Léotard RC5 (PDF, 918
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MES SOUVENIRS POLITIQUES Extrait de la revue Recherches contemporaines, n° 5, 1998-1999 Pierre de LÉOTARD 1 ANNÉES DE JEUNESSE Ma carrière politique. Je vais essayer de la retracer mais surtout d'indiquer les conditions qui m'y ont conduit et qui l'ont rendue possible. D'abord pourquoi la politique et pas une autre vocation. Dans mes proches, seul mon grand-père de Montalembert était maire d'une petite commune de 900 habitants, mais savais-je ce qu'était un maire et à quoi correspondait un tel mandat dans la hiérarchie des élus? Autour de moi, on parlait peu de situations et des moyens pour y parvenir. On avait une belle situation ou on était dans la gêne, mais chacun avait sa pudeur. On pouvait vivoter dans la misère et appartenir à une certaine classe. On pouvait vivre largement et n'être pas du même monde. J'évoque ces classifications en les réprouvant. Mais elles existaient et je me dois de les relater. Mon père était représentant de commerce ; c'était d'autant moins brillant que dans la famille les préjugés fleurissaient à plein. Seuls ses proches qui connaissaient ses débuts difficiles, son sérieux et sa capacité au travail, le louaient d'avoir fondé et mené un foyer qui, modestement, allait son train. Les comparaisons étaient toutes en faveur de mon père. Il y avait de multiples exemples de frère ou cousins qui vivaient on se demandait comment, en mangeant comme on disait alors la fortune de leur femme. Donc, pas d'ambiance me poussant vers la politique. Simplement un intérêt précoce pour les résultats électoraux et pour le royalisme. Tout cela 186 Matériaux pour l’histoire du RGR représentant pour moi des nébuleuses de conversations, des penchants plus que des options, des regards et non des choses. On m'aurait alors ouvert d'autres horizons que je les aurais regardés. Non, le train train d'études médiocres, de vacances routinières, de nouvelles familiales, tout cela était étriqué. Rien ne prouve d'ailleurs que si on avait voulu me donner d'autres orientations, armée, clergé, agriculture, colonies, fonctionnariat, je m'y serais prêté. J'étais comme un coquillage sur une crique. Je vivais, je ne voyais pas. Même si on m’avait montré, je n'eus peut-être pas regardé. Il eût fallu toute la persévérance et l'habileté d'une Mme de Genlis1 pour me sortir du médiocre où je campais. Je devais en être plus ou moins conscient, puisque l'avenir politique fut pour moi l'objectif lointain et difficilement accessible. Encore que, pour y parvenir, je ne me livrai à aucun travail pouvant m'en rapprocher. Et comme nul n'avait encore sondé ma pensée, si ce n'est pour m'en éloigner, nul ne me guidait ou ne m'incitait à d'abord réussir dans mes études, pour un jour avoir la prétention d'être un meneur d'hommes. Les élections de 1924, le succès du cartel des gauches et les réactions des modérés minoritaires me donnèrent le sentiment que tout se jouait au parlement et par la voie électorale. Les hommes, étant peu motivés par les spectacles et par la radio, l'étaient par le jeu politique. Quelle que soit sa situation sociale, l'homme avait l'impression de vraiment peser, surtout lorsque, en 1924, la majorité politique est passée de la droite à la gauche. La Gironde donna un spectacle type des divisions à droite et d'une union de la gauche suivie par un surprenant succès. En 1919, la liste du bloc national l'avait emporté sans mal. En 1924, il y avait trois listes à droite, celle de Georges Mandel2 avec trois autres députés sortants, peu connus sur le plan national, 1. Madame de Genlis était la préceptrice des enfants du duc d’Orléans dont le futur Louis-Philippe. Celui-ci en trace un portrait moins flatteur dans ses souvenirs. "Son instruction était factice et superficielle" note-t-il même s’il ajoute, après avoir été fort critique, "il est incontestable que Mme de Genlis mérite beaucoup d’éloges pour avoir établi, dès ce temps-là, un système libéral dans une éducation de Prince, et nous avoir toujours donné de bons principes de morale et de conscience (en italique dans le texte)". Louis-Philippe, Mémoires, 1773-1793, Paris, Plon, 1973, tome 1, p. 20, 27. 2. Georges Mandel (1885-1944) est alors connu pour avoir été le zélé et brillant directeur de cabinet de Georges Clemenceau durant la Grande Guerre. Après des tentatives infructueuses dans différentes circonscriptions, Georges Mandel est élu député de la Gironde en 1919. Il fut parlementaire pendant dix-sept ans, conseiller général de Lesparre et maire pendant vingt. Ancien ministre des Postes (1934-1936) et des Colonies (1938-1940), Mandel devient ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Paul Reynaud. Hostile à l’armistice, il refuse de quitter la métropole pour Londres comme le lui propose le général Spears. Emprisonné par Vichy puis par les Allemands, il est assassiné par la Milice en 1944. Sur Georges Mandel, on pourra se reporter à Bertrand Favreau, Georges Mandel ou la passion de la République, 1885-1944, Paris, Fayard, 1996, 568 p. ainsi qu’au livre de Jean-Noël Jeanneney : Georges Mandel, l’homme qu’on attendait, Paris, Éd. du Seuil, 1991, 185 p. Souvenirs politiques de P. de Léotard 187 Ballande1, Frouin2 et Paul Glotin3, puis le colonel Picot4 et enfin Lorin5 qui fit d'ailleurs peu de voix6. Dans la liste Mandel, il y avait un nouveau venu, l'abbé 1. André Ballande (1857-1936), armateur-négociant dirigea la maison "L. Ballande" que son père avait fondée à Bordeaux. Type même du notable catholique, André Ballande est député de 1902 à 1924. Contrairement à ce que laisse entendre Pierre de Léotard, André Ballande, sans être un homme politique de tout premier plan, est un homme influent. Il représente à la Chambre les intérêts du négoce bordelais. Sa maison avait de grands intérêts en Océanie et plus particulièrement en Nouvelle-Calédonie. En 1924, il occupe la troisième place sur la liste clemenciste, derrière l’abbé Bergey et Georges Mandel. Il fut directeur du journal La Liberté du Sud-ouest qui a soutenu les candidatures de Mandel puis l’Union populaire républicaine de l’abbé Bergey. Son échec de 1924 met un terme à sa carrière politique nationale. Les renseignements biographiques des députés girondins ont été tirés, sauf mention contraire, de Sylvie Guillaume et Bernard Lachaise (dir.), Dictionnaire des parlementaires d’Aquitaine sous la Troisième République, Presses universitaires de Bordeaux, 1998, 624 p. L’Équipe de recherche en histoire politique de l’université Michel de Montaigne–Bordeaux III a aussi publié : Députés et sénateurs de l’Aquitaine sous la IIIème République, 1870-1940. Portrait de Groupe, Talence, MSHA, 1995, 367 p. Voir aussi Olivier Forcade, Les députés en Gironde dans l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise, université Bordeaux III, 1986, 130 p. Pour les parlementaires en général : Jean Jolly (dir.), Dictionnaire des parlementaires français. Notices biographiques sur les ministres, députés et sénateurs français de 1889 à 1940, 8 vol., PUF, 1960-1977 ; Dictionnaire des parlementaires français, 1940-1958, Paris, La Documentation française, 3 vol., 1988, 1992 et 1994 ; Pierre Avril et alii, Personnel politique français, 1870-1988, Paris, PUF, 1989, 442 p. ; Gisèle et Serge Berstein, Dictionnaire historique de la France contemporaine, 1870-1945, Bruxelles, Éd. Complexe, 1995 ; P.-M. Dioudonnat et S. Bragadir, Dictionnaire des 10000 dirigeants politiques français, Paris, Sedopolis, 1978, 755 p. Ont été aussi consultés les éditions du Who’s who et le dossier individuel des députés qui n’ont pas encore fait l’objet de notice dans le dictionnaire des parlementaires en cours de publication. Nous renvoyons une fois pour toutes à ces ouvrages et au fonds d’archives de l’Assemblée nationale. 2. Élisée Frouin (1883-1964), fondé de pouvoir au Crédit lyonnais, appartient à une famille de propriétaires terriens qui comptent de nombreux élus locaux et, par sa femme, est allié à Pierre Taittinger, futur président du Conseil municipal de Paris. Combattant valeureux de la première guerre mondiale, il figure sur la liste Mandel en 1919. Il fut, sans succès, candidat au Palais Bourbon en 1924 et 1928 et au Sénat en 1932. 3. Paul Glotin (1870-1933) est par sa mère, et avec son frère, le propriétaire de la célèbre maison Marie Brizard. Il a participé à l’organisation de l’Action libérale populaire en Gironde en 1902, fut président d’honneur de l’ACJF et, avec André Ballande, l’une des principales figures du "Parti catholique". Député en 1919, battu en 1924, il fut conseiller général de 1919 à 1928. 4. Le colonel Yves Picot (1862-1938), saint-cyrien, est le modèle de l’officier, combattant de très grande valeur de la première guerre mondiale, entré en politique. Président de l’Association des gueules cassées, il renforce la tonalité "ancien combattant" de la liste Mandel en 1919. En 1924, il est réélu sur la liste de concentration républicaine. Il fut un éphémère sous-secrétaire d’État à la Guerre dans le cabinet Briand (juin-juillet 1926). Réélu en 1928, il se désiste en 1932 pour un candidat mieux placé. 5. Henri Lorin (1866-1932) est professeur de géographie coloniale à la Faculté des lettres de Bordeaux et correspondant de l’Institut de France. Comme spécialiste des questions coloniales, il participa à la préparation des traités de paix et aux commissions interalliés. Sa femme, fille du président de la Chambre des notaires, l’introduit dans la bourgeoisie bordelaise. Élu député en 1919, battu en 1924, réélu en 1928, il décède entre les deux tours des élections de 1932.