<<

dossier

LE MONDE DE

Airto Moreira

Manolo Badrena Dom Um Romao

Le clap de fin de a eu lieu

il y a plus de trente ans, mais la musique de Dossier réalisé par ce groupe emblématique d’une époque où tout semblait possible n’a pas pris une ride, et son Franck Bergerot Peter Cato pouvoir de fascination est toujours aussi grand. Doc Sillon Il était donc temps d’explorer à nouveau Lionel Eskenazi les richesses du monde de Weather Report, Julien Ferté Frédéric Goaty où l’on croise quelques-uns des meilleurs Stéphane Ollivier musiciens de ces cinquante dernières années. Jean-Pierre Vidal PHOTOS : X/DR

16 Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 17 dossier Le monde de Weather Report sommaire repères 1970 Le 10 1981 Jaco décembre, Joe Pastorius et 20 Joe Zawinul 32 Peter Erskine Zawinul annonce Peter Erskine (1966-1970) Silence, Le maître du temps dans Downbeat s’en vont. on tourne : naissance qu’il s’associe 33 d’un univers Joe Zawinul avec Wayne 1985 Joe Zawinul (1985) Shorter et Miroslav enregistre 22 La parole à la musique Wayne Shorter Vitous pour créer “Dialects” et Montreux, 1976 :

(1969-1970) un nouveau Wayne Shorter Wayne Shorter et Joe Atmosphères, 34 The Zawinul Zawinul, l’insécable groupe dont “Atlantis”. atmosphères... : Syndicate duo créatif de le batteur sera les temps changent Les tournées du patron 1986 Juin : Weather Report. . sortie de l’ultime UN MOUVEMENT de 24 Galerie photo 36 Wayne Shorter 1971 Mai : sortie Weather Report dans (1985...) Retour vers du premier album, Weather Report, tous ses états d’autres futurs PERPETUEL “Weather Report”. “This Is This”. 26 Miroslav Vitous 1974 Avril : A cause du Miroslav Vitous est remplacé 27 , Qui sait si le plasticien Alexander Calder a un jour écouté par Alphonso Dom Um Romao, un disque de Weather Report ou entendu leur musique à la radio ? Johnson. Janvier : & Mino Cinelu Les Mais s’il est un groupe qui incarne à la perfection la notion de mou- 1976 hommes de mains premières séances vement – et l’on serait presque tenté d’ajouter perpétuel –, c’est avec Jaco 28 Jaco Pastorius bien celui que Joe Zawinul et Wayne Shorter ont dirigé de 1971 Pastorius. L’homme qui faisait la à 1986. Les pages qui suivent ne s’attardent pas seulement sur 1977 Tournée pluie et le beau temps ces quinze années d’existences, un mot qu’il est impossible de ne mondiale, disques d’or… : 30 Alphonso pas mettre ici au pluriel, tant Weather Report a su constamment se le groupe atteint Johnson & remettre en question. Ainsi, la première partie de ce dossier se fait des sommets de Victor Bailey popularité. Les autres voix graves l’écho de quelques préludes et postludes décisifs de la saga Wea- ther Report : le séjour de Joe Zawinul dans le Quintet de , Wayne Shorter chez Blue Note ou aux côtés de , les débuts fracassants de Jaco Pastorius, les cultes de Miroslav Virous ou de Dom Um Romao, les pépites à (re) découvrir du Zawinul Syndicate, les aventures de Peter Erskine, etc. etc. Pour chacun d’entre eux, une discographie sélective vous permettra d’approfondir votre lecture en musique(s).

Autour du sorcier autrichien des claviers disparu en 2007 et du poète américain du saxophone, dont le quartette est l’une des for- mations majeures de ce début de siècle, des musiciens venus de tous les horizons – Brésil, Pérou, Tchécoslovaquie, , Porto- Rico... – ont chacun à leur manière apporté leur pierre à l’édifice. Certains n’ont fait que passer, d’autres sont restés plusieurs années. En studio ou sur scène, tous ont permis à Weather Report de bien mériter son nom qui, faut-il le rappeler, signifie Bulletin Météo. Les hommes de Weather Report forment bien la plus belle des familles recomposées, et grâce à eux, le temps, les temps n’ont jamais cessé de changer au sein de ce groupe majeur, toutes musiques Autour du sorcier autrichien confondues, de la fin du XXe siècle. • des claviers et du poète américain du saxophone, des musiciens venus de tous les horizons ont chacun à leur manière apporté leur pierre à l’édifice.” GIUSEPPE PINO

18 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 19 dossier Le monde de Weather Report JOE ZAWINUL Silence, on tourne : naissance d’un univers Dès 1970, on perçoit dans Cinq ans avant la création de Weather Report, par le pianiste au séances de Miles de l’automne 1968 les retrouvailles avec Vienne, à l’occasion (Ascent) à l’hiver 1969-1970 (Orange Lady, Double les compositions Image), autant de compositions mises en pièces par le de la tournée européenne de Cannonball trompettiste, en cours de séance ou en post-produc- de Zawinul et Adderley au printemps 1966, constituent un tion, voire consfiquées sans crédit d’auteur : atmos- tournant dans l’œuvre de Joe Zawinul. phères mélodico-harmoniques ou simples grooves qui les sonorités de font dire à Joe Zawinul, en désaccord avec la nature anarchique des séances, que la plupart des lignes de Fender Rhodes Alors qu’il ne jure que par le jazz funky, tant pour son potentiel com- basse de l’époque sont de sa plume (ce que conteste mercial que pour ses qualités rythmiques (cf. “Money In The Pocket”, ). Une pièce tranche sur l’ensemble de sa un fil continu titre de son premier album pour Atlantic, ou Mercy, Mercy, Mercy, son production de l’époque, Directions, rock énergique en entre la musique premier grand tube), Joe Zawinul renoue avec son enfance viennoise, Mi (tonalité de guitariste) qui servira à Miles de géné- le folklore, le et les formes de la musique classique ; il retrouve rique de début de concert et sera repris lors des pre- de et dans sa ville natale son ami et rencontre le compositeur miers concerts de Weather Report. Quant aux frères américain William Fischer, venu un opéra dans la capitale au- Adderley, Joe Zawinul leur offrira d’autres tone poems : celle, à venir, de trichienne. Celui-ci l’oriente vers des formes plus sophistiquées que le Early Minor à Nat (“You Baby”) et Yvette à Cannonball chorus de 32 mesures des standards, ce que les jazzmen commencent (“Whay Am I Treated So Bad”). Et dès 1970, à l’écoute Weather Report. à appeler extended forms et auxquelles Cannonball songe de son côté. de “The Price You Got To Pay To Be Free” de Cannon- Ce qui incitera Zawinul à faire des compositions de Fischer la matière ball, on perçoit dans les compositions de Zawinul, les de son album “The Rise & Fall Of The Third Stream”. C’est encore traits et les sonorités de Fender Rhodes un fil continu Fischer qui attire son attention sur le potentiel du piano électrique que entre la musique de Miles et celle, à venir, de Weather Zawinul commence à utiliser fin 1966 et dont il va bientôt découvrir les Report, qui perdure sur l’album “Black Messiah” de extensions et les fonctions parasites (Ring Modulator, saturation…), l’altiste, alors que a pris place au piano. de même qu’il aimait jeter un tambourin ou quelque autre objet sur • FRANCK BERGEROT les cordes de son piano ( sur l’album de Cannonball du même titre ou sur The Soul Of A Village de Fischer).

En outre, une nuit d’insomnie, de passage à Vienne pour Noël 1967, regardant la neige tomber sur la statue de Johann Strauss, gagné par la nostalgie, il compose , premier d’une longue série de pièces d’inspiration pastorale, de tone poems (le terme, synonyme de “poème symphonique”, fait alors fureur dans le monde du jazz, pour désigner l’abandon du découpage cyclique des standards, au The Cannonball Adderley Miles Davis : Quintet : “Mercy, Mercy, “” (Columbia, profit d’atmosphères à forte charge descriptive). C’est Mercy ! Live At The Club” 1969-1970) (Capitol, 1966) qui en trouve le titre (« C’est beau comme un chemin silencieux. ») et Miles Davis : “The les deux frères s’en disputeront la primeur, mais c’est à Miles Davis The Cannonball Adderley Complete Bitches Brew – dont il est devenu le confident – que le pianiste réserve sa compo- Quintet : “74 Miles Away” Sessions” (Columbia, (Capitol, 1967) 1969-1970) sition. Ce dernier la dépouillera de toute son architecture harmonique The Cannonball Adderley Miles Davis : “Big Fun” (restituée sur “Zawinul” où l’on retrouve une autre pièce abandonnée Quintet : “The Price You Got (Columbia, 1969-1972)

FRED SELIGO par Miles, His Last Journey). Il en sera ainsi de tout le matériel apporté To Pay To Be Free” (Capitol, 1970) Joe Zawinul : “Money In The Pocket” (Atlantic, 1966) The Cannonball Adderley “The Rise Quintet : “The Black Mes- Joe Zawinul : siah” (Capitol, 1971) And Fall Of The Third Stream” (Vortex, 1967) Nat Adderley : “You Baby” (A&M, 1968) Joe Zawinul : “Zawinul” (Atlantic, 1970) Miles Davis : “Directions” (Columbia/Legacy, 1960- 1970) Miles Davis : “In A Silent Way” et “The Complete In A Silent Way Sessions” (Columbia, 1968-1969)

20 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 21 dossier Le monde de Weather Report WAYNE SHORTER Atmosphères, atmosphères... : les temps changent

Les trois derniers disques que Wayne Shorter a enregistrés pour Blue Note entre 1969 et 1970 apparaissent avec le recul comme une étape essentielle dans sa maturation esthétique.

Constamment passionnants dans leur façon de multiplier les direc- tions dans lesquelles la musique du saxophoniste pouvait à cet instant décisif de sa carrière s’orienter, “Super Nova”, “Odyssey Of Iska” et “Moto Grosso Feio” font entendre un univers mouvant, à la croisée des chemins, et s’inscrivent dans le prolongement des avancées formelles expérimentées par Wayne Shorter au sein du Second Quintet de Miles Un univers Davis (et de ses différents avatars “électriques”). Mais elles sont tout autant branchées sur les différents courants empruntés alors par la mouvant, à modernité. la croisée Enregistré fin août/début septembre 1969, soit une semaine à peine des chemins, après les séances historiques de “Bitches Brew” de Miles Davis, “Super Nova” est à ce titre exemplaire, qui s’impose sans conteste comme dans le l’un des sommets de la discographie du saxophoniste. À la tête d’une petite formation composée de John McLaughlin et/ou Sonny Sharrock prolongement à la guitare, de au vibraphone et à la batterie, de Miroslav Vitous à la contrebasse, de Jack DeJohnette à la batterie et d’Airto des avancées Moreira aux percussions, Shorter y propose une musique mutante fondée sur l’autonomie des voix, passant d’ambiances évoquant les formelles orientations prises alors par Miles Davis à des séquences préfigurant expérimentées par endroits les groupes harmolodiques électriques d’, voire s’engageant du côté d’une musique brésilienne délicieusement au sein du déterritorialisée. La séance enregistrée un an plus tard (le 26 août 1970) donnera naissance à deux albums, “Odyssey of Iska”, paru en 1971 Second et “Moto Grosso Feio” en 1974, qui tout en s’inscrivant globalement dans la continuité de “Super Nova”, actent l’orientation de Shorter vers Quintet de une musique plus atmosphérique, faisant surgir du magma organique d’un orchestre toujours aussi expérimental dans sa composition et ses Miles Davis. processus, la sonorité onirique et acidulé du saxophone soprano, désor- mais préféré au ténor. • STÉPHANE OLLIVIER

“Super Nova” “Odyssey Of Iska” “Moto Grosso Feio” (Blue Note, 1969) (Blue Note, 1970) (Blue Note, 1970) CHRISTIAN ROSE

22 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 23 dossier Le monde de Weather Report ELEGANT PEOPLE Place des grands hommes

1973 Miroslav Vitous (basse), Joe Zawinul (claviers), Dom Um Romao (percussions), (batterie) et Wayne Shorter (saxophones), l’année de la sortie de “Sweetnighter”, le troisième album studio de X/DR

Weather Report. X/DR () Joe Zawinul, Alex Acuna (batterie), Jaco Pastorius (basse), Wayne Shorter, Manolo Badrena (percussions) : l’une des formations les plus populaires 1976 de Weather Report, celle qui enregistra “Heavy Weather”, après avoir fait sensation au festival de Montreux. 1984 Wayne Shorter, Victor Bailey, , Mino Cinelu et Joe Weather Report n’a Zawinul, en tournée de promotion pour l’avant- quasiment jamais dernier album de Weather enregistré deux disques Report, “Sportin’ Life”. successifs avec la même formation... 1975 (batteur, 1983 CHRISTIAN ROSE ex-Mother Of Invention chez ), Joe Zawinul, Joe Zawinul, Wayne Shorter, Alphonso Johnson, Wayne Omar Hakim (batterie), Shorter, Alex Acuna. Quelques Victor Bailey (basse), Jorge mois plus tard, Johnson sera Rossy (percussions) : remplacé par Jaco Pastorius, vétérans et nouveaux Thompson par Acuna, tandis talents au temps de que Manolo Badrena devenait “Procession”, le onzième X/DR (SONY MUSIC) le nouveau percussionniste. CHRISTIAN ROSE album de Weather Report.

24 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 25 dossier Le monde de Weather Report De haut en bas : Airto Moreira, Dom Um Romao, Manolo Badrena, Mino Cinelu MIROSLAV VITOUS AIRTO MOREIRA À cause du funk DOM UM ROMAO

VERYL OAKLAND MANOLO BADRENA Il y a un avant et plus encore un après Weather Report dans la carrière de Miroslav Vitous, mais sa collaboration & MINO CINELU avec Joe Zawinul et Wayne Shorter semble bien l’avoir marqué à vie. Les hommes de mains

Né en Tchécoslovaquie en 1947, le contrebassiste remporte une Parmi les groupes majeurs du jazz électrique des années 1970, bourse d’étude à la Berklee School lors d’un concours inter- Weather Report est le seul à avoir donné autant de place aux national organisé en mai 1966 par le pianiste Friedrich Gulda percussionnistes. Quatre d’entre eux ont laissé des disques devant un jury composé entre autres de Cannonball Adderley

et Joe Zawinul. Installé à New York en 1967, il est remarqué CHRISTIAN ROSE qui tracent de passionnantes lignes tangentielles. pour sa virtuosité, tant à l’archet qu’en pizzicati. Elle lui vaut notamment de participer comme remplaçant à l’aventure du Virtuose et maître-fou des percussions venu du Brésil, Deux ans après avoir quitté Weather Report, Second Quintet de Miles Davis qui le marque définitivement. Airto Moreira joue très peu sur le premier Weather le Portoricain Manolo Badrena y alla lui aussi Passé un premier succès discographique auprès de Chick Corea Report (quoique non crédités, ce sont principalement de son album personnel en 1979. Carlos Rios et , “Now He Sings, Now He Sobs”, il signe coup et Barbara Burton qui ont “fait le job”...), et (guitare), Jorge Fattoruso (claviers), Abe Labo- sur coup deux manifestes. Enregistré pour le label Embryo en il n’a jamais tourné avec le groupe, mais il fait malgré riel et même Jaco Pastorius (basse) y faisaient

novembre 1969 (puis successivement retitré “Mountain In The X/DR (EMBRYO) tout partie de la grande famille, via sa participation à feu de tout bois. Métissé-déluré, voire illuminé, Clouds” et “The Bass” selon les pays), “Infinite Search” réunit “Super Nova” et à “Native Dancer” de Wayne Shorter, “Manolo” est une ode à la danse, le complément (Wayne Shorter ayant décliné), , fusion pour laquelle il a été jugé incompétent. Ces dix dernières que l’on retrouve d’ailleurs dans “Identity” (1975), folie idéal d’“Heavy Weather” et du concert de Wea- John McLaughlin et Jack DeJohnette, avec pour ambition de années, on l’a vu à l’inverse imaginer des formules acoustiques de jazz inventif et métissé qui doit beaucoup au talent ther Report filmé à Montreux en 1976, à l’époque prolonger le concept d’improvisation interactive adoptée par le pour tenter de renouer avec l’idéal d’“Infinite Search” (“Univer- hors-normes du multi-instrumentiste Egberto Gismonti. où Badrena et Acuña formaient un duo percussif Second Quintet : si un soliste peut prendre le devant, les autres sal Syncopation”) et des premières années de Weather Report “Infinite Search” Dans “I’m Fine, How Are You ?” (1977), son incroyable joyeusement explosif. (Embryo 1969) CHRISTIAN ROSE ne sont pas censés l’accompagner au sens traditionnel, mais (“Remembering Weather Report”, “Music Of Weather Report”). duo avec Jaco Pastorius, Nativity, procure autant de joie “Purple” (CBS- sont invités à phraser avec lui. “Infinite Search” finira par devenir On gardera surtout en mémoire le quartette par lequel il renoua Sony/Japon 1970) que de regrets : si seulement ils avaient plus souvent Enfin, difficile de se passer de l’album éponyme un classique. Enregistré en août 1970 pour CBS-Sony/Japon avec la musique acoustique au tournant des années 1980 joué ensemble... (1999) de Mino Cinelu quand on sait l’importance “The Magical (repris sur Epic), “Purple” restera méconnu. Adoptant électricité en compagnie de , Kenny Kirkland puis John Shepherd” (Warner qu’eut le natif de Saint-Cloud d’origine martini- et syncope funk, Vitous y fait dialoguer contrebasse et basse Taylor et Jon Christensen (“First Meeting”, “Miroslav Vitous Bros., 1976) Dom Um Romao, recommandé à Joe Zawinul par son quaise dans Weather Report, et notamment dans électrique avec son propre piano électrique et la batterie de Group”, “Journey’s End”). Mais ça, c’est une autre histoire. • “Majesty Music” compatriote Airto Moreira dès 1971, a lui gravé son pre- le merveilleux et mésestimé “Sportin’ Life”. Ne se- , invitant Zawinul et son Fender-Rhodes sur deux FRANCK BERGEROT (Arista, 1976-1977) mier opus éponyme pour le label Muse l’année où il faisait rait-ce que pour la reprise de son “tube”, Confians, morceaux et John McLaughlin et sa guitare de sur un autre. “Miroslav” (Arista, ses adieux à Weather Report, dans “”. mais aussi pour Chouval Boa, Moun Madinina ou 1977) Impossible de se passer de cet album porté par une douce Why Not, cet album en forme d’autoportrait jette Quelque mois plus tard, il rejoint Zawinul et Shorter pour fonder Ci-dessous, la pochette d’une des nombreuses “Universal folie et une mélancolie prégnante, digne des meilleurs Milton une lumière riche d’enseignements sur son travail Syncopations” Weather Report. (Il a déjà contribué au “Zawinul” du premier, versions du 33-tours “Infinite Search”, paru en Allemagne Nascimento, et dans lequel la guitare de Joe Beck fait des avec le groupe de messieurs Zawinul et Shorter... sous le titre de “The Bass” (et récemment réédité en CD (ECM, 2003) au “Super Nova” et au “Moto Grosso Feio” du second.) Les par BGO Records). À droite, “The Magical Shepherd”. “Remembering merveilles, sans parler des grands noms du piano – Joao • JULIEN FERTÉ

trois coleaders ont un projet commun : « Pas de solo, mais Weather Report” CHRISTIAN ROSE Donato, Dom Salvador... Dom Um Romao se permet même tout le monde choruse constamment. Pas d’improvisation, mais (ECM, 2006-2007) le luxe d’inviter un autre “ex” de Weather Report, Eric Gra- une composition continue. » Miroslav Vitous semble réaliser là “Music Of vatt, à ajouter sa touche percussive. Weather Report” l’idéal poursuivi dans ses deux disques en leader. Mais à partir (ECM, 2010-2011) de 1973, Joe Zawinul prend les rênes et fait valoir un point de vue différent : « J’ai besoin d’une assise plus forte. Je n’aime Airto Moreira : Manolo Badrena : “Identity” “Manolo” pas flirter avec le rythme. Miroslav était grand, il aimait le funk, (Arista, 1975) (A&M, 1979) il essayait d’en jouer, mais en vain. » Avec “Sweetnighter”, Joe Airto Moreira : Mino Cinelu : Zawinul fait entrer un vrai bassiste de funk sur deux morceaux, “I’m Fine, How “Mino Cinelu” Andrew White. L’année suivante, Vitous fait une ponctuelle et Are You ?” (Warner (EmArcy, 1999) Bros., 1977) dernière figuration sur “Mysterious Traveller”. Dom Um Romao : Avec “The Magic Shepherd” (puis “Majesty Music” et “Miros- “Dom Um Romao” lav”), il tentera sans succès de poursuivre cette veine funk et (Muse, 1974)

26 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 27 dossier Le monde de Weather Report

Le tandem Zawinul-Shorter attendait un messie, il vint en la personne de ce jeune bassiste arrivé de Floride.

saisi aux tripes par l’intro de Come On, Come Over, fretless jamais enregistrée. Enfin on entre dans où Sam & Dave viennent apporter une caution his- la poésie pure avec John And Mary, dédié à ses torique à l’hommage à la soul des années 1960. enfants, un voyage mystérieux servi par un Wayne Et on pense immédiatement à : Shorter rayonnant, peut-être le titre le plus proche la filiation est criante, Jaco a absorbé, puis extra- de l’univers de Weather Report. On ne peut s’em- polé cette conception du jeu “en l’air”, incluant à pêcher d’être particulièrement ému à l’écoute de sa ligne des phrases mélodiques entières, sans l’intermède central avec ses cordes somptueuses, altérer le groove initial. C’est la sa force. Et la suite la voix de Jaco et la mélodie jouée avec ce son si n’est qu’une succession de surprises enchantées, souvent imité, en pure perte, par une génération Continuum, Portrait of Tracy et son travail sur les (perdue?) de bassistes. harmoniques, inouï au sens littéral, Opus Pocus et sa mélodie jouée à l’unisson avec le steel drum. “The Birthday Concert”, enregistré le 1er décembre JACO Dans cet album, il y a déjà tout Jaco, bassiste 1981, s’inscrit dans la lignée de cet album et repré- d’exception et déjà arrangeur. sente peut-être le meilleur témoignage live de ce projet en grand orchestre. , ici en Mais c’est avec “Word Of Mouth”, axé autour d’une compétition avec , apporte un surcroît grande formation du même nom avec laquelle il d’énergie furieuse, notamment dans un Invitation PASTORIUS tournera, que Jaco Pastorius va entrer dans la cour au infernal, à un groupe qui n’en manquait des grands, celle où l’on propose son univers, sans pas. Ce concert rend particulièrement honneur à L’homme qui faisait la pluie concessions, où l’on n’a plus rien à démontrer. Peter Erskine, impérial, dont on saisit dans chaque et le beau temps L’album commence avec une folie pure, Crisis, pièce la dimension et l’expérience acquise avec boucle obsédante sur laquelle le bassiste a collé les big bands de et Maynard Fergu- plusieurs prises enregistrées d’Est en Ouest, avec son. Three Views Of A Secret sonne ici un peu des rhythmiques et solistes différents. Un tour de moins magique que dans sa version studio, mais force passionnant de bout en bout, grâce au clash , entendu pour la première fois dans “Mr. des solistes Michael Brecker, , Her- Gone”, trouve une deuxième vie avec un tempo bie Hancock et Wayne Shorter (excusez du peu), légèrement plus rapide et un Michael Brecker, en- distillant une sorte d’inquiétude permanente. Puis core lui, princier. L’aventure Word Of Mouth sera le on souffle avec Three Views Of A Secret, à mon dernier projet articulé et maîtrisé du bassiste. Elle avis LA grande composition de Jaco, à la beauté continuera une petite année de plus, avec notam- mélancolique. y expose avec ment une tournée au Japon documentée dans les son charme habituel la sublime mélodie et Jaco albums “Twins I” et “Twins II”, avant que Jaco ne nous gratifie à 4’16” d’une de ses interventions cède à ses démons et sombre du côté obscur de

X/DR (SONY MUSIC) définitives, peut-être la plus belle phrase de basse sa personnalité. • MICHEL BENITA

Difficile, voire impossible d’imaginer Weather Report ket” de Weather Report, où il venait de prendre la place sans Jaco Pastorius. Le son, le groove, la virtuosité, d’Alfonso Johnson. 1976 fut donc une année charnière, les compositions, les arrangement, le charisme et le de celles qui rebattent les cartes pour des décennies. Le tandem Zawinul-Shorter attendait un messie, il vint sens du spectacle de ce bassiste prodige ont marqué en la personne de ce jeune bassiste arrivé de Floride, “Jaco” l’histoire du groupe à jamais. beau gosse, chevelu et dégingandé, furieux grooveur et (Epic, 1976) merveilleux mélodiste. “Word Of Mouth” (Warner Bros., 1980) « Bonjour, le m’appelle Jaco Pastorius et je suis le meilleur bassiste du « Un martien, un alien : il vient d’une autre planète ! » “The Birthday monde... » Si, après avoir envoyé paître le jeune présomptueux, Joe Zawinul La tentation fut grande d’utiliser un vocabulaire outra- Concert” (Warner n’avait pas pris le soin d’écouter la cassette qu’il lui avait remise, quel aurait été geusement imagé pour décrire un tel phénomène. Mais Bros., 1981) le destin de Jaco Pastorius ? Conscient de son approche révolutionnaire de la Jaco venait de quelque part. En écoutant ce premier “Twins I” basse électrique et sûr de son potentiel de séduction, Jaco se savait différent. album, on le sait immédiatement. À peine remis de la (Warner Bros. Records, 1982) Dès ses premières apparitions, le monde entier comprit que plus rien ne serait déclaration d’intention qu’est ce (Charlie “Twins I” comme avant. Son premier album éponyme (Epic 1976), introduction bluffante Parker) iconoclaste, en duo avec les congas de Don (Warner Bros. à son univers éclectique, sortit pratiquement en même temps que “Black Mar- Alias et dans lequel Jaco met la barre très haut, on est Records, 1982)

28 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 29 dossier Le monde de Weather Report ALPHONSO JOHNSON & VICTOR BAILEY Les autres voix graves

Bulletin météo 1976 : Alphonso Johnson laisse sa place à Jaco Pastorius. Sept ans plus tard, Victor Bailey succède à Jaco. Mais passée l’aventure Weather Report, ces deux bassistes électriques ont continué de creuser le sillon d’un groove décomplexé

En publiant “Moonshadows” dès 1976, alors qu’il venait juste de quitter Weather Report et qu’il tournait avec The Billy Cobham-George Duke Band, Alphonso Johnson s’est d’emblée resitué dans l’esthétique d’un jazz ancré plus ostentatoirement dans le funk. En s’autorisant malgré tout des ouvertures sur des mondes parallèles, personnifiés par des compositions originales qui auraient très bien pu trouver leur place dans la répertoire du groupe qui le fit connaître dès 1974, quand sa culture R&B séduit si Joe Zawinul et Wayne Shorter, alors en quête de ce groove que, d’après eux, Miroslav Vitous n’était pas capable de leur CLUB offrir. Ainsi, Cosmoba Place (avec, tiens, tiens, deux autres membres de la confrérie des “Weather-reportiens”, à la CHRISTIAN ROSE batterie et Alex Acuña aux percussions) aurait pu figurer dans “Tale Spin- Alphonso Johnson nin’”, au même titre que Pandora’s Box – avec, là encore, un Weather- JAZZÀ reportien de la première heure, Alphonse Mouzon. Idem pour Almustafa Mama, dont la version live enregistrée en The Beloved, titre le moins prévisible du “Live On Tour In Europe” de 1977 avec , , Mark George Duke et Billy Cobham (Jon Lucien, “le caribéen”, Soskin et Billy Cobham fait regretter que y ajoute sa touche spoken word : on le retrouvera deux ans plus tard Johson ne l’ait pas composée trois ans plus dans “Mr. Gone” de Weather Report). Idem, encore, pour Bahama’s tôt... Ce qui n’enlève rien, bien au contraire, à celle de “Alivemutherforya”. Victor Bailey Trois ans après la dissolution de Weather FIP Report, Victor Bailey, qui nous a hélas quitté l’an dernier, publiait son premier Alphonso Johnson : SPÉCIAL « LE MONDE DE WEATHER REPORT » “Moonshadows” album en compagnie de quelques wea- (Epic, 1976). ther-reportiens (Omar Hakim, Mino Ci- LE 10 FÉVRIER À 19H The Billy Cobham – nelu...). Son style “post-Jaco” solidement George Duke Band : ancré dans le funk en était le subtil fil rouge. “Live On Tour In Europe” (Warner Bros., 1976). Deux compositions auraient elles aussi pu figurer au répertoire de Weather Report : Billy Cobham Steve Khan Kid Logic, auréolée par un solo de Michael Alphonso Johnson Brecker, et plus encore In The Hat, signée AVEC EN INVITÉ FRÉDÉRIC GOATY, Tom Scott : “ Alivemuther- forya” (Columbia, 1977). par le claviériste , qui convaincra DIRECTEUR DE LA RÉDACTION DE JAZZ MAGAZINE le saxophoniste de l’inclure au Victor Bailey : “Bottom’s Up” répertoire de son groupe la même année, (Atlantic Jazz, 1989). juste avant que Victor Bailey ne les rejoigne Bill Evans : – tout fan sérieux de Weather Report ne “The Gambler - Bill Evans saurait passer à côté de “The Gambler”, Live At Blue Note Tokyo 2” EN PARTENARIAT AVEC (Jazz City, 1990). enregistré en 1990 à Tokyo par le Bill Evans fipradio.fr Group... • JULIEN FERTÉ CHRISTIAN ROSE

30 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 31

FIP_PUB_Club_Jazzafip_weather_220X285.indd 1 11/01/2017 09:54 dossier Le monde de Weather Report

UNE CÉLÉBRATION PETER ERSKINE GLOBALE L’empreinte d’un maître du temps du ESP signé Shorter/Miles, dans lesquels Bob Mintzer fait des merveilles. En 1977, Peter Erskine, vingt- À la fin des années 1980, après notamment deux ans, est soufflé par la trois albums avec , Peter Erskine puissance d’“Heavy Weather”. Il va opérer un virage stylistique aussi inattendu ne sait pas encore qu’il va bientôt que réjouissant, vers une musique à la colora- devenir le batteur du groupe de tion plus européenne. Dans le sillage de son Joe Zawinul et Wayne Shorter... complice le bassiste , qui l’invite à participer à l’enregistrement de “” (ECM, 1986) en compagnie des guitaristes et , il est adoubé par Manfred Pendant ses longues tournées avec l’orchestre Eicher et rejoint le prestigieux label, pour lequel CHRISTIAN ROSE du trompettiste , le casque il va graver quatre albums magnifiques, avec rivé aux oreilles, Peter Erskine use littéralement un trio qu’il est urgent de redécouvrir, celui qu’il En 1985, Joe Zawinul compose seul sa précieuse cassette d’“Heavy Weather”, forma avec et . chez lui la musique de “Dialects”, un jusqu’à l’apprendre par cœur, dans le bus, à Entre 1986 et 1999, il deviendra l’un des piliers album qu’il jugeait être son meilleur. l’hôtel… “Heavy Weather”, mais aussi “Hejira”, d’ECM, y enregistrant pas moins de quinze al- de , dont Jaco, encore lui, est le bums, avec entre autres , John Pendant Après quinze années d’aventure collective faite de dénominateur commun. Il aura plus tard la Abercrombie, John Surman, , Jan compromis et “d’à peu près”, ce renoncement est vécu chance de rencontrer Joni, qu’il admire, et de Garbarek ou Miroslav Vitous. On imagine sans ses longues comme une renaissance. Les nuances et les phrasés qu’il participer à l’album “Mingus” (au même titre que peine qu’avec ce dernier il ait échangé au sujet tentait d’obtenir de ses compères, les voici enfin sous ses Wayne Shorter). Mais n’allons pas trop vite... de leurs expériences respectives avec Weather tournées doigts tels qu’il les entendait. Et c’est en toute liberté qu’il Lors d’une tournée avec Ferguson, il rencontre Report... peut ainsi rappeler qu’au sein de Weather Report, il fut un Jaco à Miami, et lui résume en une formule son avec pionnier du phénomène de la world music alors en train sentiment, celui de toute une génération de mu- Les années 2000 le voient participer, jusqu’à d’émerger. Ni ethnologie, ni exotisme, mais une espèce de siciens : « C’est la version de Weather Report aujourd’hui, à un nombre vertigineux d’albums Maynard folklore imaginaire pour célébrer la diversité des peuples que j’attendais. » Mais Peter ne sait pas encore en tant que sideman, via des incursions remar- Ferguson, qu’il a rencontrés de son Autriche natale à ses tournées qu’Alex Acuña s’apprête à partir et que, dans quées avec , ou les chan- mondiales. Soit un album d’impressions de voyage dans quelques mois, il va devenir par l’entremise du teuses Joni Mitchell et Mary Chapin Carpenter. Peter la lignée de la Far East Suite de . La critique bassiste le nouveau batteur de Weather Report. Dans son dernier opus personnel, “Dr.Um”, bouda la froideur de cet exercice solitaire. Pourtant, à le Il le restera pendant près de cinq ans, dans Peter, comme pour fêter une soixantaine en- Erskine comparer à “Jazz From Hell” qu’à la même époque Frank une formation réduite à quatre musiciens (puis jouée, opère un retour à ses premières amours Zappa enregistre seul au synclavier guidé par un même à cinq avec l’arrivée du percussionniste Bob- avec un drumming plus proche de sa période use sa perfectionnisme, “Dialects” est l’album d’un génie des by Thomas, Jr.), et considérée par beaucoup “météorologique”, et un choix de titres qui ne claviers, bricoleur passionné, bidouilleur iconoclaste. En comme la plus aboutie du groupe. La fin de doit rien au hasard, puiqu’il revisite deux com- précieuse dépit de quelques longueurs et platitudes, il en résulte une l’aventure, en 1982, va lui donner l’occasion de positions de Zawinul, Borges Buenos Aires et cassette gaieté et une chaleur qui culminent avec l’irruption des se concentrer sur ses propres projets – Peter Speechless. Le batteur de légende peut, sans vocalistes invités, Carl Anderson, Dee Bellson, Alfie Silas participera tout de même à l’éphémère Weather fard, s’enorgueillir de l’un des parcours musi- d’“Heavy et surtout Bobby McFerrin venus à domicile apprendre Update en 1986. caux les plus riches de la Planète Jazz, dont les paroles écrites par Zawinul dans une langue originale, les années chez Weather Report furent plus que Weather”. affranchie de toute finalité sémantique et à seules fins Son premier album, sobrement intitulé “Peter décisives. • MICHEL BENITA musicales. Alors à l’invitation de nous joindre à cette Erskine”, reste aujourd’hui extrêmement atta- « global celebration » que Zawinul nous adresse dans le chant. Outre son casting de rêve (Michael et livret, sous la photo de figurines sculptées évoluant en , , Eddie Gomez, couple au son d’un accordéoniste Kenny Kirkland), il explore différentes facettes le représentant, on jaillit de son du musicien, en une luxueuse introduction à fauteuil pour danser avec eux. • son univers. Le très beau All’s Well That Ends, FRANCK BERGEROT Joni Mitchell : “Mingus” Marc Johnson : “Bass emblématique du jazz mélodique des années (Asylum Records, 1979) Desires” (ECM, 1985) 1980, avec son magnifique solo de Brecker (un Peter Erskine : “Peter Ers- Peter Erskine : “Dr. Um” de plus) et sa modulation centrale très zawi- kine” (Contemporary, 1982) (Fuzzy Music, 2015) Joe Zawinul : nulienne, côtoie des thèmes dans une veine Peter Erskine : “Transition” “Dialects” (Denon, 1987) post-bop, comme Leroy Street, ou une reprise MEPHISTO (DALLE) (Columbia, 1985)

32 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 33 dossier Le monde de Weather Report

L’OMBRE THE ZAWINUL DU Z En 2012, l’année où Joe Zawinul aurait célébré ses 80 ans, SYNDICATE The Syndicate rendit Les tournées du patron hommage à son défunt créateur en publiant “File Under Zawinul”.

En 1988, Joe Zawinul forme un nouveau Composé d’anciens membres du groupe. Et pour mieux signifier qu’il se vit Zawinul Syndicate (Paco Sery, désormais en militant des musiques du Alioune Wade, Aziz Sakmaoui...) rejoints entre autres par Thierry monde, il le nomme , Eliez, Eric Mouquet (tous deux très combo protéïforme à la tête duquel il complémentaires aux claviers) et visitera les cinq continents, jusqu’à son Émile Parisien (saxophone), The dernier souffle, à l’été 2007. Syndicate n’a à ce jour publié CHRISTIAN ROSE qu’un seul disque, et on doute Quelques camarades syndiqués : qu’ils prolongent l’expérience vu Gary Poulson (guitare), leurs emplois du temps respectifs La pression était grande quand parut “The Immigrants” en nonball Adderley, et la musique de : Manolo Badrena très chargés. Dommage, car ils (percussions), Paco 1988 : le Zawinul Syndicate allait-il combler les nostalgiques ses relectures de Monk’s Mood, auréolé d’un hommage Sery (batterie), Joe y faisaient vivement fructifier de Weather Report ? Joe Zawinul ne se posait pas ce genre en spoken word du bassiste , et de Little Zawinul (claviers) et l’héritage musical de feu leur de question, et “The Immigrants” se situa directement dans la Rootie Tootie dans “Black Water” sont aussi mémo- (basse). leader, en mélangeant des thèmes lignée de “The Dialects”, un peu comme si, après nous avoir fait rables que celle de Rockin’ In Rhythm de Duke Ellington de Weather Report et du Zawinul réviser les langages, il nous présentait ceux qui les parlent. Les dans “Night Passage” de Weather Report... Syndicate (comme Zawinul les trois premiers disques du Zawinul Syndicate forment une trilogie dernières années de sa vie). insécable aux titres évocateurs et n’ont rien perdu de leurs pou- S’il est donc une œuvre à réévaluer d’urgence, c’est Paco Sery est comme d’habitude voirs euphorisants. Quasiment absente du monde de Weather bien celle du Zawinul Syndicate, au sein duquel se suc- exceptionnel, et dans Ballad For Report, la guitare y est à la fête, et , dont Zawi- cédèrent des bassistes et des batteurs d’exception : Two , le soprano d’Émile nul adorait le timbre, s’en donne à cœur joie sans pour autant Abe Laboriel, Lynley Marthe, Matthew Garrison qui, Parisien évoque les grandes faire vil étalage de sa virtuosité. Mais ce sont bien les synthéti- c’est selon, faisaient la paire avec Cornell Rochester heures de Wayne Shorter, quand seurs toujours aussi habités du patron qui se taillent la part du ou Paco Sery... • FRÉDÉRIC GOATY il s’autorisait un duo acoustique lion. Moins soucieux de ciseler des mélodies que d’installer des Zawinul avec Zawinul – souvenir ému de ambiances métissées portées par des grooves de contrebande, a de plus Blackthorn Rose... • FRÉDÉRIC GOATY Zawinul a de plus en plus souvent recours au chant, se rêvant en porte-voix de tous les peuples de la Planète Musique. Et s’il en plus est loin d’être le seul à utiliser un Vocoder, la façon dont il altère sa voix avec ce joujou extra est non seulement très touchante souvent mais très personnelle – on écoutera notamment l’extraordinaire Waraya (signé ) dans “My People”. recours au The Zawinul Syndicate : Au fil du temps, Zawinul pimentera le répertoire de son Syn- “The Immigrants” (Columbia, chant, se 1988) dicate – ou de ses prestations solo – avec des standards de The Zawinul Syndicate : rêvant en Weather Report (Badia, Black Market, Night Passage...). “Brown “Black Water” (Columbia, Street”, enregistré en 2005 avec le WDR , célébrait 1989) porte-voix même le retour de deux autres “ex” de l’ancien vaisseau amiral, The Zawinul Syndicate : Alex Acuña et Victor Bailey. Les année passant, Zawinul donnait “Lost Tribes” (Columbia, 1992) de tous les l’impression de tout vouloir faire revivre sous ses doigts – on Joe Zawinul : “My People” (Cream Records, 1996) The Syndicate : n’ose employer le mot “fusionner”, qu’il détestait. L’héritage de peuples de “File Under Zawinul” Weather Report et la musique du Syndicate bien sûr, mais aussi Joe Zawinul : “Brown Street” (Hunnia Records, 2012) In A Silent Way, qu’il avait jadis offert à Miles Davis (version (Intuition, 2005) la Planète inoubliable gravée live en duo Wayne Shorter dans “75th”). Joe Zawinul & The Zawinul Syndicate : “75th” (BHM, Musique. Sans oublier Mercy, Mercy, Mercy (dans “The Immigrants”), le 2007, contient également le

tube jazz-soul qu’il avait composé en 1966 pour son ami Can- DVD du concert) CHRISTIAN ROSE JEAN-FRANÇOIS LABÉRINE

34 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 35 dossier Le monde de Weather Report WAYNE SHORTER Retour vers le futur Le principe énoncé en 1971 par les fondateurs de Weather Dans les années qui suivirent la séparation Report est totalement de Weather Report, Wayne Shorter a continué d’explorer des univers marqués par des réalisé : personne n’est leader, sonorités électroniques avant de revenir au tout le monde est leader. “tout acoustique” au début du XXIe siècle.

Synthétique, poétique et magique Le Quartet, la liberté en héritage En 1985, un an avant la sortie de “This Is It”, ultime album de Si dans le Quartet actuel du saxophoniste l’on voit de toute évi- Weather Report, où il n’est que figurant, Wayne Shorter s’attelle dence la continuation du “Second Quintet” de Miles Davis, on aurait à un disque ambitieux, “Atlantis”, qu’il compose et produit lui- tort de ne pas y voir aussi à l’œuvre la germination de ce qui a même, entouré de Larry Klein à la basse, Alex Acuna à la batterie été planté du temps de Weather Report. L’abandon des claviers et quelques invités : deux spécialistes du Synclavier (à l’œuvre électriques peut, sur ce point, égarer notre jugement et inciter à dans Edangered Species) et pas moins de sept chanteuses plutôt rapprocher du groupe codirigé avec Zawinul les orchestres (When You Dream). Ce premier disque d’une série de quatre, “fusion” dirigés par Shorter dans les années 1980-1990. En matière réalisée entre 1985 et 1995, est certainement le plus recomman- de claviers et de couleurs électriques, difficile d’affirmer que ces dable par la qualité des compositions, le travail d’arrangement, formations se réclament de l’héritage de Zawinul. et l’ambiance fantastique et presque irréelle qui s’en dégage En revanche, le quartette renoue lui avec l’intention première de

(The Three Marias, Who Goes There, Shere Khan The Tiger). CHRIS CUFFARO Weather Report en adoptant un jeu collectiviste où l’espace impro- Le succès du disque donne confiance à Shorter pour continuer “Atlantis” (Columbia, visé est à disposition de chacun, mais constamment maillé de l’aventure et quitter définitivement Weather Report. Deux ans 1985) compositions résurgentes provenant du répertoire de Shorter sur après “Atlantis”, il enregistre “Phantom Navigator” avec six com- “Phantom lequel le saxophone plane et rêve, nulle part et partout à la fois, Navigator” positions de son cru enveloppées dans un son d’époque – qui a (Columbia, 1987) “barré” autant qu’intensément présent, comme il le faisait déjà assez mal vieilli – où abondent les synthétiseurs et les batteries “Joy Rider” auprès de Zawinul. électroniques. On y trouve tout de même une excellente compo- (Columbia, 1988) On retrouve ainsi la liberté de propos qui était celle de Weather sition, jouée en acoustique, Mahogany Bird (avec John Pattitucci, “High Life” (Verve, Report à ses débuts, mais bonifiée par cette discipline développée Chick Corea et ), la basse d’Alphonso Johnson 1995) entre 1971 et 1985. Autrement dit, le principe énoncé en 1971 (Remote Control) et deux morceaux chantés, dont l’entraînant “Beyond The Sound par les fondateurs de Weather Report enfin totalement réalisé : Condition Red où Wayne assure lui-même les vocalises ! Avec Barrier” (Verve, personne n’est leader, tout le monde est leader ; tout le monde 2002-2004) “Joy Rider”, Wayne Shorter semble plus inspiré et séduit dès le improvise, personne n’est soliste ; c’est constamment improvisé, titre éponyme qui ouvre l’album, entouré d’un trio impressionnant mais constamment écrit. • FRANCK BERGEROT : Patrice Rushen, Nathan East et Terri Lyne Carrington. Au fil des titres, on y croise de nombreux invités (Herbie Hancock, , , Darryl Jones...) et des compositions aussi étranges que poétiques (Causeways, Daredevil).

Après sept ans de silence discographique et un changement de label, Shorter revient au premier plan avec “High Life”, produit par (qui assure aussi les lignes de basse et les batteries programmées) avec l’aide de la claviériste , créditée en tant que sound designer. Neuf ans après “Tutu”, l’empreinte sonore de Miller est parfaitement identifiable dès l’étonnante reprise de Children Of The Night (un morceau écrit pour les Jazz Messengers en 1961). Un univers orchestral intrigant et fortement synthétisé, où la magie atmosphérique des compositions de Shorter est toujours au rendez-vous, avec notamment les ambiances particulièrement mystérieuses de At The Fair ou High Life. • LIONEL ESKENAZI

CHRIS CUFFARO buffetcrampon.com #WeAreBuffet Brian Blade, Danilo Perez, Wayne Shorter et : vers l’infini, et au-delà.

36 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 37 dossier Le monde de Weather Report sommaire

38 Les seize 49 Les autres albums officiels albums De “Weather Report” à Inédits, compilations, “This Is This” live... : les indispensables 41 Wayne Shorter & Milton Nascimento 50 Une histoire “Native Dancer”, d’influence l’album addictif De Brand X à Sixun en passant par Azymuth 42 Pochettes et Steps Ahead... surprises Les beaux desseins 52 Supplément de Lou Beach d’âmes ALBUMS DE Histoires d’influence, 43 , le retour : et quelques apprentis albums de plus... météorologues ? FAMILLES Lowell George vs. la fusion Du coup de tonnerre de leur premier album éponyme de 1971 45 Sampleurs et sans reproches aux adieux, certes un peu tristes, marqués par la sortie de Quand le monde du “This Is This” en 1986, Weather Report n’a quasiment jamais hip-hop s’approprie enregistré deux disques successifs avec la même formation, celui de Weather Report un cas unique dans la vie d’un groupe.

47 Des reprises pas La deuxième partie de notre dossier s’attarde à nouveau sur standard Weather Report par ceux qui ont fait le son si singulier et si pluriel de Weather les autres : sélection Report, mais en priorité, cette fois, à travers les disques. Les 48 Entre Berlin et seize albums officiels du groupe sont évidemment passés en Montreux revue, mais de nombreux encadrés et articles vous ouvriront Deux DVD à (re)voir de nombreuses perspectives sonores. Les autres et les outre- d’urgence mondes de Weather Report commencent ici. •

Autour du sorcier autrichien des claviers et du poète américain du saxophone, des musiciens venus de tous les horizons ont chacun à sa manière apporté une pierre à l’édifice.”

Nos abonnés avec option “CD Collection” ont bien de la chance : grâce au CD “Joe Zawinul - De Vienne à New York (1954-1961)” joint à ce numéro, ils ont pu (re)découvrir quatre pépites enregistrées avant la grande aventure Weather Report par le so(u)rcier des claviers autrichien...

38 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 39 dossier Le monde de Weather Report 1 2 3 4 WAYNE SHORTER ET MILTON NASCIMENTO, L’ALBUM ADDICTIF “Native Dancer” est-il le meilleur album de Wayne Shorter ? J’ai la faiblesse de le penser, car en plus de réunir les talents qu’on prête habituellement au musicien – compositeur hors pair, improvisateur aux son et phrasé uniques – vient s’ajouter celui, précieux, de son contrechant poétique et délicat, mis au service, ici, de Milton Nascimento. C’est un paradoxe, mais “Native Dancer” reste un album de Wayne Shorter à part entière, alors qu’il ne contient pas moins de cinq compositions signées ou cosignées par Milton, dont le célèbre Ponta I Sing The Live In Tokyo Sweetnighter de Areia, lumineuse mélodie entre chant tribal et Columbia - 1972 Columbia - 1973 comptine enfantine. Shorter le compositeur n’est pas Body Electric en reste, avec Beauty And The Beast ou Ana Maria, Columbia - 1972 Les amateurs américains et européens Ils sont plutôt souriants ces visages sur devenus des classiques familiers des utilisateurs de Weather Report n’ont longtemps eu la photo de couverture, mais la météo du Real Book (recueil de standards, bible de tous Enregistré en novembre 71 et janvier 72 qu’une vision partielle de ce concert est à l’orage et cache une profonde les apprentis musiciens de l’univers). La présence ce second album de Weather Report, placé enregistré le 13 janvier 1972 (et paru remise en question : 1973, c’est l’année du pianiste-arrangeur brésilien Wagner Tiso, ici à sous l’égide du grand poète américain dans la foulée sous la forme d’un double des Headhunters d’Herbie Hancock, du l’orgue, tire l’album vers une chatoyance typée des Walt Whitman (I Sing The Body Electric LP exclusivement au Japon) à travers la Miles Davis lorgnant ouvertement sur Sly arrangements, parfois chargés mais toujours justes est le titre d’un des plus célèbres textes seconde face live de “I Sing The Body & The Family Stone. Zawinul n’est pas et jamais redondants (comme on peut parfois le du recueil Feuilles d’Herbe) (d)étonne Electric”, constituée d’une version éditée, en reste et veut bousculer ses codes : déplorer dans certaines productions brésiliennes). aujourd’hui encore par son caractère montée et compactée de quelques extraits exit l’esprit libertaire et déstructuré des J’ai un faible pour Tarde, superbe chanson cosignée Weather Report composite (le 33-tours d’origine présentait choisis de sa première partie. La réédition premiers opus, c’est une trame funk, celle Brant-Nascimento, l’un des sommets de Milton, tant par sa mélodie et son développement harmonique Columbia - 1971 sans ambivalence une première face mondiale en CD en 1998 fut de fait une qui était l’essence de sa collaboration enregistrée en studio et l’autre en concert), majestueux, que par l’interprétation qu’il en donne, Ça commence par un prélude atmosphérique et évanescent zébré révélation pour tous ceux qui n’avaient avec Cannonball Adderley, une trame comme s’il s’était agi pour l’orchestre poignante. “Native Dancer” fait définitivement partie de sonorités (faussement) électroniques, aussitôt suivi d’un morceau pu avoir accès à ces enregistrements. foncièrement groovy. Pour cela, Eric Gravatt à cet instant de son évolution d’exposer de ces albums addictifs qui, une fois fréquentés, ne résolument groovy, propulsé par la contrebasse vrombissante de Miroslav Ils présentaient une musique extrêmement et Miroslav Vitous ne conviennent plus vous quittent plus jamais. • MICHEL BENITA clairement les tensions esthétiques Vitous et l’enchevêtrement polyrythmique de la batterie d’Alphonse Mouzon Ils sont plutôt libre et d’une densité rare, s’engageant aux désirs du pianiste. Leurs jeux sont qui l’animaient au lieu de chercher à et des percussions (Airto Moreira, Barbara Burton ou Don Alias), ponctué avec une grande fluidité sur une multitude trop libres, trop improvisés ; Zawinul va les résoudre en une synthèse plus ou par les sonorités saturées des claviers de Joe Zawinul et transcendé par souriants ces de territoires idiomatiques sans jamais doubler les postes rythmiques avec deux moins artificielle. Remanié en partie Milton le discours à la fois planant, elliptique et abstrait du soprano de Wayne donner l’impression de s’égarer ou de se intermittents de culture rhythm’n’, dans sa composition (Arto Moreira et Nascimento, Shorter. Dès les premières minutes de cet album inaugural enregistré visages sur disperser d’un point de vue stylistique ni de le bassiste Andrew Lewis III et le puissant Alphonse Mouzon ont laissé leur place génial en février et mars 1971, le ton est donné d’une musique mutante, perdre en cohésion esthétique. Développant batteur Herschel Cuhnningam, qui vont chanteur, aux percussions et à la batterie à Dom Um inouïe, qui à partir de cet instant ne cessera de développer son univers la photo de et transformant à leur manière le langage assurer cette nouvelle pulsation. Zawinul auteur et Romeo et Eric Gravatt), Weather Report y aux humeurs toujours changeantes autour de ces deux grands axes, révolutionnaire des séances du “Bitches s’imprègne de senteurs orientales tout compositeur apparaît simultanément comme un collectif brésilien passant de séquences oniriques aux formes évolutives, déambulatoires couverture, mais Brew” de Miles Davis auxquels tous deux en branchant son Fender Rhodes sur une à géométrie variable invitant des musiciens avec lequel et savamment déstructurées, à des climats organiques jouant dans avaient participé activement, Zawinul (de wah wah aux intonations funky. Il compose Wayne Shorter à venir se greffer à son univers au gré un registre plus résolument “jazz” sur des qualités d’interaction et de la météo est à plus en plus “metteur en scène”) et Shorter Boogie Woogie Waltz et 125th Street a souvent des plages et des arrangements (Ralph spontanéité collectives renvoyant directement aux formations électriques (impérial d’engagement !) apparaissent ici Congress, pièces majeures de l’album : collaboré Towner, Hubert Laws) pour expérimenter ces quarante de Miles Davis. Cette musique hybride et matricielle, reflétant les véritablement à égalité et totalement en deux séquences dépassant chacune dix toujours plus avant des paysages soniques l’orage et cache dernières personnalités fortes de ses trois membres fondateurs tout en en mêlant phase dans l’élaboration du son du groupe minutes, d’une implacable et puissante sophistiqués aux formes mouvantes X/DR années. de façon inextricable les qualités (la virtuosité mélodique de Vitous, le sens et la définition de ses orientations, tandis intensité, traduisent ce virage décisif, audacieuses. Mais aussi un groupe de une profonde de l’architecture de Zawinul et l’abstraction onirique de Shorter) fascine que Vitous, Gravatt et Romeo attisent un fourmillant d’influences métissées. Quant scène compact et organique travaillant sa toujours autant, quarante-cinq ans après sa création, par sa signature magma rythmique constamment stimulant. à Wayne Shorter, peu soucieux semble- matière sonore extrêmement riche dans remise sonore immédiatement identifiable et l’audace de ses expérimentations Passant de plages atmosphériques à des t-il de ces considérations rythmiques, une tension stimulante entre des structures tant formelles que soniques. • STÉPHANE OLLIVIER en question. séquences radicalement free au gré de il plane en haute altitude, confirmant rythmiques, harmoniques et mélodiques longues suites immensément étirées de quelque soit le contexte l’indicible beauté précisément posées, volontairement thèmes issus principalement du précédent de son contrechant poétique. Après “ouvertes”, et un authentique “laisser- disque, Weather Report offrait là, en un “Sweetnighter”, Weather Report n’a aller” libertaire dans l’expression tant document brut et sans concession, une plus que deux têtes pensantes, et individuelle que collective. L’improvisation véritable plongée au cœur de sa petite surtout, ne sonnera jamais plus pareil. • s’y octroie ainsi une place créative dans fabrique formelle. • STÉPHANE OLLIVIER JEAN-PIERRE VIDAL le processus compositionnel. Un moment particulièrement passionnant dans l’histoire du groupe. • STÉPHANE OLLIVIER

Dès le premier album de Weather Report, le décor est planté, les grands hommes y ont leur place : Alphonse Mouzon, Joe Zawinul, Wayne Shorter, Eric Gravatt, Joe Zawinul, Miroslav Vitous, Wayne Shorter et Airto Moreira Miroslav Vitous et Dom Um Romao (extrait du (extrait du verso de la pochette de “Weather Report”). verso de la pochette de “Sweetnighter”).

40 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 41 dossier Le monde de Weather Report dossier Le monde de Weather Report 5 6 7 8 9 10 11 LES BEAUX LITTLE FEAT, APPRENTIS DESSEINS DE MÉTÉOROLOGUES ? LOU BEACH En 1977, à cause de Day At The Dog Races, un ins- trumental figurant dans “Time Loves A Hero”, Lowell Lou Beach a illustré George craint que Little Feat, le groupe dont il fut l’un les pochettes de deux des cofondateurs, ne devienne un banal combo jazz- albums très populaires rock influencé par Weather Report... de Weather Report, mais pas que... Passés les quatre premiers albums de Little Feat, l’influence de Lowell George, remarquable guitariste et Tapez “Lou Beach” dans chanteur qui fut un temps membre des Mothers Of Inven- Google et vous verrez tion de Frank Zappa, alla déclinant au profit d’autres défiler de nombreux membres du groupe, le guitariste Paul Barrère et le collages mettant en Tale Spinnin’ Black Market claviériste Bill Payne notamment. « Lowell, se souvient Heavy Weather Mr. Gone 8:30 Night Passage scène des créatures Columbia - 1975 Columbia - 1976 Payne, n’était pas vraiment un jazzfan, même s’il avait Columbia - 1977 Columbia - 1978 Columbia - 1979 Columbia - 1980 étranges, mi-hommes des disques de chez lui. Il avait un vrai 10 mi-animaux, mi-femmes L’instabilité chronique dont Weather Report Avec “Black Market”, enregistré de problème avec Day At The Dog Races, et plus encore Parachevant la mutation commencée À l’image du superbe collage de Lou Passé le triomphe d’“Heavy Weather” et Retour des percussions, mais confiées mi-machines, quelque fait preuve ne semble en rien entraver les l’automne 1975 à janvier 1976, s’amorce avec la fusion... J’aurais aimé l’entendre dire ça à Joe avec “Black Market”, “Heavy Weather” Beach qui illustre la pochette, “Mr. Gone” la démobilisation du groupe qui a conduit à , Jr. qui se revendique part entre Jérôme Bosch recherches de Zawinul et Shorter. “Tale un glissement vers une thématique plus Zawinul ! – Lowell craignait effectivement que la marque fit passer Weather Report de la catégorie est un disque monté de toutes pièces. Joe Zawinul a prendre seul l’initiative de bopper : c’est bien un quintette de jazz (en moins effrayant) et Spinnin’” va en être, bien au contraire, “composée” où la forme des morceaux de fabrique du groupe n’en pâtisse s’ils se mettaient à “jazz-fusion expérimental post-Miles” à A l’époque de l’enregistrement, Weather “Mr. Gone”, revoici Weather Report sur la qui apparaît le 12 juillet 1980 sur la scène Robert Rauschenberg. l’éclatante confirmation. Les nouveaux va se structurer dans un registre plus enregistrer des instrumentaux de ce genre, précise Ted celle de “pop-jazz instrumentale exigeante” Report n’a ni batteur ni de percussionniste route en 1978 selon une formule réduite : du Complex de Santa Monica (Californie) La première pochette qui venus sont le batteur polyvalent Leon pop, délaissant quelque peu le côté “jam Templeman, le producteur de “Time Loves A Hero”, il était (désolé pour la valse des étiquettes), attitré. Et Joe Zawinul, dont l’imagination un pur quartette sans percussions, avec devant une assistance réduite. Ce soir-là, apparaît est souvent celle Ndugu Chancler, éphémère pigiste libéré modale expérimentale”. Cette tendance, vraiment énervé, et a fini par lâcher : “C’est quoi ça ? Un propulsant le groupe de festivals de jazz est décuplée par son arsenal de un nouveau batteur, Peter Erskine auquel comme le lendemain, sont prévues deux de “Mr. Gone” – ah, cet pour l’enregistrement par Santana, et le déjà présente dans les compositions de putain de truc à la Weather Report ?!”... » Si Joe Zawinul pour fans avertis à des stades remplis synthétiseurs toujours plus fourni, a envie il est précisé qu’il rejoint un “jazz band”. séances publiques sur un répertoire rodé homme (cette femme ?) avait traîné dans les parages, peut-être aurait-il répondu à tête de gratte-ciel ! –, percussionniste Alyrio Lima. Alphonso Wayne Shorter, s’affirme aussi chez Joe d’un public jeune et enthousiaste. Avec d’enregistrer un album solo. Mais sa Un avant goût en a été donné lors de en tournée et invitant à l’improvisation Mysterious Traveller Johnson, au jeu charnel et funky, devient Zawinul. Du coup la qualité de la musique, quelque chose comme « Tu as raison mon gars, mais Jaco Pastorius, désormais non seulement complicité avec Jaco Pastorius aidant, la dernière séance de “Mr. Gone”, avec collective à l’exclusion de tout excès créée un an après celle malgré leurs louables efforts, tes copains sont encore Columbia - 1974 le seul titulaire au poste de bassiste. Ils sur la longueur d’un album, monte d’un bassiste mais également coproducteur, la un nouvel album de Weather Report se Pinocchio créé par le quintette de Miles d’égotisme (Jaco est sous contrôle) jusque d’“Heavy Weather” – oh, loin du compte... ». Reste que Day At The Dog Races, vont incarner l’une des plus éclatantes cran grâce à ce recentrage mélodique. Pour musique acquiert la dimension universelle dessinne au gré des séances, qui voient Davis sur “Nefertiti”, certes très revisité, dans les solos sur les chapeaux de roue de ce chapeau légendaire A partir de “Mysterious Traveller”, Weather Report change de cap et devient un groupe sorti la même année qu’“Heavy Weather”, prouve que d’où sortent des éclairs ! qui a pour ambition de dépasser la sphère du jazz et de squatter les grandes scènes assises rythmiques de l’histoire du ce qui nous concerne, moi et ma bande l’influence de Weather Report – bonne ou mauvaise... – qui lui manquait, sans renier l’exigence défiler un miniall stars de batteurs laissant mais enregistré à l’ancienne. Au cours Fast City. Un vrai jazz band, donc, qui, après De Madonna au Yellow du rock, comme ont réussi à le faire , ou The groupe. Joe Zawinul est plus que jamais d’amis musiciens de 1976, “Black Market” était grande. • PETER CATO instrumentale et thématique des deux rêveur : , et de la tournée d’automne, le groupe est montage et mixage, ouvrira la face B de son Magic Orchestra, des Headhunters. Le succès des Headhunters a d’ailleurs peut-être contribué à pousser aux commandes, affirmant d’entrée de nous fit l’effet d’une bombe. Une fois sortis La version studio de figure dans (trois ?) coleaders. À ce titre on est Peter Erskine qui, il ne le sait pas encore cependant enregistré au milieu du gué, LP (noter le motif d’introduction en écho à Neville Brothers aux Day At The Dog Races Joe Zawinul vers le terrain du funk, en engageant un jeune bassiste électrique de jeu avec le lumineux Man In The Green d’une immersion de six minutes dans un “Time Loves A Hero” (Warner Bros., 1977) de Little Feat ; obligé de mentionner Birdland, qui ouvre au moment où il contribue à l’album, avec le répertoire des albums précédents, celui concluant la face A) par une reprise Flying Burrito Brothers, Shirt la direction mondialiste et métissée marché africain, nous fûmes cueillis par le écouter aussi, la version live dans “Waiting For Columbus” l’album, devenu l’un des rares jazz hits va décrocher le job. On dit souvent que comme un groupe de rock rejouant ses du Rockin’ In Rhythm de Duke Ellington, Lou Beach a réalisé de 22 ans, Alphonso Johnson, musicien époustouflant qui signe une ligne de basse prise avec “Mysterious Traveller”. Il met bien nommé Cannon Ball et ses premières (Warner Bros. / Rhino, 1978). des années 1970. “Heavy Weather” fut Wayne Shorter est moins présent, voire tubes, les morceaux de bravoure joués où l’homme-orchestre Joe Zawinul fait de nombreuses pochettes de résolument groovy dans l’explosif et indémodable Cucumber Slumber. D’autre en place un irrésistible kaléidoscope de notes de basse fretless. Vous avez dit salué par la critique malgré son “virage presque absent de ce disque : sottises ! moins en finesse (privé de l’orfèvrerie Weather Report un authentique big band. disques dans les années part, elors de ces séances allant de novembre 1973 à mai 1974, le sorcier des couleurs et de sonorités inédites, basées fretless ? Quel est ce son ? Qui est ce type, commercial” et, pour l’anecdote, le batteur Si l’on pouvait effacer ses interventions, de Zawinul en studio sur que En face A, donne le ton : un 1970 et 1980. Eddie Hazel claviers Joe Zawinul perfectionne l’utilisation simultanée de plusieurs synthétiseurs Birdland Night Passage (“Games, Dames And ultra-performants qui vont apporter une nouvelle dimension orchestrale. Plusieurs sur des compositions énergiques et avec un drôle de nom, dont nous avaient Peter Erskine le considère comme le on réaliserait à quel point il hante cette dessert le shuffle d’Erskine et l’absence groove démoniaque inspiré au claviériste Guitar Thangs”), David morceaux en témoignent, comme la composition de Zawinul Jungle Book, qui montre inspirées, son entente et sa complicité parlé quelques fans fraîchement convertis, meilleur album du groupe, alors qu’il ne musique. Et puis il y a le bouleversant The de percussions, souffrant de l’envol du lors d’un voyage de nuit entre Vienne et Sanborn (“Backtsreet”) déjà son attirance pour les musiques du monde, et la superbe composition de Shorter avec Wayne Shorter culmine à un niveau revenus éblouis d’un concert ? Passée rejoignit Weather Report qu’un album plus Elders, rêve futuriste en grande partie tempo sur Black Market) mais l’adrénaline Venise, par le bruit de roulement et par une et Mysterious Traveller, avec son étonnant point de vue formel basé sur un thème rarement atteint. World music fusionnelle, cette première écoute, pour moi et bien tard. (Ce qui en dit long sur l’humilité de improvisé en studio. De son côté, Zawinul du concert en plus (notamment sur le duo annonce qu’il aurait enregistrée dans une (“Liquid Love”) ne s’en répétitif et lancinant, propulsé par un foisonnement sonore et rythmique qui conjugue inouïe, l’album alterne entre communions d’autres, plus rien ne serait comme avant. l’homme, mais c’est une autre histoire.) signe l’une des plus belles mélodies de Shorter-Erskine de Black Market et Teen gare italienne. À l’accélération permanente étaient certainement pas l’énergie et le mystère. Enfin, Shorter et Zawinul n’ont pas tout à fait oublié le jazz incendiaires et dansantes (Between Jaco Pastorius, qui n’est pourtant présent Bien qu’il soit très difficile d’exprimer une sa vie, Young And Fine, émeut avec Town de Jaco Pastorius au sommet de résultant du montage de différentes prises plaint : voir ci-dessous... acoustique en proposant avec Blackthorn Rose un superbe duo piano-soprano intime The Thighs, Freezin’ Fire) et rêveries que dans deux titres de l’album, était quelconque préférence, tant la qualité des And Then, chanté par Maurice sa virtuosité). Le live ajoute encore s’ajoute la perte de repère que suscite • DOC SILLON et chambriste : belle osmose entre la force des racines terrestres et les divagations introspectives (Badia, Five Short Stories). Le en train de redéfinir la basse et Weather compositions est constante, je me risque White d’Earth, Wind & Fire (et sa à la magie des morceaux plus une longue improvisation enregistrée puis poétiques de la lune. • LIONEL ESKENAZI résultat est une stimulante musique festive, Report avait trouvé son troisième coleader. à citer l’hypnotique The Juggler, dans la protégée Denice Williams), et atmosphériques (Scarlet Woman, A jetée sur le papier et rejouée (ligne de sollicitant un panel de folklores et de Parmi les titres qui retiennent l’attention, veine minimaliste si chère à Zawinul, ou le joue sans le savoir au pionnier Remake You Made, In A Silent Way basse comprise), et dont la succession de N.B : On trouve dans l’édition japonaise “paper sleeve” du CD (publié en 1997) tonalités hybrides, mises en sons, rythmes Elegant People de Shorter, dans la veine du fantastique Palladium de Wayne Shorter, de l’electro jazz (The Pursuit et Badia en introduction d’une motifs récurrents défie la mémorisation. un morceau supplémentaire composé par Miroslav Vitous, Miroslav’s Tune, juste et nuances par le talent de musiciens au Palladium qui viendra dans l’album suivant dans lequel Jaco fait des merveilles. À Of The Woman With The version ébouriffante de Boogie Les ballades Dream Clock et Forlorn nous avant qu’il ne quitte le groupe. sommet de leur art. “Tale Spinnin’” fait et Gibraltar de Zawinul, se distinguent noter, pour les fans du bassiste (dont je Feathered Hat, Mr. Gone). Quant Woogie Waltz). La quatrième face ramènent aux compositions pastorales de accéder Weather Report au panthéon des nettement par leur achitecture mélodique suis bien sûr), l’emblématique Teen Town, à Jaco, il continue d’enrichir du double album nous ramène Zawinul en 1969, tandis que Madagascar, formations jazz-rock de l’époque. • soignée. Jaco apporte une composition exigeant sur unle plan instrumental et son songbook personnel en studio et combine l’esprit capté live au Japon, conclue l’album à JEAN-PIERRE VIDAL décontractée, Barbary Coast, comme le dans lequel Jaco joue aussi de la batterie, avec River People, séquelle d’expérimentation visionnaire de partir de quelques bribes annonciatrices de bassiste encore titulaire, Alphonso Johnson, constitue désormais une sorte d’exercice dansante, voire presque disco “Mister Gone” à une spontanéité l’esprit mondialiste de “Dialects”. Wayne “Liquid Love” avec Herandu. • MICHEL BENITA obligé pour tout bassiste qui se respecte – de Teen Town, et le sublime, désarmante, jusque dans la Shorter (le très festif Port Of Entry) et de Freddie y compris , qui confiait récemment à mélodique et lyrique Punk réalisation de The Orphan Jaco Pastorius (le lyrique Three Views Of Hubbard, Ishmael Wilburn, Jazzmag régulièrement s’y délier les doigts. Jazz. « Le jazz est la pop avec une chorale d’enfants, en A Secret) ne signent qu’une composition “Games, Miroslav Vitous, • MICHEL BENITA music du futur. Je veux que mémoire des nombreux enfants chacun. Zawinul est bien le patron, mais Dames And Dom Um Romao,

CHRISTIAN ROSE ma musique reste complexe, que Joe Zavinul a vu perdre leurs d’un groupe soudé comme jamais. • Guitar Thangs” Joe Zawinul et d’Eddie Wayne Shorter Lowell George, et guitariste et chanteur Ci-dessus, à droite : mais qu’elle soit suffisamment parents dans l’Autriche en 1944- FRANCK BERGEROT Hazel (le (extrait du verso de Little Feat : « C’est quoi ça, un putain Joe Zawinul, Alex Acuna, accrocheuse pour toucher les 45. • FRANCK BERGEROT guitariste de de la pochette de truc à la Weather Report ?! » Wayne Shorter, Jaco gens » : mission accomplie Funkadelic) et Pastorius et Manolo de “Mysterious Monsieur Joe... • JULIEN FERTÉ “Backstreet” Traveller”). Badrena (extrait Wayne Shorter, de David du verso de la Peter Erskine, Sanborn. pochette de “Heavy Joe Zawinul et Weather”). Jaco Pastorius LOU BEACH en 1979.

42 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 43 44 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 dossier Le monde de Weather Report 9 10 11 12 SAMPLEURS ET SANS REPROCHES Pas aussi souvent samplée que celle de ou la musique de Weather Report ? Certes, mais les producteurs hip-hop qui l’ont recyclée/ détournée ont donné un certain cachet à la leur...

A Tribe Called Quest, The Pharcyde, Gang Starr : ces groupes de hip-hop ont connu leur âge d’or créatif dans la première “People’s moitié des années 1990, époque où les DJ puisaient volontiers Instinctive leur inspiration dans des disques de jazz. Q-Tip, l’un des deux Travels And The Paths Of rappeurs de A Tribe Called Quest, est un jazzfan notoire, au Rhythm” de même titre que DJ Premier, producteur attitré de Gang Starr. A Tribe Called A Tribe Called Quest fut le premier groupe majeur à mettre en Quest, “Hard Mr. Gone 8:30 Night Passage valeur la musique de Weather Report, et ainsi à la faire découvrir To Earn” de Weather Report à toute une nouvelle génération. De façon très décalée dans Gang Starr et Columbia - 1978 Columbia - 1979 Columbia - 1980 Mr. Muhammad, où n’est samplée que la voix du présentateur “Bizare Ride Columbia - 1982 10 japonais du concert (!), et plus ostensiblement dans Butter, où II” de The À l’image du superbe collage de Lou Passé le triomphe d’“Heavy Weather” et Retour des percussions, mais confiées Pharcyde. Là encore, un répertoire rodé sur la Beach qui illustre la pochette, “Mr. Gone” la démobilisation du groupe qui a conduit à Bobby Thomas, Jr. qui se revendique le Fender Rhodes de Joe Zawinul et la basse électrique de Jaco route, et toujours presque entièrement Pastorius sont astucieusement mis en boucle. Sur la Côte Ouest, est un disque monté de toutes pièces. Joe Zawinul a prendre seul l’initiative de bopper : c’est bien un quintette de jazz de la plume de Joe Zawinul qui annonce en 1992, tandis que les apôtres du gangsta rap recyclaient sans A l’époque de l’enregistrement, Weather “Mr. Gone”, revoici Weather Report sur la qui apparaît le 12 juillet 1980 sur la scène disposer pour la première fois d’un groupe vergogne l’héritage de George Clinton et de Parliament, les Report n’a ni batteur ni de percussionniste route en 1978 selon une formule réduite : du Complex de Santa Monica (Californie) rappeurs cool de The Pharcyde mélangeaient dans Passin’ Me By stable et durable. Mais lorsqu’ils se attitré. Et Joe Zawinul, dont l’imagination un pur quartette sans percussions, avec devant une assistance réduite. Ce soir-là, la musique de Weather Report (125th Street Congress), de Jimi retrouvent en studio à partir du printemps est décuplée par son arsenal de un nouveau batteur, Peter Erskine auquel comme le lendemain, sont prévues deux Hendrix et de ! Retour sur la Côte Est, un an plus 1981, les héros sont fatigués. Certes synthétiseurs toujours plus fourni, a envie il est précisé qu’il rejoint un “jazz band”. séances publiques sur un répertoire rodé tard, où DJ Premier mettra en valeur pas un mais deux extraits rien n’y paraît à l’écoute de Volcano For d’enregistrer un album solo. Mais sa Un avant goût en a été donné lors de en tournée et invitant à l’improvisation de “Mysterious Traveller”, Cucumber Slumber et Scarlet Woman. Hire, dans la veine explosive de Fast complicité avec Jaco Pastorius aidant, la dernière séance de “Mr. Gone”, avec collective à l’exclusion de tout excès Plus inattendu : un autre extrait de “Mysterious Traveller”, le City, à ceci près que tout y semble écrit, un nouvel album de Weather Report se Pinocchio créé par le quintette de Miles d’égotisme (Jaco est sous contrôle) jusque groove d’American Tango, samplé cette fois par Suprême NTM notamment pour Jaco Pastorius qui voit ses dessinne au gré des séances, qui voient Davis sur “Nefertiti”, certes très revisité, dans les solos sur les chapeaux de roue de pour ouvrir entre chien et loup “Paris Sous Les Bombes”. parties de basse de plus en plus souvent défiler un miniall stars de batteurs laissant mais enregistré à l’ancienne. Au cours Fast City. Un vrai jazz band, donc, qui, après Signalons enfin les quelques notes magiques de Wayne Shorter doublées au synthétiseur. Pour lui, le travail rêveur : Steve Gadd, Tony Williams et de la tournée d’automne, le groupe est montage et mixage, ouvrira la face B de son (extraites d’Elegant People) en prélude au cafardeux Strangers de d’apprentissage est énorme alors même Portishead, groupe emblématique de la scène tri-hop de Bristol. Peter Erskine qui, il ne le sait pas encore cependant enregistré au milieu du gué, LP (noter le motif d’introduction en écho à qu’il travaille aux débuts de son big band. • DOC SILLON au moment où il contribue à l’album, avec le répertoire des albums précédents, celui concluant la face A) par une reprise À quoi s’ajoute son ego imprévisible altéré va décrocher le job. On dit souvent que comme un groupe de rock rejouant ses du Rockin’ In Rhythm de Duke Ellington, par l’alcoolisme, à l’origine de tensions dans (“The dans Wayne Shorter est moins présent, voire tubes, les morceaux de bravoure joués où l’homme-orchestre Joe Zawinul fait de Butter Intro (The First avec Zawinul. De son côté, Peter Erskine Low End Theory”, Jive, Step) (“Hard To Earn”, presque absent de ce disque : sottises ! moins en finesse (privé de l’orfèvrerie Weather Report un authentique big band. 1991). Chrysalis, 1993). songe à rejoindre Steps et les deux Si l’on pouvait effacer ses interventions, de Zawinul en studio sur Birdland que En face A, Night Passage donne le ton : un Medley : Vertical 125th Street American Tango coleaders prévoient une année sabbatique on réaliserait à quel point il hante cette dessert le shuffle d’Erskine et l’absence groove démoniaque inspiré au claviériste Invader / T.H. / Congress (extrait (extrait de “Mysterious pour se consacrer à des projets personnels. musique. Et puis il y a le bouleversant The de percussions, souffrant de l’envol du lors d’un voyage de nuit entre Vienne et Dr. Honoris Causa de “Sweetnighter”), Traveller”), samplé Aussi, l’album tardant à se concrétiser, Elders, rêve futuriste en grande partie tempo sur Black Market) mais l’adrénaline Venise, par le bruit de roulement et par une (extrait de “Live In samplé par The par Suprême NTM la tournée de sortie prévue fin 1981 est (“Paris Sous improvisé en studio. De son côté, Zawinul du concert en plus (notamment sur le duo annonce qu’il aurait enregistrée dans une Tokyo”), samplé par Pharcyde dans Passin’ dans Intro ajournée afin de permettre à Zawinul et A Tribe Called Quest Me By (“Bizarre Les Bombes”, Epic, signe l’une des plus belles mélodies de Shorter-Erskine de Black Market et Teen gare italienne. À l’accélération permanente dans Mr. Muhammad Ride II”, Delicious Vinyl, 1995) Shorter de compléter “Weather Report”, sa vie, Young And Fine, émeut avec Town de Jaco Pastorius au sommet de résultant du montage de différentes prises (“People’s Instinctive 1992 Elegant People, seuls en novembre. La reprise du nom du And Then, chanté par Maurice sa virtuosité). Le live ajoute encore s’ajoute la perte de repère que suscite Travels And The Paths Cucumber samplé par Portishead groupe en titre d’album comme en 1971 White d’Earth, Wind & Fire (et sa à la magie des morceaux plus une longue improvisation enregistrée puis Of Rhythm”, Jive, Slumber et Scarlet dans Strangers signifie-t-il que l’aventure est close ? À la 1990). protégée Denice Williams), et atmosphériques (Scarlet Woman, A jetée sur le papier et rejouée (ligne de Woman (extraits (“Dummy”, Go ! Beat, demande de Columbia, sur des arguments joue sans le savoir au pionnier basse comprise), et dont la succession de Young And Fine de “Mysterious 1994) contractuels, la formation reprendra la Remake You Made, In A Silent Way (extrait de “Mr. Traveller”), samplés de l’electro jazz (The Pursuit et Badia en introduction d’une motifs récurrents défie la mémorisation. Gone”), samplé par par Gang Starr dans route en 1982 et connaîtra une véritable Of The Woman With The version ébouriffante de Boogie Les ballades Dream Clock et Forlorn nous A Tribe Called Quest Speak Ya Clout et renaissance avec un personnel nouveau. Feathered Hat, Mr. Gone). Quant Woogie Waltz). La quatrième face ramènent aux compositions pastorales de Accueilli plus froidement que son à Jaco, il continue d’enrichir du double album nous ramène Zawinul en 1969, tandis que Madagascar, homonyme de 1971, l’album fait figure son songbook personnel en studio et combine l’esprit capté live au Japon, conclue l’album à de ventre mou dans la discographie de avec River People, séquelle d’expérimentation visionnaire de partir de quelques bribes annonciatrices de Weather Report, en dépit d’excellents dansante, voire presque disco “Mister Gone” à une spontanéité l’esprit mondialiste de “Dialects”. Wayne moments, notamment dans la suite N.Y.C. X/DR de Teen Town, et le sublime, désarmante, jusque dans la Shorter (le très festif Port Of Entry) et Ci-dessus, DJ Premier, le ainsi que dans les deux jams sessions, très mélodique et lyrique Punk réalisation de The Orphan Jaco Pastorius (le lyrique Three Views Of producteur de Gang Starr. encadrées “à la Zawinul”, Dara Factor One Jazz. « Le jazz est la pop avec une chorale d’enfants, en A Secret) ne signent qu’une composition Ci-contre, Q-Tip, Phife Dawg et Dara Factor Two. • FRANCK BERGEROT music du futur. Je veux que mémoire des nombreux enfants chacun. Zawinul est bien le patron, mais et Ali Shaheed Muhammad, ma musique reste complexe, que Joe Zavinul a vu perdre leurs d’un groupe soudé comme jamais. • les têtes pensantes de A Tribe Called Quest. mais qu’elle soit suffisamment parents dans l’Autriche en 1944- FRANCK BERGEROT accrocheuse pour toucher les 45. • FRANCK BERGEROT gens » : mission accomplie Monsieur Joe... • JULIEN FERTÉ Wayne Shorter, Peter Erskine, Joe Zawinul et Jaco Pastorius LOU BEACH en 1979. X/DR

44 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 45 dossier Le monde de Weather Report 13 14 15 16 Domino Theory DES REPRISES PAS STANDARD Columbia - 1984 Malgré l’ampleur du répertoire, il existe assez peu de reprises de Weather Report. Trop difficile de jouer les compositions de Zawinul et Shorter avec une autre couleur musicale Le clou de “Domino Theory”, c’est évidemment son ouverture, Can It ou vain d’essayer de les jouer à l’identique ? D’aucuns ont réussi à éviter ces écueils. Be Done, portée par le vocaliste Carl Anderson, émouvant et profond. Ne serait-ce que pour cette introduction magnifique, où Zawinul déploie Commençons par une des légendaire club new-yorkais Monino qui reprend Teen Town, sa science du mystère et de l’inattendu harmonique, juste soutenu compositions incontournables – le Birdland – qui a vu passer Punk Jazz et Three Views Of A par une cymbale minimale, on tient là un chef-d’œuvre. La chanson de Zawinul, le tube Birdland qui les plus grands musiciens de Secret sur son album “Around n’est pas de Zawinul, mais de son ami Willie Tee, pianiste et chanteur a inspiré plusieurs relectures. jazz et est à l’origine de la Jaco” (2006), treize ans après de La Nouvelle-Orléans, rencontré du temps de Cannonball Adderley. Tout d’abord le groupe vocal première rencontre entre Wayne l’incontournable Marcus Miller Les paroles semblent avoir été écrites sur mesure pour Zawinul, qui américain Manhattan Transfer Shorter et Joe Zawinul en 1958 ! qui donna lui aussi une version décrivent, avec un soupçon de désespoir, la quête impossible du son qui, dès 1979, a surpris par Dans la foulée de la sortie de mémorable de Teen Town en unique, de LA mélodie parfaitement originale. L’histoire d’une vie de la qualité de sa version sur “Mr. Gone” en 1978, le groupe 1993. Enfin, le chanteurKurt Procession musicien, en quelque sorte. Écoutez plutôt : « Peut-on y arriver ? Y Sportin’ Life This Is This des paroles de Jon Hendricks. Steps Ahead a eu l’excellente Elling nous a agréablement Un grand succès qui valut au idée de reprendre la composition surpris avec sa version de A a-t-il une mélodie qui n’aurait jamais été jouée ? Comment sonne-t- Columbia - 1985 Columbia - 1983 elle ? Peut-on la découvrir, cette nouvelle chanson qui n’a jamais été Columbia - 1986 groupe un Grammy Award. de Zawinul Young And Fine lors Remark You Made en 2003, Ensuite ce fut Freddie Hubbard de leur tournée en 1979. En réintitulée Time To Say Goodbye Comment se remettre du départ simultané dans l’air ? J’ai cherché longtemps et il semblerait qu’elle n’existe Ça commence par une splendeur Weather Report nous avait habitué à qui s’y colla en 1982 avec une témoigne la version démentielle avec des paroles de son cru, de Jaco Pastorius et Peter Erskine, l’une . » C’est pratiquement un manifeste et on pense au Zawinul, jeune façon Birdland, Corner Pocket, énième de tels rebonds que l’on est forcément pas version remarquable où il joue enregistrée lors d’un concert à tandis que le contrebassiste des meilleures sections rythmiques de composition (en)chantante de Joe Zawinul désappointé à l’écoute de “This Is This”, pianiste, qui décida, après une soirée sous acide, d’abandonner la à la tropmpette le thème et Tokyo d’une durée de plus de Christian McBride a eu la bonne l’histoire du jazz moderne ? En évitant qui, avec Victor Bailey et Omar Hakim, indubitablement son chant du cygne. totalité du langage jazz qu’il avait si brillamment développé pendant ses tous les solos ! Et enfinQuincy 16 mn avec un Michael Brecker idée d’inclure une version live donne l’impression de danser au-dessus d’engager un clone du premier et, si premières années américaines. Si brillamment, pensa-t-il, que son jeu Shorter et Zawinul sortent l’un et l’autre Jones (“”), survolté et un Steve Gadd en de Boogie Woogie Waltz sur son possible, en donnant sa chance à un finit par sonner à ses propres oreilles comme une suite de clichés qui d’un volcan. [Dans les années qui d’une longue parenthèse, usés par plus qui convoqua une pléiade grande forme qui ponctue le album “Vertical Vision” en 2002. batteur au style très différent du second. Ce l’empêcheraient de trouver sa voie. Il y a des perles dans cet album, suivirent, le Grand Paysagiste des Claviers de quinze ans de frénétique création d’invités (Miles Davis, Dizzy jeu de Brecker avec une grande • LIONEL ESKENAZI fut chose faite : Zawinul a d’abord recruté signées Zawinul, telles le minimaliste et ethnique The Peasant ou la Métissés cherchera à prolonger ce genre commune. Par obligation contractuelle pour Gillespie, , et tension. Young And Fine a aussi Omar Hakim, qui avait failli devenir batteur très belle suite Blue Sound - Note 3, dont la mélodie impériale éclate d’état de grâce, qu’il finira par retrouver et, sous l’impulsion de les voix d’Ella Fitzgerald et de séduit le jazz français avec une de Chic en 1974 (à 15 ans !) et qui venait dans le dernier tiers. Assurément l’un des meilleurs albums de cette avec le duo Linley Marthe/Paco Sery.] Et Zawinul, les deux hommes se retrouvent !) et Zawinul belle version inspirée du Trio de tourner avec . Hakim, à son nouvelle mouture de Weather Report, où le mésestimé bassiste Victor comme le nouveau venu Mino Cinelu est une dernière fois en studio. Mais le cœur et lui-même pour créer une sorte Sud (, Jean-Marc de prélude à intitulé Jaffet, André Ceccarelli) en tour, recommanda le Philadelphien Victor Bailey excella, dans la position difficile du “nouveau Jaco”. • le percussionniste le plus festif depuis la complicité d’antan n’y sont plus. Wayne Birdland Manolo Badrena, l’allégresse est totale Jazz Corner Of The World, afin 2008. Et puis il y a les bassistes Bailey. Forts de leur double culture R&B/ MICHEL BENITA est déjà ailleurs, vers d’autres territoires Manhattan Transfer : jazz, Hakim et Bailey ont redonné un coup tout au long de la face 1 du vinyle original : musicaux à explorer. Il ne compose de rendre hommage à Weather qui veulent rendre hommage à Report, mais aussi et surtout au Jaco Pastorius, comme Fréderic Birdland (“Extensions”, de fouet au groupe, où le percussionniste l’hypnotique et mélodique Indiscretions aucun titre et s’avère particulièrement Atlantic, 1979) portoricain Jorge Rossy faisait également précédait le bouillonnant Hot Cargo. Puis absent. Malgré un casting toujours aussi Freddie Hubbard : ses débuts. Il n’y a pas de classiques il y avait Confians, la chanson douce de impressionnant (impeccable Victor Bailey), Birdland (“Ride Like The intemporels dans “Procession”, qui en Mino Cinelu, interprétée en créole : aussi l’alliage de puissance et finesse conjuguées Wind”, Elektra , ... et Marcus Miller a rejoué 1982) son temps fut fraîchement accueilli – en inattendue qu’attachante, au même titre qui caractérisait le groupe est littéralement Teen Town en 1994... France, les jeunes jazzfans commençaient que la reprise – enregistrée en une seule gommé de sa brillance, et ce n’est pas la Quincy Jones : Birdland de se tourner vers les groupes post- prise – de What’s Going On de Marvin présence ponctuelle d’un (“Back On The Block”, Weather Report, d’Uzeb à Sixun en passant Gaye, tué par son père quelques mois plus motivé qui donne vie à l’album. Posant les Qwest, 1989) par Ultramarine. Pourtant, le poids des tôt, et dont Zawinul admirait profondément jalons de son futur et éphémère Weather Steps Ahead : Young And ans l’a allégé de celui d’être “le nouvel la musique. Et Wayne Shorter dans tout Update, Joe Zawinul a le champ libre, mais Freddie Hubbard a adapté Fine (“Smokin’ In The Pit”, NYC Records, 1979) album de Weather Report sans Jaco” ça ? Comme toujours, faussement discret en solitaire. Il en résulte quand même Birdland en 1982... (ce héros). Plaza Real, la seule vraie (il laisse certes une fois de plus à Zawinul quelques moments notables : ici les vocaux Trio Sud : Young And Fine composition signée Shorter ( est le soin de composer la majeure partie des métissés de , ailleurs le groove (“Young And Fine”, Dreyfus The Well Jungle Stuff Jazz, 2008) une improvisation live), est peu à peu morceaux), lumineux, lunaire : magique. et l’ambiance synthétique de China Blues. devenue un objet sonore de fascination, Weather Report ne serait pas Weather Si tout cela conserve un haut niveau Frédéric Monino : , Report sans ces moments d’abstraction Punk Jazz Three View serti d’une mélodie tendre et fragile joué technique, il manque définitivement cette Of A Secret, Teen Town par Zawinul à... l’accordéon (offert par gracieuse dont il a le secret (Face On The âme, cette alchimie féconde et inégalée (“Around Jaco”, Dom Jaco). Quant au solo de soprano de Shorter Barroom Floor), ni ces mélodies teintées de qui liait jusqu’alors deux musiciens hors Disques, 2006) dans Where The Moon Goes (où les voix du malice (Pearl On The Half-Shell). “Sportin’ normes dont cette triste épitaphe ne peut Marcus Miller : Teen Manhattan Transfer sont samplées/altérées/ Life” est bien le dernier grand disque de altérer l’incomparable parcours. • Town (“The Sun Don’t Lie”, IDEO ODA overdubbées), d’aucuns y voient « un Weather Report. • FRÉDÉRIC GOATY JEAN-PIERRE VIDAL X/DR Dreyfus, 1993) des plus expressifs, lyriques, déterminés : A Remark et méticuleusement construits de toute You Made (Time To Say l’histoire de la fusion ». On confirme. • Goodbye) (“Man In The Air”, Blue Note, 2003) FRÉDÉRIC GOATY Christian Weather Report ne serait pas McBride Band : Boogie Woogie Waltz (“Vertical Weather Report sans ces moments Vision”, Contemporary d’abstraction gracieuse dont Jazz, 2002) X/DR Wayne Shorter a le secret. ... mais en 1979, déjà, Manhattan Transfer avait chanté Birdland !

46 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 47 dossier Le monde de Weather Report

Quand Joe Zawinul, Wayne Quand Joe Zawinul, Wayne Shorter, Miroslav Vitous, Shorter, Jaco Pastorius, Dom Um Romao et Alphonse Alex Acuña et Manolo Mouzon franchissaient le mur Badrena mettaient le feu au ENTRE BERLIN du son à Berlin lac à Montreux & MONTREUX Une espèce d’idéal original Malgré la prolifération des images sur YouTube, deux dvd en tous du groupe ou, à l’inverse, sens admirables s’imposent, qui la très excitante promesse reflètent deux périodes distinctes du groupe d’un avenir radieux.

Berlin 1971 sante orgie Cannon Ball et Badia, dont c’est peut-être la Le 9 août 1971 à Hambourg, le concert de Weather sonore, in- meilleure version : du grand Jaco Pasto- Les autres albums Report est capté par la télé allemande. Le groupe (les tervenant par rius, d’un peu avant la gloire (et ses petites En 1986, Weather Report se sépare, trois fondateurs, plus Dom Um Romao et Alphonse petites touches facilités show-off, notamment lors des et il faudra attendre seize ans avant que ne Mouzon) n’existe sur scène que depuis cinq mois. qui couronnent le solos de milieu de concert ponctués soient publiés des inédits. Tour d’horizon. Suffisant pour s’être rodé, mais encore dans la tout et lui donnent de sauts extravagants, surgissant fraîcheur de ses premières intentions. Qui ne sens. Aussi peut-on y au-dessus de l’ampli basse). La En 2002, le double CD “Live (“Super Nova”), puis se plairont pas forcément à ceux qui ont abordé voir une espèce d’idéal complémentarité Acuña/Badre- And Unreleased” fit l’effet terminant avec Indiscretions d’une bombe chez les (“Sportin’ Life”, 1985). le groupe par Birdland mais raviront ceux qui se sont sentis original du groupe ou, à na est un élément moteur du fans, tant il était judicieux On y trouvait de nombreux trahis après le départ de Miroslav Vitous. Ce pourrait d’ail- l’inverse, la très excitante quintette et son association d’exhumer ces trésors qui inédits : une version de leurs être son groupe tant, à première vue, le “jouage” promesse d’un avenir ra- avec Jaco fait de Scarlet survolent la carrière du Directions de 1971, une est dans la continuité d’“Infinite Search”. Le répertoire dieux. • FRANCK BERGEROT Woman un sommet de groupe sur scène entre 1975 de Nubian Dance de treize – celui du premier album, mais assez peu reconnais- ce concert. Absolu- et 1983, et dont seulement minutes (1974) et un remix “Live In Germany 1971” (Gonzo Media Group) deux titres (Black Market de 125th Street Congress. Le sable ainsi lâché la bride sur le cou – reprend Orange ment indispensable. et Teen Town) faisaient DVD permettait de découvrir Lady et Waterfall de Zawinul, Umbrellas cosigné Montreux 1976 • MICHEL BENITA doublon avec “08:30”, le le groupe au sommet, avec par les trois leaders, un pot-pourri comprenant Dr. Ma version préférée de Weather Report, “Live At Montreux live officiel de la tournée Jaco Pastorius et Peter Honoris Causa et trois compositions de Miros- qui allait, peu de temps après ce concert, 1976” (Eagle Vision 1977. Y figurait aussi une Eskine, lors d’un concert à composition inédite de 1975 Offenbach en Allemagne de lav Vitous (Seventh Arrow, T.H. et Morning enregistrer le définitif “Heavy Weather”. / Universal). “Live And Unreleased” signée Shorter, Cigano. septembre 1978. Lake). Les amateurs d’improvisation libre et Malgré l’énergie invraisemblable distillée par (Columbia Legacy, Pour le reste, trois périodes Signalons aussi le double d’interaction en ont pour leur argent. Tout la rythmique d’Alex Acuña, 2002) clés se mélangeaient, album (CD+DVD) d’un à leur bonheur de jouer, la contrebasse, Manolo Badrena et Jaco Pas- “Forecast symbolisées par trois de passionnant concert de la batterie et les percussions font gicler torius, Zawinul et Shorter par- Tomorrow” ses bassistes : Alphonso 1975 à Berlin (époque “Tale (Columbia Legacy, Johnson (délirante version Spinnin’”, avec Alphonso la musique en un torrent continu. Les viennent à garder le contrôle de 2006) de près de douze minutes Johnson, Chester Thompson deux autres protagonistes ne sont l’espace et du temps de manière “Live In Berlin de Cucumber Slumber !), et Alex Acuna), puis le pas en reste mais dessinent, à prodigieuse. C’est une incroyable le- 1975” (MIG, 2010) Jaco Pastorius (Portrait Of double CD (ou DVD) d’un , ) et Victor concert à Cologne en 1983 leurs façons respectives, un çon d’intelligence musicale. Les images “Live In Cologne Tracy River People Bailey, lors de la tournée avec Victor Bailey, Omar avenir à ce premier jet dont de ce DVD permettent d’apprécier dans 1983” (MIG, 2011) “Procession” (1983), avec Hakim et Mino Cinelu. Zawinul dénonça rapide- ses moindres détails le travail minutieux de Zawinul aux cla- “The Legendary de superbes versions de Enfin, en 2015,“The ment les limites. Le pia- viers et sa direction d’orchestre. Mais, plus que tout, il est inté- Live Tapes 1978- titres de cette époque, dont Legendary Live Tapes 1981” (Columbia niste – et c’est un vrai ressant d’observer Jaco, tout juste entré dans le groupe, imposer Legacy, 2015) Plaza Real. 1978-1981”, supervisé par spectacle – écoute, avec assurance son groove si particulier, à la croisée des chemins Peter Erskine, fit le bonheur En 2006, Zawinul et de tous grâce à sa sélection observe, réagit, sug- entre James Jamerson et , et d’apprécier son influence Shorter s’attelèrent à un de prestations scéniques gère, distribue, or- déjà énorme sur la musique. Il profite avec opportunité du rôle central passionnant coffret de trois du groupe avec Jaco ganise. Quant à de son instrument pour proposer à chaque instant des directions har- CD et un DVD, “Forecast Pastorius et Erskine. Shorter, il plane moniques ou rythmiques qui transcendent littéralement le répertoire, Tomorrow”, qui retraçait Indispensable ! toute l’histoire du groupe, LIONEL ESKENAZI en rêvant l’établissant de fait en un co-leader, presque à l’égal de Zawinul. Ce • en commençant avant sa au-dessus rôle va s’accentuer dans les années qui suivront. Drive hallucinant dans naissance par les sessions de cette la deuxième partie de Barbary Coast (l’une de ses compositions, pré- d’In A Silent Way avec Miles réjouis- sente sur “Black Market”), phrases sublimes et toujours à propos dans Davis, en 1969, et de Shorter

48 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 49 dossier Le monde de Weather Report dossier Le monde Weather Report

Brand X : “Morocan Roll” (Charisma, UNE HISTOIRE 1977) SUPPLÉMENT Brand X : “Livestock” (Charisma, 1977) Soft Machine : D’INFLUENCES “Land Of Cockayne” D’ÂMES (EMI, 1981) Dès la fin des années 1970, la musique Azymuth : “Light As Une partie du team de météorologistes de A Feather” (Milestone de Weather Report fut une source de Records, 1979) Jazzmag tenait à distinguer sept disques lumières pour de nombreux groupes de Azymuth : supplémentaires liés aux mondes de Weather “Outubro” (Milestone jazz électrique venus des quatre coins Records / Far Out Report. Les voicis. du monde. Tour d’horizon. Recordings, 1980) : “Wanderlust” Tim Hardin (Warner Bros., 1981) Bird On A Wire Commençons par l’Angleterre. Difficile de ne pas penser Steps Ahead : Columbia - 1971 à Weather Report avec “Morrocan Roll” et “Livestock” de “Modern Times” SARAH MCKENZIE Paris In The Rain « Tim Hardin ? J’ai adoré sa façon de chanter. Un type bien, mais (Elektra Musician, Au moment où Joe Zawinul, Miroslav Vitous, Brand X, enregistrés à l’époque où, dès que son emploi du 1984) Album déjà disponible accro à la drogue. » temps le lui permettait, prenait des vacances de CONCERT : Alphonse Mouzon contribuent au sixième album studio de Tim Hardin, Steps Ahead : grande figure de la scène folk new-yorkaise des années 1960, Weather Report est encore Genesis pour assouvir avec gourmandise ses fantasmes de “Magnetic” (Elektra, 27 Mars 2017 - Café de la Danse - PARIS en gestation. On raconte que c’est en fait pour tester les capacités d’un des accompagna- drummer. C’est d’ailleurs en écoutant son confrère l’Autrichien n’en fasse l’un de ses effets de prédilection dans 1986) teurs réguliers du chanteur, le guitariste Ralph Towner (futur fondateur du groupe Oregon), : Chester Thompson avec Frank Zappa, puis avec Weather son Zawinul Syndicate (écoutez Maracana dans “Outubro”). que Zawinul a accepté d’enregistrer et d’arranger deux chansons : Hoboin’ de John Lee Report dans “Black Market” qu’il se décida à l’embaucher “ Corners” (GRP, 1987) Hooker et la sublime ballade d’Hoagy Carmichael, Georgia On My Mind, redécouverte pour le seconder derrière les fûts au sein de Genesis. Quant Un peu plus au Nord, aux Etats-Unis, Steps Ahead fit sa grâce à Ray Charles en 1960. Difficile de ne pas saluer la qualité de ces deux adapta- : à Robin Lumley, le claviériste de Brand X, il élève Joe Zawinul mue Weather Report dès 1984 avec “Modern Times”, et pas “Music For Planets, Bird frise le (très bon) pastiche, comme le Lotus Groves de tions : Zawinul, au piano électrique, sort des cadres pop-folk avec beaucoup d’inventivité au rang de génie dans le passionnant documentaire Down seulement parce que Peter Erskine en était devenu le batteur People & Washing Soft Machine évoqué plus haut. Et dans l’étonnant The Stomp, et, ne serait-ce qu’à travers chaque introduction, on a déjà l’impression d’écouter du Wea- The Rhodes... attitré : fascinés par les nouveaux outils électroniques, Michael Machines” (Zebra c’est tout simplement Wayne Shorter qui lance des flamèches ther Report... Épilogue : quelques mois plus tard, Ralph Towner fera une brève apparition Records, 1985) Soft Machine, influencé par Weather Report ?! Certainement Brecker, et Mike Mainieri assumèrent par- de saxophones ténor et soprano... dans The Moors, le second morceau de “I Sing The Body Electric”... • JULIEN FERTÉ Randy Bernsen : pas à ses débuts, mais de façon évidente dans son ultime faitement leur rôle de “jazz-fusionneurs weather-reportiens”. “Mo’ Wasabi” (Zebra En 1987, le groupe Yellowjackets publia à son tour un album album studio, “Land Of Cockayne” : Lotus Groves sonne Mainieri, dès 1981, avait d’ailleurs commencé d’explorer les Records, 1986) très influencé par la musique de messieurs Zawinul, Shorter, presque comme un pastiche, et aux claviers polychromes de mêmes ambiances dans “Wanderlust” en compagnie, déjà, Uzeb : “Live In Pastorius et consors, “Four Corners”. Alex Acuña était de la Butterfly Dreams Karl Jenkins répond la basse électrique du bassiste invité, un de Peter Erskine, et d’un autre “ex” de Weather Report, le Bracknell” (Cream, partie, et la pochette était illustrée par Lou Beach, celui-là Milestone - 1973 1981) certain ... percussionniste Manolo Badrena. Avec “Magnetic”, en 1986, même qui avait réalisé celles d’“Heavy Weather” et de “Mr. La couverture empreinte d’un certain psychédélisme ambiant rappelle Steps Ahead se situait toujours dans la même lignée, au même Uzeb : “Fast Gone” de Weather Report... celle de “Sweetnighter”. “Butterfly Dreams” est le premier véritable Emotion” (Cream, album d’une jeune vocaliste débarquée de son Brésil natal. Dans un De l’autre côté de l’Atlantique, le trio brésilien Azymuth cultive titre qu’un futur membre du Zawinul Syndicate, le guitariste 1983) Au Québec, Uzeb, qui vient juste de se reformer, faisait aussi LEE KONITZ Frescalalto casting cinq étoiles s’illustrent rien de moins que , Joe Henderson et George à la fois une parenté esthétique avec le Return To Forever floridien Randy Bernsen qui, en l’espace de deux albums, fructifier l’héritage, avec beaucoup de fraîcheur et d’inventivité. Sortie le 10 Février Sixun : “Nuit Duke. Flora est encore sous l’impact décisif de sa participation à Return To Forever. première époque (quand leurs compatriotes Airto Moreira et a cultivé au gré de quelques morceaux d’étonnantes simili- Blanche” Leur méconnu “Live In Bracknell” de 1981, seulement paru en (Open, 1985) Mais c’est avec Airto, son mari et premier percussionniste éphémère de Weather Report, Flora Purim y jouaient un rôle majeur) et le Weather Report tudes avec Weather Report. « Étonnantes » ? Pas tant que ça France en 1984 – et dont l’un des meilleurs morceaux s’inti- qu’elle pousse ici plus loin la tentation électrique. Leurs connivences météorologiques se Flora Purim des années 1974-1978. Le jeu de basse sensuel et funky- puisque dans Steppin’ (extrait de “Music For Planets, People Sixun : “Pygmées” tule... Le Waiter Rapporte – et leur célèbre “Fast Emotion” de retrouvent dans ce jazz-funk chatoyant qui n’oublie aucunement ses racines latines. La

(Open, 1987) X/DR sant d’Alex Malheiros rappelle celui d’Alphonso Johnson ; le & Washing Machines”), sa guitare-synthétiseur “zawinulienne” 1983 comblèrent en leur temps les fans de Weather Report voix/instrument, libre et aérienne de Flora instaure avec le ténor de Joe Henderson et les Sixun : “Explore” claviers de George Duke de mémorables envolées solaires. L’album suggère tout autant batteur d’Ivan “Mamão” Conti aurait très bien pu remplacer duettise avec la batterie de Peter Erskine, tandis que Sir Yellow (Open, 1988) désorientés par le départ de Jaco Pastorius... Alex Acuña si cela avait été nécessaire, et le claviériste-colo- les effusions brûlantes que les climats éthérés imaginés par Joe Zawinul et Wayne Shor- riste José Roberto Bertrami, à l’évidence influencé par Zawi- Retraversons l’Atlantique pour finir notre périple météorologique ter. Et c’est bientôt Alphonso Johnson qui rejoindra la chanteuse, affirmant cette filiation... • JEAN-PIERRE VIDAL nul (pour preuve Amazonia et Young Embrace dans “Light en France en compagnie de Sixun, alias “Les enfants Weather As A Feather”), s’est mis à utiliser le Vocoder bien avant que Report”. Entre 1985 et 1988, avec leur trilogie culte – “Nuit Blanche”, “Pygmées” et “Explore” – Alain Debiossat, Louis Winsberg, Jean-Pierre Como, Michel Alibo, Paco Sery et Idrissa Diop (puis Jaco Largent) ont comblé le trou béant laissé par la Steps Ahead fit sa mue disparition de Weather Report. C’est à s’y méprendre parfois Mais c’est surtout Weather Report dès 1984, – écouter “Sportin’ Life” et “Pygmées” l’un à la suite de l’autre peut s’avérer joyeusement troublant... – mais c’est justement ANDRÉA MOTIS Emotional Dance vers les rêveries intenses et et pas seulement parce pour ça que Sixun a vite trouvé son (jeune) public : en assumant Sortie le 17 Février magnifiquement leur filiation. Et s’ils se sont ensuite quelque CONCERT : suspendues du premier opus que Peter Erskine en était peu éloignés de leur modèle-étalon, cela n’a pas empêché Joe 17 Mars 2017 - Café de la Danse - PARIS de Weather Report que Zawinul de repérer le talent hors-normes de Paco Sery et de devenu le batteur attitré. l’inviter à rejoindre son Syndicate... • PETER CATO OM s’oriente prioritairement...

50 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 51 52 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 dossier Le monde Weather Report

OM A Retrospective ECM - 1976/1980 SUPPLÉMENT L’impact de Weather Report s’est propagé bien au delà des frontières états-uniennes. Etabli en suisse et, sous l’impulsion de Manfred Eicher, OM a enregistré quatre albums sur Japo, label alternatif d’ECM. Dirigé par le saxopho- niste Urs Leimgruber et le guitariste Christy Doran, la particularité de ce quartette labélisé jazz-rock est l’absence de claviers. On décèle au fil de Joe Zawinul , D’ÂMES cette remarquable anthologie l’influence conjuguée du Miles Davis de “In « l’architecte sonore », A Silent Way” et du free spirit de Coltrane, auquel le nom du groupe fait et son ami

Une partie du team de météorologistes de référence. Mais c’est surtout vers les rêveries intenses et suspendues CHRISTIAN ROSE Salif Keita. Jazzmag tenait à distinguer sept disques du premier opus de Weather Report que OM s’oriente prioritairement, conforté par le remarquable apport des percussions de Dom Um Romao Scott Henderson supplémentaires liés aux mondes de Weather sur leur troisème album. Les arpèges de guitares jouent le rôle des cla- Report. Les voicis. viers planants de Zawinul, tandis que les vents de Leimgruber, même s’ils Jeff Berlin n’égalent pas en lyrisme les poésies shorteriennes, marquent de leurs empreintes respectives l’identité sonore de ce groupe à redécouvrir. • HBC Jungle book, la bibliographie Tim Hardin JEAN-PIERRE VIDAL Tone Center Records - 2012 D’aucuns, à ses débuts, disaient de Scott Pour en savoir encore Bird On A Wire plus sur les mondes de Columbia - 1971 Henderson qu’il était « le chaînon manquant entre John Sco- Weather Report. Pork Pie . Quoi qu’il en soit, c’est à lui que Joe « Tim Hardin ? J’ai adoré sa façon de chanter. Un type bien, mais field et Allan Holdsworth » Transitory Zawinul fit appel quand il fonda en 1988 son Syndicate, faisant The accro à la drogue. » Au moment où Joe Zawinul, Miroslav Vitous, MPS, 1974 Extraordinary Alphonse Mouzon contribuent au sixième album studio de Tim Hardin, ainsi entrer la guitare dans son univers sonore, passée l’expé- And Tragic Pork Pie, groupe européen des années 1970, injus- grande figure de la scène folk new-yorkaise des années 1960, Weather Report est encore rience sans lendemains de Weather Update avec Steve Khan à Life Of Jaco tement méconnu et oublié, enregistra son premier en gestation. On raconte que c’est en fait pour tester les capacités d’un des accompagna- la six-cordes. Après deux albums avec The Zawinul Syndicate, Pastorius, album “Transitory” sous l’influence de Weather Report. Henderson s’en est retourné voguer solo. HBC est un power par Bill Milkowski (éd. teurs réguliers du chanteur, le guitariste Ralph Towner (futur fondateur du groupe Oregon), Miller Freeman Books). Emmené par le claviériste hollandais Jasper Von Hof, cette formation trio formé en 2009 à travers lequel Henderson cultive sa pas- que Zawinul a accepté d’enregistrer et d’arranger deux chansons : Hoboin’ de John Lee internationale comprend le saxophoniste américain Charlie Mariano, le sion pour les compositions de Joe Zawinul et de Wayne Shor- In A Silent Hooker et la sublime ballade d’Hoagy Carmichael, Georgia On My Mind, redécouverte guitariste belge Philip Catherine, le contrebassiste français Jean-François Way, A grâce à Ray Charles en 1960. Difficile de ne pas saluer la qualité de ces deux adapta- ter. Entres originaux et reprises de standards du jazz électrique Jenny-Clark et le batteur franco-italien Aldo Romano. Cinq musiciens Portrait Of tions : Zawinul, au piano électrique, sort des cadres pop-folk avec beaucoup d’inventivité (Actual Proof d’Herbie Hancock et Stratus de Billy Cobham), Joe Zawinul, exceptionnels au service d’une musique fortement atmosphérique, qui et, ne serait-ce qu’à travers chaque introduction, on a déjà l’impression d’écouter du Wea- Mysterious Traveller (extrait de l’album du même nom de Wea- par Brian d’un jazz-rock funky ( ), à des ambiances planantes ( ), Glasser (éd. As Long ther Report... Épilogue : quelques mois plus tard, Ralph Towner fera une brève apparition Epoch Transitory ther Report), D Flat Waltz (“Domino Theory”), The Orphan et pratiquent aussi un jazz aventureux qui s’ouvre aux musiques du monde Sightseeing (“8:30”) bénéficient ainsi d’un traitement à la fois As It’s Hot). dans The Moors, le second morceau de “I Sing The Body Electric”... • JULIEN FERTÉ (Pudu Kkottai) avec un Charlie Mariano époustouflant, aussi bien à la flûte radical et respectueux, énergique et subtil, la guitare du leader , traditionnelle indienne qu’au saxophone. Un groupe démocratique, où cha- se substituant à la fois au saxophone de Shorter et aux claviers The Life And cun s’exprime pleinement : Philippe Catherine dans Angel Wings, Jenny- de Zawinul – grâce à sa maîtrise des effets electroniques, Hen- Work Of Wayne Flora Purim Shorter, par Butterfly Dreams Clark et Romano dans Bassamba et Jasper Van’t Hof dans la plupart des derson relève haut la main ce défi. • JULIEN FERTÉ Michelle Mercer titres, avec une utilisation du piano électrique qui n’est pas sans rappeler Milestone - 1973 (éd. Tarcher Penguin). un certain Joe Zawinul... • LIONEL ESKENAZI La couverture empreinte d’un certain psychédélisme ambiant rappelle No Beethoven, celle de “Sweetnighter”. “Butterfly Dreams” est le premier véritable Artistes divers An Autobiography & album d’une jeune vocaliste débarquée de son Brésil natal. Dans un Celebrating The Music Chronicle Of Weather Salif Keita Of Weather Report Report, par Peter Erskine casting cinq étoiles s’illustrent rien de moins que Stanley Clarke, Joe Henderson et George Amen (éd. Fuzz/E-Books). Duke. Flora est encore sous l’impact décisif de sa participation à Return To Forever. Telarc - 2001 Mango - 1991 Mais c’est avec Airto, son mari et premier percussionniste éphémère de Weather Report, Conscient de la difficuté de recréer l’alchi- « I know how to get On connait depuis longtemps l’intérêt de Joe Zawinul a sound », Joe Zawinul qu’elle pousse ici plus loin la tentation électrique. Leurs connivences météorologiques se Flora Purim mie singulière unissant les membres de pour les musiques du monde et en particulier pour And His Electronic retrouvent dans ce jazz-funk chatoyant qui n’oublie aucunement ses racines latines. La Weather Report, dont la noyau créatif fut incarné de tous temps Sonics, par Curt Bianchi

X/DR celles qui viennent d’Afrique. C’est d’ailleurs sur ce voix/instrument, libre et aérienne de Flora instaure avec le ténor de Joe Henderson et les par l’insécable duo Joe Zawinul / Wayne Shorter, le claviériste, (Wax Poetics, numéro 9, continent que Zawinul a rencontré Salif Keita, il l’a suivi pendant sept claviers de George Duke de mémorables envolées solaires. L’album suggère tout autant programmateur de renom et producteur expérimenté Jason été 2004). mois en liant avec lui une forte connivence, qui a abouti à la production les effusions brûlantes que les climats éthérés imaginés par Joe Zawinul et Wayne Shor- Miles a choisi de célébrer leur musique en la faisant (re)jouer Weather d’“Amen”, considéré comme l’un des meilleurs albums de Keita et l’un ter. Et c’est bientôt Alphonso Johnson qui rejoindra la chanteuse, affirmant cette filiation... par des musiciens d’exception, sans forcer le trait, avec beau- Report, une des sommets de la world music des années 1980-1990. Zawinul a réalisé histoire du jazz • JEAN-PIERRE VIDAL coup de respect, et en révélant avant tout le côté mélodique et un passionnant travail d’architecture sonore qui mêle astucieusement la dansant des onze compositions retenues. Et le plaisir est grand électrique, par musique folklorique malienne, incarnée par l’extraordinaire voix de Salif Christophe que d’entendre Michael Brecker soloter sur Elegant People, Delbrouck (éd. Le Mot et Keita, et des rythmes modernes et funky (Etienne M’Bappé à la basse dans Cannon Ball (composé par Zawinul en le Reste). et Paco Séry à la batterie), avec des sons de synthétiseurs novateurs et hommage, faut-il le rappeler, à Cannonball Adderley, l’un des savamment dosés. Un disque qui remporta un beau succès, où Zawinul Les singularités idoles de Sanborn...), Steve Gadd dans Young And Fine (qu’il flottantes de Wayne Mais c’est surtout s’est permis d’inviter des stars internationales, tel le guitariste Carlos avait déjà joué avec Steps en 1979 au Japon), Take 6 dans Shorter, par Stéphane Santana (comme un poisson dans l’eau dans Nyanafin et dans le tube NB’I Birdland, Cyro Baptista dans The Poursuit Of The Woman With Carini (éd. Birdland / Rouge Profond). vers les rêveries intenses et Fe) ou Wayne Shorter, bien présent, mais fort discret. • LIONEL ESKENAZI The Feathered Hat, ou encore John Scofield et Marcus Miller suspendues du premier opus dans Cucumber Slumber. • JULIEN FERTÉ de Weather Report que OM s’oriente prioritairement... Scott Henderson, Dennis Chambers et Jeff Berlin, alias HBC. X/DR

52 Jazz Magazine Numéro 691 Février 2017 Février 2017 Numéro 691 Jazz Magazine 53