Légende de la couverture : 1. Localisation du site : la Savière et le . 1 7 2 2. Couche archéologique à terre. 3. Le dépotoir dans sa partie immergée. 4. Céramiques de Portout. 5. Mobilier métallique. 3 ~7~ 4 6. Amphores : spatheion africain et Dressel 23. 7. Le Mercure de Portout. 8. Jatte P.37 à rinceau peint. 5 9 6 9. Solidus d'Honorius (émission de 402-403).

Maquette réalisée par Roland LOWINGER, Paris. LES POTIERS DE PORTOUT Productions, activités et cadre de vie d'un atelier au Ve siècle ap. J.-C. en

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REVUE ARCHÉOLOGIQUE DE NARBONNAISE Supplément nO 20

LES POTIERS DE PORTOUT Productions, activités et cadre de vie d'un atelier au Ve siècle ap. J.-C. en Savoie

par Jacques et Christine PERNON

Ouvrage publié avec le concours du Ministère de la Culture Direction du Patrimoine (Sous-direction de l'Archéologie)

ÉDITIONS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE 15, quai Anatole — 75700 PARIS 1990 (Ç) Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1990 ISSN : 0153-9124 ^-ISBN : 2-222-04337-9 sl-< Cette étude, menée à partir des travaux du Club d'Archéologie Vaugelas, Chambéry, du Centre d'Archéologie Subaquatique de Chambéry et du Centre National de Recherches Archéologiques Subaquatiques, dans le cadre de la Direction Régionale des Antiquités Historiques Rhône-Alpes, a pu être réalisée grâce aux subventions du Ministère de la Culture, du Conseil Général de la Savoie, du Foyer socio-éducatif du Lycée Vaugelas, de l'Association des Anciens Elèves du Lycée, et du C.N.R.S., avec l'aide matérielle ou technique du Centre National de Recherches Archéologiques Subaquatiques, du Musée Savoisien, de l'Union Française des Centres de Vacances, du Lycée Vaugelas, du Centre Hospitalier Spécialisé de Bassens, du Lycée d'Albstadt, de MM. les Maires de et Conjux. Nous tenons à remercier pour leur collaboration bénévole les spécialistes signataires des analyses spécifiques, les stagiaires français et étrangers ayant participé aux chantiers, ainsi que les permanents du Club et des Centres.

Ont collaboré à cet ouvrage : Michel MAGNY, sédimentologie. Hervé RICHARD, palynologie. Robert FRITSCH, paléobotanique. Claude OLIVE, archéozoologie. Louis de ROGUIN, archéozoologie. Louis CHAIX, malacologie. Luc JACQUIN, numismatique. Jean-Luc PRISSET, analyse physico-chimique. Armand DESBAT, Maurice PICON, céramologie. Françoise VILLEDIEU, amphores et lampes. Pierre-Henri MITARD, céramologie.

Nous remercions tout particulièrement Madame R. Janet-Balmonet, propriétaire du terrain, M. J. Charletty, ingénieur subdivisionnaire au Service de la Navigation du Rhône, M. D. Rattaire, coordinateur des opérations de plongée, Madame F. Ballet, conservateur au Musée Savoisien, M. A. Bocquet, directeur du C.N.R.A.S., MM. J.-P. Boucher et J. Lasfargues, directeurs de la D.R.A.H. Rhône-Alpes, le Comité de Rédaction de la Revue Archéologique de Narbonnaise et M. C. Raynaud qui a bien voulu relire et amender le manuscrit. Dessin des céramiques : C. Pernon, J. Pernon, J.-L. Prisset. Dessin du mobilier métallique : P. Ménéghin. Dessin et montage des figures et des planches : C. Pernon. Les illustrations et les notes des chapitres signés sont dues à leurs auteurs. Crédits photographiques : — C.D.P.A., planche IX : no 2 et 3. - C.N.R.A.S., fig. 34; planche IX : no 1, 4, 5. — G. Dajoz, Muséum d'Histoire Naturelle de Genève, fig. 18. — P.-H. Mitard, planches XLIII à XLV. - Musée Savoisien, fig. 3, 29, 30, 35, 36, 37, 38, 39, 63, 72, 88; Pl. XVIII. - J. Pernon, fig. 19, 22, 61, 62, 69, 71; planches XXXVI à XXXVIII. - D. Rattaire, fig. 20, 21, 32, 33, 60; planches XIX à XXI. — Régie Rhodanienne de Télévision, fig. 1. — Studio Dumont-Mollard, fig. 39 bis. — Studio Guy, fig. 40.

AVANT-PROPOS

La publication de l'atelier de Portout constitue pour moi une joie véritable. D'abord parce que c'est l'aboutissement d'un long travail, celui de Jacques Pernon, avec le concours de ceux qui ont facilité et financé la fouille, de ceux qui l'ont réalisée, de ceux qui se sont associés à la publication, résultat de beaucoup d'efforts convergents. Ensuite parce qu'elle est la démonstration achevée de ce que doit être l'archéologie préventive contemporaine : menacé par les travaux de recalibrage du canal de Savière, le site de Portout a été fouillé; il est maintenant conservé au sens plein du terme pour le monde scientifique et, présenté au Musée de Chambéry, intégré à notre culture. Enfin parce que ces travaux portent sur une période et une production céramique particulièrement mal connues voici dix ans et dont on mesure mieux maintenant l'intérêt et l'importance. Ultime, et intime motif de jubilation : Rhône-Alpes reprend sa place parmi les suppléments de la Revue Archéologique de Narbonnaise, place inoccupée depuis le beau volume de Roger Lauxerois consacré à Alba. Mais l'intérêt de la publication des productions de cet atelier de l'antiquité tardive va bien au-delà de ces considérations de politique générale. Le temps n'est pas si lointain en effet, dix ou vingt ans seulement, où nous ne savions pas grand chose de la céramique postérieure à la fin du llle siècle, et les rares productions plus ou moins bien identifiées et datées nous donnaient, malgré les travaux de Nino Lamboglia, une image assez déformée de la réalité. Les conséquences étaient assez surprenantes : plus de productions en série, donc plus de commerce, mais aussi plus de niveaux identifiés, et l'on faisait disparaître gaillardement ville et agglomération rurale. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien, et, si nous ne connaissons pas encore tous les centres de productions, quelques-uns sont bien identifiés. Le groupe du Nord des Alpes, Portout, Thonon et les ateliers suisses a été repéré assez tôt, mais les productions étaient mal individualisées, et mal datées. Après les publications suisses, le travail de J. Pernon constitue donc un progrès considérable et va permettre maintenant sur une aire géographique très vaste, de la Suisse à Arles, de travailler plus précisément. Il reste beaucoup à accomplir et je me plais à rêver d'un travail semblable sur les ateliers de Thonon dont on sait bien peu de choses, alors qu'un mobilier abondant a été extrait depuis près de vingt ans. Je pense aussi à d'autres points de production, dont on ne peut mesurer encore l'importance, comme Annecy. Tel est sans doute bien le mérite principal de cet ouvrage que de mettre à la disposition de la communauté scientifique un excellent outil de travail, et, référence ou catalyseur, de provoquer ou de stimuler de nouveaux travaux et d'autres équipes. Jacques LASFARGUES.

INTRODUCTION

L'atelier de Portout produit et diffuse au ve siècle de notre ère la sigillée claire à revêtement argileux dite « luisante ». Sur place, 11 tonnes et 689 kg de céramiques ont été rejetés dans les parties de dépotoirs fouillées en campagnes annuelles entre 1976 et 1987 : l'étude de ce lot représentatif a permis de cerner l'ensemble du catalogue, soit 37 formes basses et 32 formes hautes, de définir les constantes et les variables de chaque forme, de clore la typologie par épuisement des variantes, d'en établir le classement systématique, et de publier ici le répertoire morphologique des vases. L'analyse physico-chimique de la pâte, portant sur une sélection de 62 échantillons, confirme l'unité du lot. Il s'agit d'une vaisselle utilitaire, tournée, à surface unie, généralement orangée, décorée à la main, anépigraphe, dont les séries principales sont les assiettes et les plats, les coupes et coupelles, les bols, jattes, tèles et mortiers, les tasses, les gobelets et pichets, les vases à verser, les entonnoirs et les lampes à pied. La fréquence relative des types produits peut être estimée par une statistique portant sur l'ensemble des rebuts pesés à sec. Le répertoire recoupe à 41 % l'ensemble des 34 sigillées claires « B » et « luisantes » du catalogue de Lamboglia avec une nette prédominance du second groupe, dont 11 formes sur 13 se retrouvent à Portout (1). En fait, la production de Portout se range entièrement dans cette catégorie qui apparaît aujourd'hui comme une exclusivité des ateliers de Savoie, sinon du lac du Bourget (2). La proximité immédiate de l'atelier est confirmée par de nombreux témoins de démolition et de décharge : argile rubéfiée, blocs de molasse cuite, pierres, tuiles et briques vitrifiées, évents, luts, cendres et charbon de bois, rondins, vases surcuits, mécuits ou refusés par accident de cuisson. En matière de technologie, les dispositions à l'enfournement sont attestées par les moutons. Les caractéristiques fonctionnelles des fours et l'origine de l'argile restent inconnues. Du petit outillage métallique, lithique ou en os a été retrouvé. Les poinçons et les molettes manquent. A deux kilomètres au sud de Portout, également au bord du lac du Bourget, l'exploration du dépotoir immergé de Conjux-la-Chatière a livré une céramique semblable, de pâte et de facture identiques. Les deux sites sont aujourd'hui considérés comme complémentaires ou même associés dans la production, avec un léger décalage temporel. Pour éviter les redites, on ne retiendra de la série de Conjux que les différences notables (3). Le but de cette étude étant d'abord de proposer une chronologie, la datation, même relative, fait problème, parce que le dépotoir, situé aujourd'hui en milieux humide et subaquatique, a été partiellement

(1) N. Lamboglia, Nuove osservazioni sulla « Terra sigillata chiara », Rivista di studi Liguri, anno XXIV (Tipi A e B), p. 300-301, anno XXIX (Tipi C, Lucente e D), pp. 164-165. (2) A. Desbat et M. Picon, Sigillée claire B et « luisante » : classification et provenances, Figlina, 7, 1986, p. 5 sq. L'étude en laboratoire amène aux conclusions suivantes : il faut « considérer comme deux groupes distincts la B et la luisante » (p. 11); « ces deux groupes, difficiles à séparer sur des critères techniques, comme la couleur des vernis, se caractérisent davantage par une typologie différente » (p. 3); il s'agit de « productions autonomes — issues d'ateliers différents dont les traditions ne sont pas les mêmes — et qui doivent être étudiées séparément » (p. 13); quant aux origines, il conviendrait « de réserver dorénavant le terme de « luisante » aux productions savoyardes » (p. 15); il faut entendre par là que « les exemplaires recueillis sur les sites de la vallée du Rhône, de la Provence et du Languedoc sont originaires dans leur grande majorité des régions de Savoie » (p. 15). (3) Le site de Conjux a été fouillé de 1974 à 1982 par R. Castel, qui nous autorise à publier la céramique. Le matériel collecté représente globalement 1,18 % de celui de Portout (134 kg). Sur Conjux, voir R. Castel, Le lac du Bourget, recensement en l'état actuel des sites préhistoriques et proto-historiques immergés, C.A.L. Aix-les-Bains, 1983, I, p. 97 à 110. remanié jusqu'au XIIIe siècle et ne peut être rattaché à aucun repère chronologique régional contemporain. Comme les dates conventionnelles attribuées aux sigillées claires « B » et « luisantes » ne coïncident pas avec bon nombre d'objets associés à la céramique dans le dépotoir, il a fallu mettre en jeu des données interdisciplinaires, qui font l'objet d'analyses spécifiques : sédimentologie (4), palynologie (5), étude des macrorestes végétaux (6), archéozoologie (7), numismatique (8), étude des échanges commerciaux d'après les amphores importées (9) et les céramiques diffusées (10), après analyse des pâtes (11). — La sédimentologie a établi d'après les carottages faits à Conjux et à Portout, une échelle chronologique des transgressions et des régressions du lac, afin de préciser les phases et les niveaux de l'activité humaine entre le Ille siècle et le vie siècle, de déterminer les causes naturelles d'occupation, d'aménagement et d'abandon du site de Portout, et d'expliquer sa substitution à celui de Conjux. La détermination de macrorestes végétaux recueillis en milieu subaquatique complète celle des pollens prélevés en milieu humide sur la fouille terrestre. — Par comparaison avec les espèces retrouvées sur d'autres sites du couvert alpin et du couloir rhodanien datés de la même période, en particulier celui de la Bourse à Marseille, l'étude des restes de consommation permet de démontrer à Portout la persistance au ve siècle des traditions d'élevage acquises lors de la romanisation et de constater l'absence d'événements perturbateurs durant la période de fonctionnement de l'atelier. — Les données brutes issues du gisement lui-même sont fournies par la stratigraphie des dépôts correspondant aux phases de la production, par les restes de structures en place, et les bois datés au radio-carbone. L'axiomatique de la datation résulte du calage des monnaies, de la verrerie, des amphores, du mobilier domestique. L'étude numismatique a porté sur 989 monnaies recueillies en place; on a tenté de les mettre en relation avec les structures, les niveaux et la position du mobilier céramique. La verrerie a été comparée à celle du site de la Bourse à Marseille. Les amphores apportent de précieux renseignements sur la pénétration des produits africains et espagnols jusqu'en Savoie et contribuent de façon décisive à préciser la chronologie de l'atelier. Dans ce cadre mieux déterminé, s'inscrit enfin le reste du mobilier domestique, daté par comparaison avec des sites fouillés et publiés : les chaussures en cuir, les objets de parure, la verrerie, la céramique commune, l'outillage métallique ou en bois, etc., seront présentés avec l'étude chrono-stratigraphique. Du mobilier résiduel complique l'interprétation. — La céramologie proprement dite porte sur l'analyse des pâtes, leur mise en parallèle avec des sites consommateurs déjà connus, comme Arles, Vintimille, ou Yverdon, et sur l'étude comparative des déversoirs en relief d'applique à tête de lion sur Drag. 45 = P.40, concluant par une carte de diffusion. En conséquence, nous avons été amenés à corriger la fourchette chronologique située entre 385 et 425, précédemment proposée dans diverses publications (12) et à fixer la production de l'atelier de Portout dans la première moitié ou mieux le deuxième quart du ve siècle après J.-C. Des propositions différentes, déduites en particulier des données céramologiques, tendent à faire débuter les « officines du lac » dès

(4) par M. Magny, Laboratoire de Chrono-Ecologie, Faculté des Sciences, La Bouloie, Besançon. (5) par H. Richard, Laboratoire de Chrono-Ecologie, Faculté des Sciences, La Bouloie, Besançon. (6) par R. Fritsch, Président de la Société d'Histoire Naturelle de Savoie. (7) par C. Olive, Muséum d'Histoire Naturelle de Genève et Institut de Limnologie, Thonon; par L. de Roguin et L. Chaix, Muséum d'Histoire Naturelle de Genève. (8) par L. Jacquin. Nous tenons à remercier M. Jaulmes qui a assuré le suivi de l'identification numismatique d'une campagne à l'autre. (9) par F. Villedieu. (10) par A. Desbat et M. Picon, Laboratoire de Céramologie, U.R.A. n° 3, CNRS, Lyon et par P.-H. Mitard. (11) par J.-L. Prisset, étude au C.E.N.G. (12) J. Pernon, Une officine de potiers gallo-romains, Archéologia, no 124, 1978, p. 36 à 47; Une officine de potiers, Dossiers de l'Archéologie, n° 78, 1983, p. 48; Un atelier régional de céramistes au Bas-Empire : la manufacture de Portout, 10 ans d'Archéologie en Savoie, A.D.R.A.S., Chambéry, 1984, p. 78 à 83 ; La céramique de Portout, dans : J. Prieur, Catalogue des collections du Musée de Chambéry, époque romaine, Chambéry, 1984, p. 111; L'atelier de potiers de Chanaz, Archéologie en Rhône-Alpes, Catalogue de l'exposition au Musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon, 1984, p. 79; Portout : un exemple d'artisanat et d'échange commercial au Bas-Empire, Archéologie des Lacs et des Rivières, 20 ans de recherches subaquatiques en France, Catalogue de l'exposition au Musée-château d'Annecy, juin-octobre, 1984. le Ille siècle. On aurait donc affaire à une zone industrielle, distribuée dans l'anse nord du lac du Bourget, dont l'atelier de Portout représenterait ponctuellement l'ultime installation connue. Le mode d'habitat est attesté par d'infimes vestiges sporadiques : tesselles de couleur bleue, plaquettes de marbre, éclats d'opus signinum et de tubulus à section rectangulaire, le tout recueilli dans le dépotoir; un fragment de dolium a été retrouvé dans une fosse en place en amont du champ fouillé. Dans son état, ce matériel banal et lacunaire correspond à celui des villae de la région chambérienne et montre que l'habitat, sans différer des installations rurales ordinaires, ne se réduit pas dans son meilleur stade à de rudimentaires « cabanes de potiers ».

PREMIÈRE PARTIE L'ATELIER DANS SON ENVIRONNEMENT D'APRÈS LES SCIENCES DE LA TERRE ET DE LA NATURE

I. — LE CADRE GÉOGRAPHIQUE

L'atelier n'est actuellement connu qu'à partir de son dépotoir, puisque les fours et l'habitat n'ont pas encore été localisés (13). Située à 600 mètres de la rive nord du lac dans sa configuration actuelle, la partie fouillée du dépotoir occupe une superficie de 792 m2 sous la rive ouest et dans le lit du canal de Savière (fig. 1, 2, 3). Jusqu'aux récents aménagements hydrauliques du Haut-Rhône entre Seyssel et Belley, le canal a fait fonction d'émissaire du lac du Bourget vers le fleuve et de déversoir des crues du Rhône dans le lac, selon les variations saisonnières, avec un débit de 23 à 25 m3 / s; il est aujourd'hui immobilisé en stase à la cote 231,50 m, après s'être situé vers les 229 m au Bas-Empire (14). Le substrat de la couche archéologique est un toit d'argile bleu-vert d'origine lacustre, qui prend lui-même appui sur la moraine fluvio-glaciaire sous-jacente et forme une réserve aménageable large d'une soixantaine de mètres entre le canal et le pied du mont Landard (fig. 4). Ce massif, qui culmine à 515 m, constitue le prolongement septentrional de la chaîne jurassique du Chat; la Savière le contourne sur 4 km jusqu'à Chanaz, lieu du confluent avec le Rhône et chef-lieu de la commune. En amont du site, l'affleurement du niveau antique après décapage se trouve à 2 m sous la surface du sol moderne, à l'altitude 231,40 m. En aval, le dépotoir se termine au fond du lit de la Savière à l'altitude 228 m. La dénivellation linéaire d'amont en aval, sur une longueur de 40 m, est de l'ordre de 8,5 %. La partie du dépotoir sur rive dans la parcelle 589 est désignée par l'abréviation « Portout 1 », le dépotoir immergé répond à l'appellation « Portout 2 ». Au-delà du canal, vers l'est et le nord, s'étend à l'altitude 233 m le marais de Chautagne, plaine alluviale récente constituée par les apports du Rhône et du Fier (15).

(13) Portout se trouve sur la commune de Chanaz (73310) carte IGN, Rumilly n° 6, coordonnées Lambert : x = 870,460; y = 95,500; z = 231,40 NGF. (14) M. Magny et H. Richard, Contribution à l'histoire holocène du lac du Bourget : recherches sédimentologiques et palynologiques sur le site de Conjux-la-Chatière (Savoie), Revue de paléobiologie, 4, no 2, Genève, 1985, p. 275-6. (15) J.-P. Bravard, La Chautagne, Institut des Etudes Rhodaniennes des Universités de Lyon, 18, 1981, p. 15 à 26. FIG. 1. — Vue aérienne du site de nord en sud : à droite, le hameau de Portout; en haut, le lac du Bourget. Dans le canal de Savière, balisage du dépotoir immergé; le dépotoir à terre est indiqué par les trames marginales : seule la parcelle 589, correspondant à la trame croisée, a été fouillée.

II. — LES QUALITÉS DE L'ENVIRONNEMENT

Le choix de l'emplacement semble avoir été dicté par des motifs géographiques et écologiques.

RAISONS GÉOGRAPHIQUES. Le site apparaît à la fois enclavé et ouvert. Il est en effet isolé par la montagne à l'ouest, le lac au sud, le marais au nord-est, et se trouve ainsi inclus dans un triangle de défenses naturelles puissantes de vaste étendue (16). En revanche, grâce aux facilités de débouchés vers l'avant-pays alpin par le lac, vers la Narbonnaise par le Rhône, également vers Vienne et Genève par la voie impériale dont le passage obligé ne peut se trouver qu'au voisinage de Portout (17), la commercialisation du produit manufacturé et les échanges étaient possibles. Tout comme Vens-Seyssel, emporium situé à l'extrémité nord de la Chautagne, a contrôlé le confluent du Fier et du Rhône, Portout profite à l'extrémité sud du croisement entre la route et la voie batelière du lac au Rhône. Les sols de circulation se trouvaient alors à 2,50 m sous le sol actuel du marais. RAISONS ÉCOLOGIQUES. Les conditions nécessaires à la production de la céramique et à la vie courante étaient réunies sur le site : proximité immédiate de l'eau et de ses ressources (18); couvert forestier proche, de type chênaie-hêtraie avec une

(16) La proximité du castellum de Châtillon, peut-être celui de la Chatière, lieu-dit de la commune de Conjux, peuvent avoir fourni un appui défensif, en admettant que ces appellations remontent à l'époque romaine et non au Moyen Age seulement : voir A. Gros, Dictionnaire étymologique des noms de lieux de la Savoie, Belley, 1935, sv. (17) P. Dufournet, Le réseau routier gallo-romain de Vienne à Genève, Actes du 8ge Congrès des Sociétés Savantes, 1965, p. 35 à 72. (18) De nombreuses vertèbres de poissons ont été retrouvées dans la fouille, avec du matériel de pêche. Elles n'ont pas été étudiées. FIG. 2. — Portout, la Chautagne et le lac du Bourget dans le contexte hydrographique et archéologique de la région du Haut-Rhône. FIG. 3. — Mappe Sarde (1730) et cadastre moderne. La situation du dépotoir est indiquée par les astérisques.

FIG. 4. — Stratigraphie générale : vue perspective. récession notable du chêne à l'époque de l'atelier au profit du pin (19), compensée par l'extension du tilleul et du noyer, dont la présence est également notée d'après les macrorestes végétaux; à moins de supposer une importation et d'écarter une production locale que n'indiquent pas les pollens, d'autres arbres fruitiers — pêcher, prunier, cerisier, vigne — sont signalés d'après les résidus de consommation, où figurent aussi l'orge et l'avoine; l'usage du chanvre et du lin est également attesté; les plantes rudérales et les urticacées témoignent par ailleurs de l'aménagement de l'environnement par l'homme. L'extension des cichoriées (pissenlit, chicorée sauvage) est à mettre en relation avec la présence d'un bétail, la mise en pâturage des prés ayant pour effet de faire régresser les graminées au profit des cichoriées (20). La coexistence de l'aulne et du saule avec le noisetier et le bouleau convient à un paysage mixte formé d'une zone humide à bas niveau d'eau adossée à un massif calcaire; la faune sauvage consommée (canard colvert, fuligule morillon, mais aussi merle, lièvre commun, bécasse des bois, cerf élaphe) s'accorde avec un environnement boisé, partiellement défriché, bordé de taillis et de haies, en bordure de rivière. Il serait aventuré de pousser la description plus loin et de mettre en rapport au sens strict les témoins végétaux et les variations du plan d'eau (21). Le toit d'argile sur lequel se sont installés les potiers fournit un matériau propre à la cuisson (22) mais elle n'a pas été utilisée par eux parce que sa teneur trop élevée en calcaire nuit à l'imperméabilité d'une céramique non grésée (23). Des bancs d'argile détritique restent à découvrir sur les ressauts du Mont Landard, puisque les alluvions déposées par les crues du Rhône et du lac sont exclusivement calcaires, comme le montrent la sédimentologie et l'analyse physico-chimique. Au nord du lac, le régime des vents s'écarte sensiblement de celui de la partie sud, l'orientation des flux étant modifiée par les massifs limitrophes. Dans leur appellation moderne (24) les vents dominants locaux sont : En été — la Matinière ou Serein, vent de sud-est, soufflant de juin à septembre, fort jusqu'à midi, indicateur de beau temps; la Germaine, vent d'est, léger, pouvant durer toute la journée. Ces deux courants sont dérivés du vent du nord par le massif de la Chambotte et constituent un régime de bise, qui peut être également annoncé par un vent de nord-ouest, issu du Rhône. — la Traverse, est un vent d'ouest, régulier, soufflant le soir jusqu'à la tombée de la nuit. Il intervient avec violence et soudaineté lors des orages. Peu perceptible à Portout, son avatar est un vent de sud-ouest, issu du Mont du Chat, précurseur d'intempéries. En hiver — la Bise, vent fort, issu de la vallée du Rhône, soufflant nord-sud de décembre à février par période de huit à quinze jours; la Germaine, vent d'est, puissant et indicateur de beau temps. Le site de Portout est donc régulièrement ventilé par le vent d'est en toute saison et par la Bise en hiver; il apparaît aussi relativement abrité et peu soumis à des flux violents, même en cas d'orages. Ce régime a pu favoriser le choix du site par les potiers.

III. — L'INSTALLATION RIVERAINE ET LA NAVIGATION SUR LA SAVIÈRE

Le dépotoir correspondant à la phase d'activité se trouve-t-il en place ou est-il constitué de terres de rapport véhiculées sur une grande distance dans une intention d'aménager la rive ? Dans le second cas, on ne voit pas pourquoi le lit de l'actuel canal aurait bénéficié de cette opération que le cubage des

(19) Cf. infra, diagramme pollinique au niveau 4b. (20) Gallo-romains en Ile-de-France, Association des conservateurs des musées d'Ile-de-France, collectif, 1984, p. 64 (section : des Gaulois aux Gallo-Romains, par A.-S. Leclerc). (21) Paléo-environnement holocène des Alpes-du-Nord et de leur piémont, collectif, Grenoble, 1986, tableau V, p. 13 à 16 : méthodologie. Pour le schéma d'aménagement de l'agro-système en Chautagne, au XIXe siècle cependant, voir J.-P. Bravard, op. cit., p. 35, fig. 12. (22) Des essais de cuisson ont été tentés, donnant une pâte grossière, orangé vif. De nombreuses tuileries figurent en bordure de la Savière sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle). Ces entreprises souvent familiales fonctionnaient encore au début du siècle. L'argile provenait du marais. (23) J. Pernon, Archéologia, n° 124, p. 40, avec référence à M. Picon : « l'argile plastique du sous-sol est calcaire (CaO = 10 %), tandis que la pâte des céramiques a une teneur minime (CaO = 1,2 à 1,3 %); on peut donc se demander s'il n'y a pas eu un choix délibéré conforme à un usage propre aux ateliers locaux producteurs d'imitations de sigillée claire en général, qui retiennent des argiles non calcaires ». (24) Enquête locale auprès des résidents. déblais et leur morphologie rendent par ailleurs invraisemblable. Les groupements d'objets, l'état de conservation des vases entiers et les niveaux stratigraphiques cohérents dans un ensemble clos invalident cette hypothèse. L'organisation du travail dans l'atelier est aussi tributaire de deux conditions limnimétriques : si le dépotoir à terre se situait en zone périodiquement inondable, selon un phénomène fréquent jusqu'à l'époque moderne avant stabilisation du lac (crue de 1944), les installations et par conséquent les fours s'en seraient trouvés dissociés; inversement, en cas de basses eaux, il faut savoir si l'atelier était effectivement relié au Rhône par un chenal, autrement dit si l'exutoire du lac existait au Bas-Empire, et, dans l'affirmative, s'il était utilisable comme voie de transit, plus aisée que le cheminement par voie de terre. 1°) Des sols de circulation aménagés après 360 au moins à l'altitude moyenne 230,90 m, et un sol de cabane postérieur à 388 (25), retrouvé dans le dépotoir à l'altitude 231,10 m, se trouvaient largement hors d'eau en temps normal, au regard de la cote 229 attribuée au lac durant les ive et ve siècles par la sédimentologie et peuvent être situés en zone eulittorale supérieure. On peut donc établir une relation entre le choix du site et le répit dans les crues du Rhône constaté pour la période étudiée, alors que le dépotoir de la Chatière situé à 125 m de la plage actuelle de Conjux, était déjà inondé (26).

20) La stratigraphie établie au fond du canal (27) donne les niveaux indiqués sur la figure 5, soit de bas en haut : J = Argile de base avec couches de déchets organiques (feuilles, brindilles, coquillages) indiquant des niveaux de battement en eau courante. H = Argile de base avec madriers, pieux et céramique du Bronze final (650 B.C. env.) (28). G = Début du dépotoir gallo-romain : concentration de vases entiers et tessons de grand format, sans autre mobilier domestique; encaissant argilo-sableux avec nombreux coquillages. Le niveau initial est recouvert de pierres encroûtées; les céramiques elles-mêmes sont enrobées de concrétions calcaires allant jusqu'à 8 mm d'épaisseur sur les faces qui ne sont pas en contact avec le sol. On interprète ces carbonates comme une formation en eau peu profonde à faible courant. F = Strate d'argile gris-clair presque pure, sans mobilier ni dépôts organiques à l'exception de quelques branchages. Cette phase de colmatage rapide correspondrait à une crue saisonnière. Le pincement de la couche étalée sur le dépotoir initial se retrouve plus au nord à l'altitude 229,20 m, conformément au profil du terrain (cf. fig. 28). E = Suite du dépotoir dans le même encaissant argilo-sableux à coquillages, avec branchages et madriers flottés. Tessons de format moyen, sans autre mobilier domestique. Formation en eau stagnante ou à faible courant. D = Strate de dépotoir dans un contexte d'argile grise, plus claire, presque pure. Tessons épars de format moyen, mobilier domestique abondant, monnaies, surtout concentrés en partie supérieure. Des lits organiques, du bois flotté et des traces de carbonates indiquent des niveaux de battement. C = Enrochement, dans un encaissant sableux sans traces organiques; formations carbonatées en eau à faible courant; fragments de céramiques sous forme de petits tessons. B = Enrochement dans un contexte d'argile grise à débris organiques; tessons concassés. A = Remblai moderne non figuré.

Ces niveaux de berge sont subordonnés à l'activité du courant. On constate donc qu'une circulation d'eau préexistait à l'atelier dès la protohistoire (29). Sujet à un exhaussement régulier, l'écoulement a connu ensuite des variations importantes de débit et de volume. Les paliers en sont marqués par des dépôts minéraux et organiques, les niveaux de flottage par les dépôts de bois consécutifs aux répits. Lors des épisodes de comblement dus aux rejets de l'atelier (niveaux G et E), la ligne d'eau fluctue entre 0,50 m

(25) Datations dans l'absolu par les monnaies en place. (26) R. Castel, op. cit., I, p. 68. (27) Relevés du C.N.R.A.S. (28) 2600 ± 80 ans BP (GIF-6700). (29) C. Marteaux, Hydronymes prélatins, Revue Savoisienne, 83e année, 1942, p. 232, apparente le nom de la Savière à celui de la Save en cas de radical « celtique », ou de la Savoureuse en cas de radical latin. La connotation commune aux deux radicaux serait celle d'une eau tranquille et fétide. La prudence porte à ajouter que l'étymologie aura pu être confortée par l'aspect actuel du paysage. FIG. 5. — Stratigraphie du gisement immergé. et 1 m. L'exutoire existe donc effectivement au Bas-Empire, sous une forme indéterminée, à un niveau qui admet des barges ou des radeaux à faible tirant. L'existence d'un chenal aménagé ou d'une régulation quelconque par les riverains reste pour l'instant indémontrée faute de pouvoir sonder la rive est (30). Il est pourtant assuré que la Savière, quels qu'aient été son profil, son régime et son nom, occupait le même emplacement et se prêtait au transport jusqu'au Rhône. Les problèmes touchant l'occupation antique du terroir et la navigation sur la Savière sont éclairés par les quelques témoignages complémentaires qui suivent; la prolongation de cette liste au-delà de la période de l'atelier se justifie par la présence d'objets médiévaux en surface des deux gisements ou en stratigraphie inverse à terre (Pl. XI).

(30) Pour cette raison nous excluons le vocable « canal de Savière » ou pire « de Savières » pour ne conserver sans autre précision que le simple hydronyme. — Bois du Néolithique final (2060 ± 70 BC env.) à la limite ouest du dépotoir (31). Il s'agit vraisemblablement d'un bois flotté. — Niveau du Bronze final (650 BC env.) immédiatement sous le dépotoir de Portout 2 en aval, à l'altitude 228 m (32). — Autel métroaque à Conjux, lIe/Ille siècles (33). — Donation d'une officine de potiers aux Aixois par les deux patrons de la ville, Rufus Julianus et Smerius Masuetus, nie siècle (34). — Inscriptions de Conjux, (35). — Installation des Burgondes en « Sapaudia », en 443 (36). — Epitaphe paléochrétienne de , postérieure à l'atelier d'une cinquantaine d'années (37). — Fin du royaume burgonde en 534. — Première désignation de la Savière (« aqua saveria ») en 995 comme entité géographique (38). — Première attestation du toponyme Chanaz, sous la forme Chasnas = la Chênaie ( ?), en 1090 (39). — Première navigation connue de la Savière, en 1244 (40). — Première désignation connue de la Chautagne, en 1266 (41). — Compte du fret transporté sur le canal en 1296-97 (42). — Description explicite des conditions de naulage sur la Savière en 1391 (43). — Première attestation du toponyme Conjux, sous la forme Congiacum, en 1481 (44).

La microtoponymie des communes de Chanaz et de Conjux ne contient pas d'appellations antiques évidentes. Le lieudit Portout non attesté par les textes médiévaux peut s'expliquer comme dérivé de port au sens de point d'embarquement, mais le sens de pont ou de passage serait également acceptable.

(31) Altitude 230,47 m. Carré AR-32. Datation = 4010 ± 70 BP (GIF-7338). (32) Poutres mortaisées (cf. note 28) et céramique rubanée décorée au pouce. (33) Espérandieu-Lantier, Recueil général des bas-reliefs, XV, 1966, no 8783. R. Turcan, Les cultes orientaux en Savoie, Dossiers de l'Archéologie, n° 48, 1980-81, p. 60, avec un doute sur l'emplacement primitif de l'autel, supposé provenir d'Aix-les-Bains. (34) CIL, XII, 2461. Texte rétabli par P. Wuilleumier, Inscription inédite d'Aix-les-Bains, R.E.A., XXXVI, n° 2, avril-juin 1934, p. 201 : « Aram decemlecti Aquenses et patroni duo ob donum figlinae quam possessoribus Aquarum et vicanis donaverunt ad epulum pium cum suo fructu... » Cf. L. Harmarid, Le patronat sur les collectivités publiques, PUF, 1957, p. 367-368 : « au lieu d'argent liquide, le patron peut très bien léguer à la ville une propriété immobilière ». (35) Conjux : R.E.A., XLVIII, p. 93. Ruffieux : C./.L. XII. 2514. (36) Etat de la question dans : G. Barruol, Les peuples préromains du Sud-Est de la Gaule, étude de géographie historique, R.A.N., suppl. 1, 1969, p. 299-301; dans J.-P. Leguay, La Savoie des origines à l'an mil, collectif, Ouest-France, 1983, p. 315 à 319. (37) CIL, XII, 103. Voir J. Prieur, La Savoie antique, Mémoires et Documents publiés par la S.S.H.A., T.LXXXVI, 1977, p. 163. L'épitaphe de Valho, « religiosa femina », est datée du consulat de Cethegus (17 décembre 504). Jongieux est situé au revers du mont Landard, sur le Rhône à 14 km de Portout par la route actuelle, cf. carte, fig. 2. (38) G. de Manteyer, Les origines de la Maison de Savoie en Bourgogne, Mélanges publiés par l'école française de Rome, T. XIX, 1899, p. 366 sq. J. Letanche, Mémoires de la S.S.H.A., 2e série, T. XV, 1901, p. XXXIV à XLIII. (39) A. Gros, op. cit., sv. (40) Passage du Pape Innocent IV, le 30 novembre 1244 : Chanoine Perroud, La Chautagne capitale et la navigation sur le Rhône, Cahiers de Savoie, 6e année, 1946, p. 21. Source non citée. (41) A. Gros, op. cit., sv. (42) Histoire des communes savoyardes, collectif, Horvath, 1984, II, Le canton de Ruffieux, par M. Brocard, p. 342 et 360. Source non citée. (43) M. Bruchet, Le château de Ripaille, Delagrave, 1907, p. 328, Archives camérales de Turin : comptes de l'Hôtel de Bonne de Bourbon. (44) A. Gros, op. cit., sv. IV. — PORTOUT : HISTOIRE D'UN SITE À LA CONFLUENCE DU RHÔNE ET DU LAC DU BOURGET

par Michel MAGNY *

L'approche sédimentologique du site de Portout 1 présentée ici repose sur un échantillonnage effectué pendant les fouilles archéologiques en juillet 1984, ainsi que sur les études menées sur le site voisin de Conjux, en bordure du lac du Bourget, au cours de la même année. Visant à restituer l'environnement du site archéologique et son évolution, elle ne saurait être entreprise sans prendre en considération ce contexte d'ensemble (fig. 6).

FIG. 6. — L'extrémité septentrionale du lac du Bourget et la vallée du Rhône.

* Laboratoire de Chrono-Ecologie, U.R.A. 35 CNRS, Faculté des Sciences, La Bouloie, 25030 Besançon. Après une présentation des observations réalisées à Portout, l'histoire de ce site sera replacée dans son cadre paléohydrologique constitué par le lac du Bourget, le Canal de Savière et le Rhône.

I. APPROCHE SÉDIMENTOLOGIQUE DU SITE DE PORTOUT

1. La stratigraphie

En 1984, le sondage réalisé dans la Rangée 52 présentait une tranchée sensiblement perpendiculaire au cours du Canal de Savière, et suffisamment longue et profonde pour relever une stratigraphie d'ensemble du site où les niveaux suivants ont été distingués (fig. 7). — niveau 1 : argiles et limons très compacts, de couleur bleu à gris-vert, avec de nombreuses taches de couleur rouille. Cette couche est plus noire et moins compacte vers l'ouest (faciès la). — niveau 2 : il est constitué par un empierrement dans une matrice argilo-limoneuse. Sa composition hétérogène (cailloutis roulés mais aussi plaquettes de gélifraction et gros blocs) indique un aménagement humain. A son sommet, a été trouvé un fer à cheval daté des XIII/XIVe s. Ce niveau vient se bloquer contre les gros blocs de l'empierrement gallo-romain qui devait donc être en partie apparent à cette époque. La matrice du faciès 2 b est plus compacte que celle du faciès 2 a, plus aérée et plus noire. Seule la matrice a été échantillonnée ici. — niveau 3 : dépôt argilo-limoneux, de couleur bleu-vert. Les taches de couleur rouille sont plus rares, sauf au sommet de la couche. — niveau 4 : dépôt organique de couleur brune, avec de nombreux éléments végétaux. Sa texture et sa composition font parfois penser « au fumier lacustre » qui constitue les niveaux d'habitats des sites préhistoriques de bord de lac. Le faciès 4 b contient tessons et pierres (atelier gallo-romain), le faciès 4 a est pratiquement vierge de tout vestige archéologique. Au sommet du niveau 4 b a été découvert un fer à cheval daté des XIe/XIIIe siècles. Un sondage à la tarière a été réalisé sous la couche archéologique. En raison de la forte compacité des sédiments, il n'a pu dépasser 1,5 m de profondeur. Il a permis de reconnaître 3 niveaux sous le niveau 4 : — niveaux 5 et 7 : dépôt argilo-limoneux, très compact, de couleur bleu-vert. — niveau 6 : dépôt organique semblable au niveau 4 a.

FIG. 7. — La séquence stratigraphique de Portout (rangée 52). FIG. 8. — Diagramme sédimentologique de Portout. En hachures : fraction 0,200-0,630 mm.

2. Les analyses sédimentologiques (fig. 8)

Les analyses granulométriques soulignent l'importance des argiles et des limons dans la composition des dépôts. La fréquence des éléments végétaux dans le niveau 4 et l'empierrement du niveau 2 donnent à ces deux niveaux une texture relativement plus grossière. La teneur en Ca C03 est faible malgré la proximité du lac du Bourget caractérisé par un dépôt de craies lacustres où les teneurs en Ca CO, dépassent souvent 75 %. La teneur en matière organique (perte par calcination à 550 °C) reste faible elle aussi, mis à part les niveaux 4 et 6 où elle atteint un pourcentage de 15 %. L'examen à la loupe binoculaire des 3 fractions granulométriques les plus grossières (supérieure à 2 mm, 2-0,63 mm, 0,63-0,2 mm) apporte quelques précisions complémentaires. Les mollusques d'eau douce sont présents dans toute la séquence, mais plus nombreux dans les niveaux 3 et 5. Les concrétions carbonatées de type lacustre sont rares; elles sont plus fréquentes dans les niveaux 1 b et 2 b. Elles appartiennent toutes à des types caractéristiques de la zone eulittorale (boules et plaques épaisses) (45); elles présentent parfois un encroûtement ferrugineux de couleur rouille ou, notamment dans le niveau 1, un encroûtement brun-noir que l'analyse a déterminé comme étant du sulfure de fer (46). Les fragments de roche sont bien représentés dans tous les niveaux, en particulier dans la fraction 0,2-0,63 mm; ils sont composés essentiellement de grains de quartz.

(45) M. Magny, Essai de modélisation pour une approche sédimentologique des habitats lacustres de Clairvaux, in Les sites littoraux néolithiques de Clairvaux-les-Lacs (Jura). Le Néolithique moyen — Tome 2 — Sous la direction de Pierre Pétrequin (à paraître). (46) Nous remercions vivement M. B. Botella, du laboratoire de Chimie des Eaux, Besançon, pour avoir bien voulu faire cette analyse. 3. Interprétation

La séquence de Portout évoque des formations hydromorphes : les phénomènes de réduction (couleur bleu-vert des dépôts, formation de sulfure de fer) et d'oxydation (taches rouilles, concrétions à incrustations ferrugineuses) correspondent à une station à nappe phréatique permanente et marquée par une oscillation saisonnière. Les faciès 1 a et 2 a, plus proches des marges du marais et situés à des cotes plus hautes, montrent une moindre influence de la nappe. L'influence directe du lac dans la sédimentation reste très faible : les dépôts de Portout sont caractéristiques en fait des paysages de marais que l'on peut rencontrer dans les zones de débordement d'un fleuve : la proximité de la nappe phréatique où les phases d'inondation déterminent une colonisation végétale adaptée à une forte humidité saisonnière tandis que les eaux de crue abandonnent sur place, après leur retrait, sables fins, limons et argiles qu'elles transportent en suspension. Dans le cas de Portout, le seul secteur fluviatile important susceptible d'être à l'origine de ces apports est le Rhône, soit directement lors de fortes crues, soit indirectement par l'intermédiaire du Canal de Savière. En effet, avant la régulation effectuée récemment, les eaux de l'exutoire du lac du Bourget s'écoulaient du lac vers le Rhône en temps ordinaire, mais le Rhône pouvait aussi périodiquement refluer ses eaux vers le lac (60 jours par an environ). A Portout, l'accumulation de ces dépôts sur plus de 3 mètres d'épaisseur (limons, argile, grains de quartz) et la relative homogénéité de ces dépôts (formations hydromorphes de couleur bleu-vert et de texture fine) sur toute la hauteur de la séquence, laisserait penser que l'évolution suivie par la zone aval du lac du Bourget est celle d'un lent exhaussement par relèvement progressif de la ligne d'eau parallèlement à l'exhaussement du lit du Rhône. Dans ce cadre général, les deux niveaux organiques 6 et 4 traduiraient un répit dans ces apports minéraux liés à l'influence du Rhône : un relatif affaiblissement des crues du Rhône renforce la part des éléments végétaux dans les dépôts.

II. PORTOUT ET CONJUX : DEUX SITES COMPLÉMENTAIRES

Les récents travaux archéologiques menés à Conjux, sur les bords du lac du Bourget, par le C.N.R.A.S. (Annecy), ont été l'occasion de recherches sédimentologiques qui ont permis de reconstituer l'histoire du lac du Bourget du Néolithique final à nos jours (47) (fig. 9).

FIG. 9. — Les fluctuations du lac du Bourget du Néolithique final à nos jours. D'après M. Magny et H. Richard, 1985.

(47) M. Magny et H. Richard, 1985, Contribution à l'histoire holocène... Photocomposition et impression IMPRIMERIE LOUIS-JEAN BP 87 - 05003 GAP Cedex Tél. : 92.51.35.23 Dépôt légal : 231 — Avril 1990 Imprimé en France