Un train qui commençait par un paradoxe - voire par une véritable provocation : À , sous la marquise d'une grande gare, le "dernier des tortillards" paradait au quai IV 1, alors que les express Bordeaux - Lyon stationnaient sur les voies extérieures ! Photo André Lepage / BVA.

Outre les photographes et collectionneurs apparaissant en crédit photographique, l'auteur tient à remercier chaleureusement tous ceux qui lui ont apporté leur concours lors de ses recherches, conté leurs souvenirs, et tout particulièrement MM. Edme, joudoux, Lecroulant, Quincy, Roques et Sutter : en effet, leurs contributions se sont avérées indispensables à la réalisation de cet ouvrage. J.M. / JACQUES MALIGNE I

^ TACOTS & CAHOTS

LES RAMWAYS,

DEI(QORRÈZE

La Regardons PRÉFACE

"ART DE VIVRE

"TJue Transcorrézien a disparu" déplorait Gaston Bonheur, en 1980, dans la presti- réziengieuse estrevue un Réalités.sommet nécrologiqueSon remarquable à propos article de sur la lafin mort d'une du civilisation"petit cheval : * decelle fer" d'une cor- panachéessorte de fraternité et le concert champêtre des sifflets qui s'épanouissait de locomotives dans qui les partaient nuages noirs à la deconquête fumée em-des campagnesUn paragraphe ». extrait de ce texte semble providentiel au préfacier de cet ouvrage : table« Qui des a chosestué le »,chemin répondront de fer les d'intérêt personnes départemental sensées qui ? s'attendrissent — C'est la marche sur le rétro.inéluc- Il fallaitqui ne bien crache ! Rien pas n'estdu tout moins sur évident.le progrès, Je connaiset qui a unmaintenu pays tout vivants proche, tous très ses prospèrechemins deComté fer secondaires et l'Italie, vous : la Suisse.trouverez À chaque toujours gare un de petit la lignetrain duen Simplon,partance entrepour lal'Oberland Franche- lesbernois, vallées pour et toutes Leysin, les pour cimes. Chamonix, pour le plateau, pour les rochers, pour toutes ternes".Célèbre écrivain, journaliste fameux, lui ne prenait pas "l'Helvétie pour des lan- désormais,Au Pays Vert,sur lace ligne n'est Parisque grâce- Toulouse à des lanternesen gare d' (magiques) et surque lavous ligne pourriez Lyon - voir,Bor- fleurideaux des aux Monédières, gares d'Aubazine les belles et Tulle, rives deun lapetit Dordogne, train en partanceles Rochers-Noirs pour un abruptscontrefort et vetteleur impressionnant de La Roche-Canillac, pont suspendu, le pont-cage Collonges-la-Rouge, de Lantourne ou St.Bonnet-Avalouze,St.Pantaléon-de-... la na- ganiséimmortalisé autrefois par d'émouvantesen Corrèze par et les superbes Amis des diapositives Chemins de nées Fer lorsSecondaires. d'un safari-tacot, or- À 1 0 KM/H"

« A-t-on pensé quelquefois à la valeur touristique qu'aurait de nos jours ce petit train, s'il avait été préservé, par exemple, sur le tronçon reliant Neuvic et Marcillac- La Croisille ? » s'interrogeait Simon Louradour, autre brillant journaliste, le 4 mars 1984, dans la chronique hebdomadaire Au pays des bruyères, qu'il tient dans La Montagne. Esprit perspicace, Simon a raison. Miraculeusement, si le vénérable petit train départemental, à l'instar d'un drôle d'oiseau nommé Phénix renaissant de ses cendres et remontant en ligne — comme en quatorze —, tout amateur — ils sont légion — de safari-photos de dinosaures des transports en commun ou de gros animaux encornés, têtus et encombrants, qui se baguenaudent sur les routes aussi bien que dans les prés, n'atterrirait plus au Zaïre, au Kenya ou au Bengale ; il débarquerait avec armes et bagages à Lafage-sur-Som- bre, à St.Hilaire-Foissac, à Lapleau ou à . On assisterait à la ruée vers le Pays Vert — fût-ce en draisine — qui serait envahi également par de joyeuses cohortes de vacanciers « en quête de beauté du site, de charme des horizons, de la qualité de la lumière et de nombre d'autres sujets d'une inactualité savoureuse », surtout avides de - sensations historiques, pareilles à celles des voyageurs du temps de Louis-Philip- pe, dans un ferraillement clavecinesque » de tranche-montagne, mais à la bonne franquette. On pourrait enfin laisser les enfants jouer avec les portières d'un tortillard de plaisir qui, à nouveau, véhiculerait la poésie, l'humour ainsi qu'un art de vivre à 10 km/h ! Longtemps exilé au fond d'un lugubre dépôt de banlieue, genre Musée Grévin des transports en commun, le Transcorrézien lubrifié, astiqué, magnifique, impérial, semble attendre son "retour de l'île d'Elbe"... Nous aussi. Alors, vive le Transcorrézien ! Gabriel Edme. Dans les pages suivantes, le lecteur trouvera l'aboutissement de plus de quinze années de patientes recherches sur le réseau des Tramways Départementaux de la Corrèze. Ce livre est destiné à tous ceux qui, comme l'auteur, ont passionnément aimé ce très attachant et fort pittoresque réseau : anciens agents des TC, riverains des lignes, usagers réguliers ou occasionnels, amis des chemins de fer secondaires. fe demande, humblement, pardon aux "puristes", si de temps à autre, le tramway devient le "tacot" et l'autorail la "micheline", mais c'est bien ainsi que la plupart du temps les Corréziens les appelaient... Puisse donc cet ouvrage éveiller l'intérêt de celles et de ceux qui ont aimé ces lignes, en les replongeant, le temps d'un livre, dans la nostalgie d'un passé où chacune et chacun retrouvera sa jeunesse ou son enfance. Pour tous ces amis, voici l'histoire des Tramways Départementaux de la Corrèze. Jacques Maligne À ma famille, en souvenir des années 50... et, plus particulièremen t, à ma mère. PROJETS, ÉTUDES

ET CONSTRUCTION

Vue générale de la gare de Neuvic peu après son ouverture. Collection Edmond Ducios.

e projet de la loi Freycinet du 4 juin 1878 dotait la climat rude en hiver, et peuplée de gros bourgs à l'activité Corrèze d'un réseau secondaire d'intérêt général. économique très soutenue en cette fin de siècle. Il s'agit LHormis ce réseau, dit du "Paris - Orléans - Corrèze", en de La Roche-Canillac, Lapleau, St.Privat ; certains de ces abrégé POC, réalisé par la suite en voie métrique, le dé- bourgs s'apparentent même à de petites villes comme partement se trouvait à la fin du siècle dernier essentielle- Neuvic-d'Ussel. ment desservi par les lignes à voie normale suivantes, ap- partenant toutes à la Compagnie d'Orléans : - Tulle - Clermont-Ferrand, LES PROJETS DE LIGNES - - - Bort-Les-Orgues - Vendes - Au- À VOIE MÉTRIQUE rillac, - Limoges - Nexon - Brive, C'est précisément de Neuvic-d'Ussel que va émaner la - Périgueux - Brive - Tulle, première demande de desserte par fer. En 1881, suite à un - Brive - Capdenac - Toulouse, vœu collectif des communes du canton de Neuvic, le - Limoges - Eymoutiers - - . maire de ce chef-lieu demande la construction d'une ligne Lorsque l'on observe la carte de la Corrèze, force est de Meymac - Vendes par Neuvic-d'Ussel, les gorges de la constater que de larges zones peuplées de bourgs impor- Triouzoune, de la Dordogne et de la Sumène. Aucune tants ne sont pas desservies par le rail. Il n'y a rien à suite ne sera donnée à ce vœu pieux, mais l'affaire est lan- l'ouest de la ligne Limoges - Nexon - Brive, pas plus qu'au cée et l'idée d'une desserte ferroviaire des régions corré- sud de l'axe Périgueux - Brive - Tulle ; subsiste également ziennes, jusqu'alors dédaignées, fait doucement son che- une vaste région ignorée du grand réseau, comprise entre min. Il faut bien comprendre aussi — et cela n'est pas par- le plateau de et la vallée de la Dordogne, au ticulier à la Corrèze — qu'à cette époque, nombre de pe- vant St.Angel, bourg assez important. Le projet présenté prévoyait, en outre, la construction d'un court embran- chement allant du Mortier à La Roche-Canillac. Les sieurs LPPPP, pour faire bonne mesure, proposent également cinq autres projets de lignes : - La Rivière-de-Mansac - , - Brive - Beaulieu - Turenne, - Beaulieu - Argentat - St.Privat, - Corrèze (gare PO) - Corrèze (ville), - Bugeat - . Le projet LPPPP est alors, comme les précédents, exa- miné par les édiles du Département, qui vont l'amender fortement, rognant sur quelques lignes : la ligne La Riviè- re-de-Mansac - Lubersac sera limitée à Juillac et Brive - Un train de chantier remorqué Beaulieu - Turenne ne desservira pas cette sous-préfectu- par une locomotive d'entreprise, près du viaduc des Rochers-Noirs en 1910. re de la Corrèze, celle-ci "écolo" avant l'heure, exigeant la Collection Jacques Maligne traction... électrique ! En conséquence, la gare de départ sera reportée à Aubazine, gare de la ligne PO Brive - Tul- tits entrepreneurs ou hommes d'affaires voyaient dans la le, afin de satisfaire le PO qui craignait à Brive la concur- construction de lignes de chemins de fer, même d'intérêt rence du tramway départemental. Quant au projet de local, l'occasion d'établir la fortune de leur famille. ligne Beaulieu - Argentat - St.Privat, il est tout bonnement Suite à la demande du maire de Neuvic, d'autres pro- enterré. Il en sera de même pour les lignes de Corrèze jets vont alors naître... En août 1882, le sieur Lesguiller (gare PO - ville) et Bugeat - Peyrelevade sur lesquelles demande la concession des lignes Brétenoux - Argentat, aucun chantier ne sera jamais ouvert. Puis les Ponts-&- Argentat - St.Privat - Pleaux, Argentat - La Roche-Canillac Chaussées s'en mêlent, émettant des doutes sur la rentabi- -Égletons et Aubazine - - Beaulieu-sur-Dor- lité des lignes projetées ; seule la relation Ussel - Neuvic - dogne. Tulle trouve grâce à leurs yeux. Un an plus tard, en août 1883, c'est au tour de M. Cala- Passant outre, les élus du Département, bien décidés à ry de présenter son projet portant sur les liaisons Ussel - voir se réaliser leur réseau de tramways, approuvent les St.Angel - Neuvic-d'Ussel, Égletons - Lapleau - Mauriac, projets suivants, par leurs délibérations réitérées des 7 et Égletons - Brétenoux via La Roche-Canillac et Argentat- 8 février 1903, 12 et 13 avril 1904, 23 et 24 août 1906 et - Juillac. 4 janvier 1907) : Plus tard, en 1897, MM. Darras et Marteau déposent un - La Rivière-de-Mansac - Juillac, projet, avec demande de concession d'une ligne de tram- - Aubazine - Beaulieu-sur-Dordogne, avec embranche- way reliant Neuvic à Ussel. La même année, un certain M. ment vers Turenne, Chaux sollicite à son tour la concession d'une ligne La Ri- - Ussel - Neuvic-d'Ussel - Tulle, avec embranchement vers vière-de-Mansac à Ségur, à exploiter en traction... élec- La Roche-Canillac. trique. MM. Pollard et Rolland, lyonnais l'un et l'autre, Il convient de mentionner au passage que la personna- proposent, quant à eux : lité des auteurs de ces projets retenus pesa assez lourd à - Ussel - Neuvic-d'Ussel, l'heure des décisions. M. Pacaud, entrepreneur du Rhône, - La Rivière-de-Mansac - Ségur, résidait souvent en Corrèze, M. Pradel habitait , près - Égletons - Lapleau. de Juillac, M. Payrard avait ses quartiers à Montluçon, ville Le Département leur accorde le 10 juin 1899 la conces- proche de la Corrèze. Bref, cette association de notables sion d'Ussel - Neuvic et l'étude des deux autres lignes locaux avait présenté les projets les moins fantaisistes et projetées. Onze mois plus tard, le 25 avril 1900, les deux méritait donc, aux yeux du Département, de "décrocher la concessionnaires pressentis demanderont de substituer à timbale". la ligne Égletons - Lapleau une ligne Ussel - St.Bonnet- Le 24 avril 1908, les lignes sont déclarées d'utilité pu- Avalouze (pont de la Brauge). Le 16 septembre 1902, MM. blique, le décret étant publié au Journal officiel du 30 avril Laval et Pradel soumettent au Conseil général une propo- 1908, à charge au consortium LPPPP de construire et d'ex- sition pour la construction des lignes suivantes : ploiter ces lignes départementales. En 1912, enfin (il était - Ussel - St.Bonnet-Avalouze, temps !) sera fondée, sous la présidence de Claude Lau- - La Rivière-de-Mansac - Ségur, avec prolongement éven- rent, déjà cité, la Compagnie des Tramways Départemen- tuel vers Lubersac, taux de la Corrèze (TC), chargée de l'exploitation des - Corrèze (gare PO) - Corrèze (ville), lignes. - Brive - Beaulieu, avec prolongement éventuel vers Ar- Arrêtons-nous un instant sur les motivations profondes gentat et St.Privat. ayant conduit le Conseil général à retenir les trois lignes En mars 1903, MM. Laurent, Pacaud, Planche, Pradel et en question plutôt que d'autres. Il était probable que dans Payrard (LPPPP en abrégé) soumettent un projet d'Ussel à l'esprit des élus, la situation évoluerait à peu près de la Tulle via Neuvic, Lapleau, Marcillac-La Croisille et St.Bon- manière suivante : les lignes Aubazine - Beaulieu et La Ri- net-Avalouze. Pour la section Ussel - Neuvic, deux va- vière - Juillac (cette dernière appelée également ligne de riantes sont proposées : soit le trajet direct par Chirac, l'Yssandonnais) permettront un accès direct au grand ré- Ste.Marie-Lapanouze et ou bien un tracé desser- seau PO à des contrées présentant de sérieuses chances de développement économique et touristique. Pour Ussel - Tulle, la ligne stimulera l'activité forestière et l'élevage dans les communes desservies. Là résidaient sans doute les principaux buts assignés aux lignes des Tramways de la Corrèze. LE CAHIER DES CHARGES Le cahier des charges et la convention annexés au dé- cret du 30 avril 1908 prévoyaient notamment les contrain- tes et obligations suivantes : - matériel fixe et roulant de fabrication française, - travaux et matériel à la charge du Département, avec re- tour à lui en fin de concession, - dans un délai maximum de deux ans et demi après la dé- claration d'utilité publique, les concessionnaires devront Un train de ballast âge vu près de Xeu MC, vraisemblablement constituer une société anomyme spéciale au TC, domici- lors de la construction du nouveau tracé menant au barrage de la Triouzoune. liée à Tulle et devant se substituer à eux, Photo Bacuet. - début des travaux : neuf mois maximum après la décla- ration d'utilité publique, LA CONSTRUCTION DES LIGNES - fin des travaux : trois ans et demi maximum après la dé- Dès les premières semaines de 1909, les travaux débu- claration d'utilité publique, tent sur les trois groupes de lignes, bien que les enquêtes - caution de 92 000 F déposée auprès de la Caisse des Dé- parcellaires ne soient pas terminées sur la ligne Ussel - pôts et Consignations et restituée, en totalité, lors de la Tulle. Les travaux de terrassement sont confiés aux entre- mise en exploitation des lignes, prises suivantes : - 1/4 des dépenses de construction sera à la charge des - ligne Ussel - Tulle : la lre section, Ussel-PO - La Siauve concessionnaires, près de Neuvic et la 2e section, La Siauve - ruisseau de Pa- - l'État équilibrera une part des frais d'exploitation jusqu'à deyrat près de Lafage à l'entreprise Pellet et Geny. La 3e concurrence de 87 123 F par an pour Ussel - Tulle et section, ruisseau de Padeyrat - gare de St.Bonnet-Avalou- 58 661 F par an pour chacune des autres lignes, ze est confiée à l'entreprise Chapput et Riffat, - la Compagnie TC, ultérieurement constituée, prendra à - ligne La Rivière-de-Mansac - Juillac : entreprise Tourville sa charge tout dépassement éventuel des prix initialement et Pépériot, prévus. - ligne Aubazine - Beaulieu - Turenne : entreprise Rosier. En 1909, un emprunt de 6 500 000 F, remboursable en Les travaux de terrassement avancent d'abord labo- 62 ans, sera lancé par le Département. Le cahier des char- rieusement, puis s'accélèrent quelque peu. En 1910, la ges apportait en outre des précisions relatives à l'exploita- pose de la voie débute sur La Rivière-de-Mansac - Juillac, tion des lignes et aux conditions de transport. On relève mais une première difficulté apparaît. À la demande insis- entre autres : tante des élus locaux, il est décidé que le bourg de Bey- - minimum de trois trains quotidiens dans chaque sens, nat, chef-lieu de canton de la ligne Aubazine - Beaulieu - longueur maximum des convois : 60 m, sera directement desservi par le rail et ne se contentera - trains de huit voitures maximum, pas d'une simple gare jusqu'alors prévue fort loin du - vitesse maximum autorisée : 25 km/h, bourg ; un embranchement de 2 km, exploité en rebrous- - voitures chauffées pendant la saison froide, sement fera parfaitement l'affaire, pense-t-on. Informé de - gabarit du matériel roulant : 2,10 m ; hauteur : 3,50 m, la chose, l'État refuse tout net cette modification de tracé - ouvrages d'art : 3,60 m d'ouverture et 4,00 m de hauteur, et un nouveau parcours est alors étudié, entre les gares de - rayon minimum des courbes : 40 m, Moulin-à-Papier et de Sérilhac. Ce tracé nécessite le per- - déclivité maximum : 50 mm/m, cement d'un tunnel de 122 m, mais permet en revanche - hauteur de tamponnement : 0,80 m, un raccourcissement de parcours sensiblement égal à la - rails de 20 kg/m linéaire, longueur de l'embranchement prévu initialement. L'État - espacement des traverses : 0,885 m, Terrassements sur le site de la gare de Lapleau en 1910 ou - prix du terrassement : 2,35 F/m3' 1911 : les wagonnets sont tirés par des mulets... - prix du rail : 20,50 F/m, Collection Jacques Maligne. - construction d'un pont de 8 m d'ouverture : 8000 F, - construction d'une gare "grand modèle" : 5000 F, - construction d'une gare "petit modèle" : 4000 F, - construction d'une remise pour 4 machines avec atelier entièrement équipé : 44 500 F, - prix d'une locomotive de 18,5 tonnes : 42 000 F, - prix d'une locomotive de 17 tonnes : 39 000 F, - prix d'une voiture de 25 places : 700 F. Comme on le voit, tout était réglé dans les moindres détails et devait se dérouler dans la plus parfaite organisa- tion... LAPLEAU — Viaduc de Rochers noirs - Vue d'ensemble

renâclant toujours, le Département décide purement et simplement de se passer de son aide pour la modification décidée et lance les travaux en 1910. Dès le mois de mars de la même année, et à la cadence de 300 tonnes par mois, les rails commencent à être ap- provisionnés sur les trois groupes de lignes. Excepté la ligne Ussel - Tulle, qui comporte de longues sections en plate-forme indépendante, les deux autres lignes emprun- tent le plus souvent l'accotement des routes et des che- mins ruraux. Bien entendu, durant la construction des lignes du tramway, les déraillements, tamponnements, accidents et incidents divers seront nombreux. La presse régionale de l'époque faisait de ces travaux « somptueux » d'un côté et de « désenclavement » de l'autre : les gorges chaudes et les esprits commençaient à s'échauffer sérieusement... C'est alors qu'apparaît sur la ligne Tulle - Ussel un pro- blème d'envergure qui avait déjà attiré l'attention des in- génieurs lors des études de construction de la ligne. Il s'agit du franchissement des gorges de la Luzège, affluent de la Dordogne, faille de près de 250 m de profondeur, sise entre les gares prévues de Soursac et Lapleau. Pour relier ces deux bourgs, il est hors de question d'emprunter l'accotement de la route, longue de 9 km, terriblement tortueuse et pentue. Même en exploitant toutes les possi- bilités de la voie métrique en terrain accidenté, c'est là chose totalement impossible. Face à cette situation, la Compagnie des TC avait exa- �, SOURSAC - Tramway de la Corrèze - Viaduc en construction miné différents projets d'ouvrages d'art. Écartant l'idée Vue du tablier métallique & pylône Ouest Le viaduc des Rochers-Noirs, vu en page ci-contre à différents stades d'avancement pendant la construction des piles au cours de l'année 1911 et ci-dessus pendant l'essai officiel du 8 mai 1913. Collection Jacques Maligne. d'un viaduc en maçonnerie (coût trop élevé et délais de Cerdagne Villefranche-Vernet-les-Bains - La Tour-de- construction trop longs), de même que celle d'un ouvrage Carol, construit dans un site comparable à celui examiné, entièrement métallique (difficultés de lancement), les imposèrent ce type de pont sur les TC. L'étude et l'édifica- concessionnaires optèrent pour la réalisation d'un pont tion de cet ouvrage, impressionnant pour l'époque et en- suspendu. core de nos jours, furent confiée à l'entreprise Arnaudin Un premier projet est alors étudié, celui d'un pont à de Châteauneuf-sur-Loire. poutres rigides de 120 m de portée, précédé côté Lapleau Ce viadu des Rochers-Noirs sera finalement réalisé de deux arches en maçonnerie de 20 m d'ouverture, avec selon les critères suivants : présence, aux abords immédiats de l'ouvrage, d'un rem- - la voie accèdera au pont par une pente de 4,375 km côté blai de 8 m portant la voie en palier sur une distance de Lapleau, avec déclivité maximum de 42 mm/m sur 950 m 300 m. Finalement, la rampe, côté Soursac s'avérant trop et, côté Soursac, par une pente de 4,573 km ; le tablier, dure, ce projet est abandonné. établi à 92 m au-dessus du lit du torrent, aura une largeur Fin 1908, un second projet est étudié sur le même site, de 5 m et se composera de deux longerons sous rails, de situé à 2 km à vol d'oiseau en aval du passage de la route deux poutres de rives et d'une plaque de tôle d'acier de et appelé les Rochers-Noirs par les habitants de Lapleau et 67 mm d'épaisseur ; Roche-Taillade par les gens de Soursac. - la travée centrale comportera dix éléments de 11,80 m et À cet endroit, très légèrement en aval du point précé- deux éléments de 10,88 m, complétés, côté Soursac, par demment choisi, la gorge est encore plus resserrée et per- une travée d'extrémité de 7,40 m et par une autre de met, avec le même type d'ouvrage, de faire passer la voie 10,97 m, côté Lapleau. Ces éléments seront suspendus à 15 m plus haut, exactement à 374,28 m d'altitude. Autre des fermes constituées de câbles réunis par moitié dans avantage, l'ouverture du pont se trouve réduite de 120 m des chariots de dilatation couronnant la partie supérieure à 105 m. Ce projet nécessite cependant, côté Soursac, le des piles et solidement ancrés au rocher par le percement percement d'un tunnel en courbe de 123 m de long et de galeries d'ancrage ; l'édification d'une arche de 7 m d'ouverture et, côté La- - la distance entre les parements de culées sera de pleau, la construction de deux arches de 20 et 10 m d'ou- 158,375 m ; vertures respectives. Présenté le 24 février 1909, ce projet - les plaques de roulement des chariots placés en haut des est approuvé le 31 mai de la même année par l'autorité piles s'élèveront à 396,997 m d'altitude, soit à 112 m au- préfectorale. dessus du lit de la rivière. Entre-temps, les ingénieurs du contrôle des Ponts-&- 1 : Commandant du Génie militaire, inventeur du système de ponts Chaussées, fort impressionnés par l'excellente tenue en suspendus portant son nom. Il fut tué lors d'un déraillement sur la service du pont suspendu système Gisclard1 de la ligne de ligne de la Cerdagne. rues de "sa" ville. Comme tous les expropriés, il veut le train "chez lui" et "au prix fort" ! Nous voici en pleine crise ! C'est en définitive le Conseil municipal d'Ussel qui va calmer les esprits. Devant l'attitude du maire, jugée ex- cessive, les conseillers municipaux s'en désolidarisent, contraignant celui-ci à démissionner en février 1911. Il ne reste plus à la Compagnie TC qu'à mener à bien les ex- propriations et, en avril 1911, le préfet de la Corrèze auto- rise l'occupation temporaire de la RN 89, entraînant de ce fait l'obligation de rebroussement. Cette situation "tempo- raire" durera, nous le verrons, jusqu'en 1931, année de fin des travaux. Pendant ce temps, à l'autre extrémité de la ligne, les choses se compliquent du côté de Tulle. Chacun, en cette période bénie de projets et de constructions de chemins de fer départementaux, y va de sa petite idée. De nou- veaux projets, plus fantaisistes les uns que les autres, vont germer et éclore ; il est ainsi successivement envisagé de : - prolonger la ligne TC de 2 km vers le centre ville de Tulle afin de desservir la Préfecture, - longer les faubourgs de Tulle en direction de Laguenne, d'où emprunt de la RN 120 de Tulle à Laguenne, - rejoindre St.Bonnet-Avalouze par un tracé exclusive- ment en accotement routier. La première proposition est, on s'en doute, fortement soutenue par la ville de Tulle. Le Conseil général penche À l'ère de la charrette, le transport des éléments du viaduc entre la gare PO plutôt pour le deuxième cas. Les discussions s'éternisent d'Égletons et les gorges de la Luzège dut être minutieusement organisé... et on continuera allègrement à ergoter sur le bien-fondé Collection Jacques Maligne de la décision prise, dix ans après l'ouverture de la ligne !... De tergiversations en atermoiements, on en arri- Le problème du franchissement de la Luzège résolu, ve finalement à repousser les trois projets et à soumettre à un autre fâcheux contretemps va alors surgir, toujours sur la ville de Tulle une vague proposition de gare "locale" Ussel - Tulle. Il concerne la déviation nécessaire à la tra- voyageurs, implantée au plus près de celle de la Compa- versée d'Ussel. Certains expropriés se montrant particuliè- gnie d'Orléans, promiscuité qui semble chagriner quelque rement gourmands vont jusqu'à exiger des indemnités su- peu cette grande dame... Pour les marchandises, les ins- périeures à celle versées pour l'ensemble de la ligne ! La tallations seraient alors édifiées en bordure de la RN 120. Compagnie des TC sollicite alors une modification du Au tout début 1913, on envisage finalement de construire tracé visant à suivre plus longuement l'avenue de la Gare l'ensemble des installations TC, tant voyageurs que mar- et la RN 89 pour traverser ensuite la Sarsonne — rivière chandises, en accotement de cette même RN 120. C'est en enserrant Ussel — par le pont routier existant, pour ne fin de compte la Compagnie d'Orléans qui va trancher ce prendre la déviation projetée à l'origine qu'après ce pont. délicat problème, définissant elle-même et sans appel ce Mais, là encore, l'État refuse toute modification de tracé. que sera le tracé Tulle - St.Bonnet. Cette toute puissante Le maire d'Ussel, M. de Lachaze de St.Germain, avocat de compagnie va convaincre ses partenaires (TC et Ponts-&- son état, rejette énergiquement un tracé TC le long des Chaussées) de l'intérêt qu'il y aurait à grouper tous les échanges voyageurs et marchandises à Tulle plutôt qu'à Les ouvriers affectés au percement du tunnel, munis d'un outillage rudimentaire. St.Bonnet-Avalouze. Une réunion sur ce thème avait Collection Jacques Maligne. d'ailleurs eu lieu en février 1911. Cette éventualité, assez logique, permettait au PO d'éviter les frais d'un second transbordement. Aussi, après maintes discussions, s'arrê- tera-t-on, provisoirement, à la solution suivante : - la gare de Tulle-PO servira de gare locale aux TC, avec obligation de paiement de dédommagement des frais d'exploitation par le tramway, soumis en cela au même régime que le réseau métrique d'intérêt général du POC, en service depuis peu ; - le TC empruntera, contre redevance naturellement, la voie du POC de Tulle à St.Bonnet-Avalouze ; - de St.Bonnet-Avalouze au lieu-dit La Brauge, les rails TC et POC se côtoieront sur la même plate-forme avant de se séparer. Naturellement, les TC renonceront définitive- ment à construire leur propre gare à La Brauge, comme il en avait été plus ou moins question auparavant. TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE : "ART DE VIVRE À 10 KM/H" 4 PROJETS, ÉTUDES ET CONSTRUCTION 7 UN DEMI-SIÈCLE D'EXPLOITATION 13 LES INSTALLATIONS FIXES 26 LE MATÉRIEL MOTEUR & REMORQUÉ 32 PROMENADES CORRÉZIENNES 43 LE TACOT AU QUOTIDIEN 58 JOURS DE GLOIRE 76 VACANCES AUTOUR DU "TACOT" 86 QUE RESTE- T - 94 HOMMAGE AU "DERNIER DES TORTILlARDS" ...... 106 ÉPILOGUE ...... :'.... ." .:...... 110 110

BIBLIOGRAPHIE ET DOCUMENTATION Archives départementales de la Corrèze. Voyage en - Le Limousin d'Ardouin-Dumazet La Vie du Rail : divers numéros anciens. Chemins de Fer régionaux et urbains (FACS) : N° 65. Les Chemins de Fer de Montagne Français de Lucien-Maurice Vilain. Revue Lemouzy : divers numéros. Le Transcorrézien de Gilbert Gannes. Documentation personnelle de l'auteur. COMMUNIQUÉ L'auteur recherche toute documentation, photographique ou autre, ayant trait au réseau des Tramways de la Corrèze. Merci de vous adresser à l'éditeur qui transmettra.

Cet ouvrage a été réalisé par La Régordane-éditions - Le Villard - BP N° 3 - 48230 Chanac Tél. 66 48 27 49 - Fax 66 48 27 50 Composition et mise en page : La Régordane - Philippe Guy et Muriel Lebègue. Photogravure couleurs : Serre, Nice. Photogravure noir-&-blanc, impression et reliure : Europlanning, Vérone. Imprimé en Italie. Achevé d'imprimer en mars 1993. Dépôt légal : 1er trimestre 1993. ISBN : 2-906984-14-0 @ 1993 by La Régordane. Tous droits réservés pour tous pays. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

Couverture : Conception graphique ‒ Manon Lemaux Typographie ‒ Linux Libertine & Biolinum, Licence OFL

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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.