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Le mariage dans l'Ecole romande du droit naturel au XVIIIème siècle

DUFOUR, Alfred

Reference

DUFOUR, Alfred. Le mariage dans l'Ecole romande du droit naturel au XVIIIème siècle. Genève : Georg, 1976, 170 p.

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73481

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LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL AU XVIIIe SIÈCLE

MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE OENÈVE N° 51

ALFRED DUFOUR Professeur aux Facultés de Droit de Fribourg et de Genève

LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL AU XVIIIe SIECLE'

GENÈVE LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITJ!

GEORG & c1• S.A. © 1976 by Librairie de l'Université Georg & Cie S.A. Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays. A la mémoire de ma mère

PREFACE

L'histoire institutionnelle du mariage dans les sociétés occidentales est dans une large mesure celle de sa progressive mais inéluctable sécularisation. Si, du x• au XVI° siècle, l'Eglise a disposé théoriquement d'un double monopole législatif et judiciaire en cette matière, son influence fut de plus en plus combattue non seulement dans les Etats catholiques - et sous divers prétextes - mais a fortiori dans les Etats de religion réformée. Parmi les courants de pensée ayant provoqué cette sécularisation matrimoniale, un des plus actifs fut l'Ecole du Droit naturel avec des auteurs tels que Grotius, Pufendorf, Thomasius et Wolff. Notre col­ lègue et ami, M. Alfred Dufour, en a donné une démonstration magis­ trale dans sa remarquable thèse de doctorat intitulée « Le mariage dans /'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVIII• siècle» (Paris, 1972). Dans le présent ouvrage, l'auteur étudie l'influence profonde exercée sur la doctrine du mariage en terre romande par un certain nombre de juristes eux-mêmes tributaires des jusnaturalistes allemands du xvm· siècle. M. Affred Dufour peut ainsi parler à bon droit d'une Ecole romande de droit naturel. Parmi les fondateurs de celle-ci se détache spécia­ lement la figure de Barbeyrac. Le célèbre traducteur de Grotius et de Pufendort se distingue autant par la hardiesse de ses thèses (le mariage est un simple contrat de société dont les conditions et les effets sont librement déterminés par les parties) que par l'ouverture de son esprit et par le modernisme de ses vues {le mariage doit assurer le bonheur du couple autant que la procréation). La pensée matrimoniale de Burlamaqui, nettement plus conserva­ trice, est aussi plus nuancée que celle de Barbeyrac, puisque le juriste genevois essaie d'établir une synthèse entre l'institutionnalisme tradi­ tionnel et le conventionnalisme moderne. Ajoutons que Burlamaqui ne craint pas de préconiser la séparation de corps, empruntée à ce droit canonique auquel répugnent tant les jusnaturalistes. Les vulgarisateurs vaudois de /'Ecole romande du Droit naturel: Vicat, Pillichody et De Félice ne jouent pas, de leur côté, un rôle négli- X LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL geable, car ils savent trouver un juste milieu entre la thèse contractua­ liste d'inspiration thomasienne de Barbeyrac et la thèse institutionnaliste de Vattel, prenant ainsi en quelque sorte le relais de l'éclectisme de Burlamaqui. Enfin ].-]. Rousseau, avec «son mariage impromptu» du 30 août 1768, ajoute sa note personnelle à ce courant de pensée concernant le mariage dans l' Ecole romande du Droit naturel. Les conséquences institutionnelles ne tarderont pas à se faire sentir sur le plan du droit positif suisse puisque le mariage civil obligatoire apparaitra dès 182J à Genève et dès 1851 à Neuchâtel, alors que dans la plupart des autres cantons il faudra attendre la loi fédérale de 1874 pour arriver au même résultat. Le lecteur ne manquera pas d'apprécier la clarté de l'exposé, la rigueur du raisonnement juridique, la richesse de l'analyse philosophique et la finesse psychologique dont l'auteur fait preuve. Les historiens du droit souhaiteront certainement que M. Alfred Dufour nous donne d'au­ tres travaux de cette valeur.

L. CHEVAILLER, Professeur aux Universités de Lyon et de Genève. AVANT-PROPOS

L'intérêt suscité au cours de la prem1ere moitié de notre siècle par les principales figures de l'Ecole romande du Droit naturel du xvm• siè­ cle et dont témoignent notamment les monographies très fouillées d'E. Béguelin sur Vattel 1, de Ph. Meylan sur Barbeyrac 2, de R.F. Harvey et de B. Gagnebin sur Burlamaqui s, ainsi que les contributions plus particulières de P. Guggenheim et de H. Thévenaz sur Vattel et le Droit des Gens 4 et d'A. Mancini sur la pensée politique de Burlamaqui 5, vient de trouver un heureux renouveau ces dernières années avec les travaux de Sieglinde C. Othmer sur le séjour berlinois et la diffusion des tra­ ductions de Barbeyrac e, ainsi que de ].-]. Manz sur les principes poli­ tiques de l'internationalisme de Vattel 7 • Aucun des plus récents auteurs qui se sont penchés sur les représentants les plus marquants de l'Ecole romande du Droit naturel moderne n'a cependant repris la notion, naguère

1 E. Béguelin : En souvenir de Vattel, in Recueil de travaux offerts par la Faculté de droit de Neuchâtel à la Société suisse des juristes, Neuchâtel 1929, p. 33 SS, 2 Ph. Meylan : jean Barbeyrac (1674-1744) et les débuts de l'enseignement du droit dans l'ancienne Académie de . Contribution à l'histoire du Droit naturel, Lausanne 1937. a R.F. Harvey : j.j. Burlamaqui, a Liberal Tradition in English Constitu­ tionalism, Chape! Hill 1937; B. Gagnebin : Burlamaqui et le Droit naturel, thèse droit Genève 1944. 4 P. Guggenheim : Emer de Vattel und das Volkerrecht, Einleifung zum Droit des Gens ou Principes de la Loi naturelle, Klassiker des VOlkerrechts, Hrsg. von W. Schatzel, Bd. III, Tubingue 1959; Emer de Vattel et l'étude des relations internationales en Suisse, Mémoires publiés par la Faculté de droit àe Genève n° 10, Genève 1956 ; de même voir H. Thévenaz : Vattel Oil la des­ tinée d'un livre, in Schweizerisches /ahrbuch für internationales Recht, Bd. XIV, 1957, p. 9 ss; Emer de Vattel, in Extrait du «Musée neuchâtelois », 1958, Neuchâtel 1958; enfin Vattel sous les Notes bibliographiques du Schwei­ .ierisches jahrburch für internationales Recht, Bd. XV, 1958, p. 283. 5 A. Mancini : Per la conoscenza del pensiero politico e religioso del Burlamacchi, in Atti Ace. lincei, cl. Scienze morali, Florence 1948. 6 S.C. Othmer : Berlin und die Verbreitung des Naturrechts in Europa. Kultur- und sozialgeschiclztliche Studien zu Jean Barbeyracs Pufendorf-Ueber­ setzungen und eine Analyse seiner Lesersclzaft, Veroffentliclzungen der histo­ risclzen Kommission zu Berlin, Bd. 30, Berlin 1970. 7 J.J. Manz : Emer de Vattel. Versuch einer Würdigung, unter besonderer Berücksiclztigung der individuellen Freiheit und der souveriinen Gleiclzlzeit, Diss. jur., Zürich 1971. :XII LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL explicitée par Ph. Meylan s et à laquelle B. Oagnebin devait se référer quelques années plus tard 9, d'une « tradition romande du Droit natu­ rel ». Et pourtant, il semble bien qu'il faille reconnaître la spécificité du mouvement doctrinal qui se dessine en Suisse romande au début du XVIII 0 siècle en relation directe avec l'essor de !'Ecole allemande du Droit naturel moderne 10, qui fleurit dans les universités germaniques, tandis que le monde académique français lui demeure officiellement hos­ tile 11• Dû à l'impulsion du célèbre jurisconsulte et traducteur huguenot, dont on vient de fêter le tricentenaire de la naissance, jean Barbeyrac (1674-1744), ce mouvement présente en effet des traits caractéristiques qu'il convient de relever brièvement avant d'en approfondir les princi­ paux aspects au seuil de notre étude de sa pensée matrimoniale. Première tradition de Droit naturel d'expression française, avant que les jurisconsultes et les Encyclopédistes d'Outre-jura ne prennent le relais de ses Fondateurs - Barbeyrac et Burlamaqui -, !'Ecole romande du Droit naturel se distingue encore par un autre trait fondamental qui la différencie de !'Ecole française : c'est son net enracinement dans la tradition réformée. Issu des milieux du Refuge, que ce soit celui de la Révocation de !'Edit de Nantes ou le premier Refuge italien 12, le mou­ vement de pensée juridique et politique qui se fait jour en Suisse romande

s Cf. Ph. Meylan : op. cit., p. 188. 9 Cf. B. Gagnebin : op. cit., p. 10. Il faudrait ajouter à ce propos l'intro­ duction d'Ed. His à l'ouvrage collectif Sclzweizer ]uristen der letzten hundert ]ahre, Zurich 1945, p. 1-58, qui met bien en relief (p. 47 ss) la part prépon­ dérante de la Suisse romande dans l'étude du Droit naturel ; le texte four­ mille malheureusement d'erreurs en ce qui concerne la vie et l'œuvre des repré­ sentants de !'Ecole romande jusqu'à faire travailler le Chancelier d'Aguesseau à Yverdon aux côtés de F.B. de Félice (p. 48), ce qui le rend pratiquement inutilisable. Plus récents et d'une autre qualité, voir aussi F. Elsener, Rechts­ schulen und kantonale Kodifikationen .. :i.. in Schweizerisches Privatrecht, Bd. 1, Bâle-Stuttgart 1969, p. 7-46 et surtout vie Schweizer Rechtsschulen vom 16. bis ;;:um 19. ]ahrhundert, Zurich 1975, notamment ch. 7-8, p. 158-233. 10 Cf. notre livre Le mariage dans l'école allemande du Droit naturel moderne au XVIII" siècle, Paris 1972, p. 6-7. 11 Il faut attendre en effet 1774 pour voir une chaire de Droit naturel créée en au Collège de France à Paris ; cf. j. Proust : Diderot et l'Encyclopédie, thèse lettres, Paris 1962, p. 517. Sur la pénétration progressive du Droit naturel moderne chez les professeurs de Droit français, cf. A.]. Arnaud, Les Origines doctrinales du Code civil français, Paris 1969, p. 95 ss. 12 Rappelons que si Barbeyrac est du Refuge de la Révocation de !'Edit de Nantes, Burlamaqui est le descendant d'une famille du Refuge italien de Lucques. Voir à ce sujet Ph. Meylan : op. cit., p. 31, et B. Gagnebin : op. cil., p. 29. Sur le rôle des réfugiés huguenots dans l'essor de la littérature €.t de la pensée en Suisse romande au xvrn• s., cf. O. de Reynold : Le Doyen Bride[ et les origines de la littérature suisse romande, thèse Paris 1909, p. 63-64, dans le même sens que Ph. Godet : Histoire littéraire de la Suisse française, Neuchâtel-Paris 1890, p. 174 ss et surtout V. Rossel : Histoire littéraire de la Suisse romande des origines à nos jours, Genève-Bâle• Lyon 1889-1891, t. II, p. 13. AVANT-PROPOS XIII au début du XVIII" siècle est étroitement lié aux Académies réformées des bords du Léman 13. A la différence de !'Ecole française du Droit naturel, il demeure profondément chrétien. C'est là un trait qui domine !'Ecole romande, de Barbeyrac 14 - son Fondateur et celui qui lui donne le plus d'éclat -, à son vulgarisateur le plus marquant, F.B. de Félice, dont !'Encyclopédie yverdonnoise formera précisément, dans le dernier tiers du Siècle des Lumières, le correctif chrétien de l'entreprise ratio­ naliste de Diderot et d'Alembert 15, Premier courant du Droit naturel moderne d'expression française, d'empreinte réformée, ce qui lui donnera à l'instar de !'Ecole allemande une tonalité chrétienne originale, !'Ecole romande du Droit naturel du XVIII" siècle se caractérise enfin par sa forte perméabilité aux courants philosophiques du siècle. Il ne s'agit pas tant ici de la marque laissée sur les pionniers de !'Ecole romande par les Fondateurs de !'Ecole du Droit naturel moderne - Grotius et Pufendorf, entre autres, dont ils se font les traducteurs et les commentateurs -, que de l'influence exer­ cée chez nous au cours du XVIII' siècle par les courants philosophiques d'origine anglaise ou allemande, de l'empirisme lockien et de l'eudémo­ nisme thomasien, sensibles d'une part chez un Barbeyrac, d'autre part chez un Burlamaqui, un Porta ou un Pillichody rn, au réalisme méta-

13 Il suffit de songer, à ce propos, à l'importance du formulaire du Consensus adopté par tous les cantons protestants et par l'Eglise réformée des villes alliées à l'exception de Neuchâtel et dont LL.EE. de Berne exigent la signature de tous les professeurs de 1' Académie de Lausanne dès 1675. Voir à ce sujet Ph. Godet : op. cit., p. 177 et V. Rossel : op. cit., t. 1, p. 517 s. L'imposition du Consensus au dergé et au corps professoral romands ne sera abolie qu'avec le triomphe du libéralisme défendu par le Profes­ seur de Genève j.A. Turrettini. Ami de Turrettini, Barbeyrac, quand il sera Hecteur de l'Académie de Lausanne, se refusera à exiger sans restriction des professeurs de l'Académie le serment sur la formule du Consensus. Cf. à ce sujet Ph. Meylan : op. cit., p. 104 s. 14 Cf. la doctrine du fondement de l'obligation de Barbeyrac dans ses Réflexions sur le jugement d'un Anonyme sur l'original de l'Abrégé du De Oflicio de Pufendorf, notamment ad § 12 et § 19 et traduction du Droit de la Nature et des Gens de Pufendorf, II• éd. 1712, préface p. XXXVI et ad l/VI/XII n. 2. 15 D'où les foudres des Encyclopédistes, en particulier de Voltaire, contre de Félice. Ne reculant devant aucun moyen d'intimidation, Voltaire ne s'en prendra pas seulement par la plume à de Félice en épinglant « le moine défroqué ... qui ment effrontément comme un italien qui ne sait pas le français » ; il n'hésite pas en fait à s'adresser à LL.EE. de Berne en 1767 et 1769 pour obtenir la saisie et la répression des publications du savant réfugié italien établi dans l'une des villes les plus industrieuses du pays de Vaud en matière de librairie, Yverdon. Cf. T.R. Castiglione : F.B. de Felice tra Voltaire e Rousseau, in Studi di letteratura, storia e filosofia in onore di Bruno Revel, Firenze 1965, p. 164-165 et 171-172. 16 Sur l'influence lockienne, cf. chez Barbeyrac l'argument, tiré en faveur du Droit naturel, de la critique des idées innées in Préface à la traduction française du Droit de la Nature et des Gens de Pufendorf, p. XXXI-XXXII avec XIV LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL physique de Leibnitz et de Wolff, nettement perceptible chez le même Burlamaqui comme chez un Vattel 11, un E. de Beaumont 18 voire un Don Bernai de Quiros 19• Tributaire des divers courants, si ce n'est des modes philosophiques du siècle, comme l'atteste sa réceptivité à la vogue éphé­ mère du wolffisme, !'Ecole romande du Droit naturel se trouve par là partager dans l'histoire culturelle de l'Europe des Lumières la destinée même de la Suisse - « Helvetia mediatrix » 20 - dont témoignent alors des œuvres et des entreprises aussi riches de conséquences que les Let­ tres sur les Anglais et les Français de B.L. von Murait 21, la Biblio­ thèque italique 22, le Mercure suisse et le journal helvétique de Louis Bourguet 23• la citation de !'Epître CXX de Sénèque : Semina nabis scientiae dedit (natura). Scientiam non dedit. Voir à ce sujet les pénétrantes remarques de Ph. Meylan : op. cit., p. 53 ss. Quant à l'influence de Thomasius sur Burlamaqui, S. Porta et J.O. Pillichody, elle affleure dans le rôle que joue le bonheur dans la défmition que les deux premiers donnent du Droit (cf. Principes du Droit naturel, Genève 1747, I/ch. V/§ 10 et Principes du Droit naturel mis à la portée de la généralité des hommes, Ms. T. 1350, Bibl. cant. vaudoise, fol. 1), de même que dans la doctrine des fins du mariage du dernier nommé (Le Droit naturel d'un Père à son Fi:s, Yverdon 1769, 2 vol., t. 2, p. 48). 17 Cf. ].]. Burlamaqui : op. cit., II/ch. V/§§ 5-6 et E. de Vattel : Essai sur le fondement du Droit naturel et sur le premier principe de l'obligation où se trouvent tous les hommes d'en observer les lois, in Loisir philosophique, l, Genève 1747, notamment §§ 6-10 et 29-31. 18 Cf. E. de Beaumont : Principes de philosophie morale, Genève 1754 Dis- cours préliminaire, p. 3 ss., introd. §§ 1 et Ill et ch. l/§§ XVII-XXVIII. ' 19 Cf. Don Bernai de Quiros : Elementi del dirilto naturale, Ms. Bibl. cant. vaudoise, T 77, notamment ch. I, §§ I-VIIl-IX. 20 Sur ce thème voir entre autres F. Ernst : La tradition médiatrice de la Suisse aux XV/li• et X/X• siècles, in Revue de littérature comparée, 1926/6, p. 550 ss, de même que Die Schweiz ais geistige Mittlerin, Zurich 1932. Voir également H. Thieme : Das Naturrecht und die europiiiscl1e Privat­ rechtsgeschichte, Bâle 1947, § VIII, p. 29 ss, et E. Fueter : Gesclzichte der exakten Wissensclzaften in der schiveizerischen Aufkliirung (1680-1780), Diss. Zurich, Aarau 1941, notamment p. 75. 21 Paru en 1725, «le livre de Murait est le premier en date à critiquer la structure sociale de l'Ancien Régime français, le premier à faire paraître à l'horizon cette île bénie d'où l'on attendra plus tard la sagesse, la guérison et le bonheur», cf. Ernst : La tradition médiatrice de la Suisse, art. cit., p. 559. De Murait est par là le précurseur immédiat des Lettres anglaises ou Lettres ph il osa phiques de Voltaire de 1734. 22 Genève, 1729-1734. Fondée par Louis Bourguet, philosophe et mathéma­ ticien huguenot, réfugié à Neuchâtel, la Bibliothèque italique, rédigée par Bourguet, Seigneux de Correvon, Loys de Bochat, Cramer et Calandrini entre autres, était « destinée à vulgariser en Europe centrale les travaux de la science italienne». Cf. à ce propos V. Rossel : op. cit., t. II, p. 60. 23 Fondé en 1732 par Louis Bourguet, encouragé par le relatif succès de la Bibliothèque italique, le Mercure Suisse (Neuchâtel 1732-1784, 158 volumes) avait pour fin la rénovation de la vie intellectuelle en Suisse, voire « la réha­ bilitation nationale» (F. Ernst : op. cit., p. 572) par une ouverture à tous les courants de la pensée européenne, dont ses comptes rendus tendent à se faire le reflet. En 1738, le Mercure suisse devait être dédoublé par le journal helvé- AVANT-PROPOS XV

Plaque tournante de l'Europe, comme l'a remarqué voici plus d'un quart de siècle H. Thieme dans son étude sur le Droit naturel et l'his­ toire du Droit privé européen 24, la Suisse romande l'est donc au premier chef par l'intensité de sa vie culturelle, dont les Académies réformées de Lausanne et de Genève, pour ne rien dire des cercles culturels neuchâ• telois, apparaissent les foyers privilégiés. Il se justifierait sans doute dans cette perspective de distinguer au sein de !'Ecole romande deux, si ce n'est trois traditions : celle de !'Ecole vaudoise d'une part, avec ses professeurs à 1' Académie de Lausanne -· de Barbeyrac à Vicat - et ses vulgarisateurs - Pillichody et de Félice ; celle de !'Ecole genevoise d'autre part, avec ses professeurs à l' Audi­ toire de droit - de Burlamaqui à la dynastie des Cramer - et ses vulgarisateurs - les Beaumont et les Rousseau ; celle enfin des audi­ toires neuchâtelois avec Bourguet et Vattel, premiers pionniers d'une « Académie neuchâteloise » 25 en même temps que propagateurs de la pensée philosophique et juridique de Leibnitz et de Wolff en terre romande. Pour fondée qu'elle puisse paraître sur le plan de la géographie intellectuelle de la Suisse romande au xvm• siècle, une telle division ne correspond cependant guère à l'histoire des doctrines. Les clivages les plus intéressants sont ici d'un autre ordre ; ils tiennent à la filiation intellectuelle des principaux représentants de !'Ecole romande et à leur rattachement aux courants dominants de !'Ecole du Droit naturel moderne du Siècle des Lumières. Dans cette optique, Barbeyrac et Burlamaqui, les deux Fondateurs de !'Ecole romande et ses deux figures les plus marquantes, tributaires des positions philosophiques et juridiques de Pufendorf, voire de Tho­ masius, et leurs médiateurs auprès du public lettré de culture française et anglo-saxonne, appartiennent avant tout au courant des Commenta­ teurs de Grotius et de Pufendorf, si important en Allemagne à la même époque, tandis que leurs disciples et vulgarisateurs, Vattel en tête jus­ qu'à Beaumont et de Félice se définissent au premier chef par rapport aux courants plus récents du leibnitzisme et du rationalisme wolffien, voire de !'Encyclopédie. Plutôt que de suivre deux ou trois traditions locales d'enseignement du Droit naturel, il nous a paru dès lors plus juste de nous attacher successivement dans une première partie à la tique et se transformer lui-même en 1748 en Nouvelliste Suisse. Les deux publications mensuelles paraîtront jusqu'à la veille de la Révolution. Cf. à ce sujet V. Rossel : op. cit., loc. cit. et E. Béguelin : op. cit., p. 38. 24 H. Thieme : op. cit., lac. cil. 25 Sur la portée de la chaire de Louis Bourguet et les tentatives de Vattel d'obtenir du Roi de Prusse la création d'une Académie à Neuchâtel, cf. J.J. Manz : op. cit., p. 23-26, qui renvoie à la « correspondance et autres documents relatifs à l'établissement d'une Académie à Neuchâtel » publiés par L. Béguelin in op. cit., p. 117 ss. XVI LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

pensée des Fondateurs de !'Ecole romande, Barbeyrac et Burlamaqui, et dans une deuxième partie à celle de leurs disciples et de leurs vulgari­ sateurs à Neuchâtel et dans le Pays de Vaud. Ayant ainsi délimité le cadre de notre travail et justifié son plan général, il nous reste à en expliquer le thème proprement dit, la division et la méthode. Si les théories politiques des principaux représentants de !'Ecole romande du Droit naturel - de la doctrine du Contrat social à celle du droit de résistance et de la théorie des libertés individuelles à celle de l'égalité de souveraineté de tous les Etats - ont jusqu'à tout récem­ ment retenu de préférence l'attention 26, il n'en va pas de même de leurs thèses concernant les principales institutions du Droit privé, qui sont demeurées dans l'ombre. Parmi elles, il en est pourtant une qui nous semble mériter un intérêt tout particulier, puisqu'elle est à la base de toute société humaine et que son approche subit tout naturellement le contre-coup de toute mutation de la philosophie sociale. Au siècle où !'Ecole du Droit naturel moderne s'illustre par la vulgarisation du conventionalisme social et par la remise en cause qu'elle implique des fondements de toute autorité politique, il n'est pas indifférent de suivre ce que devient dans la pensée de ses hérauts le mariage et l'autorité maritale. Nous l'avons fait dans un précédent ouvrage pour les prin­ cipaux représentants de !'Ecole allemande du Droit naturel moderne au Siècle des Lumières, relevant en conclusion la tendance assez nette qui se fait alors jour vers la contractualisation de l'institution matrimoniale et l'égalité juridique des époux, contre-coup de la doctrine du Contrat social en Droit privé 21. Comme nous le laissions entendre alors 2s, c'est le même travail que nous nous proposons d'entreprendre aujourd'hui pour les représentants de !'Ecole romande, déjà connus pour leurs théo­ ries en matière de Droit public et de Droit des gens. Conformément à la division générale que nous avons adoptée dans notre premier ouvrage, nous étudierons le mariage en Droit naturel suc­ cessivement chez les Fondateurs de !'Ecole romande (première partie) et chez leurs disciples et leurs vulgarisateurs (deuxième partie). Dans chacune de ces deux parties, nous nous attacherons à cerner la pensée

26 Cf. le sous-titre explicite de la thèse de j.J. Manz : Emer de Vattel. Versuch einer Würdigung unter besonderer Berücksichtigung der individuellen Freiheit und der souveriinen Gleichlzeit, de même que le titre de la thèse de R.F. Harvey sur Burlamaqui, ci-dessus mentionné, note 3. De manière aussi nette, Ph. Meylan et B. Oagnebin se sont attachés en priorité dans leur t'>tude de la pensée respective de Barbeyrac et de Burlamaqui aux théories politiques plutôt qu'aux thèses plus particulières et fragmentaires de ces auteurs en matière de Droit privé. 21 Cf. notre ouvrage déjà cité Le mariage dans l'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVJII• siècle, Paris 1972, p. 429 ss. 2s Op. cit., p. 6-7. AVANT-PROPOS XVII des principaux auteurs dans leur approche (A) de la problématique géné­ rale de l'institution (origine et fins du mariage, nature juridique et formes de l'institution, polygamie ou monogamie), (B) dans leur concep­ tion de sa formation (liberté du mariage, conditions de capacité et empêchements, forme et moment de la conclusion), (C) de ses effets (nature de la société conjugale, droits et devoirs des époux), et (D) de sa dissolution (décès, divorce et secondes noces). Quant à la méthode que nous avons suivie, visant en dernière analyse à dégager la portée pratique de l'œuvre des principaux représentants de !'Ecole romande du Droit naturel, nous nous en sommes tenu, comme dans notre premier travail 29, aux seules sources imprimées - traduc­ tions commentées, traités et publications de cours de Droit naturel des auteurs étudiés -, laissant dans l'ombre, souvent en dépit de leur intérêt indéniable pour notre sujet, les œuvres demeurées manuscrites et n'attestant de ce fait, hormis certains cours, guère de diffusion ao. Enfin, nous avons cherché à donner le plus de place possible aux textes mêmes, de façon à restituer avec te maximum de fidélité, dans te style incomparable qui la caractérise, ta pensée de nos grands théoriciens et jurisconsultes du xv111• siècle sur un sujet aujourd'hui plus que jamais d'actualité.

29 Op. cit., p. 10. ao Les manuscrits des cours donnés dans les Académies de Lausanne et de Genève ne nous ont retenus dans cette perspective que dans la mesure ( 1ans laquelle ils avaient été publiés, comme c'est le cas pour ceux de Burla­ maqui et de B.Ph. Vicat. Pour ce qui est du texte latin du Commentaire professé à Genève tout à la fin du siècle par J.A. Cramer sur les Eléments du Droit naturel de Burlamaqui, et dont la Bibliothèque publique et universi­ taire de Genève détient une copie de 1790-1791 (Ms. cours univ. 230), son caractère tardif - ).A. Cramer n'a enseigné qu'à partir de 1789 - ne nous permettait pas de l'mtégrer dans notre étude. 2

INTRODUCTION GÉNÉRALE

L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Par deux fois, la Suisse romande a joué un rôle de premier plan dans l'histoire de la pensée juridique européenne. Tout d'abord à l'époque de l'humanisme juridique avec l'essor de !'Auditoire genevois de Droit; ensuite et surtout à l'ère du rationalisme juridique, avec l'épanouisse­ ment, sur les bords du Léman comme sur les rives du lac de Neuchâtel, de l'étude du Droit de la Nature et des Gens. Si la première floraison de la science juridique à l'Académie de Calvin apparaît bien illustrée sur le plan européen par les cours et les œuvres d'un Hugues Doneati, d'un François Hotman, d'un jules Pacius de Beriga, d'un Ennemond de Bonnefoy et des deux Godefroy 1, elle est cependant largement éclipsée par l'ampleur et l'éclat du courant de pensée juridique qui, sous l'égide théologique et philosophique du rationalisme, s'épanouira tout au long du xv111• siècle en terre romande. Du professorat de jean Bar­ beyrac à Lausanne (1711-1717) 2 aux entreprises encyclopédiques de Fortuné-Barthélemy de Félice, le savant prêtre italien établi à Yverdon (1762-1789) a et des cours privés de Louis Bourguet, l'éminent leibnitzien huguenot, professeur de mathématiques et de philosophie à Neuchâtel

1 Cf. Chs. Borgeaud op. cit., p. 123-132 à propos du séjour et de l'en­ seignement de Doneau, de Hotman et de Bonnefoy ; p. 277-312 à propos de ceux de Pacius et de Denys Godefroy et p. 368-380 à propos de Jacques Godefroy. Au sujet de l'enseignement de Pacius à Genève, voir en outre notre article : Un adepte de l'humanisme juridique à Genève - fuies Pacius de Beriga et son «De /uris Meihodo » (1597), in Genève et l'Italie, Etudes de philologie et d'histoire, 12, Genève-Paris 1969, p. 113-147. Sur ce premier essor de !'Ecole juridique genevoise, voir enfin F. Elsener, Die Schweizer Nechtsschuten, p. 158-177. 2 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 69-120, de même que F. Elsener, op. cit., p. 217-224. a Cf. l'ouvrage fondamental d'E. Maccabez, F.B. de Félice et son « Ency­ clopédie » - Yverdon (1770-1780)ë thèse lettres Lausanne, Bâle 1903 en plus de l'étude déjà citée de T.R. astiglione, F.B. de Felice tra Voltaire e Rousseau, in Studi di letieratura, storia e filosofia in onore di Bruno Revel, Florence 1965, p. 155-178. 2 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

(1730-1742)4, aux œuvres d'Emer de Vattel 5, en passant par l'enseigne­ ment public de Pierre Mussard (1719-1723) 6 et de Jean-Jacques Burla­ maqui à Genève (1723-1739) 1, c'est plus qu'une traditions, une véri­ table Ecole de Droit naturel qui se dessine en Suisse romande au Siècle des Lumières. Si l'on s'accorde pour qualifier d' Ecole un mouvement intellectuel attaché à défendre autour d'un ou de plusieurs maîtres un certain nombre de principes et les propageant par la parole ou par l'écrit 9 , il nous paraît difficile, au vu de l'impressionnante continuité de l'enseignement du Droit naturel à Lausanne et à Genève comme de la production littéraire qui s'y rapporte du début à la fin du xv111• siècle, de contester l'existence à cette époque d'une Ecole romande du Droit naturel, vouée à la diffusion en terre de culture française des principes de Grotius, de Pufendorf, de Thomasius et de Wolff relatifs aux fonde­ ments rationnels du Droit positif, aux règles méthodologiques de leur détermination et à celles de leur formulation. A cet égard, si la fondation en 1661 par l'Electeur palatin en faveur de Pufendorf à l'Université de 'Heidelberg de la première chaire de la nouvelle discipline marque bien le point de départ de !'Ecole allemande du Droit naturel moderne, il est permis de considérer le professorat qu'inaugure en 1711 à !'Académie de Lausanne le premier traducteur français du De jure Naturae et Gen­ tium comme la date de naissance de cette Ecole romande 10. Celle-ci

4 Cf. E. Béguelin, op. cit., p. 37 et 74, n. 23 et l'évocation d'H. Perrochon, Un homme du XVIII• siècle : Louis Bourguet, in Vie, Art, Cité, 1951/1, p. 34-38. Une étude systématique reste à faire sur la vie et l'œuvre de cette étonnante figure de la vie intellectuelle romande du Siècle des Lumières, originaire de Nîmes et réfugiée en Suisse à la Révocation de !'Edit de Nantes. Voir à ce sujet, le Dictionnaire biographique d'A. de Montet, Lausanne 1877- 1878, 1, p. 85 SS et le 01-IBS, Il, p. 275. 5 Cf. l'étude biographique exhaustive déjà citée d'E. Béguelin, ainsi que les contributions plus limitées, relatives à la portée et à la signification de son œuvre dans l'histoire du Droit des Gens, dues à P. Guggenheim, H. Thé­ venaz et J.J. Manz, voir note 4 de notre Avant-Propos, ci-dessus p. XI. o Chs. Borgeaud, op. cit., p. 509-510, ainsi que les indications d' A. de Montet, op. cit., 11, p. 224 et du DHBS, V, p. 65. 7 Cf. Chs. Borgeaud, op. cit., p. 510-520 et B. Gagnebin, op. cit., p. 41-50, de même que F. Elsener, op. cit., p. 182-188. s Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 185 ss. 9 Cf. la définition élaborée par Erik Wolf, Grotius, Pufendorf, Thomasius, Tubingue l 927, p. 29, qui oppose à juste titre, à propos de Grotius en parti­ culier, 1' Ecole, regroupant les disciples amenés à défendre les mêmes thèses, à la légende, dans laquelle prend forme le simple rayonnement personnel. 10 Cf. l'interprétation analogue que donne Ph. Meylan, op. cil., p. 80, de la Leçon inaugurale de Barbeyrac du l 9 mars 1711, à partir du parallèle que trace le nouveau professeur lui-même entre son installation et celle de Pufen­ dorf un demi-siècle plus tôt à Heidelberg ; voir l'Oratio inauguralis de digni­ tate et ufilitate ]uris ac Historiarum et utriusque disciplinae arnica conjunctione, Lausanne 1711, republiée à Amsterdam, 1711, et Iéna, 1724, ainsi que dans les dernières éditions de la traduction du De ]ure Naturae et Gentium, notam- INTRODUCTION GÉNÉRALE 3 devait prendre forme, d'une part, sur le plan académique avec la conso­ lidation de l'enseignement du Droit naturel dans la chaire lausannoise de Droit et d'Histoire de jean Barbeyrac et avec l'instauration dix ans plus tard à la demande des étudiants allemands d'un enseignement ana­ logue à l'Académie de Genève 11, d'autre part, sur le plan scientifique, avec l'apparition et l'essor d'une littérature juridique spécifique de thèses, de discours, de traités et de manuels de Droit naturel qui, vulga­ risant la littérature de !'Ecole allemande, jettera du même coup les bases d'une doctrine du Droit naturel moderne d'expression française. La consolidation de l'enseignement du Droit naturel moderne en Suisse romande n'est pas seulement attestée à vrai dire par la conti­ nuité des cours qu'assurent, après Barbeyrac, un Charles Loys de Bochat (1718-1740) 12, un Béat-Philippe Vicat (1740-1770) rn, un Abraham Cla-

ment 5• éd., Amsterdam 1734, et 6' éd. Bâle 1750. A relever que, comme l'ont mis en lumière les récentes recherches de S.C. Othmer, Berlin und die Ver­ breitung des Naturrechts in Europa - Kultur- und sozialgeschichtliclze Studien zu jean Barbeyracs Pufendorf-Uebersetzungen und eine Analyse seiner Leser­ schaft, Berlin 1970, p. 48, si Barbeyrac est bien le premier traducteur français du De jure Naturae et Gentium de Pufendorf, il n'est pas à proprement parler le premier traducteur français du jurisconsulte saxon, puisqu'il a été précédé dans cette voie par son compatriote, le huguenot nîmois Antoine Teissier, comme lui réfugié à Berlin, auquel on doit la première traduction française du De Officia Hominis et Civis, cf. Les Devoirs des Hommes et des Citoyens, suivant la Loi naturelle, Ouvrage composé en Latin par M. de Pufendorf, et mis en Français par Ant. Teissier, Conseiller et Historiograplze de S.S.E. de Brandebourg, Berlin 1696. n Cf. Chs. Borgeaud, op. cil., p. 509. 12 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 164-171 et F. ElsenerÊ op. cit., p. 226-229. Révélatrice de l'orientation qui se fait jour au sein de I' cole du Droit naturel moderne vers l'étude des Droits locaux sous l'impulsion de Thomasius - dont il a été l'élève à Halle entre sa nomination (1718) et son installation dans la chaire de Barbeyrac (1720) - l'œuvre de Lays de Bachat se présente avant tout comme celle d'un historien local et d'un Jurisconsulte soucieux de l'expli­ cation des lois indigènes, dans laquelle ses connaissances en matière de Droit naturel jouent un rôle précieux. Cf. non seulement ses Mémoires pour servir û l'histoire du différend entre le Pape et le Canton de Lucerne, de 1727, où il se fait l'avocat de la subordination de l'Eglise au Pouvoir civil - Grotius, Thomasius, Boehmer et Barbeyrac à l'appui - ou ses Ouvrages pour et contre les Services militaires étrangers, de 1738, mais encore ses nombreuses études demeurées manuscrites, comme son Commentaire sur le Plaid général de Lau­ sanne (Bibl. cant. vaud. P. 1948, 1955, 1990, 1991) et son Traité des avan­ tages de la Réformation par rapport à la société civile. Cf. Ph. Meylan, op. cil., p. 166-167. Sur la vie de Chs. Lays de Bachat, cf. la notice corres­ pondante du précieux Dictionnaire biographique des Genevois et des Vaudois ù'A, de Montel, Lausanne 1877-1878, Il, p. 74, et le DHBS, IV, p. 558. 1a Cf. Ph. Meylan, op. cil., p. 174-176 et 235-236, repris par F. Elsener, op. cil., p. 231. A relever ici que, d'origine dauphinoise, d'une famille du Refuge devenue bourgeoise d' Aigle en 1715, B.-Ph. Vicat étudiera le Droit à l'Uni­ versité de Bâle, où il obtiendra son doctorat avec une thèse de postulando seu de advocatis (1737). Son orientation apparaît sensiblement la même que 4 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL vel de Brenles (1770-1771) 14 et un Christian Dapples (1772-1802) 15 à l'Académie de Lausanne ou, après les premiers cours de Pierre Mussard à I' Auditoire de droit de Genève (1719-1723), un Jean-Jacques Burlamaqui (1723-1739) et la dynastie des Cramer - Jean (1723-1747), Jean-Manassé (1757-1789) et Jean-Antoine (1789-1793) - pour ne rien dire de Pierre Lullin (1740-1756), de Pierre Pictet (1747-1756) et de Jean-Jacques Tur­ rettini (1756-1783) qui en prendront le relais 16 ; elle transparaît égale­ ment à travers toute une série de copies et de manuscrits de cours, publiés ou impubliés, de nos bibliothèques romandes, des cours genevois de

celle de Loys de Bochat, puisque l'essentiel de son œuvre est centré sur l'étude du Droit local, comme le montrent ses Principes du Droit feudal et emphytéotique à l'usage du Pays de Vaud, demeurés manuscrits (Bibl. cant. vaud. T. 1351), et ses Praelectiones de successione testamentaria ex jure naturali, civili et statutario bernensi de 1748/ et sur l'étude du Droit naturel, comme l'atteste son Traité du Droit nature, publié à Lausanne et Yverdon en 1777. Sur la vie de Vicat, cf. f.our plus de détails le Dictionnaire cité de .Montet à l'article correspondant, 1 , p. 612, et le DHBS, VII, p. 118. 14 Cf. Ph. Meylan op. cit., p. 176. Originaire de Cully, Abraham-Daniel Clavel, seigneur de Brenles, naît en 1717. A l'instar de ses prédécesseurs c'est à l'étranger qu'il ira parfaire sa formation juridique, plus précisément à Marbourg, à l'école du wolffien j.U. Cramer. La thèse qu'il soutiendra à la l'acuité de Droit de Marbourg, De Exemtione Legatorum a Faro criminali eius ad quem missi sunt, sera publiée parmi les œuvres mêmes de Cramer, Opuscula Crameriana, t. 4, Marbourg 1756, p. 548 ss. Quant à son orientation, Clavel de Brenles partage celle de ses prédécesseurs, vouant autant d'attention au Droit local, commme le révèle son Commentaire du Plaid Général de Lau­ sanne, resté manuscrit par la volonté de LL.EE. de Berne (Bibl. cant. vaud.,

Ms. Clavel XXXg9) 1 qu'au Droit naturel, ainsi que l'atteste sa leçon inaugurale de 1770, dont la Bibliothèque cantonale vaudoise a conservé une copie manu­ scrite (Ms. Clavel XXX15S). Pour la vie d'Abraham Clavel de Brenles, voir le Dictionnaire biographique de Montet à l'article correspondant, I, p. 173, et le DHBS, Il, p. 527. 15 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 176-177, de même que le Dictionnaire de Montet, I, p. 224 et le DHBS, II, p. 633. Né en 1740 à Lausanne, connu par ses fonctions de justicier de Lausanne pour « la rigueur de son jugement et la solidité de ses connaissances», Christian Dapples succède le 13 février 1772 à Abraham-Daniel Clavel de Brenles dans la chaire de Droit. Elu au Petit Conseil de Lausanne en 1770, il cumulera dès lors ces fonctions, avec l'autorisation expresse de LL. EE. de Berne, et celle de professeur à l' Aca­ démie. De fait, Chr. Dapples enseignera jusqu'à sa mort en 1802. 1s Cf. Chs. Borgeaud, op. cit., p. 526-527. Le plus remarquable des collè­ gues et successeurs de Burlamaqui est sans doute jean Cramer, qui laisse toute une œuvre de commentateur et d'historien du Droit, en très grande partie manuscrite, comme sa thèse De secundis nuptiis, Genève 1723, centrée sur les conséquences patrimoniales des secondes noces ; il n'y a guère que son commentaire historique des Edits civils qui ait été publié récemment avec une introduction substantielle de O. Partsch, cf. Jean Cramer et son précis de l'histoire du Droit genevois (1761), in Bulletin de la Société d'his­ toire et d'archéologie de Genève, t. 13 (1964), p. 13-87, que suit F. Elsener, op. cit., p. 188-192. INTRODUCTION GÉNÉRALE 5

Burlamaqui, édités par de Félice à Yverdon 11 et par Seigneux de Corre­ von à Lausanne 18, aux commentaires qu'en donnera à la fin du siècle à ses étudiants jean-Antoine Cramer 10, en passant par ceux de Béat-Phi­ lippe Vicat et d'Abraham Clavel de Brenles à l'Académie de Lausanne 20. A cette littérature se rattache étroitement une production littéraire demeu­ rée manuscrite et qui comprend notamment les Elementi del diritto natu­ rale de Don Hyacinthe Bernai de Quiros, le jésuite italien converti au protestantisme qui enseignera l'histoire et le droit ecclésiastiques de 1752 à 1758 à !'Académie de Lausanne 21, le Droit naturel et les Prin­ cipes de Droit naturel mis à la portée de tous les hommes de Samuel Porta (1716-1790), le collaborateur de Seigneux de Correvon et de Clavel de Brenles à la révision du commentaire de Boyve sur le Plaict général de Lausanne 22. Plus importante se révèle cependant la littérature juridique qui paraît à la même époque et qui témoigne sur le plan scientifique de la vigueur de la nouvelle Ecole de droit naturel d'expression française. Cette litté­ rature est tout d'abord illustrée par les grands travaux de traduction que Barbeyrac a repris ou entrepris à Lausanne, soit d'une part la deuxième édition de la traduction du De jure Naturae et Oentium 2a

11 Cf. les Principes du Droit de la Nature et des Gens de /.-/. Burlamaqui avec la Suite du Droit de la Nature qui n'avait point encore paru, le tout considérablement augmenté, 8 vol., Yverdon 1766-1768. Voir à ce sujet B. Gagnebin, op. cit., p. 89. 18 Cf. les Eléments du Droit naturel par M. /.-/. Burlamaqui, ouvrage posthume publié complet pour la première fois, Lausanne 1775. Voir à ce sujet B. Gagnebin, op. cit., p. 90. 19 Cf. la copie manuscrite de 1790-1791 qu'en possède la Bibliothèque publique et universitaire de Genève sous le titre /uris naturalis excerpta, Ms. Cours univ. 230. 20 Cf. le texte manuscrit que détient la Faculté de Drait de Lausanne du cours de B.-Ph. Vicat sous le titre Abrégé du Droit naturel et la copie que possède la Bibliothèque cantonale vaudoise de la Leçon inaugurale d'Abraham­ Daniel Clavel de Brenles, Ms. Clavel XXXga, 21 Cf. le texte manuscrit à la Bibliothèque cantonale vaudoise, 1 vol. in-8° et 1 vol. in-folio, Ms. T 77. Sur cet étonnant personnage, cf. l'Enciclopedia Universal llustrada Europea-Americana, t. XLVIII, Bilbao-Madrid-Barcelone, 1922, p. 1453. 22 Cf. Le Droit naturel, 1 vol. manuscrit in-folio, Bibl. cant. vaud., Ms. T 1354a et Principes du Droit naturel mis à la portée de la généralité des hommes, 1 vol. manuscrit in-folio, Bibl. cant. vaud., Ms. T 1350. A relever que Samuel Porta (1716-1790) laisse également un volume manuscrit d'intro­ duction au Droit civil, Les Eléments du Droit civil, Ms. T 1354, Bibl. cant. vaud., ainsi qu'un commentaire rédigé en collaboration avec Abraham-Daniel Clavel de Brenles, du Plaict Genéral1 de Lausanne, cf . .Ms. Clavel XXXg9, cité ri-dessus n. 14. Sur Samuel Porta, cf. A. de Montet, op. cit., II, p. 325-326 et DHBS, V, p. 325. 23 Cf. la Préface de la deuxième édition de la traduction française du De Ture Naturae et Genfium, Amsterdam 1712, ainsi que les propos de la lettre à Louis Bourguet du 4 décembre 1716, cités ci-dessous n. 30), Bibliothèque de la Ville de Neuchâtel, Ms. 1266. 6 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL et les troisième et quatrième éditions de celle du De Officio Hominis et Civis de Pufendorf 24, d'autre part la traduction du De Jure Belli ac Pacis de Grotius 25, Elle englobe aussi les différents opuscules publiés par Barbeyrac et qui reflètent son enseignement et son activité à la tête de l'Académie de Lausanne, de sa Leçon inaugurale de 1711 sur la dignité, l'utilité et l'heureuse liaison du Droit et de l' Histoire 26 à ses Discours aux promotions annuelles du Collège de 1714 à 1716 au sujet de l'utilité des lettres et des sciences par rapport au bien de l'Etat 21, de la permission des lois 28 et du bénéfice des lois 20, en pas­ sant par ses Observations sur le Jugement d'un anonyme sur l'original de l'abrégé de Pufendorf dirigées contre Leibnitz ao,

24 Cf. la Préface de la troisième édition de la traduction française du De Officia hominis et civis, Amsterdam 1715, et celle de la quatrième édition, Amsterdam 1718, de même que les propos de la lettre citée à Louis Bourguet. 25 Voir les propos explicites de la lettre à Louis Bourguet du 4 décembre 1716 : «Vous êtes bien obligeant, Monsieur, de vous informer de ma santé et de mes études. La première est assez bonne, Dieu merci ; et les autres vont leur petit train ordinaire. Plus de distractions que je ne voudrois, mais qui, à ce que j'espère, diminueront bientôt, par la fin de mon Rectorat qui s'ap­ proche ; et me laisseront un peu plus de temps, pour continuer et achever enfin mon grand ouvrage sur Grotius. Cet Ouvrage est pourtant plus avancé, que je ne l'avois espéré : il y en a près de trois quarts de fait, et si rien d'extraordinaire ne m'arrête, je commence à croire que j'en verrai la fin dans le cours de l'année prochaine. » Cf. dans le même sens Ph. Meylan, op. cit., p. 125, qui s'en réfère aux lettres sensiblement ultérieures de Barbeyrac à J.P. de Crousaz et ].A. Turrettini du 5 août 1719. 20 Cf. l'Oratio inauguralis de Dignitate et Utilitate furis ac Historiarum et utriusque disciplinae arnica conjunctione, Lausanne 1711 ; rééd. in Le Droit de la Nature et les Gens, traduit du latin de Pufendorf, 5• édition, Amsterdam 1735, et 5• édition, Bâle 1750. 27 Discours sur l'utilité des Lettres et des Sciences par rapport au bien de l'Etat, Genève 1714 ; rééd. Amsterdam 1715. 28 Discours sur la Permission des Lois, Genève 1715 ; rééd. in Les Devoirs de l'Homme et du Citoyen, traduit du latin de Pufendorf, 4• éd. Amsterdam 1718. 29 Discours sur le Bénéfice des Lois, Genève 1716 ; rééd. in Les Devoirs de l'Homme et du Citoyen, traduit du latin de Pufendorf, 4• éd. Amsterdam 1718. so Cf.Les Devoirs de l'Homme et du Citoyen, éd. cit. Amsterdam 1718. Sur la place que prennent ces rééditions avec leurs adjonctions, en particulier celle du Jugement de Leibnitz et des Observations qu'il formule à son encontre, dans l'activité de Barbeyrac à Lausanne, cf. la lettre mentionnée à Louis Bourguet du 4 décembre 1716 : « Il a fallu revoir, pour une nouvelle Edition, trois des volumes que j'ai publiés, savoir, les II. et Ill. volumes de Tillotson ; et !'Abrégé de Pufendorf, des Devoirs de l'Homme et du Citoyen. Le dernier est celui qui m'a le plus occupé ; non que j'y aie fait un fort grand nombre d'additions ou de changements n'y aiant pas encore deux ans que j'en avois publié une troisième Edition, fort retouchée et augmentée : maix j'y ai ajoûté par occasion une Pièce toute nouvelle, qui fera bien quatre ou cmq feuilles (d'imp)ression : C'est un jugement d'un Anonyme sur !'Original de cet Abréf{é, avec d(es) réflexions du Traducteur qui serviront à éclaircir quelques prin­ cipes de !'Auteur. Cet Anony(me), que je laisse tel, mais que je connois très bien, c'est M.r. Leibnitz. Son jugement, que j'ai traduit du Latin, est imprimé INTRODUCTION GÉNÉRALE 7

Cette littérature romande de Droit naturel comprend par ailleurs les traités de Burlamaqui - les Principes du Droit naturel de 1747 et les Principes du Droit politique parus après sa mort en 1751 - ainsi que les ouvrages publiés à partir de ses cahiers de cours : la Suite du Droit de la nature imprimée à Yverdon au terme des Principes du Droit dl! la nature et des gens édités par de Félice entre 1766 et 1768 et les Elé­ ments du Droit naturel présentés par Seigneux de Correvon à Lausanne en 1775, auxquels viennent s'ajouter les contributions plus particulières et moins connues du jurisconsulte genevois sur le Droit naturel du mariage, comme sa thèse De matrimonio défendue en 1731 par jean­ Robert Tronchin 31, le futur auteur des Lettres écrites de la campagne et la Lettre écrite à Milord Kilmorey sur le mariage publiée en 1761 par ]. Vernes 32• Hormis ces œuvres des deux figures de proue de !'Ecole romande du Droit naturel, il faut relever toutes celles de leurs collègues ou dis­ ciples plus ou moins obscurs, de la Dissertatio inaugurale de Pierre Mus­ sard, De usu et praestantia ]uris naturalis, parue à Genève en 1720 sa, aux Principes de philosophie morale de 1754 d'Etienne Beaumont, le disciple genevois de Burlamaqui 34, et de la dissertation de Louis Bourguet De vero atque genuino ]uris naturalis studii usu de 1718, publiée en

à Helmstadt, en forme de Lettre insérée dans un Programme Académique de M.r.Bohmer, en 1709. je n'en aurois jamais entendu parler, et elle auroit demeuré dans l'obscurité, si I' Auteur lui-même ne l'a voit envoyée à quelcun de ce païs-ci. Il tâche d'y décrier les principes de Pufendorf, qu'il n'entend pas même, comme je le fais voir dans mes réflexions, où je les défens d'une manière plus honnête que celle dont il s'y prend. On y verra entr'autres la question des fondemens du Juste et de !'Injuste assez approfondie et déve­ loppée d'une manière bien différente des principes mystérieux de 'ce grand Mathématicien. » s1 Dissertatio juridica de malrimonio, quam publice submittit Disquisitioni /. Robertus Tronchin, Genève 1731. Le texte en sera repris tel quel par Burla­ maqui dans ses cours, comme l'attestent d'une part les copies de cours de ses étudiants parvenues à nous sous le titre d'Abrégé du Droit de la Nature et des Gens (cf. BPU, Genève, Ms. fr. 155, daté de 1721 (?), avec ex libris Bourdillon, Londres 1746, et Ms. fr. 155b, daté de 1743, avec ex libris Sarrasin), d'autre part l'édition qui en est donnée avec les Eléments du Droit naturel, Lausanne 1775, cf. III/XIII/p. 259 ss. A noter que Burlamaqui parlera lai-même dans une de ses lettres, citée par B. Gagnebin, op. cit., p. 67, à propos de la Thèse soutenue par J.R. Tronchin, d'une «de ses thèses de matrimonio ». Ces divers indices, auxquels il faut ajouter la tradition acadé­ mique du xvm• siècle, ne nous permettent pas de suivre l'auteur précité, lorsqu'il conteste l'attribution à Burlamaqui de cet ouvrage, cf. op. cit., p. 292. s2 Cf. ]. Vernes, Choix littéraire, vol. 24, Genève 1760, p. 123-155. 33 Bien que mentionnée par Chs. Borgeaud, op. cit., p. 150, n. 2, et en dépit des recherches de son fils M.-A. Borgeaud, que nous tenons à remercier ici, cette dissertation inaugurale nous est restée inaccessible. 34 E. de Beaumont, Principes de Philosophie morale, Genève 1754. 8 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

1728 par Altmann dans sa Tempe helvetica 35, aux essais de philosophie juridique d'Emer de Vattel sur le Fondement du Droit naturel 86 et sur la Nécessité des lois politiques pour porter la société à sa perfection 37, en passant par son célèbre Droit des gens 38 et par son commentaire trop ignoré sur le jus Naturae de Christian Wolff sous le couvert de ses Questions de Droit naturel 09, Enfin, parmi les dernières œuvres de !'Ecole, comment ne pas signaler le curieux catéchisme du châtelain de Baulmes, jean~Georges Pillichody (1715-1783) au titre symptomatique - le Droit naturel d'un père à son fils 40 -, le Traité du Droit naturel de Béat-Philippe Vicat, le successeur de Loys de Bochat à la chaire de Droit de Lausanne 41 et l'œuvre gigantesque que représentent les quatre volumes des Leçons du Droit de la nature et des gens 42, la grande Ency­ clopédie en 58 volumes 43 et le Code de l'humanité 44 de Fortuné-Barthé­ lemy de Félice, l'inlassable éditeur et compilateur italien d'Yverdon.

35 Cf. Ludovici Burgueti Nemausensis Dissertatio De vero atque genuino /uris naturalis Studii usu (Neocomi 1718), Bibliothèque de la Ville de Neuchâtel, Ms. 1249, publiée en 1738 seulement par Altmann et Breitinger dans la Tempe Helvetica, t. Ill, sect. 1, p. 9-41. aa E. de Vattel, Essai sur le fondement du Droit naturel et sur le premier principe de l'obligation où se trouvent tous les hommes d'en observer les loix, in Le Loisir philosophique ou Pièces diverses de Philosophie, de Morale et d'Amusement, Dresde 1747, 1 ,p. 1-70. 37 E. de Vattel, Dissertation sur cette Question : Si la Loi naturelle peut porter la Société à sa perfection, sans le secours des Loix, in Loisir philo­ sophique, II, p. 71-94. 38 E. de Vattel, Le Droit des Gens ou Principes de la Loi naturelle appli­ qués à la conduite des Nations et des Souverains, Londres-Neuchâtel 1758, 1 vol. 39 E. de Vattel, Questions de Droit naturel et Observations sur le Traité du Droit de la Nature de M. le Baron de Wolf, 1 vol., Berne 1762. 40 j.-0. Pillichody, Le Droit naturel d'un Père à son Fils, 2 vol., Yverdon 1769. 41 B.-Ph. Vicat, Traité du Droit naturel, 4 vol., Lausanne-Yverdon 1777. 42 F.-B. de Félice, Leçons du Droit de la Nature et des gens, 4 vol., Yverdon 1769, rééd. Paris 1770, tirées en fait des Principes du Droit de la Nature et des Gens, 8 vol., Yverdon 1766-1768, publiés d'après les cahiers de cours de Burlamaqui; cf. E. Maccabez, op. cit., p. 13. 43 F.-B. de Félice, Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des connaissances humaines, 58 vol., Yverdon 1770-1780. Révision chrétienne de l'ouvrage de Diderot et d'Alembert, !'Encyclopédie du savant converti d'Yverdon n'évitera pas les plagiats, sauf en matière de jurisprudence et d'économie, où de Félice se réservera la rédaction de la plupart des articles et où il excellera dans la compilation des ouvrages de Burlamaqui et de Rousseau. Cf. à ce sujet E. Maccabez, op. cit., p. 25 ss et 52 ss. 44 F.-B. de Félice, Code de l'humanité ou Législation universelle, naturelle, civile et politique, 13 vol. Yverdon 1778. Cet ouvrage reprenant en définitive les principaux articles jundiques1 de l'Encyclopédie, cf. J.-P. Perret, Les Impri­ meries d'Yverdon au XVII• et au XVIII< siècle, thèse lettres, Neuchâtel, Lausanne 1945, p. 193, de même qu'E. Maccabez, op. cit., p. 13, nous nous en tiendrons pour notre étude de la pensée matrimoniale de F.-B. de Félice en priorité aux articles de son Encyclopédie. INTRODUCTION GÉNÉRALE g La continuité, l'ampleur et l'unité de cette production littéraire, comme celles de l'enseignement qui la sous-tend, leur concentration sur la tra­ duction, le commentaire, la compilation et la vulgarisation en terre de culture française des œuvres des principaux représentants de !'Ecole allemande du Droit naturel moderne, manifestent à l'évidence la réalité de !'Ecole de Droit naturel qui prend son essor entre le Léman et le jura, de la venue de jean Barbeyrac de Berlin à Lausanne à la mort de l'encyclopédiste d'Yverdon, et nous fonde par là même à parler à son propos, hors de toute prétention régionaliste, d'une Ecole romande du Droit naturel. Il ne nous en reste pas moins à préciser et à appro­ fondir les traits distinctifs que nous lui avons reconnus et qui lui confè­ rent sa physionomie propre, voire une certaine originalité. La première caractéristique du courant de pensée juridique qui mar­ que l'essor intellectuel de la Suisse romande au xvrn• siècle est d'ordre linguistique. Elle tient plus particulièrement à son expression française et ceci à un double point de vue. Si l'installation de Barbeyrac à Lau­ sanne marque une étape dans l'histoire de la science juridique sur les bords du Léman, ce n'est pas seulement parce qu'avec lui prend forme dans le monde académique Je premier rejeton d'expression française de !'Ecole du Droit de la nature et des gens, c'est aussi parce que, pour la première fois, se trouve rompue chez nous la tradition de l'enseigne­ ment juridique en latin 45. De fait, à partir de Barbeyrac, le recours à la langue vernaculaire s'étendra des Auditoires de nos Académies à la littérature juridique elle-même, illustrant le mouvement général de subs­ titution progressive des langues nationales au latin qui caractérise l'évo­ lution de la littérature scientifique européenne au Siècle des Lumières 46.

45 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 77-78 ss. 46 Amorcé en France avec l'instauration par !'Edit de St-Germain (1679) de professeurs royaux de Droit français qui enseigneront dans la langue ver­ naculaire et en Allemagne avec le fameux cours de Thomasius Von Nach­ ahmung der Franzosen de 1687 à l'Université de Leipzig et surtout avec son lancement de la première revue scientifique de langue allemande, les Deutsche Monatsschriften (cf. M. Fleischmann, Christian Tlzomasius, in Chr. Thomasius, Leben und lebensiverk, Beitrii.ge zur Geschiclzte der Universitii.t Halle-Witten­ berg, Halle 1931, p. 19 ss et 24 ss, et F. Battaglia, Cristiana Tlzomasio, Filo­ sofo e Giurisfa, Rome 1936, p. 31 ss et 40 ss) cet avènement des langues nationales comme véhicules de la pensée scientifique s'accentue au début du XVIII' siècle avec l'enseignement comme avec l'œuvre de Thomasius et surtout de Christian Wolff, le véritable créateur de la langue philosophique et scien­ tifique allemande (cf. P. Piur, Studien zur sprachlichen Würdigung Wolff's, Diss. phil. Halle 1903), dont toute la première partie de l'œuvre a été conçue en allemand, de sa Deutsche logik de 1713 (Vernünftige Gedanken von den /(rii.ften des menschlichen Verstandes, Halle 1713) à sa Deutsclze Physiologie de 1725 (Vernünftige Gedanken von dem Gebrauclze der Thei/e in Mense/zen, Tlzieren und Pflanzen, Francfort-Leipzig 1725), avant d'être transposée et systé­ matisée en latin pour les Ecoles européennes restées attachées à la tradition scolastique (cf. M. Wundt, Die deutsche Sclzulphilosoplzie im Zeitalter der Aufklii.rung, Tubingue 1945, p. 183-184). C'est à ce même mouvement que ce rattachent les entreprises de traduction de Grotius, de Pufendorf et de Cum- 10 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Aussi, nourrie de l'enseignement du Droit naturel dispensé dans les Académies comme dans les cercles privés de Suisse romande, toute la littérature publiée en ce domaine de Genève à Yverdon apparaît-elle d'expression française. S'interroge-t-on dès lors sur ce qui différencie !'Ecole dont cette littérature d'expression française est le reflet de la tardive Ecole fran­ çaise du Droit naturel, la réponse sera d'ordre théologique. La deuxième caractéristique de !'Ecole romande du Droit naturel a trait en effet à ses assises comme à ses prémisses religieuses. Il ne s'agit pas tant ici de revenir sur la nature particulière de ses foyers - les Académies réformées de Suisse romande - ni sur la spécificité des milieux où se recrutent ses principaux représentants - figures issues de l'un ou l'autre Refuge (Barbeyrac, Bourguet, Burlamaqui, Porta, Vicat) ou convertis de marque (de Félice, Don Bernai de Quiros) - que de mettre en relief la particularité des fondements théologiques de sa pensée. A l'opposé du rationalisme déiste et antichrétien de l'Ecole encyclopédiste fran­ çaise, en réaction contre la lourde hypothèque janséniste pesant sur la réflexion juridique d'autre-jura de Pascal à Voltaire 47, la pensée de l'Ecole romande du Droit naturel est d'inspiration chrétienne réformée. Elle procède plus spécifiquement d'une théologie rationaliste, qui prétend répondre aussi bien aux exigences de la Raison qu'aux données de la Révélation biblique, qu'elle tient pour parfaitement conciliables, et qui consacre en fait le triomphe de l'hétérodoxie au sein du protestantisme de langue française. En ce sens, si elle apparaît liée au protestantisme, elle va plus directement de pair, comme l'avait bien relevé Philippe Meylan voici près de quarante ans 48, avec le protestantisme libéral. Sans doute la conjonction du Droit naturel moderne avec l'hétérodoxie théo­ logique n'est-elle pas entièrement nouvelle, si l'on songe d'une part à ce que les positions fondamentales de l'auteur du De Jure Belli ac Pacis doivent à son arminianisme, condamné au Synode de Dordrecht 49, d'autre berland mises en train par Barbeyrac pour les milieux huguenots émigrés de Prusse et des Provinces-Unies autant que pour le public français. 47 Cf. les judicieuses notations d' A.-]. Arnaud, Les origines doctrinales du Code civil français, Paris 1969, p. 15-21. 48 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 186 : «L'orthodoxie libérale et l'école du Droit naturel procèdent du même esprit tout imbu de vérités rationnelles et morales.» 49 Sur Grotius et l'évolution de la crise entre Arminiens et Gomariens qui mènera au coup d'Etat de Maurice d'Orange et à la convocation du Synode de Dordrecht, cf. E. Wolf, op. cit., p. 18 et Grosse Rechtsdenker der deutschen Geistesgeschichte, 4' éd. Tubingue 1963, p. 269 ss, de même que ]. Schlueter, Die Theologie des H. Grotius, Gœttingue 1919, p. 74-84, et H. Meylan, Grotius théologien, in Hommage à Grotius, Lausanne 1946, p. 19 ss. Quant aux fondements théologiques de la pensée juridique de Grotius, voir en outre J. Schlueter, op. cit., p. 93 ss., G. Ambrosetti, I presuppositi teologici e specu­ lativi delle concezione giuridiche di Grozio, Bologne 1955, p. 42 ss et notre ouvrage cité, p. 90. INTRODUCTION GÉNÉRALE 11 part à la mise à l'index qu'appellent celles de Pufendorf au sein du luthé­ ranisme allemand 5o, enfin aux démêlés de Thomasius et plus encore de Wolff avec l'orthodoxie luthérienne qui les conduisent l'un et l'autre à l'exil du vivant même de Barbeyrac 51• Il n'en demeure pas moins que si l'hétérodoxie théologique de l'inspiration du Droit naturel moderne avait périodiquement valu à ses théoriciens les foudres de l'orthodoxie théologique de leur temps, assorties ou non de l'intervention du bras séculier, !'Ecole romande du Droit naturel apparaît au contraire comme Je fruit de l'établissement officiel de l'hétérodoxie en terre romande, consécutivement à l'action ouvertement menée à Genève et à Neuchâtel par Jean-Alphonse Turrettini et Jean-Frédéric Osterwald 52, plus diplo­ matiquement amorcée à Lausanne dans les milieux de l'Académie par Jean-Pierre de Crousaz et par Jean Barbeyrac 5s. Il est impossible de ne pas rappeler ici l'importance de la Querelle relative au Consensus pour l'évolution intellectuelle de la Suisse romande au XVIII° siècle. Pendant helvétique des disputes entre Remontrants arminiens et Contre-Remontrants gomariens du début du xv11• siècle en Hollande, qui devaient si brutalement se terminer avec le coup d'Etat de Maurice d'Orange et le Synode de Dordrecht, cette Querelle en cons­ titue le contre-coup direct, puisqu'elle résulte de l'offensive conduite par les tenants de l'orthodoxie calviniste en Suisse contre les sectateurs de la doctrine arminienne de la grâce universelle condamnée à Dordrecht ou des thèses plus nuancées d'Amyraut enseignées à Saumur, pour maintenir dans toute sa rigueur le dogme calviniste de la prédestination absolue 54. Impitoyables adversaires du libéralisme arminien, les héri-

50 A ce sujet cf. E. Wolf, Grotius, Pufendorf, Thomasius, p. 65 ss et Grosse Rechtsdenker ... , p. 338 ss. Pour plus de détails sur la polémique opposant Pufendorf à ses collègues J. Schwarz et N. Beckmann de l'Université de Lund, qui seront à l'origine de l'interdiction générale du De jure Naturae et Gen­ tium dans toute la Saxe, cf. H.F.W. Hinrichs, Geschichte der Rechts- und Staatsprinzipient Leipzig 1848-1852, t. 2, p. 246 ss., éd. reprint, Aalen 1962. 51 Si pour homasius il s'agit plutôt d'une disgrâce liée à ses prises de position piétistes face aux tenants de l'orthodoxie luthérienne, qui l'obligera à quitter Leipzig en 1690, cf. M. Fleischmann, op. cit., p. 28 ss, et F. Battaglia, op. cit., p. 56-57, pour Wolff il s'ag-it à la fois d'une destitution de son poste de professeur à l'Université de Halle et d'une mesure de bannissement le contraignant, « sous peine de pendaison, de quitter le territoire prussien dans les quarante-huit heures», cf. M. Thomann, Christian Wolff et son temps, thèse droit (dactyl.) Strasbourg 1963, p. 90 ss. 52 Sur le rôle décisif de J.-A. Turrettini comme celui de J.-F. Osterwald dans l'évolution intellectuelle de la Suisse romande, cf. les excellents dévelop­ pements d'Ed. Fueter, op. cit., p. 51-52. 53 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 104 ss. 54 Cf. Ph. Godet, op. cit., p. 176 ss, V. Rossel, op. cit., t. 1, p. 504 ss et Chs. Borgeaud, op. cit., p. 333 ss, notamment p. 338-341 sur les Genevois à Dordrecht et leur œuvre consécutive à l'Académie, et p. 355-356 sur la péné­ tration des idées d' Amyraut à Genève. Voir également à ce sujet, Histoire de Genève des origines à 1798, Genève 1951, p. 339. 12 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL tiers de Calvin parvinrent ainsi à faire adopter en 1674 par les repré­ sentants des gouvernements de la Suisse réformée à Baden une formule confessionnelle commune - le Consensus helveticus - précisément ins-· pirée des canons du Synode de Dordrecht pour trancher les questions disputées relatives à l'inspiration de !'Ecriture, à l'imputation du péché d'Adam et à la prédestination entre autres. Dû aux théologiens Henri Heidegger de Zurich, Luc Gernler de Bâle et François Turrettini de Genève - le successeur à l'Académie des Diodati et des Tronchin délégués au début du siècle à Dordrecht -, bientôt reçu dans tous les cantons et alliés réformés, le formulaire du Consensus sera imposé à tous les mem­ bres du clergé, si ce n'est du corps enseignant, garantissant ainsi l'ortho­ doxie de la prédication et de l'enseignement théologique. Triomphe du principe d'autorité de la pensée scolastique, conservé par la Réforme en théologie comme en philosophie 55, sur le principe du libre examen en pleine époque de mutation intellectuelle et politique, le Consensus allait inévitablement devenir la cible des esprits formés aux nouveaux courants de la pensée européenne, le rationalisme cartésien et le libéralisme lockien. Aussi dès la fin du XVII" siècle une vaste réaction se dessine­ t-elle en Suisse romande à la faveur de la diffusion des idées de Des­ cartes et de Locke, entraînant une remise en cause progressive et géné­ rale des positions de l'orthodoxie. Prenant son point de départ dans l'Académie de Calvin avec le théologien Louis Tronchin, le fils d'un des délégués genevois à Dordrecht 56, poursuivie et achevée par son successeur Jean-Alphonse Turrettini, qui obtient en 1706 la révision du formulaire du Consensus rédigé par son père trente ans plus tôt, puis en 1725 l'abolition de tout formulaire, partant de toute confession de foi obligatoire pour les candidats au saint ministère 57, l'œuvre d'émanci­ pation intellectuelle se continuera à Lausanne avec l'appui du lockien de Crousaz sous le rectorat de Jean Barbeyrac, qui, dans la ligne de son ami Jean-Alphonse Turrettini, se refusera à imposer sans restrictions le formulaire du Consensus aux jeunes ministres, et à Neuchâtel avec l'œu• vre de Jean-Frédéric Osterwald, autre correspondant de Turrettini et l'un des premiers maîtres de Vattel 58, Le tiers du siècle ne sera pas

55 On connaît à ce propos le sort réservé par Th. de Bèze à Pierre de la Ramée et sa justification, « notre résolution de suivre le sentiment d'Aristote sans en dévier d'une ligne», cf. Ed. Fueter, op. cit., p. 14-15 et Chs. Borgeaud, op. cit., p. 112. 56 Cf. Chs. Borgeaud, op. cit., p. 359-363. 57 Cf. Chs. Borgeaud, op. cit., p. 529 ss, en particulier p. 538 ss, ~t Ed. Fueter, op. cit., p. 45-46, de même que Histoire de Genève, op. cit., p. 484-485. 58 Sur l'attitude de Barbeyrac à ce propos, cf. Ph. Meylan, op. cit. loc. cit., ainsi que F. Elsener, op. cit., p. 222-223 ; quant aux relations du professeur de Lausanne avec le théologien genevois, voir les lettres de Barbeyrac à Turrettini publiées par E. de Budé, t. 1, p. 81-95, en particulier la lettre du 20 septembre 1718, t. I, p. 81-85, in Lettres inédites adressées de 1686 à 1737 à /.-A. Turrettini, Genève 1887. Quant aux rapports de J.-F. Osterwald (1663- INTRODUCTION GÉNÉRALE 13

écoulé que le principe du libre examen l'aura emporté, assurant du même coup, sous le couvert d'un rationalisme à la fois théologique et philo­ sophique, le libre essor du protestantisme libéral et d'une pensée juri­ dique centrée sur les fondements rationnels du droit. L'un des monuments les plus révélateurs de ce rationalisme théolo­ gique et philosophique nous est donné par l'imposante Préface dont le fondateur de !'Ecole, jean Barbeyrac, fait précéder sa traduction du De jure Naturae et Oentium de Pufendorf. « Exemple significatif, comme on l'a écrit à juste titre, de la mentalité avec laquelle l'homme cultivé aborde le siècle nouveau», cette préface constitue en fait «une véri­ table profession de foi rationaliste» 59• Il n'est pour s'en convaincre que d'en suivre l'argumentation et d'en relever les sources inspiratrices. C'est que l'illustre traducteur de Pufendorf ne se contente pas de situer le Droit de la Nature et des Gens dans l'histoire de la pensée juridique et morale ou d'exposer le sens de son entreprise de traduc­ tion ; se livrant à une véritable apologie de la nouvelle science des mœurs, il entend à la fois en démontrer la certitude et, retraçant son histoire, faire paradoxalement la preuve de ses fondements théologiques et de son indispensable laïcité. S'attelant tout d'abord à la certitude du Droit naturel, Barbeyrac cherche à montrer qu'elle découle nécessaire­ ment de la nature de l'homme telle qu'elle a été créée par Dieu 60, C'est ce qui appert à son sens des principes et des règles des devoirs com­ muns ou propres à chacun qui s'imposent à tout esprit soit par leur évidence, soit à l'expérience. Se faisant ici directement l'écho du dua­ lisme méthodologique anti-métaphysique défini par Pufendorf dans ses Eléments de jurisprudence universelle 61, Barbeyrac conteste qu'il soit « besoin de s'enfoncer dans des spéculations métaphysiques » pour souligner « que l'expérience la plus commune de la vie, et un peu de réflexion sur soi-même et sur les objets qui nous environnent de toutes parts, suffisent pour fournir aux personnes les plus simples les idées générales de la Loi Naturelle et les vrais fondements de tous nos

1747) avec Turrettini, voir E. de Budé, op. cit., t. II, p. 374-399 et t. III, p. 5-193, Une étude plus complète de la correspondance entre le théologien libéral genevois et jean Barbeyrac d'une part, J.-F. Osterwald d'autre part, exigerait le dépouillement systematique de l'ample Fonds des lettres à j.-A. Turrettini de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève, cf. Ms. fr. 484 et Ms. fr. 489-492, en particulier. 59 Cf. N. Bobbio, Il Diritto naturale nel secolo XVlll, Turin 1947, p. 39. 60 Cf. Le Droit de la Nature et des Gens, traduit du latin de Pufendorf, Préface du traducteur, § 1, Amsterdam 1706. 61 Elementorum /urisprudentiae Universalis Libri duo, La Haye, 1660. Au sujet de la méthode de Pufendorf, cf. les travaux de H. Welzel, Die Nalur­ rechtslehre des S. Pufendorf, Berlin 2' éd. 1958, et de H. Denzer, Moralphilo­ sophie und Naturrecht bei Samuel Pufendorf, Munich 1972/ ainsi que notre livre, Le mariage dans !'Ecole allemande du Droit naturel moaerne au XVIII• siècle, Paris 1972, tr• partie : Sources et formation de !'Ecole du Droit naturel moderne, p. 103 ss. 14 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Devoirs » 62. Précisant sa pensée à cet égard, il poursuit : « Pour peu que l'on examine sa propre nature et que l'on envisage l'ordre mer­ veilleux qui se fait sentir de tous côtés dans le monde à quiconque n'est pas entièrement abruti, on s'élève bientôt à la connaissance d'un Créa­ teur Tout-Puissant, Tout-Sage et Tout-Bon, de qui l'on tient la vie, le mouvement et l'être, et à qui l'on doit hommage avec tout le reste de l'univers. De là, il est aisé de conclure qu'il faut avoir de cet Etre Sou­ verain la plus haute idée dont notre Esprit soit capable et obéir à ses lois autant qu'on peut les connaître. Il n'est pas besoin ensuite d'un génie fort pénétrant pour apercevoir que, par une suite naturelle de la constitution des choses humaines, Dieu nous a mis dans la nécessité de pratiquer, les uns envers les autres, certains devoirs sans lesquels la Société ne saurait se maintenir ; et que par là il nous impose une obligation indispensable de les observer, chacun selon son état et sa vocation 63, » Il ne suffit cependant pas à Barbeyrac - Cicéron, Confucius et Locke à l'appui - de faire la démonstration de l'évidence et de l'immé­ diateté des principes fondamentaux de la Morale et du Droit. Il lui faut encore réfuter les objections traditionnellement formulées à leur encontre. Celles-ci sont de deux ordres, doctrinal et empirique. Il y a ainsi tout d'abord les objections résultant de «la difficulté à trancher certaines questions de morale et à concilier même quelques-unes de ses maximes dans des circonstances données » 64. C'est ce dont tirent argument, pour nier l'existence de tout Droit naturel, certains esprits doctrinaires parmi lesquels Barbeyrac distingue d'une part, ceux qui doutent pour douter - « Il y a eu, de tout temps, écrit-il, des gens qui, séduits par un désir secret de secouer le joug importun du devoir et de contenter tranquil­ lement, sinon des désirs sensuels et grossiers, du moins des passions délicates et spirituelles, ont employé toutes les forces de leur esprit à détruire l'évidence des vérités les plus claires et généralement reconnues pour envelopper dans leur ruine la certitude des Règles de la vertu » 011 - d'autre part, ceux qui veulent trop affirmer en ce qui concerne l'ori­ gine de nos idées - « ne se contentant pas des preuves incontestables qu'on a des vérités de la Religion et de la Religion et de la Morale, ils s'entêtent, par un zèle imprudent, de quelques raisons pour le moins fort douteuses, criant après cela que tout est perdu si on admet celles-ci aussi bien que les premières » 66, Entre le pyrrhonisme des uns et le dogmatisme innéiste des autres, il y a place selon Barbeyrac pour une « pensée de midi », qui proportionne ses prétentions à la nature et à la

62 Cf. Le Droit de la Nature et des Gens, Préface, toc. cit. 63 Ibid. 64 Op. cit., Préface, § III. 65 Ibid. oo Op. cit., Préface, § IV. INTRODUCTION GÉNÉRALE 15 portée de la raison humaine, en se gardant à la fois des thèses de l'agnosticisme et de celles de l'innéisme. « Les amateurs de la Vérité, remarque-t-il fort à propos, trouveront toujours un juste milieu entre la sotte présomption d'un dogmatique décisif, qui prend pour démon­ trées toutes ses imaginations au sujet des choses les plus douteuses, et la fausse modestie d'un Pyrrhonien outré qui, succombant sous le poids des moindres difficultés, rejette hardiment toute certitude sous prétexte qu'il ne saurait parvenir à une connaissance parfaite et sans aucun mélange d'obscurités 67, » L'autre ordre d'objections tirées de la « grande diversité d'opinions qu'il y a dans le Monde au sujet des vertus et des vices » os, s'attire le même type de réfutation. A ceux qui allèguent la variété infinie, voire les contradictions existant entre les règles juridiques et morales des différents peuples et des époques successives de l'histoire de l'humanité, Barbeyrac commence par rétorquer avec ironie : «Mais que veut-on prouver par là ? Que les hommes ne font pas toujours usage de leur Raison ? j'en conviens ; et puisque des gens d'esprit abusent si étrange­ ment de leur loisir et de leurs lumières, que de travailler de toutes leurs forces à sapper de fond en comble ou à rendre du moins fort douteuses les Vérités les plus manifestes, sous prétexte qu'on ne peut pas toujours aplanir les difficultés qui trouvent un Entendement borné ; je ne m'étonne pas que des Peuples grossiers ou extrêmement corrompus, ou esclaves des Opinions consacrées par l'usage et par la mode, demeurent plongés ou en tout, ou en partie, dans une crasse ignorance des Vérités morales, qui sont bien évidentes, mais non pas pour ceux qui ferment les yeux aux lumières naturelles, ou qui ne se donnent pas la peine de développer et de pousser les idées dont ils sont frappés presque à chaque moment et de tous côtés? Ou bien veut-on dire que, s'il y avait des Principes de Conduite sûrs et incontestables, ils devraient être actuellement gravés, dès le berceau, dans !'Esprit de tous les Hommes, en sorte que personne ne pût ni les ignorer, ni se faire là-dessus des idées différentes? 69 » A quoi il répond dans la ligne de Locke : « je ne vois pas qu'on puisse autrement répondre à cette difficulté qu'en disant que comme les Hommes sont naturellement pourvus de Facultés suffisantes pour connaître l'auteur de leur existence avec les Devoirs qu'il exige d'eux, et pour se faire là-dessus des idées droites, ils peuvent aussi demeurer dans l'ignorance, ou tomber même dans l'erreur sur ce sujet, s'ils ne font pas un bon usage de leurs lumières ... Alléguer donc l'abus que les hommes font des lumières natu­ relles en matière de Morale, comme une preuve qu'il n'y a rien de certain là-dessus, c'est raisonner aussi pitoyablement que les Epicuriens qui, pour renverser la religion, étalent tous les maux, tous les crimes, toutes

67 Op. cit., Préface, § III. os Op. cit., Préface, § IV. 69 Ibid. J 16 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL les extravagances qu'enfante le Faux-Zèle ou la Superstition ou même !'Hypocrisie cachée sous le voile spécieux de la Piété 10. » Retournant ainsi l'objection, Barbeyrac infère précisément de la diver­ sité des règles « une preuve assez forte ou pour le moins un préjugé favorable de l'évidence naturelle des Principes de la Morale et de l'im­ pression qu'on a lieu de croire que ces Vérités feraient sur !'Esprit de tous les Hommes, s'ils écoutaient la Raison » n. Loin de manifester l'incertitude des principes fondamentaux de la raison pratique, dont l'innéité a été victorieusement contestée par Locke, la variété des règles et des lois, qu'attestent les coutumes et les mœurs des peuples qui forment l'humanité, illustre bien plutôt la diversité des lumières et de l'utilisation qu'en font les hommes en la matière, si ce n'est leur négligence à cultiver ce genre de science. Reprenant ici une formule de Fontenelle - « Sur tout ce qui regarde la conduite des hom­ mes, la Raison a des décisions très sûres ; le malheur est qu'on ne la consulte pas toujours » 12 - Barbeyrac est catégorique : « Cette science, qui devait être la grande affaire des Hommes et l'objet de toutes leurs recherches, se trouve de tout tems extrêmement négligée 73. » Avant d'en faire la démonstration dans un tableau historique des progrès de la Morale, du Paganisme antique aux Lumières, le traducteur de Pufendorf cherche à rendre raison de cette situation dans une pers­ pective qui ne manque pas d'intérêt, puisqu'elle anticipe celle des socio­ logues de la connaissance de notre temps et explique du même coup l'objectif de vulgarisation qu'il poursuit par son œuvre de traduction. Constatant d'un côté « que ce ne sont pas tant les Préjugés de !'Esprit que les Illusions du Cœur et la tyrannie établie dans le Monde au sujet des sentiments qui forment de grands obstacles à l'étude sérieuse de la Morale et à une connaissance exacte de nos Devoirs » 74, et remar­ quant par ailleurs la sujétion dans laquelle se trouve toute une partie du Genre humain à l'égard des opinions de ceux qui les tiennent en leur pouvoir 75, Barbeyrac s'exclame en effet : « Après cela faut-il s'éton­ ner que ceux à qui les occupations et les distractions de la Vie ou le défaut de Génie, ou le manque de secours extérieurs, ne permettent pas de s'engager dans de longues et de profondes méditations, c'est-à-dire en un mot la plus grande partie du Genre Humain, paraissent avoir ordinairement des lumières si courtes, et des idées si fausses ou si

10 Ibid. n Ibid. 12 Fontenelle, Dialogue des Morts Anciens avec les Modernes, Dialogue V, cité in Barbeyrac, Préface cit., § IV, in fine. 73 Préface cit., § V, in princ. 74 Ibid. 75 Ibid. avec la référence à Locke, Essai sur ['Entendement humain, IV /III/ § 20. INTRODUCTION GÉNÉRALE 17 confuses en matière de Morale ? 76 » La responsabilité qui incombe dès lors à ceux que Dieu a dotés, sinon de lumières particulières, en tout cas de moyens de cultiver leur esprit, n'en est que plus grande. Elle explique à la fois d'une part le véritable réquisitoire que Barbeyrac dressera du sort de la Morale entre les mains des clercs des siècles passés - les ministres publics de la religion 77 - réquisitoire qui, sus­ citant la vigoureuse réplique du bénédictin Dom Rémi Ceillier 78, trou­ vera son prolongement dans le Traité de la Morale des Pères de 1728 79 , d'autre part les éloges qu'il adressera à l'œuvre des « Simples Gens de lettre» 80, des « Philosophes antiques » aux « modernes », Bacon, Gro­ tius et Pufendorf, auxquels on doit à son sens les principaux progrès dans la connaissance du Droit naturel 81. Mais la prise de conscience de la responsabilité des gens éclairés en matière de morale n'explique pas seulement le jugement différencié porté sur les clercs et les laïcs ; elle explique surtout la finalité profonde de toute l'œuvre de traduction entreprise par Barbeyrac. Car l'objectif pour­ suivi par le jurisconsulte français n'est pas seulement d'ordre pédago­ gique - faciliter la formation juridique de base des «Jeunes Gens qui se destinent aux Emplois tant Ecclésiastiques que Politiques en leur permettant de commencer leurs études par des Livres écrits dans leur langue maternelle » 82 ; cet objectif est plus fondamentalement d'ordre socio-culturel - amener à la connaissance des principes de morale, de jurisprudence et de politique « les Gens sans Lettres, ou les Gens du Commun», parmi lesquels règne une profonde ignorance en la matière et auxquels « le mot même de Droit naturel est aussi inconnu que les terres australes » 83. Et c'est ici que réapparaît le rationalisme foncier du traducteur français de Pufendorf. Si Barbeyrac a dessein de rendre service non seulement aux jeunes Gens mais surtout aux Gens sans Lettres, c'est qu'il les croit en effet tous également en mesure d'acquérir les connaissances élémentaires concernant leurs devoirs naturels et d'en déduire les règles qui s'imposent quant à leurs droits et à leurs obli­ gations. « Je me contente de remarquer en peu de mots une chose à laquelle on ne fait pas assez réflexion, note-t-il à cet égard. C'est que

76 Préface cit., ibid. 77 Préface cit., §§ VI-XI. 78 Cf. Dom Rémi Ceillier, Apologie de la Morale des Pères de l'Eglise contre les injustes accusations du Sieur Jean Barbeyrac, Paris 1718. 79 Cf. Jean Barbeyrac, Traité de la Morale des Pères de l'Eglise, Amster­ dam 1728. 80 Cf. Le Droit de la Nature et des Gens, Préface cit., § XII : « La Morale ainsi négligée et presque bannie du Monde par les Ministres publics de la Religion s'est réfugiée chez les Laïques ou les Simples Gens de Lettres qui lui ont fait un beaucoup meilleur accueil. » 81 Ibid., §§ XII-XXXI. 82 Préface cil., § XXXII. 83 Ibid. 18 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

la Révélation n'a pas été donnée aux Hommes pour leur enseigner abso­ lument et dans une juste étendue tout ce qu'ils doivent savoir ; elle suppose au contraire en eux certaines connaissances qu'ils ont, ou qu'il ne tient qu'à eux d'acquérir, et la faculté de tirer des conséquences des principes connus, ou par les Lumières de la Raison ou par !'Ecriture Sainte 84• » Il en va ainsi des vérités fondamentales de la Religion, comme l'existence de la Divinité ou la suréminence de ses attributs, dont on « ne voit pas que les Ecrivains sacrés s'attachent à l'établir ; s'ils en parlent quelquefois, c'est comme d'une chose notoire à tout le Monde 85 ». Il en est de même aux yeux de Barbeyrac des « véritables principes de la Morale, qui sont fondés sur les idées générales de la Religion 86 ». Raillant en passant, de manière révélatrice, les esprits fidéistes de son temps, « qui après avoir travaillé à ruiner de toutes leurs forces la certitude des lumières de la Raison nous renvoient aux Lumières de la Foi pour fixer nos doutes - comme si les lumières de la Foi ne suppo­ saient pas nécessairement celles de la Raison ... 87 », le jurisconsulte fran­ çais affirme avec autant de force que Christian Wolff « la conformité de la Morale chrétienne avec les lumières les plus pures du bon sens 88 ». Il va même jusqu'à voir dans cette conformité « une des preuves les plus convaincantes de la Divinité du Christianisme 89 ». C'est cette assurance, nourrie du plus profond rationalisme, que Dieu ne peut jamais rien révéler de contraire à notre raison et qu'en consé­ quence les données de la Raison ne peuvent qu'être confirmées par celles de la Révélation, qui est directement à la source de la thèse de la laïcité du Droit naturel latente dans toute la pensée de Barbeyrac. Cette thèse transparaît tout d'abord dans sa critique de l'obscurantisme des Minis­ tres de la Religion, des Pères de l'Eglise llo aux Réformateurs protes­ tants 91, responsables à son sens de l'asservissement de la science des mœurs à la tyrannie d'une douteuse théologie, comme dans son exal­ tation parallèle du rôle de Grotius et de Pufendorf dans l'émancipation du Droit naturel de la fâcheuse tutelle des Théologiens et la promotion de sa connaissance au rang d'une science spécifique et systématique : « En effet, s'écrie-t-il,. qui est-ce qui a introduit dans le Siècle passé

84 Ibid 85 lbia: 86 Ibid. 87 Ibid. 88 Ibid. Cf. à propos de Chr. Wolff, Von der Grundwahrheit des natürlichen Rechtes nach der Lehre des Heylandes, Matth. 5/45, in Marburger Nebenstun­ den, Frühlingsvierteljahr 1730, rééd. m Chr. Wolff, Kleine Schriften V 2, Halle 1740, p. 25 ss. Nous avons donné dans notre ouvrage précité, Le manage1 dans !'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVIII' siècle, une brève analyse de cet écrit de Wolff, p. 183-184. 89 Cf. Le Droit de la Nature et des Gens, Préface cit., ibid. 90 Préface cit., §§ IX-X. 91 Préface cit., § XI. INTRODUCTION GÉNÉRALE 19 l'étude méthodique du Droit Naturel, et entrepris le premier de donner un Système de cette science si vaste et si nécessaire ? Ce ne sont pas des Ecclésiastiques ou des Théologiens de profession ; c'est l'illustre Grotius, dont la mémoire sera toujours en bénédiction pour ce sujet chez tous les amateurs sincères de la Vérité et de la Vertu ... Il faut donc regarder Grotius comme celui qui a rompu la glace et certainement per­ sonne n'était plus propre que lui à une telle entreprise 92• » « Le nombre des Commentateurs de Grotius, poursuit-il, se multipliant de jour en jour, en sorte qu'on ne s'attachait presque plus qu'à disputer sur le sens de ses paroles et qu'on ramenait sur la scène le langage barbare et les subtilités ridicules des Scolastiques, dont Grotius avait purgé son Ouvrage, un Allemand osa secouer le joug tyrannique d'une si per­ nicieuse coutume et marcher courageusement sur les traces de ce grand Homme. C'est !'Illustre Samuel Pufendorf, qui par là s'est acquis une réputation immortelle, dont tous les efforts de ses envieux n'en effa­ ceront jamais l'éclat oa. » Constatant à ce propos l'accueil réservé tant par les Inquisiteurs catholiques romains que par nombre de théologiens protestants de Suède et d'Allemagne au Traité du Droit de la guerre et de la paix comme à celui du Droit de la Nature et des Gens, mis à l'index par les uns comme par les autres 94, Barbeyrac ne peut s'em­ pêcher de conclure : « La Morale ainsi négligée et presque bannie du Monde par les Ministres Publics de la Religion s'est réfugiée chez les Laïques 95• » La laïcité du Droit naturel ne tient cependant pas seulement dans la pensée de Barbeyrac au caractère propre des principaux artisans de son autonomie. Elle ressort encore de sa nature même de science de la conduite humaine accessible à l'esprit de tout-un-chacun : « En effet, on ne saurait raisonnablement douter, écrit-il au seuil de sa Préface, que chacun ait besoin pour se rendre heureux de régler sa conduite d'une certaine manière ; et que Dieu, comme Auteur et Père du Genre Humain, ne prescrive à tous les Hommes sans exception des Devoirs qui tendent à leur procurer la félicité après laquelle ils soupirent. Or delà, conclut-il, il s'ensuit nécessairement que les Principes naturels de cette Science doivent être faciles à découvrir et proportionnés à la portée de toutes sortes d'Esprits, en sorte qu'il ne soit pas besoin, pour en être instruit, de monter au Ciel ou d'avoir là-dessus quelque Révélation extra­ ordinaire 96• » Tout théologique que soit son fondement, le Droit naturel n'excède donc pas pour Barbeyrac les bornes de l'entendement du com­ mun des hommes. Pour acquérir la connaissance de ces principes, il suffit de s'en tenir aux lumières naturelles et c'est de pyrrhonisme que

92 Ibid et § XXIX. 93 Préface cit., § XXX. 94 Préface cit., § XI. 95 Préface cit., § XII. 96 Préface cit., § 1. 20 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

se voient taxés ceux qui le nient 97. Nous verrons à l'épreuve des tradi­ tionnelles questions disputées de la doctrine du Droit naturel du mariage ce qu'il faut penser du bien-fondé de cette affirmation, qui procède d'une confiance dans les forces de la raison humaine confinant apparemment à une forme de foi rationaliste, mais apparentant en fait Barbeyrac, comme tous les tenants de la théologie naturelle du libéralisme protes­ tant, à la grande tradition scolastique intellectualiste thomiste 98. Ce faisant, si Barbeyrac se distance de toute une partie de !'Ecole al!emande du Droit naturel moderne 99, il apparaît en revanche comme le repré-· sentant le plus typique de la pensée de !'Ecole romande dominée par l'œuvre émancipatrice du rationalisme cartésien enseigné à Genève dès la fin du XVII" siècle par J.-R. Chouet, son maître comme celui de J.A. Turrettini et de ].-]. Burlamaqui 1oo. Nous touchons là en fait à l'ultime caractéristique de !'Ecole du Droit naturel qui fleurit au Siècle des 1Lumières du Jura au Léman : sa profonde perméabilité aux courants de la pensée philosophique européenne et singulièrement de la philosophie juridique occidentale. L'Ecole romande du Droit naturel subit à cet égard Je contre-coup des deux grandes modes philosophiques qui prennent le relais du carté­ sianisme sur Je continent au seuil de l' Aufklarung : l'empirisme de Locke et de Thomasius et le réalisme métaphysique de Leibnitz et de Wolff. Ces deux avatars du rationalisme moderne l'atteignent en deux vagues successives dont il vaut la peine de suivre les traces. Si l'influence de Locke sur la pensée européenne en général au tournant des xvw-xv111• siècles 101, comme sur la pensée romande du début du XVIII° siècle 102 et tout particulièrement sur celle du fondateur

97 Préface cit., § V, in princ. 98 Cf. les pertinentes remarques de J. de Senarclens, Héritiers de la Réfor­ mation, 1. Le point de départ de la foi, Genève 1956, p. 40-41, avec la réfé­ rence à K. Barth, Die protestantische Theologie im 19. f ahrhundert, 1947, p. 136. 99 Cf. notre ouvrage cité, p. 284-285 pour ce qui est des autres Commenta­ teurs de Pufendorf, p. 330 et 361 pour ce qui est de Thomasius et de certains de ses disciples. 100 Cf. Ed. Fueter, op. cit., p. 14 et 20, dans le même sens qu'E. de Budé, lfie de jean-Robert Chouet, Genève 1899, p. 75 ss. Les récentes recherches de Michael Heyd, de l'Université de Princeton, tendent à éclairer d'un jour nou­ veau le mode de pénétration du cartésianisme à Genève dans l'enseignement même de Chouet, cf. Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, t. XV 1973, p. 125-153, notamment p. 128-130 et 138-153. 101 Cf. P. Hazard, La pensée européenne ail xvm· siècle, Paris 1946, rééd. 1963 t. I, p. 54 : «Locke est au tournant des routes européennes qui conduisent au siècle1 nouveau. » 102 Cf. notamment l'influence de Locke sur l'œuvre de Jean-Pierre de Crousaz. Voir à ce sujet, outre les indications de Ph. Godet, op. cit., p. 180- 181, et de V. Rossel, op. cit., t. 2, p. 20-21.i.. les développements de l'excellente étude de Jacqueline E. de la Harpe, f ean-rierre de Crousaz et le conflit des 1dées au Siècle des Lumières, Genève-Lille, p. 207 et 214 ss. INTRODUCTION GÉNÉRALE 21 de !'Ecole romande n'est plus à établir 10a, l'influence de Thomasius, pour être moins connue, ne nous semble pas moins importante. Elle nous apparaît même comme le trait distinctif de la première vague philoso­ phique empiriste qui atteint !'Ecole romande, se retrouvant, nous l'avons noté, chez des auteurs aussi différents que Barbeyrac et Burlamaqui, Samuel Porta et jean-Georges Pillichody. Pour ce qui est de Barbeyrac, il faut tout d'abord rappeler l'éloge significatif de Thomasius qui trouve son expression dans l'avertissement de la deuxième édition de la traduction du De ]ure Naturae et Oentium de 1712, où Barbeyrac reconnaît explicitement ce qu'il doit au profes­ seur de Halle et où il le compte parmi les plus grands théoriciens du Droit naturel de son temps 104, Cette prise en considération de Thomasius

1oa Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 53 et 57. Outre les innombrables références, pleines d'éloges, de la Préface de la traduction française du Droit de la Nature et des Gens au philosophe anglais, rappelons avec Ph. Meylan, op. cit., p. 64-65, la part prise par Barbeyrac à la révision de la traduction française de !'Essay on Human Understanding, que devait donner Pierre Coste cf. 3° éd. française, Amsterdam 1735, p. XIX. ' 104 Cf. Le Droit de la Nature et des Gens, Avertissement de la 2° édition de la traduction française, Amsterdam 1712, p. XI : «Je me crois obligé de faire là-dessus mention en particulier d'un très-célèbre jurisconsulte d'Alle­ magne, comme de celui qui a le plus contribué à orner et enrichir mes nou­ velles Notes. C'est Mr. Thomasius, Conseiller privé de Sa Majesté Prussienne, et premier Professeur en Droit à Hall en Saxe. Comme il a beaucoup étudié le Droit Naturel, plusieurs ouvrages que je n'avais point vus dans le tems que je travaillais à la première Edition de celui-ci, et sur tout ses Dissertations Académiques, que j'aurais eu toutes les peines du monde à trouver s'il ne m'avait fait la grâce de m'en envoyer bon nombre, pendant que j'étois à Berlin, avec quelques autres Pièces de sa façon ; ces Ouvrages, dis-je, m'ont fourni en divers endroits de bonnes remarques, que je me suis fait un plaisir de communiquer à ceux qui ne lisent que des Livres écrits en notre Langue. Quelquefois aussi j'en ai rapporté d'autres du même Auteur, qui ne me parais­ saient pas tout à fait bien fondées, et sur lesquelles j'ai pris la liberté de dire mon sentiment d'autant plus que cela m'a donné souvent occasion d'examiner des choses à quoi peut-être je n'aurais pas pensé de moi-même. Cependant, loin de craindre que cet habile et pénétrant jurisconsulte s'en offense, de l'hu­ meur dont je le connais, je suis sûr qu'on ne saurait lui marquer mieux l'estime qu'on a pour lui, qu'en usant à son égard de cette aimable liberté philosophique qu'il recommande si fort avec raison, et qu'il a exercé plus d'une fois sur ses propres productions en ce refutant lui-même et changeant d'opinion sur bien des choses. » A cet éloquent témoignage de l'estime dans laquelle Barbeyrac tient Thomasius, il faut joindre les remarques de la Préface de la 6' édition Amsterdam 1750, § XXXIII, à propos de l'interprétation des citations d'auteurs de Pufendorf comme de pures concessions à « la mode régnante parmi les Jurisconsultes Scholastiques » : « Je suis ravi de voir que cette même pensée est venue dans l'esprit d'un très-habile jurisconsulte de sa nation c) qui l'a connu particulièrement - c) Mr. Thomasius dans la Préface des Fundamenta juris Naturae et Gentium. » Cf. enfin la terre très révélatrice de Barbeyrac à J.-A. Turrettini du 12 mai 1715, dans le Fonds des lettres inédites adressées à j.-A. Turrettini que possède la Bibliothèque publique et universitaire de Genève Ms. fr. 484, fol. 174 : «Une autre chose à quoi Grotius me fait penser, c'est qu'il y a dix ou onze mois que j'envoyai à Mr. le Syndic 22 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL ressort également des références au jurisconsulte allemand qui émail­ lent les notes des deux traductions de Pufendorf publiées par Barbeyrac. Si Thomasius n'apparaît pas cité aussi fréquemment que Grotius ou Hobbes, il l'est en fait plus souvent que tous les théoriciens du Droit naturel de l'époque, voire plus souvent que Cicéron lui-même 105• Si l'on conteste la signification de telles données statistiques parce qu'elles n'attestent pas nécessairement une certaine influence, encore qu'elles illustrent l'indéniable prise en considération de certains auteurs, on ne peut par contre nier ce que doivent à Thomasius la séparation rigou­ reuse entre Droit et Morale qu'opère le jurisconsulte français comme certains des aspects caractéristiques de sa pensée juridique. L'influence thomasienne qui s'exerce sur la pensée de Barbeyrac est donc tout d'abord sensible sur le plan de la philosophie du droit. C'est ce qui ressort du Discours sur la Permission des Lois de 1715 comme de la Préface déjà citée à la traduction de Pufendorf. D'une part, Bar­ beyrac distingue en effet ouvertement, si ce n'est expressément, sur les traces de Thomasius, le domaine de la paix extérieure, domaine du juridique - qui correspond exactement au justum thomasien - du domaine de la paix intérieure, domaine de la Morale, qui s'identifie avec l'honestum de Thomasius 1oa; bien plus, il s'attache longuement dans la réfutation qu'il développe des arguments des Cyniques, dans sa pré­ face au Droit de la Nature et des Gens de Pufendorf, à l'exposé des Exigences de la Bienséance qui correspond à la catégorie thomasienne du decorum 107. En ce qui concerne le premier point, en voulant montrer « que ce qui est permis par les lois n'est pas toujours juste et honnête», selon la formule du sous-titre du Discours de la Permission des Lois, Bar­ beyrac en vient à la distinction suivante, qui nous paraît provenir direc­ tement de Thomasius : « Quelque vertueux que soit ou que doive être

Mestrezat un volume contenant la /urisprudenfia Divina et quelques autres ouvrages de Thomasius. Il ne me l'avait demandé que pour peu de temps et c'est un de ces livres que je suis oblirté de consulter souvent. » 105 Cf. Le Droit de la Nature et des Gens, 2' édition de la traduction française, dont les notes ne contiennent pas moins de 17 références à Thoma­ sius pour 16 à Cicéron, cependant que Grotius et Hobbes sont cités respecti­ vement 76 et 46 fois. 10s Cf. Discours sur la Permission des Loix, Lausanne 1715 ; rééd. in Les Devoirs de l'Homme et du Citoyen, 4' éd. 1718, p. 19 ss. 107 Cf. Préface cit., § XXII. Il faut relever ici que c'est exactement par le terme de bienséance que Thomasius lui-même traduit en français le terme spécifique de decorum. Cf. ses Cautelae circa praecognita jurisprudentiae, Halle 1710, cap. XV, § 8. Voir à ce sujet, outre nos remarques dans notre ouvrage cité, Le mariage dans l'Ecole allemande ... , p. 165 ss, les commentaires appro­ fondis de F. Battaglia, op. cit., P.· 230 ss et surtout l'étude de G. Schubart­ Fikentscher : Decorum Thomasti, Wissenschaftliche Zeitschrift der Marfin­ Luther Universifiit Halle-Wittenberg, 1957-1958, Gesellschafts- und Sprach­ wissenschaften Vil, 1, p. 173 ss. INTRODUCTION GÉNÉRALE 23 un législateur, le but propre et naturel de ses lois n'est pas de porter les hommes à la vertu. Quel est-il donc ? Le voici : c'est d'empêcher que les citoyens ne se fassent les uns aux autres quelque tort considérable, ou en leur personne ou en leurs biens ; et pour cet effet de mettre un frein aux mouvements extérieurs du vice qui tendent là autant que le repos de la société le demande et le permet. Or il suffit pour cela de réprimer les excès les plus grossiers et les injustices les plus palpables : Quelquefois même la prudence veut qu'on en souffre de ce genre pour éviter de plus fâcheux inconvénients {... ). En général, c'est selon les circonstances qu'un législateur doit défendre plus ou moins l'action mauvaise et la punir avec plus ou moins de sévérité. Mais quelles que soient les bornes qu'il met aux vices, lorsqu'il défend des choses vicieu­ ses, ce n'est pas précisément comme déshonnêtes qu'il les défend et qu'il les punit, mais comme nuisibles ou au public ou aux particuliers. Et au contraire quand il prescrit des choses qui peuvent se rapporter à quelque vertu, ce n'est pas précisément comme autant d'actes de vertu, mais comme des moyens nécessaires pour les fins du gouvernement civil ; ce n'est pas comme des choses louables mais comme des choses utiles. Aussi ne se met-il point en peine par quels principes et par quels motifs on obéit à ses lois : qu'on les croie ou qu'on ne les croie pas justes, qu'on les pratique de propos délibéré ou sans dessein, qu'on les regarde ou comme un devoir ou comme une gêne, pourvu qu'on fasse extérieurement ce que demande la loi, il a ce qu'il veut : l'effet que ces lois peuvent produire est produit ; et la société n'est pas moins tran­ quille que si l'obéissance partait d'un sentiment de vertu. Du reste l'office d'un législateur et celui d'un moraliste sont toujours très différents. Le dernier supplée à l'autre et le législateur laisse au moraliste un très vaste champ : le législateur comme tel permet bien des choses qu'il condamne en autrui et qu'il se défend à soi-même sévè·· rement en tant qu'homme et à plus forte raison en tant que chrétien. La Permission des Lois ne suppose pas toujours que le législateur trouve juste et honnête ce qu'il permet : c'est souvent une simple permission d'impunité et non pas une permission d'approbation 108. » Ainsi, pour Barbeyrac comme pour Thomasius, les lois positives servent au maintien de la paix extérieure de la société - « le repos de la société » - et non à encourager la vertu - « porter les hommes à la vertu ». La fin du discours atteste en fait encore plus clairement l'influence thomasienne avec l'opposition qu'elle dresse entre le forum internum de la morale et le forum externum du juridique : « Ainsi les lois civiles et les lois de la vertu forment comme deux juridictions séparées.»

108 Cf. Discours sur la Permission des Lois, éd. cit. 1718, p. 22-25. 24 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

La trace de l'influence de Thomasius n'est pas moins nette dans les développements que Barbeyrac consacre dans la Préface de sa traduc­ tion du Droit de la Nature et des Gens aux Règles de la Bienséance : « Il y a trois sortes de Modes ou de Coutumes dans la pratique des­ quelles on fait consister la Civilité et la Bienséance : les unes qui sont fort gênantes et sans aucun fondement ; les autres qui ne sont que peu ou point incommodes, mais dont on peut se dispenser, aussi bien que des précédentes, sans scandaliser personne et sans qu'il y ait lieu d'en craindre aucun inconvénient ; les dernières enfin, dont la violation est sujette à des inconvénients fâcheux et au mépris desquels on a, pour cet effet, attaché un caractère d'effronterie. Je ne crois pas que personne soit tenu de se soumettre aux premières, à moins que son intérêt parti­ culier et l'état où il se trouve ne le demandent nécessairement. A l'égard des secondes, je ne vois pas pourquoi un homme sage ne s'y conforme­ rait pas puisqu'il le peut faire aisément, et pourquoi on dînerait, par exemple, dans les rues, lorsqu'il n'en coûte rien de manger chez soi ; néanmoins j'accorderai à Diogène, s'il le veut, qu'en violant ces sortes de coutumes, on encourt tout au plus le blâme de rusticité, et de peu de complaisance pour un usage reçu. Et pour ce qui est des dernières, il n'y a qu'un cynique, c'est-à-dire un homme accoutumé à regarder toute la terre de haut en bas, à se permettre tout sous prétexte de rentrer dans les droits de la Nature malentendus, qui puisse les fouler aux pieds de gaîté de cœur et sans aucune nécessité 109. » Il est cependant encore un autre domaine où l'influence thomasienne sur le fondateur de !'Ecole romande du Droit naturel se fasse aussi jour. C'est le domaine plus spécifique du Droit du mariage. Barbeyrac se différencie en effet des autres théoriciens du Droit naturel de !'Ecole romande, comme nous le verrons, par son interpré­ tation progressive du mariage comme un simple contrat, ainsi que le montrent les notes des différentes éditions de ses traductions de Pufen­ dorf. Conformément à la tendance dominante du rationalisme juridique du Siècle des Lumières et en particulier à la doctrine du mariage du courant empiriste-sensualiste de Thomasius, Barbeyrac soumet en effet totalement le Droit du mariage aux règles du Droit des obligations. Cette prédominance du mode de pensée contractualiste dans sa doc­ trine du mariage ne ressort pas seulement de son acceptation de la thèse de la liberté des époux de déterminer le contenu du contrat de mariage, de sa durée à ses conditions de dissolution, mais surtout de ses références systématiques au droit matrimonial dans les éléments de sa théorie générale des obligations ; cherche-t-il ainsi des exemples dans ses notes aux développements de Pufendorf sur l'erreur, le dol ou la

109 Cf. Préface cit., § XXII, 4. Voir à ce sujet F. Battaglia, op. cit., foc. cit., ainsi que O. Schubart-Fikentscher, op. cit., foc. cit. INTRODUCTION GÉNÉRALE 25 novation, il s'en réfère alors tout simplement à des cas de droit du mariage 110• Dans le sillage de Barbeyrac les traces de l'influence du courant empiriste-sensualiste de Thomasius et de ses élèves se retrouvent dans les cercles lausannois des années 1740 comme la Société du comte de la Lippe, où Thomasius et Schmauss font l'objet de virulentes discussions, que ce soit à propos des fondements philosophiques du Droit naturel ou à propos de la question plus concrète du fondement de l'autorité maritale 111. Elles sont enfin également sensibles dans les ouvrages manuscrits de Samuel Porta. C'est ce que montrent aussi bien les réfé­ rences à Thomasius et à sa pensée que dévoile la lecture de l'essai ina­ chevé sur le Droit naturel 112, que l'éthique eudémoniste qui inspire la détermination de l'objectif du Droit naturel dans les Principes du Droit naturel mis à la portée de la généralité des hommes 113, où la recherche du bonheur est explicitement posée comme le but principal du Droit naturel. Après avoir ainsi défini « le Droit naturel » comme « cette science qui apprend quelles règles de conduite l'homme doit suivre pour s'approcher du bonheur autant qu'il est possible en consul­ tant les seules lumières de la raison » 114, Porta formule sa règle fonda­ mentale - « Un des devoirs essentiels de l'homme est d'éviter tout ce qui peut détruire ou abréger ses jours» 115 - d'une manière qui rap­ pelle directement la formule de l'auteur des Fundamenta ]uris naturae et gentium : « Facienda esse quae vitam hominum reddunt et maxime

110 Cf. Des Devoirs de l'Homme et du Citoyen, I/IX/§ 13, note 4 : «Par exemple si quelqu'un qui recherche une fille en manage s'imagine qu'elle est riche ou de qualité, quand même les parents de la fille le laisseraient ou l'entre­ tiendraient dans cette erreur, le contrat de mariage n'en est pas moins bon et valide, tant qu'il n'y a aucune clause qui suppose que le galant ne s'est engagé qu'au cas que la fille fût noble ou eût de grands biens. » Même propension à propos de la novation, op. cit., !/IX/§ 11, note 1/4 : «Les conventions ont encore vertu de remettre en force et en vigueur des obliga­ tions interrompues, ou même entièrement éteintes. Cela se voit dans les Traités de Paix, par lesquels une guerre est terminée. Cela a lieu aussi quand un Mari veut bien reprendre sa Femme, atteinte et convaincue d'adultère, ou de quelque autre infidélité qui fournit un juste sujet de divorce. » 111 Cf. Extraits des Conférences de la Société de M. le Comte de la Lippe, Bibl. cant. vaud., Ms. T 1386, Procès-verbaux des XXXII• à XLI• Assemblées à propos de Schmauss et de Thomasius (décembre 1743-février 1744) et sur­ tout des LXXI' et LXXII• Assemblées (fin novembre-début décembre 1744) sur les qualités requises des femmes pour le mariage et les sources de l'auto­ rité maritale, t. II, p. 365-382. 112 Voir S. Porta-Mange, Le Droit naturel, 1 vol. in-folio, Bibl. cant. vaud., Ms. T 1354a, notamment les références des folios 2 et 3. 11s Cf. S. Porta, Principes du Droit naturel mis à la portée de la généralité des hommes, Bibl. cant. vaud., Ms. T 1350, 1 vol. in-folio. 114 Cf. op. cit., fol. 1. 115 Cf. op. cit., fol. 9. 26 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL diuturnam et f elicissimam, et evitanda quae vitam reddunt infelicem et mortem accelerant 116. » La marque eudémoniste de la pensée thomasienne transparaît cepen­ dant encore beaucoup plus clairement dans l'autre tradition de !'Ecole romande, la tradition genevoise, chez jean-Jacques Burlamaqui. Il est assez étonnant à cet égard que l'étude de l'influence de Thomasius sur Burlamaqui ait été totalement négligée jusqu'à présent 111. Il ne manque pourtant pas de points de référence dans l'œuvre du jurisconsulte gene­ vois pour prendre en considération la marque de Thomasius. Il y a tout d'abord ainsi les références explicites de la Dissertatio juridica de matrimonio de 1731 118, Car même si ces références ont pour fonction de réfuter les thèses les plus audacieuses de la pensée thomasienne, en ce qui concerne les lois positives universelles ou la polyandrie 119, elles n'en attestent pas moins une certaine connaissance des principaux ouvra­ ges de Thomasius : les Jnstitutiones jurisprudentiae divinae de 1688 ou les Fundamenta juris naturae et gentium de 1705, et laissent à elles seu­ les présumer de la prise en considération par Burlamaqui de la doctrine thomasienne du Droit naturel. De fait, cette prise en considération res­ sort explicitement de l'inspiration eudémoniste et des réflexions d'ordre épistémologique des Principes du Droit naturel 120. L'inspiration eudémoniste des Principes du Droit naturel se fait jour dès les premières pages de l'ouvrage où, expliquant l'objectif de son livre, Burlamaqui cherche à définir le Droit naturel et, ce faisant, rappelle plus d'un thème des Fundamenta juris naturae et gentium. « Nous avons dessein dans cet ouvrage, écrit-il ainsi, de rechercher quelles sont les règles que la seule raison prescrit aux hommes pour les conduire sûrement au but qu'ils doivent se proposer et qu'ils se pro­ posent tous en effet : je veux dire au véritable et solide bonheur ... et c'est le système ou l'assemblage de ces règles, considérées comme autant de lois que Dieu impose aux hommes, que l'on appelle Droit de fa Nature. Cette science renferme les principes les plus importants de la morale, de la jurisprudence et de la politique, c'est-à-dire tout ce qu'il

116 Chr. Thomasius, Fundamenta /uris Naturae et Gentium, 4• éd. Halle 1718, éd. reprint Aalen 1963, !/cap. 6/§ 21. 111 Ainsi B. Gagnebin, dans son ouvrage devenu classique sur Burlamaqui, op. cit., passe-t-il totalement sous silence la question de l'influence de Thoma­ sius sur la doctrine du bonheur du jurisconsulte genevois. S'il mentionne une fois le jusnaturaliste allemand, ce n'est qu'en passant, dans le tableau général qu'il esquisse de !'Ecole aux XVIl°-XVIII' siècles, p. 24. 118 Cf. Dissertatio juridica de matrimonio, quam publice submittit disquisi­ tioni /. Robertus Tronchin, Genève 1731. Sur les raisons de l'attribution de la paternité de cette thèse à Burlamaqui, cf. note 31 ci-dessus. 110 Cf. op. cit., ad § XXVII (référence à la /urisprudentia Divina, II/cap. 3) et ad § XXXVIII (références op. cit., lll/cap. 2/§ 99 et aux Fundamenta /uris Naturae et Gentium, Ill/cap. 2/§ 15). 120 j.-j. Burlamaqui, Principes du Droit naturel, Genève 1747. INTRODUCTION GÉNÉRALE 27 y a de plus intéressant pour l'homme et pour la société... Rien n'est aussi digne de l'application d'un être raisonnable, qui a sérieusement à cœur sa perfection et sa félicité 121 • » Il est difficile de méconnaître dans cette insistance sur le bonheur comme but du Droit naturel et dans la définition du Droit naturel même comme la somme des règles de conduite qui relèvent de la morale, de la jurisprudence et de la politique, l'empreinte de l'eudémonisme et de la trichotomie de la philosophie juridique thomasienne. Cette empreinte est encore plus nette dans la place qu'occupe la doctrine du bonheur dans la pensée juridique de Burlamaqui, en parti­ culier dans sa définition du Droit comme tel. Après avoir réaffirmé le rôle du bonheur dans la finalité de l'existence humaine 122, Burlamaqui conclut en effet : « Par là nous sommes conduits naturellement à la première idée du terme de Droit, qui, dans le sens le plus général et auquel tous les sens particuliers ont quelque rapport, n'est autre chose que tout ce que la raison reconnaît certainement comme un moyen sfir et abrégé de parvenir au bonheur, et qu'elle approuve comme tel 123, » Un dernier aspect de la pensée de Burlamaqui nous paraît encore révélateur de l'influence de l'œuvre de Thomasius. Il s'agit des considé­ rations épistémologiques du jurisconsulte genevois qui se font jour dans sa formulation des principes de connaissance du Droit naturel déve­ loppée dans la deuxième partie de ses Principes du Droit naturel. Dans son exposé des principes fondamentaux du Droit naturel, le jurisconsulte genevois détermine en effet un certain nombre de critères épistémologi­ ques 124. Mais dans leur formulation il reprend pour ainsi dire textuel­ lement les critères définis par Thomasius dans ses lnstitutiones juris­ prudentiae divinae : « Les premiers principes des lois naturelles, écrit ainsi Burlamaqui, doivent être non seulement vrais, mais encore simples, clairs, suffisants et propres à ces lois » 125. « Tria ergo erunt requi­ sita ... », écrivait Thomasius en ce qui concerne le primum principium juris naturalis, «ut sit verum, adaequatum, evidens. Verum dico», ajou­ tait l'auteur des Institutiones f urisprudentiae Divinae, «hoc est ut non contineat propositionem aliquam falsam. Adaequatum, ut illa proposWo vere contineat omnia praecepta juris naturalis sub se ( ... ). Evidens, ut id esse voluntatem divinam abstrahendo a Lumine revelato ex primo principio practico possit demonstrari, tum ut connexio conclusionum cum ipso sit evidens et f ere palpitari possit 12a. »

121 Cf. op. cit., !/ch. 1/§ t. 122 Cf. op. cit., !/ch. V/§§ 4-6 et 8. 123 Cf. op. cit., {/ch. V/§ 10. 124 Cf. op. cit., Il/ch. IV/§ 3. 125 Ibid. 12s Chr. Thomasius, Institutiones /urisprudentiae Divinae, 7• éd. Halle 1730, éd. reprint Aalen 1963, !/cap. IV/§ 1, n• 3 ss. 28 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Or, si l'on s'en réfère à l'interprétation que Burlamaqui donne lui­ même des critères des premiers principes des lois naturelles, il est dif­ ficile de ne pas voir dans son énoncé la traduction quasi littérale du texte de Thomasius. « Les premiers principes des lois naturelles doivent être non seulement vrais, écrivait Burlamaqui - c'est le verum de Tho­ masius - mais encore simples, clairs - cela correspond à l'evidens de Thomasius - suffisants et propres à ces lois - l'adaequatum thomasien. Ils doivent être vrais, ajoute Burlamaqui en précisant ces critères, c'est­ à-dire qu'il faut les puiser dans la nature et dans l'état des choses. Des principes faux ou supposés ne pourraient produire que des conséquences de même nature : on n'élèvera jamais un édifice solide sur des fonde­ ments ruineux. Ils doivent être simples et clairs par eux-mêmes, ou du moins faciles à saisir et à développer ; car les lois naturelles étant obli­ gatoirement pour tous les hommes, il faut que leurs premiers principes soient à la portée de tout le monde, et qu'avec le sens commun chacun puisse s'en instruire aisément. » «j'ajoute que ces principes doivent être suffisants et universels, conclut Burlamaqui. Il faut que l'on en puisse déduire, par des consé­ quences immédiates et naturelles, toutes les lois de la nature et tous les devoirs qui en résultent : en sorte que l'exposition des détails ne soit proprement que l'explication des principes, à peu près comme la pro­ duction ou l'accroissement d'une plante n'est autre chose que le déve­ loppement du germe ou de la semence 121. » Il ne peut s'agir là, de toute évidence, d'une simple coïncidence. Il s'agit d'un véritable emprunt de Burlamaqui à Thomasius. Caractérisant ce qu'on a pu appeler le « conciliatorisme », voire «l'éclectisme» de Burlamaqui 128, compilateur plus consciencieux qu'ori­ ginal des maîtres de !'Ecole allemande, cette influence thomasienne se double assez curieusement chez le jurisconsulte genevois d'une indé­ niable influence wolffienne, jusqu'à présent fort peu remarquée 129, Celle-ci illustre de manière symptomatique la perméabilité de !'Ecole romande à la deuxième mode philosophique du Siècle des Lumières : celle du rationalisme métaphysique de Leibnitz et de Wolff, dont la pénétration en Suisse romande est due avant tout à l'œuvre de Louis Bourguet et d'Emer de Vattel t3o et qui touchera de ce fait surtout la dernière génération des représentants de !'Ecole romande du Droit natu-

121 Burlamaqui, op. cit., II/ch. IV/§ 3. 128 Cf. Bobbio, op. cil., p. 154-155. 129 Il n'y a, à notre connaissance, que l'éminent historien de la pensée juridique de Turin, N. Bobbio, pour l'avoir noté, voici déjà un quart de siècle, op. cit., p. 154, B. Gagnebin ayant laissé complètement dans l'ombre dans son ouvrage cité cet aspect des influences subies par Burlamaqui. 130 Sur le rôle de Louis Bourguet dans la diffusion de la pensée de Leibnitz en Suisse romande,>., outre les indications du Dictionnaire d' A. de Montet, 1, p. 85 ss et du DH15S, Il, p. 275, des ouvrages cités d'E. Béguelin, !oc. cit., et de Ph. Meylan, p. 109-110 ss et 130, voir l'étude de P. Bovet, louis Bourguet, INTRODUCTION GÉNÉRALE 29 rel : outre Vattel, Etienne de Beaumont, Béat-Philippe Vicat et Don Bernai de Quiros. C'est dire que Burlamaqui, tout fondateur qu'il soit de la tradition genevoise du Droit naturel, se situe à la charnière des deux courants dominants de !'Ecole romande du Droit naturel du siècle des Lumières. Si nous tentons maintenant précisément de dégager les principales traces de l'influence du rationalisme métaphysique de Leibnitz et de Wolff sur Burlamaqui comme sur ses élèves, Vattel et de Beaumont, ou sur leurs confrères de Lausanne, comme Vicat et Don Bernai de Quiros, force nous est de reconnaître, en ce qui concerne Burlamaqui, que la marque de Leibnitz et de Wolff est moins explicite que celle de Thoma­ sius. Elle n'en est cependant pas moins profonde. Si toute référence à l'auteur de la Théodicée ou au mathématicien-philosophe de Marbourg fait défaut dans l'œuvre de Burlamaqui, ses considérations sur le principe d'obligation du Droit naturel ne peuvent toutefois se comprendre sans la philosophie juridique wolffienne 131. Ce n'est donc pas par suite d'une contradiction interne que Burlamaqui considère que le fondement des règles du Droit naturel réside aussi bien dans la nature raisonnable de l'homme que dans la volonté divine, mais c'est tout simplement parce que, sur les traces du réalisme métaphysique de Christian Wolff, il ne peut accepter que Dieu ait pu donner aux hommes d'autres lois que celles qui correspondent à leur nature d'êtres raisonnables : « Ne cherchons donc pas ailleurs que dans la nature même des actions humaines, dans leurs différences essentielles et dans leurs suites, le vrai fondement des lois naturelles, et pourquoi Dieu défend certaines choses, tandis qu'Il en commande d'autres ... Si donc les lois naturelles dépendent originaire­ ment de l'institution divine, comme on n'en saurait douter, il faut conve­ nir aussi que ce n'est pas d'une institution purement arbitraire, mais d'une institution fondée d'un côté sur la nature même et la constitution de l'homme, et de l'autre sur la sagesse de Dieu, qui ne saurait vouloir une fin sans vouloir en même temps les moyens qui seuls peuvent y conduire 1s2 • » Il n'y a donc là nulle contradiction, nulle hésitation dans sa pensée, mais un retour conscient et délibéré - rendu possible grâce à Wolff - à la doctrine de Grotius, réconciliatrice du volontarisme son projet d'édition des œuvres de Leibnitz, in Actes du [[• Congrès inter­ national de Philosophie, Genève 1904. Quant au rôle de Vattel, il ressort direc­ tement de ses premières contributions philosophiques parues dans le Mercure Suisse, sept. 1737, p. 64-79, et dans le Journal Helvétique, janv. 1738, p. 30-53, de sa Défense du Système leibnitzien, Leyde 1741, mais également de ses dissertations déjà citées de son Loisir philosophique. Sur Leibnitz en Suisse, cf. Ed. Fueter, op. cit., p. 73-74. 131 Il n'y a ainsi rien d'étonnant à ce que B. Gagnebin, op. cit., ignorant totalement l'influence de Wolff sur Burlamaqui, lui reproche tantôt « de confon­ dre manifestement la nécessité logique et l'obligation morale», op. cit., p. 133 et 136, tantôt «de se contredire manifestement», op. cit., p. 134. 132 Cf. J.-]. Burlamaqui, op. cit., II/ch. V/§ 5. 30 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

éthique de Fernand Vazquez de Menchaca et de l'objectivisme des valeurs de Gabriel Vasquez. C'est ce que Je jurisconsulte genevois met lui-même bien en évidence : « Il est à propos de remarquer ici que la manière dont nous établissons les fondements du Droit naturel ne diffère point, pour le fond, des principes de Grotius. Peut-être ce grand homme aurait-il pu développer un peu mieux ses idées, mais il faut avouer que ses commentateurs, sans en excepter Pufendorf, n'ont pas bien pris sa pensée, et l'ont reprise mal à propos en prétendant que la manière dont il posait le fondement du Droit naturel se réduisait à un cercle vicieux 133. » Bien plus, après cette critique non dissimulée à l'adresse de Pufen­ dorf et de ses commentateurs, parmi lesquels il faut compter Barbeyrac, et au terme d'une citation de l'auteur du De Jure naturae et gentium, Burlamaqui remarque : «Voilà ce que la critique fait dire à Grotius. Mais Grotius le dit-il en effet? Ecoutons-le : « Le Droit naturel, dit-il, consiste dans certains principes de la droite raison, qui nous font connaître qu'une action est moralement honnête ou déshonnête, selon la convenance ou la disconvenance nécessaire qu'elle a avec une nature raisonnable et sociable ; et par conséquent que Dieu qui est l'auteur de la nature, ordonne ou défend de telles actions. » je ne vois point là de cercle. Car sur cette demande, d'où vient l'honnêteté ou la turpitude naturelle des actions prescrites ou défendues ? Grotius ne répond point comme on le fait répondre ; il dira, au contraire, que cette honnêteté ou cette turpitude vient de la convenance ou de la disconvenance néces­ saire de nos actions avec une nature raisonnable et sociable 134. » Dans sa subtilité même, cette solution du problème du fondement du principe d'obligation du Droit naturel se rapproche tellement des thèses que Vattel défend à la même époque que l'on peut se demander si l'élève n'a pas influé ici sur le maître. Pareille influence n'est pas à exclure. Bornons-nous à rappeler ici que c'est précisément dans les années où Vattel étudie auprès de Burlamaqui à Genève qu'il commence à s'intéresser activement à la philosophie wolffienne et qu'il fait paraître ses premiers articles à son égard, son Essai sur le fondement du Droit naturel, qui paraît en 1747 à Genève, étant déjà terminé en 1741. Il conviendrait donc peut-être, après avoir suivi la trace de l'influence de Burlamaqui sur Vattel, de prendre une fois en considération l'influence même de Vattel sur le jurisconsulte genevois, qui pourrait bien être la clé de l'explication des traces du wolffisme dans l'œuvre de Burlamaqui. Encore faudrait-il faire la démonstration du wolffianisme même de Vattel. C'est ce que nous voudrions tenter en conclusion. L'influence de Wolff sur Emer de Vattel est attestée d'une part par l'admiration explicite que le jurisconsulte neuchâtelois témoigne à

133 Op. cit., II/ch. V/§ 6. 134 Ibid. INTRODUCTION GÉNÉRALE 31 l'auteur du jus naturae methodo scientifica pertractatum, d'autre part par ses thèses de philosophie juridique. Son admiration pour Wolff, Vattel la manifeste avec enthousiasme dans la préface de ses Questions de Droit naturef13 5 • Comme le sous­ titre l'indique lui-même - Observations sur le Traité du Droit de la nature de M. le Baron de Wolff - cet ouvrage n'est rien d'autre qu'un commentaire introductif au jus naturae en huit volumes publié entre 1740 et 1748 par le philosophe du Droit allemand. «On doit le regarder, écrit Vattel, non comme une critique du Traité de M. Wolff, mais comme un commentaire destiné à rendre ce Traité plus utile 136• » Par là même Vattel se fixe pour objectif la diffusion de la pensée juridique wolffienne. S'il poursuit cet objectif c'est qu'il est convaincu de la supériorité de Wolff parmi les théoriciens du Droit naturel de son temps : « Pénétré du rare mérite de M. Wolff et plein de reconnaissance envers lui pour les lumières que j'ai reçues de sa philosophie, ajoute-t-il ainsi, je connais la grande supériorité du talent de M. Wolff et j'ai assez fait voir dans d'autres ouvrages que je lui rends toute la justice qui lui est due et que je le reconnais pour un maître dont les écrits m'ont été fort utiles 137. » A propos du jus naturae même, Vattel conclut: «Le sys­ tème est admirable, les principes généraux sont excellents, la plupart des conséquences que l'auteur en tire sont justes ... Le Traité du Droit de la nature de M. le Baron de Wolff nous offre de toutes parts des définitions lumineuses et des principes également sûrs et féconds. C'est la vraie source où l'on doit puiser désormais de justes idées sur les lois naturelles : Il mérite d'être lu et étudié par tous ceux qui cherchent les solides connaissances 138, » Ainsi Vattel voit-il en Wolff non seule­ ment le maître précieux auquel il doit l'essentiel de sa formation intel­ lectuelle, mais surtout la figure la plus remarquable de la pensée juri­ dique de l' Aufk!arung. C'est ce qui explique son intention première de traduire en français le Traité de Droit naturel de Wolff, puis, après l'abandon de ce projet, ses démarches auprès du secrétaire perpétuel de l'Académie de Berlin, le huguenot Samuel Formey, pour décider ce dernier à se charger de cette traduction, enfin son élaboration du Droit des Gens destinée à rendre plus accessible, par l'élégance de son style, aux diplomates et aux gens de cour les principales thèses juridiques de Wolff139,

135 E. de Vattel, Questions de Droit naturel et Observations sur le Traité du Droit de la Nature de M. le Baron de Wolff, Berne 1762. 136 Op. cit., Préface, p. VIII. 137 Ibid., p. IV-VI. 138 Ibid., p. VI-VIJ et Introduction, p. 2. 139 E. de Vattel, Le Droit des Gens ou Principes de la Loi naturelle appli­ aués à la conduite des Nations et des Souverains, Londres-Neuchâtel 1758, cf. Préface. 32 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Quant à l'allégeance des thèses de philosophie juridique de Vattel à la pensée juridique wolffienne, elle apparaît sans équivoque possible dans le premier grand essai philosophique du jurisconsulte neuchâte• lois, son Essai sur le fonde ment du Droit naturel et sur le premier prin­ cipe de l'obligation où se trouvent tous les hommes d'en observer la loi 140. Si Vattel prend en effet dans cet écrit la défense de Leibnitz contre les attaques de Barbeyrac, c'est qu'il fonde le principe d'obliga­ tion du Droit naturel, à l'opposé de Pufendorf et de son traducteur français, non sur la volonté de Dieu mais sur la nature des choses. Dans la ligne du réalisme métaphysique de la philosophie juridique wolffienne, Vattel renoue même avec l'antique point de vue de Grégoire de Rimini et avec sa formule, que venaient de reprendre Grotius, Leibnitz et Wolff, selon laquelle les règles du Droit naturel s'imposeraient même si Dieu n'existait pas ou s'il ne s'occupait pas des choses humaines. « Ce n'est point déroger à l'autorité de Dieu, écrit en effet Vattel, que de dire que tout ce qu'il nous prescrit dans les lois naturelles est si beau, si utile par lui-même que nous serions obligés de le pratiquer quand même Dieu ne l'aurait pas ordonné 141• » Ainsi le premier principe de l'obligation où se trouvent tous les hommes d'observer les lois naturelles ne repose-t-il pas sur un ordre divin, mais sur la nature des choses : « L'obligation, écrit Vattel, naît de la nature des choses 42. » «Et même si Dieu veut le bien, ajoute le jurisconsulte neuchâtelois, il n'en demeure pas moins que la qualité intrinsèque de l'action est déjà une raison de la préférer en faisant abstraction de la volonté de Dieu et que la volonté de Dieu même se règle sur cette action 148 • » Aussi paradoxal que cela paraisse, Vattel apparaît donc, avec Wolff, parmi les théoriciens du Droit naturel moderne du xvm• siècle, comme l'un des derniers défenseurs de la doc­ trine réaliste métaphysique de la perséité morale des actions humaines. Par là Vattel se rattache en plein Siècle des Lumières à la grande tra­ dition de la scolastique médiévale selon laquelle certains actes ne sont pas justes parce qu'ils sont voulus par Dieu, mais sont ordonnés par Dieu parce qu'ils sont justes. Vattel n'apparaît pas à vrai dire comme le seul représentant de ce courant en Suisse romande. Les mêmes thèses réalistes-intellectua­ listes qui !'inspirent se retrouvent d'une part chez l'auteur de l'unique traité de philosophie morale et juridique de l'auditoire genevois de Burlamaqui, Etienne de Beaumont, d'autre part plus nettE'ment encore chez le seul des successeurs à la chaire lausannoise de Barbeyrac qui ait publié un Traité de Droit naturel sur le modèle de ceux de l'Ecole allemande, Béat-Philippe Vicat, pour ne rien dire enfin du curieux pro-

140 Cf. Le Loisir philosophique ou Pièces diverses de Philosophie, de Morale et d'Amusement, Dresde 1747, I, p. 1-70. 141 Op. cil., § 29, in fine, p. 41. 142 Op. cil., § 35, p. 55. 14a Op. cil., § 35, p. 56. INTRODUCTION GÉNÉRALE 33 fesseur d'histoire ecclésiastique de 1' Académie vaudoise au milieu du siècle, Don Bernai de Quiros avec ses Elementi del Diritto naturale, demeurés manuscrits. Quant à Etienne de Beaumont, ses Principes de philosophie morale, publiés à Genève en 1754, frappent autant par la place qu'ils reconnais­ sent à la Métaphysique dans le fondement de la Morale que par le primat qu'ils affirment de l'entendement sur la volonté 144, L'empreinte wolffienne de ces thèses est corroborée par celle que décèle la déter­ mination du fondement de l'obligation dans laquelle Beaumont, après avoir posé que l'obligation « est une suite de la nature de l'homme » et que « l'homme n'est prenable que par le désir du bonheur» 145, dési­ gne « l'amour de sa propre perfection», indissociablement lié à son sens au bonheur, « comme le seul principe qui donne le mouvement à tout le système moral » 146, La pénétration des idées wolffiennes, grosses de toute la métaphy­ sique réaliste-intellectualiste de la philosophie scolastique, est cependant beaucoup plus marquée dans la théorie du fondement de la loi naturelle que formule à la même époque Béat-Philippe Vicat dans son Traité du Droit naturel. A la manière de Vattel, sinon dans ses termes mêmes, Vicat reprend en effet à son compte à ce sujet la position conciliatrice de Suarez et de Grotius entre les thèses opposées de Fernand Vasquez de Menchaca et de Gabriel Vazquez. Exemples bibliques à l'appui, dans la meilleure tradition scolastique, il affirme ainsi : « Quoique Dieu soit parfaitement libre dans la détermination de sa volonté, il est néanmoins contradictoire à sa sagesse, que sa volonté, par rapport aux actions

144 Cf. E. de Beaumont, Principes de Philosophie morale, Genève 1754, les termes tout wolffiens du Discours préliminaire, p. 4-5, sur la place de la Métaphysique dans l'établissement de toute Morale : « Chaque science a ses principes, c'est-à-dire, sa partie Métaphysique. La Morale en particulier pour­ rait-elle se passer de l'art d'abstraire ? Les Loix de la Morale résultent des rapports qui sont entre les Etres ; tous les Etres que l'homme connait ont quelque rapport avec lui ; l'homme doit connaitre ces rapports et y conformer ses actions ; la science qui embrasse tous les Etres, qui a pour but de décou­ vrir les liens qui les unissent à l'homme, est donc la base nécessaire de la Morale. » Sur les incidences de ces thèses sur la conception que Beaumont se fait de la Loi, cf. Introduction, §§ !-Ill, p. 11-12 : «Les Loix sont les conséquences des rapports qui sont entre les Etres » et « Les Loix des Etres sont fondées sur leur nature combinée avec la nature des êtres auxquels ils ont des rapports ». Enfm,1 en ce qui concerne la position réaliste­ intellectualiste traditionnelle de Beaumont, relative aux rapports entendement­ volonté, cf. ch. I, § XVIII : « La volonté est la faculté qui préside à la recherche du bonheur : Elle choisit entre les différens moyens de bonheur, ceux que !'Entendement juge tendre le plus directement à ce but» et § XXI : « ... la Volonté n'agit que d'après les décisions de !'Entendement. Les erreurs de !'Entendement devront donc en produire dans les déterminations de la Volonté. » 145 Op. cit., ch. V §§ LXV et LXVI, p. 38-39. 146 Op. cit., ch. vi, §§ LXXXVI, en et ex, p. 54 et 57. 34 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL libres de l'homme, soit autre que ce qu'elle est conformément aux fins des facultés qu'elle lui a données. Ce qui fait que les lois naturelles sont de nécessité morale, telles que Dieu les a données et d'une immuta­ bilité qui suit la nature et le sens de cette nécessité. Ajoutons aussi dans le même sens leur qualité indispensable et leur éternité dans le sens de la vérité et de la sagesse éternelle 147, » Il n'est pas enfin jusqu'à la célèbre formule hyperbolique de Grégoire de Rimini à laquelle le successeur de Loys de Bochat à l'Académie de Lausanne ne recoure, en la modifiant quelque peu, pour étayer sa conception réaliste-intellec­ tualiste des fondements du Droit naturel à l'encontre des positions volon­ taristes du fondateur de !'Ecole romande, manifestant ainsi avec plus d'éclat que l'obscur essai de son collègue théologien Don Bernai de Quiros 148 le triomphe dans la seconde moitié du Siècle des Lumières en terre vaudoise des idées de Leibnitz et de Wolff sur celles de Pufendorf et de Barbeyrac : « En supposant, ce qu'il serait absurde et impie de penser, écrit-il ainsi, que Dieu voulût que l'homme se conduisît tout au rebours de ce qu'il pourrait voir résulter des fins de ses facultés, quand même, autre supposition qui n'est pas moins absurde et que pourtant il importe d'ajouter, l'homme n'aurait par cet ordre de Dieu, aucun sujet de penser, qu'il y eftt au-delà quelque fin supérieure à quelqu'une de ces fins particulières, et à laquelle celle-ci dût être sacri­ fiée pour le bien total, et même pour celui de l'agent ; il demeurerait nonobstant cette volonté absurdement supposée, avec la circonstance ajoutée, il demeurerait, dis-je, que l'homme serait toujours obligé à se conformer à ces fins connues. A raison de cela, conclut Vicat, et sous la dite supposition ajoutée, il faut reconnaître que les obligations intrinsèques, outre qu'elles répondent à la loi naturelle, sont néces­ saires de nécessité métaphysique 149, » Force est de constater au vu de pareilles démonstrations combien la « renaissance scolastique » opérée par Wolff a profondément pénétré en Suisse romande, au détriment de l'utilitarisme anti-métaphysique de Locke et de Thomasius encore si sensible au début du siècle. Ainsi ouverte aux courants dominants de la pensée philosophique juridique européenne d'inspiration anglaise et allemande, !'Ecole romande du Droit naturel va en devenir le creuset, assurant leur vulgarisation et leur diffusion dans le reste du monde occidental, notamment en France et Outre-Atlantique, par les œuvres de traduction et de compilation de ses principaux représentants. C'est ce qu'ont bien montré les études

147 B.-Ph. Vicat, Traité du Droit naturel, Lausanne-Yverdon 1777, t. I, ch. III, § XX, p. 19-20. · 148 Cf. Don Hyacinthe Bernai de Quiros : E/emenfi del Diritto naturale, Bibl. cant. vaud., 1 vol. in-8°, T 77, ch. I, §§ I, VIII et IX. 149 Vicat, op. cit., t. I, ch. III, § XXI, p. 21. INTRODUCTION GÉNÉRALE 35 consacrées jusqu'ici à Barbeyrac et à Burlamaqui comme à Vattel 150, comme à la place même de la Suisse romande dans l'histoire de la science juridique moderne m. Là réside sans doute le plus grand mérite de !'Ecole romande du Droit naturel. Il s'en faut cependant de beaucoup qu'elle n'ait exercé d'influence qu'à l'étranger comme ces prophètes dont la patrie n'entend point le message. C'est un autre mérite en effet de !'Ecole romande du Droit naturel, encore peu relevé jusqu'à présent, que d'avoir influé sur les idées et les traditions juridiques romandes par l'enseignement comme par l'écrit. La démonstration en a été faite naguère pour Barbeyrac 152. Elle pourrait être menée à chef pour Burlamaqui et ses disciples dans un domaine aussi étroitement lié aux mœurs que celui du mariage, la jurisprudence genevoise consacrant au cours du xvm• siècle à l'encontre du texte même des Ordonnances ecclésiastiques les solutions relativement nouvelles de l'auteur des Principes du Droit naturel en matière de séparation et de divorce 153. Mais encore fau­ drait-il que l'œuvre et la pensée de ces représentants de !'Ecole romande du Droit naturel fussent connues. C'est cette démarche préalable que nous entendons entreprendre ici en même temps qu'un travail de mise au jour des prolongements de !'Ecole allemande du Droit naturel mo­ derne en terre romande dans la sphère particulière du droit matrimonial. Nous espérons par là préparer le terrain à une étude plus générale de la fonction médiatrice de !'Ecole romande du Droit naturel, non plus dans l'histoire de la pensée juridique européenne, mais chez nous, entre les Droits locaux et la Réception de la plus importante des grandes codifications de l'époque du Droit naturel : le Code Napoléon.

150 Cf. les ouvrages cités de Ph. Meylan, p. 241 ss, de B. Gagnebin, p. 227 ss (en particulier p. 240 ss pour l'influence de Burlamaqui en France, p. 270 ss pour son influence en Angleterre et p. 277 ss pour les Etats-Unis, dans la ligne de R.F. Harvey, op. cit.) et de j.j. Manz, p. 162 ss, ce dernier sur les traces de J.S. Reeves, The Influence of the Law of Nature upon International Law in the United States, American journal of International Law, vol. 3, 1909, p. 547 ss, notamment p. 549 et 553 ss, et d' A. de Lapradelle, Introduction à l'édition du Droit des Gens de la Fondation Carnegie, Washington 1916, p. XXXIV SS. 151 Cf. H. Thieme, op. cit., Loc. cit. 152 Cf. Ph. Meylan, op. cit., p. 212 ss. 153 Cf. les études limitées et fragmentaires de Chs. Du Bois-Melly, De la Désertion malicieuse et de l'Adultère, de la Séparation conjugale et du Divorce sous l'Ancienne Législation genevoise, Genève 1889, et d'A. Martin, Exposé de l'Ancienne' Législation genevoise sur le mariage, Genève 1891, p .58-59 ss, ainsi que les récents Mémoires de licence en histoire de Mlle A. de Kalber­ matten, Le divorce à Genève dans la première moitié du XVIII• siècle, Genève 1972, et de M.B. Sonnaillon, Etude des divorces à Genève dans la seconde moitié du XVII/' siècle, Genève 1975, Archives d'Etat de Genève, Ms. hist. 252, notam­ ment p. 62-65.

PREMIÈRE PARTIE

LES FONDATEURS

CHAPITRE PREMIER

LE MARIAGE EN DROIT NATUREL DANS LA PENSÉE DE JEAN BARBEYRAC

INTRODUCTION

Au cœur de l'entreprise pufendorfienne d'émancipation du Droit naturel de la Théologie, la question des rapports entre la Raison et la Révélation, si importante pour l'élaboration d'une doctrine cohé­ rente du mariage en Droit naturel, est de celles qui n'ont cessé de préoccuper Barbeyrac *. De la Préface de sa traduction du Droit de la nature et des gens de 1712 au chapitre introductif de son Traité de

* Pour la biographie et l'œuvre de jean Barbeyrac (1674-1744), voir les ouvrages cités de Ph. Meylan et de S.C. Othmer. Bornons-nous à rappeler ici que Barbeyrac naît à Béziers en 1674 d'une famille originaire du Vivarais et passée au protestantisme moins d'un siècle auparavant. Marqué à la fois par la rigueur d'esprit de son père Antoine, pasteur près de Béziers, et par l'indépendance de son oncle Charles, médecin à , Barbeyrac reçoit sa première formation de précepteurs privés avant de gagner Montpellier où la Révocation de !'Edit de Nantes le frappe, l'obligeant à fuir par Lyon vers Genève. Il ne tarde pas ainsi à rejoindre sa famille à Lausanne en 1686, où il poursuit de brillantes études littéraires et théologiques au Collège, puis à l'Académie. Initié à Descartes, puis à Pufendorf par le philosophe jean-Pierre de Crousaz, il complète sa formation théologique à !'Académie de Genève. Contraint en 1693 avec les autres réfugiés de Lausanne à un nouvel exil par les autorités bernoises, il gagne alors Berlin pour installer ses frères et sœurs, puis Francfort-sur-l'Oder pour la suite de ses études universitaires. Chargé en 1697 de l'enseignement des langues classiques au Collège français de Berlin, il ne perd pas de vue la carrière ecclésiastique, mais doit y renoncer en raison de l'hostilité des autorités consistoriales françaises, qui le suspectent et le convainquent d'hétérodoxie au terme d'une longue enquête (1699-1702). Dès lors, parrallèlement à ses fonctions au Collège français (1697-1710), il se consacre à l'étude du Droit naturel, traduisant et annotant successivement le De jure N aturae et Gentium de Pufendorf (1706), qu'il introduit par une monumentale préface, et le De Of ficio Ho minis et Ci vis (1707). Le renom que lui assurent ses traductions lui vaut dès 1708 un appel des autorités bernoises pour la nouvelle chaire de Droit et d'Histoire de l'Académie de Lausanne. Nommé à ce poste en 1710, Barbeyrac inaugurera son enseignement de Droit naturel, de Droit romain et d'Histoire en 1711 par un Discours sur la dignité 40 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL la Morale des Pères de l'Eglise de 1728, ne cachant pas ce qu'il doit à Grotius et à Pufendorf, mais aussi à Thomasius, il n'a de cesse en fait d'insister sur « la conformité de la morale chrétienne avec les lumières les plus pures du bon sens » 1, en affirmant « que la plupart des devoirs dont l'Evangile exige l'observation sont au fond les mêmes que ceux qui peuvent être connus de chacun par les seules lumières de la raison » 2, Si c'est ce qu'il se fait fort de montrer en matière matri­ moniale, de manière convaincante d'ailleurs en ce qui concerne tout au moins la légitimité du mariage, du divorce et des secondes noces, son souci de concordisme l'amène de plus à s'en prendre vigoureusement au « pyrrhonisme historique » de ceux « qui, après avoir travaillé à ruiner de toutes leurs forces la certitude des lumières de la Raison nous renvoient aux Lumières de la Foi pour fixer nos doutes : comme si les lumières de la Foi ne supposaient pas nécessairement celle de la rai­ son» s. Rien n'est donc plus éloigné de Barbeyrac que le pessimisme réformé de son rival à la chaire de Lausanne, R. von Waldkirch, convaincu de la déchéance de la raison naturelle et de la nécessité d'en appeler à la Révélation 4, et on le voit bien dans sa tentative de fonder en raison les empêchements au mariage. Par là, le jurisconsulte français se situe dans la ligne éclairée du Siècle des Lumières plus que dans le sillage de la Réformation, ce qui correspond bien à ses positions théologiques, liées au protestantisme libéral de son ami J.-A. Turrettini beaucoup plus qu'à celles de l'orthodoxie réformée défendue par LL. EE. de Berne.

et l'utilité du Droit et de l'Histoire, ceci un demi-siècle exactement après l'enseignement de Pufendorf à Heidelberg. En marge de cet enseignement à l'Académie de Lausanne, dont il sera trois ans recteur, Barbeyrac travaillera aux différentes rééditions de ses traductions de Pufendorf ainsi qu'à la traduc­ tion du De jure Belli ac Pacis de Grotius. Déçu du climat intellectuel lausannois il ne peut résister à l'appel que lui adresse en 1717 l'Université de Groningue pour la chaire de Droit public et de Droit privé, qu'il occupera jusqu'à sa mort en 1744. C'est à Groningue qu'il terminera par ailleurs sa traduction de Grotius (1724), qu'il publiera son Traité de la Morale des Pères de l'Eglise (l 728) et qu'il entreprendra et fera paraître enfin une traduction du Traité philosophie des lois naturelles de Cumberland (1744). 1 Cf. Droit de la Nature et des Gens, éd. 1712, préface § XXXII. 2 Traité de la Morale des Pères de l'Eglise, ch. 1/§ V. s Op. cil., Loc. cit. 4 Cf. Annotata atque exempla illustrantia in S. Pufendorfi libri II de officia hominis et civis, Bâle 1711 ad 11/11/§ V. Voir également notre travail, Le mariage dans l'Ecole allemande au1 Droit naturel moderne au XVJII• siècle, deuxième partie, ch. II, p. 255. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 41

A. Problématique générale

Proclamant sa confiance dans les lumières de la Raison et s'en tenant essentiellement à leurs données, c'est dans son approche des problèmes généraux du mariage que Barbeyrac se rapproche le plus des tendances novatrices de !'Ecole du Droit naturel de son temps. Cela ressort tout d'abord de sa détermination de la finalité de la société conjugale, qui l'amène à contester le primat exclusif de la propagation de l'espèce pour mettre en évidence la légitimité de la satisfaction de l'instinct sexuel, qui suffit à son sens à fonder la raison d'être de l'institution. Aussi significatif apparaît l'infléchissement contractualiste que trahit l'évolu­ tion de sa conception de la nature juridique du mariage, qu'il ramène progressivement au rang des autres contrats. Enfin, si elle n'est pas aussi révolutionnaire que la thèse thomasienne de la légitimité de la polyandrie en Droit naturel, sa défense de l'indifférence morale de la polygynie n'est pas moins caractéristique de son opposition à toute forme de scolastique - thomiste, scotiste ou protestante - comme à toute forme de pensée d'inspiration théologique dans le domaine du Droit naturel. a) Origine et fins du mariage. ·La doctrine propre de Barbeyrac sur l'origine et le fondement du mariage s'exprime essentiellement dans son Traité de la Morale des Pères de l'Eglise. C'est dans cette réfutation en bonne et due forme de !'Apologie de la Morale des Pères de l'Eglise du Père Ceillier 5 - qu'il conçoit comme un « supplément » aux différentes notes de ses Commen­ taires de Grotius et de Pufendorf, si ce n'est comme l'ébauche d'un système de Droit naturel 6 - que Barbeyrac expose en effet avec le plus d'ampleur ses vues sur la raison d'être de l'institution matrimo­ niale. L'occasion lui en est donnée par la constatation qu'il fait de la dépréciation du mariage qui inspire la morale patristique. « La vérité, relève-t-il, est que les Pères de l'Eglise regardaient, du moins implici-

5 Apologie de la Morale des Pères de l'Eglise contre les injustes accusa­ tions du Sr. /. Barbeyrac, Paris 1718. 6 Cf. Avertissement de la 5• éd. de la traduction du Droit de la Nature et des Gens, Amsterdam 1734 : « Ce traité, au reste, sert aussi de supplément ù plusieurs de mes notes, et j'y ai eu l'occasion de faire bien des réflexions à ma manière, sur diverses matières qui se rapportent au Droit naturel, comme sur le mariage ... » A propos de cette idée d'un système de Droit naturel, voir déjà l'avertissement de la nouvelle édition de la traduction du Droit de la Nature et des Gens, Amsterdam 1712, p. XIV : «Il pourrait bien arriver que je donnerais quelque jour à ma manière un système entier de Droit naturel ; qui non seulement pour le tour et pour la méthode, mais encore pour le fond même des choses, serait souvent assez différent du peu d'ouvrages qu'on a vu en ce genre jusqu'ici. » 42 LE MARIAGE DANS L'ECOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

tement, le désir du mariage, second ou premier, comme ayant par lui­ même quelque chose d'impur et qui tient de la corruption de notre nature ... ; une autre chose, ajoute-t-il, me paraît confirmer l'idée d'im­ pureté que les Pères concevaient dans le mariage le plus légitime, c'est que la plupart en ont borné l'usage à la propagation de l'espèce, regar­ dant comme illicite tout acte du devoir conjugal qui ne tend pas là directement 7. » L'origine de toutes ces « fausses idées » tient à son sens dans la réprobation du « simple plaisir » considéré « même dans le mariage comme une chose contraire à la loi, injuste et déraisonnable». «Voilà le nœud de l'affaire, conclut-il, on se figurait les plaisirs les plus natu­ rels comme ayant quelque chose de mauvais en eux-mêmes et la per­ mission, que Dieu donnait de les goûter, comme une espèce de tolérance et d'indulgence, à laquelle l'infirmité humaine l'avait forcé en quelque manière pour éviter un plus grand mals. » Barbeyrac ne se borne cependant pas à dénoncer les erreurs des Pères de l'Eglise et à mettre au jour leurs sources. Il tient à les réfuter par une exégèse adéquate de l'Evangile et de Saint Paul, qui l'amène à formuler une doctrine cohérente de la légitimité du mariage en accord aussi bien avec la raison qu'avec la Révélation. « Il est certain, commence-t-il par remarquer, que l'Evangile ne détruit point la Nature et qu'il n'a rien de contraire ni au bien de la Société humaine en général, ni à l'avantage des Sociétés civiles en particulier. Or la Nature a manifestement établi la différence des Sexes, afin qu'ils s'unissent ensemble pour la conservation et la multiplication du Genre humain qui, sans cela, ne pourrait subsister dans l'état de Mortalité où sont les Hommes. C'est aussi pour cela qu'elle a disposé les choses en sorte qu'il y a bien peu de gens qui soient d'une consti­ tution à ne pas sentir des désirs qui les portent à rechercher cette union ou à pouvoir aisément en être maîtres : le plus grand nombre y a tou­ jours été sensible d'une manière à être, plus ou moins, dans l'état que Saint Paul représente vivement sous l'image d'un feu qui brûle. Et delà il paraît encore, que ces désirs si communs et si forts, venant de l' Auteur même de la Nature, n'ont rien par eux-mêmes que de très légitime, quand leur satisfaction ne tendrait pas directement à la propagation de l'es­ pèce, ou qu'elle se trouverait inutile pour certains, comme il arrive quel­ quefois ou par accident ou à cause de l'âge un peu avancé. Tout ce qu'il y a, c'est qu'on doit toujours suivre ici les règles de la Raison pour prévenir les désordres et les inconvénients fâcheux qui naîtraient d'un accouplement semblable à celui des Bêtes. En un mot, il faut qu'il y ait

7 Cf. Traité de la Morale des Pères, ch. IV/§§ XXXI et XXXIII. s Op. cit., ch. IV/§ XXXIV. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 43 des Lois du Mariage, lesquelles bien observées rendent cet état honnête pour tous les Hommes ou à tous égards 9. » L'honnêteté et la nécessité du mariage, partant la légitimité de l'ins­ titution apparaissent donc fondées pour Barbeyrac dans la raison même de la différenciation des sexes voulue par le Créateur. S'il partage par là la vision téléologique de la doctrine scolastique, cette concordance est loin de s'étendre aux conclusions qu'il est permis d'en tirer sur le plan du Droit naturel quant à la détermination des fins du mariage. Tout en affirmant en effet que si « l'union des Sexes est absolument nécessaire pour la propagation du Genre humain, cette union tend aussi et doit tendre là ordinairement », le traducteur du Petit Pufendorf n'en estime pas moins « qu'il ne s'ensuit point de là que l'envie de satis­ faire le désir naturel qui forme les éguillons de l'Amour doive être telle­ ment confondu avec la propagation de l'espèce que toutes les fois que la dernière fin manque la première soit absolument illégitime » 10• A l'appui de sa thèse il cite non seulement le mariage des personnes âgées, « que l'on ne saurait prouver être par lui-même absolument mauvais » 11, mais encore l'incapacité notoire de certaines personnes à la procréation, qu'il se refuse à « condamner... à un célibat insupportable comme le voudrait en toute logique le primat de la propagation de l'espèce». Pour éviter pareille conclusion, il faut donc à son sens poser pour principe « que la satisfaction du désir dont il s'agit, aussi naturel que celui du boire et du manger, peut être innocemment recherchée en lui-même et comme le premier but que l'on se propose ; pourvu qu'on le fasse d'une manière qui ne nuise point à la société et qui surtout n'empêche pas la multiplication du genre humain, ni l'éducation commode et honnête des enfants » 12. C'est par là sans doute qu'il se distance le plus de là doctrine canonique, qui pose le primat ontologique de la propagation de l'espèce sur la satisfaction du désir sexuel, tolérée comme « remedium concupiscentiae » et toujours considérée de Saint Augustin au x1x• siècle comme un péché véniel 13. Dans sa traduction du Droit de la nature et des gens, Barbeyrac va même plus loin dans ce sens. Se référant à Wol­ laston, l'auteur de !'Ebauche de la religion naturelle 14, pour qui «la fin du mariage, c'est la propagation du genre humain et le bonheur commun des conjoints » 15, il laisse clairement entendre que tel est son

9 Op. cit., ch. VIII/§ XIII. 10 Cf. Les devoirs de l'homme et du citoyen, 5• éd., Amsterdam 1735, ad II/ Il/§ Il, n. 1. 11 Ibid. 12 1bid., in fine. 1s Cf. P. Adnès, Le Mariage, Paris-Tournai 1963, p. 122, n. 1. 14 Wollaston, Ebauche de la religion naturelle, La Haye 1726. 111 Cf. Droit de la Nature, ad Vl/l/§ IV, n. 3. 44 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL point de vue et qu'il est ravi « de pouvoir se munir d'une autorité aussi considérable » pour étayer sa conception de la finalité du mariage 16• b) Définition et nature juridique. S'il ne donne pas de définition personnelle du mariage, Barbeyrac est en ce qui concerne sa nature juridique un des auteurs les plus signi­ ficatifs du XVIII• siècle de par l'évolution qui se fait jour à cet égard dans sa pensée. Très critique à l'origine à l'égard de la conception contractualiste romaine - dont il rapproche la conception turque du « Kebin » en raison des conséquences qu'elle implique en matière de divorce et des perturbations qui en résultent pour la société 11 - il s'oriente de manière révélatrice dans les dernières éditions de ses deux traductions commentées de Pufendorf et dans sa traduction de Cumber­ land vers un consensualisme qui dominera toute sa doctrine définitive du mariage. Admettant dans la ligne de Locke et d' A. Sidney la liberté des conjoints de régler d'un commun accord la durée de leur union, pour autant qu'ils pourvoient à l'éducation de leurs enfants, Barbeyrac, loin de souligner dans sa troisième édition du Droit de la nature de Pufen­ dorf les dangereuses conséquences du divorce par consentement mutuel, corollaire de cette conception du mariage tant fustigée quelques décen­ nies plus tôt 18, en prend au contraire le contrepied pour rappeler le parallélisme des formes observées en la matière par les Romains et qui valait aussi bien pour le mariage cum manu que pour le mariage sine manu m. Il ne se borne cependant pas à ces remarques critiques : il fait sienne en effet non seulement la doctrine de l'erreur, appliquée par les Romains en matière de conclusion du mariage, qui lui paraît suivre « la simplicité du Droit de nature» 20, mais il étend encore la théorie du dol au mariage consommé, sans hésiter à battre ainsi en brèche l'insti­ tutionalisme de la tradition germano-canonique. « En vertu de quoi, remarque-t-il ainsi de manière incisive, la tromperie aurait-elle ici moins de force pour rendre l'engagement nul que dans toute autre convention ? » Et contestant de toute évidence le brocard « en mariage trompe qui peut », il renchérit au contraire, « plus l'affaire est de conséquence et moins est-on obligé de souffrir du dol de l'autre partie » 21. S'il y avait encore quelque doute possible à cet égard, l'insistance apportée par le grand Commentateur de Pufendorf à illustrer dans sa

16 Cf. op. cit., éd. 1734, ad Vljl/§ IV, n. 3. 11 Cf. op. cit., 1re éd. 1706 et 2' éd. 1712, ad Vljl/§ XIX, n. 4. Le kebin turc, auquel Barbeyrac fait allusion, était un mariage dont les parties délimitaient elles-mêmes la durée ; cf. op. cit., n. 7. 18 Op. cit., !oc. cit. 10 Cf. op. cit., 5• éd. 1734, ad VI/!/§ XX, n. 3 à 5. 20 Op. cit., ad VI/1/§ XXVI, 11. 2. 21 Op. cit., [oc. cit., n. 3. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 45 traduction du De Officio la plupart de ses commentaires sur le Droit des contrats par des exemples relevant du Droit du mariage 22, puis sa proclamation au cœur de sa traduction de Cumberland de la nature essentiellement contractuelle du mariage 23, ne permettent plus d'hésiter quant à la réduction par Barbeyrac du mariage au rang des autres contrats. L'évolution du promoteur de !'Ecole romande du Droit naturel ne fait à vrai dire ici que refléter la mutation qui s'opère chez la plupart des Commentateurs de Grotius et de Pufendorf 24. Pour lui comme pour eux il ne s'agit pas tant à vrai dire d'affirmer le consensualisme du mode de conclusion du mariage 25, qui n'a rien d'original et peut fort bien s'intégrer dans une conception institutionaliste de la société conju­ gale 20, que de l'infléchir dans un sens volontariste en soutenant la structure contractualiste du mariage.

c) Polygamie. Dans l'abondante littérature de !'Ecole du Droit naturel moderne, si Barbeyrac ne se distingue guère par sa condamnation de la polyan­ drie 27, il occupe par contre une place privilégiée parmi les tenants de la légitimité naturelle de la polygynie par l'opinion moyenne dont il se fait le reflet. Sans doute convient-il de relever là aussi, comme nous l'avons fait dans notre étude de la nature juridique du mariage, une certaine évolution dans sa pensée. Dans son Commentaire de Grotius, il affirme ainsi que la polygamie - entendue alors chez l'auteur du De jure Belli ac Pacis au seul sens de la polygynie - est « une de ces choses indifférentes de leur nature » 28, dont on ne peut dire « qu'elles soient mauvaises en elles-mêmes selon le Droit naturel » 20. Il n'est pas

22 C'est en effet essentiellement des cas de droit matrimonial que Barbeyrac prend pour exemples d'application du Droit des Obligations, que ce soit en matière d'erreur, de dol, de crainte ou de novation, cf. Droit de la Nature, ad Ill/IV(§ VII, n. 5 et Les Devoirs de l'homme et du citoyen, ad !/IX/§ XII, n. 1, § XII , n. 4 et § XV, n. 3, ainsi que !/IX/§ Il, n. l. 23 Cf. Traité philosophique des lois naturelles, ad IX/§ VI, n. 1 : «Le mariage est de sa nature un contrat. » 24 Cf. notre travail susmentionné, deuxième partie, ch. II, p. 259 ss et 306 ss. 25 Presque tous les commentateurs de Grotius et de Pufendorf admettent la nécessité d'un pactum initial. Voir notre travail susmentionné, foc. cit., p. 261, n. 51. 20 Cf. entre autres von Waldkirch, op. cit., ad II/II/§ IV ; pour un exemple de conception du mariage institution-contrat, cf. Titius, S. Pufendorfii de Officia ho minis et civis, Leipzig 1715, obs. 497/2 avec la distinction du pactum et du status. 21 Cf. Droit de la Nature, ad VI/!/§ XV, n. 3. 28 Droit de la guerre et de la paix, Il/V/§ IX, n. 10. 20 Ibid. et 1/1/§ XV, n. 3. 46 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL sür cependant que sa thèse des Lois permissives du Droit divin positif 30 et son interprétation des préceptes de l'Ancien Testament assurent en fait une assez juste réfutation des objections formées habituellement sur le plan théologique : de ce qu'il est défendu aux Rois (Deut. XVII/12) « d'avoir un trop grand nombre de femmes», il faut bien inférer pour Barbeyrac que « par là le Législateur permet tacitement et à tous les autres d'avoir plus d'une femme : sans quoi la défense serait fort super­ flue. Il faut donc conclure que la polygamie n'est pas mauvaise et illicite de sa nature» 31, Quant à ses Commentaires de Pufendorf, alors que dans ses premières éditions il ne s'arrête guère à la problématique du sujet, si ce n'est pour mentionner ou réfuter le point de vue de tel ou tel auteur 32, il prend en revanche directement position dans ses dernières éditions, en repre­ nant sa thèse de l'indifférence de la polygamie en Droit naturel 33, En fait c'est bien par cette dernière thèse que Barbeyrac se montre le plus original. Partant du principe « qu'il y a dans le Vieux Testament des choses qui supposent manifestement que Dieu permettait la polygamie » et dont « il résulte un argument invincible, auquel on n'a répondu et on ne répondra jamais... rien de plausible en suivant l'opinion de ceux qui veulent que ce soit une chose absolument mauvaise de nature» 34, il réaffirme le parti qu'il a pris dans son Commentaire de Grotius et qui lui paraît « propre à contenter tous ceux qui se payent de raison » et à le « débarrasser en même temps des difficultés infinies que l'on trouve à prouver par la nature de la chose que la polygamie soit essentielle­ ment contraire au Droit naturel », éludant en particulier «l'objection accablante que forme l'exemple des patriarches, sur quoi on n'a rien répondu de satisfaisant» 35• En considérant en effet que la polygamie

30 Op. cit., 1/1/§ XVII, n. 3. Distinguant la permission des lois humaines, qui n'emporte jamais approbation du législateur en soi, de la permission des lois divines, qui impliquent toujours une visée de perfection, il conclut notam­ ment que toute permission de la part de Dieu « est une marque certaine de son approbation pour établir que permise par Dieu dans certaines limites aux patriarches et aux rois, la polygamie ne peut être mauvaise et illicite de sa nature». 31 Ibid. 32 Ainsi ne traite-t-il guère de la polygamie dans ses premières éditions de 1707 et de 1708 du De Officio et s'il le fait dans sa première édition du De jure naturae ce n'est qu'à propos des thèses de Bayle sur les avantages de la communauté des femmes et sur les inconvénients de la polygynie. C'est à son sens « selon la destination du Créateur d'une manière digne d'une créature raisonnable et sociable » que « les hommes doivent vaquer à la propagation de leur espèce» et c'est judicieusement que la nature a mis au cœur des hommes «ce sentiment délicat de la jalousie comme un fidèle gardien de la chasteté des femmes dont plusieurs maris se seraient fort peu mis en peine» ; cf. op. cit., ad Vl/1/§ XV, n. 2, éd. 1706 (n. 3, éd. 1734). 33 Op. cit., 5• éd. 1734, ad VI/!/§ XIX, n. 1. 34 Op. cit., éd. cit.~ ad. Vljl/§ XVlIJ, n. 2. 35 Op. cit., ad VI/1/§ XIX, n. 6. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 47 - touJours entendue au sens de polygynie - n'est « pas absolument mauvaise de (sa) nature » et par conséquent « essentiellement contraire au Droit naturel » a6, il pense être à même d'éviter les extrémités aux­ quelles sont réduits ses adversaires d'imaginer soit une permission soit une dispense, soit une simple tolérance de Dieu. Si l'hypothèse d'une tolérance divine est à son sens une pure pétition de principe, celles d'une permission et d'une dispense ne lui paraissent pas seulement gratuites, mais « elles ne sauraient être admises en matière de choses contraires au Droit naturel, sans détruire l'essence du Droit et sans faire injure à la sainteté aussi bien qu'à la Sagesse de Dieu », car « c'est saper le fondement de toute moralité et faire dépendre le juste et l'injuste d'une volonté entièrement arbitraire» a1, Peu familiarisé avec les subtilités de la Scolastique, il condamne aussi comme volontariste une théorie qui cherche précisément à rendre compte de la polygamie des patriarches en restant fidèle au réalisme intellectualiste. Même la distinction opérée par les scotistes entre « les règles du Droit naturel qui découlent de la sainteté de Dieu et celles qui n'en découlent pas », qui permet sans doute à certains «de se tirer d'affaire » as, ne trouve pas grâce à ses yeux en raison du « caractère distinctif de ce qui découle de la sainteté de Dieu et de ce qui n'en découle pas », toutes les règles découlant également à son avis de par leur essence de cette sainteté a9, « La nature de l'homme sur laquelle elles sont toutes fondées demeurent toujours la même, conclut-il enfin, Dieu ne saurait dispenser d'aucune sans se contredire et se démentir 40, » En défendant la thèse de l'indifférence de la polygynie en Droit naturel, Barbeyrac se doit encore de réfuter les objections de ses adver­ saires, soit de ceux qui, comme Bayle, prétendent inférer des difficultés domestiques consécutives à l'institution son illicéité, soit de ceux qui la condamnent pour des raisons statistiques. A l'encontre de ceux qui objectent « les divisions, soit entre plusieurs femmes ou entre les enfants de chacune », Barbeyrac, sans nier qu'il s'agisse d'inconvénients justi­ fiant l'intervention des lois civiles, souligne que ces inconvénients ne sont pas absolument inévitables et qu'ils se retrouvent dans le cas des secondes noces 41• « On ne doit pas d'ailleurs juger, comme on fait de l'humeur des femmes qui vivent dans un pays où la polygamie est défendue, ajoute-t-il avec pertinence, par l'humeur de celles qui savent que le mari

36 Op. cit., ad Vljl/§ XXIV, n. 3 et Droit de la guerre et de la paix, ad 1/1/§ XVII, n. 3 de même que Les devoirs de l'homme et du citoyen, 5' éd. 1735, ad 11/11/§ VI, n. 2. 37 Cf. Droit de la Nature, ad VI/!/~ XXIV, n. 3. 38 Ibid. ; cf. à ce sujet notre travail susmentionné, première partie, ch. 1, § !, p. 32-33 SS. an Cf. Droit de la Nature, lac. cit. 40 Ibid. 41 Op. cit., ad VI/!/§ XIX, n. 1. 5 48 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

qui les épouse en a ou peut en avoir d'autres. Celles-ci supportent ainsi plus aisément un partage auxquelles elles peuvent être bien préparées et dont elles ont bien voulu courir les risques 42, » Quant aux censeurs de la polygynie, qui prétendent prouver que cette institution est illicite parce· qu'il naît plus d'hommes que de femmes 43, il faudrait que leur argumen­ tation statistique repose sur une base extrêmement large, englobant non seulement des observations constantes échelonnées sur une longue période mais encore des données provenant de tous les pays du monde, « car s'il s'en trouvait un seul où la chose allât autrement, dès là la preuve tombe puisque les fondements des lois naturelles doivent être les mêmes partout» 44. Mais précise Barbeyrac, « en supposant même le fait avéré et universel, la conséquence ne serait encore rien moins que démonstrative. Car il n'est ni vrai, ni nécessaire que tous les mâles qui naissent se marient. Il y en a qui ne s'en soucient point. Il y en a peut­ être plus que de femelles qui meurent avant que d'être en âge ou d'avoir occasion de se marier». Outre les périls auxquels les hommes sont plus exposés que les femmes, « on suppose mal à propos que tous ceux à qui il sera permis de prendre plusieurs femmes le feront. Bien des raisons les en empêchent et les en doivent empêcher pour éviter certains inconvé­ nients» 45, De cette défense de la polygamie masculine il ne faudrait cependant pas inférer des applications pratiques, qui sont fort loin de la pensée du jurisconsulte français. En affirmant l'indifférence de la polygynie à l'égard du Droit naturel, Barbeyrac entend toujours demeurer en effet un chrétien docile aux préceptes de l'Evangile et de l'Eglise. « Comme d'ailleurs elles seront toujours apparemment défendues, ainsi qu'elles le sont aujourd'hui parmi les chrétiens, ces sortes de questions, conclut-il, peuvent être regardées comme purement spéculatives et ne méritent pas; qu'on s'échauffe là-dessus 46, » Cette conclusion illustre bien la portée du débat sur la polygamie dans la première moitié du xvm• siècle 47,

B. Formation du mariage

Les différentes questions relatives à la formation du mariage, et dont la discussion occupe une place importante dans la pensée matrimoniale de !'Ecole du Droit naturel moderne, retiennent longuement l'attention de Barbeyrac, plus peut-être en ce qui concerne la moralité et la liberté

42 Ibid. 43 Op. cit., ad VI/1/§ XVIII, n. 6. 44 Ibid. 45 Ibid. 46 Cf. Les devoirs de l'homme et du citoyen, 5' éd. 1735, ad 11/11/§ VI, n. 2. 47 Voir à ce propos notre étude déjà mentionnée, deuxième partie, ch. II, p. 270, sur !'Ecole allemande du Droit naturel moderne. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 49 du mariage par rapport à la doctrine patristique de la supériorité du célibat que pour ce qui est de la problématique des conditions du mariage, à laquelle il ne s'arrête guère, si ce n'est pour traiter de la question de la nécessité du consentement des parents et de l'épineuse détermination des empêchements comme du moment et de la forme du mariage. a) Liberté du mariage. Marquant en ce qui concerne la moralité de l'institution l'indifférence morale du mariage par rapport au célibat, le traducteur français de Grotius et de Pufendorf souligne encore davantage l'absolue liberté de chacun d'embrasser l'un ou l'autre état de vie 48. L'intérêt que présente cependant sa pensée sur ce sujet - qui forme, comme nous le verrons, un des thèmes majeurs de son Traité de la Morale des Pères 49 - mérite qu'on s'y arrête. Il tient tout d'abord à la distance prise par rapport à Grotius et à la tradition canonique. Car si dans ses remarques sur « le peu de fondement de tout ce qui a été débité sur les prétendus conseils évangéliques», Barbeyrac affirme la totale indifférence morale du ma­ riage et du célibat, c'est moins pour insister sur la liberté de l'homme en pareil domaine que pour illustrer sa remise en cause du concept même de «conseil évangélique», encore présent chez Grotius et qui n'a pas de raison d'être à son sens entre l'ordre de ce qui est moralement indiffé­ rent et l'ordre du précepte. « Il est certain que, soit qu'on se marie ou qu'on ne se marie pas, on ne fait en cela ni bien, ni mal, à considérer l'action en elle-même. Comme l'état du mariage n'engage pas nécessai­ rement au vice, la vie hors du mariage n'est pas non plus un moyen infaillible pour porter à la vertu. On peut être honnête homme ou mal­ honnête homme dans l'état du mariage. On peut l'être aussi dans le célibat. L'expérience ne prouve que trop que ceux qui ont fait vœu de vivre dans le célibat ou de ne pas se marier sont tombés pour la plupart dans l'un ou dans l'autre de ces inconvénients ou qu'ils n'ont pas vécu chastement, ou qu'ils n'en n'ont pas été moins sujets à d'autres passions et à d'autres vices très indignes d'un chrétien 5o. » iLa pointe anticléricale, qui sera bien plus vive dans le Traité de la Morale des Pères et semble caractéristique de la pensée du juris­ consultP français - venu au Droit naturel par suite de l'opposition du Consistoire huguenot de Berlin à sa consécration pastorale -, ne doit pas masquer ici la rigueur de l'argumentation, qui n'a rien à envier à celle de Pufendorf dans la ligne de laquelle elle se situe indéniablement: « Quand même on serait d'un tempérament à pouvoir se passer facile­ ment du Mariage, si en vivant dans le Célibat on n'est pas pour cela

48 Droit de la guerre, ad 1/11/§ IX, n. 19. 49 Cf. ch. IV/§ VII ss et ch. Vlll/§ XV ss et XXVIII. 50 Cf. Droit de la guerre et de la paix, loc. cil. 50 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL plus utile à la Société, ni plus en état de s'acquitter de ses devoirs, il est alors tout à fait indifférent de se marier ou de ne pas se marier. Que si on a tout lieu de croire que l'on pourra mieux employer son temps et rendre plus de services au Public hors du Mariage ... on est dans ce cas indispensablement tenu de ne pas se marier, supposé qu'on se croie entièrement à l'abri des tentations de l'impureté 51. » Mais la pensée de Barbeyrac est encore plus catégorique en ce qui concerne la liberté de chacun de prendre femme à son gré. Contestant avec vigueur le droit qu'aurait selon Grotius un peuple réduit à sa seule population masculine de prendre femme chez les peuples voisins, il fait primer dans une perspective nettement individualiste la liberté de l'homme sur la nécessité de la survie du groupe social : « Il n'est pas nécessaire que tout corps de peuple soit éternel ; ni par conséquent que, pour empêcher qu'un peuple ne s'éteigne, on perde la liberté naturelle qu'on a de ne se marier qu'avec qui l'on veut, et de ne donner ses filles qu'à ceux que l'on est bien aise d'avoir pour gendre. Quelque peine qu'aient la plupart des Hommes de se passer des Femmes, ce n'est pas un de ces cas de nécessité extrême qui met en droit de forcer les autres à nous accorder ce dont nous avons besoin 52. » L'accent de sa pensée se déplace dans le Traité de la Morale des Pères de la remise en cause de la notion même de conseil évangélique à la contestation systématique de la supériorité de l'état de continence. Après avoir établi, comme nous l'avons vu, le fondement divin et la légitimité naturelle du mariage, Barbeyrac s'en prend en effet à la sain­ teté particulière « que les Pères de l'Eglise trouvent à la continence perpétuelle», pour mettre au jour « ses funestes conséquences pour la vie d'une société, si ce n'est pour le genre humain tout entier », non sans aller à l'encontre de l'individualisme de son Commentaire de Grotius. « Supposons un peuple tout composé de vrais chrétiens, qui fussent per­ suadés qu'il y a dans la continence depuis un temps, et plus encore dans fa continence perpétuelle, une sainteté particulière, qui rende les hommes plus agréable à Dieu que l'état du mariage. Ces chrétiens, comme tels, ne pourront qu'aspirer à une telle perfection. Ils le devront même contre ce que l'on suppose ... Qu'arriverait-il donc de là ? Il n'est presque pas nécessaire de le dire. Chacun voit d'abord qu'une telle société, si simple, si propre à donner exemple aux autres, s'éteindrait en peu de temps, pour avoir voulu suivre un conseil évangélique, et rechercher la perfec­ tion du chrétien 1 Si d'autres l'imitaient, elles auraient le même sort. Et ainsi, à la fin, le genre humain périrait 53. » Après l'argument démographique, c'est l'argument moral lui-même auquel recourt Barbeyrac pour mettre en doute la sainteté du célibat :

51 Ibid., in fine. 52 Les devoirs de l'homme et du citoyen, éd. cit., ad Il/li/§ XXI, n. 1. 53 Traité de la Morale des Pères, ch. VIII/§ XV. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 51 « Voyons pourtant en quoi pourrait consister cette prétendue sainteté. Ceux qui la recherchent, ou sont disposés de manière à se passer aisé­ ment du mariage ou ne sauraient s'en passer qu'avec beaucoup de peine. Quel mérite y a-t-il dans le premier cas? Et pour l'autre, c'est celui où Saint Paul ordonne expressément de se marier, parce qu'il vaut mieux le faire que de brûler. Si l'on dit que les derniers en donnant leur chair remportent une victoire qui rend l'abstinence sainte, on suppose ou l'on doit supposer, que l'usage est en lui-même mauvais. Autrement, quelle sainteté y a-t-il à se donner la gêne, pour réprimer des désirs naturels et innocents ? La vérité est que, quoique qu'on n'ose le dire, on conçoit quelque chose d'impur et de vicieux dans l'usage le plus légitime du Mariage 54. » Réfutant par ailleurs l'argument spirituel de la meilleure adéquation de l'état de continence au service de Dieu, le jurisconsulte français remarque avec la même rigueur : « Il ne sert de rien non plus de pré­ tendre que l'état de continence est plus commode pour servir Dieu que l'état du mariage. Déjà cette plus grande facilité de servir Dieu suppose des personnes qui puissent aisément se passer du mariage. Car, si elles sont d'un tempérament contraire, les combats qu'elles auront à essuyer, la peine qu'elles auront à dompter leur chair, l'incertitude du succès, balanceront pour le moins les tentations et les obstacles, auxquels le Mariage peut donner lieu 55, » Mais ces inconvénients du Mariage, s'em­ presse-t-il d'ajouter, ne sont ni une suite inséparable de cet état, ni insurmontables. Et il s'en faut bien qu'on voie en général plus de sain­ teté parmi ceux qui se dévouent au Célibat, qu'entre les gens mariés fttJ. « Si le Célibat était nécessaire à une personne, note-t-il enfin, pour rendre quelque service important à la Religion ou au Genre humain, elle serait alors bien fondée à espérer que Dieu lui accorderait le don de continence, par cela même qu'elle aurait une telle vocation ... Mais il ne s'ensuit point de là, que l'on puisse rechercher le célibat uniquement pour lui-même, et comme un degré éminent de sainteté, dans la poursuite duquel chacun indifféremment ait lieu de se promettre l'assistance d'une Grâce particulière 57, » Ultima ratio de son réquisitoire contre la doctrine du célibat des Pères de l'Eglise, Barbeyrac invoque en conclusion l'argument de fait qui lui paraît le plus décisif, avec une ironie qui n'a d'égal que son anticléricalisme : « j'ai supposé jusqu'ici, remarque-t-il en effet, que le célibat soit véritablement chaste, et que ceux qui le gardent pratiquent d'ailleurs les devoirs indispensables de tout chrétien. La fausseté de cette supposition achèvera de détruire la prétendue sainteté d'un tel état

54 Op. cit., ch. VIII/§ XVII-XVIII. 55 Op. cit., ch. VIII/§ XIX. 56 Op. cit., ch. VIII/§ XX. 57 Op. cit., ch. Vlll/§ XXIV. 52 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL par opposition à celui du mariage 58, » Citant enfin l'histoire à l'appui, il conclut catégoriquement : « Il faut être horriblement aveuglé par l'es­ prit de parti, de superstition et d'intérêt, pour s'imaginer, après une telle expérience de tant de siècles, qu'un état violent, comme l'est le célibat, puisse être l'objet d'un conseil évangélique. Ces fausses idées, pardonnables au commencement en faveur d'un zèle peu éclairé, qui ne prévoyait pas les suites, ne peuvent aujourd'hui être adoptées et sou­ tenues en dépit du sens commun 5o. » C'est donc tout à la fois au nom de l'expérience historique 60 autant que de la démographie, de la morale et de la religion que Barbeyrac conteste la supériorité du célibat, démasquant au passage son étymo­ logie fallacieuse 01, pour affirmer l'indifférence morale de l'état de conti­ nence et de l'état conjugal et assurer par là les fondements de sa doc­ trine de la liberté du mariage. b) Conditions du mariage. Barbeyrac ne pose nulle part clairement la problématique des condi­ tions du mariage. Il ne s'attache guère à cet égard qu'à certains de ses aspects, la capacité physique, le consentement des parents et les empê­ chements de parenté.

a) Capacité matrimoniale. C'est dans sa traduction commentée du Petit Putendort que Bar­ beyrac s'exprime le plus explicitement sur les conditions de capacité requises pour se marier. Avec beaucoup de nuances et conformément à sa doctrine des fins du mariage, il considère la capacité de procréer comme une condition de capacité relative. Si « les garçons et les filles avant l'âge de puberté, les eunuques, ceux et celles qui ont une confor­ mité vicieuse des organes » 62 ne lui paraissent pas avoir la capacité matrimoniale, « il n'en est pas de même à son sens des personnes sté­ riles ou qui sont dans un âge trop avancé pour pouvoir espérer de la lignée» 03. Réagissant ici contre une conception strictement natalitaire du mariage, qui subordonnerait l'envie de satisfaire l'instinct sexuel à la propagation de l'espèce, au point de juger que « toutes les fois que

58 Op. cit., ch. VIII/§ XXI. rm Ibid. oo Cf. également très net Je chapitre sur saint Ambroise, op. cit., ch. XIII/ § Il. 61 Caelebs, déformations de caelites : « sans femme », « débarrassé d'une lourde charge», signifierait selon saint Jérôme «digne du ciel » ; cf. op. cit., ch. XV/§ XXXI. 62 Les devoirs de l'homme et du citoyen, ad 11/11/§ VII, n. 1. 63 Ibid. LES FONDATEURS: BARBEYRAC 53 la dernière fin manque, la première est absolument illégitime», il se refuse à faire de l'aptitudo generandi une condition sine qua non de la capacité matrimoniale, considérant que si la fin de procréation ne peut être atteinte, la finalité générale peut toujours être remplie. Il se refuse en conséquence, même lorsque leur incapacité est connue de manière indubitable, à « condamner à un célibat insupportable ces personnes de l'un et l'autre sexe, qui dans la fleur même de leur âge sont incapables ou par quelque accident, ou par un défaut naturel, de mettre des enfants au monde, et ne laissent pas d'ailleurs de sentir les mêmes désirs que ceux qui sont le plus propres à la multiplication » 64, Si Barbeyrac ne s'attache pas aux autres éléments de la capacité matrimoniale alors traités par les représentants de !'Ecole du droit naturel moderne - l'usus rationis, l'aptitude à diriger une famille et les moyens de l'entretenir -, il s'arrête par contre dans sa traduction commentée de Grotius à la question de la nécessité du consentement des parents. Pour Barbeyrac, « le consentement des parents est une chose exté­ rieure, qui n'entre point dans l'essence des conventions du mariage, à moins que quelques lois civiles ne lui donnent cette force» 65• Le tra­ ducteur français de Grotius distingue en effet le mariage conclu sans le consentement des parents des actes juridiques fondamentalement viciés de la même manière que l'auteur du De jure Belli ac Pacis, dont il explicite ainsi la pensée : « Celui qui possède le bien d'autrui, qu'il a acquis injustement, ne fait pas mal seulement en ce qu'il l'a volé, ou qu'il s'en est emparé de quelque autre manière, mais encore en ce qu'il le retient ; de sorte que toutes les fois qu'il se sert de ce bien, qui ne lui appartient point légitimement, il commet une injustice. La turpitude est alors attachée, pour ainsi dire, à la chose même et à tout acte qu'exerce par rapport à elle le Possesseur de mauvaise foi. Mais il n'en est pas de même d'un Fils qui, étant en âge de se conduire, se marie sans le consentement de ses Parents. Il peut avoir mal fait en cela : mais du moment que le mariage est conclu et arrêté, le mal qu'il y a eu dans l'engagement ne subsiste plus, s'il n'y a rien d'ailleurs qui le rende criminel ou déshonnête m1. » Par ces propos, destinés à affirmer le caractère formaliste de l'exigence du consentement des parents pour le mariage, Barbeyrac n'entend évidemment pas remettre en cause le principe même de la déférence filiale. Cette dernière n'est nulle part plus importante à son sens qu'en ce qui regarde le mariage ; il n'en admet pas moins des exceptions, à l'instar de Pufendorf, lorsque la haine, l'avarice ou quelque autre passion anime les parents dans leurs relations

64 Ibid. 65 Cf. Droit de la guerre et de la paix, ad. IjV/§ X, n. 2 66 Ibid. 54 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL avec leurs enfants, ce qui autorise alors ces derniers à se passer du consentement parental 67.

/3) Empèchements. Partageant l'opinion de Grotius quant à la difficulté de trouver « des raisons certaines et tirées du Droit naturel pour prouver que les mariages entre parents et alliés sont illicites » 68 et recommandant pour s'en convaincre la lecture des traités et des dissertations d' Amyrault, de Velthuysen et de Thomasius 69, c'est à la loi divine positive que Bar­ beyrac, rejoignant ainsi tout un courant de !'Ecole allemande du Droit naturel du XVIII° siècle 10, juge nécessaire de s'en remettre pour trancher la question du fondement et de l'étendue des empêchements. Certain de l'accord de la Raison et de la Révélation, il n'en renonce pas pour autant à chercher à mettre en évidence la ratio Legis de ces empêchements. En ce qui concerne tout d'abord la prohibition des mariages entre ascendants et descendants, il paraît ainsi faire sienne la raison invoquée par Grotius, soit l'incompatibilité entre la déférence filiale et l'intimité conjugale 71, qui lui semble être la ratio Legis de la loi divine positive en la matière 12• Un autre argument lui paraît d'importance, c'est la fin de sociabilité du mariage déjà mise en évidence par Plutarque et par Saint Augustin ; il considère enfin qu'un impératif domestique com­ mande aussi la prohibition de telles unions. C'est ce qui ressort de son Commentaire du grand traité de Pufendorf, dans lequel il rejette l'argu­ mentation du jurisconsulte saxon fondée sur la pudeur - à son sens l'unique effet de l'éducation et de la coutume - pour souscrire à celle de Grotius relative à l'incompatibilité entre l'intimité conjugale et l'au­ torité parentale 1a.

67 Op. cit., loc. cit. et n. 8; voir aussi Les devoirs de l'homme et du citoyen ad Il/III/§ VIII, n. 1. 68 Cf. Droit de la guerre et de la paix, Il/V/§ XII. 69 Op. cil., ad Il/V/§ XII, n. 1 avec les reférences aux Considérations sur les droits par lesquels la Nature a réglé les mariages, Saumur 1648, de Moïse Amyraut et le Tractatus moralis de naturali pudore et dignitafe lwminis de Lambert Velthuysen, Rotterdam 1680, ainsi que la thèse de Thomasius, De fundamentorum definiendi causa matrimoniales hactenus receptorum in sufficientia, Halle 1698. 10 Voir notre travail susmentionné, deuxième partie, ch. Il, p. 284 ss. 11 Cf. Droit de la Nature, ad VI/!/§ XXX, n. 2. 12 Ibid. ; cf. ci-dessous, la disposition du Livre du Lévitique, c. XVIIl/v. VII. 73 Cf. Droit de la Nature, foc. cit., p• éd. 1706 : « Il semble, comme le remarque M. Leclerc, que le législateur donne à entendre cette raison, Lévit. XVIII/VII, lorsqu'il dit : Tu ne découvriras point la nudité de ton père ou de ta mère, c'est ta mère, tu ne découvriras point sa nudité. Dailleurs le mariage étant établi pour la multiplication du genre humain, il ne paraît pas conve­ nable, que l'on se marie avec une personne à qui l'on a donné la naissance ou médiatement, ou immédiatement, et que le sang rentre, pour ainsi dire, dans la source d'où il vient. Enfin il serait très dangereux qu'un père, ou une mère, ayant conçu de l'amour pour une fille ou un fils, n'abusassent de leur LES FONDATEURS : BARBEYRAC 55

Par contre l'éminent traducteur de Pufendorf se refuse catégorique­ ment à considérer les mariages consanguins entre frères et sœurs comme contraires au Droit naturel, leur nécessité à l'origine du genre humain lui paraissant « un argument invincible » 74. « Dieu lui-même ayant rendu nécessaires au commencement du monde les mariages entre frères et sœurs, précise-t-il dans son commentaire du De officio, on ne saurait les regarder comme absolument mauvais de leur nature sans changer l'es­ sence du Droit naturel » 75, Car c'est à son sens « choquer les perfections divines » que de raisonner « sur ce principe très faux et très dangereux que Dieu peut dispenser de ce qui est défendu par la loi naturelle, pour ne pas dire qu'ici la dispense aurait précédé la loi, ce qui est absurde » 76. « A plus forte raison, poursuit-il, tous les autres degrés plus éloignés n'ont-ils rien qui rendent le mariage essentiellement illi­ cite. Si les lois défendent les mariages en quelques-uns de ces degrés, c'est pour des inconvénients qui ne suivent pas nécessairement de la nature même des choses 11. » S'il se prononce ainsi nettement en ce qui concerne le fondement de la prohibition des unions entre parents en s'en tenant aux données du Lévitique, Barbeyrac ne dit rien en revanche des unions entre alliés, mais il est à présumer qu'il s'en remet en cette matière aussi à la loi divine positive. Quant à l'étendue qu'il leur reconnaît, il estime qu'il ne faut pas interpréter les dispositions légales de manière extensive « par une simple analogie » : « Comme il s'agit ici de choses qui, pour la plupart sont indifférentes en elles-mêmes, de l'aveu des Docteurs les plus rigides, le nombre des degrés expressément défendus est assez grand pour qu'il faille prendre garde de ne pas les multiplier par des conjec­ tures souvent assez minces, ce qui serait gêner mal à propos la liberté naturelle des hommes 78. » c) Forme et moment de la conclusion du mariage. Les réflexions de Barbeyrac sur la forme et le moment de la conclu­ sion du mariage sont particulièrement intéressantes, puisque le traducteur de Pufendorf n'hésite pas à prendre le contrepied de son maître et de la doctrine germano-canonique sur la portée respective du consentement et de la copulation. Alors que le jurisconsulte saxon « doute que l'on puisse traiter d'adultère une jeune fille qui, fiancée à un homme absent autorité pour satisfaire une passion criminelle, du vivant même de la femme ou du mari à qui l'enfant doit la naissance en partie. Voilà, ce me semble, tout ce que l'on peut dire pour prouver, que cette sorte d'inceste est contraire au Droit naturel, aussi bien qu'au Droit civil. » 74 Op. cit., ad VI/I/§ XXXIV, n. 1. 75 Cf. Les devoirs de l'homme et du citoyen, ad 11/11/§ VII, n. 2, 5e éd. 1735. 76 Droit de la Nature, ad VI/1/§ XXXIV, n. 1. 77 les devoirs de l'homme et du citoyen, toc. cit. 78 Droit de la guerre et de la patx, ad II/V/§ XIV, n. 1. 56 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

ou même épousée par procureur, accorderait ses faveurs à un autre avant d'être amenée à la demeure de son époux» 19, Barbeyrac décide ici « sans balancer pour l'opinion contraire» 8o, en s'inspirant visible­ ment des principes consensualistes stricts du mariage romano-canonique. A son sens en effet « selon la simplicité du Droit naturel, il suffit qu'un Homme et une Femme se soient donné la foi de Mariage, sans condition et dès à présent, pour que tous les effets du Mariage s'ensuivent » 81• Précisant encore sa pensée, le traducteur français de Pufendorf reprend l'analogie pufendorfienne du transfert de la propriété s2, pour affirmer que ce dernier s'opère par le seul consentement des parties intéressées. « La propriété passe d'une personne à l'autre, écrit-il, par le seul consen­ tement de celui qui la transfère et de celui qui la reçoit. Ainsi, du moment qu'une femme a promis à un homme de le regarder désormais comme son mari et lui a donné par conséquent un droit sur son propre corps, elle ne viole pas moins la Foi conjugale lorsqu'elle s'abandonne à quel­ que autre pendant l'absence de son Epoux que si elle le faisait dans la Maison même de celui-ci avant la consommation du Mariage 83, » Bar­ beyrac oppose en conséquence, et de manière caractéristique, le consen­ sualisme romain au réalisme germanique pour conclure : « La présence n'a pas par elle-même d'autre vertu que de mettre en état de jouir d'un droit ; et autre chose est le droit, autre chose la jouissance du droit. Cette jouissance n'est pas plus nécessaire pour acquérir le droit que pour le conserver 84, » L'insistance qu'il apporte d'ailleurs à prendre pour exemples des questions d'ordre matrimonial dans ses commentaires sur les règles du Droit naturel relatives à la propriété et au contrat du « Grand» et du «Petit Pufendorf» est nous l'avons vu assez significative 85 ; il faut toutefois relever que Barbeyrac en reste toujours à la conception tradi­ tionnelle du mariage-vente et au modèle du transfert de propriété, ce qui n'est pas sans limiter la portée de son consensualisme 86. Quant aux formalités requises pour la conclusion du mariage, il semble admettre avec Pufendorf que le Droit naturel n'en prescrit aucune et que celles qui sont en vigueur' de son temps, comme la bénédiction religieuse, ne

79 Droit de la Nature, VI/I/§ XIV, trad., 5• éd. 80 Op. cit., ad Vljl/§ XIV, n. 3. 81 Ibid. 82 Ibid. et ad IV /IX/§ VIII, n. 1. 83 Op. cit. Loc. cit. et la référence à la n. 1 ad IV /IX/§ VIII, sur l'effet translatif de ia propriété du seul accord des volontés des parties en matière de vente. 84 Op. cit., VI/!/§ XIV, n. 3. 85 Voir Droit de la Nature, III/IV/§ VII, n. 5 et IV/IX/§ VIII, n. 1, ainsi que Les devoirs de l'homme et du citoyen, ad !/IX/§ XII, n. t - § XIII, n. 4. 86 Cf. la nette consensualisation du mariage qui transparaît dans les notes 2 et ad VI/I/§ XXVI du Droit de la Nature et des Gens. LES FONüATEURS : BARBEYRAC 57 résultent que d'antiques coutumes empruntées par les chrétiens aux anciens juifs s1.

C. Effets du mariage

En ce qui concerne les effets du mariage en Droit naturel, Barbeyrac semble évoluer entre les deux grandes tendances qui se dessinent au sein de !'Ecole du Droit naturel moderne, la première ·réaffirmant la subordination naturelle des sexes en soulignant le caractère hiérarchique de la société conjugale, la seconde développant au contraire une cer­ taine conception de l'égalité des sexes en affirmant la nature égalitaire du mariage. C'est ce qui ressort directement du chemin parcouru entre ses traductions commentées de Grotius et de Pufendorf et sa traduction tardive de Cumberland. a) Nature du mariage. Alors que Barbeyrac se borne à préciser dans son Commentaire de Grotius que la domination du mari sur sa femme n'apparaît pas tant comme une peine infligée par le Créateur à la descendance d'Eve par mode de loi positive que comme un droit fondé sur la loi naturelle ss, dans son Commentaire de Pufendorf, il se montre déjà beaucoup plus réservé et, tout en admettant la primauté juridique du mari entré dans les mœurs, il remet tout de même discrètement en cause l'assimilation qu'opèrent certains de l'autorité maritale avec une espèce de souverai­ neté qui suivrait de la nature même de la société conjugale s9. Il entend en tout cas limiter strictement cette autorité aux affaires du mariage et de la famille 90. Révélatrice d'une nette évolution depuis ses premiers commentaires de Grotius et de Pufendorf, c'est en fait dans sa traduction commentée de Cumberland que sa pensée s'exprime le plus clairement. Commentant en effet l'affirmation de la subordination naturelle de la femme au mari avancée par l'auteur anglais en raison de « la plus grande force d'esprit et de corps » dont les hommes sont doués et de la plus grande contri­ bution qu'ils apportent par là au bien commun de la société conjugale Ill, il lui oppose l'opinion sensiblement différente de Maxwell, pour lequel « le vrai fondement de l'autorité que les maris ont sur leurs femmes » est de nature purement fonctionnelle. « Dans une société compoc:;ée de deux personnes, il faut nécessairement que la voix délibérative de l'une

87 Op. cit., ad. VI/!/§ XIV, n. 4. ss Droit de la guerre et de la paix, ad 1/1/§ XV, n. 3. sil Droit de la Nature, ad VI/!/§ XIII, n. 1. no Op. cil., /oc. cit. 01 Cf. Traité philosophique des lois naturelles, c. IX/§ VI. 58 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL ou de l'autre l'emporte, et comme pour l'ordinaire les hommes sont plus capables que les femmes de bien gouverner les affaires particulières, il est de la bonne politique d'établir pour règle générale que la voix de l'homme l'emportera quand les parties n'auront point fait ensemble d'accords contraires ... Mais si quelque femme persuadée qu'elle a plus de jugement et de conduite ou voyant qu'elle est d'une fortune ou d'une condition plus relevée que celle de l'homme qui la recherche en mariage, stipule le contraire de ce que porte la loi, en sorte que l'époux y consente ; elle aura, en vertu de la loi naturelle, le même pouvoir qu'a maintenant le mari selon la coutume du pays ; et je ne vois pas que l'Evangile annule un tel contrat. L'homme n'a pas toujours plus de force de corps et d'es­ prit que la femme 92. » Ayant ainsi abondamment cité le traducteur anglais de Cumberland, Barbeyrac conclut significativement : « Le tra­ ducteur anglais a raison ; et j'ai toujours été dans les mêmes idées. Le cas d'une Reine qui, étant Souveraine de son chef, épouse l'un de ses sujets, suffit pour montrer que l'autorité d'une femme sur son mari, en matière même des choses qui concernent le gouvernement de la famille n'a rien d'incompatible avec la nature du mariage ... Le mariage est de sa nature un Contrat, et ainsi sur tout ce en quoi il n'y a rien de défendu par les Lois ou naturelles ou civiles, les conventions particulières entre le mari et la femme en déterminent les droits réciproques 93. » b) Droits et devoirs des époux. Si, à la suite de Grotius et de la plupart de ses commentateurs, Bar­ beyrac semble partager dans sa traduction commentée du De jure Belli ac Pacis une conception unilatérale des droits et des devoirs des époux qui tend à attribuer, sur la base de la Genèse et sous le couvert de l'autorité maritale, plus de droits que de devoirs au mari et ne reconnaî• tre à la femme d'autres fonctions que d'obéir 94, il se montre à nouveau beaucoup plus nuancé dans son Commentaire de Cumberland, puisqu'il soutient alors que les droits réciproques des époux « sur tout ce en quoi il n'y a rien de défendu par les lois ou naturelles ou civiles » dépendent des conventions particulières qu'ils ont pu passer entre eux 95. A la différence de ses contemporains de !'Ecole allemande et de !'Ecole romande, il ne précise en conséquence pas davantage les droits et devoirs des conjoints.

92 Cf. Maxwell cité in op. cit., n. 1, ad loc. cit. 93 Ibid. 94 Droit de la guerre et de la paix, ad. I/1/§ XV, n. 3, III. 95 Traité philosophique des lois naturelles, ad IX/§ VI, n. 1. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 59

D. Dissolution du mariage

Ne s'attachant pas au mode de dissolution naturelle de la société conjugale que constitue le décès d'un des conjoints, Barbeyrac voue une attention particulière à la problématique du divorce, qu'il traite à l'instar de nombre de représentants de !'Ecole du Droit naturel dtt xv111• siècle en étroite corrélation avec celle de la polygamie. Car divorce et polygamie lui semblent être de ces « choses qui, quoi qu'elles ne soient pas abso­ lument mauvaises de leur nature, demandent beaucoup de circonspection dans leur usage, parce qu'on en abuse facilement 96 ». Mais l'argumen­ tation du grand jurisconsulte français repose en fait sur des prémisses théologiques. a) Décès. Barbeyrac ne s'arrête pas à la dissolution du mariage qui résulte du seul décès d'un des conjoints. b) Divorce. C'est en étroite relation avec la problématique de la polygamie, nous l'avons relevé, que Barbeyrac traite du divorce pour montrer que poly­ gamie et divorce sont également légitimes en Droit naturel. Puisque Dieu règle en effet dans l'Ancien Testament les modalités du divorce, comme celles de la polygamie, il faut en inférer pour Barbeyrac que l'insti­ tution n'est pas mauvaise par nature. « Lorsque Dieu, écrit-il ainsi, règle la manière d'une chose, ou qu'il fait par rapport à cette chose quelque autre règlement qui suppose nécessairement qu'elle est permise, il faut voir s'il s'agit d'un seul acte passager, ou d'une chose qui par elle-même ou par ses suites se réduise à une habitude et une pratique continuelle. Dans le dernier cas, la permission emporte toujours une véritable appro­ bation de la chose dont il s'agit comme licite par elle-même ... Lors donc qu'on voit qu'il prescrit la manière des divorces et qu'il règle certains cas qui supposent la polygamie permise comme dans le Deutéronome, ch. 21, verset 15, on a tout lieu d'inférer de cela seul que ni le divorce, ni la polygamie ne sont pas essentiellement contraires au Droit natu­ rel 97• » Quant à la théorie de l'unité de chair des époux, outre que l'expression « devenir une seule chair » qui lui sert de point de départ ne signifie rien d'autre que l'intimité de la relation des conjoints, « tout ce qu'on peut en inférer pour Barbeyrac, à l'égard du mariage, c'est qu'il ne doit pas être rompu légèrement et sans quelque bonne raison » 98•

96 Les devoirs de l'homme et du citoyeni 5• éd. 1735, ad II/Il/§ VI, n. 2. 97 Droit de la guerre et de la paix, ad /!/§ XVII, n. 3. 98 Op. cit., ad !/!/§ XV, n. 3. 60 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Bien plus, s'il est évident que la liberté des divorces est susceptible d' « entraîner à pécher contre quelque vertu», ce pour quoi les légis­ lateurs civils ont fixé des normes précises à cet égard, « on ne saurait inférer de là que la chose soit mauvaise en elle-même selon le Droit· naturel : tout ce qu'on peut dire, c'est que c'est une de ces choses indif­ férentes de leur nature, dont il est facile d'abuser, comme le jeu par exemple et plusieurs autres divertissements, dont le plus sûr est de se priver pour peu qu'on se sente de la disposition à en faire mauvais usage » o9. Rien n'est donc plus faux à son sens que la doctrine catho­ lique de l'indissolubilité du mariage, « effet de la superstition et de la tyrannie des Papes » 100. Elle ne s'explique en effet « que parce qu'on a bâti sur ce principe très faux que le mariage est un sacrement » et que « les Papes ont voulu s'approprier le jugement de toutes les causes matrimoniales sous prétexte de religion » 101. Quant aux modalités et aux causes de divorce, Barbeyrac les déter­ mine de manière étonnamment large, n'excluant pas la légitimité du divorce par consentement mutuel. Directement inspiré par Locke, dont il reprend l'argumentation, il conteste en effet que la nature de l'union conjugale exige la perpétuité et l'indissolubilité du mariage et se demande si elle n'implique pas au contraire la même liberté pour les conjoints « qu'en toute autre sorte de société et de convention » 102• « Tout ce que demandent, à son sens, la nature et le but du mariage, indépendamment des règlements de quelques lois positives ou d'un engagement particulier des mariés, c'est que cette société dure autant que le demande l'édu­ cation des enfants 103• » Le traducteur français de Pufendorf ne se pro­ nonce cependant pas explicitement en faveur du divorce par consente­ ment mutuel, qui lui semble pouvoir donner « occasion à bien des adul­ tères » 104• Il s'exprime par contre très clairement en ce qui concerne les causes de divorce. Quelque attention qu'il porte, à côté de l'adultère, à la déser­ tion malicieuse - sur le chapitre de laquelle il entend justifier « l'opinion et la pratique commune des protestants » à partir de Saint Paul et en montrant l'accord de l'Evangile et de la raison naturelle 105 - les causes admises par les Réformateurs, pour lui paraître les principales, ne lui semblent pas les seules. « Il peut y en avoir d'autres, précise-t-il dans son Commentaire du « Petit Putendort », aussi contraires à l'intention des

99 Op. cil., ad Il/V/§ IX, n. 10. 100 Droit de la Nature, 5• éd. 1734, Vljlj§ XXIII. 101 Op. cit., toc. cit., n. 6. 102 Droit de la Nature, ad VI/!/§ XX, n. 3, passage repris du Discours sur le Gouvernement d' Algernon Sydney ; voir aussi Du devoir de l'homme et du citoyen, ad 11/11/§ VI, n. 1. 1oa Les devoirs de l'!zomme et du citoyen, !oc. cit. 104 Droit de la Nature, ad VI/!/§ XX, n. 4. 1011 Op. cit., ad VI/!/§ XXI, n. 1, in fine. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 61 contractants et au but de cette société, comme si un mari a voulu empoi­ sonner sa femme ou une femme son mari ; s'il y a incompatibilité absolue d'humeur, etc. 106, » Par là, on le voit, il étend sensiblement les causes de divorce par rapport à Grotius ou à Pufendorf, rejoignant le courant dominant de !'Ecole allemande du xv111° siècle. Pour ce qui est enfin de la « séparation de corps et de biens qui laisse subsister le lien du mariage», semblant souscrire au jugement de Pufendorf à son égard, qui la tient pour « une absurdité », Barbeyrac se borne à relever, « qu'elle est aussi inconnue dans l'ancien droit romain, quoique les canonistes modernes aient prétendu l'y trouver» 101 •

c) Les secondes noces. La question de la légitimité des secondes noces, qui forme l'un des thèmes principaux du Traité de la Morale des Pères de l'Eglise, «cons­ titue l'un des chevaux de bataille de la pensée matrimoniale de Bar­ beyrac et de sa polémique contre les Apologistes des Pères de l'Eglise, qui recommandaient de s'en abstenir. Les secondes noces sont en fait typiquement pour lui une de ces institutions « qui ne sont ni bonnes, ni mauvaises de leur nature » 1os. S'il y revient à plusieurs reprises dans son Traité sur la Morale des Pères, c'est essentiellement pour dénoncer les erreurs et les excès de zèle de ta doctrine patristique en la matière. « La plupart des devoirs dont l'Evangile exige l'observation » lui apparaissant les mêmes que ceux qui peuvent être connus de chacun par tes seules lumières de la raison et la religion chrétienne ne faisant à son sens que « suppléer au peu d'attention des hommes » 100, les règles des Pères de l'Eglise lui semblent dans leur majeure partie abusives, et au premier rang d'entre elles il compte celle de ta condamnation des secondes noces. C'est ainsi qu'il se met en peine de réfuter la qualification « d'honnête adultère» qu' Athénagoras réserve au remariage des veufs ou des veuves 110, se demandant non sans ironie « comment une société et une société de cette nature, qui consiste en des engagements purement personnels, peut sub­ sister entre un vivant et un mort» 111. « Que le nœud du mariage soit indissoluble, tant qu'on voudra, comme on le suppose selon les faux principes du Droit canon, qui n'excepte même pas le cas d'adultère ; cette indissolubilité ne fournit aucun fondement raisonnable de comparer

106 Les devoirs de l'homme et du citoyen, ad 11/11/§ VI, n. 2. 101 Droit de la Nature, ad Vif!/§ XXII, n. 2. 1os Droit de la guerre et de la paix, ad I/11/§ IX, n. 19. 100 Traité de la Morale des Pères, ch. I/§ V. 110 Op. cit., ch. IV/§ VI. 111 Op. cil., ch. IV/~ VIII. Dans le même sens voir la réfutation de l'exal­ tation par saint Ambroise de l'état de viduité, op. cil., ch. XIII/§ VI et celle de la condamnation du remariage par saint Jérôme, ch. XV/§ 1. 62 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL un homme qui se remarie après la mort de sa femme à celui qui en prendrait une autre, du vivant de la première. Dans le premier cas le nœud indissoluble s'évanouit de lui-même ... II n'y a plus de lien, du moment que l'une ou l'autre des deux choses liées est détruite ou séparée. L'engagement du mariage entre deux personnes mortelles, ne saurait s'étendre au-delà de la mort de l'une ou de l'autre 112. » Cherchant à mettre au jour les sources des principes fallacieux des Pères de l'Eglise en ce domaine, il croit les trouver dans leur entêtement « de la sainteté imaginaire d'une continence ou perpétuelle ou après le mariage ou avant le mariage» us, pour dénoncer l'imputation générale d'incontinence à l'égard de ceux qui se remarient. « L'esprit d'inconti­ nence, remarque-t-il, n'est pas toujours, mais seulement pour l'ordinaire le motif qui porte à se remarier. Et cependant, on supposait toujours ce motif dans ceux qui contractaient des secondes noces, puisqu'on impo­ sait la pénitence à tous les bigames sans distinction 114 , » Allant plus loin, il remet en cause le principe même de l'imputation d'incontinence, estimant « qu'on devra plutôt l'attribuer à ceux qui aiment mieux s'ex­ poser aux tentations de la chair, hors d'un mariage honnête, que de s'y engager de nouveau». «Celui qui veut se remarier, poursuit-il, ou peut s'en passer ou non. S'il ne peut s'en passer, faute d'avoir le don de continence, il est dans le cas où l' Apôtre lui permet non seulement mais lui ordonne de se remarier. Or je demande, quel est le plus grand nom­ bre, de ceux qui ont ce don, ou de ceux qui ne l'ont pas ? On doit tomber d'accord, que c'est des premiers, puisque c'est l'esprit d'incontinence qui porte pour l'ordinaire à s'engager plusieurs fois dans le mariage. Ainsi, bien loin de déclamer contre les secondes noces en général, il faudrait plutôt les recommander, si on suivait le précepte de Saint Paul et le génie de l'Evangile 115, » Concluant sur ce sujet, il insiste judicieuse­ ment : « Il n'y a pas de milieu. Ou i! faut dire que l'on fait mal en ne se passant pas de satisfaire un désir innocent de lui-même, ou il faut regar­ der comme mauvais de sa nature le désir qui porte à se remarier. Le premier est faux et absurde. Car il suffit au contraire qu'un désir soit innocent en soi, pour qu'on puisse le satisfaire ou ne pas le satisfaire, comme on le juge à propos, en se tenant dans les justes bornes jusqu'où il demeure tel. Que l'on puisse s'en passer aisément, ou non, cela ne rend pas la satisfaction moins légitime. Or le désir qui porte à se remarier est le même qui a porté à se marier pour la première fois : l'un et l'autre vient également du fond de la constitution naturelle des hommes, sage­ ment établie par le Créateur pour la conservation du genre humain 116, »

112 Op. cit., ch. IV/§ X. m Op. cit., ch. IV/§ XXII. 114 Op. cit., ch. IV/§ XXVII. 115 Op. cit., ch. IV/§ XXX. 116 Op. cit., loc. cit. LES FONDATEURS : BARBEYRAC 63

C'est donc encore une fois au mépris des Pères pour le mariage que Barbeyrac s'en prend à travers leur condamnation des secondes noces et par là c'est à leur vision mystique qu'il se heurte, dominée par une perspective eschatologique, qui se situe aux antipodes de l'esprit de progrès du Siècle des Lumières. Il ne pouvait en aller autrement, rien n'étant plus étranger à une époque centrée sur la construction de la Cité des hommes que l'exaltation de l'état de continence orienté vers l'avènement de la Cité de Dieu. En ceci Barbeyrac est bien l'homme de son temps.

CONCLUSION

Homme de son temps, Barbeyrac ne l'est pas seulement par sa convic­ tion de la valeur morale du mariage dans la société civile. Il l'est surtout par la doctrine qu'il développe de la société conjugale en Droit naturel et qui tend à battre en brèche le dogmatisme scolastique de la finalité, de l'unicité, du hiérarchisme et de l'indissolubilité du mariage. Proche de Thomasius plus que de Pufendorf par son ouverture d'esprit et par l'évolution de sa pensée de l'une à l'autre de ses traductions ou de leurs éditions successives vers des positions plus avancées, qui l'amènent à rejoindre celles des plus novateurs des représentants de !'Ecole du Droit naturel moderne, il domine toute !'Ecole romande du Droit naturel par la hardiesse de ses thèses, dont il nous reste maintenant à rappeler l'orientation générale. Toute la pensée matrimoniale de Barbeyrac est caractérisée par la réduction progressive du mariage du rang d'institution hiérarchique et indissoluble d'essence monogamique, exclusivement ordonnée à la pro­ pagation de l'espèce, au rang de simple contrat de société, aux condi­ tions et aux effets librement déterminés par les parties et ordonné aussi bien à leur bonheur qu'à la procréation d'une descendance. Par là Bar­ beyrac reflète en définitive la mutation générale qui s'opère dans la pensée de !'Ecole du Droit naturel moderne sur le mariage. Tout d'abord très critique à l'encontre de la conception contractua­ liste du mariage et partisan de la primauté maritale comme d'une donnée de la loi naturelle dans une perspective très proche de celle de Grotius, dont il partage par ailleurs les thèses en matière de polygamie et de divorce - considérés comme « indifférents de leur nature » -, il ne tarde pas en effet à rallier le contractualisme matrimonial de Locke et de Thomasius et la conception pufendorfienne de l'égalité naturelle des sexes. Avec une cohérence qui le distinguera du pionnier de l'Aufklarung, il développe ainsi dans ses dernières éditions de ses traductions de Pufen­ dorf et dans sa traduction de Cumberland une doctrine contractualiste du mariage qui ramène la société conjugale à un simple contrat, dont les effets et la durée dépendent de la seule volonté des parties. Laissant 6 64 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL par là aux nupturients la liberté d'organiser leur communauté de vie comme ils l'entendent, jusqu'à la polygamie, il juge purement fonction­ nelle en Droit naturel l'autorité maritale ; estimant que c'est aux époux eux-mêmes à fixer qui aura voix prépondérante dans les affaires du ménage, il en infère aussi que ce sont les conventions qu'ils ont pu passer entre eux qui déterminent leurs droits et devoirs réciproques. Il n'est pas en fait jusqu'à la durée du mariage qui ne résulte à son sens de leur commun accord, pour autant qu'ils pourvoient à l'éducation de leurs enfants. Dans cette optique, il n'y a pas à s'étonner de la doctrine extrêmement large que Barbeyrac est finalement amené à défendre en matière de divorce. Convaincu du fondement évangélique de l'institution, séduit en Droit naturel par la théorie romaine du parallélisme des formes en la matière, n'excluant pas en conséquence le divorce par consentement mutuel, il étend en tout cas notablement le champ des causes de divorce, allant jusqu'à admettre la légitimité de l'incompatibilité d'humeur. Telle qu'elle prend ainsi forme dans ses derniers ouvrages, la pensée de Barbeyrac sur le mariage apparaît singulièrement novatrice, se situant dans la ligne du courant thomasien de !'Ecole allemande du Droit naturel du XVIII" siècle. Elle ne fera cependant pas école en Suisse romande, maîtres et disciples de la « science nouvelle» à Genève comme à Neu­ châtel se montrant plus modérés que le professeur huguenot de Lausanne et de Groningue. C'est ce que nous allons voir dans les chapitres suivants avec l'étude du mariage dans la pensée de jean-Jacques Burlamaqui et d'Emer de Vattel, comme dans celle des autres représentants de la philo­ sophie juridique vaudoise. CHAPITRE II

LE MARIAGE EN DROIT NATUREL DANS LA PENSÉE DE JEAN-JACQUES BURLAMAQUI

INTRODUCTION

« Disciple fidèle sinon servile de Pufendorf», n'hésitant pas en fait à lui emprunter jusqu'à sa méthode d'exposition, Burlamaqui *, on l'a remarqué non sans sévérité, « accepte tous les principaux points de la

* Sur jean-Jacques Burlamaqui et son œuvre, cf. l'ouvrage classique de B. Gagnebin, Burlamaqui et le Droit naturel, Genève 1944. Né en 1694 à Genève, d'une famille du Refuge italien, d'origine lucquoise, J.-J. Burlamaqui fait de brillantes études au Collège, puis à l'Académie de Calvin, se consacrant successivement à la philosophie et à la jurisprudence. Devenu avocat en 1716, il ne tarde pas à marquer sa préférence pour la doctrine et pour l'enseigne­ ment. C'est ainsi qu'il donne des leçons privées aux fils de familles comme aux jeunes nobles étrangers soucieux de recevoir une formation juridique. Le succès de cet enseignement privé, qui coïncide avec la requête d'un certain nombre d'étudiants allemands en vue de l'introduction de cours de Droit naturel et de Droit public à !'Académie, amène Burlamaqui à s'orienter vers la carrière universitaire. Dans cette perspective il sollicite et obtient en 1720 la fonction et le titre de professeur honoraire. Après un voyage et un séjour en Angleterre et aux Pays-Bas (1720-1721), notamment auprès de Barbeyrac à Groningue, Burlamaqui est nommé en 1723 avec Jean Cramer « professeur en Droit naturel et civil » ; à ce titre il enseigne alternativement le Droit naturel selon le De Ofticio Hominis et Civis de Pufendorf et le Droit romain suivant les Institutes, cependant que Cramer se voue plus directement à l'en­ seignement des Pandectes. Nommé membre du Conseil des Deux-Cents pen­ dant son séjour en Angleterre, puis du Conseil des Soixante en 1730, il par­ ticipe aussi à la vie politique de la cité et apparaît mêlé aux troubles de 1734 puisqu'il est chargé de rapporter avec Pierre Mussard, Michel Lullin de Châ• teauvieux et Jean-Louis Du Pan sur les Représentations des Citoyens et Bourgeois. Interrompu par un bref séjour en 1735 à la Cour du Landgrave de Hesse-Cassel pour l'éducation du jeune prince Frédéric son élève, l'ensei­ gnement de Burlamaqui à !'Auditoire de Droit se poursuit .iusqu'en 1739, date à laquelle il demande sa décharge pour raison de santé et obtient son rempla­ cement par l'avocat Pierre Lullin qui lui succédera officiellement en 1740. Retiré de la vie académique, Burlamaqui acceptera cependant après plusieurs refus une élection au Petit Conseil en 1742 ; il y siègera jusqu'à sa mort en 1748. Essentiellement posthume, son œuvre comprend surtout deux grands traités : les Principes du Droit naturel, qu'il a publiés lui-même en 1747, et 66 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL doctrine de son Maître » 1. Si le propos mérite d'être nuancé pour ce qui e8t de sa théorie des fondements du Droit, où les influences thoma­ siennes et wolffiennes sont nettement perceptibles 2, il est pleinement justifié en ce qui concerne son approche du mariage, puisque c'est à l'instar de l'auteur du De Officio Hominis et Civis qu'il distingue dans ses Principes du Droit naturel les « états primitifs et originaires où l'homme se trouve placé par la main même de Dieu et indépendamment d'aucun fait humain » a et les « éfots accessoires ou adventifs, da11s lesquels il se trouve placé par son propre fait et en conséquenre des établissements dont il est l'auteur» 4• C'est sous la même inspiration qu'il présente la famille et l'union par laquelle elle commence, le mariage, commP « les premiers états accessoires » 5. C'est enfin aussi à la suite de Pufendorf qu'il considère la société conjugale comme étant «sans contredit la base et le fondement de toutes les autres » et la famille qui la continue, comme « la société la plus naturelle et la plus ancienne de toutes et le fondement de la Société nationale » a. Cette dépendance à l'égard de Pufendorf se retrouve, ainsi que nous allons le voir, tout au long de l'exposé de sa pensée matrimoniale.

les Principes du Droit politique, publiés par Jacob Vernet en 1751 à partir des manuscrits que Burlamaqui relisait peu avant sa mort, de ses notes et des cahiers de cours qui circulaient alors parmi les étudiants. A ces traités s'ajoutent la Lettre sur le Mariage à Mylord Kilmorey, éditée par Jacob Vernes en 1760 dans son Choix littéraire, les Principes du Droit de la Nature et des Gens avec la Suite du Droit de la Nature qui n'avait point encore paru, publiés par de Félice à Yverdon en 8 volumes de 1766 à 1768, d'après les notes de cours de Burlamaqui, et les Eléments du broit naturel, parus en 1775 à Lausanne, sui­ vant les notes et un résumé inédit des Principes du Droit naturel de Burla­ maqui lui-même. 1 P.L. Léon, Le problème du Contrat Social chez Rousseau, APD 1935, 3/4, p. 179-180. Voir dans ce sens la Préface de l'éditeur des Eléments du Droit naturel, Lausanne 1775, p. XVII, qui, se référant aux sources de Burla­ maqui - Grotius, Pufendorf et Barbeyrac - relève : « Pour le fond et l'en­ semble des choses on n'y trouve presque rien qui ne soit dans ces trois auteurs. En général, il a suivi la marche de l'abrégé de Pufendorf. » 2 Cf. Principes du Droit naturel, Genève 1747, !/ch. V/§ X et II/IV/§ 1 quant à la définition du Droit et aux caractères des premiers principes du Droit naturel dans la ligne de Thomasius ; et Il/V /§i VI quant au principe d'obligation de la loi naturelle dans la ligne de Wolff. Cf. notre introduction générale, p. 26-30 ci-dessus. a Op. cit., ljch. IV/§ II. 4 Op. cit., l/ch. IV/§ VI. li Ibid. a Lettre sur le Mariage à Mylord [(ilmorey, in Choix littéraire, publié par J. Vernes, Genève 1760, vol. 24, p. 123. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 67

A. Problématique générale

Profondément marqué par la lecture du jurisconsulte saxon, c'est comme lui, en s'en tenant à la seule raison naturelle, que Burlamaqui aborde les différents problèmes posés par le mariage. Face à l'insuffisance des preuves tirées du consentement des nations, des philosophes ou des mœurs, et face à l'obscurité entretenue par les principes et les hypothèses des ecclésiastiques 1 - « surtout ceux de la communion romaine» précise-t-il s - il n'entend écouter que la nature seule. « C'est le guide, écrit-il dans sa lettre sur le mariage, que je me propose de suivre, c'est dans cette source que je veux chercher à décou­ vrir quelle est la nature de cette société si naturelle à l'homme et que nous appelons le mariage, quelle est sa destination et sa principale fin n. » Pour cette recherche, Burlamaqui se propose d'examiner à la lumière de la seule raison « quelle est la constitution de l'homme à cet égard, quelles sont ses inclinations, ses penchants naturels, s'ils doivent être subordonnés à quelque règle supérieure et, si cela est, quelle est cette règle» 10. a) Origine et fins du mariage. La première chose qui frappe Burlamaqui dans la nature humaine est « cette inclination générale et universellement répandue chez tous les hommes pour les plaisirs de l'amour» 11. Naturelle à l'homme, indé­ pendante de sa volonté, cette inclination est pour lui « une suite néces­ saire de sa constitution » 12. Elle résulte en effet de la diversité des sexes et de la coïncidence des causes de la conservation de la vie de l'espèce avec celles des mouvements nous portant vers l'amour et le plaisir 1s.

7 Eléments du Droit naturel, III• P./ch. XIII/§ I, 1°)-3°) ; cf. Dissertatio juri­ dica de matrimonio de J.R. Tronchin, Genève 1731, cap. If§ IV-VI. s Eléments du Droit naturel, Loc. cit. ; cf. Diss. cit., Loc. cit, § VI. 9 Lettre sur le mariage, in op. cit., p. 127. 10 Ibid. Il précise dans la Dissertatio juridica de matrimonio, qui sera publiée dans les Eléments du Droit naturel, que c'est parce que « le mariage considéré en lui-même est un acte civil que c'est par des principes tirés de la nature même de ce contrat et du rapport qu'il a à la société humaine, qu'il faut décider les questions particulières qui le concernent. » Les véritables principes régissant le mariage sont donc à tirer par la Raison de la nature de la société conjugale, laquelle se révèle avant tout par sa destination et par sa fin. 11 Eléments du Droit naturel, p. 246 ; cf. diss. cit. cap. sec. § X et Lettre sur le mariage in op. cit., p. 128. 12 Lettre sur le mariage, Loc. cit. 1s Ibid. 68 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Face à la vivacité de cette inclination, qui porte aux plus grandes extrémités et peut engendrer les pires désordres, Burlamaqui, qui s'atta­ chera longuement à la justifier 14, se refusant à l'envisager comme une imperfection ou un vice de la nature humaine et ne la tenant « au pis aller que pour une chose indifférente » 15, ne manque pas de s'interroger sur les règles qui la régissent. Répondant à ceux qui se demandent « comment assujettir à quelque règle fixe et déterminée un penchant également naturel et violent et des désirs dont le charme séduisant et enchanteur a tant de force » et s'il ne « serait pas bien naturel de penser que ce penchant et ces désirs doivent se servir de règles à eux-mêmes» 16, il rappelle judicieusement la subordination naturelle des instincts à la raison, qui caractérise la spécificité de la constitution naturelle de l'homme, animal raisonnable 11. « Si l'homme était un pur animal, qu'on ne reconnîtt en lui aucun prin­ cipe supérieur et plus noble que l'instinct, on pourrait alors assurer avec raison que l'instinct serait la seule règle qu'il devrait suivre et qu'il se tiendrait lieu de loi à soi-même ; mais puisque nous trouvons dans l'homme un principe de direction plus relevé et supérieur à l'instinct, ne sommes-nous pas en droit de conclure que ce principe doit être la règle universelle de ses mouvements ? 18 » Proclamant alors que « les penchants de l'homme aux plaisirs de l'amour doivent toujours être subordonnés à la raison comme une règle que l'homme ne peut jamais abandonner sans courir le risque de se perdre» 19, il reconnaît cependant que «ce n'est pas assez ... de faire sentir à l'homme qu'il doit en toute chose suivre la raison comme une règle générale et universelle .. ., il faut de plus tâcher de le faire convenir des règles mêmes que la raison lui donne» 20. Pour découvrir les règles prescrites par la raison naturelle en la 'matière, « il n'y a qu'à faire attention au but que Dieu s'est proposé en formant l'homme susceptible des plaisirs de l'amour » 21• Cherchant ainsi « quel a été le but de l' Auteur de la nature lorsqu'il a donné à l'homme cette inclination naturelle et cet instinct » 22, il pense tout d'abord que « son but principal a été de pourvoir à la conservation du genre humain» 23• Reprenant ici l'argumentation de Pufendorf, il prête à la

14 Cf. Lettre sur le mariage, p. 143-149, 111 Op. cit., p. 129. 16 Ibid., p. 132. 11 Ibid. et Eléments du Droit naturel, p. 246 ; cf. également diss. cit., !oc. cit., §§ XIII-XIV. 18 Cf. Lettre sur le mariage, p. 133. 10 Op. cit., p. 135. 20 Ibid. 21 Eléments du Droit Naturel, p. 246 ; cf. diss. cil., toc. cit., § XIII. 22 Lettre sur le mariage, p. 135-136. 23 Ibid. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 69 Providence divine, le souci de remédier de la sorte aux conséquences de la Chute. « La fin principale que la Providence s'est proposée, écrit-il ainsi, c'est sans doute la conservation du genre humain ; l'homme étant par sa nature assujetti à la mort, il aurait fallu nécessairement ou que Dieu créât tous les jours de nouveaux hommes, ou que le genre humain pérît avec la première génération, s'il n'avait pas établi un moyen de réparer les pertes de la société 24. » « Car les Enfants, précise-t-il par ailleurs, en perpétuant les Familles, entretiennent la Société humaine et réparent les Brèches que la mort y fait chaque jour 25• » Non sans un certain lyrisme, il ne cache pas ici son admiration pour l'œuvre du Créateur. C'est l'endroit, souligne-t-il, « où les richesses de la nature se développent avec la plus noble profusion ; ses ressources à cet égard sont inépuisables et infinies ; les individus périssent tous les jours par mille accidents, l'espèce est immortelle, tel est le système de la nature : l'homme entre pour sa part dans cet ordre universellement établi, mais c'est avec des modifications qui lui sont particulières, et qui sont une suite nécessaire de sa condition naturelle » 26. Si la propagation de l'espèce apparaît comme le grand but poursuivi par le Créateur dans la sexuation de la nature humaine, il s'en faut de beaucoup que la satisfaction de l'instinct de procréation soit la seule règle que la raison indique à l'homme en ce domaine. « Ce n'est pas tout encore», précise Burlamaqui en s'inspirant cette fois-ci autant de Tho­ masius que de Pufendorf, « le but de Dieu n'est pas seulement que l'homme travaille à la multiplication du genre humain, mais il veut encore qu'il s'applique à cet ouvrage important d'une manière qui soit digne d'un être raisonnable et sociable et qui pourvoye surtout à l'intérêt de<; enfants» 21. Dans la poursuite et la réalisation de la fin de procréation, rien ne lui paraît en effet davantage « disconvenir à la nature d'un être raisonnable et intelligent que de s'abandonner aveuglément aux mouve­ ments de la nature et de céder aux désordres des plaisirs» 28 ; il n'y a pas que le corps de chacun qui soit ici en jeu, il y a la société, « hau­ tement intéressée par le sort que l'homme réserve à sa descendance, le bonheur ou le malheur des sociétés dépendant de l'attention ou de la négligence des hommes dans la conservation et la perfection des nou­ velles créatures à la conception desquels ils ont concouru » 29. En insistant sur la spécificité des règles qui régissent la propagation du genre humain, Burlamaqui 1ire toutes les conséquences du principe

24 Eléments du Droit naturel, p. 246 : cf. diss. cit., toc. cit., § XV. 25 Principes du Droit naturel, IjlV/§ VI. 26 Lettre sur le mariage, p. 136-137. 27 Eléments du Droit naturel, toc. cit. et Lettre sur le mariage, p. 137 ; cf. également diss. cit., Loc. cit., § XV. 28 Lettre sur le mariage. Ibid. 29 Op. cit., Loc. cit. ; cf. Eléments du Droit naturel, p. 247 et diss. cit., Loc. cit., §§ XVI-XX. 70 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL de sociabilité mis en évidence en ce domaine par Pufendorf et par Tho­ masius. Si c'est à une procréation raisonnable et sociable que l'homme est appelé dans le mariage, il faut nécessairement en conclure à son sens « que l'on ne doit pas considérer le mariage simplement comme une société qui se termine uniquement à l'union de deux personnes de dif­ férent sexe, pour leur avantage particulier ou pour leur plaisir ; mais qu'il faut au contraire l'envisager comme une société relative et pour ainsi dire préparatoire à la société paternelle et à la famille» ao. Allant encore plus loin en constatant combien les pères de famille nombreuse «tiennent à la société par beaucoup plus de liens», il n'hésite pas à s'assurer « que la constitution naturelle de l'homme par rapport aux plaisirs de l'amour renferme en elle-même comme les premières semences de la sociabilité» 31. Rien n'est en conclusion plus étranger à Burlamaqui qu'une concep­ tion étroitement individualiste de la société conjugale, qui ne tienne comptP ni de l'ordre de la création, ni des impératifs de la vie en socièté. Ainsi qu'il le dit lui-même, « le mariage est non seulement comme la pépinière du genre humain, mais il dispose encore à la sociabilité>.' 32. Cette conviction du rôle social du mariage ressort également de sa défi­ nition et de son approche de la nature juridique de la société conjugale. b) Définition et nature juridique. Posant pour postulat à la suite de Thomasius que « toute société renferme l'union de plusieurs personnes pour une même fin» 33, Burta­ maqui définit le mariage comme « la société d'un homme et d'une femme qui se promettent un amour mutuel dans la vue d'avoir des enfants, de les nourrir, de les élever d'une manière conforme à la nature de l'homme et au bien de la société » 34. Très large et englobant les éléments essentiels de la société conju­ gale, cette définition est précisée dans les Eléments du Droit naturel à partir de la thèse de Tronchin. Le mariage y est alors défini comme « la société d'un homme et d'une femme qui s'engagent à s'aimer, à se secourir et qui se promettent réciproquement leurs faveurs dans la vue d'avoir des enfants, de les élever d'une manière convenable à la nature de l'homme, à l'avantage de la famille et au bien de la société» a5.

30 Eléments du Droit naturel, p. 248, de même que Lettre sur le mariage, p. 139 ; cf. diss. cil., Loc. cit., § XXI. 31 Lettre sur le mariage, p. 150. 32 Ibid. La qualification de «pépinière du genre humain» est empruntée à la traduction de Barbeyrac du De officia de Pufendorf (11/11/§ 1). 33 Lettre sur le mariage, p. 139. Voir aussi Thomasius, lnstitutiones juris­ prudentiae divinae, I/1/§ 91. 34 Lettre sur le mariage, p. 138. 85 Eléments du Droit naturel, p. 248 ; cf. diss. cil., Loc. ctf., § XXI. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 71

En guise de commentaire, Burlamaqui ajoute : « Comme toute société renferme l'union de plusieurs personnes pour leur avantage commun, la raison veut que l'on pourvoye ici autant qu'il est possible au bien de tous en général et de chacun en particulier 36 ». « C'est que la règle, ajoute-t-il, que la nature et la raison veulent que l'homme suive par rapport aux plaisirs de l'Amour et du Mariage, doit être prise de l'avan­ tage du Père, de la Mfre et des Enfants 37. » Si c'est bien pour « l'utilité comhinée » de ces personnes et en dernier ressort pour celle de la société en général que le mariage est conçu, c'est elle à son sens qui « doit servir de premier principe et de règle fondamentale aux époux » 38. C'est ce que nous verrons plus attentivement au chapitre des effets du mariage en étudiant les droits et les devoirs des conjoints. Il nous reste à exa­ miner maintenant la conception que Burlamaqui se fait de la nature juridique du mariage. Pour le jurisconsulte et professeur de Genève, comme pour Pufendorf, le mariage est à la fois « contrat» et «institution ». A son avis en effet «on peut considérer le mariage sous des vues différentes ; savoir, ou simplement comme un contrat, une société ; ou bien comme une société qui a pour but le bonheur commun des conjoints, la propagation de l'es­ pèce et l'éducation de~ enfants » 39. Que le mariage ait tout d'abord la nature d'un contrat ressort en fait de la définition même qu'il en donne : celle d'une société d'un homme et d'une femme s'unissant pour une fin donnée 4o. Mais la nature juri­ dique du mariage ne se réduit pas pour autant à celle d'une conventwn commune à tous les types de société. Le mariage est en effet pour Burlamaqui une société particulière, inscrite dans l'ordre de la Création : « Si l'on envisage le mariage comme une société qui a pour but prin­ cipal la propagation de l'espèce, cette société, souligne-t-il ainsi, exige alors plusieurs choses qui sont une suite des fins pour laquelle elle est établie 41• » Parmi ces « requisita » Burlamaqui compte non seulement la capacité d'avoir des enfants, mais encore la fidélité exclusive de la femme et sa sujétion à l'autorité du mari, dans une perspective hiérar­ chique sur laquelle nous reviendrons à propos de la nature propre de la société conjugale 42• Tous ces éléments, requis par la finalité objective ·du manage et soustraits à la volonté des parties, nous apparaissent comme constitutifs d'une «institution». Il nous semble dès lors difficile de dénier tout caractère institutionnel à la pensée matrimoniale de Burla-

36 Ibid. s1 lettre sur le mariage, p. 139. 38 Ibid. 30 Cf. Eléments du Droit naturel, p. 252-253 ; cf. diss. cit., Il/§ XXXV. 40 Cf. lettre sur le mariage, p. 138. 41 Eléments du Droit naturel, loc. cit. ; cf. diss. cit., IV/§ XXXVII. 42 Ibid. 72 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

maqui, qui se situe par là, une fois de plus, dans le sillage de Pufen­ dorf 43 •

c) La question de la polygamie. Distinguant, sans les nommer spécifiquement, polyandrie et poly­ g,vnie, Burlamaqui, à l'instar de la plupart des jurisconsultes de l'Ecole du Droit naturel moderne, juge différemment ces deux types de poly­ gamie. Comme Barbeyrac, il condamne tout d'abord sans appel la polyan­ drie. A son sens en effet « rien n'est plus contraire aux lois naturelles et aux principes qui doivent nous servir de règles que cette espèce de polygamie, par laquelle une femme aurait en même temps plusieurs maris» 44 • Cela tient tout simplement à «la confusion » et au « dés­ ordre » qui pourraient en résulter. Le professeur de Genève, qui traite de la question à propos de la fidélité exclusive que la femme est tenue de promettre à son mari, laisse clairement entendre par là que c'est l'incertitude de la paternité qui lui paraît l'argument décisif. Son jugement est plus nuancé en ce qui concerne la pnlygynie. Se demandant ce qu'on « doit penser de la polygamie proprement ainsi nommée et qui consiste à avoir plusieurs femmes en même temps » et si « elle est absolument contraire aux lois naturelles » 45, il répond sans ambages « que cette espèce de polygamie n'a pas tous les inconvénients de la première et que même il ne paraît pas à parler à la rigueur que ce soit une chose absolument mauvaise de sa nature, ni que l'on puisse prouver qu'elle soit absolument contraire au Droit naturel » 46. Par sa condamnation de ta polyandrie comme par son appréciation nuancée de la polygynie, Burlamaqui se fait te reflet des thèses de Pufen­ dorf. Il n'est pas jusque dans sa proclamation de ta supériorité de ta monogamie, sur laquelle se terminent ses considérations en la matière, où il ne se révèle le compilateur du jurisconsulte saxon. « Tout bien considéré», s'exclame-t-il en effet en reprenant en substance les termes de l'auteur du De Jure Naturae et Gentium, « la monogamie est sans contredit l'espèce de mariage la meilleure et la plus parfaite, celle qui convient le mieux au mari, à la femme et aux enfants, au bien des familles et à celui de la société » 47. Il ne se borne cependant pas à affir­ mer « que la monogamie est selon le Droit naturel, l'état de société conjugale le plus parfait», il en tire encore la conséquence que «c'est

43 Sur cet aspect de la pensée matrimoniale de Pufendorf, voir notre livre Le mariage dans l'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVII/• siècle, Paris l 972, Il' partie, ch. l, p. 226. 44 Eléments du Droit naturel, p. 254 ; cf. diss. cit., V12°1§ XXXVIII. 45 Eléments du Droit naturel, p. 255 ; cf. diss. cil., Vlf/4°/§ XL. 46 Eléments du Droit naturel, Loc. cil. ; cf. diss. cil., /oc. cit., § XLI. 47 Ibid. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 73 bien conformément au Droit que cet état est prescrit par les lois civi­ les >i 48,

B. Formation du mariage

Considérant le mariage à la fois comme contrat et comme institution, c'est dans cette double perspective que Burlamaqui aborde les pro­ blèmes que pose sa formation. Comme toute convention, le mariage impliquera ainsi pour lui certaines conditions communes aux autres contrats. Comme institution, il impliquera des conditions spécifiques. S'il ne fait pas de doute que Burlamaqui pose par là comme il se doit la problématique des conditions du mariage, il laisse cependant dans l'ombre les questions de la forme et du moment de sa conclusion qui retenaient encore l'attention de Barbeyrac. Il s'arr·ête par contre au pro­ blème de la liberté du mariage pour adopter une position judicieusement nuancée sur les traces de Pufendorf. a) Liberté du mariage. En ce qui concerne la liberté de se marier, reconnaissant que l'in­ tention du Créateur est la conservation du genre humain par la propa­ gation de l'espèce, Bnrlamaqui admet bien une obligation générale de l'humanité au mariage 49. Il se refuse cependant à conclure de cette obligation générale de tous les hommes une obligation de chacun en particulier. « En effet, remarque-t-il dans sa thèse sur le mariage, les vues de la Providence ne sont pas seulement que les hommes se multi­ plient ; il faut de plus que cette multiplication se fasse d'une manière qui tourne à l'avantage du père et de la mère, au bien des enfants et à celui de la société ; et pour cela il est nécessaire que les hommes fas­ sent attention à plusieurs choses, comme s'ils ont quelque inclination pour le mariage, s'ils sont en état de nourrir et d'élever les enfants, etc. En un mot, c'est ici une affaire de prudence 50, » Convaincu que le mariage est plus bénéfique à la société par les liens qu'il établit entre ses membres et que la force d'un Etat dépend du nombre de ses habitants, l'auteur des Principes du Droit naturel n'en affirme pas pour autant l'illégitimité du célibat ; respectueux de la liberté de chacun, il admet en effet la légitimité du célibat à la condition qu'il ne soit pas une occasion de débauche 51,

48 Cf. Corollaire n• VI à la thèse d'habilitation de 1723 publiée en fac­ similé in Borgeaud, Histoire de l'Université de Genève, t. i, L'Académie de Calvin, Genève 1900, p. 515. 49 Cf. diss. cit., cap. III/§ XXVIII. 50 Cf. Eléments du Droit naturel, p. 251 ; cf. diss. cil., cap. Ill/§ XXIX-XXX. 51 Op. cil., loc. cit., § XXXI-XXXIII. 74 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL b) Conditions du mariage. Dans son examen des conditions du mariage, Burlamaqui distingue à la suite de Pufendorf des conditions psychologiques, communes à tou­ tes les conventions, et des conditions physiologiques, propres à la société conjugale. Les unes et les autres nous paraissent ressortir à des condi­ tions de capacité qu'il est permis d'envisager sous le couvert de la capacité matrimoniale. Il faut en dissocier les conditions relatives à l'absence d'empêchements, que Burlamaqui n'aborde que sommairement et dans un tout autre contexte. a) Capacité matrimoniale. Comme toute autre convention le mariage exige tout d'abord pour Burlamaqui des conditions psychologiques. Il implique en effet « que tous ceux qui le contractent ayent l'usage de la raison et qu'ils y don­ nent leur consentement avec connaissance de cause, dans une entière liberté » 52, Il faut par conséquent que ce consentement soit «exempt d'erreur, de surprise et de violence» 5a. Ordonné à la propagation de l'espèce, le mariage requiert surtout une condition physiologique : l'aptitude à procréer. Il est donc « néces­ saire que les parties contractantes soyent en âge de puberté, c'est-à-dire capables d'avoir des enfants » 54. Catégorique en la matière, Burlamaqui laisse par contre assez curieusement ouverte la question de la capacité matrimoniale des femmes stériles, des castrats et des personnes âgées, qui fait pourtant l'objet de toute une casuistique chez nombre de ses contemporains. En ce qui concerne enfin la nécessité du consentement des parents, Burlamaqui estime que l'âge nubile ne dispense pas de le solliciter. Extrêmement net à cet égard, le jurisconsulte de Genève considère que c'est en raison du respect et des égards qu'ils doivent à leurs parents que les enfants « ne doivent pas sortir de la famille sans leur consentement, surtout quand ils veulent se marier. Le mariage d'un enfant, souligne-t-il, dans les termes de Barbeyrac, est non seulement une affaire très importante en elle-même, mais encore c'est une chose qui par ses conséquences intéresse toute la famille. Il est donc du devoir d'un enfant de ne se marier qu'avec l'approbation de ses parents, prin­ cipalement s'il exige d'eux dans cette occasion qu'ils lui fassent part de leurs biens ; mais d'un autre côté un père ne doit pas, par l'effet d'une humeur bourrue ou capricieuse, refuser son consentement à un enfant 1 qui a de bonnes raisons de sortir de la famille, soit pour se marier convenablement, soit pour quelque autre sujet » 55, Quant aux mariages contractés sans ce consentement, comme Barbeyrac, il ne les

52 Eléments du Droit naturel, p, 252-253 ; cf. diss. cil., cap. III/1°/§ XXXV. 53 Ibid. 54 0 p. cit. cap. IIl/1 •/§ XXXVII ; voir Eléments du Droit naturel, p. 253. 55 Eléments du Droit naturel, p. 271-272; diss. cit., § LXV. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 75 tient pas pour nuls, dès lors que les enfants ont atteint l'âge requis pour s'engager valablement. C'est donc en définitive en fonction de la seule piété filiale que les enfants doivent requérir le consentement de leurs parents pour se marier. /3) Empêchements. C'est au terme des considérations sur le mariage de ses Eléments du Droit naturel que Burlamaqui traite des prohibitions de parenté et d'al­ liance. A ceux qui se demandent « pourquoi les mariages entre ceux qui sont parents ou alliés à certains degrés sont regardés non seulement comme déshonnêtes et illicites, mais encore comme entièrement nuls, si cela est de droit naturel ou seulement de droit positif», il répond « que si on veut bien faire attention à ce que demandent le bien des familles, l'avantage de la société et les règles de l'honnêteté et de la modération, on trouvera qu'on ne manque pas de raisons pour faire voir que le Droit naturel défend ces sortes de mariages, du moins entre les pères et mères et leurs enfants et entre les frères et les sœurs » 56, Ces raisons sont d'ordre fort différent. Tout d'abord il ne voit « aucune bonne raison pour autoriser ces mariages nullement néces­ saires» ü7. Ensuite ces mariages lui «paraissent avoir en eux-mêmes quelque chose de contraire à l'honnêteté, soit parce que la familiarité que produit naturellement le mariage entre deux époux paraît naturel­ lement tout à fait incompatible avec le respect que doivent les enfants à ceux de qui ils tiennent la vie, soit principalement parce que si ces mariages étaient permis la grande familiarité qui règne entre les enfants d'une même famille ouvrirait la porte à mille désordres et que l'on ver­ rait bientôt disparaître la pudeur et la modestie, qui servent pour ainsi dire de frein à la décence et qui font la plus grande sftreté de la vertu » 58• Enfin, il considère qu' « il est sans contredit du bien de l'Etat que les hommes prennent des femmes hors de leur propre famille, afin que par des alliances dans les familles étrangères les liaisons et les amitiés s'étendent autant qu'il est possihle et que, plusieurs familles n'en for­ mant pour ainsi dire qu'une, il y ait plus d'union entre les citoyens et qu'ils soient plus disposés à se secourir les uns les autres » 59. Ne voyant donc en conclusion pas de raison aux unions entre parents et enfants ou entre frères et sœurs, il les tient pour contraires à l'hon­ nêteté, d'une part à cause de l'incompatibilité existant entre la fami­ liarité des époux et le respect dû aux parents, d'autre part à cause des risques de licence entre frères et sœurs. Enfin, convaincu que l'exogamie est dans l'intérêt de l'Etat de par les liens qu'elle entraîne entre ses

iso Eléments du Droit naturel, p. 260 ; cf. diss. cil., cap. III/§§ LXI-LXIV. 57 Ibid. 58 Ibid. ISO Ibid. 76 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL membres, il juge que les mariages consanguins sont interdits par le Droit naturel. c) Forme et moment de la conclusion du mariage. Ne se prononçant pas quant au moment de la conclusion du mariage, Burlamaqui se borne à relever quant à sa forme que « le mariage consi­ déré en lui-même est un acte civil » et qu'il « n'a pas un rapport direct à la religion» 60. Il ne spécifie cependant pas quelles formalités, ni quelles solennités doivent accompagner sa conclusion.

C. Effets du mariage

Burlamaqui aborde l'étude des effets personnels du mariage dans son examen des traits spécifiques du mariage comme institution. C'est à cet égard dans une perspective tributaire de Grotius et de Pufen­ dorf qu'il définit la situation juridique des époux et l'étendue de leurs droits et de leurs devoirs. a) Nature de la société conjugale. A la fois contrat et institution, le mariage se présente chez Burla­ maqui comme une «société inégale». Les traits spécifiques de l'insti­ tution qu'il discerne dans la société conjugale tiennent à son sens en effet à la position privilégiée du mari et à la situation de sujétion qui en découle pour l'épouse. Car c'est « une condition essentiellement néces­ saire au mariage pour Burlamaqui, que la femme promette à l'homme qui l'épouse une entière fidélité et qu'elle n'accordera qu'à lui seul l'usage de son corps » n1• Et c'est pour lui « une conséquence de ce que l'on vient de dire qu'une femme s'engage à être toujours avec son mari, à vivre avec lui dans une société très étroite et à ne faire qu'une même famille» 62• «Ce sont là, conclut-il, les vrais fondements de l'autorité du mari sur la femme 63. » Admettant ainsi le principe de l'autorité maritale dans toute son étendue, partant le caractère hiérarchique de la société conjugale, c'est naturellement, à l'instar de Grotius et de Pufendorf, de manière assez unilatérale que Burlamaqui détermine les droits et les devoirs des conjoints.

60 Eléments du Droit naturel, p. 243 ; cf. diss. cit., cap. 1/§ VI. 61 Eléments du Droit naturel, p. 253 ; cf. diss. cit., cap. V/2° /§ XXXVIII. 62 Eléments du Droit naturel, !oc. cit.; cf. diss. cil., cap. VI/3°/§ XXXIX. 63 Op. cit., Loc. cit. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 77

b) Droits et devoirs des conjoints. Posant pour principe que la certitude de la paternité est nécessaire à la propagation de l'espèce, partant qu'un homme qui se marie doit pouvoir être certain que les enfants qui naîtront de son mariage seront bien de lui, Burlamaqui tient pour le premier et le plus fondamental des devoirs de l'épouse une fidélité excessive de toute autre relation avec des tiers. L'épouse est donc tenue de vivre dans la société la plus étroite qui soit avec son mari, ce dernier étant libre de fixer où il l'entend le domi­ cile 64• Inconditionnel pour l'épouse, le devoir de fidélité et de vie com­ mune n'incombe pas au mari de la même manière. Il n'est ainsi pas contraire au Droit naturel pour Burlamaqui que le mari ait plusieurs femmes en même temps. II ne fait cependant pas de doute à son sens que la monogamie soit « l'espèce de mariage la meilleure, celle qui convient le mieux au mari,. à la femme et aux enfants, au bien des familles et à celui de la société » 65. Si, par là, le jurisconsulte genevois marque bien qu'il tient pour préférable l'égalité des devoirs de fidélité et de vie commune au sein de la société conjugale, son insistance sur les prérogatives du mari, en droit d'avoir des enfants qui soient de lui, de veiller en conséquence sur la chasteté de sa femme et de fixer dès lors d'ordre de la vie domestique, à commencer par le domicile, témoigne à l'évidence de sa conception hiérarchique du mariage, à l'opposé des thèses que défendent à la même époque les représentants de !'Ecole wolffienne 00.

D. Dissolution du mariage

Comme Grotius et Pufendorf, Burlamaqui ne s'arrête pas au mode le plus naturel de dissolution du mariage, le décès d'un des conjoints. La problématique du divorce, qu'il entend au sens le plus large, retient par contre toute son attention dès sa thèse d'habilitation de 1723. Il s'attachera successivement ainsi au principe de la légitimité du divorce et à ses causes. C'est dans le même contexte qu'il traitera de la question de la séparation de corps et des secondes noces.

a) Décès du conjoint. Le mode normal de dissolution du mariage - la mort d'un des conjoints - ne suscite pas l'intérêt de Burlamaqui, qui ne le mentionne même pas.

64 Eléments du Droit naturel, p. 253 ; cf. diss. cit., cap. Vl/3°/§ XXIX. 65 Eléments du Droit naturel, p. 255 ; cf. diss. cit., cap. VIl/4° /§§ XL-XLII. 66 Sur les thèses de !'Ecole Wolffienne à cet égard voir notre étude sus- mentionnée, II• partie, Ch. IV, § I, p. 393 ss et § 2, p. 406 ss. 78 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL b) Divorce. Définissant dans sa thèse d'habilitation le divorce comme « la sépa­ ration des époux, accordée par le juge compétent pour une cause définie et opérée avec l'intention de ne pas reprendre la vie commune» 67, Bur­ lamaqui, qui distingue le divorce proprement dit, qui dissout le lien matrimonial 68, du divorce improprement dit, la séparation de corps, qui laisse subsister le lien conjugal 69, se pose clairement la question de principe de la dissolubilité du mariage en Droit naturel. Il se demande en effet explicitement « si, par le Droit naturel tout seul, le mariage est une société indissoluble et qui doive durer autant que la vie ou bien si le divorce est permis » 10. Compte tenu de la prépondérance des éléments institutionnels dans le mariage, il conclut assez vite « qu'en suivant les principes ... posés, la nature et la fin du mariage font voir que cette société doit être de quel­ que durée» n. Ce qui frappe en particulier et lui paraît déterminant, c'est l'obligation des parents d'assurer de concert l'éducation de leurs enfants jusqu'à leur maturité 12. Est-ce à dire pour autant que sitôt cette éducation terminée le mariage soit dissoluble? Burlamaqui en doute, « car il n'y a guère d'apparence, note-t-il, qu'un homme et une femme qui auraient vécu ensemble jusqu'à ce que tous leurs enfants fussent élevés voulussent se prévaloir de la liberté de se séparer, quand même on la leur accorderait» 1s. Il renonce cependant à se prononcer sur le principe même de l'in­ dissolubilité formelle de la société conjugale. Cette réserve ne l'empêche pas de traiter des causes de divorce. « Supposez que le mariage soit par lui-même une société perpétuelle, il peut survenir des cas qui autorisent le divorce, relève-t-il ainsi non sans paradoxe 74, pour aborder alors, dans un curieux renversement de point de vue, la société conjugale sous l'angle contractuel : «Toutes les sociétés ont cela de commun qu'elles sont fondées sur certaines conditions essentielles et que l'obligation de l'une des parties est relative à celle de l'autre, tellement que si l'une

67 Cf. Positiones juridicae de divortiis et repudiis, positio prima : « Divor­ tium est separatio conjugum animo non redmtegrandi matrimonii facfa ... causa cognifa et a competente judtce concessa » cité in Bor~eaud, op. cit., Loc. cil. 68 Cf. op. cit., positio lll. : « Divortium ... proprtum, illud est quo ipsum conjugii vinculum solvitur. » 69 Op. cit., positio /\/ : « (divortium) improprium, quo vinculo manente a tltoro vel a mensa vel ab utroque sil separatio », cité in Borgeaud, op. cit., foc. cit. 10 Eléments du Droit naturel, p. 256 ; cf. diss. cit., cap. Vlll/5° /§§ XLIV- XLV. 71 0 p. cit., foc. cit. 12 Ibid. 73 Eléments du Droit naturel, p. 257-258 ; cf. diss. cit., foc. cit. 74 Eléments du Droit naturel, p. 258 ; cf. diss. cil., cap. IX/6° /§ XLVII. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 79 manque aux engagements essentiels du contrat, l'autre se trouve en liberté 15• » Considérant que « ces maximes ont aussi leur application dans le mariage » 16, il estime dès lors que toutes les violations d'un des élé­ ments essentiels de la société conjugale sont des causes légitimes de divorce et dont chacun des conjoints est en droit de se prévaloir 11. 11 l'entend de manière relativement large : « Premièrement, puisque le but du mariage est non seulement de vivre ensemble, mais encore d'avoir des enfants, il s'ensuit que par le Droit naturel la désertion malicieuse du mari ou de la femme, un refus opiniâtre du devoir conjugal et l'im­ puissance sont des légitimes causes de divorce. Après cela, comme nous avons vu ci-dessus que c'est une chose essentielle au mariage que la femme promette une entière fidélité à son mari, il suit de là que l'adul­ tère est encore une juste cause du divorce. » Enfin, « à prendre la chose à la rigueur du Droit naturel, une violation énorme de ses engagements produite par une manière d'agir insupportable ou par une incompati­ bilité d'humeur désespérée et que rien ne peut corriger, serait encore un sujet suffisant de divorce » 78, Si Burlamaqui n'hésite pas à étendre ainsi les causes de divorce et s'il va jusqu'à reconnaître « qu'un Magistrat chrétien pourrait, sans rien faire en cela de contraire à l'Evangile, en admettre quelques autres, comme serait par exemple une condamnation à mort ou un bannissement perpétuel pour quelque crime capital » 79, il n'en est pas moins conscient des dangers que la multiplication des divorces peut faire courir à la société. « Il est tout à fait de l'intérêt de la société, note-t-il ainsi, que l'on mette des bornes étroites à la liberté du divorce ... c'est ce que demande l'avantage des enfants, la tranquillité et le bonheur de la société. » « L'on sent assez, conclut-il avec pertinence, combien les enfants pourraient souffrir si l'on accordait une trop grande liberté aux hommes là-dessus et combien cela contribuerait à augmenter le désordre et la licence 80, » Ayant à l'esprit l'exemple des peuples qui se sont corrompus en tolérant une trop grande liberté des divorces, il voue dès lors une atten­ tion particulière à l'institution de la séparation de corps, qu'il est loin de condamner comme Pufendorf et certains de ses Commentateurs.

75 Ibid. 76 Ibid. 77 Cf. Positiones juridicae de divorfiis et repttdiis, positio XII : «Par jus est utrique conjugum in divortii causis ex moribus. » 78 Eléments du Droit naturel, p. 258 ; cf. diss. cit., !oc. cit., § XLIX. 79 Eléments du Droit naturel, p. 260 ; voir le corollaire VII de la thèse d'habilitation de 1723 relatif à la légitimité du divorce en Droit naturel en cas de condamnation à la peine capitale ; cf. aussi diss. cit., Loc. cit., § LX. 80 Eléments du Droit naturel, p. 260 ; cf. diss. cit., Loc. cit., § Lli. 7 80 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Tenant l'institution pour conforme au Droit naturel, il compte même au nombre de ses causes légitimes :

0 « l ) la trop grande cruauté du mari, 2°) la dilapidation par le mari des biens de l'épouse, 3°) l'insolence intolérable de l'épouse et 4°) l'inimitié irréconciliable des époux 81 , » L'un des premiers à réhabiliter la séparation de corps au sein de !'Ecole du Droit naturel moderne, il se pourrait bien qu'il fût par là à l'origine de l'introduction de l'institution dans l'ancien Droit genevois, qui l'ignorait jusqu'au xvm• siècle 82, c) Secondes noces. Burlamaqui ne traite de la question des secondes noces que dans le cadre des effets du divorce. Pour lui, la dissolution du mariage a pour conséquence de rendre aux époux leur liberté. Si la partie innocente peut se remarier sans autre, le mari immédiatement, l'épouse après un délai d'un an, il n'en va pas de même pour la partie coupable, qui ne peut en règle générale contracter de nouveau mariage 83,

CONCLUSION

A travers ses œuvres les plus diverses, de sa thèse d'habilitation à sa Lettre sur le mariage à Mylord Kilmorey et de ses cours de Droit naturel, dont les Eléments du Droit naturel nous restituent la teneur, à son traité des Principes du Droit naturel, la pensée matrimoniale de Burlamaqui, nettement plus conservatrice que celle de Barbeyrac, appa­ raît fortement tributaire de celle de Pufendorf. Même si elle en atténue

81 Positiones juridicae de divortiis et repudiis, Positio X., cité in Borgeaud, op. cil., Loc. cil. 82 Cf. Les études sommaires mais révélatrices de Ch. Dubois-Melly, De la désertion malicieuse et de l'adultère, de la séparation conjugale et du divorce sous l'ancienne législation genevoise, Genève 1889, et d'Alfred Martin, Exposé de l'ancienne législation genevoise sur le Mariage, Genève 1891 ; voir aussi à et propos notre article : Alfred Martin et l'histoire du Droit genevois, in Semaine judiciaire, n• 23/1968, p. 386, et, sur l'évolution générale du divorce et a problématique de la séparation, plus récemment, les Mémoires de licence en histoire de Mlle A. de Kalbermatten, Le divorce à Genève dans !a première moitié du XVIII' siècle, Genève 1972, et surtout de M.B. Sonnaillon, Etude des Jivorces à Genève dans la seconde moitié du XVIII• siècle, Genève 1975, Archives d'Etat de Genève, Ms. hist. 252, notamment p. 62-65. 83 Positiones juridicae de divortiis et repudii, Positio XI., cité in Borgeaud, op. cit., Loc. cit. LES FONDATEURS : BURLAMAQUI 81 parfois les aspects les plus novateurs, elle en partage le caractère média­ teur entre l'institutionalisme traditionnel et te conventionalisme moderne. C'est ce qui ressort avec évidence de la conception que se fait Burla­ maqui de ta nature juridique du mariage, à ta fois institution et contrat, et des conséquences qu'il en tire dans sa détermination des effets du mariage et dans son approche de ta problématique du divorce. Insistant à l'instar de Pufendorf sur l'insertion du mariage dans l'ordre objectif de l'œuvre du Créateur, décidé à remédier aux consé­ quences de ta Chute et à mettre au cœur de l'homme « les premières semences de la sociabilité», Burtamaqui, fidèle en cela à la perspective ta plus traditionaliste en la matière, en déduit tous les principes qui s'imposent de ce fait aux époux et auxquels ces derniers ne sauraient se soustraire. S'il ne donne pas à cet égard dans le natalitarisme des scolastiques en reconnaissant pour seule fin légitime du mariage la pro­ pagation de l'espèce, il n'en voit pas moins là te but principal de ta société conjugale. Mais cette propagation est pour lui subordonnée aux règles de ta sociabilité. Or celle-ci commande l'exogamie. Tout le sys­ tème des empêchements au mariage repose dès lors chez Burtamaqui sur ta nécessité d'étendre les tiens entre les citoyens et de renforcer par là l'unité de l'Etat. · .La raison naturelle se trouve ainsi fournir en dernière analyse les fondements les plus sûrs du Droit naturel en ce domaine. Créatures raisonnables et sociables, c'est donc en respectant l'ordre de la Création et les impératifs de la vie en société que leur indique la raison, que tes êtres humains doivent s'unir, et non dans la perspective individua­ liste et égoïste de leurs seuls intérêts personnels. Mais il y a plus. Orien­ tée vers la procréation et l'éducation des enfants, ta société conjugale présente naturellement au jurisconsulte genevois ta structure hiérarchique d'une société inégale. Nécessaire pour garantir l'éducation des enfants, la certitude de la paternité ne peut être assurée à son sens que par ta sujétion unilatérale de l'épouse à son mari. C'est là pour Burlamaqui une condition essentielle au mariage. Il s'ensuit une conception tout aussi unilatérale des droits et des devoirs des conjoints, qui contraste singu­ lièrement non seulement avec celles que défendent à la même époque les disciples de Wolff en Allemagne, mais aussi avec la philosophie sociale de base qui inspire la pensée de Pufendorf lui-même, soucieux de souligner, nous l'avons relevé ailleurs B4, l'égalité foncière de nature de l'homme et de la femme, quelles que soient tes modifications conven­ tionnelles qui peuvent lui être apportées dans l'état de société. Traditionaliste par sa conception réaliste objective de l'origine, de la finalité, de ta nature juridique et de ta structure hiérarchique de ta société conjugale, Burlamaqui se montre plus novateur dans son appro-

84 Cf. notre livre cité, Le mariage dans l'Ecole altemande .. ., p. 242-243. 82 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL che de la dissolution du mariage. Tout en maintenant le caractère sui generis de la société conjugale et en mettant en doute la dissolubilité du mariage une fois atteinte sa finalité de procréation et d'éducation, il admet cependant sans restriction par un curieux renversement de pers­ pective de l'institutionalisme au conventionalisme, que si des conditions essentielles du mariage viennent à être violées, comme en toute autre société la partie lésée se trouve libérée de ses engagements. Interprétant ce principe de la façon la plus extensive, il va ainsi jusqu'à reconnaître dans une manière d'agir insupportable ou une incompatibilité d'humeur irrémédiable une cause légitime de divorce en Droit naturel. Par là, il se trouve paradoxalement rejoindre les plus novateurs des Commenta­ teurs de Grotius et de Pufendorf et des disciples de Wolff. Il s'en faut cependant de beaucoup qu'il rallie le courant thomasien en admettant la libre dissolution du mariage par simple consentement mutuel. Fidèle à l'avertissement de Pufendorf, il demeure en effet conscient des risques que présente la liberté du divorce pour la société et c'est pour éviter de donner dans cette impasse qu'il se fait l'un des premiers dans !'Ecole du Droit naturel moderne, si marquée par ses préventions contre les institutions du Droit canonique, le promoteur de la séparation de corps, lorsque surviennent entre les époux des dissensions qui ne procèdent pas de la violation d'une des conditions essentielles du mariage et ne sont par conséquent pas suffisamment graves pour justifier un divorce. Par là sa pensée matrimoniale révèle une fois de plus son caractère médiateur entre les solutions extrêmes des tenants de l'institutionalisme et des pré­ curseurs du contractualisme révolutionnaire. DEUXIÈME PARTIE

DISCIPLES ET VULGARISATEURS

CHAPITRE 1

LE MARIAGE EN DROIT NATUREL DANS LA PENSÉE D'EMER DE VATTEL

INTRODUCTION

Vattel*, adepte de Wolff dans ses lettres et œuvres philosophiques 1, se distance de lui en matière juridique, s'affirmant, à l'instar de Bar­ beyrac 'face à Grotius, plus ami de la vérité que de l'autorité de son maître. C'est tout particulièrement vrai en matière de Droit du mariage, où sa pensée s'éloigne nettement sur certains points de la pensée wolf-

* Pour la bibliographie et l'œuvre de Vattel (1714-1767), cf. les études citées d'E. Béguelin et de j.-j. Manz. Rappelons ici qu'Emer de Vattel voit le jour en 1714 à Couvet (Neuchâtel) où son père exerce le saint ministère. Destiné lui-même à la théologie, il commence ses études universitaires à Bâle en 1728. l~hangeant d'orientation, il les poursuit à Genève, dès 1733, en se vouant à la philosophie et au Droit naturel, vraisemblablement à l'école de Burlamaqui. C'est alors qu'il s'engage dans la défense de la philosophie de Leibnitz et de Wolff comme en témoignent ses articles dans le Mercure Suisse ( 1737) et sa Défense du système leibnitzien (1714) dédié à Frédéric II, qui venait alors de rappeler Wolff à Halle. En dépit du succès de cet ouvrage, Vattel ne trouve pas à Berlin où il se rend les hautes fonctions auxquelles il aspirait. Il gagne alors Dresde sur l'invitation du comte Henri de Bruhl (1743), puis rentre à Neuchâtel où il attend jusqu'en 1746 de la Cour de Saxe la réponse à ses espérances. Il y travaille parallèlement aux différentes études philosophiques et juridiques de son Loisir philosophique (Dresde 1747), prenant à nouveau position pour Leibnitz et Wolff contre Barbeyrac et Pufendorf dans la question du fondement du Droit naturel et du premier principe de sa force obligatoire. Retourné à Dresde en 1746 pour y embrasser une carrière diplomatique, il y est nommé Ministre-résident de Frédéric-Auguste, Roi de Pologne et Prince­ Electeur de Saxe, auprès de la République de Berne. Ce poste ne le chargeant guère, il ne tarde pas à revenir s'établir à Neuchâtel, où il poursuit son activité littéraire et scientifique publiant successivement Poliergie - ou Mélange de littérature et de poésie - (Amsterdam 1757), son Droit des Gens ou Principes de la Loi naturelle appliqués à la Conduite des Nations et des Souverains (3 volumes, Londres-Neuchâtel 1758), de nouveaux Mélanges de littérature, de morale et de politique (Neuchâtel 1760), enfin ses Questions de Droit naturel et Observations sur le Traité du Droit de la Nature de M. le Baron de Wolff (Berne 1762), véritable petit commentaire du fus Naturae de Christian Wolff. Son Droit des Gens lui assure assez rapidement une solide réputation qui explique son rappel à Dresde et sa promotion au rang de conseiller privé 86 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL fienne, marquant à maints égards, comme dans la problématique de l'égalité des sexes, un recul par rapport aux conquêtes des pionniers de l' Aufklarung et revêtant à d'autres points de vue une étonnante moder­ nité, comme dans sa conception psychologique du lien conjugal. Son indépendance se traduit surtout dans son approche de la problématique générale du mariage ; en ce domaine, il ne ménage pas en effet ses critiques à l'égard de Wolff, avec une pertinence qui emporte souvent l'adhésion.

A. Problématique générale

C'est certainement dans les questions relatives à l'origine, à la fina­ lité et aux différentes formes du mariage (polygamie, monogamie) que Vattel se montre le plus critique à l'égard de Wolff, en dépit de l'admi­ ration qu'il lui voue pour les lumières qu'il a reçues de sa philosophie 2. Décidé à mettre en relief, selon une méthode analytique dont il n'ignore pas les inconvénients 3 , mais dont il use avec le plus de rigueur possible, les inconséquences et les paralogismes de l'auteur du fus Naturae me­ thodo scienfifica pertractatum, il s'en prend en particulier à la doctrine wolffienne des fins du mariage et à celle de la légitimité exclusive de la monogamie. a) Origine et fins du mariage. S'il ne disconvient pas avec Wolff que c'est la volonté de Dieu d'as­ surer la propagation du genre humain qui est à l'origine du mariage, Vattel conteste cependant la démonstration que Wolff en fait, en lui

du Prince-Electeur de Saxe chargé des affaires étrangères (1760). S'il vit alors la période la plus active de sa vie, sa faible constitution s'en ressent bientôt et il meurt lors d'un de ses séjours de convalescence à Neuchâtel à la fin de 1767. 1 Cf. les Réflexions en réponse aux Remarques du Professeur Bessonnet ( = sur le premier article de la Bibliothèque germanique, tome XXXVI, concer­ nant M. Wolff, paru en juillet 1737), in Mercure Suisse, septembre 1737, p. 63 ss ; dans le même sens, voir la Défense du système leibnitzien, Leyde 1741, et !'Essai sur le fondement du Droit naturel et sur le premier Principe de l'obligation où se trouvent tous les hommes d'en observer la loi, in loisir philosophique, Genève 1747, 1, notamment §§ 6-21 avec la référence au principe de perfection que l'on retrouve dans les Réflexions sur le Discours de Rousseau touchant l'origine de l'inégalité parmi les hommes, in Mélanges de littérature, de morale et de politique, Neuchâtel 1760, p. 80. Voir enfin les lettres de Vattel à S. Formey des 27 mars et 12 avril 1747 citées in E. Béguelin, op. cit., n. 144, p, 123 SS. 2 Cf. Questions de Droit naturel et Observations sur le Traité du Droit de la Nature de M. le B. de Wolff, Berne 1762, avertissement p. IV. 3 Op. cil., foc. cit., p. VIII. DISCIPLES ET VULGARISATEURS: VATTEL 87 assignant pour cause finale la manifestation de la gloire divine 4• A cette démonstration, qui relève à son sens de la théologie naturelle, il lui préfère une autre démonstration, « plus convenable du point de vue du Droit naturel et qui a le mérite de s'en tenir aux données de la nature». C'est parce que la nature tend à la propagation du genre humain et que Dieu est l'auteur de cette nature que l'on peut à son sens affirmer que Dieu veut la propagation de l'espèce 5• De ce que la Loi de nature exige que les hommes procréent, il ne lui semble pourtant pas possible d'en déduire qu'elle interdise la recherche des plaisirs de l'amour pour une autre fin que la procréation o. S'opposant ici vigoureusement à Wolff, Vattel estime le principe natalitaire qui l'inspire «insoutenable, appliqué aux différents actes de ce commerce charnel d'une vie» 1. C'est pour lui, à juste titre nous semble-t-il, « une pétition de principe de supposer que le seul but de la nature, dans les désirs mutuels qu'elle inspire aux deux sexes et dans ce qui en est l'effet, soit la procréation des enfants » s. On ne saurait en effet inférer ici des conséquences ordi­ naires des actions naturelles en ce domaine, qui se résument effective­ ment à la propagation, l'obligation pour les hommes de poursuivre cette seule finalité et de rechercher en conséquence à chaque fois la propa­ gation de l'espèce. Raisonnant enfin par l'absurde, Vattel démasque le paralogisme de Wolff en affirmant que si l'effet naturel de la conjonction des sexes devait être pris pour fin à l'exclusion de toute autre, il fau­ drait à ce compte-là proscrire la promenade parce que les jambes ont été données aux hommes pour vaquer au travail 0. Mais plus intéressante que cette argumentation par l'absurde appa­ raissent les remarques sur lesquelles le savant commentateur neuchâte• lois de Wolff conclut ses Observations en ce domaine et dont il est dif­ ficile de contester le bien-fondé. « La propagation est sans doute le grand but que la nature se propose, concède-t-il ainsi, mais la nature, ajoute-t-il, peut bien poursuivre chez l'homme des buts encore différents que le grand but commun aux animaux 10. » Pourquoi n'autoriserait-elle pas des plaisirs innocents comme en d'autres occasions pour l'homme et la femme 11 ? Par ailleurs, notant avec une finesse psychologique toute moderne Je rôle de l'union charnelle dans la sauvegarde du couple, il ajoute que si le plaisir resserre l'unité conjugale, entretenant et accrois-

4 Cf. Wolff, jus nat., VII/II/§ 264. 5 Cf. Vattel, op. cit., ad Vll/11/§ 264. 6 Cf. op. cit., ad VII/II/§ 239. 7 Ibid. s Ibid. Dans le même sens, cf. les remarques de Luzac quelques années plus tard dans sa traduction française des lnstitutiones /uris Naturae de Wolff, Leyde 1772, ad § 854. 9 Ibid. 10 Ibid. 11 Ibid. 88 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL sant la tendresse mutuelle et l'entente nécessaire pour l'éducation des enfants, « on ne doutera pas que la nature ne les incite au plaisir dans la vue d'entretenir des sentiments si convenables » 12. Allant plus Join dans ce sens en passant du plan psychologique au plan physiologique, il voit encore une autre raison qui rende légitimes les relations conju­ gales en dehors de toute perspective de propagation de l'espèce : c'est la santé des époux, qui requiert des signes de tendresse plus que la pro­ création ne Je réclame, « nouvelle raison, précise-t-il explicitement, et nouvelle fin qui légitiment le plaisir condamné par Wolff» rn. Enfin, arguant de la Jicéité du plaisir innocent, reconnu par Wolff lui-même pour autant qu'il ne porte pas préjudice à la poursuite d'une fin que nous impose la loi de la nature, Vattel affirme sans équivoque que si les plaisirs de l'amour ne nuisent pas à la propagation de l'espèce et qu'au lieu de nous rendre incapables ils nous conservent dans cet état, ils ont tous les caractères de la légitimité des plaisirs innocents 14• « Bornons-nous à dire, conclut-il, que la propagation de l'espèce étant la fin principale des plaisirs de l'amour, nous n'en devons jamais user d'une manière qui puisse préjudicier à cette grande fin, soit en nous en détournant, soit en nous y rendant moins habiles. Voilà ce me semble tout ce que la loi naturelle prescrit à cet égard ... 15. » C'est assez mon­ trer l'originalité de Vattel par rapport aux représentants de l'Ecole du Droit naturel de son temps 16 et même sa modernité par rapport aux débats de notre siècle sur les fins du mariage 17. b) Définition et nature juridique. Concevant, nous l'avons relevé, ses Observations sur le grand traité de Wolff «comme un Commentaire destiné à rendre le Traité plus utile», Vattel ne s'arrête pas à la définition wolffienne du mariage « comme la société conclue entre l'homme et la femme pour la procréa­ tion et l'éducation d'une progéniture » 18, dont quelques années plus tard Luzac, le traducteur français des lnstitutiones furis Naturae et Gentium

12 Ibid. 1a Ibid. 14 Ibid. 15 Ibid. 10 Cf. En particulier à propos de !'Ecole allemande notre ouvrage Le mariage dans !'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVIII• siècle, W partie, chapitre IV, § 1, p. 381-382 sur la doctrine des fins du mariage de Wolff et § 2, p. 405-406 sur celle des disciples de Wolff. 17 Cf. P. Adnès, op. cit., p. 119, n. 1, qui rappelle les premières remises en cause marquantes de la doctrine catholique traditionnelle des fins du mariage par H. Doms, Vom Sinn und Zweck der Ehe, eine systematische Studœ, Breslau 1935; trad. fr., Du sens et de la fin du mariage, Paris 1935, et D. von Hilde­ brand, Die Ehe, Munich 1928, trad. fr., Le mariage, Paris 1936. 18 fus nat., VII/Il/§ 270. DISCIPLES ET VULGARISATEURS: VATTEL 89 fera une critique systématique m. Ne remettant pas en question la défi­ nition que donne Wolff de la société conjugale, Vattel traite par ailleurs fort sommairement de la nature juridique du mariage à travers ses remarques sur la durée et sur les causes de dissolution de l'union conju­ gale. Estimant que le mariage n'est pas naturellement indissoluble et qu'il ne doit durer dans l'état de nature qu'aussi longtemps que l'exige l'éducation des enfants 20, il semble se rattacher à une conception contractualiste de la société conjugale, assez proche de celle de Thoma­ sius 21, laissant aux époux le soin de déterminer l'étendue et la durée de leurs droits et de leurs obligations. Mais il ne se prononce pas à vrai dire explicitement à ce sujet, à la différence des autres wolffiens de son temps, tenants de la double nature institutionnelle et contractuelle du mariage 22• c) Le problème de la polygamie. C'est dans la problématique de la polygamie et dans la question de la légitimité exclusive de la monogamie que Vattel se distance le plus nettement de Wolff. Il ne s'arrête pas à vrai dire à toutes les formes de polygamie mentionnées par l'auteur du jus Naturae Methodo scienti­ f ica pertractatum, se concentrant sur la question de la polygynie et n'abordant qu'au passage la communauté des femmes, sans même citer la polyandrie. En ce qui concerne la communauté des femmes, jugée contraire au Droit naturel par Wolff, Vattel ne considère pas comme déterminant à cet égard l'argument wolffien de la remise en cause de l'éducation des enfants. Il estime en effet parfaitement possible l'instauration de « bons établissements » d'éducation « aux dépens du public » et semble en attendre même de bons effets civiques. « Cette raison ne suffit donc pas, conclut-il, à condamner en général la communauté des femmes. Peut­ être en trouverait-on de meilleures dans le désordre, la licence et la

19 Cf. Luzac, Institutions du Droit de la Nature et des Gens, tr. de Wolff, Leyde 1772, ad § 856, notamment 2° : «Il n'est rien dans la définition que l'auteur donne du lien conjugal que l'on ne puisse déduire de celle de Justinien ; et d'un autre côté celle de notre auteur ne me paraît ni assez suffisante, ni assez complète pour en tirer tous les devoirs et tous les droits attachés à ce lien intime.» 20 Cf. Vattel, op. cil., ad VII/II/§ 508. 21 Cf. lnstitutiones jurisprudentiae divinae, III/II/§§ 120-126, Cf. à ce sujet notre travail susmentionné, II• partie, ch. III, § 1, p. 338-339. 22 Cf. très caractéristique à ce propos Schierschmidt, Elementa juris natu­ ralis, socialis et gentium, methodo scientifica conscripta, Iéna 1742, sect. 1, cap. 1, § 460, cor. II : « Le mariage doit être compté comme toutes les sociétés au nombre des contrats ; mais comme à la différence des autres contrats de société, il procède de la volonté divine, il faut le considérer également comme une institution. » Dans le même sens voir entre autre Darjes, lnstitutiones jurisprudentiae universalis, Iéna 1764, pars specialis, sect. Ill, cap. Il, § 565. 90 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL corruption qu'une pareille communauté entraînerait après elle 23. » Dans cette critique de la démarche wolffienne, qui ne paraît pas remettre cependant en cause sa conclusion - l'illicéité de la communauté des femmes - Vattel ne semble pas avoir saisi que l'argument décisif de Wolff se situe sur un autre plan que celui de l'éducation des enfants : celui de la contradiction juridique existant entre la communauté des femmes et le type de société que postule la Loi naturelle pour la propa­ gation de l'espèce 24. Mais ce n'est pas le fruit d'une négligence incons­ ciente : Vattel se refuse en effet à juger avec Wolff que la propagation du genre humain doive se faire par la seule médiation de la société d'un homme et d'une femme. II le montre bien d'ailleurs dans son attitude à l'égard de la polygynie. Contestant tout d'abord la validité générale de la proposition de Wolff selon laquelle la monogynie serait amplement suffisante pour assurer la propagation de l'espèce, qui ne lui semble fondée que pour l'Europe de son temps 25, le jurisconsulte de Neuchâtel nie que l'illicéité de la polygynie puisse avoir une portée universelle ; il en infère qu'elle ne saurait donc relever de la Loi naturelle 26. Bien plus, il y a des cas pour Vattel, où la pluralité des femmes doit être permise, même si la survie de l'espèce n'est pas en cause, pour des raisons qui tiennent aux divers tempéraments humains. « Il y a des hommes d'un tel tempérament, remarque-t-il ainsi, qu'ils ne sauraient s'abstenir de leur femme pendant tout le temps de sa grossesse. Mais l'auteur (i.e. Wolff) condamne tout acte d'amour conjugal qui n'a pas pour but la propagation. Ne suit-il pas de là qu'en ce cas un homme doit avoir plusieurs femmes, surtout s'il est en état de pourvoir à l'éducation d'un grand nombre d'en­ fants? 21 » Il lui semble même que Wolff ait douté de l'universalité de son principe de l'interdiction de la polygynie en posant pour règle expli­ cite la prohibition de celle-ci lorsqu'elle tend au seul plaisir ou ne permet pas d'assurer l'éducation des enfants 28 : « Dire que la Loi naturelle interdit la pluralité des femmes dans ce cas, c'est donner à entendre qu'elle ne l'interdit pas à celui qui ne sera ni dans l'un, ni dans l'autre de ces cas. De là on est en droit de conclure que cette même loi per­ mettra la pluralité des femmes à tout homme qui aura quelque bonne

23 Cf. Vattel, op. cit., ad VII/II/§ 286. 24 Cf. Wolff, jus nat., VII/II/§ 286. 25 Cf. Vattel, op. cit., ad VII/II/§ 293. 26 Ibid. Avec plus de rigueur logique, Luzac, op. cit., ad § 857, 2°, remarque que même si l'expérience prouvait que la monogynie était suffisante pour conserver l'espèce humaine, « il ne s'ensuivrait pas qu'on ferait mal de la multiplier et de l'augmenter encore davantage ». Le véritable problème est à son sens de savoir si l'illicéité de la polygamie résulte de la définition même du mariage ; cf. op. cit., lac. cit., 3°. 21 Cf. Vattel, op. cit., ad VII/Il/§ 295. 28 Cf. Wolff, op. cit., VII/II/§ 296. DISCIPLES ET VULGARISATEURS: VATTEL 91 raison d'en épouser plus d'une et qui sera en état de bien élever tous les enfants qu'il pourra avoir d'elles 29 , » Il est enfin erroné pour Vattel d'inférer de ce que la bigamie uni­ verselle soit statistiquement impossible la prohibition de celle-ci par le Droit naturel. Reconnaissant l'exactitude des données statistiques rela­ tives à l'égale proportion de filles et de garçons de son temps, Vattel remarque en effet avec pertinence : « L'observation est vraie en général, mais la conséquence qu'on en tire n'est pas aussi certaine. La guerre, la navigation, les voyages, etc., font périr un grand nombre d'hommes et en empêche un grand nombre de se marier en sorte que dans bien des pays, on voit quantité de filles qui demeurent inutiles à la propagation, faute de trouver un mari. Si ceux qui se marient les prenaient pour seconde femme, personne n'en souffrirait, et l'Etat se peuplerait davan­ tage. Cela soit dit sans préjudice des raisons solides que l'on peut allé­ guer contre la pluralité des femmes 3o. » En fait, par delâ ces réfutations, ce n'est pas tant la défense de la légitimité de la polygamie que Vattel entreprend; car s'il n'est pas convaincu de son illicéité en droit naturel, il admet néanmoins explici­ tement « que la pluralité des femmes a toujours plus d'inconvénients à mesure que les hommes s'éloignent davantage de l'innocence et de la simplicité de la vie» a1. Ce à quoi il tend en fait, c'est la démystifica­ tion de la légitimité exclusive de la monogamie, que Wolff entend fonder sur la Loi naturelle. Commentant le passage du fus Naturae procla­ mant de la conformité de la monogamie aux « données de la nature» (prima naturae) 32, Vattel ne met en doute pour commencer le bien-fondé, tous les mâles n'étant pas par nature portés à son sens dans le règne animal à demeurer auprès de la femelle, mais seulement ceux dont la présence est nécessaire à l'élevage des petits. Mais c'est surtout l'uni­ versalité de la conséquence qu'en prétend tirer Wolff que conteste Vat­ tel : « L'instinct naturel porte certains animaux à s'unir seul avec une seule ... Cet instinct et ce que M.W. appelle «prima naturae » varient donc, suivant la diverse nature des animaux. Si donc un homme dans certaines circonstances se trouve en état de pourvoir à l'éducation des enfants qu'il aura de plusieurs femmes, aidé en cela par les soins des mères, il est à cet égard dans le cas des animaux qui peuvent avoir plusieurs femelles ; et la pluralité des femmes, quant à lui, sera conforme primis naturae 33. » Rien ne lui paraît donc plus sujet à caution que la thèse de la légitimité exclusive de la monogamie et c'est dans doute par là qu'il se

29 Cf. Vattel1 op. cit., ad. VII/II/§ 296. 3o Cf. Op. czt., ad VII/Il/§ 301. 31 Cf. Op. cit., ad VII/Il/§ 299, 3° ; voir aussi ibid., ad § 305, in fine. 32 Cf. Wolff, jus nat., VII/II/§ 297 : « Monogamia primis nalurae convenit ». 33 Cf. Vattel, op. cit., ad VII/II/§ 297. 92 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL distance le plus nettement de Wolff pour rejoindre le courant dominant de son époque.

B. Formation du mariage

Commentateur de Wolff - dont nous avons déjà eu l'occasion de relever ailleurs l'approche peu systématique des questions qui se posent en ce domaine 34 - Vattel traite de manière très fragmentaire de la formation du mariage, ne s'arrêtant qu'à la problématique des empê­ chements de parenté. Il laisse dès lors dans l'ombre non seulement la question de la liberté du mariage et celle du moment et de la forme de sa conclusion, mais surtout celle des conditions de capacité. a) Liberté du mariage. A la différence des Fondateurs de !'Ecole du Droit naturel moderne et de Wolff lui-même, Vattel ne porte guère d'attention à la liberté de chacun de se marier. Se refusant à inférer de l'expérience ordinaire de la conjonction des sexes une loi naturelle qui impose à tout être humain en tant que tel Je devoir de procréer, il n'envisage pas davantage l'obli­ gation incombant au genre humain de se marier. Il tient à remarquer néanmoins que la société conjugale n'est « absolument pas volontaire puisqu'on est obligé de la contracter quand on le peut raisonnable­ ment » 35.

b) Conditions du mariage. C'est exclusivement aux empêchements de parenté que Vattel s'ar­ rête en matière de conditions du mariage contestant à cet égard la force de la démonstration que fait Wolff de la prohibition des unions entre ascendants et descendants. « Fondée uniquement sur le respect et la révérence dues aux parents », l'argumentation de l'auteur du Jus Naturae lui paraît en fait «bien faible» 36. Se demandant s'il est «bien démontré que le mariage soit absolument incompatible avec ce respect et cette révérence», il examine distinctement Je cas du fils avec sa mère dans le système ordinaire qui donne la supériorité du mari, pour concéder l'éventualité d'une « incom­ patibilité fondée sur la supériorité du mari» 37. Mais c'est pour remar­ quer aussitôt que telle n'est pas la logique de Wolff, car «selon M.W.

34 Cf. notre ouvrage susmentionné, II• partie, ch. IV, § 1, p. 387. 35 Cf. Vattel, op. cit., ad VII/li/§ 488. 36 Cf. op. cit., ad VII/Il/§ 826. 37 Cf. op. cit., toc. cit. DISCIPLES ET VULGARISATEURS: VATTEL 93 les conjoints sont dans une parfaite égalité, et même le mari peut céder s'il le veut la supériorité à sa femme » as. Quant au cas de l'union entre une fille et son père, il lui paraît plus délicat. « Il y aurait, relève-t-il à ce propos, une familiarité qui n'est pas fort convenable au respect filial, mais qui, peut-être, ne lui est pas absolument contraire, en sorte qu'il soit impossible de les concilier a9 , » Mais pour que la démonstration ait quelque force, c'est une autre démar­ che qu'il faut suivre à son sens. Il faut prouver en effet que le père et la fille, prêts à se marier, n'ont pas le droit «de se dépouiller d'un com­ mun accord des sentiments qu'ils se doivent dans la relation de père à fille, pour en revêtir d'autres plus convenables à la nouvelle relation dans laquelle ils veulent entrer» 4o. Convaincu que « ces Alliances doivent être défendues dans la société civile» et « qu'il y a de très bonnes raisons pour cela», la loi naturelle autorisant les hommes à inspirer de l'horreur pour des usages pouvant dégénérer en abus, Vattel est d'accord pour reconnaître que d'ordinaire de pareilles unions «seraient peu convenables, qu'elles choquent la bien­ séance», partant que les mariages entre ascendants et descendants sont contraires à la loi de perfection, nous obligeant à choisir toujours le meilleur. S'il admet qu'il y a une disconvenance plus particulière par rapport à la finalité de propagation de l'espèce du mariage dans les unions entre mère et fils, il considère de manière générale qu'il convient au bien commun de l'humanité « que chacun revête et conserve à l'égard d'autrui les sentiments que leurs relations exigent» 41. Or les parents élevant leurs enfants, pour accomplir ce devoir il faut bannir toute pensée de s'associer ses enfants par mariage. « Cette dernière considération, sou­ ligne-t-il, est peut-être ce qui fait le mieux sentir que les mariages entre ascendants et descendants sont contraires à la nature 42• » Se demandant s'il ne faut pas voir là la source de l'horreur inspirée à tous les hommes par ces unions, il conclut dans une confusion révé­ latrice de la nature et de la culture qui fait bien apparaître le caractère culturel du Droit naturel : « C'est cette opposition de sentiments qui éloigne naturellement un père de penser à s'unir de cette façon avec sa fille. Aussi voyons-nous que les peuples dont l'éducation était mauvaise ne sentaient pas cette répugnance 43. »

as Ibid. 39 Ibid. 40 Ibid. 41 Ibid. 42 Ibid. 43 Ibid., in fine. 94 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL c) Forme et moment de la conclusion du mariage. A la différence de la plupart des professeurs de Droit naturel de son temps, soucieux de justifier ou de relativiser les formalités nuptiales par rapport au Droit naturel, Vattel, peu intéressé par la détermination des formes et par celle du moment de la conclusion du mariage, ne s'ar­ rête pas aux problèmes qu'elles posent.

C. Effets du mariage

Au chapitre des effets personnels du mariage, auquel nous nous en tenons ici, Vattel se distingue également des courants novateurs qui se font Jour au sein de !'Ecole du Droit naturel moderne dans la ligne de Thomasius et de Wolff et qui tendent à l'affirmation de l'égalité des sexes, partant à celle de leurs droits et devoirs. La pensée du juris­ consulte neuchâtelois marque en fait en ce domaine un retour aux conceptions hiérarchiques des Fondateurs de !'Ecole, encore tributaires de la pensée médiévale. a) Nature de la société conjugale. Contestant formellement la thèse de l'égalité de l'homme et de la femme pour revenir à celle de la supériorité du sexe masculin, Vattel considère la société conjugale comme naturellement hiérarchique. A son sens « il paraît manifeste que la nature a fait les hommes plus propres à bien des choses que les femmes. Ils sont plus capables des affaires importantes, plus fermes, plus forts et plus courageux. Il paraît donc que la nature a destiné la femme à vivre sous la protection du mari et cette protection donne déjà une supériorité». «De plus, pour­ suit-il, comme il est nécessaire pour Je bien d'une société qu'elle ait nn chef qui en dirige les affaires et qui décide dans les cas où les sentiments sont partagés ... la nature n'a-t-elle pas destiné cette autorité de chef au mari en lui donnant des qualités supérieures à celles de la femme ? 44 » Enfin dans une telle société, «où il s'agit des affaires les plus impor­ tantes de l'humanité et pour les associés», il se demande «s'il n'est pas raisonnable et par conséquent conforme à la loi naturelle que celui

44 Cf. Op cit., ad VII/Il/§ 488. Voir dans le même sens les propos très nets de la lettre à une jeune demoiselle sur l'origine et la raison des respects que les hommes témoignent aux femmes, in Poliergie ou mélange de littérature et de poésie, Amsterdam 1757, Allégorie VII, p. 223 ss notamment p. 240 à propos des époux : « Qu'ils se souviennent des vues de la nature et qu'ils s'y conforment. On ne peut suivre un meilleur guide. L'homme est visiblement destiné à être le protecteur de la femme : qu'il le soit avec tendresse et géné­ rosité. Sa compagne est faite pour lui plaire et adoucir son cœur par les impressions tendres. » DISCIPLES ET VULGARISATEURS: VATTEL 95 qui est le plus capable - dans son optique toujours le mari - ait le droit de décider en cas de partage des sentiments » 45• Mais Vattel ne se borne pas à affirmer la primauté du mari ; il s'en prend à la thèse de l'égalité juridique des époux pour en dénoncer les funestes implications : « Une pareille égalité rendrait la société rui­ neuse et très féconde en querelles ; la loi naturelle ne peut la prescrire. Il me paraît donc, conclut-il, que cette loi établit le mari chef de la maison 46• » Société de nature hiérarchique, le mariage implique dès lors des droits et des devoirs différents pour le mari et pour la femme. b) Droits et devoirs des conjoints. Partant de sa conception hiérarchique de la société conjugale et des implications du contrat qui est à sa base, Vattel affirme tout d'abord le devoir de soumission de la femme au mari ; l'épouse n'est cependant pas obligée de souffrir à son avis de la tyrannie de son mari : lorsque le pouvoir de celui-ci dégénère, elle est légitimée à faire respecter ses droits. Bien plus, le mari ne saurait acquérir aucun droit sur sa femme par le tacite consentement de cette dernière, si par gain de paix elle tolère par exemple son injustice 47, Quant aux droits que la femme peut faire valoir, Vattel ne s'arrête qu'au droit à la fidélité. Et encore, est-ce pour démontrer que ce n'est pas en vertu du contrat de mariage même que l'épouse a droit à la fidélité de son mari, mais seulement en raison de l'amour que se doivent les époux. C'est qu'à son sens pour le mari le contrat de mariage « n'em­ porte par lui-même d'autres engagements à cet égard que celui de ne se point mettre par d'autres commerces hors d'état de lui faire autant d'enfants qu'elle en pourra concevoir» 48. Tant que dure sa grossesse, « la femme n'a plus rien à prétendre jusqu'à ce qu'elle se retrouve en état de concevoir à nouveau ; en sorte que pendant cet intervalle, le mari n'agit point contre ses engagements en se livrant à d'autres com­ merces, pourvu qu'il ne se rende pas moins propre à la génération. Il faut donc chercher d'autres raisons de la fidélité que le mari doit à sa femme, et on peut en tirer une bonne de l'amour qu'il lui a promis, lequel pourrait s'affaiblir ou même s'éteindre dans le commerce qu'il aurait avec d'autres femmes» 49, Ce n'est donc que sur la base de l'amour conjugal que l'épouse peut exiger la fidélité de son mari et lui interdire d'autres liaisons, «parce

45 Cf. Questions de Droit naturel, Loc. cit. 46 Ibid. 47 Ibid. 48 Cf. op. cit., ad VII/Il/§ 305. 49 Ibid. • 96 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL que dans cette pluralité, souligne Vattel, chacune n'obtiendrait pas ce qu'elle a pu légitimement se proposer en se mariant» 50• Si le contrat de mariage n'implique pas forcément comme une consé­ quence de son essence et de sa nature la fidélité du mari, il implique par contre nécessairement pour Vattel comme une condition sine qua non la fidélité de la femme. Hors de là, cette dernière, souligne-t-il, « en se livrant à d'autres se mettrait hors d'état pour tout le temps de sa grossesse de donner des enfants à son mari et de plus le mari pourrait être chargé d'enfants qui ne seraient point à lui et ne s'attacherait pas à leur éducation s'il avait lieu de croire qu'un autre en fût le père» 51• Dans l'approche des droits et des devoirs des conjoints, Vattel, on le voit, n'est pas loin de partager le point de vue unilatéral de Grotius. Incomplète, sa position constitue une nette régression par rapport à celle de ses contemporains, en particulier des représentants de !'Ecole wolffienne attachés pour la plupart à tirer les conséquences du principe de l'égalité de condition des époux 52.

D. Dissolution du mariage

Ne s'arrêtant pas davantage que la plupart de ses contemporains de l'Ecole du Droit naturel moderne au mode de dissolution le plus normal de la société conjugale que constitue le décès d'un des époux, Vattel approfondit par contre la pensée wolffienne en matière de divorce, s'at­ tachant à ses causes dans une perspective qui contredit étonnamment sa conviction du rôle de l'amour dans l'union conjugale. a) Décès. La dissolution du mariage par la mort d'un des conjoints ne retient pas l'attention de Vattel. b) Divorce. Ferme partisan de la légitimité du divorce en Droit naturel, le juris­ consulte neuchâtelois s'en prend nettement au principe de l'indissolubi­ lité du mariage défendu par Wolff et à la démonstration qui l'étaie. Cette démonstration ne lui paraît « nullement convaincante et sujette à une infinité d'exceptions, dont chacune la renverse. Il serait, lui semble­ t-il, beaucoup plus net et plus solide d'établir que le mariage n'est point indissoluble ; mais que la loi naturelle nous impose l'obligation de ne

ISO Ibid. r;1 Jbid., in fine. 52 Voir notre travail susmentionné, II• partie, ch. IV, § 1, p. 393 ss et sur­ tout § 2, p. 417 ss. DISCIPLES ET VULGARISATEURS: VATTEL 97 le point rompre sans de fortes et solides raisons, principalement quand il y a des enfants » 11s. C'est que « dans l'état de nature, les conjoints ne sont tenus à per­ sister dans l'état de mariage que pour le temps qui sera nécessaire à l'éducation des enfants, à moins qu'ils n'ayent promis l'un à l'autre d'y persister plus longtemps ou toujours » 114. Par contre, lorsqu'ils n'ont pas d'enfants, Vattel, plus rigoureux encore que Wolff sur le plan des principes, estime non seulement que les époux ont le droit de divorcer par consentement mutuel, mais encore que le mari peut renvoyer sa femme contre son gré. Sitôt que la stérilité de l'épouse est dûment constatée, il admet donc la légitimité du divorce à la demande du mari en des termes qui rappellent l'institution de la répudiation 115. Avec une rigueur toute logique, qui contraste étrangement avec son intuition de la place de l'amour dans la société conjugale, il considère en effet que c'est là « une conséquence nécessaire de la nature du mariage dont la fin essentielle est d'avoir des enfants. Le bien de l'humanité, ajoute-t-il, n'exige pas moins cette décision» 56• c) Secondes noces. Pour Vattel la légitimité des secondes noces ne semble pas faire problème. A l'instar de nombre de théoriciens du Droit naturel du XVIII" siècle, il n'estime même pas nécessaire d'en faire mention, tant le rema­ riage lui paraît aller de soi.

CONCLUSION

Telle qu'elle résulte de son Commentaire de Wolff, la pensée de Vat­ tel sur le Droit naturel du mariage apparaît singulièrement fragmentaire par rapport à celle des autres jurisconsultes de !'Ecole romande ou de !'Ecole allemande du XVIII' siècle. Il n'en est pas moins permis d'en dégager les lignes directrices qui la singularisent en son temps. Alors que la tendance générale de !'Ecole du Droit naturel moderne du Siècle des Lumières va vers l'égalité juridique des conjoints, Vattel reste attaché à la conception traditionnelle de la supériorité du mari. Contestant les positions de Wolff dans un même mouvement de pensée centré sur la prééminence du sexe masculin, il tient ainsi pour également légitimes l'institution de la polygynie et celle de l'autorité maritale. Affir-

58 Cf. Vattel, op. cit., ad VII/Il/§ 508. 64 Ibid. 116 Op. cit., ad VII/Il/§ 507. 116 Ibid. 98 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL mant l'inégalité et le caractère hiérarchique de la société conjugale, il différencie aussi unilatéralement que Grotius les droits et les devoirs des époux. Cette attitude l'entraîne à affirmer non seulement l'exclu­ sivité formelle en Droit strict du devoir de fidélité de l'épouse, mais encore tout aussi unilatéralement le droit exclusif du mari de divorcer en cas de stérilité dûment constatée de sa femme. Si sa pensée en matière de divorce rejoint celle de son temps, elle n'est cependant pas sans contredire à sa doctrine des fins du mariage. Rejetant toute perspective naturaliste qui n'admettrait comme fin légi­ time du mariage que la propagation de l'espèce, il insiste en effet avec une remarquable intuition des données de la psychologie moderne sur le rôle de l'union charnelle comme telle dans le renforcement de la société conjugale, indépendamment de toute procréation. Mais cette reconnaissance de la place de l'affection des époux dans le mariage ne l'empêche pas de défendre, quant à la dissolution du mariage, des vues singulièrement différentes puisqu'il admet que les époux ne sont tenus de vivre ensemble que pour le temps nécessaire à l'éducation de leurs enfants, bien plus que le mari a Je droit de divorcer en cas de stérilité de son épouse. L'amour des conjoints qu'il place au premier plan dans la problématique des fins du mariage semble donc s'effacer finalement chez lui devant les exigences de l'espèce, quand il aborde la question de la durée de l'institution. Par ces traits caractéristiques, la pensée de Vattel en matière de Droit naturel du mariage se trouve partager la destinée de celle de nombreux Commentateurs de Grotius et de Pufendorf du début du siècle, à la fois traditionalistes dans leur conception hiérarchique de la société conjugale et novateurs dans leur doctrine du divorce 57, Elle marque de ce fait un certain retard par rapport à l'évolution de la pensée matri­ moniale de !'Ecole du Droit naturel moderne au XVIII" siècle en général et de l'Ecole romande en particulier.

llT Voir notre étude déjà citée, II• partie, ch. II, p. 308. CHAPITRE Il

LE MARIAGE EN DROIT NATUREL DANS LA PHILOSOPHIE JURIDIQUE VAUDOISE DU xvnr SIÈCLE

INTRODUCTION

Suscitée par l'enseignement de Barbeyrac à l'Académie de Lausanne et stimulée par ses publications comme par celles de ses collègues de Genève et de Neuchâtel ou de leurs disciples - Burlamaqui, Bourguet et Vattel au premier chef -, une véritable tradition de philosophie juri­ dique de type jusnaturaliste se dessine au xv111• siècle dans le Pays de Vaud, propageant non seulement par la parole, mais encore par l'écrit, les doctrines de l'Ecole du Droit naturel moderne en Droit public comme en Droit privé. C'est ce qu'attestent, d'une part, nous l'avons relevé au seuil de ce travail, l'activité intellectuelle des cercles lausannois et yver­ donnois, d'autre part les publications qui voient parallèlement le jour en marge des cours des successeurs de Barbeyrac à l'Académie, Charles Loys de Bochat, Béat-Philippe Vicat, Abraham Clavel de Brenles et Christian Dapples. A la différence de ce qui passe à la même époque à Genève, où la tradition jusnaturaliste assurée, après Pierre Mussard, jean-Jacques Burlamaqui et jean Cramer, par les cours de leurs suc­ cesseurs, ne sera guère illustrée par un courant proprement dit de philo­ sophie juridique intéressant notre sujet, la tradition jusnaturaliste vau­ doise a laissé des traces dans l'histoire de la littérature juridique de notre pays. Parmi les publications que nous lui devons, trois ordres d'ouvrages retiennent plus particulièrement l'attention dans le cadre de notre étude : le Traité du Droit naturel de B.-Ph. Vicat, édité à Lausanne et Yverdon en 1777, le Droit naturel d'un Père à son Fils de j.-G. Pilli­ chody, publié à Yverdon en 1769, enfin les Leçons du Droit de la Nature et des Gens, éditées à Yverdon également en 1769 et I' Encyclopédie de F .-B. de Félice, parue au même endroit entre 1770 et 1780 et dont les principaux articles juridiques seront repris dans le Code de l'Humanité édité à Yverdon en 1778. Fruit d'un enseignement de plusieurs décennies (1740-1770), illus­ trant la vigueur de la tradition académique lausannoise, le Traité dtt Droit naturel de Vicat ne constitue pas à proprement parler, comme l'a cru Ph. Meylan, « l'unique spécimen rendu public de l'enseignement du Droit naturel en Suisse romande dans la seconde moitié du xv111• siè- 100 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL cle » i - il n'est que de rappeler les notes de cours de Burlamaqui édi­ tées deux ans plus tôt à Lausanne sous la dénomination d' Elément<> du Droit naturel 2 - ; son intérêt tient plutôt au fait qu'il forme le premier traité de la littérature vaudoise du Droit naturel, son auteur réalisant ainsi les vœux de Barbeyrac a comme Pufendorf ceux de Gro­ tius un sit:cle auparavant. Si de par sa visée il englobe toutes les matières du Droit, parmi lesquelles le Droit du mariage occupe une place non négligeable 4, il se rattache quant à ses sources, par delà les Fondateurs de !'Ecole romande, aux deux grands inspirateurs des systèmes de Droit naturel moderne de 1' Allemagne des Lumières, Pufendorf et Wolff. Quant aux ouvrages de J.-0. Pillichody et de F.-B. de Félice, ils représentent les produits les plus typiques du vaste mouvement de vulga­ risation du Droit naturel qui s'opère alors en marge du monde acadé­ mique. La forme catéchétique du premier comme l'allure didactique et la prétention encyclopédique des autres en sont les manifestations les plus caractéristiques avec l'éclectisme de l'inspiration, où prédomine comme chez Vicat, par delà les emprunts à Barbeyrac et à Burlamaqui, l'in­ fluence explicite de Pufendorf et de Wolff 5• L'étude de la pensée matri­ moniale de ces auteurs nous le rendra particulièrement sensible.

§ 1. BÉAT-PHILIPPE VICAT

A. Problématique générale

Eclectique dans sa philosophie morale, Vicat * se révèle profondé­ ment tributaire de Pufendorf et de Wolff dans son approche de la problématique générale du mariage. Sa conception de l'origine, du sens

1 Cf. Ph. Meylan1 op. cit., p. 235. 2 J.-J. Burlamaqut, Eléments du Droit naturel, Lausanne 1775. a Cf. à propos de ces vœux, concernant le projet de traité systématique de Droit naturel nourri par Barbeyrac dès 1712, ci-dessus, J•• partie, ch. 1, p. 41, n. 6. 4 B.-Ph. Vicat, Traité du Droit naturel, Lausanne-Yverdon 1777, t. Il, ch. L, ~§ DCCXVII-DCCXXIX. 5 Pour ce qui est de Pillichody, cf. la reconnaissance explicite de la reprise quant à «l'ordre et au titre des chapitres » du plan du De Officia hominis et c.1vis de Pufendorf, in Le Droit naturel d'un Père à son Fils, Yverdon 1769, Préface, p. XVI-XVII. Quant à de Félice, compilateur de Burlamaqui et par là tributaire de Pufendorf et de Wolff, sa dépendance à l'égard de ces deux maîtres à penser de !'Ecole du Droit naturel moderne éclate dans chacun des articles de philosophie juridique de son Encyclopédie. * Sur la vie et l'œuvre de Béat-Philippe Vicat (1715-1770), cf. les indi­ cations déjà mentionnées de Ph. Meylan, op. cit., p. 174 ss et du Dictionnaire d' A. de Montet, II, p. 612. Qu'il nous suffise de rappeler ici son origine, sa carrière et ses publications. D'une famille dauphinoise du grand Refuge, bour- DISCIPLES ET VULGARISATEURS : VICAT 101 et des fins de l'institution matrimoniale comme sa détermination de la nature juridique particulière du mariage trahissent en effet jusqu'à la compilation l'influence de l'auteur du De jure Naturae et Oentium, tandis que sa réprobation générale de toutes les formes de polygamie reflète la marque de Wolff, le premier des théoriciens du Droit naturel à s'être mis en peine de démontrer la légitimité exclusive de la mono­ gamie. a) Origine et fins du mariage. A l'instar de Pufendorf, dont il reprend presque mot pour mot les passages correspondants du De jure Naturae et Oentium, c'est en remon­ tant aux desseins du Créateur et en partant de l'observation de la nature humaine que Vicat explicite l'origine et la raison d'être du mariage : « Dans la vue que les pertes que le genre humain fait sans cesse par la mort de ses individus se réparassent incessamment, écrit-il ainsi avec la même audace que Pufendorf dans son exégèse de la Genèse 1, le sage auteur de la Nature a mis dans chacun d'eux, à l'exception d'un très petit nombre, un penchant qui tend à unir les deux sexes par le ma­ riage 2. » « L'homme naissant, laissé à lui-même », poursuit-il en s'ins­ pirant des Elementa du jurisconsulte saxon, « serait le plus misérable de tous les animaux : il n'en est aucun dont l'éducation demande pendant un aussi long temps des soins plus empressés et plus assidus, et pour cela il ne faut pas moins que le concours continuel des deux causes qui lui ont donné le jour, lesquelles aussi ne peuvent, en le regardant comme leur sang, manquer de se sentir attachés à lui par l'affection la plus forte qui est l'ouvrage de la nature» s. Quant aux fins du mariage, Vicat ne se hasarde pas à en élaborer une doctrine spécifique. Après avoir mis en évidence la raison d'être de l'institution matrimoniale - la survie du genre humain - il affirme qu' « on ne peut, sans outrager la nature, par un renversement des fins faire des organes destinés à celle dont on vient de parler un moyen de volupté par des actes détournés de cette fin-là, ou qui ne sont pas de geoise d'Aigle depuis 1715 l'année de sa naissance, Vicat fait son droit à Bâle où il obtient le grade de docteur avec une « Dissertatio juridica de postulando seu de advocatis » (1737). En 1741, il succède à Loys de Bachat comme pro­ fesseur de droit à 1' Académie de Lausanne, poste qu'il occupe jusqu'à sa mort en 1770. De 1749 à 1762, Vicat est en outre bibliothéraire de la Bibliothèque académique. Versé également dans le Droit naturel, le Droit romain et le Droit local, il laisse un Traité du Droit naturel (Lausanne 1777), un savant Vocabularium juris utriusque (Lausanne 1759) et des Principes du Droit feudal et emphytéotique à l'usage du Pays de Vaud, demeurés manuscrits (Bibl. Cant. vaudoise, T 1351). 1 Cf. De Jure Naturae et Gentium, VI/I/§ 2 et Specimen controversiarum circa jus naturale, Upsala 1678, cap. III/§ 7. 2 Vicat, Traité du Droit naturel, Lausanne-Yverdon 1777, cf. L/§ DCCXVII. s Op. cit., chap. L/§ DCCXVllI. - Cf. Pufendorf, Elementa junspmdentiae universalis (La Haye 1660), Oxford-Londres 1931, II, Obs. V, § 3. 102 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL l'ordre de ceux par lesquels il y est pourvu » 4• Il semble bien laisser entendre ainsi que c'est à la propagation de l'espèce que doit tendre le mariage. Il se montre cependant plus large dans la définition qu'il donne du mariage puisqu'il lui assigne alors explicitement pour fin « la conser­ vation de l'ordre et de l'honnêteté naturelle dans ce qui est du rapport au penchant que les deux sexes ont naturellement l'un pour l'autre » li, b) Définition et nature juridique du mariage. Pour l'auteur du Traité du Droit naturel, le mariage est « une société perpétuelle entre un homme et une femme», dont la fin est précisément « la conservation de l'ordre et de l'honnêteté naturelle dans ce qui a du rapport au penchant que les deux sexes ont naturellement l'un pour l'autre » 6 • Par cette définition, Vicat n'insiste pas seulement sur la fonction d'ordre social et moral de l'institution matrimoniale, pépinière de la société humaine, mais il souligne encore sa nature juridique « sui generis ». «Société perpétuelle», le mariage lui apparaît en effet comme un contrat d'une nature particulière. C'est à son sens un contrat de société librement dissoluble dans l'état de nature sitôt qu'apparaît avec évidence la violation d'une de ses causes essentielles, mais non dans l'état civil, où l'intérêt social s'oppose à ce que la dissolution « soit laissée à la liberté des particuliers, même si cette séparation était consen­ tie de part et d'autre » 7. Résolument hostile aux unions temporaires par la perpétuité qu'il assigne au mariage, Vicat est en conséquence loin d'assimiler la société que forment les époux aux autres contrats qui ne dépendent que de la volonté des parties. Sa conception juridique du mariage reflète par là l'opinion moyenne de !'Ecole du Droit naturel moderne du XVIII" siècle, à mi-chemin entre l'institutionalisme grotien et le contractualisme de Thomasius et de ses disciples. c) La question de la polygamie. Comme tous les professeurs de Droit naturel, Vicat s'arrête à la problématique de la légitimité des différentes formes de polygamie. Il réprouve tout d'abord sans restriction toute union qui compromet la certitude de la paternité, partant l'éducation des enfants s. S'il ne nomme pas ici expressément l'institution de la polyandrie, c'est bien elle qu'il vise puisqu'il affirme : « La nature est révoltée par la dissolution d'une femme qui donne lieu à cette incertitude et de celui qui s'en rend com­ plice 0• »

4 Cf. op. cit., toc. cit., § DCCXVII. li Op. cit., chap. L/§ DCCXXV. 6 Ibid. 7 Op. cit., chap. L/§ DCCXXIX. s Cf. chap. L/§ DCCXIX. o Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : VICAT 103

De même, c'est bien l'institution de la polygynie qu'il condamne lors­ qu'il ajoute : « Quoiqu'une telle incertitude n'ait pas lieu dans le cas où plusieurs femmes sont attachées à un homme, cette multiplicité d'atta­ ches ne laisse pas d'être contraire à la nature en règle générale 10. » Pour être moins catégorique que celle de la polyandrie, sa réprobation de la polygynie n'est pas moins fondée. Plusieurs raisons lui paraissent déterminantes à cet égard, les unes étant d'ordre pédagogique, les autres d'ordre démographique et psychologique. Si Vicat juge en effet la poly­ gynie contraire à la nature, c'est tout d'abord qu' « un seul homme ne peut pas prendre avec chacune des femmes qui lui sont attachées ensem­ ble une part égale à l'éducation des enfants qu'il a d'elles, ainsi que l'égalité d'affection du père et de la mère pour leurs enfants l'appel­ lerait à le faire » 11 ; c'est ensuite « que ce partage d'un homme entre deux individus de l'autre sexe ne répond ni à la complexion de ceux-ci, ni à leur nombre, que la nature entretient en égalité avec celui des hommes, ni au degré d'affection qu'il est nécessaire qu'un père et une mère aient l'un pour l'autre, pour qu'elle tombe avec le plus de force sur les enfants communs » 12• Citant par ailleurs le cas des pays poly­ gamiques en invoquant le jugement du «pénétrant Montesquieu», il tient à relever en conclusion l'avilissement qu'entraîne l'institution de la polygynie pour les deux sexes, le fer étant alors le plus souvent employé à ses yeux « à priver les uns des sources de la vie et à retenir les autres dans une infâme prison, où ne puissent pénétrer ceux que l'on a point pu ne pas épargner » ia. C'est donc en tirant pleinement les conclusions qui s'imposent de l'illégitimité naturelle des diverses formes de polygamie, que Vicat donne du mariage la définition strictement monogamique que nous avons vue et qui l'apparente directement à la démarche de la pensée wolffienne.

B. Formation du mariage

Parmi les multiples problèmes qui concernent la formation du mariage, Vicat n'aborde guère qu'une partie de ceux qui ont trait aux conditions et aux formalités requises pour se marier. II n'aborde en effet ni la question de la liberté du mariage, ni celle du moment de la conclusion du mariage. En dépit de leur caractère fragmentaire, notam­ ment en matière de capacité matrimoniale, ses thèses n'en constituent pas moins une contribution appréciable à la pensée matrimoniale de !'Ecole romande du Droit naturel, particulièrement en matière d'empêchements.

10 Op. cit., chap. L/§ DCCXX. 11 Op. cit., chap. L/§ DCCXX. 12 Ibid. 1s Ibid. 104 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL a) Liberté du mariage. La liberté pour chacun de se marier ou de vivre dans le célibat ne retient pas l'attention de Vicat, pas davantage que la question de l'obli­ gation générale pour le genre humain de se perpétuer. b) Conditions du mariage. Dans le chapitre de son Traité consacré à la société conjugale, le professeur lausannois ne s'en tient, en fait de conditions du mariage, qu'aux prohibitions de parenté et d'alliance. S'il ne traite pas explici­ tement dans ce contexte de la capacité matrimoniale, il en aborde cepen­ dant un des aspects dans un autre contexte, au chapitre du droit des parents sur les enfants 14, avec la question de la nécessité du consen­ tement paternel pour la validité du mariage. a) Capacité matrimoniale. Ne s'attachant en matière de capacité matrimoniale, à l'instar de Grotius, qu'à la question du consentement paternel, Vicat pose pour principe qu'à la différence du Droit romain «en Droit naturel tout seul ou dans l'état de nature, le mariage que conclut le fils de famille sans le consentement de son père n'est pas nul » 15, Il admet certes qu'en Droit naturel « un fils ne puisse malgré son père et sans son consen­ tement introduire avec lui dans la maison et dans l'économie paternelle une étrangère en qualité de femme » 16 ; il admet également que « dans cet état même de nature, il soit indigne de la vertu d'un fils bien-né d'entrer, contre l'avis de son père ou sans sa participation, dans une affaire de cette importance» 11. Mais il maintient que « le père n'a pas le droit d'empêcher absolument que le fils ne se pourvoie à cet égard comme il l'entend » 18 et que le mariage est en conséquence valide en l'absence même d'un tel consentement. Il n'en va pas de même dans l'état de société où il juge que « c'est une bonne et sage loi civile, que celle qui fait dépendre la validité du mariage du fils de famille du consentement ou de l'approbation pater­ nelle, du moins tant que le fils n'aura pas atteint un certain âge, et qui oblige même en tout temps le fils à des démarches de respect envers son père lorsqu'il pense à se marier » 19.

14 Cf. chap. LI : Du droit des parents sur les enfants et des obligations réciproques des uns aux autres, § DCCXXXVIII. 15 Op. cit., chap. LI/§DCCXXXVIII. 16 Ibid. 17 Ibid. 18 Ibid. io Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : VICAT 105

/3) Empêchements. C'est dans la nature même que Vicat croit trouver le fondement des prohibitions de parenté et d'alliance dont il expose successivement les différentes catégories. «La nature», affirme-t-il ainsi tout d'abord à propos de l'empêchement entre ascendants et descendants, « a lié les ascendants avec leurs descendants par les sentiments d'un respect néces­ saire à la pureté des mœurs, que les premiers doivent, avec la plus grande application, inspirer aux autres à qui ils ont en même temps donné le témoignage de l'affection la plus tendre : l'honnêteté naturelle ne souffre donc point qu'ils puissent penser à changer en celle de mariage la relation qu'ils soutiennent entre eux» 2o. Assez curieusement, ce n'est pas ainsi l'incompatibilité qui se ferait jour chez les descendants entre la déférence filiale et l'intimité conjugale, qui forme pour Vicat la raison de l'empêchement de prohibition de l'inceste au sens strict, mais bien plu­ tôt l'indécence qu'il y aurait pour des parents tenus à un certain « respect nécessaire à la pureté des mœurs » à songer à transformer la nature des relations qu'ils ont avec leurs enfants de parentale en conjugale. Le même impératif de la pureté des mœurs est à la base de la prohi­ bition du mariage entre frères et sœurs, voire entre cousins germains. Ce serait en effet, pour l'auteur du Traité du Droit naturel, « abandonner au péril de la corruption les frères et sœurs objet de la même éducation, liés par les épanchements innocents d'une affection mutuelle, que de permettre qu'ils puissent les convertir en ceux qui ont rapport à des idées de mariage» 21• Il en va de même pour les cousins germains « élevés par les soins d'une éducation commune sous une économie composée des maisons réunies des frères ou des sœurs, dont les familles ne vivent point séparément» 22 • Quant à l'argument des enfants d'Adam, péremptoire de l'avis de Barbeyrac, pour rendre caduque toute invoca­ tion du Droit naturel en la matière, Vicat considère qu'il n'est pas valable, s'agissant tout simplement d'un état de nécessité, dont on ne saurait inférer la légitimation des mariages consanguins 23, Allant plus loin, le professeur de Lausanne tient également pour prohibées, et pour la même raison, les unions entre alliés, en ligne directe comme en ligne collatérale 24, rejoignant ainsi le plus systématique des commentateurs de Grotius de toute !'Ecole du Droit naturel moderne : Henri Cocceji 25,

20 Cf. chap. Ll/§DCCXXI. 21 Cf. chap. Ll/§ DCCXXII. 22 ibid. 23 ibid. 24 Cf. chap. LI/§ DCCXXIII. 25 Cf. notre étude sur Le Mariage dans !'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XV/li• siècle, deuxième partie, chapitre Il, p. 280 ss. A noter que le Grotius illustratus de H. Cocceji avec les notes de S. Cocceji, son fils, paraît à Lausanne en 1751 (1'• éd., Breslau 1744-1747). 106 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL c) Forme et moment de la conclusion du mariage. Laissant de côté la détermination du moment de la conclusion du mariage, c'est à la nécessité d'une forme de conclusion publiquement reconnaissable que s'arrête Vicat. Les solennités nuptiales ont pour lui avant tout une fonction naturelle d'ordre, tant il est vrai « qu'un mariage ignoré des autres laisse le couple qu'il unit exposé, plus que s'il était connu, à ce qui est capable d'en troubler l'union » 2a. C'est la raison pour laquelle à son sens « dans la société civile, où il importe que l'ordre le plus exact soit observé par rapport aux familles, il convient de ne point souffrir que les mariages soient clandestins et de prescrire à cet égard une manière de les rendre publics par des solennités, en sorte que le public soit comme garant de la pureté et de l'inviolabilité de ses nœuds » 21.

C. Effets du mariage

Dans son approche des effets du mariage, Vicat ne s'attache pas seulement à déterminer les droits et les devoirs des époux, il aborde éga­ lement la délicate question de la nature de la société conjugale qu'il traite dans la perspective hiérarchique traditionnelle.

a) Nature de la société conjugale. « Société perpétuelle entre un homme et une femme, dont la fin est la conservation de l'ordre et de l'honnêteté naturelle dans ce qui a rapport au penchant que les deux sexes ont naturellement l'un pour l'autre 2s », le mariage assure pour Vicat aux deux conjoints «un droit égal à ce qui en fait l'objet » 2n. Cette apparente égalité ne doit cepen­ dant pas faire illusion : « Les intérêts mêmes du sexe le plus faible l'ont dû porter naturellement à reconnaître la supériorité du plus courageux et du plus fort, à plier sous ses volontés et à ne devoir qu'à la douceur et aux charmes de la persuasion, l'avantage d'obtenir de celui-ci ce que la résistance ou la force n'aurait pu gagner so. » La supériorité de l'homme sur la femme est donc un fait aux yeux de Vicat, une évidence dont le bien-fondé ne saurait se discuter. C'est ainsi à son sens « pour des raisons calculées sur les principes d'une politique bien entendue » que partout les lois civiles « ont mis le sceau du Droit à cette supériorité du mari sur la femme » s1 et qu'elles ont « déterminé que la volonté de

20 Cf. chap. LI/§ DCCXXIV. 21 Ibid. 2s Cf. chap. L/§ DCCXXV. 20 Cf. chap. L/§ DCCXXVI. 80 Ibid. 81 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : VICAT 107 celui-là, toutes choses d'ailleurs égales, prévaudrait sur celle de l'autre, que les enfants prendraient le nom de leur père comme la femme celui du mari» 32• La société conjugale présente donc pour Vicat tous les traits d'une société inégale où le pouvoir de commander et de diriger appartient incontestablement au mari. C'est dès lors en fonction de cette perspec­ tive hiérarchique que se définissent chez lui les droits et les devoirs des conjoints. b) Droits et devoirs des conjoints. S'il compte au nombre des effets du mariage parmi les droits et devoirs communs aux époux, « les mutuels secours les plus empressés et les plus soutenus qu'il puisse y avoir d'homme à homme » 33 et s'il reconnaît que « dans une telle société l'un et l'autre associé a naturel­ lement un droit égal à ce qui en fait l'objet» 34, Vicat n'en assigne pas moins à la femme un certain état de sujétion, qui étend le champ de s~s devoirs par rapport à celui de ses droits, en même temps qu'il assure au mari une prééminence qui lui confère plus de droits que de devoirs. Il ne précise cependant guère, en ce qui concerne les droits et devoirs propres à chacun d'eux, l'étendue de l'autorité maritale et celle des devoirs de l'épouse, se bornant à mentionner son obligation de suivre son mari 35•

D. Dissolution

Au chapitre de la dissolution du mariage, seul le divorce retient l'at­ tention de Vicat, qui ne s'arrête ni au mode naturel par lequel la société conjugale se dissout, ni à la problématique des secondes noces. a) Décès. Le mode naturel de dissolution de la société que constitue la mort d'un des conjoints ne suscite pas l'intérêt de Vicat. b) Divorce.

Bien qu'il proclame « perpétuelle la société conjugale» 8t1, l'auteur du Traité du Droit naturel n'en admet pas moins sans discussion l'ins­ titution du divorce, à laquelle il ne consacre pas moins de trois para-

s2 Ibid. 83 Cf. chap. L/§ DCCXXV. 84 Cf. chap. L/§ DCCXXVI. 85 Ibid. 86 Cf. chap. L/§ DCCXXV. 108 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL graphes a1. Il s'attache à y décrire les causes du divorce et sa procédure. « La violation des droits essentiels à la société conjugale, écrit-il ainsi, un comportement qui la rend inutile ou dangereuse ou insupportable à la personne avec qui on est lié, des accidents qui font manquer ce qu'il y a d'essentiel à une telle société : ce sont là les causes qui parais­ sent autoriser à se regarder comme n'étant plus lié à y demeurer 38• » Se situant par là dans une ligne moyenne entre le contractualisme radi­ cal de Thomasius et l'institutionalisme figé de la scolastique, il fait du mariage un contrat dont la seule violation d'une clause essentielle peut légitimer la dissolution. Insistant, il faut le relever, sur l'égalité des droits des époux en la matière 39, il reconnaît quant à la procédure à suivre, que « dans l'état de nature il suffit à celui des époux qui est dans le cas de se séparer, que la cause en soit évidente » sans qu'il lui faille attendre une sentence judiciaire appréciant le bien-fondé de la cause pour autoriser cette séparation 4°. Il en va, par contre, tout différemment à son sens dans l'état-civil, où « il y a quelqu'un dont il faut attendre le jugement : la société civile y a un trop grand intérêt, estime-t-il, pour qu'une démarche de cette importance soit laissée à la liberté des particuliers, même si cette séparation était consentie de part et d'autre» 41, Affirmant ainsi à la suite de Pufendorf la nécessité d'un prononcé judiciaire du divorce dans l'état de société, Vicat s'oppose vigoureusement au divorce par simple accord des parties dans l'état-civil, qu'il paraît bien admettre dans l'état de nature. Nécessaire, l'intervention du pouvoir judiciaire lui semble cependant suffisante pour garantir l'intérêt de la société au point qu'il n'exclut pas dans ces conditions la dissolution « consentie de part et d'autre», c'est-à-dire l'institution du divorce par consentement mutuel.

c) Secondes noces. A la différence de Barbeyrac, Vicat ne s'attache pas à la question de la légitimité du remariage, ni même à celle de la nécessité d'un délai de viduité.

37 Cf. chap. L/§§ DCCXXVII-DCCXXIX. 38 Cf. chap. L/§ DCCXXVIII. 39 Ibid. 40 Cf. chap. L/§ DCCXXIX. 41 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : PILLICHODY 109

§ 2. JEAN-GEORGES PILLICHODY

A. Problématique générale

Comme j.-G. Pillichody *, de son propre aveu, suit «pour l'ordre et le titre des chapitres » les Devoirs de l'Homme et du Citoyen de Pufen­ dorf et ne cache pas combien il a profité de ses « lumières » 1, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il révèle dans son approche de la problématique du mariage, en particulier de la nature juridique de l'institution, la profonde influence exercée sur lui par le jurisconsulte saxon. a) Origine et fins du mariage. Reconnaissant dans le mariage une institution qui répond aux « vues du Créateur dans la formation de l'espèce mâle et de l'espèce femelle » 2, Pillichody se refuse cependant à considérer la propagation de l'espèce commme son but essentiel. C'est qu'à son sens « ce n'est pas toujours la procréation des enfants qu'on se propose en se mariant... souvent l'on ne s'unit que pour se rendre la vie plus douce et plus commode : que pour satisfaire à divers besoins attachés à la condition des hommes sans trop penser à mettre au monde des enfants » s. Faisant sienne l'opinion de Wollaston, l'auteur de !'Ebauche de la religion naturelle (La Haye, 1747), qui proclame que «la fin du mariage,

* Sur la vie et l'œuvre de jean-Georges Pillichody (1715-1783), voir les indications de Ph. Meylan, op. cit.1 p. 236 et d' A. de Montet, Dictionnaire cité, II, p. 308. Nous n'en retiendrons ici que les traits marquants. J.-0. Pillichody \'Oit le jour à Berne en janvier 1715. Devenu docteur en droit à Bâle au commencement de 1734, il est la même année nommé justicier de la ville d'Yverdon. li accèdera successivement aux fonctions de châtelain de Baulmes en 1738, à celles de caissier des sels à Yverdon en 1755, d'assesseur baillival de cette ville en 1771, puis de lieutenant de justice en 1776. juge au véné­ rable Consistoire en 1780, il succède en 1782 à son oncle comme seigneur de Bavois-Dessus, ainsi que dans les charges de lieutenant baillival et de châtelain d'Yverdon qu'il occupera jusqu'à sa mort en 1783. Candidat malheureux à la succession de Loys de Bochat à la chaire de droit de l'Académie de Lausanne en 1741, Pillichody laisse un intéressant «petit catéchisme» de Droit naturel, Le Droit naturel d'un Père à son Fils (Yverdon, 2 vol., 1769), ouvrage de vulgarisation conçu par demandes et réponses sur le plan du De Officio Hominis et Civis de Pufendorf, ainsi que deux essais intéressant le Droit vaudois, l'un sur les Ordonnances qui ont dérogé au Coutumier du Pays de Vaud (Neuchâtel, 1756) et l'autre sur !'Utilité de convertir en fonds clos les pâturages communs (Yverdon, 1766). 1 Le Droit naturel d·'un Père à son Fils, Préface, p. XVI-XVII et n. a). 2 Op. cit., p. 21. s Op. cit., p. 47-48. 110 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL c'est la propagation du genre humain et le bonheur des conjoints pris ensemble ou même séparément » 4, le châtelain de Baulmes n'est pas loin de donner ainsi le primat à la fin subjective du mariage -- le bon­ heur des époux - sur sa fin objective, la propagation de l'espèce. b) Définition et nature juridique.

Premier des « états accessoires » 5 comme chez Pufendorf, le mariage est défini par Pillichody comme « ce contrat par lequel... l'homme et la femme promettent de vivre dans une étroite union de corps et de biens, durant leur vie en se gardant une fidélité inviolable» o. Plus précisé­ ment, il s'agit pour lui d'un « contrat entre un homme et une femme, en âge de puberté et de discrétion, capables de consentement, maîtres de disposer de leurs personnes et sans défauts essentiels» 1. Si la propa­ gation de l'espèce « qui doit en être le but» s, n'entre pas dans la défi­ nition du mariage parce qu'elle n'est pas sa fin essentielle 9, il en va de même de « l'inégalité qui s'y trouve, en ce que l'autorité est réservée au mari et la soumission à la femme » io. L'inégalité de condition n'est pas essentielle en effet au mariage ; pour J.-0. Pillichody, « on a des exemples de mariages où les femmes se sont fait céder l'autorité qui naturellement appartient au mari » 11, Quant à la nature juridique du mariage, l'auteur du Droit naturel d'un Père à son Fils semble partager le point de vue de Pufendorf, tenant le mariage pour une institution-contrat. Premier des «états acces­ soires », le mariage est en effet plus qu'un simple contrat. Il n'est que de voir comment il aborde sa dissolution. Dans la même perspective qu'Erasme dans son étude de la sacramentalité de l'institution 12, il estime que « si l'une des parties vient à rompre cette union, le mariage se dissout par le fait» 13, Et l'auteur, explicitant sa pensée, précise que «tout ce qui s'oppose, en un mot, à l'union contractée et à la foi pro­ mise, en ce qu'il y a d'essentiel, est cause de dissolution » du mariage H. Tel n'est pas le cas « de l'infécondité de l'homme, de la stérilité de la femme, de même aussi des maladies et des accidents survenus dès le

4 Ebauche de la Religion naturelle, cité in Le Droit naturel d'un Père à son Fils, p. 48, n. a. 11 Op. cit., p. 19. 6 Op. cil., loc. cit. 1 Op. cit., p. 30. s Op. cit., p. 47. 9 Op. cit., loc. cil. lo Op. cit., p. 49. 11 Op. cit., foc. cil., note b. 12 Cf. à ce sujet P. Bels, Le mariage des protestants français jusqu'en 1685, Paris 1968 p. 74-81. rn Le Droit naturel d'un Père à son Fils, p. 39. u Op. cit., p. 41. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : PILLICHODV 111 mariage» et « qui sont des malheurs qu'on peut prendre en patience» 15• Pareillement, il ne prend pas en considération le consentement mutuel. Par là, Pillichody se distance nettement des positions contractualistes de Thomasius pour se situer dans la ligne pufendorfienne de Vicat. c) La question de la polygamie. A l'instar des autres représentants de !'Ecole romande, Pillichody réprouve sans restriction la polyandrie. Les arguments décisifs qu'il invoque à cet égard tiennent à l'incertitude de la paternité qu'elle entraîne et à la confusion qui en résulte dans les relations de famille. « Etant contraire au but du mariage, introduisant nécessairement le doute, la défiance et la confusion par rapport à la famille, elle est par là même, estime-t-il, contraire à la raison ; aussi n'a-t-elle jamais été reçue dans aucun Etat policé 1a. » Il en va différemment de la polygynie. « N'étant pas contraire au but du mariage et pouvant s'allier avec l'ordre, elle ne répugne pas à la raison 11. » C'est ce que montrent à son sens tant sa pratique dans certains pays que l'exemple de « saints personnages dans l'antiquité» 18, Tout en admettant en conséquence la légitimité de la polygynie en Droit naturel, Pillichody marque cependant bien la supériorité de la monogamie. « Le mariage d'un seul homme avec une seule femme » lui paraissant « le plus convenable » 19, la monogamie est à son sens « ce qu'il y a de plus parfait en ce genre» 20.

B. Formation du mariage

C'est de manière relativement exhaustive que Pillichody traite des problèmes de la formation du mariage, s'arrêtant aussi bien à la ques­ tion de l'obligation de se marier qu'à celle des conditions du mariage et des formes de sa conclusion. a) Liberté du mariage. Décelant dans la diversité des sexes et dans le penchant qui tes pousse l'un vers l'autre une volonté du Créateur quant au mode de propagation de l'espèce, Pillichody pose pour principe qu'il y a bien « quelque obligation de se marier», mais que « cette obligation qui

15 Op. cil., p. 42. 16 Op. cil., p. 27. 11 Op. cit., p. 28. 18 Op. cil., p. 29. 10 Op. cil., toc. cil. 20 Op. cil., p. 30. ' 112 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL retombe sur le genre humain pris ensemble, ne retombe cependant pas sur chaque individu en particulier » 21. Avec la même ouverture d'esprit que Pufendorf à l'égard du célibat, il proclame la liberté de chacun d'assumer dans la société le rôle « qui convient le mieux à sa situation » 22. « Si l'homme, écrit-il explicitement, en ne perdant jamais de vue son propre bonheur, croit de le rencontrer dans le mariage plutôt que dans le célibat, il doit se décider pour celui-là, comme il doit au contraire se décider pour celui-ci, s'il en juge autrement 23. » Réagissant contre toute forme de natalitarisme en ce domaine, il s'en prend même avec vigueur « aux partisans outrés du mariage » qui décomposent, pour ainsi dire, l'homme et en font un animal semblable à la brute, en ne faisant attention qu'au physique ; tandis que le moral a été placé en lui pour servir de contrepoids dans l'occasion 24. Dans la même perspective que Pufendorf, il conclut que «le mariage dépend donc des circonstances où l'on se trouve» 25 , et que le «croissez et multipliez » de la Genèse « est mains un ordre qu'une bénédiction » 26• b) Conditions du mariage. A la différence de Vicat, Pillichody s'attache à traiter systématique­ ment de toutes les conditions du mariage. « Contrat entre un homme et une femme en âge de puberté et de discrétion, capables de consentement, maîtres de disposer de leurs personnes et sans défauts essentiels 21 », le mariage ne peut à son sens « se contracter indifféremment entre toutes sortes de personnes » 28• Il implique d'une part certaines conditions de capacité physique des parties en cause et d'autre part l'absence d'empê­ chements de parenté entre les intéressés. œ) Capacité matrimoniale. Ne peuvent tout d'abord s'engager dans le mariage que des « per­ sonnes bien conformées » 20, de sexe différent, « en âge de puberté et de discrétion, capables de consentement, maîtres de disposer de leurs personnes et sans défauts essentiels » ao. Si Pillichody relève que « dans un état civil on règle l'âge où l'on peut contracter valablement mariage et l'âge où l'on peut le faire même sans le consentement de ses parents»

21 Op. cit., p. 20-21. 22 Op. cit., p. 21. 23 Op. cit., Loc. cit. 24 Op. cit., Loc. cit., note a. 25 Op. cit., p. 22-23. 2s Op. cit., p. 22, note b. 21 Op. cit., p. 30. 28 Op. cit., p. 50. 20 Op. cit., Loc. cit. ao Op. cit., p. 30. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : PILLICHODY 113 et que «l'on y déclare nul et comme non avenu, le mariage, où les défauts de l'un ou l'autre des conjoints en auraient empêché la consom­ mation >-' 31, distinguant ainsi avec bonheur, et l'un des rares à le faire au sein de !'Ecole du Droit naturel moderne, nullité et divorce 32, il n'entre pas dans la problématique de la validité des mariages entre personnes âgées, qui retenait encore la plupart des représentants de !'Ecole allemande du début du siècle. Les différentes catégories de mal­ formations auxquelles s'arrêtaient également Thomasius et ses disciples dans une savante casuistique 33 constituent en revanche pour lui des causes d'incapacité absolue comme chez Wolff et ses disciples 34. f3) Empêchements. Il ne suffit pas que les intéressés soient physiquement et intellectuel­ lement capables de se marier, il faut encore qu'ils ne soient pas «parents en degrés défendus » 35. En ce qui concerne ces prohibitions, Pillichody estime qu'elles pro­ cèdent soit de la raison, soit de !'Ecriture sainte, soit des lois du pays. Ce ne sont évidemment que les mariages entre parents en degrés prohi­ bés par la ra;son qui ressortissent au Droit naturel. Pour le châtelain de Baulmes, la raison ne défend en définitive que « le mariage entre ascendants et descendants» 36• Reprenant l'argumentation grotienne de l'incompatibilité entre les devoirs des époux et ceux qui existent entre parents et enfants, Pillichody considère en effet qu'un « tel mariage répugnerait aux sentiments, confondrait les rangs, détruirait les égards» 31. Tous les autres empêchements lui paraissent procéder soit de l'Ecri• ture sainte - c'est le cas pour les mariages entre collatéraux jusqu'au troisième degré 38 - soit des lois civiles ou canoniques - c'est le cas pour les mariages entre collatéraux à un degré plus éloigné 39 et les

31 0 p. cit., toc. cit. 32 Op. cit., toc. cit. et p. 31. 33 Cf. notamment Thomasius et ses principaux disciples Beyer, Oundling, Heineccius et Ludovici ainsi que J.O. Wolf et Fleischer. Voir à ce sujet notre thèse susmentionnée. Le mariaf{e dans !'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVIII' siècle, deuxieme partie, ch. III, p. 324 pour Thomasius et pour ses disciples, p. 358-359. 34 Op. cit., deuxième partie, ch. IV, p. 384, pour Wolff et p. 412-413 pour les représentants de son Ecole, notamment Koehler, Schierschmidt, Darjes et Achenwall. 35 Le Droit naturel d'un Père à son Fils, p. 50. 36 Op. cit., toc. cit. et p. 51. 37 Ibid. 38 A cet égard, Pillichody, se réclamant de Thomasius, se distance de Grotius et de son interprétation du Lévitique, ch. 18, «ne s'avouant pas assez bon rabbin pour comprendre comment il peut être permis d'épouser sa tante maternelle, mais non pas sa nièce du côté du frère ». Cf. op. cit., toc. cit., note a. ao Op. cit., p. 52. 114 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL mariages entre alliés 40, A ce propos, tout en relevant que les mariages entre cousins germains de sang sont prohibés en terre vaudoise et qu'ils l'étaient aussi autrefois entre germains d'alliance, il signale qu'ils « com­ mencent à se tolérer au Pays de Vaud» et qu'ils «sont permis chez quelques-uns de nos voisins protestants» 41. Quant à l'alliance, il l'ex­ plique à l'instar de H. Cocceji 42 par « l'unité de chair» que forment les époux. Celle-ci a pour conséquence que « les parents du mari sont censés parents de la femme et les parents de la femme sont censés parents du mari» 43• « C'est en conséquence de cela, conclut-il, qu'on suit assez communément la règle du droit canonique, à savoir que le mariage est défendu avec les parents par affinité au même degré qu'il est défendu entre les parents de sang 44. » Les considérations de Pillichody sur la délimitation des empêche­ ments et ses fondements ne s'arrêtent pas là. S'en prenant aux empê­ chements « qu'un souverain chrétien qui respecte et la raison et la reli­ gion » 45 ne peut imposer, il développe une véritable doctrine des empêchements de Droit naturel et de Droit divin qui révèle la fonction critique du Droit naturel au Siècle des Lumières. Affirmant une première forme de « droit au mariage», l'auteur du Droit naturel d'un Père à son Fils estime en effet qu'un prince chrétien « ne peut défendre le mariage à quiconque n'a ni défaut physique, ni défaut moral, non plus qu'il ne peut défendre de boire et de manger aux personnes qui se portent bien » 46• Même s'il concède qu'un souverain puisse « attacher certains emplois à des personnes vivant dans le célibat » 47, il entend bien réagir contre les empêchements de nature économique. C'est ce qu'il fait clairement voir en soulignant que « les pauvres ont tout autant de droits et tout autant de talents et tout autant de besoins par rapport au mariage que les riches » et que '~ ce serait une loi trop dure que celle qui les en excluerait, faute de biens» 48. Bien plus, dans une perspective de politique démographique et sociale, il va jusqu'à affirmer : « La loi qui défend le mariage aux pauvres est au préjudice de la population. Laissez-les faire et faites pour eux et leurs familles des établissements charitables 49, » Il est difficile de s'opposer davantage aux vues étroites

40 Op. cil., p. 53-54. 41 Op. cit., p. 52, note a. 42 Cf. notre travail déjà mentionné, deuxième partie, ch. II, p. 281-282. 43 Cf. Le Droit naturel d'un Père à son Fils, p. 53. 44 Op. cit., Loc. cit. et p. 54. 45 Ibid. 46 Op. cit., p. 54-55. 47 Op. cit., p. 55. 48 Op. cit., Loc. cit., note a. 49 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : PILLICHODY 115 d'un Wolff, qui n'était pas loin de considérer dans sa Deutsche Politik que les personnes incapables d'assumer matériellement la vie de leur progéniture, n'étaient pas habilitées à se marier 5o. La portée du principe du droit au mariage ainsi affirmée doit cependant être singulièrement nuancée. Car Pillichody ne partage pas encore l'idéologie des artisans de la Constitution fédérale de 1874 et de leur droit au mariage. C'est ainsi que s'il conteste le bien-fondé des empêchements de condition, Pillichody admet en effet qu'un souverain puisse défendre « pour des raisons de politique » de se marier non seulement « en tel degré de parenté, mais entre telles personnes qu'il vous plaira » 51. C'est qu'à son sens « cela n'ôte pas la liberté de se marier, cela ne fait que la restreindre » 02. Enfin, par une curieuse conception des impératifs démographiques d'un Etat, alors qu'il s'oppose à ce qu'un souverain puisse dispenser des empêchements au mariage entre parents plus proches que cousins ger­ mains « parce que ou la raison, ou le droit divin s'y oppose » 53, il admet que dans le cas « où par quelque fatalité le nombre des femmes dans un pays serait de beaucoup supérieur à celui des hommes et qu'il fau­ drait avoir recours à cet expédient pour le repeupler» M, la polygamie puisse être tolérée. c) Forme et moment de la conclusion du mariage. Ne s'arrêtant pas à la problématique de la détermination du moment de la conclusion du mariage, l'auteur du Droit naturel d'un Père à son Fils ne prête guère attention qu'à la question de la forme de sa conclu­ sion. Et encore en ce qui concerne les formalités dont doit être entourée la conclusion du mariage, Pillichody, qui relève « qu'il n'y a pas de peuple presque, où il n'ait été établi quelque cérémonie pour la publicité du mariage » 55, se borne-t-il à mentionner la nécessité dans l'état de société des solennités nuptiales. Il ne suffit pas, estime-t-il, du consen­ tement des parties « pour que le contrat soit valable ; il faut encore pour qu'il ait les effets civils qui y sont rattachés, qu'il soit fait à la face de l'église, et qu'il soit béni, sans quoi, ajoute-t-il, ce ne serait qu'un concubinage condamné par les lois » 56, C'est donc le souci de dis­ tinguer le mariage des autres unions par une publicité spécifique qui

liO Deutsche Politik, 1/11/§ 21. Voir à ce propos notre ouvrage déjà cité, deuxième partie, ch. IV, p. 389. 51 le Droit naturel d'un Père à son Fils, p. 56. 52 Ibid. 53 Op. cit., p. 55. M Op. cil., p. 56. 55 Op. cit., p. 36, note a. 56 Op. cil., p. 35-36. 116 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL justifie pour Pillichody, comme pour Heineccius en Allemagne, l'ins­ titution des formalités, qui accompagnent régulièrement sa conclusion 57,

C. Effets du mariage

A l'instar de Vicat, Pillichody traite de l'ensemble des questions rela­ tives aux effets du mariage, de la problématique de la nature des rela­ tions entre époux à celle de leurs droits et devoirs respectifs. a) Nature de la société conjugale. Se refusant à « faire entrer dans la définition du mariage l'inégalité qui s'y trouve » 58, Pillichody ne considère pas que la société conjugale soit par essence de nature hiérarchique. S'il reconnaît sans doute « que dans les pays chrétiens ... la chose est ainsi établie», «que l'autorité est réservée au mari et la soumission à la femme » 119, il estime cependant bien que « la chose pourrait être autrement et n'en être pas moins légi­ time» oo. Bien plus, les paroles de !'Ecriture en ce domaine, et singu­ lièrement celles de saint Paul aux Ephésiens - « femmes soyez soumises à vos maris comme au Seigneur » 61 - lui paraissent « relatives à l'état et à la constitution des peuples à qui elles s'adressaient ; et si ces peuples eussent accordé l'autorité à la femme et fait de la soumission le partage du mari, il ne faut pas douter à son sens que saint Paul n'ait tenu un langage tout contraire » 62. Rappelant les « exemples de maria­ ges où les femmes se sont fait céder l'autorité maritale» 63, il conclut qu'en définitive « le mariage est un contrat réglé quant aux conditions ou par les lois du pays ou par la convention des parties» 64. Le carac­ tère hiérarchique ou égalitaire de la société conjugale dépendant ainsi chez Pillichody des traditions locales ou de la volonté des intéressés, il n'est pas possible de déterminer si dans son esprit le mariage est par

57 Cf. Heineccius, Praelectiones academicae in S. Pufendorfii de officio hominis et civis, Genève 1749, ad II/Il(.§ 9. Voir notre travail cité, deuxième partie, ch. II, p. 290. A relever que Ptllichody ne retient qu'un aspect de la fonction de publicité des solennités nuptiales, laissant dans l'ombre le rôle de ces formalités dans la lutte contre les unions à un degré prohibé. 58 Op. cit., p. 48-49. 59 Op. cit., p. 49. 60 Ibid. 61 Epître aux Ephésiens, ch. V/v. 22. 62 Le Droit naturel d'un Père à son fils, [oc. cit. 63 Ibid. avec référence à la thèse de l'historien prussien jean-Philippe Palthenius (1672-1710) sur ce sujet de 1707 (De marito reginae) et au jus Naturae de Heineccius 11/2/§ 47, note. Sur Palthenius, cf. C.G. Joecher, Allgemeines Gelehrten-lexicon, Leipzig 1750-1751, t. III, col. 1210 et Allge­ meine Deutsche Biographie (ADB), Leipzig 1875-1912, t. 25, p. 111. 64 Op. cit., p. 50. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : PJLLJCHODY 117 essence de nature hiérarchique ou égalitaire 65, L'élucidation des droits et des devoirs des époux permet de déceler cependant l'orientation de sa pensée face à cette question. b) Droits et devoirs des conjoints. Engagés par leur union « à une société étroite soit pour la commu­ nication de leurs corps, soit pour la communication de leurs biens», les époux se doivent également pour Pillichody « une assistance mutuelle, des égards, du support, de ta complaisance, de ta confiance, de la fidé­ lité, et une honnête et sage économie » 0a. Par là le châtelain de Baulmes ne fait aucune différenciation entre les droits et devoirs du mari et ceux de la femme. Tous deux sont pareillement tenus de s'aider mutuellement et de se porter conseil, d'avoir des égards l'un pour l'autre et de se supporter, de se rester fidèles et de pourvoir à une saine gestion du ménage commun.

n. Dissolution

Abordant les différents problèmes que pose la dissolution du mariage dans le cadre de la détermination de la durée des engagements des époux, Pillichody, qui ne fait qu'effleurer la question de la fin du mariage par le décès d'un des époux, s'attache surtout à la problématique de l'institution du divorce et à celle de ses causes, comme à celle de la séparation de corps et des conditions du remariage.

a) Décès. A la question de savoir si l'engagement des époux doit « durer tou­ jours» 67, l'auteur du Droit naturel d'un Père à son Fils répond, faisant allusion à sa fin par suite du décès de l'un des conjoints, « qu'il finit toujours trop tôt, si les conjoints vivent ensemble dans une parfaite harmonie » 0s.

65 Cf. La remarque significative quant aux effets patrimoniaux du mariage, op. cit., p. 38, note a) : « Cette société par rapport aux biens est égale ou inégale selon qu'on en convient par contrat... » et la conclusion se référant aux traditions locales : « Mais s'il n'y a rien de convenu là-dessus, il est assez communément de règle, que tous le bien qui est dans la maison, gains et acquêts appartiennent au mari que la femme ne peut réclamer que ce qu'elle justifie avoir apporté. » 60 Op. cit., p. 38. 67 Op. cit., toc. cit. os Op. cil., p. 39. 118 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL b) Divorce. Evoquant le cas où les époux ne s'entendent plus, Pillichody estime alors qu'il n'est pas possible « de faire subsister un engagement mutuel qu'une des parties viole et méprise dans ce qui en fait l'essence » 09, « Si la malice, l'infidélité, les noirceurs, les sévices en rompent jour­ nellement les liens», le mariage ne durera jamais à son sens «que trop longtemps» 10, Considérant que «si une des parties vient à rompre cette union, le mariage se dissout par le fait et qu'il n'y a pas de raison d'empêcher qu'il ne soit dissout par le droit» n, il conclut que « les lois naturelles permettent le divorce» et que «les lois de Jésus-Christ en réprimant la trop grande licence des juifs à cet égard, autorise néan­ moins le divorce en certains cas » 12, Passant à l'examen de ces différents cas, il tient pour causes légi­ times de divorce, l'adultère, la désertion malicieuse, l'incompatibilité d'humeur, les mauvais traitements, le refus opiniâtre du devoir conjugal, « tout ce qui s'oppose en un mot, à l'union contractée et à la foi pro­ mise, en ce qu'il y a d'essentiel» 73, Ce n'est par contre le cas ni de l'infécondité de l'homme, ni de la stérilité de la femme, ni même « des maladies ou accidents survenus depuis le mariage et que les époux ont à prendre à son sens en patience» 74• Quant à chacune des causes, il faut relever la stricte égalité que Pillichody maintient entre l'homme et la femme. C'est particulièrement sensible en cas d'adultère où l'auteur vaudois relève : « Quoique la faute, en pareil cas, de la femme soit de plus dangereuse conséquence que celle du mari, cependant, comme celui-ci ne contrevient pas moins à son engagement que celle-là, la femme n'a pas moins de droit que le mari d'en demander la dissolution 75, » Assez curieusement, il se montre tou­ tefois moins sévère dans son appréciation de la gravité de l'adultère que dans celle de la désertion malicieuse. « Le violement de cette dernière sorte, écrit-il ainsi, me paraît plus contraire à l'union que quelque acte d'infidélité, souvent l'effet de l'occasion et de la surprise et toujours celui de la tentation. La désertion malicieuse détruit l'union, l'adultère n'en suspend que quelques actes et quelquefois encore il n'en diminue aucun 7 6• » C'est avec la même psychologie nuancée du lien conjugal

69 Ibid. 10 Ibid. n Ibid. 12 Op. cit., p. 39-40. 1s Op. cit., p. 40-41. 74 Op. cit., p. 42. 75 Op. cit., p. 40. 76 Op. cit., p. 41. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : PILLICHODY 119 que Pillichody considère l'incompatibilité d'humeur, les mauvais traite­ ments, le refus opiniâtre du devoir conjugal comme des causes de divorce. « Tout ceci, conclut-il en effet, est une cause légitime de divorce, si du moins, après plusieurs tentatives, nprès des délais, après des menaces, après des peines prononcées contre les coupables, et des dédommage­ ments en faveur de l'innocent, l'on ne peut ramener à la paix et à l'union la personne qui l'avait troublée 11. » Pillichody ne paraît pas admettre par contre le divorce par consen­ tement mutuel, dont il se borne à faire mention en rappelant que « !'Em­ pereur Justinien accorda au divorce toute la facilité que les personnes accommodantes auraient pu souhaiter » 1s. Quant à la légitimité des autres causes de divorce, il reconnaît sans peine que le Christ n'a parlé en fait que du seul cas d'adultère. Avec nombre d'interprètes, il pense cependant qu'H faut supposer que le Christ entendait par là « défendre aux hommes qui répudiaient par des actes d'autorité privée leurs femmes pour des sujets très légers, de ne plus le faire désormais que pour des sujets légitimes » 10. C'est pour lui l'occasion de souligner, à la suite de Pufendorf 8o, que le divorce n'est pas une affaire privée « mais au contraire du ressort du juge » 81, Dans ces conditions, force lui est de reconnaître que « l'Evangile n'empêche pas qu'il ne soit ordonné là-dessus, ce qui peut le mieux convenir à l'état présent des choses » 82. Deux limites lui semblent cependant devoir s'imposer : d'une part, « qu'on ne fasse pas dégénérer le divorce en libertinage » 83 - le souverain ne pouvant « faire du mariage un contrat purement à temps comme le serait un contrat de louage» 84 - d'autre part, « (qu'on ne fasse pas dégénérer) le mariage en enfer » 85. Pillichody n'est donc pas moins l'adversaire de l'indissolubilité du mariage que de la liberté du divorce. Pour ce qui est enfin de la séparation de corps - « la séparation de table et de lit » du droit canonique - l'institution ne lui paraît guère se justifier. Elle ne se distingue pas à son sens du divorce, puisqu'elle n'est pas moins que lui une séparation, le divorce ne rompant pas l'union, mais ne servant qu'à déclarer publiquement qu'elle est rompue. La séparation de corps ne lui semble donc pas en mesure de garantir

11 Op. cit., p. 41-42. 78 Op. cit., p. 42, note a. 79 Op. cit., p. 43, note a. 80 Pufendorf, De /ure Naturae et Gentium, Vljl/§ XXII, in fine. Voir à ce sujet notre travail sus-mentionné, deuxième partie, ch. 1, p. 248. 81 Le Droit naturel d'un Père à son Fils, p. 44, note. 82 Op. cit., /oc. cit. 83 Ibid. 84 Op. cit., p. 57. 85 Ibid. 120 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL que les hommes ne séparent pas ce que Dieu a uni et perd de ce fait sa raison d'être 86. c) Secondes noces. Admettant la légitimité de principe des secondes noces à l'encontre des Pères de l'Eglise et des Anciens 87, Pillichody estime que la liberté de remariage en cas de divorce ne saurait être absolue. Même après un certain temps, il considère ainsi, dans l'esprit du droit canonique, que le remariage ne peut être permis « avec les personnes dont le commerce a donné lieu au divorce » 88. Quant aux secondes noces des veuves, il estime que « ni la raison, ni la bienséance ne permettent à une veuve en âge d'avoir des enfants de se remarier avant que l'année de deuil ne soit écoulée» 89. Destiné à prévenir toute « turbatio sanguinis », il est à présumer que le même délai lui paraît requis en cas de remariage de divorcés.

§ 3. FORTUNÉ-BARTHÉLEMY DE FÉLICE

A. Problématique générale

Représentant assez caractéristique de l'empirisme éclectique dominant !'Ecole romande du Droit naturel dans la seconde moitié du XVIII' siècle, c'est dans une attention constante aux données de l'expérience et de l'histoire, hors de tout dogmatisme et loin de tout systématisme, que de Félice * aborde la problématique générale du mariage. Institution enra­ cinée dans la nature sexuée et raisonnable de l'homme, le mariage ne lui paraît pas se réduire à sa fonction biologique dans la propagation

86 Op. cit., p. 44. 87 Op. cit., p. 46-48, note a, avec l'explication de la ratio legis de la Loi de Charondas, excluant du Conseil de l'Etat les pères de famille qui se remariaient : « Ayant si peu à cœur les intérêts de leur famille, ils ne pouvaient qu'être de mauvais conseillers à leur patrie. » 88 Ibid. 89 Op. cit., p. 46. * Pour la vie et l'œuvre de Fortuné-Barthélemy de Félice (1723-1789), cf. les études citées d'E. Maccabez et de T.R. Castigltone. Il faut en retenir que F.-B. de Félice est né à Rome en 1723, où il reçoit sa première formation au Collège romain avant de la parfaire à Brescia. De retour à Rome en 1743, il y est nommé professeur de philosophie et y propage les théories de Leibnitz et de Newton. Sa réputation lui vaut bientôt un appel de l'Université de Naples pour la chaire de physique expérimentale (1746). Préférant sa vocation monas­ tique aux hautes charges ecclésiastiques, il refuse alors !'Evêché que lui offre le Secrétaire d'Etat du Roi de Naples. Une liaison, que couronne un enlève­ ment, a cependant raison de sa vie d'études et l'oblige à fuir tout d'abord en Toscane, puis à gagner la Suisse. Recommandé à A. de Haller, il commence DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 121 de l'espèce, mais revêt une dimension spécifiquement humaine intégrant toutes les composantes personnelles-affectives déjà marquées dans la célèbre définition de Modestin. Voilà ce qui ressort aussi bien de son élucidation de l'origine et des fins du mariage que de sa conception de la nature juridique de la société conjugale et de son attitude à l'égard de la polygamie. a) Origine et fins du mariage. C'est en suivant une méthode empmque, comme toute une partie des jurisconsultes de !'Ecole du Droit naturel moderne, c'est-à-dire en s'en référant à la nature de l'homme, que de Félice cherche à déterminer l'origine et les fins du mariage. La première évidence qui s'impose à cet égard tient à son sens à « l'inclination naturelle qui porte les hommes aux plaisirs de l'amour » 1 • « Que cette inclination soit naturelle à l'homme, ajoute-t-il, c'est ce qui paraît évidemment par la différence des sexes 2. » Dépassant alors le seul plan morphologique de la différenciation des sexes pour aborder le plan physiologique, il poursuit : « On comprendra encore mieux que ce penchant est naturel à l'homme, si l'on fait attention qu'il est une suite des lois physiques du corps humain ; car telle est sa constitution, que par s'établir à Berne (1757) où il rédige et soutient une thèse de physique qui constitue alors un des meilleurs commentaires de la physique de Newton

s Op. cit., lac. cit. et Leçons, loc. cit. 4 Encyclopédie, loc. cit. et Code de l'Humanité, lac. cit., p. 91, dans le même sens que les Leçons, toc. cil. 5 ~ncyclopédie, tome _cit., p. 511 et Code de l'Humanité, tome cit., p. 91- 92 ; v01r Leçons .. ., tome ctl., p. 153. 6 Op. cit., loc. cit. 7 Encyclopédie et Code de l'Humanité, toc. cit. a Op. cit., loc. cit. et Leçons, tome cit., p. 154-155. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 123 gale o » et, reprenant textuellement Burlamaqu'i et Pufendorf, de Félice l'explique en précisant : « L'homme étant par sa nature assujetti à la mort, il aurait fallu nécessairement que Dieu créât tous les jours de nouveaux hommes ou que le genre humain pérît avec la première géné­ ration, s'il n'avait pas établi un moyen de réparer les pertes de la société 10. » Mais ce n'est pas tout pour l'encyclopédiste d'Yverdon ; Dieu n'entend pas seulement que l'homme travaille à la multipHcation du genre humain, « Il veut encore qu'il s'applique à cet ouvrage important d'une manière qui soit digne d'un être raisonnable et sociable et qui pourvoie surtout à l'intérêt des enfants» 11. De résonance typiquement thomasienne, cette affirmation emporte plusieurs conséquences quant aux règles fondamentales régissant le mariage : « le soin du corps et de la santé, l'entretien et le perfectionnement des facultés de l'âme, une attention constante aux intérêts de la société humaine, la nourriture et l'éducation des enfants 12. » Ce dernier point lui apparaît capital pour l'ordre social tout entier, car « l'attention ou la négligence des hommes là-dessus est la cause prochaine du bonheur ou du malheur de la société en général, de celui des familles et des particuliers qui la composent» 13. La conclusion que de Félice s'estime en droit, dans une perspective étonnamment wolf­ fienne 14, de tirer de toutes ces réflexions, c'est avec Burlamaqui « qu'on ne doit pas regarder le mariage simplement comme une société qui se termine uniquement à l'union de deux personnes de différent sexe pour leur avantage particulier ou pour leur plaisir ; mais qu'il faut au contraire l'em•isager comme une société relative et pour ainsi dire préparatoire à la société paternelle et à la famille» 15. Dans cette optique, de Félice est amené à élaborer une conception extrêmement large des finalités de l'institution matrimoniale. Celles-ci ne sauraient se réduire aux finalités de procréation et d'éducation des enfants, mais s'étendent, dans une perspective eudémoniste tributaire de la pensée de Vattel 16, au bonheur même des époux: «Les jurisconsultes, prenant l'effet pour la cause, ont envisagé la procréation des enfants comme le but principal du mariage ; mais ils n'ont pas fait attention

9 Encyclopédie et Code de l'Humanité, loc. cit. ; voir Leçons, tome cit., p. 155. 10 Op. cit., loc. cit. 11 Ibid. 12 Ibid 13 Encyclopédie, tome cit., p. 512, et Code de l'Humanité, p. 92-93, dans le même sens que Leçons, tome cit., p. 156. 14 Cf. notre travail Le mariage dans l'Ecole allemande du Droit naturel moderne, Paris, 1972, p. 381 ss. 15 De Félice, Encyclopédie, loc. cit. et Code de l'Humanité, tome cit., p. 93 ; voir aussi Leçons ... , tome cit., p. 156-157 ; cf. Burlamaqui, ci-dessus p. 70, n. 30. 16 Cf. ci-dessus, p. 86-88. 124 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

que la procréation des enfants est l'effet de la société conjugale. La véritable fin donc du mariage est cette société amicale entre un mari et sa femme, qui les porte à s'aimer réciproquement, à s'aider dans les soins de leur conservation, à se donner des consolations réciproques dans les afflictions, à trouver à chaque instant près de nous un être envers lequel nous puissions exercer des droits et participer à notre tour des avantages de la sociabHité, et enfin à s'accorder par de tendres embrassements les plaisirs les plus sensibles de l'humanité, dont la pro­ création des enfants est une suite naturelle 11. » N'est-ce pas Dieu lui­ même qui nous a indiqué cette perspective en formant la femme comme a;de de l'homme « parce qu'il n'était pas bien seul » 1s ? De fait, si la procréation était le but du mariage, alors celui-ci ne serait pas un contrat perpétuel, mais casuel et momentané m. « Casuel, parce qu'un mariage entre deux personnes qui n'auraient point d'enfants serait nul à défaut de la fin principale du contrat ; momentané, car dès l'âge 01'1 ils ne pourraient plus avoir d'enfants, les époux pourraient se séparer » 2•>. Comme la Raison et la Révélation tendent à montrer que le but de la société conjugale tient dans le bonheur des conjoints, de Félice en déduit une règle tout à fait générale, « que la nature et la raison veulent que l'homme suive par rapport au mariage : c'est qu'il faut avoir égard à ce que demande l'avantage du père, de la mère et des enfants, pour remarquer que « c'est l'utilité combinée de ces trois personnes, sagement ménagée entre elles et rapportée en dernier ressort au bien de la société, qui doit servir ici de principe et de règle fondamentale» 21. Cette règle générale est précisée par deux remarques visiblement ins­ pirées de la lecture de Thomasius : la première, c'est que dans le mariage « il ne suffit pas de prendre pour règle ce qui, considéré en soi-même et à toute rigueur, nous paraît permis, mais qu'il faut encore consulter l'honnêteté et la modération» 22 - l'honestum et le decorum de Thoma­ sius -. nul domaine n'apparaissant plus tributaire des circonstances particulières de l'existence et n'imposant plus de prudence que le mariage. La seconde, et là de Félice réagit contre les excès de certa•ins représen­ tants de la tendance individualiste de !'Ecole du Droit naturel moderne, « c'est qu'en examinant quelles sont les lois qu'on doit établir par rap­ port au mariage, il faut principalement avoir égard à ce que demande l'utilité commune, et cela au préjudice même de l'utilité particulière s'il pouvait y avoir entre elles quelque opposition» 23. C'est qu'en cette

11 Encyclopédie, tome cit., p. 523, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 105. 1s Op. cit., Loc. cit. 10 Ibid 20 Encyclopédie, toc. cil. et Code de l'Humanité, tome cit., p. 106. 21 Encyclopédie, tome cit., p. 512, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 93, dans le même sens que leçons ... , tome cit., p. 157. 22 Encyclopédie et Code de l'Humanité, Loc. cit. 23 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 125 matière, et cette optique se retrouvera souvent dans sa pensée, «le bien public et commun est le premier et principal objet des lois» 24• b) Définition et nature juridique du mariage. C'est une définition purement formelle que de Félice commence par donner du mariage puisqu'il le définit sommairement comme « la société d'un homme et d'une femme» 25. Cette société étant « le principe et le fondement de toutes les autres », il est de toute importance, ajoute-t-il cependant, que le mariage soit dirigé par de sages lois 26• Partisan de l'ordre en ce domaine et de la nécessité par conséquent d'une réglementation exhaustive du mariage, il n'a pas de peine, dans la ligne de Thomasius, à en faire la démonstration : « Avant l'établis­ sement des sociétés civiles, les deux sexes dans le commerce qu'ils avaient ensemble ne suivaient que leurs appétits brutaux», relève-t-il en souli­ gnant les suites de cet état de fait : « Les enfants qui provenaient de ces commerces déréglés ne pouvaient jamais savoir qui était leur père. Ils ne connaissaient que leur mère, dont par cette raison ils portaient le nom. Personne aussi n'était chargé de les élever, ils étaient souvent exposés à périr. Un pareil désordre ne pouvait qu'être extrêmement pré­ judiciable. Il était donc de la dernière conséquence d'établir de la règle et de la tranquillité dans le commerce des deux sexes, d'assurer la subsistance des enfants et de pourvoir à leur éducation. On n'y est par­ venu qu'en assujettissant à de certaines formalités l'union de l'homme et de la femme 27. » Fort de ces éléments, de Félice complètera dès lors sa définition de la société conjugale en précisant que c'est « la société d'un homme et d'une femme, qui s'engagent à s'aimer et à se secourir et qui se pro­ mettent réciproquement leurs faveurs, dans la vue d'avoir des enfants et de les élever d'une ma.nière convenable à la nature de l'homme, à l'avantage de la famille et au bien de la société 28 ». Est-ce à dire pour autant que de Félice, à la suite de Wolff, ne considère que la monogamie pour légitime en Droit naturel ? C'est ce que nous allons voir en abordant la façon dont il pose la problématique de la polygamie. Auparavant, il nous reste à déterminer sa conception de la nature juridique du mariage.

24 Ibid. 25 Encyclopédie, tome cit., p. 509, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 89. 26 Encyclopédie et Code de l'Humanité, !oc. cit. ; voir aussi Leçons ... , tome cit., p. 150. 27 Encyclopédie, foc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 90, dans le même sens que Leçons .. ., tome cit., p. 150-151. 28 Encyclopédie, tome cit., p. 512, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 93, reprenant Leçons .. ., tome cit., p. 157. 126 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Pour de Félice, qui reprend ici encore Burlamaqui, le mariage est à la fois un contrat et une institution : « On peut considérer le mariage sous deux vues différentes ; savoir, ou simplement comme un contrat, une société ; ou bien comme une société qui a pour but le bonheur com­ mun des conjoints, la propagation de l'espèce et l'éducation des enfants 29, » En tant que contrat, le mariage exige «comme toute autre convention » la pleine capacité et l'entière liberté des parties en cause. En tant qu'institution, il s'impose aux parties avec ses finalités propres, à la poursuite desquelles elles ne peuvent se soustraire. c) Le problème de la polygamie. Définissant la polygamie comme « le mariage d'un seul homme avec plusieurs femmes», de Félice différencie, dans la tradition classique, deux sortes de polygamie : la polygamie simultanée et la polygamie suc­ cessive, mais assez curieusement il ne distingue pas explicitement les deux formes de la polygamie simultanée, polyandrie et polygynie. Cela ne l'empêche pas de traiter de ces deux formes distinctement. li commence ainsi par condamner sans appel la polyandrie. A son sens en effet, « la pluralité des hommes pour une seule femme est quel­ que chose de mauvais en soi ; elle est contraire par elle-même à l'effet principal du mariage, qui est la génération des enfants » so. Il en va tout différemment de la polygynie. Pour l'éditeur de !'En­ cyclopédie d'Yverdon, « il faut, en effet, raisonner tout autrement de la polygamie simultanée par rapport aux hommes. Par elle-même, etle n'est point opposée au droit naturel, ni à la première fin du mariage » 31• De fait, on en retrouve l'institution à travers toute l'histoire des patriar­ ches, quelques controverses qu'elle ait pu faire naître entre les Pères de l'Eglise et les Scolastiques. Si les lois de Moïse même n'en condam­ naient pas la pratique; le Christ cependant l'a formellement prohibée en ne permettant aux chrétiens qu'une seule femme 32, Quant à la légitimité même de l'institution en Droit naturel, il ne paraît pas pour de Félice que la polygamie - entendue au sens de poly­ gynie - « soit une chose absolument mauvaise de sa nature ou que l'on puisse prouver qu'elle soit directement contraire au Droit naturel» 33•

20 Encyclopédie, tome cit., p. 519, et Code de l'humanité, tome cit., p. 101, dans la ligne des leçons, tome cil., p. 163. 30 Encyclopédie, tome XXXIV, article « Polygamie», p. 424, et Code de l'Humanité, tome XI, article « Polygamie», p. 60. 31 Encyclopédie et Code de l'Humanité, Loc. cit., dans la ligne du commen­ taire des Principes du Droit de la Nature et des Gens, Yverdon 1766-1768, de Burlamaqui, IV• partie, tome V, ch. XIV, mais revenant sur la condamnation de la polygynie des leçons... , tome cit., p. 167-169. 32 Encyclopédie, tome cit., p. 425, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 61. 33 Encyclopédie, tome cit., p. 425-426, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 62. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 127

Reprenant son argumentation de l'adéquation de cette forme de mariage aux fins de la société conjugale, il considère en effet que si « l'effet principal qu'on attend du mariage est d'avoir des enfants, dont on soit assuré d'être Je père » et si « le but essentiel de cette sorte d'union est d'avoir une compagne en qui l'on trouve un secours mutuel », tout ceci peut aussi bien avoir lieu quand on a plusieurs femmes que lorsqu'on n'en a qu'une » 34. Rien ne serait plus erroné à son sens que de prétendre que par là « les époux ne se gardent pas la foi qu'ils se sont donnée. Car la fidélité réciproque ne consiste pas à s'acquitter d'un engagement qui soit précisément égal de part et d'autre » et ce n'est pas l'un des éléments constitutifs du mariage «que, comme la femme ne doit pas accorder ses faveurs à d'autre homme qu'à son mari, le mari ne puisse pas non plus avoir commerce avec une autre femme» 35, L'incertitude de la paternité, liée à la polyandrie, et qui rend fonciè­ rement illégitime cette forme de mariage, ne se retrouve pas enfin dans la polygynie, « car la difficulté de savoir qui serait le père des enfants ... n'a point lieu quand un homme prend plusieurs femmes». Il suffit, ajoute-t-il en conclusion - mais la condition est d'importance, car elle distingue bien la polygamie des liaisons fortuites - « que le mari entre dans l'engagement de secourir sa femme et de lui rendre le devoir conju­ gal » 36, Que ce soit là dans les possibilités de nombre d'hommes ne fait pas de doute pour de Félice, qui relève que dans le cas contraire, les autres auront à se contenter d'une seule femme, prenant soin de préciser que « la polygamie n'est pas une obligation mais un droit auquel on pourrait renoncer lorsqu'il deviendrait à charge » 37, Quant aux plaintes que pourraient alors formuler les épouses d'unions polygamiques, de Félice les tient pour infondées, « car, où la polygamie est établ'ie, les maris ne leur font aucun tort en partageant le devoir conjugal avec les autres femmes, puisque par le contrat de mariage, elles n'y ont droit que pour leur quote-part» as. Solidaire d'une perspective strictement natalitaire et d'une conception fonctionnelle du mariage, qui ne correspond guère à la dimension psycho­ logique affective développée dans le cadre de la définition des fins mêmes de l'institution 3o, cette justification de la légitimité de la polygamie en Droit naturel, qui fait de la monogamie une institution relative aux tem­ péraments, se double d'une réfutation assez étonnante des voix les plus autorisées du Siècle des Lumières qui s'étaient élevées contre sa pratique.

84 Encyclopédie, tome cit., p. 426, et Code de l'Humanité, toc. cit. 35 Op. cit., Loc. cit. 86 Ibid. 37 Ibid. 88 Ibid. 39 Cf. ci-dessus p. 121-124. 10 128 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

S'attachant ainsi à contester les arguments mettant en doute l'uti­ lité publique et singulièrement l'opportunité politique de la polygynie, de Félice, qui n'hésite pas à s'opposer à l'auteur de !'Esprit des lois, reprend tout le débat relatif aux incidences démographiques de la poly­ gynie. Partant tout d'abord du tableau dressé par nombre de théoriciens du Droit naturel sur les ravages de la polygynie en Asie et singulière­ ment en Turquie, il insiste à juste titre sur la nécessité de différencier l'institution même de ses abus. « Ce n'est pas parce qu'un musulman a plusieurs femmes que !'Asie se dépeuple ; c'est à cause du cortège qu'il croit devoir leur donner pour sa tranquillité, pour mettre à couvert ce qu'il appelle son honneur et qui n'est en effet que son impuissance. Voilà ce qui fait à la population un tort réel et irréparable 40, » C'est donc un argument spécieux, à son sens, que de vouloir inférer du despotisme qui règne dans les sérails et de la stérilité perpétuelle qui en est le corollaire pour une masse d'esclaves des deux sexes, la nocivité de la polygynie comme telle. Et de Félice a beau jeu d'opposer à cette situation propre à l'Asie de son temps l'heureuse époque des temps originels : « Dans les premiers temps au contraire, souligne-t-il ainsi, la polygamie n'était ni une occasion de gêne pour les uns, ni un fardeau accablant pour les autres. On ne connaissait pas encore ces précautions odieuses qui font de la fidélité une vertu forcée... Les femmes devenaient pour un mari des compagnes aussi chastes que soumises. Elles partageaient avec lui les travaux domestiques et l'éducation de la famille 41, » Loin de croire en conclusion avec Montesquieu que dans les pays ot't régnait la polygamie «au lieu de préceptes, il faut des verrous», il considère que le propos, pour être spirituel, n'en est pas moins faux et démenti « par la nature et par l'expérience » 42. Ce n'est pas seule­ ment le témoignage idyllique des temps bibliques qui l'incline à le penser, c'est également le rapport des voyageurs revenus de Chine en son temps. Tout comme les épouses des patriarches, « les Chinoises, nous apprend-il en effet, mettent leur orgueil et leur plaisir à se voir à la tête d'une nombreuse famille, chérissant également tous les enfants de leur mari, quelle que soit leur origine» 43. Certain que les femmes que l'on a pu amener à « s'immoler sur le cadavre de leur mari » pour­ raient être facilement engagées « à tolérer sans aigreur le partage d'un mari vivant» 44 et convaincu que l'harmonie même des familles, en plus de l'essor démographique de la société politique, pourrait résulter de la polygynie, de Félice se refuse en conclusion à croire que l'institution

40 Encyclopédie, tome cit., p. 427, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 63. 41 Ibid. 42 Encyclopédie, ibid., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 64. 43 Encyclopédie, tome cil., p. 428, et Code de l'Humanité, lac. cil. 44 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 129 puisse devenir dangereuse. Aussi, sa légitimité lui apparaît-elle pure affaire de coutume. N'est-ce pas en définitive l'avis même de saint Augustin, sur lequel il tient à terminer l'exposé de son point de vue sur la question : « Quel crime peut-on faire du saint homme Jacob d'avoir eu plusieurs femmes? Si vous consultez la nature, il s'est servi de ses femmes pour avoir des enfants et non pour contenter sa passion. Si vous avez égard à la coutume, la coutume autorisait la polygamie. Si vous écoutez la loi, nulle loi ne lui défendait la pluralité des femmes. Pourquoi donc la polygamie est-elle (aujourd'hui) un péché? C'est qu'elle est contraire à la loi et à la coutume 45. »

B. Formation du mariage

Comme les Fondateurs de !'Ecole romande du Droit naturel, de Félice tient à traiter tous les aspects de la formation du mariage. C'est tout d'abord dans le contexte de sa définition des principes généraux et des règles fondamentales du mariage, qu'examinant l'application qu'il faut en faire aux questions particulières, il aborde la question de l'obligation de se marier. Cet examen l'amène à traiter également de la légitimité du célibat auquel il consacre de très longs développements. Il s'arrête par ailleurs avec attention à la problématique des conditions du mariage, dont il offre un exposé exhaustif avant de se pencher sur la détermi­ nation du moment et des formes de sa conclusion. a) Liberté du mariage et célibat. Quant à la « première question qui se pose » à propos du mariage, celle de savoir « si les hommes sont dans quelque obligation de se marier», de Félice affirme tout d'abord l'obligation générale de tous les hommes à cet égard : « Les hommes sont rigoureusement obligés par le Droit naturel à tout ce qui contribue essentiellement au soutien de la société ; or, le mariage en étant le fondement, on ne peut pas dis­ convenir que les hommes ne soient obligés par le Droit naturel de se marier. Les Anciens ont presque tous reconnu qu'une telle obligation est conforme à la nature 46, » S'attachant alors à montrer les troubles physiologiques et psycholo­ giques résultant du célibat, de Félice considère « que c'est agir contre les vues les plus marquées de la nature que de ne pas s'unir par un

45 Encyclopédie, ibid., et Code l'Humanité, tome cit., p. 65. 46 Encyclopédie, tome XXVII, article «Mariage», p. 513, et Code de l'Hu­ manité, tome IX, article «Mariage», p. 94. De même, Leçons ... , tome cit., p. 158. 130 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

mariage assorti» 47. Dans une formule qui annonce déjà Le nouveau monde amoureux de Fourier, il s'écrie ainsi : « Comme la gravitation universelle est une propriété générale des corps, ainsi la tendance d'un sexe contre l'autre est une propriété naturelle et générale de l'homme 48• » Toute la différence entre ces deux gravitations réside en ce que pour la tendance générale des sexes «la nature a laissé à la raison la direc­ tion de la tendance particulière » 49 que produisent les lois de la gravi­ tation universelle entre les différentes parties en cause et que l'on appelle « affinités ». « Mais comme le choix des biens particuliers ne nous auto­ rise pas à les mépriser, ainsi le choix des adhésions particulières ou du mariage ne nous autorise pas non plus à l'éviter 60• » Dépassant cette vision naturaliste du mariage, de Félice tient cepen­ dant à s'élever à une appréciation spécifiquement morale pour souligner l'impérativité de l'obligation en ce domaine. « je demande, le mariage n'est-il pas un bien ? Les défenseurs les plus outrés du célibat ne sau­ raient le contester. Donc, tous les hommes doivent embrasser cet état. Nous sommes obligés par le Droit naturel d'embrasser tout ce qui est bien, soit physique, soit moral, soit civil ; or, le mariage est un bien à la fois physique, moral et civil : la nature nous a fourni par un appareil admirable tout ce qui nous était nécessaire pour l'embrasser ; si nous ne l'embrassons pas, toutes les provisions de la nature sont pour nous en pure perte, et souvent même funestes, soit au physique, soit au moral, soit au civil et peut-être à tous les trois ensemble 61. » Fort de quoi, de Félice aborde la question de la légitimité du célibat en se lançant dans une virulente critique du prétendu « don de conti­ nence, usage inventé par la superstition la plus grossière», ceci à partir de l'analyse physiologique de la nature humaine et à partir de la source doctrinale de la théorie du don de continence dont l'expérience et les fondements théologiques ne lui paraissent pas concluants. C'est pour l'avoir méconnu que se multiplient à son sens ces « prétendus céHba­ taires » qui mettent en danger le mariage : ne pouvant le contracter moralement, « ils en laissent le moral à ceux qui le contractent, en se contentant d'en percevoir ce qu'il y a de physique. C'est en effet une règle tirée de la nature», rappelle-t-il, en «suivant la sage remarque de l'illustre auteur de l' Esprit des Lois, que plus on multiplie les céliba-

47 Encyclopédie, lac. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 95 ; voir aussi Leçons .. ., tome cit., p. 159. 48 Encyclopédie, tome cil., p. 514, et Code de l'Humanité, foc. cit. ; Leçons .. ., lac. cit. ; cf. Fourier, Théorie des 4 mouvements (Lyon 1808), Œuvres, Paris 1841 t. 1, p. 3-21, et Le nouveau monde amoureux, Œuvres, Paris 1967, t. VII, passim.1 49 De Félice, op. cit., lac. cit. 110 Ibid. 1>1 Ibid., dans le même sens que Leçons ... , p. 160-161. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 131 taires et on diminue le nombre des mariages qui pourraient se faire, plus on nuit à ceux qui sont faits ; et que moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages ; comme, lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols » 52, Dressant dès lors un véritable procès du célibat ecclésiastique imposé au clergé romain dont il est venu, il conteste tout d'abord que l'état de célibat soit supérieur sur le plan moral à celui du mariage. Il est faux à son sens de prétendre qu'il y a «plus de vertu dans le célibat» 53. D'une rare sévérité, il constate que « sans liens naturels » avec ses semblables, le célibataire, « tout prêt à rompre le lien civil », se prête moins aux besoins et aux devoirs d'humanité. « En un mot, conclut-il en s'adressant aux adeptes du célibat, en vivant isolés et dans la soli­ tude, vous vous serez peut-être acquittés des devoirs envers vous-mêmes ; mais pour ce qui regarde ceux envers votre prochain et envers la société en général, vous les aurez très mal remplis, parce que n'étant qu'hommes à demi, vous avez manqué à ceux que la nature demande de nous avec le plus d'empressement. Vous n'avez donc été ni membres utiles à la société, ni bons citoyens 54. » Aussi, pour de Félice, n'y a-t-il pas à balancer pour savoir qui, du célibataire et de l'homme marié, «s'est conduit conformément aux lumiè­ res de la raison, a marché par les voies adorables de la Providence, a répondu aux vues très sages de la nature, entrant dans les engagements les plus sacrés de la nature - c'est à n'en pas douter l'homme marié » 05. Avec cette exaltation de l'état de mariage, sur laquelle se conclut son examen de la liberté du mariage, l'auteur de !'Encyclopédie d'Yver­ don se pose enfin à juste titre les problèmes de politique législative qu'implique cette supériorité du mariage sur le plan du droit positif. « Mais si les hommes sont obligés par le Droit naturel de se conformer aux vues de la nature en se mariant, pourquoi les lois civiles ne rappel­ lent-elles pas à l'état du mariage ceux d'entre les hommes qui paraissent sourds à la voix de la nature? 56 » Sa réponse est d'une curieuse rési­ gnation : le silence général des lois civiles, fruit de l'expérience des législateurs antiques d'Athènes et de Rome, est une suite naturelle de la corruption des mœurs comme le montre l'échec de la politique d' Au­ guste - « le prince qui eut le plus à cœur le mariage de ses sujets ». Il n'en demeure pas moins à son sens qu' « il est de l'intérêt de la société et du souverain d'encourager les mariages par tous les moyens possi­ bles... car non seulement la principale force d'un Etat consiste en le nombre de ses habitants, mais on a toujours remarqué que les gens

52 Encyclopédie, tome cit., p. 515, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 97. 53 Ibid. 54 Encyclopédie ,tome cit., p. 517, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 99. 55 Ibid. 56 Ibid., reprenant en substance Leçons ... , tome cit. p. 161. 132 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL mariés, tes pères de plusieurs enfants, sont meilleurs citoyens et beau­ coup plus attachés au gouvernement et au bien public que les céliba­ taires» 57. L'importance politique de l'institution du mariage ainsi soulignée, de Félice est alors bien fondé pour revendiquer la laïcisation de sa régle­ mentation dans ta ligne du gallicanisme et du joséphinisme de son siècle : « Le mariage appartient donc plutôt à la politique qu'à la reli­ gion, pour ne pas dire que c'est une union entièrement civile 58, » b) Conditions du mariage. De la compétence de l'Etat en raison directe de son importance poli­ tique, « il est donc nécessaire d'assujettir le mariage à certaines lois». Reste à déterminer ces lois. Pour le faire, de Félice opère ici, sur les traces mêmes de Burtamaqui, une distinction fondamentale entre le mariage considéré comme un contrat et le mariage considéré comme ins­ titution : « Pour parvenir à connaître quelles sont ces lois, écrit-il ainsi en démarquant l'auteur des Principes du Droit naturel, il faut d'abord remarquer qu'on peut considérer te mariage sous deux vues différentes ; savoir, ou simplement comme un contrat, une société ; ou bien comme une société qui a pour but te bonheur commun des conjoints, la propa­ gation de l'espèce et l'éducation des enfants 59, » a) Conditions de capacité. En tant que contrat, le mariage exige pour de Félice à l'instar de toute convention « la pleine capacité et l'entière liberté des parties en cause». Il est donc nécessaire «que ceux qui le contractent aient l'usage de la raison et qu'ils y donnent leur consentement avec connaissance de cause, dans une entière liberté, et par conséquent, que ce consente­ ment soit exempt d'erreur, de surprise et de violence » ao. Mais, contrat spécifique, impliquant certaines aptitudes qui tiennent précisément à son caractère institutionnel, le mariage requiert d'autres conditions que celtes des contrats ordinaires. Ces conditions sont de deux ordres, physique et moral. Il faut tout d'abord que les parties soient capables d'avoir des enfants, qu'elles aient atteint en d'autres termes l'âge de puberté 61, Si

57 Encyclopédie, toc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 100, dans la ligne de Leçons ... , tome cit., p. 162. 58 Ibid. Sur l'évolution de la réglementation du mariage et l'origine du mariage civil au XVIII' siècle. Cf. entre autres les ouvrages cités de P. Adnès et de D. Schwab. 59 Encyclopédie, tome cit., p. 519, et Code de l'Humanité, tome cil., p. 101, reprenant Leçons .. ., tome cit., p. 163. 60 Ibid. 61 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 133 cette condition lui semble fondamentale, de Félice ne s'arrête cependant pas à la question de savoir si des personnes ayant atteint l'âge de puberté, mais hors d'état de procréer, sont habilitées à se marier. D'autres conditions d'un autre ordre sont encore requises pour la validité de la conclusion du mariage. Nous touchons là à la probléma­ tique des empêchements auxquels de Félice voue également une grande attention. /3) Empêchements. S'interrogeant sur les raisons pour lesquelles des mariages entre parents à un certain degré sont « non seulement déshonnêtes et illicites, mais encore entièrement nuls, et si cela est de Droit naturel ou seule­ ment de Droit positif» 62, de Félice rejoint, en cherchant à y répondre, les Fondateurs de !'Ecole du Droit naturel moderne et, par-delà, la grande tradition de la scolastique espagnole. S'il tient en effet pour contraires au Droit naturel les unions entre consanguins en ligne directe, c'est qu'elles lui paraissent peu convenables avec la raison d'être même du mariage, qui est de susciter la multiplication de nouvelles générations comme avec la situation particulière des personnes en cause : « Quant aux mariages des pères avec leurs enfants, ils sont sûrement contraires au Droit naturel », relève-t-il ainsi, expliquant que «le mariage étant établi pour la multiplication du genre humain, il ne paraît pas conve­ nable que l'on se marie avec une personne à qui l'on a donné la naissance ou médiatement ou immédiatement et que le sang rentre pour ainsi dire dans la source d'où il vient. Enfin, il serait très dangereux qu'un père ou une mère, ayant conçu de l'amour pour une fille ou un fils, n'abu­ sassent de leur autorité pour satisfaire une passion criminelle du vivant même de la femme ou du mari à qui l'enfant doit en partie sa nais­ sance» 63, Tout autre est sa position en ce qui concerne les mariages entre consanguins en ligne collatérale, dont la nécessité à l'origine du genre humain exclut, à son avis, l'illicéité : « A l'égard des mariages entre frères et sœurs, on ne saurait soutenir qu'ils soient contraires au Droit naturel. Car il paraît par l'histoire de l'origine du genre humain, rap­ portée par !'Ecriture sainte, que les enfants du premier homme et de la première femme ont dû nécessairement se marier les uns avec les autres 64• » Reprenant ici intégralement à son compte l'argumentation de Barbeyrac quant aux graves implications de l'hypothèse d'une dispense des lois naturelles à laquelle sont acculés ceux qui affirment l'illégitimité naturelle des mariages entre frères et sœurs, il souligne, avec le tra-

62 Encyclopédie, tome cit., p. 522, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 106. 63 Encyclopédie, tome cit., p. 523, et Code de l'Humanité, loc. cit., dans le même sens que leçons... , tome cil., p. 176-177. 64 Op. cil., loc. cit. 134 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL ducteur français de Pufendorf, que « c'est saper le fondement de toute moralité et faire dépendre le juste et l'injuste d'une volonté entièrement arbitraire» 65. Rejetant également la distinction scotiste entre règles de Droit naturel découlant de la sainteté de Dieu et règles n'en découlant pas, il préfère se fonder sur la nature de l'homme et le témoignage de !'Histoire sainte pour déterminer quelles sont les prohibitions de Droit naturel. « La nature de l'homme sur laquelle elles sont toutes fondées demeurant toujours la même, Dieu ne saurait, affirme-t-il ainsi avec force, dispenser d'aucune sans se contredire et se démentir 66. » Quant aux empêchements d'alliance et à ceux de parenté de degré plus éloigné, « il est encore plus difficile, pour de Félice, de donner aucune raison satbfaisante pour prouver que ces mariages... soient illicites par le Droit naturel» 01. c) Moment et formes de la conclusion du mariage. En ce qui concerne la problématique du moment de la conclusion du mariage, de Félice l'aborde en se demandant judicieusement en quoi consiste l'essence du mariage. Car selon que cette essence réside « dans le simple contrat ou dans la consommation du mariage, ou enfin dans tous les deux » 68, le moment de la conclusion du mariage diffèrera. Considérant pour sa part « que suivant la simplicité du Droit natu­ rel, le consentement des deux parties, accompagné dans les sociétés civiles des conditions que les lois civiles demandent, fait l'essence du mariage » 69, c'est l'échange des consentements qu'il tient pour décisif dans la détermination du moment de sa conclusion. Fidèle à la ligne consensualiste de Barbeyrac, il tient même à réfuter les thèses réa­ listes germaniques de Pufendorf posant la consommation du mariage pour aussi nécessaire à sa conclusion que la mise en possession à l'ac­ quisition de la pleine et entière propriété d'une chose. Par là il prend explicitement parti dans le débat soulevé par Pufendorf à propos du casus classique de la desponsata du Décret de Gratien. «Voici, à mon avis, l'ordre qu'il faut y mettre, écrit-il en cherchant à clarifier la ques­ tion : le consentement des parties contractantes produit la propriété réciproque de ce qui entre dans le contrat ; et la propriété nous donne le droit d'en user. Ainsi, la consommation du mariage étant l'usage de la propriété, le mari et la femme sont véritablement propriétaires de la

65 Encyclopédie, tome cil., p. 524, et Code de l'Humanité, Loc. cit. ; cf. déjà Leçons ... , tome cit., p. 178. 66 Op. cit., Loc. cit. 67 Encyclopédie, toc. cil., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 107, dans la ligne des Leçons ... , tome cit., p. 179. 68 Encyclopédie, tome cil., p. 522, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 104. Voir déjà Leçons .. ., tome cit., p. 169. 69 Encyclopédie, Loc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 105, reprenant Leçons ... , ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 135

jouissance de leur corps par leur contrat, quand même cette jouissance ne s'en soit pas encore suivie 10. » Il faut donc conclure à son sens, à l'encontre de Pufendorf, qu'il y a véritablement adultère lorsque la fiancée d'un absent épousé par procureur se donne à un tiers 11. Pour ce qui est de la forme du mariage, de Félice, rejoignant la tradition conservatrice de la plupart des pufendorfiens, considère que si les lois civiles prescrivent certaines formalités dont le défaut rend le mariage nul devant les tribunaux civils, bien que ces formalités ne soient pas fondées sur la loi naturelle, cependant, comme la loi natu­ relle ordonne aux membres d'un Etat d'obéir à ses lois, « c'est en vain qu'on voudrait se prévaloir de ce que par le Droit naturel, ces sortes de choses sont absolument indifférentes » 12.

C. Effets du mariage

Dans son approche des effets du mariage, de Félice apparaît partagé entre la tradition patriarcale hiérarchique, qui assujettit entièrement la femme au mari, et les conceptions modernes développées par Pufendorf et les premiers thomasiens, qui mettent en évidence l'égalité de nature des conjoints, partant le fondement purement conventionnel de l'autorité maritale. C'est ce que révèlent ses longs développements sur la nature de la société conjugale et sur les droits et les obligations de chacun des époux.

a) Nature de la société conjugale. Pour l'éditeur de 1' Encyclopédie d'Yverdon, la société conjugale n'est pas une société égalitaire. Non pas en raison d'une prétendue supério­ rité masculine, ainsi que l'entendent ceux qui attribuent l'autorité mari­ tale à la supériorité des forces du jugement de l'homme sur la femme « comme si la force, la majesté, le courage et la raison, avantages qu'on attribue ordinairement à l'homme, lui accordaient le droit de comman­ ·der » n. Mais parce qu'il estime nécessaire que l'un ou l'autre des époux dirige la société conjugale. De Félice se défend donc de partager les préjugés de ceux qui tiennent l'autorité maritale pour naturelle, car à son sens « les avantages des femmes valent bien les avantages des hom­ mes, qui n'ont pas toujours plus de raison ou de lumières que les femmes». La première démarche qui s'impose en fait dans l'étude de

10 Op. cit., loc. cit., dans le sens des Leçons ... , tome cit., p. 170. 11 Ibid. 12 Encyclopédie, tome cit., p. 524, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 107 ; cf. à ce sujet déjà leçons .. ., p. 179, tome cit. 73 Encyclopédie, tome cit., p. 520, et Code de l'Humanité, tome cil., p. 102. 136 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL cette question de la nature de la société conjugale c'est la distinction de « l'état de nature d'avec celui de la société civile» 74• « Dans l'état de nature, remarque-t-il ainsi, le mari avait sur sa femme le droit de vie et de mort : ce qui était juste dans l'origine. Lorsqu'on ne connaissait encore que la loi naturelle, le chef de famille était souverain chez lui, il était le seul juge dans sa maison, il avait par conséquent le droit de condamner à la mort ceux qui l'avaient méri­ tée 75• » Dès lors, par son mariage, la femme entrait dans sa famille et « était censée se soumettre à cette loi » 76, Cependant déjà, il importe à son sens de relever qu'alors « ce n'est pas le mariage qui donne ce pouvoir au mari, ni qui assujettit la femme à un pouvoir nouveau, c'est le fait que la femme change de famille, donc de souverain comme un étranger change de pays » 11. Si telle se présentait la situation dans l'état de nature, « après que les sociétés civiles furent établies, lorsque les hommes se furent soumis à une autorité fixe et réglée, cette emprise du chef de famille aurait dû cesser et ce fut par un abus qu'il conserva en qualité de mari un droit qu'il n'avait plus dès lors qu'il avait lui-même un juge souverain» i 8• Ce n'est cependant pas sans raison que cet abus a pu se maintenir ainsi qu'en témoigne l'histoire. Pour de Félice « quoique le mari et la femme aient au fond les mêmes intérêts dans leur société, il est pourtant essen­ tiel que l'autorité du gouvernement appartienne à l'un ou à l'autre : or, le droit positif des nations policées, les lois et les coutumes de l'Eu­ rope, donnent cette autorité unanimement et définitivement au mâle, comme à celui qui, étant doué d'une plus grande force d'esprit et de corps, contribue davantage au bien commun en matière de choses humai­ nes et sacrées ; en sorte que la femme doit nécessairement être subor­ donnée à son mari et obéir à ses ordres dans toutes les affaires domes­ tiques. C'est là, conclut-il, le sentiment des jurisconsultes anciens et modernes et la décision formelle des législateurs » 79. Est-ce à dire pour autant que !'Encyclopédiste d'Yverdon soit convaincu de toutes les raisons invoquées, de !'Ecriture sainte au Code frédéricien, pour justifier cet assujettissement de l'épouse à son mari? Il est permis d'en douter. « Les raisons qu'on vient d'alléguer pour le pouvoir marital, tient-il à noter, ne sont pas sans réplique, humainement parlant. » 80 Et reprenant l'argumentation des maîtres de !'Ecole romande du Droit natu-

74 Encyclopédie, foc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 103. 75 Ibid., dans le même sens que Leçons ... , tome cit., p. 165. 76 Encyclopédie, tome cit., p. 520-521, et Code de l'Humanité, !oc. cit. 77 Ibid 78 Ibid: Dans le même sens, voir déjà Leçons ... , tome cit., p. 166. 79 Encyclopédie, tome XVIII, article «Femme», p. 492, et Code de l'Huma­ nité, tome VI, article « Femme», p. 413. 80 Ibid. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 137 rel, il s'en explique de manière circonstanciée. « Il paraît d'abord : 1• qu'il serait difficile de démontrer que l'autorité du mari vienne de la nature ; parce que le principe est contraire à l'égalité naturelle des hom­ mes ; et de cela seul que l'on est propre à commander, il ne s'ensuit pas qu'on en ait actuellement le droit; 2° l'homme n'a pas toujours plus de force, de corps, de sagesse, d'esprit et de conduite que la femme ; 3° le précepte de !'Ecriture étant établi en forme de peine indique assez qu'il n'est que de droit positif. » 81 De là, il faut donc bien conclure qu'on peut légitimement soutenir « qu~il n'y a point d'autre subordination dans la société conjugale que celle de la loi civile et que par conséquent, rien n'empêche que des conventions particulières ne puissent changer la loi civile, dès que la loi naturelle et la religion ne déterminent rien, au contraire » 82. Si l'autorité maritale n'est pas naturelle, de Félice ne croit cependant pas qu'elle ne saurait avoir d'autres fondements que le Droit positif. Elle a pour lui un fondement fonctionnel, tenant à la particularité de la société conjugale. «Nous ne nions pas, écrit-il ainsi, que dans une société composée de deux personnes, il ne faille nécessafrement que la loi délibérative de l'une ou de l'autre l'emporte ; et puisqu'ordinaire­ ment, les hommes sont plus capables que les femmes de bien gouverner les affaires particulières, il est très judicieux d'établir pour règle géné­ rale que la voix de l'homme l'emportera tant que les parties n'auront point encore fait ensemble d'accord contraire, parce que la loi générale découle de l'institution humaine et non pas du Droit naturel 83• » En conséquence, si en règle générale, toute femme contractant mariage se soumet par là tacitement à l'autorité de son mari, ne faut-il pas admettre que « si quelque femme, persuadée qu'elle a plus de jugement et de conduite ou sachant qu'elle est d'une fortune ou d'une condition plus relevée que celle de l'homme qui se présente pour son époux, stipule le contraire de ce que porte la loi, et cela du consentement de cet époux », elle ne puisse avoir « en vertu de la loi naturelle, le même pouvoir qu'a le mari en vertu de la loi du prince ? » 84 La réponse ne fait aucun doute, et de Félice ne manque pas d'invoquer ici l'exemple classique des reines épousant des princes au-dessous de leur rang, voire certains de leurs sujets. Ce cas, à son sens, « suffit pour montrer que l'autorité d'une femme sur son mari, en matière même de choses qui concernent le gou­ vernement de la famille, n'a rien d'incompatible avec la nature de la société conjugale» 80 ; citant l'histoire à l'appui, il montre ainsi que jusque dans les nations les plus civilisées « on a vu des mariages qui

81 Encyclopédie, toc. cil., et Code de l'Humanité, tome cil., p. 414. 82 Ibid. 83 Ibid. 84 Encyclopédie, tome cil., p. 493, et Code de l'Humanité, loc. cit. 85 Ibid. 138 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL soumettent le mari à l'empire de la femme » 86. Bien plus, « l'Angleterre et la Moscovie » lui paraissent en son siècle montrer à l'évidence « que les femmes peuvent réussir également et dans le gouvernement modéré et dans le gouvernement despotique ; s'il n'est pas contre la raison et contre la nature, conclut-il, qu'elles régissent un empire, il semble qu'il n'est pas plus contradictoire qu'elles soient maîtresses dans une famille » 87, Rappelant par ailleurs, d'une part, le rite spartiate par lequel l'épouse au moment de consommer le mariage prenait l'habit d'un homme « sym­ bole du pouvoir égal qu'elle allait partager avec son mari )> 88, d'autre part, les mariages en usage dans l'ancienne Egypte « qui donnaient à la femme l'autorité sur le mari » 89, il finit par invoquer la nature contrac­ tuelle du mariage pour conclure à la nécessité d'admettre la légitimité de l'autorité de la femme dans le mariage. Car « le mariage, souligne­ t-il, est de sa nature un contrat ; et par conséquent, dans tout ce qui n'est pas défendu par la loi naturelle, les engagements contractés entre le mari et la femme en déterminent les droits réciproques» 90• b) Droits et obligations des époux. Fort de sa démonstration établissant tout d'abord que «le mari n'a aucun pouvoir sur sa femme dans la société civile » et que « la supé­ riorité du mari sur la femme est contraire à l'égalité naturelle, que ni la force, ni la majesté, ni le courage ne peuvent détruire », partant que « le contrat de mariage laisse dans une parfaite égalité le mari et la femme, tels qu'ils étaient avant que de se marier» 91, c'est aux seuls engagements des époux que de Félice semble vouloir réduire les droits et obligations de chacun d'entre eux . « Leur engagement, précise-t-il, consiste à s'aimer, à se secourir, à s'accorder l'usage de leur corps dans la vue d'avoir des enfants et de les élever d'une manière convenable à la nature de l'homme, à l'avantage de la famille et au bien de la société. Le but même de ce contrat, sou­ ligne-t-il, exclut tout droit de l'un sur l'autre 92. » C'est pourquoi, pour des fautes domestiques, les époux ont l'un sur l'autre un droit de cor­ rection égal. Le mari peut « corriger sa femme avec modération, tout comme la femme peut à son tour corriger le mari » 93.

86 Ibid. 87 Ibid 88 Encyclopédie, Loc. cil., et Code de l'Humanité, tome cil., p. 415. 89 Ibid 9o Ibid° 91 Encyclopédie, tome XXVII, article «Mariage», p. 521-522, et Code de l'Humanité, tome IX, article «Mariage», p. 104, reprenant leçons .. ., foc. cit. 92 Op. cit., !oc. cit. 93 Ibid., dans le même sens que leçons... , tome cil., p. 166-167. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 139

Ces propositions semblant établir une parfaite égalité entre les époux ne doivent cependant pas faire illusion. ,Le lecteur attentif de !'Encyclo­ pédiste d'Yverdon ne peut oublier en effet le soin que met de Félice à insister parallèlement sur l'élément essentiel et constitutif du mariage que forme l'engagement exclusif et unilatéral de fidélité de l'épouse. C'est pour lui, en effet, « une condition essentiellement nécessaire au mariage que la femme promette à l'homme qui l'épouse une entière fidélité et qu'elle n'accorde qu'à lui seul l'usage de son corps » 04, Si cet engage­ ment de fidélité unilatéral de la femme lui paraît essentiel, c'est qu'il forme la condition pour le mari de la certitude de la paternité de ses enfants, raison d'être même de son engagement matrimonial. « D'où il s'ensuit que le mariage le plus régulier, le plus parfait, et le plus conforme au Droit naturel et à la constitution de la vie civile, renferme, outre la promesse de s'accorder réciproquement l'usage de son corps, un autre article par lequel la femme s'engage à être toujours auprès de son mari, à vivre avec lui dans une société très étroite et à ne faire avec lui qu'une même famille, pour élever plus commodément leurs enfants, et pour se donner l'un à l'autre des secours mutuels 95, » Si de Félice reconnaît en conclusion que « c'est de là aussi que l'on tire ordinairement les fondements de l'autorité du mari sur sa femme » 96, comment maintenir alors que les droits et devoirs des conjoints se ramènent aux obligations réciproques de s'accorder l'usage de leur corps en vue de la procréation, de s'aimer et de se secourir mutuellement? C'est sur ce point que !'Encyclopédiste d'Yverdon se révèle profondément partagé entre la tradition scolastique, encore sensible chez Grotius et qui assujettit l'épouse au mari dans une perspective hiérarchique, lui imposant à elle seule le devoir de fidélité exclusive, au nom d'une conception naturaliste du mariage donnant le primat à la finalité et à la certitude de la procréation, et la conception moderne individualiste, qui fait du mariage une société naturellement égalitaire, dont les parties ont les mêmes droits et les mêmes obligations, n'admettant de disparité qu'en vertu du consentement de chacune d'entre elles, non en raison de la nature même de la société conjugale.

D. Dissolution du mariage

C'est en fonction de sa définition de la finalité de la société conju­ gale que de Félice aborde la problématique de la dissolution du mariage. Considérant en effet que la société conjugale a une triple finalité - le

94 Encyclopédie, tome cit., p. 519, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 101 ; cf. déjà leçons .. , tome cit., p. 164. 95 Encyclopédie, tome cit., p. 520, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 102, dans la ligne des leçons ... , tome cit., p. 164-165. 96 Ibid. 140 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL bonheur des époux, la procréation des enfants et leur éducation - et affirmant la subordination de l'éducation et de la procréation au bonheur conjugal, il condamne par principe, à l'égal du célibat, la séparation de corps qu'il tient pour fondamentalement contraire à l'institution matri­ moniale. Aussi sa conception de la dissolution du mariage se résume­ t-elle en une doctrine - fort bien élaborée d'ailleurs - du divorce. A sa doctrine judicieusement équilibrée du mariage correspondra donc une doctrine également pondérée des formes et des causes de sa disso­ lution. a) Décès d'un des conjoints. De Félice ne s'arrête pas à cette forme de dissolution naturelle du mariage, se bornant à la mentionner dans sa discussion du principe de l'indissolubilité de la société conjugale. b) Divorce. C'est tout simplement comme la « dissolution du mariage » que de Félice définit le divorce, c'est-à-dire comme « l'acte par lequel ceux qui étaient époux cessent de l'être, sont rétablis dans l'état civil où ils étaient avant leur union, ne sont plus tenus l'un envers l'autre aux devoirs mutuels qui résultaient de cette relation conjugale et recouvrent la liberté de se marier à d'autres personnes » 01. Retraçant l'évolution des idées contradictoires qu'avaient à ce sujet autrefois les juifs, les Grecs et les Romains, puis les canonistes médié­ vaux et les Réformateurs, il estime nécessaire de rechercher, pour sortir de ces contradictions, « ce que la droite raison nous enseigne à cet égard». Pour point de départ, il lui paraît judicieux de prendre la finalité même du mariage. Celle-ci lui apparaissant triple, résidant d'une part dans le bonheur des conjoints, d'autre part dans la procréation des enfants, enfin dans leur éducation 98, de Félice estime alors qu'il ne saurait plus y avoir de mariage si l'un des conjoints vient à refuser l'une de ces trois finalités. Ce n'est cependant pas pour conclure à la simple dissolubilité du mariage comme n'importe quel contrat, sitôt qu'une des parties se soustrait à ses obligations. Tout au contraire, il tient à affir­ mer de prime abord qu'il voit dans le mariage une société perpétuelle contractée dans l'intention réelle de ne jamais la rompre 99, s'inscrivant

97 Encyclopédie, tome XIV, article «Divorce», p. 282, et Code de l'Huma­ nité, tome IV, article « Divorce», p. 682. 08 Encyclopédie, tome cit., p. 283, et Code de l'Humanité, tome cit., loc. cit., dans le même sens que leçons ... , tome cit., p. 170-171. 00 Encyclopédie, loc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 683; cf. déjà dans cette perspective Leçons ... , tome cit., p. 171. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 141 d'emblée en adversaire de la liberté illimitée des divorces, pour rejeter toute conception du mariage comme société temporaire et passagère, limitée au gré des caprices des époux. Il invoque à cet égard plusieurs raisons à l'appui. A son sens, c'est tout d'abord «la nature humaine» elle-même qui répugne à de pareilles unions, elle qui requiert les secours mutuels des époux pour l'éducation des enfants, puis l'assistance des enfants aux parents vieillissant, enfin l'amitié des conjoints au déclin de leur vie ioo. Mais surtout, c'est l'ordre social et politique qui lui paraît en jeu. « De quelle influence sur les mœurs ne serait pas la permission illimitée du divorce, de la liberté de rompre quand on le voudrait des mariages contractés et de ne les contracter que dans cette espérance ? Quelles raisons de se ménager réciproquement, de se supporter avec indulgence, de s'empresser de se rendre agréables l'un à l'autre? 101 » L'admission de la liberté totale des divorces reviendrait donc à dénaturer le mariage. «Le lien conjugal, souligne bien de Félice, ne serait qu'une formalité pour légitimer la fornication, un moyen de contenter un goût passager en attendant qu'une autre fantaisie fît prendre d'autres mesu­ res.» 102 Nature des choses, nature du mariage, bien de la société, bonheur des époux - autant de « considérations qui toutes se réunissent contre la permission illimitée du divorce» 103, considérations que viennent encore renforcer les données de la Révélation, « nouvelle raison de soutenir que le mariage est une société à vie, un contrat perpétuel, qui ne doit être naturellement dissous que par la mort et dont la durée ne peut jamais dépendre du caprice des conjoints» 104. « Le divorce, conclut par conséquent de Félice, n'est donc point un établissement divin ; le mariage n'est point un contrat à temps ; mais dans l'intention de Dieu, le divorce est toujours un mal et les époux sont appelés à passer leur vie ensemble. » 105 Est-ce à dire pour autant qu'il rejoigne la doctrine canonique de l'indissolubilité absolue de la société conjugale? li ne se fait pas faute de préciser sa pensée à ce propos. « On se tromperait cependant, si l'on voulait déduire de là l'indisso­ lubilité absolue du mariage en quelque cause que ce soit. Ici, les cano­ nistes se sont écartés du vrai, de la manière la plus frappante. » 106 Dans un nouveau balancement de sa pensée matrimoniale, le voici donc qui s'oppose, avec la même résolution, à l'indissolubilité absolue du mariage, car si c'est un mal que le divorce, «c'est parfois un mal néces-

100 Encyclopédie, tome cit., p. 284, et Code de l'Humanité, lac. cif. 101 Encyclopédie, tome cit., p. 285, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 685. 102 Ibid 103 Ibia' 104 Ibid° 105 Encyclopédie, tome cit., p. 287, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 687. 106 Ibid. 142 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL saire ». Réagissant contre la conception étroitement naturaliste du mariage qui inspire, à son sens, les tenants de son indissolubilité abso­ lue, de Félice relève ainsi que « le mariage est une société formée entre deux personnes pour atteindre un but désirable, qui est le bonheur des époux, la procréation des enfants et leur éducation. La plupart des auteurs se sont donc écartés du vrai en ne considérant cet état que relativement au but physique de la procréation des enfants, comme si cet effet naturel de l'union des époux était l'unique ou au moins le pre­ mier but, le but essentiel que les amants doivent avoir en vue dans la société qu'ils forment... » 101. C'est cette ignorance de la différence spé­ cifique de l'homme, être moral, capable de réflexion, d'amitié, de bon­ heur, qui a induit nombre de théologiens et de philosophes en erreur sur la finalité du mariage. « Le premier but qui unit l'homme à la femme n'est pas la procréation des enfants » - le but premier de l'institution du mariage tient avant tout « dans le désir de préférence exclusive, dans l'amour mutuel, où les plaisirs des sens sont des moyens de se prouver plus vivement leur tendresse. Le mariage, en un mot, n'a pas dans l'âme des époux pour premier but, ni dans l'intention de !'Auteur de la nature pour but unique et principal le physique de la propagation, mais le but moral du bonheur des époux qui s'aiment » 108. D'ordre moral, « le premier but du mariage » tient donc dans le bonheur des époux appelés avant tout à travailler à se rendre récipro­ quement aussi heureux qu'ils peuvent l'être » 109. Est-ce à dire que le but physique soit accessoire ? Ce serait déformer la pensée de de Félice, qui, précisant la relation de cette finalité avec le bonheur des époux, la tient pour inscrite « dans l'intention positive de Dieu», car «c'est pour porter les humains au mariage que le Créateur les a rendus capables de cette passion mixte que nous nommons l'amour». « Le moral et le physique de l'amour, conclut-il, conduisent à ce terme d'autant plus sûrement que ces deux principes sont réunis. On ne saurait donc inno­ cemment négliger volontairement ce but 110. » Il s'ensuivra que la stéri­ lité de !a femme ou du mari ne sont pas des raisons de divorce, tandis que la mauvaise volonté et la méchanceté des époux en constituent indé­ niablement 111. Enfin, il est un troisième but « que l'on doit se proposer de remplir en contractant un mariage : c'est l'éducation des enfants » 112. C'est dès lors en fonction de cette triple finalité du mariage que de Félice définit les principes de sa conception du divorce.

101 Ibid 108 Encyclopédie, tome cit., p. 288, et Code de l'Humanité, tome cit., p. 688. 100 Encyclopédie, toc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., 689. 110 Encyclopédie, tome cit., p. 289, et Code de l'Humanité, lac. cit. 111 Ibid 112 Encyclopédie, toc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 690. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 143 Il s'agit donc de savoir tout d'abord si les époux sont bien en mesure de répondre aux fins de l'institution et au premier chef, s'ils ont la volonté de se rendre heureux. Celle-ci est irremplaçable, car les époux sont faits pour vivre d'un commun accord ensemble. Réagissant contre la conception réaliste-institutionaliste des canonistes, de Félice relève ici qu'il ne saurait y avoir « de moyens de suppléer à l'incapacité ou à la mauvaise volonté des conjoints : le mariage, souligne-t-il dans la tra­ dition nominaliste-contractualiste, n'est pas une relation imaginaire qui n'a de réalité que dans le nom. Les époux sont faits tels pour vivre ensemble ... L'homme quittera son père et sa mère ... C'est ce que la Raison dit tout comme la Révélation» m. Rien de plus erroné en conséquence que l'institution de la séparation de corps qui fait subsister un lien ima­ ginaire entre des personnes qui ne sont en réalité plus des époux. Le défaut d'entente de ceux-ci, partant l'incompatibilité d'humeur, apparaît donc comme la cause primordiale du divorce. Il en va de même de l'intention de poursuivre la finalité de procréa­ tion des enfants, « condition nécessaire du contrat conjugal » tu. Par contre, pour de Félice, qui se trouve rejoindre ici Vattel, l'édu­ cation des enfants pouvant être assurée par d'autres personnes que les époux (nourrice, gouvernante ou précepteur), les négligences dont les conjoints pourraient faire preuve à cet égard ne sont pas des causes suffisantes de divorce 115. En résumé, rejetant tout divorce par consentement mutuel, n'admet­ tant pour cause générale de divorce que la mauvaise volonté manifeste des époux quant au bonheur commun et quant à la procréation, !'Ency­ clopédiste d'Yverdon témoigne d'une conception relativement étroite du divorce. C'est ce que vient encore confirmer sa mise en garde contre l'ins­ tabilité humaine sur laquelle se termine sa discussion du principe et des conditions fondamentales du divorce : « Nulle liaison ne pourrait subsister si l'on voulait se séparer de tout ce qui porte quelque trait, quelque caractère déplaisant... Il serait donc impossible de former et de voir durer jamais un mariage si l'on n'en voulait contracter qu'avec ceux en qui il n'y a rien à reprendre ou les rompre dès que quelque chose déplaît dans l'associé auquel on est uni. Il ne suffit donc pas, pour opérer la dissolution d'un mariage, que l'un des associés puisse reprocher à son conjoint de ces défauts pour lesquels le devoir de tout membre de l'humanité est d'avoir de l'indulgence et du support. » 11e Aux antipodes de la licence des divorces de certains jurisconsultes de !'Ecole allemande de Droit naturel, de Félice n'en reconnaît pas

11a Encyclopédie, tome cit., p. 290, et Code de l'Humanité lac. cit. 1 114 Encyclopédie, lac. cit., et Code de l'Humanité, tome ctt., p. 691. 115 Ibid. Pour Vattel cf. ci-dessus p. 89-90. 110 Encyclopédie, tome cit., p. 291-292, et Code de l'humanité, tome cit., p. 692. Il 144 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL moins, quant aux causes déterminées du divorce, d'une part « qu'il est des défauts essentiels, destructifs de l'amour, de l'estime, de la confiance et du consentement, sans lesquels le mariage est un état affreux, d'autre part qu'il est des défauts physiques incompatibles avec les fins du mariage » m. Défendant ainsi une position équilibrée, il tient ces défauts pour des raisons suffisantes de divorce. Il en va de même de certains vices (mauvais traitements, jalousie, infidélité, désertion malicieuse, abandon total, refus méprisant du devoir conjugal et dissipation plon­ geant le ménage dans la misère et empêchant l'éducation des enfants) qui constituent assurément des causes suffisantes « pour un divorce absolu » et redonnent la liberté à la patrie innocente de se remarier 11s. Bien plus, voyant là des causes permettant de demander l'annulation du mariage, de Félice, confondant divorce et annulation, développe toute une théorie des nullités de mariage - dol, menaces, erreur - se portant en faux contre la conception de l'ancien droit selon laquelle « en mariage trompe qui peut». Il tient ainsi pour fondé le divorce - en fait l'annu­ lation de mariage - d'une personne induite en erreur par la fourberie d'autrui « dès qu'il est prouvé que sans cette condition sur laquelle on lui en a imposé, elle n'aurait jamais consenti à contracter un tel ma­ riage» 119, ceci, quel que soit l'objet de l'erreur (condition, fortune, etc.) - ce par quoi il se rattache à toute la tradition scolastique et moderne du Droit naturel 120. Par contre, il ne considère pas comme causes suffisantes de divorce les défauts physiques survenus depuis la conclusion du mariage et sans faute de la partie en cause, sauf en cas de mal incurable de nature à rendre l'autre toujours plus malheureux. « Ici, précise-t-il en conclusion, le juge doit peser les circonstances et consulter plutôt le bien de la société, la conservation de la vertu des particuliers, la propagation de l'espèce, aux considérations de la pitié et d'une justice rigoureuse 121. » Enfin, définissant la séparation de corps comme « le jugement qui ordonne que deux conjoints par mariage auront à l'avenir chacun leur habitation séparée » 122, de Félice s'y montre foncièrement hostile. Fondamentalement marqué par la tradition nominaliste, il ne peut concevoir tout d'abord un mariage qui n'ait « de réalité que dans le nom», subsistant sous forme de «relation imaginaire» entre deux per-

117 Encyclopédie, foc. cit., et Code de l'Humanité, tome cit., p. 693. 11s Encyclopédie, tome cit., p. 293, et Code de l'Humanité, tome cil., p. 694. 119 Ibid. 120 Cf. notre ouvrage déjà cité foc. cit., p. 233-234. 121 De Félice, Encyclopédie, tome cit., p. 294, et Code de l'Humanité, tome cil., p. 695. 122 Encyclopédie, tome XXXVIII, article « Séparation», p. 329-331, et Code de l'Humanité, tome XII, article «Séparation», p. 541. DISCIPLES ET VULGARISATEURS : DE FÉLICE 145 sonnes tenues à une égale fidélité, sans pouvoir mener de vie commune. « Quelle idée devrons-nous donc nous faire de ceux qui croient que le mariage subsiste entre des personnes à qui on permet et qui sont néces­ sitées par le défaut de la première condition, à vivre séparées pour toujours? Des personnes qui vivent de cette manière sont-elles mariées, sont-elles mari et femme, époux et épouse ? Elles ne sont ni l'un, ni l'autre ... ne se rendant pas heureux, ne procréant, ni n'élevant d'enfants, de tels « époux » sont inutiles à la conservation de la race humaine, condamnés par une absurde législation à un célibat forcé 123. » C'est sans doute ce deuxième aspect de la condition des époux sépa­ rés auquel il est le plus sensible dans son hostilité à toute forme de célibat. Célibat forcé, la séparation de corps ne saurait pas plus se justifier pour lui, en effet, que l'état monastique, apparaissant comme un état contradictoire, non seulement avec la nature humaine, mais avec l'institution même du mariage. Aussi la tient-il à juste titre dans cette perspective, et en plein accord avec lui-même, pour contraire au Droit naturel. c) Les secondes noces. Quant à la liberté des divorcés de se remarier, s'opposant aux cano­ nistes qui contredisent à son sens à la loi de Dieu en interdisant le divorce tout en autorisant la séparation de ce que Dieu a uni en certains cas, de Félice, fidèle à son hostilité au célibat, estime qu'il faut consacrer le principe de la liberté du remariage, préférant à titre de sanction de l'époux coupable une peine qui le frappe dans son honneur ou dans ses biens plutôt que dans sa nature d'être sexué 124. Il considère même que les divorces devraient être accordés sans trop de longueurs dans les conditions sus-mentionnées, hormis les cas où de sages médiateurs pourraient ramener la concorde entre les conjoints.

CONCLUSION

Disciples et vulgarisateurs de l'Ecole du Droit naturel moderne en terre vaudoise, Vicat, Pillichody et de Félice ne le sont pas seulement par la visée générale de leurs œuvres ; ils le sont jusque dans leur pensée matrimoniale, qui forme en Suisse romande le pendant du courant éclec­ tique représenté dans la première moitié du siècle en Allemagne par les

12a Encyclopédie, tome XIV, article «Divorce», p. 290, et Code de l'Huma­ nité, tome IV, article «Divorce», p. 690. 124 Encyclopédie, tome cil., p. 295-296, et Code de l'Humanité, tome cil. p. 695-696. 146 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Commentateurs de Pufendorf. Avec eux la tradition jusnaturaliste vau­ doise trouve ainsi un juste équilibre entre les thèses contractualistes d'inspiration thomasienne de Barbeyrac et les thèses institutionalistes de Vattel, prenant de ce fait en quelque sorte le relais de l'éclectisme de Burlamaqui. C'est dans la ligne du compilateur genevois de Pufendorf en effet que Vicat comme Pillichody et de Félice reconnaissent dans le mariage une institution-contrat qui, tout en dépendant de la libre volonté des parties quant à sa formation, ne leur échappe pas moins quant à sa finalité et quant à sa durée, sinon quant à ses conditions. Répudiant en conséquence tous les excès du contractualisme, particulièrement dans leur doctrine du divorce, ils apparaissent tout aussi nuancés dans leur approche du caractère propre de cette société. S'ils se refusent à cet égard, conformément à leur anti-contractualisme, à considérer le mariage comme une société égalitaire, il s'en faut de beaucoup qu'ils se fassent pour autant les défenseurs de la légitimité naturelle de l'autorité maritale à la manière de Vattel. De Vicat, le plus porté à acquiescer à l'idée de l'autorité naturelle du mari, à Pillichody, son adversaire le plus explicite, quelle que soit la profondeur des raisons qu'ils trouvent à la préémi­ nence du mari dans la société conjugale, ils tiennent tous pour décisif le consentement de l'épouse, que celui-ci entérine une réalité naturelle ou qu'il sanctionne un mode arbitraire de réglementation des rapports individuels dans une société binaire. Naturelle pour Vicat, essentielle­ ment conventionnelle pour Pillichody ou purement fonctionnelle pour cte Félice, la supériorité maritale s'en trouve singulièrement relativisée. C'est ce que vient encore conf.irmer l'étude de leur conception des droits et des devoirs des conjoints, sur l'égalité desquels ils insistent à des degrés divers, des propos catégoriques de !'Encyclopédiste d'Yverdon - qui reconnaît explicitement au nom de cette égalité de principe l'égalité du droit de correction des conjoints l'un à l'égard de l'autre - à l'am­ biguïté des formules du succes!'>eur de Lays de Bachat dans la chaire de Barbeyrac - qui affirme à la fois le droit égal de la femme « à ce qui fait l'ob_iet du mariage » et l'obligation qui lui incombe de suivre son mari. Cette vis·ion nuancée de l'égalité des conjoints, qui n'a rien de l'égalitarisme des tenants du contractualisme matrimonial, trouve son couronnement dans la thèse de l'égalité des droits des époux en matière de divorce que Vicat, Pillichody et de Félice s'attachent également à défendre. Enfin, précisément en matière de dissolution de mariage, on ne peut manquer d'être frappé par la remarquable pondération de leur doctrine du divorce, qui rejette aussi bien la liberté illimitée des divorces que «l'indissolubilité absolue» (de FéHce) de la société conjugale et qui rappelle, non sans insistance, à la suite de Pufendorf, la nécessité d'un prononcé judiciaire dans le moment même où elle en étend les causes jusqu'à l'incompatibilité d'humeur (Pillichody, de Félice), voire au consentement mutuel {Vicat). CONCLUSION GÉNÉRALE

L'CEUVRE DE L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL EN MATIÈRE MATRIMONIALE: TENDANCES ET PORTÉE

Telle qu'elle se dégage des commentaires, des traités et des ouvrages de vulgarisation publiés en Suisse romande entre l'installation de jean Barbeyrac à l'Académie de Lausanne (1711) et la parution de l'Encv­ clopédie de F.-B. de Félice à Yverdon (1770-1780), l'œuvre de !'Ecole romande du Droit naturel dans le domaine du mariage illustre bien le mouvement général d'extension du conventionalisme juridique qui se fait alors jour dans la philosophie juridique et sociale de l'Europe. Plus particulièrement influencée par !'Ecole allemande du Droit naturel mo­ derne, elle nous en paraît refléter, dans son développement même, les diverses tendances doctrinales 1 avec un décalage de près d'une géné­ ration et avec les nuances qui lui seront propres. C'est ce que nous voudrions tenter de souligner pour conclure avant de nous interroger sur la portée qu'elle revêt dans l'histoire juridique de notre pays. Toute fragmentaire qu'elle se présente, la pensée matrimoniale de !'Ecole romande du Droit naturel du Siècle des Lumières nous semble donc reproduire, avec le retard inéluctable dû au processus de diffusion des idées, l'évolution et les tendances mêmes de la doctrine de !'Ecole jusnaturaliste allemande de l'Aufk!arung. C'est ainsi que dans le premier tiers du siècle les positions empiristes-sensualistes de tendance contrac­ tualiste de Thomasius et de ses disciples trouvent leur équivalent dans les thèses, étonnantes de hardiesse et de sûreté, que Barbeyrac est amené à défendre au fur et à mesure des éditions successives de ses célèbres traductions : il n'est que de rappeler ici sa réduction progressive du

1 A ce propos, cf. notre étude sur le mariage dans !'Ecole allemande du Droit naturel moderne au XVIII' siècle, op. cit., p. 219 et 253 ss, de même que la conclusion, p. 429 ss. 148 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL mariage au rang d'un vulgaire contrat de société, ordonné au bonheur des parties autant qu'à la propagation de l'espèce et dont la durée même est laissée à la liberté des conjoints, comme son affirmation correspon­ dante de la fonctionnalité et du fondement conventionnel de l'autorité maritale 2. Pareillement le second tiers du siècle voit se manifester avec Vattel les positions rationalistes métaphysiques de tendance institutio­ naliste de Grotius, reprises par Wolff et son Ecole, le jurisconsulte neu­ châtelois se distinguant par son rappel de la finalité spécifique du mariage dans sa doctrine du divorce et par son insistance sur le carac­ tère hiérarchique de la société conjugale fondée sur la supériorité natu­ relle du mari 3, cependant que s'esquisse, sous l'égide de Burlamaqui, un courant éclectique de tendance conciliatrice avec les vulgarisateurs de la tradition jusnaturaliste vaudoise, B.-Ph. Vicat, j.-G. Pillichody et F.-B. de Félice. Amorcé par l'œuvre du jurisconsulte genevois, média­ trice entre les thèses contractualistes de Thomasius défendues par Bar­ beyrac, et les thèses insNtutionalistes de Grotius, réaffirmées par Wolff et une partie de son Ecole et défendues par Vattel 4, ce dernier courant maintient d'une part la spécificité de la nature juridique du mariage, institution-contrat, qui conditionne une doctrine restrictive du divorce 5, et tend d'autre part à relativiser, à des degrés divers, la primauté mari­ tale par l'admission de son aménagement conventionnel, si ce n'est par l'affirmation de la nécessité du consentement de l'épouse à son éta­ blissement 6. Parmi les Fondateurs de !'Ecole romande, encore tributaires à tant d'égard de Pufendorf, Barbeyrac se distingue donc par l'infléchissement contractualiste qu'il donne à la doctrine équilibrée de son maître dans la ligne de Thomasius alors que Burlamaqui, plus fidèle à l'auteur du De /ure Naturae et Gentium, conserve le souci de l'équilibre entre le contractualisme dissolvant des tenants de Thomasius et l'institutiona­ lisme figé de la doctrine scolastique traditionnelle, sensible tant chez Grotius et ses disciples que chez Wolff et ses élèves. C'est précisément cette tendance traditionnelle qu'illustrera dans la génération ultérieure des disciples et des vulgarisateurs un Vattel, en posant le primat de la propagation de l'espèce dans sa doctrine de la dissolution du mariage et en durcissant à l'extrême, contre les positions les plus novatrices de son maître, la thèse de l'inégalité de la société conjugale et de la

2 Cf. ci-dessus Ir• partie, ch. 1, p. 44-45 quant au contractualisme de Barbeyrac et p. 57-58 quant à sa conception de la condition juridique des époux. a Cf. ci-dessus, Il' partie, ch. 1, p, 94-97. 4 Cf. ci-dessus, 1•• partie, ch. 2, p. 80-81. 5 Cf. ci-dessus, II• partie, ch. 2, p. 108 pour Vicat, p. 118-119 pour Pillichody et p. 140-144 pour de Félice. o Cf. ci-dessus, II• partie, ch. 2, p. 116-117 (Pillichody) et p. 135-139 (de Félice). CONCLUSION GÉNÉRALE 149 sujétion de l'épouse au mari, non seulement par la réaffirmation du principe du fondement naturel de l'autorité maritale, mais encore par la différenciation systématique des droits et des devoirs des conjoints. Tout au contraire, c'est à la tendance médiatrice de Burlamaqui que se ratta­ cheront les vulgarisateurs de la tradition vaudoise, dont les œuvres attes­ tent la vigueur de la pensée jusnaturaliste en Suisse romande au seuil du dernier tiers du siècle en matière matrimoniale. Mais le témoignage le plus frappant de cette vigueur, c'est chez l'auteur du Contrat social qu'il faut le chercher. S'il ne laisse sans doute ni commentaires, ni traité de Droit naturel, le plus célèbre des repré­ sentants de la pensée jusnaturaliste d'expression française en même temps que celui des vulgarisateurs de !'Ecole romande du Droit naturel appelés à la plus grande fortune par ses écrits politiques autant que par ses écrits littéraires, Jean-Jacques Rousseau, se trouve paradoxale­ ment illustrer en effet avec le plus d'éclat l'aspect le moins connu de l'œuvre de !'Ecole romande dans le domaine du Droit naturel du ma­ riage : sa place dans le processus de sécularisation de la législation matrimoniale qui aboutira au régime du mariage civil moderne. Cet intérêt particulier de Rousseau ne tient pas à vrai dire à son œuvre même, car le «Citoyen de Genève» n'a guère voué d'attention à la problématique du mariage en Droit naturel. S'il y fait allusion dans le cadre de ses essais politiques, ce n'est en effet que pour développer des vues contradictoires quant à la contingence de cette société. C'est ainsi qu'il souligne d'une part, dans son Discours sur !'Origine de l'InégalitP., le caractère purement momentané des unions nécessaires à la perpétua­ tion de l'espèce, voire de la communauté de vie de la mère et des enfants - « le besoin satisfait, les deux sexes ne se reconnaissoient plus et l'en­ fant n'étoit plus rien à la Mère, sitôt qu'il pouvoit se passer d'elle » 1 - et qu'il affirme d'autre part, dani:. son Discours sur l' Economie politique, paru dans le tome V de !'Encyclopédie, et dans le Contrat social, en reconnaissant la famille comme « la plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle » s, sa contingence fondamentale à laquelle répond le fondement purement conventionnel de sa permanence - « la famille elle-même ne se maintient que par convention » 9. Inspirée de l'empi-

7 Discours sur !'Origine et les Fondements de l'inégalité parmi les hommes (1754), II' partie, in Œuvres complètes, Paris 1964 (Pléiade), t. III, p. 164. Dans son essai sur J.-J. Rousseau intitulé La politique de la solitude, Paris 1971, R. Polin relève à juste titre : «Rousseau a pris longuement soin d'ex­ pliquer comment ces rencontres de hasard, ces unions fortuites, se bornant au seul physique de l'amour, ne comportant jamais de lendemain, n'établissent jamais de couple durable, ne constituent jamais de lien social », op. cit., p. 3. s Du Contrat social, livre 1, ch. II, in Œuvres complètes, éd. cit., t. III, p. 352, dans la ligne du Discours sur !'Economie politique, Encyclopédie, t. V (1755), p. 337, que nous citons dans l'éd. des Œuvres complètes, t. III, p. 241. 9 Op. cit., loc. cit. 150 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL riSme et de l'utilitarisme éthique de Locke autant que du conventiona­ lisme de Pufendorf, de Barbeyrac et de Burlamaqui, ces considérations confirment bien le triomphe du conventionalisme juridique en matière matrimoniale tel que nous l'avons relevé chez les principaux auteurs de !'Ecole romande du Droit naturel. Elles ne sauraient valoir pour autant à Rousseau un mérite quelconque. L'originalité de Rousseau réside ailleurs. Elle tient dans sa mise en pratique des thèses conventionalistes développées par toute l'Ecole du Droit naturel moderne depuis Pufendorf. Nous voulons parler de l'in­ solite « mariage impromptu » par lequel Rousseau donne réalité aux spéculations des jusnaturalistes. Rappelons les faits : sensible aux repro­ ches de concubinage qu'il prête à certains de ses amis grenoblois, mais dans l'impossibilité de se marier selon sa foi 10, Rousseau improvise le 30 août 1768 à Bourgoin, au hasard de ses pérégrinations dauphinoises, une célébration de mariage, dont il est à la fois l'ordonnateur et le ministre. Réunissant chez lui, selon le récit que nous en a laissé un des témoins de la cérémonie 11, quelques amis ainsi que Thérèse Levasseur et exaltant les liens qui l'unissent à cette dernière depuis près d'un quart de siècle, il les prie « d'être témoins de l'acte le plus important de sa vie», leur faisant solennellement part « de la résolution où il était de rendre ces liens indissolubles par le nœud conjugal » 12. En prenant ainsi ses amis « à témoin des serments qu'il faisait d'être l'époux» de Thérèse Levasseur et en les priant «de ne jamais les oublier » 13, Rousseau faisait plus que satisfaire à ses scrupules de conscience. Renouant avec la tradition canonique pré-tridentine, il ins­ tituait une nouvelle forme de conclusion de mariage selon le Droit natu­ rel, en application de ses principes comme de ceux de toute !'Ecole du Droit naturel moderne du XVIII' siècle assignant à la plupart des insti­ tutions un fondement essentiellement conventionnel. L'insolite cérémonie du 30 août 1768 ne marque pas seulement un point d'aboutissement de la pensée matrimoniale de !'Ecole romande du Droit naturel. Concré­ tisant son impact sur l'évolution même des institutions, sans constituer pour autant un véritable jalon dans l'histoire du Droit du mariage, elle symbolise de manière particulièrement expressive le rôle de l'Ecole du Droit naturel moderne dans la transition qui s'opère en matière matri­ moniale de la législation ecclésiastique à la législation civile moderne. Nous abordons par là la problématique de la portée de l'œuvre de l'Ecole romande du Droit naturel dans le domaine du Droit du mariage. La question se présente à notre sens sous deux aspects différents selon

10 Cf. l'introduction de R. Schiltz au Journal du séjour à Grenoble de ].-]. Rousseau de O. Bovier, Grenoble 1964, p. 17 ss. 11 Cf. le récit d'un des cousins Champagneux, publié dans l'introduction citée de R. Schiltz, op. cit., p. 38-40. 12 Op. cit., loc. cit. 1s Ibid. CONCLUSION GÉNÉRALE 151 l'ampleur de la perspective embrassée. Dans une première perspective, pragmatique et utilitaire, limitée au court terme et correspondant à celle qui permettait à Voltaire d'ironiser sur l'apport de Grotius et de Pufen­ dorf à la jurisprudence du Châtelet, elle peut se ramener à l'impact des thèses des principaux représentants de !'Ecole romande en matière d'empêchements au mariage comme en fait de condition des époux ou de causes de divorce. L'état actuel des recherches d'histoire du Droit de la famille au XVIII• siècle en terre romande ne permet pas d'y répondre globalement, la seule constataNon qui s'impose se réduisant à l'influence exercée par les idées de Burlamaqni en fait de divorce et de séparation de corps 14. Mais la question de la portée de l'œuvre de !'Ecole romande du Droit naturel dans le domaine du Droit au mariage peut se concevoir dam; une autre perspective : celle de la longue durée ; elle s'identifie alors avec la question plus générale du rôle de la pensée matrimoniale jusnaturaliste de notre pays dans le processus de substitution à la légis­ lation ecclésiastique traditionnelle du régime laïc du mariage civil mo­ derne. A cet égard, à voir la relative et étonnante rapidité avec laquelle les cantons romands ont introduit, après l'écroulement de l'hégémonie napoléonienne et l'échec des expériences de la Restauration 15, le régime du mariage civil obligatoire - alors qu'il faut attendre 1876 pour la plupart des autres cantons, Genève en 1821 et Neuchâtel en 1851 sont les premiers à l'instaurer 16 - ·il est permis de se demander si !'Ecole romande du Droit naturel n'a pas préparé chez nous le terrain à la Réception des principes du Droit matrimonial français. Car les phéno­ mènes de Réceptions de Droits ne s'opèrent pas par la seule voie de l'autorité -- Annexions ou Révolutions. Ils sont au contraire le fruit de longs processus d'assimilation et d'échanges culturels 11, manifestant

14 Cf. ci-dessus Ire partie, ch. 2, p. 79-80 et les conclusions des recherches fragmentaires de Chs. Du Bois-Melly, op. cit., et des mémoires cités d' A. de Kalbermatten et de B. Sonnaillon, op. cit. 15 Cf. en particulier à Genève, dans le cadre de la tentative de révision et de rétablissement des Edits Civils, cf. A. Martin, Une Commission des Edits Civils en 1814, Genève, 1912, l'instauration sous la pression du clergé pro­ testant d'un mariage civilo-ecclésiastique par la loi du 20 mai 1816, cf. Rec. des Lois genevoises, t. 2 (1816), p. 211 ss. Voir à ce propos A. Martin, Le Code civil dans le Canton de Genève, in Livre du Centenaire du Code civil, Paris 1904, t. 2, p. 882-883. 16 Sur l'avènement du régime du mariage civil obligatoire en Suisse, consacré sur le plan fédéral par la Loi fédérale sur l'état-civil et le mariage du 24 décembre 1874, cf. E. Huber, System und Geschichte des schweizerischen Privatrechts, Bâle, 1893, t. IV, p. 331 ss, F. Picot, La nature juridique du mariage en Droit suisse. Son développement historique dans le Droit fédéral au X/X• siècle, thèse Droit (dactyl.), Bâle 1948, p. 55 ss, ainsi que P. jaggi, Das venveltlichte Eherecht, Freiburger Veréiffentlichungen aus dem Gebiete von Kirche und Staat. Bd. 11, Fribourg 1955, p. 8-12. 17 Cf. E.E. Hirsch, Die Rezeption fremden Rechts ais sozialer Prozess, in Festgabe für Friedrich Bülow, 1960, p. 121 ss qui relève judicieusement que « toute réception d'un Droit représente une transplantation et un enracine- 152 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL la continuité profonde de l'histoire du Droit comme de l'histoire des idées. En ce sens, il se pourrait bien que, par l'assimilation et la dif­ fusion des principales thèses de !'Ecole allemande du Droit naturel mo­ derne, !'Ecole romande du Droit naturel n'ait pas seulement contribué à la consécration des principes des Droits de l'Homme par les premières grandes démocraties modernes, mais qu'elle confirme aussi sur le plan du Droit matrimonial la thèse de Tocqueville selon laquelle !'Ancien Régime a préparé la Révolution 18,

ment d'un patrimoine de pensée juridique... c'est-à-dire d'un ensemble de conceptions, d'idées, d'idéaux et de pensée de nature juridique» pour souli­ gner : « on n'importe en d'autres termes ni un Droit étranger, ni des Codes étrangers, mais un patrimoine culturel», op. cil., p. 122. Dans le même sens, voir également H. Mitteis, Die Rechtsgeschichte und das Problem der histo­ rischen Kontinuitiit, de même que F. Wieacker, Privatrechfsf{eschichte der Neuzeit, 2• éd., Goettingue 1967, p. 125 ss, en particulier p. 128-129. 18 Cf. A. de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, Paris 1856, notamment Avant-propos p. X-XI ; livre II, ch. II, p. 45 ss, ch. XII, p. 212 ss, ch. XV, p. 242 ss et ch. XX, p. 312 ss. SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

SOURCES

Pour les raisons que nous avons mentionnées dans notre Avant-propos, nous nous en sommes tenu dans notre étude de la pensée matrimoniale de !'Ecole romande du Droit naturel aux seules sources imprimées. Si nous avons eu recours aux sources manuscrites, ce n'est qu'à titre subsidiaire, en vue de mieux saisir, pour notre Introduction générale sur !'Ecole romande du Droit naturel, les influences exercées sur la formation de cette Ecole dans le cadre général de l'histoire intellectuelle de l'Europe du Siècle des Lumières.

A. SOURCES MANUSCRITES

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B. SOURCES IMPRIMÉES

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PRÉFACE ..•. IX AVANT-PROPOS XI

Introduction générale

L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Première partie

LES FONDATEURS 37

Chapitre 1. - Le mariage en Droit naturel dans la pensée de jean Barbeyrac . . 39

Introduction ...... 39 A. Problématique générale . . 41 a) Origine et fins du mariage . . 41 b) Définition et nature juridique ... , . . . . 44 c) La question de la polygamie 45 B. Formation du mariage . . . . 48 a) Liberté du mariage ...... 49 b) Conditions du mariage . . . . 52 c) Forme et moment de la conclusion du mariage 55 C. Effets du mariage ...... 57 a) Nature du mariage ...... 57 b) Droits et devoirs des époux 58 D. Dissolution du mariage .. 59 a) Décès ...... 59 b) Divorce ...... 59 c) .Les secondes noces ...... 61

Conclusion ...... 63 162 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

Chapitre II. - Le mariage en Droit naturel dans la pensée de jean-Jacques Burlamaqui .... 65

Introduction .. 65 A. Problématique générale ...... 67 . a) Origine et fins du mariage .. 67 b) Définition et nature juridique 70 c) La question M la polygamie 72 B. Formation du mariage . . . . 73 a) Liberté du mariage ...... 73 b) Conditions du mariage . . . . 74 c) Forme et moment de la conclusion du mariage 76 C. Effets du mariage ...... 76 a) Nature de la société conjugale .. 76 b) Droits et devoirs des conjoints .. 77 . D. Dissolution du mariage .. 77 a) Décès ...... 77 b) Divorce ...... 78 c) Les secondes noces 80

Conclusion ...... 80

Deuxième partie

DISCIPLES ET VULGARISATEURS 83

Chapitre 1. - Le mariage en Droit naturel dans la pensée d'Emer de Vattel 85

lntroductio.n ...... 85 A. Problématique générale ...... 86 a) Origine et fins du mariage . . 86 b) Définition et nature juridique 88 c) La question de la polygamie 89 B. Formation du mariage . . 92 a) Liberté du mariage ...... 92 b) Conditions du mariage . . . . 92 _c) Forme et moment de la conclusion du mariage 94 TABLE DES MATIÈRES 163

C. Effets du mariage ...... 94 a) Nature de la société conjugale . . 94 b) Droits et devoirs des conjoints . . 95 D. Dissolution du mariage . . 96 a) Décès ...... 96 b) Divorce ...... 96 c) Les secondes noces 97

Conclusion ...... 97

Chapitre II. - Le mariage en Droit naturel dans la philosophie juridique vaudoise du xvm· siècle 99

Introduction .. 99 § 1. Béat-Philippe Vicat . . . . 100 A. Problématique générale . . 100 a) Origine et fins du mariage . . 101 b) Définition et nature juridique 101 c) La question de la polygamie 102 B. Formation du mariage . . . . 103 a) Liberté du mariage ...... 104 b) Conditions du mariage . . . . 104 c) Forme et moment de la conclusion du mariage . . 106 C. Effets du mariage ...... 106 a) Nature de la société conjugale . . 106 b) Droits et devoirs des époux 107 D. Dissolution du mariage . . 107 a) Décès ...... 107 b) Divorce ...... 107 c) Les secondes noces . . 108 § 2. Jean-Georges Pillichody ...... 109 A. Problématique générale ...... 109 . a) Origine et fins du mariage . . 109 b) Définition et nature juridique 110 . c) La question de . la polygamie . . 111 164 LE MARIAGE DANS L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL

B. Formation du mariage .. 111 a) Liberté du mariage .. 111 b) Conditions du mariage 112 c) Forme et moment de la conclusion du mariage 115 C. Effets du mariage ...... 116 a) Nature de la société conjugale .. 116 b) Droits et devoirs des époux 117 D. Dissolution du mariage .. 117 a) Décès ...... l 17 b) Divorce ...... 118 c) Les secondes noces .. 120 § 3. Fortuné-Barthélemy de Félice .. 120 A. Problématique générale ...... 120 a) Origine et fins du mariage .. 121 b) Définition et nature juridique 125 c) La question de la polygamie 126 B. Formation du mariage . . . . 129 a) Liberté du mariage ...... 129 b) Conditions du mariage . . . . 132 c) Forme et moment de la conclusion du mariage 134 C. Effets du mariage ...... 135 a) Nature de la société conjugale .. 135 b) Droits et devoirs des époux 138 D. Dissolution du mariage .. 139 a) Décès ...... 140 b) Divorce ...... 140 c) Les secondes noces 145

Conclusion ...... 145

Conclusion générale

L'ŒUVRE DE L'ÉCOLE ROMANDE DU DROIT NATUREL EN MATIÈRE MATRIMONIALE : TENDANCES ET PORTÉE 147

SOURCES ...... l 53

BIBLIOGRAPHIE . . 155 ME:MOIRES PUBLIES PAR LA FACULTE: DE DROIT DE GENÈVE

N• WERNER, Georges : Le débat sur la compétence de la Cour administrative fédérale. 1927, 30 pages. Fr. 2,-. N• 4 BATTELLI, Maurice : Le Premier ministre au Canada et en Irlande. 1943, 182 pages. Fr. 7,50. N° 6 Grandes Figures et Grandes Œuvres juridiques. MARTIN, V. : Solon et l'esprit du droit grec. KADEN, E.H. : Justinien législateur. LIEBESKIND, W.A. : Marsile de Padoue et son « Defensor pacis >. BouRQUIN, M. : Grotius est-il le père du droit des gens ? GRAVEN, J. : Beccaria et l'avènement du droit pénal moderne. YUNG, W. : Eugène Huber et l'esprit du Code civil suisse. 1948, 212 pages. Fr. 8,-. N° 7 GRAVEN, jean : Pellegrino Rossi, grand Européen. 1949, 92 pages. Fr. 6,25. N° 10 GUGGENHEIM, Paul : Emer de Vattel et l'étude des relations internatio­ nales en Suisse. 1956, 24 pages. Fr. 2,50. N• 11 GAGNEBIN, Bernard : Portalis. 1956, 24 pages. Fr. 2,-. N° 12 LALIVE, Pierre-A. : Le romancier et la protection des intérêts personnels. 1956, 24 pages. Fr. 2,50. N• 14 jUNOD, Ch.-A. : Force majeure et cas fortuit dans le système suisse de la responsabilité civile. 1956, 200 pages. Fr. 14,50. N• 15 Première Journée juridique (1961). YUNG, W. : La responsabilité civile d'après la loi sur la circulation rou­ tière. BERENSTEIN, A. : Législation récente en matière d'assurance accidents. FOLLIET, P. : De l'imposition du produit d'activité à but lucratif à celle des bénéfices involontaires. LACHENAL, J.-A. : De quelques jurisprudences récentes en droit interna­ tional privé. 1962, 116 pages. Fr. 12,-. N• 16 Deuxième Journée juridique (1962). ORAVEN, J. : Les principes de la révision pénale genevoise à la lumière de la jurisprudence. BROSSET, G. : La vente par acomptes et la vente avec paiements préa­ lables. LALIVE, P. : Le régime matrimonial des étrangers en Suisse. jUNOD, Ch.-A. : L'acquisition d'immeubles en Suisse par des personnes domiciliées à l'étranger. 1963, 140 pages. Fr. 15,-- N• 17 L'intégration européenne. GUGGENHEIM, P. : Organisations économiques supranationales et indé­ pendance de la Suisse. LONG, O. : La Suisse et l'intégration européenne. LALIVE, P. : Harmonisation et rapprochement des législations euro­ péennes. OOORMAGHTIGH, J. : Les aspects politiques des communautés européennes. 1964, 96 pages. Fr. JO,-. MEMOIRES PUBLIES PAR LA FACULTE DE DROIT DE GENEVE

N° 18 Etudes de droit commercial en l'honneur de Paul Carry. BüROI, F.W. : Bedeutung und Orenzen der lnteressenabwagung bei der Beurteilung gesellschaftsrechtlicher Probleme. PATRY, R. : La société anonyme de type européen. RüTONDI, M. : Per la limitazione della responsabilità mediante fonda­ zione di un ente autonomo. ji\001, P. : Zur Schaffung von privilegierten Aktien und von Genuss­ scheinen. STEIOER, F. v. : Oenussscheine ais Finanzierungsmittel. SECRÉTAN, R. : La notion de «valeur réelle» des actions non cotées au sens de l'article 686, alinéa 4 du C.0. ROSSET, P.R.: L'« action populaire~. ScttôNLE, H. : La décharge en droit allemand des sociétés. YUNO, W. : Les éléments objectifs dans les contrats civils et commer­ ciaux. DESCHENAUX, H. : L'esprit de la loi fédérale sur les cartels et organi­ sations analogues. ORAVEN, J. : Le principe de la chose jugée et son application en procé­ dure civile suisse. 1964, 316 pages. Fr. 30,-.

N° 19 Troisième journée juridique (1963). PATRY, R. : L'action en annulation des décisions de l'assemblée géné­ rale. MARTIN-ACHARD, Ed. : Le procès en matière de propriété intellectuelle. fOËX, O. : La jurisprudence de la Cour de cassation en matière de pro­ cédure pénale genevoise. DüMINICÉ, Ch. : La détermination du domicile des fonctionnaires inter­ nationaux. 1964, 136 pages. Fr. 15,-.

N° 20 Quatrième fournée juridique (1964). ScttôNLE, H. : Remarques sur les nouvelles Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires. H IRSCH, A. : La loi fédérale sur les cartels et organisations analogues. VIRALLY, M.: L'accès des particuliers à une instance internationale: La protection des droits de l'homme dans le cadre européen. BERNHEIM, j. : L'appréciation médico-légale de l'ivresse dans la circula­ tion routière. 1965, 124 pages. Fr. 15,-,

N° 21 Cinquième journée juridique (1965). PATRY, R. : La qualité d'associé dans la société coopérative. L'HUILLIER, L. : Quelques aspects du contrat de transport maritime en droit suisse. DuPERREX, E. : De quelques problèmes soulevés par le séquestre en ban­ que. 1966, 96 pages. Fr. 15,-.

N° 22 Sixième journée juridique (1966). fLATTET, O. : La propriété par étage. CORNIOLEY, P. : Questions posées par la réforme de la juridiction admi­ nistrative à Genève. GRAVEN, j. : Similitude et divergence des procédures pénales genevoise et française. 1967, 146 pages. Fr. 15,-. MEMOIRES PUBLIES PAR LA FACULTE: DE DROIT DE GENE.VE

N° 23 Septième Journée juridique (1967). BERENSTEJN, A. : La loi sur le travail : ses caractéristiques essentielles. GROSSEN, J.-M. : L'évolution du régime juridique des pensions et des indemnités consécutives au divorce. OBERSON, R. : De quelques particularités de la loi sur l'impôt anticipé et de son ordonnance d'exécution. H IRSCH, A. : Le champ d'application de la loi fédérale sur les fonds de placement. 1968, 80 pages. Fr. 15,-. N• 24 Huitième Journée juridique (1968). ENOEL, P. : Quelques problèmes relatifs au contrat de dépôt bancaire. THORENS, ]. : L'objet du litige dans le procès civil. GRAVEN, P. : Les mesures de «sûreté» dans le droit et la jurisprudence suisses. DESCHENAUX, H. : La notion d'effets nuisibles des cartels et organisations analogues. 1969, 104 pages. Fr. 15,-. N° 25 Etudes en l'honneur de jean Graven. ANCEL, M. : La protection des droits de l'homme selon les doctrines de la défense sociale moderne. BETTIOL, O. : D1ritto penale e tipi di stato di diritto. CONSTANT, ]. : La répression de l'insolvabilité frauduleuse en droit belge. CORNIL, P. : Droit pénal et monde moderne. GERMANN, 0.-A. : Zum bedingten Strafvoîlzug nach schweizerischem Recht. JESCHECK, H.-H. : Gedanken zur Reform des deutschen Auslieferungs­ gesetzes. LERNELL, L. : Réflexions sur l'essence de la peine privative de liberté. De certains aspects psychologiques et philosophiques de la peine de prison. MUELLER, 0.-0.-W. : Two enforcement models for international criminal justice. NENOV, 1. : Le droit pénal bulgare et l'humanisme socialiste. SCHULTZ, H. : Les droits de l'homme et le droit extraditionnel suisse. SCHWANDER, V. : Rechtsstaatliche Orundsatze im Auslieferungsrecht. 1969, 198 pages. Fr. 25,-. N° 26 DROIN, Jacques : Les effets de l'inobservation de la forme en matière de transfert de la propriété immobilière. 1969, 80 pages. Fr. 15,-. N° 27 Recueil de travaux publié à l'occasion de lAssemblée de la Société Suisse des Juristes, à Genève, du 3 au 5 octobre 1969. 1969, 244 pages. Fr. 25,-. N° 28 PERRIN, J.-Fr. : La reconnaissance des sociétés étrangères et ses effets, Etudes de droit international privé suisse. 1969, 216 pages. Fr. 23,-. N° 29 Neuvième journée juridique. DALLÈVES, L. : Le contrat de « factoring ». DROIN, ]. : La nature et le contenu des conventions relatives aux effets accessoires du divorce. KAUFMANN, H. : La Suisse et la convention de la C.E.E. concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. MACHERET, A. : L'extension de la juridiction administrative du Tribunal fédéral. Questions choisies. 1970, 140 pages. Fr. 18,-. MEMOIRES PUBLIES PAR LA FACULTE DE DROIT DE GENEVE

N• 31 PATRY, R. et AUBERT, M. : Le régime juridique des valeurs mobilières en droit suisse. 1972, 112 pages. Fr. 12,-. N• 32 YuNo, W.: Etudes et articles. 1971, 542 pages. Fr. 45,-. N• 33 DOHM, jilrgen : Les accords sur l'exercice du droit de vote de l'action­ naire - Etude de Droit suisse et allemand. 1972, 252 pages. Fr. 27,-. N° 34 ROBERT, Christian Nils : La détention préventive en Suisse romande et notamment à Genève. 1972, 228 pages. Fr. 30,-. N° 35 Onzième journée juridique. Hua, W. : La nouvelle législation sur le contrat de travail LALIVE, P. : Dépréciation monétaire et contrats en droit international privé. SCHÔNLE, H. : La nouvelle législation sur les banques. 1972, 116 pages. Fr. 17,-. N° 36 TANDOOAN, Haluk: Notions préliminaires à la théorie générale des obligations. 1972, 124 pages. Fr. 16,- N0 37 la condition juridique des handicapés mentaux. (Colloque du 24 avril 1972) THORENS, J. : Introduction. OARRONE, O. : Quelques aspects médico-sociaux de la débilité mentale. KNAPP, B. : La protection juridique du handicapé mental en droit public suisse. BERENSTEIN, A. : La protection juridique du handicapé mental en droit social. DESCHENAUX, H. : La protection juridique du handicapé mental en droit privé. DAM!, R. : Le handicapé mental et la tutelle. ÜRAVEN, P. : La protection juridique du handicapé mental en droit pénal. 1973, 136 pages. Fr. 18,-. N° 38 L!EBESKIND, W.A. : Institutions politiques et traditions nationales. 1973, 408 pages. Fr. 49,-. N° 39 Douzième journée juridique. BAVER, H. : La responsabilité du propriétaire foncier (art. 679 CC) : les personnes responsables et les personnes protégées. MORAND, Ch.-A. : Tendances récentes dans le domaine de la liberté d'expression. 1973, 72 pages. Fr. 11,-. N° 40 PERRET, F. : L'autonomie du régime de protection des dessins et modèles. Essai d'une théorie générale des droits de propriété intellectuelle. 1974, 340 pages. Fr. 39,- N0 41 KADEN, H.-E. : Le jurisconsulte Germain Colladon, ami de jean Calvin et de Théodore de Bèze. 1974, 180 pages. Fr. 32,-. N° 42 PETITPIERRE, O. : La responsabilité du fait des produits. Les bases d'une responsabilité spéciale en droit suisse, à la lumière de l'expérience des Etats-Unis. 1974, 208 pages. Fr. 28,-. MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE OENÉVE

N° 43 Treizième fournée juridique. ÜBERSON, R. : La nouvelle loi fédérale sur les droits de timbre. THORENS, J. : Quelques considérations concernant les rapports en droit successoral. jAGMETTJ, R.L. : Les mesures urgentes en matière d'aménagement du territoire. 1974, 92 pages. Fr. 16,-.

N° 44 ROBERT, Christian Nils : La participation du juge à l'application des sanctions pénales. 1975, 224 pages. Fr. 29,-

N° 45 RECORDON, Pierre-Alain : La protection des actionnaires lors des fusions et scissions de sociétés en droit suisse et en droit français. 1975, 344 pages. Fr. 40,-.

N° 46 Quatorzième journée juridique. jUNOD, Ch.-A. : Libertés économiques, ordre public et politique sociale (Réflexions sur l'arrêt Griessen ATF 97 1 499 ss.). DALLEVES, L. : Le contrat de voyage. GAUTHIER, j. : La loi fédérale sur le droit pénal administratif. 1975, 108 pages. Fr. 19,-.

N° 47 REYMOND, Jacques-André : Le traitement fiscal des fusions de sociétés anonymes. 1975, 304 pages. Fr. 35,-.

N° 48 HABSCHIED, Walther ]. : Droit judiciaire privé suisse. 1976, 584 pages, relié toile. Fr. 74,-.

N° 49 Quinzième journée juridique. MALJNVERNI, G. : L'application de la convention européenne des droits de l'homme en Suisse. TERCIER, P. : Les nouvelles dispositions de la LCR relatives à la respon­ sabilité civile et l'assurance. 1976, 108 pages. Fr. 18,-.

N° 50 Mélanges offerts à la Société suisse des juristes. 1976, 364 pages. Fr. 41,-.

Hors série. Recueil de travaux publié à l'occasion de !'Assemblée de la Société Suisse des juristes, à Genève, du 4 au 6 septembre 1938. 1938, 364 pages. Fr. 20,- Recueil d'études de droit international en hommage à Paul Guggenheim. 1968, relié toile, 928 pages. Fr. 100,-.

Les volumes non indiqués sont épuisés. MËMOIRES PUBLIËS PAR LA FACULTË DE DROIT DE GENÈVE

RECHERCHES ET TRAVAUX DE LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE PERRIN, J.-F. : Le contrat d'architecte. 1970, 104 pages. Format 14 X 19. Fr. 12,-.

RAPPORT DE RECHERCHES DE LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE PERRIN, J.-F. : Opinion publique et droit du mariage. 1974, 96 pages, 16 X 23,5. Fr. 15,-.

DÉPARTEMENT DE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC DE LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE Les Nations Unies face à un monde en mutation. Actes du colloque d'octobre 1970. 1971, 112 pages, 16 x 24. Fr. 12,-. L'Etat face à l'organisation mondiale. Actes du II• colloque 1972. 1974, 172 pages, 16 X 24. Fr. 17,-.

ACHl!Vll D'JMPRIAIBR AUX c PRESSES DB SAVOIB •, AMDJLl.Y·ANNEMASSB (H.·S.), llJll SBPTBMBRB 1976