SRI , UNE BIOGRAPHIE

BILL AITKEN

Sharanam Ganesha, Ganesha Sharanam

2

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE 4 CHAPITRE 1 : UN MOYEN DE GRÂCE 6 CHAPITRE 2 : L’AMOUR COMME GUIDE 16 CHAPITRE 3 : LE CADRE DU DECCAN 30 CHAPITRE 4 : INFLUENCES RELIGIEUSES 40 CHAPITRE 5 : LE REMARQUABLE FAKIR DE SHIRDI 53 CHAPITRE 6 : ÉLEVER CEUX DE BASSE CONDITION 62 CHAPITRE 7 : FORTE ASCENSION SPIRITUELLE 73 CHAPITRE 8 : DIEU EN TROIS PERSONNES 89 CHAPITRE 9 : ÉCOUTEZ LA PAROLE 100 CHAPITRE 10 : BRANCHÉ SUR L’INFINI 112 CHAPITRE 11 : ROUTINE QUOTIDIENNE ET TÂCHES COURANTES 126 CHAPITRE 12 : CAR MES YEUX ONT VU 140 CHAPITRE 13 : RASSASIER LES AFFAMÉS ET COMBLER LES DÉSHÉRITÉS 155 CHAPITRE 14 : DES LEÇONS QUI DÉPASSENT LA RÉFLEXION 171 CHAPITRE 15 : DISPERSER LES ORGUEILLEUX 185 ÉPILOGUE 195 GLOSSAIRE 204

3

PRÉFACE

C’est une longue route jusqu’aux pieds de l’Un, mais nous l’empruntons tous.

Rudyard Kipling dans Kim

Ecrire à propos de la vie et de l’époque de Sri Sathya Sai Baba, c’est accepter une tâche apparemment impossible. Comment peut-on exprimer son statut divin sans inviter l’incrédulité ? Si elle est écrite entièrement pour des non croyants, l’histoire restera à moitié dite. Et il n’est pas non plus correct de ramener des faits vérifiés de nature apparemment miraculeuse à un catalogue de rationalisations neutres. Comme W.H. Murray, le mystique alpiniste le dit : ‘’Le but n’est pas d’abroger la raison, mais de l’élever. Un chameau ne peut pas passer dans le chas d’une aiguille, mais la vision le peut.’’ Murray recommande l’art alchimique de l’unification pour nous aider à traverser l’espace apparemment infranchissable entre notre monde et le royaume de l’Esprit, harmonisant par là les leçons de la tête et les enseignements du cœur.

La seule façon dont un étudiant itinérant en religion (par opposition à un dévot Sai) peut expliquer le phénomène Sai est de recourir à son agenda de voyage dans lequel, pendant trois semaines chaque hiver sur une période d’une douzaine d’années, il rapporta les merveilles cachées de la topographie du Deccan et sa riche théologie. L’auteur, pour emprunter un commentaire de Thomas Carlyle à propos du poète Robert Burns, ‘’dit ce qu’il y a en lui, non par besoin externe de vanité, mais parce que son cœur est trop plein pour rester silencieux’’.

Cette enquête historique et théologique, tout en cherchant à percer le halo qui entoure Sathya Sai Baba et Shirdi Sai Baba, n’exprime pas vraiment d’opinions pour ou contre les associations fabuleuses qui sont apparues autour de leurs noms. Ce qu’elle tente, puisque les étudiants sérieux de l’opération de la grâce veulent de la substance qu’ils peuvent (suivant les paroles de Sathya Sai Baba) ‘’observer, étudier et peser’’, c’est une étude de sa source énigmatique et des détails de son fonctionnement sur un bénéficiaire qui peut témoigner de son impact. Si, ici ou là, cela a conduit à une digression dans des explications sur la manière dont un Ecossais itinérant est tombé amoureux du Deccan et de sa lignée de modèles extraordinaires de grâce spirituelle, je m’en excuse à l’avance.

Il me faut remercier Shalini Sreenivas pour avoir suggéré que ce livre soit écrit et pour avoir offert des documents et des encouragements pour permettre son achèvement. David Davidar de chez Penguin a régulièrement apporté son soutien aux intérêts non conventionnels de l’auteur, tandis qu’à Karthika est revenue la tâche astreignante de débroussailler et d’ajouter de la clarté à cette excursion numineuse. A Himanshu Bhagat, je suis redevable de sa vision d’ensemble détachée d’un terrain difficile à sonder et à Shantanu Ray Choudhary de ses intuitions correctives inestimables. Rajiv Mehrotra a gentiment aidé à accélérer la dactylographie, assisté par Lalita à Delhi et par Jayashree à Bangalore. Je dois aussi remercier Paras, notre chien fidèle et exubérant qui a permis que les délais soient respectés en me réveillant chaque matin. Ma

4 principale inspiration a été l’amour infini que Rani Ma ressent pour son , Sri Sathya Sai. Ce livre est offert avec révérence à la source de cet amour.

Mussoorie, Avril 2004

5

CHAPITRE 1 : UN MOYEN DE GRÂCE

IL existe des douzaines de marques de religion, mais un seul Esprit qui les imprègne toutes. Celui qui colporte la proposition qu’une marque est meilleure qu’une autre implique qu’il les a essayées toutes, ce qui le rendrait omniscient ou plus probablement que c’est un vendeur qui tente de faire passer son bluff pour de la certitude. L’étudiant en religion apprend à se méfier face à de telles prétentions, faisant confiance à sa propre expérience de l’Esprit, quelle que puisse être sa modestie. Spécialement dans un récit de phénomènes concernant Sai Baba, il est important d’insister sur l’importance du contenu par rapport à la forme, dès le départ.

Les deux maîtres, Shirdi Sai et Sathya Sai, insistent sur le besoin de dépasser les étiquettes extérieures et de goûter l’Esprit intérieur. Tandis que la religion évoque principalement une croyance publique passive transmise de manière systématique, la conscience de l’Esprit qui imprègne la religion exige une réponse individuelle plus profonde à la réalité du divin. La première s’apprend par l’endoctrinement de l’esprit, la deuxième s’expérimente spontanément dans le cœur. Le groupe de ceux qui suivent Sai Baba et qui semble comprendre un mouvement religieux est plus une foi qui se meut dans l’Esprit, un rassemblement d’individus convaincus qu’ils ont un lien émotionnel direct avec leur Maître élu. Cette expérience ne se limite pas à des âmes extrasensibles (ce que le monde appelle des ‘’mystiques’’, mais elle est vécue par des gens ordinaires qui répondent à la présence de l’une des figures de Sai Baba avec un cœur rempli d’amour.

Et l’essence de l’amour, c’est de partager. Lorsqu’on m’a demandé d’écrire à propos de la vie et de l’époque du saint en évitant les excès hagiographiques auxquels les croyants trouvent difficiles de ne pas céder et qui dégoûtent le chercheur ordinaire qui veut de l’information et non de l’exagération, je fus d’accord d’essayer. Ce que Sai Baba éveille en moi, c’est un sentiment si merveilleux que je suis persuadé que chacun dans le monde voudrait l’expérimenter. Malheureusement, les talents de guérison de Sathya Sai ont été occultés par la mauvaise presse qui traque tous ceux qui revendiquent la connaissance de ce qui est saint. Beaucoup de personnes qui auraient pu être aidées dans leur quête de la santé et de la complétude ont choisi de se fier aux comptes- rendus des médias plutôt qu’à la sagesse de leur propre instinct. Cet essai biographique vise à chasser les doutes de ces âmes hésitantes.

Initialement, j’étais peu enthousiaste à m’attaquer à cette tâche, parce que la religion en Inde est une question délicate aujourd’hui, spécialement quand elle est traitée par quelqu’un qui est né en dehors du sous-continent. Je ne connais pas non plus le télougou, la langue maternelle de Sathya Sai, bien que je trouve que de toutes les langues indiennes, ce soit la plus plaisante à l’oreille. Quand il me fut indiqué que même le biographe reconnu de Sathya Sai Baba, le Prof. Kasturi, connaissait mal le télougou et qu’il avait, lors d’une occasion mémorable, vêtu une assemblée d’anciens rishis de sahariennes modernes, je pris courage. De toute façon, la grâce que Sathya Sai incarne ne peut s’exprimer que dans la langue du cœur et celle-ci est universelle.

6

Après avoir écrit presque une douzaine de livres de voyage, il m’apparut que la muse avait fini par admettre le craquement de mes vieux os (ainsi qu’une machine à écrire hostile à tout progrès technologique), de sorte que la seule option qu’il me restait était le voyage intérieur. L’inspiration nécessaire (et le matériel informatique) provinrent d’une ancienne étudiante et maintenant instrument de Sai Baba, dont la confiance et l’énergie sont tellement impressionnantes qu’elles ne peuvent trouver leur origine que dans ce centre énergétique qu’est Puttaparthi. Toutes mes réserves et toutes mes hésitations furent annulées par la promesse que Sathya Sai interviendrait d’une manière ou l’autre pour accélérer le projet. A l’encontre de l’inertie que la vieillesse estime avoir mérité, je fus encouragé à explorer la magie de l’informatique et à découvrir à quel point le phénomène Sai est contemporain.

L’étude initiale des écrits concernant Sai Baba s’avéra fastidieuse jusqu’à ce que des anecdotes partagées par cette même dame leur donne la vie. Ce qui débuta comme une corvée devint une fascination authentique et j’en vins lentement à comprendre que je n’écrivais pas réellement un livre sur Sai. Au lieu de cela, quelque chose en moi se trouvait incité à écrire à propos d’une réalité que la vie des deux Sai reflétait et ceci me faisait subtilement comprendre que cette étude était un moyen de grâce par lequel ma propre âme pouvait approcher de la réalisation de Sai. Malgré le fait que Shirdi et Sathya Sai appartiennent en apparence à des fois différentes et à des époques très différentes, le fait qu’ils soient tous les deux nés dans le Deccan – Shirdi dans le nord où l’on parle le marathi et Puttaparthi dans le sud où parle le télougou – peut être vu comme symbolique de l’unité sous-jacente à leur être et du processus d’unification qu’ils incarnaient dans leurs vies. Comme Guru Nanak, ils sont vénérés pour être consciemment éclectiques, préférant une approche de la religion plus humaine, plus tendre, plus lyrique, qui est plus douce pour le soi. Leur approche de l’Esprit a toujours insisté sur la compréhension intérieure authentique par rapport à l’ascétisme.

Cette réalisation fut suivie par de petits épisodes significatifs qui me forcèrent à accepter que des cartes de visite psychiques étaient laissées par la Sai Parampara (la lignée Sai) afin de faciliter mon voyage. Une fois, tout juste avant de débourser 2800 roupies en argent liquide pour une batterie de sauvegarde d’ordinateur, je reçus une lettre contenant un chèque de 2850 roupies. Pour un Ecossais vivant dans une ville provinciale comme Mussoorie où la livraison du courrier est quelque chose d’hasardeux (au moins une douzaine de propriétés situées sur notre colline ont ‘’oak’’1 dans leur nom), c’est la meilleure preuve que des choses invisibles sont à l’œuvre ! Un coup de téléphone d’un ami me fit part d’un livre et me souvenant que j’en avais un autre du même auteur, je fouillai dans un rayon oublié et j’y découvris un titre qui contribua à ma recherche. Tout en écrivant ce livre, je tentai en vain de me souvenir du nom de l’auteur dont j’avais lu un récit extraordinairement vivant de ses moments avec Sai Baba. En remettant mon manuscrit, mon éditeur, David Davidar, me demanda à brûle-pourpoint si j’avais lu ‘’Empire of the Soul’’ de son ami Paul William Roberts – précisément le nom qui m’échappait. Une semaine plus tard, en farfouillant dans la librairie locale, qu’est-ce que je découvre au rayon des soldes ? ‘’Empire of the Soul’’ à côté de ‘’A History of South India’’ de K.A. Nilakanta Sastri, un compte-rendu déterminant sur l’aryanisation du Deccan. On pourrait appeler cela des coïncidences,

1 ‘’chêne’’ 7 mais en rencontrer parfois deux par jour et ce, sur une période de plusieurs mois, suggérait la main de la grâce. Un jour, trois phrases nettement soulignées apparurent d’elles-mêmes en gros caractères sur l’écran de l’ordinateur, résumant précisément ce que mes écrits tentaient de dire :

IL N’Y A QU’UN MOT FINAL ET C’EST AMOUR. L’AMOUR, NON PAS EN TANT QU’OPTION DOCTRINALE, MAIS COMME OUTIL NÉCESSAIRE QUI SEUL PEUT OPÉRER UNE TRANSFORMATION. MÊME LA PHILOSOPHIE LA PLUS SUBTILE NE PEUT PAS FONCTIONNER SANS L’AMOUR. SEUL L’AMOUR NOUS CONDUIT AU-DELÀ DE TOUS LES PROBLÈMES DE LA VIE. C’EST LA SEULE GRÂCE QU’IL VAILLE LA PEINE D’AVOIR ET C’EST POURQUOI RICHES ET PAUVRES, SURMONTANT LES DIFFICULTÉS DU CHEMIN, SE RENDENT À PUTTAPARTHI.

Cette étude de la grâce reflétée sous la forme de Sathya Sai Baba n’est qu’une étude parmi des douzaines qui ont été écrites et elle ne revendique aucune intuition spéciale. En 1945, le jeune Sathya Sai rédigea un poème dans lequel il parlait de ‘’pseudo professeurs qui faisaient leur propre éloge’’. J’ai le sentiment désagréable qu’il faisait référence à des auteurs comme moi. Mon approche peut varier légèrement en ce sens que pour toute transformation par la grâce, je cherche à mettre l’accent sur les efforts du dévot plutôt que sur son attente résignée de la bienveillance divine qui lui tomberait dessus. Nous sortons livrer bataille avec la compréhension que le résultat n’est pas entre nos mains. Néanmoins, notre apport individuel peut affecter le résultat, c’est pourquoi il est important que le dévot tente de rencontrer le gourou à mi- chemin.

Cette étude considère la lignée Sai du point de vue d’une personne extérieure solidaire qui désire communiquer le remarquable pouvoir d’amour qui est en œuvre, mais qui, dans le même temps, désire répondre aux critiques que tout mouvement aussi important s’attire. L’observation que la Sai Parampara représente une interprétation de la divinité plus démocratique que de coutume est essentielle à ma thèse. Je soutiendrai que ces deux saints du Deccan n’ont pas seulement adouci notre concept de Dieu, mais qu’ils ont aussi renforcé la revendication de l’humanisme de partager l’espace avec le sacro-saint. Dans ce cas-ci, le divin est issu de l’ordinaire (la naissance de Sathya Sai dans la famille du fermier PeddaVenkappa Raju) et – fait révélateur – l’Esprit a voyagé du plus bas vers le plus haut – contrairement à la direction conventionnelle préférée par la religion. C’est seulement quand l’ordinaire a visiblement été rendu divin – comme il apparaît que cela s’est produit à Shirdi et à Puttaparthi – que sa revendication d’incarner l’unité de tous les domaines peut être prise au sérieux et sa mission déclarée de compassion être examinée pour sa source d’énergie.

Le développement de la compréhension religieuse depuis l’époque de l’Egypte ancienne a vu une descente spatiale de la tête dans le cœur, transférant le pouvoir divin du pharaon à un charpentier qui montait un âne. Les grâces tendres de la religion firent reconnaître à l’humanité que l’amour du cœur est un signe de divinité plus sûr que n’importe quelle manifestation matérielle de pouvoir. La Sai Parampara insiste sur la présence de l’Esprit dans la vie ordinaire et intronise l’amour divin à la place sacrée qui était auparavant réservée au potentat divin. Probablement pour la première fois dans l’histoire de la théologie, le dévot n’est plus lié par la convention d’utiliser la

8 majuscule en parlant du divin. La Sai Parampara a supprimé l’intermédiaire du prêtre de l’équation du dévot avec le divin.

Le gros des adeptes Sai modernes (en Inde et ailleurs) est plus proche de la classe moyenne que des classes sociales inférieures. Ce qui rend la Sai Parampara si attirante, c’est sa promesse de contact direct avec l’Esprit, peu importe le statut économique de l’adepte, et sa disponibilité pour une expérience d’une approche non orthodoxe de la divinité. Toutes sortes de gens se mélangent à Shirdi et à Puttaparthi et ils n’ont pas fait ce long voyage pour des raisons religieuses, mais pour satisfaire leur âme avec l’expérience directe de l’amour.

Cette humanisation de l’être sacré est suggérée avec plus de vigueur par le transfert physique du siège de la divinité hors de l’endroit que le poète Larkin appelle ‘’the holy end’’. Ce qui surprend le plus le visiteur de Puttaparthi, ce n’est pas l’absence de prêtres, mais l’omission d’un saint des saints où l’on fait des offrandes. L’absence d’un lieu de culte innove théologiquement et va à l’encontre de la tradition vénérée selon laquelle le divin a besoin de son propre espace au ciel ou sur une terre consacrée. En Europe, la foi protestante contesta le bien-fondé des prêtres en tant qu’intermédiaires, mais la Sai Parampara va encore plus loin et leur coupe l’herbe sacrée sous les pieds. (Certaines sectes protestantes se passent d’une ‘’fixation’’ formelle du divin dans un lieu spécifique. Cependant, elles considèrent généralement leurs lieux de rencontre comme ‘’à part’’.) Shirdi et Sathya Sai désignent tous deux le cœur humain comme le seul vrai temple, puisque c’est là où l’amour réside.

‘’Ma définition de l’amour’’, dit Sathya Sai, ‘’c’est de remédier aux souffrances des pauvres et des nécessiteux.’’ Sai Baba donne directement aux démunis, supprimant les dépenses administratives qui absorbent tant de financements officiels. Cette ‘’science spirituelle’’ indique la préoccupation d’un réformateur moderne qui a dû attendre patiemment pendant soixante ans avant que sa mission ne puisse convaincre et puis devenir trop grande pour l’orthodoxie religieuse.

L’universalité libératrice de la vision de Sai peut être expérimentée de première main, lorsque vous observez les collines roses et vertes de Puttaparthi du Chaitanya Jyoti,

9 un bâtiment moderne construit en 2000 pour célébrer le 75ème anniversaire de Sathya Sai Baba. Cet édifice architectural provocant combine les caractéristiques d’un temple traditionnel chinois et des dômes musulmans contemporains. Avant ceci, l’ de Sai Baba était considéré comme un centre de mobilisation supplémentaire des masses hindoues. Néanmoins, ce qui a réellement été mobilisé par Sai Baba, c’est l’Esprit, récupéré comme le feu prométhéen des contraintes de l’orthodoxie.

Le Chaitanya Jyoti Museum

Pour cet observateur, la Sai Parampara manifeste l’instinct réellement indien d’accueil de la pluralité (contrairement à l’attitude hindoue orthodoxe qui ne fait que la tolérer). Son message universel ne se base pas sur des clichés textuels considérant l’unité des choses. Il provient plutôt de l’expérience d’identités multiples, comme en témoignent les figures très différentes de Shirdi Sai et de Sathya Sai. La sagesse orientale traditionnelle affirme que l’âme renaît pour expérimenter la gamme entière des possibilités humaines. Le meilleur exemple de ceci est la vie remarquable de Paramahansa qui vécut réellement les disciplines de différentes fois, adoptant sincèrement le vêtement, les coutumes et les observances des adeptes du christianisme, de l’islam et d’autres religions. De même, à Puttaparthi, la célébration de Noël, par exemple, n’est pas une imitation condescendante d’une tradition étrangère, mais une célébration tout à fait authentique de la naissance de l’Esprit.

Pour tenter de faire voir le lignage spirituel universel de ces saints modernes, j’ai évoqué des comparaisons avec des maîtres modernes, spécialement en puisant dans la vie et les enseignements du curieux et parfois bizarre George Gurdjieff, qui à première vue peut paraître comme l’antithèse de Sathya Sai et de la Sai Parampara. Le fait est que les méthodes d’enseignement soufies de Shirdi Baba étaient notoirement bizarres et que, comme Gurdjieff, il croyait en la thérapie de choc. Tous deux pouvaient exiger la dakshina (paiement) de leurs disciples. Les demandes immodérées de Gurdjieff étaient un stratagème pour séparer le chercheur authentique du simple adepte suivant la mode. Aux yeux du monde, en général, Gurdjieff apparaissait comme un cynique. Mes ses disciples privilégiés qui comprenaient certains littérateurs d’exception du

10 monde occidental produisirent quelques livres remarquables qui transmettent sa véritable stature spirituelle, en dépit de tout ce que son comportement peut avoir suggéré. Comme Shirdi Baba, c’était un soufi libre des conventions qui faisaient obstacle à la reconnaissance de l’unité de l’Esprit. Gurdjieff était arménien et bien que né dans une famille chrétienne, il voyagea beaucoup en quête de la sagesse orientale. Il créa l’Institut pour le Développement Harmonieux de l’Homme près de Paris et il mourut en 1947, laissant derrière lui un petit mouvement qui s’est accru, comme pour Shirdi Baba, grâce à la force de la présence continue du maître. Comme tous les vrais maîtres – et cela peut paraître étonnant, mais il y en a eu peu dans l’histoire de la religion – il parlait avec une autorité qui n’était pas la sienne. Cependant, paradoxalement, la source de cette autorité semblait provenir de son moi profond. (Malgré les apparences, Sathya Sai peut également se conduire de façon imprévisible et montrer une autorité qui semble capricieuse jusqu’à ce que ses bénéfices soient appréciés à long terme.)

George Gurdjieff

***

11

Contrairement à beaucoup de mes amis, j’aime le monde tel que le Tout-Puissant l’a créé. Je n’ai aucun regret quant à la trajectoire difficile que m’a vie a prise, puisque cela m’a permis d’avoir un angle de vue original sur les choses. Né dans le centre de l’Ecosse, envoyé à l’école dans les Midlands anglais, puis à l’université dans le Yorkshire, j’ai vécu à Calcutta, dans les collines de Kumaon, à Delhi et à Garhwal, acquérant ainsi l’identité d’un quasi nomade. Une bonne chose à propos de l’éducation écossaise, c’est la réponse enracinée à la beauté irrésistible de la nature qui permet à beaucoup de paganisme préchrétien de filtrer. J’aime assez le terme ‘’païen’’ et enfant, j’aimais parcourir les landes en m’émerveillant du miracle de la bruyère. Mon âme répondait extatiquement aux contreforts des Ochil et j’étais élevé dans la croyance des fées et des fantômes. Aux premières, j’offrais chaque dent cassée avec une pièce de trois sous et une pincée de sel par-dessus mon épaule. Les fantômes étaient un triste rappel des petits gars des Highlands tombés pendant la guerre et personne, me semblait-il, doté d’un sentiment de pitié et du don de double vue ne pouvait douter de la réalité du monde psychique.

Ce fut un traumatisme de quitter les collines de mon lieu de naissance pour le lycée de la ville industrielle de Birmingham. Mais là-bas, ma religion fut identifiée pour moi par un célèbre prédicateur qui vint prononcer un sermon à l’église St-Martin dans Bull Ring. C’était un beau dimanche matin, mais l’église était aussi froide et humide qu’une prison sentant le renfermé. L’ecclésiastique vitupéra ceux qui trahissaient leur héritage chrétien et qui s’évadaient de la ville au lieu de se rendre à l’église. Il les qualifia de ‘’Blue Domers’’, parce qu’ils préféraient célébrer la présence de Dieu sous le dôme bleu du ciel. Grâce à ce prédicateur, je découvrirai plus tard qu’il n’était plus nécessaire pour moi de me rendre à l’église. Il m’avait rendu à mon héritage païen.

Autrefois, je caressais l’idée de rejoindre l’Eglise et d’être ordonné ministre. J’entrepris de parcourir toute la Grande-Bretagne, procédant à une évaluation des différents ordres et recherchant une religion qui répondrait aux besoins de mon âme. Je séjournai dans une fraternité franciscaine dans le Dorset, mais je fus nettement plus impressionné par l’immense symbole phallique gravé à flanc de colline par des Bretons païens. Je dinai à la table de la haute communauté anglicane, mais j’en repartis horrifié à la perspective d’une vie passée à discuter de théologie avec un goût d’oignons aux vinaigre dans la bouche. La religion s’avérait être mortellement ennuyeuse et voyant toutes les églises à moitié vides, j’en conclus que le Tout-Puissant avait rejoint les rangs de ceux qui pratiquaient l’école buissonnière le dimanche et je m’enfuis pour profiter du dôme bleu du ciel.

Ma quête, c’était de trouver le sens de la vraie religion et à cette fin, j’étudiai la religion comparative à l’Université de Leeds. Selon mon gourou de Mirtola, les gens qui étudient la religion comparative ne sont que comparativement religieux et ceci fut prouvé par le fait que tous les points de vue exprimés sur les religions orientales l’étaient à partir d’une perspective missionnaire. Néanmoins, ceci était mieux que rien. En Grande-Bretagne, presque toutes les chaires de théologie étaient réservées à des pasteurs chrétiens et Leeds était unique en ce sens qu’elle avait été fondée en grande partie grâce à de l’argent juif gagné dans le commerce de la laine. Fort naturellement, les donateurs dotèrent une chaire qui n’était hostile à aucune foi particulière. Malgré

12 leurs préjugés, mes professeurs ne purent pas totalement minimiser l’importance des beautés de l’hindouisme que mon âme éclectique sentait cruciales pour l’achèvement de son éducation.

La foi qui se rapprochait le plus de ce que je recherchais était pratiquée par la Société Théosophique avec sa conviction à propos de l’unité essentielle de toutes les religions. Cependant, quand je visitai Adyar, le siège du mouvement, en 1960, il ne semblait plus se passer grand-chose. Il me fallut quinze années supplémentaires de recherches avant de découvrir ce que je cherchais dans le Sarva Stupa de Sathya Sai Baba qui avait été récemment érigé à Prasanthi Nilayam, une colonne éclectique qui réaffirmait l’unité de l’Esprit formateur de la vie à travers les différentes facettes des religions vivantes du monde. Ici, le processus unificateur était rendu public, le credo ‘’Sab ka malik ek (Il n’y a qu’un Maître divin) de la Sai Parampara était publiquement déclaré. C’était comme retourner chez soi après avoir pris la mer pendant des années.

Le Sarva Dharma Stupa

Moins d’un mois après avoir terminé ma maîtrise (sur le karma du Mahatma Gandhi), je partis en stop voir le monde et expérimenter de mes propres yeux ces religions de l’Orient dont j’avais étudié les doctrines. Le voyage par la route dura deux mois et me permit de voir des lieux saints comme Istanbul, Jérusalem, Nazareth,

13

Ispahan, Amritsar et Bénarès (à présent Varanasi), ce qui me fit entrevoir comment les grandes religions vivantes du monde menaient leurs affaires. Rétrospectivement, ce que je trouve à la fois agaçant et fâcheux, c’est d’avoir visité l’Anatolie (en Turquie) et Tabriz (en Iran) sans avoir aucune conscience de la grandeur du maître spirituel soufi, Jalalluddin Rumi. Je réalise maintenant qu’à la place d’avoir visité les sites de pèlerinage conventionnels de la Terre Sainte, j’aurais dû visiter le ‘’district de la joie’’ (comme le présente Andrew Harvey) où le plus grand mystique du monde avait enseigné la voie de l’amour qu’il appela l’art de s’enivrer sans vin.

Rumi comprenait la valeur réelle des choses et il aurait approuvé l’affirmation de Sai Baba : ‘’Si vous pouvez gagner ma grâce, c’est aussi bon que d’obtenir le monde entier.’’ La grâce peut nous toucher de partout, mais on aurait tort de supposer qu’elle frappe au hasard comme la foudre. Il faut se trouver à la bonne place au bon moment pour que le feu prenne et ces instants s’obtiennent rarement par une soumission fataliste. Généralement, des décisions nous ont conduit là, et plus souvent que non, les décisions ont été pénibles, impliquant beaucoup de luttes avec l’âme, même si la situation peut avoir semblé futile sur le moment. Il est moins probable que la grâce de l’amour frappe le voyageur en chaise longue que l’aventurier. En faisant de l’auto-stop jusqu’en Inde, à plusieurs reprises, seule une foi inébranlable en la Providence me permit de supporter les longues attentes, lorsque le trafic était faible et que l’âme était forcée d’accepter que l’on soit entièrement dépendant de la grâce du Créateur. Mais, contestant ce point de vue traditionnel, il y a les paroles de Sathya Sai Baba : ‘’Toute cette grâce ne serait d’aucune utilité, si vous n’obtenez pas la grâce de votre propre Conscience intérieure.’’

Mon voyage en Inde fut marqué par une grâce mineure qui enclencha et qui termina l’aventure. En écrivant ma thèse, j’avais pris un job d’enseignant à Birmingham et quand ma classe apprit mon projet d’aller en Inde, elle m’offrit un exemplaire de ‘’L’Inde Secrète’’ de Paul Brunton, un livre qui avait présenté Sri au lecteur occidental. De manière étrange, à Calcutta, je trouvai un poste d’enseignant dans la même école où Arthur Osborne, le biographe de Ramana Maharshi, fut le directeur. Il semblait qu’une bénédiction était à l’œuvre pour guider ma recherche. Après avoir enseigné pendant un an à la Hindi High School, je pris la direction des Himalayas. Sarala Devi, une disciple anglaise de Ghandiji, me dit que je pourrais être l’homme à tout faire de son école d’art pour jeunes filles à Kausani. L’opportunité de vivre à proximité des grands pics couverts de neige s’avéra irrésistible après une année passée dans les encombrements urbains de Calcutta. Sarala était une personne dotée d’une rare intégrité. Excepté Sathya Sai Baba, elle est la seule personne que j’ai jamais rencontrée qui pratique exactement ce qu’elle prêche. C’est grâce à l’avis de Sarala que je découvris mon gourou et heureusement pour mon âme (qui trouvait beaucoup de réconfort dans l’inspiration des Himalayas), son ashram n’était pas situé bien loin de Kausani.

Les sept années que je passai à Mirtola furent plus mémorables pour la perte de parties irréelles que pour l’obtention de la grâce. L’ashram était centré sur l’amour divin de Radha-Krishna comme symbole de la seule chose réelle. Mes gourous, Sri Krishna Prem et Sri Madhav Ashish parlaient d’eux-mêmes comme d’élèves-enseignants

14 et leur enseignement visait à démontrer que nous sommes plus que le corps par des exercices physiques et émotionnels difficiles. L’homme réel, insistaient-ils, est à tout moment conscient de l’Esprit immortel qui brûle en lui. Au fil des ans, j’en suis arrivé à voir cette description réalisée en Sathya Sai Baba. Toutefois, au départ, mes yeux étaient bien fermés à cette réalité et seule la grâce peut expliquer comment ils se sont lentement ouverts.

15

CHAPITRE 2 : L’AMOUR COMME GUIDE

Personne ne semble connaître l’étymologie exacte du mot ‘’religion’’ et peut-être qu’il devrait en être ainsi, parce que la religion traite du lien numineux entre les humains et la force vitale qui les a fait naître dans un univers merveilleux et mystérieux. Idéalement, la religion devrait nous enseigner la responsabilité dans notre comportement, et le mouvement protestant en Europe, redéfinissant la pertinence de l’intercession du prêtre entre l’âme individuelle et Dieu, fut un pas dans cette direction. Toutefois, mille ans avant Luther, le mouvement bhakti qui avait ses racines dans le sud de l’Inde, avait surgi pour contester la nécessité du rituel. Les racines de la Sai Parampara se trouvent dans ce contournement du brahmanisme rituel. Lorsqu’il s’étendit au nord, ce mouvement tenta de réconcilier la nouvelle force égalitaire de l’islam avec les croyances hindoues non orthodoxes.

La vraie religion est difficile à mettre en mots. La meilleure définition que j’ai trouvée est celle de Sathya Sai : ‘’La divinité qui explore ses propres merveilles.’’ Ceci implique que la religion réelle est intérieure et qu’elle est activée par notre souci humain pour autrui. Selon St Jacques, le frère du Christ : ‘’La religion pure et sans tache, c’est de visiter les orphelins et les veuves en détresse et de se préserver des souillures du monde.’’ Il insiste sur l’importance de témoigner de la compassion aux gens dans le besoin. Nous appliquons rarement cette simple formule d’aider ceux qui sont dans le besoin, au-delà du cercle de notre famille, bien qu’il faudrait noter que dans des fois numériquement moins importantes, il existe un effort conscient d’étendre cette assistance au moins aux autres membres de la communauté. Ainsi, on connaît rarement des parsis, des sikhs ou des jaïns qui mendient, à cause de leur sentiment puissant d’identité et de l’efficacité de leurs organisations charitables.

Comme exemple de vraie religion, je peux citer l’histoire d’un conducteur de taxi sikh qui voyageait sur la route Mumbai-Pune. Une de mes sœurs disciples parsie était en vacances avec son mari et ses enfants, et elle conduisait une petite voiture avec un porte-bagages lourdement chargé, un facteur dont elle avait oublié de tenir compte en déboitant pour dépasser. La voiture poussive fut violemment heurtée de plein fouet. Mon amie et les membres de sa famille furent éjectés et atterrirent – morts pour la plupart – dans un champ. Le sikh – qui passait par là – arrêta son taxi, secourut les survivants – la mère et son bébé – et les conduisit à l’hôpital. Malheureusement, le bébé décéda, mais le sikh vint quotidiennement visiter la mère inconsciente. Il continua à venir jusqu’à ce qu’elle reprenne conscience, puis il cessa ses visites et elle ne sut jamais qui était son sauveur. (Souvent, lors d’interventions miraculeuses racontées par les dévots Sai, ils découvrent que leur sauveur était Sai Baba déguisé en homme ordinaire.)

Ce qui est extraordinaire à propos de l’humanité, c’est qu’en dépit des horizons de la connaissance et de l’information qui s’étendent, nous comprenons très peu notre identité individuelle ou la Conscience divine dont nous faisons partie, selon ce qu’affirment les mystiques de toutes les religions. Cependant, grâce à l’ouverture de l’esprit hindou et à son désir authentique de résoudre l’énigme de l’existence, l’Inde est depuis longtemps le laboratoire d’expériences d’unité religieuse. Aucun autre pays ne

16 peut égaler le niveau indien de tolérance d’une vaste gamme d’approches du divin. C’est ainsi qu’avec les conflits provoqués par ceux qui exploitent la religion à des fins personnelles ou politiques il y a toujours eu dans le sous-continent un courant sous- jacent d’harmonie entre les individus de fois différentes.

Dans le passé récent, un des meilleurs exemples de cette unité réelle, mais discrète, a été la popularité considérable de la figure de Sai Baba – à la fois sous la forme de Sai Baba de Shirdi, décrit comme un vieux fakir portant des vêtements déchirés, et Sathya Sai de Puttaparthi, un (autrefois) jeune saint, que l’on représente typiquement dans une longue robe orange avec une couronne de cheveux de style afro. Des millions de personnes dans le monde vénèrent les deux saints comme faisant partie d’une Sai Parampara continue, suivant laquelle il y aura trois saints en tout. Il est dit que Prema Sai, le troisième Avatar, viendra après Sathya Sai. Bien qu’on pense qu’il soit déjà né, on ne s’attend pas à ce qu’il se déclare avant la mort de Sri Sathya Sai, qui prédit que son séjour terrestre durera 96 ans. Bien que beaucoup supposent qu’ils ne sont qu’un sur le plan psychique, chacun de ces maîtres est associé à un ashram différent, respectivement à Shirdi, Puttaparthi, et dans le futur, Gunaparthi (Mysore).

Shirdi Sai Baba, Sathya Sai Baba et Prema Sai Baba

Le symbolisme de la trinité Sai remonte à 1940 (l’année où Sathyanarayana Raju annonça qu’il était Sai Baba), quand une noix de coco offerte dans un temple local se brisa en trois morceaux. La tradition de Puttaparthi interprète ceci comme une prédiction des trois figures avatariques de la Sai Parampara, reprenant le motif trinitaire de la mythologie de l’ashram qui explique comment le rishi Bharadwaj avait voyagé jusqu’au Kailash afin d’obtenir les bénédictions de Shiva et de Parvati. Cette dernière, activement occupée dans un marathon de danse, fit attendre le rishi et en guise de réparation due à leur préoccupation, ils lui offrirent trois faveurs, celle de descendre bénir la Terre sous la forme de trois incarnations séparées du divin. La première serait Shiva sous la forme de Shirdi Sai, la deuxième, Shiva et Parvati ensemble sous la forme de Sathya Sai et la troisième, encore à venir, Parvati sous la forme de Prema Sai.

17

Le livre du Dr S.P. Ruhela, ‘’The Sai Trinity’’ (1994) rassemble le peu d’informations – manifestement hypothétiques – dont nous disposons sur le sujet. Le livre est précieux, ne fût-ce que pour sa bibliographie exhaustive. Bien que seulement six pages d’information soient disponibles sur la troisième incarnation de Sai, elles fournissent pas mal d’indices intéressants. Des dévots prétendent avoir entendu parler du troisième Sai depuis 1950 et la confirmation publique fut rendue par Sathya Sai en 1963. Il fut prédit qu’il naîtra sur la rive de la Kaveri dans le district de Mandya (Karnataka) pendant le premier quart du nouveau siècle. John Hislop, un disciple américain de Baba, a reçu une bague avec l’effigie de Prema Sai, qui ressemble approximativement à l’image que l’on se fait du Christ. Dans ses entretiens avec des disciples choisis, Sathya Sai a donné plus de détails sur des aspects de son futur successeur. Comme ces informations sont destinées à des dévots spécifiques et peuvent avoir un sens symbolique que seul le bénéficiaire peut comprendre, nous devrions résister au besoin de prendre à la lettre ces confidences privées.

Le but de cette étude est d’insister sur l’unité sous-jacente des figures Sai et de démontrer que la grâce qui s’écoule d’elles provient de la même source compatissante. Ainsi, j’ai utilisé les termes ‘’Sai Parampara’’ (lignée de saints, succession apostolique) tout au long du livre pour me référer librement à leur objectif spirituel commun et non à un ordre de mendiants formel (sampradaya). Je sais toutefois que cette assimilation commode ne sera pas vue d’un œil favorable par certains dévots de Shirdi Sai qui refusent de reconnaître tout lien avec Sathya Sai. Néanmoins, au fur et à mesure que la mission de ce dernier grandit dans ses bonnes œuvres, beaucoup de gens auparavant hostiles sympathisent maintenant avec l’idée d’une continuité d’enseignement, si pas de personnes. Le fait est qu’une séparation d’identité n’affecte pas la communion théologique entre Shirdi Sai et Sathya Sai. Si l’on en juge par la somme des preuves, (il est vrai confuse), je ne vois aucune raison indiscutable pour ne pas considérer Sathya Sai Baba comme un bis spirituel du fakir de Shirdi. Pour la majorité, c’est une question de foi. Pour un étudiant qui veut examiner comment la grâce fonctionne, les différences physiques ne comptent pas. Quel que soit le vêtement que la grâce peut choisir de porter, il est crucial de se concentrer sur le contenu intérieur et de considérer la forme extérieure comme un véhicule de la réalité et non pas comme la réalité elle-même.

Pour compenser les critiques des dévots récents de Shirdi Sai, il y a une somme considérable de témoignages d’anciens bhaktas de Shirdi confirmant que la continuité spirituelle du fakir est placée dans Sathya Sai. Une fois, en passant par Mangalore, je me rendis dans le magasin de Shri Krishna Shet, un bijoutier qui, enfant, avait été emmené par son père pour avoir le darshan de Shirdi Baba. Le garçon avait reçu comme tâche de nourrir le chien de Shirdi Sai, Manohar, qui apparaît nettement sur les premiers portraits du saint. Des années plus tard, lorsque Krishna Shet se décida de visiter Puttaparthi, la première question que Sathya Sai lui posa fut : ‘’Où est Manohar ?’’

Ce qu’il y a de remarquable à propos des saints Sai, c’est qu’en dépit de leur indifférence envers tout culte à leur égard ou au lancement d’un nouveau mouvement religieux, leur grâce continue de s’étendre de sa propre volonté, sans aucun

18 financement ni effort missionnaire. Les gens ordinaires de toute religion, caste ou communauté sont libres de se considérer comme des dévots Sai sans aucune nécessité d’initiation formelle. Tout ce qui est exigé, c’est un amour brûlant et une foi en Sai Baba comme gourou personnel. En retour, on n’attend pas de vous que vous soyez un Sai Babaïste, mais un bon hindou, un bon chrétien, un bon musulman, quelle que soit votre religion. Cette loyauté envers le mouvement Sai signifie-t-elle un conflit avec votre religion ? La réponse est que chaque religion possède un noyau mystique autour duquel gravitent les chercheurs sérieux. Parce que le nombre des dévots Sai est encore relativement limité, il y a peu de raison d’attirer une réaction violente officielle de la part d’une religion organisée. Néanmoins, il doit être dit ici que lorsque Don Mario Mazzoleni, un prêtre catholique qui travaillait pour la radio du Vatican publia ‘’Un Prêtre Rencontre Sai Baba’’ (1994), livre dans lequel il révélait qu’il avait trouvé l’essence du Christ dans le Maître de Puttaparthi, il fut rapidement excommunié, sans cérémonie.

Don Mario Mazzoleni

Le mouvement Sai, avec sa théologie simple et son insistance sur l’expérience de l’amour, est basé sur une interprétation neuve des intuitions upanishadiques de l’hindouisme classique qui après un millénaire furent approuvées par les adeptes soufis de l’islam ainsi que par les mystiques des autres fois. L’accomplissement révolutionnaire de la Sai Parampara est d’avoir démontré la vérité de la nature immanente du divin et de l’avoir rendue accessible au chercheur ordinaire. Ce qu’elle affirme avec audace est l’expérience de tous les mystiques :

‘’Ô homme, écoute. La seule racine du péché en toi, C’est de ne pas connaître ta propre divinité.’’

Le message est aussi profond qu’il n’est simple, mais la voie du chercheur est périlleuse et comporte un nombre élevé de victimes.

***

Dans la Grèce ancienne, les mots ‘’Connais-toi toi-même’’ étaient écrits au-dessus des portes de l’Académie, l’école de la connaissance et de la sagesse d’Athènes. Cette idée contient aussi l’essence de la pensée religieuse hindoue classique, telle qu’elle est énoncée dans les Upanishads. Applicable à l’âme individuelle, la quête intérieure du

19 divin fut recouverte par la préoccupation hébraïque de responsabilité morale collective et donc, nous avons l’insistance du judaïsme sur l’aspect du divin transcendant. Cette façon de voir la vie en noir et blanc tranché fut adoptée par sa descendance monothéiste, le christianisme et l’islam. Les progrès civilisateurs du christianisme et de l’islam réduisirent l’ancien enseignement indien à une espèce d’hérésie païenne. Bien que la quête du Soi se poursuivit en Europe sous le déguisement de la quête alchimique de l’or, l’establishment monothéiste ne pensait à rien d’autre qu’à étouffer toute âme individuelle qui contesterait sa notion de divinité distante. Le concept judaïque d’après lequel le divin était séparé de la nature diminua cette dernière et introduisit l’hypothèse imprudente suivant laquelle l’homme était le maître indiscutable de son environnent physique. La dégradation écologique de notre merveilleuse planète est en partie la conséquence de cette incompréhension du statut divin de la nature.

En accentuant de trop la supériorité du Créateur sur sa création, la doctrine du judaïsme refusait à l’âme la beauté et l’inspiration du monde naturel. Et l’idée de ‘’péché originel’’ dégradait le corps humain et l’acte sexuel de la reproduction à un état permanent de carence spirituelle. (Il est significatif que les qualifications canoniques du Cantique des Cantiques où le pouvoir physique de l’amour est abordé ont fait l’objet de la suspicion puritaine tout au long des siècles.)

Chaque personne qui a été amoureuse expérimente une unité avec le bien-aimé ou la bien-aimée qui ne peut être décrite que comme divine et parvenir à cet instant de réalisation, c’est fouler un sol sacré. Dans l’état opposé du mal, nous sommes séparés de l’unité. Comme George Orwell le démontre dans ‘’1984’’, quand l’amour est trahi, nous nous éloignons du divin qui est en nous.

Les incitations de l’amour suscitent le respect plutôt que la culpabilité et c’est pourquoi la Sai Parampara attire tous ceux qui estiment l’enseignement ‘’L’amour parfait bannit la crainte.’’ L’amour, parce qu’il nourrit l’émerveillement d’être, est un mystère plus grand que Dieu. Si ceci semble trop hérétique à digérer pour la religion conventionnelle, la vérité peut être reformulée pour suggérer que Dieu (pour tous, sauf les athées) est l’amour objectivé. Sathya Sai Baba n’insiste pas pour que ses adeptes soient des ‘’croyants’’ ni pour qu’ils soient en effet des ‘’adeptes’’. En fait, il déclare souvent que son portrait du divin comme amour universel profite au croyant comme à l’incroyant. Insister, comme le fait la Sai Parampara, sur le fait que l’amour se situe au-delà de la religion formelle est une idée spirituelle révolutionnaire.

L’interprète le plus élégant de l’approche upanishadique fut peut-être Sri Ramana Maharshi, qui rayonnait la bienveillance de l’immanence divine depuis son siège dans le sud de l’Inde sous la montagne sacrée d’Arunachala. Il faut ajouter ici que l’école védantique de l’orthodoxie hindoue partage les appréhensions des juifs, quant à la place merveilleuse de la nature. Sa doctrine de maya qui nie la réalité du monde matériel est un autre exemple de théologie déformante qui a été vigoureusement contrée en Inde par la célébration de la merveille du monde quotidien des écoles bhakti.

20

Situé non loin de l’ashram de Ramana, le campus de Puttaparthi, qui apparut après sa mort en 1951 continua à répercuter son enseignement. Ceci est tout à fait remarquable, étant donné que Ramana enseignait une notion advaitique intransigeante de la divinité par la méthode rigoureuse d’un auto-questionnement continu. A l’opposé, le saint de Puttaparthi accentuait l’approche de la bhakti qui consiste à chanter le nom de Dieu et à accomplir des actes de charité, comme meilleur moyen pour fixer l’esprit dans la piété. Comment ces voies extérieurement conflictuelles pourraient bien converger ? La vérité est que l’instinct englobant de l’hindouisme laisse beaucoup de place à de telles manœuvres théologiques. Il ne fait aucun doute que Ramana était considéré comme un adepte sévère de l’, mais dans le même temps, c’était un ardent bhakta qui écrivait des hymnes lyriques à sa bien-aimée Arunachala, le pilier de lumière qui l’avait attiré à ses pieds. Dans la toute première partie de sa ‘’Prema Vahini’’ (1958), Sathya Sai écrivait catégoriquement : ‘’Il n’y a pas de différence entre bhakti et jnana.’’

La belle Arunachala

Malgré ses réserves initiales quant au statut de Sathya Sai, Arthur Osborne s’éprit de lui comme digne successeur de son gourou, Ramana Maharshi. Ceci n’est guère surprenant. Quand je visitai pour la première fois les Osborne, il était évident depuis le départ qu’ils adoraient leur gourou avec une pure bhakti et que ce sentiment inondait tout le reste, ce qui inclut les subtilités doctrinales de l’advaita. L’atmosphère globale du Ramanashram était celle d’une bhakti vibrante qui proclamait les intuitions du vedanta. De même, les visiteurs de Shirdi ont été étonnés de découvrir le mélange de bhakti et d’advaita. La même chose peut être dite à propos de Puttaparthi, bien

21 qu’à cause du rassemblement populaire, la composante advaitique puisse ne pas être aussi évidente.

Arthur Osborne et Ramana Maharshi

Lorsque je visitai Puttaparthi pour la première fois, fin des années 70, je fus frappé par un sentiment de familiarité, le lieu me rappelait tellement le Ramanashram. Ici, le silence n’était pas la discipline négative de garder la bouche cousue, mais plutôt l’état d’esprit qui est atteint, quand les énergies sont consciemment dirigées. J’avais enfin découvert la religion que prêchait Rumi, qui provenait directement du cœur et qui était libre de la doctrine théologique complexe de la religion conventionnelle. La Sai Parampara fait directement appel au centre spirituel, au siège de la conscience qui ressent une unité empreinte de compassion pour toute vie. Il n’est pas nécessaire de convertir l’humanité. Le mot même (mankind, en anglais) suggère que c’est notre nature la plus profonde de nous lier aux autres. Ni Shirdi Sai, ni Sathya Sai ne

22 s’inquiètent excessivement de doctrine : c’est en éveillant la conscience que le voile d’ignorance du chercheur est ôté. C’est à cette partie spirituelle inexploitée, qui se situe au-delà des étiquettes qui divisent, que Sai Baba s’adresse.

***

Le phénomène Sai est considéré comme un avatar, une incarnation de Dieu par de nombreux disciples, mais pour certains, Sai est la déité même. Des impondérables, comme la nature du divin ou les attributs d’un avatar dépassent l’entendement du chercheur moyen. Cependant, pour celui qui est béni par l’expérience bouleversante de l’amour, il existe au moins un rayon de lumière qui permet de saisir de tels impondérables. Quand l’amour sourit, notre compréhension augmente étrangement. L’amour donne des ailes au chercheur. Le phénomène Sathya Sai n’est compréhensible que pour celui qui aime ou pour ceux qui, comme le Kim de Kipling, ‘’se demandent quel genre de chose leur âme pourrait être’’. Nous pouvons, par l’amour, faire l’expérience du mystère du divin, une réalisation se situant sur un plan entièrement différent que les fruits de toute analyse intellectuelle. Dans l’une de ses rares intuitions spirituelles, la langue anglaise compare l’impact de l’amour à une ‘’chute’’, qui implique une descente périlleuse dans un abysse de splendeur indicible.

La compréhension de la divinité peut être rendue plus facile en réconciliant certaines affirmations des Ecritures avec les découvertes de la science. Dans ‘’L’Origine des Espèces’’, qui chamboule la chronologie biblique, les découvertes de Darwin concernant l’évolution humaine suggèrent que l’auteur divin de l’univers lutte toujours afin de se connaître ‘’lui-même’’. Dans l’imperfection de la nature et la violence de ses parties en conflit, nous pouvons seulement tenter de saisir la fleur de la compassion et y penser comme l’ultime destination vers laquelle toutes les énergies de la vie avancent tant bien que mal.

L’expérience de l’amour humain, avec son cortège terrible de souffrance, peut être confirmée comme une énergie divine par la théorie boiteuse de Darwin. La perfection de la divinité ne peut être pleinement vécue sur la terre, même pour un avatar. Mais des lueurs de cette source toute puissante offrent des aperçus au chercheur qui aime, tout comme elles illuminent la plupart des actions de l’avatar. L’amour se situe au-delà de toutes les théories et il opère selon ses propres lois ; l’une d’elles semble être que l’imperfection humaine soit paradoxalement rendue parfaite par son pouvoir. Le fait que l’amour humain paraisse imparfait ne le rend pas moins miraculeux. Les deux saints du Deccan, Shirdi et Sathya Sai, attribuent tous les miracles pour lesquels ils sont célèbres à la nature divine de l’amour.

L’amour peut être le but de la religion, mais vous pouvez passer une vie entière à vous frayer péniblement un chemin dans les Ecritures et les commentaires théologiques à tenter d’établir cette vérité simple. Trop souvent, elle s’embarrasse de détails qui suggèrent que le Pouvoir divin aime (ou n’aime pas) être aimé avec (ou le plus souvent sans) des chapeaux, des chaussures, des vêtements sans coutures, des oignons, de la viande, de l’alcool, du tabac, des têtes tonsurées, des barbes, etc. L’irrationalité

23 déroutante des codes religieux contraste avec la conscience spirituelle inébranlable pratiquée par les vrais saints qui restent indifférents à ces restrictions. Ceci est clairement démontré dans la vie des saints du Deccan.2 Shirdi Baba resta 60 ans dans le même cadre, établi dans sa mosquée de Dwarkamayi (un sanctuaire musulman portant un nom hindou), imperturbable aux vetos spirituels. De même, Sathya Sai donne son darshan à Prasanthi Nilayam à l’extérieur de son mandir (qui est en fait un hall de prière), comme il le fait continuellement depuis 70 ans, sans être perturbé par des soucis de convenances religieuses.

La Sai Parampara attribue au darshan la priorité la plus élevée et à Shirdi comme à Puttaparthi, toutes les activités sont centrées sur ce mystère public. Beaucoup de personnes qui demandent un résumé des enseignements de Sai sont sidérées, quand on fait allusion à cette doctrine vivante du darshan. C’est à la fois la communion essentielle et la théologie du mouvement. Ceci explique pourquoi il n’y pas de saint des saints, ni à Shirdi ni à Puttaparthi, et pourquoi il n’y a pas de livre saint ni de credo. Certains confondent le darshan avec un culte de la personnalité, mais la Sai Parampara s’oppose à la foi aveugle. Sathya Sai ne s’assoit jamais sur un trône qui lui est destiné, sauf pour le bénir. Quand l’arati est offert, il veille bien à ne pas le recevoir personnellement, excepté pour l’acceptation initiale de l’amour qui le motive. Le darshan de Sai Baba incarne l’amour. Comme le célèbre , Suddhananda Bharati

2 Sathya Sai Baba et la Bhagavad Gita insistent néanmoins sur la nécessité d’un régime sattvique, NDT. (Evolution de tamas vers rajas, puis de rajas vers sattva pour transcender enfin les trois gunas.) 24

(qui passa du temps avec Shirdi Sai et Sathya Sai) le fit remarquer en 1958 à Venkatagiri : ‘’Vivre avec Sai Baba, c’est le samadhi.’’

Suddhananda Bharati

La douce sensation que l’on ressent durant un darshan de Sai est l’expérience de ce paradoxe que le mental trouve difficile à accepter, mais que le cœur sait être vrai. A l’écart de la présence de Sai, notre imperfection est presque trop douloureuse à contempler, d’où la provision de photographies, de médaillons et d’autres souvenirs apparemment insignifiants de Sai Baba qui aident à combler le vide occasionné par son absence (celle de l’Esprit). D’où également la discipline de s’asseoir pendant de longues heures à Puttaparthi, ce qui accroît l’aspiration du cœur pour cet instant de recontact avec le divin. Nos âmes sont trop inexercées pour supporter la charge divine pendant plus que quelques heures. Cependant, une application constante peut prolonger la durée de la fragrance de l’amour.

Un darshan de Sathya Sai Baba

25

D’après Sathya Sai : ‘’Dieu dort dans le minéral, s’éveille dans le végétal, marche dans l’animal et pense avec l’homme.’’ La vraie religion, soutient-il, est la ‘’religion de l’homme’’. Nous sommes nés pour rechercher l’Illumination qui dispersera les superstitions pratiquées par les gens conventionnellement religieux et reconnaitre l’unité de la vie, la même Âme immortelle dans ce qui est en haut comme ce qui est en bas. La définition la plus indiscutable de l’Illumination ne réside pas dans un exposé théologique, mais dans l’expérience de la grâce de tomber amoureux. La différence entre la personne religieuse et la personne spirituelle réside dans l’expérience de l’amour. L’amour est l’accomplissement du pauvre. C’est un feu dévorant qui consume le séparatisme des idéologies religieuses. Après avoir étudié la religion pendant toute ma vie, je trouve qu’il y a plus d’amour dans les chansons écrites par des pop stars que dans les sermons prononcés depuis la chaire des églises. La religion lie avec des ronces, alors que l’amour est la liberté d’être nous-mêmes. La religion réduit la vie à un devoir ennuyeux, alors que l’amour est un miracle éclatant qui fait paraître miraculeux l’activité la plus ordinaire. La religion représente le poids mort du passé, alors que l’amour est une grâce toujours présente. La demande de la Sai Parampara que nous obéissions à ce que l’amour dicte et que nous renoncions à nos hypothèses, à nos dogmes et à notre orgueil intellectuel est réaliste, parce que la seule chose à laquelle la plupart d’entre nous s’abandonnent facilement, c’est au pouvoir de l’amour.

Certains peuvent argumenter que c’est un passe-temps de riches et que l’amour se situe au-delà des circonstances difficiles des pauvres. Le rappel de soi et chanter des ne contribuent guère au bien-être du monde, argumente-t-on, et la plupart d’entre nous qui sont occupés la journée n’ont pas le temps de s’asseoir paresseusement et de contempler la divinité. Plus souvent que non, ce sont des excuses faites par l’esprit de singe pour éviter le dur travail qu’implique la connaissance de soi et la lutte contre les sens. C’est uniquement quand les folies du mental ont été dénoncées que nous commençons à comprendre qu’il se comporte comme un avocat rusé, capable de multiples acrobaties. Il cherche à duper son propriétaire en ce sens qu’il est un organe plus digne de confiance que le cœur, quand il s’agit de comprendre la réalité.

Ramana Maharshi et un dévot simiesque ?

26

En plus des dévots, il y a une autre catégorie de quêteurs qui affluent vers Sai Baba, ceux qui souffrent de problèmes insolubles ou de maladies mortelles. Même des ‘’rationalistes’’ amèneront un être aimé mourant qui est au-delà des aptitudes de la médecine conventionnelle dans l’espoir que Sai Baba effectuera un miracle, bien que cela aura pour effet de démolir leur philosophie. Malheureusement, beaucoup de personnes qui pourraient être aidées par la fontaine d’amour disponible pendant le darshan de Puttaparthi déclinent cette opportunité à cause de réserves intellectuelles. Celles-ci proviennent d’une source d’irritation associée aux phénomènes Sai – les excès dévotionnels de certains adeptes qui font des déclarations ridicules et qui voient des miracles là où il n’y en a pas. Par exemple, la transmission névrotique de lettres de chaîne qui exhortent le destinataire à maintenir la transmission par crainte que quelque chose de fâcheux ne se produise a embarrassé le public et dévalorisé le mouvement. L’histoire de la Sai Parampara doit donc sortir des points de vue extrêmes des camps opposés – ceux qui rendent un culte aveugle et qui avalent les hypothèses les plus absurdes et les sceptiques et les cyniques qui présument que seuls l’illusion, la superstition et le profit sont à l’œuvre.

***

Je fis pour la première fois connaissance avec le phénomène Sai grâce aux conseils bienveillants d’Arthur Osborne, un dévot qui avait réalisé l’union rare d’un intellect aiguisé et de la chaleur dévotionnelle. Puis plus tard, dans les années 60, pendant ma période à l’ashram de Mirtola dans les Himalayas, à une époque où je croyais qu’une haire accélérerait ma quête de l’Illumination, une magnifique femme exotique, Prithwi, la Maharani de Sind, arriva. Je la vis pour la première fois alors que j’écrasais des frelons qui attaquaient nos ruches. Je tombai si éperdument amoureux de cette vision de la beauté féminine que je fus cruellement piqué par les frelons ! Mon gourou, un homme d’une compréhension extraordinaire, transmit directement la charge de mon éducation intérieure à la nouvelle venue. ‘’L’amour est le guide’’, soutenait-il, et le seul moyen certain de trouver la religion réelle est d’accrocher votre wagon à cette étoile.

Le nom de Rani Ma signifie ‘’Mère Terre’’ et elle possède le don unique de se sentir parfaitement à l’aise dans n’importe quelle situation, matérielle ou autre. L’intensité de sa dévotion lui permet de s’imposer dans les cœurs de tous, à part ceux qui sont jaloux de son franc-parler. Comme beaucoup d’habitants du Pendjab, son exubérance naturelle est souvent interprétée comme frôlant l’audace par les personnes les plus culturellement sensibles, mais sa capacité de pénétrer l’armure des autres est sa plus grande force. Par exemple, cela lui permet d’aimer des saints hommes pour leur sainteté comme pour leur virilité, ce qui est quelque chose d’unique.

L’ashram de Mirtola où j’ai vécu n’était pas sur le circuit des saints hommes des années 60 et la plupart des informations à propos des saints contemporains et des escrocs provenaient des récits des visiteurs. Pour beaucoup de visiteurs, Mirtola souffrait de la réputation d’être trop intellectuelle dans son approche et bien que ce n’était pas vrai pour les gourous, cela s’appliquait certainement à de nombreux disciples, dont moi-même. Pour équilibrer les choses, la routine de cet ashram qui se

27 suffisait à lui-même était si physiquement épuisante qu’elle aurait été jugée masochiste, s’il n’y avait eu l’inspiration consciente de l’axiome gurdjiévien : ‘’Il vaut mieux mourir que vivre dans le sommeil.’’ Ou comme l’auteur alpiniste, René Daumal l’a dit : ‘’Il est absolument important de découvrir avant de mourir pourquoi nous sommes nés.’’

Sans doute Sri Sathya Sai trouvait-il dans l’approche de Rani Ma de son statut divin largement proclamé un changement bienvenu. La plupart de ses dévots le considèrent avec une crainte respectueuse qui frise l’appréhension, mais elle répond à sa chaleur humaine et elle n’a pas peur d’être en désaccord avec lui, à l’occasion. Dans son ashram, elle est simplement connue sous le nom de Rani Ma. L’attitude très simple de Rani Ma lui a permis de détecter la religion authentique longtemps avant qu’elle ne franchisse les filtres intellectuels de Mirtola. Par exemple, notre gourou, Asishda, se méfiait de son jugement à propos du saint de Bombay, Nisargadatta (que l’on surnommait affectueusement ‘’Bidi Maharaj’’ dans les années 60, à cause de son habitude de fumer et de vendre des bidis). Plus tard, Ashishda révisa totalement son opinion sur Nisargadatta et le loua comme un des plus grands praticiens de l’art de l’Illumination.

Sri Nisargadatta Maharaj

Quand Rani Ma nous fit connaître son maître, Sai Baba, nous doutions très fort de son authenticité. Des articles de journaux rabâchaient sans cesse à propos de ses démonstrations de pouvoirs psychiques et dans ses discours, il déclarait lui-même ouvertement être Dieu. Son apparence étrange et sa coupe de cheveux afro jouaient aussi en sa défaveur et à Mirtola, le plus grand statut que nous pouvions lui accorder, c’était celui d’une majorette charismatique pour les masses possédant l’attrait d’un

28

Mahatma Gandhi. Je quittai Mirtola en 1972 et j’obtins mon premier darshan de Sai Baba chez Rani Ma, à Delhi, cet hiver-là. Sans aucun doute, sa présence était plus galvanisante que celle d’aucun saint homme ou être humain, d’ailleurs, que j’avais jamais rencontré (ou que j’ai rencontré depuis). Il semblait crépiter d’une électricité statique psychique, comme s’il était chargé d’une énergie si vitale que vous receviez un choc si vous le touchiez. A présent, je comprenais pourquoi Rani Ma prétendait qu’elle visitait son ashram à cette époque primitif, dans la région reculée de Puttaparthi pour recharger ses batteries.

C’était son fils Bharat qui avait d’abord contacté Sathya Sai au début des années 60. Bharat était l’un des derniers de la race charmante des princes, un adolescent retraité au cœur d’or qui buvait sa fortune. Néanmoins, malgré une durée de vie brève, il laissa plus de souvenirs enchanteurs que ce que la plupart des gens ayant une disposition religieuse accomplissent en 100 ans. Reconnaissant peut-être la pureté du cœur de Bharat, Sai Baba lui avait offert la charge du développement de Puttaparthi qui, dans les années 60, comprenait seulement les premiers bâtiments de l’ashram à côté du village appauvri.

Rani Ma décrit comment Sai Baba lui avait parlé de ses grands projets d’inscrire Puttaparthi sur la carte du monde. Il venait juste de rentrer d’Ouganda, sa seule visite dans un pays étranger jusqu’à présent. Elle se rappelle qu’elle ne prêta pas non plus attention, quand Baba lui décrivit sa vision d’une université, d’un aéroport, d’un hôpital et d’une commune prospère dans la brousse clairsemée du Rayalseema qu’ils contemplaient ensemble sur la route d’Anantapur, en 1968. Il avait demandé à Rani Ma et à Bharat d’attendre sur le bord de la route, à l’extérieur de Puttaparthi (afin d’éviter d’attirer l’attention) et il passa ensuite les prendre dans une vieille voiture cabossée avec un autre passager, un juge en exercice. Baba allait acheter un terrain à Anantapur pour y construire un collège pour jeunes filles, ce qui marqua le début d’un programme de développement extraordinaire dans le domaine de l’éducation, de la médecine et de la culture. Rani Ma se rappelle comment l’argent fut produit devant le tehsildar et comment Baba insista pour que son fils se joigne au travail de transformation de cette étendue sauvage et désolée en un pays prospère. Mais Bharat pensait que cela dépassait son mode de vie inconstant.

Malgré l’aura puissante que j’avais expérimentée lors de ma première rencontre avec Baba, je me sentais exclu du cercle magique des dévots Sai. Le prix pour avoir Baba comme gourou était de s’abandonner entièrement à lui dans l’amour. Pour un intellectuel, ceci semblait au mieux un investissement risqué, un pari faustien avec son âme. Et pour durcir mes sentiments, il y avait l’adoration aveugle de nombreux dévots qui croyaient que tout ce que Baba disait et faisait avait une importance miraculeuse. A l’époque de ce premier darshan à Delhi, j’assistai à un discours public que Baba prononça devant un parterre de VIP de la capitale. Baba parlait avec vivacité en télougou, mais l’homme qui traduisait chaque phrase en anglais prit ce qu’il imagina être un ton de voix adéquatement divin, alors qu’en réalité, il était plus proche des braillements d’un âne. Ces critiques acerbes révèlent sans doute comment mon mental empêcha toute grâce de me parvenir : j’étais venu, non pas pour écouter, mais afin de trouver quelque chose à redire.

29

CHAPITRE 3 : LE CADRE DU DECCAN

Bien que misérablement arriérée avant qu’elle ne gagne une importance internationale grâce à Sathya Sai, Puttaparthi se situe dans un cadre topographique assez spectaculaire. La majesté du sud-ouest du Deccan avec son paysage saupoudré de rochers peut ne pas produire beaucoup pour ceux qui ne font que gratter sa surface, mais en dessous se cache un trésor minéral illimité. Dans le ‘’Paradis Perdu’’ où Milton parle ‘’des richesses d’Ormuz et d’Inde’’, il pense aux épices de Malabar, à l’or et aux joyaux du Deccan. Des richesses fabuleuses se cachent sous le granit austère du plateau péninsulaire, ce qui fournit une excellent analogie à l’enseignement de Sathya Sai selon lequel en chaque personne réside un trésor caché inexploité. Les gourous de la Sai Parampara sont apparus sur terre pour indiquer où nous devions creuser pour découvrir ce trésor – dans notre propre cour (intérieure).

Il est un fait que le jeune Sathya Sai déclara d’abord qu’il était la réincarnation de Shirdi Sai au cours d’un séjour chez son frère aîné à Uravakonda qui est le site d’une vieille mine d’or. Remarquable pour son temple naturel de rochers dressés, Uravakonda est aujourd’hui un très gros village animé, avec des magasins peints aux couleurs vives qui rappellent la toute petite maison en blocs de pierre dans laquelle vécut le jeune saint. Bien que vives, les peintures sont réalisées avec goût et un grand soin est apporté aux détails. Comme c’est souvent le cas dans le sud de l’Inde, les gens, même quand ils sont pauvres, apprécient la satisfaction d’un travail bien fait. Dans le nord, les couleurs vives jurent souvent ensemble et les peintures des camions et des chars à bœufs sont souvent bâclées. Mais une fois au sud de la Godavari, où l’écriture dravidienne remplace la devanagari plus anguleuse, vous découvrirez que même les moyens de transport public, dont le vulgaire rickshaw, sont tous bichonnés avec fierté et finesse. La plaque à l’avant de la plupart des camions annonce la tendance religieuse de son propriétaire (Sai Sree Carrieers, Sab Ka Malik Haulers) et les côtés des chars à bœufs sont peints avec des scènes des épopées hindoues. On ne peut qu’en déduire que le respect de soi manifesté dans le talent artistique émane d’une dévotion active envers les dieux locaux.

Les gens du sud de l’Andhra, comme la terre, sont minces, mais robustes. La communauté rurale des Rajus où est né Sathya Sai peut être modestement située dans l’ordre hiérarchique des castes, mais après avoir survécu au labeur de labourer le sol rouge assoiffé de pluie, ils sont ce qu’on appelle le sel de la terre. Le sel de leurs propres vies est fourni par la possession naturelle qu’ils ressentent envers les mythes religieux de la région rejoués dans d’innombrables pièces de village en mélodieux télougou. Pendant des siècles, ces gens ont été relégués au rang de citoyens de seconde classe dans leur propre pays, après que la brillante dynastie Kakatiya fut détruite et remplacée par des maraudeurs étrangers. L’ourdou et le marathe étaient considérés comme les langues de la cour et de la bonne société, respectivement, alors que le télougou, malgré son ton mélodieux, subit un déclin littéraire sous le sultanat de Golconde (qui préférait l’ourdou dakhini) et il fut relégué au statut de langue populaire. Le compositeur Thyagaraja qui fit du télougou la langue de la musique classique ne put trouver de l’embauche qu’à Tanjore, un fief marathe en pays tamoul.

30

Cette partie du Deccan, avec sa roche rose et son sol rouge, a vu naître le temple le plus riche du monde à Tirupati. Elle est aussi le lieu de naissance du philosophe- président de l’Inde moderne, le Dr Radhakrishnan et elle accueille l’école expérimentale de Rishi Valley créée par un autre brillant Télougou, le philosophe et saint réticent, J. Krishnamurti. Ici les récoltes sont marginales avec le millet comme culture principale. L’intérieur du Deccan est privé de mousson et la sécheresse que suit la famine hante la région depuis des siècles. Avec le lancement des projets d’utilité publique Sathya Sai d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation, les perspectives des villageois ont finalement commencé à s’améliorer. Ils se tournent maintenant vers la culture des fruits et des légumes et ce qui autrefois était un désert a commencé à fleurir. La région devient rapidement le vignoble de l’Inde avec des raisins d’une telle qualité que le champagne qui y est produit se distingue à peine de l’original.

Les alentours de Puttaparthi, dominés par les collines de Bukkapatnam, accueillirent une des plus célèbres dynasties de la période médiévale. L’indication se trouve dans le nom ‘’Bukka’’ qui est celui du cadet des deux frères qui fondèrent l’empire de Vijayanagar. Penukonda, une des capitales de Vijayanagar, n’est située qu’à 35 km du foyer de Sathya Sai. Puttaparthi profite de la Chitravathi qui la traverse, mais la rivière qui prend sa source dans les collines de Nandi est à sec en dehors de la période de mousson. Heureusement pour l’immense ashram de Prasanthi Nilayam qui poussa à proximité, la rivière cache un vaste stock de richesses souterraines, comme les rochers du Deccan.

La région du Rayalseema où est située Puttaparthi (qui est le pendant exact du français ‘’domaine royal’’) déborde à l’ouest dans le Karnataka, puisque l’empire de Vijayanagar comprend des zones où l’on parlait le télougou et le kannara pendant les quatre dynasties qui y régnèrent. La fabuleuse capitale de Hampi située dans la magnifique gorge accidentée de la Tungabhadra était la merveille du monde médiéval. ‘’La cité est telle que la pupille de l’œil n’a jamais contemplé une chose pareille’’, observa Abdul Razzaq, ambassadeur de la cour du fils de Tamerlan, à Vijayanagar.

Aujourd’hui, Hampi (le nom local de Vijayanagar) est en ruines à l’exception du temple de Virupaksha, mais c’est une ruine d’une telle majesté et d’une telle grandeur qu’il n’y a rien dans le monde qui l’égale, à part la capitale inca de Machu Picchu. Hampi a une importance spéciale pour la Sai Parampara. C’est dans le temple de Virupaksha, sous la flèche du gopura blanc construit par le plus grand des empereurs de Vijayanagar, Krishnadeva Raya, que l’adolescent Sathya Sai se révéla comme une forme miraculeuse de Shiva né à nouveau sur terre pour le bénéfice de ses dévots. Depuis lors, Puttaparthi renferme le secret du Deccan et de la nature de Sai Baba : extérieurement pauvre, intérieurement riche.

31

Le temple de Virupaksha à Hampi

Le jeune Sathya Sai, Ishta Devata

32

La Sai Parampara tire son inspiration de nombreuses sources pour la bonne raison que le Deccan qui est situé à mi-chemin entre les cultures du nord et du sud a bénéficié des deux apports : Shirdi, dans la partie nord du Deccan reflète des influences aryennes, alors que Puttaparthi, dans la partie sud, possède un parfum plus dravidien. Presque étrangement, la division linguistique entre les langues provenant du sanscrit et celles appartenant à la famille dravidienne plus au sud, correspond à une division géologique spectaculaire. Les roches du plateau du Karnataka sont dix fois plus anciennes que celles du plateau voisin du Maharashtra. Après des années de traversées et de retraversées entre ces frontières culturelles évasives, le voyageur n’est guère plus sage concernant cette différence marquée entre les types de minéraux et les langues locales. Tout ce qu’il sait, c’est que le sud témoigne de plus de conscience civique et qu’il est théoriquement plus affirmateur de la vie et moins fataliste que le nord. A ce propos, les théories abondent et souvent, il est dit que la première cause fut Shankaracharya, le philosophe advaitin, dont la doctrine de maya mise en vedette dans l’hindouisme traditionnel attribue seulement au monde une réalité conditionnelle.

Il est généralement cru que la récapitulation de l’essence philosophique de l’hindouisme de Shankaracharya précéda l’arrivée des fois étrangères en Inde de plusieurs siècles. Mais l’Histoire suggère le contraire. Les juifs et les chrétiens prirent pied au Kerala dès le début de l’ère chrétienne et dans l’Ancien Testament, il est fait référence à des importations exotiques en provenance de Malabar. On pense qu’une mosquée de Kasaragod dans le nord du Kerala a été fondée du temps du Prophète, c’est-à-dire presque un siècle avant la naissance de Shankaracharya. Ceux à qui l’on enseigne de croire que l’islam apparut dans le nord de l’Inde par l’épée ne sont sans doute pas au courant de son arrivée antérieure dans le sud par bateau. La longue marche ultérieure de Mouhammed Ibn Tughlûq, de Delhi à Daulatabad, transformée en puissant exode par le mythe populaire, fut en fait une tentative avortée du missionnaire Tughlûq pour planter sa nouvelle capitale dans le Deccan avec des administrateurs modèles et des mystiques soufis qui plairaient aux instincts de l’homme ordinaire. Le plus éminent des saints musulmans du Deccan, Hazrat Gesu Daraz, fut éduqué à Daulatabad. Sa tombe, dans la médiévale Gulbarga était tellement populaire qu’elle bénéficiait du statut de pèlerinage de substitution en remplacement de celui de La Mecque. Banda Nawaz, comme on appelait le saint, étudia le sanscrit et lut le Mahabharata. Il était d’avis que la poésie écrite en ‘’hindvi’’ était plus inspirante que celle écrite dans son persan natal.

La région du Deccan a été révolutionnaire dans son impact théologique à cause de l’apparition en son milieu éclectique de pratiquants provenant de l’extrémité inférieure du spectre de la société – des saints sudras qui coupaient l’herbe sous le pied des prêtres par leur dévotion directe à Dieu. Jusqu’à la période médiévale, l’hindouisme était impensable sans l’intermédiaire d’un prêtre. Le bouddhisme avait contesté cette tradition et en avait payé le prix. Le jaïnisme a survécu en s’adaptant. Incontestablement, l’entrée de l’islam égalitaire encouragea l’idée de l’accès direct au divin, mais les poètes bhaktas du pays tamoul avaient exprimé leurs préférences deux siècles avant que l’islam n’existe en tant que religion.

33

Au cours de mon premier voyage dans l’arrière-pays du Deccan, en 1984, je visitai Hampi et Bijapur, les capitales médiévales respectives des Etats hindou et musulman et, comme à la plupart des touristes, on me dit à quel point chacune était violemment hostile à l’autre. A présent, après une demi-douzaine de visites à ces deux merveilles architecturales du Deccan, j’ai appris une histoire assez différente. Même un écrivain cosmopolite aussi astucieux que Naipaul a gobé le mythe que Hampi présentait un front hindou uni face aux sultanats étrangers et qu’elle fut saccagée par ces derniers à cause de sa défense de l’ordre brahmanique. Et que Bijapur était une enclave à l’écart, exclusivement musulmane.

Une étude plus précise de la période montre que, bien que les animosités religieuses étaient réelles, elles se prolongeaient dans des querelles intracommunautaires. Les sultans sunnite et chiite s’allièrent avec le raya hindou l’un contre l’autre, tandis que les lingayats et les brahmanes de Vijayanagar se disputaient la supériorité dynastique. De même, la philosophie vishnouite de Ramanuja s’opposait aux advaitins hindous et aux Jaïns agnostiques. Se pourrait-il que le temple de Virupaksha et que d’autres monuments shivaïtes, comme le Ganesh moutarde, restèrent intacts, alors que des constructions vishnouites, comme le temple de Vitthal et le monolithe de Narasimha, furent incendiés et vandalisés à cause de conflits internes sectaires entre hindous ? On parle toujours au visiteur des débuts auspicieux de Hampi sous les bénédictions du Shankaracharya de Sringeri, mais on ne lui rappelle jamais que plusieurs régicides entachèrent la réputation de Vijayanagar. On ne lui dit pas non plus que les plus belles constructions, comme le Lotus Mahal et les étables des éléphants, suggèrent la main des maçons de Bijapur. Les preuves indiquent le contraire de ce que l’on croit généralement. Des musulmans qui appartenaient à l’armée du raya ont pu contribuer aux plus belles constructions de l’armée impériale et bien que les armées du sultan commencèrent l’œuvre de destruction, il faudrait accorder plus de crédit aux conditions climatiques qui ne ménagèrent pas la superstructure en plâtre et en bois qui caractérisait l’architecture hindoue.

Si je rabâche sur la fusion des apports musulman et hindou dans la culture du Deccan, c’est pour corriger la perception existant à la fois au nord et au sud selon laquelle une rivalité amère entre les deux était la seule réalité. C’était peut-être la réalité qui dominait chez les dirigeants, mais le paysan du Deccan était trop malin pour ne pas se couvrir concernant l’intérêt de son âme. Extérieurement, il pouvait approuver l’orthodoxie de Bénarès ou de La Mecque, mais en réponse au miracle spirituel, il suivait son bon sens et l’accepterait, qu’il émane d’un sannyasin hindou ou d’un fakir musulman. Pour comprendre le phénomène Sai, il est capital de reconnaître que sa popularité provient de la réalisation du dévot que la vraie religion – l’amour de l’âme pour son Créateur divin – est un fait universel de la vie, commun à la fois aux hindous et aux musulmans. Comme exemple peu connu de la façon dont les deux fois pouvaient se mélanger dans le Deccan, nous avons la gestion remarquable de certains sultans de Bijapur. L’un s’appelait lui-même ‘’Jagat Guru’’ et vénérait la déesse Sarasvati. Un autre construisit ce que beaucoup considèrent être le plus beau bâtiment du monde musulman. La raison pour laquelle tous ceux qui sont de ce monde-là ne sont pas gagnés par la beauté de l’Ibrahim Rauza est qu’il est le résultat d’influences hindoues. Dans ce rare chef-d’œuvre où la pierre reflète la clarté de l’Esprit, le sens de

34 l’hindouisme pour la sinuosité des lignes de la nature a été insufflé dans le style formel exigé par l’islam.

C’est dans ce cadre éclectique que le premier Sai Baba apparut dans le village de Shirdi dans le Maharashtra à la fin des années 1850. Aucun détail historique sur ses origines n’est disponible à l’heure actuelle, mais la spéculation mythologique pour combler ce vide a atteint des proportions industrielles. En dépit de son vêtement, de son langage et de son comportement de fakir musulman, ses adeptes hindous ont systématiquement tenté au fil des ans de réinventer l’identité du saint à l’aide d’un imprimatur brahmanique. Les disciples plus raffinés qui discernent dans son enseignement et dans son comportement le signe désintéressé du vrai brahmane voient maintenant leurs conjectures balayées par des tentatives grossières pour fabriquer des preuves attribuant une ascendance brahmanique à Shirdi Sai. Des photos anciennes montrent que Shirdi Sai, contrairement à ses disciples qui sont de petite taille avec des caractéristiques faciales arrondies typiques de la paysannerie marathe, était grand et anguleux avec de hautes pommettes rappelant l’Asie Centrale d’où provenaient de nombreux colons musulmans du Deccan. Ces aventuriers étaient connus sous le nom d’Afaqi et ils provoquaient pas mal d’indisposition chez les musulmans locaux du Deccan qui enviaient leur statut islamique plus pur en vertu de leur naissance dans des pays non contaminés par le polythéisme.

La tendance indienne à étoffer l’Histoire avec des mythes transforme chaque étude de sujets religieux en un exercice de perspicacité. Le mythe n’est pas toujours de la mauvaise Histoire, mais ce peut être un résumé révisé et inspiré où de petites imprécisions sont permises pour présenter

35 une vue d’ensemble poétique d’une situation complexe. Maintenir la population illettrée et sur un régime de légendes a ses avantages pour ceux qui sont au pouvoir. Alors que les monarques hindous s’appuyaient sur les chroniqueurs de la cour et qu’ils étaient servis par des bardes outrageusement flatteurs, les sultans du Deccan cherchaient à affirmer leurs qualifications musulmanes en invitant à la cour des maîtres et des ecclésiastiques étrangers. L’historien plein de verve, Ferishta, venait des rives de la Mer Caspienne et ne répugnait pas à colporter tout folklore du Deccan favorable aux musulmans. Les origines de certaines dynasties de sultans – fruits d’un coup de poignard dans le dos d’un usurpateur – étaient embellies et remontaient au califat, plutôt à la manière de princes rajput qui prétendaient que leurs ancêtres descendaient du soleil et de la lune. Les musulmans disaient que le sultan de Bijapur descendait du calife d’Istanbul, tandis que pour le lobby hindou, il était le dhobi d’un saint vishnouite dans une vie antérieure qui avait reçu la faveur de naître sultan lors de son incarnation suivante. C’est ce genre de mythe populaire qui revendiquait une ascendance brahmanique pour Shirdi Baba, tout comme il inventa la notion fausse selon laquelle la dynastie musulmane Bahmani tirait son nom des bénédictions d’un brahmane.

Nulle part la création de mythes n’est plus marquée que dans le domaine des castes. Ici, l’indifférence envers l’Histoire présumée de l’hindouisme peut également être considérée comme une stratégie pour protéger ses intérêts personnels. Inévitablement, quand le créateur du mythe est un brahmane, il insérera des rappels sur la nécessité de veiller aux intérêts de sa communauté. Les versions non orthodoxes et les interprétations en langue vulgaire reçoivent rarement une audience. Les traditions agamiques shivaïtes préaryennes ont largement été étouffées par le veto védique, mais pas tout à fait. Toute preuve qui est peu flatteuse pour la philosophie sanscrite tend à être balayée sous le tapis. On demande par exemple à l’Inde moderne de croire que le bouddhisme est mort d’une mort naturelle en raison de ses préoccupations ascétiques. Les preuves suggèrent toutefois qu’il fut poussé dehors par le brahmanisme, les sanctuaires bouddhistes étant repris sous la pression orthodoxe. L’éviction de l’enseignement égalitaire en faveur de l’élitisme spirituel (tel qu’il est exposé par Shankaracharya) est considérée euphémistiquement comme la victoire du débat religieux. Toutefois, la soif de possession des deux fois nés est perceptible dans les nombreux sanctuaires et centres de pèlerinage hindous (comme Ayodhya, Badrinath, Puri, Srisailam, Kanchipuram) qui étaient autrefois bouddhistes ou jaïns.

Un exemple de création de mythe est perceptible dans les changements apportés aux photographies de Shirdi Sai. Certains éléments ont été modifiés, apparemment pour plaire aux goûts hindous. Les photographies anciennes le montraient avec un kafni (robe) blanc et un bandana blanc noué du côté gauche. Il était généralement décrit assis sur une pierre, la jambe droite croisée à hauteur du genou placée sur le genou gauche et la main gauche saisissant le pied droit. Cette position décontractée et détendue s’oppose à l’asana (posture) yoguique formelle utilisée dans la description des saints orthodoxes. Le pied est significatif, puisqu’il représente le statut classique du shudra aux yeux de l’orthodoxie, comme dans la description védique du Purusha (l’Homme Primordial) dont ‘’le brahmane était la bouche…de ses pieds jaillit le shudra’’. Aux pieds de Shirdi Sai se trouve un chien. Les chiens sont des objets de dégoût pour

36 les hindous comme pour les musulmans orthodoxes, mais ils apparaissent régulièrement dans les cultes non orthodoxes du Deccan.

Il est intéressant de noter que Sathya Sai, bien qu’il soit né avec un nom vishnouite orthodoxe, est considéré comme un avatar de la forme de la divinité moins orthodoxe de Shiva-. Néanmoins, dans les premiers jours de la ‘’Demeure de Paix’’ (comme Baba appelle son campus spirituel de Prasanthi Nilayam), le contenu agamique non orthodoxe et soufi du message de Shirdi Baba semble avoir été minimisé en faveur du védique. Cette dernière tradition voit les saints Sai comme des incarnations de Shiva sous son aspect bienveillant de Seigneur des et non sous sa forme plus sauvage et non orthodoxe de Pashupatinath. (On attribue à Shirdi Baba le statut de Shiva, alors que l’on croit que Sathya Sai incarne les pouvoirs de Shiva et de Shakti.) Quoiqu’étant une version moins primitive, Shiva-Shakti reste un concept non conformiste qui permet la spontanéité de l’expression divine. La liberté spirituelle que Sathya Sai a réclamée pour l’âme humaine en y consacrant la flamme de l’amour a fait en sorte qu’il a souvent incarné la forme superbe d’Ardhanarishvara de Shiva, un mélange dans un seul corps des qualités invincibles, mais tendres de l’amour.

La caste joue un rôle important dans la manière dont la genèse des saints Sai et les légendes qui leur sont associées ont souvent été décrites, même si les deux saints et le folklore auquel ils puisaient étaient inspirés par un mélange éclectique d’influences hindoue, musulmane, aryenne et dravidienne. La spiritualité est si intimement mêlée à

37 la conscience des castes que tout pratiquant des arts mystiques de basse naissance se voit automatiquement attribué une ascendance mythologique de haute caste. Les premiers biographes de la Sai Parampara (qui sont tous des hommes de haute caste) ont tendance à être sur la défensive à propos de la réalité embarrassante des castes. Les deux saints Sai ont mis un point d’honneur à s’arracher à ses tentacules, mais la nature quasi indélébile de jati (comme il est fait allusion à la caste dans la vie quotidienne) en fait un problème qui refuse de s’en aller.

Les injustices inhérentes à un système de statut spirituel héréditaire demandaient une solution rapide et les percées monothéistes de l’islam et du christianisme trouvèrent un public réceptif dans les classes inférieures qui gémissaient sous la discrimination. Ceci aide à expliquer l’anomalie qui veut que bien que le sud était un territoire shudra en dehors du cercle des deux fois nés, il parvint à obtenir un taux d’alphabétisation nettement supérieur à celui du fief aryen. L’absence de monopole brahmanique sur l’érudition et l’apport de presses typographiques et de grammaires en langue vulgaire des missionnaires permirent une perspective tournée vers l’avenir au sud qui manque au nord. Aujourd’hui, la qualité progressiste du Deccan se reflète dans le fait que les économies des Etats du sud devancent celles du nord d’une cinquantaine d’années. Sur une durée extraordinairement brève, les capitales de Bangalore et d’Hyderabad ont obtenu une réputation internationale pour leur succès dans le domaine de l’informatique.

Il n’est donc pas surprenant que la région au sud des Vindhyas ait fortement résisté à l’hégémonie sanscrite du nord, malgré les incursions opérées via des colonies de brahmanes (agraharas) introduites dans la région par des dirigeants qui souhaitaient être perçus comme orthodoxes et possédant un statut pan-hindou. La culture aryenne, en vertu des sympathies populaires du sud, semble avoir été sous surveillance constante et elle l’est encore. Il est remarquable, par exemple, qu’alors que Sathya Sai est ouvert à toutes les influences régionales et qu’il apprécie les plus beaux points de toute expression culturelle, le bhangra bruyant du nord arrive loin sur la liste de ses préférences.

En fait, la résistance du sud à la prise de pouvoir du sanscrit est encore de mise même après trois mille ans. La meilleure preuve en est le mouvement dravidien populaire (jusqu’il y a peu) inspiré par le chef tamoul Periyar qui n’était pas simplement violemment anti-brahmane, mais qui dédaignait toutes les religions. Periyar était un homme d’affaires et un rationaliste qui jouait sur le sentiment populaire qui n’aimait pas les archétypes du nord, comme la description du roi du sud, Ravana, comme le méchant du Ramayana. En quarante années vécues dans le nord de l’Inde, je ne me souviens pas avoir lu de nouvelles détaillées concernant ce leader dravidien dans les quotidiens nationaux. Le silence qui entoure le discours anti-brahmanique de Periyar est encore plus assourdissant que celui qui entourait Basaveshwara, un homme d’Etat- poète médiéval qui contestait le monopole spirituel des brahmanes, alors qu’il était lui- même brahmane. Une retombée intéressante du mouvement revivaliste dravidien, c’est qu’il n’est pas tant anti-brahmane que pro-tamoul (les termes ‘’dravidien’’ et ‘’tamoul’’ sont interchangeables). Une fois que la langue tamoule fut protégée des incursions de

38 l’hindi (l’enfant du sanscrit), le mouvement dravidien put sans problème accepter des premiers ministres brahmanes au Tamil Nadu, par exemple.

Dans le même temps, malgré le fait que le sud se fasse le champion de son caractère dravidien, c’est à des philosophes du sud que l’hindouisme orthodoxe doit la plupart de son enseignement caractéristique. Les trois grandes écoles – l’advaita (monisme), le vishistadvaita (monisme qualifié) et le dvaita (dualisme) sont tous des produits d’esprits du sud, à savoir ceux de Shankaracharya (Kerala), de Ramanuja (Tamil Nadu) et de Madhava (Karnataka), respectivement.

La doctrine moderne de l’Hindutva qui se fonde sur un usage chauvin et sélectif de l’Histoire est issue du milieu orthodoxe du nord du Deccan où Tilak et Savarkar soutenaient que l’ordre brahmanique était supérieur à tous les autres. Le point de vue de Savarkar concernant la société indienne était, comme celui de Tilak, conditionné par la perspective des privilégiés et est un autre exemple de stratagème féodal qui cherche à faire passer l’opinion d’une minorité qui s’exprime bien comme le consensus national. Sa théorie selon laquelle tous les Indiens sont ou étaient des hindous semble ne pas être scientifique en vertu du fait que l’Inde possède 4635 communautés distinctes vérifiées. Le Deccan fut également le témoin du complot de l’assassinat du Mahatma Gandhi qui fut ourdi à Ahmadnagar. Savarkar fut accusé, mais il fut acquitté par manque de preuves. Jawaharlal Nehru avait été emprisonné dans la même ville durant le mouvement Quit India et son œuvre nationale, ‘’La Découverte de l’Inde’’, est née de cette détention. Elle est aussi raffinée et sans préjugé que ‘’L’Hindutva’’ de Savarkar (conçu dans la cellule de sa prison aux Iles Andaman) est collectivement tendu.

En raison de son statut d’espèce de carrefour, le Deccan fournit l’expérience indienne complète, contrairement au point de vue donné par l’orthodoxie hindoue. En termes socioreligieux, le Deccan illustre une lutte continue pour l’espace spirituel entre la sagesse populaire du paysan et la tentative discréditée d’un clergé privilégié pour le tromper avec une spiritualité factice. Jusqu’ici, les adeptes de la Sai Parampara semblent être la preuve triomphante de la manière dont la guerre est en train de se gagner. Les maîtres non orthodoxes du Deccan ont arraché l’universalisme des Upanishads à ses gardiens orthodoxes et étendu la dignité de cet enseignement à tous les niveaux de la société. La véritable liberté – quand nous sommes gouvernés par notre propre Soi intérieur – est le don de la Sai Parampara à chacun, quelle que soit sa caste, son genre ou son pays.

39

CHAPITRE 4 : INFLUENCES RELIGIEUSES

Aujourd’hui, partout dans le pays, on rencontre un nombre croissant de temples consacrés aux deux saints du Deccan, Shirdi et Sathya Sai. L’immense popularité de la fraternité Sai dans l’Inde moderne peut s’expliquer en termes de leçons apprises du déclin du sanscrit et de la montée du mouvement bhakti, ce dernier exerçant une subtile influence sur la manière dont les saints Sai ont vaqué à leur mission.

Bien que l’érudition et la culture sanscrites étaient prisées des dirigeants dravidiens et que son vocabulaire pénétra avec succès les langues dravidiennes dérivées que sont le malayalam, le télougou et le kannara, le tamoul – l’inspiration originelle du mouvement Bhakti – fit preuve d’une telle résistance qu’il reste aujourd’hui la seule langue classique vivante de l’Inde. Comme langage parlé, le sanscrit périt à cause du raffinement même qu’il cherchait à promouvoir. En dépit de sa structure scientifique et de sa beauté sonore, le sanscrit dépérit de l’intérieur, ses gardiens prêtres l’écartant délibérément des affaires courantes. Le langage puise sa vie aux racines des gens qu’il sert. En se coupant de l’homme du commun, toute langue, quelle que soit sa valeur, se condamne au statut de mascotte honorée pour sa sonorité plutôt que pour sa signification. Le sanscrit conserve son rôle honorifique, mais la montée des langues vulgaires du Deccan – le marathi, le télougou et le kannara qui fleurirent sous l’inspiration du mouvement bhakti – le confina à un rôle de moyen de communication académique.

Derrière la popularité durable du phénomène Sai se trouve le fait que les deux saints Sai supprimèrent l’orthodoxie distante qui accompagne la conception sanscrite et partagèrent l’urgence de communiquer avec les masses. Bien que la Sai Parampara puisse reconnaître l’idéal sacerdotal du brahmane, elle conteste toute revendication automatique de supériorité spirituelle. Elle a aussi réussi à contourner la barrière spirituelle élevée par l’hindouisme orthodoxe qui veut que sans les bénédictions brahmaniques, le pèlerin ne peut pas atteindre son but. Pour Sai Baba, chaque âme est née avec le potentiel de devenir une avec l’Esprit intérieur. Contrairement au sanscrit qui n’était accessible qu’à quelques privilégiés, la Sai Parampara établit un contact avec tout le monde.

Ceci nous amène au mouvement bhakti qui apparut dans le sud pour rajeunir la religion populaire et la sauver de la vaine répétition des rituels védiques dont elle était devenue la proie. L’incapacité du brahmanisme à être fidèle à l’esprit hindou inclusif avait résulté en la mise en application de la loi shastrique séparative qui sapait la cohésion sociétale et qui exposait le sous-continent à des influences monothéistes étrangères. Celui qui étudie le champ de bataille médiéval est tenté de conclure que les forces étrangères qui vainquirent malgré le fait d’être largement surpassées en nombres par les armées hindoues furent aidées par ce que l’on pourrait appeler l’attitude revêche des shudras. Le ressentiment que les classes inférieures éprouvaient à cause de leur exclusion de la société hindoue respectable s’exprimait dans leur indifférence quant au résultat de la bataille. Une victoire ne produirait aucune différence pour leur sort prédéterminé, tandis qu’une défaite, embarrassante pour

40 leurs gouvernants, les soulagerait un peu de leur ressentiment. Il n’y a aucune preuve que l’homme de l’Inde médiévale pensait en termes de nation.

La montée opportune du théisme sous la forme du mouvement bhakti redonna de la flottabilité à un bateau menacé intérieurement par la corrosion de la caste. Au cœur du mouvement, il y avait la philosophie que Dieu pouvait être directement approché par le cœur et que les prêtres intermédiaires étaient superflus. Comme la Sai Parampara aborde Dieu d’une manière fort similaire et qu’elle a à cœur des soucis plutôt semblables, jetons un regard à la dynamique du mouvement bhakti.

Au centre de la bhakti shivaïte non orthodoxe, il y avait Basaveshwara, un brahmane du Deccan qui, au 12ème siècle, répudia sa foi ancestrale et fonda une croyance sans castes populairement connue sous le nom de ‘’Lingayat’’ ou ‘’Virasaiva’’. L’orthodoxie avait de bonnes raisons de se méfier du mouvement de Basaveshwara, puisqu’il semble avoir ses racines dans des sectes tantriques qui, dans l’imagination populaire, se complaisaient dans les passions les plus basses. C’était au moins le point de vue propagé par des philosophes pamphlétaires comme Ramanuja qui, parce qu’ils sentaient la base de leur pouvoir menacée, avait recours à l’exagération. Pire encore, le précepteur spirituel du brahmane déchu était un intouchable.

Pendant des siècles, Basaveshwara a été rejeté par les orthodoxes comme inadmissible pour l’hindouisme à cause de son audace de non seulement prêcher, mais de pratiquer la doctrine de l’amour et de la communion directe avec Shiva. Mais lui-même se voyait comme un véritable hindou et le brahmanisme orthodoxe comme le prétendant. Sa source d’inspiration n’était pas les Védas importés, mais la tradition agamique du sud. La dévotion et le zèle farouche à servir le ‘’Seigneur du confluent des fleuves’’ (comme Basaveshwara appelait Shiva dans ses vers profonds et incisifs) incitèrent les dirigeants musulmans ultérieurs du Deccan à conclure que les Lingayats étaient monothéistes. Pour amener les choses à un point critique, Basavanna (non sous lequel il était connu avant sa déification) encouragea le mariage intercastes – chose toujours impensable pour le villageois sans instruction de l’Inde – et il encouragea l’éducation des femmes. De manière criminelle, conformément au code de son époque, il remplissait l’esprit des intouchables avec des idées spirituelles au-dessus de leur condition et menaçait de façon impardonnable le pilier sur lequel reposait la société orthodoxe. Il refusa le cordon sacré des deux fois nés pour montrer que la religion réelle ne pouvait pas être héritée physiquement, mais qu’elle doit être cultivée par la dévotion.

Après le noble universalisme des Upanishads, l’hindouisme dut patienter pendant presque deux millénaires avant que les enseignements théistes des saints du Maharashtra ne parviennent au même niveau d’excellence spirituelle. Le grand saint lettré, Jnaneshwar, bien que né brahmane, adopta des habitudes non orthodoxes et témoigna de la sympathie pour les enseignements de Guru Goraknath. Goraknath est l’un de ces yogis archétypiques mystérieux qui occupe une place importante dans l’affection du peuple du Deccan pour ses idées libérées à propos de ce qu’un homme peut manger et boire dans sa quête de Dieu. Jnaneshwar est célèbre pour avoir obligé un buffle à réciter les Védas afin de ridiculiser les prétentions des prêtres orthodoxes. Ce que cette histoire peut symboliser, c’est que ces derniers, qui considéraient les

41 shudras comme à peine mieux que des bêtes, devaient maintenant accepter le mouvement bhakti, dont les saints étaient des hommes et des femmes avec des préoccupations ordinaires et qui n’étaient pas nés pour enseigner la religion. Namdev, un contemporain de Jnaneshwar, était le fils d’un tailleur (bien que la tradition ait laissé du champ à l’invention en affirmant qu’on l’avait découvert bébé, flottant sur la rivière à Pandharpur). Le lieu de pèlerinage de Pandharpur, dans le sud du Maharashtra, consacré à divers saints lettrés shudras, possède une importance particulière, puisqu’il ne révèle pas seulement la face humaine de l’hindouisme, mais il est aussi une affirmation du droit de l’homme ordinaire d’avoir directement accès à la divinité. Un autre grand saint du pays marathe fut Tukaram, un commerçant pauvre qui possédait une foi éclatante en Vitthal qui dynamisait toutes ses compositions. L’orthodoxie punit son impudence en l’obligeant à jeter ses poèmes dans la rivière. Conforme aux traditions de la bhakti, Vitthal est une version marathe rustique de Vishnou. En toute décontraction, il se tient les poings sur les hanches à Pandharpur, une variante paysanne du thème de l’amant de Brindavan. Son épouse n’est pas la figure de la maîtresse romantique Radha Rani, mais une personnalité simple et franche qui représente la relation stable que l’état terre-à-terre du mariage symbolise. Par- dessus tout, ces figures simples, mais rassurantes d’un petit paysan divinisé et de sa femme sont accessibles à tout dévot, quelle que soit sa caste.

Le folklore du Maharashtra est aussi rempli de la figure numineuse de Dattatreya qui semble jouer le rôle de pont entre l’orthodoxie aryenne et la religion populaire du Deccan. On le considère comme la source d’inspiration de la secte vishnouite ‘’Mahanubhava’’ qui est remarquable pour ses diverses croyances et pratiques non orthodoxes. Dattatreya est souvent décrit avec quatre chiens tenus en laisse. Les orthodoxes interprètent ceci comme la maîtrise des quatre Védas ; les non orthodoxes le voient comme un frein aux influences védiques. Dattatreya est tellement populaire dans le Deccan que des écoles opposées de bhakti et d’advaita se sont érigées en son nom. Le jeudi (consacré au guru) est réservé comme un jour de culte hebdomadaire de Dattatreya.

Une conception aussi égalitaire qui reste à l’écart de toute implication sacerdotale est la caractéristique de la philosophie de Shirdi Baba comme de Sai Baba. Le jeudi ou guruvar est observé comme leur jour sacré et Sai Baba, comme Shirdi Baba avant lui, adore ses chiens. D’anciens dévots prétendent que souvent, quand ils avaient été pris en photo avec Sathya Sai, le film développé le montrait sous la forme de Dattatreya. Il y a quelques années, un sanctuaire de Dattatreya a été érigé près du samadhi de la mère de Sathya Sai. Que Sathya Sai Baba était bien conscient de ces mouvements religieux populaires est clair, si l’on se remémore la fameuse occasion, en 1958, quand il matérialisa un exemplaire de la Bhagavad Gita à partir du lit de la rivière et qu’il en fit présent à l’éminent scientifique, le Dr Bhagavantam. Une fois, reconnaissant les personnages représentés sur un badge porté par un dévot, il annonça qu’il s’agissait du couple Kusum-Haranath qui avait donné un coup de fouet au mouvement namasankirtan du Bengale moderne. Namasmarana, la pratique de la récitation du Nom de Dieu était commune à toutes les écoles de bhakti et il est pratiqué par beaucoup de dévots à Puttaparthi.

42

Sathya Sai et ses chiens, à différentes époques

Une photo de Dattatreya matérialisée par Sathya Sai

***

43

Le abishekham qui est le point d’orgue du calendrier spirituel Sathya Sai pendant Shivaratri ne ramène pas seulement au dhuni du fakir de Shirdi, mais au-delà, aux personnages non orthodoxes qui ont influencé la religion dans le Deccan : Gorakhnath, Dattatreya et Basaveshwara. La lingodbhava leela {la matérialisation d’un ou plusieurs shivalingam(s), à partir de sa personne} qui suit la projection de la vibhuti est un rite très peu orthodoxe qui suggère la loyauté lingayat au symbole extérieur de Shiva, ainsi que ces cultes qui vénèrent Shiva comme énergie pure. Il y a deux niveaux qui opèrent ici, l’exotérique et l’ésotérique. En la personne de Sathya Sai Baba, on pense que Shiva est associé à Parvati, l’épouse orthodoxe et/ou Shakti, la force féminine imprévisible. Il y a donc deux lectures des vies des saints du Deccan, et tandis que les érudits discutent afin de savoir laquelle est historiquement et théologiquement correcte, le dévot (qui pratique l’enseignement Sai de placer l’amour par-dessus tout le reste) permet à ses sentiments de prendre le dessus sur la logique et accepte les deux versions.

Vibhuti abhishekam

(Sai matérialise de la vibhuti (cendre sacrée) à partir de l’urne vide préalablement retournée et dans une quantité nettement supérieure à sa capacité à contenir celle-ci)

44

Différents shivalingams matérialisés par Sathya Sai en diverses occasions

45

Des dévots plus raffinés de Shirdi Sai Baba comme ‘’Hemadpant’’ Dabholkar et Kaka Dixit ont fait un effort conscient pour surmonter leur dégoût brahmanique orthodoxe des habitudes musulmanes. Dixit, qui comprenait toujours vite, comme il convenait à un brillant avocat, avait appris que Shirdi Sai ressentait une douleur physique réelle si quelqu’un insultait les sentiments de ceux qui appartenaient à d’autres religions. Il réalisa que la manière la plus simple de plaire à Baba était de se comporter généreusement vis-à-vis des dévots musulmans moins nombreux. Ce fut sa sagacité juridique à la mort du saint qui évita une confrontation sans doute hideuse entre des dévots de religions opposées. On cherche souvent à minimiser le courant sous-jacent des tensions hindoue-musulmane dans la vie connue de Shirdi Baba, mais il était tellement réel qu’il eut pour conséquence que l’ashram de Baba fut saisi par le gouvernement pour prévenir de nouvelles frictions après la mort du saint. Hemadpant, tout en reconnaissant ouvertement la prise de contrôle hindoue sur une fête musulmane à Shirdi, déclare que la transition ne fut suivie ‘’d’aucun déclenchement d’émeutes digne de ce nom’’, admettant donc que le poids de la majorité avait renversé la minorité. Un autre exemple qui montre comment la minorité n’apprécia pas le prise de contrôle de leur pir peut être découvert dans les mots du biographe orthodoxe, Narasimhaswami, qui après avoir mentionné la résistance agressive de dévots musulmans locaux à l’application de pâte de santal sur le front de Shirdi Baba, note que l’agression fut suivie par l’agression et que ‘’les musulmans furent intimidés’’. Un exemple évident de la politique d’hindouisation de Narasimhaswami peut être détecté dans son ‘’Guide to Shirdi’’ (1947) où une image de Shirdi Baba dans sa posture traditionnelle de fakir musulman est suivie d’une photo de l’auteur qui tient sa version modifiée de la même image avec des déités du panthéon hindou surimposées autour du saint enguirlandé.

De cette négation de tout ce que Shirdi Sai représentait et du souci obsessionnel évident de s’approprier son héritage islamique, il pourrait sembler que l’enseignement de l’unité sous-jacente des religions du saint ne réussit pas à trouver prise dans les rues mêmes du village où il passa 60 années de sa vie. Ironiquement, étant donné ses efforts pour que les hindous s’élèvent au-dessus des problèmes de caste et que les musulmans dépassent leur vision étroite de la divinité, la vie officielle de Shirdi Baba continue d’être publiée par un comité nommé par un administrateur judiciaire. Il est à peine surprenant que les biographes de haute caste de Shirdi Sai, désireux de lui imposer une ascendance brahmanique, ont soigneusement éliminé la preuve physique de son appartenance à un ordre soufi du domaine du Nizam. Sa robe soufie incolore apparait maintenant couleur safran à la mode des sannyasins hindous ; son chien favori, Manohar, manque sur les portraits artistiques ; la lèvre supérieure rasée qui dénote une pratique musulmane se voit maintenant affublée d’une moustache de chef de famille hindou et son vêtement dépenaillé est remplacé par des habits immaculés sortant de chez le teinturier qui seyent à un maître de sagesse, aux yeux des Indiens de la classe moyenne. (En 2002, Sathya Sai fit ériger dans son stade de plein air de Puttaparthi une image plus grande que nature de Shirdi Sai – auquel il se réfère comme à son ‘’ancien corps’’. Celui-ci est vêtu comme initialement. Néanmoins, le hall de prière de Sathya Sai expose actuellement un portrait grandeur nature de Shirdi Sai qui porte les couleurs safran du renoncement.)

46

En fin de compte, ce qui est plus important que discuter pour savoir si sa lèvre était rasée à la mode musulmane ou si elle portait une moustache à la mode hindoue, c’est de mentionner l’impact électrisant qu’il avait sur ses contemporains, quelle que soit leur éducation religieuse et l’influence qu’il continue à exercer sur ses dévots actuels. Laisser ici les choses servirait les intérêts de ceux qui pensent qu’il vaut mieux ignorer de telles controverses. Malheureusement, cela servirait aussi les intérêts de ceux qui cherchent à manipuler l’opinion publique et à faire passer le mythe pour de l’Histoire. L’Inde moderne est menée en bateau par ceux qui faussent intentionnellement le pluralisme traditionnel de la nation. Puisque le message de Sai s’oppose à la fraction religieuse que ces lobbies cherchent à agrandir, il est utile d’examiner en détail comment l’ingéniosité dévotionnelle peut aisément conduire, via une série de concoctions apparemment innocentes, à accepter le mythe comme un fait.

Le fait est que nous ne connaissons toujours pas les origines physiques de Shirdi Sai, indépendamment de ce que la mythologie puisse chercher à broder sur son passé. Nous devons l’origine de l’histoire dans laquelle Shirdi Sai avait des parents brahmanes à Mahlsapathy. Il fut le tout premier disciple de Baba, étant résident de Shirdi et le gardien du temple du village consacré à Khandoba, une des déités les plus primitives du Maharashtra.

Une ancienne photo du temple de Khandoba à Shirdi

47

Immédiatement après son arrivée dans le village, Shirdi Baba, qui était vêtu comme un fakir, exprima son plaisir quant à la paix qui entourait le temple de Mahlsapathy et parla de son désir de s’installer tout près. Le gardien, un simple villageois qui avait été élevé dans la croyance que tous les musulmans sont des iconoclastes fut horrifié par la suggestion et il redirigea brusquement le fakir vers la mosquée délabrée aux murs de terre battue. A sa grande surprise, le fakir ne fut pas offensé et s’en alla paisiblement. A la surprise plus grande encore de Mahlsapathy, le fakir commença à faire référence à sa mosquée adoptée comme à ‘’Dwarkamai’’, un lieu de pèlerinage hindou. Bientôt, l’attitude détachée de Shirdi Baba exerça un effet tellement apaisant sur le prêtre qu’il découvrit qu’il ne pouvait plus s’arracher de la présence du fakir. Mahlsapathy était attiré vers la mosquée, un lieu que tous ses instincts orthodoxes abhorraient.

La mosquée de Shirdi au début du 20ème siècle

Le biographe Hemadpant raconte les détails de la naissance de Baba que lui aurait confié en privé Mahlsapathy qui avait sans doute obtenu ces informations de Baba lui- même. Personne d’autre n’a été mis au courant de cela et il semble étrange que ces informations aient été accordées après une vie entière de refus catégorique de la part du saint d’attacher aucune importance à de tels sujets. En effet, cela s’opposait aux enseignements du fakir. Une explication pourrait être que les informations confiées étaient destinées à être prises symboliquement et que celui qui les a entendues les a prises à la lettre. Toutefois, des questions restent sans réponse. Pourquoi Mahlsapathy devrait-il partager une confidence privée avec Hemadpant ? Et pourquoi Hemadpant qui avait promis à Shirdi Baba de ne pas inclure de matière à controverse, comme condition pour écrire sa biographie, imprimerait-il ceci ou d’autres on-dit discutables ? Puisqu’aux dires de tous, Shirdi Baba fut cohérent jusqu’à son décès, nous ne pouvons que nous interroger à propos des motifs de Mahlsapathy. Narasimhaswami, dans ‘’Life

48 of Sai Baba’’ (1955) soutient candidement que l’intégrité du prêtre ne peut être mise en doute, mais il néglige le fait que ce fut le préjugé de ce même prêtre qui a fait en sorte que Shirdi Baba fasse sa demeure d’une mosquée.

La suspicion que les dévots moins cultivés puissent avoir été encouragés à répercuter le vœu pieux du lobby instruit est renforcée par le récit du témoin suivant, Das Ganu Maharaj. Un policier qui n’avait pu réaliser son ambition de devenir inspecteur, Das Ganu Maharaj était doué du talent du paysan du Deccan pour la poésie. Contrebalançant son génie inventif, il y avait une loyauté fanatique à la cause hindoue qui le conduisit, en dépit des bénédictions de Shirdi Baba, à choisir un gourou brahmane. Le génie de Das Ganu alla jusqu’à ‘’faire des recherches’’ jusqu’à 200 km en aval de Shirdi et à découvrir dans le village de Pathri un scénario mélodramatique selon lequel un couple pieux de brahmanes abandonne son nouveau-né qui est trouvé et adopté par un bienveillant zamindar de la proche Selu. Ce zamindar qui ‘’protège les hindous des musulmans’’ ne s’avère être nul autre que Venkusa, le maître supposé de Shirdi Baba. Puisque Das Ganu Maharaj s’est spécialisé dans une école de poésie marathe célèbre pour son style ampoulé (et, selon Narasimhaswami, lubrique et obscène), il est à peine surprenant qu’il n’y ait eu aucune confirmation crédible du lieu ou des personnages pour soutenir cette recherche inspirée. En vertu de leurs préjugés connus, les revendications d’avoir reçu des confidences de Shirdi Baba de Mahlsapathy et de Das Ganu Maharaj ne constituent pas des preuves exemptes de vices. Bien sûr que la motivation de Das Ganu Maharaj était l’amour et – de son point de vue – il faisait un honneur au fakir. Les graines semées par le chantre du village ont maintenant donné des fruits dévotionnels d’une ferveur si intense qu’il n’est pas possible que des preuves historiques – même s’il y en avait – puissent faire revenir les choses en arrière.

Le chauvin Das Ganu Maharaj fut le premier à ouvertement ‘’brahmaniser’’ Shirdi Baba par sa tentative de donner une identité hindoue au gourou mystérieux de Baba, Venkusa. Narasimhaswami rapporte comment, quand le zamindar de Selu visita le tombeau de Suvag Shah à Ahmedabad, on lui dit qu’il avait été le gourou de Kabir dans une vie antérieure et qu’il était destiné à l’être une fois encore (puisque Shirdi Baba est aussi considéré par certains comme la réincarnation de Kabir). Ainsi, il y a des éléments hindou et musulman de l’histoire du mystérieux gourou dont Das Ganu Maharaj est ignorant ou (plus probablement) envers lesquels il est hostile. Narasimhaswami, étant un hindou orthodoxe du pays tamoul, est favorable à la théorie selon laquelle le nom ‘’Venkusa’’ provenait de la déité de Tirupati, ignorant totalement le fait que la dernière partie du mot, ‘’sa’’, est la prononciation populaire de ‘’Shah’’, le titre que l’on attache parfois aux pirs soufis. Illustrant comment des loyautés régionales peuvent influencer l’interprétation des preuves, Narasimhaswami conclut que Shirdi Baba est en fait le Seigneur Venkateshwara de Tirupati.

Mais se pourrait-il que Venkusa soit en fait une forme confuse de ‘’Fakir Shah’’, l’équivalent soufi de Dattatreya honoré par l’affection populaire de tout le Deccan ? Selon H.V. Sathe, un fonctionnaire du gouvernement qui fut disciple de Shirdi Sai, il entendit souvent Shirdi Baba employer le mot ‘’Shah’’ après le nom de son pir que d’autres identifiaient sous le nom de ‘’Roshan Shah’’ (‘’Seigneur de lumière’’). Ra

49

Ganapati, l’auteur tamoul érudit de ‘’Baba Satya Sai’’, note que le Fakir Shah historique, qui est honoré par tous les soufis du Deccan, vécut 200 ans avant l’époque de Shirdi Baba et que son pirshtan de Mirzgaon était connu pour ses puissantes ‘’vibrations psychiques’’. Ra Ganapati note encore que Datta Baba et Fakir Shah sont probablement identiques.

Vishwas Kher et M. V. Kamath dans ‘’ : A Unique Saint’’ (1991) mentionnent que ‘’Shah Fakir’’ est la version musulmane d’une déité hindoue soutenue par le saint médiéval de l’ordre de Dattatreya, Narasimha Saraswati. Aussi connu sous le nom de ‘’Shahdutta Allama Prabhu’’, ce personnage mêla non seulement les courants de dévotion hindou et musulman, mais il caressa même l’idée impensable de trouver la divinité dans un intouchable. Allama Prabhu n’est nul autre que le maître hors caste de Basaveshwara, un poète mystique brillant contre lequel l’orthodoxie dédaigneuse a maintenu une conspiration du silence pendant sept siècles. C’est seulement maintenant que ses écrits viennent de trouver un public respectable dans ‘’Speaking of Shiva’’, de A.K. Ramanujan. Encore aujourd’hui, il est fait honneur aux jangamas Lingayat pendant les fêtes musulmanes du Deccan. Comme autre preuve de l’expérience hindoue- musulmane combinée de dévotion, dans son étude sur le tantra, l’érudit sannyasin autrichien, Aghehananda Bharati, cite un temple de Dattatreya près de Chikmagalur dans les occidentaux, où un fakir soufi lisait la rubrique dans un mélange d’ourdou et de sanscrit. Il y a quelques années, le drapeau vert soufi de ce temple fut amené par des activistes et le drapeau couleur safran de l’Hindutva fut hissé. Ceci a à son tour incité les disciples modernes de Basaveshwara à se rallier contre les politiques intolérantes de l’establishment hindou. Le vieux conflit entre le programme politico- spirituel de l’Aryavartha (le pays des nobles) et l’instinct du Deccan à résister à la colonisation de son âme se poursuit.

Kher a été un des administrateurs de l’Organisation Sri Sai Baba de Shirdi et il a examiné les généalogies des familles brahmanes de Pathri. Sur l’indice mince qu’une certaine famille ‘’a produit des personnes de désirs et d’impressions supérieurs’’, il a suivi sa propre envie de conclure qu’un de leurs enfants doit avoir été Shirdi Baba. A la suite de ses découvertes (et les cyniques diront expliquant ce qui les motivait), il acheta un terrain à la dite famille en 1994 et il bâtit un temple sur le lieu de naissance présumé.

Pour rendre l’image de l’identité musulmane supposée de Shirdi Baba encore plus compliquée, nous avons plusieurs exemples où Sathya Sai Baba lui-même a confirmé – en public – ses origines hindoues dans l’incarnation de Shirdi, en tant que fils d’un batelier brahmane de Pathri. Dans ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’, la biographie officielle du saint de Puttaparthi, le Prof. Kasturi écrit que Sathya Sai Baba donna d’abord des détails sur ses origines de Pathri à deux de ses anciens instituteurs, dont un traduisit les souvenirs de Baba en poésie télougoue en 1944. Puisque Sathya Sai entre au cœur des détails et qu’il donne même sa date de naissance, en 1835, l’étudiant en histoire est conduit plus loin dans une impasse. Apparemment, Sathya Sai n’accepte pas les versions de Das Ganu et de Narasimhaswami entièrement, mais il confirme la ‘’Shri Sai Satcharita’’ de Hemadpant comme canonique. Kher accepte aussi Hemadpant comme une source d’informations plus sûre. Dans sa biographie ‘’Bhagavan Sri Sathya Sai

50

Baba’’ (1975), le Dr Gokak, l’éminent littérateur kannarien, pose la question du début de la vie de Shirdi Baba à Sathya Sai qui donne alors des détails sur les origines de Pathri, mais apparemment plus sur un ton mythologique qu’historique. (L’oreille indienne se réjouit des sons qui correspondent et ‘’Parthi’’ – l’abréviation de Puttaparthi – va bien avec Pathri). Il était probablement attendu des étudiants qui composaient le public de visualiser l’essence des mots de Baba et non de les considérer comme les détails d’un index géographique. Cela aiderait à éluder la question de savoir pourquoi une pieuse mère abandonnerait à la hâte son nouveau-né dont elle connaissait l’origine divine. Gokak surmonte cette situation embarrassante ainsi : ‘’Son devoir se situait dans cette direction’’, alors qu’à Kasturi incombe la tâche d’énoncer une contradiction gênante : ‘’Les parents étaient tellement remplis de l’esprit de renoncement qu’ils abandonnèrent le nouveau-né (une incarnation de Shiva) à la protection des anges de la forêt’’.

A ce jour, le récit le plus fiable de la vie de Shirdi Baba en langue anglaise est le livre d’Antonio Rigopoulos intitulé ‘’The Life and Teachings of Sai Baba of Shirdi’’ (1993), très méticuleusement documenté et dans lequel l’auteur équilibre érudition et compassion, circonspection et charité. Il est impressionné, non seulement par la richesse de détails que Sathya Sai fournit au sujet de Pathri, mais par leur authenticité. (Toutefois, l’auteur ne parle apparemment pas couramment aucune des langues du Deccan.) Peu importe l’absence de méthode scientifique d’une telle recherche, le fait est que Pathri se trouve maintenant sur la carte du folklore et de l’économie, après presque un siècle de mythologisation croissante. Ceci sera perçu par d’aucuns comme la continuation de la leela du fakir.

Peut-être que la raison pour renforcer les origines hindoues est l’acceptation pragmatique que la masse des adeptes de Sathya Sai provient de cette confession et il est compréhensible de s’adresser à eux dans des termes qui leur sont familiers. La mythologie, jusqu’il y a des temps très récents, était considérée par les intellectuels occidentaux comme une mémoire populaire grossière et peu fiable, sujette à la déformation et à la manipulation par ses colporteurs instruits. Grâce à l’école de psychologie jungienne, les vertus du mythe ont été sauvées et, comme l’interprétation des rêves, rendues à une place respectable dans le répertoire des réponses humaines aux encouragements psychiques. En tissant les origines hindoues de Shirdi Baba, Sathya Sai n’affirme pas la croyance Hindutva de Savarkar selon laquelle toutes les minorités indiennes devraient accepter qu’elles sont des hindous subsumés. En reliant la lignée intérieure de Shirdi Sai à la mythologie hindoue, Sathya Sai peut faire ressortir l’énergie sous-jacente à laquelle les deux figures ont pu puiser, à savoir la shakti de Shiva, le premier des dieux hindous et le plus compatissant, lorsqu’il s’agit du bien-être de ses disciples. Chronologiquement, la révélation de l’islam vint plus tard et Shirdi Baba démontra constamment qu’il acceptait l’unité sous-jacente des perceptions hindoue et musulmane de la divinité. Que la compassion se révéla sous la forme de Shiva ou sous la figure miséricordieuse d’Allah ne faisait aucune différence pour lui : son fakir et le malik (propriétaire) du monde étaient identiques. Il consacra sa vie à souligner cette unité et à l’identifier comme une compassion qui transcende toutes les étiquettes.

51

Les détails de Sathya Sai concernant les origines de Shirdi Sai à Pathri peuvent dès lors être symboliques et indiquer une source commune d’énergie divine qui est antérieure au message formel de l’islam, mais pas à la réalité toujours présente d’Allah. Ceci, sous la robe hindoue de l’Andhra, se perçoit le plus dynamiquement dans le canon de la mythologie de Shiva-Parvati qui fournit une mine riche de références spirituelles instantanément reconnaissables pour la masse des adeptes de Sathya Sai. Ainsi, beaucoup identifièrent Sathya Sai Baba comme l’incarnation de l’aspect bienveillant de Shiva, alors que l’aspect plus irritable du Grand Yogi pourrait être comparé au fakir fou de Shirdi. Ici, il est instructif de se rappeler le conseil que Gurdjieff donnait à ses étudiants, à savoir qu’ils doivent prendre au sérieux toutes les paroles de leur maître, mais pas la lettre. L’étudiant de la grâce peut profiter du tapis volant de la mythologie pour ramener son intérêt à l’essentiel immatériel. Comparé à l’amour que la simple pensée de Shirdi Baba éveille en ses dévots, le fait de fouiner après les détails de son incarnation dans ce monde semble sans importance.

52

CHAPITRE 5 : LE REMARQUABLE FAKIR DE SHIRDI

J’ai visité pour la première fois Shirdi en 1984 en retournant à Delhi depuis Puttaparthi, en car. Mon budget pour l’ensemble du voyage était de 500 roupies. Le trajet se fit sans heurt et la traversée du Deccan fut tellement agréable que je ne pus que l’attribuer à une grâce qui était à l’œuvre.

J’arrivai tard à Pune et j’espérais passer la nuit à l’ashram de Rajneesh dont on parlait alors beaucoup dans les médias à cause du franc-parler de son gourou. Je fus toutefois rabroué et j’eus l’impression que seuls les étrangers porteurs de beaucoup de devises étaient les bienvenus à l’ashram. Ceci s’avéra être une bénédiction déguisée. Je me résolus à attraper un car de nuit pour Shirdi et bien que j’arrivai là-bas aux petites heures du jour, l’accueil fut si sincère et si chaleureux que je réalisai tout de suite que c’était la demeure de la religion authentique, tandis que l’ashram de Pune ne semblait qu’affecter un air religieux. Toutefois, en défense de ce dernier, je pourrais ajouter que l’ashram de Mirtola jouissait d’une réputation similaire pour sa froideur. Ces deux accueillaient ceux qui se considéraient comme des étudiants avancés et contrairement à l’Organisation de Sai Baba, ils n’étaient pas équipés pour accepter tout nouvel arrivant à leurs portes.

Fondamentale à la Sai Parampara, il y a la relation intensément personnelle qui relie guru et shishyas. Shirdi Baba était si dévoué envers ses shishyas qu’il leur apparaissait invariablement en temps de nécessité. De même, des visites astrales ont été confirmées au fil des ans par des milliers de dévots Sai convaincus de la présence du Maître dans leur demeure, quel que soit l’éloignement de Shirdi ou de Puttaparthi.

Sathya Sai Baba et Shirdi Sai Baba

53

Toute étude du domaine psychique et de ses énergies remarquables ne peut manquer d’être une entreprise épineuse. Ceux qui sont nés avec cette dimension supplémentaire apprennent à faire attention à qui ils révèlent ses pouvoirs. Il est important de se rappeler qu’un tel déploiement d’énergie psychique est fait, non pas tant pour impressionner les dévots que pour les consoler en période de détresse. Ces voyages sont des excursions compatissantes en réponse à la prière. Et la prière à laquelle il est répondu pouvait émaner d’une personne inconsciente de l’existence de Shirdi Baba. Un exemple – utilisé par Arthur Osborne pour terminer son livre sur Shirdi Baba (‘’The Incredible Sai Baba’’, 1957) – inclut tous les ingrédients qui sont typiques des milliers de cas rapportés. Je peux témoigner de sa véracité jusqu’à un certain point. J’étais arrivé à Calcutta pour enseigner à l’école dont Osborne était le directeur. Une des voisines d’Osborne dans l’immeuble à appartements où il vivait était une vieille dame, une ancienne nonne catholique, mais qui après une crise spirituelle au milieu de sa vie avait décidé de quitter l’ordre, une décision courageuse, mais téméraire. C’est seulement à ce moment-là qu’elle se rendit compte qu’elle n’avait aucune qualification ou formation pour un travail ni même un endroit où aller. Alors qu’elle se trouvait assise dans sa cellule plongée dans le désespoir, à son grand étonnement, un grand fakir vêtu de blanc lui apparut et lui dit de ne pas s’inquiéter pour son avenir. Il serait pris en charge. (A présent, elle s’inquiétait plus de savoir comment un homme avait réussi à pénétrer dans le couvent !) Imperturbable, le fakir demanda une certaine somme d’argent comme dakshina qu’elle dit ne pas posséder. Il lui rappela qu’elle gardait une petite somme enfermée dans son placard. Elle se souvint alors qu’elle possédait bien un peu d’argent, mais elle l’avait oublié. Alors qu’elle se dirigeait vers le placard pour le récupérer, l’aimable visiteur disparut aussi soudainement qu’il était venu. Les événements conspirèrent pour donner raison au fakir. Un neveu compatissant l’accueillit dans son appartement de Calcutta, à côté de chez Osborne et en signe de remerciement, la tante se rendait quotidiennement à la première messe du matin pour bénir son mystérieux visiteur. En entendant la description du fakir, Osborne lui dit qu’il pouvait deviner qui était son visiteur. Il sortit une photographie de Shirdi Baba que l’ancienne nonne reconnut immédiatement comme étant son sauveur.

***

54

Les plumes d’auteurs bien-pensants qui s’imaginent qu’ils rendent une faveur à la société en supprimant des faits comme le penchant que les populations environnantes de Shirdi ou de Puttaparthi ont pour la viande et la liqueur du pays ont cherché à ‘’sanscritiser’’ la vie de Shirdi Sai et de Sathya Sai. Le point qui échappe à ces plumes pointilleuses est que la vraie religion a peu à voir avec ce qu’un homme mange ou boit. En aseptisant le gourou, elles ont ignoré la robustesse spirituelle des shishyas qui, malgré leurs appétits matériels peuvent encore reconnaître l’Esprit réel, lorsqu’ils le voient. Ce ne sont pas des plumes tatillonnes qui ont ‘’fait’’ Shirdi Sai ni Sathya Sai, mais la foi vivante de paysans truculents.

On nous dit que le fakir vint pour la première fois au village vers la fin des années 1850, alors qu’il n’avait que 16 ans et qu’il revint 3 ans plus tard pour passer le restant de ses jours à Shirdi sans quitter la résidence de sa mosquée (excepté pendant quelques mois où il se rendit dans un village proche pour prendre des leçons d’un maulana), jusqu’à ce qu’il soit rappelé par le Fakir céleste, en 1918. Sa renommée concernant la production de phénomènes psychiques n’était pas très connue en dehors de Shirdi jusqu’en 1892. Hemadpant ne commença à visiter le saint qu’en 1910. C’est ainsi que presque tout ce qu’il écrit se base sur la tradition et toute l’inventivité que 50 années de silence et de recul peuvent stimuler.

Les détails de la vie et des enseignements du fakir de Shirdi, qu’ils soient donnés par Hemadpant ou Narasimhaswami ou Das Ganu Maharaj sont plutôt aléatoires, subjectifs et sujets à l’embellissement mythique. Nous avons déjà vu la tentative pour parer Shirdi Sai d’une ascendance brahmanique et le zèle combatif avec lequel ces biographes de haute caste cherchèrent à faire entrer le fakir dans leurs notions hindoues de ce qu’est un saint. Ces auteurs reflètent le point de vue hindou orthodoxe qui se sent menacé en cet âge moderne par le fait que les religions monothéistes ont une base solide et vérifiable dans l’Histoire. La théorie populaire selon laquelle Shirdi Baba est né de parents brahmanes (qui l’abandonnèrent ensuite) et qui plus tard fut adopté par un fakir, bien que subtilement conçue pour satisfaire un croyant, soulève beaucoup de questions pour l’étudiant en histoire. Puisqu’il n’est fait référence à aucune donnée concrète et que le sujet est très discutable en termes historiques, le lecteur est confus – jusqu’à ce qu’il comprenne les motifs des biographes. Le succès de ces tactiques est évident, lorsque nous découvrons que le normalement prudent Arthur Osborne affirma qu’il est ‘’pratiquement certain’’ que les parents de Baba étaient des brahmanes. Plus étrange encore en l’absence de la moindre preuve est l’affirmation d’Osborne que les parents étaient de la ‘’classe moyenne’’. Le fait que les oreilles de Baba étaient percées (une caractéristique commune à certains ordres soufis) est pris comme la preuve d’une ascendance brahmanique, mais si l’on suit le mythe d’après lequel il fut abandonné au moment de la naissance, la question du perçage des oreilles par les parents ne pouvait pas se poser. Mis à part l’horreur de la société quant à l’abandon d’enfants (mâles), le critère crucial pour le statut brahmanique est la garantie de la naissance par un brahmane. La religion parentale d’un nouveau-né qui est abandonné peut seulement être devinée. Toutefois, un abandon à la naissance laisserait opportunément la place au rite de la circoncision – la marque qui distingue le monothéiste de l’hindou – pour le cas où celle-ci serait nécessaire pour correspondre à des besoins biographiques ultérieurs. Alors, l’adoption de l’enfant par

55 un fakir pourrait être utilisée pour ‘’expliquer’’ la possession d’un signifiant monothéiste extérieur. Cette situation ne s’est pas produite, puisque aucune vie du saint d’un point de vue musulman n’a encore été publiée. Toujours ennuyé par le souci de la caste de ses disciples, Hemadpant raconte qu’un jour, le vieux saint apparut nu devant ses adeptes. Puisque aucun des biographes hindous ne nous dit ce qu’ils virent, on peut supposer que quoi que ce fût, cela ne soulagea pas leurs inquiétudes, quant à son pedigree de brahmane. Hemadpant avoue cependant que Shirdi Baba approuvait le rite de la circoncision. La seule preuve publiée jusqu’à présent qui suggère que le fakir n’était pas circoncis provient – comme l’affirmation de la naissance de haute caste supposée du saint – d’une seule source de haute caste non vérifiée.

Howard Murphet, un journaliste plutôt qu’un historien, est plus prudent en disant que Shirdi Sai fut adopté ‘’sans qu’on ne sache comment’’ par un musulman, alors que Vishwas Kher et M.V. Kamath sont convaincus que le gourou était un soufi. (Leur biographie qui s’est très bien vendue débute comme un compte-rendu équilibré, vaste sur la vie du saint, mais déçoit quand elle dévie pour publier la théorie de Kher selon laquelle il aurait découvert en 1976 l’authentique demeure brahmanique de Shirdi Baba à Pathri.) Le Prof. Charles White suggère que Shirdi Sai fut le disciple d’un musulman et d’un gourou hindou. Il soutient que durant les derniers jours de sa vie, le fakir ne voulait que des brahmanes à son chevet et que ceci plaide en faveur de la propre naissance de haute caste de Shirdi. Mais il est possible que White prenne le mot ‘’brahmane’’ trop littéralement. Quand Shirdi Baba parlait de sa mosquée comme d’un lieu pour des ‘’brahmanes blancs’’, il se peut qu’il enseignait allégoriquement et qu’il faisait allusion à une qualité de l’âme que l’on retrouve dans l’adepte sincère de n’importe quel religion.

Dans cette lutte entre revendications concurrentes, on tend à oublier le fait que Shirdi Baba avait en fait triomphé des soucis de caste et de bigoterie. Le meilleur exemple est Hemadpant qui écrit avec une ouverture d’esprit remarquable à propos d’aspects de style de vie du fakir (comme cuire du biryani à la viande ou fumer le chillum) qui auraient dégoûté ses notions brahmaniques de ce qui constitue l’hygiène spirituelle. En dépit de ces affronts flagrants, son attirance pour ce que le fakir avait à lui enseigner était assez forte pour qu’il les ignore. Souvent, le Maître le raillait ainsi que d’autres dévots de haute caste à propos de leurs préjugés innés et simultanément, il houspillait et il chassait tout visiteur musulman qui faisait état de son statut spirituel

56 supérieur pour avoir, par exemple, accompli le hadj à La Mecque.

Selon certains, au début, Shirdi Baba portait un genre de coquille, pratiquait le hatha yoga et aimait la lutte. Après avoir été battu dans un combat, il abandonna le mode athlétique et il se mit à porter son kafni blanc usé bien connu, le vêtement adopté par les fakirs musulmans. Il accomplissait rarement les namaz de façon orthodoxe. Les opinions sur sa connaissance du Coran sont diamétralement opposées. Les hindous prétendent qu’il eut besoin d’être instruit, alors qu’Abdul, un proche adepte musulman insistait sur le fait qu’il pouvait citer les sourates coraniques par cœur. Chaque jour de sa vie, il mendia sa nourriture, allant de porte en porte, même après être devenu célèbre. Il se comportait de manière non conventionnelle et les gens ne pouvaient pas dire s’il était réellement inspiré ou simplement dingue. Indifférent à ce que les gens pensaient, sa conduite restait excentrique et son langage pouvait souvent être grossier. Il passait beaucoup de temps à transporter de l’eau d’un puits pour entretenir un petit jardin. Jusqu’à ce qu’il obtienne de la considération pour ses prouesses spirituelles de la part d’étrangers, la population locale de Shirdi le considéra comme un fou inoffensif à qui les enfants du village étaient habitués de lancer des pierres.

Complètement imprévisible, le fakir de Shirdi pouvait accueillir les visiteurs par des gros mots ou des mots gentils. Ces extrêmes de bienveillance attendrie ou de censure violente faisaient en sorte que seuls ceux qui étaient sérieux dans leur quête survivaient à la roulette spirituelle à laquelle il jouait. Comme Gurdjieff, il enseignait par énigmes, provoquant et parfois choquant ses visiteurs en leur demandant de

57 l’argent. Tous les deux pouvaient être cinglants avec les gens qui prenaient des grands airs spirituels et tous les deux aimaient rabattre toute prétention à la sainteté. Avec les riches, ils pouvaient se montrer outrageants, mais avec les pauvres, ils étaient charitables, acceptant des cas désespérés pour démontrer que l’amour peut tout conquérir. Shirdi Baba attribua à Bhagoji, un serviteur fidèle qui souffrait de la lèpre, la tâche de porter son ombrelle (signe de la royauté dans le Deccan) lors des processions. Incapable de se défaire de son conditionnement orthodoxe, Hemadpant attribue la lèpre de Bhagoji gratuitement au fait qu’il a dû être un pécheur au cours d’une vie antérieure.

Le fakir avait des lampes en terre cuite remplies d’huile qui brûlaient dans la mosquée, ce qui donnait une touche très hindoue à ses dévotions. Ce fut la transformation miraculeuse d’eau en huile – à la manière du Christ qui transforma l’eau en vin à Cana – qui propulsa Shirdi Baba au statut de saint dans le folklore religieux. (Les publics

58 rustiques du monde entier répondent plus spontanément aux dons divins, quand ils s’accompagnent de bénéfices économiques.) Il gardait aussi une planche étroite suspendue deux mètres au-dessus du sol de façon précaire sur laquelle il était censé se reposer pendant la nuit. Mais comment pouvait-il monter sur cette chose branlante où brûlaient également des lampes à huile ? Certains voient cela comme un symbole de ses siddhis grâce auxquels il avait besoin de peu de sommeil et qu’il visitait plutôt ses disciples dans un état extracorporel.

Le principal signe visible de la sadhana religieuse du fakir était de s’occuper du feu sacré (dhuni) dans sa mosquée délabrée où il s’accroupissait et où il tirait à la manière des saints hommes des bouffées de son chillum en discutant de la nature de Dieu. Plus tard, quand il devint célèbre, la cendre (udi) du feu devint un grand agent de guérison censé posséder le pouvoir spirituel qu’il avait accumulé pendant ses années de pénitence. Il appréciait aussi chanter (en arabe, selon certains) et il aimait les processions religieuses qui faisaient partie des fêtes villageoises. Il était arrivé à Shirdi avec un cortège de mariage et ceci pourrait être considéré comme un comportement inhabituel pour un saint homme, mais ce qui le différenciait d’un millier d’autres semblables sur tout le sous-continent, c’était l’impression d’autorité qui marquait ses paroles. Habituellement, les mendiants errants ramassent quelques rudiments de connaissance spirituelle et la colportent à leurs hôtes villageois en échange de l’hospitalité pour la nuit. Les paroles de Baba étaient, elles, authentiques, et sa présence était captivante. Même ceux qui entretenaient un dégoût intense pour les musulmans, comme Mahlsapathy, le prêtre du village, se voyaient inexorablement attirés par l’aura de Shirdi Baba.

Hemadpant comprenait l’importance de Shirdi Baba comme pont entre hindous et musulmans. Il n’y avait pas juste de la méfiance, mais un dégoût vivace entre les deux communautés, chacune s’appuyant sur la fierté de la nature de sa propre spiritualité. Shirdi se trouve dans l’arrière-pays du Maharashtra où les descendants de Shivaji disputèrent l’espace spirituel bordant les terres du Nizam. Les soufis étaient traditionnellement les guérisseurs des dissensions communautaires qui affectaient chaque village. Leur conception de l’islam avait été élargie par des idées hindoues sur la nature du divin et Shirdi Baba était l’exemple parfait de la manière dont il était possible de tirer le meilleur des deux pour arriver à une religion universelle.

59

Cet enseignement de l’unité sous-jacente de toutes les religions n’était pas une subtilité théorique pour Shirdi Baba, mais une inquiétude permanente. Il tombait physiquement malade, s’il apprenait qu’une religion était insultée. Il se tourmentait et il se mettait en colère à propos de la surenchère communautaire mesquine entre adeptes hindous et musulmans et il s’efforçait de leur faire voir comment, non seulement ils trahissaient leur religion, mais eux-mêmes en refusant de voir la similarité essentielle de leurs points de vue opposés. C’est un témoignage de la ténacité d’habitudes héritées que les trois biographes, Hemadpant, Narasimhaswami et plus tard Kasturi (pour Sathya Sai) ne parviennent pas à présenter leurs sujets comme des forces spirituelles qui appartiennent à l’humanité. Ils semblent satisfaits de les décrire, non seulement comme des incarnations des idéaux hindous (ce qui est compréhensible), mais comme des hindous idéaux (ce qui semble sous-estimer leur appel et leur message).

Sri Purohit rapporte dans son autobiographie spirituelle comment, lors de sa visite au saint de Shirdi, le plus grand miracle dont il fut témoin fut la calme total et assuré de Shirdi Baba. Comme pour faire écho à l’enseignement de Shirdi Baba, il conclut que le but spirituel ‘’s’établit dans les cœurs des hommes et non pas extérieurement pour éblouir l’homme.’’ A la racine d’un tel calme, il y a la compassion envers tous les êtres vivants, le thème principal de l’enseignement de la Sai Parampara qui est illustré avec une clarté saisissante dans la manière où Shirdi Baba mangeait parfois en permettant aux chiens et aux oiseaux de partager son repas. Pour les orthodoxes, c’était une habitude des plus répugnantes et Shirdi Baba poussait le bouchon encore plus loin en suggérant de manger des denrées prohibées comme des oignons et même du mouton qu’il cuisinait régulièrement. Au cours de ses dernières années, il semble que le processus s’inversa et que les disciples influencèrent les habitudes du Maître. Shirdi Baba devint plus conciliant envers les goûts de ses nombreux adeptes hindous. Il y a plusieurs exemples où Baba enseigne en prenant des formes de vie inférieures que la plupart d’entre nous n’apprécient pas à leur juste valeur et auxquelles nous n’attachons pas d’importance spirituelle. C’est ainsi qu’une fois, il accusa un disciple de l’avoir frappé et quand le dévot ahuri plaida l’innocence, il lui dit que le chien chassé par le dévot en colère était Baba lui-même. Shirdi Baba étendait le débat aux fourmis et lorsqu’un dévot se plaignit que Baba n’avait pas mangé la nourriture qu’il avait cuite pour lui, il lui dit

60 qu’elle avait été mangée par Baba sous sa forme de fourmis ! L’humour abonde dans l’enseignement terre-à-terre de Shirdi Baba en marathi, mais il est en grande partie dilué dans la traduction.

Il y a autre chose à propos de quoi le gourou était catégorique et c’était d’éviter toute discussion pouvant donner matière à controverse sur la religion ou de critiquer d’autres gourous ou d’autres voies spirituelles. Avant qu’il n’autorise Hemadpant à écrire sa biographie, il insista pour qu’aucune opinion absolue de l’auteur ne soit exprimée et pour qu’il ne réfute les opinions de personne d’autre. C’est seulement quand Hemadpant accepta ces conditions que le projet fut béni. Pendant des siècles, l’Inde a souffert de discussions religieuses acrimonieuses et il est important de réaliser que souvent, les échanges théologiques ne mènent à rien. Alors que de telles discussions peuvent théoriser sur Dieu, elles n’ajoutent pas un iota à la compréhension de l’homme sur sa propre âme. L’appel de Baba était dirigé vers le cœur du dévot.

Shirdi Baba décéda en 1918 dans des circonstances qui rappelèrent à beaucoup le départ du poète mystique Kabir, en 1518. Ce tisserand musulman toucha si profondément le sentiment hindou pour la ‘’simple union’’ avec Dieu par la bhakti que, tout comme son descendant spirituel Shirdi Sai, on ‘’attribua’’ à Kabir une mère brahmane pour veiller à ce qu’au moins dans la tradition spirituelle, si pas dans la vie réelle, son inspiration ait une source ‘’adéquate’’. Comme pour Shirdi Sai sur son lit de mort, il y eut des altercations entre les deux groupes de disciples hindous et musulmans de Kabir. L’histoire raconte qu’après être parvenus à un accord, les plaideurs, à leur grande surprise, découvrirent des monceaux de fleurs odorantes, mais pas de corps. Après le départ de Shirdi Baba, à la place de fleurs, il y avait une décision judiciaire plus prosaïque qui limitait les revendications des deux parties…

61

CHAPITRE 6 : ÉLEVER CEUX DE BASSE CONDITION Ce qui est unique à propos de Puttaparthi et qui la distingue d’autres lieux de naissance comme Bethléem, Ayodhya ou Lumbini, c’est que vous pouvez voir le lieu physique réel de la naissance d’un Maître spirituel. Rarement dans l’Histoire a-t-il été offert à l’étudiant en grâce pareille opportunité d’observer le divin à l’œuvre, aux premières loges. Au cours de ces soixante dernières années, l’observateur a pu observer le déroulement de la banalité extraordinaire de la dimension spirituelle de la vie qui opère dans la routine quotidienne de Sathya Sai. Sous vos yeux, vous pouvez faire l’expérience de la divinité qui explore ses propres merveilles et revivre l’impact revigorant que de grandes âmes comme le Bouddha, le Christ et Shirdi Sai ont eu sur leurs adeptes. Ici, vous sentez que vous êtes en contact avec la réalité de l’amour en faisant l’expérience de l’ivresse d’être dans la présence d’une personne qui irradie la félicité de l’Esprit.

62

Le chroniqueur le plus cité de la vie de Sai Baba est N. Kasturi, un professeur d’histoire à la retraite dont l’interprétation des événements est conçue pour charmer le dévot peu inquisiteur avec des références mythologiques. Puisque tout l’exercice est fait pour renforcer la foi, les exigences d’objectivité (comme les sources de ses histoires) sont invariablement ignorées. Ainsi, le lecteur est conduit à croire que ‘’la tonga de Shirdi Baba’’ (conservée dans le musée de l’ashram de Puttaparthi) fut employée par le fakir, alors qu’en fait, cette supposition se base sur l’hypothèse des dévots selon laquelle il l’utilisait sous sa forme astrale. Il faut prendre en compte l’interprétation bourgeoise de Kasturi d’un monde qu’il ne connaît pas directement. Dans son récit, il est remarquable qu’en dépit du fait qu’il soit historien, il préfère esquiver les réalités sociologiques de la pauvreté rurale et se réfugier derrière l’écran de fumée de la mythologie ancienne. Aucune personne qui lira ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’, sa vie de Sathya Sai en quatre volumes, ne devinera que derrière tout le lustre ancien des pionniers pénitentiels, Puttaparthi se situe au cœur de la région en proie au naxalisme, la lutte rurale de l’Inde moderne contre l’exploitation féodale des propriétaires. Kasturi, comme tous les auteurs des Evangiles, s’engage à nous donner la Bonne Nouvelle. Tout comme Jésus prêcha en Terre Sainte dans un contexte turbulent de nationalisme juif (les nationalistes espéraient qu’il serait un Messie violent qui pousserait au renversement de l’armée romaine occupante), Sathya Sai grandit dans une agitation nationaliste pareillement instable, mais à la différence qu’à l’âge de vingt ans, sa patrie se libéra de son oppresseur étranger. La biographie de Kasturi présuppose un public dévotionnel hindou, car il y a des références à Rama et à Krishna et à leurs exploits dans le Ramayana et dans le Mahabharata à chaque page. Il est clair que le jeune gourou et son biographe orthodoxe étaient mus par la perspective de la restauration de la sagesse éternelle de l’hindouisme. Mais leurs espoirs idéalistes de restauration du Rama Rajya seraient tempérés par la nécessité de s’adapter à la réalité de la démocratie moderne.

Sathya Sai Baba est né le 23 novembre 1926, huit ans après la mort de Shirdi Baba, dans une rue étroite d’un village, bordée de constructions basses de pierre et de terre en appentis, que l’on peut trouver dans chaque village de cette région pauvre du sud de l’Andhra. Le premier grand miracle de l’‘histoire de Sathya Sai Baba, c’est comment, à partir d’un départ aussi économiquement peu avenant et d’une situation sociale inférieure, Sathyanarayana (comme on l’appelait) apparut comme l’incarnation de l’idéal spirituel avatarique, le divin descendu sur la Terre pour sauver l’humanité de son mauvais karma. Le deuxième grand miracle, c’est comment, grâce à la pure force de la grâce intérieure, ce jeune Raju vainquit les préjugés qui s’attachent à ceux dont les attributs physiques et la couleur de la peau ne cadrent pas avec la notion de l’orthodoxie de l’idéal aryen (’’noble’’). Le terme sanscrit originel pour caste, varna ou ‘’coloration’’ traduit la superstition ancienne, bien que toujours vivante, que la vertu peut s’identifier à la pigmentation. L’exception réside dans la propagation du mouvement Sathya Sai qui attire des gens de toutes les races.

Comme pour les fondateurs de toutes les grandes missions religieuses, les devins et les vieilles femmes firent leurs choux gras d’analyser les présages qui annonçaient la naissance de Sathya Sai et ce que la science ne peut pas vérifier est facilement remplacé par l’imagination créative. Il faut comprendre le symbolisme du respect

63 religieux ainsi que la compulsion de la religion à embellir – pour la bonne cause – les zones dépouillées en une tapisserie merveilleuse. Comme pour la venue du Christ et du Bouddha, il fut nécessaire pour les chroniqueurs de l’arrivée de Sathya Sai d’ ‘’arranger’’ adéquatement les circonstances socio-économiques qui présidèrent à sa naissance. En Palestine, aucune disgrâce ne s’attache à l’art de la charpenterie et pour Jésus, suivre la profession de son père (de substitution, théologiquement modifié) ne sert qu’à accroître l’émerveillement qui entourait la mangeoire d’une auberge de Bethléem. L’humble naissance du Christ a ajouté énormément à sa stature d’ami compatissant des opprimés, mais cette idée ne touche guère la tradition indienne où la royauté (comme pour Rama, Krishna et Bouddha) est considérée comme le niveau approprié par où le divin devrait entrer dans les affaires humaines. Même chez les Juifs, la vision du Christ montant un âne ordinaire était un affront à la notion du Messie dont la monture adéquate serait un cheval de guerre.

Le grand-père de Sathyanarayana, Kondama Raju, était renommé pour sa piété. Il est connu pour avoir emmené son fils aîné, Pedda Venkappa, en pèlerinage à Srisailam, le site de l’un des douze sanctuaires aux jyotir lingas de l’hindouisme. Shiva y est vénéré en tant que Mallikarjuna, probablement une altération du nom du maître bouddhiste Nagarjuna qui est né dans la région. A l’origine, le sanctuaire, un centre bouddhiste, avait d’abord été repris par les brahmanes et puis plus tard, pendant la période médiévale, par des lingayats non orthodoxes. Après quoi, il devint célèbre en tant que demeure de la sainte poétesse Akka Mahadevi.

Kondama Raju avait des parents dans ces parties plus sauvages de l’Andhra où le brigandage était et est toujours répandu. Il persuada un de ses parents éloignés de venir s’installer près de Puttaparthi et faisant partie de l’accord, la fille du parent, Easwaramma, fut fiancée à Pedda Venkappa Raju. Une photographie de Pedda Venkappa et d’Easwaramma prise beaucoup plus tard, lorsqu’ils accompagnèrent leur illustre fils à Rishikesh en pèlerinage en 1961, montre un couple de villageois typiques – de petite taille et habitués au dur labeur, d’une apparence tout à fait quelconque dans leurs vêtements filés à la maison. Ils ont l’air gauche devant l’objectif et ils semblent submergés par l’attention dont ils font l’objet en tant que parents de Sai Baba.

Les parents de Sathya Sai Baba

64

Les tentatives pour revaloriser les débuts humbles et démunis de Sathya Sai Baba ont été contrées par le poids même des preuves sur le terrain. N’importe qui peut visiter Puttaparthi et enquêter sur le statut familial de cet homme des miracles moderne. Contrairement à beaucoup d’hommes-dieux célèbres qui brouillent les traces de leurs débuts modestes, Sai Baba continue de vivre dans le village de sa naissance avec sa famille et ses parents. Et les faits de sa vie diffèrent souvent ridiculement de ceux qui sont propagés par des chroniqueurs prompts à éloigner la divinité de l’embarras de la pauvreté et à assurer une place à Sathya Sai dans le panthéon orthodoxe.

Les parents sont traditionnellement profondément respectés en Inde et jusqu’à la naissance de leur enfant prodige, ni Pedda Venkappa ni Easwaramma n’étaient connus dans le village pour quoi que ce soit d’autre que les attributs partagés par leurs voisins – la piété des femmes compensant les habitudes plus matérielles de leurs maris. Bien sûr, ultérieurement, des histoires sont apparues qui ont été insérées par les chroniqueurs (sans aucun effort pour les authentifier) pour suggérer des rêves et des visions extraordinaires des parents, mais quelle mère ne rêve pas que son enfant ne soit grand et bon ?

Les photographies de Sai Baba montrent que depuis sa tendre jeunesse, il s’avère être un sujet naturel et coopérant pour le photographe. Tout comme son père et son grand-père avant lui s’étaient réjouis de jouer des rôles de héros religieux pour le théâtre populaire télougou (la famille de Sathya Sai était renommée pour ses adaptations pour la scène de poèmes épiques religieux en télougou), Sathyanarayana Raju s’épanouissait dans toute une gamme de domaines connexes – l’interprétation, la mise en scène et l’écriture de scénarii. L’enfant hérita de l’amour de son père pour la musique et le théâtre télougou fortement influencé par les thèmes de la religion populaire locale amalgamés au plus grand véhicule des épopées hindoues. Bien qu’il interdirait plus tard à ses disciples de se livrer à la polémique, enfant, il prenait un malin plaisir à écrire de la poésie paillarde mettant en exergue l’hypocrisie du prêteur du village.

Sur une photo prise à l’occasion du centième anniversaire de Kondama Raju, Sathya Sai (comme il avait choisi alors de s’appeler lui-même) porte la robe de soie colorée et la couronne de cheveux qui deviendront sa marque d’identité publique. Le vieil homme qui porte pleinement ses ans possède la caractéristique distinctive familiale des grandes oreilles avec des lobes allongés. (Selon les devins, c’est un signe certain d’une personne illuminée !) Ce qui frappe, c’est la posture détendue du petit-fils qui s’appuie familièrement sur l’épaule de son grand-père, comme si c’était celle d’un disciple préféré. Normalement, la coutume indienne ne tolère aucun manque de respect

65 vis-à-vis des seniors ; néanmoins, nous avons ici un adolescent fixant l’objectif avec assurance et annonçant de manière informelle que sa conscience de l’éternité de sa propre âme éclipse l’âge du corps physique de son grand-père.

C’est cette grâce intérieure et cette assurance extérieure démontrée continuellement par Sathya Sai depuis ses premières années qui ont conduit des générations de dévots à conclure que cette personne, malgré ses origines humbles de villageois, incarne un pouvoir impressionnant et immuable. La photographie avec Kondama Raju n’est pas seulement un exemple de contrepoint entre la jeunesse agile et la décrépitude de l’âge. Elle témoigne d’un feu intérieur incandescent dans le jeune homme à côté de sa proche extinction dans le corps qui n’est que trop mortel du vieil homme. Assurément, cet éclat intérieur majestueux aida Sathyanarayana à persuader d’abord les enfants du village, puis les adultes, de prendre au sérieux sa mission de respect compatissant pour toutes les formes de vie. D’autres enfants du village se moquèrent ostensiblement du jeune pilier de bonnes œuvres et le maltraitèrent pour avoir tenté d’apporter son idéalisme à leur niveau fruste et terre-à-terre. Lui, toutefois, possédait la force intérieure d’un chef né avec un charisme si puissant qu’il devint une source d’irritation pour son père qui ne pouvait pas comprendre la raison de la nature sociable de son fils.

Contrairement au père qui était mal à l’aise et craintif quand il était confronté à l’autorité, le fils avait une confiance absolue et faisait face aux adultes avec un calme qui suggérait non seulement une vieille âme, mais encore une âme très remarquable ! A l’école, il était un étudiant modèle et il apprenait si vite qu’on l’aurait jugé précoce, si ce n’est que ses intérêts ne résidaient pas dans le savoir officiel, mais dans la compréhension directe de la nature de l’âme. La dernière chose que son père à court d’argent, qui vivait dans un petit espace avec une grande famille élargie voulait, c’était un fils rêveur, non productif. La famille de Pedda Venkappa dut beaucoup sacrifier pour éduquer leur fils aîné, Seshama Raju qui, dans la tradition familiale, s’avéra être un brillant étudiant en télougou et obtint le titre de ‘’vidvan’’ pour devenir un enseignant de la langue. Il apporta à la famille l’argent dont elle avait tant besoin, alors que les talents de Sathyanarayana, encore plus brillants, paraissaient se dissiper dans son souci d’aider les autres plutôt que de prolonger sa propre scolarité. Il n’y a rien de plus exaspérant pour des parents pauvres que d’avoir un fils doté de pulsions généreuses et de la conviction que le Tout-Puissant fera marcher la Providence.

Il y avait conflit entre la nature charitable du garçon et l’insistance du père pour qu’il s’en tienne à une scolarité normale. La mère était plus compréhensive. Néanmoins, elle se désolait que son fils exceptionnellement tendre attire une telle attention non désirée à cause de son comportement distinctement étrange. Depuis un âge précoce, il avait cette habitude déconcertante de matérialiser des bonbons, des fruits et des petits objets comme des stylos pour ses camarades de classe et si on lui demandait d’où il tenait ces objets, il disait que c’était des cadeaux de la déesse locale du village. (La Sai Parampara privilégie la matérialisation de souvenirs dévotionnels et les appelle des ‘’cartes de visite’’ du royaume immortel où nos âmes ont leur vraie demeure. Le but est d’amener les sceptiques à la conscience qu’à son niveau le plus essentiel, la religion ne concerne pas le fait qu’un homme croie en Dieu, mais qu’il ait fait

66 l’expérience qu’il est plus que son corps.) Plus tard, un tamarinier situé sur une colline produisit pour ses fidèles de la première heure un mélange de différents fruits. Ce ‘’’’ (arbre-à-souhaits) est l’une des quelques connexions musulmanes de Puttaparthi, puisque le tamarinier est révéré par les musulmans, alors qu’il n’est pas considéré comme sacré par les hindous. Particulièrement intrigante était l’habitude du garçon de remuer sa paume tournée vers le bas dans une série de petits cercles vigoureux d’où, comme attirée hors d’un vortex, une cendre fine presque blanche apparaissait entre le pouce et l’index. Aux yeux du simple spectateur, cela pouvait ressembler au tour de passe-passe d’un magicien professionnel, s’il n’y avait ce sentiment de béatitude engendré par le jeune Swami (comme on l’appellerait bientôt). Alors que la magie utilise la dextérité manuelle et la lenteur des réactions humaines pour tromper, le don dont Sathyanarayana faisait preuve était celui de l’âme. Il lui fallait investir de l’énergie psychique pour matérialiser la vibhuti ; ce n’était pas qu’un simple truc matériel. Devant la magie de Sathya Sai, l’esprit comme l’âme sont envahis par un sentiment d’émerveillement. Le sentiment est totalement différent. C’est un sentiment de profondeur plutôt que celui d’une supercherie..

Que signifie cette substance et pourquoi ceux qui la reçoivent la chérissent-ils ? Il semblerait que la vibhuti fut la première preuve tangible du lien entre Shirdi Sai et Sathya Sai. Pendant plus d’un demi-siècle, le fakir de Shirdi s’était occupé de son

67 dhuni, le feu sacré, dans sa mosquée. C’est la coutume chez certaines sectes de saints hommes non orthodoxes (ainsi que le devoir des prêtres parsis) d’entretenir un feu comme symbole de l’énergie sous-jacente de la vie, un écho de l’immortelle inspiration du soleil au-delà de toutes les inquiétudes mortelles, un moyen de diriger plus en profondeur notre regard vers le royaume spirituel où brûle le ‘’feu domestique’’ de l’âme. La production ou la matérialisation de cette cendre sacrée a le pouvoir de susciter l’émerveillement chez la personne ordinaire, dont la conscience des forces infinies cachées dans son âme est occultée par le train–train anesthésiant de la routine quotidienne. Nous savons tous à un moment ou l’autre de notre vie que nous sommes plus que le corps. Le chamatkar (déploiement de pouvoirs miraculeux) de Sathya Sai ranime cette conscience en démontrant la réalité du royaume psychique par lequel la manifestation physique peut être reliée à sa source spirituelle.

Les intérêts étranges de Sathyanarayana et son comportement encore plus étrange forcèrent son père à conclure qu’il était possédé. Inconscient du pouvoir réel qui était à l’œuvre et manquant du discernement pour reconnaître la vraie religion, Pedda Venkappa emmena le garçon chez un shaman pour l’exorciser de ses démons. Ceci consista en un rite religieux des plus crus. Le garçon fut humilié et traumatisé en étant placé dans une fosse de purin liquide jusqu’au cou, puis torturé, sa tête étant entaillée et des potions acides frottées dessus, alors que le charlatan tantrique hurlait et tempêtait pour impressionner la famille de peu de foi. Hormis la probabilité que son ouïe ait été à jamais endommagée, l’imperturbable Sathyanarayana sortit de l’épreuve sans montrer le moindre signe de repentir.

Son comportement et sa largesse qui sortaient de l’ordinaire continuèrent et pourtant, la rigidité des perceptions du père refusa de céder. L’impuissance du père devant la popularité croissante de Sathyanarayana dans la localité et son adoption de ce qui paraissait être des airs spirituels dépassant le statut d’un Raju rendirent la confrontation inévitable. Furieux de devoir se purifier avant d’entrer dans la présence de son fils paysan, le père fit mine de le frapper à l’aide d’un lathi – le dernier argument des paysans. Les adeptes du garçon étaient à présent trop nombreux et trop zélés pour permettre qu’une blessure ne soit infligée à leur jeune Maître et le parent désarmé ne put que bredouiller un ‘’Qui es-tu ?’’ déconcerté.

On parvint à un compromis entre le fils spirituellement précoce et sa famille déconcertée. Il reviendrait d’Uravakonda (la ville voisine où il habitait chez son frère aîné) à Puttaparthi, mais selon ses termes : il vivrait tout près, mais pas chez ses parents et il serait libre de suivre sa mission religieuse. Bien que ses parents puissent ne pas avoir eu le même niveau de compréhension que leur fils, ils firent preuve d’un remarquable sang-froid, quand ils furent confrontés à cette énigme déroutante. Il aurait été facile pour les deux parties de rompre la relation en prenant la mouche. De toute manière, la société indienne encourage ceux qui ressentent le désir de découvrir Dieu à trancher tous les liens, non seulement avec leurs proches, mais avec la société qui leur est familière. La robe rouge brique du sannyasin hindou est censée représenter la couleur des flammes de son bûcher funéraire et signifie que le chercheur est maintenant mort à toutes les inquiétudes matérielles.

68

La famille de Sathyanarayana eut la sagesse d’accueillir leur fils ‘’étranger’’ comme un hôte à Puttaparthi pour montrer que, bien qu’elle ne comprenait pas son statut spirituel, elle avait l’intuition de son génie et qu’elle était prête à risquer de l’honorer en public. Ce fut un grand pari de leur part, car la campagne indienne connaît les faux gourous et ceux qui ont la grosse tête à cause de leur capacité à exhiber ce siddhi (pouvoir) de matérialisation que leur fils possédait.

On peut créditer Sathyanarayana d’avoir aussi eu une confiance implicite dans la parole de sa famille qu’elle n’interférerait pas avec sa vocation. C’était toujours un adolescent qui requérait une attention parentale. Cela aurait pu être une situation explosive. Seuls ceux qui ne connaissent pas les exigences astreignantes que la famille hindoue élargie impose à ceux qui sont à sa charge de se soumettre entièrement aux ordres de leurs aînés ne pourront pas voir combien ce traité entre Rajus était révolutionnaire. Il offensait la coutume religieuse locale et il contredisait toutes les normes sociales. Pourtant, cela se produisit et cela se passa calmement – un commentaire extraordinaire sur la qualité intérieure de cette famille et la meilleure preuve d’où provenait la grâce innée de Sai Baba.

Nous n’avons pas besoin de l’intervention mythologique d’anciens rishis qui prédirent de grandes choses pour les villages de Shirdi et de Puttaparthi et nous n’avons pas non plus besoin d’instruments de musique qui jouent tous seuls pour annoncer la naissance d’un sauveur. Le simple miracle d’un honnête fermier et de sa femme qui accomplissent leur dharma pour le bien-être de leur enfant prodige à l’encontre de leurs meilleurs instincts est la plus belle preuve d’une source divine qui est à l’œuvre. D’après certains, leur statut spirituel peut avoir été exagéré avec la construction de temples sur leurs restes, mais le fait demeure que Venkappa Raju et Easwaramma incarnaient une générosité rare. Ils acceptèrent de nouveau leur fils en lui offrant la liberté et l’amour, les choses mêmes qu’il était de la mission de Sathya Sai d’encourager chez ses adeptes.

Le samadhi (tombeau) des parents de Sathya Sai Baba

69

***

La première mention du nom Shirdi Sai apparaît dans la vie de Sathya Sai, lorsque le jeune Sathyanarayana forma un groupe de chanteurs de bhajans basé sur la tradition varkari de Pandharpur et il était fait référence à Shirdi dans les hymnes qu’ils chantaient. En rapportant ce fait, Kasturi pose la question : ‘’Comment ce petit garçon fut-il inspiré par ce fakir musulman ( ?) ?’’ En insérant le point d’interrogation après le mot musulman, il trahit le même instinct orthodoxe d’hindouiser le saint qui caractérise les premiers dévots de Shirdi. C’est révélateur du fait que même des chercheurs très cultivés proches du gourou rechignent ou sont incapables de laisser tomber les étiquettes religieuses. Kasturi fut d’abord un sceptique et, comme c’est souvent le cas avec les convertis, il devint le plus fidèle des croyants. Chose intéressante, dans l’édition de la biographie publiée aux Etats-Unis où l’auteur pouvait s’attendre à un public plus critique, le point d’interrogation après ‘’musulman’’ a disparu. Elle inclut toutefois la revendication – par insinuation – que Shirdi Sai portait une robe ‘’orange’’, alors qu’il est bien attesté par des contemporains hindous que le kafni de Shirdi Sai était incolore. Autre détail potentiellement trompeur, Kasturi rapporte comment Shirdi Baba s’installa dans les ruines d’un temple, une erreur pouvant traduire d’autres vieux pieux.

En 1940, à l’âge de 14 ans, Sathyanarayana annonça qu’il n’appartenait pas au clan Raju et qu’il était Shirdi Sai revenu sur terre. ‘’Je suis Sai Baba’’, dit le garçon à Uravakonda. A première vue, le contraste entre le personnage peu soigné et irascible du fakir de Shirdi et du garçon de Puttaparthi, pauvre, mais impeccablement propre et bien élevé semble exclure toute similitude de but ou de point de vue. Personne à Puttaparthi n’avait entendu parler du fakir de Shirdi, mais l’on découvrit un dévot en la personne d’un petit fonctionnaire de la proche Penukonda et des émissaires de la famille de Sathyanarayana furent envoyés pour voir si cette personne pouvait reconnaître une authenticité dans les affirmations du garçon d’être une réincarnation. Le dévot les déçut en ne trouvant aucune ressemblance. Il suggéra obligeamment que le garçon soit placé dans un asile d’aliénés ! Néanmoins, à cause de leur acceptation ancienne de la doctrine de la réincarnation, les revendications de Sathya Sai étaient d’une nature que l’Inde villageoise put apprendre à digérer après le choc initial.

A cette époque, Puttaparthi était un bled sale et délabré où les pauvres n’avaient pas d’autre choix que de souiller leur environnement. En dépit de cette pauvreté et de cet air de désolation, la graine de l’Esprit rencontra ici un sol fertile, comme pour démontrer qu’aucun défi n’était trop grand pour le pouvoir créateur de la vie. ‘’Vous êtes nés pour apprendre comment ne plus naître à nouveau’’ était la portée du message de Sai Baba, modifiant le point de vue indien traditionnel que (la libération) est le but de la religion. (La libération implique le rejet d’un esclavage, tandis qu’apprendre la nature de l’âme mène à la réalisation.) Le chef du village de Puttaparthi était un brahmane et sa femme, Karnam Subbamma fut la première à reconnaître et à encourager les dons spirituels de Sathyanarayana. C’est Subbamma qui offrit un terrain pour construire une hutte à l’écolier devenu Swami, d’où il lança sa mission. Plus tard, Sathya Sai emménagea dans un long hangar avec un toit en zinc (qui sera appelé ‘’le Vieux Temple’’) au bout de la ruelle où il est né.

70

Aujourd’hui, le site est marqué par le mémorial de son père. Le site où se développa l’ambitieux ashram de Prasanthi Nilayam fut inauguré à l’occasion de l’anniversaire de Baba, en 1950.

71

Au départ, le travail fut effectué par le gourou et par le dur labeur personnel des volontaires. Quand le problème de transporter des poutres s’avéra impossible à résoudre en raison du terrain difficile, Sathya Sai intervint pour donner des conseils d’ingénierie et s’installa même à côté d’un grutier pour soutenir l’élan du travail. Cette implication personnelle dans chaque détail du campus naissant allait de pair avec son intérêt pour le développement du village de Puttaparthi où les membres de sa famille résident encore et comptent parmi ses dévots les plus proches.

72

CHAPITRE 7 : FORTE ASCENSION SPIRITUELLE

Même dans les premiers jours, ce qui était remarquable à propos du jeune gourou de Puttaparthi, c’était son assurance inébranlable et insondable. A la différence d’un entrepreneur qui prend un énorme risque dans son investissement qui peut ou qui peut ne pas payer, le jeune Sathya Sai semblait savoir exactement où il allait, tout comme d’autres prodiges de la nature dotés de talents impressionnants. Nulle part dans la carrière de Sathya Sai, on ne peut détecter la moindre défaillance de vision ou le moindre retard. A partir de débuts pauvres et primitifs, sa marche a été une marche triomphale qui a culminé dans le but apparemment inatteignable d’être accepté comme un instructeur mondial, avec un panache quasiment détaché.

La nature miraculeuse ou certainement supranormale de Sai se reflète dans le déroulement calme et résolu du programme de développement de la prospérité de son village. Un trait notable du jeune Maître est qu’il ne tolérait aucune interférence avec le déroulement de son plan magistral. D’où provenait la confiance de ce jeune homme encore gauche ? Il écoutait les conseils, mais plus, semblait-il, par politesse que parce qu’il en avait besoin. Les disciples âgés avec une vie entière d’une haute expérience administrative apprirent vite que le seul avis qui comptait était la confirmation de la propre décision de Sathya Sai. Après avoir servi de grandes figures du gouvernement, ce fut un choc pour ces conseillers de découvrir un jeune homme qui non seulement connaissait son propre esprit, mais qui connaissait l’esprit de ceux qui cherchaient à le conseiller.

C’était comme si Sathya Sai avait visualisé le vaste campus de l’ashram de Prasanthi Nilayam et son propre rôle depuis le début, pas nécessairement à partir de l’omniscience associée au rôle d’un Avatar, mais à partir d’une foi pleine d’assurance en sa vocation. Convaincu d’être le véhicule choisi des pouvoirs divins de Shirdi Baba, il abandonna sa personnalité à l’influx de l’Esprit, sachant que cela ne pouvait conduire qu’à un résultat compatissant. En plus d’être le catalyseur du développement extérieur spectaculaire de Puttaparthi, il était le témoin intérieur qui inspirait sa direction spirituelle. Aucun de ces rôles ne draina son énergie, ils la rechargèrent plutôt. C’était comme s’il savait que lui et sa mission étaient envoyés par le divin et que son travail n’existait que pour réaffirmer la main de l’Esprit. Le développement de la ‘’Demeure de Paix Suprême’’ de Baba se produirait parce que la grâce voulait qu’il se produise. Ce

73 puits infini de foi auquel le jeune gourou puisa pour façonner le début de sa mission aide à expliquer pourquoi il semblait toujours imperméable aux soucis et à l’agitation qui semblent assaillir la plupart des ashrams qui tentent d’équilibrer leurs programmes et leurs budgets. L’Institut de Gurdjieff connut toujours des difficultés financières et il finit par péricliter par incapacité à payer le loyer. Le crash laissa toutefois Gurdjieff imperturbable. Comme Sathya Sai, il comprenait la bienveillance fondamentale de la force de vie et il savait que l’enseignement profond ne peut jamais dépendre de structures extérieures.

Sathya Sai semble indifférent à l’enseignement, intrinsèquement. D’une manière mystérieuse, il incarne l’enseignement lui-même. Il n’a pas de gourou, parce qu’il n’en a pas besoin. Il est né, non pour enseigner, mais pour être. L’enseignement se trouve dans sa manière d’être. Ceci explique pourquoi les intellectuels ont eu tendance à considérer la philosophie de la Sai Parampara comme plutôt confuse, sans position ferme et comme faisant preuve de peu de respect pour les subtilités scolastiques. Mais pourquoi devrions-nous lire un texte sans vie, quand l’auteur vivant se tient devant nous ? Etre un nouveau prophète qui annonce une nouvelle religion n’est pas la tâche spirituelle de Sathya Sai. En réaffirmant les préoccupations compatissantes de Shirdi Baba, le Maître de Puttaparthi prêche l’unité essentielle de toutes les religions. Bien que la mission de Sathya Sai semblait se diriger vers l’orthodoxie dans les premiers jours, c’était une tactique nécessaire pour engranger le poids de l’opinion respectable. En réalité, Sai lui-même ne prend parti pour aucune ligne religieuse particulière, mais il nous encourage à reconnaître ce qui est commun à elles toutes. Il nous faut célébrer la joie de l’Esprit sans nous soucier des différentes formes et étiquettes des bouteilles qui renferment l’élixir.

C’est la raison pour laquelle il y a si peu de signes religieux extérieurs à Puttaparthi : pas d’initiation formelle, pas de conversion, pas de texte sacré, pas de credo, pas de rituel, pas d’endoctrinement, pas de clergé, pas de temple, pas de boite pour les donations. Le but est de faciliter la fusion de l’âme avec son Créateur. Le grand stimulus est la présence de Sai Baba lui-même, dont l’amour cosmique presse la terre du Deccan, exhalant une grâce surnaturelle. Il n’y a pas de religion Sai, seulement l’amour de Sai. Le but du nouveau campus prévu depuis le début par le jeune saint est de nous défaire de nos petites certitudes confessionnelles pour pouvoir faire l’expérience de l’Esprit essentiel qui guide toutes les religions du monde. C’est pour cette raison qu’au cœur du campus se trouve le Sarva Dharma Stupa érigé avec la sueur et le labeur des résidents de l’ashram qui s’alignèrent comme une chaîne de forçats pour se passer les matériaux de construction, symbolisant comment la congrégation avait accepté la responsabilité d’une sorte de clergé auto ordonné. Beaucoup de volontaires sentent que leur flux de dévotion pour Sai Baba les élève au niveau d’agents du divin. Le pilier et son lotus épanoui qui respecte toutes les religions s’élève comme un symbole de l’indivisibilité de l’amour.

74

Beaucoup de visiteurs de l’ashram dénigrent de tels panneaux indicateurs idéalistes et montrent du doigt les frustrations, l’amertume et les animosités personnelles qui marquent les relations entre les dévots. Ils négligent la possibilité que ces imperfections peuvent être la meilleure preuve d’une transformation mentale et spirituelle. Un ashram où il n’y a pas de friction ne fait simplement pas son travail de changer les gens. Un tel processus est douloureux et des étincelles voleront. Comme pour toutes les relations qui se basent sur un amour intense, la jalousie n’est pas loin, surtout s’il semble que le Maître ait ses préférences. Chaque dévot a son propre niveau de conscience. Seulement ceux qui ne se satisfont pas d’être les témoins passifs de leurs faiblesses s’efforceront de comprendre pourquoi leur comportement ne correspond pas à l’idéal. Le conditionnement d’enfance de la caste et de la croyance n’est pas facile à vaincre et les dévots se rassemblent ici pour essayer. Qu’ils échouent est souvent vrai, mais devant eux, il y a l’exemple du Maître qui, s’étant élevé au- dessus de la clameur du monde, réside dans l’éclat stable de l’Esprit.

Ce que Sathya Sai a accompli pour son village, il a l’intention de le réaliser pour le sous-continent. La religion conventionnelle, telle qu’elle est pratiquée a lamentablement échoué dans de nombreux domaines, d’où son appel à redécouvrir l’amour et à entretenir un respect compatissant pour l’ensemble de l’humanité.

***

Contrairement au Bouddha et au Christ qui atteignirent la maturité avant de se lancer dans leur mission, Sathya Sai commença à enseigner à l’âge tendre de 14 ans. L’Inde connaît bien le phénomène du bal brahmachari, le jeune saint dont la mission commence en fanfare, mais qui s’essouffle quand la fraîcheur du dévouement de la

75 jeunesse s’use. Peu de saints ont connu une mission aussi longue et constante que Sathya Sai dont la côte de popularité ne cesse de grimper. Le mode de vie du saint a peu changé en soixante années de pratique. Tout désir de confort physique a été réduit au minimum et le temps de Baba est entièrement consacré au bien-être d’autrui. Dans cette version de Puttaparthi de la sainte communion, il semble que Maître et disciples bénéficient de leur compagnie mutuelle, le Maître répondant à l’amour offert et le disciple rechargeant la batterie de son âme. Ceci n’est pas une vaine analogie. Beaucoup de dévots expérimentent cette recharge comme une réalité physique. Comme la femme qui toucha l’ourlet du vêtement du Christ et qui se sentit instantanément guérie, beaucoup de nouveaux arrivants se sont sentis régénérés. La présence électrisante de Baba est le secret qui se cache derrière toutes ces années d’adulation croissante et elle explique l’augmentation exponentielle de ses disciples. Le contact physique avec cette personne dont la propre batterie ne semble jamais se vider est un tonique. Un simple aperçu furtif de l’aura de Sathya Sai fait frémir l’âme du dévot.

Au départ de sa mission, Sathya Sai vivait avec ses dévots et partageait leur espace physique. En 1945, il emménagea dans ce qui serait connu comme le Vieux Mandir, un long hangar disposant d’un rideau à une extrémité pour lui offrir un peu d’intimité lors de ses entretiens avec ses disciples. Des rencontres individuelles avec des visiteurs sélectionnés ont toujours été la marque de la méthode d’enseignement de Sathya Sai. Au cours de ces entretiens, il ‘’produit’’ invariablement des souvenirs comme des bagues, des médaillons et des ornements avec son effigie ou celle de Shirdi Sai. Mais il peut également produire des médicaments et même donner un traitement pour ceux qui souffrent de maladies chroniques. Les entretiens attendrissent les dévots qui sont choisis au hasard. Plus tard, une véranda fut annexée à cette structure pour loger le nombre croissant des visiteurs. Vers le milieu des années soixante, il y en avait tellement qu’ils dormaient par terre à l’extérieur, partageant l’espace avec les serpents et les scorpions. Apparemment, les scorpions de Puttaparthi sont réputés pour leur taille et pour leur piqûre et ceci décida de nombreux destins. Seuls ceux qui étaient prêts à affronter de tels dangers physiques restèrent.

A cette époque, Baba se rendait sur la rive de la Chitravati toute proche pour ses causeries du soir qui, à l’occasion, pouvaient être ponctuées et rendues mémorables par la production d’images divines extraites du sable du lit de la rivière. Malgré son nom séduisant, la Chitravati n’est qu’un cours d’eau strictement saisonnier et après quelques mois de sècheresse quasiment désertique, elle peut brusquement faire une crue. Immanquablement, certaines personnes considéraient ceci comme une intervention miraculeuse de Baba, alors que l’hydrologie du district rendait prévisible la tendance aux crues éclairs.

76

Sai au bord de la rivière Chitravathi

Sai et ses fidèles sur les sables de la Chitravati

77

Sai matérialise une idole en or de Krishna qu’il extrait du sable de la Chitravati

La majorité des premiers visiteurs étaient des pauvres des villages des alentours, mais comme des nouvelles sur la nature de Sai circulaient – dans la mesure où il produisait quotidiennement de la vibhuti et d’autres petits objets à volonté – les visiteurs se mirent à venir de plus loin. Le frère de Sai Baba fut contrarié, lorsque certains de ces riches visiteurs emmenèrent Baba à Bangalore et à Mysore dans leurs voitures, craignant que son frère ne se laisse corrompre en étant parachuté dans la vie inhabituelle d’une grande ville. Comme son père, le frère aîné était conformiste dans ses vues et il était incapable de sonder le caractère imperturbable de l’âme de Sathya Sai. Rien n‘arriva au garçon. Sa tête ne tourna pas et il ne fut pas impressionné par autre chose que par la dévotion authentique de ses hôtes. A l’inverse de ses aînés, il savait que la dévotion n’avait rien à voir avec le statut social, l’âge ou la richesse. Après ces voyages à l’extérieur de Puttaparthi, la renommée du jeune saint se propagea dans tout le sud et d’autres visites plus distantes suivirent inévitablement en réponse aux prières des dévots.

Kasturi a décrit le tournant le plus significatif de la carrière du jeune gourou. Sathya Sai qui visitait fréquemment Tirupati, charma le Raja Sarvagna Kumar Krishna Yachendra de Venkatagiri, un petit Etat renommé culturellement situé près de Kalahasti, non loin de Tirupati. Le raja était un hindou sincère et orthodoxe, si captivé par la présence de Sai Baba qu’il n’avait pas honte de le déclarer en public. Quand Baba visitait Venkatagiri, le raja se roulait dans la poussière devant la voiture du saint pour démontrer spectaculairement la croyance traditionnelle selon laquelle le vrai roi

78 est celui qui possède la capacité de reconnaître la vraie grandeur. Evidemment, ce comportement royal exagéré fut rapporté au loin et à cause de l’estime que lui portait la société orthodoxe, la reconnaissance du raja du statut spirituel de Sathya Sai intrigua beaucoup d’hindous qui n’avaient entendu que des rumeurs au sujet de ce faiseur de miracles rustique. L’avisé raja comprenait les stigmates attachées à la caste du jeune Maître et il s’attela habilement à rénover les qualifications socioreligieuses de Sathya Sai. En 1957, une conférence réunissant pandits et érudits fut organisée à Venkatagiri et Sathya Sai fut présenté à une assemblée critique comprenant des hauts personnages de l’orthodoxie hindoue. Le charme qui avait conquis le raja gagna l’assemblée et tous repartirent stupéfiés par l’assurance du jeune gourou, par son érudition manifeste et par son indiscutable autorité. Le raja de Venkatagiri et Sathya Sai

Sathya Sai avec Swami Shivananda

Après cela, Sai Baba fut invité à Rishikesh pour y rencontrer Swami Shivananda, un pèlerinage qui marqua son entrée dans la culture hindoue traditionnelle. Swami Shivananda était un docteur provenant de Malaisie, originaire du sud de l’Inde, généreux, sympathique et qui avait beaucoup de relations. Quand je visitai son ashram

79

(l’année de la deuxième visite de Baba), je remarquai que le swami solidement bâti remettait une pile de ses propres livres à chaque visiteur. Il avait de l’énergie et de la bonne humeur en abondance et il accueillait chaleureusement les pèlerins de toutes les religions dans son ashram. Fait révélateur, les swamis qui remirent l’invitation conseillèrent à Baba d’attendre à Puttaparthi avant de s’aventurer dans le nord. Ils connaissaient bien les préjugés et la jalousie qui existent entre les différentes écoles et ashrams et ils durent d’abord convaincre leurs propres gourous que ce jeune saint était un Maître authentique digne du respect populaire hindou. Jusqu’alors, la rumeur l’avait décrit comme un magicien, un garçon qui attirait l’attention du public, non pas à cause de son enseignement, mais à cause de ses pouvoirs psychiques.

Cette visite à Rishikesh fut suivie quatre ans plus tard par le pèlerinage ardu à Badrinath en compagnie du gouverneur de l’Uttar Pradesh. Faire partie de l’entourage d’un gouverneur est une marque de responsabilité aux yeux du grand public. Il y a quelques années à peine, comme le saint de Shirdi, le saint de Puttaparthi devait se satisfaire de petits fonctionnaires à la base de la pyramide de l’autorité politique de l’Inde.

Le darshan de Badrinath fut marqué par la matérialisation inattendue d’un spécial du Kailash, inattendue parce que le temple est consacré à Vishnou. Cet incident révèle à quel point les Indiens du sud sont peu conscients des réalités historiques du nord. Kasturi affirme que Shankaracharya avait établi le Jyotir Math (la résidence d’hiver de la déité) ‘’pour contrer les influences bouddhistes qui menaçaient de filtrer pas le Col de Mana’’, mais le bouddhisme était à peine arrivé au Tibet pendant cette période. Une autre affirmation douteuse (faite par les prêtres de Badrinath) est que les bouddhistes avaient jeté l’idole de Badrinath dans la rivière et que Shankaracharya l’avait ensuite réinstallée. Cependant, l’idole vénérée à Badri est en réalité celle du Bouddha, alors pourquoi les bouddhistes l’auraient-ils jetée ? (La posture padmasana du Bouddha est cachée à la vue des pèlerins par des offrandes florales.) Kasturi explique pourquoi Baba a produit un lingam dans un sanctuaire vishnouite. Il dit que Vishnou avait ‘’eu recours à un stratagème’’ pour prendre possession de ce qui était à l’origine un sanctuaire shivaïte. C’est la même expression utilisée par les historiens pour expliquer la prise de contrôle brahmanique du sanctuaire bouddhiste de Srisailam. En Inde, la prise de contrôle d’un sanctuaire a toujours été banale, mais les hindous orthodoxes préfèrent attribuer cette coutume aux monothéistes.

80

Entre ces visites au nord, Baba a voyagé dans la région deltaïque de l’Andhra et il reçut un accueil enthousiaste partout où il se rendit. Sa réputation de Maître augmentait et lentement mais sûrement, elle dépassait sa réputation de simple faiseur de miracles qui datait de son enfance. Il consolida sa base orthodoxe lors de ces premiers voyages missionnaires à travers l’Andhra, ses talents poétiques en télougou servant à merveille son dessein. Dans ses discours, il devait suivre une ligne conventionnelle pour être pris au sérieux, reprenant ainsi le dicton de Shirdi Baba selon lequel si vous voulez que les gens entendent ce que vous avez à dire, vous devez d’abord leur dire ce qu’ils veulent entendre. En pratique, cela se traduisait par le fait que Baba régalait son public par des mythes tirés des Puranas. Une fois qu’il avait conquis leur attention, il introduisait les intuitions spirituelles plus profondes des Upanishads. Cette transition vers un niveau de compréhension plus profond nécessitera toutefois toute une génération.

Une visite à Srisailam en 1963 fut suivie, deux ans plus tard, par le darshan de Vitthal, la plus égalitaire des déités hindoues, de Pandharpur. Beaucoup de bhajans chantés à Puttaparthi recapturent l’ambiance de dévotion champêtre unique de Pandharpur. Ceci fut suivi par une retraite controversée dans l’orthodoxie rituelle sur la côte orientale de l’Andhra où Sathya Sai présida un yagna complexe au cours duquel 200 000 cuillerées de furent offertes au feu. L’inde moderne est prompte à voir le contraste étrange entre les paysans affamés et les propriétaires narcissiquement religieux qui gaspillent les fruits de la terre dans des rites védiques compliqués. Cependant, dans cet exemple, les victimes affamées étaient de pauvres brahmanes dont les moyens d’existence dépendaient de l’accomplissement des rituels. Tous avaient été rendus inutiles, leurs

81 devoirs dharmiques balayés par la modernité. En se faisant le champion de leurs droits, Sai Baba peut avoir agité les supporters de la gauche, mais il a moissonné une riche récolte en obtenant les sympathies populaires hindoues.

Sai Baba était bien conscient qu’une guerre populaire était en train d’être livrée à l’extérieur de la riche région deltaïque de l’Andhra. Mais il savait que sans le soutien des riches propriétaires, il ne pourrait pas étendre sa mission aux régions plus difficiles de l’Etat. Il avait une vision à long terme de la lutte du peuple contre l’injustice, réalisant comme Gurdjieff que prendre position rigidement n’aiderait personne. Gurdjieff avait continué sa mission en pleine prise de pouvoir bolchevique de la Russie tsariste. Conscient de la nature éphémère des changements politiques, il veilla à rester amical avec les deux parties, mais sans se rapprocher trop près d’aucune. S’il avait pris parti, il aurait été éliminé. Grâce à sa prévoyance, maintenant que le communisme a disparu, ses enseignements remarquables sont toujours disponibles pour le chercheur.

En contentant les sentiments religieux des propriétaires, Sathya Sai créa un fond de bonne volonté soutenu par une promesse de souscrire à sa mission. Mais le problème de flirter trop près avec l’extrémité réactionnaire de la société était que Sai Baba était parfois décrit comme ressemblant désagréablement à un zélote hindou. Des remarques comme ‘’le reste de la communauté ne se soucie que de se nourrir et de se reproduire’’ auraient pu être facilement mal interprétées comme une critique des non hindous. A l’occasion de la création de l’Académie Indienne des Erudits Védiques en 1965, Baba évoqua la déesse Bhavani qui donna une épée à Shivaji pour ‘’soutenir l’hindouisme’’. Cette allusion subliminale d’une riposte militante contre l’épée de l’islam fut très appréciée par les brigades de l’Hindutva et la mission de Sai Baba fut invitée à s’allier au Vishwa Hindu Parishad, le mouvement enthousiaste de l’activisme anti- minorités. Ses dirigeants seraient régulièrement présents dans la véranda du mandir de Puttaparthi dans les années qui suivront, mais leur influence ne pénétra pas plus loin.

En 1967, Baba se rendit en excursion à Jamnagar dont la famille régnante était devenue ses proches adeptes. Etant un ancien Etat beaucoup plus riche que Venkatagiri, il pouvait offrir les insignes de la royauté qui ont toujours ravi la Sai Parampara. Nous avons déjà vu l’amour de Shirdi Baba pour les processions cérémonielles, parce qu’elles donnent de la couleur à la vie de village terne. Le don le plus populaire qui a été fait à Puttaparthi doit être la magnifique jhula en argent offerte par la rajmata de Jamnagar. Sai Baba s’y balance rituellement chaque année le jour de son anniversaire dans une affirmation élégante de la tradition vishnouite de Kathiawad concentrée dans la ville de pèlerinage de Dwarka. La rajmata de Jamnagar s’avéra être une donatrice tellement

82 généreuse dans la construction de Prasanthi et de Whitefield que Baba la récompensa par une maison près de la sienne dans les deux ashrams.

1968 fut marquée par le seul et unique voyage de Baba à l’étranger – en Ouganda. La visite fut remarquable pour l’accueil trépidant que les Africains réservèrent à Baba. Parmi les plus accueillants, il y avait le chef de la défense, Idi Amin, qui dansa devant la voiture de Baba. La classe commerciale indienne qui avait invité Baba fut exhortée à se montrer plus sensible aux sentiments du pays hôte, de peur que la jalousie de la réussite indienne ne se mue en hostilité. Quatre ans plus tard, la prédiction de Baba concernant l’Ouganda s’avéra juste. Les Asiatiques furent expulsés et leurs affaires reprises.

Sai et ses fidèles africains

Sai en touriste sur le Nil et dans le Parc National Murchison Falls

83

Après son retour en Inde, Baba se rendit à Anantapur afin d’acquérir le terrain pour le projet de collège pour jeunes filles. Ceci marqua la grande percée de son programme de développement pédagogique et ajouté à l’hôpital qu’il fonda suite à la prière de sa mère, au départ de sa mission, ceci révèle l’intérêt de Baba pour le bien-être physique de la communauté en général.

Cet hiver-là, Sai Baba élargit sa base en entrant dans le fervent pays shivaïte du nord du Kanara en convainquant les gens au point de leur enseigner des hymnes en l’honneur de Krishna qu’ils chantèrent dans leurs temples. Bien que cela semble un beau coup régional, mais mineur, ce fut en réalité un coup révolutionnaire, car Sai Baba put assouplir des siècles d’orgueil spirituel inflexible. Ensuite, il y eut la visite à Goa, où il séjourna chez le gouverneur Nakul Sen et sa femme Indu qui étaient des adeptes de l’ashram d’Aurobindo de Pondichéry. Nakul Sen était hautement considéré pour son sens administratif. Un miracle médical eut lieu au cours de ce séjour dont Nakul Sen fut le témoin et qu’il vérifia. Baba refusa d’être opéré et se guérit lui-même

84 d’une crise d’appendicite aiguë, apparemment par sa propre volonté – à la barbe de tous les pronostics des professionnels. Parce que le gouverneur était réputé pour son intégrité, cet évènement reçut une large couverture médiatique.

Baba visita encore l’Inde du nord dans les années septante, quatre-vingt et nonante. Il était l’hôte idéal, car il n’était pas exigeant, mais généreux de toutes les manières possibles avec son temps et son énergie. Riches et pauvres des villes et des villages venaient le voir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et il leur donnait son darshan chaque fois qu’il le pouvait. Ceux qui n’avaient entendu que les rumeurs habituelles selon lesquelles il n’était qu’un magicien noir étaient impressionnés par la modestie de son apparence et de ses propos. Ils purent voir comment ceux dont c’était l’intérêt et certains rivaux religieux propageaient délibérément ces histoires pour tenter de semer la confusion auprès du public. Etre tout près de Baba est une expérience inoubliable, non à cause d’une crainte admirative qu’il suscite, mais pour la raison opposée – le merveilleux contact humain dont il fait preuve en témoignant d’une tendre attention à tous et qui s’exprime de la manière la plus naturelle. La grâce d’un être rare semble irradier à travers lui et lorsqu’il resta trois jours à Mussoorie, j’eus la nette impression (qui le distinguait de tous les autres saints que j’avais rencontrés) d’une Présence permanente. Normalement, nous considérons la grâce comme une portion du divin, mais ici, la plénitude de la Providence semblait déborder.

A partir des années quatre-vingt, pendant plusieurs années, Baba organisa un cours d’été pour les étudiants dans son campus de Whitefield, au mois de juin. Whitefield est à trois heures de voiture de Puttaparthi et il était commode pour Baba de se retirer là- bas quand les foules festives de Puttaparthi devenaient envahissantes. Tant qu’il restait chez lui dans le village, les foules ne voulaient pas rentrer chez elles. Mais Whitefield est un campus beaucoup plus petit et si Baba y séjournait pendant trop longtemps, il y avait peu de possibilité de darshan pour le gros de ses adeptes. Baba qui est très conscient des besoins économiques des simples vendeurs qui gagnent leur vie grâce aux foules qui sont attirées à Puttaparthi organise son programme de manière à ce que ces soutiens de famille ne souffrent pas indûment pendant son absence. Ceux qui rabâchent à propos de sa tendance à fréquenter de riches industriels et d’anciens membres des familles royales oublient le fait que ces dévots doivent se rendre dans son village pour le voir et supporter ses conditions. La vérité est qu’il passe une grande partie de son temps avec ses dévots les plus pauvres. Diana Baskin rapporte comment

85 le baron Albert Rothschild, un des hommes les plus riches des Etats-Unis, est venu pour rencontrer Baba, mais au lieu de le voir, Baba alla à la rencontre d’un groupe de dévots si pauvres qu’ils durent faire tout le trajet à pied depuis le Népal. Pour montrer son appréciation, Baba les invita à manger avec lui. Partager la nourriture avec les pauvres est une autre grâce que l’on voit constamment à Puttaparthi. Pendant les repas partagés en commun, Sathya Sai sert personnellement les visiteurs et ne montre aucune répugnance à toucher les mendiants, les lépreux et les exclus de la société. Et il ne considère pas non plus que les femmes sont impures pendant leurs règles.

Dans les années nonante, Sathya Sai était devenu une personnalité nationale si importante que son ashram était devenu un haut lieu touristique pour les pèlerins et qu’il était repris dans les guides internationaux. Sa présence exerçait un tel magnétisme qu’elle commença à avoir un impact sur l’économie nationale. Il rassemblait de telles foules que ses voyages durent être limités pour des raisons de sécurité. Son arrivée par avion dans la capitale, par exemple, attirait des foules énormes qui dépassaient en nombre tout rassemblement pour accueillir des VIP.

Pendant plusieurs années, Baba fit des visites annuelles à Kodaikanal. Il veillait à ce que chaque détail concernant la nourriture, le transport et le logement soit parfait. Il témoignait d’un intérêt personnel à vérifier ces arrangements et il était à cheval sur le protocole. Bien que pittoresque, Kodai souffre d’une pénurie chronique de logements et Baba ne pouvait s’y attarder longtemps, puisque les foules qui se rassemblaient pour son darshan ne pouvaient séjourner nulle part. Lors de ces visites par voie routière, le convoi de Baba s’arrêtait dans des douzaines de villages en cours de route pour y être accueilli par les samitis Sai locaux. En retour, Baba bénissait ces efforts, petits mais sincères, pour pratiquer son message. Ils étaient la meilleure preuve du succès de son enseignement.

L’aube du 21ème siècle fut célébrée avec le cadeau d’anniversaire de Baba, le Chaitanya Jyoti, une création architecturale excitante dotée d’une beauté cosmique et consacrée à l’unité des religions. Fait révélateur, si vous jetez un regard à l’intérieur de l’élégante salle de méditation, il n’y a pas âme qui vive. Les foules sont toutes dehors, devant le temple vivant qu’est Sathya Sai, maintenant (en 2004) une silhouette fragile diminuée

86 physiquement, mais aussi rayonnante que jamais, irradiant la grâce ineffable de la Sai Parampara.

Le Chaitanya Jyoti Museum

***

La connaissance quasi superficielle de Baba de toute religion en dehors de la zone familière de l’hindouisme est apparue lors de sa visite dans l’ancien sultanat de Bijapur où il montra apparemment peu d’intérêt à voir les bâtiments musulmans grandioses qui font de cette ville un des sites architecturaux les plus riches du monde. Ceci fut également prouvé par le fait que bien que Sathya Sai visita la ville de Navsari à plusieurs reprises, ses biographes ne mentionnent pas une seule fois le fait que c’est le siège le plus sacré de la religion parsie. Cet étonnant manque d’informations concernant d’autres traditions religieuses ressort clairement d’une conversation que Sathya Sai eut avec John Hislop (un dévot américain) à propos du logo de l’ashram de Puttaparthi qui vise à inclure les grandes religions du monde. En fait, il omet le judaïsme (parmi d’autres) et comme Sai Baba a de nombreux adeptes qui proviennent de la foi juive, certains d’entre eux demandèrent pourquoi leur symbole, l’Etoile de David, avait été oublié. Selon Hislop, Baba fut sincèrement surpris de la plainte et il demanda si les Juifs étaient ‘’fort’’ mécontents que la croix chrétienne représente leur religion ! Etant donné les retombées atroces de l’antisémitisme qui sont quasiment ancrées dans la chrétienté, il semble extraordinaire que quelqu’un, et Sathya Sai lui-

87 même, puisse être si inconscient des profondes divisions qui ont secoué l’Europe pendant des siècles. Ou le souci de Baba est-il de subtilement guérir une rupture entre deux fois qui partagent (en partie) des Ecritures communes ? Les symboles sikh ou jaïn ne sont pas non plus présents sur le logo de l’ashram, mais en raison de l’absence de tout désaccord culturel, les adeptes de ces fois acceptent le symbole aum.

Le logo du Sarva Dharma

Néanmoins, un changement notable transparut dans la perspective de Baba après contact avec les représentants étrangers lors de la Première Conférence Mondiale des Organisations de Sai Baba à Bombay, en 1968. Jusque-là, il avait été influencé par des organisations hindoues qui espéraient exploiter sa popularité afin de répandre leur propre programme. Sathya Sai refusa de s’impliquer avec ces mouvements politico- religieux, bien qu’il puisse avoir partagé leurs inquiétudes culturelles. Ainsi, l’agitation du Ram Janmabhumi à Ayodhya qui culmina dans la destruction de la mosquée Babri par des fanatiques hindous trouva peu d’écho chez Sai Baba. Il déclarait catégoriquement dès 1951 que limiter Rama à Ayodhya, c’était lui nier sa gloire complète. Ceci suggère que Sai Baba était conscient de la manière dont le nom de Rama avait été cyniquement utilisé à des fins politiques et qu’il veillait en s’éloignant de toute organisation chauvine de n’importe quelle obédience qu’une utilisation similaire ne soit pas faite avec son propre nom.

88

CHAPITRE 8 : DIEU EN TROIS PERSONNES

Le mot ‘’Sai’’ ressemble au ‘’Seigneur’’ de la Bible comme l’expression ‘’Swami’’ qui est la manière dont la plupart des dévots font référence à Sathya Sai. Alors que Swami signifie ‘’maître de soi’’, Sai évoque une image plus bienveillante. Ainsi, la Sai Parampara est plus douce dans sa perception de la divinité et diffère de la version sémitique de Dieu, comme contrôleur despotique de la destinée humaine. Le mot ‘’Sai’’ peut aussi être utilisé comme un terme d’affection entre femme et époux et il est imprégné autant d’affection humaine que de respect spirituel. C’est pareil pour le mot ‘’Bhagavan’’ qui communique exactement le mélange de respect et de familiarité qui caractérise l’approche Bhakti de la divinité.

L’approche simple de la religion, l’absence de dogmes et de rituels qui caractérise la compréhension de la spiritualité de la Sai Parampara sont également visibles dans son insistance à mener une vie normale qui cherche à éviter les deux grands défauts extrêmes de la religion – l’avidité pour la richesse et l’inverse, le mépris pour la richesse comme étant impie. Shirdi et Sathya Sai ont tous deux incité à s’engager dans le monde et ils se sont opposé à la théâtralisation de la pénitence et du renoncement. Ils partagent la digne appréciation de la vraie foi d’Addison, l’essayiste : ‘’Ceux qui font en sorte que la religion consiste à mépriser ce monde et ses réjouissances commettent une erreur réellement fatale et dangereuse. Comme la vie est le don du ciel, la religion est de s’en réjouir. Celui qui, par conséquent, peut-être heureux en lui-même et qui contribue de toutes ses forces au bonheur des autres répond le plus adéquatement à l’objectif de sa création, honore sa nature et est un modèle pour l’humanité.’’ Ni les vêtements du fakir de Shirdi ni la robe orange de Sathya Sai ne signifient une distanciation réelle du sacré par rapport au commun. L’Esprit n’est pas seulement une affaire pour les prêtres et les saints hommes, mais la propriété commune de toute âme humaine qui le revendique. La religion véritable se résume à la compassion pour la création qui provient de notre sentiment d’unité avec elle. L’esprit réformiste de Shirdi Sai et de Sathya Sai reconnaît que les problèmes du monde peuvent se résoudre, non par le fait que les gens se convertissent à d’autres fois, mais par le fait que les adeptes de chaque religion pratiquent avec plus de sérieux les préceptes de leur propre foi. Nous devons honorer notre religion en faisant preuve d’un amour si contagieux qu’il convertira tous ceux qui doutent à notre cause. Les saints du Deccan ont bien fondé une nouvelle religion, mais une religion du cœur, au-delà de toutes les étiquettes. Qui plus est, ce n’est pas un compromis sans joie avec un monde taré, illusoire ou pécheur, comme le propagent la plupart des religions. Shirdi Sai et Sathya Sai enseignent un évangile rafraîchissant qui célèbre la création et qui ne trouve rien dans la vie qui ne soit si dégoûtant qu’on ne puisse y remédier par une infusion d’amour. Sathya Sai encourage activement ses dévots à se marier et il est heureux d’organiser pour eux leurs mariages. Il bénira ainsi les mariages collectifs, puisque ceci épargne aux couples les dépenses dans lesquelles les villageois doivent ruineusement investir au nom de la religion. De donner sa première bouchée de riz à un nourrisson jusqu’à superviser les rites de crémation, Sathya Sai témoigne d’un souci maternel pour tous.

89

Bien qu’absorbé dans le royaume de l’Esprit, cet étrange jeune Maître a toujours gardé un pied dans le monde, son statut défiant toujours toute catégorisation facile. Le problème est que les règles habituelles ne semblent pas s’appliquer à lui. De manière encore plus inexplicable, il semble plutôt être celui qui fait les règles. Bien qu’apparemment religieux dans son comportement, il ne porte aucun signe de caste ou d’affiliation religieuse : pas de tilak peint sur le front, pas de talisman au poignet, pas de rosaire autour du cou, pas de cordon sacré, aucun culte d’aucun dieu ni de génuflexion devant un gourou.

Pour celui qui étudie la religion, sa présence est une énigme, car aucune figure comme la sienne n’a depuis le Christ aussi élégamment foulé la Terre. Après avoir observé

90 pendant trente ans cette incarnation de grâce immuable, je dois admettre que la certitude spirituelle de Sathya Sai n’a pas vacillé d’un iota. Il semble qu’il n’ait besoin d’aucun signe extérieur de la religion, parce qu’il porte en lui la lumière dont tous ceux-ci ne sont qu’un reflet. S’il porte une robe orange, ce n’est pas parce qu’il a renoncé au monde, mais c’est parce que de façon commode, elle lui permet de se détacher dans la foule et permet à plus de gens de le repérer pendant le darshan collectif. Ni la couleur (qui peut varier selon la saison) ni la texture de la matière (qui peut faire froncer les sourcils des orthodoxes) ne possèdent la moindre signification religieuse. Ce sont des détails qui n’ont aucune importance, comparé à ce qu’il est venu enseigner. En même temps, les détails sont symboliques. La robe est toujours fraîche et impeccable et elle couvre tout le corps pour indiquer que le mystère que cet homme incarne ne cède devant aucune explication physique.

De manière étrange, bien qu’au-dessus de toute signe extérieur de la religion, il comprend chaque détail du rituel et de la coutume hindoue. S’il avait été un musulman pratiquant dans une vie passée, comment est-ce possible ? S’il était né hindou et s’il avait été élevé commun un musulman, cela impliquerait que sa sagesse date d’une incarnation encore plus ancienne. (Lorsque Shirdi Baba dut témoigner dans le cas d’un vol, il répondit à la question concernant son âge ‘’des centaines de milliers d’années’’.) Cette brève réponse semble indiquer que Sathya Sai (comme Shirdi Baba avant lui) est tout à fait unique. Qu’on attribue ce caractère unique au jeu du divin ou à l’étrange conjonction de forces naturelles, le fait est que cette personne n’est comme aucune autre dans sa résolution. Des hommes et des femmes pleurent ouvertement devant la beauté qui leur est révélée. Lorsque son énergie est libérée, elle semble immédiatement remplacée dans une négation déroutante de toutes les lois physiques connues. Peut-être que cela indique notre pauvre compréhension de la capacité de l’âme humaine.

La religion reçoit son dû à Puttaparthi, mais n’est pas liée à l’état que Sai Baba a atteint. Son langage explique la voie au dévot et puisque la voie est difficile, de tels panneaux indicateurs sont utiles. Seul le simple d’esprit prendra le nom de la destination pour la destination elle-même. Ceux qui s’efforcent de trouver le divin en eux ont encore besoin de la béquille de la religion, bien que, de manière significative, la Sai Parampara insiste pour que le langage de la caste reste à la porte. Shirdi et Puttaparthi doivent être parmi les rares lieux de l’Inde où aucune référence ouverte à la caste n’est faite. Le Dr R. T. Kakade raconte dans Shirdi to Puttaparthi (1985), dont il fut le coauteur avec le Dr A. Veerbhadra Rao comment l’absence de discrimination de caste l’avait attiré auprès de Shirdi Baba.

En témoignant d’une considération égale pour les différentes fois, Sathya Sai, d’une part, encourage le respect traditionnel envers les brahmanes qui accomplissent des cérémonies publiques dans son ashram. D’autre part, il montre un intérêt personnel pour le bien-être des musulmans de Puttaparthi dont il a aidé à agrandir la mosquée.

91

Sri Sathya Sai et ses fidèles musulmans lors de l’inauguration de la mosquée de Puttaparthi en 1978

Quand on lit à propos de la vie et des enseignements de Shirdi Sai, il est remarquable de constater que la plupart des dévots de son époque étaient des hindous qui furent forcés de surmonter leur préjugé hérité à l’encontre d’un saint musulman. Qu’ils y réussirent est un témoignage remarquable, non seulement de l’aura extérieure du saint, mais aussi de leur propre force intérieure. Triomphant de leur conditionnement culturel et de graves réserves mentales, la vraie religion fut honorée par ces disciples confiants. Reconnaissant la valeur de ces bhaktas qui, contre toutes les normes, choisirent de vénérer un fakir dans une mosquée, Shirdi Sai alla à son tour à l’encontre des sentiments de ses frères musulmans en permettant aux bhaktas hindous de faire preuve d’un comportement en apparence hérétique. Maître et disciples firent montre de la bravoure que l’amour appelle et leurs milieux culturels divergents purent se rencontrer, non seulement dans une mosquée délabrée, mais dans le royaume intemporel du Compatissant et Miséricordieux. Les orthodoxes des deux fois qui s’accrochent à leur froide évaluation des règles ratent l’expérimentation de l’amour même qui est l’essence de la religion dont ils s’imaginent être les champions.

***

Au cours des trois dernières décennies, j’ai visité environ douze fois Puttaparthi (pas en tant que dévot pratiquant, mais comme un pèlerin qui se rendait dans un haut lieu de pèlerinage consacré à l’amour) et j’ai été deux fois à Whitefield et deux fois à Shirdi. Ma première visite, fin des années septante, suivit les deux visites de Baba à Delhi,

92 durant lesquelles il trouva le temps de dîner chez Rani Ma. Comme j’étais nouveau et toujours conditionné par ma formation de Mirtola à me méfier de toute prétention à la divinité publiquement annoncée, je me contentai d’observer et de réserver mon jugement. Il me fallut reconnaître la merveilleuse influence que Sai Baba exerçait sur l’humeur de Rani Ma, mais je trouvais l’organisation, au moins à Delhi, plus enthousiaste qu’inspirante. La caractéristique principale était le chant de bhajans pour lequel je n’ai ni le goût ni le talent, mais le plus magnifique était la manière dont Rani Ma accomplissait son abishekam () quotidien d’un lingam que Sai Baba avait matérialisé pour elle. Elle l’accomplissait, quelle que soient les circonstances. J’étais intrigué par l’éclat de ce lingam. Cet objet petit mais solide, composé d’un alliage de métaux, paraissait avoir une vie propre. J’avais une certaine expérience du culte du shalagram de Mirtola, mais elle paraissait aussi éloignée que ses origines marines profondes, comparé au contact vibrant du lingam.

Quand j’arrivai à Puttaparthi, on me montra un vaste hangar qui abritait des groupes de nouveaux arrivants comme moi et nous reçûmes chacun une natte de bambou ainsi qu’un peu d’espace pour y poser nos affaires. Les installations étaient rudimentaires et collectives, ce qui impliquait que vous deviez faire la queue pour avoir accès à un robinet. Il fallait aussi se rendre au petit bazar pour l’achat d’un gobelet en aluminium (le plastic était encore une nouveauté, à l’époque).

Si Baba était proverbialement accueillant, les dévots qui dirigeaient les bureaux de l’ashram étaient d’une autre trempe et pouvaient se montrer abrupts avec les nouveaux venus. Je commis l’erreur de prendre le parti d’une fille qui était venue de Londres pour un séjour de durée limitée et qui voulait être en première ligne pour le darshan. Au départ, je n’acceptai pas de bonne grâce le conseil que le bureau donna à la fille, mais je réalisai vite qu’ils n’avaient pas le choix, étant donné la demande pressante pour de tels privilèges. Ils devaient avoir l’air fataliste et dire que c’était son destin qui en déciderait. (Je dus aussi admettre que si elle n’avait pas été aussi jolie, je ne me serais pas soucié de sa destinée...) Aussi, pour moi, les paroles de Baba eurent un effet salutaire immédiat : ‘’Je n’aime pas les conversations sans but entre hommes et femmes. La beauté extérieure et le charme sont éphémères La beauté réelle est la maîtrise de soi. Vous êtes l’occupant du corps et non le corps.’’

La vie des résidents de l’ashram était épuisante et empreinte de tension et j’apprendrais à justifier la brusquerie qui me choqua la première fois. Personne n’avait une tâche spécifique, tous étaient volontaires. En plaçant l’obligation de diriger l’ashram sur ses disciples, Baba les forçait à prendre leurs responsabilités. Ils n’avaient pas d’horaire fixe, ce qui signifiait qu’ils étaient théoriquement tout le temps de service. Pas étonnant qu’ils s’emportent en étant confrontés à des visiteurs qui considéraient l’ashram comme une sorte de station touristique spirituelle.

Ce qui est unique à propos de l’ashram, c’est son air d’autodiscipline qui se déclare dans l’extraordinaire qualité de silence. Celle-ci n’est pas forcée, mais provient d’une appréciation que le son est trop sacré pour être gaspillé dans des échanges futiles. La tenue en coton blanc encourage aussi l’unité avec l’environnement, bien qu’à l’époque, je l’assimilai au syndrome négatif du neta de la politique indienne où des gredins

93 portent des vêtements tissés main pour avoir l’air patriote. L’effet le plus étrange de passer de la tenue de ville à la tenue de l’ashram est le sentiment d’avoir acquis une identité nouvelle plus sensée. C’est presque comme si on passait de la vie à la vraie vie.

Le Sai Kulwant Hall de Prasanthi Nilayam où les fidèles se rassemblent pour le darshan et les bhajans

Comparée à Puttaparthi, Shirdi m’apparaîtrait plus rustique et bien que la dévotion y était tout aussi intense, l’organisation – puisqu’elle était dirigée par un comité nommé par le gouvernement – apportait un air inévitablement plus mécanique aux procédures. Malgré ce handicap, l’arati offert à l’image de marbre du saint était effectué avec une dévotion enthousiaste. La bousculade des dévots impatients de recevoir le prasad mettait sous pression les et un châle qui était offert était à peine mis sur les épaules du saint avant d’être ôté pour le suivant. Pour le simple curieux, une telle dévotion ressemble à une chaîne de montage et pour ceux qui espèrent au moins une apothéose esthétique à un darshan longuement désiré, c’était une petite déception. Malgré toutes les différences apparentes et l’intervalle temporel, je découvris que je pouvais au moins apprécier le même climat de compassion qui imprégnait Shirdi et Puttaparthi. Les marchands qui vendaient des babioles, des photographies et de la vibhuti des deux saints paraissaient exactement les mêmes aux

94 deux endroits, mélangeant dévotion et affaires et conférant du bonheur à leurs clients autant qu’à eux-mêmes.

A Shirdi

***

Il paraît étrange qu’alors que Shirdi Baba était identifié à toute une série de saints (dont Akkalkot Swami, Akunbaba, Gholapguruji, Maulisahib, Ramdas Swami et Saptashringi Devi, sans parler d’être assimilé à Ganesh, Rama, Shiva et même à des Tirthankars jaïns, certains dévots modernes de Shirdi s’opposent fermement à l’idée de Sathya Sai ou de quelqu’un d’autre comme successeur spirituel. Il est amusant de noter que quelques dévots – d’autre part intelligents – ignorent scrupuleusement toute référence à Puttaparthi, faisant comme si Sathya Sai Baba, le plus grand phénomène religieux de l’époque n’existe pas ! Malgré ces distances, les preuves semblent être en faveur d’un lien spirituel commun. Le fait que Sathya Sai ait préféré promouvoir l’ashram de Puttaparthi sans aucune référence physique à Shirdi signifie pour beaucoup que ce n’est pas dans les hauts lieux de pèlerinage sacrés du passé que le chercheur doit chercher la divinité, mais là ou l’Esprit se manifeste ici et maintenant.

Il est possible que les deux saints aient des habitudes et un tempérament fort différents ; néanmoins les similarités psychiques et spirituelles semblent de loin

95 l’emporter sur les différences physiques. Pour commencer, les deux maîtres jouissent du statut rare d’être considérés comme ‘’unique’’ en valeur spirituelle. Dans le même temps, ils sont les cibles d’abus notoires et violemment critiqués, parce qu’ils ‘’corrompent la religion et la moralité’’. Parmi d’autres choses, chacun a été appelé à un moment ou à un autre un faux prophète, un ennemi de la religion, un sorcier, un prestidigitateur, un séducteur, un pédéraste, un racketteur, un trafiquant d’or, un obscurantiste anti-pauvres et une force satanique.

La réalité était toute autre. Les deux saints sont connus pour avoir des goûts délicieusement non orthodoxes. Shirdi Baba, après qu’il devint célèbre, allait accomplir ses ablutions en procession, peut-être pour ébranler l’idée conventionnelle de la portée de la sainteté. Sathya Sai, qui est sensible aux goûts de l’homme du commun, a construit un stade de cricket à Puttaparthi. Shirdi Sai était réputé pour être un guérisseur accompli, doté d’une profonde connaissance de la médecine, tout comme Sathya Sai aujourd’hui (qui accomplit même des opérations chirurgicales). Shirdi Sai aimait la musique, la danse et les cérémonies ; c’était un cuisinier hors pair, un jardinier (et un porteur d’eau !) ; il était favorable à une vie de famille normale ; il enseignait de s’abandonner au pouvoir de l’amour ; il était capable de rayonner une chaleur qui captivait ; il s’inquiétait du bien-être de ses disciples et il subvenait généreusement à leurs besoins ; il avait un grand sens de l’humour paysan ; il ne témoignait aucun intérêt à fonder une nouvelle religion ; il était indifférent à l’accomplissement d’observances religieuse publiques comme la puja ou le namaz ; il s’opposait à l’ascétisme et à l’exhibition d’exercices de pénitence ; il acceptait la valeur de toutes les Ecritures reconnues et il trouvait de la valeur dans l’exégèse scripturaire ; il acceptait le culte qui lui était rendu, non pas personnellement, mais en tant que forme du divin ; il fut reconnu comme une forme de Dattatreya et il accepta l’identification ; il témoignait de la compassion envers les pauvres, les opprimés et les exclus de la société ; il n’était pas affecté par la conscience des castes ; il enseignait l’unité de toutes les religions ; il encourageait le renforcement de la foi dans laquelle on était né et il s’opposait à toute conversion par commodité ; il utilisait la cendre sacrée comme signe de sa grâce ; il utilisait les phénomènes psychiques pour communiquer avec ses disciples ; il aimait la nature et les animaux et il enseignait un respect empreint de compassion pour toutes les formes de vie inférieures ; il prédit l’extension de sa mission ; il possédait la capacité de matérialiser des objets et d’affecter les éléments jusqu’à un certain point ; il pratiquait le siddhi de quitter son corps jusqu’à plusieurs jours d’affilée en laissant ses dévots conclure qu’il était cliniquement mort ; il prenait la précaution de prévenir à l’avance ses serviteurs des retombées probables de ces exercices pour veiller à ce que personne ne soit autorisé à interférer avec son corps pendant qu’il était absent ; il déclarait que ses maladies, parfois graves, avaient été volontairement contractées afin de sauver un disciple privilégié d’une mort probable ; il s’opposait à l’expression d’opinions tranchées sur les questions religieuses et il refusait de s’engager dans des discussions, même pour défendre son propre enseignement – et dans tous ces aspects, il était exactement comme Sathya Sai aujourd’hui.

La théologie non déclarée de la foi de Sai Baba est que le divin – le but, la force de vie, appelez cela comme vous voulez – est l’expérience de l’amour, la grâce ultime qui

96 descend dans le cœur humain. L’illumination n’est rien d’autre que l’âme qui tombe amoureuse de sa source. L’amour étant plus vaste que nous-mêmes, nous sommes submergés et désorientés par son ineffabilité extatique. Au milieu de cette félicité inattendue, l’ego et le mental sont provisoirement soumis et l’âme est fugitivement unie à l’objet de son adoration. La flambée spontanée de l’amour est à l’opposé du culte religieux formel où l’on cherche à développer l’humeur fervente à l’aide de musiques et de cérémonies. L’amour équivaut à posséder le Royaume des Cieux. Il nous donne des ailes et une compréhension cosmique. Nous mettons un terme à notre quête de Dieu, parce que dans l’amour, nous avons trouvé où réside ce mystère.

Suivant les intuitions de Kabir et préoccupée par l’âme simple des masses, la Sai Parampara exhorte les dévots à fondre extatiquement devant le Bien-Aimé. C’est essentiellement ce que recommandait Gurdjieff à ses adeptes beaucoup plus sélects. Jusqu’à ce que nous puissions nous abandonner à une force supérieure à notre ego individuel, l’enseignement profond ne restera qu’un exercice intellectuel. ‘’Je peux peler (votre) pomme de terre’’, disait Gurdjieff, ‘’mais il n’y a que vous qui pussiez ôter les yeux.’’ Comme Shirdi Sai avant lui, Sathya Sai promet d’accorder à ses disciples tout ce que veut leur cœur, à condition d’abandonner leur destin au gourou. Un refrain lancinant qui parcourt les vies des deux saints est la question posée par le Maître : ‘’Que voulez-vous vraiment ?’’ Quand la réponse est ‘’Je veux seulement faire partie de vous’’, le disciple est accepté, bien qu’il n’y ait pas de reconnaissance officielle. La relation avec Sai est un lien intérieur basé sur l’amour. La recherche d’un substitut sous forme de pouvoir, de sexe, d’argent et de célébrité accapare la plupart de notre énergie, à moins que nous n’ayons la grâce de tomber sur un Maître compatissant qui nous ouvre les yeux sur le but intérieur réel.

Le Maître est le catalyseur. Nous ne nous abandonnons pas à ses ordres autant que nous ne décidons consciemment de supprimer notre ego en faveur de nos instincts supérieurs. Toucher les pieds d’un gourou signifie réellement offrir l’intellect à la plus grande sagesse du cœur. Pour ceux qui ont été éduqués à évaluer le cerveau comme la plus grande faculté donnée par Dieu, il est difficile, sinon impossible de renoncer à l’orgueil d’un esprit aiguisé. Mais l’esprit ne peut vous mener qu’au bord du précipice. Sauter requiert la grâce de l’amour. L’amour, comme le divin, dépasse les catégories de bon et de mauvais. Sous la forme de Shiva, il peut se comporter de manière sauvage et imprévisible, car il est comme le feu qui consume la balle des tourbillons du mental et réduit le minerai de notre individualité à l’or du noyau de notre être.

L’adoption du rôle de Shirdi Baba par Sathya Sai a été complète et résolue depuis le jour de son annonce. Il est clair que depuis le départ de sa mission, Sathya Sai ne nourrissait aucun doute par rapport à son statut inhabituel qui combine apparemment le rôle d’un saint soufi dynamique (qui théoriquement ne se réincarne pas) et celui d’un brahmachari hindou. Les différences d’attitude et de comportement entre Shirdi Sai et Sathya Sai sont indéniables, mais pas inconciliables. Puttaparthi Sai a expliqué la différence en comparant les deux incarnations à une mère qui prépare le repas. Elle se fâche si ses enfants interrompent son travail, comme Shirdi Sai. Mais lorsqu’elle sert le repas, la mère est plus affectueuse, comme Sathya Sai. En tant que mendiant soufi, Shirdi Baba ne pouvait pas se permettre d’être difficile pour sa nourriture et son

97 habillement, alors que Sathya Sai, à cause de ses liens familiaux doit montrer l’exemple en évitant la viande et les stimulants. La seule différence réelle est dans leur image publique - la première celle d’un ascète bizarre, coloré et non-conformiste, la seconde celle d’un semi-reclus sobre et guindé. Tandis que Sathya Sai accueille courtoisement tout le monde, le fakir pouvait offenser les nouveaux arrivants à l’aide d’insultes bien choisies et exiger de l’argent, parfois au-delà de leurs moyens.

Photo prise le jour où Sathya Sai a déclaré ‘’Je suis Sai Baba’’, le 23 mai 1940

Une manière de comprendre ces demandes souvent outrancières est de les considérer dans le contexte de la tradition Bhakti du Deccan où les saints appartenaient typiquement aux castes inférieures et où ils ne connaissaient pas la richesse, excepté au niveau spirituel. Il y a de l’ironie dans le fait qu’un mendiant teste la foi de chercheurs nantis qui jurent que Dieu est plus important pour eux que l’argent. Seul un traitement de choc peut briser les notions enracinées de certaines personnes concernant la nature de la religion réelle. Les remèdes étranges de Gurdjieff, un peu comme le mouvement de Basaveshwara pour réactiver le noyau de la dévotion shivaïte, s’appuyaient sur la contestation des structures fossilisées de la société. A son époque, le renouveau lingayat était une force révolutionnaire au Karnataka (et dans certaines parties de l’Andhra Pradesh). Un mouvement populaire vigoureux qui explorait les idées démocratiques d’égalité des castes six siècles en avance sur son temps secoua l’ordre brahmanique, le plaça sur la défensive et renforça l’identité culturelle dravidienne. La Sai Parampara, en choisissant de se manifester et de grandir dans des locations de villages arriérés est clairement du côté du cultivateur ordinaire. Son apparition, d’abord sous les robes déchirées d’un fakir dépenaillé, puis sous l’apparence pauvre d’un petit villageois, est la preuve de sa loyauté à la vision réformatrice de

98 générations de Maîtres du Deccan qui insistaient sur le fait que la vraie religion se situe au-delà de la caste, de la croyance ou du statut social.

La venue de Prema Sai, le troisième Sai Baba, a d’abord été prédite par Sathya Sai en 1940. Apparemment, Prema Sai vit déjà dans le district de Mandya dans le Karnataka, mais il ne se déclarera lui-même qu’après le décès de Sathya Sai. Ainsi, alors que Shirdi Baba est censé être Shiva dans la tradition (orthodoxe) de Puttaparthi et Sathya Sai la manifestation conjointe de Shiva et Parvati, le troisième Avatar représente uniquement Parvati. (Une autre version veut que Prema Sai naîtra chrétien. Des portraits du futur saint le représentent déjà sous l’apparence du Christ dans le bazar de Puttaparthi.) La vocation de Prema Sai sera l’unification des religions en conflit et de parachever la mission de ses prédécesseurs de Shirdi et de Puttaparthi.

99

CHAPITRE 9 : ÉCOUTEZ LA PAROLE

La production volumineuse de Puttaparthi Sai – sous forme parlée ou imprimée – remplit les rayons de la librairie de Prasanthi en des douzaines de langues, indiennes et étrangères. Les dévots achètent ces livres, pas uniquement pour lire, mais comme des talismans qui les aident à combler le sentiment de solitude désespéré que ressentent leur âmes en quittant la présence de leur Maître. Pour la personne de l’extérieur, il est déroutant de voir la rotation de ces titres qui ne semblent que répéter ce que la religion conventionnelle propose depuis des siècles : ‘’Soyez bon, faites le bien, soyez conscient de l’unité de la vie, que vos actions en disent plus long que vos paroles.’’ Alors que les dévots Sai sont suspendus au moindre mot de Baba publié mensuellement depuis 1958 dans le magazine de l’ashram, Sanathana Sarathi, le lecteur ordinaire trouve les traductions anglaises du Professeur Kasturi à partir du télougou quelque peu pesantes. Je trouve la traduction trop littérale et bien qu’une partie du blâme puisse être attribué à la platitude de l’âme saxonne, le ton mielleux du traducteur et son style fleuri n’aident pas. Les lecteurs instruits trouvent la prédilection de l’Inde pour le mythique barbante de toute façon et les versions officielles des écrits de Sai Baba qui renâclent à couper ce qui est trop tiré par les cheveux et à rendre l’histoire pertinente en fonction des attentes culturelles d’un public interrogateur paraissent conçues pour le tenir à l’écart. Le récit a tendance à devenir répétitif, banal et diffus En tant qu’ancien professeur, l’éditeur est peut-être sensible au fait que Baba ait classé l’érudition comme un des neufs attributs mortels de l’ego !

Ce qui frappe le lecteur moderne dans la quinzaine de recueils (Vahinis) consacrés à des articles mensuels de Baba, c’est leur ton suranné qui rappelle la moralité victorienne. Le fait est que ces articles furent écrits dans la langue vernaculaire (le télougou), principalement pour un public paysan. Cependant, le style obscurcit fort la sagesse offerte au dévot sous forme d’exégèse textuelle et d’indications pratiques. Lus dans leur version originale du Sanathana Sarathi, où ils apparaissent à côté d’autres points de vue et incidents de l’ashram (dont des miracles médicaux), ces écrits surprennent par leur variété et leur profondeur. Baba décrit facilement, en quelques phrases les subtilités qui distinguent les écoles de philosophie hindoue, avec une telle simplicité que cela suggère une totale maîtrise du sujet. Cette maîtrise de la philosophie s’étend aux coutumes hindoues et il développe avec beaucoup de détails le style de vie pénitent qu’un vanaprastha (ancien chef de famille) est censé devoir suivre, par exemple. Lire ces commentaires experts qui concernent une vaste gamme de sujets, c’est presque consulter une encyclopédie de la religion. Meilleur que des théories religieuses, toutefois, le conseil de Baba sur la manière de vivre qui est simple et efficace : ‘’Cultivez l’amour par deux méthodes. D’abord, considérez les fautes des autres comme étant négligeables, quelle que soit leur importance. Considérez comme importantes vos propres fautes, même si elles sont insignifiantes. Ensuite, quand vous parlez, souvenez-vous que Dieu entend chacune de vos paroles. Soyez conscient de Son omniprésence.’’

En feuilletant les numéros de la première année du Sanathana Sarathi, plusieurs leçons précieuses peuvent être retirées. Le premier numéro commémore la fête de Shivaratri,

100 en 1958. Baba y décrit la vie comme un yagna et le sommeil comme le samadhi. Manger fait partie de l’adoration, dit-il, comme la culture d’une fleur qui est offerte pour la puja. Le deuxième numéro donne la garantie de Baba : ‘’Vous êtes libres de Me rejeter, mais Je ne vous rejetterai pas.’’ Dans le numéro de mai de la même année, il est fait référence au groupe croissant des critiques et à la réponse mesurée de Baba : ‘’’On ne lance des pierres qu’à un arbre chargé de fruits, pas à une souche stérile.’’ Dans le numéro suivant, il fait voir comment le Mahabharata, le Ramayana et la Gita se jouent tous à l’intérieur de chacun de nous. Il insiste sur le fait que l’utilisation du mot correct est importante pour transmettre le sens juste. (Un exemple involontaire de cette leçon nous est donné avec l’adage ‘’Le karma sans bhakti est un mur sans soubassement’’. Le mot aurait dû être ‘’fondation’’ !) Dans le numéro de novembre, Baba nous recommande de vivre au ‘’troisième étage’’ (de notre être sattvique) pour éviter les piqûres de scorpion. Dans une image forte, il compare l’âme à un morceau de charbon de bois qui, lorsque le feu l’a rendu incandescente, ressemble au Paramatma.

La couverture et le quatrième de couverture du premier numéro du Sanathana Sarathi sorti en février 1958

Un des livres de Baba les plus anciens, la Prasnottara Vahini, est rédigé sous la forme de questions et de réponses et prouve que, bien qu’il n’insiste pas sur les accessoires de la religion conventionnelle, il ne les décourage pas non plus, quand ils peuvent aider quelqu’un. Il répond à des questions sur les quatre ashramas, les pancha koshas,

101 moksha, le karma, vidya, les varnas, les , le , le yoga et tapas. L’analyse est succincte et objective et se tient à l’écart de toute controverse, comme c’est le style de Baba.

Sathya Sai Speaks, un recueil de discours de Baba rédigé à partir de notes prises par Kasturi fut publié en 1962. Il s’ouvre sur un poème du traducteur qui loue le ‘’télougou tintant et tintinnabulant’’ de Baba. Fort heureusement, Sathya Sai n’a pas la voix du harangueur dont la rhétorique, en vertu d’un ton retentissant, distrait l’auditeur du fait que peu, si tant est que quoi que ce soit est en train d’être dit. Baba s’inquiète plus que le sens de ses mots passe et tout en parlant, il veille bien à ce que son public comprenne ce qu’il tente de dire. Avec son flair pour l’humour paysan, il a appelé ses exposés, non pas des festins pour l’ouïe, mais des remèdes pour l’esprit. Par conséquent, le terme ‘’discours’’ transmet mieux que ‘’conférence’’ son effort de traiter un sujet philosophique de manière générale pour que tout le monde puisse comprendre. Il décrit ses exposés comme une opportunité pour lui et son public de partager leur amour et les débute et les termine généralement en chantant quelques couplets en télougou.

Les paroles qui ouvrent sa série de discours (qui comptent maintenant quelque trente- cinq volumes depuis 1953) affirment combien claire et simple est la manière de connaître Dieu : ‘’Je me trouvais à Uravakonda où J’étudiais à l’école secondaire et un jour, Je partis, Je me défis de Mes livres en déclarant que Mon travail M’attendait. Ce jour de Ma première apparition publique en tant que Sai Baba, le premier chant que J’enseignai au public fut :

Manasa bhajare guru charanam Dusthara Bhava sagaratharanam.

(Installez le Seigneur dans votre cœur et offre-Lui vos pensées, vos sentiments et vos actions.)’’

Son message public se résume par ces paroles : la compassion active prodiguée dans un esprit de dévotion désintéressée est tout ce qui est nécessaire. La plupart d’entre nous ignorent la réalité que le magasin de Sai Baba est rempli de tout ce dont une personne a besoin. Nous devons arrêter d’encombrer notre esprit avec du mobilier indésirable et demander à Sai Baba de nous fournir l’essentiel. Ce discours particulier qui a été prononcé à l’occasion des fêtes de Dasara qui eurent lieu à

102

Prasanthi en 1953 est extraordinaire pour sa prédiction confiante de l’expansion exponentielle de la mission de Sai Baba : ‘’Ne demandez pas comment et si Je peux accomplir tout cela…corriger la déformation de l’esprit humain et rediriger l’humanité vers le Sanathana Dharma.’’ La nature compatissante de son travail est clairement expliquée depuis le départ : ‘’Les méchants ne seront pas détruits…ils seront corrigés et reconduits sur la voie d’où ils se sont égarés.’’ Il termine par un avertissement : ‘’Etant devenus vieux et ayant rempli vos têtes de toutes sortes de doctrines et de dogmes, il vous faut maintenant employer votre discernement et découvrir Dieu à la dure.’’

Et Sathya Sai n’hésitait pas à corriger son propre interprète/traducteur, l’éminent Professeur N. Kasturi, éditeur du Sanathana Sarathi, si cela s’avérait nécessaire !

Les premiers discours prononcés devant des publics moins nombreux engendrent une ambiance plus intime. En février 1958, près de la Chitravati, Baba parla de Seshagiri Rao, un incroyant fasciné par l’aura du jeune saint. Un jour de 1940, Baba avait surpris l’homme en train de jeter un œil à l’intérieur de sa salle de prière et il l’avait invité à l’intérieur pour ‘’examiner’’ Sai Baba. Seshagiri Rao entra et resta. Baba prend ceci comme exemple de la raison pour laquelle il est venu sur la Terre – pour semer les graines de la foi chez les sceptiques. ‘’Je n’insiste pas pour qu’une personne ait foi en Dieu’’, dit Baba. ‘’Même la bhakti n’est pas indispensable. C’est l’amour pour dilater le cœur pour accueillir l’entièreté de l’humanité.’’ D’où sa préférence pour le titre de ‘’Premaswarupa’’ (incarnation de l’amour) pour lui-même et pour son public. Baba note aussi que la seule différence entre le théiste et l’athée est qu’ils regardent le même arbre à partir d’angles différents.

La même année à Madras, Baba mit en garde l’assistance : ‘’Il a été fait mention de Puttaparthi et on vous a conseillés de vous y rendre et de retirer de l’inspiration des

103 bhajans. S’il vous plaît, n’encourez pas la dépense Chaque fois que vous M’appelez, votre village peut être transformé en Puttaparthi.’’ Baba adresse une autre mise en garde : ‘’Même en ce qui Me concerne, ne soyez pas attiré seulement par des récits de ce que Je crée d’un geste de la main. Ne tirez pas des conclusions les yeux fermés : observez, étudiez et soupesez. Ne cédez jamais avant de ressentir la satisfaction intérieure d’être sur la bonne voie.’’ Ce conseil de cultiver une attitude scientifique est très souvent ignoré par des dévots trop enthousiastes qui ont l’impression que Sai Baba pensera à leur place.

A Nellore, il examine son propre mystère : ‘’La meilleure chose que vous puissiez faire, c’est de vous y absorber. Ensuite vous pourrez discuter de Moi à satiété.’’ A Mirthipadu, il exprime son plaisir de se trouver avec des fermiers ‘’qui sont occupés par un dur labeur et qui sacrifient leur confort personnel pour rendre les autres heureux’’. A Peddapuram, il confie : ‘’Comprenez-vous vous-mêmes et cela Me révélera aussi. ‘’ Aux érudits de Venkatagiri, il affirme : ‘’Je connais votre profession et votre statut, mais vous ignorez les miens. Je ne suis ni un Shastravadin ni un Buddhivadin. Je suis un Premavadin. Aussi reposez la hache de l’analyse et prenez le laddu de l’amour.’’

A un groupe d’étudiants en sanscrit, il conseilla : ‘’L’Incarnation de l’Amour ne peut être comprise que par l’amour. Pour comprendre Ma signification, vous devez sonder votre propre réalité. L’érudition n’est qu’un moyen pour maîtriser l’esprit.’’ De retour à Prasanthi après cette visite de l’Andhra, il trouva nécessaire de corriger certaines idées fausses entretenues par les bhaktas à propos de sa vraie nature. ‘’Je ne suis pas touché par le karma. Pour Moi, votre joie est Ma nourriture, votre exaltation, la balançoire où Je me tiens. Ma tâche est de répandre sur vous la joie. Je ne souhaite pas que vous Me louiez. Je serai satisfait si vous comptez sur Moi. Je suscite des larmes de joie et J’efface les larmes de tristesse. Je rends les gens fous de Dieu et Je guéris ceux qui raffolent des choses impies.’’

Dans cet échantillon de discours spontanés prononcés par Sai Baba au cours de haltes au bord de la route pour une variété de publics (majoritairement simples), lors de ses visites de la campagne de l’Andhra entre 1958 et 1960, le dynamisme de l’homme et son message peuvent être perçus. La majorité des orateurs religieux − et l’Inde semble

104 en compter des millions dont ça les démange de se retrouver derrière un micro – lèguent peu à la mémoire en témoignage de leur sagesse. Sathya Sai est différent et on peut toujours s’attendre à ce qu’il laisse une forte impression par la parole ou par l’exemple. Fait révélateur, les gens affluent, non pas pour l’entendre, mais pour être près de lui. C’est le test unique de l’Inde pour déterminer le statut spirituel d’une personne. Contempler le divin dans une personne peut résulter, dans de rares cas, dans la vision d’une aura presque physique. Comparé à cette gloire contemplée par l’œil intérieur, les paroles d’un instructeur semblent être d’une importance secondaire. On peut le constater en écoutant des discours de Sathya Sai où une bonne part du public ne comprend pas le télougou, son moyen d’expression préféré. En dépit du fait qu’ils ne comprennent pas ses paroles, beaucoup peuvent saisir intuitivement son message – une preuve, si nécessaire, du pouvoir de l’amour pour combler une lacune dans la communication.

Inévitablement, avec un nombre aussi volumineux de discours disponibles pour l’étude, les critiques peuvent ‘’prouver’’ quasiment n’importe quoi à propos de Sathya Sai. En sélectionnant des passages hors de leur contexte, ils peuvent démontrer qu’il est communiste, capitaliste, monarchiste, républicain, conservateur, libéral, orthodoxe ou non-conformiste. C’est une autre bonne raison pour le chercheur sincère de faire l’effort d’obtenir son darshan et de découvrir par soi-même qui est réellement cette remarquable présence.

Dans la Dharma Vahini par exemple, Baba qui normalement évite toute controverse ou critique des gens ou des choses, parle vigoureusement contre la libération de la femme et déclare de façon très inhabituelle : ‘’La femme instruite n’est qu’une poupée décorée.’’ La force de ses sentiments suggère que cette opinion remonte à son conditionnement social antérieur, avant qu’il ne voie la nécessité de construire un collège pour jeunes filles à Anantapur. En négligeant de clarifier ceci, l’éditeur conduit erronément le lecteur à conclure que c’est actuellement la pensée de Sai Baba sur le sujet. Des exemples similaires et plus sérieux de sa façon de penser en apparence traditionaliste, aggravés par une traduction en manque d’imagination, dénaturent les premières pensées de Sai Baba. Pour soutenir le système des castes défendu par Baba, le traducteur affirme maladroitement : ‘’Si tout le monde est d’avis qu’il n’y a qu’une seule caste, le bien-être et la sécurité du monde seront menacés. Si tout le monde commande, qui obéit ?’’ Cette formulation donne des armes à ceux qui cherchent une excuse pour critiquer Baba pour cause d’obscurantisme. Néanmoins, Sai répond lui- même à cela dans le huitième numéro du Sanathana Sarathi, quand Il cite la réponse gracieuse de Rama à la femme hors caste Sabari : ‘’Ma parenté ne concerne pas la race ou la caste, mais la bhakti.’’

La Ramakatha Rasavahini est à ce jour la plus longue œuvre de Baba et compte quelque huit cent pages. Bien que le Ramayana est sans aucun doute l’œuvre la plus appréciée de nombreuses régions de l’Inde, l’affirmation de Kasturi selon laquelle ‘’aucun autre récit dans l’histoire humaine n’a eu un impact aussi profond sur l’esprit de l’homme’’ pourra sembler faire preuve d’esprit de clocher au reste du monde qui ne connaît pas le Ramayana. Ayant affirmé dès le départ que Rama était ‘’le résident intérieur, la réalité de votre existence et l’incarnation même du Dharma qui maintient

105 l’humanité unie dans l’amour’’, l’éditeur parvient à créer la controverse à la fin à propos de ces vérités. Il ne se soucie pas d’atténuer les sentiments féodaux qui affleurent dans le bannissement de Sita par Rama. (Il y a bien sûr d’autres versions du Ramayana qui ne finissent pas avec l’exil de Sita). Comme dans cet exemple, elle semble avoir été condamnée tout en étant innocente, comment peut-on faire passer une telle injustice comme une décision spirituelle prise pour des motifs supérieurs ? Cela paraît contredire le message de Baba selon lequel l’amour est la nature du divin et cela semble suivre la ligne orthodoxe selon laquelle la convenance sociale vient avant la réalisation individuelle. Selon certains spécialistes, l’aspect universel de la personnalité de Rama a été délibérément réduit dans cette version du Ramayana pour convenir aux besoins brahmaniques.

L’analyse de Baba s’adressait à une première génération de visiteurs indiens qui connaissaient les Ecritures hindoues à propos desquelles il choisit de rédiger ses commentaires : la Bhagavatha Vahini, la Geetha Vahini, la Dhyana Vahini, la Prema Vahini et l’Upanishad Vahini, parmi d’autres. (De tous les écrits de Baba, l’Upanishad Vahini est peut-être la plus lumineuse. Chacune des dix Upanishads les plus célèbres y est décrite avec concision et brio et compte des perles d’intuition comme ‘’l’univers est un instrument destiné à révéler la majesté de Dieu’’ et ‘’quand l’Atma est compris, tout le reste est compris’’.)

De telles connotations sont familières et sont culturellement significatives pour les oreilles indiennes, si pas toujours acceptables pour chacun. Néanmoins, l’Indien moyen sera confus, lorsque Baba mentionne d’une part que les femmes sont qualifiées pour entendre l’enseignement le plus élevé de l’hindouisme (‘’Brahma jnana’’) et d’autre part qu’elles devraient consciemment s’abaisser à vénérer leurs maris comme Dieu. Aujourd’hui, l’une des principales sources de fierté de l’Inde est sa connaissance avancée de l’informatique qui en fait un acteur majeur dans ce domaine d’activité dans le monde. Bangalore, où Baba possède un ashram, est la capitale de l’informatique de l’Asie et des Indiennes instruites y figurent parmi ses plus brillantes réussites. Il est malheureux que le contexte des premières déclarations de Baba ne soit pas clarifié. Aucun effort n’est fait pour transmettre les intérêts modernes de Baba.

Les premiers discours de Sathya Sai font également preuve de beaucoup de zèle pour défendre l’héritage spirituel de l’Inde ancienne. Passant une nuit à l’ashram de Swami Shivananda à Rishikesh en 1960 (l’année où Sathya Sai se rendit à Badrinath), je me rappelle comment un simple qui faisait un exposé sur la culture indienne dit que l’avion avait été inventé par les rishis à l’époque védique. Ce besoin d’éclipser la science occidentale moderne en se référant au génie ancien peut être l’indice d’une certaine compensation d’orgueil, après l’expérience coloniale. Sathya Sai partage clairement la défense fougueuse du sadhu du génie de l’Inde ancienne. Dans son discours inaugural pendant la conférence mondiale de ses organisations de service, Baba fait plusieurs allusions à ce qu’il considère comme les 200 ans d’influence étrangère de colonialisme britannique. Que son propre héritage andhraïque ait fait les frais de 2800 ans de colonialisme culturel aryen semble l’indifférer. Un détail mineur, mais révélateur, réside dans son observation que ‘’le sanscrit est le parent et l’âme de toutes les langues’’. Il est possible que le traducteur ait été trop littéral, car tout

106

étudiant en linguistique sait que le sanscrit n’est que le parent du groupe de langues indoeuropéennes. Le sanscrit n’est même pas le parent de la propre langue de Baba, le télougou, sans parler des langues d’Extrême-Orient, d’Amérique ou d’Afrique. Scientifiquement parlant, l’anglais est un rejeton pur-sang, tandis que le télougou n’est qu’un enfant placé en cours d’adoption.

Le zèle de Baba à promouvoir la cause du génie de l’Inde ancienne le conduit à avancer l’affirmation quelque peu stupéfiante qu’en 3043 avant notre ère, un yogi indien avait prédit le départ de l’Inde des Britanniques. A supposer que ceci soit vrai, cette revendication suggère la consternation que la pureté spirituelle de l’Inde ait été souillée par des influences matérielles étrangères. (On pense que le terme populaire indien indiquant le dégoût face à un ’’contaminateur’’ étranger – mleccha – trouve peut-être son origine dans une tribu ancienne de commerçants.). D’après une autre observation faite par Baba lors de la Première Conférence Panindienne de ses organisations de Seva à Madras, ‘’C’est seulement après l’arrivée de la Compagnie des Indes Orientales que la lutte pour le pouvoir politique prédomina.’’ La Compagnie Anglaise des Indes Orientales reçut sa charte un demi-siècle après l’effondrement de Vijayanagar et quels que soient les péchés qu’elle a commis par avidité commerciale, elle n’a pas sacrifié des vies d’esclaves au nom de la religion, comme le fit le plus grand des empereurs de Vijayanagar, Krishnadeva Raya. (Ironiquement, c’est un des vassaux de Vijayanagar d’une province voisine de celle de Sathya Sai qui fut le premier à vendre de la terre aux Britanniques et qui leur permit de prendre pied en Inde.)

La glorification initiale par Sai Baba du passé de l’Inde et le fait de raconter la grandeur de l’Antiquité hindoue paraissent contredire son enseignement d’après lequel nous ne devrions pas être indûment fiers de notre caste, de notre pays ou de notre religion. Cette fierté peut refléter la quête de l’identité nationale postcoloniale de l’Inde moderne. Mais si la fierté de l’hindouisme en ses intuitions sur la nature toujours présente de notre Soi divin est justifiée, pourquoi rabâcher le passé ? Sathya Sai utilise le concept de ‘’Sanathana Dharma’’ de façon idéaliste, comme base de toute religion et moralité, contrairement au monde, en général, qui le voit comme la source de l’orthodoxie hindoue. De la même façon, Baba suggère que, parce que le sanscrit est le parent des intuitions spirituelles les plus profondes, ceci lui confère le statut symbolique de mère de toutes les langues. De nouveau, l’éditeur n’a pas pris la peine de démêler les différents sens que le Maître et son public pourraient attribuer à ces termes.

Les discours ultérieurs sont plus fidèles au message de Baba d’appréciation universelle des diverses cultures de l’Inde et du monde et suggèrent que sa mission s’était adaptée à ceux qui tentaient de tirer parti de ses enseignements. Il est raisonnable de penser qu’avec sa célébrité croissante et ses contacts avec des esprits plus raffinés, les premiers points de vue puisés à des sources orthodoxes furent sensiblement modifiés. L’éducation est un outil qui élargit l’esprit en supprimant le conditionnement étroit de l’enfance. Il est possible qu’une éducation universitaire ne rapproche pas un homme de Dieu, mais elle peut faire évoluer sa compréhension du provincial à l’universel. Ses contacts avec des dévots étrangers auront certainement instruit Baba du fait que l’aspiration spirituelle n’est pas le monopole de l’âme indienne.

107

La conciliation d’opinions chauvines d’abord avec une philosophie universalisante ensuite peut se comprendre si vous considérez Sathya Sai Baba dans ses manifestations orthodoxes et non orthodoxes. Avant d’avoir construit sa base auprès des orthodoxes, il ne pouvait espérer toucher des publics moins orthodoxes. C’est seulement maintenant dans le journal de l’ashram en 2004 que Baba affirme publiquement que son être essentiel n’est pas hindou : ‘’Je ne suis pas venu parler au nom d’un dharma particulier comme le dharma hindou.’’ Ses déclarations du 21ème siècle suggèrent qu’il est allé au-delà du védique, comme il était allé au-delà du soufi et de l’agamique, auparavant. A l’inverse des nombreux réformateurs religieux, c’est un conservateur qui prend bien soin de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Fils futé de la terre, il réalise qu’il y a un sens et une utilité pour chaque chose. Certains peuvent y lire la préparation du terrain pour le troisième Avatar, Prema Sai, dont la mission sera l’unité des religions.

Les modes changent, même en ce qui concerne la religion. Il y a une génération, les hindous orthodoxes y auraient réfléchi à deux fois avant de traverser les kala pani. Aujourd’hui, pandits et pujaris s’exportent pour effectuer des pujas hindoues pour les expatriés tout autour du monde. Baba a dit : ‘’Je ne m’occupe pas de toutes ces activités à la mode du monde actuel.’’ Ceci est confirmé par son indifférence envers toutes les formes de médias. Pour son septante-cinquième anniversaire, Baba a reçu un canal de World Space qui diffuse des programmes radio digitaux nickels vingt-quatre heures sur vingt-quatre à partir de satellites positionnés au-dessus de Singapour. Le canal s’appelle ‘’Sai Global Harmony’’ et bien qu’il réjouisse les oreilles des vieux dévots, pour le monde en général, il semble manquer de professionnalisme. Toutefois, on peut voir un professionnalisme impeccable chaque jour à l’ashram, particulièrement dans les productions théâtrales qui ont lieu régulièrement.

Des contradictions apparaissent également dans ses œuvres imprimées. Par exemple, un chapitre sur la concentration (comme aide à la méditation) passera de manière déroutante d’un sujet à l’autre et ces différents bonds à la suite de généralités peuvent sembler peu propices au développement de la concentration. La raison de ces changements de sujet peut être de préserver l’intérêt du public, puisque plus il est grand, plus il est difficile de guider son attention. Les discours de Sai Baba – à tout le moins dans leur traduction – peuvent paraître diffus dans les thèmes qu’ils couvrent et il est rare qu’un thème unique monopolise la séance. Avec un public mixte de dix à vingt mille personnes provenant de différents milieux et avec des intérêts et des

108 attentes variés, Baba doit s’efforcer de plaire à tout le monde et ceci peut expliquer les changements de sujet et de direction dans son raisonnement.

Quoi que les dévots puissent ressentir à propos des talents de Baba en tant qu’orateur et auteur, le reste du monde juge ses mots objectivement et conclut que son expression doit être à la mesure de son éducation. Ce qui a du sens pour l’étudiant en religion, mais qui peut paraître blasphématoire aux adeptes de Baba étroits d’esprit, c’est la supposition raisonnable qu’il est improbable qu’un Avatar qui profite du meilleur des deux monde (son humanité est complétée par des apports surhumains provenant du royaume divin) provoque un changement réel dans le monde. Pour séduire efficacement les cœurs humains, l’Avatar doit être totalement humain et supprimer temporairement sa gloire divine. S’il (ou elle) n’affronte pas les mêmes défis physiques, mentaux et spirituels que l’être humain moyen, son exemple d’amour divin sera vain. La leçon de la vie sur terre de Baba, ce n’est pas qu’il est venu avec à sa suite des nuées glorieuses, mais plutôt qu’il est né simplement dans un environnement rude et décourageant qu’il a dû surmonter grâce à l’autodiscipline. On peut remarquer dans les discours de Baba de la fin des années soixante une note de déception qui s’est insinuée concernant les performances de volontaires envers lesquels il avait entretenu de grands espoirs dix ans plus tôt. Peut-être avaient-ils l’impression que Baba invoquerait la plénitude de la divinité et sourirait de leurs points faibles. En raison de sa compassion divine, il ferait tout le travail à leur place.

109

Il s’ensuit de l’hypothèse mentionnée ci-dessus que Baba est lié par les mêmes lois physiques et mentales (mais pas nécessairement spirituelles) que le reste de l’humanité et bien que son souvenir de la sagesse divine lui soit particulier, en matière d’apprentissage terre-à-terre, son développement ne peut être que proportionnel à sa scolarité. Par exemple, son anglais est de la variété locale et sa prononciation et son vocabulaire proviennent de son expérience d’écolier de village. Des aspects de l’expérience d’une jeunesse villageoise colorent jusqu’à un certain point le point de vue de l’Avatar (ou quoi qu’il soit) et influencent très probablement son expression. Cette théorie expliquerait au moins certaines positions contradictoires.

Toutefois, ce qu’elle n’explique pas, c’est son bagage manifeste d’érudition spirituelle supérieure, malgré le manque de scolarité et d’études officielles. Les histoires qui entourent ses capacités linguistiques suggèrent qu’il a des sympathies inhabituelles. Il devine ce que les dévots étrangers tentent de dire à partir de leur langage corporel. En dehors de la connaissance du télougou et d’autres langues du sud apparentées, Baba partage la lingua franca du saint homme itinérant (hindoustani) ainsi qu’une connaissance de base de l’anglais sans aucune coloration idiomatique. Sa connaissance du sanscrit est plus curieuse et semble, à l’occasion, émaner directement d’une source autre que des livres. On estimait que Ramana Maharshi possédait une connaissance étonnamment profonde du sanscrit étant donné qu’écolier il s’était enfui vers sa sainte montagne. Néanmoins, pendant toute sa vie, il discuta de philosophie abstruse avec ses disciples et sa connaissance du sanscrit aurait pu provenir des livres consultés au cours de ces échanges. Mais cela n’aurait pu se produire que dans le contexte d’un ashram orthodoxe. Sathya Sai n’a jamais eu l’occasion ni l’inclination de prendre des leçons, aussi la source de sa connaissance des textes hindous reste déroutante. Il est difficile d’expliquer comment − lorsque l’occasion l’exige – il semble avoir accès à une réserve de connaissance supérieure. Kasturi raconte comment il avait une fois demandé à Baba un chapitre sur la Brihadaranyaka Upanishad (la plus longue des Upanishads) pour inclure dans le numéro suivant du Sanathana Sarathi et Baba ne l’avait fait attendre que pendant vingt minutes durant lesquelles il écrivit en vitesse un article de vingt pages en télougou qui est un résumé remarquable de cette Upanishad très difficile. Tout aussi déroutante est la nature prodigieuse de sa production d’hymnes télougous. Alors qu’il était encore jeune, il avait composé neuf cent bhajans qui furent notés dans un carnet. (Curieusement, les pages étaient numérotées en chiffres arabes.)

Baba peut continuellement attirer l’attention sur les risques inhérents à l’orgueil de l’érudition et sur le danger d’ergoter acquis de la lecture des livres, mais le fait demeure qu’il voit l’éducation comme une partie cruciale de sa mission. Malgré son éloge abondant de l’Inde ancienne, le fait est que les études à cette époque ne concernaient que la classe sacerdotale. Depuis le départ, Baba vise à fournir un enseignement à tout le spectre de la société. Les critiques qui suggèrent qu’il n’a qu’une connaissance limitée des sujets matériels doivent se rappeler qu’il a placé sa mission avant l’achèvement de ses études. Le fait d’abandonner ses études à l’adolescence priva Baba de l’opportunité d’aiguiser ce qui était clairement un intellect exceptionnel. L’horizon reconnu de Baba se limitait à la culture rurale télougoue avec son expérience de la vie qui puisait largement dans les Ecritures hindoues et le besoin non dit de les défendre contre toute inquisition moderne. L’absence d’études

110 supérieures aurait dû le priver de la capacité de se tenir au courant des recherches actuelles aux frontières de la science et pourtant, incroyablement, il prescrit personnellement à ses étudiants de troisième cycle des projets de recherche à l’avant- garde de la technologie moderne.

La différence entre un esprit à demi cultivé et un esprit instruit ressemble à la différence de qualité de lumière qu’une fenêtre laisse passer selon son degré de propreté. Une preuve de la liberté qui accompagne une éducation supérieure est l’absence d’absolus dans le point de vue d’une personne. C’est la personne qui a une connaissance limitée, avec des convictions fortes qui se basent sur des prémisses à moitié digérées qui adopte des positions extrêmes et des régimes rigides. Ceci se teinte d’un soupçon de dédain envers la chair qui indique que la source divine de vie a quelque peu dérapé en gratifiant de tels mystères une humanité irresponsable.

De telles attitudes, motivées par la culpabilité et niant la vie peuvent caractériser beaucoup d’ashrams indiens orthodoxes, mais le campus de Prasanthi Nilayam, grâce à la doctrine de Baba qui célèbre la joie, est libre d’un tel héritage. La séparation des dévots masculins et féminins se fonde sur une appréciation pratique et sensible de la réalité. Bien que Sai Baba lui-même encourage les joies de l’existence et que dans les entretiens privés, il s’avère très favorable à une vision large de la vie, le visiteur a cependant le sentiment que chez certains dévots de Puttaparthi, il y a un manque d’appréciation ardente de la beauté de l’esprit. En prenant fait et cause pour la suprématie du cœur, ils ont tendance à minimiser les qualités divines d’un brillant intellect.

111

CHAPITRE 10 : BRANCHÉ SUR L’INFINI

Ceux qui recherchent une présentation formelle des enseignements de la Sai Parampara, qu’ils émanent de Shirdi ou de Puttaparthi, sont consternés lorsqu’on les renvoie à la Shri Sai Satcharita ou à la Sathya Sai Vahini qui sont plutôt des comptes- rendus anecdotiques décousus que des élaborations rationnelles. Néanmoins, une lecture régulière de ces traités dévotionnels s’avérera hautement bénéfique. Sathya Sai a une fois recommandé la lecture complète du Srimad Bhagavatam à Diana Baskin en disant qu’elle y découvrirait l’essence de son amour. Elle réserva une semaine et parcourut l’ensemble de ce texte dévotionnel du début à la fin. Cet exercice s’avéra être le point culminant de sa vie en matière de spiritualité. La raison de s’intéresser à un de ces livres, c’est qu’en étant absorbée par l’ambiance qu’ils génèrent, l’âme enregistre plus que l’esprit.

La moralité et la doctrine de la religion Sai émanent plus de la religion mère du dévot que d’un tout nouveau code. Les saints du Deccan ne sont pas venus pour fonder une nouvelle religion, mais pour arroser les racines des anciennes et leur donner une nouvelle vie. Les enseignements de Sai Baba existent pour intensifier et universaliser les enseignements de notre foyer en stimulant l’amour, où qu’il se manifeste. Selon Sathya Sai : ‘’Je n’ai aucun projet d’attirer des disciples ou des dévots dans mon groupe ou dans aucun groupe. Je suis venu vous parler de cette foi unitaire universelle, de cette voie de l’amour.’’ Tout comme Shirdi Baba, il ne veut pas que nous abandonnions notre foi ancestrale. Il veut que nous devenions de vrais hindous, de vrais musulmans et des chrétiens semblables au Christ. L’idée n’est pas de penser avec la tête, mais de voir avec le cœur la vérité simple que la divinité est identique à l’humanité. Pour renforcer cette perception, nous devons accorder moins d’importance aux entraves de la religion officielle. Au lieu de cela, nous devrions servir l’humanité. La mission de Sai nous exhorte à cesser d’être des puits de science théologique et à reconnaître Dieu dans notre prochain. La vraie religion ne consiste pas à joindre les deux mains en prière à l’intention d’une déité distante, mais à tendre la main en signe de compassion à toute âme qui en a besoin.

Pour l’étudiant en théologie, une visite à Puttaparthi peut être révélatrice. Beaucoup de gens qui n’avaient pas d’intérêt pour la religion dans leur vie expérimentent la plénitude de la divinité, quand ils se retrouvent en présence de Baba et par l’amour, ils connaissent intuitivement ce que les théologiens ont mis des siècles à concevoir. Le facteur décisif est la présence de Sathya Sai Baba. Alors, toutes les questions afin de savoir si c’est le haut qui descend bénir le bas ou si c’est le bas qui s’élève pour satisfaire le haut ou si Dieu est l’homme réalisé ou si l’homme est Dieu en miniature deviennent sans importance. Tout le bavardage mental se calme dans la plénitude de la certitude du cœur.

Pour certains, il est déconcertant de voir que Sathya Sai évite tout signe extérieur de religion. Sa robe orange éclatante semble refléter les propensions chaleureuses du soleil – l’opposé même de la couleur du renoncement. Le jour de son anniversaire et le jour de Noël, il opte pour une robe blanche. Pendant Dasara, elle peut être couleur bordeaux. Les pinailleurs ont critiqué certains tissus utilisés comme étant trop tape-à-

112 l’œil en vertu des anciens canons qui réglementent ce que le saint homme bien vêtu devrait porter. Ils ignorent l’éventualité que pour ses adeptes, Sathya Sai n’est pas moins que le Grand Designer et qu’il a donc tous les droits de fixer les modes. La robe est cousue par le tailleur du village et elle est lavée par un dhobi de Puttaparthi. Les anciennes robes sont offertes à des disciples favoris et sont chéries dans la tradition indienne comme des objets de famille.

Une visite à Puttaparthi peut aussi être troublante pour un intellectuel qui s’attend à ne trouver qu’un saint homme de plus, quand en fait ce qu’il trouve – mais qu’il ne peut souvent pas voir – c’est quelque chose d’infiniment plus grand. Seule l’âme qui

113 est préparée à la vision complète reçoit la grâce de trouver l’amour incarné dans cette forme légère. Et quand vous avez l’amour, qui a besoin de religion ou de quoi que ce soit d’autre ? C’est le summum pour le chercheur. L’extase ne peut pas aller au-delà. Pour l’âme qui est en quête d’elle-même, ici à Puttaparthi (ou à Shirdi), le vin de l’Esprit peut être bu pur et aucun prêtre ni aucun rituel n’obstrue le paysage. Son temple est constitué du groupe de ses dévots. Sa religion est leur dévotion à l’amour qu’il suscite.

Car l’enseignement Sai, en un mot, c’est la nécessité d’expérimenter l’amour. Le qui le sous-tend a été énoncé par Shirdi Baba dans l’expression ‘’Sab ka Malik Ek’’, parce que c’est ce sentiment d’unité que l’amour confère. Le transfert révolutionnaire du divin d’une figure extérieure sévère à un témoin intérieur compatissant donne une responsabilité morale à chaque dévot. Il est forcé de reconnaître que ce qu’il voit en Sai n’est pas seulement l’amour incarné, mais l’amour personnalisé. Dans son être divinisé, nous pouvons contempler le but de l’unité humaine, le mariage parfait du masculin et du féminin dans un seul corps, seule promesse certaine de la paix sur la terre. L’essentiel de la foi Sai réside dans le partage de la sainte communion de l’amour où la loyauté envers notre religion ancestrale est transcendée par l’expérience de l’unité. Elle reconnaît la valeur de la religion extérieure comme le véhicule par lequel on arrive au seuil de la perception infinie de l’amour. Shirdi Baba aborda cet instant d’identité duelle, lorsqu’il fit face à ses frères musulmans agités par l’idée d’hindous offrant un culte à un être humain dans une mosquée. Shirdi Sai ne nia pas que les normes monothéistes étaient transgressées, mais il pria les critiques musulmans de comprendre la motivation noble d’hindous qui rendent un culte à un mleccha dans une mosquée et qui transgressent ainsi leurs propres normes dharmiques. En acceptant le culte, non pas pour son corps, mais pour l’Esprit qui y réside, il démontrait que l’amour seul est le miracle qui transforme l’eau de la religion en vin de l’Esprit.

L’amour de notre prochain, quelle que soit son appartenance religieuse, confirme notre véritable identité d’êtres spirituels. La religion conventionnelle nous procure de faux papiers et nous fait croire que notre ‘’adresse’’ est une église ou une secte particulière, alors qu’en réalité, c’est ‘’le divin aux pieds de l’humanité souffrante’’. Le Bouddha découvrit cette vérité, mais dans le sous-continent, sa religion fut étouffée par ceux qui trouvaient que la hiérarchie féodale était une option plus profitable. Le Mahatma Gandhi prêcha également un message de compassion que certains éléments du même lobby orthodoxe trouvèrent défavorable. Alors que la plupart sont déprimés par la façon dont les gardiens de la foi publique trahissent et dénaturent l’enseignement de leurs fondateurs, la Sai Parampara, enracinée comme elle est dans la nature divine de l’amour, n’a jamais été indûment troublée par ces réalités lamentables. Tout au long de sa mission, Sathya Sai a révélé une suprême confiance en ses œuvres et comme le Christ, il n’a jamais tremblé face aux critiques malveillants et leurs comptes-rendus diffamants. L’état du monde est le problème du Tout-Puissant : vous et moi, nous ne devons nous soucier que d’avoir un regard compatissant pour la vie, là où sa manifestation miraculeuse traverse notre chemin.

114

Il est vrai que certains dévots des deux endroits ont établi leur propre code de conduite personnel et qu’ils croient qu’en le suivant, ils obtiennent la grâce spéciale de Sai Baba. Mais c’est un système bénévole et puisqu’il offre un moyen pratique de maintenir la paix et le fonctionnement bien réglé de l’immense ashram de Puttaparthi, il a obtenu l’approbation de Sathya Sai. Ces dévots sevadals, comme on les appelle, acceptent un programme dévotionnel et de service social minimum qui, s’il est sincèrement suivi, leur permet de participer à la gestion du campus, quand vient le tour de l’Organisation de leur Etat particulier. Celui-ci attribue parfois des tâches ennuyeuses et subalternes aux volontaires ainsi que celle plus ardue de contrôler la foule, mais leur offre aussi le rare privilège d’avoir la garantie du darshan de Sathya Sai et de ses bénédictions à la fin. Cet arrangement convient particulièrement aux dévots pauvres qui autrement ne pourraient pas se permettre de passer une période prolongée à Puttaparthi.

Sai avec un groupe de sevadals

Parce que l’unique but de Sai est d’éveiller l’amour, il se soucie plus que son enseignement soit absorbé par le cœur que par la tête. Analyser l’amour et vous le tuez. Le problème que l’on rencontre si l’on désire exprimer la plénitude de l’enseignement de l’amour en anglais réside dans son manque de vocabulaire spirituel frustrant. Nous ne trouvons nulle part aucun signe d’une conscience saxonne qu’un homme est réel en dehors de son corps. L’idée d’une âme individuelle est respectée mais, apparemment considérée comme hors de propos dans les affaires courantes, elle n’est pas suivie jusqu’à son aboutissement logique. Ceci nous laisse avec l’emploi maladroit de ‘’soi’’, qui est un des mots les plus mal considérés de tout le lexique. L’expression à la mode ‘’réalisation de soi’’ évoque des exercices atroces pour quelque chose d’aussi simple que le yoga. Comment transmet-on le mystère de l’être mystique invisible au cœur de l’univers ? Comment relie-t-on cette vision cosmique à la flamme

115 immortelle du Soi à l’intérieur de notre propre cœur ? Le terme ‘’Conscience’’ pose un tel défi à l’Anglais qu’il se propose rarement d’y réfléchir. Même le mot ‘’Dieu’’ est une tâche redoutable qu’il vaut mieux réserver pour le dimanche matin, quand traditionnellement, il n’est pas possible de Lui échapper !

***

Une question à laquelle est confronté un étudiant en religion qui étudie Sathya Sai est celle de l’avatarité qui, bien qu’essentielle dans la doctrine chrétienne, est fondamentalement un concept hindou. La question doit être abordée puisque, comme cela a déjà été dit, de nombreux disciples considèrent la Sai Parampara comme une manifestation du principe avatarique. Cette étude suggère que Sri Sathya Sai n’a pas d’égal (dont l’auteur est conscient) dans toutes l’histoire de la religion, quand il s’agit de combiner une vie simple ainsi qu’un rayonnement phénoménal et soutenu d’une aura spirituelle qui s’est à son tour traduite par toute une gamme de bonnes œuvres. Ici, pour la première fois sur la terre, nous avons, semble-t-il, la perspective excitante d’une manifestation de ce qui est véritablement divin, pas homme et Esprit en parts théoriquement égales, mais toutes deux pleinement incarnées pour révéler le mystère ultime de la vie, la nature réelle de l’amour. Tout au long de l’Histoire, nous n’avons eu que la parole des prophètes, des maîtres et des messagers concernant la manière dont Dieu en tant que pur Esprit est censé se conduire. Le Bouddha et Mahavir obtinrent l’équivalent du statut divin au moyen de la pénitence, alors que Jésus semble bénéficier du statut divin rétrospectivement, la divinité lui ayant été conférée par une succession de conciles de l’Eglise. Shirdi Sai ne fut pas vénéré en tant que divinité jusqu’à quelques années après son décès, alors que Sathya Sai a été considéré comme la divinité incarnée depuis l’âge de quatorze ans. (Certains dévots voient une importance spéciale dans le fait que deux jours avant la naissance de Sathya Sai, Sri Aurobindo avait interrompu un vœu prolongé de silence pour annoncer la naissance d’un pouvoir infaillible qui attiserait le feu immortel dans les cœurs terrestres et dont la voix serait entendue par la multitude.)

La doctrine vishnouite traditionnelle soutient que dix Avatars (qui varient selon la tradition locale) sont prédits, le plus complet d’entre eux étant Krishna qui répond aux seize attributs qui marquent la descente divine parfaite. Selon le Dr Gokak (In Defence of Jesus Christ and Other Avatars, 1979), d’autres sectes qui incluent les shivaïtes proposent également des Avatars qui diffèrent en pouvoir et en présence. Par exemple, le terme de référence concernant un Avatar moins doté est ‘’Vibhuti’’ et des âmes de grande réalisation comme Shankaracharya et Vivekananda peuvent être assimilés à cela (selon Sri Aurobindo).

Le seul problème avec le statut d’Avatar, c’est qu’il limite Sathya Sai à un concept sectaire de la divinité, alors que pour la majorité des dévots, ses attributs divins semblent être d’une application universelle. Cette personne se situe au-dessus et au- delà de toute doctrine et comme l’Atman, bien que plus proche de nous que notre propre cœur, elle est au-delà de toute définition ou de toute description. Les gens qui limitent Baba au rôle d’Avatar prennent peut-être l’option facile qui ferme l’esprit à

116 des merveilles encore plus grandes que cette personne incarne. Si, comme cela semble probable à l’occasion, Sathya Sai incarne la nature même du divin, l’appeler Avatar, c’est confondre le doigt qui indique la lune avec la lune elle-même. Ce qu’il m’apparaît, c’est que nous avons en Sri Sathya Sai Baba l’Âme universelle sous un vêtement hindou, l’effulgence totale de l’amour divin concentrée dans un modeste villageois de l’Andhra.

Il a fallu aux chrétiens des siècles d’argumentations rancunières avant que des hommes d’église sophistiqués ne puissent arriver à une formule qui décrit la grandeur de l’être du Christ. L’Eglise s’efforça d’élaborer une solution de compromis pour expliquer un mystère délicat et ne put trouver qu’une formule sans amour qui contenta les plus méticuleux des intellectuels pinailleurs : ‘’Le Fils de Dieu est consubstantiel au Père dans la divinité ainsi qu’à nous dans l’humanité, la caractéristique distinctive de chaque personne étant préservée.’’ Durant les mille années qui suivirent, la chrétienté fut terrorisée pour la forcer à suivre cette ligne doctrinale. L’alternative était la mort – pour le bien de l’âme. La liberté de pensée upanishadique était impensable en de telles circonstances. Comparez cette évaluation tardive et discutable avec la reconnaissance immédiate de la divinité des paysans du Rayalseema. Sûrs de leurs propres intuitions spirituelles, ils honorèrent totalement et immédiatement leur jeune prophète dans son propre pays. Ce témoignage remarquable du discernement du villageois du Deccan est invariablement négligé dans l’histoire de la religion.

Sathya Sai a expliqué clairement quel était l’objectif d’un Avatar : ‘’Protéger le dharma, ses dévots, les Védas et ceux qui les récitent.’’ Ce programme traditionnel formulé en termes orthodoxes remonte clairement au début de sa mission. Deux générations plus tard, la structure à sept niveaux du Chaitanya Jyoti révèle symboliquement comment le concept de l’Avatar a évolué du traditionnel à l’universel. A présent, l’invincible écoulement d’amour de Sai se révèle dans la Chaitanya (la Conscience) qui est le

117 moteur du jeu divin du cosmos. C’est pourquoi, au sommet d’un stupa commémoratif chinois, il n’y a pas de sphère qui représente le monde, mais un ovale en équilibre sur un doigt qui indique le sentiment d’émerveillement de tous ceux qui regardent le ciel avec ravissement en contemplant la gloire de son grand architecte.

D’après la tradition hindoue (particulièrement dans la tradition vishnouite), il y a six qualités qui sont reconnaissables chez un Avatar complet : la splendeur, la beauté, la richesse, la sagesse, la renommée et le détachement. Les fidèles de Puttaparthi sont fiers de revendiquer pour leur Swami un autre attribut moderne et parlent de lui comme de ‘’l’Avatar scientifique’’. C’est parce qu’il recommande aux gens d’examiner et d’expérimenter par eux-mêmes au lieu d’accepter n’importe quel maître ou n’importe quel message aveuglément. Si les Avatars du nord sont représentés comme souverains de Dwarka et d’Ayodhya, l’Avatar Sai du sud est seigneur du témoin intérieur, un modèle de grâce spirituelle plutôt que de pouvoir royal. Alors que Krishna est décrit dans l’Inde du nord comme l’aurige qui prodigue la connaissance difficile de l’âme humaine, dans le Deccan, il se tient comme un paysan, comme à Pandharpur où il honore sous la forme de Vitthal le dharma des mortels ordinaires et où il est disponible pour le plus petit des dévots qui a de l’amour dans son cœur. Pouvons-nous déceler dans ces différents accents le fonctionnement de l’ancienne lutte nord-sud pour la suprématie culturelle ? Shirdi Sai et Sathya Sai semblent se tenir à mi-chemin, s’efforçant de réconcilier ces tendances orthodoxes et protestantes, ne cédant pas en ce qui concerne leur droit divin de rester avec l’ordinaire, quels que soient les efforts de la hiérarchie établie pour les faire entrer dans leur panthéon. Le professeur Kasturi a habilement commenté que Sathya Sai est le seul Avatar ayant une ‘’dimension sans horizon qui incarne la libéralité spontanée de la grâce et la compassion inconditionnelle pour le sot et celui qui tâtonne’’.

Physiquement, Sathya Sai possède la constitution mince, mais solide du paysan du sud de l’Inde. Mesurant à peine 1,50 m, sa présence est visiblement accentuée par la grâce de son maintien. De taille fine en raison d’un régime sobre de toute une vie, ses épaules sont puissantes et suggèrent même la présence numineuse d’ailes psychiques. Cette charge d’énergie psychique se voit dans son regard ainsi que dans la fluidité de ses lèvres. C’est presque comme si sa forme physique était mue par une grâce interne qu’il est obligé de contenir. Les yeux sont doux et compatissants, mais au-dessus, un pli de peau entre les sourcils suggère un pouvoir caché que la tradition associe au troisième œil. Il y a un grain de beauté bien visible sur sa joue gauche. Les traits du visage sont du style local, mais les yeux sont infinis. Ils arborent souvent un regard doux et lointain. Tendrement maternels, l’instant d’après ils peuvent lancer des éclairs, aussi beaux et imprévisibles que le temps dans les hautes montagnes de Shivalaya. Comme tous les maîtres, il cherche le motif caché et ceci requiert un regard pénétrant qui peut être déconcertant pour de nombreux cœurs humains. Un geste caractéristique de la main qui accompagne cette expression irréelle, c’est d’écrire avec un doigt dans l’éther comme pour signifier que notre destinée a déjà été écrite. Une autre caractéristique, quand il se déplace quotidiennement devant la foule, c’est de s’éponger les mains et le visage avec des mouchoirs blancs en coton dont le stock est reconstitué en permanence par ses serviteurs, un signe de l’élément psychique actif qui est à l’œuvre à travers lui.

118

L’impact psychique de Sathya Sai est si fascinant que les détails physiques tentent à s’estomper. Pour certains, son teint est doré comme le soleil, alors que pour d’autres, il a la qualité de la couleur sacrée arborée par d’autres Avatars, une nuance bleuâtre qui indique l’infini. (En enfilant un , le dévot évitera d’employer cette couleur qui est réservée au divin.) Quand il marche, Sathya Sai est la personnification de la grâce. Ses pieds transmettent par eux-mêmes son message d’honorer les choses simples de la terre et de devenir un avec tout ce qui vous entoure. La religion occidentale a perdu l’étrange alchimie que le pied humain peut évoquer. L’inde l’a préservée et est consciente que le pied peut être le moyen par lequel la grâce peut s’écouler. Les Occidentaux qui visitent l’Inde remarquent immédiatement le contraste entre la démarche pesante de leurs dames et le déplacement de gazelle des Asiatiques. La grâce est essentiellement une qualité féminine et la présence physique de Sathya Sai révèle cet aspect léger en plus d’un air magistral, quand il marche.

119

120

La coupe de cheveux caractéristique qui couronne (nettement moins maintenant qu’il a presque 80 ans) son visage est une adaptation à la tendance locale aux cheveux frisés. D’anciennes photographies montrent différentes coupes. Lorsque Rani Ma rencontra pour la première fois Sathya Sai, il se pencha et il anticipa sa question en disant : ‘’Ce sont des vrais. Tu peux tirer dessus.’’ Prasanthi Nilayam est probablement unique pour l’insistance de son Maître sur le fait que les dévots soient en tout temps fraîchement baignés et d’une mise propre dans une tenue simple, mais immaculée. C’est pour honorer l’Esprit intérieur qui à l’inverse de ce que l’on pense conventionnellement n’est pas indifférent à notre apparence. Sathya Sai a appris la valeur de la discipline militaire pour soutenir les dévots dans leur vocation. La routine de l’ashram peut ne pas paraître physiquement dure, mais elle peut être éprouvante pour ceux qui sont habitués à des habitudes laxistes.

Baba a réduit son propre confort à un strict minimum. Ses quartiers minuscules reliés au mandir où il vivait jusqu’à l’attaque meurtrière de 1993 ne contiennent qu’un lit et une table. La table sera jonchée de lettres de dévots, chacune d’elle méritant son attention, bien qu’il est dit que Sathya Sai puisse sélectionner celles qui nécessitent son intervention immédiate.

La routine quotidienne de Sathya Sai est un livre ouvert et elle a à peine changé en plus d’un demi-siècle. Tout comme Shirdi Baba, il n’a aucun bien personnel. Le Bouddha et le Christ ne possédaient rien et au moment du décès de mon gourou, Sri Krishna Prem, ses possessions matérielles se limitaient à quelques robes de sannyasin de rechange. Néanmoins, même s’il ne possède rien, Sathya Sai gère des fonds dont beaucoup de millionnaires peuvent à peine rêver. Son trésor, ce sont ses dévots pour qui il est toujours disponible. Cependant, avec l’augmentation des foules, les problèmes de sécurité sont arrivés et le contact physique se réduit chaque année, à l’exception des darshans quotidiens.

Sa journée commence à 3 heures, lorsque après son bain et s’être rasé (à l’aide de gadgets modernes), il se connecte à l’Esprit, plongeant dans la conscience du Soi. A 6h30, il apparaît pour le darshan, après être revenu à la manifestation extérieure de maya. La magie de sa présence illustre une partie du sens de maya que l’on traduit généralement par ‘’illusion’’. Maya signifie aussi ‘’limité’’ et suggère un aperçu d’un motif exquis d’une tapisserie déroulée. C’est le rôle d’un Avatar, révéler dans l’espace restreint d’un corps humain la grandeur cosmique de l’Esprit formateur de la vie.

121

Le darshan est presque toujours suivi par les bhajans. Chanter ce qu’on nomme des hymnes en anglais ne rend pas justice aux sentiments d’amour qui imprègnent ces chants. Les foules s’unissent à leur Maître dans le chant et il les dirige souvent avec ce qui semble être une oreille professionnelle. Traditionnellement, on attache beaucoup d’importance aux bhajans dans la tradition de la bhakti, car c’est le moyen du pauvre pour contacter Dieu directement sans l’intermédiaire du prêtre. Pendant les fêtes, Puttaparthi vit à l’heure des ‘’akhanda bhajans’’ : on chante des bhajans non-stop pendant toute la nuit et ces occasions suscitent une frénésie de dévotion. Sathya Sai veille à superviser ces énergies, de sorte qu’elles ne dégénèrent pas.

Pendant les bhajans, Sathya Sai choisit des individus, apparemment au hasard, pour un entretien. Parfois, un groupe plus important s’entasse dans la petite pièce fonctionnelle du rez-de-chaussée du mandir. Pendant une heure, Baba communique en toute simplicité et questionne ses visiteurs, les surprenant souvent par une compréhension inattendue de ce qui est cher pour eux. A 9h30, il s’interrompt pour son repas principal de la journée qui est préparé par sa famille dans le village et qui s’accompagne de plats réalisés par d’anciens dévots proches. Le repas consiste en cette institution substantielle du sud de l’Inde, un thali végétarien – un plateau en acier inoxydable avec des bols ou des compartiments pour une variété de petites portions de plats différents. Contrairement au thali du nord de l’Inde qui est lourd et huileux, celui du sud est léger et digeste. Sai Baba mange peu, même de ses plats favoris et il préfère les goûts locaux en matière de légumes et de chutneys. Sa vie témoigne de sa maîtrise facile de sa langue et il a renoncé pour des raisons de santé à des denrées comme les pommes de terre, les feuilles de bétel et le café qu’autrefois il appréciait, sans faire d’histoires. La discipline stricte qu’il s’est imposée depuis l’enfance lui a procuré la maîtrise de ses sens.

122

Jusqu’à 11h30, Sathya Sai se repose et dans le silence profite de sa seule activité profane en parcourant la gazette du matin. Inutile de dire qu’il préfère la presse télougoue. (Ramana Maharshi lisait aussi quotidiennement son journal, de préférence en tamoul.) Autrement, son seul accès aux nouvelles profanes se fait par l’intermédiaire de ses serviteurs. Sathya Sai n’emploie pas de secrétaire et il écrit ses propres lettres et ses articles pour le Sanathana Sarathi ; il signe des chèques en tant qu’administrateur principal des fonds de l’ashram et il supervise chaque détail de l’administration quotidienne de son campus en expansion. A midi et demie, il pourra prendre une petite collation (idli ou dosa) qui est suivie d’un moment privé et d’une plongée dans le mode de silence océanique. En Inde, le pays le plus bruyant et le plus tapageur, Prasanthi Nilayam est comme un havre de paix bienheureuse. Le darshan est pareillement une excursion mémorable dans un silence absolu où ne sont audibles que la respiration et le bruissement des ailes des pigeons.

A quinze heures, les files des dévots attendent fiévreusement et lors du darshan de l’après-midi, Sathya Sai se mêle aux dévots et accorde spécialement du temps à ses étudiants. Il peut prendre des lettres, distribuer des présents ou se détendre en écoutant un récital de musique. Il peut s’agir de musique classique carnatique ou de jazz dixieland, par exemple, et tous deux trouvent une oreille complaisante chez ce maître universel de l’harmonie. Ensuite, on chante les bhajans à 17h30. Puis Sathya Sai se retire pour faire de l’exercice, généralement une marche à allure rapide avant de prendre son léger repas du soir constitué de chapatis et de sabji préparés par ses cuisiniers. Ensuite à 18h30, il se retire en privé, mais pour travailler. D’autres lettres attendent et chacune d’elles sera examinée. Il y en a tellement qu’il faut avoir recours à la déchiqueteuse à la fin de la journée pour faire de la place pour l’arrivage du lendemain.

123

Pour le dévot, le clou du darshan, c’est peut-être d’avoir vu Baba craquer une allumette pour allumer une lampe destinée à la puja ou l’avoir vu briser une noix de coco. Quelle profondeur de grâce élégante Sathya Sai apporte à ces actes naturels empreints de symbolisme ! Certains peuvent se rappeler l’odeur de la vibhuti ou même de parfum qui, dans la tradition de Shirdi Baba, réjouit le saint de Puttaparthi. La grâce, en tant qu’événement physique, est manifestée chaque fois que Baba est présent. Ses visites impromptues à l’une de ses institutions, chez un disciple malade ou chez un membre de sa famille peuvent déclencher une vague de bénédictions qui semble toucher tout le voisinage. Les mots magiques ‘’Sai Baba est venu’’ n’ont qu’à être chuchotés pour se répandre comme une traînée de poudre : les foules sont attirées en sa présence et chacun abandonne ce qu’il était en train de faire.

***

124

Sai Baba est venu ouvrir le troisième œil de l’amour et sa présence physique possède la grâce inhérente pour susciter la compréhension de tels mystères. Bien que taillé dans un moule d’une douce féminité, son humeur est pleine d’assurance. La grâce n’est pas accordée à ceux qui ne la méritent pas. Le divin sous forme humaine est un paradoxe et, pour insister sur ses possibilités déroutantes, Sai Baba peut dire à ses dévots : ‘’Je suis votre propriété, Je n’ai aucun droit.’’ Pour un chercheur, l’expérience de Puttaparthi passe de la concentration extérieure sur une seule personne à la lutte interne pour établir la vérité de cette présence immortelle à l’intérieur. La bataille contre le mental qui doute se livre et se perd cent fois par jour − pour n’être remportée que brièvement pendant le darshan. Mais petit à petit, l’océan d’amour reconquiert le rivage submergé des doutes du dévot. Le conflit des marées continuera, mais un jour, le dévot découvre un terrain solide sous ses pieds. Les vagues continuent de déferler sur lui, mais il n’est plus emporté.

La réalisation survient que Sathya Sai ne peut être reconnu comme divin qu’en raison de la propre capacité du dévot à atteindre cet état. L’idée que Sai Baba est un Avatar reste une théorie jusqu’à ce qu’il nous apparaisse que chaque être est un Avatar en cours de fabrication. Nisargadatta Maharaj déclare succinctement (dans ‘’Je Suis Cela’’) que chacun d’entre nous est Dieu, bien que nous ne le sachions pas. Nous souffrons à cause de cette ignorance de notre être réel. La tâche intérieure, c’est de réajuster notre perception et de réaliser, quelle que soit l’improbabilité de la chose, qu’il n’y a pas de différence entre Sai Baba et nous-mêmes. Les deux Sai Baba illustrent l’évolution de l’âme humaine à un niveau où elle a transcendé les exigences de désir physique, sans renier sa place dans le projet des choses. Leurs vies (avec celles d’autres saints qui ont montré des voies différentes) démontrent la réalisation d’un état ineffable au-delà d’étiquettes comme Avatar qui les limitent à des normes religieuses sectaires. La présence de Shirdi Baba évoque plus que l’islam officiel tout comme le cadre extérieur de Sathya Sai qui semble lourdement insister sur l’hindouisme cache le fait que son être dépasse largement l’hindouisme conventionnel – ou tout autre ‘’isme’’.

125

CHAPITRE 11 : ROUTINE QUOTIDIENNE ET TÂCHES COURANTES Pour celui qui est confiné à une existence urbaine, même une excursion d’un jour de Bangalore à Puttaparthi remontera le moral. La nature se rencontre à son propre tempo, les chars à bœufs grinçants remplaçant les véhicules diesel fumants. La grâce saine d’un ordre naturel et neuf restaure le rythme intérieur, quand le bus vous dépose aux portes de l’ashram. Prasanthi Nilayam se situe en bordure du village de Puttaparthi à une altitude un peu plus élevée à l’écart de la rivière.

Celui qui a fait un séjour prolongé à Puttaparthi apprend à quel point le village reste essentiellement arriéré. Il y a quelques années à peine, on devait aller jusqu’à Bangalore pour acheter des articles comme un clou en acier (pour faire tenir une photographie de Sai sur un mur en ciment) ou une petite clé (pour dévisser la tête d’un robinet). Les rues du village, bien qu’égayées par des façades modernes en ciment décorées de couleurs vives, restent primitives, quand il s’agit de trouver des articles de confort. La pauvreté et l’arriération restent le lot de la majorité, bien que beaucoup de villageois soient maintenant au seuil de revenus inimaginables pour leurs parents. Ils ont vendu au prix fort leurs parcelles de terrain à des promoteurs immobiliers et le profil de la rue principale du village qui voyait s’aligner une série de stands branlants est maintenant constitué de tours d’appartements luxueux.

Les deux niveaux économiques que l’on retrouve à l’intérieur et à l’extérieur de l’ashram ne sont pas ouvertement hostiles envers l’autre, grâce à la présence conciliante de Sathya Sai. S’il avait été un étranger venu s’installer ici, il y aurait eu une guerre non déclarée entre les gens du pays et les ashramites (comme à Pondichéry et à Pune, par exemple). Parce que ce garçon du pays a apporté l’honneur et des avantages à son village, il est adoré autant par ses voisins pauvres que par des gens plus riches qui viennent de loin pour recevoir ses bénédictions. Ceci explique pourquoi Sathya Sai qui prêche depuis deux générations dans une région infestée de naxalites et qui fait régulièrement le trajet de quelque 150 km entre Puttaparthi et Bangalore par des routes en mauvais état (jusqu’il y a peu) n’a jamais été ennuyé par des hors-la-loi.

126

En fait, les préoccupations sociales de Sai sont manifestes dans les multiples centres de formation professionnelle qu’il a ouverts pour diminuer le chômage rural chronique. Chez Sai Baba, il est caractéristique que même dans le tourbillon de la visite d’une VIP, il trouvera du temps pour remettre un cadeau au chauffeur d’un dignitaire. Les pauvres remarquent de tels actes et ils ne se laissent pas abuser par les histoires selon lesquelles Baba ne s’intéresse qu’aux dévots riches. Quoique les vastes Poornachandra et Sai Kulwant Halls furent donnés par de riches industriels, ils permettent aux simples villageois de participer aux activités de l’ashram en étant protégés des éléments.

Bien que les institutions de Baba s’étalent maintenant sur plusieurs kilomètres, le vieux centre reste inchangé et ses quartiers ne sont qu’à un jet de pierre de la porte de Ganesh. Pendant de longues années, Ganesh fut la seule déité présente sur le campus de Puttaparthi, mais récemment des sanctuaires ont été construits pour Subramaniam et Gayatri. Ceux-ci doivent être les seuls sanctuaires dans toute l’Inde qui ont été conçus pour empêcher les offrandes. En dehors de l’ashram, des cyniques font remarquer qu’une raison notable de l’augmentation des temples consacrés aux saints Sai est que le retour financier est à la fois généreux et immédiat. Vous entendez que même dans une petite ville de province, on récolte des dons publics pour un montant de cinquante mille roupies par jour. Plutôt que d’affaiblir l’argument de l’augmentation de sentiments collectifs authentiques, ces statistiques les renforcent puisque les offrandes ne sont pas sollicitées, mais faites librement et avec enthousiasme par un échantillon représentatif de la communauté. Les images de Sai Baba ont captivé l’imagination du public et l’affection humaine en matière de dévotion est une des rares constantes qui défie le monde des modes éphémères.

Autour de la résidence sobre de Baba, des blocs d’appartements du genre caserne ont été construits pour les dévots dans les années 1970. Leur livrée rose et bleue égaye ces premiers bâtiments utilitaires. Plus tard, les blocs construits pour des adeptes plus riches ont été mieux conçus et séparés par des arbres et par des jardins. Ces appartements (loués par Baba à des dévots choisis) qui ont fait de Prasanthi une commune, distinguent Puttaparthi de Shirdi. En raison de la présence du Maître vivant, les dévots font de plus longs séjours à Puttaparthi. Chaque petit appartement possède son espace cuisine et salle de bain derrière la pièce principale (living et chambre à coucher) qui donne sur une véranda qui accueille le surplus de dévots en période de fêtes. Puttaparthi est aussi austère et aussi pieuse dans son mode de vie que l’est Sathya Sai.

Lorsque le règlement de l’ashram parut pour la première fois en 1962, la journée de l’ashram débutait à 4 heures et finissait à 22 heures. (Actuellement, l’extinction des feux est à 21 heures.) Il recommande à chacun de ‘’parler avec douceur et gentillesse’’ et met en garde contre toute offrande ‘’excepté prema’’ (l’amour). Sathya Sai était devenu tellement populaire dans le sud qu’un an plus tard, le Sanathana Sarathi fut forcé de publier un avertissement de Baba contre des escrocs qui profitaient de son nom pour récolter des fonds : ‘’Certaines filous ont eu l’audace d’imprimer des en- têtes avec le nom de Baba et d’envoyer des lettres, comme si elles avaient été écrites par lui, lettres qui demandaient aux bhaktas de verser de l’argent aux personnes mentionnées dans la lettre, à savoir eux-mêmes.’’ Pour beaucoup, la découverte de leur

127 dimension spirituelle grâce à un contact soudain et inattendu avec Sathya Sai se fait avec peu de compréhension de la réalité du royaume psychique. Ne sachant rien des mondes autres que l’état de veille, ces nouveaux-venus aux pieds du Maître de Puttaparthi constituent des proies faciles pour les filous rusés qui rôdent dans l’ombre de Sathya Sai et qui prétendent avoir reçu de lui des pouvoirs spéciaux. Incroyablement, même les plus réalistes des hommes d’affaires peuvent se faire piéger par les services onctueux de ces arnaqueurs en raison de leur méconnaissance du milieu spirituel. Le bazar à l’extérieur de l’ashram est devenu une destination favorite des hippies avec ses vendeurs de tapis du Cachemire, ses nettoyeurs d’oreilles d’Uttar Pradesh et ses boulangers allemands de Manali. La corruption qui s’est étendue à partir des plages de Goa s’est introduite à Puttaparthi, parce que beaucoup de disciples étrangers sont riches et sots et constituent des cibles auxquelles aucun racoleur de touristes ne peut résister. Il est difficile pour les nouveaux adhérents d’accepter la règle de l’éthique protestante de la Sai Parampara : pas de prêtre ni d’intermédiaire entre le Maître et son disciple. Il y a un contact direct sur plusieurs plans et à moins que cela ne soit spécifiquement déclaré, les instructions transmises sont strictement réservées à l’usage privé du dévot. Puttaparthi possède son lot de disciples qui, par suffisance, propagent des informations qui ne furent confiées que pour la seule croissance de leurs âmes. Dans l’étude de toute biographie des Maîtres du Deccan, il est essentiel de vérifier si l’information révélée émane d’une autorité objective ou d’un enthousiaste.

Une journée à l’ashram débute à 5 heures pour le visiteur avec la récitation du aum dans le ‘’temple’’. Cependant, tout le monde n’a pas la permission d’y prendre part. L’atmosphère vibrante du petit matin est rendue plus angoissante par des volontaires résolus qui, comme des préfets d’école, supervisent les lignes et se précipitent sur tout articulateur de la syllabe sacrée (répétée 21 fois) dont la voix n’est pas à la hauteur de la musique de circonstance. Ces anciens dévots qui préservent les standards stricts de la pratique de l’ashram se seront levés beaucoup plus tôt. Après l’accomplissement de leurs ablutions corporelles et de leur puja domestique, ils iront dans l’air frais du plateau rendre hommage à Ganesh avant de prendre leurs fonctions dans le hall de prière. Pour leur Maître, Sathya Sai, la journée a commencé beaucoup plus tôt. Comme pour Shirdi Baba avant lui, le sommeil ne semble pas être une priorité et repos du corps semble mieux décrire la manière dont les heures de la nuit se passent.

Après la récitation du aum vient le rite (du sud de l’Inde) du suprabhatam, le réveil mélodieux des dieux qui est suivi du chant des Védas pour purifier le lieu. En prolongement de ces rites, les dévots se rassemblent afin de marcher autour du campus de l’ashram pour le nagar sankirtan, le chant de bhajans pour induire des pensées de Dieu dans les rues désertes et bénir ceux qui les emprunteront. Le nagar sankirtan accompagne généralement le concert matinal de la prodigieuse population d’oiseaux de Prasanthi Nilayam qui quittent le sanctuaire Sai pour aller se nourrir dans les champs des environs. Des réverbérations du aum étouffées par les murs du temple, l’oreille du dévot est ainsi conduite à l’expression d’hymnes chantés par les humains et par les oiseaux. Le nagar sankirtan est dirigé par un groupe de brahmanes qui chantent des slokas sanscrits auspicieux et est un signe en direction de l’orthodoxie. Toutefois, ceci est l’unique signe de reconnaissance de la dignité présidente des deux

128 fois nés. Le reste de la journée, l’ashram suit son logo en honorant le message de toutes les religions et en reconnaissant en Sathya Sai, non pas un prêtre sectaire, mais Dieu apparu sous forme humaine.

Mais que contemple-t-il donc ? Regardez-bien, à droite de la photo !

Inspiré par le darshan du matin qui a lieu vers 6h30, le dévot est rechargé pour accomplir du ‘’seva’’ (des bonnes œuvres) pour l’amélioration du monde. Pour le visiteur, le darshan semble être une attente dénuée d’intérêt et stressante à la fois pour le corps et pour l’esprit, forcé que l’on est de demeurer dans une position inhabituelle de vigilance. Dans ces circonstances épouvantes où une heure ou plus peut se passer assis inconfortablement sur des dalles en attendant l’arrivée de Sathya Sai, il semble que les philosophes se soient trompés sur le fait que la liberté soit l’instinct qui définit l’humanité. L’agitation semble être un candidat beaucoup plus probable. Pour ajouter à l’irritation qui augmente, suite à trop d’activité mentale et trop peu d’activité physique, il y a le comportement de nos voisins qui bougent subtilement par petites touches pour tenter d’obtenir une meilleure vue en évinçant ceux qui sont devant. La bonhomie veut qu’une condamnation soit sous-entendue plutôt qu’exprimée, mais il arrive qu’une personne qui a attendu longtemps pour s’assurer d’une place devant explose, lorsqu’à la toute dernière minute, quelqu’un tente de s’installer devant et bouche la vue.

Il y a vingt ans, le darshan se donnait au même endroit, à ciel ouvert. Avant que le mandir ne soit rénové et que la surface sablonneuse ne soit remplacée par d’impitoyables dalles de pierre, il y avait des palmiers contre lesquels on pouvait appuyer son dos. Une atmosphère détendue imprégnait tout le processus et le dévot était libre d’apporter son sac avec ses livres, son appareil photo et, capital pour les

129 fesses des citadins, un coussin bien rembourré. Autrement, la routine était fort semblable à ce qu’elle est aujourd’hui. Si vous vouliez un bon siège, vous deviez vous mettre tôt dans les files. Baba était plus accessible en ce sens qu’il n’y avait pas encore de campus universitaire et qu’il était l’unique figure qui arpentait la véranda. Il pouvait faire très chaud ou très humide et les dévots excentriques qui insistaient pour s’asseoir dehors dans de telles conditions extrêmes étaient récompensés par le darshan personnel de Baba…mais pas comme ils l’espéraient. Baba leur faisait signe de l’étage de la véranda pour leur indiquer qu’ils étaient toqués et qu’ils feraient mieux de disparaître ! C’était fait tellement affectueusement que cela ne supposait aucune critique. Ils savaient que seul leur bien-être physique le préoccupait.

Au fil des ans, le Sai Kulwant Hall a augmenté en taille et en opulence et il plaît beaucoup au simple villageois, comme signe de virya et d’aishvariya – la splendeur et la richesse inépuisable que l’on associe à un Avatar. Pour les vieux dévots, les palmiers qui ondulaient étaient préférables au plafond moulé richement orné actuel auquel est suspendue une myriade de lustres scintillants. Cette enceinte extraordinaire peut contenir jusqu’à 40 000 dévots. A côté, nous avons l’amphithéâtre Poornachandra pour les spectacles culturels qui accueille confortablement 10 000 personnes. Les fêtes religieuses régionales sont célébrées dans ces espaces publics et pendant Dasara, on accomplit les rituels védiques avec un respect méticuleux de la pratique ancienne.

Le Sai Kulwant Hall, théâtre d’un yagna (à l’avant-plan)

Le Poornachandra Hall, qui jouxte le Sai Kulwant Hall

Il paraît étrange qu’en période creuse, il y a pour le darshan plus de 10 000 personnes qui ont toutes leurs yeux rivés sur l’arrivée d’une petite silhouette mince qui apparaît maintenant comme une flamme glissant le long d’un tapis rouge. Chacun aura son instinct confirmé selon sa perception de la divinité. Pour certains, il n’est qu’un villageois insignifiant aux cheveux frisé vêtu comme un saint homme, de taille décevante et juste capable de produire une poignée de cendres miraculeuses. Pour

130 d’autres, il apparaît dans des nuées glorieuses indiquant une énergie cosmique supérieure à mille soleils, comme sauveur des trois mondes et homme né pour régner sur le royaume du cœur humain. A présent qu’un handicap physique l’oblige à emprunter un véhicule, réduit ses mouvements et fait en sorte qu’il reste beaucoup moins longtemps, on peut constater que la foule qui autrefois attendait après le darshan la fin des bhajans se dispersera tout de suite, dès que la voiture de Baba disparaît, montrant par là qu’elle préfère son aura personnelle au rite religieux.

L’aura, le magnétisme et les pouvoirs psychiques de Sai ne sont pas altérés par son handicap physique qui semble faire partir du rôle qu’il s’est lui-même attribué…

Au fil des ans, l’impact du darshan de Sathya Sai commence à avoir un effet durable. Le processus rappelle l’art alchimique de transmuter le plomb en or. La plupart des anciens dévots ont appris à considérer la capacité de Sathya Sai à les transformer de mortels ordinaires en quelque chose d’infiniment plus significatif, comme le plus grand miracle. Et c’est par le darshan répété que ce miracle se réalise lentement. Ceux qui sont indifférents à l’aura gracieuse de Sai se coupent de ses bénéfices, alors que ceux qui recherchent ses bénédictions en s’ouvrant à ce qu’il est venu donner sont généreusement récompensés. Pour certains, ce qu’il y a de plus satisfaisant à propos du darshan, c’est de contempler la réalité physique d’un garçon du pays qui, grâce à une discipline auto-imposée, marche avec assurance parmi ses frères villageois et est accepté par eux comme un modèle de leurs idéaux. Dieu et le surnaturel passent après la fierté locale d’avoir engendré dans le Rayalseema – une des régions les plus pauvres de l’Inde – cette merveille de l’Esprit.

Entre l’heure du darshan et le chant des bhajans, ceux qui le désirent feront la file pour obtenir une place dans le temple où l’arati sera exécuté, non pas pour les dieux, mais pour le gourou en apothéose des chants. Bien que Sathya Sai, comme Shirdi Baba, accepte avec grâce la validité des sentiments exprimés par les dévots, il s’éloigne rapidement pour signifier que ce n’est pas sa forme extérieure que l’on vénère. Similairement, Sai Baba ne montrera un

131 geste d’occupation symbolique du trône de cérémonie que pour indiquer que son corps représente l’hôte divin invisible.

Après ces cérémonies, certains dévots pourront chercher une place plus proche de la zone du darshan que Sathya Sai pourra traverser plus tard. Toutefois, pour la plupart des appétits normaux – aiguisés par l’air excellent du plateau – les diverses cantines de l’ashram et de l’extérieur appellent à déjeuner. Après ce léger repas, les dévots effectuent diverses corvées ménagères, ce qui inclut l’exercice typique de Puttaparthi d’attirer l’attention d’un dhobi. Porter des vêtements blancs immaculés qui constituent l’uniforme du campus ne peut se concevoir que par une blanchisserie efficace. Le volume et la bonne exécution des opérations de blanchissage à Puttaparthi sont étonnants. Elles s’opèrent de la manière traditionnelle en battant les vêtements contre des pierres érigées le long de la Chitravati (généralement à sec). Un des nombreux miracles du lieu que l’on remarque moins, c’est la manière dont ces dhobis illettrés gardent la trace de centaines de milliers de pièces par jour, chacun grâce à sa marque d’identification particulière qui la distingue de milliers de sosies. Pour le dhobi, l’insistance de Sathya Sai sur une tenue modeste et propre est une aubaine.

Sathya Sai entouré par quelques-uns de ses étudiants immaculés !

Pour faciliter ce nettoyage géant, Baba a construit des ghats appropriés et creusé profondément pour amener l’eau. Pour certains, cette mer de kurtas-pyjamas blancs immaculés ou de chemises sahariennes et pantalons (le costume préféré des étudiants des collèges de Baba, avec des manches longues et des pantalons en coutil) propage l’aura d’une bourgeoisie spirituelle, puisqu’en Inde aucun paysan ne pourra jamais rêver de porter des vêtements blanchis et repassés, sauf pour des occasions spéciales. Ceux qui peuvent se permettre un tel luxe (et de changer de vêtements deux fois par jour) ne sont pas du tout préoccupés par leur image, puisque les normes culturelles de l’Inde sont respectées et que ces vêtements simples sont idéaux pour le climat de Puttaparthi et pour s’asseoir par terre. Sitôt que ces visiteurs de l’ashram quitteront l’enceinte, ils reprendront l’habit du citoyen cultivé. Puttaparthi est pour eux un genre de vacances de l’âme où les valeurs indiennes traditionnelles sont invoquées pour

132 satisfaire l’homme intérieur et extérieur. La politique, le cricket et la télé sont pour une fois délibérément laissés chez soi, même si on peut trouver le journal juste en dehors de l’ashram.

Les cantines de Puttaparthi sont un autre miracle d’organisation limpide. Le secret derrière leur succès – une nourriture succulente et pas chère − c’est l’intérêt personnel de Sathya Sai pour le régime quotidien et son insistance à goûter le menu avant d’octroyer ses bénédictions.

Sai inspecte le contenu des marmites !

A la façon typique du sud de l’Inde, la cantine principale fonctionne efficacement à l’aide d’ustensiles en acier inoxydable étincelants disposés sur des tables recouvertes de tablettes de marbre derrière lesquelles peuvent s’asseoir une douzaine de dévots, chacun sur son tabouret fixé. Des volontaires préparent et servent la nourriture et celle-ci est offerte en portions généreuses, car généralement l’appétit des villageois est féroce au moment de la pause. On achète des coupons pour les différents éléments qui composent le repas dans une baraque à l’extérieur et ceci permet au dîneur de varier son menu. Des milliers de dévots sont nourris rapidement et hygiéniquement à la cantine sud-indienne. Pour ceux qui ne sont pas habitués à un régime à base de riz, d’autres arrangements sont possibles.

La cantine nord-indienne fournit les chapatis, les légumes et le dal que les palais du Pendjab apprécient. Ici, la clientèle est plus réduite et l’atmosphère est moins agitée. Il y a aussi la nouveauté d’un buffet, aussi cette cantine constitue un changement

133 agréable après la routine de base riz-sambar-rasam du sud de l’Inde. Une troisième cantine prépare des repas adaptés aux goûts non épicés des Occidentaux et, bien que chère, elle offre de bons repas nourrissants, même si elle semble suivre les dernières modes diététiques. A l’extérieur de l’ashram, il y a d’innombrables petits cafés et restaurants qui accueillent le visiteur occasionnel qui ne se sent pas trop concerné par la recommandation de l’ashram de s’en tenir aux cantines officielles où la grâce de Sai Baba vient en prime avec la nourriture.

Pour ces récidivistes qui trouvent que la nourriture végétarienne constitue un affront aux droits de leur estomac, une petite enquête dans le voisinage les conduira rapidement dans une baraque où l’on consomme discrètement de la viande. Malgré la pression pour désapprouver ces goûts minoritaires, le fait demeure que les pauvres des villages environnants mangent ce qu’ils peuvent trouver. Le souci spirituel de l’ashram d’éduquer les villageois s’accompagne d’une compréhension de ces réalités quotidiennes. Après tout, Sathya Sai a été élevé dans cet environnement et il est parfaitement au courant de ce qui se passe.

Pour sa propre alimentation, Sathya Sai préfère la nourriture végétarienne locale, mais ce qu’il prend est si négligeable en quantité que c’en est préoccupant. On dit qu’il apprécie les boulettes de ragi (une sorte de millet) qui est traditionnellement une source riche en protéines. Des petites portions de légumes locaux et peut-être quelques pickles constituent le reste de son repas qui sera peut-être suivi d’un dessert régional et de feuilles de bétel (auparavant). Des cuisiniers loyaux sensibles à ses goûts ont parfois l’honneur de l’accompagner pendant ses tournées et même les dames qui préparent son chutney favori peuvent trouver place dans son entourage. Bien que

134 minime en quantité, la cuisine de Sathya Sai implique une sécurité maximale. Seuls les dévots les plus anciens et les plus dignes de confiance sont chargés de cette tâche, rappelant en cela les traditions des cours du Deccan où la fonction de goûteur du roi était hautement considérée. Il y a plusieurs tentatives d’empoisonnement sur Sathya Sai qui ont été confirmées et son immunité est interprétée par certains adeptes comme une preuve de son statut de Neelkantha (le nom de Shiva qui fait référence à sa capacité de neutraliser les effets du poison).

Contrairement à tant d’ashrams, à Prasanthi, la nourriture et la boisson ne sont pas considérées comme de tristes nécessités. Sathya Sai se réjouit d’offrir de tels agréments et quand la mode des glaciers toucha l’Inde dans les années 1980, le campus de Puttaparthi suivit rapidement Bangalore et Hyderabad en ouvrant un point de vente. Une série de magasins vit le jour pour les dévots et les étudiants près du centre de l’ashram, tout près des quartiers de Baba, d’où il pouvait surveiller la joie de ses disciples. Quelques années plus tard, pour des raisons de sécurité, on construisit un centre commercial plus éloigné où les dévots peuvent aller déguster une glace ou prendre un café après le darshan de l’après-midi. Ici, l’ambiance est feutrée, très différente des cafés de l’extérieur où certains dévots sont tentés de mélanger quête spirituelle et avantages matériels. C’est sans doute pour les tenir à l’écart de telles tentations que Sai Baba encourage ses propres dévots à tenir des échoppes qui satisfont à la majorité des besoins des visiteurs.

Pendant la chaleur de midi, l’ashram arbore un air somnolent. Pour les visiteurs, ce peut être le temps d’une sieste avant que les files ne se forment vers 14 heures pour le darshan de 16 heures, mais pour les résidents et les volontaires, leur labeur quotidien ne leur accorde pas de répit. Prasanthi fonctionne avec un minimum de surveillance et un maximum de service consciencieux. L’oisiveté est une insulte à la raison d’être ici : apprendre à mieux servir son prochain. Il est moins question de répartition des tâches que de vouloir s’y adonner dans un esprit de service. Comme Sai Baba est perfectionniste, les heures sont longues et les récompenses, en termes de reconnaissance extérieure, négligeables. Comme dans la majorité des ashrams, les résidents sont forcés de travailler sur eux-mêmes et en raison des foules immenses, le contact avec le guru qu’ils servent se réduit chaque année. Ceux qui considèrent Prasanthi comme un refuge pour des riches oisifs qui peuvent fuir ici le monde réel et suivre un fantasme spirituel personnel n’ont pas pris la peine d’examiner ce qu’en pensent les résidents. Plus longtemps ils restent, plus difficile est leur sort, parce que Sathya Sai, qui est maintenant sûr de leur loyauté, dirige à présent son attention sur un groupe de nouveaux-venus et apparaît pour les anciens encore plus réticent à octroyer ses faveurs.

Le darshan de Sathya Sai de l’après-midi apparaîtra comme l’apogée de la routine de l’ashram en vertu des foules qu’il attire. Les visiteurs affluent par bus et (maintenant) par train et tous les étudiants des collèges et des écoles des institutions Sai viennent grossir les rangs du public. Les dévots étrangers viennent souvent par groupes (qui se distinguent par un foulard de couleur) et beaucoup d’entre eux sont des Indiens non- résidents. L’attrait de Sathya Sai n’est pas seulement spirituel, mais il s’étend aussi aux domaines de la culture, de l’enseignement, de la médecine et même de la psychologie.

135

Les adeptes de toutes ces disciplines trouvent en lui un guide plein de fraîcheur, libre des toiles d’araignée académiques et affranchi de la croyance aveugle selon laquelle la science occidentale détient toutes les réponses.

Sathya Sai Baba et le Président de l’Inde, A.P.J. Kalam, connu comme ‘’The Missile Man of India’’ et l’un des scientifiques indiens les plus renommés

Le darshan est un rassemblement coloré, rendu plus intéressant par la diversité de son attrait. Des gens curieux, dévoués, remplis d’espoir, reconnaissants, en colère, déprimés, handicapés, comblés, perturbés, désespérés – toute la condition humaine en fait – se rassemblent et attendent, cherchant à savoir pourquoi la vie les a traités comme elle l’a fait. Personne ne veut finir comme l’empereur Aurangzeb qui, sur son lit de mort, avait confessé : ‘’Je suis venu seul et je ne sais pas qui je suis.’’ Pendant ces quarante dernières années, certains ont été les témoins quotidiens de ce drame de l’âme humaine qui s’élève pour s’interroger (sous la forme de cette mince figure vêtue d’orange). Jamais le frisson d’un darshan de Sathya Sai ne lasse, jamais son rayonnement palpable ne manque de réchauffer. C’est un instant d’amour rare qui équivaut à se sentir brièvement comme la personne la plus riche de l’univers. Comme tout le monde, je n’ai jamais manqué de me sentir élevé par la simple vue de cette incarnation du divin. Il y a ce déroutant courant d’énergie entre lui et ses disciples qui opère sa magie sur le public. Ce que l’on voit, ce n’est pas seulement un fils de la terre transfiguré, mais le potentiel de la grâce divine réalisé sous forme humaine. C’est l’apothéose de ma recherche pour voir en action la grâce. De manière extraordinaire, elle descend toujours, année après année, comme si Sai Baba raillait les critiques qui exigent un volume suffisant de preuves statistiques.

136

Personne, à l’exception de ses admirateurs paysans, ne verra que Sathya Sai vêtu en saint homme. Tous reconnaissent les miracles d’une âme incandescente qui a rendu universel un corps provincial, réalisant en une seule vie la grâce que la religion conventionnelle nous enseigne être l’œuvre de plusieurs.

***

137

Etant donné le milieu indien, la manière dont Prasanthi se gère elle-même est extraordinaire. Les foules gardent le silence et observent les règles qui limitent leurs démonstrations de dévotion et coopèrent généralement avec les autorités de l’ashram pour permettre à Sathya Sai de consacrer toute son énergie à sa mission. Depuis le départ, la tendance démocratique est typique de la mission Sai et à l’époque du vieux Mandir, il était disponible à toute heure pour s’occuper des besoins de ses disciples. C’est à partir des rangs de ces dévots que l’organisation des volontaires s’est constituée en sevadals. L’ashram communique facilement avec la commune de Puttaparthi et pour savoir à quel point cette dernière dépend de la présence physique de son fils le plus célèbre, il faut voir son état désert, lorsque Sathya Sai est parti à Whitefield, son deuxième ashram situé dans la banlieue de Bangalore.

Une grande part de l’atmosphère paisible de Prasanthi est due aux efforts incessants et discrets des volontaires sevadals de chaque Etat (et de l’étranger) qui supervisent le contrôle de la foule et la gestion journalière de l’ashram. Ils portent ce que Baba a appelé ‘’la charge de l’insigne’’ et comme symboles distinctifs, les hommes arborent un foulard bleu et les femmes un foulard jaune. ‘’Vous obtiendrez plus ma grâce par le service et par le sacrifice qu’en étant assis au premier rang en approuvant tout ce que je dis’’, affirme Baba et c’est difficile à mettre en pratique, quand on a voyagé aussi loin rien que pour le contempler. Sur quelques milliers de travailleurs authentiques, il y en aura un qui dérogera aux règles et qui laissera entrer subrepticement un parent pauvre pour vendre à la dérobée des photographies de Sai. De retour chez eux, ces fantassins de la mission Sai tiennent des réunions hebdomadaires dans leurs localités où un travail social et éducatif est entrepris bénévolement.

Sevadals actifs dans une institution médicale de Sai (pas de limite d’âge, ni de retraite !)

138

Ce réseau de succursales Sai s’étend maintenant tout autour du monde et Sathya Sai est l’équivalent des Nations Unies pour ce qui est du nombre des Etats où il a des adeptes. A l’inverse d’autres Eglises, aucun de ses adeptes provenant de 150 nations n’est né dans son mouvement. Tous se sont engagés en réponse à l’amour qu’il incarne.

A l’occasion, Baba exprimera son déplaisir aux dévots, tout comme le faisait Shirdi Baba. Dans un tel contexte social où les horizons sont consciemment limités afin d’intensifier le travail sur soi, le seul exutoire, c’est le commérage, la création de factions et le besoin de diaboliser ceux qui agacent. Autrefois, Sathya Sai accomplissait des tournées d’inspection du campus et il n’hésitait pas à faire quelques remontrances cinglantes à d’anciens disciples, une grâce à laquelle la plupart d’entre nous préféreraient renoncer. Il les accusait de chanter les bhajans tellement mal qu’il avait envie de mettre des boules Quies dans ses oreilles. Il réprimandait certains anciens disciples pour leurs basses mesquineries politiciennes et parce qu’ils lui envoyaient des lettres délatrices suppurant la jalousie envers les nouveaux-venus. Il se plaignait de la saleté et des détritus à l’extérieur de leurs chambres, si typiques du souci unique de l’Inde orthodoxe pour la spiritualité. Ils laissaient leur chambre se délabrer en espérant que Baba s’occuperait des réparations et des travaux de peinture. Parfois, il menaçait de renvoyer les mauvaises langues et (comme Gurdjieff) de fermer l’ashram, sauf pour une poignée de travailleurs sincères. Baba dramatisait combien il faisait pour ses disciples et combien ceux-ci étaient ingrats pour ne pas changer leurs manières. Qu’ils devaient être mauvais, leur rappelait-il, puisqu’ils forçaient même un Avatar à utiliser des mots durs.

Il faut ajouter qu’après avoir prononcé ces diatribes, Baba revenait à sa personnalité compatissante endéans quelques minutes. En ce temps-là, avant que les foules n’arrivent, il se mêlait aux disciples, visitait les hangars pour s’assurer des conditions de vie et plaisantait avec chaque personne qu’il croisait. Je me souviens combien Baba aimait qu’on le prenne en photo et qu’il posait pour quiconque avait un appareil photo. Aujourd’hui, pour des raisons de sécurité, les appareils photos sont strictement interdits. En fait, même les stylos ne sont plus autorisés dans la zone du darshan et un policier en uniforme est attaché à l’entourage de Baba.

139

CHAPITRE 12 : CAR MES YEUX ONT VU

A cause de son long ministère constant et immuable, Sathya Sai a connu trois générations de dévots qui ont offert leurs services à plein temps. Beaucoup des premiers dévots du jeune guru sont décédés. Les disciples de la deuxième génération sont encore là et chacun a sa place dans le cœur de Baba pour sa compagnie fidèle. Le professeur Kasturi est largement connu pour ses efforts littéraires, mais ce qu’on ne sait pas, c’est que Sai Baba lui a fait subir énormément de pression, comme à tous ses proches disciples. La vie à Prasanthi Nilayam est une véritable sadhana où perdre son sang-froid un seul instant peut replonger le chercheur des mois en arrière en quête d’une équanimité qui se dérobe. Certains ont comparé la vie à Prasanthi à l’intérieur d’une casserole à pression.

Sai accomplissant le vibhuti abhishekam, assisté par le Prof. Kasturi

Le nombre de disciples qui méritent une mention pour leur loyauté est légion et ils proviennent de tous les milieux. Par exemple, Shivraj Patil, l’actuel Ministre de l’Intérieur de l’Inde est un dévot, comme l’était le Dr. Bhagavantam, un des plus éminents scientifiques du pays. Pendant des années, Bhagavantam traduisit les discours publics de Sai Baba du télougou en anglais. Des altesses royales, des diplomates, des politiciens, des artistes, des musiciens, des chanteurs, des danseurs, des stylistes, des sportifs, des stars de cinéma, on peut voir de tout dans les rangs du darshan à Puttaparthi. Pour avoir une idée de la variété des esprits raffinés qui ont été attirés par le message de Sathya Sai, le lecteur est renvoyé aux divers volumes commémoratifs qui

140 ont été publiés pour célébrer les anniversaires les plus marquants de Baba. Par exemple, Golden Age (1980) inclut un article brillant sur le sens de la religion de Krishna Iyer (le juge qui tenta d’inclure l’entièreté de l’hindouisme en une seule définition) ainsi qu’une vision d’ensemble toute aussi inspirée sur le même sujet par l’éminent administrateur, K. Guru Dutt.

Bhagavan Sri Sathya Sai Baba entouré par les souverains du Népal

Un des premiers dévots intimes fut Raja Reddy. Pendant des années, il fut le meneur des bhajans et sa présence dévouée auprès de Baba semblait en faire son bras droit. Tout le monde pensait qu’il ferait toujours partie des meubles, mais comme toujours avec la mission d’amour de Sathya Sai, rien n’est prévisible. Le mariage de Raja Reddy arrangé par Baba fit la une de l’ashram. Il conduisit à une vie à l’extérieur de Puttaparthi. (Le mariage arrangé de disciples est devenu un signe coutumier de la grâce de Baba. Néanmoins, le nombre de victimes, comme dans toute activité qui implique le conflit d’ego peut être élevé et ceci a amené certains à conclure que les pouvoirs de Baba sont imparfaits. Faire en sorte qu’une union arrangée fonctionne est la responsabilité des partenaires concernés.)

141

Le colonel Joga Rao est une autre figure à part entière et l’un des très rares que Baba pouvait traiter en ami. Baba aime plaisanter avec ses proches disciples, mais ceux qui ont été élevés traditionnellement créent consciemment un espace entre ce qu’ils considèrent la divinité et leur propre état non racheté. Joga Rao qui était d’une nature célébrant la vie, était comme une bouffée d’air frais dans des situations où des attitudes de supériorité vertueuse pouvaient être comprises comme étant spirituelles. Il vaut la peine de mentionner ici que le sens de l’humour et la nature enjouée de Baba désavantagent une étude en anglais en ce sens qu’il n’est pas possible de capturer la saveur truculente du télougou ou Baba dans son élément naturel. Il se moque toujours des inclinations romantiques des vieux dévots et certaines de ces plaisanteries peuvent paraître presque grivoises. Une fois, après Dasara, il fit observer que le meilleur moyen de disperser les foules qui s’attardaient serait de mettre Kasturi sur scène avec Shirdi Ma (une disciple toute aussi ancienne). En les voyant danser tous les deux, la foule fondrait comme neige au soleil ! Chaque fois qu’il saluait Shirdi Ma, il feignait la surprise en disant ‘’Quoi ? Encore vivante ?’’ A l’occasion du mariage de Diana Baskin, Baba, avec son sens de l’humour habituel dit à une autre veuve âgée : ‘’J’ai un bon mari de 120 ans pour toi !’’ Son humour est essentiellement rural, et comme celui de Shirdi Baba, direct, sans affectation et original. Il appelle presque tous ses dévots ‘’bangaru’’, ce qui veut dire ‘’or’’ et les bien nourris ‘’pakoras’’ (‘’beignets de légumes’’). Il utilise souvent l’expression ‘’ayyo papam’’, qu’on pourrait interpréter comme un salut affectueux à un ‘’ancien pécheur’’. Il est vrai des deux Maîtres du Deccan qu’ils n’ont jamais pris une position moraliste. Ils sont bien conscients des défauts de leurs visiteurs et ils abordent leurs faiblesses avec beaucoup de tact. Quoique pas toujours… Je me souviens qu’à Delhi, Baba avait demandé au fils d’un riche homme d’affaires qui était venu le voir en pantalon de golf à carreaux écossais : ‘’Tu t’es pris dans un tapis ?’’

142

Kutum Rao, administrateur de l’ashram pendant plusieurs années, était un autre dévot intime qui apporta son expérience de juge de la Cour Suprême pour favoriser une gestion ordonnée. Deux volontaires, Patel, puis Khaya Das, avec leurs physiques de lutteur, étaient employés pour ‘’protéger Baba’’ pendant son darshan et dissuader les dévots trop enthousiastes de lui tendre une embuscade. Une autre figure familière que l’on voit toujours sur la véranda du temple, prête à sonner la cloche de l’arati et portant le seul couvre-chef blanc à la Gandhi de toute l’assemblée, n’est autre que le neveu du gardien de Manohar. Après s’être occupée du chien de Shirdi Baba, cette famille porte maintenant la masse d’argent de cérémonie de Sathya Sai.

Un disciple de l’Andhra Pradesh qui ne cache pas ses préférences mondaines, c’est Ramana Rao, un coordinateur sevadal franc et direct. Son livre, Love is My Form (2000), rédigé directement à partir du cœur est rafraîchissant dans son approche. Il révèle Sai Baba comme un frère aîné chaleureusement humain plutôt que comme une pieuse figure distante. Le caractère direct de l’amour de Ramana Rao est révélé dans la toute première remarque par un ami qui l’emmena voir Sai Baba contre son gré. Son ami lui avait garanti : ‘’Je vais te montrer Dieu.’’ Baba appelle invariablement ‘’voyou’’ Ramana Rao et c’est extraordinaire de lire comment il semble avoir posé des pièges pour attraper ce dévot hors pair, conscient que sous sa façade de directeur général se cachait un cœur d’or. L’auteur raconte brièvement, mais avec éloquence, comment, lors de sa première visite à Puttaparthi, il fit la connaissance d’un ancien disciple célèbre, Surayya (Suryaprakasha Rao) qui dirigeait la cantine dans un style autoritaire et dont la taille imposante avait incité Sai Baba à le surnommer ‘’cocotier’’. D’après l’auteur, ‘’sa voix guérissait directement la constipation’’. Surayya avait été l’employé du raja de Venkatagiri qui fut le plus dynamique de tous les anciens disciples. Le raja travaillait sans compter pour promouvoir la cause de Baba et il contribua à élargir sa base populaire. Tout le monde aimait le raja, car sa dévotion était sincère et flamboyante. Baba visitait régulièrement l’ancien petit Etat de Venkatagiri et entre ces deux-là, il y avait une belle relation suivant le modèle classique où la sagesse du guru guidait l’énergie du roi.

La mère de Rani Ma, Kanwarani Balbir Kaur, une sardarni de Patiala, était une disciple qui ne souffrait aucune absurdité. La séquence événementielle qui la conduisit à rejoindre l’ashram est une histoire maintes fois répétée. Sai Baba est intervenu directement pour sauver sa vie. En dépit de sa santé précaire – les meilleurs docteurs la considéraient comme perdue − cette dame supervisait toutes les volontaires, ce qui n’était pas une mince affaire avec les gens du pays qui la considéraient comme une étrangère venue du nord. Sai Baba comprit que la Kanwarani était ce que les Sikhs appellent une ‘’sawa lakh’’ valant toute une armée par son fighting spirit. Ayant vaincu la mort et le cancer sur la table d’opération, elle arriva à Puttaparthi pour relever le formidable défi de façonner le paysage futur de Prasanthi Nilayam.

Une autre disciple formidable venue du nord est Brij Rattan Lal qui renonça à la vie dans la haute société de Bombay pour apporter l’expertise de son affaire familiale au projet d’impression de Sathya Sai à Whitefield. C’est grâce aux Rattan Lal que le Sanathana Sarathi devint le phare diffusant la lumière de la parole de Sai aux quatre coins du monde.

143

Dans ce qui est probablement le compte-rendu le plus remarquable d’une vie vécue à proximité de Sathya Sai, le livre de Diana Baskin, Divine Memories of Sri Sathya Sai Baba (1990) décrit littéralement deux années de vie comme voisins de Baba à Whitefield. Comme la décision bizarre d’avoir un jeune couple d’Américains comme voisins, ce livre est tellement rempli de surprises qu’il inverse totalement l’image de Baba comme personnage reclus. Ces souvenirs le présentent comme un voisin attentionné, affectueux, plein d’humour et de rire, très loin du personnage religieux austère décrit par certains dévots. Diana aimait beaucoup les animaux et une fois, Baba accomplit un miracle qui sauva la vie d’un chien, un petit acte de miséricorde, accompli consciemment par amour pour le cœur tendre d’une disciple.

144

Il ne sera pas incongru de mentionner ici quelques-uns des dévots à quatre pattes de Sathya Sai, compte tenu de l’amour de Diana pour les animaux. Le plus volumineux et le plus endurant est l’éléphante de Baba, Sai Gita, qui est arrivée toute petite et qui semble se conduire comme une fille affectueuse lors des cérémonies.

Parmi les résidents les plus inhabituels de l’ashram, il y avait des chameaux offerts par un dévot. Au fil des ans, beaucoup de chiens ont laissé des traces, les plus célèbres étant deux loulous de Poméranie, Jack et Jill, qui étaient réputés pour jeûner le jeudi. Jack dormait près de la tête de Baba et Jill à ses pieds. Quand ils trépassèrent, Baba érigea un petit mémorial au- dessus de leurs restes pour honorer leur fidélité. (Shirdi Baba possédait un cheval en plus de son chien et Ramana Maharshi avait un chien qu’il envoyait pour guider les pèlerins autour de la sainte colline.) Bien qu’il aimait les petites races, Baba a aussi eu des bergers allemands. Un magnifique portrait qui les montre en train de tirer sur une laisse a pour légende ‘’Baba avec Tommy et Henry’’. Ceci rappelle une pose souvent adoptée par le gourou mystique Dattatreya. Comme il a déjà été mentionné ailleurs, Puttaparthi s’enorgueillit d’une population d’oiseaux

145 remarquable avec des milliers de spécimens qui viennent se percher dans les arbres tout autour du campus.

Il semble que Sai Baba ait reconnu en Diana ce qui faisait une vraie disciple et son livre concernant sa quête de la réalité intérieure témoigne du courage et de l’honnêteté dont seule peut-être une femme peut faire preuve. Tout semble authentique à propos de la dévotion de cette femme. Bien qu’appartenant à la haute société hollywoodienne, elle avait des liens avec la Fondation Krishnamurti. Elle était malheureuse en mariage avec Joe, un autre archétype d’Hollywood qui était aussi nonchalant à propos de recherche intérieure que Diana était sérieuse. Chose étrange, Baba se prit d’affection pour Joe et, à la surprise générale, il invita le couple à emménager à côté de sa résidence de Whitefield. Bien que marqué par des querelles conjugales et des chamailleries – racontées avec une honnêteté rare – leurs moments passés auprès de Baba constituent une lecture fascinante. Un gros plan merveilleux de l’affection parentale de Baba pour sa famille adoptive étrangère est offert au lecteur. Dès le départ, l’humour caractérise la relation comme lorsque Baba offrit à Diana un médaillon qui le présente de manière peu flatteuse sans ses dents de devant ! Avant de rencontrer Baba, Joe l’appelait ‘’ce personnage’’ et disait qu’il ne serait pas convaincu par les qualifications de Baba, à moins qu’il ne matérialise quelque chose de réellement gros comme un arc-en-ciel. Le jour où ils arrivèrent à l’ashram, ils eurent la surprise de voir un arc-en-ciel qui, au lieu d’être courbe, filait droit dans les cieux. Quand ils rencontrèrent Baba, la première question qu’il posa à Joe fut : ‘’Alors, personnage, tu l’as trouvé comment, l’arc-en-ciel ?’’

Il semble que la vision de la vie grossièrement américaine de Joe était une nouveauté que Baba désirait expérimenter, mais comme sa relation avec Diana ne s’améliorait pas, Baba conseilla d’y mettre un terme. C’est à ce moment-là que, malgré l’avis contraire de sa femme, Joe subit une opération chirurgicale et mourut. Comme le couple avait une enfant en pleine croissance, Baba insista pour que Diana se remarie et dit qu’il lui trouverait un partenaire adéquat. Le nouveau mari était un avocat américain beaucoup plus jeune que Diana, mais comme tous les deux étaient des disciples de Baba, ils acceptèrent de lui obéir, bien qu’avec le choc de l’Occidental devant l’absence de toute

146 consonance romantique. Tous les deux étaient perplexes, quant à l’insistance de Baba pour qu’ils engendrent un fils, sans délai. Après que le couple se soit dûment exécuté et qu’il soit revenu en Inde avec le bébé pour obtenir les bénédictions de Baba, il choisit de les ignorer. Pendant quatre longues années, Baba refusa de reconnaître leur présence. Ce test de loyauté sévère était quelque chose dont Gurdjieff était le spécialiste. Peu survivent au passage de l’affection au suprême dédain du guru. Certains deviennent amers et écrivent des livres dénonçant leur maître ; quelques-uns comme Diana et son époux tiennent bon et trouvent en l’autre l’amour du guru et passent l’épreuve de glace.

Le récit de Baskin du gel brutal après la chaleur des rapports de bon voisinage avec Baba fait de son livre une description absolument authentique de ce qu’est emprunter la voie intérieure avec ses dangers et ses abîmes. Il montre combien cette forme de Shiva, le gourou intérieur, peut être imprévisible et combien il est risqué de le décrire comme traditionaliste ou comme moderniste. L’œil perspicace de Diana note comment le délicatement féminin adhère au fortement masculin en lui, rappelant l’union de Shiva-Shakti. Elle note aussi comment son teint peut passer de l’ivoire au brun foncé. En bref, il est unique, unique en son genre. Elle cite une parole inhabituelle qui fait voir à quel point les vues de Baba peuvent être originales : ‘’Il vaut mieux viser un lion et le rater que toucher un chacal.’’

Sathya Sai Baba et Howard Murphet

Le récit le plus objectif de la vie de Sai Baba et de ses leelas en anglais est celui de Howard Murphet (Sai Baba, l’Homme des Miracles, 1971). Murphet, un Tasmanien simple et direct doté d’un instinct de terrier s’approche de l’aura miraculeuse de Sai Baba avec toutes ses facultés critiques en alerte. Reconnaissant peut-être qu’il y a là un Boswell réellement conscient de la nature miraculeuse de la vie et motivé par l’altruisme, Sathya Sai répond positivement et affiche une remarquable variété de pouvoirs apparemment divins devant cet examinateur unique. Murphet donne

147 l’impression d’être un chercheur sain, un témoin fiable et un reporter impartial, bien qu’il est vrai qu’au terme de ses découvertes, il est devenu un croyant confirmé.

Avec sa formation théosophique qui l’autorise à évaluer l’authenticité ou non des phénomènes psychiques, il apporte le rare don de savoir écrire à propos des sujets spirituels dans un langage ordinaire. Ses chroniques de jours passés dans la proximité physique du saint de Puttaparthi à une époque où le mouvement Sai était encore facilement gérable en termes de nombres sont aussi utiles pour leur contenu social, puisqu’elles dressent la liste des gens de la haute société qui recherchèrent l’aura du saint. Ce qui est remarquable, c’est la rotation continuelle des dévots. C’est comme si Baba veut faire en sorte qu’un maximum de gens débutent sur la voie spirituelle. Ils viennent, ils sont impressionnés par l’amour et par l’attention de Baba, ils reviennent et ils sont accros. Après, Baba accueille de nouveaux visages et les anciens commencent à se sentir délaissés. Il y en a qui tombent et d’autres qui trouvent Baba en eux- mêmes.

Après l’accueil phénoménal et bien mérité de son premier livre sur Sathya Sai, en 1978, Murphet publia un compte-rendu de sa deuxième visite en Inde. Il possède le même mélange convaincant de respect et de retenue dans sa tentative pour jauger le statut d’une personne qui semble ne pas avoir d’égal pour ce qui est du sentiment extraordinaire du numineux qu’elle dégage. Si le premier livre sur les miracles de Baba plaît à l’homme de la rue, le deuxième, Sai Baba Avatar, traite les questions d’étudiants plus spécialisés qui veulent comprendre les qualités déroutantes de Sathya Sai. Ceux qui possèdent une tournure d’esprit scientifique exigent des statistiques, de préférence de la plume d’un Ph D. Réalisant que ceci est une condition préalable pour que les attributs de Baba soient pris au sérieux par un monde sceptique, Murphet rassemble les preuves de manière convaincante. Il apparaît que Sathya Sai, depuis sa tendre enfance, a produit de la vibhuti et d’autres menus objets à une fréquence moyenne d’environ vingt-cinq manifestations par jour. Ceci signifie qu’à ce jour, plus d’un demi-million de démonstrations soi-disant miraculeuses de cet ordre mineur ont été effectuées par lui en public, ce qui constitue un ensemble de preuves écrasant !

148

Pour soutenir ces faits de manière scientifique, Murphet cite le rapport de deux chercheurs universitaires, les Dr Otis et Haraldsson de l’American Society for Psychical Research qui accomplirent 14 expériences en présence de Sathya Sai et qui conclurent que ce à quoi ils avaient assisté ne portait aucune trace de fraude et était inconnu de la science. Pour montrer la rigueur de leur enquête, ils notent que ce serait plus facile de simuler la matérialisation de substances sèches (comme la vibhuti), mais admettent que Baba pouvait aussi produire des substances humides et grasses. Les deux chercheurs étaient enthousiasmés par leurs découvertes et par la perspective d’un changement du visage de la science. Simultanément, ils étaient suffisamment réalistes pour savoir que la science moderne n’est qu’une autre forme de prêtrise qui protège jalousement ses dogmes. A l’époque du Moyen Age, eu Europe, la théologie était connue comme la reine des sciences et le monde moderne fut proclamé en bousculant la prééminence de la théologie. La science possède maintenant le respect des masses et le pouvoir grisant qui s’attache à cette croyance. Il est très peu probable qu’elle abdique volontairement son pouvoir au profit d’une réalité aussi inquantifiable que l’amour. La science et particulièrement la science médicale, diraient certains, est devenue la superstition la plus en vogue et la plus chère du monde.

Le troisième livre de Murphet, Sai Baba : Invitation to Glory (1982) étudie plus en détail les phénomènes psychiques et débute avec le traitement personnel de l’auteur auprès d’un célèbre guérisseur psychique philippin. La voix de Murphet est une voix sensée qui maintient fermement le sujet dans le royaume du possible. Parce qu’il n’est qu’un visiteur de passage, il commet une erreur en rapportant certains détails culturels mineurs, mais la transparence de ses motifs et la générosité de son esprit qui tente de comprendre les coutumes asiatiques font de ses écrits une présentation admirable du message de Sathya Sai. Mêlés à des réflexions sur la manière dont les phénomènes fonctionnent, il y a des exemples de guérisons dramatiques auxquelles l’auteur assista et tout ceci est dit avec un sentiment d’intérêt empreint de compassion qui procure au livre sa valeur.

Poussé par Sai Baba, Murphet a produit sans grand enthousiasme un quatrième volume largement autobiographique qui est un testament émouvant de la quête de découverte de soi authentique d’un mortel ordinaire. Where the Road ends décrit le début de sa vie en Australie où il suivit une formation de journaliste et comment le destin le vit atterrir en Angleterre, juste quand la Deuxième Guerre Mondiale fut déclarée. Faisant fi de ses principes pacifistes, il s’engagea dans l’armée et s’éleva au rang de colonel, sa formation de journaliste faisant en sorte qu’il ne soit pas exposé à la boucherie du front. Néanmoins, celle-ci ne l’empêcha pas d’être confronté aux horreurs de Belsen et d’être le témoin des procès de Nuremberg qui s’ensuivirent. Murphet raconte son intérêt de toute une vie à étudier tout mouvement spirituel qui croisa son chemin et la sincérité de sa quête fut récompensée par un sentiment profond d‘être arrivé après son darshan de Sathya Sai. De même, le guru semble immédiatement avoir reconnu en Murphet un véhicule sain pour propager son message à l’étranger.

Son cinquième livre, The Light of Home (2002) est dédié à Shiva et c’est un résumé mature du pèlerinage d’une vie enrichissante. L’auteur conserve jusqu’au bout

149 l’enthousiasme et l’humanité qui caractérisent son écriture. Grâce à sa modestie naturelle, les lecteurs peuvent voir en lui un guide fiable. Contrairement à la prose habituelle qui loue Sai Baba, il n’y a ni hommages dithyrambiques ni revendications exagérées. Le succès des cinq livres de Murphet réside dans la présentation sobre d’un Maître moderne dont l’aura extraordinaire peut – par sa grâce – être expérimentée par les chercheurs les plus ordinaires. Le style tout simple de l’auteur australien garantit que le sujet de la spiritualité est investigué avec l’objectivité exigée par n’importe quelle science.

Un des disciples étrangers les plus proches de Baba est le Dr John Hislop, un Américain à qui il confierait la charge de superviser la gestion de la mission Sai aux Etats-Unis. Tout comme Howard Murphet, le Dr Hislop est quelqu’un qui aime bien prendre des notes et il a publié deux recueils de ses conversations et de sa correspondance avec Sathya Sai. A l’inverse de Murphet qui teste les qualifications de Baba avant de l’accepter comme guru, Hislop tomba directement sous le charme de Baba. Il dit comment son moi intellectuel et sans âme trouva immédiatement de l’eau, quand il rencontra Sai. Hislop était sérieux dans sa quête. C’est un lundi qu’il entendit parler de la capacité de Sai Baba de changer réellement le caractère d’une personne. Le jeudi, il était dans un avion pour l’Inde. Ceci indique aussi que c’était quelqu’un qui avait des moyens, mais le bon côté d’Hislop, c’est son indifférence envers la richesse et une innocence qui est inhabituelle chez un homme d’affaires.

Baba lui aussi se prit immédiatement d’affection pour Hislop et il lui accorda régulièrement des entretiens. Contrairement à Murphet qui paraît un peu froid, les conversations d’Hislop sont celles d’un disciple qui s’est abandonné aux pieds du Maître. Son style ressemble à celui de Kasturi, plein d’une dévotion adulatrice avec peu de trace d’une faculté critique à l’œuvre. Sai Baba répond avec enthousiasme à cette suspension volontaire d’incrédulité et donne généreusement de son temps à cet exemple éclatant d’abandon, un homme au grand cœur qui travaille sincèrement à réduire la taille de son ego. Hislop a l’humilité de prendre du recul et de faire la distinction entre son moi physique et son Moi immortel. Il est douloureusement conscient de ses limites, mais au lieu se s’en lamenter, il célèbre à la place l’état sans limite de Sathya Sai. Le lecteur ressent que ces deux-là qui conversent ressemblent à Arjuna à qui enseigne Krishna.

L’innocence charmante d’Hislop est reflétée dans sa recherche antérieure d’un Maître. Comme beaucoup d’autres, il fut ce que mon guru appelait un ‘’collectionneur de timbres’’, faisant la tournée des ashrams à la recherche du Maître qui lui conviendrait. Comme pour Murphet, il y a un lien théosophique ténu. Il débute sa quête sur le

150 campus californien de Krishnamurti, l’Avatar promis qui préféra rester humain. Après une période avec le désabusé Krishnamurti, il trouva Maharishi Mahesh en qui il vit peut-être le reflet de sa propre innocence. Pratiquant la méditation transcendantale (MT), Hislop acquit rapidement le statut d’initiateur. Le Maharishi l’invita alors en Inde pour trouver un terrain pour un ashram à Uttarkashi.

Murphet comme Hislop passa par la phase de la méditation transcendantale et il est intéressant de comparer leurs raisons de ressentir qu’ils l’avaient dépassée. Murphet n’a pas de regret et il adopte un ton d’adieu courtois, louant les efforts du Maharishi pour éveiller notre ère matérielle moderne à son héritage spirituel et il reconnaît l’aide qu’il a reçue du mouvement. Hislop, en accomplissant la période prescrite de méditation intense atteignit le niveau de félicité promis. Toutefois, son âme raffinée reconnut immédiatement ceci comme n’étant pas un état spirituel authentique, mais un substitut. Réalisant qu’il serait responsable d’initier des gens à une expérience pseudo spirituelle, Hislop choisit de démissionner.

Ces départs du giron de la MT constituent un contraste saisissant avec celui des Beatles dont le désenchantement, quant aux méthodes du Maharishi est rapporté dans le livre de Nancy Cooke de Herrera, Beyond (1992). D’après le témoignage de cette femme mondaine de la haute société, ils quittèrent l’ashram de Rishikesh du Maharishi en état de choc, se sentant trahis par les manigances commerciales qu’ils découvrirent là-bas. (Par contraste, quand certains des Beatles rendirent visite à Sathya Sai et découvrirent qu’ils étaient traités dans son ashram tout comme n’importe quel autre dévot, ils ne restèrent pas.) Malgré la crainte que la tournée tourbillonnante de la spiritualité indienne de Nancy Cooke ne soit racontée que comme les impressions d’une touriste de plus, son livre révèle une personne dotée d’une intrépidité et d’une compréhension considérables. Sa description de ce qu’elle ressentit, lors du darshan de Sathya Sai à Puttaparthi est la plus honnête que j’aie rencontrée. Les femmes réagissent plus instinctivement que les hommes en ces matières et le miracle total de l’amour est suggéré dans son appréciation très féminine : elle ressentit une vague d’exultation qui l’envahit encore et encore comme un orgasme – seulement en mieux, comme elle le dit. Elle note que cela ne s’est jamais produit avec le Maharishi.

Les livres d’Hislop, Conversations avec Sathya Sai Baba (1978) et Mon Baba et Moi (1985) révèlent un rapport qui se base sur une authentique fraternité, et en présence d’un disciple aussi digne de confiance, le guru peut s’assouplir et se détendre dans une veine plus légère. Les conversations sont de nature amicale et abordent les questions pratiques de l’administration de l’ashram, spécialement la gestion de l’argent et la manière de traiter les disciples peu commodes. Pour la première fois dans une biographie concernant la Sai Parampara, la facilité et la chaleur de l’échange déplacent l’accent de la gloire de la divinité accomplie dans le guru à sa possibilité réelle de briller dans des disciples ordinaires comme Hislop. Un des étudiants de Baba résume joliment ce progrès en appelant Hislop ‘’une petite portion de Swami’’. Trop souvent le Maître de Puttaparthi est décrit sur un mode distant inatteignable et il semble n’y avoir aucune urgence chez les disciples pour tenter d’imiter cette gloire. Le fait même que Sathya Sai soit né conscient de son statut divin en décourage beaucoup et donne à d’autres l’excuse qu’aucun mortel ordinaire ne peut espérer atteindre un état aussi

151 avancé. L’écoulement d’amour constant d’Hislop opère de grands miracles et prouve que tout dévot qui tente de devenir un avec l’océan peut découvrir des réserves cachées en lui-même. Lors d’une conférence internationale Sai qui eut lieu à Rome en 1983, le message de Sathya Sai conclut : ‘’Quelle est l’utilité de toute cette connaissance si l’homme ne se connaît pas lui-même ? La réalité intérieure de l’homme ne peut pas être connue en explorant le monde extérieur.’’ Il accuse la science de limiter notre individualité à celle d’une vague se brisant sur la plage. C’est tout le contraire, insiste Baba : pulsant dans le cœur de chacun de nous, il y a l’océan.

Sri Sathya Sai entouré par John Hislop et son épouse

152

Parmi les quelques livres réellement perspicaces écrits en anglais à propos du phénomène Sai, Bhagavan Sri Sathya Sai Baba : The Man and the Avatar du Dr V. K. Gokak – écrit pour commémorer le cinquantième anniversaire de Sathya Sai en 1975 – est le plus lucide. Gokak était un universitaire réputé dans toute l’Inde ainsi qu’un littérateur kannarien distingué. Il est intéressant de noter que ses prénoms, ‘’Vinayak Krishna’’, regroupent les dieux des deux traditions shivaïte et vishnouite. Significatif, car Sathya Sai, bien qu’apparaissant essentiellement hindou, ne montre jamais aucune préférence pour les sectes vishnouites ou shivaïtes par lesquelles la majorité des hindous identifient leur religion. Gokak était aussi un poète et un traducteur doté d’une maîtrise exceptionnelle de l’anglais. De tous les biographes, Gokak est le plus érudit et le mieux qualifié pour fournir les détails contextuels de ce qu’implique l’avatarité. Sai Baba le traitait comme un ami et comme Hislop, l’âme naturellement modeste de Gokak ne chercha jamais à abuser de ce privilège. Que du contraire. Gokak était plus soumis que l’Américain, puisque les redoutables implications de l’avatarité sont susceptibles d’être ignorées des non hindous. Universitaire chevronné, Gokak pénétrait au cœur de n’importe quelle philosophie pour indiquer ses forces et ses faiblesses. Lui-même humaniste, il perçait l’affectation de certains rationalistes et les accusait d’ignorer des réalités telles que l’âme et l’amour, parce que ces catégories sont difficiles à quantifier. Pour Gokak, la vie était poésie et Sai Baba lui apparaissait comme Shiva venu ouvrir le troisième œil de l’amour.

Le Prof. Gokak prononçant un discours de bienvenue à l’occasion de l’inauguration du Sri Sathya Sai Arts and Science College for Women à Anantapur, en 1971. A la droite de Sathya Sai Baba, on distingue Sri V.V. Giri, le Président de l’Inde.

153

Quand un dévot américain devenu critique publia un livre (Lord of the Air de Tal Brooke) pour tenter de salir la réputation de Sai Baba et l’appeler l’antéchrist, le Dr Gokak releva le défi et mit les choses au point. Son In Defence of Jesus Christ and Other Avatars dénonce la doctrine de la haine qui inspire et qui alimente de tels livres. Il est devenu commun au fil des ans que des Occidentaux trop enthousiastes plongent dans la vie des ashrams indiens et puis accusent l’Inde de tenter de les noyer ! (Au moins, les Beatles, lorsqu’ils quittèrent vexés l’ashram de Maharishi Mahesh, eurent la grâce d’admettre qu’ils avaient trop attendu de lui. Figurant parmi leurs déceptions, il y avait son échec à arrêter le processus du vieillissement). Un des aspects inquiétants de la voie intérieure, c’est qu’elle tend à attirer les caractères instables et mon propre guru admettait que la première chose contre laquelle il devait se prémunir en prenant un nouveau disciple était le moindre signe de folie naissante. Même un guru ne peut pas guérir un esprit malade. Certaines missions rivales se sentent menacées par la popularité de Sai Baba et sont jalouses de la diffusion exponentielle de son message. D’anciens disciples favoris dont les ego furent meurtris en étant relégués au fond de la classe peuvent devenir des cibles de choix pour ces missions en attisant la moindre braise de ressentiment en un feu géant.

En proposant cet échantillon parmi une multitude de dévots Sai, il est pertinent de dire qu’une bonne proportion de dévots étaient sceptiques au départ. Sathya Sai approuve une telle approche prudente, car trouver un Maître authentique ressemble à la traversée d’un champ de mines. Howard Murphet se souvint que son tout premier contact avec Baba se produisit à la suite d’une rencontre avec un théosophe britannique qui venait juste de rentrer de Puttaparthi. Murphet questionna avidement le visiteur à propos de l’authenticité de Sai Baba et celui-ci formula sa réponse avec une réserve toute britannique : ‘’Si Sai Baba est un escroc’’, affirma le théosophe, ‘’je me remets à boire !’’

154

CHAPITRE 13 : RASSASIER LES AFFAMÉS ET COMBLER LES DÉSHÉRITÉS

Le miracle le plus évident à Puttaparthi après la grâce de la présence physique de Sathya Sai, c’est ce qu’a réalisé Sai Baba le bâtisseur, à lui tout seul. Dans cette gamme sidérante d’ouvrages publics qui illuminent cette région autrefois arriérée, il semble avoir été inspiré par la beauté rocheuse des paysages du Deccan et incité à la surpasser. Une des caractéristiques extraordinaires de la région primitive du Rayalseema, c’est la manière dont les gens du pays ont toujours pensé grand en termes architecturaux. Même en ruines, Hampi est plus impressionnante que la majorité des villes modernes de l’Inde. Aujourd’hui, Puttaparthi fournit une nouvelle preuve de ce talent de l’Andhra à construire des bâtiments remarquables. Peu d’Indiens mettraient l’Andhra sur la carte des merveilles architecturales. Néanmoins, des ruines comme la capitale Kakatiya, à Warangal et le stupa bouddhiste d’Amravati (parmi d’autres) étonnent par leur richesse et par leur finesse. A peine à quarante kilomètres au sud- ouest de Puttaparthi, il y a le fabuleux temple de Lepakshi, une superbe construction dotée d’impressionnantes œuvres d’art, à la fois par leur taille et par leur impact esthétique. La chambre la plus intérieure du temple possède une gigantesque et flamboyante fresque murale en l’honneur des déités shivaïtes de l’ordre lingayat et à l’extérieur du temple, il y a le monolithe serein du véhicule de la déité, Nandi. On dit que cette superbe sculpture géante de taureau, réalisée sur le site à partir des rocs de granite rose qui parsèment le paysage a été conçue comme une œuvre d’amour par les maçons durant leur temps libre. C’est le plus grand Nandi de tout le sous-continent. (De manière curieuse, cette image ancienne caractéristique qui transmet la dévotion du Deccan pour Shiva est absente du campus de Puttaparthi.)

155

L’envergure impressionnante de l’architecture à Puttaparthi reflète non seulement cette capacité de l’imagination à penser grand, mais à construire remarquablement. De façon significative, l’approche de Sathya Sai diffère de celle de l’empereur Krishnadeva Raya qui érigea plusieurs immenses gopuras solitaires dans le sud pour proclamer sa puissance. A Puttaparthi, le gopura ne fait que 10 m de haut, signifiant qu’ici, l’architecture comme la religion est conçue pour l’homme ordinaire. L’enceinte massive du Hall Sai Kulwant jouxtant habilement le temple est connue de tous les visiteurs. Plus louable en termes de mérite architectural, mais moins visité à cause de sa situation au sommet d’une colline, il y a les lignes agréables du bâtiment administratif de l’université.

Pour certains, les couleurs rose et bleu que l’on retrouve dans tout le campus de Puttaparthi semblent parler en faveur du goût populaire de l’Inde ordinaire et c’est exactement le public ciblé. La résidence de Sai Baba et les autres constructions sont conçues pour ressembler à la notion romantique des villageois des pavillons célestes.

Et… la gare des trains leur en fournit déjà un avant-goût !

***

156

Tous les pratiquants de la religion authentique se soucient du bien-être physique de l’humanité. Contrairement à la religion conventionnelle qui promet aux sous-alimentés d’être rassasiés dans la vie prochaine, la religion authentique exige que soins médicaux et nourriture soient offerts ici et maintenant. Tous les instructeurs compatissants du monde ont été des agents de guérison intervenant personnellement pour guérir les malades et pour remettre sur pied ceux qui souffrent. Le Bouddha, comme Shirdi Baba après lui, prit sur lui les maladies d’autrui. Gurdjieff et Sathya Sai sont remarquables pour leur traitement non orthodoxe des patients, réalisant des guérisons apparemment magiques et, dans le cas de Sathya Sai, ayant même recours à la chirurgie. Il est significatif que les deux instructeurs affirment le monde et célèbrent la vie dans le présent. Ils croient à l’action dans le présent pour contrer l’influence latente d’attitudes religieuses éculées qui acceptent la souffrance d’un haussement d’épaules fataliste et qui l’imputent au karma passé pour être traitée par le destin dans l’au-delà. Les guérisons miraculeuses du Christ indiquent la voie de la religion authentique associant les sermons sur la montagne qui élèvent l’âme et les traitements médicaux plus terre-à-terre. Pour Sathya Sai, toute sa mission consiste à offrir des soins médicaux à ses voisins immédiats, car des idées prétentieuses concernant le divin n’ont aucun sens pour des corps malades et sous-alimentés. La doctrine spirituelle la plus chérie de l’Inde, l’advaita qui voit l’Ame en tout, tend à ignorer le fait brut que de telles intuitions édifiantes ne peuvent voir le jour que chez une personne qui a le ventre plein et qui n’a pas à se soucier d’où viendra son prochain repas.

Sathya Sai insiste tout particulièrement sur le Narayana seva (1948)

157

Les soins de santé de l’Inde moderne sont un secteur gravement négligé où de pauvres infrastructures hospitalières sont envahies par une multitude de patients souffrant excessivement. Dans le même temps, les pharmacies qui fournissent les médicaments font des bénéfices énormes (en s’abaissant parfois à vendre des médicaments douteux), alors que les étudiants luttent pour gagner leurs places dans les universités de médecine et pour les gros gains qui les attendent, lorsqu’!ils obtiendront leurs diplômes de médecine. Comme les prêtres médiévaux qui dépouillaient leurs ouailles, certains professionnels modernes de la médecine s’enrichissent grâce aux souffrances de leur prochain.

C’est pour essayer de fournir une alternative afin d’enrayer ce mal que Sathya Sai a créé ses hôpitaux, ses collèges et ses projets d’approvisionnement en eau. Sans ces éléments de base, la noble doctrine de la religion est vouée à l’échec. Le besoin criant, c’est de démontrer à une société attachée aux biens de consommation que la satisfaction que l’argent procure, selon les gens, provient en fait du service à l’humanité. Cette attitude de seva compatissant a été inculquée aux dévots de Puttaparthi depuis le départ. Ceci, semble-t-il, est la vraie raison pour laquelle le divin a choisi un lieu aussi peu avenant que Puttaparthi pour fournir un agent pour poursuivre sa mission. La compréhension humaine de la religion est devenue trop cérébrale et trop intéressée et les sombres statistiques de l’Inde d’après l’Indépendance montrent que le fossé entre les riches et les pauvres s’agrandit. Comme laboratoire des religions du monde où les expériences pour comprendre le divin ont toujours fait partie de la culture, l’Inde moderne a en Sai Baba un exemple rare qui aurait pour mission de démontrer la divinité inhérente en l’humanité.

***

La médecine n’est pas bon marché en Inde et beaucoup de familles se ruinent en cherchant à soulager leurs membres au moyen d’un traitement médical coûteux. C’est en réponse à ce besoin que l’hôpital super spécialisé de Puttaparthi a vu le jour, ce qui montre aux pauvres que leurs soucis occupaient la première place dans l’esprit de Sai Baba. Inauguré le jour de son anniversaire en 1991, l’Institut Sri Sathya Sai des Sciences Médicales était spécialisé en cardiologie, en uro-néphrologie et en ophtalmologie. Un institut de troisième cycle a également été fondé. Des développements ultérieurs ont apporté des modifications dans les compétences de l’hôpital. Construit près de l’aéroport sur la route de Puttaparthi, ce campus tentaculaire fut, comme c’est la norme, approuvé et supervisé par Baba dans tous les détails et a surgi dans la durée phénoménalement brève de huit mois.

L’hôpital super spécialisé le plus récent de Baba – un autre projet ambitieux conçu pour apporter aux plus pauvres les meilleurs soins médicaux du monde – s’est ouvert en 2001 à Whitefield. L’hôpital a été bâti en un temps record sur un terrain donné par le gouvernement du Karnataka. C’est une démonstration claire de ‘’Sai sankalpa’’, (volonté) actualisé par une action de soutien éclair (‘’vajra sankalpa’’) plutôt inhabituelle dans le milieu indien des atermoiements chroniques. Si surprenant que cela puisse paraître, Baba a eu l’inspiration de construire cet hôpital un matin et le

158 soir même, le site avait été visionné et choisi. L’hôpital a une conception qui ne nuit pas à l’environnement et il offre des services diagnostiques, médicaux, préopératoires, chirurgicaux et postopératoires gratuits. Il s’enorgueillit de soins médicaux de pointe en cardiologie, chirurgie cardiaque, neurologie et neurochirurgie et il y a des projets pour proposer une formation de troisième cycle. Baba a conçu un temple de guérison spacieux où l’architecture grandiose mais rassurante est déjà un tonique pour le patient.

Inauguration de l’hôpital super spécialisé de Puttaparthi en 1991

Une vue panoramique de l’hôpital super spécialisé de Puttaparthi

159

Et une autre de l’hôpital super spécialisé de Whitefield

L’Inde compte en moyenne trois lits d’hôpitaux pour mille citoyens et l’hôpital de Whitefield fournit 333 lits. Les toutes dernières procédures sont suivies ici et l’air conditionné moderne embarrasse presque les patients habitués aux traitements rudimentaires administrés dans les dispensaires des villages. Les patients pauvres reçoivent la préséance et parmi eux, les jeunes mères, les enfants et les soutiens de famille sont traités prioritairement. Tous les traitements sont gratuits. En raison du taux excessivement élevé de maladies cardiaques du sous-continent (plus d’un million d’enfants souffrent de maladies cardiaques dans le pays), l’accent est spécialement mis sur les soins cardiaques. Au cours des six premiers mois suivant l’ouverture de l’hôpital, quelque 1300 opérations ont été effectuées dans les douze salles d’opération. Des patients de toute l’Inde et du Bangladesh y sont traités sans tenir compte de leur religion. Malheureusement, pour chaque enfant traité, il y en a des centaines qui doivent attendre leur tour.

Inhérent au problème des soins médicaux, il y a le problème du suivi médical. Beaucoup de patients souffrant de malnutrition qui viennent de très loin sur la recommandation d’un médecin (qui est obligatoire) sont opérés avec succès. Ils retournent ensuite chez eux où leur pauvreté ne leur permet pas de suivre un régime postopératoire. Beaucoup meurent en raison de carences alimentaires et ceci veut dire que des opérations coûtant plusieurs centaines de milliers de roupies le sont en pure perte. Malgré leurs réussites souvent inutiles, ces opérations témoignent des motifs généreux de Baba et elles remontent le moral des pauvres qui savent qu’il y a au moins une personne qui se soucie de leur condition accablante. Une autre réalité sinistre qui touche les pauvres, c’est que certains se sentent poussés à l’extrémité de vendre un rein pour obtenir de l’argent. Pour cette raison, certaines opérations ne sont pas effectuées dans les hôpitaux de Baba afin d’éviter toute retombée pénible chez des gens en bonne santé. La philosophie médicale derrière le programme de soins médicaux de Baba est de fournir un traitement holistique au corps et à l’âme du patient en créant une atmosphère non commerciale où la valeur de la vie humaine n’est pas amoindrie par le désir de gagner de l’argent sur le dos de la maladie de quelqu’un.

Il va sans dire que la politique charitable de Baba est une entreprise très coûteuse. C’est ici que le Sai Central Trust créé par Baba et composé de dévots triés sur le volet apparaît. Jusqu’il y a peu, il était présidé par Indulal Shah, un expert-comptable de Bombay lié depuis longtemps à l’idéologie gandhienne. Baba est l’administrateur principal et lui seul à le pouvoir de signer des chèques. Cet arrangement signifie que

160

Sathya Sai ne possède en fait rien personnellement. Ceci le libère de l’accusation commune à laquelle beaucoup d’hommes-dieux modernes doivent faire face, à savoir de ne pas s’occuper des comptes de leur ashram d’une manière transparente.

Grâce à son instinct en matière de gestion, ses critiques ne peuvent trouver rien à redire à la comptabilité de l’ashram ni même le prendre au piège en matérialisant de l’or non déclaré. Selon des statistiques officielles, la mission de Sathya Sai a été le plus grand bénéficiaire de dons étrangers au cours de ces dernières années. (Contrairement à beaucoup de gurus, Sathya Sai ne sollicite pas de dons et il n’a pas bâti de temples où l’on fait des offrandes d’argent. Trop souvent en Inde, l’argent que l’on retrouve dans la boite destinée aux offrandes est entaché par l’exploitation des pauvres et les riches hommes d’affaires se rendent dans ces temples dans l’espoir que le pardon de la déité puisse – comme la plupart des choses – être acheté.) Ces dons sont dépensés dans la gestion d’institutions dont les frais peuvent s’élever jusqu’à dix millions de roupies par jour, comme c’est la cas des hôpitaux modernes super spécialisés. C’est parce que, non seulement les salaires des chirurgiens hautement qualifiés doivent être payés, mais aussi parce que le coût total des techniques opératoires les plus récentes doit être supporté, puisque tous les traitements sont gratuits. Ceci a été le principe capital de Baba en lançant ces hôpitaux modernes. Le pauvre doit pouvoir bénéficier des derniers progrès de la médecine et on ne peut pas s’attendre à ce qu’il paie pour cela.

***

Chronologiquement, après que l’hôpital du village ait été construit pour satisfaire aux vœux de sa mère, Sathya Sai se tourna vers l’éducation. Le collège pour jeunes filles d’Anantapur constitua un progrès, défiant l’obstacle de l’orthodoxie qui a continué à lier l’Inde, en dépit de sa liberté déclarée. Quoique fier des anciennes valeurs de l’Inde, Sathya Sai, plutôt que de se décourager des performances ternes de la nation depuis l’Indépendance, s’attela à la tâche de montrer ce que l’on pouvait faire, quand l’amour devenait l’outil du développement au lieu de l’intérêt personnel.

Dans le domaine de l’éducation, l’accent est mis sur les Valeurs Humaines et l’on insiste pour que l’on puise à la culture et à la tradition pour renforcer l’identité spirituelle de l’étudiant. Le système pédagogique de Sathya Sai vise à faire table rase en offrant de nouvelles perspectives aux étudiants. Connu sous le nom d’EVH –

161

Enseignement des Valeurs Humaines − le système met l’accent sur la construction du caractère et sur le développement de la confiance en soi de l’étudiant. L’étudiant indien est bien exposé à la culture indienne. ‘’Le but de l’éducation, c’est le caractère’’, déclare Baba, ‘’et le but de la connaissance, c’est l’amour.’’ La continuité de l’esprit créateur de l’amour est visible dans la ligne de bâtiments scolaires impressionnants qui annonce les limites de la commune de Puttaparthi. Chacun accueille une tranche d’âge différente et possède des façades élégantes impeccablement entretenues au milieu d’une verdure bien soignée.

Le jour où le premier départ modeste a été pris dans le domaine de l’enseignement institutionnel, la voiture de Baba dépassa des garçons qui rentraient péniblement vers leurs villages dans la chaleur de midi, après avoir assisté à la cérémonie d’inauguration. Il en sortit immédiatement, s’assit sur le bord de la route, puis ordonna à son chauffeur d’utiliser la voiture pour ramener les garçons chez eux. Les voitures de plusieurs dévots furent également réquisitionnées et comme il y avait 300 étudiants, Baba dut patienter pendant trois heures avant que tous ne soient ramenés chez eux.

Contrairement à la plupart des écoles bien gérées de l’Inde qui imitent le système d’éducation britannique, les étudiants du Sai Vidya Giri (‘’colline de la connaissance’’) suivent la coutume indienne en portant de simples vêtements de coton blanc, mais avec une coupe moderne. L’Institut Sri Sathya Sai d’Enseignement Supérieur fondé en

162

1991 est assimilé à une université et propose lettres, sciences et matières professionnelles en premier, deuxième et troisième cycle. Son bâtiment administratif qui couronne la colline au-dessus du campus de Prasanthi est un symbole fort du mélange du religieux et du profane et il doit figurer au rang des plus belles constructions de la commune.

Sai Baba s’inquiète aussi de tenir les pauvres au courant des outils pédagogiques les plus récents et il a construit un planétarium pour les encourager à s’émerveiller non seulement de l’astrologie, mais aussi de l’astronomie. Le bâtiment le plus récent, le Chaitanya Jyoti, qui abrite un musée combine des arches gothiques, des dômes mauresques et un grand toit chinois, indiquant l’unité d’esprit qui a conduit à Puttaparthi des visiteurs du monde entier.

Comme pour toutes les bénédictions conférées par Baba, nulle part dans son éducation l’étudiant ne doit payer pour sa scolarité. Simultanément, il est enseigné aux bénéficiaires de chérir le don de la serviabilité et de transmettre aux autres ce qu’ils ont reçu. A côté d’un enseignement universitaire sain, l’étudiant reçoit de solides bases

163 en matière de responsabilité civique et apprend la valeur du service comme étant la plus grande contribution qu’il puisse apporter à la société. Les étudiants s’impliquent activement dans les programmes de développement des villages où ils peuvent voir de leurs propres yeux le retard affligeant de la région. A la longue, la renaissance du gram sabha (conseil du village) sera le plus grand don de Sathya Sai au Rayalseema.

Sathya Sai Baba observe ses étudiants qui s’apprêtent à partir pour un ‘’Grama Seva’’, une opération annuelle où pendant dix jours, à l’occasion d’une fête religieuse, ils vont apporter de la nourriture et des vêtements aux plus démunis des villages environnants

Le Professeur Gokak a décrit la philosophie pédagogique et la méthode d’enseignement du programme pédagogique Sai dans Bhagavan Sri Sathya Sai Baba : The Man and the Avatar (1975). Il commence par donner les propres idées de Baba sur les défauts de l’éducation moderne qui sont sans ambiguïté. Baba compare les diplômés modernes à des chasseurs de diplômes qui ont transformé ce que la Déesse du savoir a à offrir en une course aux jobs indigne. Il déplore le fait que nulle part l’éducation moderne n’introduit l’étudiant à ‘’la joie de l’enquête sur sa propre réalité’’. Il regrette aussi le fait que beaucoup d’écoles considèrent leurs étudiants comme des numéros plutôt que comme des noms. L’humanité est la seule base sur laquelle la confiance entre étudiant et professeur peut se fonder.

Le remède de Baba est la restauration des quatre piliers de la vérité, du devoir, de la paix et de l’amour sur lesquels on peut fonder la voie quadruple de la confiance en soi,

164 de la satisfaction de soi, du sacrifice de soi et de la réalisation de soi. Le NAAC (National Assessment and Accreditation Council) a récemment accordé à l’Institut d’Enseignement Supérieur Sri Sathya Sai sa côte la plus élevée et le considère comme un ‘’joyau du système pédagogique universitaire du pays’’. Selon le Dr Gokak, qui dut une fois soigner un mal de tête après avoir été la victime d’un jet de pierre des étudiants de l’Université de Bangalore, ces réformes ne pourraient pas être lancées un jour trop tôt. Mais pour montrer comment le monde universitaire est en conflit avec lui-même, un autre vice-recteur s’avéra être le critique le plus véhément de Sathya Sai. Le Dr Narasimhaiah insista avec arrogance pour que Baba se ‘’soumette’’ à un interrogatoire à propos de ses ‘’soi-disant’’ pouvoirs divins. Ironiquement, le Dr Narasimhaiah partageait des vues semblables à celles de Baba pour ce qui est de rendre l’enseignement plus accessible aux pauvres. Les derniers mots de Gokak concernant la direction que l’enseignement en Inde devrait prendre valent la peine d’être répétés : ‘’Notre système national doit s’enraciner dans l’Esprit en accord avec le génie du pays. Il aspire à apprendre à l‘individu à se sculpter lui-même.’’

***

Après avoir fourni une éducation et une assistance médicale à la population avoisinante du Rayalseema, Sai Baba dut faire face à l’autre problème récurrent de la région : le manque d’eau potable. Non seulement, l’eau est essentielle à la vie du villageois, elle est le secret de sa bonne santé. Il y a un côté conte de fée à l’histoire du miracle de Baba qui fait face à la crise de l’eau dans la région. Envoyé travailler chez une belle-sœur cruelle dans le Tamil Nadu, le jeune Sathya Narayana Raju transportait quotidiennement des pots d’eau du canal Krishna sur son dos. Baba porte toujours sur son corps les marques provoquées par le transport de ces pots durant son enfance. Le garçon ne se plaignit jamais et en réalité, il se réjouissait d’effectuer une corvée dont Shirdi Baba s’était lui-même chargé. C’est sans nul doute cette corvée infernale qui a poussé Sathya Sai à entreprendre son projet d’eau potable révolutionnaire en faveur du Rayalseema enclin à la sécheresse. Il connaît mieux que quiconque les bénédictions de l’eau potable transportée par canalisation.

Parce que le Rayalseema se situe quelque part entre la route des moussons du sud- ouest et du nord-est, de manière chronique, il a manqué d’eau tout au long de l’histoire. Le réservoir de Bukkapatnam était une tentative médiévale pour stocker cette ressource précieuse. Le livre très applaudi de P. Sainath, Everybody Loves a Good Draught (1996) est une étude qui fait réfléchir sur les projets bien intentionnés du gouvernement d’attribuer des fonds à des régions enclines à la sécheresse. Comme le livre le montre, la plupart des fonds destinés à l’aide de petites familles rurales dans le besoin ne franchissent jamais l’obstacle de la bureaucratie administrative du district. L’argent est englouti par des petits fonctionnaires qui sont de mèche avec de riches entrepreneurs. L’auteur note qu’Anantapur, le siège du district situé à quelque 80 km de Puttaparthi, se classe comme une des villes les plus riches de l’Inde, à en juger par la vente de luxueux 4X4. Ceci grâce à l’argent destiné à l’aide à la sécheresse qui est détourné vers les show-rooms par des fonctionnaires corrompus et des entrepreneurs complices. D’autres statistiques épouvantables et connexes qui concernent le district de

165

Sathya Sai montrent que durant les trois ans qui précédèrent le millénaire, presque 2000 fermiers touchés par la pauvreté se suicidèrent après de mauvaises récoltes dues à la sècheresse. Incapables de rembourser leur prêt pour les engrais et les pesticides, ils se suicidèrent en avalant ces derniers.

Face au bourbier de décadence morale et de souffrance sur le pas de sa porte, Sathya Sai s’attela à la tâche herculéenne de résoudre le problème de la sècheresse, à sa façon. Ce que le gouvernement n’a pas pu réaliser en cinquante ans, il l’a fait en trois ans. Le Projet d’Approvisionnement en Eau Sri Sathya Sai exécuté au prix de 3 milliards de roupies fournit actuellement de l’eau à 700 villages du Rayalseema. Là où trouver de l’eau potable impliquait jadis une longue marche quotidienne pour les femmes, il y a maintenant un robinet dans leur propre village avec un flux constant et propre.

Le projet comprend quatre idées. La première implique de collecter l’eau via des puits d’infiltration et des puits collecteurs situés le long des rivières saisonnières, la Chitravati, la Penna et la Hagari. La deuxième implique le pompage direct à partir d’un réservoir régulateur situé au-dessus d’Anantapur et un traitement via une filtration rapide par sable. La troisième comprend sept réservoirs de stockage d’été qui recueillent l’eau du canal Tungabhadra – quand il y en a. La quatrième, qui concerne presque trois cent villages, implique de creuser des puits de forage profonds, la construction de réservoirs de stockage et la pose de pipelines.

166

Timbre émis par la poste indienne et qui représente le projet

En 1997, lors d’une traversée à moto du Deccan de Shirdi à Puttaparthi, je circulais dans la région sauvage du pays des hautes terres entre Uravakonda et Anantapur. Après avoir franchi la ligne de partage des eaux, je fis halte à l’oasis du temple de Penna Ahobilam perché sur la crête. Il y avait quelque chose de magique à propos de ce site et en descendant dans un vallon pour découvrir son secret, je tombai sur une petite source d’eau fraîche entre des dalles de granit péninsulaire, un bonus singulièrement inattendu après cette montée à travers des landes désolées. La paix ressentie là, je le réaliserais plus tard, était due au fait que ceci était la source du Projet d’Approvisionnement en Eau Sri Sathya Sai.

Le réservoir régulateur de Penna Ahobilam

Comme tous les autres projets de Sathya Sai, cette ligne de vie fut réalisée en un temps record. Deux mille kilomètres de pipelines furent posés, vingt réservoirs

167 régulateurs construits au sommet de collines, presque 300 réservoirs surélevés érigés et plus de 100 réservoirs aménagés au niveau du sol. Quelque 1500 citernes en béton moulé dotées de quatre robinets furent fournies aux villageois. Chose incroyable, la pose des tuyaux fut quasiment terminée en trois mois. Chose encore plus incroyable, après avoir terminé ce projet, Sathya Sai entreprit un nouveau projet au nord d’Anantapur dans les districts de Medak et de Mahaboobnagar qui garantissait de l’eau à un million de villageois supplémentaires. Ceci amenait le total des villages couverts à 1100. Pour couronner cette performance de service désintéressé financé par la dévotion d’adeptes de Baba du monde entier, le projet entier a été légué au gouvernement d’Andhra Pradesh.

Ce n’est pas la fin de l’histoire. En 2002, Sathya Sai permit à l’argent de son trust de terminer le canal Telugu Ganga, un étroit cours d’eau dont les gouvernements de l’Andhra et du Tamil Nadu d’une génération précédente étaient à l’origine (pour aider à résoudre la grave pénurie d’eau potable de Madras) et qui avait été achevé – au moins sur papier – en 1996. Toutefois, à cause de l’apathie et de la corruption, l’eau ne parvint jamais aux citoyens assoiffés de Madras. Baba donna pour instruction de renforcer et de bétonner la portion de 176 km entre Kandaleru et Poondi, offrant du même coup 150 000 ha de terres irriguées à l’Andhra. Dix-huit mois après avoir annoncé son projet, Sathya Sai faisait couler le Telugu Ganga. De façon appropriée, si l’on considère le lien mythologique de Sathya Sai avec Shiva et sa capacité unique à bénir tout projet qu’il touche, le canal porte à présent le nom Sai Ganga.

Le canal avant, pendant et après réfection !

***

168

Toute l’atmosphère de Puttaparthi est animée par le souci principal de Sathya Sai de veiller aux besoins de ses dévots. Lors de mes séjours à l’ashram, les tarifs des chambres étaient fort raisonnables. Un petit loyer quotidien est prélevé pour couvrir les frais d’eau et d’électricité. Ceux qui séjournent dans les hangars, comme je l’ai fait lors de ma première visite, ne doivent rien payer. Les repas de l’ashram sont abondamment subventionnés, tout comme la littérature dévotionnelle en vente dans la librairie de l’ashram.

La librairie de l’ashram

La plupart des dévots de Baba sont pauvres et beaucoup parcourent de longues distances et encourent des frais considérables, s’ils voyagent avec leurs familles. C’est ce sentiment familial qui existe entre Sai et ses adeptes qui fait de Puttaparthi une expérience vibrante et constructive. Cette famille s’étend aux oiseaux et une caractéristique extraordinaire de l’ashram, c’est d’être assourdi par le volume incroyable du chant des oiseaux, lorsque les corneilles, les mainates et les aigrettes viennent chaque soir se percher dans les arbres entourant les quartiers de Sai Baba. Si vous téléphonez à Prasanthi au crépuscule, le bruit que les oiseaux font est si fort qu’il noie la voix de la personne appelée. Il y a là un lien mystérieux avec l’attraction magnétique que Sathya Sai exerce sur ses adeptes humains. C’est presque comme si nous avions en résidence un Joueur de flûte aviaire qui offre refuge à sa chorale ailée et admirative – bien que tapageuse.

169

Sathya Sai, qui nourrit une foi fervente dans l’avenir de l’Inde, a une technique terriblement simple pour briser l’apathie sociétale envers les projets de développement : faire appel à la nature plus raffinée de l’homme, voir le divin en chaque visage, manifester l’amour et œuvrer pour le bien commun. Même les cœurs les plus endurcis fondront devant cet appel. Baba est venu pour guérir et le travail s’effectue à travers lui et non par lui. ‘’Quand votre foi rencontre mon amour, la guérison s’opère’’ est une profonde vérité holistique répercutée par toutes les religions. Il est de la nature de la vie d’être compatissante, soutient Baba, et donc, aucun pouvoir ne pourra finalement vaincre cette autorité divine. Nous ne nous rappelons plus les ennemis du Christ, du Bouddha et du Mahatma Gandhi et l’Histoire ne gardera pas les noms des critiques de Sai Baba. L’humanité n’honore pas ceux qui critiquent, mais ceux qui sauvent. Une étude sur la contribution phénoménale de Sai Baba à la santé physique et mentale de sa circonscription du Rayalseema révèle la main cachée du Divin. Pour l’étudiant en religion, il semble que ce soit là l’unique explication d’une explosion de compassion sur une période aussi brève qui a vu Prasanthi Nilayam s’ériger sur un plateau désolé et attirer par une propriété presque magnétique des gens de toutes les fois du monde entier qui viennent volontairement, attirés par l’urgence de l’appel de l’amour et non par des promesses utopiques.

Une vue partielle du Hillview Stadium qui accueillit tous les fidèles pour le 80ème anniversaire de Sathya Sai Baba

170

CHAPITRE 14 : DES LEÇONS QUI DÉPASSENT LA RÉFLEXION

Pour le monde en général, le phénomène Sai Baba est lié à la démonstration publique de miracles. Comme les propres frères et sœurs de Sathya Sai répugnaient initialement à accepter sa nature miraculeuse, il est à peine surprenant que le reste du monde hésite à se prononcer sur son authenticité. Traditionnellement, les maîtres indiens ont mis en garde contre la démonstration de pouvoirs psychiques, car ceux-ci peuvent empêcher le chercheur de passer à un niveau spirituel plus élevé. Il semble qu’en exploitant le miraculeux pour propager son message, la Sai Parampara déclare une fois de plus ses qualités indépendantes et non orthodoxes. Aujourd’hui, lorsqu’après avoir été associée pendant des siècles à des charmeurs de serpents et à des tours de yogis, l’Inde cherche à s’affirmer comme une nation moderne, toute mention de comportement supranormal hérisse les poils des rationalistes qui écartent de telles affirmations comme des absurdités superstitieuses conçues pour abuser le citoyen illettré. Si un contrôle adéquat des escrocs qui font un mauvais usage de la religion et de sa composante psychique pour un bénéfice personnel est intéressant, il y a quelque chose de pervers à refuser l’évidence. Ce que l’on suppose être motivé par un tempérament scientifique peut n’être que du snobisme intellectuel qui implique l’obstination de préjugés tenaces.

Le problème avec un miracle, c’est qu’il ne permet pas une vérification objective facile, bien que nous sachions qu’il est vrai. Dès le départ, nous notons des partis pris, de la négativité et de la suffisance dans l’attitude soi-disant scientifique vis-à-vis des miracles. Les miracles menacent les fondations de leur culte de la raison et doivent être démolis ou expliqués à tout prix. Il faut aussi tenir compte de la façon de penser du spectateur. Ceux qui sont portés sur l’imaginaire voient plus de miracles que l’esprit qui est scrupuleusement attaché à la méthode scientifique. Mais l’attachement scrupuleux ne veut pas dire objectivité détachée et les scientifiques peuvent être aussi obstinément superstitieux à propos de leur discipline.

Pris entre ces extrêmes de la science et de l’inspiration, l’homme ordinaire exerce son droit d’appliquer son bon sens commun à ce qu’on affirme être un miracle. Depuis des millénaires, le paysan qui sème dans le sein de la terre mère pour nourrir sa famille est conscient de la grâce inhérente de sa réponse. Ce cycle de la nature est un miracle constamment récurrent dont nos vies dépendent. Un autre miracle évident que nous tous, riches ou pauvres, expérimentons à chaque instant de nos vies est le battement de notre cœur. Où trouverez-vous sur terre une pompe qui est assortie d’une garantie de 70 ans et qui ne nécessite ni changement d’huile ni révision mécanique – à condition que vous l’utilisiez avec un mode de vie sain ? Tout ce qui concerne le cœur humain est miraculeux. Des gens surveillent le développement du fœtus humain en permanence et pourtant ne parviennent pas à réaliser ses origines miraculeuses, sous leurs yeux. Un moment (dans l’embryon de l’utérus) il n’est pas là, l‘instant d’après, il est là. La sagesse orientale soutient que dans la félicité de l’union corporelle, quand les ego jumeaux sont transcendés par leur unité, l’âme descend dans le milieu qu’elle choisit. Donc, alors qu’au niveau physique les parents imaginent que l’enfant provient de leur choix, au sens spirituel, c’est en fait l’enfant qui choisit ses parents. (Comparez

171 avec la remarque de Sathya Sai : ‘’Les enfants viennent par votre entremise, ils ne viennent pas à vous.’’)

En voyant le cœur humain comme une pompe physique, nous sous-estimons son potentiel divin. C’est notre passeport pour le royaume de l’éternel rarement utilisé et à jamais assujetti aux décisions du mental. Contrairement au mental, peu importe son niveau d’éducation, le cœur (grâce à ses racines divines) n’est pas le théâtre des illusions. La plus grande illusion, c’est d’ignorer les pouvoirs miraculeux du cœur qui seuls peuvent faire comprendre les tourbillons de l’esprit. Complémentairement à l’idée classique qui veut que le mental doit être apaisé avant de pouvoir connaître Dieu, la bhakti enseigne que le cœur devrait être activé.

Sans doute que ceux qui sont sourds au miracle du battement de leur propre cœur doivent être aveugles à l’aura qui émane de Sathya Sai. De tels esprits se soucient plus de détecter la supercherie dans la matérialisation de la vibhuti et de la réduire au niveau d’un truc de magicien, en dépit d’un demi-million de démonstrations publiques de ce siddhi.

Comparer Sathya Sai à un amuseur professionnel n’est pas seulement une insulte à quelqu’un qui est immunisé contre les insultes, mais une dépréciation de notre être le plus intime. Mettre en doute les incitations de votre propre cœur, c’est être affecté d’une maladie pire que la mort.

D’après le juriste M. N. Krishnamani (Divine Incarnation, 2001), une plainte a été déposée auprès de la Haute Cour de l’Andhra par laquelle Sai Baba est accusé de contrevenir à la loi sur le contrôle de l’or, puisqu’il a matérialisé des médaillons en or pour ses dévots. La mesquinerie de la plainte a été dénoncée, quand la Cour fit remarquer que la loi interdisait la fabrication d’or, mais pas sa création. Quelle tragédie que, bien que nés avec un cœur rempli de merveilles, certains hommes

172 puissent être aussi insensibles à la réalité de leur propre être et en dépit de multiples démonstrations de miracles spirituels, continuer de répéter ces accusations de prestidigitation, comme des perroquets.

D’après le philosophe Locke, ‘’un miracle, selon moi, est une opération sensible qui, se situant au-delà de la compréhension du spectateur et selon son opinion étant contraire au cours établi par la nature, est considérée par lui comme étant divine’’. Un miracle – comme une catastrophe – est un acte de Dieu que notre esprit de veille refuse de reconnaître. Car la plupart des miracles semblent outrager les lois naturelles. Mais pour les quelques-uns qui sont convaincus que la nature et la force vitale qui se manifeste à travers elle sont elles-mêmes miraculeuses, de telles expressions d’émerveillement semblent appartenir en propre à l’âme humaine.

Les miracles sont ce que Sathya Sai appelle la carte de visite du divin indiquant qu’il est un canal, un agent de ce pouvoir. Nous le sommes tous dans une certaine mesure, comme l’incident suivant va le montrer. Je me trouvais sur le toit du palais de Jaisalmer en train d’écrire quelques notes dans mon agenda, quand le vent tourbillonnant délogea une photo glissée entre ses pages. Le jour avant, j’avais été à Nathdwara où j’avais acheté une photo de Shrinathji, le Krishna noir caractéristique de ce lieu de pèlerinage. La photo fut happée par un courant d’air ascendant, mais à la place d’être emportée au loin, elle descendit lentement en spirales pour atterrir aux pieds d’une femme qui franchissait le portail du palais précisément à cet instant. Elle ramassa ce signe visible de la grâce et se congratula en ne pensant qu’aux bénédictions de Krishna plutôt que d’essayer de déterminer d’où provenait la photo. On peut soutenir que c’était un miracle, puisqu’il serait impossible de reproduire le comportement du vent, de la photo et de la femme. Mais le point à noter, c’est que la femme le ressentit comme étant un miracle.

La science ne tient pas compte de la réalité des phénomènes psychiques et elle conclura par défaut d’explication physique que les niveaux psychiques et spirituels atteints par les grandes âmes tout au long de l’Histoire sont illusoires. La science se moque par exemple de la revendication de ‘’l’immaculée conception’’ commune à beaucoup de religions. Non seulement le Christ et Krishna, mais aussi Merlin et Platon jouissent de ce statut. Faire de cela une croyance aveugle semble aussi peu imaginatif que l’exclure comme étant impossible. Lorsqu’il fut interrogé par un pandit pour savoir s’il avait été engendré ou créé, Sathya Sai envoya le questionneur chez sa mère pour avoir une réponse. Elle lui parla d’une ‘’grosse boule de lumière bleue qui se glissa en elle.’’ Mariée à l’âge

173

de 14 ans, elle entamait sa huitième grossesse, après avoir perdu la moitié de sa progéniture à cause des sciences occultes, selon la tradition du village. C’est par rapport à ces réalités frustres gouvernant l’Inde des villages où des circonstances économiques contraignantes sont aggravées par une superstition grossière et une coutume stupide que la venue de Sathya Sai semble aussi miraculeuse. Dans le contexte arriéré et primitif de Puttaparthi, il apparaît comme une curiosité, bien distinct de ses frères et sœurs et appartenant à un plan spirituellement entièrement différent. Le caractère immaculé fait ici allusion au fait indéniable que la grâce qui est venue dans le monde avec Sathya Sai est unique en étant immortelle. De là, ce qui ne meurt pas ne peut pas être né. Tous ceux qui surprennent le monde par leurs dons apparemment immortels tendent à acquérir un statut semblable par la mythologie.

***

Les leelas de son enfance ont tendance à obscurcir le défi spirituel que Sathya Sai dut surmonter en affirmant sa nature réelle. Son enfance et sa carrière ultérieure sont parsemées d’événements miraculeux que tous ses biographes attribuent à sa nature divine inhérente. Ils choisissent d’ignorer le fait que même le petit acte de produire de la vibhuti est un épuisement psychique, car la cendre sacrée ou n’importe quelle autre substance matérialisée n’apparaît pas sans effort de son propre chef, mais est voulue par de l’énergie psychique.

174

On raconte l’histoire du jeune Sathyanarayana toujours scolarisé qui tomba sur un fonctionnaire britannique en train de chasser. La voiture était tombée en panne et le chauffeur avait demandé l’aide des villageois. Sathyanarayana sermonna le sahib sur les maux inhérents au fait de prendre la vie et après avoir terminé sa leçon, la voiture démarra miraculeusement. Il n’est pas nécessaire d’ajouter que le père de Sathya Sai fut horrifié par les conséquences possibles dues au fait que son fils précoce retarda la voiture d’un fonctionnaire britannique et le sermonna pour le même prix. Il est amusant de noter comment Kasturi a actualisé cette histoire pour la rendre plus écologique, avec le garçon guru qui conseille au sahib de ne viser qu’avec un appareil photo et de faire don de tout animal sauvage orphelin à un zoo. Quelle que soit la précision des détails, cela montre à quel point ce jeune étudiant était courageux et dévoué à la cause de la compassion.

Ce genre de miracle mécanique est populaire chez les villageois qui connaissent peu la technologie. On raconte souvent le ‘’miracle’’ d’un saint homme qui, débarqué d’un train pour avoir voyagé sans billet, fit usage de ses pouvoirs yoguiques et empêcha le moteur de redémarrer. Le saint homme fit carrière à la suite de cet incident et le public superstitieux lui attribua le nom de la gare d’où on l’avait fait descendre. La psychologie derrière ce prétendu miracle (ceux-ci, soit dit en passant, ont spectaculairement diminué avec l’arrivée de la traction diesel-électrique) est que le conducteur de la locomotive à vapeur a paniqué en entendant que sa famille était maudite par le yogi. En conséquence, il ouvrit trop fort le régulateur et il fit patiner les roues motrices au lieu de les mettre en mouvement. Le vrai Maître n’a pas besoin de telles situations forcées qui jouent sur la peur et l’ignorance humaine. Sathya Sai est arrivé à sa nature extraordinaire grâce à une application constante, une sadhana physique qui stupéfie par son engagement acharné.

Contrastant avec cette lumière de l’Esprit qui caractérise Puttaparthi, la réalité de la magie noire dans les villages isolés est une sombre réalité que peu veulent reconnaître. Avec un taux d’alphabétisation supérieur à celui de nord, les villageois du sud de l’Inde devraient, en théorie, être moins victimes du côté sordide de la religion. Mais dans la pratique, l’accès à la connaissance a conduit à une expertise dans l’art de la magie. Tout comme le Professeur Kasturi contourne la réalité de terrain de la prédominance de la sorcellerie en faveur de l’euphorie mythologique, de même, l’hindouisme orthodoxe cache le fait que la plupart des Vedas se soucient de rituels de magie plutôt que de la philosophie de l’Esprit.

La mission de Sathya Sai, depuis le début, était de sevrer les villageois des superstitions primitives de l’hindouisme populaire en faveur du véhicule supérieur plus respectable, où les démons locaux assoiffés de sang sont remplacés par la majesté yoguique d’un Shiva compatissant. Sa première bataille fut par conséquent la plus rude, puisqu’il dut se battre contre la majorité grossière et son intérêt personnel à maintenir l’ordre ancien. Les instincts brahmaniques du garçon, jusqu’à ce qu’ils deviennent publics, œuvrèrent en sa défaveur et révèlent les nombreux étages de la demeure de l’hindouisme. La confrontation avec son père vit la victoire du véhicule supérieur. (Bien entendu, pour le mythologue populaire, Puttaparthi n’avait pas besoin d’être libérée,

175 puisqu’à une époque fantasmagorique, il y a longtemps, elle était peuplée d’êtres illuminés qui prédirent son âge d’or sous l’ère de Sathya Sai.)

Il était nécessaire pour le jeune Maître de captiver son public qui augmentait quotidiennement en faisant référence à des enseignements brahmaniques orthodoxes. C’est seulement quand son autorité fut bien établie qu’il put révéler le message complet de la Sai Parampara, à savoir que toutes les religions sont une. Pendant tout le restant de son long ministère, Sathya Sai devra jongler avec la nécessité de captiver les adeptes de son village attachés aux Ecritures puraniques et son attrait universel pour un public international.

Le problème avec les miracles du jeune Maître, ce n’était pas seulement qu’ils offensaient la raison de l’intelligent, mais qu’ils se produisaient tellement souvent qu’ils tendaient à diminuer la crainte mêlée d’admiration qui entoure traditionnellement la divinité. Des centaines de milliers de personnes ont vu de près la matérialisation de la vibhuti et celle-ci apparaît difficilement comme un miracle, maintenant. Pour répondre à ces critiques qui pensent que les vrais miracles devraient produire des objets plus gros que le poing humain peut contenir, à deux reprises, pendant la fête de Shivaratri, j’ai vu Sathya Sai matérialiser des quantités phénoménales de vibhuti à partir d’un récipient en bois retourné, maintenu au-dessus d’un grand plateau d’argent. Sur le plateau, dans sa posture où il se tient le pied, il y avait une idole d’argent de Shirdi Baba. Les manches remontées, accompagné des bhajans chantés par un public exalté, le bras de Sathya Sai œuvrait avec tant d’énergie − en recueillant des nuages de vibhuti tourbillonnante, d’abord avec une main, puis avec l’autre – que Kasturi qui tenait le pot devait s’accrocher en serrant les dents pour éviter d’être renversé. Ce vigoureux récurage d’un pot vide qui résulta en une montagne de vibhuti recouvrant l’image de

176

Shirdi Baba continua pendant plusieurs minutes avant que Sathya Sai ne s’écarte en titubant, épuisé. Il fut de retour endéans une brève période, comme d’habitude avec ses pouvoirs apparemment restaurés.

177

Ce qui est aussi miraculeux que la cascade de vibhuti, c’est le fait que durant les quelques secondes qu’il faut à Baba pour enlever un bras du pot et y insérer l’autre, la vibhuti cesse de tomber. Au moment où il insère de nouveau son bras dans le pot, la vibhuti s’écoule en abondance. Cette preuve étonnante de matérialisation à grande échelle démontrée annuellement pendant de nombreuses années devant des foules énormes (et la suite où Baba produit le Linga) peut être visionnée au Chaitanya Jyoti Museum. Pour le dévot, c’est le signe certain de la présence bénie de Shiva. Pour le scientifique, cela dépasse sa compréhension normale. Pour un étudiant objectif en religion, le verdict doit aller en faveur de l’authenticité. Le Dr Narasimhaiah, vice- recteur rationaliste invétéré, s’inquiétait particulièrement du faible volume des matérialisations de Baba et ceci montre combien peu scientifiques sont les soucis de tels investigateurs. Qu’est-ce que le volume a à voir avec le fait qu’une chose est réelle ou pas ? Nier ce que l’on voit à de multiples reprises simplement parce que c’est petit et que l’on n’a pas de nom pour cela est très peu scientifique. L’affirmation suivant laquelle des amuseurs publics et des illusionnistes peuvent reproduire la matérialisation de la vibhuti de Shivaratri n’est pas plausible. Qu’est-ce qui les empêche de le démontrer ?

Jusqu’où certains critiques iront dans leurs affirmations pour réfuter l’authenticité de tels phénomènes s’avère absurde. Un film réalisé par la BBC affirme montrer Sai Baba en train de remettre subrepticement un collier caché sous des livres qu’il présentait à un distingué visiteur. En fait, la séquence du film − qui peut être ralentie pour un examen plus minutieux – ne montre rien de la sorte. Ce qu’elle montre, c’est ce que chaque observateur pendant ces septante dernières années a vu par lui-même ; à un moment donné, il n’y a rien et l’instant d’après, un objet (dans ce cas-ci un collier) est apparu comme précipité hors de l’espace psychique.

***

Il existe différentes catégories de miracles. Il y a ces bizarreries objectives de la nature, influencées par le magnétisme. Au Ladakh, sur la route de Leh par exemple, un véhicule vide gravira la colline de lui-même, le moteur coupé, apparemment en raison d’une sorte d’attraction magnétique. Après les phénomènes purement physiques, il y a la deuxième catégorie – les incidents psychophysiques. Un bon exemple serait les prouesses impossibles réalisées par mon père pendant une crise de somnambulisme à laquelle j’ai personnellement assisté. Mon père, qui souffrait de maux de dos pouvait, quand il dormait, déplacer d’une seule main du mobilier très lourd, lors de ses crises de somnambulisme. Dans mon enfance, je l’ai vu bouger un piano que trois hommes remirent péniblement en place le lendemain ! Murphet et Hislop ont décrit des phénomènes similaires dans leurs livres sur Sathya Sai. Contrairement au dévot indien qui est émotionnellement comblé à la vue d’un lingam émanant de l’estomac de Sathya Sai, l’esprit occidental veut comprendre le processus mécanique impliqué. De manière intrigante, Hislop suggère que le lingam auquel Baba donne naissance suit le modèle de la nature et que son état fondu se solidifie dans la gorge, comme de la lave provenant d’un volcan. Quand j’observe le lingam de Rani Ma (produit par la grâce de Baba), son contact métallique solide me rappelle comment les roches de notre planète

178 se sont formées à partir de magma fondu. Ce qui a pris des millions d’années à la nature apparaît via Sai Baba en quelques secondes.

Sai Baba matérialisant un Lingam par la bouche à l’occasion de la fête de Shivaratri, en 2002

Murphet a décrit l’exemple encore plus remarquable et improbable d’un morceau de granit transformé en sucre candi et qui fut consommé par plusieurs témoins oculaires. S’il est étrange de produire quelque chose comme du sucre candi, il est important de se rappeler que la matérialisation de substances humides et collantes est beaucoup plus difficile à simuler que de la poudre sèche. Les professeurs américain et islandais qui ont enquêté sur la capacité de Baba à matérialiser des substances étaient convaincus que leurs critères d’authenticité ont été respectés. L’un d’eux conclut : ‘’Nulle part, je n’ai rencontré des phénomènes semblant indiquer aussi clairement et aussi puissamment la réalité spirituelle.’’

Le troisième type de miracle semble être psychosomatique, impliquant l’esprit, le corps et les émotions. Un exemple des plus spectaculaires est la guérison de John Gilbert, un Américain invalide chronique qui n’avait aucun espoir de survivre à ses infirmités. Un jour, par chance, il vit un enfant noyé que l’on ramenait à la vie et l’émerveillement de ce sauvetage compatissant altéra son jugement négatif concernant ses propres chances de vivre. La gratitude pour le don de la vie bannit l’auto-apitoiement qui avait handicapé son esprit et son corps malingre. Le cas de Sai Baba ressuscitant Walter Cowan est une autre intervention miraculeuse. Son importance ne réside pas dans le temps de vie supplémentaire accordé à Cowan (il n’a vécu que 18 mois de plus), mais

179 dans le motif de Sai Baba. Il le fit dans un geste purement pratique afin d’épargner à son épouse âgée le fardeau supplémentaire de rapatrier le corps de son mari en Amérique. Presque tous les miracles, si on les soumet à un examen attentif, révèleront de la compassion. Il y a là un indice de ce qui motive un miracle. Sathya Sai, par exemple, ne guérit pas la calvitie. Son souci, c’est d’ennoblir l’homme intérieur, plutôt que l’homme extérieur.

Sai Baba entouré par Elsie et Walter Cowan

180

Bien qu’il appelle ses miracles des ‘’présents pour ma famille’’, ce sont des étincelles spontanées de sa nature divine. Dans un article intitulé ‘’Le plus grand miracle’’, Kamaladevi Chattopadhyay, la doyenne des travailleuses sociales indiennes, fait clairement comprendre que le miracle véritable, c’est d’être confronté à l’affection sans limite de Sathya Sai, ‘’une force qui est à peine descriptible…l’éveil de l’étincelle divine en nous’’.

***

Les miracles sont une grâce. Ils trahissent le mécanisme par lequel fonctionne la grâce. Je puis citer une petite grâce qui eut pour conséquence de me sauver la vie. Quand Sai Baba visita la maison de Delhi de Rani Ma en 1980, elle lui demanda de bénir mon piolet, comme j’allais bientôt partir en expédition dans le sanctuaire de Nanda Devi. Baba saisit le piolet doté d’une lame et d’une panne et après avoir matérialisé de la vibhuti, il en frotta la lame, mais pas la panne. ‘’Tu réussiras !’’, me dit-il en me le rendant. Tout en escaladant sans corde la paroi d’une gorge à pic, j’utilisai la lame du piolet pour tenter de trouver une prise et alors que la lame sur laquelle Baba avait frotté de la vibhuti pénétrait dans la falaise, je perdis pied pour rester suspendu de tout mon poids sur la lame − 100 mètres au-dessus du Rishi Ganga. La lame tint le coup suffisamment longtemps pour que les porteurs puissent redescendre me secourir.

Bill Aitken

Ayant bénéficié de la grâce de mini-miracles, je n’ai jamais eu besoin d’être convaincu de plus grands miracles dans la vie d’autrui. Il y en a toutefois un que je ne puis pas ignorer, car il dura vingt-cinq ans et je fus le témoin de son déploiement. La mère de Rani Ma, Balbir Kaur, avait un cancer de l’estomac et elle fut opérée par le meilleur chirurgien de Bombay qui conclut qu’elle ne vivrait pas jusqu'au matin. Elle avait une photo de Baba dans sa chambre et elle priait comme seule une personne mourante peut le faire. Elle ne savait pas qui il était. C’était un parent qui lui avait remis la photo en lui certifiant que cette personne était un guérisseur qui faisait des miracles. Cette nuit-là, son corps cessa de se détériorer et à la grande surprise du médecin qui s’attendait à la trouver morte le lendemain matin, on la trouva en vie et récupérant. Non seulement elle vécut, mais elle alla superviser les dames à l’ashram de Puttaparthi avec les heures éprouvantes que le travail impliquait. De plus, elle dirigeait sur le terrain en s’acquittant du travail physique avec les volontaires pour aider à construire le Sarva Dharma Stupa. Elle était l’un des nombreux miracles vivants de Baba, guérie

181 par le mélange de sa foi et de son amour. Les rationalistes soutiennent que c’est la médecine qui l’a guérie, en dépit du fait que les médecins avaient cessé de lui donner des médicaments à cause de leur inutilité. Ils soutiennent encore que techniquement, il se peut que son cancer n’ait pas été guéri, mais le fait est qu’elle fut rendue à vingt- cinq années d’activité vigoureuse.

On peut trouver une longue liste de miracles qui ont marqué la carrière de Sathya Sai dans des douzaines de livres chroniquant les expériences de ses disciples de tels phénomènes. Sai Baba, l’Homme des Miracles (1971) de Howard Murphet donne un compte-rendu plus objectif que la biographie officielle de Kasturi. Une liste avait été établie précédemment par Nagamani Purnaiya (The Divine Leelas of Bhagavan Sri Sathya Sai Baba) qui fut une disciple très proche dans la première partie de sa mission. Ra Ganapati inclut une liste de 370 miracles dans l’appendice de Baba Satya Sai et donne aussi un compte-rendu de l’étrange échange du lingam de Rani Ma par Baba. Miracles Are My Visiting Cards : An Investigative Report on the Psychic Phenomena Associated With Sri Sathya Sai Baba (1987), de Erlendur Haraldsson, est le compte-rendu objectif d’un spécialiste, de plusieurs rencontres avec Sathya Sai. Impartial dans ses observations, il est clair que dans cette étude, Sathya Sai apparaît sous un jour plus favorable que ses accusateurs.3

Le Prof. Erlendur Haraldsson

Deux miracles pris au hasard, dont le même scientifique américain fut le témoin, montrent comment la grâce de l’Esprit universel – l’essence de Sai − opère, même quand le corps physique du saint de Puttaparthi n’est pas présent là où le miracle se produit. Al Drucker, un ingénieur en astronautique de la NASA, rappelle (dans Golden Age, 1980) comment, en volant dans un petit appareil pris dans un orage électrique, pratiquement à cours de kérosène, il avait été sauvé par une ‘’voix’’ à la radio qui l’avait guidé jusqu’au sol en sécurité, malgré des obstacles apparemment

3 Une suite est sortie en juillet 2013 (Erlendur Haraldsson, Modern Miracles : The Story of Sathya Sai Baba : A Modern Day Prophet, White Crow Productions Ltd), NDT. 182 insurmontables. Pour ajouter au mystère, le contrôle au sol n’avait pas eu connaissance de cet échange radio. Après réparations, l’appareil poursuivit sa route jusqu’au Mexique où, par chance, le pilote visita un ashram dirigé par une fidèle de Sathya Sai. Dès que le pilote vit la photo de celui-ci, il fut convaincu que c’était la ‘’voix’’ qui l’avait guidé en sécurité. Chose curieuse, un autre fidèle américain, Charles Penn, connut une expérience remarquablement similaire dans un appareil secoué par un orage. Cet épisode le conduisit aussi à Puttaparthi.

Al Drucker et Charles Penn

Sathya Sai en compagnie d’un autre homme-volant, l’astronaute américain Brian Todd O’Leary, qui porte une bague matérialisée par l’Avatar (Réf. : Brian O’ Leary, The Second Coming of Science, 1993)

183

Un second miracle d’un ordre complètement différent se produisit en 1975 à Prasanthi Nilayam, où Al Drucker était allé offrir sa gratitude à la voix qui lui avait sauvé la vie. Il prit une photo de Sathya Sai marchant devant le temple de l’ashram, quelques minutes après avoir pris un portrait rapproché du profil de Sai Baba. Ces deux photographies forment les illustrations de couverture de Discourses on the Bhagavad Gita de Sai Baba (édités par Al Drucker, 1988). Regardez attentivement le quatrième de couverture et étrangement il y a, parfaitement placée ‘’en dessous’’, une image de face en arrière-plan de Sathya Sai qui apparaît et qui donne une sensation numineuse de présence cosmique. Les critiques appelleront ceci un trucage, ignorant la réalité physique que le seul pouvoir qui puisse truquer de manière aussi convaincante doit être Dieu lui-même.

Au bout du compte, aucun de ces deux miracles n’ajoute à notre compréhension des pouvoirs étranges de Sathya Sai. Ils furent donnés à Al Drucker pour son instruction et nous les citons parce qu’ils sont typiques des expériences vécues par des centaines d’autres chercheurs. Le premier miracle eut lieu à cause d’une question de vie ou de mort et il a ébranlé tout l’être, alors que le second n’a fait que stimuler l’appétit de l’âme pour connaître la merveille sous-jacente au tissu de l’univers. Ensemble, ils illustrent comment un Maître peut suivre un dévot potentiel et après l’avoir ferré grâce à une intervention radicale, il utilise ensuite des miracles de moindre importance comme la double photographie en une seule pour donner une preuve généreuse de la leela continue ou du jeu divin du Maître. Ce que nous savons, c’est que le miracle principal vers lequel pointent les autres doit provoquer la transformation d’un être humain d’un état de comportement animal inconscient à une conscience de son héritage divin. Quand Hislop apprit que Sathya Sai pouvait accomplir l’ultime miracle de transformer la nature humaine, il attrapa le prochain avion pour l’Inde.

184

CHAPITRE 15 : DISPERSER LES ORGUEILLEUX

Le manifeste du mouvement rationaliste, c’est de dénigrer le monde de l’Esprit et de rejeter ses aspects miraculeux sur la présomption que tous les phénomènes supraphysiques insultent les lois de la nature et qu’ils ne peuvent être l’œuvre que d’escrocs prêts à tirer parti de la crédulité des pauvres. Qu’aucun effort ne soit fait pour distinguer une manifestation spirituelle authentique d’une fausse suggère que les critiques ne s’intéressent pas à la vérité, mais à leur version préconçue de la vérité. Shirdi Sai comparait ses critiques à des hommes assoiffés qui s’approchent d’un puits avec leurs récipients retournés et qui se plaignent ensuite qu’il n’y a pas d’eau.

Personne ne peut nier que la superstition et l’obscurantisme sont souvent et justement assimilés à la religion populaire qui, pendant des siècles, a joué sur la crédulité des illettrés. Lors de grands rassemblements de pèlerins, des prêtres orchestrent des interventions apparemment divines pour impressionner les fidèles et par ces moyens garantissent une participation encore plus élevée l’année suivante. Ainsi, à Sabarimala dans le Kerala, les pèlerins d’Ayyappa seront éblouis par un feu d’artifice prétendument divin au paroxysme de la visite. De même, un jour fixe, chaque année, à sa source, la Kaveri débordera de son réservoir sacré et on attribuera à la déesse l’ingéniosité des prêtres qui provoquèrent l’inondation. Personne ne reprochera aux critiques de dénoncer la manipulation grossière des esprits humains par un pouvoir sacerdotal cupide.

Grâce au leader dravidien, Periyar, qui critiqua catégoriquement le système brahmanique, le rationalisme possède une base plus large dans le sud que dans le nord. Abraham Kovoor fut un rationaliste éminent du sud. Il se donna pour mission de dénoncer la fraude des saints hommes en examinant au ralenti comment ils accomplissaient des trucs de magicien qui paraissaient miraculeux à un public peu critique. Sa sincérité ne peut pas être mise en doute et ses révélations ont incontestablement contribué à réduire le nombre des imposteurs qui avaient espéré exploiter une croyance aveugle en leur tromperie. Kovoor appréciait clairement la publicité et il alla jusqu’à offrir de grosses récompenses en argent liquide à tout homme-dieu qui pourrait accomplir avec succès un miracle, à la satisfaction des critiques. Comme personne ne parvint à mériter la récompense, Kovoor conclut qu’il avait gain de cause. Il n’existait rien de tel que des miracles.

L’approche grossière et insensible de ce type d’investigation nous rappelle l’athée Charles Bradlaugh qui brandissait un chronomètre sous le nez de son public britannique et qui mettait ensuite le Tout-Puissant au défi de le frapper à mort ‘’endéans les cinq minutes.’’ Après que le temps se soit écoulé et après avoir pu constater que M. Bradlaugh était toujours bien vivant, le public était censé conclure que Dieu n’existait pas. Et si Dieu avait conclu par pure compassion que M. Bradlaugh, bien que stupide, ne méritait pas la peine de mort ? Et si Dieu avait conclu qu’en permettant à M. Bradlaugh de vivre sa vie jusqu’à son terme normal, quelque sagesse pourrait peut-être s’immiscer dans son crâne arrogant ? Ironiquement, sa compagne d’armes, Annie Besant, finit par embrasser la vie spirituelle.

185

Le défaut le plus flagrant du rationaliste, c’est sa propension à laisser l’amour en dehors de l’équation. Leur approche est cérébrale et omet les émotions humaines ordinaires. Les rationalistes utilisent Sai Baba pour attaquer ce qui est en fait leur principal ennemi – la liberté de chérir le monde de l’Esprit. Quand on lit les abus dont ils font preuve à l’encontre du Maître de Puttaparthi, il semble qu’ils ne sont pas tant furieux contre lui que contre les pauvres qui se rassemblent autour de lui. Leur prétention d’agir en faveur de l’homme ordinaire sonne faux, quand ils font montre d’autant de mépris pour les préférences des villageois. Une épitaphe érigée par des parents affligés dans le cimetière de guerre de Kohima saisit le caractère émouvant que ces critiques ne parviennent pas à comprendre :

‘’Pour le monde, notre Tom n’était qu’un simple soldat. Pour nous, c’était le monde entier.’’

***

A côté des critiques rationalistes, il y a ceux que l’on pourrait appeler les irrationalistes. Ils suivent un modèle bien connu de l’histoire de la religion où un disciple trop enthousiaste devient un apostat et après un retournement émotionnel déconcertant dénonce comme Satan la personne même que la veille encore il déclarait être Dieu. Le meilleur exemple de ce comportement névrotique est St Paul qui débuta sa carrière comme un persécuteur de chrétiens juif enthousiaste. (Il est ironique que le premier missionnaire chrétien donna à son église son premier martyr, quand Paul fit lapider Etienne.) Il y a un modèle perceptible dans le comportement des mécontents de Puttaparthi. D’abord, le guru les établit, leur donne une place privilégiée pour qu’ils aient l’impression de faire partie du cercle intime de l’ashram et d’une manière générale, il leur accorde beaucoup d’attention. Ensuite, certain de leur amour, le guru entreprend le travail de démolition de leur moi irréel. Ils sont à présent ignorés, priés de s’asseoir dans le fond et généralement remis à leur place. Pour eux, la porte de sortie facile est de se chercher un autre guru qui sera plus réceptif à la sensibilité de leur âme. Sinon, le disciple indigné écrit un livre condamnant l’aveuglement du guru, incapable de reconnaître l’or spirituel qui se cache dans l’ego éconduit.

Je peux compatir avec ceux qui jettent l’éponge, puisque j‘ai failli en faire autant après avoir reçu le traitement spécial du guru. En fin de compte, nous devons trouver l’enseignement en nous-même et comprendre que le guru n’est que le représentant extérieur de ce qui est immortel en nous. Que nous saisissions cet enseignement par la grâce ou par l’effort, sa vérité nous libère du besoin de l’ego d’occuper toujours le premier plan. Trouver le maître intérieur et la place où vous vous asseyez n’a aucune importance. Vous n’aurez pas besoin non plus d’écrire un livre expliquant comment vous avez été trompé par Sai Baba, ce qui ne vous a laissé d’autre choix que de vous répandre en méchancetés exagérées.

Tal Brooke était l’un de ces adeptes enthousiastes désabusé par Sai Baba. Il écrivit Lord of the Air. Le livre possède la saveur des années flowerpower qui virent des centaines de jeunes étrangers idéalistes faire le tour de l’Orient en papillonnant de sectes en

186 cultes, comme des abeilles, récoltant des intuitions spirituelles où qu’ils aillent (selon eux), mais ne trouvant jamais un ashram digne de leur âme où il pourraient jeter l’ancre en permanence. Il est habituel de trouver dans les récits de ces voyageurs inexpérimentés des prétentions à ‘’révéler’’ au monde que des charlatans se cachent derrière les robes de ces gurus. Puisque eux-mêmes se posent en charlatans en prétendant comprendre le sens d’enseignements que seule l’expérience peut fournir, comment pouvaient-ils espérer détecter un Maître authentique ? (Gurdjieff a une fois dit à l’intellectuel Ouspensky que si ce dernier comprenait une fraction des enseignements qu’il avait écrits dans ses livres, il (Gurdjieff) toucherait ses pieds.

Un autre dévot occidental désenchanté, David Bailey, un musicien anglais, utilisa Internet pour essayer de discréditer Sai Baba et son mouvement. Brooke et Bailey parlent de conduite impropre, mais ils ne donnent pas d’autres preuves que les on-dit d’autres disciples mécontents, dont beaucoup se cachent derrière un pseudonyme sur le site Web de Bailey. Brooke s’appuie sur un jeune Anglo-Indien non identifié qui étant pauvre et chrétien, pourrait être un indicateur payé par le lobby missionnaire. (Une édition en livre de poche de Lord of the Air provient d’une maison missionnaire.) Etant donné que les jeunes Anglo-Indiens de Whitefield n’ont pas l’occasion de fréquenter l’ashram, ce garçon doit être allé frayer avec les étrangers. Le règlement de l’ashram – que Brooke a enfreint – met en garde les dévots (avec une vision quasi prophétique dans ce cas-ci) : ‘’Ne fréquentez pas les étrangers. Il est possible qu’ils aient des arrière-pensées qui conduiront ultimement à des désagréments.’’

Tous les arguments de Bailey s’autodétruisent quand, reconnaissant son incapacité à discréditer la réputation de Sai Baba par des insinuations salaces, il se lance dans une tirade générale, ridicule par le délire de ses accusations contre l’ashram et ses rouages. La vibhuti de Sai Baba, affirme-t-il, est préparée en capsules pour duper le public. Mais même, en admettant la possibilité que Bailey soit le seul témoin perspicace parmi un demi-million d’imbéciles, comment cela explique-t-il la pluie abondante de vibhuti, lors de Shivaratri devant des foules énormes qui ne peuvent pas toutes être aussi stupides qu’il l’implique ? La méchanceté élaborée de ses fulminations résonne de manière aussi exagérée que la dénonciation des païens chez un missionnaire victorien. De façon révélatrice, Brooke et Bailey reprennent le vocabulaire de l’évangélisateur et accusent leur cible d’avoir pactisé avec le diable. C’est très banal pour des gens naïfs à l’étranger et je me rappelle la visite d’un célèbre moine catholique britannique à Mirtola, dont les premières impressions concernant la cérémonie de l’arati le convainquirent qu’il était bien en enfer, écoutant (et reconnaissant) les rites de Satan. Ce qui est comique avec toutes ces réactions étrangères au choc des cultures, c’est l’implication que les visiteurs possèdent une connaissance pratique et rapprochée des goûts du diable !

Comme les voix rationalistes égarées, ce que ces critiques isolés disent réellement, c’est qu’ils sont les seuls témoins fiables et que les trente millions d’adeptes de Sai Baba sont tous des simples d’esprit. Un tel matraquage exagéré révèle le scénario connu d’un croyant déséquilibré qui, incertain de ses attaches, accepte un guru pour le sortir de sa confusion. La haine religieuse est un signe d’énergies mal orientées et ceci peut expliquer pourquoi des adeptes qui deviennent des apostats expriment invariablement leur frustration par le biais d’insinuations à caractère sexuel.

187

Tout au long de l’Histoire, chaque instructeur religieux digne de ce nom a été la cible de quelque groupe vengeur et le moyen le plus facile pour jeter le doute sur le caractère d’un saint, c’est d’insinuer une conduite sexuelle déviante. C’est le prix que les Maîtres paient pour insister sur une vie chaste, bien qu’il devrait être noté que même Gurdjieff, qui n’avait pas de problèmes sexuels, fut pris pour cible. Au lieu d’être bien disposée envers un guru qui renonce aux conforts de la vie de famille pour enseigner à l’humanité et d’essayer de comprendre son inévitable solitude physique, la société critique d’une façon pseudo vertueuse toute déviation apparente du chemin du sacrifice. Le Christ fut accusé de fréquenter des ivrognes et des prostituées et, comme Ramakrishna Paramahansa, d’avoir des tendances homosexuelles.

Nous pouvons aussi voir dans le cas de Ramana Maharshi comment opèrent ceux qui font courir des rumeurs, répandent la méchanceté et rendent l’innocence semblable à de la culpabilité. Une jeune femme romantique et pressante fit une demande en mariage à Ramana. Le jeune sannyasin déclina l’offre courtoisement. La dame déséquilibrée se suicida tragiquement et l’incident fut étouffé pour refaire surface cinquante ans plus tard. A présent, le scénario avait été déformé pour affirmer que le saint était responsable. Sinon, disait la rumeur, pourquoi avoir tout d’abord étouffé l’incident ? Les autorités de l’ashram n’étaient pas en position de force. Souhaiter qu’un événement n’existe pas, d’un point de vue théorique, n’était pas un comportement idéal, mais il était pratique, étant donné ce que Ramana tentait d’incarner. Pourquoi un seul événement tragique devrait-il détourner l’attention du public de l’exemple de dévotion inébranlable incarné par Ramana ? Conformément au modèle, cette version fut propagée par un disciple étranger devenu apostat.

Dans tout contexte ashramique, le sexe est un sujet explosif et quand vous avez, comme à Puttaparthi, des milliers de dévots des deux sexes assis côte à côte deux fois par jour pour le but apparent du darshan, il n’est pas étonnant que parfois, certains sentiments deviennent incontrôlés. Bien que ceci soit discrètement reconnu, rien n’est dit, bien que ce soit la politique stricte de l’ashram de ne pas encourager de liaisons pour la raison évidente que le but de venir à Puttaparthi, c’est de dépasser les désirs physiques. C’est l’amour de l’Esprit universel qui est encouragé. Dans un tel contexte, l’éros est considéré comme inapproprié, bien qu’il puisse y avoir un grand flux de cette force vitale puissante pendant le darshan. Sai Baba a déclaré que la raison pour laquelle les hommes et les femmes ne devraient pas converser inutilement sur le campus, c’est parce que cela les distraira du but pour lequel ils sont venus, à savoir trouver leur propre Soi intérieur.

Contrairement au célèbre guru moderne, Mata Amritanandamayi qui exprime son amour en serrant dans ses bras tous ceux et toutes celles qui viennent pour son darshan, l’éloignement strict de Sathya Sai vis à vis de tout contact humain et particulièrement féminin est bien attesté. Comme pour toutes les figures saintes qui mettent un point d’honneur à une telle ségrégation, la rumeur vulgaire ignorera les précautions pratiques nécessaires dans un rassemblement de masse et supposera qu’il doit y avoir une préférence homosexuelle cachée. Faire taire une telle rumeur est dur dans un monde où le clergé des religions contraint au vœu du célibat manque trop souvent son idéal proclamé. L’hindouisme est la seule religion ayant la sagesse de

188 percevoir que le sexe doit être un sujet tabou, non pas parce qu’il est profane, mais parce que c’est un mystère trop sacré que pour en parler vainement.

Brooke et Bailey plaident que Sai Baba a abusé de leur foi innocente. En fermant les yeux à la réalité que chaque nouveau disciple est chouchouté et ensuite remarquablement ignoré (pendant quatre ans dans le cas de Diana Baskin et de son mari), ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Sai Baba ne les a jamais invités à Puttaparthi et ne leur a pas demandé de devenir ses disciples. Il ne leur a pas promis la vie après la mort, s’ils signaient avec lui un contrat pour être leur sauveur. Ils sont venus de leur propre gré. Quand il leur accorda de l’importance, ils l’appelaient Dieu. Quand il transféra à d’autres cette importance, ils l’appelèrent Satan. Un demi-siècle de pratiques quotidiennes à Puttaparthi aurait dû leur faire voir à quoi s’attendre, s’ils n’avaient pas fermé leurs yeux à tout, excepté à leur propre importance. Bailey reconnaît maintenant qu’il n’a plus besoin de guru extérieur, ce qui veut dire que Sai Baba a réussi à faire passer un enseignement essentiel. Howard Murphet note dans son dernier livre que les retombées de ces publications ont eu pour effet salutaire de purger Prasanthi Nilayam d’autres sceptiques, pique-assiettes ou simplement curieux.

***

Comme troisième catégorie de critiques, il y a ce qu’on pourrait appeler le dilettante littéraire qui est intrigué par le mystère qui se dégage de cette figure magistrale, mais qui ressent que tout ce qui est populiste doit être évité. Il se dit rationaliste et humaniste, mais son mode de vie est très éloigné du dur labeur du villageois et il préfère sermonner les masses plutôt que de se mêler à elles. Ces dévoués persécuteurs de Sai Baba font preuve d’une fureur disproportionnée par rapport à leur attitude autrement douce et éclairée. Sathya Sai fit observer à propos de ces ‘’pinailleurs’’ que leur obsession à son égard s’avère être, négativement au moins, un intérêt subliminal pour le divin. Comme la majorité des critiques citadins, les dilettantes préfèrent ignorer les réalisations sociales de Baba qui a approvisionné en eau potable un millier de villages et ils continuent de l’admonester pour induire les pauvres en erreur. Ayant grandi avec quelques-uns des plus célèbres rédacteurs en chef actuels et les ayant vus devenir des écrivains et des personnes de principes, je trouve étrange, sinon amusant que ces professionnels, autrement impartiaux, doivent en étant promus directeurs se sentir compétents pour prononcer un jugement instantané sur le caractère et sur la mission de quelqu’un qui est aussi profondément intriguant que Sathya Sai. Les rédacteurs en chef matures formuleront leur indifférence pour le domaine spirituel en une prose réfléchie, mais trop souvent, il y a un désir irresponsable de faire les gros titres et de condamner sur ouï-dire, puisqu’il est à la mode de ne pas être vu comme soutenant quelque chose qui est du goût des masses. Dans un cas frappant, Sai Baba neutralisa le mauvais karma que la presse s’attire à elle avec insouciance. R. K. Karanjia, le rédacteur en chef de Blitz, l’hebdomadaire le plus populiste et le plus direct de l’Inde de l’époque, dont on pouvait s’attendre à ce qu’il dénigre la mission de Sai Baba, fut sidéré par la présence de Sathya Sai et passa d’un extrême à l’autre en affirmant ‘’Dieu est indien.’’ Il y a ici une indication de la raison pour laquelle le succès de Sathya Sai a eu mauvaise presse à l’étranger. Dans tous les

189 comptes-rendus négatifs, le trait commun est la phobie, une peur que les pouvoirs supranormaux de Sai Baba ne prouvent qu’il soit un croquemitaine. Pour aggraver ces sentiments souvent racistes de la presse internationale, il y a la réalité économique qu’en Occident, où les foules des églises déclinent, la mission du nouveau-venu, Sai, attire des donateurs de gros calibre. La jalousie envers un tel succès spirituel est une autre raison qui se cache derrière le fait que les critiques minimisent délibérément le vrai statut spirituel de Sathya Sai.

Quand un hebdomadaire indien de premier plan préleva dans un quotidien londonien un article diffamatoire anti-Sai Baba, il dut faire marche arrière par crainte d’une réaction violente de ses lecteurs. La colère ne concernait pas Sai Baba, mais le respect de l’Indien envers lui-même. Pourquoi un magazine devrait-il reproduire un article anti-indien destiné à influencer l’opinion publique sans examiner l’affaire ? Le quotidien en question est l’organe de l’establishment tory bien connu pour ses positions insulaires et colonialistes. Tout ce qu’il y a de négatif à propos de la tradition religieuse hindoue est certain d’être mis en relief dans ses pages. C’est ce journal qui collecta des dons pour le général Dyer qui avait été cassé pour avoir ordonné d’abattre des civils lors du massacre de Jallianwala Bagh en 1919.

Un quotidien indien très en vue encourut pareillement de sévères critiques concernant la même histoire et dut publier ses excuses pour avoir contrarié ses lecteurs. Les journaux ne sont pas imprimés pour le bien-être de notre âme, mais pour que leurs propriétaires gagnent de l’argent. Etant donné que leurs propriétaires ont leurs propres gourous, il n’est pas surprenant de trouver, à l’occasion, des comptes-rendus calomnieux à propos de chefs spirituels rivaux.

***

Un domaine où beaucoup de sympathisants ont l’impression que la mission de Sathya Sai pèche est celui de la désignation d’un responsable des relations publiques avec qui la presse pourrait s’entretenir. Souvent le ressentiment de la presse est provoqué par la politique officielle de l’ashram de rester silencieux, ce qui suggère (au moins pour les médias) une organisation autocratique ou d’avoir quelque chose à cacher. Vous avez ainsi la rumeur propagée par des missions rivales et reprises par la presse, selon laquelle Puttaparthi est un lieu de culte sinistre où le Maître pratique un genre d’hypnose pour plonger ses adeptes dans une obéissance aveugle. Ceci ignore de façon commode le fait que la presse peut également se conduire despotiquement et prend grand soin de cacher son potentiel de malveillance. Une fois que vous vous engagez avec les médias, il n’y a pas de fin à leurs exigences. Tout qui a déjà accordé une interview a appris à s’attendre à trouver ses paroles déformées et ses idées dénaturées. On s’excuse de gros titres préjudiciables qui se sont avérés faux dans de tous petits caractères. La presse, qui recherche des titillations éphémères, fuit trop souvent sa responsabilité de soutenir les valeurs quotidiennes, sans parler des valeurs éternelles.

Un être aux réserves de compassion supérieures, en entrant dans un corps humain, doit accepter l’examen sévère que son message va attirer et la garantie que son corps

190 est susceptible de toutes les plaintes dont la chair est l’héritière. Comme le prix des journaux l’indique, la plupart des lecteurs préfèrent des scandales, de la violence et des catastrophes à l’art de la paix et au baume de l’Esprit. Sathya Sai a rendu la vie à plus d’un millier de villages assoiffés du Rayalseema, mais aucun journaliste n’estimera intéressant de propager la dimension historique de cet acte de charité unique. Cependant, un seul crime à l’intérieur de l’ashram attirera des hordes de journalistes prêts à ressusciter l’ambiance de cet ancien sport sanguinaire qui consistait à jeter des chrétiens aux lions.

Quand un meurtre à l’intérieur de l’ashram secoua Puttaparthi en 1993, Sathya Sai lui- même le résuma comme le fruit de la jalousie. Pourtant, cela n’empêcha pas la presse de faire ses choux gras de spéculations sauvages et de reportages imaginatifs. Une étude des coupures de presse concernant cette affaire sensationnelle ferait grimacer n’importe quel journaliste professionnel face à l’amateurisme sommaire et aux insinuations faciles qui en ressortent. Si l’ashram avait jamais eu besoin d’arguments montrant qu’il avait eu raison de garder la presse à distance, nous en avons ici la meilleure preuve. Un jeune reporter inexpérimenté s’était pointé sur le campus de l’ashram, avait annoncé que les dévots observaient une ‘’conspiration du silence’’ pour déduire de ce silence l’histoire la plus ridicule, non corroborée.

Il semble que quatre membres du propre détachement de sécurité de Sai Baba soient entrés par effraction dans ses quartiers (adjacents au temple) pendant la nuit. Armés de ce qui semblait être des couteaux artisanaux, ils ont tué l’aide favori de Baba et un autre étudiant venu à sa défense. Les quatre montèrent ensuite à l’étage, apparemment pour affronter Sai Baba et l’instruire de leurs griefs, lacérant tout ce qui se trouvait sur leur chemin, mais ils se replièrent quand Baba leur ordonna de partir. A présent, l’alarme avait été déclenchée, car des étudiants dormaient à l’extérieur du temple. Baba fut secouru par ses étudiants et abrité dans une réserve du temple. Alors même qu’il s’asseyait sur un sac de riz, quelqu’un fit remarquer qu’il avait été trahi par quelqu’un de son propre cercle intime. Désignant le sac, Sathya Sai dit que seuls quelques grains de riz étaient mauvais. Au comble de l’horreur, il avait encore de la compassion pour les tueurs.

Entre-temps, la police locale avait été appelée et des policiers gagnèrent les quartiers de Baba où les quatre meurtriers s’étaient enfermés. Sathya Sai avait déclenché une alarme qui avait été placée pour prévenir l’ashram de toute menace naxalite qui semblait imminente à une époque. Celle-ci éveilla les villageois qui, armés de bâtons, vinrent grossir les rangs des dévots dont l’humeur était devenue explosive en apprenant le siège de Sathya Sai. N’étant pas réputée pour sa réponse subtile aux situations délicates, la police locale fit ce que la plupart des polices locales de l’Inde feraient – elle ouvrit le feu sur les assaillants. Un panneau de la porte derrière laquelle ils s’étaient cachés avait été défoncé à coups de crosse et, d’après la police, ils ouvrirent le feu en état de légitime défense après que les meurtriers les aient attaqués avec leurs couteaux. Tous les quatre furent tués. Deux des conspirateurs prirent la fuite en moto et furent appréhendés plus tard. On pense qu’il s’agit des cerveaux de l’attaque. Toutefois, Sai Baba ne porta jamais plainte contre eux et l’affaire fut prescrite. La presse vit quelque chose de sombre dans le refus d’un remède juridique à

191 long terme, négligeant le souci principal de Sathya Sai qui est que les familles des personnes impliquées (la majorité étant ses dévots) ne soient pas encore plus affectées.

Le mot ‘’conspiration’’ est un favori de la presse : il offre des perspectives illimitées à la spéculation. Ceci fut encore mieux mis en évidence, quand on prétendit avoir trouvé des mines terrestres et des produits chimiques toxiques dans la chambre de l’un des fuyards. (Mais s’il y a eu conspiration pour saboter l’ashram, pourquoi les assaillants eurent-ils recours à des couteaux artisanaux ?) Nulle part dans les coupures de presse n’est considéré le motif le plus simple – la jalousie de Radhakrishnan, l’aide de Baba qui fut poignardé si violemment que cela suggère la haine réprimée d’une cour médiévale du Deccan typique où un usurpateur poignarderait dans le dos un rival l’ayant remplacé dans les faveurs du sultan. En fait, il y avait probablement un angle romantique au crime. Il semble que l’aide soit tombé amoureux d’une femme et on pense que Baba n’approuva pas l’union. Les meurtriers étaient jaloux de l’intimité de l’aide avec Baba et d’autant plus enragés qu’il refusait de renoncer à la femme. La presse était plus amourachée d’une conspiration au niveau national. Un chef du Vishwa Hindu Parishad anti-minorités était un visiteur régulier de l’ashram et un des conspirateurs avait récemment participé à une réunion du VHP à Bangalore. Et comme pour contrebalancer cette théorie communautaire, le nom d’un musulman de la pègre de Bombay circula comme cherchant à assassiner l’éminent saint de Puttaparthi.

Un autre point de vue donné par la presse fut celui de conflits internes entre diverses factions de l’ashram pour le contrôle des avoirs considérables accumulés par Sathya Sai. Des histoires concoctées d’activités étranges ou mafieuses peuvent avoir amusé le lecteur, mais sont très peu sensées pur celui qui connaît Puttaparthi. Les jeunes reporters ont exagéré la situation au centuple. Lorsque, de leur propre aveu, personne à l’ashram ne leur a parlé, il s’ensuit que beaucoup de choses qu’ils ont écrites étaient inspirées par des ouï-dire. L’ashram se trouvait dans une situation délicate, car la presse était arrivée avec un programme hostile.

***

Pour gonfler les rangs de ces critiques mordants qui considéraient comme leur mission vitale d’humilier Sathya Sai et de découvrir sous son image de prince charmant un vilain crapaud, il y avait le Dr Narasimhaiah, le chef d’une organisation rationaliste censée être humaine dans ses instincts, mais toutefois impudente dans ses exigences que tout citoyen libre se soumette sans réserve à son comité autoproclamé pour un examen minutieux. En tant que Vice-président de l’Université de Bangalore, le Dr Narasimhaiah a peut-être pensé que la dignité de sa fonction lui conférerait du soutien dans sa chasse aux sorcières au nom de l’encouragement de l’esprit scientifique. En fait, le Vice-président utilisa l’imposition de l’état d’urgence de Mme Gandhi (qui réduisait les droits démocratiques et qui encourageait les petits tyrans) pour établir un comité trié sur le volet qui, avec un maximum de publicité, se rendit en car à l’ashram de Whitefield et exigea que Baba apparaisse pour s’entretenir avec lui. Il semble que l’objectif de la sortie n’était pas plus que de se donner en spectacle au public. Les rationalistes semblaient plus baigner dans leur propre suffisance que vouloir

192 sérieusement examiner les phénomènes psychiques de Sathya Sai. Sinon, ils auraient adopté une approche plus conciliante. Après que Sai Baba ait refusé d’accéder au caprice de la délégation, au grand dépit du Vice-président, au lieu de réduire le nombre de ceux qui se rendaient chez Sai Baba, la sympathie du public suscita une augmentation. Et pour mettre un peu de sel sur ses blessures de rationaliste, les Vice- présidents qui suivirent furent des dévots Sai ! Quand Sathya Sai créa sa propre université à Puttaparthi, le Président fut naturellement Sathya Sai lui-même. En moins d’une décennie, cette institution d’enseignement supérieur est devenue l’une des universités indiennes de premier plan.

Sathya avec le Dr A.P.J. Abdul Kalam, Président de l’Inde, à l’occasion d’une cérémonie de remise des diplômes, en 2002

Il y a quelque chose de profondément symbolique dans les manières différentes dont ces deux figures ont approché les mystères de la vie. Intellectuel sérieux, le Dr Narasimhaiah atteignit le sommet de la réalisation académique. Toutefois, à cause de son manque de considération singulièrement dépourvu de grâce pour ceux qui ne partageaient pas son zèle de croisé, il ne parvint pas à émouvoir ses semblables. Par contraste, le villageois à la scolarité réduite, Sathya Sai, convainquit le monde par la plus grande profondeur de sa compréhension. En s’adressant aux besoins du cœur, il démontra que la plupart des gens savent faire la différence entre des mots qui sonnent bien et la sagesse innée.

La bonne volonté que met Sathya Sai à discuter du mystère de sa nature avec ceux qui sont bien disposés envers ce sujet est bien connue. A plusieurs reprises, Sai Baba a exprimé sa volonté de faire examiner ses pouvoirs, mais uniquement si le motif n’était pas de dénigrer le divin. Comme on a pu le constater, quand les investigateurs du domaine psychique sont sérieux et objectifs, Sai Baba est heureux de coopérer pour des expériences contrôlées. Deux universitaires étrangers et d’autres étudiants sérieux du domaine psychique ont écrit un traité sur le sujet, mais étant de nature positive, de telles découvertes ne se prêtent pas au sensationnalisme journalistique.

193

Les critiques ratent leur procès en préjugeant de la question de l’authenticité des miracles de Sathya Sai. Ils ne cherchent pas à enquêter objectivement, mais à démystifier. Leur hostilité semble provenir d’une sorte de phobie. Après l’annonce du meurtre à l’ashram, le Dr Narasimhaiah déclara triomphalement que Baba, au lieu d’utiliser ses pouvoirs divins pour transformer les quatre meurtriers en crapauds ‘’fit exactement ce que j’aurais fait et s’enfuit’’. Bien entendu, si Baba avait utilisé un quelconque siddhi pour mettre hors d’état de nuire ses assaillants, on l’aurait alors accusé d’un acte inhumain et illégal.

Il est intéressant d’observer l’opinion du rationaliste quant à sa propre valeur et la question se pose, quant à savoir pourquoi ces gens qui ont tant à enseigner à l’humanité passent leur temps à dénoncer la fraude d’autrui. Sans doute que la façon la plus simple de prouver les limites de Baba pour des critiques comme le Dr Narasimhaiah serait de surpasser les œuvres charitables de Baba par les leurs. Quand ils inciteront trente millions d’êtres humains à suivre leur message, ils auront tous les droits d’exiger que le monde les prenne plus au sérieux.

Ecrire des livres contre Sai Baba ou chercher à ternir sa réputation sur Internet pourrait mériter des lecteurs, si les auteurs de ces griefs possédaient un standing dans le monde de la philanthropie. S’’ils avaient fait le millième de ce que Sathya Sai a accompli pour promouvoir le bien-être de l’humanité, nous aurions de bonnes raisons de prendre leurs doléances au sérieux et nous envisagerions de voir si de l’eau pure peut provenir d’une source polluée. Les critiques appartiennent à la catégorie des intellectuels qui ne peuvent pas reconnaître la réalité de l’Esprit et qui veulent désespérément l’expliquer. Ils sont hantés par la vérité que Sathya Sai incarne et ils désirent nier une présence que des millions de personnes ordinaires considèrent comme la plus belle preuve qu’elles ont du sens ultime de la vie. Ce qui est commun chez tous les critiques, c’est un mépris sans limite pour les affections du citoyen ordinaire dans son choix d’expression religieuse. C’est pour guérir ces idées retorses que les Maîtres de toutes les fois sont venus parmi nous. La réponse de Sai Baba aux critiques, c’est que tous les miracles qui se produisent ne sont pas dus à sa forme humaine, mais à la compassion et à l’amour qui ont fait d’elle leur instrument.

194

ÉPILOGUE

Je sais qu’il y avait deux religions chez les anciens – une pour le vulgaire et une pour l’érudit – mais je pense qu’un seul amour aurait très bien pu les servir toutes les deux.

Laurence Sterne dans Vie et Opinions de Tristram Shandy, Gentilhomme

Le 21ème siècle promet de voir une résurgence asiatique où le rôle de l’Inde, comme toujours, sera celui d’un esprit guide réaffirmant les valeurs basées sur la conscience directe du mystère éternel de la vie, de l’âme humaine. Pendant des siècles, le dharma hindou a été altéré et dilué pour convenir à une prétendue élite spirituelle et la présente étude suggère que la Sai Parampara propose un remède curatif qui répond au besoin de la démocratie vibrante de l’Inde moderne. Elle nous enjoint de réaliser l’Etre divin à l’intérieur de nous-même, plutôt que de cultiver les intermédiaires extérieurs brahmaniques ou autres.

Après quarante ans de voyages autour du sous-continent, ayant vu le paysage religieux se modifier, il me semble que la caractéristique la plus remarquable est le statut de ‘’star établie’’ de Sai Baba, à Shirdi comme à Puttaparthi. Des douzaines de gurus sont venus puis sont partis, qui ont montré une lueur de l’Esprit, mais en aucun, excepté Sai Baba, je n’ai rencontré la lumière de l’amour inébranlable qui soutient et qui donne un sens à l’existence. Bien entendu, d’autres auront leurs propres expériences valables d’autres voies et d’autres Maîtres, mais pour cet étudiant particulier, l’aura de Sai est la plus grande merveille découverte dans son voyage en Orient. Les dévots ont tendance à ignorer l’affirmation répétée de Sathya Sai qu’il est venu convaincre le non dévot. C’est pourquoi la Sai Parampara plaît à un non-croyant (en les formes extérieures) comme moi-même, puisqu’elle se passe de l’hystérie, des paroles creuses et des sornettes que l’on associe habituellement à la religion et qu’elle délivre, non pas des sermons, mais des connaissances que chacun peut exploiter dans sa quête de la réalité.

Sathya Sai possède de loin la présence la plus charismatique, électrisante dans le crépitement d’énergie comprimée qu’il irradie. Mon cœur répond spontanément à son aura divine. Ajouté à cela, il y a la connaissance qui passe que la vraie religion concerne le vécu et a peu à voir avec les signes extérieurs de religiosité conventionnelle. Sathya Sai, malgré de sérieuses réserves de ma part envers tout qui fait étalage de ses croyances dans des habits saints, a la capacité d’éveiller en moi l’amour le plus profond et de toucher mon âme si profondément que tout questionnement mental cesse. (Enfin presque.) Je ne sais s’il est Dieu ou homme – ou les deux – mais ceci n’affecte pas le moins du monde l’impact qu’il a sur mon âme. Je sais ce que je ressens et cette réalité allègre transcende toute définition verbale. J’ai l’impression d’être indescriptiblement béni d’être né pour voir un aspect de la divinité que l’on n’a pas vu sur la terre depuis des milliers d’années.

195

A cause de sa nature ardente, l’amour est un remède désespéré auquel ont recours ceux qui sont passionnés de découvrir qui ils sont et pourquoi ils sont ici. La limite que beaucoup de dévots Sai imposent à leur compréhension est de confiner l’amour à leur paroisse particulière, Shirdi ou Puttaparthi. Le danger, en intériorisant l’enseignement Sai pour le dévot est de ressentir que le but a été atteint, quand son âme est sensible au divin. Mais le vrai travail, c’est de réaliser le Alle Menschen werden Brüder de Schiller et de considérer le monde entier comme une seule famille non divisée. Le message des deux saints est que leur essence – la divine grâce de l’amour – survit au corps. Quoi ou qui que nous aimions libère une grâce qui nous rapproche du divin.

Selon le Coran, ‘’Allah prêtera sa générosité à chaque homme de grâce’’, et l’impact de deux citoyens exceptionnels du Deccan sur la vie d’un voyageur ordinaire témoigne amplement de la vérité de ceci. Mon but a été d’essayer de découvrir le réceptacle de la grâce divine et comment, comme le dit de manière exquise Ezra Pound, ‘’la lumière

196 nous fait fondre’’. Cette étude du fonctionnement de la grâce dans le Deccan nous conte une merveilleuse histoire de richesse intérieure et de pauvreté extérieure, de défi environnemental brutal et de tendre réponse humaine. Suivant la théorie de la civilisation actuelle, le district d’Anantapur devrait être le dernier endroit sur la carte à afficher des signes visibles de bonheur humain et pour cela, nous devrions nous tourner vers Londres ou New York. Néanmoins, des gens du monde entier affluent à Puttaparthi où la présence de Sai Baba renverse la logique matérielle. Les théoriciens ont oublié de prendre en compte le besoin désespéré de l’âme humaine d’expérimenter l’amour.

Adolescent, je me rendis à Glasgow pour écouter un évangéliste fortement vanté de la confession évangélique américaine. Selon moi, l’atmosphère suggérait une manipulation névrotique malsaine du complexe de culpabilité du public. Alistair Cooke, le célèbre journaliste de l’audio-visuel, a rédigé un exposé sur la manière dont les prêcheurs fondamentalistes (de toutes les religions) emploient la même technique de stimulation du sentiment de masse comme moyen de réduire notre faculté rationnelle et de nous rendre vulnérables à leurs flatteries qui vont d’appels à donner notre âme à notre solde bancaire. Cette dernière tentative ‘’de rendre à Dieu ce qui appartient à César’’ contraste fortement avec l’atmosphère que j’en suis venu à associer avec Sathya Sai.

La grâce ressentie à Puttaparthi, lorsque je contemple Sai Baba, affirme le monde d’une manière saine, presque comme des noces où l’ambiance est à la fois sensuelle et spirituelle, l’être et le corps étant unis par l’aura magique de l’amour. Une prière celtique traditionnelle capture cette humeur :

Ceux qui rejettent le pouvoir de l’amour Ressemblent à un bateau qui prend l’eau sur une mer agitée Ou à un pommier qui ne fleurit jamais. Ceux qui répondent à l’appel de l’amour Sont comme une coupe qui déborde de vin Ou une belle mariée qui attend son époux.

197

Mes voyages d’Occident en Orient (la direction correcte pour acquérir la sagesse, si l’Orient représente le témoin intérieur) ne démontrèrent rien que je ne savais déjà avant de partir. Toutefois, sans ces voyages, ma certitude concernant l’unité de la religion serait restée du domaine intellectuel fragile. Expérimenter ce sentiment d’unité est la vraie preuve, car c’est alors que toute discussion cesse. Ramana Maharshi raconte l’histoire d’un marchand qui fit le tour du monde en quête d’un joyau précieux. C’est seulement lorsqu’il rentra chez lui qu’en regardant dans un miroir, il le découvrit sur son propre front. Le saint insistait sur le fait que sans le voyage ardu et apparemment futile, le chercheur n’aurait pas trouvé le trésor qu’il cherchait. En d’autres termes, il avait appris à la dure que regarder dans un miroir peut être plus que faire profession de vanité.

Mes amis, quand je leur dis que j’écrivais un livre sur Sai Baba, à juste titre, selon leur point de vue (qui voit la Sai Parampara comme un genre de curiosité à voir en passant), exprimèrent de la surprise et demandèrent : ‘’Que sais-tu sur Sathya Sai Baba ?’’ J’avoue que je sais très peu de choses, mais j’écris sur lui parce qu’à chaque occasion où je l’ai vu, j’expérimente le sentiment réconfortant que cet homme – et ici des millions de personnes du monde entier seront d’accord avec moi – reflète une vérité que je sais être le Moi réel. Aussi, ce livre ne concerne pas vraiment Sai Baba, mais le sentiment d’allégresse qu’il éveille en moi et d’autres, l’amour que mon cœur chérit comme la seule chose digne d’être possédée dans l’univers. Il est satisfaisant pour quelqu’un qui a vécu une existence longue et souvent précaire de pouvoir exprimer sa gratitude à une personne pour avoir confirmé ses sentiments les plus profonds sur la vie (avant qu’il ne parte à un autre niveau). Je n’ai aucun lien intime extérieur avec Sai Baba et cependant, il a été une grâce qui a plané sur l’écriture de ce livre, quand je sentais que le projet me dépassait. Ceci semble renforcer l’argument selon lequel Sai Baba plaît principalement aux récidivistes et aux ‘’pseudo professeurs’’ !

Il y a aussi le plaisir secondaire de terminer un cycle, puisque mon premier livre Seven Sacred Rivers commença par cette observation, ‘’Ce qui est important, que l’on parcourt le monde ou que l’on voyage à l’intérieur, c’est de trouver l’amour’’. A l’occasion d’un trek himalayen, je campai au-dessus de la limite supérieure de la forêt dans une cabane en rondins faisant face à l’imposant pic du trident de Shiva. Ce lieu improbable paraissait avoir été choisi par des tourtereaux en voyage de noces, car fraîchement et hardiment gravés dans ses planches, il y avait les mots ‘’L’amour est

198 l’énergie qui dépasse le pouvoir de la pensée’’. Comme c’était extraordinaire de trouver si loin du trafic mortel une réaffirmation aussi inattendue par des mains inconnues de la sagesse intérieure expérimentée par le cœur humain ! C’est dans des moments comme celui-ci, lorsque la grâce semble vous submerger d’attentions que l’effort d’avancer péniblement sur le sentier de montagne semble vraiment en valoir la peine.

Sai et ses fidèles au cours d’un pèlerinage dans l’Himalaya

***

En ce qui concerne les questions de l’Esprit, à moins d’avoir une expérience du sujet, la plupart des discussions restent théoriques et peuvent être en grossière contradiction avec les faits intérieurs. La sommité la plus littéraire du cricket, Neville Cardus, a mis en garde tout écrivain potentiel de ne pas écrire, à moins de se sentir forcé intérieurement à le faire et de ne jamais écrire sur quelque chose que vous n’avez pas expérimenté. On nous apprend tous à croire que la mort est un sujet sinistre, spécialement quand elle rôde autour du corps de quelqu’un de jeune. A l’âge de 26 ans, je suis presque mort de la typhoïde. Pendant quarante jours, j’ai jeûné (en ne prenant que du liquide), et au lieu d’être mortifié à la perspective d’une transition douloureuse, mon âme fut saturée d’un ravissement béatifique aux dimensions orgiaques. Tant que cela dura, mon être entier sembla produire une poésie de gratitude envers la merveille de la création. Il n’était pas question que la mort puisse me dérober cette réalité glorieuse, un Esprit universel dont je pouvais entendre le moteur sous la forme d’une vibration régulière en arrière-plan. Ce qui pouvait – et ce qui réussit à me la dérober – ce fut mon propre corps. A partir du moment où je recommençai à manger, le ravissement s’estompa. Cette rencontre révélatrice avec la

199 réalité de l’Esprit modifia totalement la manière dont je considérais les choses et m’obligea à accepter que presque toutes les notions sur la vie dont j’avais hérité étaient basées sur des on-dit et pas sur l’expérience. Comme Joseph Campbell l’aurait dit, ma jeunesse s’était passée à escalader laborieusement une échelle posée contre le mauvais mur ! Depuis lors, mes oreilles s’orientent, non pas sur ce qu’une personne dit, mais évaluent si elle a expérimenté ce qu’elle décrit. J’imagine que l’ensemble des adeptes de la Sai Parampara emploient la même pierre de touche. Ils ne se soucient pas de ce que les rationalistes ou de ce que les orthodoxes peuvent dire, parce qu’ils ont trouvé ce que leur âme cherchait.

Dans un sens, cela n’a pas d’importance que Sai Baba soit Dieu, Avatar ou Sauveur. Ce sont toutes des projections de l’Esprit intérieur. Cet Esprit n’est pas une projection ni un projecteur sans vie. Ainsi qu’Orage, le gurdjiévien, nous le rappelle : ‘’Vous êtes le pianiste et non le piano.’’ Plutôt que de déterminer le statut de Sathya Sai, il est important de connaître et d’apprécier sa capacité à éveiller le divin chez quiconque recherche sincèrement cette grâce. Une personne qui peut faire cela, peu importe que vous l’appeliez fakir ou magicien, mérite un sérieux respect. Sa présence réaffirme à elle seule le caractère immaculé de votre âme en dispersant les nuages que votre mental a accumulés au-dessus d’elle. Pour ceux qui se demandent comment un Avatar peut jouer au tennis de table, gagner des courses de sac, pique-niquer, construire un planétarium et un stade de cricket dans son village ou encore ouvrir un magasin du style Marks & Spencer pour ses dévots, la réponse est que l’amour fabrique ses propres règles.

200

En pique-nique à Kodaikanal avec quelques étudiants et fidèles méritants triés sur le volet

Quel abus de confiance absurde, quelle supercherie la doctrine religieuse fait payer à l’humanité ! Quelle insanité, cette notion de péché, quand nous contemplons l’effulgence immortelle de cette réalité intérieure ! (L’historienne Romila Thapar a fait cette observation profonde que la continuité de la sagesse de l’Inde est due à l’absence de Satan dans sa culture.) Nous et nos idées brillantes, nous ne dirigeons pas l’univers, et il ne fonctionne pas non plus comme un mécanisme sans amour. Il est mû par la force irrésistible que Sathya Sai personnifie et dont le message est simple :

Il n’y a qu’une seule religion, La religion de l’amour. Il n’y a qu’une seule caste, La caste de l’humanité. Il n’y a qu’un seul langage, Le langage du cœur.

Comme l’homme de la rue – quelle que soit sa foi – le sait, c’est l’amour qui fait tourner le monde. Sathya Sai est le guide de l’âme qui nous enseigne comment ignorer nos notions limitées et comprendre que nous ne faisons qu’un avec cet amour, notre essence immortelle. Luther, le monothéiste réformateur, réaffirma : ‘’L’amour est l’essence vivante de la nature divine.’’

S’il le faut, nous pouvons oublier le Sai extérieur et tous les attributs de la religion, puisqu’ils ne peuvent être que des limitations par rapport à la seule chose réelle. Ils passeront – contrairement au pouvoir de l’amour qu’ils incarnent brièvement. Comme le montre la Sai Parampara, cette ‘’chose’’ que nous appelons amour peut apparaître

201 sous le déguisement d’un fakir irascible, d’une incarnation gracieuse de l’amour ou d’un (futur) saint qui tentera d’unifier l’humanité. Ceux qui se rendent à Puttaparthi ou Shirdi ou Gunaparthi (dans le futur) trouveront peu de choses, à moins qu’ils ne s’y rendent avec de l’amour dans leurs cœurs. Comment pouvons-nous trouver du sens à Sai Baba, si nous avons perdu le sens de nous-mêmes ? La religion a trahi la confiance de l‘homme du commun en imposant des hiérarchies élitistes au nom de Dieu. Les saints du Deccan sont des fils de la terre qui font confiance, non seulement à l‘amour de Dieu, mais à celui de leurs semblables, peu importe la forme sous laquelle il apparaît.

En Inde, la coutume du namaste, ou saluer le divin en l’autre, possède un sens profond que l’usage quotidien a tout sauf détruit. Nous ne saluons pas, parce que l’autre est plus ancien, plus riche ou plus important, mais parce que, profondément à l’intérieur, nous reconnaissons que la forme humaine contient le grand mystère du Soi. Nous saluons en fait un reflet de nous-mêmes. Dans une lettre écrite à Rajagopal (publiée dans le livre de Diana Baskin), Baba conclut par – et souligne les mots – ‘’Vous êtes Sai’’. C’est la vérité de cette formule que nos vies devraient tester, mais comme Diana le note : ‘’L’énergie que nous gaspillons à critiquer les autres est juste ce qu’il faut pour être à la hauteur de nos propres idéaux.’’

Les critiques qui s’insurgent contre le théâtre spirituel quotidien joué à Puttaparthi peuvent techniquement n’avoir qu’à moitié tort. Tout ce qui est en dehors de nous, dans cette mesure, est faux, puisque ce n’est qu’un reflet du réel intérieur. Sathya Sai serait le premier à être d’accord sur le fait que ce qu’il semble être est quelque chose de très différent de ce qu’il est réellement. Un fait criant que les critiques négligent, c’est que ce sont eux qui sont obsédés par l‘image extérieure de Sai Baba et non le dévot qui exulte en le trouvant installé dans son propre cœur. Tous les vrais dévots insistent sur le fait qu’ils se rendent à Shirdi et à Puttaparthi pour recharger leurs batteries. Ils reconnaissent que la source de l’Esprit est cachée dans le mystère de l’individualité d’une personne – de chacun. L’importance théologique ultime de la Sai Parampara se situe dans cette relocalisation osée de la divinité − d’un lieu, à l’intérieur d’une personne. Nous pouvons explorer ce Soi chez nous ou nous rendre à Puttaparthi pour le voir incarné dans un corps, de manière unique. Etre témoin d’une telle grâce vaut bien l’effort que le voyage implique, mais la Puttaparthi réelle, la Cité de Dieu sur la Montagne des Philosophes, s’avérera être plus merveilleuse encore, une fois que vous en aurez trouvé le chemin.

Cela fait peu de différence que vous soyez riche ou pauvre, quand vous empruntez ce chemin. Ce qui est important, c’est la réalisation que tous les mortels ont la capacité d’engendrer ou de produire des fils, extérieurs et intérieurs. Toute la question concernant le fait d’avoir des enfants, c’est de leur permettre de trouver ce que nous cherchons. Le sexe n’est pas le démon que la religion conventionnelle dénonce, mais le divin désir de nous donner un indice, en terme de béatitude physique, de l’endroit où réside l’enfant divin. C’est à nous d’accepter que les parents les plus ordinaires – comme Venkappa Raju et Easwaramma – peuvent être les véhicules de l’incarnation de la progéniture divine de l’amour. Chacun de nous est Venkappa Raju et Easwaramma – attendant que notre Soi intérieur naisse en tant que Sathya Sai. Il est la réponse

202 directe à la question de savoir qui nous sommes réellement. Il accomplit ceci en nous montrant ce que nous ne sommes pas, ce qui, à son tour, révèle le potentiel de ce que nous pouvons devenir.

En sa présence, il est possible que vous ne reconnaissiez pas l’atman indifférencié ou que vous ne ressentiez pas nécessairement la gravité qui va de pair avec le fait de contempler Dieu. Il se peut même que vous ne soyez guère touché par la forme mince de Sai Baba. Ce que vous enregistrez, toutefois, c’est la réalisation ineffable que, grâce à la grâce abondante de cette toute petite personne, vous êtes face à face avec le miracle de l’amour. Et vous savez avec certitude que c’est un reflet de votre propre Soi réel. Rani Ma, qui comprend les limites des mots et qui n’a pas besoin de la béquille de la logique semble l’avoir bien compris en ne cessant jamais de me rappeler : ‘’Je ne crois pas que Sai Baba soit Dieu. Il est quelque chose de beaucoup plus.’’

Cela résume plus ou moins mon expérience d’être amoureux.

***

La vie d’un homme qui approche des septante ans correspond à peu près à 25 000 jours et pour la plupart d’entre nous, ils sont consacrés presque entièrement à notre propre avantage. En ce qui concerne Sathya Sai, non seulement ses jours, mais aussi ses nuits sont invariablement consacrés à augmenter le bien-être de ses dévots. C’est dans l’accumulation de cette vertu appliquée que sa nature miraculeuse est le mieux vue. Le souci permanent de ses dévots est un autre lien avec Shirdi Baba qui alla jusqu’à dire qu’il était l’esclave de ses disciples, affirmant : ‘’Nuit et jour, je pense à mes gens’’’. Il les considérait comme des enfants orphelins et eux aussi avaient l’impression de faire partie de la famille Sai.

Alors que la religion orthodoxe attache ses adeptes avec les liens de la peur et du conformisme, la Sai Parampara prospère grâce au lien vital qui unit le Maître et les élèves. Le contraste est le plus visible dans l’humeur qui affecte une congrégation qui doit être visitée par un ecclésiastique de haut rang ou un prêcheur célèbre et la manière dont les villageois et les dévots de Puttaparthi réagissent à la nouvelle du retour de leur Baba. La première sera correcte dans la forme et accompagnée du cérémonial approprié, alors que l’autre vibrera de l’anticipation du retour du prodige. La nouvelle de l’arrivée de sa voiture fait sortir précipitamment la population. La porte du gopura, fermée en l’absence de Bhagavan est ouverte en hâte et les dévots s’alignent spontanément, munis de conques pour célébrer l’arrivée du marié. Ce qui était un campus mort reprend maintenant vie. Nous avons ici une résurrection avec un grand R, le miracle de la grâce opérant sous vos yeux avec le couple de l’amour et de l’aspiration qui se rencontrent et qui fusionnent.

203

GLOSSAIRE Abisheka : onction, consécration d’une idole Advaita Védanta : doctrine de la non-dualité Agamas : traités à caractère mythologique, ritualiste et philosophique, parfois considérés comme le cinquième Véda. Il existe des Agamas vishnouites, shivaïtes et shaktiques Arati : rite qui marque la fin des bhajans (chants dévotionnels). A l’image du camphre qui brûle pendant l’arati en ne laissant aucun résidu, notre ego devrait se consumer et disparaître totalement pour laisser toute la place à la Divinité. Ashramas : les quatre stades de la vie humaine : brahmacharya (stade de l’étude, du célibat et de la chasteté) ; grihasta (stade du chef de famille) ; vanaprastha (stade du reclus) ; sannyasin (stade du renonçant) Atman : l’Ame suprême, la Réalité suprême, le Soi, le témoin universel et immanent en chaque être, la divinité qui est en nous. L’Atman est au-delà de la perception du complexe corps, mental et intellect. Aum () : le son primordial, origine de la création, le Verbe, Brahman Avatar : incarnation du divin dans une forme humaine afin de restaurer le dharma (la loi morale). Le principe de la descente de Dieu sur terre pour l’élévation de l’existence humaine. Ayodhya : capitale de Rama Ayyappa : déité très populaire dans le sud de l’Inde dont le sanctuaire principal est Sabarimala Bhagavad Gita : ‘’Le Chant du Seigneur’’, un des plus célèbres textes religieux du monde. Il fait partie du Mahabharata. Bhajans : chants dévotionnels Bhangra : style de danse qui provient de la région du Pendjab Bhakta : dévot Bhakti : voie dévotionnelle, une des trois voies spirituelles principales préconisées par la Bhagavad Gita avec le Karma yoga, la voie de l’action et le Jnana yoga, la voie de la connaissance Bidi : cigarettes

204

Biryani : préparation à base de riz Boswell James (1740-1795) : écrivain écossais qui est l’auteur de la biographie de Samuel Johnston, considérée comme un des chefs d’œuvre de la littérature anglaise du XVIIIème siècle Brahma jnana : la réalisation de Brahman, la connaissance de Brahman, l’Absolu Buddhivadin : celui qui disserte sur l’intelligence Chapatis : petites galettes plates qui font office de pain Chillum : genre de pipe Dakshina : offrande, honoraire d’un rituel Dal : légumes secs de différentes variétés Darshan : vision auspicieuse d’un sage, d’une déité Dasara : fête consacrée à la Mère Divine qui dure dix jours Dhobi : blanchisseur Dhuni : feu sacré Dosa : crêpe à base de farine de riz et d’urad dal, un petit haricot noirâtre à la chair jaune Dwarka : capitale de Krishna Ganesh(a) : dieu à tête d’éléphant, dieu de la sagesse qui écarte tous les obstacles et à qui on rend un culte avant toute entreprise ; on l’invoque aussi au début des livres Gayatri : la déesse aux cinq visages qui est la Mère des Védas Ghats : escaliers qui descendent dans la rivière Ghee : beurre clarifié Gopura : tour à l’entrée des temples, dans le sud de l’Inde Gunas : caractéristiques humaines, qualités, attributs et comportements. Ils sont de trois ordres : tamasique, rajasique et sattvique (tamas, rajas, sattva) Hatha yoga : yoga où l’on pratique des exercices physiques pour le bien-être du corps et pour l’éveil des centres spirituels Hindutva : ’’hindouité’’, terme qui décrit des mouvements qui prônent un nationalisme hindou

205

Hindvi : ancienne forme de l’ourdou Idli : gâteau de riz cuit à la vapeur Jagat guru : maître du monde Jangamas : prêtres lingayat Japa : répétition d’un des noms du Seigneur, d’un mantra ou d’une prière qui s’effectue généralement avec un rosaire (mala) Jhula : balancelle Jnana yoga : la voie de la connaissance, une des trois voies spirituelles principales préconisées par la Bhagavad Gita avec le Bhakti Yoga, la voie de la dévotion et le Karma yoga, la voie de l’action Jyotir lingas : de lumière Kala pani : eau noire, océan (Une malédiction était censée frapper les hindous qui quittaient la terre sacrée pour aller courir les mers, malédiction participant de la prévention hindoue à l’égard du monde lointain étranger, corrupteur, source d’impuretés et de déchéance spirituelle.) Karma : action physique, verbale, mentale ou spirituelle soumise à la loi de cause à effet à laquelle personne ne peut échapper. Loi de cause à effet. Karma yoga : la voie de l’action, une des trois voies spirituelles principales préconisées par la Bhagavad Gita avec le Bhakti Yoga, la voie de la dévotion et le Jnana Yoga, la voie de la connaissance Kathiawad : péninsule du Saurashtra Kurta : tunique longue à col montant portée par les hommes Laddu : sucrerie indienne Lathi : bâton utilisé par les policiers en Inde Leela : jeu divin. Tout l’univers est la scène sur laquelle joue le Seigneur. Tout l’univers est son jeu, y compris la création, la préservation et la destruction de l’univers. Linga : Symbole de Shiva, œuf cosmique, la forme du sans forme, symbole de l’Absolu. La forme ovale symbolise ce qui n’a ni début ni fin, ce qui est sans limite et qui se fond dans l’infini. Lingayat : secte shivaïte dont les membres portent sur eux un lingam

206

Mahabharata : un des deux grands poèmes épiques sanscrits de l’Inde, l’autre étant le Ramayana Mandir : temple Mantras : formes sonores de Dieu. Les syllabes sont composées de lumière et de pouvoir. Sathya Sai Baba recommande le . C’est aussi le préféré de Krishna dans la Bhagavad Gita. Maulana : maître Maya : l’illusion, l’ignorance qui voile la vision de Dieu. Se dit de l’illusion séduisante qui forme le monde. Moksha : libération du cycle des naissances et des morts Namasankirtan : chanter le nom de la divinité Namaz : les cinq temps de prière quotidienne chez les musulmans Naxalites : rebelles et révolutionnaires proches de la classe paysanne et des basses castes Neta : politicien, leader Nizam : titre héréditaire du prince régnant d’Hyderabad avant l’Indépendance de l’Inde Padmasana : posture du lotus Pancha koshas : les cinq gaines de l’homme : annamaya kosha (gaine charnelle), pranamaya kosha (gaine vitale), manomaya kosha (gaine mentale), vijnanamaya kosha (gaine intellectuelle), anandamaya kosha (gaine béatifique) Paramatma : l’Ame Suprême: Pir : maître soufi Pirsthan : sanctuaire Prasad : nourriture que l’on offre au Seigneur après les bhajans et que l’on distribue ensuite à tous les participants. Don de nourriture consacrée. Prema : l’amour Premavadin : celui qui dit l’amour Puja : adoration rituelle, offrande, culte en l’honneur de la divinité : prêtre

207

Puranas : recueils d’anciens mythes qui concernent la création du monde, sa destruction et sa recréation, les généalogies des dieux et des patriarches, les règnes des Manus et l’histoire des dynasties solaire et lunaire. Il en existe 18 principaux dont le Bhagavata Purana. Rajamata : reine mère Rajas : guna de l’activité, du dynamisme de la passion et de l’ambition Rama : incarnation solaire de Vishnou représentant la loi cosmique, le dharma Rama rajya : ‘’règne de Rama’’, considéré comme le gouvernement idéal Ramayana : un des deux grands poèmes épiques sanscrits, l’autre étant le Mahabharata Ram Janmabhumi : lieu de naissance de Rama Rasam : soupe de l’Inde du sud que l’on mange souvent avec le riz Rishi : sage de l’époque védique Sabji : légumes Sab ka Malik Ek : ‘’Dieu est un’’ Sadhana : discipline spirituelle, exercices spirituels Sadhu : saint homme Samadhi : état d’union méditative avec l’absolu qui comporte plusieurs degrés ; tombeau Sambar : mélange de lentilles ou de pois chiches, souvent en purée, accommodé avec des légumes frais Samiti : comité, groupe Sanathana dharma : la philosophie éternelle, l’ancienne sagesse, la loi cosmique, l’ordre permanent Sanathana Sarathi : Nom de la publication mensuelle de Prasanthi Nilayam (= l’Eternel Aurige, allusion à Krishna dans la Bhagavad Gita) Sannyasin : renonçant Sardarni : femme sikhe Sattva : représente le guna de l’équilibre et de l’harmonie, les autres gunas étant tamas et rajas

208

Sawa lakh : combattant sikh valant toute une armée Seva : service désintéressé, service rendu à autrui en ayant conscience de servir le Seigneur Sevadal : volontaire formé au service désintéressé Shalagram : pierre qui est considérée comme une forme du Seigneur Vishnou Shastras : traités qui couvrent à peu près tous les domaines de l’activité humaine Shastravadin : celui qui disserte sur les Shastras Shishya : disciple Shivalingam : symbole de Shiva, de forme ovoïde, représentant l’aspect impersonnel de Dieu. Shivaratri : pop. pour Mahashivaratri, la grande nuit de Shiva, la nuit la plus propice de l’année durant laquelle l’influence de la lune sur le mental est totalement nulle, ce qui favorise la réalisation de la Vérité. Fête annuelle. Shri Sai Satcharita : biographie officielle de Sai Baba de Shirdi Siddhis : pouvoirs psychiques obtenus par certaines formes de méditation ou par la répétition d’un mantra Sloka : verset Srimad Bhagavatam : autre nom du Bhagavata Purana Subramaniam : second fils de Shiva et de Parvati, frère de Ganesha Tapas : austérités, ascétisme Tehsildar : haut fonctionnaire de l’administration d’un district Tamas : guna de l’inertie, de l’ignorance et de l’apathie Tilak : point de couleur entre les sourcils, symbole du troisième œil, de l’œil intérieur Tirthankar : ascète ayant atteint l’illumination et qui montre ensuite le chemin aux hommes Tonga : véhicule léger à deux roues tiré par un cheval Upanishads : œuvres philosophiques qui concluent les Védas

209

Varkari : secte vishnouite dont le culte comprenait un pèlerinage entre Alandi (où se trouve le sanctuaire du saint Jnaneshwar) et Pandharpur (lieu saint de Vithoba, un aspect de Vishnou) Varnas : la structure sociale des quatre castes qui comprend les brahmanes (ceux qui conservent tout ce qui est spirituel, religieux, qui aident les autres à visualiser la Réalité et à découvrir leur nature véritable), les kshatriyas (ceux qui défendent le système politique, la loi, la justice et l’ordre moral ainsi que le bien-être et la prospérité de leur pays), les vaisyas (les commerçants et les hommes d’affaires qui doivent consacrer leurs richesses à développer et à promouvoir toutes les bonnes causes : l’éducation, la santé…) et les sudras (les ouvriers, les travailleurs et les artisans qui doivent s’efforcer de réaliser et de produire des choses et des objets de qualité pour le bien-être de tous) Vedas : les plus anciennes Ecritures hindoues révélées par Dieu Lui-même aux sages antiques (rishis). Science sacrée compilée en quatre grands recueils (Rig Veda, Sama Veda, Yajur Veda, Atharva Veda). Cette science contient les prières pour les rituels, les hymnes à la gloire de Dieu, les codes de conduite concernant la vie sociale et religieuse ainsi que bien d’autres enseignements Vibhuti : cendre sacrée, symbole de la fin de la matière, symbole de Shiva Manifestation de la puissance divine sous forme d’amour, d’énergie et de force. Vibhuti abishekam : cérémonie de la consécration de l’idole de Shirdi Sai Baba avec de la cendre sacrée matérialisée par Sathya Sai Baba Vidya : connaissance sacrée, savoir. Education. Virasaiva : voir Lingayat Vitthal (ou Vithoba) : un aspect de Vishnou, populaire dans le Maharashtra Yagna : rituel sacrificiel, offrande Yoga : discipline, concentration, maîtrise de soi, contrôle du mental. Il y a diverses techniques pour des aspirants aux caractéristiques et aux aptitudes différentes : karma yoga, bhakti yoga, jnana yoga, raja yoga, kundalini yoga…

210