Lettres Du Général Leclerc, Commandant En Chef De L'armée De
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LETTRES DU GÉNÉRAL LECLERC COMMANDANT EN CHEF DE L'ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE EN 1802 Tous droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russie. Copyright by Société de l'Histoire des Colonies Françaises, Paris 1937. LE GÉNÉRAL•?Y^' LECLERC d'après une miniature el' Isabey appartenant au Prince (I'Essll,'ng BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE COLONIALE ¡LETTRES DU GÉNÉRAL LECLERC COMMANDANT EN CHEF DE L'ARMÉE DE SAINT-DOMINGUE EN 1802 PUBLIÉES AVEC UNE INTRODUCTION PAR PAUL ROUSSIER PARIS SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES ET LIBRAIRIE ERNEST LEROUX 49, BOULEVARD SAINT-MICHBL 1937 INTRODUCTION En 1789, la France occupait la première place dans le commerce colonial parce qu'elle possédait la plus belle colonie d'alors, Saint-Domingue. Quinze ans plus tard elle avait tout perdu, Saint-Domingue lui avait échappé ! C'est là vraiment la fin du premier empire colonial de la France, celui qu'avaient commencé Richelieu et Colbert. La vieille colonie conquise par les flibustiers et le système colonial qu'elle représentait ont péri dans la même tourmente que la vieille France et son organisation monarchique séculaire. Les troubles révolutionnaires ont commencé à Saint-Domingue aussitôt qu'en France et la colonie, tout comme la métropole, a connu les aspirations généreuses, les agitations des assemblées, la liberté, l'égalité, la fraternité et les massacres sanglants, la lutte contre l'étranger, les promesses de bonheur d'une consti- tution nouvelle. Et puis tout d'un coup, la rupture avec la France, la séparation complète, définitive, l'abolition totale du passé, la colonie de Saint-Domingue avait cessé d'exister, son nom même était perdu. Le drame a duré une quinzaine d'années. Il atteignit son point culminant lors de l'expédition militaire envoyée par le Premier Consul en 1802 sous les ordres du général Leclerc. Cette expédition a laissé un triste renom, la fièvre jaune l'ayant transformée en désastre. Sur 35.000 hommes arrivés à Saint-Domingue pendant le commandement du général Leclerc, plus de 21.000 moururent de maladie et 7.000 environ périrent dans les combats 1. Mais on connaît fort mal les événements eux-mêmes, quoique « les révolutions de Saint-Domingue » aient agité les esprits entre 1790 et 1825 à un point que nous n'imaginons plus, et qu'elles aient suscité des intrigues, des discours, des mémoires, des rapports, des volumes, innom- brables autant que passionnés. « Par une singulière exception, écrivait quarante ans après l'expé- dition, un homme qui avait eu la chance d'en revenir, l'une des entre- prises les plus mémorables et les plus funestes de la France, celle qui sous les feux des tropiques signala aussi cruellement l'avènement de Napoléon que les glaces de la Russie signalèrent sa décadence, cette grande catastrophe n'a pas eu et n'aura pas d'historien. Les 1. Le général Pamphile de Lacroix, qui prit part à l'expédition et publia en 1819 ses « Mémoires pour servir à l'histoire de la Révolution de Saint- Domingue » donne les chiffres suivants : Officiers-généraux, d'état-major, de corps ou isolés morts dans les combats ou de maladie - 1.500 Officiers de santé morts de maladie 750 Soldats tués à la guerre 5.000 Soldats morts de maladie 20.651 Marins militaires morts dans les combats ou de maladie ........ 8.000 A ces chiffres avec lesquels les indications fournies par les lettres de Leclerc concordent avec moins de précision, il convient d'ajouter les pertes subies en dehors de l'armée et qui, toujours d'après P. de Lacroix, se sont élevées à : Habitants de tout sexe égorgés par les ordres de Toussaint-Lou- verture 3.000 Marins du commerce morts dans les combats ou de maladie... 3.000 Employés civils et militaires morts dans les combats ou de maladie 2.000 Hommes isolés accourus dans la colonie pour y faire fortune morts dans les combats ou de maladie 3.000 Habitants morts dans les combats 800 Habitants morts de maladie ou de fatigue dans le service mili- taire 1.800 Noirs et hommes de couleur tués par la guerre 7.000 Noirs et hommes morts de maladie ou de fatigue 2.000 Noirs et hommes noyés ou tués dans les assassinats juridiques.. 4.000 Ainsi le total des hommes perdus par mort violente pendant le commandement du général Leclerc aurait atteint le chiffre considérable d'environ ................................ 62.000 tombes qui recouvrent les cendres de plus de cinquante mille Fran- çais de tout sexe et de tout âge, dont quarante-cinq mille furent dévorés par un climat de feu, ces tombes devraient cependant trouver leur place dans les douleurs de la Patrie à côté des cercueils de glace qui dix ans plus tard, fermés sur les vainqueurs de l'Europe depuis Moscou jusqu'à Posen, attestèrent ainsi qu'à Saint-Domingue, non la victoire de nos ennemis mais le crime des éléments. » C'est Norvins qui caractérise ainsi dans ces lignes l'expédi- tion à laquelle il s'était adjoint dans un élan subit d'enthou- siasme, n'y voyant qu'une fortune de plus à courir. Et jusqu'ici il a eu raison : cent trente ans après la mort du général Leclerc, l'expédition dont il fut le chef attend encore son historien et probablement l'attendra longtemps encore, parce qu'avant d'écrire un récit impartial et sérieux de cet événement, obscurci par l'oubli où les uns l'ont volontairement laissé tomber et déformé par les passions des autres, il sera nécessaire de consulter beaucoup de documents sur les faits eux-mêmes et sur leurs causes, de recueillir de nombreux témoignages contemporains et de soumettre documents et témoignages à une critique serrée et impartiale. Parmi les hommes qui ont pris part à l'expédition, très peu en sont revenus et quelques-uns seulement ont écrit et publié le récit de ce qu'ils avaient vu. Plusieurs d'entre eux prirent la plume dès leur retour à Paris. L'an XIII (1805) vit paraître plusieurs relations sous des formes diverses. Ce furent d'abord, comme il est ordinaire en cas d'échec, des reproches à l'égard du commandement. Idlinger, qui avait occupé à Saint-Domingue d'importantes fonctions administratives, presque sans interruption de 1789 à 1803, publia un précis sur la situation de Saint-Domingue pour éclairer son pays sur les causes de l'évacuation de cette colonie. Pour lui les causes immédiates de la catastrophe étaient avant tout l'inexpérience des chefs et la méconnaissance des localités et des habitants. Les reproches qu'il adressait parti- culièrement au capitaine général Rochambeau, successeur du général Leclerc, suscitèrent une réfutation, que Ph. Albert de Lattre, propriétaire et ex-liquidateur des dépenses de la guerre à Saint-Domingue, fit imprimer sous le titre Campagne des Français à Saint-Domingue1. Presque en même temps parut le Précis historique de la dernière expédition de Saint-Domingue que son auteur, Laujon, ancien conseiller à Saint-Domingue et greffier en chef de la juridiction du Port-au-Prince dédia à « Son Altesse Impériale le Prince Louis » 2. « J'ai échappé au massacre de Saint-Domingue, dit Laujon, mon imagination est encore remplie du souvenir déchirant de toutes les calamités que n'ont cessé d'éprouver les malheureux Français qui ont abordé dans cette île. J'entends journellement un grand nombre de personnes tirer des conséquences sur la destinée fatale de cette colonie qu'ils n'ont jamais habitée et parler sans le moindre ménagement de ceux dont ils n'ont pu y suivre ni la conduite ni les actions ; témoin de tout j'espère mériter plus de foi ; ... je trouve encore une véritable satisfaction à prouver par les faits comment les actions les moins connues sont souvent les plus calomniées et les meilleures intentions regardées comme les plus criminelles, quand par des circonstances incalculables l'événement contredit toutes les probabilités. » Quatre ans plus tard, le médecin Descourtilz publiait ses Voyages d'un naturaliste et y racontait les dangers qu'il avait courus à Saint-Domingue, prisonnier de l'armée noire, au moment de l'entrée en campagne des troupes du général Leclerc 3. 1. Ph.-Albert DE LATTHE, Campagne des Français à Saint-Domingue et réfutation des reproches faits au capitaine général Rochambeau. Paris, an XIII-1805, 285 p. 2. A.-P.-M. LAUJON, Précis historique de la dernière expédition de Saint- Domingue depuis le départ de l'armée des côtes de France jusqu'à l'évacuation de la colonie, suivi des moyens de rétablissement de cette colonie en deux parties. Paris, sans date, in-12, 257 p. — Louis Bonaparte devint roi de Hollande en 1806. L'ouvrage parut donc avant cet événement. 3. M.-E. DECOURTILZ, Voyages d'un naturaliste et ses observations faites sur les trois règnes de la nature dans plusieurs ports de mer français, en Espagne... et à Saint-Domingue où l'auteur devenu le prisonnier de 40.000 noirs révoltés et par suite mis en liberté par une colonne de l'armée française donne les détails circonstanciés sur l'expédition du général Leclerc. Paris, 1809, 3 vol. in-8°. Des détails précieux que nous fournit son récit, il faut rap- procher le chapitre trop court où, longtemps après, un autre savant, Moreau de Jonnès, évoqua les souvenirs de l'incendie du Cap Français auquel il avait assisté et quelques incidents de sa carrière de jeune officier d'artillerie à Saint-Domingue 1. Un autre survivant de l'armée de Leclerc, Wante, qui avait été secrétaire général de la préfecture de la partie de l'Ouest de Saint-Domingue en l'an X et sous-préfet du département du Sud en l'an XI, écrivait au contraire en 1805 2 : « Assez d'écrivains ont déjà parlé sur les causes du mal, sur les remèdes et sur les moyens de restauration pour que je me dispense de le faire.