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Jeu Revue de théâtre

Six Spectacles de l’Opéra de Montréal « Turandot », « », « II Barbiere di Siviglia », « La Traviata », « La Bohème », « Salome » Paul Lefebvre

En mille images, fixer l’éphémère : la photographie de théâtre Numéro 37 (4), 1985

URI : https://id.erudit.org/iderudit/27841ac

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Éditeur(s) Cahiers de théâtre Jeu inc.

ISSN 0382-0335 (imprimé) 1923-2578 (numérique)

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Citer ce compte rendu Lefebvre, P. (1985). Compte rendu de [Six Spectacles de l’Opéra de Montréal : « Turandot », « Rigoletto », « II Barbiere di Siviglia », « La Traviata », « La Bohème », « Salome »]. Jeu, (37), 164–173.

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«turandot» «la traviata» «rigoletto» «la bohème» «il barbiere di siviglia» «salome»

Turandot. Opéra en trois actes. Livret de Giuseppe La Traviata. Opéra en trois actes. Livret de Fran­ Adami et Renato Simoni, d'après la pièce Turan- cesco Maria Piave, d'après la Dame aux camélias dotte de Carlo Gozzi; musique de , d'Alexandre Dumas fils; musique de Giuseppe Ver­ complétée par Franco Alfano. Chef d'orchestre: Al­ di. Chef d'orchestre: Michelangelo Veltri; mise en fredo Silipigni; mise en scène: Robin Thompson; scène: Roberto Oswald, en collaboration avec Ani- décors et costumes: Allen Charles Klein; éclairages: bal Lapiz; décors et éclairages: Roberto Oswald; Stephen Ross. Avec Claude Létourneau (un manda­ costumes: Anibal Lapiz; chorégraphie: Brydon Pai­ rin), Ludovic-Raymond Boisselle (le Prince de Per­ ge. Avec Elena Mauti-Nunziata (Violetta), Roland se), Maria Pellegrini (Liù), Thanos Petrakis (Calaf), Gosselin (le docteur Grenvil), Thérèse Sevadjian Don Garrard (Timur), Jean-Clément Bergeron (Flora) Claude Létourneau (le Marquis d'Obigny), (Ping), André Lortie (Pang), Paul Trépanier (Pong), Jean-Clément Bergeron (le Baron Douphol), Vinson Claude-Robin Pelletier (l'Empereur) et Marisa Gal- Cole (Alfredo), Guy Piché (Gastone), Suzanne Ray­ vany (Turandot). Présenté à la salle Wilfrid-Pelletier mond (Annina), Christian Chiosa (Giuseppe) et de la , du 21 février au 14 mars 1984. Louis Quilico (Giorgio Germont). Présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, du 20 novem­ Rigoletto. Opéra en trois actes. Livret de Francesco bre au 11 décembre 1984. Maria Piave, d'après la pièce de Victor Hugo Le roi s'amuse; musique de . Chef d'or­ La Bohème. Opéra en quatre actes. Livret de Giu­ chestre: Bruno Amaducci; mise en scène: Frans seppe Giacosa et de Luigi lllica, d'après les Scènes Boerlage; décors: Harold Laxton; costumes: Ri­ de la vie de bohème d'Henri Murger; musique de chard Lorain; éclairages: Wayne Chouinard. Avec Giacomo Puccini. Chef d'orchestre: Raffi Armenian; Louis Quilico (Rigoletto), Roland Gosselin (le Comte mise en scène: James Lucas; décors, costumes et de Ceprano), Gail Desmarais (la Comtesse de Cepra- éclairages: Claude Girard. Avec Dano Raffanti (Ro- no), Enrico di Giuseppe (le Duc de Mantoue), dolfo), Theodore Baerg (Marcello), Pierre Charbon­ Claude-Robin Pelletier (Borsa), Gaétan Laperrière neau (Colline), Peter Barcza (Schaunard), Claude (Marullo), Charles Prévost (le Comte de Monterone), Létourneau (Benoît et Alcindoro), Veronica Kineses Joseph Rouleau (Sparafucile), Costanza Cuccaro (Mimi), Maria Rosa Nazario (Musetta) et Jean-Louis (Gilda), Marie-Marthe Bernard (Giovanna) et Martha Sanscartier (Parpignol). Présenté à la salle Wilfrid- Jane Howe (Maddalena). Présenté à la salle Wilfrid- Pelletier de la Place des Arts, du 26 février au 19 Pelletier de la Place des Arts, du 22 mai au 13 juin mars 1985. 1984. Salome. Opéra en un acte. Livret d'Oscar Wilde, // Barbiere di Siviglia. Opéra en deux actes et trois traduit en allemand par Hedwig Lachmann; musi­ tableaux. Livret de Cesare Sterbini, d'après la pièce que de Richard Strauss. Chef d'orchestre: Franz- de Beaumarchais le Barbier de Seville; musique de Paul Decker; mise en scène: Véclév Kaèlik; décor Gioacchino Rossini. Chef d'orchestre: Pierre Hétu; et éclairages: Josef Svoboda; costumes: Richard mise en scène: Jean Gascon; décors et costumes: Lorain; chorégraphie: Élise Englund. Avec Christine Robert Prévost; éclairages: Freddie Grimwood. Lemelin (le Page), Charles Prévost (premier soldat), Avec Jean-Clément Bergeron (Fiorello), Jon Garri­ Grégoire Legendre (second soldat), Roland Gosse­ son (Almaviva), Gino Quilico (Figaro), Julia Hamari lin (un Cappadocien), Peter Wimberger (Jokanaan), (Rosina) Pierre Charbonneau (Bartolo) Thérèse Se- Iraina Neufeld (l'esclave), William Ingle (Hérode), vadjian (Berta), Antonio Funicelli (Ambrogio) et Janice Meyerson (Hérodias), Laila Andersson (Salo­ Claude Corbeil (Basilio). Présenté à la salle Wilfrid- me), Jean-Clément Bergeron (premier Nazaréen), Pelletier de la Place des Arts, du 18 septembre au Robert Peters (deuxième Nazaréen) et Paul Trépa­ 9 octobre 1984. nier, Brian Power Smith, André Lortie, Jerold Siena, Claude Létourneau (les Juifs). Présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, du 30 avril au 18 mai 1985. 164 Turandot de Puccini, acte II, scène II. Opéra de Montréal, 1984. Photo: André Le Coz.

Il y a un grave problème à l'Opéra de son suivante) illustrent bien les man­ Montréal: on n'y a pas d'idées sur l'opé­ ques et les problèmes de la compagnie ra. Pourtant, le monde musical montréa­ montréalaise. lais est depuis quelques années dyna­ misé par le développement de pensées Côté musique, certaines questions se musicales articulées, solides: l'Orches­ règlent vite et bien. L'orchestre - l'Or­ tre symphonique de Montréal de Dutoit, chestre symphonique de Montréal — est le Studio de musique ancienne de discipliné, précis, clair. Les choeurs, di­ Jackson et Poirier, l'Ensemble I Musici rigés par René Lacourse depuis le début, de Turovski, la Société de musique sont irréprochables. C'est du côté des contemporaine du Québec de Garant chefs que les choses se corsent. L'Opéra sont autant de voix dont l'intérêt vient de Montréal en choisit qui, habituelle­ d'un rapport défini à leurs répertoires ment, connaissent bien leur métier, musicaux respectifs. Or, cette dynami­ mais qui font davantage oeuvre d'exé­ que interne, nécessaire à toute entre­ cutants (au sens limité) que d'interprè­ prise artistique digne de ce nom, est, de tes. L'idée de fonder une production sur toute évidence, absente de l'Opéra de la rencontre entre un chef aux positions Montréal. Sinon, comment expliquer musicales déterminées et une partition l'éclectisme — confinant à l'à-peu-près semble au-delà de la conception que se - qui caractérise ses saisons? font les dirigeants de l'Opéra de Mon­ tréal d'une maison d'art lyrique. Les six spectacles dont il sera ici ques­ tion (les deux derniers de la saison 1983- À Montréal comme ailleurs, l'opéra est 1984 et les quatre productions de la sai­ victime de la popularité que connaît cet 165 Rigoletto de Verdi, 1984. Photo: André Le Coz.

art depuis une quinzaine d'années et qui un rituel de classe. Mais à Montréal, ce provoque, pour ce qui est des chanteurs, n'est pas vraiment cela: le public un déséquilibre entre l'offre et la deman­ d'opéra est on ne peut plus composite2 de. Ainsi, des chanteurs (c'est surtout et l'opéra n'a pas joui et ne jouit pas de visible — audible! — chez les ténors) qui la tradition nécessaire à l'exercice de ce n'ont pas les qualités requises pour rituel social. Le rituel célébré à Montréal chanter convenablement leurs rôles ont est strictement opératique: cet art de la quand même une feuille de route res­ représentation tente de se couper de pectable dont Montréal, hélas!, devient tout rapport de sens à ce qui lui est ex­ une des étapes. térieur pour devenir le plus possible au- toréférentiel. Engoncé entre Monteverdi et Berg, le répertoire de l'Opéra s'est figé1 et ses La convention opératique — ce terme représentations tiennent plus souvent qu'on utilise pour nous faire avaler ce qu'autrement du rituel. En Europe, le qui nous ferait hurler au cinéma et au sens de ce rituel est au moins clair: le théâtre — est à prendre dans son sens rituel est beaucoup dans la salle et c'est le plus lourd à l'Opéra de Montréal: le conventionnel ou, pis, le convenu. On emploie sur la scène un réseau de signes 1. Si bien qu'il ne s'enrichit pas de créations (rares et peu populaires) mais par des activités qui tien­ nent plutôt de l'archéologie: on monte les opéras de jeunesse de Mozart, on exhume des Meyerbeer 2. Faut-il rappeler que la seule série télévisée ré­ de sous des tonnes de poussière, on découvre les cente consacrée à l'art lyrique — où nous menaçait Verdi des «années de galère», on traque les Rossini une indigestion de Yoland Guérard et de Yolande oubliés... Dulude - était produite par Télé-Métropole? 166 Il Barbiere di Siviglia de Rossini, d'après Beaumarchais, 1984. Photo: Photographex. qui logent sous l'horizon d'attentes vi­ voir ce que, souvent, on n'a jamais vu. sant (et atteignant...) la transparence. Ce sont des clichés, littéralement, que C'est le règne du joli, du «décorati- l'on veut voir. Comme tout repose sur visme»; on cherche visiblement à émer­ le déjà-entendu, pas étonnant que l'on veiller le public, recourant fréquemment désire du déjà-vu. à une esthétique qui tient de la féerie pour enfants. On pourrait dire que cette Dans une telle conception de l'opéra, le convention scénique est liée à un rap­ livret est réduit à la fonction de prétexte port à la musique. Comme Proust l'a si à la musique. Que le livret soit «soup- bien décrit, la mémoire est fondamen­ çonnable», lisible à un autre niveau que tale dans toute relation à la musique: son anecdote pour établir des ponts en­ une mélodie s'établit par sa répétition. tre la scène et des questions philosophi­ Ce rapport de superposition à ces im­ ques, sociales ou existentielles, l'Opéra pressions mémorielles fonctionne aussi de Montréal n'arrive pas à le concevoir. pour les oeuvres dans leur totalité, à L'opéra, à Montréal, ne se donne jamais plus forte raison pour les opéras dont comme instance de témoignage du le répertoire est si réduit et à encore plus monde, avec ses contradictions, avec forte raison à Montréal, où l'on se main­ ses tensions historiques, mais travaille tient à l'intérieur de la zone la plus sûre uniquement à la constitution de sa pro­ de ce répertoire (pensez, on parlait de pre évidence. La mise en scène, on l'aura Salome comme d'une oeuvre difficile...). compris, se réduit ici à l'enjolivage. Une telle attitude transposée à la scène ne peut faire autrement que de générer Les applaudissements qui ont salué, au un conservatisme étouffant: on veut re­ lever du rideau, le décor du premier acte de Turandot3, semblent prouver que pied levé Elizabeth Payer-Tucci qui, elle- Walt Disney a irrémédiablement pollué même, remplaçait Olivia Stapp) trou­ les esprits. Conçus pour l'Opéra de Dal­ vait, avec Turandot, un rôle au-dessus las, ces décors que l'on louait étaient de ses forces et de son trac. Si Turandot texans jusqu'à à la caricature: riches, fut sauvé du désastre, ce fut par l'orches­ mais d'un mauvais goût d'une éton­ tre (brillamment dirigé par Alfredo Sili- nante sûreté. Dragon, boucane, peuple pigni) et les choeurs, tous deux très im­ de Pékin en haillons, passe encore, mais portants dans cette oeuvre. les bourreaux vêtus de slips bikini noirs, des nattes longues comme ça plantées Si Turandot était d'une opulence risible, au sommet de la tête, qui attendent en Rigoletto a été chanté dans un décor de ligne, pour affûter le couteau de cuisine toiles peintes (cette fois-ci loué d'une qu'ils tiennent à la main sur une meule production de la Vancouver Asso­ de huit pieds de diamètre, actionnée par ciation), chiffonnées par un trop long des esclaves fouettés par des soldats, séjour en entrepôt. Évidemment, pas c'était grotesque! Turandot, dont le li­ question de jouer sur la facticité de cette vret est tiré d'une pièce de Gozzi, est un horrible scénographie: on ignore enco­ opéra qui, par les divers niveaux qu'il re, à l'Opéra de Montréal, que le toc ne met en jeu, peut s'ouvrir sur des mises se porte bien que si on n'essaie pas de en scène intelligentes: la structure fon­ le faire passer pour du vrai. La médio­ dée sur le chiffre trois (trois énigmes, crité du décor correspondait à celle de trois ministres, etc.), l'insertion de per­ la mise en scène (la grande cruauté de sonnages issus de la commedia dell'arte l'expression «conjurés d'opérette» m'a (Ping, Pang et Pong), le très riche per­ été révélée par ce spectacle) qui se bor­ sonnage de Turandot, etc. Non seule­ nait à enchaîner les péripéties et à laisser ment la mise en scène ne proposait au­ les chanteurs à eux-mêmes. Cette pro­ cune interprétation de la fable, mais elle duction, qui manifestait un extraordi­ était entachée d'incohérences. Au pre­ naire mépris pour la dimension théâ­ mier acte, lorsque Calaf aperçoit Turan­ trale de l'opéra, était, pourtant, musica­ dot et en tombe amoureux, ce qu'il lement correcte: le ténor (Enrico di Giu­ voyait, comme nous, sur la scène de Wil­ seppe), malgré une présence scénique frid-Pelletier, c'était une vague sil­ falote, chantait avec élégance le Duc de houette, qui aurait pu être celle de mon Mantoue et la Gilda de Costanza Cuc- beau-frère, apparaissant dans une bulle caro — quels trilles dans «Caro nome»! de verre dépoli. Sans parler des trois — était remarquable. Quant à Louis Qui­ ministres qui arrivaient en petit bateau lico, dans le rôle-titre qu'il connaît si au début du deuxième acte (je me de­ bien, il offrait une interprétation juste mande encore pourquoi) et dont l'em­ mais grossière, brutale, surchargée d'ef­ barcation repartait toute seule, pour leur fets véristes, ce qui contrastait avec l'ef­ permettre de sortir, mais à pied (!), par ficace économie de moyens que Joseph le même chemin. Pour couronner le Rouleau mettait en jeu pour interpréter tout, les deux principaux solistes étaient Sparafucile. très faibles: Thanos Petrakis (Calaf) qui beuglait plus qu'il ne chantait, faisait de // Barbiere di Siviglia, qui ouvrait la sai­ son personnage une brute peu brillante son 1984-1985, était un spectacle très et Marisa Galvany (qui remplaçait au satisfaisant, tant scéniquement que vo-

3. À l'Opéra de Montréal, il faut que le décor soit bien laid pour ne pas avoir droit à des applaudisse­ ments. La Traviata de Verdi, 1984. Photo: Photographex.

* calement. On a beau savoir, si l'on a fré­ Mauti-Nunziata, quelques moments quenté Beaumarchais, que le livret porte d'authenticité. Même si Vinson Cole davantage à conséquence - surtout n'avait ni la voix ni la prestance néces­ sous l'angle socio-politique — que ce saire pour chanter Alfredo, on aura eu que Jean Gascon nous a donné à voir, droit, grâce au Germont de Louis Quili­ il s'agissait là, au moins, d'une mise en co, à un deuxième acte flamboyant. scène qui investissait d'une vis comica sûre et efficace les moindres interstices Il fallait le faire: rater La Bohème! Une du livret comme de la partition. Car direction d'orchestre infecte (Raffi Ar­ c'était une des forces du travail de Gas­ menian), une mise en scène niaise con: sa réussite dans la construction de (l'Américain James Lucas), des décors jeux de scène calqués sur des structures hideux (Claude Girard) et plusieurs de la partition musicale. Cette mise en chanteurs peu convaincants (la palme scène était rendue par des chanteurs revenant à l'inaudible Musetta de Maria qui, Rosina exceptée (Julia Hamari, pas Rosa Nazario) auront causé cet échec. mauvaise, mais pas éclatante), se révé­ Fondé sur des propositions artistiques laient de véritables acteurs comiques: banales, ce ratage n'avait rien d'intéres­ Gino Quilico (Figaro), Jon Garrison (Al- sant. maviva), Claude Corbeil (Basilio) et, sur­ tout, Pierre Charbonneau (Bartolo), ce La pauvreté du travail de James Lucas qui permettait à l'oeuvre de Rossini au soulevait avec une acuité particulière un moins d'être ce qu'elle doit être d'abord problème qui se posait aussi avec Tu­ et avant tout: un brillant divertissement randot et Rigoletto: l'indigence du tra­ théâtral et musical. vail de certains metteurs en scène étran­ gers. La tradition d'opéra est ici bien fra­ La Traviata avait triomphé lors de la pre­ gile et il y a beaucoup à apprendre de mière saison grâce à l'exceptionnelle in­ praticiens venus d'ailleurs. Néanmoins, terprétation de Diana Soviero dans le nombre de productions de l'Opéra de rôle-titre: et c'est cette production qu'on Montréal auraient pu être réalisées par a choisie pour faire une première reprise des metteurs en scène et des scénogra­ à l'Opéra de Montréal. Une distribution phes locaux avec des résultats plus pro­ nouvelle habitait les costumes et les dé­ bants que ceux concoctés par les illus­ cors de la luxueuse production du tan­ tres tâcherons qu'on a le don d'inviter. dem argentin Roberto Oswald et Anibal Et quand la direction artistique de Lapiz. On avait, cette fois-ci, supprimé l'Opéra de Montréal invite des gens d'ici, le tulle qui tendait le cadre de scène en on s'interroge sur sa compétence, en 1981 et qui donnait à l'oeuvre une aura matière d'art de la scène. En voyant les de rêve aidant à faire passer l'idéalisme décors de Claude Girard, on comprend de la production. Exemple parfait d'une pourquoi ce scénographe travaille de mise en scène qui s'emploie avec talent moins en moins au théâtre; reposant sur et savoir-faire à innocemment accentuer des effets de mode (perspectives de le côté mélodramatique de l'oeuvre guingois, carton-pâte, cyclorama strié...) pour mieux taire la conception du en vogue il y a une trentaine d'années, monde qui s'y révèle, cette Traviata sa scénographie de la Bohème était aseptisée a réussi à imposer, grâce au d'une inacceptable laideur et d'une dé­ chef Michelangelo Veltri (même si ses plorable insignifiance. Tout cela est le cuivres sonnaient parfois un peu trop signe d'un incompréhensible divorce, à oum-pa-pa) et à la Violetta d'Elena Montréal, entre le théâtre et l'opéra. La

Veronika Kineses (Mimi) et Dano Raffanti (Rodolfo) dans la Bohème de Puccini, 1985. Photo: Photographex. direction de l'Opéra de Montréal ne leversant moment de chant de ces six semble pas connaître les ressources de spectacles. son propre milieu et montre, par là, une autre facette de son mépris pour la di­ L'opéra doit une grande partie de sa po­ mension scénique de l'art lyrique. Si pularité présente à son statut d'art de la l'Opéra de Montréal veut développer sa démesure. En Amérique du Nord — où particularité, il semble impératif que les grosses voix, par exemple, ont sou­ cette compagnie permette à des artistes vent préséance sur les grandes voix —, locaux de travailler pour elle. le quantitatif (à défaut d'être vraiment quantifiable) l'emporte de toute éviden­ Salome, par contre, était un exemple in­ ce: l'opéra est le lieu par excellence de téressant de contact avec des artisans la dépense avouée, tant matérielle que étrangers. Pour la seconde fois (à la suite physique. En fait, peu d'arts s'affirment de leur Macbeth de 1983), on invitait le autant comme pratique, comme travail, duo tchèque Josef Svoboda-Vâclév s'imposant comme une formidable Kaèlik. Transposant scénographique- conjugaison d'efforts: la mise en évi­ ment (par des formes courbes, par des dence de l'excès est la principale valeur changements de texture du décor qui se marchande de l'opéra. Lieu par excel­ faisait tour à tour métal, pierre, tissu, lence de la démonstration du pouvoir verre) le côté evanescent de la partition de l'argent, lieu où se conforte la pensée de Richard Strauss, Svoboda, tout en bourgeoise, où tout baigne dans l'huile restant fidèle à lui-même, réussissait à autour du concept de valeur d'échange donner une lecture de l'oeuvre par son (cet art de gommer les contradictions...), seul décor. Cependant, les costumes de l'opéra est affligé d'une continuelle ten­ Richard Lorain contredisaient avec l'al­ dance à l'insignifiance. Pour qui consi­ légresse des innocents l'économie dère que cet art est ce que l'Occident a stricte du projet scénique de Svoboda: produit de plus complexe et de plus fort les chanteurs avaient l'air de sortir d'une pour exprimer les réalités humaines, il mascarade orientale. La mise en scène est douloureux de le voir muselé, en­ de Kaâlik décevait quelque peu: l'ado­ fermé dans un idéalisme qui occulte ses lescence de Salome était signifiée de fa­ possibilités. Tant qu'à l'Opéra de Mont­ çon bien caricaturale et la courte appari­ réal on continuera de réduire les oeu­ tion des Juifs, qui protestent quand Hé- vres à des histoires d'amour contrarié rode offre à Salome le voile du temple, entre un ténor et une soprano, on risque était bien mal amenée. Sans parler du de se maintenir dans la niaise médio­ peu d'attention que ce metteur en scène crité qui y prévaut en ce moment. porte au corps des acteurs: les gesticu­ lations ridicules de Jokanaan rappe­ paul lefebvre laient le choeur des assassins dans son Macbeth qui brandissaient leurs poi­ gnards comme des bouquets de fleurs. Au pupitre, Franz-Paul Decker a su ren­ dre justice à la partition touffue de Strauss sans toutefois réussir à en expri­ mer toute la sensualité. Vocalement, la production était excellente: l'interprète de Salome, Laila Andersson, a donné, dans la grande scène finale, le plus bou­

Laila Andersson dans Salome de Strauss, 1985. Photo: Photographex.