Le discours proverbial chez Ahmadou Kourouma

by

Claude Tankwa Zesseu

A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy Graduate Department of French University of Toronto

© Copyright by Claude Tankwa Zesseu 2011

Le discours proverbial chez Ahmadou Kourouma

Claude Tankwa Zesseu

Doctor of Philosophy

Graduate Department of French University of Toronto

2011 Résumé

Ce travail examine le discours proverbial dans les romans d’Ahmadou Kourouma. Il fait valoir que le discours proverbial de Kourouma traduit la vision cosmologique des personnages romanesques dans cinq domaines, à savoir la , la culture matérielle, les animaux, le temps et la femme. Contrairement aux études publiées au cours des quarante dernières années qui traitent de certains de ces domaines sans véritablement privilégier le proverbe comme objet d’analyse, ou qui l’analysent trop rapidement chez Kourouma en utilisant de très minces corpus ou une approche peu efficace et non contextuelle, ce travail, lui, déconstruit le proverbe et fait ressortir ses dimensions esthétiques, discursives et idéologiques les plus variées et les plus significatives.

La thèse se sert des approches syncrétique, fonctionnelle et intertextuelle pour examiner les proverbes comme discours religieux. Dans le but d’explorer les proverbes portant sur la culture matérielle, l’étude adopte les concepts du symbolisme, de filiation, de territorialité ainsi que les notions de la hiérarchie des métaux et d’extra-textualité. Le travail aborde les proverbes animaliers en ayant recours aux concepts de métaphore, du symbolisme et du contractualisme.

Quant à l’expression temporelle des proverbes, elle est approchée dans une perspective culturelle

ii et spatio-temporelle alors que le rapport du proverbe au genre féminin est déterminé à partir d’une analyse culturelle et sociale de son statut.

Cette approche d’une étude multidimensionnelle du proverbe permet ici de déterminer le caractère biculturel, bispirituel, pragmatique, opportuniste et utilitariste de la foi religieuse des personnages kouroumiens. Elle montre en outre que les objets de la culture matérielle sont porteurs de significations sociales, culturelles, littéraires et environnementales. Grâce à son cadre conceptuel élargi et diversifié, ce travail permet également de constater que les animaux possèdent des identités distinctives et remplissent des fonctions romanesque, spirituelle, sanitaire et alimentaire. La thèse met enfin en évidence le caractère pluraliste du temps existentiel, et

établit que la condition de la femme est fortement influencée par des facteurs naturels et socioculturels. De ses résultats, l’étude tire la conclusion que le proverbe permet à Kourouma de proposer sa lecture du monde et sa théorie de l’écriture romanesque.

iii

Remerciements

Le présent travail de recherche n’aurait pu aboutir sans le concours d’un certain nombre de personnes et institutions que je tiens ici à remercier.

Je suis sincèrement et particulièrement reconnaissant au Professeur Alexie Tcheuyap de m’avoir permis de mener cette recherche sous sa direction. Son soutien, ses encouragements et ses conseils m’ont aidé à surmonter de nombreux défis liés à ma recherche.

Aussi, je suis profondément reconnaissant à Suzanne Crosta, Doyenne de la Faculté des sciences humaines et professeure de français à l’Université McMaster, pour son appui indéfectible manifesté à mon endroit au cours de ces six dernières années. Non seulement la Professeure

Crosta m’a initié à la recherche en littérature africaine, mais aussi elle m’a encouragé à poursuivre un diplôme terminal dans la discipline. Comme membre de mon comité de thèse, ses observations précises et rigoureuses m’ont aidé à améliorer mon projet.

Mes sincères remerciements vont également au Professeur Emmanuel Nikiema qui, en dépit de son horaire professionnel très chargé, a gracieusement accepté de faire partie de mon comité de thèse. Ses lectures attentives et ses commentaires judicieux ont été riches d’enseignements.

J’adresse aussi un grand merci chaleureux à mon ami de longue date Monsieur Pascal Nzodjou pour avoir accepté de lire mon manuscrit. Avec Pascal, j’ai eu des échanges très instructifs concernant la forme de mon travail.

En tant que bénéficiaire du régime de bourses d’études supérieures de l’Ontario (BESO) et du régime de bourses de l’Université de Toronto et de son Département d’Études françaises, je tiens

iv

également à exprimer ma gratitude au Gouvernement de l’Ontario, à l’Université de Toronto et au Département d’Études françaises.

Enfin, je suis infiniment redevable à mon épouse Marie et à mes enfants Beryl, Harris et Jesse pour la patience et la compréhension qu’ils ont manifestées à mon égard durant la longue et très difficile période de mes études doctorales.

Je revendique l’entière responsabilité de la présente thèse.

v

Table des matières

Résumé...... ii

Remerciements...... iv

Table des matières...... vi

Introduction générale ...... 1

Chapitre 1...... 14

Le proverbe ...... 14

1 Étude du proverbe : aperçu historique et théorique ...... 14

2 Clarification terminologique ...... 19

3 Parémie et roman francophone subsaharien...... 23

4 Repérage des proverbes...... 25

4.1 Éléments textuels ...... 25

4.2 Éléments poétiques et phraséologiques ...... 28

4.3 Consultation des sources secondaires ...... ………………………………………..40

Chapitre 2...... 42

Proverbes et religion ...... 42

1 Islam et religion traditionnelle en Afrique : survol historique...... 46

2 Croyances plurielles et significations ...... 49

3 Sacrifices ...... 55

4 Être suprême...... 61

vi

5 Stoïcisme, soumission et croyance au destin ...... 68

6 Proverbes et foi agissante ...... 74

7 Exploitation de la religion à des fins inavouées...... 78

Chapitre 3...... 85

Culture matérielle et discours proverbial...... 85

1 Proverbes et vêtements...... 88

2 Objets à usage ménager...... 97

3 Objets de l’organologie ...... 103

4 Objets de défense et de guerre ...... 110

5 Espaces construits ...... 113

6 Objets précieux...... 119

7 Objet de facilitation des échanges économiques...... 123

8 Objets liés à l’environnement aquatique...... 125

Chapitre 4...... 130

Proverbes zoologiques et vision du monde...... 130

1 Proverbes et symbolique animalière ...... 136

1.1 L’hippopotame...... 136

1.2 Le singe...... 138

1.3 Le chien...... 143

1.4 L’hyène ...... 147

vii

1.5 L’éléphant ...... 149

1.6 Les sauriens...... 152

1.7 Les squamates ...... 154

2 Proverbes et identité animale ...... 156

3 Proverbes, exploitation animale et l’éthique ...... 161

Chapitre 5...... 167

Proverbes et temporalité ...... 167

1 Temporalité individuelle ...... 171

1.1 L’enfance : gestation, maternité et maternage ...... 171

1.2 L’enfance, temps de désespérance ...... 172

1.3 De la bonne et de la mauvaise occupation des enfants ...... 174

1.4 L’enfance, période de la socialisation primaire ...... 177

1.5 La vieillesse...... 179

2 Temps météorologique/physique...... 182

2.1 L’harmattan, saison événementielle...... 186

3 Temps historique...... 188

4 Temps limité versus temps illimité ...... 191

5 Temps de vérité...... 195

6 Temps du destin ...... 195

7 Temps de la clandestinité...... 196

viii

8 Temps de pause...... 197

9 Temps opportun...... 198

10 Temps prémonitoire ...... 198

11 Proverbes temporels et temps romanesques...... 200

Chapitre 6...... 203

La femme dans le discours proverbial ...... 203

1 Femme éducatrice, mère vénérée...... 205

2 Femme féconde versus femme stérile...... 212

3 Femme et polygamie ...... 217

4 Femme opprimée...... 224

4.1 Femme battue, enchaînée et bâillonnée ...... 224

4.2 Femme et excision ...... 229

5 Femme et beauté ...... 235

Conclusion générale...... 242

Bibliographie ...... 251

Annexe ...... 286

ix 1

Introduction générale

L’espace littéraire francophone se caractérise par la diversité de ses peuples parmi lesquels

figurent les Malinké1. Ces derniers possèdent une culture dont la tradition orale a cristallisé l’attention de plusieurs auteurs (Creissels 2009, Meyer 2000, Camara 1976, Diango 1970). En fait, ce peuple fait le distinguo entre les différents genres qui constituent l’orature. Ainsi, chez les

Malinké, cette dernière comprend le conte (tali), le proverbe (sanda), la devinette (sanda kodobo), l’épopée (fasa), la légende (tadiku) et le mythe (doo) (Camara 2005 : 64). Le « vrai »

Malinké, c’est-à-dire celui qui est né et éduqué dans un environnement traditionnel, serait familier avec la culture orale, comme en témoigne cet informateur malinké dont les propos sont publiés par Camara: « Tout Maninka (Malinke) né au village se souvient de son enfance: on

éduque avec le conte, on enseigne l’éloquence à l’aide des proverbes et devinettes, […] on capte le sens de la bravoure à l’écoute des légendes et des épopées » (Camara 2005 : 64). Cette donne lève un pan de voile sur la culture dans laquelle Ahmadou Kourouma, célébrissime romancier2,

1 Les membres de cette ethnie sont installés au Burkina-Faso, en Côte d’Ivoire, en Gambie, en Guinée, au Mali et au Sénégal (Auzias et Labourdette 37).

2 Grâce à la qualité de sa production littéraire, Kourouma glane de nombreux prix littéraires dont les plus importants sont : le prix de la Fondation Maille-Latour-Landry de l’Académie française en 1970 pour Les Soleils des indépendances; le prix du livre Inter en 1999 pour En attendant le Vote des bêtes sauvages; le prix Jean Giono 2000 pour toute sa production littéraire; le prix Renaudot, le prix Goncourt des Lycéens 2000 et le prix Amerigo Vespucci pour son roman Allah n’est pas obligé. Alors, on comprend aisément pourquoi l’œuvre de cet écrivain, que Pliskin (146) du journal Le Nouvel Observateur qualifie de Voltaire africain, n’a cessé de susciter des commentaires littéraires.

2

voit le jour en 1927 à Boundiali, en Côte d’Ivoire, et passe certains moments de sa vie3. Elle expliquerait aussi pourquoi son œuvre grouille de formes gnomiques4.

Dans Les Soleils des indépendances (1968), roman où Kourouma raconte l’histoire tragique de

Fama, un prince malinké qui est incapable de gérer avec succès les vicissitudes, les défis et les

réalités sociopolitiques de l’ère de l’indépendance, le proverbe est représenté entre autres comme

un dispositif argumentatif qui alimente le processus narratif (LSI 145) et qui est ancré dans et

convoqué à partir de l’inconscient du protagoniste (161). Dans le deuxième roman de Kourouma

Monnè, outrages et défis (1990), un texte qui présente l’histoire de Djigui, un roi naïf,

superstitieux et impuissant dont les ancêtres, la religion et les forteresses de fortune n’empêchent

pas les forces coloniales françaises d’occuper son pays, le proverbe est représenté entre autres

comme un outil pour souligner une remarque pertinente (MOD 108), pour décrypter et crypter

des nouvelles (160) et pour caractériser la population malinké en tant qu’une entité linguistique

et culturelle (211). Le proverbe fait également partie intégrante de En attendant le Vote des bêtes

sauvages (1998), un récit merveilleux dans lequel un griot et son répondant, sous un mode

cathartique, rendent public le récit de vie du président Koyaga, maître chasseur, vétéran de la

guerre d’Indochine et un dictateur impénitent qui s’inspire de son « homme de destin »

Maclédio, des dictateurs expérimentés ainsi que d’une météorite magique et d’un livre sacré

reçus respectivement de sa mère Nadjouma et de son marabout. En effet, dans ce troisième

roman, Kourouma, à travers le narrateur, estime que le proverbe est l’essence première pour ne

pas dire l’alpha du verbe : « Le proverbe est le cheval de la parole; quand la parole se perd, c’est

3 Il décède le 11 décembre 2003 à Lyon, en France. 4 « Gnomique » est synonyme de l’adjectif « proverbial » (Centre National de Ressources Textuelles et Littéraires - CNRTL, http://cnrtl.fr/synonymie/gnomique, site consulté le 8 mars 2011).

3

grâce au proverbe qu’on la retrouve » (EAVBS 41). La vérité de cette citation peut également se

vérifier dans Allah n’est pas obligé (2000), un roman qui raconte l’histoire d’un enfant-soldat

Birahima qui, accompagné par Yacouba, quitte sa patrie la Côte d’Ivoire et se lance à la

recherche de sa tante Mahan, une quête infructueuse qui le conduit au Libéria et en Sierra Leone,

pays dans lesquels il œuvre comme enfant-soldat à la solde des chefs de guerre, une profession qui l’expose à la tuerie et aux drogues. Dans ce quatrième roman, comme dans le troisième, le proverbe est un élément important qui permet au protagoniste Birahima d’articuler ses propos

(ANEPO 11, 183, 187). La présence du proverbe se fait également sentir dans Quand on refuse on dit non (2004), cinquième roman de Kourouma publié à titre posthume, roman où le proverbe est présenté entre autres comme le lieu d’inscription de certaines valeurs ancestrales telles que l’hospitalité (QORODN 83, 101) et la sincérité (31). Signalons au passage que le roman raconte la vie de Birahima, un enfant-soldat démobilisé qui, après avoir pris part aux guerres au Libéria et en Sierra Leone, retourne dans son pays natal la Côte d’Ivoire, trouve un emploi comme

aboyeur pour une société de taxis de brousse, reçoit des leçons sur l’histoire et la géographie de

son pays grâce à Fanta, et décide de fuir avec celle-ci vers le nord du pays pour éviter un conflit

ethnique qui fait rage à Daloa, conflit qui oppose une tribu du sud (les Bété) aux peuples du nord,

conflit qui auparavant provoque l’assassinat de Youssouf, père de Fanta.

Fort du constat que le proverbe constitue une marque caractéristique de l’écriture d’Ahmadou

Kourouma, nous sommes encouragé à mener à bien ce projet de recherche intitulé « Le discours

proverbial chez Ahmadou Kourouma ». Notre réflexion se fonde sur un postulat majeur : le

proverbe, en tant que réceptacle de la culture, véhicule une vision cosmologique particulière sur

la religion, la culture matérielle, l’animal, la temporalité et la femme. Dans notre thèse, nous

tâcherons de déconstruire des proverbes tirés des cinq romans résumés plus haut, afin de mettre

en exergue des liens qui existent entre ces tournures d’esprit (formes langagières) et la mentalité

4

(vision culturelle) des personnages5. Notre décision d’analyser, par le biais des proverbes, les

catégories sus-évoquées est motivée entre autres par le fait que les propos de Kourouma

suggèrent que la mentalité de ses personnages est à rechercher dans la sphère orale de son œuvre.

À ce sujet, l’auteur affirme avoir pris la liberté et s’être fait un point d’honneur de puiser dans le

fond culturel oral de son peuple : « Je n’avais pas le respect du français qu’ont ceux qui ont une

formation classique. […] Ce qui m’a conduit à rechercher la structure du langage malinké, à

reproduire sa dimension orale […] » (Chemla 1993, cité par Borgomano 2004 : 7). Nous sommes

également encouragé à explorer les proverbes thématiques parce que les critiques s’accordent sur

le fait que les formes orales offrent aux écrivains africains la meilleure plate-forme pour

exprimer des idées, et permettent aux lecteurs de mieux interpréter celles-ci. À cet égard et n’en

déplaise à certains6, Kane fait valoir que

5 Signalons en passant que Kourouma se préoccupe de ces rapports. L’auteur, dans une interview accordée à Moncef S. Badday en 1970, exprime son souhait, ou plutôt son souci, « de faire ressortir la mentalité des personnages », lesquels « ont des approches, des tournures d’esprit » permettant « de suivre les méandres de la logique » (Badday 1970 : 6). On ne saurait sous- estimer l’importance du lien indissoluble qui existe entre le langage et la culture. D’ailleurs, à propos de la symbiose qu’entretiennent ces derniers, Ngugi wa Thiog’o nous dit ceci : « La langue est porteuse de la culture, et la culture […], grâce à l’oralité et la littérature, porte l’ensemble des valeurs qui influencent la façon dont nous nous percevons et la manière dont nous percevons notre place dans le monde » (Ngugi 1986 : 15-16 ; notre traduction). Citation originale: « Language carries culture, and culture carries […] through orature and literature, the entire body of values by which we come to perceive ourselves and our place in the world » (Ngugi 1986: 15-16).

6 À en croire Gerard, l’indigénisation du roman africain fait perdre le sommeil à certains défenseurs des règles d’écriture édictées par l’occident. À propos de ce sujet, l’auteur dit : « […] la recherche avancée affiche une préoccupation croissante concernant la manière dont les langues européennes et les processus de création [littéraire] sont influencés par les langues indigènes d’Afrique et leurs modes oraux de créativité verbale » (Gerard 3; notre traduction). Citation originale : « […] advanced research displays increasing concern for the manner in which European languages and creative procedures are affected by Africa’s indigenous languages and traditional oral modes of verbal creativity » (Gerard 3).

5

l’originalité [la signification] du roman africain doit être cherchée plus

particulièrement dans ses rapports avec les formes de la littérature orale [...]. Une

plus grande attention aux rapports, aux liens de continuité des littératures orales et

écrites permet de mieux comprendre les problèmes du roman africain (Kane

1974 : 537).

Les remarques de Kane sont, dans une certaine mesure, appuyées par Obiechina quand il dit :

les écrivains [ouest-africains] puisent abondamment dans […] le folklore, les

symboles traditionnels, les images et les tournures langagières traditionnelles, afin

d’imprégner leurs écrits d’une sensibilité et d’une saveur authentiquement ouest-

africaines7 (Obiechina 1975: 26).

Ainsi, dans notre thèse, en tenant compte des cinq domaines thématiques à l’étude, nous allons

tenter d’examiner comment les proverbes traduisent le plus fidèlement possible non seulement le

processus de pensée des personnages, mais aussi leurs sensibilités. Notre initiative est d’autant

plus pertinente que le projet d’écriture de Kourouma accorde une place importante aux

sensibilités dont parle Obiechina :

Mon projet n’était pas de malinkiser le français mais de faire ressortir mon

personnage dans toutes ses dimensions. De sorte qu’un lecteur vive le

cheminement de la pensée du personnage, qu’il voie ce que voit le personnage et

7 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [West African] writers are drawing elaborately from […] folklore, traditional symbols and images, and traditional turns of speech, to invest their writing with a truly West African sensibility and flavour » (Obiechina 1975: 26).

6

de la façon qu’il le voit, qu’il sente ce qu’il sent et de la façon qu’il le sent8 (Djian

2010 : 182).

La décision de nous lancer dans cette recherche n’est pas fondée uniquement sur le fait que l’écriture de Kourouma est pleine de proverbes ou que ces derniers traduisent la mentalité, la culture ou les sensibilités des personnages dans les champs thématiques qui font l’objet de notre travail. Elle est également motivée par le fait que les travaux antérieurs consacrés au proverbe kouroumien demeurent non exhaustifs. Au cours des quarante dernières années, quelques auteurs se sont penchés sur le proverbe kouroumien. Présentons rapidement une chronologie critique des publications de certains de ces auteurs dont les réflexions se singularisent par leur forme ou par

leur contenu. Déjà en 1971, juste quelques années après la parution de Les Soleils des

indépendances, Eric Sellin, dans une communication intitulée « Ouologuem, Kourouma et le nouveau roman africain9 » commente quelques proverbes et locutions proverbiales tirés du récit

kouroumien sus-évoqué. Comme l’indique le titre de la communication de Sellin, la réflexion de

ce dernier est une analyse comparée relative aux techniques narratives novatrices déployées

respectivement par Yambo Ouologuem et Ahmadou Kourouma dans Devoir de violence et dans

Les Soleils des indépendances. Il y a lieu de signaler que Sellin, dans son travail, n’accorde que

deux paragraphes (totalisant vingt lignes) à quelques formules gnomiques kouroumiennes et aux

commentaires y afférents (Sellin 48).

8 Extrait du discours de Kourouma prononcé à Frankfurt le 5 octobre 1980, dans le cadre du symposium intitulé « La fonction des littératures modernes en Afrique noire ».

9 La communication est présentée dans le cadre d’un colloque co-organisé les 14 et 15 juin 1971 à l’Université de Vermont, Burlington, Vermont, par le Département de langues romanes et le Programme d’études canadiennes de l’Université de Vermont.

7

Une douzaine d’années après la publication du texte de Sellin, Julie Emeto-Agbasière, dans un

article intitulé « Le Proverbe dans le roman africain » (1986 : 27-41), procèdera à une analyse contrastive de la représentation des proverbes dans Les Soleils des indépendances d’Ahmadou

Kourouma et dans L’Étrange Destin de Wangrin (1973) d’Amadou Hampâté Bâ (1899-1991).

Dans son travail, Emeto-Agbasière scrute les valeurs rhétoriques et narratives d’une dizaine de

formules proverbiales tirées de l’œuvre de Kourouma. L’auteur du travail peut se targuer d’être

l’un des premiers à consacrer une étude au proverbe kouroumien. Cependant, la quantité de

proverbes kouroumiens abordés dans l’étude n’est pas très importante et ne nous permet pas

d’avoir une appréciation plus juste et plus éclairée des proverbes kouroumiens.

Presque quinze ans après la sortie de l’article d’Emeto-Agbasière, Nicki Hitchcott, dans

Francophone Literatures: A Literary and Linguistic Companion (Offord et al. 2001), va dédier

un paragraphe de sept lignes aux proverbes kouroumiens pour élucider un problème

d’interprétation rencontré par les lecteurs qui ne sont pas familiers avec les réalités culturelles

des sociétés qui génèrent ces proverbes.

En 2002, Albert Gandonou (139-142) dans son ouvrage Le Roman ouest africain de langue française, présentera vingt-deux proverbes extraits de Les Soleils des indépendances. Le mérite de ce travail réside dans le fait qu’il s’efforce d’établir des liens entre les proverbes en français et

leur version originale en langue malinké. Toutefois, ce travail, à la différence du nôtre, épouse un modèle de la linguistique comparative, repose sur un corpus étroit et adopte une méthode d’analyse non contextualisante.

Mufutau A. Tijani (108-109), de son côté, publie en 2004 un texte dans lequel il évoque les proverbes kouroumiens. L’auteur commente le sens général d’un proverbe tiré de Les Soleils des

indépendances, d’un autre de En attendant le Vote des bêtes sauvages et de quatre autres de

8

Allah n’est pas obligé. Chez cet auteur, non seulement les proverbes commentés sont peu

nombreux, mais aussi sont-ils dépouillés de leur contexte [discursif] de réalisation. S’agissant de

Nimrod, sa réflexion (intitulée « Du Proverbe au verbe ; La nouvelle philosophie des vocables initiés par Kourouma ») publiée aussi en 2004 épouse une orientation comparatiste, en juxtaposant la pensée sociale de Kourouma et celles de Friedrich Nietzsche, Birago Diop,

François Rabelais et Marcel Proust. Quoique le terme « proverbe » figure dans le titre et au sein du travail de Nimrod, signalons tout de même que le critique ne fait allusion qu’à trois proverbes tirés de Les Soleils des indépendances.

Dans Le Français des romanciers négro-africains : Appropriation, variationnisme,

multilinguisme et normes, ouvrage commis en 2007 par Biloa Edmond, ce dernier analyse des

formules parémiques extraites du récit En attendant le Vote des bêtes sauvages (298-315). Le travail brosse de façon rapide diverses images [humaine, animalière, aquatique, végétale] que véhiculent les formules gnomiques dont certains traits syntaxiques sont également esquissés par

l’auteur (Biloa 298-315). Ajoutons que les fragments gnomiques, 147 au total, énumérés dans le

travail, occupent presque huit pages. Le cadre théorique adopté par Biloa, contrairement à celui

qu’entérine notre thèse, est purement ethnostylistique. En plus, notre démarche diffère de la

sienne parce qu’elle a un corpus plus élargi et parce qu’elle tient compte des considérations

contextuelle et thématique entourant les formules gnomiques.

À l’instar de la réflexion de Hitchcott citée plus haut, celle de Tony Simoes da Silva (140) publiée en 2008, tient en un paragraphe de seize lignes et cible seulement un proverbe kouroumien pour décrire les techniques de narration utilisées par le griot dans Waiting for the

Wild Beasts to Vote. Quantitativement et qualitativement parlant, ces deux publications sont en fait de portée limitée parce qu’elles se basent sur un très petit nombre de proverbes.

9

S’agissant de l’ouvrage de Gérard Noumssi – La Créativité langagière dans la prose

romanesque d’Ahmadou Kourouma – publié en 2009, l’auteur y consacre une réflexion au

proverbe kouroumien. Dans son analyse, Noumssi se fixe un objectif – tout à fait louable –

d’examiner certains traits métaphoriques, syntaxiques et rythmiques d’une quarantaine de

proverbes tirés de trois romans [Les Soleils des indépendances, Monnè, outrages et défis, En

attendant le Vote des bêtes sauvages] (Noumssi 53-63). À part le fait que ce travail n’examine

pas la majorité des proverbes que renferment les trois textes choisis et exclut deux récits kouroumiens (Allah n’est pas obligé et Quand on refuse on dit non) qui contiennent également les formes gnomiques, ledit travail reste un exercice à forte coloration linguistique, ne privilégiant pas trop la teneur thématique ni le contexte performanciel et romanesque des

proverbes analysés. De la sorte, l’étude effectuée par Noumssi, contrairement à la nôtre,

n’aborde pas la vaste majorité des proverbes kouroumiens et ne traite pas ces derniers selon les

grandes configurations thématiques.

Quelle conclusion pouvons-nous tirer de ces travaux qui, de près ou de loin, examinent les

parémies kouroumiennes ? De toute évidence, la perspective généraliste et non contextuelle des

uns et le corpus ou le cadre conceptuel restreints des autres ne présentent pas le proverbe

kouroumien dans ses dimensions thématiques les plus variées et les plus significatives. D’où la

pertinence de notre thèse qui s’emploiera à cerner et analyser les grandes configurations

thématiques susvisées, lesquelles se dégagent des proverbes tirés des cinq romans de Kourouma.

Notre thèse est composée de six chapitres. Le premier chapitre vise quatre objectifs. Primo, il

offre un aperçu diachronique de l’étude du proverbe en tant que discipline scientifique, en

insistant sur quelques grandes approches théoriques qui ont façonné la discipline à travers les

années. Nous y présentons l’histoire de l’étude de la parémie à travers les prismes fonctionnel

10

(Hermogènes), anthropologique (Taylor et Whiting), structuraliste (Dundes, Greimas, Crépeau,

Permiakov, Zumthor, Barley, Rodegem, Mohamadou, Gouvard), pragmatiste (Burke), contextuel

(Prahlad, Winnick, Mieder, etc.), énonciatif (Meschonnic, Barthes, Borgomano) et sémantique

(Kleiber, Carel et Schulz, Norrick, Visetti et Cadiot). Secundo, le chapitre présente certains détails terminologiques liés à notre thèse, après quoi il fait un bref exposé sur la relation que le proverbe entretient avec le roman négro-africain depuis la création de celui-ci. Pour régler les questions terminologiques reliées aux formes gnomiques, nous puisons dans la base de données du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) ainsi que dans les travaux des lexicographes (Bénac et Réauté, Chazaud, Kannas, Rey [1986]), des parémiographes

(Maloux, Rodegem) et des critiques littéraires (Bachirou, Camprubi, Bouillaguet, Maalu-Bungi,

Schapira, Tourrette). Pour interroger le lien qui existe entre le proverbe et la production romanesque négro-africaine, nous examinons un échantillon représentatif de romans écrits par des auteurs francophones à partir des années vingt jusqu’aux années soixante, moment où

Kourouma publie son premier roman Les Soleils des indépendances. La dernière partie du chapitre, qui met en évidence les traits identificatoires du proverbe kouroumien, examine les critères que nous avons utilisés dans la sélection des proverbes qui constituent l’objet de notre thèse. Nous tenterons de dégager lesdits critères en scrutant quelques indices textuels, poétiques et phraséologiques des énoncés à l’étude et en explorant certaines sources extratextuelles susceptibles de confirmer le statut proverbial des énoncés en question.

Le chapitre 2 examine la représentation de la religion dans les proverbes kouroumiens. Il s’efforce de dégager des parémies à l’étude, la vision du monde des personnages en matière de croyances et de spiritualité. La trousse à outils qui nous accompagne dans ce chapitre renferme plus d’un outil conceptuel. Pour explorer la religion dans les proverbes, nous adoptons les démarches syncrétique (Droogers 1989, Kamstra 1970), pluraliste (Das 1989, Ndaw 1983, Mbiti

11

1990, Turaki 2006), fonctionnelle (Turaki 2006, Steyne 1990, Shorter 1988, Geluwe 1975, Olsen

1965), intertextuelle (Kristeva 1969, Riffaterre 1980) et contextuelle (Antwi). Quant à l’examen

des parémies religieuses comme précepte de vie, nous nous appuierons entre autres sur les

réflexions de Geertz (1973), Horton (1993), Idowu (1975), Turaki (2006) et Steyne (1990).

Le chapitre 3 porte sur l’inscription de la culture matérielle dans les proverbes kouroumiens. Il se

refère à Quimby et Harrison (1968) pour cerner la définition de la culture matérielle et s’appuie entre autres sur les réflexions de Grant McCracken (1987) pour analyser les contours sémiotiques du vestimentaire. Il fait appel aux travaux de Victor Béry (2006) et Alain van der

Beken (1993), et d’Abert Gandonou (2002) et R. Galisson (1987) pour décrire le symbolisme et la valeur sociolinguistique de l’objet ménager. Les idées de Lévi-Strauss (2002), celles de

Donald Sanders (1990) et Wilk (1990) tout comme celles de Charpentier et al. (1978) y sont invoquées pour respectivement décrire l’espace construit comme lieu de filiation, comme

élément de territorialité et comme lieu d’expression d’une vision cosmologique. Pour mesurer la valeur des objets précieux (l’or et le cuivre), le chapitre a recours à la notion d’hiérarchie des métaux (Llasera 1999). Pour décrire l’argent, le chapitre s’abreuve entre autres des maximes extratextuelles (Roffay 2003, Njoh-Mouelle 2009, etc.). Le texte de Jean-Marie Adiaffi et le travail de Germain Kouassi y sont également utilisés pour illustrer la pirogue.

Dans le chapitre 4, nous examinons les proverbes animaliers dans l’œuvre de Kourouma. Nous y montrons comment les personnages romanesques perçoivent et conçoivent le monde à travers les animaux qui figurent dans les parémies. À l’aide de celles-ci, nous analysons la symbolique et l’identité des animaux, leurs rôles et statuts dans les sociétés africaines dépeintes dans les récits de Kourouma. Pour décrire la symbolique animalière, le chapitre bénéficie de l’éclairage que fournissent les travaux d’Uther (2006), de Needer (1991) et d’Amer (1987) relatifs au

12

symbolisme animal. Dans ce chapitre, nous, à l’instar de Krikmann, considérons le proverbe

animalier entre autres comme un discours renfermant des traits humains. Les réflexions de

Lakoff et Johnson en matière de métaphore y sont utilisées pour analyser la teneur figurale des

proverbes animaliers. La théorie du contractualisme (Newmyer, Clark et Regan) y est également

utilisée pour explorer les questions éthiques relatives à l’utilisation et au traitement des animaux décrits dans les proverbes.

Le chapitre 5 se propose d’analyser la vision traditionnelle africaine du temps dans les parémies extraites des romans de Kourouma. Le chapitre passe au peigne fin diverses catégories temporelles représentées dans les proverbes : temps individuel, temps physique, temps historique, temps limité/temps illimité, temps de vérité, temps du destin, temps de la clandestinité, temps de pause, temps opportun, temps prémonitoire. Le chapitre s’inspire abondamment des données romanesques et des contextes de réalisation des proverbes pour

évaluer les différentes catégories de temps. Il puise également dans les réflexions de Yacouba

Konaté et Ram Adher Mall, deux auteurs chez qui le temps est un phénomène culturel. Aussi, le travail de Mall permet d’analyser certains aspects du temps individuel et celui d’Ulrich Libbrecht facilite l’exploration du lien entre temps, espace et vision cosmologique. En outre, le chapitre sonde les rapports qui existent entre le temps romanesque et les temps à l’étude.

Le chapitre 6 porte sur la représentation de la femme dans les proverbes tirés des cinq romans de

Kourouma. S’appuyant sur le(s) contexte(s) de production des proverbes, le chapitre scrute le

regard que posent les personnages kouroumiens sur la maternité, la stérilité féminine, la

polygynie, l’excision et la beauté féminine. Dans ce chapitre, les écrits de Mohamadou Kane

(1982) et Georges Balandier (1957), entre autres, nous aident à cerner le sens de la maternité tout

comme celui de Mineke Schipper (2003) nous permet de capter la signification de la stérilité

13 féminine. Aussi, les idées de Moran, Houeto et Mack relatives à l’économie de la polygamie facilitent la saisie et la description de la polygynie telle qu’inscrite dans les proverbes. Par ailleurs, nous nous appuyons sur les hypothèses de Marcel Griaule (1966 /1997) et de B. Zadi

Zaourou / S. Ehouman pour décrire respectivement les valeurs fonctionnelles et identitaires de l’excision. Aussi, nous convoquons les travaux de Rodah Rotino (1995) et Naib Khadija

(1995) pour souligner le côté pervers de la pratique. Les réflexions de Schipper sur la valeur pratique de la beauté féminine nous permettent de mieux appréhender cette dernière.

14

Chapitre 1

Le proverbe

Quelle est la nature des réflexions menées par des chercheurs qui jusqu’ici ont théorisé sur le proverbe? Comment le proverbe ou la locution proverbiale se définissent-ils par rapport à notre thèse dont le but principal est d’analyser un corpus de proverbes tirés des cinq romans de

Kourouma cités dans la bibliographie? Comment le proverbe s’est-il comporté dans le roman francophone négro-africain depuis la création de ce dernier? Quels sont les traits définitoires du proverbe dans l’œuvre de Kourouma? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses dans ce chapitre.

1 Étude du proverbe : aperçu historique et théorique

L’importance qu’accordent les chercheurs au proverbe10 – « dont l’étude s’est récemment

développée au plan international en une sous-discipline, la parémiologie » (Visetti et al. 2006 : 1)

– suggère que sa compréhension demeure problématique. Le défi que représente l’étude du

proverbe est perceptible au niveau de la quantité immense et de la qualité diversifiée des travaux

qui lui sont dédiés depuis plusieurs siècles. Wolfgang Mieder et George Bryan recensent deux

mille six cent cinquante-quatre publications portant sur le proverbe littéraire (Mieder et Bryan

1996). Pour des raisons pratiques, il nous a été impossible de lire et de commenter chacun des

travaux. Cependant, il est pertinent d’effectuer un tour d’horizon de certains travaux

10 Le mot « proverbe », qui vient du latin « proverbium », est adopté par la langue française entre 1174 et 1187 [Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, http://cnrtl.fr/etymologie/proverbe, site consulté le 8 mars 2011].

15

parémiologiques ayant marqué l’épistémologie parémique depuis l’antiquité jusqu’à nos jours.

Nous nous efforcerons de faire ressortir les particularités des différents travaux, tout en faisant

un effort de souligner les assonances ou dissonances entre les approches théoriques qui y sont

mises en œuvre.

Au cours de la période pré-christique, Marcus Tullius Cicéron (106 av. J.-C. - 43 av. J.-C),

rhéteur grec, utilise le proverbe pour prodiguer « un conseil » (Maloux v). Quant à Sénèque (4

av. J.-C. - 65) et Aulu-Gelle (130 env. - env. 180), tous deux auteurs du premier siècle, ils

emploieront le proverbe pour exprimer respectivement « un avis de conduite à tenir » et une «

histoire anecdotique » (Maloux v). C’est au deuxième siècle que le rhétoricien sophiste

Hermogènes de Tarse esquissera une description du proverbe lorsqu’il dit : « un proverbe est une

parole concise qui, insérée dans une déclaration d’application générale, dissuade ou persuade

quelqu’un de faire quelque chose11 » (Hermogènes, cité par Whiting 1994). Bien que cette

description du proverbe soit l’une des plus anciennes, ses limites sont évidentes parce que, comme nous le verrons plus tard, le proverbe a d’autres fonctions qui ne sont pas évoquées dans

cette définition proposée par Hermogènes.

À partir des années 1930, l’étude du proverbe connaît un essor particulier. Archer Taylor (1931)

explore les aspects folklorique et anthropologique des proverbes en analysant les origines, le

contenu et le style des formules sentencieuses. Cheminant dans la même direction que Taylor,

Barlett Whiting (1977) effectue des recherches intégrant les origines et la nature des proverbes.

11 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « a proverb is a summary saying, in a statement of general application, dissuading from something or persuading towards something » (Hermogènes, cité par Whiting 1994).

16

Force est de constater que les approches adoptées par Taylor et Whiting, sont à la fois

descriptives et anthologiques.

En quête d’une description du proverbe plus élaborée et plus scientifique, George Milner (1969),

Pierre Crépeau (1975) et Alan Dundes (1975 : 970) privilégieront l’étude de la structure proverbiale et vont respectivement proposer les notions de la « structure quadripartite », de la « structure analogique » et de la « topique ». D’autres structuralistes s’attèleront à la tâche en

étudiant les caractéristiques formelles (Greimas 1960, 1966), les traits poétiques (Jakobson

1960), les traits logiques (Permiakov 1967), l’aspect épiphonémique (Zumthor 1976), la nature paradigmatique (Barley 1972), les traits pertinents (Rodegem 1984), les caractéristiques génériques typifiantes (Mohamadou 2004, Kleiber 1999) et les traits métriques (Gouvard 2006) des proverbes. À côté des parémiologues structuralistes, existe le camp des chercheurs qui ont plutôt opté mettre en exergue les aspects pragmatiques du discours parémique.

Le linguiste philosophe Kenneth Burke, contrairement à ses pairs structuralistes, conçoit le proverbe comme des « stratégies pour faire face à des situations12 » [« strategies for dealing with

situations] » (Burke 1941 : 296). De ce fait, Burke apparaît donc comme l’un des précurseurs du

courant pragmatiste. D’ailleurs, son travail constituera le socle sur lequel se poseront les travaux

d’autres contextualistes tels que Roger Abrahams (1968), Ruth Finnegan (1970), Peter Seitel

(1981), Barbara Kirshenblatt-Gimblett (1981), Kwesi Yankah (1989), Swami Anand Prahlad

(1996), Stephen Winick (2003) et Mieder. Vu leur portée scientifique, nous commenterons

brièvement les réflexions des trois derniers contextualistes. S’inspirant des écrits contextualistes

(Ben-Amos 1972, 1985), des approches pragmatistes déployées dans certains travaux

12 C’est nous qui traduisons de l’anglais.

17

anthropologiques et folkloristes (Briggs 1985) et des théories sur l’acte de discours (Searle 1969,

Petry 1990), Prahlad (1996) émet une théorie pour l’étude contextuelle du proverbe, théorie qui prend en compte quatre niveaux de significations: significations grammaticale, culturelle, situationnelle et symbolique. Winick (2003), contextualiste d’un tout autre ordre, révise la

description du proverbe. Son approche intègre non seulement les qualités poétiques, structurelles

et fonctionnelles du proverbe, mais également les théories de l’ « entextualization13 » et de

l’intertextualité. Par sa démarche, Winick décrit ce qu’est le proverbe (sa forme brève) et ce qu’il

fait (sa fonction) (Lau 2004). Quant à Mieder, défenseur convaincu de l’approche contextuelle,

sa démarche théorique intègre la notion d’interdisciplinarité. Ancien élève du parémiologue

Stuart Gallacher (1959), Mieder redéfinit la parémiologie en militant pour l’ouverture de cette

dernière à d’autres disciplines universitaires. Sa vision théorique est confortée par la floraison de

publications explorant les liens entre la parémiologie et les disciplines comme la politique

(Mieder 2005, McKenna 1996), la publicité (Mieder 1989), les science et médecine cognitives

(Honeck 1997), l’apprentissage des langues (Norrick 1997, Nuessel 1999), pour ne citer que

celles-ci.

En dehors des aspects pragmatiques du proverbe, le statut énonciatif de ce dernier présente un

certain intérêt théorique. Meschonnic (1976) scrute le proverbe en tant qu’acte énonciatif mettant

en rapport dialogique et conflictuel la société et l’individu. D’après la conception traditionnelle,

argue Meschonnic, l’agentivité14 du sujet qui énonce un proverbe dans un acte énonciatif se voit

13 Ce concept prône la création d’un discours second en soumettant le discours initial à un processus de décontextualisation et recontextualisation (Blommaert 2004: 12). 14 Ici, le sens du mot « agentivité » est proche de celui que prône Gangloff (2000 : 176), c’est-à- dire la « façon dont l’individu est agent de son comportement (verbal) » ou la mesure dans laquelle il contrôle un acte (de discours) qu’il pose.

18

éclipsée par l’atemporalité, la déshistoricisation, la sacralisation et le juridisme du proverbe.

Alors, pour rendre la présence du sujet moins floue dans un acte énonciatif, Meschonnic propose le concept de la ré-énonciation, un concept dont le postulat se résume ainsi : tout proverbe proféré par un sujet cesse d’être la « voix » de la sagesse traditionnelle ou la « voix » d’une

énonciation collective pour devenir une « voix de ré-énonciation ». L’étude tire sa force de son cadre théorique diversifié et rigoureux. Elle passe au peigne fin les théories de Grigori

Permiakov (1967), André Jolles (1972) et Alexander Potebnia (1970) qui, respectivement, conçoivent les parémies comme : des énoncés dotés d’un certain universalisme ; des « formes simples » ; des « formes de conscience ». Pesant la valeur énonciative du proverbe, Roland

Barthes et Madeleine Borgomano affichent une position théorique diamétralement opposée à celle de Meschonnic. D’après Barthes, le proverbe pourrait être considéré comme un « énoncé proféré par une voix, collective, anonyme, dont l’origine est la sapience humaine »

(Barthes 1970 : 25). Borgomano, emboîtant le pas à Barthes, suggère que les proverbes sont des:

« […] citations, c’est-à-dire des intrusions du discours d’un autre, l’autre, anonyme et collectif

[…] une société » (Borgomano 2000 : 173).

En ce qui concerne la sémantique du proverbe, elle fait l’objet de la réflexion que mènent

Kleiber, Marion Carel et Patricia Schulz (2002). Ces derniers travaillent le concept de généricité.

Décrivant le caractère générique du sens proverbial, Kleiber affirme que les formules gnomiques constituent des « unités codées renvoyant à une entité générale » (Kleiber, cité par Anscombre

1994 : 103) et qu’elles possèdent « un sens fixé par convention pour tout locuteur » (Kleiber, cité par Palma 2000 : 60). Carel et Schulz (49-50), s’inspirant des travaux de Kleiber, poussent d’un cran plus loin la réflexion relative au concept de généricité. Chez ces auteurs, le concept repose sur la mesure du « sens phrastique » (calculé à partir des éléments lexicaux constitutifs de la phrase, « hors de l’emploi proverbial ») et du « sens formulaire » ou du « sens du proverbe en

19

tant que proverbe » (déduit arbitrairement de la phrase). Neal Norrick (1984), Yves-Marie Visetti

et Pierre Cadiot (2006) ont également analysé le proverbe sur le plan sémantique. Norrick, lui,

prône une approche d’analyse sémantique qui considère le proverbe en tant que texte et pas

comme texte dans un texte plus large. Visetti et Cadiot, de leur côté, proposent la théorie des formes sémantiques, une démarche morphosémantique qui permet de capter le sens proverbial sur la base de trois critères évaluatifs: motifs, profils et thèmes des fragments gnomiques (Visetti et Cadiot 40).

Après ce survol de quelques démarches théoriques significatives ayant jalonné l’histoire de l’étude, de la description et/ou de la définition du proverbe, il nous semble pertinent de préciser le(s) sens que nous accordons au proverbe dans ce travail qui vise l’analyse du discours proverbial tel que représenté dans les romans d’Ahmadou Kourouma.

2 Clarification terminologique

Comme le suggère le titre de notre thèse, l’adjectif « proverbial » est un mot-clé qui mérite d’être

explicité. La thèse épouse les sens que prête à cet adjectif le portail lexical15 du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL). Ainsi, par proverbial, nous entendons à la fois ce « qui a valeur de proverbe », ce « qui tient du proverbe par sa forme ou par son emploi » ou ce

« qui est reconnu comme typique et ayant caractère de vérité d’un proverbe ». Dans notre thèse, le mot « proverbial » renvoie aussi à ce qui est proverbialisé, c’est-à-dire ce qu’on rend proverbialement ou ce à quoi on donne un tour proverbial. En outre, dans le contexte de notre travail, le proverbial désigne aussi ce qui est devenu célèbre, fameux, légendaire ou populaire,

15 http://www.cnrtl.fr/definition/proverbial /, site consulté le 15 janvier 2011.

20

car ces adjectifs, selon le Dictionnaire Larousse [en ligne]16, sont des synonymes du mot proverbial. Par ailleurs, dans notre travail, la liste synonymique du mot « proverbial » renferme

également les adjectifs qualificatifs « sentencieux » et « gnomique ». Si l’adjectif « sentencieux » désigne ce qui s’exprime par sentence17 ou ce qui privilégie cette dernière, le qualificatif «

gnomique », quant à lui, désigne ce qui, par le biais du proverbe, de la sentence ou de la maxime,

énonce « de manière prégnante » une vérité générale ou un conseil (Gorp et al. 208-209).

Hormis les adjectifs qualificatifs susmentionnés, il importe aussi de clarifier le sens d’un certain

nombre de substantifs. De temps à autre, notre travail aura recours à l’emploi des mots-clés

« proverbe », « adage », « maxime » et « précepte ». Le choix de ces mots ne relève pas du simple hasard parce que, comme nous le verrons plus loin, Kourouma associe ces substantifs au

discours proverbial. Ces mots méritent donc d’être explicités. En ce qui concerne le mot

« proverbe », cette thèse adopte les significations que lui donnent Hermogènes, Barthes et

Borgomano, lesquelles nous avons évoquées plus haut. En plus, cette étude considère le proverbe

comme un fragment textuel qui exprime une « vérité générale » (Lisimba 25) ou « un conseil

populaire, une vérité de bon sens ou d’expérience et qui sont devenus d’usage commun18 »

(Kannas 1280). S’agissant des sens que nous accordons aux trois autres substantifs sus-évoqués,

l’adage exprime une règle de conduite tirée du droit coutumier (Bénac et Réauté 8), la maxime

16 Dictionnaire Larousse, http://www.larousse.com/en/dictionaries/french/proverbial/64643/synonym, site consulté le 15 janvier 2011. 17 La sentence est un précepte de morale de portée générale qui « exprime une vérité édifiante ou du moins éthique » et qui permet de faire une distinction entre le bien et le mal (van Gorp et al 209).

18 Cette définition du « proverbe » se rapproche de celles des mots « aphorisme » et « dicton »; le premier exprime « une idée de manière souvent lapidaire » (Kannas 80) ou « une vérité de fait » de façon concise (Bénard 247), et le second récapitule « une vérité d’expérience » (Schapira 159).

21

une « règle de vie » (van Gorp 209), le précepte une règle ou un commandement reliés à la

morale ou à la vie pratique (Rey 1986 : 690). Le dénominateur commun entre ces substantifs se

situe dans le fait que chacun d’eux, sur le plan sémantique, côtoie le qualificatif « proverbial ».

Sur la forme, la concision est la caractéristique partagée par les termes proverbe (Bachirou 17),

adage (Cornu 389) et maxime (Tourrette 241). Toutefois, la brièveté ne constitue pas un critère

exclusif définissant la forme du proverbe, étant donné que l’on trouve dans certaines cultures – y

compris celle représentée chez Kourouma – des proverbes à structure étirée.

Comme nous pouvons le constater, sémantiquement parlant, les mots sus-définis ne sont pas

séparés par des cloisons étanches. Cela explique pourquoi dans ce travail, ils constituent des

substituts ou équivalents fonctionnels. Notre démarche s’inscrit dans le droit fil des réflexions

des auteurs tels que Maalu-Bungi, Henri Bertaud du Chazaud, Maloux et Annick Bouillaguet.

Pour cette dernière, aphorisme, maxime et proverbe constituent des catégories sémantiquement

permutables (Camprubi 2). Le lexicographe Chazaud partage dans une certaine mesure le point

de vue de Bouillaguet, puisque dans son ouvrage intitulé Dictionnaire de synonymes et mots de

sens voisin, il considère comme synonymes ou mots voisins les termes proverbe, adage,

aphorisme, dicton, maxime, pensée et sentence (Chazaud 2005 : 1414). Déjà en 1960, le

parémiologue Maloux, auteur de l’ouvrage Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes,

faisait le constat : « Ces trois modes d’expression (proverbe, sentence, maxime) ne se définissent pas rigoureusement, comme l’adage, l’apophtegme ou le précepte… » (Maloux v). Dans le

contexte africain, le proverbe, toutes proportions gardées19, embrasse les autres types de formes

19 Si la lisière entre le proverbe et les autres formes sentencieuses demeure floue, fine ou même inexistante, une étude réalisée par Rollins démontre que trois aires culturelles africaines, à savoir les ethnies yoruba, swahili et fon, dans une certaine mesure font une distinction taxinomique entre ces formes. Dans le pays yoruba, au Nigeria, la tradition orale fait une distinction entre

22

gnomiques telles que l’adage, la maxime, l’aphorisme, le dicton, l’apophtegme et la locution

sentencieuse. À ce sujet, Maalu-Bungi, à la suite de Rodegem (37) et Gaborit, affirme qu’« en

Afrique, il est souvent difficile d’appliquer les critères utilisés pour établir ces catégorisations

dont celui par exemple de l’existence d’un auteur connu qui caractérise la maxime, l’aphorisme

et l’apophtegme par rapport au proverbe réputé anonyme » (Maalu-Bungi 141). En fait, le texte kouroumien ne fait pas de distinction stricte entre proverbe et adage. Par exemple, dans En attendant le Vote des bêtes sauvages, le narrateur utilise l’expression « proverbes et adages » pour qualifier une série de trois formules gnomiques successives (EAVBS 82). Par ailleurs, un

énoncé que le récit kouroumien désigne comme maxime (« Le ciel n’a pas deux soleils, le peuple n’a pas deux souverains ») est considéré comme proverbe par un texte non kouroumien (Revue orientale et américaine, vol. 7 [1862], p. 140). C’est dire que la différence entre les diverses formes gnomiques n’est pas très ou toujours évidente. Dans nos analyses, nous n’établirons donc pas de distinguos rigides entre les différentes formes de discours proverbial, un discours dont s’abreuve la création romanesque négro-africaine.

owe, ilana et iso oro qui désignent respectivement proverbe, maxime et idiome. En swahili, affirme Rollins, metahli est le mot qui désigne proverbe et neo la hekima le mot maxime. Dans la civilisation fon, ajoute Rollins, le proverbe et le dicton se traduisent respectivement par les termes lò et xogbe (Rollins 3, cité par Maalu-Bungi 142). Cependant, chez les fon, selon Fadairo- Kedji dont la pensée est reprise par Maalu-Bungi, les populations pensent « qu’il faut regrouper sous le même vocable de proverbe les lò et les xogbe (dicton), les uns et les autres étant des formules bien frappées, bien enroulées ou des mots célèbres par lesquels ‘la sagesse populaire exprime son expérience de la vie’ » (Maalu-Bungi 142 ).

23

3 Parémie et roman francophone subsaharien

Avant la parution, en 1968, du premier roman de Kourouma, roman garni de proverbes, certains romans francophones d’Afrique noire publiés antérieurement contenaient déjà des proverbes, ou y faisaient référence. En 1926, Force-Bonté, un récit écrit par le Sénégalais Bakary Diallo, signale que l’adjudant Moriba-Keita, personnage romanesque, sait utiliser un type de proverbe spécifique20. Au milieu des années 1930, Ousmane Socé, un autre romancier sénégalais, publie

Karim, récit dans lequel il relève l’importance du proverbe dans les termes suivants: « Et il est bon de savoir admirer chez le Noir […] la sagesse sentencieuse de ses vieillards [...] » (Socé

1935 : 9). Dans Karim, l’auteur ne se contentera pas de souligner la valeur positive du proverbe, mais se fera un point d’honneur de l’inscrire dans de nombreux passages de son récit (Socé 1935

: 52, 98, 119, 103). Durant les années 1950 et 1960, certains romanciers africains francophones, emboîtant le pas à Ousmane Socé, vont structurer leur écriture en faisant recours à l’utilisation des proverbes. En Afrique de l’Ouest francophone, le Sénégalais Sembène Ousmane et l’Ivoirien

Bernard Dadié figurent parmi les écrivains qui exploiteront les proverbes dans leurs œuvres romanesques. Sembène Ousmane fera usage des proverbes ou y fera allusion dans ses trois romans suivants : Ô Pays, mon beau peuple! (Ousmane 1957 : 148), Les Bouts de bois de Dieu

(Ousmane 1960 : 29, 30) et Vehi-ciosane; ou, Blanche-genèse, suivi du Mandat (Ousmane 1966 :

170). Quant à Bernard Dadié, certains passages de son roman Un Nègre à , publié en 1959, accordent une place au proverbe (Dadié 1984: 13, 91, 115, 120).

20 « Moriba connaît le proverbe qui dit : ‘Service, service ; camarade après’ », rapporte le narrateur du récit (Diallo 1926: 108).

24

Quelques écrivains francophones d’Afrique centrale, à l’instar de leurs homologues d’Afrique

occidentale francophone, prêteront une certaine attention à l’emploi des proverbes dans leurs

récits. Dans son roman intitulé Le vieux Nègre et la médaille (1956), l’écrivain camerounais

Ferdinand Oyono, affiche des formes gnomiques qui d’ailleurs font l’objet d’une inventorisation

et d’une analyse ethno-stylistique menées par Gervais Mendo Zé (Mendo Zé 14, 26, 62, 147,

171, 293, 431, 436, 451, 467, 539). Le Camerounais Mongo Beti, une autre figure majeure du

roman francophone des années 1950 et au-delà, attire l’attention du lecteur sur la spécificité

culturelle ainsi que sur la problématique du décodage du dicton au sein des écrits africains

lorsque l’un de ses personnages dans Le pauvre Christ de Bomba (1956) pose à un missionnaire

blanc la question suivante: « Morte ma fille, mort mon gendre, ne connaît-on pas ce dicton dans

ton pays, Père? » (Beti 1993: 45). Signalons en passant que Jacques Fame Ndongo, dans son

ouvrage L'Esthétique romanesque de Mongo Beti […], procède à une analyse prosodique des phrases proverbiales tirées de l’œuvre de Mongo Beti.

Comme nous pouvons le voir, l’utilisation de proverbes dans le roman francophone subsaharien remonte aux années 1920, une pratique qui a évolué au fil des années subséquentes. Toutefois, en

Afrique francophone subsaharienne, la pratique d’inscription du proverbe dans la littérature

écrite n’est pas très ancienne. Le monde occidental21 a connu la pratique beaucoup plus tôt.

21 Au cours des périodes moyenâgeuse et de la Renaissance, proverbes, maximes et sentences font leur entrée dans les productions littéraires françaises. Les travaux de Mieder (1989) et de Mikhail Bakhtin (1982) respectivement soulignent l’emploi des formes gnomiques chez Michel Eyquem de Montaigne et François Rabelais. Dominique Rivière (1982) constate et commente la représentation des proverbes dans l’œuvre de La Fontaine, celles de La Rochefoucauld et d’autres écrivains des 17e et 18e siècles. Fernando Navarro Dominguez (2000) scrute le proverbe balzacien tout en soulignant la nature, les lieux d’occurrence ainsi que le caractère didactique et ludique des parémies dans l’espace socio-littéraire européen du 19e siècle. André Maurois (1955) et Henri Meschonnic (1976), à l’instar de Dominguez, effectuent une lecture historiciste de

25

Certaines raisons pourraient expliquer cette donne. L’accès tardif de l’Afrique noire subsaharienne aux outils d’imprimerie expliquerait en partie le retard qu’accuse la région dans la vulgarisation des textes romanesques susceptibles de renfermer les proverbes. Bien que l’Occident ait inventé la technologie d’impression au 15e siècle, le premier roman négro-africain,

Les trois Volontés de Malic du Sénégalais Ahmadou Mapaté Diagne, n’est publié qu’en 1920

(Alessandri 2005 : 16; Gandonou 2002 : 8; Turgeon 2002 : 24). En plus, la politique et

l’idéologie linguistiques des administrations coloniales n’encourageaient pas l’indigénisation de

la littérature écrite en Afrique. Qu’à cela ne tienne, comme nous le démontrerons plus tard dans

les chapitres subséquents, le premier récit de Kourouma ainsi que ses autres récits ont, sans

conteste, contribué à entériner l’inscription des proverbes dans le roman francophone d’Afrique

noire. Avant de nous plonger dans l’analyse proprement dite des proverbes tels qu’ils se

manifestent chez Kourouma, il est logique que nous fassions d’abord le point sur les critères

d’identification et de sélection desdits proverbes.

4 Repérage des proverbes

4.1 Éléments textuels

Afin de déterminer la proverbialité des énoncés analysés dans cette thèse, nous nous sommes

servi d’un certain nombre de critères. Parmi ces derniers figurent certains indicateurs textuels

proverbes en Europe et affirment que ces derniers font partie de l’armature structurale des écritures des 19e et 20e siècles.

26

qu’affichent les récits à l’étude. Parlant justement d’indicateurs textuels, nous constatons que les récits renferment des éléments lexicaux particuliers qui nous permettent de certifier le caractère proverbial de certains énoncés. Considérons quelques-uns desdits éléments lexicographiques.

Dans ses différents récits, Kourouma informe clairement le lecteur que certains énoncés sont des

proverbes, et il le fait en désignant lesdits éléments comme proverbes. Les extraits qui suivent

confirment notre argument : « c’est pour les vieux aux barbes abondantes et blanches, c’est ce

que dit le proverbe : Le genou ne porte jamais le chapeau quand la tête est sur le cou » (ANEPO

11) ; « Sur un signe du sora, le cordoua se calme et ces proverbes sont énoncés : La mort moud

sans faire bouillir l’eau. On n’entend pas un tamis devant la mort. Le cadavre d’un oiseau ne

pourrit pas en l’air, mais à terre » (EAVBS 106) ; « À l’esprit de Fama vint ce proverbe que le

Malinké chante à l’occasion d’un grand malheur : Hé! Hé! Hé! Hé!/ Si notre avantage consiste à

tomber dans le puits,/ Hé! Hé! Hé! Hé!/ Tombons-y pour nous le procurer. » (LSI 161) ;

« Djigui, absent et songeur, attendait qu’ils aient achevé de compter les avantages et les joies du

rail pour placer le proverbe approprié, la prière convenable […] Quels que soient le courage et

les vœux des humains, c’est toujours en définitive la volonté divine qui se réalise. » (MOD 108).

En outre, le terme « sentencieux » est un autre élément textuel qu’emploie Kourouma pour mettre en exergue les formes gnomiques, comme le démontre cet extrait : « Djigui, toujours

prolixe et sentencieux, poursuivit : […] les oiseaux eux aussi ont commencé à chanter le matin

les versets qui habituellement se disent la nuit. […] Quand tout se prépare à se dissoudre, à

s’effriter, quand les vérités que nous tenons, en sortant de notre bouche, nous trahissent pour

devenir des mensonges, alors, forcément, arrive un messager ! » (MOD 29-30). En plus, dans En

attendant le Vote des bêtes sauvages, l’adjectif épithète « sentencieux », employé pour qualifier

le substantif « vieillard », constitue un autre indice terminologique signalant au lecteur de scruter

27

les paroles du vieillard, et lorsque le lecteur examine lesdites paroles il constatera rapidement

qu’elles renferment les formes sentencieuses suivantes : « Qui sont les plus beaux oiseaux? Les oiseaux qui ont les plus belles voix. […] Un homme se réalise pleinement et devient un

thaumaturge dès qu’il se libère du distinguo entre vérité et mensonge » (EAVBS 184-185).

Outre les mots « proverbe(s) » et « sentencieux », d’autres indices lexicaux qui nous permettent d’identifier le discours proverbial sont respectivement l’adjectif attribut « sage » et le substantif

« sagesse ». Les critiques associent ces deux mots aux proverbes. Par exemple au sujet du mot

« sagesse », Bascom affirme qu’en Afrique, « les proverbes sont souvent considérés comme la sagesse » (Bascom 498, cité par Maalu-Bungi 147-148). Ce postulat se vérifie dans Les Soleils des indépendances où le mot « sagesse » (LSI 133) et l’expression « règle de sagesse » (LSI 135) renvoient respectivement aux proverbes suivants : « […] une famille avec une seule femme était

[est] comme un escabeau à un pied, ou un homme à une jambe ; ça ne tient qu’en appuyant sur un étranger » (LSI 133) ; « Même la guêpe maçonne et le crapaud finissent par se tolérer, quand on les enferme dans une même case » (LSI 135). Quant à l’adjectif qualificatif attribut « sage », dans l’extrait qui suit, l’auteur le déploie pour introduire un proverbe : « Il fallait être sage. Allah

a fabriqué une vie semblable à un tissu à bandes de diverses couleurs ; bande de la couleur du

bonheur et de la joie, bande de la couleur de la misère et de la maladie, bande de l’outrage et du

déshonneur » (LSI 20).

Un autre élément lexical important qui nous aide à détecter certains proverbes dans les romans

de Kourouma est le mot « tradition ». Au sujet de ce dernier, les critiques disent que le proverbe

est une « parole traditionnelle » (Gaborit 147, cité par Maalu-Bungi 144) qui exprime

« l’expérience séculaire des ancêtres » (Ekoki 20, cité par Maalu-Bungi 144), reflète « la force de

la tradition, l’exemple de ce qu’ont fait les anciens » (Cauvin 33, cité par Maalu-Bungi 144) et

28

permet aux ancêtres de couvrir « de leur autorité la totalité de la tradition coutumière » (Van Roy et Daelemen, repris par Faik-Nzuji 160, cités par Maalu-Bungi 144). Comme l’indiquent les extraits ci-après, non seulement le mot « tradition » permet à l’auteur d’énoncer les proverbes, mais il aide également le lecteur à repérer ces proverbes : « La tradition nègre pose que toutes les

peines que la mère accepte de supporter dans le mariage se transforment en force vitale, en

valeur, en réussite pour son fils » (EAVBS 38); « Notre tradition en Afrique veut que le respect de la mère dépasse celui du père » (EAVBS 38); « La tradition doit être respectée parce que : ‘Si

la perdrix s’envole son enfant ne reste pas à terre. Malgré le séjour prolongé d’un oiseau perché sur un baobab, il n’oublie pas que le nid dans lequel il a été couvé est dans l’arbuste. Et quand on sait où l’on va, qu’on sache d’où l’on vient’ (EAVBS 10, 11).

Au registre d’indicateurs textuels, Kourouma ajoute une convention typographique qui permet au lecteur d’identifier au sein des récits certaines formes gnomiques. Par exemple dans En attendant le Vote des bêtes sauvages, les proverbes qui apparaissent dans la partie liminaire des Veillées II,

IV, V et VI sont présentés en italique (EAVBS 63, 169, 251, 309). Pareillement, toutes les formules gnomiques qui clôturent chacun des 24 chapitres (sections) constituant les six parties

(veillées) du récit sont mises en italique (EAVBS 11, 20, 37, 47, 62, 72, 82, 95, 106, 110, 116,

137, 153, 168, 196, 212, 225, 240, 250, 269, 289, 308, 322, 338, 358). Hormis les différents indices textuels que nous venons de commenter, des considérations d’ordre poétique et phraséologique ont pesé dans le choix des locutions proverbiales à l’étude.

4.2 Éléments poétiques et phraséologiques

À en croire Doris Bonnet, « la présence du proverbe dans le discours est détectée par sa forme

poétique » (Bonnet 1982 : 177). Chez Kourouma, nous constatons que ce qui distingue certains

29

proverbes de la plupart des phrases romanesques ce sont notamment les diverses figures

rhétoriques qui nourrissent l’esthétique des énoncés proverbiaux. Ces figures se manifestent in

praesentia et in absentia. Quelques types de figure in praesentia qui caractérisent et distinguent les formules gnomiques « kouroumiennes » sont :

- l’anaphore22 (« Et le premier sacrifice, c’est offrir; offrir ouvre les cœurs » [LSI 53], « Le

devoir du donataire de la bonté divine est de faire des sacrifices. Les sacrifices protègent

contre le mauvais sort, appelle la santé, la fécondité, le bonheur et la paix » [LSI 53],

« Quand on voit les souris s’amuser sur la peau du chat, on mesure le défi que la mort peut

nous infliger. La mort est l’aînée, la vie sa cadette » [EAVBS 63]) ;

- l’antithèse (« Un génie ne s’agresse pas, ne se vole pas […] Le génie se soigne, se respecte »

[EAVBS 141, 142], « Un empereur est tenu par des lois; un vrai chef africain use de la

clémence » [EAVBS 226]). Dans ces énoncés, nous voyons que la figure de l’antithèse

fonctionne à travers la mise en relief ou le rapprochement d’idées contraires.

Quant aux figures in absentia, elles se présentent sous la forme de :

- la métonymie23 (« […] les hommes n’ont plus aucun jus, aucun piment qui vous soit

étranger24 » [LSI 78], « Les gens […] ne connaissent ni la vérité, ni l’honneur, ils sont

capables de tout, même de fermer l’œil sur une abeille25 » [LSI 147]);

22 Par anaphore, nous entendons ici le procédé rhétorique qui consiste à ajouter un effet d’emphase et de symétrie aux phrases en reprenant le même mot ou une séquence de mots à l’attaque des différents segments des phrases (Bénac et Réauté 14). 23 Nous désignons par métonymie la figure rhétorique par laquelle « un concept est désigné par un terme désignant ordinairement un autre concept qui lui est relié par une relation nécessaire (la cause par l’effet, le contenu par le contenant, l’utilisateur par son instrument) » [Kannas 1009]. 24 Dans cette formule sentencieuse, la métonymie s’exprime selon la formule: b (jus, piment) est la matière dont a est fait. a ici peut signifier « amour », « attraction », « romantisme », etc.

30

- la synecdoque (« Un seul pied ne trace pas un sentier; un seul doigt ne peut ramasser un petit

gravier26 » [LSI 152]).

D’après les critiques, le langage artistique du proverbe privilégie aussi la comparaison (Schipper

13) et la métaphore (Estienne 5). En fait, dans les récits de Kourouma, les comparaisons et les métaphores permettent à certains énoncés parémiques de se distinguer des énoncés non parémiques. En ce qui concerne les comparaisons, nous constatons que certains énoncés proverbiaux établissent un rapprochement entre deux réalités différentes en faisant recours aux outils de comparaison tels que « comme » et « plus que ». Citons quelques exemples de ces locutions gnomiques dont la marque distinctive repose sur une structure comparative : « La vérité comme le piment mûr rougit les yeux mais elle ne les crève pas » (LSI 66) ; « Le pouvoir ne se ramasse pas comme une noix de karité » (MOD 155) ; « La droiture est plus que la richesse

[…] » (ANEPO 53) ; « Allah peut plus que ce que tu connais » (MOD 272). La métaphore, en tant que trait distinctif des locutions proverbiales, fonctionne sur la base de transfert de sens par substitution analogique. Autrement dit, elle sert, par le biais d’une image, « à donner un corps à une impression difficile à exprimer » (Bachelard 1967 : 79). Citons quelques exemples : a. « Ni la sueur ni les larmes ne se reconnaissent sous la pluie » (MOD 102); b. « Il ne peut exister deux hippopotames mâles dans un seul bief » (EAVBS 187) ; c. « Quand un dément agite le grelot, toujours danse un autre dément » (LSI 20) ; d. « Le bébé de la vendeuse de lait […] est assuré d’être nourri quoi qu’il arrive » (QORODN 119). Chacun de ces quatre énoncés est investi d’une

25« Abeille » ici est un objet b qui remplace un autre objet – a – et s’approprie les qualités constitutives de celui-ci, qui par déduction implicite serait un ennemi. 26 Dans cet énoncé, « pied » tout comme «doigt», parties du corps, représentent un tout, une entité plus grande, à savoir « homme ».

31

charge métaphorique. Dans l’énoncé a, la « sueur » et les « larmes » dans un climat pluvial traduisent la notion d’une invisible souffrance, et dans la locution b, les expressions imagées « deux hippopotames » et « un seul bief » servent à expliquer l’idée selon laquelle le pouvoir ne se partage pas. Quant à l’énoncé c, « dément » (fou) et « grelot » (cloche), deux mots qui reflètent deux réalités concrètes, sont employés pour signifier la notion d’inanité ou de futilité27.

De son côté, la locution d est une expression métaphorique qui véhicule la notion d’assurance totale ou de confiance absolue.

En dehors des données figurales, des mots de comparaison et des métaphores, le proverbe renferme certains marqueurs phraséologiques distinctifs. Parmi ces traits phraséologiques singuliers figurent notamment:

- les structures binaires ou asymétriques28 (« Rien en soi n’est bon, rien en soi n’est mauvais »

[LSI 94], « Le ciel n’a pas deux soleils, le peuple n’a pas deux souverains » [EAVBS 250]);

- les africanismes (« Celui qui craint la destruction de ses épis par les singes demeure dans son

lougan » [MOD 54], « La mort est vertu quand la vie est monnè » [MOD 278]) ;

- les formules hyperboliques ou généralisantes (« Le pouvoir, qu’il soit toubab ou nègre, est la

force » [MOD 54], « Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari

même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort » [ANEPO 33]) ;

- les formules déontiques telles que « Il faut » (« Il faut se réveiller de bonne heure quand on

doit dans sa journée marcher une longue piste » [EAVBS 41]), le verbe « devoir » (« Qui suit

27 Fama, protagoniste du récit Les Soleils des indépendances, évoque ce proverbe quand il prend conscience de la futilité de tout combat avec son adversaire Bamba (LSI 20).

28 « Fréquemment aussi, les proverbes présentent une structure symétrique qui est presque toujours binaire » (Blondel et al. 1998 : 46).

32

l’éléphant ne doit plus essuyer la rosée matinale des hautes herbes, de la piste » [MOD 92]),

le verbe « obliger » (« Celui qui s’engage à tisser un coutil pour couvrir la nudité des fesses

de l’éléphant s’est obligé à réussir une œuvre exceptionnelle » [MOD 72]).

Chez Kourouma, un autre trait particulier du proverbe réside dans le fait que la phraséologie de

certaines formules gnomiques contient des éléments dits épistémiques, lesquels affichent « une

relation de paraphrase entre les structures en qui et en quand on » (Connena 2000: 33, cité par

Noumssi 58). En voici quelques exemples: « Trompeur, qui [quand on] dit que l’avenir reste

dissimulé comme un fauve tapi dans le fourré » (LSI 136) ; « Qui [Quand on] est souvent à la cour du roi [on] finit toujours par trahir ses amis » (EAVBS 289) ; « Qui [Quand on] vit longtemps [on] voit la danse de la colombe » (EAVBS 322). En plus, certaines phrases proverbiales chez Kourouma se distinguent par la présence au début desdites phrases de la conjonction « quand ». D’après Noumssi (58), les proverbes qui affichent cette conjonction à valeur épistémique « induisent à un constat épistémique », comme le démontrent les locutions gnomiques ci-après: « Quand on ne veut pas être touché par les queues des singes on s’éloigne de leurs bandes » (EAVBS 48) ; « Quand le nerf vital est coupé, la poule tue le chat sauvage »

(EAVBS 110) ; « Quand le destin a coupé le lien, aucun parent ne lui cache son enfant » (EAVBS

137).

Hormis la conjonction « quand », un autre élément phrastique que nous retrouvons au début de

certains proverbes, élément qui en quelque sorte démarque ces proverbes des autres phrases

romanesques, est le pronom indéfini « on ». Selon Noumssi, ce pronom indéfini à portée

sentencieuse « évoque une instance narrative qui n’est que la communauté de culture » d’où

émanent les proverbes (Noumssi 58). Nous citerons quelques exemples de locutions proverbiales

ayant en attaque le pronom indéfini « on » : « On n’apprécie pas les avantages d’un père, d’un

33

père,/ Sauf quand on trouve la maison vide du père,/ On ne voit pas une mère, une mère/ Plus

excellente que l’or,/ Sauf quand on retrouve la case maternelle vide de la mère » (LSI 89); « On

ne partage pas la mort avec son ami, mais s’il est humilié, couvert de honte, tu partages sa

honte » (LSI 155); « On peut réussir en dépit des malédictions de son père, mais jamais avec

celles de la femme qui pendant neuf longs mois t’a porté » (MOD 155) ; « On n’appelle pas au

secours quand le couteau qu’on porte à sa ceinture vous transperce la cuisse: en silence, on

couvre sa plaie avec sa main » (MOD 129) ; « On revient toujours à ce qui nous a façonné; on

retourne à ce dont on est sorti » (MOD 206) ; « On ne regarde pas dans la bouche de celui qui est

chargé de décortiquer l’arachide » (QORODN 91, 102).

Dans les récits de Kourouma, les phrases à valeur gnomique se reconnaissent aussi par leur

caractère expansif. Le mécanisme d’allongement desdites phrases fonctionne à travers: a.

l’emploi des structures à un ou multiple compléments prépositionnels (« Il n’y a pas de fortune

qui puisse résister à quatre longues lunes de générosité et de dilapidation, de financement de

fêtes, de danses, de beuveries » [EAVBS 72]); b. le jeu anaphorique (« Mais on peut planter un

fruitier sans ramasser les gousses, ramasser les gousses sans les ouvrir, les ouvrir sans les

consommer » [MOD 272]) ; c. la multiplication de l’adjectif attribut (« Le sang est prodigieux,

criard et enivrant » [MOD 124]) ; d. l’emploi des structures appositives (« Rien ne doit détourner un homme sur la piste de la femme féconde, une femme qui absorbe, conserve et fructifie » [LSI

113]); e. l’accumulation du complément d’objet (« Un voyage au mauvais sort c’est un accident grave et stupide, ou une terrible maladie, ou la mort, ou une intrigue… » [LSI 128]) ; f.

l’accumulation du syntagme nominal (« Les premiers, les fendeurs de la brousse matinale, les

ouvreurs de routes, les pionniers ont aussi leur problème, leur difficulté : savoir s’arrêter juste »

[EAVBS 61]).

34

Le proverbe est parfois considéré comme un énoncé à caractère argumentatif. Les écrits des

critiques tels que Doris Bonnet (177) et Charlotte Schapira (1999 : 91-95) font allusion à la

portée argumentative de certaines locutions gnomiques. Les postulats de ces critiques se vérifient

dans les récits de Kourouma. En effet, chez cet auteur, un aspect identificatoire de certaines phrases proverbiales est que ces dernières ont souvent recours aux éléments logico-discursifs.

Ainsi, lesdites phrases affichent une structure argumentative qui repose sur certains connecteurs logiques. Quelques exemples de connecteurs structurant ces phrases comprennent les connecteurs:

a) de cause tels que à cause de, car (« Arrive immanquablement un messager quand on

n’entend rien à cause des mensonges, on ne voit rien à cause de la fumée, on ne sent plus rien à

cause de la puanteur des morts » [MOD 29], « En tout, un fils de chef et un musulman conserve

le cœur froid et demeure patient, car à vouloir tout mener au galop, on enterre les vivants, et la

rapidité de la langue nous jette dans de mauvais pas d’où l’agilité des pieds ne peut nous retirer »

[LSI 20-21]) ;

b) d’addition comme et, aussi (« Tout porte à la fois à la mort et à la vie » [LSI 102],

« Dans une fête, il n’y a pas que le danseur et le frappeur de tam-tam, il y a aussi la chanteuse »

[EAVBS 225]) ;

c) d’alternative comme ou (« On n’est pas un grand homme par ce qu’on réalise soi- même ou par ce qu’on sait faire » [QORODN 88]) ;

d) d’opposition comme mais (« Tu cultives un jour chômé mais la foudre conserve la

parole dans le ventre » [EAVBS 20]) ;

35

e) de concession tels que quelque … que, malgré (« Sur quelque arbre que ton père soit monté, si tu ne peux grimper, mets au moins la main sur le tronc » [EAVBS 62], « Malgré le séjour prolongé d’un oiseau perché sur un baobab, il n’oublie pas que le nid dans lequel il a été couvé est dans l’arbuste » [EAVBS 11]) ;

f) de comparaison comme de même que: « De même que le mil ne se sert jamais sans

assaisonnement, il ne faut jamais traduire les paroles sans commentaires » (MOD 66).

Par ailleurs, comme nous l’avons indiqué plus haut, une caractéristique importante du proverbe est qu’il véhicule une vérité générale. Autrement dit, la fonction véridique du discours proverbial pourrait démarquer celui-ci des autres formes de discours. Pour confirmer la proverbialité de certains énoncés, nous avons donc scruté ces derniers afin de détecter certains traits qui

accentuent leur valeur véridique. Ainsi, nous avons constaté que la phraséologie de certaines

constructions proverbiales contient les adverbes modalisateurs temporels tels que « toujours »

(une vingtaine d’occurrences29), « parfois » (4 occurrences30) et « souvent » (4 occurrences31),

29 i. « Mais l’homme se presse, sinon la volonté et la justice divines arrivent toujours tôt ou tard » (LSI 22). ii. « Un pouvoir maléfique est toujours éphémère comme un défi au fétiche » (LSI 99). iii. « Mépriser son adversaire même petit et frêle est toujours une faute stratégique dans un combat » (EAVBS 32). iv. « Il y a dans la vie de chacun de nous des mots qu’on regrettera toujours d’avoir prononcés, des mots qu’on n’aurait jamais dû sortir, des mots qu’on aurait dû avaler : les mots qui changèrent notre destin » (EAVBS 47). v. « C’est toujours dans la nuit et en catimini qu’on quitte le pays dans lequel on a été accueilli en richissime quand la pauvreté et l’endettement vous assaillent » (EAVBS 72). vi. « C’est chez soi qu’on est toujours le mieux » (EAVBS 73). vii. « Dans la vie, seules la trahison et la magouille gagnent sûrement et paient toujours » (EAVBS 97). viii. « La vie est toujours douloureuse pour les gens qui aiment ceux qui les excluent et méprisent ceux qui les acceptent » (EAVBS 99). ix. « Ce n’est pas toujours vrai que tous les grands événements se lisent dans les aurores des jours qui les porteront » (EAVBS 106). x. « Il faut toujours occuper les enfants avec des jeux pour éviter qu’ils ne se livrent à des bêtises » (EAVBS 290). xi. « Le fleuve finit toujours dans la mer » (EAVBS 308). xii. « Quels que soient le courage et les vœux des humains, c’est toujours en définitive la volonté divine qui se réalise » (MOD 108). xiii. « Les hommes reviennent toujours dans les lieux où, à la faveur d’une

36

pour ne citer que ceux-là. La présence massive de ces adverbes au sein des structures

proverbiales n’est pas fortuite. Parce qu’ils expriment l’idée de routine ou de récurrence des faits

exprimés par les verbes qu’ils qualifient, ces adverbes contribuent donc à asseoir la valeur de

vérité générale des proverbes. En outre, certains énoncés proverbiaux se distinguent par la

présence en leur sein du verbe copule « être », verbe qui d’ailleurs renforce la valeur de vérité

générale des proverbes. Qui plus est, ledit verbe est représenté dans les phrases proverbiales au

présent de l’indicatif, un temps qui exprime notamment « une vérité générale » (Rodger 1998 :

80). En plus, la proverbialité de certains énoncés ainsi que leur valeur véridique reposent sur le

fait que lesdits énoncés sont des constructions déclaratives ou assertives. Nos constats et

affirmations sont corroborés par les réflexions de Roussarie et Schapira qui, respectivement,

nous rappellent que « toute phrase déclarative a cette propriété de dénoter une valeur de vérité »

première incursion, ils ont rencontré et pris des épouses » (MOD 53). xiv. « On cuit toujours suffisamment pour les arrivants, qu’ils soient ou non annoncés, qu’ils viennent ou non » (MOD 126). xv. « On revient toujours à ce qui nous a façonné » (MOD 206). xvi. « Une certaine vieillesse n’est pas toujours, comme on le proclame, un heureux sort, n’est pas toujours des bénédictions et des sacrifices acceptés » (MOD 207). xvii. « La vie est toujours facile pour celles qui ont tous les dons des femmes » (MOD 249). xviii. « Le monde est toujours plus nombreux et plus large qu’on ne le croit » (MOD 272). xix. « Elle [la femme] a toujours tort (ANEPO 33). xx. « On ne doit pas être toujours là à regarder dans la bouche de celui qu’on a chargé de fumer l’agouti » (QORODN 91). Cette énumération exclut quatre autres formules gnomiques [renfermant l’adverbe « toujours »] que nous avons citées ailleurs dans ce chapitre.

30 i. « Parfois la mort est faussement accusée quand elle achève des vieillards qui par l’âge étaient déjà finis, déjà bien morts avant l’avènement de la mort » (EAVBS 82). ii. « Le chasseur à l’affût s’immobilise parfois pour s’orienter » (EAVBS 95). iii. « […] le chasseur à l’affût […] interrompt parfois son action pour avaler une gorgée d’eau » (EAVBS 106). iv. « Parfois le frappeur de tambour s’arrête pour demander une calebassée d’eau » (EAVBS 240).

31 i. « Très souvent, d’un insignifiant bosquet peut sortir une liane suffisante pour nous attacher » (EAVBS 32). ii. « La vérité n’est souvent qu’une seconde manière de redire un mensonge » (EAVBS 184). iii. « C’est souvent l’homme pour qui tu es allé puiser l’eau dans la rivière qui a excité le léopard contre toi » (EAVBS 269). iv. « Qui est souvent à la cour du roi finit toujours par trahir ses amis » (EAVBS 289).

37

(Roussarie) et que « le proverbe est (généralement) une phrase déclarative » (Schapira 1999 :

60).

Un autre trait distinctif de la phrase proverbiale est qu’au sein de cette dernière, le dit et le non-

dit se côtoient. Lhuilier, Niyongabo et Rolland, s’appuyant sur les réflexions de Rodegem, nous

rappellent cela quand ils affirment : « La norme, qui constitue le sens profond du proverbe, n’est souvent pas exprimée mais évoquée. Elle est présente au niveau de l’implicite, du non-dit »

(Lhuilier et al 2005 : 27). De par sa nature, le proverbe est donc un matériau de communication à

l’aide duquel les personnages expriment un message explicite pour faire entendre ou laisser

entendre une pensée implicite. Cette dernière se manifeste sous forme de sous-entendus ou de

présupposés. Ceux-ci sont représentés dans la structure phrastique des proverbes alors que ceux-

là ne le sont pas. De la caractérisation du sous-entendu et du présupposé, Maingueneau dit: « le

sous-entendu est inféré d’un contexte singulier et son existence est toujours incertaine; le

présupposé, lui, est stable. Le premier se tire de l’énoncé, le second de l’énonciation »

(Maingueneau 79). Il importe de préciser que le sens que Maingueneau donne au statut du

présupposé est identique à celui que nous fournit Ducrot. Ce dernier précise sa pensée lorsqu’il

déclare ceci: « dire que je présuppose X, c’est dire que je prétends obliger, par ma parole, le

destinataire à admettre X, sans pour autant lui donner le droit de poursuivre le dialogue à propos

de X » (Ducrot 45). La notion de l’implicature nous a permis de statuer sur la valeur proverbiale

de certains énoncés. En effet, nous constatons qu’au sein de certaines locutions à saveur

gnomique, le phénomène de l’implicature est mis en exergue à travers certaines structures

présuppositionnelles. Nous en citerons trois ici :

- Les nominalisations : (i) « L’obligation d’une vraie mère continue tant qu’elle est

vivante » (EAVBS 39). (ii) « Les décisions d’un empereur ont besoin d’être confirmées par des

38

élus » (EAVBS 225). Le syntagme nominal (SN) de la parémie (i) présuppose qu’une vraie mère a des obligations, alors que le SN du proverbe (ii) présuppose qu’un empereur prend des décisions.

- Les interrogatives : (i) « Où a-t-on vu l’hyène déserter les environs des cimetières et le

vautour l’arrière des cases ? » (LSI 17). (ii) […] qui connaît les motivations du crocodile qui

quitte l’eau du fleuve pour venir lécher la rosée des berges » (MOD 175) ? En articulant ces

proverbes sur le mode interrogatif, les énonciateurs respectifs présupposent que leur co-

énonciateur ou interlocuteur posséderait quelques éléments de réponses aux questions posées.

- Les constructions clivées : (i) « C’est l’idiot qui ne connaît pas la vipère des pyramides qui prend ce petit reptile par la queue » (EAVBS 108). (ii) « C’est la parole qui transfigure un fait en bien ou le tourne en mal » (LSI 94). À propos de la construction clivée, en tant que mécanisme de focalisation, Noumssi (2007 : 59), à la suite de R. Mercier-Leca (1974 : 188), argue que ladite construction est un « présentatif de mise en propos ou de mise en prédicat ».

Dans les deux proverbes sus-évoqués, la construction clivée « c’est…qui » permet aux différents

énonciateurs de mettre en évidence le sujet de la locution proverbiale. Elle fait également ressortir certaines présuppositions. Le premier proverbe présupposerait que l’idiot ne connaît pas la vipère et qu’il prend cette dernière par la queue, alors que le deuxième laisse présupposer que la parole transforme ou ne transforme pas un fait en bien ou en mal.

Comme nous l’avons relevé précédemment, un critère phraséologique qui définit ou permet d’identifier une formule proverbiale est la concision. Plusieurs critiques ne sont pas loin de le penser ou, en tout cas, n’affirment pas le contraire (Tonye 2007 : 170; Onono 2010 : 122 ;

Sinaceur 2002 : 51). Les récits de Kourouma regorgent de proverbes qui sont brefs. En voici quelques exemples : « Ni margouillat, ni hirondelle » (LSI 93) ; « Mouche du roi est roi »

39

(EAVBS 212); « Allah n’est pas obligé » (ANEPO); « Quand on refuse, on dit non » (QORODN);

« À tout faire au galop, on mange du cru » (MOD 174). La brièveté des locutions proverbiales

faciliterait la mémorisation et l’emploi desdites locutions. Grâce à sa concision, le proverbe

devient donc une ressource de communication efficace et même redoutable. Dans les récits, la

communication et la négociation politiques, par exemple, passent par la médiation de ces formes

brèves. Par exemple, dans un échange verbal entre le commandant français Lefort et le roi

Djigui, ce dernier refuse de signer un document confirmant sa démission d’un parti anti-français

auquel il dit n’avoir jamais été membre. Pour marquer son refus et sa sincérité, Djigui profère ce

proverbe laconique : « Quand un homme refuse, il dit non » (MOD 266).

Un trait phraséologique supplémentaire, et pas des moindres, qui permet au proverbe de se

distinguer est son autonomie syntaxique. Autrement dit, certaines locutions gnomiques se

présentent comme des phrases indépendantes que l’auteur incorpore dans la structure discursive

en temps utile. N’est-ce pas Anscombre (2000 : 12) relève que le « proverbe est autonome dans

la mesure où il ne lui est pas assigné de place fixe dans les discours dans lesquels il apparait »?

Chez Kourouma, certains proverbes constituent des locutions autonomes que le romancier place

soit au début, soit au milieu, soit à la fin d’un passage narratif. À titre d’illustration, le chapitre

six du récit Monnè […] affiche comme titre un proverbe32, proverbe dont une version33 sera enchâssée34 par l’auteur dans le corps du même chapitre. Concernant l’affichage des proverbes

32 « Celui qui s’engage à tisser un coutil pour couvrir la nudité des fesses de l’éléphant s’est obligé à réussir une œuvre exceptionnelle » (MOD 72).

33 « Quand on s’est engagé à tisser un pagne pour couvrir toute la nudité des fesses de l’éléphant, on s’est engagé à réaliser une besogne importante » (MOD 77-78). 34 L’enchâssement du proverbe dans la structure narrative en temps opportun est un procédé qui permet à l’auteur d’appuyer l’argumentation du narrateur et d’élucider et structurer le récit (Schipper 1979 : 44, cité par Noumssi 2009 : 61).

40

en position finale, cela se vérifie dans plusieurs chapitres (sections) du récit En attendant le Vote

des bêtes sauvages, lesquels nous avons mentionnés plus haut. Mis à part les particularités

poétiques et phraséologiques que nous avons évoquées, des publications non représentées dans le

corpus nous ont également permis de déterminer le statut proverbial de certaines phrases.

4.3 Consultation des sources secondaires

Afin de vérifier la proverbialité de certains énoncés, nous avons eu recours à certaines sources

secondaires, notamment les publications à caractère anthologique, linguistique ou littéraire. En

ce qui concerne les compilations anthologiques, les travaux de Mwamba Cabakulu (1992),

Françoise Bulman (1998), Jean-Pierre Fogui (2009) et Marie-Odile Mergnac (2008) se sont révélés utiles pour ce travail. S’agissant des études à caractère linguistique, nous nous sommes appuyé sur les publications des auteurs tels que Germain Kouassi (2007), Albert Gandonou

(2002) et Gérard Marie Noumssi (2009). À propos des sources secondaires de nature littéraire, nous avons exploité les publications des critiques tels que Samira Douider (2007), Amadou Koné

(1993), Martine Mathieu-Job (2003) et Arlette Chemain-Degrange et al. (2009). En puisant dans les sources sus-évoquées et dans d’autres sources semblables, nous avons pu repérer une vingtaine de locutions35 dont le statut proverbial est confirmé par les différentes sources en

question.

Ce chapitre a montré que l’étude du proverbe a préoccupé les chercheurs dès le IIe siècle et que

les chercheurs ont abordé la description du proverbe selon les perspectives fonctionnelle

(Hermogènes), anthropologique (Taylor et Whiting), structurelle (Dundes, Greimas, Crépeau,

35 Voir l’annexe qui est située en fin de la présente thèse.

41

Permiakov, Zumthor, Barley, Rodegem, Mohamadou, Gouvard), pragmatique (Burke), contextuelle (Prahlad, Winnick, Mieder, etc.), énonciative (Meschonnic, Barthes, Borgomano) et sémantique (Kleiber, Carel et Schulz, Norrick, Visetti et Cadiot). Le chapitre a également commenté la signification des mots-clés « proverbe » et « proverbial » et passé en revue les positions de certains auteurs et parémiologues concernant les différentes sous-catégories de formes gnomiques. À partir d’un corpus assez représentatif de romans francophones négro- africains, le chapitre a également montré que la présence de proverbes dans l’œuvre de

Kourouma obéit à une tradition initiée par certains auteurs d’Afrique noire francophone. Le chapitre a également montré que des indices textuels, des éléments poétiques et phraséologiques ainsi que la consultation de sources secondaires ont contribué à l’identification des proverbes et locutions proverbiales qui seront analysés dans les chapitres subséquents de la présente thèse.

42

Chapitre 2

Proverbes et religion

Kourouma accorde dans son œuvre une importance particulière à la religion36. La preuve en est

que le romancier, dans une interview accordée à Ouédraogo, affirme que dans ses récits, la

religion, en l’occurrence l’islam, « n’est pas simplement de la fiction » parce qu’elle

« correspond au sens de l’histoire » (Ouédraogo 2004 : 150). On comprend alors pourquoi

certains critiques ayant consacré des publications à Kourouma scrutent le thème de la religion

dans l’œuvre de ce dernier. Afin de mesurer la pertinence de ce chapitre, il convient de

mentionner brièvement quelques-uns des critiques. Dans une étude traitant de la représentation

de l’identité dans les romans de Kourouma et dans ceux de deux autres auteurs37 africains,

Mouhamadou Diop (2008) examine la religion telle qu’elle se manifeste dans la vie des personnages kouroumiens. Ce critique focalise son analyse sur les dualités ci-après: le sacré et le politique (189-193), la corruption et la religion (202-206), les rapports entre les musulmans et les non musulmans (221-224). Quant à Madeleine Borgomano, elle analyse la fonction de la magie et de la foi islamique (2000: 154-165) dans En attendant le Vote des bêtes sauvages, et à partir

36 Le terme « religion » ici revêt les différents sens que lui prêtent respectivement Tylor, Durkheim et Goody. Tylor, en termes minimalistes, définit la religion comme « la croyance aux êtres spirituels » [« belief in spiritual beings »] (1903: 424). Chez Durkheim, le terme « religion » désigne toute pratique qui relève du domaine du sacré (Durkheim 1965 : 62). Pour Goody, le mot « religion » s’emploie pour désigner les pratiques d’ordre sacré et profane, car il constate qu’en Afrique de l’ouest, les sphères sacrée et profane sont imprégnées par la religion (Goody 1961). 37 Tahar Ben Jelloun et Abdourahman Waberi.

43

de Monnè […], elle aborde la problématique identitaire dans une société où règnent l’animisme

et l’intégrisme religieux (1998: 221-223). Jean-Claude Nicolas (1985 : 89-99), de son côté,

examine la place qu’occupent les coutumes et croyances dans la vie personnelle ou collective au

sein du récit Les Soleils des indépendances. Par ailleurs, à partir de ce dernier, Jean-Pierre

Gourdeau (1976: 67-80) scrute la religion dans sa dimension existentielle et opère une juxtaposition de celle-ci avec le système de croyances métaphysiques représentées dans

l’Aventure ambiguë de Cheick Hamidou Kane.

Par rapport à la religion, les publications des critiques sus-évoqués soulignent le caractère

polymorphe et ouvert de l’œuvre de Kourouma. En plus, elles prouvent que la religion chez celui-ci demeure un thème de recherche fascinant et stimulant. Toutefois, en scrutant ces

publications de près, nous constatons qu’elles n’accordent pas, dans leurs analyses respectives,

une place centrale aux proverbes religieux, malgré leur fréquence d’occurrence élevée au sein

des récits kouroumiens. En fait, les critiques s’accordent à dire que la parole orale, notamment la

locution gnomique, entretient un rapport étroit avec la religion. Chinyowa, à la suite de Cox, met

en évidence ledit rapport lorsqu’il déclare:

Dans le contexte religieux, l’oralité a plusieurs manières d’exprimer, d’éprouver

et d’apprécier la présence du sacré (Cox 1996: 101). Le moyen par lequel les gens

éprouvent le sacré peut être verbal ou non verbal [...] il peut prendre la forme de

[...] proverbes38 (Chinyowa 129).

38 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « In its religious context, orality encompasses many ways of expressing, experiencing and appreciating the presence of the sacred (Cox 1996: 101). The means by which people experience the sacred may be verbal or non-verbal […] it may take the form of […] proverbial sayings » (Chinyowa 129).

44

Toujours à propos de la connexité entre proverbe et religion, et pour ce qui concerne les

croyances en Afrique, John Mbiti, affirme sans équivoque que « la Religion africaine se trouve

dans les proverbes39 » (1991 : 27). Abondant presque dans le même sens que Mbiti, et parlant précisément des sociétés africaines traditionnelles, Howlett, dont la réflexion est reprise par

Elungu, souligne et nous rassure que la pensée collective est le lieu par excellence où réside la

religiosité d’une société : « La sagesse apparaît dans ces sociétés d’une manière plus diffuse, non pas activité séparée, mais pensée collective, liée à la totalité socioreligieuse du groupe » (Howlett

1974 : 19, cité par Elungu 1987 : 123).

Alors, contrairement à une critique kouroumienne qui traite de la religion tout en négligeant les

proverbes religieux, le présent chapitre va scruter la religion à partir des parémies à caractère religieux tirées des cinq romans de Kourouma cités dans la bibliographie. Nos analyses, à l’aide des locutions gnomiques, s’attèleront à démontrer que chez Kourouma, la religion est syncrétique et qu’elle privilégie les sacrifices et les bonnes œuvres. En plus, nous arguerons que la religion, dans les proverbes kouroumiens, présente une image d’un Être suprême et que cette religion-là, vécue sous le signe du destin et du stoïcisme, est sujette à la manipulation.

Nous allons utiliser un certain nombre de concepts opératoires spécifiques ainsi qu’une diversité

d’approches théoriques appropriées pour mener à bien nos analyses. Les travaux d’André

Droogers (1989) et Kamstra (1970) nous permettront de circonscrire le concept de syncrétisme,

un concept qui est du plus haut intérêt pour notre réflexion. Pour opérer une analyse critique du

système de croyances pluraliste représenté dans certains proverbes et pour en dégager les

39 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « African Religion is Found in Proverbs » (Mbiti 1991 : 27; c’est Mbiti qui écrit les lettres initiales des mots en caractères majuscules).

45 significations, nous nous laisserons guider dans notre démarche par les réflexions des critiques tels que Das (1989 : 13-14), Ndaw (1983 : 233), Mbiti (1990 : 3) et Turaki (2006 : 19). Pour analyser la notion de sacrifice telle que présentée dans les proverbes, nous ferons appel, entre autres, aux écrits de Thomas et Luneau (1981) relatifs aux questions définitoires et schématiques des pratiques sacrificielles, et à ceux de Turaki (2006) et Isizoh (1998) concernant les aspects opératoires et fonctionnels des sacrifices dans les africaines. Dans ce chapitre, nous allons également nous servir d’une approche intertextuelle pour scruter certaines parémies. À cet

égard, étant donné que l’islam traverse les récits de Kourouma, nous allons évaluer le dialogue qu’entretiennent certains proverbes avec le Coran, l’écriture sainte de l’islam. Le concept d’intertextualité nous aidera à interpréter non seulement la notion de l’Être suprême, mais aussi d’autres aspects de la religion tels que la prédestination et la foi agissante. Pour ce faire, nous allons nous inspirer des écrits de Kristeva (1969) et Riffaterre (1980) en matière d’intertextualité.

Pour cerner la dimension fonctionnelle de la religion au sein des proverbes, nous aurons recours

à la théorie fonctionnelle de la religion (Turaki 2006 : 15 ; Steyne 1990 ; Shorter 1988 : 37-38 ;

Geluwe 1975 : 42 ; Olsen 1965 : 158 ). Cette théorie va éclairer nos analyses portant sur deux aspects de la religion, à savoir le sacrifice et le stoïcisme religieux. En outre, par rapport à ceux- ci, nous scruterons la religion à la fois comme théorie de l’être et comme théorie de sens. À cet

égard, nous nous appuierons sur les réflexions des théoriciens tels que Geertz (1973), Horton

(1993), Idowu (1975), Turaki (2006), Steyne (1990), etc. Par ailleurs, nous adopterons une approche contextuelle pour analyser la manipulation de la religion telle que représentée à travers certaines parémies. Pour ce faire, nous opérerons une analyse critique de diverses situations pertinentes où la religion se manifeste, car comme le souligne Antwi, « les moments définissant

46

la pratique de la foi religieuse se situent dans les contextes sociaux, culturels, historiques et

politiques des praticiens religieux40 » (Antwi 179). Le cadre conceptuel et la méthodologie

susmentionnés vont donc nous permettre d’articuler notre réflexion. Mais avant de passer à

l’analyse proprement dite des proverbes religieux, il convient d’esquisser un bref aperçu de

l’histoire de la religion en Afrique et plus précisément en Afrique occidentale, principal espace

romanesque kouroumien.

1 Islam et religion traditionnelle en Afrique : survol

historique

La religion africaine traditionnelle41 et l’islam constituent les deux grands systèmes de croyances représentés dans les récits et proverbes kouroumiens. Le christianisme y figure dans un moindre degré. Comme nous l’avons indiqué plus haut, avant de plonger dans l’analyse des proverbes religieux, nous pensons qu’il est utile de faire un rapide survol historique des deux religions principales évoquées dans les proverbes à l’étude.

D’après Amadou Hampâté Bâ, les Africains ont connu et possédé leur propre religion bien longtemps avant l’avènement en terre africaine des religions monothéistes telles que l’islam et le christianisme. En fait, selon le critique, les tenants de ces religions étrangères ne peuvent donner,

40 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] the defining moments for the practice of religious faith are within the social, cultural, historical and political contexts of religious practitioners » (Antwi 179).

41 Par religion traditionnelle, nous entendons « […] un ensemble des croyances et des pratiques religieuses liées à un milieu socioculturel d’origine, transmis d’une génération à l’autre par la tradition vivante de ce milieu » [J. Ballong-Wen-Mewuda, « Idée de Sainteté dans la Religion Traditionnelle Africaine », in Pro Dialogo, Bulletin 92/2 1996 183] (cité par Katayi 38).

47

en ce qui concerne la religion, de leçons de morale aux Africains qui de nature seraient

foncièrement croyants, et conscients de la présence divine et de l’omniprésence du sacré42 :

L’homme noir africain est un croyant né. Il n’a pas attendu les Livres révélés pour

acquérir la conviction de l’existence d’une Force, Puissance-Source des

existences et motrice des actions et mouvements des êtres. Seulement, pour lui,

cette Force n’est pas en dehors des créatures. Elle est en chaque être (Bâ 1972 :

119).

L’animisme africain dont parle Amadou Hampâté Bâ est décrit et explicité par Kourouma en ces

termes : « […] avant de se retirer [au ciel] il [Allah] a donné à toutes ses créatures (hommes,

plantes, animaux, objets) des âmes, des forces vitales, disent les négro-africains. Et la vie est une

lutte permanente entre ces forces43 » (Djian 102). Mbiti, tout comme Hampâté Bâ, insiste sur la

religiosité congénitale des Africains quand il affirme que les Africains, de nature, « sont

notoirement religieux44 » (Mbiti 1990 : 1). Mais, comment les Africains, qui avaient déjà leur

propre religion, se sont-ils retrouvés avec une religion étrangère comme l’islam ? La croisade

musulmane nous fournit quelques éléments de réponse à cette question.

Profitant des querelles casuistiques qui opposent des factions chrétiennes entre les 5e et 6e siècles, l’islam voit le jour dans le désert de la péninsule arabique (Staam 88). En Egypte, les chrétiens coptes et byzantins ne sont pas épargnés des disputes théologiques sus-évoquées. Ainsi,

42 Le sacré se trouve dans toute chose, ce qui signifie que tout objet est animé par une force sacrée – ce principe définit l’animisme. 43 Extrait tiré du discours prononcé par Kourouma en 2000, au siège du Parlement européen à Strasbourg, en France. 44 Nous qui traduisons la déclaration de Mbiti dont la version originale se lit « Africans are notoriously religious ».

48

en 639, le général musulman Amr Ibn al As profite de ces quiproquos théologiques pour envahir

l’Afrique du nord, précisément l’Egypte (Staam 88). À partir des années 700, l’islam va donc se

répandre non seulement en Egypte mais aussi au Soudan tout comme dans les côtes est et ouest

du continent africain (Parrinder 12). Grâce à l’empereur malien Mansa Musa (1312-1337), cette

croyance s’implante en Afrique noire occidentale, où des structures scolaires et de recherche sont

mises sur pied pour diffuser la nouvelle religion. Concernant le succès relatif qu’enregistre la

religion en terre africaine autour des années 1400, et le soutien que les autorités indigènes lui

apportent, Staam déclare : « On peut dire qu’au milieu du 14e siècle, l’islam est une réalité en

Afrique noire, néanmoins il s’étend et recule selon les aléas de l’histoire : les conversions étant

souvent dues aux princes » (Staam 90). Toutefois, entre les années 1400 et les années 1900, la

croisade islamique, progressivement, perd l’influence qu’elle exerce au départ sur les autorités

traditionnelles et par ricochet sur les sujets de celles-ci, ce qui signifie qu’elle ne sera plus en mesure de contraindre les Africains à adhérer massivement à l’islam. Ces Africains souhaitent plutôt renouer avec leur religion traditionnelle. Par rapport à cette nouvelle donne, Staam dit :

Mais s’ils [les promoteurs de la croisade musulmane] n’ont plus l’autorité

suffisante pour déterminer le caractère religieux indispensable à la vie des

chefferies et royautés africaines, alors les croyances traditionnelles reprennent de

la vitalité. C’est ainsi que la progression de la religion musulmane est lente entre

XIV e et XIXe siècles (Staam 90-91).

Selon Tessieres, les Africains qui sont réceptifs à la nouvelle religion accueillent celle-ci tout en

gardant certaines de leurs traditions ancestrales préislamiques (Tessieres 75). C’est ainsi que

certains Africains entérinent de fait une perspective religieuse hétérogène, une situation face à

laquelle « la pureté ethnique disparaît et en même temps la foi en une même croyance » (Staam

49

90-91). La remarque de Staam laisse penser que le syncrétisme45 est le concept qui dépeint le

mieux la religion en terre africaine. Ce concept, pensons-nous, décrit aussi la religion telle que

représentée dans certains proverbes kouroumiens parce que ces derniers mettent en évidence

deux grandes tendances religieuses – traditionnelle et musulmane – suivies et pratiquées

concomitamment par les personnages kouroumiens.

2 Croyances plurielles et significations

Dans En attendant le Vote des bêtes sauvages, un personnage kouroumien, en l’occurrence

Koyaga, porte plusieurs casquettes religieuses, comme l’atteste cette déclaration au relent

sentencieux : « On est toujours plus sincère quand on prend à témoin plusieurs au lieu d’un seul

Dieu » (EAVBS 107). Rappelons que cet énoncé est proféré par le narrateur quand il décrit le

comportement de Koyaga lors d’une cérémonie de prestation de serment. Au cours de cette

dernière, Koyaga, nous précise le narrateur, « prêta serment sur les mânes des ancêtres, le Coran

et la Bible » (EAVBS 107). Dans le même ordre d’idées, Fama, dans Les Soleils des

45 Le concept de syncrétisme dans l’histoire des religions a suscité des réactions critiques auprès des auteurs. Selon André Droogers, l’origine du mot syncrétisme remonte à Plutarque ; celui-ci l’utilise pour décrire les citoyens de Crète, qui se hissent au-dessus des clivages qui les divisent et s’unissent pour lutter contre leur rival commun. À en croire Droogers, Erasmus par la suite se sert du terme pour définir un accord optimiste et constructif passé entre des entités affichant des caractéristiques dissemblables (Droogers 9). Le mot acquiert une connotation négative au 17e siècle car il est utilisé pour décrire un compromis de mauvais aloi atteint par les tenants de positions théologiques divergentes (Droogers 9). Au 19e siècle et au-delà, de nombreux chercheurs vont poursuivre la réflexion amorcée par leurs prédécesseurs. G. Van der Leeuw définira le terme à travers le prisme du poly-démonisme et du polythéisme (186, 636). Il soutient que le syncrétisme se produit immanquablement en contexte missionnaire (694). Kraemer (1937: 18-23) et Kamstra (1970: 23), tout comme Brandon (1970), Stewart et Shaw (1995) affirment qu’aucune religion ne peut échapper au syncrétisme, un terme que Kamstra emploie pour décrire « la coexistence d’éléments étrangers les uns aux autres au sein d’une religion donnée » [« the coexistence of elements foreign to each other within a specific religion »] (1970: 9-10). La définition que Kamtra nous propose pour le mot « syncrétisme » cadre bien avec le contexte religieux et les proverbes y afférents que nous analysons dans ce chapitre.

50

indépendances, pratique la foi islamique en public, mais en cachette s’adonne aux pratiques fétichistes. Même si Fama prétend être musulman, il se plie tout de même au dictat du féticheur

(Balla) parce qu’il veut respecter l’esprit et la lettre de la sagesse qui recommande qu’ « on ne

couche jamais dans la case d’un enterré sans le petit sacrifice qui éloigne esprits et mânes » (LSI

93). Ainsi, Fama, « entre de vieux canaris et un cabot galeux46, » exécute nuitamment des

sacrifices dans la case patriarcale qu’occupait son défunt cousin Lacina et ce, « en dépit de sa

profonde foi au Coran, en Allah et en Mahomet » (LSI 94). À propos de la double identité

religieuse de Fama, le narrateur, sur un ton à la fois exclamatoire et proverbial, souligne que le

Malinké n’est « ni margouillat, ni hirondelle » (LSI 93).

Les croyances affichées par Koyaga et Fama sont révélatrices à plus d’un titre de leur vision

religieuse. Leur comportement religieux démontre que chez certains Africains, les lisières entre

les religions sont perméables. Notre supposition est créditée par Das qui, au sujet de la fluidité

des frontières entre les religions et du comportement oscillatoire des ouailles, écrit: « Les gens

[...] suivent souvent plusieurs traditions religieuses sans nécessairement établir des limites entre

ces dernières, même quand ils affirment ouvertement leur allégeance à une religion à un moment

donné47 » (Das 13-14). En plus, en pratiquant à la fois la religion traditionnelle et l’islam, Fama semble obtenir le meilleur des deux mondes religieux. Ce faisant, il semble adopter sur le plan religieux une vision conciliatrice qui lui permet de se renouveler et d’évoluer de façon

harmonieuse au sein de la religion islamique sans renier sa religion traditionnelle. Notre

hypothèse est en accord avec la position de Ndaw qui, parlant des religions en Afrique, dit :

46 Les canaris et les cabots sont des objets employés pour le sacrifice. 47 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « People [...] often follow multiple religious traditions without necessarily drawing boundaries between them, even though they may affirm their overt allegiance to one religion at a given time » (Das 13-14).

51

Et si des millions d’Africains sont devenus musulmans ou chrétiens au cours des

derniers siècles, ils n’en ont pas, pour autant, renié certaines de leurs croyances

anciennes et, pour eux, fondamentales, lesquelles, d’ailleurs, s’accommodent

aussi bien de croyances nouvelles surajoutées (Ndaw 233).

Nous pouvons aussi dire que Fama adopte une approche syncrétique de la religion peut-être

parce qu’il n’est pas satisfait de la spiritualité que l’islam lui propose. Le narrateur du récit Les

Soleils des indépendances appuie notre argument à travers les déclarations ci-après, lesquelles affichent des allures sentencieuses : « […] au refus d’Allah, à son insuccès devant un sort indomptable, le Malinké court au fétiche […] » (LSI 99) ; « […] le fétiche prédisait [prédit] plus loin que le Coran » (LSI 136). La plénitude spirituelle que Fama cherche à atteindre en retournant aux pratiques religieuses traditionnelles souligne, dans une certaine mesure, les limites des religions importées. À cet égard, Mbiti écrit :

[...] ni le christianisme ni l’islam ne semblent pas enrayer le sentiment de

frustration et de déracinement. Il ne suffit pas d’apprendre et d'embrasser une foi

qui se manifeste une fois par semaine, le dimanche ou le vendredi, alors que le

reste de la semaine est pratiquement vide. Il ne suffit pas d’embrasser une foi qui

reste confinée à une chapelle ou une mosquée, fermée six jours et ouverte

seulement une ou deux fois par semaine. Si le christianisme et l’islam n’occupent

entièrement pas l’homme dans sa totalité autant, si ce n’est davantage, que les

religions traditionnelles, la plupart de ces nouveaux convertis retourneront à leurs

52

anciennes croyances et coutumes peut-être six jours par semaine, et sûrement en

cas d’urgence ou en période de crise48 (Mbiti 1990 : 3).

Turaki, comme Mbiti, affirme que le syncrétisme ne peut être supprimé au sein des religions

étrangères qui existent en Afrique tant que ces religions n’apportent pas des réponses concrètes aux problèmes auxquels sont confrontés certains Africains qui pratiquent la religion traditionnelle :

Toute personne introduisant une nouvelle religion doit être consciente que le

système religieux traditionnel persistera si la nouvelle religion ne parvient pas à la

fois à aborder et à satisfaire les mêmes besoins sociaux et psychologiques comme

l’ancienne religion49 (Turaki 19).

En outre, nous pouvons arguer que le syncrétisme, suivant ses manifestations chez Fama et

Koyaga, et dans les contextes proverbiaux, est porteur d’un message de résistance. Le

comportement de ces personnages reflète la bataille culturelle que se livrent les deux religions

traditionnelle et islamique, une bataille dans laquelle chacun des deux systèmes de croyances

chercherait à neutraliser ou influencer l’autre. Par rapport à cette réalité qui caractérise le

48 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [...] Christianity and Islam do not seem to remove the sense of frustration and uprootedness. It is not enough to learn and embrace a faith which is active once a week, either on Sunday or Friday, while the rest of the week is virtually empty. It is not enough to embrace a faith which is confined to a church building or mosque, which is locked up six days and opened only once or twice a week. Unless Christianity and Islam fully occupy the whole person as much as, if not more than, traditional religions do, most converts of these faiths, will continue to revert to their old beliefs and practices for perhaps six days a week, and certainly in times of emergency and crisis » (Mbiti 1990 : 3). 49 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Anyone introducing a new religion needs to be aware that the traditional religious system will persist if a new religion fails to both address and assuage the same social and psychological needs as the older religion » (Turaki 19).

53

paysage religieux africain, Louis-Vincent Thomas, dans les années 1960, faisait ce constat : « On

peut affirmer sans réticence que l’influence du christianisme ou de l’islam sur l’animisme n’a

d’égale que l’influence de l’animisme sur l’islam ou le christianisme » (Thomas 1960 : 62 ; cité

par Ndaw 233). Face à l’invasion des religions étrangères comme l’islam, la survivance de la religion traditionnelle africaine signifie que cette dernière exerce certainement une influence profonde et indélébile sur certains Africains. Sur ce point, les critiques africains et non africains sont sur la même longueur d’onde. Ainsi, pendant que Mercy Oduyoye affirme que « [...] ni le musulman ni le chrétien en Afrique ne peut se libérer totalement des valeurs qui émanent des religions traditionnelles africaines50 » (Oduyoye 1995 : 12 ; cité par Thomas 2005 : 7), Steyne de

son côté souligne le caractère irrépressible de l’animisme, lequel cohabite avec des religions

étrangères:

Le vernis des autres religions du monde peut souvent le revêtir ou même le

cacher, mais il trouve son expression sous diverses formes subtiles. Il peut

infiltrer les systèmes de croyances des autres religions à tel point que seule

l’exploration du mobile des pratiques orthodoxes et superstitieuses de ces

religions peut révéler sa présence51 (Steyne 1989: 160 ; cité par Turaki 20).

50 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [...] neither Muslim nor Christian in Africa can be totally free from values that emanate from the traditional African religions » (Oduyoye 1995: 12; cité par Thomas 2005: 7). 51 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « The veneer of other world religions may frequently overlay it and even hide it, but it finds expression in many subtle ways. It may so interpenetrate the belief systems of other religions that only a search of the reasoning behind their orthodox practices and superstitions may reveal its presence » (Steyne 1989: 160; cité par Turaki 20).

54

En fait, les traces de la religion traditionnelle africaine seraient incrustées dans l’ADN52 de tous les Africains, à en croire Houphouët-Boigny qui affirme que :

Depuis les archevêques africains jusqu’au plus insignifiant catholique, depuis le

grand marabout jusqu’au plus insignifiant musulman, depuis le pasteur jusqu’au

plus petit protestant, nous avons tous en nous un passé animiste53 (Ndaw 233).

Par ailleurs, lorsque Koyaga prête serment non seulement sur le Coran et la Bible – symboles des religions étrangères – mais également sur les mânes ancestraux, son geste signifie qu’il souhaite

être fidèle à sa culture, laquelle ne limiterait pas le nombre de divinités auxquelles un homme

peut croire. À travers son comportement, Koyaga, sans le dire, semble envoyer un message fort

aux partisans des religions étrangères, message selon lequel ces religions ne devraient pas porter de jugement vis-à-vis des Africains qui, comme lui, adoptent une religion étrangère tout en conservant jalousement sa propre religion. Son attitude semble confirmer la position tenue par

Mbiti (1986 : 40). D’après ce dernier, quand certains Africains viennent à une religion étrangère comme le christianisme, « they come to it as they are », munis d’une « vision du monde » façonnée par leur religiosité d’origine, pour ainsi dire (Thomas 2005 : 6-7). Nous pouvons aussi arguer que c’est par commodité que Koyaga adopte plus d’une religion. Son choix lui permet d’éviter une rupture brutale et définitive avec sa propre religion. En plus, en tant que politicien, son orientation religieuse lui permet de plaire à toutes les sensibilités religieuses qui existent dans son pays et le positionne comme défenseur de la tolérance religieuse. De la sorte, le

52 Abréviation qui signifie « acide désoxyribonucléique », matière constitutive des chromosomes du noyau cellulaire. 53 Cette déclaration de Houphouët-Boigny est citée par J.C. Froelich dans son livre intitulé Nouveau Dieux d’Afrique (Éditions Prismes, 1960) et reprise par Ndaw.

55

syncrétisme religieux pour Koyaga passe pour un dispositif pragmatique. À cet égard, Elungu

nous rassure que :

il est aussi possible que, pour des raisons personnelles, psychologiques, morales

ou politiques, l’on entretienne volontiers la confusion en prônant un syncrétisme

qui a comme avantage d’empêcher des conversions déchirantes à l’une ou à

l’autre, de jeter une épaisse zone d’ombre sur le comportement politique, moral et

religieux » (Elungu 105).

Après avoir tenté de décrire et de commenter la présence du syncrétisme religieux dans les proverbes, nous allons maintenant passer à l’examen de la place qu’occupe le sacrifice au sein du

système de croyances représenté dans les parémies.

3 Sacrifices

À en juger par les nombreux proverbes54 qui font allusion au sacrifice55, nous pouvons postuler

que ce dernier constitue un aspect identificatoire, pour ne pas dire essentiel, du système de

croyances des personnages kouroumiens. Les proverbes kouroumiens en disent long sur la raison

54 Nous en avons recensé sept.

55 Dans ce travail, le sens que nous donnons à ce mot est celui qu’adopte Thomas. Ce critique met en évidence le rôle important qu’occupe le sacrifice dans la religion traditionnelle africaine tout en indiquant la nature des objets sacrifiables ainsi que le processus de sacralisation qui se réalise pendant une session de sacrifice : « L’un des rites les plus permanents et les plus indispensables reste certainement le sacrifice qui est simultanément une obligation […] et un acte symbolique ‘par lequel un objet ou une personne passe de l’état profane à l’état sacré’ » (Thomas et al. 1981, tome premier 213). D’après cet auteur, le schéma sacrificiel comprend cinq éléments essentiels à savoir : le sacré (Dieu, les génies, le prêtre), le sacrifiant (le sujet), le lieu cultuel (l’autel), l’objet sacrificiel (animal, plante) et la parole dont se sert le sacrificateur pour communiquer avec Dieu ou les génies et pour sacraliser l’objet sacrificiel (Thomas et al. 1981, tome premier 217).

56 d’être, sur la nature et sur le sort des pratiques sacrificielles. Concernant les motifs qui poussent les personnages kouroumiens à se livrer aux rites sacrificatoires, les proverbes nous apportent quelques éléments de réponse. Pour les personnes qui sont bénéficiaires des largesses divines, l’exécution des sacrifices est une obligation. Le narrateur du récit Les Soleils des indépendances souligne ce fait à travers cette phrase à saveur proverbiale : « Le devoir du donataire de la bonté divine est de faire des sacrifices » (LSI 53). Le narrateur articule cette locution au moment où

Salimata décide d’offrir des sacrifices parce qu’elle est convaincue que le petit commerce qu’elle mène bénéficie de la bonté d’Allah. Non seulement Salimata est conscient de la largesse d’Allah, mais elle souhaite réagir à celle-ci en assumant ses responsabilités en tant que croyante. En agissant de la sorte, la religion chez elle ne se conçoit pas comme un vain mot, mais plutôt comme une manière d’être. Le sens de la religion, tel qu’il transparaît à travers l’énoncé sus-

évoqué et à travers le comportement de Salimata, semble rejoindre celui que nous propose

Turaki qui, s’appuyant sur Steyne (1989 : 27-28), considère la religion comme « une prise de conscience de l’existence d’une puissance vivante à laquelle on réagit » [« an awareness of and reaction to a living power »] (Turaki 15). En plus, les personnages ont recours aux pratiques sacrificielles parce qu’ils croient que ces dernières leur procurent certains avantages sur les plans sécuritaire, sanitaire, psychologique et reproductif. Notre postulat s’appuie sur ces énoncés à valeur sentencieuse :

(a) « Les sacrifices protègent contre le mauvais sort, appelle la santé, la fécondité, le

bonheur et la paix » (LSI 53) ;

(b) « Le destin n’a jamais surpris ceux qui en permanence sont dans les sacrifices

sanglants » (EAVBS 64) ;

57

(c) « […] des sacrifices adoucissent le mauvais sort et même le détournent » (LSI 127).

Par conséquent, ceux qui s’y adonnent, nous rassure Tiécoura, et ce de façon sentencieuse, (d)

« Le malheur les évite. Sur leur chemin, ce ne sont pas sur les cailloux de la déveine qu’ils buttent mais sur ceux de l’avantageuse chance » (EAVBS 64). Signalons que Tiécoura emploie les proverbes (b) et (d) pour illustrer le fait que Koyaga doit sa réussite sociale à sa mère, géomancienne chevronnée et détentrice d’un « Coran multi-centenaire », qui quotidiennement offrait des sacrifices pour lui et à son nom (EAVBS 63). D’après ces parémies, il est donc clair que le sacrifice religieux a, au fond, quelque chose d’utilitaire. La fonction utilitaire de la

religion intéresserait non seulement les personnages kouroumiens, mais aussi la grande majorité

des Africains qui pratiquent la religion traditionnelle. D’ailleurs, Geluwe, dans les propos qui

suivent, affirme que le pragmatisme utilitaire est un trait distinctif de la religion traditionnelle

africaine :

L’Africain a une vision pragmatique et utilitaire de la religion: la religion doit

empêcher tout mal à l’homme; la religion doit rendre l’homme heureux ; la

religion doit neutraliser les forces malveillantes, tant physiques que psychiques,

qui entourent l’homme – sinon la religion perd son sens56 (Geluwe 42 ; cité par

Thomas 2005 : 41).

Non seulement ces proverbes soulignent-ils la dimension utilitaire du sacrifice religieux, mais ils

suggèrent aussi que ce dernier pilote la vie des personnages. Pour ces personnages, recourir

constamment et assidûment au sacrifice religieux, et par ricochet à une force divine, c’est en

56 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « The African has [a] pragmatic and utilitarian outlook on religion: Religion must prevent man from being harmed; Religion must make man happy; religion must neutralize the evil forces, both physical and psychical that surround man – or else Religion loses its meaning » (Geluwe 42 ; cité par Thomas 2005 : 41).

58

quelque sorte reconnaître la faiblesse de l’homme, c’est reconnaître aussi la puissance de l’Être

suprême. Ainsi, la conception de la religion chez ces personnages se rapprocherait du sens que

lui confère Idowu qui, analysant la religion comme théorie de d’être, affirme que :

La religion est le résultat d’une prise de conscience spontanée de l’homme d’une

puissance vivante, ‘Toute Autre’ et infiniment plus grande que lui-même, une

puissance mystérieuse, car invisible, pourtant une réalité présente et

urgente57 (Idowu 1975 : 75; cité par Turaki 13).

Quant à la nature du sacrifice, dans le proverbe (b) susmentionné, l’adjectif « sanglants »

qualifiant le mot « sacrifices » suggère que le sang, une matière versée à profusion lors des

cérémonies sacrificielles, revêt une certaine importance dans le système de croyance des

Malinké. En fait, la portée réelle d’un sacrifice ne peut être cernée quand on ne prend pas en

considération le rôle qu’y joue le sang. Ce dernier revêtirait une force certaine. Son caractère

phénoménal est rapporté dans la parémie ci-après qu’énonce le narrateur du récit Les Soleils des indépendances : « Le sang est prodigieux, criard et enivrant » (LSI 124). Signalons que le narrateur emploie ce proverbe pour souligner la portée spirituelle du sang qui se dégage des quatre bœufs immolés lors des funérailles de Lacina, cousin de Fama (LSI 124). Aussi, le sang vêtirait une dimension existentielle qui s’étale et se ressent tant dans l’univers des vivants que celui des morts, comme semble indiquer cette locution fort sentencieuse et poétique : « Le sang qui coule est une vie, un double qui s’échappe et son soupir inaudible pour nous remplit l’univers et réveille les morts » (LSI 124). Certains critiques tels que Turaki et Isizoh partagent l’opinion

57 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Religion results from man’s spontaneous awareness of a Living Power, ‘Wholly Other’ and infinitely greater than himself, a power of mystery because unseen, yet a present and urgent reality […] » (Idowu 1975: 75; cité par Turaki 13).

59 selon laquelle le sang contiendrait une puissance surnaturelle. D’après Turaki, hormis sa fonction symbolique, le sang sacrificiel revivifierait le sacrifiant :

Le sang joue un rôle symbolique important dans les religions traditionnelles

africaines et dans la vie traditionnelle africaine en général. Les sacrifices rituels et

l’utilisation du sang sont censés fortifier ceux qui les accomplissent. [...] La

puissance du sacrifice ou du sang dépend de l’objet qui est sacrifié. Certains

animaux ont une plus grande force vitale que d’autres et la force vitale du

sacrifice humain est la plus puissante de toutes58 (Turaki 92-93).

Le processus de reviviscence qui s’opère chez le sacrifiant permet à celui-ci d’accueillir et d’héberger, et ce de façon mystique, la « dynamique vitale » provenant du sang de l’objet sacrifié. Isizoh, dans la citation qui suit, explique le mécanisme qui sous-tend la transmigration du principe vital lors d’une séance de sacrifice:

Le mécanisme du sacrifice s’explique par la possibilité de libérer, de transmettre

et d’orienter la « dynamique vitale » qui serait essentiellement concentrée dans le

sang, celui des animaux et des hommes [...] L’un des principes présents est celui

de la substitution, comme on peut le constater dans les sacrifices impliquant des

animaux sacrificiels, qui sont posés les uns sur les autres, parfois [...] enveloppés

dans les mêmes feuilles démontrant ainsi que l’animal est immolé à la place de

58 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Blood plays a significant symbolic role in traditional African religions and traditional African life in general. Ritual sacrifices and the use of blood are believed to empower those who perform them. [...] The potency of the sacrifice or of the blood depends on what is sacrificed. Some animals have higher life force than others and the life force of a human sacrifice is the most potent of all » (Turaki 92-93).

60

l’homme et offert en son nom à un Esprit59 (Isizoh 109; cité par Thomas 2005:

17-18).

Tout compte fait, la nature du principe actif que renferme tout objet sacrificiel (comme le sang)

demeure un mystère même si les pratiquants de la religion traditionnelle africaine ne mettent pas

en cause sa réalité. Du moins, c’est le constat que fait Hampâté Bâ quand il dit :

Entouré d’un univers de choses tangibles et visibles : l’homme, les animaux, les

végétaux, les astres, etc., l’homme noir, de tout temps, a perçu qu’au plus profond

de ces êtres et de ces choses résidait quelque chose de puissant qu’il ne pouvait

décrire, et qui les animait (Bâ 1972 : 119).

S’agissant du sort réservé aux sacrifices offerts, le dernier mot revient à Allah et aux esprits des

ancêtres, comme le souligne cette déclaration au relent sentencieux énoncée par Birahima : « Les sacrifices, c’est pas forcé que toujours Allah60 et les mânes des ancêtres les acceptent » (ANEPO

21). Les ancêtres ne sont donc pas tenus d’exaucer les vœux des sacrifiants. D’ailleurs, Birahima,

dans la parémie qui suit, souligne l’indépendance absolue dont jouissent les ancêtres : « Les

mânes font ce qu’ils veulent ; ils ne sont pas obligés d’accéder à toutes les chiaderies des prieurs » (ANEPO 21). Il n’y a pas de doute que ces pratiques renforcent le caractère syncrétique

59 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « The mechanism of the sacrifice is explained by the possibility of liberating, transmitting and directing the ‘vital dynamism’ which would be particularly concentrated in the blood, that of animals and of men […] One of the present principles is that of substitution as one can recognize in the sacrifices accompanying sacrificial animal [s,] [which] are placed one against the other, sometimes […] enveloped in the same sheets demonstrating in this way that the animal is being immolated in the place of the man and offered in his name to a Spirit » (Isizoh 109; cité par Thomas, Douglas 2005: 17-18). 60 Dans ce proverbe, Birahima semble placer les esprits des ancêtres ou les ancêtres au même piédestal qu’Allah. Le fait que les sacrifices soient offerts à la fois aux ancêtres et à Allah souligne la vision syncrétique de la religion pratiquée par les personnages kouroumiens.

61

de la religion pratiquée par les personnages qui, simultanément, vouent un culte aux mânes des

ancêtres et à Allah (le Dieu musulman). Parlant justement de ce dernier, nous pensons que sa

personnalité mérite d’être élucidée.

4 Être suprême

La présence massive du mot « Allah » dans les proverbes nous fait croire qu’Allah occupe une

place non négligeable dans la pensée religieuse des personnages kouroumiens. Ceux-ci

conçoivent l’Être suprême – Allah ou Dieu – de différentes manières. À travers les parémies

qu’ils utilisent, ils le représentent comme un être multidimensionnel. À l’aide des parémies à

l’étude, nous allons donc analyser et commenter quelques traits de personnalité d’Allah.

Notre lecture des proverbes nous fait croire que les personnages romanesques perçoivent Allah

comme un être souverain qui jouit de l’autonomie de décision dans la dispense de sa grâce à ses

créatures. De la sorte, même si ces dernières l’inondent de supplications, leur sort définitif

incombe uniquement à lui et ne saurait dépendre desdites supplications, comme en témoignent ces parémies proférées par Birahima : « Allah fait ce qu’il veut ; il n’est pas obligé d’accéder à toutes les prières des pauvres humains » (ANEPO 21). Il importe de dire que Birahima énonce ces propos sentencieux pour expliquer la raison pour laquelle Bafitini, sa mère, n’a pas pu enregistrer auprès d’Allah une réponse favorable malgré les nombreux prières et sacrifices offerts par cette dernière. La souveraineté dont jouit Allah dans ses décisions et dont parle

Birahima est également évoquée dans le récit Monnè, outrages et défis quand le roi Djigui, suite

au décès de Fadoua, profère la parémie ci-après: « Allah est grand, choisit et réalise ce qu’il veut,

et nous, minables humains, ne pouvons qu’acquiescer » (MOD 199). L’image d’Allah, telle

qu’elle se dégage des énoncés sus-évoqués, mime le portrait que le Coran brosse de l’Être

62

suprême. Par exemple à la sourate 13:39, le Coran dit : « Dieu efface ce qu’Il veut. Il confirme

aussi. Et la prescription-mère est auprès de Lui » ; et plus loin à la sourate 28:68, il est écrit

« Ton Seigneur crée ce qu’Il veut, choisit aussi. Pour eux [les croyants], pas de choix ». Ce

dialogue qu’entretiennent les proverbes avec le livre sacré (le Coran) illustre le concept selon

lequel tout texte s’inspire des textes préexistants. Ce phénomène textuel que Kristeva désigne par

le terme intertextualité61 est donc présent dans les proverbes kouroumiens. Selon Riffaterre, on

parle de l’intertextualité quand le lecteur est capable de saisir les traces d’un travail antérieur

dans celui qu’il lit : « L’intertextualité est la perception, par le lecteur, de rapports entre une

œuvre et d’autres, qui l’ont précédée […] » (Riffaterre 1980 : 4). Étant donné que le proverbe kouroumien renferme des traces de textes coraniques, ledit proverbe apparaît donc comme un texte à double identité, la première émanant du parémiographe ou auteur du proverbe et la seconde découlant d’une source textuelle antérieure. La double identité de l’écriture intertextuelle est soulignée par Kristeva quand elle dit:

Tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption

et transformation d’un autre texte. À la place de la notion d’intersubjectivité

s’installe celle d’intertextualité, et le langage poétique se lit, au moins comme

double (Kristeva 1969 : 85).

Dans le récit kouroumien, Allah est aussi perçu comme un être irréprochable, comme le suggère ce proverbe dit par l’imam et repris par Birahima: « Le croyant musulman ne peut rien dire ou reprocher à Allah » (ANEPO 31). Birahima a recours à cette parémie pour souligner le fait qu’il

61 Kristeva définit ce terme comme suit: « Nous appellerons intertextualité cette inter-action textuelle qui se produit à l’intérieur d’un seul texte » (J. Kristeva, Problèmes de la structuration du texte dans La Nouvelle critique, 1958, no spéciale, p. 61).

63

n’en veut pas à Allah nonobstant le fait que son père, un bon croyant qui ne faisait que du bien

sur terre, est mort très tôt laissant derrière lui deux filles – Mariam et Fatouma, une femme et

Birahima lui-même. Signalons en passant que la sentence susmentionnée, dans une certaine

mesure, reprend l’esprit de la parole coranique qui dit : « Ce n’est pas Lui [Allah] qu’on interrogera sur ce qu’Il fait ; mais c’est eux [les croyants] qu’on interrogera62 ».

L’irréprochabilité d’Allah tiendrait du fait qu’il est un être sage. Il aurait un dessein et un motif pour tout ce qu’il fait endurer à ses créatures, comme en témoigne cette parémie proférée par la grand-mère de Birahima : « Allah ne donne pas de fatigues sans raison » (ANEPO 17). En fait, face aux malheurs de sa fille, malheurs qui se succèdent l’un à l’autre, la mère, dans ces propos au relent proverbial, exhorte son enfant à tenir bon et à garder l’espoir : « C’est parce que Allah te réserve un bonheur supplémentaire dans son paradis qu’il te frappe encore sur terre ici d’un malheur complémentaire » (ANEPO 18). L’accident de son fils Birahima et les reproches qu’elle essuie de son mari et de sa mère parce qu’elle n’a rien fait pour empêcher cet accident, sont autant d’épreuves que Bafitini doit assumer avec grâce et avec une sérénité stoïcienne. Par ailleurs, la jeune Fanta, dans Quand on refuse on dit non, fait une allusion directe à la sagesse d’Allah quand elle énonce le proverbe ci-après : « L’omniprésent au ciel, Allah, n’agit sans raison » (QORODN 38). Pour cette jeune fille, les croyants malinké devraient considérer le malheur qu’Allah laisse abattre sur eux comme une mauvaise pluie qui précède un beau temps.

Au sujet de la guerre qui déchire son pays la Côte d’Ivoire, la sentencieuse Fanta croit que leur malheur n’est rien d’autre qu’un moment d’auto-purgation, un signe des lendemains qui chanteront: « Toute épreuve pour un peuple ou bien sert à purger des fautes ou bien signifie la

62 Sourate 21:23.

64

promesse d’un immense bonheur » (QORODN 38). Birahima semble créditer la croyance que

véhicule cette sagesse, car il croit qu’Allah, le sage, utilise la guerre qui sévit en Côte d’Ivoire pour faire subir aux Ivoiriens une pénitence réformatrice (QORODN 38). En plus, dans le récit

Monnè, outrages et défis, la sagesse qui caractérise Allah transparaît dans cette phrase construite

à l’aide d’un proverbe : « Comme le Tout-Puissant pour ses fidèles, la France n’institue pas

d’obligations pour ses indigènes sans leur donner les moyens de les satisfaire63 » (MOD 60). En

fait, dans cette déclaration, se dissimule la parémie suivante : « Le Tout-Puissant, pour ses

fidèles, n’institue pas d’obligations sans leur donner les moyens de les satisfaire ». Les

personnages kouroumiens, à travers les proverbes, semblent dire que le croyant, face aux

difficultés, s’en sort toujours parce qu’Allah lui donne la possibilité de supporter et/ou surmonter

lesdites difficultés. Ainsi, leur conception d’Allah se rapproche de celle que nous propose le

Coran, lequel, à la sourate 2 verset 286, rassure que « Dieu n’oblige une personne que selon sa capacité ». Par ailleurs, le caractère juste et sage d’Allah est mis en évidence à la sourate 2 verset

233, où il est écrit : « Nul ne doit être tenu que selon ses moyens ».

63 L’interprète Soumaré a recours à cette phrase pour illustrer les trois activités qui permettent à ses concitoyens de s’acquitter de leurs impôts vis-à-vis de l’administration coloniale: la vente des produits de rente aux Blancs qui détiennent le monopole de distribution de tels produits ; le travail forcé dans les mines et dans les exploitations forestières et agricoles appartenant aux Blancs ; l’enrôlement dans les rangs des tirailleurs pour défendre la France (MOD 61-62). La déclaration de Soumaré est teintée d’un brin d’ironie parce que la « sagesse » de la France n’est pas une sagesse désintéressée. En réalité, les trois activités créées par la France pour faciliter le paiement des impôts contribuent à l’asservissement du sujet colonisé.

65

Non seulement les décisions d’Allah sont souveraines, inattaquables et sages, mais, en outre,

elles sont impénétrables. Chez les personnages kouroumiens, Allah passe pour un être

insondable, comme en témoigne cette parémie dite par la grand-mère de Birahima et reprise par

ce dernier : « personne ne connaîtra jamais les lois d’Allah » (ANEPO 31). Elle a recours à cet

énoncé parce qu’elle demeure perplexe devant le fait qu’Allah n’ait pas pu empêcher ou retarder la mort du père de Birahima qui, malgré sa piété et sa bonté, meurt sans avoir « la barbe blanche de vieillard sage » (ANEPO 29).

Peut-être ce qui rend Allah insondable est son omniscience. Allah, aux yeux de certains personnages kouroumiens, détient la science infuse et en dispose comme bon lui semble. C’est l’interprétation que nous faisons de la parémie suivante, proférée par le roi Djigui : « Il (Allah) est le Seul qui sait, le Seul qui décide » (MOD 38). Par ailleurs, Djigui, à travers les six

proverbes enchaînés ci-après, évoque la myopie épistémologique des humains, tout en soulignant

implicitement l’immense intelligence d’Allah :

Le monde est toujours plus nombreux et plus large qu’on ne le croit. Allah peut

plus que ce que tu connais; trop de choses que nous ne soupçonnons pas sont

vraies; tout ce que nous pouvons concevoir est du domaine du possible. Personne

ne connaît le monde en totalité : il ne faut jurer de rien (MOD 272).

Djigui prononce ces parémies au moment où il décide, à contrecœur, de céder le pouvoir et d’accorder sa bénédiction à Béma, un fils récalcitrant. Ces proverbes siéent bien en la circonstance. Djigui se voit contraint de quitter le pouvoir au profit de Béma non seulement parce qu’il est fragilisé par les mutations sociopolitiques rendant son règne anachronique, mais aussi parce qu’il est conscient du fait qu’il n’est pas omniscient, un attribut qui découle de la personnalité d’Allah.

66

Allah, sa grande sagesse et son omniscience aidant, se place au-dessus des humains. Il n’est donc pas étonnant que les personnages kouroumiens le perçoivent comme l’arbitre de l’humanité. Par

conséquent, lui, et lui seul, est habilité à juger ses créatures, comme nous le rappelle le proverbe

suivant : « Le défunt appartient au seul jugement d’Allah […] » (LSI 71). Il est donc futile pour

les croyants de faire des récriminations, des supputations et autres spéculations sur le passé d’un

défunt, une pratique malheureusement très courante chez les humains ! Signalons que le

narrateur énonce cette parémie quand il parle de Lacina qui, avant son décès, usurpait la

chefferie d’Horodougou au détriment de son cousin Fama.

Le fait que ses connaissances et capacités de jugement demeurent inaccessibles au commun des

mortels ne signifie pas que sa bienveillance l’est autant. Loin s’en faut. Allah est plutôt un être

attentionné, comme en témoigne le proverbe ci-après, dit par Birahima : « Allah l’omniprésent

qui est au ciel n’est pas pressé mais il n’oublie jamais aucune de ses créatures sur terre »

(QORODN 14). Dans ce proverbe, le substantif « omniprésent », une autre désignation d’Allah,

suggère que l’absence ou l’éloignement n’est pas un attribut d’Allah. Ce dernier est donc

toujours aux côtés de ses créatures, d’autant plus qu’il n’oublie jamais aucun des siens. En plus,

dans la deuxième partie du proverbe, nous déduisons que, contrairement aux humains qui parfois

se désintéressent de leurs semblables ou possèdent des mémoires courtes, Allah, lui, porte à ses

ouailles un intérêt indéfectible, et possède une mémoire vive et éternelle. Il y a lieu de signaler

que Birahima utilise le proverbe sus-évoqué pour remonter son moral et pour garder l’espoir,

parce qu’en sa qualité d’enfant-soldat démobilisé et pauvre, il a l’impression que son entourage

n’est pas ému par son état piteux.

Chez Kourouma, Allah ne se contente pas de prêter une oreille attentive à toutes ses créatures, il

leur manifeste également et concrètement sa magnanimité. Il pourvoirait aux besoins de toutes

67

ses créatures, sans discrimination aucune. Birahima valide notre supposition quand, miné par la

famine et implorant l’intervention divine, il énonce le proverbe suivant : « Même au vautour

aveugle, il (Allah) accorde sa pitance journalière » (ANEPO 14). Allah, grâce à sa générosité

providentielle, n’est donc pas insensible aux problèmes alimentaires des nécessiteux, étant donné

qu’il leur fournit quotidiennement une dotation alimentaire, comme le souligne bien le narrateur

dans Les Soleils des indépendances à travers cet énoncé à valeur sentencieuse : « Allah, lui, les

voit bien, les entend bien, les connaît bien et s’arrange pour qu’ils aient une assiettée un matin,

un fruit le soir » (LSI 54). Rappelons que le narrateur énonce ces propos pour illustrer la bonté

d’Allah, laquelle se manifeste à travers Salimata, une vendeuse de riz qui permet aux pauvres de

manger à crédit (LSI 54). La déclaration quasi sentencieuse du narrateur mérite d’être

commentée. Même si Allah ne peut être conçu en termes géométriques, puisque l’énoncé ne le

présente pas stricto sensu comme un être « étendu à trois dimensions » ni comme une

« substance comprise entre des limites64 », nous constatons quand même que ledit énoncé à travers les verbes « voit » et « entend » lui attribue des capacités sensorielles telles que la vue et l’ouïe, lesquelles on retrouve chez l’homme et chez certains organismes vivants. En plus, dans le même énoncé, le verbe « connaît », dont Allah constitue le sujet grammatical, laisse penser que celui-ci, à l’instar des êtres anthropomorphiques, serait doté d’une capacité cognitive65 ou mémorielle. Mais peut-on vraiment concevoir Allah en termes anthropomorphiques ? Allah, à en croire Cazalis, « […] est le mot arabe qui signifie : Dieu unique, éternel, incorporel66 […] »

64 Définition du corps, selon Djibril Samb, Étude du lexique des stoïciens [Paris, Harmattan, 2009], p. 38. 65 Cette qualité transparaît aussi dans le verbe « sait » que renferme la parémie « Il (Allah) est le Seul qui sait, le Seul qui décide » (MOD 38), évoquée précédemment dans le chapitre. 66 C’est nous qui italicisons.

68

(Cazalis 95). Régis Blachère précise même que « selon une vingtaine de Traditions [islamiques],

ce mot [Allah] signifie incorporel (plus exactement : qui ne boit ni ne mange) » (Blachère 671).

Le Coran de son côté, à la sourate 112 verset 3, stipule que « Il [Allah] n’a jamais engendré, n’a

pas été engendré non plus », ce qui signifie qu’Allah n’émane pas d’un corps humain. Quant à

Kourouma, il est d’avis que Dieu ne possède pas de corps, au sens humain du terme: « […] chez

nous le dieu négro-africain […] ne s’est révélé à personne. Il n’a envoyé aucun disciple prêcher

la bonne parole. Il ne s’est pas incarné67 » (Djian 103). Par conséquent, quoique le proverbe sus-

évoqué contienne des mots qui attribuent à Allah des qualités humaines, Allah, après tout, n’est

donc pas humain.

Ayant analysé les parémies reliées à la personnalité de l’Être suprême, il est important que nous examinions celles relatives à la façon dont les personnages romanesques vivent leur foi vis-à-vis d’Allah.

5 Stoïcisme, soumission et croyance au destin

Les proverbes montrent que la spiritualité et la foi des personnages sont imprégnées du

stoïcisme. Chez ces personnages, aucun malheur personnel ne semble ébranler leur foi en Allah.

Birahima, par exemple, est un jeune croyant stoïque et impavide. Il connaît une enfance difficile

parce que sa mère Bafitini souffre d’un ulcère paralysant. À cause de son handicap physique,

cette dernière n’est donc pas capable de protéger son enfant qui, en sa présence, fonce dans une

braise et s’y brûle le bras (ANEPO 13-14). La brûlure que subit Birahima n’entache pas sa foi en

Allah. Bien au contraire. Au sujet de son accident, il affiche plutôt une spiritualité stoïcienne

67 Extrait tiré du discours prononcé par Kourouma en 2000, au siège du Parlement européen à Strasbourg, en France.

69

lorsqu’il lance cette phrase dont la proposition subordonnée revêt une valeur proverbiale : « Elle

[la braise] a grillé le bras d’un pauvre enfant comme moi parce que Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes les choses qu’il fait sur terre68 » (ANEPO 14). En plus, nous constatons que

Birahima fait montre d’une spiritualité empreinte de persévérance. En tant qu’enfant-soldat

démobilisé, il prie Allah de lui fournir la somme d’argent nécessaire pour fonder une famille et

procurer une voiture. Toutefois, il sait qu’il doit supporter l’attente dans le calme, comme le

laissent deviner les déclarations suivantes dont la dernière phrase s’articule autour du proverbe

« Allah n’est pas obligé » : « […] pour le moment, ça marche pas fort, le calvaire continue. […]

Mais Allah n’est pas obligé de m’accorder tout de suite l’argent à profusion, pour acheter un

gbaba et marier Fanta, la plus belle femme du monde » (QORODN 14). Birahima semble donc

être disposé à se munir d’une bonne dose de patience quant à ses rêves de devenir « peinard comme un enfant de développé [développé signifie ressortissant d’un pays développé] »

(QORODN 14). Il s’appuie sur l’énoncé sentencieux susmentionné pour maintenir une humeur optimiste. En plus, ledit énoncé constitue une source de motivation pour lui parce qu’il se battra bec et ongle pour chercher un travail qui pourrait l’aider à réaliser ses rêves. En fait, la religion, telle que représentée à travers l’énoncé parémique susvisé, a donc une fonction motivationnelle.

Clifford Geertz appuie notre affirmation, étant donné qu’il conçoit la religion, entre autres, comme:

un système qui crée chez les hommes des humeurs et des motivations puissantes,

persuasives et permanentes en formulant des conceptions d’ordre général sur

l’existence et en revêtant celles-ci d’une aura de réalité qui conférerait aux

68 C’est nous qui italicisons.

70

humeurs et aux motivations un caractère singulièrement réaliste69 (Geertz 1973:

89; cité par Turaki 12).

Dans l’œuvre de Kourouma, la persévérance est donc une qualité qui définit tout bon croyant.

D’ailleurs, l’énoncé proverbial ci-après y fait référence et crédite notre supposition: « […] un

musulman conserve le cœur froid et demeure patient » (LSI 20-21). Signalons en passant que

cette phrase est dite par le narrateur du récit Les Soleils des indépendances quand il critique le

comportement de Fama, un homme qui agit et parle avec précipitation, et dont « la colère ne

[s’éteint] pas d’une petite braise » (LSI 19).

Par ailleurs, en matière de croyance chez Kourouma, l’idée du stoïcisme ou de la persévérance

semble côtoyer celle de la prédestination. La mère de Bafitini, par exemple, pense que Dieu a

voulu que sa fille soit « née avec les douleurs de l’ulcère » et qu’elle passe la totalité de son

« séjour sur cette terre dans la natte au fond d’une case près d’un foyer » (ANEPO 17). Elle

semble donc croire à la prédestination, comme l’indique cette parémie qu’elle adresse à sa fille et

que Birahima reprend : « C’est Allah qui crée chacun de nous avec sa chance, ses yeux, sa taille

et ses peines » (ANEPO 17). Le parallèle entre cette pensée et celle véhiculée dans certains

passages coraniques saute aux yeux. En fait, le Coran, dans ses sourates 25 : 270 et 54 : 4971, dit

qu’Allah détermine les proportions de toute chose. Ce rapprochement entre le proverbe

69 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « a system which acts to establish powerful, persuasive and long-lasting moods and motivations in men by formulating conceptions of general order of existence and clothing these conceptions with such an aura of actuality that the moods and motivations seem uniquely realistic » (Geertz 1973: 89; cité par Turaki 12). 70 Celui-là même à qui appartient la royauté des cieux et de la terre, et qui n’a point adopté d’enfant, et à qui il n’est point d’associé en la royauté, et qui a créé toute chose en la mesurant avec mesure. 71 Oui, toute chose, Nous l’avons créée avec mesure.

71

kouroumien et certains versets coraniques démontre, si besoin était, que les enseignements

coraniques maintiennent une incontestable prégnance non seulement sur la foi des Malinké mais

aussi sur leur pensée. En recourant au proverbe religieux sus-évoqué pour illustrer la condition

existentielle de sa fille, la grand-mère de Birahima, dans une certaine mesure, utilise la religion

non seulement pour expliquer les difficultés auxquelles sa fille fait face, mais aussi pour donner

une signification à l’existence de cette dernière. Concernant la fonction explicative de la religion,

Turaki en se fondant sur les réflexions de Steyne (1990), argue que la religion :

Postule une explication concernant les problèmes difficiles de l’être humain; [...]

Diminue la peur et l’anxiété et soulage ainsi la faiblesse de la condition humaine;

[...] Donne du sens à la vie [...] Maintient notre espoir [...] face à la faiblesse

humaine72 (Turaki 15).

Cette perspective est, dans une certaine mesure, confirmée par Shorter et Olsen qui,

respectivement, affirment que la religion permet au croyant de « walk the tightrope between

hope and despair » (Shorter 37-38) et de faire face aux « tragic aspects of life, i.e. providing him with consolation in times of distress, and [...] explaining man’s status within the total scheme of things or, as existentialists put it, giving a satisfactory account of the ‘human condition’» (Olsen

158). En faisant recours à la fonction explicative de la religion, la grand-mère de Birahima vit donc une foi optimiste et positiviste, laquelle lui permet de supporter les difficultés de la vie. À l’instar de la grand-mère de Birahima, le roi Djigui affiche une foi stoïque et se retranche dans la religion pour mieux supporter ses problèmes. Un desdits problèmes est la perte des vies

72 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [Religion:] Postulates an explanation for vexing human problems ; …Reduces fear and anxiety and so alleviates the helplessness of the human condition ; [...] Gives life meaning [...] Holds our hope [...] in the face of human frailty » (Turaki 15).

72 humaines dans son royaume. Toutefois, aussi tragique et bouleversant que la mort puisse paraître, Djigui exhorte les personnes endeuillées à gérer l’événement dans la méditation. C’est le message qui transparaît à travers ces déclarations à caractère sentencieux proférées par lui :

« Aux martyrs nous devons des prières. La mort ne laisse aux survivants d’autres lots, d’autres possibilités que les prières » (MOD 22). Djigui énonce ces phrases lorsqu’il apprend par un messager que de nombreux chefs traditionnels du mouvement de résistance sont massacrés et leurs sujets carbonisés par les forces coloniales françaises. Ainsi, la prière, ou la religion tout court, se présente comme l’arme dont le croyant a besoin pour affronter la perte d’un être cher.

Le caractère prédéterminé de la condition humaine est également articulé par le narrateur du récit

Les Soleils des indépendances quand il profère cette déclaration sentencieuse : « Allah a fabriqué une vie semblable à un tissu à bandes de diverses couleurs ; bande de la couleur de bonheur et de la joie, bande de la couleur de la misère et de la maladie, bande de l’outrage et du déshonneur »

(LSI 22). Le narrateur énonce ce proverbe par rapport à la condition de Fama dont les lots à lui réservés par Allah sont la maladie, la tristesse, la stérilité et la honte. En dépit de tous les efforts qu’il déploie pour améliorer sa condition, celle-ci ira de mal en pis parce que, comme le souligne cette autre parémie que profère le narrateur, « Personne ne peut aller en dehors de la voie de son destin » (LSI 128). Le caractère inévitable du destin individuel est aussi évoqué dans le roman En attendant le Vote des bêtes sauvages lorsque Bingo aborde le sujet de la mort et celui de la survie personnelle. Bingo croit qu’aucun être humain ne peut échapper à la mort, comme l’indique la parémie ci-après proférée par lui : « La mort est un vêtement que tout le monde portera »

(EAVBS 82). Bingo utilise ce proverbe pour réitérer l’idée que tout être vivant est mortel, y compris « le grand initié» Fricassa Santos qui, en dépit des « magies que les maîtres du voudou de Notsé du Togo et les marabouts de Tombouctou » lui donnent (EAVBS 81), décède lors d’un coup d’état orchestré par Koyaga (EAVBS 94). Quant à l’illustration du thème de la survivance,

73

Bingo énonce la parémie suivante : « Celui qui doit vivre survit même si tu l’écrases dans un mortier » (EAVBS 168). Signalons que Bingo emploie ce proverbe pour décrire le parcours de

Maclédio. Ce dernier, à la recherche de son « homme de destin », engage un périple qui le mène dans plusieurs endroits et auprès de différentes personnalités comme le chef Bamiléké

Foundoing au Cameroun (EAVBS 137) et le dictateur Nkoutigui Fondio de la République des

Monts (EAVBS 166-167), pour ne citer que ceux-là. Toutefois, il finira par trouver son « homme de destin » en la personne du président dictateur Koyaga, auprès de qui il travaille comme ministre de l’Orientation (EAVBS 9, 13). Il n’y a pas que la vie qui soit soumise à la guise du destin. Son contraire, la mort, l’est aussi, comme le démontre ce proverbe angolais repris par

Fanta dans le récit Quand on refuse on dit non : « Où un homme doit mourir, [...] il se rend très tôt, toutes affaires cessantes, dès le lendemain » (QORODN 117). Fanta se sert de cette parémie quand elle parle de la vie et du décès du général Gueï. En son vivant, ce dernier est convaincu qu’il sera élu président de la République de Côte d’Ivoire. D’après Fanta, la mort de ce général est le fait du destin parce que « sans état d’âme », il « se [lance] dans une opération suicidaire de conquête du pouvoir à tout prix » alors que lui et son conseiller Balla viennent d’échapper à un coup d’état (QORODN 116). Le général essaie sans succès de déjouer son destin. Craignant pour sa sécurité, il se retire dans son village natal où il se cache dans un lieu ‘sauf’, une église, mais cela n’empêche pas les éléments de l’escadron de la mort de le retrouver, et de le zigouiller par la suite. Son destin va donc le suivre jusque dans sa cachette, malgré la conviction qui l’animait, une conviction que Fanta décrit d’une façon sentencieuse : « Il avait la certitude du bébé de la vendeuse de lait qui, dans son berceau, est assuré d’être nourri quoi qu’il arrive73 » (QORODN

119).

73 De cette déclaration, on peut extraire la pensée parémique : « le bébé de la vendeuse de lait,

74

Certes, les proverbes susmentionnés dépeignent la spiritualité des personnages sous le prisme de

la résignation et du destin. Toutefois, chez Kourouma, il existe aussi des formes gnomiques qui

présentent la foi comme un phénomène dynamique.

6 Proverbes et foi agissante

Les proverbes dans les récits kouroumiens abordent la question de la foi agissante. Cette dernière

se manifeste dans la vie spirituelle des croyants lorsque ceux-ci ne se contentent pas seulement

de dire qu’ils sont croyants, mais joignent des actes concrets à la foi qu’ils professent. Le

narrateur du récit Les Soleils des indépendances, à travers la parémie ci-après, souligne que la

pratique des bonnes œuvres est une prescription divine : « La droiture est plus que la richesse, et

la charité est une loi d’Allah » (LSI 53). Nous entendons presque le même son de cloche du côté

du marabout Bokano qui fait l’apologie de la charité musulmane en proférant la parémie

suivante : « Le bien suprême, la grande charité, chez le musulman, recommande d’alimenter,

d’approvisionner le prochain en eau potable » (EAVBS 356). Passant de la parole à l’acte,

Salimata, se conformant à l’esprit de la parémie susmentionnée, celle dite par le narrateur du

roman Les Soleils des indépendances, distribue de la nourriture « aux chômeurs, aux affamés,

jusqu’à vider la cuvette, jusqu’à la racler » (LSI 61). Quant au marabout Bokano qui fait de la

charité son credo, il s’illustre par des œuvres de bienfaisance comme le financement des projets

d’adduction d’eau potable dans les villes et villages (EAVBS 356). Les croyants qui font de la

charité pensent que cette dernière profite à la fois au donateur et au récipiendaire. Concernant le

dans son berceau, est assuré d’être nourri quoi qu’il arrive ». Cette parémie est une variation du proverbe « Le bébé de la laitière dort en paix parce qu’il sait qu’il aura du lait quoi qu’il arrive », Allah n’est pas obligé, page 181.

75

donateur, Allah note et récompense son bon geste, comme le suggère ce proverbe qu’énonce le

narrateur du récit Les Soleils des indépendances : « Allah gratifie la bonté du cœur » (LSI 51).

Aussi, le bon geste fait estomper les murs qui séparent les hommes, comme l’indique cet autre dicton proféré par le narrateur du roman Les Soleils des indépendances : « […] offrir ouvre les

cœurs » (LSI 53). Pour des croyants comme Salimata et Bokano qui ne souhaitent pas être perçus

par Allah comme de mauvais disciples, la réalisation de bonnes œuvres est donc une exigence

divine à laquelle tout bon croyant doit se soumettre. Cette soumission, pour le croyant, serait un

gage de bonheur éternel car Allah, à travers plusieurs versets publiés dans le Coran, distribue de

bons et mauvais points aux ouailles en fonction de l’importance qu’elles accordent à la charité.

Ainsi, dans la sourate 92, Allah promet le paradis aux âmes charitables74 et l’enfer aux

personnes avares75. Nous pouvons donc dire que la pratique de la charité par les personnages

kouroumiens est l’un des canaux par lesquels ils établissent et maintiennent une relation

personnelle avec Allah. La construction et la préservation d’un tel rapport ainsi que son intégration dans leur mode de vie sont capitales pour ces personnages, car c’est aussi cela qui

définit la religion. Horton ne dit pas le contraire quand il conçoit la religion, entre autres,

comme: « l’ensemble des relations personnelles entretenues avec l’être ou des êtres [...] relations

qui sont nouées par les partenaires humains [...]76 » (Horton 5). En outre, la pratique de la charité

par ces croyants peut être donc considérée comme un acte de communication avec Allah. Chaque

74 92:5-7: Puis, quant à celui qui fait largesses et se comporte en piété et confirme la plus belle des choses, alors, Nous lui faciliterons la plus grande facilité. 75 92:8 -10: Et quant à celui qui est avare et cherche à se mettre au large, et traite de mensonge la plus belle des choses, alors, Nous lui faciliterons la plus grande difficulté.

76 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « a set of personal relationships with the being or beings [...] relationships which are entered into by the human partners [...] » (Horton 5).

76 fois qu’ils font la charité, c’est comme s’ils envoyaient un signal à Allah, pour lui dire ou rappeler qu’ils sont des croyants obéissants, un acte qu’Allah naturellement prendra en compte.

Quoique la charité soit une directive divine que les êtres humains sont censés suivre, force est de constater qu’elle n’est ni pratiquée par tous ni connue de tous. Le narrateur nous rappelle cela à travers cet énoncé à valeur proverbiale : « [...] les nantis ne connaissent pas le petit marché et ils n’entendent pas et ne voient jamais les nécessiteux » (LSI 54). Le narrateur du récit Les Soleils des indépendances emploie cette locution pour critiquer certaines personnes riches qui ne sympathisent pas avec les pauvres. Il range dans la catégorie des personnes riches et chiches, les blancs, les hommes d’affaires syriens, les chefs d’Etat et leurs secrétaires généraux (LSI 61).

Figurent aussi parmi les personnes insensibles aux besoins des pauvres, les députés, les ministres, les ambassadeurs et autres élites « qu’aucune somme ne peut dépasser et qui pourraient se confectionner des pagnes en billets de banque et qui pourtant ne sont pas obligés de prêter à des chômeurs […] » (LSI 66).

Certes, la charité est vertueuse même si elle n’est pas une valeur partagée par certaines personnes riches. Mais, jusqu’où un croyant peut-il étaler sa magnanimité ? La question mérite d’être posée, parce que malgré la générosité que Salimata manifeste envers les nécessiteux, quelques- uns d’eux l’agressent, s’emparent de toutes ses recettes et disparaissent (LSI 62). Pire encore, avant de disparaître dans la nature, ils ôtent ses boucles d’oreilles, cassent ses plats, baladent les mains « dans ses entre-fesses et entre-jambes, sous les seins et le bas-ventre » (LSI 62). En ce qui concerne Salimata, la bonté est-elle bien récompensée ? Dans un ton sentencieux, le narrateur semble aussi poser cette question lorsqu’il s’interroge : « Faut-il croire qu’il [Allah] ne s’apitoie jamais sur un malheur […] » (LSI 63) ? En tenant compte de l’agression dont Salimata fait l’objet, nous constatons que la charité, pour celui qui la fait, peut comporter des défis parce que

77

le bon geste peut créer des ennuis au donateur, comme le soulignent les proverbes ci-après : (a)

« La grande générosité au marché appelle la méchanceté, le désordre et le pillage » (LSI 55) ; (b)

« Le plus grand cœur du monde ne ferait que des satisfaits à demi et beaucoup d’envieux » (LSI

55) ; (c) « […] un miséreux demi-satisfait ou envieux est un nécessiteux féroce qui attaque

» (LSI 56) ; (d) « Le bienfait et l’honneur enchaînent plus solidement l’homme de bien que ne parviennent à l’accomplir la force et la corde qui retiennent l’esclave ou l’éhonté » (MOD 44).

Ces énoncés nous amènent à poser quelques questions d’ordre moral : si Allah est si bon et s’il recommande aux ouailles de faire la charité, pourquoi le mal prospère-t-il au détriment du bien ?

Pourquoi les bénéficiaires des bonnes œuvres se retournent-ils contre les bienfaiteurs ? Les questions méritent d’être posées d’autant plus qu’un autre proverbe – celui que lance le marabout

Abdoulaye à Salimata – nous rassure que c’est Allah qui est à l’origine des phénomènes comme la pauvreté et la richesse (deux faits qui, respectivement, sont susceptibles de provoquer le mal

[le pauvre qui vole le riche] et le bien [le riche qui fait la charité aux pauvres]): « La pauvreté autant que la richesse sont des œuvres d’Allah » (LSI 58). Inutile de dire que ces questionnements préoccupent les grandes religions telles que le christianisme, le judaïsme et l’islam. Toutefois, Salimata apprend de sa mauvaise expérience et prend la décision d’offrir de l’aumône exclusivement aux personnes qui en ont vraiment besoin, « jamais plus aux truands, paresseux de chiens errants » (LSI 64). Cette perspective révisionniste de la pratique de la charité qu’adopte Salimata semble tenir compte de la substance des proverbes (a), (b), (c) et (d) susmentionnés, et traduit la morale suivante : face aux personnes dites nécessiteuses, tout donateur devrait avoir le discernement nécessaire pour séparer les bons grains d’avec les mauvais. Chez Kourouma, pendant que certains proverbes soulignent le rôle que joue la religion dans la lutte contre les souffrances humaines, d’autres, par contre, soulignent la façon dont la religion est utilisée pour exploiter des personnes faibles.

78

7 Exploitation de la religion à des fins inavouées

Dans les récits kouroumiens, la religion et les parémies y afférentes sont exploitées à des fins inavouées fussent-elles personnelles, tribales ou politiques. Chez les enfants-soldats, par exemple, les proverbes religieux sont utilisés pour légitimer certains actes de violence. Ces enfants-soldats, sous l’influence de leurs chefs, agressent et spolient les personnes innocentes.

Pour celles des victimes qui ont la chance de survivre aux attaques des agresseurs, ces derniers, de façon systématique les décoiffent, les déshabillent, les déchaussent et leur confisquent tous leurs biens (ANEPO 57). Il est curieux de constater que les auteurs d’actes d’agression s’appuient sur les proverbes et dictons à caractère religieux pour justifier certains des actes injustes qu’ils commettent contre leurs semblables. Le dépouillement des victimes et non leur anéantissement physique serait moralement et éthiquement correcte, si nous nous en tenons au dicton religieux ci-après : « C’est ce que Dieu a dit : quand des gens te font trop de mal, tu les tues moins mais tu les laisses dans l’état où ils sont arrivés sur terre » (ANEPO 64). Joignant l’acte à la parole, l’enfant-soldat Birahima, sans états d’âme, affirme que « nous avons abandonné, laissé les autres dans l’état dans lequel ils sont arrivés sur terre » (ANEPO 64), parce que comme le prétend Birahima, « Dieu dit de ne pas tuer, de moins tuer » (ANEPO 64). Le proverbe sus-évoqué dévalorise la vie humaine, car il dit que Dieu autorise les hommes à tuer à petite échelle d’autres êtres humains. Or, dans les cultures africaines, comme dans la plupart des cultures dans le monde, la vie humaine est sacrée. Autrement dit, l’homme a sa place dans le cosmos. Par conséquent, sa disparition, surtout lorsqu’elle est provoquée par des causes non naturelles, bouleverse l’ordre des choses dans le cosmos. Tempels souligne cet aspect de la religion africaine quand il déclare que « La destruction de la vie est une atteinte au plan divin ; et

79

le ‘mutu’ (homme) sait que pareille destruction est avant tout, un sacrilège ontologique, que c’est pour cela qu’il est immoral et par conséquent, injuste » (Tempels 81).

Par ailleurs, la religion et ses dictons sont exploités à des fins démagogiques. Nous voyons cela lorsque Johnson, qui simule la pénitence christique en priant agenouillé sur les cailloux, prétend que Dieu lui a demandé de faire la guerre et de libérer le Liberia des individus démoniaques tels que Samuel Doe, son ennemi juré (ANEPO 137). Pour justifier ses prétentions, Johnson s’appuie sur la bonté proverbiale du Seigneur. Sans remords, il croit que c’est « Dieu toujours dans sa bonté infinie » qui lui offre l’occasion d’exterminer son rival (ANEPO 137). Il n’y a donc pas de doute dans l’esprit de Johnson quant à la provenance et l’urgence de sa mission. À cet égard,

Birahima, à travers cette phrase aux relents religieux et sentencieux, précise que : « La voix du

Seigneur était droite, elle pressait » (ANEPO 137). D’ailleurs Johnson va s’activer pour accomplir cette mission. Trompant la vigilance des forces de l’ECOMOG, organe chargé d’assurer la médiation des discussions de paix, il monte un guet-apens dans lequel tombe Doe.

Signalons en passant qu’à l’égard de son ennemi, Johnson fera montre d’une cruauté effroyable en le découpant en morceaux, « l’oreille droite après l’oreille gauche » (ANEPO 138). Face aux cadavres des enfants-soldats et de nombreux morts enregistrés lors de l’assassinat de Samuel

Doe, le guerrier Johnson trouve une explication à cette hécatombe humaine dans les voies de

Dieu. À l’instar de la sainte Marie-Beatrice, il dira « les enfants-soldats étaient les enfants du bon

Dieu », avant de marteler ces adages religieux : « Dieu les avait donnés, Dieu les a pris. Dieu n’est pas obligé d’être toujours juste » (ANEPO 147). Comme quoi, à chaque fois qu’ils se trouvent devant des malheurs qui en réalité sont les suites logiques de leurs actes, les tenants et aboutissants des guerres tribales se hâtent pour décliner leurs responsabilités en rangeant les conséquences néfastes de leurs actes sur le dos de la religion et de Dieu. Johnson utilise donc les parémies religieuses sus-évoquées non seulement pour se doper et pour se désinculper, mais

80

aussi pour tromper et calmer les enfants-soldats qui voient leurs semblables massacrés et enfouis

dans les fosses communes (ANEPO 145). Alors, de toute évidence, la religion ou le proverbe

religieux, pour être plus précis, passe pour un outil qu’emploient certains personnages pour

renforcer leur emprise sur le pouvoir ou pour cheminer vers le pouvoir absolu. D’ailleurs, Antwi

semble souligner cette éventualité quand il dit :

Dans un contexte de pouvoir et d’autorité, la religiosité humaine peut renfermer

non seulement un désir d’apaiser, mais aussi un désir d’acquérir un pouvoir ou

une autorité réservée exclusivement à celui [Dieu] qui en fin de compte contrôle

l’univers77 (Antwi 182).

Il n’y a pas que les chefs de guerre qui emploient abusivement des parémies religieuses à des fins

personnelles. De simples citoyens comme Birahima et Yacouba s’en servent également dans des

buts inavoués. Pour ces deux complices qui, tour à tour, travaillent dans les rangs de toutes les

factions militaires engagées dans les guerres libériennes et sierra léonaises, Allah est un mot

passe-partout. Les deux compagnons qui s’autoproclament « féticheurs » emploient le mot Allah

pour justifier ce qui est répréhensible. Ayant réussi par l’imposture à berner les personnes dans

leur entourage, ils rendent grâce à Dieu. À tout le moins, c’est le sens qui ressort dans les propos

de Birahima, dont la dernière phrase affiche dans chacune de ses trois propositions finales une

allure sentencieuse :

77 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Within the context of power and authority, human religiosity may be [a] desire not only to appease, but also to acquire the power or authority that can only be bestowed upon the one [God] who is ultimately in control of the universe » (Antwi 182).

81

Le début a été difficile. […] Mais à la fin on a commencé à avoir notre bout de

manioc à manger. On n’était pas dans un hôtel quatre étoiles mais on grignotait

quand même chaque jour le morceau. C’est à ce moment que tout est arrivé,

montrant une fois encore que Allah ne dort jamais, qu’il veille sur tout sur terre,

qu’il veille sur des malheureux comme nous (ANEPO 196-197).

À la lumière de ce qui précède, il est clair que la religion, telle que représentée dans les proverbes et les récits kouroumiens, est sujette à la manipulation à diverses circonstances. Dans la sphère publique, les chefs de guerre s’en servent comme bon leur semble pour conquérir et pour conserver le pouvoir politique. Au niveau du simple citoyen, elle est exploitée à l’envi par celui-ci à des fins personnelles douteuses. En conséquence, la religion, pour certains personnages kouroumiens, ne se conçoit pas comme une fin en soi78. Loin de-là. Elle est plutôt conçue

comme un moyen pour atteindre certains objectifs immoraux et/ou non religieux. Toutefois, en laissant des personnages à la réputation sulfureuse énoncer des proverbes religieux, l’auteur, dans une certaine mesure, ironise sur la religion parce qu’il fait sortir de bonnes paroles des

« mauvaises bouches ». Par ce geste, l’auteur semble lancer une mise en garde dont la teneur pourrait être celle-ci : il faut prendre avec des pincettes les paroles des individus douteux, surtout

lorsque lesdites paroles sont enveloppées et livrées sous un emballage religieux et sentencieux.

Antwi, en matière de religion, ne nous rappelle-t-il pas que « […] la présomption d’altruisme

78 Certains critiques affirment que la religion ne devrait rien avoir à faire avec des intentions cachées. Cette idée se dégage des propos de Leibowitz: « La religion doit se concevoir comme une fin en soi. Elle doit récuser toute vision qui fait de son existence un moyen pour atteindre d’autres fins telles que [...] l’autorité de l’État. Elle doit être totalitaire dans le domaine des valeurs, en considérant tout comme moyen menant à une seule fin : Connaître Dieu et s’attacher à Dieu » (Cité par Antwi 179; notre traduction). Citation originale: « Religion must conceive itself as the end in itself. It must reject any view which makes its existence a means to other ends such as [...] the authority of the state. It must be totalitarian in the realm of values, regarding all else as a means to its one single end-Knowing God and cleaving to God » (Cité par Antwi 179).

82

doit toujours être traitée avec suspicion et ne saurait passer pour un principe inattaquable, infaillible ou absolu79 » ? Sur le plan poétique, le proverbe religieux permet aux personnages

d’inventer ou de réinventer divers aspects de leur univers. À cet égard, nous pourrons dire que

Chinyowa a raison quand, à propos de l’oralité, il dit: « […] l’oralité permet à la société africaine

de se créer et se recréer80» (Chinyowa 128). Pour certains personnages kouroumiens, il importe

peu si cette invention et/ou réinvention dont parle Chinyowa s’opère sous un mode négatif.

Dans les analyses qui précèdent, grâce à une approche conceptuelle diversifiée, nous avons, sans

conteste, prouvé que les proverbes kouroumiens reflètent certaines croyances et pratiques

religieuses. En nous appuyant sur le concept de syncrétisme, nous avons démontré que la

religion, telle que représentée dans les proverbes, est hétéroclite, car elle est le lieu de rencontre

ou de fusion des pratiques provenant de deux grands systèmes de croyance, à savoir l’islam et la

religion africaine traditionnelle. À travers des analyses critiques, appuyées par des références

romanesques appropriées et des sources critiques pertinentes (Mbiti, Turaki, Steyne, etc.), ce

chapitre a établi que le syncrétisme religieux est encouragé pour des raisons personnelles,

culturelles et idéologiques. En utilisant entre autres la théorie fonctionnelle de la religion, le

chapitre a notamment montré que les sacrifices, la soumission stoïque et les bonnes œuvres –

exigences religieuses représentées dans les proverbes – pourraient revêtir certains avantages

spirituels et/ou utilitaires pour les croyants. Le chapitre, par le biais des proverbes, a également

confirmé que les personnages kouroumiens possèdent un concept d’un Être suprême souverain,

79 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] presumption of altruism must always be treated with suspicion and not be allowed to acquire attributes of unassailability, infallibility, or absoluteness » (Antwi 182). 80 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] orality enables African society to create and recreate itself » (Chinyowa 128).

83 omniscient, compatissant et omniprésent. En outre, ce chapitre a démontré que la religion, telle que dépeinte dans certaines parémies et pratiquée par les personnages romanesques, est susceptible de manipulation à des fins personnelles et démagogiques. Une dernière remarque et non des moindres : en adoptant une démarche intertextuelle pour l’analyse des proverbes, ce chapitre a souligné l’influence que le Coran – livre sacré islamique – exerce sur ces derniers. En effet, ladite démarche met en évidence le caractère transculturel du proverbe religieux chez

Kourouma. Il ne fait aucun doute que la fusion au sein des proverbes de deux systèmes de pensée

– africain et islamique – rend l’œuvre kouroumienne plus accessible aux lecteurs s’identifiant à l’une des deux cultures ou aux deux cultures à la fois.

En énonçant les proverbes de façon contextuelle, l’auteur nous permet d’évaluer le rapport qui existe entre la substance des proverbes et les réalités auxquelles ils renvoient. Certains aspects des croyances (sacrifices, stoïcisme résigné, exploitation de la foi à des fins personnelles, etc.)

évoqués dans les proverbes ne permettent pas aux personnages d’améliorer leurs conditions de vie. Pire encore, ces personnages ne remettent pas en question l’irrationalisme fuligineux et pseudo mystique qui semble caractériser ces différents aspects de leurs croyances. Les sociétés dépeintes chez Kourouma gagneraient à tourner le dos à un système de croyances qui repose exclusivement sur l’irrationnel. Ce dont ces sociétés et l’Afrique ont besoin pour assurer leur

épanouissement, c’est une « croyance réfléchissante » ou une « foi réfléchissante81 », pour

81 Au sens kantien, cette expression désigne une vision religieuse qui ne privilégie pas uniquement les règles dogmatiques, mais qui puise dans le savoir ou les connaissances. À en croire Kant dont la pensée est reprise par Antoine Grandjean, la « foi réfléchissante » se manifeste quand « la raison […] escompte que, s’il est encore dans l’inscrutable champ du surnaturel quelque chose de plus que ce qu’elle peut rendre compréhensible mais qui serait nécessaire pour suppléer à l’impuissance morale, ce quelque chose viendra, même secrètement, en aide à sa bonne volonté (Kant R I, AK.VI, 52, note ; cité par Grandjean 253).

84

reprendre cette expression de Kant. En fait c’est cette vision religieuse que semble appeler

Kourouma de tous ses vœux82.

82 À la suite d’une visite effectuée au Japon, Kourouma déclare au journal panafricain Jeune Afrique : « L’Afrique doit être beaucoup plus rationaliste. La solution aujourd’hui, et je m’adresse à la jeunesse, n’est pas de s’en remettre à l’animisme et aux traditions ancestrales. Nous avons, je vais être franc, trop souffert de ne pas avoir suffisamment pensé. […] Nous devons convertir nos mentalités vers quelques chose qui ressemblerait à l’esprit zen des Japonais » (Djian 133). En plus, se confiant au journal panafricain, Kourouma affirme que les croyances irrationnelles des Africains auraient favorisé la colonisation de l’Afrique : « La société malinké traditionnelle est quelque peu décadente, c’est une société dépassée qui vit avec ses mythes. Un de mes oncles qui ne croyait pas en eux pensait que nous devions être logiques avec nous-mêmes. Nous avions été défaits en plein jour, car les Blancs ne nous ont pas vaincus par traîtrise. Ils l’ont emporté les armes à la main. Autant donc cesser de rêver et nous adapter à la nouvelle donne » (Djian 133).

85

Chapitre 3

Culture matérielle et discours proverbial

L’expression « culture matérielle », employée pour la première fois en 1871 par Tylor, évoque les aspects matériels de la culture (Reynolds 155). Quimby et Harrison circonscrivent la signification de l’expression et la définissent de la manière suivante :

La culture matérielle renferme les outils, les armes, les ustensiles, les machines,

les ornements, l’art, les bâtiments, les monuments, les documents écrits, les

images pieuses, les vêtements et d’autres objets pondérables fabriqués ou utilisés

par les humains83 (Quimby et Harrison 1968 : 1054 ; cité par Reynolds 155).

Marie Louise Stig Sorensen, quant à elle, jette une certaine lumière sur les traits identificatoires

des objets culturels. Ces derniers, précise l’auteure, sont tangibles, accessibles, malléables,

transformables et expressifs :

[les objets culturels] sont physiques, ils sont matériels. Nous pouvons posséder,

monopoliser, manipuler, changer les objets; nous pouvons interagir avec eux non

seulement en termes de lecture, mais aussi en les transformant. Ils communiquent

également à travers plusieurs variables ; ils sont visuels et aphones et interagissent

83 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale : « Material culture consists of tools, weapons, utensils, machines, ornaments, art, buildings, monuments, written records, religious images, clothing and any other ponderable objects produced or used by humans » (Quimby et Harrison 1968 : 1054 ; cité par Reynolds 155).

86

avec les gens de plusieurs façons distinctes. Nous réagissons à leurs couleurs, à

leurs formes, à leurs similitudes et à leur étrangeté84 (Sorensen 302-303).

En nous appuyant sur ces critères définitionnels, nous avons identifié certains objets culturels

représentés dans le discours proverbial de Kourouma. Pour faciliter nos analyses, nous avons

classé les artefacts répertoriés par catégories : les objets vestimentaires, les objets ménagers, les

objets organologiques, les objets de défense et de guerre, les espaces construits, les objets

précieux, l’objet de facilitation des échanges économiques, les objets liés aux activités

aquatiques.

Partant du principe selon lequel les objets culturels « fonctionnent comme des codes, comme des

signes et comme des signifiants » (Sorensen 302-303), et à l’aide des proverbes et récits

renfermant ces objets-là, nous tenterons de démêler la/les signification/s des objets en question.

Outre l’adoption d’une méthodologie qui privilégie une étude contextuelle de tous les artefacts,

nous emploierons des approches théoriques et des sources critiques précises pour analyser

certains artefacts. Ainsi, nous exploiterons entre autres les réflexions de Grant McCracken

(1987) en matière du langage vestimentaire pour analyser la fonction sémiotique de certains

objets vestimentaires. Nous puiserons entre autres dans les réflexions de Victor Béry (2006) et

Alain van der Beken (1993), et dans celles d’Abert Gandonou (2002) et R. Galisson (1987) pour

évaluer respectivement les dimensions symboliques et sociolinguistiques de l’artefact ménager.

Dans notre tentative de comprendre la signification des objets organologiques, nous adopterons

84 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [cultural objects] are physical, they have materiality. Objects can be owned, monopolised, manipulated, changed; we can interact with them not just in terms of reading, but also by transforming them. They also communicate through many variables, they are visual and being non-verbal they interact with people in distinct ways. We respond to their colours, their forms, their similarities to other things and their strangeness » (Sorensen 302-303).

87

entre autres une approche intertextuelle. C’est pourquoi nous allons faire allusion à d’autres

textes (tirés de la bible et de la poésie de l’écrivain burkinabé Honorat Badiel) qui font écho à

certains aspects significatifs des objets en question. En plus, nous allons nous inspirer des travaux de Laura C. Jarmon et de Gaver (1986) pour sonder respectivement les dimensions divine et communicationnelle de l’artefact organologique. Afin de scruter la valeur épique et

historique de la flèche (artefact de guerre), nous allons également adopter une approche

intertextuelle. Pour ce faire, nous tenterons de dégager les rapprochements qui existent entre la

signification de la flèche telle que représentée dans les proverbes et récits kouroumiens et sa signification telle que dépeinte dans d’autres textes, notamment dans le récit Soundjata ou

l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane. S’agissant de l’examen de certains aspects

significatifs des espaces bâtis, nous aurons recours entre autres à la notion lévi-straussienne de

filiation et de résidence (Lévi-Strauss 2002), au concept de territorialité de Donald Sanders

(1990) et au concept de l’espace construit en tant que lieu d’ancrage et de cristallisation de la

vision du monde (Wilk 1990 ; Charpentier et al. 1978). Pour évaluer la signification des métaux

précieux, nous allons, parmi d’autres stratégies, adopter la démarche phénoménologique. Notons

que le sens que nous prêtons à la phénoménologie ici est celui que propose Nils Anfinset (2000).

Le critique conçoit la phénoménologie comme une entreprise descriptive qui prend en compte

l’objet et les « émotions » qui l’entourent (Anfinset 205). Ainsi, outre l’examen des aspects fonctionnels des artefacts, nous allons aussi analyser leurs propriétés « immatérielles » et/ou

« irrationnelles»85. En plus, afin de peser la valeur des métaux, nous allons nous inspirer des

85 C’est sur ces deux propriétés que repose le mérite de l’approche phénoménologique, comme le fait valoir Anfinset : « Une approche phénoménologique a l’avantage de pouvoir intégrer les aspects matériels des activités métallurgiques, ainsi que les aspects immatériels liés au comportement irrationnel et symbolique de l’être humain » (Anfinset 205; notre traduction).

88

travaux de Margaret Llasera (1999) et de James Nason (1987) portant respectivement sur la

classification et la disponibilité des métaux précieux. Pour analyser la signification de l’argent,

artefact de facilitation des échanges économiques, nous ferons allusion entre autres aux pensées

et maximes de certains auteurs (Ayn Rand, Alfred Capus, Juvénal, Vespasien, Paul Léautaud)

portant sur l’argent. Afin d’analyser la représentation de la pirogue, artefact employé pour les

activités aquatiques, nous adopterons entre autres une démarche intertextuelle, en faisant des

références aux représentations dudit artefact dans les travaux de Jean-Marie Adiaffi et Germain

Kouassi.

Après ces préliminaires d’ordre définitionnel, conceptuel et méthodologique, il est temps de

passer à l’analyse des artefacts représentés dans les proverbes et énoncés proverbiaux tirés des

cinq romans de Kourouma inscrits dans la bibliographie. Les objets vestimentaires figurent en

bonne place parmi ces artefacts.

1 Proverbes et vêtements

Chez Kourouma, le port de vêtements est décrit comme une chose incontournable pour tous les

êtres humains. Ces derniers seraient familiers avec les vêtements de la même manière qu’ils sont

avec la mort, comme le souligne le sens littéral du proverbe ci-après, lequel établit un parallèle

métaphorique entre la mort et le vêtement : « La mort est un vêtement que tout le monde

Citation originale: « A phenomenological approach has the advantage that it can incorporate materialistic aspects of […] metallurgical activities, as well as immaterial aspects connected to symbolic and apparently irrational human behaviour » (Anfinset 205).

89

portera86 » (EAVBS 82). En fait, le moins que l’on puisse dire c’est que l’habillement est l’une

des premières choses avec lesquelles un nouveau-né entre en contact dès la naissance. La

parémie ci-après ne dit pas le contraire : « Nous ne pouvons pas entrer dans ce monde sans nous

vêtir, sans abandonner notre nudité87 » (EAVBS 19). Le deuxième complément prépositionnel de cet énoncé laisse entendre que l’adoption ou l’acceptation de vêtements par l’être humain signifie plus ou moins la négation de la nudité par celui-ci. En plus, le proverbe indique que la fonction du vêtement est de parer la nudité du corps humain. D’ailleurs, cette fonction utilitaire du vêtement est mise en exergue dans cet autre proverbe : « Le riche qui fait de l’orphelin son frère utérin ne peut refuser à cet orphelin le tissu qui couvrira sa nudité » (MOD 236).

Mentionnons rapidement que ce proverbe est proféré par le narrateur au moment où Djigui apprend que le Général de Gaulle accordera la très convoitée nationalité française aux pauvres

Nègres, une promesse qui restera creuse (MOD 236).

Les proverbes font référence à des objets vestimentaires spécifiques comme « chapeau »,

« culotte », « pantalon » « ceinture » et « coutil ». En ce qui concerne le chapeau, le proverbe ci- après y fait allusion : « Le genou ne porte jamais le chapeau quand la tête est sur le cou »

(ANEPO 11). Birahima, protagoniste du roman Allah n’est pas obligé, emploie cette parémie pour souligner l’idée selon laquelle les jeunes ne devraient pas se comporter ni parler comme

« les vieux aux barbes abondantes et blanches » (ANEPO 11). Autrement dit, les jeunes ne doivent pas usurper les prérogatives de leurs aînés. À propos du proverbe susmentionné, la

86 Le narrateur Bingo emploie cette parémie pour signifier au lecteur que nul n’est exempt de la mort, y compris le président dictateur Fricassa qui refuse de solliciter les services « des tirailleurs parmi lesquels – au dire des devins – pouvait se trouver son assassin » (EAVBS 81).

87 Cette parémie illustre la situation de Tchao qui, suite à son « voyage à Dakar, en France et à Verdun », se rend compte « que l’univers est un monde d’habillés » (EAVBS 19).

90

dimension utilitaire du chapeau mérite d’être commentée. Le proverbe indique que le chapeau

remplit une fonction utilitaire parce qu’il couvre et protège une partie du corps, la tête en

l’occurrence. Nous ne saurions sous-estimer cet aspect pratique du chapeau, d’autant plus que les personnages romanesques pourraient se servir du chapeau pour protéger leur tête contre le grand

froid, la canicule et autres averses surprises – ces aléas météorologiques caractérisent la société

dépeinte dans le roman. Toujours au sujet du proverbe sus-évoqué, la sémiotique du chapeau

mérite aussi d’être commentée car, comme le rappelle si bien McCracken, « le vêtement [...] peut

être considéré comme une sorte de langage [ou] comme un moyen de communication88 »

(McCracken 103). Les propos de Birahima relatifs au proverbe laissent croire que le chapeau constitue un signe identitaire car en le portant, un individu s’identifie à un groupe d’âge, celui de vieilles personnes. De la sorte, ne devient pas porteur de chapeau qui veut. L’adverbe de négation « ne … jamais », qui entoure le verbe « porte » dans la parémie susmentionnée, crédite notre supposition. Et quand on réunit les conditions nécessaires pour porter le chapeau, l’on s’y accroche jalousement parce que le porteur, contrairement à un jeune comme Birahima, pourrait gérer « la palabre » et agir comme « un oiseau gendarme », c’est-à-dire comme un gardien « des coutumes du village » (ANEPO 11). Ainsi, le chapeau passe pour le symbole de la sagesse et de l’autorité traditionnelle. Par ailleurs, nous constatons que Kourouma mise sur la symbolique du chapeau pour la production de sens dans ses récits. Nous citerons juste trois exemples pour illustrer notre argument. Chez l’auteur, le chapeau est associé au pouvoir absolu. Des expressions prépositionnelles telles que « l’homme au chapeau mou », « l’homme au chapeau melon » sont respectivement utilisées pour designer le président de la République des Ébènes et le premier président de Côte d’Ivoire, tous les deux détenteurs des pouvoirs absolus. Dans son œuvre,

88 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] clothing may be regarded as a kind of language [or] as a means of communication » (McCracken 103).

91

l’écrivain dépeint aussi le chapeau non seulement comme symbole d’appartenance à une

catégorie sociale comme nous l’avons démontré plus haut, mais aussi comme signe

d’appartenance à une nation. Par exemple, le narrateur du récit Les Soleils des indépendances

nous informe que le chauffeur nommé « Petit à petit » arbore un « chapeau de paille tricolore (les

trois couleurs nationales) » (LSI 177), un fait qui laisse transparaître sa nationalité ivoirienne.

Dans l’univers romanesque kouroumien, le chapeau est également présenté comme signe d’une

certaine aisance vestimentaire, pour ne pas dire matérielle, comme l’indique ce profil descriptif du président dictateur au totem de caïman :

Une chemise en brocatelle à manches courtes moule son frêle corps, le chapeau

[…] est planté sur la tête et les larges lunettes noires aux montures en or barrent

son visage. Le pantalon en flanelle blanc et les chaussures sport achevant avec

une élégance consommée la tenue (EAVBS 188).

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la culotte et le pantalon, vêtements portés sur la partie

inférieure du corps, sont aussi représentés dans le discours proverbial de Kourouma. S’agissant

de la culotte, elle est mise en exergue dans le proverbe ci-après : « Si le rat a mis une culotte, ce

sont les chats qui l’ôtent » (EAVBS 240). Notons en passant que cette formule sentencieuse est

dite par le narrateur griot (le sora) du récit En attendant le Vote des bêtes sauvages afin

d’illustrer le thème du pouvoir absolu et prévaricateur incarné par le président dictateur au totem

léopard. À l’instar du chat qui « déculotte » la souris, un geste qui peut rendre celle-ci

vulnérable, le dictateur prive ses compatriotes de toutes les choses dont ils ont besoin pour

assurer leur épanouissement et leur autodétermination ; il leur lègue une nation qui « n’a ni

routes, ni hôpitaux, ni téléphones, ni avions, ni..., ni.... » (EAVBS 236). Afin de démotiver ses

citoyens compétents et pour les dépouiller de leur dignité, le dictateur exerce des mesures

92

d’humiliation contre lesdits citoyens. Par exemple, il permet aux aveugles de conduire ceux qui

peuvent voir, et autorise les handicapés à guider les individus qui peuvent marcher : « les

handicapés portaient et transportaient sur leurs voiturettes les hommes valides. Les aveugles guidaient les voyants » (EAVBS 240). En outre, il retire aux médecins, aux planteurs et aux

étudiants le droit d’exercer leurs activités respectives en les contraignant à aller travailler dans

les mines où le fruit de leur travail profite au seul pouvoir accaparateur. En privant ses

concitoyens de leurs droits inaliénables, le dictateur porte atteinte à leur dignité. Il passe donc

pour un chat qui dévêtit une souris, en lui ôtant quelque chose qui lui assure sa dignité, sa protection ou sa survie. En présence du dictateur (le chat), ses compatriotes (les souris) passeraient pour des « sans-culottes89 », des gens sans dignité, sans pouvoir90. La culotte est

89 Ne confondons pas le sens de cette expression avec celui d’une expression similaire utilisée au 18e siècle pour désigner les membres d’un mouvement contestataire qui, contrairement aux aristocrates, portent les pantalons (et pas les culottes) et s’adonnent aux travaux manuels (Burstin 58). Les entités que nous désignons comme sans-culottes dans l’œuvre de Kourouma, à la différence de leurs homologues du 18e siècle, n’affichent pas d’ambitions politiques. 90 Chez Kourouma, se faire déculotter ou perdre sa culotte signifie perdre le pouvoir ou se retrouver en situation de faiblesse. Plusieurs passages romanesques semblent confirmer notre supposition. L’auteur décrit l’assassinat de Ledjo, un concurrent politique de Koyaga, comme suit : « Quatre tirailleurs paléo, des lycaons calmement l’accueillirent, le maîtrisèrent, le déculottèrent » (EAVBS 109). L’acte de déculotter, un rituel symbolique marquant la suprématie d’un rival, est également mis en exergue dans cet extrait décrivant les supplices que les sbires du pouvoir font subir à Diakité, fils d’un opposant politique : « Ils repartirent, mais quand le soir Diakité en rentrant les bœufs passa sur le pont, la jeunesse L.D.A. qui guettait, sortit, l’assaillit, le ligota, le déculotta […] et comme un chien le mit à l’attache à un pieu » (LSI 74). En fait, dans l’œuvre de Kourouma, le sous-vêtement (les culottes) semble entretenir un lien particulier avec le pouvoir politique. Par exemple, le commandant d’Horodougou, bras droit de l’administration coloniale, est « toujours en courte culotte » (LSI 22). Le lien qui existe entre le sous-vêtement et le pouvoir ne s’observe pas uniquement au niveau politique, on le constate aussi sur le plan sexuel. Chez la femme zendé par exemple, le sous-vêtement sert pour vanter ses prouesses sexuelles. Après avoir manipulé son partenaire sexuel « jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la détumescence, jusqu’à l’anérection, jusqu’à ce qu’il reconnaisse sa défaite, jusqu’à ce qu’il demande pardon à haute voix, ‘de sa pleine bouche’ », la femme zendé, dit le narrateur, le quitte, et de façon triomphale, entre dans la rue et va « de case en case, de commère en commère, le caleçon à la main, et se [vante] de son exploit » (EAVBS 216).

93

également mise en évidence dans la parémie ci-après : « Quand les gamins avec lesquels on

s’amuse vous demandent de descendre les culottes pour que vous vous divertissiez avec les

masculinités, on arrête le jeu91 » (MOD 259). Mentionnons que cet adage est énoncé par le narrateur pour illustrer le fait que les Toubabs92 ne souhaitent pas avoir des contacts très

informels avec leurs compères et consœurs africains, de peur que lesdits contacts ne suscitent

chez ces derniers un mépris qui frôlerait l’indécence. L’énoncé nous fournit quelques détails sur

la culotte. D’abord, il nous informe que les garçons figurent parmi des gens qui portent les

culottes. Ensuite, il souligne le rôle que joue le port de culottes en matière de décence corporelle

et vestimentaire ; en fait, l’énoncé laisse sous-entendre que la culotte sert à cacher les parties

intimes du corps masculin. Quant au pantalon, un autre sous-vêtement, il est représenté dans la

formule sentencieuse ci-après qu’articule Béma : « un margouillat ne se taille pas

un pantalon sans aménager un trou pour sa queue93» (MOD 180). Béma profère cette parole

pour élucider la vision politique de son père Djigui, laquelle est diamétralement opposée à la

sienne. Contrairement à son père qui laisse le pouvoir lui échapper et qui se laisse influencer par

91 Une autre version de cet adage dit : « À aller très loin dans le jeu avec l’enfant, il finit par vous demander de vous déculotter pour jouer avec le pénis et les bourses » (EAVBS 114). Cette version est prononcée par le narrateur du récit En attendant le Vote des bêtes sauvages quand Koyaga, le président putschiste, décide d’adopter une attitude ferme envers Maclédio (journaliste) dont le comportement, selon Koyaga, « avait dépassé le tolérable » (EAVBS 114), vu que Maclédio dit sans broncher au président : « Ne compte pas sur moi. Jamais je ne vous aiderai à prendre le pouvoir en enregistrant un papier aussi criminel » (EAVBS 114). 92 Chez Kourouma, les Toubabs, Africains ayant adopté le mode de vie colonial, se considèrent comme supérieurs à leurs compatriotes africains qui n’ont pas renié leur mode de vie traditionnel. 93 Signalons que dans une version (« un margouillat ne se taille pas une culotte sans aménager un trou pour la sortie de la queue » [MOD 63]) de cette formule gnomique, le substantif « culotte » remplace le nom commun « pantalon ». Ce jeu de permutation nominale démontre que dans l’imaginaire des personnages kouroumiens, ces deux mots entretiennent un rapport de proximité sémantique.

94

son entourage politique, Béma, lui, envisage mettre sur pied une administration dont il

conservera le contrôle absolu, même si cela signifie prendre des décisions qui ne plairont pas à son père. Par conséquent, le jeune loup aux dents longues éloignera de son administration le

marabout Yacouba, un proche de son père, qu’il juge très envahissant. Ce faisant, Béma, à

l’instar du margouillat qui se taille le pantalon ou la culotte en aménageant un trou pour sa

queue, et, cheminant à l’opposé de son père, se taille ou s’attribue une équipe politique qui lui

offre flexibilité et sécurité.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la ceinture est citée dans le discours proverbial,

comme en témoigne cette déclaration sentencieuse émise par le narrateur du récit Monnè,

outrages et défis : « On n’appelle pas au secours quand le couteau qu’on porte à sa ceinture vous

transperce la cuisse : en silence, on couvre sa plaie avec sa main » (MOD 129). Le narrateur

emploie cette formule gnomique pour déplorer le comportement de Béma qui, traîtreusement et

de connivence avec les agents coloniaux, évince son père du pouvoir afin de prendre la place de

celui-ci. Le proverbe laisse entrevoir la fonction de la ceinture. Cet accessoire vestimentaire fixé

autour de la taille, sert non seulement à maintenir le pantalon ou la culotte, mais aussi à tenir le

couteau. La fonction de la ceinture telle que représentée dans l’énoncé sus-évoqué est

universelle. L’emploi de la ceinture pour porter des objets de défense comme les couteaux, les

épées, les bâtons et même les pistolets est une pratique courante dans de nombreuses sociétés.

Cela dit, le fait qu’une arme de défense (le couteau) soit accrochée à la ceinture en dit long sur la

symbolique de la ceinture. Elle symbolise la puissance parce qu’elle loge des objets dont se sert

l’homme pour vanter sa puissance et pour assurer sa sécurité. Ainsi, elle passe pour un lieu

sensible, lieu auquel un combattant ne doit donner accès à son adversaire, parce que si ce dernier

y accède, il pourra neutraliser facilement son ennemi. En plus, étant donné que la ceinture est un

objet sur lequel mise l’homme pour assurer sa défense, nous pourrions dire que cette ceinture-là

95

passe pour un outil auquel se greffe le sort de l’homme. Par ailleurs, étant donné que la formule gnomique susmentionnée est dirigée vers le père de Béma, la formule semble également suggérer que la ceinture, dans une certaine mesure, est un objet que l’on peut associer aux hommes. En fait, dans le texte de Kourouma, la ceinture est rattachée à la virilité masculine et / ou à l’incontinence sexuelle masculine. Par exemple, parlant de Kélétigui, demi-frère de Béma qui se livrerait facilement aux plaisirs charnels, le narrateur dit: « sa ceinture lui échappait, il voulait coucher avec toutes les femmes, toutes sans distinction, même sa mère, il n’en aurait pas fait un totem si elle avait consenti » (MOD 213). Kourouma, ici, subvertit la fonction de cette pièce de vêtement car, à en croire Joseph Bougie, « on porte une ceinture pour signifier les privations qu’exige la vie94 ».

Le coutil est un autre objet vestimentaire qui mérite d’être analysé. Il est cité dans le proverbe ci-

après : « Celui qui s’engage à tisser un coutil pour couvrir la nudité des fesses de l’éléphant s’est

obligé à réussir une œuvre exceptionnelle » (MOD 72). La parémie indique que le coutil sert à

cacher la partie postérieure ou charnue du corps. Par ailleurs, à travers le verbe « tisser », le

proverbe nous informe sur la technique de fabrication de ce vêtement. Dans un autre ordre

d’idées, il est intéressant de noter que Kourouma s’appuie sur cet élément vestimentaire pour

construire des passages imprégnés du réalisme merveilleux. Nous constatons cela dans les deux

extraits ci-après, extraits à travers lesquels le narrateur décrit les fantômes qui apparaissent au

moment où Djigui effectue une tournée de contacts à travers le pays Soba : « Dès que les

susurrements s’arrêtèrent, apparut le premier zombie : une femme serrée dans un pagne en coutil

94 Déclaration de Joseph Bougie, extraite du son texte intitulé « La ceinture » [chronique du 9 novembre 2004], http://www.interbible.org/interBible/ecritures/symboles/2004/sym_041109.htm, site consulté le 18 décembre 2010.

96

blanc » (MOD 122) ; « Ils95 étaient tous hommes et femmes, serrés dans les mêmes pagnes de coutil blanc » (MOD 125). Ainsi, dans l’univers romanesque kouroumien, les vêtements ne sont pas portés uniquement par les vivants ; même les morts les arborent. Kourouma, dans le second extrait, semble dépeindre la mort comme un état dans lequel tous les morts portent les mêmes vêtements. De la sorte, la mort ne serait plus seulement un vêtement que tout le monde portera – comme le souligne un proverbe cité plus haut –, mais elle constitue un rendez-vous où tous les morts porteront un vêtement identique, c’est-à-dire, le coutil.

Dans le discours proverbial, le vêtement se présente aussi sous la forme de chiffon. Ce type de

vêtement transparaît dans cette déclaration au relent sentencieux : « La petite vieille qui n’est pas

méticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise » (EAVBS 108). À travers cet

énoncé, le griot décrit la naïveté et le manque de vigilance dont fait preuve le président du comité

insurrectionnel. En fait, la victime du président, feignant la mort, neutralise le président avec le

propre pistolet de celui-ci (EAVBS 108-109). Métaphoriquement parlant, le mot « haillons »

dans l’énoncé dénote le manque d’esprit dont souffre le président agresseur. En célébrant

hâtivement une victoire illusoire, ce dernier est incapable de discerner la « braise », c’est-à-dire

la ruse de la victime, qui se cache dans la soi-disant victoire. Ainsi, en ce qui concerne

l’agresseur, nous pourrions dire que son succès apparent, à l’instar d’un haillon, est laid et sans

valeur. Outre les artefacts vestimentaires, les objets ménagers constituent une autre catégorie

d’artefacts à explorer dans le discours proverbial de Kourouma.

95Le mot « Ils », ici, désigne les revenants.

97

2 Objets à usage ménager

La marmite, objet à usage ménager, est citée dans le discours gnomique. Elle est mise en

évidence dans la parémie ci-après : « La chèvre morte est un malheur pour le propriétaire de la

chèvre; mais que la tête de la chèvre soit mise dans la marmite n’est un malheur que pour la

chèvre elle-même » (EAVBS 95). Une interprétation littérale de cet énoncé implique que la

marmite est un ustensile ménager qui sert à cuire des victuailles comme la chèvre. Toutefois, sur le plan métaphorique, le mot « marmite » tel qu’agencé dans le proverbe symbolise l’enfer et la

destruction. En fait, elle (la marmite) catalyse ou confirme l’anéantissement de tout objet qui s’y

trouve. Béry semble confirmer notre hypothèse quand, dans une étude intitulée L’Enracinement

culturel dans l’œuvre de Guy Menga, il déclare : « La ‘marmite’ n’est pas seulement un objet de

menace mais elle est surtout le symbole de la mort et de la désolation » (Béry 39). Sur le plan

romanesque, ce mot, qui n’apparaît que dans un seul proverbe, est chargé de significations.

L’auteur l’exploite à des fins thématiques. Par exemple, pour illustrer le thème de la violence conjugale dans Allah n’est pas obligé, la marmite est l’objet par lequel se concrétise la violence, comme en témoigne cet extrait relatif à une scène de ménage impliquant la mère et le père de

Sosso : « Et le père envoya à la maman une marmite et la mère commença à saigner » (ANEPO

120). En outre, nous constatons que Kourouma s’appuie sur le mot « marmite » pour rehausser la dimension esthétique de son œuvre. Par exemple, dans une phrase96 qui apparaît dans En

attendant le Vote des bêtes sauvages, l’auteur utilise l’expression « mettre la marmite au feu »

96 « Chaque matin, après la vaisselle et la lessive, elle allait vendre des bananes dans les rues de Monrovia et rentrait à six heures pile pour mettre la marmite au feu et laver le bébé » (ANEPO 94).

98

pour signifier « faire la cuisine ». Par ailleurs, l’écrivain se sert du mot « marmite » à des fins

descriptives. Par exemple, dans l’extrait qui suit, un type particulier de marmite constitue le

comparant pour la partie postérieure de Nadjouma, la mère de Koyaga : « Elle avait préservé la

corpulence de jeune fille […] ; ses muscles saillaient durs et ses fesses avaient la rondeur et la

consistance d’une marmite de fonte » (EAVBS 56). Ainsi, le lecteur saisit l’objet comparé/l’objet

perçu (« fesses ») en le rapportant au comparant (marmite de fonte). Autrement dit, la

connaissance d’une réalité locale préexistante/une réalité antérieure (la marmite) permet

d’appréhender une réalité objective, une réalité existante, une réalité que l’on décrit ou qui fait

l’objet de description. Ce genre de comparaison, explique David Zemmour, « […] porte ainsi à

l’explicite le phénomène de la reconnaissance : du côté du comparé se trouve l’objet perçu, du côté du comparant ce à quoi il faut le rapporter pour le reconnaître » (Zemmour 255).

Le discours parémique, à travers trois énoncés à saveur sentencieuse, fait aussi allusion aux outils de moulinage, en l’occurrence le mortier et le pilon. L’un des énoncés en question dit :

« Celui qui doit vivre survit même si tu l’écrases dans un mortier » (EAVBS 168). Le griot Bingo

émet cette parole en discourant sur le thème de la prédestination. Le proverbe laisse deviner que le mot « mortier », dans son acception littérale, sert à écraser quelque chose. Cependant, au figuré, le terme « mortier » tel que représenté dans le proverbe symbolise un lieu d’épreuves, une circonstance où un sujet humain se voit imposer quelque chose de difficile à supporter. En fait, le proverbe susmentionné décrit la condition de Maclédio qui s’est retrouvé littéralement à plusieurs reprises « écrasé » dans un mortier, mais s’en est tiré. L’image du mortier en tant qu’outil qui sert à broyer un aliment transparaît également dans le sens littéral de la locution gnomique ci-après : « Quand le mil est pilé les pileuses posent les pilons et vident les mortiers »

(EAVBS 358). L’énoncé précise même la nature de l’aliment (le mil) qu’on écrase dans le mortier

à l’aide du pilon. Le griot emploie ce proverbe pour signaler à son auditoire qu’il va mettre un

99 terme définitif à son récit qui détaille la vie et la carrière politique de Koyaga. Dans le proverbe, l’état du mortier tout comme celui du pilon sont porteurs de messages. Quand le premier et le deuxième sont respectivement rangé et désempli, leur état respectif traduit la notion d’inactivité, un état que retrouve d’ailleurs le conteur quand il décide de rompre définitivement le cours de son récit. Chez Kourouma, quand le mortier ne représente pas un lieu d’épreuves ou un état, il symbolise plutôt un lieu d’activité tout court. La parémie ci-après ne contredit pas notre supposition : « Quand les poules de la basse-cour deviennent trop nombreuses autour du mortier et harcèlent les pileuses, celles-ci suspendent leur action » (EAVBS 337). Pris littéralement, le mortier, dans le proverbe, désigne le lieu où l’on pile quelque chose. Toutefois, au figuré, le mot

« mortier » tel que représenté dans ce proverbe est une métaphore pour toute activité ou tout lieu d’activité. En interprétant ce mot dans le contexte où le proverbe est énoncé, nous constatons que l’activité à laquelle renvoie le mortier est celle du conteur. L’auditoire souhaiterait suivre sans interruption le récit que narre le conteur.

Le canari est un autre artefact ménager qui figure dans le discours proverbial. Il est mentionné dans cette parémie à valeur déontique : « Si un canari se casse sur ta tête, lave-toi de cette eau »

(EAVBS 110). Le narrateur articule ce proverbe pour illustrer la scène où Koyaga, muni du pistolet d’un général putschiste, braque ce dernier qui antérieurement « s’assura d’une façon négligente, sûr de sa manigance, que Koyaga avait été expédié, abattu » (EAVBS 108). Pour ainsi dire, Koyaga transforme un malheur qui le guettait en bonheur, puisqu’il profite de ce malheur pour éliminer un adversaire. Un dicton français ne dit-il pas que « à quelque chose malheur est bon » ? Métaphoriquement parlant, « canari » et « eau », dans la parémie sus-évoquée, désignent respectivement une circonstance périlleuse et l’opportunité qui en découle. Sur le plan littéral, le proverbe nous fournit quelques renseignements sur le canari. Concernant son aspect physique, ce

100

dernier est un objet fragile ou cassable. S’agissant de sa fonction utilitaire, cet objet sert à

recueillir ou conserver l’eau. Quant à sa manutention, il se pose sur la tête.

La calebasse97, un autre objet ménager, est mentionnée dans le discours proverbial. Lorsqu’elle

est vide, elle symbolise ce qui manque de vigueur, comme en témoigne cette déclaration à saveur gnomique : « Quand chacun doit se retourner contre moins fort, la bise souffle contre la calebasse vide » (MOD 113). Djigui profère cette parole pour décrire la France, une nation

« surclassée par les feux des avions, des chars et des canons de la barbarie » des Allemands

(MOD 110). En comparant la France à une calebasse vide, l’auteur veut donc souligner que ce

pays est déchu de son autorité. Notre supposition est créditée par Beken qui assimile la calebasse

vide à un « homme déchu, jadis vigoureux et craint » (Beken 1993 : 291). L’idée de la calebasse

vide en tant que symbole de la déchéance est reprise par Moussokoro, épouse de Djigui, qui,

dans les déclarations ci-après, signale à son fils Béma que la carrière politique de celui-ci sera un

désastre s’il néglige les conseils prodigués par ses parents : « Assois-toi, mon fils, et écoute-moi

[…] À deux, nous saurons anéantir ce que nous avons réalisé à partir du néant. Ton pouvoir

deviendra une calebasse vide » (MOD 155-156).

Nous remarquons que Kourouma se sert de la calebasse pour tisser un réseau de sens dans ses

récits. En tant qu’ustensile, elle sert, entre autres, à conserver les grains (MOD 131). Outre son

côté utilitaire, la calebasse est empreinte d’une forte charge culturelle. Sur le plan nuptial, elle

97 Elle est le « fruit du calebassier (ressemblant à une courge) qui, vidé et séché, sert de récipient » (Borgomano 1998 : 238).

101

constitue un objet – à la fois précieux et délicat98 – qu’on offre à une jeune mariée. À titre

d’illustration, Moussokoro, à l’occasion de son mariage, reçoit de ses parents Diawara et Karidia

les calebasses comme cadeaux (MOD 140). Sur le plan de la socialité, la calebasse est un

récipient dont se servent les personnages pour proposer de l’eau à un étranger. Par exemple, dans

la cour royale de Djigui, une femme, soutenue par son roi, est chargée de proposer la calebassée

d’eau à un messager (MOD 30). Nul ne doute qu’une bonne maîtrise de ces connaissances

entourant la calebasse permettra au lecteur de mieux comprendre la culture des personnages,

notamment en matière de mariage et de rite d’accueil.

Par ailleurs, la calebasse fait partie des objets légendaires99 dont se sert l’auteur pour développer

la dimension mythique de son œuvre, comme en témoigne cet extrait tiré du récit Les Soleils des indépendances :

Un chasseur s’enfonça une aiguille dans l’œil gauche et la retira de l’anus. Un

autre alluma quatre doigts de poudre bien tassée avec quatre plombs, dans une

oreille droite et recueillit à l’oreille gauche une calebasse d’eau contenant les

plombs (LSI 126).

En fait, la calebasse est assimilée aux phénomènes paranormaux et aux rituels magiques, des faits qui renforcent le caractère fantastique de l’œuvre kouroumienne. Les deux extraits qui suivent illustrent nos affirmations : « Derrière la case on a entendu les cantines du défunt

98 Faik-Nzuji et al. valident cette hypothèse car d’après ces critiques, « La calebasse entière symbolise ce qui est précieux, mais qui contient en potentialité une grande fragilité » ( Faik- Nzuji et al. 105). 99 Nous, à l’instar de Christine Davenne, considérons les « objets légendaires » comme des objets dotés d’« une charge mythique » (Davenne 30).

102

claquer, ses calebasses se frotter […] » (LSI 9) ; « Il usait de trois pratiques : traçage de signes

sur sable fin (évocation des morts), jet des cauris (appel des génies), lecture du Coran avec

l’observation d’une calebasse d’eau (imploration d’Allah) » (LSI 59). Notons en passant que le premier énoncé est proféré par le narrateur quand il décrit les phénomènes fantomatiques reliés au feu Koné Ibrahima, un mort dont l’ombre hanterait le village Togobala. S’agissant du deuxième énoncé, le narrateur l’articule pour décrire les pratiques maraboutiques d’Abdoulaye, magicien qui sonde la volonté divine en scrutant une calebasse d’eau.

Sur le plan stylistique, la calebasse est un référent qui sert de comparant, comme l’atteste la locution ci-après : « chose usée et fatiguée comme une vieille calebasse ébréchée » (LSI 55). Le

narrateur emploie cette locution pour décrire Fama, un mari qui passe son temps à la maison à ne

rien faire alors que sa femme travaille au marché et à la maison pour subvenir aux besoins

matériels du couple. Ainsi, l’expression « vieille calebasse ébréchée » renvoie à une entité non

performante, inefficace, « inutile et vide » la nuit, comme le jour (LSI 55). Deux locutions

supplémentaires créées autour du mot calebasse sont les suivantes : « vendre la calebasse » et

« l’heure de l’assise des calebasses ». La première et la seconde transparaissent respectivement

dans les citations a [« On ne saura jamais qui vendit la calebasse » (EAVBS 128)] et b [« Le griot

du comité vint l’annoncer, à l’heure de l’assise des calebasses de tô, et se lava les mains (LSI

114)]. Dans la citation a, « vendre la calebasse » ne veut pas dire « céder la calebasse en échange d’une somme d’argent ». Loin de là. Les indices100 contextuels et textuels entourant la locution

indiquent que cette dernière signifie « trahir un secret » ou « vendre la mèche ». Quant à

100 Le narrateur profère cette locution après que Maclédio a quitté subrepticement le chef Bamiléké Foundoing alors que ce dernier et son conseil s’apprêtaient à l’assassiner. La locution est suivie de la phrase interrogative laconique « Qui trahit? », énoncé qui traduit la substance de la locution précédente.

103

l’expression « l’heure de l’assise des calebasses de tô », elle désigne l’heure du repas, c’est-à-

dire le moment où les personnages se retrouvent ou se rassemblent autour des calebasses de tô

(Gandonou 250). Par ailleurs, nous constatons qu’autour du mot calebasse, est créé le

néologisme « calebassée101 » (MOD 30, 31, 131 ; LSI 91 ; ANEPO 180 ; EAVBS 126, 240). Ce dernier est plus ou moins une particularité lexicale africaine employée pour désigner le contenu d’une calebasse. Ces transformations lexico-sémantiques qui s’opèrent autour du mot calebasse démontrent, si besoin en était, que les significations des mots préexistants sont largement influencées par la culture. Galisson, dont les propos sont repris par Noumssi, semble partager notre avis quand il dit : « les mots en tant que réceptacles préconstruits, donc stables et

économiques d’emploi par rapport aux énoncés à construire, sont des lieux de pénétration privilégiés pour certains contenus de culture qui s’y déposent, finissent par y adhérer et ajoutent ainsi une autre dimension sémantique ordinaire des signes » (Galisson 1987 : 128 ; cité par

Noumssi 98). Nul ne doute que les particularismes lexicaux kouroumiens enrichissent la langue française et diversifient le style du roman francophone subsaharien. En fin de compte, nous voyons donc que la représentation proverbiale et langagière du mot calebasse, chez Kourouma, traduit « une logique interne qui unit étroitement dans une sorte de trinité le savoir, le faire et l’être », pour reprendre cette expression de Jean-Marc Éla (193). Hormis les artefacts ménagers dont regorge le discours gnomique, ce dernier grouille d’objets générateurs de sons.

3 Objets de l’organologie

Dans l’œuvre de Kourouma, neuf proverbes font allusion aux mots « tam-tam » et « tambour »,

mots qui désignent deux objets relevant du patrimoine organologique des personnages

101 D’après Kourouma, ce mot signifie « bol » (ANEPO 180).

104

romanesques. La forte occurrence de ces objets au sein des proverbes souligne l’importance que

l’auteur leur accorde dans son œuvre. Il nous semble donc pertinent de scruter les représentations

et significations romanesques desdits objets.

Dans le récit kouroumien, trois acteurs clés sont associés au tam-tam : le frappeur, le danseur et

la chanteuse. En fait, c’est le message qui se dégage de la parémie ci-après : « Dans une fête, il

n’y a pas que le danseur et le frappeur de tam-tam, il y a aussi la chanteuse » (EAVBS 225). Ces

trois acteurs, chacun dans sa sphère de compétence, interagissent activement avec le tam-tam,

une donne qui transforme ce dernier en un objet où les rôles des différents acteurs non seulement

se croisent, mais trouvent expression. Bien que les performances de ces acteurs soient

synchronisées par un objet que constitue le tam-tam, chacun d’eux, toutefois, se réserve le droit

de mettre un bémol à sa performance, s’il en ressent le besoin. Notre supposition est confortée

par les proverbes102 ci-après : « Quel que soit l’enthousiasme des danseurs, le frappeur de tam- tam de temps en temps arrête la fête pour chauffer son instrument » (EAVBS 196) ; « Quel que soit l’entrain du frappeur de tam-tam, le danseur de temps en temps s’interrompt pour souffler »

(EAVBS 212). Le danseur et le frappeur de tam-tam, quoiqu’ils opèrent en symbiose, n’exercent donc pas l’un sur l’autre une influence coercitive. Ainsi, la décision de prendre part aux activités du tam-tam dépendra de la volonté ou du libre choix de chaque participant. Cette dimension

« démocratique » de l’activité « tam-tamique » prouve, à n’en point douter, que le tam-tam est un objet accommodant, pour ne pas dire un artefact à visage humain.

102Le griot-conteur emploie ces proverbes pour justifier et pour illustrer sa décision unilatérale de suspendre ses récits qui portent sur l’empereur Bossouma (EAVBS 194-196 ; EAVBS 196- 212).

105

Chez Kourouma, le tambour, un autre objet organologique, est symbole de l’autorité politique.

C’est le moins que l’on puisse dire lorsqu’on analyse la substance de la parémie ci-après : « Le cri de détresse d’un seul gouverné ne vient pas à bout du tambour » (EAVBS 169). Le griot a recours à cette déclaration quand il décrit le pouvoir du dictateur Koyaga. La machine politique

de ce dernier est une espèce de rouleau compresseur qui écrase littéralement les opposants. Elle est composée des lycaons « haletants et déchaînés, toujours avides de sang », sillonnant « les

rues les doigts sur la gâchette. Prêts à assassiner et émasculer tous ceux qui pourraient être tentés

de s’opposer à leur loi » (EAVBS 169). Qui plus est, étant donné que Koyaga arrive au pouvoir

en assassinant tour à tour le président J.L Crunet, le chef du comité du salut public Ledjo, le

président de l’Assemblée nationale Tima et neuf autres hauts commis de l’État, cela signifie

qu’un simple citoyen ne peut pas résister ou s’opposer au pouvoir dictatorial en place, d’où la

pertinence du message véhiculé par le proverbe. Il faudra donc que toute la nation se lève comme

un seul homme pour renverser le souverain, puisque le cri d’un seul individu, quelle que soit sa

vigueur, demeurera faible en intensité et en efficacité face à la voix autoritaire du tambour, celle

du despote Koyaga.

Dans l’œuvre kouroumienne, le tambour symbolise non seulement l’autorité politique, mais aussi

l’autorité justicière, comme en témoigne ce dicton : « Le tambour qui ne punit pas le crime est un

cruchon fêlé » (EAVBS 225). Le narrateur utilise ce proverbe pour critiquer le président au totem léopard, un dirigeant qui demeure fidèle aux « vertus cardinales que cultivent les gens de [sa] tribu », lesquelles sont : « le mensonge, le vol » (EAVBS 221). Au lieu de condamner ces vices, il les cautionne plutôt car, comme l’explique le narrateur, cet homme au totem léopard sait

« merveilleusement mentir pour voler et tuer » (EAVBS 221). Ici, le tambour (le guide / le

justicier) ne remplit pas le rôle qui est censé être le sien parce qu’il agit comme un mauvais

guide/justicier (« cruchon fêlé »).

106

Restons dans le registre du mot « tambour » pour analyser l’expression « frappeur de tambour »,

laquelle figure dans le proverbe qui suit : « Le frappeur de tambour arrête la fête quand la nuit est très avancée » (EAVBS 250). Le narrateur utilise la parémie au moment où il décide d’interrompre son long récit décrivant l’ascension politique du dictateur au totem chacal, ses rapports intimes avec la CIA103 et les efforts qu’il déploie pour mâter le communisme en

Afrique et pour promouvoir la dictature dans le continent africain (EAVBS 241-250).

L’expression « frappeur de tambour », ici, est une métaphore qui renvoie au conteur. Comme un

tambour qui communique par le son, le conteur, lui, à travers les paroles, livre à un auditoire (en

l’occurrence le président Koyaga et le public) le récit politique du dictateur. Quand le conteur

arrête momentanément de narrer son récit, il devient alors comme un tambour qui se tait

provisoirement, en n’émettant plus de vibrations sonores.

Dans le discours proverbial kouroumien, l’instrument de percussion, en l’occurrence le tam-

tam, est également dépeint comme le lieu où jaillit la voix de Dieu. Notre hypothèse se base sur

le message que véhicule le proverbe qui suit : « Si le ton du pardonnateur se trouve dans le tam-

tam, jamais il n’a été entendu dans la détresse perpétuelle de ceux qui ne peuvent plus aimer »

(MOD 202). S’appuyant sur ce proverbe chapeautant le chapitre 13 du récit Monnè, outrages et

défis, le narrateur explique qu’Allah a tourné le dos aux populations du pays Soba parce que dans

ce pays, les valeurs divines sont subverties et parce que les paysans, à l’égard de leurs

semblables et à l’égard d’Allah, font preuve d’une insensibilité incroyable : « des mères

refusèrent la poignée à leur enfant, des fils abandonnèrent des vieux pères et des vieilles mères ;

tout le monde mentait, tout le monde volait comme si le jugement dernier ne nous attendait pas »

103 Abréviation qui signifie « Central Intelligence Agency », l’agence de renseignements et d’espionnage américaine.

107

(MOD 203). Dans cette parémie, la voix divine ou « le ton du pardonnateur » est donc assimilée

au tam-tam. Laura C. Jarmon met en évidence le lien qui existe entre le tam-tam et la voix divine

quand elle déclare : « Le tam-tam a été à la fois la voix d’un dieu et l’outil pour convoquer un

dieu [...] En outre, certains tam-tams peuvent être la propriété et la voix d’un dieu particulier104 »

(Jarmon 132). Nous constatons ledit lien aussi dans la bible105, dans la dénomination d’un

journal106 chrétien en Afrique et dans les vers poétiques107 d’Honorat Badiel.

Chez Kourouma, le tam-tam est représenté comme une métaphore qui désigne un événement. Le proverbe ci-après nous donne raison : « Quand le tam-tam frappe on ne se proclame pas meilleur danseur. On le prouve » (EAVBS 258). Maclédio emploie cette parémie au moment où il décrit l’accident impliquant l’avion présidentiel, accident suite auquel « une radio étrangère » annonce la mort de Koyaga et suite auquel « tout le monde pense » qu’il (Koyaga) a été propulsé hors de l’appareil avant l’écrasement de ce dernier (EAVBS 257). Dans l’énoncé sus-évoqué, le battement de tam-tam semble être assimilé à l’occurrence et/ou à l’annonce d’un événement.

Quand ce dernier se produit, il suscite auprès de plusieurs « danseurs » ou acteurs (« radio

étrangère », monsieur « tout le monde ») des opinions et déclarations dont les crédibilités ne sont pas toujours démontrables. Signalons en passant que, face au battement de tam-tam dont parle le proverbe susmentionné, c’est-à-dire la nouvelle concernant l’écrasement de l’avion présidentiel,

104 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale : « The drum has been both the voice of a god and the tool for summoning a god […] Moreover, some drums may just belong to and be the voice of a particular god » (Jarmon 132).

105 Dans les Psaumes 150.1 et 150.4, il est écrit: « Louez l’Éternel! Louez Dieu dans son sanctuaire! Louez-le dans l’étendue, où éclate sa puissance! […] Louez-le avec le tambourin ».

106 « Nkul Zambe, le Tam-tam de Dieu » est le titre d’un journal catholique de langue béti, diffusé au Cameroun (Tabi Manga 108). 107 « Un jour le Tam-tam dit au Soleil, / ‘Créons l’homme’ […] / Le Tam-tam résonna de voix majestueuse » (Badiel 123).

108

Koyaga sera « le meilleur danseur » parce que sa radio nationale ne se contente pas de déclarer que le président s’est miraculeusement tiré de l’accident, mais permet au président lui-même de proclamer « tranquillement d’une intelligible voix et avec éloquence » que « Je suis bien vivant

[…] L’avion a été saboté. Je l’ai su. C’est mon fantôme qui l’a emprunté » (EAVBS 258). Le proverbe susmentionné et le contexte y afférent posent, quoique d’une manière parodique, la problématique de recoupement et de vérification de l’information et ses sources, une problématique à ne pas négliger dans tout acte de communication se voulant crédible.

Dans le discours proverbial, non seulement le tam-tam est synonyme d’événement, il est aussi porteur de message. La cadence de sa vibration ou son battement en dit long sur la portée ou sur la nature de son message. Par exemple, un souverain est assimilé à un battement particulier du tam-tam, comme l’indique la parémie qui suit : « On change le rythme du tam-tam pour le roi mais pas les bois du feu qui chauffent la peau du tam-tam » (EAVBS 212). Le tam-tam est donc un outil de communication qui sert à envoyer des messages spécifiques. Par exemple, quand le féticheur Balla meurt, la communauté a recours à cet outil pour diffuser l’avis de décès : « …la mort avait frappé le vieux féticheur endormi, et celui-ci s’était éteint et raidi. […] alors le tam- tam frappa, frappa dans tout Togobala, et les rivières, les forêts et les montagnes, d’écho en écho roulèrent la nouvelle jusqu’à des villages où d’autres tam-tams battirent pour avertir d’autres villages lointains » (LSI 179). Aussi, quand Fama est arrêté et incarcéré, le tambour est utilisé pour relayer la mauvaise nouvelle et pour mobiliser les anciens. À cet égard, le narrateur rapporte : « Un colporteur montant du sud avait annoncé à ceux de Togobala l’arrestation.

Nouvelle aussi retentissante qu’un décès ! Le tambour sacré crépita, le comité et le conseil des anciens palabrèrent, des sacrifices furent tués » (LSI 179). Le proverbe sus-évoqué montre donc que le tam-tam constitue un outil de communication non verbale. Une caractéristique de ce moyen de communication est qu’il fonctionne selon un procédé combinatoire arbitraire ou sur la

109

base d’une cartographie symbolique, pour reprendre cette expression de Gaver (1986).

Autrement dit, il n’existe pas de rapport causal ou direct entre le son [signal] et l’événement

[référent], deux choses que combine ce type de communication. Qu’à cela ne tienne, le proverbe

laisse supposer que les personnages romanesques maîtrisent l’encodage et le décryptage de ce

type de communication dont la spécificité et la complexité reposent sur la fusion d’un son

particulier et d’un message donné, suivant des règles précises communément arrêtées et

reconnues par la société.

Certains des proverbes abordés ci-dessus nous fournissent quelques renseignements sur la

fonction utilitaire, l’aspect physique et l’efficacité des objets sonores à l’étude. Ainsi, le mot

« fête », qui apparaît dans trois proverbes108, laisse deviner que le tam-tam et le tambour sont des objets que les personnages romanesques utilisent pour agrémenter des rencontres festives.

Par exemple, dans Les Soleils des indépendances, le tam-tam et ses sons sont au rendez-vous lors de la cérémonie que le gouvernement organise pour marquer le pardon accordé à tous les détenus politiques (LSI 172, 173, 174). S’agissant de l’aspect physique du tam-tam, la « peau », comme l’indique l’un109 des proverbes, est un matériau qui sert à la fabrication de cet objet de

percussion. Le même proverbe renchérit que ce matériau produit de meilleures performances

quand on prend le soin de le chauffer avec « les bois du feu » (EAVBS 212). Chez Kourouma, le

discours sentencieux ne se limite pas à la seule représentation des objets relevant du patrimoine

108 « Dans une fête, il n’y a pas que le danseur et le frappeur de tam-tam, il y a aussi la chanteuse » (EAVBS 225) ; « Quel que soit l’enthousiasme des danseurs, le frappeur de tam-tam de temps en temps arrête la fête pour chauffer son instrument » (EAVBS 196) ; « Le frappeur de tambour arrête la fête quand la nuit est très avancée » (EAVBS 250). 109 « On change le rythme du tam-tam pour le roi mais pas les bois du feu qui chauffent la peau du tam-tam » (EAVBS 212).

110

organologique ; ce discours affiche aussi des objets relevant du patrimoine arsenal des sociétés

dépeintes dans les proverbes et récits à l’étude.

4 Objets de défense et de guerre

L’arme est bel et bien présente au sein de la société dépeinte dans les récits de Kourouma.

« Fléchette » et «flèche », voilà deux mots qui désignent au sein des parémies des armes de jet.

Commentons d’abord le premier, lequel figure dans le proverbe ci-après : « La vache qui reste

longtemps en place s’éloigne avec une fléchette » (EAVBS 322). Le sora, le maître du répondeur

cordoua, emploie cette parémie pour illustrer le thème de la précarité. Il s’appuie sur le proverbe

pour critiquer le Guide suprême (le président Koyaga) qui oblige les citoyens à défiler sans repos

tout au long de la journée, oubliant qu’ « on peut bien, des heures et des heures, résister à la faim

et à la soif, mais pas, jamais, à la satisfaction de certains besoins naturels » (EAVBS 320).

Autrement dit, même le corps humain peut lâcher ou souffrir quand on le fait subir une pression

excessive et interminable. Pris métaphoriquement, la fléchette, dans l’énoncé sus-évoqué, à

l’instar d’une action ou attitude démesurée, renferme un potentiel déstabilisateur non

négligeable. En fait, chez Kourouma, l’objet armé d’une pointe à un bout se présente comme un

matériau possédant une puissance inégalée, puissance face à laquelle l’être humain ne peut rien

faire. Notre supposition se base sur le message que véhicule la parémie ci-après, que nous

propose le griot Bingo : « Toute flèche dont tu sais qu’elle ne te manquera pas, fais seulement

saillir ton ventre pour qu’elle y frappe en plein » (EAVBS 168). Signalons que le narrateur Bingo

énonce cette parole quand il aborde le thème du destin.

Il serait utile d’examiner les liens qui existent entre un artefact comme la flèche et la construction

de sens dans l’univers romanesque kouroumien. Kourouma fait allusion à la flèche en évoquant

111

un aspect du mariage. À cet égard, la flèche est une arme que portent les hommes qui

« appliquent un mariage-rapt » (EAVBS 42, 46). Par exemple, pour enlever Nadjouma, son futur

mari Tchao s’attache les services des archers « armés de flèches empoisonnées » (EAVBS 42). En

plus, l’auteur invoque la flèche afin de développer la dimension épique de son récit. La flèche est

l’arme fatale qu’utilisa Soundjata pour venir à bout d’un combat épique110 qui l’opposa à

Soumangourou. Dans son récit, Kourouma, sous le prisme parodique, revisite ce combat

mythique et la flèche y figure encore comme une arme de combat redoutable. Koyaga, simulant

le rôle de Soundjata, utilise la flèche pour neutraliser son adversaire le président Fricassa qui

passe pour Soumangourou:

[...] Koyaga accourt et, avant que le Président atteigne la grille, il décoche de son

arc une flèche de bambou agencée au bout d’un ergot de coq empoisonné. Les

devins avaient révélé au chasseur que seule une flèche dotée d’un ergot de coq

empoisonné pouvait annihiler le blindage magique du super-initié qu’était le

Président, pouvait rendre sa peau et sa chair pénétrables par du métal (EAVBS 94).

Il importe de signaler le rapprochement sur le plan descriptif entre les flèches employées dans les

récits mythique et romanesque : « […] une flèche de bois au bout de laquelle on aurait placé un

ergot de coq blanc » (récit épique) ; « une flèche dotée d’un ergot de coq empoisonné » (récit

romanesque). Par ailleurs, Kourouma développe la dimension historique de son œuvre en

creusant les origines de la flèche, lesquelles remontent à la période où la Côte d’Ivoire fut

occupée par les pygmées qui, d’après Fanta, sont généralement considérés comme les premiers

habitants de la terre ivoirienne :

110 La transcription du récit épique se trouve dans Soundjata ou l'épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane, http://savfat.afrikblog.com/archives/p20-10.html. Site consulté le 8 janvier 2011.

112

Du sud au nord, de l’est à l’ouest, lorsqu’on demande à des vieux à qui appartient

la terre, la réponse est toujours la même : de petits hommes au teint clair (dans

certaines régions, on les appelle les petits diablotins), vivant dans les arbres,

armés d’arcs et de flèches, sont les maîtres de la terre (QORODN 55).

Un autre type d’arme que nous retrouvons dans le discours proverbial est l’arme blanche, le

couteau pour être précis. Ladite arme transparaît dans la parémie ci-après : « On n’appelle pas au

secours quand le couteau qu’on porte à sa ceinture vous transperce la cuisse : en silence, on

couvre sa plaie avec sa main » (MOD 129). Comme nous l’avons souligné plus haut lorsque nous

avons abordé cette parémie pour illustrer la thématique du vestimentaire, la parémie est formulée

par le narrateur et dirigée vers Béma qui profite du soutien des colons (le gouverneur et le commandant Bernier) pour chasser son père Djigui du pouvoir. Pris littéralement, le couteau tel

que représenté dans le proverbe est un outil qui peut servir à infliger la violence. Comme le

suggère le proverbe, le propriétaire de couteau peut se retrouver dans une situation où son propre

couteau se retourne contre lui. Analogiquement parlant, le couteau dont parle le proverbe est une

métaphore qui renvoie à Béma, un fils qui, au lieu de soutenir son père, se rebelle plutôt contre

ce dernier. Pour ainsi dire, le propre couteau de Djigui (Béma) s’est retourné contre lui. L’image

du couteau comme un outil capable d’infliger la douleur transparaît à travers plusieurs thèmes

abordés par Kourouma. Concernant le thème de l’excision par exemple, l’exciseuse emploie « le

couteau, un couteau à la lame recourbée » pour « trancher le clitoris » (LSI 36). Dans un autre

ordre d’idées, le couteau est un outil qui permet à Kourouma de créer sur le plan langagier. À

titre d’illustration, la formule euphémistique « entre[r] la lame de [son] couteau dans la gaine

[du] sabre » d’autrui signifie pénétrer la femme d’autrui ou faire entrer son phallus dans le vagin

de la femme d’autrui (LSI 178).

113

L’arme à feu constitue la dernière catégorie d’armes représentées dans le discours sentencieux

kouroumien, comme en témoigne le mot « fusil » dans cette déclaration à saveur gnomique :

« On ne démoralise pas un soldat au front avec des critiques sur sa méthode et sa technique de

maniement du fusil » (EAVBS 271). Notons en passant que le narrateur Bingo prononce ces mots pour réitérer l’idée selon laquelle la presse et les gouvernements occidentaux portent un regard complaisant sur la gouvernance dictatoriale de Koyaga parce que ce dernier est vu par les occidentaux comme « le roc sur lequel se brisent les vagues du communisme international montant sur l’Afrique » (EAVBS 271). Il est donc clair que le terme « fusil » dans l’énoncé sus-

évoqué est une métaphore qui désigne le pouvoir ou la gouvernance politique. Comme nous le constatons, le discours proverbial nous renseigne sur certains objets qui composent la configuration de l’arsenal de la société représentée dans les récits kouroumiens. Cela dit, il importe de souligner que le même discours nous présente aussi des objets architecturaux qui participent à la configuration de l’espace bâti représenté dans les romans de Kourouma.

5 Espaces construits

À l’aide des proverbes, nous allons examiner l’espace construit de quatre façons: d’abord,

comme espace maternel, en second lieu comme espace patriarcal, en troisième lieu comme

espace partagé et, en dernier lieu, comme espace d’accueil contrôlé.

Commençons par l’analyse des deux proverbes suivants :

a. « Un enfant n’abandonne pas la case de sa maman à cause des odeurs d’un pet » (ANEPO 18).

b. « On ne voit pas une mère, une mère

Plus excellente que l’or,

114

Sauf quand on retrouve la case maternelle vide de la mère111 » (LSI 89).

Les expressions « la case de sa maman » et « la case maternelle », qui figurent respectivement

dans les proverbes a et b, donnent à penser que la case maternelle est un type d’habitation

reconnue dans la société dépeinte dans l’œuvre kouroumienne. Cette dernière nous fournit

quelques éléments informationnels sur les aspects et sur les fonctions de la case maternelle. Cette

case, à l’instar de celle de la mère de Birahima, comprend deux portes distinctes, la grande

donnant sur la concession familiale et la petite sur l’enclos (ANEPO 16). Le feu est l’une des

choses qui y sont présentes. Il a pour fonction de chauffer la case et de cuire les repas, même si

parfois il peut nuire à un enfant. Birahima en sait quelque chose, car il déclare :

La première chose […] la chose que j’ai dans l’intérieur ou dans la tête quand je

pense à la case de ma mère, c’est le feu, la brûlure de la braise, un tison de feu. Je

ne sais pas le nombre de mois que j’étais au temps où je me suis braisé l’avant-

bras (ANEPO 13).

Ladite case est le lieu qui héberge l’enfant, l’endroit où ce dernier s’amuse (ANEPO 13, 17) et apprend à marcher, comme nous le confirme Birahima : « j’étais gosse dans la case avec maman.

Le gosse, il courait entre la case de maman et la case de grand-mère. Avant tout ça, j’ai marché à quatre pattes dans la case de maman » (ANEPO 13). En outre, la case maternelle est l’espace que l’enfant connaît et maîtrise le mieux. Nous voyons alors pourquoi Birahima dit qu’il s’efforcera de connaître son pays [la Côte d’Ivoire] « comme l’intérieur de la case de ma mère » (QORODN

41). Ladite case et certaines activités qui s’y passent influencent les capacités mémorielles,

cognitives et perceptuelles de l’enfant. Sur le plan épistémologique, cette case-là constitue un

111 C’est l’auteur qui met le texte en italique.

115

point de repère qui permet à l’enfant d’analyser et d’appréhender le monde. Nous comprenons alors pourquoi Birahima s’y réfère pour mieux apprécier la valeur des plantes vivrières qu’on cultive et transforme en Côte d’Ivoire : « Moi, quand on parle de plantes vivrières, cela me rappelle le riz sauce graine que ma grand-mère me faisait réserver dans un petit plat au fond de sa case » (QORODN 49). Ici, l’espace d’habitation se présente comme « [...] une [entité] culturelle et cosmologique lourde de sens, qui reflète la vision du monde112 » (Wilk 34). Cette

idée est également partagée par Sophie Charpentier et Pierre Clément quand ils affirment que l’«

habitation est aussi le point d’ancrage à partir duquel s’organise une vision du monde »

(Charpentier et al. 1978 : 39 ; cité par Matras-Guin et al. 1992 : 232). Par ailleurs, la case

maternelle est aussi un lieu qui porte les arômes de son possesseur. Birahima confirme cela

lorsqu’en parlant de la case de sa mère, il déclare : « C’est ce qu’on appelle le milieu naturel

dans lequel chaque espèce vit ; la case de maman avec ses odeurs […] » (ANEPO 18).

Concernant les odeurs, Birahima dit : « Il y avait dans la case toutes les puanteurs. Le pet, la

merde, le pipi, l’infection de l’ulcère, l’acre de la fumée. Et les odeurs du guérisseur Balla »

(ANEPO 18). Comme l’indique le proverbe a précité, malgré le caractère miasmatique de

l’environnement physique de la case maternelle, l’enfant ne la déserte pas. Il s’y habitue au

contraire et s’en régale même, si l’on se fie aux propos de Birahima : « moi, je ne le sentais pas,

ça ne me faisait pas vomir. Toutes les odeurs de ma maman et de Balla avaient du bon pour moi.

J’en avais l’habitude. C’est dans ces odeurs que j’ai mieux mangé, mieux dormi » (ANEPO 18).

De toute évidence, la dialectique de la filiation et de la résidence, pour reprendre cette expression

lévi-straussienne (Lévi-Strauss 2002 : 247), caractérise donc la vie au sein de la case maternelle.

112 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [...] a cultural and cosmological [entity], laden with meaning that reflects world view » (Wilk 34).

116

Autrement dit, parce qu’on est le fils ou la fille de sa mère, on habite volontiers dans la case de celle-ci.

Une autre sous-catégorie de case que l’on retrouve dans le discours proverbial est la case du patriarche. Ce fait ressort avec une évidence incontestable du dicton ci-après : « les coutumes malinké disent qu’un chef couche dans la case patriarcale » (LSI 105). Aux obsèques de son cousin Koné, Fama, le dernier prince des Doumbouya, d’après la tradition malinké, doit passer la nuit dans la case patriarcale qu’ont occupée auparavant ses grands aïeux (LSI 105). La case patriarcale présente certains aspects qui méritent notre attention. C’est le lieu où le patriarche, entouré de sa suite, trône majestueusement et reçoit salutations et honneurs de ses sujets. À propos du prince Fama qui occupe les lieux, le narrateur dit :

Réveillé avant le premier cri du coq Fama put donc se paver, se parer, prier, dire

longuement son chapelet, curer vigoureusement ses dents et s’installer en légitime

descendant de la dynastie Doumbouya devant la case patriarcale […]. Le griot

Diamourou se plaça à sa droite, le chien se serra sous la chaise princière et

d’autres familiers se répandirent sur des nattes en demi-cercle à ses pieds et on

attendit les vagues de salueurs (LSI 106).

La case patriarcale est donc le symbole par excellence du pouvoir parce que les personnes qui s’y

trouvent adoptent une posture respectueuse vis-à-vis du patriarche et lui font allégeance. Il

convient également de souligner qu’autour de la case patriarcale gravitent d’autres cases : cases

pour accommoder les épouses du patriarche, « l’étable » ou « la grande case commune » où sont

« mis à l’attache les chevaux » et « la petite case des cabrins » (LSI 107). Les cases entourant la

case patriarcale laissent deviner que le patriarche promeut la polygamie et encourage certaines

activités pastorales telles que l’élevage de chèvres et de chevaux. Par ailleurs, la case patriarcale

117 se présente aussi comme le lieu de palabres, l’endroit où convergent les membres d’une famille pour discuter et pour arrêter des décisions importantes. Nous constatons cela lorsque les tantes, les oncles et la grand-mère de Birahima se réunissent dans la case patriarcale, autour du grand- père de ce dernier, pour discuter et pour arrêter les modalités du départ de Birahima pour le

Liberia, lieu où il envisage de rejoindre sa tante Mahan, sa « deuxième maman » (ANEPO 34).

Le discours proverbial nous propose encore un autre type de maison que nous pouvons appeler

« case partagée ». Cette dernière transparaît à travers cette déclaration au relent proverbial :

« Même la guêpe-maçonne et le crapaud finissent par se tolérer, quand on les enferme dans une même case […] » (LSI 135). Notons que cet énoncé est proféré par Fama qui ne se préoccupe pas des querelles qui sévissent entre ses deux femmes (Mariam et Salimata). L’énoncé laisse croire que la case partagée est un espace d’habitation au sein duquel cohabitent, se disputent et interagissent des individus aux personnalités divergentes. Aussi, la déclaration sus-évoquée laisse penser que certaines femmes qui vivent en union polygame connaissent un tel espace. À la lecture de la déclaration, nous constatons que la case partagée présente quelques défis. Le verbe

‘enferme’, qui figure dans l’énoncé, suggère que cet espace-là peut restreindre, pour ne pas dire enfreindre, les libertés de ses occupants. L’autre défi que présente la case partagée est que ses occupants doivent consentir à des compromis, compromis qui parfois sont douloureux. En ce qui concerne Salimata et Miriam par exemple, leur vie privée est menacée au sein de l’espace partagé parce que leur mari fait l’amour avec chacune d’elle en présence de l’autre. Leur confort personnel est également compromis parce que, si l’une d’elle est au lit avec leur mari, l’autre se verra obligée de passer du temps sur une natte dressée à même le sol (LSI 134). Ainsi, la case partagée passe pour un véritable laboratoire d’apprentissage des principes de tolérance mutuelle et de coexistence pacifique.

118

Dans le discours parémique, la maison est également dépeinte comme une aire de réception,

comme le suggère l’énoncé ci-après : « On ne reçoit pas dans sa maison avec les chiens de garde

en laisse dans sa cour » (EAVBS 170). Autrement dit, outre le fait que la maison est un lieu

d’habitation pour son propriétaire, elle sert également comme un espace sécurisé où le

propriétaire peut sereinement accueillir ses visiteurs. Cela dit, l’énoncé susmentionné appelle

quelques commentaires. Ledit énoncé insinue que les chiens de garde sont en laisse dans la cour

quand le propriétaire de maison ne reçoit pas d’invité chez lui. Du coup, le proverbe établit

implicitement un lien entre la notion de territorialité et le concept de maison. Le chien en laisse

dans une cour peut donc être considéré comme une extension du propriétaire dont la mission est

de sécuriser la propriété ou le territoire du propriétaire. Sanders ne nous rappelle-t-il pas que les

êtres humains sont des « animaux territoriaux » qui

[…] définissent les espaces et les allouent à des utilisations spécifiques, créent des

frontières visibles et invisibles, établissent des normes culturelles ou

comportementales à l’égard de ces frontières, et défendront leur territoire contre

les intrusions non désirées113 (Sanders 49) ?

S’il est vrai que le discours proverbial lève un pan de voile sur les aspects des maisons dépeintes dans l’œuvre kouroumienne, il n’en reste pas moins vrai que ledit discours met en exergue certains métaux rares.

113 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] define spaces, mark them for specific uses, create visible and invisible boundaries, establish cultural conventions or behavior toward those boundaries, and will defend the territory against unwanted intrusions » (Sanders 49).

119

6 Objets précieux

Les métaux précieux font partie de la culture matérielle de la société décrite dans l’œuvre de

Kourouma. En fait, deux métaux, en l’occurrence l’or et le cuivre, sont mentionnés dans le discours proverbial. L’un des proverbes qui font allusion à ces métaux précieux est le suivant :

« il n’y a pas de forgeron qui à force de forger transforme le cuivre en or » (MOD 110). De toute

évidence, ce proverbe élabore sur les notions du possible et de l’impossible. En plus, le proverbe

insinue qu’il existe une distinction nette et tranchée entre le cuivre et l’or, parce que le premier

ne peut pas devenir le second. Pour faciliter la compréhension de la pensée, l’auteur la fait suivre

d’une autre parémie exprimant une même vérité : « […] aucun éreintement ne peut faire tirer

l’eau de la pierre » (MOD 110). Le proverbe qui parle des métaux semble donc suggérer que l’on doit toujours peser les chances de réussite d’une entreprise avant de s’y engager. Dans un autre ordre d’idées, le mot « forgeron » – que renferme ledit proverbe – met en exergue la pratique de forgeage et laisse supposer que le métier de forge est réservé aux forgerons, c’est-à-dire des métallurgistes de sexe masculin. Ainsi, le métier de transformation des métaux apparaît comme un métier sexué. En outre, étant donné que la transformation plastique de métaux peut être perçue comme un processus de purification, nous pourrions dire que dans ce processus, l’homme

(et non la femme) est associé à une tâche noble. En transformant la nature (objet dans son état primaire) en culture (objet forgé) l’homme se présente comme un créateur ; il donne forme et vie

à quelque chose qui n’existait pas auparavant. Notre supposition prend tout son sens lorsque nous prenons en considération les croyances qui entourent la pratique de forgeage en Afrique

(Herbert 1984, 1993 ; Anfinset 208). Au sujet du forgeage, Nils Anfinset, s’appuyant sur les réflexions d’Eliade (1978), souligne que « le feu est l’élément central dans la transformation de la nature en culture » (Anfinset 208). Eliade, dont la réflexion est reprise par Anfinset, souligne

120

les valeurs créatrices et sexuées du processus lorsqu’il affirme : « [Dans la transformation], la vie

se projette sur le cosmos et le sexualise114 » (Eliade 34 ; Anfinset 209).

Une autre parémie qui fait allusion au cuivre et à l’or est celle que nous livre le vieillard Djigui :

« Il est inutile d’expliquer la différence entre les deux métaux à celui qui préfère son pendant de

cuivre à la boucle d’or que vous offrez » (MOD 250). Djigui utilise ce proverbe pour marquer sa

déception face au comportement du commandant Héraud qui, n’obtempérant pas à l’avis du

vieillard, décide d’épouser Mariam, « une femme non excisée et éhontée » (MOD 250). Djigui

est déçu parce qu’il pense que les femmes excisées, aux yeux des hommes « traditionalistes »,

ont plus de valeur que leurs consœurs non excisées. À l’aide du proverbe, le vieillard établit sans

doute un parallèle entre la femme excisée et l’objet précieux (l’or) ; du même coup, il range la

femme non excisée dans le panier d’objets moins précieux. Ajoutons que la conception de

métaux, telle que représentée dans la parémie, se rapproche de celle des alchimistes dont la

hiérarchie des sept métaux considère l’or et l’argent comme des métaux parfaits, et le cuivre

ainsi que quatre autres métaux115 comme métaux ‘vils’ (Llasera 163). Dans le proverbe

susmentionné, l’or est donc le symbole du parfait, du noble et le cuivre, le symbole du moins

parfait, du moins noble. Par ailleurs, la grande valeur que la société devrait accorder à l’or

transparaît à travers le proverbe qui suit : « L’or ne se ramasse que par celles qui n’ont pas

d’oreilles solides pour porter de pesantes boucles » (LSI 47). Ce proverbe est énoncé par le narrateur quand Salimata aperçoit un enfant de dix-huit mois qui est abandonné au marché aux fruits (LSI 54). Prise métaphoriquement, la locution souligne une réalité de la vie : certaines

114 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « It [la transformation] is the idea of life, which is projected on to the cosmos, sexualizes it » (Eliade 34 ; Anfinset 209). 115 Le fer, l’étain, le plomb et le mercure.

121 personnes ne mesurent pas la valeur réelle de ce qu’elles possèdent. Autrement dit, l’enfant, à l’instar de l’or, est précieux, et de ce fait mérite l’attention de la société. Pour une femme stérile comme Salimata, le dénominateur commun entre l’or et l’enfant (deux choses précieuses) est la rareté des deux éléments. Nason ne nous rappelle-t-il pas que les artefacts précieux sont appréciés « en raison de leur rareté [...] ou pour des raisons similaires » (Nason 49) ?

Ayant analysé l’or et le cuivre tels que représentés dans les proverbes, nous remarquons néanmoins que l’auteur met un accent particulier sur l’important rôle que joue l’or dans la vie des personnages et des sociétés dépeints dans ses romans. Dans ces derniers, l’or et sa grande valeur ne sont pas représentés uniquement en termes métaphoriques. Le métal constitue une réalité concrète dans la vie quotidienne des personnages. En raison de sa préciosité, plusieurs activités économiques tournent autour de l’or, un métal dont regorgent les sous-sols des pays tels que la Guinée, la Côte d’Ivoire et la Sierra Leone (ANEPO 19). Les piocheurs et casseurs de cailloux et autres trafiquants, comme le grand-père de Birahima, travaillent dans l’industrie d’exploitation d’or (ANEPO 19). Des enfants-soldats comme Birahima gagnent de l’argent en

œuvrant comme des agents de protection rapprochée des orpailleurs, ces façonniers qui nettoient et tamisent les alluvions aurifères afin d’en soustraire les fragments d’or (ANEPO 107). Les villes aurifères attirent aussi les expatriés, notamment les Libanais, lesquels Birahima qualifie de

« vampires » parce qu’ils sont les véritables maîtres des exploitations aurifères et surtout parce qu’ils « s’enrichissent du travail d’autrui » (ANEPO 112). Les espaces aurifères sont également prisés par les factions de guerre qui ont besoin de l’or pour financer l’effort de guerre. À titre d’illustration, les ULIMO et les NPFL se livrent une farouche bataille pour le contrôle de la ville aurifère de Sanniquellie. Lorsque les NPFL viennent à bout des ULIMO à Sanniquellie, rapporte

Birahima, « tous les biens d’Onika [officiel de l’ULIMO], tout l’or d’Onika étaient tombés dans les mains de l’ennemi » (ANEPO 129). Quand le précieux métal n’est pas utilisé pour financer

122

les guerres, il est déployé par certains dictateurs pour consolider leur pouvoir. Le président

Fricassa Santos, par exemple, s’en sert pour constituer un arsenal d’armes qui lui permet de

pérenniser sa « petite chefferie » et d’instituer la terreur au sein de son royaume (EAVBS 84). La

valeur de l’or s’apprécie également dans le domaine vestimentaire où le précieux métal est

employé comme matière décorative. En fait, il fait partie du chapeau que Koyaga se voit offrir

par les anciens des villages, comme en témoigne le narrateur qui, s’adressant à Koyaga, dit : « À

chaque arrêt, les anciens des villages vous coiffent d’un bonnet orné de motifs dorés, de corail et

de verreries anciennes » (EAVBS 280). Par ailleurs, à cause de la grande valeur que l’or

représente, quand on arrive à y mettre la main, on le préserve jalousement. Aussi bizarre que cela

puisse paraître, certains individus préfèrent même le garder près des parties corporelles les plus

intimes, de peur que l’on ne le leur arrache. Birahima et Yacouba peuvent en témoigner.

Rapportant une séance de fouille de routine effectuée sur ces deux personnages par les éléments des kamajors, une milice sierra léonaise, Birahima dit :

Ils nous ont tout pris en nous fouillant jusqu’au caleçon. Lorsqu’ils arrivèrent au

caleçon de Yacouba, au lieu de découvrir un gros cul, ils tombèrent sur des petites

bourses contenant des diamants et de l’or. […] Moi aussi, en fouillant dans mon

caleçon, ils ont trouvé de l’or et du diamant (ANEPO 195).

Yacouba ira jusqu’à sacrifier son confort personnel puisque ployant sous le fardeau de l’or caché dans son caleçon, il « avait fini par ressembler lorsqu’il marchait à un quelqu’un qui avait de gros testicules herniaires, une volumineuse hernie. […] Tellement, tellement il avait des bourses autour de la ceinture et dans le bouffant du pantalon » (ANEPO 195). Ces descriptions portant sur l’or et sur l’influence qu’il exerce sur la physionomie, sur l’allure et sur la mobilité physique de certains de ses porteurs ajoute de l’humour au récit, même si ledit humour peut être qualifié

123

de mauvais goût. Dans le discours proverbial, il n’y a qu’un pas qui sépare l’univers des objets

précieux d’avec celui de la monnaie.

7 Objet de facilitation des échanges économiques

L’argent est encore un autre artefact représenté dans le discours proverbial. D’après le

représentant du pouvoir colonial dont les propos à saveur sentencieuse sont traduits en malinké

par l’interprète Soumaré, « la civilisation, c’est gagner de l’argent » (MOD 57). La vérité de cette

remarque ne semble pas se vérifier auprès des habitants de Soba, les destinataires supposés de la

remarque. En fait, cette dernière est teintée d’hypocrisie parce que le travail acharné fourni par la

population enrichit plutôt les maîtres coloniaux et pas la communauté locale.

Dans un autre ordre d’idées, en interprétant le discours de l’administrateur colonial, Soumaré

souligne d’une manière sentencieuse, à travers l’extrait qui suit, que l’argent doit être considéré

comme un objet que les habitants de Soba doivent avoir sur eux en tout temps : « quand tu te

coucheras et t’assoiras sans argent, tu ne seras ni couché ni assis » (MOD 58). Cet énoncé semble

suggérer que c’est à travers l’argent que l’on retrouve la tranquillité d’esprit et de corps. Il est

important de relever que la déclaration est proférée par Soumaré pour rappeler implicitement aux

populations indigènes la nécessité de payer les impôts et taxes. L’argent dont parle l’énoncé

renvoie donc aux contributions publiques et non à une fortune personnelle quelconque. De la

sorte, l’énoncé implique que les populations indigènes ne connaîtront pas de répit tant qu’elles ne se seront pas acquittées auprès de l’administration coloniale de la totalité des impôts et taxes dus

à cette dernière. Étant donné que l’argent physique est rare et quasi inaccessible aux populations, celles-ci paient l’argent d’impôt en effectuant des travaux forcés (MOD 61). Inutile de dire qu’il est difficile d’envisager comment le travail forcé, un moyen pour gagner l’argent d’impôt, peut

124

garantir la sérénité du corps et de l’esprit chez les populations. En conséquence, l’argent tel que

décrit dans la citation susmentionnée ne mène pas à une vie de repos ; loin s’en faut. Chez les

personnages romanesques, la vie est plutôt « un long souci d’argent », comme dirait Alfred

Capus dont les propos sont cités par Roffay (103).

En plus, l’interprète, dans un propos à forte saveur gnomique, dépeint l’argent comme le seul critère qui sert à mesurer la valeur véridique, morale ou esthétique de toute chose : « […] rien ne serait plus vrai, bon ou beau sans argent […] pour être vrai, bon ou beau il faudrait posséder de l’argent » (MOD 58). Ainsi, dans la société décrite dans le récit, l’argent passe pour le baromètre des vertus, pour reprendre cette expression d’Ayn Rand116.

Par ailleurs, avec des espèces sonnantes et trébuchantes, une personne peut impunément tout se

permettre. L’interprète Soumaré crédite notre supposition à travers cette déclaration humoristique au relent sentencieux : « Quand il t’échappera un pet avec de l’argent, tout le monde s’en accommodera ; mais, sans argent, on te rossera » (MOD 58). Pris littéralement, cet

énoncé insinue que le pet du riche ne dérange pas son entourage. Signalons en passant que plusieurs adages117 (non kouroumiens) s’accordent à dire que l’argent est inodore ; cela explique

peut-être pourquoi le pet du riche ne saurait indisposer son entourage. Qui plus est, l’argent ou le riche, à en croire cette autre parole, exerce une force d’attraction gravitationnelle sur les êtres humains : « Sur terre ici-bas, ce qui est le plus rapprochant, c’est avoir de l’argent » (MOD 60).

116 Citation reprise dans le site web EVENE – toute la culture, http://www.evene.fr/celebre/biographie/ayn-rand-3314.php, site consulté le 15 décembre 2010.

117 « L’argent n’a pas d’odeur d’où il vienne » (Juvénal ; cité par Hajo Michels, p. 64) ; « L’argent n’a pas d’odeur » (Vespasien ; cité par Ebénézer Njoh-Mouellé, p. 57) ; « L’argent n’a pas d’odeur, mais la pauvreté en a une » (Paul Léautaud ; cité par Jeune Afrique, http://africa.jeuneafrique.com/riches-pauvres-croissance.html, site consulté le 15 décembre 2010).

125

Cet énoncé fait partie des « paroles de l’argent » que prononce l’interprète Soumaré devant le roi

Djigui et sa suite, paroles qui, aux dires de l’interprète, « sont plus nombreuses que mille millets

et leurs plumes » (MOD 58). Non seulement le discours gnomique éclaircit le lecteur sur la

culture de l’argent chez les personnages romanesques, mais aussi il lui présente des objets reliés

à la culture fluviale desdits personnages.

8 Objets liés à l’environnement aquatique

Le discours proverbial renferme des lexèmes désignant les artefacts reliés aux activités

aquatiques. Les termes « pirogue », « hameçon » et « filet » sont respectivement mentionnés dans les parémies ci-après : a. « Une pirogue n’est jamais trop grande pour chavirer118 » (EAVBS

95) ; b. « On ne prend pas un hippopotame avec un hameçon » (EAVBS 240) ; c. « On ne tire pas

sur les pintades qu’on a dans son filet » (EAVBS 17). Le proverbe a est énoncé par le griot pour

illustrer le thème du pouvoir. Le message qui transparaît à travers ce proverbe est que même les

personnes qui prétendent être omnipuissantes peuvent se renverser ou être renversées. Le

président Fricassa Santos en sait quelque chose. Malgré sa puissance politique, il n’a pas pu ou

su sauver sa vie ni son pouvoir face au coup d’État perpétré par Koyaga et ses lycaons. Dans ce

proverbe, la pirogue est donc une métaphore qui désigne le pouvoir. On trouve ce genre de

comparaison chez d’autres écrivains africains. Par exemple, Jean-Marie Adiaffi, dans son roman

intitulé Silence, on développe, utilise l’expression « pirogue du pouvoir » (Adiaffi 197), pour

désigner l’appareil politique ou le pouvoir institutionnel (Kouassi 120). Par ailleurs, à en croire

Germain Kouassi, en Afrique, les vaisseaux de transport (bateau, navire) sont parfois assimilés

au pouvoir ou à la vie communautaire (Kouassi 120). Le parallèle synonymique qui chez

118 Proverbe Bambara [les Bambara sont une ethnie de Côte d’Ivoire] (Douide 183).

126

Kourouma existe entre « pirogue » et « pouvoir » s’apparente donc à celui qui existe entre

« navire »/« bateau » et « pouvoir ».

Il est clair que l’inscription de la pirogue dans le proverbe sus-évoqué traduit certaines réalités

locales que vivent les personnages kouroumiens. Les pêcheurs de la République du Grand

Fleuve, par exemple, s’en servent pour les activités liées à la pêche (EAVBS 238). Par rapport au

proverbe b susmentionné, le mot « hameçon » – crochet métallique que les pêcheurs fixent au bout d’une ligne et qui porte un appât pour apprivoiser les poissons – laisse deviner que les personnages romanesques se livrent aux activités de pêche ou que l’environnement où habitent ces personnages est propice à la pêche. En fait, la plausibilité de notre conjecture gagne en crédibilité lorsque nous prenons en compte le fait que les personnages vivent dans une nation nommée la République du Grand Fleuve ou le Pays du Grand Fleuve (EAVBS 215, 216, 249,

etc.). Signalons rapidement que ce proverbe est dit par le griot pour illustrer l’idée selon laquelle

un dictateur comme le président Koyaga ne se fait pas facilement prendre par ses adversaires

politiques. S’agissant du proverbe c susmentionné, le terme « filet » qui y figure laisse penser

que les personnages romanesques sont familiers avec cet outil qui sert à « cueillir le poisson »

(Fall 2005 : 8). Le narrateur profère cette parémie pour illustrer la facilité avec laquelle les forces françaises prennent possession et contrôle des terres et peuples africains (EAVBS 17). Dans le

proverbe, le mot « filet » est employé dans un sens figuré pour exprimer l’idée de capture ou de contrôle d’un adversaire.

En scrutant les locutions sentencieuses kouroumiennes renfermant les éléments de la culture matérielle, nous avons, d’une manière générale, dégagé les significations utilitaires et littéraires desdits éléments. Nous avons abordé certains aspects significatifs propres à chaque catégorie d’artefact. En analysant la sémiotique des objets vestimentaires, nous avons noté que le chapeau

127 symbolise à la fois la sagesse, l’autorité traditionnelle et l’identité nationale. Poursuivant dans le registre vestimentaire, nous avons également montré que, dans les proverbes, la ceinture et la culotte sont associées au pouvoir et les « haillons » à la pauvreté d’esprit ou à quelque chose sans valeur. S’agissant des objets ménagers, nous avons démontré que des artefacts comme la marmite, le canari et la calebasse revêtent des fonctions symboliques et que la calebasse concourt

à l’esthétisation et à la stylisation de certains passages romanesques. Quant aux artefacts organologiques, nous avons montré que le tambour symbolise entre autres les pouvoirs politique et judiciaire, et que le tam-tam, outil de communication non verbale, est associé à la voix divine et à la diffusion des nouvelles. Nos analyses relatives aux artefacts de défense et de guerre ont révélé que le discours proverbial range ces artefacts dans trois sous-catégories distinctes : l’arme blanche, l’arme de jet et l’arme à feu. Quant à l’espace bâti, nous avons constaté que ce dernier est représenté à travers le discours gnomique sous quatre perspectives : lieu maternel, lieu patriarcal, lieu pour cohabitation des épouses et lieu de réception contrôlé. Concernant les objets précieux, nous avons noté que le discours proverbial établit une nette différence entre le cuivre et l’or, en accordant plus de valeur à ce dernier au détriment du premier. À travers nos analyses portant sur l’argent, nous avons démontré que ce dernier, tel que représenté dans les constructions gnomiques, exerce une influence profonde sur la vie des personnages parce que la tranquillité d’esprit et de corps de ceux-ci en dépend. En plus, quand il ne pervertit pas la nature des valeurs comme la beauté, la vérité et la bonté, il octroie à son possesseur une liberté sans borne tout en le dotant d’une grande capacité de séduction. En ce qui concerne les artefacts liés aux activités aquatiques, nous avons constaté que la pirogue est une métaphore du pouvoir politique, et que « hameçon », « filet » et « pirogue » - trois mots désignant les objets de pêche - insinuent que les personnages romanesques se livrent à l’activité de pêche.

128

En incorporant dans ses récits des proverbes qui renferment les objets de la culture matérielle,

l’œuvre kouroumienne aide à documenter, à sauvegarder et à diffuser la culture et la mémoire

culturelle des personnages romanesques. La démarche de Kourouma est à la fois pertinente et

cruciale parce que le phénomène de mondialisation, qui n’épargne pas la culture, s’opère

généralement au profit des cultures euro-américaines et au détriment des cultures africaines.

L’initiative de Kourouma est en harmonie avec la pensée de Rowland. D’après ce dernier, la

valorisation de la culture matérielle permet de protéger la mémoire culturelle d’un peuple et d’en

assurer la transmission (Rowlands 1996: 8, cité par Sorensen 299). Les artefacts culturels dans

les proverbes romanesques pourraient également servir aux fins de recherche. Enfin, les artefacts

au sein des proverbes permettent aux lecteurs d’apprécier non seulement l’ingéniosité artistique

des personnages romanesques, mais aussi les ramifications de la société où vivent ces derniers,

parce qu’à en croire Schlereth,

[…] quels qu’ils soient, les artefacts sont, au niveau le plus profond, des formes

expressives. […] Un artefact est un acte de création égale à […] la fabrication

d’un système social […]. [Il] recrée en permanence le monde en lui imposant un

sens et un ordre119 (Upton 1985: 87; Schlereth 239).

Ainsi, en prenant l’initiative d’intégrer dans ses récits des artefacts culturels tels que le tam-tam

et la flèche, Kourouma semble inviter le lecteur et les Africanistes à réfléchir sur l’ingénierie de

l’art et de la technicité africains, un fait dont certains, y compris des Africains, ont parfois nié l’existence.

119 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] whatever else they might be, artefacts are at the deepest level expressive forms. […] an artefact is an act of creation equal to […] the manufacture of a social system […]. [It] continuously recreates the world by imposing meaning and order on it » (Upton 1985: 87; Schlereth 239).

129

Au départ, ce chapitre s’est assigné pour but d’étudier la culture matérielle telle que représentée dans les proverbes kouroumiens. Par conséquent, nous n’avons pas scruté en détail la culture matérielle telle qu’elle se déploie dans les autres sous-genres de la littérature orale. Ici, nous pensons notamment aux fragments de contes et légendes qui sont inscrits dans l’œuvre de

Kourouma. Peut-être que cette tâche pourrait être abordée dans le cadre d’une recherche ultérieure.

130

Chapitre 4

Proverbes zoologiques et vision du monde

Il n’y a aucun doute que la présence des animaux dans les proverbes a, dans une certaine

mesure, attiré l’attention des scientifiques. Beaucoup de chercheurs ont édité des recueils

généraux contenant des proverbes animaliers. Ces recueils, nous pouvons les ranger en deux catégories: les uns renferment des proverbes animaliers ainsi que des proverbes non animaliers

(Brezin-Rossignol 1997, Khan et Khan 2004) ; les autres contiennent à la fois des proverbes

animaliers et des locutions formées avec des animaux (Vigerie 2004, Rey 2008). Le

dénominateur commun entre ces publications est le fait qu’elles se limitent à énumérer les

proverbes animaliers avec peu ou sans aucune analyse. Toutefois, quelques chercheurs ont

réalisé des travaux dont l’envergure et le format vont au-delà de la simple énumération de

proverbes animaliers. Par exemple, Herbert Pierrepont Houghton (1915), l’un des pionniers de la

critique du proverbe animalier, dans une étude, scrute les significations morales des proverbes

animaliers helléniques. À la suite de Houghton, Wolfgang Mieder (1993) et Forti L. Tova (2008) mènent aussi des réflexions sur les proverbes animaliers. Pendant que le premier adopte une plus large perspective pour opérer une analyse critique des proverbes animaliers, le second focalise son étude sur la représentation figurative de l’animal dans Le Livre des Proverbes.

Notre réflexion, qui porte sur les parémies animalières de Kourouma, se situe dans la tradition de la logique analytique amorcée par ces critiques dont les publications mettent de l’emphase sur l’analyse réflexive des proverbes animaliers. Sa pertinence réside dans le fait qu’il reste encore

131

beaucoup de travail à faire dans le domaine du proverbe animalier120. Krikmann déplore le peu

d’intérêt manifesté par les critiques pour ce domaine qui, pourtant, regorge de grandes

opportunités de recherche :

La quantité de publications portant sur le proverbe animalier et ses métaphores

zoologiques demeure excessivement mince, alors que le champ sémantique des

animaux est censé être le champ le plus productif en matière de métaphore

proverbiale. La plupart des chercheurs ont abordé les animaux soit en privilégiant

les relations entre les proverbes et les fables soit en examinant les rapports

qu’entretient le proverbe avec les mondes agricole et vétérinaire121 (Krikmann

2001: 11).

Ce manque d’engouement dont parle Krikmann se traduit par l’étroitesse des corpus et par la paucité des travaux relatifs aux proverbes animaliers. À cet égard, Krikmann, se référant aux

études faites par Rooth (1968), Negreanu (1979) et Ogishima (1992), déclare :

de nombreuses statistiques et listes de classement portant sur ce sujet [proverbes

animaliers] ont été publiées, mais elles ont tendance à couvrir uniquement des

120 En ce qui concerne la littérature négro-africaine, certains chercheurs ont étudié le rôle que jouent les proverbes et les animaux dans le processus narratif. Par exemple, Mohamadou Kane (1981 : 37-47), dans son ouvrage intitulé Essai sur les Contes d’Amadou Coumba : du conte traditionnel au conte moderne d’expression française, examine les rapports entre la morale, les proverbes et les animaux dans l’œuvre de Birago Diop. Dans son travail, Kane montre comment le proverbe, de façon générale, facilite la narration dans les contes où les animaux sont des acteurs. Toutefois, la réflexion de Kane n’aborde pas spécifiquement les proverbes animaliers. 121 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « The number of publications on animal proverbs and zoo-metaphors in proverbs is undeservedly small, considering that the semantic field of animals must be the most productive one in proverbial metaphors. Researchers have mostly touched upon animals either observing the relations between proverbs and fables or while discussing references to agriculture and veterinary in proverbs » (Krikmann 2001: 11).

132

données d’un seul groupe ethnique ; en plus, les données sélectionnées sont plutôt

minces122 (Krikmann 2001: 11).

Notre travail est donc significatif parce qu’il élargit le champ des études portant sur le proverbe animalier et apporte une perspective africaine à un champ de recherche qui a été pendant longtemps dominé par des productions et des analyses euraméricaines.

Dans cette étude, nous adopterons les principes de Krikmann concernant l’interprétation des proverbes. La théorie de cet auteur est fondée sur l’idée que les objets humains ou non humains et les concepts abstraits renfermés dans un proverbe devraient être interprétés comme des indices reliés aux humains. Suivant la démarche de Krikmann, nous considérons les proverbes faisant l’objet de cette étude comme des matériaux essentiellement anthropocentriques. En conséquence, nous allons re-conceptualiser les objets non humains – tels que les animaux – présents dans les parémies, en élevant ceux-ci au statut humain. Krikmann, dans les mots qui suivent, résume son approche d’analyse de proverbes centrée sur l’homme:

Si un proverbe se compose exclusivement de mots désignant littéralement des

objets et des concepts appartenant à des niveaux « supérieurs » du fonctionnement

humain (c’est-à-dire les niveaux mental, social, etc.), et / ou des concepts abstraits

qui appartiennent également aux humains, la signification du proverbe devient

alors évidente sans qu’il soit nécessaire ou possible d’opérer la projection ou

encore la cartographie sémantique dudit proverbe. [...] Si le sens littéral appartient

122 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale : « [...] various statistics and ranking lists on that subject [animal proverbs] have been published, but they tend to cover the material of only one certain ethnic group, and the selections of material have been rather small » (Krikmann 2001: 11).

133

exclusivement au domaine non humain (c’est-à-dire les animaux, les plantes…) et

si le texte est déjà compréhensible (sémantiquement cohérent) à son niveau

littéral, [...] toute la phrase constitue une métaphore et doit par conséquent être

repensée (re-conceptualisée) pour se référer à quelque chose d’humain123

(Krikmann 2001: 7).

Pour conceptualiser les signifiants animaliers dans les parémies, nous prêtons une attention particulière aux composants syntactiques et métaphoriques desdites parémies. Ceci signifie que les interprétations auxquelles ces dernières sont susceptibles d’être soumises se situent aux niveaux paradigmatiques ou métaphoriques. Nous nous concentrons sur l’aspect métaphorique des proverbes animaliers parce que le proverbe est un produit de la pensée humaine, et celle-ci, souvent, fonctionne de façon métaphorique. Les réflexions des sémanticiens cognitifs confortent notre supposition. À cet égard, George Lakoff et Mark Johnson, pionniers de la poétique cognitive, arguent que la métaphore est « présente dans la vie de tous les jours, non seulement dans le langage, mais dans la pensée et l’action » parce que « notre système conceptuel ordinaire, qui nous sert à penser et à agir, est de nature fondamentalement métaphorique » (Lakoff et

Johnson 1985 : 13). Ils affirment aussi que la métaphore régit la grande partie des activités de la pensée humaine : « La métaphore n’est pas seulement affaire de langage ou question de mots. Ce

123 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale : « If a proverb consists exclusively of words literally denoting objects and concepts belonging to ‘higher’ levels of human functioning (i.e. mental, social, etc.), and/or abstract concepts that also belong only to humans, then the proverb ... [becomes] meaningful without any need or possibility for further projection or mapping. [...] If the literal meaning belongs exclusively to the non-human realm (i.e. only animals, plants ....) and the text is already meaningful (semantically consistent) at its literal level, [...] the whole sentence is the metaphor and must be reconceptualized to refer to something human » (Krikmann 2001: 7).

134 sont au contraire les processus de pensée humaine qui sont en grande partie métaphoriques »

(Lakoff et Johnson 1985 : 16).

Pour étudier les images animalières dans les proverbes ainsi que les rapports qui peuvent exister entre elles et les objets /les valeurs situés dans le cosmos, nous nous appuyons également sur la théorie d’invariance énoncée par certains sémanticiens cognitifs. Cette théorie qui embrasse la notion de la grande chaîne de l’Être, est une ramification de l’ontologie d’Arthur Lovejoy

(1964). Le cosmos, défend la théorie, existe grâce à trois principes, à savoir : plénitude, continuité et gradation. En d’autres termes, le monde, d’après les défenseurs de la théorie, est régulièrement rempli d’entités hiérarchisées qui entretiennent au moins un type de dépendance ou une caractéristique commune. Ainsi, les humains dépendent ou emploient des objets non humains pour formuler des pensées et des idées. Si les hommes s’appuient sur leur environnement afin de structurer et agencer leur pensée, il serait logique de supposer que des objets non humains qui entourent les hommes peuvent être employés pour expliquer des pensées, des idées ou des comportements humains. Notre postulat est soutenu par Lakoff et Turner qui arguent que la grande chaîne de l’Être, par l’intermédiaire de son principe d’invariance, fonctionne en mode bidirectionnel parce que:

elle nous permet de comprendre les traits de caractère généraux de l’homme en

termes d’attributs non humains les mieux compris ; et inversement, elle nous

permet de comprendre les aspects les moins bien compris de la nature des

135

animaux et des objets en termes de traits humains les mieux compris124 (Lakoff et

Turner 1989: 172).

Dans cette étude, un autre critère conceptuel que nous employons pour analyser les animaux qui

sont présents dans le corpus est le symbolisme125. Nous sommes encouragé à procéder de cette

manière par les réflexions d’Uther (2006), de Needler (1991) et d’Amer (1987) portant sur le

symbolisme historique des animaux dans la littérature folklorique. Pour nourrir nos analyses

portant sur les défis moraux liés à l’exploitation des animaux représentés dans les proverbes,

nous ferons recours, entre autres, à la théorie du contractualisme126 énoncée par quelques spécialistes de l’éthique animale (Newmyer, Clark, Regan).

Notre réflexion s’insère donc dans le cadre théorique que nous venons de définir. Nous l’agencerons en trois temps. D’abord, nous examinerons les significations symboliques de certains animaux représentés dans le corpus. Ensuite, nous scruterons le corpus afin d’établir la typologie et les identités des animaux inscrits dans les proverbes. En dernier lieu, nous passerons au crible le corpus, cette fois-ci pour cibler les parémies qui nous permettront de mener une réflexion portant sur l’exploitation animale et l’éthique.

124C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « it allows us to comprehend general human character traits in terms of well-understood nonhuman attributes; and conversely, it allows us to comprehend less well-understood aspects of the nature of animals and objects in terms of better-understood human characteristics » (Lakoff et Turner 1989: 172). 125 Le symbolisme est un mode de représentation littéraire qui emploie des symboles, c’est-à-dire des objets ou des réalités concrètes chargés de significations métaphoriques.

126 D’après Baumard, le contractualisme est une doctrine philosophique qui favorise la création d’une norme collective que les parties contractantes ne peuvent « raisonnablement rejeter parce qu’elle est mutuellement profitable » (Baumard 65).

136

1 Proverbes et symbolique animalière

Dans les parémies kouroumiennes, les sèmes animaliers ou les références à l’animal sont très

fréquents. Nous n’allons pas nous appesantir sur l’ensemble des sèmes animaliers. Nous allons

plutôt focaliser nos analyses sur ceux dont les occurrences sont fortes et/ou qui permettent de mieux apprécier comment la pensée africaine à travers des animaux conçoit ou représente le monde. Le mot « monde », ici, englobe les entités ou objets qui se trouvent dans le cosmos.

Guidé par ces critères préétablis, nous aborderons donc la symbolique des animaux ou des

groupes d’animaux suivants : l’hippopotame, le singe, le chien, l’hyène, l’éléphant, les sauriens

(caïman, margouillat et crocodile), les squamates (serpent, vipère). Ces animaux, arguerons-

nous, constituent un réseau de symboles décrivant et les animaux et les êtres humains.

1.1 L’hippopotame

Un animal dont la valeur symbolique se manifeste à travers les proverbes est l’hippopotame.

Celui-ci est cité dans trois parémies. Traditionnellement associé à la fertilité (Cirlot 149),

l’animal dans l’œuvre de Kourouma décrit d’autres valeurs symboliques. Aussi balourd et

paresseux qu’il puisse paraître, cet animal demeure néanmoins une entité physiquement solide,

endurante et équilibrée, comme le souligne la parémie suivante : « L’hippopotame s’envase trop

profondément pour revenir sur ses pas » (MOD 278). Le griot Djelicini utilise ce proverbe alors

qu’il tente de convaincre son maître Djigui de ne pas regagner le Bolloda, le palais royal. Le

griot pense que le roi Djigui doit quitter le pouvoir non seulement parce qu’il est trop vieux, mais

aussi parce que sa trajectoire est jalonnée d’humiliations : l’humiliation de ses ancêtres les

Samoriens par les colons ; l’humiliation des travaux forcés ; l’humiliation des promesses non

tenues par des colons, comme la construction du chemin de fer de Soba qui a été promise,

137

maintes fois reportée et jamais réalisée ; l’humiliation de la pauvreté ; etc. Face à ces déboires

mortifiants, Djigui peut-il encore revenir en force ? Peut-être pas. Comme l’hippopotame, il s’est

trop enfoncé dans des difficultés, mais contrairement à l’hippopotame qui ne perd pas son

équilibre en s’envasant, Djigui, lui, ne pourra pas revenir sur ses marques (MOD 268).

D’ailleurs, Djelicini souligne cette réalité quand il déclare: « Le Centenaire pouvait tout se permettre, sauf retourner au Bolloda », c’est-à-dire au pouvoir (MOD 269). L’endurance que l’on retrouve chez l’hippopotame est donc absente chez ce vieux roi qui est incontestablement au crépuscule de son règne.

Dans l’œuvre de Kourouma, cet animal symbolise aussi une entité qui n’est pas facilement

conquise ou piégée, comme en témoigne la locution gnomique ci-après: « On ne prend pas un

hippopotame avec un hameçon » (EAVBS 240). Signalons que cet énoncé est proféré par le

sora127 quand il aborde le sujet du pouvoir. Dans l’énoncé, nous pouvons établir un parallèle entre l’hippopotame et le pouvoir politique incarné par le président Koyaga, un dictateur puissant, redouté, indomptable et impiégeable. En outre, l’hippopotame, tel que représenté dans le proverbe suivant, est l’emblème de l’agressivité masculine ou phallique: « Il ne peut exister deux hippopotames mâles dans un seul bief128 » (EAVBS 187).

Le symbolisme de l’hippopotame dans les proverbes reflète l’image que la Bible et quelques

littératures mythologiques projettent de l’animal. De nombreux passages bibliques évoquent

127 Le sora est un griot narrateur. 128 Le narrateur emploie cette parémie pour décrire la conception du pouvoir politique chez le dictateur Koyaga. Concernant ce dernier, le pouvoir ne se partage pas.

138

l’invincibilité129 et le caractère viril130 de l’animal. Dans le même ordre d’idées, le symbole de

robustesse que représente cette bête dans les proverbes est, dans une certaine mesure, repérable

chez Seth, un dieu de l’Égypte ancienne dont l’emblème est l’hippopotame rouge (Aufrère 261).

En fait, la cuisse de l’hippopotame est une représentation emblématique de la « jambe phallique

» ou de la virilité de Seth (Willis 51).

1.2 Le singe

Le singe est un animal dont le symbolisme est pluriel dans les proverbes de Kourouma. Un des

symboles que nous renvoie cet animal est celui de l’incivilité ou de la nature brute, comme le

suggère cette parémie : « Dans une communauté de singes où chacun s’abreuve directement avec

la bouche, sera désavantagé celui qui par civilité s’entêtera à continuer à boire avec le creux de la

main » (MOD 237). Le narrateur s’appuie sur cette parole pour décrire le type de rapport qui

existe entre le roi Djigui et les colonisateurs blancs ; en fait, la suspicion règne dans les deux camps.

Dans l’énoncé susmentionné, il faut lire un brin d’ironie parce que ledit énoncé se sert d’une image négative et colonialiste pour décrire les relations humaines dans la société africaine.

L’image du singe comme entité primitive a été souvent associée à l’Africain. D’ailleurs, Mai

Palmberg reproduit une entrevue radiophonique que Sony Labou Tansi a accordée en 1987 à

Apollinaire Singhou Basseha (in Voix de la révolution congolaise), un entretien dans lequel

129 Est-ce à force ouverte qu’on pourra le [l’hippopotame] saisir? Est-ce au moyen de filets qu’on lui percera le nez ? (Job 40.24). 130 Le [l’hippopotame] voici ! Sa force est dans ses reins, Et sa vigueur dans les muscles de son ventre; Il plie sa queue aussi ferme qu’un cèdre; Les nerfs de ses cuisses sont entrelacés; Ses os sont des tubes d’airain, Ses membres sont comme des barres de fer (Job 40.16-18).

139

Labou Tansi affirme que le mot « singe » a été employé pour désigner des paysans noirs de

village, qui cultivaient les terres, et d’autres personnes de couleur qui n’avaient pas acquis

l’éducation et la culture occidentales (Palmberg 206-7). Les défenseurs du colonialisme se

seraient donc mis à « civiliser » l’Africain parce que celui-ci, à l’instar du singe, vivait dans un

état asocial, dormait dans les arbres, se nourrissait des cueillettes sauvages et souffraient

d’inculture. Il ne fait pas de doute que l’analogie entre le singe et l’Africain est une invention du colonialisme et qu’elle renferme des résonances racistes, comme le précise bien Palmberg:

Le singe est un signe de reconnaissance de ce qui a lié le négrier ou colonisateur

blanc à l’indigène noir en Afrique. L’indigène a reçu les Blancs, souvent en se

battant pour sa vie, et en retour il a obtenu ce symbole de l’inégalité et du racisme.

Les blessures de cette malheureuse confrontation ne sont pas guéries, et ses suites

subsistent dans le symbole du singe, un symbole qui, contrairement à son sens

originel grec131, ne dénote ni la reconnaissance ni l’amitié, mais l’ignorance et la

xénophobie132 (Palmberg 206).

À coup sûr, cette image stéréotypée du Noir est dénigrante et fausse. Le juriste Marvin Jones

souscrit à ce point de vue quand il affirme : « L’image du Noir comme singe est de toute

131 Le terme « symbole », dérivé du grec « symbolon », renvoie à une partie d’un morceau d’argile que les amis conservaient quand ils se séparaient. Elle constituait un signe d’amitié. Aux retrouvailles, les amis repositionnaient les fragments d’argile pour reconstituer le morceau entier (Singer 190).

132 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « The monkey [is] a sign of recognition of what has tied the white slave trader or coloniser to the black native in [...] Africa. The native received the whites, often fighting for his life, and in return he got this symbol of inequality and racism. The wounds of this unfortunate confrontation are not healed, and the results remain in the monkey symbol, a symbol, which does not, as in Greek, denote recognition and friendship, but ignorance and xenophobia » (Palmberg 206).

140

évidence un stéréotype. Assimiler un homme noir au singe est un mensonge, et est facilement

perçu comme tel133 » (Jones 8). Toutefois, malgré la fin du colonialisme, les traces de la

stéréotypie demeurent dans les pratiques discursives et langagières africaines, comme en

témoigne la parémie kouroumienne sus-évoquée.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, le symbole du singe tel que représenté dans les

proverbes de Kourouma est à facettes multiples. D’après le contenu de quelques proverbes, la

créature symbolise aussi la bassesse. Il est représenté comme prédateur et destructeur dans ce

proverbe : « Celui qui craint la destruction de ses épis par les singes demeure dans son lougan »

(MOD 54). Littéralement, ce proverbe suggère que la vigilance et la surveillance sont les maîtres mots qui caractérisent les rapports entre l’agriculteur et un animal comme le singe. Ainsi, le proverbe montre que cet animal constitue un prédateur qui souvent ne laisse pas les cultivateurs dormir à poings fermés et sur leurs deux oreilles. Toutefois, interprété métaphoriquement, le singe dans ce proverbe renvoie au colon blanc qui pille les ressources naturelles du pays Soba.

Celui-ci est donc devenu le lougan (le champ, la chasse-gardée) des Blancs, et par conséquent, ses vrais et légitimes propriétaires doivent veiller à ce que les colons ne ‘spolient’ pas leur village et leurs biens. Dans cette parémie, il y a renversement du référent du mot « singe », qui originellement est créé pour désigner le sujet colonisé.

Le singe est également représenté comme une créature d’un abord difficile, comme l’énoncé suivant semble l’insinuer : « Quand on ne veut pas être touché par les queues des singes on s’éloigne de leurs bandes » (EAVBS 48). Nous pouvons lire dans cette parémie qu’il y a

133 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « To represent a black […] as a monkey is an obvious stereotype. [...] To equate a black man and a monkey is a lie, and is easily seen as such » (Jones 8).

141

apparemment quelque chose de redoutable ou de sinistre autour du singe ou autour de sa queue,

pour être plus précis. Le narrateur adresse ce proverbe à Tiécoura afin d’illustrer la raison pour laquelle le marabout Bokano Yacouba mène une vie de reclus dans un campement situé à une trentaine de minutes à cheval de Ramaka, loin des endroits fortement peuplés. Le choix de

Bokano Yacouba serait motivé par le fait qu’il ne souhaiterait pas être mêlé de la mesquinerie ou de la bassesse humaine dont le singe est l’incarnation (MOD 48).

Le singe est aussi dépeint comme une entité qui n’abandonne pas facilement quelque chose qui

est en sa possession ou qui fait partie de lui, puisque le proverbe suivant dit : « Le singe

n’abandonne pas sa queue, qu’il tient soit de son père soit de sa mère » (EAVBS 47). Autrement

dit, l’animal est le symbole d’un certain conservatisme. Nous pouvons aussi ajouter que le

conservatisme associé à cet anthropoïde dépeint, dans une certaine mesure, le traditionalisme qui

caractérise l’esprit et les agissements de certains personnages kouroumiens tels que Fama, Djigui

et les griots qui restent très attachés à leur héritage culturel (LSI, MOD, EAVBS).

Le gorille, un autre primate proche du singe, symbolise le conservatisme ou l’immobilisme,

comme l’indique le proverbe ci-après : « […] il n’est pas facile de faire modifier au vieux gorille

sa façon de s’accrocher aux branches » (QORODN 95). Fanta lance ce proverbe à Birahima

quand elle parle de Félix Houphouët-Boigny, un président qui ne veut pas réviser sa politique

économique ni ses principes managériaux tels que lui prescrivent le Fonds monétaire

international et la Banque mondiale qui souhaitent voir les dirigeants ivoiriens retrousser les

manches, travailler plus et, surtout, dépenser moins. Habitué à puiser dans les caisses de l’État,

les directives des instances de Washington et de Bretton Woods ne plaisent pas à Houphouët-

Boigny qui d’ailleurs pique une colère épique en apprenant la nouvelle, et recourt à plusieurs

tentatives de résistance non-concluantes.

142

Le singe est aussi le symbole d’un être aigri, menteur, jaloux et incapable. Nous déduisons ces

significations dans le proverbe ci-après proféré par Fanta, qui dispense à Birahima un cours sur

la géographie ivoirienne: « Le singe taxe de pourri le fruit du figuier sur lequel il ne peut mettre

la main » (QORODN 43). Fanta se sert de cette locution gnomique pour décrire le comportement

des colons qui, incapables de pénétrer facilement et rapidement la Côte d’Ivoire en raison de

« l’inaccessibilité de ses côtes », trouveront la raison de leurs échecs ailleurs. Ils attribueront

leurs déboires au fait que dans le pays fusent des mangeurs de la chair des Blancs, c’est-à-dire

des anthropophages qui adorent particulièrement la chair des Caucasiens (QORODN 43). Ici,

dans l’imaginaire du colon blanc, le Noir ou tout ce qui a trait à l’homme noir est synonyme de

méchanceté, pour paraphraser Henry Louis Gates Jr., auteur de l’ouvrage intitulé The Signifying

Monkey (Gates 1990 : 90). L’image de Noir-cannibale, stéréotype propagé par certains

ethnographes134 mal informés ou malintentionnés, est un mensonge cousu de fil blanc. En fait,

cette image injuste renferme l’agenda caché du projet colonial. Jukpor ne dit pas le contraire quand il affirme :

En réalité, l’idée de Noir-cannibale provient des Blancs, qui, désireux de se

trouver un prétexte pour envahir les pays sous-développés où ils voient le moyen

de s’enrichir, créent le mythe du cannibalisme nègre. Ce mythe leur permet

134 Ibn Battuta et Cavazzi font partie de ces ethnographes. Suite à la visite qu’il effectue en 1352- 53 auprès du Sultan Suleiman Mansa du Soudan occidental, Ibn Battuta déclare que les Noirs mangent la chair des êtres humains et qu’ils aimaient particulièrement déguster la paume et les seins des femmes (Danfulani 343). En ce qui concerne Cavazzi, il publie en 1678 à Bologne une œuvre artistique dans laquelle il décrit la pratique du cannibalisme au Congo et en Angola (Danfulani 343).

143

d’entreprendre la mission dite civilisatrice, mais qui, à vrai dire, est une mission

d’exploitation (Jukpor 104).

Ainsi, Fanta comprend les frustrations et amertume des colons parce que la colonisation tardive du pays signifie qu’il y aura « de rares, de très rares descendants d’esclaves noirs ivoiriens aux

États-Unis, au Brésil et dans les Antilles », une vérité historico-géographique qu’elle souhaite partager avec Birahima (QORODN 42).

1.3 Le chien

Le chien est un autre animal dont la mention est récurrente dans la parémie kouroumienne. Le chien, à travers cette dernière, se présente comme un animal qui vit avec les êtres humains. Il est présent quand ceux-ci se retrouvent dans le cadre d’une réunion, comme l’insinue le proverbe interrogatif ci-après : « Dans quelle réunion le molosse s’est-il séparé de sa déhontée façon de s’asseoir » (LSI 17)? Cet énoncé suggère aussi que la posture qu’adopte l’animal en position assise lors des réunions est, sans conteste, la représentation de l’impudeur. Ce proverbe décrit la conduite de Fama, un prince qui, de toute vraisemblance, a troqué « la dignité contre les plumes du vautour » et qui vit grâce aux mensonges et à la mendicité et demeure étanche à la honte (LSI

18). Birahima utilise une autre version [« Le chien n’abandonne jamais sa façon déhontée de s’asseoir » (ANEPO 146)] du proverbe susmentionné pour décrire Prince Johnson, un chef de guerre dont le comportement frise l’infamie absolue. La manière dont Johnson procède pour

éliminer son rival de Samuel Doe est honteuse et ignominieuse parce qu’il le découpe en morceaux. En plus, Johnson, aux yeux de Birahima, est l’incarnation de l’infamie parce que, sans aucun scrupule, il met des jours, des gros moyens, « des grenades, des mortiers, des vagues sur vagues » (ANEPO 146) pour tuer les personnes qui l’empêchent de conquérir le pouvoir au

144

Liberia. Ainsi, Fama comme Johnson sont associés au chien parce qu’ils ne font pas preuve de retenue ni de discrétion. Cette analogie péjorative n’est pas propre à la culture africaine. La culture occidentale présente également une opinion similaire. Dans la pensée judéo-chrétienne par exemple, une personne qui, de façon flagrante et éhontée, viole l’étiquette régissant les comportements sexuels court le risque d’être qualifiée de chien. D’ailleurs, ladite pensée établit une similitude entre la paie d’une prostituée et le prix de vente d’un chien, deux sommes qui ne sauraient être tolérées ni acceptées comme offrande divine (Deutéronome 23.18135).

Si le chien se retrouve où les hommes se réunissent, nous avons des motifs raisonnables de croire

qu’il est le symbole de l’amitié et de compagnie pour l’être humain. Le rapport entre lui et ce

dernier peut être si proche que quand l’un est frappé par un malheur, l’autre en ressent l’impact.

Le proverbe ci-après crédite notre hypothèse : « L’on ne frappe pas le chien dans les jambes de

son maître sans frapper le maître » (MOD 175). Djigui a recours à cet énoncé parce qu’il

souhaite souligner le rapport rapproché qui existe entre lui et Yacouba. Les deux, à l’instar du

chien et son propriétaire, sont liés à tel point que l’on ne puisse s’attaquer à l’un sans nuire à

l’autre. Autrement dit, toute tentative visant à blesser ou à léser Yacouba aura des répercussions

négatives sur Djigui. Nous comprenons aisément alors pourquoi ce dernier s’insurge contre le

commandant Bernier qui veut mettre Yacouba sous les verrous.

Le chien représente aussi la vigilance. Posté à l’entrée ou à l’intérieur des maisons, il surveille la

propriété et le territoire de son maître et veille à ce que ces derniers ne soient pas violés par un

inconnu ou tout individu malveillant. Il est possible que certains des étrangers qu’un propriétaire

135 Deutéronome 23.18 : Tu n’apporteras point dans la maison de l’Éternel, ton Dieu, le salaire d’une prostituée ni le prix d’un chien, pour l’accomplissement d’un vœu quelconque; car l’un et l’autre sont en abomination à l’Éternel, ton Dieu.

145

de chien reçoit chez lui ne soient pas dangereux. Si tel était le cas, il serait sage pour le

propriétaire, comme le suggère le proverbe qui suit, de soustraire son chien à la vue de ses

invités de peur qu’il ne les effraie ou ne les morde: « On ne reçoit pas dans sa maison avec les

chiens de garde en laisse dans sa cour » (EAVBS 170). Toutefois, contrôler ou restreindre son

chien pendant que l’on reçoit un invité ne signifie pas nécessairement qu’on est gentil envers son

visiteur. Loin s’en faut. En réalité, le proverbe sus-évoqué est dit par le cordoua136 pour souligner le caractère hypocrite de certains dirigeants africains qui feignent la gentillesse en donnant des fausses assurances à leurs adversaires, lesquels ils finissent par assassiner. Comme quoi, ils les accueillent gentiment pour mieux les asphyxier.

Le chien se présente également comme un animal très craint. Et pour cause. Non seulement il est capable de blesser son adversaire, mais il peut aussi miner les mouvements de ce denier, comme l’indique le proverbe ci-après : « Le singe qui s’est échappé en abandonnant le bout de sa queue dans la gueule du chien n’a pas dans l’échappée la même allure que les autres de la bande »

(QORODN 11). Étant donné que le chien lâche difficilement sa prise, même quand il lui arrive d’afficher un comportement charmant, ses adversaires ne sont nullement impressionnés, à en croire la substance du proverbe suivant : « Jamais les singes rouges ne croiront aux civilités des chiens chasseurs » (MOD 86). Il importe de souligner le parallèle que Kourouma établit entre le chien – entité redoutable et craint – et le colonisateur de Soba. Le proverbe susmentionné est

évoqué pour décrire le rapport qui existe entre les singes – ici entendus comme populations indigènes – et le colonisateur blanc. La suspicion est le maître mot qui régit le rapport entre ces deux groupes d’individus de races et cultures différentes. Le climat de méfiance mutuelle qui règne à Soba est mis en exergue par l’auteur quand il décrit une fête organisée pour marquer la

136 Le cordoua est le répondeur du griot. Sa voix accompagne celle du griot narrateur.

146

victoire de la France sur les Allemands. Au cours de ladite fête, les habitants de Soba esquissent

quelques pas de la danse des crabes. En réalité, à chaque pas de danse esquissé, le danseur lance

un coup d’œil autour de lui pour s’assurer qu’il n’est pas la cible d’une arrestation ordonnée par

le colon qui auparavant leur a rassuré que la piste de danse était libre pour tous, y compris les

déserteurs et les insoumis. Dans un autre ordre d’idées, signalons en passant que nous

apercevons des traces du conte dans les deux proverbes susmentionnés renfermant les deux

animaux singe et chien. Les difficiles rapports qu’entretiennent les deux animaux dans les deux

proverbes sont identiques aux relations hostiles entretenues par les deux bêtes dans certains

contes africains, comme ceux intitulés respectivement « Le Chien et le singe rivaux137 » et « Le

Chien et le singe138 ».

Bien que le chien soit perçu comme un animal dont la loyauté et la témérité ne souffrent d’aucun

doute, il symbolise dans une certaine mesure la faiblesse et la corruptibilité, car un proverbe

kouroumien conseille qu’il faut « […] jeter un gros os au chien méchant pour l’empêcher de

vous mordre » (EAVBS 248). Le chien est donc laxiste puisqu’il se laisse parfois apaiser ou

berner par ceux et celles qui ont l’intention de violer son territoire ou celui de son maître. Alors,

s’il est influençable, il est clair que le maître ne peut, en matière de sécurité, compter à cent pour

cent sur son compagnon « fidèle ». En plus, le fait qu’il soit manipulable présente un danger pour

le chien lui-même, car l’appât que lui propose un inconnu désireux de le subordonner ou

137 I. A. N’Dao, « Le Chien et le singe rivaux, conte serere », L’Éducation Africaine 42.22 (1954) : 109-111. 138 « Le Chien et le singe », conte gouin [Burkina-Faso] par Justine Fayama, http://www.abcburkina.net/fr/le-burkina-faso/contes/281-le-chien-et-le-singe, site consulté le 10 avril 2010.

147

soudoyer peut bel et bien renfermer un danger susceptible de lui créer des ennuis ou de l’anéantir

tout simplement.

1.4 L’hyène

Dans les proverbes kouroumiens, l’hyène est encore un autre animal dont les significations nous

intéressent. L’animal est mentionné dans cinq proverbes différents. Du point de vue symbolique,

l’hyène ne représente pas quelque chose de positif. À l’instar du vautour, elle est associée à la

mort ou aux nécropoles, comme l’indique le proverbe interrogatif suivant: « Où a-t-on vu

l’hyène déserter les environs des cimetières et le vautour l’arrière des cases » (LSI 17) ? En raison de son insatiable avidité pour les cadavres, cette créature lugubre et ensorceleuse déterrerait ceux-ci avec le même degré de détermination et agressivité que déploierait le lion

quand il désire neutraliser et manger une proie. Thomas et Leneau valident notre supposition

quand ils déclarent : « Tel lion qui tue un bœuf, telle hyène qui déterre un cadavre peuvent être réputés sorciers métamorphosés chez les Bambara139 […] » (Thomas et Leneau 1980 : 85).

Par ailleurs, l’animal symbolise ce qui est haï et vomi par les hommes. Une des choses que ces

derniers détestent et qu’ils associent à l’hyène est la tyrannie militaire ou civile, à en croire cette

parole au relent sentencieux et carnavalesque : « […] le régime militaire et le régime civil sont

l’anus et la gueule de l’hyène mangeuse de rognes » (MOD 71). Rappelons que le narrateur émet

cet énoncé lorsqu’il décrit les deux autocrates blancs, l’un civil et l’autre militaire, à qui la

France confie la gestion du pays Soba. Pour la population indigène, les deux représentants de

139 Les Bambara et les Malinké partagent les « mêmes ancêtres » (Cherif 38).

148 l’administration coloniale, à l’instar de la bouche et l’anus de l’hyène, incarnent et exhalent une fétidité écœurante – l’hégémonie coloniale.

Étant donné que cet animal est frappé d’ostracisme, il est aussi la personnification de la solitude et du déshonneur140. Le proverbe ci-après conforte notre supposition : « Les petites causeries entre la panthère et l’hyène honorent la seconde mais rabaissent la première » (LSI 160). La parémie décrit la brève rencontre entre Bakary et Fama. Celui-ci écourte très vite cette rencontre et file à l’anglaise parce qu’il pense qu’il est un homme honorable et par conséquent, ne souhaite pas s’humilier en passant beaucoup de temps à converser avec un individu sans valeur comme

Bakary. Dans l’analogie établie entre les deux hommes et les deux animaux, Fama passe pour la panthère, animal auquel les croyances traditionnelles africaines attribuent les qualités telles que la noblesse et la force (Thomas et Luneau 1980 : 119) alors que Bakary, lui, représente l’hyène, créature solitaire en quête de reconnaissance sociale.

Puisqu’il est méprisé par son entourage, l’hyène ne baisse jamais sa garde. Ainsi, elle est le symbole par excellence de la vigilance permanente, comme en témoigne cette autre forme gnomique : « L’hyène dit que si elle est en permanence en éveil c’est parce qu’elle sait qu’elle a très peu d’amis sincères sur cette terre » (EAVBS 285). Le narrateur se sert de cette parémie pour

140 Cette image peu flatteuse rattachée à l’hyène se retrouve chez d’autres auteurs africains, comme Birago Diop et Sembène Ousmane. Dans l’œuvre de Birago Diop, l’hyène est dépeinte comme un personnage solitaire qui sollicite la compagnie des autres personnages. Par exemple dans le conte intitulé « Le Taureau de Bouki », le véreux et stupide Bouki-l’Hyène supplie l’astucieux Leuk-le-Lièvre de l’accompagner (Diop 1958: 123-136). Dans L'Harmattan de Sembène Ousmane, le détestable chef de famille Joseph Koéboghi est associé à une hyène qui est toujours « aux aguets », s’attendant à être entourée et saluée chaque matin par les membres de son entourage (Ousmane 1964: 239).

149

décrire le pays de Koyaga, pays plein de mouchards et autres individus fouinards. Étant donné

que dans ce pays « tout le monde épie et tout le monde est espionné » (EAVBS 285), chaque

citoyen, à l’instar d’une hyène, reste sur ses gardes tout le temps.

Aussi, l’hyène représente la pusillanimité et le suivisme. Sa couardise et son caractère

conformiste se dessinent à travers cette locution au relent sentencieux : « […] la cohue poltronne

de troupeau d’hyènes moutonne, grouille, et en masse chante, s’incline et se relève […] » (LSI

169). De ce fait, l’hyène incarne la platitude et le manque de l’estime de soi. En fait, Fama a recours à cette parole quand il fustige la veulerie des gardes des frontières, « des bâtards » et autres « Enfants des Indépendances », qui osent restreindre sa liberté de mouvement. Comme des hyènes, ces agents à la solde du parti unique sont lâches alors que Fama, lui, prétend être « l’Unique ! Le grand ! Le fort ! Le viril ! Le Seul possédant du rigide entre les jambes » (LSI

195). L’étiquette de poltron que l’on prête à l’hyène est également mise en évidence dans cette déclaration à valeur sentencieuse que prononce le narrateur quand il parle de la tombe du cousin de Fama : « […] elles [les hyènes] sont aussi peureuses que la tête d’une tortue » (LSI 115). Et ce même narrateur de compléter sa déclaration en disant qu’« une lampe allumée et le claquement des feuilles agitées par le vent de la nuit les épouvantent et les font fuir et éjaculer des laissées chaudes » (LSI 115).

1.5 L’éléphant

Dans l’imaginaire des personnages kouroumiens, l’éléphant est un animal comme aucun autre. Il

est souvent perçu comme une créature majestueuse et imposante. Prendre la décision d’habiller

le mastodonte serait une tâche herculéenne, comme le souligne cette parémie : « Celui qui

s’engage à tisser un coutil pour couvrir la nudité des fesses de l’éléphant s’est obligé à réussir

150 une œuvre exceptionnelle » (MOD 72). L’auteur utilise ce proverbe pour illustrer combien il est difficile pour les sujets colonisés de répondre aux besoins du représentant de l’administration coloniale. Ce dernier ne recevait que « ce qui y avait de meilleur dans le village » de Soba (MOD

72). Dans l’énoncé, l’éléphant est une métaphore qui désigne le colon.

Chez Kourouma, l’animal incarne la détermination et la puissance de volonté. Il est résolu et imperturbable quand il se fixe à atteindre un but, comme l’indique le proverbe ci-après: « Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire » (EAVBS 196). Dans ce proverbe qui permet au sora de discuter du sujet du pouvoir, le mot « éléphant » renvoie au président

Koyaga. Ce dernier est résolument engagé sur la voie de la dictature et n’est pas perturbé ni

ébranlé par les plaintes et doléances de ses sujets qui dans la parémie, métaphoriquement, passent pour des grenouilles.

La représentation de l’éléphant en tant que symbole de la puissance est aussi illustrée par un autre proverbe qui, exagérément, argue que la bête, même quand elle n’est plus en vie, maintient ses capacités et réflexes naturels de défense : « L’éléphant meurt, mais ses défenses demeurent »

(EAVBS 37). Dans ce proverbe qui illustre le caractère dynamique et non éphémère des traditions africaines, le terme « défenses » désigne les longues dents pointues que possède ce mammifère.

Si chez l’éléphant lesdites dents constituent une arme de défense, de protection et de survie, chez les hommes, elles incarnent plutôt la puissance, symbole de statut social (Friends of the

Elephants141).

141 Friends of the Elephants, « The tusks and the molars », http://www.elephantfriends.org/tusks.html, site consulté le 18 mars 2010.

151

Par ailleurs, l’éléphant, pour des entités moins puissantes, passe pour un bouclier, comme en témoignent ces trois énoncés parémiques: « La rosée ne vous mouille pas si vous marchez derrière un éléphant » (EAVBS 20) ; « Qui suit l’éléphant ne doit plus essuyer la rosée matinale des hautes herbes, de la piste » (MOD 92) ; « On suit l’éléphant dans la brousse pour ne pas être mouillé par la rosée » (ANEPO 165). Dans ces phrases, nous constatons que les déictiques humains interagissent avec ou côtoient un objet non humain (éléphant). Le pronom personnel

« vous », le pronom relatif « qui » et le pronom indéfini/omnipersonnel « on » qui sont respectivement mentionnés dans les trois énoncés se rapportent donc à des sujets humains, tandis que le terme « éléphant » constitue une métaphore pour « homme fort ». Ces trois phrases sentencieuses qui sont des variantes du même proverbe véhiculent et accentuent un message identique, à savoir que le faible peut se sentir en sécurité quand il est protégé par le fort.

Si d’un côté certains proverbes kouroumiens représentent l’éléphant comme emblème de puissance, d’autres proverbes, de l’autre côté, le dépeignent comme symbole de fragilité. Comme la parémie ci-après l’indique, cet animal, en dépit de son impressionnante stature physique, peut aussi posséder de minuscules défenses : « Un énorme éléphant n’a pas toujours d’énormes défenses » (EAVBS 251). Qui plus est, tout ce dont on a besoin pour dompter l’imposante bête c’est une position d’observation sûre à partir d’où l’on peut la cibler et l’atteindre fatalement.

L’arbre, un lieu apparemment anodin et insignifiant, est un de ces points d’observation, comme l’insinue ce proverbe : « On n’oublie pas l’arbuste derrière lequel on s’est caché quand on a tiré sur un éléphant et qu’on l’a touché » (EAVBS 308). Ces deux proverbes, qui dans une certaine mesure sous-estiment l’éléphant en tant que symbole de puissance, reflètent la morale que

152

véhiculent certains contes142 populaires d’Afrique occidentale. Ceux-ci relatent des histoires

dans lesquelles les petites créatures contestent à l’éléphant son statut et son symbole de

superpuissant.

Au vu de ce qui précède, il est clair que chez Kourouma, le discours proverbial représente

l’éléphant sous le double signe de puissance et de faiblesse. Étant donné que le mot « éléphant »

est un substitut de l’expression « être humain », le couple puissance/faiblesse qu’évoque

l’éléphant traduit bien la condition de l’être humain. En réalité, chez ce dernier, les deux

principes (puissance et faiblesse) interagissent et se complètent réciproquement.

1.6 Les sauriens

Pour faire passer des messages symboliques, les proverbes s’appuient aussi sur certaines

créatures qui relèvent de l’ordre des sauriens. Nous avons repéré cinq proverbes qui font allusion

aux caïmans, margouillats et crocodiles. Lesdits proverbes méritent quelques commentaires de

notre part.

142 Des exemples de tels récits sont le conte mauritanien « Pourquoi l’éléphant a peur du coq ? » et le conte malien « L’éléphant et le hérisson » respectivement rapportés par Mamadou Sall et Ousmane Diara. Dans le premier conte, raconté en wolof et en français, l’éléphant et le coq luttent pour obtenir une hache auprès du forgeron. Pour montrer sa prouesse, l’éléphant tente d’effrayer ses adversaires en leur lançant un défi qui consiste à dégager son excrément qui est aussi grand que la maison du forgeron. Le coq, à l’aide d’une bande de poules et en l’absence de l’éléphant, sectionne l’excrément en morceaux et le mange. L’éléphant revient sur la scène et dès qu’il apprend ce qui s’est produit, il abandonne son ambition d’obtenir la hache et prend la fuite vers la forêt. Dans le deuxième conte, raconté en bambara et en français, l’éléphant sans la permission explicite du hérisson boit du fleuve de ce dernier. Il ne montre aucun regret pour son mauvais comportement ; il cherche plutôt à lutter avec le hérisson parce qu’il a osé extraire des excuses de lui. Le combat est bref, mais dévastateur pour l’éléphant qui voit sa trompe sévèrement endommagée par les piquants de son adversaire.

153

Commençons par ces deux formes gnomiques qui portent sur le caïman : a) « Après le combat

entre deux lutteurs qui ont tous les deux pour totem le caïman, le saurien du vaincu devient un vil

margouillat » […] (MOD 53); b) « On n’apprend pas l’eau ni à nager au jeune caïman » (EAVBS

220). Il ressort du proverbe a) que les hommes adoptent le caïman comme totem protecteur et

s’appuient sur lui pour livrer des combats contre les adversaires. Il y a lieu de souligner ici que l’interprète lance ce proverbe en direction des Keita qui doivent désormais se soumettre à l’ordre du colonisateur, vainqueur de Samory. S’agissant de l’énoncé b), le narrateur l’emploie pour illustrer la dextérité et la perspicacité de l’homme au totem léopard en matière de dictature. La locution laisse deviner que le caïman, même étant petit, évoque la volonté d’adaptation rapide, l’autonomie et la débrouillardise.

Et qu’en est-il de la symbolique du margouillat, cet agamidé insectivore que l’on retrouve dans les savanes de l’Afrique subsaharienne ? D’après le proverbe a) susmentionné, il est le symbole du mauvais perdant. Comme ce proverbe nous laisse voir, le personnage margouillat est un combattant battu qui refuse d’accepter sa défaite avec dignité ; il est aigri et demeure rancunier envers son tombeur et ne lésine pas sur les moyens pour nuire à ce dernier. Aussi, le margouillat est le symbole de la ruse, si nous nous fions au contenu de ce proverbe : « le margouillat ne se taille pas le pantalon sans prévoir la sortie de la queue » (MOD 180). Béma, le futur héritier du roi Djigui, articule cette phrase pour soutenir et justifier un acte qu’il pose : la décision de se défaire des personnes dont son père s’est fait entourer, un acte qui lui permettra de mieux consolider son emprise sur le pouvoir. Le marabout Yacouba, acolyte de Djigui, fait bonne figure parmi ces personnes écartées du cercle du pouvoir. D’ailleurs, Béma juge l’incarcération de

Yacouba nécessaire.

154

Quant au crocodile, il est l’incarnation de la traîtrise ou de la figure du traître, comme l’insinue le proverbe ci-après : « Le pus de l’abcès qui vous pousse à la gorge inévitablement vous descend dans le ventre, et la seule blessure qui ne se ferme jamais est celle que vous laisse la morsure du crocodile issu et sorti de votre propre urine » (MOD 129). Le narrateur prononce cette parole en parlant de Béma qui, de collusion avec les colons tels que le gouverneur et le commandant

Bernier, trahit son père et lui succède grâce à une habile manœuvre. Le crocodile renvoie non seulement à ce qui est perfide, il est également l’incarnation même de ce qui est insaisissable, de ce qui n’affiche pas sa véritable nature ni ses vraies intentions. Ce n’est pas ce proverbe interrogatif qu’émet Fadoua qui nous démentira : « En dehors du Tout-Puissant, qui connaît les motivations du crocodile qui quitte l’eau du fleuve pour venir lécher la rosée des berges » (MOD

175) ? Dans le même ordre d’idées, la figure de l’insaisissable associée au crocodile jaillit aussi dans les propos de l’interprète Soumaré qui, devant le roi Djigui, recycle cet énoncé afin de réitérer sa méfiance vis-à-vis des intentions de Bernier, le nouveau commandant français affecté au pays Soba : « Ce qui m’amène ressemble à la cause qui oblige le crocodile à sortir de l’eau pour aller lécher la rosée des herbes » (MOD 113). Et Soumaré de renchérir : « Sauf la volonté d’Allah, le nouveau commandant ne semble pas venu pour la paix » (MOD 113). Bref, les intentions de Bernier, comme celles du crocodile, demeurent un mystère pour les habitants de

Soba. À la lumière de ce qui précède, nous constatons que dans les proverbes, la métaphore animalière fonctionne selon le procédé de la zoomorphisation, une technique qui consiste à créer des correspondances analogiques entre l’espèce animale et l’espèce humaine.

1.7 Les squamates

Dans les proverbes kouroumiens, il n’y a qu’un pas qui sépare le monde des sauriens de celui des squamates. En parcourant notre corpus, nous avons repéré cinq parémies qui, de façon explicite,

155

font référence à trois squamates, à savoir la scolopendre, le serpent et la vipère. En raison des

rôles significatifs que les deux derniers animaux jouent dans les proverbes et récits kouroumiens,

nous allons commenter leur symbolique.

S’agissant du serpent, ce reptile qui ne possède pas de pattes et qui se déplace par ondulations

latérales de son corps, Birahima, le protagoniste d’Allah n’est pas obligé, lui accorde une

importance particulière. À en croire ses propos à valeur sentencieuse, le serpent est synonyme de

l’être vivant, pour ne pas dire le symbole de la vie : « On est toujours quelque chose comme

serpent, arbre, bétail ou homme ou femme avant d’entrer dans le ventre de sa maman. On appelle

ça la vie avant la vie » (ANEPO 13). Rappelons que Birahima a recours à ces mots quand il parle

de sa vie, depuis la conception jusqu’à l’âge de puberté. Vu la portée symbolique de cette

créature en Afrique, elle y est diversement appréciée. Au Bénin (en Afrique de l’ouest), le dieu-

serpent ou dieu-python Danh-gbi est considéré comme « serpent générateur/donneur de vie »

[« life-giving snake »] (Williams 346). Chez les Masai en Afrique orientale, divers types de serpents servent à identifier les tribus et villages alors que chez les Ewe du sud du Togo et du sud-est du Ghana, ce reptile est le symbole du dieu arc-en-ciel [rainbow-god] (Chisholm 52). En outre, n’oublions pas que chez certaines tribus bantoues, il sert d’emblème aux « âmes des ancêtres » (Thomas et Luneau 1980 : 94).

En ce qui concerne la vipère, elle emblématise la méchanceté, comme semblent l’insinuer ces deux parémies143 : « C’est l’idiot qui ne connaît pas la vipère des pyramides qui prend ce petit

reptile par la queue » (EAVBS 108) ; « C’est celui qui ne connaît pas la vipère des pyramides qui

le prend par la queue » (EAVBS 344). À partir de ces énoncés, nous pouvons déduire que la

143 En fait, ces parémies constituent deux versions d’un même proverbe.

156 vipère inspire la peur et le danger. Par conséquent, un sage, contrairement à un imbécile, éviterait tout contact avec ce serpent solénoglyphe, car celui-ci possède un potentiel de nuisance. Dans l’œuvre kouroumienne, les individus malfaisants sont associés à la vipère. Siponni, par exemple, passe pour une vipère parce qu’en pleine bataille, il abandonne furtivement les siens au front et se range derrière l’adversaire, trahissant ainsi ses camarades d’arme (ANEPO 207).

D’après les analyses qui précèdent, le serpent dans les proverbes kouroumiens est donc symbole de la vie tandis que la vipère, elle, personnifie un vice humain, en l’occurrence la malveillance.

Ces regards que les récits kouroumiens portent sur ces animaux sont, dans une certaine mesure, universels. La pensée chrétienne par exemple, à l’instar de la sagesse africaine, associe le serpent

à la vie144 et lie la vipère à la cruauté, au venin et aux douleurs145. Cela dit, il importe de souligner que dans le proverbe kouroumien, les animaux n’apparaissent pas uniquement comme des objets symboliques. En fait, ils y figurent aussi comme des entités identifiables.

2 Proverbes et identité animale

Dans la pensée traditionnelle africaine telle que représentée chez Kourouma, le lecteur constate que les animaux appartiennent aux sous-groupes distincts et séparés. Nous examinerons quelques critères qui permettent aux personnages de distinguer les animaux.

L’un des critères de distinction des bêtes réside dans le fait qu’elles sont dotées d’une tendance à la grégarité, une grégarité dite sélective. Pour étayer notre argument, nous commenterons les

144 Cette comparaison est évidente dans le passage biblique où le prophète Moïse, à l’aide d’un serpent d’airain, fournit la guérison et fait conserver la vie aux personnes dont la vie est menacée suite à une morsure de serpent. 145 Selon la bible, ce reptile rime avec cruauté et poison (Deutéronome 32.33) et avec morsure et piqure (Proverbes 23.32).

157 deux proverbes suivants : « Dans le combat entre les volées de mouches et le troupeau d’éléphants, ce ne sont pas les gros qui l’emportent » (EAVBS 32) ; « Quand on ne veut pas être touché par les queues des singes on s’éloigne de leurs bandes » (EAVBS 48). Dans ces énoncés, les expressions « volées de mouches », « troupeau d’éléphants » et le mot « bande » qui décrit un groupe de singes démontrent, si besoin en était, que les animaux du même genre manifestent une propension à se rassembler. Comme par instinct, ils restent attachés aux leurs, comme le souligne cette autre locution gnomique : « Le veau ne perd pas sa mère même dans l’obscurité » (EAVBS

37). Ainsi, les personnages peuvent facilement reconnaître les animaux du même genre parce que ceux-ci s’assemblent et ne se quittent pas d’une semelle.

En plus, les traits comportementaux servent à distinguer les animaux. Ainsi, les animaux de la même catégorie se comportent de la même manière, à en croire la substance de ces parémies :

« Le petit de la scolopendre s’enroule comme sa maman » (EAVBS 37) ; « Grâce à Allah le bubale ne bondit pas pour que son rejeton rampe » (LSI 64). Sur le plan comportemental, on peut

également reconnaître un animal en scrutant sa manière de se déplacer. Nous apprenons par exemple, à travers la parémie ci-après, que la tortue est une bête à démarche lente: « Nous les

Nègres, nous sommes comme la tortue, sans la braise aux fesses nous ne courrons jamais »

(MOD 256). Le son produit par un animal peut aussi aider à l’identifier. À titre d’exemple, la grenouille, un amphibien qui généralement habite des endroits renfermant l’eau, est reconnue par ses coassements, c’est-à-dire ses cris onomatopéiques. Notre supposition se base sur la substance de la parémie ci-après : « Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire »

(EAVBS 196).

En observant les habitats des animaux, les personnages kouroumiens arrivent aussi à identifier ces derniers. Au sujet des lieux où vivent les animaux, les proverbes 1) à 7) ci-dessous indiquent

158

respectivement que : le chien vit près de ou dans la maison ; le lion dans le repaire ou dans le

buisson ; l’oiseau sur la branche d’arbre, dans l’arbre, dans le nid, dans les grandes herbes, dans le ciel ou sur la terre ; le crocodile et le caïman dans l’eau ou le fleuve ; la volaille dans la basse cour ; la vipère dans le désert ; l’hippopotame dans le bief ; et la mouche autour des humains.

1) « On ne reçoit pas dans sa maison avec les chiens de garde en laisse dans sa

cour » (EAVBS 170).

2) a. « Si tu vois une chèvre dans le repaire d’un lion, aie peur d’elle » (EAVBS 240) ; b.

« Pour les empêcher de s’éloigner, de se perdre dans la brousse, la lionne toute la journée

s’amuse avec les lionceaux » (EAVBS 290).

3) a. « Malgré le séjour prolongé d’un oiseau perché sur un baobab, il n’oublie pas que le

nid dans lequel il a été couvé est dans l’arbuste146 » (EAVBS 11) ; b. « L’oiseau qui n’a

jamais quitté son tronc d’arbre ne peut savoir qu’ailleurs il y a du millet » (EAVBS 31) ;

c. « Un enfant poli écoute, ne garde pas la palabre […] il ne cause pas comme un oiseau

gendarme dans les branches de figuier » (ANEPO 11) ; d. « En vérité, les hautes herbes

peuvent cacher la pintade, mais elles ne parviennent pas à étouffer ses cris147 » (MOD

175) ; e. « La plume d’oiseau s’envole en l’air mais elle termine à terre » (EAVBS 117).

4) a. « On n’apprend pas l’eau ni à nager au jeune caïman » (EAVBS 220) ; b. « En dehors

du Tout-Puissant, qui connaît les motivations du crocodile qui quitte l’eau du fleuve pour

venir lécher la rosée des berges? » (MOD 175).

146 Proverbe massango: Gabon (Cabakulu 277), reformulé par Kourouma. La version originale du proverbe dit : « Malgré le séjour d’un oiseau perché sur un baobab, il n’oublie pas son nid qui est dans l’arbuste » (Cabakulu 277). 147 Proverbe peul : Mali (Cabakulu 289).

159

5) a. « Quand les poules de la basse-cour deviennent trop nombreuses autour du mortier et

harcèlent les pileuses, celles-ci suspendent leur action » (EAVBS 337) ; b. « Quand cinq

filous te chapardent deux œufs dans ta basse-cour. Laisse-les partir avec leur butin; tu

auras de leurs nouvelles au moment du partage » (QORODN 29).

6) « Il ne peut exister deux hippopotames mâles dans un seul bief » (EAVBS 187).

7) « Mouche du roi est roi » (EAVBS 212).

Ces proverbes suggèrent également que les personnages romanesques rangent des animaux dans les grands sous-ensembles suivants : les animaux domestiques, les animaux non domestiques, les animaux terrestres et les animaux aquatiques.

Par ailleurs, dans les parémies kouroumiennes, on peut identifier ou reconnaître un animal par ses traits physiques. Ainsi, les proverbes 1) à 5) mentionnés ci-dessous indiquent respectivement que les personnages associent : la défense à l’éléphant ; la croupe au chameau ; la queue au singe, à la vipère et au léopard ; la peau tachetée au léopard ; la laine au mouton ; la plume au coq ou à l’oiseau.

1) « L’éléphant meurt, mais ses défenses demeurent148 » (EAVBS 37).

2) « La chamelle a été longtemps avec sa croupe maigre, depuis le temps où elle était

vierge » (EAVBS 153).

3) a. « Le singe n’abandonne pas sa queue, qu’il tient soit de son père soit de sa

mère » (EAVBS 47) ; b. « Le léopard est tacheté, sa queue l’est aussi » (EAVBS 47) ; c.

« Quand on ne veut pas être touché par les queues des singes on s’éloigne de leurs

148 Proverbe bamfinu : Zaïre [l’actuelle République démocratique du Congo] (Cabakulu 212), repris par Kourouma.

160

bandes » (EAVBS 48) ; d. « Il vaut mieux marcher sur la queue d’une vipère des déserts

que de tenter d’être injuste à l’égard d’un montagnard » (EAVBS 29).

4) « Là où les graterons percent la coque des œufs de pintade ce n’est pas un lieu où le

mouton à laine peut aller » (LSI 147).

5) a. « Les dires se démêlent comme les plumes [du] coq » (LSI 66) ; b. « La plume d’oiseau

s’envole en l’air mais elle termine à terre » (EAVBS 117).

Si certains proverbes nous aident à cerner l’identité de certains animaux, force est de reconnaître

que le statut identitaire de l’animal peut être ambivalent, comme le suggère cette locution proverbiale laconique: « Ni margouillat ni hirondelle149 » (LSI 93). Ce type de parémie que

Krikmann (2001 : 42) qualifie de « zoohybride » ou « absurdité zoologique », rentre dans le

paradigme « ni ceci ni cela ». Il y a lieu de signaler que ce genre de dicton ne se retrouve pas

uniquement chez les Africains. À titre d’illustration, les Russes et les Indonésiens revendiquent respectivement les parémies zoohybrides suivantes : « Neither peacock nor crow150 » ;

« Neither serpent nor fish151 » (Krikmann 2001 : 42). Chez Kourouma, le discours gnomique ne

se limite pas à caractériser les animaux. Aussi, au sujet des animaux, ce discours soulève des

questions d’ordre pragmatique et philosophique.

149 Le narrateur utilise ce dicton pour décrire le syncrétisme religieux de l’homme malinké. À en croire le narrateur, le Malinké croit en Allah tout en recourant au fétichisme (LSI 99). 150 M. A. Rybnikova, Russkie poslovitsy i pogovorki (Moscow 1961) p. 65, cité et traduit par Krikmann (2001), p. 42. 151 Kol, Indoneziiskie narodnye poslovitsy i pogovorki (Moscow 1961), traduit par L. Koloss et édité par P. P. Petrov.

161

3 Proverbes, exploitation animale et l’éthique

D’après les proverbes, l’animal remplit un certain nombre de fonctions auprès de l’être humain.

Celui-ci s’en sert pour se nourrir, comme le suggèrent les parémies ci-après : a) « La chèvre

morte est un malheur pour le propriétaire de la chèvre; mais que la tête de la chèvre soit mise

dans la marmite n’est un malheur que pour la chèvre elle-même » (EAVBS 95) ; b) « L’homme

ne se mange pas comme le bétail : on utilise son travail » (MOD 235). Aussi, l’animal joue un

rôle important dans la pharmacopée et la médecine africaines, à en croire la substance de cette

autre parémie : c) « Si le puissant mange un caméléon, on dit que c’est pour se soigner, c’est un

médicament » (EAVBS 196). Par ailleurs, selon le proverbe qui suit, l’animal ou plutôt son sang,

constitue un objet de sacrifice chez les personnages kouroumiens : d) « Le destin n’a jamais

surpris ceux qui en permanence sont dans les sacrifices sanglants » (EAVBS 64).

Étant donné que l’homme compte largement sur l’exploitation des animaux pour subvenir à

certains de ses besoins, le rapport qui existe entre lui et les bêtes qui l’entourent peut être parfois hostile, comme semblent l’insinuer ces parémies: e) « On n’oublie pas l’arbuste derrière lequel on s’est caché quand on a tiré sur un éléphant et qu’on l’a touché » (EAVBS 308) ; f) « Le

chasseur à l’affût du gibier de temps en temps s’arrête pour écouter le vent152 » (EAVBS 72).

Comme semblent le suggérer ces énoncés, l’homme – le chasseur en l’occurrence – et les animaux se livreraient souvent à des parties de cache-cache, un exercice au cours duquel l’homme chercherait à dominer, à capturer, ou à anéantir l’animal.

152 Cette parémie présente trois autres variantes dans l’œuvre kouroumienne : « Le chasseur à l’affût s’immobilise parfois pour s’orienter » (EAVBS 95) ; « […] le chasseur à l’affût […] parfois interrompt son action pour avaler une gorgée d’eau » (EAVBS 106) ; « Sous certains arbres, le chasseur s’immobilise » (EAVBS 110).

162

Ce dernier se présente donc comme un objet dont le sort dépend entièrement de l’homme, un fait

qui d’ailleurs soulève quelques questions d’ordre éthique liées à la liberté et à la vie des animaux, d’autant plus que ceux-ci sont constamment traqués et même tués par l’homme. Le comportement du chasseur qui s’arroge le pouvoir de vie et de mort sur l’animal est, pensons- nous, critiquable. Et pour cause. Mettre un terme à la vie d’un animal n’est pas évidemment un acte qu’appréciera ce dernier. Comme l’indique le proverbe susmentionné portant sur la chèvre, l’animal, à l’instar de l’homme, est sensible aux douleurs. La préoccupation morale et éthique que suscite cette parémie est dans une certaine mesure partagée par des théoriciens de l’éthique animale tels que Richard Ryder qui condamne toute forme de violence faite aux animaux tout en

tirant des parallèles entre les souffrances des humains et celles des sujets non humains :

Notre argument moral est que l’espèce n’est pas un critère valable en matière de

discrimination et de cruauté. Comme la race ou le sexe, l’espèce dénote les

différences physiques et autres, mais en aucun cas elle n’efface la similitude

majeure qui existe entre toutes les créatures sensibles – la capacité de souffrir.

Infliger de la douleur à un animal humain est tout aussi injuste qu’infliger de la

douleur à un animal non humain. La mise à mort des animaux non humains peut

aussi être mauvaise si cette mort provoque la souffrance ou [...] si elle prive les

sujets non humains de plaisirs futurs153 (Ryder 6-7, cité par Newmyer 103).

153 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Our moral argument is that species is not a valid criterion for cruel discrimination. Like race or sex, species denotes some physical and other differences but in no way does it nullify the great similarity among all sentients – our capacity for suffering. Where it is wrong to inflict pain upon a human animal it is probably wrong to do so to a nonhuman sentient. The actual killing of nonhuman animal may also be wrong if it causes suffering or [...] if it deprives the nonhuman of future pleasures » (Ryder 6-7, cité par Newmyer 103).

163

Toutefois, même si la mise à mort des animaux semble inévitable puisque l’homme a besoin des

animaux pour assurer son existence et sa subsistance, force est de constater que l’homme africain

n’est pas complètement insensible aux souffrances de l’animal en difficulté car, comme l’indique

le proverbe a) susmentionné, le décès d’une chèvre, même s’il ne constitue pas pour le

propriétaire une tragédie d’envergure, rend quand même ce dernier malheureux. À cet égard, la

perception traditionnelle africaine de l’animal est semblable à celle des stoïciens qui considèrent

les animaux comme « […] un mal nécessaire, une classe d’êtres vivants à laquelle l’homme ne

peut rien devoir, mais qui est en même temps absolument essentielle à son mode de vie154 »

(Newmyer 26).

En outre, le proverbe b) mentionné ci-dessus soulève un problème éthique concernant le statut moral de l’animal et le travail de celui-ci. Ladite parémie laisse entendre que l’homme tue les bêtes non seulement parce qu’il éprouve un besoin de se nourrir, mais aussi parce qu’il trouve le travail de l’animal inutilisable. À travers ce proverbe, la pensée africaine semble suggérer que l’animal, contrairement à l’homme, ne possède pas les capacités et qualités – comme la raison et la langue – nécessaires pour produire un travail bénéfique à, et exploitable par, l’homme. Par conséquent, l’homme africain ne peut donc considérer l’animal comme une entité avec laquelle il peut établir un contrat ou une relation de travail. À cet égard, la conception africaine de l’animal, ressemblerait à celle des philosophes stoïciens et autres contractualistes qui arguent que les animaux manquent de l’agentivité morale parce qu’ils ne sont pas dotés des capacités de raisonnement et d’expression que l’on retrouve chez les humains. Newmyer, qui s’inspire des

154 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] a necessary evil, a class of beings to which humans can owe nothing but which is at the same time absolutely essential to their lifestyle » (Newmyer 26).

164

réflexions de Regan (151-156) et de DeGrazia (65-71), dans les lignes qui suivent, nous

récapitule la position des stoïciens sur la question de l’agentivité morale des animaux :

Dans l’éthique stoïcienne, l’agence morale est associée au consentement

rationnel. En langage moderne, les animaux, dans la doctrine stoïcienne, ne

peuvent pas être des ‘agents moraux’, des êtres qui posent des actes moraux ; ils

ne sont que des ‘patients moraux’, ces êtres qui subissent des actes

moraux155 (Newmyer 27).

Cette vision stoïcienne de l’animal est quasi identique à celle des contractualistes, car ces derniers pensent que les « animaux ne peuvent rien nous réclamer à cause de leur irrationalité supposée156 » (Newmyer 29). Nous croyons que dans le proverbe b) ci-haut mentionné, les

personnages kouroumiens jugent le travail des animaux à partir d’une perspective humaine. À l’instar des penseurs contractualistes, ils percevraient la société comme une « corporation », pour reprendre ce terme de Stephen Clark, où les non humains et leurs actions ne comptent pas. De la sorte, ils négligent « […] la grande Famille qu’est la communauté des êtres vivants157 » (Clark

34-35) et ne considèrent pas l’animal sur la base des « […] traits autres que la capacité rationnelle de conclure des contrats – des traits comme la capacité de souffrir ou la capacité

155 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « In Stoic ethics, moral agency is associated with rational assent. In modern parlance, animals, in Stoic doctrine, cannot be ‘moral agents’, beings who effect moral actions, but only ‘moral patients,’ those beings who are the objects of moral actions » (Newmyer 27). 156 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] animals have no claims on us because of their supposed irrationality » (Newmyer 29).

157 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] the wider Household which is the community of living creatures » (Clark 34-35).

165 d’avoir des besoins158 » (Rollin 36, cité par Newmyer 28). Assurément, l’utilisation des animaux par l’homme à des fins personnelles et existentielles reste et demeure un défi pour les personnages de Kourouma.

À l’aide des proverbes, les analyses du présent chapitre ont souligné que la symbolique animalière permet aux personnages kouroumiens de systématiser et de formuler des pensées liées

à la description et/ou à la représentation des comportements humains. Dans ce chapitre, grâce à certains proverbes animaliers, nous avons aussi montré que la pensée africaine traditionnelle possède une théorie sur la nature et la réalité des animaux et qu’elle s’appuie sur des critères ontologiques tangibles pour établir et pour circonscrire l’identité des animaux contenus dans les parémies. Enfin, à partir du discours parémique chez Kourouma, notre réflexion a également démontré que les actants romanesques exploitent l’animal à des fins nutritionnelle, médicinale, et sacrificatoire et que cette exploitation pourrait poser quelques problèmes moraux ou éthiques liés aux traitements et au sort qui sont réservés aux animaux par la société.

Étant donné que Kourouma récupère et reformule les proverbes animaliers de différents pays africains, on peut avancer que cette stratégie rédactionnelle lui permet de proposer une vision du monde transnationale pour ne pas dire panafricaine, laquelle valorise les croyances populaires relatives aux animaux. À l’appui du constat que les récits kouroumiens puisent dans la tradition du conte animalier (Kane 2004 : 182 ; Chemain 1986 : 46), il serait peut-être utile à l’avenir de scruter l’inscription des animaux dans cet autre fragment oral qui nourrit le processus narratif chez Kourouma. Cela pourra nous permettre d’avoir une idée beaucoup plus claire et plus juste

158 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] characteristics other than the rational ability to enter into contracts – characteristics like the ability to suffer, or to have needs » (Rollin 36, cité par Newmyer 28).

166 de la représentation des animaux dans les différents sous-genres oraux qui caractérisent l’œuvre kouroumienne.

167

Chapitre 5

Proverbes et temporalité

Pendant longtemps, les philosophes et les critiques ont exploré la notion du temps. Dès le 4e siècle par exemple, l’Africain Saint Augustin (354-430) attire l’attention de ses contemporains sur la nature évasive de la notion du temps à travers ces interrogations :

Qu’est-ce en effet que le temps ? Qui serait capable de l’expliquer facilement et

brièvement ? Qui peut le concevoir, même en pensée, assez nettement pour

exprimer par des mots l’idée qu’il s’en fait (Confessions, XI, 14, 17) ?

Des chercheurs africains entre autres ont essayé d’apporter des réponses à ces questions. Georges

Niagoran-Bouah (1964), par exemple, analyse le caractère cyclique des phénomènes naturels et rituels qui ponctuent le temps et la vie dans les lagunes de Côte d’Ivoire, un pays francophone en

Afrique de l’ouest. Quant à John Mbiti, il examine l’utilisation des temps verbaux chez les

Akamba et les Gikuyu, des tribus kenyanes en Afrique de l’est, et tire une conclusion controversée et excessivement généralisée selon laquelle le futur est presqu’inexistant dans la pensée africaine (Mbiti 1990 : 17). Le travail d’Ayoade qui diffère significativement de celui de

Mbiti examine la notion du temps dans la culture des Yoruba du Nigéria, pays anglophone d’Afrique de l’ouest, et démontre que dans la pensée yoruba le futur existe tout comme le passé et le présent (1977). Placide Tempels et Alexis Kagame de leur côté, travaillant sur des langues du Rwanda, nation de l’Afrique centrale, prouvent qu’il existe un lien étroit entre le temps et l’espace dans des langues bantoues, et se servent du terme chrono-topique pour désigner l’intersection ou la coïncidence du temps [chronos] et de l’espace [topique – située dans la nature] (Kimmerle 1996 : 19).

168

Notre travail, à l’instar de ceux de ces auteurs, cherche à enrichir le débat intellectuel autour du

concept du temps chez les Africains. Notre initiative est pertinente pour plusieurs raisons.

D’abord, la multiplicité d’approches adoptées ainsi que les différents résultats obtenus par les

auteurs susmentionnés laissent penser que le temps en Afrique est une notion féconde en matière de recherche. Cette réflexion est également utile compte tenu de la rareté d’études scientifiques analysant la notion du temps à partir des proverbes tirés des romans d’Afrique francophone. Bien que quelques chercheurs (Molin 114-118 ; Walser 90, 128, 249) aient exprimé leur intérêt pour

les proverbes de temps, ces auteurs se sont limités simplement à consigner lesdits proverbes dans

les collections anthologiques sans les faire accompagner d’analyses approfondies. En plus, les

proverbes de temps ne constituent pas l’objet d’analyse de quelques travaux consacrés à l’étude

des temporalités discursives (Lezou 1977 : 27-42; Schikora 1982 : 815 ; Joseph 1988/1989 : 69-

84) dans l’œuvre de Kourouma. En outre, ce travail mérite d’être poursuivi parce qu’il nous

permettra de comprendre non seulement la vision traditionnelle africaine du temps, mais aussi la

vision traditionnelle africaine de la vie tout court. Les critiques comme Mbiti (1990: 14, 27) et

Kwasi (1996 : 127) n’affirment-ils pas que la compréhension de la notion du temps en Afrique

joue un rôle crucial dans l’interprétation de la pensée et de la vie en Afrique ?

En ce qui concerne l’approche employée pour recueillir et pour organiser les données analysées

dans ce chapitre, nous avons commencé par identifier dans notre corpus les proverbes qui

abordent l’idée du temps. Pour ce faire, nous avons scruté les parémies pour repérer la présence

et la fréquence des mots concernant le temps. Après avoir effectué une opération de filtrage des mots clés, nous avons alors regroupé les proverbes sur la base des affinités sémantiques. Ce sont

ces sous-groupes de proverbes que nous analysons dans ce chapitre afin d’établir certaines sous-

catégories de temps, un exercice qui s’opère dans le cadre d’une panoplie de procédés théoriques

appropriés.

169

Pour analyser les proverbes à l’étude, nous sommes guidé, entre autres, par les idées de Yacouba

Konaté concernant la culture et le temps. Selon ce critique, la notion du temps est liée à celle de

la culture : « Chaque culture invente sa conception du temps et de l’espace en fonction de ses

nécessités, de ses aspirations à la liberté159 » (Konaté 158). Nous nous appuyons donc sur des

aspects pertinents de la culture, du mode de vie et des valeurs africains pour analyser et pour comprendre la conception africaine du temps telle que représentée dans les proverbes. Ram Mall n’a-t-il pas dit que « Quelle que soit la théorie de temps à laquelle nous accordons notre

préférence, ce choix dépend non seulement de la force des arguments philosophiques mais

également de nos dispositions et socialisations philosophiques et culturelles160 » (Mall 73) ?

Pour saisir certains aspects du temps individuel/biologique à travers les parémies, nous nous

inspirons, entre autres, de la démarche empirique et phénoménologique en matière d’analyse de

temps (Mall). Cette approche conçoit le temps comme un phénomène dont l’être humain est

pleinement conscient : « Nous vivons, pensons, sentons, et agissons dans et avec la conscience

du temps161 » (Mall 66). La méthode de Mall met en exergue non seulement le comportement de

l’homme vis-à-vis du temps mais aussi l’« intentionnalité constante » et « l’horizon d’attente » de ce dernier par rapport au temps (Mall 66).

159 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Every culture invents its conception of time and space with regard to its experience of necessity, its aspirations of liberty » (Konaté 158). 160 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Whatever theory of time we give preference to depends not only on the force of philosophical arguments but also on our philosophical and cultural dispositions and socialisations » (Mall 73). 161 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « We live, think, feel, and act in and with time consciousness » (Mall 66).

170

Par ailleurs, certaines idées émises par Mbiti concernant la typologie de temps en Afrique informeront nos analyses du temps, notamment celles relatives au temps « inévitable » ou « potentiel » (Mbiti 16). Nous examinons aussi le temps comme produit des « forces organiques ».

Dans ce chapitre, la signification que nous donnons à l’expression « forces organiques » est celle adoptée par Douwe Tiemersma. D’après celui-ci, lesdites forces sont constituées d’éléments dynamiques tels que la nature, les humains et les êtres surhumains (Tiemersma 164). Pour paraphraser Tiemersma, le concept organique du temps s’exprime dans un cadre théorique existentiel et s’oppose à l’idée du temps horloger et mécanique (Tiemersma 173). Nos réflexions s’appuieront aussi sur la notion de l’espace-temps. Selon Ulrich Libbrecht, la prise en compte de cette notion permet de discerner la vision du monde d’un peuple et facilite la compréhension du concept de temps (Libbrecht 75).

Méthodologiquement parlant, nos analyses, en cas de besoin, font allusion aux contextes romanesques d’où sont tirés des proverbes. Cette stratégie nous aide à mieux cerner les contours sémantiques et situationnels des parémies.

Nous nous appuierons donc sur le cadre conceptuel susvisé afin d’analyser certains aspects de la vision africaine en matière du temps, tels qu’ils transparaissent à travers les proverbes extraits des récits de Kourouma. Ainsi, nous aborderons tour à tour, les catégories temporelles suivantes : le temps individuel, le temps physique, le temps historique, le temps limité/illimité, le temps de vérité, le temps du destin, le temps de la clandestinité, le temps de pause, le temps opportun, le temps prémonitoire. En outre, nous tâcherons d’explorer des liens qui existent entre le temps romanesque et certains aspects temporels représentés dans les proverbes.

171

1 Temporalité individuelle

La temporalité individuelle est représentée dans certaines formules gnomiques. Nous en avons

recensé dix-sept présentant diverses temporalités qui jalonnent la trajectoire de la vie humaine

depuis la gestation jusqu’à la mort.

1.1 L’enfance : gestation, maternité et maternage

Commençons par celles qui évoquent la gestation de l’être humain. Chez les personnages kouroumiens, comme chez d’autres êtres humains, la grossesse s’étend en général sur une

période de neuf mois comme en témoigne le proverbe ci-après : « Ce n’est pas facile de porter

dans son sein un enfant pendant neuf lunes entières » (EAVBS 39). Rappelons que le sora (griot

narrateur) utilise cette parémie quand il vante les mérites de Nadjouma, la mère du dictateur

Koyaga.

Dans les récits, comme dans la vie réelle, le temps de la gestation est talonné de près par celui de

la maternité. Ainsi, nous apprenons que la période de maternité est un moment pendant lequel

l’enfant se laisse entièrement protéger par sa procréatrice, c’est-à-dire, celle qui l’a mis au

monde, comme le suggère le sens littéral de ce proverbe : « Le bébé de la laitière dort en paix

parce qu’il sait qu’il aura du lait quoi qu’il arrive » (ANEPO 181). Sur le plan métaphorique,

Birahima se sert de cette parémie pour décrire la quiétude politique dont jouit le président sierra

léonais Kabbah, un président qui « peut dormir les deux yeux complètement fermés, dormir du

sommeil du bébé de la laitière » (ANEPO 181).

Si le temps de la gestation couvre une durée de neuf mois, celui du maternage, par contre,

s’étend sur une durée plus longue, pour ne pas dire indéterminée, comme le suggère le proverbe

172

suivant : « Une mère toute sa vie en apporte et en apprend à son enfant162 » (EAVBS 39). Il

ressort donc de ce proverbe qu’une mère africaine, tant qu’elle est vivante, ne cesse de prodiguer

des soins et conseils à sa progéniture. Toutefois, comme nous le verrons plus tard, la plupart des

personnages juvéniles chez Kourouma ne bénéficient pas de la protection et de l’encadrement

maternels dont parle le proverbe susmentionné.

1.2 L’enfance, temps de désespérance

Dans les récits de Kourouma, l’enfance rime avec le temps de désespérance, comme l’indiquent ces deux déclarations, fort sentencieuses, proférées par Birahima : « Quand on n’a pas de père, de mère, de frère, de sœur, de tante, d’oncle, quand on n’a pas de rien du tout, le mieux est de devenir un enfant-soldat » (ANEPO 120 ) ; « Les enfants-soldats, c’est pour ceux qui n’ont plus rien à foutre sur terre et dans le ciel d’Allah » (ANEPO 121) . La désespérance qu’évoquent ces

énoncés est vécue différemment par les personnages juvéniles qui finissent par faire partie des enfants-soldats. En nous appuyant donc sur ces deux énoncés, nous évoquerons ici trois cas d’enfants chez qui le temps de la jeunesse signifie le temps de la désespérance, un temps associé au métier d’enfant-soldat.

Birahima emploie les deux énoncés susmentionnés pour illustrer la condition pathétique de

Sosso, un garçon que la désespérance et le désarroi poussent à rejoindre les rangs des enfants- soldats. En fait, les drames et tragédies domestiques mettent ce dernier et son père à couteaux tirés. Le père de Sosso, souvent « soûl à ne pas pouvoir distinguer sa femme de son fils » et assurément sous l’effet de l’alcool, blesse grièvement sa femme, et Sosso ne supportant pas de

162 Signalons rapidement que ce proverbe est proféré par le griot narrateur qui ne tarit pas d’éloges envers Nadjouma, la mère du président Koyaga.

173 voir sa mère saigner à profusion, commet un parricide en poignardant à mort son père (ANEPO

120). Après son forfait, Sosso plonge dans le désespoir et pour y échapper il se fait enrôler comme enfant-soldat. Il meurt plus tard dans le champ de bataille, où il œuvre comme enfant- soldat (ANEPO 121).

La pertinence des énoncés sus-évoqués s’applique aussi au petit Kik. Il connaît une enfance sinistre et tourmentée parce qu’il retourne à la maison après l’école et trouve son père abattu, son frère égorgé et ses sœur et mère violées et tuées en raison d’une guerre tribale (ANEPO 96).

Profondément troublé par ces événements, Kik rejoint et gonfle les rangs des enfants-soldats. Le cas de Kik amène Birahima à se poser une question à saveur proverbiale: « Et quand on n’a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu’on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s’égorge, que fait-on ? (ANEPO 96). Sans aucun doute, la réponse à cette interrogation réside dans le premier énoncé que nous avons cité plus haut. Par ailleurs, à travers la question, Birahima pousse le lecteur à établir le parallèle entre l’enfance difficile et la conscription des enfants dans les milices tribales.

Sarah est aussi un sujet chez qui la période d’enfance est synonyme de désespérance. Sarah n’a que cinq ans quand elle perd sa mère suite à un accident routier. Son père ne prend pas la responsabilité d’élever sa propre fille, préférant la placer sous la garde de sa cousine de commerçante madame Kokui qui, à son tour, la fait travailler comme bonne et vendeuse de banane (ANEPO 89-90). Madame Kokui n’est pas tendre envers Sarah. Finalement, Sarah la quitte, devient enfant de la rue, et dans la rue elle sera violée par un monsieur qui la séduit avec des bonbons et des friandises (ANEPO 92). Plus tard, elle devient pensionnaire dans un orphelinat et quand ce dernier est mis à sac par la guerre tribale, elle goûte même aux dures réalités de la prostitution précoce avant de rallier les rangs des enfants-soldats (ANEPO 92).

174

À tort ou à raison, les problèmes et le temps de désespérance que vivent ces enfants sont imputables au fait qu’ils n’accordent plus d’importance aux valeurs traditionnelles comme le respect de leurs géniteurs. À ce sujet, le narrateur, dans des propos sentencieux, affirme que les jeunes attirent les malheurs vers eux parce qu’ils ne respectent pas leurs mères : « Les malheurs de notre jeunesse proviennent du peu de vénération qu’elle voue à la mère » (EAVBS 39). En fait, la jeunesse telle que représentée dans les récits s’éloigne des us et coutumes du village. Tout en reconnaissant l’existence des traditions africaines, cette jeunesse, meurtrie par les guerres, ne se sent plus rapprochée des traditions de ses aïeux, comme l’affirme Birahima quand il dit :

Ça [les coutumes], c’est pour les vieux aux barbes abondantes et blanches […]

C’est ça les coutumes du village. Mais moi depuis longtemps je m’en fous des

coutumes du village, entendu que j’ai été au Liberia, que j’ai tué beaucoup de

gens avec kalachnikov (ou kalach) et me suis bien camé avec kanif et les autres

drogues dures (ANEPO 11).

Quoique la trajectoire de vie de chacun de ces jeunes soit singulière à plusieurs égards, leur enfance après tout présente quelques points communs comme le désespoir et la conscription précoce dont parlent les énoncés sentencieux cités plus haut.

1.3 De la bonne et de la mauvaise occupation des enfants

Le temps de la jeunesse est également le temps de la sottise, raison pour laquelle un individu jeune, durant l’enfance, doit être constamment occupé, comme le recommande le proverbe suivant : « Il faut toujours occuper les enfants [avec des jeux] pour éviter qu’ils ne se livrent à des bêtises » (EAVBS 290). Ce proverbe est pertinent parce que, dans les récits kouroumiens, nous trouvons effectivement beaucoup d’enfants qui font des bêtises. Le jeune Siponni, par

175

exemple, fait preuve d’une insouciance caractérisée en commettant de nombreux actes

irréfléchis. Il fait l’école buissonnière, troque ses effets scolaires pour quelques sous et quitte

l’école de Toulepleu définitivement au cours élémentaire deux. Poussant la bêtise à son comble,

Siponni abandonne la maison familiale, vole chez un patron libanais – acte qui le conduit en prison –, se sauve subrepticement de la prison et enfin, entre dans le rang des enfants-soldats où très vite, il passe de vie à trépas (ANEPO 204-205). Les enfants devraient être surveillés, comme le recommande le proverbe susmentionné, afin qu’ils ne commettent pas des actes impudiques et répréhensibles. La jeune Sarah par exemple qui fume exagérément du hasch, sous les effets de celui-ci, affiche publiquement un comportement obscène et éhonté, comme en témoignent ces propos de Birahima : « Elle (Sarah) fumait et croquait sans discontinuer. […] Elle était devenue dingue. Elle tripotait dans son gnousou-gnousou163 devant tout le monde. Et demandait devant

tout le monde à Tête brûlée [son petit ami] de venir lui faire l’amour publiquement » (ANEPO

89). Signalons en passant que Sarah, sous l’influence de la drogue ouvre le feu sur son amant

Tête brûlée parce que ce dernier rejette les avances très osées d’une copine, laquelle subira la riposte mortelle de son amant (ANEPO 89).

Compte tenu de qui précède, nous comprenons alors pourquoi la sœur Hadja Gabriella Aminata,

même dans un contexte de guerre, organise des « cours d’alphabétisation, de couture et de

cuisine » à l’intention des filles hébergées dans son établissement caritatif (ANEPO 187). Non

seulement son geste aide les enfants à cultiver la sagesse, mais il leur permet également

d’acquérir certaines aptitudes qu’elles peuvent mettre à profit plus tard dans la vie. Sous la sœur

Aminata, les enfants exploitent donc leur temps à bon escient parce que le type d’activités

auxquelles elles participent est louable.

163 « Gnousou-gnousou » est un terme kouroumien désignant le vagin.

176

Toutefois, les adultes comme la sœur Hadja Gabriella Aminata peuvent aussi occuper les enfants de façon destructrice. C’est justement ce que nous constatons du côté des chefs de guerre. Les jeunes, très tôt, sont engagés dans les rangs des milices tribales. Le colonel Papa le bon par exemple occupe Birahima et d’autres enfants d’une manière peu recommandable. Il leur apprend

à et les laisse manipuler l’arme qui ne tarde pas à transformer ces jeunes en de véritables meurtriers. Birahima confirme cela quand il déclare : « c’était facile, il suffisait d’appuyer sur la détente et ça faisait tralala… Et ça tuait, ça tuait ; des vivants tombaient comme des mouches »

(ANEPO 74). Quand ces jeunes, sous l’égide des chefs de guerre, n’œuvrent pas comme de simples meurtriers, ils opèrent comme des parricides. Parlant des enfants-soldats de Johnny

Koroma, chef de guerre sierra léonais, Birahima dit : « Ils tuaient leurs parents avant d’être acceptés. Et prouvaient par ce parricide qu’ils avaient tout abandonné, qu’ils n’avaient pas d’autre attache sur terre, d’autre foyer que le clan à Johnny Koroma » (ANEPO 212-214).

La sexualité précoce est aussi une autre façon négative et répréhensible d’occuper les enfants.

Dans les récits kouroumiens, les adultes occupent des enfants en obligeant ces derniers à se livrer

à la sexualité précoce. À titre d’illustration, la commandante Rita Baclay à plusieurs reprises entraîne Birahima dans cette voie, à en croire les déclarations de ce dernier :

Rita Baclay m’aimait comme ce n’est pas permis. […] Parfois, […] elle

m’amenait chez elle, me mijotait un petit plat […] Et après le repas, me

demandait tout le temps de me déshabiller. Et j’obéissais. Elle me caressait le

177

bangala164, doucement et doucement. […] Elle faisait plein de baiser à mon

bangala et à la fin l’avalait comme un serpent avale un rat. Elle faisait de mon

bangala un petit cure-dent (ANEPO 110).

À la lumière de ce qui précède, il est donc important de faire le distinguo entre ce qui convient d’appeler la bonne et la mauvaise occupation des enfants. Nul ne doute que l’occupation dont parle la parémie sus-évoquée est celle qui est la bonne. Par conséquent, les adultes comme le colonel Papa le bon et Rita Baclay devraient plutôt s’en faire quand les enfants ne sont pas occupés de manière utile, parce que l’enfance constitue une période durant laquelle la société façonne les hommes et femmes de demain, un moment où les adultes peuvent adopter de bonnes stratégies de socialisation susceptibles de transformer les jeunes en ministres et non en monstres.

1.4 L’enfance, période de la socialisation primaire

Parlant justement de la socialisation des jeunes, les proverbes kouroumiens nous apprennent que l’enfance est une période durant laquelle la communauté commence à enseigner aux enfants certaines valeurs et normes sociales dont ces derniers ont besoin pour assurer et pour réussir leur intégration dans la société.

Parmi des valeurs qui facilitent l’intégration sociale des jeunes, et que la société apprend à ces derniers, figurent la maîtrise de soi, la politesse, le pardon et la retenue dans le langage. Notre affirmation est créditée par ces propos sentencieux qu’énonce Balla et que reprend Birahima : «

Un enfant poli écoute, ne garde pas la palabre […] il ne cause pas comme un oiseau gendarme dans les branches de figuier » (ANEPO 11). Si un jeune n’assimile pas ou ne se familiarise pas

164 Chez Kourouma, le mot « bangala» désigne le pénis.

178

avec les valeurs qu’expriment ces déclarations, il risque alors de se conduire de façon grossière

dans ses actes comme dans ses paroles. C’est incontestablement ce mauvais comportement

qu’affiche Birahima, lorsque, parlant de son manque de civilité, il concède : « Je suis malpoli

comme la barbiche d’un bouc. J’emploie des gros mots comme gnamokode (putain de ma mère),

faforo (cul de mon père) […] » (QORODN 15).

Pendant la période de la socialisation primaire, la société apprend également aux jeunes à aimer les personnes qui se trouvent dans leur entourage, en commençant par leur mère. Ils sont censés devoir à celle-ci un amour indéfectible, comme le suggère si bien ce proverbe dont le ton déontique souligne l’urgence de son message : « Un enfant n’abandonne pas la case de sa maman

à cause des odeurs d’un pet » (ANEPO 18).

En plus, la pudeur est une qualité à inculquer aux petits pendant la période d’enfance. La société devra veiller à ce que les enfants apprennent à ne pas poser des actes qui blessent la décence ou la modestie. La parémie ci-après prône la pudeur chez les enfants : « Quand les gamins avec lesquels on s’amuse vous demandent de descendre les culottes pour que vous vous divertissiez avec les masculinités, on arrête le jeu » (MOD 259). Signalons en passant que le narrateur – qui

implicitement compare les Nègres aux enfants – utilise cette parémie pour décrire et pour justifier le comportement discriminatoire des Toubabs. Ces derniers, sous prétexte que les

Nègres manquent de mesure, décident de mettre un terme aux jeux d’égalité et de fraternité

(MOD 259).

Tout bien considéré, les valeurs inscrites dans les proverbes susmentionnés, à coup sûr, font

partie du projet de socialisation de la jeunesse, un projet qui permet à la société d’assurer et de

promouvoir l’harmonie et la paix parmi ses habitants.

179

1.5 La vieillesse

De la jeunesse à la vieillesse, il n’y a qu’un pas. Le phénomène reliant ces deux phases de la vie

humaine n’est rien d’autre que le temps chronologique, car après la naissance, « les années

déroulent l’âge » (LSI 102), pour reprendre ce dicton kouroumien. Les proverbes à l’étude lèvent

un pan de voile sur la vieillesse telle qu’elle est vécue dans la société dépeinte dans l’œuvre de

Kourouma.

Dans Monnè, outrages et défis, Kourouma représente la vieillesse comme une étape de la vie qui

parfois n’est pas plaisante à vivre. Le centenaire Djigui, protagoniste de ce roman, nous rappelle

cela lorsqu’il adresse à son fils Béma ces paroles à saveur proverbiale: « une certaine vieillesse

n’est pas toujours, comme on le proclame, un heureux sort, n’est pas toujours des bénédictions et

des sacrifices acceptés » (MOD 207) ; « […] une certaine vieillesse n’est ni une fierté ni une chance » (MOD 215). La vieillesse, à en croire ces énoncés, passe donc pour une période qui n’offre rien d’excitant ou de passionnant au vieillard. Ainsi, pour le vieillard, elle constitue une sorte de passage à vide, un moment durant lequel « le temps perd sa signification et sa saveur165 », pour reprendre cette expression de Mall (Mall 66).

La vieillesse est aussi un moment de la vie où l’on songe à passer le pouvoir aux jeunes, tant au

niveau familial que communautaire. En réalité, elle marque la période pendant laquelle le

vieillard prépare sa succession. Pour ce faire, il s’assure que son remplaçant possède les

capacités nécessaires pour assumer les responsabilités qui viennent avec la succession. Le

narrateur, parlant du vieux Djigui, exprime cette préoccupation à travers cette locution

165 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « [...] time loses its meaning and also its sting » (Mall 66).

180

interrogative au relent sentencieux: « [...] le bonheur suprême pour un vieillard n’est-il pas de

laisser le pouvoir et la force dans des mains fermes » (MOD 271) ? Dans cet énoncé, la vieillesse

apparaît comme une étape de vie où le sujet vieillissant prend du recul par rapport aux projets et

autres ambitions terrestres. En plus, en souhaitant se faire remplacer par « des mains fermes », le sujet vieillissant laisse présumer qu’il est conscient du fait que l’homme ne peut échapper à l’usure du temps. Nous pouvons donc avancer que l’homme, comme le suggère l’énoncé, est conscient du temps de la vieillesse. Ici, la vision africaine du temps est en diapason avec celle des phénoménologues qui arguent que l’homme est sensible au temps et que sa capacité à s’impliquer dans des activités et des événements existentiels est invariablement influencée par sa constitution biologique dont l’état et le degré de performance dépendent également et largement du temps. Mall exprime la vision phénoménologique du temps en ces mots :

La conscience du temps [n’] est […] ni subjective, parce qu’elle est quelque chose

que nous ne créons pas de notre plein gré, ni objective, parce que la constitution

intentionnelle de la nature humaine est une condition préalable nécessaire pour

éprouver des événements et des processus en termes de temps166 (Mall 66).

Dans l’œuvre de Kourouma, la vieillesse est également présentée comme une phase du temps

biologique individuel où l’être humain a besoin d’être constamment traité avec tendresse. Bref,

c’est le moment de la vie durant lequel l’homme est allergique à la moindre souffrance. Tout au

long d’une journée par exemple, la mémoire d’un vieillard n’enregistrerait et ne retiendrait que des expériences traumatiques, comme le souligne bien la forme gnomique suivante : « Si tu

166 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Time awareness is [...] neither merely subjective, for it is something which we do not just create at our own sweet will, nor is it purely objective, for the intentional constitution of human nature is a necessary precondition for experiencing events and processes in terms of time » (Mall 66).

181

portes un vieillard depuis l’aube et que le soir tu le traînes, il ne se souvient que d’avoir été traîné

» (MOD 289). Ici, la sensibilité émotive apparaît comme un critère significatif qui définit le

temps de la vieillesse. Cette perspective du temps, dans une certaine mesure, est en diapason avec la vision empirico-phénoménologique du temps qui préconise que : «Toute discussion sur le temps doit [...] prendre en compte le fait que les êtres humains sont des créatures intentionnelles et émotives incorporées dans le ménage cosmique des besoins et de leur accomplissement167 »

(Mall 66).

La vieillesse, comme période de la vie, n’évoque pas seulement l’hypersensibilité de vieilles personnes. Elle est également perçue comme le temps de la mort, même si cette dernière est une pilule amère à avaler pour la société qui en général ne considère pas la mort d’un vieillard comme un fait naturel. La vieillesse, comme temps de la mort, est mise en cause dans la forme gnomique ci-après proférée par Tiécoura: « Parfois la mort est faussement accusée quand elle achève des vieillards qui par l’âge étaient déjà finis, déjà bien morts avant l’avènement de la mort » (EAVBS 82).

Par ailleurs, la pensée africaine telle que dépeinte dans le discours proverbial établit un parallèle entre vieillesse et expérience. Le sora crédite notre hypothèse quand il déclare : « Qui vit longtemps voit la danse de la colombe » (EAVBS 322). À travers ce proverbe, le sora laisse entendre que l’expérience, qui vient avec le temps, faciliterait la perception et/ou la compréhension de certaines choses dans la vie. Autrement dit, un individu ne fera pas

167 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Any discussion of time must [...] take into account that human beings are intentional and emotional creatures embedded in the cosmic household of needs and their fulfilment » (Mall 66).

182

l’expérience de certains événements ou faits de la vie tant qu’il n’aura pas vécu un certain

nombre d’années.

2 Temps météorologique/physique

Dans les proverbes kouroumiens, le temps est aussi perçu comme un phénomène météorologique. La présence au sein des parémies de nombreux termes reliés à la météorologie et/ou au temps physique confirme notre affirmation. Le taux d’occurrence de ces termes varie.

Dans la liste des proverbes ci-dessous, « soleil » enregistre 8 occurrences, « lune » 4,

« harmattan » 4, « pluie » 3, « vent » 2 et « foudre » 2. Quant aux mots suivants, ils apparaissent, chacun, une fois dans les proverbes : « orage », « nuage », « éclair », « sécheresse », « dune ».

1. La pluie tombe la foudre et l’eau nourricière, la terre sort la moisson et retient les restes

dans la mort, le soleil diffuse la clarté et la sécheresse. (LSI 102)

2. Même en plein harmattan, le soleil de temps en temps s’arrête en demandant aux nuages

de le voiler. (EAVBS 37)

3. Jamais un homme perdu dans le désert ne devrait ignorer se blottir à l’ombre d’une dune

tant que le soleil règne et marcher, guidé par les étoiles, dans la nuit. (EAVBS 145)

4. Le ciel n’a pas deux soleils […]. (EAVBS 250)

5. La vérité comme le soleil de midi éclate. (EAVBS 270)

6. Il n’y a pas qu’un jour, demain aussi le soleil brillera. (EAVBS 309)

7. Ce n’est pas parce qu’on est nègre qu’on ne souffre pas du maudit soleil de notre damnée

Négritie. (MOD 55)

8. Le lignage qui va s’éteindre se chauffe au feu pendant que le soleil brille. (QORODN

106)

183

9. […] la pluie avertit par les vents, les ombres et les éclairs, la terre qu’elle va frapper; la

mort par les rêves, l’homme qui doit finir. (LSI 136)

10. Celui qui est sourd à l’orage est battu par la pluie. (MOD 259)

11. N’est-il pas certain que rêvent toujours de lune ceux qui ont sur leur chemin la grande

fortune, le grand honneur ? (LSI 167)

12. Ce n’est pas facile de porter dans son sein un enfant pendant neuf lunes entières. (EAVBS

39)

13. Un harmattan ne dure guère plus de quatre lunes dans nos montagnes. (EAVBS 71)

14. Il n’y a pas de fortune qui puisse résister à quatre longues lunes de générosité […].

(EAVBS 72)

15. Aucun vrai homme nu ne peut accepter de vivre l’harmattan loin des montagnes. (EAVBS

23)

16. L’ivresse des fêtes de l’harmattan dans les montagnes emballe, fait tout oublier. (EAVBS

24)

17. Le chasseur à l’affût du gibier de temps en temps s’arrête pour écouter le vent. (EAVBS

72)

18. Tu cultives un jour chômé mais la foudre conserve la parole dans le ventre. (EAVBS 20)

Nous commenterons cinq des termes sus-évoqués, à savoir « soleil », « pluie », « lune », « vent » et « harmattan ». Le choix des mots ne s’est pas opéré au hasard. Nous constatons que ces

derniers enregistrent une fréquence relativement élevée dans les proverbes. Ces mots, pensons-

nous, sont susceptibles de nous fournir des renseignements sur la météorologie africaine et/ou sur

certains aspects existentiels reliés à cette dernière.

184

En ce qui concerne les mots « soleil » et « pluie », ils représentent deux phénomènes naturels qui marquent et démarquent les principales saisons climatologiques en Afrique noire, à savoir la saison sèche et la saison pluvieuse. Celle-ci va de juillet à octobre alors que la première, elle, s’étale de novembre à juin. Par ailleurs, le soleil évoque la chaleur, parfois caniculaire, et la pluie, les conditions humides du climat de l’Afrique subsaharienne. Dans un autre ordre d’idées, le caractère alternatif des deux temporalités naturelles, à savoir la saison pluvieuse et la saison sèche, est mis en évidence dans le proverbe 1 figurant dans la liste ci-dessus. Dans ledit

énoncé, le temps de la pluie évoque l’irrigation des terres et les récoltes, alors que le temps du soleil amène à l’esprit la lumière, la chaleur et l’aridité. Comme on peut le voir, aucune des deux saisons n’est parfaite. Pendant la saison des pluies, la foudre côtoie l’eau nourricière et lors de la saison du soleil, la clarté avoisine la sécheresse.

S’agissant du terme « lune », nous constatons qu’il revêt deux sens. D’abord, il est représenté comme satellite planétaire éclairant et marquant la temporalité nocturne. Ensuite, il est synonyme du terme « mois », mot qui désigne une période de trente nuits168 (EAVBS 71). Dans sa deuxième signification, le terme « lune » doit être perçu comme un calque ou emprunt sémantique que Kourouma puise dans la langue malinké et qu’il transpose exprès dans un texte en français. D’ailleurs, Kourouma figure en bonne place parmi les écrivains francophones qui utilisent abondamment les calques sémantiques dans leurs travaux (Biloa 2006 : 131-133).

Signalons en passant que cette stratégie d’écriture lui permet de faire d’une pierre plusieurs coups. Grâce à cette technique rédactionnelle, l’écrivain affirme l’identité culturelle de son peuple tout en enrichissant le style et l’esthétique scripturale du roman francophone.

168 « Sept nuits successives constituent une semaine. Trente nuits successives une lune » (EAVBS 71). Ici, « nuits », traduction calquée sur le malinké, signifie « jours ».

185

À propos du terme « vent », outre le fait qu’il renforce la description du climat, il nous renseigne

sur les pratiques de chasse. Rappelons-nous que l’un des proverbes susmentionnés dit que le

chasseur s’immobilise parfois pour prêter oreille au vent. Le chasseur prend en compte la

direction du vent parce que l’odorat chez l’animal est plus fin et par conséquent, le vent peut

aider ce dernier à sentir et à deviner s’il est talonné par un chasseur.

Quant au terme « harmattan169 », c’est un vent aride en provenance de l’est et du nord-est qui

balaie non seulement sur le Sahara, mais aussi les régions de l’Afrique de l’ouest. Suzanne

Lafage (498), à la suite de Mauny (42), précise que ce vent, à la fois aride, poudreux et glacial, sévit au cours des mois de décembre et janvier. L’harmattan témoigne de la rudesse des conditions météorologiques de certaines régions africaines. La saison d’harmattan est une période pendant laquelle les plantes se sèchent (MOD 42) et se déverdissent (MOD 49). Par rapport aux récits et proverbes kouroumiens, l’aspect le plus significatif de la saison d’harmattan réside dans sa dimension événementielle. Celle-ci, pensons-nous, mérite d’être commentée.

169 Étymologiquement, le mot « harmattan » est dérivé du terme fanti haramata (Anzorge 107) ; le fanti est une langue ghanéenne.

186

2.1 L’harmattan, saison événementielle

Chez Kourouma, la saison d’harmattan se présente comme un temps événementiel170 ou temps-

événement, pour reprendre l’expression de Mbolokala (291). Elle est très prisée par les personnages attachés aux coutumes et rites traditionnels. Comme l’indique l’affirmation sentencieuse ci-après, ladite période constitue un rendez-vous clef à ne pas manquer : « Aucun vrai homme nu ne peut accepter de vivre l’harmattan loin des montagnes » (EAVBS 23).

L’attrait de ce temps réside dans son côté festif, comme l’insinue cette autre parole à caractère sentencieux : « L’ivresse des fêtes de l’harmattan dans les montagnes emballe, fait tout oublier »

(EAVBS 24). D’ailleurs, ledit temps et ses charmes exercent un attrait particulier sur Koyaga et ses co-écoliers, à tel point qu’ils se voient obligés au début de chaque harmattan de « déserter l’internat et les bancs pour retrouver les ivresses des saisons sèches dans les montagnes » et ce,

« six ans durant » (EAVBS 24). Qui plus est, Koyaga, arrivée à la fin de ses études primaires, rate ses examens oraux parce que ces derniers se tiennent « en plein harmattan » période où des maîtres chasseurs se retrouvent dans les montagnes pour « les fêtes et les luttes rituelles et initiatiques de l’harmattan » (EAVBS 25). Ce temps-événementiel est aussi le moment pendant lequel les jeunes filles se font exciser (ANEPO 21). La mère de Birahima, par exemple, ne déroge pas à la règle. À en croire ce dernier, sa mère « dès le premier harmattan » repart « au

170 D’autres écrivains africains, comme Sembène Ousmane, associent aussi l’harmattan aux événements. L’Harmattan, roman d’Ousmane, porte un titre révélateur et rapporte les événements situés dans un laps de temps déterminé [Septembre 1958]. Pour mettre en évidence le rôle que joueront les événements dans le récit, l’auteur, dès la préface du roman, insinue qu’il va jouer le rôle du griot qui « dans cette Afrique qui passe pour classique […] était non seulement l’élément dynamique de sa tribu, clan, village, mais aussi le témoin patent de chaque événement » (Ousmane 1964 : 10). Pour souligner davantage l’importance qu’attache le récit aux événements, Ousmane, toujours dans la préface, ajoute : « L’Harmattan ne se passe dans aucun des États africains dits d’expression française, j’emprunte à chacun un fait, un événement de la vie de la cité » (Ousmane 1964 : 10).

187 village pour participer à l’excision et à l’initiation des jeunes filles qui a lieu une fois par an quand souffle le vend du nord » (ANEPO 21).

En considération de ce qui précède, nous voyons que chez Kourouma, le temps événementiel, incarné dans la saison d’harmattan, possède une spécificité qui lui est propre : sa tangibilité ou sa réalité. Il permet aux êtres humains d’entrer en contact direct avec la nature, les hommes et les ancêtres. En plus, ledit temps n’est pas associé exclusivement à l’événement, il est aussi associé

à un espace concret (montagne). À cet égard, Kagame, un disciple de Tempels, argue que dans la pensée africaine, le temps coïncide ou se croise avec l’espace, et il nomme le point d’intersection des deux entités par l’expression « chrono-topique », où « chronos » se réfère au temps et

« topos » à l’espace qui, lui, est situé dans la nature. Le caractère spatio-temporel de la notion du temps tel que représenté dans les proverbes susmentionnés montre que la notion du temps chez les Africains traditionalistes diffère du concept mécanique du temps qui, selon Libberecht, « est une construction abstraite » dont son « espace est également abstrait, vide […] sans différentiations topologiques » (Libberecht 76).

En plus, le temps événementiel, pour les personnages kouroumiens, se présente comme une temporalité qui résiste au modèle du temps de l’occident, un modèle qui exige aux sujets colonisés – comme Koyaga et ses camarades – d’être présents à l’école à certains moments précis de l’année. Ce temps-là permet aux indigènes africains non seulement de renouer avec leur passé culturel dans les montagnes, mais de résister au régime de temps imposé à eux par le colonialisme. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que la conception du temps et de l’espace, chez les personnages kouroumiens, est motivée par les attentes culturelles et idéologiques. Il ne pouvait en être autrement car, comme le rappelle Yacouba Konaté, la vision temporelle des hommes est souvent tributaire des attentes et aspirations de ces derniers (Yacouba Konate 158).

188

Nous pouvons établir un rapport entre le concept mbitien du « temps potentiel / inévitable » et

certains aspects de la temporalité météorologique. Étant donné que le « temps potentiel /

inévitable », selon Mbiti, décrit « ce qui est certain de se produire ou ce qui relève du rythme des phénomènes naturels171 » (Mbiti 16), certains aspects de la temporalité météorologique tels

qu’illustrés dans les proverbes peuvent être étiquetés comme temps potentiels ou inévitables.

Ainsi, la saison d’harmattan, le jour, la nuit et d’autres phénomènes météorologiques comme la

pluie, le soleil et la lune pourront être décrits comme des temps potentiels parce qu’ils

constituent des phénomènes naturels172.

3 Temps historique

Une autre catégorie de temps qui transparaît dans les constructions proverbiales est le temps

historique. Ce dernier tel que représenté dans les locutions parémiques concerne les périodes

coloniale et postcoloniale.

Dans le récit Les Soleils des indépendances, le temps change au moment où la société

précoloniale et traditionnelle embrasse les périodes de la colonisation et de l’indépendance,

comme l’indique bien cette locution au relent sentencieux : « Les soleils ont tourné avec la

colonisation et l’indépendance » (LSI 158). Cependant, il y a lieu de signaler que le changement

qu’évoque l’énoncé n’est pas du tout un changement positif. Et pour cause. La colonisation, par

le biais de ses francs-tireurs africains, met en danger la survie et la pérennisation des traditions

171 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « […] what is certain to occur or what falls within the rhythm of natural phenomenon » (Mbiti 16). 172 Aussi, la maternité et la vieillesse, deux phénomènes naturels qui relèvent de la temporalité individuelle, peuvent être considérées comme des temps potentiels au sens mbitien.

189

ancestrales. En fait, l’époque des tirailleurs africains, que nous assimilons à celle de la

colonisation occidentale en Afrique, est marquée par le rejet par certains Africains des valeurs

traditionnelles africaines, comme l’indique le narrateur dans ces propos affirmatifs qui ont

l’allure d’un dicton négatif : « On entre dans les tirailleurs comme dans un bois sacré ; on rompt

avec son clan, sa famille, son groupe d’âge ; on vend son âme aux Blancs et on cesse d’avoir de la compassion pour le Nègre » (MOD 62). La période coloniale présente donc une menace réelle

aux us et coutumes africains parce qu’elle passe par la profession des tirailleurs pour amener

l’Africain à renier les siens et ses valeurs traditionnelles.

Quant au temps postcolonial ou temps des indépendances, il est présenté comme un temps

existentiel insondable et même précaire, si nous nous fions à la teneur de ces paroles à valeur

sentencieuse que Balla adresse à Fama en guise d’adieux au moment où celui-ci reprend la route

pour la capitale après un bref séjour à Togobala, où il vient d’assister aux funérailles de son

cousin Lacina : « Nul ne connaît tous les dessous de ce monde des soleils des Indépendances.

[…] La vie des hommes sous les soleils des Indépendances ne réside plus que dans le bout de

l’auriculaire prête à prendre l’envol173 » (LSI 128). En ces temps dont les secrets paraissent

impénétrables pour le commun des mortels, supporter une journée serait un exploit, car elle

semble tirer sans fin, comme l’atteste cette autre locution à caractère sentencieux : « Un jour

c’est déjà long, ça contient beaucoup de choses […] » (LSI 128). Ce temps de l’incertitude

amène certaines personnes à être prévoyantes. À titre d’illustration, Youssouf, père de Fanta, par

173 Le temps historique tel que dépeint à travers ces fragments gnomiques s’efforce de décrire avec justesse le temps que vivent les personnages. Autrement dit, au sein du récit proverbial, le temps reflète dans une certaine mesure le quotidien des êtres humains évoqués dans le roman. Ici, le temps semble épouser le sens que lui accorde Paul Ricœur, car ce dernier dit : « le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence temporelle » (Ricœur 1983 : 85).

190

prudence, cache un fusil dans une cantine de livres qui se trouve dans sa chambre et avise sa fille

de sa démarche. L’acte de Youssouf se justifie par le fait que l’ère dans laquelle il vit est imprévisible, et il le fait savoir à sa fille en lui lançant cette parole ô combien sentencieuse et prophétique : « On ne sait jamais ce qui peut arriver dans ce temps et ce pays de fous »

(QORODN 39). Le temps et les événements lui donneront raison, parce que peu de temps après qu’il a caché le fusil et prononcé cette parole quasi prophétique, il va être enlevé et, plus tard, assassiné par les jeunes activistes bété qui soutiennent le président Gbagbo et qui sont convaincus que Youssouf, nordiste et Dioula, est membre du RDR174, parti d’opposition dirigé

par Alassane Ouattara (QORODN). La parole prémonitoire de Youssouf prend tout son sens au

moment où Fanta, la fille de ce dernier, et son compagnon de route Birahima quittent Daloa,

zone bété, pour regagner le nord, c’est-à-dire la zone habitée majoritairement par les Dioula. En raison du danger lié à leur voyage, pour parer à toute mauvaise surprise sur leur chemin, Fanta et

Birahima se servent du fusil susmentionné comme moyen de protection.

Par ailleurs, en extrapolant sur le sens du mot « fous » que renferme l’énoncé susmentionné, nous pouvons imputer la précarité du temps des indépendances aux irrationalités qui sous- tendent le comportement des gens. Dans le temps des indépendances, le pouvoir et le citoyen agissent de manière imprudente. Nous illustrerons notre supposition en parlant brièvement d’une situation où l’irrationalisme se manifeste des deux côtés. À l’ère des indépendances, le père de

Diakité, membre de l’opposition, est contraint par les autorités à adhérer au parti unique et à payer des arriérées pour dix ans au parti pour le compte de ses nombreuses femmes, ses multiples bœufs et ses trois véhicules (LSI 84). Comme s’ils n’apprécient pas le geste que le père de Diakité vient de faire, les éléments du parti unique incendient ses camions parce que ces

174 Rassemblement Démocratique Républicain

191

derniers leur sont fournis sans carburant. Et pour comble, son fils, c’est-à-dire Diakité, est agressé par les jeunes du parti unique qui nouent « son sexe par une corde et comme un chien le mit à l’attache à un pieu du pont » (LSI 84). Le père, révolté par ce qu’il voit, demande sans succès qu’on libère son fils. Sous le coup de l’émotion, il venge les injustices en assassinant cinq hautes personnalités du parti unique avant d’être arrêté, sommairement jugé et mis à mort (LSI

84-85). Il est donc clair que la folie qui caractérise l’ère postcoloniale, et dont parle la parémie sus-évoquée, vient des deux bords, du gouverné comme du gouvernant.

4 Temps limité versus temps illimité

Un aspect du temps qui se dégage des proverbes est celui de sa durée. Cette dernière peut être

limitée ou illimitée. Examinons d’abord le temps en tant qu’une notion qui se situe dans une

durée limitée.

Les choses en général seraient limitées dans le temps, comme le souligne ce proverbe : « Les

choses peuvent durer, mais il n’en existe pas une qui ne finisse par s’achever » (MOD 275).

Notons que le centenaire Djigui emploie cette parémie pour illustrer son long règne, lequel est devenu obsolète. Abondant dans le même sens que le premier, un deuxième proverbe, celui-là laconique, précise que la finitude temporelle touche à tout : « Tout a une fin » (EAVBS 309).

Mentionnons en passant que le sora Bingo a recours à cette parole pour décrire le caractère passager du « long » règne dictatorial du président Koyaga.

Le temps de l’occupation ne déroge pas à la règle de la finitude temporelle. Ledit temps n’est donc pas infini, comme en témoignent les proverbes suivants : « Il n’y a pas de marche qui un jour ne finit pas » (EAVBS 168) ; « Il n’y a pas d’oiseau qui chante toute une journée sans s’arrêter » (EAVBS 47) ; « Le frappeur de tambour arrête la fête quand la nuit est très avancée »

192

(EAVBS 250) ; « Quand le mil est pilé les pileuses posent les pilons et vident les mortiers »

(EAVBS 358). Signalons rapidement que le narrateur emploie ces proverbes quand il souhaite

marquer une pause dans la narration.

Le temps météorologique se situe aussi dans une durée limitée, si nous nous en tenons à la

substance de cette parémie : « Un harmattan ne dure guère plus de quatre lunes dans nos

montagnes » (EAVBS 71). Mentionnons que le narrateur utilise cette phrase quand il décrit

Koyaga, un monsieur qui dépense l’argent sans penser au futur.

En ce qui concerne la temporalité chronologique, nous constatons à travers les proverbes que la

pensée africaine conçoit ce temps en terme séquentiel, chaque séquence ayant un début, un cours

et une fin. Cela signifie que le temps chronologique séquentiel est un temps à durée limitée. La

teneur des parémies ci-après valide notre hypothèse : « La nuit dure longtemps mais le jour finit

par arriver » (EAVBS 358) ; « Il n’y a pas de longue journée qui ne se termine par une nuit »

(EAVBS 62). Rappelons au passage que ces proverbes sont proférés par le narrateur quand il veut

suspendre l’activité narrative.

Quant à la durée de la vie humaine, telle que dépeinte dans les parémies, elle est éphémère. Fanta

crédite notre postulat quand elle reprend le proverbe burundais ci-après, pour souligner la discontinuité de la temporalité humaine : « Le lignage qui va s’éteindre se chauffe au feu pendant que le soleil brille » (QORODN 106). Comme le suggère cet énoncé, le soleil, élément du temps météorologique, peut revivifier l’homme mais ne peut lui conférer une temporalité infinie. S’il est vrai que le soleil, un élément du temps météorologique, aide à prolonger la temporalité humaine, il n’en demeure pas moins que d’autres éléments météorologiques tels que la pluie et l’humidité peuvent supprimer ou gommer les traces humaines sur terre. Fanta nous rappelle cela quand elle profère la parémie ci-après : « L’humidité et les pluies détruisent et effacent toute

193

empreinte humaine » (QORODN 56). En plus, comme le suggèrent les proverbes ci-après, la

temporalité éphémère de l’homme réside également dans le fait que l’homme est mortel : « La

limite du mauvais coucheur c’est l’intérieur de la tombe » (EAVBS 338) ; « Quand un homme

part définitivement, le premier devoir des survivants est de parler de lui » (MOD 224). Le

narrateur de En attendant le Vote des bêtes sauvages se sert du premier énoncé pour signifier au lecteur que les jours du régime dictatorial de Koyaga sont comptés. Quant au deuxième énoncé, le narrateur de Monnè, outrages et défis le prononce quand il décrit les obsèques grandioses ainsi que les oraisons funèbres louangeuses réservées à Djéliba, un « griot qui fut décoré de la médaille de résistant pour la lutte qu’il avait menée pour la liberté de la patrie » (MOD 224). Le

caractère passager de l’existence humaine ne se justifie pas uniquement par la mortalité de

l’homme. Il est également validé par la finitude de ses œuvres, comme nous le confirme ce

proverbe qui chapeaute le chapitre 3 de la première partie de Monnè, outrages et défis: « Les

hommes sont limités, ils ne réussissent pas des œuvres infinies » (MOD 28). La mortalité de

l’homme ainsi que sa susceptibilité aux adversités naturelles nihilisatrices montrent que l’être

humain est de constitution ontologique fragile et qu’il est doté d’une temporalité éphémère.

Par ailleurs, même des phénomènes qui relèvent de la nature observent la loi du temps à durée

limitée. Par exemple, une eau qui coule, d’une manière ou d’une autre, termine inéluctablement

sa course quelque part, comme l’indique ce proverbe dit par le sora: « Le fleuve finit toujours

dans la mer » (EAVBS 308). La durée du temps dans cette expression est exprimée à travers un

modèle spatial axé sur l’écoulement du fleuve. Ainsi, la pensée africaine, dans l’énoncé sus-

évoqué, situe le temps à l’intérieur d’un réseau causal spatio-temporel afin de le rendre plus concret et intelligible. Cette approche de conception de temps semble rimer avec un aspect de la pensée leibnizienne sur la notion du temps. Selon Leibniz dont les réflexions sont reprises par

Carr, le temps se conçoit, se manifeste et se perçoit à travers l’espace ou à travers le monde

194

visible et concret: « L’espace et le temps [...] appartiennent au monde représentatif, cet univers

miroir qui existe chez chaque monade175 » (Carr 153 ; notre traduction176).

D’après ce qui précède, la durée d’une activité ou de l’existence humaine peut être limitée.

Toutefois, les proverbes nous informent que certains phénomènes tels que la mort et les

traditions jouissent d’une temporalité infinie ou illimitée. En ce qui concerne la mort, la pensée

traditionnelle malinké la conçoit comme un voyage dont la durée est infinie. Le muezzin

souligne cela à travers ce proverbe : « La prière est le viatique de l’éternel voyage » (LSI 105).

Quant aux coutumes et traditions ancestrales, elles sont représentées comme des phénomènes qui se situent hors du temps ou qui ne dépendent pas de ce dernier. Leur caractère atemporel transparaît à travers le contenu de ces énoncés gnomiques qui portent sur la pérennisation et la transmission perpétuelle de l’héritage culturel africain: « Le veau ne perd pas sa mère même dans l’obscurité. L’éléphant meurt, mais ses défenses demeurent » ; « Le petit de la scolopendre s’enroule comme sa maman » (EAVBS 37) ; « Le singe n’abandonne pas sa queue, qu’il tient soit de son père soit de sa mère » ; « Le léopard est tacheté, sa queue l’est aussi » (EAVBS 47). Le dénominateur commun partagé par ces énoncés est la continuité177, une continuité « sans fin ».

En d’autres termes, ces énoncés signifient ceci : le veau reconnaîtra toujours sa génitrice, les

175 Ici, le terme « monade » désigne un sujet en tant qu’être unique (CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/monade, site consulté le 10 mars 2011). 176 La version originale de la citation se lit comme suit: « Space and time […] belong to the representative world, the mirrored universe which exists for each monad » (Carr 153).

177 Notons que le griot narrateur prononce ces proverbes pour décrire Koyaga, un enfant qui perpétue les valeurs familiales et ancestrales en marchant sur les traces de son père Tchao et sa mère Nadjouna. À l’instar de son père Tchao qui était maître chasseur et soldat, et sa mère qui s’adonnait aux pratiques maraboutiques, Koyaga, lui, est à la fois militaire, maître chasseur et un fervent adepte des pratiques maraboutiques.

195 défenses de l’éléphant demeureront toujours, la scolopendre s’enroulera toujours comme sa procréatrice, le singe tiendra permanemment les traits distinctifs de sa queue de ses parents, la queue du léopard restera tachetée à l’instar de sa peau.

5 Temps de vérité

Dans le discours proverbial kouroumien, il existe ce que nous pouvons nommer temps de vérité.

Ce temps se manifeste quand un individu se retrouve face à face avec ses errements ou quand il est rattrapé par un passé qu’il fuyait. Ce temps-là transparaît à travers la parémie ci-après : « Tu cultives un jour chômé mais la foudre conserve la parole dans le ventre » (EAVBS 20).

Rappelons que cet énoncé est dit par le sora au sujet du respect de la tradition. Pris contextuellement, une inférence que nous pouvons tirer de ce dicton est que face au temps, le dur labeur d’un sujet n’entraîne pas toujours pour ce dernier les résultats escomptés, surtout si le sujet en question est un transgresseur des coutumes sociales. Dans la parémie, la foudre, élément de la temporalité météorologique, est la métaphore du gardien des coutumes. Tôt ou tard, le verdict de celles-ci tombe sur le transgresseur. Le moment où ce verdict est prononcé constitue pour le contrevenant le temps de vérité.

6 Temps du destin

À côté du temps de vérité, les proverbes laissent deviner que la pensée africaine dispose

également d’un autre type de temps que nous nommerons le temps du destin. L’homme n’a aucune emprise sur ce temps. En face du temps du destin, le sujet humain ne peut pas infléchir le dictat de la puissante force extérieure qui guide les événements ou les actions marquant ce moment-là. Le temps en question transparaît dans les proverbes suivants : « Où un homme doit

196 mourir, dit un proverbe angolais, il se rend très tôt, toutes affaires cessantes, dès le lendemain »

(EAVBS 117) ; « Le sang qui doit couler ne passe pas la nuit dans les veines » (EAVBS 117) ;

« Où un homme doit mourir il se rend tôt le matin » (EAVBS 110). Le premier et le deuxième proverbes illustrent la rencontre de Maclédio avec Koyaga, une rencontre qui, à en croire le griot narrateur, est le fruit du destin. Le troisième énoncé, lui, décrit le décès du chef du comité insurrectionnel Ledjo, un décès qui, d’après le narrateur, porte l’estampille du sort. Signalons rapidement que les premier et troisième énoncés constituent des variantes du même proverbe. Le recyclage de celui-ci remplit une fonction thématique et pragmatique, parce que ladite démarche met en exergue le temps du destin tout en démontrant que ce dernier peut être exprimé de plus d’une façon.

Le temps du destin, tel que dépeint à travers les proverbes, appelle deux remarques.

Premièrement, ce temps ressemble plus à un phénomène surnaturel qu’à un fait naturel.

Deuxièmement, ledit temps peut être rangé dans la sphère du temps inévitable parce qu’il décrit des événements qui sont inéluctables ; de la sorte, le cadre restreint du temps inévitable, que propose Mbiti, s’élargit pour renfermer non seulement des phénomènes naturels, mais aussi certains faits qui relèvent de l’ordre surnaturel.

7 Temps de la clandestinité

Dans la culture africaine, comme dans d’autres cultures à travers le monde, il existe ce qui convient d’appeler le temps de la clandestinité. Ledit temps couvre la période allant du coucher au lever du soleil, c’est-à-dire la nuit. C’est le moment indiqué pour mener de façon discrète et secrète certaines activités. Pendant cette période où la mobilité et l’activité humaines sont réduites au strict minimum, l’obscurité aidant, un individu qui mène une activité sournoise court

197 moins de risque d’être démasqué. Le répondeur Tiécoura, à travers le proverbe ci-après, désigne la nuit comme le temps de la clandestinité ou de la discrétion : « C’est toujours dans la nuit et en catimini qu’on quitte le pays dans lequel on a été accueilli en richissime quand la pauvreté et l’endettement vous assaillent » (EAVBS 72). Ce proverbe décrit l’expérience qu’a vécue Koyaga.

Celui-ci draine la foule autour de lui parce qu’il est riche et capable de financer les orgies, mais lorsqu’il connaît la banqueroute, il quitte la foule en tapinois et emprunte « dans la nuit, le premier taxi-brousse en partance pour la capitale » (EAVBS 72).

8 Temps de pause

Un autre type de temps qui se dégage des proverbes est celui qu’il convient de nommer temps de pause. Celui-ci peut se concevoir comme un temps de cessation momentanée d’une activité, comme le suggère ce proverbe : « Le chasseur à l’affût du gibier de temps en temps s’arrête pour

écouter le vent » (EAVBS 72). Dans cet énoncé le temps de pause est marqué par le silence, un silence inquisiteur. Le temps de pause désigne aussi une période de trêve, c’est-à-dire le temps d’arrêt que l’on observe lors de l’exécution d’une tâche ardue. Le sora fait allusion à ce type de temps quand il énonce le proverbe suivant : « Quand les poules de la basse-cour deviennent trop nombreuses autour du mortier et harcèlent les pileuses, celles-ci suspendent leur action »

(EAVBS 337). En plus, le temps de pause peut être aussi interprété comme le temps du repli, comme semble l’indiquer ce proverbe : « Même en plein harmattan, le soleil de temps en temps s’arrête en demandant aux nuages de le voiler » (EAVBS 37). Les fonctions du temps de pause sont évidentes. La pause permet au sujet qui interrompt son activité de se ressourcer, de peaufiner ses stratégies ou méthodes d’action, ou même d’éviter un désastre.

198

9 Temps opportun

La pensée africaine telle que représentée dans le discours proverbial dispose d’un autre type de temps que nous désignerons temps opportun. Ce dernier décrit le moment idéal ou propice d’entreprendre une activité. La notion du temps opportun se dégage des parémies ci-après : « Il faut se réveiller de bonne heure quand on doit dans sa journée marcher une longue piste »

(EAVBS 41) ; « La vache qui reste longtemps en place s’éloigne avec une fléchette » (EAVBS

322) ; « Les premiers, les fendeurs de la brousse matinale, les ouvreurs de routes, les pionniers ont aussi leur problème, leur difficulté : savoir s’arrêter juste, connaître sa limite; ne pas aller au- delà ni rester en deçà de ce qui est son point d’équilibre » (EAVBS 61). Ces énoncés soulignent la nécessité d’agir au bon moment. En effet, d’après le premier proverbe, on a une possibilité de produire de façon positive quand on anticipe le temps et quand on agit au bon moment et promptement. Inversement, agir au mauvais moment ou ne pas agir du tout quand c’est

nécessaire comporte des risques, comme l’indiquent les deuxième et troisième énoncés.

10 Temps prémonitoire

Un autre type de temps qui se dégage des proverbes est celui que nous pouvons nommer temps

prémonitoire. Ce dernier transparaît à travers les parémies suivantes : « Celui qui est sourd à

l’orage est battu par la pluie » (MOD 259) ; « Rien n’arrive sans s’annoncer; la pluie avertit par

les vents, les ombres et les éclairs, la terre qu’elle va frapper; la mort par les rêves, l’homme qui

doit finir » (LSI 136). Dans le premier proverbe, Béma convoque l’orage et la pluie pour appeler

à la vigilance. L’énoncé, de manière générale, s’adresse à ceux qui ne prennent pas le temps pour

identifier un danger ainsi que ses signes avant-coureurs, et qui par conséquent n’adoptent pas les

mesures de sécurité qui s’imposent. Kélétigui, le frère de Béma est directement concerné par cet

199

énoncé parce qu’il veut s’engager dans un duel politique contre Béma malgré les menaces que ce

dernier a lancées pour le dissuader. Allant dans le même sens que le premier proverbe, le deuxième énonce plus clairement que le temps est un phénomène qui possède des avertisseurs.

Le narrateur de Les Soleils des indépendances nous fournit une illustration de ce type de temps

quand il décrit le moment où un serpent magique apparaît dans la contrée d’Horodougou et y

pose certains gestes prémonitoires, pour ne pas dire prophétiques :

Quand il avait un message, un avenir malheureux à dévoiler […] le serpent partait

du marigot droit, sur Togobala, filait comme un orage, les herbes se couchaient

sur son passage […], faisait le tour du baobab, et se levait tout essoufflé, tout

bavant dans le creux de l’arbre (LSI 137).

Notons qu’après le passage du serpent, Togobala enregistre « des morts et des enterrements »

(LSI 137). Le temps de deuil qui frappe Togobala, pour ainsi dire, était prévisible. En conséquence, l’imprévisibilité ne serait pas un trait inhérent au temps ! La morale qui se dégage donc du deuxième proverbe est la suivante : il faut scruter un « événement visible » pour appréhender ou interpréter sa « signification invisible ».

Dans un autre ordre d’idées, au-delà de leur sens métaphorique véhiculant la notion de vigilance, le sens textuel des deux proverbes susmentionnés nécessite un bref commentaire. Les deux

énoncés, pris littéralement, semblent poser la problématique de l’apprentissage du temps. De toute évidence, la signification littérale de ces parémies met en exergue la dimension sociocognitive du temps. Cet aspect du temps est important pour les Africains parce que, quand un individu ne maîtrise pas la lecture des signes temporels, il peut compromettre certaines de ses activités dont le succès dépend largement d’une bonne interprétation du temps. Lesdites activités,

200

pour des paysans par exemple, pourraient inclure le voyage, les semailles, les récoltes, les

rencontres culturelles en plein air, etc.

11 Proverbes temporels et temps romanesques

Après avoir analysé les différents temps représentés dans le discours proverbial, il est important

que nous examinions les liens qu’ils entretiennent avec les temps romanesques. Nous constatons

que les proverbes reliés au temps historique décrivent aussi le temps de l’auteur, c’est-à-dire, le

temps où l’auteur écrit ses récits. Le discours proverbial parle de l’insécurité

sociopolitique178, du pouvoir absolu179 et de la mauvaise gouvernance180; ces faits décrivent le

contexte social dans lequel Kourouma rédige les récits renfermant les proverbes à l’étude. Par

rapport à l’insécurité sociopolitique par exemple, au cours des années qui précèdent la

publication de Les Soleils des indépendances, l’auteur, à cause de ses idées, est persécuté par le

régime dictatorial de son pays, ce qui le force à s’exiler en Algérie en 1964 (Konaté 2010 : 158).

Il y restera jusqu’en 1969. Jean-Michel Djian, dans la remarque qui suit, souligne le rapport

consubstantiel qui existe entre le premier récit de Kourouma et le temps qui régnait lorsque

l’auteur écrivait ce récit : « Sans Houphouët, pas de Kourouma. Sans les mensonges et autres

faux complots du ‘totem caïman’ de Yamoussoukro, pas de Soleils des indépendances, donc pas

d’écrivain » (Djian 49). Aussi, à cause de l’instabilité politique qui prévaut dans son pays au

178 « Nul ne connaît tous les dessous de ce monde des soleils des Indépendances. […] La vie des hommes sous les soleils des Indépendances ne réside plus que dans le bout de l’auriculaire prête à prendre l’envol » (LSI 128) ; « On ne sait jamais ce qui peut arriver dans ce temps et ce pays de fous » (QORODN 39). 179 « Le ciel n’a pas deux soleils […] » (EAVBS 250). 180 « Il n’y a pas de fortune qui puisse résister à quatre longues lunes de générosité et de dilapidation, de financement de fêtes, de danses, de beuveries » (EAVBS 72).

201 début des années 2000, l’auteur s’impose un exil volontaire, quitte son pays en direction de

Lyon, en France, lieu où il prépare le pré-manuscrit de Quand on refuse on dit non, œuvre qui sera publiée posthumément. S’agissant du pouvoir absolu et de la mauvaise gouvernance, tares

évoquées dans les proverbes exprimant le temps historique, signalons qu’aux moments où

Kourouma rédige et publie En attendant le Vote des bêtes sauvages, son pays tout comme de nombreux autres pays africains ont à leur tête des dictateurs qui dépensent sans compter l’argent public. Dans un autre ordre d’idées, nous remarquons que certains proverbes exprimant le temps influent sur le temps de la narration. Ici, nous pensons aux proverbes181 portant sur le caractère limité du temps. Notons que dans les récits, ces proverbes temporels marquent l’interruption ou la fin du déroulement d’une action.

Exploitant les éclairages conceptuels de certains critiques ainsi que les références romanesques, nous avons établi que la pensée traditionnelle africaine, telle que représentée à travers les parémies à l’étude, renferme des informations qui permettent de circonscrire une certaine vision du temps. Les caractéristiques principales de cette vision du temps sont de plusieurs ordres.

Quand ladite vision ne s’appuie pas sur des faits naturels (la maternité, l’enfance, la vieillesse, les saisons) et historiques (la colonisation, les indépendances), elle invoque les faits surnaturels.

En outre, nous avons montré que cette vision revêt des dimensions profane (le temps à durée limitée), sacrée (le temps à durée illimitée) et conjoncturelle (le temps de la clandestinité, le temps de pause, le temps opportun). Par ailleurs, notre réflexion a montré que le temps de l’auteur entretient, dans une certaine mesure, des rapports avec des proverbes portant sur le

181 « Il n’y a pas de marche qui un jour ne finit pas » (EAVBS 168) ; « Il n’y a pas d’oiseau qui chante toute une journée sans s’arrêter » (EAVBS 47) ; « Le frappeur de tambour arrête la fête quand la nuit est très avancée » (EAVBS 250) ; « Quand le mil est pilé les pileuses posent les pilons et vident les mortiers » (EAVBS 358).

202

temps historique. De même, nous avons mis en évidence le lien qui existe entre le temps de la

narration et certains proverbes exprimant le temps profane.

En incorporant des proverbes de temps dans son œuvre, Kourouma défend et promeut une vision

africaine en matière d’analyse et d’interprétation du temps. En outre, en opérant dans ses romans

une contextualisation des formes gnomiques sus-évoquées, l’auteur, sans le dire formellement,

avance un modèle pour leur conservation et leur diffusion. Il n’y a aucun doute qu’une telle

initiative est susceptible de rendre ces parémies plus accessibles aux Africains et aux non

Africains, renforçant ainsi les dialogues intra-culturel et interculturel autour du sujet de temps.

Ce chapitre, en raison de son corpus limité, ne prétend pas offrir une analyse exhaustive des proverbes africains relatifs au temps. Il propose néanmoins un cadre réflexif susceptible de faciliter l’étude des proverbes de temps dans d’autres textes francophones africains. Aussi, pour des raisons méthodologiques, le chapitre n’a pas analysé l’inscription du temps dans les autres formes orales (légendes, épopées, chansons, énigmes et devinettes) que renferme l’œuvre kouroumienne. Cette tâche pourrait être abordée dans le cadre d’un travail postérieur.

203

Chapitre 6

La femme dans le discours proverbial

Certains critiques s’intéressant à l’œuvre de Kourouma ont publié des études portant sur la

femme kouroumienne. Citons-en quelques-unes, notamment les plus récentes ou celles qui se

détachent du lot par la pertinence des thèmes abordés. Véronique Bonnet, par exemple, dans un

texte publié en 2006, analyse le lien entre le discours féminin et la mémoire postcoloniale dans

les récits de Kourouma. De son côté, Alain Joseph Sissao (2005) mène une réflexion sur l’impact

de la guerre sur les personnages féminins dans Allah n’est pas obligé, pendant que Ghizlaine

Laghzaoui (2005) brosse une description du corps féminin, celui de Salimata, épouse de Fama, héros du roman Les Soleils des indépendances. Quant à Virginie Affoué Kouassi (2004), elle

établit une typologie des personnages féminins présents dans les romans de Kourouma.

Nonobstant le fait que tous les romans kouroumiens auxquels ces critiques se réfèrent, grouillent de formes gnomiques qui ont beaucoup à révéler au sujet de la femme, aucun des critiques sus-

évoqués n’aborde son sujet sous le prisme du proverbe. D’où l’importance de ce chapitre qui analyse les proverbes kouroumiens reliés à la femme. Par ailleurs, ce chapitre, dans une certaine mesure, est motivé par un souci exprimé par Bi Kacou Parfait Diandué, lequel est partagé par

Arlette Chemain. Selon Diandué, les critiques devraient accorder plus d’attention à l’étude de la femme parce que la présence de celle-ci dans les romans de Kourouma est tout à fait palpable : «

Le personnage féminin de Kourouma eu égard à sa présence statistique marquée et à sa récurrence dans la taxinomie des personnages, mérite une attention soutenue182 […] »

182 Citation extraite du texte intitulé Histoire et fiction dans la production romanesque d’Ahmadou Kourouma, thèse de doctorat soutenue par Bi Kacou Parfait Diandué à l’Université

204

(Diandué). Malgré le nombre important d’ouvrages et d’articles consacrés aux romans

kouroumiens, Chemain, quant à elle, pense qu’il est nécessaire d’effectuer des recherches sur la

femme kouroumienne parce que la critique « […] s’intéresse peu à la condition féminine telle

que le romancier la décrit et, indirectement, la défend » (Chemain 2004 : 72). Ce chapitre va

donc tenter de fournir des réponses aux préoccupations formulées par Diandué et Chemain,

puisque nous y démontrerons comment les proverbes sont utilisés par l’auteur pour décrire la

condition de la femme et pour fournir une image assez représentative des femmes qui font partie

de ses récits.

Nous articulerons nos analyses autour des postulats suivants : que le proverbe dépeint la femme

comme mère et guide de l’enfant ; qu’en tant que réceptacle de la pensée collective, il reflète et

véhicule un certain discours culturel sur la maternité et sur la stérilité féminine ; qu’en tant que

miroir et mémoire des traditions, il perpétue certaines pratiques sociales, notamment la polygynie

et la subjugation de la femme ; et qu’il met en lumière le rôle que joue la beauté dans la vie de la

femme. La démonstration de ces propositions, de façon générale, s’appuiera sur une

méthodologie qui privilégie, entre autres, l’analyse des textes parémiques et romanesques. Nous

allons aussi puiser dans certaines sources critiques pertinentes pour informer nos analyses. Ainsi,

pour mieux analyser la représentation de la femme mère et éducatrice, nous nous appuierons

notamment sur les travaux de Marie Sivomey, Joséphine Dikeble, Madeleine Hiba, Jacques

Maquet (1967), Hortense Anghui et Colette Houeto (1975). Aussi, les idées critiques de

de Limoges, en juin 2003, http://www.unilim.fr/theses/2003/lettres/2003limo0002/these_body.html, site consulté le 8 août 2010.

205

Mohamadou Kane (1982) et Georges Balandier (1957) relatives aux significations de la

maternité, tout comme celles de Mineke Schipper (2003) reliées à la catégorisation sociale des

femmes, vont éclairer nos réflexions sur la maternité et sur la stérilité féminine. Les écrits de

Moran et Houeto et celui de Mack, portant respectivement sur les aspects économiques et sur la

dimension socioéconomique de la polygamie, nous permettront de mieux cerner l’impact de la

polygynie sur la femme. En abordant la condition de la femme vivant dans un foyer polygame,

nous puiserons également dans les réflexions de Fatima Mernissi (1987), dans le but de montrer

que la polygamie améliore la sexualité et l’image de l’homme, tout en rabaissant celles de la

femme. Concernant l’analyse de la représentation de la femme subjuguée, pour mieux cerner les

fonctions de l’excision, une forme d’oppression à laquelle fait face celle-ci, nous nous référerons, entre autres, aux idées de Marcel Griaule (1966 /1997), B. Zadi Zaourou et S. Ehouman portant sur les motifs identitaires de l’excision. Nous ferons aussi recours aux écrits de Cobbe, Hélène

Cixous (1975), Zaourou et Ehouman pour élucider l’idéologie qui sous-tend la pratique de l’excision. En outre, les remarques de Rodah Rotino (1995) et Naib Khadija (1995), entre autres, nous aideront à évaluer les problèmes de santé qui pourraient résulter de cette pratique. Quant à l’analyse des rapports qu’entretient la femme avec la beauté, nous allons, entre autres, nous inspirer des observations critiques de Schipper, lesquelles soulignent la fonction utilitaire de la beauté féminine. Ces principes méthodologiques vont donc guider notre réflexion dont la première étape consiste à démontrer que le proverbe kouroumien distille l’image de la mère- pédagogue.

1 Femme éducatrice, mère vénérée

Dans les proverbes de Kourouma, la femme est représentée comme la conseillère de l’enfant.

Perchée sur un piédestal moral, elle veille sans cesse, et attentivement, à l’épanouissement

206 spirituel de l’enfant, et dote celui-ci des valeurs qui le définissent en tant qu’être intrinsèque.

L’image de la mère vertueuse, celle qui constitue le soubassement moral de l’enfant, transparaît à travers la parémie ci-après : « Ce que l’enfant obtient physiquement, il le doit à son père; à sa mère, il doit ce qu’il acquiert moralement » (EAVBS 38). Ajoutons que le narrateur se sert de cette parémie au moment où il émet des propos louangeurs à l’égard de Nadjouma, une mère qui, d’après lui, a su encadrer son fils Koyaga. La parémie sus-évoquée représente donc la mère africaine comme un pivot moral dans la vie de l’enfant, une réalité sur laquelle les critiques sont d’ailleurs d’accord. À ce sujet, Sivomey affirme que cette mère-là « se charge de former le cœur et l’intelligence de l’enfant […] lui inculque le respect de la personne humaine et le respect de la vie, de l’autorité, l’amour filial, la pitié, le courage, l’amour du travail » (Sivomey 498).

Cheminant dans la même direction que Sivomey, Dikeble et Hiba ajoutent que la mère africaine,

à l’instar des mères dans toutes les civilisations humaines, inculque à son enfant des valeurs essentielles à la vie, comme « l’honnêteté, la discrétion, le courage et l’amour pour le travail de la terre » (Dikeble et Hiba 386). Cette mère éducatrice, renchérit Maquet, assure l’instruction morale de son enfant en lui transmettant « […] l’ensemble des connaissances, des habitudes et des comportements transmissibles […] la totalité des manières de vivre, de travailler, de penser, et la totalité de ce qui reste de ces activités » (Maquet 1967, cité par Senghor et Sow 234). Nous sommes tenté de formuler une hypothèse de plus, relative au proverbe ci-dessus, et la voici: si la femme transmet des valeurs morales à son enfant, cela suppose qu’elle en est la dépositaire.

Notre supposition est confortée par les propos d’Anghui et Sivomey. Selon Anghui, la femme africaine traditionnelle est « la garante des valeurs ancestrales » (Anghui 601). Quant à Sivomey, ladite femme doit son titre de gardienne des valeurs traditionnelles au fait qu’elle s’implique pleinement et constamment dans tous les aspects de la vie traditionnelle :

207

Elle intervient dans les différents événements : naissances, initiations, mariages,

décès, commémoration des ancêtres. Elle possède une parfaite connaissance des

rites sacrés. Elle conclut des fiançailles et des mariages, règle les différends,

participe aux conseils de famille, aux assemblées des notables (Sivomey 499).

Ainsi, il ne serait ni hasardeux ni exagéré d’avancer que la femme, grâce à son statut de dépositaire des valeurs morales, aide l’enfant à négocier le passage de l’état de nature à celui de culture. D’ailleurs, Houeto nous rappelle cela quand elle dit :

[...] il est vrai que tout homme révèle dans son action l’influence de la femme qui

a été le plus proche de lui [...] cette femme qui l’a aidé à passer du stade de la

jungle à celui du cosmos, du stade animal à celui de l’être raisonnable, cette

femme qui lui a permis de dompter la nature, qui a su lui montrer les premiers

secrets, les premières connaissances, le premier contact avec la société à travers la

parole […] (Houeto 53).

La femme conseillère constitue l’axe sur lequel tourne la vie d’un enfant. Notre assertion est soutenue par Tiécoura qui, dans un propos sentencieux et laconique dirigé vers le narrateur, affirme que : « Une mère est tout dans la vie » (EAVBS 39). La signification de cet énoncé nous paraît claire : la mère est au centre de la vie de l’enfant. Dans les romans kouroumiens, ce rôle central et indispensable de la femme mère est amplement démontré. Moussokoro, par exemple, guide et protège son fils Béma dans son parcours d’enfance, d’adolescence et de vie d’adulte. Le principe d’universalité qui traverse le proverbe susmentionné ne nous laisse pas indifférent. À l’intérieur comme à l’extérieur de l’Afrique, nous retrouvons des proverbes qui, à l’instar de la parémie précitée, mettent en exergue la générosité légendaire ou le caractère unique de la femme mère. Citons-en quelques-uns:

208

a) « Life is a mother. » Pensée libanaise (Lunde et Wintle 157; Abela 340).

b) « The mother is the mother, the rest is just air. » Sagesse marocaine (Benazeraf 91).

c) « Mothers are incomparable. » Pensée congolaise – République démocratique

(Geyvandov 165).

d) « The only generous love is the love of a mother. » Sagesse grecque (Geyvandov 164).

e) « The tenderness of a mother knows no limits. » Proverbe russe (Gunther 27; Rauch 150).

Afin de remplir son rôle de guide, la femme mère est prête à affronter toutes sortes de difficultés

pour que son enfant ait un bon avenir. L’une des difficultés, par exemple, est le défi de la vie

conjugale. Les sociétés dépeintes dans les récits, à travers les dictons qui suivent, semblent

suggérer à la mère, pour le bien de ses enfants, de se plier aux contrariétés et exigences ô

combien harassantes de la vie matrimoniale: « La tradition nègre pose que toutes les peines que

la mère accepte de supporter dans le mariage se transforment en force vitale, en valeur, en

réussite pour son fils » (EAVBS 38) ; « Les grands hommes sont nés de mères qui ont couvé les

peines, les pleurs, les soucis et les sueurs du mariage » (LSI 39). Précisons que le narrateur a

recours au premier énoncé pour décrire les peines qu’a endurées Nadjouma pour son fils. Quant

au deuxième énoncé, il est dit par le narrateur quand il décrit Salimata, une ménagère qui ne se

laisse pas abattre par les mauvaises humeurs et la paresse patente de son mari Fama ; à travers l’énoncé, le narrateur insinue que si Salimata avait un fils, ce dernier serait heureux parce que sa mère est une femme résistante. Par conséquent, même si la souffrance constitue une expérience désagréable, elle vaut la peine d’être vécue parce qu’elle assure aux progénitures de la victime une vie meilleure.

L’enfant bénéficie donc des soins dévoués de la mère éducatrice. En contrepartie, l’enfant est censé manifester envers la mère une certaine reconnaissance ou une certaine appréciation. Ce

209

juste retour d’ascenseur se manifeste de différentes façons. La manifestation d’un respect

indéfectible envers sa mère constitue, pour l’enfant, une manière de rendre hommage à sa

génitrice. Dans certaines communautés africaines traditionnelles, la mère, par rapport au père,

attire plus de respect de la part des enfants. Le narrateur, dans une intervention glorificatrice de

Nadjouma, souligne ce fait dans le proverbe ci-après : « Notre tradition en Afrique veut que le respect de la mère dépasse celui du père » (EAVBS 38). Vu que les mères, en général, jouent un plus grand rôle dans l’éducation ou l’encadrement de leurs enfants, il nous semble logique que leur progéniture tende à les respecter davantage. Dans certaines sociétés en Afrique, comme celles représentées dans les romans de Kourouma, on croit largement parmi les enfants que pour réussir dans la vie, on devrait toujours vénérer sa mère. Cette idée est soulignée dans cette autre parémie à travers laquelle le narrateur rend hommage à Nadjouma : « Les malheurs de notre jeunesse proviennent du peu de vénération qu’elle voue à la mère » (EAVBS 39). Il est intéressant de noter que cet énoncé se fait l’écho des doctrines judéo-chrétienne et islamique. En effet, les passages bibliques dans l’Ancien Testament183 et dans le Nouveau Testament184 instruisent les enfants à respecter leurs parents, tandis que le Coran aux sourates 17185 et 31186

183 Exode 20.12 : Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne. Lévitique 19.3 : Chacun de vous respectera sa mère et son père, et observera mes sabbats. Je suis l’Éternel, votre Dieu. Deutéronome 27.16 : Maudit soit celui qui méprise son père et sa mère!

184 Ephésiens 6.1-3: Enfants, obéissez à vos parents, selon le Seigneur, car cela est juste. Honore ton père et ta mère (c’est le premier commandement avec une promesse), afin que tu sois heureux et que tu vives longtemps sur la terre.

185 Coran 17.23-24 [Sourate du Voyage nocturne]: Et voilà que ton Seigneur a décrété : « N’adorerez que Lui. De la bonté envers les père et mère. Si l’un d’eux ou tous les deux doivent atteindre la vieillesse près de toi, alors ne leur dis point : ‘Fi !’ et ne les repousse pas, mais dis- leur noble parole, et par miséricorde baisse sur eux l’aile de la tendresse, et dis : ‘O mon Seigneur, fais-leur miséricorde comme ils m’ont élevé tout petit’»

210

exhorte les enfants à être courtois envers leur mère. En outre, le Coran explique que les enfants

doivent à leur mère le respect parce que cette dernière consent beaucoup d’efforts et sacrifices

pour assurer le bien-être de ses enfants (Coran 31.14). Les soins que l’enfant prodigue à sa mère

est une autre façon de vénérer cette dernière. Dans les cultures africaines, comme dans la plupart

des autres cultures à travers le monde, la société parfois considère un(e) enfant comme gentil(le)

ou insensible juste en examinant la qualité du soin ou de l’attention qu’il ou qu’elle réserve à sa mère. Par conséquent, un individu qui souhaite aider la communauté devra démontrer au préalable qu’il peut prendre soin de sa mère. Notre hypothèse s’appuie sur la substance de la parole gnomique suivante : « On n’est jamais, on ne vous prendra jamais, on ne vous acceptera jamais comme un grand guérisseur de lèpre si votre mère est couverte de pustules187 » (EAVBS

73). Il importe de préciser que cette parémie est évoquée par le narrateur quand il décrit le parcours professionnel du soldat Koyaga, lequel commence en Algérie et se poursuit dans son pays natal, la République du Golfe, où il aurait dû faire profiter ses compétences militaires avant de les mettre à la disposition des nations étrangères. Pris contextuellement, la mère dans l’énoncé est une métaphore qui renvoie à la patrie. Ainsi, l’attention que l’on doit à la mère est à l’image de celle que l’on vouerait à une patrie.

186 Sourate 31.14 [Sourate de Lucmân]: Et Nous enjoignons à l’homme, au sujet de ses parents, - car sa mère le porte, fragilité sur fragilité, et sevrage au bout de deux ans, - ceci : « Sois-Moi reconnaissant, ainsi qu’à tes parents ! […] » 187 Nous voyons une synonymie étroite entre cette parémie et le proverbe français qui dit : « Charité bien ordonnée commence par soi-même » (J. Dejardin, Dictionnaire des spots ou proverbes wallons, revu, coordonné et augmenté [Liège: F. Renard, 1863. / Bibliolife, 2009], p.128).

211

Nonobstant le fait que la femme kouroumienne constitue un ancrage et une source de bonheur

pour sa progéniture, elle peut également devenir une source d’ennui pour cette dernière. Ses

meilleurs aussi bien que ses pires souhaits peuvent avoir un impact réel sur son enfant. En

conséquence, celui-ci doit tout faire afin d’éviter la colère de la mère, une colère qui a le

potentiel de se muer en malédiction. Comme la sentencieuse Moussokoro le rappelle si bien à

son fils Béma, la malédiction d’une mère, par rapport à celle du père, est redoutable pour ne pas

dire irréversible : « On peut réussir en dépit des malédictions de son père, mais jamais avec

celles de la femme qui pendant neuf longs mois t’a porté » (MOD 156). Soulignons que

Moussokoro emploie ce proverbe quand elle met en garde Béma contre les dangers de l’insoumission à l’autorité parentale, une insoumission qui conduit ce dernier à déposer son père du trône (MOD 155-156). L’énoncé laisse croire que la mère exerce une grande influence sur

l’enfant parce qu’elle entretient de très étroits rapports avec lui. Vu ce qui précède, il serait donc risqué pour l’enfant de prendre pour acquis, la générosité et la présence affectueuse de la mère vertueuse. Et pour cause. C’est pendant l’absence de la mère que l’enfant apprécie vraiment

l’importance de la présence maternelle. Ce ne sont pas ces paroles à saveur proverbiale qui nous

démentiront :

On ne voit pas une mère, une mère

Plus excellente que l’or,

Sauf quand on retrouve la case maternelle vide de la mère188 (LSI 89).

Rappelons que ces mots font partie d’une chanson de noce malinké, chanson que Fama, prince

déchu, entonne intérieurement quand il jette un regard nostalgique sur sa paisible enfance, une

188 C’est l’auteur qui met le texte en italique.

212

période qui lui ramène à l’esprit la gloire et « les exploits de ses aïeux » (LSI 89). La sagesse sus-

évoquée brille par son universalité. En effet, il est intéressant de noter que nous retrouvons une

version dynamique de ce proverbe non seulement chez les Ngbaka en République Centrafricaine

[When your mother dies, you will eat yam peels] (Thomas 1970 : 743), mais aussi chez les

Hébreux et les Yéménites [Whoever has lost his mother has lost his life] (Stahl 416) et chez les

Algériens [The one who has lost his mother, where is the house where he will be harboured ?]

(Belamri 38).

Chez Kourouma, les proverbes amplifient aussi la valeur de la femme mère en juxtaposant sa

condition de femme féconde à celle de la femme inféconde.

2 Femme féconde versus femme stérile

Les proverbes kouroumiens vantent les mérites de la femme féconde. Cette dernière est

hautement appréciée par la société, comme le démontrent les parémies ci-après : « L’enfant, la maternité […] sont plus que les plus riches parures, plus que la plus éclatante beauté » (LSI 45);

« À la femme sans maternité manque plus que la moitié de la féminité » (LSI 45). Le narrateur prononce ces proverbes quand il constate que Salimata n’a pas donné naissance à un bébé malgré de nombreuses années de mariage passées avec Fama. Ces énoncés laissent entendre que la maternité constitue le paramètre clé qu’emploie la société pour jauger et juger la valeur intrinsèque d’une femme au foyer. De nombreuses raisons pourraient expliquer pourquoi certains

Africains – comme ceux représentés dans les romans – attachent une grande importance à l’enfant. Ce dernier est prisé, tant par la femme que par la société. C’est par la naissance d’un enfant que la femme marque d’une pierre blanche sa présence ou son passage sur terre, car

213

comme le dit si bien un proverbe africain, « She who leaves a child behind lives eternally189 ».

En plus, chez la femme africaine, l’enfant est synonyme de vie ; cette affirmation est valable et pour la femme africaine et pour la femme non africaine, d’autant plus qu’un adage indo-asiatique dit : « The house without children is a cemetery » (Schipper 231). Par ailleurs, la maternité est un noble exercice par lequel la femme pérennise le lignage filial, un acte qui lui permet de gagner l’estime de son entourage et qui l’aide à mieux s’intégrer à la société (Kane 1982 : 391).

Abondant presque dans le même sens que Kane, G. Balandier, dans l’extrait qui suit, décrit le prestigieux mandat ainsi que la mission de procréation qu’accomplit la femme par le biais de la maternité : « La femme africaine] intervient évidemment en tant qu’agent de production et de reproduction, et par là même elle établit les assises de la puissance et du prestige » (Balandier

24). Par ailleurs, la maternité est vénérée dans la société africaine parce que la femme est parfois perçue comme la personne par qui les ancêtres reviennent revivre en chair et en os parmi les leurs, d’autant plus que le bébé qu’accouche une femme est plus ou moins accueilli comme une incarnation d’un aïeul (Kane 1982 : 389).

Comme les proverbes et commentaires qui précèdent l’indiquent, pour la société représentée dans les récits kouroumiens, la fécondité apparaît comme la qualité la plus recherchée chez la femme. De ce fait, même si les soupçons d’infidélité pèsent sur une femme féconde, elle demeure la cible des hommes désireux d’avoir des enfants. Nous illustrerons notre argument en analysant le cas de Mariam. Selon le griot Diamourou, Mariam, en tant que femme de ménage, possède un « scandaleux et mauvais caractère », ment et « a pour chaque garçon un accent, un sourire et ne sait pas répondre non aux avances » (LSI 113). Malgré les imperfections de Mariam,

189 Proverbe du peuple Chagga, au Kenya, cité par Joyce Oramel Hertzler, The Social Thought of the Ancient Civilizations (New York : Russell & Russell, 1961), p. 387.

214

Diamourou exhorte son patron Fama à ne pas laisser s’échapper de son « filet un frétillant

poisson comme Mariam ». Et pour cause. Nonobstant les « gros défauts » de cette dernière, elle

est après tout une femme féconde. On entendra le même discours du côté du sentencieux

marabout Balla qui conseille à Fama de fermer les yeux sur l’infidélité de la féconde Mariam

parce que « les femmes propres devenaient rares dans le Horodougou comme les béliers à

testicule unique » (LSI 113). Autrement dit, Fama ne doit, pour aucune raison, lâcher prise

d’autant plus que la femme qu’il courtise est capable de procréer. Balla le lui fait savoir en lui

adressant la parémie ci-après : « Rien ne doit détourner un homme sur la piste de la femme

féconde, une femme qui absorbe, conserve et fructifie, rien » (LSI 113). Si le discours proverbial

encourage les hommes à courir après les femmes fécondes, ce même discours également

conseille aux hommes de se méfier des femmes infécondes. Épouser une femme stérile, c’est

sceller une alliance à haut risque, comme l’indique le proverbe ci-après que profère le narrateur

quand il déplore la stérilité de Salimata : « L’infécond, sauf les grâce et pitié et miséricorde divines, ne se fructifie jamais » (LSI 26). Autrement dit, avec une épouse stérile, à moins qu’il ne bénéficie de l’assistance divine, le mari court le risque de ne pas avoir d’enfant.

La grande importance que certains personnages kouroumiens accordent à la maternité fait en sorte que la femme soit parfois perçue comme une machine à bébés. Cette perception transparaît

à travers ces énoncés au relent sentencieux proférés respectivement par le narrateur et le marabout Abdoulaye: « […] la fonction principale des femmes est la reproduction » (EAVBS

299) ; « le but de la vie est que naisse un rejeton » (LSI 66). La première locution est dite par le narrateur pour souligner le fait que le président Koyaga « s’estime déshonoré […] quand il se couche plusieurs semaines avec une femme sans parvenir à l’engrosser » (EAVBS 282). Le deuxième énoncé, lui, est dirigé à Salimata, femme stérile, et souligne le grave problème auquel cette dernière fait face. Les deux énoncés insinuent que certaines sociétés traditionnelles en

215

Afrique éprouvent du mal à caresser les femmes stériles dans le sens du poil. D’ailleurs,

Schipper souligne ce fait quand elle dit : « Les proverbes soulignent avec force le rôle

indispensable de la femme procréatrice et dépeignent la stérilité comme l’une des pires

catastrophes possibles190 » (Schipper 230-231). Une femme stérile comme Salimata n’est donc pas tenue en haute estime par son mari et/ou par la société. D’après Schipper, les femmes

stériles, à l’instar de Salimata, occupent le bas de l’échelle hiérarchique féminine parce

qu’évoluant dans des sociétés où une importance sur-accentuée est accordée à la fécondité

féminine:

Dans […] l’échelle hiérarchique de la procréation féminine, il y a au plus bas de

l’échelle les femmes stériles, suivies par les femmes qui ont eu une fausse

couche ; un peu plus haut sont les mères des enfants mort-nés, et celles qui ont

perdu un enfant ou des enfants191 (Schipper 231).

Dans les sociétés où les proverbes mettent un accent exagéré sur la maternité, la vie de la femme

stérile n’est pas du tout aisée. La pression sociale subie par une femme mariée qui n’arrive pas à

se faire enceinter par son époux peut pousser celle-ci à explorer d’autres voies pour ne pas dire

toutes les voies possibles, comme le souligne Schipper: « Dans les sociétés où les femmes sont

évaluées principalement ou uniquement en fonction de leur maternité, elles feront tout en leur

190 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Proverbs emphatically stress women’s indispensability as birth-givers, and sterility as one of the worst possible disasters » (Schipper 230-231).

191 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Within the […] female procreation hierarchy, there are, at the very bottom, the sterile ones, followed by women who have had miscarriage, a little higher up are the mothers of stillborn children, and those who have lost their child or children » (Schipper 231).

216 pouvoir pour avoir un enfant192 » (Schipper 231). Pour la femme stérile, les chemins susceptibles de mener à la maternité n’excluent pas l’idée de coucher avec un homme qui n’est pas son mari. Lors d’une séance de prière, Salimata pense à cette éventualité qui d’ailleurs reste une option difficile pour une fervente musulmane comme elle : « Un enfant ! Un seul ! Oui, un bébé ! Unique imploration sur cette terre, Fama se prouvant de plus en plus insuffisant. Qu’est-ce qui primait dans la volonté d’Allah ? La fidélité ou la maternité » (LSI 44) ? La pression collective exercée par la communauté peut aussi pousser la femme inféconde à devenir obsédée par l’idée d’avoir un bébé. C’est effectivement ce qui arrive à Salimata dont l’état psychotique est décrit ici par le narrateur :

[…] tout son flux, toutes ses prières appelèrent des bébés. Ses rêves débordaient

de paniers grouillants de bébés. Elle les baignait, berçait… En plein jour et même

en pleine rue, parfois elle entendait des cris de bébés, des pleurs de bébés. Elle

s’arrêta. Rien : c’était le vent qui sifflait ou des passants qui s’interpellaient. Un

matin, elle rinçait les calebasses ; sous ses doigts elle sentit un bébé, un vrai bébé.

Elle le baigna, il pleurait en gigotant. Elle le porta dans la chambre et ouvrit les

yeux. Rien : une louche dure et cassante. […] Une nuit, dans le lit, un bébé vint se

coller à Salimata et se mit à la téter, les succions ont brûlé les seins gauche et

droit, elle le téta, tout chaud, tout rond, tout doux. Elle alluma la lampe : envolé,

transformé en mortier de cuisine (LSI 52-53).

192 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « In societies where women are valued mainly or only for achieving motherhood, they will go to any lengths to have a child » (Schipper 231).

217

Face aux expériences traumatiques que vit Salimata à cause de sa stérilité, nous ne pouvons nous empêcher de poser la question suivante : faut-il évaluer la qualité d’une femme/épouse uniquement en fonction de sa capacité de procréer ? Nous pensons, et avec raison, que non.

Quand la société scrute la valeur de la femme exclusivement à travers le prisme de la maternité, elle expose la femme, notamment celle inféconde, aux dangers tels que le stress, l’ostracisme, les pensées adultères et la névrose. En plus, quand la société agit de la sorte, elle réduit la femme à une simple machine sexuelle destinée uniquement à la procréation. En dépeignant à travers les proverbes une image figée de la femme – celle dont la valeur repose uniquement sur ses prouesses reproductrices –, Kourouma soumet ladite image à l’appréciation du lecteur. De la sorte, l’auteur alimente le débat sur les droits et le libre choix des femmes en matière de maternité.

Dans l’œuvre de Kourouma, les proverbes ne se limitent pas à souligner le rôle que jouent la maternité et la stérilité dans la vie de la femme. Dans ces proverbes, la polygamie est un autre facteur qui définit la condition de la femme chez Kourouma.

3 Femme et polygamie

La femme, telle que représentée dans le discours proverbial, est marquée par la polygamie.

Salimata, accueillant sa coépouse Mariam, confirme la prévalence de ce régime matrimonial quand elle adresse à sa nouvelle coépouse la parémie ci-après, que reprend le narrateur : « […] une famille avec une seule femme était [est] comme un escabeau à un pied, ou un homme à une jambe ; ça ne tient qu’en appuyant sur un étranger » (LSI 151). Cet énoncé appelle un certain nombre de commentaires. Nous constatons qu’il réduit la polygamie à un seul sens, celui de la

218

polygynie193. Nous remarquons aussi que l’énoncé fait l’apologie de la polygynie. D’après

l’énoncé, celle-ci permet à une famille de s’affirmer et d’assurer son indépendance. À cet égard,

à en croire Moran, certaines familles africaines traditionnelles s’appuient sur la polygynie pour recruter la main d’œuvre nécessaire au bon fonctionnement du foyer : « Dans le contexte

indigène, le renforcement de la main-d’œuvre des ménages s’opère généralement à travers le

mariage polygame et à travers la naissance194» (Moran 106). Autrement dit, la polygynie permet

à ces familles-là de jouir d’une certaine autonomie en matière de main-d’œuvre. Cette dernière, dans une famille polygame, pourrait constituer un facteur générateur de richesse. Houeto ne dit pas le contraire. Parlant de la polygamie des années précoloniales et des premières années postcoloniales, ce critique écrit : « La polygamie était le signe d’une certaine richesse matérielle, car cela donnait autant de bras pour travailler la terre. La production agricole familiale se trouvait par le fait même accrue » (Houeto 59). Nous entendons presque le même avis chez Kane. Selon cet auteur, la polygynie permet à la société de « s’enrichir, de s’agrandir et de multiplier ses chances de s’augmenter » (Kane 1982 : 397). Le proverbe sus-évoqué suggère aussi que la polygamie, pour l’homme comme pour la famille, constitue un remède à la solitude. Les expressions « une seule femme », « un pied » et « une jambe » - expressions qui au sein du proverbe ne bénéficient pas d’une valorisation positive - laissent penser que certains hommes africains sont des êtres essentiellement grégaires et que le cadre familial polygyne constitue une

193 Un type de polygamie où l’homme épouse plus d’une femme - à ne pas confondre avec la polyandrie, l’autre catégorie de polygamie dans laquelle une femme peut épouser plusieurs hommes (Robert 1342, 1343).

194 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « In the native context, additions to the household labor force are generally made through polygynous marriage and through birth » (Moran 106).

219

aire de grégarisation par excellence. Burney-Nicol n’est pas loin de partager notre opinion selon

laquelle la polygynie va de pair avec la conscience de groupe. À ce sujet, elle dit:

Dans les sociétés traditionnelles où la conscience de groupe joue un rôle

unificateur, et au sein desquelles l’expression individuelle est régie par des

exigences collectives, les activités personnelles se déploient au profit [...] des

besoins sociaux du groupe […]; ainsi, cette société de vie communautaire trouve

dans la polygynie avec ses nombreuses femmes et ses nombreux enfants une

réponse à [ses] besoins195 (Burney-Nicol 438).

Mis à part le proverbe ci-dessus que nous venons d’analyser, d’autres déclarations à caractère

sentencieux nous fournissent des raisons supplémentaires justifiant l’existence de la polygamie.

Figurent parmi ces déclarations les propos ci-après : « lorsque les beaux-parents sont satisfaits du

gendre, ils ne se contentent pas de s’en féliciter. Il le manifeste ; ils lui offrent comme cadeau

une autre épouse » (EAVBS 45). Le narrateur a recours à ces mots quand il fait allusion au statut

matrimonial de Kaboré. Lesdits propos laissent croire qu’un généreux beau-fils peut facilement

se retrouver polygame. En fait, c’est ce qui arrive à Kaboré. Grâce à la largesse manifestée

envers ses beaux-parents, il se voit offrir par ces derniers, cinq filles. La polygamie existe donc

parce que les parents donnent facilement leurs filles en mariage lorsqu’ils reçoivent des faveurs

de leur gendre.

195 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « In traditional societies held together by the group consciousness, to which individual expression is subject to group demands, individual activities concentrate to benefit the [...] social requirements of the whole […] therefore this communal society find polyginy with its plurality of wives and abundance of children an answer to [its] needs » (Burney-Nicol 438).

220

La polygamie proviendrait aussi du fait que les hommes puissent « acheter » autant de femmes

qu’ils veulent. Deux locutions au relent sentencieux confortent notre supposition : « tant qu’on a

l’argent on peut avoir des femmes » (LSI 176) ; « les femmes, ça s’achète » (LSI 181). Le

narrateur s’appuie sur ces énoncés pour souligner l’idée selon laquelle Fama, ex-prisonnier, peut

se procurer beaucoup d’épouses grâce à l’argent que le président de la République lui donne au

moment de sa libération. La polygamie prospère donc parce que la femme, à l’instar d’un objet

banal, est achetable196. Dans Les Soleils des indépendances, la chosification de la femme se

matérialise par la dot, c’est-à-dire la somme d’argent versée par le futur mari à la famille de la

fille. Dans ce récit, Kourouma parle d’un beau-fils qui, suite au décès de son beau-père, offre une vache à la famille de celui-ci, parce qu’« il [le beau-fils] n’avait pas acheté sa femme au comptant » (LSI 122). Toujours dans le même récit, Sery établit un lien entre l’argent et la

capacité de s’attacher une femme quand il dit : « Les colonisateurs toubabs leur confièrent tous les postes, leur attribuèrent tout l’argent, et avec cet argent les Dahoméens couchèrent nos filles, marièrent les plus belles […] » (LSI 75). Sery a recours à ces propos quand il manifeste son mépris à l’égard des étrangers qui vivent dans de meilleures conditions en Côte d’Ivoire, pendant que lui et ses concitoyens ivoiriens peinent à joindre les deux bouts. Par ailleurs, dans Allah n’est pas obligé, nous voyons le rapport indéniable qui existe entre la richesse des hommes et la capacité de ceux-ci à s’attacher plusieurs femmes. À ce sujet, Birahima témoigne que son grand- père, « comme tout trafiquant riche […] achetait beaucoup de femmes, de chevaux, de vaches et de grands boubous amidonnés » (ANEPO 19). Le même Birahima nous rapporte également que

196 Au débat relatif à la femme objet/achetable, Senghor apporte une nuance en relevant les dimensions compensatrice et coutumière de la dot : « On n’achète pas la femme, on dédommage seulement sa famille. […] C’est la coutume […] Des esprits superficiels l’ont comparée à une bête de somme » (Senghor, Liberté 1 : La Négritude et Humanisme, p. 28 ; cité par Umezinwa, p. 103).

221

son ami Yacouba, grâce aux profits qu’il tire de ses affaires, se procure non seulement une

imposante maison à Yopougon Port-Bouet, mais aussi des femmes et autres boubous et voitures

(ANEPO 41). De toute évidence, un homme qui a de l’argent peut persuader des personnes qui

n’en possèdent pas ou qui en ont besoin à avaliser la polygamie. Concernant par exemple les

beaux-parents de Kaboré dont nous avons parlé plus haut, échanger leurs filles pour quelques cadeaux nous fait penser que la misère encourage la polygamie. Peut-être si ces beaux-parents

pouvaient s’octroyer lesdits cadeaux par leurs propres moyens, ils réfléchiraient à deux fois avant

de donner toutes leurs cinq enfants à un seul homme. Dans le même ordre d’idées, nous pouvons

aussi avancer que si les filles en question avaient une bonne situation financière, peut-être

qu’elles auraient pu pourvoir à leurs propres besoins et à ceux de leurs parents et, ainsi, éviter un

mariage polygame. Notre thèse selon laquelle la pauvreté encourage la polygamie est appuyée

par Beverly Mack quand elle dit: « Le statut socioéconomique [de l’homme] détermine si une

femme est une coépouse ou non, étant donné qu’un homme pauvre ne peut pas se permettre

d’avoir plus d’une femme197 » (Mack 80).

Par ailleurs, le comportement machiste et égoïste de certains hommes favorise la polygamie.

C’est ce que laisse imaginer le sens littéral de la parémie ci-après, que profère l’interprète

Soumaré : « Quand une femme ne donne plus satisfaction, on en épouse une autre » (MOD 110).

Notons que Soumaré énonce ce proverbe au moment où il promet aux autorités coloniales le

soutien inconditionnel du pays Soba, pays qui, à l’instar d’une épouse attentionnée, fera tout

pour mériter la confiance du colon. Le sens littéral de cette parémie est révélateur à plusieurs

197 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Socioeconomic status [of the man] also determines whether a woman is a co-wife or not, for poor men cannot afford to have more than one wife » (Mack 80).

222

égards. Il laisse croire que la femme est une entité qui s’use avec le temps, et de ce fait est

substituable pour ne pas dire « abandonnable ». Ainsi, tout mari qui n’est pas satisfait de son

épouse peut se débarrasser de celle-ci sans autre forme de procès, d’autant plus que l’islam, la

religion de Soumaré, encourage les hommes à répudier leurs épouses198. En plus, le proverbe sus-évoqué laisse penser que, même si la femme réussit à s’attacher un partenaire, son statut d’épouse unique ou d’unique conjointe de fait demeure incertain, parce que quand son mari ne la vire pas, il s’adjoint aisément d’une nouvelle dulcinée. Par ailleurs, le proverbe susmentionné laisse transparaître le caractère humiliant de la polygamie. Cette dernière est dégradante pour la femme parce que, quand le mari insatisfait décide de contracter de nouvelles noces, par son geste il semble dire qu’il est viril et a besoin d’une nouvelle femme qui puisse répondre à ses attentes sexuelles. Mernissi, dans la citation qui suit, confirme notre hypothèse:

La polygamie […] rehausse l’image que les hommes se font d’eux-mêmes en tant

qu’êtres sexuels primaires […] En outre, la polygamie est une façon pour

l’homme d’humilier la femme en tant qu’être sexuel199 ; elle exprime l’incapacité

de la femme à le satisfaire200 (Mernissi 48).

198 Certaines figures de proue de la foi islamique se seraient livrées à la pratique de répudiation. Par exemple, à propos du petit-fils du prophète Mahomet Hasan, Al Ghazali rapporte : « Il est rapporté que Hasan Ibn Ali était un fanatique du mariage. Il épousa 200 femmes. Parfois, il en épousait quatre à la fois ; il en répudiait quatre à la fois et en épousait de nouvelles » (Al Ghazali, cité par Mernissi 50 ; notre traduction). Citation originale: « It is said that Hasan Ibn Ali was a marriage addict. He married 200 wives. Sometimes he’d marry four at a time; he’d repudiate four at a time and marry new ones » (Al Ghazali, cité par Mernissi 50). 199 Selon Mernissi, la polygamie est intimement liée à l’expérience de l’humiliation, comme en témoigne le proverbe africain (marocain) ci-après, que reprend l’auteur : « Debase a woman by bringing in [the house] another one » (Mernissi 48).

200 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Polygamy […] enhances men’s perception of themselves as primary sexual beings […] Moreover, polygamy is a way for the

223

En outre, le comportement infidèle de l’homme pourrait également encourager la pratique de la

polygamie. Notre supposition s’appuie sur ces propos sentencieux proférés par le narrateur :

« […] le mariage, le compagnonnage n’implique pas fidélité » (EAVBS 299). Le narrateur se sert

de cette déclaration pour élucider le comportement inconstant de Koyaga, un homme qui aime

s’entourer de plusieurs femmes. Les inconstances de l’homme peuvent donc l’amener à

contracter plus d’un mariage et, ce faisant, encourager la polygamie.

Nous constatons que les proverbes analysés jusqu’ici incitent l’homme à être polygyne, même si

la polygynie présente des inconvénients pour la femme. Nous remarquons aussi que ces parémies

n’encouragent pas la femme à devenir polyandre201. Il nous semble que cette donne n’est pas

propre aux proverbes kouroumiens. Déjà en 2003, Schipper, dans une analyse critique de

plusieurs proverbes internationaux portant sur la femme, faisait le même constat:

De nombreux proverbes sympathisent avec l’homme qui tombe amoureux d’une

femme qui n’est pas la sienne, […] et dans certaines cultures, l’homme peut

facilement se marier à une, deux ou plusieurs coépouses. Ceci n’est pas valable

man to humiliate the woman as a sexual being; it expresses her inability to satisfy him » (Mernissi 48).

201 Bien que la polyandrie soit rare en Afrique (Oduyoye 2001 : 103), elle a néanmoins été observée dans le passé chez les Bahini en Afrique orientale (Caselli et al. 129) et chez les Bashilele du Congo (Pitshandenge 7). Des facteurs qui ont encouragé la pratique incluent l’infanticide ou la pénurie de jeunes filles (Caselli et al.129), des maris qui passaient de longues périodes loin de leurs épouses pour des raisons professionnelles (Mazrui et Wondji 955) et des traditions qui dissuadaient les jeunes hommes d’épouser des femmes issues d’autres villages (Pitshandenge). D’après Pitshandenge (20), la disparition du phénomène s’expliquerait par deux raisons principales. D’abord, la pratique est combattue par les administrateurs coloniaux et le Christianisme qui qualifient de sauvages ceux ou celles qui contractaient des unions polyandriques. En outre, sur un plan strictement sanitaire, des maladies sexuellement transmissibles auraient accéléré la disparition de la polyandrie en Afrique.

224

pour les femmes, si l’on s’en tient aux expériences et aux conventions [sociales]

202 (Schipper 212).

Les parémies ci-après, qui proviennent respectivement du Congo et du Vietnam, montrent bien

que l’homme congolais ou vietnamien, à l’instar de leur homologue évoqué chez Kourouma, est

la personne qui tire les ficelles dans une union polygame : « Woman is a gazelle skin on which

only one man can sit » (Beken 203); « A man is allowed to have more than one woman, a good

wife has only one man » (Schipper 212). Ce constat, une fois de plus, souligne le caractère

universel ou transculturel des pensées véhiculées par les proverbes kouroumiens.

L’analyse des proverbes sur la polygamie montre que cette dernière, d’une façon générale,

représente un lourd fardeau pour la femme, un fait dont ces proverbes ne parlent pas explicitement. Toutefois, d’autres parémies kouroumiennes, contrairement à celles que nous venons d’analyser, présentent sans équivoque la femme comme un être assujetti.

4 Femme opprimée

4.1 Femme battue, enchaînée et bâillonnée

Chez Kourouma, la femme reste et demeure un être opprimé, indépendamment du lieu où elle se trouve. À en croire le proverbe qui suit, la société ne lui permet pas de quitter son partenaire

202 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Many proverbs sympathize with man’s falling in love with another woman than his own wife, and […] in a number of cultures he can simply marry one, two or more co-wives. This does not hold for women, as insistently observed, or rather prescribed [...] » (Schipper 212).

225

même si ce dernier commet des voies de fait contre elle : « Partout dans le monde une femme ne

doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, frappe et menace la femme » (ANEPO

33). Comme le suggère cet énoncé, les abus physiques, les invectives et les chantages sont les faits qui favorisent l’oppression de la femme kouroumienne. Mentionnons en passant que ce proverbe est proféré par le narrateur quand il décrit les violences infligées à Mahan par son mari

Morifing. Mahan, ne tolérant pas le comportement agressif de son mari, se sépare de celui-ci.

Morifing, fidèle à l’esprit du proverbe susmentionné, va alors s’employer à rendre la vie misérable à son ex-épouse. Il fera subir à Mahan une violence psychologique en procurant un acte de divorce qui lui interdit d’entrer en contact avec ses enfants dont la garde totale est confiée au père. Comme pour retourner le couteau dans la plaie, Morifing s’engage aussi à exterminer son ex-épouse, son nouveau mari avec. Ne sachant à quel saint se vouer, les seules issues envisageables pour Mahan sont l’exil et l’errance. Elle va donc quitter la Côte Ivoire, son pays d’origine, pour le Liberia, pays en guerre et lieu où elle va mourir suite à une crise de paludisme aiguë (ANEPO 34-37). Par sa mort, Mahan paie le prix d’avoir osé quitter un mari violent et d’avoir désobéi à la règle sociale telle que prescrite dans le proverbe sus-évoqué.

Dans l’œuvre kouroumienne, la violence intellectuelle est un autre mécanisme dont se sert la société pour opprimer la femme. La société se moque de l’intelligence de la femme. Celle-ci souffrirait d’une carence de lucidité, comme en témoigne la sentence ci-après : « Elle (la femme) a toujours tort » (ANEPO 33) ; et l’auteur d’ironiser : « C’est ça qu’on appelle les droits de la femme » (ANEPO 33). Le narrateur a recours à cette sentence pour décrire la condition de

Mahan, une mère à qui les autorités retirent le droit de voir ses enfants, ce, nonobstant le fait qu’elle possède des raisons légitimes pour divorcer d’avec son mari. Cette parémie hautement sexiste prône un certain obscurantisme qui profite à certains hommes. En réalité, elle véhicule une vision très réductrice de la femme parce qu’elle suggère que la femme n’est pas un roseau

226

pensant, pour reprendre cette expression kierkegaardienne. En outre, la parémie ôte à la femme

son estime de soi. L’auteur, grâce au dicton sus-évoqué, met en évidence la regrettable condition

de la femme, à qui la société phallocratique a littéralement retiré toute prérogative de raisonner

ainsi que toute possibilité légitime d’avoir raison.

Le bâillonnement de la femme constitue une autre forme d’oppression dépeinte dans le discours

gnomique kouroumienne. Ce n’est pas le proverbe ci-après qui nous contredira : « les lots des

femmes ont trois noms qui ont la même signification : résignation, silence, soumission » (MOD

130). Notons que le narrateur du récit Monnè, outrages et défis emploie cette parémie quand il

entame sa narration axée sur la vie de Moussokoro, un personnage féminin. Le proverbe nous inspire quelques réflexions. Nous en déduisons que, face aux exigences d’un homme, la femme

n’a pas de choix. Elle doit se plier silencieusement à la volition de l’homme. Toute velléité de

résistance provenant d’elle serait plutôt mal perçue, pour ne pas dire vivement combattue par une

société dont le fonctionnement est régi par des valeurs phallocentriques. L’expérience de

Moussokoro illustrera bien notre propos. Parce qu’elle refuse d’épouser le roi Djigui, un

employé du roi, de façon catégorique, lui adresse cette sentence : « […] une femme ne se refuse

jamais à son mari » (MOD 139). En outre, le sentencieux employé lui rappelle qu’à l’instar d’un

animal tenu fermement en laisse, elle ne peut rien faire pour contrecarrer la volonté du roi :

« C’est en trop voulant se débattre que la chevrette serre encore plus la cordelette par laquelle on

l’a attachée au pieu » (MOD 140). Le terme « chevrette » ici pourrait revêtir deux significations :

la femelle du chevreuil ou la petite chèvre. Cette métaphore utilisée pour décrire la femme mérite

quelques commentaires de notre part. Un trait particulier de la chevrette, cet animal qui peuple

les plaines et savanes de l’Afrique occidentale, est qu’elle protège vigoureusement ses rejetons

(faons) contre les attaques des animaux prédateurs. Force est de constater que nonobstant la

résistance coriace qu’elle oppose pour protéger ses petits, elle n’est pas à même de se protéger

227

elle-même quand elle fait l’objet d’une attaque provenant de son partenaire. Concernant la

deuxième signification – petite chèvre –, nous pourrions dire que la femme, à l’instar de la petite

chèvre, est fragile. Toutefois, au lieu de se montrer tendre envers la femme à cause de sa

fragilité, la société préfère plutôt exploiter les faiblesses de cette femme-là. C’est ainsi que le

père de Moussokoro l’amène de force et la présente au roi (MOD 131). S’adressant à sa nouvelle

dulcinée, Djigui lui rappelle son statut irrévocable d’épouse royale : « Tu l’as été avant ta

naissance, tu le seras toute la vie » (MOD 133). La pauvre Moussokoro finira donc par se plier

car son père et la cour royale ne lésineront pas sur les moyens pour la réduire au silence total. Par

ailleurs, la soumission ou le silence dont parle le proverbe cité plus haut, est synonyme

d’obéissance servile. Au sein des récits kouroumiens, cette dernière se manifeste dans les

relations qui existent entre épouse et époux, relations similaires à celles qui existent entre le sujet

et son maître. À titre d’illustration, Mayagbêt se considère comme le sujet de son mari quand elle

s’adresse à celui-ci en ces mots : « Maître, je suis votre épouse Mayagbê. […] Mes parents m’ont

offerte à Votre Majesté […] » (MOD 92). Dans le même ordre d’idées, le narrateur nous livre

une image saisissante et pitoyable de la femme nommée Karidia ployant sous le fardeau de la

maternité en présence d’Abdoulaye Diawara son époux et maître qui, lui, est visiblement plus à

l’aise. Karidia, raconte le narrateur, a : « l’enfant serré au dos, croulante sous des bagages

encombrants » alors que son mari « les bras ballants, une bouilloire en sautoir et une peau de

prière en bandoulière, la suivait en maître203 » (MOD 129). Mayagbêt et Karidia incarnent le

203 Karidia représente les femmes qui travaillent dur chaque jour pour assurer le bien-être de leur famille. C’est dommage que leurs efforts ne soient pas reconnus par la société. Selon Kourouma, les femmes comme Karidia méritent le respect de la société. Dans une interview accordée à Yves Chemla, le romancier, sans mâcher ses mots, affirme même que la prospérité de l’Afrique passe par la prospérité de la femme : « chez nous les femmes sont exploitées, surexploitées. Tant qu’elles n’auront pas le statut qu’elles méritent, nous resterons sous-développés. Dans les rues de

228

silence dont parle le proverbe susmentionné. Chacune des deux femmes est le symbole par

excellence de la femme traditionnelle. L’image qu’on retient de cette dernière, d’après

Borgomano, est celle d’une « femme silencieuse discrète, qui ne laisse jamais rien transparaître

de ses émotions ni de ses pensées, parfaitement conforme en cela aux règles traditionnelles du

comportement féminin » (1989 : 126).

La société représentée dans les récits kouroumiens s’appuierait sur tous les arguments possibles

et imaginables afin de justifier la servitude des femmes. Par exemple, dans Les Soleils des

indépendances, la société invoque un précepte islamique, lequel encourage la soumission des

femmes: « La soumission de la femme, sa servitude sont les commandements d’Allah,

absolument essentiels […] » (LSI 39). L’auteur a recours à ce précepte pour décrire la condition

de Salimata, une femme musulmane qui, en conformité avec les enseignements coraniques, se

soumet à l’autorité de son mari Fama. Il y a lieu de noter que le précepte sus-évoqué fait écho

aux versets coraniques qui disent : « Les hommes sont des directeurs pour les femmes, à cause de

l’excellence qu’entre eux Dieu accorde aux uns sur les autres […] Si elles viennent à vous obéir,

alors ne cherchez plus de voie contre elles […] » (Le Coran sourate 4 : verset 34).

Dans les proverbes kouroumiens, un autre type d’oppression qui s’abat sur la femme est

l’excision. Celle-ci, en tant que sous-catégorie de violence favorisant l’oppression de la femme,

mérite d’être analysée.

Lomé jusqu’au matin, vous trouvez des femmes sur le trottoir en train de vendre de l’arachide et des bananes pendant que les hommes se promènent ou les regardent. Dans les champs c’est pareil, l’essentiel est fait par les femmes. Les Africains n’ont [pas] de respect pour les femmes […]. Ce n’est plus possible! » (Djian 99-100).

229

4.2 Femme et excision

Avant d’analyser les proverbes qui font allusion à l’excision, circonscrivons d’abord le sens du terme. D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’excision est un exercice chirurgical au cours duquel le sujet excisé subit « une ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans [amputation] des grandes lèvres (qui entourent le vagin) » (OMS :

2010). Pas plus tard qu’en début de l’année 2010, poursuit l’OMS, 92 millions d’Africaines ont

été soumises à cette pratique qui déjà vers la fin des années 1990, touchait 26 pays africains

(Rotino 107). Vu l’envergure de la pratique, il n’est donc pas surprenant de voir les récits et proverbes kouroumiens aborder le sujet. Comme le laisse entendre la définition que l’OMS nous fournit pour l’excision, cette pratique, sans conteste, ôte à la gent féminine quelque chose de vital. Birahima, à travers des propos au relent proverbial, souligne cette évidence et l’effroi que le phénomène suscite: « On n’a pas besoin d’être sur l’aire de l’excision pour savoir que, là-bas, on coupe quelque chose aux jeunes filles » (ANEPO 21-22). Il est à noter que ces mots sont prononcés par Birahima quand il décrit la place qu’occupe l’excision à Togobala, village où sa mère Bafitini a grandi et a connu le phénomène (ANEPO 21).

Comme l’indiquent le proverbe sus-évoqué et les commentaires y afférents, l’excision est pratiquée dans la société dépeinte dans l’œuvre de Kourouma. Compte tenu de cette donne, ne serait-il pas opportun d’explorer les raisons qui sous-tendent le phénomène ? S’adressant à

Salimata, son exciseuse, à travers ces deux énoncés dont le second présente une saveur proverbiale, vante les mérites de l’excision :

Tu verras, ma fille : pendant un mois tu vivras en recluse, avec d’autres excisées

et, au milieu des chants, on vous enseignera tous les tabous de la tribu. L’excision

230

est la rupture, elle démarque, elle met fin aux années d’équivoque, d’impureté de

la jeune fille et après elle, vient la vie de femme (LSI 31).

D’après ces déclarations, l’excision revêt quatre significations. Premièrement, elle permet à l’excisée d’accéder aux secrets et connaissances sacrés qui régissent la tribu. Ensuite, elle permet

à la communauté de statuer sur le sexe du sujet excisé. À cet égard, Marcel Griaule souligne que la pratique lève toute équivoque quant au vrai sexe de l’excisée parce qu’elle règle les questions d’ordre identitaire comme celles relatives à l’hermaphrodisme et à l’androgynisme (Griaule :

1997). Zaourou et Ehouman, abondant presque dans le même sens que Griaule, disent que l’excision se donne comme mission de clarifier l’orientation sexuelle de l’excisée, tâche qui vise

à supprimer ou étouffer chez celle-ci toute prédisposition bisexuelle :

Comme on excise la femme, on incise l’homme […] Dans les deux cas, et

toujours selon le mythe [Dogon], il s’agit de rendre à l’homme ou à la femme son

équilibre, en supprimant en eux le principe féminin ou masculin qui en fait un être

bisexué (Zaourou et Ehouman 114).

S’agissant de la troisième signification de l’excision, les propos de l’exciseuse cités précédemment suggèrent que la pratique, pour l’excisée, marque le passage de la vie de jeune fille à celle de la femme épousable. La quatrième raison qui justifie la pratique de l’excision se trouve également dans les propos de l’exciseuse : l’excision remplit, chez l’excisée, une fonction purificatrice. Du coup, certains hommes s’abstiennent d’épouser les femmes non excisées de peur d’être affectés négativement par la souillure et autres forces maléfiques que porteraient ces femmes-là. À en croire Djigui, protagoniste du récit Monnè, outrages et défis, une épouse non excisée dévalue le mariage, anéantit les amulettes de son époux et invalide les sacrifices offerts par celui-ci (MOD 250). Chez les personnages kouroumiens, l’excision joue donc un rôle non

231

négligeable dans le domaine de la nuptialité, parce que la mariabilité ou la non-mariabilité d’une

femme en dépend largement. À titre d’illustration, Djigui va vigoureusement s’opposer au projet de mariage de Mariam en brandissant, entre autres, l’argument selon lequel elle n’est pas excisée.

Chez Kourouma, le phénomène de l’excision est ancré dans l’imaginaire collectif. Il s’est même frayé un chemin à travers le discours social. En fait, il est utilisé comme une métaphore dans les conversations ordinaires. Par exemple, pour décrire les vicissitudes du travail forcé, le narrateur du roman Monnè, outrages et défis établit une comparaison entre le tourment que subissent les travailleurs indigènes et la douleur que connaissent les fillettes excisées. Pour la circonstance, le narrateur a recours à cette déclaration à valeur sentencieuse: « On n’excise pas les jeunes filles sans faire couler du sang » (MOD 183). S’il est vrai que cet énoncé fait mesurer l’étendue indescriptible des peines endurées par les travailleurs noirs, il n’en demeure pas moins qu’il est fort évocateur de l’ampleur des dangers de l’excision, une opération qui fait saigner ses victimes

à profusion. Bafitini par exemple, après avoir subi une excision, devient hyper anémique et paraplégique parce que « son sang coulait comme une rivière débordée par l’orage » (ANEPO

22). Par ailleurs, la femme excisée, pendant qu’elle saigne, est vulnérable au viol et au harcèlement sexuel. Salimata peut en témoigner. En effet, le féticheur Tiécoura viole Salimata dans le « sang » et « dans sa plaie d’excisée » (LSI 39) le jour même de l’excision. L’excision doublée du viol sanglant est une expérience qui traumatise la victime au point où elle ne peut supporter qu’un objet étranger frôle ses parties intimes. En conséquence, la nuit de ses noces, quand son mari Bafi désire « forcer », Salimata crie « comme la nuit de son excision et la peur et l’horreur de Tiécoura » remontent « dans son nez et sa gorge » (LSI 41). La hantise de l’excision

et du viol sanglant semble l’accompagner partout. Chez le marabout Abdoulaye, par exemple,

cette obsession constitue le prisme à travers lequel elle interprète le sang du coq sacrifié. Si le

232

sérum de ce dernier, pour le très voluptueux Abdoulaye, représente la « couleur de douceur » et le « fumet du désir d’une peau fine, des fesses rondes », pour Salimata par contre, il représente la

« couleur de l’excision » et le « fumet de la crispation et de la frayeur » (LSI 76). Ajoutons que l’excision et l’hémorragie, dont parle le proverbe susmentionné, favorisent des infections chez certains sujets excisés, des infections qui peuvent même occasionner le décès de ces derniers.

Des critiques comme Rotino (110) et Naib Khadija, pour ne citer que celles-ci, ont démontré les rapports étroits qui existent entre l’excision, les hémorragies, les infections et le décès.

D’ailleurs, Khadija confirme tout en regrettant ces tristes connexités: « Que certaines femmes meurent à cause des pertes de sang et des infections liées à l’infibulation, c’est tragique !204 »

(Khadija 77). Signalons que Bafitini, la mère de Birahima, protagoniste du récit Allah n’est pas obligé, meurt à cause des infections contractées suite à l’excision. Chez Kourouma, l’excision, tout court, rime avec la mort. À titre d’illustration, Moussogbê et sa consœur Nouna, lors d’un rituel d’excision, paient le prix fort en passant de vie à trépas (LSI 32).

Comme nous l’avons constaté plus haut, les arguments avancés pour justifier la pratique de l’excision sont nombreux et variés. Mais, valent-ils leur pesant d’or ? Nous ne le pensons pas. Et pour cause. Ces arguments n’occultent pas les dégâts qu’engendre la pratique et que nous avons relevés plus haut. Lesdits arguments seraient de faux prétextes qui permettent à la société de légitimer une pratique qui répond aux aspirations de certains hommes sadiques. Autrement dit, la pratique n’est rien de moins qu’un stratagème idéologique égoïste déployé par certains hommes pour garder la femme sous leur domination sexuelle. Du moins, c’est ce que semblent insinuer

Zaourou et Ehouman par les propos ci-après :

204 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « It is tragic that some women die due to blood loss and infections caused by the infibulation » (Khadija 77).

233

D’un point de vue strictement biologique, l’expérience montre que la circoncision

accentue la sensibilité sexuelle de l’homme alors que l’excision limite fortement

celle de la femme. C’est déjà là le signe d’une contradiction par rapport à

l’explication mythique qui tend à attribuer à ces deux pratiques une même

fonction positive pour les deux sujets (Zaourou et Ehouman 114).

Notons en passant que l’œuvre de Kourouma renferme un proverbe205 relié à la circoncision.

Toutefois, chez l’écrivain, cette dernière ne dégrade pas l’homme. Contrairement à l’excision qui

tétanise la femme quand elle ne l’anéantit pas simplement et purement, la circoncision, elle, valorise l’homme. En fait, la circoncision est associée au courage, à la foi et même à

l’authenticité identitaire, comme en témoigne cette déclaration provocatrice et pleine de jactance

que lance Béma à ces adversaires : « On dit que Houphouët fait trembler les Blancs, jamais un

vrai Keita, un circoncis, un croyant, un authentique Keita comme Béma ne le craindra » (MOD

242). En outre, contrairement à l’excision dont les victimes cherchent du soutien auprès des

guérisseurs et des familles, la circoncision rend l’homme autonome. Par exemple, Yacouba,

après sa circoncision, devient un ‘homme’, quitte son village pour aller se débrouiller dans les

villes, où il se lance dans le commerce des colas (ANEPO 138).

Mutiler l’appareil génital d’une fille et prétendre que cela va l’aider à mieux affronter la vie en

tant que femme ne nous paraît donc pas convaincant. Perdre son clitoris ainsi que les lèvres de

son vagin ne peut qu’entraîner chez la femme de graves problèmes, que ce soit au niveau

émotionnel, sexuel ou reproductif. L’excision est donc néfaste à l’équilibre physique et mental

205 « On n’a pas besoin d’être sur l’aire de la circoncision pour savoir que là-bas on coupe quelque chose » (ANEPO 33). Ce proverbe a presque la même structure que celle qui parle de l’excision : « On n’a pas besoin d’être sur l’aire de l’excision pour savoir que, là-bas, on coupe quelque chose aux jeunes filles » (ANEPO 19).

234

de l’excisée. Par conséquent, le bon sens voudrait que l’on respecte la dignité et l’intégrité

physique de tout être humain. En effet, la Déclaration universelle des droits de l’homme en ses

articles 3206 et 5207 ne souligne-t-elle pas cela ? Kourouma semble souscrire à ce bons sens,

parce que l’excision est représentée dans son œuvre comme une pratique à enterrer, ses

promotrices208 avec. Les décès de Moussokoroni et Sœur Hadja Gabrielle Aminata, deux personnalités marquantes de la pratique, semblent confirmer cette hypothèse. Par ailleurs,

Kourouma ne cache pas sa sympathie pour les femmes non excisées ou pour celles qui sont

menacées par la pratique d’excision. Par exemple, Mariam, malgré son statut de femme non

excisée, mène sans complexe une vie de femme mariée et œuvre sans relâche pour mettre un

terme aux travaux forcés, un engagement qui lui vaut même un tour en prison.

206 « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (Déclaration universelle des droits de l’homme, http://www.un.org/fr/documents/udhr/#a3, site consulté le 14 avril 2010).

207 « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (Déclaration universelle des droits de l’homme, http://www.un.org/fr/documents/udhr/#a5, site consulté le 14 avril 2010).

208 Le comportement de ces promotrices est imprégné d’ironie, car au lieu de combattre une pratique qui nuit à la femme, elles préfèrent plutôt la promouvoir. De nombreux critiques, y compris bien sûr ceux qui sont impliqués dans les écrits féministes, s’insurgent contre de telles femmes qui oppriment d’autres femmes. Cobbe (1822-1904), par exemple, fustige ce genre de comportement, lequel n’honore pas la femme oppresseuse et lequel n’avance pas la cause de la femme opprimée: « Honte éternelle à ces femmes qui, au lieu d’éprouver une honte et une indignation brûlantes devant les injustices et les souffrances que […] subissent leurs sœurs moins fortunées, pensent que, comme tout est facile pour elles, tout est pour le mieux dans ‘le meilleur des mondes possibles’ » (Cobbe 8 ; notre traduction ; citation originale : « It is to the eternal disgrace of such women that, instead of feeling burning shame and indignation at the wrongs and hardships which […] their poorer sisters undergo, they think that, because the world is easy for them, it is ‘the best of all possible worlds’»). Derrière ces femmes qui œuvrent contre les femmes, se cachent parfois certains hommes. En des termes fort proches de ceux de Cobbe, Cixous décrie cette situation – qu’elle d’ailleurs qualifie de délit – où la femme est instrumentalisée contre la femme: « Contre les femmes ils [les hommes] ont commis le plus grand crime : ils les ont amenées, insidieusement, violemment, à haïr les femmes, à être leurs propres ennemies, à mobiliser leur immense puissance contre elles-mêmes, à être les exécutantes de leur virile besogne » (Cixous 41).

235

En exposant la problématique de l’excision, Kourouma aborde la délicate question du droit au

contrôle du corps et de la sexualité. On ne saurait sous-estimer l’impact de l’initiative prise par le

romancier. En fait, ses écrits en matière d’excision sont souvent exploités par divers spécialistes

qui s’intéressent à la pratique de l’excision. Ainsi, Claude Gosselin (52), dans une étude

anthropologique intitulée « Feminism, Anthropology and the Politics of Excision in Mali: Local

and Global Debates in a Postcolonial World », souligne que Kourouma fait partie des premiers

écrivains à placer « l’excision au cœur du débat public en Afrique de l’ouest ». De leur côté, la critique féministe Chantal Zabus (2007 : 205) tout comme l’ethnopsychologue Claude Abastado

(147) s’inspirent de l’œuvre kouroumienne quand ils abordent la question de l’excision dans leurs disciplines respectives.

Outre l’illustration des rapports qui existent entre la femme et l’oppression, les proverbes exposent aussi les liens qui existent entre la femme et la beauté.

5 Femme et beauté

En analysant les proverbes à l’étude, nous constatons que la beauté joue un rôle significatif dans

la vie de la femme kouroumienne. Si celle-ci est belle, elle éprouvera moins de difficulté à mener une vie heureuse. Notre supposition s’appuie sur la parémie ci-après, laquelle établit un parallèle entre beauté féminine et opportunités : « La vie est toujours facile pour celles qui ont tous les dons des femmes » (MOD 249). Rappelons que le narrateur profère cette parole pour appuyer l’idée selon laquelle Mariam doit son aisance sociale à sa beauté physique. Ayant acquis à la naissance « des poignets et des chevilles d’une finesse », elle met en relief ces qualités physiques en arborant « des boubous transparents » (MOD 249). La conséquence qui découle de sa beauté naturelle et de son souci constant de la préserver est que les hommes comme le commandant

236

Héraud gravitent autour d’elle, l’admirent « sans se rassasier » et résistent « difficilement au désir de [la] mordiller » (MOD 249). Le proverbe sus-évoqué suggère que la beauté peut changer

le destin des femmes, y compris celles issues des origines modestes, comme Mariam209. Une femme pauvre mais belle ne négligerait donc rien pour améliorer sa beauté, car cette dernière lui permet d’attirer vers elle des hommes riches qui peuvent prendre soin d’elle. Schipper, dans les propos qui suivent, constate la réalité de ce phénomène social ainsi que sa forte prévalence:

En raison de leur situation économique précaire, les femmes se jugent en fonction

des critères établis par ceux qui sont censés les désirer, les protéger et les

encadrer. Cette stratégie a conduit de nombreuses femmes à dépenser une énergie

incroyable sur leur apparence physique par le biais des vêtements, des produits

cosmétiques, des bijoux et autres moyens d’embellissement ; ces investissements

incontournables permettent aux femmes de séduire et de pousser un homme

finalement au mariage afin d’obtenir leur unique pitance dans la vie210 (Schipper

389).

Par ailleurs, chez Kourouma, la belle femme est synonyme d’objet précieux. Elle est représentée

comme la meilleure chose qu’un individu puisse posséder ou offrir. Soumaré, à travers la

déclaration à valeur sentencieuse ci-après, crédite notre hypothèse : « À plus sage et savant que

209 La vérité du proverbe se vérifie aussi chez Matali, une négresse d’origine pauvre qui « […] prospérait, tenait cour, construisait concession et boutiques, bref, s’enrichissait tout en se faisant courtiser par les Toubabs célibataires … [parce qu’] elle restait toujours belle » (LSI 96).

210 C’est nous qui traduisons de l’anglais. Citation originale: « Their precarious economic situation has made women inevitably see themselves through the eyes of those who ought to desire, protect and take care of them. This tactic has led many women to spend incredible energy on their appearance, by means of clothes, cosmetics and jewellery, and other beautifying practices, as indispensable investments to seduce and finally induce a man into marriage in order to get their only piece of cake in life » (Schipper 389).

237

soi, on offre ce qu’on a de mieux : les plus belles femmes du pays » (MOD 55). Signalons rapidement que Soumaré profère cet énoncé quand il parle de l’occupation de son pays par les colons français, à qui les autorités traditionnelles211 de son pays donnent les meilleures choses

qu’elles possèdent : leurs terres, leurs travailleurs qualifiés et surtout leurs belles femmes (MOD

55). Dans les deux proverbes cités ci-dessus, il ne fait aucun doute que la beauté est un atout

pour la femme. Cependant, nous pouvons affirmer que la beauté transforme la femme en un

simple objet qui peut être acquis par l’homme riche ou offert en cadeau par un homme. De ce

fait, les femmes belles passent donc pour « des objets ou des victimes du pouvoir masculin »,

pour paraphraser Schipper (Schipper 389).

Chez Kourouma, alors que la beauté, pour certaines femmes, est un acquis, pour d’autres, elle est

une quête permanente à l’issue incertaine. Comme semble le suggérer le sens littéral de la

parémie qui suit, il existerait une catégorie de femmes chez qui la beauté demeure un mirage :

« L’or ne se ramasse que par celles qui n’ont pas d’oreilles solides pour porter de pesantes

boucles » (LSI 47) ! En d’autres termes, une femme ne disposant pas de traits physiques naturels aura beau amasser les objets de beauté, ces derniers ne lui conféreront pas la parure tant souhaitée par elle ni une beauté susceptible d’être appréciée de tous. Notons que le narrateur

utilise le proverbe susmentionné au moment où Salimata apporte son secours à un sale petit

garçon qui se renverse sur la place du marché (LSI 47). Pris métaphoriquement et

contextuellement, la substance du proverbe pourrait se résumer à ceci : donner des enfants à une

femme qui ne peut pas les encadrer, c’est comme offrir l’or à une femme qui n’a pas la beauté

naturelle requise pour l’accommoder. Il ne serait donc pas exagéré ni risqué d’avancer que les

211 Le pouvoir traditionnel à Soba est assuré par une équipe d’hommes œuvrant sous le contrôle du roi Djigui.

238 dons physiques constituent l’armature incontournable sur laquelle se posent les ornements et autres objets d’embellissement pour femmes. Cette conjecture est confortée par le message qui se dessine à travers le proverbe ci-après, lequel établit un lien entre culte de personnalité et pouvoir politique d’une part, et parure et beauté féminine d’autre part : « Les louanges sont indispensables à la force comme la parure l’est à la belle femme » (MOD 54). Mentionnons en passant que cette parole est dite par l’interprète Soumaré au moment où il ordonne au griot

Diabaté de tenir des propos élogieux envers le capitaine français, lequel est confortablement installé dans un hamac et entouré des soldats. Le message qui se dégage de la parémie susmentionnée peut se résumer à ceci : de la même façon que les ornements aiguisent la beauté d’une belle femme, les éloges dithyrambiques affûtent les capacités des dirigeants détenteurs de pouvoir absolu.

Si le proverbe kouroumien parle de la beauté féminine, ce n’est pas le fruit du hasard. En fait,

Kourouma utilise la beauté féminine pour construire un réseau de significations dans ses romans.

Il s’en sert pour mettre en évidence le comportement voluptueux de certains auxiliaires coloniaux, comme le démontre cet extrait relatif à la forme physique resplendissante de la négresse Matali :

Elle [Matali] était plus vigoureuse qu’une génisse de deux ans, et d’une beauté !

d’une beauté ! Le commandant n’en avait pas vu de comparable dans le

Horodougou. Le teint ! Ce noir, le noir brillant des rémiges de l’oiseau des

marigots, les dents blanches et alignées comme pas faites pour manger, un nez

droit et fin comme un fil tendu, des seins d’ignames, durs et luisants et une voix

de merle de fonios. De retour chez lui le Toubab restait tout pénétré. Il ordonna.

239

On amena Matali sous forte escorte. Il l’engrossa deux fois coup sur coup : deux

garçons (LSI 95-96).

L’auteur s’appuie aussi sur la beauté féminine pour élucider le thème de l’excision. Dans son

œuvre, la beauté féminine apparaît comme une chose précieuse qui est oblitérée ou supprimée par l’excision, comme en témoigne le narrateur de Les Soleils des indépendances à travers ces propos :

Le champ [de l’excision] ne retenait que les plus incomparables des belles

(comme Salimata !). Était restée Moussogbê […], une beauté dont tout le

Horodougou se souvenait encore. N’en était pas revenue, il y avait quatre

harmattans, Nouna dont le nez avait la rectitude du fil tendu (LSI 32).

Les déclarations du narrateur insinuent aussi que la beauté physique remplit une fonction mémorielle parce que lorsque les habitants d’Horodougou pensent à Moussogbê et Nouna

(femmes mortes sous le couteau de l’excision), ce qui leur revient à l’esprit c’est la « beauté »

(de Moussogbê) et « le nez » ayant « la rectitude du fil tendu » (de Nouna). Par ailleurs, la beauté est un élément important que Kourouma utilise pour décrire la mère ou la femme parfaite. Citons trois exemples pour illustrer notre supposition. Dans En attendant le Vote des bêtes sauvages, la beauté complète le portrait de Nadjouma, une mère exemplaire:

Jamais plus les montagnards ne connaîtront une femme qui égale Nadjouma. Elle

était belle – elle reste belle. Elle était courageuse – elle reste courageuse. Elle est

intelligente. […] Elle restera pour toutes les femmes africaines un modèle, une

perpétuelle source d’inspiration (EAVBS 39).

240

Dans le même récit, Kourouma emploie l’expression « la belle Momo » pour décrire Mama

Momo, une autre mère exemplaire qui tient à « maintenir son fils dans les écoles » (EAVBS 218).

Chez Fanta, co-protagoniste du récit Quand on refuse on dit non, la beauté va de pair avec

l’intelligence. Non seulement cette dernière est « belle comme une masque gouro »

(QORODN 31), mais elle est aussi « belle et intelligente comme il n’est pas permis » (QORODN

32). Bien que l’auteur donne quelques détails sur la beauté physique de Nadjouma212 et Fanta, il reste muet sur celle de Mama Momo, nous laissant deviner que chez cette dernière, la beauté réside dans l’idée qu’elle se soucie de l’avenir de son enfant.

Nous voici arrivé au terme de ce chapitre, et il nous semble utile de faire le point. À partir des proverbes, nos analyses ont montré que la femme, chez Kourouma, remplit la fonction de la mère pédagogue, celle dont la mission consiste à veiller sur l’encadrement moral et physique de l’enfant qu’elle accouche. En nous basant sur les proverbes à l’étude, nous avons aussi montré que la maternité et la stérilité féminine, respectivement, revêtent des significations distinctes.

Pour la société, la maternité assure la survie et le rayonnement de la lignée filiale ou clanique, et la stérilité le contraire. Chez la femme, alors que la maternité rehausse son image sociale, la stérilité, à l’inverse, entache sa réputation, réduit ou anéantit son estime de soi et déstabilise son

équilibre mental. Dans ce chapitre, en nous servant des proverbes, nous avons aussi argué que la femme kouroumienne connaît la polygynie, un régime matrimonial qui favorise l’avilissement de la femme, néglige ses besoins libidinaux et affectifs, entrave son autonomie et réifie son être. En outre, notre chapitre, grâce aux proverbes, a également établi que la femme kouroumienne est

212 « Au nom d’Allah, la maman de Koyaga était belle. Une très belle femme ! Elle avait préservé la corpulence de jeune fille : ses seins pointaient comme les mangues crues des premiers jours d’avril ; ses muscles saillaient durs et ses fesses avaient la rondeur et la consistance d’une marmite de fonte » (EAVBS 56).

241

confrontée à diverses formes d’oppression telles que les restrictions à la liberté de circulation, les

coups et blessures, la privation de parole et l’excision. En dernier lieu, ce chapitre, par le

truchement des proverbes, a relevé la place ambiguë qu’occupe la beauté dans la vie de la femme

kouroumienne. Chez cette dernière, la beauté est à la fois un atout et un handicap : atout parce

qu’elle lui permet de s’attacher les faveurs des hommes riches, et handicap parce qu’elle la

transforme en objet de désir masculin, en objet de cadeau.

Avant de clore définitivement ce chapitre, nous ne pouvons nous dispenser de faire quelques

remarques relatives aux principaux points que nous avons analysés. En célébrant la femme mère

à travers les parémies, Kourouma se conforme à une tradition littéraire africaine. Sa démarche

perpétue une pratique littéraire affichée dans le poème213 de Camara Laye, les contes214 de

Birago Diop et le récit215 d’Émile Cissé, pour ne citer que ceux-là. Il serait peut-être utile, à

l’avenir, de faire une étude comparative sur la célébration de la femme en se basant sur un corpus regroupant l’œuvre de Kourouma et celles de ces auteurs et/ou d’autres auteurs africains. En représentant la femme au sein des proverbes comme victime de la stérilité féminine, de l’oppression, de la polygynie et du beau corps réifié, Kourouma amène le lecteur à une prise de conscience du statut précaire de la femme africaine telle que dépeinte dans ses récits. Aussi, l’auteur, par le canal des proverbes, renvoie-t-il à la société les images peu flatteuses que cette dernière a construites sur la femme, et, du coup, invite subtilement cette société-là à opérer sa propre catharsis, un processus qui pourrait lui permettre de se débarrasser des maux qui font entrave à l’épanouissement de la femme.

213 « À ma mère », publié dans le roman L’Enfant noir [Paris : Plon, 1953]. 214 Coumba Am N’Dèye et Coumba Amoul N’Dèye 215 Faralako [Nendeln : Kraus Reprint, 1973].

242

Conclusion générale

Au début de ce travail, nous nous sommes fixé l’objectif d’analyser la représentation dans le

discours proverbial kouroumien des cinq catégories thématiques suivantes: la religion, la culture

matérielle, les animaux, la temporalité, la femme. Avons-nous réalisé cet objectif ? Les

hypothèses que nous avons émises et les méthodes théoriques retenues pour les différentes

catégories d’analyse ont-elles été respectivement démontrées et appliquées ? Voilà des questions

qui valent la peine d’être posées au terme de notre réflexion. À ces interrogations, sans fausse modestie, nous répondrions par l’affirmative.

À propos de la religion, en adoptant une approche syncrétique (Droogers 1989, Kamstra 1970) et

à l’aide des proverbes, nos analyses ont montré que l’islam et la croyance traditionnelle

constituent la combinatoire religieuse qui nourrit et dynamise la spiritualité des personnages et

en assure la pérennité. Grâce aux proverbes et aux références romanesques pertinentes, nous

avons aussi relevé que le syncrétisme religieux des personnages se vit sous le triple mode

d’adaptation, de résistance, et d’ambivalence. Ce syncrétisme religieux montre combien les

pratiquants de la religion indigène ont su s’adapter et résister au prosélytisme islamique, une

tendance que cautionnait déjà Amadou Hampâté Bâ en 1961 à travers ces propos : « Sans cesser

d’être croyants, les Nègres doivent rester eux-mêmes et tirer de leur foi respective des éléments

propres à affirmer leur personnalité216 » (Bâ, cité par Ndaw 234). En outre, en nous appuyant sur

des proverbes, des allusions romanesques et certains théoriciens (Mbiti, Turaki, Steyne, Elungu),

nous avons montré que la survie du syncrétisme religieux est liée à une logique pragmatiste,

216 Déclaration extraite du document intitulé Colloque sur les religions, Abidjan, Éditions Présence africaine, 1961.

243

étant donné qu’il permet de répondre à certains intérêts individuels, collectifs ou doctrinaux. Par ailleurs, l’application d’une démarche fonctionnaliste (Turaki 2006, Steyne 1990, Shorter

1988, Geluwe 1975, Olsen 1965) nous a permis d’établir que la religion, telle qu’inscrite dans certains proverbes [et surtout quand elle est vécue sous les modes des sacrifices, de l’obéissance et de la charité], procurerait à ses adeptes des bénéfices utilitaires. Nos analyses des proverbes et des contextes romanesques y afférents ont aussi établi que les actants romanesques sont familiers avec l’idée d’un Dieu ubiquiste, omni-savant et miséricordieux. Aussi, nous avons montré que la religion, telle qu’inscrite dans le discours proverbial, est un phénomène que manient certains personnages pour servir leurs desseins inavoués. Grâce à l’adoption d’une approche intertextuelle (Kristeva 1969, Riffaterre 1980), nos analyses ont également révélé que certains proverbes religieux, par endroits, renferment des traces du texte coranique.

En ce qui concerne la culture matérielle, nous avons montré comment cette dernière, à travers les proverbes, se manifeste sous ses différentes formes et dans ses degrés les plus divers. Dans la catégorie d’artefacts vestimentaires, nous avons tour à tour scruté les significations du chapeau, de la ceinture, de la culotte et du haillon. Nos analyses ont établi que le chapeau est signe de pouvoir traditionnel, de maturité cognitive et d’appartenance à un groupe sociologique. La ceinture et la culotte constituent des symboles de pouvoir alors que le haillon traduit le manque.

Nous avons aussi identifié la catégorie d’objets ménagers qui regroupe la marmite, le canari et la calebasse, lesquels renferment des valeurs symboliques. Si la calebasse vide symbolise la déchéance dans le proverbe, force est de constater qu’elle joue, au niveau langagier, un rôle stylistique et esthétique dans les récits de Kourouma. S’agissant de la classe d’objets organologiques, nous avons repéré deux artefacts, à savoir le tambour et le tam-tam. Concernant leurs significations, nos analyses ont établi que le tambour est signe de l’autorité politique et judiciaire et que le tam-tam passe pour la voix de Dieu tout en servant d’objet de communication

244 et de transmission de nouvelles. Notre réflexion a aussi établi que les objets de défense constituent une autre catégorie d’artefacts inscrits dans les proverbes kouroumiens et que ladite catégorie renferme l’arme blanche, l’arme de jet et l’arme à feu. S’agissant de l’espace bâti en tant que catégorie d’objets, nous avons identifié à travers les proverbes quatre espaces distincts à savoir : l’espace maternel, l’espace patriarcal, l’espace partagé et l’espace d’accueil surveillé.

Quant à la classe d’objets précieux, l’or et le cuivre en font partie. Nos analyses ont démontré qu’aux yeux des personnages, l’or a plus de valeur que le cuivre. Par ailleurs, nous avons identifié l’argent comme une catégorie à part entière. Cet artefact, comme nos analyses l’ont démontré, est symbole de puissance, de perversion, de séduction et d’une liberté illimitée. La dernière catégorie d’objets abordés comprend la pirogue, l’hameçon et le filet. Tout en démontrant que ces objets relèvent du patrimoine culturel maritime et fluvial des personnages, nous avons constaté et souligné que la pirogue telle que dépeinte dans les discours proverbial et romanesque est une représentation métaphorique du pouvoir politique.

Au sujet de l’inscription des animaux au sein des parémies, guidé entre autres par les contextes d’actualisation des proverbes, nous avons exploré les symboliques des animaux, les traits identificatoires de ces derniers ainsi que les problèmes éthiques relatifs à l’exploitation animale.

Concernant les symboliques animalières, chez les mammifères, nous avons établi que : l’hippopotame est le symbole d’endurance et d’invulnérabilité ; le singe celui d’incivilité, de mesquinerie, de l’esprit prédateur, du conservatisme et de l’aigreur ; le gorille celui d’orthodoxie et de l’immobilisme ; le chien celui d’amitié, de fidélité, de la bonne garde et de la faillibilité ; l’hyène celui de la mort, de l’abject, du répugnant, de la solitude et de la couardise ; et l’éléphant celui de puissance et de fragilité. S’agissant des sauriens, nos analyses ont montré que le caïman incarne la figure du débrouillard, le margouillat celle du mauvais perdant et le crocodile celle du traître et de l’insaisissable. Du côté des squamates, nous avons démontré que le serpent

245

emblématise la vie alors que la vipère symbolise la méchanceté. En analysant les symbolismes

des animaux dans les proverbes, nous avons aussi décrit les significations romanesques desdits symbolismes. Ainsi, nous avons établi un parallèle entre: l’hippopotame, symbole de

l’invincibilité, et le président Koyaga, le dictateur invincible; le singe, symbole d’un agent

prédateur, et l’autorité coloniale française qui exploite sans scrupule, au profit de l’Hexagone, les

ressources humaines et naturelles du peuple soba; le gorille, symbole du conservatisme, et

Houphouët-Boigny, un dictateur qui résiste au changement politique et économique ; l’hyène, symbole de ce qui est méprisé, et Bakary, un homme égoïste qui est vilipendé par Fama ; l’éléphant, symbole de la détermination, et Koyaga, un despote animé d’un courage inébranlable ; le margouillat, symbole de la ruse, et Béma, un enfant astucieux qui chasse son père du pouvoir ; la vipère, symbole de la méchanceté, et Sipponi, un enfant-soldat qui trahit ses pairs. Quant à l’identification des animaux, nous avons, par le truchement des proverbes, établi que les personnages romanesques reconnaissent généralement les animaux par leurs traits comportementaux, leurs habitats écologiques et leurs traits physiques. S’agissant de l’exploitation des animaux, nous avons démontré que ceux-ci revêtent des valeurs nutritives, médicamentaires et sacrificatoires pour l’homme. Aussi, grâce notamment à la théorie du contractualisme (Newmeyer, Clark et Regan), nous avons démontré que l’homme inflige la souffrance aux animaux, une souffrance qui pose des défis moraux et éthiques.

Concernant la temporalité, en adoptant une approche contextuelle et en nous appuyant, entre

autres, sur des concepts culturel (Konaté), phénoménologique (Mall) et spatial (Libbrecht) du

temps, nous avons commenté différents aspects du temps tels qu’ils se manifestent au sein des

proverbes. Dans ces derniers, le temps individuel englobe deux phases, à savoir l’enfance et la

vieillesse. Si la première phase est associée à la maternité, au maternage, à la précarité et à la

socialisation primaire, la seconde, elle, évoque la retraite, la dégénérescence physique,

246 l’expérience et la mort. S’agissant du temps physique tel qu’inscrit dans les proverbes, il concerne les phénomènes météorologiques (pluie, soleil, lune) et les saisons (harmattan) qui ponctuent et structurent la vie agricole, sociale et culturelle chez les personnages kouroumiens.

Dans les proverbes, le temps historique, lui, renferme les époques coloniale et postcoloniale, deux époques marquées respectivement par la négation de la culture nègre et l’incertitude sociopolitique. Nous avons aussi montré que le temps, à travers les proverbes, se conçoit comme un phénomène à durée limitée ou illimitée ; les temps professionnel, humain, météorologique,

écologique et de « toutes les choses » sont limités, alors que les temps de la mort et des traditions sont à durée indéterminée. D’autres dimensions du temps que nous avons décryptées dans les proverbes comprennent les temps du verdict, du destin, de discrétion, de pause, d’opportunité et de prémonition. Nos analyses ont aussi montré que la précarité qui caractérise le temps historique dans les proverbes fait écho au contexte sociopolitique qu’a vécu Kourouma quand il

écrivait et publiait ses récits.

Sur la représentation de la femme, à l’aide d’une démarche socio-littéraire, nous avons analysé la condition de la gent féminine telle qu’inscrite dans le discours proverbial. Ainsi, nous avons

établi que la femme, à l’instar de la société à laquelle elle appartient, convoite la maternité et déteste la stérilité. Si la maternité rime avec prestige social parce qu’elle concourt à la pérennisation du lignage filial, la stérilité, elle, attire du mépris social sur la femme inféconde et porte atteinte à l’équilibre psychologique de cette dernière. Nous avons également montré que la femme kouroumienne est soumise aux affres de la polygamie que sont la chosification, la dégradation, la dépendance économique et la carence affective du sujet féminin. En plus, nous avons, les proverbes à l’appui, démontré que l’oppression de la femme kouroumienne passe par les restrictions de la liberté d’expression et de déplacement, la bastonnade et l’excision. Nous avons aussi établi que la beauté, pour la femme, est une sorte d’atout empoisonné ; d’une part

247

elle permet à la femme de gagner sa vie, et d’autre part les hommes riches l’exploitent pour

chosifier la femme.

Tout en traduisant la vision cosmologique des personnages sur la religion, les artefacts, les

animaux, le temps et la femme, le discours proverbial met au grand jour l’imaginaire fécond et

intarissable des personnages romanesques et dévoile, dans une certaine mesure, la théorie

kouroumienne du roman. En incluant le discours proverbial dans ses écrits, l’auteur fait passer le

message selon lequel la potentialité de l’espace d’écriture – à l’instar de l’imaginaire de ses

personnages – est illimitée. Ici, sa vision est en harmonie avec celle de Ken Bugul qui dit: « […]

Il ne devait pas y avoir de limite dans l’acte d’écrire. S’il n’y a pas de limite dans l’imaginaire,

pourquoi y en aurait-il dans l’écriture ? Il faut écrire avec son tempérament […]217 » (Kassa

180). Non seulement la démarche de Kourouma souligne la nécessité d’ouvrir l’espace romanesque francophone, mais aussi elle semble récuser le normativisme qui a régi et/ou continue de régir la forme d’écriture chez certains romanciers africains. En fait, sa démarche confère à son œuvre une vision intégrale de l’écriture, car ladite œuvre réunit en un seul lieu un texte hybride alliant les traits des littératures orale et écrite. Y aurait-il meilleure manière de thématiser le roman africain dans une perspective intégrale, critique et novatrice ? Nous pensons que non. Levinas ne dit-il pas que « le savoir ne devient savoir [...] que si, en même temps, il est critique, s’il se met en question, remonte au-delà de son origine218 » (Levinas) ? En parsemant

ses récits de fragments de sagesse africaine, Kourouma met donc en question les canons

d’écriture élaborés par l’occident, une stratégie qui lui permet de délivrer l’expression littéraire

217 Entretien de Kassa avec Ken Bugul. 218 Lévinas, dans Totalité et infini, cité par Ondo-Mvé, préface du livre de Mamoussé Diagne, p. 9.

248

du seul contrôle de l’écrit, en l’ouvrant à l’oral. Par son geste, il démontre que, comme dirait

Ondo-Mvé, « ce n’est pas l’écriture qui est universelle, mais la pensée, la pensée critique219 »

(Diagne 9). Aussi, en oralisant le roman francophone par les proverbes à valeur thématique,

Kourouma milite pour un espace d’expression littéraire inclusif. Parlant justement de cet espace- là, Édouard Glissant, qui l’appelle de tous ses vœux, le dépeint comme : « Le lieu d’où on émet la parole, d’où on émet le texte, d’où on émet la voix […] ». Tout en décrivant les potentialités de cet espace, Glissant relève aussi ses défis quand il dit : « Mais ce lieu on peut le fermer, et on peut s’enfermer dedans. […] L’important aujourd’hui est précisément de savoir discuter d’une politique de la Relation telle qu’on puisse, sans défaire le lieu, sans diluer le lieu, l’ouvrir220 »

(Glissant 1996 : 29-30). Par ailleurs, en présentant le système de pensée des personnages à travers les proverbes thématiques, Kourouma semble aussi souligner le rôle de l’auteur en tant que courroie de transmission culturelle. Il incomberait à ce dernier de lutter contre l’oubli du patrimoine culturel. D’après Marc Augé, il existe trois figures majeures de l’oubli : l’expérience d’un passé qui néglige le présent ; l’expérience d’un présent qui interrompt toute attache avec le passé et le futur ; l’expérience d’un futur qui rejette le passé et devient un recommencement

(Diagne 9). Les proverbes romanesques kouroumiens, en tant que lieu de cristallisation de la mémoire collective et/ou de l’héritage culturel, permettent donc de lutter contre ces différentes formes d’oubli. En cela, l’œuvre de Kourouma articule une préoccupation observée chez certains grands écrivains qui l’ont précédé221.

219 Ondo-Mvé, préface du livre de Mamoussé Diagne, p. 9. 220 Glissant, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996 : 29-30. 221 Hérodote déjà pendant la période pré-christique, dans l’avant-propos de son œuvre d’histoire intitulée L’Enquête, disait ceci : « Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête, afin que le temps n’abolisse pas les travaux des hommes et que les grands exploits accomplis, soit par les Grecs soit par les Barbares, ne tombent pas dans l’oubli221 » (Hérodote

249

Notre travail est sans conteste une contribution non négligeable aux études kouroumiennes. Trois

raisons appuient cette affirmation. Premièrement, le travail a scruté les proverbes tirés des cinq

romans de Kourouma, une initiative qui n’a pas été prise par les études précédentes dont nous

avons examiné quelques-unes au début de notre étude. Deuxièmement, les multiples approches

conceptuelles que nous avons adoptées pour analyser les cinq domaines thématiques nous ont

aidé à élucider les aspects du proverbe kouroumien qui n’ont pas été explorés par des travaux

antérieurs. Par ailleurs, le mérite de notre travail repose, entre autres, sur le fait que nos analyses

des proverbes tiennent compte des différents contextes romanesques où les proverbes sont

prononcés. Cette stratégie d’analyse explique pourquoi nous avons souvent eu recours aux

passages ou extraits romanesques pour appuyer l’analyse de certains proverbes. Ce modèle

d’analyse de proverbes romanesques – un modèle qui allie analyses critiques et extraits

d’illustration – peut être appliqué dans l’étude des proverbes romanesques d’autres auteurs.

Étant donné que l’objectif primordial de notre étude était de montrer comment les proverbes

kouroumiens articulent cinq thèmes spécifiques, les contraintes méthodologiques liées à cet

objectif ne nous ont pas permis d’examiner en détail d’autres aspects saillants des proverbes. Ces

aspects comprennent entre autres l’esthétique, la stylistique et la poétique des proverbes. Lesdits

aspects n’ont été abordés que de façon sommaire dans notre travail. Une étude détaillée de

chacun d’eux pourrait donc faire l’objet de recherches ultérieures. Par ailleurs, étant donné que

1964 : 52). Emboîtant le pas à Hérodote, Lamartine, dans un cadre poétique interpellait le temps et relevait le caractère ravageur de celui-ci en ces termes : « Ô temps, suspends ton vol, et vous heures ! Suspendez votre cours » (Méditations poétiques, poème n° XIII : « Le lac » (vers 21- 22). Dans ce vers, Lamartine joue sur le double sens du terme « vol ». De la sorte, le temps ne se contente pas de voler (passer) mais il vole (pille) tout sur son passage.

250 l’œuvre de Kourouma renferme des épopées, contes et légendes (Diop 2008 : 261, 105, 114) ainsi que des chansons (Kavwahirehi 2009 : 199) et devinettes (Borgomano 1998 : 30), il serait intéressant de voir comment les cinq catégories d’analyse susmentionnées se déploient dans ces autres types de récits oraux. Cela nous aidera à saisir de façon globale les liens qui existent chez

Kourouma entre l’oralité et les différentes catégories thématiques abordées dans ce travail. En outre, ce serait une bonne idée d’enquêter sur la façon dont les thèmes sus-évoqués sont représentés dans les proverbes romanesques d’autres écrivains francophones négro-africains ou dans ceux des romanciers des pays lusophones et/ou anglophones d’Afrique. Cette démarche, peut-être, nous permettra d’avoir une idée beaucoup plus complète de la vision africaine du monde telle que représentée dans les proverbes romanesques reliés aux cinq thèmes visés dans la présente thèse.

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286

Annexe

1. « L’hyène a beau être édentée, sa bouche ne sera jamais un chemin de passage pour le

cabri » (LSI 16). [Kouassi 375]

2. « Dans quelle réunion le molosse s’est-il séparé de sa déhontée façon de s’asseoir » (LSI

17) ? [Koné 110]

3. « À la femme sans maternité manque plus que la moitié de la féminité » (LSI 45).

[Cabakulu 1992 : 108; Wago 135]

4. « L’or ne se ramasse que par celles qui n’ont pas d’oreilles solides pour porter de

pesantes boucles » (LSI 47)! [Kouassi 366]

5. « Grâce à Allah le bubale ne bondit pas pour que son rejeton rampe » (LSI 64).

[Gandonou 2002 : 141]

6. « Le but de la vie est que naisse un rejeton » (LSI 66). [Kouassi 363]

7. « Quelles raisons a le francolin de se jeter et rouler à terre en disant qu’il ne passera pas

la nuit? À trop se mettre en peine pour d’autres, le malheur qui n’était pas nôtre, nous

frappe » (LSI 139). [Kouassi 376; Gandonou 2002 : 141]

8. « Là où les graterons percent la coque des œufs de pintade ce n’est pas un lieu où le

mouton à laine peut aller » (LSI 147). [Gandonou 2002 : 142; Ngal 153; Kom 2001 :

544; Kouassi 375]

9. « Si grand que soit le pays où règne la discorde, sa ruine est l’affaire d’un jour » (LSI

153). [Kohomm 127]

10. « Les petites causeries entre la panthère et l’hyène honorent la seconde mais rabaissent la

première » (LSI 160). [Kohomm 77]

287

11. « On n’est trahi que par ses proches amis » (EAVBS 16); [Mergnac 118; Bulman 47;

Fogui 29; Ben Cheneb 115]

12. « Le chasseur à l’affût du gibier de temps en temps s’arrête pour écouter le vent »

(EAVBS 72). [Douider 183]

13. « On n’est jamais, on ne vous prendra jamais, on ne vous acceptera jamais comme un

grand guérisseur de lèpre si votre mère est couverte de pustules » (EAVBS 73). [Douider

185].

14. « L’homme ne peut échapper à son destin » (EAVBS 117). [Chevallier 297]

15. « Le voleur réputé paie la poule qu’il n’a pas chapardée » (EAVBS 269). [Douider 184]

16. « L’hyène dit que si elle est en permanence en éveil c’est parce qu’elle sait qu’elle a très

peu d’amis sincères sur cette terre » (EAVBS 285). [Noumssi 54]

17. « Celui qui déteste l’escalade ne construit pas son habitation au sommet d’un mont »

(MOD 102). [Poel xxxiii]

18. « Jamais les singes rouges ne croiront aux civilités des chiens chasseurs » (MOD 86).

[Chemain-Degrange et al 132]

19. « Dans le monde, les lots des femmes ont trois noms qui ont la même signification :

résignation, silence, soumission » (MOD 130). [Bourguignon et al. 89]

20. « En vérité, les hautes herbes peuvent cacher la pintade, mais elles ne parviennent pas à

étouffer ses cris » (MOD 175). [Cabakulu 1992 : 289]

21. « La limite de la bête est sa queue; il n’y a pas de forgeron qui à force de forger

transforme le cuivre en or et aucun éreintement ne peut faire tirer l’eau de la pierre »

(MOD 110). [Kazi-Tani 169]

22. « Une femme ne s’aime jamais avant » (MOD 250). [Kouassi 360]

288

23. « L’hippopotame s’envase trop profondément pour revenir sur ses pas» (MOD 278).

[Chemain-Degrange et al 133]

24. « Il faut toujours remercier l’arbre à karité sous lequel on a ramassé de bons fruits

pendant la bonne saison » (ANEPO 16). [Mathieu-Job 161]

25. « On suit l’éléphant dans la brousse pour ne pas être mouillé par la rosée » (ANEPO

165). [Mathieu-Job161; Barry et Condé 109]

26. « Un pet sorti des fesses ne se rattrape jamais » (ANEPO 28). [Mathieu-Job 161; Tijani

109]

27. « Le singe qui s’est échappé en abandonnant le bout de sa queue dans la gueule du chien

n’a pas dans l’échappée la même allure que les autres de la bande » (ANEPO 11).

[N’Guessan 91; Hatubou 217]

28. « Le lignage qui va s’éteindre se chauffe au feu pendant que le soleil brille » (QORODN

106). [Cabakulu 1992 : 129]