes ont été publiés en versions très légèrement modifiées dans Norman McLaren : Le génie créateur, Don McWilliams (dir.). Montréal : Office national de film du Canada, c1993, 106 p.

© 2006 Office national du film du Canada

Table des matières

Notes techniques sur Alouette (1944) ...... 3 Notes techniques sur Ballet Adagio (1972)...... 4 Notes techniques sur Blinkity Blank (1955) ...... 5 Notes techniques sur Canon (1964)...... 7 Notes techniques sur Caprice en couleurs (1949)...... 9 Notes techniques sur C’est l’Aviron (1944)...... 11 Notes techniques sur Discours de bienvenue (1960)...... 15 Notes techniques sur L'écran d'épingles (1973) par Guy Glover...... 16 Notes techniques sur Fiddle-de-dee (1947)...... 17 Notes techniques sur Il était une chaise (1957) ...... 18 Notes techniques sur Keep Your Mouth Shut (1944) ...... 21 Notes techniques sur Là-haut sur ces montagnes (1945) ...... 22 Notes techniques sur Lignes horizontales (1961-1962) ...... 23 Notes techniques sur Lignes verticales (1960)...... 25 Notes techniques sur A Little Phantasy (1946)...... 27 Notes techniques sur Le Merle (1958) ...... 28 Notes techniques sur Mosaïque (1965) ...... 29 Notes techniques sur Narcisse (1983)...... 31 Notes techniques sur New York Lightboard (1961)...... 40 Notes sur la technique de l’image multiple dans Pas de deux (1967) ...... 41 Notes techniques sur A Phantasy (1948) ...... 44 Notes techniques sur La poulette grise (1947) ...... 46 Notes techniques sur la bande son de Points et Boucles (1940)...... 48 Notes techniques sur les premiers films (1933-1939) ...... 51 Notes techniques sur (1956) ...... 54 Notes techniques sur Serenal (1959)...... 56 Notes techniques sur Mail Early for Christmas (1959)...... 56 Notes techniques sur Short and Suite (1959) ...... 57 Notes techniques sur Sphères (1969)...... 58 Notes techniques sur Synchromie (1971) ...... 60 Notes techniques sur Étoiles et Bandes (1939), Boogie-Doodle (1940), Points (1940), Boucles(1940), Mail Early for Christmas(1941), V for Victory (1941), (1942) ...... 62 Notes techniques sur Five for Four (1942), Dollar Dance (1943), Hoppity Pop (1946)...... 63 Notes techniques sur l'animation image par image de personnages humains (1952) ...... 64 Notes techniques sur la production de son animé optique suivant la méthode des cartes de son (1952)...... 69 L'animation stéréoscopique (1951)...... 80 Bande son par dessin direct pour débutants (1969) ...... 91 Notes sur le son animé tel que mis au point à l’ONF selon la technique des cartes (1952) ...... 96 Index des films...... 101

2 Notes techniques sur Alouette (1944)

De la série de chants en choeur Let’s All Sing Together. No.1 (noir et blanc)

La musique a été préalablement enregistrée. Nous avons procédé de la façon habituelle en calculant en nombre d'images sur la piste sonore les mesures rythmiques, les phrases musicales ainsi que les mots de la chanson.

Ces valeurs ont ensuite été inscrites sur une fiche de tournage qui allait nous servir de guide.

Les images ont été animées par simples découpages de papier blanc que l'on a déplacés vue par vue sur une surface noire.

Norman McLaren (1944, révisé en 1984)

3 Notes techniques sur Ballet Adagio (1972)

Nous avons réalisé ce film au ralenti dans le but de montrer aux étudiants de ballet la « mécanique » des corps en mouvement dans un lent et difficile pas de deux classique et aussi, grâce à la lenteur du mouvement, de révéler aux yeux du spectateur moyen la beauté de la danse.

L'ensemble du film a été tourné à 96 images par seconde pour obtenir un mouvement quatre fois plus lent que la normale. Comme nous voulions faire le film sur une seule bobine 35 mm, nous avons dû choisir dans le répertoire des deux danseurs1 un pas de deux d'une durée de deux minutes.

Le premier jour de tournage les danseurs exécutèrent cinq différents pas de deux. J'ai choisi celui qui comportait des mouvements très rapides, tiré du ballet Spring Water chorégraphié par le Russe A. Messerer sur une musique de Rachmaninov.

Nous avons filmé avec deux caméras, l'une pour les plans d'ensemble et l'autre pour les plans rapprochés. L'exécution du pas de deux a été faite sur la musique de Rachmaninov enregistrée sur bande magnétique. La durée de l'adagio, des deux minutes initiales, était passée à dix minutes après montage.

L'étape suivante fut de trouver une nouvelle musique plus lente que celle sur laquelle les danseurs avaient dansé et possédant le tempo et la durée les mieux adaptés à notre version de 96 images par seconde. Le climat humain qui ressortait de notre ballet au ralenti différait sensiblement de celui du ballet original exécuté à vitesse normale. La musique que nous recherchions devait par conséquent refléter ce nouveau climat.

L'écoute d'enregistrements de diverses pièces musicales susceptibles de convenir à notre projet n'ayant donné aucun résultat, nous avons envisagé de recourir à une composition originale pour finalement reprendre plus intensivement notre recherche parmi les musiques enregistrées. Nos efforts ont été récompensés par la découverte de l'Adagio d'Albinoni, au tempo et climat appropriés, et dont la longueur correspondait presque exactement à nos besoins. En répétant un passage de ce morceau, nous avons pu le faire correspondre à la durée des images.

Norman McLaren (1972-1973)

1 Les danseurs canadiens David et Anne-Marie Holmes qui vivent à Londres en Angleterre.

4 Notes techniques sur Blinkity Blank (1955)

L’aspect visuel Ce film d’animation réalisé sans caméra a été gravé directement sur une pellicule recouverte d’émulsion noire au moyen d’un couteau, d’une aiguille et d’une lame de rasoir. Des colorants transparents et une brosse en poil de martre ont servi à colorer la gravure. Le fait de travailler directement sur la pellicule noire opaque soulève la question de la disposition et du repérage de l’image gravée. Blinkity Blank cherche précisément à contourner le problème en explorant les possibilités qu’offrent l’animation intermittente et l’irrégularité de l’image. Cela signifie que le film n’a pas été conçu de la façon habituelle, les cadres se suivant inexorablement et chaque seconde réclamant à tout prix sa juste ration de vingt- quatre images par seconde. Non : sur la noire bande vierge de celluloïd tendue sur ma table de travail, je gravais çà et là, escamotant bien des plages et répandant pour ainsi dire les images sur le ruban vide du temps, laissant place aux intervalles, à la musique et aux idées naissant au fil de ma gravure. Les cadres sont pour la plupart absolument vides. Lorsqu’un film de ce genre est projeté à la vitesse normale, l’œil reçoit le contenu d’une image isolée à un quarante- huitième de seconde mais, à cause de l’image rémanente et de la persistance de la vision, l’image demeure en réalité beaucoup plus longtemps sur la rétine et peut se maintenir dans le cerveau de plusieurs secondes avant d’être remplacée par l’apparition d’une image nouvelle. La possibilité de jouer avec ces facteurs constituait l’un des intérêts de Blinkity Blank sur le plan technique. Parfois, pour accentuer davantage, je gravais deux ou plusieurs (au moins trois ou quatre) images adjacentes. Il arrivait qu’un ensemble comporte des images continues et reliées entres elles, ce qui renforçait l’action et le mouvement. À d’autres moments, l’ensemble se composait uniquement d’un essaim d’images discontinues sans rapport entre elles et qui avaient pour effet de créer une impression visuelle globale. Pour produire une rupture nécessaire avec l’action saccadée des images isolées ou groupées, j’ai inséré des sections plus longues formées d’images contiguës dont le mouvement coulait à la manière traditionnelle. Au cours du processus de fabrication du film, les expériences et les essais effectués ont mis au jour un certain nombre de lois liées à la vision persistante, aux effets des images rémanentes et intermittentes produits à la fois sur la rétine et le cerveau, en particulier lorsque ces images se présentent dans un ordre séquentiel et continu. Peut-être le film se rapproche-t-il du croquis, qui repose sur une impression née d’une action particulière à un moment précis, ou du travail du dessinateur suggérant une scène laissant intacte la majeure partie de la page et se limitant à donner par endroits un coup de crayon, à esquisser un trait ou à ajouter une tache de couleur, souvent pour aborder un sujet complexe. Cette méthode contraste avec celle du cinéma d’animation

5 habituel, dont chaque cadre de celluloïd renferme une image, semblable à une surface de papier qu’un dessinateur aurait entièrement couverte d’un dessin détaillé.

Piste sonore Comme nous avions convenu d’enregistrer la musique d’abord et que j’avais l’intention de me limiter à répandre çà et là quelques images sur une pellicule noire qui resterait en bonne partie intacte, le compositeur Maurice Blackburn a tenu compte de ces données au moment de créer la partition. Il a donc prévu de nombreux silences entre les groupes de notes, de phrases, d’accords brefs et de tons. Il a en outre abordé la partition d’une façon expérimentale. Norman McLaren (1955)

Notes sur la musique de Blinkity Blank par Maurice Blackburn (1955) La flûte, le hautbois, la clarinette, le basson et le violoncelle formaient le groupe d’instruments nécessaire à l’enregistrement de Blinkity Blank. La musique, sans armature, a été écrite sur une portée de trois lignes (plutôt que sur cinq lignes, comme le veut l’usage). Aucune indication ne figurait entre les lignes : les notes ne pouvaient donc occuper que trois positions pour indiquer la hauteur tonale. Une note se trouvant sur la ligne supérieure signifiait que l’instrument devait jouer à registre élevé, et à registre grave si elle se trouvait sur la ligne du centre. On avait fixé d’avance la limite des trois registres pour chaque instrument. À l’intérieur de ces balises, le musicien avait toute liberté de choisir les notes. Ces dernières précisaient toutefois la valeur des temps et la structure rythmique, alors que les indications de mesure et les barres de mesure correspondaient à l’usage. Il était donc possible de diriger l’orchestre et de donner une certaine cohérence au groupe d’instruments. Les indications relatives aux nuances et à la couleur instrumentale respectaient également la convention. C’est en prenant l’orchestre presque par surprise et en enregistrant sans répétition préalable que nous avons obtenu les meilleurs résultats de cette « improvisation semi-libre ». Cette façon de procéder a permis de faire ressortir une divergence d’inspiration aussi grande que possible entre les musiciens et d’obtenir une improvisation d’une fraîcheur totale ainsi qu’une parfaite indifférence à l’égard de toute armature convenue. Des rythmes de percussion ont été ajoutés par endroits et directement gravés sur une piste optique indépendante de 35 mm, intégrée au mixage final. Maurice Blackburn (1955)

6 Notes techniques sur Canon (1964)

Les images

Le film Canon comporte trois sections.

Première section

Un échiquier avec des cubes mobiles. La technique ici consistait en l'animation image par image de cubes qui suivent un itinéraire soigneusement déterminé à l'avance. Chaque cube suit l'itinéraire de celui qui le précède afin de créer l'équivalent visuel d'un canon.

Deuxième section

Des petits bonhommes glissent, sautent et volent dans les airs selon un itinéraire préétabli. Les images originales en noir et blanc ne comprenaient qu'un seul bonhomme fait d'un découpage de papier blanc sur fond noir.

À la tireuse optique, nous avons créé quatre copies de cet unique bonhomme en espaçant de quelques secondes l'apparition de chacun d'eux et en les coloriant un à un avec des filtres différents. Le petit bonhomme multiplié se pliait ainsi aux règles d'un canon musical.

Troisième section

Ce canon plus élaboré, exécuté en scènes réelles par l'animateur Grant Munro, a exigé un travail assez complexe à la tireuse optique.

Un homme seul entre par la gauche dans l'image, exécute un certain nombre d'actions en traversant l'écran et sort du côté droit. Les actions devaient être conçues de telle façon que lorsque le même homme exécutant les mêmes actions entrait à nouveau du côté gauche 189 images (environ 8 secondes) plus tard, les actions des deux hommes s'emboîteraient et se trouveraient liées entre elles.

Au cours du tournage original, l'homme rythmait ses mouvements au métronome, et positionnait précisément ses gestes à des temps musicaux déterminés. Bien que nous ayons utilisé plusieurs méthodes pour le placer au bon endroit au bon moment, plusieurs prises ont quand même été nécessaires pour obtenir un positionnement précis.

7 Nous avons tiré deux copies de chaque prise et les avons superposées avec un décalage de 189 images dans une Moviola. Avec les deux pellicules passant simultanément dans la Moviola, l'image était très sombre mais nous permettait de déceler tout chevauchement indésirable. De cette manière, nous avons trouvé une prise qui s'imbriquait à la perfection.

Lorsque nous avons réussi à surimprimer et décaler les images des deux premiers hommes, il devenait possible de tirer optiquement une longue procession d'hommes, tous interreliés, et d'en garder constamment quatre à l'écran. Ainsi chaque homme de la procession dérivait de l'homme sélectionné lors des prises originales.

Pour ajouter la femme nous avons dû faire des prises additionnelles. Puisqu'il s'agissait en fait de l'homme costumé, elle pouvait suivre d'assez près le trajet de ce dernier et par conséquent il ne nous a fallu qu'un petit nombre de prises pour obtenir celle qui s'accordait à l'image de l'homme.

Vers la fin de cette séquence, l'unique prise originale de l'homme fut passée à la tireuse optique pour y subir d'autres traitements. L'action est inversée, l'image mise à l'envers et le mouvement, en sautant des images, est accéléré 2, 4 et 8 fois. Ces manipulations correspondent musicalement à des canons rétrograde, inverse et diminué.

Piste sonore

Pour ce qui est de la première section avec les cubes, la piste sonore a été photographiée en premier selon la technique des cartes utilisée pour la création du son animé.(1)

La piste sonore les deuxièmes et troisièmes sections a été faite après les images. La musique pour piano a été expressément composée en harmonie avec l'action du film et en tant que modèle précis du type de canon illustré dans le film. Les mouvements des bonhommes découpés et du personnage vivant ont été exécutés sur un rythme régulier pour faciliter le travail de synchronisation du compositeur.

Norman McLaren (1964, révisé en 1973)

(1) Voir l'article « Notes sur le son animé tel que mis au point à l'Office national du Canada selon la technique des cartes ».

8 Notes techniques sur Caprice en couleurs (1949)

La piste sonore Bien que la conception de la musique ait précédé celle de l’image, elle n’en demeure pas moins le produit d’une étroite collaboration entre Oscar Peterson (contrebasse à cordes et percussions) et moi-même. La mise au point de la structure musicale et des détails a nécessité quatre jours.

La musique se trouvait jusqu’à un certain point orientée par la façon dont je concevais déjà l’aspect visuel du film. Notre rencontre a cependant donné lieu à un échange très riche entre nous, parce que le travail de Peterson au piano faisait souvent naître en moi de nouvelles idées pour l’image. Ses nombreuses improvisations étaient pour et moi une source d’inspiration. Et la musique prenait forme, sinon mesure par mesure, au moins phrase par phrase.

Préparation de la partie visuelle Chaque note, chaque phrase musicale a été mesurée. Nous inscrivions ces mesures sur une fiche de tournage grâce à laquelle la musique se trouvait transcrite sur papier. Puis nous numérotions les mesures puis les indiquions sur la pellicule de 35 mm, entre les perforations et le long de la bordure du film.

Réalisation de la partie visuelle Le film se divise en trois parties : la première et la troisième se composent d’une amorce de celluloïd transparente 35 mm presque entièrement recouverte de peinture alors que la deuxième (la partie très lente) a été gravée sur une pellicule 35 mm couverte d’émulsion noire.

Les première et troisième parties La pellicule transparente a été tendue et épinglée à une planche de bois étroite et très longue (4 m ou plus de 12 pi).

Suivant divers procédés, presque trop nombreux pour être énumérés ici, nous avons appliqué toutes sortes de colorants transparents, que nous avons ensuite gravés, ou grattés. L’une des méthodes les plus élémentaires consistait à appliquer sur chaque face du film une couleur différente, pour la raison suivante : une couche légère et uniforme de jaune d’un côté et de bleu de l’autre produisait un fond entièrement vert; en outre, le fait de graver la face jaune permettait d’obtenir un motif bleu alors qu’un motif jaune résultait de la gravure de la face bleue.

Nous appliquions les colorants de multiples façons : à l’aide de petits et gros pinceaux, de brosses à pocher, de pistolets, de papier bien chiffonné et de linges aux textures diverses. Avec des tissus secs et texturés, nous pressions sur des surfaces

9 enduites de colorant humide. Le tulle, la maille et la dentelle fine, solidement tendus par divers moyens sur la pellicule, servaient également de pochoirs lorsque nous vaporisions le colorant. Nous répandions en outre plusieurs types de grains de poussière qui formaient des cercles lorsque se rétractait le colorant humide. Nous avions aussi trouvé une peinture noire opaque qui, en séchant, produisait un motif craquelé, et ainsi de suite.

En général, nous ne tenions pas compte du cadre des images dans les première et troisième parties, que nous traitions plutôt comme des longueurs métriques aux motifs correspondant aux phrases et aux paragraphes musicaux. Par la suite, toutefois, nous nous sommes préoccupés des véritables cadres lorsque nous avons souligné des accents musicaux ou de courtes phrases par l’ajout de peinture ou de gravure.

Dans certaines sections correspondant à un solo de percussions, nous avons gravé sur de la pellicule noire des images individuelles nettement définies et synchronisées aux mesures de la musique.

Dans d’autres sections, au moyen d’un large pinceau, nous avons appliqué du colorant pendant que le film passait dans la Moviola. Nous imprimions au pinceau un mouvement de va-et-vient horizontal, vertical, ou l’étendions de la base à l’extrémité en relâchant au rythme de la musique qui s’échappait, synchrone, de la Moviola.

La deuxième partie Pour la deuxième partie, très lente, nous n’avons utilisé qu’une amorce noire. Nous la gravions avec la pointe effilée d’un couteau à mesure qu’elle passait dans la Moviola synchronisée à la piste sonore. Lorsque le couteau effleurait à peine la pellicule, le mouvement intermittent de celle-ci dans la fenêtre de projection de la Moviola lui imprimait de légers soubresauts, formant de petits points clairs sur chaque image. En appuyant davantage, nous obtenions des points plus gros dotés d’une queue à peine visible. Une pression vraiment forte produisait un trait plus ou moins vertical.

Ainsi la pointe du couteau glissait-elle sur la surface du film. Ma main appuyait, guidait, la faisant en quelque sorte « danser » au rythme de la musique.

Le film achevé, peint et gravé, a constitué l’interpositif dont on a tiré un négatif couleur. Les copies de distribution initiales ont ensuite été produites à partir de ce négatif.

Norman McLaren (1949)

10 Notes techniques sur C’est l’Aviron (1944)

De la série Chants Populaires, No 5 (noir et blanc)

Cette chanson folklorique a été enregistrée avant le tournage et ses mesures rythmiques, phrases et couplets ont été mesurés en nombres d'images. La conception des images repose principalement sur l'effet zoom. La colonne est un élément essentiel du banc d'animation. Elle permet d'approcher et d'éloigner la caméra du plateau horizontal sur laquelle sont placés les dessins à photographier. C'est l'Aviron a ceci de particulier qu'il emploie tout au long du film des effets zooms avant en chevauchement continuel pour donner l'illusion au spectateur qu'il descend rapidement une rivière dans d'un paysage où il aperçoit ici et là des réflexions dans l'eau et des bandes de brouillard. Nous avons préparé cent cinquante cartons noirs de 24 sur 18 po (61 sur 46 cm), et peint à la gouache blanche et grise sur chacun d'entre eux un unique champ représentant un paysage. Nous avons zoomé du champ de plus large de la caméra, soit 24 sur 18 po (61 sur 46 cm), jusqu'à son plan le plus rapproché, soit 2 1/4 sur 1 po 3/4 (5,7 sur 4,5 cm).

Traduction: (Gauche) Effet zoom d'un champ de 24 po jusqu'à un champ de 2,25 po. (Droite) Partie peinte.

La peinture de chacun des cartons était confinée à une section d'environ un ou deux pouces (2,5 à 5 cm) autour du plus petit champ (mais jamais à l'intérieur) et ne représentait qu'un seul champ du paysage. C'est dans cette section que furent peints les arbres, les rochers, la brume, etc. en approchant le plus possible du champ intérieur qui demeurait noir. Le reste du carton demeurait également noir. En avançant la caméra du champ le plus large au champ le plus rapproché sur une durée de 100 images ou quatre secondes et en faisant apparaître graduellement l'image

11 durant les deux premières secondes, nous obtenions l'effet d'un plan de paysage qui émerge de la noirceur tout en s'avançant jusqu'à finalement déborder du cadre. Au moment où le plus petit champ devenait complètement noir, nous faisions un fondu au noir très rapide de 8 images pour éviter que le carton noir ne soit le moindrement exposé.

DIAGRAMME D'UN EFFET ZOOM

CHAMP ENTIER DE LA CAMÉRA Partie peinte du carton noir

Surface et position d'un seul plan de paysage peint au début d'un effet zoom de 100 images (compteur d'images à zéro)

Surface et position approximatives du paysage après une seconde (compteur d'images à 25)

Surface et position approximatives du paysage après deux secondes (compteur d'images à 50)

Surface et position approximatives du paysage après environ trois secondes (compteur d'images à 75)

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Position du paysage après quatre secondes (compteur d'images à 100)

Tous les cartons ont été filmés selon la même méthode avec, pour chacun, un effet zoom s'amorçant 25 images après celui du carton précédent.

Nous avons créé de cette manière une série ininterrompue de surimpressions échelonnées dans laquelle à tout moment chaque carton-paysage se trouvait à une distance différente de la caméra.

Ce travail donnait finalement l'impression de voyager à travers un espace en profondeur composé de plans multiples.

En examinant la fiche de tournage reproduite à la page suivante, on remarquera qu'un maximum de quatre plans apparaissent à tout moment. Le premier plan, celui qui est le plus rapproché, déborde des limites du champ au même moment où le cinquième ou le plus éloigné commence à apparaître graduellement, où le quatrième a effectué la moitié de son apparition et où le troisième a terminé son apparition.

Parce que les détails du paysage apparaissaient sur un fond noir (ou émergeaient de la noirceur), il suffisait de seulement quatre plans pour suggérer la continuité du paysage et de la rivière.

Des images peintes sur fond noir, statiques et sans effet de zoom, représentant des figures humaines, un cheval, une fontaine, une maison, etc. ont été surimprimées en fondus d'ouverture et fondus au noir.

Une dernière surimpression représenta la proue du canoë. Celle-ci fut peinte sur un carton découpé que nous tenions à la main au dessus du fond noir et sous la caméra qui tournait à très basse vitesse. Le découpage était déplacé dans un mouvement vertical et continu en suivant le rythme de la musique à toutes les 45 images.

Norman McLaren (1944, révisé en 1983)

13 FICHE DE TOURNAGE TYPIQUE D'UN COUPLET DE C’EST L’AVIRON

Traduction (de gauche à droite et de haut en bas) : Couplet: (illisible) – Nombre d'images selon le compteur – Fondu d'ouverture en 48 images – Figures humaines statiques – Mouvement vertical rythmé du canoë – Découpage déplacé à la main sous la caméra tournant continuellement à une image/seconde – Paroles et musique - « VAMP » – Fondu au noir en 8 images – Fondu d'ouverture en 48 images – – Brumes – effet de zoom avant – Paysage, rivière et brume en effet de zoom avant

14 Notes techniques sur Discours de bienvenue (1960)

Tous les plans comprenant une synchronisation labiale ont été tournés avec une caméra et un appareil d'enregistrement sonore courants. Dans les plans rapprochés, les mouvements du microphone rebelle étaient contrôlés manuellement en hors champ, et dans les plans éloignés, par des fils à pêche de nylon noir (invisibles à la caméra) attachés au microphone et manipulés à l'extérieur du champ de la caméra.

Nous avons filmé les plans sans synchronisation labiale qui apparaissent plus loin dans le film à l'aide d'une caméra à vitesse variable. Ceci nous a permis de filmer plusieurs scènes à 12 ou 8 images secondes pour mieux contrôler les mouvements du microphone; je ralentissais mes gestes en conséquence sauf lorsque je voulais réagir d'une manière extrêmement rapide au comportement du micro.

Nous avons également filmé image par image comme dans la scène où je pourchasse l'escabeau autour du microphone.

Le choix de filmer vue par vue ou à vitesse plus lente que normale, avec ou sans les fils de nylon noir, dépendait de ce qui était le plus facile à accomplir pour atteindre le résultat visé.

Norman McLaren (1960, révisé en 1984)

15 Notes techniques sur L'écran d'épingles (1973) par Guy Glover

Cette production est un film-démonstration conventionnel destiné principalement aux animateurs de l'Office national du film qui désireraient travailler avec l'écran d'épingles. On y voit Alexandre Alexeïeff et son épouse Claire Parker expliquer en détails l'utilisation et l'entretien de l'écran d'épingles devant un groupe d'animateurs de l'ONF.

Dans une des premières séquences, un modèle à très grande échelle comportant un écran percé de trous et autant d'aiguilles, sur lequel se révèle le rôle de l'éclairage, illustre le principe original de l'invention du couple Alexeïeff-Parker.

En 1972, l'ONF établit un contrat avec les Alexeïeff, qui avaient conçu et construit en 1933 le premier écran d'épingles, pour la construction d'un modèle perfectionné.

D'autres écrans d'épingles, aujourd'hui propriété des Alexeïeff à Paris, furent construits environ deux ans plus tard. Le modèle de 1972 a ceci de particulier qu'il est le seul dont les inventeurs ne sont pas les propriétaires et qu'il possède des caractéristiques techniques que l'on ne retrouve pas dans les autres exemplaires. Ces caractéristiques sont en voie d'être brevetées. Le film de l'ONF (réalisé tout juste après l'assemblage et l'installation de l'écran dans les locaux de l'ONF à Montréal) reste intentionnellement vague sur ces détails de construction, n'exposant que les principes généraux en jeu et la manière d'utiliser et d'entretenir l'appareil qui exige d'être manipulé avec soins.

Jusqu'à ce que certaines caractéristiques soient brevetées, il est peu probable que l'appareil se retrouve sur le marché, et si c'est le cas ce ne sera qu'en petit nombre et à un coût élevé. Pour le moment du moins, on ne peut voir (et, il va sans dire, utiliser) des écrans d'épingles qu'à Paris et Montréal; l'invention n'a pour ainsi dire qu'une utilité toute virtuelle pour la plupart des artistes en animation.

Je crois néanmoins que notre film pourra intéresser les professionnels du cinéma et les cinéphiles qui connaissent ou ont accès aux films des Alexeïeffs réalisés sur écran d'épingles: Une nuit sur le mont Chauve (musique de Moussorgski - 1934), Le nez (1963) et Tableaux d'une exposition (musique de Moussorgski - 1972). Le milieu de l'animation considère que ces films présentent un intérêt considérable et particulier de par leurs aspects technique et esthétique. La plupart des historiens de l'animation font d'une façon ou d'une autre référence aux Alexeïeffs.

(Note historique: L'Office a passé un contrat avec les Alexeïeffs en 1944 lorsqu'ils vivaient à New York pour la réalisation sur écran d'épingles du film En passant de la série Chants populaires. Celui-ci a été inclus dans les Chants populaires no 5 avec C'est l'aviron de McLaren. Malheureusement le film n'est plus distribué à cause de sa piètre qualité sonore.)

Guy Glover (1973)

16 Notes techniques sur Fiddle-de-dee (1947)

Fiddle-de-dee a été réalisé en peignant directement sur de la pellicule cinéma 35 mm transparente.

La pellicule a été disposée en longues bandes et fixée sur la surface d'une table recouverte de papier blanc.

La piste sonore avait été préalablement enregistrée et le rythme et les phrases musicales mesurés. Ces valeurs, sous forme de petits nombres, ont été inscrites dans les perforations de la pellicule.

Nous avons peint l'animation non pas image par image mais sur des longueurs de pellicule correspondant aux phrases musicales.

Les textures ont été faites au pinceau, par pointillage, grattage à la lame de rasoir ou avec des papier de verre de différents grains, en peignant les deux surfaces du film, et par grattage additionnel.

De façon générale, nous étendions certains effets sur au moins la longueur d'une phrase musicale.

Nous avons plus loin ajouté des motifs circonscrits à une image, souvent à raison de seulement une image à la fois, afin qu'ils marquent le premier temps de chaque phrase musicale.

À la fin du travail, la pellicule originale peinte a constitué le master positif duquel ont été tirés un négatif et des copies d'exploitation.

Norman McLaren (1947, révisé en 1983)

17 Notes techniques sur Il était une chaise (1957)

L’aspect visuel

Nous avons réalisé l’animation de la chaise suivant la technique traditionnelle des marionnettes, à cette différence près qu’au lieu de fixer les cordes verticalement, nous les avons attachées à l’horizontale, de manière que deux animateurs puissent les manipuler depuis les hors champs droit et gauche. Nous n’avons eu recours aux cordelettes verticales que pour quelques scènes seulement. Ces cordelettes étaient en fait du matériel de pêche de fin nylon noir, invisible à la caméra.

Au cours des répétitions, nous avons découvert que l’endroit où les cordelettes se trouvaient attachées à la chaise était d’une grande importance. Celle-ci se déplaçait tout à fait différemment selon que nous les fixions vers le bas ou le haut des pattes et du dossier, ou que nous combinions ces diverses possibilités. Souhaitions-nous faire pivoter la chaise, il nous suffisait d’enrouler au moins deux cordelettes aux quatre pattes avant de filmer, pour ensuite tirer en directions opposées depuis les hors champs au moment du tournage. Les déplacements plus complexes, notamment le saut et l’envol, ont nécessité la collaboration de quatre manipulateurs et l’ajout de cordelettes, les unes fixées verticalement à des poulies au plafond et les autres, tirées horizontalement depuis les hors champ droit et gauche.

Des vitesses de tournage réduites

Dotée d’un moteur à vitesse variable, la caméra permettait d’obtenir 1, 2, 4, 8, 12 et 16 images par seconde (IPS).

Nous parvenions à contrôler la chaise beaucoup plus facilement si nous la déplacions plus lentement qu’à la normale, ce qui nous amenait souvent à réduire de moitié (12 IPS) la vitesse de tournage. Si nous souhaitions faire en sorte que les déplacements de la chaise et ceux du personnage semblent s’effectuer à la vitesse normale, la manipulation de la chaise et les gestes du comédien devaient se dérouler deux fois plus lentement.

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Partie de la représentation graphique de Il était une chaise préparé par McLaren à l’intention de Ravi Shankar.

Lorsque la manipulation devenait plus complexe, nous tournions à 6 IPS et réduisions au quart la vitesse de déplacements de l’homme et de la chaise. Pour que la projection apparaisse normale, la vitesse de l’action et celle de la caméra devaient être réduites en proportions égales. Dans les cas où la chaise bouge de façon surnaturelle alors que le comédien se meut normalement, notre formule pouvait être la suivante : caméra réglée à 8 IPS, chaise se déplaçant à la vitesse normale, homme se déplaçant au tiers de la vitesse normale. (Le principe du rapport variable entre la vitesse de la caméra et celle de l’action est expliqué de façon plus détaillée dans les notes techniques portant sur Voisins.)

L'homme qui se précipitait d'un bout à l'autre de l'écran à la poursuite de la chaise courait aussi vite qu'il pouvait; la caméra tournant alors à 2 images par seconde enregistrait un mouvement flou.

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Le tournage a laissé beaucoup de place à l'improvisation. Nous avons par exemple, dans la scène où l'homme pourchasse la chaise en décrivant des cercles, attaché avec du fil les genoux du protagoniste aux montants de la chaise et lui avons demandé de courir à reculons en tirant la chaise avec lui et en mimant ses efforts pour l'attraper. Ces images, après inversion du mouvement à la tireuse optique, donnaient l'illusion qu'il était réellement à la poursuite de la chaise.

Piste sonore

Le montage du film était complètement terminé lorsque nous nous sommes penchés sur la question du son.

À ce moment, par une chance inouïe, le grand sitariste, interprète et compositeur Ravi Shankar, qui habitait alors New York, se trouvait à Montréal pour donner un récital télévisé. Je l’ai donc invité, en compagnie de son jouer de tabla Chatur Lal, à visionner le film muet. Il s’est montré vivement intéressé à composer la musique.

Nous avons procédé de la façon suivante : j’ai préparé à l’avance un diagramme de tout le film sur du papier graphique quadrillé dont chaque case représentait une seconde. Les durées des séquences, des épisodes, de l’action et des gestes s’y trouvaient clairement indiquées par de la couleur, des schémas, des noms et des nombres.

J’ai ensuite passé un après-midi à projeter le film plusieurs fois à Shankar et à son percussionniste. Entre chaque projection, nous répétions chacune des séquences sur les diagrammes. Après une douzaine de visionnages, les deux musiciens connaissaient parfaitement le film et la façon dont il s’articulait sur le diagramme. S’appuyant sur ce document, ils ont mis trois semaines à élaborer la musique.

Pour les besoins de la séance d’enregistrement, nous avons divisé le film en une dizaine de boucles : la mise en musique s’effectuait simultanément à la projection. Nous avions prévu sur chaque boucle un silence d’environ vingt secondes qui permettait de faire des choix visant à améliorer le contenu et la qualité de l’interprétation.

Une fois la musique au point, nous laissions fonctionner le projecteur et tournions sur-le-champ plusieurs prises de vues. Il importait à Shankar que les musiciens se trouvent au meilleur de leur échauffement au moment de l’enregistrement.

Nous avons également enregistré quelques effets spéciaux improvisés au sitar, et bon nombre de sons semi-musicaux à la percussion. Certains d’entre eux ont fait l’objet d’une sélection, puis ont été intégrés aux pistes de réenregistrement en vue du mixage final.

Norman McLaren (1957, révisé en 1984)

20 Notes techniques sur Keep Your Mouth Shut (1944)

Noir et blanc

Ce court métrage devait faire partie d'une campagne contre le bavardage en temps de guerre.

Une longueur d'amorce noire, un authentique crâne humain avec des yeux de verre animés image par image et un plan tiré des actualités de la Deuxième Guerre mondiale constituent les images du film. Cette structure est répétée plusieurs fois avec des contenus différents.

Pendant la projection de l'amorce noire, le spectateur entend des bavardages qui mentionnent les endroits où se trouvent des époux, des fils et des parents appartenant aux forces armées. Cette séquence est suivie du gros plan d'un crâne humain qui remercie les auteurs des commérages pour l'information divulguée. La mâchoire du crâne, la posture de tête et le mouvement des globes oculaires sont animés image par image, le tout synchronisé à un discours préenregistré. Pendant un moment les yeux deviennent des croix gammées au moyen de courts fondus ou de raccords syncopés. Cette tirade est immédiatement suivie des images d'un désastre de temps de guerre tiré des actualités, puis l'amorce noire réapparaît à nouveau.

Norman McLaren (1944, révisé en 1984)

21 Notes techniques sur Là-haut sur ces montagnes (1945)

De la série Chants populaires, No 6 (Noir et blanc)

Les paroles et la musique ont été préenregistrées.

Les images ont été principalement réalisées en un enchaînement continu de fondus d'ouverture et de fondus au noir liés les uns aux autres. Un dessin au pastel mesurant environ 24 sur 18 po (61 sur 46 cm) a été placé sur la table d'animation. Entre chaque fondu, le paysage, en contours flous et clairs-obscurs, était légèrement modifié en illuminant ou en assombrissant la tonalité de certaines parties, en faisant apparaître de nouvelles formes, ou disparaître de plus anciennes, et en accentuant puis en escamotant certains détails.

Chaque fondu durait deux secondes (48 images), et aussitôt qu'un fondu se terminait un nouveau commençait.

Ce processus est clairement illustré dans un simple schéma.

Traduction (de gauche à droite et de haut en bas): – Nombre d'images au compteur – Fondu d'ouverture en 48 images –– Fondu d'ouverture (enchaîné) en 48 images , etc. – État 1, 2, 3, 4, 5, etc. – Fondu au noir (enchaîné) en 48 images, etc.)

À la fin du film, les fondus sont interrompus pour faire place aux deux arbustes dont la croissance est animée vue par vue au pastel sur fond statique. Les papillons ont été réalisés au moyen d'un ensemble de découpages plats remplaçables (avec différentes positions des ailes) couchés sur le carton et filmés image par image.

Norman McLaren (1945)

22 Notes techniques sur Lignes horizontales (1961-1962)

L’aspect visuel

Avant-propos Après avoir terminé Lignes verticales, nous nous sommes interrogés sur la possibilité d’une nouvelle version du film dans laquelle toutes les lignes seraient horizontales et leur mouvement, vertical.

En visionnant Lignes verticales la tête inclinée à l’horizontale, nous avons constaté que l’effet produit dépassait le simple changement d’angle de 90 degrés. En fait, notre esprit voyait dans le mouvement ascendant, puis descendant des lignes horizontales l’existence de la pesanteur. Du mouvement des lignes s’effectuant à une vitesse constante, que celles-ci montent ou descendent, se dégageait une impression de flottement. Il n’en fallait pas plus pour nous amener à reprendre entièrement notre film aux lignes verticales en le faisant pivoter de 90 degrés.

Pour exécuter ce travail peu commun, nous avons dû nous adresser à une société new-yorkaise spécialisée dans les effets optiques et y expédier notre original (lignes claires sur fond noir). La première génération de notre nouvelle version horizontale a pris la forme d’un négatif aux lignes noires sur fond clair. Le visionnage de la copie de travail qui en a résulté nous a permis de confirmer notre impression première : en ayant recours à un traitement de couleur différent de celui de Lignes verticales et à une nouvelle trame musicale, nous pouvions produire un film distinct, mais voisin du premier. Il allait s’agir de Lignes horizontales.

Couleur La couleur a été ajoutée au moyen des filtres en deux passages à la tireuse optique. Au premier passage, nous avons utilisé une épreuve à lignes noires sur fond clair pour créer la couleur de l’arrière-plan. Au deuxième passage, la coloration des lignes a été réalisée à l’aide d’une épreuve à lignes transparentes sur fond noir et des filtres. Pour obtenir des lignes noires, il suffisait d’escamoter l’exposition au deuxième passage.

Les fondus de diverses longueurs permettaient de passer d’une couleur à une autre, que ce soit pour l’arrière-plan ou les lignes.

Piste sonore La mise en musique a été confiée à Peter Seeger, musicien folk américain bien connu, qui a composé et interprété la partition à l’aide d’un certain nombre d’instruments et de plusieurs enregistrements.

Norman McLaren (1962)

23 Notes sur la musique de Lignes horizontales par Peter Seeger (1961-1962)

Sur l’enregistrement musical de Lignes horizontal, j’utilise deux flûtes de bois différentes, un banjo à cinq cordes, une mandoline, une guitare à six cordes, une autre à neuf cordes, une batterie, des maracas, une « Autoharp » et des effets sonores.

Comme je joue d’instinct, et que je lis et écris difficilement la musique, j’ai improvisé du début à la fin. J’ai transformé notre grange en studio d’enregistrement, insonorisé une pièce et installé un projecteur à vitesse synchrone dans une autre. Le film était projeté à travers une épaisse paroi de verre sur l’écran de la salle d’enregistrement.

J’ai visionné les films des dizaines de fois, le banjo à la main, sifflant et chantonnant pour moi-même. Puis j’ai déterminé l’essentiel de ce que je comptais faire. J’ai divisé le film en quatre sections et travaillé sur chacune individuellement : j’ai collé ensemble le début et la fin de chaque partie de manière à former une boucle qui se répétait à l’écran sans se rembobiner.

Pour ce qui est de la première séquence du film, j’ai enregistré la mélodie du thème après avoir improvisé et répété avec le chalil alto (flûte de bambou d’Israël) pendant environ une heure. Puis, on m’a fait jouer la première piste sur laquelle se trouvait l’enregistrement de la mélodie de la flûte. Les écouteurs sur la tête, j’ai improvisé un accompagnement à la guitare pour la flûte, qui a été enregistré sur la deuxième piste du magnétophone. Puis on m’a fait rejouer les deux pistes ensemble – flûte et guitare – et j’ai ajouté le banjo sur une troisième piste.

On a projeté la seconde section du film et, tout en jouant, j’ajoutais de nouveaux instruments à l’arrangement déjà enregistré. Pour cette séquence, j’ai omis la flûte, mais ajouté la mandoline et des effets de tonnerre produits en agitant une longue bande en cuivre qu’il me restait du recouvrement de ma toiture.

Pour la troisième séquence du film, la batterie, les crécelles et le bourdon de guitare basse ont constitué le fond sonore au contrepoint fourni par deux ténors, le banjo et la guitare à douze cordes.

À la quatrième séquence du film, je suis revenu à l’instrumentation du départ.

Quelques semaines plus tard, les neufs pistes qui comportaient chacune l’enregistrement d’un seul instrument étaient mixées sur une piste unique à l’Office national du film à Montréal.

Si la musique a su plaire, le mérite doit être divisé en trois : l’inspiration visuelle que constitue le film, le personnel technique et le musicien.

Peter Seeger (1962)

24 Notes techniques sur Lignes verticales (1960)

Nous avons réalisé Lignes verticales en gravant des lignes droites sur des amorces noires de 35 mm. Sous l’effet d’une pointe de couteau affûtée comme un minuscule ciseau et glissée le long d’une règle, l’émulsion noire se soulevait de la pellicule, laissant paraître un trait blanc. Puisque nous souhaitions tracer des lignes aussi régulières, il nous fallait une règle d’excellente qualité ainsi qu’une méthode nous permettant d’aplanir parfaitement la pellicule et de la maintenir en place pendant que nous y gravions le trait. Nous utilisions environ six pieds de pellicule à la fois : la règle devait donc mesurer six pieds et présenter une parfaite rectitude sur toute la longueur.

Dans l’espoir de trouver un outil suffisamment droit, nous avons fait l’essai d’un certain nombre de morceaux de laiton et d’acier fournis par l’Ingénierie. Mais tous comportaient des ondulations qui n’échappaient pas à l’œil de la caméra. Nous avons donc commandé d’Angleterre une règle à dessin spéciale d’acier inoxydable, grâce à laquelle nous avons pu produire l’effet désiré.

Droit et continu, le trait devait également être d’une netteté impeccable. Une plaque d’acier d’environ sept pieds de longueur sur huit pouces de largeur et un quart de pouce d’épaisseur a servi d’appui au film et contribué à la précision du trait. Le long d’un de ses côtés, nous avions fixé un morceau de ruban adhésif qui, une fois taillée au moyen de la règle, constituait un guide tout aussi rectiligne. À l’aide d’un ruban, nous fixions soigneusement à ce repère la bordure de la section de pellicule avant d’entreprendre la gravure.

Nous utilisions trois couteaux affûtés en permanence, mais à des degrés divers, qui permettaient de tracer à volonté des lignes d’une épaisseur variable. Plus fréquemment que les autres, la pointe fine se brisait, devenant ainsi plus grosse, ou faisant une incision dans la pellicule. La largeur du trait était en fonction de plusieurs facteurs : la dureté de l’émulsion, la pression exercée sur le couteau et l’angle de celui- ci par rapport à la pellicule.

L’émulsion se compose d’une solution de nitrate d’argent dans la gélatine. Sous l’effet de la lumière, le nitrate devient noir; l’étape du fixage lui conserve cet état en permanence et le rend suffisamment résistant pour soutenir sans s’égratigner les manipulations d’usage. Sur la pellicule vieillie et soumise à l’air sec depuis un certain temps, l’émulsion était extrêmement dure et cassante, de sorte qu’il devenait presque impossible d’obtenir une ligne nette. Malgré le soin que nous apportions à la manipulation du couteau, nous produisions un trait inégal et imprécis. Un certain nombre de ces faiblesses demeurent dans le film, parce que la reproduction d’une prise de vue tenait presque de l’impossible. Nous avons donc appris à ne garder à portée de la main qu’une petite quantité de pellicule et à ne retirer celle-ci de la boîte hermétiquement fermée qu’au moment de l’utiliser.

25 La disposition des lignes a d’abord été ébauchée sur du papier quadrillé. Il nous a fallu exécuter bon nombre d’esquisses avant d’arriver à trouver la forme la plus efficace et la mieux indiquée pour le film.

Pour rendre le montage possible, nous avons adopté plusieurs positions ou calibres étalons auxquels les lignes revenaient systématiquement à la fin de chaque séquence. Le calibre le plus simple comportait cinq points distribués également. Le suivant comprenait la subdivision égale de ces segments en neuf points. Le suivant se composait de dix-neuf points, et semblait constituer la limite approximative.

En imprimant aux traits fins un mouvement lent et aux plus épais, un mouvement rapide, nous sommes parvenus à créer un effet de perspective.

Couleur

De notre gravure originale (traits clairs sur fond noir), nous avons tiré un négatif (traits noirs sur fond clair) dont nous avons ensuite obtenu une épreuve (traits clairs sur fond noir).

Au premier passage à la tireuse optique, nous avons utilisé les négatifs avec les filtres couleur pour imprimer les couleurs de l’arrière-plan sur la pellicule. Au second passage, l’épreuve a été utilisée sans filtre afin d’incruster les lignes claires.

Piste sonore

Lorsque les images furent réalisées, nous avons demandé au compositeur permanent de l'ONF Maurice Blackburn de créer la musique du film. Il s'acquitta de ce travail en composant et en improvisant tout à la fois selon une gamme pentatonique. Ayant préparé à l'avance quelques motifs, il improvisa librement à partir de ceux-ci durant la projection section par section et séquence après séquence du film.

Evelyn Lambart et Norman McLaren (1960)

26 Notes techniques sur A Little Phantasy (1946)

Mieux connu sous le titre A Little Phantasy on a 19th Century Painting, ce film inspiré de la célèbre peinture L'Île des morts de l'artiste Suisse Arnold Böcklin devait constituer une des séquences d'un documentaire long métrage de temps de guerre sur un aspect du romantisme artistique qui a marqué la culture germanique de la fin du 19e siècle. La fin des hostilités a mis un terme au projet et cette séquence a été diffusée comme œuvre autonome.

La peinture de Böcklin a été d'abord fidèlement reproduite au pastel sur un carton d'environ 24 sur 18 po (61 sur 46 cm). La technique employée fut presque identique à celle utilisée dans Là-haut sur ces montagnes sauf que le carton était fixé au mur et filmé à l'horizontale par une caméra montée sur trépied. L'avantage de cette technique est que le pigment frotté retombe naturellement sur le sol alors qu'à l'horizontale l'artiste doit souffler sur le pastel, soulevant ainsi une nuée de pigments dont une partie se dépose sur le dessin.

En employant la technique du fondu enchaîné décrite dans les notes techniques de Là-haut sur ces montagnes nous avons métamorphosé les clairs-obscurs du pastel, mais de façon plus vigoureuse. Non seulement les clairs-obscurs mais aussi les formes représentées elles-mêmes se modifiaient plus rapidement; certaines parties du motif disparaissaient dans le noir alors que d'autres s'illuminaient pour révéler de nouvelles formes.

De temps à autre, les métamorphoses en fondus enchaînés étaient interrompues et de nouvelles formes croissaient, bougeaient et se désintégraient vue par vue par ajouts et suppressions de pastels.

À la fin, la « peinture » retourne à sa forme originale.

La bande musicale a été conçue à partir d'une collection d'enregistrements par Louis Applebaum après la réalisation des images.

Norman McLaren (1946, révisé en 1983)

27 Notes techniques sur Le Merle (1958)

Le Merle s’inspire d’une vieille chanson bien connue du folklore canadien- français. L’absurde y naît de l’accumulation : l’oiseau, personnage central, perd à chaque vers l’une des parties de son corps, qui reparaît aussitôt, multipliée par trois. À mesure que progresse la chanson, les membres perdus s’accumulent.

L’enregistrement de la piste sonore a précédé la création de l’image.

L’aspect visuel

Il s’agit d’animation image par image de découpages de papier rigide blanc sur une surface horizontale noire, photographiés sur pellicule en noir et blanc. L’image de l’oiseau a été stylisée et épurée à l’extrême. Les diverses parties de son corps se composent de petits rectangles de papiers arrondis, parfois rassemblés, mais le plus souvent disjoints et indépendants les uns des autres afin de favoriser la souplesse de l’animation.

Les arrière-plans de couleur, composés de plans figés, de panoramiques et de zooms sur des dessins au pastel, ont été filmés séparément sur négatif couleur Eastman, puis combinés à l’oiseau à l’étape du tirage. Notre copie maîtresse positive couleur, qui a servi de base à la production des copies d'exploitation, a été obtenue par surimpression d'un négatif à haut contraste noir sur fond transparent de l'animation et du négatif couleur de l'arrière-plan.

Norman McLaren (1958)

28 Notes techniques sur Mosaïque (1965)

L’aspect visuel

Lignes verticales résultait de la gravure d’une série de lignes sur une amorce noire à l’aide d’un couteau; Lignes horizontales, du déplacement de 90 degrés que nous leur avions fait subir au moyen d’un dispositif optique.

En soumettant à la tireuse optique une copie claire sur fond noir des versions verticale et horizontale superposées, nous avons obtenu la base du film Mosaïque, soit un nouveau négatif. L’épreuve qui en a résulté comportait un fond noir et des points clairs formés par l’intersection des lignes.

En ce qui a trait à la couleur, nous avions prévu un scintillement rapide et coloré des points chaque fois que ceux-ci se croisaient, alors que l’arrière-plan devait passer lentement d’une teinte à une autre.

Pour créer la combinaison des couleurs en vue du scintillement, nous avons eu recours à une fine pellicule de celluloïd que nous avons fixée, par l’un de ses côtés recouvert d’un ruban d’adhésif, à notre copie de travail. Nous avons attribué une couleur différente à chaque image, pour toute la durée du scintillement.

Les arrière-plans de couleur ont quant à eux été réalisés à l’aide de deux projecteurs couplés, dont l’un a produit la copie de travail avec les points de couleur et l’autre, le « négatif » correspondant (points noirs sur fond clair). Nous tenions nous- mêmes devant la lentille du deuxième projecteur les feuilles de celluloïd que nous remplacions à volonté. Cette méthode nous a permis de choisir la combinaison la plus adéquate.

Le négatif couleur final du film a nécessité deux passages à la caméra optique. Nous avons d’abord utilisé une épreuve à grand contraste (points clairs sur fond noir) et des filtres couleur correspondant aux teintes des scintillements de la copie de travail. Nous nous sommes ensuite servis d’une épreuve aux points noirs sur fond clair et de filtres correspondant à la couleur de nos celluloïds. Puis, nous avons fondu lentement les filtres d’un arrière-plan à un autre pour réaliser les fonds de couleur.

Piste sonore

Outre le sifflement humain au début et à la fin du film, la piste rythmique de Mosaïque a été directement gravée sur une amorce de 35 mm recouverte d’émulsion noire. Cette émulsion a été grattée par endroits à la pointe d’un couteau ou d’une aiguille de manière à laisser çà et là de petites marques claires qui, soumises a lecteur de son optique d’une Moviola ou d’un projecteur, produisaient des sons percutants.

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Le ton, la puissance et la qualité du son étaient en fonction de la grosseur et de la forme des marques. Cette méthode a permis de produire une grande variété de cliquetis, de bruits sourds et lourds ainsi que des grincements.*

La méthode est semblable à celle utilisée pour la piste de percussions de Rythmetic, à cette différence près que dans Mosaïque, pour combler les longs intervalles de silence qui séparaient les percussions, nous avons ajouté beaucoup d’écho et de réverbération, augmentant souvent les nuances des réverbérations qui suivaient les cliquetis.

Norman McLaren (1965)

* Pour plus de détails sur la gravure des pistes sonores, consulter les notes techniques « Bande son par dessin direct pour débutants».

30 Notes techniques sur Narcisse (1983)

Nous n’avons pas eu recours aux effets optiques spéciaux dans les deux premières parties du film, au cours desquelles Narcisse rencontre la jeune fille, puis le jeune garçon. Au départ, nous tournions surtout au ralenti, la caméra réglée à 48 images par seconde, bien que certaines prises de vues aient été exécutées à une cadence de 24 et 36 IPS.

À l’étape finale, ces vitesses ont fait l’objet d’un montage alternatif librement adapté à la nature de la danse.

La troisième partie du film porte sur la rencontre qu’effectue Narcisse avec lui- même, d’abord en apercevant son reflet dans l’eau, puis en faisant face à un être vivant sorti de l’étang pour susciter la confrontation.

Comme nous n’arrivions pas à trouver des danseurs jumeaux identiques, Narcisse a dû tenir les deux rôles successivement, soit le véritable personnage N1 et son reflet N2.

Il nous a fallu faire appel à la tireuse optique afin de réunir ces deux interprétations en une seule image. Nous y aurions cependant eu recours de toute manière puisque nous avions l’intention de créer un certain nombre d’effets optique spéciaux.

Suivant le procédé habituellement utilisé avec le matériel optique, nous avons produit des interpositifs, que nous avons chargés sur les têtes du projecteur de la tireuse optique, pour ensuite créer les effets spéciaux en filmant sur le négatif optique.

Voici, suivant l’ordre de leur apparition chronologique dans le film, la description et l’explication des divers effets et techniques utilisés.

La séquence de la rencontre initiale

Seule cette prise de vue particulière a nécessité l’utilisation d’un grand miroir. Nous avons effectué deux passages à la tireuse optique afin que Narcisse 1 se place en retrait de son propre reflet dans le miroir (Narcisse 2). Au premier passage, nous avons masqué N2 et filmé normalement les gestes de N1. Au second, nous avons masqué N1 et avons avancé, retardé et resynchronisé les gestes de N2 par rapport à ceux de N1 en sautant, en figeant ou en doublant les images.

Nous n’avons plus recouru au miroir par la suite (sauf pour un gros plan rapide vers la toute fin du film. Nous avons filmé le danseur interprétant successivement chacun des rôles, que nous avons ensuite combinés en une seule image en

31 réenregistrant avec deux passages à la tireuse optique. Cette méthode nous est d’ailleurs devenue habituelle.

La séquence de la disparition

Lorsque N2 devient malveillant, échappant à N1 en disparaissant et en réapparaissant à plusieurs reprises, nous avons tout simplement organisé sa disparition en remplaçant ce dernier par un fond blanc au moment du passage à la tireuse optique, pour ensuite réapparaître en fondu sur l’image.

Pour accentuer le caractère évanescent de N2, nous l’avons fait scintiller au moyen de cadres vides, en le faisant d’abord apparaître en fondu sur une image et disparaître de la même façon sur la suivante. Puis, nous avons modifié ce rapport : une image à l’écran, deux cadres vides, deux à l’écran, quatre vides, enfin, un scintillement créé au hasard et comportant invariablement trois images à l’écran et entre quatre et quinze cadres vides.

La séquence de la danse

Lorsque N2 cesse de se montrer malveillant et se présente à N1, celui-ci se livre à une danse d’allégresse. N2 exécute à son tour la même danse, mais avec des raccords syncopés. Nous avons produit cet effet en prenant une section d’environ onze pieds de la danse de N2 que nous avons découpée en autant de morceaux d’environ seize cadres chacun, numérotant ces morceaux par ordre chronologique pour ensuite les rassembler ainsi : 1, 3, 2, 4, 6, 5, 8, 7, 9, 11, 10. Cette façon de procéder, qui peut sembler arbitraire, résulte des expériences que nous avons effectuées avec des sections de différentes longueurs et divers agencements.

À la fin de la séquence, alors que les deux personnages se trouvent agenouillés, N2 disparaît (remplacé par un fond vierge). Puis il reparaît, se fondant derrière N1 à son image (fondu en marche arrière jusqu’au point où les deux images se trouvent exactement surimposées).

La séquence entrecroisée

La séquence s’ouvre sur Narcisse qui, loin à droite de l’écran, court vers le centre en exécutant un grand saut. Au point culminant du saut, il se dédouble et les deux silhouettes reviennent au sol, parfaitement synchronisées (le point culminant du saut est soumis à deux passages exactement superposés, dont l’un est ensuite retourné de gauche à droite).

Plus loin dans la prise de vue, deux plans figés saisissent le sommet d’un autre bond au centre de l’écran et disparaissent en fondu, alors que sur les deux images

32 restantes, l’action se poursuit. Cet effet a nécessité quatre passages à la tireuse optique, dont deux ont ensuite été retournés. Sur les deux passages centraux (l’un retourné, l’autre non), l’image a été figée, puis éliminée en fondu.

Le point fort de la prise de vue, au cours duquel les deux personnages dansent symétriquement, semblant s’entrelacer, a également exigé quatre passages.

La séquence s’ouvre sur deux silhouettes, l’une à l’extrême droite, l’autre à l’extrême gauche de l’écran. Chacune des silhouettes se dédouble : à droite et à gauche, l’une des deux reste figée tandis que les deux autres s’avancent vers le centre de l’écran. Soixante images plus tard, les deux silhouettes figées marchent sur les traces des précédentes, mais avec un décalage d’environ deux secondes et demie, à cause du plan figé. En d’autres termes, elles entretiennent avec le premier tandem un rapport qui n’est pas sans rappeler le canon à deux voix. Pour clore le canon, les silhouettes ayant amorcé le mouvement dès le début de la séquence ont à leur tour fait l’objet d’un plan figé de soixante images à la fin, permettant ainsi aux deux autres de les rejoindre et de s’unir à elles.

La séquence inversée

Au moment du premier tournage, nous n’avons filmé qu’une seule silhouette à la verticale. La silhouette s’élevant vers le ciel a été inversée, puis retournée de gauche à droite afin de créer une symétrie diagonale. Il a donc fallu la soumettre à deux passages dans la tireuse optique. C’est de nouveau grâce aux images figées, sautées et doublées que nous sommes parvenus à décaler, puis à faire coïncider les mouvements des deux personnages.

La séquence floue

La réalisation de cette séquence a exigé le recours à une technique complexe développée à la suite d’un nombre considérable d’essais préliminaires.

Au cours du premier tournage, le danseur se déplaçait à la vitesse normale, alors que la caméra tournait vingt-quatre fois plus lentement qu’à la normale (l’obturateur s’ouvrant et se refermant à la demi-seconde). Lorsque le danseur effectuait des déplacements rapides, une large plage floue apparaissait sur chaque cadre; s’il se déplaçait à une vitesse modérée, cette plage s’amenuisait; enfin, s’il restait immobile, l’image restait parfaitement nette. En d’autres termes, l’étendue de la plage floue était proportionnellement à la vitesse du mouvement.

Réglée à une image par seconde, la caméra ne reproduisait qu’une demi- seconde de l’action sur chaque cadre. Durant l’autre demi-seconde, l’obturateur rotatif de la caméra se refermait pour permettre au film de passer à l’image suivante.

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Ainsi, si le danseur levait le bras en trois secondes, seuls les segments de flou correspondant aux première, troisième et cinquième demi-seconde apparaissaient sur trois cadres successifs du film. L’action correspondant aux segments deux, quatre et six n’était pas reproduite.

C’est à l’aide d’une nouvelle camera (B), jointe à la première (A) (de façon mécanique ou électronique), que nous avons saisi l’action des segments équivalant à la deuxième, à la quatrième et à la sixième demi-seconde.

L’obturateur de la caméra B a été déphasé de 180 degrés par rapport à celui de la caméra A, l’un s’ouvrant précisément au moment où l’autre se refermait. C’est ainsi que nous avons pu enregistrer tous les segments des trois secondes de la séquence floue, soit :

sur 3 cadres successifs de la caméra A et sur 3 cadres successifs de la caméra B

Théoriquement, il aurait fallu disposer les deux appareils dans une position absolument identique par rapport au danseur, ce qui était évidemment irréalisable. Nous avons donc résolu le problème en plaçant la caméra B à angle droit par rapport à la caméra A et en installant à 45 degrés de chaque appareil un miroir semi-transparent dédoublant le faisceau.

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Traduction des termes utilisés dans cette illustration : champ visuel; danseur; miroir semi-transparent; caméras A et B.

Il convenait d’apporter un soin particulier à l’orientation des cameras afin que chaque viseur capte le danseur exactement dans la même position.

En supposant que la prise de vue du danseur évoluant à la vitesse normale corresponde à 1 minute 40 secondes (100 secondes), son déplacement serait enregistré sous la forme d’une suite de flous équivalant à cent cadres dans la caméra A comme dans la caméra B.

Projetée à la vitesse normale de 24 IPS, chacune de ces bandes de cent cadres aurait produit environ quatre secondes d’un mouvement apparemment frénétique. Nous ne cherchions toutefois pas à les considérer comme du matériel cinématographique ordinaire, mais bien comme une suite de vues fixes consécutives à reconvertir en film par un fondu enchaîné continu réalisé au moyen de la tireuse optique.

Nous avons tiré des interpositifs des négatifs originaux des deux bandes. Nous avons chargé l’interpositif A sur le bloc de projection de la caméra optique directement orienté sur le sujet et l’interpositif B, sur le bloc de projection formant l’angle de réfraction. (Si la tireuse optique n’avait été dotée que d’une tête, A et B auraient pu être soumis à deux passages successifs.)

La réalisation d’un fondu enchaîné à simple enchaînement de 48 cadres (2 secondes) sur un nouveau négatif optique aurait nécessité l’élaboration d’une fiche de tournage semblable à celle qui figure ci-après, chaque image se trouvant figée au moment de son apparition et de sa disparition en fondu.

35 Fiche de tournage d’un fondu enchaîné simple

Traduction des termes utilisés dans cette illustration : bloc de projection (directement orienté); interpositif « A »; bloc de projection (formant l’angle de réfraction); interpositif « B »; caméra optique; nouveau négatif optique; compteur d’images; secondes.

Ainsi, le flou 1A disparaîtrait alors que le flou 1B apparaîtrait, puis disparaîtrait à son tour, faisant place au 2A, etc. Il s’agirait donc de flous adjacents statiques plutôt que d’une image ininterrompue.

36 Comme nous estimions utile d’accentuer l’effet de continuité par le chevauchement des flous, nous avons réalisé un double enchaînement de fondus décalés. Cette fois, la fiche de tournage se présentait ainsi :

Fiche de tournage du double enchaînement de fondus décalés

Traduction des termes utilisés dans cette illustration : bloc de projection (directement orienté); interpositif « A »; bloc de projection (formant l’angle de réfraction); interpositif « B »; caméra optique; nouveau négatif optique; compte d’images cumulatif; passages 1 et 2; l’image figurant sur le nouveau négatif optique (suivant le cadre 72) est toujours une combinaison des 3 ou 4 images voisines, chacune prédominant à son tour. Par exemple : le cadre 72 représente 25% de 1A, 25% de 2A et 50% de 1B. Le cadre 96 représente 50% de 2A, 25% de 1B et 25% de 2B. Le cadre 120 représente 25% de 3A, 25% de 2A et 50% de 2B, etc.

37 La séquence scindée inversée

Il s’agit de la dernière séquence prolongée du film. Narcisse s’y avance seul, mais se dédouble à plusieurs reprises. L’une des silhouettes poursuit sa marche alors que l’autre reprend le chemin en sens inverse avant de s’effacer.

Nous n’avons eu recours qu’à un seul interpositif sur lequel figurait la silhouette unique. Au premier passage, cette silhouette s’avançait sans interruption du début à la fin de la prise de vue.

Au second passage, nous avons surimposé la même image sur elle-même jusqu’à l’étape du dédoublement, où nous avons repassé en marche arrière l’interpositif chargé sur la tête de projecteur de la tireuse optique avant de le faire disparaître en fondu, pendant que le contretype négatif se trouvant dans la caméra poursuivait sa trajectoire.

Le gros plan du baiser ultime

Le gros plan a été filmé à l’aide d’un miroir placé aussi près que possible d’un mur de brique (la surface réfléchissante du miroir orientée vers ce mur). À une étape donnée du tournage, nous avons interrompu la caméra : le danseur, bien droit, a maintenu la pose pendant que le miroir était retiré prestement, laissant paraître le mur de brique. Nous avons alors repris le tournage et le danseur a poursuivi son numéro.

Ensuite, à la tireuse optique, nous avons lentement fondu la prise de vue du miroir à celle du mur de brique.

Norman McLaren (1983, révisé en 1984)

Notes sur la musique de Narcisse par Maurice Blackburn (1984)

J’ai conçu la partition suivant l’usage relatif à la musique de film, soit une fois la partie visuelle terminée. L’essentiel de la structure générale en était donc connue d’avance.

Il a été convenu, à la suite d’une conversation avec Norman McLaren, qu’une musique de style romantique constituée de solos instrumentaux serait particulièrement appropriée à l’esprit et au déroulement de l’action. En ce qui a trait au choix des instruments, Norman aurait souhaité que la flûte de Pan représente le principal fil conducteur du film. Toutefois, compte tenu des obstacles d’ordre pratique, nous avons finalement opté pour une flûte traversière, en ajoutant la harpe, le piano et un groupe de sept cordes afin de créer un fond harmonique.

38

Composée et enregistrée plusieurs mois avant l’enregistrement final, la mélodie du solo vocal a été incorporée, avec une légère touche de harpe et de cordes pincées, aux pistes du mixage final.

La présence du son synthétique ou « animé » se voulait un hommage discret à l’esprit inventif de McLaren, qui l’avait lui-même photographié en suivant ma partition.

Ma conception générale de la musique consistait à proposer une sorte d’interprétation inconsciente de l’histoire présentée à l’écran, tout en attirant aussi peu que possible l’attention auditive. J’estime que ce film admirable relève d’abord et avant tout du regard.

Maurice Blackburn (1984)

39 Notes techniques sur New York Lightboard (1961)

En 1961, le Bureau de tourisme du gouvernent canadien a loué le grand panneau lumineux de Time Square, à New York, pour y afficher sa publicité touristique invitant le voyageur au Canada. Le Bureau de tourisme a demandé à l’ONF de produire le film muet 16 mm de neuf minutes qu’on allait y présenter.

L’écran comportait plus de mille ampoules électriques à puissance élevée. Ces 27 rangées horizontales de 38 ampoules chacune formaient un énorme rectangle lumineux. Sur le mur d’une vaste pièce, derrière l’écran, se trouvaient 27 rangées de 38 cellules photo-électriques, dont chacune était reliée à une ampoule. Un projecteur muet 16 mm projetait des images animées en noir et blanc (sans gris) sur les cellules photo- électriques). Le film devait former une grande boucle pour permettre la projection continue. Un projectionniste assurait seul la surveillance et l’entretien de cette installation primitive.

Comme un écart séparait entre elles les cellules photo-électriques, l’animation devait se composer de traits particulièrement épais et de zones larges, les traits fins n’activant pas les ampoules électriques lorsqu’ils se trouvaient projetés entre les cellules photo-électriques.

Quatre animateurs devaient concevoir chacun une séquence : Ron Tunis, Kai Pindal, René Jodoin et moi-même. Certains, à l’aide d’une plume à pointe très large et d’encre de Chine, travaillaient directement sur une pellicule transparente 35 mm (réduite ensuite à 16 mm). D’autres, adoptant le style carnet, utilisaient de petites feuilles de papier fin qui offraient une marge de manœuvre d’environ 10 cm x 7,5 cm (4 po x 3 po) et un crayon feutre à pointe très large. Au cours du tournage, ce sont les angles de ces feuillets, et non les perforations, qui servaient de repères.

New York Lightboard Record est un honnête documentaire muet qui capte les réactions des New-Yorkais regardant, devant le grand écran lumineux à ciel ouvert de Times Square, le film que nous avions produit.

Norman McLaren (1961)

40 Notes sur la technique de l’image multiple dans Pas de deux (1967)*

Au premier tournage de Pas de deux, nous ne cherchions pas à obtenir une image multiple. Les danseurs, vêtus de blanc, se détachaient sur un sol et un arrière- plan complètement noirs. La vitesse de tournage se trouvait en général réglée à 48 images par seconde, ce qui produisait un léger effet de ralenti (la vitesse normale équivalant à 24 images par seconde).

La multiplication de l’image a été réalisée à une étape subséquente, au moyen d’une tireuse optique. Pour le projecteur de l’appareil, nous avons utilisé un positif à grand contraste obtenu à partir du négatif original; dans la caméra de la tireuse optique, nous avons eu recours à un contretype noir et blanc.

Nous avons créé l’image multiple en exposant le positif à un grand contraste successivement et à plusieurs reprises sur notre nouveau négatif optique. La prise de vue était exposée sur elle-même, mais à chaque fois retardée ou décalée de quelques cadres. Ainsi, lorsque les danseurs demeuraient complètement immobiles, ces expositions successives décalées revenaient s’aligner les unes sur les autres, semblant créer une image normale. Mais lorsque les danseurs se remettaient en mouvement, chaque exposition se déclenchait un peu plus tard que la précédente, produisant l’effet de multiplicité.

Le nombre maximal d’expositions s’établissait à onze. L’importance du décalage variait d’une prise de vue à une autre, ainsi qu’à l’intérieur d’une même prise de vue. Un décalage de deux cadres produisait un enchaînement serré; à l’opposé, un écart de vingt cadres engendrait une chaîne très lâche. Par ailleurs, un décalage moyen de trois, quatre ou cinq images entraînait un chevauchement de celles-ci, mais permettait toutefois d’entrevoir distinctement chacune d’elles.

Deux méthodes nous ont servi à « télescoper » notre chaîne en une seule image. La première consistait à attendre, pendant le premier tournage, que les danseurs s’arrêtent naturellement pour effectuer une pause et la seconde, à choisir un moment opportun pour figer l’image par dispositif optique à la première exposition, prolongeant suffisamment celle-ci pour permettre à toutes les expositions subséquentes, parvenues au même point, de se figer à leur tour sur l’image. Nous obtenions de cette façon une seule image, fixe et unifiée, lorsque la dernière exposition avait rejoint les autres. Une fois toutes les expositions synchronisées, l’action se poursuivait, une silhouette unique évoluant sur la scène.

*Intitulé Duo pour la sortie en salles aux É.-U.

41 Si, faisant appel à la seconde méthode, nous souhaitions que cette image unique se multiplie de nouveau, nous interrompions à la tireuse optique toutes les expositions sauf une, que nous laissions se poursuivre. Puis, chacune des autres suivait son cours, décalée d’environ cinq images.

Les essais préliminaires avaient montré la nécessité de prévoir, outre les arrière- plans noirs, un éclairage de fond sur les danseurs, l’éclairage frontal entraînant une confusion visuelle au moment de la multiplication des images. Le délinéament des danseurs au moyen d’un trait lumineux aussi fin que possible favorisait une lecture maximale lorsque les figures multiples se trouvaient en mouvement.

Norman McLaren (1967)

Notes sur la musique de Pas de deux par Maurice Blackburn (1967)

En visionnant la copie de travail muette de Pas de deux, j’ai tout de suite songé à un morceau intitulé « Song of the River Olt » et interprété à la flûte de Pan par Constantin Dobre, accompagné d’une musique orchestrale douce et très discrète sur un disque de musique folklorique roumaine.

Il s’agissait d’un morceau particulièrement lyrique, auquel la flûte de Pan donnait un indéniable souffle humain et qui, à mon avis, saisissait l’essence même du film. Après avoir écouté le disque pendant quelques heures, j’étais en mesure de déterminer ce que j’allais en faire. J’ai fait part de mes idées à Norman. Il m’a approuvé et m’a donné carte blanche

Sur le disque, le morceau ne durait pas plus de trois minutes alors que la piste sonore du film devait correspondre à treize minutes.

Mais la solution à ce problème de durée et de structure m’apparaissait déjà assez nettement. Il me suffisait de suivre le déroulement narratif du film depuis le repli sur soi introspectif de la jeune fille et l’action jusqu’à l’extase final.

J’ai donc entrepris d’enregistrer plusieurs copies du morceau sur ruban magnétique, qui m’ont permis de séparer tous les éléments musicaux : les murmures de l’orchestre en ouverture, les motifs et les phrases de la flûte de Pan de même que toute la mélodie.

Puis, j’ai conçu une nouvelle piste sonore s’ouvrant uniquement sur l’accompagnement très discret de l’orchestre, maintenu sans interruption jusqu’à la fin de la piste. Sur ce fond sonore, à certains moments cruciaux du film, j’ai ajouté de cours fragments de flûte de Pan, quelques notes, un motif, puis des phrases et enfin, dans les dernières minutes du film, la mélodie entière.

42 J’avais déjà enregistré une importante variété d’arpèges de harpe aux colorations, tonalités et registres divers s’accordant au murmure de l’orchestre et pouvant s’intégrer au fond de la mélodie. Ces enregistrements ont fait l’objet de pistes distinctes.

Finalement, Ron Alexander, notre exceptionnel mixeur de son, a su manier très subtilement les nuances et les colorations des diverses pistes de manière à constituer un fond, un support au miroitement continu, mettant en relief la flûte de Pan.

Maurice Blackburn (1967)

43 Notes techniques sur A Phantasy (1948)

L’aspect visuel Le film comporte trois parties. La première et la troisième parties relèvent de la même technique, soit une dessin au pastel monochrome se métamorphosant lentement grâce à un enchaînement presque continu de 48 fondus, chacun des dessins faisant l’objet d’une légère modification entre chaque fondu.∗

Voici un exemple simple permettant d’illustrer plus clairement la méthode.

Traduction des termes utilisés dans cette illustration : compte d’images; ouverture en fondu; insertion en fondu; étapes A, B et C du dessin.

Le dessin initial (ÉTAPE«A») ouvre en fondu des images 0 à 40, puis est éliminé en fondu de 40 à 80. Le film est alors rembobiné jusqu’à l’image 40 sans exposition. Avec l’ajout ou la réduction de pastel, le dessin passe à l’étape « B », qui est inséré en fondu de 40 à 80 et supprimé en fondu de 80 à 120. Ensuite, toujours sans exposition, la pellicule est rembobinée une nouvelle fois de 120 à 80. Le dessin de nouveau modifié passe alors à l’étape « C », inséré en fondu de 80 à 120, et supprimé de 120 à 160 et ainsi de suite. Cette technique permet d’obtenir une constante métamorphose du dessin. Le dessin est conçu de telle sorte que la métamorphose s’opère à un rythme différent d’une plage à l’autre. Alors que certaines régions demeurent intactes à mesure que s’enchaînent les images, d’autres changent suivant une cadence lente, modérée ou rapide. La région du dessin qui subit les modifications les plus rapides capte en général davantage l’attention. Il arrive par ailleurs que seul un infime détail soit changé lorsque s’effectue le fondu alors que parfois, tout le dessin se trouve modifié. À mon avis, la métamorphose d’un dessin (ou d’une peinture) par la technique des fondus enchaînés successifs se révèle particulièrement efficace lorsqu’il s’agit d’un clair-obscur aux contours flous, estompés, d’un pointillisme, d’un tissu broyé, ou même de hachures croisées fines ou espacées. Elle convient cependant moins aux images nettes ou aux plages dont les contours sont bien définis. Donald McWilliams (1991)

∗ Pour une description plus complète des fondus, voir les « Notes techniques sur La poulette grise ».

44 Dans A Phantasy, l’animation reposait en grande partie sur l’addition et la soustraction : certains éléments croissaient, devenaient flous, puis rapetissaient, selon que nous ajoutions ou estompions le pastel sur chacune des images déjà existantes.

De plus, à certains moments, de minces découpages plats affichant des dessins au pastel apparentés aux motifs de base furent animés vue par vue au-dessus du dessin.

La deuxième partie du film∗ ne comporte aucune métamorphose. Des découpages circulaires plats, peints de manière à leur donner l'aspect de sphères, ont été animés image par image sur un fond noir. Les arrière-plans défilants, dessinés au pastel, ont été surimprimés au moyen d'un deuxième passage sous la caméra.

Norman McLaren (1948, révisé en 1984)

Notes sur la musique de A Phantasy par Maurice Blackburn (1948)

La conception de la musique a succédé à celle de l’image.

La partition destinée aux saxophones et au son animé∗∗ a été conçu comme une partition ordinaire, le son animé étant considéré au même titre qu’un instrument de l’ensemble. Une seule différence cependant : pour ce qui est de la longueur et de l’agencement, nous avons accordé aux notes synthétiques la valeur d’unités de 1/24 de seconde, en d’autres termes, d’une image de film. À la suite de l’enregistrement du son synthétique, nous avons conçu une piste-métronome afin de synchroniser aussi les autres instruments, soit trois saxophones (soprano, alto et ténor). Chaque instrument a fait l’objet d’un enregistrement distinct, effectué par un seul musicien sur la piste- métronome, de manière à laisser une pleine marge de manœuvre relativement à chacune des pistes au moment du mixage final.

Maurice Blackburn (1948)

∗ Cette seconde partie a été réutilisée en 1969, comme seconde partie du film Sphères. ∗∗ Consulter à cet égard, les « Notes techniques sur la production de son animé optique suivant la méthode des cartes de son ».

45 Notes techniques sur La poulette grise (1947)

La musique a été préenregistrée et les paroles de la chanson folklorique ont servi d'inspiration aux images.

Les images ont été filmées en 16 mm avec un enchaînement continu de fondu d'ouverture et de fondus au noir de 40 images liés les uns aux autres. La caméra était braquée sur un unique dessin au pastel qui était modifié entre chaque fondu.

Ce processus peut être clairement illustré dans un simple schéma.

Traduction (de gauche à droite et de haut en bas): - Nombre d'images au compteur – Fondu d'ouverture (enchaîné) – Fondu au noir (enchaîné) – Dessin: État « A », etc. – Fondu d'ouverture - Fondu au noir (enchaîné) – Fondu d'ouverture (enchaîné)

Le dessin initial (ÉTAT « A ») ouvre en fondu de l'image 0 à l'image 40, puis est fondu au noir de l'image 40 à l'image 80. Le film est alors rembobiné sans exposition jusqu'a l'image 40.

Avec l'ajout ou la suppression de pastels, le dessin passe à l'« ÉTAT B » avec un fondu d'ouverture de l'image 40 à l'image 80 puis un fondu au noir de l'image 80 à l'image 120. Ensuite, toujours sans exposition, la pellicule est rembobinée une nouvelle fois de l'image120 à l'image 80.

Le dessin de nouveau modifié passe alors à l'« ÉTAT C », en fondu d'ouverture de l'image 80 à l'image 120, et fondu au noir de l'image 120 à l'image 160 et ainsi de suite.

Cette technique permet d'obtenir une constante métamorphose du dessin.

Le dessin est conçu de telle sorte que la métamorphose s'opère à un rythme différent d'une partie à l'autre. Alors que certaines parties demeurent statiques à mesure que s'enchaînent les images, d'autres se modifient à un rythme lent, modéré ou rapide.

La partie du dessin qui subit les modifications les plus rapides capte en général davantage l'attention. II arrive par ailleurs que seul un infime détail soit modifié lorsque s'effectue le fondu alors que parfois, c'est tout le dessin se métamorphose.

46 À cause de la grande quantité de pastel qui y était appliquée, du frottage et des modifications apportées au dessin, il arrivait de temps à autre que le carton devienne glissant et ne puisse plus retenir le pigment. Lorsque cela était sur le point de se produire, je simplifiais l'image afin de la copier aisément sur un nouveau carton. Il n'était pas absolument nécessaire de faire une copie exacte puisque la métamorphose comporte forcément une légère modification, et je m'arrangeais pour changer les cartons entre les couplets.

Dernières remarques sur les métamorphoses en fondus enchaînés

À mon avis, la métamorphose d'un dessin (ou d'une peinture) par la technique des fondus enchaînés se révèle particulièrement efficace lorsqu'il s'agit d'un clair-obscur aux contours flous et estompés, ou encore d'un dessin pointilliste comportant des textures rugueuses, ou même des entrecroisements de hachures fines ou grossières. Elle convient cependant moins aux images nettes ou aux parties dont les contours sont bien définis.

Bien que je n'aie utilisé jusqu'à maintenant que des fondus de 40 ou 48 images, il est possible de faire des enchaînements de fondus beaucoup plus longs ou courts. Les fondus enchaînés de 3, 4 ou 5 images produisent un effet particulier.(1)

Norman McLaren (1947, révisé en 1984)

(1) Pour en savoir plus sur la réalisation de longs enchaînements de fondus très courts, veuillez consulter l'article Very Short Mix-Chain Technique.

47 Notes techniques sur la bande son de Points et Boucles (1940)

Les sons percussifs semi-musicaux ont été peints et dessinés à l'encre de Chine sur une pellicule 35 mm transparente.

Les sons ont été appliqués dans la zone de bande son adjacente aux images; dans ce cas-ci, sur la pellicule même où ont été dessinées les images. Pour assurer la synchronisation durant la projection, la bande son a été positionnée 20 images en amont du point de correspondance entre l'image et le son.

En vue de la diffusion, la bande son a ensuite été repiquée sur un format à élongation variable.

Presque tous les sons ont été dessinés en forme de « notes » ayant une attaque abrupte ou immédiate et, lorsque possible, une chute terminée en pointe, avec une forme ou contour exponentiel: Bande son agrandie

Chaque note a été créée à partir d'un nombre de traits de plume ou de pinceau.

Clics sans note précise

Un seul trait en travers de la bande son produit un clic:

clic haut clic moyen clic bas

Volume du clic

L'intensité du clic dépend de l'étendue du trait en travers de la bande son. Par exemple:

plus fort moins fort faible plus faible

Le volume peut aussi être contrôlé par l'inclinaison du trait:

48 Sons avec notes

Pour obtenir un son d'une hauteur déterminée, un minimum de six traits suffit s'ils sont également espacés; plus les traits sont rapprochés, plus la note est aiguë; plus ils sont espacés, plus la note est basse.

Une plume à bec tubulaire a été utilisée pour les sons aigus:

très aigu aigu moins aigu

Une plume ordinaire à pointe plus large a été utilisée pour les notes de hauteur moyenne:

Des pinceaux fins et des pinceaux plus gros ont été utilisés pour les notes basses:

Hauteur exacte des notes

Pour contrôler la hauteur exacte de toute note dessinée directement sur la pellicule, il faut s'assurer que l'espace entre les lignes soit identique. Les notes basses ont été plus facile à faire que les notes aiguës parce que la distance entre chaque trait était plus grande. Même chose pour les notes à l'octave puisqu'il s'agissait tout simplement de doubler le nombre de traits pour une même longueur. Par exemple, six traits vis-à-vis une image produisaient 144 traits (6 x 24) ou vibrations par seconde; 12 traits par image donnaient une note de 288 (12 x 24) vibrations par seconde, soit une note à l'octave supérieur.

L'intervalle de quinte était également facile à produire puisqu'il était basé non pas, comme l'octave, sur un rapport de 1 à 2, mais sur un rapport de 2 à 3. Il fallait donc dessiner 9 traits par image pour obtenir une note de 216 (9 x 24) vibrations par seconde. L'intervalle de quarte au-dessus du ton de base de 144 vibrations par seconde a été déterminé de la même façon.

La bande son de Points et Boucles s'appuyait principalement sur des notes à l'octave ainsi que sur des quartes et quintes de divers octaves. Cependant, d'autres nombres de traits par image ont dû être calculés pour produire d'autres notes de la gamme diatonique.*

* Voir la note technique « Bande son par dessin direct pour débutants » pour une autre description du son par dessin direct.

49

Après avoir terminé les bandes son de Points et Boucles, j'ai opté, en ce qui concerne les bandes son dessinées, pour la gravure sur pellicule à émulsion noire. La raison en était que la pellicule transparente s'égratignait et se salissait facilement en cours de travail et finissait par générer un bruit indésirable. On ne retrouve pas ce problème avec la gravure sur pellicule noire. Les règles concernant la taille, l'espacement et la forme de traits sont les mêmes.

Norman McLaren (1940)

50 Notes techniques sur les premiers films (1933-1939)

Hand Painted Abstraction (1933)

Il s'agit d'un piétage muet, et non d'un film structuré, conçu pour être accompagné par des disques de toutes formes de jazz rapide ou de musique populaire. Les images ont été peintes sur une pellicule 35 mm récupérée avec une gamme très limitée de colorants semi-transparents, de cirage et d'encre de Chine, et une totale indifférence à l'égard de la barre de séparation et de la synchronisation avec la musique.

Les variations très rapides des motifs et la musique très rythmée ont créé une synchronisation aléatoire acceptable qui paraît souvent des plus intentionnelles.

Aucune copie n'a jamais été faite. L'original a été projeté si souvent qu'il s'est désintégré.

Seven Till Five (1933)

Un « documentaire » conventionnel tourné avec la plus rudimentaire des caméras 16 mm. Le film, qui illustre le déroulement d'une journée dans une école d'art, fait un grand usage de plans courts et de plans rapprochés.

Camera Makes Whoopee (1935)

Il s'agit d'un documentaire impressionniste sur le bal de Noël de l'école d'art et les préparatifs qui le précèdent. Ce film muet a été conçu pour être accompagné par la musique de divers disques.

Les images, constituées principalement de scènes réelles, ont été tournées avec une Cine-Kodak Special 16 mm. J'ai tenté d'exploiter la majorité des possibilités techniques de la caméra comme les fondus d'ouverture et au noir, les fondus enchaînés, les expositions multiples, le multi-images, l'animation image par image de dessins et d'objets, etc. J'ai aussi combiné plusieurs de ces effets. Chacun d'entre eux a été fait en cours de tournage, sans utilisation de la tireuse optique.

Polychrome Phantasy (1935)

Pour les arrière-plans, j'ai filmé à travers un microscope de faible grossissement des formations de cristaux dont je modifiais la couleur avec de la lumière polarisée. J'ai placé un cache à bords flous dans la partie inférieure de l'image afin de surimprimer les

51 danseurs vivants dans un deuxième passage dans la caméra Cine-Kodak Special. La danse a été exécutée sur une valse de Johann Strauss enregistrée sur disque.

Five Untitled Shorts (1935)

Ces simples films publicitaires, muets et en couleurs, ont été tournés en scènes réelles et rétroprojetés dans les vitrines d'un petit nombre de boucheries.

Colour Cocktail (1935)

Court métrage abstrait et muet s'appuie principalement sur un jeu de lumières colorées et projetées sur les formes courbes de sculptures de papier tournoyant lentement sur une platine de disques. Les expositions multiples, les fondus d'ouverture et au noir, et les fondus enchaînés ont été réalisés à la caméra.

Hell Unlimited (1936)

Il s'agit d'un film muet en noir et blanc porteur d'un message contre la guerre et associant des acteurs vivants, des marionnettes, des diagrammes, des cartes et des gros titres de journaux.

Book Bargain (1937)

Documentaire classique, avec commentaire, tourné en 35 mm noir et blanc. Le film fait voir de façon chronologique les procédés mécaniques de la fabrication de l'annuaire téléphonique de Londres. Montrant tout d'abord les énormes cylindres de papier et les réservoir d'encre noire, il suit en détails la ligne d'assemblage pour aboutir finalement au volume relié.

News for the Navy (1937-38)

Ce documentaire conventionnel avec commentaire montre de quelle façon une lettre postée dans son pays parvient à un marin en service sur une mer lointaine.

Mony a Pickle (1937-38)

Il s'agit d'un court métrage publicitaire pour une banque d'épargne réalisé par plusieurs cinéastes. Dans les deux minutes de la partie que j'ai réalisée, on voit un couple assis dans sa cuisine-salon et discutant de ce qu'ils changeraient à leur décor s'il gagnaient 1 000 £. Les meubles et autres objets domestiques s'animent, apparaissent

52 ou disparaissent en fondus enchaînés, surgissent et s'évaporent pour créer l'appartement de leurs rêves.

Love on the Wing (1938)

Les dessins et symboles linéaires en métamorphose continuelle ont été dessinés à la plume ordinaire et à l'encre de Chine sur une pellicule 35 mm transparente. Pour protéger l'original, nous avons fait un positif et un négatif (lignes noires sur fond transparent).

Les arrière-plans peints, multiples et défilants, ont été enregistrés sur un négatif Dufaycolor (aujourd'hui désuet).

Le négatif à traits noirs sur fond transparent a été surimprimé sur le négatif Dufaycolor pour produire une image nette avec un arrière-plan positif de couleurs. Nous avions ainsi un master positif duquel nous avons tiré un contretype négatif et toutes les copies d'exploitation. Tous les éléments de tirage 35 mm ayant disparu, les copies existantes ont été tirées d'une copie 16 mm passablement usagée. Ce qui explique que les arrière-plans défilants, qui jouent un rôle assez essentiel dans l'animation, sont presque totalement estompés.

The Obedient Flame (1939)

La première moitié de ce film a été réalisée selon la technique conventionnelle des cellulos, employée dans les studios d'animation, à partir d'un story-board composé de diagrammes détaillés que j'avais établi. Cette partie a été conçue pour être accompagnée d'un commentaire. La deuxième partie du film, plus classique, est constituée de scènes réelles. Ce film fait la promotion de la cuisson au gaz naturel de préférence à l'électricité.

Norman McLaren (1933-39, révisé en 1984)

53 Notes techniques sur Rythmetic (1956)

Images Les chiffres (de 11/2 po ou 4 cm de hauteur) ont été découpés dans du papier blanc rigide puis animés sur un grand carton noir fixé sur la table d'animation. Nous avons positionné avec précision les chiffres en traçant sur le carton des lignes et des repères à l'aide d'un crayon rouge foncé à la mine bien aiguisée pour obtenir des tracés très fins. La caméra ne pouvait capter ces fines lignes rouge sur le fond noir, mais elles étaient clairement visibles aux animateurs qu'elles guidaient dans l'alignement et le mouvement des chiffres. Ces repères rouge foncé en forme de petites coches ont permis de tracer point par point l'échelonnement de la plus grande partie de l'animation. Les découpages de base étant rigides nous ne pouvions pas animer leurs formes mais seulement les déplacer à l'intérieur du cadre. Nous avons utilisé deux méthodes pour animer leur silhouette. Pour les chiffres 4, 7 et 5, nous avons joint leurs éléments au niveau de leurs points de rencontre:

Pour les chiffres comme le zéro et 3, nous avons fait une série de découpage remplaçables:

Les chiffres apparaissent et disparaissent en fondus d'ouverture et fondus au noir très courts de 10 images. Au lieu de réaliser ces fondus à la caméra, nous avons pour chaque chiffre fait une série de dix découpages remplaçables couvrant une échelle de gris allant du blanc au noir. Comme nous avions un grand nombre de fondus à réaliser, nous avons adopté cette méthode qui demandait moins de travail que l'utilisation de la caméra.

54 À partir du négatif noir sur fond transparent, nous avons obtenu un master positif très contrasté et un contretype négatif que nous avons passés successivement dans la tireuse optique afin de colorer les chiffres et le fond à l'aide de filtres.

Piste sonore

La piste sonore a été réalisée après le tournage du film. Les apparitions soudaines des chiffres et des signes arithmétiques ainsi que leurs mouvements ont tous été filmés en sections de 5, 10, 15, 20, 30, 40 ou 60 images. Ceci a généré la structure rythmique régulière et récurrente de la « musique ».

La « musique » a été réalisée en gravant à l'aide d'un couteau, d'une lame de rasoir, d'un stylet ou d'une aiguille de petites marques sur la piste sonore de la pellicule 35 mm à émulsion noire. Les larges traits au couteau émettaient des notes graves, et les très minces rayures à l'aiguille des notes aiguës. Les traits qui s'étendaient d'un bord à l'autre de la piste sonore étaient de volume élevé; ceux qui ne s'étendaient que partiellement à travers la piste rendaient un volume plus faible. Le volume pouvait aussi être contrôlé par l'inclinaison du trait. Les traits qui coupaient la piste à angle droit donnaient les volumes les plus élevés; plus le trait était incliné, plus le volume sonore était faible. (1)

Plusieurs des sons aigus, des clics, des claquements et des sons mats étaient obtenus par une unique rayure à toutes les 5, 10 ou 20 images. Les sons percussifs ayant une note précise étaient le résultat de plusieurs rayures rapprochées.

Voici quelques exemples de rayures gravées sur la piste sonore (agrandies):

Traduction (de gauche à droite et de haut en bas): - 5 images, 10 images, etc. - Clic fort – Clic faible – Son mat faible – Clic très faible – Son aigu fort – Son grave faible

Cette piste originale gravée directement a été ensuite réenregistrée en ajoutant un faible écho à certains endroits. Après réenregistrement, la piste sonore des copies d'exploitation avait l'aspect des bandes à élongation variable conventionnelles.

Norman McLaren (1956, révisé en 1984)

(1) Pour plus de détails, voir la note technique « Bande son par dessin direct pour débutants »

55 Notes techniques sur Serenal (1959)

La musique a été choisie préalablement (à la musicothèque de l'ONF) et repiquée sur bande magnétique 16 mm. Cette bande a été passée à la Moviola de façon à mesurer le rythme, les temps et le phrasé de la musique.

Les images ont été gravées sur une amorce 16 mm noire. Les effets de flocons ont pour la plupart été créés au moyen d'une fraise électrique à vibration très rapide à laquelle étaient fixés divers stylets et lames de couteaux. Le travail de gravure ne tenait pas compte des barres de séparation et s'effectuait en grands gestes le long de la pellicule et en synchronisme avec les phrases musicales. D'autres images animées ont été réalisées image par image avec un couteau X-acto et un stylet.

Nous avons ensuite colorié les images en appliquant à plusieurs reprises un colorant acétate sur les deux faces de la pellicule, puis gravé à nouveau la pellicule pour obtenir divers mélanges optiques des couleurs de chaque face.

Notes techniques sur Mail Early for Christmas (1959)

Ce film a été réalisé selon une technique quasi similaire à celle de Serenal.

Norman McLaren (1959)

56 Notes techniques sur Short and Suite (1959)

Ce film a été réalisé pour accompagner une composition d'Eldon Rothburn que j'ai découverte dans la sonothèque de l'ONF.

Les images ont été créées en deux étapes: gravure sur pellicule 35 mm noire, et coloriage à la main avec des colorants transparents.

Nous avons ensuite tiré de ce travail un original très contrasté noir sur fond transparent.

Le négatif couleur final a été obtenu en passant successivement à la tireuse optique l'original gravé et colorié et le master noir sur fond transparent. Les images colorées ont été tirées à partir de l'original couleur, et la couleur de l'arrière-plan était contrôlée avec le master noir sur fond transparent et des filtres de couleur. La tireuse optique a également servi à décaler certaines des images.

Norman McLaren (1959)

57 Notes techniques sur Sphères (1969)∗

Avant-propos

En 1948, René Jodoin et moi nous sommes donnés pour exercice de réaliser un film animé abstrait à partir uniquement de disques sphériques maintenus en mouvement constant.

Les accélérations et les décélérations font si bien partie du mouvement et de l'intérêt des films d'animation abstraits et figuratifs que nous désirions nous contraindre à la régularité. Le plus grand risque que nous courions était celui d'une monotonie grandissante. Nous mettrions toutes les chances de notre côté en augmentant graduellement le nombre de sphères et les itinéraires qu'elles allaient suivre. Une nouvelle contrainte consisterait à n'utiliser que des mouvements en ligne droite, horizontaux, verticaux, diagonaux et circulaires.

Technique

Les « sphères » déplaçables étaient de minces disques de métal découpé et peints de manière à suggérer un volume sphérique. Nous les avons animés image par image sur un carton qui portait les repères au crayon rouge foncé, invisibles à la caméra, de leurs itinéraires et mouvements établis à l'avance.

Le film est constitué de trois parties. Dans la première, le mouvement se déroule uniquement sur une surface unie et nous avons surimprimé à ces images (par un deuxième passage dans la caméra) un arrière-plan coloré constamment transformé au moyen d'une série de fondus enchaînés.

Dans la deuxième partie, le mouvement se déroule aussi presque entièrement sur une surface unie, mais nous avons surimprimé à ces images un arrière-plan défilant, qui donne l'illusion que les sphères dérivent ou flottent dans le ciel.

Dans la troisième partie, nous avons surimprimé avec un effet de zoom des fonds à plans multiples (à peu près comme dans C'est l'aviron) pour donner l'illusion que les sphères se déplacent dans la profondeur de l'espace.

De plus, nous avons créé l'illusion que les sphères elles-mêmes s'approchent et s'éloignent. Pour ce faire, nous avons préparé à l'avance une série de 40 disques de différents diamètres de 1/4 à 4 po (de 6 à 102 mm), tous peints comme des sphères. Au tournage, lorsque nous voulions qu'une sphère s'éloigne, nous la remplacions avec une sphère plus petite d'une image à l'autre jusqu'au plus petit diamètre de la série. Pour faire avancer une sphère, nous inversions la procédure.

∗ Images tournées en 1948. Ajout de la musique et sortie du film en 1969.

58 Épilogue

Une fois terminé, le film nous apparut dans son ensemble trop monotone visuellement (quoique possédant sans doute un effet calmant) pour être diffusé. Nous avons écouté toutes sortes de musiques enregistrées qui auraient pu convenir au film ou même nous suggérer une bande sonore appropriée, mais sans résultat. Par ailleurs, je n'avais pas l'impudence de demander à un compositeur de créer une musique parce que je pensais qu'il ne pourrait trouver aucune inspiration dans le film.

Tous les cinq ans environ, je regardais le film et, après avoir porté un jugement, le remettais sur la tablette.

Une vingtaine d'années plus tard, en 1968, les images me semblaient assez bonnes, sans doute parce que j'avais alors été exposé aux mouvements minimaliste et op art des années 1960.

C'est à cette même époque que j'ai fait l'acquisition d'un enregistrement des 96 Préludes et fugues de J. S. Bach par le pianiste Glenn Gould. Un jour en écoutant le disque j'ai réalisé soudainement que le mouvement constant, régulier et fluide de certaines fugues lentes et préludes rapides pourrait constituer l'accompagnement idéal des « sphères ».

En visionnant chaque partie du film sur la musique des extraits choisis, il m'est apparu évident que plusieurs préludes et fugues non seulement s'accordaient aux images mais les rehaussaient à un niveau qui justifiait leur union sous la forme d'un film. Évidemment, je n'ignorais pas quelle était la part la plus louable de cette alliance.

Après une longue recherche, j'ai eu le bonheur de découvrir que la Fugue no 22, le Prélude no 20 et la Fugue no 14 en plus de posséder un tempo et un climat appropriés avaient la même durée que les trois parties visuelles du film; seule une phrase musicale répétée a dû être omise.

Gould, après visionnement d'une copie de montage, approuva le mariage des images et de la musique. Il préféra que nous utilisions son interprétation sur disque plutôt que de faire un nouvel enregistrement pour le film parce qu'il ne pouvait garantir de respecter les durées établies.

Norman McLaren (1969, révisé en 1984)

59 Notes techniques sur Synchromie (1971)

Vers 1950, Evelyn Lambart et moi avions mis au point une méthode permettant de filmer la piste sonore à l’aide d’un dispositif optique, sans faire appel au microphone ou à la chaîne stéréo normale, mais bien à la caméra d’animation. Nous avons appelé notre procédé le « son animé », parce que nous filmions image par image sur la plage réservée à la piste sonore le long de la bordure du film.*

Un jeu de 72 cartes servait à régler la hauteur tonale. Chaque carte comportait des rayures ou des striations et représentait un demi-ton sur une échelle chromatique de six octaves. Plus la carte comportait de rayures, plus la note était haute, moins elle en comportait, plus la note était grave.

Notre premier jeu de cartes (avec lequel nous avons conçu la musique de Voisins) se composait de rayures ondulées aux contours flous correspondant à peu près au son des ondes sinusoïdales. Nous avons ensuite mis au point un nouveau jeu de cartes aux simples rayures noires et blanches très nettes équivalant, sur le plan acoustique, au son des ondes carrées. C’est avec ces dernières que j’ai filmé la musique de Synchromie.

Il suffisait pour régler l’intensité, de varier la largeur de la piste sonore au moyen d’un volet mobile. Lorsque le volet se trouvait presque fermé, la bande très étroite de striations produisait une note pianissimo. Si le volet se trouvait au contraire grand ouvert, la large bande permettait d’obtenir un son fortissimo. En réglant la position du volet, étalonné en décibels, il était possible de produire toutes les intensités intermédiaires.

Nous avons d’abord composé la musique de Synchromie, puis l’avons filmée selon la méthode décrite plus haut. Elle ne comportait au début qu’une seule partie, à laquelle une deuxième, puis une troisième (hauteur moyenne, tonalité aiguë, et sons graves) se sont ensuite ajoutées.

Nous avons ensuite filmé ces trois parties sur des pellicules distinctes, que nous avons réenregistrées et mixées sur le ruban magnétique suivant la méthode habituelle, puis sur la piste optique standard pour obtenir des copies de distribution.

L’aspect visuel

Pour créer les images, nous avons conservé à chacune des trois pistes sonores son individualité et sa forme striée. Puis, nous avons déplacé les pistes sur la plage de projection du film au moyen de la tireuse optique.

* Consulter les Notes techniques sur la production de son animé optique suivant la méthode des cartes de son.

60 Puisque l’image est rectangulaire et qu’au contraire, la piste sonore forme une colonne longue et étroite, nous sommes parvenus à juxtaposer jusqu’à onze de ces colonnes à l’intérieur d’une plage de projection.

Au tout début du film, là où il n’y a qu’une seule partie musicale, les striations ne figurent que sur la colonne centrale. Un peu plus loin, ces mêmes striations se retrouvent sur l’une ou plusieurs des autres colonnes.

Ne paraissent à l’écran, réparties sur une ou plusieurs colonnes, que les images striées du son filmé original réalisé à l’aide des cartes. Il existe donc un parallélisme parfait entre le son et l’image. On distingue clairement l’entrée en scène de la deuxième, puis la troisième partie.

En déplaçant la piste sonore sur la plage de projection au moyen du procédé optique, nous ajoutions de la couleur en filtrant un interpositif noir et blanc et le contretype négatif correspondant. Nous soumettions une seule colonne à la fois (et masquions les autres).

Les colonnes ne comportant aucune strie ou uniquement des stries blanches sur un fond de couleur ne nécessitaient qu’un seul passage à la tireuse.

Les stries de couleur sur fond coloré exigeaient deux passages, l’un avec un interpositif clair sur fond noir et l’autre, avec le contretype négatif noir sur fond clair correspondant.

Vers la fin du film, lorsque chacune des onze colonnes se trouvait en action, il fallait procéder à vingt-deux passages pour parvenir à colorer le fond et les stries.

Il nous suffisait, pour varier l’effet visuel, de modifier fréquemment la position des pistes d’une colonne à l’autre. Nous transformions en général la couleur au début et à la fin des phrases musicales afin de créer de la diversité. Bien qu’aucune théorie sur le rapport entre la couleur et le son ne nous ait guidés, les passages pianissimo correspondaient le plus souvent à des couleurs mates et les passages fortissimo, à des couleurs contrastées particulièrement riches.

Outre la planification et l’exécution de la musique, l’aspect créatif du film se limitait à la « chorégraphie » des striations dans les colonnes, au choix des séquences et aux combinaisons de couleurs.

Norman McLaren (1971, révisé en 1984)

61 Notes techniques sur Étoiles et Bandes (1939), Boogie- Doodle (1940), Points (1940), Boucles (1940), Mail Early for Christmas (1941), V for Victory (1941), Hen Hop (1942)

L’aspect visuel

La partie visuelle de ces films a été dessinée directement sur une pellicule transparente 35 mm avec une plume et de l’encre de Chine. L’original (première génération) ainsi produit est une image à lignes noires, dont on a tiré une image à lignes blanches sur fond noir (deuxième génération), puis une image à lignes noires sur fond blanc (troisième génération).

Les copies des deuxième et troisième générations ont servi au tirage de copies couleur effectué au moyen d’un procédé de séparation noir et blanc aujourd’hui révolu (Warner Color System). Ce procédé nécessitait deux colorants, l’un rouge, l’autre bleu. L’obtention de la copie couleur finale a exigé deux passages.

Effectué avec le colorant rouge, le tirage de la deuxième génération de copies (image claire sur fond noir) a produit une image linéaire rouge sur fond noir. En soumettant ensuite la troisième génération (image noire sur fond clair) à un deuxième passage réalisé avec le colorant bleu, nous avons obtenu une image linéaire non exposée sur fond bleu.

Puis le résultat final a pris forme : une image linéaire rouge sur fond bleu.

Le chevauchement des colorants rouge et bleu produisait du noir alors que leur non-juxtaposition engendrait une transparence. Un léger décalage horizontal des copies de deuxième et de troisième générations l’une par rapport à l’autre produisait une image linéaire rouge auréolée d’un liseré noir d’un côté, et transparent de l’autre. Nous avons appliqué cette méthode de décalage à plusieurs de ces films dessinés à la main.

Les arrière-plans défilants et avec effet de zoom de Mail Early for Christmas, photographiés initialement en noir et blanc, ont été surimprimés sur les images linéaires.

La piste sonore et la synchronisation

L’enregistrement des pistes sonores de ces films (à l’exception de Points & Boucles) a précédé la création de la partie visuelle. Au moment de la synchronisation, dans la plupart des cas, la piste a été embobinée sur le lecteur de son de la Moviola et l’amorce initiale, sur la tête de projection, toutes deux se trouvant jumelées (et fonctionnant à une vitesse inférieure à la normale). À l’aide d’un pastel gras, nous avons indiqué les mesures et les phrases musicales sur l’amorce, que nous avons ensuite insérée dans le compteur d’images. L’appareil a mesuré, pour l’ensemble du film, le

62 nombre d’images circulant entre deux traits de pastel : le total ainsi obtenu a permis de déterminer le nombre d’images séparant chaque mesure. Puis, ces données ont été inscrites sur une fiche de tournage contenant tous les renseignements nécessaires à la synchronisation (aux endroits opportuns) de l’image et du son. Il s’agit là, bien entendu, de l’une des méthodes utilisées le plus couramment pour synchroniser l’animation à la piste sonore préenregistrée.

Les bandes son des films Points et Boucles ont été dessinées et peintes directement sur la pellicule 35 mm. Voir les Notes techniques se rapportant à ce processus.*

Norman McLaren (1985)

Notes techniques sur Five for Four (1942), Dollar Dance (1943), Hoppity Pop (1946)

L’aspect visuel

Les images de ces trois films ont été réalisées de la même manière que celles des sept films regroupés sous la note technique Étoiles et bandes si ce n'est de l'utilisation d'un processus de sélection trichrome, plus ou moins similaire au Technicolor (Vitacolor, aujourd'hui périmé). Les filtres respectifs de chaque bande noir et blanc étaient le jaune, le magenta et le cyan.

Les séparations furent constituées de trois originaux parallèles: dans le cas d'Hoppity Pop, chaque séparation portait ses propres images; et avec Five for Four, une des séparations présentait les arrière-plans défilants photographiés en noir et blanc.

Piste sonore

La musique des trois films fut réalisée avant les images. Celle de Five for Four a été faite à partir d'un enregistrement sur disque d'un boogie-woogie joué au piano. La musique de Dollar Dance a été composée par Louis Applebaum avec des paroles de Norman McLaren et Guy Glover. L'enregistrement de vieil orgue à vapeur sur Hoppity Pop a été découvert dans la sonothèque de l'ONF.

Norman McLaren (1985)

* Pour plus de détails, consulter la note technique « Bande son par dessin direct pour débutants ».

63 Notes sur la technique d’animation image par image de personnages humains (1952)

Telle qu’utilisée dans Voisins et Two Bagatelles

Cette technique (qu’on appelle parfois « pixilation ») consiste à appliquer aux acteurs les principes normalement utilisés pour la photographie des films d’animation et des dessins animés. Il s’agit donc de placer devant la caméra d’animation des êtres humains plutôt que des dessins, des bandes dessinés ou des marionnettes.

La technique n’est pas nouvelle. Elle trouve son origine dans les premiers films français de l’époque de Mélies, alors qu’on arrêtait la caméra en cours de tournage afin d’effectuer des trucages. Depuis, le même principe a été utilisé occasionnellement au cinéma par les adeptes de la méthode expérimentale comme Hans Richter, Len Lye, Richard Massingham et bien d’autres. Mais dans l’ensemble, on ne lui a jamais accordé l’attention qu’elle méritait, pas plus que dans Voisins et Two Bagatelles, où seules quelques unes des possibilités ont été exploitées. D’une manière assez grossière. Quoi qu’il en soit, le recours à cette méthode m’a permis de noter les observations qui suivent.

À la base, toute technique d’animation consiste à arrêter la caméra entre chaque prise de vue, et non à la laisser fonctionner continûment à la vitesse normale (24 images à la seconde). En tenant pour acquis qu’un acteur photographié par une caméra peut s’arrêter au vingt-quatrième de seconde, une nouvelle série de comportements humains devient possible. Les lois de l'apparition et de la disparition peuvent être contournées tout comme peuvent l’être les lois du mouvement, de l’inertie, de la force centrifuge, de la pesanteur et, ce qui importe peut-être davantage, le rythme du jeu, peuvent être modulés à l’infini, de la vitesse la plus lente à la plus rapide. La technique, outre les trésors de virtuosité apparemment spectaculaires déployés grâce à elle par les acteurs, peut également être utilisée d’une façon discrète derrière ce qui semble constituer un jeu normal. Mise davantage en évidence, elle peut permettre à l’acteur un mouvement de type caricatural. Tout comme une caricature sur papier contribue à révéler un personnage ou une situation par la déformation qu’elle inflige au dessin statique, l’animation faisant appel à des personnages humains peut devenir caricaturale en falsifiant le rythme de l’action humaine par la création d’exagérations hyper-naturelles et de distorsions du comportement normal, de même que par la manipulation de l’accélération et du ralenti d’un mouvement donné. Ce genre de caricature, somme toute assez typique du dessin animé, ne trouve pas sa place dans un film que si la technique d’animation y est appliquée.

On peut également concevoir, à l’intention des êtres humains, quantité de nouvelles façons de se mouvoir. En plus d’utiliser des formes différentes de marche et de course, on pourrait se rendre d’un point à l’autre en glissant (que ce soit debout, assis, en se balançant sur un pied, ou autrement), en apparaissant et en disparaissant, et de bien d’autres manières.

64 Au moment d’entreprendre le tournage de Voisins, nous souhaitions filmer toute l’action image par image du début à la fin de chaque prise de vue (en demandant aux acteurs d’effectuer de légers déplacements entre les images). Toutefois, après un certain nombre d’essais, force nous a été d’admettre que cette méthode ne convenait que pour certaines prises de vue.

Nous avons décidé, pour répondre à toutes nos exigences, de recourir à une gamme complète de vitesses de tournage, variant d’une image toutes les cinq minutes à une image au seizième de seconde. Le choix de la vitesse était en fonction de la nature d’une prise de vue donnée et variait même souvent à l’intérieur de celle-ci si les diverses étapes de l’action l’exigeaient.

Le rythme des déplacements des acteurs constituait aussi un facteur variable allant de changements quasi imperceptibles dans les positions statiques, au mouvement très lent, puis au rythme normal.

Ainsi, le rythme des déplacements des acteurs, tout comme celui du tournage, s’adaptait suivant le rapport voulu en fonction du résultat final que nous désirions obtenir, et de la vitesse la plus susceptible de faciliter leur travail. Par exemple, si le rythme des acteurs et celui de la caméra équivalaient à la moitié de la vitesse normale (12 images par seconde), rien n’en paraissait au visionnement final. Toutefois, si un facteur deux de contrôle du rythme avait été utilisé au cours du tournage, le comédien, en jouant à un rythme oscillant entre la vitesse réduite de moitié et la normale, aurait alors disposé d’une gamme de vitesses de projection finale allant de la normale au double de celle-ci. Ce principe du facteur de contrôle du rythme s’est révélé utile.

Dans Voisins, bien des prises de vues semblant se dérouler à un rythme plutôt normal ont été filmées alors que les acteurs et la caméra se déplaçaient au ralenti, parfois jusqu’à quatre, six, huit, dix et douze fois plus lentement que la normale. Les prises de vues portant sur des mouvements humains accélérés étaient souvent filmées huit fois plus lentement que la normale, alors que les acteurs se déplaçaient pour leur part à un rythme quatre, trois ou deux fois moins rapide.

Le recours au facteur de contrôle du rythme pour produire l’effet d’une vitesse finale normale présentait une autre avantage : souvent, nous souhaitions que l’action corresponde à une longueur métrique précise, pouvant coïncider avec la régularité des mesures et des phrases musicales de la piste sonore à venir. Il nous suffisait alors de filmer à vitesse réduite en comptant chaque image enregistrée par la caméra, ce qui permettait aux acteurs de se trouver à un endroit donné à la soixantième image, de lever les bras à la quatre-vingtième, de se toucher les mains à la quatre-vingt-dixième, d’entreprendre une rotation à la centième et de ralentir pour en arriver à l’immobilité en soixante images, etc. Cette méthode s’est révélée particulièrement utile à l’intégration des actions humaines à la musique (un peu à la manière d’un ballet), en particulier si l’enregistrement musical était achevé et la durée des mesures et des phrases, fixée en permanence.

65 Effet de rythme

Une fois établie la souplesse du rythme de la caméra et du jeu, le procédé permettant par exemple qu’une personne en train de marcher à un mille à l’heure augmente imperceptiblement sa vitesse jusqu’à se déplacer à vingt milles à l’heure consiste, soit à filmer à une vitesse réduite constante alors que l’acteur passe d’une démarche extrêmement lente à une démarche normale, soit à ralentir progressivement le rythme de la caméra alors que sa vitesse de marche reste inchangée. L’effet d’ensemble obtenu en ce qui a trait au rythme demeurera le même dans les deux cas, mais on notera des différences quant au comportement corporel ou musculaire et au centre d’équilibre du personnage.

Bien que nous n’ayons ni utilisé, ni exploité le champ de ces différences subtiles, nous avons comparé l’avantage de varier le rythme de l’acteur et celui de la caméra. Dans bien des cas, mais non dans tous, il s’est avéré plus utile de maintenir constante la vitesse de tournage et de laisser à cette personne le soin de moduler elle-même le mouvement. Nous avions parfois recours aux deux méthodes, notamment pendant la prise de vue, si les acteurs avaient tendance à se déplacer trop lentement ou trop rapidement. Nous compensions alors en appuyant au besoin sur le bouton permettant de filmer image par image.

Il est évidemment possible de produire un effet normal (un rapport 1-1 entre rythme de la caméra et celui du jeu) en ce qui touche le rythme d’ensemble : celui de l’acteur et de la caméra réduit de moitié, celui de la caméra et des acteurs travaillant dix fois plus lentement, etc.

Par ailleurs, les effets d’apparence normale obtenus de cette façon ne produisent plus le même résultat quant entrent en jeu la gravité, l’inertie, les forces centrifuge et centripète. Par exemple, si une comédienne portant une jupe longue se met à tournoyer rapidement, la jupe volera dans toutes les directions pour peu que la scène soit photographiée à la vitesse normale (plus le mouvement sera rapide, plus la jupe virevoltera). En supposant que la caméra filme douze fois plus lentement et que la comédienne s’accorde à ce rythme, elle semblera tourner aussi rapidement qu’elle le faisait à l’origine si la projection s’effectue à la vitesse normale, mais sa jupe ne virevoltera pas. Le spectateur verra dans cette image une absence de force centrifuge ou, plus vraisemblablement, croira que la jupe est faite de plomb ou d’un autre matériau très lourd. On peut aussi régler l’importance du mouvement de la jupe (ou de son poids apparent) en modifiant le rythme général du rapport 1-1 entre la vitesse du tournage et celle du jeu. Cette technique permet d’effectuer quantité de modifications graduelles ou soudaines du mouvement lorsque la vitesse, la gravité ou d’autres forces physiques sont en cause.

Cette technique d’animation image par image de personnages humains ouvre un nombre impressionnant de nouvelles avenues cinématographiques en ce qui touche le ballet et le mime. Norman McLaren (1952)

66 Notes supplémentaires sur Voisins (1973)

La caméra utilisée pouvait tourner à raison de 24, 16, 12, 8, 6 et 4 images par seconde et filmait également image par image.

Deux animateurs ont agi à titre d’acteurs. Ce choix prenait tout son sens au moment de filmer certaines sections image par image (ou de tourner à un rythme plus lent que la normale) : ils savaient exactement comment se déplacer puisqu’au lieu de réaliser une série de dessins, ils adoptaient une suite de postures.

Au moment d’entreprendre le tournage des sections image par image, nous demandions aux acteurs de se déplacer légèrement, puis de garder chaque nouvelle position pendant que nous saisissions l’image. Mais rapidement, nous avons mis au point une nouvelle méthode : lorsque nous nous mettions d’accord sur une action donnée, les acteurs choisissaient le réglage le plus adéquat de la caméra, puis le cameraman travaillait à cette vitesse (soit en général ½, 1 ou 2 secondes), en comptant chaque image à voix haute (1,2, 3, 4, etc.). Puis les acteurs se déplaçaient lentement et sans interruption, synchronisant leur rythme, leur accélération et leur ralentissement au compte d’images. Nous avons par exemple décidé de filmer neuf pas, le premier correspondant à 30 images, le second, à 25, puis à 20, à 15, 10, 8, 6, 4 et 2 images. Ils étaient en mesure de réussir cette accélération saccadée dès le premier essai parce que leur jeu, comme le tournage, s’effectuait au ralenti. Une fois comptées les trente premières images, le caméraman reprenait de un à vingt-cinq et ainsi de suite, dans le but de leur faciliter la tâche. Si, dans une autre prise de vue, ils convergeaient au même moment vers une fleur se trouvant à une certaine distance, et que l’un d’entres eux se déplaçait trop lentement, nous pouvions toujours lui crier d’accélérer un peu.

Le tournage de Voisins n’a pas été réalisé entièrement image par image. Seules certaines prises de vues, et quelquefois en partie seulement, ont été filmées selon cette technique. C’est notamment le cas des chaises de jardin qui glissent sur la pelouse puis se déplient, de toutes les scènes au cours desquelles les acteurs glissent debout ou sur le dos, des déplacements de la fleur et de la clôture, de l’homme s’envolant dans les airs. (Pour produire cet effet, nous avons demandé au comédien de sauter aussi haut que possible afin que nous puissions saisir le saut à son point culminant. Il a donc sauté sans interruption, se déplaçant chaque fois de côté pendant que nous continuions de « prendre » l’image. C’est après vingt ou trente sauts qu’exténué, il nous a crié d’arrêter la caméra. Une fois la position des pieds indiquée, il a pu s’étendre sur l’herbe et se reposer avant d’entreprendre une nouvelle série de sauts.)

Le changement de position des objets entre deux images a parfois nécessité beaucoup de temps : l’animation des piquets de clôture entourant les tombes à la fin du film en constitue un bon exemple. En nous y mettant à trois ou quatre, il nous fallait entre trois et cinq minutes. Nous passions de deux à trois minutes à changer la position de la clôture entre les deux maisons, mais moins d’une demi-minute à modifier celle du bébé sur le sol. Le déplacement du comédien qui glissait couché sur la pelouse s’effectuait en cinq secondes (il le faisait lui même).

67 Nous avons filmé la majeure partie de la bagarre en continu à raison de huit images par seconde. Les séquences rapides et violentes ont été filmées, soit à 4 IPS, soit image par image en accéléré, ce qui évitait de recourir à une violence physique réelle.

Vers le début du film, la scène pendant laquelle les hommes reviennent sur leurs pas pour examiner la fleur a été tournée à 12 images par seconde. Le fait, pour les comédiens, d’avoir réduit environ de moitié la vitesse de leurs mouvements a imprimé au film un rythme presque normal, et leur a permis de nuancer leur interprétation en apportant à leur démarche des variations un peu bizarres.

Puisque seule ma vision approximative de l’histoire et de son déroulement nous tenait lieu de scénario, nous improvisions les détails à la dernière minute au moment du tournage. Tout était filmé selon l’ordre normal. Au début de la journée, l’équipe, composée de quatre personnes (deux acteurs, un caméraman et moi même*), discutait environ une heure de la façon dont l’action allait progresser ce jour-là. Puis, avant chaque prise de vue, nous déterminions la vitesse de tournage la plus adéquate. Il nous arrivait parfois de diviser une prise de vue et d’en filmer chaque partie à une vitesse différente. Nous commencions par exemple à 12 IPS, puis options pour 4 IPS et filmions ensuite image par image en effectuant entre chaque cadre une pause assez longue pour replacer avec soin les accessoires scéniques (dont les acteurs également) et la prise de vue pouvait se terminer par un enchaînement image par image, la caméra réglée à une demie, une ou deux secondes.

Nous n’avons utilisé aucun effet optique. L’ouverture en fondu au début du film a été réalisée dans la caméra et nous devons à Dieu la fermeture en fondu de la fin. Nous avions entrepris à 15h30 le tournage de notre dernière prise de vue et avions été très ennuyés de voir le soleil se coucher avant que nous ayons pu terminer. Mais puisque sur les épreuves de tournage, cette fermeture en fondu naturelle produisait un effet intéressant, nous avons refait la prise de vue en ayant bien soin de commencer à 13h45, de manière que le crépuscule coïncide avec la clôture du film.

II va sans dire que le tournage s’est déroulé entièrement à l’extérieur et sur un seul site. Si je refaisais un tel film, je tournerais à l’intérieur avec un éclairage artificiel.** En été, les fluctuations du climat sur la côte est du Canada sont trop marquées pour permettre le tournage image par image. Très souvent, les nuages nous obligeaient à nous interrompre, mais il y avait pire : par une journée ensoleillée, il arrivait qu’un nuage s’approche lentement et vienne cacher le soleil au beau milieu d’une prise de vue, juste au moment où l’acteur, se balançant sur une jambe, tentait de garder une pose difficile.

Norman McLaren (1973)

* Acteurs-animateurs : Grant Munro et J.-P. Ladouceur; cameraman : Wolf Koenig.

68 Notes techniques sur la production de son animé optique suivant la méthode des cartes de son (1952)

Telle que mise au point à l'ONF du Canada par Evelyn Lambart et Norman McLaren (1952), et utilisée dans les films suivants:

Titre Compositeur

Voisins Norman McLaren Two Bagatelles Norman McLaren Now is the Time Norman McLaren Korean Alphabet Norman McLaren Synchromie Norman McLaren Canon (en partie) Eldon Rathburn Opus 3 Pierre Hébert Autour de la perception (en partie) Pierre Hébert Phantasy (en partie) Maurice Blackburn

La musique synthétique des films énumérés ci-dessus a été créée sans instruments musicaux traditionnels, microphones ou appareils d'enregistrement sonore, selon une technique optique non magnétique.

Les premiers systèmes sonores optiques

Pour enregistrer la musique, les voix et les effets sonores, deux systèmes optiques différents étaient généralement employés avant l'invention de l'enregistrement magnétique.

Aire variable Densité variable (Dans sa forme la plus élémentaire) Ondes en teintes de gris Ondes en noir sur fond clair

Les deux systèmes activaient de façon similaire la lampe excitatrice du projecteur générant des sons identiques.

69 La hauteur de note

Dans les deux systèmes, la hauteur de la note dépendait de la fréquence, c'est-à-dire du nombre d'ondes par secondes: à une petite fréquence correspondait une note grave et une fréquence plus élevée donnait une note plus aiguë.

Aire variable Densité variable

Note plus grave

Note plus aiguë

Le volume

Dans le système à aire variable, le volume Dans le système à densité variable, le dépendait de la taille ou de l'amplitude des volume dépendait du niveau de ondes contraste entre les zones claires et les zones sombres des ondes

Note plus aiguë

Ondes de forte amplitude Ondes en tons de gris, du noir au clair

Faible volume Ondes de faible amplitude Tons de gris rapprochés à faible contraste

Silence

Absence d'ondes Ton uniforme de gris

70 La sonorité

La sonorité d'une note (son timbre) est conditionnée par la forme particulière de l'onde. Une onde plus ou moins sinusoïdale génère la sonorité pure et douce d'un diapason.

L'ajout d'une harmonique à cette onde crée une sonorité légèrement moins douce semblable à celles d'un violon joué en douceur.

L'ajout de plusieurs harmoniques rend une sonorité stridente comme celle des cuivres.

Il y a en fait un nombre incalculable de formes d'ondes, chacune possédant une sonorité qui lui est propre.

Une onde peut même être carrée et comporter en théorie un nombre infini d'harmoniques. Le son qu'elle produit est extrêmement strident.

Premières expérimentations dans la création de sons optiques synthétiques

C'est à la fin des années 1920 et au début de la décennie suivante que l'on a commencé à photographier des formes dessinées sur la bande son d'une pellicule dans le but de créer de la musique. La plupart de ces expérimentations se sont déroulées en Europe et en Union soviétique, en employant généralement un système à aire variable. Désirant créer de nouvelles sonorités, les expérimentateurs utilisèrent des répétitions de diverses formes comme des cercles, des triangles, des carrés, des ovales (etc.), plutôt que les formes normales d'ondes sonores.

L'exemple le plus connu d'un film achevé utilisant un tel système de sons dessinés est Tönende Handschrift (L'écriture sonore) réalisé en Suisse par Rudolf Pfenninger en 1931. La première partie de ce court film est une démonstration de la technique du réalisateur qui emploie des cartes à aire variable photographiées image par image. Cette partie est suivie d'un dessin animé sur une musique créée avec cette technique. Le dessin des cartes ressemblait aux ondes sonores naturelles; le style de musique était également conventionnel mais se distinguait par ses arpèges et roulades extrêmement rapides.

Ce film, que j'ai vu dans les années 1930, m'était resté à l'esprit. Je me proposais d'en étudier plus à fond la technique que je tenait pour une voie intéressante rendant possible la création de véritables sons animés, et en particulier l’accompagnement musical de films animés.

71 Le son animé à l'Office national du film du Canada

Au milieu des années 1940, Evelyn Lambart et moi-même avons commencé nos expériences avec le son optique dessiné. Nous avons graduellement mis au point une méthode simple et efficace permettant de créer de la musique. Cette méthode a été utilisée dans les films énumérés au début de cet article.

Nous avons utilisé une caméra d'animation 35 mm dotée d'une fenêtre d'exposition assez grande pour inclure la bande son située à la gauche de l'image.

Les cartes et leurs dessins ont été filmées image par image sur la bande son; la surface de l'image n'a pas été utilisée (sauf peut être pour identifier la note de la carte photographiée).

Puisque le son était filmé une image à la fois, nous avons trouvé judicieux de l'appeler « son animé ».

Au début, nous avons mis à l'essai une grande variété de techniques comme la répétition de formes géométriques ou arbitraires à aire variable et le contrôle du volume sonore au moyen d'une gamme de filtres gris neutre placés devant la lentille de la caméra.

Au bout du compte nous avons découvert que la meilleure et la plus simple méthode était une combinaison des systèmes à densité variable et à aire variable: le premier contrôlait la note et le deuxième contrôlait le volume.

Chaque carte-note comporte des rayures ou des striations traversant toute la largeur de la bande son, semblables aux ondes de densité variable pleine à fort volume.

Pour contrôler le volume nous réduisions la largeur de la bande son au moyen d'un cache ou d'un volet placé au dessus de la carte.

.

72 Les cartes

Nous avons préparé une série de cartes-notes, une pour chaque demi-ton de la gamme chromatique tempérée couvrant cinq octaves, à partir de deux octaves sous le la médium jusqu'à trois octaves au-dessus. Notre la médium devait correspondre à la norme internationale du diapason de concert, soit 440 cycles par seconde, ce qui nous permettait, si nous le désirions, d'ajouter de véritables instruments à notre musique animée lors d’une session de réenregistrement.

Les cartes mesuraient environ 4 sur 20 po (10 sur 51 cm); et la surface photographiée par la caméra était une bande d'environ 1 3/16 sur 13 po (3 sur 33 cm).

Sur chaque carte était apposée une petite étiquette indiquant sa note en notation musicale. Les cartes étaient groupées dans une boîte à raison de cinq rangées de douze et de une rangée par octave. En gardant la boîte à proximité de la table d'animation, il nous était facile de sélectionner une carte-note, de la placer sur le plateau, de la positionner avec précision sur la bande son et d'appuyer sur le déclencheur image par image.

Une fois que le négatif exposé était développé et passé à la tireuse continue, nous pouvions passer le tirage final dans un système de son optique quelconque (projecteur, Moviola ou table Steenbeck) et écouter la musique. Ce tirage repiqué sur bande magnétique devenait notre copie de travail.

Chaque note de cette musique avait la particularité d'être absolument mate, sans écho, si bien que si nous passions la bande à l'envers, la musique n'avait pas la sonorité caractéristique des enregistrements traditionnels lus à l'envers.

Nous avons fait plus tard une série de cartes avec rayures noires et blanches à contours nets, couvrant un registre en demi-tons de six octaves (trois sous et trois au- dessus du la moyen). Ces ondes carrées produisaient une sonorité beaucoup plus stridente que les ondes sinusoïdales. (Les cartes à ondes sinusoïdales ont été employées presque tout du long de Voisins alors que la bande son de Synchromie a été entièrement faite au moyen des cartes à ondes carrées).

Les ondes carrées, riches en harmoniques, avaient l’avantage de permettre une modification de leur sonorité en procédant à de nombreux filtrages de fréquence durant le réenregistrement.

73 La surface de la bande son et la barre de séparation

Barre de séparation – Normalement, la bande son est une simple surface allongée située vis-à-vis d'une image de la pellicule et divisée par la barre de séparation de chaque image.

Barre de séparation – Si une même carte-note est photographiée à chaque longueur d'image successive, la barre de séparation génère durant la lecture, en plus de la note soutenue de la carte, un «ronronnement» d'une fréquence de 24 cycles par seconde, faible mais assez audible pour être indésirable.

←Barre de séparation – Par contre, si une même carte-note est photographiée à toutes les deux longueurs d'images, en laissant une longueur inexposée entre chaque note, aucun ronronnement à 24 cycles par seconde ne se produit. La note est perçue comme une même note répétée 12 fois par seconde, ce qui et très rapide et représente la limite à laquelle un instrumentiste peut répéter une note.

Cela pourrait conduire à considérer la technique des cartes comme un instrument à notes non soutenues (comme la guitare ou la balalaïka). Toutefois, ce n'est pas tout à fait le cas puisque si une carte-note différente est photographiée vis- à-vis de chaque image successive, aucun «ronronnement» dû à la barre de séparation n'est émis et il est alors possible de créer des arpèges, des trilles et des roulades complexes d'une vitesse (24 notes par seconde) supérieure à celle des instruments traditionnels.

74 Pour la plupart des musiques il n'était pas nécessaire de photographier une note à chaque longueur d'image. Pour un passage très rapide de huit notes par secondes, deux longueurs noires étaient laissées entre chaque longueur exposée; à six notes par seconde, c'était trois longueurs noires entre chaque note; à quatre notes par seconde, cinq longueurs noires; à trois notes par seconde, sept longueurs noires; à deux notes par seconde, onze longueurs noires; à une note par seconde, vingt-trois longueurs noires, et ainsi de suite. Il est à remarquer que la résonance d'une note possédant une durée d'une longueur d'image pouvait être grandement allongée en ajoutant de l'écho durant le réenregistrement.

L'enveloppe d'une note longue d'une image La plus simple forme ou enveloppe d'une carte-note d'une longueur d'image est un rectangle allongé ; son équivalent dans le son traditionnel est une note extrêmement brève jouée à l'orgue dans un environnement où tous les sons sont amortis: cette note est caractérisée par une attaque soudaine, une tenue très courte et une extinction abrupte. Une brève note jouée au piano possède une attaque très courte, une tenue quasi inexistante et une extinction de type logarithmique qui peut être courte ou longue et varier avec l'usage des pédales et la force de frappe. Un coup donné à un bloc de bois produit habituellement une attaque soudaine, aucune tenue et une extinction très brève. Le violon, comme la voix humaine, est capable de produire presque toutes sortes d'attaques, de tenues et d'extinctions. Notre note d'une longueur d'image possède une attaque immédiate, une tenue d'un vingt-quatrième de seconde et une extinction instantanée.

Sonorités et notes soutenues de plus d'une longueur d'image Désirant obtenir des sonorités soutenues sans «ronronnement», nous avons éliminé complètement la barre de séparation de la bande son en l'effaçant diagonalement. Cependant, en photographiant la même note sur plusieurs longueurs d'image successives, nous avons découvert que nous n'obtenions pas une sonorité pure et soutenue.

Cela était dû au fait que le nombre de rayures ou de striations de plusieurs notes ne s'ajustait pas précisément dans la longueur d'image et créait ainsi un lien imparfait entre les longueurs d'image. Se produisant 24 fois par seconde, ces liens défectueux généraient toujours un ronronnement de 24 cycles, mais moins fort que le ronronnement émis par les barres de séparation intactes à angle droit. En fait, le bruit était si faible que nous pouvions utiliser la même note sur deux, trois et même quatre longueurs successives, sans entendre le ronronnement. Celui-ce ne devenait légèrement perceptible qu’après quatre longueurs.

75 Pour obtenir des notes soutenues de n'importe quelle durée sans aucun ronronnement, nous avons cranté nos cartes de telle manière que nous pouvions, entre chaque déclenchement, les faire glisser vers le haut ou le bas afin de former des liens corrects entre elles. Nous avons procédé de cette façon avec les trois octaves inférieurs; mais cela s'est avéré difficilement applicable avec les trois octaves supérieurs puisque les repositionnements nécessaires devenaient trop infimes pour être facilement réalisables.

Contrôle du volume et formes élémentaires d'enveloppes

Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, nous contrôlions le volume en rétrécissant la bande son au moyen d'un volet ou d'un cache noir placé sur la carte.

Volume =

Au début nous n'utilisions qu'un seul cache, mais nous avons découvert qu'en utilisant deux caches, un de chaque côté du rectangle et pouvant pivoter à chaque extrémité et être déplacés latéralement, nous disposions de deux autres formes d'enveloppes d'une longueur d'image pour un total de trois formes élémentaires d'enveloppes pour une seule longueur d'image.

Les différences de sonorités « instrumentales » produite par ces enveloppes (d'une longueur), bien que subtiles, étaient perceptibles.

Le parallélogramme (1) produisait une sonorité semblable à celle d'une note mate et très brève d'orgue; le triangle allongé (2), une note très mate de piano jouée en staccato; et le triangle à attaque progressive (3), l'attaque et l'extinction abrupte d'une note d'instrument à vent. ENVELOPPE

Pour contrôler le volume de l'enveloppe « 1 », nous n'utilisions que le cache droit, comme illustré à la figure 1.

76 Figure 3 Attaque immédiate, extinction lente

Pour former l'enveloppe « 2 », nous fixions le cache droit et déplacions le cache gauche autour de son pivot afin de contrôler le volume.

Figure 4 Attaque immédiate, extinction rapide

Pour former l'enveloppe « 3 », nous fixions le cache gauche et contrôlions le volume à l'aide du cache droit.

Les caches étaient déplacés à l'aide de prises arborant une fine ligne au-dessus d'une échelle finement graduée en 25 degrés de volumes égaux. Comme nous pouvions utiliser des positions intermédiaires, nous disposions de plus de cent niveaux de volume.

77 Notes d'une longueur supérieure à une image et à enveloppes variées En tenant compte que le «ronronnement» produit par les striations imparfaitement liées était inaudible sur moins de quatre longueurs successives de la même note, et puisque nous pouvions déplacer latéralement et faire pivoter sur les quatre pivots les deux caches servant à contrôler le volume, il devenait possible d'utiliser diverses enveloppes de 2, 3 et 4 longueurs d'image pour une même note. Chaque enveloppe donnait à la note une sonorité « instrumentale » différente et perceptible, en plus d'étendre sa durée.

Exemples d'enveloppes de 2 longueurs Exemples d'enveloppes de 3 longueurs

Attaque Tenue Extinction

Barre de séparation

Barre de séparation

Barre de séparation

Remarque: Les surfaces blanches représentent le son enveloppé. Les surfaces noires sont les surfaces cachées.

78 Remarques générales

Réenregistrement

Dans le cas de l'harmonie, du contrepoint et de la musique comportant plus d'une partie, nous avons photographié chaque partie séparément puis les avons alignées en parallèle pour le réenregistrement et le mixage final. Nous avions ainsi une plus grande latitude dans le traitement acoustique et dynamique de chaque partie.

La partition musicale dans la technique des cartes

La partition prenait plusieurs formes, mais dans tous les cas le compositeur, en plus de tenir un compte cumulatif des images et d'indiquer le nombre de longueurs d'images laissées en noir entre chaque note, devait déterminer le volume exact ou l'intensité de chaque note. Ces indications n'existent pas en musique traditionnelle. Les échelons habituels pp, p, mf, f, ff, etc. indiquent une intensité relative et ne sont jamais appliqués à chacune des notes d'une partition. L'intensité des notes est ainsi laissée à la discrétion de l'interprète; par contre, en musique animée, c'est le compositeur, qui est habituellement aussi l’interprète, qui détermine l'intensité exacte de chaque note.

Depuis l'avènement de la musique synthétique électronique, il est devenu pratique courante pour les compositeurs-interprètes de fixer avec précision le volume, l'enveloppe et toutes les autres caractéristiques de chaque note d'une partition.

L'aspect le plus important de cette technique des cartes dans le son optique animé est que le son ou la musique doit être appréhendé en vingt-quatrièmes de seconde, au plus grand avantage de l'animateur soucieux de synchroniser avec exactitude l'image et le son

Norman McLaren (1952, révisé en 1984)

P.S. Depuis l'avènement du ruban magnétique, de l'électronique et d'autres techniques de synthétisation du son et de la musique, le lecteur pourrait déduire que la technique des cartes optiques a été devancée par des techniques plus élaborées et plus souples. C'est vrai, cependant la technique des cartes ne doit pas être considérée désuète mais plutôt comme un instrument parmi d'autres possédant ses propres limites et caractéristiques. La technique décrite dans cet article, si elle apparaît complexe au premier abord, n'est en réalité qu'une simple astuce que l'on peut maîtriser en peu de temps et dont les possibilités sont loin d'avoir été toutes exploitées.

Norman McLaren (1985)

79 L'animation stéréoscopique (1951)*

Création du relief stéréoscopique dans les dessins bidimensionnels et les œuvres picturales. Aperçu des techniques employées dans la production de Now is the Time et Around is Around

1. Introduction

Il y a un an, le Festival of Britain sollicitait la participation de l'Office national du film du Canada à un programme de films stéréoscopiques et stéréophoniques présenté au Telecinema de Londres. Le festival exigeait que les deux courts métrages demandés soient des films d'animation ou des dessins animés afin de mettre en valeur les films stéréoscopiques en scènes réelles réalisés par les Britanniques.

À notre connaissance, aucun film stéréoscopique de type dessin animé n'avait auparavant été produit. En 1939, Loucks et Norling avaient utilisé de façon plus que satisfaisante l'animation stéréoscopique en photographiant image par image avec une caméra stéréo des objets solides. Le résultat de ce travail présenté par M. J. A. Norling à la Society of Motion Picture Engineers (SMPE) en 1939 et 1941 ne nous était pas étranger.

Notre objectif cependant était quelque peu différent car nous désirions réaliser un film stéréoscopique à partir de dessins ou d'œuvres picturales qui sont par nature bidimensionnels: le problème était de synthétiser un espace tridimensionnel à partir d'un motif bidimensionnel.

Comme le sujet à photographier est bidimensionnel, il n'est pas nécessaire d'utiliser une caméra stéréo spéciale; le matériel optique et d'animation usuels suffit à la tâche puisque les films destinés à chacun des yeux sont tournés successivement.

Plusieurs techniques possibles sont devenues évidentes, la principale consistant en une adaptation de la technique conventionnelle du dessin animé, c'est-à-dire la préparation de deux séries de dessins avec pour chaque acétate une version pour l'œil gauche et une version pour l'œil droit intégrant toutes deux les parallaxes nécessaires.

Cette technique a cependant été écartée, à cause de limites de temps, de personnel et de budget, et nous avons plutôt choisi les techniques plus simples décrites en détails dans cet article.

Mais avant, je crois qu'il est utile de revoir en langage simple les notions qui sont à la base du travail de l'animateur dans le rendu de la profondeur.

* N.B. Cet article explicatif a été lu immédiatement après la projection de ces deux films.

80 2. Contrôle de la profondeur par l'animateur

Notions de convergence et de parallaxe appliquée à l'écran, à la pellicule et aux acétates

La profondeur est essentiellement contrôlée par l'angle de convergence et l'angle de divergence des globes oculaires du spectateur.

En cinéma conventionnel, les lignes de visée de l'œil gauche (L) et de l'œil droit (R) du spectateur qui regarde le film se rencontrent au point (lr) sur la surface de l'écran pour former un angle de convergence comme dans le schéma No 1:

Schéma No 1

Tout au long du visionnement d'un film bidimensionnel normal, l'angle de convergence des globes oculaires du spectateur demeure fixe. Par contre, avec le visionnement d'un film stéréoscopique, cet angle de convergence varie.

Si, plutôt que de regarder l'écran, le spectateur laissait dériver son regard au-delà de l'écran, vers l'infini, les lignes de visée de ses yeux deviendraient parallèles comme dans le schéma No 2, et traverseraient l'écran en deux points séparés (1 et r).

Schéma No 2

81 Comme, en général, la distance séparant les deux yeux est de deux pouces et demie (5 cm), et comme les lignes de visée sont parallèles, la distance entre les deux points sur l'écran est aussi de 2 1/2 po (5 cm). Ceci est toujours le cas, peu importe à quelle distance de l'écran se trouve le spectateur.

Si le spectateur regarde un objet situé exactement à mi-chemin entre lui et l'écran, les lignes de visée de ses yeux se croiseraient en un point situé à mi-distance entre lui et l'écran, comme dans le schéma No 3, et si les lignes de visée étaient projetées au-delà de ce point, elles toucheraient l'écran aux deux points 1 et r.

Schéma No 3

Ici encore nous pouvons constater par simple calcul géométrique que la distance entre les points 1 et r est de 2 1/2 po (5 cm); cette donnée est invariable, peu importe la distance à laquelle se trouve le spectateur par rapport à l'écran. Il est important de remarquer que les points 1 et r sont maintenant inversés, 1 se trouvant à droite et r à gauche.

L'animateur de films stéréoscopiques peut calculer toutes les parallaxes à partir de ces trois schémas de base. En concevant une scène stéréoscopique à partir de dessins bidimensionnels, l'artiste qui désire, par exemple, faire apparaître un point à la surface de l'écran doit veiller à ce que les versions pour l'œil gauche et l'œil droit du point coïncident exactement. Pour que le point apparaisse à l'infini, un écart de 2 1/2 po (5 cm) doit séparer à l'écran les images pour l'œil gauche et l'œil droit au cours de la projection, l'image pour l'œil gauche étant située à la gauche de l'écran et l'image pour l'œil droit à la droite.

Pour que le point apparaisse à mi-distance entre le spectateur et l'écran, il faut encore un écart de 2 1/2 po (5 cm) entre les deux images, mais dans ce cas l'image pour l'œil gauche se trouve à la droite de l'écran et l'image pour l'œil droit à la gauche.

Si on réduit progressivement l'écart de 2 1/2 po (5 cm) entre les images, le point se rapprochera progressivement de l'écran à partir de la mi-distance, ou encore à partir de l'infini.

82 Un écart supérieur à 2 1/2 po (5 cm) des images situées derrière l'écran doit être évité puisqu'en situant l'objet « au-delà de l'infini » celui-ci devient pour le spectateur, forcé à loucher, difficile à discerner et à concevoir. On peut utiliser des écarts supérieurs à 2 1/2 po (5 cm) pour rapprocher l'image du spectateur en la positionnant entre celui-ci et la mi-distance, mais le moins possible afin de ne pas provoquer une fatigue oculaire chez un certain pourcentage des spectateurs.

Avec cette technique, l'animateur n'est pas entravé par les importantes limites qui affligent l'opérateur de caméra stéréoscopique. L'univers stéréoscopique qu'il crée est calculé à un point tel qu'aucune de ses parties n'excédera les limites tolérables de parallaxe durant la projection sur écran dans la mesure où il connaît les dimensions maximales de l'écran auquel est destiné son film. Connaissant ces dimensions, il peut transposer mathématiquement la parallaxe de l'écran sur la surface de la pellicule 35 mm et, à partir de cette dernière, appliquer à nouveau la parallaxe sur la surface des acétates, des cartons ou de toute autre œuvre picturale.

La largeur de l'écran pour lequel ces films canadiens ont été conçus était de 15 pi (4,5 m), soit celle de l'écran du Telecinema de Londres où deux projecteurs ont été couplés entre eux pour faire converger leurs axes optiques sur la surface de projection.

Un article de M. R. J. Spottiswoode, directeur technique du programme stéréoscopique du Festival of Britain, intitulé The Determination of Stereoscopic Parallaxes in Animation a servi de base au calcul de toutes les parallaxes.

Je vais maintenant aborder la description détaillée des diverses techniques de productions employées dans les films Now is the Time et Around is Around.

3. Techniques utilisées dans Now is the Time

Création de la parallaxe au moyen de découpages déplaçables dans l'œuvre picturale

La scène d'ouverture de Now is the Time est graduellement composée de douze plans de nuages, tous bidimensionnels, se rapprochant du spectateur à partir du plan le plus éloigné.

Le plan le plus éloigné devait se trouver à l'infini stéréoscopique; le plus rapproché était situé approximativement à mi-chemin entre le spectateur et l'écran.

Le tournage s'est effectué sur un unique fond noir fait d'un carton mesurant 10 sur 14 po (25 sur 35 cm). Les nuages, mesurant de 1/4 à 3 po (de 6 à 76 mm), furent peints en blanc sur de petites pièces de carton noir. Ceux-ci furent collés sur le fond noir à l'aide de ruban à double face pour former une série de rangs horizontaux dont la taille variait du plus petit au centre du carton jusqu'au plus gros au bas du carton. Le carton était ensuite placé sous la caméra d'animation conventionnelle et photographié sur une

83 pellicule vierge à fort contraste de telle manière que les différents rangs de nuages apparaissaient les uns après les autres dans une série de fondus enchaînés. Ce tournage était destiné à l'œil droit. Pour l'œil gauche, le carton restait à la même position sous la caméra, mais la position latérale de l'ensemble des nuages était modifiée. Les découpages des nuages étaient déplacés vers la droite ou la gauche pour obtenir la parallaxe désirée. Seul le plan des nuages situés à la surface de l'écran demeurait fixe. Le déplacement parallactique a été calculé uniquement pour le plan le plus éloigné et le plan le plus rapproché; la position des autres plans a été assez simplement déterminée à l'œil. Le carton de base et les nuages ont été filmés à nouveau d'après la même fiche de tournage que précédemment pour obtenir le film destiné à l'œil gauche.

La séquence suivante où apparaissent les soleils a été produite de la même manière.

Création de la parallaxe par déplacement de la lentille de la tireuse optique

Le bonhomme dansant et l'animation qui en découle ont été créés au moyen d'une autre technique. Le mouvement a été dessiné image par image avec un stylo à plume ordinaire et de l'encre de Chine sur une amorce de chargement 35 mm transparente (les étapes habituelles du travail d'animation comme le croquis, l'encrage, le tournage et le développement ont été éliminés dans le processus de création du négatif original).

Le dessin a été réalisé selon un point de vue interoculaire médian, c'est-à-dire d'après l'hypothèse qu'il représenterait un point de vue médian entre les points de vue ultimes de l'œil gauche et de l'œil droit. L'image animée elle-même a été conçue pour demeurer en tout temps à l'intérieur d'un plan parallèle à l'écran.

Un tirage optique fait à partir du négatif original dessiné manuellement fut chargé dans le projecteur d'une tireuse optique conventionnelle pour obtenir un contretype négatif pour œil gauche et un contretype négatif pour œil droit. Les parallaxes requises ont été réalisées par le mouvement latéral de la lentille de prise de vues. Un calcul mathématique a servi à déterminer les parallaxes du plan le plus rapproché et du plan le plus éloigné. Les valeurs de ces parallaxes ont ensuite été divisées par deux pour chaque œil, et reportées sur l'index contrôlant le mouvement latéral de la lentille de prise de vues afin d'indiquer les mouvements à la gauche et à la droite du point zéro. Ce dernier point représentait le plan situé sur l'écran de projection. Une fiche de tournage indiquant les parallaxes requises en certains points cruciaux de l'animation fut préparée. La même fiche a servi pour chacun des yeux si ce n'est que la direction du mouvement latéral fut inversée durant le tournage. Durant la projection en continu du tirage optique, à la vitesse de 160 images par minute, l'animateur tout en surveillant l'animation et en consultant sa fiche de tournage tournait l'index contrôlant le mouvement latéral afin de faire varier les parallaxes en accordance avec la perspective spatiale du dessin bidimensionnel.

84 Lorsque la parallaxe changeait rapidement ou de façon différente, le tournage était interrompu ou ralenti pour donner plus de contrôle à l'animateur.

Combinaison des matériaux pour le tirage des copies d'exploitation

Les négatifs gauche et droit de la tireuse optique sur lesquels étaient imprimées les images animées et les négatifs gauche et droit de la caméra d'animation représentant les fonds statiques ont ensuite constitué les matériaux de base des six négatifs de sélection parallèles (enregistrements jaune, cyan et magenta pour chacun des yeux) ayant servi au tirage des copies d'exploitation en Technicolor.

Bande son stéréophonique animée

À proprement parler, la musique du film Now is the Time devrait être considérée comme de l'animation. Ce son synthétique a été réalisé en photographiant des séries de formes d'ondes sonores en noir et blanc sur la piste sonore d'une pellicule 35 mm à l'aide du matériel et des techniques d'animation usuelles.

Le système stéréophonique du Telecinema au Festival of Britain employait quatre canaux. De façon à produire le son stéréophonique animé, quatre copies identiques représentant chacune un des canaux furent alignées en parallèle. Diverses notes furent ensuite éliminées de certaines pistes selon le ou les canaux d'où l'on voulait émettre le son. Ce procédé tire parti du fait que le son animé est constitué de petites unités séparées par de petites sections de silence modulé.

4. Techniques utilisées dans le film Around is Around

Création de la parallaxe au moyen de perforations doubles sur l'œuvre picturale

Le développement des huit plans d'étoiles au début du film a été produit de la façon suivante.

Le positionnement stéréoscopique des huit plans a précédé le calcul successif de la parallaxe de l'écran, de la surface de la pellicule 35 mm et finalement du motif pictural dont le champ mesurait 12 pouces (30 cm) de largeur.

Deux séries de perforations de positionnement furent ensuite effectuées sur huit acétates d'animation courants (10 sur 14 po; 25 sur 35 cm). La distance entre les deux séries de perforations était différente sur chaque acétate et dépendait de la parallaxe requise pour chaque plan représenté.

Le plan représentant la surface de l'écran ne comportait qu'une série de perforation puisque ce plan ne présentait aucune parallaxe.

85 Le motif (dans ce cas ci des étoiles qui en elles-mêmes n'avaient aucun relief) a ensuite été peint sur chaque acétate. Durant l'exécution du motif, pour éviter qu'ultimement la scène stéréoscopique soit asymétrique, les acétates furent superposés et positionnés selon un point de vue interoculaire, c'est-à-dire que les points médians entre les deux séries de perforations ont été positionnés les uns par rapport aux autres.

Le matériel de tournage était composé d'une caméra d'animation courante, d'un plateau avec ergots de positionnement et d'un verre presseur qui maintenait en contact les huit acétates. Ceux-ci étaient d'abord positionnés d'après la série de perforations réservées à l'œil droit, puis filmés, positionnés d'après l'autre série de perforations pour l'œil gauche et filmés une seconde fois.

Tous les motifs d'arrière-plan statique d'Around is Around ont été filmés de cette façon.

Création de la parallaxe par décalage des images du négatif

Dans le cas de l'arrière-plan défilant à l'horizontale constitué de nuages et d'étoiles, la vitesse de déplacement des différents plans a été déterminée de telle façon que les parallaxes dynamiques d'un plan panoramique monoculaire produisent automatiquement, lorsque les deux copies identiques sont décalées d'un certain nombre d'images, les parallaxes binoculaires nécessaires à la projection stéréoscopique.

La suite d'images représentant les nuages et les étoiles filmées en panoramique monoculaire ont été créées par expositions multiples et en surimposant dans la caméra d'animation les divers plans dont chacun avait une vitesse de déplacement différente.

La vitesse de déplacement de chaque plan a été calculée sur la base d'un décalage d'une image. Prenons l'exemple du plan situé à l'infini: connaissant la parallaxe à appliquer sur la surface de la pellicule 35 mm pour positionner un plan à l'infini, il est possible de déterminer la parallaxe correspondante à appliquer à un plan de largeur donnée. Cette valeur est identique à celle du déplacement sur chaque image nécessaire au positionnement à l'infini du même plan. Le ralentissement graduel des vitesses à partir de la vitesse établie à l'infini rapprochera graduellement les plans jusqu'à ce que l'interruption du déplacement vienne situer le plan à la surface de l'écran.

Afin de situer le sujet derrière l'écran dans une suite d'images défilantes au cours duquel le sujet se déplace vers la droite, l'image no 1 destinée à l'œil gauche doit être placée vis-à-vis de l'image no 2 destinée à l'œil droit (gauche 1 = droit 2). Pour le déplacement vers la gauche du sujet: droit 1 = gauche 2.

Si on inverse le décalage de la suite d'images mentionnée ci-dessus où le sujet se déplace horizontalement vers la droite, ou si on inverse les pellicules destinées à chaque œil (droit 1 = gauche 2), les plans se situent alors stéréoscopiquement entre la surface de l'écran (pour le plan sans mouvement) et un point à mi-distance du spectateur et de l'écran (pour le plan avec le déplacement le plus rapide); le processus

86 est similaire avec un sujet se déplaçant vers la gauche lorsque droit 2 = gauche 1. En bref:

Pour situer les plans derrière l'écran, avec un sujet se déplaçant vers la droite: gauche 1 = droit 2 avec un sujet se déplaçant vers la gauche: droit 1 = gauche 2

Pour situer les plans devant l'écran, avec un sujet se déplaçant vers la droite: droit 1 = gauche 2 avec un sujet se déplaçant vers la gauche: droit 2 = gauche 1

Dans ces deux dernier cas, un déplacement plus rapide peut servir à situer les plans entre la mi-distance et le spectateur, mais dans les deux premier cas, l'accélération du déplacement situera les plans au-delà de l'infini binoculaire.

Pour obtenir le même effet stéréoscopique avec un décalage de deux images, il faut réduire de moitié la vitesse de déplacement de chaque plan, sans quoi toute la gamme de profondeurs sera doublée. Un décalage de trois images triplera la gamme des profondeurs, à moins que les vitesses de déplacement soient divisées par trois, et ainsi de suite.

Dans Around is Around, un décalage de sept images a été utilisé pour le panoramique horizontal des nuages blancs sur magenta, et un décalage de deux images dans la dernière séquence des étoiles de couleur cyan sur fond bleu.

La technique du décalage des images a été également employée pour créer le relief stéréo de toutes les images linéaires d'Around is Around.

Les images tournoyantes, les figures de Lissajous et autres motifs ont été créés à l'aide d'un oscilloscope. Une brève description de leur réalisation apparaît en appendice de cet article.

Une caméra conventionnelle Bell & Howell fut braquée sur un oscilloscope afin de photographier les motifs en mouvements. L'expansion et la transformation des motifs étaient déterminées manuellement au moyen des boutons de contrôle de l'appareil. La caméra tournait à 12 et aussi à 8 images par seconde, plutôt qu'à vitesse normale, pour faciliter la modulation des motifs.

Le mouvement des motifs était surtout maintenu à l'horizontale pour que la parallaxe dynamique monoculaire soit changée en parallaxe binoculaire lorsque les deux copies identiques étaient décalées pour produire un effet stéréoscopique. Le mouvement devait être assez lent pour empêcher que la parallaxe entre deux images adjacentes n'excède la limite tolérable d'une parallaxe située à l'infini. Il a été possible d'employer un décalage de deux images avec les motifs plus lents, et d'une image avec les motifs plus rapides. Tout mouvement vertical abrupt fut évité à l'intérieur des motifs car le décalage des images aurait créé une parallaxe verticale indésirable durant la projection stéréoscopique.

87 Création de la parallaxe par décalage des images et mouvement de la lentille

Le relief des motifs pivotants qui s'approchent et s'éloignent des spectateurs a été réalisé en combinant la technique de décalage des images et celle du déplacement de la lentille.

Deux négatifs, un pour chaque œil, ont été réalisés à la tireuse optique à partir du tirage optique du négatif original. La parallaxe des mouvements avant-arrière des motifs a été obtenue par déplacement de la lentille de la caméra durant le tournage. Les deux négatifs ont ensuite été décalés pour produire la parallaxe attachée au mouvement pivotant.

5. Conclusion

Ce que nous venons de voir couvre les diverses techniques utilisées dans les deux films et n'aborde pas un certain nombre d'autre techniques envisagées que n'avons pas expérimentées.

Notre choix de techniques fut dicté par le fonctionnement de l'Office national du film du Canada et par notre désir, non pas de simuler la réalité (ce que la photographie stéréoscopique réalise très bien), mais plutôt de créer une nouvelle sorte de réalité plus en accord avec les techniques graphiques que nous voulions employer. Nous désirions également nous passer de certains facteurs non stéréoscopiques de perception de la profondeur que l'on retrouve habituellement dans les films stéréoscopiques comme le passage d'un sujet derrière une forme opaque, le clair-obscur, la nuance chromatique, la perspective sonore et, dans une certaine mesure, la réduction (comme avec les motifs de l'oscilloscope, qui subissent cependant une réduction dynamique) afin de découvrir jusqu'à quel degré le cerveau humain s'appuie sur ces facteurs pour évaluer la profondeur et, ce faisant, de connaître leur ordre d'importance.

Pour résumer, notre expérience nous a amenés à conclure que les principales techniques d'application de la parallaxe à un dessin bidimensionnel et à l'animation reposeraient sur l'emploi: 1. de paires stéréoscopiques de cartons ou d’acétates avec parallaxe intégrée aux images, 2. de doubles perforations sur les mêmes cartons ou acétates, 3. de découpages déplaçables, 4. de mouvements panoramiques horizontaux sous la caméra d'animation, 5. de panoramiques horizontaux ou mouvement de la lentille dans la tireuse optique, 6. et du décalage des images pour les plans avec mouvements horizontaux.

88 Le degré d'efficacité de chaque technique semble dépendre de son application. À l'évidence, la technique no 1 offre le plus de souplesse et paraît manifestement appropriée au dessin animé, surtout lorsque combinée à la technique no 2 pour les arrière-plans statiques. Par ailleurs, quelques-unes des autre techniques conviendraient mieux aux animations cartographique et de diagramme, surtout lorsque l'image finale est composée de plusieurs éléments surimprimés. Finalement, je crois que l'on peut prédire sans trop se tromper que divers amalgames de toutes ces techniques seront utiles en animation stéréoscopique et qu'elles feront partie des outils techniques avec lesquels les animateurs seront à même de relever le défi de la stéréoscopie.

Norman McLaren (1951) Office national du film du Canada, Ottawa, Canada

6. Appendice par Chester Beachell

La création de motifs oscillographiques pour le film Around is Around par Chester Beachell, Office national du film du Canada.

Il n'y a pas de limite au nombre de motifs qu'un oscillographe peut générer. Cela se conçoit aisément quand on sait que le tube à image d'un téléviseur n'est rien d'autre d'un oscilloscope. Nous avons tout de même décidé de ne travailler qu'à partir de motifs assez simples pour deux raisons: 1) il est difficile de photographier des traces très complexes à cause du faible actinisme de l'écran fluorescent à des vitesses de balayage très élevées, et 2) les motifs très complexes comportent des mouvements verticaux.

À l'exception d'un ou deux motifs, notamment les colonnes, la majorité des motifs étaient des cycles complets, c'est-à-dire à balayage sinusoïdal. Avec un balayage sinusoïdal la trace de retour est de la même fréquence que la trace initiale et, étant visible, produit une boucle fermée.

Tous les motifs du film ont été produits à partir de quatre signaux à composantes ou moins. Nous avons utilisé des formes d'ondes a) sinusoïdales, b) carrées, c) en dent de scie et diverses formes et distorsions des ondes originales. Divers niveaux de décalage de phase ont été appliqués entre les déviations verticale et horizontale pour générer quelques motifs dont celui du ressort tournoyant.

Les sources sonores étaient constituées de deux générateurs de signaux audiofréquence de 20 à 20 000 cycles par seconde, d'un générateur de signaux audiofréquence de 7 à 70 000 cycles par seconde et d'un générateur d'ondes carrées de 7 à 70 000 pulsations par seconde et d'un fréquence de ligne de 60 cycles.

Plusieurs contrôles externes et séparés ont été ajoutés de façon à modifier et contrôler avec précision la taille, le mouvement, la luminosité et la forme des motifs

89 durant le tournage de chaque plan: 1) gain micro vertical, 2) gain micro horizontal, 3) contrôles de mixage servant à mixer les diverses formes d'ondes sur une ou les deux plaques de déviation, 4) décalage de phase à introduire dans la source du signal de n'importe lequel des système de déviation, et 5) une commande permettant de faire pivoter le motif de 900 sur l'écran. Ceci était nécessaire pour maintenir autant que possible le mouvement sur le plan horizontal.

Puisque la rotation des motifs est une représentation graphique du battement entre deux fréquences, il était nécessaire que toutes les sources de signal soient aussi stables que possible. Leur instabilité provoquait des variations de la vitesse du mouvement sur l'écran; et un mouvement trop rapide du motif amplifiait la parallaxe lors du visionnement stéréoscopique. Notre plus grande difficulté a été la régulation absolue de l'alimentation électrique puisque toute fluctuation du voltage dans les oscillateurs ou l'oscilloscope lui-même provoquait un mouvement indésirable. Nous avons solutionné en partie ce problème en utilisant des transformateurs de régulation à noyau saturable mais même avec ces derniers nous avons réalisé la majeure partie du tournage la nuit afin d'éviter les charges intermittentes de l'alimentation électrique.

Le faible actinisme du phosphore utilisé (le tube oscilloscope était un 5LPI) nous força à filmer à diverses fréquences image selon la complexité du motif. Cela présentait l'avantage d'un meilleur contrôle manuel de l'image durant le tournage, mais aussi la difficulté de ralentir le motif de façon à obtenir un mouvement vraisemblable lors de la projection à 24 images par seconde. Pour illustrer le processus prenons la fréquence de base à 60 cycles par seconde. Le battement de la fréquence est le millième harmonique, soit 60 000 cycles par seconde. Pour mettre le motif en mouvement il est nécessaire de charger une des fréquences de façon à ce que la fréquence du battement entre celles-ci soit de 0,05 cycles par seconde. Ce qui se traduit par une stabilisation absolue du signal à 60 cycles par seconde et de la deuxième fréquence à 59 999,95 cycles par seconde pour la rotation dans le sens des aiguilles d'une montre, ou à 60 000,05 cycles pour la rotation inverse. Par conséquent, les différences en fréquences entre une source de signal et les harmoniques de cette fréquence obtenue à partir d'une autre source de signal étaient aussi peu qu'un vingtième de cycle par seconde. Il était impensable d'utiliser des oscillateurs à cristal puisqu'il nous aurait fallu remplir une pièce de cristaux.

L'effet de feu d'artifice a été réalisé en faisant passer un voltage supérieur à celui requis pour le centrage du faisceau à travers une haute résistance dans le condensateur du positionnement vertical puis en le purgeant jusqu'à la position centrale au moyen d'une autre haute résistance.

Ces motifs sont, pour les décrire simplement, les représentations graphiques des sommes des équations relatives à diverses formes d'ondes à tout instant de leur durée.

Chester Beachell

90 Bande son par dessin direct pour débutants (1969)

Création d'une bande son directement sur la pellicule (35 ou 16 mm) sans caméra ou appareil d'enregistrement comme dans les films Rythmetic et Mosaïque

Il est possible d'utiliser au moins deux méthodes: 1) le dessin à l'encre avec une plume ou un pinceau sur une pellicule transparente; 2) la gravure ou le grattage avec un couteau, une aiguille ou un stylet sur une pellicule noire ou d'une couleur opaque.

La méthode sur pellicule transparente que j'ai utilisée pour Points et Boucles n'est cependant pas recommandée car, en cours de travail, le support transparent capte facilement la saleté et la poussière et produit de ce fait un bruit indésirable.

La pellicule noire ne possède pas ce désavantage et peut donc être manipulée sans trop de contrainte. Il est préférable d'utiliser de la pellicule 35 ou 16 mm dont la piste sonore est noire et la surface d'image transparente ou d'une densité autre que le noir puisqu'on pourra y distinguer la largeur exacte de la piste.

Pour le grattage, il est recommandé d'employer une pellicule développée assez récemment dont l'émulsion s'enlèvera sans difficulté. Évitez la vieille pellicule, surtout si elle a séjourné dans une boîte non scellée dans une pièce chaude et sèche, parce que son émulsion s'est durcie et qu'elle serait difficile à gratter.

Il est absolument inutile de tenter d'imiter l'apparence d'une piste sonore conventionnelle, qu'elle soit à densité ou à élongation variable. Il y a de fortes chances que cela ne produise qu'une suite de bruits confus.

L'utilisation d'un bout de 60 à 100 cm de pellicule noire ou de pellicule avec piste sonore noire constitue un bon point de départ à l'expérimentation. Faites une seule rayure sur la piste sonore et collez les deux bouts de la pellicule pour en faire une boucle que vous passerez dans une Moviola ou un projecteur. La rayure produira un clic d'une certaine qualité. La collure de la boucle peut aussi émettre un clic qu'il est possible d'éliminer en couvrant le joint avec un petit bout de ruban adhésif noir, ou encore d'intégrer au rythme. Mais pour les besoins de cette démonstration, nous supposerons que ce clic a été supprimé. Retirez ensuite la boucle du projecteur et faites une nouvelle rayure de taille et de forme différentes, à au moins 4, 6 ou 8 images de la première rayure. Passez à nouveau la boucle: vous devriez entendre deux clics de caractère différent; l'un pourrait émettre un son dur et l'autre un son doux, ou encore un son fort et un son léger. Identifiez quelles rayures produisent quels sons.

Si les deux clics émettent un son semblable (même s'ils sont produits par des rayures de types différents, ce qui est possible), ajoutez un autre type de rayure à la boucle et passez-là à nouveau.

91 En ajoutant un à un divers types de rayures et en les identifiant à mesure que vous progressez, vous apprendrez quels types de rayures émettent quels types de sons.

Si vous variez la distance entre les rayures vous pourrez les identifier plus facilement et vous découvrirez les possibilités rythmiques de diverses répartitions des rayures sur la boucle.

En fait, lorsque vous aurez trouvé disons trois ou même deux types de clics, préférablement d'intensités différentes, le moment sera venu de commencer à travailler sur une nouvelle boucle où vous vous appliquerez à créer un rythme particulier.

Après avoir expérimenté avec les boucles, vous pourrez commencer à travailler sur une bande son continue.

Il ne faut pas oublier que la bande son est parcourue par une mince fente lumineuse, Tête Fente Fin

Exemple 1:

et que c'est la fluctuation de cette lumière qui produit le son.

Si la lumière est amenée à fluctuer brusquement et complètement par une rayure qui s'étend sur toute la largeur de la piste sonore comme ceci:

Rayure

Exemple 2: ou ou ou ou le volume sera élevé.

Si la lumière est amenée à fluctuer partiellement, le son sera plus faible:

Exemple 3:

Le son no 1 est moins fort que le son no 2 ou 3; et le son no 4 est encore plus faible. Les nos 2 et 3 devraient être de même intensité: en effet, si vous considérez le rôle de la fente lumineuse qui parcourt la piste, vous constaterez que la disposition des rayures nos 2 et 3 n'est pas importante; la quantité de lumière et la durée de sa fluctuation sont les mêmes dans les deux cas. Le son no 4 est le plus faible de la série.

92 On peut aussi faire l'essai de rayures gravées à différents angles le long de la piste sonore: Fente lumineuse parcourant la piste

Exemple 4 :

Si vous considérez l'action des rayures sur la fente lumineuse vous réaliserez que plus la rayure est inclinée plus son intensité est faible.

L'arrangement de clics de différentes intensités joue un rôle majeur dans la création d'effets rythmiques intéressants.

Une mesure

Exemple 5 :

L’exemple 5 nous montre des rayures de trois types différents régulièrement séparées par un espace de six images et arrangées selon un rythme 3 + 3 + 2 de huit battements par mesure pour obtenir un rythme de rumba. Les différentes intensités produites par les trois types de rayures jouent un rôle important dans l'effet rythmique global.

L’exemple 6 présente des petits groupes de rayures appelées « enveloppes » qui produisent différentes notes selon l'espacement plus ou moins rapproché des rayures de chaque groupe.

Exemple 6 : note aiguë médiane grave

Efforcez-vous de dessiner des rayures bien définies et de les espacer aussi régulièrement que possible pour obtenir des hauteurs de notes précises, à défaut de quoi vous n'obtiendrez que du bruit. tête fin

Exemple 7:

Une enveloppe tonale d'une forme similaire à celle illustrée ci-dessus produira un son percussif assez naturel avec une attaque abrupte et une chute rapide. Vous pouvez expérimenter avec d'autres types d'enveloppes.

Dans vos premiers essais, espacez vos notes d'au moins quatre images. Un intervalle de vingt-quatre images est recommandé si vous voulez identifier chaque note.

93 Sons soutenus

On peut obtenir des sons continus de la manière suivante:

aigu fort médian fort grave fort médian fort aigu faible grave faible

Exemple 8 :

On peut créer des grésillements ou bourdonnements de la manière suivante: Tête Fin

grésillement rapide croissant grésillement lent décroissant grésillement crescendo

Réverbération ou écho

Tous les effets sonores peints directement sur pellicule posséderont un caractère « aride ». En les réenregistrant avec de la réverbération ou de l'écho, ils produiront un son très différent et plus « naturel ».

Les bandes son de Rythmetic et de Mosaïque ont été produites principalement par grattage de traits uniques; leurs qualités sont cependant différentes puisque seule une petite quantité de réverbération a été ajoutée au premier film et que dans le second film la réverbération a été grandement amplifiée, et le volume suivant les clics augmenté.

Si vous vous intéressez tout particulièrement aux notes de la gamme et que vous utilisez une pellicule 16 mm, vous pouvez consulter le diagramme suivant* qui indique comment espacer les rayures pour créer les demi-tons d'un octave de la gamme chromatique:

* Extrait de l'article « Movies and Slides Without a Camera », reproduit avec l'aimable autorisation de Kodak Ltée.

94

1/2 seconde 12 IMAGES (Format réel)

CYCLES

Norman McLaren (1969, révisé en 1984)

95 Notes sur le son animé tel que mis au point à l’ONF selon la technique des cartes (1952)

Et tel qu'utilisé dans les films suivants: Voisins Canon Now is the Time Korean Alphabet Two Bagatelles Opus 3 Twirligig Autour de la perception Phantasy Synchromie

Aucun instrument traditionnel, dispositif de bruitage, microphones ou appareils d'enregistrement sonore n'ont été employés dans la création des musiques et effets sonores des films énumérés ci-dessus (1). Ceux-ci ont été remplacés par une petite collection de plusieurs douzaines de cartes sur lesquelles des représentations d'ondes sonores étaient dessinées.

Ces dessins ont été photographiés avec un appareil de prises de vues cinématographique identique à celui utilisé dans le tournage des dessins animés. La procédure était exactement la même: un dessin est placé devant la caméra, photographié sur une image de la pellicule, retiré et remplacé par le suivant qui sera photographié à son tour sur la deuxième image de la pellicule, et ainsi de suite.

La seule différence entre notre technique de son animé et le tournage d'un dessin animé est que les dessins ne représentent pas des scènes du monde visible qui nous entoure mais plutôt des ondes sonores et que celles-ci, au lieu d'être dessinées sur des cartes de format image, sont représentées sur de longues cartes étroites. Ces cartes ne sont pas photographiées sur la surface de la pellicule réservée à l'image, mais à la gauche de cette surface, sur l'étroite bande verticale où s'enregistre normalement la piste sonore.

Lorsque la pellicule est développée, tirée puis passée dans un projecteur sonore, les images photographiées de ces dessins noirs et blancs émettent soit un bruit, un effet sonore ou de la musique.

Terminologie Il nous apparaît donc logique d'appeler ce type de sons « son animé » parce qu'il est créé de la même manière que les films d'animation et que d'un point de vue créatif et artistique il partage avec les images animées plusieurs caractéristiques et possibilités.

(1) Voisins, Now is the Time et Two Bagatelles. Musiques composées et photographiées par Norman McLaren (à l'exception de la partie de vieil orgue à vapeur de Two Bagatelles) Twirligig et Phantasy. Musiques composées et photographiées par Maurice Blackburn. Celle de Phantasy a été écrite pour un arrangement de sons animés et de saxophones.

96 On pourrait aussi l'appeler « son dessiné »; ou encore « son synthétique » comme on le faisait dans le passé, ce qui serait exact mais trop vague puisque cette expression décrit également les sons produits par les instruments électroniques et électriques, et généralement sans l'emploi de la pellicule cinématographique. « Animé » décrit on ne peut mieux le type de son dont nous traitons ici.

Il existe plusieurs façons de créer du son animé dont certaines ont été expérimentées dès 19312. Ces notes et observations ne traitent que de la technique particulière que nous avons mise au point à l'Office national du film du Canada au cours de ces dernières années.

Les dessins utilisés pour représenter les ondes sonores À quoi ressemblent les dessins d'ondes sonores? Comment ont-ils été créés? Il y a différentes façons de réaliser ces dessins. Il aurait été possible, par exemple, de les créer en enregistrant (en les photographiant, par exemple) des sons musicaux naturels sur la bande son pour ensuite y décalquer leurs motifs. Mais procéder de cette manière aurait été aussi vain et abrutissant du point de vue créatif que de réaliser des dessins animés en photographiant de vrais acteurs pour en tracer le contour. Dans les films traités ici, les réalisateur ont plutôt choisi une approche non naturaliste, sans chercher à imiter les sons naturels ou ceux des instruments traditionnels. De nouveaux types de sons ont été créés à l'aide de formes simples et faciles à dessiner. Les dessins sont constitués d'une forme élémentaire répétée plusieurs fois pour obtenir une sorte de bande à motif répété. La forme peut n'être qu'une ligne blanche sur fond noir coupant à angle droit la piste sonore longitudinale, ou une unique gradation de tons passant du clair au foncé; quoi qu'il en soit, c'est cette répétition d'une même forme qui constitue des ondes sonores possédant une sonorité particulière.

La note Chaque carte dessinée de notre collection représente une bande sur laquelle des mêmes formes se succèdent sur une surface d'environ 1 sur 12 po (2,5 sur 30 cm). L'ensemble des cartes regroupe chaque demi-ton de la gamme chromatique, soit six octaves, à partir de trois octaves sous le la moyen jusqu'à trois octaves au-dessus. Notre note la plus grave est composée d'un dessin répété de quatre à cinq fois, et notre note la plus aiguë d'un dessin répété environ cent cinquante fois. Le nombre de répétitions d'un dessin repose sur le principe suivant: le la moyen étant constitué de 440 vibrations par seconde, le dessin choisi doit être répété 440 fois par secondes sur la pellicule pour qu'il émette la même note; ou, en tenant compte de la longueur d'image, diviser 440 par 24 (pour un projecteur tournant à 24 images par

2 Lire l'article A Brief Summary of the Early History of Animated Sound on Film de N. McLaren, août 1952, Office national du film du Canada

97 seconde) et répéter le dessin 18,33 fois par longueur. Par conséquent, notre carte du la moyen représente un dessin répété 18,33 fois. Pour élever n'importe quelle note d'un octave, nous devons doubler le nombre de vibrations par seconde. Ainsi la carte de l'octave supérieur au la moyen représente un dessin répété 36,66 fois (18,33 X 2). Pour un la au deuxième octave supérieur, on double à nouveau: 73,33 (36,66 X 2). Inversement, pour obtenir un octave inférieur au la moyen, on divise par deux, soit 9,165 (18,33 ÷ 2). Les subdivisions de l'octave sont un aspect encore plus complexe. Il existe de bons articles à ce sujet dans de nombreuses encyclopédies musicales et dans l'Encyclopedia Britannica. C'est un sujet trop vaste pour que nous le traitions ici. Les cartes-notes portaient des étiquettes les identifiant en notation musicale et regroupées dans une petite boîte de façon à représenter une sorte de clavier. Durant le tournage de la musique, la boîte était placée à côté de la caméra et le compositeur (et caméraman), désirant une note particulière, choisissait la carte appropriée et la plaçait devant la caméra. Pour certains passages très graves, le musique était filmée un octave plus haut et à vitesse deux fois plus rapide que la vitesse visée, puis ralentie de moitié durant le réenregistrement où la note baissait alors d'un octave.

Une mosaïque de notes Parce qu'un appareil de prise de vue filme de façon intermittente, vue par vue (et non de façon continue comme avec le matériel d'enregistrement sonore conventionnel), la piste sonore composée de petits éléments mesurant chacun un vingt-quatrième de seconde devient une sorte de mosaïque linéaire. Si l'on désire augmenter la durée d'une note, on photographie la même carte sur plusieurs longueurs d'images successives. L'effet obtenu est celui d'une note soutenue. Pour créer un répétition très rapide de la même note, comme à la mandoline ou au xylophone, ou pour jouer une note très courte, une seule ou tout au plus deux longueurs d'image suffisent. Pour ajouter un silence ou un point d'orgue, on photographie une carte noire.

La dynamique Le compositeur doit déterminer le volume exact ou l'intensité de la note avant d'exposer le film. C'est là un des importants nouveaux facteurs de la musique animée puisque par le passé les indications relatives à la dynamique n'ont jamais été inscrites avec exactitude sur les partitions conventionnelles. Les échelons habituels pp, p, mf, f, ff, etc. indiquent une intensité relative et ne sont jamais appliqués à chacune des notes d'une partition. L'intensité des notes est ainsi laissée à la discrétion de l'interprète alors qu'en musique animée, c'est le

98 compositeur qui détermine l'intensité exacte de chaque note. Autrement dit, le compositeur et l'interprète sont la même personne. Nous avons déterminé 24 degrés d'intensité (représentant une échelle de décibels) et inscrit vis-à-vis chaque note de la partition le nombre indiquant le niveau sonore désiré. Par exemple, 0, 1 et 2 représentent trois degrés de ppp; 9, 10 et 11, trois nuances de mp; 12, 13 et 14, trois degrés de mf; 21, 22 et 23, trois degrés de pf fff; et 24 indique un ffff. Nous avons régulièrement utilisé des subdivisions de ces 24 degrés (surtout dans les crescendos et les diminuendos) mais en ne les inscrivant que rarement sur la partition. Seules des indications sur l'intensité du début et de la fin des crescendos et des diminuendos ponctuels ou rapides, étaient inscrites. Le type de crescendo et de diminuendo (comme « arithmétique » ou « géométrique ») était indiqué par un croquis. Le volume était contrôlé en cachant une partie du dessin de un pouce (2,5 cm) de largeur pour ne laisser visible qu'un fraction déterminée de sa surface (système à densité fixe); la graduation était en décibels.

Le contour du son En plus de déterminer avec précision leur dynamique, le compositeur devait également spécifier le contour sonore de chaque note, c'est-à-dire son type d'attaque, de tenue et d'extinction. Ceci est important parce que le contour de la note influence bien plus que la sonorité élémentaire de la note la qualité « instrumentale » de celle-ci. En musique instrumentale, par exemple, le son d'une note de piano possède une attaque très abrupte et une longue extinction, mais sans tenue; son contour ressemble à celui d'une montagne avec une pente très raide d'un côté et une pente douce de l'autre. Une note d'orgue typique possède une attaque soudaine, une longue tenue et une extinction rapide; son contour a la forme d'un plateau avec une falaise d'un côté et une pente raide de l'autre. Le son d'un bloc de bois que l'on cogne a une attaque immédiate et une extinction très rapide, mais sans tenue. Les percussions peuvent produire des attaques beaucoup plus soudaines que celles des instruments à vent. Un violon, comme la voix humaine, est capable de créer pratiquement toutes sortes d'attaques, de tenues et d'extinctions. Le compositeur, en dotant chacune d'un contour particulier, influait sur ce qu'on appelle habituellement la sonorité instrumentale de la note. Il procédait en plaçant des caches noirs de formes diverses au-dessus de la carte-note choisie sur laquelle étaient dessinées les ondes sonores; il obtenait ainsi environ six sortes de contours de son qu'il aurait été impossible de produire avec des instruments traditionnels. Dans Voisins nous avons utilisé un nombre considérable de contours sonores alors que dans d'autres films prédominait seulement un seul contour de type percussif (en forme de triangle).

99 La sonorité Le registre et la variété des effets sonores et des sonorités de la bande son de Voisins ont été considérablement étendus par l'emploi de plusieurs jeux supplémentaires de dessins dont certains représentaient des hauteurs ascendantes et descendantes de note afin de produire des effets de portamento et de glissando. Certains dessins, bien que d'apparence simple et facile à préparer, possédaient une structure d'onde très complexe, riche en harmoniques, produisant des sonorités stridentes et discordantes.

L'harmonie Trois différentes méthodes furent utilisées à plusieurs occasions pour le jeu simultané de parties musicales en harmonie ou en contrepoint. Une méthode consistait à surimprimer différents dessins en procédant à plusieurs expositions séparées. Une deuxième, à diviser la piste sonore en plusieurs bandes parallèles longitudinales sur lesquelles les dessins étaient photographiés les uns à côté des autres. La dernière, à filmer chaque partie musicale sur une pellicule différente et à mixer le tout durant le réenregistrement.

L'acoustique Le son animé produit avec cette méthode est normalement d'une matité absolue, sans résonance ni écho. Nous avons employé deux méthodes pour ajouter de la résonance et de l'acoustique. La première, principalement appliquée à des notes précises et pour obtenir des effets ponctuels et momentanés, consistait à filmer la même note dans une série rapide de volumes sonores (c'est-à-dire de mêmes dessins) de plus en plus petits afin de simuler l'effet naturel d'ondes sonores qui se réverbèrent entre les parois d'un instrument ou les murs d'une pièce, d'une salle ou d'une caverne. La présence de l'environnement acoustique d'une note était contrôlée durant le tournage par le nombre et la nature des répliques de plus en plus petites du dessin original de la note. La deuxième méthode consistait à ajouter de la réverbération et de l'écho au moyen des ressources électroniques habituelles durant le réenregistrement.

Norman McLaren (1952, révisé en 1961)

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Index des films

A Little Phantasy, 27 Le Merle, 28 A Phantasy, 44, 45 Lignes horizontales, 23, 24 Alouette, 3 Lignes verticales, 25 Around is Around, 80, 85, 89 Love on the Wing, 53 Autour de la perception, 69, 96 Mail Early for Christmas, 56, 62 Ballet Adagio, 4 Mony a Pickle, 52 Blinkity Blank, 5, 6 Mosaïque, 29, 91 Boogie-Doodle, 62 Narcisse, 31, 38 Book Bargain, 52 New York Lightboard, 40 Boucles, 48, 62 News for the Navy, 52 C’est l’Aviron, 11 Now is the Time, 69, 80, 83, 96 Camera Makes Whoopee, 51 Opening Speech, 15 Canon, 7, 69, 96 Opus 3, 69, 96 Caprice en couleurs, 9 Pas de deux, 41, 42 Colour Cocktail, 52 Phantasy, 69, 96 Dollar Dance, 63 Pinscreen, 16 Étoiles et Bandes, 62 Points, 48, 62 Fiddle-de-dee, 17 Polychrome Phantasy, 51 Five for Four, 63 Rythmetic, 54, 91 Five Untitled Shorts, 52 Serenal, 56 Hand Painted Abstraction, 51 Seven Till Five, 51 Hell Unlimited, 52 Short & Suite, 57 Hen Hop, 62 Spheres, 58 Hoppity Pop, 63 Synchromie, 60, 69, 96 Il était une chaise, 18 The Obedient Flame, 53 Keep Your Mouth Shut, 21 Twirligig, 96 Korean Alphabet, 69, 96 Two Bagatelles, 64, 69, 96 La poulette grise, 46 V for Victory, 62 Là-Haut sur ces Montagnes, 22 Voisins, 64, 67, 69, 96

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