y l l i re T r e i e P t n c o a La CSC de -La Louvière : e r i s u une centenaire qui se raconte re q i a n e t n e PIERRE TILLY e c n : u re è i v u o a L L - s n e M o C d S a C L La CSC de Mons-La Louvière : une centenaire qui se raconte

Pierre Tilly Historien, chargé de cours à l’UCL et président du Centre d’étude de l’histoire de l’Europe contemporaine (CEHEC)

Table des matières

Préface ...... 5

Introduction...... 7

Chapitre 1 Des débuts en mode mineur sur une terre socialiste (1893-1914) ...... 9

Chapitre 2 Le développement du syndicalisme chrétien durant « la guerre de trente ans» (1914-1945): une montée en puissance ...... 25

Chapitre 3 Les derniers feux de la prospérité industrielle : la CSC monte en régime (1945-1960) ...... 41

Chapitre 4 Entre expansion, crise et reconversion (1960-1973) ...... 63

Chapitre 5 Entre crise économique et sociale et fusion: vers de approches syndicales, de nouvelles générations de militants et une nouvelle fédération (1973-1993) ...... 93

Épilogue: depuis octobre 2007, l’histoire continue… ...... 165

Préface Pour retracer l’Histoire, il est nécessaire de rassembler et de coller ensemble les petites comme les grandes histoires les unes aux autres. D’aucuns estiment qu’il s’agit de faits successifs voire d’une contingence mais pour ceux qui les vivent, c’est plus que cela. Elles, les petites histoires, se transforment en légendes. Elles sont teintées d’un imaginaire conscient. Ernest Renan disait « Le talent de l’historien consiste à faire un ensemble vrai avec des traits qui ne sont vrais qu’à demi » Elles s’appuient sur nos mémoires et mélangent ainsi un vécu et des aspirations, une fi erté d’avoir existé pour ne jamais oublier, être oublié. Elles contribuent à mettre ensemble par l’intermédiaire de mots croisés, par la qualité du rédacteur, pour composer celle qui commence par une majuscule. Il existe plusieurs façons d’écrire l’Histoire. D’ailleurs, il y a plusieurs genres littéraires s’articulant autour d’aspects de forme, de contenu, de registre. Mais il y a aussi la vraie ! Celle qui peut être crasseuse, sombre comme élogieuse mais sans fl atterie. Celle qui provient de témoignages, de preuves convergentes, qui est com- mune et approuvée comme telle. Peu importe le verbe, les phrases... bref la beauté du langage, il s’agira toujours de l’Histoire d’Hommes et de Femmes. Les pages se tournent et l’encre séchée par le temps déversent des mots dans nos esprits qui se transforment en des images « noir et blanc ». Elles se pressent pour devenir notre propre histoire. On s’y voit acteur, l’âge n’a plus de prise ! Rien n’a changé mais tout est différent. Mais comment fait l’historien pour nous emmener dans ce passé intéressant ? En copiant Rousseau parlant de Thucydide : « Il rapporte les faits sans les juger, mais il n’omet aucune des circonstances propres à nous en faire juger nous-mêmes. Il met tout ce qu’il raconte sous les yeux du lecteur; loin de s’interposer entre les événements et les lecteurs, il se dérobe; on ne croit plus lire, on croit voir » Les temps se mêlent ! L’imparfait courtise le passé composé et le futur antérieur reste la conjugaison d’un présent incertain marqué par la déception et la joie. Le temps s’étire indéfi niment et le monde se contracte de façon saccadée. 5 Une courte pause pour retrouver l’actualité et replonger dans les fondations de ce journal intime. Cet ouvrage en devient presque métaphysique tant il amène à la compréhension de ce que nous sommes. Nous sommes la somme de ces petites histoires. Il confi rme et accentue la croyance en un continuum espace-temps. On ne peut laisser nos héros d’hier se perdre et encore moins, enfouir leur héritage dans les tréfonds d’un archivage soigné mais poussiéreux. Nous voyons les visages ou nous nous les inventons. Nous retenons des discours qui deviennent des citations de référence. Nous les remercions pour ce qu’ils nous ont donné tant le plaisir de les rencontrer dans ce livre mais aussi pour leurs encouragements. Vous entendrez des chants lors d’une page tournée. Vous marcherez avec eux sur les mêmes trottoirs d’un événement immortalisé. Vous lèverez le poing pour que demain d’autres pages s’écrivent. Ma lecture est terminée, le livre est fi ni ! Je suis tenté de le reprendre à sa première page pour y redécouvrir un sens caché, des détails importants qui m’ont échappé, resaluer ces hommes et femmes qui me sont si proches sans tous les connaître. Je le range pour l’avoir toujours à mes côtés, pour ne jamais oublier ce qu’ils ont fait pour moi, pour nous ! C’est plus qu’un livre, c’est un hommage à nos braves ! Je remercie Pierre Tilly qui est historien ainsi que l’ensemble des personnes, nos militants qui ont contribué à la réalisation de ce livre. Et pour terminer, permettez-moi de citer Jean Jaurès : « L’histoire enseigne aux hommes la diffi culté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifi e l’invin- cible espoir. L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création. »

Jean-Marc Urbain, Secrétaire fédéral CSC Mons-La Louvière

6 Introduction Cet ouvrage raconte dans le détail mais non sans omissions l’histoire de la CSC de Mons et de La Louvière, des origines à nos jours. Ce n’est pas un travail de circonstance ou de commande publié à l’occasion d’un anniversaire particulier visant notamment à renforcer l’identité commune et/ou l’esprit d’entreprise. L’année 1986 pour les 100 ans de la naissance du syndicat chrétien et plus récemment l’année 2011 avec l’ensemble de la Confédération des syndicats chrétiens qui a commémoré le 125e anniversaire de l’organisation ont permis d’éclairer le passé sur un plan essentiellement général et global. La microhistoire, celles des fédérations régionales de la CSC, reste à ce jour moins connue et à écrire. Ce travail de description, d’analyse et d’interprétation sur l’histoire du syndicalisme dans les régions de Mons-Borinage et du Centre au travers d’une recherche de nature scientifi que invite donc à poser un nouveau regard dans le rétroviseur en abordant des faits et événements moins connus ou d’autres qui le sont davantage, mais par un autre bout de la lorgnette. Cet ouvrage répond ainsi à un souhait collectif des dirigeants et militants de la fédération de Mons-La Louvière de retrouver ou découvrir les racines et les principales évolutions de l’organisation pour être mieux armés au sens noble du terme, face aux défi s présents et futurs. Poser des jalons, faire de la prospective mais avec une connaissance approfondie de ses valeurs, ses expériences, ses réussites et ses échecs dans la longue durée et perspective. Ce livre a pour ambition de nourrir à sa manière et avec les spécifi cités du travail de l’historien, les débats, les réfl exions et les actions qui ont accompagné le congrès de la CSC Mons-La Louvière du 21 septembre 2013. Un nouveau moment fort dans la vie de la fédération s’est tenu et il peut incontestablement être l’occasion de jeter un regard critique et constructif sur un passé parfois chahuté puisqu’il coïncide à quelques semaines près avec le 20e anniversaire de la fondation d’une nouvelle entité regroupant les anciennes fédérations de Mons et de La Louvière. Le lecteur ne trouvera pas dans les pages qui suivent un travail de mémoire, racontant l’histoire de la fédération au travers du regard de ses acteurs, militants, dirigeants, affi liés. Cette démarche importante a été suivie à une petite échelle au travers d’entretiens avec quelques acteurs clés et représentatifs. Ce travail fait la part belle aux principaux dirigeants au niveau de la prise en compte du témoignage des acteurs. Mais il ne faut pas oublier le rôle essentiel joué par les milliers de militants qui ont forgé cette longue histoire. Ce livre constitue en toute modestie un premier jalon pour conserver cette mémoire de l’organisation à travers les générations. Il devra être poursuivi à l’avenir sous peine de perdre ce précieux héritage, à l’image des archives qui représentent un bien inestimable. 7 On ne s’en rend souvent compte que lorsqu’elles ont disparu. Dans cet ouvrage, les événements qui ont conduit à la fusion de novembre 1993 sont bien entendu évoqués et commentés. Cette fusion marque un nouveau départ et constitue une charnière entre une histoire à la fois parallèle et parfois liée entre les deux fédérations qui est abordée depuis les origines dans les années 1890 jusqu’à un destin désormais commun depuis 1993. Le dernier volet de ce parcours historique qui nous conduit au présent est analysé de manière synthétique car nous manquons encore clairement de recul pour en prendre la pleine mesure. Reste que ce cheminement historique de la CSC qui est replacé dans un contexte régional et national est riche et a du faire l’objet de choix parfois subjectifs, parfois liés à l’existence ou non de documents d’archive. Si des personnes et des événements, peut-être importants, ont été oubliés, nous nous en excusons d’avance au bénéfi ce du doute. Nous en assumons en tous les cas la responsabilité. Le choix qui a été posé pour suivre ce cheminement historique est guidé par la chronologie. La structure et le fi l rouge du livre s’en ressentent. Cinq grands chapitres abordent les différentes périodes de l’histoire en mettant en avant à la fois les éléments du contexte et de l’environnement, les principales actions syndicales, les stratégies développées par la CSC et ses propositions, les acteurs et les enjeux. Les évolutions de la structure interne et des débats sur celle-ci au sein de l’organisation sont également analysés au gré des époques, du moins quand la documentation encore existante le permet. Un nombre appréciable de photos avec une sélection qui s’est révélée parfois diffi cile vient à la fois nourrir et agrémenter le propos. Au moment de terminer cette introduction, mes remerciements les plus chaleureux vont à la CSC de Mons-La Louvière et à ses structures qui ont permis la réalisation et la diffusion de ce travail historique. Ils sont plus particulièrement adressés à Jean-Marc Urbain, Marie Marlier, Loreda Arrigo qui ont accompagné ce travail et l’ont soutenu chacune et chacun à leur niveau. Ma gratitude s’adresse également aux témoins qui ont accepté de se prêter au jeu de l’entretien à bâtons parfois rompus et à évoquer leurs souvenirs, parfois douloureux mais souvent stimulants. Mes pensées vont enfi n vers toutes celles et ceux qui ont combattu et qui continuent à le faire pour transformer la société vers plus d’égalité, de justice, de démocratie et de solidarité dans leur entreprise, leur secteur, leur fédération, leur quartier, leur association. Dans tous ces lieux où la démocratie doit chaque jour être renouvelée.

8 Chapitre 1 - Des débuts en mode mineur sur une terre socialiste (1893-1914) « Il faut s’opposer au socialisme qui monte lentement mais sûrement en puissance. » C’est en suivant ce mot d’ordre émanant des autorités ecclésiastiques que le syndicalisme chrétien a pris naissance à la fi n du 19e siècle sous la forme d’unions professionnelles antisocialistes encadrées par des notables catholiques1. Les débuts sont pour le moins modestes et diffi cile dans l’ensemble du pays et particulièrement dans le Hainaut « rouge ». Les régions de Mons-Borinage et du Centre n’échappent pas à cette règle qui va être de mise longtemps. Avant 1914, le rayon d’infl uence du syndicalisme chrétien est donc limité, ce qui ne veut pas dire que cette période fondatrice ne présente pas d’intérêt. Elle va bien au contraire permettre de poser des jalons essentiels pour le futur et dessiner une identité durable pour les militants comme nous allons le découvrir dans ce premier chapitre.

Section 1 - Des sociétés de résistance aux premières étapes de la vie du syndicalisme chrétien (1890-1914) Le processus qui conduit à l’émergence d’un mouvement syndical structuré en Belgique fut long et laborieux. Avec la première révolution industrielle au début du 19e siècle, des sociétés de secours mutuels se créent à Gand dans les années 1850. Elles tentent d’améliorer les conditions de travail et de vie des ouvriers actifs dans des professions liées au textile ou à l’exploitation du charbon. L’existence de ces sociétés de résistance est souvent éphémère. C’est vers 1886 que le premier syndicat chrétien prend naissance en Belgique avec la consti- tution de la Ligue antisocialiste des Ouvriers Cotonniers. Mais on ne peut pas encore parler d’un véritable mouvement unifi é. Le localisme dans l’approche syndicale reste une réalité largement répandue parmi les premiers militants syndicaux chrétiens comme c’est le cas pour le mouvement socialiste qui repose sur des bases beaucoup plus solides à l’époque.

1.1 Un coup de projecteur sur des débuts en mode mineur Les origines du syndicalisme chrétien dans la région de Mons-Borinage et dans celle du Centre se situent dans la même fourchette chronologique. A tout seigneur tout honneur, il faut commencer par la région du Centre, autour de La Louvière, si l’on veut respecter cette chronologie. Le point de départ d’un mouvement syndical chrétien digne de ce nom au plan régional remonte au mois de février 1893. L’atmosphère est alors empreinte du fameux Encyclique Rerum Novarum qui appelait, en 1891, à boycotter le socialisme nais- sant et à développer l’action sociale catholique pour ramener les masses ouvrières vers 9 l’Église catholique. De nombreuses œuvres sociales sont créées comme des syndicats, des mutuelles, des coopératives. Mais il ne faut pas oublier le rôle de l’action éducative

1 Manpuys, J., « Le syndicalisme chrétien », in Gérard, E et Wynants, P (dir.), Histoire du mouvement ouvrier chrétien en Belgique, Kadoc Studies 16,T.2, Leuven University Press, 1994, p.151. au travers des cercles ouvriers. Les cercles ouvriers de Bracquegnies et de Houdeng- Aimeries semblent ainsi connaître un certain succès grâce au soutien apporté par la famille Debauque Toutes ces activités sont bientôt fédérées autour de la Ligue démocratique belge constituée en 1891. Mais c’est véritablement en 1893 que tout va démarrer pour le syndicalisme chrétien. Un cercle d’études sociales organisé par la Démocratie chrétienne naissante conduit rapidement à la création de syndicats de Francs-Mineurs qui sont au nombre de cinq dès l’année suivante.

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Les séances récréatives comme celle organisée en novembre 1912 par le cercle catho- lique d’Anderlues étaient très populaires De Mons à La Louvière, il n’y a guère qu’un pas au plan de la naissance du syndica- lisme chrétien. Dans l’arrondissement de Mons, l’exemple des militants du Centre fait des émules. Dès 1894, si l’on en croit les rares sources existantes, « l’événement », à savoir la création d’une section syndicale chrétienne, se produit à Boussu au local du Cercle Saint Géry lors d’une réunion d’ouvriers mineurs, ce qui procède d’une certaine logique vu la prédominance de ce secteur d’activité à l’époque parmi les professions exercées par la classe ouvrière. La structuration de la section est pour le moins laborieuse mais quelques années plus tard, les premiers statuts sont arrêtés lors d’une Assemblée générale. Grâce à Floris Baudour, ancien secrétaire fédéral, nous en connaissons les principaux articles dont la teneur permet de décrire à la fois le contexte de l’époque et les buts que se donne ce premier syndicat chrétien. Force est de constater qu’il affi rme clairement une vision et des valeurs chrétiennes tout en se révélant modéré dans sa volonté de répondre avant tout de manière concrète aux intérêts des affi liés.

Tableau 1: Des premiers statuts pour la fédération de Mons-Borinage Article 1 Il est fondé entre les ouvriers mineurs du Canton de Boussu, une union profession- nelle sous le nom de « Syndicat Ste Barbe ». Article 2 Le syndicat se propose comme but l’amélioration de la situation matérielle, intellec- tuelle et morale des ouvriers mineurs, par la défense de leurs droits, l’organisation de leurs intérêts et la restauration du principe de la fraternité chrétienne dans les relations du capital et du travail. Le syndicat affi rme comme principes fondamentaux de l’ordre social : la religion, la famille, la propriété privée » Article 3 Pour réaliser le but qu’il se propose, le Syndicat s’efforcera d’obtenir par l’initiative privée et au besoin par l’intermédiaire des pouvoirs publics : 1° l’hygiène physique et morale dans les travaux; 2° La fi xation de la journée maximale de travail à une durée en rapport avec les forces de l’ouvrier suivant la nature des diverses besognes; 3° La liberté dans le choix du médecin;4° l’augmentation des pensions allouées aux ouvriers mineurs, à leurs veuves et à leurs enfants; 5° L’application complète des lois sociales.

Source : Cahier de rapports du syndicat Ste Barbe. Cité dans CSC, 100 ans, Les syndicats chrétiens dans l’arrondissement de Mons, des origines jusqu’en 1974, 19882. 11 Sur un plan plus général, la naissance du syndicalisme chrétien s’inscrit dans un contexte marqué par le combat ouvrier contre un régime politique soutenu par le parti catholique et

2 Ce travail avait été réalisé par l’ancien secrétaire fédéral, Floris Baudour sur la base d’archives aujourd’hui disparues. libéral au sein duquel le droit de vote leur est refusé. Pour les ouvriers chrétiens, la lutte pro- fessionnelle ne peut être découplée du développement du parti catholique et de ses comités cantonaux chargés à la fi n des années 1880 du lancement d’œuvres sociales dans un environnement marqué par l’anti-catholicisme orchestré tant par certains milieux patronaux comme par les socialistes3. Combattus à gauche comme à droite, les syndicats chrétiens vont naître et grandir à petits pas dans un contexte important à décrire même brièvement.

0.1 Révolution industrielle et luttes sociales dans le Hainaut Le Hainaut fut, au cours des première et deuxième révolutions industrielles (de 1750 à 1914), une terre d’innovation industrielle de premier plan, avant d’être peu à peu distancé au début du 20e siècle, puis de faire l’objet d’une longue et douloureuse reconversion après 1960. Située au cœur de cette longue traînée houillère qui part de l’ouest du Pas- de-Calais et se termine dans la Ruhr, en passant par les bassins wallons du sillon Haine- Sambre-Meuse et par le bassin d’Aix-la Chapelle, la province a longtemps pu compter sur l’exploitation charbonnière qui a fait fi gure d’activité dominante, voire exclusive, comme en Pas-de-Calais et dans le Borinage. Dans d’autres cas, le charbon a favorisé l’émergence de la sidérurgie, le long des principales voies navigables telles le Rhin, la Meuse, l’Escaut et leurs affl uents. Des activités de biens intermédiaires se sont également développées : chimie de base et industrie du verre, industrie de la chaussure dans le Borinage, clou- teries autour du triangle Charleroi-Gosselies-Fontaine-l’Évêque. Bref, le Hainaut est en plein cœur de ce qui formait naguère la puissance industrielle de l’Europe continentale : le « triangle lourd de la Communauté européenne du charbon et de l’acier(CECA) » (Nord- Pas-de-Calais, Ruhr, Lorraine).

Cette phase d’expansion économique majeure, encouragée par la densifi cation du réseau de voies de communication, s’est accompagnée de transferts de technologie et d’innova- tions pour le moins remarquables. On pense à la pompe à feu ou machine de Newcomen importée d’Angleterre avant d’être usinée dans les forges de l’Entre-Sambre-et-Meuse. La modernisation des entreprises nécessite des capitaux de plus en plus conséquents. Ils viendront souvent de l’extérieur du Hainaut, par l’intermédiaire de familles nobles comme les d’Arenberg ou les Desandrouin mais aussi de riches marchands bourgeois actifs comme verriers (les Dorlodot) ou marchands cloutiers (les Drion du Chapois). À Tournai, l’entrepreneur lillois Peterinck crée la Manufacture royale et impériale de Porcelaine en

3 Ben Djaffar, L., « Le monde catholique : d’une lente structuration à une politique de 12 l’opposition », dans La Louvière aux urnes. Vie et combats politiques dans l’entité lou- vièroise du 19e siècle à l’an 2000, p.53-83. Les lignes qui suivent concernant la région du centre s’inspirent largement de cette publication ainsi que des travaux de Jean Neuville (Les origines du syndicalisme chrétien dans le Hainaut,Bruxelles-Paris, 1964, p.19). Des travaux plus anciens comme celui R. Riche Une page d’histoire sociale. Léon Mabille et le Mouvement ouvrier chrétien dans le Centre, Gembloux, 1933, p.41) de même que La Gazette du Centre ou Le Bulletin des œuvres sociales du diocèse de Tournai sont tout aussi utiles. 1750. Dans le même domaine, les produits de la Manufacture de Porcelaine de Baudour, fondée par Declercq et De Fuisseaux en 1842, sont connus jusqu’à la cour d’Angleterre. De véritables dynasties d’industriels comme les Warocqué à Charleroi, les Empain, origi- naires de la région de Beloeil, ou les Boël à La Louvière vont devenir des portes-drapeaux de la Wallonie et du Hainaut dans le monde entier.

L’industrie lourde avec les mines et la métallurgie incarnée surtout par l’entreprise Boël façonna en profondeur la région du Centre autour d’une ville, La Louvière, qui est l’une des dernières à avoir vu le jour en Belgique. Si l’exploitation des richesses houillères y est rela- tivement ancienne, le passage au stade réellement industriel ne va s’opérer qu’au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi en vat-t-il de l’histoire du Bois-du-Luc qui débuta le 14 février 1685 avec la création de la société du Grand Conduit et du Charbonnage d’Houdeng. C’est en 1807 qu’elle prit le nom de Société du Bois-du-Luc.

C’est à partir de 1850 que de grandes sociétés charbonnières se constituèrent et fi rent appel à de la main-d’œuvre de plus en plus nombreuse. De 3500 mineurs environ en 1850, on passa à 14.000 en 1885, 20.000 en 1900 et près de 28.000 en 1920. On assista incontestablement à une concentration d’ouvriers dans le secteur de l’industrie lourde et un développement important dans la céramique, la verrerie et le textile à Binche, puis à Soignies et à Braine-le-Comte avec le tissage des draps puis dans l’industrie de la confection. La situation de cette classe ouvrière qui a fait l’objet de nombreux travaux et études était pour le moins dramatique sur le plan des conditions de vie et de travail. Cette richesse liée à l’industrialisée ne fut en aucun cas répartie de manière juste et équitable comme nous allons le voir.

Sur le plan local qui nous intéresse plus particulièrement, le Borinage est de longue une terre de charbon. L’exploitation charbonnière, traditionnelle depuis le Moyen-Age, connut une expansion considérable avec l’arrivée de la machine à vapeur et avec l’aménagement du canal Mons-Condé (1814) qui ouvrit au charbon borain l’important marché français. L’industrie charbonnière demeura l’activité dominante du bassin jusqu’en 1885-1890. La plupart des entreprises qui s’implantèrent par la suite eurent une importance secon- daire présentant le désavantage d’être étroitement liées aux charbonnages pour leurs débouchés si l’on excepte les industries céramiques et celles de la chaussure. A la fi n du 19e siècle, une industrie originale naquit dans le Borinage au travers de la fabrication de la chaussure4. Elle connut un développement remarquable jusque dans l’entre-deux- guerres, une période qui marqua son apogée. Elle souffrit ensuite des mêmes diffi cultés 13 que celles rencontrées par l’artisanat local en Belgique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

4 Mes remerciements s’adressent à Quentin Jouan pour son aide dans la recherche d’in- formations. Cette diversité industrielle insuffi sante du Borinage lui coûtera cher au moment de la disparition des charbonnages alors qu’autres bassins comme Charleroi et Liège pourront s’appuyer en partie sur d’autres secteurs ou fi lières de reconversion. Comme l’a expliqué de manière convaincante l’historien Hubert Watelet, l’absence de pôle sidérurgique près des mines du Couchant de Mons est liée au fait que ce bassin « a bénéfi cié très tôt d’un réseau de communication avantageux, contrairement en cela à Charleroi et au Centre, avantage qui aurait en défi nitive joué en en sa défaveur car il lui « permettait d’écouler sa production vers l’étranger et, une certaine routine, une propension des milieux d’affaires à exporter plutôt qu’à créer des débouchés sur place5. »

Le Hainaut fut aussi au 19e siècle une terre propice aux luttes sociales qui furent long- temps désorganisées. La première Maison du Peuple fut inaugurée en 1872 à Jolimont (Haine-Saint-Paul) où se déroula le premier congrès des mineurs ralliés à l’Association Internationale des Travailleurs, le 5 décembre 1875. Le Centre offre alors l’image d’une région de lutte. En 1907, le député socialiste et futur ministre Edouard Anseele, le fonda- teur de la première coopérative belge, le Voruit, y fait clairement allusion en évoquant le Centre ouvrier « qui fut de la bataille socialiste de l’aurore de l’Internationale et qui forma une des plus fortes armées prolétariennes de notre Belgique ouvrière. »

0.2 La Belle époque mais pas pour tout le monde ?… Pendant la plus grande partie du 19e siècle, la Belgique se distingue par les mauvaises conditions de travail offertes au sein de ses entreprises et par le niveau très bas des salaires : elle fut l’un des pays européens où la législation sociale fut la plus tardive et la plus timide. Cela se traduit par une durée du travail très élevée (en moyenne des journées de 12 à 14 heures), 7 jours sur 7, et avec des congés inexistants. A cela s’ajoutent des salaires bas qui permettent à peine de se nourrir et se loger, tout le monde dormant le plus souvent dans une même pièce dans les familles ouvrières. Le salaire de la femme et des enfants quand ils travaillent, ce qui est courant au 19e siècle, sont uniquement vu comme un complément au revenu familial. Le système « Truck »; un nom anglais qui signifie ‘troquer’ en français aggrave encore la situation, officiellement supprimé en 1887 mais qui ne disparaît pas avant la Première Guerre mondiale. Il consiste en un paiement des salaires en nature ou sous forme de bons qui peuvent être utilisés pour des achats dans les magasins du patron, où les prix sont particulièrement élevés. Cela contribue à renforcer, si besoin en est, la dépendance de l’ouvrier vis-à-vis de son patron. Des conditions de vie et de travail alourdies par une insécurité matérielle notoire dans la 14 mesure où l’inactivité suite à chômage, maladie ou vieillesse signifi e un arrêt de revenus et la voie ouverte vers pauvreté (diffi cile à connaître nombre de chômeurs). Le problème

5 Watelet, H., Une industrialisation sans développement. Le bassin de Mons et le charbon- nage du Grand-Hornu du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1980, p.296. d’alcoolisme et de l’analphabétisme constituent à la fois des causes et des conséquences de cette misère sociale.

Les émeutes de 1886 face au paternalisme patronal L’année 1886 et son printemps en particulier furent une annus horribilis pour la classe ouvrière des bassins industriels wallons en raison d’une diminution sensible des salaires et de l’extension considérable du chômage. Les ouvriers ne bénéfi ciaient d’aucune protection sociale; le travail des enfants représentait une réalité largement répandue et les patrons géraient presque comme bon leur semble les salaires et la durée du travail. L’État qui était dominé par l’élite bourgeoise industrielle resta sourd aux malheurs de la classe ouvrière. Des « émeutes de la faim » éclatèrent dans les bassins industriels wallons auxquels les autorités répondirent par la force et la répression. L’armée fut envoyée pour contrôler et réprimer les manifestants; le Borinage va payer un lourd tribut à ces mouvements de colère puisqu’on dénombre 24 morts dans cette région.

Le paternalisme incarné par la plupart des industriels représenta d’une part un pur produit de la révolution industrielle en pays capitaliste et d’autre part du libéralisme dominant tout en s’inspirant clairement de formes anciennes de relations du travail. Doctrine résolument encouragée, mais appliquée à dose homéopathique, le paternalisme conduisit quelques rares patrons au 19e siècle comme au Charbonnage du Grand-Hornu, dès 1842, à déve- lopper une attitude consisant à se conduire comme un père envers d’autres personnes dont on est responsable6. Ces patrons offrent un ensemble d’avantages sociaux à leurs ouvriers au niveau du logement, de l’éducation et des soins médicaux comme au charbonnage de Bois-du Luc dirigé par des patrons catholiques et celui de Mariemont-Bascoup où Julien Wieler développe les prémices de ce que l’on pourrait appeler une concertation sociale.

Un paysage politique qui change En s’accaparant en alternance ou ensemble le pouvoir politique, les partis catholique et libéral partagent pourtant pas la même vision de la société, sauf sans doute sur la question sociale. Il faut attendre l’année 1885 pour voir le spectre politique s’élargir avec la fondation du Parti ouvrier belge (POB) en 1885 qui se profi le d’emblée comme le porte-parole des travailleurs. En pleine naissance, le POB n’a pas voix au chapitre au Parlement en raison du système de droit de vote qui est censitaire et qui réserve le droit de vote aux hommes qui paient des impôts élevés. L’un des premiers combats du POB, et il sera majeur, vise à l’introduction du suffrage universel en lieu et place du suffrage censitaire précisément. 15 C’est dans ce contexte que le POB va se doter d’une charte fondatrice de son action.

6 Dumoulin, M., Nouvelle Histoire de Belgique, T.1. 1830-1905, Éditions Complexe, 2005, p.139. La charte de Quaregnon et la riposte des catholiques Rédigée en 1894, la Charte de Quaregnon constitua le fondement théorique du mouve- ment socialiste belge. C’est la déclaration de principe, voulue et rédigée par Emile Van- dervelde, du jeune POB créé en 1885 et le texte fondateur quasi mythique d’une réfl exion et d’une action politiques qui auront traversé le siècle. Pourquoi en fait le gros bourg du Borinage a-t-il donné son nom à ces quelques lignes qui servirent de fondations au POB s’interrogeait le journal Le Soir, 100 ans après cet événement7 ? En 1894, le congrès du parti ouvrier devait en fait se tenir à Mons. Mais les incidents d’avril 1893 à qui virent la garde civique montoise tirer sur des mineurs borains, tuant sept personnes et en blessant 27 autres, incitèrent les socialistes à organiser leur rassemblement au coeur du Borinage. L’incident creusa un fossé défi nitif entre Mons et sa périphérie minière. Les pré- occupations des dirigeants du POB comme la lutte pour le suffrage universel, la réforme de l’enseignement, la séparation de l’Église et de l’État, le repos hebdomadaire trouvèrent un certain écho dans le Borinage dont la population ouvrière avait durement vécu la crise de mars 1886 et ses conséquences.

Après plusieurs congrès dans la seconde partie des années 1880 avec le social qui est à l’ordre du jour, le mouvement catholique prend la mesure de la nécessité d’améliorer le sort de la classe ouvrière. Le mouvement catholique va alors se lancer dans le soutien à une série d’œuvres sociales. En son sein, les Démocrates-chrétiens sont les plus atta- chés à la nécessité de résoudre la question sociale. Ils sont encouragés dans ce sens par l’encyclique Rerum Novarum (des choses nouvelles) dans lequel le Saint-Père dénonce le capitalisme débridé et rejette le socialisme. Les ouvriers méritent un salaire décent et d’ac- céder à la propriété. En ce sens, le Pape Léon XIII en appelle à la fois à l’intervention de l’État et des organisations professionnelles. La logique qui est impulsée par le Vatican vise à une collaboration de classes plutôt qu’à un affrontement direct et aléatoire entre celles-ci.

Il faut rendre à César ce qui lui appartient Le mouvement ouvrier socialiste dans le Borinage et le Centre peut s’appuyer sur un tissu coopératif impressionnant. Ce succès coopératif, malgré l’opposition d’Alfred Defuisseaux qui avait l’oreille des mineurs, contribue au réformisme politique du socialisme hennuyer et borain. En réponse à cet engouement pour la coopération sur lequel s’appuie le socialisme, les premières coopératives catholiques font timidement leur apparition, progressivement et non sans diffi culté pour stabiliser leurs activités. C’est au plan local que le mouvement se 16 développe entre 1890 et 1914. Il faut en préciser le cadre et le contexte. Les confl its représentent souvent le moyen privilégié par les ouvriers pour obtenir satis- faction quant à leurs revendications qui sont souvent d’ordre salarial ou pour améliorer les

7 Le Soir, mercredi 16 février 1994, p.20. conditions de travail. Le résultat est rarement au bout du chemin en ce 19e siècle où les luttes ouvrières sont sévèrement réprimées. Et en cas d’arbitrage, le patron est souvent en position de force.

Jusqu’à la guerre 14-18, la législation sociale connaît un développement timide tout en annonçant un interventionnisme accru de l’Etat qui deviendra effectif après le premier confl it mondial. Parmi les évolutions signifi catives de cette période, il faut mentionner une timide ébauche d’un système d’assurance en matière de pension et de maladie-invalidité sans pour autant que son fi nancement soit assuré par des cotisations sociales de caractère obligatoire comme cela sera le cas après 1945. Une exception toutefois qui en préfi gure d’autres pour l’avenir, l’assurance vieillesse est rendue obligatoire pour les mineurs. En termes de progrès social, les travailleurs chrétiens peinent à inverser l’approche timide et attentiste du parti catholique qui ne modifi e guère sa vision conservatrice de la question sociale.

Section 2 - Des hommes et des structures pour lancer le syndicalisme chrétien 2.1 Les débuts : création d’une fédération dans le Centre et le Borinage À l’évidence, les débuts ne sont pas à placer sous le sceau du triomphalisme, du fait notamment du caractère souvent éphémère des cercles ouvriers et des fortes tensions existantes entre conservateurs et démocrates-chrétiens au sein du Parti catholique et de ses organisations. Forte de 3000 membres, la fédération des sociétés de secours mutuels antisocialistes, ancêtres des syndicats modernes, constitue la première plaque tournante de cette action sociale catholique. Mais il faut attendre la fi n du 19e siècle pour qu’une organisation régionale de nature syndicale, intitulée les Francs Métallurgistes du Centre, voie le jour au Roeulx. Nous sommes en 1894 et les premières réunions se tiennent à la Maison des Francs ouvriers de la localité. Un autre cercle se constitue à Houdeng et prend la dénomination des Disciples de St Eloi des Deux-Houdeng. Sa création serait plus tardive, soit en 1897. En cette même année, le 27 mai, il faut mentionner la constitution du Syn- dicat régional des Francs-Mineurs du Centre à La Louvière dont l’un des pères fondateurs est Henri Ponceau et à Houdeng, juste avant qu’une telle création se manifeste dans le Borinage, en 1897, puis à Charleroi et à Namur. En 1903, on inaugure à Morlanwelz la Maison des Ouvriers de la région du Centre.

La formation des « apprentis » militants apparaît de suite comme une priorité, ce que confi rme la mise en place en 1896 d’un cercle régional d’études sociales. Celui-ci se donne 17 pour objectif d’initier les jeunes gens et les ouvriers par l’étude afi n qu’ils forment des syn- dicats. Et l’on peut s’appuyer en la matière sur la presse démocrate chrétienne naissante. En 1893, Gustave Somville fonde la Gazette du Centre dont le premier numéro paraît le 2 février. Son rôle est de faire connaître les activités des œuvres catholiques dans la région. Il va par la suite devenir le véritable relais de la démocratie chrétienne dans le Centre, la presse jouant un rôle important dans le développement du mouvement auprès des masses ouvrières.

Deux personnalités catholiques vont contribuer au succès de ces embryons de syndicat. Il s’agit de Léon Mabille qui est avocat et bourgmestre du Roeulx avant de devenir parle- mentaire comme représentant de la démocratie chrétienne en 1900. Il joue un rôle central dans le lancement des premiers cercles ouvriers. À ses côtés, Victor Hanotiau qui devient également un membre actif du cercle fait fi gure de lieutenant.

Après la mise sur pied de syndicats au plan local, la structuration au plan régional ne va pas tarder au début du 20e siècle. En 1906, on assiste à la création à La Louvière de la Centrale des Francs-Mineurs qui regroupe désormais tous les bassins wallons. Le premier numéro du Franc-Mineur sort d’ailleurs de presse à La Louvière en mai 1906, à une époque où le papier imprimé est plutôt rare dans les mains des travailleurs.

Le Borinage suit le mouvement et se structure Dans le Borinage, le mouvement syndical prend naissance notamment au travers d’une coopérative ouvrière qui aurait été créée à Jemappes en avril 1896 en présence notam- ment de Gaston Cordier, un employé de Flénu. Il est l’un des fondateurs du syndicalisme chrétien dans le Borinage avec le député et docteur Victor Delporte de Dour, président de la fédération catholique boraine. Ces deux personnalités sont secondées par Léon Gilain, Gaston Cordier, Aimé Rousseau, le docteur Delcuve, conseiller communal de Mons, père de Monseigneur Ghislain-Jean Delcuve, futur missionnaire et évêque au Congo ou encore Daubechies dont le fi ls, Marcel, deviendra lui aussi évêque mais en Zambie. Il y aurait eu également avant 1900 un syndicat Sainte Barbe à Pâturages présidé par Albert Croquet.

1897 constituerait en tous les cas un moment clé dans la création du syndicalisme chrétien dans le Borinage avec une importante réunion au Cercle de Jemappes. Mais tout cela semble bien éphémère. Les nouvelles du Borinage, fondées en 1882, dirigées depuis 1892 par Edmond Gauffriez deviennent en juillet 1895 l’organe offi ciel de la Fédération catholique boraine et un supplément hebdomadaire du Pays wallon de Charleroi. A Dour, un hebdomadaire, Les Echos du canton de Dour, est lancé en 1903. Mais la presse catho- lique locale n’en reste pas moins modeste. Les catholiques montois ne disposent que d’un quotidien local, Le Hainaut et d’un hebdomadaire complémentaire du National, l’Echo de Mons. En 1902, il y aura deux unions locales de mineurs actives à (avec 185 18 affi liés) et à Jemappes (150 affi liés). Quelques dates clés sur le syndicalisme chrétien à Mons-Borinage et dans le Centre 1893 : lancement de la Gazette du Centre, organe des démocrates chrétiens 1893 : création de la société Le Bon Grain à Mariemont-Hayettes 1896 : la brasserie L’Union des Ouvriers est ouverte à Houdeng 1899 : constitution de la coopérative catholique « L’économie » à Quaregnon 1902 : mise en place de la Fédération Belge des Métallurgistes (chrétiens) 1908 : création de la fédération nationale des Francs-Mineurs 1911 : interdiction du travail souterrain à toutes les femmes et les garçons de moins de 12 ans 1911 : interdiction du travail de nuit des femmes 1912 : la Confédération des Syndicats Chrétiens voit le jour 1913 : lors d’une manifestation de gauche à Quaregnon, le fameux slogan « Rouge ou pas de pain » est lancé par les militants socialistes de la Jeune garde socialiste (J.G.S), notamment à l’adresse des syndiqués chrétiens. Il sera d’actualité jusqu’en 1962. 1914 : interdiction de tout travail des enfants avant l’âge de 14 ans (obligation scolaire)

Les premières formes de coopération interprofessionnelle voient le jour avec la création du Syndicat Sainte Barbe de Boussu, au cercle St Géry, lors d’une assemblée générale, le 14 mai 1905. Ces prémisses d’une fédération s’appuient sur quelques sections réparties entre plusieurs paroisses, celles de Boussu, Dour, Hainin, Thulin et Hornu. Elle comprend assez vite 150 membres, puis 250 en 1907, soit deux ans après sa création. Un des objec- tifs de cette Union est de faire participer ses membres à des institutions d’alimentation, d’habitations économiques, d’épargne, de mutualité, de prévoyance et spécialement aux avantages d’une caisse de retraite.

À Mons, un nouveau journal catholique est lancé sous le titre Le Progrès, journal des travailleurs. Parmi les fondateurs, on retrouve René Fraikin, un ancien journaliste de la Gazette du Centre et l’abbé Octave Misonne, alors directeur des œuvres pour la doctrine. Une société coopérative d’édition est constituée en ce sens le 18 juin 1910. Six des sept fondateurs sont des ouvriers mineurs. Cette création bénéfi cie du soutien fi nancier des frères Léopold et Edouard Servais et s’inscrit dans l’action des « secrétariats populaires ». Ce journal, que l’on peut qualifi er de catholique modéré, a pour ambition de devenir le journal des humbles tout en étant ouvertement anti-socialiste et « anticartelliste »8. Son 19 combat vise à la défense de l’école libre et des œuvres sociales chrétiennes. En 1912, Le Progrès devient un quotidien. Joseph Hamaide, ancien secrétaire de rédaction du Pays

8 Le cartel qui n’était pas une nouveauté, était représenté par la Gauche (libéraux progres- sistes et socialistes) en prévision des élections d’octobre 1911. wallon de Charleroi en est bientôt le rédacteur en chef, puis le directeur après le départ de René Fraikin en 1921.

Les fêtes Jubilaires organisées à Mons le À l’époque les travailleurs chrétiens 29 juillet 1934 traduisent la montée en côtoient les conservateurs à l’intérieur du puissance du mouvement catholique dans parti catholique la cité du Doudou Parmi les principaux problèmes que rencontre l’organisation naissante des fédérations syndicales chrétiennes fi gurent la question des cotisations et la mise en place d’une caisse centrale de résistance par fédération. Par ailleurs, les relations entre secrétariats et fédérations dans les régions et les fédérations professionnelles qui ont la primauté sur les premières se posent rapidement. La nécessité de créer une fédération intersyndicale régionale s’est posée dans la région de Mons comme dans celle du Centre afi n de mener une propagande générale.

Au plan plus général, la CSC se structure également. L’année 1909 permet la mise en place d’une confédération pour les provinces wallonnes des Syndicats Chrétiens et Libres. Et c’est le 23 septembre 1912 que la Confédération des Syndicats Chrétiens et Libres de Belgique voit offi ciellement le jour lors d’une réunion spéciale du dix-septième congrès de la Ligue Démocratique Belge9. L’unité du syndicat chrétien est une réalité mais la Wallonie n’y exerce qu’une infl uence modeste puisque l’on ne relève que deux représentants wal- lons au sein de son bureau exécutif avant 1914, à savoir Alexandre Lampe, président de la Fédération nationale des francs-carriers et Victoire Cappe, dirigeante des unions pro- fessionnelles féminines chrétiennes. Au cours de la même année, le syndicalisme chrétien 20 féminin connaît également une première structuration importante au plan national avec le Secrétariat Général des Unions Professionnelles Féminines Chrétiennes10. C’est dans le Hainaut et dans les deux Flandres que la CSC recrute la majorité de ses membres que l’on

9 Dès 1923, elle prendra pour nom la Confédération des Syndicats Chrétiens 10 Mampuys, J., op.cit, p.164. peut estimer à 100.000, répartis entre une quarantaine de fédérations régionales et 28 fédérations professionnelles.

Portrait des principaux pères fondateurs de la CSC Mons-La Louvière Célestin Baudelet né à Houdeng-Goegnies en 1863 exerce le métier de mineur avant de devenir président du Syndicat régional des Francs-Mineurs du Centre en 1894. Il sera également coopérateur de l’Union des Ouvriers. Dr Victor Alfred Louis Delporte, né le 18 août 1855 à Dour et y décédé le 20 mars 1914 fut un homme politique belge, membre du parti catholique. Il fut docteur en médecine (KUL, 1879). Il fut fondateur de la Fédération Catholique Boraine (1893) Delporte fut élu député entre 1900-1904 et en 1908 et le resta jusqu’à son décès. Ghislain-Jean Delcuve, Père Ghislain. Missionnaire capucin, deuxième vicaire apostolique de l’Ubangi (Mons,24.12.1895-Mons,13.8.1963) Louis Dereau (1907-1982). Dès l’âge de 14 ans, il entre dans le monde du travail comme ouvrier métallurgiste et milite rapidement à la JOC devenant permanent de ce mouvement en 1928. Propagandiste à la CSC de La Louvière en 1932, pour la Cen- trale des Métallurgistes du Borinage et du Centre en 1934, il va ensuite entamer une longue et fructueuse carrière au sein de la CSC devenant le principal dirigeant des syndicalistes chrétiens wallons comme secrétaire général de la conférence, fonction qu’il occupe jusqu’en 1972. Victor Hanotiau (Écaussines 1863-1919) proche de Léon Mabille, il fonde le premier syndicat des carriers à Écaussines en 1896. Président de la Maison des ouvriers, de la Mutualité des Francs Carriers d’ Écaussines, il est l’un des piliers du Parti démo- cratique du Centre jusqu’à la fi n de la Première Guerre mondiale. Arthur Leroy (La Bouverie 1897-La Bouverie 1979). Membre du Comité fédéral Interprofessionnel de Mons dès 1928, il est également membre du Comité supérieur de la Centrale du cuir et du vêtement avant la Seconde Guerre mondiale. En 1946, il devient membre du Comité Directeur de la centrale de la chimie et des industries diverses après s’être vu confi er les rênes du secrétariat permanent de la région de Mons qui redémarra ses activités au domicile de A.Leroy avant de déménager dans les locaux du cercle paroissial de La Bouverie. Charles Lhose (Frameries 1899-Manage 1970). Premier permanent wallon du syn- dicat chrétien des ouvriers de fabrique et industries diverses de Belgique à partir du 21 24 mars 1934, il semble avoir été président de la Fédération interprofessionnelle de Mons de 1933 à 1934 alors qu’il était ouvrier de surface au Grand-Trait à La Bouverie. Désigné secrétaire permanent à Mons en 1934, il devient en 1945 secrétaire général adjoint de la centrale de la chimie et des industries diverses. Ayant suivi sa centrale à l’UTMI de juin 1940 à octobre 1941, Charles Lhose ne pourra plus reprendre ses activités à la fédération de Mons jusqu’en 1948 en raison de l’obstracisme dont il fait l’objet. Il prendra sa pension en 1964. Léon Mabille (Le Roeulx 1845-Louvain 1922), Avocat et professeur à l’Université de Louvain, il est l’un des fondateurs et le président du Cercle régional d’études en 1893 d’où partira la création d’un mouvement syndical chrétien. Il sera d’ailleurs président du Syndicat régional des Francs-Mineurs du Centre en 1894 avant d’entamer une carrière politique qui le conduira notamment aux fonctions de député pour l’arrondis- sement de Soignies (1900-1922). Florimond Senel (Ath 1865-Etterbeek 1922). Fondateur et secrétaire du Cercle régional d’Etudes sociales du Centre ainsi que de la fédération des Mutualités chré- tiennes du Centre, il se consacre au développement des œuvres sociales dans la région du Centre avant d’exercer des fonctions dirigeants au sein du MOC. Edouard Servais (Boussu, 5 juin 1872 - Mons, 29 mars 1942). Avocat et membre de la Chambre des représentants de 1914 à 1919. L’une personnalités majeures du parti catholique et des œuvres sociales chrétiennes à Mons au début du 20e siècle.

2.2 La CSC durant la Première Guerre mondiale Durant ces quatre années de confl it, l’activité du mouvement syndical se réduit à une peau de chagrin. La CSC connaît un coup d’arrêt brutal et durable dans sa progression en raison notamment de diffi cultés fi nancières presque insolubles vu la forte diminution des cotisa- tions. Au plan de l’action syndicale, la situation est tout aussi critique. Beaucoup d’affi liés vont servir sur le front et d’autres vont se réfugier à l’étranger, ce qui réduit les membres actifs à une portion congrue d’autant que le chômage sévit et les usines tournent au ralenti. La plupart des fédérations professionnelles sont en léthargie même si elles continuent à développer une action sociale jusqu’au milieu de la guerre.

Peu de traces subsistent sur l’activité du syndicat chrétien dans la région de Mons-Bori- nage et du Centre. On peut penser que les propagandistes encore au pays ont tenté dans des conditions pour le moins diffi ciles de répondre aux besoins immédiats des membres avec lesquels ils sont demeurés en contact. Le ravitaillement de la population devient rapi- dement un problème quotidien. La situation de toutes les usines est extrêmement diffi cile. 22 La désorganisation de certains services publics (comme la Poste et les transports), la suppression quasi entière du télégraphe ou totale du téléphone, les mettent dans l’impos- sibilité de placer leurs produits à l’extérieur et même dans le pays. Les industriels travaillent à perte car les prix de revient sont très élevés et les stocks de produits ne s’écoulent pas. Dès l’été 1915, on ne travaille plus dans les filatures flamandes. Les hauts fourneaux vont être éteints dans leur quasi-totalité alors que la construction mécanique est à l’arrêt. Les industries dont la production peut être directement utile à l’effort de guerre allemand comme les carrières du Brabant et du Hainaut ainsi que les usines métallurgiques, vont fermer leurs portes.

A partir de 1916, la situation des travailleurs deviendra de plus en plus délicate. En novembre 1916, les premières déportations d’ouvriers en Allemagne suscitent une vague de panique et de découragement. Les conditions de vie des ouvriers se détériorent de plus en plus. Pendant l’hiver 1916-1917, malgré l’aide alimentaire orchestrée par les comités de secours, ils mangent aussi mal qu’un demi-siècle auparavant11. Le prix des denrées alimentaires a subi des hausses importantes à cause de la disette et du rationnement. En février 1917, on recense pas moins de 642 439 chômeurs.

Au plan national, la CSC est divisée par le rapprochement entre certains dirigeants et le mouvement fl amand. Le président Hendrik Heyman, en tentant de garder à fl ot un secrétariat national, soutient des positions fédéralistes favorables au nord du pays. A cet antagonisme communautaire s’ajoutent des divergences idéologiques et sur l’organisa- tion du syndicalisme chrétien, l’ensemble affaiblissant particulièrement la vie syndicale parmi les chrétiens qui tranche par sa faiblesse et le retard pris vis-à-vis des socialistes. Le développement de l’organisation constituera le principal souci de l’après-guerre.

23

11 Scholliers, P et Daelemans, F, « Standards of living and standards of health in wartime Belgium », in Richard Wall and Winter, J (dir.),The upheaval of war : family, work and welfare in Europe, 1914-1918,Cambridge, 1988, p.139-158

Chapitre 2 - Le développement du syndicalisme chrétien durant « la guerre de trente ans» (1914-1945): une montée en puissance Après la Première Guerre, il faut repartir quasiment de zéro et d’une feuille blanche pour relancer le syndicalisme chrétien dans le Centre et à Mons-Borinage. Après la stabilisa- tion effectuée dans les années 1920, la période de crise des années 1930 voit la CSC développer une action effi cace pour faire face aux besoins de ses affi liés confrontés à un chômage massif. Le succès de la grève générale de juin 1936 contribue à une reconnais- sance pleine et défi nitive pour la CSC tant de la part des pouvoirs publics que des patrons et de l’adversaire socialiste. Cette période de l’entre-deux-guerres est également marquée par le combat syndical pour la démocratie économique comme complément indispensable à la démocratie politique. Alors que le mouvement socialiste défend le contrôle ouvrier présenté comme une étape vers la socialisation de l’économie, le mouvement ouvrier chrétien s’y montre hostile et défend plutôt la communauté dans l’entreprise dans l’idée du corporatisme et de l’organisation des professions revendiquée dans les années 1930.

Les principaux événements de cette période 21 novembre 1911: le gouvernement d’Union national (catholiques-libéraux, socia- listes) le annonce un programme défi ni à Lophem le jour de l’Armistice qui prévoit le Suffrage Universel pur et simple (pour tous les hommes âgés de 21 ans), l’impôt sur le revenu qui sera instauré le 29 octobre 1919, la mise en place de commissions paritaires qui interviendra à partir de 1919, un premier index des prix du détail établi en 1920 et qui comprendra 56 articles. 24 mai 1921: loi sur la liberté d’association, ce qui conduit à une reconnaissance du fait syndical 14 juin 1921: vote de la loi sur la journée des 8 heures (dans certains secteurs) et de la semaine de 48 heures 1921: création de la Ligue Nationale des Travailleurs Chrétiens, l’ancêtre du MOC 1924: Assurance-vieillesse obligatoire pour les salariés Octobre 1929: Krach à la bourse de New York 4 août 1930: Une loi rend obligatoire le système d’allocations familiales pour tous les salariés. 15 mai 1931: Publication de l’encyclique Quadragesimo Anno Juin–septembre 1932: grève dans certains charbonnages du Borinage, puis en Hainaut 25 Janvier 1933: prise du pouvoir par Hilter et le parti nazi en Allemagne Juin 1936: Mouvement de grèves offensives lancé par les dockers d’Anvers, puis dans l’ensemble des secteurs industriels du pays. 8 juillet 1936: loi-cadre sur les 40 heures et la semaine de congés-payés 10 juin 1937: les allocations familiales sont octroyées aux non-salariés 23 août 1939: Pacte germano-soviétique (Hitler-Staline) 1er septembre 1939: début de la Seconde Guerre mondiale avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne et début de la drôle de guerre. 10 mai 1940: invasion de la Belgique. Le gouvernement quitte le pays, le Roi reste.

Section 1 - De l’après-guerre à 1930: reconstruction et progrès social 1.1 Le contexte général: principales évolutions politique, économique et sociale A la fi n de la Première Guerre mondiale qui s’achève le 11 novembre 1918, l’économie belge est exsangue et la reconstruction du pays est prioritaire. Sur le plan monétaire, la masse monétaire n’a cessé d’augmenter pendant la guerre et le gouvernement emprunte des sommes énormes pour fi nancer la reconstruction. Il compte sur le paiement de dom- mages de guerre par l’Allemagne pour couvrir en majeure partie les emprunts contractés.

Les secteurs du charbon et du textile vont se rétablir rapidement et atteindre, dès août 1919, le niveau de production d’avant-guerre. Le cas de la sidérurgie est autrement pro- blématique: l’occupant a démantelé la plupart des usines et expédié en Allemagne tout le matériel utilisable. Les infrastructures de transport sont fortement endommagées: ponts détruits, 4.000 kilomètres de chemins de fer démantelés ou bombardés, une quantité importante de locomotives envoyées en Allemagne et les ports de Gand et Zeebruges pra- tiquement en ruines. Avant de pouvoir relancer la production sidérurgique, il faut construire des usines et réparer les infrastructures. Ce sera l’un des grands défi s de l’après-guerre. Si certaines entreprises sont encore opérationnelles, les matières premières font largement défaut. En 1919, le secteur sidérurgique n’atteint que 15% de la production d’avant-guerre.

Les gouvernements de l’après-guerre accordent la priorité au redressement économique. Dans ce cadre, la Société nationale de crédit à l’industrie (SNCI) créée en 1919 est appelée à jouer un rôle d’intermède fi nancier dans la reconversion du pays. Globalement, les années 1920 se traduisent pour la classe ouvrière par une augmentation sensible du niveau de vie et par le plein emploi même si les lendemains de guerre sont particulièrement diffi ciles. Et ce en raison du chômage dû notamment au retour à la vie civile des soldats et de la crise fi nancière internationale des années 1920-21. Les tendances infl ationnistes des prix 26 sont en continuelle progression et le franc belge tend à se déprécier alors que la masse monétaire en circulation est conséquente. Les prix des produits sont considérés comme étant 15 fois plus élevés en 1918 qu’en 1914. Et comme les salaires n’ont pas augmenté de la même façon, les travailleurs devront attendre 1923 pour retrouver un pouvoir d’achat équivalent à celui de 1914. La classe ouvrière aspire en tous les cas à un mieux-être après la période dramatique qui fut celle de la guerre. Désireuse d’atteindre un niveau de vie décent, ce qui est légitime, le mouvement syndical n’hésite pas à utiliser l’arme de la grève – plus de 1600 confl its entre 1919 et 1924 – et à entretenir un climat d’agitation sociale pour obtenir des améliorations immédiates. Or, le besoin immédiat de main-d’œuvre pour le redressement économique du pays crée un rapport de force favorable aux syndicats. L’organisation du secours-chô- mage par le recours à ces mêmes organisations syndicales leur offre de nouvelles pers- pectives en termes d’affi liation et leur permette d’acquérir une représentativité plus forte face au patronat. Si la Commission syndicale, socialiste, est la grande bénéfi ciaire de ce mouvement, le syndicalisme chrétien va connaître une croissance moins forte mais durable, passant de 65 000 membres en 1919 à 339 769, vingt ans plus tard1. Force est de constater que si la CSC reste un syndicat dominé par sa composante fl amande, les francophones vont voir leur infl uence s’accroître progressivement au point de représenter 20% des adhérents à la veille de la Seconde Guerre mondiale2. Le début d’une prise de conscience wallonne se fait par ailleurs sentir.

1.2 Des hommes et des structures: on repart de zéro et on centralise Au plan interne, la période de l’entre-deux-guerres est marquée pour l’ensemble de la CSC par une marche en avant vers une organisation centralisée. La réorganisation des fédérations régionales après la Première Guerre bénéfi cie du soutien des centrales qui constituent le pilier de l’action syndicale sur le terrain. C’est par leur biais que l’affi liation obligatoire des sections professionnelles locales aux fédérations régionales s’opère. Dans le domaine fi nancier et en termes de gestion au sens large, c’est le secrétariat national qui joue les chefs d’orchestre dans la vie des fédérations régionales, lesquelles sont donc placées sous la direction des centrales.

Des effectifs réduits avant un bond en avant Au plan hennuyer, la CSC connaît beaucoup de diffi cultés à redémarrer ses activités après le confl it mondial et à s’imposer face à son concurrent, le mouvement ouvrier socia- liste qui devient de plus en plus puissant. Les changements qui se produisent au plan politique influent sur le développement du syndicalisme chrétien. Ainsi, la Fédération Catholique Boraine disparaît-elle. Seule la tendance conservatrice reste représentée dans l’ Association catholique.

Dans le Borinage, le syndicalisme reprend ses marques à pas feutré sous la conduite de 27 Louis Estiévenart et de Florent Ruelle3. On assiste au début mars 1919 à la création du premier vrai syndicat chrétien de la ville de Mons. Septante hommes et jeunes gens par-

1 Neuville, J., Un génération syndicale, Études sociales, n°21-22, Bruxelles, 1959, p.151. 2 Manpuys, J., op.cit, p.173. 3 Il deviendra ensuite permanent régional des Francs Mineurs dans la région du Centre. ticipent à l’événement. Le secrétaire de ce premier syndicat s’appelle Gaston Crombez et c’est René Fraikin qui assure le rôle de conseiller moral. En juillet 1921, la première cen- trale des syndicats chrétiens du Borinage, la Centrale des Francs-Mineurs, est devenue une réalité. Les mineurs donnent le ton au sein de cette fédération car leur centrale est la seule qui puisse s’appuyer sur une action et une propagande autonomes. Louis Estiévenart est pratiquement secrétaire fédéral tout en étant permanent des mineurs. Arthur Leroy qui représente l’industrie de la chaussure, alors très prospère dans la région, fi gure éga- lement parmi les principaux dirigeants. Dans d’autres secteurs, c’est un peu le vide. Il faut attendre près de 10 ans, soit la fi n des années 1920, pour que d’autres centrales voient le jour dans les secteurs du métal, des cuirs et peaux, des industries diverses, de la pierre, de la céramique et du ciment, du verre, du bois, du bâtiment, de l’alimentation et des ser- vices publics. On peut y ajouter la RTT, la marine et l’aviation comme nouveaux secteurs qui font progressivement l’objet d’une structuration dans le chef du syndicalisme chrétien.

Une fois créée, la Fédération ouvre des sous-secrétariats à Boussu, à Frameries, à 28 Jemappes, parfois en collaboration avec la mutuelle chrétienne locale. Mais le mouvement reste modeste. La fédération de Mons-Borinage compte environ 500 membres en 1925 et n’atteint jamais le millier d’affi liés avant 1930. Par la suite, le chômage sévissant forte- ment en raison des suites de la crise économique de 1929, le syndicalisme chrétien va en quelque sorte en profi ter pour attirer de nouveaux adhérents grâce à la qualité du service rendu auprès des affi liés. La crise des années 30 contribue en fait à gonfl er les effectifs car il faut être inscrit à une caisse de chômage syndicale pour obtenir des allocations. Les chiffres témoignent de cette évolution. Près de 5000 affi liés sont recensés dans les rangs du syndicat chrétien de Mons-Borinage en 1937, moment où le futur député Hilaire Willot prend la direction de la Fédération jusqu’en mai 1940. Il remplace Henri Malengreaux lequel avait notamment lancé le syndicat chrétien à Boussu dans un contexte marqué par la modicité des ressources humaines et fi nancières disponibles. « Il était secrétaire fédéral et il n’y avait qu’un seul permanent4.» Les différents syndicats chrétiens sont administrés dans chaque commune par un seul « permanent», un ouvrier qui consacre une ou deux heures par jour à un travail syndical. Quel contraste avec le syndicat socialiste qui compte un grand nombre de secrétaires et d’employés permanents ! En cas de confl it, toutes les décisions sont prises par les centrales nationales mais c’est la fédération régionale inter- professionnelle qui donne les grandes directives de politique syndicale. Elle centralise la gestion fi nancière et l’administration des sections locales.

Le carnet de membre de A. Crombez de Wasmes af lié à la Mutuelle inter syndicale liée aux syndicats chrétiens et libres

Dans la région du Centre, on retrouve à quelques nuances près une situation analogue avec les travailleurs chrétiens qui peinent à s’organiser dans la foulée de la création de la Ligue nationale des travailleurs chrétiens (LNTC) fondée en 1921. La Fédération des 29 syndicats chrétiens du Centre se reconstruit non sans diffi cultés et installe son siège prin- cipal aux Hôtelleries du Centre et au secrétariat des œuvres sociales, à la rue Waucquez à La Louvière. Deux propagandistes entrent en fonction à cette époque et vont jouer un

4 Interview de Roger Chevalier, ancien permanent de la chimie à Mons, le 26 avril 2011. rôle important dans le développement de l’organisation. Il s’agit d’Henri Vanderschueren et Joseph Henriet. Il faut toutefois attendre 1929 pour assister à une renaissance du mouvement ouvrier chrétien au travers de l’action de la Ligue des Travailleurs chrétiens qui coordonne sur le terrain local l’action des différentes organisations comme les syndicats, les coopératives et les mutualités. C’est le fruit de l’action de dirigeants déterminés et organisés qui agissent selon un plan d’ensemble. En 1930, la ligue de l’arrondissement de Soignies est sur les rails avec comme dirigeants au sein du comité exécutif, Emile Roland, un avocat de Soignies, l’abbé Riche, aumônier des œuvres sociales de la Fédération du Centre et Joseph Henriet, propagandiste des syndicats chrétiens. C’est en 1935 que le futur ministre, – il sera en charge de la Fonction publique de 1968 à 1972 –, René Pêtre, entre en qualité d’employé au sein de la Fédération des syndicats chrétiens du Centre. Ancien mineur, il prend les destinées de la Centrale régionale des Francs-Mineurs qui connaît un développement remarquable si l’on considère le faible taux de syndicalisation des ouvriers chrétiens sur un plan général dans le Centre. Pêtre devient secrétaire général de la Centrale Nationale des Mineurs en 1947.

Section 2 - Les années de crise (1930-1945): le Borinage se meurt, le Centre souffre dans sa chair 2.1 La crise frappe lourdement la classe ouvrière Face à la crise, le mouvement ouvrier et les travailleurs adoptent deux grandes attitudes différentes. L’une se traduit par un rejet de l’étranger qui joue le rôle du bouc émissaire parce qu’il prend le travail des autochtones. Les syndicats suivent en cela une opinion qui se répand comme une traînée de poudre dans les milieux populaires. Le second type d’at- titude ou réaction, plus spectaculaire et dramatique, prend la forme d’une grève générale, celle de 1932. Elle est déclenchée à la suite de l’annonce d’une diminution salariale de 10% mais la cause fondamentale du confl it provient davantage de la situation précaire de la classe ouvrière boraine durement touchée par la crise. L’action des militants commu- nistes durant le confl it contribue en tous les cas à le radicaliser au point que le gouverne- ment mobilise l’armée.

Comment se déroule les événements? En juillet 1932, un mouvement de grève lancé aux derniers jours de juin dans le Borinage s’étend comme une trainée de poudre à la région voisine du Centre d’abord, à tout le sillon industriel de la Sambre et de la Meuse ensuite. Ils sont bientôt des dizaines de milliers à se croiser les bras, paralysant les char- 30 bonnages, mais aussi la sidérurgie, les fabrications métalliques. Une partie de la Belgique tombe véritablement en état de siège. Dans la rue, les manifestations de mécontente- ments succèdent aux meetings. Des femmes se couchent sur les voies de trams pour empêcher leur passage. Les incidents avec les forces de l’ordre se multiplient amenant le gouvernement Renkin à décréter l’état de siège le 12 juillet. Situation prémonitoire: des automitrailleuses sillonnent les grandes agglomérations wallonnes. Des escadrons fl amands viennent épauler les soldats francophones pour tenter de maintenir l’ordre mais la tension subsiste.

Le parti et le syndicat socialistes sont débordés par leur base; en dépit d’appels à la reprise du travail, la grève se poursuit. Pour une armée de besogneux, le seuil tolérable du dénuement a été atteint. Ils n’ont plus rien à perdre. La révolte cependant rend les conditions de vie plus dures encore. Un peu partout, des collectes s’organisent. Pour que les enfants puissent manger... quelques pommes de terre au moins. La solidarité ouvrière prend parfois des formes inattendues. A La Louvière, par exemple, trois chô- meurs vont récolter des fonds à travers tout le pays, habillés en gilles. C’est le temps aussi des soupes populaires préparées par les « Femmes prévoyantes» socialistes tandis que la coopérative « Au Progrès» distribue des pains, des vêtements, des chaussures, aux familles de grévistes.

La grande convulsion sociale de 1932 et ses suites révèlent au grand jour les conditions de vie désastreuses dans lesquelles croupissent alors de nombreux ménages ouvriers. Des intellectuels s’en émeuvent à l’époque comme André Gide, Yves Allégret et le cinéaste belge Henri Storck fi gurent parmi les voix qui s’élèvent pour dénoncer le drame. Ce dernier consacrera d’ailleurs un fi lm aux événements sous le titre Borinage. L’action des travail- leurs et des chômeurs représente une protestation presque désespérée contre la dimi- nution constante de leur salaire. Entre juillet 1930 et mars 1932, ils ont vu leurs revenus fondre de 29%. En sidérurgie, la baisse atteint 20%. Dans le même temps, les loyers restent inchangés, et le prix du pain augmente de 15 centimes au kilo. Une catastrophe pour le budget familial déjà réduit à sa plus simple expression. A l’époque, il est également question de diminuer les allocations de chômage. Le nombre de sans-emploi connaît une croissance fulgurante: 181.000 en décembre 1930, ils deviennent 326.000 en 1932, soit une progression de 4 à 40% entre 1928 et 1932. Les fi nances de l’État comme celle des demandeurs d’emploi en pâtissent lourdement.

Les familles ouvrières sont souvent logées dans des conditions misérables avec des loyers qui comptent pour plus de 50% des maigres revenus malgré le mobilier rudimentaire et des pièces petites et peu nombreuses. Beaucoup de ces familles se privent jusqu’à l’extrême et vivent quasiment dans l’indigence.

31 Document 2: Le budget d’une famille ouvrière touchée par la crise3

Répartition des dépenses Catégorie de dépenses Francs belges % Alimentation 224,90 79,0 Vêtement et blanchissage 16,50 5,8 Logement, ameublement et articles de ménage4 - - Logement seul - Eclairage et chauffage 6,50 2,3 Santé, hygiène et toilette 11,50 4,0 Besoins intellectuels et moraux 19,90 7,0 Divertissements - - Divers 5,25 1,9 Totaux 284,55 100, 0

Loin d’être seulement de circonstance, ce confl it constitue au contraire le révélateur du fossé qui se creuse entre la classe ouvrière et ses représentants politiques agissant au sein du POB. La grève de 1932 débouchera d’ailleurs sur la création de l’Action socialiste révo- lutionnaire comme courant à la gauche de la Fédération socialiste boraine et du POB sous l’impulsion de Paul-Henri Spaak et du leader borain, Walter Dauge. Nous y reviendrons mais auparavant, il faut se pencher sur les cas du Borinage et du Centre dans la crise.

2.2 La terre qui se meurt Si le Borinage est fortement secoué par la crise et que la situation paraît presque désespé- rée, c’est que la situation y est particulièrement dramatique. Dans un article du journal Le Soir paru le 4 juillet 1933, l’écrivain Marius Renard5 évoque en parlant du Borinage en crise La terre qui se meurt. La Centrale des Francs Mineurs ne dit pas autre chose en insistant sur le fait que la misère boraine est un sujet de préoccupation dans le monde syndical. « La crise économique n’a pas seulement contraint 15.000 de nos camarades mineurs à abandonner leur métier, elle menace notre industrie charbonnière dans son existence même(…). Cette misère est réelle et profonde. On comprend que, dans ces conditions, la détresse soit grande et qu’il faille prendre des mesures6.» Quelques semaines plus tard, la Fédération régionale des syndicats chrétiens de Mons-Borinage pose le problème de la 32 région dans les termes suivants: « Notre industrie houillère est-elle viable? Et pour parer à une situation malheureuse au Borinage, n’y aurait-il pas lieu d’envisager la prise de mesure

5 Marius Renard (1869-1948). Né à Hornu, ce romancier est l’auteur de nombreux ouvrages qui mettent notamment en évidence la misère de la classe ouvrière dans le Borinage (Gueule rouge, En révolte, Ceux du Pays Noir, La misère héroïque, Le pain quotidien…). 6 Le Franc-mineur, n°4, avril 1935, p.13. sur le plan national» En réponse à ces deux questions, la centrale place sa confi ance dans deux programmes gouvernementaux. L’État doit venir au secours de la région et Louis Es- tiévenart, secrétaire de la centrale des Francs-Mineurs, exprime sa conviction que le vaste programme proposé par le commissaire du gouvernement, Jules Yernaux, un professeur de la Faculté polytechnique de Mons constitue une réelle solution. Pour Estiévenart, « il fera renaître l’espoir et la confi ance dans le cœur de notre vaillante population ouvrière boraine7.» En second lieu, la centrale des Francs-Mineurs place tous ses espoirs dans une organisation de la profession dans l’industrie minière qui s’inspire du chemin indiqué par le Pape Pie XI dans son encyclique « Quadragesimo anno» de 1931 qui consacre la doctrine socio-économique de l’Église. Le but conféré à l’organisation de la profession est « de créer la collaboration nécessaire entre la direction et les travailleurs. La profession est devenue un champ de bataille sur lequel les différents groupes, patrons et ouvriers luttent ardemment. Or, tous collaborent pour atteindre le même but. Dans l’industrie minière par exemple, le but commun est de produire du charbon8.» Ceci étant, la situation semble à ce point désespérée au début des années 1930 que l’on évoque aussi la solution d’un trans- fert des mineurs borains au Limbourg. Le Borinage paraît diffi cilement pouvoir se sortir du marasme qui le menace au plus profond de sa chair.

Congrès régional des Francs-Mineurs à Jemappes le 4 décembre 1934. La crise frappe alors lourdement le secteur charbonnier dans le Borinage

Sur les bancs de la Chambre, le député borain, Louis Piérard, rappelle, le 8 avril 1936, le 33 caractère dramatique de la situation existant encore un an plus tôt: « La situation dans le Borinage était signalée, vous le savez, comme l’un des plus tristes exemples de la détresse

7 Le Franc-Mineur, mai-juin 1936, p.6. 8 Le Franc-Mineur, juillet-août 1935, p.14-15. économique dans laquelle le pays se débattait; on disait, forçant un peu la note, que le Borinage se mourait9.» L’heure était suffi samment grave, poursuit Piérard, pour « se laisser aller à une certaine exagération de langage que vous pardonnerez, d’ailleurs, chez les gens du midi. (Sourires)10.»

La faiblesse structurelle des charbonnages borains se traduit par une productivité insuf- fi sante et de faibles rendements qui ne peuvent s’expliquer par les seules diffi cultés liées à des gisements délicats à exploiter. Ce défi cit structurel est largement ignoré par les propriétaires miniers. Les industriels ne font pas les efforts nécessaires pour trouver des solutions d’avenir, souvent par pur défaitisme. Le résultat est que l’on préfère s’en remettre à des méthodes périmées plutôt que de tenter d’innover. La force de l’habitude va coûter cher au Borinage. Cette crise sociale et économique particulièrement grave provoque des réactions spontanées et diverses de la part de la population boraine, principale concernée et victime des événements.

2.3 Quelle alternative pour sortir de la crise? A partir de 1932, la passivité du Parti ouvrier belge (POB) et de la Commission syndicale face à la crise économique et sociale qui est mondiale suscite un mécontentement gran- dissant au sein de la base. La grève spontanée de l’été 1932 en constitue un sérieux révélateur et permet aux communistes de jouer un rôle important sur le terrain. Cette grève s’est déclenchée contre l’avis des organisations syndicales ‘établies’. D’ailleurs, les maisons du peuple sont dans le viseur des grévistes comme les châteaux et villas des directeurs de charbonnages. Une observatrice française du journal parisien, L’oeuvre décrivait dès 1926 les symptômes qui donneront naissance dans les années trente à cette opposition de gauche au sein du POB regroupée autour de P.H. Spaak et de son Action socialiste: « A ceux-là, écrivait-elle en parlant des jeunes, il faudrait une doctrine nouvelle et un programme d’action. Or cela manque, car on ne peut donner le nom de programme à la liste de revendications immédiates qui fut présentée au dernier congrès ouvrier. Il en résulte un malaise grandissant».

Le 14 janvier 1933, l’Action socialiste lance à Bruxelles un nouvel hebdomadaire. Il est réa- lisé à l’initiative d’Albert Marteaux et de Paul-Henri Spaak qui sont aidés dans cette tâche par des jeunes gardes socialistes, hennuyers pour la plupart, comme Walter Dauge, Emile Cornez(futur gouverneur de la province), François Jumeau, Roger Toubeau et Léo Collard futur président du PSB¹¹. L’Action socialiste séduit aussi des militants liégeois comme 34 François Sainte, Emile Bonvoisin, Léon Allard et Victor Brusson.

9 Annales de la Chambre des Représentants, séance du mercredi 8 avril 1936, p.1260. 10 La population de Frameries, la commune de Louis Piérard, fut et reste parfois compa- rée à celle de Marseille dans l’imagerie populaire. 11 L’Action socialiste succédait à la Bataille socialiste de 1927. La grève offensive de 1936 Les événements se précipitent au mois de mai 1936 après des élections qui portent le second gouvernement Van Zeeland au pouvoir et marquent une forte poussée du rexisme. Le 26 mai 1936, une grève générale est décrétée dans le port d’Anvers à la suite de l’assassinat de deux ouvriers socialistes. Le mouvement fait tâche d’huile jusqu’au bassin de Liège où les mineurs partent en grève le 8 juin. A Liège, le 15 juin, les métallurgistes se joignent au mouvement des mineurs et le lendemain, la grève est générale dans les bassins industriels wallons. Les syndicats chrétiens et libéraux se sont joints au confl it. Les villes de Gand, de Bruxelles sont touchées. Le 17 juin, le pays compte encore plus de 350.000 grévistes. Un mouvement qui va aller en s’accroissant jusqu’au 21 juin, mobili- sant au passage le chiffre jamais atteint de 500.000 grévistes le 18 juin.

Les instances syndicales récupèrent le mouvement et lancent quelques revendications aussi précises que modérées. Elles aboutissent lors de la première Conférence Nationale du Travail, réunie à l’initiative du Gouvernement le 17 juin, sur un certain nombre de décisions importantes comme la fi xation d’un salaire minimum, l’octroi de congés payés et la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 40 heures dans certaines industries insalubres et dangereuses. La réadaptation des allocations syndicales fait également l’ob- jet d’un accord au contraire de la reconnaissance du fait syndical qui se heurte à un refus patronal. Le 21 juin, l’ensemble des commissions paritaires approuve l’accord. Le Comité national de la Commission syndicale donne l’ordre de reprendre le travail, estimant qu’il a obtenu entièrement satisfaction sur son programme. Mais la mobilisation reste forte et il faudra attendre le 24 juin pour assister à une reprise du travail dans la plupart des sec- teurs. La loi sur les 40 heures est votée le 9 juillet mais son application restera limitée et partielle jusqu’à la guerre.

2.4 Des hommes et des structures Sur le terrain, les deux organisations sont souvent à couteaux tirés dans les entreprises avec des syndicats chrétiens minoritaires dans les usines les plus importantes où le syn- dicalisme socialiste s’est octroyé un monopole de fait, parfois en concertation avec les patrons. C’est une époque où le slogan et le mot d’ordre « rouge ou pas de pain» circulent régulièrement parmi les travailleurs. Les « listes noires» ne sont pas inhabituelles pour le syndicalisme chrétien qui doit se battre pour être reconnu tant dans le camp patronal que par l’adversaire socialiste. 35 Syndicat socialiste et syndicat chrétien à couteaux tirés Durant la crise du début des années 1930, les critiques fusent sur l’action des catholiques au sein du gouvernement dirigé par Charles de Broqueville (1932-1934). A cela s’ajoutent les insultes et menaces que les militants essuient de la part des ouvriers socialistes dans leurs entreprises, ce qui ne manque pas de décourager nombre d’entre eux. Toujours est-il que sur le terrain, la CSC marque des points vis-à-vis des travailleurs et de la base face au monopole socialiste en radicalisant sensiblement ses positions sur la crise et en indemnisant plus rapidement les grévistes.

Après la grève de 1936, les syndicats chrétien et socialiste vont être appelés à collaborer de plus en plus annonçant une ère de coopération et compétition dans le cadre de l’éco- nomie concertée après 1945. Ce rapprochement entre chrétiens et socialistes n’est pas en soi une surprise car la scission avec les communistes a amené la majorité des socialistes belges, adeptes du réformisme, à se rapprocher en termes de programmes et de doctrine des principes sociaux chrétiens. On assiste même à un accord entre les deux centrales des métallurgistes, la FNM et la CMB lors d’une grève des Hauts-Fourneaux et Fonderies de La Louvière¹².

Une circonscription sur le plan provincial Conformément aux statuts de la CSC, l’organisation d’une circonscription des fédérations régionales par province va être mise en place. Dans le Hainaut, des rencontres de diri- geants permanents sont organisées dès 1932 et une structure se met même en place avec à sa tête, Fernand Tonnet avant la nomination, vers 1935-1936, de Louis Dereau au poste de propagandiste national, son rôle consistant à suivre les fédérations régionales interprofessionnelles. La formation des délégués constitue une préoccupation même si les moyens restent limités dans ce domaine. Un bulletin mensuel Pour nos chefs est lancé à destination des délégués locaux afi n de guider le travail syndical de tous les jours. Et l’ensemble du mouvement chrétien, placé sous la coupole de la ligue provinciale des travailleurs chrétiens dispose de son propre hebdomadaire depuis 1930 sous le titre La Vie Nouvelle qui est diffusée notamment parmi les syndiqués chrétiens. Cet outil de contact entre les militants chrétiens du Hainaut deviendra juste avant la guerre un organe exclusi- vement syndical dénommé Au Travail.

Un axe de développement: les coopératives Forte de 980 membres en 1931, la fédération de Mons compterait près de 4500 affi liés en majorité des ouvriers quelques années plus tard. Entre 1931 et 1937, la coopérative catholique « Bien-être» ouvre 54 magasins pour ses membres borains. Dans le dévelop- pement du mouvement ouvrier chrétien en général, il faut souligner le rôle des coopéra- tives qui sont fort actives dans toutes les communes boraines malgré une domination du 36 mouvement coopératif socialiste. Comme l’explique Guillaume Jacquemyns, elles se font une concurrence serrée et s’activent pour attirer les clients par l’annonce de primes excep- tionnelles, de « semaines» où les ristournes sont doublées, par des articles mis en réclame

12 Cité dans Histoire de la CS-Métal 1890-2009, op.cit, p.52. La date de cette grève qui fait suite à une baisse des salaires n’est pas précisée. Il faut sans aucun doute la situer avant 1936 vu son caractère défensif face à la réduction des salaires. pendant un temps déterminé. Du côté chrétien, le Comptoir Général d’Approvisionnement (C.G.A), une société coopérative de Haine-Saint-Paul fondée par des industriels chrétiens du Centre en mai 1916 pendant la guerre, fournit des produits de consommation courante à des prix raisonnables. Le premier magasin de détail est ouvert à Morlanwelz en mars 1919 avant que l’adhésion des industriels du Borinage ne permette le développement du champ d’activité de la coopérative dans cette région à partir de 1927. 135 magasins existent ainsi dans les années 30 au départ du siège central de Haine-Saint-Paul avec 81 magasins dans le Centre et 54 dans le Borinage.

2.5 La CSC durant la Seconde Guerre mondiale Avant la guerre, le Bureau national décide qu’en cas d’occupation, la CSC cesserait ses activités. Ce qui ne sera pas le cas. Lorsque l’occupant allemand impose son Union des travailleurs manuels et intellectuels (UTMI), fondée en novembre 1940 par De Man qui est alors président du POB, c’est en fait le mouvement ouvrier dans son ensemble qui est déstabilisé par les sirènes de ce syndicat unique. L’UTMI ne laisse pas insensible certains leaders syndicalistes chrétiens, principalement au nord du pays. Et la discussion sur la par- ticipation à ce syndicat unique obligatoire provoque, en novembre 1940, une scission entre partisans et adversaires de cette adhésion. La CSC connaît alors une profonde déchirure interne avec la grande majorité des militants et dirigeants de l’aile wallonne qui refuse la collaboration dans le cadre de l’UTMI. Après la guerre, la CSC sera d’ailleurs déstabilisée par une procédure d’épuration interne qui ne parvient pas cependant à faire vaciller Cool et Ketels lesquels s’appuient sur la majorité fl amande pour conserver leur rang. Cette attitude fl amande contribue à la naissance du sentiment de minorisation qu’éprouvent les Wallons et qui sera exacerbé à partir des années 60 comme nous le verrons plus loin.

Pour en revenir à la période de la guerre proprement dite, malgré les dissensions internes évoquées, la CSC se réorganise dans la clandestinité pour éviter de perdre du temps et pour assurer immédiatement la défense des travailleurs une fois la guerre terminée. La CSC wallonne refuse de continuer une action syndicale au grand jour alors que l’UTMI pré- cisément est devenu le syndicat de l’occupant. Lorsqu’il apparaît clairement, en août 41, que l’UTMI n’est qu’un instrument de l’occupant, ses partisans au sein de la CSC mettent fi n à leur collaboration.

Au plan local, dès le début de l’été 1940, une cinquantaine de permanents, employés et militants de la fédération de Mons se réunissent rue d’Havré dans les locaux des œuvres féminines chrétiennes car le Maison du Travail est réquisitionnée par l’offi ce du chômage 37 placé sous la direction de l’occupant. Le débat est serré pour savoir s’il faut adhérer ou non à l’UTMI. Pour des ténors de la fédération comme Hilaire Willot, Fernand Ducobu, Marc Malice et Henri Lebrun, il ne peut en être question, ce qui est d’ailleurs la position affi chée par la plupart des fédérations wallonnes de la CSC. Et ils l’emportent à Mons lors du vote. Les principaux militants et dirigeants vont alors évacuer le pays non sans prendre soin d’emporter avec eux les fonds fi nanciers de la fédération. Dans le centre, la même attitude de résistance semble prévaloir. Dès le 5 septembre 1940, René Pêtre, secrétaire de la Centrale chrétiennes des Francs-Mineurs du Centre, démissionne et retourne à sa pro- fession de mineur au charbonnage La Garenne à Maurage. Il combine ce travail avec une action de résistant. Dereau lui s’engagera comme ouvrier au Tréfi leries et Constructions de Haine-Saint-Paul. Seuls quelques militants comme F.Ruelle de la Centrale des Francs Mineurs ou R.Jacquet vont collaborer avec l’UTMI à titre individuel.

Un syndicat unique se constitue au sein du secteur des mines en collaboration avec des syndicalistes chrétiens comme Lucien Deconinck, René Pêtre et Leclercq alors que des anciens de la CSC s’organisent autour de Louis Dereau pour fonder ce que l’on appellera fi nalement le groupe des XV qui va se réunir jusqu’à la Libération et qui rassemblera les forces progressistes du Centre. Pendant la guerre, de nombreux militants et permanents furent arrêtés, emprisonnés et déportés, y laissant parfois leur jeunesse, leur santé et pire, leur vie. Dans la région du Centre, le mouvement syndical s’organise. Jules Triffet, issu d’une famille socialiste syndicaliste, s’engage dans l’action anti-UTMI dès sa création en 1941. Avec ses camarades d’usine, il « sabote» le travail du syndicat allemand. C’est la naissance d’un Comité appelé: « Association des travailleurs Sidérurgistes et Métal- lurgistes dans la région du Centre» dont il devient secrétaire. Il obtient l’aide de certains patrons et le syndicat unique est créé syndicalement en collaboration avec René Pêtre.

Quand les mineurs borains se mettent en grève en 1941-1942, ce n’est pas d’abord pour lutter contre l’occupant, mais pour obtenir du patronat, qu’ils considèrent toujours comme leur principal adversaire, des avantages matériels d’ailleurs bien légitimes¹³. Parmi les éléments originaux de la Résistance dans le Hainaut par rapport à celle développée dans la majeure partie du pays, le combat, s’il est avant tout patriotique, garde une dimension sociale importante selon Fabrice Maerten. Il en voit la preuve dans le développement considérable à partir de 1943 du Front de l’Indépendance avec un discours « populiste» qui provient à l’origine des communistes, mais qui trouve cependant un écho favorable auprès de nombreux socialistes, libéraux et démocrates-chrétiens qui n’hésitent pas à s’investir dans un mouvement particulièrement actif dans l’aide aux illégaux.

Pendant la guerre, des comités de lutte syndicale (CLS) dans lesquels les communistes jouent un rôle non négligeable se créent dans les usines. Au sein du complexe de Tertre, à la Carbochimique, des syndiqués chrétiens subissent des pressions pour changer de syn- 14 38 dical et à adhérer au nouveau syndicat unique . Léonce Monchaux, Maurice Descamps,

13 Maerten, F., Du murmure au grondement. La Résistance politique et idéologique dans la province de Hainaut pendant la Seconde Guerre mondiale (mai 1940-septembre 1944), Mons, Hannona, 1999. 14 Chevalier, R., 1946-1986 Centrale chrétienne des mines, de l’énergie, de la Chimie et du cuir. Circonscription Mons Hainaut occidental, 2e édition, février 2011, p. 22-23 Jules Delplanque, Julien Carlier, Alphonse Strobbe, Pierre Mengal et Roger Chevalier vont refuser au nom de la liberté d’association et braver l’interdiction d’entrée dans l’usine qui leur était faite avec la complicité de la direction. Leur menace de déposer plainte en référé individuellement pour réclamer leur réintégration et des dommages et intérêts va porter ses fruits et la direction va reconnaître à la CSC le droit d’avoir un délégué syndical reconnu en la personne de Léonce Monchaux. Le comité CSC du complexe de Tertre allait bientôt prendre forme.

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Chapitre 3 - Les derniers feux de la prospérité industrielle : la CSC monte en régime (1945-1960) Au lendemain de la guerre, la CSC ne compte dans le Hainaut qu’une poignée de délégués dans quelques rares entreprises. Tout est à reconstruire dans plusieurs secteurs d’activité. Ce sera l’un des lourdes mais fructueuses tâches des permanents et militants actifs après ce nouveau confl it mondial. Leur activisme s’inscrit dans un contexte diffi cile mais chargé de grandes espérances après le drame extrême que constitue la guerre. Des événements importants vont marquer la vie des militants de la CSC au cours de la période de la recons- truction du pays (1945-1950) qui suit la Seconde Guerre mondiale. On peut mentionner la tentative de créer un syndicat unique en1945-46 que les militants de Mons et du Centre vont combattre, la bataille du charbon, l’accord charbonnier de 1946 entre la Belgique et l’Italie qui va contribuer à la constitution d’une importante communauté italienne toujours présente de nos jours, la question Royale qui connaît son point d’orgue durant l’été 1950 avec une grève lancée par le mouvement socialiste à laquelle le syndicat chrétien s’opposa et plus largement la reconstruction matérielle et économique du pays avec la création des conseils d’entreprise en 1948 et les premières élections sociales de 1950 qui sont favorables à la FGTB. Dans la décennie qui suit, la lutte pour la question scolaire de 1955 à 1958 mobilisa également le syndicat chrétien comme aile marchante du MOC dans la lutte pour la reconnaissance de l’enseignement libre. Sur un plan purement syndical, la généralisation des commissions paritaires et les élections sociales vont permettre à la CSC d’asseoir progressivement un rôle prometteur dans le Hainaut grâce aux résultats de l’action locale laquelle prend véritablement son essor en lien avec les paroisses et le mouvement ouvrier chrétien. Le point d’orgue de cette période fut constitué par la grève interprofessionnelle de l’hiver 1960-61 contre la loi unique.

Section 1 - De la libération à la restauration : les défi s de l’après-guerre Le syndicalisme libre a subi des modifi cations profondes à la suite de cinq longues années de guerre. A la Libération, les attentes des travailleurs furent à la mesure du chantier immense ouvert pour la reconstruction du pays. La fi n des hostilités fut accueillie par les masses comme l’aurore de l’amélioration de leur sort matériel. Pour les organisations ouvrières, la sécurité sociale devait être le fi let susceptible de garantir le maintien du niveau de vie acquis par le travail salarié. Il s’agit là d’une petite révolution par rapport à la conception d’avant- guerre où la protection sociale devait surtout permettre la survie de l’intéressé. Grâce aux liens étroits qu’ils entretiennent avec les deux grands partis politiques nationaux, les syndi- 41 cats socialistes et chrétiens ont réussi à introduire cette nouvelle conception sur la scène politique que l’on retrouve dans le Projet d’accord de solidarité sociale ou Pacte social de décembre 1944. Comme moteur de la paix sociale et de la relance du pays, ce Pacte est resté célèbre par la loi qui instaure la sécurité sociale obligatoire. Ce Pacte a été conclu par les organisations patronales et syndicales, ce qui consacre le rôle désormais incontournable des interlocuteurs sociaux. L’année 1945 est également marquée par la législation des Commissions paritaires qui existait déjà dans l’entre-deux- guerres et qui avait vu une prise de conscience par les travailleurs de leur valeur. Lors du Conseil National du Travail du 16 juin 1947, les patrons reconnaissent librement, sans la contrainte d’une loi, le syndicalisme ouvrier, 75 ans après sa naissance. Le statut offi ciel des Délégations syndicales voit le jour. Une nouvelle grosse pierre blanche qui permet de passer un cap important dans l’histoire de la classe ouvrière.

Jusque-là, les forces organisées des travailleurs ont surtout présenté des revendications en vue d’améliorer le bien-être matériel de la classe ouvrière par l’obtention de salaires plus élevés, l’octroi des avantages de la sécurité sociale et la réduction du temps de travail1. Les travailleurs aspirent désormais à d’autres progrès et avancées économiques et sociales. La classe ouvrière estime qu’elle a atteint un degré de maturité lui donnant le droit de participer aux responsabilités de la production. Cette évolution dans le combat syndical a pris corps durant les hostilités. Avant de voir la teneur des débats avec un rap- pel chronologique des faits, le débat d’idées sur les positions doctrinales défendues par chacune des deux grandes organisations syndicales du pays quant aux rapports entre le capital et le travail mérite d’être abordé.

1.1. Le projet des démocrates-chrétiens : de l’entreprise capitaliste à l’entreprise communautaire Au sein du mouvement ouvrier chrétien, la guerre a considérablement renforcé le courant anticapitaliste, un régime qui a trouvé sa condamnation dans les faits et dans les souf- frances des masses travailleuses. Les démocrates-chrétiens stigmatisent la contradiction de plus en frappante à mesure que le standing intellectuel des classes laborieuses s’élève, dans un système économique qui, d’une part prône les vertus de l’initiative personnelle et, d’autre part, limite à l’extrême tout ce qui peut amener le personnel à se sentir solidaire de l’entreprise. Ceci ne manque pas d’attiser les tensions avec le Parti social-chrétien (PSC/CVP) qui a remplacé le parti catholique en 1945 sans pour autant perdre son éti- quette de parti conservateur auprès des travailleurs.

Certains responsables et militants wallons de la CSC vont répondre aux sirènes de l’Union démocratique belge, un nouveau parti issu de la Résistance et qui connaîtra un échec élec- toral retentissant en février 1946 lors des premières élections législatives de l’après-guerre. 42 À La Louvière lors des élections législatives de 1946, l’UDB réalise un score modeste de 3,91%. Difficile dans ces conditions de changer la vie politique belge et de contribuer à

1 La semaine des cinq jours est acquise pour 110.000 des 180.000 occupés alors dans le secteur des constructions mécaniques. Cette semaine des cinq jours représente l’une des grandes victoires de la CSC durant les années 1950. un dépassement des clivages confessionnels. Mais la plupart des membres de la CSC hennuyère se rallie au PSC et restent fi dèle au parti catholique tout en considérant que le syndicat est situé en dehors du mouvement2. Ceci étant, dès 1949, l’apolitisme est aban- donné au vestiaire et les liens avec le PSC se renouvellent et se renforcent notamment lors de la guerre scolaire de 1958 et le « Comité de défense des Libertés Démocratiques» (C.D.L.D) qui va encadrer plusieurs grandes manifestations dès 1955. Le local de la CSC qui se trouve encore en face de la gare de Mons à l’époque fut à cette occasion comme beaucoup d’autres un lieu de rassemblement comme le rappela Floris Baudour en 1986 à l’occasion des 100 ans de la CSC3. « Un jour de mai 1955, alors que nous nous trouvions à près de 200 dans le bâtiment (notamment de l’École consulaire, actuellement les Fucam), nous fûmes assaillis à coups de projectiles divers par les employés des Mutualités socia- listes dont le local se trouvait à la rue Chisaire) et d’autres militants socialistes et autres. Toutes les vitres de la façade furent brisées, mais personne ne fut blessé. Ce fut un véri- table siège.» Le local de la CSC fut donc en partie endommagé mais la brasserie Labor, propriétaire des lieux, répara rapidement les dégâts. L’atmosphère était donc belliqueuse à la mesure de la guerre scolaire qui sévissait alors.

La fédération CSC de La Louvière s’intéresse à Marcel Mermoz en octobre 1956 et l’expérience menée à Valence. Les communautés de travail ont constitué un ensemble d’une cinquantaine d’entre- prises autogérées qui se sont développées en France entre 1942 et 1954, à partir d’une expérience originale qui servira de modèle pour l’ensemble du mouvement: la communauté Boimondau, pour « Boîtiers de montres du Dauphiné», fondée par Marcel Barbu en 1941 à Valence, puis dirigée par Marcel Mermoz. Le principe fondateur est de placer l’organisation au service de l’homme. Cela justifi e la petite taille des communautés, au sein desquelles tous les membres se connaissent. Au-delà du travail, les communautés organisent de nombreuses activités: service de santé, groupement d’achat, cantine, « cercle d’entraînement intellectuel», orga- nisation mutualiste, etc. Le mouvement des communautés de travail a connu une première phase de dévelop- pement marquée par les idéaux de la Libération (1945-1950). On a alors assisté à la promotion et à la création de petits groupes très cohésifs, militant pour l’avènement d’une société nouvelle et s’inscrivant dans l’idéal socialiste et/ou chrétien. Au cours des années 1950, les règles communautaires sont partiellement abandonnées. On comptait, en 1954, 52 communautés, dont 15 dans la métallurgie et l’électricité, 11 dans le bâtiment, 10 dans le meuble. Dans les années qui suivent, plusieurs com- 43

2 CSC, Comité régional wallon, 30 ans de combats syndicaux en Wallonie, Bruxelles, 2009, p.13. 3 CSC, Les syndicats chrétiens dans l’arrondissement de Mons. Des origines jusqu’en 1974, Mons, 1986. munautés disparaissent – il en restera 27 en 1957 –, et l’Entente communautaire, fédération des communautés de travail, va se fondre dans la Confédération générale des Scop (CG Scop) au cours des années 1960. Cet apport contribuera fortement à l’orientation de la Confédération.

Les communautés de travail ont joué un rôle important dans l’expérimentation auto- gestionnaire et dans la formation coopérative. Sans compter tous les compagnons qu’elle a concernés. D’éminents dirigeants et penseurs coopératifs ont fait leurs armes au sein des communautés de travail, dont Albert Meister, Henri Desroche et Yves Régis.

Le fondement même de la réforme voulue par le syndicat chrétien qui repose sur l’éternelle idée de la solidarité sociale a pour but de greffer sur les entreprises capitalistes l’idée de communauté par la participation des travailleurs à la direction et par l’institution des conseils d’entreprises. Le projet des démocrates-chrétiens vise à la paix sociale en récon- ciliant les patrons et les ouvriers autour de trois fondements : l’économique au travers d’un conseil social-économique, professionnel autour des conseils professionnels et l’entreprise avec les conseils d’entreprises : Cela doit se traduire par « la création d’une véritable com- munauté du travail, s’étageant depuis l’entreprise et en passant par les diverses profes- sions organisées jusqu’à l’organisation économique suprême». Cette concertation exclut le recours aux moyens de lutte violente tels que les grèves et les lock-outs et toute ingérence de caractère politique. Elle doit permettre en outre de mieux planifi er la production et d’as- surer par conséquent une amélioration de la situation pour toutes les parties concernées.4

Une carte maîtresse : l’organisation de la profession L’organisation professionnelle est une exigence propre au syndicat chrétien qui veut l’implanter graduellement : « l’organisation professionnelle doit faciliter l’accession des travailleurs à plus de civilisation, à plus de culture mais aussi à la direction de l’économie et de la profession. L’économie doit être ordonnée non au profit mais aux besoins de l’homme. Il faut que soit respecté la primauté du travail sur les autres facteurs de l’économie»5.. Nous avons déjà souligné combien l’intégration dans un régime de style corporatiste est vivement dénoncé par les socialistes pour qui cela signifi erait l’abandon de toute liberté à l’image de l’expérience douloureuse vécue par l’Italie sous Mussolini. La CSC n’en démord pourtant pas et voit dans l’entreprise un laboratoire idéal pour expérimenter ses idées. La communauté catholique de Belgique francophone est surtout 44 infl uencée par les événements qui se déroulent en France. Dans les bassins industriels de Liège et du Hainaut, le contexte social et religieux présente de nombreuses simili-

4 Gérard, E et Wynants, P., Histoire du MOC, op.cit,p.197. 5 Instructions et directives pour la Libération (1942-1943), note dactylographiée de Henri Pauwels tudes avec la situation décrite par Godin et Daniel dans un livre retentissant à l’époque, « la France, pays de mission ». Les idées relatives à des formes nouvelles d’apostolat y sont bien accueillies6.

Conformément à la doctrine sociale de l’Église, la CSC entend mener une grande œuvre de déprolétarisation7 qui passe par deux grandes exigences : les sécurités sociales et l’organisation professionnelle. Par rapport à la première revendication qui concerne la sécurité dans le présent (travail, salaires et allocations familiales) et dans l’avenir (maladie, invalidité, chômage, vieillesse), les mouvements ouvriers chrétiens et socialistes différent non sur le principe mais bien sur les modalités d’application. Les chrétiens voient dans les arrêtés d’application du pacte social une tendance indéniable à l’étatisation avec une forte immixtion de l’administration de l’État, ce qui n’est pas sans danger8.

Les chrétiens n’hésitent pas à porter le débat sur le terrain moral et philosophique. Il faut libérer l’homme d’un régime économique fondé sur l’individualisme et sur la recherche brutale du profi t personnel, et donc sur l’exploitation délibérée des faibles par les privilé- giés. Le personnalisme chrétien, inspiré par la pensée d’Emmanuel Mounier, s’inscrit dans ce refus du paradigme individualiste apparu au 16e siècle qui a vu le passage du droit de penser par soi au vivre pour soi. Une des particularités du personnalisme chrétien est son attachement à l’acquisition de la propriété personnelle : « le problème de la déprolétarisa- tion n’est pas autre chose que celui de donner aux travailleurs l’occasion de se constituer une propriété personnelle9. Les adeptes du personnalisme considèrent que l’individu ne peut s’épanouir qu’en communauté. Les communautés les plus importantes sont la famille, le travail, le peuple, l’État et l’Église.

Une ère nouvelle pour les travailleurs Le but primordial du mouvement syndical doit demeurer : étudier, promouvoir et défendre les intérêts professionnels des travailleurs. Il faut rendre le régime de travail plus humain, plus « sociétaire» en considérant les fi ns sociales de la production et les légitimes aspira- tions des travailleurs. La CSC reconnaît que le régime actuel du salariat ne permet guère d’attacher l’ouvrier à l’usine: « la cause en est que l’ouvrier est considéré comme producteur anonyme, interchangeable. On ne demande ni ses idées, ni son expérience, ni son courage,

6 Gérard, E et Wynants, P., Histoire du MOC,op.cit, p.251 7 La prolétarisation signi e que de hommes tombent dans une situation caractérisée par le manque de propreté, le manque de réserves de tout nature, la dépendance écono- 45 mique, le déracinement, les logements casernes, la militarisation du travail, l’éloigne- ment de la nature, la mécanisation de l’activité productrice, bref une dévitalisation et une dépersonnalisation généralisée (XV Congrès, 1947, commission de la cogestion) 8 L’un des concepteurs du pacte social, Henri Pauwels, le président de la CSC décède le 18 septembre 1946 dans un accident d’avion à Gander en Irlande 9 Rapport du congrès de la CSC de 1949, Bruxelles, p.17. ni son esprit d’entreprise, pour assurer des responsabilités». Il faut donc recourir à des réformes qui traduiront dans les institutions les caractères communautaires, inhérents au travail de l’ouvrier dans l’entreprise moderne. L’extension de l’instruction populaire et l’édu- cation des ouvriers par différentes organisations sociales tend à réaliser de plus en plus ce qu’on est convenu d’appeler la promotion du quatrième état. L’ouvrier a commencé à com- prendre la marche de l’entreprise qui l’emploie. C’est pourquoi on cherchera une solution au problème en organisant la représentation des intérêts du travail auprès de la direction commune de l’entreprise. Fin 1946, le syndicat chrétien demande la nomination d’adminis- trateurs représentant les travailleurs au sein des Conseils d’administration. Pour la CSC, il faut envisager, au point de vue de la répartition des richesses produites par l’entreprise, des formules dépassant le salariat et assurant aux travailleurs leur part dans l’augmentation des richesses dues à l’accroissement de la valeur de leurs prestations individuelles ou collec- tives. La CSC réclame aussi la création d’une Commission de Trusts et Ententes, chargée d’agréer les commissaires spéciaux représentant la puissance publique auprès des organes de gestion des entreprises à position monopolistique. En effet, la participation des travail- leurs à la gestion n’élimine pas nécessairement tous les abus causés par les ententes ou entreprises monopolistiques. Parlant de la réforme des sociétés anonymes chère au chré- tiens, Victor Larock, le directeur du journal le Peuple concluait : « notre position se distingue de celle des syndicalistes chrétiens en ceci qu’ils croient à l’effi cacité d’une réforme interne de la société anonyme, tandis que, nous socialistes, ne croyons même pas à sa possibilité, sous le régime actuel. Personnaliser, humaniser le capitalisme est une illusion, autant que prétendre fonder la justice sociale sur le postulat de la collaboration des classes»10.

Section 2 : Chronique d’un déclin annoncé pour le Borinage et le Centre Le Hainaut est une région considérée comme malade en termes économique et social dès les années 1940 malgré un des taux d’activité les plus élevés du pays. Alors que le produit intérieur brut (à prix courants) de la Flandre et de la région bruxelloise doubla entre 1955 et 1966, celui du Hainaut ne progressa que de 63,7%. Dans ce triste palmarès, l’arrondisse- ment de Mons apparaissait comme la zone moribonde par excellence du pays. Ce constat doit être replacé dans le cadre plus global des relations entre la Flandre et la Wallonie.

2.1 La Wallonie en état de réanimation La question royale(1945-1950) divise la société belge entre le Nord du pays favorable 46 au retour du roi Léopold III sur le trône et une majorité de Wallons dont des militants démocrates-chrétiens qui sont prêts à aller jusqu’à l’abdication. En Flandre, la montée progressive du mouvement fl amand repose essentiellement sur des bases linguistiques et culturelles. La question n’est pourtant pas absente du débat. Pour réussir son émanci-

10 Le Peuple, 2 mai 1947, p.3 pation dans l’État belge, le nord du pays va s’appuyer sur le pouvoir central pour réussir son décollage économique dans la société tertiaire. Quant à la Wallonie, elle ne joue plus dans la cour des grands au plan industriel depuis l’entre-deux-guerres (1918-1940), si l’on excepte le secteur de l’acier. Lors du premier Congrès des socialistes wallons en janvier 1938, Max Dreschel, qui était alors directeur de l’Institut Warocqué à Mons avant de deve- nir le premier recteur du Centre universitaire de l’État à Mons en 1965, proposa la création d’un Conseil économique wallon (CEW) analogue au Vlaams Economische Verbond (VEV) constitué en 1926. Endossant les habits de la prospective, il déclara quelques mois plus tard, le 11 juin 1938 à Charleroi lors du deuxième congrès des socialistes wallons que « la Wallonie ne maintiendra sa place dans le monde qu’en fabriquant des produits que les autres nations ne pourraient pas faire aussi bien que nous11.» Parmi les acteurs du CEW après 1945, on retrouve le secrétaire de la CSC Mons-Borinage, Floris Baudour et son collègue du Centre, Willy Parmentier Comme d’autres défenseurs de la cause wallonne, ils vont dénoncer l’incapacité et les négligences du gouvernement central à harmoniser la poli- tique économique du pays. Dans un rapport présenté au gouvernement, le 20 mai 1947, le CEW présenta une photographie pour le moins alarmante de la Wallonie. Le message était clair. La Wallonie est en état de réanimation et les administrations, les sphères politiques, les maîtres de la fi nance se détournent de plus en plus d’elle et se montrent peu concernés par son sort. La mobilisation resta toutefois modeste. Le mouvement wallon demeura le fruit d’une élite intellectuelle et politique car les travailleurs ne soutenaient guère la cause wallonne à ce moment-là. Pour la CSC, toutefois, avec la question wallonne, c’est l’avenir de la classe ouvrière qui était en jeu. La création et le développement d’industries nou- velles dans le Nord comme dans le Sud du pays par une politique économique de plein emploi qui passait par une politique d’industrialisation représenta dès lors une priorité dès les années 1950.

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11 Destatte, Ph., L’identité wallonne, essai sur l’affi rmation politique de la Wallonie aux XIXe et XXe siècles, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1990, p.125. Floris Baudour devient secrétaire régional de la fédération de Mons en 1952, fonction qu’il quittera en 1974. On le voit ici souriant en 1942 malgré sa captivité en Poméranie.

Le lent mais inéluctable déclin des bassins industriels wallons La prospérité que connut le Borinage au 19e siècle et au début du 20e siècle provenait principalement de l’exploitation intensive de son sous-sol : d’abord les charbons, gras et demi-gras, ensuite les calcaires durs, les marnes et les argiles plastiques. Outre les charbonnages, ces ressources favorisèrent le développement de l’industrie céramique, des cimenteries, de la verrerie, et de la carbochimique. A côté de ces industries de base, on assista également au développement d’importantes activités manufacturières dans la région à l’image de l’industrie de la chaussure. En dépit de certaines tendances vers la récession apparues dans l’entre-deux-guerres et du déclin de certains secteurs (verre, céramique, chaussure, …) accentué après 1945, l’économie boraine ne se diversifi a guère avant 1958 : la houille, dont l’extraction employa jusqu’à 45.000 mineurs, resta l’industrie motrice avant de décliner inéluctablement dans les années 1950. La réalité du déclin se fi t de plus en plus sentir à partir des années 1950 avec l’apparition des premières restructurations d’ampleur du secteur charbonnier. Ce dernier constituait alors l’un des piliers industriels de la Wallonie avec l’acier et le textile et employait encore 119.000 ouvriers en 1952 dans le sud du Royaume.

Une partie des charbonnages hennuyers est toutefois en fâcheuse posture dès cette époque. En 1953, un véritable coup de tonnerre éclate quand la société Cockerill qui exploite notamment la Société des charbonnages belges à Frameries annonce la fer- meture du site et le licenciement possible de 6000 ouvriers. Des aides sont octroyées 48 par le gouvernement belge et la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) pour amortir les conséquences sociales des plans d’assainissement qui sont lancés. Aucun plan d’ensemble pour encadrer les fusions, les concentrations et les modernisations jugées nécessaires ne verra toutefois le jour et le statut quo va prévaloir sur l’antici- pation en raison du conservatisme des patrons et de la volonté des syndicats de ne pas risquer une explosion sociale qui pourrait devenir incontrôlable. Un front com- mun presque inédit réunit patrons et syndicats pour faire face à l’adversité. Pour les hommes politiques hennuyers, il ne faisait pas de doute que le déclin de leur province était lié en grande partie à l’absence d’une véritable capitale administrative régionale et à la concurrence entre les trois bassins miniers hennuyers à l’image de l’implantation de l’Université du Hainaut plutôt qu’à leur rapprochement. La centralisation autour de Mons comme métropole régionale pour en faire la deuxième ville de Wallonie rêvée par certains édiles à la fin des années 1960 se heurta aux particularismes communaux du Centre et du Borinage et à leurs fiefs politiques.

En attendant, à partir de l’automne 1957, la demande en charbon connaît un sérieux ralentissement et cette crise conjoncturelle frappe de plein fouet les bassins du Borinage et du Centre qui perdent des emplois conséquents dans ce secteur. La tension monte dans les rangs syndicaux avec la brusque augmentation du chômage. Plus globalement, le vieillissement de la population, le manque de logements et d’infrastructures hypo- thèquent lourdement l’avenir de la province du Hainaut qui souffre en outre d’une inadap- tation des structures industrielles et d’un manque fl agrant d’investissements.

Lors des élections communales de 1958 qui représentent un franc succès pour le PSC à Mons, y compris dans la région du Centre, l’emploi est au cœur de la campagne puisque la région a vu son taux d’activité chuter de 20% entre la fi n de la guerre et le milieu des années 1950. Le PSC avec l’appui du MOC propose un certain nombre de mesures pour relancer l’économie régionale comme l’octroi de crédits aux particuliers pour des inves- tissements dans des industries nouvelles, l’exonération de la taxe proportionnellement au personnel engagé, la dotation d’un système ferroviaire rapide et effi cace. Quelques kilomètres plus loin, la reconversion de la région du Centre représente une priorité pour le député social-chrétien et ancien syndicaliste chrétien, René Pêtre, qui ne manque d’interpeller à de multiples reprises les différents niveaux de pouvoir. Nous y reviendrons.

Les fermetures de puits de mine dans le Borinage et dans le Centre à partir de 1958 vont en tous les cas provoquer de nombreuses grèves et manifestations demandant une recon- version pour ces deux sous-régions qui dépendaient fortement de l’exploitation charbon- nière. En février 1959, une grève importante est déclenchée dans le Borinage et conduit à la mise en œuvre par le gouvernement de l’époque des premières mesures de politique économique régionale. 49 2.2 La grève de 1959 dans le Borinage: la prise de conscience Dans les années 1950, le Borinage est devenu un véritable laboratoire pour les sciences sociales et pour l’Institut Solvay de l’ULB en particulier. Avec les plans de fermeture des charbonnages marginaux programmés dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), les peurs liées à l’avenir de la région déjà perceptibles dans les années 1930 comme nous l’avons montré vont renaître et font dire à l’écrivain borain Constant Malva que c’est toute une région qui risque de mourir12. Contrairement au bassin du Centre, le Borinage ne peut pas s’appuyer sur de grands industriels comme Boël pour s’appuyer et miser sur d’autres industries de transformation. Mais les problèmes du Bori- nage, complexes, ne se limitaient pas à la seule industrie minière.

Le charbonnage d’Hensies-Pommeroeul en 1989 : 30 ans après la grève de février 1959, la région de Mons-Borinage ne compte plus un seul siège en activité. Photo P.Tilly Le 9 février 1959, le Conseil national des Charbonnages (CNC) décide de fermer plu- sieurs mines du Borinage pour regrouper les sièges marginaux dans une nouvelle société. Le Conseil prévoit en fait le regroupement de cinq charbonnages du Borinage en une seule société. Un projet de fusion qui passerait par la fermeture de certains puits non rentables et le licenciement de quelque 7000 mineurs. Au sein de la Cen- trale chrétienne des Francs-Mineurs, la situation dramatique qui se profile de plus en plus pour le bassin charbonnier borain et pour le Hainaut provoque des tensions entre l’aile majoritaire campinoise menée par le président de la Centrale, Mathieu Thomassen et la minorité wallonne emmenée par le secrétaire de Charleroi. Alors que 50 le chômage frappe la Campine, productrice de charbon gras B, les dirigeants flamands des Francs-Mineurs voient dans l’assainissement accéléré en Wallonie et la fermeture des mines boraines une planche de salut pour l’écoulement des charbons campinois. Les dirigeants chrétiens s’appuyant sur une majorité flamande écrasante craignent

12 Malva, C., Un mineur vous parle, Plein Chant, Bassac, 1985. que toute réforme nationale n’aboutisse à une compensation favorable au Borinage, épuisante pour la Campine13.

Après une interpellation des socialistes à la Chambre, le 10 février, une grève générale paralyse l’ensemble de la région de Mons-Borinage. Le vendredi 13 février 1959, les mineurs borains débrayent suivis par les travailleurs des autres secteurs et même des petites entreprises et des travailleurs indépendants. Durant ces journées glaciales, le Bori- nage est enveloppé d’un brouillard glacé, annonciateur d’un hiver très rude14. Le même jour, lors d’une réunion du 13 février 1959, le comité fédéral de la CSC de Mons-Borinage déclare avoir pris connaissance des décisions du Conseil national des Charbonnages du lundi 9 février. Il s’opposera à la destruction du potentiel industriel de la région de Mons et du Borinage. Il exige d’obtenir des assurances formelles quant à la création de nouvelles entreprises, la constitution d’une société des Mines par bassin et la création d’un Offi ce National des Charbonnages selon la résolution des Congrès de la Centrale des Francs-Mi- neurs en 1951 et 1956.

Le 16 février, lors d’une tribune politique à Quaregnon, le drapeau noir du deuil d’un bassin industriel accompagne le drapeau wallon. Vêtus d’une simple canadienne, les poings enfon- cés dans les poches, une sourde révolte dans les yeux, les grévistes montent la garde. Les routes sont barricadées, la circulation entravée. Le mouvement est appuyé par la fédération régionale des mineurs chrétiens qui n’est pas soutenue, faut-il le préciser, par sa centrale nationale. La grève est désapprouvée par le bureau national de la CSC, le 19 février. Le syndicat chrétien dénonce l’attitude de certains patrons miniers qui cherchent à exploiter la situation actuelle à des fi ns personnelles ou politiques. Mais le mouvement est solide et s’étend au Centre les 17 et 18 février lorsque 17.000 mineurs se croisent les bras dans les principaux charbonnages de la région. Les usines métallurgiques vont suivre. En dix jours alors que des négociations sont en cours avec la CECA sans qu’une solution ne semble se dégager, le Hainaut se trouve paralysé. Le 21 février 1959, une réunion tripartite réunit les parties en présence15. À la recherche d’une solution pour mettre fi n à la grève qui menace de devenir générale, le Premier ministre Gaston Eyskens sort un plan choc, resté longtemps dans ses tiroirs, pour calmer les esprits échauffés des travailleurs. Mais il faut attendre le

13 « Le dossier de la crise charbonnage belge», in La Croix, 25 février 1959, p.3. L’article est signé Jules Gérard-Libois. 14 Une grève- Borinage 59- que le photographe français Jean-Loup Sieff a immortalisée au travers de photos poignantes qui lui ont valu de recevoir le prix Niépce en 1959. 51 15 Archives générales du Royaume(AGR), Fonds Coppée, n°573, p-v succinct du col- loque, tenu le samedi 21 février 1959 à Bruxelles sous la présidence de Monsieur Eyskens, Premier ministre, 24 février 1959. Un dossier plus complet comprenant des notes personnelles du cabinet du Premier ministre Gaston Eyskens est fort instructif sur les aspects plus politiques et techniques de la déclaration. Voir AE Beveren, Archief Gaston Eyskens, n°6094. Un aperçu des discussions tenues lors de ce colloque est également disponible (dossier n°6102-6106). 25 février pour que la situation redevienne normale autour de La Louvière. Le lendemain, le Borinage se remet également au travail. Le mouvement de protestation obtient gain de cause notamment sur les possibilités de replacement des travailleurs licenciés et sur les indemnités de réadaptation. L’accord prévoit notamment l’établissement d’un calendrier des fermetures de puits en fonction des possibilités de reclassement des travailleurs. C’est bien le réemploi de ces chômeurs en puissance qui est au centre des préoccupations.

La grève de 1959 aura eu au moins un résultat tangible. Celui de poser avec acuité le problème de la reconversion d’une région comme le Borinage qui devient désormais une priorité syndicale. Il faut créer de nouvelles usines pour reclasser les mineurs qui restent sur le carreau. La période des cadeaux semble bel et bien fi nie pour le patronat charbonnier qui a graissé la patte de ses actionnaires sur le compte de la collectivité. Le 10 juillet 1959, le secrétaire fédéral de Mons fait état des prévisions en matière de reclassement des travail- leurs à la suite du plan de fermeture des charbonnages. D’ici mai 1960, 1000 emplois nou- veaux peuvent être escomptés. Il cite les diverses usines en voie de s’installer ou dont les projets sont à l’étude : Hautrage, , Boussu, Baudour(2) Saint-Ghislain, . En plus le ministère de l’agriculture se propose d’installer des stations de pompage modernes en vue du démergement de 150 ha à Ghlin; les analyses faites du terrain ont prouvé que ces terres étaient excellentes pour la culture. À politique inchangée, cette richesse naturelle du Bori- nage, l’eau potable, est menacée en raison de la brusque augmentation de la consommation. Chaque jour, par temps sec, 40.000 mètres cubes d’eau propre se diluent dans la Haine en se polluant au passage par un contact avec 80.000 mètres cubes d’eaux usées16. La bataille de l’eau au Borinage prend un nouvel envol durant les années 1960 avec l’aména- gement par l’IDEA d’une station régionale d’épuration des eaux usées à Wasmuël qui vient s’ajouter à la seule station qui existait dans le Borinage, celle de Frameries ouverte en 1955.

2.3 Non à une région dortoir Dans le Centre, depuis la fermeture des puits St Julien et St Henri à Strépy-Bracquegnies en juillet 1958, les fermetures vont se succéder en cascade conduisant au licenciement de 8000 travailleurs dans ce secteur. Mais l’inquiétude qui gagne l’ensemble de la population se manifeste également quant à la situation dans les usines de construction du matériel roulant dont la notoriété avait dépassé largement les frontières du Centre. Une comparaison de l’emploi dans ce secteur laisse apparaître une évolution négative des effectifs qui sont passés de 6.421 unités en 1948, soit 36,5% de l’ensemble des effectifs pour l’ensemble du pays à 1.466 en 1956, ce qui fait tomber le rapport avec l’effectif ouvrier du pays à 52 22,8%. Les entreprises encore en activité à l’aube des années 1960 semblent condamnées à disparaître Concrètement, cela sera le cas pour nombre d’établissements actifs dans divers secteurs. Plusieurs cimenteries vont fermer leurs portes à la fi n des années 1950: une cartonnerie, les verreries de Manage, la fermeture des Ateliers Nicaise et Delcuve à

16 Situation au début des années 1970. La Louvière ou encore les ateliers de Seneffe, de Godarville en 1960. Les usines Baume et Marpent à Morlanwelz, un des fl eurons de l’industrie du Centre, vont connaître le même sort comme la Société Normes, à Familleureux, et Grosses Forges de la Hestre17.

L’industrie charbonnière belge en Wallonie entame au début des années 1960 sa dernière ligne droite avant de cesser toute activité au début de la décennie suivante. Si l’on prend en compte la seule région du Centre, les charbonnages occupaient encore au 31 décem- bre 1957, près de 20.000 mineurs de fond et de la surface. À la fi n de l’année 1965, ils ne sont plus que 4.154, soit 20% seulement de la main-d’œuvre inscrite en 1957. Le chômage touche plus particulièrement la région du Centre qui a provoqué en 1959 1.508 831 journées, avec une augmentation du chômage de 480% entre 1957 et 1959.

En octobre 1960, malgré les promesses faites, aucune entreprise nouvelle n’a vu le jour dans la région du Centre. La Centrale des Francs Mineurs décide d’organiser une manifes- tation de protestation à Bruxelles le 19 octobre 1960 et la Fédération du Centre renouvelle ses appels antérieurs aux Pouvoirs publics en vue de la création la plus rapide possible d’entreprises nouvelles ou d’emplois nouveaux. Pour Willy Parmentier, la région du Centre est en train de devenir une région-dortoir avec des travailleurs qui se dispersent aux quatre coins du pays18.

Une unité d’action est à l’ordre du jour avec la FGTB au printemps 1960 au niveau de leur centrale des mineurs respective et au plan interprofessionnel19. Comment envisager un programme commun alors que les bases doctrinales sont sensiblement différentes dans le domaine des réformes à mettre en œuvre? La CSC demande un programme régional défendu effi cacement face aux pouvoirs publics en général qui ne semblent pas avoir conscience de la situation. Auguste Bruart évoque en ce sens le cas du Borinage qui « par son action [la grève de 1959] a attiré l’attention et peut arriver à trouver des nouvelles voies. Elles sont peut-être partielles mais elles sont un signe encourageant, malgré les contestations que peut soulever le genre d’action employée20.» Cette unité d’action ne se réalisera pas car la FGTB défend plutôt le principe d’un programme national, étudié nationalement et porté en autres par André Renard, son secrétaire général adjoint. Dans ce cadre, il n’y a pas de place pour un régionalisme tout court comme l’appelle Henri Andris, le secrétaire régional de la FGTB Centre. Vincent Foucart de la centrale CSC des Francs Mineurs fait référence à un cartel syndical en voie de constitution en Lorraine qui recherche un programme commun. Cela peut constituer une source d’inspiration21. 53 17 Annales de la Chambre des représentants, séance du mardi 17 mai 1960, p.11 18 La Cité, numéro spécial, juillet 1960, p.3. 19 Archives de la CSC La Louvière, contact FGTB-CSC, 19 mai 1960. 20 Idem. 21 Dans les années 1980, la CSC et la CFDT Lorraine collaboreront à la mise sur pied d’un euroguichet social transfrontalier. Voir supra. Dans cette lente « mise à mort», la CSC a veillé à rendre de nombreux services à ses affi liés comme l’expliquent Marcel Sommereyns, secrétaire de la Fédération des Francs- Mineurs22 et Willy Parmentier, secrétaire fédéral de la CSC du Centre dans une lettre datant de la fi n des années 1960. « Comme permanent mineur, ma préoccupation était plutôt sociale. Auguste Briart et Willy Parmentier, qui ont soutenu le gouvernement sur la loi unique, ont été les fers de lance sur l’économique comme à British Leyland où la CSC a été à un moment majoritaire23.» Dans ce document rédigé en français et en italien, les dirigeants chrétiens appellent leurs membres à maintenir leur confi ance dans le mouve- ment alors que la situation des charbonnages du Centre est critique. « Que vous ayiez été victime du chômage ou que vous ayiez fait grève ! Toujours vous avez été indemnisé immédiatement et au moment où vous en aviez besoin pour vous et votre voisin.» Il faut voir dans ces propos une oeuvre de propagande bien légitime mais aussi une analyse lucide de la situation sans issue d’un secteur qui fut longtemps le moteur du développement éco- nomique et social de toute une région. En réponse aux multiples problèmes et formalités rencontrés par les ouvriers mineurs : licenciement, aides CECA, réadaptation profession- nelle, maladies professionnelles, préservation des droits à la pension d’ouvrier mineur, frais de réinstallation, la CSC va répondre présent. Face à l’impasse économique et le drame social vécu par de nombreuses familles ouvrières qui vivaient encore de la mine, la dimen- sion sociale constituait une haute priorité pour le syndicat qui insistait sur l’indispensable replacement et réadaptation de la main-d’œuvre licenciée. Les considérations d’ordre régional et social ne laissait pas non plus insensible le monde syndical comme le monde politique avec une concurrence évidente entre bassins attisée par la situation. A l’époque, la résignation n’était toutefois pas de mise. Il fallait réussir la reconversion, ce qui était loin d’être acquis. Pour cela, le syndicalisme appelait aussi à la lutte.

Quelques personnalités chrétiennes du syndicalisme de l’après-guerre Floris Baudour (1914-?). Arrêté durant la guerre et envoyé en captivité en Pomé- ranie, il se montre actif comme permanent de la Centrale à Mons en octobre 1946, il entre au service d’étude et de documentation de la centrale des travailleurs de la pierre, du ciment, de la céramique et du verre en 1950. Il devient en 1952 secrétaire de la fédération CSC de Mons en remplacement d’Hector Willot appelé à une carrière politique au sein du PSC. En 1974, Floris Baudour cède son strapontin à Jean Filbiche.

Auguste Bruart (Gouy-lez-Piéton 1914-La Louvière 1996). Secrétaire permanent, puis secrétaire principal et membre de la CCMB du Centre tout en s’occupant du 54

22 Né en 1933 à Havré, Marcel Sommeryns a été permanent des mineurs à La Louvière de 1958 à 1970. A cette date, il remplace Roger Timmermans à la Centrale de la chimie et de l’énergie. Il s’est occupé également de l’international des mineurs et a été secrétaire général. 23 Interview de Marcel Sommeryns, le 27 avril 2011. Borinage, membre du comité directeur du PSC de l’arrondissement de Soignies à partir de 1972, conseiller communal de La Louvière de 1977 à 1982, sénateur coopté entre 1980 et 1981 et vice-président du PSC.

René Pêtre est né dans une famille de mineurs et il commence d’ailleurs sa vie professionnelle dans ce métier au charbonnage de Bray. Diplômé d’exploitation des mines en cours du soir, il milite au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) avant d’être engagé par la CSC du Centre. Devenu en 1937 secrétaire régional des Francs-Mineurs, il refuse les sirènes de l’UTMI durant la guerre, quitte la CSC et s’engage dans la Résistance. En 1945, il réintègre le syndical chrétien et devient secrétaire général des Francs-Mineurs avant d’entamer une carrière politique d’abord comme conseiller communal, puis comme député de l’arrondissement de Soignies de 1954 à 1976. Il occupera les fonctions de ministre de la Fonction publique de 1968 à 1972 au sein du gouvernement Eyskens. Il a été aussi membre du Parlement européen dès 1961. A sa mort qui survient en 1976, il était encore conseiller com- munal de La Louvière.

Section 3 - La montée en puissance du syndicalisme chrétien dans le Hainaut : des structures et des militants en bonne symbiose Dès 1944, Hilaire Willot va orchestrer la réorganisation du syndicalisme chrétien à Mons-Bo- rinage. Non content d’appuyer la remise en route de la Fédération des services publics par l’engagement de Jean Brouillard avant que Henri Lebrun, Ernest Simon et Bernard Meurice à partir de 1975 ne prenne le relais, Willot est aussi l’un des artisans de la relance de la Centrale des agents de chemins de fer, des postes, de la R.T.T, de la marine et de l’aviation (C.P.T.T.M.A) qui va bénéfi cier du concours de Gaston Hennart comme permanent avant que Raoul André ne reprenne ce rôle en 195824. Parmi les principaux dirigeants de cette centrale, on retrouve Fernand Dufrasne de Quaregnon, Florimond Vanechelle de Baudour et Robert Moucheron de Mons

Hilaire Willot ne ménage pas son énergie pour assurer la relance de la Fédération interprofessionnelle. À partir des années 1950, la section locale acquiert dans la région du Centre comme à Mons et dans le Borinage une importance primordiale. La devise c’était d’être sur le terrain, le plus possible se souvient l’ancien secrétaire fédéral de Mons, Jean Filbiche. « La CSC a, je crois, beaucoup investi dans des sections locales, plus que la FGTB je pense. La FGTB était davantage je crois une organisation de com- 55 bat dans les entreprises, me semble-t-il. Tandis que la CSC, sur le plan interprofession- nel en tout cas, ce que j’ai davantage connu, investissait davantage dans des sections locales. Et c’est ce qui a fait en partie notre richesse et notre expansion. Nous avions

24 Cette centrale deviendra par la suite dans les années 1980 la S.C.C.C. des sections locales qui marchaient du tonnerre; nous avions des délégués locaux qui étaient tout bons25.»

Sous l’impulsion des délégués et militants, la Fédération régionale interprofessionnelle développe une activité intense avec l’aide des centrales comme la Centrale nationale des employés (CNE) fondée vers 1920 à Mons par Joseph Mairesse qui était employé à l’Éco- nomie à Quaregnon et Joseph Delcourt, employé des assurances. Ce dernier fut le premier permanent de la CNE de 1922 à 1940. C’est surtout après 1945 que cette centrale va développer des relations avec l’interprofessionnel sous l’impulsion de Willy Duez, un agent des services publics et surtout de Léonard Teugels qui couvrira le secteur Mons-Tournai- Ath et Mouscron En 1969, Teugels est remplacé par Camille Hanse qui était alors propa- gandiste interprofessionnel.

3.1 Une CSC qui s’af rme pas après pas Au plan de la propagande, la revue Clarté syndicale est lancée fi n de l’année 1947. Une campagne de recrutement basée à la fois sur l’amour-propre et l’intérêt des travailleurs est décidée, le 14 mai 1948, par le comité exécutif de Mons. Quelques mois plus tard, force est de constater que les démissions restent nombreuses « et c’est notamment sur la constitution de comités locaux actifs que l’effort devrait se porter durant la prochaine campagne d’hiver26.» La fédération de Mons-Borinage connaît un mouvement descendant des effectifs en 1952 et 1953. La cause principale est à trouver parmi les affi liations des travailleurs étrangers qui sont très instables. Ceci étant, la situation va s’améliorer au niveau du recrutement de nouveaux membres. Au moment de l’Exposition universelle de 1958, les effectifs de la Fédération de Mons sont en augmentation constante. Le service chômage paie alors plus ou moins 800 mineurs, chiffre qui va en augmentant en raison du chômage partiel dans les mines. Une véritable avalanche d’inscriptions est tombée sur les services de la fédération en raison de la situation des charbonnages qui devient désastreuse. L’effectif au 30 avril 1959 est de 10.217 affi liés pour près de 13000 dans la fédération du Centre au sein de laquelle il faut attendre la fi n des années 1950 pour voir une augmentation sensible des effectifs de la CSC. Sa part reste toutefois modeste dans l’ensemble du mouvement comme l’indique le tableau ci-dessous.

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25 Entretien avec Jean Filbiche, le 21 février 2011. 26 Archives de la CSC Mons-Borinage, pv du comité exécutif du 25 juillet 1947. Années Syndiqués Centre Effectif total CSC % 1946 6515 437.129 1,4 1947 1948 7584 503.384 1,5 1949 7423 543.384 1,3 1950 7395 567.587 1,3 1951 6060 600.445 1 1952 7256 617.810 1,1 1953 7099 642.303 1,1 1954 6811 645.192 1 1955 6986 653.636 1 1956 7229 669.284 1 1957 7317 684.526 1 1958 11292 715.563 1,5 1959 12166 737.286 1,6 1960 14403 761.705 1,9 Source : Tallier, P-A., op.cit, p.254.

Pour Louis Dereau, le secrétaire général de la CSC, le Borinage a repris ses activités après 1944 sur un mauvais schéma en privilégiant les postes de permanents de centrales plutôt qu’interprofessionnels. « Actuellement, le Borinage compte 2 et demi permanents. C’est anormal. La volonté de la CSC, c’est d’augmenter ce nombre le plus vite possible.Il faut arriver progressivement à nommer de nouveaux interprofessionnels supplémentaires. Un total de cinq ne serait pas de trop dans une région comme celle-ci, selon Dereau27.» La première mesure prise dans ce sens est la nomination d’un chef de service juridique. Mais les moyens restent modestes et des choix cornéliens doivent être opérés. Il est question de remplacer le vélomoteur Royal Nord acheté en 1954 qui commence à coûter cher en répa- rations. En raison des dépenses consenties pour l’installation automatique de 11 postes téléphoniques, il ne peut être question d’acheter une seconde voiture pour le moment28.

La perception des cotisations gérée par la section locale se fait en général au domicile du membre. Les militants percepteurs dont le nombre augmente sensiblement – avec 40 percepteurs italiens au début des années 1960 – reçoivent les plaintes et les doléances des membres avant de les transmettre pour examen et régularisation au Secrétariat. « J’ai reçu tellement de monde et j’ai dû régler des problèmes de ménage, des problèmes de couple etc. On venait nous trouver pour tout. Et je crois que c’était la force de la CSC, c’est 57 qu’on s’occupait de tout, de tous leurs problèmes. Et je te dis, j’ai même dû m’occuper de

27 ACSC MB, pv du bureau exécutif du 20 mai 1953. 28 ACSC MB, rapport du comité exécutif pour l’année 1957. problèmes de couple.29» D’autres tâches comme le paiement des allocations de chômage et des indemnités de grève sont par ailleurs assurées par les sections locales.

Retraite CSC à Mesvin en 1954. Au quatrième rang, on peut reconnaître Vincent Foucart (Fédération des Mineurs), Alex de Marchi et Oscar Delattre

« Tout l’or du monde auprès d’un homme a peu de prix»30. A l’époque, la prise de fonction comme « professionnel» de la CSC se fait souvent au travers de la JOC comme le montre le cas de Jean Filbiche. Il fait son entrée à la cen- trale du bois et bâtiment à Mons au début des années 1960 pour remplacer Maurice Evrard, qui en tant que premier permanent de la Centrale du bois et bâtiment avait pris ses fonctions dès le mois de juillet 1937. Un monument dans ce secteur qui qui occupa cette fonction jusqu’à sa retraite en 1960. C’est le moment où Jean Filbiche lui succède avant d’être remplacé lui-même en 1974, – Jean Filbiche devenant secrétaire fédéral de l’interprofessionnel –, par Jean-Paul Gheysen. « Dans le type d’engagement que j’avais eu à la JOC, ça me paraissait normal de continuer dans les organisations d’adultes à partir de ce que j’avais reçu à la JOC. D’ailleurs, c’est bien simple, à l’époque, donc il y a en a beaucoup qui savent pas ça, les permanents de la JOC étaient retenus d’avance par les dirigeants syndicaux et les dirigeants des associations. Par exemple, Alfred 58 Califi ce, c’était un ami personnel en plus, m’avait retenu pour Charleroi. Et c’est Louis Dereau qui a un jour, tu as connu aussi Louis Dereau, tu sais qui hein, secrétaire général à l’époque, qui me dit : « écoute, je sais qu’Alfred voudrait t’avoir à Charleroi, mais moi

29 Interview de Jean Filbiche, le 21 février 2011. 30 L’une des expressions favorites de Joseph Cardijn. j’aurais besoin de toi en Brabant Wallon, pour que tu puisses aller travailler avec Jean Devillé. Mons, je ne m’attendais pas du tout à venir à Mons. J’avais d’ailleurs une appré- hension. Mons, Borinage, charbonnage etc., c’était plutôt négatif pour moi, le Borinage. Moi qui venais de la campagne…».

3.2 L’intégration progressive des ouvriers immigrés Avant la guerre, la CSC n’a pas développé d’action particulière à l’égard des ouvriers immi- grés malgré leur présence dans le bâtiment et les mines où des Polonais et des Italiens surtout sont recrutés dès les années 1920. Après les accords entre la Belgique et l’Italie de juin 1946 qui conduit au recrutement massif d’ouvriers italiens dans les mines belges, L’encadrement des travailleurs immigrés devient de plus en plus effectif pour répondre aux problèmes spécifi ques qu’ils rencontrent en matière de logement notamment. Avec l’appui du Vatican, les A.C.L.I (Association Catholique des Travailleurs Italiens) nées en Italie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale s’implantent en Belgique depuis 1954 tout en concluant un accord avec la CSC. Au début de l’année 1947, un permanent ita- lien est engagé pour s’occuper des travailleurs italiens. Il s’appelle Rovelli et ne reste en fonction qu’une dizaine de mois. Le but est d’inspirer confi ance aux ouvriers italiens, de leur rendre service pour le transfert d’argent et les aider à se retrouver dans le dédale des lois sociales31. Une démarche qui ne reste pas sans lendemain puisque Bruno Padula qui avait été recruté par les Forges de Clabecq reprend le fl ambeau vers la fi n de l’année 1947. Padula deviendra en 1958 propagandiste de la Confédération Mondiale des Travailleurs (C.M.T) dans le but de lancer les syndicats chrétiens en Italie. Une tâche qu’il ne pourra mener à bon port en raison de son décès prématuré à 45 ans d’un infarctus lors d’une mission en Italie. En 1950, un second permanent des ACLI est recruté. Il s’agit d’Aldo Bonifacio, ce qui permet en bonne connivence avec la Centrale des Francs Mineurs dirigée alors par Gustave Monchaux d’augmenter le nombre de permanences à travers la région pour rencontrer les ouvriers immigrés.

Le 10 juillet 1953, il est désormais question de la nomination d’un permanent propagan- diste interprofessionnel et le nom d’Alexandre de Marchi, qui est alors le second secrétaire italien travaillant pour les ACLI, est avancé pour passer au service de la fédération inter- professionnelle comme permanent de la CSC. Cette nomination ne coule pas de source. Les mentalités doivent encore évoluer comme l’indique un commentaire d’Arthur Dufranne qui craint que « la nationalité italienne ne soit un obstacle à son travail et que le fait de nommer un italien ne soit pas bien accepté des militants». La discussion qui s’ensuit au sein du comité exécutif tend au contraire à montrer la nécessité de considérer surtout la 59 valeur d’Alexandre de Marchi comme militant jociste. La décision fi nale est de le solliciter pour ce poste. Les ACLI vont marquer leur accord et il sera engagé le septembre 1953 comme permanent. Le premier d’une longue série pour les militants italiens ou d’origine

31 ACSC MB, réunion du comité exécutif du 14 mars 1947. italienne. Lors du comité exécutif du 21 octobre 1957, Joseph Sanson, un ouvrier mineur est nommé par la CSC comme secrétaire italien succédant à Nicola Lembo et confi rmant la volonté de l’organisation d’intégrer les permanents étrangers. Cela démontre désor- mais toute l’importance des « étrangers» dans le syndicalisme chrétien- parmi lesquels les Grecs ne sont pas oubliés grâce à l’action de Yannick Yanneridis. Cette tendance ne se démentira pas par la suite avec de nombreux immigrés italiens qui vont endosser des responsabilités comme délégués dans les entreprises avant de devenir dirigeant de l’orga- nisation syndicale. Dans les années 1960, la Fédération de Mons organisera des cours de français à Mons et à Pâturages pour les ouvriers algériens avant de se tourner également vers les travailleurs turcs occupés aux Charbonnages d’Hensies-Pommeroeul à partir de 1965. Une action immigrée qui constituera une priorité également pour la Fédération de La Louvière où la présence de cette population est tout aussi importante qu’à Mons- Borinage. Des immigrés qui vont trouver un accueil particulièrement chaleureux à la CSC. « La plupart des Italiens qui étaient venus en Belgique pour fuir le régime fasciste ou parce qu’ils étaient mécontents de la démocratie-chrétienne, avaient quand même tendance à être plus communistes, en tous les cas plus de gauche, mais aussi fortement liés à leurs racines chrétiennes. En 1974, il y avait 8500 Italiens affi liés à la CSC sur 15000-17000 affi liés. Donc, il y avait la moitié des affi liés qui étaient des Italiens. Aujourd’hui ce n’est plus tout à fait le cas. Le despotisme et le « rouge ou pas de pain» de la FGTB rappelaient à beaucoup l’attitude « fasciste» qu’ils avaient connu en Italie32.»

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Au cours de son histoire, la CSC a souvent représenté un lieu d’accueil et d’intégration pour les travailleurs et les autres catégories de personnes venant d’horizons parfois lointains

32 Interview de Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. Cela va permettre de donner une couleur à la CSC, de la faire connaître dans une région où d’aucuns pensaient qu’il n’existait que la FGTB comme organisation syndicale. Des col- laborations vont se révéler en ce sens particulièrement importantes avec le journal Il Sole d’Italia notamment « qui, était très lu, beaucoup plus que n’importe quel journal aujourd’hui et qui était distribué toutes les semaines dans toutes les maisons; dès qu’on était Italien et affi lié à la CSC, on le recevait. Le journal était donc un lien important où on pouvait faire passer une série de messages, journal qui aujourd’hui n’existe plus33.»

L’intégration des travailleurs immigrés, en réunion ici dans les années 60 sous le signe de l’Europe des migrants, a fortement progressé grâce à la démocratie syndicale.

Toujours est-il qu’à Mons comme à La Louvière, à partir de 1960, l’action syndicale est de plus en plus dominée par le problème de fermeture des puits de mine. Une manifestation est organisée en commun entre les deux fédérations à Bruxelles le 19 octobre 1960. Nous entrons de plein pied dans une nouvelle décennie marquée par l’accélération du déclin et le combat pour la reconversion régionale. 61

33 Idem.

Chapitre 4 - Entre expansion, crise et reconversion (1960-1973) Comment relancer l’activité économique d’une région d’industrialisation essentiellement monolithique en voie de disparition si ce n’est par la diversifi cation? C’est une question presque existentielle à laquelle le syndicat chrétien comme les autres acteurs régionaux va être confronté à la fi n des années 1950.

Les lois d’expansion économique, une partie du plan Eyskens pour relancer le pays alors en récession économique, parue au Moniteur belge du 29 août 1959 instaurent et coor- donnent des mesures en vue de favoriser l’expansion économique et la création d’industrie nouvelles tout en instaurant des mesures spéciales en vue de combattre les diffi cultés économiques et sociales de certaines régions. Le Borinage et le Centre deviennent ainsi des régions de développement et peuvent bénéfi cier d’aides comme des réductions de taux d’intérêt, des garanties de l’État, des subventions, la construction et l’acquisition d’immeubles industriels ou encore des exonérations fi scales. L’aménagement de terrains industriels est encouragé au travers de sociétés d’équipement économique régional. C’est la première fois dans la législation belge que des discriminations entre régions en pré- voyant des avantages spéciaux pour certaines zones sont mises en œuvre. Reste à trans- former l’essai et à traduire ces bonnes résolutions en actes.

Section 1 - L’heure de la reconversion du Borinage et du Centre Fin 1960, des personnalités démocrates chrétiennes des régions du Centre et du Bori- nage sont reçues en audience par des ministres PSC-CVP du gouvernement Eyskens IV(sept 1960-avril 1961) comme André Dequae, ministre de la Coordination économique, le borain Yves Urbain, ministre de l’Emploi et du Travail ou encore le libéral Roger de Looze, ministre-secrétaire d’État à l’énergie qui était montois et constituait l’un des fi gures mon- tantes du parti libéral jusqu’à sa disparation accidentelle à Gaurain-Ramecrois, le 10 mai 1961. A cette occasion le député René Pêtre et Auguste Bruart marquent leur inquiétude quant à l’avenir de la région du Centre et demandent un plan de redressement à court et à long terme comprenant en autre la création d’un arrondissement du Centre, la coordination des services de plusieurs communes de l’agglomération de La Louvière, la reconversion des anciens sites charbonniers, l’intensifi cation du développement des infrastructures par le gouvernement (canaux, autoroutes, gare de La Louvière), la création de zonings ou la désignation d’un chargé de mission pour la région1. 63

1 L’Écho du Centre, le 9 décembre 1960. Cité dans Ben Jaffar, L., op.cit, p.74. 1.1 Un déclin annoncé et pourtant… Il n’est pas inutile de rappeler que les diffi cultés qui frappent le Borinage et le Centre ont pris naissance immédiatement après la Première Guerre mondial. Même si les premières fermetures commencent en 1952, elles vont se poursuivre à un rythme accéléré à partir de 1958, de telle sorte qu’il ne reste pratiquement plus à l’heure actuelle qu’un seul charbonnage en activité2. La dégradation des industries connexes va accompagner cette descente aux enfers industrielle avec la disparition d’autres industries traditionnelles telles que la chaussure. « Un dossier sur lequel la CSC n’a pas été à la pointe. Elle n’a pas pesé suffi samment pour faire contrôler davantage les importations étrangères qui ont fi ni par tuer cette industrie», se souvient Roger Chevalier3.

Le cas de la Wallonie n’est guère plus encourageant. Pour prendre une année de réfé- rence, le taux de croissance de l’industrie wallonne dans les années 1960 est de 2,6% en moyenne contre 5,2 dans la CEE4. La région boraine est la plus en diffi culté –75% pour l’emploi et –70% pour la production. Parmi les conséquences dramatiques de cette situation fi gure une chute irréversible de l’emploi. Nous y reviendrons. Certes, les efforts gouvernementaux permettront de ralentir la chute durant quelques années- notamment de 1962 à 1965- par la création d’emplois nouveaux dans des zones industrielles équipées à la hâte en exécution du plan de reconversion du Borinage et du Centre. Au début des années 1970, il existe toutefois encore un défi cit d’emploi énorme. Après avoir dressé ce tableau global, il faut revenir plus en détail sur les événements et découvrir comment la CSC les a appréhendés et combattus.

Prenons le cas de la région du Centre qui peut se targuer d’avoir au moins trois caracté- ristiques majeures : un réseau ancien de communications, une puissante tradition indus- trielle et le sentiment de ses habitants d’appartenir à une communauté régionale distincte. Devenue capitale de la région houillère du Centre, La Louvière offre l’apparence d’une ville ouvrière semi rurale. « Dans ces espaces morphologiquement hybrides, suspendus entre ville et campagne, l’usine (ou la mine) devient la charnière qui relie le monde rural et le monde industriel5.»

L’industrie de la région du Centre est traditionnellement axée sur les charbonnages, les carrières et l’industrie du matériel roulant. Son développement économique est moins

2 Commission des communautés européennes, La reconversion des charbonnages dans 64 les bassins belges, in Cahier de reconversion industrielle, n° 18, Bruxelles, mai 1972, p.8. 3 Interview de Roger Chevalier, le 26 avril 2011. 4 Cité par un économiste, spécialiste des politiques régionales, Paul Romus, lors d’un exposé au Congrès du CEW du 6 mai 1967. 5 Flavia CUMOLI, « Perdus dans le paysage: la prolongation de la culture rurale italienne dans les bassins miniers de Wallonie», in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 37, 2007, n°3-4,p. 419-443. ancien que celui du Borinage. De même ses diffi cultés économiques et sociales ont été plus récentes. Alors que le Borinage est une région déprimée à la fi n des années 1950, le Centre apparaît plutôt comme une région menacée aux yeux de la CSC6. La crise charbonnière va certes toucher durement l’économie du Centre; elle a provoqué un grand nombre de fermetures de mines et, parallèlement, de quelques grandes entreprises de fabrications métalliques mondialement connues. Quelque 16 mille emplois ont été perdus dans cette région durant la période 1957 à 1964. La diffi culté réside dans le fait que de nombreux travailleurs, 6000 d’entre eux, ont cherché un emploi en dehors de la région, vidant celle-ci de sa substance.

Ne constituant pas à proprement parlé une région géographique dans les années 1950, le Centre n’est pas non plus une région historique vu son caractère récent comme l’explique Italo Rodomonti. « La région du Centre est quelque chose d’indéfi nissable. On n’a jamais trouvé de bonne défi nition de ce qu’ était la région du Centre si ce n’est que j’ai eu une fois un collègue de la FGTB qui est décédé, qui disait que là où on fait le gille c’est le centre et là où on ne fait pas le gille ce n’est pas la région du centre. Donc, on est dans une région qui n’est pas une puisqu’on est sur au moins trois arrondissements (Charleroi, Thuin, Soi- gnies et même, en partie, sur l’arrondissement de Mons…) Puisque la région du centre Quand je suis entré les découpes régionales étaient basées sur les anciennes découpes des bassin charbonniers et des sièges des charbonnages. Donc, dans la région du Centre on avait Enghien, Ghislenghien, Silly, Basilly parce que ces gens travaillaient dans les charbonnages du centre, tout comme on avait Havré parce qu’il y avait le charbonnage de Beaulieu dont le siège était quand même à Bois du Luc. Donc on est restés dans tout ce qui était la caisse de prévoyance du centre. L’ONEM a fait la même chose à ce niveau-là.7»

Les causes du déclin économique sont connues mais le plus inquiétant, selon la CSC, c’est l’avenir avec l’absence de réorientation de l’industrie, l’absence d’extension et de diversifi - cation des entreprises. Tout cela contribue à une diminution de la population plus sensible que partout ailleurs en Wallonie. Pour sauver la région, le syndicat chrétien met en avant la reconnaissance de l’entité économique et l’unifi cation administrative autour d’un plan d’urbanisation et de coordination des services de plusieurs communes de l’agglomération louvièroise. Si une solution à ces problèmes ne peut être envisagée qu’à long terme, c’est au plan économique et de la reconversion industrielle que la solution doit être recherchée dans l’immédiat. Cela passe par un aménagement du territoire par l’amélioration des com- munications au niveau des canaux (jonction du canal Nimy-Blaton vers La Louvière), des routes (autoroute Liège vers Paris) et des chemins de fer(gare de La Louvière et suppres- 65 sion des passages à niveau). La recherche de produits nouveaux et d’industries nouvelles constitue un objectif tout aussi essentiel.

6 CSC Fédération régionale du Centre, Journée d’études syndicales 1957/58, p.74. 7 Interview de Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. Dans le cas du Borinage, le défi cit d’images positives de la région est perçu dès la fi n des années 1950 comme un des principaux problèmes pour sa reconversion. Lors de la grande conférence européenne sur la reconversion industrielle organisée en 1960, Albert Detroz, directeur au ministère des Affaires économiques parlait de « processus cumulatif du déclin» dans le Borinage. Le problème de la région est autant économique, avec sa spécifi cité mono-industrielle, que psychologique et esthétique. Taudis, ménages mal logés, quartiers insalubres dans l’immédiat après-seconde guerre mondiale créaient avec les baraquements occupés par les étrangers et les corons noircis une véritable atmosphère de dépression. Une descente aux enfers entretenue par une démographie en berne. Un démo- graphe, Joseph Jacquart évoquait dans une étude « le suicide des Borains par la réduction “voulue” des naissances.» La population de la région était considérée alors comme l’une des plus vieilles du monde avec un taux de mortalité au-dessus de la moyenne nationale et un taux de natalité inférieure. Malgré l’arrivée des étrangers et des italiens dans les mines, la diminution de la population dans le vieux Borinage était devenue irréversible avec une diminution de 5% entre 1954 et 1969. A Flénu, on atteignait même une baisse record de 40%, la crise charbonnière étant passé par là.

Contrairement à la région du Centre, le Borinage ne pouvait guère compter sur une lignée de grands industriels et sur des familles possédant des grandes fortunes mobilisables pour la reconversion. On ne pouvait pas et on ne verra donc pas une bourgeoisie du cru prendre en main la transformation des structures économiques locales et régionales.

Au début des années 60, le Couchant de Mons disparaît des statistiques minières en tant que tel, sa production étant devenu marginale. Non que ses fi lons soient géologiquement épuisés : quelques années seulement avant que les derniers charbonnages ferment leurs portes, les réserves de charbon exploitables des quatre principaux charbonnages de la région étaient encore évaluées à quelques 800 millions de tonnes, soit, au rythme d’ex- traction de l’époque (4,7 millions de tonnes), de quoi assurer encore 170 années d’exis- tence à ces entreprises8.

Le Borinage semble avoir souffert d’un défaut de formation générale de sa population. C’est en tout cas ce qui se dégage des statistiques fournies à ce sujet dans les différents recensements et qui montrent que le niveau d’enseignement de la population de l’arron- dissement de Mons et davantage encore celle du Borinage, est constamment plus faible que celui de la Belgique en général, du moins depuis que des statistiques existent à ce 66 propos, c’est-à-dire 1866.

8 Commission Internationale d’Experts (1954), « Expertise relative à la rentabilité présente et future des charbonnages borains», Annales des mines de Belgique, Novembre 1954, 6e livraison : 684-748. 1.2 Les débuts, timides, d’une politique régionale Le 24 novembre 1961, le gouvernement belge arrête un plan de 4 ans pour la reconversion des régions minières du Borinage et du Centre. La priorité d’agir à ce niveau se justifi e par la gravité toute particulière de la situation économique et sociale de ces deux régions. Le plan Spinoy (1961-1965) du nom du ministre socialiste fl amand de l’économie, constitue le premier plan régional dans l’histoire de la Belgique. Il vise notamment une rénovation durable du Borinage et du Centre en mettant l’accent sur la formation et la réadaptation professionnelle avec un rôle important dévolu en la matière à l’ONEM. Un centre d’orienta- tion à Mons pour les jeunes avec un psychologue et un régent qui invite 10 jeunes par jour et les revoient à 10 jours d’intervalle ouvrira ainsi ses portes à la fi n des années 1960 avec pour but de parler aux jeunes, de donner des conseils, de 9les orienter vers des centres de formation accélérées et de trouver ainsi un débouché vers les emplois demandés. Un centre s’ouvrira par ailleurs pour les jeunes électriciens diplômés A3 en vue de leur offrir des débouchés pour le bâtiment.

Le plan Spinoy poursuit deux objectifs fondamentaux, à savoir, d’une part, de réaliser pour 1965 les conditions d’une rénovation durable de la structure des deux zones et d’autre part, d’éviter, dès 1961, toute nouvelle détérioration du potentiel économique existant. Le premier objectif impliquait d’avoir à disposition de voies de communication modernes (voies navigables et autoroutes pour sortir les régions de leur isolement, de maintenir l’in- dustrie lourde traditionnelle et de favoriser en même temps le développement de nouvelles industries légères. L’aménagement de zones industrielles en bordure des nouveaux axes de communication (Ghlin-Baudour, Frameries, Dour-Elouges dans le Borinage, Seneffe, Strépy-Bracquegnies, Péronnes et Feluy dans le Centre) va en résulter avec la mise à disposition d’une superfi cie d’environ 1 000 ha pour accueillir de nouvelles activités ou en renforcer des existantes en réorientation l’activité industrielle et en l’adaptant aux exi- gences du Marché commun. Le second objectif impliquait le maintien du niveau de l’em- ploi au niveau de 1961, ce qui ne pouvait se réaliser que par la création de 7 500 nouveaux emplois dans le Borinage et de 9 000 nouveaux emplois dans le Centre.

Parmi les acteurs principaux qui sont appelés à se pencher sur le chevet des deux régions et de les sauver en quelque sorte, on retrouve l’Association intercommunale pour le déve- loppement économique et l’aménagement des régions du Borinage et du Centre (IDEA), dont l’objectif majeur est la reconversion des régions du Borinage et du Centre. Le 16 juillet 1962, de nouvelles modifi cations statutaires étaient intervenues au sein de l’Association Inter-Boraine qui changeait de dénomination pour devenir une « Association Intercommu- 67 nale pour le Développement économique et l’Aménagement des régions du Centre et du Borinage, dénommée Idea-Hennuyère» qui prit la forme d’une coopérative. En 1962 pré- cisément, les syndicats décident de s’associer aux travaux de cette association bientôt

9 ACSC Mons, pv du comité fédéral du 28 février 1969. rejoints par les représentants patronaux en 1964. Du côté du PSC, on exprime le même souhait de participer à l’intercommunale malgré la mainmise du parti socialiste d’autant qu’une ouverture se manifeste dans le chef du parti dominant pour des raisons tactiques. Selon les délibérations du collège communal de Cuesmes, si l’IDEA s’ouvrait à la famille politique catholique, c’était en contrepartie du fait que « les minorités PSC au sein des conseils communaux des communes s’abstiendraient de critiquer les dépenses consenties en faveur des projets de travaux présentés par l’IDEA10.»

Un bilan prometteur mais nalement mitigé L’Amérique est considérée comme la solution miracle ou du moins comme une piste essen- tielle pour trouver de nouveaux investisseurs. Au printemps 1958, la première mission éco- nomique boraine aux États-Unis conduite par Richard Stiévenart, député permanent à la Province de Hainaut et à laquelle participe un jeune conseiller, Robert Urbain, futur ministre et bourgmestre de Boussu, est menée aux États-Unis par l’ Association pour l’Aménagement Economique et Social du Borinage. Elle a pour but d’étudier sur place les initiatives locales émanant des secteurs public et privé dans le but de promouvoir l’expansion économique dans les régions affectées par la récession. Il s’agit surtout de trouver des capitaux qui pour- raient être investis dans le Borinage dans le cadre du développement du zoning de Ghlin.

En Wallonie, les implantations d’usines américaines se déploient dans les années 1960 de façon très différente. A l’exception du centre de Nivelles, dont le dynamisme s’explique par la proximité de Bruxelles et la qualité de l’infrastructure routière, toutes les implantations se trouvent regroupées sur deux secteurs : Liège et Verviers à l’Est et, à l’Ouest, l’ensemble Centre-Borinage. Ces deux dernières régions vont surtout miser sur le développement des investissements américains qui vont choisir la Belgique notamment en raison de sa situa- tion géographique centrale au cœur du Marché commun européen, d’une fi scalité jugée avantageuse et d’une main-d’œuvre qualifi ée disponible. Ce qui ne manquera de poser des problèmes de nature syndicale du fait des diffi cultés dans les relations syndicales au sein des entreprises américaines. Le manque de collaboration se révèle fl agrant entre ces entreprises et les fédérations patronales et la CSC ne manqueront pas d’attirer l’attention de l’IDEA sur ce point tout en comptant sur la force syndicale pour inverser la tendance. D’une autre côté, Floris Baudour insistera aussi quelques années plus tard sur le fait que « les Américains ont plus le sens des affaires et que l’on ne doive pas s’inquiéter trop de l’apport des capitaux étrangers « qui peuvent néanmoins relancer notre économie et font ainsi face à la défi cience des belges11. » 68

10 Archives générales de la ville de Mons, Commune de Cuesmes; dossier Intercommunale G16 IDEA 1961-1971, procès-verbal du 11 février 1963. 11 ACSC Mons, pv du comité fédéral du 28 février 1969. Qu’est-ce que cela donne concrètement sur le terrain ? Au début de l’année 1960, plu- sieurs créations d’entreprises sont annoncées sans aboutir. D’autres projets sont effecti- vement réalisés. Le tableau 3 en dresse la nomenclature pour la région de Mons-Borinage.

Entreprise Secteur industriel Date Emploi au du début 30 avril d’activité 1966 Ghlin-Baudour Nord Verlica-Momignies Verre 1962 789 Pirelli-Sacic Caoutchouc 1964 353 Aleurope Métaux non ferreux 1964 337 Steward Warner Co Fabrication. Métalliques 1965 127 Papercraft International Papier 1966 6 Lithobéton Minéraux non métalliques 1966 80 Ghlin-Baudour Sud Weyerheauser Carton 1961 175 Comptoir Métallurgique Européen Commerce 1962 15 S.A Gabriel Pourveur Matériaux construc 1964 48 Cameron Machine Frabrications métalliques 1964 32 Comagri Commerce 1965 1 Ets Jean Mirgaux Transport 1966 43 Frameries-Cuesmes The Warner Brothers Confection 1965 132 L.Cardinal Fabric métalliques 1965 38 S.A Sobi Idem 1966 56 Chicopharma Prod drogueries 1966 - Liljeholmen S.A Fabrication Bougies 1966 - Thompson Aircraft Tire CO Caoutchouc 1966 -

Source : Dereeper, E., Etude sur la mobilité sectorielle des ouvriers mineurs Le cas du Borinage, IDEA, Mons, 1967, p.238. Quelques commentaires méritent d’être apportés sur certaines implantations d’entreprises. 69 Tout d’abord, une fusion des verreries du Pays de Liège et celles de la Campine est en cours avec les Verreries de Momignies. La nouvelle société projette de développer des fabrications de grande série dans ses divisions existantes de Momignies et de Mol ainsi que de créer dans le parc industriel de Ghlin-Baudour une nouvelle usine pour la fabrica- tion d’article spéciaux de bouteillerie et de fl aconnerie. C’est ainsi qu’en 1961, Verlipack Ghlin, propriété du groupe Beaulieu ouvre ses portes employant 500 ouvriers dans la fabrication de verre blanc dans ses premières années d’activité avant d’atteindre le chiffre plancher de 1.012 travailleurs en 1973. L’usine connaîtra une fusion avec les Bouteilleries belges réunies en 1977 avant une reprise par le groupe Debakker huit ans plus tard, l’en- trée des Allemands de Heye Glass dans le capital (1997) puis la reprise par trois action- naires privés hennuyers en 2000. A la fi n de l’été 2007, le groupe espagnol Vidrala prend les commandes de l’entreprise pour ne plus les quitter jusqu’à nos jours.

En 1963, ensuite, la société multinationale d’origine italienne Pirelli-Sacic à Bruxelles prend ses quartiers à Ghlin en créant une usine de production d’articles de caoutchouc avec un prêt de la CECA à la clé. Pirelli, qui possède un siège d’exploitation à Anderlecht, y disposait de bâtiments vétustes et de taille réduite. La possibilité d’avoir des terrains à bon prix et puis l’avantage de ne pas payer d’impôts pendant cinq ans vont constituer des éléments décisifs pour l’installation dans le zoning de Ghlin- Baudour. Une entreprise que Salvatore Acquisto a connue dès le début comme travailleur « j’ai terminé mes études en Juin 1964 et que j’ai commencé à travailler chez Pirelli le 7 Août. A ce moment-là, on avait la chance – que malheureusement les jeunes n’ont plus aujourd’hui – c’est qu’il y avait de l’emploi. Ma chance, chez Pirelli nouvelle usine, c’est qu’elle était en pleine construction, et donc je suis arrivé dans une usine à moitié construite j’ai pu y apprendre mon métier12. Une fois le montage terminé, on m’a gardé comme travailleur à l’atelier mécanique, comme mécanicien.» Une grande partie des travailleurs engagés chez Pirelli sont d’anciens mineurs qui se reconvertissent dans cette nouvelle activité avec le soutien de l’Europe (la CECA).

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12 Entretien avec Salvatore Acquisto, le 18 novembre 2011. Il deviendra délégué syndical dès avril 1965. En 1967, lors des élections sociales, la CSC obtient la majorité absolue dans l’entreprise qui occupera jusqu’à 350 travailleurs. L’entreprise Pirelli à Ghlin-Baudour qui ouvre ses portes en 1963 constitua un véritable bastion pour l’action syndicale chrétienne dans la région. Quant à Aleurope, cette entreprise s’installe dès 1961 l’initiative de la Société Générale de Belgique dans le cadre d’un projet plus vaste que cette dernière avait concocté autour du site hydro-électrique d’Inga avec l’appui de capitaux belgo-américains. Elle se spécialise dans le laminage de feuilles d’aluminium A la recherche d’un partenaire industriel, la SGB s’associe avec le producteur américain Reynolds pour se partager le capital de la nouvelle société. Cette multinationale américaine était numéro trois mondial dans son secteur et comptait une centaine d’usines dans une vingtaine de pays13. En 1967, la Générale se retire et Reynolds devient le seul actionnaire de l’entreprise hennuyère jusqu’en 1987, lorsque la moitié des parts sont cédées à la société vénézuélienne, Alcasa (Aluminio del Caroni).

Il faut relever, enfi n, l’apparition de la société américaine Stewart-Warner Corporation tou- jours en 1964 pour produire des échangeurs de chaleur en aluminium. 130 personnes sont employées sur le site en 1966 avant que ce montant ne connaisse une chute de plus en plus brutale à partir de 1973 avant la fermeture intervenue en 1984. Au total, le parc industriel de Ghlin-Baudour va accueillir 2.453 emplois nouveaux entre 1960 et 196614. 71

13 Au milieu des années 1990, cette entreprise emploie près de 500 personnes sur le site de Ghlin. 14 Chiffres issus de la Commission consultative ONEM commentés lors du comité fédéral du 25 octobre 1963 de la CSC Mons. Au bout du compte, les aides publiques ne semblent avoir joué qu’un rôle marginal dans l’implantation de nouvelles entreprises. Ce qui ne signifi e pas que les aides régionales n’avaient pas un impact sur la décision de s’implanter. Si la province d’Anvers va bénéfi cier de l’essentiel de la manne de 16 milliards de francs belges investis en Belgique par des entreprises en 1965 avec 70% des emplois à la clé en Flandres plus généralement pour prendre une année de référence, la zone de Feluy-Manage-Seneffe va également en tirer profi t. Et surtout le Nord du pays attirait la majorité des grandes entreprises, à savoir celles occupant plus de 500 personnes.

Avec quel résultat au fi nal? L’objectif fi xé dans le Plan Spinoy de 1961 semble atteint puisque l’emploi dans les régions du Borinage et du Centre se met à croître en 1963. Il s’agit d’une première depuis 1956. Mais une politique effi cace de localisation industrielle fait défaut. Une absence qui est lourde de conséquence pour la suite. Dans le Borinage, pas moins de 5.300 emplois sont créés, à la suite des mesures de reconversion, de 1961 à fi n 1965, dont plus de la moitié dans la zone industrielle de Ghlin-Baudour. Ces créations sont toutefois neutralisées presque entièrement par la perte de 3 300 emplois dans les mines et de 1.800 emplois dans les autres secteurs industriels15. C’est donc quasiment une opération blanche en termes de création d’emploi avec un gain de l’ordre de 200 à 300 unités à la fi n de 1965, ce qui permet de dire à l’époque que l’objectif de départ a été atteint et même légèrement dépassé. De 1965 à 1969 un nouveau gain a été réalisé; mal- gré la perte de 3 959 emplois miniers, les effectifs de tous les secteurs industriels n’ont enregistré qu’une perte de 2 059 unités, ce qui indique un « rattrapage» de 1 900 unités. Durant la même période, le nombre des assujettis à l’ONSS a augmenté de 5 995 unités. La différence entre ce dernier chiffre et celui de 2.059 précité s’explique par un « glisse- ment» vers le tertiaire.

L’emploi « trinque» dans le Centre Au jeu du bilan, il n’est guère encourageant pour cette région. La situation de l’emploi reste plus que préoccupante au milieu des années 1960. Seuls 1 100 emplois sont créés de 1961 à fi n 1965. Parallèlement, durant la même période, quelques 5.100 emplois miniers ont été supprimés tandis que les autres secteurs industriels subissaient une contraction de l’ordre de 3.100 unités, soit une perte totale de quelque 8 200 unités. Non seulement l’objectif de maintien de l’emploi au niveau de 1961 n’a pas été atteint, mais on enregistre au contraire à la fi n de 1965 un nouveau solde négatif de 7 100 unités.

72 Cette différence dans les résultats obtenus dans le Borinage et le Centre s’explique principalement par deux faits: la reconversion du Centre (et principalement la moder-

15 Ce dernier chiffre représente le total des pertes effectives et des pertes compensées par le reclassement d’une partie des travailleurs licenciés dans des entreprises nou- velles ou existantes. nisation de son infrastructure) a démarré plus tard que celle du Borinage; d’autre part, la sidérurgie et l’industrie des fabrications métalliques y ont connu des diffi cultés dont l’importance n’était pas prévisible en 1960. C’est d’ailleurs cet « insuccès» relatif qui incite le gouvernement belge à réaliser un effort particulier dans cette région à par- tir de 1965, notamment au niveau de l’équipement et de l’infrastructure. Les zones industrielles de Seneffe-Manage, de Bray-Péronnes, de Strépy-Bracquegnies et de Feluy où d’importants investissements vont être réalisés par Belgochim et par Chevron) sont créés avec, dans de nombreux cas, une intervention fi nancière de l’État dans une mesure assez importante dans la réalisation de ces projets (prix de vente des terrains, nivellements, raccordements routiers et au réseau ferré, canalisation d’eau et d’égouts, murs de quai,etc.). Des efforts vont porter également sur l’aménagement d’un ensemble de liaisons par route, par chemin de fer et par eau capables de faire du sillon Bori- nage-Centre-Charleroi un tout industriel axé sur la capitale, le port d’Anvers, la Hollande, l’Allemagne et la France ainsi que sur la création et l’équipement en bordure de ces liaisons d’une série de zones industrielles destinées à polariser les activités industrielles nouvelles. L’optimisme semble en tous les cas de rigueur dans le chef de la CSC de Mons-Borinage. Dans son rapport sur les efforts consentis par l’IDEA (démergement de la Haine, assainissement du territoire de MB, création de zonings industriels équi- pés d’infrastructures effi caces susceptibles d’attirer l’investissement industriel privé), Floris Baudour souligne en effet lors du comité fédéral du 30 juin 1972 que l’on peut être satisfait du nouveau visage que prend le Borinage sous l’infl uence de tous les organismes sociaux, économiques et politiques qui constituent l’intercommunale. Les chiffres semblent donner raison. De 1959 à 1968, 12500 emplois nouveaux ont été créés. De nouvelles entreprises doivent encore s’installer comme Gleason Works, MBLE, Siemens, Organon et AKZO. 70 ha vont être acquis pour permettre l’expansion du zoning de Frameries qui est à saturation16. Les emplois dans les entreprises nouvelles sont en progression (ATEA, SICA (jouets), SEFI, franco-suisse, Europe acoustique. Mais le bilan peut être moins réjouissant pour d’autres dont les investissements consentis favorisent très peu l’emploi. Ainsi, Air Liquide avec un investissement de plus d’un milliard de francs n’occupe que 23 personnes. Et puis le problème du chômage reste inquiétant avec 1500 jeunes inscrits comme demandeurs d’emploi et parmi eux 500 diplômés, entend-t-on dire lors du comité fédéral du 24 mai 1968 à Mons.

La question des infrastructures est essentielle à l’époque (mais ne l’est-elle pas encore aujourd’hui ?) pour réussir la reconversion. Le chemin de fer constitue un enjeu majeur dans ce cadre. La ligne de chemin de fer Bruxelles-Mons est électrifi ée. La ligne Bruxelles- 73 Centre est diésélisée et le réseau du Centre est aménagé. Les liaisons par voie d’eau, au gabarit de 1 350 tonnes, Centre-Bruxelles-Anvers, Centre-Charleroi, Centre-Charle- roi-Namur et le canal du Centre sont réalisées. Quant aux autoroutes, autre maillon de

16 ACSC Mons, pv du comité fédéral du 6 mai 1971. première importance, l’autoroute de Wallonie devient une réalité dans les années 1970 non sans un retard important à l’allumage. Des perspectives s’ouvrent dans le Borinage et le Centre en raison de la réalisation des autoroutes de Wallonie et Bruxelles-Paris dont la mise en circulation devait avoir pour effet, selon ses promoteurs, de sortir défi nitivement ces régions de leur isolement.

La CSC suit évidemment tous ces dossiers de près en mettant la pression nécessaire pour qu’ils aboutissent positivement. L’optimisme n’est pourtant pas de mise. Les créa- tions d’emplois n’ont pas eu sur la situation générale de la main-d’œuvre des secteurs industriels l’impact suffi sant même si l’amertume de cette constatation va être dissipée dans un premier temps par les perspectives que font entrevoir l’installation à l’heure actuelle d’une raffi nerie et d’un complexe pétrochimique à Feluy. Dans le Centre éga- lement, de grands espoirs furent fondés sur l’achèvement des autoroutes de Wallonie et Bruxelles-Paris de même que sur le développement de la pétrochimie alors en cours d’installation à Feluy. C’est sur le développement de cette industrie et des industries connexes que l’on compte mettre l’accent. Le constat est posé, par ailleurs, selon lequel, dans la région du Centre, il existe environ 8 000 navetteurs. De plus, 400 jeunes gens sortent chaque année des écoles techniques. Les fermetures d’entreprises (notamment des mines) vont amener dans un proche avenir d’autres réserves sur le marché de l’em- ploi. Les nouvelles entreprises appelées à s’installer dans le Centre disposent donc en principe d’une main-d’œuvre masculine suffi sante et adéquate, dont une réserve de main d’œuvre féminine de quelque 20 000 unités.

En conclusion, force est de constater un différentiel d’investissement entre les régions wallonne et fl amande du pays. Si de nouvelles industries s’installent en Belgique au début des années 1960 avec l’aide de capitaux étrangers, la majorité de ces nouveaux établis- sements se concentrent à Bruxelles et dans les régions fl amandes. Pour la première fois dans l’histoire, le produit intérieur brut par habitant tombe en dessous du niveau fl amand en 1966. Une rupture lourde de sens. Pour les milieux militants wallons et pour une partie de plus en plus signifi cative du mouvement ouvrier, le salut de la Wallonie passe par une décentralisation économique. Le renouveau wallon ne peut être envisagé que dans un cadre institutionnel d’un nouveau type. Une question que ne peut éluder le syndicalisme chrétien même si le débat en son sein est moins passionnel qu’à la FGTB qui doit compter avec le renardisme et une solide crise interne entre fédéralistes et non-fédéralistes.

74 1.3 Une éclaircie dans la grisaille Il faut mentionner toutefois un événement important au plan régional. L’installation du Shape à Casteau en 1967 constitua un événement d’une portée dépassant largement le contexte local. Rappelons les principaux épisodes qui ont mené à cette implantation. L’annonce du retrait, le 10 mars 1966, de la France de la structure militaire intégrée de l’Alliance atlantique conduit le quartier général des forces alliées en Europe (Shape pour Supreme Headquarters Allied Powers Europe) à quitter la base de Marly-le-Roi (Yvelines) où il est installé depuis 1951. Le quartier général de cette organisation est déplacé en Belgique, sur le territoire des anciennes communes de Casteau, et de Mas- nuy-Saint-Jean où le nouveau Shape est inauguré le 31 mars 1967. La construction du Shape, mobilise environ 1000 ouvriers dépendant de 45 entreprises sur un chantier de 2 km 500. Au niveau des travaux publics, 500 millions sont injectés dans l’aventure. Quel a été l’impact de cette installation? La réponse doit être nécessairement nuancée. Retenons l’avis des deux journalistes du Soir, émis en 1991, quarante ans après la créa- tion de cette organisation et après son installation dans la banlieue montoise en 1967. « Depuis, des contingents militaires de 14 nations cohabitent dans le « village». Bonne ou mauvaise affaire pour la région montoise et son économie ? Tout dépend du côté où l’on se place. Lorsqu’on évoque la présence du Shape en Hainaut, c’est d’abord l’ascension vertigineuse des loyers ayant suivi l’arrivée des militaires qui vient à l’esprit. Des augmen- tations que les locataires autochtones n’ont pu que subir... tandis que les propriétaires se frottaient les mains. En dehors de cet aspect immobilier est-il possible d’estimer l’impact économique de la présence des « Shapiens» sur l’économie locale ? Diffi cile avec préci- sion mais quelques chiffres peuvent néanmoins aider à se faire une idée plus au moins complète. Au total, quelque 15.000 personnes composent la communauté du Shape, personnel militaire, travailleurs civils et familles confondus. Certes les « Shapiens» ont tendance à vivre entre eux à l’intérieur du village construit autour de la zone militaire et qui comprend écoles, banques, églises, grandes surfaces, hôpital.» Depuis lors, beau- coup d’eau a coulé sous les ponts et le personnel civil de la base militaire du Shape réduit à quelques centaines de personnes est de plus en plus inquiet sur son sort. A partir du 1er janvier 2014, sa prise en charge ne sera plus du ressort de l’Otan mais de celui de l’État belge. Le doute plane quant à son avenir.

Section 2 - Des hommes, des femmes et des structures aux prises avec des mutations profondes : le plein emploi aux oubliettes Durant les années 1960, les fédérations CSC de Mons-Borinage et du Centre vont pro- fi ter de la création de zonings industriels avec des entreprises d’un nouveau type, loin des secteurs industriels traditionnels comme le charbon et le métal, pour développer une action propre et augmenter le nombre des affi liés. La Centrale des métallurgistes chré- tiens à Mons et à La Louvière qui put compter dans l’entre-deux-guerres dans le Hainaut sur des permanents de haute stature comme Arthur Bertinchamps ou Louis Dereau s’est relancée après la guerre sous la conduite de Paul Grouy et d’Auguste Bruart. Un comité 75 des métallurgistes fut remis sur pied et Alexandre de Marchi devient en 1960 le secrétaire permanent pour Mons, Ath et Tournai avec un siège qui est situé à Mons.

Cette période des années 1960 est également marquée par le développement des cen- trales professionnelles et de l’interprofessionnel (notamment la formation syndicale). Ainsi, la Fédération de l’alimentation et des services va se développer sous la houlette de Henri Blotiau qui sera le premier permanent de la Centrale à partir de 1947. En 1965, il est remplacé par Christian Dancot qui est lui-même suivi par Vincent Ancora à partir de mars 1973. Quant à la Fédération du textile et du vêtement, elle prit forme à l’origine grâce à l’action de Jean Delville, son premier permanent après 1944, lequel s’occupait plus par- ticulièrement de la Société Fabelta à . La Centrale avait son siège à Nivelles et ce fut surtout Lucien Copain qui, depuis Tournai, s’occupa des travailleurs et travailleuses du secteur du vêtement à Mons jusqu’en 1970. Emile Gillet lui succéda comme permanent au départ du niveau siège installé à Binche. Avec l’aide de Joseph Sansom de la Fédération interprofessionnelle, il développa l’action syndicale dans les nouvelles usines de confection (jeans, chemises, sous-vêtements). C’est également dans le Centre, à La Louvière que la Centrale du transport va assurer son développement sous l’impulsion de Albert Ledeganck venu de Bruxelles à partir de 1960 pour soutenir également la région de Mons. Pour la Fédération du Livre et du Papier, Georges Motte dès1944 et Jacques Hotaux depuis La Louvière à partir des années 1960 en furent les principales fi gures de proue.

Enfi n, la CSC est également traversée par le débat sur le fédéralisme qui prend une nou- velle dimension après la grève de 1960 même si le syndicat chrétien va garder son unité et rester une organisation unitaire.

Comme le souligne Italo Rodomonti, la situation semble avoir évolué dans les années 1970 : « Les statuts de la CSC prévoyaient à l’époque que dans les communes de moins de 8000 habitants, si je ne me trompe pas, on pouvait être mandataire communal et puis on a porté ça à 15000 maintenant. Donc il y avait un sentiment assez pro-PSC dans sa composante démocrate chrétienne, pour ne pas oublier que La Louvière, on vient aussi de la Fédération où il y avait René Petre qui a été permanent mineur, puis député ou sénateur. On avait Auguste Bruart qui était d’ailleurs membre du bureau politique du PSC, mais, je ne me souviens pas, en tout cas dans mes premières années, dans les années 1970, qu’on ait eu de grandes discussions politiques. Les grandes discussions politiques à La Louvière ont commencé quand on a voulu créer le S.E.P. et que pratiquement toute la fédération s’est rangée derrière cette idée de mouvement politique en prolongation à notre mouvement ouvrier chrétien et c’était un petit peu cette idée-là.»

2.1 La montée en régime de la CSC: le moteur est lancé Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si l’on excepte un léger recul en 1962, la fédération de 76 La Louvière va poursuivre une marche continue dans l’augmentation du nombre de ses affi liés jusqu’à la fusion de 1993. Une lente mais progressive ascension qui s’explique par plusieurs facteurs selon Philippe Watrin qui a débuté en 1982 comme permanent dans la région, après son service militaire et une expérience professionnelle chez British Leyland. Cette progression est due à ses yeux « à notre service impeccable; au niveau juridique et du chômage, à notre présence sur le terrain et à la qualité de nos délégués qui ont porté nos couleurs dans les entreprises et changé des majorités traditionnellement rouges depuis des générations17.»

Effectifs de la CSC La Louvière de 1961-1992 (avant la fusion de 1993)

Années LL Total CSC % années LL Total CSC % 1961 13128 771.576 1,7 1977 22.860 1.259.787 1,8 1962 12919 772.208 1,6 1978 22.962 1.274.629 1,8 1963 14286 812.257 1,7 1979 23.308 1.293.256 1,8 1964 14671 834.196 1,7 1980 23.862 1.318.845 1,8 1965 14959 884.196 1,7 1981 23.968 1.339.079 1,7 1966 16229 872.245 1,8 1982 24.509 1.347.421 1,8 1967 16459 904.672 1,8 1983 24.482 1.339.987 1,8 1968 16686 922.990 1,8 1984 23.464 1.336.286 1,7 1969 16378 950.233 1,7 1985 24.141 1.363.919 1,7 1970 16335 965.208 1,7 1986 24.330 1.381.377 1,7 1971 17602 995.520 1,7 1987 24.550 1.389.096 1,7 1972 18901 1.046.300 1,8 1988 24.116 1.388.586 1,7 1973 19495 1078.758 1,8 1989 24.983 1.424.471 1,7 1974 20.743 1.139.061 1,8 1990 25.344 1.430.571 1,7 1975 22.037 1.201.681 1,8 1991 26.011 1.461.880 1,7 1976 21.978 1.234.758 1,8 1992 26.902 1.511.439 1,7 Source : Tallier, P-A, op.cit, p.255

En fait, un grand confl it social et certainement l’un des plus importants et des plus signifi - catifs de notre histoire sociale, va permettre à la CSC de décoller en Wallonie.

2.2 Un grand con it social : la grève de 1960 et ses suites Sans détailler le fi l des événements qui ont marqué la Belgique durant l’hiver 60-61 ni la mémoire laissée par cette grève depuis lors, il faut à tout le moins rappeler que le point de départ est constitué par la Loi unique18. Le gouvernement Eyskens la justifi e au nom de la nécessité d’assainir les fi nances publiques au moment où le pays vient de subir un 77 17 Interview de Philippe Watrin, le 15 février 2013. 18 Sur la grève dans la région de Mons-Borinage et du Centre, voir Fourmanoit, L., Il y a 50 ans (1960-1961) : La grève du siècle en régions Mons-Borinage et Centre, Saint-Ghis- lain, 2001. Sur la mémoire de la grève, voir Courtois Luc, Francq Bernard et Tilly P., Mémoire de la Grande grève de l’hiver 1960-1961 en Belgique, Bruxelles, Le Cri, 2012, 340 pages. choc important avec la crise congolaise. Le projet de Loi unique est déposé le 4 novembre 1960, les oppositions en particulier syndicales se structurent progressivement. Les préavis de grève générale vont se diffuser. La position de la CSC qui est d’améliorer le contenu est jugée diffi cile à accepter par la classe ouvrière comme l’indique par exemple une réunion du comité fédéral de la CSC de Charleroi du 12 décembre 1960. Et à La Louvière, de nombreux militants n’ont pas vraiment ressenti l’importance de cette loi. « À La Louvière, les ouvriers n’ont jamais bien compris la portée de cette grève mais elle a permis à la CSC dans la région19.» La CSC va gagner les élections sociales dans certaines entreprises après la grève de 1960 et elle va chercher à rencontrer la FGTB pour travailler sur des grands dossiers de société comme l’expansion économique comme nous le verrons par la suite.

La bataille sociale est en tous les cas engagée le lundi 19 décembre et la grève défi niti- vement lancée les 20 et 21 décembre sans que la FGTB ne l’aie offi ciellement décrétée. Dans les jours qui suivent, la grève générale va se répandre comme une traînée de poudre, en Flandre, en particulier à Anvers, et dans les bassins industriels wallons où elle se pour- suit. Dans la région du Centre, des débrayages avaient commencé dès le 20 décembre. Les métallos, la chimie, les cimenteries, les mineurs et les travailleurs du vêtement se mettent en grève. Les cheminots sont à l’arrêt depuis le 21 décembre20. Deux jours plus tard, la grande majorité des transports sont immobilisés dans le Centre. Le 27 décembre, le comité national de la CSC réprouve la grève qui doit compter avec une timide reprise du travail dans les services publics à la suite de pressions ministérielles. « Ce que nous voyons actuellement, déclare Auguste Cool, le président du syndicat chrétien, présente le même caractère que l’agitation que nous avons connue en 1950 [ il s’agit de la question royale]. Ce n’est pas une grève professionnelle mais un mouvement révolutionnaire provoqué par un parti politique qui veut désorganiser le fonctionnement normal de nos institutions21.»

Sur le terrain, les choses furent moins claires. Ainsi dans une série d’entreprises à Verviers, les membres de la CSC font la grève avec la FGTB. Et par l’intermédiaire de La Cité, la CSC demande au gouvernement de préciser rapidement sa position à l’égard de ses propositions de modifi cation du projet de loi22. L’attitude du syndicat chrétien n’est donc pas encore clai- rement fi xée. Il s’agit là d’un enjeu important du confl it. La position de la CSC, majoritaire en Flandre, est déterminante quant à l’ampleur du confl it et sur la légitimité de l’action gou- vernementale. Alors que dans les rangs de la FGTB, l’opposition entre deux stratégies se manifeste en effet dès le 23 décembre23, ce même jour, sans doute à 13 heures, le Cardinal Van Roey lance un message lourd de sens. Il condamne « Tous les actes qui tendent à 78 19 Interview de Marcel Sommeryns, le 27 avril 2011. 20 Fournamoit, L., op.cit, p.18. 21 ACSC La Louvière, note sur le comité national de la CSC du 27 décembre 1960. 22 La Cité, 22 décembre 1960, p.1. 23 Hiver 60-61, la grève du siècle, Fédération des métallurgistes FGTB de Charleroi et Sud-Hainaut, Charleroi, 1990, p. 30. désorganiser la vie nationale et à paralyser les organes essentiels de la collectivité comme gravement coupables en conscience»24. Ce veto cardinalice provoque un véritable tollé dans les rangs de la CSC. C’est la dernière fois que le clergé interviendra de manière aussi ostentatoire dans les affaires syndicales. Lors de la nuit de noël, les prêtres ouvriers de Seraing vont réagir à ce message du Cardinal en prenant fait et cause pour les travailleurs en grève. La probabilité d’une grève générale avec les chrétiens tout en n’étant pas exclue n’en devient pas moins faible alors que le parlement est mis en vacance jusqu’au 3 janvier. Renard et Léo Collard rencontrent dans le plus grand secret Gus Cool, ce qui provoquera pas mal de remous au sein de la FGTB après la grève25. Cette démarche Renard-Collard auprès du président de la CSC va donner au syndicat chrétien la conviction que la grève est en voie d’essouffl ement et qu’elle peut dès lors durcir sa position.

La grève va atteindre son point culminant en cette première semaine de l’année 1961 malgré quelques reprises du travail en Flandre et à Bruxelles. Le début du mois de janvier va être marqué par l’ouverture d’un second front, politique celui-là qui donne une nouvelle impulsion au mouvement social qui est alors en perte de vitesse. Le 21 et 22 janvier sont marqués par la suspension de la grève. Et le lendemain, le 23 janvier, on assiste à une ren- trée disciplinée des derniers grévistes. Quelles seront les conséquences de la grève pour la CSC Mons-Borinage ? Certaines semblent positives pour le développement interne de la fédération. L’abbé François rappelle le 10 février 1961 les événements qui se sont passés et souligne l’importance prise par les services publics dans ce mouvement : « il est donc important que le syndicalisme chrétien ait son mot à dire dans ces secteurs importants.» D’autres semblent rappeler un temps que l’on croyait révolu dans les rangs des syndicats chrétiens. Henri Grégoire, qui parviendra à conquérir une majorité CSC au sein de cette cimenterie, expose ainsi la situation que connaissent les syndiqués chrétiens de CBR Mons depuis la grève « Ils sont l’objet de brimades continuelles de la part des FGTBistes26.»

Sur un plan plus général et cela concerne la Wallonie, la grève de l’hiver 1960 a induit pour longtemps auprès de certains investisseurs l’image d’une terre peu docile et prompte à se mettre en grève en s’appuyant sur des syndicats forts. Le Borinage et le Centre n’auront plus bonne presse pour un temps en raison des destructions de matériel et d’infrastructure intervenus durant ce grand confl it social.

79 24 Dans le cas présent, la « directive» de Van Roey n’était aucunement un appui car rien n’était plus inopportun pour la CSC que d’apparaître comme commandée par le car- dinal. 25 Des remous qui sont également évoqués par NEUVILLE, J et YERNA, J., op.cit, pp.88- 89. 26 ACSC Mons, comité fédéral du 10 février 1961. Les principaux événements de la grève du siècle Octobre 1960: lancement de l’opération vérité lancé par le PSB contre le projet de loi unique (la loi de malheur). 8 octobre 1960: première manifestation à Anvers (services publics). 4 novembre 1960: le projet de loi d’expansion, de progrès social et de redresse- ment fi nancier est offi ciellement présenté par Gaston Eyskens. 30 novembre: l’Action commune socialiste se déclare contre la Loi Unique. 14 décembre 1960: journée de grève à Liège, débrayages importants dans le Hainaut. 16 décembre 1960: le comité national élargi de la FGTB approuve la motion Smets (497.487 voix) contre celle de Renard (475.823) laquelle prévoyait le principe de la grève générale. 20 décembre 1960: Début de la discussion de la loi unique à la Chambre et lan- cement de la grève par la CGSP bientôt sans l’accord des dirigeants de la FGTB. La FGTB ne déclarera jamais la grève offi ciellement durant le confl it. 21 décembre: la CSC refuse d’appuyer le mouvement qui s’étend rapidement à l’initiative des centrales ouvrières. 24 décembre: la grève s’étend à la Flandre. Le journal la Wallonie est saisi pour avoir diffuser un appel aux soldats les appelant à se croiser les bras et à fraterniser avec les grévistes. 26 décembre: le ministre Harmel condamne toute grève des fonctionnaires. 29 décembre: le roi interrompt son voyage de noces. Renard évoque la possibilité d’un abandon de l’outil. A Bruxelles, manifestation de grande envergure. 30 décembre: Eyskens déclare que le gouvernement ne négocie pas.A Bruxelles, un chômeur qui ne manifestait pas est tué devant la Sabena. Le 6 janvier: manifestation à Liège et saccage de la gare des Guillemins après le meeting. Heurts pendant 7 heures entre les manifestants et la police. Un homme grièvement blessé meurt dans la nuit. 9 janvier: la PSB désavoue les actes de violence. Renard, Gailly et JJ Merlot récla- ment l’ouverture d’un second front politique par la démission des parlementaires socialistes. 80 11 janvier: le travail reprend en Flandre sauf dans la région gantoise, anversoise et du Ruppel. 12 janvier: le second front parlementaire ne s’ouvre pas. A Mons, devant 20.000 grévistes rassemblés sur la Grand-Place, Renard annonce une grève de libération nationale qui ira jusqu’au bout 13 janvier: la loi unique est votée à la Chambre par 115 voix contre 90. La reprise du travail s’intensifi e. Les régionales wallonnes de la FGTB décident de continuer la grève pour le retrait de la loi unique et la dissolution des chambres. 16 janvier: troisième décès, un ancien boxeur Jo Woussem tué par balle à Chênée.

Le témoignage d’un jeune adolescent au moment de la grève de 1960 : Salvatore Acquisto L’initiation de ma militance, je pense, elle remonte à la grande grève 1960-1961, et mon entrée à la JOC. En fait, j’ai été étudiant à Saint Luc, en technique, et on était en pleins examens. Une fois que je rentrais chez moi, que je révisais pour le lendemain pour l’examen, ensuite je faisais une escapade sur la place de Cuesmes, ou je me rendais compte de l’état d’insurrection qu’il y avait sur Cuesmes il n’y avait plus de pavés dans les rues, ont tiré les rails du tram et rapidement remis avec la surveillance des gendarmes ou des soldats, les engueulades et guerres entre les personnes qui étaient autour des braséros. Et c’est peut-être à ce moment-là que je commence à me poser des questions et qu’un déclic s’opère en moi en voulant savoir du pourquoi de ce mouvement de masse. Mais ils y aura un autre déclic qui a joué dans mon posi- tionnement futur on était un petit groupe à aller à bicyclette à l’école puisqu’on avait des diffi culté à prendre les transports communs, et un jour, en prenant le chemin des ouvriers mineurs qui aller travailler au charbonnage de l’Héribus ont arrivé à hauteurs des ateliers Cardinal, on monte l’escalier du pont est arrivé là, il y avait un piquer avec plusieurs personnes autour d’un brasero qui nous lance que nous sommes des briseurs de grève et nous ont appelé « les jaunes». Donc j’avais à peine douze ans, et on nous a appelé « les jaunes» signifi cations qu’à cette époque pour moi n’avait pas encore de sens, on nous a coupé le pneu avant du vélo, et on nous somme de rentrer chez nous. Cette période fut pour moi une des raisons de mon futur engagement militant.

2.3 Entre le peuple  amand et le peuple wallon, la CSC reste unitaire En juin 1961 à la suite du congrès national de Liège, le MOC wallon décide de tenir un congrès séparé d’avec le “grand frère” fl amand. Ceci est contraire aux statuts et ne manque pas de provoquer certains remous parmi les instances dirigeantes face à la poli- tique du fait accompli. Ceci étant, il n’y a pas de véritable opposition à cette procédure 81 lors du bureau national du MOC du 8 juin. Dès le lendemain, lors du comité fédéral de la CSC Mons-Borinage du 9 juin 1961, il est question du Mouvement Populaire Wallon créé par André Renard et de ce congrès spécial du MOC wallon. Jules Rasseneur met en garde contre ce mouvement et rejette le fédéralisme comme une utopie en Belgique. Floris Baudour et G.Sauvage préconisent l’attente et la vigilance à l’égard du MPW tout en le sous-estimant pas. Pour eux, il y a des problèmes wallons régionaux et non un problème wallon. Jean Bekaert relate qu’à la SNCB, le MPW trouve une audience de plus en plus grande auprès des agents. Louis Glorieux signale à plusieurs reprises que la CGSP-MPW est certainement désireuse de recommencer une grève générale sous peu. A son avis, il sera diffi cile de l’en empêcher. Dans le secteur des vicinaux, la plupart des syndiqués socialistes ont rallié la CGSP-MPW. Cette organisation dispose de beaucoup d’argent et s’en sert pour éviter toutes diffi cultés à ses membres. Les dirigeants portent l’étiquette socialiste mais la plupart sont en fait des communistes. R.André constate que le MPW vise surtout à s’organiser dans les secteurs SNCB-SNCV-Electricité, des secteurs clés qui paralysent quand ils ne fonctionnent pas. Il regrette la politique de la SNCB au cours de la dernière grève qui, en ne payant pas les volontaires a découragé les gens. Pour Jean Filbiche, les ouvriers ne sont pas pour la grève et on a tort de s’apeurer.

Le 6 septembre, lors du bureau national du MOC, le président André Oleffe annonce la couleur. Il dit avoir l’intention au prochain Congrès « de dénoncer la double appartenance (organisation du MOC-MPW) et il attend un .geste parallèle du côté de l’ACW vis-à-vis de la Volksunie; d’interpeller Léo Collard en lui demandant de prendre position vis-à-vis des extrêmistes révolutionnaires du MPW. Le parti socialiste reste-t-il ou non un partenaire valable27» Le congrès wallon du MOC se tient à Namur le 16 septembre 1961 est consacré aux problèmes économiques et démographiques de la Wallonie. La relation entre franco- phones et néerlandophones est également au cœur du débat. Il est bien entendu question du MPW vis-à-vis duquel certains, parmi les principaux dirigeants jouent la carte de la pru- dence, car les solutions fédéralistes sont défendues également par d’autres militants wal- lons que les renardistes. D’autant qu’un appel du pied est lancé par le MPW qui prône dès sa création l’ouverture en se proposant de ˝rassembler les forces travailleuses des régions wallonnes au moyen d’une union par la clarté’’ avec les travailleurs indépendants mais aussi les intellectuels, les médecins, les professions libérales. L’appareil de la démocratie chrétienne dans sa majorité ne cache donc pas son hostilité à l’égard du MPW. Mais des voix s’élèvent du côté du MOC de Charleroi notamment face à la voie défendue par Oleffe, à savoir qu’il faut d’abord adapter l’État avant le mouvement28. Oleffe, lui, n’y va pas par quatre chemins. Il déclare, lors du congrès wallon, qu’il est incompatible d’être membre des organisations ouvrières chrétiennes et en même temps du MPW29. Il prononce une

82 27 Archives André Oleffe(Louvain-la-Neuve, archives de l’UCL) pv de la réunion du 6 sep- tembre 1961 du bureau national du MOC. 28 Archives André Oleffe (conservées à l’UCL), MOC de Charleroi, note intitulée : « Les raisons du fédéralisme dans le Mouvement Ouvrier Chrétien», non datée (sans doute en 1961 vu la référence faite à certains événements décrits comme récent en particulier la loi unique). 29 « Les problèmes wallons», in Au Travail, n°36, 23 septembre 1961, p.1. exclusive catégorique à l’égard du mouvement animé par Renard30. Il s’en prend ouverte- ment et sans ménagement au leader syndicaliste liégeois qu’il accuse d’être « prisonnier de ses mythes et de ses extrémismes». Il refuse d’engager les démocrates chrétiens wal- lons « vers une soi-disant république qui ne serait autre qu’un État collectiviste, à la mode titiste poursuivant une politique intérieure n’ayant plus rien à voir avec le respect de la liberté et une politique extérieure dont les sympathies pour les pays de l’Est affaibliraient la Communauté européenne et ne seraient d’ailleurs par tolérées par elle. Le soutien du bloc de l’Est aux grévistes est ici utilisé contre Renard après la grève au point de le présenter comme un émule de Tito visant à instaurer une république populaire de Wallonie.»

Le modèle institutionnel préconisé par le MOC dès le début des années 60 va dans le sens d’une décentralisation et d’une déconcentration par le transfert de compétences limitées vers les provinces et vers des interprovinciales qui pourraient transcender la frontière linguistique31. La création d’un conseil des provinces wallonnes et des com- pétences accrues pour ces mêmes provinces sont ainsi proposées par le secrétaire général, Victor Michel, lors du congrès du MOC à Namur, le 16 septembre 1961. « Cette interprovinciale serait un instrument de regroupement, de contact, de cohésion, de représentation de la communauté wallonne, carrefour de toutes les forces vives de la Wallonie.» Ce réformisme très timide ne peut satisfaire les militants chrétiens à Char- leroi, Liège ou encore Bruxelles qui penchent pour une réforme de l’État dans un sens fédéral. Le contexte est diamétralement opposé au sein de la CSC, l’unitarisme est encore profondément ancré au début des années 60 même si la grève du siècle a créé des tensions. Le processus de régionalisation des structures y est beaucoup plus tardif qu’à la FGTB. Le positionnement unitariste du syndicat chrétien implique la défense d’un exercice paritaire du pouvoir central par les deux communautés dans des organes uniques. La CSC ne remet pas foncièrement en cause le provincialisme pour autant que l’interprovinciale soit dotée de pouvoirs réels et assortie d’une coordination effi cace. La réalité du terrain économique étant devenue défavorable à la Wallonie, la CSC lors de son congrès de 1962 reconnaît la nécessité de mesures spécifi ques prises par l’autorité centrale en faveur des régions qui se trouvent, d’une manière constante et prononcée, dans un état de déséquilibre ou de déclin.

Rénovation wallonne provoque des remous En juillet 1963, Floris Baudour signale que la question wallonne est une réalité et que la CSC n’a pas de position32. Du côté de la fédération de Mons, G.Sauvage a peu confi ance dans les dirigeants nationaux pour régler ce problème. Plusieurs membres soulignent que 83

30 Ce qui n’empêche pas Oleffe de participer ensuite aux ‘’causeries’’ de Renard sur le fédéralisme comme à Ottignies début février 1962. (Le Peuple,3 février 1962, p.5). 31 « Déclaration du congrès wallon du MOC», Namur, 16 septembre 1961, p.702. 32 ACSC Mons, pv du comité Fédéral du 5 juillet 1963. le rapport du MOC se fait attendre depuis de nombreux mois. En attendant rien ne bouge. L’une des questions qui provoque des tensions est constituée par les relations avec le mouvement wallon et en particulier avec Rénovation wallonne, un mouvement fédéraliste wallon fondé en 1945 par Robert Royer et soucieux d’affi rmer la place des catholiques dans le mouvement wallon. La Fédération décide à ce sujet de ne pas prendre position et « chacun est libre personnellement de s’engager à RW». Mais c’est sans compter sur la réaction des instances nationales du syndicat chrétien. Louis Dereau vient expres- sément faire état de l’inquiétude de la CSC à propos de la fédération de Mons. Il est désagréablement surpris de l’action de la Fédération doublée d’une consonance politique par son adhésion à l’action de Rénovation wallonne, adhésion quasiment offi cielle. Suite au communiqué et à la motion du MOC approuvée par le Comité fédéral de la CSC, c’est un véritable problème car l’action de la CSC Mons a été décidée sans l’accord de la CSC. Déreau trouve sain à titre personnel que la fédération s’occupe des problèmes wallons mais sans compromettre le mouvement syndical chrétien. Or, il y a le MOC qui a pris en charge les problèmes spécifi quement wallons. L’acte de Mons est un camoufl et infl igé au MOC. Le MOC s’occupe encore des problèmes wallons. Pour Dereau, « Il n’y a aucun motif de nous compromettre avec RW. Le jour où RW prendra des positions contradic- toires, le mouvement syndical sera compromis. Le MOC a tenu un congrès à Namur. Il n’y a pas de motif pour le renier. Il faut respecter les statuts. Si le mouvement est défi cient, c’est à lui qu’il faut le dire. Si la fédération de Mons va plus loin, la CSC décline toute responsabilité de la suite. Si on n’est pas content, il faut le dire au MOC et c’est au sein du MOC qu’il faut solutionner les problèmes.»

Parmi les dirigeants de la Fédération, on n’analyse pas les événements de la même façon. Pour Jean Saucez, l’affi liation pour Rénovation wallonne est obligatoire car les socialistes sont actifs pour le MPW dans son entreprise. Floris Baudour réplique à Dereau que le Comité régional n’a jamais pris de décision vis-à-vis de RW et est donc ainsi dégagé de toute responsabilité. Il reproche la visite des nationaux de la CSC qui viennent uniquement lorsqu’il est question de l’humilier et ce devant ses collègues. « Le personnel et les coti- sations de la fédération n’ont pas été engagés pour aider RW. C’est un stagiaire qui a mis sous enveloppe et l’impression des circulaires a été statutairement payée. Le Congrès du MOC vieux de deux ans est dépassé. L’attitude de la CSC en Wallonie est diverse de la Flandre.» Baudour cite une traduction du journal syndical fl amand stigmatisant l’attitude des députés fl amands qui ont refusé le projet linguistique sur Bruxelles en déclarant que les travailleurs fl amands sont avec eux. Il signale que le président Cool n’a pas eu la même 84 attitude que Louis Dereau à Liège en ne prêchant pas l’union des travailleurs fl amands et wallons lors de son discours au congrès de la centrale du Bâtiment. Floris Baudour conclut en déclarant qu’un seul but le guide : la défense de la Wallonie.

Dereau n’en démord pas. L’article cité n’a rien à voir dans cette affaire, selon lui. Dereau se dit étonné que le secrétaire [Floris Baudour] agisse sans être couvert par le comité. « Le devoir du comité est de rectifi er le tir. Quand on possède un nom et une fonction, on ne se possède plus. Cela ne peut plus continuer de la sorte. Il faut couper court. Il ne faut pas brûler ce qu’on a adoré et adorer ce qu’on a brûlé. Si la CSC Mons estime ne plus être à sa place à la CSC, qu’elle la quitte. Une erreur est pardonnée mais elle ne doit pas être maintenue. C’est l’unité des travailleurs avant tout et comment la fédération de Mons peut-elle le faire à elle seule pour toute la Wallonie? Sans garantie dans l’action wallonne, où irons-nous? Que faire alors pour se faire respecter?» Si pour Floris Baudour, dans la situation actuelle, il n’y a pas de statuts qui tiennent, Dereau considère au contraire qu’il s’agit d’une indiscipline qu’il estime très grave. Il faut abandonner l’action dans RW.

Le débat se poursuit lors du comité fédéral du 23 août 1963. Une circulaire de la pro- pagande de RW a été signée par plusieurs membres permanents de la Fédé et par le Président. Dereau rappelle les résolutions du congrès de 1953 concernant l’engage- ment politique des permanents. Le danger de s’engager dans un mouvement « où nous n’avons rien à dire» est souligné par Dereau. « La CSC devant ce problème fl amands-wal- lons garde toute sa sérénité. Elle ne désire pas que la division vienne dans le mouvement syndical et garde le souci de l’unité. Si la CSC laissait faire la Fédération de Mons sans réagir, cela équivaudrait à laisser la porte ouverte à toutes les fédérations wallonnes de suivre et également les fédérations fl amandes. Il y a assez de divisions regrettables dans les centrales, inutile de les créer là où elles n’existent pas.» Dereau insiste par ailleurs sur le fait que la CSC est impartialement au- dessus des querelles linguistiques. « Le MOC n’a aucun ordre à donner à la CSC, celle-ci gardant son autonomie pleine et entière. Le MOC de Mons s’est donné un camoufl et en remettant à une autre organisation le soin de faire son boulot.» Dereau demande au président Jules Meurice si la Fédération va conti- nuer à se compromettre avec RW. Il souhaite que le CF dise aux signataires de s’arrêter là et que toute action RW cesse? « S’il y a des reproches et des désirs à formuler au sujet de la situation économique du Borinage, il faut le faire à l’intérieur du mouvement.»

Pour Meurice, RW n’est pas un mouvement politique. L’Abbé François se demande pourquoi il est admis par la CSC de militer dans les comités régionaux du PSC et pas à RW. La fonction n’engage pas l’homme, car dès lors où est encore la liberté individuelle. Baudour souligne que les Flamands ne regardent pas aussi près. Il cite des exemples : S. Mot, bourgmestre de Dilbeek, commune contestée. H. Van Steenberghe, président du CP Flandre occidentale. Lebrun signale le cas de plusieurs collègues des services publics qui occupent un poste ou un mandat important dans le parti politique. Pour Dereau, il y a une option à prendre. C’est la tâche du MOC. Mais pour Baudour, le MOC 85 wallon n’a pas pu faire aboutir les revendications wallonnes. Sur le plan matériel, il est brimé par la majorité fl amande. Pour JM Bodson, si RW a été créé dans le Borinage, c’est à cause de l’inertie du MOC. « Le MOC du Borinage a essayé de poser les pro- blèmes mais il n’a pu faire l’unité sur les problèmes wallons. Le MOC a manqué à sa tâche. De ce fait, il faut aller ailleurs.» Finalement, Dereau se déclare d’accord que des militants militent à RW mais pas les permanents. En fait, la circulaire a fait plus de bruit à Bruxelles que dans la région. Pour Dereau, la CSC veut à l’avenir 1° plus de compromission (fi chier personnel etc) 2° que la Fédération ne s’engage pas à RW par les signatures de Jules Meurice et Floris Baudour 3° qu’il y ait accord avec le MOC pour faire une étude sérieuse de la situation économique du Borinage. Pour Dereau, si Baudour continue à militer pour RW, il sera désavoué. Floris Baudour demande alors au CF de se prononcer si la fonction de secrétaire fédéral est compatible avec le fait de faire partie de RW. Oui ou non et il demande le vote. Le résultat du vote est 11 oui, 3 non et 9 abstentions. Pour Meurice, il est clair à la suite de ce vote que chaque individu peut prendre et jouir de sa liberté d’homme. Dereau déclare que la CSC se garde le droit de juger les actes de la Fédération de Mons.

2.4 Les travailleurs sont inquiets : un long hiver social se prépare Les années 1966 et 1967 annoncent la couleur du changement. Des manifestations ont lieu un peu partout en Wallonie avec les organisations syndicales qui sont en première ligne pour affi rmer la nécessaire solidarité et collaboration des régions wallonnes. Parmi les manifestants, on retrouve des sidérurgistes qui s’inquiètent pour l’avenir de leur industrie après avoir signé le deuil de nombreux charbonnages avec leurs camarades mineurs. Sur le plan économique et social, avec en ligne de mire l’emploi, la situation se détériore pour les bassins industriels wallons au milieu des années 1960. Dans le Centre, Boch et 3.300 travailleurs constituent un peu l’arbre qui cache la forêt. Après la faillite de l’usine Gilson en septembre 1965 qui laisse 785 ouvriers à la rue, un épisode important de l’histoire ouvrière de la région du Centre se déroule au sein de l’usine Anglo-Germain deux ans plus tard avec un confl it majeur qui semble sonner la fi n de l’immobilisme avec comme prémisse, le 18 février 1967, la conférence économique et sociale du Centre qui voit le jour.

Au printemps 1967, l’entreprise Anglo-Germain, active dans les fabrications métalliques et qui produit du matériel ferroviaire, est considérée comme étant en sérieuse diffi culté par ses patrons qui envisagent de restructurer. Les travailleurs vont contester cette décision et ils décident d’occuper l’usine jour et nuit pendant 17 jours, du 16 mai au 1er juin 1967. Cette action lancée par près de 400 travailleurs est appuyée par les directions syndicales unies en front commun, ce qui traduit le point de tension qui habite la région du Centre. C’est presque une première dans la région. « Dans la région du Centre, le front commun n’existe pas ou très rarement. Au plan culturel, les socialistes, ce sont ceux qui ont mené 86 historiquement le combat ouvrier. Les militants de la CSC étaient appelés les « mangeux d’osties» et étaient considérés comme des callotins. Le rôle des curés a longtemps été importants et les paroisses étaient plutôt de droite33.»

33 Interview de Marcel Sommeryns, le 27 avril 2011. Le 8 mai, une manifestation dans les rues de La Louvière réunit 20.000 manifestants. Au sein de la CSC, c’est René Goessens qui mène le combat en faveur des Ateliers Anglo-Ger- main. Un vaste mouvement de solidarité va se manifester à travers le pays et même venant de l’étranger. Au plan régional, l’écho est certain avec le secteur de la métallurgie qui se met en grève le 22 mai. Une mobilisation importante de la population se produit avec comme point d’orchestre un grand rassemblement le 30 mai 1967 lorsque 20.000 per- sonnes manifestent dans les rues de La Louvière contre la fermeture de l’usine et pour la reconversion de la région. L’usine ferme fi nalement ses portes en février 1968 après une période d’activité réduite qui n’aura pas permis de sauver les meubles. Les travailleurs n’ont pas tout perdu car ils ont obtenu un plan de reclassement, l’un des premiers du genre. Ils obtiennent également la création d’un comité de vigilance chargé de détecter à temps les entreprises en diffi culté tout en activant la promulgation d’une nouvelle loi sur les fermetures d’entreprises qui devient effective en 1968. Mais à ce moment, l’inquiétude est de nouveau palpable autour du sort de BMC à Seneffe. Les travailleurs vont exiger plus que jamais que des mesures de reconversion soient prises à l’égard de la région étant donné le déclin industriel qui s’accélère.

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Partout en Wallonie, des fronts communs vont se constituer au plan syndical dans la se- conde moitié des années 1960 pour revendiquer la reconversion de la Wallonie. A Mons, on ne demeure pas en reste. Le 20 octobre 1967, la constitution d’un front com- mun entre la CSC et la FGTB semble en bonne voie. Il se maintient jusqu’en 1970 comme dans d’autres régions du pays avec comme but principal la promotion et la défense de l’emploi. La manifestation du 20 novembre est un succès mais si l’on regrette le peu d’appui reçu de la CSC nationale. L’objectif du mouvement était d’attirer l’attention sur l’importance de l’emploi pour la région. L’activité de ce front commun est toutefois en souffrance au printemps 1968 en raison de l’absence de gouvernement. Le 26 avril 1969, un grand ras- semblement régional du Front commun se déroule au Vauxhall avec 600 participants et 30 orateurs présents. Et avec un retentissement dans la presse à la clé bien que la propagande n’ait pas été suffi sante aux yeux de la CSC qui regrette le manque de cohésion de la FGTB entre la Fédération régionale et les Centrales. Le 1er mai, une grande manifestation a lieu à Mons mais elle ne peut empêcher un lourd constat sur le manque de sensibilisation des travailleurs.

La création de la conférence économique et sociale de la région de MB en mai 1969 marque une nouvelle étape de la mobilisation à Mons-Borinage avec la constitution d’une commission permanente de 21 membres (6 syndicalistes/6 organismes économiques patrons/1 de chaque parti polit/2 de l’IDEA/ 1 de ville de Mons. Un congrès des forces vives de la région qui s’est tenu le 26 avril 1969 contribue à un rapprochement des posi- tions entre les travailleurs chrétiens, socialistes et communistes. L’heure est à la constitu- tion d’un front de gauche comme l’indique le discours du président du PSB, Léo Collard, qui est par ailleurs bourgmestre de Mons, lors du 1er mai. Il lance à cette occasion un appel au rassemblement des progressistes dans l’idée d’associer surtout les démocrates chrétiens. Sous l’impulsion du bourgmestre communiste de Cuesmes, René Noël, cela se traduira par la constitution d’un Groupe politique des Travailleurs chrétiens (GTPC) dans lequel on retrouve des dirigeants du MOC, des militants chrétiens34 et le leader de ce GTPC naissant Josse Gilquin, délégué syndical CSC aux chemins de fer et vicinaux et vice-pré- sident national des Équipes populaires. Tous militent en faveur du fédéralisme qu’ils voient comme une solution indispensable pour rénover la Wallonie et le Borinage35. Cette alliance improbable avec les chrétiens de gauche prometteuse au départ ne débouche que sur de maigres résultats en termes de modifi cation de la scène politique montoise.

Si la période 1961-1973 a permis le développement de nouvelles entreprises compensant en partie les pertes d’emplois subies dans les secteurs traditionnels, les pouvoirs publics sont de plus en plus mis sous pression pour rendre l’environnement plus favorable à l’arri-

34 Parmi ces militants, on relève entre autres les noms de Floris Baudour, Louis Boulvin, 89 Roger Chevalier, Edouard Culem, Freddy Dramaix, Georges Liénard, Pierre Moreau, Robert Moucheron, Julien Rasseneur, Fernand Riche. 35 Maerten, F., « René Noël et l’union démocratique et progressiste (1971-1982). À la re- cherche d’un autre communisme dans un Borinage en crises», in Cahier d’Histoire du Temps Présent, n°15, 2005,p.446. Un mensuel S’unir. Point de rencontre régional des progressistes sera lancé mais il ne connaîtra qu’une brève existence. vée de nouveaux investisseurs. Cette relance est pour le moins fragile car la majeure partie des investissements réalisés s’appuient sur des fi rmes multinationales qui font surtout appel à une main d’œuvre féminine bon marché largement disponible dans une région où le revenu par habitant se situe, en 1970, au niveau le plus faible du royaume36.

2. 5 Les Fédérations se mobilisent face à la crise Fin 1972, le comité national de la CSC décide la création d’un service des conseils d’en- treprise et des comités de sécurité et d’hygiène qui sera pris en charge par un permanent national et cinq permanents nationaux. À Mons, c’est Jean-Paul Flament qui est chargé de prendre en charge ce service ainsi que la formation.

La crise de l’énergie qui est enclenchée par le confl it du Moyen-Orient entre Israël et les Pays arabes met au grand jour la dépendance des pays européens et du Japon au point de vue énergétique. Dans le cas de la Belgique, la prise de conscience de l’importance du secteur de l’énergie en découle et de la nécessité de ne pas dépendre d’une seule source. Le comité national de la CSC insiste face à cette situation sur l’approvisionnement des petits consommateurs et sur la sauvegarde de l’emploi par l’approvisionnement en pétrole des entreprises dépendantes de cette source d’énergie. La CSC demande une politique globale de l’énergie et que des mesures soient prises pour contrôler les fi rmes multina- tionales afi n que la lutte anti-infl ation ne les favorise au détriment des plus pauvres. Une réelle politique de prix doit être instaurée. À Mons, les dirigeants de la CSC réfl échissent à une ré-exploitation éventuelle des mines de charbon alors que le programme de ferme- ture des charbonnages doit se terminer en 1980. On est conscient que c’est la fi n d’une époque en quelque sorte « Il est temps que nous nous rendions compte que l’ère pétro- lière va sur sa fi n. Notre approvisionnement dépend de fi rmes multinationales qui ont le monopole de la production et de la distribution (…). On pourrait imaginer de remplacer le pétrole par le gaz naturel. Pour cette réserve d’énergie, la Belgique dépend de la Hollande. Or, les hollandais connaissent des restrictions plus importantes de pétrole que les autres pays du Marché commun. Quelle va être leur stratégie ? Et quelle va être l’attitude des pays membres de la CEE vis-à-vis de la Hollande 37»

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36 Maerten, F., « René Noël et l’union démocratique et progressiste (1971-1982). À la re- cherche d’un autre communisme dans un Borinage en crises», in Cahier d’Histoire du Temps Présent, n°15, 2005, p.438. 37 ACSC MB, pv de la réunion du comité fédéral du 27 décembre 1973. 40 ans plus tard, la crise est toujours bien présente même si elle est d’une autre nature. Mais les travailleurs sans emploi ne baissent pas pour autant les bras. Interpellation devant le siège de l’ONEM des TSE le 20 mai 2009. Au milieu de l’année 1974, le chômage s’est répandu comme une trainée de poudre dans des grandes entreprises de la région montoise comme Aleurope, Tubes de la Meuse ou Bell Téléphone. Sur un plan général et dans une plus longue perspective, le nombre d’em- 91 plois industriels à Mons-Borinage est passé de 25.858 en 1973 à 17.383 en 1982 et 10.914 en 199538. Le patronat a des stocks en réserve et peut donc laisser la situation se décanter alors que la FGTB appelle à la grève pour le 11 octobre 1974.

38 Maerten, F., René Noël…op.cit, p. 438. Aujourd’hui, la problématique des services publics qui ont connu une libéralisation profonde a sensiblement évolué depuis les années 1990 à l’image de la Poste et de ses nouvelles pratiques managériales Le développement des services publics vient compenser en partie le désinvestissement industriel avec une croissance conséquente du secteur tertiaire entre 1973 et 1985, soit de 36.678 à 42.007 personnes employées. Mais les services publics ne constituent pas loin de là la solution miracle en matière d’emploi. Et aux yeux de certains dirigeants, l’im- portant est toutefois de concrétiser les propositions de redéploiement économique et social de la région: « il faut que les travailleurs voient, sentent comment les problèmes évoluent, 92 quelles sont les mesures qui sont prises et quelles sont les résultats ?39» ?

39 ACSC MB, pv de la réunion du comité fédéral du 19 décembre 1975. Chapitre 5 - Entre crise économique et sociale et fusion: vers de nouvelles approches syndicales, de nouvelles générations de militants et une nouvelle fédération (1973-1993) Le contexte qui encadre les débuts de cette nouvelle période peut être dressé sur divers plans. Au plan politique tout d’abord, il est marqué par la signature d’un Accord communautaire en 1970 instituant deux conseils culturels et quatre régions. Cet événement inaugure une longue série de réformes nous conduisant vers la fédéralisation du pays et la constitution d’un État de plus en plus fédéral. En 1980, la Belgique devient un État fédéré composé de trois com- munautés et trois régions qui possèdent une série de compétences relatives aux personnes et sur le milieu régional avec la région bruxelloise placée sous tutelle de l’État central.

Section 1 - Une période marquée du sceau de la crise et par des mutations profondes Les défi s à court et à moyen terme ne sont pas minces. Au premier rang, on retrouve les troubles monétaires qui se traduisent par un fl ottement de plus en plus déstabilisateur des monnaies européennes face au dollar américain en grande partie redevable au retrait des États-Unis du système monétaire international en 1971. Les accords de la Jamaïque en 1976 débouchent certes sur la mise sur pied d’un nouveau système monétaire inter- national, ce qui conduit les Européens à rechercher les moyens de réduire les désordres monétaires en cherchant à réaliser une approche commune entre États membres. Mais le système de Bretton Woods hérité de la Seconde guerre mondiale a définitivement vécu. Le système monétaire international qui a prévalu de 1944 à 1971 a été décidé par les représentants de 44 pays lors de la conférence s’étant tenue à Bretton Woods au nord-est de Boston aux États-Unis en juillet 1944. Ce système se caractérisait par un régime de changes fi xes ajustables assis sur l’or et centré sur le dollar américain, en réaction aux errements monétaires de l’entre-deux guerres qui avaient précédé (alternance des régimes monétaires, dévaluations disproportionnées, crises de change, etc.).

1.1 Un contexte morose et un modèle néo-libéral de plus en plus dominant Au rayon économique, un fait se dégage nettement parmi beaucoup d’autres, à savoir le premier choc pétrolier de 1973 inaugurant une crise conjoncturelle de l’énergie se transfor- mant à partir de 1975-76 en une crise structurelle qui va couper les ailes aux économies 93 européennes qui avaient cru à tort au paradis éternel des « Trente Glorieuses». La facture énergétique va générer une spirale infl ationniste qui, non contente de déséquilibrer les balances des paiements, va frapper la production industrielle. C’est l’emploi qui va écoper et le chômage massif avec ses conséquences sociales désastreuses va devenir un fl éau permanent. Face à la récession, le « sauve qui peut» constitue la règle avec un retour du protectionnisme et du réfl exe nationaliste. Le nombre de chômeurs va effectivement connaître une courbe ascendante de plus en plus inquiétante qui tranche avec la période de plein emploi qui a caractérisé la décennie précédente. Le chômage ne se stabilisera qu’au milieu des années 1980 alors que les gouvernements successifs vont miser sur des plans de résorption pour le combattre impliquant des prépensions, des stages d’attente de plus en plus longs, le recours aux sous-statuts. Dès le milieu des années 1970, la réponse du mouvement ouvrier prendra forme autour notamment de luttes ouvrières, des occupations d’usines et des expériences d’autogestion, autant de pratiques syndicales sur lesquelles nous reviendrons. Au plan régional, la mobilisation s’organise également avec par exemple en février 1975, la création d’un comité de vigilance et d’intervention pour la défense de l’emploi à Mons à l’initiative de Jean Filbiche. Ce comité a pour mission de contrôler la situation régionale de l’emploi, d’intervenir rapidement en cas de fermeture d’entreprises ou de licenciements collectifs, d’interpeller les pouvoirs publics sur la politique régionale de l’emploi, de rechercher de nouveaux modes d’action, de concrétiser le plan d’urgence de la CSC. De même la gestion du chômage semble prendre un nouvel accent. Confrontée au débat sur la suppression du pointage journalier, la majorité du comité fédéral de Mons s’y montre favorable. L’attention est en même temps attirée sur la réaction des travailleurs chez qui une mentalité anti-chômeurs se développe depuis plusieurs mois. L’organisation syndicale devrait être plus attentive encore à l’information et à la sensibilisation des travail- leurs concernant les chômeurs. Au-delà des travailleurs, il y a l’opinion publique qui est loin d’être favorable aux chômeurs. Le problème du contrôle des chômeurs reste posé étant donné l’importance du travail au noir1. Quels moyens développer pour que ce contrôle soit effi cace? Pourquoi ne pas remplacer le système de pointage par un système généralisé de formation et d’information des chômeurs? Pour la CSC de Mons, la suppression du chô- mage journalier implique la nécessité encore plus urgente pour les organisations syndicales d’organiser les chômeurs en comités de chômeurs car ceux-ci seront encore plus isolés.

La restructuration du capital à l’échelle mondiale se fait ressentir dans la deuxième partie des années 1970. Après la crise du secteur du textile, du verre et les restructurations couplées aux pertes d’emploi qui l’accompagnent, la fermeture de sites sidérurgiques dans les années 1980 marque la fi n d’un cycle industriel dans lequel le Borinage et le Centre ont joué un rôle de premier plan. Plusieurs manifestations nationales et européennes des sidérurgistes marqueront les esprits dont une, en particulier, en 1982 à Bruxelles. Aucune reconversion digne de ce nom ne réussira véritablement à inverser la tendance à l’époque. L’État est lui-même de plus en plus ébranlé dans ses fondements avec des dépenses qui 94 grimpent en fl èche et des recettes qui diminuent dans le même temps. Des plans d’assai- nissement et d’austérité dans les années 1980 sous les gouvernements social-chrétien- libéral Martens-Gol frapperont lourdement les allocataires sociaux et les personnes les plus fragiles et conduiront à une remise en cause de plus en plus forte des services publics

1 ACSCM, pv du comité fédéral du 1 juin 1978. poussée par le new management de Margareth Thatcher. En 1982, le gouvernement fait ainsi usage des pouvoirs spéciaux pour bloquer les salaires, limitée l’indexation et prendre diverses mesures budgétaires lourdes de conséquences pour le monde du travail.

« C’est durant cette période que certaines personnes ont construit un mur devant les portes la CSC de La Louvière. En arrivant un matin, il y avait un mur de béton qui emmurait la grande porte d’entrée, qui a d’ailleurs été fait par des gens dont certains affi liés à la CSC et d’autres proche de la mouvance de gauche, mais non pas anti-CSC. Je ne sais pas ce qui leur a pris à l’époque, maintenant on sait qui étaient tous ces gens et donc je me souviens qu’on a passé deux nuits à l’intérieur des murs de la fédération. On dormait par terre sur des matelas de camp, des lits de camp ou des matelas de matelas de fortune. Je me souviens aussi pendant cette période de Martens-Gol, il y avait des manifestations de la FGTB, pas toujours en front commun. Nous étions souvent d’accord sur les constats et les objectifs mais pas souvent sur la méthode On a eu d’autres périodes où on a été beaucoup plus pro-actifs à La Louvière et on a mené beaucoup plus loin les actions, notamment au niveau des trains spéciaux, mais je me souviens que lorsque certains cortèges de la FGTB passaient devant la fédération. Ils mettaient le feu aux poubelles qui étaient devant la porte d’entrée. Parfois on téléphonait et il y avait un alerte à la bombe, donc il fallait sortir. C’étaient des périodes un petit peu chahutées.»2

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Les jeunes CSC mènent une action originale pour l’emploi sur le canal du centre dans les années 1990.

2 Interview de Philippe Watrin, le 15 février 2013. La Belgique connaît depuis le milieu des années 70 un phénomène accentué de désin- dustrialisation ou de tertiarisation de l’emploi. Si l’année 1975 est bien celle de la rupture dans ce domaine, amplifi ée en cela par les retombées des chocs pétroliers, un autre phé- nomène est à l’œuvre depuis le début des années 1980: la déconnexion entre les profi ts et l’investissement des entreprises. L’un des réponses syndicales est de s’organiser au plan européen et international. La CSC fut l’un des moteurs de la création de la Confédération syndicale internationale (CSI), une nouvelle organisation fondée en 2006 par les anciennes coupoles syndicales CMT et CISL. Mais bien avant, il y a donc la création de la CES qui intervient en 1973 lors du congrès des 8 et 9 février 1973 à Bruxelles. Les objectifs que se fi xe la nouvelle organisation sont de nature générale. L’idée d’une promotion d’une Europe politique intégrée constitue l’idéal d’une partie des membres comme le DGB (Alle- magne), FO (France) ou les syndicats du Benelux mais elle n’est pas partagée par tous, d’autres à l’instar du TUC et de syndicats nordiques insistant davantage sur la notion de groupe d’intérêt. La CES doit faire preuve d’emblée d’une solide dose de pragmatisme pour maintenir une unité de vue et d’action au plan interne. Le premier congrès de la nouvelle confédération se déroule dès le lendemain, le 9 février et une délégation de l’organisation européenne de la Confédération mondiale des travailleurs (O.E/C.M.T) y participe en tant qu’observateur au nom des syndicats chrétiens dont la CSC. Un accord tombera fi nale- ment après un an supplémentaire de discussion, le 7 mars 1974, entre l’O.E/C.M.T et la CES autour de l’affi liation à cette dernière des confédérations nationales membres de la première. Ce processus d’affi liation est ratifi é par le premier congrès en exercice de la CES qui se tient à Copenhague du 23 au 25 mai 1974.

A partir des années 1990, la globalisation va redessiner le paysage en portant aux avant- postes de nouvelles puissances économiques comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie. Grâce à des coûts de production et surtout salariaux largement inférieurs aux standards européens et une protection sociale réduite à sa plus simple expression, les entreprises de ces pays deviennent des concurrents redoutables pour les entreprises belges. En Bel- gique précisément, le marché du travail se transforme profondément avec la diminution sensible de l’emploi industriel et ouvrier face à un secteur tertiaire en pleine progression. Les femmes prennent de plus en plus de place sur le marché de l’emploi et de nouvelles pratiques de management et de nouvelles méthodes de travail vont modifi er en profondeur la vie du personnel dans les entreprises.

96 En ce XXIe siècle, les problèmes spéci quement féminins sont loin d’avoir disparus sur le marché du travail comme nous rappelle cette action des Femmes CSC sur la petite enfance

0.2 Le syndicalisme sur la défensive Le syndicalisme est clairement sur la défensive et la CSC n’échappe pas à la règle. Obliger de se battre en permanence pour préserver les acquis sociaux menacés par les récessions économiques qui succèdent de plus en plus aux relances de la croissance, le mouvement syndical va faire du maintien de la sécurité sociale, de la préservation de l’indexation des salaires et des prépensions des objectifs prioritaires de son action.

Les entreprises tentent de restaurer leurs marges bénéfi ciaires antérieures avec l’intro- duction massive de nouvelles technologies. Pour accroître la rentabilité, elles exigent des 97 travailleurs une grande fl exibilité. Le travail en équipes, le temps partiel sous ses multiples formes et toutes sortes de sous-statuts se développent. Dans les années 1980, l’avant-garde syndicale traditionnelle des ouvriers de l’industrie est éclipsée par une prise de conscience et une combativité plus grande dans des groupes de travailleurs jusqu’alors moins actifs dans le mouvement syndical: ceux des services publics, de l’enseignement et des secteurs sociaux.

En 1987, un accord interprofessionnel est à nouveau conclu après dix ans d’interruption. À cette époque, la CSC marque ses distances vis-à-vis de la politique gouvernementale. Dans le même temps, les contacts et les démarches communes avec la FGTB s’intensifi ent.

Au début des années 90, l’activité économique se détériore à nouveau et le gouvernement poursuit sa politique d’assainissement budgétaire. La CSC est d’accord avec les objectifs poursuivis, mais ni avec les moyens ni avec les délais que le gouvernement veut imposer.

À l’automne 1993, la négociation d’un nouveau pacte social échoue. Le gouvernement élabore un plan global qui provoque le plus important mouvement de grève depuis 1960. Face au plan global, la CSC élabore alors son propre projet pour l’avenir, axé sur l’emploi, la sauvegarde de la sécurité sociale et la justice fi scale. Ce plan pour l’avenir reste, à ce jour, le fi l conducteur de l’action de la CSC.

1.3 La dynamique régionale: entre résignation et volonté de s’en sortir Trois dates de référence, trois grands moments dans la vie socioéconomique de la région de Mons ont traversé la période 1975-1985. Il s’agit de la fermeture de Siemens, qui a donné lieu à une occupation de cette entreprise par les travailleurs de plus de quatre mois. Ce fut là un premier combat qui a marqué cette génération de militants. Un deuxième combat important fut celui de l’entreprise Salik à Quaregnon, avec une expérience d’au- toproduction qui va concerner plus de mille personnes, mille femmes plus exactement. Le résultat en sera une activité d’autoproduction de jeans, avec création d’une coopérative de production et de vente. Et enfi n, on ne peut passer sous silence la fermeture des Laminoirs de Jemappes, dans les années 1980, 1981, 1982 qui va occuper l’actualité régionale et nationale durant toute cette période de crise de la sidérurgie européenne.

98 A la n des années 1970, l’occupation et la reprise de l’activité de la société Salik par son personnel majoritairement féminin représenta un moment fort de la vie sociale de la région.

99 La région du Centre est, elle aussi traversée par des moments forts qui ont marqué la mémoire ouvrière surtout dans les années 1990 avec une nouvelle vague de restructura- tion de la sidérurgie qui va la frapper en plein coeur. En tête de liste, on pense bien entendu à l’entreprise sidérurgique Boël. Mais il y a également les restructurations subies dans le secteur du textile à Binche par exemple. Mais le regard que l’on porte sur cette période doit être plus largement panoramique et nous conduire un peu plus loin dans le temps.

Au début des années 1970, la ville de La Louvière reste, malgré la récession écono- mique qui la frappe comme toute la Wallonie, un centre industriel très important qui occupe plus de 8000 travailleurs dans des entreprises comme les Usines Boël, les Laminoirs de Longtain, les Usines Boulonneries et Étirage, la faïencerie Boch Frères ainsi que dans toute une série de petites et moyennes entreprises. La Louvière compte six grands complexes commerciaux et près d’un millier de magasins spécialisés qui lui assurent un équipement commercial comparable, en qualité, à celui de villes importantes comme Bruxelles. Ses trois marchés hebdomadaires, ses fêtes traditionnelles comme son populaire Carnaval, sa grande foire commerciale et industrielle contribuent égale- ment au développement commercial qu’un Hall des expositions viendra renforcer. La vie culturelle autour du Théâtre communal et du Centre Culturel est particulièrement riche comme la vie sportive est intense, forte des 47 groupements sportifs qui ont leur siège à La Louvière. Un équipement sanitaire et un enseignement qui accueille tous niveaux et réseaux confondus plus de 10.000 élèves vient compléter ce tableau plutôt encourageant. Bref, une ville qu’un document du Ministère de l’intérieur d’août 1972 situe parmi les unités urbaines d’un niveau élevé après les grandes agglomérations comme Bruxelles, Anvers, Gand, Charleroi, Liège et qui joue un rôle d’animation régionale3. Ce plan Costard déjà évoqué, prévoyait d’ailleurs la création de l’arrondissement administratif du Centre.

Un autre projet prôné par le professeur Sporck de l’Université de Liège et défendu par Emile Vaes, gouverneur du Hainaut prévoyait une métropole tripolaire, Charleroi-La Lou- vière-Mons dotant ainsi la Wallonie d’une deuxième métropole après Liège. Ceci étant, dans la région du Centre, on avait l’impression d’être sacrifi é par les projets ministériels sur la fusion des communes entre l’agglomération de Charleroi et ses 235.000 habitants et le Grand Mons restructuré et ses 110.000 habitants.

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3 Conseil communal de La Louvière, séance du 23 novembre 1972, Contribution à l’étude du projet de regroupement des communes dans la région du Centre, p.40. La réduction du temps de travail sera une revendication phare pour la CSC interprofes- sionnelle dans les années 1980 à l’image de la fédération du Centre Les luttes sociales à Mons comme à La Louvière s’inscrivent dans un environnement en mutation qui se traduit notamment par une nouvelle architecture politique et institutionnelle au niveau local. L’acteur syndical ne pourra pas y échapper pour tenter d’atteindre ses buts immédiats et à plus longue échéance. La Belgique est en effet devenue un État commu- nautaire et fédéral. Une réforme profonde qui s’inscrit dans la reconnaissance de l’autono- mie culturelle des communautés et l’établissement des structures régionales. Le problème du regroupement des communes vient complexifi er la donne. Il n’est pas nouveau puisqu’il s’est déjà posé avant 1940 et fut évoqué durant la guerre. Roger Roch, ancien échevin de La Louvière soumet notamment en mai 1943 une note sur la suppression des provinces et la fusion des communes au gouvernement belge en exil à Londres4. Des décisions fon- damentales vont être prises en matière de restructuration des communes dans les années 1970 avec en point de mire, la fusion des communes de 1976. La Belgique qui comptait encore 2.359 en 1972 contre 913 aux Pays-Bas par exemple va changer profondément de visage au niveau local, certains articles de la Constitution sont modifi és par y introduire le principe de la création des agglomérations et des fédérations de communes5.

4 Cette note fut plus précisément soumise à la commission belge pour l’étude des pro- 101 blèmes de l’après-guerre. 5 Il s’agit de la révision de la Constitution du 20 juillet 1970 (articles 110 et 113) et du 24 décembre 1970 (insertion des articles 108bis et 108ter). On peut ajouter la loi du 23 juillet 1971 relative aux fusions de communes et aux modi cations de leurs limites terri- toriales ainsi que la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes. Section 2 - Les fédérations de Mons et de La Louvière en ordre de bataille face au changement Au plan général, plusieurs événements ont une infl uence sur la vie des fédérations hen- nuyères. En 1973, la CSC lance une campagne pour les crédits d’heure et le 6e accord national interprofessionnel apporte la semaine des 40 heures, une quatrième semaine de congés payés, le salaire mensuel garanti. Cette période marque aussi le début d’une campagne en faveur de l’humanisation du travail. Le MOC se prononce pour le pluralisme politique en cette année 1973. En 1975, ce sera l’égalité de traitement homme femme qui franchira un pas important avant l’échec des pourparlers professionnels de 1976 lorsque le patronat demande de revoir la liaison automatique des salaires à l’index alors que les syndicats réclament une diminution de la durée du travail dans un plan de réduction du chômage. La concertation est grippée.

« Alors, ce qui s’est passé, en tout cas, entre les années 1970 et aujourd’hui, c’est que le politique a pris beaucoup plus le pas qu’avant sur les décisions. La concertation sociale, me semble-t-il donnait plus de résultats avant d’une part parce qu’on était en période de croissance et donc quand tout va bien on fait des concertations importantes au niveau des entreprises et des secteurs et on sait trouver des arrangements importants au niveau des différents comités de gestion de la sécurité sociale. Et d’autre part tout le problème de notre capacité aujourd’hui à mettre en place un rapport de force suffi sant est posé. Ce qui se passe actuellement c’est que de plus en plus; le politique soit anticipe les choses sans concertation, et donc décide de manière unilatérale6»

2.1 De nouveaux champs d’action syndicale Dès le milieu des années 1970, la CSC va mobiliser ses forces pour la défense de l’emploi et du pouvoir d’achat des travailleurs; Des sillons nouveaux vont être tracés pour tenter d’inverser la tendance ou à tout le moins pour mieux accompagner les travailleurs et travail- leuses victimes de licenciements collectifs. La mise en place de cellules de reconversion, la création de coopératives, l’établissement de structures d’accompagnement de projets de création d’activités en constituent les principales lignes de force. A cela vient s’ajouter la mise sur pied de comités de chômeurs que la CSC va structurer progressivement par un service syndical propre. La constitution d’un troisième circuit de travail est appuyée par la CSC qui vise par ce biais à lutter contre le chômage structurel. À côté de l’économie de marché et de l’économie publique, ce troisième secteur est envisagé comme la porte 102 d’entrée vers de nouvelles activités d’utilité sociale, dans une large gamme de domaines sociaux tout en assurant la promotion d’une meilleure qualité de vie7.

6 Interview de Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. 7 100 ans de syndicalisme chrétien 1886-1986, p.146. La CSC se penche aussi sur l’information comme moyen de propagande et de formation; peu utilisée jusqu’alors par une fédération régionale comme celle de Mons-Borinage. Fin novembre 1977, la fédération décide de créer un service de presse placé sous la respon- sabilité d’un propagandiste interprofessionnel, Pierre Laurent8.

Dans un autre registre, il devient plus que nécessaire pour une fédération comme celle du Centre de constituer un organe chargé de coordonner l’action des délégués et militants de toutes les entreprises de la région et de soutenir l’action interprofessionnelle menée par les centrales9. « Au départ c’était très diffi cile. Je me souviens que d’abord il était pratiquement interdit, pour un permanent interprofessionnel, de se mêler de quoi que ce soit au niveau d’un délégué. Il fallait donc demander une autorisation en cinq exemplaires. Maintenant, il fallait un peu dépasser ça et c’est ce que moi, j’ai appelé la formation dans la période initiatique. On doit risquer les choses. Par exemple, j’ai été permanent au Ser- vice italien et Service migrant. Il y avait des élections sociales. On réunissait des militants italiens ou d’autres personnalités et ce n’était pas très évident que des centrales acceptent de reprendre nos gens. On faisait des réunions et des actions qui n’étaient pas toujours acceptées par les centrales. Et puis, il y avait un confl it permanent, le permanent-inter qui avait la carrure pour supporter cette tension ou, en tout cas, ce confl it avec le ou les permanents de centrale, au bout d’un certain temps, on ouvrait les portes. Les murs tom- baient et celui qui n’avait pas la carrure, il abandonnait10.»

Le comité fédéral gère la fédération et détermine la politique syndicale à mener dans la région. Le comité régional d’entreprise se situe plus au niveau de l’action et de la coordi- nation dans les entreprises. L’assemblée des délégués pose les choix dans l’élaboration de la politique syndicale régionale.

La commission féminine régionale Des militantes comme Marie-Thérèse Abrassart qui en assure la présidence, Rosaria Mauro, Giovanna Rizzo, Giovanna Mele, Jacqueline Charlier, Alessi Graziella, Brilman Michele, Carbone Assunta, Casagrande Bianca, Delvallée Liliane, Desmedt Renée, Lesceu Elisabeth, Sias Angela, vont donner vie à cette commission qui a pour but de prendre en compte tous les problèmes professionnels et sociaux des travailleuses plus particulière- ment. « Les situations et problèmes spécifi ques des femmes doivent être pris en charge par des femmes d’abord, en vue de les faire prendre en charge ensuite par l’ensemble du mouvement syndical11.» Parmi les entreprises susceptibles d’être représentées à la Com- mission fi gurent Davos, Farah, Verlica, Pirelli, Siemens, Cerabel, Stievenart, les entreprises 103

8 ACSCMB, note sur la presse aux membres du comité fédéral, le 24 novembre 1977. 9 ACSC MB, pv du comité fédéral du 27 février 1975. 10 Interview d’Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. 11 ACSCMB, pv de la commission régionale féminine du 10 novembre 1974. de nettoyage, l’alimentation, les soins de santé. Cette commission va notamment se battre contre l’opposition des hommes à la promotion de la femme sur le plan professionnel qui est mise en épingle par la CSC. Parmi les autres problèmes, on relève que dans certains secteurs et entreprises, des fonctions de par leur classifi cation professionnelle, sont réser- vées exclusivement aux femmes, ces fonctions étant généralement classées au bas de l’échelle comme à ATEA dans le secteur du métal. Des secteurs comme la confection sont réservés aux femmes avec des salaires relativement faibles, même dans les entreprises qui font les plus gros bénéfi ces. La convention n’°75 du 15 octobre 1975 sur l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins sans résoudre la question constituera un bond en avant.

Une équipe de militantes aides familiales en formation à La Louvière en 1992 L’année 1975 sera celle de la femme comme celle des élections sociales. Pour Jean Filbiche, c’est l’occasion pour les femmes affi liées à la CSC de Mons-Borinage de prendre davan- tage la place qui leur revient dans le mouvement syndical et d’y jouer un rôle plus actif12. Les élections sociales sont également une excellente occasion de faire le point, de réviser complétement la mécanique et de faire un bon entretien général. De manière moins ima- 104 gée, c’est un moment indiqué pour rajeunir le mouvement syndical, pour lui insuffl er un nouveau dynamisme, pour mobiliser et lancer des troupes fraîches dans la bataille.

12 ACSCMB, Lettre du 21 février 1975. Une société de plus en plus interculturelle: le syndicat à l’avant-garde Divers petits groupes de travailleurs italiens, commercants, artisans, réfugiés poli- tiques et plus rarement des étudiants sont présents en Belgique et dans la région de Mons-Borinage depuis la fi n du 19e siècle. Dès avant la guerre 1914-1918, le patronat charbonnier borain envisage de recourir à la main-d’oeuvre étrangère. Et dans l’entre- deux-guerres, des contingents de travailleurs étrangers venant d’Italie, de Pologne, de Tchécoslovaquie principalement, rejoignent par convois ferroviaires les Belges au fond de la mine. Ceci étant, la majorité des Italiens sont arrivés en Belgique après 1945, recrutés essentiellement par les mines belges dans le cadre de la fameuse bataille du charbon13. Pendant plusieurs années, les plaintes vont se multiplier dans les rangs des ressortissants italiens sur les mauvaises conditions de travail et sur les conditions plutôt précaires de logement. Malgré l’amélioration de ces conditions, la catastrophe de Marcinelle d’août 1956, qui a vu la mort de 262 mineurs dont 136 italiens, met défi nitivement fi n aux accords bilatéraux entre la Belgique et l’Italie sont rompus sur le plan du recrutement de la main-d’œuvre. La Belgique se tourne alors vers la Grèce, l’Espagne et à partir de 1963-1964, vers la Turquie et le Maroc. Cependant, la fi n offi - cielle du recrutement en Italie n’empêche pas entièrement l’arrivée de personnes et de familles venant de la péninsule en Belgique. Après 1956 et jusqu’en 1973, date de la fi n de l’immigration collective en Belgique, entre 8000 et 10 000 Italiens sont encore entrés en Belgique chaque année. Et dans les années 80, la mobilité étant de plus en plus garantie par la construction européenne, le nombre d’Italiens arrivant en Belgique se monte alors encore à plus de 2 500 par an. La croissance du nombre d’Italiens vivant en Belgique, de 84 134 en 1947 à 279 700 in 1981 (voir tableau ci-dessous) est redev- able en grande partie à l’accroissement naturel. La chute de leur nombre après 1981 s’explique par une plus grande souplesse dans les procédures de naturalisation pour les étrangers nés en Belgique, ce que l’on appelle la deuxième et troisième génération issue de l’immigration. Cela s’est fait au travers de lois et arrêtés pris en 1985, 1992 et 2000.14 Le nombre de personnes d’origine italienne reste particulièrement élévé en Belgique. En 1998, ils étaient 287 079.15

13 Tilly, P., Les Italiens de Mons-Borinage, Une longue histoire, EVO, Bruxelles, 1996. 105 14 Jacobs, D, Martiniello, M et Réa, A., Changing Patterns of Political Participation of Immigrant Origin Citizens in the Brussels Capital Region. The October 2000 Elections. “Journal of International Migration and Integration”, (III), 2, 2002, pp. 201-221. 15 Pour les données démographiques, voir Perrin, N et Poulain, M., Italiens de Belgique. Analyses socio-démographiques et analyse des appartenances. Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2002, pp. 22-35. Nombre d’Italiens dans les trois régions belges et en Belgique

Wallonie Bruxelles Flandre Belgique Italiens% étrangers 1961 170232 11357 18497 200086 44,1% 1970 196784 28354 24352 249490 35,8% 1981 213409 35809 30482 279700 31,8% 1991 182116 32093 26966 241175 26,7% 2001 142574 28771 24241 195586 22,7% 2004 131909 27953 23159 183021 21,3% Source: Recensement 1961, 1970, 1981; Registre national 1991, 2001, 2004: INS et Ecodata (Gouvernement Fédéral Service pour l’ économie)

La CSC accompagnera et même anticipera ces évolutions en donnant la parole et des responsabilités aux immigrés dans ses structures comme nous l’avons déjà vu et en favori- sant incontestablement leur intégration, même si parfois le syndicat ramera à contre-cou- rant d’une certaine opinion publique.

2.2 Victoire parfois modeste mais victoire tout de même Le 31 octobre 1974 marque le lancement de la campagne des élections sociales de 1975 que la CSC Mons entend mener de manière essentiellement informative et éducative, excluant toute distribution de gadgets et toute forme de publicité entraînant des dépenses exagérées. Une grève vient d’être déclenchée sur Belref à Saint-Ghislain et le comité exé- cutif qui soutient le mouvement dénonce les conditions de travail insalubres et nocives dans lesquels sont occupés de nombreux travailleurs de cette entreprise, compromettant sérieusement leur santé16.

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16 ACSC MB, communiqué de la CSC Mons-Borinage du 31 octobre 1974 (joint au pv du comité fédéral du même jour). 107

Af che de propagande pour les élections sociales de 1975 à Mons-Borinage. Journée préparatoire aux élections sociales de 1975 aux Fucam en avril 1975. La CSC va encore progresser dans le cadre de ces élections Les élections de 1975 se traduisent par de nouveaux progrès pour la CSC de Mons-Bo- rinage comme à chaque élection depuis les années 1950. Un progrès dans l’ensemble car dans certains secteurs, le syndicat chrétien a perdu du terrain notamment dans les entreprises où il y avait eu des confl its comme chez Atea, chez Warner, et à Belref où la CSC perd des voix. Il y a une exception notable dans le cas de Brassico. Pour Jean Fibliche, secrétaire fédéral depuis un an, c’est l’occasion de relever les points faibles et de voir comment les améliorer. La place et le rôle du militant doivent devenir une préoccu- pation de plus en plus majeure pour au moins deux raisons. D’une part, « les travailleurs 108 et les affi liés-et les militants-subissent l’infl uence de la société matérialiste et mercantile qui est la nôtre. Et ils suivent de plus en plus des directives qui lui viennent d’en haut et la responsabilité et le contrôle leur échappent davantage; les relais base-sommet et som- met-base s’établissent plus lentement et plus diffi cilement; les travailleurs ont de moins en moins une vision claire de la mission et des tâches actuelles du mouvement17.» D’autre part, Jean Filbiche observe plusieurs faiblesses à propos des militants quant au fond, une faiblesse doctrinale avec l’absence d’un vaste projet de transformation de la société dans leur vision syndicale et enfi n, il note des insuffi sances dans la compétence syndicale. Pour Jean Filbiche, chaque employé(e) de l’un ou l’autre service est un(e) militante syndical(e). Ce militantisme doit se traduire de deux manières: l’esprit syndical, l’esprit de service dans l’accomplissement de sa tâche et la participation militante à l’activité de sa section locale18.

Pour le comité fédéral, il faut que l’organisation syndicale donne beaucoup plus de respon- sabilités aux délégués et militants car les votes sont exprimés en fonction des personnes. Il faut également que se créent dans un maximum d’entreprises des comités d’usines. La liste des entreprises où la CSC n’a pas présenté de liste prouve qu’il y a une prospection à faire dans les PME. « Nous avons trop tendance à nous limiter à la conservation des situa- tions acquises».Le pool avant les élections est une pratique à étendre. On constate que là où il n’y a pas eu de pool, il y a un renouvellement de l’équipe de militants et progrès de la CS (cimenteries et chimie). Malheureusement, il n’y a eu de pool que là où il y avait trop de militants pour le nombre de places sur la liste. L’exemple de Belref (où une semaine de grève supplémentaire avait été payée 15 jours avant l’élection) montre que les avantages extra-syndicaux ou extra-légaux ont peu d’infl uence sur le résultat des élections19.»

Fort de son succès électoral, le 19 décembre 1975, la CSC lance un plan d’urgence pour l’emploi dans lequel elle exige la création de nouveaux emplois notamment par la promotion des petites et moyennes entreprises qui offrent des garanties d’indépendance vis-à-vis des géants économiques. Il faut également que l’ONEM joue son rôle en ce qui concerne le placement et la recherche d’emplois. Les comités subrégionaux devraient avoir le pouvoir de coordonner les demandes et les offres d’emplois.

2.3 Relancer la militance Avec l’arrivée d’un nouveau secrétaire fédéral en 1974 et le renouvellement de l’équipe des permanents, le but poursuivi par la fédération de Mons est d’apprendre aux délé- gués à dépasser le cadre de l’application des conventions collectives. Un syndicaliste ne doit pas être qu’un gérant, un administrateur de l’application des conventions collectives. Et ne pas être prisonnier de ce cadre. Tout ce qui ne peut être réglé par la convention doit l’être par l’action syndicale au sein de l’entreprise. Dans ce cadre, la responsabilité des permanents est engagée. Ne sont-ils pas trop enclins à faire respecter sans plus- 109

17 ACSCMB, proposition d’orientations et d’objectifs pour les quatre années à venir. Note introductive de Jean Filbiche à une ré exion commune,octobre 1975. 18 Il est même envisagé que l’une des conditions d’embauche à la CSC soit l’engagement de la personne à prendre des responsabilités dans sa section locale. 19 ACSCMB, pv du comité fédéral du 3 juillet 1975. l’application des conventions nationales ou régionales, à la manière de « fonctionnaires syndicaux»20?

A cet effet, l’action interprofessionnelle doit être davantage développée notamment au travers des sections locales car les responsables locaux ne sont pas suffi samment suivis et formés dans l’exercice de leur mandat comme trésorier, percepteur, responsable chômeur. Impor- tance de démocratiser le mouvement et de le rendre aux militants. « Nous devons évoluer dans nos pratiques, accepter d’être remis en cause, avoir de vrais débats (nouveaux statuts de la fédération).» L’idée d’un conseil régional des responsables locaux fait son chemin pour favoriser l’échange d’informations entre les différents niveaux d’action syndicale. On constate d’ailleurs en 1977 que la démocratie syndicale peut jouer lorsque la base le veut et qu’elle a l’occasion de s’exprimer. Il faut donc faire plus souvent des assemblées générales, avoir le souci de faire circuler constamment l’information, relancer le comité régional d’entreprise, créer des comités syndicaux d’usines ainsi que des comités locaux dans les sections21.

Les élections sociales du printemps 1979 représentent un succès pour la CSC (7% de plus en Wallonie) et dans la région de Mons notamment à Brassico, Carrefour et à Carbo- chimique. « Des mandats jeunes sont enlevés, ce qui confi rme la nécessité de mettre de plus en plus l’accent sur l’activité syndicale des jeunes22.» Pour les dirigeants, il faut être très attentif aux travailleurs qui sont privés d’emploi, à cette couche toujours plus grande de cette population de « sans emploi». La CSC doit en fait faire face à cette situation nou- velle qui a été créée par la crise en se montrant attentive à la marginalisation croissante de larges couches de la population et aux critiques systématiques dont elles sont l’objet23.

Mais le contexte n’est guère positif avec le Borinage qui se désindustrialise de plus en plus; la région est de plus en plus lourdement frappée par le fl éau du chômage.

Évolution du nombre de chômeurs complets indemnisés à Mons-Borinage 31.12.1979 4.040 7.515 11.555 31.12.1980 4.507 7.877 12.384 31.12.1981 5.344 8.059 13.403 31.12.1982 6.408 8.711 15.119 15.02.1983 7.294 9.091 16.385 110 Source: Cellule technique Etudes et gestion. Le Borinage, FEC-Borinage 2000,

20 ACSC MB, note de Jean Filbiche sur la militance,octobre 1975. 21 ACSCMB, comité fédéral du 31 mars 1977. 22 ACSC MB, pv du comité fédéral du 3 mai 1979. 23 ACSC MB, pv du comité fédéral du 27 septembre 1979. La lecture de ces chiffres nous montre que la situation de l’emploi à l’époque est parti- culièrement préoccupante avec plus d’un travailleur sur quatre qui est au chômage dans cette région, soit un taux de 26,9% en augmentation constante dont 38,5% de femmes. Depuis 1973, le Borinage a perdu 7% de ses emplois avec l’emploi industriel qui a par- ticulièrement trinqué au travers de la perte de 34% des emplois industriels. Des pertes compensées en partie par la création d’emplois tertiaires et publics en augmentation de plus de 16% depuis 1973.

Le service chômage de la CSC à Mons: la proximité avec les af liés représente une constante dans l’histoire de l’organisation

Pour tenter de conjurer le mauvais sort du chômage qui semble s’abattre sur le Hainaut et sur la Wallonie, des stratégies de contre-propositions industrielles sont portées par le mouvement ouvrier. Nous sommes dans les années 70 et au début des années 80. L’objectif est de mobiliser les travailleurs et l’opinion publique sur une stratégie alternative reposant sur des investissements de modernisation et la diversifi cation des productions. Les tentatives de contre-propositions et d’autres critères de gestion, avancées à l’époque pour peser sur les stratégies orientant les restructurations vont échouer face au trauma- tisme des opérations massives de licenciement et de redéploiement industriel qui vont 111 affecter des secteurs traditionnels comme l’industrie sidérurgique, le textile, les chantiers navals, etc…

La particularité des années 70-80 est liée au fait que les restructurations se déroulent dans un contexte conjoncturel durablement mauvais, suite aux chocs pétroliers et aux politiques de désinfl ation. C’est dans ce cadre que sont mises en place les mesures facili- tant les retraits de la vie active. La prépension conventionnelle à temps plein est introduite en 1974 pour favoriser l’emploi des jeunes et faciliter les restructurations et changements organisationnels et technologiques des entreprises. Le travailleur licencié perçoit, outre l’allocation de chômage normale, une indemnité complémentaire à charge du dernier employeur. En principe, le travailleur licencié doit être âgé d’au moins 60 ans et avoir une carrière d’au moins 25 ans, et être remplacé par l’embauche d’un travailleur plus jeune. La période de prépension est reconnue comme période d’activité pour le calcul de la retraite légale, à laquelle le travailleur aura accès à partir de 65 ans (63 pour les femmes). Dans la pratique, des conventions sectorielles permettent d’abaisser l’âge minimum requis jusqu’à 58 ans, voire 50 ans pour des entreprises reconnues « en diffi culté ».

2.4 Recoudre le tissu économique Une intervention volontariste des milieux politiques, économiques et sociaux par l’intermé- diaire notamment de l’IDEA fut une réalité dans les années 1960 et 1970 afi n de recréer les conditions d’une rénovation durable du tissu industriel. Le but était de diversifi er les activités tout en s’appuyant sur quelques secteurs moteurs et générateurs de renouveau. Deux scénarios semblaient se dégager à la fi n des années 1970 pour le Centre et le Bori- nage conduisant à deux extrêmes. Premier scénario: une région désertique et désertée avec un taux de chômage très élevé. A l’opposé, une région produisant de nouveaux biens et services, en assimilant de nouvelles formes d’organisation, de nouvelles formes d’em- ploi, pourrait émerger.

La CSC privilégiait évidement le second scénario qui nécessitait par ailleurs dans cette voie de modernisation que les pouvoirs publics régionaux donnent l’impulsion initiale en assurant la liaison entre les différents acteurs, en coordonnant les initiatives, en facilitant sélectivement les opérations de modernisation. Bref, il s’agissait de valoriser davantage le potentiel humain de la région.

Dans l’arrondissement de Mons, le secteur tertiaire fournit 54,7% de l’emploi alors que pour le pays, le pourcentage est de 52%, pour la Wallonie, 49%, pour les Flandres 45,5% et pour Bruxelles, 72,6. Après Bruxelles, l’arrondissement de Mons possède un des pour- centages les plus élevés d’emplois du tertiaire.

L’évolution va dans le sens d’un accroissement des emplois dans le tertiaire, surtout dans 112 les services publics et d’intérêt général. Plus d’un quart des demandeurs d’emploi dans la région sont des employés dont 76,5% de femmes. « Les employées de bureau et ven- deur(euses) constituent la grosse majorité. Une partie importante des DE appartiennent à des couches jeunes. Environ 25% des DE n’ont fait que des études primaires.24 »

24 ACSCMB, pv du comité fédéral du 24 avril 1975. Certaines entreprises utilisent la médecine du travail pour fabriquer des chômeurs. Les mutuelles ont tendance à renvoyer trop rapidement les travailleurs malades du chômage. Là aussi, on fabrique des chômeurs. La diminution des travailleurs actifs (malades, pen- sionnés) n’est pas compensée par un remplacement de ces travailleurs qui terminent leur vie active. On cite l’exemple de Carcoke et de Bell Téléphone. On assiste à un bradage des salaires et des conditions de travail par l’embauche de pensionnés mineurs25.

Au début de l’année 1976, plusieurs entreprises sont en grande diffi culté en raison de la crise (hausse du prix des matières premières et problèmes monétaires) comme les meubles Stiévenart à Boussu, Société confection du Borinage, Siemens, Gleason Works, Becquet. La politique des prix reste un problème grave pour les travailleurs. Le taux de chômage de 15,6% est le plus important de toutes les régions du pays. Et la tension est palpable parmi les militants. Le 20 février 1976, une concentration des travailleurs sous la forme d’une réunion d’information en front commun syndical sous la présidence de Marcel Stiévenart, président de la FGTB et Paul Delcroix, président de la CSC est organisée à Qua- regnon avec 600 à 700 participants. Considérée comme un semi-échec, elle se double d’une altercation qui débouche sur une bagarre qui éclate entre les forces de police et des maoistes. Pour la CSC, il ne faut pas grandir ce mouvement comme la presse l’a fait mais il ne faut pas non plus le minimiser non plus. Il interpelle l’organisation dans la mesure où 20 personnes peuvent perturber complétement une réunion syndicale de 600 personnes et sur le fait que les militants restent assez positifs devant de telles perturbations. Au sein du comité fédéral, on ne manque pas de s’interroger: les travailleurs n’ont-ils pas tendance à s’installer dans la crise? Les facilités de notre système de sécurité sociale ont sans doute diminué la combativité ouvrière. Une réunion d’information n’est plus accrocheuse pour les militants qui veulent participer activement. Il faut insister sur l’action syndicale dans l’entreprise. Elle doit être la priorité pour les militants prêts à prendre leur responsabilité26.

André Maeschaelk, ancien président de la CSC de Mons-La Louvière évoque Paul Delcroix qui fut longtemps président de la CSC Mons J’ai eu une grande expérience, entre guillemets, c’est d’être dans le second rôle de vice-président avec Paul Delcroix, un monsieur que j’ai beaucoup apprécié. Travail- leur, intelligent, homme du monde, qui détonnait d’ailleurs, car nous les travailleurs sommes parfois de grands « gueulards». Et, j’ai beaucoup appris avec lui. D’abord, le respect des statuts. Et quand Paul devait s’absenter, puisqu’il militait politiquement, il me disait: « Bon, fais attention, tu es le gardien des statuts, et ne l’oublie jamais, parce que souvent, on a tendance à les fouler. Pas par méchanceté ni par malhon- 113 nêteté mais parce que l’on veut progresser plus vite. Car la démocratie, c’est parfois un frein... Et c’est peut-être pour ça que le communisme a tourné en dictature... Mais

25 ACSC MB, pv du comité fédéral du 22 mai 1975. 26 ACSC MB, pv du comité fédéral du 26 février 1976. au départ, ça devait être certainement le souci d’aller plus vite.» Et donc, il me disait: « toi, tu es le gardien des statuts, ne l’oublie pas.» Et donc, ça, c’était un mot d’ordre. L’honnêteté, savoir remettre les gens à leur place (ce qui n’est pas toujours facile), faire taire ceux qui monopolisent le débat et favoriser l’expression des plus timides qui ne disent jamais rien et que fi nalement on se demande pourquoi, ce qu’il vient de faire là... Donc, ton rôle, c’est aussi de distribuer la parole, d’arrêter. (…) Quand on m’a proposé, au départ de Paul, d’être candidat, j’ai accepté parce que je me suis dit, ce n’était pas par gloire mais parce que je trouvais qu’il y avait une mission à accom- plir, et qu’avec l’expérience que je commençais à avoir, l’âge qui monte, et bien je me disais que je pouvais avoir du poids. Et c’est vrai que même dans les permanents, je pouvais encore les braver ou bien les remettre à leur place.

Cette période est intéressante à plus d’un titre car elle permet l’émergence d’un début de préoccupation écologique dans les rangs syndicaux. Un exemple parmi d’autres avec l’af- faire Reilly Chemical et la pollution provoquée à Saint-Ghislain-Hautrage par cette entre- prise américaine active dans le secteur de la chimie. La création de l’ASBL défense et avenir de Saint-Ghislain opposée à l’IDEA et à la Province a sonné la charge contre ce qui es considérée comme une situation préoccupante pour l’environnement des habitants proches de l’entreprise en question27. L’emploi et la santé publique des travailleurs est aussi en question. Pour Jean Filbiche, les résultats des examens sont connus et scientifi - quement, rien ne prouve qu’il y a danger. Lors de sa visite dans l’usine où il a passé deux heures, les odeurs ne lui ont pas paru plus insurmontables qu’ailleurs dans des régions industrialisées. Force est de constater comme la commission économique de la CSC de Mons que la population n’est pas légalement armée pour se défendre. « On devrait pouvoir obtenir une étude scientifi que du processus de production. Il faut pour chaque entreprise polluante obtenir des garanties par rapport aux dangers.; il faut donner une plus large publicité à l’enquête commodo-incommodo; celle-ci devrait être offi ciellement publiée dans la presse.», analyse-t-on au sein du comité fédéral. R.Chevalier considère d’ailleurs qu’il faut des groupes de pression pour rappeler les dangers et mettre en garde mais il estime que certaines limites ne doivent pas être dépassées28.

Section 3 - Des confl its marquants au cœur des années 1970 En février 1973, une grève éclate chez Warner à Frameries. La CSC intente une action en justice contre l’entreprise avec succès. L’entreprise est condamnée à payer des arriérés depuis 1971 et de régulariser les salaires selon la convention du secteur. Et puis ce sont 114 pas moins de 8 semaines de grève qui sont observés au sein de l’entreprise Carcoke à Tertre durant le printemps 1975 pour le réajustement des salaires des ouvriers de cette entreprise aux mêmes conditions que pour les trois autres usines d’Elcogaz: Carbochimique,

27 ACSCM, pv du comité fédéral du 2 juin 1977. 28 Idem. Sedema et Althouse. Après 7 semaines de grève, le patron de Carcoke va tenter de faire venir des « jaunes « de France mais les ouvriers de Carcoke vont les chasser. Avant que la réquisition perçue comme une attaque directe contre le droit de grève ne survienne29. Sans nier aucunement l’intérêt de ces confl its, d’autres combats syndicaux ont laissé des traces indélébiles dans les mémoires ouvrières et celles des militants syndicaux30.

3.1 Des luttes emblématiques chez Siemens, Salik et aux Laminoirs de Jemappes En 1970, en contrepartie d’aides publiques accordées dans le cadre d’un « contrat de progrès», la multinationale Siemens s’engage à créer 500 emplois à Baudour, ou cette entreprise fabrique des relais pour centraux téléphoniques31. Mais Siemens ne tient pas ses promesses, n’engageant jamais plus de 330 travailleurs. A la rentrée sociale en sep- tembre 1975, la direction assure le Conseil d’entreprise qu’il y a du travail jusqu’en janvier 1976. Après, c’est l’inconnue. Au même moment, Siemens ouvre un siège à Rhisnes, malgré la faiblesse des commandes et la crise. Un contrat entre l’IDEA et Siemens sur le réseau de télédistribution est dans le viseur de la CSC32. L’intercommunale va demander des garanties d’emploi sur le siège de Baudour qui n’interviendra toutefois que de manière secondaire dans la commande prévue. Dès février 1976, lorsque le gouvernement refuse d’accorder de nouvelles aides à l’entreprise qui ne respecte pas ses engagements, des menaces planent sur l’emploi. Siemens qui avait profi té des avantages fi scaux offerts par les lois de relance et de programmation économique de 1956 et 1966 délocalise. Dans le textile et la confection, c’est aussi le démantèlement progressif du secteur qui est à l’ordre du jour. Farah, Captain, Salik, Warner. Le Borinage, exsangue après la fermeture des char- bonnages, a perdu 4000 emplois depuis 1975.

Et le long chemin de croix chez Siemens ne fait que commencer. Le 12 octobre, le per- sonnel arrache à la direction l’annonce de la fermeture du site de Baudour. Liliane Ray, ancienne déléguée CNE de Siemens se souvient: « A l’époque on baignait dans l’am- biance de l’après mai 68. On était plein de rêves, c’était la révolution totale dans tous les domaines. Et on était imprégnés du fait que le dernier public était à nous. Ca nous appar- tenait et le patron n’avait pas à) en disposer comme ça. S’il avait signé un contrat, il avait un devoir par rapport aux travailleurs. Nous n’étions pas des petits boys à sa merci. Le confl it a commencé comme ça, en se disant c’est notre fric et on ne laissera pas faire les

115 29 Nord Eclair, 13 juin 1975. 30 Par exemple, le 26 octobre 1978: grève à la Clinique Saint-Joseph Mons pour protester contre 12 licenciements et pour le maintien de l’emploi. C’est la première grève dans ce secteur et elle serait intéressante à analyser. 31 Texte de Cécile Caudron publié sur le site de la Maison ouvrière de Quaregnon. 32 ACSC Mons, Rapport du comité régional d’entreprise, 17 octobre 1975. choses33». A l’annonce de la fermeture, une assemblée générale s’organise dans l’usine, malgré l’opposition de la direction locale, et décide de l’occupation, préparée depuis plus de deux mois avec le soutien actif de militants syndicaux. « L’occupation était organisée par des femmes, avec des femmes. Mais il y avait tout un groupe de militants syndicaux qu’on appelait le groupe d’attaque. On n’avait qu’à siffl er pour que 100 militants débarquent prêts à nous aider.34» Le 18 novembre 1976, une manifestation de soutien en faveur des travailleurs de Siemens rassemble plus de 3000 personnes Un long et terrible combat où la solidarité et l’engagement du personnel suscitera l’admiration et le respect dans certains milieux à tout le moins. Mais la fermeture de l’usine sera au bout du chemin. En attendant un groupe s’est créé dans l’usine: le Théâtre Tract, composé de travailleurs de l’entreprise, qui va connaître un grand succès en Wallonie et à Bruxelles.

Quelques paroles de la chanson: Quand tu disais Siemens Quand tu disais Siemens Quand tu disais Von Siemens 500 emplois Siemens Qu’t’étais social Von Siemens Nous, on savait Siemens Nous, on savait Von Siemens Qu’c’était d’la bla… gue Qu’c’était pas vrai Quand tu disais Thome Nous, ouvriers, on dit Qu’tu dompt’rais Thome Qu’on en a marre Siemens Nous, on savait Thome Nous, ouvriers, on dit Qu’c’était pas vrai Qu’c’était d’la bla… gue Quand tu disais Peter Nous, ouvriers, on dit Pas d’fermeture Peter Qu’on en a marre Siemens Nous, on savait Peter Nous, ouvriers, on dit Qu’c’était d’la bla… gue Qu’c’était pas vrai Chanson composée par Michel Gilbert en novembre 1976 pendant l’occupation de l’usine Siemens à Baudour dont les ouvrières voulaient empêcher la fermeture. La fermeture eut quand même lieu après trois mois de lutte, mais le confl it eut un retentissement important dans tout le Borinage. Basse: Daniel Léon, fl ûte traversière: Viviane Fortuné. Pour écouter la chanson: http://www.legroupegam.be/5-categorie-11349275.html

A quelques encablures de là, toujours dans le Borinage, un autre confl it majeur et de longue haleine va s’enclencher. En 1978, ce sont les travailleuses de la SA Confection 116 Industrielle (Salik) à Quaregnon qui refusent de perdre leur emploi et décident d’occuper l’usine. Après plusieurs restructurations et faillites depuis 1973, la direction annonce, en

33 Témoignage apporté lors de la commémoration des 125 ans de la CSC en 2011. Pour de plus longs témoignages sur ce conflit, il est utile de s’adresser au Carhop qui effec- tue depuis des années la récolte de la mémoire ouvrière du mouvement ouvrier chrétien. 34 Propos recueillis par Cécile Caudron et publiés par la Maison ouvrière de Quaregnon. mai 1978 une nouvelle restructuration qui ne permettrait le maintien que de 90 emplois sur 350. La faillite est déclarée en août. Les travailleuses réunies en assemblée géné- rale suite à une convocation par les organisations syndicales votent à une courte majo- rité contre l’occupation. Mais beaucoup de travailleuses refusent les licenciements. Elles rebaptisent la rue J.Salik en « Coron des sans emplois» et organisent des manifestations, avant de forcer les portes de l’usine pour l’occuper.

Ce confl it va bientôt mobiliser toute la CSC régionale, y compris les centrales profession- nelles. Elle devient l’affaire de la CSC wallonne et nationale car c’est la première expé- rience d’autoproduction de la région, c’est à dire l’espoir pour les travailleurs de créer leur propre emploi face aux carences du capitalisme. Ce confl it est un test pour la CSC Mons-Borinage qui est seule au monde face aux autres acteurs de la pièce qui se joue: Salik et ses amis, milieux de droite, le PSB, la FGTB. Au sein de Salik, la CSC mène donc une lutte du style « seule contre tous». Mais les rouages au sein de la fédération sont déjà mis en place par la nouvelle équipe constituée au début des années 1970 « Un schéma de militance qui était tourné vers deux pôles: la formation et l’action. Et donc, par exemple dans les sessions de formation, on allait parfois visiter une entreprise en grève, on allait soutenir des travailleurs en lutte. Et on essayait de combiner à chaque fois, la présence de ces gens dans des luttes, dans Siemens, dans Salik, dans les Laminoirs, ce qui donnait aux militants une ouverture et peut-être, qui contribuait à leur faire croire que justement, ce qu’on pensait qui était immuable, c’est-à-dire changer les rapports de force entre le capitalisme et les petites gens, pouvait être possible dès lors qu’on avait des gens bien formés qui avaient une capacité d’analyse, qui avaient des outils de réfl exion et d’action, et qui pouvaient, en se basant sur la solidarité, sur l’ensemble des gens, sur le nombre, être capables de changer les rapports de force. Et ça a fonctionné puisque, on pourrait dire que sur un laps de temps, qui a commencé lors de l’occupation de Salik, c’est – et là je me souviens des mots d’un dirigeant, d’un ami de la F.G.T.B., qui me disait comme ça, en apartheid – je pourrais le citer d’ailleurs, c’est Jacques Fostier –: « Pino, à Mons, il y a un grand syndicat à la F.G.T.B., il y a un syndicat croupion à la C.S.C.». Et est venu alors Salik, et là, c’était le combat qui a fait grandir la C.S.C.. Parce que, pour la première fois, la C.S.C. dans la région de Mons-Borinage, a mené un combat seule, contre tout le reste35.»

Les travailleurs et les militants se laissent donc tenter par l’autogestion. Le 6 décembre 78 est constituée la société coopérative des « Sans Emploi sur les cendres d’un entreprise de confection qui emploie 350 personnes, en majorité des femmes. Sans atteindre jamais les chiffres de production prévus (500 pantalons par jour), la coopérative rencontre aussi 117 des problèmes d’organisation du réseau commercial, dans le suivi des questions juridiques, notamment les fi lières pour constituer un capital et subit une intimidation policière. Occuper une usine est en effet une faute grave selon la loi. Fin mai 1979, c’est le constat d’échec.

35 Interview de Pino Carlino, le 11 juillet 2011. Il est impossible d’embaucher les 60 travailleuses prévues. En mai 1979, les ouvrières doivent abandonner le bâtiment suite à une décision de justice. Certaines décident quand même de poursuivre l’expérience à travers la coopérative des Sans Emplois, puis la coo- pérative L’Espérance. Une aventure qui prendra vite fi n devant les dures lois de la gestion et du marché.

Un troisième et dernier confl it particulièrement emblématique prend naissance en 1977 avec les Laminoirs de Jemappes. En mai 1977, la situation des Forges et Laminoirs de Jemappes fondés en 1869 par Victor Demerbe est critique. L’endettement total se monte à 882 millions de FB et une assemblée générale des actionnaires qui s’annonce explosive est prévue pour le 9 mai. Le maintien de la société avec apport fi nancier de l’État ou la création d’une nouvelle société avec participation de ce même État ne semble pas envi- sageable. L’assemblée doit en fait décider si la société se déclare en faillite ou demande le concordat ou autre formule, le concordat avec abandon d’actif. Seule cette dernière solution peut empêcher la fermeture de l’usine et maintenir le maximum d’emploi36.

C’est la S.A Cockerill qui est pressentie pour créer une nouvelle société au capital de 200 millions de FB. Cockerill ferait des investissements importants et l’État pourrait inter- venir par des crédits à l’investissement. Pour Cockerill, certaines conditions s’imposent avant de créer cette nouvelle société. La situation de l’entreprise doit être saine dès le départ au plan fi nancier, ce qui implique l’arrêt de l’aciérie Martin et de la fonderie ainsi qu’une restructuration des services généraux ? Le départ d’une partie du personnel pour arriver à un effectif d’un plus de 1000 personnes est inévitable et la conclusion d’un pacte social l’est tout autant selon les représentants de Cockerill.

Lors des discussions, les syndicats se montrent formellement opposés aux licenciements sur base du moratoire de la commission tripartite de la sidérurgie et parce qu’un accord en ce sens créerait un précédent à l’échelle nationale, voire internationale. En revanche, les organisations syndicales marquent leur assentiment sur l’application de la convention Cockerill sur la prépension à 55 ans.

Les syndicats vont marquer leur accord sur le pacte social proposé par Cockerill tout en se réservant le droit de demander des modifi cations de salaire en cas d’augmentation de la productivité, de modifi cation des qualifi cations des ouvriers suite aux investissements, de changement de profession suite à des modifi cations technologiques. 118

36 Archives de la CCMB Mons-Borinage(non classées), rapport synthétique de la réunion tenue le 3 mai 1977 à Mons sur l’aspect social du problème de la reprise éventuelle des Forges et Laminoirs de Jemappes par la S.A Cockerill. Un accord global préalable va être trouvé et les Laminoirs passent sous le contrôle de Cockerill qui constitue avec l’État une nouvelle société. L’article 56, § 2 du Traité de Paris, en faveur des travailleurs touchés par l’arrêt de l’Aciérie Martin et de la fonderie de la S.A Forges et Laminoirs de Jemappes, le 16 août 1977, est appliqué en faveur des travail- leurs licenciés. L’entreprise a perdu quelque 500 emplois. Une asbl est constituée pour assurer la gestion du patrimoine mis à disposition par l’État pour accorder des avantages sociaux prévus pour les travailleurs qui ont quitté l’entreprise dans le cadre de la reprise des activités par Cockerill37. Il s’agit notamment des prépensions ”dégagement” et de la prépension ”sociale”. Au plan régional et du secteur, un protocole d’accord du 27 juin 1978 relatif aux ouvriers prévoit par ailleurs une réduction de la durée du travail de 40 heures à 38 au 1er juillet 1979 par l’octroi de jours de repos compensatoire pour autant que les conditions de productivité énoncées par le Gouvernement soit respectée et validées par le Comité national de planifi cation de la sidérurgie. En contrepartie, les organisations et délé- gations syndicales s’engagent à collaborer activement à l’accroissement de la productivité par un certain nombre de mesures dont la mise en œuvre fera l’objet de négociations ou de discussions dans l’entreprise38. Les entreprises s’engagent, pour la durée de l’accord (1er juillet 1978 au 31 décembre 1979), à ne pas recourir aux licenciements collectifs comme politique délibérée à l’égard des travailleurs sous contrat à durée déterminée. Le respect de cet engagement n’est possible que moyennant l’acceptation par les organisa- tions et délégations syndicales, du principe de la mobilité professionnelle et géographique à l’intérieur des entreprises et des bassins.

Pour les organisations syndicales, le choix cornélien se pose dès 1979 entre une colla- boration avec Cockerill et l’État ou lutter pour sauvegarder les acquis comme les quatre semaines de congés d’affi lée39. « Quand on entend parler le gérant de Cockerill, c’est toujours la même chanson à la mode: c’est nécessaire pour le sauvetage de Jemappes; des problèmes de trésorerie vont se poser bientôt; rentabilité, viabilité etc..Il y a une autre méthode pour ne plus avoir des discussions: on met la clef sous la porte et on ne parle plus des Laminoirs…»

Une catastrophe sociale: la fermeture n 1982 L’hiver 82-83 est rude au plan social pour la région de Mons-Borinage avec l’annonce de la fermeture des Forges et Laminoirs de Jemappes suite à une décision émanant de la CECA. Les forces vives se mobilisent rapidement pour sauver les quelques 750 emplois qui sont en jeu. Des manifestations sont organisées. La grand route qui relie Boussu à Mons est bloquée par des coils et des rouleaux d’acier de près de 10 tonnes sur plusieurs centaines 119

37 Annexe au Moniteur Belge, du 8 mars 1979, p.2593. 38 Archives CCMB Mons (non classées), protocole d’accord du 27 juin 1978-ouvriers. 39 Archives CCMB Mons-Borinage, tract de la délégation syndicale des Laminoirs de Jemappes, 10 janvier 1979. de mètres40. Le mouvement bénéfi cie d’une large solidarité régionale, avec comme point d’orgue un passage de l’année 1982 à celle de 1983 autour des braseros qui signifi e la fi n de l’espoir du maintien de l’entreprise en activité.

En décembre 1982, la sidérurgie boraine a vécu. Les Laminoirs de Jemappes dans le Borinage ferment leurs portes. 750 travailleurs sont privés de leur emploi dans une région qui n’en finit plus de mourir. Face au choc psychologique provoqué par cette fermeture et pour éviter qu’il dégénère en résignation, le Front Commun Syndical (FGTB-CSC) décide de mettre en chantier une cellule de formation-reconversion après 6 semaines de lutte ouvrière. En s’inspirant de la pédagogie du projet lancée par Paolo Frère en Amérique latine et sur la base des expériences vécues à Athus, Glaberbel, Fabelta, Cavell, les anciens lamineurs deviennent des créateurs d’emploi: «Il y a une conviction forte, c’est de faire avec les gens en leur donnant les instruments adéquats. Avec la crise, le Borinage se trouve entraîné dans un véritable cercle infernal: la dégradation sociale, économique et culturelle devient le lot quotidien de la sous-région boraine». Cette bataille sociale en front commun syndical permet d’arracher un volet social conséquent, le 18 janvier 1983. « Il y avait une possibilité au Borinage d’avoir un avenir pour une sidérurgie qui ne faisait pas du fer à béton, mais qui était une spécialité très fi ne, de très grande qualité. Malheureusement on n’a pas été suivis. Nous avons été battus. On a perdu un fl euron qui même maintenant aurait la pertinence et le mérite d’exister puisque personne d’autre n’était capable de le faire. C’était quand même un acquis du point de vue du savoir-faire qui était énorme et au niveau scientifi que ce n’était pas évident de faire tous ces différents types d’aciers, mais vraiment d’une manière très précise et très spécialisée. C’est de là qu’on a compris aussi la nécessité d’organiser les rendez-vous, les contacts entre délégués, délégués de zone, délégués au niveau belge, délégués même au niveau européen parce qu’on prenait conscience quand même de la nécessité non seulement d’organiser le terrain pour le terrain et sur le terrain, mais en coordination avec une vision beaucoup plus large à ce moment-là qui était très manquante et la nécessité de créer un syndicat européen. C’est à cette époque-là – pendant les années que j’ai passées au laminoir – la fameuse CCT 17 sur la prépension qui était surtout due aux personnes qui étaient en sidérurgie, qu’on commençait à restructurer et qui étaient des personnes très spécialisées dans un domaine, mais qui, une fois atteint un certain âge, étaient incapables d’être reconvertis et puis, ils avaient vécu des éléments tellement pénibles qu’il me semblait vraiment impossible de les placer ailleurs. Pour nous c’était mieux ce système de prépension qui était créé pour permettre à ces gens-là d’avoir quand même une fi n de vie, si je peux dire, plus ou moins 41 120 correcte. Ça leur permettait de profi ter quelques années quand même. »

40 La deuxième bataille de Jemappes en images. 1982, les Laminoirs,Wasmes, 1995. 41 Interview d’Humberto Barone, le 12 juillet 2011. Après, une autre bataille commence pour les travailleurs. On peut désormais analyser cette période avec le recul nécessaire « C’était insurrectionnel. On dépavait les rues à Jemappes, on bloquait la circulation, on préparait des cocktails Molotov, c’était deux mille policiers qui étaient là pour déloger les travailleurs, et donc c’était pas de la rigolade. Et au moment où évidemment, s’est faite la négociation fi nale mettant fi n au confl it, c’était Marc Eyskens – qui était, à l’époque, ministre des affaires économiques – qui avait proposé un volet fi nancier de deux cents soixante-deux millions de francs belges, de francs belges, comme volet social à distribuer à l’ensemble des travailleurs des Laminoirs de Jemappes pour assurer la paix sociale. Et là, à la fi n de ce confl it, comme syndicat, nous avions déjà été interpellés par la fermeture de Brassico à l’époque, où nous avions mis en avant une revendication qui était: un franc de reconversion pour un franc de restructuration. Et donc ce qu’on essayait de faire, c’était de plaider auprès des Pouvoirs publics que lorsqu’il y avait la fermeture d’une entreprise, le montant de la restructuration, on devait trouver une compensation équivalente pour soutenir la reconversion de la région de Mons-Borinage. On n’a pas réussi, évidemment. Mais bon, ça c’était le moteur qui nous faisait avancer et qui nous faisait lutter.42»

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Manifestation de la CSC-FGTB contre la fermeture des Laminoirs de Jemappes en no- vembre 1982

42 Interview de Pino Carlino, le 11 juillet 2011. 3.2 Une cellule, cela met debout Le 3 novembre 1983, un peu moins d’un an après la fermeture des Laminoirs, une cellule formation-reconversion démarre avec 190 travailleurs et se termine, le 4 décembre 1984, avec 160 travailleurs. Entre-temps, une vingtaine d’ouvriers retrouvent du travail. Sept pro- jets regroupant 60 travailleurs sont retenus mais, après 13 mois de fonctionnement, aucun n’arrivera à terme. Le mouvement syndical passe au stade de « promoteur» qui impulse des dynamiques visant la création d’entreprises et d’emplois. Il glisse sur un terrain tradi- tionnellement occupé par le patronat.

« Une cellule, ça met Debout et ça donne Espoir». Un slogan qui sonne comme un cri d’espoir à l’époque. Le front commun syndical borain juge en tous cas le bilan globale- ment positif suite à la dynamique limitée mais réelle impulsée par la cellule. Est-ce le rôle syndical que d’entreprendre? La méthode diverge d’une organisation à l’autre. La FGTB préfère une démarche plus institutionnelle: « ce fut une rupture à la FGTB par apport à l’idée de l’initiative industrielle publique. On va agir non pas en manifestant mais en créant». En fait, la FGTB est opposée à l’idée d’entreprendre elle-même; si elle veut aller le plus loin possible dans l’aide à assurer: « jouer un rôle moteur, mettre les acteurs économiques et publics devant leurs responsabilités face à la création d’emploi amis il faut s’arrêter à temps». La CSC tient le même discours mais en privilégiant une démarche empirique menée conjointement avec les travailleurs au départ de leur vécu.

Dans la foulée de la cellule des laminoirs, une Initiative locale d’emploi (ILE) concernant 65 chômeurs de la sous-région qui ont des idées -projets d’emplois est lancée en avril 85 à Mons. Cette I.L.E va générer les premiers guichets de l’énergie, aujourd’hui soutenus par la Région Wallonne, dont les deux premiers conseillers sont d’anciens lamineurs.

122 7 avril 1979: rallye des entreprises en autoproduction. 250 voitures pour Mons. Concen- tration chez Salik d’où vont partir deux mini-caravanes, l’une vers Daphica, l’autre vers Wauthier-Braine et vers le Balai libéré. 3.3 Des luttes tout aussi exemplaires dans la région du Centre L’usine d’assemblage British Motor Corporation (BMC) Leyland à Seneffe, a été en activité de 1965 à 1981. En 1965, l’entreprise Leyland était la seule usine de voitures active en Wallonie; beaucoup d’autres marques belges et étrangères n’étaient déjà plus présentes sur ce territoire. Les autres grandes fi rmes étaient regroupées à Anvers, à Genk et à Vil- voorde. Le groupe British Leyland avait d’autres unités de production en Europe, comme en Italie avec Innocenti, qui modifi a quelques carrosseries du groupe. Le site de Seneffe se démarquait des autres unités par son rôle de distributeur. Il va connaître une évolution importante de son personnel en termes quantitatif comme qualitatif, lequel était recruté principalement dans la région du Centre. Italo Rodomonti, qui est entré chez British Motor Corporation en 1969, découvre un terrain propice à l’action syndicale chrétienne « Une 123 partie des entreprises de la région de La Louvière étaient carrément ce que j’appelle moi encore « sous la coupe du rouge ou pas de pain»- je pense à Boël, enfi n, à toutes les vieilles industries. En général, si on n’était pas affi lié à la FGTB, cela posait des gros problèmes. Par contre, à BMC, la très grande majorité – c’était une entreprise où, quand je suis rentré, il y avait à peu près 700-800 personnes et à la fermeture il y avait plus de 3000 – 80% si pas plus étaient membres de la CSC et il y avait, à l’époque, d’autres nouvelles entreprises qui ont fermé malheureusement depuis, comme Buroughs où on faisait des ordinateurs. Là aussi, la CSC était majoritaire. Donc, dans pas mal de nouvelles entreprises la CSC était majoritaire.43»

Tant que le contexte économique reste favorable, BMC constitue presque un havre de paix au niveau des relations sociales jusqu’à ce que l’entreprise soit confrontée à la fi n des années 1970 à une situation délicate. Les coûts salariaux du site belge apparaissent alors aux yeux du groupe anglais comme étant trop élevés. Le stratégies et choix de gestion vont envenimer l’affaire mais d’autres facteurs ont également joué comme la concurrence, la modernisation technologique des chaînes de montage, l’effondrement de la Livre Sterling, une production moteur vieillissante qui n’était pas toujours adaptée aux nouvelles normes anti-pollution et sans doute aussi la révolution néo-libérale de Marga- reth Thatcher. Pendant l’hiver 1980-1981, la société décide la fermeture de sa division d’assemblage, qui est la plus importante avec 800 travailleurs, et de ne maintenir sur le site que la section de fi nition qui comprenait 250 ouvriers. L’entreprise cesse défi nitive- ment ses activités en 1981.

Boël, une usine à part Boël, de l’avis même des syndicats, constitue une entreprise sidérurgique à part. Alors que ses consoeures profi tent des crédits de l’État, Boël de par la volonté de son principal dirigeant, Pol Boël, développa sa propre conception et refusa de recourir à l’État pour fi nancer les investissements de l’entreprise. Cette entreprise sidérurgique est la seule industrie lourde qui forme la base de la région en substitution des charbonnages qui sont désormais fermés. Des usines modernes s’installent dans la région ce qui risque de poser un problème de recrutement de main-d’œuvre dans la sidérurgie louvièroise vu les salaires pratiqués ailleurs. C’est la FGTB et plus précisément la CMB qui est largement majoritaire dans cette entreprise qui se signale jusque- là par une relative paix sociale.

Chez Boël, un comité de productivité est créé fi n 1969. Pour un ouvrier de l’entreprise, Van Mooter, s’il y avait plus d’ordre et d’organisation au sein de l’entreprise, cela compense- rait la différence de salaire demandée par les ouvriers d’entretien. La direction reconnaît implicitement des anomalies dans les heures supplémentaires qui ne sont pas toujours nécessaires et le gaspillage de matériel.

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43 Interview de Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. En février 1970, le syndicat libéral lance un cahier de revendication, suivi en mars par la CSC44. Un référendum parmi les ouvriers donne un résultat mitigé, moitié-moitié malgré la promesse de 3500 F, l’intégration des 14,28%45, le barème des jeunes et l’avance d’une tranche pour les sursalaires en équipe. Sur la valorisation des heures payées, une reven- dication déjà soulevée à plusieurs reprises par les travailleurs de la sidérurgie et en com- mission paritaire, Boël fut la première entreprise où les travailleurs vont obtenir satisfaction.

La direction se dit prête à étudier une nouvelle convention applicable au 1 janvier 1971. La dégradation du climat social de l’entreprise représente une sérieuse menace. Une conci- liation est demandée en mars 1970 par la CCMB Centre pour examiner le problème des salaires des ouvriers des services entretien mécanique et électrique qui remonte à plus de 15 ans. Des diffi cultés ont surgi depuis plusieurs mois au sein des laminoirs. Dès les pre- miers pourparlers de début 1969 lors de la convention d’usine entre syndicats et direction, le différent apparaît. Le 14 novembre 1969, plusieurs arrêts de travail se produisent au sein de la division électrique et mécanique. En l’absence de réponse claire et forme de la direction, le malaise grandit. Sous prétexte de la convention qui est en cours, la direction refuse de revoir la situation de ces ouvriers qualifi és et de leur accorder une majoration considérée comme juste en fonction des salaires payés dans d’autres usines de la région du pays avant la nouvelle convention prévue pour 1971/72. Il s’agit en fait de revaloriser sous forme directe ou indirecte les salaires de ce personnel du service d’entretien électrique et mécanique des laminoirs. Suivant une comparaison des salaires dans la région établie par la CCMB, les salaires de ces ouvriers sont nettement inférieurs. De manière occasionnelle, ils travaillent au service « trains continus à coils (T.C.C), avec d’autres ouvriers d’entretien, qui, eux, bénéfi cient d’une prime liée à la production de leur division.

Pour les représentants de la direction de Boël, la situation est très grave car les trois orga- nisations syndicales ont négligé le processus des statuts de convention de fonctionnement. Des arrêts de travail dans certaines divisions ont lieu en novembre 1969 et février 1970 et un confl it plus général pèse sur l’entreprise. De l’avis de la CCMB, la situation de la sidé- rurgie vu les dividendes annoncés permet ces révisions de salaires dont ils veulent obtenir le principe avant d’examiner les chiffres. Le prix de l’acier n’est-il pas passé du simple au double de juin 1968 à février 1970. Les commandes ne manquent pas et la demande d’acier est toujours supérieure à l’offre.

44 La FGTB, majoritaire, dépose également un cahier de revendication, portant sur les 125 trois grands volets « salaires» mais aussi sur des problèmes latents comme le barème des femmes à la boulonnerie par exemple. 45 A n de mieux faire apparaître le salaire réel des travailleurs, la direction marque son accord pour incorporer dans le salaire effectif les 14,29% représentant la réduction du temps de travail de 48 heures à 42 heures. Cette réalisation permettait de valoriser désormais toutes les heures payées. Face à l’argument patronal avançant qu’il y a une convention qui ne permet pas d’apporter des améliorations à la situation existante, la délégation de la CCMB avance le cas de haute conjoncture économique et sociale repris à l’article 15.

Le pestiféré de la CCMB du Centre Comme le bureau régional de conciliation n’a apporté aucune solution, le bureau national de conciliation intervient sur un plan plus large à l’initiative de la CSC et de la CGSLB, qui se tient le 6 mai 1970. Le secrétaire régional du syndicat chrétien, Auguste Bruart est accusé par la direction d’apporter la peste à l’usine. Il s’en défend. « Si nous intervenons dans cette affaire, c’est qu’il y a des intérêts ouvriers à défendre et que si en réclamât justice, on apporte la peste, cette maladie a déjà fait beaucoup de ravages à Boël car tout le monde est mécontent et tout le monde réclame46.» Bruart souligne que la revendication lancée par son organisation n’est pas en opposition avec d’autres services, mais bien dans la rectifi cation d’une anomalie reconnue par tous mais jamais solutionnée. Et « il est vraiment dommage de constater que des travailleurs se réjouissent du refus patronal. Ils sont plus à plaindre qu’à blâmer; pour certains, c’est encore le temps de la féodalité, pour d’autres c’est un manque de liberté d’esprit et de comportement.»

Un climat plus serein semble avoir été reconstitué au sein de l’entreprise. Un protocole d’accord est admis le 7 janvier 1971 entre la délégation patronale et les organisations syndicales qui concluent donc un nouvel accord social. Il règle de façon défi nitive tous les questions mises sur la table des revendications jusqu’au 31 décembre 1971.

Boël invest, un mirage? Une décennie plus tard, Boël se retrouve plongé au cœur de la tourmente qui secoue la sidérurgie wallonne et européenne. Tout en se déclarant partisane et solidaire d’une sidé- rurgie wallonne valable et compétitive, la CCMB de Nivelles, La Louvière et Mons souligne que la sidérurgie wallonne ne se limite pas aux seuls bassins de Liège et Charleroi mais qu’il existe aussi des entreprises indépendantes comme Boël, Clabecq ainsi que partiel- lement les Laminoirs de Jemappes et ceux de Longtain47. Les garanties données à ces entreprises lors des accords d’Hanzinelle et confi rmées lors des différentes tables rondes de la sidérurgie ne peuvent être remises en cause par des négociations entre les deux autres bassins wallons. Les instances syndicales font part de leur point de vue et de leur inquiétude au Gouvernement lors d’une réunion le 20 janvier au cours de laquelle il est rap- 126 pelé qu’une solidarité wallonne ne peut s’établir au détriment de ce groupe d’entreprises.

46 Carhop, fonds CSC La Louvière(en cours de classement), tract de la fédération chré- tienne des métallurgistes du Centre, s.d (sans doute début mai 1970). 47 Carhop, fonds CSC La Louvière, communiqué de la CCMB, Fédération du Centre, 17 janvier 1981. Dans les mois qui suivent, l’inquiétude grandit sur l’avenir de la région du Centre, « synthèse de tous les problèmes wallons». Le 6 février 1981, une manifestation en front commun syndical réunit 18.000 qui font part de leur préoccupation dans le calme. On a encore à l’esprit la catastrophe L.I.B qui a coûté en une seule fois 3.000 emplois. « Nous dépassons les 23.000 chômeurs, soit près de 36% de la population active. Situation record, mais nullement enviable», lance François Merckx, lors d’une allocution, le 25 septembre 198148. Boël et ses 4000 employés et ouvriers, sans compter les emplois indirects, ne peut être oublié dans les remous qui secouent le secteur de la sidérurgie, dans la valse des milliards et des tonnages de production.

Le comité de bassin censé rassembler et mobiliser toutes les forces vives n’est pas consti- tué malgré l’appel des syndicats chrétiens lors du congrès régional de la CCMB du 8 octobre 1981. Alors que Boël n’a pas encore reçu l’argent que l’État lui doit, « pour les fabrications métalliques, on n’ose plus compter les pertes d’emplois, les fermetures, les res- tructurations dans les entreprises traditionnelles, mais aussi dans des entreprises nouvelles.

Dans la foulée de Alinvest et de Sidinvest est constituée, en 1983, Boëlinvest, un holding mixte en matière de sidérurgie au capital de 20 millions de francs dont la moitié des titres est détenu par la SNI et l’autre par les Usines Gustave Boël. Le 1er avril 1983, le Conseil des Ministres accorde une tranche de 2,5 milliards de droits de tirage à Boëlinvest en vue d’initiatives dans le secteur sidérurgie, en amont et en aval, une tranche fi nancée par le S.N.S.N qui gère les secteurs nationaux49. L’objectif est d’assurer un aval performant aux entreprises sidérurgiques dans la structure industrielle locale. Le droit de tirage est calculé de la même façon que pour Sidmar, en fonction de la capacité d’acier brut.

Ce holding mixte, comme les autres qui ont été constitués, est chargé de répertorier des projets, de les analyser, d’en proposer le fi nancement. La plupart des projets répertoriés se trouvent dans les fabrications métalliques. Le premier projet à examiner par Boëlinvest s’inscrit dans le cadre de la reconversion des Laminoirs de Jemappes par la création d’une cellule « transformation à froid». Et en décembre 1983, un premier prélèvement est effectué pour secourir Cockerill/Sambre. Ce qui va dans le sens des souhaits exprimés par le secrétaire général de la CCMB, Jean Doyen mais qui alerte en revanche la CCMB du Centre50. « Il nous revient que l’intention existerait de procéder à un deuxième prélè-

48 Carhop, Fonds CSC La Louvière. 49 Créé le 23.02.1989 à l’initiative de l’Exécutif Régional Wallon, Invest Borinage-Centre, qui fait partie des invests de la quatrième génération, prendra la relève en vue de 127 doter la région de Mons, du Borinage et du Centre d’un instrument nancier destiné à participer à la création d’entreprises nouvelles, au développement de petites et moyennes entreprises existantes, à la création de nouveaux emplois et à la reconversion industrielle. 50 Carhop Fonds CSC La Louvière, lettre de J.Doyen à Jean Depaepe, chef de cabinet du ministre des Affaires économiques, 4 décembre 1984. vement pour garantir la situation de Cockerill/Sambre en janvier 1984, à raison de 2 ou 3 milliards51».La première opération ne trouve déjà pas d’explication pour la CCMB et encore moins la seconde, si elle se vérifie. Il est ainsi demandé au ministre des Affaires économiques, Mark Eyskens, « le rétablissement de l’enveloppe initiale de Boël Invest» car « notre région a grand besoin de possibilités d’investissements (…)»

Du côté du secrétariat national de la CCMB, on voudrait voir Pol Boël prendre en charge le redéploiement industriel du Centre et du Borinage. Ceci étant, aucun comité d’accompa- gnement n’est prévu pour Boël Invest, ce qui peut être considéré comme une lacune quant au poids que pourrait jouer les syndicats dans la reconversion. Pour Marco Van Hees, militant de la CGSP-AMIO, auteur d’un livre polémique sur la fortune des Boël, ce fonds de reconversion n’a jamais servi à la reconversion. Mieux, il considère que 175 millions d’euros de l’État ont été reconvertis en patrimoine privé52.

Manifestation dans les rues de La Louvière en solidarité avec les travailleurs de Boël

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51 Carhop, Fonds CSC La Louvière, lettre de F.Merckx, secrétaire principal à Mark Eyskens, ministre des Affaires économiques, 16 décembre 1983. 52 « La fortune des Boël. Un énorme patrimoine, une immense dette sociale», Éditions Aden, Bruxelles, 2006. Journaliste et fonctionnaire des nances, il est membre du PTB, un parti d’extrême gauche présent en Wallonie et à Bruxelles. La suppression de 1.068 emplois est annoncée sans ménagement en 1993. Face au confl it né de l’annonce du plan de restructuration réducteur de la moitié des emplois aux usines Boël, Jean-Claude Lievens, secrétaire permanent de la CNE - le syndicat des employés chrétiens - du Centre dénonce les trahisons de la direction53. Les chiffres du bilan 1992-1993 clôturé en juin annonçaient la couleur et démontrait que le plan de res- tructuration avait déjà été préparé. « J’en veux pour preuve l’augmentation du poste « pro- visions pour pensions et charges similaires» qui passe de 209 à 690 millions par rapport à l’exercice précédent ou des provisions pour risques et charges exceptionnels évoluant elles de 15 millions à... 502 millions. Quand la direction affi rmait en mars dernier que le plan de réorganisation d’alors entraînant la perte de 590 postes de travail mettait fi n aux compressions de personnel, elle mentait. Il y a aujourd’hui trahison par rapport aux pro- messes de 199354.»

74 jours de grève vont paralyser l’entreprise sidérurgique louviéroise et permettre de gom- mer le mot licenciement du plan de restructuration grâce au recours au chômage de longue durée et aux prépensions, revient à faire supporter les charges inhérentes à une restructuration par la collectivité.55. Les membres de l’état-major CNE ont en revanche souligné les carences importantes du front commun sur le plan politique. « Alors que le rassemblement des forces est indispensable pour la reconversion de la région, jamais dans les différentes interventions ou présences politiques, on a ressenti cette volonté,» accusait à l’époque Jean-Claude Lievens.

Début 1997, un nouveau confl it social aux Usines Gustave Boël se solde par une accep- tation du plan social. Un vote positif a entériné la perte de 800 emplois sur 2100, consé- quence du rapprochement avec Hoogovens qui va constituer H-UGB. Les travailleurs se sont rangés sans enthousiasme aux conditions posées par le sidérurgiste batave, qui accepte d’injecter trois milliards de francs aux UGB, dont 1,8 milliard pour le volet social. En octobre 1997, la société de Clabecq est reprise par le groupe Duferco qui va prendre le contrôle de H-UGB le 19 avril 199956. Les syndicats assistent en spectateurs impuissants aux manœuvres alors en cours qui sont mises à profi t par la direction de Duferco pour diminuer les salaires et augmenter la cadence de travail. Le volet social du plan, approuvé le 17 avril 1999, prévoit le maintien de 833 emplois à La Louvière, de 104 emplois à la tréfi lerie de Trebos et de 38 emplois au Steel Center de Jemappes sur un total de 1338 emplois. En outre, quelque 100 emplois seront transférés à Clabecq. Un énième chapitre de l’histoire de la sidérurgie commence ainsi avec le nouveau siècle. 129 53 Le Soir, 10 décembre 1993, « Jean-Claude Lievens, secrétaire de la CNE: J’accuse». 54 Idem. 55 Le Soir, 28 février 1994, A-t-on reculé pour mieux sauter? La CNE dresse à son tour le « bilan Boël». 56 Voir Capron, M., La sidérurgie en Wallonie entre Usinor, Duferco et Arcelor in Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1786-1787, 2003, p.32 et svt. 3.4 Lutter ensemble, sans violence, ni haine Les 14 et 15 septembre 1987, Dom Helder Camara, ancien archevêque de Recife (Bré- sil) est en visite à Mons et dans le Borinage à l’invitation de la CSC régionale57. Il va notamment célébrer une messe dans un ancien hall des ex-Laminoirs de Jemappes où une assemblée de solidarité se déroula58. Tout un symbole dans un lieu victime d’une fermeture douloureuse et en matière porteur d’espoir en matière de reconversion. Pour la CSC, concilier développement régional et dimension internationale permettait d’éviter de tomber dans le nombrilisme malgré la crise économique qui sévit en Belgique, à l’heure de l’internationalisation de plus en plus forte des économies. La pauvreté se fait sentir en Belgique mais elle est d’une toute autre nature et ampleur au Brésil où l’existence même d’organisations de défense des travailleurs est problématique. Le droit à la libre organisation syndicale n’est pas reconnu dans le plus grand pays d’Amérique Latine où l’esclavage n’a pas totalement disparu, où les bidonvilles sont légions et où on frôle les 1000% d’inflation par an. Des contacts très étroits sont dans ce cadre entretenus à partir de 1983, juste avant la fi n de la dictature militaire, avec la Centrale unifi ée des Travail- leurs (CUT), une organisation syndicale brésilienne d’opposition qui est considérée comme « hors-la-loi » alors qu’un syndicat offi ciel est reconnu par le pouvoir en place. Les fédéra- tions de Ciney-Dinant et du Hainaut Occidental ont également concrétisé des jumelages qui bénéfi cient de l’appui de Solidarité internationale (MOC). De manière concrète, cela signifi e que la CSC reçoit chaque année des responsables syndicaux brésiliens et envoie des fonds pour la formation et pour l’organisation des élections sociales.

130 57 Né en 1909 dans le Nordeste brésilien, Dom Helder Camara est l’une des grandes gures de la théologie de la libération. Il a exercé son ministère catholique à Rio no- tamment avant de devenir archevêque de Recife de 1964 à 1985, une cité d’un million d’habitants, dont 400.000 sont sans emploi. Il dénonça cette situation malgré la pré- sence des militaires au pouvoir et va incarner la voie paci que tout en réclamant une Église plus juste et plus proche des gens. Don Helder est mort le 27 août 1999 à Recife. 58 Le journal La Cité titrera le 5 mars 1987 « Un si grand visiteur pour un coin si perdu». 131

Après Dom Helder Camara en 1987, la CSC Mons-Borinage accueille quatre ans plus tard, le 23 avril 1991, Ignacio Da Silva dit « Lula», syndicaliste et candidat progressiste aux élections présidentielles du Brésil de 1989 où il échoua de quelques pourcents dans la conquête du pouvoir face au président élu, Fernando Collor59. La CSC en partenariat avec la CFDT s’intéresse beaucoup à la situation du Brésil et soutient un projet de formation sur place pour les délégués syndicaux

La visite de Ignacio Da Silva dit « Lula» à Mons, le 23 avril 1991, constitua un grand événe- 132 ment et retint l’attention de la presse. Ici un article du journal La Province du 24 avril 1991

59 Ce qu’il parviendra à faire plus tard en étant élu président du Brésil en 2003 pour le rester jusqu’en 2011. Une IDEA sociale et anti-exclusion En octobre 1994, la CSC Mons-La Louvière lançait un pavé en mettant la pression pour que l’IDEA, revoie ses structures et élargisse ses missions à l’action sociale et à la lutte contre l’exclusion. Ce n’était pas la première fois que le syndicat chrétien se montrait critique à l’égard d’un outil qualifi é de levier institutionnel incontournable, mais qu’elle jugeait en même temps peu adaptée aux réalités de son temps. Grâce aux soutiens des fonds structurels européens dans le cadre de l’Objectif 1 acquis en 1993 sous l’impulsion du gouvernement wallon présidé par Guy Spitaels, des moyens importants s’annoncent disponibles pour le redéploiement de la région. Le secrétaire fédéral, Pino Carlino, en profi te pour enfoncer le clou: l’IDEA ne peut plus limiter son action à ses domaines traditionnels. Le moment est venu de l’élargir à une dimension qui prenne en compte le social. « Nous demandions alors la créa- tion d’une nouvelle commission consacrée à l’emploi et à la lutte contre l’exclusion sociale. Celle-ci devra imaginer et accompagner les initiatives novatrices en matière de redistribution du travail et des richesses disponibles.60» La question pas si incongrue que cela était donc posée en ces termes: l’Idea futur grand ensemblier de l’action sociale dans sa région et sou- tenue, le cas échéant, par un « invest social» bénéfi ciant de moyens substantiels? « Selon la CSC, l’Idea doit se doter d’un véritable comité de direction représentatif des forces vives. La transparence doit être de mise. Les leaders régionaux doivent réinvestir l’intercommunale de manière positive et constructive. Les représentants du patronat doivent s’y impliquer davan- tage.61»

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Une action d’un groupe de PPCA pour dénoncer la pauvreté, le 12 avril 2010 60 Interview de Pino Carlino, le 12 juillet 2011. 61 « La CSC exige une IDEA sociale et anti-exclusion», in Le Soir, 6 octobre 1994, p.23. A Mons-Borinage et dans le Centre, la CSC militait depuis longtemps pour que la partie la plus centrale du Hainaut et ses 41.000 demandeurs d’emploi! deviennent le laboratoire de projets originaux en matière de diminution du temps de travail. Et insistait sur la création d’un invest social, le développement du tourisme et le soutien à la création d’entreprises liées aux questions environnementales tout en plaidant pour des quotas sous-régionaux d’aide à l’investissement. Selon Pino Carlino, le Centre ne pouvait pas se permettre de rater le train de l’Objectif 1 et la seule manière d’y arriver est de renforcer la zone Idea en s’alliant avec Mons.

Pino Carlino secrétaire fédéral de la CSC Mons - La Louvière ne pouvait manquer de réagir aux propos tenus récemment dans ces colonnes par le président de la FGTB du Centre Henri Claus, réticent à un front commun syndical dans sa région à l’instar de ce qui se met en place à Mons - Borinage pour défendre l’idée de discrimination positive. Erreur stra- tégique? Pour Pino Carlino, les arguments avancés par son alter ego syndical du Centre, lorsqu’il évoque par exemple le confl it Boël ou l’ascenseur de Strépy Thieu, sont en tout cas passéistes. Il y a urgence; nous n’avons plus le temps de nous disputer, lance-t-il. L’in- térêt d’une opération En Avant ma Région est qu’une série de gens disent stop, ce n’est plus possible. La manifestation du 19 décembre aura lieu à Mons mais elle aurait pu se faire à La Louvière si la FGTB du Centre avait accepté de collaborer. Cela dit, notre plus grand souhait est que la FGTB se ressaisisse. Parce qu’ensemble on sera plus fort.

En attendant, le secrétaire fédéral de la CSC Mons - La Louvière insiste sur ce qui, selon lui, doit concrètement être mis en place pour redresser la barre économique de cette partie défavorisée de la province. Il y a les couplets déjà entendus. A l’idée de pousser des expériences de redistribution du temps de travail Pino Carlino ajoute une touche fi nancière incitative; pourquoi à l’instar de ce qui se fait en Flandre, la Région wallonne n’octroie- rait-elle pas une prime de 5.000 Frs à toute personne acceptant de diminuer son temps de travail de 50%, de 2 à 3.000 Frs si le travailleur décide de passer à un 3/4 temps ?

Section 4 - Inverser la tendance, mobiliser les forces vives, (ré)inventer le social Plus de 2.000 personnes marchèrent dans les rues de Mons le 19 décembre 1995 sur l’air du Doudou avec la présence remarquée d’un dragon et d’un Saint-Georges, dignes symboles de l’identité d’une région et sans qu’aucun mot d’ordre de grève n’eut été lancé. L’opération En Avant ma Région démarra sur les chapeaux de roue comme riposte après la 134 restructuration douloureuse qui frappait l’entreprise Alcatel-Bell. « La base rouge et verte avait répondu en masse, secteurs privé et public confondus, cheminots en tête. Mais juste derrière, les états-majors du PS, du PSC et d’Ecolo se serraient les coudes sans réserve. On aperçut même Elio Di Rupo pour une apparition aussi rapide que remarquée. Malgré l’un ou l’autre drapeau bleu de son aile syndicale, le PRL n’était pas représenté offi ciel- lement. Le maïeur de Dour, Alain Audin, était là pourtant: pour les câbleries, je crois que ma présence était un devoir, soulignait-il. Entre banderoles, pétards, coups de siffl et et... Internationale on distinguait aussi et en vrac: la CGT de Lille, les « cyclistes au quotidien», les pompiers de Mons, des responsables nationaux des deux syndicats, une escouade d’étudiants, l’un ou l’autre père Noël, le recteur de l’université, des délégations du Centre, des responsables de l’association des commerçants... Il y avait aussi pas mal de policiers, mais avec leurs badges « En avant, ma région!», on ne savait plus en défi nitive de quel bord ils étaient.62»

Le monde politique régional avait répondu présent à la manifestation lancée en front commun en décembre 1995 135

62 « La Manifestation « En avant, ma région!» voudrait être le point de départ...», Le Soir, 20 décembre 1995. 4.1 En Avant ma Région: une belle promesse sans lendemain? Il y a près de deux décennies maintenant, le front commun syndical CSC-FGTB de Mons-Borinage lançait un large rassemblement des forces vives qui se voulait optimiste avec un thème mobilisateur: vivre et travailler ici et maintenant. En Avant ma Région était devenu un symbole dans la région. Bien sûr, ça faisait peur aux politiques, parce que ça n’était plus eux qui dirigeaient et qui faisaient le cahier des charges des objectifs pour la région. Mais les syndicats jouaient le rôle d’aiguillon qui indiquait dans quelle direction aller, et surtout d’essayer d’être le bon niveau de connexion entre le politique et les gens. Donc d’être un médiateur, de faire une médiation sociale entre le peuple, les travailleurs, les chômeurs, et les politiques. Et donc on a lancé En Avant ma Région, qui était devenu un peu le creuset de référence de qu’est-ce que… Sur quoi bâtir – on faisait travailler l’idéal sur nos projets, on faisait travailler, pas seulement, que c’était pas que du vent, il y avait du contenu.63»

Cette mobilisation régionale En Avant ma Région va déboucher sur un certain nombre d’initiatives parmi lesquelles la mise en place de cellules de reconversion que l’on qualifi era de « nouvelle génération des cellules».

L’économie sociale comme moteur de la reconversion Le début des années 1990 commence plutôt mal avec la fermeture d’une entreprise phare de la région de Mons, Brassico et la fi n de la production de bière à l’échelle industrielle(voir encart ci-dessous). La suite ne sera guère plus rose. En 1997, l’entreprise Carcoke ferme ses portes. Cette fermeture va déboucher sur une vaste mobilisation autour de la recon- version des travailleurs. Un encadrement supplémentaire, prévu sur deux années, est apporté vu le contexte de la région marqué par un climat social et entrepreneurial for- tement ébranlé par une vague de fermetures successives. Les organisations syndicales et les pouvoirs publics se sont rendus à l’évidence. Les outils traditionnels du marché de l’emploi ne peuvent faire face, seuls, à ces situations dramatiques pour la région.

Un projet pilote CAR Emploi est introduit auprès de la Région wallonne qui accepte d’y apporter son concours. Il prévoit notamment une prise en charge tout à fait spécifi que des travailleurs licenciés à la suite de la fermeture de Carcoke. Les résultats obtenus par l’ini- tiative CAR emploi seront particulièrement exemplaires en matière de taux de reclassement et de reconversion atteint si l’on considère le niveau de qualifi cation des personnes licen- 136 ciées. Ces personnes avaient un savoir-faire qui n’était pas nécessairement validé par un diplôme ou reconnu de manière offi cielle. Le travail réalisé a permis de tracer de nouvelles perspectives professionnelles pour ces personnes. Cette cellule rencontre aussi un suc- cès certain auprès des personnes extérieures à l’entreprise qui font appel à ses services.

63 Interview de Pino Carlino, le 12 juillet 2011. Le résultat sera la création de CAR Emploi, une asbl née d’un partenariat entre la CSC et la FGTB de Mons-Borinage qui depuis 1997 et la fermeture de l’entreprise Carcocke, sert d’outil aux organisations syndicales régionales pour gérer, en partenariat avec le Forem, les cellules de reconversion.

Brassico, la n d’une longue histoire brasicole En 1963-64, un consortium de brasseries établit un vaste site de fabrication sur le zoning. Brassico. Celle-ci, aux mains d’actionnaires américains, est reprise par les bras- series Artois et Piedboeuf qui mettent 5 millions de francs belges sur la table pour constituer une société anonyme sous le nom de Brassico. Ils s’engagent à faire fonc- tionner la nouvelle brasserie pendant 10 ans au moins. Tous les avantages et emplois des travailleurs sont assurés. Le premier but que s’est fi xé la brasserie sera la recherche d’une qualité meilleure de la bière. Cette analyse que l’on peut lire dans le procès-verbal du comité fédéral du 28 janvier 1971 de la CSC Mons laissait augurer d’un avenir serein. Et pourtant, au cours de l’été 1973, le 27 août plus exactement, les travailleurs de Bras- sico vont se mettre en grève à la suite du licenciement de deux délégués. Et surtout, 16 ans plus tard, le 4 octobre 1989, la direction d’Interbrew rendait public un vaste plan de redéploiement impliquant la fermeture de cinq sites d’exploitation dont Brassico, sur le zoning de Ghlin, une des entreprises les plus importantes de la région montoise: cet automne-là, 420 ouvriers et 82 employés travaillaient encore dans la célèbre brasserie. Au lendemain de l’annonce par le groupe Interbrew (Stella et Piedboeuf) de cet impor- tant plan de rationalisation, ce fut la stupeur qui se répandit dans les zones concernées. Dans la région de Mons-Borinage, la fermeture de l’usine de Ghlin que l’on disait privi- légiée dans la perspective de 1993 et de l’ouverture des frontières, faisait mal après les coupes sociales aux Laminoirs de Jemappes et à la Sucrerie de Quévy.

Grèves, manifestations, négociations: les organisations syndicales vont obtenir au bout du compte une fermeture progressive et accompagnée, doublée d’un pro- gramme de reconversion destiné à atténuer l’impact social des décisions prises à Louvain. Sans changer le cours de l’histoire. Le 31 décembre 1993, la fi n des activi- tés de brassage et de sous-titrage à Ghlin signifi ait la fi n de la production de bières à une échelle industrielle dans la région de Mons-Borinage.

4.2 Série noire pour le Centre

La CSC Mons-La Louvière évoque des évolutions encourageantes, des sources d’es- 137 poir pour la région du Centre lors de son congrès de 1999 qui devaient se concrétiser par la création d’un pôle d’excellence environnementale accompagné d’une dimension culturelle, scientifi que et touristique. Quelques années plus tard, la stabilité de l’emploi n’est plus garantie, les jeunes ne peuvent plus construire de projets de vie et le doute s’installe. « La restructuration chez Sigma Manage en est une de plus, mais une en trop.»64 Le 17 décembre 2003, plus de 2.000 travailleurs et sympathisants se ras- semblent devant la gare du centre à La Louvière, répondant ainsi à l’appel lancé en front commun par les organisations syndicales.

Durobor, Pantochim, Bombardier, des noms qui suscitent autant la nostalgie que la colère à la fi n des années 1990. Dans le cas de Durobor, un repreneur se manifestera et l’entre- prise poursuivra sa route à Soignies. Ce n’est pas le cas de Pantochim que le propriétaire Sissas (Italie) avait repris en 1982 à la suite de la fermeture de la raffi nerie Chevron à Feluy. Certes, le commissaire européen Monti donne son feu vert au rachat de l’entreprise par le groupe allemand BASF en 2001. Mais au mois de janvier 2010, moins d’une décennie plus tard, BASF ferme le site entraînant la perte de 133 emplois directs. De Bombardier Manage en mai 2000 et ses 270 travailleurs laissés sur le carreau – jusqu’à la fermeture de Sigma, La Louvière et ses environs ont perdu 1.600 emplois. Alors que sur la fi n des années 1990, la région semble bénéfi cier d’un souffl e nouveau qui contribue à redorer son blason, une série noire s’abat sur elle.

138 Action de la CSC bâtiment-industrie & énergie chez Durobor en novembre 2011.

64 La Louvière - Plus de 2.000 manifestants dans les rues. La région du Centre a marché pour l’emploi « Le pro t passe avant tout» Le Soir, 18 décembre 2003. Guère mieux loti, Royal Boch, une faïencerie en exploitation depuis 1841, va connaître les affres de plusieurs restructurations. La Manufacture Royale La Louvière Boch, en abrégé la M.R.L.Boch, qui avait repris la production des services de table de Boch Frères, tombe en faillite en 198865. Le groupe Le Hodey la reprend en 1989 sous l’appellation Royal Boch Manufacture S.A. Face aux pertes cumulées, la Région wallonne est appelée à la rescousse et constitue une seconde société qui reprend la fabrication des sanitaires, acti- vité qui entre en 1991 dans le groupe hollandais Koninkelijke Sphinx puis dans le groupe Sphinx-Gustavberg en 1998. Le jeudi 26 février 2009, l’aveu de faillite de la Manufacture Royal Boch de La Louvière est prononcé devant le tribunal de commerce de Mons. Mais l’usine reste occupée par les 47 travailleurs. Malgré les espoirs et plusieurs tentatives, Boch ne sera bientôt plus qu’un souvenir à La Louvière.

Entre 1970 et 2000, le nombre d’entreprises installées sur les zonings de l’intercommu- nale IDEA est passé de 50 à 550. Dans le même temps, l’emploi, lui, n’a pas été multiplié par onze: de 9.000, on est passé à 15.000 travailleurs. L’explication est simple: durant cette période, le tissu économique a changé, l’industrie disparaissant peu à peu au profi t des PME et des très petites entreprises. « Nous sommes le maillot jaune des cellules de reconversion», déclare alors Bernard Braglia, le secrétaire général de la régionale FGTB qui refuse toutefois qu’on justifi e le taux de chômage (environ 24%) par un manque de qualifi cation. « On a obtenu que des centres de formation sectoriels soient installés dans la région: la logistique à Houdeng, Technofutur métal à Bracquegnies et, le mois prochain, Cefochim à Seneffe. De plus, les cellules de reconversion sont largement fréquentées.», argumente-t-il ?66.

Mais tout n’est pas teinté de noir, loin de là. En 1998, un plan de reconversion de la Communauté urbaine du Centre (CUC) est porté sur les fonts baptismaux. Il prévoit la création d’un port autonome, d’une plateforme multimodale et l’extension de Garocentre. Et en 1999. Garocentre est inscrite en tant que plateforme multimodale dans le Schéma de développement de l’espace régional (SDER). L’inauguration du canal du Centre à grand gabarit (1.350–2.000 tonnes) avec l’ascenseur de Strépy-Thieu et le pont-canal du Sart en 2002 donne un nouvel élan par une meilleure utilisation du canal du Centre. Le déve- loppement économique de la zone industrielle Seneffe-Manage-Feluy rayonnant autour de la gare autoroutière de Houdeng et l’aménagement d’une plate-forme tri-modale (eau, rail, route) faisaient partie du désenclavement urgent dont avait besoin la région.

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65 http://www.royalboch.com/historique/, site web consulté le 13 juillet 2013. 66 « Mons-Borinage-Centre - Près de la moitié des chômeurs indemnisés résident dans la zone, s’inquiète la FGTB», in Le Soir, 9 octobre 2003. En février 2009, la société Don-Bar à Soignies (cheminées, poêles à bois, etc.) se croise les bras. En cause: une suppression de trois emplois. En 2012, cette société qui employait 41 ouvriers et 11 employés est menacée de liquidation mais va franchir ce cap dif cile. Au bout du compte, de quel côté la balance a-t-elle fi ni par pencher ? Comme souvent, la vérité se situe entre les deux extrêmes. « Je ferais un bilan mitigé. D’abord pour la région du Centre, malheureusement ce n’est pas la CSC qui est toute seule à avoir essayé de faire. Donc, la CSC qui a toujours essayé d’abord de convaincre, de proposer des initiatives et surtout des alternatives mais aussi de mener des actions fortes – je me souviens d’une action très forte qui a commencé le 21 janvier 1985 pour lutter contre la fermeture de la faïencerie Boch; pendant un mois on a occupé la faïencerie, on avait sorti toute la vaisselle, les wc, enfi n tout ce qui était la céramique, évidemment ce n’étaient pas les produits fi nis, et on a bloqué le carrefour près de la gare à La Louvière pendant pratiquement un mois. Ils ont dû dévier les trams, etc. Il y a eu des actions très fortes pour essayer de sauver l’entreprise. Il y a eu une période, notamment fi n septembre et début 1980 où je ne me souviens pas qu’il y ait eu une entreprise dans la région du centre où il n’y avait pas du chômage partiel. Donc, ce qui a été fait c’est qu’on a continué à convaincre toute une série 140 d’employeurs de ne pas fermer leur entreprise, de garder le cap et aussi de ne pas faire des actions n’importe comment dans les entreprises, de manière à essayer de garantir un maximum d’emploi en ayant une vision sur une relance économique possible. Elle a eu lieu, puisqu’après 1984, je pense, il y a eu une relance assez importante. Je me souviens que, comme jeune permanent – il y avait quand même quelques années que j’étais là – on pas- sait pratiquement deux jours par semaine à courir dans les entreprises, aller chercher des papiers de chômage partiel, payer sur place rapidement, etc. On a connu des périodes qui me semblent aujourd’hui, à l’analyse, aussi diffi cile que celle qu’on est en train ou qu’on va vivre si ce n’est qu’il y avait peut-être encore de l’espoir, un peu plus que maintenant, que les entreprises puissent continuer leurs activités et créer de l’emploi.67»

Section 5 - Les travailleurs frontaliers et le CSI La grève des mineurs et des frontaliers de mars 1948 va constituer le premier événement fondateur d’une coopération transfrontalière qui aujourd’hui encore est l’un des axes d’ac- tion prioritaire de la fédération de Mons-La Louvière. A la suite de cette grève, le secré- taire de la CSC Mons, Hilaire Willot réunit les délégués frontaliers et une permanence de renseignement est installée à Quiévrain.

Les contacts entre les organisations chrétiennes s’intensifi ent dans les années 60 à la suite d’un problème très concret consécutif aux dispositions prises par la CEE en faveur de la libre circulation des travailleurs. Il s’agit de la possibilité pour les travailleurs des six pays de la Communauté européenne de pouvoir se présenter aux élections professionnelles au sein des pays dans lesquels ils travaillent, sous réserve qu’ils soient occupés dans la même entreprise depuis au moins 3 ans.

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Le problème des travailleurs frontaliers devient de plus en plus une priorité syndicale après la guerre de 1940-45

67 Interview d’Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. Lors d’une rencontre à Lille, le 7 décembre 1966 réunissant la CFDT Nord Pas de Calais et la CSC Hainaut, les syndicalistes présents concluent sur la nécessité d’augmenter les échanges et faire connaître au travailleur français le standard social du travailleur belge. Les forces régionales doivent contribuer, à leurs yeux, à renforcer la vocation européenne et internationale des régions frontières qui, dans le temps et les faits sont au premier rang de l’affrontement international. Et ils se risquent même au jeu de la prospective, non sans fi nesse d’analyse comme les faits le démontreront par la suite. Dans leur esprit, le développement de Calais et la prévision du Tunnel sous la Manche posent le problème du port d’Ostende et celui de la ligne Ostende-Douvres. En matière d’enseignement, les deux syndicats considèrent que dans le cadre de l’Europe, le mouvement déjà amorcé dans les régions frontières-étudiants belges en France et étudiants français en Belgique- s’am- plifi era. Dans leur esprit, il serait insensé de mettre les mêmes sections d’enseignement des deux côtés de la frontière à des distances proches sans aucune étude préalable. Les participants insistent sur le cadre nouveau qui s’ouvre à leur action.

« Il faudrait penser à la complémentarité pour atteindre l’efficacité des dépenses. L’examen de toutes les questions qui nous préoccupent doit se faire en tenant compte de la disparition progressive de la frontière et dans un esprit européen».

D’une manière générale, les deux organisations syndicales demandent qu’il y ait des coordinations globales sur le plan régional dans le souci de développement économique et social et d’aménagement actif du territoire au profi t réciproque et complémentaire des régions françaises et belges dans une perspective européenne. 15 ans plus tard, la constitution du Conseil syndical interrégional Hainaut-Nord Pas De Calais s’inscrira dans cette vision.

Il faut signaler encore pour clôturer le chapitre des années 60, un colloque syndical qui est organisé à Lille, les 24 et 25 juin 1969, par la Région Nord-Pas-de-Calais CFDT et la Région frontière CSC. Il porte sur les problèmes de la libre circulation des travailleurs dans la CEE et sur les problèmes de l’emploi, de la formation et des implantations dans la zone transfrontalière. L’emploi est évidemment un sujet de préoccupation commun alors que la crise s’éternise.

En 1978, le projet d’une rencontre franco-belge avec l’ensemble des affi liés à la CES est à l’ordre du jour avec comme principale préoccupation, la crise de l’emploi. A l’occasion 142 de la semaine européenne prévue en décembre 1979, la CFDT sollicite la CSC et la FGTB pour envisager une action commune aux travailleurs belges et français en Belgique. La CGT serait associée à l’initiative. Mais, pour des raisons de politique et de stratégie syn- dicale incompatible, ce projet n’aboutit pas. Les contacts sont même coupés pendant un an entre la CSC et la CFDT. La situation de l’emploi le long de la frontière créé un malaise anti-français le long de la frontière belge: la fermeture d’entreprises françaises, certaines allant en Suisse ou “retournant” en France; la déclaration de Raymond Barre évoquant le rapatriement d’usines françaises, des français qui acceptent des emplois refusés par les Belges; la menace de Renault par rapport à la concurrence japonaise en Belgique.

Devant cette situation, qui renforce les nationalismes, une réfl exion commune est à conduire, même si l’on ne voit guère parfois de suite, une déclaration commune pourrait être envisagée.

5.1 La reconnaissance par la CES du CSI Hainaut Nord Pas de Calais Prenant conscience que les régions frontalières constituent dans le processus d’intégra- tion européenne un milieu d’expérimentation concret pour une solution communautaire à des problèmes de nature transnationale, le comité exécutif de la Confédération euro- péenne des syndicats(CES) adopte, le 12 juin 1981, un mémorandum intitulé « Travailleurs frontaliers en Europe-Problèmes et revendications». La CES recommande, avec plus ou moins d’insistance, la création de structures transfrontalières à l’instar de ce qu’avaient réalisé les syndicalistes des régions de Sarre/Lorraine/Luxembourg dès 1976 et que les syndicats de la région Meuse-Rhin imaginaient mais sans pouvoir concrétiser ce projet dès le début des années 70.

Cette action de la CES va permettre de débloquer la situation sur la zone franco-belge. En 1979, l’idée d’un CSI sur le territoire du Hainaut-Nord Pas de Calais-Flandre (HNF) est certes lancée. A l’époque, le service d’information de la Commission européenne favorise les contacts au travers d’un soutien fi nancier. Il y a donc des opportunités à saisir. Mais les diffi cultés ne sont pas minces pour réunir l’ensemble des organisations syndicales. Si lors d’une rencontre datant du 6 février 1981, la CSC et la CFDT considèrent qu’il faut aller résolument vers un comité syndical transfrontalier, ils ne voient pas moins la participation de la CGT qui n’est pas membre de la CES comme improbable. Il faudra attendre le 28 juin 1982 pour voir le projet prendre réellement forme à Mouscron; le sixième CSI créé en Europe est devenu une réalité. Limité aux organisations belges wallonnes et françaises en partie, il va progressivement s’élargir côté belge avec l’intégration des organisations fl amandes en 1989(l’ACV et l’ABVV), côté français (FO, CFTC,CFDT et depuis 1999, la CGT a rejoint ses rangs comme les organisations syndicales britanniques(TUC)l’avaient fait auparavant au cours des années 90. Lors d’une réunion des CSI dans la CES à Varèse en Italie, en octobre 1982, le CSI HNF est présent pour la première fois pour présenter la situation dans la zone transfrontalière au sein de laquelle il est actif. 143 Trois ans plus tard à Luxembourg, le Comité CSI Nord Pas de Calais Hainaut est représenté par un seul membre de FO et pas par son président. Un constat amer sur la situation est dressé; « à démoraliser un régiment», peut-on lire dans un rapport de la CFDT. A peine constitué, le CSI doit faire face à certaines dissensions internes entre les partisans de l’action pour l’action et d’autres organisations qui éprouvent manifestement des diffi cultés à mobiliser leurs adhérents sur le terrain transfrontalier. Les calendriers, les élections, les mouvements sociaux gèrent le fonctionnement du CSI qui manque de moyens pour dévelop- per des actions propres. Mais n’est-ce pas là une maladie de jeunesse bien compréhensible.

L’un des dossiers qui va mobiliser le CSI dans ses premières années d’existence est la problématique des transports et la situation des travailleuses et travailleurs qui ont des activités professionnelles liées à ce secteur (entreprises de matériel ferroviaire, cheminots, équipement,activités portuaires, routiers). Enjeux de plus en plus importants dans le cadre des échanges frontaliers franco-belge qui se tissent autour de la future métropole lilloise, les transports et les voies de communication vont représenter des domaines clés dans la logique d’aménagement du territoire national et dans les projets de mise en œuvre des Réseaux Transeuropéens de Transports évoqués dans les années 1960. Des problèmes très concrets comme les relations routières entre Calais-Ostende, la création d’une ligne d’autobus entre deux villes frontalières, Mons et Maubeuge, ou encore l’amélioration des relations ferroviaires vont laisser la vedette par la suite à des dossiers du genre « poids lourds» comme le tunnel sous la Manche et l’ouverture aux réseaux de transports euro- péens. Comme le relève récemment un atlas transfrontalier, « dans le domaine des voies de communication, une fois la frontière gommée, apparaissent des situations étonnantes que l’on ne peut comprendre qu’à la lumière de l’Histoire68.» L’absence de continuité de certains grands axes routiers coexiste avec des voies ferrées en cul de sac à l’image de la ligne ferroviaire Quiévrain-Blanc Misseron entre la Belgique et la France. On peut y ajouter des canaux qui n’ont pas nécessairement le même gabarit. Ou encore, des ports comme Dunkerque, Anvers et dans une moindre mesure Ostende qui se livrent à une concurrence séculaire et des axes parallèles qui se dressent de part et d’autre de la frontière, donnant l’impression de s’ignorer. Jusqu’au milieu des années 1960, du fait de l’exploitation char- bonnière et de l’activité sidérurgique, les deux points principaux d’insertion de l’expansion régionale du Nord Pas-de-Calais sont Valenciennes et Dunkerque. Ils sont à mettre en relation côté belge avec la gare de Saint-Ghislain dans les bassins miniers du Borinage et du Centre et surtout le port d’Anvers.

Une journée du comité inter-régional à Comines, le 21 novembre 1986, permet aux syndi- calistes présents de prendre la mesure des évolutions qui sont prévues avec la construc- tion du Tunnel sous la Manche et le passage du TGV. Le but essentiel du CSI est d’ap- profondir la réfl exion sur les conséquences positives et négatives pour les travailleurs et les usagers. Au terme de la journée, les participants sortent convaincus qu’une politique 144 globale des transports doit être élaborée. Et il ne faut pas seulement penser en termes “travaux de grandes envergures” mais aussi en termes de complémentarité entre la route et le rail par exemple.

68 Atlas transfrontalier. T.9: Insee (Institut national de la statistique et des études éco- nomiques), Paris,2009, p. 18. (voir http://insee.fr/fr/regions/nord-pas-de calais/default. asp?page=themes/ouvrages/atlas/ATLF_accueil.htm). A la fi n des années 80, le CSI multiplie les contacts avec des parlementaires euro- péens pour se faire connaître. Les partenaires syndicaux ne sont pas oubliés dans ces contacts avec la CES à propos de la situation de l’emploi en Europe. Le CSI de l’Euro Meuse Rhin sert alors en quelque sorte de modèle en matière de fonctionnement et est très actif sur la formation professionnelle continue. On observe ainsi la mise en place de groupes spécifi ques comme celui consacré à la formation à partir de 1988.

C’est à cette époque que se déroule ce qui est alors considéré comme le premier confl it “européen” dans l’eurorégion couverte par le CSI. Un patron belge installé à Ypres vient de racheter une entreprise de transport française à Douai. Le nouveau patron refuse selon G.Snoeck de la CFDT tout dialogue avec les organisations syndicales. Le CSI se mobilise pour dénoncer dans les médias et auprès du monde politique ce confl it.

Le fonctionnement du CSI reste un défi permanent au début des années 90 du fait de pro- blèmes internes entre les organisations et l’investissement fort variable de chacune d’entre elles dans le comité transfrontalier. Cela nuit incontestablement à son fonctionnement, à l’image de ses commissions de travail. Pour être clair, la CFDT privilégie alors ses contacts bilatéraux avec la CSC estimant comme sa consoeure belge que le CSI tel qu’il fonctionne ne permet pas d’atteindre les objectifs fi xés en matière transfrontalière.

5.2 Une expérience pilote: l’euroguichet social Au début des années 80, les organisations syndicales membres du tout nouveau CSI HNF continuent à être confrontées aux diverses diffi cultés dans lesquelles les travailleurs frontaliers se débattent. Et puis, la perspective du grand marché européen contribue au renforcement de la collaboration syndicale transfrontalière. Mais surtout, l’internationali- sation des activités productives et le déplacement des centres de décision impliquent une mutation fondamentale de la stratégie syndicale. Prenant acte de la charte sociale euro- péenne, le CSI va ainsi militer pour la création d’un euroguichet social. Dans la pratique, il s’agit de mettre en place un lieu où les salariés transfrontaliers pourront être conseillés et informés sur leurs droits en regard de leur statut particulier. Un projet novateur qui va être étendu dans d’autres zones transfrontalières.

Le projet de création d’un euroguichet social lancé par les organisations syndicales fran- co-belge à l’automne 1989 s’est élaboré au départ d’un programme intitulé “Pacte”(Pro- gramme d’action et de coopération transfrontalière européen) et d’Interreg. “Pacte” a permis d’étudier la faisabilité d’un instrument pilote d’information et d’aide pour les tra- 145 vailleurs frontaliers entre le Hainaut et le Nord-Pas-de Calais dans le cadre des accords de coopération liant la Région wallonne à celle du Nord-Pas-de Calais. Ce programme fait suite à une déclaration commune pour le Pacte, signée le 30 mai 1989, notamment par Jacques Cherèque, Ministre de l’aménagement du territoire et de la reconversion et Robert Urbain, Ministre belge du Commerce extérieur). Pacte institue des structures permanentes de coopération pour le développement de l’Eurorégion Hainaut-Nord Pas de Calais et crée des outils d’émergence et d’analyse de projets concrets. Un des domaines susceptible de développements prometteurs est la création d’un “bassin emploi-formation” sur une base transfrontalière. Ceci étant; l ’idée qui apparaît la plus ambitieuse dans “Pacte” est d’avoir une capitale franco-belge pour l’an 2000.

Faisant le point sur les euroguichets sociaux fi n 1989, le CSI s’interroge sur le contenu de ceux-ci, ses activités, son fi nancement et sa gestion. A propos de ce dernier point, il ne serait pas pensable, estime le comité, que les organisations syndicales ne soient pas au moins cogestionnaires. A tout le moins, le CSI réclame le même fi nancement que celui qui est appliqué aux Euroguichets économiques, c’est-à-dire par la CEE.

Une ligne budgétaire propre est créée au niveau de la Commission européenne qui souhaite à l’époque soutenir des projets pilotes en matière transfrontalière dans le cadre d’actions interrégionales relevant de l’article 10 du Feder ou Interreg. L’amélioration et la modernisation du système d’information et de documentation sur la mobilité SEDOC et des programmes spécifi ques de rencontres et d’échanges pour les travailleurs frontaliers sont en ligne de mire. La Commission entend en même temps proposer une législation communautaire sur les questions de condition et de travail ainsi que sur la libre circulation pour une meilleure protection sociale des travailleurs migrants. Cette réfl exion et cette action s’inscrivent clai- rement dans le cadre de l’achèvement du grand marché intérieur avec une logique visant à construire un espace de mobilité professionnelle. Le déplacement professionnel d’un pays à l’autre de la communauté serait effectivement possible sans que des barrières spécifi ques liées aux frontières ne l’empêchent « de jure» ou ne le décourage « de facto». L’espace ainsi construit devrait permettre aux travailleurs européens l’accès à un marché du travail élargi, et donc favorise une meilleure régulation entre l’offre et la demande.

L’euroguichet social Hainaut-Nord-Pas de Calais constitue la première expérience pilote menée au niveau européen; d’autres suivront rapidement dans des zones impliquant des CSI. En juillet 1991, une convention est signée entre l’ANPE, le Forem et la CEE en parte- nariat avec les organisations syndicales et les représentants patronaux. En janvier 1992, le service public de l’emploi fl amand (le VDAB) et les partenaires sociaux de Flandre se joignent au dispositif. Cette expérience pilote à géométrie variable s’appuie principalement sur les services publics de l’emploi (FOREM côté belge et ANPE côté français). Le modèle suivi est celui de l’Eurozone comme dans la zone des trois frontières. Et il ne faut pas nier 146 le fort pouvoir d’attraction des crédits européens dans la dynamique qui est lancée. Il ne s’agit pas d’instituer de nouvelles structures mais bien de se baser sur les structures por- teuses que sont les Services Publics de l’Emploi (SPE). Le premier Euro-guichet social pour les régions du Hainaut, du Nord, du Pas-de-Calais est inauguré à Mons en janvier 1992 en présence de Léona Detiège (députée europénne), Jean Degimbe (directeur général des affaires sociales à la Commission européenne, le ministre Albert Liénard et le bourgmestre de Mons, Maurice Lafosse.

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Pino Carlino, qui intervient ici lors de cette inauguration, est l’un des promoteurs de ce projet novateur à l’époque. Cette expérience pilote comporte notamment un sous-programme intitulé “gestion prévi- sionnelle et concertée de l’emploi”. Il a pour principaux objectifs d’observer, par la concer- tation sectorielle transfrontalière, l’évolution de la structure de l’emploi et des qualifi ca- tions; de cibler les besoins non rencontrés par le système de formation existant et de proposer des actions pour y remédier. Le projet postule le développement d’une concer- tation employeurs-syndicats-services publics pour l’emploi sur une base transfrontalière. Soutenu par les forces patronales et syndicales, il débouche sur la création de poste d’eu- roconseillers syndicaux, patronaux et issus des SPE. Il s’agit là incontestablement d’une innovation qui inspirera dans le futur le développement territorial.

Les débats autour de la mise en place de cet euroguichet social ne vont pas manquer. Pour le CSI HNF, des points clés doivent être pris en compte comme le fi nancement des euro-conseillers syndicaux et la fi xation des compétences respectives des euro-conseillers “services publics” et des euro-conseillers “syndicaux”. Pour le CSI, dans une logique de spécialisation bien nécessaire, les premiers nommés devraient répondre à toutes questions concernant l’emploi et la formation. Quant aux seconds, ils auraient la compétence sur la sécurité sociale, la fi scalité et le droit du travail. Le CSI y voit donc une complémentarité. L’autonomie des euro-conseillers syndicaux doit être affi rmée face aux services publics de l’emploi. Mais cette vision du rôle des euro-conseillers syndicaux plutôt commune au sein du CSI ne semble pas partagée dans tous ses aspects par l’ensemble des interlocuteurs, de la DGV de la CEE aux SPE en passant par les Régions). Ces autres interlocuteurs voient davantage dans le dispositif un tronc sur lequel tout un chacun peut fi xer sa branche. On parle d’une antenne logement, d’une autre pour la fi scalité, la santé. Par ailleurs, pour l’ANPE par exemple, le risque de doublon entre les deux types de conseiller est réel. Autre pierre d’achoppement, le CSI défend le principe d’une présidence tournante(ANPE, FOREM, CSI) plutôt que celui d’une co-présidence. Ce choix n’est pas de prime abord celui qui est défendu par les autres partenaires. Enfi n, les Problèmes (avec un grand P)) recensés par les euro-conseillers doivent être transmis à une autorité franco-belge compétente qui serait l’interlocutrice de l’euro-guichet, notamment pour améliorer les dysfonctionnements que celui-ci aurait pu recenser. Une telle administration n’existe pas en France, ni en Bel- gique. Toujours est-il que lors d’une réunion qui se tient le 14 juin 1991, les responsables du CSI parlent d’une nouvelle donne, à savoir si le projet d’euroguichet social en voie de concrétisation gardera un intérêt spécifi que pour les organisations syndicales, ou s’il y aura confi scation des projets initiaux et des moyens de leur concrétisation.

148 Si le patronat participe au dispositif, il ne s’agit pas seulement pour lui de gérer les fl ux de main-d’œuvre mais aussi de favoriser la mobilité des entreprises mêmes. Dans ce cas précis, l’implantation de l’autre côté de la frontière dépend de critères essentiellement éco- nomiques. Il s’agit par exemple d’être plus proche des consommateurs, d’obtenir des aides européennes, d’obtenir des licences qui ne sont accordées qu’à des entreprises ayant un siège social dans le pays. Mais d’autres raisons se dégagent comme de pouvoir obtenir des marchés publics qui sont réservés aux entreprises présentes dans la région. Cela débouche sur certaines dérives comme le cas de cette entreprise qui a limité son implantation à une seule boîte aux lettres. Un autre cas cité fait état d’une société dont les patrons belges se seraient implantés en France uniquement pour avoir des licences françaises de transport.

On observe dans les années 1990, des demandes émanant des entreprises d’information autour des questions de fi scalité et des aides possibles. La question de la disponibilité de la main-d’œuvre n’est pas moins pertinente au point d’être cruciale pour les entreprises belges. Elles demandent parfois de la main-d’œuvre française mais souhaitent associer à l’embauche un programme de formation professionnelle adapté sur mesure aux besoins de l’entreprise. L’association d’un tel plan avec des aides au titre de l’aménagement du territoire est parfois déterminante pour l’installation d’entreprises belges en France. Dans l’ensemble, les entreprises déplorent surtout l’absence de guichet unique capable de les informer sur tous les aspects: aides, fi scalité, main d’œuvre, régimes sociaux.

5.3 La mise en place du réseau EURES en Europe En janvier 1992, le service public de l’emploi fl amand (le VDAB) et les partenaires sociaux de Flandre se joignent au dispositif. Le réseau Eures HNFK voit le jour. Il s’agit d’un sys- tème d’échange d’informations sur l’emploi, les législations sociales, les législations du travail, la formation professionnelle dans les États membres.

Ce projet a été défendu par la CES auprès la Commission européenne qui en a accepté le principe. Mais le seul aspect mobilité est retenu et les services publics de l’emploi des pays membres vont être chargés de mettre en place le réseau Eures pour la mobilité dans l’espace économique qui est lancé,au niveau européen, le 17 novembre 1994. Parmi les points faibles mis en exergue par les organisations syndicales fi gurent le manque d’éva- luation et d’objectifs clairs aussi bien au niveau de la CEE qu’au niveau des projets. La participation du patronat est également jugée trop faible. L’enjeu n’en est pas moins majeur pour ce derniers. Eures représente alors le seul outil de coopération transfrontalière dans lequel les organisations syndicales de salariés travaillent aux côtés des services publics de l’emploi(SPE), des organisations patronales et souvent avec la collaboration des collectivi- tés territoriales.

5.4 Le CSI, un acteur au carrefour de plusieurs dynamiques transfrontalières 149 Le dialogue social transfrontalier (DST) constitue un autre volet de l’action syndicale. Il s’ouvre au début des années 90. Une union transfrontalière voit le jour entre la région Nord-Pas de Calais (France), les régions de Bruxelles, Flandre et Wallonie (Belgique) et le comté de Kent (Angleterre) pour constituer une Euro-région. Les partenaires sociaux de ces différentes régions sont amenés à se rencontrer régulièrement par le biais des instances de concertation mises en place dans l’Euro-région, notamment le comité de pilotage de l’Eures. Après quelques années d’existence, et sous l’impulsion de quelques responsables syndicaux et patronaux, les échanges s’intensifi ent sur la problématique de l’emploi dans l’Euro-région et débouchent sur l’adoption de propositions communes. Mais tout est et reste à inventer car il n’existe aucune référence dans la région en matière de dialogue social transfrontalier.

Reposant sur une expérience pratique de l’action syndicale inter-régionale, la coopération syndicale transfrontalière a devancé sur ce plan l’acteur patronal qui s’est plutôt converti au transfrontalier avec la mise en œuvre du grand marché européen. Ceci étant, il ne s’agit dans son chef que d’un espace parmi d’autres dans le cadre d’une internationalisation de plus en plus forte de l’économie.

En septembre 1998, les partenaires sociaux belges et français signent une charte du dia- logue social interprofessionnel des régions transfrontalière HNFK. Cette charte n’est pas signée par les Britanniques qui ne veulent pas s’engager dans un processus contraignant. Pourtant, ce processus n’apparaît guère, de prime abord, contraignant puisqu’il n’y a pas d’obligation de résultat, ni dans le temps, ni dans l’espace géographique des régions HNFK. De ces différents travaux vont naître plusieurs constats parmi lesquels le suivant: il n’existe pas d’outils de coopération organique transfrontalier en matière d’emploi et de formation. Les partenaires sociaux ont également abordé la faisabilité opérationnelle du développement d’emplois de proximité de part et d’autre de la zone frontalière. L’enjeu pour les organisations syndicales est cependant de passer des simples constats, fut-ce-t-il commun à de véritables négociations.

Les organisations syndicales n’ont pu ou su jouer durant les années 80 et 90 un rôle moteur pour dépasser le stade du dialogue et des consultations sur le plan des relations industrielles transfrontalières. Le but poursuivi était de franchir le stade des constats pour arriver à d’accords négociés à ce niveau de régulation du marché du travail. Comme observateur extérieur, c’est une impression d’enlisement qui se dégage avec chacun des partenaires qui attend un geste de la part de l’autre. A tout le moins, il apparaît que les clivages nationaux ou européens se répètent au niveau transfrontalier. Chacun des acteurs éprouve une diffi culté presque existentielle à se démarquer du contexte quotidien de son action. Le poids des identités culturelles reste prépondérant. Les dispositifs de régulation sociale et de relations industrielles en France, Belgique et Grande-Bretagne 150 demeurent sensiblement différents en terme de législation, de contenus et de pratiques. Cela nécessite donc une période d’apprentissage alors que l’Europe avec l’élargissement a accru de manière extraordinaire sa diversité. Par ailleurs, l’acteur patronal ne semble guère intéressé à conclure des accords transfrontaliers sur le plan interprofessionnel et encore moins sectoriel. Et comme les syndicats ne font pas toujours preuve d’unité en privilégiant la solidarité nationale ou de branche, l’horizon paraît quelque peu bouché. Ceci étant, les chantiers en cours comme la formation, la validation des acquis de l’expérience, le lycée international restent des sujets potentiellement prometteurs pour apporter une réelle valeur ajoutée au dialogue social transfrontalier.

Section 6 - Vers une nouvelle démarche et approche syndicale: la rupture culturelle Le syndicalisme, il a deux jambes: une jambe « service», je veux dire, « organisation», et une jambe « mouvement», je dirais « action». Et le syndicalisme ne tient la route que lors- qu’il fonctionne sur ses deux jambes, de manière équilibrée. Pour Robert D’Hondt, le défi , c’était professionnaliser l’interprofessionnel et interprofessionnaliser le professionnel. Le parcours syndical d’Italo Rodomonti a baigné en quelque sorte dans cette approche. « Je me souviens, par exemple, parce que j’étais à la formation des délégués à l’époque, en 1969-1970, la formation était donnée uniquement par la centrale du métal quand j’ai été au métal et on n’avait pas, ou très peu de formation interprofessionnelle large. Tandis qu’aujourd’hui on peut avoir la formation des deux côtés: il y a la formation interprofes- sionnelle, le tronc commun, et puis chaque centrale dispense sa propre formation. On me dit toujours que les besoins sont moindres parce que les permanents qui arrivent sont beaucoup plus formés que nous l’étions parce qu’ils ont été plus longtemps à l’école. Cela reste à discuter, mais, en tout cas, on avait une obligation de lecture, une obligation d’écri- ture, on avait une obligation de participation à certaines formations avec des délégués de manière à apprendre non seulement ce qui était dit au niveau de l’information, mais aussi ce que disaient les délégués parce qu’on ne sait pas porter les revendications de délégués qu’on n’entend pas69.»

Le sentiment partagé par beaucoup avec l’entrée résolue dans la crise structurelle dans les années 1970 est qu’un syndicat doit sortir des tranchées historiques. Un programme de formation, d’information et de propagande d’un nouveau type sortira des limbes pour faire de la CSC un syndicat de participation et de proposition plutôt qu’un syndicat de pure opposition. Une r(é)volution au cœur de laquelle Pino Carlino, apprenti à 14 ans et qui vou- lait devenir mécano et qui suivra des cours du soir dans ce sens avant de faire plus tard la Fopes, se trouve plongé dès sa prise de fonction comme permanent syndical en 1974.

« La CSC Mons-Borinage autour de 1975, c’était surtout une organisation de service, on faisait du service. Et là, à partir de Salik, on a eu deux jambes. C’est pour ça que j’ai dit qu’on a grandi. Alors dans les années 1980, la crise s’accélérant, le nombre de chômeurs devenant de plus en plus important, la violence et la délinquance par rapport aux endroits 151 où il y avait de l’argent, devenaient un réel danger (…).On sortait d’une période où on était avec un taux de chômage de cinq ou six pourcents, quasi plein emploi, mais quand en quelques années, on est passé du simple au double et plus, il a fallu, à chaque fois, il

69 Interview de Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. fallait engager des personnes en plus, parce que le nombre de chômeurs grandissait, le travail administratif grandissait, donc il a fallu informatiser, passer au paiement, non plus de main à main, mais scriptural; et tout ça, avec en même temps, une augmentation des cas juridiques. Et donc, tous les services de la C.S.C., en dix ans de temps, ont quadruplé au niveau du nombre de personnes qui travaillaient à l’intérieur. On passait d’un syndicat familial à une grosse P.M.E. Et puis je suis passé de la P.M.E. à une toute grosse P.M.E. avec la fusion de Mons et La Louvière70.»

L’une des grandes évolutions dans le travail des permanents depuis les années 1980 fut l’informatisation qui va modifi er en profondeur l’activité des services et l’action interpro- fessionnelle. « Quand je suis entré en 1982, l’informatique faisait son arrivée. On terminait de payer les allocations de chômage de main à main et on est passé à ce moment-là au paiement uniquement par compte ou sur chèque. Maintenant, on a une informatisation complète des tâches. À l’époque de mon arrivée à la CSC, les permanents avaient des secrétaires qui tapaient les courriers, les convocations, les rapports.71»

Et puis les modes de communication, physique et sociale, ont subi une notable évolution. Il est loin le temps des bicylettes. « Bicyclette, vélo, parfois même des motos: les premières voitures ont été diffi ciles à acquérir. C’est venu largement après. Mais, en tout cas ce qui était positif c’est que ce sont des gens qui ont vécu toute la diffi culté, qui ont grandi en assumant leurs responsabilités et ils ont compris l’évolution parce que la grande diffi culté qu’on a parfois c’est que les gens ne se rendent pas compte de ce qu’étaient les choses avant et ce qu’elles sont maintenant. Il y a certainement des erreurs qui ont été faites et qu’il faudrait rectifi er, mais, en tout cas, il est incontestable qu’il y a eu une progression dans la qualité de vie et dans la qualité de la consommation, dans la possibilité de s’in- former, de se former, de se nourrir, de partager. Les déplacements se sont améliorés, les contacts ont pu être plus faciles. Peu étaient ceux chez qui on pouvait avoir un téléphone ou bien une télévision. À l’heure actuelle on travaille par Internet et autre, mais on ne se rend pas compte qu’il y a à peine cinquante ans tout cela n’était pas accessible. Les gens connaissaient quelques personnes dans le quartier, c’était déjà pas mal quand tu connais- sais deux-trois personnes d’un village un peu plus loin. Donc la communication a quand même été un essor énorme.72»

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70 Interview de Pino Carlino, le 12 juillet 2011. 71 Interview de Philippe Watrin, le 15 février 2013. 72 Interview d’Humberto Barone, le 12 juillet 2011. Formation, information, expression et créativité artistique: l’action syndicale se veut transversale Dans la gestion syndicale des services publics, le changement a été également la règle. La connaissance du terrain reste une règle indéfectible à suivre pour parvenir à des résul- tats probants.Ce n’a pas changé depuis des lustres « Effectivement, on a beau potasser des bouquins, ça n’est pas ainsi que ça rentre. Je crois que c’est effectivement, petit à petit, par la participation aux réunions, les échanges avec les collègues, Dieu sait si c’est important, les dossiers individuels qu’on est amené à traiter, les recherches particulières qu’on fait à ce moment-là, et c’est ainsi que petit à petit, d’abord on se donne un certain bagage. L’autre face du métier, c’est tout de même la confrontation à l’autorité. Et être un jeune permanent dans la région de Mons-Borinage – même si ma fonction m’a emmené aussi dans ce qu’on appelle maintenant la Wallonie picarde – à Mons-Borinage, être un permanent syndical en service public, jeune et avec peu d’expérience, ça n’ouvre pas nécessairement beaucoup de portes dans le contexte politique qui était celui de l’époque. Et là, à ce moment-là, il n’y avait pratiquement pas de structure de négociation offi cielle au sein des services publics. Tout ce qui concerne les élections sociales ne s’applique qu’à cinq pourcent du secteur qui m’est confi é à l’époque. Le reste est un peu du bricolage de ce qui est fait pour le personnel de l’État, adapté aux pouvoirs locaux. Mais c’est lié au bon vouloir de l’autorité locale, dont l’autonomie était tout de même un peu moins forte qu’elle ne l’est aujourd’hui – du moins la volonté de la faire appliquer et respecter.73».

Poursuivant sa réfl exion, Bernard Meurice a découvert et contribué à l’émergence d’une culture CSC forte et claire qui en fait un partenaire inévitable avec qui l’on doit collaborer. 153 « L’évolution des mentalités d’une part, l’évolution de la C.S.C. en elle-même, son image en tout cas, l’évolution de son image nous a beaucoup aidé, les choix de communication qui ont été faits entre autres, ont fait que nous avons pris notre place un peu partout par nos

73 Interview de Bernard Meurice, le 29 septembre 2011. connaissances des dossiers. Nous n’étions pas l’organisation syndicale qui criait le plus, mais nous étions le partenaire qui en réunion permettait souvent de déminer les situa- tions les plus tendues, et d’arriver en tout cas à des consensus dans lequel chacun était respecté, et dans lequel chacun retrouvait un peu de ses objectifs. Je crois que ça, effec- tivement, c’est peut-être une satisfaction aussi parce que si je reprends un peu l’histoire, quand je suis arrivé, nous avions une section syndicale à la ville de Mons, un embryon de section syndicale, et aujourd’hui, nous avons pratiquement des sections syndicales dans toutes les communes et/ou C.P.A.S. de la région, quelle que soit la majorité politique. Je dis ça parce qu’on ne peut tout de même pas dans cette région-ci, ignorer les liens qui en unissent d’autres, et qui ont d’ailleurs du mal de comprendre que ce n’est pas notre cas.74»

6.1 Vers la fusion: la création d’une toute nouvelle fédération 75 Au début des années 1990, la CSC continue à renforcer son assise au point de faire jeu égal avec la FGTB dans plusieurs entreprises. On compte encore trois syndiqués FGTB pour deux CSC en 199276.

Au plan politique, le bourgmestre de La Louvière, Michel Debauque, ne mâche pas ses mots à l’annonce du rapprochement en cours à la CSC de ses fédérations du Centre et de Mons/Borinage. Il s’interroge alors sur l’existence d’une volonté délibérée ou non des régions voisines pour éliminer le Centre. Autre interrogation de Debauque, la CSC est-elle à ce point numériquement faible qu’il n’y aurait plus moyen d’assurer la survie de la régio- nale du Centre?

Le processus a d’abord failli pousser les Louviérois dans les bras des Carolos provoquant une forte levée de boucliers. Par la suite, une solution alternative est proposée sous la forme d’un rapprochement avec Mons et la désignation d’un responsable à titre transitoire. Un responsable, (pas un secrétaire...) chargé de combler le vide entraîné par la maladie de l’ancien secrétaire et qui avait amené la fédération du Centre à être placée sous tutelle nationale. Cette mission est assignée à Pino Carlino qui est chargé d’étudier la faisabilité du rapprochement entre les fédérations de Mons et du Centre. Le calendrier prévu par la Confédération national ne sera pas respecté.

Une ère nouvelle pour la CSC Mons-La Louvière Le mouvement de rapprochement s’inscrit en fait dans le cadre de la réorganisation des 154 structures décidées lors de l’été 1992 par le bureau national de la CSC. Il souhaitait rame-

74 Interview de Bernard Meurice, le 29 septembre 2011. 75 « L’union fait la force? La CSC rationalise ses structures. Mé ance à La Louvière où l’on craint de perdre son âme dans le mariage» C’était le titre d’un article du journal Le Soir du lundi 13 juillet 1992. 76 Tallier, P-A., op.cit, p. 239. ner le nombre de fédérations interprofessionnelles de 12 à 8 en Wallonie, ce qui conduira les structures de Mons et de La Louvière « invitées» à aller dans ce sens et à faire cause com- mune. L’objectif visé est de mieux valoriser les moyens dont dispose l’organisation syndicale en travaillant sur de plus grandes entités. En Hainaut, les unités passeront ainsi de 4 à 3 à savoir le Hainaut occidental, Mons/Borinage/Centre et Charleroi. Plus prosaïquement, c’est la recherche d’une plus grande effi cacité dans le travail qui est visée grâce à une utilisation optimale des moyens - largement informatisés - de chacune des deux fédérations jusqu’ici autonomes. Avec comme corollaire non négligeable des d’économies d’échelle que la CSC espère notoires. En fait, à La Louvière, la situation est devenue inextricable avec l’absence pour cause de maladie du secrétaire fédéral qui vient s’ajouter au décès d’un permanent du métal, très actif dans la région, François Merckx. « Ce qui s’est passé c’est que du jour au lendemain, Willy Thys, alors secrétaire national de la CSC, le 12 novembre 1991 s’est pointé chez nous en disant: « voilà, à partir de demain vous êtes sous tutelle et vous fusionnez avec Charleroi». Donc, venir comme ça c’était la meilleure façon d’avoir un contrecoup. Pour la plupart des gens de La Louvière, la volonté de garder notre Fédération sans fusionner a été la première option, ensuite et seulement après les pressions et les fortes « discussions» il était plus évident d’être avec les Mons nous avions l’habitude, c’était la zone couverte par l’Intercommunale IDEA. Tout ce qui était de l’économique dépendait d’eux si ce n’est que maintenant, ici, on est à Chapelle, sur l’arrondissement de Charleroi, et que donc le zoning de Feluy, Seneffe et Manage est sur l’arrondissement de Charleroi. Moi, comme permanent à la chimie, j’avais la plupart des entreprises sur l’arrondissement de Charleroi.77»

Le choix venu des instances dirigeantes ne fait donc pas que des heureux à la CSC du Centre où les interrogations ne manquent pas, liées pour l’essentiel à la crainte de se voir purement et simplement dévorés par l’organisation « soeur» de Mons/Borinage. « Quelle garantie avons-nous que la voix des permanents du Centre, de La Louvière avec son vécu, ses traditions, continuera à être entendue au niveau des instances de la confédération », s’interroge Alain Fer, permanent chez les métallos. Et qu’en sera-t-il des bâtiments, des services « immigrés», « jeunes» ou encore « sans emploi» mis en place? « Pour la grande partie des permanents de l’époque de La Louvière, l’idée que notre fédération n’existe plus n’était même pas envisageable. Donc, à ce moment-là il y a eu un blocage énorme. C’était incompréhensible cette idée de fusion, avec qui que ce soit. D’une part « non» à une fusion dictée, et sur laquelle on n’a même pas eu un mot à dire. D’autre part, les anciens de la région du Centre – auxquels je m’étais rallié, parce qu’il faut aussi savoir que dans ma vie syndicale, et c’est ce qu’on vit de moins en moins aujourd’hui, c’est qu’avant quand on entrait dans une équipe c’était comme un mariage: pour le meilleur et pour le pire – on 155 ne faisait pas du tourisme chez les copains. Si on était dans une équipe, on était avec et même si on ne partageait pas à 100% ce qui se passait, il se trouvait qu’on n’abandonne pas les collègues avec lesquels on a toujours travaillé, ses amis.78»

77 Interview d’Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. 78 Interview Italo Rodomonti, le 31 janvier 2012. Force est de constater que l’heure reste à la méfi ance face à un projet de nouvelle structure qui apaiserait peut-être les esprits si elle venait à s’appeler « Fédération CSC de La Louvière - Mons». « Il n’y a pas d’arrondissement de La Louvière au niveau politique. Donc, c’était déjà un premier handicap qui donnait du grain à moudre à ceux qui disaient: « si on touche encore à ça, c’est foutu ». Par contre, il y avait des arguments, il y avait l’argument… L’IDEA. était pour Mons et La Louvière, la R.T.B.F. était pour les deux. Donc, l’un dans l’autre, il y avait des compensations. Mais au fond du fond, moi je peux comprendre ceux qui pensaient que c’était une mauvaise idée. Maintenant, on l’a fait, et je crois qu’il ne faut plus revenir là-dessus, parce que l’outil est bien en route. Avec le changement de mentalités, les gens qui ont aujourd’hui vingt ans, ne savent pas qu’il y a vingt-cinq ans, c’était La Louvière seule et Mons seule. Bon. Alors l’autre avantage, c’était l’époque aussi où tout le monde croyait aux fusions, à plus grande échelle, les économies d’échelle. On en revient aussi…79»

Après quelques tensions et réticences, louviéroises en particulier, où l’on craignait de perdre son âme dans l’opération, l’idée va entrer progressivement dans les esprits.

Sans attendre la concrétisation de cette fusion, les centrales professionnelles du bois-bâti- ment de Mons et de La Louvière ont décidé d’unir leurs destinées. Une nouvelle fédération professionnelle voit le jour en juillet 1993: la centrale chrétienne des travailleurs du bois et bâtiment de Mons/La Louvière. Un conseil général scelle alors le rapprochement à La Louvière en adoptant de nouveaux statuts communs, vitrine de la réorganisation et du plan d’action. Il s’agit à la fois d’une décentralisation et d’une centralisation. « Une décentralisation via une plus grande présence de notre centrale sur le terrain par le biais de permanences locales, mais également par le développement de comités locaux pro- fessionnels. Une centralisation par ailleurs via une seule gestion administrative, fi nancière et politique. Tout cela devrait permettre de rendre de meilleurs services aux affi liés et d’assurer une meilleure promotion de la vie syndicale locale.», expliquent alors de concert Jean-Pol Gheysen (Mons) et Luigi Giuliano (La Louvière)80. Ils soulignent par ailleurs que cette démarche d’union ne doit en rien amener à gommer les spécifi cités sous-régionales. « Que du contraire; nous voulons les respecter et les partager. Il faut que nos différences nous apportent un plus.81» Les conditions et les garanties qui sont sur la table vont dans ce sens avec une stricte parité entre les permanents et les militants qui est assurée au sein de la nouvelle instance.

Depuis plusieurs années, les deux fédérations du bois et du bâtiment ont pris l’habitude 156 de travailler ensemble et goûté aux vertus du travail en équipe. Lorsque la CSC nationale a pris sa décision concernant les fusions de centrales interprofessionnelles, le terrain n’était donc pas vierge.

79 Interview de Pino Carlino, le 12 juillet 2011. 80 « Conseil de rapprochement entre Mons et La Louvière», in Le Soir, le samedi 12 juin 1993. 81 « Conseil de rapprochement entre Mons et La Louvière», in Le Soir, le samedi 12 juin 1993. Le 6 novembre 1993, un Congrès de Fondation porte sur les fonts baptismaux la nouvelle fédération baptisée Fédération des syndicats chrétiens de Mons-La Louvière. Elle prend pour devise: l’unité au service de la solidarité. Désormais, les anciennes fédérations vont s’efforcer d’agir et de parler d’une seule et même voix dans un cadre territorial élargi afi n d’être acteur et partenaire constructif du développement régional tout en jouant le rôle de contre-pouvoir et de force de proposition.

En novembre 1993, un congrès entérine la fusion entre Mons et La Louvière.

157 Dans les faits, la fusion sera loin d’être un fl euve tranquille pour des raisons en partie culturelles. « Au départ, je pensais que ce serait simple. Mais en fait, c’est quand même des mentalités différentes, des identifi cations, des identités différentes, et c’est surtout diffi cile pour des militants syndicaux, qui ont leur fi erté, qui ont leur façon de voir, qui ont leur autonomie, de voir se venir imposer de ce qu’on va faire par quelqu’un d’autre, de l’extérieur.Moi je l’ai fait parce que c’était l’institution qui l’avait fait, et le problème, c’était que Mons qui était plus petit, prenait le pas sur La Louvière qui était plus gros.82»

A l’évidence, cela fut une période douloureuse pour beaucoup. Rien que sur le nom de fédération Mons-La Louvière, cela a été une guerre de tranchées. « Pour faire des conces- sions, on a mis deux co-présidents. J’ai eu Léon Dussaussois, qui venait du métal et que je rends hommage. C’était un monsieur, un saint homme. Je rends hommage parce que vrai- ment, il était quelqu’un de très bien. Parce que ce n’était pas évident. Nous étions du Nord et du Sud, il fallait qu’on gère ensemble. Nous avions trouvé un compromis: « quand les réunions se donnaient à La Louvière, je dis tu présides, quand c’est sur Mons, je préside.83».

Manifestation des syndicats belges avec la CES à Bruxelles, le 28 mai 1997. L’ancien secré- taire fédéral de Mons-La Louvière, Pino Carlino, marche avec son successeur, Marc Becker. 158

82 Interview de Pino Carlino, le 12 juillet 2011. 83 Interview d’André Maeschaelk, le 14 juillet 2011. 6.3 La rupture culturelle pour l’emploi Fin mai 1998, le congrès de la CSC demande un changement de mentalité lors de son premier rendez-vous de cette nature depuis l’assemblée fondatrice de 1993. L’occasion de décider collectivement « d’être la voix du plus grand nombre» en développement l’action syndicale dans des entreprises où elle n’est pas organisée en tant que telle.

Le premier objectif de ce congrès est d’ailleurs d’intégrer défi nitivement aux statuts cette nouvelle donne géosyndicale: les références à des appartenances sous-régionales ou à des équilibres stratégiques sont gommées des textes de référence. Les deux CSC n’en font vraiment plus qu’une, au centre du Hainaut. Les deux présidents, André Maesschalck et Léon Dussaussois, sont remplacés par un mandataire unique: Christian Peters, délé- gué CNE chez Totalfi na. Salvatore Acquisto, permanent « Energie-chimie» à Mons, devient quant à lui vice-président. Sous la conduite de Marc Becker, qui a succédé à Pino Carlino au secrétariat fédéral, le syndicat chrétien a entrepris de consulter l’ensemble de ses mili- tants afi n de déterminer le futur discours et les nouvelles pratiques de la CSC. Un constat a émergé de ce travail: relever les défi s qui s’offrent à nous nécessitera une série de rup- tures culturelles dans nos façons d’être, nos comportements et nos attitudes. Ce préalable vaut pour les responsables politiques et économiques, mais aussi pour tous les habitants et, cela va sans dire, pour les mandataires syndicaux eux-mêmes: Ce choix d’une rupture culturelle doit permettre de donner un signal fort et la CSC est prête à enclencher cette dynamique et à prendre part de manière responsable à ce renouveau régional.

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En 1998 se tient à Mons le premier congrès d’après fusion. Le nouveau secrétaire fédéral, Marc Becker, lance un programme ambitieux: la rupture culturelle. Le redéploiement passe aussi par la culture. La question qui sous-tend la nécessité d’une rupture, d’une révolution, dans les habitudes de toute une région, est bien connue de tous: pourquoi ce qui semble fonctionner ailleurs est-il systématiquement voué à l’échec ici? Du fait d’une sorte d’incapacité chronique à faire preuve d’audace, à oser la différence et à mobiliser l’ensemble des forces disponibles dans une seule direction, sans arrière-pensée. Derrière les discours, des initiatives ont vu le jour, mais toutes se sont soldées par des replis sur soi et de la méfi ance ou ont renforcé le clientélisme forcené. Même « En avant, ma région», ce grand coup de pied dans la four- milière voulu par les syndicats, n’a toujours pas réveillé les consciences.

Pour la CSC, cela n’a que trop duré: il est temps de modifi er radicalement l’approche que l’on a des problèmes qui minent Mons-Borinage et le Centre. L’organisation syndicale propose une série de pistes d’action qui pourraient cristalliser cette envie commune de travailler autre- ment: la création d’un pôle d’excellence basé sur l’environnement, des expériences pilote, novatrices, en matière de répartition et de réduction du temps de travail, une multiplication des partenariats à tous les niveaux, notamment à l’occasion du futur pacte territorial pour l’emploi, qui fait déjà fi gure d’ultime chance pour les 500.000 habitants de la zone concernée.

6.4 Ouverture et engagement: le congrès de 2002 Depuis 1998 et le dernier congrès, la situation de la région ne s’est pas améliorée, bien au contraire des zones avoisinantes en Wallonie, en Flandre et dans le Nord de la France. Mons-La Louvière ne décolle pas vraiment. Si la création d’un nombre appréciable de PME est soulignée avec satisfaction par la CSC autour du Parc Initialis à Mons par exemple, un nombre sensiblement important de grandes entreprises ont cessé leurs activités ou connu des lourdes restructurations comme Novoboch, Verlipack, Bombardier, Europtube, Yorkshire, Sirap Gema, Lescalier, Axial, Pantochim, Enichem ou encore Atea-Siemens. Au cours de la même période, la faillite de la Sabena a touché près de 500 familles de la région.

Sur le plan du partenariat, l’échec du Pacte territorial pour l’emploi de 1998 se fait durable- ment sentir en termes de dynamique régionale. Le fonctionnement sporadique du Comité économique et social de la Zone Idea ne permet pas de corriger cette analyse négative et traduit l’absence d’une « rupture culturelle» que la CSC appelait de ces vœux en 1998. Elle visait à modifi er l’image de marque négative vis-à-vis de l’extérieur, à combattre le clientélisme politique, à embellir le cadre de vie et à abandonner la logique de repli sur soi.

La création d’un service provincial « entreprise» en partenariat avec les fédérations de Char- 160 leroi et du Hainaut occidental permet dès mars 2002 de renforcer l’analyse économique et fi nancière au travers d’une étude régulière sur l’état de santé des entreprises dans la région. Cette étude, qui se construit à partir d’analyses établies en soutien des délégations d’entreprise, est accompagnée de session de formation à l’usage des délégués des CE. Le service va élargir son action en organisant une formation sur les « comptes consolidés» à destination des travailleurs d’entreprises multinationales. Par « l’action Résista» qui vise à la mise en place d’une délégation syndicale au sein des PME et la régularisation d’un certain nombre de problèmes au sein de l’entreprise, la CSC est parvenue à devenir l’organisation syndicale par excellence dans les PME même si le chemin reste encore long en la matière. Un permanent spécifi quement en charge des PME est engagé avec l’appui du bureau national de la CSC avec une priorité dans le cas d’espèce pour la région du Centre. Ce chemin avait déjà été tracé en 1988 avec « l’opé- ration Marguerite» lancé un jour de mars dans le zoning de la poire d’or à Cuesmes qui regroupait alors une vingtaine de PME. La CSC proposait alors une permanence spécifi que pour le zoning, en fonction de la demande des travailleurs et pourquoi pas la constitution d’une délégation syndicale inter-entreprises. 10 ans plus tard, l’horizon s’est plus qu’élargi. Veillant au caractère transfrontalier de la démarche, la CSC met en place un partenariat avec la CFDT Sambre-Escaut dans le cadre de cette action de plus en plus fondamentale au regard de l’évolution socio-économique de la région.

Des nouvelles thématiques comme l’environnement et la mobilité sont désormais inscrites dans les priorités de la fédération. Le projet RISE est mis en place chez Axial et Sedema et un plan global pour l’environnement sur l’ensemble du zoning de Feluy-Seneffe-Manage est lancé.

Ces dernières années, la CSC Mons-La Louvière a de plus en plus investi le champ de l’action environnementale au travers de diverses actions et manifestations

Au plan des relations internationales, la CSC va relancer le partenariat avec la CFDT qui avait 161 connu un recul au début du nouveau millénaire, notamment autour du désenclavement régio- nal. C’est aussi le cas du partenariat avec la CISL des Abruzzes en Italie. La volonté affi chée de développer un partenariat solide avec un pays du Sud reste à concrétiser mais si des contacts avec une organisation syndicale marocaine (UGT/M) va exister pendant quelques années. Les actions de sensibilisation aux problèmes Nord/Sud restent insuffi santes. Des faiblesses sont également soulignées comme l’action des femmes et la place des femmes dans l’organisation qi reste préoccupante, malgré le discours tenu. L’économie sociale qui était un « cheval de bataille» à la fi n des années 1990 au travers notamment de Etrave, un outil commun de développement et de de valorisation de l’économie sociale est au point mort.

6.5 Le congrès de 2007: la parole aux gens Fort d’un nouveau logo alliant - pour la première fois - le Dragon, la Louve et le Gille, qui se veut rassembleur, ce quatrième congrès de la nouvelle fédération sort des sentiers battus pour aborder le futur: en donnant la parole aux gens de terrain, les délégués. Des vidéos, baptisées Tranches de vie et réalisées par les jeunes de l’ASBL le Chabot du Roeulx, sont réalisées sans qu’aucune censure ne soit mise par l’organisation. Un vent d’optimisme a souffl é à dessein sur ce congrès « Le soleil brille partout ailleurs, pourquoi chez nous est-ce le trou noirÉglise Les militants s’étonnaient de voir que l’image de la région était si négative... Notre volonté est d’amener toutes les forces à se mettre ensemble, hors de toute dimension sous-régionaliste. Que ce congrès pose des constats forts», notait alors Jean-Marc Urbain, le nouveau secrétaire fédéral84.

La note envoyée au gouvernement wallon quant au plan de redéploiement économique et social du bassin de la Haine montre l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir.« Les chiffres du chômage oscillent entre 26 et 30% pour le bassin, pour un taux de chômage wallon de 17,4%. Notre fédération compte 53.000 chômeurs indemnisés; 52% à Mons, 48% à La Louvière. Mais le problème global, c’est avant tout la pénurie d’employeurs.85»

La CSC fait part de son souhait que l’on insiste moins sur le fait que les régions de Mons et La Louvière concentrent près de 40% de la superfi cie totale des friches wallonnes. Mais que l’on mette l’accent sur les potentialités de la population. « Il manque véritablement un sentiment d’exaltation», martela Christian Peeters.

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84 « La parole aux gens de terrain», in La Dernière Heure, le 27 octobre 2007. 85 Idem. Le secteur tertiaire a pris une place de plus en plus grande dans notre économie. Une action de la CNE Mons-La Louvière aux Grands Prés à Mons lors du con it de 2012 au sein du groupe Carrefour.

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Action mobilité dans les rues de Soignies, le 18 septembre 2009. La mobilité, le grand dé du nouveau siècle?

Épilogue : depuis octobre 2007, l’histoire continue… Le Congrès statutaire de la fédération d’octobre 2007, qui salua notamment la présence d’Elio di Rupo, président du Parti socialiste et bourgmestre de Mons en exercice à l’époque, permit sous l’impulsion d’un nouveau secrétaire fédéral, Jean-Marc Urbain lequel a rem- placé Marc Becker appelé à des fonctions nationales, de faire le toilettage nécessaire par rapport aux réalités vécues par les militants. Ce fut comme souvent tantôt un exercice de mise en concordance mais également de projection par rapport à la démocratie interne. La volonté des acteurs était et reste de renforcer le rôle des militants dans les grandes orien- tations politiques de l’organisation mais également dans sa gestion. Dont acte puisqu’à la même époque, le séminaire de rentrée d’année sociale qui avait pour habitude de réunir les professionnels du mouvement s’ouvre aux militants du bureau fédéral. Ainsi naît le sémi- naire conjoint du bureau fédéral et du collège des permanents. Cette décision est toujours d’application en 2013. Des efforts supplémentaires sont également accomplis pour tendre vers une plus grande égalité homme/femme dans la composition des instances et des effectifs. En fait, le chantier qui est ouvert en 2007 est particulièrement vaste et ambitieux. Lors des débats et réfl exions qui sont menés sur les statuts, force est de constater toute la diffi culté de mise en adéquation des deux piliers de l’organisation syndicale que sont l’action professionnelle et interprofessionnelle. L’enjeu pour les uns est de ne pas perdre de pouvoir (son pouvoir ?) et pour les autres de tendre à l’égalité et par conséquent, à une reconnaissance de l’action interprofessionnelle. Ce débat prend une tournure particulière en raison de l’histoire récente de la fédération qui a connu une fusion particulièrement complexe et délicate comme nous l’avons vu précédemment. Une première étape (sous forme de compromis) est franchie en instaurant un nouvel équilibre entre les deux piliers au niveau du conseil fédéral et qui vise à réduire le déséquilibre existant. Le bureau fédéral est quant à lui composé sur une base paritaire (50/50).

165 Le congrès statutaire de 2007 a permis de découvrir les réalités sociales sous un autre angle grâce à des capsules vidéo.

Tout en étant statutaire, ce congrès n’en a pas moins permis de poser des jalons d’ave- nir sur la dimension politique sur la base de la situation existante et des lignes de force adoptées lors des deux congrès précédents à savoir » rupture culturelle pour l’emploi » et « ouverture et engagement ». Cet exercice comparatif qui a le mérite de produire les adap- tations et les recentrages nécessaires pose la question fondamentale de l’immobilisme politique, de « l’impossible reconversion » de la région mais également de la capacité de l’organisation syndicale à peser et à faire évoluer les dossiers, à créer un rapport de force suffi sant et décisif pour faire passer ses idées et ses projets de société. Le congrès ne manque pas de dénoncer la partialité de la presse dans le traitement de l’information en relation avec les organisations syndicales. L’action de la CSC n’est pas à l’évidence pas couverte comme elle devrait l’être en fonction de sa représentativité par rapport à celle de son partenaire et adversaire socialiste. Une réalité loin d’être nouvelle et mise en évidence de manière systématique par la fédération à partir des années 1970.

Les inégalités sociales, économiques et culturelles vécues sur le territoire par l’intermé- 166 diaire de capsules « tranche de vivre » diffusées lors du congrès de 2007 et qui ne sont pas sans rappeler le célèbre fi lm d’Henri Storck « Misère au Borinage » de 1932, montrent l’empreinte de la crise qui va devenir majeure et mondiale à partir de l’été 2008 comme l’histoire récente l’a démontré depuis lors. Ces images fortes, ces réalités sociales inac- ceptables, ces injustices servent de socle pour continuer et renforcer l’action syndicale. Ce congrès de 2007, et sans le défi nir très concrètement, posent également les premiers bases de l’anticipation des restructurations et surtout de celle qui deviendra territoriale. Il pose des questions aussi fondamentales comme l’avenir de secteurs traditionnels (sidé- rurgie, verrerie, etc.)

Cinq ans plus tard, le projet européen APENACH (agir préventivement en anticipant le changement) mené par la fédération avec le concours de plusieurs organisations syndi- cales d’autres pays européens comme la CFDT (France), la CGTP-in (Portugal), le GWU(- Malte), la CISL(Italie) et plusieurs universités dont l’UCL s’inscrit dans cette préoccupation de prévenir plutôt que guérir. Il en ressort une idée force, à savoir que la reconversion socio-professionnelle devient un enjeu majeur et que l’action syndicale a un rayon plus large que l’entreprise et la restructuration. Et ce n’est pas le fruit du hasard si un par- tenariat stratégique local sous l’impulsion du gouvernement wallon est lancé au même moment sur la base d’une constatation qui est loin d’être neuve : l’existence d’un retard de développement économique, démographique, etc…

Ce partenariat choisit de travailler avec l’Institut Jules Destrée et sa méthodologie prospective. Les acteurs (le monde de l’entreprise, les syndicats et la société civile, les universités, les hommes et femmes politiques) adhèrent certes de façon dubitative au projet. La cause est à trouver dans la succession d’initiatives comme les nouveaux gisements d’emplois, les pactes territoriaux pour l’emploi, En Avant ma région, le groupe SYNPAT (syndicats et patrons) qui ont rapidement avorté ou n’ont pas prouvé leur pertinence et leur durabilité. Une autre cause moins avouable mais ressentie est la perte d’autonomie politique voire une remise en cause profonde du volet développement économique dans le chef de l’Intercommunale de dévelop- pement économique (l’IDEA). En effet, les élus sont confrontés à une prise de décision qui est conditionnée par une approbation plus large que le cadre institutionnel.

En 2012, le partenariat stratégique local prend la forme d’un conseil de développement avec pour objectif de pérenniser cette structure et de concrétiser ses multiples axes stra- tégiques et actions phares. Actuellement, il est hébergé par l’Intercommunale. Sans vouloir se distancer de cette institution, le projet d’autonomie reste dans certains esprits. Il est vrai que cette localisation actuelle permet la maîtrise des choses par le biais de son conseil d’administration principalement composé de représentants politiques. Cette autonomie structurée est d’autant plus importante que lors des dernières élections régionales et dans la déclaration de politique régionale est inscrit la révision des provinces avec pour idée de créer des bassins de vie. Les mois et années qui s’annoncent vont être compliquées et 167 sont pleines d’incertitudes en ce qui concerne la concertation sociale. Les accords inter- professionnels sont de plus en plus diffi ciles à négocier et surtout, une crise fi nancière et économique mondiale liée à la faillite des « subprimes » impacte fortement l’économe régionale. Il suffi t d’évoquer non sans douleur pour le monde du travail et la population en général le pacte de solidarité entre les générations, le plan d’accompagnement des chômeurs, la dégressivité des allocations de chômage, le stage d’insertion, etc. La CSC au plan régional s’est mobilisée face à ces événements qui remettent clairement en cause, ne soyons pas dupes, les acquis sociaux gagnés de haute lutte évoqués notamment dans ce libre. Une manifestation provinciale en front commun dans les rues de Mons rassem- blera près de 18000 personnes, le 10 juin 2007. Un signal fort et nécessaire vu que pour d’aucuns, la crise la plus importante depuis les années 1930 était en train de se dessiner, ce que les faits viendront confi rmer. Certains ne manqueront pas de dire que si la Belgique a résisté mieux que d’autres pays, c’est grâce ou à cause de l’absence d’un gouvernement fédéral pendant plus de 500 jours, la Belgique détenant désormais le (triste) record mondial en la matière. L’arrivée (enfi n) d’un nouveau gouvernement s’inscrira dans un contexte dévastateur, à savoir gérer une pénible politique d’austérité (l’Europe souffre et risque d’imploser avec la Grèce, l’Italie, le Portugal, etc.) mais aussi un transfert majeur des compétences du pouvoir central vers les entités fédérées. Depuis lors, les attaques contre l’indexation des salaires ont repris avec plus d’intensité. La loi sur la compétitivité n’a jamais été autant mise en avant. Le gouvernement veut la renforcer, l’appliquer stricto sensu et bloquer les salaires pendant trois AIP, savoir sur une période de 6 ans. Et enfi n, le statut ouvrier -employé aurait une solution en juillet 2013, ce qui reste à confi rmer sur le plus long terme. Toujours est-il que ce dossier aura inévitablement des répercussions sur le fonctionnement interne de l’organisation et sur les relations entre les deux piliers évoquées précédemment dans le cadre du congrès de 2007 et de ses suites.

Pour combattre ces vents pour le moins défavorables, le navire CSC a mis en avant sa capacité d’adaptation mais également sa volonté d’être avant-gardiste en anticipation les restructurations. Sa capacité et sa force de proposition acquise grâce à la maîtrise des dossiers ont permis à l’organisation de renforcer sa présence et sa représentativité sur le territoire de Mons-la Louvière. Le fait d’occuper la présidence du comité subrégional de l’emploi et de la formation de la région du Centre et de la mission régionale du Centre en est l’incontestable preuve. De telles responsabilités sont loin d’être anecdotiques si l’on s’inscrit dans l’histoire sociale récente et plus ancienne du territoire en question au sein duquel la FGTB revendique, sans que les chiffres lui donnent clairement raison, d’être indiscutablement la première organisation sur le territoire. Selon une certaine culture syndicale, il était impossible d’imaginer il y a peu que la CSC puisse occuper deux pré- sidences de ce calibre en même temps. Les temps sont décidément en train de changer comme l’atteste l’actuelle présidence du conseil de développement du bassin de la haine assurée par Jean-Marc Urbain, le secrétaire fédéral. Les derniers résultats des Élections 168 Sociales ont démontré que la CSC n’est plus qu’à quelques encablures de la FGTB en termes de pourcentage de vote et que les deux organisations jouent au coude à coude. Si cette situation n’est pas exemple de confl its, ne doit-on pas la considérer comme un atout pour la démocratie syndicale et pour le respect d’un pluralisme syndical qui, s’il est garanti, ne peut que servir les intérêts des travailleurs et de la société en général vers davantage de progrès social. Chaque jour, la CSC Mons-La Louvière grandit, se construit et poursuit inlassablement son travail pour la défense des travailleurs avec ou sans emploi. Ce n’est pas seulement avec l’expérience d’hier que l’on construit le présent et le futur mais pourquoi s’en priver si elle permet de prendre le recul indispensable dans notre monde de l’hyper immédiateté. Pour terminer, il était important de donner une dernière fois la parole aux militants d’hier au travers d’un petit fl orilège présentant quelques lignes de forces issues de leur propre expérience en laissant parler le poids des mots.

Lorsque l’on parle d’hier, pour certaines et certains d’entre eux, encore actifs dans la fédé- ration, la militance se vit encore au quotidien. Leur regard rétrospectif sur la militance nous offre un panorama parfois foncièrement différent d’aujourd’hui, en toute logique d’ailleurs, car le contexte, les acteurs, les enjeux ont changé, quoique sur ces deux derniers points, « tout change et rien ne change » comme l’écrit Giuseppe Tommasi, prince de Lampedusa, dans son célèbre roman, Le Guépard paru en 1958. Regard du passé, peut-être mais non dénué de sens pour le futur.

Le militantisme autrefois La militance syndicale s’est modifi ée. Avant, il y avait une visite mensuelle dans chaque entreprise, ce qui avait une forte infl uence sur les travailleurs car c’était programmé. (Marcel Sommeryns)

Et donc c’est assez naturellement que, dans les années 1972, 1973, en étant dans l’en- treprise Akxo à Ghlin, j’ai contribué à ce que l’on créée la section syndicale de la C.S.C. Et puis alors – en passant les anecdotes – on m’a sollicité pour devenir permanent interpro- fessionnel à la C.S.C. Et à l’époque, ça voulait surtout dire : être au service des gens, loin des questions idéologiques ou des stratégies politiques, mais c’était : aider les gens dans leurs problèmes quotidiens, sociaux, de législation, de contrat de travail, d’allocations fami- liales, de chômage. Et c’était surtout – ça prenait beaucoup de place dans le budget temps disponible – c’était de payer les chômeurs. Donc nous allions dans les sections locales, payer de main à main les chômeurs, toutes les semaines, puis tous les quinze jours, puis tous les mois. (Pino Carlino)

« Pour moi, la sensibilité, la manière de voir les choses, la manière d’analyser les choses et les méthodes pour essayer d’avancer et de résoudre les problèmes, je me sentais net- tement mieux avec la CSC que partout ailleurs. On avait convenu en disant : « nous allons quand même garder nos contacts, nous voir pour voir de quelle manière les idées de fond, 169 la vue que nous avions de la société, on pourrait militer chacun que ce soit à la FGTB, à la CSC ou ailleurs, mais en tout cas que nous ayons des vues communes pour essayer cha- cun de notre manière, à notre niveau de progresser ». Ça s’est fait quand même assez bien. On avait quand même pas mal de liens, ce n’était pas qu’un niveau du Borinage. C’était parfois même au niveau international. On avait des visions et des contacts avec des gens qui partageaient ces mêmes visions. Aux Laminoirs, des collègues travaillaient à la FGTB, moi, à la CSC, et sur dix ans, jusqu’à la fermeture, on en a fait quand même un syndicat à la CSC qui était respecté puisqu’ils représentaient 20-25%... » (Umberto Barone)

Si dans ma vie professionnelles j’ai été sollicité pour accéder aux rôles de secrétaire fédé- ral comme j’aurais pu deux autre fois y parvenir de même deux autres proposition faite par des entreprise pour rentrer une comme DRH et l’autre dans le service du DRH très bien rémunéré j’ai bien sur refusé et je ne regrette rien. Ma vie professionnelle m’a comblé et être permanent de centrale sur le terrain avec mes délègues n’avait aucun prix. Cela a été mon bonheur. (Salvatore Acquisto)

« Avant, parce que papa était à tel syndicat, j’allais à tel syndicat. Je crois que chez les jeunes aujourd’hui d’abord, il y a le type de service rendu qui est important pour eux. Certains diront : c’est de l’égoïsme. C’est une évolution en tout cas des personnes, que ce soit en matière syndicale ou en autre matière, on va là où effectivement, peut-être que l’exemple qu’on pourrait donner c’est par rapport aux opérateurs de téléphonie mobile. Les jeunes ont tendance à aller effectivement non pas sur ce qui apparaît, ou qui a effective- ment le label du plus ancien, du plus développé, du plus ceci, du plus cela ; ils vont là où ils ont l’impression que le service qu’ils recherchent, ils vont l’avoir, j’ajouterai peut-être au meilleur prix. Mais en tout cas où ils vont en avoir plus pour leur argent. Et c’est, je crois, effectivement, ce qui a fait la force de la C.S.C., avec aussi, à mon avis, une infl uence auprès des jeunes, sur les pas qu’elle a fait, la première, en matière informatique et de présence sur le net. Je crois que ça a aussi été important. Et donc, les gens sont contents du service, les gens voient qu’ils ont une organisation syndicale qui est au top au niveau des nouvelles technologies ». (Bernard Meurice)

La militance aujourd’hui qui consiste à donner de la formation technique à des gens pour en faire des bons juristes, très bien. Ou la militance qui est dans des tiroirs, segmentée etcetera, ça débouche sur, parfois des choses très bien, mais une fois que ce tiroir-là se referme, c’est fi ni, le militant est perdu. Peut-être que ce n’est plus au goût du jour. Mais moi je maintiens quand même, une forte croyance dans le fait que : on ne peut pas faire ça avec tout le monde, mais qu’il y a suffi samment de personnes de bonne volonté, et que si elles sont accompagnées, et qu’on peut faire avec elles ce travail du local au global, dans toutes les dimensions de la vie dans la société, c’est comme ça qu’on va construire et qu’on va changer des rapports de force demain au niveau local et international. Au sinon, 170 c’est la grande victoire du capitalisme, c’est le confi nement des gens dans leur petite zone de vie, et c’est la division. Mais au syndicat, on sait qu’ensemble on est plus fort. Donc si on veut que la solidarité ne soit pas qu’un mot vain, que ce ne soit pas que du vent, il faut qu’on continue à mettre des dispositifs intégrés, globalisants, qui permettent aux gens – bien sûr, ça coûte cher, il faut s’investir, tout le monde n’est pas prêt à faire ça. Aujourd’hui, la vie, elle propose aux gens tellement de choses que c’est plus facile de le dire que de le faire. Mais, sans être élitiste, il y a des gens qui peuvent et qui sont prêts à s’investir, parce qu’elles se verront grandir personnellement, qu’ils donneront du sens à leur vie et à leur action, et qu’ils donneront du sens à la cause syndicale, tout simplement. (Pino Carlino)

« Ce n’est plus la même chose, ça c’est sûr et certain. La militance, ‘fi n… Moi, allez, je le faisais sans compter quoi. Je savais même pas qu’on pouvait être payé, que… Et j’ai même jamais pris mon statut de délégué syndical comme pour être protégée, moi ça coulait de source qui si ça n’allait pas avec quelqu’un, eh ben j’avais le droit de le défendre, sans pour… Enfi n, je pensais même pas que si je n’avais pas été syndiquée, on aurait pu me mettre dehors. Je pensais pas à ça. On allait à des formations même le samedi. » (André Motte, CCAS)

Alors, être une femme à la CSC, dans un syndicat, c’était… ? « C’était pas facile quand même. La preuve, quand j’ai commencé, on m’a mis suppléante. Je suis devenue effective parce qu’on a viré… Et je crois que maintenant encore, là où il y a des hommes, eh ben la femme a du mal à se faire une place sur la liste. On mettra, on va toujours privilégier les hommes tu vois. Et maintenant encore une fois, ça n’a pas changé tu sais, pour l’engagement. Parce qu’ un homme quand il vient à ces formations et tout, qu’est-ce qu’il doit penser ? Il y en a qui y pensent quand même hein, je dis pas, mais il ne doit pas penser à la bouffe, il ne doit pas penser aux enfant, il vient en formation …point barre. Une femme non ... C’est toujours le même problème, tu vois ? Mais j’ai toujours eu la chance d’avoir un mari qui m’a jamais contrariée dans tout ça, il m’a toujours laissée faire ce que je voulais. Mais il y en a, c’était pas comme ça. (André Motte)

« L’autre chose qui fait qu’on a fait du syndicat autrement c’était la formation. Je pense que l’investissement que nous avons fait sur la formation et la lutte qu’on a dû mener sur la formation – parce qu’on m’a dit qu’il fallait être un peu critique – il faut aussi dire qu’à l’époque il y avait deux visions de la formation : il y avait la vision de certains anciens qui était une formation assez répétitive, Conseil d’entreprise, Comité de sécurité avec moins de dimension politique interprofessionnelle (sur le monde, sur l’environnement). C’était une formation vraiment hyper pratico-pratique et j’avais vu, moi, des délégués sous cette for- mation dix années d’affi lée. Je faisais partie d’une génération où on se battait pour pouvoir changer les choses et où on a donné une dimension plus forte à la formation que j’appelle moi, interprofessionnelle. Donc avant les centrales avaient, au niveau de la région, beau- coup plus à dire sur la formation, et puis l’interprofessionnel a été plus marquant, mais je dois dire qu’on avait des formations de très grande qualité. » (Italo Rodomonti) 171

« Il faut dire qu’on a mis l’accent sur les formations, ça je le reconnais aujourd’hui avec le recul. Bon, beaucoup d’entre nous n’avait fait que les primaires. J’ai repris des études beaucoup plus tard, et donc on avait quand même besoin de structurer ce que nous demandions. Et là, c’était la grosse diffi culté, ou de mettre sur papier, je dirais, noir sur blanc, c’était assez touffu. Et donc, on a fait des formations que paraissent aujourd’hui peut-être risibles mais qui étaient importantes pour nous militants de pouvoir écrire, de rédiger un petit mot pour des journalistes, par exemple. On se rend compte que, faire une synthèse, c’est très diffi cile quand on n’a fait que ses primaires. Même si on com- prend ce qu’on veut, mais le dire d’une façon concise, c’était très diffi cile. On a même parfois rencontré, je crois, que c’est Jean-Claude Maréchal de la RTBF radio à l’époque qui venait nous donner aussi ses idées pour que ce soit acceptable si on voulait qu’on ait un relais, il fallait que ce soit concis, précis, etc. Ça nous a beaucoup aidés aussi. » (André Maesschalck)

L’histoire d’une centenaire qui se raconte et qui est tournée résolument vers l’avenir…

172 Ce livre a été imprimé avec des encres végétales sur du papier 100% recyclé certifi é de la norme écologique FSC®.

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