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Ciné-Bulles

Rapidement et simplement de Jean-François Hamel

Volume 26, Number 4, Fall 2008

URI: https://id.erudit.org/iderudit/33448ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Hamel, J.-F. (2008). Review of [Rapidement et simplement / Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen]. Ciné-Bulles, 26(4), 40–41.

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Rapidement et simplement

JEAN-FRANÇOIS HAMEL

l existe dans le cinéma un mythe selon comme une farce qui s'harmonise en un s'incarne particulièrement dans ses obses­ lequel un auteur ingénieux est par ensemble curieusement grave. Lorsqu'il ne sions picturales qui sont traitées schémati- I définition un grand cinéaste. Cette délivre pas ses boutades souvent moralisa­ quement par le cinéaste, apparemment peu croyance ne peut être plus vraie qu'avec trices à titre d'acteur, Allen-le-scénariste, intéressé par le métier de peintre. Woody Allen, dont les accomplissements plus subtil, organise son travail comme un cinématographiques, pour quelques-uns grand questionnement dont les réponses La thématique abordée par Allen dans ce brillants, sont continuellement mieux écrits restent obscures et imprécises. Vicky (Re­ film — les conflits internes générés par que filmés. Désormais célébré comme une becca Hall) et Cristina (Scarlett Johans­ un besoin de séduction — est assurément figure marquante du cinéma américain, le son), les deux principales protagonistes du personnelle mais, étrangement, surtout réalisateur semble jouir d'un statut sures­ film, renvoient directement à cette concep­ présente par les personnages féminins; timé et les cinéphiles sont ravis de com­ tion relativiste. Elles débarquent à Barce­ Vicky, désirant inconsciemment Juan Anto­ prendre facilement les intentions de cet lone pour y passer l'été et dans la voiture nio, se tourmente quant à son avenir d'épou­ « intellectuel », tout en percevant avec un qui les amène chez leur hôte, un narrateur se; elle rejoint en cela la complexité du contentement présomptueux l'intelligence omniscient commente leur personnalité dilemme de Wilton () qui limite son succès commercial. Certes, respective : Vicky, fiancée ayant une exis­ qui hésitait entre le confort matériel et la son talent de comique ne peut être mis en tence strictement ordonnée, possède un passion amoureuse. Nul doute que ce per­ doute; mais justement à cause de cela, ses esprit calculateur tandis que Cristina, plus sonnage, joué par Rebecca Hall, est le intentions métaphysiques sont au mieux impulsive, chemine vers des issues fatale­ plus densément composé du film. Il s'agit névrotiques et divertissantes, et ne démon­ ment décevantes. Leur rencontre avec le là d'une thématique récurrente chez Allen : trent pas la profondeur que certains leur peintre Juan Antonio (), lors pensons en particulier au personnage d'El- accordent. Une lacune qui avait été comblée du vernissage d'une exposition, chambou­ liot (Michael Caine) dans Hannah et ses par . Il manque également à lera leurs valeurs profondes. Chacune sera sœurs, troublé par son désir pour sa belle- Woody-le-cinéaste ce qu'Allen-l'auteur dès lors confrontée à ses convictions sur sœur. Pour sa part, Cristina, avec son carac­ possède : une personnalité, une originalité l'amour à la lumière de possibilités nouvel­ tère ouvert et imprévisible, se heurte à un stylistique. Peut-être est-ce la rapidité avec les dont elles ignoraient jusqu'alors l'exis­ triangle amoureux parfaitement assumé laquelle il enfile les projets, ou encore son tence même. lorsque l'ex-femme de Juan Antonio, Maria peu d'intérêt pour la dimension plastique Elena (Pénélope Cruz), revient habiter de l'art cinématographique, il faut bien Juan Antonio, charmeur et libertin, cou­ chez lui après une tentative de suicide. La reconnaître que sa vision toute subjective relation entre ces deux-là est sans cesse des névroses humaines ne s'incarne que che d'abord avec Vicky avant d'entamer conflictuelle et Cristina devient le centre rarement en une expérimentation formelle une liaison avec Cristina, qui emménagera d'un trio insolite qui, même s'il semble qui appuierait son propos. chez lui. Juan aborde l'existence avec une étrange sérénité, souhaitant vivre pleine­ évoquer le paroxysme d'une satisfaction ment son désir permanent de possession épicurienne, provoque chez elle une prise Son plus récent film, Vicky Cristina Bar­ charnelle. Contrairement à Chris Wilton de conscience, lorsqu'elle réalise que ce celona, est une comédie romantique qui (héros de Match Point), le protagoniste libertinage ne répond pas à ses aspirations reflète parfaitement son auteur et possède masculin n'est ici qu'une création fantas- sentimentales. donc les faiblesses que l'opus londonien mée d'Allen, un individu convoité par le avait évitées. Cinéaste du doute, Allen sexe opposé, une simplification du mâle Par sa vision pessimiste des relations hu­ aborde les incertitudes de ses personna­ narcissique. Il ne possède guère la com­ maines, Vicky Cristina Barcelona pro­ ges, souvent drôles puisque pathétiques, plexité psychologique de Wilton, ce qui pose un dénouement plutôt mélancolique,

40. VOLUME 26 NUMÉRO 4 CINF3L/LLES Javier Bardem. Penelope Cruz, et Woody Allen lors du tournage de Vicky Cristina Barcelona - PHOTO : VICTOR BELLO rappelant le ton de la fin d'Annie Hall soit haletant, la construction séquentielle vi­ caractère prévisible. Le résultat est satis­ (l'incertitude du protagoniste devant l'é­ goureuse, incarnant de belle façon la spon­ faisant et force est de constater que le chec de son couple) et montrant les deux tanéité de l'imaginaire et du repos estival. cinéaste possède un indéniable talent pour femmes quittant Barcelone comme elles La sagesse n'est pas ici la maxime d'Allen. un genre auquel il fut rattaché assez tôt sont arrivées. Vicky, avec un mari et une vie Par contre, le dynamisme visuel, difficile­ dans sa carrière. Mais en raison du choc organisée; Cristina, avec ses incertitudes ment perceptible dans la composition des qu'il produit dans la filmographie d'Allen, amoureuses. Sur ce point, Allen construit plans, se traduit par un montage allègre, de sa précision déroutante dénuée d'hu­ sa narration comme un récit d'apprentis­ parfois trop véloce. Ce choix forme malen­ mour de même que pour son étude d'une sage, une sorte d'Education sentimentale. contreusement des séquences empressées conscience humaine troublée, Match Point Paradoxalement, les réserves d'Allen sur qui s'arrêtent à mi-chemin de leur dévelop­ demeure à notre sens un film supérieur et la possibilité d'une félicité émotionnelle pement dramatique. En posant un regard plus accompli que Vicky Cristina Barce­ entière sont démontrées avec une telle sen­ tout en rêve d'un univers réaliste, Allen lona. • sualité romantique qu'elles créent l'envie rejoint Eric Rohmer, surtout dans l'impor­ de se prêter au jeu. Au diable l'ultime dé­ tance qu'il accorde au lieu (Barcelone), à ception! Une idée à la base de l'accessibi­ la saison (l'été) et au contexte (les vacan­ Vicky Cristina Barcelona lité de tout son cinéma. ces), préoccupations tout à fait rohmerien- 35 mm / coul. / 96 min / 2008 / fict. / nes (Pauline à la plage, Conte d'été). États-Unis-Espagne Évidemment, Vicky Cristina Barcelona aborde les rapports humains dans un cadre Bizarrement, la répétition chez Allen est Real, et scén. : Woody Allen Image : Javier Aguirresarobe bourgeois et artistique, mais contrairement plutôt perçue positivement par le public. Mont. : Alisa Lepselter à ses œuvres new-yorkaises, Allen ajoute Ainsi, les nombreux éléments de Vicky Prod. : Letty Aronson, Stephen Tenebaum à cette description une vision onirique do­ Cristina Barcelona, déjà présents dans et Gareth Wiley Dist. : Alliance Vivafilm minée par une photographie lumineuse. Il les films antérieurs du cinéaste, rendent le Int. : Rebecca Hall, Scarlett Johansson, n'est pas surprenant que le rythme du récit récit charmant et délectable, malgré leur Javier Bardem, Pénélope Cruz

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