SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DU MONASTÈRE DE PROUILLE Author(s): Jean Guiraud Source: Revue Historique, T. 64, Fasc. 2 (1897), pp. 225-257 Published by: Presses Universitaires de Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40940899 . Accessed: 30/06/2014 08:13

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ET LA FONDATIONDUMONASTÈRE DE PROUILLE

i.

Fondationdu monastèrede Pr ouille.

Une des particularitésde l'hérésiealbigeoise, c'est qu'elle essaya de se développerpar l'apostolatdes femmes.Le diacre cathare,Isarn de Castres,parcourait, vers 1205, les environsde ,tenait des assembléesde Croyantset soumettait les femmesaux ritesmystérieux du Consolamentum,qui avi- vaientleur zèle en surexcitantleur imagination. C'est ainsi qu'il endoctrinaErmengarde, fille de PierreBoyer1. A , GuillelmaMartina, veuve de GuillaumeLombard, prêtait sa maisonaux réunionsdes hérétiqueset servaitd'intermédiaire entreeux et les tisserandsdu pays2. Cavaers, châtelainedu mêmebourg, resta pendant longtemps l'une des ferventes adeptes de la secte,et ce futsans doute pour le faireoublier qu'elle fit, dansla suite,d'importantes largesses à Prouille3.La familledes Durfortétait l'une des plus richeset desplus influentes du Lau- raguais;or, les hérétiquesn'avaient pas, dansla région,de plus fermessoutiens que les femmesqui en faisaientpartie. Dans une grandeassemblée, tenue, en 1204,à Fanjeaux,l'évêque cathare, Guilabertde Castres,avait donnéle Consolamentumà dame

1. Bibliothèquede , ms. 609. Enquête de Bernardde Caux, fol. 20. 2. Ibid., fol. 160. à. K. F. Baime,uartuiaire ou nistotrediplomatique ae saint Dominique, p. 139. Rev. Histor. LXIV. 2e fasc. 15

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1. Balme, op. cit., p. IOS. 2. Bibliothèque nationale,lat. 11013. Registredes enquêteursroyaux de la sénéchausséede en 1260. Fol. 22 : f Contrapetitionem Adalaicis, uxoris quondam Rogerii de Durofortiqui vocatur Badaonus, dixit se vidisse dictumBadaonum faiditumtempore comitis Montisfortis,in guerravicecomi- tis... » Fol. 54 v° : « Contra petitionemVeziade uxoris quondam Sicardi de Duroforti,dixit se vidisse dictum Sicardum faiditum in guerracomitis Mon- tisfortis...» Fol. 65 : « Contrapetitionem domine Adalaiscis,uxoris quondam Rogerii de Duroforti,qui vocabatur Vadaonus de Laurano, dixit se vidisse Petrum de Tribus malis, fratremdicte Adalaiscis,faiditum in guerra viceco- mitis. » 3. Balme, op. cit., p. 108. 4. Ibid., p. 182. V W^ • ■ ■ m « d MM /' M A. 4k M M ^V ö. moi. nat.,lat. nuis, toi. lu.

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1. Balme, op. cit., p. 132. 2. Quétifet Échard, Scriptores ordinis Praedicatorum, t. I, p. 6. - • Jour- dain de Saxe : « Ad susceptionemautem quarumdamfoeminarum nobilium, quas parentesearum, rationepauper tati s erudiendas et nutriendas,tradebant haereticis...» - Humbert de Romans : « Erant in Ulis locis nobiles quidam qui, egestatecompulsi, filias suas tradebanthaereticis nutriendas et erudiendas, imo reveraerroribus pestiferis eludendas. » 3. Bibl. de Toulouse, ms. 609, fol. 143 : « Saura... testis jurata dixit quod, dum esset septem annorum,fecit se hereticamet stetitherética induta per tres annoset stabat apud Villana noram cum Alazaîcia de Cuguroet sodis suis hereticabus.» 4. Balme,op. cit., p. 132. 5. Cf. supra, note 3.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 228 JEANGÜIRAÜD. surtoutdans le Lauraguais,saint Dominique ne pouvaitpas res- terindifférent à ce modede propagandedes cathares. Il ne suffi- saitpas d'instituerdes controversesavec les hérétiquescomme cellesqui eurentlieu à Fanjeaux,à Montréal,ni mêmede prê- chersans relâché ; il fallaitavant tout arrêter le recrutementde la secte.Or, un de ses moyensles plussûrs était l'apostolat chez les femmeset par les femmes.Ce futpour l'atténuer, ou même pourle faireservir à sa proprecause, que saintDominique con- çutl'idée d'un couvent où l'onrecueillerait les femmeshérétiques, pourles faire rentrer dans l'Église et les destinerensuite à l'apos- tolatorthodoxe. Assurer un asileaux nouvellesconverties, créer un centrede propagandeféminine, telle fut la doublepensée qui lui inspirala fondationdu monastèrede Prouille. La légendea ornéde récitspoétiques les originesde ce pre- miercouvent dominicain. A Fanjeaux,nous dit-elle,tandis que le bienheureuxprêchait à des femmeshérétiques, le démonne putpas soutenirla présencedu serviteurde Dieu : au milieudu sermon,il apparutaux yeux étonnésde tous et pritla fuite, abandonnantà l'action salutaire du saintces âmesqu'il avaitsi longtempspossédées. Converties par ce prodige,ces neuffemmes devaientêtre les neufpremières religieuses du futurmonastère. Avantde les réunirdans un couvent,saint Dominique les établit à Fanjeaux sous sa sauvegarde1.Mais, sans cesse,il méditait unefondation plus durable. Or,le soir de la fêtede sainteMadeleine, 1205 (22 juillet), il se reposaitdes fatiguesdu jour ; et,assis devantla portesep- tentrionalede Fanjeaux,il contemplaitla vaste plaine qui s'éten- daità ses piedsjusqu'aux pentes de la Montagne-Noire,éclairées versCastelnaudary par le soleilcouchant ; sa vue se portaitsur le châteauruiné et l'égliseabandonnée de Prouille,les villages de , de ,le bourgfortifié de Montréal, plantésur sa colline,et dans son esprit se déroulaitle souvenir de ses travauxapostoliques : il pensaitde nouveauà ce couvent qu'il rêvaitde fonderpour recueillir en lieu sûr,loin desprédi- cationsalbigeoises, les femmesconverties, et il demandaità la

1. Quétifet Échard, op. cit., t. I, p. 6, en note : « Novem nobiles matronae Fanijovis incolae, praedicationeet exemplissancti Patris ab liaeresi conversae sunt per miraculumquod viderontdaemonis sub formabestiae egredientisin temporequo vir Dei concionemfiniyît. » - Jean de Réchac, Vie de saint Domi- nique, t. I, p. 20.

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1. Balme. OV.Cit.. D. 136 et suiv. - Gallia chri&tiana XTïT 9Á7 2. Ibid., p. 141. - Percin, Monumentaconventus Tolosani, p. 5. 3. Quétifet Échard (op. cit., t. I, p. 6) disent que c'étaient « novemnobiles matronaeFanijovis. » 4. Percin, op. cit., p. 5. 5. Balme, op. cit., p. 139.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 230 JEAN GÜIRAUD. l'entièrepropriété de l'église,on s'adressaensuite à l'évêquede Toulouse,ordinaire du lieu, et au chapitrecathedral de Saint- Étienne.Or, depuisquelques mois, le siège de Toulouseétait occupépar unami de saintDominique, Foulques, cet ancien abbé cisterciendu monastèreprovençal de Toronet,qui avaitprêché, l'annéeprécédente, avec lui contreles hérétiqueset avait été portéà l'épiscopatpar les succèsdes croisés. Ardent adversaire desAlbigeois, Foulques approuva cette fondation et, pour y con- tribuer,il accordaà saintDominique et à ses religieusesl'église de Sainte-Mariede Prouille(décembre 1206) ^ Pourquoicette intervention fut-elle nécessaire puisque Cavaers avaitdéjà donnéau couventcette même église qui lui apparte- nait?L'acte qu'elle avait signé n'était-ilpas suffisant?C'est que, avant cettedouble concession, l'église de Prouilleétait paroissiale.Prouille était un villagegroupé autour de ce vieux château2que mentionnentplusieurs actes notariés du xinesiècle3; de nombreusesannées encore après la fondationdu monastère, plusieursmaisons de paysanss'élevaient non loin du Château- Vieux etformaient, avec leursdépendances, des enclaves que les religieusess'efforçaient d'acquérir4; même en 1272, plusieurs cultivateurshabitaient sur ce territoire,comme nous le prouve un terrierdu Lauraguaisconservé, de nosjours, aux Archives nationales5.Ce qui prouveencore plus que ce villageformait, au xiiesiècle, une paroisse distincte et autonome,c'est que cer- tainsactes du xuie y mentionnentencore un vieux cimetière6, c'estque Foulquesrappelle expressément les dîmeset les pré- mices,c'est-à-dire les anciensdroits paroissiaux, qui étaientdus à l'église: « Decimaeet primitiae, quae adjamdictam eccle-

1. Gallia Christiana,t. XIII, p. 247. 2. Dom Vaissète, Hist, de Languedoc (éd. Molinier),t. XI, p. 205, mentionne des seigneursde Prouille au xi6 siècle. 3. En 1215,Arnaud, Roux et Pierre Babou donnenta saint Dominique les biens qu'ils possédaient in mota castri veteris(Àrch. de l', H, fondsde Prouille). Le fonds de Prouille, conservé aux archives de l'Aude, n'étant pas encore classé, il nous est impossible de donner la cote exacte des pièces qui s'y trouvent. 4. Dans un acie a e i¿¿4 lArcn. ae i Auue, tonus ue rruuiue/ugure comme témoinun certain e Isarnus de Frullano. » 5. Arch,nat., JJ,25. 6. En janvier 1229-1230,Guillaume Papau et sa sœur Alas aïs vendentpour 12 sous toisas, au monastère, un casai « quod habemus prope ciminteri um Prolani » (Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouille).

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This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 232 JEANGUMAUD. « crûrenten nombreet enmérites *, » etleurs ressources se mul- tiplièrenten mêmetemps. Bien qu'ellesfussent affiliées à Tordre mendiantdes Frères Prêcheurs, elles ne pouvaientpas demander à desaumônes quotidiennes ce qui étaitnécessaire à leursubsis- tance.Outre qu'une sage prévoyanceleur faisait un devoirde sauvegarder,par desrevenus fixes, l'avenir de leurcouvent, il y avait pourelles une absoluenécessité à se créerdes rentes. Elles étaientcloîtrées ; dans un acte de 1425,elles sont appelées incarceratele2; précisant encore plus, leur syndic décrivait ainsi leurétroite réclusion aux enquêteursroyaux : « Dicte sorores fueruntet suntsolite esse recluse et murateinfra dictum monasterium,etnunquam a claustrovel reffectorio dormi- torioqueet ecclesiaet aliis hedifidis,infra cepta ejusdem assignâtesexeunt, ñeque eœire consueverunt, imo usque ad finemmundi de dictomonasterio non exientdonee veniat illa vox : « Venite,benedicti Patris mei, percipite regnum quod « vobisparatum est ab originemundi ! » Cetteétroite clôture avait été établieen 1206, dèsla fondationdu monastère;Humbert dit expressémentque les religieusesvivaient à Prouille« sub per- petua clausura,sub observantiismirabilibus, sub ardo silentio,» et, parlantdes premières origines du couvent, Percin nousdit que, dèslors, les sœursfurent clôturées : « Sub clave, deincepsnon egressurae, clausae fuerunt3. » Illeur était donc impossibled'aller mendier de maisonen maison,de villageen village,comme le faisaientles Dominicainsou les Franciscains; ellesne pouvaient recevoir que les aumônesqu'on leur portait, et commeelles étaienttout à faitincertaines, force fut au couvent de se créerdes revenusfixes en devenantpropriétaire foncier. Les religieusesapportèrent le plussouvent de quoipourvoir à leur propresubsistance. Sans doute,au début,le monastère n'avaitreçu que desfemmes pauvres ; Jourdainde Saxe nousdit quesaint Dominique l'avait fondé ad susceptionemquarumdam feminarumnobilium, quas parentesearum, ratione pau- pertatiserudiendas et nutriendastradebant haereticis 4* Humbertemploie presque les mêmesexpressions5. D'autre part,

1. Quétifet Échard, op. cit., p. 6. 2. Arch,de l'Aude, H, fonds Prouille. Enquête faite au nom de Charles VII. 3. Quétifet Echard, toc. cit. 4. Ibid. 5. Ibid.

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1. Bibi. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 47. - Foulques donne Saint-Juliende Brania dominabas conversisreligiose viventibusad ecclesiambeate Mariae de Proliano, scilicet Guilleimae, priorissae, Alazaiciae, Raimundae Passerinae, Berengariaeet aliae Berengariaeet Blancae et Guilleimae,et Richardaedominae de Barbairano,et Guilleimae de Bellopodio et Curtolanaeet RaimundaeCla- rettae,et Jordanae et Francischae,et Arnaldae et Gentianaeet Ermessendae et Arsendaeet Expertae. » 2. Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouille. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 73. 3. Combefort,Hist, manuscritede Prouille, fol. 63. 4. Cf. plus bas, p. 248.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 234 JEAN GÜIRAÜD. qu'ils complétaient1.Comme Pampalona, Blanche de Niort donna à Prouille, de 1266 à 1277, des biens qui avaient autre- fois appartenu à des hérétiques. Toute-puissantedans le haut Razès et le pays de Sault, sa familleavait longtempscombattu pourl'indépendance du Languedoc; elle avait étévaincue avec les Albigeoiset dépouilléede la plupartde ses biens. Or, un demi- siècle plus tard, la descendantedes faidits,Blanche de Niort, devenaitprieure de Prouille et lui apportaitune partiedu patri- moinede ses ancêtres.La successionde Raymondde Niortdonna lieu à un grand procès entreles deux branchesde sa famille, d'une part Guiraudde Roquefortet sa femmeBlanche de Niort, Pierre de Durban et sa femmeGuillelme de Niort,enfin Guil- laume de Sauton, et, d'autre part, les enfantsde Bertrandde Niort,Raymond, encoremineur, représenté par sa mèreMisse, et Blanche de Niort,prieure de Prouille,représentée par le prieur Arnaud Séguier. Voici l'accord, qui finitpar être conclu entre les parties, tel qu'il est résumédans l'inventairedes archives, aujourd'huiperdues, de l'archevêchéde Narbonne2:

Leditprieur et laditeMisse quittaient audit Guiraud de Roquefort et Guillaumede Sautontout le droitqu'ils pouvaientavoir et leur étaitadvenu par la successiondudit feu Raymondd'Aniort sur le lieu de Sauzils, exceptéle moulinde Sauzils, assis sur la rivière d'Aude,comme aussi toutce que, par la successiondudit Raymond d'Aniort,ils avalentau terroird' Artigues et au lieu de Tourreilleset de«Plainville,avec cettecondition que les compositionsjadis faites entreledit prieur, ladite dame Misse,Raymond de Belpech,Pierre- Rogerd'Aniort et sa femme,demeureraient en leur force,- quit- taientaussi par mêmemoyen auxdits de Roquefortet Sautonla cen- sive ou pensionde certainesterres que ledit Raymondd'Aniort avaitaux lieuxde et de . Et lesditsGuiraud de Roquefortet GuillaumeSauton, tant pour eux et aux nomsque dessus,quittaient auxdits prieur et Misse tout ce que leditRaymond d'Aniort avait audit moulin de Sauzils,comme aussi quittaientà laditeMisse tout ce qu'ils avaientau lieu de Bel- caireet bastidede , en la terred'Alion et en la terrede Sault, exceptésles lieux de Gebetzet Galinagre,et, par même moyen,

t. Dom Vaissète, Hist, de Languedoc (éd. Molinier),t. VII, 2e partie,p. 256. 2. Bibliothèquemunicipale de .Inventaire des archivesde l' arche- vêché dressépar ordre de Mgr de Rebé, par Roques, t. Ill, p. 332.

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Ce simpletableau peut nous faire mieux saisir les clausesde cetaccord : 10Guiraud de Roquefortet Guillaumede Roquefortobtiennent Sauzils,Artigues, , Planville, la censivede Leuc etde Preixan2; 2° Le monastèrede Prouilleet dameMisse, en indivis,le mou- lin de Sauzils3; 3° DameMisse, et Belvis4; 4° Le monastèrede Prouille,Gebetz, Galinagre et la leudede Quillan5; 5° Tousconservent un droitcommun de dépaissancesur le ter- ritoirede Belvis6. 11est inutile de faireici l'histoire,d'ailleurs assez compliquée, de ce procès; il suffitde préciserce qui revenaità Prouilleen vertude cetaccord. Jusqu'alors, le couventne possédaitdans la hautevallée de l'Aude que le domainede Puivert7;mais, par suitede ce partage,ses bienss'étendaient encore plus au sud et couvraienten grande partie le pays de Saultet les hauteursqui dominentQuillan. C'est là que se trouventles forêtsde Gebetz dont,à partirde 1266, l'archevêquede Narbonneet les Domini- cainesse partagentla propriété,les terresde Galinagre,la bas- tidede Belvis; enfin,par le moulinde Sauzils,le couventtouche au courssupérieur de l'Aude,entre Campagne et Quillan,et

1. Nous avons transcritle résumé de Roques en orthographemoderne. 2. Sauf avis contraire,toutes les localités que nous mentionnonsdans cette étude sont dans le départementde l'Aude. Celles-ci sont situées dans les arrondissementsde Carcassonneet de Limony 3. Arrondissementde , cantonde Quillan. 4. Id., cantonde Belcaire. 5. Id., cantons de Belcaire et de Quillan. 6. Id. y canton de Belcaire. 7. Arrondissementde Limoux, canton de . Cf. plus bas, p. 247.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 236 JEAN GÜIRAÜD. occupela routequi conduitde là aux plateauxde Nébiaset de . Uneautre jeune fille, d'illustre naissance, Ermessinde de Lor- dat,apportait des biens-fonds au monastère,en y faisantprofes- sionreligieuse, le 16 septembre1281 ; ellelui donnaitsa forêtde Genebrel1. Le 29 septembre1285, JacquesAlzer de Planha,archiprêtre de ,Raymond Séguier et Raymond Vergueil constituaient unedot à leursœur et belle-mèreDias, qui entraitau couvent: ils lui assignaient,sur des biens sis à Casalrenous,la Cassaigne2 et Limoux,une rente de 100 livrestournois, qui, après sa mort, devaitservir de dot,à Prouille,à troisreligieuses de la même famille3. Le monastèrereçut aussi plusieurs possessions de pieuxlaïques qui, sousle nomde donats, vivaientcomme des frèresconvers dans les dépendancesdu couventou formaient,dans le monde, commeun tiersordre dominicain. Du vivant mêmede saint Dominique,Prouille eut des donatscomme les abbayesbénédic- tinesdes oblats4. Les uns faisaiententier abandon de leursper- sonneset de leursbiens au monastèrequi, dèslors, se chargeait de leurentretien jusqu'à la finde leursjours; d'autresrestaient dansle monde,mais ils s'engageaientà revêtiravant leur mort l'habitde convers,et, pourparticiper, même pendant leur vie séculière,aux méritesdes religieuseset aux grâcesspirituelles du couvent,ils lui donnaientune partiede leursbiens. Parfois aussi,plus d'un paysan était heureux de se retirerchez les Domi- nicaines,d'y trouverun asile sûr pourle restede sa vie et d'y placer,en quelquesorte à fondperdu, son petit avoir. Quel que fûtle motifqui les y poussait,il est certainqu'aux xine et xive siècles,des personnesde toutecondition se donnèrentà Prouilleet l'enrichirentde leurspropres fortunes. Dans un acte d'avril1212, nousvoyons toute une famillese consacrerau couvent: ArnaudMartin, sa femmeet son filsse donnentà saintDominique, aux religieuxet aux religieuses, pourl'amour de Dieu et de Notre-Dame,afin d'avoir part aux

1. Arch, de l'Aude, H, fondsProuille. 2. Arrondissementde Castelnaudary,canton de Fanjeaux. 3. Ibid. 4. Du Cange, art. donatus, oblatus.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DU MONASTEREDE PROUILLE, 237 prièresdes sœurs, et ilsleur font complète remise de leursbiens1. Arnaud,il est vrai, les reprendaussitôt, mais il les tiendra,à l'avenir,du prieur,dont il devientl'homme, et, en signed'hom- mage,il prometde lui payer,à Pâques,un cens annuel de douze deniersmelgoriens, et, à sa mort,cinq sous de la mêmemon- naie,à titred'aumône. Ainsi, quoique devenu l'homme du monas- tère,le donatpeut continuer à vivredans sa famille,sur ses terres,garder même la libredisposition de ses biens,puisque ArnaudMartin spécifie la sommequi seulefera retour au cou- ventaprès sa mort.Dans ce cas, la donationconsiste dans l'éta- blissement,sur une terre,d'un cens perpétuel, dans la transfor- mationd'une propriété libre en emphytéoseperpétuelle, ou, pour parleren styleféodal, d'un franc-alleu en bénéfice. Le 7 mai 12122,Bernard Católica de Barsasigne son acte de donation; maisil se réserved'entrer au couvent,d'en revêtir l'habitet d'enadopter la règlequand bon lui semblera.A la date du 30 mars1227 3, nous trouvons un actebeaucoup plus strict : GuillaumeGrimaud se donneexpressément au monastèreet pro- metd'y habiteret d'y servirpendant le restede ses jours; en mêmetemps, il faitaux religieusesentier abandon de sa fortune, à savoir,d'une terre qu'il tenaitdu monastèreà las Fontanas, d'uneautre qu'il tenaitde dameGavaers à Montbayon,d'une troisièmequ'il tenaitde GuillaumePeyre de Prouilleà las Pla- nas, enfin,de plusieursautres propriétés. C'est aussi une entière cessionde leursbiens que fontPons Estèveet sa femmeCatalana quandils se donnentau couventle 23 avril 12304. Le 9 no- vembre1241, GuillaumeBarrau de Limouxdonne à Prouille, avec sa personne,toutes ses possessions,mais il s'en réserve l'usufruit5.Raymond du Vilar,chapelain de Fanjeaux, en fait autantle 25 mai 12476; or, c'étaitun personnageimportant :

1. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 6. c ... ut rogentDominum et S. Mariam pro nobis et colligantnos in suis benefactiset orationibuset manuteneantnos et custodiant.» 2. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 7. 3. Arch,de 1Aude, H, fondsde Prouille. 4. lbid. 5. Ibid. 6. Arch,du Vatican, Instrumentamiscellanea, 996-1249. Le sceau de Ray- mond du Vilar manque, mais le documentporte encore le sceau en cire de l'évêque de Toulouse qui approuve l'acte de donation.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 238 JEAN GUIRAUD. avec la cure de Fanjeaux,qu'il géraitau nomdu couvent,il cumulaitla chargede notaire,et c'estde sa mainque sontrédi- gés la plupartdes actes qui intéressentProuille vers le milieudu xiiiesiècle. Dans le terrierde Fanjeaux, qui est conservéaux Archivesnationales, il nousapparaît comme un desplus riches propriétairesdela région. Ce furent donc d'importantes possessions qui,par sonintermédiaire, passèrent aux mainsdes religieuses. Ala date du 19 juin 1264*, nous trouvonsun acte analogue, signépar Pons de Villarzel-en-Razès: « Par amourde Dieu et par un sentimentde piété,» il se faitdonat, ne réserveà son filsque ses domainesde Brugairoleset deVillarzel et abandonne les autres au monastère.Il serait facile de multiplierces exemples; car, dansle premiersiècle de son existence,Prouille reçutde nombreuxdonats; en 13402, le visiteurPierre Gui en trouvaplus de trente.Leurs biens avaient grandement contribué à la richessedes sœurs. Mais ce futsurtout la croisadecontre les Albigeoisqui donna de l'importanceà Prouille.A mesureque l'arméede Simonde Montforts'avançait vers le Languedocet y faisaitdes conquêtes, des donations,de plus en plus nombreuses,étaient faites aux religieuses,et la raisonen estbien simple : pleinsde zèlepour la foi,saint Dominique et Simonde Montfortpoursuivaient le même but; le triomphede l'orthodoxieromaine et l'extirpationde l'hérésie.Sans doute,leurs moyens d'action différaient : saint Dominiquese servaitplutôt de la prédicationet despeines cano- niques,Simon de Montfortde la forcedes armes ; maisles succès de l'un n'étaientpas indifférentsaux entreprisesde l'autre;un pays, travaillépar l'apostolatdu saint,devait accueillir, avec plusde sympathie,l'armée des croisés,et l'approche des hommes d'armesdevait donner plus d'efficacité aux sermonsdes prêcheurs. Il n'estdonc pas étonnantque, dès son arrivéeen Languedoc, Simonde Montfortait témoignéà saint Dominiqueet à sa fondationun intérêtet une bienveillancequi ne se démentirent jamais.

1. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 123. Arrondissementde Limoux, canton d'. 2. Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouilie. Nous préparons,le R. P. Balme et moi, l'édition de ce document, si importantpour l'histoire économique du couvent.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DU MONASTEREDE PROÜ1LLE. 239 Ce futle 1erseptembre 1209 * que le chefde la croisadevit pourla premièrefois Prouille; il venaitde prendrela ville de Carcassonne,de soumettreLimoux, Montréal, Fanjeaux et les autresplaces voisines, et il poursuivaitsa marchevers Toulouse quandson armée passa le long du monastère.C'est là unedate fortimportante pour l'histoire du couvent; car elle marquele commencementde son développement. Simon de Montfortfit lui- mêmeplusieurs donations à saintDominique. Le 1ermai 12112, il poussaitactivement le siège de Lavaur; après avoir lancé l'excommunicationcontre tous les Toulousainset leur comte, Foulques,évêque de Toulouse,était venu le rejoindre;saint Dominiques'était également rendu à l'armée,et ce nousest un indicedes relations amicales qui s'étaientétablies depuis un an et demientre lui et le chefdes croisés.Toutes les forcescatho- liquesétaient donc réunies lorsque, le 3 mai,la villefut enlevée d'assautau chantdu Veni Creator,et bientôtaprès, Simon de Montfort,à la demandede Foulques,se préparaità marchersur Toulouse.Le momentétait décisif : aprèsavoir vaincu successi- vementà Béziers,à Narbonne,à Carcassonneet en Lauraguais les vassauxde RaymondVI, Simonallait se mesureravec lui. Ce futsans doute pour placer une aussi importanteentreprise sousla protectiondivine que Simonde Montfortfit au monas- tèrede Prouilleune importante donation le 13 mai 1211 : il lui donnale granddomaine de Sauzens3.Il ne s'en tintpas là. A plusieursreprises, le 4 août 1212, le 28 mars1213, en mai et juin 12134,il confirmades donations, qui avaientété faites sans douteà son instigation,au monastèrepar desseigneurs de son entourage,et il profitade ces différentescirconstances pour affirmerl'intérêt qu'il portait au couvent. De soncôté, il réservaità saintDominique et à ses religieuses unepartie des biensconfisqués aux hérétiquesqui avaientpris les armes.Le surlendemainde la donationde Sauzens,le 15 mai

1. Balme, op. cit., p. 206. Dom Vaissète, Hist, du Languedoc (éd. Molinier), t. VI, p. 285 et 350. 2. Balme, op. cit., p. 236 et suiv. 3. Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouille. Arrondissementet canton de Cas- telnaudary,entre Bram et Villepinte. 4. Balme, op. cit., p. 323, 371, 406 et 407. - Le 28 mars 1213, Simon de Montfortconfirme la donationfaite à Prouille par les deux frères Usalger et Raynèsdu château de Fenouillet,en Razès, non loin de Fanjeaux.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 240 JEAN GUIRAÜD. 12111,il leurassignait, sur le territoirede Fanjeaux,une vigne, qui avaitappartenu au faiditBernard de ,et les prenait sous sa protection.L'année suivante,dans l'assembléede Pamiers,qu'il avait convoquéepour donnerdes coutumesau Languedoc,il faisaità Prouillede nouvelleslargesses. Depuis sa fondation,le couventavait agrandises constructionscomme ses domaines; de plusen plusà l'étroitdans le petitenclos de trente pas de large qui entouraitl'église, il sentaitle besoinde faire éclatercette enceinte. C'est pourcela que Simonlui fitdon de deuxchamps à Montbayonet à Bezant,à la conditionqu'on les échangeraitcontre ceux qui étaientcontigus au monastère; les nouveauxterrains devaient servir à l'agrandissementdes offi- cineset des communsdu couvent2.Vers le Nord, les sœurs virentleurs propriétés accrues du côté de Villasavary: lescosei- gneursde ce village,Vilar, Galardet leurfrère, étaient faidits, leurpatrimoine avait été confisqué par lescroisés, et, parmi leurs dépouilles,Simon de Montfortassigna aux religieusesdes terres de labour,une vigneet un jardin,des rentesen argentet en nature3.Enfin, il ne négligeaitpas le domainede Sauzens que, l'annéeprécédente, il leur avaitconstitué; en 1212, il le com- pléta par un nouveaudon de six charméesde terrelabourable et trentearpents de vigne4. Les compagnonsde Simonde Montfortimitèrent l'exemple de leur chef.L'un des principauxinspirateurs de la croisade, Foulques,évêque de Toulouse,fut, pour saint Dominique, un ami sincère,pour Prouille, un protecteurdévoué. Au campde Lavaur,il se rencontraavec le saintet, noncontent de lui avoir confirmé,en 1206, la possessionde l'églisede Prouille,il lui fit les donsles plusgénéreux. Avec le consentementde Mascaron, prévôtde sonchapitre de Saint-Étienne,il donna aux religieuses l'églisede Saint-Juliende Bram5, avec ses dépendances,ses reve-

1. Arch, de l'Aude, H, fondsde Prouille. « Nos vero earadem ecclesiam et personaset res ejusdem,cum omnibusjuribus suis predictis,tenemus et volu- mus nos et heredes nostrisemper custodireet tueri. » 2. Ibid. « Quos volumus commutaripro terraque erat juxta ecclesiam; que clauditurcum eadem ecclesia, ad ampliandas ejusdem domus officinas. » 3. Ibid. Ces localités sont sises aux environs de Prouille et de Fanjeaux (arrondissementde Castelnaudary,canton de Fanjeaux). 4. Ibid. 5. Arrondissementet cantonde Castelnaudary.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DU MONASTÈREDE PROUILLE. 2Â' nus, dîmeset prémices1.Cette paroisse devait, dès lors, être administrée,au temporel,par le couventet, au spirituel,par le chapelainqui y seraitnommé par l'évêque,sur la présentation desreligieuses. Foulques ne s'y réservaitque les droitsde l'or- dinaire; tous les autresdevaient être exercés par le couvent,qui devaitpercevoir tous les revenusde la paroisse,à la condition de payerles fraisdu culteet la pensiondu chapelain.Sans doute, dansla penséede Foulques,cette cession n'avait rien de définitif, et la paroissedevait retrouver son autonomielorsque seraient mortestoutes les religieusesqui la recevaienten 12092, maisen fait,elle resta toujours sous la dépendancede Prouille. Il y avaitune autre paroisse à laquellele couventdevait tenir encoreplus, c'était celle de Fanjeaux; car le monastères'élevait surson territoire ; en 1206, il avait dû lui faireentier abandon desdîmes et desprémices de son église. Les religieusesles recou- vraienten 1214, à la suited'une nouvelle entrevue de Foulques et de saintDominique3. D'ailleurs, l'église de Fanjeaux avait pourchapelain le prieurmême de Prouille,qui figure,avec ce titre,dans l'acte de restitutiondes dîmes;en lui conférantcette dignité,Foulques avait déjà faitl'union de la paroisseet du monastère.Elle n'étaitalors que temporaire,puisqu'elle ne devaitdurer que du vivantde saintDominique. Mais bientôt Tévêquede Toulousedut lui donnerun caractèredéfinitif. InnocentIII avait convoqué,pour l'année 1215, un concile général,qui devaitse tenirau Latran,pour régler les graves questionsqui agitaientalors l'Église. Foulquess'y 'rendit, et y emmenaavec lui saint Dominique: les deux amis partirent ensembleet vécurentdans la plus grandeintimité pendant la plusgrande partie de Tannée; nul douteque l'évêquede Tou- lousen'ait travaillé autant que le saintlui-même à obtenirdu saint-siègela reconnaissancede l'ordrereligieux naissant. Ce futen effetpendant la tenuedu concilequ'Innocent III approuva les constitutionsdominicaines et que,le 8 octobre1215, il donna au monastèrede Prouillele privilègequi le plaçaitsous la pro-

1. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 47. 2. La donationest faite aux sœursvivant en 1211 dans le monastèreet nom- mées expressémentdans l'acte, et elle doit durer « quamdiu istae praesentes vixerint.» 3. Gallia Christiana,t. Xlll, p. 247. « De assensu et volúntatefratris Domi- nici, capellani de Fanojovis. » Rev. Histor. LXIV. 2e fasg. 16

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 242 JEAN GÜ1RAÜD. tectionde saintPierre et la sauvegardepontificale1. De soncôté, Foulquesavait vouludonner à Tordreun nouveaugage de sa faveur. En juillet1215, sansdoute avant son départpour Rome avec saintDominique, il instituales Dominicainsprédicateurs de la foidans son diocèse, et, pour subvenir à leursbesoins matériels, il leurassigna, par le mêmeacte, le sixièmede toutesles dîmes paroissiales2.Il està présumerqu'il le fitdans un momentd'en- traînementet qu'il ne se doutapas de l'étenduede sa concession; car,bientôt après, il la regrettaet voulutla révoqueren 12173. Un arbitragelui en donnale droitle 13 septembrede la même année,et cependant,soit que la sentencen'eût pas étéacceptée de la partieadverse, soit que le saint-siègese fûtinterposé, soit que l'évêqueeût tenuencore plus à l'amitiéet au servicedes FrèresPrêcheurs, la questionfut de nouveauagitée et définitive- mentrésolue en 1221. Cetteannée-là, Foulques et saintDomi- niquese retrouvèrentensemble à Rome,comme en 1215, et, dansun couventcistercien, ils réglèrentà l'amiablele litige. « Dans l'intérêtde la foicatholique et du diocèsede Toulouse toutentier, » Foulquescéda complètement aux FrèresPrêcheurs l'églisede Notre-Damede Fanjeaux avec toutesles dîmesqu'y percevaientsoit l'ordinaire, soit la fabrique,soit le chapelain, avecses prémices, ses oblationset, en général,tous ses revenus ; en échange,saint Dominique renonça, en son nomet au nomde l'ordre,dout il étaitle maîtregénéral, au sixièmedes dîmes paroissialesdu diocèse4.La concessionde l'églisede Fanjeaux futaussitôt confirmée par le papeHonorius III le 28 avril1221 5. Peu de tempsaprès, les Dominicainsla cédèrentaux reli- gieusesde Prouille.Nous ne connaissonsni l'acte ni la datede ce transfertde propriété;ce qui estcertain, c'est qu'en septembre 1227,c'était un faitaccompli, puisque, ce jour-là,en sa qualité

1. Baiine, op. cit., p. 526 et suiv. 2. Ibid., p. 517. - Le premiercouvent dominicainde Toulouse venait d'être fondé,quelques mois auparavant,le 25 avril 1215 (Arch, nat., J321, n° 60). Cf. Balme, op. cit., p. 500. 3. Martèneet Durand, Veterummonumentorum amplissima colléetio, t. VI, p. 446. 4. Aren,de 1 ordreDominicain à Rome. « Actumm Urbe Rome... presentibus ad hoc convocatisAymerico et Petro,monachis Cisterciensisordinis, et fratre Bertrando,converso ejusdem ordinis. » 5. Gallia Christiana,t. XIII, p. 248.

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1. Arch,de TordreDominicain, Y 10, 50 et 54. 2. Potthast,Regesta pontificum Romanorum, n° 8726. 3. Dom Vaissète, op. cit., VII, p. 543. 4. Bibl. nat., lat. 11013,passim.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 244 JEAN GÜIRAÜD. tiques; elleen retiraitla seigneuriede Pézensdans le Carcasses, cellesde Limouxet d'Arquésdans le Razès. La plupartde ces chevaliersabandonnèrent à des monastères, à des églises,et, en particulier,à Prouilleune partiede ces biensconquis sur les hérétiques. Le 14 février1212, le FrançaisFrémis cédait au couventla moitiéd'une terre sise au lieu dital Romengar,le longdu che- minqui conduisaitde Prouilleà Fanjeaux,une vigne à la Fon- taine-Saint-Martin,enfin une maison sise devantle fourbanal. Or, tousces biensavaient été confisqués à des faidits,la maison à GuillaumeOspitalers, les piècesde terreau mêmeet à trois autreshérétiques, Etienne Engles, Pierre Rouzaud et son frère Guillaume1. Unedes plus importantesfamilles de la régionétait celle des Durfort.Ils appartenaientà la chevaleriede Fanjeaux; les actes officielsles désignentcomme domicelli Fanijovis et ils sonttou- joursqualifiés de nobiles viri2. Leur principalerésidence était au bourgde Fanjeaux; c'estdans leur maison que saintDomi- niqueavait accompli le miracledu feu; etils possédaientde nom- breusesterres aux alentours.Guillaume avait dans le dîmairede Fanjeauxdes maisons,des terrescultivées ou non,des vignes, després, des bois, des coursd'eau, des censives et des rentes3. Nonloin de Prouille,Fays, damede Durfort,était châtelaine de Villesiscle.Cavaers, châtelaine de Fanjeaux, appartenaità la mêmefamille; or, elle étaitfort riche et elle avait d'importantes possessionset de nombreuxtenanciers dans le Lauraguais, commele prouveson testament4. God Picarella était un desDur- fort,ou, du moins,il avait contractéavec eux quelquealliance ;

1. Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouille. 2. Dans l'acte par lequel il vend aux Dominicains la maison où s'est opéré ce miracle du feu, Rogerde Durforts'intitule : « Rogeriusde Duroforti,domi- cellus castri Fanijovis, filius quondam nobilis GuillelmiBernardi de Duroforti, domicellicastri Fanijovis. » (Copie exécutée au xvne s. de cet acte, en notre possession.)Le 10juillet 1229, les seigneursde Fanjeaux signaient,à la demande de RaymondVII, une carta recognitionspour les terresqu'ils tenaientde lui. Dans le nombre,on relève les noms de Raymondde Durfortet de ses parents Pierre de la Une et Pierre Roger Picarela. (Arch,nat., JJ,19, Cartvlaire de Raymond VII, fol. 177.) 3. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 49 v°. a HereditatemGuillelmi de Duro- fortide Phanojovis, scilicet domos, terras cultas et incultas, vineas, quartas partes terrae,merita, census, prata, nemora,aquas... » 4. Arch,nat., JJ,19, Cartulaire de Raymond VII, fol. 71 et 81.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINTDOMINIQUE ET LA FONDATIONDU MONASTÈRE DE PROUILLE. 245 car il instituapour ses héritiersles deux fils de dame Fays, Sicardde Durfortet Pierrede la Ilhe, « ses neveux,dilectos meosnepotes. » Lui aussi avaitdes terres et des tenanciers dans le Lauraguaiset le Razèset,en particulier, à Orsans, Fanjeaux, Prouille,, Brézilhac, etc.1. Pendantla croisade,les Durfortfirent cause communeavec RaymondVI et les Albigeois: plusieursdocuments nous les montrentcombattant dans les rangs de la noblesseindigène contre les envahisseurs,tandis que leursfemmes, telles que Fays, Ray- monde,Aude, Véziade et Adalaïsde Durfortrecevaient le con- solamentumet se faisaientles zélatricesde l'hérésie2.Dans le Lauraguaiset le Razès,les Albigeois n'eurent pas deplus dévoués défenseurs.Aussi n'est-il pas étonnantqu'ils figurentpour la plupartparmi les faidits.Dans la dépositionqu'il fit,en 1260, aux enquêteursroyaux, Arnaud de Laure mentionnaparmi les proscritspour cause d'hérésie Sicard de Durfort et sonfrère Pierre de la Ilhe,Roger de Durfort,dit Badaonus, Maurin, Jourdain et P.-RogerPicarella3. Le monastèrede Prouilleeut sa partdes dépouillesdes Dur- fort; leursterres touchaient aux siennes; en les acquérant,il allaitdonner à sondomaine plus de cohésion. En 1211, Guillaume de Durforteut ses biensconfisqués au profitde RobertMauvoi- sin; or, le 5 août 1212, par un acte datéde Penne-d'Agenet approuvéde sonchef, Robert abandonnait à saintDominique et aux sœursdes maisons,des vignes,des bois,des censives,qui formaientautrefois le patrimoine de Guillaumede Durfort de Fanjeaux*. C'étaienttous les biensde ce faiditqu'il leur cédait; d'ailleurs,elles-mêmes déclaraient, en 1260,aux enquê- teursroyaux, « quoddominus Robertus Malovicinus dédit sorori- bus Pruliani,amore Dei et proredemptione anime sue, consilio dominicomitis Montisfortis , hereditatem totam que fuerat G. de Duroforti faiditi*. » La plupartde ces biens-fonds étaientà Prouilleet à Fanjeaux; en effet,confirmant l'acte de donationde Mauvoisin,Simon de Montfortdit qu'ils sontsitués

1. Arch,de l'Aude, H, fonds de Prouille. Arrondissementde Castelnaudary, cantonsde Castelnaudaryet de Fanjeaux. Arrond.de Limoux, cant. d'Alaigne. 2. Cf. supra. 3. Bibl. nat., lat. 11013,passim. 4. Bibl. nat., Doat, t. XCVIJI,fol. 49 v' 5. Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouille.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 246 JEANGÜIRAUD. « apud Phanumjoviset Prulianum.» D'autresétaient dans le Razès; en 1260, le couventse plaignitaux enquêteursroyaux1 queHugues de Festes lui eût pris à Caillau,au lieudit Penoencs2, certainsbiens ayant appartenu au faiditGuillaume de Durfort. Un moisà peineaprès la donationde Mauvoisin,un autre che- valiercroisé, Guillaume de l'Essart,seigneur de Villesiscle,fai- saitde nouvelleslibéralités aux sœurs: par un actedu 15 sep- tembre1212, il lui transféraitla propriétéde douzesétérées de terresises dans le dîmairede Fanjeaux,à côtéde la Forceet non loin de Prouille.C'étaient encore des dépouillesde la famillede Durfort.Guillaume de l'Essart ne tenaitpas ces biensde sa famille; dans l'acte même, il se dit originairede l'Ile-de-France (francigenamiles), et, en effet,le villagedont il portaitle nom estsitué dans la valléede Ghevreuseet dépendaitalors du comté de Montfort.D'ailleurs, il déclarelui-même que les terresqu'il donneainsi il lestient de la libéralitéde Simon de Montfort : « Hoc donumfeci de honorequem dominus cornes Montisfortis michidédit, » et quelqueslignes auparavant, il ditde qui pro- viennentces terres : « Que fuit domineFais etfiliorum ejus. » Or,dame Fays étaitfaidite, et, pour cela, elle avait subi la peine de la confiscation3.Ainsi, pas de doute: Simonde Montfortavait confisquéà Fays de Durfortla seigneuriede Villesisclepour la donnerà sonfidèle compagnon Guillaume de l'Essart,et celui-ci en avaitdistrait douze sétérées de terreen faveurde saintDomi- nique.Villesiscle et la Forcene sontsituées qu'à deux ou trois kilomètresdu couvent,sur la routede Bramà Fanjeaux; les terresque recevaientainsi les religieusesdevaient arrondir de ce côtéleur domaine de Prouille. Quelquesjours après, un autrechevalier allait l'accroître d'un nouveaudon. Enguerrand de Bovesavait siégéà l'assembléede Pamiersdu 1er décembre ; le 5, il passaitpar Prouille, allant sans douteà Carcassonneréunir des recruespour le grandeffort qui allait aboutirbientôt à la victoirede Muret.Il fitalors cession aux religieusesd'un moulinà ventà Villasavary4.Il l'avait agrandiet restauré en achetantla partiequi avait été conservée

1. Bibl. nat., lat. 11013. 2. Arrondissementde Limoux, cantond'Alaigne. 3. Arch,de l'Aude, H, fondsde Prouille. 4. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 13.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DO MONASTEREDE PROUILLE. 247 par Tunde ses ancienspropriétaires, Raymond de .II estprobable que, du moins en partie,ce moulinavait été confis- qué à deshérétiques. Originaire de Picardieet venuen Langue- doc à la suitede Simonde Montfort,Enguerrand ne le possédait pas parhéritage. D'autre part, si, pour une moitié de ce moulin, il spécifiaitqu'il l'avaitachetée, il estprobable qu'il n'en était pas ainside l'autreet qu'il tenaitdu seuldroit de conquêteune pro- priétéqu'il n'avaitni achetéeni reçueen héritage. Originaire,lui aussi, de l'Ile-de-France,Hugues de Lascy s'étaitcroisé sous la conduitede Simonde Montfortetil en avait reçules seigneuriesde Castelnaudaryet de Laurac.Il étaitainsi devenuvoisin du monastère: ses terresde Pexiora étaientcon- tiguësà Bram et celles de Laurac touchaientà celles de la Caplade,que les religieusesvenaient de recevoird'Odes le Juif. C'estsans doute ce qui lui inspiral'acte de mai 1213 par lequel, avec la permissionde Simon,d'Alix et d'Amauryde Montfort,il cédaitaux religieusesce qu'il possédaità Villenouetteentre Vil- 1 lepinteet Pexiora . Nousne savonspas quellesfurent les condi- tionsde ce don,car l'acte authentiquefait défaut et nousne le connaissonsque parla confirmationqu'en donna Simon de Mont- fort; mais il est à peu prèscertain que Huguesde Lascy tenait ses biensde la conquête.Il n'enresta pas là et,un an après,en juin 12142,il constituaun vraidomaine aux religieusesen leur transférantla propriété de toutce qu'il possédaità Agassens.Ce territoire,que l'on appelleencore aujourd'hui la granged' Agas- sens,est situé dans la communede Payra; en 1214,il se compo- saitde cultures et de plusieurs maisons. En outre,le couventavait le droitde fairepaître ses troupeauxet de fairedes provisions de boisdans la forêtde Pechluna, qui appartenait au mêmeseigneur. Lambertde Thuryétait aussi un voisindu monastère; fidèle compagnonde Simonde Montfort,il avait reçu de lui le château de Puivertet desterres à Limoux; or, danscette dernière ville, les sœursavaient un établissementimportant, l'église paroissiale et la maisonde Saint-Martin.Lambert fut aussi un de leursbien- faiteurs;il leurdonna, dans sa nouvelleseigneurie de Puivert, le domainede Pechavec ses dépendanceset quatrecharruées de terrearable ; à cela il ajoutaquatre arpents à planteren vignes

1. Bahne, op. cit., p. 402 et suiv. 2. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 53.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 248 JEAN GÜIRAÜD. et quatreautres à mettreen prairies; il leuraccorda en outrele droitde dépaissancedans ses proprespâturages (février 1213) *. Alainde Roucyavait reçu de Simonde Montfortles châtelle- niesde Bramet de Montréal,et de ses nouvellesrésidences il pou- vaitvoir au loin,dans la plaine,les bâtimentsde Prouille.De plus,en sa qualitéde seigneurde Bram,il étaiten quelquesorte le paroissiendu couvent, puisque l'église paroissiale de ce bourg appartenaitaux sœurs.C'est sans doute pour cela qu'illeur céda, à Bram,un emplacementpour une maison, une aire et un jardin. Les bâtimentsqui y furentconstruits existent encore aujourd'hui ; avant 1789, ils s'appelaientla métairie de Prouille, et les terrainsqui les entourent,jusqu'au coursdu Bromatelet de la Preuille,sont ceux que visel'acte de donationd'Alain2. Ce nefurent pas seulementles croisésqui firentau monastère deslibéralités pendant les premièresannées de leurexistence, il en reçutaussi de grandspersonnages indigènes qui voulaient,le plus souvent,se fairepardonner leurs anciennes complaisances pourles hérétiques,en faisantdes largessesà un couventfondé par la croisade.On cherchaità s'attirerles bonnesgrâces de saintDominique pour gagner celles de Foulqueset de Simonde Montfort, à se placersous sa protectionpour échapper à toute mesurede répressionet de représailles: c'étaitacheter à bon comptela sécuritéet la librepossession de ses biensque de les payerde quelquesdons faits à Prouille.On affectaitl'orthodoxie pouréviter l'accusation d'hérésie ; on abandonnait une faible par- tiede sa fortuneà un monastèrede bonaloi pourpouvoir conser- verl'autre. Telle fut sans doute la penséequi inspiraà Bérenger, archevêquede Narbonne,l'acte du 17 avril 1207, par lequelil donnaau couventnouvellement fondé de Prouille l'église parois- sialede Saint-Martinde Limouxavec ses dîmes,prémices, obla- tionset autres droits paroissiaux, ainsi que toutes ses dépendances et en particulierle territoirede Taix3. C'étaitun donmagnifique. En 1340,l'église de Limouxet ses dépendancescomptaient parmi les plus richespossessions du monastère; le revenubrut annuel était d'environ 940 livres,les dépensesde 548 livrestournois ; ce qui donnaitpour cette seule

1. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 51 v°. 2. IMd., fol. 20 v", 3. Ibid., fol. 31.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION Dû MONASTEREDE PROÜILLE. 249 maisonun revenunet de 392 livres1.En admettantqu'elles aient prisde l'extension dans le courantdu xine et du xive siècle, il n'en estpas moinsvrai que cettedonation vint à propossoulager la misèredu saintet de ses premièresreligieuses, et que, si Béren- ger l'a faitede bon cœur,il peutpasser autant que Simonet Foulquespour un desfondateurs du monastère. Dans l'acte même,il déclareagir en touteliberté, damus et libereeoncedirnus, pour le salutde son âme et de cellesdes chanoinesde Saint-Justqui contribuentà cettelibéralité in redemptionemanimarum nostrarum; en réalité, c'est là une affirmationsujette à caution.Les gradesévénements qui se pré- paraient,la croisadequi menaçait le midi,semblent avoir inspiré l'archevêqueencore plus que le soinde son âme ou unesollicitude touteparticulière pour la récentefondation dominicaine. Béren- ger avait paru favoriserl'hérésie albigeoise et, dès 1204, le légatPierre de Castelnaul'en avaitformellement accusé auprès dupape Innocent III. Ce qui estcertain, c'est qu'il avaitmontré la plusgrande négligence dans l'accomplissement de ses devoirs et qu'il avait refuséde se joindreaux envoyéspontificaux pour sommerle comtede Toulousede défendrela foimenacée et de répudiertoute compromission avec les Cathares 2. Tout cela l'avait rendususpect ; les légatslui avaientfait son procèset, selon les expressionsd'Innocent III lui-même,il avait été prouvéque ce prélatavait étécoupable de cupiditéet de négligence; il avait voulud'abord se justifier,mais il avait mieuxaimé demander pardon,en promettantde s'amender.En effet,l'archevêque de Narbonnealla à Romedans les premiersjours de 1207 pour fairesa soumissionau papeet détournerla sentencede déposition dontil étaitmenacé. Innocent III se laissa fléchir: Bérenger revintde Romeabsous, en avril1207, et,le 29 mai suivant,le pape mandaità ses légatsPierre de Castelnauet l'évêquede Conserans« qu'en considération des fatigues endurées par Béren- ger durantson voyage,de son grandâge, mais surtoutde la démissionqu'il avait donnéede l'abbaye de Montaragon,à laquelleil tenaitencore plus qu'à sonsiège episcopal, il lui avait donnéun délai plus long pour faire pénitence, mais l'avait menacé de dépositions'il ne s'amendaitpas3. » Si l'on rapprochela date

1. Arch,de l'Aude, H, Visitede Pierre Gui, fol. 8, col. 4. 2. Dom Vaissète, op. cit., t. VI, p. 232 et 235. 3. Potthast,n* 3113.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 250 JEAN GÜIRAUD. de cettedonation de celledu retourde Bérenger,il estimpossible de ne pointétablir entre elles un étroitrapport. En donnant Saint-Martinà Prouille, l'archevêque de Narbonnea agi sousle coup de la crainte.Mis en demeure,s'il voulaitconserver sa dignité,de s'amenderet de prouverd'une façon non équivoque sonzèle orthodoxe, il n'a pas trouvéde meilleurmoyen de le faire qued'accorder d'importantes libéralités au monastèrede Prouille, qui venaitd'être fondé pour arrêter l'hérésie. D'ailleurs, saint Dominiqueétait l'ami du légatPierre de Castelnau ; il étaitconnu de touspour ses travauxapostoliques ; se le concilierpar un don magnifique,c'était se concilierle légat lui-mêmeauteur de la dénonciation; c'était se réhabiliteraux yeuxdes catholiqueset du payset sauverune situation compromise. Ce qui trahitencore plus la penséeintéressée qui a inspirécet acte,c'est que Bérengeroublia aussitôt de le faireexécuter; pen- dantun an, cettedonation resta lettre morte, et il fallutattendre jusqu'au19 mars1208 pourqu'elle produisît ses effets1. Pourquoi y eut-ilun si long intervalleentre la rédactionde l'acteet son exécution?Il està croirequ'à peinede retour de Rome, Bérenger s'empressade le fairerédiger pour endormir les méfiancesdu pape et de ses légats,mais que, fierdu succès,il s'en tintlà. Malheureusementpour ses projets,de gravesévénements vinrent bientôtattirer sur le midide la Francel'attention de la curieet de la chrétientéentière. Le 17 octobre1207, Innocent III exhor- taitPhilippe-Auguste à prendre la croixcontre les Albigeois; le 15 janvier1208, le légat Pierrede Castelnausuccombait, à Saint-Gilles,sous le poignardd'hérétiques dirigés sans doute par le comtede Toulouseet, le 10 marssuivant, le papeécrivait aux évêquesdu Midi et en particulierà l'archevêquede Narbonne pourdénoncer à l'indignationdes fidèlesle crimequi venaitde se commettre,lancer l'excommunication contre les assassins, leurscomplices, surtout contre Raymond VI, enfinpromettre l'indulgenceplénière à quiconques'armerait pour la foi2.Le comtede Toulousen'était pas seulvisé par cette bulle; Bérenger pouvaitl'être de soncôté. Qui ne connaissaitses démêlés avec le légatqui venaitde succomber?Et bientôtaprès, à la voixd'In- nocentIII, les chevaliersdu Nordprenaient les armeset se pré-

1. Bibl. nat., Doat, t. XCVIII, fol. 27. 2. Potthast,n° 3324.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LÀ FONDATION BU MONASTEREDE PfiOUILLE. 254 paraientà la guerrecontre ceux du Midi.Plus que jamais,Béren- ger avait besoinde se fairepardonner ; aussi est-ce alors qu'il se rappelala donationqu'un an auparavantil avait faiteà Prouüle.Il avait dû recevoirvers le 17 marsla lettrepontificale et,dès le 19, il s'exécutait.Ce jour-là, l'ami de saintDominique, GuillaumeClaret, procureur des religieuses, était mis en posses- sionde l'églisede Saint-Martinet du territoirede Taix. L'acte enfut dressé, sans doute à Limoux,en présencede Bernard Ray- mondde Roquefort,évêque élu de Carcassonne,de Raymond Clerc,archiprêtre du Razès et, en cettequalité, représentant, à Limoux,de l'archevêqueet de plusieursautres témoins. Saint Dominiqueet Bérengerétaient absents ; le premierétait repré- sentépar Claret,le secondpar Isarn d'Aragon,archidiacre et administrateurdu diocèsede Carcassonne,pendant la vacance du siège. L'abbayevoisine de Saint-Hilaireavait des prétentionssur Saint-Martinde Limoux; mais,depuis de longuesannées, elle ne les avaitpas invoquées,et ce futsans doute ce qui décidal'ar- chevêquede Narbonneà disposerlibrement de cetteéglise en 1207 et 1209. Soit à cause de la prospéritéque reprenaientles fondationsreligieuses depuis le commencementde la croisade, soitpour toute autre raison, les Bénédictins de Saint-Hilairepro- testèrentdans la suitecontre la nouvelleacquisition de Prouille. Il estdifficile de direà quelmoment ils le firent.Le premieracte officielqui mentionnecette protestation est un compromisde 12181. Elle noussemble cependant antérieure à 1215 ; le 8 octobre de cetteannée, au conciledu Latran,saint Dominiqueavait obtenudu pape la confirmationde toutesles acquisitionsde Prouille; le privilègequi lui futaccordé mentionne les biensdu couvent;l'église de Saint-Martinn'y figurepas. Sans doute Saint-Juliende Bram,que les sœurspossédaient depuis quatre ans, n'y est pas non plus nommée,soit qu'on n'ait pas jugé à proposde le faire,soit que notredocument soit incomplet. Cepen- dant,étant donnée l'importance toute particulière de Saint-Martin etde ses dépendances, ce silencen'en reste pas moinsétrange. Ne pourrait-onpas l'expliquerpar la contestationentre les commu- nautésde Prouilleet de Saint-Hilaire?L'abbé de Saint-Hilaire ayantfait parvenir au pape sa protestation,et saint Dominique

1. Martèneet Durand, op. cit., t. VI, col. 439.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 252 JEAN GUIRAÜD. défenduson bien, InnocentIII n'aura pas voulu préjugerla questionet aura à desseinpassé sous silence,dans son privi- lège,l'objet en litige.Quoi qu'il en soitde cettehypothèse, il est certainqu'en 1218 le conflitétait déclaré. En mars 1217, il se terminaitpar une transaction,grâce à l'arbitragede The- disius,évêque d'Agde. L'abbé Alboinet le prieurAnselme obte- naient,pour leur monastère, l'entière reconnaissance de tousles biensqu'ils possédaient avant la guerredes Albigeois ; toutefois, le monastèrede Saint-Hilaireabandonnait pour toujours à saint Dominique,prieur de Saint-Romainde Toulouse,à Guillaume Claret,prieur de Prouille, et aux Frèresde la Prédicationl'église Saint-Martinde Limoux,à la conditionqu'ils paieraient,ainsi que leurssuccesseurs, une redevance annuelle de troismesures de fromentaux moinesde Saint-Hilaire; grâce à ce cens,le droit eminentdes Bénédictins sur l'église de Limouxétait reconnu en mêmetemps qu'était confirmée l'occupation des Dominicaines. Il est à croireque cettetransaction ne futpas observée,car l'annéene se passa pas sansde nouveauxconflits. Avant le mois de novembre1218, Alboinet ses moinesavaient occupé de force l'égliseet les possessionsde Saint-Martinet en avaientviolem- mentexpulsé les FrèresPrêcheurs, qui les détenaientau nomde Guillelminede Fanjeaux,prieure de Prouille.Le 26 novembre 1218, Arnaud,archevêque de Narbonne,chargeait son suffra- gant,l'évêque de Carcassonne,Bernard Raymond, de faireune enquêteet de remettreles religieusesen possessionde l'égliseet de ses biens,s'il étaitvrai qu'elles en eussentété dépouillées, et, le 13 avril 1219, BernardRaymond, agissant au nomde son métropolitain,rendait aux religieuseset sans conditionsl'église de Saint-Martin.L'acte de restitutionétait signé à Limoux,en présenced' Alboin, qui semblaits'y résigner,d'Isarn d'Aragon, archidiacrede Carcassonne,qui assistaitson évêque,d'Isarn de Conques,archidiacre du Razès, qui représentaitl'ordinaire du lieu,l'archevêque de Narbonne,et de plusieursautres témoins1. Les moinesde Saint-Hilairene se tinrentpas pourbattus ; ils en appelèrentdu jugement de l'évêqueau tribunaldu métropoli- tain,et l'archevêquede NarbonneArnaud dut examiner person-

1. Le récit de toutecette controversenous est faitpar le dominicainBernard Gui dans sonHistoria fundationum conventuum ordinis Praedicatorum, publiée par Martène,op. cit., VI, col. 439.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DU MONASTERE DE PROÜILLE. 253 nellementla cause.Il se transportaà Limouxdans les premiers joursd'octobre 1222 ; devantlui comparurentGuillaume Claret, prieurde Prouille,au nomdes sœurs, et l'abbéde Saint-Hilaire au nomde sesmoines. L'affaire fut discutée selon toutes les règles de la procédure,on entenditles deux parties,les témoins,les hommesde loi,on examinala questionde droitet la questionde fait,« quïbusomnibus et aliis quae pars utraquepropo- suit, auditis et intellectis,juris ordineobservato, facta conclusionejuris et facti,prehabito prudentum virorum consilio. » L'archevêqueordonna la restitutionà Prouillede l'églisede Saint-Martinet de ses dépendanceset défenditaux moinesde revenirsur cettequestion, « dictis abbati et con- ventuimonasterii S. Hilarii super premissisomnibus sïlentiumimponens » (6 octobre1222) *. Conrad,cardinal- évêquede Portoet légatdu Saint-Siège,confirma, le 27 mars 12232, la donationde Saint-Martinde Limoux,et il semblait que devantune semblabledécision le litigedût être définitive- mentterminé. Il n'enfut rien, car BernardGui nous mentionne sur cetteaffaire une nouvellesentence arbitrale du 27 mars 12243. Les deuxparties s'engagèrent, sous peined'une amende de 100 marcsd'argent pour les contrevenants,à respecter l'arbi- tragequi interviendrait entre elles, et elles choisirent pour arbitres l'abbéde Saint-Polycarpe,qui, en sa qualitéde bénédictin,pou- vait avoir une certainesympathie pour les moinesde Saint- Hilaire,et Isarn d'Aragon,qui, en sa qualitéd'archidiacre de Carcassonne,avait assistéaux jugementsprécédents en faveur de Prouilleet avaitmême, en 1209, mis Guillaume Claret en pos- sessionde Saint-Martin.La sentencefut rendue le 27 mars1224 ; elle nefaisait que confirmertoutes celles qui avaientété précé- demmentrendues en faveurdes religieuses. Cet accord fut défini- tif.Les termesen furent successivement confirmés, le 30 novembre 1229, par le légatRomani, cardinal-diacre de Saint-Ange4,et bientôtaprès, le 27 avril 1231, par PierreAmiel, archevêque de Narbonne5.Enfin, on sollicitadu Saint-Siègela confirmation

1. Bibl. nat., Doat, t. XCVHI, fol. 1. 2. Ibid.. fol. 37. 3. Martène, op. cit., et Ripoll, Bullarium ordinis Praedicatorum, t. I, p. 112, en note. 4. Martène,loc. cit. 5. Ibid., p. 441.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 254 JEAN GÜIRAUD. de l'arbitragede 1224 et GrégoireIX le fitpar une bulle du 25 mai 1241*. Dès lors,il n'y eutplus de contestations; l'église de Saint-Martinfigure dans le procès-verbalde la visitede 1340 et elleresta jusqu'en 1789 parmiles possessionsdu couvent. Cesdifférentes donations étaient dues un peuau hasarddes cir- constances; ceux qui les avaientfaites ne s'étaientpas concertés entreeux ; aussi,les propriétésdu couventne présentaient pas un caractèrehomogène. Elles étaientréparties dans des payséloi- gnésles unsdes autres ; cellesde Puivertétaient sur les confins du hautRazès et du paysde Foix, cellesde Limouxdans le bas Razès,celles de Sauzens,de Villenouette, de Bramsur les limites du Carcasseset du Lauraguais.Aux alentours même de Prouille, ellesétaient encore disséminées ; il y en avait à la Force,à Fan- jeaux, à Villesiscle,à Villasavary; enfin,même celles qui avoi- sinaientle monastèrene formaientpas un ensemble continu, elles étaientcoupées et séparéesles unesdes autrespar desenclaves appartenantà des paysansdes environs.Quelque diminué qu'il fût,le villagede Prouilleexistait toujours, et ses maisonss'éle- vaientnon loin des bâtimentsdu couvent.Or, saintDominique n'étaitpas seulementun apôtre,ce n'étaitpas nonplus un pur mystique,comme saint François; avant tout homme d'action, il savaitconduire à bonnefin une négociation, bien gérer le tempo- rel de ses fondationset pénétrerdans les détailsles plus minu- tieuxdes affaires. Aussi, voulut-il donner plus d'homogénéité aux propriétésde sonmonastère, et il lesgroupa en domaines distincts. Il travaillaà constituerd'abord celui de Prouille;ses successeurs devaientcréer les autres.Pour cela,il acheta,quand il le put, les enclavesétablies au milieudes terresdu couvent.Parmi les biensdu faiditGuillaume de Durfort,que RobertMauvoisin avait donnésaux religieuses,se trouvaitle moulinde la Roquette; mais plusieurspersonnes y avaientconservé des droitsde mouture. Pouren resterseul maître, saint Dominique racheta ces droitsà chacund'eux, par plusieurs actes successifs, de 1212et 12132. Le 14 mai1213, il acquitplusieurs pièces de terre sises à la fontaine de Prouille3;le 19 mai suivant,il achetaà Guillaumeet Ray- mondAimeri une parcelle de terre au vieuxchâteau de Prouille4.

1. Bullariumordinis Praedicatorum, t. I, p. 111. 2. Balme, op. cit., p. 336, 338, 381. 3. Ibid., p. 385. 4. Ibid.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATIONDU MONASTÈREDE PROUILLE. 255 Elle avoisinaitdes biensque le monastèrepossédait déjà. Elle confrontaità la propriétédes Rigaud; or, quelquesmois après, le 1erfévrier 1214 S saintDominique achetait, pour 27 sous melgoriens,une terreà MartinRigaud, et, quoiquel'acte ne précisepas où elle se trouvait,il est à présumerque c'était cellequi bordaitl'ancienne possession des frèresAimeri et, qu'en l'achetant,saint Dominique voulait encore unifier davantage le domainedu couvent.Enfin, le 25 octobre1215 2, il se faisaitdon- nerpar la richefamille des Babou de Fanjeaux d'autresterres avoisinantles précédentes,et ainsi, la mottedu vieuxchâteau se trouvaitpeu à peuenglobée dans le domainede Prouille. Pour assurerla duréede sa créationet lui garantirle patri- moinedéjà importantqu'il lui avaitprocuré, saint Dominique fit commeavaient coutume de faire,au moyenâge, les fondateurs ou leschefs de communautés monastiques : il eutrecours à la pro- tectionpontificale. Le pape InnocentIII avait convoquépour les derniersmois de 1215un concile général au Latran; saintDomi- niqueet l'évêquede Toulouserépondirent à cet appel. Le saint poursuivaitun objet plus particulier que la réformegénérale de l'église; il allaitsolliciter du pape son approbationpour l'ordre naissantdes FrèresPrêcheurs et sa protectionpour le monastère de Prouille,et, en effet, un moisavant l'ouverture du concile,le 8 octobre1215 3, InnocentIII concédaitaux sœursleur premier privilègepontifical. Il plaçaitleur couvent et leursbiens sous la sauvegardede saint Pierre et de ses successeurs, « sub b. Pétri et nostraprotectione suscipimus ; » il leurconfirmait la propriété de leurspossessions et menaçaitde l'indignationde l'apôtrequi- conquetenterait de les usurper,et, pour bien les leurgarantir, il en dressaitla listedans sa bulle. Bien que ce privilègesoit adressé« au prieur(Guillaume Glaret), aux frèreset aux reli- gieusesde la maisonde Sainte-Mariede Prouille,» et qu'il n'y soitpas faitmention de saintDominique, nul doutequ'il ne soit dû aux instancesdu saint; il suffitde se rappelerque sa date coïncideavec le voyagede saintDominique à Rome.C'était un documentde premierordre qui allaitavoir une importancecapi- talepour le développementultérieur du monastère.Jusqu'alors,

1. Balme, op. cit., p. 429. 2. Ibid., p. 541. 3. Bullarium ordinisPraedicatorum, t. I, p. 12.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 256 JEAN GÜIRAUD. la maisonde Prouillene s'étaitmaintenue et développéeque par la protectionde Simonde Montfortet de Foulques,évêque de Toulouse.Mais rienn'était plus instable qu'une protection sem- blable. Précisément,au conciledu Latran, le pape semblait prendreen main,contre les croiséset leurchef, la causede Ray- mondVI etde son fils venus à résipiscence; d'autre part, Foulques pouvaitentrer en conflit avec les Dominicains,qu'il protégeait en 1215, et la suppositionn'était pas gratuite,puisqu'elle devint uneréalité Tannée suivante ; et puis,dans ses profondesmédita- tions,saint Dominique ne pouvaitpas oublierla parolede l'Écri- ture: « Noliteconfidere principibus hominum! » Une seule puissanceétait éternelle et immuableà sesyeux, c'était celle de l'Église; elleseule pouvait donner une protection ferme et durable. C'est pourcela qu'il voulutrattacher son monastèreau Saint- Siègeet qu'il sollicitad'Innocent III la bulledu 8 octobre1215. Désormais,les religieusesétaient placées sous une puissante sau- vegardeet l'avenirétait assuré. Telle qu'ellea été publiéepar Ripoll,la bulled'Innocent III estd'un tel laconisme qu'on serait tenté d'en suspecter l'intégrité ; heureusementelle fut complétée, bientôt après, par un privilège analogued'Honorius III1. Les biensdu couventétaient de nou- veau énuméréset placés sous la sauvegardede saint Pierre; l'anathèmefrappait tous ceux qui les usurperaient; la règlede saintAugustin était établie à jamais dans le monastèreet per- sonnene pouvaits'y soustrairesans l'autorisationdu prieur.Ce derniery avait l'autoritésuprême et il devaitêtre nommé sans ruse ni violencepar la majoritédes religieux vivant à Prouille. Quoiqueplacé sous la protectionapostolique, le monastèren'est pas sousla juridictionimmédiate du Saint-Siège; il ne faudraitpas le compterparmi ceux que les bullesdésignent par ces mots: « Ad Romanamecclesiamnullo medio pertinentes, injus etpro- prietatemb.Pétri et sánete Romane ecclesie consistentes, » et dontM. Paul Fabrea si biendécrit la conditiondans son livre surle Liber censuum et V Église romaine1. Une seule remarque suffiraità le prouver,c'est qu'Honorius III ne lui imposeaucun cens à payerà la chambreapostolique. Demeurant entièrement

1. BuUarium ordinis Predicatorum.t. I, p. 7. 2. Cf. le chapitre intitulé: les Églises et monastères offertsà VApôtre, p. 32-115.

This content downloaded from 109.171.137.211 on Mon, 30 Jun 2014 08:13:24 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions SAINT DOMINIQUE ET LA FONDATION DU MONASTEREDE PROÜILLE. 257 sui juris, l'égliseet le couventrestent soumis à la juridiction ordinairede l'évêquede Toulouse ; la bullemaintient pour lui le paiementdes droitsque le droitcanon réserve au chefdu dio- cèse,« salva... diocesaniepiscopi canonica justicia. »Si elle n'exemptepas le monastèrede l'autoritéde l'ordinaire,elle lui donnecependant une certaine autonomie. Dans les paroissesqui relèventde Prouille,telles que cellesde Bram,de Limouxet de Fanjeaux,elle ne réserveà l'évêqueque l'investiturespirituelle du chapelainet des redevancesbien précisées ; au monastère,le droitde présentationetla libregestion du temporel.C'est à l'or- dinaireque les religieusesdoivent demander les sainteshuiles, le saintchrême, la consécrationdes autels et deséglises ; mais,s'il use de ces prérogativespour les opprimer,elles ontle droitde s'adresserà toutautre prélat, pourvu qu'il soiten communion avecle Saint-Siège. Au soinque pritsaint Dominique de placerainsi sous la pro- tectionapostolique le monastèrenaissant, on reconnaîtl'esprit pratiquequi le caractérise.Lorsque le bienheureuxmourut à Bologne,dans les premiersjours d'août 1221, sa fondationétait définitive.Le tempsn'est plus où, ne trouvantpas à se logerdans la petitemaison contigue à l'égliseet dans l'enclos de trente pieds de large, les neufpremières religieuses devaient se partager entreProuille et Fanjeaux! En 1221, plus de dix-huitsœurs habitaientle monastère,et, à côtéde leur couvent,s'était fon- dée une maisonde religieuxdominicains chargés d'administrer leursbiens et de dirigerleurs consciences; les bullesd'Inno- centIII et d'HonoriusIII sontadressées au prieuret aux frères dominicainsvivant à Prouille,« prioriS. Mariede Pruliano ejusquefratribus tam presentibus quam futuris.» Par suitede l'impulsionqu'il a reçuede son saintfondateur, le monastère continueraà faire les plusgrands progrès jusqu'à l'année1340, qui marquel'apogée de sondéveloppement. Jean Guiraud.

Rev. Histor. LXIV. 2e pasg. 17

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