<<

HISTOIRE

nu

PROCÈS DE JEAN CALAS

1 HISTOIRE

DU PROCÈS DE JEAN CALAS

A

d’a p r è s la pr o c é d u r e authentique e t la correspondance ADMINISTRATIVE

PAR M. L’ABBÉ SALVAN

Chanoine honoraire de Toulouse.

TOULOUSE

LIBRAIRIE DE DELBOÏ

R IE DE LA POM M E, ‘ I

1865 PRÉFACE.

TOULOUSE, IMPRIMERIE VIGUIER , RUE DES CHAPELIERS, 1 3 . Un siècle s’est écoulé depuis que Jean Calas, pro­ testant , fut condamné à mort et supplicié à Toulouse comme convaincu du crime de meurtre sur la per­ sonne de Marc-Antoine Calas, son fils aîné. La sentence du parlement de Toulouse qui con­ damna Calas eut dans le public des défenseurs et des adversaires. La religion que professait le prévenu, l’âge de son fils, les circonstances singulières dans lesquelles se produisit l’évènement, et surtout l’inter­ vention de , donnèrent à cette affaire, en France et dans l’étranger, une grande célébrité. Depuis l’année 17G1, époque de l’évènement, jus­ qu’à la fin du dix-huitième siècle, on s’occupa cons­ tamment de ce fameux procès. Un très grand nombre de mémoires furent successivement publiés par les 1 II PRÉFACE. PRÉFACE. III parties intéressées et leurs avocats. Voltaire fit paraî­ mer en 1858 M. Athanase Coquerel fils, pasteur de tre à cette occasion son Histoire d’Elisabeth Canning l’Eglise reformée de Paris, sous ce titre : Jean Calas et de Jean Calas, ainsi que son Traité sur la Tolé­ et sa famille, 1 vol. in-12 de plus de 500 pages. On rance; Paul Rabaut et La Beaumelle donnèrent la comprend que cette brochure en faveur des Calas est Calomnie confondue, et Court de Gébelin les Lettres dirigée tout entière contre le parlement de Toulouse toulousaines; Thomas Simon publia l'Histoire des et le capitoulat; par occasion, la religion catholique malheurs de la Famille Calas; les poètes, les dra­ s’y trouve de temps à autre attaquée. maturges, les journalistes répandirent tour-à-lour La lecture attentive de cet ouvrage m’a déterminé des complaintes en vers et en prose sur la tombe du à composer celui que je publie aujourd’hui. Dans ce supplicié. dessein, j’ai dû m’aider de tous les secours possibles ; Quoique moins fécond que son devancier, le dix- j’ai lu avec le plus grand soin tous les mémoires neuvième siècle s’est encore occupé de l’affaire Calas. composés sur cette affaire ainsi que les livres où il en M. de Maistre, dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, est parlé; j’ai parcouru, annoté, copié même, en s’est déclaré en faveur du parlement de Toulouse; l’analysant, toute la procédure; enfin, les archives M. M ary-Lafon, dans son Histoire du midi de la du département de la Haute-Garonne m’ont offert France, a suivi le même sentiment; M. d’Aldéguier, une remarquable correspondance relative à Jean dans son Histoire de la ville de Toulouse, a pris le Calas et antérieure à la mort de son fils aîné Marc- parti des Calas; M. Du Mège, dans deux de ses ouvra­ Antoine. ges — les Institutions et l'Histoire du Languedoc, a Quoique je sois parvenu à un âge assez avancé, com battu M. d’A ldéguier; M. A. F oulquier, dans ses mes souvenirs de famille sont encore très-fidèles. Causes célèbres, a cru à l’innocence des Calas; M. le M. Boyer, , dont l’avis prévalut dans l’affaire comte de Bastard, dans les Parlements de France, Calas, était mon grand'oncle maternel. Il fut le père s’est déclaré contre eux ; M. FIuc, avocat à Toulouse, de M. Boyer, mort il y a quelques années à Paris a composé une brochure en réponse aux paroles président de la cour de cassation et pair de France. qu’un magistrat de l’une des cours royales de France J’ai très-souvent entendu parler de l’affaire Calas au -j" prononça en faveur de Calas. sein de ma famille, et je puis affirmer que mes de­ L’ouvrage le plus complet qui depuis 17G3 ait été vanciers croyaient Jean Calas coupable, au moins publié sur l’affaire Calas, est celui qu’a fait impri­ d’après la procédure et les informations. L on com­ IV PRÉFACE. PRÉFACE. V prend cependant que, dans le travail que j’ai fait, je « Tout ceci prouve que M. l’abbé Magi était un très- n’ai point cédé aux influences des assertions parties « mauvais prêtre et un très-mauvais catholique qui du foyer domestique. « se plaisait à attaquer toute religion, même celle C’est avec tous ces secours et constamment guidé « dont il n’était pas ministre. » M. le pasteur de par une haute impartialité que j’ai composé ce livre; Paris a commis ici une bien grave erreur. L’abbé je me suis efforcé de ne jamais m’écarter des règles Magi ne fut jamais prêtre; il n’entra même jamais de la modération que m’impose le caractère dont je dans les ordres sacrés. suis revêtu. Il est assurément possible que le par­ Il était né à Aurillac, en 1722, d’une famille hono­ lement de Toulouse ait commis une erreur judi­ rable. Son oncle, curé d’Avignonet (en Lauraguais), ciaire; mais, d’après la procédure, je crois qu’il fut l’appela auprès de lui et le fit étudier chez les jésui­ dans le vrai. tes de Toulouse, où il prit le petit collet, qu’il quitta Il est un homme que M. le ministre du Saint-Evan­ en 1790 sans avoir contracté aucun engagement. Il gile a fort maltraité dans son livre, c’est M. l’abbé avait été précepteur des enfants de M. Bonhomme- Magi, de l’Académie des Jeux-Floraux et auteur de Dupin, conseiller au parlement. Plus tard, il épousa, plusieurs mémoires littéraires. M. Magi avait dit, au à ce que je crois, sa propre nièce. Non-seulement sujet de Marc-Antoine : « On le trouva pendu entre M. Magi, que l’on qualifiait toujours du nom d’abbé, « les deux venteaux de la porte..... Qui vous a dit ne fut pas un mauvais prêtre, puisqu’il n’avait pas « qu’il ne fut pas surpris au passage (du couloir) par été prêtre, mais encore l'expression de très-mauvais « deux ou trois estafiers aux ordres du ministre du catholique qui lui est appliquée est fort exagérée. « Saint-Evangile, et qu’après avoir fait le coup ils L’abbé Magi était un peu philosophe, il avait em­ « ne disparurent pas dans les ténèbres?..... Je le brassé les idées nouvelles; mais, pendant la Révo­ « répète, toutes les sectes ont leur fiel et leurs cri- lution, il sut maintenir la paix et la justice dans la « mes. » Nous ne partageons point l’opinion de ville de Grenade-sur-Garonne où il s’était retiré, et l’abbé Magi, et nous ne croirons jamais qu’un minis­ Grenade lui doit la conservation de la belle église tre du Saint-Evangile ait envoyé des estafiers pour quelle possède. C’est là qu’il mourut en 1802, à tuer Marc-Antoine. L’authenticité de ces paroles de l’âge de quatre-vingts ans. l’académicien nous paraît d’ailleurs un peu suspecte. M. Coquerel répond à la page 554 de son livre : VI PRÉFACE. PRÉFACE. VI avant le jugement, on l’appelait préparatoire et pré­ ventive; quand elle faisait partie du jugement, on EXPLICATION DE QUELQUES MOTS EMPLOYES DANS LA l’appelait définitive ou préalable. Appliquer la torture, PROCÉDURE. c’était donner la question : le patient était conduit dans une chambre qui portait ce nom ou celui de la Monitoire. — C’était un acte de l’official pour obli­ gêne; avant de commencer la question, on lui faisait ger, sous des peines ecclésiastiques, tous ceux qui subir un dernier interrogatoire; après l’application avaient quelque connaissance d’un crime, ou de quel­ des tortures, le patient était conduit en chariot de­ que autre fait dont on cherchait l’éclaircissement, à vant la porte principale de l’église cathédrale, où il venir dévoiler ce qu’ils savaient. faisait, à genoux, nu-pieds et un flambeau à la main, Récolement. — Action par laquelle on lisait aux amende honorable. Cela fait, on le conduisait au lieu témoins qui avaient été entendus dans une procédure ordinaire des exécutions (à Toulouse, la place Saint- criminelle, la déposition qu’ils avaient faite pour voir Georges); là on l’étendait sur une forme de croix, où s’ils y persistaient. il était rompu vif par le moyen de coups de barre Brief-intendit. — On entendait par intendit une donnés aux principales jointures ; ensuite il était écriture qu’on fournissait dans les procès où il n’était exposé sur une roue, la face tournée vers le ciel, et question que de faits dont on offrait la preuve. Par y restait pendant deux heures. Si mort ne s’en était brief-intendit on entendait une série de questions pré­ suivie, on l’étranglait, et l’on portait son corps au parées d’avance qu’on présentait au témoin, et aux­ milieu d’un bûcher pour y être consumé et réduit quelles il était obligé de répondre tout de suite. en cendres. — Exécution horrible et dont l’idée seule Torture. — On appelait ainsi les terribles épreu­ fait frémir ! ves auxquelles un prévenu était soumis pour tirer de lui l’aveu de ses crimes, complices et circonstances. MARCHE DE LA PROCEDURE ANCIENNE. On distinguait deux sortes de tortures : Xordinaire et l’extraordinaire. La première consistait dans l’exten­ Dans les temps qui ont précédé la Révolution fran­ sion des membres par le moyen de cordes et pou­ çaise, la marche de la procédure était toute différente lies; la seconde, dans l’infusion lente de l’eau dans la de ce qu’elle est aujourd’hui. Il ny avait pas d au­ bouche. Lorsque la torture était ^donnée au prévenu dience publique ni de plaidoiries; les avocats pou­ VIII PRÉFACE. PRÉFACE. IX vaient seulement présenter des mémoires. Les inter­ portaient les titres de « gouverneurs de la ville de rogatoires de l’accusé et des témoins se faisaient « Toulouse, chefs des nobles, juges des causes civi- devant le juge seul, assisté de son greffier. On pré­ « les et criminelles, et de la police et voyerie de sentait ensuite aux témoins le récolement, et les « la dite ville et gardiage d’icelle. » Ils avaient brief-intendit s’il était nécessaire. Les accusés et les haute et basse justice dans la ville et dans son ter­ témoins prêtaient tous serment de dire la vérité. ritoire; ils pouvaient aussi condamner à la peine de L'instruction préparatoire se composait des infor­ mort. Leur sentence était soumise à la révision de mations et des interrogatoires; Y instruction définitive la chambre Tournelle. Le corps des huit était composée des récolements et des confrontations. s’appelait le Consistoire; l’un d’entre eux prenait le Dans les confrontations des accusés avec les témoins, nom de chef du Consistoire. les premiers pouvaient reprocher les derniers. Repro­ Les capitouls se divisaient en deux classes : les cher un témoin, c’était s’inscrire en faux d’avance titulaires et les temporaires. Les premiers achetaient contre tout ce qu’il pouvait dire. Si l’accusé ne repro­ leurs charges et n’étaient pas soumis à l’élection ; chait pas un témoin avant sa déposition, il n’était les autres, élus annuellement, ne restaient en charge plus temps de le faire après que le témoin avait qu’une année et pouvaient être réélus. Quand l’année déposé. du capitoulat était terminée, les capitouls sortants L’interrogatoire sur la sellette se faisait solennelle­ présentaient chacun trois candidats à l’assemblée ment en présence de tous les juges assemblés. 11 électorale. Cette assemblée était composée des anciens était regardé comme déshonorant. Les témoins à capitouls, des membres de tous les corps d’état, de décharge n’étaient cités que par le juge. Après tous l’université et des parlements. La nomination des ces préliminaires, la procédure était close et la sen­ huit capitouls sur les vingt quatre candidats présen­ tence était rendue à la majorité. tés était soumise à l’approbation royale, et, s’ils n’é­ taient nobles, ils le devenaient de droit et recevaient des armoiries. DU CAPITOULAT. Chaque capitoul avait auprès de lui un officier de justice et police qui lui était attaché, et qu’il pou­ L’affaire Calas fut d’abord portée devant les capi- vait destituer à son gré. Cet officier prenait le nom touls. Ces magistrats électifs, au nombre de huit, d'assesseur. X PRÉFACE. PRÉFACE. XI N° 11 bis. Assignations à divers témoins. N° 12. Procès-verbal de l’autopsie du cadavre de SOMMAIRE DE LA PROCEDURE DE JEAN CALAS, DEPOSEE AUX Marc-Antoine. ARCHIVES DU PARLEMENT DE TOULOUSE. N° 13. Informations. Elles présentent les dépositions de quatre-vingt-six témoins. (Pièce la plus N° 1. Procès-verbal de M. David de Beaudrigue, importante du procès). capitoul. N° 14. Décret de prise de corps des prévenus. N° 2. Interrogatoire (premier) de Jean Calas, au N° 13. Interrogatoire (deuxième) de Jean Calas sur Capitole. écrou. N° 3. Interrogatoire (premier) de Gaubert Lavaïsse, N° 16. Interrogatoire (deuxième) de Pierre Calas sur tils du célèbre avocat David Lavaïsse. . écrou. N° 4. Interrogatoire (premier) de Cazeing, négo­ N° 17. Interrogatoire (deuxième) de Mme Calas sur ciant à Toulouse. écrou. N° 5. Interrogatoire (premier) de Jeannette Yiguier, N° 18. Interrogatoire (deuxième) de Jeannette Vi- servante de la famille Calas. guier sur écrou. N° 6. Interrogatoire (premier) de Mn,e Calas (Anne- N° 19. Interrogatoire (deuxième) de Gaubert Lavaïsse Rose Cabibel). sur écrou. N° 7. Interrogatoire (premier) de Jean-Pierre Calas N° 20. Requête relative à la permission demandée fds. aux capitouls de faire une descente dans N° 8. Procès-verbal du médecin-chirurgien. la maison^Calas. N° 9. Ordonnance d’écrou des prisonniers. N° 21. Inventaire des objets trouvés chez Calas. Dans N° 10. Brief-intendit baillé au capitoul par le pro­ cette pièce, il est question de la visite faite cureur du roi pour l’audition des témoins dans la cave de la maison. et questions à poser. (Il contient quatre N° 22. (Manque au procès.) C’est peut-être le procès- articles.) verbal de cette visite. N° 11. Verbal concluant à la nomination du sieur N° 22 bis. Monitoire. Lamarque pour procéder à l’autopsie du N° 23. Requête pour la publication du monitoire. cadavre de Marc-Antoine. N° 24. Requête à Monseigneur l’archevêque de Tou­ PRÉFACE. XIII XII PRÉFACE. N° 47. Appel du curé du Taur, relativement aux louse; ordonnance d’icelui pour le moni- funérailles de Marc-Antoine. toire. N° 47 bis. Brief-intendit contre Calas père. N° 25. Brief-intendit à adresser aux prévenus. — Il N° 48. Brief-intendit contre Pierre Calas. renferme quarante et une questions. N° 49. Brief-intendit contre Gaubert Lavaïsse. N° 26. Interrogatoire (troisième) de Jean Calas. N° 50. Brief-intendit contre Mrac Calas. N° 27. Interrogatoire (troisième) de Pierre Calas. N° 51. Brief-intendit c,ontre Jeannette. N° 28. Interrogatoire (troisième) de Gaubert La­ N° 52. Interrogatoire (quatrième) de Jean Calas. vai sse. N° 53. Interrogatoire (quatrième) de Pierre Calas. N° 29. Interrogatoire (troisième) de Jeannette. N0 54. Interrogatoire (quatrième) de Gaubert La­ N° 50. Interrogatoire (troisième) de Mme Calas. vaïsse. N° 31. Interrogatoire (quatrième) de Jeannette. N° 55. Procès-verbal de visite au magasin de Calas. N“ 52. Conclusions et réquisitions du procureur du N° 56. Interrogatoire (quatrième) de Mme Calas. roi sur la procédure. N° 57. Interrogatoire (cinquième) de Jeannette. N° 33. Papier blanc portant les numéros perdus. N° 58. (Manque au procès.) N° 34. Il concerne la procédure. N° 59. (Manque au procès.) N° 35. Affaire de procédure. N° 59 bis. Requête du procureur du roi tendant à N° 36. Assignations diverses. ce que les confrontations des prévenus N° 37. Assignations diverses. soient refaites. — Confrontation répétée de N° 38. Cahier des récolem ents. Calas père, Calas fds et Jeannette. — Con­ N° 59. Cahier des confrontations avec Calas père. frontation répétée de Calas père, Calas fds N° 40. Confrontations avec Pierre Calas. et Gaubert Lavaïsse. N° 41. Confrontations avec Mme Calas. Nous pensons qu’il y a ici erreur dans l’ins­ N° 42. Confrontations avec Gaubert Lavaïsse. cription, et qu’on a transporté au n° 59 bis la N° 43. Confrontations avec Jeannette. requête qui devait occuper le n° 58 et la N° 44. Procès-verbal de la taille ou longueur du confrontation qui devait occuper le n° 59. cadavre. N° 60. Confrontation de Calas père et de Pierre, N° 45. lirief-intendit pour M. Laplagne, prêtre. son fds. N° 46. Permis d’inhumation du cadavre. PRÉFACE. XV XIV PRÉFACE. N° 61. Confrontation de Calas père et de Gaubert naire et extraordinaire Jean Calas, Pierre Lavaïsse. son fds, Mrae Calas ; et à être présentés à N° 62. Confrontation de Gaubert Lavaïsse et de la question, Gaubert Lavaïsse et Jeannette. Pierre Calas. — Appel a minima du procureur du roi à N° 63. Confrontation de Calas père et de Jeannette. la cour du parlement. N° 63. Monitoire. N° 81. M onitoire. N° 66. Monitoire. N° 82. Apposition des scellés sur les marchandises N° 67. (M anque au procès.) de Jean Calas. N° 68. (Manque au procès.) N° 69. (Manque au procès.) N° 70. (Manque au procès.) N® 71. (Manque au procès). 72. Monitoire. Cette longue procédure fut dressée par les capi- touls. Le parlement, en évoquant l’affaire, la recon­ Il est évident pour nous que les cinq nu­ nut très valable et s’en servit pour rendre sa sen­ méros manquants renfermaient autant d’exem­ tence. Quelques nouvelles dépositions arrivèrent, qui plaires du monitoire qui est imprimé. Les n’avaient aucun trait au fait principal. Par ordre nos 65, 66 et 72, qui n’ont trait qu’à cette exprès du Roi, copie authentique de toutes ces piè­ pièce, l'indiquent suffisamment.) ces fut expédiée au parlement de Paris, devant lequel N° 73. Conclusions du procureur du roi, de Lagane. se produisirent d’autres témoignages aussi peu im­ N° 74. Interrogatoire sur la sellette de Gaubert La­ portants. vaïsse. N° 75. Interrogatoire sur la sellette de Mme Calas. N° 76. Interrogatoire sur la sellette de Pierre Calas. N“ 77. Interrogatoire sur la sellette de Jean Calas. N« 78. Interrogatoire sur la sellette de Jeannette. N° 79. Délibération du conseil des capilouls. N° 80. Sentence qui condamne à la question ordi- HISTOIRE

DU

PROCÈS DE JEAN CALAS

A TOULOUSE.

CHAPITRE I.

FAMILLE CALAS. i Jean Calas était né en 1098, à la Cabarède, dans le pays castrais, de parents protestants. Il se destina de bonne heure au commerce, et entreprit plusieurs voyages en France. Se trouvant à Paris en 1751, il y épousa, à l’âge de 33 ans, Anne-Rose Cabibel, anglaise de naissance et française d’origine. Anne- Rose était alliée, par son aïeule maternelle, à plu­ sieurs nobles familles du Languedoc, aux Lagarde- Montesquieu, aux Polastron-Lahilière, aux Marsillac, aux Saint-Amans, aux Riols-Desmazier, aux d’Esca- 2 2 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÊS DE JEAN CALAS. 3 libert. Voltaire, dans sa lettre à M. Elie de Beau­ pendant à le donner plus tard, si ce jeune homme mont, loue dans Mrae Calas la présence d’esprit, la portait une déclaration d’un confesseur qui répondît force et les ressources de l’intelligence ; ce qui ne de sa bonne foi. Il faut avouer que cette promesse du l’empêche pas, dans une lettre écrite à d’Alembert curé de Saint-Etienne était un puissant appât pour ce (28 novembre 1762), d’appeler Mme Calas une hugue­ jeune homme- si désireux de parvenir, appât qui note imbécile. devait le porter vers la religion catholique par un Jean Calas vint se Axer à Toulouse peu de temps motif humain sans doute, mais qui n’est pas moins après son mariage, et il y était déjà en 1735. Anne- réel. Rose lui donna six enfants : Marc-Antoine , Jean- Trompé pour le moment dans ses espérances, Pierre, Louis, Rose, Nanelte et Donat. Marc-Antoine se tourna du côté du commerce. Un Marc-Antoine, l’aîné de tous, qui fut trouvé mort marchand d’Alais désirait l’associer à son négoce : dans la maison de son père, était né le 5 novem­ Marc-Antoine demanda 6,000 livres à son père pour bre 1732. Un goût naturel le porta de bonne heure le cautionnement. Il ne put les obtenir à temps. vers l’étude des lettres, qu’il cultiva dans sa jeu­ Ayant manifesté plus tard le désir d’être l’associé de nesse. La lecture des poètes français et des orateurs son père, Jean Calas refusa. Ces exigences d’un côté les plus célèbres occupait ses loisirs ; il aimait surtout et ces refus de l’autre devaient vivement contrarier à déclamer avec âme les scènes les plus touchantes le chef de la maison : Marc-Antoine prépara de loin de nos grands tragiques. 11 étudia aussi le droit, et des projets d’une séparation qui devenait une néces­ prit le grade de bachelier le 18 mai 1759, par béné­ sité pour le fils et un déshonneur pour le père. fice d’âge. Ayant résolu de prendre sa licence, il pria Cette séparation bien arrêtée dans son esprit, un juriste nommé Vidal de le préparer à soutenir Marc-Antoine fit part à un de ses amis, Challier, cet acte. avocat au parlement, d’un projet qui lui donnait la Pour obtenir le titre d’avocat, un certificat de ca­ facilité de quitter la maison paternelle : il voulait tholicité était nécessaire. Marc-Antoine se présenta aller à Genève étudier pour être ministre. Challier à M. Boyer, curé de Saint-Etienne, paroisse dans ayant contrarié cette idée, « Eh bien ! dit Marc-An­ laquelle était située la maison paternelle. M. Boyer, toine, je pense à une autre chose que j’exécuterai. » averti par son domestique que Marc-Antoine Calas On a cru voir dans ces derniers mots une pensée de était protestant, refusa le certificat ; il s’engagea ce­ suicide. Nullement. Il y a certainement bien des 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. milieux entre ne pas être ministre et se donner la mort; l’un de ces milieux est l’abandon de.la maison paternelle. Des années s’écoulèrent dans cette position assez équivoque. Marc-Antoine cherchait à se distraire de ses longs ennuis par d’honnêtes divertissements, la CHAPITRE II. déclamation, le jeu de paume, l’escrime, le billard. C’est en vain qu’on a prétendu que son père était très irrité de sa conduite : nous produirons un inter­ MAISON DE CALAS A TOULOUSE. rogatoire de Jean Calas où il déclare que Marc- Antoine ne lui a jamais donné aucun mécontente­ ment. Jean Calas était marchand de draps et d’indiennes; Jean-Pierre vivait à Toulouse avec son père; il avait établi son commerce rue des Filatiers, n° 16 Louis -s’en était séparé pour embrasser la religion (aujourd’hui n° 50). 11 importe beaucoup d’offrir au catholique, et Donat se trouvait à Nîmes. Quant aux lecteur une description exacte de cette maison qui demoiselles Calas, elles passaient paisiblement leurs devint le théâtre d’un déplorable évènement. jours sous la surveillance active de leur mère.

Cette famille avait associé à son existence une ser­ Rez-de-chaussée. vante catholique, Jeanne Viguier — (Jeannette), qui servit ses maîtres pendant près de trente années et Un long couloir conduisait de la rue dans une partagea tous leurs malheurs. grande cour où l’on voyait un acacia séculaire. Sur la rue, s’ouvraient deux boutiques : l’une, contiguë au couloir, était celle de Calas; l’autre, contiguë au mur de la maison voisine, était celle du tailleur Bon. La boutique de Calas était divisée par une cloison en deux compartiments; le premier, sur la rue, portait le nom de boutique; le second, sur le derrière, s’ap­ pelait le magasin. On communiquait intérieurement 6 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 7 de l’un à l’autre par une porte de deux mètres de encore dans celle de Mme Calas. A chaque étage, il y hauteur et à deux battants. Cette porte était garnie avait des lieux d’aisance ; on en trouvait aussi dans de barreaux dans la partie supérieure. Du couloir la grande cour qui étaient plus fréquentés que les on entrait dans la boutique, et on entrait aussi de ce autres. Ces lieux jouent un certain rôle dans la pro­ même couloir dans le magasin. A côté de ce magasin cédure. se trouvait l’escalier ; après l’escalier, on trouvait une D’après cette description très exacte de la maison troisième porte donnant sur une très petite cour, Calas, on voit que, le soir, quand la boutique avait qu’on avait formée en prenant quelques mètres de été fermée, le rez-de-chaussée était complètement terrain sur la grande. Le tailleur Bon avait aussi une désert ; que la famille et le ménage occupaient le petite cour à son usage, formée également de la pre­ premier étage; que la cave était à la disposition de la m ière. famille Calas, et qu’aucun autre locataire n’en avait Dans la petite cour de Calas, se trouvaient la la clef ; que la petite cour isolait l’entrée de cette fenêtre qui éclairait le magasin et la porte d’une très cave du reste de la maison ; que, de la chambre con­ grande cave voûtée qui occupait le dessous de la bou­ tiguë au salon à manger, on pouvait, par une galerie tique et du magasin de Calas ainsi que de celui de extérieure, gagner l’escalier sans traverser le salon et Bon. Cette cave était à l’usage exclusif de Calas. aussi sans être vu. La maison Calas a subi de nos jours quelques Premier étage. transformations : les deux boutiques n’en font plus qu’une ; la grande cour et les deux petites ont dis­ Cet étage était composé de quatre pièces. 1° Un paru sous un ciel-ouvert; l’escalier a été changé, salon à manger donnait sur une galerie qui dominait quoiqu’il soit à la même place. La disposition des la cour; 2° de ce salon on passait dans la cuisine, qui pièces du premier étage est la même; la galerie prenait jour sur la rue; 5° à côté de la cuisine se extérieure a été, en partie, enlevée; la porte d’entrée trouvait la chambre de Mrae Calas, aussi sur la rue ; et le couloir sont les mêmes; les portes qui, du cou­ 4° du salon à manger on passait aussi dans une cham­ loir, donnaient entrée dans la boutique, le magasin bre qui prenait jour sur la galerie et où se réunissait et la petite cour, ont été murées. ordinairement la famille, après le repas. Un lit se Quoiqu’il régnât dans cette maison beaucoup d’or­ trouvait dans celte chambre, de laquelle on passait dre et d’économie, on y menait cependant une vie 8 PROCÈS DE JEAN CALAS. aisée et commode, telle que la demandait une bonne et honnête bourgeoisie. M. et Mme Calas exerçaient une grande autorité sur leurs enfants; Mn,e Calas, en particulier, veillait beaucoup sur ses filles, dont elle ne se séparait que très-rarement; elle avait de très- bonnes manières, et quoique femme d’un simple mar­ CHAPITRE III. chand, elle gardait assez le haut ton.

ENQUÊTE ADMINISTRATIVE SUR JEAN CALAS.

Nous sommes au 12 novembre 1760. A cette date, M. de Saint-Priest, gouverneur du Languedoc, écri­ vait à M. Amblard, son subdélégué à Toulouse, la lettre suivante :

« Monsieur,

« Je vous envoie ci-joint un placet par lequel le « sieur Louis Calas demande que son père, négo- « ciant de la ville de Toulouse, soit tenu de lui four- « nir des secours. Il expose que c'est en haine de sa « conversion à la religion catholique qu’il les lui « refuse. Je vous prie de vérifier si c’est véritable- « ment par rapport à sa conversion que ce secours « lui est refusé ; si son père est en état de le lui « donner; quelle est la conduite de ce particulier; « s’il n’a pas quelque métier, quelque profession, ou 10 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. H « quelques autres ressources qui puissent le faire « subsister, et de me renvoyer ensuite le placet avec « Ce 24 janvier 1761. « votre avis. « Monsieur, « de S aint-P riest. Arch. départ. « Par la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 12 novembre dernier, en m’envoyant « Montpellier, le 12 novembre 1760. » le placet ci-joint du sieur Louis Calas, vous me chargez de vérifier si c’est véritablement par rap­ Cette lettre authentique nous révèle des faits qu’il port à sa conversion à la religion catholique que faut maintenant exposer. son père lui refuse les secours qu’il demande ; si Louis, le troisième des fils de Jean Calas, abjura son père est en état de les lui donner; quelle est la religion protestante en 1756. 11 fut conduit à cette la conduite de ce particulier; s’il n’a pas quelque démarche éclatante par les sollicitations de Jeannette, profession ou quelque autre ressource qui puisse la servante de la maison, et un certain abbé Durand, le faire subsister. J’ai différé jusqu’ici à vous répon­ fils d’un sieur Durand perruquier, voisin des Calas. dre, parce que j’ai travaillé, mais inutilement, à Ceux-ci, depuis cette époque, cessèrent tout rapport concilier les parties sur les propositions qui ont avec les Durand. Louis fit part à son père de sa déter­ été faites respectivement par la médiation même mination par une lettre qu’il lui écrivit, et que M. de de certaines personnes de considération qui ont La Molhe, conseiller au parlement, se chargea de lui voulu entrer dans cette affaire; mais je n’ai pas remettre. 11 sortit de la maison paternelle et entra en pu y réussir. apprentissage. « Le sieur Calas père est un homme fort rkhe, Les édits royaux forçaient les parents protestants à et je ne puis pas dissimuler que je l’ai trouvé fort donner une pension alimentaire à leurs fils devenus dur à l’égard de son fils. C’est un jeune homme catholiques. C’est cette pension que Louis réclamait sage et pieux; on m’en a rendu un témoignage dans son placet à l’Intendant. qui n’est pas suspect. Il y a cinq ans qu’il est sorti Nous allons apprendre, par la réponse de M. Am- de la maison paternelle pour son apprentissage, et blard à M. de Saint-Priest, toute la suite de cette depuis ces cinq ans le père n’a donné autre chose affaire. à son fils que cinquante francs pour son entretien 1 2 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 1 3 « à diverses reprises. Ce jeune homme m’a remis son fils que 50 francs payés en diverses reprises. La « un état duquel il résulte qu’il doit six cents trois haute médiation dont il est ici question est celle de « francs, et cela ne me paraît pas excessif pour l’en - M«r de Crussol, archevêque de Toulouse. « tretien pendant cinq années. Je proposai d’abord L’affaire n’était pas arrangée entre le fils et le père « que le père payât ces six cents trois francs, et qu’il en février 1761, puisqu’à cette date M. de Saint- “ donnât à son fils cent francs de pension pour son Priest écrivait à M. Amblard : « entretien jusqu’à ce qu’il gagnât des appointements, « ne fût-ce qu’à concurrence de cette somme. « A Montpellier, le 20 février 1761. « Je joins ici les comptes qui justifient les sommes « Monsieur le Comte de Saint-Florentin me mar- « dues par le sieur Calas fils. « que, Monsieur, par une lettre du 7, qu’ayant « Le père, quoiqu’il ait six enfants, est un com- « rendu compte au Roi du placet du sieur Calas fils <■ merçant riche et aisé, et je puis certifier que le « et des éclaircissements pris sur les facultés du « paiement de la somme de 603 francs et une pen- « père à faire à son fils une pension annuelle de « sion annuelle de 100 francs aux conditions énon- « 100 francs, et de payer les 603 francs dont ce « cées, ne serait pas une charge trop onéreuse pour « jeune homme s’est endetté, vous voudrez bien « lui, quoiqu’il ait cinq autres enfants, parce qu’il « lui faire connaître les intentions de Sa Majesté, et « n’y a qu’à les voir tous pour être convaincu que « me marquer, le plus tôt qu’il vous sera possible, « leur entretien coûte à leur père, pour la maison, « dans quelles dispositions vous l’aurez trouvé à cet • plus de 100 francs pour chacun. « égard. Il est nécessaire aussi que vous fassiez part « J’ai l’honneur..... « de ma lettre au sieur Calas fils, afin qu’il fasse les « A mblard. » « démarches nécessaires. Arch. départ. « Je suis, Monsieur....

« de S aint-P riest. » Cette lettre est d’autant plus frappante quelle est Arch. départ. antérieure à l’évènement, comme la première. Il est donc acquis maintenant à l’histoire que Calas était Du mois de février au mois d’août, Louis Calas riche, qu’il était fort dur, qu’il était très-attaché à adressa à monsieur l’Intendant un nouveau placet; ses intérêts, puisque, dans cinq ans, il n’accorda à c’est ce que nous apprenons de la lettre suivante : 1 5 14 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÊS DE JEAN CALAS. « taire dont les semestres devraient, par conséquent, « A Montpellier, le 11 août 1761. « être payés d’avance. 11 m’a promis qu’il y serait « Le sieur Calas fils vient de m’adresser, Monsieur, « exact à l’avenir. Au moyen de quoi, c’est une « le placet ci-joint par lequel il se plaint que son « affaire finie. « père se refuse de lui payer sa pension. Je vous « Je su is..... « prie de vérifier l’exposé de ce particulier ; de rap- « A mblard. » « peler au sieur Calas père les intentions de Sa Ma- Arch. départ. « jesté, et de m’informer des dispositions dans les- L’exactitude de Jean Calas à payer à Louis ses se­ * quelles vous l’aurez trouvé à cet égard. mestres n’était pas en harmonie avec ses promes­ « Je suis, Monsieur..... ses ; en effet : » de Saint-P riest. » Alexandre Fabre, âgé de 27 ans, praticien, dépose Arch. départ. « qu’ayant été chargé par M. Amblard, subdélégué Enfin cette affaire prit un terme. Le 9 septembre, « de l’intendance du Languedoc, de faire payer une un mois avant l’évènement, M. Amblard écrivait à « somme de 50 francs à Louis Calas, il se rendit monsieur l’Intendant : « chez Calas père, qui lui dit qu’il n’avait pas d’ar- « gent; que quelques jours après il rencontra Marc- « 9 septembre 1761. « Antoine à la place Sainte-Scarbes, et lui dit de « J’ai terminé les contestations des sieurs Calas « dire à son père que, s’il ne payait pas 50 francs à « père et fils, au sujet desquelles ce dernier vous « Louis, on lui enverrait garnison. Marc-Antoine lui « avait présenté le placet ci-joint que vous m’aviez « répondit que Louis était fort heureux ; qu’il n’en « envoyé avec la lettre que vous m’avez fait l’hon- « était pas de même de lui, au contraire. Il ne lui « neur de m’écrire le II août dernier. Le sieur « adressa aucune question. » (JProcM, n° 13, dépo­ « Calas père a payé à son fils les 50 francs du pre- sition 36e.) « mier terme de la pension, et il a demandé quel- Il est donc manifestement prouvé que Jean Calas « ques jours pour payer le second terme, parce était d’une ténacité à toute épreuve; que les exi­ « qu’il ne se trouve pas en argent. Je lui ai même gences de ses enfants le désespéraient, et qu’il em­ « fait convenir que c’était ici une pension alimen- ployait tous les moyens possibles pour les éluder. CHAPITRE IV.

CONDUITE DE JEAN CALAS A l ’ÉGARD DE SON FILS LOUIS.

DÉPOSITIONS SUR DES FAITS ANTERIEURS A l ’ÉVENEMENT.

Après la mort de Marc-Antoine, il devint néces­ saire de connaître la conduite que Calas avait tenue envers son fils Louis, à cause de son changement de religion. On appelle donc des témoins, qui viennent déposer sous la foi du serment, et qui, dans leurs récolements et confrontations, persistent dans leurs premières déclarations. Eliennette Auxillon, âgée de 2G ans, dépose « que « Louis Calas lui a affirmé que son père l’avait en- « fermé dans la cave, et qu’il en avait été tiré par sa « servante. » (Procéd. n° lo, 41e déposition). Antoine Deschamps, âgé de 45 ans, dépose « qu’il y « a deux ans, ayant été jauger des barriques chez « Calas, la servante lui raconta to u t ce qu’on Rivait « fait contre Louis Calas ; qu’il avait été tenu une « assemblée dans laquelle il avait été décidé qu’on 3 1 9 1 8 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. « enfermerait Louis, si l’on pouvait le prendre, et a instruit Louis Calas pour sa conversion. 11 dépose « qu’elle avait averti Louis Calas. » (Procéd. n° 13, « que les garçons de son père, qui était perruquier, lui 4GC dépos.) » ont affirmé qu’un jour Pierre Calas était venu et Jacques Gleyses dépose « qu’il y a quatre mois la » leur avait dit que lui, témoin, payerait chèrement « servante des Calas lui parla de Louis nouvellement » les soins qu’il avait donnés à son frère pour sa con- « converti, et des soins qu’elle lui avait donnés ; « version. (N° 13, 58e dépos.) « qu’elle le faisait secrètement, dans la crainte que La servante Jeannette, dans son interrogatoire sur « dans la maison on ne la découvrît. » (Procéd. n° 13, écrou déclare « qu’avant la première communion de 83e dépos.) « Louis, son père voulait le placer à Nîmes ; qu’il Jeanne Moysset, 24 ans, dépose « que la demoiselle « refusa, et que depuis ce refus son père avait conçu « Auxillon lui avait affirmé quelle tenait de Louis « de l’inimitié pour lui. » (N° 18.) « Calas qu’après sa conversion on l’avait tenu quinze 11 résulte de ces dépositions diverses que le projet « jours à la cave, et que Jeannette lui avait rendu d’abjuration de Louis Calas lui suscita des vexations « la liberté par finesse et lui avait remis un écu. » dans sa famille; qu’il reçut plusieurs menaces, et (n° 13, 34e dépos.). qu’infailliblement, s’il fût demeuré dans la maison Françoise Aspe, 28 ans, dépose « que la demoi- paternelle, on lui eût fait un mauvais parti. « selle Auxillon lui a déclaré tenir de Louis Calas « qu’on l’avait enfermé pendant quelque temps à la « cave. » (N° 13, 55e dépos.). Claude Caperan, 58 ans, dépose : « Louis Calas a « été mon commis; la servante Jeannette venait le « voir souvent et lui apportait quelque peu d’argent « de ses épargnes. Louis dit à lui, témoin, que Jean- « nette l’avait averti de ne pas passer devant la mai- « son parce que sa mère se trouvait mal, et que cette « dernière avait dit que ses maux ne finiraient que « lorsqu’elle le saurait pendu. » (N° 13, 57e dépos.) Pierre Durand, clerc tonsuré, 25 ans. C’est lui qui CHAPITRE V.

MARC-ANTOINE A-T-IL REELLEMENT VOULU SE FAIRE

CATHOLIQUE?

Observons que les protestants pouvaient entrer dans les églises catholiques, assister à des prédica­ tions, à des chants sacrés, se mêler quelquefois à la troupe des fidèles, sans qu’on puisse rigoureusement conclure de ces divers actes qu’ils fussent dans l’in­ tention d’abjurer leur religion. Mais observons aussi qu’il est des actes tels qu’ils deviennent des signes non équivoques d’une catholicité sérieusement pro­ jetée. Cette distinction établie, écoutons les témoins : Arnaud Cazes, 56 ans, dépose que « le bruit géné- « râlement répandu dans la ville était que Marc- ci Antoine devait faire prochainement son abjura- « lion. » (N° 15, 5' dépos.) Antoine Corse, 56 ans, le premier appelé auprès du cadavre, dépose « qu’il était bruit en ville que PROCÈS DE JEAN CALAS. 2 3 2 2 PROCÈS DE JEAN CALAS. « Marc-Antoine devait faire son abjuration le 14. » « ses discours il comprenait qu’il penchait beaucoup (N° 13, 4e dépos.) « vers la catholicité. » (N° 15, 12e dépos.) La demoiselle Ducassou, 57 ans, dépose « qu’un Jean Bertrand, 24 ans, dépose : « Etant un jour à « de ses commis lui a assuré que Marc-Antoine « la rue Boulbonne avec Marc-Antoine, celui-ci se « allait souvent à la bénédiction à Saint-Etienne et « mit à genoux devant le saint viatique, quoique lui, « s’agenouillait quand on portait le saint viatique aux « déposant, lui eût dit de ne pas se gène’r. Cette « malades. » (N° 15, 6e dépos.) « même année, il alla entendre un motet à l’église Jeanne Campagnac, 5G ans, dépose « qu’il n’était « Saint-Etienne avec Marc-Antoine, qui y reçut la « bruit dans le quartier que de Marc-Antoine qui « bénédiction du Saint-Sacrement. » (N° 1 5 ,14edép.) « s’était confessé le 15, et qui devait faire sa première Marie Mendouze, 22 ans, dépose « qu’il y a un « communion le lendemain. » (N° 15, 8e dépos.) « mois Marc-Antoine entendit la messe auprès d’elle, Antoine Delpech, 55 ans. Ce témoin entra dans la « à onze heures, dans l’église des Auguslins. » maison Calas pour voir le cadavre de Marc-Antoine, (N° 15, 26e dépos.) et se rendit ensuite au billard pour savoir s’il n’avait Jacques Montesquieu dépose « qu’il a vu très sou- pas eu quelque querelle. 11 dépose « qu’il a entendu « vent Marc-Antoine à vêpres à Saint-Etienne; qu’il « parler des bruits d’abjuration de Marc-Antoine ; « l’a vu se prosterner et prier au passage du saint « que ce dernier ne lui avait jamais fait part de ses <' viatique. » (N° 15, 27e dépos.) « projets, mais qu’il l’avait vu une fois, au Carême Jean Capoulal, 25 ans, dépose « que l’année pré- « dernier, au sermon à Saint-Etienne. » (N° 15, « cédente il se trouva avec Marc-Antoine à l’église du 10e dépos.) « Taur le jour de la procession du Saint-Sacrement; François Bordes, 26 ans, dépose « que Marc- « qu’ils entrèrent dans la sacristie et y examinèrent « Antoine l’a plusieurs fois prié de le mener au ser- « un beau christ, et que Marc-Antoine se mit à ge- « mon aux Pénitents-Gris, à la Dalbade, à Saint- « noux devant le Saint-Sacrement. » (N° 15, 55e dép.) « Etienne, et qu’il l’y a conduit plusieurs fois; mais Claude Caperan, 58 ans, dépose « que le 17 mai, « qu’il ne l’a jamais vu à la messe ni à vêpres. » « jour de la procession générale, il vit Marc-Antoine « suivre cette procession, le chapeau sous le bras. » (N° 15, 11e dépos.) Dominique Brousse, 26 ans, dépose « qu’il a fait (N° 15, 57e dépos.) « plusieurs voyages avec Marc-Antoine, et dans tous Renée Durand, 58 ans, dépose « qu’elle a vu 2 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. « Marc-Antoine auprès d’un confessionnal dans l’é- Lorsque la justice appela de nouveau les témoins « glise de la Maison-Professe. Jeannette a vendu un pour leur récolement, Catherine Daumière fut citée. « habit pour acheter à Marc-Antoine des livres de Voici textuellement ce quelle ajouta à sa première « piété. » (N° 13, 40 e dépos.) déposition et les actes par lesquels les magistrats Catherine Daumière, 28 ans, dépose « que Marc- cherchèrent à constater la véracité du témoin. « Antoine lui a déclaré qu’il souffrait beaucoup chez Catherine Daumière (22e témoin), âgée de 28 ans, « ses parents; qu’il était entre les mains d’un bon couturière, habitante de cette ville, logée au faubourg « confesseur; qu’il devait aller se confesser le mardi Saint-Etienne chez la Liasse, témoin assigné à la re­ « et faire sa communion le mercredi, et que Marc- quête et par même exploit que dessus. « La dépo- « Antoine lui promit de lui prêter quelques livres. » « sition dû témoin est du 26 octobre, laquelle dé- (N° 13, 50e dépos.) « position a été lue et par elle entendue; moyennant Cette déposition frappa singulièrement la justice; « serment par elle prêté, sa main mise sur les saints elle était si précise et si claire qu’elle semblait « Evangiles, elle a déclaré telle être sa déposition à exclure toute espèce de doute. Cette fille se disait « laquelle elle ne veut rien changer ni diminuer, protestante convertie. Un sieur Vrillière lui avait pro­ « mais bien ajouter que le sieur Vrillière, qui lui curé une boutique de marchande à Montauban, et « avait ci-devant écrit pour lui procurer une bouti- était venu à Toulouse pour la prendre. Elle n’osait « que de marchande à Montauban , ainsi qu’elle avouer à Vrillière qu’elle avait déposé dans l’affaire « l’avait dit dans sa déposition, étant venu en cette Calas, parce qu’elle avait montré aux capitouls la lettre « ville et voulant l’emmener avec lui à Montauban, d’offres que Vrillière lui avait écrite. Elle avait fait part « et ayant parlé de cela hier au soir à la nommée de ses projets à une de ses amies nommée Moynet, « Moynette, logée au faubourg Saint-Etienne, la- et c’est de celle-ci que Marc-Antoine avait appris tou­ « dite Moynette ayant dit au sieur Vrillière que tes ces particularités. 11 chercha à voir Catherine et « ladite témoin ne se souciait pas d’aller audit Mon- à la détourner du voyage à Montauban, lui disant « tauhan; qu’elle avait déposé dans la procédure qu’elle courrait grand risque en cette ville de retom­ « contre les Calas; qu’elle se tenait cachée, par l’avis ber dans le protestantisme. Les livres qu’il lui offrit « de M. le curé de Saint-Etienne, pour ne pas aller étaient le Chrétien en solitude et un livre tiré de saint « à Montauban, et qu’elle avait fait part, en rendant François de Sales, par M"ie de Chantal. « sa déposition de la lettre que le sieur Vrillière lui 2G PROCÈS DE JEAN CALAS. PUOCÈS DE JEAN CALAS. 2 7 « avait écrite, à MM. les capitouls ; ledit Vrillière dit « moin, un habit de drap couleur gris de fer avec « alors à ladite Moynette : — Ah! elle a déposé... « boutons de pincebec et une veste de nankin ; et « elle est f.... si elle va à Montauban. Et persiste en « l’avons pareillement interpellée de nous déclarer si « tout le surplus de sa déposition et récolement. « elle reconnaissait ledit habit et veste appartenant « Et avant d’écrire le présent récolement, avons « audit Marc-Antoine Calas pour être celui que por- « interpellé ladite témoin de nous dire et déclarer si « tait ledit jeune homme la dernière fois quelle lui « elle reconnaîtrait le cadavre dudit Marc-Antoine « parla. « Calas, sur la représentation qui pourrait lui en « Ladite Daumière, témoin, a répondu reconnaître « être faite; de même si elle reconnaîtrait l'habit « ledit habit et veste pour être le même que portait « pour être celui que ledit Marc-Antoine portait lors- « ledit jeune homme toutes les fois que ladite témoin « qu’il lui parla la dernière fois. « lui a parlé. « Laquelle demoiselle Daumière, témoin, a répon- « Lecture faite de son présent récolement, elle y a « du que les horreurs de la mort peuvent l’avoir un « persisté. Requise de signer et si elle veut taxe, a « peu défiguré , mais qu’elle pourra reconnaître « signé et a dit ne vouloir taxe. « quelques traits et même la taille, et quelle recon- « D aumière, « naîtrait aussi si l’habit dudit jeune homme quelle « D avid de B eaudrigue. « a su s’appeler Calas, est le même qu’il portait la « Carbonnel, assesseur. « dernière fois qu’il lui parla. « Michel D ieulafoi. » « Et, de suite, étant passés avec ladite Daumière, « témoin, dans la chambre de la gêne où le cadavre Ce récolement est du 3 novembre 1761. « dudit Marc-Antoine Calas est déposé, lequel ayant Les partisans de l’innocence de Calas ont fait tout « été sorti de la chaux, lavé et nettoyé, et exhibition ce qu’ils ont pu pour atténuer la force de ce témoi­ « faite à ladite Daumière, témoin, du cadavre dudit gnage; ils ont prétendu que Catherine Daumière était « Marc-Antoine Calas, l’avons interpellée de nous dé- née catholique... Il est possible qu’il y eut à Beziers, «« clarer si elle le reconnaît pour être le jeune homme d’où Catherine était originaire, plusieurs familles de « qu’elle dit avoir appris s’appeler Calas, et dont elle ce nom, ou que le nom ait été changé et que le « a entendu parler dans sa déposition. certificat du curé de Beziers ne s’applique pas au té­ « Et de plus avons exhibé à ladite Daumière, té- moin de Toulouse. PROCÈS DE JEAN CALAS. 2 9 28 l'UOCÈS DE JEAN CALAS. Résumant maintenant tous ces témoignages que « voulut convenir de rien. Il lui parla d’une société nous venons de citer, il paraît certain que Marc-An­ « en commandite que les enfants Calas devaient « faire avec un certain Roux, négociant, au caution- toine n’était pas éloigné de la religion catholique ; qu’il désirait ardemment un certificat de catholicité « nement de 6,000 fr. qui devait être fourni par pour assurer son avenir; que, dans ce but, il a pu « Calas père. Plusieurs fois lui, témoin, parla à Marc- taire certaines démarches: par exemple fréquenter les « Antoine de religion, et entre autres de la fin tra- églises, assister à la messe ou aux offices, suivre une « gique de ses ministres. Calas répondit que ces procession, lire des livres catholiques, se confesser « personnes étaient bien heureuses de mourir pour « leur religion, et qu’il enviait leur sort. Lui, té- même au besoin, sans pour cela avoir peut-être au « moin, lui dit pour le dissuader, que tout métier fond du cœur une intention bien formelle d’abjurer; « qui faisait pendre son homme ne valait rien. que sa famille n’a pu ignorer ces démarches qui « Calas répondit que souvent il avait eu le dessein étaient assez publiques, et que dès-lors il devait être « d’aller à Genève pour se faire ministre. » tenu chez lui en suspicion légitime. Nous concluons, après avoir pesé sérieusement la 11 est à remarquer qu’à l’exception de la conversa­ valeur de ces témoignages, que l’abjuration de Marc- tion qu’il eut avec Catherine Daumière, et qui est Antoine était tout au moins en état de projet, et très-frappante, il se tenait dans la réserve par rapport qu’elle était pressentie par sa famille. à ses projets de changement de religion. Ainsi François Challier, avocat, dépose : « A la fin de septembre dernier, Calas (Marc-An- « toine) vint le voir et se plaignit que son père lui « refusait des appointements; qu'il ne voulait pas « l’associer à son commerce, ni qu’il s’associât à « quelqu’un; que lui, témoin, lui conseilla de se « faire catholique. Calas lui dit qu’il ne prendrait pas « ce parti, mais un autre qu’il mettrait à exécution. « Dans une autre circonstance, lui, témoin, reçut la « visite de Marc-Antoine en présence de son frère « Pierre; il fut question de religion, et Calas ne CHAPITRE VI.

Y A -T -IL EU COMPLOT DANS LA FAMILLE CALAS CONTRE LA

VIE DE MARC-ANTOINE?

L’esprit humain se révolte tout d abord à la seule idée qu’un père de famille âgé de soixante-sept ans, de concert avec une mère et un autre de ses enfants, en présence d’un jeune étranger dont nous parlerons bientôt et d’une servante catholique, ait formé le complot de donner la mort par un moyen quelcon­ que à son fils aîné, âgé de vingt-sept ans, sur lequel paraissait reposer toutes ses espérances de famille, et cela sous le prétexte d’un changement de religion. Jean Calas avait su que Louis, son troisième fils, devait abjurer : il ne l’a cependant pas tué ! Nous répondons :

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

Il existait une tradition populaire, venue jusqu’à 3 2 PROCÈS DR JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 3 3 nous, qui prétendait qu’un certain chevalier Cazals, famille quelles soient parties ce jour-là : c’est une allant voir les demoiselles Calas à l’insu du père, se fatale coïncidence. trouvait un jour dans l’appartement de ces dames. 2° Le 12 octobre, veille de l’évènement, arriva de Ayant été obligé de se blottir sous un lit pour éviter Bordeaux à Toulouse un jeune protestant âgé de la présence de Jean Calas qui s’était rendu dans ce vingt ans, nommé François-Alexandre-Gaubert La- même appartement en compagnie de quelques étran­ vaïsse, fils d’un célèbre avocat de Toulouse. gers, le chevalier Cazals entendit alors se former un Après avoir fait de bonnes études chez les jésuites complot contre la vie de Marc-Antoine à cause de de cette ville, Gaubert s était placé dans le commerce, son changement de religion. On cite les noms de chez les MM. Duclos, négociants. Des causes indé­ deux personnages pour garantir la vérité du fait : pendantes de sa volonté le forcèrent de quitter cette celui de Mme de Montbel, abbesse de Saint-Pantaléon, maison. Il partit pour Bordeaux au mois de septem­ et celui de l’abbé Barre, aumônier de ce couvent. bre 1760, se rendit chez le sieur Fesquet, armateur; Nous regardons ce récit comme une fable qui n’a là il conçut le projet d’entrer dans la marine mar­ aucun fondement ; et comme ce fait n’a été cité que chande, et suivit un cours de pilotage sous le sieur sur le témoignage du seul abbé Barre, qui préten­ Montaigu. Sur l’ordre de son père, il revint à Tou­ dait le tenir de Madame l’Abbesse, nous déclarons louse pour se rendre à Saint-Domingue. Arrivé le 12, que l’abbé Barre que nous avons connu, et qui est à cinq heures et demie du soir, il se rend dans la mort depuis quelques années, était un homme d’assez rue Saint-Remésy à la maison qu’occupait son père; peu de portée. mais n’ayant trouvé personne, il va chez le sieur Si, d’un côté, la procédure ne nous révèle point -h"( Cazeing, protestant, intime ami des Calas, pour lui l’existence positive d’un complot, de l’autre elle nous remettre une lettre de son fils. dévoile certains faits qui ne laissent pas que de faire Là on l’invite à souper et à coucher. 11 accepte. naître des soupçons assez fondés. La journée fatale du mardi 15 octobre commence : H* 1° Les demoiselles Calas partirent pour Pechabou, écoutons Lavaïsse dans son premier interrogatoire. village situé à quelques kilomètres de Toulouse, le Il déclare « que le jour de son arrivée, passant de- 12, veille de l'évènement, et se rendirent dans la fa­ « vant la boutique de Calas père, celui-ci l’a invité à mille Teissier. On dira qu’elles y allaient quelque­ « souper pour le lendemain, invitation qui lui a été fois : c’est possible 1 mais c’est un malheur pour la « renouvelée le jour même dans la matinée. (Proc. 4 34 PROCÈS DR JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 3 5 « n° 3). » Lavaïsse ne dit pas ici la vérité : ce n’est Qui croira que Lavaïsse a passé une matinée tout en­ que le lendemain de son arrivée qu’il a été chez tière chez Cazeing sans sortir, sous prétexte de pluie, Calas; il n’a pas reçu l’invitation à souper dans la lorsqu’il était si pressé de se rendre à Caraman? N'a­ matinée du 13, puisqu’il dit dans son mémoire : « 11 vait-il pas un motif de demeurer ainsi enfermé dans « plut toute la matinée, ce qui m’empêcha de partir, une maison particulière? « à mon lever, comme je l’avais projeté. La pluie 3° Que se passait-il donc dans cette maison Ca­ « cessa avant midi ; je cherchai aussitôt un cheval zeing ? « de louage pour me rendre à Caraman. Je m’adres- Amans Mandement, chirurgien, âgé de 43 ans, « sai à plusieurs loueurs de chevaux : mes soins affirme « avoir appris de Benaben père que depuis « furent inutiles. Je continuai à chercher des che- « quelques jours on voyait entrer plusieurs per- « vaux jusqu’à quatre heures du soir (page 14). » « sonnes chez Cazeing et en sortir. » N° 13, 43e dé­ Ainsi Lavaïsse est resté toute la matinée chez Ca- pos.) Il faut bien qu’on ail eu de légitimes soupçons zeing à cause de la pluie, et il n’a pas trouvé un seul sur ces allées et venues dans la maison Cazeing, cheval de louage ! Nous allons montrer que l’on trou­ puisqu’on en fit plus tard un des chefs du monitoire, vait à louer des chevaux à Toulouse, même le 13 le 4e, « contre tous ceux qui savent par ouï-dire ou octobre au malin. En effet, Jean Granier, affeneur, « autrement que, le 15 du courant au matin, il se âgé de quarante-six ans, dépose : « Le 13 au matin, « tint une délibération dans une maison de la pa- « deux jeunes gens vêtus d’une redingote grise vin- « roisse de la Daurade (celle de Cazeing), où la mort « rent lui louer un cheval, pour aller à Balma voir « de Marc-Antoine fut résolue ou conseillée, et qui -f-* l’archevêque. Ayant convenu du prix, l’un de ces « auront, le même matin, vu entrer ou sortir de la- « jeunes gens se dit le fds de Calas. Vers les dix « dite maison un certain nombre des dites person- « heures du matin, celui qui n’était pas Calas vint « nés. » « monter le cheval, et revint entre midi et une On se demande à quoi se rattache l’arrivée de « heure (n° 13, 39e dépos.) » C’était Louis Calas et plusieurs protestants à Toulouse à cette époque? son ami Teissier qui vinrent louer ce cheval. Ce der­ Voici ce qu’écrivit M. Amblard à M. de Saint-Priest, nier avait une affaire à communiquer au prélat. en date du 24 octobre : « Les , qui étaient Cazeing était un protestant logé à la Bourse dans « venus à Toulouse en très-grand nombre, reparli- la paroisse de la Daurade; il était très-lié avec Calas. « rent le lendemain parce qu’ils furent instruits que 3 6 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 3 7 fit « les Capitouls commençaient à se donner du mou- « grande course, disant qu’il se rendait à Toulouse « vement pour les rechercher et s’informer du mo- « pour une affaire et craignait d’arriver trop tard. » « tif qui les attirait à Toulouse. Ils s’étaient vraisem- (N° 13, 47e dépos.) « blablement donné rendez-vous à peu près à la Nous pensons qu’il y a ici erreur de date, et que « même heure, car ils arrivaient presque tous à la c’est le 12, jour de l’arrivée de Lavaïsse, qu’a eu « fois et en plusieurs bandes, ce qui les découvrit; lieu le retour de Cazeing d’Auterive, ou plutôt de « parce que les portierSjjoyant entrer des cavaliers Saverdun à Toulouse. « en petites troupes de dix ou de douze qui se suc- Personne n’ignore que Saverdun était à cette « cédaient d’assez près, coururent en donner avis à époque le boulevard du protestantisme dans le « MM. les Capitouls. t m idi. J’ai l’honneur.... v Nous voulons bien accorder à messieurs de la

« A mblard. » religion prétendue réformée, qu’il n’existe ni dans Arch. départ. la doctrine des chefs de la réforme, ni dans aucun concile ou synode protestant, un article qui permette 4° Un fait bien plus extraordinaire encore nous est ou prescrive directement le meurtre et l’assassinat dévoilé par la procédure : pour empêcher le changement de religion; mais il Alexandre Fabre, âgé de 27 ans, dépose : « Le sieur faut aussi qu’ils nous accordent que le fanatisme « Darquier père lui a dit hier matin que Cazeing était religieux est capable de produire les plus horribles « passé à Auterive à crève-cheval le jour de la mort excès. C’était ce fanatisme dont parlait le Sauveur à « de Marc-Antoine, et qu’il avait dit à Auterive qu’il ses disciples (Saint-Jean, chap. 16) : « Il viendra un « allait à Toulouse pour finir une affaire à laquelle « temps où quiconque vous tuera croira se rendre « il ne serait peut-être pas à temps. » (N° 13, 36e dé­ « agréable à Dieu ; venit hora ut omnis qui inter- position.) « ficit vos arbitrelur obsequium se prestarejdeo. » Darquier père est cité et déclare se nommer Jean- Poursuivons. Après avoir dîné chez Cazeing, La­ Pierre Darquier, âgé de 66 ans, receveur des tailles; vaïsse se met, dit-il, en course pour chercher des il dépose : « Il était à Muret lorsqu’il apprit l’évène- chevaux. Vers les quatre heures du soir, le 13, il passe « ment. On en parlait sur la place, et un inconnu par hasard devant la boutique de Jean Calas, dont il « rapporta le passage de Cazeing à Auterive le 13, à connaissait les enfants. Là, par hasard aussi, il 3 8 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 39 rencontre des femmes de Caraman, et sur ce qu’elles celle-ci, ayant appris de la bouche du voyageur qu'il lui dirent quelles partaient le lendemain matin, ils devait ce soir-là souper chez elle, sortit un instant, convinrent de partir ensemble s’il trouvait un cheval alla donner des ordres à Jeannette, descendit dans (Mém. de Lav., p. 15). Ainsi c’est un projet arrêté, la boutique, où elle trouva Marc-Antoine tout seul et il n’est que quatre heures du soir, et Lavaïsse ren­ fort rêveur, dit-elle, et lui donna commission d’aller voie son départ au lendemain ! D’après la convention acheter du fromage de Roquefort. Où étaient en ce faite entre Lavaïsse et les Caramanaises, Calas le moment Calas le père et son fils Jean-Pierre? Nous père l’invite à souper. Il refuse d’abord ; on le presse, l’ignorons. (Interr. de Lavaïsse, n° 19.) il accepte, et Jean-Pierre Calas lui promet d’aller Ainsi Lavaïsse n’est plus passé maintenant par l’accompagner en ville pour louer des chevaux. hasard devant la boutique de Calas à quatre heures. Il ne faut pas oublier ici une circonstance que Il a rencontré en ville Jean-Pierre, on ne sait où, Lavaïsse nous révèle dans son mémoire : « Les deux et c’est lui qui l’a conduit chez son père. Ces con­ » Calas frères, dit-il, et le sieur Calas père me pro- tradictions sont funestes et malheureuses. » posèrent de souper chez eux (p. 15). Ainsi voilà Nous sommes à cinq heures et demie du soir : Marc-Antoine qui doit se suicider le soir môme et Lavaïsse salue. Mmc Calas, et sort de la maison avec qui, pour régaler son hôte, l’invite à être le témoin Jean-Pierre. Où vont-ils ? Louer des chevaux. L’au­ de son suicide! A qui persuadera-t-on de pareilles teur du dernier ouvrage sur Calas (p. 74) nous dit choses? Et c’est cependant ce qu’il faut admettre si que, « vers sept heures, Lavaïsse et Jean-Pierre Marc-Antoine s’est donné la mort. » accompagnèrent les étrangères venues de Caraman Dans son interrogatoire sur écrou, Lavaïsse dé­ » jusqu’à l’auberge d’où elles devaient partir pour clare : 1° qu’il a rencontré Jean-Pierre Calas le 15. » retourner chez elles le même soir. » Si ce fait est Il ne désigne pas le lieu où s’est faite cette première exact, où ces jeunes gens rencontrèrent-ils de nou­ rencontre; 2° qu’il se rendit avec Jean-Pierre chez veau ces femmes, puisque d’après Mrae Calas, elles M. Calas le père; 5° qu’il monta à la chambre de avaient quitté la boutique, Marc-Antoine s’y trouvant Mme Calas, et qu’il resta là jusqu’à cinq heures et seul ? Que devient le projet de ne partir pour Cara­ demie. Cette circonstance est confirmée par Mme Ca­ man que le lendemain? Comment, si elles partaient las dans sa lettre à l’avocat de Vegobre. Pendant que le soir même, Lavaïsse n’est-il pas parti avec elles? Lavaïsse était encore dans l’appartement de madame, Il n’a pas trouvé de cheval. En a-t-il cherché? Il dit 4 0 PROCÈS DE JEAN CALAS. bien dans son mémoire : « Nous courûmes chez tous les loueurs de chevaux (p. 15). Son assertion est-elle exacte? 11 se rend ensuite chez Cazeing pour le pré­ venir qu’il doit souper chez la famille Calas, et ren­ tre avec Jean-Pierre. Lavaïsse, dans son interroga­ CHAPITRE VII. toire sur écrou (n° 19), nous précise l’heure de sa rentrée chez Calas : il était, dit-il, environ six heures et demie. Ainsi, dans l’espace d’une heure environ, il a visité tous les affeneurs de la ville; il s’est rendu DES MENACES FAITES A MARC-ANTOINE PAR SON PERE. chez les Caramanaises, les a accompagnées à l’au­ berge d’où elles devaient partir, et de là est passé à la Bourse chez M. Cazeing, et de la place de la C’est en vain que les partisans de l’innocence de Bourse à la rue des Filatiers. Tout cela n’est guère Calas cherchent à atténuer la force des témoignages possible. En rentrant, il monta dans la chambre de relatifs à ces menaces ; ils n’en sont pas moins acquis Mme Calas, et y trouva Marc-Antoine sur un fauteuil, à la procédure. i-J" le visage couvert de ses mains. « Julia Anduze était dans son magasin avec Marie, Il résulte de tous ces faits et de ces témoignages » son associée, lorsque le sieur Mailhol, commis qu’il devait se passer quelque chose d’extraordinaire « marchand, vint le 14 octobre leur annoncer l’évè- par rapport à la famille Calas; que la conduite de « nementde la veille, la mort de Marc-Antoine. Son Lavaïsse est assez équivoque dans la journée du 15, « associée dit aussitôt quelle n’en était pas surprise, le voyage de Cazeing assez singulier, l’arrivée des « parce que, quinze jours auparavant, étant allée protestants plus étonnante encore, en un mot les « acheter des indiennes chez Calas, elle vit le père coïncidences fatales. Si on ne peut rigoureusement « tenant son fils par l’habit et lui disant : Il ne t’en conclure de tous ces faits l’existence d’un vrai com­ « coûtera que la vie! » (N° 13, 15e dépos.) plot contre la vie de Marc-Antoine, est-il du moins Marie Couderc est appelée et dépose ; « Il y a certain qu’ils font naître des soupçons difficiles à dé­ « quinze jours qu’à sept heures du matin, étant allée truire, et projettent sur l’évènement une ombre que « acheter des indiennes chez Calas, elle vit Calas l’on a de la peine à dissiper. « père qui tenait son fils aîné au collet dans un coin 4 2 PROCÈS PE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 4 3 « du magasin, en lui disant : Coquin, il ne t’en cou- père; il était homme à les exiger. Qu’allait devenir le « tera que la vie! Dès que Calas la vit, il quitta son père, lui qui, sous divers prétextes, refusa opiniâtre­ « fils, qui vint lui donner des indiennes. Elle crut ment de payer la modique pension de Louis et ne « que Calas fils avait volé quelque chose. » (N° 13, céda qu’à l’autorité royale? Si son fils aîné, n’im­ 17e dépos.) porte par quel motif, se rendait catholique, comment Catherine Daumière : « Elle affirme que Marc- éviter des concessions, des appointements, des con­ « Antoine lui a déclaré qu’il souffrait beaucoup chez trats de société, et peut-être même la cession forcée « ses parents. » (N° 13, 50e dépos.) D’où venaient du commerce, alors que les lois favorisaient si large­ les souffrances de ce malheureux enfant, si ce n’est ment les nouveaux convertis? L’imagination d’un des menaces de son pèje ? hom m e dur s’exalte avec de pareils pressentiments, François Challier, avocat, déclare : « qu’à la fin de et il peut se porter aux extrêmes. « septembre dernier, Marc-Antoine vint le voir. 11 se Le témoin Challier, que nous venons de citer, nous « plaignit que son père lui refusait des appointe- dévoile que dans la visite que lui fit Marc-Antoine, « ments, ne voulait pas l’associer à son commerce ni celui-ci lui déclara qu’après de nombreux refus, son « qu’il s’associât à quelqu’un. » (N° 13, GO dépos.) père s’était engagé à fournir à ses deux enfants un Ces paroles, qu’il est impossible de révoquer en cautionnement de 6,000 francs pour former une doute, prouvent jusqu’à la dernière évidence que le société en commandite avec un certain Roux, négo­ père et le fils étaient loin d’être d’accord ; car ce que ciant. Marc-Antoine déclarait cela quinze jours envi­ redoutait Jean Calas n’était pas précisément le chan­ ron avant sa mort. Jean Calas se trouvait donc placé gement de religion de Marc-Antoine, mais les consé­ sous le coup d’une promesse ou engagement dont quences de ce changement qui devait rendre plus l’accomplissement le jetait dans un étrange em­ actives les exigences du fils, et plus terrible la posi­ barras. tion d’un homme Jort dur^Jel que l’était le père. Les pièces de ce procès nous donnent quelques Marc-Antoine était âgé de 27ans, il était l’aîné de la indices qui nous portent à conclure qu’à l’époque à famille ; Louis avait quitté le toit paternel ; Donat peu près de la mort de Marc-Antoine, des explica­ était éloigné de ses parents; Jean-Pierre était un tions très-vives avaient dû être échangées entre le jeune homme peu capable : dans cette position, Marc- père et le fils. Ainsi, Jean Rertrand dépose que, peu Antoine avait droit à des sacrifices de la part de son de jours avant l’évènement, il avait trouvé Marc-An­ 4 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. toine rêveur et pensif(n°s 13, 14' dép.) Dans son inter­ rogatoire sur écrou, Lavaïsse déclare qu’en rentrant le soir du 13 chez les Calas pour souper, il trouva Marc-Antoine assis sur un fauteuil, son visage caché par ses mains (n° 19). Madame Calas, dans sa lettre à Vegobre, nous dit que, lorsqu’elle descendit, le CHAPITRE VIII. 13, pour prier son fils aîné d’aller acheter du fro­ mage, elle le trouva seul dans la boutique et fort

rêveur. Elle affirme de plus que Marc-Antoine étant MARC-ANTOINE DANS LA JOURNEE DU 13 OCTORRE 1760. entré dans la cuisine après le souper, Jeannette lui SOUPER DE LA FAMILLE. dit : Chauffez-vous, Monsieur l’aîné ; et qu’il lui ré­ pondit ^Je brûle. Jeannette, dans son interrogatoire sur écrou (n° 18), Nous allons suivre pas à pas cet infortuné jeune est interpellée au sujet du fromage. On lui observe homme dans cette fatale journée qui fut la dernière qu'elle erre dans sa déposition, et que Marc-Antoine de sa vie. lui remit le fromage avant souper, au bas de l’esca­ Le signalement de Marc-Antoine nous est donné lier; qu’elle lui répondit de ne pas monter, et que dans un brief-inlendit pour ouïr en témoignage l’abbé s’il montait, il lui arriverait quelque malheur. Jean­ Laplagne. On croyait que cet ecclésiastique était le nette a nié ces propos ; mais sa négation n’en infirme confesseur de ce jeune homme. II déclara, en effet, pas la vérité. avoir confessé un jeune homme qui avait quelque On a cru expliquer les menaces de Jean Calas con­ ressemblance avec le portrait qu’on lui fit de Marc- tre son fils en les attribuant à la peine que lui cau­ Antoine. S’étant rendu à l’hôtel-de-ville, il ne put sait cet enfant par sa conduite. Mais Calas, ainsi que reconnaître le cadavre (nos 13, 82e dêpos.) nous l’avons déjà fait observer, réfute cette explica­ Le signalement est ainsi conçu : 25 ans environ, — tion en déclarant que son fils ne lui a jamais donné visage long, — joli, — l’air doux et gracieux,— ayant aucun mécontentement. cinq pieds quatre pouces de taille, — portant un ha­ bit gris-de-fer avec boutons de Pincebec, — veste blanche. 4 6 PROCÈS DE JEAN" CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 4 7 Marc-Antoine était aimé de tous à cause de son droit où il la trouverait (Mém. de Sudr., p. 102). extrême douceur. Il était intimement lié avec un Ce fut alors qu’il alla remplir la commission de l’a­ jeune commis du sieur Bonnes, négociant, appelé chat du fromage pour le souper de la famille. Vers Juvinel, avec lequel il déclamait souvent des scènes les six heures, Jean Bertrand le rencontra très-calme de Polyeucte. Marc-Antoine remplissait toujours le (nÜS 13, 14e dépos.) Ce jeune homme n’était triste et rôle de Polyeucte avec tant d’émotion qu’il en versait rêveur que dans l’intérieur de sa famille; au dehors, des larmes. Juvinel était catholique (nos 15, 35e il paraissait tranquille et même gai. dèp.) Vers six heures et demie, il sort de nouveau et L’avant-veille de sa mort, Marc-Antoine avait été se rend dans l’établissement des Quatre Billards, rendre visite au brodeur Bordes ; il lui dit : Dans dans la petite rue qui porte encore ce nom ; il y joue quelques jours tu me féliciteras (nos 15, 48e dèpos.) une ou deux parties avec un sieur Rouzet, tailleur, Il lui annonça avec une simplicité naïve que son père qui est mort de nos jours à l’âge de quatre-vingts lui avait enfin promis de lui faire un habit bleu. On ans, et qui attestait ce fait. A sept heures, Jeannette attachait alors une grande importance à la couleur vint avertir Marc-Antoine qu’on l’attendait chez lui et à la forme des costumés. pour souper. Un quart d’heure après, il quitte le La procédure ne nous rend pas compte de l’em­ billard et se rend chez son père, où il trouve sa fa­ ploi du temps de Marc-Antoine pendant la matinée mille et Gaubert Lavaïsse. du 13. Dans l’après-midi, il fait des ventes dans la Nous croyons à l’existence du souper de la famille. boutique (n° 7). A quatre heures, le sieur Ferrery Bien loin de nous embarrasser, il peut, au contraire, le rencontre gai et content, il l’arrête ; et Marc-An­ servir notre opinion. Le couvert est mis dans le salon toine lui annonce que son père s’est enfin décidé à à manger, première pièce de l’appartement. Cinq lui faire un habit bleu. Il ne pensait qu’à cet habit! personnes prennent place à la table dressée et ser­ Son père l’ayant envoyé en ville échanger des écus vie : M. et Mme Calas, Marc-Antoine, Pierre et La­ pour des pièces d’or (no 15, — Mém. de M. de Las- vaïsse. On se place dans l’ordre suivant : les époux salle, p. 27), il rentra un peu avant cinq heures, Calas l’un à côté de l’autre, Lavaïsse entre les deux donna à son père l’or qu’il avait recueilli, et se ren­ fds Calas, Marc-Antoine et Pierre. dit à la boutique, où une demoiselle vint acheter de On sert une entrée de pigeons au sang relevés la mousseline. Son père lui indiqua tendrement l’en ­ d’ail, une poularde rôtie, une salade de céleri, du 4$ PROCÈS DF. JEAN CALAS. fromage de Roquefort, des raisins secs, et des mar­ rons cuits à l’eau. On se met à table vers sept heures et demie. On parle de choses indifférentes pendant le souper, et notamment des antiquités de la ville de Toulouse. CHAPITRE IX. Marc-Antoine se mêle à la conversation, et reprend

son frère sur quelques erreurs qu’il commettait à ce v * sujet. APRÈS SOUPER. On remarque que Marc-Antoine boit assez souvent tout en mangeant des pigeons au sang et des raisins secs. Le souper dure environ une heure. 11 est huit heures et demie. Nous touchons maintenant au fatal évènement. Nous trouvons tous ces détails dans les interroga­ Toutes les circonstances doivent être étudiées, et tous toires des accusés et dans la lettre de Madame Calas les détails réunis avec le plus grand soin et la plus à Vegobre. haute impartialité. Ecoutons les prévenus dans leurs interrogatoires. Jean Calas déclare : « Marc-Antoine est resté en- « viron une demi-heure après souper; puis il est « sorti pendant que lui, Calas, est passé dans sa « chambre avec sa femme, Pierre et Lavaïsse. » (N° 2.) Gaubert Lavaïsse dépose : « Marc-Antoine, après « le souper, resta un moment dans la chambre ou « cuisine voisine, d’où il est sorti peu de temps « après, laissant Calas père et lui à table. » (N° 5.) Pierre Calas déclare : « Son frère est sorti et ne « lui a pas dit où il allait. » (N° 7 .) Pierre déclare encore dans son interrogatoire sur 5 5 0 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 51 écrou : « Le souper dura environ une heure; Marc- Quoi qu’il en soit, voici ce qui se passa dans l'inté­ « Antoine se leva de table et sortit le premier; son rieur de la maison Calas. « père, sa mère et Lavaïsse passèrent dans la cham- Calas le père dit que « son fils Pierre prit un flam- « bre sur l’escalier; lui s’assit sur le même fauteuil « beau pour accompagner Lavaïsse lorsqu’il se reti- « où s’était mis son frère, et s’endormit. Il ne se rap- « rait; qu’ils sont descendus; que son fils est re- « pelle pas le temps qu’il resta dans ladite chambre. » « monté tout de suite avec ledit Lavaïsse, et qu’il lui (N° 16.) « a dit k lui, prévenu, qu’il avait trouvé son frère Rose Cabibel, épouse Calas, déclare sur écrou : « mort dans la boutique. » « Marc-Antoine se leva de table, se rendit à la cui- On lui demande k quelle heure il a été averti de « sine, et descendit ensuite par l’escalier. » (N° 17.) la mort de son fils, il répond : « k dix heures envi- Nous sommes maintenant bien fixés : Marc-An­ « ron. » (N° 2.) toine se lève le premier de table et y laisse son père Lavaïsse déclare « qu’étant sorti de chez Calas vers et Lavaïsse ; il passe k la cuisine, y demeure quelque « les dix heures, Calas père l’a éclairé dans l’es- temps et sort. D’après les calculs les plus exacts, il « calier jusqu’à l’allée ; que Jean-Pierre est entré était près de neuf heures lorsque Marc-Antoine des­ « dans la boutique, et que lui, témoin, étant resté cendit. « sur la porte donnant sur le couloir, Pierre a fait Où se rendit-il? « un cri : Mon frère est mort! que ce jeune homme Sans-Estellé dépose « que le 15, se trouvant avec « en est sorti et a appelé son père. » (N° 5 .) « Pierre Calas dans le magasin, non loin du cadavre Jean-Pierre dit « qu’il a fermé la porte de la rue; « de son frère, Pierre lui dit que Marc-Antoine, « que personne n’est ni entré, ni sorti. Il raconte sa -f- « avant de descendre, avait pris la clef du magasin.» « descente au flambeau. Quand il est vis-à-vis de la (N° 15, 24e dépos.) Cette déposition est écrasante. « porte de la boutique dans l’allée, Lavaïsse lui de- On savait donc qu’il était dans ce magasin, le mal­ « mande où est son frère aîné. Ayant vu ladite porte heureux! Pourquoi y allait-il? Son père ne lui avait- « ouverte, ils sont entrés dans la boutique. (N° 5.) il pas dit de s’y rendre, de l’y attendre? Jean Calas Jean-Pierre dépose encore sur écrou « qu’allant, n a-t-il pas pu trouver un prétexte relatif au com­ « Lavaïsse et lui, droit k la rue, et passant devant la merce, quelque règlement de compte de la journée, « porte de la boutique qui donne dans le couloir, par exemple, pour l’y amener? « Lavaïsse lui demanda où était son frère, et qu il 5 2 PROCÈS DE JEAN CALAS. « répondit qu’il était sorti. Le sieur Lavaïsse s’aper- « çut que ladite porte était ouverte, et lui dit, à lui « accusé : Voyez! la porte est ouverte; voyez qui il y « a dedans! » (N° 16.) Lavaïsse déclare sur écrou : « Calas père alluma « un flambeau: lui, Lavaïsse prit celui qui était al- CHAPITRE X. « lumé; Pierre ne lui prit ce flambeau qu’à mi- « escalier. Ayant donné une poussée à la porte du « magasin qui était fermée, il dit alors : Mon frère LES PRÉVENUS EN PRESENCE DU CADAVRE DE MARC « n’est pas retiré; alors lui accusé, est entré dans ANTOINE. « la boutique avec Pierre. » (N° 19.) Le lecteur aura déjà sans doute remarqué la diffé­ Jean Calas déclare « qu’étant descendu, il a trouvé rence bien saillante qui existe entre les premiers in­ « son fils étendu mort dans la boutique. La porte de terrogatoires et les seconds sur écrou, relativement à « la rue était fermée. » l’entrée de Pierre et de Lavaïsse dans la boutique. Lui ayant fait observer qu’il faut que ce soit quel­ Nous nous bornons seulement à constater que, d’après qu’un de sa maison qui, de son consentement ou sans la procédure, la mort de Marc-Antoine a eu lieu de sa participation, ait commis cet assassinat, puisqu’il 9 à 10 heures du soir. a trouvé la porte de la rue fermée, il répond « qu’il « ignore si la porte de la rue était fermée. » On lui demande où il a trouvé le corps de son fils, et en quel état : « Il l’a trouvé auprès de la porte de « la boutique au magasin; mais il n’est pas mémo- « ratif s’il avait son habit. 11 croit cependant qu’il « portait la veste. » Interrogé « s’il s’est approché du cadavre de son « fils pour examiner s’il était mort de mort natu- « relie ou violente, il répond ne l’avoir pas examiné « pour savoir la cause de sa mort. » (N° 2.) 5 5 5 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. Jean-Pierre Calas déclare : « Ils sont entrés clans la boutique; plus tard, il affirme qu’il lui a dit : Mon « la boutique, Lavaïsse et lui, et ils ont vu Marc-An- frère est mort étranglé suspendu. 2° Il affirme tout « toine étendu près de la porte du magasin. Ils ne d’abord qu’il l’a trouvé étendu par terre ; et deux « se sont pas aperçus si la porte de la rue était jours après, il déclare qu’il l’a trouvé pendu à une « ouverte ou fermée. Comme il n’y avait point de corde à la porte du magasin. 3° Il déclare, le 13, « lumière dans la boutique, il ne s’est pas aperçu qu’il n’a pas examiné le corps de son fils pour sa­ « si Marc-Antoine était habillé ou non ; il a pris la voir la cause de sa mort; et le 15, il avance qu’il lui « main de son frère — et l'a trouvé chaud. Il a ap- a ouvert un œil pour voir s’il l’avait bon. « pelé son père, qui est descendu. » (N° 7.) Dans son interrogatoire du 15, Calas tombe dans Ainsi les accusés, dans le premier interrogatoire des contradictions vraiment étonnantes au sujet de cju’ils subissent à l’IIûtel-de-Ville, immédiatement la corde qui, d’après lui, tenait pendu le corps de après leur arrestation, déclarent, et Calas le déclare son fils : « Il ne se rappelle pas si ce fut lui, ou môme deux fois, qu’ils ont trouvé le corps de Marc- « Pierre, ou Lavaïsse, qui coupa la corde; puis il Antoine étendu par terre, près de la porte du ma­ « dit : qu’il détacha la corde de son col; enfin il gasin. « assure qu’il lui a ôté la corde. » Mais les déclarations qu’ils font plus tard, sur Pierre Calas, sur écrou, déclare : « Ils entrèrent écrou, sont bien différentes des premières. En effet : « avec Lavaïsse, et trouvèrent le corps suspendu. Jean Calas, dépose : « Quand il fut descendu, « Son frère avait traversé la bille "dont on se sert « son fds Pierre lui dit : Mon frère aîné est étran- « pour serrer les draps sur les deux battants de la « glê suspendu! Il l’a trouvé, en effet, pendu à une « porte, à laquelle bille il a attaché la corde avec « corde à la porte du magasin qui répond à la bou- « laquelle il s’est pendu lui-même. » « tique. La corde était attachée à une grosse bille Ne dirait-on pas qu’il a assisté à l’opération, tant « appuyée sur la dite porte. Il prit Marc-Antoine par est grande la précision avec laquelle il la décrit? « le milieu du corps, le posa à terre dans le maga- Il poursuit : « Son père, après avoir mis à terre « sin, et lui ouvrit un œil pour voir s’il l’avait bon. » « son fils, lui dit de ne point parler de quelle Saisissons d’abord au passage tous les menson­ « façon on l’avait trouvé, afin de conserver la re- ges de Calas père. Il déclare, en premier lieu, que « nommée et l’honneur de la famille. Il va chercher son fils lui a dit que son frère était étendu mort dans « un chirurgien, rentre, et ressort pour aller cher- 56 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 5 7 « cher Cazeing. Il ramasse le billot, le met derrière « Cazeing, et le pria de ne pas dire que son frère « la porte du magasin ; puis, ayant pris la main de « s’était pendu. » « son frère, il la trouva presque froide. » (N° 16.) Il déclare que, « s’il n’a pas dit cela dans son Remarquons ici les contradictions de Jean-Pierre. « premier interrogatoire, c’est que Pierre lui avait 1° Dans l’interrogatoire du 15, il déclare qu’il a « recommandé le secret, ainsi que le père quand trouvé Marc-Antoine étendu dans le magasin; dans « il fut de retour à la maison, et qu’il l’avait pro- celui du 15, il affirme qu’il l’a trouvé suspendu. « mis. Il déclare ensuite qu’autant qu’il peut se le 2° Dans le premier, il prend la main de son frère et « rappeler, la corde prenait naissance en dedans de il le trouve chaud; dans le second, il le trouve pres­ « la porte du magasin qui répond à la boutique,et que froid. 3° Il donne, le 15, des détails qu’il n’a « un peu au-dessus du cintre de la dite porte. » pas donnés le 13, et qui tendent tous à prouver On voit manifestement que la seconde déclara­ aux juges qu'ils ignoraient ce qui s’était passé dans tion de Lavaïsse est toute différente de la première. le magasin. Ainsi il dit à Lavaïsse que son frère est Il est seulement à remarquer que, dans son inter­ sorti; de plus, Lavaïsse lui dit : Voyez.1 la porte est rogatoire du 15, Lavaïsse garde le silence le plus ouverte : voyez qui il y a dedans? Evidemment ces complet sur la position où il a trouvé le cadavre. détails n’ont été ajoutés aux premières déclarations qu’afin de faire croire qu’ils étaient bien éloignés de soupçonner le fatal évènement. Lavaïsse déclare sur écrou : « Ils restèrent en- « semble jusqu’à neuf heures trois quarts dans la « chambre de Madame Calas. Jean-Pierre s’était en- « dorm i..... Etant entré dans la boutique avec ce « dernier, il trouve Marc-Antoine pendu au milieu « de la porte qui donne du magasin dans la bou- « tique. Il avait la tète à deux empans du cintre de « la dite porte, la face tournée du côté du couloir, « un pied croisé sur l’autre, à ce qu’il lui semble. « Il affirme que Calas (Pierre) vint le joindre chez CHAPITRE XI.

NOUVELLES CONTRADICTIONS DES PREVENUS.

Les prévenus subissent un troisième interrogatoire. < On fait observer à Jean Calas qu’on n’a trouvé aucun escabeau ou tabouret auprès du cadavre. Il répond : « La porte étant fort basse, il n'était pas besoin de « tabouret. Il ignore qui coupa la corde. On lui « fait observer que dans un précédent interrogatoire « il a dit avoir ôté la corde du col de son fils, et « qu’alors il doit bien savoir si elle était coupée. « 11 répond quelle était coupée, et que c’est son « ûls ou Lavaïsse qui l’ont coupée. On lui demande « si les battants de la porte étaient ouverts ou fer- « més. Il répond qu’il n’en a pas gardé le souvenir. « On lui demande combien de noeuds coulants avait « la corde. Il ne se le rappelle pas; il l'a jetée der- « rière le comptoir. On lui présente la corde : il croit « la-reconnaître et l’affirme, puisqu’il y avait encore « des cheveux de son fils. On lui observe que cette PROCÈS DE JEAN CALAS. 61 6 0 PROCÈS DE JEAN CALAS. porte : il n’en a donc pas vus. Mais s’il ne les a pas « corde est entière. Il déclare alors qu’on a pu la vus, c’est une preuve qu’ils étaient tout grands ou­ « faire glisser de la bille, qui est plus petite d’une verts. S’ils étaient ouverts, le billot était trop court « extrémité que de l’autre. » (N° 2G.) d’un demi empan pour être appuyé sur les deux bat­ Ainsi, cette fameuse corde, il l’a ôtée, il ne l’a tants. Il n’a donc pu servir ni à un suicide ni à une pas ôtée ; elle est coupée, et il se trouve quelle pendaison dans cette position et à cette place. ne l’a pas été. De fait, Lavaïsse était présent quand Jean Calas, Pierre Calas déclare : « Que la corde ne fut pas d’après le système des accusés, a pris le corps de « coupée ; — que son frère portait une cravate son fds : donc il a dû voir le billot. Comment n’en « noire ; — que les deux battants de la porte parle-t-il pas? « étaient ouverts. Il reconnaît le billot qu’on lui Le 8 novembre, on fait subir à Pierre Calas un « présente. Lui ayant fait observer que cette bille quatrième interrogatoire, qui met en saillie les « n’est pas assez longue pour aller d’un battant à mensonges de Jean Calas. Il déclare : « Ni lui Pierre, « l’autre : il répond qu’il ne sait pas si les battants « ni son père, ne coupèrent la corde; mais son « étaient entièrement ouverts; mais qu’on pouvait « père prit ledit Marc-Antoine à bras-le-corps; la « passer par la porte, le corps étant enlevé, et que « corde et le billot qui n’était pas assujetti suivi- « son père y passa. » (Nu 27.) « rent. Son père ne pouvant ôter la corde du col Ainsi les battants étaient ouverts, et il ne peut « par devant, il la sortit par derrière, en la faisant plus affirmer qu’ils l’étaient. « passer sur la tête. » (N° 53.) Lavaïsse déclare : « Qu’il a vu le corps de Marc- Voilà, certes, une déclaration bien précise et bien « Antoine au bon milieu ds la porte; mais qu’il formelle. Jean Calas n’a pas pu oublier qu’il avait fait « ignore si elle a des battants, ou non. — On lui sur le corps de son fds une opération assez longue « demande s’il s’aperçut où était attachée la corde, et difficile : comment, dans son troisième interroga­ « si c'était à une cheville ou à une bille qui traver- toire, vient-il nous dire qu’on a pu faire glisser la « sât la porte. 11 répond qu’il vit seulement le bout corde de la bille qui est plus petite d’une extrémité « de la corde suspendue en dedans du magasin au que de l’autre ! Calas a menti encore une fois, et ces « haut de la porte, ne sachant à quoi elle était atta- contradictions et ces mensonges rendent jusqu’ici très « chée. » (N° 2 8.) probable sa culpabilité. Ainsi Lavaïsse ignore s’il y a des battants à cette CHAPITRE XII.

MARC-ANTOINE s ’e ST-IL SUICIDÉ.

Il est certain d’après la procédure que, de neuf heures à dix heures du soir environ, le 15 octobre 1761, Marc-Antoine Calas, fils aîné de Jean Calas, âgé de 26 ans, fut trouvé mort dans la boutique du magasin de la maison de son père, située, rue des Filatiers à Toulouse, souslen016 (aujourd’hui n° 50). Cette mort ne fut pas naturelle, mais violente. — Y a-t-il eu suicide ou assassinat? Le premier qui sortit de la maison après l'évène­ ment, fut Jean-Pierre. Il déclare « qu’il est sorti pour » appeler du secours, et qu’ayant trouvé Gorsse, aide »> du chirurgien Camoire, il l’a fait venir ; qu’il a « trouvé la porte fermée quand il est sorti. Gorsse a « ôté le col et a dit : Il a été étranglé. La chose fut « sçue dans tout le quartier à l’instant. On n’ouvrit « pas la porte à cause des marchandises. Il alla cher- « cher Clauzade pour savoir ce qu’il fallait faire, le- v « quel fut avertir l’assesseur Monyer. » (n° 7.) 6 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 6 5 Gorsse arrive, voit le cadavre. Il dépose : « qu’il Ainsi, d’après une procédure qu’il est impossible « détacha un ruban noir que Marc-Antoine avait au- de détruire, l’idée d’un suicide ne se présente d’abord « tour du cou, de même que le col de la chemise. Il à personne. En effet, Gorsse déclare qu’on Va étran­ « découvrit une empreinte autour du cou dudit cada- glé. M. et Mme Calas le croient aussi, puisqu’ils di­ « vre, ce qui lui lit croire qu’il avait été ptndu ou sent à l’élève en chirurgie : Qui a pu faire cela? « étranglé. Il toucha le cœur, et le trouve froid dans Pierre ne croit pas au suicide, puisque le témoin » toutes ses parties. Il avertit M. et Mme Calas qu’on a François Coudon dépose : « qu’ayant demandé à « pendu ou étranglé leur fils. Ils répondent : Qui a « Pierre si on avait tué son frère, il répondit que « pu faire cela ? Cazeing et Clauzade arrivent : il se « cela était vrai. » « retire. » (N° 13, 4e dépos.) Jeannette ne croit pas au suicide, puisque le même Lavaïsse avait été chercher Cazeing et Jean-Pierre témoin dépose : « qu’il interpella la servante, qui lui Clauzade, l’un et l’autre amis de la famille. « dit la même chose ; et qu’il fallait qu’on Y eût tué Cazeing dépose « qu’il était lié avec la famille de- « de dehors, attendu qu’on n’avait pas trouvé sur lui « puis vingt ans; que ses liaisons ne portaient que « la clef du couloir. » (N° 13, 9° dépos.) « sur les affaires ; qu’il n’a point su si Calas père Jeannette suppose qu’on s’est introduit dans la « était indisposé contre son fils. Il trouva le sieur maison, et qu’après avoir tué Marc-Antoine, on a « Gorsse chez Calas, qui lui déclara qu'on avait pris sur lui la clef du couloir pour s’échapper, la­ « étranglé ce jeune homme. » (N° 4). quelle clef on a emportée. On introduisit quelques personnes dans la maison, Delpech ne croit pa* non plus au suicide, puisqu’il entr’autres Antoine Delpech, qui dépose : « Il frappe pense que Marc-Antoine a été blessé en duel. « à la porte de Calas; Pierre vient lui ouvrir et le Cazeing adopte l’opinion de Gorsse, qui lui déclare « fait entrer.... Il croit que, comme Marc-Antoine qu’on a étranglé ce jeune homme. « faisait des armes, il avait été blessé en duel ; il le Comment en effet admettre un suicide? Marc-An­ « tâtonne, il le trouve froid. Il assiste à la visite du toine nous est représenté dans la procédure comme « corps par Gorsse, et voit une marque autour du un jeune homme calme, plein de douceur, un peu « cou ; il fait remonter M. et M,nc Calas. Sur l’invita- mélancolique, mais d’une mélancolie qui n’excluait « lion de Jeannette, il se rend au billard pour voir pas une certaine gaîté, aimant les lettres et les arts, « s’il n’a pas eu quelque querelle. » (N° 13, 10e dép.) passant doucement sa vie, et préparant son avenir. 6 66 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 67 Son père, dans son premier interrogatoire, déclare Nous supposons qu’il est entré dans le magasin, que cet enfant n’a aucun ennemi, et que jamais il ne car la procédure ne le dit pas d’une manière posi­ lui a donné du mécontentement. (N° 2.) tive. Il va donc se suicider ! Il sait que toute sa fa­ Le jour même de sa mort, il vend des marchandises, mille est réunie au premier étage, que Lavaïsse peut va en ville, rencontre ses amis et leur annonce qu’il descendre à chaque instant et passer dans le couloir va enfin avoir un habit bleu qu’il désire. Il invite pour sortir: n’importe! il laisse la porte qui donne Lavaïsse à souper chez lui, il le presse d’accepter dans ce couloir toute grande ouverte, pour que les son invitation; il failles provisions de la famille, et se habitants de la maison puissent assister à tous les rend au billard pour y jouer quelques parties. Du préparatifs ! billard, il rentre chez son père, se met à table tran­ Il va se pendre ! et pour le faire plus commodé­ quillement à côté de son ami, parle à son ordinaire ment, il quitte son habit et sa veste qu’il plie et pose de choses indifférentes ; se lève le premier de table sur le comptoir; mais il oublie de dénouer le cordon et reste demi-heure, soit a la cuisine, soit dans l’ap­ de sa chemise et d'ôter sa cravate noire.... Il faut partement; prend la clé du magasin et descend. convenir que pour un homme qui ne veut pas man­ Soyons de bonne foi : toutes ces paroles, ces démar­ quer son coup, cet oubli est étrange ! ches, ces allées et venues ne sont pas d’un homme Au sein des ténèbres les plus profondes, il prend, qui va se suicider ! d’après Calas, son fils et Lavaïsse, un billot servant On dit qu’il avait éprouvé de vives contrariétés de à plier les étoffes et une corde; il entoure son cou la part de son père : c’est possible ! mais de là au de cette corde, pose le billot sur les battants de la suicide il y a une distance immense. 11 pouvait aban­ porte qui fait communiquer la boutique au magasin, donner la maison paternelle et forcer son père à lui et se pend.... Mais il fait cela avec tant de prestesse, créer un établissement. qu’il ne dérange même pas douze bouts de ficelle 11 aimait, dit-on encore, à lire les passages de cer­ qui sont arrangés sur l’un des battants de la porte. tains auteurs qui parlent du suicide et l’excusent. Si Trois objets sont donc ici mis en jeu par les ac­ on veut conclure de ces lectures qu’il a voulu se dé­ cusés pour l’exécution de ce suicide : une corde, un truire, nous conclurons à notre tour qu’il s’est fait billot et les battants d’une porte. Voyons d’abord ce catholique par cela seul qu'il aimait à déclamer les que la procédure nous dévoile sur ces trois objets : scènes de Polyeucte. « Une corde à deux nœuds coulants à chaque PROCÈS DE JEAN CALAS. 6 9 6 8 PROCÈS DE JEAN CALAS. « extrémité ayant environ deux empans d’un nœud à Calas ait déclaré que cet escabeau n’était pas néces­ « l’autre, et des baguelettes ayant chacune trois saire pour se pendre, parce que la porte était basse. « quarts d’empan. Cette corde a été trouvée derrière (N° 26.) « le comptoir. (N° 21.) Avant d’examiner le système le plus favorable à la « Un billot de quatre empans de long. (N°21.) défense, il importe de constater les marques que por­ « La porte a quatre empans et demi de largeur sur tait sur lui le cadavre. « neuf empans de haut. (N° 21.) Les hommes de la science déclarent : « Le corps ne On voit tout de suite que le billot était plus court « portait aucune blessure et était encore un peu que la largeur de la porte ; il a fallu rapprocher né­ « chaud; il y avait une marque livide au col de l’é- cessairement les deux battants pour l’y fixer. « tendue d’un demi-pouce, en forme de cercle, qui Nous attachons peu d’importance à la possibilité « se perdait sur le derrière dans les cheveux, divisée matérielle et absolue du suicide à l’aide de ces « en deux branches sur le haut de chaque côté du objets; cependant, par surabondance de droit, exa­ « col. Le cadavre rendait la morve par le nez et la m inons le seul système qui soit favorable à cette « bouche; il avait la face livide, ce qui nous a fait possibilité. « juger qu’il a été pendu encore vivant ou par lui- 11 serait bien nécessaire que les nouveaux défen­ « même ou par d’autres, par une corde double qui seurs de Calas pussent nous donner quelque chose « s’est divisée sur les parties latérales du col et y a de certain sur la manière dont ils affirment que Marc- « formé les deux branches livides que nous avons dit Antoine s’est suicidé; ils varient beaucoup dans leurs « y avoir observées. (N° 8.) opinions. Ainsi, à la page 82 de son ouvrage, M. le A minuit et demi, le 14 octobre 1761. ministre de Paris nous dit : « Calas ôta la corde en « élargissant le nœud coulant, » ce qui suppose que Latour , P eyronet et Lamarque. ce nœud coulant entourait le cou de son fils; et à la page 154, il nous dit que ce jeune homme fit entrer Voici maintenant comment Marc-Antoine aurait pu le billot dans les deux nœuds coulants qui terminaient se pendre sans escabeau, en sauvegardant certains la corde. M. le ministre trouve commode de placer indices de la science. un escabeau sous les pieds de Marc-Antoine, quoique La longueur du corps nous est donnée : « le ca- aucun des prévenus ni des témoins n’en ait vu, et que « davre a 5 pieds 4 pouces. » (N° 44.) Marc-Antoine 7 0 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 7 1 est donc assez grand ; il a 26 ans ; il est leste et agile Il reproduit ailleurs la même déclaration. On lui quoiqu’un peu frêle et délicat. 11 prend d’abord la demande s’il s’aperçut où était attachée la corde; si corde, la jette sur le derrière de son cou, la conduit c’était à une cheville ou à une bille qui traversait la sur le devant, la croise et la ramène par derrière. porte ; il répond « qu’il vit seulement le bout de la De cette manière, les deux nœuds coulants se trou­ « corde suspendue au dedans du magasin, au haut vent derrière la tète. Ainsi, la corde est -doublée au­ « de la porte, ne sachant à quoi elle était attachée. » tour du cou, et les deux branches se divisent vers le (N° 28.) Il faut observer que dans un brief-intendit haut. donné contre Lavaïsse, on lui déclare qu’on n’a trouvé Il prend ensuite le billot qu’il fait passer par der­ au-dessus du cintre aucune cheville ou piton pour rière dans les nœuds coulants, et qu’il fait reposer sur supporter la corde. (N° 49.) ses épaules en laissant un certain jeu à cet appareil ; Ainsi, d’après les déclarations de Lavaïsse, puisque il place ses pieds sur les gonds de la porte et de là la corde partait du milieu du cintre ou encadrement entre les barreaux. (Cette porte n’était pas pleine et de la porte, et qu’il n’a pu apercevoir à quel objet elle avait des barreaux aux deux tiers à peu près de sa était attachée, c’est une preuve qu’il n’y avait point h a u te u r.) horizontalement d’espace entre le billot et l’encadre­ Ainsi élevé, il rapproche les battants, appuie le ment. Dès lors le billot se trouvait évidemment trop billot de côté et d’autre sur les deux battants et jette court; car il ne faut pas ici se faire illusion : si nous ses pieds dans l’espace. Par ce moyen, la corde double accordons à la défense que ce billot n’a pas roulé, que serre son cou, les deux branches divisées sont ten­ les battants n’ont pas été mis en mouvement sur dues, et il se pend. leurs gonds, il faut aussi qu’on nous accorde qu’il ne Eh bien ! ce système qui paraît si simple et dans suffisait pas que ce billot fût à la mesure juste des lequel on trouve les indices de la science, n’a pu être deux battants, mais qu’il était nécessaire qu’il les dé­ réalisé! et c’est la procédure qui le détruit. passât d’un côté et d’autre, pour acquérir la consis­ Les défenseurs de Calas adopteront sans doute les tance indispensable à l’effet de soutenir le corps d’un déclarations de Lavaïsse. Il déclare : « La corde pre- jeune homme de 26 ans, dont la taille était de plus « nait naissance au dedans de la porte du magasin de cinq pieds. « qui répond à la boutique, et un peu au-dessus du On comprend facilement que si ce billot, qui n’avait « cintre de la porte. » (N° 19.) que 70 centimètres de longueur tandis que la porte 7 2 PROCÈS DE JEAN CALAS. avait 1 mètre de largeur, eût été simplement placé sur les battants à la juste mesure de sa longueur, la moindre oscillation du corps aurait détruit cette ri­ gueur mathématique et fait tomber ce billot. David de Beaudrigue, le capitoul, dont nous parle­ rons bientôt, üt l’expérience du billot; il déclare: CHAPITRE XIII. « Les battants ayant été ouverts et le billot placé au « dessus, il s’est trouvé trop court et n’a pu être « placé au dessus qu’en rapprochant les battants TERRIBLE PRESOMPTION CONTRE JEAN CALAS. « comme si on voulait fermer la porte.» (N°21.) Ajoutons que, dans cette expérience, le billot ne put être placé qu’assez près du sommet de l’angle Cette présomption que nous révèle la procédure formé par le rapprochement des deux battants. est d’autant plus terrible qu’elle naît du témoignage Ainsi, d’après cette expérience officielle, il fallait même de Jean Calas. Le lecteur n’a pas oublié que, joindre les battants entr’eux pour pouvoir placer ce dans la description que nous avons faite de l’intérieur billot au-dessus. Mais la procédure nous apprend que de la maison Calas, il a été dit qu’il existait des lieux les battants étaient ouverts; et Pierre, comme on l’a d'aisance au premier étage et au rez-de-chaussée vu plus haut, déclare qu’on pouvait passer par la dans la cour, et qu’on pouvait se rendre des lieux du porte, le corps étant enlevé, et que Calas son père y premier étage au rez-de-chaussée par une galerie passa. (N° 27.) Donc ce billot n’a pu servir d’instru­ extérieure qui donnait sur l’escalier, sans traverser ment au suicide; donc, en suivant tous les indices de nouveau les appartements. Cela posé, voici ce que de la procédure, Marc-Antoine ne s’est pas suicidé. déclare Jean Calas dans son interrogatoire du 8 no­ vembre : « Après que Pierre et Lavaïsse furent des- « cendus, lui, Calas, alla aux lieux, et en sortant des « lieux, il entendit son fils cadet qui criait : Mon « père ! mon père ! descendez. » (N° 32.) Evidem­ ment Calas ne dit pas la vérité ! Eu effet, d’après les déclarations de Pierre et de Lavaïsse, à peine furent- 7 5 7 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. ils descendus qu’ils aperçurent le corps et jetèrent de « maître, au haut de la maison située vis à-vis de grands cris. Mais si Calas ne se dirigea vers les lieux « celle de Calas, il entend des cris au voleur! Il met qu’après que ces jeunes gens furent descendus, com­ « la tète à la fenêtre : il aperçoit la servante de Calas ment a-t-il pu, en sortant, entendre leur cris? 11 est « qui criait : Mon Dieu ! mon Dieu ! on tue quel- aisé de voir qu’en acceptant sa déclaration, il n’aurait « qu’un! Jésus! où cela peut-il être? Il vit sortir pas eu le temps de satisfaire aux besoins de la na­ « Lavaïsse, et entendit la dame Calas qui se lamen- ture qui en réclament même le moins. « tait sur la mort de son tils. » (N° 13, 1” dép.) Calas a donc quitté l’appartement de sa femme; il Cette déposition est complexe, et les faits s’y dé­ a trompé son attention en se dirigeant vers les lieux roulent successivement à mesure qu’ils viennent à la et pouvant très-facilement descendre sans passer de connaissance du témoin. La rue des Filatiers est ex­ nouveau dans ses appartements. Jeannette était en­ trêmement étroite ; vers le mois d octobre le silence dormie dans la cuisine. Il était neuf heures et demie. le plus profond règne dans cette rue. Les cris que le Calas est sorti, non pas après que Pierre et Lavaïsse témoin entend sont très-distincts : Au voleur ! au vo­ sont descendus, la chose n’est pas possible! mais en leur ! Ces cris n’indiquent- ils pas qu’il y avait là dans même temps qu’eux; qui sait? peut-être même avant la maison Calas un homme sur lequel on s’était jeté? eux. Quoi qu’il en soit, la procédure nous montre qui, dans les ténèbres, ne reconnaissant pas celui ou qu’il s’est écoulé un temps, dont il est impossible de ceux qui l’attaquaient avec violence, les prit natu­ déterminer la durée, où Mme Calas est demeurée seule rellement pour des voleurs? Ce cri ne marque-t-il dans son appartement depuis que Marc-Antoine est pas le premier instant de la lutte? Les faits concer­ descendu, à neuf heures, jusqu’à ce qu’elle a été nant Jeannette, Lavaïsse et Mme Calas se sont produits avertie de la mort de son fils, vers neuf heures trois après les premiers cris entendus : d’où il faut con­ quarts. clure que Bernard Popis resta à la fenêtre jusqu à ce Que se passa-t-il dans cet intervalle critique et que cette scène se fût déroulée tout entière. dans cette heure fatale? Ouvrons la procédure, écou­ Jean-Pierre Cazalus, 2G ans, passementier, fait lons les témoins. une déposition absolument identique à celle de Po­ Bernard Popis, passementier, âgé de 25 ans, dé­ pis : « Il lui sembla que les cris partaient de la mai- pose : « Le 13 octobre, vers les neuf heures et de- « son Calas. » (N° 13, 2e dépos.) « mie du soir, se trouvant dans la boutique de son Marie Rey, servante chez M. Ducassou, âgée de 7 6 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 7 7 24 ans, dépose « que, metlant au lit la fille de sa gnages sur les cris entendus de la maison Calas; mais « maîtresse dans une chambre vis-à-vis de celle de comme ces cris peuvent avoir été proférés ou par « la maison Calas, elle entendit une voix qui criait : Jeannette, ou par Mme Calas, et qu’ils se réduisent à « A l’assassin! Je suis mort, ou il est mort! S étant ces mots : Mon Dieu ! mon Dieu !... nous avons laissé « mise à la fenêtre ainsi que la servante du sieur de côté ces dépositions. « Calas, elles se demandaient d’où provenait ce bruit. C’est une bien terrible coïncidence que celle de « Elle vit sortir Lavaïsse, et aperçut ensuite Jean- l’heure à laquelle ces cris ont été entendus partant « nette sur la porte de la rue, criant : Ah moun du magasin de Calas, et celle de l’heure à laquelle Ca­ l)iou! l’an tuât! — Oh! mon Dieu! on l’a tué! » las a quitté son appartement. Pierre et Lavaïsse sont (N° 13, 7e dëp.) descendus! Sans doute, ni Jeannette, ni Mmc Calas, ni Jeanne Campagnac, 36 ans, dépose : « Le 13 oc- aucun témoin du dehors, n’ont vu Jean Calas étran­ « tobre, étant dans sa chambre, elle entendit comme gler Marc-Antoine et le pendre ensuite ; mais Pierre, « les plaintes d’une personne mourante vers les neuf mais Lavaïsse n’ont-ils rien vu, rien compris, rien « heures et demie du soir. Elle comprit que cette soupçonné? Que le lecteur tire ici ses conclusions. <• voix partait de chez Calas. S’étant mise à la fenê- Marc-Antoine a-t-il été réellement étranglé? « tre, elle aperçut Jeannette qui lui demanda d’où Si, d’un côté, la procédure nous apprend que Marc- « venaient ces cris. Elle lui répondit : Vous devez le Antoine ne s’est point suicidé, de l’autre nous avouons « savoir, puisque le bruit part de la boutique et du qu’il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, « magasin Calas. Alors Jeannette se rendit dans la qu’un seul individu puisse pendre un jeune homme « rue et dit : C’en est fait, il est mort! » (N° 13, de 26 ans, surtout si l’assassin est un vieillard de 8° dép.) 64 ans. Nous ne croyons donc pas que Jean Calas ait Ainsi voilà dans la procédure quatre témoins qui pendu seul son fils vivant; mais l’étrangler, la chose déclarent sous la foi du serment avoir entendu sortir est plus facile! En se jetant sur son fils par surprise, vers les neuf heures et demie du soir, le 13 octobre au sein des ténèbres, Jean Calas a pu entourer le cou 1761, de la maison Calas, des cris paraissant profé­ d’une corde double ou simple, la croiser, la serrer rés d’après leur nature par une personne à la vie de avec force, arrêter la respiration, et donner la mort laquelle on attente. d’une manière instantanée. Une fois mort, ou du 11 existe bien dans la procédure d’autres témoi­ moins fol lement aspbixié, le corps a pu être pendu 18 PROCÈS DE JEAN’ CALAS. avec la corde qui a servi à la strangulation, en faisant passer par les nœuds coulants une barre ou bâton assez fort pour le soutenir. Jean Calas aurait-il fait seul ces deux opérations successives? CHAPITRE XIV. C’est très-possible, c’est même probable, quoique la procédure nous révèle un fait duquel on pourrait conclure qu’il n’a pas été seul à étrangler et à pen­ dre son fils; car il est certain que Marc-Antoine avait LE SYSTÈME DE DEFENSE ADOPTE PAR JEAN CALAS TEND sur lui la clé de la porte de la rue, et qu’on ne re­ A PROUVER SA CULPABILITÉ. trouva plus cette clé sur lui après sa mort. Qu’est devenue celte clé? qui l’a prise? N’a-t-elle pas servi à favoriser l’évasion des complices de l’assassinat? Il est dix heures et demie du soir : M. Calas, Mme Calas, Pierre et Lavaïsse remontent dans les ap­ partements. A onze heures et demie, les sieurs Bon- nel et Rubelle, négociants, viennent avertir le capitoul David de Beaudrigue qu’ils ont trouvé dans la grande rue beaucoup de monde devant la maison Calas, et qu’il leur a été dit qu’on y a trouvé un homme as­ sassiné. David se rend à l’hôtel-de-ville pour y cher­ cher main-forte. 11 fait avertir son assesseur Monyer et aussi les gens du roi. Arrivé à la maison Calas, il trouve la porte fermée. Il frappe : une fille ouvre, et un jeune homme se présente à lui. Il l’interpelle. La porte de la boutique est ouverte ; il entre, et près.de la porte qui sépare la boutique du magasin il trouve le cadavre d'un jeune homme couché sur le dos, nu-tête, en chemise, et portant ses culottes, ses bas 8 0 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 81 et ses souliers. Il demande quel est ce mort? Pierre assassinat est plus croyable, surtout si on peut l’attri­ répond que c’est son frère. — Les médecins et chi­ buer à des personnes étrangères. Il est probable que rurgiens Latour, Peyronnet et Lamarque sont appe­ si Calas eût maintenu et fait maintenir sa première lés : on visite le cadavre.... Ses habits étaient pliés déclaration, il n’eût point été condamné. -j- sur le comptoir du magasin. . Que fait-il? Le 15 octobre, il est interrogé sur David de Beaudrigue fait transporter le corps de écrou ainsi que Pierre et Lavaïsse, et il déclare « avoir Marc-Antoine à l’hôtel-de-ville, dans la chambre de « trouvé son fils pendu à une porte du magasin qui la Gène, opère l’arrestation de monsieur, de madame « répond à la boutique, la corde étant attachée à et de Pierre Calas, de Jeannette et de Lavaïsse, qu’il « une grosse bille à ladite porte. Il prit son fils au fait aussi conduire à l’hôtel-de-ville. (N° 1.) « milieu du corps. Il ne se rappelle pas si ce fut lui Jean Calas va subir son premier interrogatoire. « ou son fils cadet, ou Lavaïsse, qui coupa la corde. S’il est innocent, il dira la vérité; s'il est coupable, il « Il posa son fils à terre, dans le magasin. Lorsqu’il cherchera à tromper la justice. Pendant plus d’une « fut à terre, il détacha la corde de son col. » On l’in­ heure il est demeuré seul avec sa famille avant l'arri­ terroge sur le fait de la cravate noire que portait son vée du magistrat, et il a pu organiser à loisir un sys­ fils : il ne répond rien, sinon « qu’il a mis son fils à tème de défense. Il déclare formellement qu’étant des­ « terre, lui a ôté la corde, et ouvert un œil pour voir cendu, il a trouvé son fils étendu mort dans la « s’il l’avait bon. » Il ne rappelle pas dans quel cos­ boutique. (N° 2.) Pierre et Lavaïsse font la même tume il a trouvé son fils. On lui demande pourquoi déclaration. (Nos 3 et 7.) Pourquoi, dans ce premier il n’a pas manifesté la mort tragique de son fils : il interrogatoire, Calas n’exprime-t-il pas son sentiment répond « qu’il ne cherchait qu’à conserver l’honneur sur le genre de mort de Marc-Antoine? De deux cho­ « de la famille, et qu’il croyait qu’en faisant avertir ses l’une, ou il est mort assassiné, ou il s’est suicidé. « la justice, il ne serait plus question de rien. » Calas préfère qu’on croie plutôt à un assassinat qu’à (N° 15.) un suicide. La raison en est bien simple : un suicide Pierre Calas et Gaubert Lavaïsse font une déposi­ de la part d’un jeune homme de 26 ans plein d’ave­ tion identique relativement à l’état où ils ont trouvé nir et d’espérances, exécuté dans la maison pater­ le corps. (Nos 16 et 19.) nelle le jour où lui-même a invité un ami à s’asseoir Ainsi, maintenant, ils n’ont plus trouvé le corps à la table de famille, est vraiment inadmissible! un étendu par terre, comme ils l’avaient déclaré le 13; 7 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 8 3 ils l'ont trouvé pendu à une porte intérieure du ma­ Ignorant si Marc-Antoine s’était pendu lui-même ou gasin. lis ont donc menti le 13, ou ils mentent le 15 ! si des assassins étrangers l’avaient pendu, il aurait dû Ce mensonge étant une fois bien constaté et bien éta­ appeler au plus tôt la justice, lui déclarer la vérité bli, ces trois individus, les seuls qui nous appren­ tout entière sur l’état où il avait trouvé le corps, nent ce qui s’est passé dans cette maison depuis la ne rien changer autour de ce cadavre, et surtout gar­ fin du souper, vers les huit heures et demie, jusqu’à der et montrer à la justice les instruments qui avaient la publicité donnée à l’évènement, vers les dix heures, servi à la pendaison. On conçoit que, dans un pre­ ne méritent aucune confiance. mier mouvement, il ait pris le corps de son fils, qu’il En vain Calas dit-il qu’il n’a pas voulu parler d’a­ l’ait placé à terre et lui ait ôté la corde, qu’il ait bord du suicide pour sauver l’honneur de la famille : appelé un chirurgien : ces actes sont dictés par la si Marc-Antoine ne s’est pas suicidé, il a donc été tué. nature; mais celte corde, il fallait la garder, et on S’il a été tué, ou il l’a été par des étrangers, ou par la jette derrière un comptoir ! ce billot, il fallait le des gens de sa famille. Dans le premier cas, il ne peut garder aussi, et on le place entre la muraille et les y avoir de déshonneur pour cette famille; dans le se­ rayons du magasin, derrière la porte ! on enlève une cond cas, n’y a-t-il pas un plus grand déshonneur corde pour dégager le cou de cet infortuné, et on pour elle de compter un assassin parmi ses membres n’enlève pas sa cravate ! que d’y compter un suicidé? Au lieu d’envoyer son fils chez l’avocat Clauzade Comment! Calas croyait qu’en faisant avertir la jus­ pour avertir la justice, n’était-il pas plus simple et tice, il ne serait plus question de rien! Il pensait plus court de prier un voisin de se rendre auprès donc qu’on ne ferait aucune recherche, aucun exa­ des magistrats? Lavaïsse déclare dans son premier men du cadavre? qu’on n’entendrait aucun témoin? interrogatoire « qu’étant de retour de chez Cazeing, qu’on accepterait sans contrôle sa déclaration, celle « il trouva Clauzade chez les Calas, et que celui-ci de son fils et celle de l’étranger? Non, Calas ne le « dit qu’il fallait prévenir la justice. » (N" 3.) Cette croyait pas. Evidemment il veut ici donner le change idée appartient donc à Clauzade et non à Calas. Com­ à la justice. ment se fait-il que les voisins et le quartier tout en­ Qu’aurait dû faire Calas, si vraiment il eût trouvé tier connaissent ce tragique évènement avant les ma­ son fils pendu, et qu’ils eussent été, lui et sa famille, gistrats? que David de Beaudrigue n’ait été prévenu complètement étrangers à cet évènement? Le voici. que par des individus qui passaient par hasard de­ 8 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 8 5 vant la maison, et qu’ainsi il n’ait pu se rendre qu’à Dès que Louis Calas eut appris l’arrestation de son onze heures et demie du soir? père et de toute sa famille, il se donna beaucoup de On peut bien rejeter sur l’effroi que cause une mort mouvement en faveur des prévenus. Le 14 octobre, aussi tragique quelques contradictions peu impor­ il vint voir Gaubert Lavaïsse à l’hôtel-de-ville. Ce der­ tantes; mais, à nos yeux, il est certain qu’un homme nier lui parla assez longtemps de l’affaire. Nous pen­ innocent ne se serait pas conduit comme Calas l’a fait sons que Louis se rendit auprès de M. Carrière, avo­ dans des choses aussi essentielles. cat, intime ami des Lavaïsse, et le pria de se transporter Tout était arrangé d’avance entre la famille Calas auprès de Gaubert. En effet, M. Carrière, dans la ma­ et les intimes quand David de Beaudrigue arriva : on tinée du 14, vint visiter le prisonnier. Celui-ci lui devait se borner à dire qu’on avait trouvé le corps parla de la manière dont le corps avait été trouvé étendu mort sur le sol du magasin. Peut-être la jus­ pendu à la porte du magasin. Carrière se rendit en­ tice accepterait-elle ce système, et l’affaire n’irait-elle suite auprès de Calas le père et auprès de Pierre. Il ac­ pas plus loin. Dans le cas contraire, on devait, si on cepta de bonne foi le nouveau système des prévenus recevait avis de la marche qu’allait prendre la justice, et les engagea à le soutenir. rétracter le premier système et se rejeter sur le sui­ Les prévenus furent mis au secret le 14 au soir, et cide par la pendaison. Les déclarations de Calas, de ne purent communiquer avec personne, encore moins Pierre et de Lavaïsse faites sur écrou sont trop con­ entr’eux. Il s’en faut de beaucoup que Calas fût tran­ formes entr’elles sur les points essentiels de cette quille sur la décision prise de concert avec Me Car­ pendaison pour n’avoir pas été préparées à l’avance. rière ; il avait beaucoup trop de portée dans l’esprit David de Beaudrigue fit conduire au Capitole Jean pour ne pas comprendre que, si le premier système Calas, Pierre son fils, Mme Calas sa femme, la servante présentait quelque danger, le second était insoute­ Jeannette etGaubert Lavaïsse; il fit également trans­ nable, et que difficilement on admettrait le suicide. porter le corps de Marc-Antoine à l’hôtel-de-ville, et Voilà pourquoi, le*15 octobre, avant de subir son se­ le fit déposer dans la chambre de la Gène. cond interrogatoire, il écrivit une lettre à Me Carrière Il faut maintenant rechercher par quels moyens pour qu’il l’éclairât sur les réponses à faire à la jus­ Jean Calas fut averti, entre le premier et le deuxième tice. Cette lettre fut portée par un soldat du guet. interrogatoire, de la marche de la justice et du danger Par une coïncidence assez singulière, Louis Calas, qu’il y avait pour lui à soutenir le premier système. accompagné de l’abbé Bénaben, se trouvait chez Car­ 8 6 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 87 rière quand cette lettre fut remise. Carrière parut cédure et les divers mémoires publiés sur cette affaire, vivement contrarié, et dit : « Il faut que M. Calas ait il nous est difficile de ne pas reconnaître la culpabilité « perdu l’esprit! Je lui ai dit hier de déclarer la vé- de Jean Calas, soit qu’il ait commis ce crime par lui- « rité et de ne pas ménager l’honneur du défunt. >» même, soit qu’il en ait confié à d’autres l’exécution. Il dicta alors trois lettres pour chacun des trois pré­ Quoique les ecchymoses constatées sur le cadavre venus, et les remit à Louis pour qu’il les fît tenir à par la science puissent être expliquées par la stran­ leur adresse. gulation, en admettant qu’on ait tiré par-devant et Louis se rendit à l’hôtel-de-ville et remit ces let­ au-dessus de la tête les deux bouts de la corde dou­ tres au greffier de la geôle, Delibes. Le greffier remit blée, nous croyons cependant que les assassins ont à Calas celle qui lui était adressée et garda les deux pendu le corps immédiatement après la mort, n’im­ autres. Ces deux dernières lettres furent décachetées porte en quel lieu, qu’ils l’ont détaché ensuite et placé et lues par Delibes, qui, après la publication du mo- étendu dans le magasin. nitoire, les plaça entre les mains du procureur gé­ C’est ici le cas de parler de la cave de la maison néral. Carrière n’avait d’autre but que d’exciter les Calas, qui occupait le dessous du magasin, dont l’en­ prévenus à soutenir le suicide, qu’il croyait, d’après trée se trouvait dans la petite cour, et qui était ex­ leurs affirmations, être l’expression de la vérité. La clusivement au service de la famille. La justice fit une parfaite conformité des assertions de Jean Calas, de descente dans cette cave. Le procès-verbal n° 21 nous Pierre et de Lavaïsse, touchant le suicide et ses cir­ apprend qu’au milieu de la voûte était fixé un piton constances, ne doit point être attribuée à Carrière ou en forme d’anneau; autour de cet anneau le mortier à tout autre, ni aux lettres écrites. Ce système avait franc paraissait dégradé, et, perpendiculairement sur été combiné avant l'arrestation, et ne devait venir qu’à le sol, on apercevait quelques débris de brique. Un défaut du premier. Me Carrière ayant instruit les pré­ serrurier et un maçon furent appelés en qualité d’ex­ venus dans la visite du matin, le H , du mauvais effet perts jurés. Us déclarèrent que le piton était fixé de­ qu’avait produit la première déclaration qu’il croyait puis longtemps à la voûte; que les débris de brique mensongère, leur conseilla de soutenir le suicide, trouvés à terre n’appartenaient pas aux dégradations qu’il croyait véritable par la seule affirmation des ac­ existantes autour du piton. Quant à ces dégradations, cusés. le serrurier déclara qu’elles étaient récentes, et le D’après ces indices si graves que nous offre la pro­ maçon qu’elles existaient depuis six mois. 8 8 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 89 C’est sans doute à cette expertise qui fut faite par Il faut en dire autant de la grande place des Carmes, la justice qu’on doit attribuer le bruit populaire qui dont l’espace se trouvait occupé par un immense se répandit à l’époque de l’évènement— et qui se couvent qui fut détruit vers l’année 1807. trouve encore accrédité un siècle après— qu’on avait Monsieur le ministre affirme (p. 86) que le billot attaqué d’abord Marc-Antoine dans le magasin; qu’en- dont il est parlé dans la procédure portait encore suite il avait été traîné dans la cave où la strangula­ quelques cheveux de Marc-Antoine. 11 se trompe ; tion ou pendaison avait eu lieu; et qu’après la mort ce n’était point au billot, mais à la corde, que se trou­ on l’avait attaché à la porte du magasin. vaient attachés quelques cheveux de Marc-Antoine. Nous trouvons dans la procédure une déposition Calas le reconnaît lui-mème dans son troisième inter­ qui paraît avoir quelque analogie avec la tradition rogatoire (n° 26). Ces cheveux s’étaient attachés à la dont nous venons de parler: Guillaumette Bousquet corde par suite de l’opération que fit Calas père pour dépose « qu’on avait attaché une corde à un clou pour détacher cette corde du cou de son fils ; car Pierre « faire peur à Marc-Antoine, en lui disant : Yeux-tu déclare, le 8 novembre, « que son père, ne pouvant « te rendre? veux-tu te rendre? et qu’on l’exécuta. « ôter la corde du col de Marc-Antoine par devant, « Elle tient cette circonstance d’un homme logé chez « la sortit par derrière, en la faisant passer sur sa « Pomet, boulanger, lequel venait souvent se faire « tête. » (N° 55.) « raser chez son mari. » (N° 13, 66e dépos.). En terminant ce chapitre, nous devons corriger deux errreurs graves de monsieur le ministre de Paris. L’une des raisons sur lesquelles il se fonde pour prouver l’impossibilité de l’assassinat de Marc- Antoine , c’est que la maison Calas était située k deux ou trois portes d’une place très-fréquentée (p. 154). Monsieur le ministre ignore qu’à l’époque de l’évène­ ment (176b) il n’existait aucune place voisine de cette maison. Celle que l’on voit aujourd’hui (la place de la Trinité) a été formée par la démolition de tout un quartier que nous avons vu tomber nous-même. CHAPITRE XV.

AUTOPSIE DU CADAVRE. — MONITOIRE, — FUNÉRAILLES.

Le 13 octobre, le sieur Lamarque, chirurgien ' désigné par la justice , fit au Capitole l’autopsie du cadavre et dressa le procès-verbal suivant : — « A la « tête, les vaisseaux engorgés, suite des morts de « cette espèce. — La poitrine n’a rien présenté de « particulier.— L’estomac n’avait que peu d’aliments ; « on y trouvait une matière grisâtre en assez grande « quantité, du raisin, de la peau de volaille, de la « viande de buf. Il est clair que l’individu a mangé « trois ou quatre heures avant sa mort, carladiges- « tion des aliments était quasi-faite ; la viande de buf « a été prise au diner ou dans l’après-midi. » (Nu 12.) Ce procès-verbal d’autopsie ne servit pas la cause des Calas; on en concluait que, puisque l’individu avait mangé trois ou quatre heures avant sa mort, le souper de famille n’avait pas eu lieu, et conséquem- 9 3 9 2 PROCÈS DE JEAN CACAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. ment toutes les assertions qui se rattachaient à ce dans l’affaire Calas, furent dressés par Charles de La- repas étaient mensongères. Nous croyons, au con­ gane. Nous les reproduisons ici. traire , que ce repas a eu lieu, et que la déclaration du sieur Lamarque est erronée. Cette matière grisâ­ MONITOIRE. tre n’est autre chose que la boisson injectée dans l’estomac; la peau de volaille a trait au rôti du sou­ per, car au diner aucune volaille ne fut servie; et 1° Contre tous ceux qui sauront, par ouï dire ou autrement, que le sieur Marc-Antoine Calas aîné avait renoncé à la religion ce buf n’est autre chose que du pigeon au sang dont prétendue Réformée dans laquelle il avait reçu l’éducation ; mangea Marc-Antoine. qu’il assistait aux cérémonies de l’Eglise catholique et ro­ Le IC octobre, Charles deLagane, procureur du maine; qu’il se présentait au sacrement de Pénitence, et roi en la ville et sénéchaussée de Toulouse, adressa qu’il devait faire abjuration publique après le 13 du présent une requête à M«r Arthur Dillon, archevêque de cette mois d’octobre ; et contre tous ceux auxquels Marc-Antoine Calas avait découvert sa résolution ; ville, pour la publication d’un monitoire. La disci­ 2° Contre tous ceux qui sauront, par ouï dire ou autrement, pline existant alors dans l’Eglise autorisait ces sortes qu’à cause de ce changement de croyance, le sieur Marc-An­ de publications ; elles pouvaient être faites ou d’office toine Calas était menacé, maltraité, et regardé de mauvais par levêque ou sur la demande de l’autorité judiciaire, œil dans sa maison ; que la personne qui le menaçait lui a et cela pour de graves raisons, telles que la décou­ dit que, s’il faisait abjuration publique, il n’aurait d’autre verte d’un coupable d’assassinat ou de vol. bourreau que lui. 3° Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, C’est à tort que l’on prétend que les monitoires qu’une femme qui passe pour attachée à l’hérésie, excitait devaient être fulminés par le tribunal de l’officialité, son mari à de pareilles menaces, et menaçait elle-même et non par les évêques ou leurs vicaires généraux : le Marc-Antoine Calas. concile de Trente, dans sa 25e session, ch. o% de 4° Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, que Refor., déclare expressément que les excommuni­ le \ 3 du mois courant au matin, il se tint une délibération dans une maison de la paroisse de la Daurade, où la mort cations par monitoires ne peuvent être fulminées de Marc-Antoine Calas fut résolue ou conseillée, et qui au­ que par les évêques. ront, le même matin, vu entrer ou sortir de ladite maison Dans plusieurs diocèses les monitoires étaient à la un certain nombre desdites personnes. vérité fulminés par les officiaux, mais en sauvegar­ 5° Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, que le dant le droit des évêques. Les chefs du monitoire, même jour 13 du mois d’octobre, depuis l’entrée de la nuit 04 PROCÈS DE JEAN CAUS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 05 jusques vers les dix heures, cette exécrable délibération fut de causes qui dispensaient de la révélation. Nous en exécutée, en faisant mettre Marc-Antoine Calas à genoux, assignons ici quelques-unes : Etaient dispensés de ré­ qui, par surprise ou par force, fut étranglé ou pendu avec véler, 1° ceux qui n’avaient la connaissance d’un fait une corde à deux nœuds coulants ou baguelles, l’un pour que par la voie du secret auquel ils étaient obligés étrangler et l’autre pour être arrêté au billot servant à ser­ rer les balles, au moyen desquels Marc-Antoine Calas fut par la nature de leurs fonctions ; 2° ceux qui ne pou­ étranglé et mis à mort par suspension ou par torsion. vaient révéler sans encourir un notable préjudice 6° Contre tous ceux qui ont entendu une voix criant à l’assassin, spirituel ou temporel; 5° les parents; 4° ceux qui, et de suite : Ah ! mon Dieu, que vous ai-je fait ? faites-moi avec une entière bonne foi, ignoraient la publication grâce ! la même voix étant devenue plaignante et disant : du monitoire ; 5° ceux qui ne pouvaient pas prouver A h! mon Dieu, ah! mon Dieu! un fait dont, seuls, ils auraient eu connaissance. 7° Contre tous ceux auxquels Marc-Antoine Calas aurait commu­ niqué les inquiétudes qu’il essuyait dans sa maison, ce qui le Nous apprenons toutefois que le monitoire publié rendait triste et mélancolique. dans l'affaire Calas produisit des témoignages impor­ 8° Contre tous ceux qui surent qu’il arriva de Bordeaux, la veille tants. C’est ce que déclare M. Amblard par la lettre du 13, un jeune homme de cette ville qui, n’ayant pas trouvé suivante à M. de Saint-Priest : des chevaux pour aller joindre ses parents qui éta:ent à leur campagne, ayant été arrêté à souper dans une maison, fût présent, consent ou participant à l’action. « Toulouse, le 28 octobre 1761. 9° Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, qui sont les auteurs, complices, fauteurs, adhérents de ce crime, « Le monitoire produit, à ce que l’on prétend, des qui est des plus détestables. « preuves complètes du meurtre du sieur Calas, avec Enfin, contre tous sachants et non révélants les faits ci-dessus, « des circonstances qui font horreur. Les capitouls circonstances et dépendances. « doivent ordonner aujourd’hui la procédure extraor- « dinaire. Les accusés sont gardés à vue, et personne Cette pièce fut accordée le 17 octobre par M. Tris­ « absolument né peut leur parler ni les voir. On tient tan de Cambon, élu depuis évêque de Mirepoix. Les « en même temps dans les prisons du Palais le mi- 18-25 octobre et 8 novembre, le monitoire fut pu­ « nistre avec plusieurs protestants qui se sont révol- blié dans toutes les paroisses de la ville. En général « tés et qui ont fait sédition dans la généralité de les moniloires produisaient peu de résultats, parce « Montauban. Ils sont tous gardés à vue, chargés de que, d’après le droit canonique, il existait beaucoup « fers, et il y a quatre sentinelles depuis la porte de 9G PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 9 7 Le même jour, M. de Saint-Florentin écrivit au « la prison, de cent pas en cent pas, jusques au WÊKÊÊÊÊ « corps-de-garde de la place du Salin, qui, en cas capitoul David de Beaudrigue la lettre suivante : « de besoin, serait assemblé par un coup de sifflet. « J’ai reçu la lettre et les pièces que vous m’avez « Cette garde a été doublée. Ces deux évènements « adressées concernant le meurtre qui paraît avoir « presque à la même époque ne peuvent que nuire « été commis en la personne du sieur Calas fils. Je « aux accusés respectifs. « ne puis que louer l’activité avec laquelle vous avez « travaillé à constater ce délit et à faire arrêter les « J ’ai l’h o n n eu r... « parents de ce jeune homme qui semblent être cou- A mblard. « pables. Vous me ferez le plaisir de m’informer des (Arch. départ.) « suites de cette affaire, qui mérite une attention sin- » gulière de votre part. M. le président de Senaux, par une lettre datée du

20 octobre, avait informé le ministre, M. de Saint- « de S aint-F lorentin. » Florentin, de l’affaire Calas. Le 51, ce dernier répon­ dit au président : David de Beaudrigue avait écrit le 18 octobre à « Je vous suis très-obligé de la peine que vous M. de Saint-Florentin pour lui faire part de la con­ « avez prise de m’informer du meurtre arrivé en la duite qu’il avait tenue dans l’affaire Calas, et lui adres­ « personne du sieur Calas fils. Cette affaire, comme ser en même temps son procès-verbal et celui des « vous l’observez, est d’une grande importance et médecins ou chirurgiens. « mérite une attention particulière. Il est fort à dé- L’un des dimanches du mois de novembre, on pro­ « sirer que la vérité soit éclaircie et qu’il survienne céda aux funérailles de Marc-Antoine. L’opinion gé­ « des preuves suffisantes. Les précautions que vous nérale n’admettait pas le suicide de cet infortuné, et « avez prises pour mettre en sûreté-les prisonniers l’on croyait qu’il avait été assassiné en haine de la re­ « sont très-sages et très-nécessaires. Je ne doute ligion catholique et pour empêcher une abjuration que « pas que vous ne vouliez bien veiller à la suite de l’on regardait comme très-prochaine. La pompe ca­ « cette affaire, dont l’instruction ne saurait être trop tholique que l’on déploya à ses obsèques, les services « rigoureuse ni trop prompte. mortuaires qui furent célébrés dans deux églises de D e S aint-F lorentin. la ville, doivent être regardés comme une concession 8 9 8 PROCÈS DE JEAN CALAS. faite à l’opinion publique, à la conscience de la plu­ part des citoyens. Il est possible qu’on ait été un peu trop loin dans les honneurs rendus à la dépouille mortelle de Marc-Antoine ; mais ces incidents ne mé­ ritent pas l’importance que les partisans de Calas ont voulu leur donner. — Le corps fut inhumé dans le CHAPITRE XYI. bas-côté de l’église ^Saint-Jacques ou Sainte-Anne» -' église dépendant de la métropole. SENTENCE DES CAPITOULS. — APPEL DU PROCUREUR DU ROI

ET DES ACCUSÉS. — l ’AFFAIRE AU PARLEMENT.

L’instruction fut poursuivie avec activité, et, le 18 novembre 1761, les Capitouls rendirent leur sentence. Carbonnel, assesseur, vota pour la relaxation de tous les accusés et le procès au cadavre. Labat, assesseur, vota pour que Calas père, Calas fils et la mère fussent pendus et leurs corps.brûlés; Lavaïsse condamné aux galères, et la servante relaxée. Ferlup, assesseur, vota pour que Calas père fût mis à la question ordinaire et extraordinaire, et qu’on sursît au jugement pour les autres. Boyer, capitoul, vota pour appliquer à la question ordinaire et extraordinaire Calas père, Calas fils et la mère; et que Lavaïsse et Jeannette fussent présentés à la question. 104 400 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. Chirac, capitoul, fut du même avis. « corps brûlés sur un bûcher à ce préparé et les David, capitoul, fut du même avis que l’assesseur « cendres jetées au vent; ce faisant, que leurs biens Labat, avec la différence qu’il vota pour la condam­ « soient déclarés confisqués à qui de droit, le tiers nation de la servante à cinq ans de réclusion. « réservé en la forme ordinaire ; et qu’à cet effet le Roques de Rechon, capitoul, vota pour que tous « scellé soit apposé sur tous les effets et marchan- les cinq fussent soumis à la question ordinaire et « dises des condamnés; et quant à Alexandre-Gaubert extraordinaire. « Lavaïsse et Jeanne Viguière, requiert qu’ils soient MM. Labat, Ferlup et David de Reaudrigue se ran­ « condamnés à assister à l’exécution ; de plus, ledit gèrent à l’avis du capitoul Royer. — On condamna « Lavaïsse condamné aux galères perpétuelles, avec donc Calas père, Calas fils et Mme Calas à la question « défense d’en sortir sous peine de la vie; et ladite ordinaire et extraordinaire ; et Lavaïsse et Jeannette « Viguière à être renfermée pendant cinq ans dans le à être présentés à la question. — Dépens réservés. « quartier de force de l’hôpital de la Grave de cette Le même jour, on communiqua l’arrêt aux accu­ « ville. » sés, qui en appelèrent au parlement. Le procureur Après la sentence des capitouls, les condamnés fu­ du roi de Lagane en appela aussi à la même cour rent transférés de la prison de l’hôtel-de-ville à celle à minimâ. du palais. Il ne faut pas s’étonner de l’appel du procureur du Le S décembre, le parlement de Toulouse, après roi, car les conclusions qu’il avait données le 10 no­ avoir étudié l’appel, cassa la sentence des capitouls, vembre étaient bien éloignées de la sentence des retint la cause quant au fond, et maintint le commen­ capitouls; les voici : «Requiert que, jugeant définiti- cement d’information. Etienne de Roissy, conseiller, « vement, vu ce qui résulte des charges, des ver- fut chargé de continuer l’inquisition. C’est ce que « baux et interrogatoires, et des aveux consignés en nous apprenons de la lettre suivante, écrite par « iceux; rejetant les qualifications, et sans avoir égard M. Amblard à M. de Saint-Priest. « aux reproches proposés par la dame Calas mère « contre la dame Durand et le sieur Durand son fils, « 7 décembre 1761. « Jean Calas père, Jean-Pierre Calas fils et Anne « Rose Cabibel soient condamnés à être pendus jus- « 11 y eut un arrêt avant-hier dans l’affaire du sieur « qu’à ce que mort naturelle s’ensuive, ensuite leurs « Calas. Il passa in mitiorem de casser la sentence PROCÈS DE JEAN CALAS. 103 1 0 2 PROCÈS DE -JEAN CAIAS. « des capitouls par des moyens de forme, et d’ordon- « la lumière des juges, surtout dans une affaire aussi « ner que l’inquisition commencée serait continuée. « délicate et aussi importante. « Les autres voix étaient à la mort. Il y a tout lieu de « Je suis.... « croire que le jugement définitif de cette affaire sera « de S aint-P riest. » « différé pour longtemps, d’autant mieux que les ca- Dès que les accusés se trouvèrent en présence du « pitouls n’avaient pas attendu la fulmination du mo- parlement de Toulouse, ils choisirent pour défenseur « nitoire, et qu’il faudra par conséquent le publier M6 Sudre, avocat distingué, qui publia en leur faveur « de nouveau suivant la forme de prononcer de ce plusieurs mémoires que nous possédons encore. La « parlement. Le plus amplement acquis suppose qu’il famille Calas trouva aussi un protecteur parmi les <■ n’y a pas de preuves ; au lieu que l’inquisition com- conseillers du parlement : ce fut M. de Lasalle, qui « mencêe sera continuée ne suppose pas l’insuffisance composa pour elle un écrit sous le nom de Duroux « absolue de preuves pour condamner. Tout cela pa- fils. M. de Cassan-Clairac fut nommé rapporteur de « raît un jeu de mots ; mais c’est le style de ce par- cette grave affaire. Afin d’éviter les sollicitations et « lem ent. pour ne pas être distrait de son travail, ce conseiller « J’ai l’honneur... alla se renfermer à la Chartreuse de Toulouse. « A mblard. » Pendant l’instruction de l’affaire, Lavaïsse fils pu­ (Arch. départ.) blia un mémoire qui fut suivi d’un écrit de son père pour sa défense. Ce dernier avait intéressé à la cause Trois jours après, M. de Saint-Priest répondait à de son fils M. de Rochechouart, ambassadeur de M. Am blard : France à Parme. M. le comte de Rochechouart écri­ vit en effet à M. de Saint-Florentin la lettre sui­ « Montpellier, le 10 décembre 1761. vante : « Je vous remercie, Monsieur, de l’avis que vous « Parme, le 5 décembre 1761. « m’avez donné du jugement rendu dans l’affaire du « Monsieur, « sieur Calas. 11 est vrai que le public s’attendait à « quelque chose de plus positif qu’une continuation « Les bontés que vous m’avez témoignées en tant « de l’inquisition commencée; mais on doit respecter « d’occasions m’autorisent à y recourir en faveur 104 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. m s « d’une personne à qui je dois beaucoup d’égards : « j’aurais surtout été charmé de lui faire ressentir « c’est le sieur Lavaïsse, avocat au parlement de « combien votre recommandation a du poids auprès « Toulouse, dont le fds a été impliqué dans une af- « de moi; mais l’affaire dans laquelle son fds se trouve « faire malheureuse qui ne laisse aucun soupçon sur « malheureusement impliqué est sous les yeux de la « son innocence. Ce père affligé me mande qu’il a « justice; le parlement en est saisi, et il est d’autant « eu l’honneur de vous adresser un mémoire conte- « plus impossible d’en arrêter ni même d’en sus- « nant le détail du fait qui a donné lieu à cette accu- « pendre le cours, que le titre de l’accusation est des « sation. Comme il m’en a envoyé en même temps « plus graves, qu’il a du rapport à la religion, et qu’il « une copie, j’ai été en état de m’en instruire. 11 ne « fixe l’attention de toute la province. Le sieur La- « faut que jeter un coup-d’œil sur la procédure pour « vaïsse m’avait écrit dans les commencements pour « reconnaître l’esprit de vertige et de rumeur popu- « obtenir un sursis; mais le roi, à qui je rendis « laire qui en a été le principe. Tout y est sans fon- « compte de sa demande et des motifs sur lesquels « dement et hors de la plus légère vraisemblance. « il la fondait, ne jugea pas à propos d’y avoir « Je ne compte donc, Monsieur, que réclamer « égard. « votre justice contre des calomnies odieuses, et vous « Je suis.... « faire connaître l’intérêt que je porte à un homme « de probité qui depuis nombre d’années a bien mé- « de S aint-Florentin. » « rité de toute la province du Languedoc par ses 20 décembre 1761. « longs travaux et une conduite irréprochable. « Je suis... Pendant que l’instruction de l’affaire Calas se pour­ suivait en parlement, on répandit à Toulouse un écrit « DE R o CHECHOUART. » ayant pour titre : La Calomnie confondue. Quelques- uns des exemplaires portaient le nom de Paul Rabaut, On voit évidemment que M. l’ambassadeur à Parme protestant de Nîmes. M. de Lamoignon, chancelier ne connaissait l’affaire Calas que par le mémoire de de France, écrivit à ce sujet, le 28 février 1762, à l’avocat Lavaïsse. M. de Saint-Florentin répondit : M. de Saint-Priest, gouverneur du Languedoc : « 11 « J’aurais été fort aise de faire plaisir au sieur La- « vient d’être répandu dans la ville de Toulouse un « vaïsse, dont je connais les talents et la probité, et « écrit fort injurieux au parlement, dont il ne 107 106 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. « tardera pas, si fait n’a été, de demander la sup- rons quelle fut la peine infligée au soldat du guet qui « pression et même la condamnation à être brûlé. » avait violé sa consigne. Le chancelier recommande au gouverneur la plus Le parlement condamna l’écrit de Paul Rabaut à grande modération dans cette affaire. Le procureur être lacéré et brûlé au bas du perron du palais par général, M. Bonrepos^, ne tarda pas à instruire l’exécuteur de la haute justice. La sentence fut exécu­ M. de Saint-Florentin de la publication de cet écrit, tée le 8 m ars, en présence de Joseph-Guillaume Gra­ puisqu’à la date du 2 mars le ministre lui répondit vier, greffier garde-sacs de la cour. pour lui donner des instructions détaillées sur la con­ duite à tenir dans la poursuite de l’écrit et de son auteur. Le 5 mars , M. de Saint-Priest répondit à la lettre du chancelier de Lamoignon, en lui donnant la certitude que le parlement allait informer contre l’au­ teur et les distributeurs de cet écrit; il lui communi­ qua aussi des détails sur la personne et les qualités de Paul Rabaut. Le 7, M. de Saint-Priest écrivit à M. Amblard , et lui dit : « Je vous remercie de votre « attention à m’instruire des suites de l’affaire Calas « et des ordres que vous avez donnés pour qu’on ne « me laisse rien ignorer, pendant votre absence, de « ce qui se passera sur ce sujet important. L’exem- « pie qu’ont fait les capitouls sur le soldat du guet « qui, contre les défenses qu’on lui avait faites de « laisser parler entre eux les prisonniers, leur a « laissé cette liberté, est aussi honorable pour eux « qu’il est régulier.» Nous apprenons par cette lettre que la famille Calas avait pu se voir dans sa prison, et arranger aussi bien que possible un système de défense. Nous igno- CHAPITRE XVII.

CONDAMNATION ET MORT DE JEAN CALAS.

Ce fut la chambre de la Tournelle qui jugea Calas. Elle était composée de treize membres : les présidents Du Puget et de Senaux; les conseillers de Bojal, Cas- san-Glatens , d’Arbou , Condougnan, Cambon , de Lasbordes, Gauran, des Innocents, IMiramont, de Boissy, de Cassan-Clairac. Cette chambre employa dix séances à l’examen de cette affaire et aux infor­ mations. Sur treize juges, sept opinèrent pour la m ort, trois pour la torture, deux pour qu’on cons­ tatât si Marc-Antoine avait pu réellement se pendre ou non avec le billot et la corde déposés au greffe. Un seul fut pour l’acquittement. La majorité de sept voix sur treize ne suffisait pas quand il était ques­ tion d’appliquer une peine capitale. Après un long débat, M. de Bojal, doyen des conseillers, se rangea du nombre des sept, et rendit l’arrêt de mort exécu­ toire. PROCÈS DE JEAN CALAS. 111 110 PROCÈS DE JEAN CALAS. On lui adressa ensuite une question de la plus haute L’arrêt fut porté le 9 mars. Le 10, jour de l’exécu­ importance, à savoir : « S’il n’est pas vrai que le tion , M. Amblard écrivit à M. de Saint-Priest : « On « a jugé hier au soir Calas père; il a été condamné à « même soir qu'il donna à souper à Gaubert Lavaïsse « fils, du moment qu’il fut rentré chez lui avec Jean- « être rompu vif, préalablement appliqué à la ques- Pierre Calas son fils, Lavaïsse, lui Calas et sa femme « tion ordinaire et extraordinaire ; à demeurer pen- « dant deux heures sur la roue, et ensuite à être ne se quittèrent pas, de même que la servante? » « brûlé et les cendres jetées au vent. On a sursis au Il accorde l’interrogatoire, et répond ; « que la ser- « jugement de la femme, de son fils, du sieur La- « vante passa seulement à la cuisine ; qu’ils se mi- « vaïsse et de la servante jusqu’au rapport du verbal « rent à table en entrant, et qu’ils ne se quittèrent « de mort. » Le même jour, le président de Senaux, « pas du tout ni avant ni après souper. » Telle est la réponse catégorique et précise de Jean Calas. Evi­ le capitoul David de Beaudrigue et le président Du demment il ne dit pas la vérité, puisque la procédure Puget écrivirent dans le même sens à M. de Saint- Florentin. nous offre un de ces interrogatoires que nous avons déjà cité dans lequel il déclare formellement qu’il se Le 10 mars 1762, après midi, Jean Calas fut con­ sépara de sa femme , et qu’il quitta son appartement duit, tête et pieds nus, en chemise, la hard au col, après que son fils Marc-Antoine fut descendu et pres­ par l’exécuteur des hautes-œuvres dans le grand con­ que au même instant où Pierre, son second fils, et sistoire, devant David de Beaudrigue et Daignan de Sondai, capitouls ; là , on le fit mettre à genoux, et Lavaïsse descendirent aussi; et cela, dit-il, pour se lecture lui fut donnée de l’arrêt, M. de Pijon rem­ rendre aux lieux d’aisance. plissant les fonctions de procureur du roi. Immédia­ Jean Calas avoue qu’il a menti dans son audition tement après, il fut conduit à la chambre de la Ques­ d’office quand il a affirmé qu’il avait trouvé le corps tion, et le bourreau le plaça sur le bouton de la de son fils étendu par terre, et qu’il a dit la vérité en question ordinaire. Dans cet état, il lui fut déclaré déclarant ensuite qu’il l’avait trouvé pendu aux deux qu’on allait lui adresser un dernier interrogatoire ; et battants de la porte du magasin. Le condamné tombe encore dans une contradiction il prêta serment de dire la vérité. Dans cet interrogatoire, dont nous avons la copie étonnante. Il avait déclaré dans un précédent inter­ rogatoire que Marc-Antoine était resté une demi-heure authentique sous nos yeux, il avoue qu’il allait quel­ quefois chez le sieur Cazeing, logé place de la Bourse. après souper au premier étage avant de descendre; 112 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 113 les autres prévenus affirment également que cet infor­ dominicain, pour l’exhorter. Demi-heure après, on tuné n’était pas descendu immédiatement après le étendit Jean Calas sur un banc pour le soumettre à souper : on veut maintenant lui faire renouveler cette la question extraordinaire de l’eau, qui consistait à déclaration, de laquelle on veut tirer des conséquen­ verser une certaine quantité d’eau par le moyen d’un ces. Ces conséquences, il les redoute... et voilà qu’il tube dans la bouche du supplicié. Il supporta encore répond qu’il s’est trompé, qu’il a pris Jean-Pierre avec constance cette seconde question, et persista dans pour Marc-Antoine! ses déclarations premières. Jean Calas, accompagné L’interrogatoire est clos, lecture en est faite au con­ des deux prêtres, fut placé sur le chariot et conduit damné. Celui-ci déclare avoir dit toute la vérité, et devant la grande porte de l’église Saint-Etienne, où il I - refuse de le signer. fit à genoux amende honorable. On mit immédiatement Calas à la question ordi­ On arriva enfin à la place Saint-Georges où l’écha­ naire, qui consistait, à Toulouse, dans l’appareil sui­ faud était dressé. Calas fut étendu pour être roué vant. A terre, sur le plancher, étaient placés deux vif : ce qui fut exécuté ; ensuite on l’exposa sur la boutons éloignés l’un de l’autre d’un pied environ. Le roue, la face tournée vers le ciel. Il y resta deux bouton s’attachait aux fers que le patient portait aux heures, après lesquelles il fut étranglé et son corps pieds. De ce bouton partaient de grosses cordes qui jeté dans le bûcher. se roulaient sur un tour à bras. Deux anneaux par­ M. Amblard, dans une lettre écrite le 20 mars à taient aussi des cordes qui venaient saisir les poignets M. de Saint-Priest, nous révèle quelques circonstan­ du supplicié : de cette façon les quatre membres étaient ces de cette mort. «..... Calas a souffert son supplice fixés. Au signal donné, les exécuteurs se mettaient à « avec une fermeté inconcevable. Il ne jeta qu’un l’œuvre : l’un faisait aller le tour, l’autre tenait les « seul cri à chaque coup que l’exécuteur lui donna cordes, un troisième plaçait son pied sur le bouton. « sur l’échafaud. Pendant deux heures qu’il resta Cette question avait pour but d’étirer les membres et « sur la roue, il s’entretint avec le confesseur de aussi de les élever un peu. « choses étrangères à la religion, après avoir déclaré Jean Calas subit cette question ordinaire avec fer­ « que tout ce qu’il pourrait lui dire à ce sujet était meté, et persista dans ses déclarations. « inutile : qu’il voulait mourir protestant. Une des On fit alors approcher du patient le P. Bourges, « jambes qu’on lui avait cassée n’ayant pu être re- docteur royal de l’Université, et le P. Caldaguès, ■< pliée sur la roue, il pria le confesseur d’avertir 9 m PROCÈS DE JEAN CALAS. « l’exécuteur de remonter sur l’échafaud, parce qu’il « sentait des tiraillements qui lui causaient de vives « douleurs; et le confesseur, qui était le professeur « de théologie des Jacobins, lui procura ce soula- « gement. » L’exécution eut lieu le 10 mars 1762, vers les CHAPITRE XVIII. trois heures de l’après-midi, sur la place Saint- Georges.

SORT DES COACCUSÉS DE CALAS. ---- INTERVENTION DE

VOLTAIRE.

Le 20 mars 1762, M. Amblard écrivit à M. de Saint-Priest la lettre suivante : « Les co-accusés de Calas furent jugés avant-hier « (18); il passa in mitiorem à six voix contre sept... « A condamné le fils au bannissement perpétuel. La « mère, la servante et Lavaïsse furent mis hors de « cour. L’avis des sept était à la-mort contre La- « vaïsse, la mère et le fils. » M. Amblard retrace ensuite quelques circonstances de la mort de Jean Calas et continue : « Toute la ville crie contre les six juges qui ont « formé cet arrêt. Ils prétendent qu’ils se sont dé- « terminés à modifier la peine, parce que le sieur « Lavaïsse et Calas fils se sont convertis et ont fait « leur abjuration. » La sentence de bannissement prononcée contre 116 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 117 Pierre Calas ne fut exécutée que pour la forme. Le « père et les miens sur le détail que vous lui avez bourreau conduisit l’exilé hors de la porte Saint- « fait du jugement rendu contre les co-accusés du Michel, et le ramena en ville par une autre porte « sieur Calas. La fermeté dans les souffrances devrait jusqu’au couvent des Dominicains. Il fut reçu à l’en­ « être le partage des gens qui n’ont rien à se repro- trée du monastère par le P. Bourges, qui avait re­ « cher. » (Arch. départ,) cueilli les dernières paroles de son père expirant. Ce fut à la fin de mars que Dominique Audibert, Pierre passa quatre mois aux Dominicains, où il fit négociant marseillais, se rendant de Toulouse à Ge­ son abjuration, sur laquelle on ne devait guère nève, alla voir Voltaire, et lui raconta le procès Calas, compter, car il s’échappa du couvent le 4 juillet et la condamnation et le supplice de cet huguenot. Aux se rendit à Genève auprès de Donat, son frère. Ce yeux d’Audibert, Calas était complètement innocent : + jeune homme avait presque perdu la vue dans sa il persuada Voltaire, qui résolut aussitôt avec sa viva­ prison. cité ordinairejle se mêler de cette affaire. Et le voilà \ MM. Jouve, avocat, et Senovert, beau-frère de écrivant de toutes parts à ses amis et même à ses Lavaïsse, allèrent lui annoncer sorç acquittement : il ennemis, cherchant à intéresser au sort des Calas tomba évanoui. On le plaça dans unè~Clraîséa por­ l’Europe entière, sollicitant pour celte famille les lar­ teurs, et il fut conduit dans sa maison paternelle rue gesses de la duchesse de Saxe-Gotha... La tragédie de Saint-Remésy, au milieu d’une foule immense. Calas, dit-il, lui a fait oublier toutes les autres, même . Quant à Mme Calas et à Jeannette, elles se rendi­ les siennes. Il fit venir aux Délices le jeune Donat rent, à ce que nous croyons, chez quelque ami de Calas, et fut charmé de la naïveté de cet enfant de la famille. quinze ans; il fit écrire à Mme Calas, qui vivait retirée Le 27 mars 1762, M. de Saint-Priest écrivait à près de Montauban. Guidé par sa ruse ordinaire, il fei­ M. Amblard : gnit plus d’une fois d’être convaincu de la culpabilité « J’ai envoyé, Monsieur, à mon père la lettre con- de Calas, afin qu’on ne pût douter de sa conviction « cernant les détails du jugement rendu dans l’affaire sur l’innocence de cet homme. Ses convictions sur « des Calas. Je vous en remercie pour lui et en mon ce point n’étaient cependant pas bien profondes; et « particulier. » certainement il eût renoncé à poursuivre cette affaire Le 50 du même mois, il écrivait encore : s’il n’avait été poussé à marcher en avant par l’avocat « Recevez, Monsieur, les remercîments de mon de Vegobre, le pasteur Moulton, M. et Mmc de La Rive. 118 PROCÈS DE JEANCALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 149 Au mois de juin, apprenant qu’on a enfermé les ces originales, une lettre de Mme Calas à l’avocat de demoiselles Calas dans un couvent, il écrit au comte Vegobre, et une lettre de Donat à sa mère, qu’il avait d’Argental et tourne ses batteries sur Paris. II en­ lui-même composée. Au mois de juillet, parurent un gage la duchesse d’Enville, le duc de Richelieu et le mémoire de Donat Calas et une déclaration de son duc de Villars à s’informer de la vérité auprès du frère Pierre, l’un et l’autre de la composition du phi­ comte de Saint-Florentin, et arrive jusqu’au chan­ losophe. Pierre était arrivé auprès de Voltaire, qui celier de Lamoignon par MM. de Nicolaï et d’Auriac. l’interrogea pendant quatre heures. A la même épo­ Enfin il sait mettre du côté de Calasde duc de Choi- que, Voltaire fit paraître YHistoire d'Elisabeth Can- seul et la marquise de Pompadour, deux -puissants ning et de Jean Calas. Il retint auprès de lui, aux appuis. Délices, Donat et Pierre qu’il montrait à tous les visi­ Cependant Mme Calas vivait toujours retirée dans teurs; il les fit connaître à la duchesse d’Enville, sa solitude avec Jeannette : Voltaire fit persuader à qui accorda des secours à Mm0 Calas et à ses enfants. cette dame quelle devait agir, se rendre à Paris. Il les présenta lui-même au maréchal de Richelieu Cette malheureuse veuve, malgré ses répugnances, et au duc de Villars, qui devinrent ainsi leurs pro­ obéit, quitta sa retraite, et arriva seule à Paris au tecteurs. La duchesse de la Roche-Guyon et le duc mois de juin. Jeannette resta encore en Languedoc. d’Harcourt embrassèrent avec ardeur leur cause. Lavaïsse vint, sous un nom supposé, joindre à Paris Au mois d’août ou septembre, parut le mémoire Madame Calas. Voltaire fit tenir un petit papier à la d’Elie de Beaumont, que Voltaire combla d’éloges. veuve, avec lequel elle devait se présenter chez Bientôt après, parurent ceux de Mariette et de Loy- M. et Mme d’Argental, qu’il appelait ses anges; il la seau de Mauléon : et Voltaire d’applaudir, et presque recommanda activement à d’Alembert et àMc Mariette, tout Paris et Versailles avec lui ! Ces mémoires furent avocat au conseil du roi. C’était devant ce conseil saisis par le présidial de Montpellier, ce qui indigna seul que la sentence du parlement de Toulouse pou­ le philosophe. La requête au conseil du roi fut pré­ vait être cassée. Mme Calas, grâce à Voltaire, put par­ sentée par Me Mariette au commencement de l’année venir jusqu’au chancelier, et par son entremise le 17G3. M. de Chrone, maître des requêtes, fut nommé célèbre avocat Elie de Beaumont se chargea de pour­ rapporteur, et le 1er mars la requête des Calas fut dé- suivre l’affaire. clarée^admissible^JTrois ministres s’étaient déclarés Cet avocat avait déjà publié, sous le titre de Piè­ en faveur~ïïéïTCalas : le contrôleur général de La- <20 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 121 verdy, le ministre des affaires étrangères duc de Pras- En 1767, les juges de Toulouse ne sont plus des lin, et de Choiseul, ministre de la marine, assassins-, il dit à M. Chardon : « Les juges de Calas Il nous est impossible de citer ici tous les passages « pouvaient alléguer quelques faibles et malheureux des écrits de Voltaire où il est question des Calas; « prétextes. » En 1769, il écrit à l’abbé Audra, à on retrouve ce nom dans un très-grand nombre de Toulouse : « J’ai été toujours convaincu qu’il y avait ses lettres. Les injures qu’il jette au parlement de « dans l’affaire des Calas de quoi excuser les juges. Toulouse sont vraiment incroyables, même de la part « Les Calas étaient très-innocents, cela est démon- de Voltaire. Il détestait les parlements ; il aimait la « tré ; mais ils s’étaient contredits. Ils avaient été gloire et la renommée; il se posait de grand cœur en « assez imbéciles pour vouloir sauver d’abord le défenseur officieux de tous les prétendus opprimés. « prétendu honneur de Marc-Antoine leur fils, et Son activité ne connaissait ni repos ni mesure ; il « pour dire qu’il était mort d’apoplexie, lorsqu’il voulait à tout prix qu’on parlât de lui. Sa haine con­ « est évident qu’il s’était défait lui-même. C’est une tre la religion catholique est connue ; pour cela, il « aventure abominable ; mais on ne peut reprocher n’aimait guère plus les protestants, car Voltaire ne « aux juges que d’avoir trop cru aux apparences. » reconnut que deux divinités sur la terre auxquelles En 1775, il écrit à Mme Du Deffand : « Les juges de il sacrifiait tous les jours : .ses talents et son argent. « Calas se sont trompés sur les apparences et sont Croyait-il Calas innocent, le croyait-il coupable ? on « .coupables de bonneifoi^»- n’en sait vraiment rien ! Il est impossible de faire Fiez^üTi57-apfSr^éTa7 à Voltaire ! aucun fonds sur cet homme : en voici une preuve sans réplique. Le 21 janvier 1765, il écrit à Damilaville : « J’envoie à mes frères la copie de la lettre d’une « bonne religieuse (la sœur Fraysse, dont nous par- « lerons bientôt). Je crois cette lettre très-essentielle « à notre affaire. Il me semble que la simplicité, la « vertueuse indulgence de cette nonne de la Visitation « condamne terriblement le fanatisme des assassins en « robe de Toulouse. » Voilà ce qu’il écrivait en 1763, CHAPITRE XIX.

RÉHABILITATION DE CALAS.

Le 7 mars 1763, le conseil d’Etat prononça sur la requêle qui lui avait été présentée la cassation pure et simple de l’arrêt de Toulouse. Le conseil d’Etat était composé de vingt-quatre membres et présidé par le chancelier de France. L’affaire cependant traîna en longueur; elle ne se termina que le 4 juin de l’an­ née suivante (1764), par un arrêt de cassation qui por­ tait : « Le Roi, en son conseil, après avoir cassé pour « vices de forme la sentence des capitouls de Tou- « louse, du 27 octobre 1761, et l’arrêt du parlement « du 9 mars 1762 et celui du 18 mars même année, « a évoqué à soi et son conseil le procès criminel « jugé par les dits arrêts, et icelui, circonstances et « dépendances a renvoyé et renvoie aux sieurs maî- « très des requêtes de l'Hôtel au Souverain. » Dupleix de Bacquencourt fut chargé de la direction de ce dernier procès. 124 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 125 Il se produisit dans le cours de cette dernière ins­ cette cause, sur l’innocence de Calas ! Ce philosophe truction quelques témoignages nouveaux qui ten­ a fait beaucoup de mal à Calas, et bien des gens daient à montrer la probité de Jean Calas et l’éloi­ ont cru à la culpabilité du protestant de Toulouse gnement de Marc-Antoine pour la religion catholique. uniquement parce que Voltaire l’avait défendu, jus­ Elie de Beaumont publia un troisième mémoire; qu’à payer les frais du dernier procès ! Mariette un quatrième, et Gaubert Lavaïsse un se­ La chambre des requêtes rendit donc l’arrêt sui­ cond. La chambre des requêtes qui s’occupa de l’af­ vant : faire Calas était composée de quarante membres. Après six séances de quatre heures chacune et une Les Maîtres des Requêtes ordinaires de l’Hôtel du R o i, juges de huit, l’arrêt fut rendu à l’unanimité le 9 mars souverains en cette partie, tous les quartiers assemblés..... ont 1765, trois ans jour par jour après l’arrêt de mort déchargé et déchargent Anne Rose Cabibel, Jean-Pierre Calas, de Jean Calas. Cette dernière circonstance est digne Alexandre-François Gaubert Lavaïsse et Jeanne Viguière de l’ac­ cusation intentée contre eux; ordonnent que leurs écrous seront de remarque; elle nous montre que la réhabilitation rayés et biffés de tous registres où ils se trouveront inscrits, etc. ; du roué était un parti pris par cette chambre, et déchargent pareillement la mémoire de Jean Calas de l’accusation quelle tenait à cette coïncidence frappante : voilà contre lui intentée, ordonnent que son écrou sera rayé et biffé, pourquoi la dernière séance dura Jiu.it heures^ etc., à quoi faire tous greffiers, concierges et geôliers seront con­ Voltaire prit un grand intérêt à ce dernier procès. traints, même par corps ; comme aussi à inscrire le présent juge­ Voici ce qu’il avait déjà écrit au comte d’Argental : ment en marge des dits écrous. « 11 faut que M. de Beaumont fasse brailler en notre « faveur tout l’ordre des avocats, et que de bouche Quant il est question de Voltaire, le comique se « en bouche on fasse tinter les oreilles du chance- mêle toujours au sérieux. 11 écrivit à d’Argental, dès « lier; qu’on ne lui donne ni repos ni trêve; qu’on qu’il eut appris la nouvelle ; « Un petit Calas était « lui crie toujours : Calas} Calasbll ajoutait ; Ne « avec moi quand je reçus votre lettre, celle de « faudrait-il pas, quand les juges seront nommés, « Mme Calas, celle d’Elie, et de tant d’autres. Nous « les faire solliciter fort et longtemps, soir et matin, « versions des larmes d’attendrissement, le petit Ca- « par leurs amis, leurs parents, leurs confesseurs et « las et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant v« leurs maîtresses? » « que les siens ; nous étouffions mes chers anges. » Voyez comme Voltaire comptait, pour la justice de Quel pantin! Ce fut à peu près à cette époque qu’il 1 2 6 PROCÈS DE JEAN CALAS. fit paraître son traité de la Tolérance, et Court de Gebelin ses Lettres toulousaines. Les Maîtres des Requêtes de l’Hôtel au Souverain ne se contentèrent pas de réhabiliter la mémoire de Calas; ils sollicitèrent la bienfaisance royale en faveur CHAPITRE XX. de cette famille par l’entremise du vice-chancelier Maupeou : et le roi accorda. 50,000 fh jt répartir sur les Calas, à l’exclusion de Louis. La conduite du second parlement de France, celui OPINION DES HABITANTS DE TOULOUSE SUR CALAS. de Toulouse, fut en celte circonstance pleine de gran­ DESTINÉE DE CETTE FAMILLE. deur et de noblesse. 11 n’ignorait pas que les défen­ seurs des Calas voulaient que la famille prit à partie les treize juges de la chambre de la Tournelle : il Le parlement de Paris ne chercha pas à vaincre la garda Tè~sîîence, refusa d’insérer le jugement de noble résistance de celui de Toulouse à ses arrêts, Paris dans ses registres et de biffer l’écrou ; il défen­ et ne se mêla plus de cette affaire. Calas ne fut donc dit d’afficher l’arrêt de réhabilitation, et menaça de pas réhabilité à Toulouse, et la conduite de Voltaire faire imprimer la procédure. Il aurait dû le faire! et celle des Maîtres des Requêtes de Paris ne firent Aussi Voltaire , dont l’habileté était incomparable, qu’augmenter le nombre des adversaires de cette tremblait-il de tous ses membres qu’on ne prît le cause dans la capitale du Languedoc. Personne n’igno­ parlement de Toulouse à partie et recommandait une rait que Calas était très ardent pour sa religion. M. de excessive prudence. Saint-Priest, intendant du Languedoc, dans une de ses dépêches à M. de Saint-Florentin, déclare qu’il était un des plus zélés protestants du royaume; il n’est donc pas étonnant que l’opinion générale ait admis sa culpabilité, surtout si on attribue la mort de Marc- Antoine à un changement projeté de religion. Cette opinion s’est perpétuée et popularisée à Toulouse; et, il faut bien l’avouer, un siècle après l’évènement, elle PROCÈS DE JEAN CALAS. 129 128 PROCÈS DE JEAN CALAS. existe encore dans toute sa force, surtout dans l’es­ décréta que la place St-Georges, où Calas était mort, prit des personnes les plus rapprochées par leur âge porterait son nom et qu’on y élèverait un monument de l’évènement et qui ont vécu avec les contempo­ à sa mémoire. Encore ce décret ne fut-il pas exécuté ! rains, malgré tout ce qu’on a fait aujourd’hui pour Que devint cette malheureuse famille? la détruire. Parvenu nous-même à notre 63e année, Depuis le 13 octobre 1761, jour de la mort de Marc- nous ne sommes ici que l’écho de nos pères qui avaient Antoine , jusqu’à celle de Calas, le 10 mars de 1 année connu Calas et sa famille : ils nous ont toujours af­ suivante, les meubles et marchandises renfermés dans firmé que l’on croyait Calas coupable. C’est un fait la maison qu’habitait la famille furent mis en séques­ que nous devons constater." tre. Après la mort de Calas, la justice et les créanciers Cette culpabilité était cependant diversement ad­ cherchèrent à partager les dépouilles. Il est certain que mise. Les uns prétendaient que Pierre Calas et Gau- beaucoup de valeurs furent enlevées : en sorte qu’il bert Lavaïsse avaient aidé Calas dans l’accomplisse­ fut impossible de constater d’une manière exacte la ment du meurtre; d'autres, qu’il n’avait pas eu de fortune des Calas. Ce qu’on peut affirmer, cest que complices et qu’il l’avait accompli seul; d’autres en­ Mme Calas put rentrer dans sa dot et son douaire, fin, qu’il avait livré ce jeune homme sans défense à Jeannette dans ses gages, et les demoiselles Calas des assassins chargés d’exécuter ses ordres. Quoi dans une certaine somme qui leur appartenait. La fa­ qu’il en soit, presque personne n’admettait l’existence mille se trouvait à Paris dans une position assez cri­ du suicide. Tant que l’ordre exista en France, l’opi­ tique. M. de Carmontelle, lecteur du duc de Chartres, nion générale à Toulouse ne réclama jamais contre voulut bien prêter l’appui de son talent pour la gra­ la résistance du parlement de cette ville aux injonc­ vure en représentant Mme Calas et ses filles, Pierre son tions de celui de Paris ; tout au contraire, cette ré­ fils, Lavaïsse et Jeannette dans l’intérieur de la Con­ sistance fut approuvée et sanctionnée : en sorte qu'à ciergerie de Paris, où la famille s était momentané­ Toulouse l’arrêt de 1765 fut regardé comme non ment rendue prisonnière pendant le procès à la cham­ avenu. C’est un second fait que nous devons con­ bre des requêtes. Cette gravure aurait procuré quelques stater. ressources à la famille si, par ordre supérieur, la pu­ Veut-on connaître l’époque de la réhabilitation de blication n’en avait pas été arrêtée. En la recevant, Calas à Toulouse? Ce fut au milieu de la Révolution Voltaire la baisa plusieurs fois et la plaça auprès de française de 93, lorsque la municipalité de cette ville son lit. 10 430 PROCÈS DE JEAN CA1AS. Mme Calas vivait toujours à Paris avec ses filles et la bonne Jeannette. Donat et Pierre se fixèrent à Ge­ nève, dont ils furent reçus bourgeois en 1770. Deux ans après, Pierre se maria. Mme Calas, accompagnée de Gaubert Lavaïsse, se rendit à Ferney pour voir Voltaire. Le philosophe touchait au terme de sa car­ CHAPITRE XXL rière. Le Moniteur nous apprend que, l’orsqu’en 1791 on transporta de l’abbaye de Sellières au Pan­ théon les cendres de Voltaire, Mmc Calas et ses filles DAVID DE BEAUDRIGUE ET LA SŒUR FRAÏSSE. prirent place dans le cortège à côté de Mme de Vil- lette, belle et bonne. Elle mourut bientôt après, à l’âge de 82 ans. Ses deux fils Donat et Pierre l’a­ Ces deux personnages ont joué un certain rôle vaient précédée dans la tombe. L’une des filles, dans l’affaire Calas : le premier commença la procé­ Anne-Rose, ne se maria point, et mourut avant sa dure devant les capitouls; le second, religieuse de la sœur; Nanette épousa le pasteur Duvoisin, devint Visitation à Toulouse, entretint une correspondance veuve et mourut en 1820; Louis passa en Angle­ suivie avec Nanette Calas. Les défenseurs de cet terre. Nous ignorons l’année et le lieu de sa mort. homme ont traîné aux gémonies David de Beaudri- Gaubert Lavaïsse entra dans le commerce, et mou­ gue, et exalté jusqu’aux nues la sœur Fraïsse. 11 im­ rut à Lorient en 1786. On est porté à croire que porte de rétablir la renommée de l’un, et de placer Jeannette, la vieille servante, mourut avant ses maî­ l’autre sous son véritable jour. tresses. François-Raymond-David de Beaudrigue, écuyer, devint pour la première fois capitoul titulaire en 1747. Il fut réélu aux années 1748-49-50-51-55-59- 60 et 61, époque de l’évènement. Après le jugement de Calas, il garda le capitoulat en 1762-63-64 et 65. C’est déjà un préjugé favorable à M. de Beaudrigue que d’avoir été tant de fois élu : c’était un homme plein d’intelligence et d’une incroyable activité. Se 132 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 133 trouvant partout où l’appelaient les devoirs de sa M. de Beaudrigue eût visité toute la maison depuis charge, il devint la terreur de tous les ennemis de les caves jusqu’aux combles: peut-être cette visite eût- l’ordre, des malfaiteurs, et surtout des joueurs, qu’il elle donné quelque indice! Pour un homme aussi in­ surprenait dans des maisons de jeux clandestins. telligent et aussi actif, c’est un oubli impardonnable. Le 13 octobre 17G1, il fut averti à onze heures et Le 18 octobre 1761, le capitoul écrivit à M. de Saint- demie du soir, par les sieurs Bonnel et Rudelle, qu’un Florentin, en lui envoyant son procès-verbal. Il dit au attroupement considérable stationnait devant la mai­ ministre : « Je suis cette procédure avec vigueur, et son qu’habitait le sieur Calas, rue des Filatiers. 11 « je ne perds pas un moment pour y donner toutes n’arriva au lieu indiqué qu’après minuit. A la pre­ « les suites qu’exige une affaire de pareille nature... mière vue du cadavre, il jugea que cet individu n’était « Mon expérience ne m’a pas laissé douter de pro- pas mort de mort naturelle, mais de mort violente. « céder ainsi que je l’ai fait. » Peut-on encore blâmer Une pensée soudaine vint frapper l’esprit de l’habile M. de Beaudrigue de poursuivre avec vigueur une capitoul. Ses informations lui ayant donné la pleine affaire aussi importante, et de justifier sa conduite par certitude que deux heures et demie environ s’étaient sa longue expérience? écoulées depuis qu’on prétendait avoir trouvé le corps Dès qu’on eut appris dans la ville et aux environs étendu dans le magasin et sans avoir prévenu la jus­ la mort de Marc-Antoine, la connaissance qu’on avait, tice ; que pendant ce temps la famille était demeurée d’un côté, du zèle de Calas père pour la réforme, et seule et avait pu organiser des moyens de défense, de l’autre la persuasion où l’on était que l’aîné de il crut que cet inexplicable délai cachait quelque ses enfants voulait suivre les traces de son frère mystère; disons-le, il crut dès-lors à la culpabilité Louis, formèrent l’opinion générale contre les mem­ des Calas. Faut-il le blâmer si cet éclair vint subi­ bres de cette famille. C’est ce qu’exprimait M. de tement illuminer son esprit? Saint-Priest, intendant du Languedoc, quand il écri­ L’ordre qu’il donna de conduire au Capitole ceux vait à M. de Saint-Florentin, le 23 octobre 1763 : qui composaient alors la famille, était dicté par la pru­ « On prétend qu’il résulte, des interrogatoires des dence. Son procès-verbal, première pièce de cette « accusés, des faits et contradictions qui fortifient longue procédure, entre dans les détails les plus cir­ « les soupçons du public; et on pense que c’est Ca- constanciés; seulement il eût été à désirer qu’avant « las père et son autre fils qui ont étranglé ce jeune d’enlever le cadavre, avant de faire sortir la famille, « homme. La procédure fournil jusqu’à présent, à 1 3 4 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 1 3 5 « ce qu’on m’assure, des indices irès-violents contre à l’opinion de M. Boyer, qui prévalut (1). Le len­ « e u x..... Les capitouls ont pris les précautions con- demain de ce premier jugement, M. de Beaudri­ « venables. » gue écrivit à M. de Saint-Florentin : « L’affaire dont Ce qui engagea surtout ces magistrats à redoubler « j’avais eu l’honneur de vous envoyer le verbal con- d’activité et de vigilance, ce fut l’arrivée simultanée « tre les nommés Calas a été jugée hier à l’hôlel-de- à Toulouse d’un très-grand nombre de protestants « ville, et y a passé in mitiorem à ce que les accusés que l’on croyait avoir quelque rapport avec l’évène­ « seront appliqués a la question ordinaire et extraor- ment tragique du 13 octobre. « dinaire. L’accusation d’un crime de cette espèce Nous trouvons aux archives un document remar­ « exigeait un jugement plus rigoureux, tant par ce quable en faveur de David de Beaudrigue. Le 31 « qu’il résulte des preuves de cette procédure, que octobre, M. de Saint-Florentin lui écrivait : « J’ai « par l’intérêt public qui demandait un exemple. « reçu la lettre et les pièces que vous m’avez adres- « Mon avis n’a pas été suivi ; mais il me reste l’es- « sées concernant le meurtre qui paraît avoir été « pérance que le parlement qui va les juger de suite « commis en la personne du sieur Calas fils. Je ne « corrigera cette sentence, et par là le public se « peux que louer l’activité avec laquelle vous avez « trouvera satisfait et le crime ne restera pas im- « travaillé à constater ce délit et à faire arrêter les « p u n i..... Quoique mes confrères n’aient pas secondé « parents de ce jeune homme, qui semblent être « mon zèle dans cette affaire, néanmoins j’ose vous « coupables. Vous me ferez plaisir de m’informer « assurer que cela ne diminuera en rien mon acti- « des suites de cette affaire, qui mérite une attention « vité à contenir le bon ordre, et à mériter, s’il est « singulière de votre part. » « possible, par tous mes soins votre puissante pro- Le 18 novembre, les capitouls rendirent leur sen­ « tection. » tence. David de Beaudrigue, cédant à sa conviction L’espérance que manifeste ici l’auteur de la lettre profonde de la culpabilité des prévenus, vola pour n’a pas seulement pour objet la condamnation de que Calas, son üls et sa mère fussent pendus, La- ceux qu’il croit coupables, mais surtout le désir qu’il vaïsse envoyé aux galères, et la servante détenue éprouve que le crime ne reste pas'impuni. pour cinq ans. De tous les capitouls et assesseurs, David évidemment fut le plus sévère. Nous devons ( 1 ) M. Boyer était mon grand-oncle, frère’ de ma grand’mère mater­ nelle, et père de M. Boyer, mort à Pari» président de la cour de cassa­ constater ici^que David de Beaudrigue se rangea tion et pair de France. 436 PROCÈS DE JEAN CALAS. PKOCÈS DE JEAN CALAS 437 Le 10 mars, David de Beaudrigue écrivit à M. de « trait de la procédure, et que l’original avait tou- Saint-Florentin pour lui annoncer la condamnation « jours été en mon pouvoir, je crus qu’il convenait de Calas. Il se contente d’exposer simplement les « d’en porter plainte à la chambre Tournelle ; et en faits, et on ne trouve dans cette lettre, qui est très- « conséquence, trois de mes confrères et moi fûmes courte, aucune expression qui témoigne des senti­ « à la chambre Tournelle porter notre plainte ver- ments qu’il peut éprouver en voyant son opinion « baie, sur laquelle il est intervenu arrêt qui con- adoptée par le parlement. Le 20 mars, M. de Saint- « damne ce procureur à trois mois d’interdiction, et Florentin répondit au capitoul pour le remercier de « ordonne qu’il se rendra devers le greffe criminel la communication qu’il lui avait faite, et l’engager à « du parlement, où, en présence d’un commissaire continuer de lui écrire. « à ce député, il déclarera que malicieusement et Le 27 mars, M. de Beaudrigue écrivit de nouveau « inconsidérément il s’est porté à présenter une pa- à M. de Saint-Florentin : « J’ai l’honneur de vous « reille requête contre la juridiction de messieurs les « informer de l’arrêt qui a été rendu contre les au- « capitouls dont il se repent et demande pardon ; et « très accusés Calas. Le fds a été condamné au ban- « en conséquence, que la requête sera biffée et la- « nissement hors du royaume; la femme Calas, La- « cérée. » « vaïsse et la servante ont été mis hors de cour. « Ce procureur, nommé Duroux, doit se pourvoir « Cet arrêt n’a pas laissé que de surprendre tout « au conseil en cassation du dit arrêt. Si cela arri- « le monde, qui s’attendait à quelque chose de plus. « vait, permettez-moi, monseigneur, de vous deman- « Le procureur de Calas donna une requête pendant « der votre puissante protection. Je tâcherai de la « qu’on examinait le procès, dans laquelle il deman- « mériter par mon zèle et mon attention à exécuter « dait de s’inscrire en faux contre la procédure. Il « dans toutes les occasions vos ordres. » « disait que l’extrait était infidèle, en ce qu’on avait Nous voyons par cette lettre que le parlement se « ajouté un mot décisif. Cette requête fut rejetée servit, pour juger Calas, de la procédure des capi­ « parce qu’elle n’était pas suivie d’une procuration touls qu’il reconnut très-valable, et les mêmes dépo­ « de la partie. sitions figurèrent dans les deux procès. Devant le « Cependant monsieur le rapporteur vint vérifier parlement, quelques témoins, en très-petit nombre, « le fait, qu’il trouva bien en règle; et comme cette modifièrent leurs dépositions en ce sens qu’ils n'a­ « calomnie retombait sur moi, qui avais visé l’ex- vaient pas dit telle ou telle chose, mais qu’ils l’avaient 1 3 0 138 PROCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. entendu dire. Ces dépositions ont trait aux cris partis « capitoul (David de Beaudrigue) le porte à vouloir de la maison Calas, à la prétendue conversion de Marc- « s’emparer de toute l’autorité au préjudice de ses Antoine au catholicisme, aux menaces qu’on avait fai­ « confrères : je lui écris pour lui en marquer tout tes à ce jeune homme au sein de sa famille, et à quel­ « mon mécontentement. » ques autres circonstances insignifiantes. Nous trouvons, à la même date, une lettre du mi­ Quoique M. de Saint-Florentin se montrât toujours nistre au capitoul dans laquelle il s’exprime ainsi : hostile aux protestants, nous croyons cependant qu’il « 11 me revient depuis assez longtemps des plain- fut influencé en faveur de l’affaire Calas par la lettre « tes contre vous. Je sais qu’elles £ont fondées; que suivante de Voltaire. « vous affectez en toute occasion sur les autres capi- « On me conjure de prendre la liberté de vous « touls une supériorité que vous n’avez point, et que « adresser ces pièces, et je la prends. Je vous sup- « vous cherchez à vous emparer d’une autorité qui « plie d’excuser l’attendrissement qui me force à vous « vous est commune avec eux. » 11 lui reproche en­ « importuner. Je crois l’innocence des Calas démon- suite un fait relatif à un enseigne du guet. 11 faut con­ « trée, et j’ose vous dire que plus d'une nation vous venir que ce fait avait bien peu d’importance! M. de « bénira si vous daignez protéger une famille mal- Saint-Florentin ignorait peut-être que M. de Beaudri­ « heureuse, et la plus vertueuse mère réduite à gue avait obtenu en 1752 un arrêt du Conseil qui « l’état le plus horrible. » (1762.) l’autorisait à remplir les fonctions du capitoulat en 11 était bien difficile que le comte de Saint-Floren­ l’absence de ses collègues : arrêt qui excita la jalou­ tin (Philippeanx) résistât à ces adroites flatteries. sie de tout le consistoire, et qui ne fut enregistré ni Pendant qu’à Paris l’affaire Calas prenait une tour­ au sénéchal ni au parlement. nure favorable, les défenseurs de ce protestant à Quoi qu’il en soit, malgré les instances de M. de Toulouse ne perdaient point leur temps; et comme Bonrepos auprès du ministre, David de Beaudrigue ils redoutaient beaucoup l’activité et la haute intelli­ fut destitué en 1765, et M. de Saint-Florentin écrivit gence de M. de Beaudrigue, ils parvinrent à le faire à cette occasion au procureur-général une lettre très- destituer du capitoulat par le Roi. M. de Saint-Flo­ sévère contre ce capitoul. rentin, écrivant à M. de Saint-Priest le 25 octobre Nous avouons sans peine que le capitoul avait une 1764, lui dit : « Il y a longtemps que je m’aperçois grande confiance en son activité et en son expérience; « qu’en général le caractère trop entreprenant de ce mais au moins cette confiance avait-elle quelque fou- 140 PUOCÈS DE JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 141 dement. Les défenseurs de Calas affirment, sur la foi « dit la tête, et se jeta par la fenêtre. Mais on m’a assuré que du journal les Affiches de province, qu’à la fin de sa « M. David est mort parfaitement sain d’esprit. carrière, de Beaudrigue fut frappé d’aliénation men­ « Recevez, Monsieur, l’assurance, etc. tale, et se tua en se jetant par une fenêtre à Saint- « A. C. D. » Papoul où il s’était retiré. « Cette hideuse fin, ajoute « M. Coquerel, est à la fois un châtiment et en quel- D’après cette lettre, ce n’est point M. David qui, « que mesure une réhabilitation morale, si, comme après avoir perdu la tête, s’est jeté par la fenêtre à « nous voulons leTcroire, ses remords lui servirent Saint-Papoul, mais une dame de .cette famille. Cette « de bourreau. » (J. Cal., p. 506.) dame, quelle est-elle? Il y a eu évidemment confu­ Malheureusement pour M. le ministre du saint sion de personnes dans les renseignements donnés. Evangile, tous les faits avancés sur la fin de David de Ce n’est pas la mère du capitoul, mais sa femme, Beaudrigue sont complètement faux. Nous avons dû qui a été frappée d’aliénation mentale, et c’est à cause prendre des renseignements à Saint-Papoul sur ces de son petit-fds, M. David d’Escalone, qui fut guillo­ étranges assertions, et voici ce que nous a répondu tiné à Toulouse, et qui était conséquemment le petit- un haut personnage de cette ville : fils aussi du capitoul de Beaudrigue. Il est donc maintenant acquis que la catastrophe de Saint-Papoul « Saint-Papoul, le 10 février 1863. n’a trait que d’une manière très-indirecte à ce gen­

« Monsieur le Chanoine, tilhomme, sur le compte duquel on a débité toutes ces fables. « Je me suis empressé de recueillir les renseignements que Nous dirons peu de choses sur la sœur Anne- « vous me demandez concernant M. David de Beaudrigue. Je rte « puis m’expliquer les sources où a puisé M. Coquerel pour faire Julie Fraïsse, religieuse de la Visitation à Toulouse, « une arme de ce fait, qui me paraît controuvé, contre les ca- qui pendant quelque temps entretint une correspon­ « tholiques. dance active avec Nanette Calas. Cette fille de Jean « J’ai consulté une famille de Saint-Papoul dont un ancêtre a Calas avait été enfermée à la Visitation de Toulouse. « passé vingt-cinq ans au service de la famille de M. David, et Sa jolie figure, ses manières douces et prévenantes « voici ce qu’on a retenu par tradition de famille : lui attirèrent l’affection de toutes les religieuses. Elle « M. le capitoul David est mort, non à Saint-Papoul, mais « bien à Toulouse. Sa grand’mère, ayant appris que les hommes fut confiée à la Mère Anne-Julie. M11* de Fraïsse « de la Terreur le cherchaient pour le conduire à l’échafaud, per- était née à Carcassonne en i700, d’une famille dis­ PROCÈS DE JEAN CAIAS. 143 142 PROCÈS DE JEAN CALAS. tinguée. Elle entra très-jeune chez les Visitandines, ainsi perdu son temps à poursuivre une conversion et s’y fit remarquer par sa piété, sa parfaite régula­ que Nanette était bien éloignée de réaliser puisqu’elle rité et l'aménité de son caractère. Ame aimante et épousa bravement le pasteur Duvoisin, et anéantit expansive, la sœur Anne-Julie s’attacha vivement a ainsi toutes les espérances d’Anne-Julie. Cette bonne Nanette Calas. 11 ne fut pas difficile a cette jeune fille visitandine mourut à Toulouse, le 11 mars 1777, de persuader l’innocence de son père à toute la mai­ âgée de soixante-dix-sept ans, après soixante ans son et surtout à sa bonne protectrice, qui, avec la de profession. Sa vie a été imprimée, et se trouve meilleure foi du monde, admit tout ce que lui disait dans les archives du monastère actuel de la Visita­ l’aimable captive. Celle-ci, du reste, pouvait être de tion de Toulouse. bonne foi elle-m êm e. Anne-Julie avait de grandes alliances; elle était belle-sœur de M. de Berthier, et cousine germaine de M. üauriac, président du grand conseil et gendre du chancelier de Lamoignon. Ses lettres sont écrites avec une certaine facilité de style qui ne manque pas de charme. On voit dans cette correspondance que notre bonne visitandine allait souvent au parloir, et recevait un grand nombre de visites. Il y a dans ses lettres une infinité de détails que peut expliquer son excessive tendresse pour Nanette, mais que sa piété aurait désavoués, si elle eût pu prévoir que ces let­ tres confidentielles dûssent voir le jour, grâce à l’in­ discrète complaisance d un ministre du saint Evangile. On a voulu tirer de toutes ces lettres une preuve en faveur de l’innocence de Calas. 11 est assui ément très-possible que la sœur Anne-Julie ne lait point cru coupable : cela prouve-t-il qu il ne le fût réelle­ ment pas? On plaint cette bonne religieuse d’avoir CHAPITRE XXII.

APPRÉCIATION IMPARTIALE DE l ’a RRÊT DU PARLEMENT DE

TOULOUSE CONTRE CALAS.

Les juges de Calas partirent de ce point, qui est à nos yeux incontestable d’après la procédure : c’est que Marc-Antoine n e s’é t a it p a s s u ic id é et qu'il était mort par strangulation. L’évènement s’était accompli dans la maison paternelle, au sein des plus profon­ des ténèbres, et cette maison ne renfermait alors que trois membres de la famille, une servante et un jeune étranger. Etait-ce ce jeune homme qui pouvait être l’auteur du crime? Nous ne le croyons pas, quoique son arrivée de Bordeaux à Toulouse et sa conduite dans la journée de l’évènement pussent jeter sur lui quelques soupçons. Etait-ce la servante ? Encore moins. Restent les trois membres de la famille. Ma­ dame Calas a-t-elle été auteur ou complice de ce meurtre? Rien ne l’accuse dans la procédure. Jean- Pierre peut-il être regardé comme l’assassin? Nous il i'UOCÈS DE JEAN CALAS. 147 146 PROCÈS DE JEAN CALAS. avouons que, dans les pièces qui sont toutes passées ce qui regarde Marc-Antoine, les autres membres de sous nos yeux, nous n'avons trouvé aucun indice vrai­ la famille, le souper et ses circonstances, la présence ment accusateur contre ce jeune homme. de Marc-Antoine dans le magasin, la descente opérée Mais avant d’en venir à Calas le père, ne pourrait- par Jean-Pierre et Lavaïsse, et celle de Jean Calas, la on pas supposer que des émissaires étrangers ont description du prétendu suicide, la position dans la­ commis cet odieux forfait? La procédure n’exclut pas quelle le cadavre a été trouvé, tous ces faits si impor­ cette supposition; nous allons même plus loin, on tants ne sont attestés que par des témoins intéressés dirait qu’elle la favorise : car elle nous montre cette à cacher le crime, et qui pendant deux heures entiè­ maison complètement à la disposition de Calas le res ont été placés sous l’influence de Jean Calas et père, et renfermant de vastes caves; elle nous ap­ ont dû nécessairement la subir. prend que la porte extérieure n’a pas été fermée au 11 ne faut pas que les défenseurs de Calas se dissi­ verrou, et que cette porte pouvait être facilement mulent à eux-mêmes la haute portée d’un fait capital ouverte sans clé pour aller de l’intérieur au dehors. révélé par la procédure : c’est qu’avant l’arrivée du Toutefois, si des étrangers avaient commis ce meur­ capitoul David de Beaudrigue, qui instrumenta le pre­ tre, il faut nécessairement admettre qu’ils ont été mier, il y avait eu dans l’appartement de Jean Calas, introduits et dirigés par Calas. Cet homme est-il le pendant que le cadavre de Marc-Antoine avait été véritable auteur de l’assassinat? Nous sommes forcés laissé étendu sur le dos dans l’intérieur du magasin, de dire que la procédure l’accuse, et qu’il n’est pas une réunion secrète des membres de la famille, réu­ moins accusé par la correspondance administrative. nion qui dura plus de deux heures. Que dans cette C’est ce que nous allons démontrer en résumant assemblée il ne fut nullement question d’avertir l’au­ l’une et l’autre. torité; mais que Calas le père s’occupa des moyens à Commençons par la procédure. prendre et du système à former pour éloigner toute Le dernier témoin étranger à la famille qu’ait ren­ idée de crime de sa part et de celui de sa famille. contré Marc-Antoine dans la fatale journée du 13, est Ce fait ne saurait être contesté. Jean Bertrand, qui affirme l’avoir vu vers les six heu­ La procédure nous apprend que Calas voulut d’a­ res du soir très-calme. Depuis ce moment jusqu’à dix bord éloigner toute idée de suicide, dans l’intérêt, heures et demie du soir environ, heure à laquelle les dit-il, ainsi que les autres témoins, de l’honneur de cris partis de la maison Calas se firent entendre, tout sa famille. Il s’efforça d’expliquer la nécessité de ce 148 l’ROCÈS 1)E JEAN CALAS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 149 système à sa femme, à Pierre son fils, à Gaubert La- commis par le principal accusé, mensonge qu’il est vaïsse et à Jeannette. Ils vont donc tous soutenir impossible d’expliquer par un autre motif que celui devant la justice que Marc-Antoine ne s’est pas sui­ de ces tristes incertitudes et ces inexplicables embar­ cidé, et qu’ils l’ont trouvé étendu mort dans le ma­ ras qui sont les suites naturelles de la perpétration gasin. d’un crime. Quel est, en effet, l’homme assez dé­ Si Marc-Antoine ne s’est pas suicidé, il y a donc eu pourvu de sens pour admettre que Calas a d’abord un ou plusieurs assassins? S’il y a eu des assassins, caché le suicide par respect pour sa famille? il faut, de deux choses l’une : ou qu’ils soient venus Nous arrivons à deux faits que la procédure nous du dehors, ou qu’ils se soient trouvés dans la mai­ révèle, et qui, rapprochés l’un de l’autre, ont une son. Or, il est impossible d’admettre qu’ils soient immense gravité. Il est certain 1° qu’après le souper venus du dehors sans admettre en même temps qu’ils de famille, Marc-Antoine prit la clé du magasin et ont été appelés par quelque membre de la famille. descendit, et que Calas s’aperçut de la sortie de son Donc la perpétration du crime tombe directement fils, la clé que ce jeune homme avait prise lui indi­ sur quelque membre de la famille. Comment Calas quant la pièce de la maison où il s’était rendu. 2° Il n’a-t-il pas compris qu’il y avait un bien moindre est certain que, pendant que Marc-Antoine était dans déshonneur à compter un suicidé dans sa famille que le magasin, Calas quitta l’appartement de sa femme d’y rencontrer un assassin? pour se rendre, dit-il, aux lieux d’aisance (celte der­ La procédure nous apprend que Calas, averti du nière indication de lieu n’est basée que sur sa seule danger qu’il y avait pour lui à écarter le suicide, déclaration); et qu’en supposant qu’il se soit rendu à changea complètement de système, avoua qu’il avait la garde-robe, on pouvait, par le moyen de la gale­ menti en affirmant avoir trouvé le corps de son fils rie extérieure, descendre au rez-de-chaussée sans à terre, et déclara que ce jeune homme s’était vrai­ passer de nouveau par l’intérieur de l’appartement. ment suicidé en se pendant aux deux battants de la Il a donc pu très-facilement se rendre auprès de son porte intérieure qui séparait la boutique du magasin. fils dans le magasin, sans éveiller le moindre soup­ Les prévenus Pierre et Lavaïsse, avertis à temps du çon. Ces deux faits sont acquis à la procédure. changement de système, firent une déclaration iden­ Cette procédure nous révèle encore un autre fait tique. Ainsi cette longue procédure commence par accablant pour Calas; il est consigné dans l’un de ses consigner un mensonge de la plus haute gravité interrogatoires cité plus haut. Il déclare formellement ISO PROCÈS DE JEAN CAI.AS. PROCÈS DE JEAN CALAS. 451 qu’étant entré dans la boutique, il vit le corps de son avaient fait craindre à Calas qu’il ne fût un jour réa­ fils pendu par une corde à un billot placé sur les lisé. Ce n’était pas la conversion de son fils qui le deux battants de la porte intérieure, et qu'alorsil prit préoccupait : c’étaient les suites de celte conversion seul le cadavre de son fils à bras-le-corps et le des­ absolument possible, l’obligation où il allait être de cendit à terre. S’il a pu, seul, descendre à terre le payer encore une pension à son fils aîné. Ajoutez à corps de son fils, il a donc pu, seul, le placer, par le cela les exigences toujours renouvelées de ce jeune moyen de la corde et du billot, sur les battants de la homme auprès de son père, et alors vous compren­ porte. drez un moment d’exaltation fébrile et les voies de Nous sommes ainsi conduit par la procédure à fait qui ont amené la mort. admettre que Calas a .subitement étranglé son fijs« et Nous n’admettons pas que Calas ait pu seul pendre qu’après l’avoir étranglé il a placé seul ce corps en­ son fils vivant; mais nous admettons qu’il a pu étran­ core flexible sur les ballants de la porte, afin de bien gler subitement son fils en se précipitant sur lui et le établir le suicide qu’il avait d’abord écarté. bâillonnant, qu’il a pu ensuite suspendre seul ce corps Passons maintenant à la correspondance adminis­ inanimé aux battants d’une porte intérieure. Nous trative. prétendons que, d’un côté, la correspondance admi­ Celte correspondance nous apprend que Calas avait nistrative indique les motifs de ce forfait, et que, de été vivement contrarié de la conversion de son fils l’autre, la perpétration résulte des faits révélés par Louis au catholicisme; qu’il refusait constamment de la procédure. lui payer la pension, et qu’il fallut un ordre exprès du Roi pour qu’il s’exécutât sur ce point. Nous sa­ vons, par cette correspondance, que Calas était un homme très-dur, très près de ses intérêts, refusant à son fils Marc-Antoine de l’associer à son commerce ou de lui livrer des fonds pour pouvoir s’établir ailleurs. Nous n’avons jamais cru au projet qu’aurait eu Marc-Antoine d’abjurer sa religion ; mais il est certain que des propos jetés en l’air, des démarches plus ou moins concluantes en faveur de ce projet, TABLE DES MATIÈRES.

Pages. Préface ...... i Chap. Ier Famille Calas...... 1 — II. Maison de Calas à Toulouse...... 5 — III. Enquête administrative sur Jean Calas. . . 9 — IV. Conduite de Jean Calas à l’égard de son fils Louis. Dépositions sur des faits anté­ rieurs à l’évènement...... 17 — V. Marc-Antoine a-t-il réellement voulu se faire catholique?...... 21 — VI. Y a-t-il eu complot dans la famille Calas contre la vie de Mare-Antoine...... 31 — VII. Des menaces faites à Marc-Antoine par son père...... 41 — VIII. Marc-Antoine dans la journée du 13 octo­ bre 1760. Souper de la famille...... 45 — IX. Après souper...... 49 — X. Les prévenus en présence du cadavre de Marc-Antoine...... 53 — XI. Nouvelles contradictions des prévenus. . . 59 — XII. Marc-Antoine s’est-il suicidé? ...... 63 1 5 4 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Chap. XIII. Terrible présomption contre Jean Calas. . 73 1 — XIV. Le système de défense adopté par Jean Calas tend à prouver saculpabilité. . . 79 — X V . Autopsie du cadavre. — Monitoire. — Fu­ nérailles...... 91 — X V I. Sentence des capitouls. — Appel du procu­ reur du roi et des accusés. — L ’affaire au parlement...... 99 — XVII. Condamnation et mort de Jean Calas. . . . 109 — XVIII. Sort des coaccusés de Calas. — Intervention de Voltaire...... 115 — XIX. Réhabilitation de Calas...... 123 — X X . Opinion des habitants de Toulouse sur Calas. Destinée de cette famille...... 127 — X X L David de Beaudrigue et la sœur Fraïsse. . 131 1 — XXII. Appréciation impartiale de l’arrêt du parle­ ment de Toulouse contre Calas...... 145

FIN DE LA TABLE ______

ON TROUVE A LA MÊME LIBRAIRIE.

Histoire générale de l’Eglise de Toulouse, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, par l'abbé Salvan ; 4 vol. in-8"...... 25 fr. Histoire de la Bienheureuse Germaine de Bibrac, par le même; 1 vol. in-12, 3° édition illustrée. 2 fr. 50. Ee Comte de Ulontbcl, notice historique, biographique et nécrologique, par A.P cjol, rédacteur en chef du Journal de Toulouse; forte brochure in-8"...... - 1 fr. Èe St. I*. II. H. Eaeordaire, notice historique, biogra­ phique et nécrologique; forte brochure in-S,J, par le morne. 1 fr. 25. Guide des étrangers dans Touloesse et ses environs , 4° édition augmentée d’un plan et d’une vue de la ville...... 2 fr. Dlah itinéraire de la ville de Toulouse, dressé par M. Bellot,' ingénieur en chef du cadastle*, sür .une feuille grand colombier...... 1 fr- Drécis historique de la bataille de Touhnise, par le chevalier A. du Mège , avec un plan de la bataille dressé par M. Bellot; 1 vol.in-12 ...... ? fr. De l’Obligation naturelle en droit romain et en droit français, par M. Massol (de il.), professeur à la faculté de droit de Toulouse; 2° édition, 1 vol. grand in-8".>■ . ' . . . . 6 fr. Elore analytique de Toulouse et de s e s envi­ rons, par le docteur J. B. J. Noulet, professeur d’agriculture et de l’Ecole de médecine; 2° édition, 1 vol. in-12. . . 2 fr. 50. Traité d’arithmétique, par F. V. G. Alexandre, 1 vol. in-8"...... fr- Traité des approximations, par F. V. G. Alexandre, brochure in-12...... 50 c. Eas Espigos de la Lengo moundino, par i estrepain, 1 vol. in-8° illustré...... 4 fr. Calqués Bers d’uno muso gascouito, par le comte de Narbonne-Lara, brochure in-12...... 50 c. Ees Eaux, des Pyrénées, par Antoine Sans; brochure i n - 1 2 ...... ® L

Toulouse, lmp. V ig u i e r , rue des Chapeliers, 13.