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cartes postales prêtées par Michel REBOUCHÉ Jean LAURAIN

BRÛ l'histoire de mon village

Gérard Louis EDITEUR INTRODUCTION

Le premier appel de Jean Laurain à l'éditeur que je suis, date, il me semble, de l'année 1992 : "Je travaille sur la Libération des Vosges par le 6ème corps d'armée américain, ce sujet vous intéresse-t-il et pourrait-on se rencontrer ?". Rencontre est bien un mot magique, annonciateur de projets, d'échange parfois d'amitié. Partageant sa vie entre son appartement niçois, aux temps froids et sa maison de Brû, aux temps chauds, et son "manuscrit" demandant de nombreuses recherches, la première entrevue n'eut lieu qu'un an plus tard. Ainsi, un document de plus de 600 feuillets, œuvre d'une partie de sa vie, m'était confié pour édition. Le personnage à l'esprit vif, parlait clair et avec une certaine autorité (il aurait pu être mon père). Quelques détails vestimentaires confirmaient ses inclinations américaines. Mais derrière ces marques extérieures, affleuraient une sensi- bilité généreuse et l'envie de partager l'expérience d'une vie riche en événements de tous ordres. L'" enfantement" du livre "Libération des Vosges" ne se fit pas sans discussion : sur le tirage, sur la diffusion, sur les délais : l'homme, habitué au commandement (il avait dirigé le personnel civil de l'Otan), montrait un certain scepticisme devant cet univers de l'édition étranger pour lui jusqu'alors. Lentement, au fur et à mesure que le travail progressait, une confiance constructive s'installait et le livre dès sa paru- tion fut un succès puisqu'un second tirage s'avéra rapidement nécessaire. Entre temps, Jean Laurain m'avait confié qu'il terminait la traduction d'un recueil de souvenir écrit par son ami vétéran U.S. John Shirley et aussi que, sur son bureau, il planchait sur l'histoire de son village de Brû et que peut-être il me confierait ses documents... pour voir si... Puis début 96, cet appel téléphonique de Nice : "Je viens de faire des examens, le diagnostic est clair, la maladie est bien installée. Nous remontons à Brû, malgré... l'hiver. Je dois me faire opérer à Nancy... ". La suite, chacun la connaît. Jean Laurain partagea les mois qui lui restaient entre des séjours hospitaliers, sa vie de famille et la rédaction de cette histoire de Brû. Nos conversations téléphoniques, fréquentes, ont révélé un homme chaleureux, courageux et plus attaché à son village qu'il ne semblait le montrer. Ce travail d'historien qui le préoccupa jusqu'au dernier jour, Jean Laurain l'assuma malgré la douleur, la fatigue et la certitude qu'il ne le verrait pas paraître. Lui qui avait voyagé dans ce XX siècle, de 1940 à sa retraite professionnelle, appréciait le calme et la simplicité qui régnaient dans sa campagne vosgienne, comme un lieu de paix à l'écart d'un monde qu'il avait vu se transformer. L'histoire de Brû l'a passionné pour les mêmes raisons. Il savait que l'écrire allait au-delà du témoignage ou de l'apport au patrimoine local, et qu'il s'agissait simplement de raconter l'histoire des hommes. Le dernier appel de Jean Laurain est encore dans ma mémoire, le cancer lui avait enlevé sa voix mais ce qu'il ne pouvait dire remplissait le silence et confirmait notre rencontre. Gérard LOUIS Carte de Lorraine au 18 siècle UN POINT D'HISTOIRE ET DE GÉOGRAPHIE

u début du 18 siècle, Brû est encore l'une des cinq mairies, A. avec , Doncières et Xaffévillers qui dépendent de la Chatellenie de , baillage de Vic. Depuis de nombreuses années, l'administration d'une grande partie de la Lorraine est assumée par les évêques des Trois Evêchés, Metz, Toul et Verdun (voir carte). Tout en étant en territoire du duché de Lorraine, les évêchés ne reconnaissent au duc aucun droit sur les régions qu'ils administrent. C'est le cas de la Chatellenie de Rambervillers qui dépend de l'évêque de Metz pour le temporel alors que le spirituel est du ressort de l'évêque de Toul. A la mairie de Rambervillers, sont rattachés les villages de Jeanménil, , Saint-Benoît, et Autrey. A celle de Nossoncourt, , Ménarmont, , Ménil et Sainte- Barbe. Les trois autres mairies, Brû, Doncières, et Xaffévillers n'ont pas de communes de rattachement. Dans la Chatellenie de Rambervillers, l'évêque de Metz est le Prince régalien, haut, moyen et bas justicier sans part ni portion d'autrui, hors quelques droitures qui appartiennent aux seigneurs voués. Ces enclaves, indépendantes dans le Duché de Lorraine, rendaient leur situation bien difficile d'autant que pendant deux siècles les évêques de Metz furent souvent en guerre avec les ducs de Lorraine. Plus d'une fois, les ducs de Lorraine s'emparèrent de la Chatellenie de Rambervillers, mais celle-ci revint toujours par traité de paix ou par revanche prise par les évêques de Metz, à ces derniers. Ce n'est qu'en 1718 que Brû deviendra lorrain en vertu de l'article 13 du traité de paix conclu à Paris entre le duc de Lorraine Léopold et le régent, Philippe d'Orléans, le 21 janvier 1718 : "Le Roy cède et transporte au Duc tous les droits de souveraineté et autres qui peuvent lui appartenir sur la ville et les faux bourgs de Rambervillers sur les censes et villages de..." (se reporter à la liste des communes ci-dessus). Ce traité avait pu se conclure parce que le Roi de , ayant conquis Metz où il avait créé un Parlement en 1663 s'était substitué aux évêques de Metz pour le temporel de cet évêché. A l'occasion de l'exposition scolaire de 1889, le Préfet demanda aux maires des communes "d'établir l'état social de la commune à la fin du siècle dernier pour mesurer le chemin parcouru en cent ans". A Brû, c'est l'instituteur Oudot qui écrivit la notice sur la commune, le 2 mars 1889. La notice est une source de renseignements intéressante pour l'histoire du village. En premier lieu, sur l'étymologie du nom. L'instituteur pense que Brû pourrait venir de Breuil, petit bois isolé. Breuil se dit Breu ou lo Breu en patois. Il avance aussi l'idée que Brû peut venir du celtique Broca, Brossa, Brixa qui veulent dire broussailles puisqu'il n'y a pas de grande différence entre un bois et des broussailles et il penche pour cette définition. C'est une hypothèse qui ne manque pas d'intérêt. Mais pourquoi l'origine du nom devrait-il être, sans autres recherches, associé à des bois ou des broussailles ? La consonance de Breuil avec Brû n'est pas en soi, suffisante, pour s'en contenter. D'autant qu'à l'origine, tous les villages étaient entourés de bois ou de tailles, de broussailles, formant des clairières culturales. Des "Breuil" existent en de nombreuses communes de Lorraine. Le ruisseau qui arrose le village s'appelle le Broue (ou le Broué) de même origine que le nom du village, qui deviendra le Ruisseau de Monseigneur parce qu'il servait au flottage des bois des forêts de Saint-Benoît, propriété de l'évêque de Metz. Notons au passage, que dans l'histoire de la Chatellenie de Rambervillers sur la période 1489/1490 on trouve aussi le nom de Beru pour désigner le village et Beruwey pour le ruisseau. Ce dernier terme pourrait être une forme patoisante de "Broué". Ce qui, de toute façon, n'éclaire pas notre lanterne. Les deux noms ont à n'en pas douter la même origine et leur orthographe ne diffère probablement, que par le manque de rigueur des scribes, dans la transcription des actes, comme c'est souvent le cas au cours des siècles jusqu'à l'époque moderne. "Broué" est intéressant dans la recherche de l'étymologie de "Brû". Le nom du village vient-il du nom du ruisseau ou inversement ? La question vaut d'être posée. Il n'y a pas, à notre connaissance, de réponse satisfaisante à cette question car les deux noms voisinent souvent dans les titres anciens et l'un n'a pas d'antériorité connue et réelle sur l'autre. Ils ont la même origine, mais laquelle ? Si l'on n'accepte pas sans réserve breuil pour désigner le village comme le suggère Oudot, duquel serait tiré, en corollaire, le nom du ruisseau, on peut se hasarder à formuler l'hypothèse suivante : le ruisseau n'est pas un torrent de montagne ; c'est un cours d'eau lent aux nombreux méandres, qui serpente paisiblement dans la vallée de Corbé et à travers les prairies de Brû. A défaut d'avoir un train de sénateur, il s'écoule au train d'une brouette. Une brouette à deux roues est, en ancien français, une "béroué". Il ne reste qu'un petit pas à franchir pour arriver à "Broué" puis à Brû. Dans ce cas, ce serait le ruisseau qui aurait donné son nom au village. Choisir entre breuil et brouette... A chacun d'en tirer sa propre conclusion. L'une ou l'autre de ces définitions, simples hypothèses, est satisfaisante pour l'esprit et tend à régler la question. Il eut fallu alors arrêter les recherches car on peut encore ajouter à l'énigme du nom, sinon à la confusion des chercheurs, en révélant le grand nombre de toponymes que notre village s'est vu attribuer au fil des siècles. Peu de communes, eurent un tel foisonnement de noms différents tout en lui conservant toujours son sens originel. Le dictionnaire des toponymes est édifiant à ce sujet. On y lit : Berrue en 1182 ; A. de Berru, 1228 ; Bueruy, 1413 ; Burrut, 1420 ; Beru, 1490 ; Beruz, 1633 ; Brû, 1656 ; Brue proche Rambervillers, 1731 ; Brû ou Breux, 1753 ; Brus, Breusium, 1768. Pléthore de noms due à l'incurie de greffiers ou à l'étourderie de quelque historien. On peut aussi imaginer que l'orthographe des noms propres était laissée au bon vouloir de ceux qui les inscrivaient. Contentons-nous d'en prendre connaissance, pour mémoire, et continuons à nous distinguer de nos anciens, avec notre accent circonflexe sur l'actuel nom, le treizième de la série, auquel personne n'avait songé depuis le 12 siècle. Cela ne devrait pas nous empêcher de nous dénommer "Berruviens" à l'avenir, en mémoire du plus ancien de tous nos toponymes et effacer ainsi, une fois pour toutes, l'injustifié autant que dissonant "Broussailles". Les coordonnées géographiques du village le situe dans l'hémisphère nord, à 220° de latitude Est et 727° de longitude Nord. Son altitude moyenne est de 311 mètres et la plus élevée se trouve à 383 mètres dans le Bois d'Hertemeuche. Le village fait partie de l'arrondissement d'Epinal, chef-lieu du département des Vosges, éloigné de 32 km et du canton de Rambervillers, à 4 km. C'est un village de la plaine sous-vosgienne. "Les Vosges de A à Z" de Léon Louis nous apprennent qu'en 1887 la population du village s'élevait à 776 habitants dont 228 électeurs. En l'An XII, (1804) : 572 ; 1830 : 709 ; 1847 : 806 ; 1867 : 839. Ajoutons-y les chiffres donnés par le bulletin municipal de 1991/1992 : 1872 : 839 ; 1905 : 665 ; 1946 : 462 ; 1954 : 514 ; en 1996 : 500 ; en 1887 la répartition de la population dans les hameaux, écarts ou fermes était la suivante : la Préfecture : 62 habitants, 18 maisons. Remionfaing : 70 hab., 20 mais. ; Bois de Brû : 9 hab., 2 mais. ; Tonnerot : 10 hab., 2 mais. ; les fermes de Champ Chaudron : 2 hab., de la Crochotte : 7 hab., de la Geolotte, 5 hab. et de Loliotte 2 hab.. La surface territoriale était de 895 ha, (elle n'a pas varié depuis) et la valeur de sa forêt s'élevait à 250.000 F. La commune était sillonnée par 4.687 mètres de chemins vicinaux ordinaires et par 20.823 mètres de chemins ruraux reconnus. Quatre carrières de pierres de taille existaient sur le territoire de la commune. Un atelier de construction mécanique employait 20 ouvriers, un atelier de réparations, 6 ouvriers et une féculerie, 5 ouvriers. La gare de chemin de fer la plus proche de Brû était à Rambervillers ainsi que la Poste. Terminons ce chapitre de l'histoire de Brû en citant encore Léon Louis : en creusant des fondations au milieu du village on a trouvé, dans un amas de cendres, trois pièces d'or fort anciennes, des fragments de tuiles à rebords, des ferrements, et divers ustensiles rongés par la rouille... Le village aurait un passé historique inconnu et inaccessible ! estimée 4.360,00 F pour servir à la tenue de l'école et loger l'instituteur. Selon toute vraisemblance, et étant donné le prix élevé de l'acquisition, il s'agissait de l'immeuble qui occupe l'espace mairie-salles de réunions que nous connaissons et qui fut entièrement reconstruit en 1855 pour la somme de 9.128,09 F. Le 7 mars 1844, le Préfet autorise l'achat de la maison Duhoux pour la somme de 1.350,00 F. "La salle d'école actuelle de Brû n'est plus suffisante pour contenir tous les enfants qui la fréquentent ; que pour remédier à cet inconvénient, le plus avantageux est l'acquisition de la maison Duhoux qui se trouve au centre des habitants et dont l'étendue permettra d'y faire une salle pouvant suffire aux besoins de la population, pour la faire servir de maison d'école pour les filles". Ce bâtiment, une ancienne maré- chalerie, était vraisemblablement situé en face de l'école-mairie. Le 22 octobre 1844, par délibération du conseil municipal, le maire est autorisé à acheter l'ameublement d'une sœur institutrice, pour l'instruction des jeunes filles jusqu'à concurrence d'une somme de 400 F. Le 26 octobre 1860, le Conseil Municipal déclare que la maison d'école est devenue insalubre (ex-maison Duhoux) et qu'il est urgent de pourvoir à la construction d'un nouveau bâtiment. Le conseil a jugé en conséquence d'acheter un terrain propre pour la construction d'une maison d'école pour les filles. Considérant qu'aucun terrain de la commune de Brû ne convient mieux que celui appartenant au sieur Janel Antoine et Marie- Catherine situé au centre de la population, rue de l'église, voisin du jardin de la maison commune, celle-ci s'en rend acquéreur pour le prix de 1.000,00 F. Le 26 avril 1862, a lieu l'adjudication pour la construction de la maison d'école des filles, selon les plans de l'architecte Adam du 1 février 1862. Travaux estimés à 9.053,27 F, et qui coûteront à la commune, après le traditionnel rabais, la somme de 8.858,42 F. Les travaux adjugés à l'entreprise Jean Louis Thiriet de Jeanménil le 26 avril devront être terminés pour le 1 octobre de la même année. Le bâtiment dont il s'agit, est celui que nous avons connu et fréquenté jusqu'à sa destruction par fait de guerre en juin 1940. Voir plan du bâtiment. Le 19 octobre 1862, la vieille maison d'école est vendue aux enchères publiques pour le prix de 1.410,00 F à Nicolas Claudel. Pour conclure sur les dépenses exceptionnelles du 19e siècle, rappelons que l'église construite en 1837 coûta la somme de 21 303,56 F et que le presbytère, 33 ans plus tard lui revint à 15 553,80 F auquel il convient aussi d'ajouter le prix d'achat de la maison à la dame Rope pour 3.400,00 F. En 50 ans la commune aura dépensé la somme exorbitante de 144.953,78 F. Elle peut alors revendiquer, par son modernisme, son autonomie pleine et entière. L'ÉCOLE DES GARÇONS

e conseil municipal sous la présidence de Jean-Baptiste LDidierjean, reconnaissant que la maison d'école actuelle est tout à fait insuffisante, vétuste et malsaine pour les besoins de la population, fait établir des études et devis en 1853 par l'architecte Grillot pour la reconstruction de la maison d'école des garçons. La nécessité de reconstruire cette maison a été reconnue par le Conseil municipal qui a réservé pour cette reconstruction tous les fonds dont il peut disposer. C'est ce que le Maire explique dans une lettre adressée à M. le Préfet le 22 décembre 1853 : "les fonds dont nous pouvons disposer pour cette dépense sont répartis ainsi qu'il suit : une subvention de l'Etat : 1.500,00 F ; une autre du département : 100,00 F ; enfin le produit de la vente du quart-en-réserve qui pourra être de 4.000,00 F". Et de préciser : "le restant de l'adjudication ne pourra être payé qu'au fur et à mesure, que le bois du quart-en-réserve des années 1855 et 1856 sera vendu". Le devis définitif du 10 mars 1855, nous renseigne sur la situation de la vieille maison d'école ainsi que sur l'étendue des travaux à exécuter : "La commune ne possède pour l'école des garçons qu'un bâtiment tout à fait insuffisant pour les besoins de la population ; la salle destinée à quatre vingts élèves n'a que sept mètres cinquante centimètres de longueur sur cinq mètres cinquante centimètres de largeur ; elle est au niveau du sol extérieur et par suite humide et malsaine ; il en est de même du logement de l'instituteur. "Le bâtiment actuel sera démoli ; tous les matériaux autres que les moellons et la pierre de taille seront transportés et rangés régulièrement dans le fond du jardin de l'instituteur et entourés d'une palissade en planches ; les menuiseries que l'humidité pourrait dégrader, seront mises à couvert dans l'emplacement qui sera désigné par M. le Maire". A la lecture de ce qui suit, on comprend que la commune est sans ressources et tire parti, au mieux, de la situation, en demandant à l'entrepreneur de se contenter des "restes", en paiement des travaux de démolition : "Pour indemniser l'entrepreneur de ses frais de démolition, il lui sera fait abandon de la pierre de taille et des moellons qui en proviendront Le repous restera surplace et servira à exhausser le sol intérieur du bâtiment qui sera établi à un mètre au-dessus de celui actuel". "Le bâtiment à construire sera établi à l'emplacement de l'ancien et se prolongera dans le jardin de l'instituteur ; il aura vingt-deux mètres dix centimètres de longueur sur neuf mètres quatre-vingt centimètres de largeur ; il comprend au rez-de- chaussée, un vestibule, une chambre à four, un cellier, la grange, l'écurie et la salle d'école de dix mètres soixante centimètres sur huit mètres quatre vingts centimètres pouvant recevoir cent élèves ; le premier étage auquel on parviendra par un escalier placé dans le vestibule, comprendra le logement de l'instituteur, une salle pour les enchères et une salle pour les réunions du conseil municipal".

Pour être complet, continuons à nous intéresser aux derniers éléments constitutifs du bâtiment même si ceux-ci n'ont pas une importance capitale pour l'avenir de l'enseignement des petites têtes blondes de Brû ; quoique... "La distance du plancher de la salle d'école à celui du premier étage, celle de ce dernier à celui des greniers sera de deux mètres quatre vingt quinze centimètres ; la hauteur du bâtiment depuis le sol de la cour jusqu'au gouttereau sera de sept mètres quatre-vingts centimètres et jusqu'au faîte de neuf mètres quatre-vingt dix centimètres. En arrière du bâtiment seront établies les latrines, composées de trois cabinets dont deux pour les élèves et un pour l'instituteur et sa famille". Une bonne gestion des affaires publiques ne doit pas entraîner de déficit dans le budget de la commune et les dépenses doivent être en rapport avec les moyens du moment. Sans grande subvention de l'Etat et sans recours au crédit, un strict équilibre entre les deux postes s'impose à nos édiles. C'est ainsi que les transformations envisagées ne pourront être réalisées qu'au fur et à mesure des rentrées. L'architecte tient compte de ces impératifs budgétaires dans son devis en y inscrivant l'échelonnement des travaux : "Les ressources de la commune ne lui permettant actuellement de n'exécuter qu'une partie de la maison d'école, on ne construira que la partie qui renferme la salle d'école et l'escalier L'entrepreneur ne démolira que la partie du bâtiment que doit occuper la nouvelle construction et n'aura pour s'indemniser de sa main d'œuvre que les matériaux de moellons et pierres de taille qui proviendront de la démolition de cette partie". Compte tenu de la situation financière de la commune, l'architecte, prudent, se fera régler ses honoraires à l'avance, soit 315 francs votés par le conseil municipal le 9 janvier 1855 pour un devis total s'élevant à 12.600,00 francs. Un rabais, comme c'est l'usage, sera consenti par l'entreprise, Jean-Louis Georges Thiriet et Georges Bailly entrepreneurs associés. La facture pour ce bel immeuble sera finalement arrêtée à 9.128,01 francs. La construction sera exécutée selon les plans. Quand les travaux seront terminés, le Conseil et la population trouveront matière à une légitime fierté car l'édifice a un bel aspect, sobre et harmonieux à la fois, pratique pour les enfants et les logements des maîtres sont confortables. De plus, le conseil pourra délibérer en toute quiétude dans une vaste salle de Mairie et les élections municipales, cantonales, législatives pourront s'y dérouler dans les meilleures conditions. Au fil des années, la satisfaction d'avoir réalisé un projet en tout point satisfaisant, bien conçu et bien exécuté, s'émousse et fait place à de nouvelles exigences. Des améliorations sont à réaliser. Ce qui était beau, moderne et fonctionnel en 1855 ne l'est déjà plus, trente ans plus tard. A l'usage, la salle de classe de 100 m2 pouvant contenir cent élèves se révèle trop grande, bruyante et présente un inconvénient majeur car deux maîtres doivent y exercer leur talent en même temps. Situation qui doit créer une étrange cacophonie. Le Docteur Fournier, Médecin Inspecteur et Délégué cantonal examine la situation. Il demande de tourner une moitié des tables dans un sens et l'autre moitié dans l'autre. "Cela permettra à tous les élèves de recevoir le plus fort éclairage de gauche" dit-il. Solution qui ne résout pas le vrai problème et ne peut être que transitoire. Des propositions de couper la salle en deux dans le sens de la longueur par la construction d'une dalle sont faites en 1883 mais trois conseillers s'y opposent, Durupt, Renard et Huraux pour des raisons de forme plus que de fond. Nul ne semble contester la nécessité de cette modification, mais les travaux ont été engagés sans accord préalable, sans appel d'offres et sans avoir obtenu la subvention de 600,00 francs de l'Etat. D'où l'opposition des trois conseillers. L'inspecteur primaire vient en visite le 4 septembre 1884, pendant les vacances, apprend-on dans le compte-rendu de sa visite, pour tenter de convaincre les intéressés de la nécessité de modifier la disposition de la salle. Le problème est d'un autre autre ordre. Comme en 1855, la commune rencontre des difficultés financières pour entreprendre des travaux. L'argent manque. Le projet capote. Après son exposé, l'Inspecteur constate que "tout le monde était d'accord y compris les trois protestataires mais les revenus municipaux ne permettaient pas cette dépense." "Je n'ai pas insisté et suis parti" dit encore l'Inspecteur "espérant que cette affaire n'aurait de solution que quand la subvention demandée serait concédée par l'Etat". La subvention sera accordée et la dalle sera finalement construite. La salle de gauche sera occupée par les garçons tandis que l'aile droite sera consacrée à la "petite école" ou "classe enfantine", un mélange de classe maternelle et de cours préparatoire. On fréquente la petite école à partir de quatre ans pour y apprendre à lire et à écrire jusqu'à l'âge de sept ans révolus. Les dérogations d'âge sont rares sauf si un élève se distingue par son inaptitude à apprendre à lire couramment. Il pourra alors séjourner un an de plus ou quelques mois seulement, à la petite école. Un dernier changement interviendra dans l'affectation des salles en 1925 par décision du nouvel instituteur : les garçons déménageront dans "l'école des filles" dont nous allons parler. Dans les années 30, l'enseignement des filles est dirigée par Marthe Bédel femme affable sous son beau masque de tragédienne, pouvant à l'occasion, être sévère alors que la classe enfantine est confiée, entre autres, dans la même période, à Madame Gérard, à Madame Duscio et à Mlle Brignon. M. et Mme Chartier succéderont à M. et Mme Bédel quand ceux- ci prendront leur retraite en 1935. L'école des garçons échappera aux destructions de la guerre et fonctionnera à la satisfaction de tous jusqu'en 1952 date à laquelle elle sera remplacée par le magnifique groupe scolaire que l'on connaît aujourd'hui. Le bâtiment continuera à abriter les services de la mairie et les salles de classe, à servir de salles de réunions dont, entre autres, le vin d'honneur aux Anciens Combattants les 11 novembre et 8 mai, la réunion annuelle des Anciens au cours de laquelle est servi un repas. Les réunions hebdomadaires du club les "Pervenches" se tiendront dans l'ancien appartement du Maître d'école aménagé à cet effet. Dans les années 80, le Maire Alphonse Misslin transformera le bâtiment en l'agrandissant d'une salle de réunion d'une surface supérieure a 500 m sur deux étages avec une rampe d'accès pour les handicapés ou les moins mobiles et une scène pour y produire des pièces de théâtre ou y recevoir les orchestres les jours de bal. Des salles annexes, cuisine, vestiaires et tout le matériel nécessaire au fonction- nement des nouveaux locaux sont disponibles. Ce bel ensemble coûtera à la commune la somme de 1.300.934,72 francs. Une couche de peinture au ton chaud et moderne sur le façade en fera un bâtiment élégant, par ailleurs fonctionnel avec parking, apprécié des étrangers à la commune, pour y célébrer mariages, baptêmes ou autres événements familiaux. L'ÉCOLE DES FILLES

u début du 19e siècle, l'enseignement des jeunes filles ne A semble pas encore entrer dans les mœurs des villages de France. C'est un sujet secondaire et il est admis que les jeunes filles doivent être employées aux tâches ménagères, apprendre la couture ou la broderie, faire le raccommodage, repasser le linge ; toutes tâches qui les prépareront à tenir leur foyer et à élever leurs enfants. Cette conception du rôle de la femme dans la société appartient aux familles riches ou aisées. Dans les foyers plus modestes, les plus nombreux à la campagne la question de la tenue du foyer ne se pose pas réellement. Les jeunes filles doivent, dès leur plus jeune âge, pourvoir aux travaux des champs et travailler à la ferme ou à la maison aussi durement que les hommes. C'est ainsi qu'il n'était pas rare de voir des jeunes femmes usées par le travail et paraissant dix ou vingt ans de plus que leur âge réel. L'agronome anglais Arthur Young qui parcourt la France à cheval pendant les dernières années du 18e siècle observe les coutumes des paysans français et leur méthode de travail. Il rapporte "qu'ayant rencontré une pauvre femme qui se plaignait du temps et du triste pays.... ; cette femme, vue de près, on lui aurait donné, dit-il, soixante ou soixante dix ans tant sa taille était courbée et son visage durci et ridé par le travail mais elle me dit n'en avoir que 28..." Après la Révolution les choses commencèrent à changer dans tous les domaines. A Brû, on l'a vu, dès 1844, la municipalité, sous la présidence du maire Launois, pense à l'éducation des jeunes filles en achetant la maison Duhoux pour servir d'école et six mois plus tard, elle fait l'achat du mobilier de la sœur, institutrice. Dix-huit ans plus tard, la maison ne répond plus à la demande et une école sera bâtie sur le terrain de la propriété Janel idéalement située car dans l'alignement de celle des garçons et formant un ensemble avec celle-ci. C'est l'école que nous avons connue et fréquentée jusqu'à sa destruction en juin 1940 par fait de guerre. L'éducation des jeunes filles est confiée aux religieuses. Est- ce pour des raisons financières ? Les sœurs n'étaient peut-être pas rémunérées par la commune ; ou parce que destinée par leur formation à l'enseignement des jeunes filles ? Le bénévolat est vraisemblable car l'apprentissage de la lecture pouvait se faire en s'appuyant principalement sur les textes de l'histoire sainte. Deux objectifs pouvaient ainsi être atteints en un seule opération. Ce sont les sœurs de la Providence de qui assureront l'instruction des jeunes filles de Brû de 1844 à 1901, date à laquelle la loi du ministre Waldeck-Rousseau du 1 juillet sur les associations, soumet toutes les congrégations au régime de l'autorisation législative. La loi Combes de 1904 leur refusa définitivement le droit d'enseigner. Elles furent remplacées par des institutrices laïques, dont Mlle Léonard qui resta longtemps à Brû. Pendant la durée de leur enseignement à Brû, seize sœurs dont une directrice se succéderont : ce sont sœurs Martin, Blaise, Wolfrom, Boudonnay, Bourgeois, Bohler, Jouron, Aubert, Joilquin, Jeandel, Bouchu, Legrand, Durand, Humblot et Pinte. Des statistiques relevées en 1897, nous indiquent que la classe de la directrice avait 30 élèves en hiver et 27 en été, tandis que la garderie n'avait que 20 enfants en hiver et 17 en été. L'école des filles était donc située entre l'école des garçons et l'épicerie Adam-Durand, (elle deviendra école des garçons en 1927). Elle est dirigée de main de maître, sans jeu de mots, par l'instituteur Camille Bédel. Détruite en 1940 dans la tourmente de la guerre, elle entraînera dans sa perte tout le matériel qu'elle contenait : l'horloge de parquet, qui semblait ne jamais vouloir indiquer l'heure de sortie ; l'armoire lorraine où étaient rangées les fournitures ainsi que le poste de T.S.F qui n'avait jamais pu faire autre chose que crachoter, l'aspirateur électrique pour faire le ménage, peu prisé des élèves car plus lent que le balai de paille de riz ; le projecteur de cinéma "Pathé Baby", pour présenter des films comiques ou documentaires qui devaient être sans cesse recollés pendant la projection car fragiles et usés jusqu'à la corde. Les jours de séance publique, cela se produisait de temps en temps, la population accourait voir cette nouveauté, séance exceptionnellement agrémentée d'un air de violon joué par Pierre, le fils de l'instituteur ; la lanterne magique ; le fourneau en fonte noire, rond, imposant par sa grande taille, décoré d'un bandeau de grappes de raisins, ajouré entre les feuilles d'où s'échappait la chaleur, servant aussi au maître pendant l'étude pour faire frire des tranches de lard devant "la tirette" ; le bureau du maître, haut perché, que celui-ci n'utilisait jamais, préférant une chaise au premier rang des tables, et plus près du fourneau en hiver ; les tables, le tableau noir posé sur le chevalet qui était si souvent tombé sur les têtes des élèves quand ceux-ci recevaient une correction, les belles cartes de France Taride explicites ou muettes. Les livres de lecture, le Bouillot, Grand Cœur et les petits livres de la Bibliothèque Rose. Tout avait brûlé, fondu dans la fournaise en juin 1940 y compris les souvenirs, irremplaçables. Le chauffage central que l'on connaît aujourd'hui est un luxe impensable pour les bâtiments communaux dans les années 30. Les fourneaux à charbon ou à bois sont encore largement utilisés à la campagne et dans les villes. Seules quelques habitations bourgeoises dans les villes sont équipées d'une chaudière centrale. Le chauffage des écoles de la commune ainsi que les appartements des maîtres se fait en toute logique, étant donné la richesse en forêts de la commune, par le bois que les bûcherons façonnent en hiver. Trente ou quarante stères de bon bois de hêtre sont déposés pour les écoles, chaque année, dans la rue car le mur de la cour de récréation empêche l'accès aux bâtiments. Le sciage est confié à l'artisan du village, Raymond Vilmar. Toujours coiffé d'un béret, c'est un costaud aux yeux ronds, noirs et étonnés. Sa scie, actionnée par un moteur à essence requiert de nombreux ajustages et lui cause bien du souci. Le moteur est capricieux et ne démarre qu'après plusieurs essais infructueux qui peuvent durer une partie de la matinée. La scie saute souvent ou ayant rencontré un éclat d'obus de la guerre 14/18, enfoui dans la profondeur du bois, ne coupe plus et doit être remplacée. Toutes les pannes sont accompagnées de jurons qui ne sont pas de chez nous car il n'est pas originaire de la commune. Son accent est tout aussi bizarre que ses jurons et son français est sans doute un mélange de patois de chez lui car il l'écorche allègrement. Les enfants l'écoutent avec amusement d'autant qu'il n'arrive même pas à conjuguer convenablement, dans la conversation, le présent de l'indicatif... ! C'est un bon ouvrier, sympathique et serviable, apprécié de toute la population, consciencieux dans son travail et les bûches sont vite débitées en morceaux de bonne dimension. Quand il aura pris sa retraite ce sera Charles Renard, le distillateur du village, qui en sera chargé. Il reste à fendre à la hache, à "casser", les morceaux de bois pour les rendre utilisables dans les fourneaux. Ce travail sera souvent confié au garde-champêtre du village Emile Bombardier handicapé d'un bras. Cela l'oblige à reprendre le même morceau plusieurs fois de sa seule main valide, le placer sur le bloc, prendre sa hache et sans perdre une minute, de crainte que le bois ne retombe, lui assener un coup, reprendre les morceaux éclatés et ainsi de suite. Un travail de titan. C'était un homme calme à la voix feutrée qui devait travailler durement pour élever sa famille nombreuse car les aides aux familles n'existaient pas encore. Homme aux multiples aptitudes et au courage sans borne, il est chantre à l'église chaque jour de la semaine, Garde- champêtre, appariteur, épicier ambulant pendant un temps pour le compte d'une maison du midi, il tire avec son épouse une charrette parfois dans la neige pour proposer café, huile, savon et quelques autres produits à ses nombreux clients.

Les morceaux de bois sciés et fendus à bonne dimension sont ensuite transportés par les élèves dans les greniers des écoles, dernière étape d'une longue chaîne, la plus joyeuse de toutes car ils "sèchent" les cours. Faire travailler les enfants à de durs travaux manuels étaient encore admis dans les années 30 et ne cessera complètement que dans les années 50. Photo des élèves de l'école de Brû en 1928 Instituteur : Monsieur Camille BÉDEL

1 rang en haut de gauche à droite : Charles BARBAS, Marcel KAISER, Georges PETITJEAN, Pierre EHLINGER, Pierre PARIS. 2e rang : Fernand BOMBARDIER, Fernand DIDIERJEAN, Camille VOUAUX, Hubert PETITJEAN, Jacques BÉDEL. 3 rang : Georges (?) JANEL, Maurice VOUAUX, Jean BENOÎT, Paul DURAND, Charles MANGIN, Jean LAURAIN (l'auteur). 4e rang : Maurice LECOMPTE, Pierre RICHARD, (?) JANEL, Gaby BOMBARDIER, Jean RENARD, Jacques PARIS. Note : L'école a été détruite en 1944. Elle se trouvait à côté de l'épicerie. LOISIRS ET SPORTS - L'INSTITUTEUR

es armes de la Grande Guerre se sont tues depuis bientôt six L ans, mais les cicatrices qu'elle a ouvertes ne sont pas encore refermées. Presque toutes les familles du village sont touchées par les conséquences d'une guerre de quatre ans et la population continue à vivre avec le souvenir de ses morts. Le deuil de ceux qui ont perdu un membre de leur famille se manifeste par une grande tristesse aussi bien dans leur attitude que dans leur habillement. Le noir est de rigueur. La vie est sans intérêt et on vit par habitude plus que par désir. Les enfants et les adolescents même semblent avoir perdu de leur insouciance naturelle et c'est une vie de langueur morne, sans but, sans joie qui les habite. Tout rappelle la guerre, les jeux de soldats, l'équipement militaire récupéré, les cahiers d'école aux couvertures vengeresses, les histoires des anciens combattants maintes fois entendues, etc. Il faudrait qu'un événement heureux important se produise ou mieux encore, qu'une personne se lève pour secouer cette léthargie et faire oublier les malheurs contre lesquels ils ne peuvent rien. Chacun sent que l'ennui gagne mais que faire pour changer la vie ? Les seules manifestations qui rassemblent les gens sont celles qui ont lieu en mémoire des morts, fête de la Toussaint, anniversaire de l'armistice, et les fêtes religieuses, Fête-Dieu, Rogations... Comment tourner la page tout en restant fidèles à la mémoire des disparus ? Une personne va opportunément se présenter aux habitants de Brû en pleine canicule, au mois d'août 1924, en la personne de l'instituteur Camille Bédel qui vient prendre possession de son poste, en remplacement de Monsieur Balland qui prend sa retraite. Il arrive par une journée sans nuage accompagnée de sa femme et de ses deux enfants dans sa berline décapotable Citroën modèle B-2. Le camion de déménagement en provenance de Romont suit à quelques kilomètres. Le mobilier est vite déchargé.