HIPPISME La crème de Chantilly

Un bon entraîneur, c'est d'abord le sens du cheval, le coup d'oeil et puis quelque chose de plus...

• Si vous n'avez jamais vu trois milliards de la pratique, l'expérience comptent pour 90 %. » centimes se promener à découvert au petit Il y a trente ans que re- matin, prenez votre courage à deux mains, garde les chevaux. Il a commencé à vingt ans, faites sonner votre réveil et rendez vous à six en Egypte. e Je n'ai pas suivi la filière normale, heures du matin sur les immenses pistes sablées dit-il. Je n'ai été ni lad ni jockey. Mais je fai- du terrain des Aigles à Chantilly. Demandez sais du cheval et j'aimais le gazon vert. Alors, le « rond Volterra » et là, écarquillez les yeux. j'ai commencé à travailler dans une écurie de Le super-crack des champs de courses cette courses. Mon patron m'a remarqué. Je suis année s'échauffe là tous les matins avant d'al- devenu assistant très vite. Il y avait de très ler faire son canter quotidien, comme n'im- belles courses là-bas en Egypte. Bien sûr, c'était porte quel pur-sang de Chantilly. Il s'appelle avant le socialisme, le communisme, tous ces . On dit que .c'est le meilleur trois ans trucs en « isme » qui ont tout foutu par terre. » du monde. Il a gagné en juin le Jockey Club, Alors, Maurice Zilber débarque en le Derby français. On ne voit pas comment le il y a douze ans, sans rien d'autre qu'une prix de l'Arc de Triomphe pourrait lui échap- brosse à dents et ce regard aiguisé qui lui per- per au mois d'octobre. Il est déjà « syndiqué » met de gagner sa vie sur les champs de courses pour six millions de dollars aux Etats-Unis, ce avant de reprendre un entraînement, d'abord qui signifie que quarante Américains se sont pour le compte de la famille Wildenstein, puis associés pour acheter Youth lorsque, sa car- pour celui de Nelson B. Hunt, le milliardaire rière de course terminée, il débutera dans son texan. La transition, assure Zilber, s'est faite nouveau métier, celui d'étalon. Les connais- sans difficulté : « Entraîner en Egypte était seurs disent que Youth n'est pas un beau pur- beaucoup plus difficile qu'en France. Les che- sang mais qu'il a e des points de force inima- vaux arabes, surtout les juments, sont faits pour ginables... » la danse, pas pour la course... » Pas bavard, Maurice Zilber. Quelques Tout se chuchote phrases brèves qui sortent à regret. « Oui, n'im- Trois mètres derrière Youth, un autre coffre- porte qui peut louer un bon cheval. Il faut fort ambulant monté sur des jambes fines et faire très attention... Le bon élément se repère sèches. C'est , qui est allé battre les Maurice Zilber assez tôt, vers deux ans et trois mois, six mois Anglais chez eux en remportant le Derby d'Ep- Le bon élément, on le repère très tôt » environ après son entrée à l'écurie... Non, le som. « Deux derby-winners dans le même lot chronomètre ne sert à rien. Ce qui compte, d'entraînement, c'est un spectacle unique au tombe. La suite de Zilber, ses deux assistants c'est l'action du cheval... On peut repérer un inonde », me souffle, pénétré de respect, un et deux jeunes propriétaires venus assister aux très bon cheval à l'entraînement mais le cham- spectateur. Les vieux de Chantilly se sou- ébats de leur pouliche, ose à peine respirer. pion se révèle en compétition, quand il court. viennent qu'il y a vingt-cinq ans l'écurie Mar- Tout se chuchote, tout se confie, rien ne se La part des origines, de l'hérédité est énorme... cel-Boussac avait réussi la même performance « dit » au petit matin dans l'entourage de Les tuyaux d'entraînement, ça ne compte pas... Cette année, c'est un milliardaire texan, un Maurice Zilber sur les allées de Chantilly. Des Un bon entraîneur connaît à peu près tous les pétrolier de Dallas, Nelson Banker Hunt, qui a secrets qui pèsent des millions, ou rien du chevaux qui courent. Il les voit tous les après- touché le gros lot. Il faut dire qu'il mise gros. tout, s'échangent à l'oreille. midi, sur les champs de courses... Riche, un Ce monsieur possède, dans le monde entier, « Bon, dit Zilber avec Son accent bizarre entraîneur ? Pour mes confrères, je ne sais cinq cents chevaux de course qui lui coûtent importé d'Egypte il y a douze ans, vous. allez pas, mais moi je me considère comme l'homme chaque jour, en fourrage, écuries, personnel, me faire deux fois 1 600 mètres au petit ga- le plus riche du inonde. » vétérinaires et le reste, l'équivalent du salaire lop. » Pas un mot de plus. Tout le monde a De l'or en foulée annuel d'un cadre supérieur (dix-sept mille compris. La routine. e. Vous arrivez dans une cinq cents dollars, c'est-à-dire quatre-vingt-cinq période creuse, m'a dit Zilber tout à l'heure. Bref, Maurice Zilber est sans aucun doute mille francs). C'est le financier. L'artiste, c'est Les grandes courses de juin sont terminées. une sorte de magicien des hippodromes. Mais l'entraîneur : Maurice Zilber. Une réputation Celles de la rentrée sont encore loin. On fait ne comptez pas trop sur lui pour découvrir les énorme. Il a entraîné Mississipian, qui juste un petit travail d'entretien. 5) ficelles du métier... Sauf, peut-être, à l'heure restera dans l'histoire des courses pour avoir Les poulains avalent les uns après les autres du solide petit déjeuner qui suit, vers huit rapporté à son propriétaire, toujours Nelson les kilomètres sablés de la piste des Aigles. heures trente, le premier entraînement mati- B. Hunt, 1 208 979 dollars (environ six millions Sans forcer — au. contraire. Zilber, toujours nal. Là, assis devant un oeuf jambon entre de francs)... Il a fait presque aussi bien l'an taciturne, toujours silencieux, regarde. Sans Zilber et , le - jockey vedette qui passé avec , une soeur de Dahlia. Et prendre une note. Juste une remarque échan- monte les meilleurs chevaux de la maison, vous puis cette année Youth et Empery... Pour sa gée, de temps à autre, avec son premier assis- glanerez peut-être quelques histoires. Comme plus grande gloire et son plus grand profit tant. « Pourquoi fais-tu la grimace — Tu as celle d'Yves Saint-Martin, pressenti par Zilber dix pour cent des gains du cheval sont auto- vu le postérieur gauche de celui-là? » pour monter Youth dans le prix du Jockey matiquement versés à l'entraîneur. Faut avoir l'oeil pour repérer le postérietir Club. Yves Saint-Martin monte Youth un ma- La fortune, ce sera pour plus tard. Ce matin, gauche d'un poulain lancé à quarante kiki- tin à l'entraînement et fait la grimace : « C'est sur le « rond Volterra » où les poulains ache-, mètres-heure. «- Question d'habitude et de pra- un bon cheval, dit-il à Zilber, mais ce n'est pas vent, au pas, de se dégourdir les jambes, le tique, m'e..:plique le deuxième assistant de Zil- un cheval classique (1)... » Quelques jours travail est commencé. Regard lourd de Zilber, ber, licencié ès sciences économiques mais après, Youth, monté par Freddy Head, gagnait solitaire, sur chaque cheval. Il interpelle un qui, depuis trois ans, se consacre aux chevaux. le Jockey Club devant le cheval de Saint- lad : « Il a toussé beaucoup, celui-là ? — La Au début, on ne voit rien. Rien de rien. Et (1) En jargon de courses, capable de gagner première fois devant vous. » Le silence re- puis, ça vient petit à petit. C'est un métiér où une course classique.

38 Lundi 2 août 1976,