Antiracisme Ou Repli Identitaire?
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2,00 € Première édition. No 10851 MARDI 12 AVRIL 2016 www.liberation.fr Katerine: Antiracisme un album ou repli d’auteur identitaire? Le chanteur Le dossier que Libé a français sort consacré aux nou- «le Film», veaux «visages contes- son dixième tés de l’antiracisme» a disque, suscité de nombreuses poétique réactions. Le débat et délicat. continue. E. GARAULT. PASCOANDCO PAGE 31 PAGES 20-23 Deux ans après, on est toujours sans nouvelles des quelque 200 lycéennes enlevées au Nigeria. D’autres femmes sont parvenues à échapper à la secte. «Libération» est parti à leur PHOTO CASSIUS DWEM. SIGNATURES rencontre. PAGES 2 À 6 Amina Ali, 30 ans, sept enfants. RESCAPÉES DE BOKO HARAM IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA. 2 u Libération Mardi 12 Avril 2016 BOKO HARAM «Cellesquiontété enlevées,onne connaîtpasleursort» Par secte, qui entre-temps a fait allé- Deux ans après le rapt PIERRE NKOGHÉ geance à l’Etat islamique, subit Envoyé spécial à Diffa (Niger) d’importants revers et se replie sur spectaculaire de 276 jeunes Photos CASSIUS DWEM. ses sanctuaires. Le groupe, respon- SIGNATURES sable de la mort de 20000 person- nes et du déplacement de 2,6 mil- filles à Chibok, au Nigeria, était il y a deux ans. A Chi- lions d’autres, aurait de plus en plus bok, dans le nord-est du de mal à s’approvisionner. la secte islamiste continue C’ Nigeria, dans la nuit du 14 Mais sa capacité de nuisance de- au 15 avril 2014, 276 jeunes filles, meure. Ainsi, Diffa, dans le sud-est de terroriser la zone âgées de 12 à 17 ans, sont brutale- du Niger,près du lac Tchad et à ment arrachées du dortoir de leur quelques encablures de la frontière du lac Tchad. Elle serait lycée. L’établissement est incendié. avec le Nigeria, est toujours en état Elles sont embarquées dans des ca- d’urgence. Près de 140000 person- mions qui s’enfoncent dans la forêt nesvenuesduNigeriaonttrouvére- responsable de la mort de Sambisa. Dans les heures et les fuge dans cette région qui compte jours qui suivent, une cinquantaine aussi des déplacés internes. La sai- de 20000 personnes d’entre elles parviennent à se sau- son sèche avance. L’étiage appro- ver.Lemouvement«BringBackOur che. La Komadougou Yobé, la ri- et du déplacement Girls» («rendez-nous nos filles») vière qui sépare le Nigeria du Niger, mobilise l’opinion internationale. est très basse. La région est facile à l’armée, mais les campagnes sont Du jamais-vu: pendant des semai- infiltrer pour les jihadistes. Et les at- toujours dangereuses. Les réfugiés de 2,6 millions d’autres. nes, le hashtag #BringBackOurGirls taques de Boko Haram s’intensi- n’envisagentpasderentreretlesdé- inonde Twitter. Christiane Taubira fient. Le couvre-feu a été étendu. placés se tiennent à distance de la «Libération» a rencontré et Michelle Obama posent avec un Dans la matinée du 5 avril, deux ka- frontière. Une vie d’attente au Niger petit panneau réclamant la libéra- mikazes se sont fait exploser à voisin, sur les terrains désertiques d’anciennes captives. tion des jeunes filles. 20 kilomètres de Diffa, dans un vé- qui longent la Nationale 1, sans acti- hicule de transport public qui de- vité économique (lire page 6). Au Revers. Que sont devenues les vait se rendre dans le chef-lieu de la milieu des cases de paille apparais- captives? Deux ans plus tard, pres- région. C’était jour de marché, l’une sent les premières cases en banco, Attaques de Boko Haram 101 que toutes restent introuvables. des cibles privilégiées de Boko Ha- cemélangedeterrecrueetdepaille, entre janvier et avril 2016 32 NIGER En nombre de victimes 10 Dans l’extrême nord du Cameroun, ram. L’un des terroristes a-t-il ac- preuve que ces déplacés de Boko Source : Acled une kamikaze de 12 ans, arrêtée le tionné sa charge par erreur? Ou Haram commencent à s’installer. Dia Lac Tchad mois dernier avec une ceinture de alors, un des passagers s’est-il 12 kilos d’explosifs, a prétendu être aperçu de l’intention des deux ter- Angoisse. Libération a choisi de Damasak Baga l’une des lycéennes. Un mensonge, roristes? Au moins deux personnes commémorer le sinistre anniver- TCHAD selon une association de soutien ont été tuées en plus des kamika- saire de l’enlèvement des jeunes aux parents des jeunes otages. En zes: une femme et son enfant. Le filles de Chibok. En rencontrant des NIGERIA mai 2014, l’insurrection jihadiste même jour, deux pêcheurs qui femmes rescapées de la secte isla- Chibok débordeauCameroun,avantdes’at- s’étaient aventurés sur un bras de la miste, qui racontent leurs semaines taquer au Niger en février 2015. Cri- Komadougou Yobé ont été décapi- d’angoissereléguéesaurangde«bu- Abuja tiqué pour son inaction, le Nigeria tés. Dans la nuit, un homme, peut- tin de guerre». Mais aussi des en- finit par lancer une offensive de être un informateur des forces de fants, traumatisés d’avoir dû quitter grande ampleur avec l’appui du sécurité ayant aidé à déjouer l’atten- leurs maisons. Ou d’avoir vu un 100 km CAMEROUN Tchad, du Niger et du Cameroun. tat du matin, a été tué. frère, un camarade de classe, rejoin- Villes et villages sont repris. La Au Nigeria, les villes sont tenues par dre les rangs de Boko Haram.• Libération Mardi 12 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 «Quand ils ont attaqué Damasak [au Nigeria, sur la frontière avec le Ni- ger, ndlr], nous avons fui. Mais une fois au bord de la rivière Komadou- gou Yobé, j’ai vu les cadavres qui flottaient et je n’ai pas voulu entrer dans l’eau. Avec mon mari, nous avons choisi de retourner chez nous. Nous nous sommes cachés dans la paille mais les insurgés m’ont trouvée vers 4 heures du matin. Mon mari entendait, mais il ne pouvait rien faire. J’ai été captive pendant vingt et un jours. J’étais enceinte de ma petite fille. Parmi les Boko Haram, il y avait des enfants, des vieux, des hom- mes, des adultes. Certains étaient en tenue militaire, d’autres en civil. La majorité avaient beaucoup de cheveux et on ne voyait pas leurs oreilles. Nous étions dans une maison, les insurgés ouvraient juste la porte, déposaient à manger et refermaient. Pendant la durée de ma cap- tivité, aucune femme n’a été mariée de force. Au bout de vingt et un jours, ils ont séparé les femmes en deux groupes. Ils ont pris une moitié et libéré les autres. Moi, j’ai été libérée. Ils ont dit que chacune pouvait partir où elle voulait. Les femmes qui ont été enlevées, on AÏSSA, 25 ANS ne connaît pas leur sort. Elles ont «ILS ONT PRIS UNE été emmenées. On n’en a jamais revu une seule [plus de 500 fem- MOITIÉ DES FEMMES mes et enfants ont été enlevés à ET LIBÉRÉ Damasak fin 2014].» LES AUTRES» HALIMA, 30 ANS «J’étais assise dans ma «Lorsqu’ils ont attaqué Baga, nous avons fui et «LES MARIS, maison, à Baga [Nige- marché sans nous arrêter. Mais à un moment, nous ria], quand j’ai vu tout étions épuisés et nous nous sommes arrêtés pour ILS LES TUENT, le monde courir en nous reposer un peu. C’est à ce moment qu’ils nous LES FEMMES, ILS tous sens. On disait: ont trouvés. Ils nous ont dit : “Où sont passées vos LES GARDENT» “Boko Haram est là!” prières? Aujourd’hui, nous avons pris Baga.” On Même les militaires pensait qu’ils allaient tous nous exterminer, y com- fuyaient, alors nous aussi, nous nous sommes enfuis. pris les femmes. Mais ils nous ont ordonné de re- On a passé une nuit en brousse. Mais je ne pouvais pas tourner à Baga. Je venais d’accoucher. Ils ont laissé rester,j’étais enceinte, j’avais mal. Je suis retournée en les femmes enceintes et celles qui venaient d’ac- ville avec ma petite fille. J’ai accouché la nuit, seule, coucher ensemble, mais ils ne nous donnaient pas dans la ville. Je me suis cachée. J’ai passé dix jours dans à manger.J’ai réussi à m’enfuir,mais j’ai dû abandon- la maison sans que personne ne me trouve, mais ils ont ner ma grand-mère. Elle était trop âgée et aveugle. fini par me découvrir.Ils m’ont ordonné de rejoindre le Ça a été difficile. Il y avait d’autres vieilles femmes. lieu où ils entassaient un groupe de personnes captu- Je sais que beaucoup ont perdu la vie. J’aimerais sa- rées. Ils nous insultaient sans cesse, nous disaient: voir ce qui est arrivé à ma grand-mère, mais ce n’est “Vous êtes des femmes de mécréants.” Ils n’arrêtaient pas possible. Je n’ai pas l’autorisation de m’éloigner pas de nous tabasser.De temps en temps, ils prenaient de mon mari. Et puis aussi, j’ai peur, je ne peux pas des femmes. Certaines étaient tuées, d’autres emme- prendre la route, c’est nées pour être mariées de force dans leurs villages.