VIES DES PERSONNAGES CÉLÈBRES DE L' DU MEME AUTEUR :

Tout le long de l'Hôpital. Hors commerce (épuisé). (sa Cité, sa Couronne). Artaud, éditeur. Carcassonne (Its City, Its Crown, traduction anglaise). Arthaud,. éditeur. Causses et Cévennes. Arthaud, éditeur. Profils occitans. Jordy Carcassonne, éditeur (épuisé). Trencavel et le Drame Albigeois. Pierre Roger, éditeur. L'Itinéraire en Terre d'Aude. Causse, Graille, Castelnau, Mont- pellier. en . — I. Sculpteurs du Midi. Floury, éditeur. II. Peintres du Midi. Floury, éditeur. III. Ecrivains du Midi. Floury, éditeur.

A PARAITRE

Les Emmurés de Carcassonne.

EN PREPARATION

Petite Histoire de l'Aude. Sur les pas de Simon de Montfort. Terres d'Aude. Légendes et Héros de la Terre d'Aude. Paul Dardé, tailleur de pierres, etc... JEAN GIROU

VIES DES PERSONNAGES CELEBRES DE L'AUDE

MONTPELLIER — CAUSSE, GRAILLE & CASTELNAU 7, Rue Dom-Vaissette

1940 A MON FRÈRE PAUL LÉON GIROU

Dans la vie des hommes qui ont marqué leur passage d'un trait de lumière durable, recueillons pieuse- ment, pour l'enseignement de la pos- térité, jusqu'aux moindres paroles, aux moindres actes propres à faire connaître les aiguillons de leur grande âme. PASTEUR. Jamais notre esprit et notre cœur n'eurent autant de raisons de se tourner vers la richesse nationale qui rayonne de notre passé. La pour vivre doit veiller sur ses traditions spirituelles ; on ne peut pas lui contester l'empire de ses grands hommes. Faire l'appel des personnages célèbres de l'Aude, tel est le but de ce livre. Pour établir ces « vies », nous avons puisé à de nombreuses sources : biographies, monographies, relations, correspondances, dictionnaires, encyclopédies, mémoires, cartullaires, anthologies, préfaces, discours, oraisons funèbres, livres de famille, etc. Dans nos recherches, les études de MM. Auguste Fourès, Gaston Jourdanne, le professeur Marfan, Henri Sivade, J. L. Lagarde, J. F. Jeanjean, l'abbé Salvat, Jean Amiel eurent le prix de docu- ments indispensables. Notre joie fut de découvrir, notre travail de lier ces glanes.

VIES DES PERSONNAGES CÈLÉBRES DE L'AUDE

PREMIERS SIÈCLES

LICINIUS CRASSUS (118 avant J.-C.) — Fondateur de la Colonie de

Licinius Crassus, nous appartient comme fondateur de la colonie romaine de Narbonne; c'est sur l'initiative de ce jeune Romain, âgé alors de vingt-six ans, que le Sénat eut l'idée de coloniser l'Aude. Crassus conduisit en l'an 118 avant Jésus- Christ sur les bords de l'Aude plusieurs familles de citoyens romains — la colonie était créée — Narbonne était choisie comme établissement dans cette partie de l'Europe : les Romains lui donnèrent le nom de Narbo Martius parce que consacrée au dieu Mars; elle devint capitale de la Province Narbonnaise, qui se limitait au sud par la Méditerranée et par les Pyrénées; à l'ouest par la Gimone, affluent de la Garonne; au nord par le Tarn, les Cévennes et le Rhône moyen; à l'est par les Alpes. Narbonne rivale maritime de Marseille allait devenir une capitale magnifique à l'image de Rome. Licinius Crassus avait bien débuté dans la vie; de retour à Rome il fit une carrière de jurisconsulte et d'orateur. Consul en 95, il est nommé censeur en 92; il fait aussitôt fermer les écoles de rhéteurs qu'il juge nuisibles pour la jeunesse. Orateur, son éloquence était calme, grave et ironique.

VARRO (,Publius, Terentius, Varro, Atacinus) (82, avant J.-C.) — Poète — Narbonne

Publius Terentius Varro, surnommé Atacinus (l'Atacien), naquit à Narbonne d'une famille romaine vers 82 avant l'ère chrétienne. Dès son adolescence, il fut envoyé à Rome qui était l'Urbis, capitale du Monde sous Auguste; il se consacra à l'étude des Lettres. Il fit ses débuts comme poète satirique, mais il connut surtout ses succès comme poète élégiaque, didactique et épique. Elégiaque, il chanta son amante Leucadie; épique, son poème De Bello Sequanico où il relate les exploits de César contre les Séquaniens, le rendit célèbre. Grand admi- rateur des Grecs, il traduisit en vers latins les quatre livres des Argonautiques d'Apollonius de Rhodes. P. Terentius Varro Atacinus fut considéré par Quintilien, Horace, Properce, Ovide, Stace comme un des grands auteurs du siècle d'Auguste, et Virgile lui rendit un suprême hommage en lui empruntant des vers entiers. Varro mourut encore jeune vers l'an 37 avant Jésus-Christ.

MONTANUS (Votienus) (Né sous Auguste; mort en 28 de l'ère chrétienne) — Poète — Narbonne Votienus Montanus est né à Narbonne sous le règne d'Auguste; il vivait à Rome sous Tibère; poète et orateur, il excellait par les dons de l'esprit et mérita l'estime de Martial, de Tacite et des Senèque. Homme de vertu, les licences de l'Empereur Tibère l'indignèrent et publiquement il blâma les débauches et les crimes du fils de Livie. Le sévère Tacite a fixé dans son œuvre l'attitude courageuse de Votienus Montanus. Tibère proscrivit Montanus; il l'exila aux Baléares, à Major- que. Montanus fut stoïque et supporta avec courage l'exil, il mourut sur la terre étrangère deux ans après vers l'an 28 de l'ère chrétienne.

FRONTON (Marius, Cornélius) ( -170 — Orateur, Grammairien — Narbonne Marius Cornelius Fronton, célèbre rhéteur du II siècle, est né à Narbonne ; il professa l'éloquence à Rome et fut un maître très entouré et d'une brillante réputation. Ce grand orateur se complète d'un grammairien disert et à ce titre il devint le précepteur des Empereurs Marc-Aurèle et Lucius Verus. Ses illustres élèves le remercièrent par des présents, des dignités et des honneurs. Fronton fut nommé sénateur, consul (143) et proconsul d'Asie (148). Orateur, Aulu-Gelle le compare à Ciceron. Précepteur, il enseigna la pratique des vertus et son auguste élève Marc- Aurèle a pu écrire dans ses Pensées : « J'ai senti grâce à Fronton tout ce qu'il y a dans un tyran d'envie, de duplicité, d'hypocrisie et combien il y a peu de sentiments affectueux dans ces hommes que nous appelons patriciens. » L'Empereur Marc-Aurèle fit élever une statue à son illustre maître. Fronton mourut vers l'an 170.

SAINT SEBASTIEN (250-287) — Martyr — Narbonne

Le futur saint Sébastien naquit à Narbonne vers 250; son père était Narbonnais et sa mère Milanaise. Très jeune, il entra chez l'Empereur Dioclétien comme officier de sa Maison et se signala par sa noblesse et sa bravoure. Chef de la première cohorte, il assistait les chrétiens dont il partageait la foi en secret. C'est ainsi qu'il soutint le courage de deux jeunes patriciens arrêtés comme chrétiens. Leurs familles les conjuraient d'éviter la mort en reniant leur foi. Saint Sébas- tien qui les visitait souvent dans la prison ranima la flamme de leur jeune foi et convertit leur père, leur mère, leur femme, leurs enfants, leurs parents et leurs serviteurs. Ces conversions nombreuses de païens furent signalées à l'Empereur Dioclétien, et saint Sébastien fut dénoncé. L'Empe- reur lui fit des reproches : « Je t'ai toujours chéri et distingué parmi les principaux personnages de ma cour et tu désobéis à mes ordres en insultant les dieux. » Sébastien lui répondit : « J'ai toujours invoqué Jésus-Christ pour ton salut et pour la conversion de Rome et j'ai toujours adoré Dieu qui est aux cieux. » L'Empereur ordonna d'attacher cet officier à un arbre et de le cribler de flèches, supplice qui était réservé aux militaires. Saint Sébastien fut laissé pour mort. Une sainte femme, Irène, fit enlever pendant la nuit le corps du saint pour l'ensevelir, mais il fut trouvé vivant. Elle le soigna chez elle ; saint Sébastien guéri se mit sur le passage de l'Empe- reur qui se rendait au Temple. Dioclétien fut terrifié par cette apparition. Le martyr lui reprocha sévèrement de persécuter des sujets fidèles qui le servaient loyalement et priaient pour lui. Dioclétien, remis de sa stupéfaction et voyant que ce n'était pas un fantôme, eut une véritable crise de fureur et fit saisir par sa garde le jeune martyr qui fut assommé dans le Cirque à coups de bâtons et de verges ; son corps exsangue fut jeté dans un cloaque. Une pieuse chrétienne, Lucine, fit retirer le corps du courageux martyr qui fut ense- veli dans les catacombes (287).

CARUS MARCUS AURELIUS ( -283) — Empereur Romain — Narbonne Marcus Aurelius Carus, né à Narbonne, devint Empereur Romain (Narbo a donné à la Métropole Romaine plusieurs empereurs). Préfet du Prétoire sous Probus; il fut, après le meurtre de cet empereur, élevé à l'Empire par les Légions. Grand soldat, il resta à la tête de l'armée et défit les Sarmates qui avaient envahi l'Illyrie; puis il marcha contre les Perses et enleva dans une rapide campagne la Mésopotamie, Seleusie et Clésiphon. Carus a laissé dans l'histoire romaine le souvenir exceptionnel d'un empereur bon, énergique et vertueux, effigie frappée à l'image des anciens Romains. On raconte que pendant sa campagne contre les Perses, il reçut sous sa tente une délé- gation qui implorait un armistice. Il écoutait les ambassa- deurs, en mangeant des pois et un peu de lard rance ; brusque- ment il enleva le bonnet de fourrure qui recouvrait son crâne chauve et proféra que si le roi des Perses ne se soumettait pas sans conditions, il ne laisserait pas sur le sol envahi plus d'arbres qu'il n'avait de cheveux. La tradition rapporte qu'il ressemblait à Jules César; son règne ne dura que dix-sept mois, il mourut assassiné ou frappé par la foudre sous sa tente; ses fils lui succédèrent.

CARIN (M. Aurélius, Carinus) ( -285 ) — Empereur Roumain — Narbonne

Carin créé César par son Père, fut chargé de l'Italie et de l'Empire Occidental, tandis que son jeune frère Numérien continuait à combattre les Perses. Autant son père fut un empereur simple et bon, autant son fils Carinus fut corrompu et cruel; l'exil, l'assassinat, la concussion, la débauche s'ins- tallèrent à la cour; ses favoris dirigeaient les affaires, tandis qu'il ne s'entourait que de courtisanes et d'histrions; l'Histoire rapporte qu'en un an il épousa et répudia neuf femmes; avec faste il dilapidait le trésor d'Empire. Après la mort de son père Carus, il devint Empereur et il fit célébrer des fêtes éblouissantes; le poète et courtisan Calpurnius chanta les jeux du Cirque et les orgies de cet événement. Mais après le meurtre de Numérien, son frère, par son beau-père Aper, préfet du Prétoire, Dioclétien prit la pourpre. Carinus l'attaqua à Margum sur le Danube et le vainquit, puis battu à Mesie il fut assassiné par un de ses tribuns (285).

FESTA (III siècle) — Première Ere Chrétienne — Narbonne

On a retrouvé à Narbonne le sarcophage d'une jeune chré- tienne nommée Festa. Sa sagesse et sa beauté furent chantées par un poète. Festa évoque la jeune religion naissante : assemblées secrètes présidées par un ancien dans les maisons privées, le samedi ou le dimanche, jour de la résurrection du Seigneur; réunions discrètes où on lisait l'Ancien Testament, les lettres des Apôtres et les discours attribués à Jésus; agapes (repas d'amour) où se réunissaient les fidèles qui célébraient en commun la Sainte Cène, sous la double forme du pain et du vin; actions de grâce en mémoire du sacrifice de Jésus, Eucharistie qui veut dire : remerciement. Festa participait à cette vie de foi et de charité. Fut-elle une tendre victime de la persécution? Fut-elle immolée par une dénonciation répandue contre les chrétiens à cause du mystère dont ils s'entouraient ? Fut-elle une martyre des jeux du Cirque, car la propagande chrétienne alarmait les intérêts de ceux qui vivaient du culte païen ? Fut-elle une jeune praticienne convertie la plupart du temps par une esclave originaire de Syrie? Ou simple ouvrière d'humble famille, car le recrutement des jeunes chrétiens se fit d'abord parmi les petits et les pauvres, le christianisme étant un mouvement aussi social que divin? Festa est pour nous la jeune chrétienne qui est morte pour sa foi, elle nous fait passer de Rome au Christianisme des premiers âges. LEON (Fin du V siècle) — Orateur — Narbonne

L'Ecole de Narbonne prolonge sous la domination wisigothe la civilisation romaine. Les descendants d'Alaric s'initient à la langue romaine. Narbonne, capitale de la Septimanie, continue les grandes traditions de l'époque des Auguste. L'Ecole de Narbonne est célèbre et à la fin du V siècle y brille le fameux orateur Léon, maître d'éloquence et poète, le Cicéron et le Virgile de son époque. Léon était un descendant de Fronton, le précepteur de l'Empereur Marc Aurèle. Son talent magistral le fit accéder aux fonctions de Secrétaire du Roi Goth Euric. Euric sut se servir des connaissances de Léon dans les lois civiles et ecclésiastiques pour fixer un code wisigoth. Léon continua son ministère de justice et de paix sous le règne d'Alaric fils qui eut le mérite de conserver près de lui ce conseiller remarquable.

COSENTIUS (Fin du V siècle) — Poète, Ambassadeur — Narbonne

Cosentius appartient lui aussi à la cour du Roi Euric, favori du monarque, ce Narbonesien de qualité fut envoyé en ambas- sade à Constantinople. Poète inspiré, il composa des poésies latines et même des odes en grec. Dans sa somptueuse villa des bords de l'Aude, il recevait écrivains et lettrés. Dans ce cénacle littéraire, ses invités le comparaient à Pindare. XIIe SIECLE

ERMENGARDE (Début du XII s. — 1197) — Vicomtesse de Narbonne

Ermengarde qui régna sur la Vicomté de Narbonne pendant cinquante et, un ans, de 1142 à 1193, est une princesse dont le nom s'inscrit aux fastes de Narbonne par son intelligence, sa bravoure, son habileté. La Vicomtesse Ermengarde de Nar- bonne domina le Moyen Age du XII siècle par des qualités politiques et même militaires de premier ordre; elle y ajouta comme loisirs les fleurs de poésie et le culte de la Beauté. Ermengarde descend en ligne directe du premier vicomte Aymerillot, ce preux de légende, qui, à grands coups d'estocs, enleva Narbonne aux Sarrazins devant Charlemagne qui applaudissait à sa bravoure. Ermengarde, presque enfant, eut déjà à lutter; elle dut reconquérir son domaine sur le Comte de Toulouse qui s'en était emparé à la mort de son père. Durant six ans, elle batailla contre son ambitieux suzerain ; elle connut les camps. les chevauchées, les combats; diplomate, elle joua avec habileté des alliances et des neutralités, enfin elle put récupérer son Etat. Ermengarde gouverna un peuple aisé et frondeur, pendant un demi-siècle; elle travailla pour le plus grand bien de sa ville et de sa vicomté, elle perfectionna l'armure des tours et des remparts, dota d'un portail monumental très ouvré l'église romane de Lamourguier, doubla de bas-côtés la nef du XI siècle de l'église Saint-Paul et dans un vallon désert elle fonda la célèbre abbaye de Fontfroide qui allait devenir par la suite un pur joyau. Ermengarde menait sa vicomté avec des qualités de chef d'Etat; après avoir gagné la guerre, elle profitait de la paix pour parer sa ville et attentive elle défendait âprement ses droits contre le puissant Archevêque qui, Grand Prince de l'Eglise, aurait désiré en faire sa vassale. Ermengarde, dans toute sa politique, s'appuyait sur son peuple; un jour que les bourgeois turbulents se plaignaient de son administration, elle déclara avec à-propos : « Ils ne sont pas contents de mon gouvernement, qu'ils se gouvernent donc eux-mêmes ! Ils verront comme c'est commode. » Et elle appliqua aussitôt en « homme d'Etat » cette maxime, et leur accorda en 1148 une commune avant même celle de Toulouse. Les consuls élus auraient ainsi la responsabilité du pouvoir. Ermengarde collabora attentivement avec eux, développa commerce et industrie, et les « barques » et les « galères » partent des quais avec blé, vin et draps jusqu'en Afrique et en Syrie; par la puissance et la richesse la vicomté de Narbonne égale bientôt les principautés de Toulouse, de Castille, d'Aragon. Ermengarde, véritable souveraine, signe des alliances avec le Pape Alexandre III, le roi de France, Louis le Jeune, et passe des accords commerciaux avec Gênes, Pise, Savone, Constanti- nople. La Vicomtesse Ermengarde reçoit par autorisation royale le droit de rendre la Justice. Ermengarde était un chef d'Etat complet, et se délassait des soucis du pouvoir par les Lettres et les Arts. Des réceptions somptueuses réunissaient la noblesse des environs, tournois et chasses devenaient les jeux nécessaires quand la guerre fermait son rideau de fer; divertissements avec jongleurs et balladins, repas magnifiques où dans la vaisselle d'or étaient servis faisans et paons, et comme couronnement de haut goût, c'était l'apothéose des cours d'amour où les troubadours cise- laient sur des rimes précieuses des pensées délicates. Princes, seigneurs, ducs, barons, châtelains, nobles et gentilhommes sont la cour attentive et amusée de ces juridictions d'amour : fête d'élégance et de haute vie, fête de somptuosité et d'esprit, fête de luxe et de courtoisie, hymne d'exaltation et d'amour. Les plus grands troubadours passèrent à la Cour d'Ermen- garde : Bernard de Ventadour, Saill de Scola de Bergerac, Guiraud de Bornelt, Peire d'Alvergne. En plus de tous ces poètes, Ermengarde eut, comme il était de mode, son poète attitré qui chanta Ermengarde non par occasion mais d'une manière continue : ce fut Peire Rogier; le poète d'origine auvergnate fut d'abord chanoine, puis se fit jongleur et vint à Narbonne « en la cort de ma Dona Esmengarda qu'era de gran valor et de gran pretz » ; il s'éprit de la Vicomtesse et resta à sa cour de 1160 à 1177, il composa vers, chansons et tensons en l'honneur de sa Dame, puis les « lauzengiers » (médisants) répandirent des bruits malveillants, et le poète et la princesse durent se séparer. Ermengarde, au crépuscule de sa vie, sentit sa tâche termi- née, et avec le même courage qu'elle avait conquis et rendu prospère sa vicomté, elle voulut la quitter en beauté, elle confia le pouvoir à son neveu et alla s'enfermer dans la clôture d'un monastère en Roussillon, où elle termina sa vie, si bien remplie, dans la prière, en 1197.

MIRAVAL (Raymond de) (XII s. — 1218) — Troubadour — Miravals-en-Cabardès Raymond de Miraval était un petit chevalier du Cabardès; il appartient au XII siècle, la période la plus brillante pour la noblesse méridionale; période de splendeur pour la poésie romane. Par la vivacité de son esprit et par le charme de son talent, Raymond de Miraval fut apprécié de Raymond VI, comte de Toulouse. Son commerce agréable le rendit l'ami de Pierre II, roi d'Aragon, de Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers, des seigneurs de Saissac et des grands barons du Midi. La haute société se disputait le seigneur troubadour, toutes les dames de haut lignage s'en amusaient et le galant chevalier eut beaucoup à souffrir des femmes. Il vécut avec insouciance et frivolité durant le sombre drame albigeois, pendant que la Croisade des Chevaliers du Nord commandée par l'implacable Simon de Montfort ravageait l'Occitanie, Raimon de Miraval chantait; la plupart de ses chansons amoureuses sont probablement de cette période tragique. Pendant que la guerre faisait rage, il ne songeait qu'à s'amuser : « Amors me fai cantar et esbaudir ». Il mourut très vieux, vers 1218 ; mais il est probable que sous le nom de Raimon de Miraval on groupe deux personnes de la même famille, le père et le fils, ce qui peut expliquer l'insouciance des chansons qui auraient été écrites par le père avant la Croisade et le souffle amoureux qui aurait inspiré non le père devenu vieillard, mais le fils en sa tendre jeunesse. Quoi qu'il en soit, Raimond de Miraval est un pur troubadour de notre Midi. CASTELNAU (Pierre de) (XII s. — 1208) — Légat du Pape —

Pierre de Castelnau est né à Castelnaudary au milieu du XII siècle; religieux de Citeaux, moine de l'abbaye de Font- froide, archidiacre de Maguelone, Pierre de Castelnau était un grand prélat au début du XIII siècle. L'hérésie cathare triomphait dans le Midi de la France. Le Pape Innocent dès son élection en 1198 dut lutter contre le péril albigeois et durant dix ans il tente par un programme pacifique de faire reculer l'erreur.

Pour réaliser ce programme de conquête spirituelle et de conciliation, avant d'en arriver aux moyens de coercition et de rigueur, le grand Pape Innocent III envoie plusieurs légats pontificaux auprès de ses évêques. En 1198, les moines Renier et Gui, en 1200 le cardinal Jean de Saint-Paul, en 1203 deux moines de Fontfroide : Pierre de Castelnau et Raoul, et en 1204 on adjoint à ces deux légats l'abbé de Citeaux Arnaut Almaric. Pierre de Castelnau en 1203 débute dans sa légation par un coup de force, il pénètre dans Toulouse, réunit les habitants et leur fait prêter serment de garder la foi catholique : « Ce serment, ajoute-t-il, n'apportera aucun préjudice à vos libertés. Au nom du Pape, nous confir- mons vos coutumes et vos privilèges : mais ceux qui refuseront de le prêter seront passibles de l'anathème. » Ces légats munis de pouvoirs extraordinaires n'obtiennent aucun succès et Pierre de Castelnau, devant la vanité de ses efforts, écrit au Pape une lettre de découragement et il réclame le retour à la clôture de son abbaye; le Pape Innocent III lui donne par lettre une leçon de persévérance : « L'action vaut mieux que la contemplation. » L'anarchie religieuse et politique régnait dans le Midi de la France ; aucun pouvoir central ne pouvait faciliter les opérations; le lien féodal était inconsistant; le suzerain le Comte de Toulouse était impuissant, indifférent et faible. En plus, le roi d'Aragon Pierre II, son voisin, avait des vues sur les deux versants des Pyrénées. Le Pape ne trouvait devant lui aucun pouvoir fort pour l'aider. Le Comte de Toulouse était cependant le chef apparent du Languedoc, aussi le Pape Célestin III l'avait excommunié, non comme fauteur d'hérésie mais comme persécuteur de moines. Innocent III leva l 'excom- \ munication. Pierre de Castelnau obtint du Comte la promesse de se débarrasser de ses routiers pillards et assassins et de poursuivre les cathares. Raymond VI ne tint pas parole. Le légat voyant qu'il ne pouvait rien obtenir du Comte de Tou- louse essaya en 1207 de détacher la Provence du Languedoc; il l'excommunia et jeta l'interdit sur son Comté. Innocent III veut et il le répète souvent « la conversion des pécheurs et non leur extermination ». Pierre de Castelnau continue cependant son apostolat, découragé. Près de Montpellier, les légats Arnaut-Almaric, Pierre de Castelnau, Raoul, eurent une entrevue avec deux prélats demeurés célèbres, Diego de Acebes, évêque d'Osma et le sous- prieur Dominique de Gusman, qui revenaient de Rome où ils avaient eu une audience avec le Pape Innocent III. Pierre de Vaux de Cernay raconte ainsi cette entrevue : « L'évêque d'Osma leur donna alors un conseil salutaire : laisser tout le reste pour se consacrer exclusivement et avec ardeur à la prédication; agir de manière à fermer la bouche aux méchants; enseigner, à l'exemple du Divin Maître, en toute humilité; aller sans attirail fastueux, sans argent, à la manière des apôtres. » La mission de Saint-Dominique venait de naître. Malgré une campagne de deux ans, les conversions étaient rares. L'hérésie restait triomphante. Quand brusquement un accident précipita les événements : le 15 janvier 1208, un soldat du Comte de Toulouse assassina Pierre de Castelnau. Raymond VI avait invité Pierre de Castelnau et l'évêque de Couserans à se rendre à Saint-Gilles pour recevoir son acte de soumission et ainsi se faire lever l'excommunication. Les légats demandent au Comte des gages pour ses nouveaux engagements, le Comte promet mais pour s'exécuter il diffère, discute. Pierre de Castelnau estime dans sa dignité que l'entrevue est terminée. Raymond VI dans un accès de fureur invective les légats et les menace : « Partout où vous irez, par terre ou par eau, prenez garde, j'aurai l'œil sur vous. » Les légats se retirent. L'abbé, les consuls et les bourgeois de Saint-Gilles leur donnent une escorte pour les protéger jusqu'à la rive droite du Rhône. Avant de traverser le fleuve, ils passent la nuit dans une hôtellerie où des officiers du Comte de Toulouse étaient déjà descendus. Le lendemain matin, le légat Pierre de Castelnau célèbre la messe ; comme il entrait dans le bateau pour passer le Rhône « un de ces satellites du Diable, brandissant sa lance, frappa Castelnau à l'impro- viste au bas des côtes. Le légat dit à plusieurs reprises au meurtrier : « Que Dieu te pardonne comme je te pardonne moi-même. » Puis il prit avec ses compagnons ses dispositions suprêmes, régla toutes les affaires de la mission; enfin après avoir beaucoup prié il s'endormit dans le Seigneur. Pour le moine de Vaux de Cernay et pour Guillaume de Tolède, la main du meurtrier a été armée par le Comte de Toulouse; il paraît plus exact que ce meurtre est dû au zèle excessif d'un soldat de l'escorte de Raymond VI. En tout cas cet assassinat fut le « signal de la guerre ». Innocent III accusa formellement Raymond VI de ce forfait et appela aux armes les barons du Nord pour écraser l'hérésie méridionale. La Croisade va déferler. Simon de Montfort va écraser dans sa chevauchée l'Occitanie.

BERTRAND DE SAISSAC (XII s. — Début du XIII s.) — Grand feudataire du Cabardès — Saissac

Bertrand de Saissac est connu dans l'Histoire comme un grand feudataire de l'Occitanie et comme tuteur de Raymond Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers. Ce grand seigneur du Cabardès possédait en 1174 les châteaux de Saissac et de Verdun; il recevait par la suite les hauteurs de Revel pour y édifier un castrum entouré de « forces ». Quinze ans plus tard, Bertrand de Saissac, par l'amitié des Trencavel recevait pour services rendus à cette dynastie la villa de Caunes, les castra de Lespinassière, de , de et autres lieux. La Maison de Saissac possédait encore sur le versant septentrional de la Montagne Noire, Puylaurens et Dourgne, et ainsi s'étendait une puissance féodale de Verdun à Caunes et de Puylaurens à Dourgne. Sur l'étendue immense de ces domaines, Saissac était maître souverain et seigneur hérétique, il favorisait la secte cathare qui s'étendait comme une pieuvre sur toute l'Occitanie. Bertrand de Saissac, désigné comme tuteur du jeune Tren- cavel, gouvernait en 1197 les vicomtés de Béziers, de Carcas- sonne et du Razès. Il défendait âprement les biens de son pupille et pour usurner des droits et des biens tâchait d'impo- ser aux riches monastères, des abbés de son choix. C'est ainsi qu'il voulut mettre à l'abbaye d'Alet une de ses créatures. Les moines cette fois résistèrent et mirent à leur tête l'abbé du monastère voisin de Saint-Polycarpe Bernard de Saint- Ferréol. Quand le seigneur de Saissac apprit cette nouvelle, il la jugea comme une offense et partit avec ses hommes d'armes pour Alet, il rentra par la force dans le couvent et enferma en prison le nouvel abbé. Il fit déterrer l'ancien abbé; le cadavre revêtu des insignes abbatiaux fut installé sur le trône. C'est sous la présidence de ce corps en décom- position que les moines terrifiés votèrent; et le candidat de Bertrand de Saissac fut élu! Telles étaient les mœurs de l'époque. On comprend ainsi que l'hérésie pouvait se développer librement même dans les monastères et que les abbés souvent complices de la noblesse hérétique n'arrêtaient pas les progrès du Catharisme et même le favorisaient. Quand la Croisade déferla sur le Languedoc, l'Abbaye d'Alet se mit du côté des Cathares. Bertrand de Saissac lutta en 1209 près de son pupille devenu Raymond Roger Trencavel contre les Croisés. Simon de Montfort vainqueur, tous les biens de Bertrand de Saissac furent dispersés; confisqués pour cause de faiditisme ils furent distribués au monastère naissant de Prouille et aux Barons du Nord.

SAINT DOMINIQUE (1171-1221) — Fondateur de l'Ordre des Dominicains — Curé de Fanj eaux

Si saint Dominique, Domingo de Guzman, chanoine d'Osma, est né à Calaruega en Vieille Castille en 1170 et est mort à Bologne le 6 août 1221, il appartient à l'Aude par toute sa mission contre les Albigeois et par la fondation de Prouille. Sa naissance fut marquée par des signes merveilleux. Sa mère eut une vision étrange et prophétique « elle s'imagina qu'elle portait dans son sein un chien et qu'il s'en échappait ayant à sa gueule une torche ardente dont il embrasait le monde » ; elle garda près d'elle son fils jusqu'à l'âge de 7 ans ; Dominique fut confié pour ses études à son oncle qui était archiprêtre de Gurniel d'Izan. A l'âge de 14 ans, Dominique fut envoyé à Palencia aux écoles connues ; il y passe dix ans à étudier la grammaire, la poétique, la logique, l'arithmétique, l'algèbre, la musique et l'astro- nomie; après ces études générales il put choisir une science particulière : ce fut la théologie qu'il étudia quatre ans ; durant toute sa jeunesse il resta grave et pur ; après de longues veilles d'études il s'endormait, comme privation, à même la terre. D'une extrême charité, il donnait tout ce qu'il possédait. Rentré dans les ordres « il commence à paraître entre les chanoines ses frères comme un flambeau qui brûle, le premier par la sainteté, le dernier de tous par l'humilité ». Malgré la réforme de Grégoire VII, l'Eglise s'était laissée aller au relâchement et les hauts dignitaires de l'Eglise faisaient figure plus de princes temporels que de religieux. L'évêque d'Osma, Martin de Bazan, tenait à rétablir les observances religieuses et donnait l'exemple de la vertu et de l'autorité; auprès de lui, Domingo vivait cloîtré; retraite et vie cachée durant neuf ans. En 1203, le roi de Castille, Alphonse IX, chargea l'évêque Didace d'Osma d'aller demander au seigneur de la Marche la main de sa fille pour son fils, le prince Ferdinand. Saint Dominique fut de cette mission ; il traversa Toulouse et constata avec émoi les progrès de l'hérésie cathare dans le Midi de la France; il prit la résolution de créer un ordre de prédicateurs pour évangéliser ces hérétiques. Innocent III était préoccupé par le fléau envahissant de l'albigéisme; il avait d'abord confié à l'Ordre Cistercien la conversion des Albigeois. Pierre de Castelnau et Raoul, religieux de Font- froide, étaient chargés de ces prédications, de cet apostolat; les résultats en furent médiocres. Satan triomphait avec le néo-manichéisme à Toulouse, à Carcassonne, à Albi. L'hérésie avait ses cadres, son organisation, ses chefs. Les Parfaits impressionnaient surtout le peuple par leur ascétisme; tandis que les légats étalaient une pompe brillante et un luxe déplacé. L'évêque Didace et le chanoine d'Osma comprirent qu'il fallait toucher le peuple par les mêmes moyens et ils invitèrent les Cisterciens à l'austérité apostolique. Nouveaux prédicateurs, ils allèrent pauvres, humbles, sans escorte et à pied de village en village. En 1207 Didace retourna en Espagne et y mourut. Saint Dominique continua seul sa missicn; avec compassion et miséricorde il prêchait, il évangélisait. Sa parole jouissait d'une grande persuasion et sa personne d'un ascendant irrésis- tible; il bravait la colère des mécréants; intrépide et alerte, il défiait les embûches comme au Champ du Sicaire. Saint Dominique employait la controverse pour sauver les infidèles; dans des conférences contradictoires à Servian, à Béziers. à Montréal, à , à Carcassonne, il réfutait en public l'hérésie. Cette terre hérétique s'illumine soudain de miracles : miracle du feu (le manuscrit sur lequel étaient consignées les théories cathares est dévoré par les flammes; et le manuscrit au dogme orthodoxe est par trois fois préservé) ; miracle des épis sanglants (le jour de la Saint-Jean, dans un champ du domaine de la Tour, de chaque gerbe coule un sang vermeil, les faucheurs effrayés regardent avec stupeur leurs mains ensanglantées; d'un signe de croix, saint Dominique arrête le sang qui égoutte) ; miracle du globe de feu (du haut du promontoire de Fanjeaux, saint Dominique regardait las et découragé la plaine hérétique; c'était au crépuscule; soudain un globe de feu se détache du ciel et tombe par trois fois sur le modeste sanctuaire de Prouille. Dieu venait de désigner à saint Dominique l'endroit où il devait fonder le monastère pour sauver les âmes hérétiques). Prodiges et zèle apostolique ne suffisaient pas pour sauver le Midi de l'erreur ; saint Dominique annonça la colère prochaine du ciel : « Depuis des années que je vous ai fait entendre des paroles de paix; j'ai préché, j'ai supplié, j'ai pleuré, mais comme on dit vulgairement en Espagne : « Là où ne va la bénédiction il faudra le bâton » et dans une vision prophétique il annonça la Croisade : « Les tours seront détruites, les murailles renversées et vous serez réduits en servitude. C'est ainsi que prévaudra la force là où la douceur a échoué. » Innocent III, pendant dix ans, de 1198 à 1208, avait essayé un programme pacifique; devant l'échec, le Pape se décida à traiter les Albigeois comme des Sarrazins, et ce fut la Croisade. Les Barons du Nord se jettent sur le Midi de la France, sanglante curée : incendie de Béziers, siège et prise de Carcassonne; en 1210 le Languedoc est aux mains des Croisés, Lavaur, Penne, Castelnaudary, Muret, bataille décisive où se livra le sort de l'Occitanie. A Carcassonne, en l'église-cathédrale Saint-Nazaire, saint Dominique bénit lui-même le mariage d'Amaury de Montfort, le fils de Simon, avec la fille du Dauphin du Viennois. Le croisé et le prêcheur vivaient liés par l'affection et par le même but : arracher l'hérésie des terres méridionales. Cette illustre amitié explique la fondation de l'Inquisition; les rigueurs du bras séculier sont venues renforcer la Drédi- cation du missionnaire. L'Eglise combattait et pour elle et pour l'édifice social de l'époque ; le bûcher était une arme violente et féroce, arme du XIII siècle. Saint Dominique comptait sur la force et l'exemple de ces sévérités pour convertir, il n'abandonnait pas cependant ses prédications, à Toulouse, à Carcassonne, il était devenu une des grandes personnalités en orthodoxie. Il refusa plusieurs fois l'épiscopat, ne vivant que de pain, d'eau, et dormant sur la terre. Une seule pensée l'exaltait : « s'occuper de la nouvelle plantation des précheurs et des religieuses de Prouille; c'était son œuvre et sa mission, il n'en prendrait aucune autre ». C'est par la femme que la religion se conserve au foyer domestique et se transmet aux générations, les Parfaits le savaient bien. Saint Dominique voulut défendre de même l'Orthodoxie; il fallait convertir les Croyants et les Parfaits, il fallait surtout abritée leur foi naissante, ce fut l'Œuvre des Nouvelles Converties, la fondation de Prouille désignée par le globe de feu, Foulques, évêque de Toulouse, donna dès 1206 à Dominique d'Osma l'église de Sainte-Marie de Prouille et un terrain de 30 pieds. Saint Dominique recueillit dans l'étroit monastère onze reli- gieuses et le 27 décembre le Cloître monastique les sépara du monde. Simon de Montfort fut le plus grand bienfaiteur du monas- tère par ses donations; mais saint Dominique sollicita du Saint-Siège la sauvegarde apostolique qui lui fut accordée par Innocent III et par Honorius III. Les religieuses observèrent la règle de Saint-Augustin. L'évêque de Toulouse nomma Dominique curé de Fanjeaux, ce fut le début de la fondation de l'Ordre des Hommes, vers 1214 « la Sainte Prédication » ; et le saint et ses compagnons évangélisèrent. En juillet 1215, Foulques institua canonique- ment l'Ordre naissant, l'alimentant du dixième de tontes les dimes paroissiales, concession importante de revenus exceptionnels; et les précheurs allèrent de village en village, de bourg en bourg. En 1215 saint Dominique s'installa à Toulouse dans des immeubles, près du Château Narbonnais, offerts par un de ses frères, le jeune Pierre Seila, ainsi fut fondé le premier couvent des Frères Précheurs (25 avril 1215); peu après saint Dominique s'établit dans l'église de Saint- Romain, il n'avait cependant que douze missionnaires et il rêvait d'un Ordre qui étendrait son action sur l'Eglise univer- selle ; la parole divine portée par ces « chiens du Seigneur » c'est ainsi qu'on appela bientôt les Prêcheurs, jouant sur le mot Dominicani (dominicains) et Dominicanes (chiens du Seigneur). Pendant le Concile de Latran, saint Dominique se lia d'amitié avec saint François, le Petit Pauvre d'Assise. L'approbation de l'Ordre refusée au Concile, pour des rai- sons de prestige, de prédication réservée aux évêques et pour éviter la création d'un Ordre religieux nouveau ne découragea pas saint Dominique. Pour se mettre dans l'esprit du Concile, saint Dominique adopta la règle de Saint-Augustin. Et la bulle de confirmation arriva datée du Vatican le 22 décembre 1216, elle était adressée à « Dominique, prieur de Saint-Romain à Toulouse, et à ses frères présents et à venir ayant fait profession de vie régulière ». C'était la reconnais- sance d'un Ordre et non simplement d'un couvent particulier. Honorius III envoya ses félicitations pontificales à ces « invin- cibles athlètes du Christ, armés du bouclier de la foi et du casque du salut qui brandissaient contre l'ennemi ce glaive plus pénétrant qu'une épée à deux tranchants, le Verbe de Dieu ». Lors d'un voyage à Rome en 1217, Dominique eut sa célèbre vision dans la basilique vaticane, les glorieux apôtres Pierre et Paul s'avancèrent vers lui et lui dirent: « Va, prêche, puisque Dieu t'a choisi pour ce ministère » et en même temps il voyait ses disciples se répandre deux à deux par le monde pour l'évangéliser; il vécut à cette époque dans l'intimité du cardinal évêque d'Ostie Hugolin, qui devait devenir le Pape Grégoire IX et qui le canonisa seize ans plus tard. Chez le cardinal, saint Dominique rencontra plusieurs fois saint François d'Assise; les deux saints se lièrent d'une douce et fraternelle amitié. Saint Dominique retourne en France, la règle monastique était donc choisie, il fallait donner à l'Ordre son orientation. L'hérésie, malgré les prédications, les croisades, les « sévérités » n'était pas écrasée, Toulouse se révoltait. Saint Dominique découragé abandonna presque le Midi à son triste sort et voulut alors convertir le monde. Saint Dominique a autour de lui dix-sept compagnons et il les disperse : quatre en Espagne, sept à Paris, deux à Toulouse, deux à Prouille, lui ira à Rome avec Etienne de Metz. De ce jour, l'Ordre s'organise à Rome avec ces ramifications provin- cialcs. En décembre 1217 Dominique quitta les terres laura- guaises pour accomplir sa mission et diriger un Ordre universel et il devient Maître général de l'Ordre; il est âgé de quarante-sept ans. Durant les quatre dernières années de sa vie (le saint est mort à cinquante et un ans) il mène une vie extraordinaire de voyages, de fondations, de visites monas- tiques, de prédications, de négociations avec le Pape, prélats, princes; toujours à pied il parcourt le monde, un bâton d'une main, la croix de l'autre. A Rome, à Saint-Sixte, Dominique commence dans la misère; sa sainteté provoque bientôt des vocations religieuses nombreuses; il crée sur les hauteurs de l'Aventin Sainte-Sabine, où les religieuses pourront se cloîtrer en rendant à la vie conventuelle sa sainteté primitive. Les monastères créés, il organise des couvents dominicains, des maisons d'études et de prière; la science va devenir une force redoutable des Dominicains. Bologne et Paris deviennent des centres d'éloquence et de travail dans la catholicité; il fonde des couvents d'étude auprès des grandes Universités avec des savants religieux. La Maison de Paris devient une pépinière d'expansion pour la France, Limoges, Reims, Poitiers, Orléans et le Couvent de Bologne pour l'Italie. Bologne très prospère pousse, un an après, des colonies monastiques dans la Lom- bardie hérétique, en Toscane, à Milan, à Rome. Dominique n'oublie pas ses origines et en 1219 il se rend à Ségovie où il fonde le premier couvent espagnol de l'Ordre; à Palencia il crée, selon le plan dominicain, la maison d'étude auprès de l'Université. Et l'Ordre se répand dans le monde. Les précheurs partent pour la Transylvanie, la Serbie, la Valachie, la Moravie et l'Angleterre. Dominique, Maître général de l'Ordre, pouvait compter cinq cents religieux et cent religieuses et son action allait des plateaux de Castille aux steppes du Dnieper et de l'Ecosse en Afrique; toute la catholicité était absorbée par le curé de Fanjeaux. Chanoines réguliers, chanoines mendiants, les Dominicains étaient surtout prédicateurs, donc apôtres; cet ordre monastique est un ordre savant; cette impulsion se perpétuera pendant les siècles. C'est de cet ordre que sont sortis les grands orateurs, les célèbres prédicateurs, les professeurs renommés de théologie et de droit canon. L'Ange de cette Ecole fut Saint-Thomas d'Aquin. Selon la règle de Saint-Augustin, les Dominicains seront soumis aux vœux d'obéissance, de pauvreté, de charité, aux jeûnes et abstinences, à l'office du chœur, aux exercices spirituels, à la loi du silence, aux chapitres de la coulpe. Les sœurs recluses, elles, seront vouées à la contemplation et au travail qui chassera l'oisiveté. A côté de cette phalange sacrée, les fidèles formeront: les Frères de la Milice de Jésus- Christ; grande confrérie dans le monde qui introduit la vie religieuse jusqu'au foyer, dans la maison. L'œuvre de saint Dominique se résumait en huit provinces, ayant chacune à sa tête un Père provincial qui ne dépendait que du Maître géné- ral, c'étaient: l'Espagne, la Provence, la Lombardie, Rome, l'Allemagne, la Hongrie, l'Angleterre; la tâche était terminée, saint Dominique pouvait rejoindre Dieu. En juillet 1221, retour de Venise et rentré à Bologne, saint Dominique était très las et avait de forts accès de fièvre, le mal empira, il réunit autour du sac de laine qui lui servait de lit la communauté et fit avec sérénité ses dernières recom- mandations : « Voici, ô mes frères et mes fils, le patrimoine que je vous laisse : ayez la charité, gardez l'humilité, conservez la pauvreté volontaire. » Il éleva les mains vers le Ciel et ferma les yeux; c'était le vendredi 6 août 1221. Le 13 juillet 1234 Grégoire IX proclame par bulle solennelle la sainteté de Domi- nique; son culte se célèbre dans l'église universelle le 5 août.

Pierre IZARN (Fin du XII siècle) — Evêque Cathare de Carcassonne

Pierre Izarn est un des trois grands évêques cathares de l'Eglise de Carcassonne ; les documents mentionnent au XIII siècle trois évêques hérétiques : Pierre Izarn, Pierre Polha et Guillaume Abit. Pierre Izarn jouissait parmi les croyants de la nouvelle religion d'un suprême prestige. Cet évêque manichéen était un prédicateur remarquable et dans ses controverses il donna de rudes coups à l'orthodoxie. Infatigable apôtre, il parcourait le pays, Fanjeaux, Saissac, Cabaret, Termes, Minerve; il prési- dait des assemblées, fondait des maisons hérétiques, servait de directeur de conscience aux grandes dames hérétiques, commandait plusieurs communautés cathares, présidait des conciles, conférait le « consolamentum » à plusieurs chevaliers de la noblesse méridionale. Il prépara par son apostolat la résistance que la Montagne Noire opposa en 1227 et 1229 au pouvoir royal et au pouvoir orthodoxe. Il lutta courageusement contre l'Inquisition. Quand Pierre Izarn fut pourchassé, il exerça son ministère secrètement; il était reçu en cachette par les seigneurs albigeois, il présidait dans le mystère des banquets hérétiques et après le banquet il se faisait adorer par les convives. Le croyant fléchissait le genou et s'inclinait profondément devant le Parfait, il tenait les mains jointes; à trois reprises il s'incli- nait et se relevait et chaque fois il demandait la bénédiction à l'évêque en disant : Benedicite. Pierre Izarn, prédicateur zélé et redoutable, est un de ces austères guides qui luttèrent terriblement contre Rome et qui faillirent faire triompher le Catharisme dans le Monde.

Blanche de (Fin du XII siècle) — Dame hérétique, Parfaite — Laurac

Blanche de Laurac fut considérée par les registres de l'Inqui- sition comme une Parfaite de haut rang qui avait fait de Laurac un centre ardent de propagation de la secte cathare. Blanche de Laurac était une des plus puissantes dames du Toulousain ; ses domaines étaient immenses, elle donna à son fils Aymeric les terres de Laurac et à son fils Arnaud les terres de Gaja, Fanjeaux et Mazeroles. Sa fille Guiraude avait épousé le seigneur de Lavaur et c'est elle qui opposa en 1211 à Simon de Montfort une résistance magnifique; le vainqueur la fit lapider au fond d'un puits. Une autre de ses filles s'était mariée avec un de Niort, le plus puissant seigneur du pays de Sault. Blanche de Laurac, par ses alliances et par ses biens, commandait de Lavaur aux Pyrénées, de Toulouse jusqu'à Carcassonne. De si haute noblesse et de si grande puissance, Blanche de Laurac était surtout une zélée hérétique; elle démontre l'intimité étroite de la noblesse et de l'hérésie dans le Midi de la France. En 1204, Blanche de Laurac tint une grande réunion héré- tique où assistaient Pons de La Tour, Mir de Camplong, Othon de Niort, Aymeric de Montréal, Bertrand de Saissac, le Comte de Foix, Raymond Roger. Blanche de Laurac dans son ministère était entourée de nobles dames du pays, Hélis de Mazeroles, Guillelma de Camplong, Marcella de la Tour, véritables vestales de la nouvelle religion. Le catharisme trouva dans les femmes des auxiliaires de choix; par la femme la religion se conserve et s'enseigne au foyer; ainsi les Parfaites faisaient de nombreux adeptes et travaillaient au triomphe de la secte cathare. En 1208, dans sa propre ville de Laurac, Blanche est supé- rieure d'une communauté de Parfaits; d'importantes réunions hérétiques se tinrent sous sa présidence ; les prédications étaient faites par deux diacres hérétiques : Izarn de Castres et Raymond Bernard. Ses prêches étaient suivis par la noblesse de Laurac et des environs. En 1209, la chevauchée de Simon de Montfort piétina tous ces foyers d'hérésie et alluma les bûchers d'extermination.

Raymond Roger TRENCAVEL (1185-1209) — Vicomte de Béziers et de Carcassonne — Carcassonne Raymond Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers, naquit le jour de Pâques de l'an 1185. Le jeune Raymond Roger Trencavel reçut à l'âge de six ans, en 1191, le serment de fidélité de tous ses vassaux, au château de Sauzens. L'assistance était somptueuse; toute la noblesse de Carcassès, du Razès, du Cabardès, du Lauraguais. du Minervois, des Corbières, du Termenès, du pays du Sault, du Chalabrais, du Donezan, de l'Albigeois, de Mirepoix, du Pays Bas était présente. Le 20 mars 1154, son père Roger Trencavel mourut dans la tristesse de Laisser un fils de neuf ans, après un règne de vingt- sept ans employé en partie à guerroyer contre Raymond V, comte de Toulouse, son beau-père. A la mort de Roger, des villes comme , Béziers, Carcassonne, qui avaient arraché à l'autorité du vicomte des privilèges, commencèrent à se remuer; devant la sourde germi- nation de ces pouvoirs locaux, Bertrand de Saissac, désigné comme tuteur, proclama que les privilèges « acquis sont maintenus », mais que, dans l'intérêt même du peuple, il fallait arrêter toute concession qui supprimerait la puissance vicomtale, sinon le sol serait bientôt jonché des débris de l'autorité. Dans la main redoutable de Bertrand de Saissac, la régence était bien placée. Un conseil de régence nettement hérétique gouvernait le Carcassés et le Razés au nom de Trencavel. Sous la cendre mal refroidie des anciennes croyances, le tison hérétique ranimait son feu destructeur. En 1199 Trencavel atteint sa majorité à l'âge de quatorze ans. Sa mère Adélaïde meurt en 1200, avec elle se termi- nait le XII siècle d'amour, d'élégance et de frivolité. Trencavel seul au monde commence le XIII siècle, siècle d'expiation où l'Occitanie sera suppliciée par les Barons du Nord. Raymond Roger Trencavel n'était pas hérétique, jamais il n'adhéra à la secte cathare, mais esprit très tolérant, il laissait faire, il fermait les yeux. Nobles, bourgeois, ouvriers, paysans embrassèrent la nouvelle religion. Le fléau cathare s'étendait impitoyable. Pendant dix ans (1198-1208), Innocent III essaya un programme pacifique, quand arriva le meurtre du légat. Innocent III demanda vengeance ; il fallait exterminer les hérétiques, protéger l'Eglise contre le tyran ennemi de la foi, le Comte de Toulouse; il fallait le dépouiller de ses domaines. confisquer les biens de tous les Albigeois et les chasser du pays. C'était la guerre et le départ pour la Croisade était sonne. La longue et sanglante ruée des Français allait déferler sur la riche Provence et l'opulent Languedoc. Les ambitions frénéti- ques du Nord venaient de recevoir une bénédiction. Devant l'orage qui s'accumulait, Raymond, comte de Tou- louse, vit le danger et, voulant la paix à tout prix, il lui fut infligé publiquement l'humiliation de Saint-Gilles poar sa réconciliation avec l'Eglise. Le manque d'unité politique dispersa les efforts de résistance et ne permit pas un plan d'ensemble. Le Midi fut submergé. La connaissance de cette anarchie politique dicta à Raymond- Roger sa visite à Montpellier, comme il avait été convenu avec son état-major. Le Vicomte de Béziers et de Carcassonne, à l'exemple de son oncle, le Comte de Toulouse, voulut faire le geste de soumission à l'Eglise romaine. C'est à Montpellier qu'eut lieu cette entrevue. Les conditions d'abdication furent telles que le vicomte se révolta. Sa jeunesse, sa bravoure, sa noblesse ne pouvaient admettre la honte d'une capitulation sans condition. Devant l'assemblée des chefs des croisés présidée par le légat, on lui demanda de livrer les habitants de la Cité, proscrits et hérétiques, au bras séculier. Il répondit à cette sommation par la phrase célèbre : — J'offre une ville, un toit, un abri, du pain et mon épée à tous les proscrits qui erreront bientôt dans la Provence, sans ville, ni toit, ni asile, ni pain. Et il repartit pour Carcassonne. Le roi d'Aragon, prudent et diplomate, abandonnait pour le moment la cause du Midi. Trencavel allait être seul devant le flot envahisseur. A l'appel du Pape, une armée imposante s'était réunie; l'extermination de l'ennemi sera récompensée par l'octroi des mêmes indulgences que gagnent les croisés qui vont combattre les infidèles en Palestine. C'est une nouvelle croisade, glaive au côté, croix d'orfroi sur la poitrine, et les Barons du Nord, ivres d'aventures et de conquêtes, s'engagent pour servir quarante jours. L'armée des pèlerins, recrutée à Lyon, descendue par Monté- limar, Valence et la vallée du Rhône, s'était concentrée à Montpellier, sous les ordres de Guy, abbé de Vaux-Cernay. Une seconde et une troisième armées de croisés s'avançaient et pénétraient en Languedoc sur divers points : Guy, comte d'Auvergne; le vicomte de Turenne, Bertrand de Cardaillac et le sire de Castelnau de Monratier commandaient les soldats qui avaient pris la croix à l'appel orthodoxe de l'archevêque de Bordeaux, des évêques de Bazas, de Limoges, de Cahors et d'Agen. Cette armée rejoignit devant Béziers la troisième armée qui arrivait par le Rouergue, le Quercy et le Toulousain, commandée par l'évêque du Puy. Les sentinelles de Béziers, du haut des remparts, signalèrent la jonction de ces trois armées le 22 juillet. Et ce fut le sac de Béziers, première station du calvaire de l'Occitanie. Trencavel, après son geste de soumission, non accepté, était parti de Montpellier en toute hâte sur un pur sang arabe ; en une journée, il était arrivé à Carcassonne. Avec un esprit de froide décision, il ordonna de détruire tous lès moulins dans la campagne, puis, comme il fallait tout prévoir, même le malheur, il fit partir sous la garde d'une escorte sa jeune femme Agnès avec son tout jeune enfant, âgé de deux ans : il fallait penser à la continuation de la dynastie et mettre à l'abri l'héritier de la vicomté; il les confia au Comte de Foix; cette précaution d'Etat prise, il organisa aussitôt la défense. Le 1er août, l'Ost arriva, comme une meute terrible, devant la Cité. Jamais notre soleil n'avait, de sa lumière, éclairé une telle foule d'aventuriers accourus par toutes les routes de toutes les provinces, de tous les pays; de la Bourgogre, du Poitou, de la Bretagne, de l'Allemagne, du Brabançon, des Flandres et de l'Angleterre. Le 3 août fut donné, au petit matin, l'ordre d'assaut des faubourgs de la Cité de Carcassonne et la bataille commença au chant du Veni sancte spiritu entonné par tous les Croisés. Le Vicomte Raymond Roger Trencavel fit des prodiges de valeur mais dut céder le faubourg Saint-Michel. Les Croisés maîtres du faubourg l'incendièrent. Le 4 août, les Croisés attaquent le faubourg Saint-Vincent. Simon de Montfort se signale par son courage et son intrépi- dité, mais les Croisés ne peuvent l'enlever d'assaut; il faut en faire le siège. Les pierriers sont approchés et battent les murs, pendant que la sape creuse, le 8 août la muraille s'effondre, et c'est le corps à corps, les troupes de Trencavel se réfugient dans la Cité. Le roi d'Aragon, Pierre II, ami et allié de Trencavel, arrive au camp des Croisés et essaie d'intervenir auprès de l'abbé de Citeaux; il lui demande grâce en faveur du jeune vicomte. Après délibération, l'abbé et les chefs des Croisés répondent au roi d'Aragon que toute la grâce qu'on peut faire au vicomte est de lui permettre de sortir de Carcassonne, lui treizième, avec armes, chevaux et bagages, à condition qu'il livrerait tous les habitants à la discrétion des Croisés. Le roi d'Aragon apporta cet ultimatum à Trencavel qui répliqua qu'il aimerait mieux se laisser écorcher tout vif que de commettre une aussi grande lâcheté. Et Pierre II reprit la route de ses Etats. Après le départ du roi d'Aragon, le siège interrompu par les négociations recommença. Les Croisés essayèrent d'escalader les remparts. On leur jeta tant d'huile bouillante et tant de pierres qu'ils furent forcés de se retirer après avoir perdu beaucoup de monde. Mais les défenseurs de la Cité souffraient cruellement d'un mal effroyable : la soif; la chaleur de ce mois d'août était torride et avait tari les puits. L'Ost triomphe, Trencavel est découragé. Un matin, un homme inconnu, que les chroniqueurs dési- gnent sous le nom de « le riche homme de l'Ost », s'avance en parlementaire, se présente devant le Château Narbonnais et invite Trencavel à capituler. Il lui est assuré de n'avoir ni crainte ni peur, promis et juré, par foi de noblesse et de gentilhommerie, qu'il sera ramené sain et sauf sans nul danger pour sa personne et ses biens, à seule fin de négocier les conditions de reddition. Le Vicomte de Béziers consent et sort de la Cité avec une escorte de cent chevaliers sans armes. Roger Raymond Trencavel est reçu dans la tente du légat après avoir salué tous les seigneurs, il commence à plaider sa cause, il explique qu'il n'a jamais été hérétique et comment il consent avec plaisir à se remettre lui et sa terre entre les mains de l'Eglise. Quand le vicomte eut fini son discours, il fut simplement informé qu'il était fait prisonnier jusqu'à ce que la Cité capitule sans condition. Trencavel s'indigna de cette trahison. Fer aux mains et aux pieds, il fut donné en garde aux gens du Duc de Bourgogne. Le lendemain, 15 août, les Croisés pénétrèrent dans la Cité qu'ils trouvèrent vide; les défenseurs informés de la trahison avaient fui dans la nuit par un souterrain. Un autre chroni- queur rapporte que les Croisés auraient accordé la vie sauve à tous les habitants à condition qu'ils n'emporteraient avec eux que leurs chemises et leurs brayes, vêtus simplement « de leurs péchés ». Trencavel fut gardé prisonnier en otage. Simon de Montfort fut désigné comme successeur de Raymond Roger Trencavel, Trencavel, enfermé dans le cachot d'une des tours les plus fortes et les plus sûres de la Cité, mourut mystérieusement quelque temps après.

Saint Pierre NOLASQUE (1186-1256) — Fondateur de l'Ordre de la Merci — Mas Saintes-Puelles

Pierre Nolasque est né vers 1186, en Lauraguais, au Mas Saintes-Puelles. Dans sa pieuse enfance, dans le château seigneurial, le petit Pierre dut entendre souvent raconter le soir à la veillée la légende sacrée des deux vierges chrétiennes « Puellae » qui furent chassées, sous le fouet, de Toulouse, pour avoir enseveli le corps martyrisé de saint Sernin; elles allèrent se réfugier dans la Piège, sur la terre de « Recan- daum », à l'endroit aujourd'hui où s'élève Mas Saintes-Puelles; elles y vécurent chastes, pauvres, charitables et y moururent saintement. Le père du petit Pierre était Guilhem de Nolasque ou Nolasco, seigneur de Mas Saintes-Puelles, descendant d'une grande famille militaire lauraguaise: les Sant'Andréo, Cap de Porc (hure de sanglier), nommés aussi Seigneurs de la Tour d'Antioche en souvenir de leur expédition syrienne pendant la Première Croisade. La mère du futur saint était également de haute lignée, alliée aux comtes de Toulouse et aux rois d'Aragon. En somme, Pierre de Nolasque avait des origines et de grande noblesse et de valeur guerrière ; rien ne le préparait pour la vie monacale; il aurait dû devenir grand seigneur ou grand capitaine. Tout enfant, il se montra très bon et très charitable; sa grande joie était de distribuer des aumônes. Il commença ses études à l'abbaye de Cluse, près Montferrand-en -Lauraguais et les continua à Toulouse chez les Cisterciens. Il perdit son père à 15 ans et sa mère à 20 ans. Le jeune seigneur du Mas Saintes-Puelles était soudain à la tête de grands biens et de riches domaines. Tombé malade, il fit un testament dans lequel il léguait toute sa fortune aux pauvres, il était déjà dans la voie de la sainteté. Le catharisme sévissait en Lauraguais, comme dans tout le Languedoc; Fanjeaux était la capitale de l'hérésie. Mas Saintes- Puelles était albigeois; Saint Dominique, dans ses tournées de prédication, était passé au Mas et avait fait quelques conversions. Pierre Nolasque, qui avait dix-huit ans, avait été très ému par la parole du futur saint Dominique âgé alors de trente-quatre ans. Cette première rencontre en 1204 est une date dans la vie de Pierre Nolasque, d'autant que dans la famille même de Pierre, toute la maison des Sant'Andreo Cap dé Porc avait favorisé d'abord le catharisme et même ensuite adhéré à l'hérésie albigeoise. Pierre Nolasque, élevé par les Cisterciens, était préparé à défendre l'orthodoxie romaine menacée. Et la Croisade déferla dans sa meurtrière chevauchée. Quand les armées de Simon de Montfort occupèrent notre Midi, Pierre se croisa, pour défendre Rome et extirper l'hérésie de notre terre, il s'engagea dans l'armée des Croisés, non pour quarante jours, mais pour toute la Croisade, et durant deux ans il fit campagne avec Simon de Montfort. La Croisade sévissait sur le Midi ; sièges, batailles, bûchers, diplomatie; toutes les armes servaient aux conquérants. En 1211, Pierre II, roi d'Aragon, se rapprocha pour quelque temps de l'Eglise et de Simon de Montfort. Le vainqueur du Nord comme garantie prit un gage précieux : le fils de Pierre II, don Jayme, âgé de trois ans. C'est ainsi que ce jeune prince fut élevé dans le château de la Cité de Trencavel; à cet enfant royal il fallait un précepteur; Pierre Nolasque fut choisi pour sa science, sa piété et son orthodoxie. Le destin venait de se préciser pour Pierre de Nolasque, il suivrait désormais le futur roi Jayme 1er. Le roi d'Aragon ayant une notion plus exacte des événements se décide résolument à prendre la défense des provinces meridionales; et c'est le coup de dé de la bataille de Muret (1212) où Pierre II trouve une mort héroïque; son fils garde dans la Cité a seulement cinq ans quand son père expire sur le champ de bataille où l'Occitanie est vaincue. Le Pape Innocent III exige que Simon de Montfort place le jeune prince sur le trône de son père et Pierre Nolasque part avec le petit roi pour Barcelone. Nolasque reste attaché à la personne du roi qui le naturalise aragonais et le fait noble; en ces temps-là, la même langue d Oc et les mêmes mœurs unissaient les deux versants pyrénéens, Nolasque ne changeait pas de pays. Au service du roi, Nolasque, comme directeur de conscience, vécut monastiquement dans une maison de la paroisse Saint- Paul. Le cœur généreux de Nolasque prit bientôt en pitié le sort des Ibériques : dans ce début du XIII siècle, les barba- resques occupent presque toutes les côtes méditerranéennes de l'Egypte au Maroc et les trois-quarts de l'Espagne; les musul- mans sont les maîtres, pirates redoutés des mers et des côtes, ils attaquent les vaisseaux des chrétiens et dans les razias rapides saccagent les ports et les villes; les habitants faits prisonniers sont envoyés chez les Maures, où captifs, ils sont employés à de durs et pénibles travaux; l'Islam triomphe, les mers appartiennent aux Infidèles; les chrétiens captifs doivent se convertir à Mahomet ou mourir à la peine ; tel était le sort des chrétiens en captivité chez les barbaresques d'Alger et de l'Islam; il excita la pitié et le dévouement de Pierre Nolasque. Le futur saint décida de consacrer ses biens au rachat des prisonniers, il acheta les marchandises demandées dans le3 comptoirs par les Maures, et déguisé en marchand il partit il pénétra au péril de sa vie chez les musulmans et revint avec des captifs libérés; il fit ainsi plusieurs voyages, à