Dick Contino's Blues
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Présentation Un joueur d’accordéon prodige (il vit actuellement à Las Vegas), Hollywood en proie à la chasse aux sorcières, le tournage d’une série Z qui deviendra un film-culte, un tueur en liberté, les années cinquante et leur fureur de vivre... À travers le blues de Dick Contino, c’est son passé que James Ellroy apprend à mieux comprendre. Le court roman Dick Contino’s blues est suivi de cinq nouvelles. Titre original : Dick Contino’s Blues ÉDITIONS PAYOT & RIVAGES 106, boulevard Saint-Germain 75006 Paris payot-rivages.fr Couverture : © Stephen Peringer © 1993, James Ellroy © 1993, Éditions Payot & Rivages pour la traduction française © 2015, Éditions Payot & Rivages pour la présente édition ISBN : 978-2-7436-3205-2 « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. » À Alan Marks AVANT-PROPOS Un homme avec un accordéon, et qui tourne et qui vire – à pomper son « Steinway à bretelles » de toutes ses forces. Mon père qui pointe un doigt sur la télé. – Ce mec est un bon à rien. Un insoumis. L’homme à l’accordéon dans un film de série Z ; en train d’enlacer la blonde des pubs de pneus Mark C. Blooms. Des souvenirs à moitié enfouis ressortent. Toujours parlants, ils ont néanmoins une origine fixe. L.A., ma ville natale, dans les années cinquante. La plupart ne sont que de brèves lueurs des synapses, que le cerveau éteint aussi vite. Quelques-uns se métamorphosent en fiction ; je perçois intuitivement leur potentiel dramatique, que j’exploite dans mes romans, de la mémoire au papier, du souvenir au baratin en moins d’une seconde. La mémoire : ce lieu où les réminiscences viennent percuter l’histoire. La mémoire : cette fusion en symbiose d’ALORS et MAINTENANT. Et pour moi, l’étincelle qui réveille des curiosités atroces. L’homme à l’accordéon se nomme Dick Contino. « Insoumis », c’est du bidon – il a servi honorablement pendant la guerre de Corée. Le nanard série Z s’appelle Daddy-O – un navet sentimental, grosses bagnoles et musique. La mémoire est contextuelle ; elle juxtapose dans l’instant vastes événements et vétilles fugitives. Au mois de juin 1958, ma mère a été assassinée. Le meurtre n’a jamais été résolu ; je suis parti vivre avec mon père. J’avais vu Dick Contino exploser l’écran de télé en interprétant « Bumble Boogie », retenu le jugement que mon père avait porté sur lui, et je m’étais payé Daddy-O à l’Admiral Theater un an plus tard ou à peu près. Et les synapses qui claquent, qui craquent, qui pètent ; un souvenir s’est formé, au milieu de son contexte. Un souvenir sous une perspective historique sombre de menaces ; des femmes se faisaient étrangler, abandonnées à l’éternité, sans possibilité de vengeance. J’avais à l’époque dix et onze ans ; je sentais vagir en moi des instincts littéraires inachevés. Mes curiosités avaient le crime pour centre ; je voulais connaître le POURQUOI qui se cachait derrière des épisodes atroces et diaboliques. Au fil du temps, les malfaisances de mes contemporains me laissèrent mort d’ennui – les années 60 et 70, pour sanguinaires qu’elles furent, passèrent dans un brouillard. Mon imagination remontait le temps pour se figer en gros plan sur la décennie qui avait précédé, avec, en accompagnement, une piste sonore d’époque : morceaux immortels de jadis, Dick Contino plaquant ses accords d’accordéon dans le Ed Sullivan Show. En 1965, j’ai été viré du lycée et j’ai rejoint les rangs de l’armée. Tout ce qui touchait à l’armée me collait une trouille à chier dans le froc – j’ai simulé une dépression nerveuse pour me récupérer une dispense de service armé pour incompatibilité. En 1980, j’ai écrit Clandestin – une version légèrement modifiée, chronologiquement déplacée, de l’assassinat de ma mère. L’action du roman se situe en 1951 ; le héros en est un jeune flic – et un insoumis – dont l’existence toute tracée va sortir de ses rails à cause de la Grande Peur Rouge. En 1987, j’ai écrit Le Grand Nulle Part. Situé en 1950, le livre est un compte rendu détaillé d’un pogrom anti- communiste dans les milieux du spectacle. En 1990, j’ai écrit White Jazz. L’une des intrigues secondaires – mais d’importance – met en scène un film de série Z dont les extérieurs tournés à Griffith Park sont les mêmes que ceux de Daddy-O. Jung a dit : « Tout ce qui ne parvient pas à notre conscience nous revient sous forme de destin. » J’aurais dû voir arriver Dick Contino il y a bien longtemps déjà. Ça ne s’est pas fait. Le destin est intervenu, par le biais de photographies et d’une vidéo cassette. C’est un ami qui m’a refilé la photo. À en avoir la berlue ; c’est moi, j’ai dix ans, le 22 juin 1958.Un photographe du L. A. Times m’avait mis en boîte cinq minutes après qu’un inspecteur de police m’eut appris que ma mère avait été assassinée. Je suis en état de choc, mais pas vraiment la grande détresse ; les yeux écarquillés mais le regard vide. J’ai la braguette à moitié ouverte, les mains qui semblent agitées de tremblements. Il faisait chaud ce jour-là ; la pommade brillantinée à moitié fondue que j’ai sur les cheveux accroche l’éclair du flash. La photo m’a cloué sur place ; sa puissance a transcendé toutes mes tentatives, et elles étaient nombreuses, d’exploiter mon passé pour faire vendre des livres. La vérité sous-jacente de l’instant m’a explosé à la figure ; mon affliction, même à cet instant précis, était ambiguë. Mon esprit calculateur en est déjà à évaluer des avantages potentiels, il est en train de se reprendre alors même que les hommes empressés qui m’entourent s’inclinent devant ce qu’ils perçoivent comme le chagrin d’un petit garçon. J’ai fait encadrer la photographie et j’ai passé de longs moments à la fixer des yeux. Toujours la même étincelle. Qui rallume les souvenirs de la fin des années cinquante. J’ai vu Daddy-O dans un catalogue vidéo. J’ai commandé la cassette. Elle est arrivée une semaine plus tard ; je l’ai collée dans le magnétoscope. Zoom arrière, à toute blinde. L’histoire tourne autour d’un chauffeur de camion pilote de dragster chanteur, Phil « Daddy-O » Sandifer et de ses tentatives à résoudre le meurtre de son meilleur ami, le tout en pleine galère parce qu’il est sous le coup d’une suspension de permis de conduire. Les potes de Phil, « Peg » et « Duke », veulent l’aider, mais ils n’arrivent à rien – la cervelle trop fumeuse de trop de soirées occupées jusqu’au petit jour par le Rainbow Gardens – les Jardins de l’Arc-en-Ciel – un rade à jazz, style doo wop – chansons des rues façon jazzy à la mode noire – où Phil roucoule gratis à la demande. Aucune importance ; Daddy- Oren contre Jana Ryan, souple, sinueuse et sexy, fille de riches avec permis de conduire valide et cabriolet T-bird de 57. De ressentiment mutuel, on passe sans crier gare à numéro de charme et vibrations sexy ; Philet Jana font équipe et infiltrent une boîte de nuit, propriété d’un sinistre obèse du nom de Sydney Chillis. Daddy-O le chanteur, Jana la fille aux cigarettes : duo charmant et irrésistible. Très vite, ils soupçonnent Chillis de fourguer du H, le piègent et clouent l’ectomorphe pour le meurtre du meilleur ami de Phil. Un final en course poursuite ; et une question brûlante qui reste sans réponse : l’exploit téméraire de Daddy-O lui vaudra-t-il de récupérer son permis ? Qui sait ? Qui s’en soucie ? Il m’a quand même fallu visionner le film trois fois pour saisir l’intrigue. Parce que Dick Contino me tenait sous son charme, j’étais ensorcelé. Parce que je savais – d’instinct – qu’il détenait des réponses d’importance. Parce que je savais que c’était lui, l’ombre obscure qui planait par omission dans mes romans du « Quatuor de L.A. », c’était lui le fantôme qui attendait de s’exprimer. Parce que je sentais intuitivement qu’il serait à même de faire jaillir avec éclat de nouveaux détails narratifs et combler les trous de ma mémoire en ramenant au premier plan un Los Angeles de la fin des années cinquante, hypertrophié, comme sous un objectif à très grande focale. Parce que je croyais avoir détecté un entremêlement significatif de ses différentes personae de l’année 57, sur et hors écran, une concoction que la trentaine d’années écoulées ne manquerait pas d’embellir avec force. Contino sur écran : beau mec, Italien allant sur la trentaine, de gros biceps à force de lever la fonte oude faire l’amour à son accordéon. Et avec ça, un physique de rêve : dents éclatantes, cheveux noirs et bouclés, sourire charmeur. Ce sont les années cinquante ; alors côté tailleur et grand faiseur, il part avec un handicap et fait au mieux : pantalons de confection en toile remontés jusqu’aux pectos et chemises en ban-lon à rayures horizontales.