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DEPARTEMENT D'HISTOIRE ET DE SCIENCE POLITIQUE Faculté des lettres et sciences humaines Université de Sherbrooke

LESREPRÉSENTATIONS DU POUVOIR A TRAVERS LA CORRESPONDANCE

DU CONTROLEUR GÉNÉRALDES FINANCES (1689-1715)

Charles Vincent Bachelier es arts en histoire de l'université de Sherbrooke

&MOIRE PRÉSENTÉ pour obtenir LA MAETFUSE ES ARTS EN HISTOIRE

Sherbrooke DECEMBRE 1998 National Library Bibliothèque nationale I*l of Canada du Canada Acquisitions and Acquisitions et Bibliographie Services senrices bibliographiques 395 Wellington Street 395. nie Wenillgtori OttawaON KlAOCJll OtlawaûN K1AW Canada Canada

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LESREPRÉSENTATIONS DU POUVOIR À TRAVERS LA CORRESPONDANCE

DU CONTROLEUR GÉR-IIÉRAL DES FINANCES (168% 17 15)

Charles Vincent

Ce mémoire a été évalué par un jury composé des personne suivantes :

Madame Christine Métayer (directrice de recherche) Madame Sylvie Pelletier, Université Laval Monsieur Jean-Herrnan Guay, Université de Sherbrooke Résumé

Si le statut juridique du contrôleur générai des £inances, ce ministre qui à partir du règne de Louis XIV fit le second personnage de la monarchie, est bien connu, la perception qu'on en avait dans la société, la représentation qu'on s'en faisait, demeurent équivoques. En étudiant sa correspondance, conservée aux Archives nationales de sous la cote G', il est possible de dégager plusieurs facettes de sa qersonnalité politique» qui renvoient une image plurivalente excédant celles de conseiller ou ministre, voire celle de premier ministre. Les gens qui lui écrivaient interpellaient tous collectivement et individuellement une ou plusieurs de ces différentes facettes et, ce faisant, donnaient du sens au politique. Ces interpellations laissent en effet apparaître comment les gens se représentaient le pouvoir, comment ils connotaient l'autorité.

Les représentations du pouvoir contenues dans la correspondance du contrôleur sont nombreuses et variées. Pour certaines, elles s'enracinent dans le statut juridique du personnage, pour d'autres, elles permettent de délimiter l'espace politique dans lequel les gens Ie voyaient évoluer, en dehors du champ financier et économique. Là se trouve l'objectif de recherche de l'auteur, dans cet espace extraordinaire. Plus précisément, l'auteur nous présente ici deux représentations msurpées)) du contrôleur général des finances, deux images qui font du contrôleur général des finances l'homme le plus important du royaume, l'une immédiatement après le roi et en accord avec celui-ci (Un second Joseph le Patriarche, chapitre 2), t'autre au même niveau et en concurrence directe avec le roi (Le pater familias, chapitre 3).

Ces représentations tirées de la correspondance des trois derniers contrôleurs de Louis XTV, en poste de 1689 à 1715, sont doublement usurpées. D'abord, par rapport aux pouvoirs réels, ensuite par rapport à la propagande monarchique. Faire du contrôleur un second Joseph le Patriarche ou encore le pater fimilias du royaume de France allait à l'encontre des pouvoirs réels du contrôleur, appelait une réalité dépassée, morte avec le premier contrôleur de Louis XTV, Jean-Baptiste Colbert, mais aussi, c'était nier les représentations émises par le pouvoir. D'une part, le contrôleur général des finances n'était plus, entre 1689 et 1715, un personnage aussi puissant qu'il l'avait été sous Colbert. D'autre part, faire du contrôleur général des finances le personnage le plus important du royaume était nier l'absolutisme du roi, c'était rejeter les représentations émises par l'autorité monarchique. Remerciements

Je tiens à témoigner toute ma reconnaissance à ma directrice, Madame Christine Métayer. Non seulement elle m'a initié au travail en archives, à , a l'été 1996, mais elle est la personne qui sans l'ombre d'un doute a le plus contribué a former ma tête d'historien, que ce soit en traquant mes utopies, en nourrissant mes intuitions, en structurant mes idées ou encore en m'apprenant l'art de ((fendre les morts pour leur en extirper le sens» (Arlette Farge). Par le don bienveillant de son temps, ses fins conseils, académiques et autres, ses saines critiques, sa rigueur apparemment inébranlable et ô combien stimulante, elle m'a transmis une façon d'aborder l'histoire qui fait appel à l'intelligence et dont j'espère ne jamais me défaire. Je fais part du même souffle de mes remerciements à mon premier lecteur, Monsieur Jean-Herman Guay, pour les commentaires qu'il a formulés lors des séminaires de présentation, des commentaires parfois déstabilisants mais toujours encourageants et garants d'une réflexion utilitaire. Je m'en voudrais de passer sous silence le travail remarquable de ma seconde lectrice, Madame Sylvie Pelletier. Ses remarques, exhaustives et pertinentes comme toujours, ont grandement contribué à I'amélioration de la première version de ce mémoire. Aux Archives nationales de France, je remercie Mademoiselle Marie-Thérèse Lalague-Guilhemsans, conservatrice à la section ancienne, qui a su répondre à mes questions en début de parcours et me faciliter l'accès a plusieurs documents non disponibles à la consultation. Au Québec, je tiens à remercier Monsieur Bertrand Gosselin, qui gentiment m'a prêté un exemplaire d'une Bible éditée par David Martin, en 1722, sans laquelle l'analogie avec Joseph le Patriarche n'aurait pas eu la même saveur.

Charles Vincent

Cette recherche a été réalisée avec l'aide financière du Fonds FCAR. Tables des matières

Introduction

UNE QUESTiON D'IMAGES

LE CONCEPT DE REFRÉSEKTATICW

LACORRESPONDANCE DU CONTROLEUR

Chapitre 1 : UNE VOIE DE CONSEQUENCE

A. LES AUTEURS

B. LES MOTIFS

C. LES s-rRA'r-e~LEs

Chapitre 2 : UN SECOND JOSEPH LE PATRIARCHE

A. LE TSAP~A TH-PAN~CH

B. UN HOMME DE CONFI&'CE

C. UN HOMME D'INFLUENCE

Chapitre 3 : LE PATER FAMILUS

A. LE PROTECTEUR

B. LE JUSTICIER

C. LE PACIFICATEUR

Conclusion

Sources et bibliographie Introduction

Le contrôleur général des hances est celui qui, dans la France moderne, assumait la direction de toutes les finances ordinaires et extraordinaires du royaume1. Son titre lui conférait la place de aconseiller ordinaire)) -place qu'il occupait au sein du conseil royal des finances- et il siégeait à tous les conseils royaux, honnis le conseil d'État auquel il n'était admis que lorsque le roi le jugeait opportun2. Malgré cette importante exclusion, à partir de la fin du siècle, le contrôleur général des finances détenait des pouvoirs qui outrepassaient largement le statut de chef des fuiances de l'ensemble du royaume. U prenait part à la gestion de l'économie, de même qu'au gouvernement de l'État en général. A partir du règne de Louis XIV, il était le ministre le plus important du royaume, un prestige que le monarque pouvait cependant révoquer en tout temps. Citons, ne serait-ce que le cas de qui, bien qu'étant l'ami persomel du roi, fut démis de ses fonctions en 1708 parce qu'il était, dit-on, ((dépassé par les événements)?.

' Suivant la (wieille conception féodale)), les finances ordinaires étaient les revenus du Domaine du roi et les finances extraordinaires, les différents impôts. Les finances extraordinaires tiraient leur nom du fait qu'elles itaient, en principe, exceptionnelles, même si dans les faits «la coutume en avait consacré l'usage)). À la fin du règne de Louis XW,le domaine royal (corporel et incorporel) ne représentait que 5 p. cent des ressources du royaume. On comprend alors pourquoi les finances e.utraordinaires se développèrent dès le XIV' siècle, donnant naissance a une fiscalité directe (la taille royale) complétée par une fiscalité indirecte (mites, aides, gabelle), l'emprunt. la création d'offices et les mutations monétaires (Guy Antoneni, ({Finances publiques)), dans François Bluche (dir.), Dicrionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1994, p. 592). À partir de CoIbert cependant, l'importance du contrôleur était telle qu'il était généralement convié au conseil d'État. Pontchamah y fur introduit un an après son entrée en fonction, Chamillart dut anendre quatorze mois et Desmarets, huit (Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, tome II : 1598-1 789, Paris, PUF, 1992, p. 194). Le nombre de conseils et de conseillers variaient en fonction des règnes. Sous Louis XIV, il existait quatre grands conseils : le conseil d'en haut ou conseil d'État qui s'occupait des affaires extérieures et des affaires intérieures importantes ; le conseil des dépêches qui se consacrait aux affaires courantes de l'administration intérieure ; le conseil des finances qui s'occupait de l'ensemble des questions financières ; et le conseiI privé ou conseil des parties dont la compétence était limitée aux affaires judiciaires (Jacques Ellul, Histoire des instilutions, tome IV :XV. -WIIf siècles, Paris, PUF, 1986, p. 157). Michel Chamillart, Correspondance et papiers inédits recueillis ex publiés par I 'abbé G, &nad[, tome 1, Genève, Mégariotis Reprints, 1884 ; François Bluche, (Amis du roi», dans F. Bluche, (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle ..., p. 70 et 71. Saint-Simon prétend que Chamillart aurait été un peu trop prodigue à l'endroit d'un ami financier, un certain François Moricet, et que ses bontés le privèrent de ressources pour le service de la guerre. Même s'il ne ((détourna jamais une pistole à ses usages particuliers), assure le mémorialiste, Chamillart fut contraint de laisser son poste de contrôleur général à la suite de cette faute (Saint-Simon, Mémoires, tome XVII, Paris, Hachette, 1929, p. 190-194). Sans mentionner explicitement cet événement, la plupart des auteurs, historiens ou autres, s'entendent toutefois pour dire que Chamillart était totalement «incapable» d'administrer les finances publiques et que devant la «détresse» financière du début du siecle, Louis XIV n'eut d'autre choix que de se C'est sous l'impulsion de Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général de 1665 a 1683, que la fonction est devenue la deuxième plus importante de la monarchie. Le poste existait en effet depuis 1554', mais il était subordonné a celui de surintendant des finances, poste qui fut aboli définitivement par Louis XIV le 15 septembre 1661'. Conséquence d'une lutte acharnée livrée par Colbert au chancelier Pierre Séguier, I'accroissement des pouvoirs du contrôleur général s'inscrit dans la

- résoudre à en confier la gestion B quelqu'un de plus compétent, en I'occurrence Desmarets (Adolphe Chémel, Hisroire de l'administration monarchique en France depuis I'avènement de Philippe-Augusre jusqu 'à ka mort de Louis Mt'. tome II, Genève. Slatkine-Magariots, 1974, p. 4 17-423). ta charge füt créée par un édit royal du mois d'octobre 1554. Le contrôleur général des finances avait alors pour mission de surveiller les finances royales, c'est-à-dire d'en «suivre les mouvements de fonds, viser les pièces correspondantes et en tenir registre a l'intention de la chambre des comptes)), Jusqu'au règne personnel de Louis XIV, la charge fut tantôt supprim2e et exercée par les intendants des finances, tmtôt rétablie au profit du contrôleur général. Avant d'échoir a Colbert, le 12 décembre 1665, elle était exercée conjointement par Barthélemy Hervart et François Le Tonnelier de Breteuil (Jean-Louis Harouel, «Contrôleur général des fuiances», dans Lucien Bély (dir.), Dicrionnaire de l Ancien Régime. Royaume de France XVf -XVIIf siècles, Paris, PUF. 1996, p. 333 et 334). La charge de surintendant des finances était tellement importante qu'elIe plaçait le roi <(sousla dépendance)) de son détenteur. En 1661. après l'arrestation de Fouquet, fidèle à sa volonté de tout diriger personnellement, Louis XIV la supprima et devint son propre surintendant des finances. Il exerçait ce pouvoir au sein du conseil royal des finances, à l'intérieur duquel le contrôleur général jouait le rôle de rapponeur. Siégeaient également à ce conseil le chancelier, des intendants de finances et deux conseillers d'État. Le conseil des finances décidait de la perception des impôts et de leur montant, des emprunts a effectuer, des mutations monétaires, des contrats à passer avec Ies traitants et le clergé. II se réunissait trois fois par semaine, à partir d'avril 1665, les mardis et jeudis, puis les mardis et samedis (Guy Antonetti, ((Finances publiques)), dans F. Bluche (dir.). Dicrionnaire du Grand Siècle .... p. 592 ;J. Ellul, Histoire des imtitztriom, tome IV ..., p. 158 et 159 ; R Mousnier, Les instiruriom ..., p. 155 et 156). "*esqxession est de Michel Antoine, mais Roland Mousnier partage cet avis et parle lui aussi d'une c

Ce cumul de fonctions eut pour principale conséquence de pourvoir Colbert de pouvoirs considérables, de faire de lui le second personnage de la monarchie. Parce qu'il exerçait simultanément les charges de contrôleur général des fuiances et de secrétaire d'État, il pouvait signer «en commandement les actes législatifs qu'il préparait)) et «procéder à leur expédition)), autrement dit, il avait la prépotence dans les nombreux champs de compétence que le roi lui avait attribués". En dépit du fait qu'aucun de ses successeurs ne profita d'une aussi grande

Cette charge de contrôleur, qui en fait était une commission, attribuait a Colben «entrée et séance dans tous les conseils d'État et direction des Finances royales avec voix délibérative en toutes les affaires qui s'y traiteraient ; contrôle de tous Ies quinances, mandements, prescriptions du garde du Trésor et du trésorier des revenus casuels, et de tous ies deniers ordinaires et e.maordinaires dont il serait fait recette au profit du roi ; contrôle de toutes les commissions espédiées pour la levée des impositions ; contrôle de tous ies octrois, dons, acquits patents, remboursements, rôles de validation et de rétablissement; pouvoir de faire le rapport au conseil de toutes Ies affaires concernant le service du roi ou non ; faculté en cas d'absence, maladie ou légitime empêchement, de nommer un commis au contrôle ; permission de tenir la commission de contrôleur général des £inances et de l'exercer conjointement avec I'oftice d'intendant des finances dont il était pourvu) (R Mousnier, Les inrriruriom..., p. 193). R Mousnier, Les imtiturionî ..., p. 156. IO La Marine comprenait le commerce intérieur et extérieur, les compagnies des Indes orientales et occidentales, les consulats et les haras. Quant à la Maison du roi, elie englobait l'administration de Paris et les affaires du clergé (S.- L. Harouel, ((Contrôleurgénéral des finances». dans L. Bély (dir.), Dictionnaire de 1 'Ancien..., p. 334). II J.-L. Harouel, «Contrôleur général des finances)), dans L. Bély (dir.), Dictionnaire de I Ancien ..., p. 334. " Voici le résumé des ((affaires dont s'occupait directement)) Colbert : «le trésor royal, les parties casueiles ; les fermiers ; le clergé ; le commerce extictwieur et intérieur ; la compagnie des Indes ; l'extraordinaire dcs guerres, le pain de munition. les vivres de l'artillerie ; Ies rentes, les monnaies ; les pays d'États, les parlements et cours souveraines ; Ies ponts et chaussées, les levées, barrages et pavé de Paris ; les manufactures ; les octrois des villes, concentration de pouvoirs, le contrôleur général demeura jusqu'à la fin de l'Ancien Régime le (ministre essentiel» de la monarchie. Seulement deux domaines lui échappaient : les affaires étrangères et la guerre, et d'un point de vue juridique, un seul pouvoir lui faisait défaut, celui d'ordonnancement, Mais, dans les faits, même si Ie roi s'était réservé cette compétence, il s'en remettait généralement au contrôle~r'~.

Jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, quatre hommes succédèrent à Colbert : Claude Le Pelletier (1 683- l689), Louis Phelypeaux-Pontchartrain ( 168% I699), Michel Chamillart (1 699- 1 708) et Nicolas Desmarets (1 708- 17 15). Avant d'être nommé contrôleur général des finances, Le Pelletier avait travaillé au code de droit canon et occupé les fonctions de président aux requètes et de prévôt des marchands. Homme de bien. modeste, son passage au contrôle général dura six ans. Son successeur immédiat, Pontchartrain, fût conseiller au parlement de Paris et premier président au parlement de Bretagne avant d'être nommé intendant des fmances puis contrôleur général des hances. II démissionna du contrôle général pour devenir chancelier, en 1699, poste qu'il occupa jusqu'en 1714. Chamillart hérita alors du contrôle général. Patient, affable, bon, appliqué, peu éclairé mais d'une honnêteté scrupuleuse, il fut forcé d'abandonner la charge de contrôleur parce qu'il était incapable de trouver les fonds nécessaires aux entreprises du roi. Desmarets lui succéda en 1708. Il occupa la charge jusqu'à la mort du Roi-Soleil, et c'en par conséquent à lui que revint la pénible tâche d'administrer un royaume dévasté par les guerres, les disettes et la crise économique. Rappelé d'une disgrâce en 1686 pour seconder le contrôleur Le Pelletier, Desmarets monta les échelons du pouvoir jusqu'à occuper lui-même le poste en février 1708. cfléritier intellectuel)) de Colbert, son oncle, il réussit à tenir la barre d'un navire à l'avenir sombre, sans toutefois appliquer des mesures spectaculaires.

Si le statut juridique du contrôleur général des finances est bien connu, ia perception qu'on en avait dans la société, la représentation qu'on s'en faisait, demeurent équivoques'4. À

les dettes de communautés ; les ligues suisses ; la caisse générale des amortissements)) (R. Mousnier, Les insrirurions..., p. 193). 13 J.-L. Harouel, «Contrôleur général des finances)),dans L. Bély (du.), Dictionnaire de l'Ancien..., p. 335. 14 Sur son statut juridique, voir notamment Marcel Pinet (dir.), Histoire de la fonction publi~een France, tome II : ,Wr-.WIIf siècles, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1993, p. 123-1 54 ; Jacques Ellul, Histoire des imtitutions, tome IV : XV.-XVIIf siècles, Paris, PUF, 1 986, p. 152- 1 59 ; Roland Mousnier, Les imtitutiom de la France sou la nzonarchie absolue. tome II : 1598-1 789, Paris, PUF, 1974-1 980. chap. IV, p. 180-213. tout le moins, nous savons que le contrôleur se faisait appeler cconseillem et (aninistre)),ce qui en soit n'a rien d'étonnant dans la mesure où il faisait partie du conseil d!État''. En revanche, nous ignorons comment la population se représentait cet officier chargé de mener de train ordinaire des affaires», pour reprendre l'expression d'Alexis de ~oc~uevilk'~.Aux yeux des grands, prétend Mousnier, au même titre que les autres ministres, il faisait partie des (petites gens», c'était un simple «commis du roi)) ; alors que pour d'autres, il était une acréature du roi», voire un «despote»". Or, comme il occupait un poste prestigieux, nombreux étaient ceux qui s'adressaient à lui. En étudiant sa correspondance, conservée aux Archives nationales de France sous la cote G', il est possible de dégager plusieurs facettes de sa qerso~alitépolitique» qui renvoient une image plurivalente excédant celle de simple ministre, voire celle de premier ministre".

Les gens qui lui écrivaient interpellaient tous collectivement et individuellement une ou plusieurs de ces différentes facettes et, ce faisant, do~aientdu sens au Ces interpellations laissent en effet apparaître comment les gens se représentaient le pouvoi?O, comment ils connotaient l'autorité2'. En étudiant ces facettes, il est possible de comprendre la perspective politique dans laquelle le contrôleur général évoluait, mais aussi quels rôles ont pu

" Cette afirmation est d'autant plus mie qu'au cours du Grand Siècle, Ie statut de ministre avait beaucoup perdu de son irnponance et appelait plusieurs réalités. Dans son Dictionnaire, Furetière écrit que le ministre est celui ((qui sert a Dieu, au public, aux particuliers)).C'est ainsi que le prêtre était le ministre de Dieu ; le magistrat, le ministre du roi et le sergent, le ministre de la justice (Antoine Furetière, &¶.bistre», dans Le Dictionnaire universel contenant généralement rom les mots fiançais, tant vieux que modernes, et les termes de routes les sciences et arts : divisé en trois tomes. Paris. Le Robert, (1690) 1978). Néanmoins, au sein de l'appareil gouvernemental, le mot ministre désignait «surtout les principaux responsabIes du gouvernement», en l'occurrence le chancelier et

uearde des sceaux. le surintendant et le contrôleur général des finances. de même que les secrétaires d'État (François Bluche, «Ministre». dans F. Bluche (dir,), Dictionnaire du Grand Siècle ... ,p. 1030 et 1O3 1 ). 16 Cité dans Viollet, Le roi er ses ministres. p. 234. Rapporté par Marcel Marion dans son Dictionnaire des insrinrriom de la France aux XVIf et XVIIr siècles, New York, Burt Franklin, 1923, p. 143. R. Mousnier, Les insrirutions..., p. 155 et 157. Notons que, pour la période étudiée (1689-1715). le roi n'avait oficiellement aucun premier ministre. Le dernier avait été Mazarin, mon en 1661, et le premier du règne suivant sera le cardinal Guillaume Dubois, premier ministre en 1722 et 1723. Le politique ne se définit pas seulement «par l'accès au pouvoir et son exercice sur un territoire donné, mais aussi par la construction d'une sphère publique, la mise en scène de la représentation politique, le façonnage symbolique des rapports entre gouvernants et gouvernés)). Marc Abélès, Anthropologie de l 'Etat, Paris, Armand Colin, 1990, p. 116. Selon la définition la moins contestée, le pouvoir est «la capacité d'un individu A d'agir sur un individu ou un groupe B» (M. Abéles, Anthropologie ..., p. 64). Le pouvoir politique, quant à lui, est da possibilité d'incliner les volontés des autres membres de la société à agir dans tel ou tel sens, c'est la capacité de décider pour l'ensemble et de faire exécuter sa décision par les autres)). 11 peut prendre différentes formes : persuasif, coercitif et économique (Roland Mousnier. Monarchies et royautés. De la préhistoire a nos jours, Paris, Penin, 1989, p. 9). jouer ces diverses représentations dans le fondement de l'autorité, que ce soit en tant qu'instrument de légitimation ou de contestation. Plus précisément, une telie analyse nous pionge au coeur du processus de la depenomaiisation de l'Éd dont l'aboutissement fût, au XWI? siècle, la désacralisation du pouvoir royal et sa fin un sujet d'étude qui a fait couler beaucoup d'encre au cours des dernières années.

UNE QUESTION D'IMAGES

Aujourd'hui, alors même que état est en crise, qu'il est partout remis en cause et qu'on s'acharne a le dépouiller de «l'essentiel de ses justifications)), voila qu'il est devenu «la grande affaire historiog~a~hi~ue»~~.Depuis le dernier quart du siècle, au moment où les historiens ont commencé à s'intéresser en grand nombre à la nation, entendue alors comme l'État et ses institutions, l'engouement de ceux-ci à l'égard de l'État n'a pas cessé de croître. Si les angles d'approche ont d'abord été dans les années 1930, avec les Annales, la société et l'économie, puis à partir des années 1970, la démographie et les mentalités, ils se sont recentrés tout récemment sur la politique et l'État en tant que tel2'. En plus d'un siècle, les historiens de l'État ont progressivement délaissé l'histoire institutionnelle au profit d'une histoire axée sur la culture, au sein de laquelle le concept de représentations occupe aujourd'hui une place de plus en plus importante.

En France, c'est l'État lui-même qui fit appel aux historiens pour enquêter sur la crise dont il est victime. C'est grâce à une Action Thématique Programmée (ATP), lancée en 1984 par

'' L'autorité est considérée ici dans son sens le plus strict, comme le droit de commander, le pouvoir d'imposer I 'obéissance. " éta état est toujours aussi un idéal : on ne saurait donc le traiter comme une chose, une institution. Il est un résultat, un développement de l'activité des hommes. C'est l'idéal d'État qui flotte dans leur téte [les hommes politiques et le public] qui oriente leur action. Une fois encore, de l'objet (l'institution et son fonctionnement), nous sommes renvoyés à sa représentation» (M. Abéiès, Anthropologie.-., p. 82). Michel Antoine, «La monarchie absolue», dans Keith Michael Baker (ed.), The French Revolution and the Crearion of Modern Polirical Culture. vol. 1 : The Polirical Culture of the Old Regime, New York, Pergamon, 1987, p. 14. Sous la plume de Jean-Marie Apostolidès, cette dépersonnalisation de l'État prend la forme du passage d'un «roi machiniste)) a un «roi machinen (Le Roi-machine, spectacle er politique au temps de Lou& NV, Paris, minuit, 198 1 ). Alain Guery, «L'historien, la crise et l'État», lnnales Histoire. Sciences Sociales, no 2, mars-avril 1997, p. 233. le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) -une institution financée par l'État-,

qu'a VU le jour une série de volumes consacrés à la Genèse de ?*État moderne2! Le Centre de Recherches Historiques et la Fédération Européenne de la Science ont par la suite emboîté le pas'7. Ces travaux m'ont été d'une précieuse utilité, d'autant qu'ils sont pour la plupart consacrés à la monarchie d'Ancien Régime et qui plus est, qu'au sein de cette littérature, les historiens ont fait la part belle au règne qui m'intéresse tout particulièrement, celui du Roi-Soleil. Ces ouvrages viennent s'ajouter a l'impressionnante bibliographie déjà vouée au règne du Grand Roi.

En effet, les ouvrages consacrés au règne de Louis XIV sont trop nombreux pour être recensés ici. Pendant longtemps, et ce depuis le XVF siècle. ils se sont divises en deux catégories, l'une caractérisée par une image «rose» du monarque, l'autre marquée par une image «noire»'s. D'un côté les travaux qui faisaient du Roi-Soleil un Apollon, de l'autre ceux qui le dépeignaient comme un ~abuchodonoso?~.Plus récemment, les historiens du règne de Louis le Grand se sont penchés sur les relations existant entre le pouvoir, les représentations et le sacré. Ces travaux s'inscrivent pour la plupart dans la continuité des recherches menées par Ernst H. ~antorowicz~~et ont donné lieu a la naissance d'une école, I'école américaine dite des

-- A. Guery, ((L'historien...)), p. 244. 'b On trouve ces volumes dans une collection dirigée par Wim Blockmans et Jean-Philippe Genet, intinrlée Les origines de f 'Érar moderne en Europe et éditée aux Presses Universitaires de France. " Le Centre de Recherches Historiques a notamment contribué a l'organisation d'une table ronde sur ictes fondements de la modernité monarchique en France (XNC-XVIIe siècles)*>, tenue le 25 mai 1991 à l'École Normale Supérieure, et dont les textes ont été réunis par Neithard Bulst, Robert Descimon et Alain Guerreau, dans L'E~u~ou le roi. Les fondements de la modernité monarchique en France (XZV-XUf siècles), Paris, Maison des sciences de l'homme, 1996. De son côté, la Fédération Européenne de la Science travaille en ce moment à la publication de sept volumes consacrés aux Origines de l'État moderne en Europe, dont la parution est prévue chez Oxford University Press et aux Presses Universitaires de France. Sur la genèse de ces deux approches pluisécdaires, voir Emmanuel Le Roy Ladurie, L'Ancien Régime. 1610- 1770. Paris. Hachene, 1991. A titre d'exemple sur l'image (=ose». voir François Bluctie. Louis XIV. Paris, Fayard, 1986 ; sur l'image «noire», voir Pierre Goubert, Louis .UV el vingt millions de Français, Paris. Fayard, 1977 ; Marcel Lachiver, Les Années de misére. Lafamine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1991. '9 '9 Monique Cottret, La Bastille a prendre- Hisroire et mythe de la forteresse royale. Paris, PUF, 1986. Cité dans Joël Cornette (dir.), La France de la Monarchie aholue. 1610-1 715, Paris, Seuil, 1 997, p. 535. j0 Ernst H. Kantorowicz, The King's Two Bodies. A srudy in Medieval Political Theologv, Princeton, Princeton Universiv Press, 1957, (traduction hçaise, Gallimard, Paris, 1988)- Avant 1 'ouvrage de E. H. Kantorowicz, il y eut celui du précurseur de I'anthropologie historique, Marc Bloch (Les Rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnariire1 arrribué à la puissance royale, particulièrement en France er en Angleterre, Paris, Publications de la Faculté des Lettres de 1'Universi té de Strasbourg, 1924). Néanmoins, on attribue généralement l'origine du mouvement à l'ouvrage de Kantorowicz cérérnonialiste$'. D'ailleurs, selon certains, l'existence même de cette école prolifique n'en pas sans créer un certain malaise chez les historiens ~ran~ais~~.

L'historien américain Raiph E. Giesey est l'un des principaux artisans de cette école. Ses recherches ont été grandement inspirées par les travaux des sociologues et des anthropologues33. C'est grâce à ces derniers, écrivait-il en 1986 dans les Annales ESC, que les chercheurs n'hésitent plus a fouiller du côté du non-dit et de la sémiotique des cérémonials pour comprendre les «ressorts du pouvoin>34.Par l'érude des rituels monarchiques tels que le couronnement, le toucher des écrouelles, l'«entrée», le lit de justice et les funérailles, Les historiens s'appliquent dorénavant à expliquer la dynamique des rapports entre les deux corps du roi : le corps symbolique, la personaficta, le roi en tant qu'incarnation de l'État éternel, et le corps physique, le monarque en tant qu'individu privé, mortel. Ils le font en étudiant le corps symbolique, empreint de sacré, et les représentations qu'il génère.

De l'autre côté de l'Atlantique, l'historien fiançais Louis Marin s'est penché sur la dynamique organisationnelle pouvoir/représentations/croyance35.U a mis de l'avant la thèse suivant laquelle les rois d'Ancien Régime n'ont acquis leur statut de monarque qu'a travers les images. Comme le souligne Roger Chartier dans un article consacré à l'oeuvre de Louis Marin, ce dernier ((a dessiné les contours d'une double histoire : histoire des modalités du faire-croire, histoire des formes de la croyance»36. Si la plupart des travaux américains et fiançais ont porté jusqu'à ce jour sur le faire-croire, mes recherches, elles, relèvent plutôt de la seconde catégorie, dans la mesure où je cherche à identifier les représentations contenues dans l'imaginaire des

- - 5 l L'école des cér~monialistesdoit son nom au fait qu'elle accorde une grande importance à l'étude des cérémonials. Voici quelques-uns des ouvrages majeurs : Ralph E. Giesey, Le roi ne meurt jamais, Paris, Flammarion, 1987 ; Ralph E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine. France fl-XVIf siècles, Paris, Annand Colin, 1987 ; Sarah Hanley, Le lit de justice des rois de France, Paris. Aubier, 1991 ; Richard Jackson, Vivat Rex. Histoire des sacres et couronnements en France. 136-1-1825, Strasbourg, Université de Strasbourg, 1984 ; Lawrence M. Bryant. The King and rhe Ciry in the Parisian Royal Entty Ceremony :Poiirics. Riruai. and Arr in the Renaissance France. Genève, Droz, 1986. '' N. Bulst er ai.. L '~farou le mi.... p. 2 et 3. " II ne peut cependant réhiter la filiation avec les historiens Ernst H. Kantorowicz (The King's Two Bodies...), d'une part. et Marc Bloch (Les rois thaumaturges...), d'autre part. 3 RaIph E. Giesey, ((Modèles de pouvoir dans les rites royaux en Francen, Annales Économies. Sociérés. Civilisations, no 3, mai-juin 1986, p. 579. 5 5 Louis Marin, Le portrait du roi, Paris, Minuit, 198 1. sujets de Louis XTV qui les déterminaient a croire au pouvoir du contrôieur générai des finances, et ce faisant, à lui accorder une Légitimité.

Les historiens ont en effet concentré leurs travaux sur les images «émises» par le pouvoir, sur la propagande monarchique. Us ont en ce sens étudié les représentations contenues dans les différentes formes de la culture -Littérature, théâtre, peinture, sculpture, monnaie, etc." Mais, comme le relève Roger Chartier, «entre monstration et imagination, entre la représentation proposée et le sens construit Cpar les observateurs], des discordances sont possibles»38. Et c'est à ce niveau précis que les historiens doivent aujourd'hui oeuvrer. Plutôt que d'étudier seuiement l'«émission» d'images par le pouvoir monarchique, étape importante et nécessaire, mais qui demeure insuffisante, il faut également envisager la «captation» ; le but ultime étant, peut-être, pour reprendre l'expression de Pierre Goubert et Daniel Roche, de parvenir à coastituer l'image du roi «telle que se la représentait le dernier des manou~iers~?~.

Tous ces travaux, que ce soient ceux des cérémonialistes ou ceux de Marin et de ses relèvent de I'anthropologie historique, laquelle est le prolongement de l'histoire culturelle et de l'histoire des mentalités4'. Cette anthropologie historique s'intéresse à toutes les facettes de la représentation du monde par l'homme. C'est une approche relativement récente qui ouvre de nombreux champs d'étude, dont ceux de l'anthropologie politique et culturelle. Le jb Roger Chartier. ccPouvoirs et Iimites de la représentation sur l'oeuvre de Louis Marin)), Annales Histoire. Sciences Sociales, no 2, mars-avril 1994, p. 4 13. 5 7 A titre d'exemples, voir François Laplanche et Chantal Grell, La monarchie absoluriste et l'histoire en France. Théories du pouvoir, propagandes monarchiques et mythologies nationales. Colloque tenu en Sorbonne les 26 et 27 mai 1986, Presses de l'université de Paris-Sorbonne, 1987 ; L. Marin, Le portrait ... ; Louis Marin, Le corps glorieux du Roi-Soleil (la parole mangée), Paris, Méridiens, 1986 ; J.-M.Apostoiidès, Le Roi-machine ... 5 S R. Chanier, ((Pouvoirset limites...», p. 41 7. j'4 Pierre Gouben et Daniel Roche, tes Français et 1 'Ancien Régime, tome 1: La sociéré et l'État, Paris, Axmand Colin. 1991.. D. 214. JO Certains historiens fiançais ont adopté une approche comparable à celle de Marin. A titre d*exemples, Nicole Ferrier-Caverivière, t 'image de Lou13 XIV dans la littérature française de 1660 a 1715, Paris, PUF, 198 1 ; J.-M. AposroIides, Le Roi-machine ... ;J.-M. Apostolidès, Le Prince sacrifié. Théerre et politique au temps de Louis XiV, Paris, Minuit, 1985 ; Michele Fogel. Les Cérémonies de 1 'information dam lu France du Xt" au XVIII' siècle, Paris. Fayard, 1 989. 3 1 Par mentalités. il faut entendre les façons de penser et d'agir qu'on peut lire à travers le comportement. C'est en étudiant les mentalités qu'on atteint l'homme collectif, l'homme dans son inconscient. L'histoire des mentalités est donc une histoire qui cherche à comprendre l'intelligibilité des choses, des comportements, le plus souvent irrationnels. Je profite de l'occasion pour souligner que la majeure partie de mon cadre théorique a été élaborée présent mémoire s'inscrit au carrefour de ces deux avenues, dans la mesure où j'envisage autant le politique, soit la manière d'organiser la société, que la culture, entendue ici comme la façon dont les gens conçoivent la réalité et la manière dont ils concrétisent cette conception dans leurs manières de faire et d'être. Pour ce faire, un concept m'a été d'une utilité première : celui de représentation.

LE CONCEPT DE REPRÉSENTATION

Dans toute société, ((l'activité politique est toujours simultanément activité symbolique)?'. Pour étudier la représentation du politique il faut par conséquent s'attarder à l'analyse de l'imaginaire des rapports entre gouvernants et La correspondance du contrôleur -général des finances, parce qu'elle renferme des représentations du pouvoir, permet à l'historien d'analyser les rapports que les individus ou les groupes entretenaient avec celui-ci. Les auteurs de la correspondance ((découpaient)) et «classaient» la réalité, si bien qu'à travers leurs écrits se dégage une réalité «perçue», ((construite)), «représentée»u. C'est en identifiant cette réalité représentée qu'il est possible de comprendre comment ils concevaient leur monde, en I'occurrence cornent ils percevaient le pouvoir tel qu'il s'incarnait dans Ia personne du contrôleur général des finances.

lors d'un séminaire de maîtrise intitulé ffisroire des pratiques socio-culfurelles donné par Christine Métayer à l'automne 1997. '" M. Abélès. Anthropologie ..., p. 1 17. "'Ainsi. pour ((approcher la sphère du politique)) dans la Chine communiste, Sabine Trebinjac a utilisé les cliants populaires comme substrat aux représentations symboliques du fonctionnement social et politique (Sabine Trebinjac. (Comprendre un ~taten écoutant les gens chanten). dans Marc Abeles et Henri-Pierre Jeudy, .+!nrhropologie du politique, Paris, Armand Colin, p. 59-90). Sur la notion d'imaginaire, voir notamment le premier chapitre de l'ouvrage de Jacques Le Goiïer al., Histoire el imaginaire, Paris, Poiesis, 1986, p. 9-21. u L'univers dans lequel évolue l'humain est constitué d'un «fiu~kaléidoscopique d'impressions)), ou encore d'un «nombre pratiquement blini d'entités uniques et différentes)). L'humain se doit de tanaîtrisen) cette complexité s'il ne veut pas plier sous le poids d'une si grande masse d'informations. Pour ce faire, il réduit la complexité de son environnement en traitant les objets drrërents comme des objets équivalenrs. II catégorise et classe les objets, les personnes. les idées. Il se Ies représente. Ces représentations sont, en conséquence, l'expression de la façon dont l'humain décompose, dissèque, divise et ordonne sa réalité sociale et physique. Autrement dit, les représentations sont des «points de référence)) : «elles fournissent une position ou une perspective a partir de laquelle un individu ou un groupe observe et interprète les événements, les situations, etc.» (Gun R Semin, «Prototypes et représentations sociales)), dans Denise Jodelet (dir.), Les représentarions sociales, Paris, PUF. 1989, 239 et 243). Furetière accorde au terme représentation «deux familles de sens»45.Ii le définit d'abord comme une (&nage qui nous remet en idée et en mémoire les objets absents, et qui nous les peint tels qu'ils sont». Suivant cette définition, la représentation donne à voir un «objet absent», que ce soit une chose, un concept ou une personne, en lui substituant une image cccapable de le représenter adéquatemenbf6. Représenter, c'est re-présenter, c'est présenter à nouveau, dira Louis ~arin~'.Considéré dans son deuxième sens, le mot représentation fait référence à damonstration d'une présence, la représentation publique d'une chose ou d'une personne». En ce sens, «le référent et son image font corps, ne sont qu'une seule et même Dans le cadre du présent mémoire, la notion de représentation fera appel à la première définiti~n*~.Ce sont les représentations du contrôleur général des fiaances qui retiendront mon attention ; les représentations qui dans l'esprit des auteurs servaient à mettre en idée sa personne politique.

De façon plus précise, il existe trois catégories de représentations : mentale, publique et culturelle. La première se trouve «à l'intérieur de I'utilisatem. Il s'agit, par exemple, d'un souvenir, d'une hypothèse ou encore d'une intention. Dans un tel cas, I'utiZisateur est également le producterrr de la représentation. Il est le seul à y avoir accès. La seconde catégorie se manifeste ((dans I'enviromement de I'utilisateum. Elle est, généralement, véhiculée par un moyen de communication, par exemple un écrit. Ici l'utilisateur est différent du producteur. Il pourrait s'agir, d'une part, d'un Iecteur et, d'autre part, d'un auteur. La dernière catégorie fait appel aux deux premières. C'est une représentation sociale, «communiquée» de façon répétée, qui peut (daire l'objet d'une version mentale» dans chacun des membres du groupe. Ainsi, les

J 5 Voir également Roger Chartier, «Le monde comme représentation», Annales Économies. Sociélés. Civilisariom. vol. 44. no 6, novembre-décembre 1989, p. 1514. 16 R. Chartier, pouvoirs et limites...)), p. 408 et 409. 47 L Marin, Le Porcrail ..., p. 9. 48 R. Chartier, ((Pouvoirs et limites...)), p. 409. 49 A' mi dire, la seconde définition ne sera pas totalement absente. Le pouvoir, et Louis XIV en est sans doute le plus bel exemple, s'efforce sans cesse de (anontrem des images de lui capables de hi procurer une légitimité. Les auteurs de la correspondance ont été bombardés par ces images, mais ils les ont intégrées de façon partielle, si bien qu'elles ont été assimilées dans leurs représentations mentales de façon inégale. En effet, dans le processus de «reconsmction d'un objet)), il se trouve un ((décalage)) entre !a monsrration et l'imagination. Parce que la représentation est une reconstruction de l'objet, elle entraine un «décalage avec son référent». Ce décalage est aussi imputable au. valeurs et ((codes collectifs)), aux implications personnelles, de même qu'aux engagements sociaux des individus. «Il cause trois types d'effet au niveau des contenus représentatifs : des distorsions, des supplémentations et des défalcations» @. Jodelet, c,dans D. Jodelet (dir.), Les représentations..., p. 53). représentations culturelles sont sous-ensemble aux contours flous de l'ensemble des représentations mentales et publiques qui habitent un groupe social»50.

La psychologue Denise Jodelet donne une définition de la représentation culturelle suivant laquelle il s'agit d'une (dorme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social». C'est, autrement dit, ce que l'on appelle couramment le savoir «de sens commun», le savoir (maïfb, En conséquence, comme l'écrivait Émile Durkheim, les représentations collectives sont à la base de l'identité collective : «ce que les représentations collectives traduisent c'est la façon dont le groupe se pense dans ses rapports avec les objets qui 19aBecteno>n. Les représentations du pouvoir contenues dans la correspondance rraduisent la lecture commune que les auteurs faisaient du pouvoir du contrôleur général des hances, et par conséquent, elles traduisent également la façon dont ilspensaienr socialement leur relation a l'autorité.

Une telle prémisse tire son origine d'un principe simple, en l'occurrence que la croyance en la Iégitimité, comme le prétend Max Weber, est la condition sine qua non de toute dominations'. En ce sens, la correspondance du contrôleur général des finances, parce qu'elle Cmane de la population, entendue ici comme la population lettrées4, permet de jauger cette croyance. D'abord, le fait que les lettres existent en soi est Ia preuve d'une croyance en la légitimité du contrôleur général. Le simple fait d'écrire à quelqu'un ne lui confêre-t-il pas déjà une autorité ? Le contenu de ces lettres, quant à lui, renseigne sur les domaines ou cette légitimité se manifeste. Ainsi, la lettre, perçue comme un geste, instruit sur les modes de relation au pouvoir, alors que le contenu permet d'identifier les formes de représentations du pouvoir qu'elle contient.

50 Dan Sperber, «L'étude anthropologique des représentations : problèmes et perspectives)),dans D. Jodelet (du.), Les représentariom..., p. 1 15 et 1 16. Denise Jodelet, (, dans D. Jodelet (dir.), Les teprésenfariom..., p. 36. 5 2 Cité dans D. Jodelet, ((Représentationssociales...)), dans D. Jodeiet (dir.), Les représentations..., p. 51. 5 5 Ma. Weber, The /nrerpreration ofSociaZ Reality, London, Nelson, 1971. 54 A' ce sujet. voir l'article de Roger Chartier, ((Culturepopulaire et culnue politique dans l'Ancien Régime : quelques réflesions), dans K. M. Baker (ed.), The French Revolufion... Chartier démontre comment l'apparition de l'opinion publique coïncide avec «l'élision)) du populaire, du peuple, a un moment où la politique devient une affaire de raison. En conséquence, par ces représentations, il est possible de dégager les images que les auteurs se faisaient du pouvoir. À la différence de la plupart des historiens, l'imagerie qui m'intéresse n'est pas celle du roi, mais bien celle du pouvoir. Les auteurs des documents écrivaient au contrôleur général et non au roi. En ce sens, on pourrait dire que les pièces retenues renferment des représentations usurpées du contrôleur, dans la mesure où elles outrepassent son statut juridique. Alors même que Louis XIV s'adonnait comme jamais aucun monarque ne l'avait fait auparavant à propager une image de lui l'associant intimement à l'État -on n'a qu'à penser à la fameuse phrase qu'il aurait prononcée : d'État c'est moi !»"-, on repère, dans les constructions mentales de la population, des images conférant au contrôleur général des pouvoirs qui, dans certains cas, peuvent aller jusqu'a rogner ceux du roi.

Les sources retenues pour le présent mémoire sont constituées, d'une part, des «lettres communes)) adressées par des

55 11 aurait prononcé cette phrase au parlement, en avril t 655. 56 AN. ~'562-598.Que les lettres étudiées aient été adressées a l'un ou l'autre des trois contrôleurs qui furent en poste de 1689 à 1715 importe peu. L'objet d'étude est la personne du contrôleur, car ((contrairementà la société ou a la familie dans laquelle nait l'individu, I'institution existe indépendamment des agents qui la servent et qui l'intègrent généralement par vocation professionnelle» (Irène Bellier, «Une approche anthropologique de la culture des institutions», dans M. Abéles et H.-P. Jeudy, Anthropologie ..., p. 130). Au sein de ce corpus, le contrôleur Desmarets est sureprésenté, une situation qui s'explique par le grand nombre de documents conservés pour Ia période où il fiit en poste. '' AN, G' 694-728. collectif, c'est-à-dire pour le bien du public, des sujets, du royaume, voire du contrôleur général et/ou du roi.

Malheureusement, aucune de ces sous-séries ne contient des lettres datant de l'époque où Colbert était contrôleur, les plus anciens documents consenes dans celles-ci ayant été rédigés après sa mort. Malgré l'absence de la correspondance adressée à Colbert, le corpus à l'étude demeurait trop volumineux. Pour le restreindre, il était impératif d'en retrancher une partie, mais comment procéder? La méthode la plus simple consistait a éliminer la correspondance d'un de ses quatre successeurs. Le choix s'est donc arrêté sur Le Pelletier, en poste pour la période la plus courte (six ans). Il aurait été impensable de rejeter la correspondance de Desmarets, qui occupa la fonction pendant la deuxième plus courte période (sept ans), parce qu'elle est la plus riche. Cet état de fait est dû principalement au travail de Gilbert Clautrier, fils d'un receveur général des finances de la généralité de Lyon, qui devint en 1708 le premier commis de Desmarets. Ce dernier lui confia la tâche de conservation des documents. «Clautrier doit être considéré comme le véritable organisateur du dépôt du contrôle général ; les dossiers qu'il accumula ainsi forment aujourd'hui la majeure partie de la sous-série G' des Archives nationales»58.

Les quelque 750 documents retenus sont, pour la plupart, des lettres (%O), des mémoires (96) et des avis (43)59,rédigés entre 1689 et 1715~'. Toutes ces pièces -manuscrites pour l'immense majorité : seulement 6 d'entre elles sont imprimées- sont issues de deux sous-séries du fonds G7 des Archives nationales : premièrement, la Correspondance adressée au Contrôleur générai par des particuliers, sur des sujets d'ordre personnel principalement (G' 55 1 à 68 1), laquelle se subdivise en deux : les Lettres dites «lettres communes» (G' 55 1 à 634) et les Placets

'' Michel Antoine, Le conseil royal desjinances au siècle et le registre E 3659 des Archives nutionales, Genève Dror 1973, p. XXIV. 59 Ce a quoi il faut ajouter 14 billets. 11 placets, Z poèmes, 1 éloge, 1 harangue, 1 croquis de carte et 1 petit livre manuscrit. La lettre et l'avis sont considérés I'une et l'autre comme des écrits que l'on adresse à quelqu'un pour lui communiquer quelque chose ; seule la longueur les différencie, l'avis étant généralement trés court. Le mémoire est quant a lui un ((écrit sommaire qu'on donne à quelqu'un pour lui faire souvenir de quelque chose» (A. Furetière. «Mémoire». dans Le Dicrionnaire...). Pour ce qui est du placet, il fait référence à une mequête écrite présentée au roi. au, ministres ou aux juges pour demander une faveur, un secours. une @ce, se pIaindre d'un abus ou d'une injustice))(Ariette Lebigre, Lu Justice dzr Roi. La vie judiciaire dans l'ancienne France, Paris. Albin Michel. 1988, p. 49). Furetière précise qu'on écrivait aussi des placets pour demander une audience ou pour faire des recommandations (A. Furetiere, ccPlacet)), dans Le Dictionnaire...). 60 Sur les 750 documents, 116 sont non datés, mais d'après II: classement archivistique il est possible de savoir qu'ils se situent entre ces deux dates. et requétes (G' 635 à 68 1) ; et deuxièmement, les Propsitionr et projets de ré-es adressés au Contrôleur général par des oficiers royaux ou des particuliers, pow mettre fin à certains abus. améliorer certains services, procurer des revenm nouveaux au Roi, etc. (G' 694-728).

Les auteurs écrivaient au contrôleur général pour lui faire part de demandes ou de plaintes, ou pour lui proposer un projet qui procurerait un avantage certain au roi, ou à l'État. II est possible de diviser en deux catégories les documents contenus dans la correspondance adressée par des particuliers, il y a ceux dont I'objet est strictement personnel, par exemple une demande de protection, l'octroi d'un poste ou d'une rente, et ceux dont l'objet concerne l'intérêt public6'. Les demandes personnelles n'ont pas été retenues dans le cadre du présent mémoire, puisqu'elles appartiennent à un univers qui ne concerne pas exclusivement le contrôleur général des finances, mais celui du clientélisme et du II aurait été difficile, voue impossible, de sonder l'imagerie du pouvoir à travers des lettres dont le but unique est de s'attirer les faveurs du destinataire, fut-il contrôleur général des finances de Louis XIV.

Au sein de la seconde catégorie, la plupart des documents touchent la finance : impôts, capitation, création d'offices, de rentes, de charges, etc. Par exemple, durant les périodes de crise, nombreux étaient les avis enjoignant au contrôleur de faire fondre la vaisselle d'argent et les cloches des églises pour accroître le numéraire. Encore une fois, de tels objets ont été rejetés, cette fois-ci parce qu'ils sont inhérents au poste de contrôleur général des finances et ne permettent pas de sonder les représentations du pouvoir. N'écrit-on pas au ministre de la guerre pour l'entretenir des armées, et au ministre des finances pour discourir d'économie ? Que reste-t- il ? Les 750 documents retenus pour mon mémoire touchent tous l'intérêt public. Us ont été

O1 L'intérêt public se confond dans les sources avec I'inrerêt du roi, de la nation. du royaume. II rend compte également de Ia notion de ((service du roi» (François Bluche, ((Servicedu roi», dans F. Bluche (dir.), Diclionnaire du Grand Siècle.. ., p. 144 1 et 1 442). 6' Sur ces deux thèmes, voir notamment Marc Bloch La sociéréjëodafe, Paris. Albin Michel. 1968 ; Luis Roniger, ((Modern Patron-Client Relations and Historical Clientelism)), dans Archives ezcropéennes de sociologie, vol. XXIV, 1983 ; Sharon Kenering, Patrons, Brokers, and Clients in Sevenreenth-Century France, Oxford, OUP, 1986 ; Roland Mousnier, (Les fidelités et les cIientèles en France aux XVIe, XVIIe et XViiIe siécles», Hisroire sociale/Social Hisros), vol. XV, no 29, 1982 ; Yves Durand, ((Clientèles et fidélités dans le temps et dans l'espace)), dans Hommage à Roland Mousnier. Clientèles er fidefirés en Europe à l'époque moderne, Paris, PUF, 1981. sélectionnés parce qu'ils permettent d'évaluer les représentations du pouvoir, dans la mesure oh ils conferent au contrôleur une autorité qui outrepasse ses compétences officielles.

Pour dégager les représentations du pouvoir renfermées dans la correspondance, il a fdlu traquer la sémantique contenue dans les iettres. Partant du principe que nous classons la réalité et do~ons«un sens aux choses en raisonnant à l'intérieur d'une structure qui nous est founie par notre culture», l'historien peut «découvrir la dimension sociale de la pensée et obtenir le sens des documents en les liant au monde de significations environnant, passant du texte au contexte et vice C'est ce que j'ai fait ici en portant une attention toute particulière au vocabulaire et à la sémantique des écrits, plus précisément aux qualités, fonctions et titres que les auteurs des lettres prêtaient au contrôleurM.Ainsi, en respectant le vocabulaire employé par les auteurs, en cherchant des explications à l'intérieur même de leur propre anonde de significations))65,il s'avère possible de faire un pas de plus dans la découverte de leur «~osrnolo~ie»6~.

Les représentations du pouvoir contenues dans la correspondance du contrôleur sont nombreuses et variées. Pour certaines, elles s'enracinent dans le statut juridique du personnage, pour d'autres, elles permettent de délimiter l'espace politique dans lequel les gens le voyaient

62 Robert Darnton, Le grand massacre des chars. Atri!udes et croyances dans I'ancienne France, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 12. 64 D'autres catégories d'analyse ont été utilisées, panni lesquelles @eurent les motifs invoqués par Ies auteurs, la source du problème relevé, l'identité de ceux qu'il affecte, l'aire d'intervention présumée du contrôleur (géographique/sociale), les justifications des auteurs, l'emploi ou non d'intermédiaire et le recours ou non à une demande collective. '' II est important de souligner que le concept même de représentation faisait partie intégrante du monde de significations» des auteurs de la correspondance. Selon Clifford Geertz le concept de représentation est un concept <(proche)).En effet, Geertz a emprunté au psychanalyste Heinz Kohut la distinction entre concepts «proches de l'espénence)) et concepts ((éloignés de l'expérience)>. Il les a appliqué a I'anthropologie, de telle sorte que le premier est devenu «un concept dont quelqu'un [...] pourrait lui-même naturellement et sans effon se servir pour définir ce que lui ou ses compagnons voient, pensent, sentent, imaginent, et ainsi de suite, et qu'il comprendrait facilement quand un concept serait appliqué par d'autres de la même façon». Quant au second, il «est celui que les spécialistes d'une sorte ou d'une autre [...] emploient pour présenter leur objectif scientifique, philosophique ou pratique» (Clifford Gee- Srnoir local. savoir global. Les lieux du savoir, Paris, PUF, 1986, p. 73). Dans le cas qui nous intéresse, c'est d'autant plus vrai que des le XVII' siècle. la notion de représentation faisait déjà partie de (d'outillage notionnel que les contemporains utilisaient pour rendre leur propre société moins opaque à leur entendement» (Jean-Philippe Antoine, (Les sciences humaines et la représentation», Annales Hisroire. Sciences Sociales, no 6, novembre-décembre 1997, p. 136 1 - 1365 ; R Chartier, «Le monde comme représentation.,.)), p. 1514). 66 L'historien anthropologue étudie «la façon dont le commun des mortels a compris le monde au cours des temps. Il essaie de découvrir la cosmologie des gens simples, de montrer comment ils ont construit la réalité dans leur esprit et la façon dont ils l'ont exprimée dans leur comportemeno (R Darnton, Le grand massacre ..., p. 9). évoluer, en dehors du champ financier et économique. Là se trowe mon objectif de recherche, dans cet espace extraordinaire. J'ai donc écarté les images coafonnes à son statut juridique, comme par exemple celles de conseüler et de ministre des finances. Le contrôkur était bien plus qu'un simple ministre. Sous Colbert, en accord avec le roi, il était doté de pouvoirs considérables. 11 était «le moteur du royaume»67. Cependant, au fur et à mesure qu'on avança dans le règne de Louis XIV, ce dernier affermit son autorité et réorganisa la division des pouvoirs de façon à rester le maître de toute chose, si bien que le contrôleur perdit de l'importance. Après la mort de Colbert, puis celle de Louvois qui hérita d'une bonne part de l'empire colbertien, les vastes pouvoirs du contrôleur général furent morcelés entre les mains de différents ministres, de telle sorte que les successeun de Colbert ne furent jamais aussi influents que lui6'.

C'est dans ce contexte que se développèrent les représentations «usurpées» du contrôleur, dans la période post-colbertienne. Le contrôleur était encore le

Les représentations étudiées ici se partageront exclusivement entre deux images qui font du contrôleur général des finances l'homme le plus important du royaume, l'une immédiatement après le roi et en accord avec celui-ci (Un second Joseph le Parriarche, chapitre 2), l'autre au même niveau et en concurrence directe avec le roi (Le pater familias, chapitre 3). Au sein de la première image, le contrôleur était vu comme ie principal ministre du roi. Non seulement, il était doté de pouvoirs considérables, mais c'était lui qui, dans les faits, gouvernait l'État. Perçu comme la réincarnation de Joseph le Patriarche, il était en charge de l'approvisionnement en bleds du royaume, la population pouvait avoir confiance en lui et de ce fait, elle n'hésitait pas à faire appel à sa grande influence. La deuxième image pousse encore plus loin l'usurpation. Dans l'esprit de certains auteurs, le contrôleur apparaissait comme le père de famille du royaume de France, un rôle traditionnellement dévolu au roi. C'est ainsi qu'il était le Protecteur des opprimés, le Justicier et Ie Pacificateur.

67 R. Mousnier. Les imtifurions..., p. 1 56. 68 Jean-Christian Petitfils. Louis XiV, Paris, Penin, 1995. p. 523-525. Tiré de I. Cornette. Chronique du règne..., p. 387 et 388. Dans les deux cas, il va sans dire, les images accordent au contrôleur général des compétences qui dépassaient largement les siennes propres, ce qui démontre par conséquent combien pouvait être mal perçue par la population la répartition des pouvoirs au sein de la monarchie, telle qu'elle existait dans les faits, mais aussi telle qu'elle était souhaitée par Louis XN. On pourra ainsi, à juste titre, parler d'une double usurpation : dans un premier temps, par rapport aux compétences réelles du contrôleur qui, a la période qui nous intéresse, n'étaient plus ce qu'elles avaient été sous Colbert, dans un second, par rapport aux représentations du pouvoir émises par l'autorité monarchique. Ne perdons pas de vue que le roi de France était alors Louis XN, le Roi-Soleil, symbole par excellence de l'absolutisme monarchique. Mais avant d'entrer dans la «cosmologie» des sujets de Louis XIV, il est indispensable de présenter en détail le canal qui nous en procure l'accès, d'envisager cette voie de conséquence que fut la correspondance du contrôleur général des finances. Chapitre 1 UNE VOIE DE CONSEQUENCE

Parce qu'il se méfiait des officiers, surtout lonqu'ils étaient regroupés en compagnies, Colbert s'efforça de privilégier au sein de l'administration les commis, commissaires et techniciens. Dans les provinces, cette méfiance à l'égard des officiers se traduisit par une réduction de l'importance des gouverneurs au bénéfice des intendants'. Alors que le chancelier Séguier -de qui relevaient les intendants avant qu'il ne soit évincé au profit de ~olber8-avait l'habitude de laisser aux intendants une «grande liberté d'action», Colbert «se montra beaucoup plus directib)'. À paxtir de 1661, des lors qu'il obtint le pouvoir de les nommer, diriger et contrôler4, son premier mot d'ordre fut d'exiger d'eux qu'ils reprennent «en main la répartition et l'assiette des impositions directes)). Par la suite, il les chargea de veiller au commerce des grains et a I'approvisio~ement de Ieur circonscription, puis de s'occuper d'enquêtes, d'instructions et de semonces5.

Les intendants avaient pour mission d'administrer les généralités6. Ils exerçaient des fonctions de police, de justice et de finances7. Dans l'esprit de Colbert, ils étaient aussi des

Les gouverneurs de provinces connurent leur apogée entre la moitié du XVIesiècle et le début du règne personnel de Louis XIV. En les nommant à la tete des provinces, le roi les faisait ses ((lieutenants généraum. Les gouverneurs avaient pour mission principale de (tenir en permanence la place du souverain dans tous les cas et toutes les circonstances)). En 1661, Louis XN réduisit leurs responsabilités «en limitant leurs pouvoirs a trois années renouvelables et en leur défendant de séjourner dans leur gouvernement sans son ordre ou son autorisation)) (Michei Antoine, «Gouverneurs de province)), dans François Bluche (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1994, p. 667 et 668). Voir supra, page 2. Michel Antoine, ((Colbert et la révolution de 1661)), dans Roland Mousnier (dir.), Un nouveau Colberr. Acres du Colloque pour le tricentenaire de la mort de Colbert, Paris, Sedes, 1985, p. 107. Anette Smedley- Weill, Les inrendanfs de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995, p. 23. M. Antoine, ((Colbenet Ia révolution...», p. 107. A l'apogée du règne de Louis MV, le temtoire kçais était divisé en 32 régions a la tête desquelles étaient nommés des intendants. Ces 32 régions se subdivisaient en trois groupes : les généralités et pays d'élection, les pays d'états ou provinces et les pays conquis (A.Smedley-Weill, Les intendants..,, p. 16). Par police on entendait généralement «la recherche du bien commun dans le cadre du royaume» (François-Olivier Martin. L 'absolurismefrançais, p. 128, cité dans Claude Bontems. Léon-Pierre Raybaud et JeamPierre Brancoun, Le prince dans la France des ,Wf et WIf siècles, Paris. PUF, 1965, p. 70). Dans les faits, le terme désignait «l'administration proprement dite)) et recouvrait, pour l'intendant, «des activités très variées : la vérification de la gestion financière des villes et la liquidation de leurs dettes, le maintien de l'ordre dans la généralité, la surveillance des officiers de toutes les juridictions, des marchés, des prix et des subsistances, de la milice, de la informateurs chargés de l'instruire de l'état du royaume. Pour ce faire, ils devaient lui faire parvenir régulièrement des rapports visant à l'informer avec précision et promptitude» des abus, difficultés et succès rencontrés dans leur administration8. Cette pratique a persisté après la mort de Colbert : ses successeurs continuèrent de recevoir des rapports, mémoires et placets de la part des intendantsg.

Les intendants étaient également tenus de servir d'intermédiaires entre la population et le roi, permettant ainsi aux sujets de daue entendre jusqu'aux pieds du trône la voix de leurs Dans les faits, ils ne parvinrent que partiellement à jouer ce de, si bien que plusieurs sujets adressèrent leurs lettres directement au contrôleur, l'oficier supérieur de qui relevaient les intendants. On retrouve plusieurs de ces lettres dans sa correspondance. Par exemple, le comte de Preucreu, même s'il était convaincu des mérites de son intendant et de sa capacité à daire réussin> son affaire, fit parvenir directement au contrôleur sa suggestion de fusionner le bureau de Mauriac avec le baillage de al ers". Également, Jacques Hector, parce qu'il n'avait ((aucune habitude particulière» -l'expression est de lui- auprès de son intendant, à qui pourtant le devoir voulait qu'il ait recours en premier, fit parvenir ses avis au contrôleur et non à son intendant".

Plusieurs raisons expliquent que les auteurs se soient substitués à l'intendant. Par exemple, dans une lettre du 3 1 octobre 1714, Sarrasin de Lapierre présentait les limites de l'aide que pouvait procurer son intendant aux «pauvres affligés» de son département. Au contrôleur qui l'avait enjoint de s'adresser à l'intendant, il répondit que ce dernier ne pouvait leur donner du soulagement)) «qu'au pro rata des charges)) que la population payait au roi. Comme des malheurs des temps)) les avaient fort accablés, autrement dit que l'économie de la généralité

fourniture des étapes et de leurs remboursements, de la discipline de l'armée lors de la répartition des soldats chez les habitants des villes désignées par l'intendant)) (A. Smedley-Weill, Les intendants ..., p. 89). A. Smedley-Weill, Les inrendants..., p. 134. * A. Smedley-Weill. Les intendanis ..., p. 33. On retrouve cette correspondance dans le fonds G', dans les cartons 7 1 à 531. 1 O L'expression est du chancelier Henri-François d'Aguesseau, fils de l'intendant H~Md'Aguesseau. EIle est tirée de son Discours sur la vie et la mort. le caractère et les moeurs de M. d'Aguesseau, conreiller d'fiai, par M d '.+Iguesseatr.chancelier de France. son fils, publié en 1 720. Cité dans A. Smedley-Weill, Les intendants ..., p. 33 et 34. Il AN,G' 7 1 1, avis du comte Preucreu. du 1" mai 1708. était défaillante, il espérait que le contrôleur fasse «une distinction» en leur faveur". Le maire de Salignac bourg, dans le ~aut-~imousin'~,croyait savoir quant à lui pourquoi les plaintes ne parvenaient pas aux oreilles de son intendant. Selon lui, l'intransigeance de l'intendant à l'égard des (&ipons» portaient plusieurs personnes à craindre que les coupables ne se vengeassent en leur causant des «inimitiés et violences»".

En janvier 1715, Corner écrivit au contrôleur pour lui indiquer qu'il n'avait jamais été récompensé des mémoires qu'il lui avait envoyés. Dans sa lettre, il s'en prenait directement aux intendants : «Si messieurs les intendants, écrivait-il, ne se rendaient pas les maîtres dans leurs départements, j'en enverrais bien d'autres [mémoires], mais comme ils ne veulent y laisser introduire d'aucunes affaires qu'en faveur de leun créatures», j'hésite à le faireI6. Un auteur anonyme craignait pour sa part que ses mémoires sur le

Parce qu'ils se méfiaient des intendants, parce qu'ils n'avaient aucune (habitude» auprès d'eux, ou tout simplement parce qu'ils jugeaient inutiles ces intermédiaires imposés par le pouvoir, les auteurs de la correspondance préféraient s'adresser en droite ligne au contrôleur. On s'en doute, c'est non sans déférence qu'ils lui faisaient parvenir leurs écrits. Les plus modestes justifiaient d'ailleurs leur geste en expliquant qu'ils avaient été inspirés par Dieu. Le Saint Esprit «se plaît souvent à communiquer ses divines lumières aux grands du monde par le canal

.------. .------~ '' AN, G~72 1, lettre de Jacques Hector, du 22 avril 17 13. '' AN. G~ 594, lettre Sarrasin de Lapierre, du 3 1 octobre 1714. 14 Probablement Salignac-Eyvignes, en Dordogne. l5 AN, G~ 596, lettre de Deslignes Jupiles. du 2 avril 1715. '' AN. G' 7 15, leme de Corner, du 29 janvier 1709. l7 L'auteur ajoutait : «II [le roi] ne doit point s'attendre [a ce] qu'ils [les intendants] approuvent lesdits mémoires [...], ils les traiteront de bagatelles d'autant plus qu'ils ont intérêt [a ce] que la cour soit persuadée que par leur vigilance, il ne se commet aucune vollerie dans leur généralité,, (AN, G' 701, lettre anonyme, sans date). A titre d'exemple, sur les auteurs qui se plaignaient de l'intendant, voir awi AN. G' 574, liasse nO 1, document no 8, leme «des peuples de la généralité de Moulins)), sans date. des plus humbles», écrivait Charles de saint-~attia". Le Seigneur qermet souvent aux hommes les plu infimes de concevoir des pensées heureuses», arguait quant à lui eau castel'^. Ils étaient si nombreux à s'adresser au contrôleur qu'on peut aisément parler d'un véritable canal, marqué par des auteurs, des motifs et des stratégies propres.

A. LESAUTEURS

Il est difficile d'identifier la qualité des auteurs des documents, dans la mesure OU elle n'est mentionnée qu'à l'occasion, que ce soit sous la signature ou dans le corps du texte. De plus, de nombreuses sources sont anonymes. Pour pallier cette lacune, l'expression dettres communes)) accolée à l'une des sous-séries s'avère d'une grande utilité. Dans son Dictionnaire, Furetière ne mentionne pas explicitement la lettre commune. On constate cependant que «commun» réfêre à «la plus grande partie des hommes)), par opposition «au cas royal et privilégié)) : COMMUN. se dit aussi en parlant du générai du monde, de ce qui est le plus universellement reçu. Le sens comnrztn est le jugement qu'on fait par la seule lumière natureIle, ce que font la plupart des hommes. En ce sens on attribue a l'âme une faculté particulière qu'on nomme le sem commun. Le bruit comnrun, c'est ce qui se dit parmi le peuple, par la phpart du monde. Les plus communes opinions ne sont pas les plus certaines. En conlrnun proverbe, c'est-à-dire, selon que parle le peuple, une façon commune et ordinaire de parler.'0

La majorité des 750 documents retenus pour mes travaux proviennent de

" AN, G' 7 13, lettre de Charles de Saint-Martin, sans date. t 9 AN, G' 563, Iertre de Beaucastel, du 3 avril 1708. «simple r~turien)~'.Ce qui me porte à conclure que les auteurs de la correspondance ne sont pas les ((derniers des manouvriers», cotnme l'auraient souhaité Goubert et Roche.

En contrepartie, on ne peut pas non plus les assimiler à cette doule de personnages doctes, savants en l'un et l'autre droit, laïcs et ecclésiastiques, la tête pleine de grimoire et de latin)), qui ont écrit abondamment sur da dignité royale, la fonction royale, le pouvoir royal, la constitution du royaume, la grande et la vraie monarchie, ses fondements et ses aspects)), et qui ont «longuement disserté de grands principes et de brouti~les))~.Retenons plutôt que dans I'imrnense majorité des cas, les auteurs sont des lettrés, et que les ecclésiastiques (surtout des curés) et les oficiers (réformés ou non) figurent en bon nombre. Retenons également que ces «particuliers» sont de provenance diverseu, même si un nombre important d'entre eux sont Parisiens ou écrivent de

Plusieurs auteurs de la correspondance adressée au contrôleur général des finances choisirent l'anonymat. À titre d'exemple, des religieux «de différents ordres)) expliquèrent qu'ils avaient préféré taire leurs noms «pour obvier a plusieurs fâcheux accidents)) qui auraient pu leur arriver si leurs noms avaient paru au bas de leur lettre". Un certain «T.»identifia ces (ficheux accidents)) avec plus de précision. Dans une lettre non datée, il expiiquait que si sa lettre s'échappait du cabinet du contrôleur et allait daire un voyage dans cette région corrompue

------20 Antoine Furetière, c(Commum, dans Le Dictionnaire universel conlenant généralement fous les motsfrançais. ranr vieux que modernes. et les termes de routes les sciences er arts : divisé en trois romes, Paris, Le Robert, (1690) 1978. " AN. G' 71 8, lettre anonyme, sans date. 7, -- Pierre Goubert et Daniel Roche, Les Français et I 'Ancien Régime, tome 1 : La société et I'~rar,Paris, Armand Colin. 199 1. p. 206. '' Les auteurs écrivaient des quatre coins du royaume et même de l'extérieur du pays, comme ce Re Beck qui écrivit de Londres pour proposer un moyen d'enrayer les disettes en France (AN. G~723, proposition de Re Beck, du 18 mai 1714). Voir aussi G' 721, leme de De Saint lust, du 22 décembre 1713. Ce jeune homme dont «la fortune n'avait pas été aussi favorabIe que la naissance et l'éducation)), avait d'abord voyagé en Espagne, puis en Italie, dam l'espoir de conjurer son sort. Dans sa lettre, écrite de Rome, i1 prétend avoir vu au cours de ses voyages de quoi faire entrer dans les cofl6res du roi des sommes considérables. 11 aIléguait qu'il avait envoyé sa lettre après que le révérend père Pierre Definiteur. général des Cames des Chaussés au couvent de Notre-Dame de l'Escale. a Rome, hieut suggéré d'en faire pan au contrôleur général des finances de France. Voir encore G' 562, lettre de De Scoraille, du 15 février 1708 ;G~ 566, liasse no 3, document no 143, lettre de DAubeton, du 14 mars 1708. " La nuance entre les deux vient du fait que cenains auteurs spécifiaient ne pas habiter Paris mais donnaient néanmoins une adresse dans la capitale. '5 AN, G' 694. avis anonyme, sans date. d'usuriers)), il risquait d'être Maà l'inquisition»26. Un autre auteur qui écrivait pour dénoncer un curé coupable de crimes de lèse-majesté ne signa pas sa lettre parce qu'il craignait précisément que le subdélégué s'en prenne à sa famille2'. De telles craintes étaient probablement fondées, car bon nombre de dénonciateurs furent la cible de représailles. Par exemple, Ducheron, un lieutenant au régiment du Maine qui avait dénoncé le receveur des tailles Vincenot, «mortredevable envers le roi),, se fit ((beaucoup d'ennemis)) après qu'on eut envoyé en province un mémoire écnt de sa main ; les amis du receveur se firent un devoir de l'empêcher de faire sa recr~e'~.

Dans la correspondance se trouvent également des lettres d'informateurs disséminés ça et là dans les grandes villes européennes. Leur rôle était de fournir aux rois des renseignements sur les tractations étrangères29, principalement, mais aussi sur les mouvements des troupes ennemies30, les échanges commerciaux3' et les systèmes financiers des autres pays32. Ces «aventuriers», nobles pour la plupart, voyageaient à travers l'Europe et offiaient leurs services aux différents so~verains~~.Quelques-uns sont présents dans la correspondance, dont un

- -- -- '' AN. G?574, liasse no 1, documents nos 205 et 206, lettre et billet de NT.»,sans date. Dans sa lettre, c(T.n dénonçait l'usure et enjoignait le contrôleur de pousser les (cifiames commerçants a rapporter dans les coffres de sa majesté les sommes qu'ils ont mal et usurairement exigées des particuliers). " AN. G7570, Iiasse no 2, document no 192, leme anonyme, du 29 juillet 1709. " AN. G7582, liasse no 3, document no 65, lettre de Ducheron, du 19 février 17 12. Selon Furetière, la recme de gens de guerre était faite par le capitaine pour augmenter une compagnie ou remplacer les soldats qui avaient déserté ou qui étaient morts (A. Furetière. (

C'est non sans méfiance que les autorités usaient des services de ces aventuriers3'. Desmarets, par exemple, n'hésita pas à rembourser (dous les fiais>>de Salomon Levy, un juif qui lui écrivit pour dénoncer un coreligionnaire qui faisait, à Paris, des «emplettes de pierreries et bijoux les plus rares chez les joailliers du roi et autres, pour des sommes considérables>>,et qu'il transportait en Allemagne (sans en faire la déclaration dans aucuns bureaux du roi»'*. Mais dès Iors que Levy manifesta le désir d'agir comme espion a Utrecht, le contrôleur fit preuve de moins d'enthousiasme et Dubaux, l'intercesseur de Levy, dut redoubler d'ardeur pour que son protégé puisse être admis auprès des plénipotentiaires d'Utrecht. Dubaux dut notamment justifier le choix de Levy : «ce n'est point l'intérêt qui le guide, quoi que juif, c'est seulement le zèle et I'afiection qu'il a pour sa patrie, pour laquelle il s'expose aussi bien que moi»".

5 4 Pour les seuIs deux mois de mars et d'avril 1712, Fernon envoya au contrôleur au moins vingt-quatre lettres et seize mémoires contenant les nouvelles des «amis d'en bas,), et Le contrôleur lui écrivit à deux reprises. A partir du 23 mars. Femon commença a s'inquiéter de ses émoluments, mais le 29 avril. environ un mois apres, il recevait 19 livres. Sur cette correspondance, voir AN, G7582, Iiasse no 4' document no 4, Iertre de Fernon du 2 mars 1712 ; G~ 582, liasse no 4, document no 9, du 3 mars 1712 ; G' 582, liasse no 4, document no 13, du 4 mars ; G' 582, liasse no 4, document no 15, du 5 mars 1712 ; G7 582, liasse no 4, document no 36, du 9 mars 1712 ; G~582, liasse no 4, document no 8 1, du 16 mars 1712 ; G7 582, liasse no 4, document no 106, du 19 mars 1712 ; G7582, liasse no 4, document no 123, du 2 1 mars 17 12 ; G' 582, Iiasse no 4, document no 136, du 23 mars 1712 ; G' 582, liasse no 4, document no 159, du 27 mars 1712 ; G' 582, liasse no 4, document no 186. du 3 1 mars 17 12 ; G' 582, liasse no 5, document no 43, du 10 avril 1712 ; G7 582, Iiasse no 5, document no 53. du 12 avril 1712 ; G' 582, liasse no 5. document no 72, du 15 avril 1712 ; G' 582, Iiasse no 5, document no 79, du 17 avril 1712 ; G~ 582, Iiasse no 5, document no 88, du 19 avril 1712 ; G' 582. liasse no 5, document no i 30, du 26 avril 1712 ; G' 582, liasse no 5, document no 149, du 28 avril 17 12 ;G' 582, liasse no 5, document no 156, du 29 avril i 7 12. 5s Le 29 janvier 1712 s'ouvrait à Utrecht un congrés visant à mettre un terme a la guerre de Succession d'Espagne. Les couronnes fiançaises et espagnoles étaient représentées par le maréchal d'Huxelles, l'abbé de Polignac et Nicolas Mesnager (Joël Cornette, Chronique du règne de Louis AT. Paris, Sedes, 1997, p. 523). --.j6 AN, G~582, liasse no 4, document no 123, leme de Femon. du 21 mars 1712. " Voir le chapitre 1 de l'ouvrage de L. Bély, Espio m..., p. 55-84. j 8 AN, G' 584, lettre de Dubaux, du 15 juillet 1712. Les mémoires mentionnés dans les lettres sont malheureusement absents du fonds G'. '' AN, G' 588, lettre de Dubaux, du 1 1 avril (1 713 ?). Bien que l'immense majorité des auteurs de la correspondance fixent des hommes, un nombre importânt de femmes écrivirent au contrôleur général. Elles étaient pour la plupart religieuses et/ou nobles. Dans la première catégorie, on retrouve des femmes comme Françoise Guérin, servante des pauvres de l'Hôpital général de Falaise, et dans la seconde, figurent notamment la comtesse du fort de Siennes, les marquises de Porteve et de ~lermonto~erre~~. Les intentions qui animaient ces femmes étaient du même ordre que celles qui poussaient les hommes a écrire au contrôleur général ;pour l'ensemble des auteurs, on peut les classer en deux catégories. D'une part, il y a les gens qui sollicitaient le contrôleur, qui lui écrivaient pour l'inciter P satisfaire leurs demandes, et d'autre part se trouvent ceux qui souhaitaient lui exposer un fait ou une situation.

Le première catégorie de motifs renferme les demandes de rétribution41, de «protection», de «réformation)) et de «répression». Plusieurs auteurs sollicitaient la protection du contrôleur eénéral pour parer une difficulté ou pour se trouver un emploi. Dans quelques-unes de ces C demandes, on peut mesurer la vulnérabilité des auteurs, comme dans cette lettre de Dorville ou l'on peut lire : Monseigneur, Permettez moi d'implorer votre protection, quoique je n'aie pas l'honneur d'être connu de votre _pndeur. Je n'ai nul patron direct, et je n'ai que les témoignages de ceux qui savent mon travail et ma droiture, aussi bien que les pertes que j'ai faites au service du roi [...] Agréez, Monseigneur, qu'a vos pieds je vous demande de l'emploi, ou et comme voue grandeur voudra. La vertu toute nue, l'humilité. ne seront point rejetées, puisque votre ministère dérangera ceux qui n'ont que l'intérêt pour principe. Je vous offre fidélité, zèle, travail réel, probité ;je vous espose que je suis pauvre, et que je suis attache à personne. II n'est pas possible d'être abandonné après avoir. en 1693, rendu au roi de grands services. Messieurs les intendants de la frontière le savent tous [...] "

10 Voir respectivement AN, G' 574, liasse no 3, document no 224, lettre de Françoise Guérin, du (?) 1710 ; G' 580, liasse no 2, document no 210, Iettre de Françoise Guérin, sans date ;G~ 571, liasse no 3, document no 96, Iettre de la comtesse du fort de Siennes, du 19 octobre 1709 ; G~ 590, lettre et placet de la marquise de Porteve, du 22 décembre 1713 ; G' 579, liasse no 1, documents nM 54 et 55, lettres de De Ferroles Davoir, marquise de Clennonto~ene,du 10 mai 171 1. JI Ordonnances, quittances, salaires, récompenses, rentes. appointements, bénéfices, pensions, charges, etc. Ces demandes n'ont pas été retenues dans la présente analyse. Voirsupra, p. 15. '' AN, G' 562. leme de Dorville, du 10 mars 1708. Voir aussi G' 562, lettre de De Perigny, sans date ; G' 562, leme du Comte Scati. du 9 mars 1708 ; G' 562, lettre de Chartes Le Depensier, du 29 mars 1708 ; G' 566, liasse no 2, Nombreux étaient également ceux qui sollicitaient pour eux-mêmes une prolongation de la protection acquise autrefois par un parent ou encore, lorsque Desmarets fùt contrôleur, la prolongation de celle octroyée jadis par Colbert, son oncle. Dans le premier cas de figure, les auteurs faisaient surtout valoir les mérites du parent en question, de même que les leurs ; dans le second, l'emphase était portée sur les qualités de Colbert et de Desmarets. Dans la première éventualité, les auteurs devaient justifier qu'ils étaient aussi dignes que ieurs parents d'obtenir la protection du contrôleur ; dans la seconde, ils se devaient d'abord et avant tout de faire jouer la fibre familiale pour obtenir la continuation de la protection43. C'est ce que Daurac fit le 4 août 171 0 en rappelant que les propositions qu'il avait déji présentées à Colbert et qu'il représentait a nouveau n'étaient pas l'oeuvre d'un «extravaganb>,car seule la mort de Colbert, avec qui son père avait travaillé, avait empêché leur mise en application44.

Les demandes de réformation, quant à elles, mettent en lumière des abus, vexations, mauvais traitements et saisies qui se perpétraient dans le royaume, de même que les plaintes formulées par les sujets à l'égard, notamment, de l'imposition. Par exemple, le 10 novembre 1709, un certain «P.>>donna avis au contrôleur des abus et malversations qui se commettaient dans la ville de Paris. Il l'informait du fait que les boulangers cuisaient des pains qui rendaient les gens malades, que les regrattières de sel trichaient en mettant des ordures ou de la paille mouillée dans leurs sacs, de façon à les rendre plus lourds, et que les commissaires de police n'en disaient rien au lieutenant général d'~r~enson~~.Également, une lettre anonyme et sans date informait le contrôleur «que si le royaume [était] travaillé d'une si homble famine, l'on n'en [pouvait] pas attribuer la cause a la seule gelée ni aux inondations des rivières, mais à ce

document no 2, Iettre de M. de Lepine, du 1" février 1708 ; G' 566, liasse no 2, document no 51, lettre de Lelievre de la Villequenin, du 26 février 1708. 'j Voir AN. G' 700, lettre de Magdelaine Laure, du 30 janvier 1704 ; G~ 579, liasse no 1, document no 174, lettre de Roger, du 28 mai 17 1 1 ; G~7 18. leme et avis de Bruyne, du 27 septembre 1710. 44 AN. G' 7 16, lettre de Daurac, du 4 août 1710. " AN. G' 57 1. liasse no 4, document no 60, lettre de NP.». du 10 novembre 1709. Pour des exemples d'abus commis par les officiers de judicature et de police, voir AN, G' 571, liasse no 1, document no 224, lettre de Goullet, sans date ; sur les vexations commises par ceux «qui ont l'administration de la justice et de la police dans le royaume», voir G' 7 13, mémoire du lieutenant de police de Fontainebleau, sans date ; sur les saisies, voir G' 576, liasse no 1, document no 193, lettre de (Le M... de..., brigadier des armées de Sa Majesté», du 26 novembre 1710. qu'on a[vait] comme affecté d'accabkr le laboureur depuis longtemps par les impôts ex ces si fi^^^.

On demandait enfin au contrôleur de réprimer le vice, les vies scandaleuses, les conduites irrégulières, les banqueroutes, l'usure, le jeu, etc. Le prêtre Simon.net relatait dans une lettre la wie scandaleuse» d'un nommé Deshais, un inspecteur des gabelles de sa paroisse. Pendant les deux premières années de son mandat -il était en poste depuis cinq ans-, Deshais avait entretenu un ((concubinage public» avec la femme d'un de ses employés, qu'il avait même fait changer de poste qow jouir avec plus de facilité de son épouse, la gardant chez lui avec toute l'impunité possible)). Simonnet souhaitait que le contrôleur sévisse et fasse cesser ces scandales". De la même façon, un auteur anonyme s'indignait, le 20 février 1712, que le jeu fasse des ravages dans Paris : «À peine Monsieur le Duc de Ventadour et les autres eurent [-ils] fermé leurs jeux de trois, à l'occasion de la mort de Madame la Dauphine, que Monsieur l'envoyé de Geny [Genis ou Gênes ?] en ouvrit un nouveau, de manière qu'on peut dire que rien n'est capable d'arrêter cette fureum4*.

Bien que les auteurs prétendaient agir dans l'immense majorité des cas pour le bien de é état, du roi ou encore du contrôleur général, plus souvent qu'autrement, ils cherchaient par leurs sollicitations, leur bien propre ou celui d'un proche parent. C'est le cas de Bacques, curé dfAlas, dans les Pyrénées, qui demandait au roi un bénéfice, ou de Moulin qui en appelait de l'autorité du contrôleur pour contraindre un gentilhomme du Bas-Anjou à lui verser les 700 livres qu'il lui devait ; de Louise de Bazin qui souhaitait que son fils garde son emploi à la régie du dixième denier ou encore, de Josias Laborde qui était convaincu que seul le contrôleur avait

46 AN. G' 7 16. lettre anonyme, sans date. Il est probable qu'elle ait été rédigée en 1709 ou en 1710. années de grandes famines. Voir aussi sur les plaintes a l'égard de l'imposition G7571. liasse no 4, document no 30. lettre de Chornat. du 5 novembre 1709 ; G' 723, lettre de Bochetal. du 23 juillet 1715 ; G7 695. leme de De Rany, du 3 novembre 1692 ;G' 584. lettre anonyme. du 6 octobre (1 7 12 ?). '' AN, G7376. liasse no 2. document no 161, letue de Simonnet, du 29 septembre 17 10. A titre d'exempies, sur le vice, voir AN, G' 579, liasse no 2, document no 1 18. lettre de Michel de la Gasschinais, du 23 juin 171 1 ; sur les \ries scandaleuses. G' 569, liasse no 1, documents nos 30 et 3 1, lettres de Mazeron, du 5 février 1709 ; sur la conduite irrégulière d'un commissaire nommé De la Chaise, G' 719, leme anonyme, du 12 avril 171 1 ; sur les banqueroutes, G' 596, lettre de Duval, du la février 1715 ; sur l'usure, G~71 6. avis anonyme, sans date. " AN. G' 582. liasse no 3. document no 66, lettre anonyme, du 20 février 1712. A titre d'exemples, sur le jeu. voir aussi AN. G' 572. liasse no 1, document no 168. lettre de De la Porte, sans date ; G' 694, mémoire anonyme, sans date ;G~ 569, liasse no 1, documents na 30 et 3 I, lettres de Mazeron, du 5 février 1709. le pouvoir de daire cessen) les poursuites qui lui étaient ahjustemeno>faites par le subdélégué de l'intendance de

Si certains auteurs sollicitaient le contrôleur général, d'autres prenaient la plume pour lui exposer des projets de finance, des projets militaires, des découvertes, des compliments, ou encore pour lui communiquer des informations, voire dénoncer des situations irrégulières ou des personnes fautives5*.Au sein de cette deuxième catégorie de motifs, les projets de finances sont évidemment les plus nombreux. Ainsi, on compte un nombre considérable d'avis, de mémoires et de propositions enjoignant le contrôleur à faire fondre les cloches ou la vaisselle afm d'accroître le numéraires', à lever des nouvelles taxes5*, a créer de nouveaux ofnces5', etc. En ce qui a trait aux projets militaires, la plupart concernent la levée, l'organisation ou encore le financement des troupesM. Dans tous les cas, les auteurs prétendaient agir «pour le service du roi» ou par «zèle» pour celui-ci.

Pour ce qui est des découvertes, Jean Geofioy, révérmd père de la chartreuse de Bonlieu, dans le comté de Bourgogne, fut sans doute l'inventeur le plus prolifique à avoir jamais écrit au contrôleur. Le 3 mai 1708, il exposait à Desmarets ses dernières inventions : une poudre qui empêche les inflammations des plaies, les ulcères et les brûlures ; une espèce de sous-marin qu'il disait avoir essayé et qui fonctionnait ; une machine à dessaler l'eau de mer et

4 9 Respectivement : AN, G' 563, lettre de Bacques, du 29 avril 1708 ; G' 581, liasse no 2, document no 53, lettre de Moulin. du 10 octobre 17 1 1 ; G' 583, liasse no 1, document no 129, lettre de Louise de Bazin, du 24 mai 17 12 ;G7 565. liasse no 1, document no 5, lettre de Josias Laborde, du 2 novembre 1708. 50 Il ne faut pas perdre de vue cependant que la sollicitation n'était pas totalement absente de ce genre de demande : les auteurs espéraient dans la plupart des cas recevoir une récompense. Certains en faisaient d'ailleurs un métier, celui de icdomeurs d'avis», que je prévois plus en détail dans le cadre de mes recherches de doctorat. A titre d'exemples. sur les récompenses escomptées, voir AN, G' 7 13, avis de Bnet, sans date ; G' 7 14, iettre de Chabanes. du 23 mai 1708 ; G771 5, lettre de Bachelier, du 8 mars 1709 ; G' 694, mémoire de Niven, du 22 avril 1690. " A titre d'exemples, voir AN, G' 574, liasse n" 3. document no 16, leme anonyme, du 3 août 17 10 ;G' 7 15, lettre de Ponnal, du 17juin 1709. Voir aussi les nombreux exemples contenus dans le carcon & 71 6. '' A titre d'exemples , voir AN, G' 574, liasse no 1, document no 29, lettre de Jacob de Pm,du 4 juin 17 10 ; G~7 1 1, lertre et mémoire de Cotheron. du 1- juillet 1708 ; G~716, avis anonyme, sans date ; G' 695, leme de Vitat (?), sans date. '' Pour d'autres exemples, voir le carton AN, G' 697 qui contient un nombre considérable de propositions de créations d'offices, de rentes, etc. 54 A. titre d'exemples, sur la levée de troupes, voir AI, G' 577. liasse no 2. document no 48, lettre de Roquié, du 7 janvier 171 1 ; sur l'organisation des troupes, voir G' 715, lettre et mémoire de Delahestroy, de janvier 1709 ;sur le financement des gens de guerre, voir G' 709, lettre d'Aubigny, du 30 octobre 1707. «un canon particdiem. Geofioy prétendait même avoir découvert le mouvement perpétuel? D'autres inventeurs y allaient plus simplement de leurs petits remèdes. Ils furent nombreux à envoyer à Desmarets les recettes de potions, pilules et baumes thérapeutiques lorsqu'ii fut pris de la goutte, en 1713 et 1715. Boutillier firt l'un d'eux. U avait découvert dans les Pyrénées une poudre de tabac qu'on prisait et qui combattait les rechutes d'apoplexie, les maux de tête et la goutte56.

Un autre type d'écrits se retrouve dans la correspondance. Il s'agit des compliments, poèmes, éloges, odes, harangues destinés tantôt au contrôleur, tantôt au roi. Par exemple. les 37 premières pièces du carton G' 562 sont des lettres de compliments à l'occasion de la nouvelle année. Elles contiennent évidemment les souhaits d'usage, mais aussi des remerciements pour des protections obtenues. Également, à l'occasion de la nomination de Desmarets, en janvier 1709, un nombre important de personnes lui écrivirent pour le féliciters7. Toutes ces lettres sont généralement assez courtes, environ deux petites pages. Parfois elles accompagnent un cadeau : perdrix, truffes noires, etc. Elles sont généralement classées en dossiers qui regroupent, par exemple, les compliments des intendants et conseillers d'État, ceux des ecclésiastiques, des corps des villes, des négociants, des trésoriers, etc?

Finalement, le contrôleur demandait à être informé de ce qui se passait dans le royaume, et plusieurs auteurs se chargeaient de le faire, court-circuitant ainsi l'informateur mis en place par le pouvoir, en I'occurrence l'intendant. On informait le contrôleur des mouvements des troupes ennemiess9, des «vies scandaleuses>>60,des bruits du des abus, prévarications,

'' AN. G771 1, mémoire du R P. Jean Geofioy, du 3 mai 1708. Le mouvement perpétuel est un mouvement qui une fois déclenché continuerait éternellement sans apport d'énergie. C'est une utopie semblable a la quadrature du cercle. '' AN. G7597. lettre et mémoire de Boutillier, du 17 mai 17 15. Voir aussi G' 587. ienre de Saint Caulaire, du 16 février 17 13 (?) ; G' 587. leme du Prieur de Croissy, du 8 mars 1713 ; G' 596, lettre de Gabriel Rouge de Saint Romain, du 28 mars 1715 ; G' 596, lettre de Fournier Saint André, du 3 avril 17 15 ; G' 596, lettre de Tarnisier, du 6 avril 17 1 5 ; G~596. lenre de Serigny, du 9 avril 17 15 ; G' 596, leme de André, du 1 1 avril 1 7 15 ; G' 596, leme de J. P. de Lalanne Diusse, du 17 avril 17 15. " Plusieurs de ces lettres ont d9ailIeursété rédigées le 26 février 1709. Voir le carton AN, G' 566. 58 Voir le carton AN. ~'568. '9 Voir supra, p. 24. 60 A titre d'exemples, voir AN, G7576, liasse no 2, document no 161, leme de Sirnomet, du 29 septembre 1710 ; G~ 569. liasse no 1, documents nM30 et 3 1, lettres de Mazeron, du 5 février 1 709. vexations et mauvais traitements perpétrés par les officiers du roi ou par des particuliersQ, des intempéries, mauvaises récoltes ou tout simplement de da misère du temps»63. Dans bien des cas, l'information s'avérait être une dénonciation : dénonciation d'agioteurs, de faux- monnayeurs, de contrebandiers, de fripons, etc. On l'informait également de l'état de santé de personnes influentes, comme par exemple du prince de Conti et de la reine de ~olo~ne?

La plupart des écrits contenus dans la correspondance identifient des responsables, qu'il est possible de classer en deux catégories : d'une part, les individus et les collectivités, d'autre part, la conjoncture, qu'elle fusse économique, sociale, naturelle, militaire ou politique. Au sein de la première catégorie apparaissent aussi bien les c

Ces auteurs de la correspondance, qu'ils fùssent hommes ou femmes, anonymes ou non, informateurs à la solde du pouvoir ou simple

"' A titre d'exemples, voir AN, G~579, liasse no 1, documents nos 54 et 55, lertres de De Ferroles Davoir. du 10 mai 17 1 1 ; G~ 583, liasse no 1, document no 110, lettre de La ViIlene, du 19 mai 1 71 2 ; G' 593, lettre anonyme, sans date ; G' 569, liasse no 1, documents na 30 et 3 1, lettre et avis de Mazeron, du 5 février 1709. 6' A titre d'exemples, voir respectivement :AN, G7718, leme et proposition de Codercy, du 17 septembre 1710 ;G7 7 13, mémoire du lieutenant de police de Fontainebleau, sans date ; G~569, liasse no 1, document no 127, lettre de La Moreau Fieroial, du 27 février 1709 ; G7563, lettre du Pere le Bouche, du 24 mai 1708 ; G~597, lettre de Porjan, du 27 juin 17 15 ; G~594, lettre et avis de Dupuis, du 3 septembre 1714. '' A titre d'exemples, voir respectivement : AN, G~563, lettre du Pere le Bouche, du 24 mai 1708 ; G' 597, lettre de Porjan, du 27 juin 1715 ;G~ 594, leme de Dupuis, du 3 septembre 1 7 14. 6.1 Voir respectivement les cartons AN, G~568 et G7589. mieux encore, tâchaient de rencontrer personnellement le contrôleur. D'autres, moins familiers avec les façons de faire de la cour, écrivaient tout simplement «en droiture» à la personne qu'ils jugeaient la plus apte à répondre à leurs demandes, dans ce cas-ci le contrôleur, ce qui n'était pas nécessairement un gage de réussite. Combien d'auteurs virent leurs lettres sombrer dans I'oubli ?

Avant d'écrire au contrôleur, certains demandeurs avaient essayé de loger leur demande auprès d'autres membres de la cour. Dans certains cas, ils avaient adressé leurs revendications à la mauvaise personne, dans d'autres, elles avaient été oubliées ou carrément refkées. Le 2 mai 1709, Blouin envoya au contrôleur un mémoire que le bailli de Versailles avait envoyé au chancelier Pontchartrain, «croyant que c'était à tui à qui il devait s'adressen}. Pontchartrain le lui avait renvoyé, l'enjoignant de le faire parvenir au contrôled6. D'hiffot D'houlfou, lui aussi, comut le même genre de problème : J'ose informer voue grandeur qu'ayant pris la liberté d'adresser à monseigneur Delaurillere un placet tout conforme à celui qu'enferme ce paquet, il m'a honoré d'une réponse Ie dix-huit février dernier par laquelle il m'apprend que mon fiire étant de finance, je dois l'adresser à voue grandeur pour en avoir justice.67

Isaac Carriere connut des difficultés plus considérables. Dans une lettre du 5 juin 1708, on peut lire que : C'est précisément Ia cinquante quatrième diffërente leme que j'ai I'honneur d'écrire a la cour depuis vingt sept mois accomplis, et la sixième que j'ai eu l'honneur d'écrire à Voue Grandeur, Monseigneur. sans avoir jamais pu être honoré d'aucune réponse!' Carriere croyait que ses écrits étaient interceptés par ses «ennemis». Ses lettres se rendaient en fait a destination, mais les gens à qui il s'adressait avaient une bonne raison de ne pas donner

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" AN, G7563, avis anonyme, sans date, b6 AN. G7569, liasse no 4, document no 3, letue de Blouin, du 2 mai 1709. 67 AN, G7562, lettre de D'hiffot D'houlfou, du 26 mars 1708. 68 AN. G' 563. lertre d'Isaac Carriere, du 5 juin 1708. Si l'on se fie a ses calculs. durant le seul mois de mai 1708, Camere envoya six lettres à la cour. AN, G~563, lettre d'Isaac Carriere, du 2 mai 1708. Sur les lettres adressées préalablement à d'autres membres de la cour, voir aussi AN, G' 721, lettre et mémoires de Gendrault, sans date ; G~563, lettre de Carrier, du 2 mai 1708 ; G' 7 16, lettre de Daurac, du 4 août 1710 ;G' 71 7, lettre de Defes. du 23 mai 1710. suite à son affaire : Carriere prétendait être le cardinal Richelieu et espérait que Louis XTV l'assure de sa protection en lui octroyant une pension, voire une aumône)), ne serait-ce que parce qu'il lui avait Iégué le Palais Royal !

Sans être comme Carriere, aux prises avec un dédoublement de personnalité, certains demandeurs pouvaient néanmoins voir leur requête rester lettre morte. C'est probablement ce qui amva à Bonichon qui, le 5 juillet 171 1, s'exprimait en ces termes : (dl y a 14 a 15 ans que je fais toutes diligences pour parler à sa majesté, les seigneurs de la cour à qui je me suis adressé ne m'ont jamais voulu accorder cette grâce, j'ai même encore deux lettres en réponse de Monsieur ham mil lard^. Le Vassior de Lus semble s'être lui aussi bute au refus du contrôleur Chamillart. Le 6 août 1708, il demanda à Desmarets, en poste depuis février, de faire lever 50 000 hommes pour la prochaine campagne, rappelant qu'il avait déjà envoyé un autre mémoire à son prédécesseur, mais qu'il l'avait fait ccinutilemenb) puisque son idée avait été «apparemment mépriséedo.

Pour s'assurer que sa requête atteigne son but, une des façons était de recourir à un protecteur, a une personne susceptible d'apporter son support et sa crédibilité. Parce qu'elle était dans une position privilégiée, la soeur de ~esmarets~'accordait fiéquernrnent sa protection à des gens qu'elle estimait ou dont elle était l'obligée. Par exemple, le 17 novembre 1709, elle demanda à Desmarets d'agir en faveur du fière d'une des religieuses de sa communauté, un officier du roi dans la Venerie. devous supplie de vouloir bien faire do~erquelque ordre à Monsieur de Montargis, écrivait-elle, pour que ledit Sieur Marchais soit payé de six cent livres de pension dont le roi le gratifie tous les ans»". L'Abbé ~esmarets'), le fils du contrôleur, en

69 AN. G' 580. liasse no 1. document no (?), lettre de Bonichon. du 5 juillet 171 1. 70 AN, G' 7 1 1, lettre et mémoire de Le Vassior de Lus, du 6 août 1708. 71 Dans ses Mémoires, Saint-Simon confond la soeur et la fille de Desmarets. Nous savons bien peu de choses sur ces deus femmes, sinon qu'elles étaient religieuses et que Marie-Thérèse Desmarets, Ia fille, reçut I'abbaye d'Yerres (ou Hieres) en 1709 (Saint-Simon, Mémoires, tome XXIX, Paris, Hachette. 1929, p. 37 1). Cette dernière écrivait à l'occasion au contrôleur pour apporter sa protection a des solliciteurs. Voir, à titre d'exemples, AN, G' 576, liasse no 1. documents nM36 et 37, lettre et mémoire de la sœur Desmarets. du 5 novembre 17 10. '' AN. G' 571. liasse no 4, document no 102. lettre de la sœur Desmarets, du 17 novembre 1709. Voir aussi G' 576, liasse no 3, document no 93, lettre de la sœur Desmarets, du 8 décembre (1 710 ?). 7; Pierre Desmarets était le troisième fils du contrôleur. Bachelier de Sorbonne, il reçut l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon en juillet 1710, celle de Saint-Nicolas-aux-Bois en janvier 1715 et celle de Montebourg en avril 1758. A l'occasion de sa nomination à I'abbaye de Saint-Nicolas-aux-Bois, son père, le contrôleur, écrivit au pape pour le faisait tout autant. Un an auparavant, le 28 novembre 1708, il prenait la plume pour notifier à son père : «Monsieur, je prend la liberté de vous écrire pour vous prier d'avoir égard au placet que vous présentera Monsieur Declarce, qui a été pensionnaire avec moi au

Ceux qui n'avaient pas le privilège d'être placés sous la protection d'un proche parent du contrôleur général recouraient parfois à des personnages aussi importants, parmi lesquels figurent notamment le Duc de etu une^^, Madame de ~aintenon~~et Claude Le pelletier7'. Dans la plupart des cas toutefois, les protecteurs étaient des gens moins influents, mais qui aux yeux des demandeurs étaient investis d'un pouvoir d'influence qu'eux-mêmes n'avaient pas. Parmi ceux-ci, les religieux occupaient une place considérable. O Lery. professeur en théologie et curé de Faveroles, se fit le messager d'un «zélé personnage)) qui avait conçu «une haute idée» et qui désirait la présenter au contrô~eur~~.Sontoulieu, curé de Lamotte Pardaillan, écrivit lui aussi au contrôleur au nom de tous ses paroissiens79, de même que Durnontet et Pecom, respectivement curé de Saint-Front de Charniers et curé de Saint-Angel, dans le périgordso. À l'image du clientélisme, la filière était parfois complexe. Le 3 mars 2702, par exemple, Prudhomme demanda au contrôleur une audience particulière au nom d'un homme qui désirait l'entretenir «d'une affaire très secrète)), qu'il n'avait lui-même jamais rencontré, mais qu'il co~aissaitpar l'intermédiaire d'un tiers qui l'avait enjoint d'écrire au contrôleur pour le bénéfice de cet inconnus'.

remercier de ((ses grâces» et demander «des nouveIles» des bulles dont son fils avait besoin. Cene lettre est reproduite dans la Correspondance des Contrôleurs généraux, tome III, no 1178. L'abbé Desmarets mourut à Paris le 25 avril 1771. à l'âge de 84 ans (Saint-Simon. Mémoires, tome XXVI ..., p. 96, note 5). " AN. G' 565. liasse no 1. document no 98, lettre de l'abbé Desmarets, du 28 novembre 1708. Voir aussi G' 576, liasse no 1. document no 48, lettre de l'abbé Desmarets, du 7 novembre 17 10, dans laquelle il veut faire nommer son candidat à la cure de Chaussin, vacante depuis peu. 75 AN. G~37 1. liasse no 4, document no 24, lettre de Saint-Tenon. du 4 novembre 1709. '' AN. G' 7 1 1, lettre de l'abbé Fremin, du 8 août 1708 ; G' 71 7, lettre de Defes, du 23 mai 1710 ; G' 722, lettre de <(MM.du 15 octobre 1703 ;G' 709, lettre de Duplessis de Longue. du 8 octobre 1707 ; G' 725, leme et mémoire de Garnier. sans date ; G' 562, lettre de Demons, du 27 février 1708. 77 AN, G' 582. liasse no 3. document no 68 ; G' 581, liasse no 3, document no 69, leme et placet de Beauvillim, du 20 février 17 1S. '' AN, G' 71 1. lettre et mémoire de O Lery, du 2 juillet 1708 ; G' 706, !eme de O Lery. du 14 août 1706. 79 AN. G7588. lettre de Sontoulieu, du 20 avril 1713. 80 AN. G' 569, liasse no 4. document no 87, lettre de Durnontet et Pecom, du 26 mai 1709. 8 1 AN, G' 696, lettre de Prudhomme, du 3 mars 1702. Dans l'ensemble, les protecteurs étaient tiraillés entre l'appât du gain que leur participation a l'(

C'est sans doute en raison de cette situation délicate que bon nombre de demandeurs ne recouraient pas à la protection d'une tierce personne. Ils écrivaient «en droiture)) au contrôleur, c'est-à-dire sans le service d'un intercesseur. Dans une lettre qui accompagnait ses mémoires, Sarrey expliqua très bien la situation dans laquelle il se trouvait : ((Si j'avais connu quelque officier de votre maison je lui aurais adressé les deux mémoires que votre grandeur trouvera dans ce paquet, et je la supplie très humblement de croire que la liberté que j'ai pris de les lui adresser en droiture me donne de la confusion et non pas de la vanité»83. Durouret se trouva dans une situation analogue : «Monseigneur, n'ayant pas d'habitudes à Paris pour vous faire présenter mon placet, écrivait-il, je prends la liberté, Monseigneur, de vous l'envoyer en droiture^'^. De Lametot justifia quant à lui son geste en écrivant : Je suis persuadé que quand on s'adresse a un ministre aussi éclairé que bien intentionné, on le peut faire directement et qu'on a besoin ni d'un nom connu ni de médiateur pour lui proposer une chose avantageuse au roi et à état.'^

De toute évidence, ne pas avoir d'intercesseur réduisait les chances de réussite, mais le fait d'en avoir augmentait les risques de se faire voler son idée. Nombreux sont les cas ou les protecteurs kent suspectés d'avoir volé les idées des personnes qui les avaient mandatés, le demandeur ne pouvant avoir la certitude qu'ils aient rempii leur devoir. De Guynaud, lieutenant

'' AN,G' 696, lettre de De Launay, du 6 mai 1702- '' AN, G' 700. leme et mémoires de Sarrey, du 22 janvier 1703. 81 AN,G' 563, lettre de Durouret, du 6 mai 1708. s5 AN. G' 7 i 2, lettre de De Lametot, sans date. colonel au régiment du chevalier de Constans, s'idormait dans une lettre adressée au contrôleur général de ce qu'il était advenu de ses mémoires : Monseigneur, [Cela] fait quelques temps que j'ai eu l'honneur de vous informer [du fait que] j'avais remis au Sieur Berthot, capitaine dans le régiment, deux mémoires qui regardent les intérêts du roi, pour [qu'il vous les] remette en mains propres ; et n'ayant aucune nouvelle de ce capitaine, d'ailleurs ayant appris qu'il avait quitté, je prends la liberté, Monseigneur, de vous demander s'il a eu l'honneur de vous remettre ces mémoires et qu'au cas [où il] ne l'ait pas fait, faites moi I'homeur de me le faire savoir parce qu'ayant conservé les originaux, il me sera facile de vous les envoyer"

En effet, rien hormis la moraIe n'empêchait un intercesseur d'envoyer en son nom personnel Ie projet qu'on lui avait chargé de transmettre au contrôleur. Ce risque venait s'ajouter au fait que les commis du contrôleur pouvaient fort bien, eux aussi, s'approprier leurs propositions. Un commandant d'un détachement de l'hôtel royal des Invalides rappelle qu'il n'était pas sans ignorer que les lettres adressées au contrôleur passaient

Un autre demandeur, Moreau, était persuadé pour sa part d'avoir été dupé, et à plusieurs reprises. (Les années dernières, écrivait-il à Chamillart, j'ai donné des mémoires pour plusieurs autres affaires ou j'ai été trompé de toute manière par ceux qui vous les ont présenté»89. il n'était pas seul. À titre d'exemple, citons le cas du président du présidial de Condom, Danglerde, qui prétendait lui aussi que plusieurs des mémoires qu'il avait envoyés étaient «tombés entre les mains des personnes qui les [avaient] présentés en leur nom»90 ; ou encore d'Alvaret, qui eut (de malheun) de remettre à plusieurs reprises des mémoires à divers particuliers et, à chaque fois, se vit priver «du plaisir qu'on reçoit de ces sortes de succès)?'.

Si l'on optait pour I'utiIisation d'un intercesseur, il était donc capital de le choisir consciencieusement. Le 22 novembre 1709, Darret explique qu'une personne l'avait «engagé» à

116 AN. G~582, liasse no 4. document no 10, lettre de De Guynaud, du 3 mars 17 12. AN. G' 7 15, leme de Voranquis, du 1" février 1709. 88 AN, G77 13. avis de Bnet, sans date. 89 AN. G' 566, liasse no 2, document no 200, lettre de Moreau, sans date. VO AN. G77 12. leme de Danglerde. du 18 novembre 1 708. faire savoir au contrôleur qu'elle avait en tête un moyen de trouver de l'argent pour le roi. Cette personne, dont nous ignorons tout sinon qu'elle m'était ni d'état ni de qualité à pouvoir détailler [elle-même] cette affaire» au contrôleur, l'avait choisi, lui, Darret, parce qu'elle le considérait «comme la personne [...] la moins capable de la fiustrer de la petite récompense a laquelle elle [avait] lieu d'espérem. De son côté, Darret poussa même les précautions jusqu'a demander au contrôleur de ne recourir à aucune autre personne, craignant trop qu'elle en profitât au désavantage de la personne dont il se faisait le messagerg2.

Si plusieurs demandeurs utilisaient des intercesseurs, d'autres avaient recours à des rapporteurs, à des personnes chargées de rendre compte de leur projet, en personne, au contrôleur. Par exemple, Lecourieul de Reaumonte, chapelain de Madame de Neuville, utilisa les services de Maupeou ; Gabriel Rouge de St Romain, ceux de Demenon et Debessac ; Harazins eut recours à Durnoulin et à ~u~uesna~~~.Deslignes Jupiles, maire de Salignac bourg, envoya un qorteum chez le contrôleur et pria ce dernier de bien vouloir lui accorder «une favorable audience» pour qrendre connaissance» des faits qu'il allait «articuler et mettre en lumière» devant lui. L'homme, un paysan, devait raconter les misères que lui infligeaient, à lui et à ses concitoyens, les officiers du roi, notamment les collecteursa.

D'autres demandeurs, sans doute plus familiers avec le fonctionnement du contriile

3oénéral, écrivaient directement aux commis ou aux intendants des financesg5, ou tâchaient de

AN, G77 15, lettre d' Alvaret, du 22 février 1709. AN. G77 16, lettre de Darret, du 22 novembre 1709. AN. G~579. liasse no 2, document no 166, lettre de Le Courieul De Reaumonie. du 9 juin 171 1 ; G' 594, leme de Gabriel Rouge de Saint Romain. du 2 octobre 17 14 ; G' 704, billet de Harazins, du 9 novembre 1705. AN. G' 596. lenre de Deslignes JupiIes, du 2 avril 17 15. Entre 1660 et 1690, les intendants des fuiances furent au nombre de deux. En fkvrier 1690, Louis XIV révoqua leurs commissions et créa quatre intendants de finances en titre d'ofice. En 1708, ils étaient huit et en 1715, sept. Ces intendants travaillaient à domicile et disposaient d'un ou plusieurs commis. Ils s'occupaient de ((quelques provinces et d'affaires généraies concernant le royaume)). Leur travail consistait à préparer les arrêts des conseils. les lettres patentes, Ies ordonnances qu'ils faisaient signer par le contrôleur (R. Mousnier, Les Uii~titutions..., p. 197). A titre d'exemple, voir AN. G' 574. liasse no 2, document no 115, lettre de Manseau à Clautrier, du 21 juillet 17 10. Manseau écrivait a Claunier, le premier commis de Desmarets, pour lui indiquer qu'il avait présenté un mémoire à Desmarets, par lequel il lui demandait un arrêt de «surcéance» qu'il lui avait promis (avec beaucoup de bonté)). «Comme cela passera par vos mains, écrÏvait-il, je vous demande la grâce, Monsieur, d'y donner votre protection)). Voir aussi G' 579, liasse no 2, document no 15, lettre de Joarnis à l'un des commis du contrôleur général, du 5 juin 171 1 ; G' 571, liasse no 2, document no 2, lettre de Reginier de Furare a Poishia. secrétaire du choisir celui d'entre eux qui serait en charge de leur affaire. C'est le cas notamment de Adam qui, dans une lettre, écrivait : J'ai appris, Monsieur, que Monsieur de Sermonville avait présenté un placet a Monseigneur le contrôleur générai, hier matin. Comme d~ personnes que je considère infiniment m'ont engagé de solliciter pour lui, je vous serai sensiblement obligé, Monsieur, de me faire l'amitié de me faire savoir a qui son placet sera renvoyé ; et si c'est à quelqu'un de messieurs les intendants des finances, je vous supplie, si cela se peut, que se puisse être a Monsieur Guyet ou à Monsieur Bignon. entre les mains de qui il rernema les pièces justificatrices de son placet-%

Encore mieux qu'un intercesseur ou qu'un rapporteur, et que de choisir le commis qui allait être en charge de son dossier, avoir la chance de débattre en personne sa proposition était le meilleure des stratégies. C'est pour cette raison que les demandeurs les plus avisés essayaient de rencontrer le contrôleur général. Us sollicitaient une audience, particulière ou publique, au cours de laquelle ils tâchaient de le convaincre du bien-fondé de leur projet. C'est le cas de Montlys, ancien colonel ayant servi toute sa vie dans les troupes fiançaises et qui désirait entretenir le contrôleur des moyens qu'il avait trouvés pour faire entrer dans les coffres du roi plusieurs millions, et à cette fm, il demandait une heure d'a~dience~~.C'est également le cas de Bonichon qui sollicitait une audience pour communiquer des ((affaires de la dernière conséquence qui concern[ai]ent les intérêts particuliers et généraux de Sa Majesté, non seulement pendant son règne, mais encore [pendant tous ceux] de ses successeurs»98.De Vizé, qui logeait aux galeries du Louvre, demanda lui aussi une audience particulière au cours de laquelle il souhaitait se faire accompagner de son voisin, de Launay. de vous supplie aussi, Monseigneur, écrivait-il, que i'audience que vous m'accorderez soit particulière, parce qu'un aveugle aurait de la peine a se démêler de la foule, et qu'il ne pourrait adresser la parole a quelqu'autre qu'à vous»*.

Ceux qui n'avaient pas le privilège d'obtenir une audience particulière pouvaient toujours se rabattre sur les audiences publiques. Encore fallait-il en connaître l'horaire. Le 24

contrôleur général, a Versailles, du 4 septembre 1709 ; G7 704, billet de Harazins à De la Garde, secrétaire de Desmarets, à Paris, du 9 novembre 1705. 96 AN, G' 562, leme de Adam à un des commis du contrôleur générai des finances. du 27 mars 1708. 97 AN,G7 71 5, lettre de MontIys, du 2 juin 1709. 9s AN, G7580, Iiasse no 1, document no (?), lettre de Bonichon, du 5 juillet 171 1. Voir aussi G' 563, lettre de Le Bors, du 7 mai 1708 ; G' 565, liasse no 1, document no 3, billet de Gallois, du 15 novembre 1708 ; G' 566, liasse no 2, document no 200. lettre de Moreau, sans date ; G?7 1 1, lettre de Thomas Mobant. du 5 juillet 1708. '' AN, G?563, lettre de De Vizé, du 18 avril 1708. septembre 171 1, un ermite se disant lui-même qeu instruit des démarches des ministres», se plaignit de n'avoir pu rencontrer le contrôleur, s'étant malheureusement

En dehors des audiences, les visiteurs étaient refoulés à l'extérieur de l'hôtel du contrôleur, comme en fait foi, par exemple, t'épisode où l'Abbé de Seignelay se buta au refus obstiné des valets du contrôleur, alors même qu'il avait pris la peine de s'informer du meilleur moment pour se présenter chez lui : J'ai été, hier, très longtemps à voue porte, Monsieur, et à deux différentes fois, sans pouvoü parvenir jusqii'a vous ; quoi que j'eusse fait demander auparavant l'heure ou je pourrais avoir l'honneur de vous voir sans vous incommoder, et qu'on me i'eût donnée. Vos valets de chambre mëme à qui je me suis adressé ensuite, n'ont pas voulu se charger de vous demander pour moi quel moment vous serait le moins incommode. Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien leur donner ordre de me traiter un peu moins en étranger. vos anciennes bontés pour moi me le font espérer, et je n'en abuserai certainement point.'03

Une des façons d'éviter ce genre de situation était de s'informer auprès des commis de la charge de travail du contrôleur. De la Roussiere, le 5 février 1708, explique pourquoi il n'a pas livré son mémoire au contrôleur en main propre : ddonsieur le Rebours [un commis de Desmarets] vient, Monsieur, de me dire que vous étiez occupé à faire un mémoire très sérieux, c'est ce qui m'empêche de vous aller rendre mes devoirs et me fait prendre la liberté de vous écrire pour vous envoyer ce mémoire que je vous prie très instamment de trouver bonda'.

100 AN. G758 1, liasse no 1. document no 1 02, lettre anonyme. du 24 septembre 1 7 1 1. 101 AN, G' 562. lettre de Magdeleine Laure. du 11 mars 1708. 'O' AN. G' 579, liasse no 1, document no 183, lettre de Taligny de Longley, du 29 mai 17 1 1. 'O' AN, G' 587, lettre de l'abbé de Seignelay, du 24 mars 1713. Voir aussi G' 563, lettre de (?), du 5 mai 1708. IM AN, G7562, leme de De la Roussiere, du 5 février 1708. Notons que le fait de connaître la date précise des audiences publiques n'assurait pas au demandeur un accès automatique au contrôleur. Nombreux étaient ceux qui rebroussaient chemin devant le trop grand nombre de gens présents ou encore devant la aqualite~de ces dernierslos. Ainsi, la veuve De Longueuil se rendit chez le contrôleur le 7 mai 171 1, mais, se sentant mal, elle ne pût l'approcher. Elle dut se résigner à lui faire parvenir son placet par écrit le lendemain'". D'autres demandeurs, lorsqu'ils réalisaient que le contrôleur était très occupé, n'osaient tout simplement pas le déranger. Desvallier fit l'un de ceux-là. Dans une lettre du 22 juin 1709, il expliquait au contrôleur pourquoi il n'avait pu lui donner son mémoire à l'audience du jeudi précédent, woyant qu'après avoir donné une très longue audience à Madame de Villette, vous aviez encore deux intendants des finances à expédier, u'ai préféré revenir dans] un temps où la foule sera moins grande»'07.

S'abstenir de présenter sa requête au moment où le contrôleur était très occupé était probablement une sage décision. À preuve, ceux qui présentaient leur projet au contrôleur dans le tohu-bohu du cabinet risquaient de voir leur requête négligée. C'était, du moins, la crainte de quelques-uns. Par exemple, Desmoulins, le 14 octobre 1709, s'inquiétait des conséquences néfastes que pourrait avoir sur son projet ce fort achalandage. II en faisait l'aveu au commis : l'ai eu l'honneur de présenter vendredi matin à Monsieur Desmarets, dans son audience publique, les mémoires que j'ai dressé[sJ [et] qu'il m'a promis de faire examiner, mais il était alors si fort accablé de monde que je doute qu'il lui en reste aucune impression. quoi que je lui ai représenté par un placet et ~erbalement.'~~

La correspondance du contrôleur général des finances dont on vient de voir le fonctionnement permet un accès privilégié aux constructions mentales des auteurs. Dans leurs

'Os AN. G' 71 3, lettre de Charles de Saint Martin. sans date ; G' 709, lettre de Baron, sans date. Voir aussi G' 571, liasse no 4. document no 163, lettre de Denouailles, marquise de Loualliere LouaiIles (?), du (?) novembre 1709. 1 O6 AN, û7579, liasse no 1, document no 36, lettre de la veuve De Longueuil. du 8 mai 171 1. Io' AN. G' 570, liasse no 1. document no 125, lettre de Desvallier, du 22 juin 1709. lettres, les auteurs s'adressaient directement au contrôleur. Ils le qualifiaient,lui prêtaient des fonctions, qualités et titres qui, dans certains cas, outrepassaient largement ses pouvoirs officiels. De ces attributs présumés du contrôleur iI est possible d'extirper certaines images, usurpées, parce que non conformes a ses pouvoirs réels et au discours officiel de la monarchie, qui laissent apparaître comment les auteurs se représentaient le pouvoir, du contrôleur certes, mais aussi le pouvoir politique dans son ensemble. Parmi toutes ces images, deux s'imposent par leur force d'évocation. L'une fait du contrôleur la réincarnation de Joseph le Patriarche, l'autre lui confere Ie rôle de père de famille, le parerfamilias du royaume de France.

108 AN, G' 7 16, lettre de Desmoulins. du 14 octobre 1709. Chapitre 2 UN SECOND JOSEPHLE PATRIARCHE

Le contrôleur général des finances n'était pas un officier comme les autres. il était, bien sûr, ministre, au même titre que le chancelier et tes quatre secrétaires d'État. Mais il était bien plus qu'un des six ministres du roi. À travers les fonctions, qualités et titres que lui prêtaient les auteurs de la correspondance1, il est possible de dégager une première image, non conforme aux statuts juridiques, qui fait de lui le ministre le plus imposant du royaume. Non seulement dominait-il tous les autres, mais il commandait également au nom du roi les «plus grandes affaires)) de l'État. Plusieurs auteurs de la correspondance le dépeignaient comme une personne en qui il fallait avoir une confiance absolue, comme un homme qui possédait un jugement perspicace et équitable. À leurs yeux, la relation qu'il entretenait avec le roi était semblable, voire identique. à celle qu'avait autrefois cultivée Joseph le Patriarche avec son premier maître, Potiphar l'eunuque, puis avec le pharaon d'Égypte. Pour mieux dire, le contrôleur était un second Joseph le Patriarche.

L'histoire de Joseph, fils de Jacob et de Rachel, est bien connue. Les grandes lignes sont relatées dans le Livre de la Genèse, aux chapitres XXX à L. On y apprend, entre autres, que Joseph fut vendu par ses fréres, jaloux de I'amour privilégié que lui portait leur père, a des Isrnaélites qui l'emmenèrent en Égypte où il fut à nouveau vendu à Potiphar, eunuque du pharaon et prévôt de l'hôtel2. Joseph «trouva grâce devant son maître)) et se donna tout entier à son

' Par ((fonctions»,j'entends les activités que les auteurs attribuaient au contrôleur. Elles sont nombreuses et variées. A titre d'exemples : ((diriger les finances)), «favoriser les intérêts du roi)), «agir comme intermédiaire entre les peuples et le roi», ((soulager les pauvres)). ((conduire les grandes affaires de l1Étao). ((opérer la paix» et ((soutenir la -guerre)). L'expression ((qualités)) renvoie quant a elle aux attributs de la personne du contrôleur. Par exemple, plusieurs auteurs ie percevaient comme un homme bon. sage, ferme. habile, expérimenté, juste ou équitable. Finalement, les ((titres» sont tout aussi riches. Ils vont du «Dieu de la finance)) au ((dépositaire des foudres)) en passant par le ((véritable protecteur des opprimés». La Sainte Bible qui contient le Vieux et le Nouveau Testament. Rcwîe sur les Originaux, & retouchée dam le langage par David Martin, Amsterdam, chez Pierre Brunel, 1722, Livre de la Genèse, chapitre XXXIX, verset 1. Dans certaines versions de la Bible, Potiphar. ou Putiphar, est présenté comme le général des troupes du pharaon. Notons également que dans la version de David Martin, le texte biblique tait le fait que ce sont les fières de Joseph qui le vendirent aux Ismaélites. Seule une note ajoutée par l'auteur au chapitre XLII, verset 13, apporte cette service. 11 avait reçu de lui l'autorité sur toute sa maison ; il la gouvernait et prenait soin de tout ce qui lui avait été mis entre les mains3. La confiance accordée par son maître porta Joseph à faire hctifier le bien de celui-ci, «tant en la maison qu'aux champs», de telle sorte que le maitre n'avait «connaissance d'aucune chose, sinon du pain qu'il mangeait», s'étant déchargé de tout sur .Ioseph4.

Or, vint un jour où cette relation de confiance fut brisée, plus précisément lorsque la femme du maître voulut corrompre Joseph en l'invitant dans son lit. Joseph refusa «cet amour criminel)) et lui répondit : Voici, mon maître n'entre en aucune connaissance avec moi des choses qui sont dans sa maison, et il m'a mis en main tout ce qui lui appartient. ii n'y a personne en cette maison qui soit plus grand que moi, et il ne m'a rien défendu que toi, en ce que tu es sa femme, et comment ferais-je un si grand mal, et pécherais-je contre Dieu ?'

La femme, décidée à se venger de ce serviteur qui l'avait repoussée, orchestra une mise en scène qui envoya Joseph en prison, d'où il ne sortit que deux ans plus tard pour répondre à l'appel du pharaon qui cherchait une explication à ses songes.

Joseph expliqua que les songes du pharaon annonçaient sept années de bonnes récoltes suivies de sept années de disette et, devant I'inéluctabilité d'un tel cataclysme, il suggéra au pharaon, d'une part, de s'adjoindre (am homme entendu et sage» a qui il donnerait le commandement de toute l'Égypte et, d'autre part, d'établir dans les provinces des commissaires chargés de faire des provisions de blé en vue des années de disette. En toute humilité, le pharaon accepta l'idée de Joseph et anêta son choix sur celui qui avait su expliquer ses songes. S'adressant à Joseph, il lui dit : «Tu seras sur ma maison, et tout mon peuple te baisera la bouche)),autrement dit, (<à ta parole tout mon peuple sera soumis et obéissant». ((Seulement, je serai plus gand que toi quant au trône)?. Au terme de la discussion, avant de présenter Joseph à la foule prosternée, le pharaon ajouta même : ((Regarde,je t'ai établi sur tout le pays d'Égypte».

- - précision. J'ai choisi cene édition (1732) parce qu'elle donne accès au langage utilisé par les contemporains des auteurs de la correspondance, ce qui est essentiel quand on travaille avec le concept de représentation, 3 La Sainte Bible qui confient le Vieux-.., Livre de la Genèse, chapitre XXXIX, versets 4 et 5. La Sainte Bible qui conrienr le Vieux.., Livre de h Genèse. chapitre XXXIX. verset 6. 11 est annoté en marge que le maitre mese mêlait de rien, que de se mettre à table)). 5 La Sainte Bible qui confient le Vie ux..., Livre de la Genèse, chapitre XXXIX, versets 8 et 9. La Sainie Bible qui confient le Vie m... Livre de h Genèse, chapitre XL. verset 40. L'analogie entre le contrôleur général des *ces et Joseph le Patriarche est explicite dans au moins quatre pièces de la correspondance. D'abord, un auteur anonyme décrivait le contrôleur comme le «grand successeur et imitateur de ~ose~b';un certain Rigollier écn~itque le contrôleur avait «la sagesse et la prudence d'un aube ~osepb)'; ensuite, le curé Brion souhaita que, «comme un autre Joseph en Égypte>)9, le contrôleur ne laisse pas sounrir les serviteurs du roi qui mouraient de faim ;et, finalement, un dénommé Menard envoya au contrôleur un sonnet qu'il avait composé pour lui et qui se lit comme suit : «D'un monarque autrefois secondant la Prudence / Dans l'Égypte, Joseph affermit i'abondance l il s'en vit appeler le Père et le Sauveur / Desmarets sous Louis suit aujourd'hui ses traces / Que la France sensible en actions de mâces Lui do~emême nom pour la même faveun>I0.Ainsi, par sa sagesse et sa prudence, le C contrôleur combattait la faim et ((affermissait I'abondance», «suivant,>de cette façon «les traces)) de Joseph et méritant par conséquent le «même nom».

Même si tous les auteurs ne sont pas aussi explicites que Rigollier, Brion et Menard, pour beaucoup d'entre eux, le contrôleur était «celui qui affermissait l'abondance», il était le ministre qui avait «toute autorité» sur la maison» du roi et dont le devoir était de faire fructifier le bien de son maître". Le contrôleur était Joseph. Par exemple, le 4 mars 1710, le prieur de Croissy expIiquait comment le «bon ordre et le rétablissement du royaume» reposaient entre les mains du contrôleur et, le 14 mai 1714, Buccy Rabatini soulignait à quel point le maintien et la splendeur du royaume de France dépendait du ministère du contrôleur général des finances12. Aussi, à l'instar de Joseph le Patriarche, pour faire fi-uctifier le bien de son maître, le contrôleur devait se

' AN. G~598, lettre anonyme, sans date. Y AN, G~562. lettre de Rigollier, du 18 février 1708. ' AN, G~569, liasse no 4, document no 58, lettre de Brion, du 17 mai 1709. 1 O AN, G~723, sonnet de Menard, de la fin décembre 17 14. " Dans son acception Ia plus commune, la Maison du roi était divisée en maison civile et maison militaire, et ne fÙt véritablement constituée qu'au XVII' siècle. La preriiik-e maison comprenait le clergé de cour, les officiers de la bouche du roi, de la chambre du roi, des bâtiments, des logis, de la grande et de la petite écurie, les officiers des poses et relais de France, les officiers pour les voyages, les oflticiers de la vénerie, des cérémonies et les trésoriers du roi ; la seconde était composée des quatre compagnies des gardes du corps, les cent-suisses, les gardes de la porte ordinaire, les gardes de la manche, les gentilshommes a bec de corbin, les gardes de la prévôté de l'hôtel du roi ou hoquetons ordinaires du roi, les gendarmes de la garde, les mousquetaires du roi, les grenadiers à cheval, les gardes françaises et les gardes suisses (Antoine Chéruel. Dictionnaire hhtorique des inrtiturions, moeurs er cozcntntes de la France, tome II, Paris, Hachette, 1874, p. 707-7 14). donner atout entier à son service)) et le roi se <(déchargeait»sur lui à un point tel qu'il ne savait même plus ce qu'il avait dans sa maison. En contrepartie cependant, le contrôleur avait le devoir d'informer le roi de l'état de son royaume13.

Le contrôleur était également cet ahomme entendu et sage» à qui le peuple obéissait, et le roi n'était au-dessus de lui que par le titre et la qualité de roi. Aux yeux de plusieurs, dans les faits, c'était lui qui «commandait», avec, bien sûr, l'assentiment du roi. Une vision des choses que vient corroborer le commentaire que fit le contrôleur général des finances Louis Phélypeaux- Pontchartrain à Lord Portland. Dans ses Mémoires, le duc de Luynes rapporte que Pontchartrain, alors qu'il était chancelier, dit à l'ambassadeur anglais : Vous avez déjà vu la grandeur et la magnificence dont le roi [Louis XIV] est entouré, l'empressement de tous ses sujets à lui faire la cour et à obtenir le moindre de ses regards. Eh bien ! 14 ce prince si grand, si majestueux, fait continuellement la cour à son contrôleur général. Est-ce là confidence diplomatique ou une fanfaronnade ? Une chose est certaine, plusieurs auteurs de la correspondance auraient été en parfait accord avec Pontchartrain.

Cette image du contrôleur-Joseph, il est possible de la diviser en trois parties : le Tsaphnath-Panéach (l'affermissement de l'abondance), la confiance et l'influence. Une mission et deux qualités qui faisaient du contrô!eur un personnage essentiel de la monarchie, le principal agent d'exécution du roi. Vu sous cet angle, il était le principal ou premier ministre de Louis XIV, lui qui dans ses Mémoires pour I 'année 1661 manifesta clairement la volonté de ne pas en avoir. Les auteurs avaient confiance en la personne du contrôleur. Cette confiance tirait principalement sa source de la position privilégiée qu'il occupait : il faisait partie du «sanctuaire» du pouvoir'5, il était environné de la gloire du roi à qui il inspirait une confiance absolue. C'est cette même confiance qui était à la base de son influence considérable et à laquelle les auteurs faisaient appel en lui écrivant. Mais avant, le contrôleur avait une mission particulière, celle d'affermir l'abondance.

" AN, G' 573, liasse no 1. document n" 6, lettre du prieur de Croissy, du 4 mars 17 10 ; G' 592, lettre de Buccy Rabatni, du 14 mai 17 14. 'j À titre d'exemples, voir AN. G' 570, liasse na 2. document no 93, lettre du recteur et cure de La Case, du 14 juillet 1 709 ; G7587, lettre de De Morton, sans date ; G' 583, liasse no 1, 1 10, lettre de La Villette, du 19 mai !il 2 ; G' 575, liasse no 2, document no 222, lettre anonyme, du 30 novembre 1710. 14 Duc de Luynes, Mémoires, tome V, p. 88. Rapporté par Saint-Simon, Mémoires, tome IV ..., p. 260 et 261. Après avoir fait de lui son premier ministre, le pharaon do~aa Joseph le nom de {{Tsaphnath-Panéacb, ce qui signifie en égyptien ((celui qui approvisionne la vie, qui donne la nourriture de la vie», autrement dit desauveur du monde)? Ce nom rappelait la mission qu'il lui avait confiée : faire des provisions de bleds en prévision des années de disette. Une tâche dont Joseph s'acquitta avec la plus grande rigueur. Pendant les sept années d'abondance, «la terre rapporta très abondamment)) et Joseph fit des provisions dans les villes, déposant dans chacune d'elle les productions des champs enviromants". On dit même qu'il (amassa une grande quantité de blé, comme le sable de la mer ; tellement qu'on cessa de le mesurer parce qu'il était sans nombrefilS.Ces provisions sauvèrent le royaume du pharaon car la disette fut si grande qu'il y eut une farnine dans tous les pays du monde, sauf en Égyptet9.

Le contrôleur général était perçu, lui aussi, comme le Tsaphnath-Panéach du royaume de France. 11 devait surveiller le prix des bleds, en prévenir la cherté et en faire des provisions pour pallier les mauvaises récoltes. Autrement dit, comme Joseph, il avait pour mission de combattre la disette afin d'éviter qu'elle ne dégénère en famine. Le Vassor de Lus, le 10 novembre 1708, soulignait dans une lettre que les prix des bleds augmentaient gravement dans les marchés. Il rappelait à Desmarets que «Colbert usait d'une très grande prévoyance pour remédier a la disette du bled en France, mais, avouait-il comme pour excuser le premier, il y a[vait à cette époque], prâces à Dieu, du bled en abondance dans le Des excuses, Desmarets en eût sans C doute grand besoin au cours des années 1708-1 709. Si l'automne 1708 avait été rigoureux, la situation climatologique se détériora I'année suivante. Ce ((grand hiven} fut celui des disettes, des famines et des épidémies, notamment de dysenterie et de typhoïde2'. l5 AN, G' 583, liasse no 1, document no 1 10, lettre de La Villette. du 19 mai 17 12. 16 La Sainre Bible, Traduction d'après les textes originaux par le Chanoine A. Crampon,-Livre de la Genèse, Paris, Desclée, 1939, chapitre XLI, verset 45. 17 La Sainre Bible picontient le Viem.. , Livre de la Genèse, chapitre XLI, versets 47 et 48. 18 La Sainle Bible qui contient le Vieux..., Livre de la Genèse, chapitre XLI, verset 49. 19 La Sainle Bible qui contient le Vieux..., Livre de la Genèse, chapitre XLI, verset 54. 'O AN, G' 7 12, lettre de Le Vassor de Lus, du 10 novembre 1708. " Joël Cornette, Chronique du règne de Louis ,UV, Paris, Sedes. 1997, p. 498. Cet hiver est resté grave dans la mémoire collective hnçaise comme d'hiver où le vin gelait jusque sur la table du roi». Malgré ses «lourdes il faut savoir qu'au tournant du siècle, vivre c'était d'abord survivre, c'était «essayer d'échapper à la disette ou à la famine», c'était «craindre les dérèglements météorologiques et leurs conséquences sur la production agricole, donc sur la ration de pain»u. Le pain était la base de l'alimentation, il représentait 50 à 80 p. cent de l'apport calorifique cpotidienZ. Lorsqu'une maladie ou un désordre climatique affectait les récoltes, rapidement c'était la mort qui menaçait. Les carences en lipides, protéines et vitamines, de même que l'absence de système de chauffage et l'utilisation de mauvais vêtements laissaient peu de chances à la population de gagner le combat contre le fioid et la maladie. Le contrôleur général, de par ses fonctions de ministre de l'économie, des finances et de l'agriculture, devait veiller P maintenir ce fiagile équilibre entre la production des bleds et la survie de la population ; il devait connaître l'état de la production et agir pour éviter la famine.

Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant qu'on fit appel à lui. Par exemple, le 3 février i 709, un auteur anonyme l'informait que «la rigueur du froid ayant ruiné les bleds», la famine allait sans doute sévir cette a~ée~~.Le 30 novembre 1710, un autre auteur anonyme écrivait : Je fais ces dignes pour vous informer de la misère du temps présent à l'égard des pauvres qui sont dans une grande nécessité, manquant de tout, dont la plupart meurent de faim et de froidure n'ayant pas un morceau de pain pour se substanter, ni argent pour en avoin?'. Le curé de la paroisse d1Agonges,pour sa part, écrivait au contrôleur pour l'enjoindre à «jeter la vue» sur l'état dépLorab1e de son moupeau», tandis qu'un autre auteur anonyme rapportait que : Les villes ne font pas mieux que la campagne, tout y est dans l'accablement a5eux d'une famine inévitable. Vous n'y voyez que des visages cadavérewc avec un cuir noir et sec collé sur des os, les cris et gémissement de ces demi mourants tout retentir les grands chemins, les rues, les places publiques qui sont pleines de ces spectres vivants et d'un nombre infini d'enfants que les parents abandonnent ne pouvant leur mieux faire.26

conséquences démographiques)), ce ((grand hiven lüt cependant wnoins mde et moins meumien) que les hivers de 1693 et 1694 (François Bluche, Dicrionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1994, p. 723). Pour plus de détails sur Ies conséquences de cette temble vague de fioid, voir Marcel Lachiver, Les années de misère. Lafamine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1 99 1. p. 24 1 -351. > 7 -- Marcel Lachiver, Les années de mirère ..., p. 42. 23 Marcel Lachiver, Les années de misère ..., p. 4 1. ?'' AN, G' 7 1 5, avis anonyme, du 3 février 1709. 25 AN. G' 575, liasse no 2, document no 222, lettre anonyme du 30 novembre 1710. Respectivement AN, G' 569, liasse no 3, document no 95. lettre de De Monnet, du 27 avril 1709 ; G' 716, lettre anonyme. du (?) 1 709. En plus d'informer le contrôleur de l'état des récoltes et l'apparition de famines, les auteurs l'enjoignaient à agir. Par exemple, le curé Brion, comme nous l'avons vu précédemment, souhaitait que le contrôleur agisse comme l'avait fait Joseph autrefois : Nous avons cm devoir lui [au contrôleurl en donner avis et lui exposer que la conjoncture des temps ou nous sommes est si terrible, paniculièrcment pour les pauvres de la campagne, qu'il y a plus de cinquante familles dans votre paroisse de Couvron qui gémissent, eux et leurs enfants, sous le poids d'une extrême miskre ;les blés étant manqué partout ; Ia cherté en est jusqulà un point que Ies pauvres ne peuvent jamais y atteindre. Nous prions donc votre grandeur de vouloir avoir quelques égards pour ces pauvres misérables. et nous espérons que comme un autre Joseph en Égypte, vous ne souf3ez pas que vos serviteurs pénsseent de faim, mais au contraire, que votre -a-andeur ordonnera plus libéralement au plus tôt pour leurs subsi~ances.?~ td?our soulager les peuples», un auteur anonyme implorait quant à lui le contrôleur de «défendre la sortie des bleds hors du royaume». II ajoutait du même souffle : anais comme les gouverneurs et maires et gardes se peuvent laisser corrompre par argent il serait bon que votre prudence y mit ordre par des défenses rigoureuses»28.

Certains auteurs proposaient des solutions plus formelles. Par exemple, un auteur anonyme demandait au contrôleur d'appliquer «les vrais remèdes)) pour combattre la famine. Pour sauver la population, arguait-il, le contrôleur devait revoir l'imposition et faire construire des greniers Parce qu'il était convaincu que le contrôleur Le Pelletier «compatissait fon aux maux que les peuples soufi[ai]ent», un contemporain anonyme lui exposa le plan d'un mémoire qu'il avait rédigé pour l'aider à qrévenir les abus qui se comrnett[ai]ent dans la vente du bled et

Je vais commencer par vous due de quelle manière les marchands de blé agissent dans les villes, bourgs et lieux où iI y a marché, la méthode qu'ils tiennent en l'achetant et en le revendant. Je vous dirai aussi la règle que je crois qu'on y pourrait donner ; soit dmun temps d'abondance ou dans un temps que le blé manque ; je veux vous avertir que quoi qu'on dit de cette année, soit par l'appréhension ou par le faux bruit qu'on fait courir, il y aura des bleds plus qu'il ne faudra pour nourrir toute la France cette année sans y comprendre les semences ;de plus il est que quand l'année manquerait (Dieu nous en préserve), il y a[ura] des bleds dans les greniers de France pour plus de quatre ans (...I.~'

------" AN. G' 569, liasse no 4, document no 58, lettre de Brion. du 17 mai 1709. '' AN, G~ 7 1 5, avis anonyme, du 3 février 1709. '9 AN, G' 716, leme anonyme, du (?) 1709. 11 est intéressant de souligner que l'année suivante, Desmarets reprit à son compte une idée de Vauban en créant l'impôt du dixième qui, en principe, ne faisait pas de distinction entre roturiers et privilégiés (F. Bluche. Dictionnaire du Grand Siècle ..., p. 466). 50 AN, G' 694, mémoire anonyme, sans date. Quelques auteurs ne reculaient devant rien pour forcer le contrôleur à intervenir. L'un d'entre eux lui rappela à quel point il était risqué pour le roi de laisser perdurer dans son royaume une famine aussi grande. «La misère publique me touche si fort que je ne peux pas vous témoigner assez ma douleur apres tant de rigueur, écrivait-il. Le pays est à présent au désespoir et ne sait plus vivre par la dureté des riches et puissants qui les opprimena>. Il demandait au contrôleur de faire en sorte «que cette cherté des bleds et des vivres nécessaires à la vie des sujets de sa majesté cesse». A son avis, il en allait de la swie de la population, mais aussi de celle du roi. En effet, l'auteur prétendait que la personne du roi n'était pas «en sûreté» et qu'elle pouvait ((encourir le même danger» qu'en 1693, alors qu'un anisérable soldat pressé par la faim fiit détourné de faire un mauvais coup a Versailles», un geste qui selon l'auteur ((aurait été fatal a tout l'État»".

On écrivait parfois au contrôleur pour lui témoigner sa recomaissance. A l'automne 171 1, Desmarets reçut une ode dans laquelle l'auteur lui rendait grâce d'«avoir soulagé la France par le transport des bleds qu'il a[vait] fait venin). Le poème, anonyme, suggère que le contrôleur a, par sa décision d'importer des bleds, chassé «les monstres» responsables de la disette : Des côtes de Libye une flotte s'avance / Que vois-je? Elle amène Persée / La vérité me dit que son retour en France / Est I'ouvrage de Desmarets /Quels monstres devant elle ont déjà pris la fuite / C'est la famine et le besoin / Ils traînent apres eux une nombreuse suite /Je ne les vois plus que de loin / Borée ayant rendu nos terres trop avares / Croyait nous priver de leurs dons / Mais Neptune invoqué chez les peuples barbares / Nous fait cueillir d'autres moissons / Rassurons-nous ; le Ciel ne veut pas notre perte / Du ministre L'activité / Nous fait presque oublier que la France ait 3 2 soufferte 1 Une aftieuse stérilité.

Cette représentation qui fait du contrôleur le Tsaphnath-Panéach du royaume de France est très présente dans la correspondance. Néanmoins, elle ne contient pas à elle seule toute l'analogie avec Joseph le Patriarche. Le contrôleur était bien plus que celui qui ((approvisionnait la vie», qui adonnait la nourriture de la vie». Plusieurs qualités présumées faisaient de lui un second Joseph, parmi lesquelles figure la confiance. D'une part, si le pharaon avait témoigné d'une confiance aveugle en Joseph -après tout, ne lui avait-il pas laissé le plein et entier commandement de son royaume ?-, dans l'esprit des auteurs de la correspondance, Louis XIV en

51 AN. G' 572, liasse no 2. document no 5 1. leme anonyme, sans date. " AN. G' 581. liasse no 2. document no 156. ode anonyme. sans date. Le classement archivistique laisse croire que l'ode est datée de 17 1 1. avait fait de même avec son contrôleur général des finances. D'autre part, par un phénomène d'entrainement, cette confiance accordée par le roi trouva écho auprès de la population, de telle sorte qu'on peut dire sans se tromper qw le contrôleur était un homme de confiance.

La plupart des auteurs avaient une confiance absolue en la personne du contrôleur. C'est délibérément qu'ils choisissaient de lui écrire, à lui, plutôt qu'à tout autre officier ou ministre. Pmdhomme, qui agissait comme intercesseur d'un mystérieux inconnu, expliquait que ce dernier ne voulait confier son projet qu'au contrôleur, parce qu'il n'avait confiance en personne d'autre". Charles Priolet, «un pauvre garçon originaire de Troyes», aveugle depuis douze ans et bien connu des «gens de considération» à qui il distribuait «les nouvelles du temps)), souhaitait informer le contrôleur d'un secret «de la dernière conséquence)), mais il ne voulait en aucun cas le ~(déclaren) à qui que ce soit d'autre qu'à lui34. De la même façon, Le Clerc, parce qu'il se fiait entièrement au contrôleur, préféra lui envoyer ses trois placets plutôt que de des mettre à orci ci in aire)?^.

La confiance envers le contrôleur général des fmances s'explique d'abord et avant tout par la position privilégiée qu'il occupait. Un cas, que j'ai évoqué précédemment, met bien en lumière cette position. Au printemps 1702, un étranger se présenta dans la boutique d'un ofevre du roi installé aux galeries du Louvre, lui demandant qu'on lui procure (d'approche du roi)). L'homme en question prétendait avoir un secret, une «affaire))à laquelle personne au monde n'avait pensé et qu'il croyait «très facile et toute vierge)). Il avait rédigé un mémoire et souhaitait Ie remettre en main propre au roi. L'orfevre refùsa d'abord de l'aider, mais devant l'insistance de l'inconnu, iI dut se résoudre à écrire au nom de ce dernier, non pas au roi, mais au contrôleur. Le contrôleur lui répondit que l'étranger ((devait absolument passen) par son «canal» et que toute rencontre avec le

j' AN, G7696, lettre de Prudhomme, du 3 mars 1702. j4 .4N,G7 696, lettre de Charles Priolet, du 24 mai 1702. 3s AN. G' 696, lettre de Le Clerc, du 1 1 août 170 1. Voir aussi, sur les auteurs qui choisissaient d'écrire au contrôleur plutôt qu'a toute autre personne, AN, G' 700, lettre de Magdelaine Faure, du 26 janvier 1704 ; G' 700, lettre de Jordan. du 18 juillet 1704 ; G' 723, lettre de Duranzeüil, du 24 août 1715 ; G' 71 8, lettre de Miet, du 6 septembre 1710 ; G~ 727, lettre de Simon Joseph Vanin. sans date ; G~576, liasse no 2. document no 72, lettre de Le Texier, du 14 décembre 1710. roi était exclue d'emblée. Cette réponse ne sembla pas plaire à l'étranger qui, contre mauvaise fortune bon coeur, acceptq lorsqu'on l'assura que si le contrôleur approuvait son mémoire, il passerait immédiatement de ses mains à celles du roiM.

Le contrôleur était, tout comme Joseph, environné de la gloire du roi ; la proximité de la personne du monarque faisait de lui un être particulier, un homme fiable, un presque roi.

Cette proximité de la personne royale suggérait de façon évidente que le contrôleur inspirait une confiance absolue au roi. Lieutenant de Dieu sur terre, le roi ne pouvait en effet que s'entourer de gens fiables. Nombreuses sont les pièces qui font mention de cette confiance. Selon Poupard, da confiance du prince» et «l'affection des temps» concourraient à faire du ministère du contrôleur l'

" AN. G~696. ieme de De Launay. du 6 mai 1702. Une annotation sur le mémoire indique que le contrôleur général fit sans doute peu de cas de cet étranger, le considérant comme fou. 37 AN, G7696, lettre de Delluis ,du 22 novembre 1702. 38 AN, G' 59 1, lettre du baron de Bene, du 1 8 mars 17 14. '' AN. G' 699, lettre de Poupard, sans date. 'O AN, G' 697, lenre de Moiiene, du 13 octobre 1703. Non seulement le contrôleur inspirait confiance au roi et évoluait dans son environnement immédiat, mais il avait à coeur ses intérêts et ceux de l'État4'. On le disait -lé» pour deservice du roi et de Comme Joseph, il était tout dévoue au se~cede son tout affecté à faire hctifier les biens de celui-ci. Comment aurait41 pu en être autrement quand sa tâche &ait de «procurer les moyens d'assurer, d'affermir et d'accroître le bonheur de l'État et la gloire de son maître)?' ? Ou encore, de ((soutenir les intérêts du roi>>,«d'assurer ses succès», de «le conseiller pour qu'il fasse des mervei~les»~? Comme l'écrivait Peron, le contrôleur était celui qui travaillait, «le pinceau à la main, [à] do~er[à] jamais le dernier coup à la gloire [du] très puissant Dans pareilles circonstances, il était dificile d'imaginer le contrôleur négligeant les avis, propositions et mémoires touchant les intérêts du roi et de l'État46.

Suivant le même raisonnement, parce qu'il était «zélé» pour de bien de l'État et l'utilité du public)), dès lors qu'il avait connaissance d'un abus, il s'appliquait, croyait-on, à le combattre. Un auteur anonyme justifiait ainsi l'envoi de sa lettre : (Le soin que vous prenez continuellement a remédier aux abus et aux contestations facheuses qui arrivent dans l'État, fait espérer à un nombre infini de personnes intéressées que vous trouverez bon que je me charge de leur part de vous informer [...]D.'~. Un autre auteur anonyme justifiait ainsi sa requête : «Nous espérons tout de vous et de l'intention ou vous êtes de réformer tous les abus qui se commettent dans le royaume que nous espérons que vous reformerez aussi ce qui se passe dans la ~onnandie~~~.Devigny, le 7

J 1 Ce dévouement absolu a la chose publique n'est pas une invention du XVIIIe siècle. On le retrouvait déjà chez plusieurs auteurs. dont notamment Machiavel : (Celui qui a entre ses mains la responsabilité de l'État d'un autre ne doit jamais penser a hi-même, mais toujours à son maître, nc doit jamais l'entretenir d'aune sujet que de ceux du royaume)) (Machiavel, Le Prince, Paris, Librairie générale fi-ançaise, 1983, p. 123). " La notion de ccservice du roin doit être envisagée comme deservice du p~ce,de la nation, de l*~tatet du publicu. Si dans la première moitié du Grand Siècle, être au service du roi signifiait être d'épée, avoir choisi l'état militaire, a partir du règne personnel de Louis XIV, la notion prît une connotation civile. Dès lors, des gens de plume, de robe et de finance étaient dits au service du roi. De ses serviteurs, le roi attendait la disponibilité, «l'intelligence de la tâche à accomplin), la compétence, la discrétion. le désintéressement, la discipiine, la fidélité et l'héroïsme (F. Bluche. Dicrionnaire du GrandSiide..., p. 1441- 1442). AN. G' 594. ode de Madame de Bazin, sans date. Respectivement AN, G~567, liasse no 1, document no 75, leme de Marquette, l'aîné, du 28 novembre 1708 ; G' 7 1 1. leme et mémoire de Cotheron, du 1- juillet 1708 ; G' 588, lettre de Demalleraud, du 26 mai 171 3. AN, G7576, liasse no 2, document no 235, lettre de Peron, sans date. C'était d'ailleurs la principale raison pour laquelle les auteurs avaient confiance d'être entendus. AN, G7694, mémoire anonyme, sans date. AN, G' 562, lettre anonyme, sans date. mars 1714, dénonçait la fiaude dont s'étaient rendu coupables certains commis et receveurs. (de n'ai pas la témérité, expliquait-il, de proposer un moyen à Monseigneur pour corriger cet abus, il suffit qu'il sache le mal pour qu'il y apporte te remède>?9.

Comme le roi, le contrôleur était présumé infaillible. Si les erreurs que pouvait commettre le roi étaient attribuables aux mauvais conseils de ses ~ninistres'~,les abus et situations injustes qui persistaient l'étaient en raison de l'ignorance du contrôleur. Par exemple, si les abus commis par les officiers de la Chambre des comptes de Paris subsistaient depuis l'époque ou Colbert était contrôleur, c'était tout simplement parce que ceux qui en avaient donne avis aux différents contrôleurs omirent les Jodulat, le 10 septembre 17 1 1, s'expliquait la non intervention du contrôleur en ces termes : ((apparemment que votre grandeur n'est pas informée de l'état pitoyable où sont réduites les provinces du royaume par l'accablement où sont les particuliers qui possèdent des héritages à la campagneJ2. Ainsi, les sujets du roi avaient le devoir d'informer le contrôleur des situations injustes dont ils étaient victimes, sans quoi ils ne pouvaient en aucun cas espérer en être libérés.

Il en va de même des récompenses. Une fois le contact établi avec le contrôleur, les auteurs étaient convaincus que si leur projet était valable, ils en seraient justement récompensé. d'apprends de tous les côtés que vous savez libéralement récompenser ceux qui vous donnent de bons mémoires)), écrivait ~emand". Tout vol ou toute erreur dans le processus de récompense était donc imputable à une tierce personne, jamais au contrôleur. Jacob de Pras, qui avait envoyé des mémoires dans lesquels il suggérait de taxer les plus aisés, se plaignait de n'avoir jamais eu de réponse du contrôleur.

- 49 AN, G' 723, avis de Devigny, du 7 mars 17 14. 'O Cette théorie est résumée notamment par Jean-Marie Apostolidès : «En tant que Roi, le monarque est la Justice et le Savoir incarnés ; il ne peut ni se tromper ni agir faussement, a moins d'être circonvenu par de mauvais conseillers. II ne désire que le bien de ses sujets : "si le roi savait", il ferait tout aussitôt disparaître les injustices et les désordres de son royaume» (Le Roi-Machine. Spectacle et politique azi temps de Louis NV,Paris, Aubier, 1976,p. 11). " AN,G' 696, leme de Damiesr (?), du 1" mai 1 702. '' AN. G~720. lettre de Jodulat. du 10 septembre 17 1 1. 'j AN. G' 694. mémoire de Lemand, du 6 juillet 1690 (?). j' AN. G7574. liasse no 1, document no 29, leme de Jacob de Pras, du 4 juin 1710. commis, les gens d'affaires avec qui ils traitaient ou leurs intermédiairesss. Le contrôleur, pour sa part, était au-dessus de tout soupçon.

Le contrôleur général des finances était donc un homme de grande confiance. ii était fiable. Comme Joseph l'avait fait plusieurs siècles avant lui, il se donnait tout entier au service de son maitre, en l'occurrence le roi, en exerçant ses fonctions avec un zèle exemplaire. Pour cette raison et parce qu'il entretenait une relation privilégiée avec le roi, ce demier pouvait se fier à lui, il lui faisait confiance ; une confiance qui trouve écho dans la population qui voyait le contrôleur comme la personne disposée à réformer les abus et malversations dont elle était victime. Mais le contrôleur était également un homme d'influence. Comment aurait-il pu en être autrement ? Parce qu'il évoluait dans l'environnement immédiat du monarque, parce qu'il avait gagné sa confiance, le contrôleur avait hérité d'un vaste pouvoir d'influence. C'est à ce pouvoir que les auteurs de la correspondance faisaient appel.

Lorsque la disette ravagea le royaume du pharaon, les peuples affamés vinrent le supplier de ne pas les laisser mourir de faim. Le pharaon leur répondit : (Allez à Joseph, et faites ce qu'il vous dira»56.Cette démission du pharaon ne doit pas nous surprendre, il avait lui-même annoncé à Joseph que son désir était de porter le titre de roi et qu'il laissait à son ministre le soin d'exercer lui-même les fonctions royales5'. C'est la raison pour laquelle on parlait de Joseph comme de celui qui «commandait dans le pays»S8,comme le «çeigneun>de ce pays-~àS9.C'est lui qui donnait les ordres aux intendants et les sujets du royaume l'appelaient «père» de pharaon, «conseillen>, .Juda ira même jusqu'à dire que Joseph était ((comme pharaon» ". Ces titres

- 55 Voir supra, p. 33. 56 La Sainie Bible qui contient le Viem..., Livre de la Genèse, chapitre XLI, verset 55. " La Sainre Bible qui confient le Vieux.... Livre de la Genèse, chapitre XLI, verset 40. 58 La Sainie Bible qui contient le Vieux--.. Livre de la Genèse, chapitre XLII, verset 6 ; chapitre XLIII. verset 3 ; chapitre XLV, verset 26. 59 La Sainte Bible qui contient le Viem.., Livre de la Genèse, chapitre XLII, verset 10. 60 Respectivement La Sainre Bible qui contient le Vieza.., Livre de la Genèse, chapitre XLN, verset 1 8 et chapitre XLV, versets 8 et 9. prestigieux ne doivent cependant pas faire oublier ce que la plupart des sujets du pharaon savaient, à savoir que Joseph était leur seigneur après le pharaon6'.

Le contrôleur général était, lui aussi, le aseigneun) oprès le roi. La position qu'il occupait au sein de l'État le plaçait au sommet de la hiérarchie politique. Non seulement il était à la «teste des affaires)),mais le roi avait fait de lui came puissance supérieure)) en le nommant à «la place la plus importante de l'État»62. Comme Joseph, il était le maître, et c'est lui qui commandait. «[Tous disent] que vous êtes le maître et que quand il plaît à votre grandeur, elle sait bien se faire obéim, écrivait Madame de Bazin à ~esrnarets~~.Dans sa harangue, Pontier, prêtre et protonotaire du Saint Siège Apostolique et de l'Académie de Ricourati de Padoue, en Italie, le comparait pour sa part à un «savant pilote)), à un (astre lumineux» qui guidait le navire de l'Étatw. Une position qui sans l'ombre d'un doute faisait de lui l'homme le plus influent du royaume, après le roi.

Ce «suprême degré d'élévation», le contrôleur le devait au fait qu'il tenait de plus grand et le plus important ministère du Royaume», ce qui faisait de lui par conséquent le «plus grand liomme qui ait dans le ministeren6'. Ce statut de numéro un politique rendait floue la fiontiere entre l'intérêt du contrôleur et celui de l'État. C'est ce qui fait qu'aux yeux de certains, les deux étaient inséparables. Regnier des Marais, par exemple, se réjouissait de la prise de Douay, en septembre 1712, croyant qu'elle était autant profitable au contrôleur qu'à l'État'? De la même façon, en suggérant à Desmarets des remèdes contre la goutte, le prieur de Croissy prétendait venir en aide à la fois au contrôleur et à toute la rance^'.

6 1 Par exemple, les blés amassés par Joseph demeuraient «sous la puissance» du pharaon et, lors des cérémonies publiques, Joseph prenait place dans un chariot demére le pharaon (La Sainre Bible qui confienr le Vie W..., Livre de la Genèse, chapitre XLI, versets 35 et 43). '' AN. G' 562, lettre de l'abbé Moret, du 2 février 1708 ; G' 582, liasse no 4, document no 1 1, lettre de RussiIlion, du 4 mars 17 12 ; G~366, liasse no 3, document no 23, lettre de Abbé de Saint Pierre, du 2 mars 1708. 63 AN, G7595, lettre de Madame de Bazin, sans date. 6: Pontier précisait : «C'est dans i'émotion des ondes que le Navire a le plus besoin de savants pilotes. Métaphoriquement, l'État est un Navire, les conducteurs, les pilotes, et les émotions des ondes, la guerre)). Pour justifier l'importance du contrôleur général des finances, il ajoutait : «Les Anciens mettaient les hcesau rang des choses sacrées, et les Romains en commirent la garde au plus âgé de tous leurs dieux, comme de ce qui était le plus important à la république». II renchérissait : «Dieu a donné divers talents aux hommes, l'un des vôtres c'est la science des Finances), (AN, G' 567, liasse no 3, document no 59, harangue de Pontier, du 29 mars 1708). 65 AN,G~ 587, lettre de Chaimeville, du 21 février 17 13 ; G' 71 1, lettre de Cotheron, du 1" juillet 1708 ; G' 566, Iiasse no 2, document no 22, lettre de Des Coteaux, du 23 février 1708. 66 AN, G7584, leme de Regnier des Marais, du 16 septembre 1712 67 AN. G~587. lettre du prieur de Croissy, du 8 mars 1713. L'autorité du contrôleur général était considérable et plusieurs auteurs n'étaient pas sans en mesurer l'importance. da prudence devrait m'empêcher de m'approcher de votre grandeur qui est occupée aux affaires les plus importantes, mais ma reconnaissance me contraint de faire mille voeux au commencement de cette année)), avouait Gon dans une lettre accompagnant un petit «ouvrage» qu'il avait composé dans le but de mettre un terme à la d'avoue, Monseigneur, que si l'on n'a en vue que votre grande élévation et les importantes affaires dont votre grandeur est chargée, on doit en effet trouver bien légers les sujets de chagrins que nous recevons de M. Delatouche)), écrivait pour sa part La Moreau ~ieroial". Le curé de Bourbonne- les-Bains était du même avis. Il savait qu'un «grand ministre)), «occupé aux grandes affaires de l'État», n'avait guère le temps d'écouter les compliments70.

Ces auteurs savaient que c'était le roi qui lui avait confié les plus importantes charges de l'État, considérant cependant qu'il s'était gardé le pouvoir de trancher quand il en sentait le besoin. C'était le roi, et le roi seul, qui avait fait du contrôleur le premier personnage de son royaume, écrivait Madame Voisin des ouc ch es". «Quand je réfléchis aux ministres d'État, je considère qu'ils aident a soutenir la pesanteur du sceptre, ils veillent pour le repos du peuple)), écrivait ~ontier". Ainsi, parce qu'il était le plus important des ministres, le contrôleur général des finances jouissait d'une plus grande influence que les autres. C'était, après le roi, sur lui que reposait la plus lourde partie du sceptre. Mais, comme le soulignait le comte Donynyes, le contrôleur et les ministres devaient se rappeler qu'ils n'étaient «agréables aux princes qu'à proportion qu'ils réussiss[ai]ent dans leurs emplois»73.Si le roi avait le pouvoir de nommer les contrôleurs, il avait aussi celui de les destituer.

Les auteurs étaient donc pleinement conscients que le contrôleur usait de sa «suprême autorité» à la manière d'«un dépôt pour la gloire du prince et pour le bien des peuples»74. Le

6Y AN, G~ 582, liasse no 1, document no 3, lettre de Gon, du 1" janvier 1712. 69 AN. G7 569, Iiasse no 1, document no 127. lettre de La Moreau Fieroial, du 27 février 1709. 70 AN, G7579. liasse no 1, document no 174. lettre de Roger, du 28 mai 171 1. '' AN. G~566, liasse no 2, document no 133, lenre de madame Voisin des Touches, du 27 février 1708. -- AN, G' 567, liasse no 3. document no 59, harangue de Pontier, du 29 mars 1708. " AN. G' 566. liasse no 3, document no 142, lettre du comte Donynyes, du 13 mars 1708. 74 AN, G' 579, liasse no 2, document no 1 18. lenre de Michel de la Gasschinais (?), du 23 juin 17 1 1. contrôleur était de dépositaire)) des grâces du roi, écrivait chomat7? Comme le précisait Du Rocher Puel, c'était Ie roi lui-même qui avait amis entre les mains» du contrÔIeur de repos de son empire»76.À l'instar de Joseph, l'influence du contrôleur tirait sa source et sa légitimité de ce qu'elle avait été accordée par le roi. C'était le roi qui, par le caractère sacré de sa personne, avait le pouvoir de faire du contrôleur un ministre aussi influent.

Au sein d'une tele image, la frontière entre la personne politique du roi et la personne politique du contrôleur est étonnement imprécise. On est porté a se demander qui d'entre les deux dirigeait vraiment le royaume ? Les auteurs reconnaissaient au roi un pouvoir suprême, alors qu'il pouvait démettre son contrôleur en tout temps, mais ils prêtaient à ce dernier une autorité qui va à l'encontre de la vision politique de Louis XTV, ce roi absolutiste qui prétendait gouverner seul. Le problème est d'autant plus grand qu'une autre image fait du contrôleur le pater familias du royaume de France. En effet, certains auteurs prêtaient au contrôleur des pouvoirs et des devoirs qui non seulement outrepassaient les siens propres, mais étaient du ressort exclusif du roi. Aux yeux de plusieurs auteurs, le contrôleur était ce bon père de famille, un Justicier et un Pacificateur auquel il pouvait faire appel à tout moment. Ce qui rend encore plus confuse la démarcation politique entre le roi et son contrôleur.

75 AN, G' 57 1, liasse no 4, document no 30, lettre de Chomat, du 5 novembre 1709. 'W.G~ 7 15. mémoire de Du Rocher Puel, du 1" janvier 17 10. Chapitre 3 LE PATER FAIMILUS

Le roi français d'Ancien Régime avait deux corps, l'un assujetti aux vicissitudes de la vie sur terre, l'autre immortel. Au sein de la personne royale se trouvaient réunis un individu privé, doté d'un corps physique soumis a la maladie et au vieillissement, et un individu public, une persona f;c&a, une incarnation de l'État1. C'est la persono ficta qui assurait le fondement du pouvoir monarchique, c'est elle qui conférait au roi sa «perfection absolue»2. Parce que son pouvoir avait été institué par Dieu, parce qu'il était son lieutenant sur terre, le monarque était considéré comme le justicier suprême, le protecteur des petits comme des grands, le ((défenseur contre l'ennemi du dehors et contre les perturbateurs du dedans>?. Ii incarnait le Savoir et la Justice, et ses pouvoirs étaient presque illimités. U était législateur, justicier, créateur de nobles et d'officiers», «souverain monnayeun>, maître de la paix et de la guerre» et, lorsqu'il le pouvait, «grand leveur d'impositions>?.

En tant qu'incarnation de l'État, en qualité de représentant de la persona ficm, le monarque avait des droits, mais aussi des devoirs. Entre autres, il était tenu d'aimer ses sujets et de gouverner de fa~onà être aimé d'eux5. Cet amour royal se manifestait sous diverses formes, principalement par une grande compassion à l'égard des démunis. Au Moyen Âge, par exemple,

Ernst H. Kantorowicz, The King's Two Bodies :A sfudy in ~WedievalPolifical Theology, Princeton, PUP, 1957. La persona Jicra relevait du domaine du sacré. Lors de la cérémonie du sacre, à Reims, l'huile de la Sainte Ampoule <(achevait>)d'attribuer aux rois leur caractère sacré. Telle une ((liturgie d'initiation>), le sacre accordait au roi la _pice divine, le soustrayait au monde, l'élevait a la majesté en en faisant une «figure symboiiquen, «une personne sacrée et inviolable)), un être parfait (M. Valensise, «Le sacre du roi : stratégie symbolique et doctrine politique de la monarchie fiançaisen, Annales Économie, Sociéfés. Civiiisotiuns, mai-juin 1986, no 3, p. 543 et 558). Roland Mousnier, Monarchies et royautés de la préhistoire à nos jours, Paris, Pemn, 1989, p. 16. Pierre Gouben et Daniel Roche, Les Frunçair ef I 'Ancien Régime, tome 1: La société et l'État, Paris, Armand Colin, 199 1, p. 22 1. D'ailleurs, tous les édits et arrêts du conseil étaient promulgués pour le ((bonheun) des peuples ou des sujets. On considère généralement que c'est sous le règne de Louis XVI que l'amour et la tendresse du roi à l'égard de son peuple se sont exprimées (de pius continhent et le plus éloquemment)) (Pierre Rétat, «Roi, peuple(s), nation à la fin de l'Ancien Régime)), dans Sylvianne Remi-Giraud et Pierre Rétat (du.), Les mots de la nation, Lyon, PUL, 1996, p. 191). il était impensable qu'un monarque se comporte comme les seigneurs qui prenaient d'assaut les places fortes, en massacrant et «déshonorant>>les femes. On attendait de lui qu'il porte assistance au pauvre, à la veuve et à l'orphelin6. Qui d'autre que le représentant de Dieu sur tem pouvait défendre la population des attaques des seigneurs avides ? En somme, le mi était tenu d'agir à I'endroit de ses sujets comme un père a l'égard de sa faille. C'est la raison pour laquelle i1 était dénommé le qère du peuplen. «Nommer le roi jkre du peuple, écrivait La Bruyère, c'est moins faire son éloge que sa définitiow?.

C'est saint Thomas qui le premier formula de manière explicite le caractère paternel des rois de rance'. Quatre cent ans plus tard, au siècle, l'image du roi-père était profondément fixée dans l'esprit de la population et ce, autant chez les lettrés qu'au sein du peuple. Par exemple, Bossuet écrivit à la fin du siècle que la monarchie avait «son fondement et son modèle dans l'empire paternel», et l'étude des chansons populaires a révélé la présence de l'image du roi-père parmi les classes populaires9. Par ailleurs, si tous les rois, sans exception, étaient considérés comme les pères du peuple, seulement trois d'entre eux connurent le privilège d'en conserver t'étiquette : Charlemagne, Louis XII et Henri IV. C'est d'ailleurs Louis XII qui sert d'exemple a Furetière pour illustrer l'expression «père du peuple)), tout comme, à la veille de la Révolution, on se servait encore de l'exemple de Louis XII pour rappeler au roi l'importance d'agir en bon père de fami~le'~,ce même roi dont l'assassinat fut considéré comme unpatricide.

Louis XIV se croyait lui aussi le parer familias du royaume de France. En 1661 et 1662, alors qu'iI venait tout juste de prendre le pouvoir, plusieurs provinces fiirent touchées par une

Jacques men. Idéal du prince et pouvoir royal en France à la jin du Moyen Âge (1380-1440). Étude de la lirtérarzrre politique du temps, Paris, A. et 3. Picard, 198 1, p. 120. 7 Cité par le Marquis de la Franquene, dans Le caractère sacré et divin de la royauté en Fronce, Chiré, Éd. de ChirS. 1978, p. 6 1. J. Krynen. Idéal du prince ... , p. 1 19. ' Jacques Bénigne Bossuet, Politique tirée des propres paroles de I 'Écriture suinie, livre II, proposition 3 ; Michel Vovelle, «La représentation populaire de la monarchie)), dans Keith Michael Baker (éd.), The French Revolurion and fhe Crearion of Modern Political Culture, vol- 1 : The Politicd Culture of the Old Regime, New York, Pergamon, 1987, p. 78. IO Pascale Thibault, «Louis XII, de I'Imperator au pére du peuple : iconographie du règne et de sa mémoire». Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 1995. na 13/1, p. 44 ; Hélène Dupuy, «Le roi dans la patrie)), Annales hisroriqrres de Irr Révofutionfiançaise, avril-juin 1991, p. 153. On n'a qu'à lire les cahiers de doléances pour s'en disette, puis une famine et des On baptisa cette crise da famine de 17avènernent». Comme la plupart des crises bentaires d'Ancien Régime, celle-ci commença par une cherté des blés et une rareté des vivres dans les marchés, puis se muta rapidement en véritable désordre : «exodes de mendiants, plaintes et murmures des pauvres, graves maladies contagieuses»". Dans ses Mémoires, Louis XIV énumère les mesures qu'il a prises pour contrer la crise : achat de blés dans les provinces épargnées de même qu'à l'étranger et distribution aux populations indigentes. 11 écrit : deparus enfin a mes sujets comme un véritable père de famille qui fait la provision de sa maison et partage avec équité les aliments à ses enfants et à ses domestiques»'-'.

Jusqu'au siècle, il semble que la paternité du peuple fut à l'usage exclusif du roi et de Dieu. Cette vision respectait le droit public qui stipulait que l'État était une grande famille, divisée en trois branches : le clergé, la noblesse et le tiers-état, à la tête desquelles se trouvait un père, en I'occurrence le roii4.L'image était simple : une famille, un père. Or, durant le siècle des Lumières, d'autres personnages publics héritèrent de ce surnom, comme les parlementaires qui devinrent, dans la deuxième moitié du XWl? siècle, des rivaux du roi lui-même»15. Au moins à deux reprises16.la population les baptisa les «Peres du peuple»17.On constate également que les administrateurs des finances, que1 qu'était leur titre, furent progressivement associés a la {(paternité royalen, comme en fait foi une gravure publicitaire de 1774 intitulée aresdu peuplen

convaincre. Voir le bref aperçu des principaIes études sur le sujet dans Michel Vovelle. «La représentation...)), p. 78 et 79. ' ' Joël Cornette, Chronique du règne de Loiris XV,Paris. Sedes. 1997, p. 102. " Pierre Goubert. Le Siècle de Louis HCI Paris, Faliois. 1996, p. 327. 15 Louis XIV. Mémoires pour l 'année 1662, Paris, Club du libraire, 1960, p. 83. Il écrivait encore :«Notre État nous doit être plus précieux que notre famille qui n'en fait qu'une légère partie. Et le titre de peuples nous doit ëtre beaucoup pIus cher que celui de pere de nos enfants...)) ;de même que : «Commeje tiens Iieu de pere à mes sujets, je dois préférablement à toute aune considération songer à leur conservation» (respectivement : Louis XIV, Mémoires ... ; Louis XIV, lettre à son ambassadeur en Espagne, du 24 juin 1709. Tirés de M. de la Franquerie, Le caractère sacré..., p. 67). IJ André Lemaire. Les lois fondamentales de la monarchie frcmçaise d'après les théoriciens de f Ancien Régime, Genève. Slatkine-Megariotis, 1975, p. 287. Cette vision de l'ordre politique était également conforme à l'ordre naturel et divin. La famille n'était-elle pas d'institution divine? 1s M. Vovelle, «La représentation...)), p. 83. 16 Lors de la ((flambée du jansénisme populaire)) et a l'occasion des ((troubles sur Ia liberté du commerce des grains)), en 1763 (M. Vovelle, «La représentation...)), p. 83). 17 Jeffky Kaplow, Les noms des rois. Les pauvres de Paris Ù la veille de la Révolufion, coll. (

On observe le même phénomène dans la correspondance du contrôleur général des finances. Pour plusieurs auteurs, il était le père du peuple, le pater familias du royaume de France. L'analogie avec Joseph le patriarche a déjà mis en lumière le côté qere-nourricien, du contrôleur (cf. Tsaphmzh-Punéach), mais les fonctions, qualités et titres que lui prêtaient les auteurs de la correspondance renforcent l'aspect paternel de sa personnalité politique à un point tel qu'ils forment une image en soi. Une image qui sans conteste se rapproche de la première. Joseph était le ministre le plus important du pharaon et portait le titre de patriarche, au sens de père, de chef de famille. Le contrôleur était lui aussi un père de famille, le père du peuple. U symbolisait l'autorité. Plus encore, il concurrençait l'autorité suprême du roi, laquelle était fondée sur sa paternité à l'égard de la population. Aux yeux de plusieurs, le contrôleur était investi des pouvoirs traditionnellement dévolus au roi.

Au moins trois pièces de la correspondance présentent formellement le contrôleur comme le père du peuple. Dans une lettre du 19 mars 1708, un notaire dijomais manifestait sa

18 Cette gravure publicitaire d'un médaillon de tabatière est reproduite dans l'article de P. Thibault, ((Louis XI& de I'Imperator ... D, p. 55. 19 AN, G~566. liasse no 3, document no 159, lettre de Boisset, du 19 mars 1708. 'O AN, Ci7 694, lettre de Taxer (?), du 17 mai 169 1. '' AN, Ci7 568, lettre anonyme du 5 janvier 1709. Dans son Dictionnaire, Furetière présente plusieurs définitions du mot père. Il signifie a la fois ancêtre, patriarche, dignitaire de l'Église, homme qui excelle dans une science, de même que la personne qui est vénérable par son âge, par sa qualité ou par les services qu'il a rendus au public. Si cette dernière définition peut sembler vaste, il reste que les exemples donnés par Furetière indiquent clairement qu'un tel titre était normalement réservé aux monarques : duguste et plusieurs Empereurs ont été appelés les Pères de la Patrie. Le roi Louis XII a été appelé le Père du peuple». Or, de toute évidence, en faisant du contrôleur général des bances le père du peuple, les trois auteurs de la correspondance cités précédemment ont dépouillé le roi d'une partie de son autorité ou, à tout le moins, ils ont élargi le pouvoir paternel de façon à ce que le roi ne fût plus l'unique responsable de la prospérité, du salut et du bonheur des peuples. Le fait est qu'ils ne furent pas les seuls. D'autres auteurs ont confëré au contrôleur général des finances les signes d'un statut paternel.

Pour mettre en valeur cette seconde image, il est nécessaire de décortiquer les fondements même de I'imago paternelle. Sans entrer dans la psychologie pure, on peut retenir trois grandes avenues qui respectent autant la symbolique du père que l'appropriation politique qu'en firent les rois de France, car il ne faut pas perdre de vue que c'est la figure paternelle du roi que les auteurs de la correspondance appliquèrent à la personne du contrôleur. D'abord, nul ne contestera que le père symbolise la protection. Il appert, à la lecture d'un grand nombre de lettres, que le contrôleur devait faire preuve d'amour à l'endroit du peuple. À l'instar du roi. il était tenu de protéger tout le monde jusqu'aux plus démunis. Ensuite, le contrôleur était perçu comme le Justicier du royaume. À ce titre, il était tenu de faire triompher le bien. Finalement, suivant la même logique, le contrôleur devait favoriser la paix au sein de la famille. II était le Pacificateur chargé de mettre un terme aux conflits militaires dans lesquels s'était engagée la France. On s'en doute déjà, ces trois aspects de sa personnalité politique empiétaient sérieusement sur les attributs du roi. Le roi de France incarnait la providenceu. Ii était à la fois protecteur et guérisseur. Par conséquent, il devait posséder certaines qualités, parmi lesquelles figurent la piété, la justice, la vaillance, la bonté, la magnanimité et l'amour de son ptuple. Ainsi, à l'image du Christ, le roi venait en aide aux nécessiteux. On disait alors de lui qu'il était d'ultime recours des malheureux», le «protecteur des pauvres». Cette obligation tuait son origine de deux prémisses : d'abord, en tant que père, le monarque devait aimer tendrement ses enfants, c'est-à-dire ses sujets ; ensuite, à titre de représentant de Dieu sur terre, il était forcé de faire preuve de compassion à l'endroit des plus démunis. L'aide qu'il apportait ainsi aux pauvres étaient donc une assistance divine, Ie roi étant l'intermédiaire entre Dieu et les humains. La manifestation la plus marquante de cette assistance divine demeure sans conteste le toucher des écrouelles : à l'issue du sacre, le roi touchait les scrofideux pour les guériru.

Bien évidemment, aucun des auteurs de la correspondance n'a eu l'audace d'accorder au contrôleur général des finances le pouvoir de guérir les malades. Si l'image du roi était toujours simultanément l'image de ~ieu~~,l'image du contrôleur, elle, ne revêtait jamais de caractère sacré. Les seuls

" Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, tome II : 1598-1 789, Paris, PUF, 1992, p. 15. 'j Voir sur le sujet l'ouvrage de Marc Bloch, Les Rois thaumaturges. ~tudesur le caractère surnamrel attribué à la puksance royale, particulièrement en Fronce et en Anglererre, Paris, publications de la Faculté des Lettres de Strasbourg. 1924. '' P. Goubert et D. Roche, Les Français et l'Ancien Régime ..., p. 218. 25 AN. G' 578, liasse no 1, document no 83, lettre anonyme, du 15 février 17 1 1. avec charité et compassion, principalement à l'égard des pauvres fam~li~ues~~,un amibut de sa personnalité politique qui recoupe l'image du père-nourricier.

Inévitablement, un bon protecteur doit être accessible. Comme le roiz7,le contrôieur était prétendument accessible a tous les misérables du royaume28. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle plusieurs auteurs se donnaient la permission de lui écrire2'. Nombreux sont les auteurs qui croyaient que le contrôleur était maturellement porté à soulager son peuple», ou encore que le ménagement des peuples» lui était cher3'. Awi, un grand nombre d'entre eux étaient convaincus qu'il était sensible aux misères des petits». Deslignes Jupiles, par exemple, précisait comment la «charité naturelle» du contrôleur le portait à faire le «bien», à aimer tendrement le peuple et à se rendre accessible «aux plus petits»31.Dans une lettre du 18 novembre 171 1, la

'b SOUSl'Ancien Régime, le «vocabulaire de la misère» était trés varié. On sait qu'il existait des différences entre le pauvre, le mendiant et le vagabond. Le pauvre était celui qui souffrait, qui vivait dans le malheur, c'était un «humble)), un ((affligé)).L'évêque de Camus nous a donné une bonne idée de la distinction entre pauvre et mendiant. Si le premier n'avait «d'autre bien que son labeur pour ennetenir sa vie)), le second était mon sedement privé de tous revenus, mais réduit a tel point de misère qu'il ne [pouvait] gagner sa vie de son travail, encore qu'il le [désirait], soit qu'il en [était] empêché par infirmités et maladies. soit par manquement d'emploi, étant en pleine santé et ayant une industrie suffisante si elle était mise en besogne)). Donc, on peut dire que si le pauvre était menacé de pauvreté, le mendiant, pour sa part, lui avait déjà succombé. Les vagabonds. quant a eux, étaient selon une déclaration royale de 1701 ceux qui n'avaient ni profession ni métier. qui n'avaient (

Dans l'esprit des auteurs, La charité et la compassion étaient partie inhérente de la personne politique du contrôleur. À titre d'exemple, un auteur anonyme lui rappelait que sa compassion pour les qauvres gens de la campagne)) devait le porter à mettre un terme à la «poursuite violente)) qu'ils subissaient de la part des receveurs des tailles3'. D'autres correspondants interpellaient également son côté charitable, comme cet autre auteur anonyme qui le remerciait de n'avoir pas (méprisé la cause des pauvres)), autrement dit d'avoir fait preuve de charité à leur endroit ; de même que ce dénommé Rousseau, docteur en médecine qui avait eu d'honneur de servir plusieurs fois d'instrument pour la santé des peupies)), et qui disait bien connaître «l'étendue» de la charité du contrôleur à l'égard des pauvres34. Que le contrôleur ait fait preuve ou non de compassion et de charité à l'égard des pauvres importe peu, ce qui compte c'est qu'on s'attendait à ce qu'il possède ces deux qualités.

Pour bien mesurer l'importance que pouvaient revêtir ces qualités présumées du contrôleur, il importe de considérer la question des crises thmentaires sous l'Ancien Régime. On l'a vu précédemment, elles étaient fréquentes et leurs conséquences, dramatiques. Lorsqu'elles survenaient, le pouvoir s'efforçait de les combattre, mais plus souvent qu'autrement, les remèdes préconisés étaient insuffisants. Dew acteurs étaient principalement chargés d'approvisionner la population : le contrôleur général des finances qui, sous la conduite du roi, gérait la balance commerciale et les parlements qui devaient quant à eux pourvoir à la subsistance des provinces35. Mais, dans la plupart des cas, ces acteurs tardaient à agir et les arrêts et déclarations ne

j2 AN, G' 58 1, liasse no 3, document no 61, lettre de Soeur (de Mareilliat Desterne), du 18 novembre 171 1. '' AN. G' 71 2. leme anon-me, sans date. À titre d'exemples, sur la compassion du contrôleur à I'égard du peuple ou des démunis, voir aussi G~596. lettre anonyme, du 27 avril 1715 ; G77 15, Ieme de Miotte de Costebrune, du mois de mai 1709 ; G' 694, mémoire anonyme, sans date ; j4 Respectivement : AN, G' 720, avis anonyme, sans date ; G' 590, lettre de Rousseau, du 2 1 décembre 1713. A titre d7esempIes,sur Ia charité du contrôleur, voir AN, G' 720, avis anonyme, sans date ; G~579, liasse no 1, document no 13, lettre de Ballan, du 3 mai 1711 ;G' 588, lem du fieJoseph de Chateauneuf su.Cher, dii 9 juin 1713 ; G' 569, liasse no 1, document no 127, lettre de La Moreau Fieroial, du 27 février 1709. 35 MarceI Lachiver, Les années de misère. Lafamine a14 temps du Grand Roi, Paris. Fayard, 1991, p. 3 18. parvenaient pas endiguer la marée. Ce fùt notamment le cas en 1708. Au début de l'année, parce qu'il (me croyait pas à la pénurie générale malgré les rapports pessimistes de ses intendants», Desmarets retarda I'achat de blés à l'étranger, ce qui eut pour conséquence de différer I'approvisiomement ;les ports étant gelés et les prix majorés.

On s'en doute, de telles crises entraînaient de facheuses conséquences économiques et démographiques. En fait, elles ne laissaient que bien peu de chances aux pauvres, aux mendiants et aux vagabonds qui vivaient déjà dans des conditions précaires. En temps de crise, le pouvoir mettait bien sur pied des mesures d'assistance, mais il administrait généralement au jour le jour, étant plus intéressé à trouver des subsistances pour les régions urbaines où la forte densité de population faisait craindre les révoltes, que de sauver des vies humaines dans l'ensemble du royaume. À la campagne et dans les petites agglomérations, la majorité des démunis n'avaient souvent d'autre choix que de recourir à la charité des mieux nantis. Dans certaines localités, pour atténuer la misère, on distribuait du bois, du pain et parfois de la soupe, ancêtre des soupes populaires des XIXe et XXe siècles. Néanmoins, on évalue à plus de 3 500 000 les victimes conjuguées du «Grand hiven>et de la crise de 1693-1694~~.Les crises fiunentaires étaient donc dévastatrices et forçaient les plus démunis à vivre de charité3'.

C'est dans cet esprit que le fière Joseph de Châteauneuf, agissant à titre de porte-parole de sa communauté fiappée alors par la disette, exhorta le contrôleur à agir comme <38.De même, la dureté du ((Grand hivem en porta plus d'un à solliciter la protection du contrôleur. Un auteur anonyme, par exemple, souhaitait que Desmarets apporte son assistance aux pauvres ouvriers de Marseille qui, «à tout moment», risquaient de mourir de faim (daute d'un morceau de pain»39. C'est le cas awi de Mo~et,curé d'Argonge, dont la paroisse était privée «de blés, de biens, de bits» et de d'espérance d'en recueillir avant trois ou quatre ans» ; de même que Valçon qui, le 29 juin 1710, prenait la plume pour signifier au contrôleur que les

j6 La crise de 170% 1 7 1 0 fut moins dévastatrice que celle de 1693- 1694. Marcel Lachiver évalue à 630 000 le nombre de morts pour la première et a 2 836 800 pour la seconde (M. Lachiver, Les années de misère ..., p. 384). Ce dernier chifie est cependant moins élevé chez des historiens comme Jacques Dupâquiw (1 600 000) et Emmanuel Le Roy Ladurie (2 000 000) (J. Cornette, Chronique du règne ..., p. 409). 57 Sur les crises finimentaires, voir M. Lachiver, Les années de misère .... p. 3 18,3 19 et 326-333. 38 AN,G~ 588, Ienre du fière Joseph de Chateauneuf sur Cher, du 9 juin 17 13. pauvres n'avaient plus les moyens d'acheter des biens, des argents étant trop hauts»40. C'était là une conséquence directe de la <opérée par Louis XN : entre 1686 et 1709, le roi ordonna près de quarante réévaluations monétaires4'.

Un cas met bien en valeur le genre de situations qui pouvaient justifier qu'on ait recours au contrôleur. Au printemps 1713, un «orage des plus cruels» s'abattit sur la paroisse de Lamotte Pardellan, causant la «perte généralen de toutes les récoltes : grains, foins et vins. Les dommages furent considérables. Même les terres «préparées» pour la prochaine récolte avaient été «enlevées» par les eaux, détruisant du même coup tout espoir de récolter la moindre subsistance pendant des mois. Devant l'énormité du malheur qui touchait la communauté, la majeure partie des habitants quittèrent la région, abandonnant leurs biens sur place. Les autres, ceux qui restèrent, vécurent dans la misère, n'ayant pas de quoi se soutenir. C'en ainsi que, pour parer le pire, Sontoulieu, le curé de la paroisse, écrivit au contrôleur pour I'de leur accorder sa protection)). Dans sa lettre, qui est rédigée au nom des paroissiens, il conjure Desmarets de se laisser toucher par leurs maiheurs et de venir à leur se cour^'^.

L'amour présumé du contrôleur à l'endroit du peuple le disposait donc à vouloir son bien. .4 l'instar du roi, il était sa providence, la cause de son bonheur. Comme un père aimant ses enfants, il protégeait les sujets du royaume, s'efforçant de soulager leurs peines et ce, sans distinction aucune. Un père ne se doit4 pas d'aimer tous ses enfants d'égale façon ? Pour cette raison, le contrôleur défendait les plus faibles contre les assauts des plus forts, mais il arbitrait aussi les conflits opposant entre eux les sujets du royaume. La frontière entre ces deux responsabilités étaient souvent très mince : dans bien des cas, les auteurs arguaient que c'est au nom de la justice que le contrôleur devait agir comme protecteur des plus démunis. La charité et la compassion faisaient alors place à l'équité et au discernement, deux qualités fondamentales à

3 9 AN. G757 1. liasse no 4. document no 148 bis, lettre anonyme du 28 novembre 1709. 40 AN. G' 574, liasse no 1. document no 182. lettre de Valçon, du 29 juin 1710. 4 I J. Cornette, Chronique du règne ..., p. 508. '' AN. G' 588, leme de Sontoulieu, du 20 avril 17 13. A titre d'exemples, sur le contrôleur comme protecteur. voir encore G~565, liasse no 2, document no 143, leme de Michel, du 26 décembre 1708 ; G' 569, Iiasse no 4, document no 98, lettre de Le Tellier, du 29 mai 1709. celui qui hérite de la tâche suprême de faire triompher le bien; deux qualités normalement reconnues au roi mais attribuées au contrôleur général des finances.

C'est au roi seulement que revenait le droit et le devoir de juger ses sujets. Toute justice émanait de lui, si bien qu'on disait qu'il était la (doontaine de justice)). Or, à partir du XVI? siècle, ce furent des magistrats qui administrèrent la justice en son nom et il n'usa de son privilège de rendre une justice personnelle qu'en de rares occasions. La plupart des sujets le savaient, mais ils sollicitaient néanmoins sa justice par l'intermédiaire de placets43.Toute personne, quelle que fut sa condition, avait le droit d'approcher le roi pour lui remettre un placet. Il suffisait de connaître le lieu et l'heure, d'être vêtu décemment et de ne pas hésiter à (dendre la cohue». Des idoueurs d'habits)) installés aux abords des résidences royales permettaient même iaux plus dépenaillés» de revêtir pour l'occasion une tenue correcte4. Pour sa part, Louis MV «recueillait lui-même les placets tendus par des requérants mêlés sur son trajet à la foule des courtisans)). Des mains du monarque, ces placets passaient alors à celles des secrétaires d'État qui en faisaient rapport au conseil privé du roi. Autrement, les sujets pouvaient toujours adresser leurs requêtes à la chancellerie ou, à Paris, au lieutenant de police45.

Le contrôleur était également ce justicier, ce redresseur de tort qu'incarnaient les descendants de Saint Louis, ((cette grande figure de la mythologie-imagerie royale)) représentée par les plus grands artistes, avec son sceptre et sa main de justice, ou encore assis sous le chêne de ~incennes'~.On l'a vu dans l'introduction, le contrôleur recevait des placets47. Aux yeux de

4 j Pour la définition de placet, voirsupra page 14, note 59. U Ariette Lebigre, La Justice du Roi. La vie judiciaire dam l'ancienne France, Paris, Albin Michel, 1988, p. 49 et 250. '' A. Lebigre, La Jusfice du Roi ..., p. 49. C'est précisément le cas pour les demandes d'edermernent fornulées par Ies gens du peuple. Au lieu d'écrire au roi ou au ministre en charge de la Maison du roi, les gens du peuple, Iorsqu'ils souhaitaient obtenir une lettre de cachet pour faire enfermer un membre de Ieur famille, faisaient parvenir un placet au lieutenant général de police. Celui-ci l'examinait dans son bureaq dirigeait alors un enquête et rendait jugement (Mette Farge et Michel Foucault, Le désordre desJamilles. Lettres de cacher des Archives de la Basfille, coll. «Archives)>,Paris. Gallimard, 1982, p. 15). Jb P. Goubert et D. Roche, Les Français et I 'Ancien Régime ..., p. 216. plusieurs, il était, comme l'écrivait Bouchardon, le seul homme du royaume de qui on pouvait attendre une justice équitable4'. Certains considéraient que cette qualité lui avait été attribuée par Dieu, d'autres, qu'il tenait ce droit «en partage» avec le roi4'. Dans un cas comme dans l'autre, on attribuait au contrôleur le pouvoir de départager le bien du mal, les innocents des coupables. Cette responsabilité que parfois les juges les plus méritoires n'arrivaient pas à assumer adéquatement, le contrôleur, lui, l'endossait avec brio grâce au puissant discernement qu'on lui prêtaits0. Il était un ({bonjuge» destiné à combattre le vice5', un heureux un «esclave de sa probité»53.

Sous la plume de certains auteurs on retrouve des expressions qui laissent croire que le contrôleur était perçu comme le dépositaire d'une justice absolue. Quelques-uns n'hésitaient pas à exiger de lui une part de celle-ci, croyant qu'il la rendait «à tout le monde»54; d'autres étaient convaincus que le contrôleur était le «protecteur de tous les sujets» et qu'il avait par le fait même le devoir d'ordonner que la police et la justice (soient gardées dans les règles pleines d'honneur et surtout sans corruptiomS5. Dans une lettre du 27 février 1709, La Moreau Fieroial expliquait pourquoi sa famille avait choisi d'écrire au contrôleur plutôt qu'à tout autre ministre : Nous avons donc cru, Monseigneur, que n'étant point en état de nous pourvoir ou de nous défendre par les voies ordinaires de la justice contre tant de vexations, nous ne pouvions mieux nous adresser qu'à l'autorité suprême de votre grandeur si pleine d'équité et de charité qu'elle ne juge pas indigne d'écouter les plaintes de tout le monde, pour rendre indistinctement justice à tous.%

Un grand nombre de «causes» rapportées au contrôleur impliquaient des représentants du pouvoir qui dépendaient directement de lui : intendants, subdélégués, commis, etc. Une lettre

J7 Voir supra, page 14. 48 AN, G' 565. liasse no 2. document no 148. lettre de Bouchardon, du 26 décembre 1708. Jq A titre d'exemples, voir respectivement :AN, G' 596, lettre de Deslignes Jupiles, du 2 avril 1715 ; G' 588, leme de Deslandes, du 3 juin 1713. 'O 'O À titre d'exemples, sur le discernement, voir AN, G' 7 15, lettre et mémoire de Solomé, du 14 mai 1709 ; G' 572, liasse no 3, document d 55, lettre dVAuriau,du 6 janvier 1710 ;G' 592, leme de Buccy Rabami. du 14 mai 17 14. A titre d'exemples, sur le conuôleur comme juge. voir AN, G7 566, liasse no 2, document no 49, lettre de Fownier Saint André. du 24 février 1708 ; G' 590, lettre du fière Ange, du 9 octobre 17 13 ; G' 563, avis anonyme, rans date ; G' 570, liasse no 2, document no 93. lettre de Franc (?), du 14 juillet 1709 ; " À litre d'exemple. sur le génie du contrôleur, voir AN, G' 566. liasse no 2. document no 50, leme de Pingeon, du 24 février 1708. '' A titre d'exemple, sur la probité du contrôleur, voir AN, G' 591, lettre du Baron de Bette, du 18 mars 17 14. À titre d'exemples : AN. G' 565, liasse no 2, document no 8. lettre de Poiret, du 14 decembre 1708 ; 0'569, 1, 127, lettre de La Moreau Fieroiai, du 27 février 1709. 55 AN, G' 592, lettre anonyme, sans date. 56 AN, G' 569. liasse no 1, document no 127, lettre de La Moreau Fieroial. du 27 février 1709. anonyme, par exemple, enjoignait le contrôleur à sévir contre l'intendant d'Angoulême. L'auteur arguait que

D'autres auteurs réclamaient justice dans des affaires qui les opposaient à des officiers du roi qui ne relevaient pas du contrôleur général. C'est le cas notamment d'un auteur anonyme qui revendiquait la suppression des charges de maires, échevins et lieutenants de police dans les villes de province. Il sommait le contrôleur de ((délivrem les apauvres peuples)) de «ces petits rois», de ces «sangsues insatiables du sang du pauvre genre hurnaim6O. Le notaire Goullet, quant à lui, «représentait>)dans sa lettre que la misère dans laquelle le peuple était réduit dans les provinces ne «procédait» que de la wnésintelligence et des discordes des officiers de judicature et de police qui, la plupart, préférlailent leurs intérêts particuliers à l'observance des lois et des ordonnances~~'.De la même façon, un autre auteur anonyme exhortait le contrôleur à sévir contre les officiers de l'armée qui volaient et maltraitaient les qauvres fermiers de la campagne)). Ces officiers, écrivait-il, étaient non seulement huguenots ou apostats, mais faisaient du «commerce» avec lennemi, dans ce cas-ci l'~n~lais~*.

57 AN. G~ 576, liasse no 2, document no 225, leme anonyme, sans date. AN. G' 584. lettre de Du Plecy, du 1" octobre 17 12. 59 AN. G' 565, liasse no 1, document no 5, lettre de Josias Laborde, du 2 novembre 1708. 60 AN. G~593, lettre anonyme, sans date. 6' AN, G' 57 1, liasse no 1, document no 224, lettre de Goullet, sans date. "'AN, G~562, lettre anonyme, sans date. Le fait que des sujets se soient plaints au contrôleur d'officiers relevant de lui prouve hors de tout doute qu'ils croyaient en sa capacité de rendre une justice équitable. Le contrôleur était présumé impartial, capable de faire triompher le bien. Un cas illustre bien l'ampleur de cette réputation. Le mercredi précédant la rédaction de sa lettre, vers les huit heures du matin, le lieutenant Le Tellier se trouvait à proximité de la porte de l'auditoire de son élection et s'apprêtait à y «tenir audience)). À ce moment même, un (jeune homme sans caractère» le mita avec insolence)), le comparant a un âne. Le Tellier écrit : Il cria «à haute voix devant tout le monde, publiquement, en me montrant au doigt plusieurs fois, à l'âne, à l'âne». Parce qu'il était âgé de 56 ans, ccun âge qui doit imposer le respect)), et parce qu'il était officier, le lieutenant exigeait du contrôleur qu'il châtie d'insolant)), qu'il dasse un exemple)). Le Tellier était conscient que la ajustice ordinaire)) s'ofiait à lui, mais vu le caractère public de I'afFront, il avait préféré en référer au contrôleur63.

D'autres demandes opposaient de simples sujets entre eux et c'est là que le rôle de Justicier prend réellement son sens. À titre d'exemple, Charles Le Depensier, qui avait servi dans les troupes du roi pendant vingt-cinq ans avant d'être estropié au combat, et qui s'était retiré à Danville pour «exercer l'art de chirurgien, demandait justice au contrôleur parce que, disait-il, on l'avait assuré qu'il fallait s'adresser à lui en pareilles circonstances. Dans sa lettre du 29 mars 1708, il expliquait que dans le cadre de son travail, il avait guéri une grande quantité de malades, non seulement souffrant de (maladies populaires)) ou encore des «femmes en travail d'enfants)), mais qu'il avait souvent fait donner le baptême à un grand nombre de petits innocents en plus d'avoir guéri un nombre important de «blessés abandonnés». Le 18 février, alors qu'il revenait d'un accouchement, il trouva la porte de sa maison <

6' AN, G' 569, liasse no 4, document no 98. lettre de Le Tellier, du 29 mai 1709. 6z AN. G' 562. lettre de Charles Le Depensier. du 29 mars 1708. A titre d'exemples. sur les demandes opposant des sujets entre eux. voir aussi G' 563. avis anonyme. sans date ;G' 570. liasse no 2. document no 189. leme anonyme, du 28 juillet 1709 ;G' 569, liasse no 4. document no 98, letue de Le Tellier, du 29 mai 1709. Que les plaintes aient été formulées a l'égard de membres de l'administration ou de simples sujets n'a pas la même signification quand on s'intéresse aux représentations du pouvoir. On peut comprendre que des officiers, commissaires et autres fonctionnaires aient été portés a soumettre leurs différends au contrôleur, quelle que fit la branche de l'administration publique dans laquelle ils travaillaient. Le contrôleur était ministre et secrétaire d'État, son importance était telle qu'il représentait l'autorité suprême après le roi. Or, le fait que des aujets ordinaires)) aient porté devant le contrôleur des caws «ordinaires» mérite une attention particulière. Officiellement, seul le roi devait être considéré comme le Justicier suprême. Bien sûr, au fil des siècles, il a délégué son pouvoir judiciaire à des magistrats, mais le contrôleur n'était pas l'un d'eux. 11 n'était pas non plus leur supérieur, les magistrats relevant du chancelier. Pourquoi alors un chirurgien tel que Charles Le Depensier a-t-il cru bon faire appel au contrôleur sinon parce qu'il le considérait en la matière judiciaire comme l'alter ego du roi ?

La présence dans la correspondance de cas où les auteurs demandaient au contrôleur une remise de peine est encore plus révélatrice. Le 5 décembre 1708, par exemple, le condamné aux galères Jacques La Richardiere «se prosternait aux pieds» de Desmarets pour l'implorer de lui accorder sa grâce. Sa lettre, écrite «sur la galère heureuse à Dunkerque)), nous apprend qu'il servait comme cadet dans la compagnie de Metz, sous le commandement du capitaine de Morton, avant d'être nommé sous-lieutenant dans la compagnie des grenadiers du régiment royal. Après le «siège de Luxembourg)), il fut réformé et quitta sa compagnie. C'est alors qu'on l'accusa de désertion et qu'il fut condamné aux galères. Dans sa lettre, il explique pourquoi il a fait appel au contrôleur, parce que «la misère ne peut espérer de consolation et qu'elle ne se peut flatter d'aucun secours que par la clémence et charité des personnes de pouvoir et de crédit», écrivait-il. Profitant de l'occasion, il poussa l'audace jusqu'à demander, dans une seconde lettre, une grâce pour quatre autres personnes, tout simplement parce qu'il n'en coûtait pas plus de demander une grâce pour plusieurs que pour un seul, e~~li~uait-il~~.

65 Respectivement : AN. G' 565. liasse no 2. document no 27, lettre de Jacques La Richardiere de Vignol du Plessis, du 5 décembre 1708 :G' 565 liasse no 2, document no 28, leme de Jacques La Richardiere de Vignol du Plessis, du 5 décembre 1708. A titre d'exemples, sur la grâce. voir awi AN, G' 715. lettre de Miotte de Costebrune, du (?) mai 1709 ; G' 578. liasse no 1, document no 28, lettre de SeigneIay, du 6 février 171 1. Jacques La Richardiere avait servi le roi. Ii n'était pas le seul correspondant du contrôleur à l'avoir fait. La notion de (service du roi» est omniprésente daus les ((demandes en justice». Celle-ci ne doit pas être considérée dans son sens strict, mais plutôt comme le mervice du prince, de la nation, de l'État et du Parce qu'ils avaient servi l'État, les auteurs se croyaient justifié de s'adresser en toute liberté au contrôleur ;parce qu'ils avaient servi l'État, ils croyaient qu'ils allaient être récompensés par la protection du contrôleur. C'était mien matière de justice, mais aussi dans le domaine de la guerre. C'est au nom du

Sous l'Ancien Régime, les rois étaient les maîtres de la paix et de la guerre. Ils concevaient «la chevauchée guemère comme un glorieux devoim6'. Si tous ne prenaient pas part aux batailles, certains, tel Louis XIV, marchaient à la tête des troupes, déambulaient dans les tranchées et bivouaquaient avec leurs soldats6'. On dit même que Louis XIV s'exposa aux tirs de l'armée ennemie lors du siège de Tournai pour mieux envisager le champ de bataille69. Dans ses Instructions au Duc d Anjou, le Roi-Soleil donne une idée précise du rôle qu'un monarque devait jouer, selon lui, en matière militaire : «Si vous êtes contraint de faire la guerre, écrit-il, mettez- vous à la tête de vos armées)J0. Louis XIV, peut-être plus que tout autre roi, aimait la guerre. Déjà, tout jeune il pratiquait des stratégies militaires dans les jardins du palais. Son règne fut à ce point marqué par les conflits militaires qu'un historien a pu écrire que «le gouvernement de

François Bluche, ((Service du roi», dans F. Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1994, p. 1441 et 1442. 67 P. Gouben et D. Roche, Les Francais er 1Ancien Régime ..., p. 223. 6s Le Marquis de Saint-Maurice, dans ses Leares sur la cour de Louis XlV (1667-1670), nous donne une b0~eidée des actions du roi lors des sièges de Tournai et Lille (J. Cornette. Chronique du règne ..., p. 156). 69 Une des tapisseries des Gobelins consacrées à l'Histoire du Roy, réalisée par Charles Le Brun, représente l'événement (J. Cornette, Chronique du règne ..., p. 156). 'O Louis XXV, Mémoires ..., p. 253. Louis XIV fut un gouvernement de Suivant sa volonté de tout diriger, le roi conduisait lui-même sa politique extérieure, avec l'aide de son ministre d'État à la guerre : d'abord Lionne, puis Pomponne, ensuite Colbert de Coissy et finalement Colbert de Torcy.

Dans l'esprit de plusieurs auteurs, le contrôleur prenait lui awi une part active à la conduite de la guerre et travaillait ardemment à l'obtention de la paix. Au mois d'avril 1713, par exemple, Régnier Des Marais écrivait au contrôleur que par «le soin» qu'il avait eu «des nerfs de la guerre», il avait une «grande part» dans la conclusion de la paix. Trois jours plus tard, Desmarets recevait une autre lettre dans laquelle l'auteur prétend que son heureux génie» et ses «grands soins)) avaient «beaucoup contribué à faire entendre raison aux ennemis du roi», principalement «par l'ordre surprenanb) qu'il avait mis dans ses finances7*. Certains auteurs portaient l'importance du contrôleur si haut qu'ils en faisaient même de principal ouvrier de la paix»73. «C'est à vous principalement, Monseigneur, à qui nous devons cette heureuse paix, [obtenue] a des conditions si honorables et si peu attendues)), écrivait Pronrepuis le 16 avril 1713~'.C'est d'ailleurs I'irnportance du rôle joué par le contrôleur dans les négociations qui inquiétait Madame Luhelbourg Desableurs. «Quel est le maudit enchanteur qui de concert avec nos ennemis a envoyer la goutte à notre illustre ministre dans le dessein de le distraire de ces -orandes occupations)) au moment mème où il «s'appliquait» à procurer la paix au peuple75?

Pour aider le contrôleur à «opérer la paix dans l'enceinte de son cabinet»76, les auteurs lui faisaient parvenir des informations, des stratégies, des projets de réforme ou encore des inventions militaires qu'ils recueillaient par-ci par-là ou encore qu'ils imaginaient à l'aide de ce qu'ils appelaient, en toute humilité, leur afaibles lumières». C'est le cas de Thestos qui envoya à Desmarets un mémoire contenant plusieurs avis destinés à accroître le pouvoir naval de la

71 R. Mousnier, Les institurions de la France sous la monarchie absolue, tome II : 1598-1789, Paris, PUF. 1992, p. 10. " AN. G7588. lettre de Mylord Fred de Lovat. du 22 avril 1713. A titre d'exemples, sur le contrôleur comme grand argentier de la guerre, voir aussi AN, G' 695. leme de Collin, du 24 juillet 1692 ; G' 700, Iettres et mémoires de Sarrey, du 22 janvier 1704 ; G' 703, lettre de Foullard, du 28 mars 1705 ; G' 709, lettre de Moreau de Grigny, du 24 septembre 1707 ; G' 562, leme de l'abbé de (Pomponne). du 10 mars 1708. " AN, G' 583, liasse no 2, document no 121, lenre de Régnier Des Marais, du 23 juin 1712. 74 AN, G' 588, leme de Pronrepuis, du 16 avril 1713. 75 AN. G' 587, lettre de Luhelbourg Desableurs, du 16 février 1713 (?). AN, G' 596, lettre anonyme, du 27 avril 17 15. France ; de Lechter de Romainval, major du régiment de même nom, dont le mémoire visait a remettre de l'ordre dans I'armée, principalement dans l'infanterie, laquelle était a son avis anal conduite et négligéen ;de Roquie qui avait imaginé un moyen de faire lever des troupes saos qu'il n'en coûte rien au roi ;de même que de Delahestroy qui fit parvenir au contrôleur un mémoire de trente-trois pages concernant la nécessité de mieux mer la ville de Montreuil qui, selon lui, pouvait être prise par seulement 400 soldats ennemis ; et d'un auteur anonyme qui fit part au contrôleur de quelques suggestions sur la guerre, comme celtes de laisser un (anaximum d'hommes dans les places frontalières» et de harceler l'ennemi «de temps en temps~?

D'autres auteurs préféraient y aller de leurs petites inventions. Un dénommé Guy, par exemple, proposa à Chamillart un moyen d'écrire des lettres sans qu'elles ne puissent être lues d'aucun exmemi ; Abraham, sculpteur a Rochefort, envoya au contrôleur ses projets de mortiers, de «bombes enchaînéesu et de «canons à bombes)) ; et Clément, prisonnier au château de Saumur, tenta de troquer sa libération contre un moyen de convertir des sels de salpêtre du royaume» en poudre de guerre. Une telle invention, écrivait-il, apportera da gloire» à l'État, «soit pour étendre ses conquêtes, soit pour se défendre contre ses ememisd8. Le 3 1 janvier 1715, De Rouyer écrivit au contrôleur pour lui faire part de ses multiples inventions, «plusieurs belles machines tant pour le civil que pour l'art militaire)), mentionnant par la même occasion qu'il était de son devoir de lui en faire part79. On écrivit même des colonies. Le 4 juillet 1710, du Rocher Puel, un homme qui pendant trente-trois ans avait servi dans la marine, la construction de vaisseaux, les fortifications, l'artillerie et la confection des poudres de guerre, envoya au contrôleur un plan explicatif d'une découverte qu'il pensait avoir faite et qui, croyait-il, aiderait la France à empêcher les Espagnols de prendre les places fiançaises en f oui si an ne^^.

n AN, G' 712, lettre et mémoire de Thestos, sans date ; G' 715, lettre et mémoire de Lechter de Romainval, du 29 janvier 1709 ; G' 577. liasse no 2, document no 48. leme de Roquie. du 7 janvier 171 1 ; G' 715, lettre et mémoire de Delahesuoy, de janvier 1709. «L'artillerie et les armées ne sont même pas en état de tirer, ajoutait-il. Elles] n'ont même plus de pierres à fusils. II faut remédier à cet état, car la ville en est une stratégique)); G~694, mémoire anonyme, sans date. A titre d'exemples, sur <(un règlement nécessaire aux armées)), voir AN, G7 704, lettre et mémoire de Du Brisset, du 22 décembre 1704. Respectivement : AN, G' 71 7. lettre de Guy. du 4 avril 1701 ; G' 724, lemd'Abraham, du 5 avril 1708 ; G' 728- 35, mémoire de N. C. Clément, sans date. 79 AN. G' 723. mémoire de De Rouyer. du 3 1 janvier f 7 15. 80 .m. G' 574, liasse no 2. document no 9 et liasse no 1. document no 10. leme et «plan démonstratif%de Du Rocher Puel. du 4 juillet 1 7 1O. A première vue, le fait que les auteurs aient procuré des informations, stratégies et inventions militaires au contrôleur n'a rien d'étonnant. On l'a VU, il s'intéressait aux tractations étrangères et aux mouvements des troupes ennemies, il payait même des informateurs chargés de l'en instruire8'. En tant que ministre, le contrôleur se devait d'être informé des derniers événements pour bien sûr en instruire directement le roi, mais aussi pour être en mesure de porter un jugement éclairé sur les différentes situations et par le fait même, de mieux le conseiller lors des réunions du conseil royal. Mais le contrôleur ne conduisait pas les troupes. 11 n'était pas en charge de l'armée. Cette tâche relevait du roi et de son secrétaire d'État à la guerre. il faut donc différencier les informations concernant les tractations et les mouvements des troupes d'avec les stratégies et inventions militaires. Si les premières servaient à forger son jugement et l'aidaient à mieux remplir son travail de conseiller, les secondes laissent supposer qu'on croyait qu'il prenait une part active à la conduite de la guerre.

Voir supra, p. 24 et 25. Conclusion

Au cours des dernières années, les historiens se sont intéressés aux représentations véhiculées par les substrats culturels de la monarchie fiançaise des m,Xm et Xmsiècles. Ils ont sondé les images émises par le pouvoir destinées à le mettre en scène, traquant ainsi ses mécanismes de légitimation. Or, ces images qui visaient a obtenir le consentement des gouvernés n'ont pas été reçues dans un rapport de convenance parfaite, notamment, et peut-être même surtout, sous Louis XiV. Entre la monstration d'une image de l'autorité absolue du roi incarnée par le roi et sa réception par la population, il y eut des discordances liées à l'imaginaire des récepteurs. L'étude faite ici de la personnalité politique du contrôleur général des finances sous Louis XTV a démontréjusqu'à quel point ces discordances pouvaient être fortes. Aux yeux des auteurs de la correspondance, le contrôleur était sans conteste le second personnage de la monarchie, voire le premier, ex aequo avec le roi, mais il n'en demeure pas moins que, dans l'esprit de Louis XIV, il n'était qu'un ((simple exécutant». On l'a maintes fois répété, le Grand Roi ne voulait pas de premier ministre, il entendait gouverner seul. En conséquence, aucun de ses ministres ne fut «le principal», aucun ne fut le successeur de Mazarin ni l'équivalent de Colben.

Pour mesurer les discordances entre l'émission et la captation des images produites par le pouvoir, l'historien doit porter son regard de l'autre côté de la médaille, du côté des gouvernés. Et quoi de mieux pour ce faire que d'étudier la correspondance d'un officier tel que le contrôleur général des finances. Les auteurs de la correspondance étaient des «particuliers», des individus ou des petits groupes issus du «commun». On peut les situer quelque part entre les personnages «doctes et savants» et les ((derniers des manouvriers)). La majeure partie d'entre eux étaient des lettrés, parmi lesquels les ecclésiastiques, surtout les curés, et les officiers, réformés ou non, figurent en grand nombre. Rappelons-le, un seul auteur s'est présenté comme un roturier. Hommes ou femmes de provenance diverse, mais pour beaucoup de Paris, ils s'adressaient au contrôleur, paifois sous le couvert de l'anonymat, parce que celui-ci incarnait l'autorité. Les demandes de rétribution, protection, réformation ou répression formulées par les auteurs en sont la preuve manifeste. Qui d'autre que le détenteur de I'auctoritas pouvait, par exemple, reformer les abus, vexations ou mauvais traitements et réprimer les vies scandaleuses, les conduites irrégulières, l'usure, le jeu, etc. ? C'est aussi parce qu'il incarnait l'autorité que les auteurs exposaient au contrôleur des projets, financiers, militaires ou autres, et qu'ils l'instruisaient des découvertes ou des informations relatives, par exemple, aux systèmes financiers étrangers. On s'adressait par conséquent a lui en toute déférence, en prenant bien soin d'avoir recours à certaines stratégies. Utiliser les services d'un protecteur pouvait s'avérer utile, et parmi les protecteurs, les parents du contrôleur occupaient une place de premier choix, de même que les personnes influentes telle que, par exemple, Madame de Maintenon. D'autres préféraient recourir à des rapporteurs, ou tentaient de choisir les commis et intendants chargés de leur affaire ou, mieux encore, de rencontrer le contrôleur en personne.

La correspondance du contrôleur général des finances analysée dans les pages précédentes nous donne accès aux constructions mentales des auteurs a son endroit. Elle permet une incursion privilégiée dans la «cosmologie» d'un échantillon des quelque 20 millions de sujets qui peuplaient alors le royaume de Louis le Grand. Les auteurs de la correspondance s'adressaient directement au contrôleur. Ils le qualifaient, lui prêtaient des fonctions, qualités et titres qui, dans certains cas, dépassaient largement ses pouvoirs officiels. À travers ces attributs présumés de la personnalité politique du contrôleur, il est possible de faire naître l'image, ou plutôt les images, que les auteurs avaient en tête lorsqu'ils lui écrivaient. L'étude de la correspondance permet donc d'envisager comment ils percevaient le contrôleur, elle permet d'accéder aux représentations du contrôleur présentes dans l'esprit des auteurs. Le présent mémoire est articulé autour de deux images, sans aucun doute les deux plus fortes. L'une fait du contrôleur un second Joseph le Patriarche, tandis que l'autre le dépeint comme le père de famille du royaume de France, le pater fnmifias. Ces deux images le présentent comme l'homme le plus important du royaume, la première, immédiatement après le roi et en accord avec celui-ci, la seconde, au même niveau et en concurrence directe avec le roi.

Le contrôleur général des fuiances était perçu par plusieurs auteurs de la correspondance comme un second Joseph le Patriarche, ce personnage biblique, principal ministre du pharaon d'Égypte. Ils le voyaient comme le Tsaphnarh-Panéach du royaume de France, comme celui dont le rôle était d'assurer l'abondance. Les auteurs étaient convaincus que le contrôleur devait surveiller le prix des bleds, en prévenir la cherté et en fain des provisions pour pallier les mauvaises récoltes. A leurs yeux, à l'instar de Joseph, il était également un homme de grande confiance. Comme lui, il se donnait tout entier au service de son maître, le roi, en exerçant ses fonctions avec un zèle exemplaire. Pour cette raison et parce qu'il entretenait une relation privilégiée avec Louis XIV, ce dernier pouvait se fier à lui et lui faire confiance ; une confiance qui trouvait écho dans la population qui voyait le contrôleur comme la personne disposée à réformer les abus et malversations dont elle était victime. Dans l'esprit des auteurs, exactement comme Joseph, le contrôleur dirigeait concrètement le royaume. Le roi l'avait fait son p~cipal ministre, ne conservant au dessus de lui que les titre et statut de monarque. Parce qu'il évoluait dans l'environnement immédiat du monarque, parce qu'il avait gagné sa confiance, le contrôleur avait hérité d'un vaste pouvoir d'influence. C'est à ce pouvoir que les auteurs de la correspondance faisaient appel.

Avec la seconde image, l'influence du contrôleur est à ce point considérable qu'elle empiète sur celle du roi. Nous savons que le roi 'd'Ancien Régime était considéré comme le lieutenant de Dieu sur terre. Il était le justicier suprême, le protecteur des petits comme des grands, le défenseur contre les ennemis intérieurs et extérieurs. A ce titre, on lui attribuait des qualités, parmi lesquelles figure l'amour de son peuple. 11 était en fait «le père du peuple». Comme un père de famille, un pater familias, le roi devait aimer ses enfants, c'est-à-dire le peuple, et il devait les protéger, leur rendre justice et leur porter secours quand ils en avaient besoin. Le caractère paternel du monarque fut formulé pour la première fois de manière explicite par saint Thomas d'Aquin, mais plusieurs auteurs le reprirent à leur compte. Au XVr siècle, l'image du roi-père était profondément enracinée dans la population. Les monarques s'en servaient d'ailleurs pour asseoir leur autorité. Louis XTV, comme ses prédécesseurs, se voyait comme le pater familias du royaume de France. Lors de «la famine de l'avènement», par exemple, il fit distribuer des bleds aux plus démunis, une mesure d'assistance qui lui procura le sentiment d'avoir agi en wéritable père de famille», comme il l'écrivit lui-même dans ses Mémoires'.

' Louis XIV, Mémoires pour 1 'année 1662, Paris, Club du libraire, 1960, p. 83. Le pater familias du royaume de France : l'analogie avec Joseph le Patriarche a déjà mis en valeur le côté père-nourricier du contrôleur (cf. Tsaphnarh-Panéach),mais les qualités, fonctions et titres que lui prêtaient ses correspondants renforcent ce côté paternel au point d'en faire une image en soi. Dans l'esprit d'un grand nombre d'auteurs, le contrôleur incarnait le défenseur des peuples, le protecteur des pauvres. Ils attendaient de lui qu'il agisse avec charité et compassion, principalement à l'égard des pauvres faméliques. À l'instar du roi, le contrôleur était préslmé accessible aux plus grands comme aux plus petits du royaume. On passait facilement de cette équité au rôle de justicier. Digne descendant de Saint Louis, sans couronne il va sans dire, le contrôleur était un redresseur de tort. Officiers, soldats et simples sujets pouvaient s'adresser a lui en tout temps, faire appel à sa justice absolue et on lui demandait même des remises de peine. Certains auteurs allèrent jusqu'à accorder au contrôleur un rôle de premier plan en matière militaire, champ pourtant consacré de l'autorité royale, surtout avec le Grand Roi. Plus que le grand argentier de la guerre, le contrôleur était vu comme le Pacificateur du royaume.

Ces deux images qui, à première vue, semblent contraires à Ia monarchie absolutiste, prennent tout leur sens lorsqu'elles sont envisagées de pair avec la conjoncture. D'abord, le développement de l'État moderne a contribué à faire du grand ordonnateur des finances, du surintendant puis du contrôleur général, un personnage central de l'administration de l'État. À partir du Moyen Âge, les questions financières occupèrent une place sans cesse grandissante dans les affaires de l'État, aussi bien en France qu'ailleurs en Europe. Entre 1602 et 1715, si l'on tient compte de la dévaluation nominale de 62 p. cent de la livre tournois, les dépenses publiques de la France furent multipliées par six ou sept. Elles passèrent de 15 à 20 millions de livres sous le gouvernement d'Henri IV à près de 250 millions à la fin du règne de Louis XW2. Les rois eurent sans cesse besoin de fonds et Louis XIV fut sans aucun doute le plus exigeant. Pour satisfaire sa soif de puissance et financer ses nombreuses guerres, il dut constamment augmenter les recettes de l'État. La construction du château de Versailles, à elle seule, coûta près de 60 millions de livres, l'équivalent de deux ou trois campagnes militaires3.

Guy Antonetti, ((Finances publiques)), dans François Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle, Paris. Fayard, 1994, p. 592. ' Joll Cornette. Chronique du règne de Louis MV. Paris, Sedes, 1997, p. 305. Pour trouver les fonds nécessaires a satisfaire son roi, le contrôleur devait réduire les dépenses etlou augmenter les entrées de fonds. À cet égard, Colbert fit des merveilles. il poursuivit les financiers, réduisit les rentes, chassa les faux nobles et reconstitua le Domaine du roi. II organisa même un système comptable «préfigurant un véritable budgem4. Malgré les retombées positives du travail de Colbert, ses successeurs furent contraints de recourir sans cesse à d'autres expédients pour subvenir aux besoins pressants de l'État. Sous Pontchartrain, par exemple, la France connut la capitation et Desmarets dut se résoudre, en 1710, à recourir a l'impôt du dixième. À son arrivée au contrôle général, en 1708, Desmarets trouva le royaume dans une «triste situatiom5. La dette s'élevait à plus de deux milliards, les dépenses de l'État, à 200 millions, tandis que les revenus avoisinaient les 120 millions6. II reste que si cet accroissement des dépenses publiques peut expliquer l'importance du contrôleur en matière de finances, il ne peut justifier l'importance considérable que les auteurs de la correspondance lui accordèreat. Le roi lui avait octroyé la direction des fhances ordinaires et extraordinaires du royaume, il n'en avait pas fait le Tsaphnath-Panéach et encore moins le pater familias du myaume. D'ou provenaient alors ces représentations usurpées ?

Pour y répondre, il faut considérer, d'une part, l'importance des pouvoirs de Colbert et, d'autre part, le rôle primordial qu'il joua dans l'organisation du contrôle général. Après la

' G. Antonetti. ((Financespubliques...», p. 593. L'expression est de lui. Tiré de Margaret Bo~eyet Richard Bo~ey,Jean-Roland Mafer. premier historien des finances de la monarchie française, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1993. p. 49. ~dolpheChéruel, Hisioire de ï'administration monarchique en France depuis ï'avènement de Philippe-Auguste jusqrr 'à la mort de Loztis XIV, tome II, Genève, Siaticine-Magariots, 1974, p. 423. amortissements7. Doté de ces nombreux pouvoirs, Colbert s'adonna à la tâche et parmi ses réalisations, se trouve la réorganisation du contrôle général. Rappelons-le, c'est lui qui en fit

D'ailleurs, nombreux sont Ies auteurs de la correspondance qui avaient encore en tête, quelque vingt ans plus tard, le rôle joué par Colbert dans l'essor de la France ou qui fondaient leur argumentation sur ses «savantes» politiques, ses «oeuvres» ou encore «ses belles et solides maximes)). Ces auteurs se souvenaient de lui comme du (Grand Colbert», comme de l'home qui avait procuré «le bonheur de la rance))^. En 1710, par exemple, un auteur anonyme envoyait à Desmarets un «avis important pour rendre ce royaume aussi florissant qu'il était durant le ministère de M. ~olbed~.Demoulinville, pour sa part, rappelait à Chamillart, le 28 juin 1706, que «Feu Monseigneur Colbert, contrôleur général des finances, n'a[vait] trouvé de meilleur moyen pour le succès de toutes ses entreprises que l'ordre et la régularité des comptes»". Quoiqu'aucun de ses successeurs ne bénéficia d'une aussi grande concentration de pouvoirs, de nombreux auteurs de la correspondance considérèrent les trois contrôleurs étudiés ici, en l'occurrence Pontchartrain, Chamillart et Desmarets, comme ies dignes héritiers de Colbert.

Colbert était le principal ministre du jeune Louis XIV, même s'il n'en avait pas le titre. Or, jamais aucun de ses successeurs ne posséda autant de pouvoirs. En conséquence, les deux

' Roland Mousnier, Les instirutiom de fa France sous famonarchie absolue, tome II : 1598-1789, Paris, PUF, 1992, p. 193 Irène Bellier. ((Une approche anthropologique de la culture des institutions», dans Marc Abélès et Henri-Pieme Jeudy, Anrhropologie du politique, Paris, Armand Colin, 1997, p. 130 et 137. AN, G' 71 1. mémoire d'Honoré, du 4 juillet 1708. 1 O AN, G' 71 8, avis anonyme, sans date. " AN, G' 706. lettre de Demoulinville. du 28 juin 1706. A titre d'exemples, voir aussi AN, G' 565, liasse no 2, document no 198. Iettre d'Antoine Pierret, du 3 1 décembre 1708 ;G' 712, lettre et mémoire de Thestos (?), sans date ; G' 7 12. lettre de Le Vassor de Lus, du 1 O novembre 1708 ; 579, liasse no 1. document no 174. lettre de Roger, du 28 mai 171 1. images développées dans le présent mémoire font appel à une réalité antérieure à la correspondance. Les auteurs se représentaient le contrôIeur général des finances d'abord et avant tout comme la réincarnation de Colbert. En comparant Pontchartrain, Chamillart et Desmarets a un second Joseph le Patriarche, ou encore au pater familias du royaume de France, les auteurs faisaient sans doute référence à ['image d'uu Colbert omnipotent. Les trois derniers contrôleurs de Louis XïV n'avaient pas de pouvoirs en matières judiciaire et militaire, sauf Chamillart qui fut pour un temps à la fois contrôleur et secrétaire d'État à la guerre. Colbert, pour sa part, était secrétaire d'État à la marine et travailla à l'amélioration de la justice, même si celle-ci relevait du chancelier, son ennemi Seguier. il fit beaucoup pour accroitre la puissance navale de la France et prit même d'initiative des grandes ordonnances de codification du royaumed2.

Les images du contrôleur présentées ici sont donc doublement usurpées. D'abord, par rapport aux pouvoirs réels, ensuite par rapport à la propagande monarchique. 11 est possible de diviser le règne de Louis XIV en trois périodes marquant les étapes du développement de l'État moderne''. Dans la première partie du règne, Louis XIV exerçait son pouvoir monarchique mais il ne gouvemait pas. C'était la période du ministériat qui prit fui avec la mort de Mazarin en 166 1. S'ouvrit alors ce que plusieurs historiens ont appelé, peut-être prématurément, le «régne personnel». À vrai dire, si cette période vit l'apparition de certaines «variantes» dans le fonctionnement du gouvernement, celles-ci furent relativement mineures par rapport à ce qui allait se produire par la suite. Le roi gouvemait, mais avec deux «principaux ministres)), qui n'en portaient cependant pas le titre : Colbert et Louvois. Colbert fut sans conteste le plus puissant des deux, mais à sa mort, en 1683, le roi opéra une «créorganisationdes responsabilités)) qui profita à Louvois. Il fallut attendre la mort de ce dernier pour que le roi devint edm le «mai chef du gouvernement». Cette «véritable prise du pouvoim fit de lui le dirigeant de l'État, réduisant les ministres au rang de simples commis. Louis XIV était alors le maître absolu. Son image était celle du Roi-Soleil, du Roi-Dieu. Louis était Louis le Grand, maître incontesté du royaume de France.

'' Jean-Louis Harouel, (Contrôleurgénéral des fuiances)),dans F. Bluche. Dictionnaire du Grand Siècle ..., p. 403. 'j Jean-Christian Petitfils. Louir MY. Paris. Perrin, 1995. p. 523-525. Tiré de J. Cornerte. Chronique du règne ..., p. 387 et 388. C'était du moins l'image véhiculée par les propagandistes de Louis XIV. Faire du contrôleur un second Joseph ou encore le pater famih du royaume allait à l'encontre des pouvoirs réels du contrôleur, appelait une réaiïté dépassée, morte avec Colbert, mais aussi, c'était nier les représentations émises par le pouvoir. Voilà dans quelle mesure on peut parler d'une double usutpation. D'une part, le contrôleur général des £hances n'était plus, entre 1689 et 17 15, un personnage aussi puissant qu'il l'avait été SOUS Colbert. D'autre part, comparer le contrôleur de Louis XN à Joseph ou encore au pater familias du royaume était nier l'absolutisme du roi, c'était rejeter les représentations émises par l'autorité monarchique. Cette négation corrobore cependant le courant histonographique dit révisionniste qui a remis en cause I'absolutisme de Louis XIV et prouve la théorie de Louis Marin suivant laquelle les rois d'Ancien Régime n'ont acquis leur statut de monarque qu'à travers les images.

Bien des facettes de la problématique du contrôleur général des finances et du principe même de la correspondance analysée ici restent à approfondir, comme par exemple le métier de donneur d'avis, les mécanismes des audiences, privées et publiques, les disparités régionales dans les représentations du pouvoir^ la parenté de forme et de contenu entre la correspondance des intendants et celle des particuliers, de même que les changements apportés par la Régence en matière de représentations du pouvoir, ce sur quoi je me pencherai certainement dans le cadre de mon doctorat. À ce sujet, il serait intéressant de considérer les impacts éventuels causés par le retour d'un premier ministre au sein de l'appareil étatique. Le premier contrôleur général des finances après Desmarets fut qui entra en fonction au mois de janvier 1720. En étudiant l'ensemble des ((lettres et placets adresses par des particuliers)) et les propositions et projets de réformen, qui couvrent une période s'étirant de 1683 à 1740, je pourrai évaluer les représentations du pouvoir sous Louis XIV, sous la Régence et sous Louis XV. Une période d'autant plus intéressante qu'elle correspond à celle de I'efaitement du système de représentations rationnelles du pouvoir, telle qu'identifiée par l'historien Robert Descimon dans l'introduction de l'État ou le d4.

14 Neirhard Bulst, Robert Descimon et Alain Guerreau (du.). L'État ou le roi Les fondements de ia modernité monarchique en France (XW-WIf siècles), Paris, Maison des sciences de l'homme, 1996. Sources et bibliographie

Sources

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Lerrres dites rlettres communes, (AN, G' 562 à 598)

Placers et requêtes (AN,G' 645 à 668)

Propositions et projets de réformes adressés au Contrôleur général par des oficiers royaux ou des parriculiers, pour mettre fin à certains abus. améliorer certains services, procurer des revenm nouveaux

(121 Roi, etc. (AN, G' 694728).

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