Politique africaine n° 97 - mars 2005 133

Paul Nugent Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

En dépit d’estimations augurant une large victoire du parti au pouvoir (NPP), le principal parti d’opposition (NDC) ghanéen a obtenu de meilleurs résultats qu’escompté. Lors de la présidentielle de 2004, J. Kufuor réussit à éviter de peu un second tour, alors que les pertes de l’opposition aux législatives furent contrebalancées par un sursaut ailleurs, notamment dans le Grand Accra. La prestation du NDC, eu égard aux piètres résultats des petits partis, souligne la structuration de la vie poli- tique autour d’un système bipartisan. Cet article étudie les stratégies électorales et les résultats en fonction des allégeances historiques, du rôle de l’ethnicité et des perceptions de l’action passée du NPP.

Le 7 décembre 2004, pour la quatrième fois depuis le rétablissement d’un régime constitutionnel en 1992, les Ghanéens sont allés aux urnes. Pour la plupart des observateurs et politiciens, l’issue des scrutins était jouée d’avance : le mandat présidentiel de John Kufuor serait reconduit et son parti, le (NPP), s’assurerait une confortable majorité parlementaire. Beaucoup s’inquiétaient même d’une victoire si nette qu’elle pourrait conduire au retour d’un système monopartite. Le principal parti d’opposition, le National Democratic Congress (NDC), semblait démoralisé et dépourvu de fonds de campagne depuis sa disgrâce de 2000 ; quant aux autres partis, les plus petits, ils n’existaient guère que sur le papier. Le NPP, quant à lui, bénéficiait de tous les avantages de l’exercice du pouvoir, ainsi que de solides ressources finan- cières. Les prédictions se sont avérées exactes dans la mesure où J. Kufuor a été réélu dès le premier tour et où son parti a remporté 128 des 230 sièges du Parlement. Cependant, les leaders du NPP ont été surpris de leur incapacité à déloger le NDC de ses bastions électoraux. Le National Democratic Congress, 134 CONJONCTURE

en effet, a emporté 94 sièges et a failli contraindre Kufuor à un second tour de scrutin. Celui-ci perdait 5 points par rapport au second tour de 2000, même s’il faut convenir qu’il a fait mieux qu’au premier tour de la même élection (se reporter aux tableaux 1 et 2 en annexe). John Atta-Mills, le candidat du National Democratic Congress, a légèrement progressé aux deux tours et le parti est resté majoritaire dans quatre des dix régions du pays (Northern, Upper East, Upper West et Volta), talonnant de près le NPP dans la Greater Accra Region. Le NPP n’a donc pas été en mesure de remporter le triomphe que, comme tant d’autres, il avait escompté. J’ai affirmé ailleurs que le NPP et la soi-disant tradition Busia/Danquah dont il émane avaient eu des difficultés à percer dans les zones les plus périphériques du pays 1. C’était toujours le cas en 2004, mais certains changements dans la répartition des votes nuancent ce tableau. Le point essentiel reste bien cepen- dant la reproduction d’une bipolarisation politique. Aussi, cet article s’attache à décrire les stratégies électorales et les résultats en fonction des allégeances historiques, du rôle de l’ethnicité et des perceptions de l’action passée du parti gouvernemental.

Semer le grain : les stratégies de campagne

Les petits partis La Quatrième République a permis l’émergence de nombreux partis politiques, mais ceux-ci n’ont pas obtenu de résultats significatifs le jour du scrutin. En 2000, il n’y avait pas moins de cinq candidats à l’élection prési- dentielle, en plus de J. Kufuor et de J. Atta-Mills, qui ont remporté 7,2 % du total des suffrages et quatre sièges au Parlement. En 2004, le United Movement (UGM) était moribond et le Great Consolidated Popular Party (GCPP), l’Egle Party, le Democratic People’s Party (DPP) et le National Redemp- tion Party (NRP) ne se sont présentés qu’à une poignée de sièges. Restaient deux partis qui revendiquent l’héritage de Kwame Nkrumah. Ces nkrumahistes auto-proclamés se considèrent comme la seule alternative possible aux tenants de la tradition Busia/Danquah, renouant ainsi le clivage historique qui existe depuis les années 1940. Mais il semble que le nkrumahisme n’a plus guère de sens pour les jeunes générations, ou que l’électorat n’a guère d’estime pour ses champions actuels. Le Convention People’s Party (CPP) d’aujourd’hui est donc né de la fusion de petits partis nkrumahistes dont l’assise électorale s’était réduite depuis 1992. En 2000, à la présidentielle, son représentant, George Hagan, n’a recueilli que 1,8 % des voix, et le CPP a vu sa présence au Parlement réduite à un seul siège. Par ailleurs, le People’s National Convention (PNC) a refusé la coalition avec le CPP, tablant sur sa capacité à mobiliser les électeurs Politique africaine 135 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

du Nord, cependant la part des votes acquis à son leader, Edward Mahama, a légèrement baissé, passant de 3 % à 2,9 % entre 1996 et 2000 ; le PNC a néanmoins réussi à renforcer sa présence au Parlement, passant de un à trois sièges. À l’approche des élections de 2004, le Convention People’s Party était en difficulté. Signe révélateur, le parti ne parvenait pas à décider s’il allait ou non engager ses maigres ressources dans une campagne nationale perdue d’avance. Les plus réalistes estimaient que le CPP devait se recentrer sur les législatives et abandonner la course à la présidence. George Hagan est donc allé jusqu’à encourager les membres de son parti à voter pour John Kufuor plutôt que pour George Aggudey, son successeur. Le Dr Paa Kwesi Nduom a également fait preuve de réalisme : s’il n’avait pas remporté de sièges pour le CPP en 2000, il avait été nommé ministre de l’Énergie. Aussi, comme Hagan, il a soutenu la candidature de Kufuor en 2004 2. Les optimistes, pour leur part, affirmèrent que la crédibilité du parti passait par le déploiement d’un véritable effort dans la lutte pour la présidence. La campagne menée par Aggudey et le CCP critiquait fortement les politiques gouvernementales, y compris l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais le parti a dû lutter pour faire entendre sa voix dans le vacarme des déclarations et contre-déclarations du NPP et du NDC. Lors du débat télévisé des candidats présidentiables, si la performance d’Aggudey a été jugée honorable, sur le terrain son parti ne fut pas très présent, et ce même sur la bande côtière des Western et Central Regions, terrains de chasse traditionnels des nkrumahistes. Le PNC, de son côté, se pensait plus fort en 2004, pourtant, alors que Mahama aspirait à des responsabilités nationales, son électorat restait concentré dans les régions du Nord et les zongos, les quartiers traditionnellement musulmans des villes du sud du pays. Malgré tout, il se présentait comme la seule alter- native crédible au NDC et au NPP. Quatre ans plus tôt, Mahama avait soutenu Kufuor au second tour mais avait refusé de faire partie du gouvernement, alors que Kufuor voulait y réunir plusieurs tendances 3. En 2004, à l’approche

1. Voir P. Nugent, « Winners, losers and also rans : money, moral authority and voting patterns in the Ghana 2000 elections », African Affairs, n° 100, 2001, p. 405-428 ; P. Nugent, « Ethnicity as an explanatory factor in the Ghana 2000 elections», African Issues, vol. XXIX (1-2), 2001, p. 2-7. Voir aussi K. Van Walraven, « The end of an era : the Ghanaian elections of December 2000 », Journal of Contemporary African Studies, 20 (2), 2002, p. 183-202. 2. Le NPP a décidé de ne pas présenter de candidat contre lui. Bien qu’il ait gagné, son mandat ministériel n’a pas été renouvelé. 3. Contre l’avis des dirigeants du parti, un député a accepté un poste ministériel, ce qui a tourné à l’aigre lorsqu’il a été incarcéré pour malversations. 136 CONJONCTURE

des élections, le PNC prit de plus en plus ses distances avec le NPP. Comme le CPP d’Aggudey, il lui reprochait de perpétuer les pires aspects du pro- gramme du NDC d’Atta-Mills. Par ailleurs, il s’est efforcé d’élargir sa base partisane en formant une Grande Coalition (« Grand Coalition ») avec deux plus petits partis, le GCPP et l’Egle Party. Mais Dan Lartey a finalement retiré le GCPP de cette coalition lorsque Mahama a choisi le leader de l’Egle Party, Danny Ofori-Atta, comme candidat à la vice-présidence. La Coalition, alors amputée, n’a bénéficié que de ressources minimales pour mener une cam- pagne nationale et d’une couverture médiatique restreinte. Sa seule chance d’améliorer sa représentation parlementaire résidait dans un retournement du Nord contre le parti majoritaire. Mais même les plus optimistes ne pensaient pas que Mahama pourrait atteindre le second tour.

Le Château et le Parapluie* Le seul parti susceptible de mettre le New Patriotic Party en difficulté était donc le National Democratic Congress, qui dispose de structures partisanes actives dans la majeure partie du pays – même si ses fonds sont limités depuis l’affaiblissement des activités du 31st December Women’s Movement 4. L’histoire du parti NDC est complexe et renvoie à deux fortes personnalités : d’un côté, son président, le Dr Obed Asamoah, qui en revendique la fondation ; de l’autre, Jerry Rawlings qui a tendance à se considérer comme le père du parti. Le pre- mier était désireux de moderniser le NDC pour le rendre plus compétitif dans l’ère post-Rawlings, ce qui explique, en partie, son soutien à la candidature du Dr Kwesi Botchway : ministre très respecté des Finances et de la Planification économique dans les années 1980, celui-ci n’était pas concerné par les erreurs passées du parti. Rawlings, quant à lui, chercha, en 1996 et en 2000, à imposer au parti la candidature inattendue d’Atta-Mills à la vice-présidence puis à la présidence, restant ainsi maître du jeu. Lors d’un congrès important du NDC, il réussit à nouveau à imposer son « dauphin ». Comme lors de la présidentielle de 2000, il vola encore la vedette et fit les gros titres dans la presse. Sachant toujours attirer et exciter les foules, il a accusé, dans ses discours populistes, le président en place Kufuor d’être responsable d’une corruption endémique et de comploter en vue du trucage des élections, adoptant un ton qui ne convenait guère à un ancien chef de l’État. Aussi, la présence persistante de « Mister Boom » – surnom que lui donne la presse – a-t-elle diminué la stature d’Atta-Mills et a plutôt apporté quelque crédit au NPP qui affirmait qu’un gouvernement NDC serait téléguidé, depuis les plaines d’Afram, par Rawlings. Toutefois, la campagne du National Democratic Congress ne se réduisit pas au réemploi de l’ancien président Rawlings. D’une part, le parti a cherché à redorer sa réputation entachée. Pour ce, ses dirigeants ont admis avoir commis Politique africaine 137 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

certaines erreurs, entre autres celle de ne pas avoir tenu d’élections primaires dans les circonscriptions en 2000. Pour le reste, ils n’ont pas fait preuve de beaucoup de repentir et d’autocritique ; le parti a rejeté les accusations de corruption formulées à l’encontre de ses dirigeants, estimant que l’emprison- nement de certains de ses anciens ministres ne prouvait rien : même s’ils avaient été reconnus coupables d’avoir « causé des pertes financières à l’État », selon eux ils n’avaient agi qu’avec les meilleures intentions. De plus, ils rap- pelèrent que le jugement avait été rendu par une cour à procédure rapide (fast-track court) mise en place par le NDC lui-même, preuve de sa bonne volonté à établir les responsabilités. La crédibilité de ces affirmations reposait en partie sur la démonstration que le NPP était coupable des mêmes abus et fautes que ceux attribués au NDC. Ainsi, de nombreuses allégations à l’emporte- pièce, la plupart fondées sur de simples présomptions de culpabilité, ont été faites sur la corruption du nouveau régime. Par exemple, les ministres NPP furent accusés d’avoir fait construire de somptueuses villas dont le standing était sans commune mesure avec leur salaire officiel 5. Par ailleurs, le NDC a profité des tentatives maladroites du NPP pour contracter des prêts privés, suggérant que sa hâte à les approuver était liée aux pots-de-vin que les ministres et les finances du parti auraient touchés. Le NDC soulignait également le fait que son bilan économique était meilleur que celui de son rival. Alors que les différences idéologiques entre les deux partis sont plutôt minces, le NDC a cherché à raviver sa ligne populiste ; pour ce, il opposa la « démocratie de pro- priétaires » pratiquée par le NPP à son propre modèle de « démocratie sociale » au service du peuple. Néanmoins, le NDC n’a pas découvert de scandale suf- fisamment éloquent pour ternir sérieusement la réputation du gouvernement. C’est pourquoi la presse, dans son ensemble, est restée bien disposée vis-à-vis du régime Kufuor, ce qui a mis un terme aux rumeurs de malversations répan- dues par le NDC. D’autre part, le National Democratic Congress s’est efforcé de reconquérir ses bases dans les zones où le soutien au New Patriotic Party était encore fragile. S’il n’a pas cultivé ouvertement la rhétorique « tribale », sa stratégie

* En anglais, « Castle » désigne la résidence du président du Ghana à Accra. Le parapluie est le symbole du National Democratic Congress [N.D.T.]. 4. Dirigée par la First Lady de l’époque, Nana Konadu Agyeman Rawlings, cette organisation, transformée par la suite en ONG, a été créée en 1982 et était très liée au PNDC en tant qu’organisation d’encadrement de la révolution [N.D.T.]. 5. « Ministers building mansions in Ghana », . 138 CONJONCTURE

était claire : il a mené une campagne diffamatoire sur les relations entre le roi ashanti et les actuels dirigeants NPP. En effet, l’asantehene [le roi] Osei Tutu II, par le biais de son Otumfuo Educational Fund, avait réussi à obtenir d’im- portantes subventions auprès de la Banque mondiale, destinées à divers projets de développement 6, le projetant ainsi au premier plan de la vie du pays. Le NDC a laissé entendre que l’Ashanti Region recevait plus que sa part des ressources accordées, en dépit de la volonté officiellement affichée d’une répartition équitable des fonds entre les régions. Mais les rumeurs les plus efficaces ont sans doute été celles relatives au souhait de l’asantehene de devenir roi du Ghana, une perspective qui ne pouvait que susciter l’inquiétude dans les autres parties du pays, en particulier à Akyem Abuakwa. Un des derniers journaux pro-NDC, le Palaver, a même affirmé que Kufuor voulait abroger l’actuelle Constitution mise en place par le NDC et en établir une nouvelle qui ferait de l’asantehene un monarque constitutionnel, suivant en cela, peut-être, les vœux de la famille royale britannique avec laquelle celui-ci entretient des liens personnels 7. Jouer la carte de l’Ashanti ne pouvait que servir le NDC ; il savait qu’il avait plus de voix à gagner qu’à perdre. D’autre part, le NDC a mis à profit les erreurs du gouvernement dans la crise du Dagbon. La lutte autour de la royauté dagomba est un sujet récurrent depuis l’indépendance. Les gouvernements successifs, liés par des systèmes d’alliances complexes, ont pris parti soit pour le clan abudu, soit pour le clan andani. Sous Kofi Busia, ce fut le candidat abudu qui avait été reconnu, jusqu’à ce que la junte militaire du général Ignatius Acheampong impose un Andani (1972). En 1987, la Cour suprême avait entériné le principe de rotation et confirmé Yakubu Andani II dans ses fonctions. Mais, en mars 2002, la situation s’est de nouveau tendue et le gouvernement a décrété un couvre-feu ; il s’en est suivi la décapitation du roi et le massacre d’environ 40 membres de son escorte 8. Le gouvernement a été mis en cause parce que la police et les mili- taires présents dans la zone de crise ne sont pas intervenus. Notons qu’à ce jour personne n’a été condamné. La presse pro-NDC a prétendu que les assassins étaient des mercenaires libériens à la solde du gouvernement. Aussi, Kufuor, qui avait choisi Mahama comme candidat à la vice-présidence lors de sa campagne, espérant ainsi s’attirer les voix du Nord, a pourtant vu cette présence devenir un handicap lors de la crise. Mahama, en effet, est un Abudu de Yendi. De plus, les Dagomba les plus éminents associés au gouvernement appar- tiennent aussi au clan abudu, parmi lesquels, entre autres, le ministre de l’Intérieur et député de Yendi, Alhaji Yakubu, le ministre de la Northern Region, Imoro Andani, le conseiller général à la sécurité nationale, Joshua Hamidu, et le coordinateur de la sécurité nationale, le major Abukari Sulemana. Il y avait donc de quoi éveiller les soupçons, d’autant que le conseilleur juridique du ministre Politique africaine 139 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

de la Justice de l’époque, Nana Akuffo-Addo, avait représenté les Abudu par le passé 9. La situation permettait aux partisans du NDC d’affirmer que le gouvernement avait mal géré la sécurité du roi, ce qui aurait été inconcevable si la vie de l’asantehene ou de l’okyenhene d’Akyem avait été menacée. L’inaction – ou la complicité – du gouvernement ne pouvait que servir la section du NDC du Nord lors des élections. De plus, en choisissant comme candidat à la vice-présidence un député dagomba, Muhammed Mumuni, Atta-Mills entendait bien gêner aussi Kufuor.

Une mémoire d’éléphant* Le New Patriotic Party considère que, puisqu’il est l’incarnation moderne de la tradition Busia/Danquah, il est naturellement le parti à même de gou- verner. Par ailleurs, s’il a exercé aussi rarement le pouvoir, la raison, selon ses dirigeants, se trouve dans les méthodes illégitimes utilisées par ses rivaux – l’interdiction des partis d’opposition ou les coups d’État. S’il est disposé à reconnaître le CPP comme un adversaire crédible, tout en sachant bien que son impact est aujourd’hui faible, le NPP nie, en revanche, toute légitimité au National Democratic Congress, puisque Rawlings est arrivé au pouvoir par la voie des armes et n’a donc jamais été légalement élu. Au cours de sa campagne, Akuffo-Addo a répété à plusieurs reprises que le NPP ne devait rien aux années Rawlings. Pour le New Patriotic Party, le National Democratic Congress a donc toujours constitué la principale entrave aux ambitions présidentielles affichées d’Akuffo-Addo et à la volonté du parti de pérenniser son pouvoir. La stratégie de la campagne du NPP était double. Tout d’abord, il s’agissait de ternir une fois pour toutes l’image du NDC. La condamnation d’éminents ministres tels que Kwame Peprah semblait prouver que le régime était cor- rompu 10. Et même si le NPP ne trouvait plus personne à accuser, il continuait à se présenter comme le champion de la « tolérance zéro » face à la corruption ; son programme promettait d’ailleurs de renforcer les mécanismes alors

6. Au rang desquels l’amélioration de l’approvisionnement en eau et des systèmes sanitaires figure en bonne place. Voir «World Bank deal story», Daily Graphic, 5 juillet 2004. 7. « Osei Tutu to be installed King of Ghana», . 8. Les estimations varient entre 28 et 40 morts. 9. « Andani expose Akuffo-Addo bias », The Northern Monitor, 3e édition, non datée, p. 7. * L’éléphant est le symbole du New Patriotic Party [N.D.T.]. 10. Peprah fut ministre des Finances ; il a été emprisonné, en même temps que deux autres ministres, pour son implication dans l’affaire de la « qualité des céréales ». 140 CONJONCTURE

défaillants de lutte anticorruption. La seconde attaque du NPP renvoyait, elle, aux années Rawlings ; le parti a tenté d’ancrer dans l’opinion publique l’idée que Rawlings avait fait régner vingt ans de terreur. Une Commission de réconciliation nationale (National Reconciliation Commission [NRC]) fut créée en septembre 2002 11. Contrairement aux Commissions « vérité et réconcilia- tion » mises en place en Afrique du Sud ou en Sierra Leone, par exemple, et où il s’agissait de comprendre ce qui s’était passé durant les années de violences et de répression afin de faire le deuil de cette période, ici, au contraire, il s’agissait de maintenir le passé bien vivace. Certes, les auditions au cours de cette commission aboutirent à des révélations importantes concernant les tensions au sein du Armed Forces Revolutionnary Council (AFRC) dans les mois qui ont suivi le 4 juin 1979. La NRC a ainsi ressuscité une affaire célèbre mais jusque-là non élucidée : en juin 2002, Kojo Tsikata et peut-être Rawlings lui-même auraient ordonné l’exécution de trois juges et d’un major à la retraite. Les témoignages de gens ordinaires qui avaient été torturés par des soldats étaient d’autant plus poignants qu’ils étaient dénués de toute intention poli- tique. Toutefois, cette commission s’est vite essoufflée et les quelques séances de travail et d’entretiens n’ont pas permis de clarifier grand-chose sur cette période troublée 12. En revanche, la NRC a permis au NPP de présenter l’AFRC, le PNDC et le NDC comme des régimes ayant tous plus ou moins bafoué les droits de l’homme. Pourtant, une distinction peut être opérée entre les périodes dites de « panne politique » – 1979 et 1982-1983 –, d’un côté, et l’ère PNDC qui a suivi et considérablement normalisé la situation du pays, de l’autre. Si cette période fut, il est vrai, ponctuée de violences arbitraires, on ne peut pas la présenter comme une dictature impitoyable. Par ailleurs, les pro- tagonistes politiques au cours des années de régime PNDC étaient différents de ceux des années NDC 13. En amalgamant ainsi les différentes périodes du « règne » de Rawlings, la Commission a voulu brouiller la réalité historique et, à mesure que les élections approchaient, son impartialité ne convainquait plus, d’autant plus que des extraits de son rapport final avaient été publiés dans la presse peu avant le scrutin afin de nuire une fois de plus au NDC. Le New Patriotic Party a usé d’une autre tactique tout aussi discutable : la « fabrication » de coups d’État. Il a diffusé dans un journal libérien une histoire détaillant le recrutement de mercenaires par le NDC. Puis, en novembre 2004, le gouvernement a annoncé l’existence d’un complot impliquant les membres de l’ancien bataillon 64, créé autrefois par Rawlings pour servir de contre- poids à l’armée et dissous peu après l’accession au pouvoir du NPP, en 2000. Le lieutenant-colonel Larry Gbevlo-Lartey, qui avait dirigé cette unité, a été arrêté et interrogé à plusieurs reprises sur des complots qui se sont finalement révélés sans fondement 14. Plusieurs personnes liées au PNDC et au NDC ont Politique africaine 141 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

de même été interrogées, sans qu’aucune preuve de conspiration ait pu être produite. La presse sympathisante, de son côté, a vu dans cette alerte une manœuvre pour inquiéter les électeurs. Rawlings, quant à lui, a fait le jeu du NPP en tenant des propos particulièrement belliqueux, rappelant ainsi aux Ghanéens son passé peu démocratique. Le slogan de campagne du NDC – Sankofa (Revenons-y !) – risquait d’être lui-même mal interprété, le « y » pouvant faire référence à l’héritage du PNDC ou à celui du NDC. Cependant, le NPP pouvait se targuer d’avoir tenu ses promesses et se prévaloir d’un bilan économique honorable. Le gouvernement Kufuor avait su favoriser l’emploi et améliorer les équipements, tout en satisfaisant aux exigences des bailleurs de fonds. En 2001, le Ghana bénéficia de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés, soutenue par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Après la signature de l’accord initial, le gouvernement devait se conformer à une gestion économique rigoureuse et mettre en œuvre le programme dicté par le Document stratégique de réduction de la pauvreté (DRSP) 15. En 2004, le Ghana a atteint ce qu’on appelle le « point d’achèvement », qui permet l’allègement du fardeau de la dette 16. Le gouvernement de Kufuor a réfuté les critiques formulées par l’opposition sur les accords signés avec les instances internationales, arguant que la réduction de la dette lui avait permis d’investir dans les services de base 17. Le gouverne- ment pouvait également soutenir, non sans quelque raison, que le recouvrement

11. M. Wain, «Ghana’s national Reconciliation Commission », West Africa, 3-9 mars 2003, p. 15-18. 12. Le temps imparti à l’examen croisé des cas de personnes accusées d’avoir perpétré des crimes était limité et les témoins n’avaient aucune obligation : ils pouvaient refuser de fournir les preuves de leurs allégations ou de répondre à certaines questions. Quand le Dr Obed Asamoah a défendu Kojo Tsikata, la situation s’est retournée contre lui, si bien que l’on aurait pu croire qu’il était l’accusé. 13. Les minutes des tribunaux publics confirment que soldats, policiers et miliciens ont souvent abusé de leur pouvoir, tout en mentionnant que le régime a essayé de contenir et contrôler ces abus. Cependant, le PNDC n’a jamais atteint le niveau de surveillance et la violence quotidienne exercées à l’encontre de la population de son voisin togolais Gnassingbé Eyadema, avec lequel Kufuor a pourtant eu des relations particulièrement amicales. 14. L. Gbevlo-Lartey, devenu entre-temps juriste, faisait un comploteur peu crédible. 15. Selon les termes de l’initiative PPTE, révisés en 1989, la réduction de la dette est liée à la mise en œuvre du DRSP, qui doit être élaboré en concertation avec les représentants de la société civile. 16. Selon Y. Osafo-Maafo, en ayant atteint le « point d’achèvement », le Ghana pouvait espérer un allègement de 1,5 milliard de dollars des dettes bilatérales et commerciales et de 100 millions par an pendant vingt ans de la part des agences financières. Le ratio de la dette par rapport aux recettes d’exportation annuelles pouvait passer ainsi de 570 % à moins de 100 %. Voir «We’ve made it: Ghana reached HIPC completion point », Daily Graphic, 10 juillet 2004, p. 1. 17. En 2002, le gouvernement a bénéficié d’une réduction de la dette de 36,9 millions de dollars, dont 20 % furent réservés à la dette domestique. Les 80 % restants ont été utilisés pour des initiatives de réduction de la pauvreté. « Governement releases ¢117bn for projects », Daily Graphic, 30 août 2002, p. 3. 142 CONJONCTURE

des coûts dans des secteurs comme la santé, l’approvisionnement en eau, etc., n’était pas lié à l’initiative PPTE mais à d’autres accords passés avec les institutions de Bretton Woods, qu’il aurait fallu honorer de toute façon. La majeure partie de l’argent a été utilisée par les assemblées métropolitaines, municipales et de districts qui devaient présenter une liste de projets prioritaires (concernant l’eau et l’assainissement ou la construction d’écoles). Le reste a été canalisé par les ministères concernés, ce qui a permis la modernisation de 31 écoles en 2004 18. Pour éviter toute ambiguïté sur la provenance des fonds, chaque nouvelle construction a été estampillée PPTE, comme pour signifier « nous avions raison depuis le début ». Un aspect plus négatif du programme PPTE est que le gouvernement n’a pas pu emprunter comme il le voulait aux bailleurs bi et multilatéraux. Le ministre des Finances, Yaw Osafo-Maafo, était pourtant déterminé à solliciter des fonds privés pour mener à bien certains des projets de l’État. Mais cet excès de zèle a embarrassé à plusieurs reprises, quand il s’est avéré que les entreprises en question étaient douteuses 19. Le gou- vernement n’a cependant conclu aucun accord qui ait coûté de l’argent au pays. Le NPP a fait des propositions pour garantir l’accès de la population aux services de base comme la santé et l’éducation. Il a défendu la création d’un Plan national d’assurance maladie (National Health Insurance Scheme [NHIS]) pour les salariés, tandis que les districts devaient organiser leurs propres fonds pour les non-salariés. Il s’agissait d’assurer l’accès aux soins pour tous, tout en ayant une évaluation réaliste des coûts. Le gouvernement a aug- menté la TVAde 2,5 % (passant ainsi de 10 à 12,5 %), pour alimenter le Fonds commun d’éducation ghanéen, présenté comme la pierre angulaire de la struc- turation d’un système d’éducation en déroute. La TVAdevrait atteindre 15 % en 2005, décision que l’opposition n’a pas manqué de critiquer. Cette augmentation de la fiscalité a d’autant plus exaspéré cette dernière que le NPP était au départ hostile à l’imposition d’une TVA. Augmenter les impôts n’est jamais une mesure populaire, mais le NPP a parié que les Ghanéens passeraient outre si les équipements étaient améliorés. Le régime de Kufuor a souvent donné l’impression d’être dépourvu d’un projet ambitieux pour le pays, ce qui est peut-être injuste. Certes, de grandes réformes sociales sont nécessaires au Ghana, qui pourraient avoir des retombées politiques positives. Toutefois, c’est en essayant de réduire le chômage urbain que le NPP s’est heurté à de grosses difficultés. Incapable de créer des emplois de façon directe, il a favorisé l’offre de formations, en espérant qu’une croissance économique rapide géné- rerait de l’emploi, notamment dans les villes. Si le taux de croissance en 2003 (5,2 %) a été respectable, il n’était pas suffisant pour faire une différence notable. Aussi, alors que les villes avaient massivement voté pour Kufuor en 2000, l’issue du vote quatre ans plus tard restait imprévisible. Politique africaine 143 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

La répartition des votes La plupart des difficultés inhérentes à l’organisation du scrutin de 2000 – grande disparité de la taille des circonscriptions, liste électorale hypertrophiée, incapacité à mettre en place un système unifié de cartes d’identité avec photo 20 – ont été résolues par la Commission électorale nationale (National Electoral Commission [NEC]) avec la coopération des partis eux-mêmes : un nouveau registre a été élaboré, des cartes d’identité électorales avec photo ont été dis- tribuées dans tout le pays et trente nouvelles circonscriptions ont été créées. Comme en 2000, les législatives et la présidentielle eurent lieu le même jour et les décomptes devaient être signés à chaque bureau de vote, ce qui a simplifié la tâche lors de la vérification finale des résultats : on pouvait les additionner pour les comparer au résultat proclamé. Selon la plupart des observateurs indépendants, NDC excepté, les élections se sont bien déroulées, ce qui a confirmé une fois de plus l’impartialité et la compétence de la NEC. Notons cependant quelques incidents plus ou moins violents survenus à Kwamikrom et à Tamale où la mort d’Alaji Mobilla, le président du CPP pour la région Nord, alors qu’il était détenu par des militaires, a envenimé l’atmosphère déjà explosive au Dagbon 21. Mais, d’une manière générale, les résultats de chaque circonscription étaient conformes au choix des électeurs. Sans surprise, la course à la présidentielle n’a été disputée que par deux candidats principaux. Dans l’Upper East Region, seul un troisième parti s’est distingué en obtenant plus de 10 % des voix ; si Mahama en a bénéficié, ses résultats au niveau national ont chuté de 2,92 % à 1,90 %. De même, en pro- portion, Aggudey a remporté moins de voix en 2004 que Hagan en 2000. Le seul point positif pour les partis nkrumahistes est qu’ils ont gagné quelques sièges : 3 pour le CPP, 4 pour le PNC (tableau 4), des résultats somme toute très faibles. En 2000, les candidats NDC dissidents l’avaient emporté dans quatre circonscriptions. En 2004, la peur de l’échec était telle que le nombre de candidats d’une même tendance a diminué ; pour ce, quelques députés,

18. Voir «Ghana to reap huge benefits as we reach the HIPC completion point next month », Daily Graphic, 25 juin 2004, p. 3. 19. Les autorités américaines avaient mis en garde le gouvernement ghanéen contre le prêt d’une compagnie privée potentiellement suspecte. En 2004, en effet, il a tenté d’obtenir un prêt de 300 millions de dollars auprès d’une compagnie chinoise pour financer des projets d’infrastructures ferroviaires et routières ; cet épisode embarrassa les responsables ghanéens quand, essayant de joindre les bureaux de la compagnie, ils se sont aperçus que c’était le numéro d’un salon de coiffure ! 20. Voir D. Smith, « Consolidating democracy ? The structural underpinning of Ghana’s 2000 elections », Journal of Modern African Studies, 40 (4), 2002, p. 621-640. 21. A. Mobilla fut accusé d’avoir écoulé des armes dans des zones d’instabilité. 144 CONJONCTURE

pourtant parmi les plus efficaces – Koffi Kedem ou Kofi Attoh –, ont décidé de se retirer. Dans beaucoup de circonscriptions, la sélection des candidats NDC s’est opérée sans controverse par des primaires. En revanche, le NPP a présenté beaucoup de députés potentiels. Bien que le parti ait également tenu des primaires, beaucoup de perdants mécontents se sont plaints d’influences extérieures dans les circonscriptions. Leurs sympathisants ont parlé de « skirt and blouse vote », c’est-à-dire de vote dépareillé. Quoi qu’il en soit, la plupart de ces candidats dissidents ont obtenu peu de voix et n’ont pas affecté les chances des candidats officiels 22. Le NPP a même obtenu, en proportion, plus de sièges (55,65 % d’entre eux) que Kufuor n’a obtenu de voix (51,98 %). D’autre part, ce scrutin a été plus régional qu’il y a quatre ans. Les trois régions les plus au nord (Northern Region, Upper East Region et Upper West Region) sont restées dans le camp NDC, tout comme la Volta Region. Celles-ci et le nord de la Volta Region sont, selon tous les indicateurs, les régions les plus pauvres du Ghana. En raison du faible niveau d’éducation, il y a peu d’hommes publics bien formés, et ces zones restent en marge des pro- cessus de décision. Les partis de la tradition Busia/Danquah se sont donné beaucoup de mal pour recueillir les voix de ces régions périphériques. Accusés de s’être désintéressés de la situation pourtant difficile de ces populations, les responsables de campagne du NPP espéraient tout de même qu’elles opteraient pour le parti au pouvoir. Si, dans chacune de ces zones, il y a eu une véritable évolution en faveur du NPP, elle fut insuffisante pour les gagner entièrement au parti. En ce qui concerne les électeurs du Sud (à l’exception de ceux de la Volta Region), dans la plupart des cas, ils ont renouvelé le mandat du NPP. Mais l’Ashanti, la Brong-Ahafo et la Greater Accra Region ont connu un mouvement en faveur du NDC. Dans le dernier cas, le NPP a même perdu des sièges alors que cinq nouvelles circonscriptions avaient été créées. Le fait que, dans huit des dix régions du Ghana, les deux principaux partis se partagent assez équi- tablement les voix (à au moins 30 %) montre que la vie politique ghanéenne est bipartisane. Seules les Volta et Ashanti Regions ont largement confirmé le NDC ou le NPP. Cependant, comme je l’ai indiqué, dans les deux cas, les partis ont amélioré leurs résultats. Pour qui se préoccupe de la santé de la démocratie ghanéenne sur le long terme, cela est plutôt rassurant : il n’y a donc jamais eu ni durcissement réel des positions ni tendance à la domination d’un seul parti. Cependant, ce constat est mis à mal dans le Nord où la ligne de faille qui divise les peuples anciennement sans État (comme les Konkomba) et les plus hiérarchisés (comme les Dagomba, les Gonja, les Mamprousi et les Nanumba) a été politisée, avec des conséquences dramatiques. Ce clivage était moins apparent en 2004, car la politique interne dagomba a occupé le Politique africaine 145 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

devant de la scène et le NPP n’a pas trop souffert de sa mauvaise gestion de la crise de Yendi. S’il a perdu ses sièges à Tamale, il a conservé la circonscrip- tion de Yendi et amélioré ses résultats et son nombre de sièges dans la Northern Region (tableaux 4 et 5). Le renforcement de la démocratie dans cette partie du pays passe clairement par les urnes plutôt que par les armes, même si les violences qui ont lieu en Côte d’Ivoire restent une menace de déstabilisation. Toutefois, cette lecture optimiste des élections doit être nuancée. Le rôle de l’ethnicité, en effet, est à considérer pour comprendre les préférences de vote. Si on peut difficilement parler de « tribu » pour les Akan, ils partagent tout de même des traits culturels. Les sous-groupes ashanti, akyem et akwapim sont historiquement alignés sur la tradition Busia/Danquah. Le NDC avait obtenu de bons résultats dans les Western et Central Regions, parmi les autres sous- groupes akan comme les Fante et les Sefwi. En 2004, la Central Region, bien qu’elle soit la région natale d’Atta-Mills, a abandonné le NDC qui perd sept députés, et la Western Region a supplanté la Brong-Ahafo Region comme bastion du NPP (tableau 5). Ce clivage ethnique s’observe également à l’intérieur des régions. Ainsi, dans l’Eastern Region, les Akyem et les Akwapim sont plutôt pro-NPP, alors que les Krobo et les petits groupes guang s’alignent derrière le NDC. Comme en 2000, les circonscriptions rurales des Ga-Adangbe ont elles aussi rejoint le NDC 23. Le nord de la Volta Region, où vivent de petits groupes akan, a également vu une poussée du NPP alors que les Éwé et les minorités togo du centre soutenaient nettement le NDC 24. Finalement, dans les zones urbaines peuplées essentiellement de gens du Nord, on constate une préférence marquée pour le NDC. Celui-ci a remporté les nouveaux sièges d’Asawase, au centre de Kumasi, non grâce au vote dissident des Ashanti, mais parce que cette circonscription est composée d’« étrangers 25 ». À Accra, le NDC a même obtenu de meilleurs résultats dans les quartiers à majorité musulmane, comme Nima, qui constitue l’essentiel de la circonscription d’East Ayawaso et a permis à celle-ci d’avoir un élu NDC en 2000. Dans la capitale du Ghana, les autochtones ga sont largement majoritaires. Le boom immobi- lier sans précédent a accéléré la privatisation de la terre et ravivé le chauvinisme

22. Un seul député indépendant a été élu, mais à Bunkpurugu/Yunyoo, qui n’est pas une zone où le NPP est très implanté. 23. Ce fait est occulté par J. Oelbaum, dans « Ethnicity adjusted ? Economic reform, elections, and tribalism in Ghana’s Fourth Republic », Commonwealth and Comparative Politics, 42 (2), 2004, p. 259. 24. Le NPP a remporté son premier siège dans la région (à Nkwanta North), mais pas dans une zone à majorité akan. 25. Je remercie Tom McCaskie pour la confirmation de ce point. 146 CONJONCTURE

ga qui avait émergé au moment de l’indépendance. L’échec du NPP à leur procurer les emplois et les équipements promis, alors que les quartiers ga sont extrêmement pauvres, a aggravé leur désaffection. Durant son premier mandat, Kufuor a créé un ministère du Tourisme et de la Modernisation de la capitale (Ministry of Tourism and Modernisation of the Capital City) 26. Or, mal- gré des investissements importants dans les infrastructures – l’échangeur du rond-point de Tetteh Quarshie, par exemple –, les autochtones ont le sentiment que leur vie quotidienne ne s’est guère améliorée. C’est sans doute pour cela que le NDC a progressé à East Ayawaso, conquis Dade Kotopon et Ododo- diodioo, et a talonné de près le NPP dans plusieurs autres circonscriptions, comme celle de Klottey Korle – regroupant Tudu, Adabraka et Asylum Down en centre-ville – que le NPP avait gagnée aisément en 2000, avec 51,7 % des voix contre 35,7 % au NDC. Pourtant, deux ans plus tard, le député Nii Adu Daku Mante n’a pas été réélu par les électeurs de Tudu, mécontents du manque d’emplois et d’équipements, mécontentement aggravé par le député lui-même qui avait essayé de les calmer en leur offrant des sacs de riz 27. Il s’est représenté en 2004 mais, cette fois, il n’a obtenu que 48,5 % des voix contre 45,6 % pour le candidat NDC. Cette évolution des tendances dans certaines zones du centre d’Accra a quelque peu déstabilisé le NPP qui se croyait populaire parmi les citadins. Mais il est vrai que, dans la plupart des pays africains, les villes sont un « casse-tête » pour ceux qui en ont la charge et, si le NPP ne regagne pas la confiance des populations urbaines, il risque d’essuyer un sérieux revers en 2008.

Après les élections, chaque parti a dû opérer des choix stratégiques. Pour les petits partis, dont la base électorale s’est encore érodée, leur fusion semble inévitable. Le National Democratic Congress, s’il a perdu les élections, peut tout de même se consoler d’avoir un électorat solide et fidèle. Obed Asamoah avait de bonnes raisons de se réjouir : il avait soutenu qu’Atta-Mills n’était pas le meilleur candidat et il a eu raison. Il est en outre parvenu à organiser une campagne performante avec des ressources très limitées. Ces résultats ont entraîné une lutte pour le pouvoir au sein même du parti. John Atta-Mills ne se présentera probablement pas une troisième fois, alors qu’Obed Asamoah va tenter de persuader les membres du NDC qu’ils n’ont plus à se sentir liés par les choix de John Rawlings, qui tentera vraisemblablement de résister. Toutefois, les membres du NDC devraient s’entendre pour refonder le parti sans lui. L’investiture du président a donné lieu à d’intenses spéculations pour savoir qui pourrait succéder à John Kufuor, qui, selon la Constitution, n’est autorisé qu’à deux mandats. Nana Akuffo-Addo a longtemps été l’un des favoris et bénéficie du soutien de l’Eastern Region ; les Akyem pensent, en effet, Politique africaine 147 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

qu’il est temps que l’un d’eux prenne la tête du NPP. Cependant, sa nomina- tion aux Affaires étrangères par Kufuor a été interprétée comme une manœuvre pour le maintenir le plus loin possible du pouvoir et ouvrir ainsi la voie à un candidat ashanti. Des rumeurs circulent : le président penserait à son frère et actuel ministre de la Défense, Kwame Addo-Kufuor, pour lui succéder. Une succession dynastique, ou même ashanti, pourrait bien provoquer de sérieux remous dans l’Eastern et la Central Region, une partie de la population du Nord estimant qu’il est grand temps que l’un des leurs ait la possibilité de diriger la famille Busia/Danquah. Le vice-président Aliu Mahama devrait être le premier sur la liste même si beaucoup de gens du Sud refusent cette option. Pour John Kufuor, le risque est qu’on pense qu’il s’est servi d’Aliu Mahama pour recueillir les voix du Nord et pouvoir ensuite imposer l’un de ses proches. Le NPP peut difficilement se permettre de s’aliéner une partie du pays quand ses victoires sont si fragiles. L’échéance paraît lointaine, pourtant chacun des partis en lice devra avoir choisi son candidat fin 2006, afin de créer une dynamique assez forte pour les élections de 2008. La politique politicienne a déjà commencé ■ Paul Nugent Université d’Édimbourg Traduction d’Hélène Quénot, assistée d’Adam Keith

26. C’est Jake Obetsei-Lamptey, dont le père était un important politicien ga, qui a été nommé ministre. 27. « MP chased out of constituency », 23 décembre 2002, . 148 CONJONCTURE

Tableau 1 Répartition des votes à l’élection présidentielle de 2000 Premier et second tour (en pourcentage)

Régions NPP NDC PNC PCP Autres (Kufuor) (Atta-Mills) (Mahama) (Hagan) Ashanti 74,73 22,49 79,89 20,11 1,32 0,47 0,99 Brong-Ahafo 50,57 44,62 58,30 41,70 1,72 0,67 2,42 Central 49,68 43,73 60,31 39,69 0,52 3,19 2,88 Eastern 54,97 41,34 62,41 37,59 0,61 0,91 2,18 Greater Accra 52,52 42,68 59,95 40,05 1,51 0,97 2,33 Northern 29,56 50,71 48,90 51,10 8,13 6,86 4,74 Upper East 21,46 52,07 42,83 57,17 19,90 1,37 5,20 Upper West 15,51 62,29 38,03 61,97 15,57 1,31 5,33 Volta 8,48 86,18 11,53 88,47 0,45 1,34 3,55 Western 50,54 43,93 60,90 39,10 0,78 2,90 1,85 National 48,17 44,54 56,90 43,10 2,92 1,78 2,58 Politique africaine 149 Les élections ghanéennes de 2004 : anatomie d’un système bipartite

Tableau 2 Répartition des votes par parti. Élection présidentielle de 2004 (en valeur absolue)

Régions NPP NDC PNC CPP Votes Taux de (Kufuor) (Atta- (Mahama) (Aggudey) exprimés parti- Mills) cipation Ashanti 1 163 241 386 695 13 589 7 582 1 571 107 88,80 B-Ahafo 380 062 336 567 8 799 5 490 730 918 83,34 Central 414 339 277 433 5 718 9 981 707 471 84,23 Eastern 554 933 353 356 5 532 6 851 920 672 82,25 G-Accra 586 850 576 727 11 294 9 258 1 184 129 84,41 Northern 230 639 371 777 27 979 12 517 642 912 78,28 Up-East 106 003 180 462 42 460 5 860 334 785 81,62 Up-West 68 238 119 982 20 306 3 209 211 735 81,16 Volta 100 659 591 696 6 451 7 021 705 827 87,60 Western 463 990 334 992 6 861 13 245 819 088 83,59 National 4 068 954 3 529 687 148 989 81 014 7 828 644 84,30

Source : National Electoral Commission.

Tableau 3 Répartition des votes par parti. Élection présidentielle de 2004 (en pourcentage)

Régions NPP NDC PNC CPP (Kufuor) (Atta-Mills) (Mahama) (Aggudey) Ashanti 74,04 24,61 0,87 0,48 B-Ahafo 52,00 46,05 1,20 0,75 Central 58,57 39,22 0,81 1,41 Eastern 60,28 38,38 0,60 0,74 G-Accra 49,56 48,71 0,95 0,78 Northern 35,87 57,83 4,35 1,95 Up-East 31,66 53,90 12,68 1,75 Up-West 32,23 56,67 9,59 1,52 Volta 14,26 83,83 0,91 1,00 Western 56,65 40,90 0,84 1,62 National 51,98 45,09 1,90 1,04

Source : National Electoral Commission. 150 CONJONCTURE

Tableau 4 Nombre de sièges parlementaires par région et par parti, en 2000 et 2004

Régions NPP ND PNC CPP Indépendants 2000/2004C 2000/2004 2000/2004 2000/2004 2000/2004 Ashanti 31/36 2/3 0/0 0/0 0/0 Brong-Ahafo 14/14 7/10 0/0 0/0 0/0 Central 8/16 9/2 0/0 0/1 0/0 Eastern 18/22 8/6 0/0 0/0 0/0 Greater Accra 17/16 5/11 0/0 0/0 0/0 Northern 3/8 18/17 1/0 0/0 1/1 Upper East 2/2 8/9 1/2 0/0 1/0 Upper West 0/1 7/7 _ 0/0 0/0 Volta 0/1 17/21 0/0 0/0 2/0 Western 10/12 8/8 0/0 1/2 0/0 National 101/128 91/94 _ 1/3 4/1

Source : National Electoral Commission. Note : en 2000, il y avait 200 sièges et, en 2004, 230.

Tableau 5 Nouveaux sièges et évolution du nombre de sièges par parti

Régions Nombre de NPP NDC Autres, dont nouveaux sièges indépendants Ashanti 6 + 5 + 1 0 Brong-Ahafo 3 0 + 3 0 Central 3 + 8 – 7 + 1 Eastern 2 + 4 – 2 0 Greater Accra 5 – 1 + 6 0 Northern 3 + 5 – 1 – 1 Upper East 1 0 + 1 – 1 Upper West 1 + 1 0 + 1 Volta 3 + 1 + 4 – 2 Western 3 + 2 0 + 1 Total 30 + 25 + 5 – 1

Note : les candidats indépendants sont comptés séparément des deux principaux partis. En 2000, les candidats NDC dissidents ont, dans la plupart des cas, voté avec le NPP au Parlement.