Lucie Bassetti

Images d'une enfance

Photo de la couverture : La cour de l'entreprise avec 2 camions Saurer, 1 camionnette Delaunay-Belleville, la Limousine B 14 Citroën, la voiture Mathis sans cabine, torpédo. Le village de Roppe et une route bordée de platanes ma- gnifiques. A leur gauche, à leur droite, des prés, des champs, pas une seule habitation, pas même une cabane, seulement la solitude, la tranquillité de la campagne. Un chemin allait s 'ouvrir sur cette sérénité . Au lieu-dit "Les Forts Champs", une construction particulière, à la fois maison d'habitation et petite usine, venait de s'ériger. Pour y vivre, on avait creusé un puits qui donnait une eau pas très fiable, et on s'éclairait à la lampe à pétrole, cela, en attente d'une installation moderne, car, venus de leur précédent domicile, les habitants de cette maison, des maçons italiens,. avaient pour vocation de sa- tisfaire une clientèle déjà fidèle. A coup de piques, de pelles et à la force du poignet, il fallut entamer la roche, évacuer la terre, creuser sur prés de 1 km pour accéder au premier point d'eau, faire dresser par EDF les poteaux bois qui amèneraient le courant électri- que, et fait rare pour l'époque "la forcé" courant triphasé qui allait permettre le travail de machines à bois. Cela pour une somme astronomique de 17 000 F d'alors. De la ténacité de ces hommes, de la seule ambition de leur aîné, Jean, à vouloir signer tant de maisons qu'il allait construire, une entreprise venait de naître. Elle venait aussi de donner la vie à une rue, l'actuelle rue d' qui aurait peut-être mérité un autre nom ? celui de ses créateurs : Les Frères BASSETTI. La vie, Une saison de feuilles Françoise Dolto

L'une après l'autre, chaque feuille allait se détacher, se dis- perser aux quatre coins du cimetière de où, à ce jour, au nombre de 17 elles reposent. Seul cimetière et une unique église pour la paroisse de Phaffans, laquelle sous l'appellation de "La Baroche" an- cien terme médiéval de "la Parochia " groupe les six com- munes de : Denney, Eguenigue, , Menoncourt, Phaffans et Roppe. Paroisse, église, indissociables du passé de chacun de nous, qui depuis 4 générations y porte, selon ses combats ou ses bonheurs, un cœur à marée basse ou à marée haute. Pour moi, faite d'extrême, de déraison je continuerai à ha- biller les chères ombres, les parer de bleu. Je les couvrirai de mots, j'y mêlerai le ciel, la rosée, le givre, les parfums, ces senteurs uniques de la vie qui met- tent dans l'âme comme un goût de bonheur. A mon père,

© Lucie Bassetti-Mourey, 20, rue d'Eguenigue, 90380 ROPPE Dans la nuit du 5 au 6 Juillet 1925, naissait en une clinique de , une petite fille aux épais cheveux noirs, moi. De suite, je devins l'unique préoccupation de mon père qui eut le devoir immédiat de donner un prénom à sa fille unique. Choix difficile, cependant vite résolu, car, avisant le calendrier des Postes, il posa son doigt sur le 6 du 7ème mois de l'année, il indiquait, Lucie. Quelques jours plus tard, déposée dans mon berceau, j'étais à la maison : à Roppe. Une identité, un village, ma vie commençait.

Belfort et le . Lequel Territoire se trouve être le plus petit département de . Il faisait partie de l'Alsace et, avec Colmar, et Mulhouse appartenait au Haut-Rhin. Un traité en date du 10 mai 1871, traité de Francfort faisait passer l'Alsace sous la domination allemande, sauf Belfort qui dût à sa résistance héroïque pendant la guerre de 1870, de rester français. Détaché du Haut-Rhin, il commença son autonomie. C'est alors que nombre d'Alsaciens quittèrent leur province annexée, se ruant vers cette France toute proche. Avec eux, toute une diversité de compéten- ces s'installa alors dans la ville, notamment dans le Faubourg des Vos- ges, et Belfort vit sa population augmenter de 40 000 âmes en quelques années. Cela donna lieu à un essor économique grandissant, à la créa- tion d'usines dont la Société Alsacienne de Constructions à vocation métallurgique, les textiles Schlumberger et de nombreuses filatures. DMC, tissages de coton, Boigeol et même à , un centre d'horlogerie. L'on se rend au Belvédère du Ballon d'Alsace par une route cons- truite sous Louis XV et chantée par le poète franc-comtois Charles Nodier. Toutefois, situé entre Vosges et Jura, limitrophe de la Suisse et de l'Alsace, Belfort garda sa vocation militaire. Fortifiée par Vauban sur l'ordre de Louis XIV, la ville, forte de sa citadelle, du Fort de la Justice, s'était vu adjoindre d'autres forts, dont ceux de , Roppe, Giromagny et d'un poste d'observation qui donnait et recevait des signaux : LA TOUR DE LA MIOTTE. -Dépositaire de souvenirs héroïques, sentinelle de notre présent, elle domine les fortifications et comme aux temps révolus, son regard vigilant, inlassable, fouille la plaine à l'affût de quelque hypothétique ennemi. Trois Portes donnaient accès à la ville. Seules, subsistent la Porte du Vallon et la Porte de Brisach ; la Porte de France fut, hélas, démolie en 1892. Au fronton de ces deux dernières, d'apparence semblable, figu- rait en chiffres romains la date de leur construction et l'emblème du Roi Soleil. Les rues de Belfort, dont quelques unes perpétuent la mémoire de ses illustres défenseurs, se nomment, rue Thiers, Général Lecourbe, Colonel Denfert-Rochereau Gouverneur de la place. D'autres portent le nom de Généraux nés dans la Cité : Général Roussel, Foltz, Gauchard, Stroltz, Gaulard, Béchaud, dont une caserne de la ville prit l'appellation, nom qui figure également sur l'Arc de Triomphe ainsi que celui du Général Stroltz. Quant aux rues Heim, Dauphin, elles rappellent deux peintres belfortains de talent, la rue Deubel, un poète. Enfin, pour la gloire de Belfort et la fierté de tout belfortain, érigé en reconnaissance, et pour perpétuer le souvenir de la défense héroïque de Belfort, oeuvre d'un artiste colmarien Bartholdi qui le sculpta dès 1876 : Un Lion Flanqué sous la citadelle, impressionnant avec ses 22 mètres de long et 11 mètres de haut son socle porte l'inscription : « Aux Défenseurs de Belfort». «Joyau rare, paré d'écrin gigantesque d'un environnement à nul autre pareil, Lion, tu restes là, immobile mais vigilant. Paisible gardien d'un noble passé, tes yeux se portent dans le lointain, là où tant de preux, de nobles chevaliers, versèrent leur sang pour «bouter l'ennemi hors de France» qu'il fut espagnol, anglais ou germanique. «Son lit fut préparé par Louvois. Vauban et un roi. Toi-même devenu roi en cette ville, Fais, que pour quelques yens, florins Ne soit vendu le sol de France. Et vous, bourgeois Oyez, la goualante de ce Lion là : Dormez, dormez, bonnes gens A jamais, veille sur vous, Votre noble cité, Celui, qui toujours, sera Votre Lion et votre Roi. L.B. LE FIEF DE ROPPE En épousant l'héritière des comtes de Montbéliard, le comte de Ferrette, Ulric II, avait reçu la partie de leurs terres dans laquelle se trouvait la marche de Roppe. En 1317, il conférait à François de Roppach l'investiture du fief du château de Roppe, sous la condition qu'il aurait à lui porter secours en cas de guerre avec la France ou la Bourgogne. La petite forteresse féodale était une ganerbie ou fief commun, c'est-à-dire un fief possédé en commun par plusieurs feudataires, appelés coganerbes ou coseigneurs, qui avaient à le défendre sous le commandement du châ- telain, qui y avait sa résidence habituelle. Ce dernier rôle ne cessa d'être tenu par les Roppach au cours des siècles où ils partagèrent leur fief avec les nobles de Wessemberg, de et de Reinach. Cette modalité subsista jusqu'à la mort du dernier représentant de la famille de Roppach, en 1729, date à laquelle toutes les parts de l'antique ganerbie furent réunies sur la tête de François-Joseph de Reinach, de la branche de . Un diplôme de l'an 792, révèle pour la première fois l'existence du «pagus de Ropach», qui n'est autre que le village actuel de Roppe. Il indique qu'il était alors le chef-lieu d'une «marche» faisant partie de la donation accordée, en 728, à l'abbaye de Murbach par le duc d'Alsace, Eberhard. Les limites de ce territoire féodal furent longtemps respectées et, à la veille de la Révolution, elles se confondaient encore avec celles de l'ancienne paroisse de Phaffans, dont dépendaient, avec le village de ce nom, ceux de Roppe, Perouse, Bessoncourt, Denney, Vétrigne, Eguenigue, Lacollonge, Bethonvilliers, Saint-Germain et le hameau des Errues. Quelques notes sur le château féodal de Roppe d'après Liblin Les documents nous laissent dans l'ignorance de faits spéciaux concernant ROPPE, jusqu'au XIIIème siècle où apparait la famille no- ble de ROPPE. C'est dans cet intervalle que fût construit le château féodal dont il ne reste plus que le souvenir et le débris de la dernière construction sur l'emplacement qu'il occupait. Nous pensons que ce donjon était contemporain de la fondation du Comte de FERRETTE, au commencement du XIIème siècle (1125). Le premier des membres de la famille noble qui l'occupa est Guillaume de ROPPE en 1232. Le fief dit «SCHOEPTIN» était une GANERBIE, c'est-à-dire une forteresse possédée par plusieurs burburgers = ganerbes qui y demeu- raient sous le commandement du maître du château : les coseigneurs les WESSEMBERG () les REINACH et les ROPPACH. Ils devaient en assumer la défense en commun, les suzerains étaient les Comtes de FERRETTE. Cette forteresse était entourée de deux fossés et de marécages, possédait une avant-cour, une grange, une chapelle dédiée à Sainte Mar- guerite (dont le chapelain était titulaire de la Chapelle Ste Catherine dans l'Eglise de PHAFFANS où furent enterrés les seigneurs de ROPPE). Il y avait un moulin (emplacement Maison SEIGEOT Albert) dont les meuniers furent ancêtres de la famille LESMANN. Deux étangs, un avant le château, alimenté par la source du petit lavoir et le ruisseau, l'autre étang du dessus, qui s'appellerait plus tard l'étang de l'Autruche (déviation de l'Autriche). On y trouvait aussi un jardin, actuellement lieu-dit «Jardin du Château» verger d'une fauchée. Il y avait sûrement une prison, car il se trouvait une potence au lieu-dit «Les Fourches», sur une hauteur, à l'emplacement de la Mai- son du Docteur Simmet ; il existe au pied de ce coteau une source ap- pelée la source du bourreau, où celui-ci allait se laver les mains. Le 19 septembre 1635, le château de ROPPE fut incendié et en partie détruit par les soldats du Comte de la Suze, dont le récit se trouve dans la gazette de FRANCE de cette époque. Le blason de Roppe De même que diverses communes du canton, Roppe a son blason qui a été conservé par la commission d'héraldisme de Belfort et figure sur l'armoriai de France de 1697. C'est certainement celui de ses seigneurs, «de Roppach», qui ha- bitèrent ici leur château et dont en 792, déjà, le village portait le nom, devenu successivement Rootbach, Roopach, puis Roppe. Ce blason porte : «D'or à la croix de sable cantonnée de quatre roues de même». Comment l'expliquer ? A n'en pas douter, bien des membres de cette famille noble, par- tirent aux Croisades (ils se croisèrent). D'autre part, les moulins étaient nombreux dans la petite «ganerbie» que Roppach commandait. D'où cette alliance du spirituel «La Croix» avec les roues du moulin, faiseuses de pain. Les bornes de Mazarin Notre monument aux Morts est situé dans un petit square soi- gneusement entretenu par des jardiniers amateurs et bénévoles. A l'entrée de ce square, deux bornes se font pendant, intrigant fortement les curieux. Elles ont été placés là par les soins de la Munici- palité, soucieuse de garder intact tout ce qui a trait au passé de la Com- mune. Il n'y a pas très longtemps, elles étaient encore dans la forêt, à un endroit appelé «Bois de la Dame», à la limite des territoires de Roppe & d'. Ces bornes avaient été bousculées, même arrachées, en partie au cours des travaux exécutés en cet endroit et les roues des tracteurs, qui, à notre époque, sillonnent nos bois risquaient de les faire disparaître à jamais. Combien c'eut été dommage ! Elles portent les armes de Mazarin : surmonté de fleurs de lys, un écus- son à l'intérieur duquel s'inscrivent le faisceau des licteurs et une ha- che. N'oublions pas que notre village faisait partie du Territoire donné en 1658 au Cardinal, par le Roi Louis XIV. En plus de leur intérêt historique, ces vieilles pierres évoquent en nous la pensée d'un travail long et minutieux exécuté par la main d'un artisan du Pays. A ce double titre, elles ont été sauvegardées et mises en place d'honneur 1940. Survint un aigle noir. Ses ailes déployées allaient peu à peu couvrir la France entière, la plonger dans les ténèbres. Il la mit à genoux ! et le sol de la liberté devint celui de l'oppression, de la tyrannie, de la peur et de la haine. Trahie, affamée, tremblante sous les bottes de l'occupant, la population ne pensait qu'à survivre et tout sembla perdu. C'est alors qu'en quel- ques esprits l'idée de la révolte se mit à germer. La torture sadique, insoutenable qui faisait éclater les têtes, la botte allemande qui piéti- nait les corps ne devaient jamais éteindre la flamme qui brûlait, dans ces coeurs là. L'histoire ne s'occupe que des règnes, elle oublie les victimes. Elle garde le nom d'un martyr de la gestapo : Jean Moulin. D'autres martyrs demeurent anonymes, il y en eût des centaines. A Roppe, fut plus tard rendu à sa famille, le corps d'un fils du village, Jean Chatillon, mort à 20 ans dans les bois de Lomont où s'était organisée la résistance. Je t'ai vu partir Jean, beau, jeune et intelligent. Ton coeur a cessé de battre, là-haut dans la solitude d'un bois, traqué tel un loup. Depuis tant d'années où tu aurais eu le droit de vivre, tu reposes au cimetière de notre paroisse à Phaffans, là où bien des mois après, sans même t'ac- corder une halte dans ton foyer à Roppe, tu es revenu. Mort comme tous les autres au nom de la vérité, de la passion pour que nous puissions vivre libres. Salut Jean ! La France avait connu bien des guerres, des révolutions et la voix de Bossuet clamant du haut de sa chaire ces vérités qui dérangent et font courber les têtes. Une autre voix, celle d'un général français allait à son tour, s'éle- ver si fort, si puissante que, d'Angleterre, elle allait traverser la Man- che, le Pacifique. C'est alors qu'en un coin de Normandie, il se mit à pleuvoir des hommes. Nous étions le 6 juin 1944 et le débarquement des troupes alliées commençait. Pour la première fois l'aigle baissait la tête... Quand le drapeau noir flotte sur la marmite - Jean Gabin Aussi loin que remontent mes souvenirs, autour de moi, je n'ai entendu parler que de «misèria», cette misère qui avait poussé hors de leur pays tous ces italiens. Misère, chômage, ces mots allaient hanter mon enfance, ma vie, déshonorer à mes yeux et à jamais, l'Italie. Je sus dès lors, qu'en moi, il y aurait toujours la haine pour un gouvernement quel qu'il fût, qui ne saurait donner du travail à ses ressortissants. Ce traumatisme allait me poursuivre, renforcé qu'il fut par la horde de chômeurs que dès 1935 je vis se presser à la soupe populaire à Bel- fort. Il pleuvait, il faisait froid, mais il leur fallait rester là, en rang d'oignons à défiler, avec la résignation de ceux qui n'ont plus rien à perdre. La goutte au nez, le cache col crasseux, en veste, et pour les moins défavorisés en pardessus élimé, ils tendaient qui, une gamelle, qui un bidon à lait. Les chaudrons installés sous quelque auvent, une bâche, tenaient au chaud une soupe épaisse comptée et distribuée à la louche. Ils s'en allaient la porter à une famille entière qui attendait dans la froideur d'une cuisine sans feu. La répartition, les différents, se ré- glaient à coups de taloches. Chez nous, à Roppe, il y avait en permanence deux chèvres qui se nourrissaient de l'herbe environnante, du foin qu'on leur stockait. Grâce à elles, mes déplacements à Belfort se trouvaient à chaque fois assortis d'un petit bidon de lait que ma mère m'envoyait porter à l'un ou à l'autre. Elle ajoutait en saison quelques légumes et parfois un petit seau de choucroute. Je montais un escalier sordide aux marches grises, à la rampe crasseuse, frappais à la porte qui s'ouvrait sur moi comme sur le Mes- sie. Je repartais couverte de remerciements, et de bénédictions. Elle n'effaçaient pas et moi le regret de n'avoir pu frapper ainsi à chaque "L'hommecherche son enfance tout au long de sa vie, et plus il s'éloigned'elle, plus elle se rapproche de lui" JacquesRouland.

Lucie Bassetti.

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