MATHIEU GINGRAS

LE RÔLE DES REPRÉSENTATIONS DANS LES PROJETS DE MISE EN VALEUR DES RIVIÈRES DU QUÉBEC Les enjeux de l’implantation de la filière de la petite production hydroélectrique sur la rivière Batiscan

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)

DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE ET GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

AOÛT 2007

© Mathieu Gingras, 2007

La nature intacte qu’il ne peut pas voir de ses yeux n’a pas de valeur pour lui. De là, la croyance universelle qu’un arrière-pays non exploité ne rend aucun service à la société. Pour les gens dépourvus d’imagination, un espace vierge sur une carte représente un désert sans intérêt, alors que pour les autres, c’est sa partie la plus précieuse. Aldo Leopold (2000 : 224)

Source : David ROUAULT, 2005

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Résumé

Au début des années 1990, pour atteindre des objectifs de développement régional et de maximisation de la production hydroélectrique, le gouvernement du Québec a adopté des politiques visant la réfection et la construction de petites centrales par des producteurs indépendants. Pour assurer leur rentabilité, les petites centrales doivent être construites à proximité des infrastructures de transport d’énergie et des lieux de consommation. De plus, elles sont souvent situées là où les rivières présentent des chutes ou un encaissement importants. Ces sites sont souvent situés à proximité ou au cœur de lieux habités et mis en valeur, notamment à des fins récréotouristiques. De plus, les chutes sont souvent des symboles territoriaux, identitaires et paysagers forts pour les communautés locales. Il en résulte inévitablement des conflits d'usage où diverses perceptions de la mise en valeur des rivières se confrontent. Pour analyser plus en profondeur cette problématique, nous avons fait une étude de cas portant sur la rivière Batiscan (), où des promoteurs ont envisagé la réalisation de trois projets de petites centrales hydroélectriques (1987-1990). À l’aide de 15 entretiens semi-dirigés et à travers une revue de cinq quotidiens québécois (1990-2007), nous avons analysé le discours des acteurs, afin de comprendre le rôle stratégique et l’évolution des représentations territoriales et du rapport à la rivière des acteurs concernés par les projets de petites centrales. Cette étude démontre que les tenants de la filière de la petite production hydroélectrique perçoivent ce type de mise en valeur de la rivière comme étant un mode de développement régional qui permettrait de générer des retombées économiques substantielles pour les milieux hôtes. D’autre part, les opposants se sont regroupés au sein de comités de citoyens pour revendiquer l’abandon des projets. Leur discours véhicule la représentation que la réalisation de petites centrales sur la Batiscan est contraire à la notion de bien commun et porterait atteinte au paysage, à l’intégrité environnementale du cours d’eau et au potentiel de développement récréotouristique de la région. Par un processus de réappropriation collective et de valorisation des éléments du territoire ayant une forte valeur patrimoniale et identitaire, ceux-ci ont cherché à élaborer et mettre en œuvre des projets alternatifs qui permettraient de contrer les projets de petites centrales de garantir la protection des caractéristiques naturelles de la rivière.

Mots-clés : Hydroélectricité, petites centrales, rivière Batiscan, Québec, conflits d’usages, conflits d’aménagement, représentations, territoire, mise en valeur des rivières.

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Abstract

At the beginning of 1990s, to meet objectives of regional development and maximization of the hydroelectric production, the government of adopted energy policies aiming to retrofit and construct small power stations by independent producers. To ensure their profitability, small power stations must be built close to existent energy transport networks and consumption places. Moreover, they are often located where the are banked or present important falls. These sites are situated near or in the heart of inhabited and attended places, notably for recreotouristic purposes. Furthermore, these falls and landscapes are symbols of identity and have territorial significance for the local communities. This situation inevitably generated -use conflicts where many perceptions of the management and the development of the rivers are in opposition. To make an in-depth analysis of this problem, we made a case study concerning the Batiscan river (Mauricie), where promoters considered the construction of three small hydroelectric power stations (1987-1990). Using 15 semi-directed talks and through a review of five daily newspapers (1990- 2007), we analyzed the speech of the actors, in order to understand the strategic role and the evolution of the territorial representations of those concerned with the projects of small hydroelectric power stations. This study shows that the promoters of the small hydroelectric power stations perceive this type of development of the river as being a type of regional development which would make it possible to generate substantial economic repercussions for host territories. On the other hand, the opponents, gathered within citizen committees to obtain the abandonment of the projects. Their speech conveys the representation that the realization of the hydroelectric power stations on the Batiscan river goes against the concept of common good and would undermine the landscape, the environmental integrity of the river and the recreotouristic development of the area. By a process of collective reappropriation and valorization of the elements of the territory having a strong patrimonial and identity value, those sought to work out and implement alternative projects which would make it possible to counter the projects of small hydroelectric power stations and to guarantee the protection of the inherent characteristics of the river.

Key words: Hydroelectricity, small power stations, Batiscan river, Quebec, river-use conflicts, local geopolitical conflicts, social representations, territory.

Avant-propos

J’ai été attiré par ce sujet de recherche puisque je m’intéresse grandement à la gestion de l’eau, plus particulièrement aux conflits d’usages associés à la mise en valeur des rivières du Québec. J’ai choisi de faire une étude de cas portant sur la rivière Batiscan, puisque c’est une rivière que je connais bien, pour y avoir rêvassé et pêché étant plus jeune. Tout en m’efforçant de laisser la subjectivité de côté, je considère que ma connaissance du terrain d’étude a été un avantage incontestable dans la compréhension et l’analyse des enjeux associés aux projets de petites centrales sur la Batiscan.

Cette étude de cas sur la Batiscan était particulièrement intéressante puisque les trois projets de petites centrales ont soulevé une vive controverse dans les milieux hôtes. Je cherchais alors à comprendre pourquoi la petite production hydroélectrique, pourtant une source de production d’énergie relativement propre, durable et renouvelable, pouvait engendrer de si vives réactions au sein des communautés concernées. Au fil de mes recherches, des lectures et des entretiens, la complexité des enjeux, dans le contexte québécois actuel, m’a fait réaliser que le discours des opposants était fortement conditionné par des représentations territoriales et des perceptions de la mise en valeur des rivières, qui différaient fondamentalement de celles des partisans et des promoteurs des projets.

L’étude des représentations est intéressante, dans le sens où elle permet un type d’analyse, souvent négligé, des conflits d’usages et d’aménagement. Dans le cadre de cette étude, il devient alors possible de comprendre de quelle façon les différentes représentations territoriales des acteurs ainsi que leurs perceptions de la mise en valeur des rivières, souvent opposées, peuvent engendrer des conflits à l’échelle locale et régionale. C’est seulement par l’analyse et la compréhension de ces représentations qu’il devient possible d’expliquer la complexité du phénomène à l’étude. La prise en compte des intérêts et des revendications de tous les acteurs est cruciale, pour rallier partisans et opposants à un même projet, rassembleur et collectif. Sur ces quelques mots… bonne lecture, à la découverte de la Batiscan et de ses « gens de rivières »!

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Remerciements

Tout d’abord, je tiens à remercier Frédéric Lasserre, mon directeur, qui a su me guider, me conseiller, lire et relire mes textes, tout en éveillant mon sens critique et ma capacité d’analyse. Merci infiniment, j’ai beaucoup appris!

Merci également à Louis Guay, professeur au département de sociologie de l’Université Laval, et à Manuel Rodriguez, professeur à l’École supérieure d'aménagement du territoire et du développement régional de l’Université Laval, tous deux membres du comité d’évaluation du présent mémoire. Leurs suggestions et commentaires m’ont permis d’approfondir ou d’améliorer certains aspects, parfois négligés au départ, de ce travail de recherche.

Je souhaite également remercier Mélissa, pour sa présence et ses encouragements dans les moments plus difficiles, où l’inspiration n’était pas au rendez-vous! Merci également aux membres de ma famille pour leur appui. Entre autres, Martine, Jacques et André pour leurs encouragements, la recherche d’articles, la relecture et la correction de chacune des pages de ce mémoire.

Je remercie mes ami(e)s du GREDIN, de l’IHQEDS et du Département de géographie de l’Université Laval avec lesquels j’ai passé de très bons moments au cours des dernières années.

Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux membres de Chute Libre, Eau vive Batiscan, Les Amis de la Batiscan et la Fondation Rivières, qui ont accepté de participer à ce projet de recherche. Tous ces « gens de rivières » qui, au cours des rencontres, des échanges de courriels et des entretiens, ont été ma première source d’information.

Merci à Madame Joanne Nicole, du centre de documentation d’Hydro-Québec, qui a su trouver et me faire parvenir de précieux documents, essentiels à la réalisation de ce mémoire.

Finalement, je tiens à remercier toutes les personnes dont l’apport, si infime soit-il, a été déterminant dans la réalisation de cette recherche. Merci encore!

Table des matières

Résumé...... ii Abstract...... iii Avant-propos ...... iv Remerciements...... v Table des matières ...... vi Liste des symboles...... viii Liste des tableaux...... ix Liste des figures...... x Introduction...... 1 Période d’analyse...... 2 Étude de cas et territoire d’analyse...... 3 Caractéristiques du bassin de la rivière Batiscan...... 4 Intérêt de la recherche...... 7 Problématique ...... 8 Questions de recherche ...... 13 Revue de littérature...... 13 Le mouvement de conservation et de protection des rivières au Québec et ailleurs dans le monde...... 13 Les enjeux associés à la petite production hydroélectrique...... 14 L’importance du territoire dans les conflits d’usages et d’aménagement ...... 15 Le rôle des représentations dans les conflits territoriaux...... 16 Les arguments avancés par les promoteurs et les opposants aux projets de petites centrales au Québec ...... 17 Hypothèses de la recherche...... 18 Objectifs généraux et spécifiques de la recherche...... 18 Présentation et plan du mémoire...... 19 Premier chapitre - Méthodologie ...... 21 1.1 Les concepts fondamentaux...... 21 1.2 Identification des acteurs et le type de sources recherchées...... 26 1.2.1 Méthode de collecte des sources primaires et secondaires...... 27 1.3 Méthode d’analyse des données : l’analyse de contenu ...... 29 Deuxième chapitre - La place de la production hydroélectrique privée dans la stratégie énergétique provinciale...... 33 2.1 L’émergence du premier programme des petites centrales : 1990-1994...... 33 2.1.1 Le premier programme gouvernemental des petites centrales...... 34 2.1.2 L’émergence d’un mouvement d’opposition...... 36 2.2 La Commission Doyon et le Débat sur l’énergie : 1995-2000 ...... 37 2.2.1 Débat public sur l’énergie et nouvelle politique énergétique (1996)...... 39 2.3 Nouveau régime d’octroi des forces hydrauliques du domaine de l’État : 2001- 2003 44 2.3.1 La politique nationale de l’eau et le nouveau moratoire...... 46 2.4 Retour des petites centrales et gestion au « cas par cas » : 2003-2006...... 47 2.5 Synthèse et ouverture...... 52

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Troisième chapitre - Étude de cas : les trois projets de petites centrales sur la rivière Batiscan...... 55 3.1 Le projet de Forces Motrices Batiscan à la chute des Ailes ...... 58 3.1.1 Une saga juridique : du T.A.Q. à la Cour supérieure...... 63 3.1.2 Perspectives et inquiétudes ...... 69 3.2 Le projet piloté par Hydro-Mékinac à la chute du Neuf...... 70 3.2.1 Les projets d’exploitation du potentiel hydroélectrique de la chute du Neuf 71 3.2.2 Hydro-Mékinac apporte des modifications à son projet controversé ...... 77 3.2.3 La petite centrale et les perspectives de développement régional ...... 78 3.3 Le projet de la Société d’énergie de la rivière Batiscan à la chute du Deux ...... 80 3.3.1 Un nouveau projet pour la Société d’énergie de la rivière Batiscan...... 86 3.4 Synthèse et ouverture...... 88 Quatrième chapitre – Enjeux, représentations et logiques d’action des acteurs...... 90 4.1 Le rôle et l’importance des représentations territoriales dans le discours des acteurs 90 4.2 Rivières et hydroélectricité : les impacts sur le paysage et l’environnement ...... 94 4.3 L’intégrité de la rivière Batiscan et la notion de patrimoine commun ...... 100 4.4 Les petites centrales : le potentiel de développement régional et les impacts sur le récréotourisme...... 103 4.5 La mobilisation : un pas vers la protection des rivières?...... 110 4.6 Synthèse...... 115 Conclusion ...... 118 La réfection et la construction de petites centrales au Québec : retour sur les objectifs gouvernementaux...... 119 Retour sur les représentations des partisans et des promoteurs des projets de petites centrales ...... 121 Retour sur les représentations et les logiques d’action du mouvement d’opposition.....122 Autocritique de la démarche méthodologique...... 124 L’étude des représentations comme outil pour prévenir et analyser les conflits territoriaux ...... 126 ANNEXE 1 : Grille d’entretien ...... 129 ANNEXE B : Pétition pour sauver les chutes de la Batiscan (Les Amis de la Batiscan) ..131 Bibliographie ...... 132 Journaux :...... 132 Articles, livres, mémoires et rapports :...... 132 Documentaire :...... 139 Principaux sites Internet consultés :...... 139

Liste des symboles

AQPER Association québécoise de la production d’énergie renouvelable CRE Conseil régional de l’environnement CRÉ Conseil régional des élus FCCQ Fédération des Chambres du Commerce du Québec FQM Fédération québécoise des Municipalités FQCK Fédération québécoise du Canot et du Kayak MEDD Ministère de l’Écologie et du Développement durable (France) MRC Municipalité régionale de comté MDER Ministère du Développement économique régional MDDEP Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs MENV Ministère de l’Environnement MRNF Ministère des Ressources naturelles et de la Faune MW Mégawatts RQGE Réseau québécois des groupes écologistes UQCN Union québécoise pour la conservation de la nature

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Caractéristiques des trois projets de petites centrales sur la rivière Batiscan...... 3 Tableau 2 : Centrales hydroélectriques - la typologie internationale ...... 25 Tableau 3 : Les catégories de l’analyse de contenu...... 31 Tableau 4 : Caractéristiques économiques du projet de petite centrale à la chute du Neuf..73 Tableau 5 : Résultat de la consultation populaire...... 75 Tableau 6 : Répartition des activités/emplois pendant la construction d’une petite centrale hydroélectrique...... 105

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Liste des figures

Figure 1 : Carte du bassin versant de la rivière Batiscan et ses principaux sous-bassins...... 5 Figure 2 : Répartition des différentes installations de production d’énergie appartenant à des producteurs privés sur le territoire québécois en 2006...... 10 Figure 3 : Site désaffecté et réaménagé en 1998 (Chutes de la Chaudière, Saint-Nicolas)..24 Figure 4 : Schéma simplifié d’un site aménagé pour la petite production hydroélectrique .25 Figure 5 : Centrale Chute-à-Magnan sur la rivière du Loup (St-Paulin, 1994 – 7,7 MW)...35 Figure 6 : Dynamitage et déboisement lors de l’aménagement d’un site pour la construction d’une petite centrale (Centrale La Pulpe à Rimouski - 3,74 MW)...... 36 Figure 7 : La drave sur la Batiscan, près de son embouchure (1928)...... 56 Figure 8 : Le barrage de Saint-Narcisse et son débit réservé (en été) ...... 57 Figure 9 : Carte des principales chutes de la rivière Batiscan ...... 58 Figure 10 : Emplacement du parc de la rivière Batiscan et de ses trois secteurs...... 59 Figure 11 : Kayakiste à l’œuvre dans le secteur de la chute des Ailes...... 60 Figure 12 : Carte du secteur Murphy du parc régional de la Batiscan...... 61 Figure 13 : « Les Amis de la Batiscan » lors d’une rencontre à l’automne 2000 au parc régional de la rivière Batiscan (Secteur Murphy)...... 64 Figure 14 : Le parc de la chute du Neuf (rivière Batiscan)...... 71 Figure 15 : Passerelles et belvédère : parc de la chute du Neuf...... 71 Figure 16 : Site de la chute du Deux (rivière Batiscan)...... 81 Figure 17 : Barrage à la chute du Deux : aperçu de l’inondation des terres...... 83 Figure 18 : « Non au barrage » : bannière placée dans les arbres en surplomb d’un des belvédères du parc de la chute du Neuf (Notre-Dame-de-Montauban)...... 91 Figure 19 : Territorialisation - délimitation du territoire à défendre contre le projet de petite centrale au coeur du village de Notre-Dame-de-Montauban...... 93 Figure 20 : Aspect actuel de la chute du Neuf et schéma des impacts supposés sur le débit de la chute après la construction du barrage...... 98 Figure 21 : Table ronde lors du Forum national sur l’énergie et la préservation des rivières (Mauricie, octobre 2005) ...... 115

Introduction

Les débats constituent des temps forts de la mobilisation avec un face-à-face direct entre partisans et opposants au projet. Le territoire apparaît comme un vecteur et une ressource pour l’action collective et surtout comme devant être pris en considération. --Arnaud Lecourt et Guillaume Faburel

Historiquement, les rivières ont joué un rôle majeur dans le développement socioéconomique et politique des différentes régions du Québec. Au cours de ces différentes phases de développement, plusieurs usages des rivières se sont succédés dans le temps de façon prépondérante : l’exploration du territoire, la colonisation, la navigation et le transport des marchandises, le flottage du bois et l’utilisation de la force motrice de l’eau, la production d’hydroélectricité et, plus récemment, les activités récréotouristiques. La prédominance de ce dernier usage est relativement récente au Québec. En effet, l’essor qu’a connu le secteur récréotouristique, au cours des dernières décennies, a été rendu possible grâce aux nombreux efforts accomplis dans le but de « redonner » les rivières aux citoyens. Les nombreuses innovations dans le domaine de l’assainissement des eaux usées, du contrôle de la pollution, ainsi que l’arrêt du flottage du bois, ont fortement contribué à changer la vocation des cours d’eau et les représentations des riverains et des usagers.

Pour l’ensemble de ces raisons, les différents programmes gouvernementaux permettant à des promoteurs privés de réaliser des projets de petites centrales hydroélectriques, sur les rivières méridionales du Québec, ont été la source de conflits d’usages importants depuis le début des années 1990. C’est notamment le cas de la rivière Batiscan, en Mauricie où trois projets différents ont soulevé une controverse intense entre 1998 et 2007. L’apparition de comités locaux d’opposition aux projets de petites centrales, appuyés dans leur démarche par des regroupements nationaux, a contribué à la genèse d’un véritable conflit entre tenants et opposants de cette filière de production d’énergie. Les enjeux sont donc nombreux et complexes, puisque sur les scènes provinciale, régionale et locale, il y a un éclatement des acteurs ayant des représentations territoriales et des perceptions de la mise en valeur des rivières qui diffèrent ou qui s’opposent. Il en résulte

2 des conflits d’usages et d’aménagement que nous souhaitons analyser dans le cadre de cette étude.

Cette étude s’inscrit dans le champ de la géographie humaine, plus particulièrement de la géopolitique locale. La géopolitique peut se définir comme étant « l’étude des rivalités de pouvoir sur un territoire donné, l’analyse des représentations qui motivent le choix des acteurs, de même que les débats que provoquent et que nourrissent ces représentations contradictoires » (Lacoste, 2003). L’application de la méthode géopolitique aux conflits d’aménagement est appropriée, puisque les décisions en matière d’aménagement du territoire ne relèvent pas de la seule « rationalité technique, mais sont également le résultat de rapports de forces entre des acteurs, dont les intérêts, les logiques et les représentations diffèrent assez largement » (Subra, 2005). En somme, les relations « acteurs-territoire/rivière » et « acteurs-acteurs » sont les éléments centraux de cette recherche. Ainsi, les conflits d’usages et les enjeux de pouvoirs pourront être définis et étudiés dans cette recherche, par l’entremise des représentations territoriales et de la perception que les différents acteurs ont de l’aménagement et de la mise en valeur des rivières québécoises.

Période d’analyse La période qui fera l’objet de notre analyse s’étale du début des années 1990 jusqu’en 2007. Le début des années 1990 correspond à la période où le gouvernement provincial a développé et mis en œuvre le premier programme de réfection et de construction de petites centrales au Québec. La fin de la période d’étude coïncide avec les plus récents développements des projets de petites centrales sur la rivière Batiscan, ainsi que la fin du travail de terrain à l’automne 2007. Nous souhaitons répondre à la problématique en étudiant l’évolution du phénomène dans le temps et à différentes échelles : locale, régionale, nationale. L’approche multiscalaire sera donc privilégiée. En plus de permettre l’étude d’un phénomène à différentes échelles, cette approche permet de faire la démonstration qu’un phénomène étudié à une certaine échelle ne peut être compris dans sa totalité sans référence à d’autres échelles. Dans le contexte québécois actuel, la réalisation de projets hydroélectriques dans les municipalités et les régions dépend de

3 décisions et d’acteurs qui oeuvrent aux trois échelles mentionnées précédemment. Ainsi, les partisans et les opposants à ce type de projet adoptent des stratégies en fonction de leur rapport au territoire et de leur échelle d’intervention, ce qui influence le contenu et la portée de leurs discours. De plus, ceux-ci sont influencés dans leurs revendications et leurs actions par des acteurs appartenant à toutes les échelles géographiques (locale, régionale et nationale).

Étude de cas et territoire d’analyse Entre 1990 et 2007, plusieurs dizaines de rivières du Québec ont été ou sont toujours ciblées par des projets de petites centrales hydroélectriques. Une étude de cas s’est donc imposée d’elle-même, afin d’être en mesure d’étudier les représentations des acteurs et d’analyser précisément l’ensemble des enjeux soulevés par ce type d’aménagement à l’échelle locale et régionale. Notre choix s’est porté sur la rivière Batiscan puisqu’il s’agit d’une rivière méridionale très convoitée par les promoteurs, notamment en raison de son fort débit et de ses nombreuses chutes. Au cours des dix dernières années, sur un tronçon de moins de 40 kilomètres, situé entre les municipalités de Sainte-Geneviève-de-Batiscan et de Notre-Dame-de-Montauban, trois projets de petites centrales hydroélectriques ont vu le jour (Tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des trois projets de petites centrales sur la rivière Batiscan Sites MRC / municipalités Périodes MW Promoteurs Opposants impliquées Chute des Ailes Saint-Narcisse; Les Amis (Parc régional de la Saint-Stanislas; 1998-2005 9,7 Forces Motrices de la rivière Batiscan) Sainte-Geneviève-de- Batiscan Batiscan Batiscan Chute du Neuf Notre-Dame-de- Chute (Parc municipal de la Montauban; 1987-2007 10,4 MRC de Mékinac Libre chute du Neuf) MRC de Mékinac (Hydro-Mékinac) Chute du Deux Saint-Adelphe; 2004-2006 17 Société d’énergie Eau Vive Lac-aux-Sables; de la Batiscan Batiscan Chute du Cinq Sainte-Thècle 2006-2007 10 Sources diverses Pour l’instant, ceux-ci n’ont pas encore dépassé le stade de projet, mais ils ont soulevé beaucoup d’opposition et les promoteurs se sont heurtés à une importante mobilisation des citoyens contre les projets. De plus, ces projets demeurent une source de

4 conflits et de tensions entre les acteurs concernés, selon qu’ils appuient ou non les projets de petites centrales. Entre 1998 et 2007, des organismes nationaux comme la Fondation Rivières ont encouragé la mobilisation des citoyens et la formation de trois comités : Les Amis de la Batiscan (chute des Ailes), Chute Libre (chute du Neuf) et Eau Vive Batiscan (chutes du Deux et du Cinq). Ceux-ci ont été amenés à unir leurs forces pour contrer les projets des promoteurs et obtenir davantage d’information auprès de ceux-ci. En plus d’accorder une grande importance au discours individuel de chacun de ces groupes, nous allons chercher à analyser le rôle stratégique des représentations territoriales dans les revendications et les différentes stratégies mises en œuvre par ces acteurs.

Caractéristiques du bassin de la rivière Batiscan Le bassin versant de la rivière Batiscan couvre une superficie de 4690 km. La rivière prend sa source au Lac Édouard, dans les Laurentides. Elle parcourt une distance de 196 kilomètres avant de se jeter dans le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de la municipalité de Batiscan (SAMBBA, 2007). La rivière reçoit les eaux de nombreux tributaires dont les principaux sont, dans son cours supérieur, les rivières aux Éclairs et Jeanotte et, dans son cours inférieur, les rivières des Envies et Tawachiche (Commission de Toponymie du Québec, 1994). Le bassin versant compte 32 municipalités, mais seulement les municipalités de Saint-Séverin et de Saint-Tite sont entièrement incluses à l’intérieur des limites du bassin (Figure 1).

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Figure 1 : Carte du bassin versant de la rivière Batiscan et ses principaux sous-bassins.

Source : SAMBBA, 2007 La rivière prend sa source au Lac Édouard, dans les Laurentides. Elle parcourt une distance de 177 kilomètres avant de se jeter dans le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de la municipalité de Batiscan (SAMBBA, 2007). La rivière reçoit les eaux de nombreux tributaires dont les principaux sont, dans son cours supérieur, les rivières aux Éclairs et Jeanotte et, dans son cours inférieur, les rivières des Envies et Tawachiche (Commission de Toponymie du Québec, 1994). Le bassin versant compte 32 municipalités, mais seulement

6 les municipalités de Saint-Séverin et de Saint-Tite sont entièrement incluses à l’intérieur des limites du bassin. De plus, celui-ci recoupe le territoire de deux régions administratives : la Mauricie (53 % du bassin : 2 483 km²) et la Capitale-Nationale (47 % du bassin : 2 216 km²). De plus, le bassin versant recoupe quatre municipalités régionales de comté (MRC) : Mékinac (983 km²), des Chenaux (270 km²), la Jacques-Cartier (827 km²), Portneuf (1 390 km²) et deux territoires équivalents, soit la Ville de Shawinigan (270 km²) et l’Agglomération de La Tuque (1 213 km²), respectivement les anciennes MRC du Centre-de-la-Mauricie et du Haut-Saint-Maurice (SAMBBA, 2007). Le bassin versant de la rivière Batiscan englobe la totalité de la réserve faunique de Portneuf (775 km²) et une partie de celle des Laurentides (7 934 km²), quatre zones d’exploitation contrôlée (ZEC)1 et plusieurs pourvoiries privées2. De plus, on y retrouve également des aires de conservation, des aires protégées et des réserves écologiques qui offrent une protection intégrale ou quasi intégrale des habitats et des espèces sauvages rares, représentatifs de la région ou présentant un intérêt écologique3.

Le bassin versant de la rivière Batiscan est largement dominé par la forêt (87 % du territoire) et les activités agricoles et les zones urbaines occupent respectivement 5 % et 0,4 % du territoire. Les cours d'eau, les lacs et les terres humides représentent environ 7 % de la superficie du bassin (Hébert, 2005). La partie nord du bassin versant, située dans les Laurentides, est dominée par la forêt et est peu peuplée. La partie sud, située dans les basses-terres du Saint-Laurent et majoritairement utilisée à des fins agricoles, abrite environ les trois quarts de la population du bassin, estimée à environ 16 500 habitants (SAMBBA, 2007). En général, la qualité de l’eau est bonne ou satisfaisante sur le

1 La ZEC Tawachiche (318 km²), la ZEC Bessonne (525 km²), la ZEC Jeannotte (324 km²), la ZEC Rivière- Blanche (729 km²) et la ZEC Batiscan-Neilson (878 km²). Seulement une infime superficie des ZEC Kiskissink et Menokeosawin est incluse dans le bassin versant, soit quelques petits lacs et ruisseaux tributaires du lac Édouard (SAMBBA, 2007). 2 Les pourvoiries Kennedy (33 km²), Goéland, le Club Oswego, le Domaine du Lac-Édouard et la Seigneurie du Triton (42,8 km²). Cette dernière, fondée en 1897, est un des plus anciens clubs de chasse et pêche au Québec (SAMBBA, 2007). 3 Outre le Parc régional de la rivière Batiscan, on y retrouve la réserve écologique Bog-à-Lanières (4,3 km²), la réserve écologique Judith-de Brésoles (11,2 km²), le Parc Coeur nature (Tourbière de Saint-Narcisse – de tenure privée). On retrouve également sur le territoire, trois héronnières : celles des lacs O’Neil et Danielle ainsi que l’île Eaton au lac Édouard. De plus, on y retrouve des aires de concentration d’oiseaux aquatiques (ACOA) à l’embouchure de la rivière Batiscan et tout le long des rives du fleuve (SAMBBA, 2007).

7 cours principal de la rivière en raison du débit élevé4 et des charges polluantes minimes. Par contre, la majorité des 19 390 hectares cultivés sont situés dans le sous- bassin de la rivière des Envies. Ce tronçon de la rivière connaît donc certains problèmes de pollution diffuse d’origine agricole (Hébert, 2005). Sur l’ensemble du bassin versant, le ministère du Développement durable, de l’environnement et des Parcs (MDDEP) a également répertorié 47 ouvrages de régularisation des eaux (digues, barrages). La plupart de ces ouvrages sont utilisés à des fins de villégiature. Cependant, le seul barrage sur la Batiscan est le barrage hydroélectrique (Hydro-Québec) situé au cœur du Parc régional de la Batiscan à Saint-Narcisse.

Intérêt de la recherche L’intérêt d’une étude de cas portant sur la rivière Batiscan réside dans le fait que la confrontation entre les partisans de la filière hydroélectrique et les opposants est un phénomène récent, encore actuel, dont l’intensité était palpable lors des rencontres avec des acteurs-clés pour la réalisation des entretiens semi-dirigés. Cette recherche a été réalisée au moment même où des acteurs mettaient en oeuvre des stratégies et produisaient un discours visant à empêcher ou promouvoir des projets de petites centrales. Ainsi, lors de la réalisation des entretiens avec les acteurs-clés, il a été possible d’obtenir des témoignages, des informations et des discours de première main, spontanés et nombreux qu’une étude de cas rétrospective n’aurait probablement pas permis d’obtenir.

En somme, cette recherche permettra de mieux comprendre les enjeux de la mise en valeur des rivières québécoises à des fins de petite production hydroélectrique. De plus, il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi les projets de petites centrales hydroélectriques privées soulèvent tant d’opposition au Québec, alors que ceux-ci sont perçus mondialement comme étant une des formes d’énergie renouvelable les moins polluantes, les mieux acceptées socialement et les plus faciles à mettre en œuvre (AQPER, 2004; GRAME, 2005). C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, nous accordons une

4 Le débit moyen de la rivière Batiscan, au niveau du barrage hydroélectrique de Saint-Narcisse, a été établi à 96,01 m³/s, avec un minimum de 7,9 m³/s à l’étiage de septembre et un maximum de 937 m³/s aux crues de mai. Néanmoins, un débit esthétique minimum moyen de 18,57 m³/s est nécessaire pour favoriser certaines activités nautiques et de plein air (SAMBBA, 2007).

8 grande importance aux discours - porteurs de représentations - des acteurs québécois concernés par la mise en valeur des rivières. Ainsi, l’étude des représentations des acteurs permettra de comprendre de quelle façon celles-ci influencent leurs discours et leurs actions, dans le cadre de leur démarche visant à contrer un projet adverse (une petite centrale) et à proposer des projets alternatifs. De plus, l’objet d’étude de cette recherche se situe au carrefour de plusieurs branches et préoccupations de la géographie : géopolitique, aménagement du territoire et développement régional. Il s’agit d’un exemple concret de géopolitique locale, où les conflits d’usages et d’aménagements engendrés par des projets de petites centrales hydroélectriques mettent en jeu des représentations territoriales et des perceptions de la mise en valeur des rivières qui diffèrent. De plus, l’approche multiscalaire permet d’analyser cette problématique locale (étude de trois cas sur la Batiscan) en la mettant en contexte avec les politiques, les décisions et les discours d’acteurs oeuvrant à d’autres échelles (régionale et nationale). Finalement, cette recherche permettra de mieux comprendre les enjeux et les conflits d’usages et d’aménagement soulevés par les projets de mise en valeur énergétique de la rivière Batiscan. Les revendications et les stratégies des acteurs, reposant autant sur des éléments objectifs que des représentations, influencent fortement les rapports entre les partisans et les opposants de la petite production hydroélectrique. En somme, il est utile d’étudier ces rapports de force, car ceux-ci sont « jugés importants, voire centraux, dans les processus décisionnels et les procédures de gouvernance locale et territoriale » (Torre et al., 2005).

Problématique À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les petites centrales hydroélectriques ont été des supports au développement socioéconomique de plusieurs régions, en particulier les régions rurales (Poullaouec-Gonidec et al., 1999). Elles ont notamment permis l’électrification de régions éloignées et l’implantation de nouvelles industries créatrices de richesses et d’emplois, comme les scieries et les papeteries. Cependant, à partir du milieu des années 1960, de nombreuses petites centrales ont été fermées ou désaffectées5, « non

5 Il faut noter que 67 des 102 petites centrales appartenant à des tiers au Québec ont été mises en service entre 1885 et 1965 (MRNF, 2005).

9 seulement en raison de la nationalisation [des grandes compagnies d’électricité6], mais par la poursuite d’objectifs de rationalisation » (Sotar 1995, cité par Poullaouec-Gonidec et al., 1999 : 112). Hydro-Québec, créée en 1944, cherchait alors à exploiter le potentiel hydroélectrique des puissantes rivières de la Côte-Nord et de la Baie James7. Cependant, à partir de 1985, le gouvernement provincial, par l’entremise du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MER), a réalisé des études préliminaires pour la remise en service des sites désaffectés. Rapidement, Hydro-Québec s’est désintéressé du dossier en précisant que son profil d’entreprise était désormais axé vers la réalisation de grands projets et que les coûts d’entretiens étaient trop onéreux. Dans un contexte d’ouverture des marchés de l’électricité, le gouvernement provincial s’est alors tourné vers le secteur privé pour le réaménagement des sites désaffectés. Les objectifs du gouvernement étaient alors de diversifier et de maximiser la production hydroélectrique québécoise, tout en permettant de générer des retombées pour les régions ressources. Pour mettre en œuvre cette orientation énergétique, le gouvernement a adopté en 1987 la Politique d’achat aux producteurs privés (Hydro-Québec). Cette orientation énergétique a été confirmée dans la politique énergique de 1988 et le gouvernement a adopté, en 1990, son Programme d'aménagement et d'exploitation des petites centrales hydroélectriques de 25 mégawatts ou moins par des producteurs privés.

La mise en œuvre de ce premier programme gouvernemental des petites centrales fut l’objet de graves critiques et a suscité une controverse intense vers le milieu des années 1990 (Blain, 2001). Pour cette raison, le gouvernement a été amené à instaurer un moratoire (1994 à 1999) et à créer la Commission d’enquête sur la politique d’achat d’électricité auprès des producteurs privés (1995-1997). La Commission a statué que les projets de petites centrales n’avaient entraîné que très peu d’emplois et de retombées socioéconomiques dans les milieux hôtes, à l’exception de la période de construction (Commission Doyon, 1997 : 588). De plus, la Commission recommandait de ne pas

6 Entre autres : la Montreal Light, Heat and Power et ses principales composantes, la Beauharnois Light, Heat and Power Company et la Montreal Island Power Company. 7 Depuis 1970, la production hydroélectrique québécoise a plus que doublé, notamment en raison de la mise en service des complexes Manicouagan-Outardes et La Grande. Hydro-Québec exploite aujourd'hui un parc de 54 centrales hydroélectriques, dont la puissance installée s'élève à 35 126 MW (sans Churchill Falls -5 128 MW) et représentait 97 % de sa production énergétique en 2003 (MRNF, 2003).

10 aménager de nouveaux sites vierges et de consulter, tôt dans le processus, les populations locales concernées (Ibid. : 589). Cependant, dans toutes les stratégies énergétiques subséquentes, le gouvernement a cherché à mettre en œuvre de nouvelles politiques de développement de la petite production hydroélectrique. Pour que les projets soient mieux acceptés par les communautés locales, les normes environnementales relatives à ce type de projet ont été rendues plus strictes (MRNF 2003; MRNF, 2005c) et les municipalités se sont vues octroyer des responsabilités grandissantes à l’égard de l’aménagement des cours d’eau et du développement hydroélectrique (Loi 21 et Loi 62). Les municipalités et les MRC ont cherché à multiplier les projets (la plupart sur des sites vierges) dont ils peuvent dorénavant être les principaux promoteurs (MAMR, 2006). L’ensemble de ces facteurs a contribué à une recrudescence de l’opposition dans plusieurs régions du Québec. L’importance du mouvement d’opposition vient du fait que, pour assurer leur rentabilité, les projets de petites centrales doivent être réalisés à proximité des infrastructures de transport d’énergie et des lieux de consommation (Figure 2).

Figure 2 : Répartition des différentes installations de production d’énergie appartenant à des producteurs privés sur le territoire québécois en 2006. (Petites centrales : z)

Source : Hydro-Québec, 2006

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De plus, les petites centrales, majoritairement au fil de l’eau, doivent tirer profit de sites encaissés ou présentant un fort dénivelé et des chutes importantes (FQCK, 1999). Ces sites sont généralement situés à proximité de lieux habités, fréquentés par les populations locales et souvent mis en valeur à des fins récréotouristiques. De plus, il a été établi que les infrastructures associées à la petite production hydroélectrique peuvent créer des impacts d’envergure sur les écosystèmes touchés : La substitution d’un débit artificiel à un débit naturel ainsi que la dérivation et l’assèchement de tronçons de cours d’eau peuvent s’accompagner de répercussions sur le milieu aquatique, comme la perte d’habitats à poisson, une grande fluctuation des débits, une diminution de la surface mouillée et de la vitesse du courant, une augmentation de l’amplitude des variations de température et de l’oxygène dissous et une concentration de la pollution. Outre les pertes d’habitats, ces modifications peuvent entraîner une altération fonctionnelle de l’écosystème aquatique, un appauvrissement des stocks halieutiques et un changement dans la dynamique des communautés piscicoles (Belzile et al., 1994). De plus en plus d’études semblent également démontrer que les impacts cumulatifs des projets de petites centrales engendreraient sur l’environnement et le paysage seraient supérieurs à ceux d’un unique grand projet de taille équivalente (Palmer, 1988; Drapeau, 1999; Poullaouec-Gonidec et al., 1999; Raphals & Dunsky, 1999; Abbasi et Abbasi, 2000; Waters, 2000; Postel, 2005). Ainsi, les opposants aux projets de petites centrales dénoncent les impacts environnementaux, mais soulèvent également la question des conflits d’usages. En effet, depuis quelques décennies, les rivières du Québec constituent un attrait marqué pour la population, que ce soit pour la détente, la pêche, le canot, le rafting, la baignade, etc. (Fondation Rivières, 2005a; FQCK, 1999). Récemment, ces pratiques ont augmenté rapidement, engendrant ainsi une redéfinition du rapport à l’eau (les rivières) des acteurs et des représentations liées au territoire et à la mise en valeur des rivières (Poullaouec- Gonidec et al., 1999; Tremblay, 2003). C’est notamment le cas de la rivière Batiscan, en Mauricie, qui sera l’objet d’une étude de cas dans le cadre de cette recherche. Il s’agit d’une rivière méridionale fortement convoitée par les promoteurs en raison de son fort débit et de ses nombreuses chutes. Entre 1987 et 2007, trois projets différents ont été présentés aux populations locales. Deux de ces trois sites sont situés au cœur de parcs, municipal et régional, aménagés avec des fonds publics pour mettre en valeur les attraits naturels et paysagers du territoire (rivière). Pour cette raison, les projets ont suscité une controverse

12 intense et des acteurs se sont rapidement mobilisés et regroupés au sein de comités de citoyens (Les Amis de la Batiscan, Chute Libre, Eau Vive Batiscan) pour faire obstacle aux projets de petites centrales.

De façon générale, les arguments avancés par les promoteurs des projets de petites centrales sur la Batiscan reposent sur le fait que l’hydroélectricité est une source d’énergie renouvelable et relativement propre, facilement exploitable et créatrice de richesse pour la société québécoise et, plus particulièrement, pour les milieux hôtes (AQPER, 2005; Hydro- Mékinac, 2005). Or, les opposants expriment un sentiment d’appartenance profond envers leur rivière, qui est soudainement « menacée » par un projet de petite centrale. De plus, ceux-ci privilégient un mode de mise en valeur de la rivière axé sur le développement récréotouristique et la conservation des caractéristiques naturelles de la rivière pour les générations futures (Les Amis de la Batiscan, 1999; Chute Libre, 2005; Eau Vive Batiscan, 2005). Il en résulte deux perceptions du territoire et de la rivière fortement opposées. Ces deux idéologies étant contraires, celles-ci « entrent en compétition et de la tension entre ces deux idéologies peut naître le conflit » (Mounoud, 2006).

Dans le cadre de cette étude, la problématique sera abordée comme étant un cas de géopolitique locale. Il importe donc d’analyser rigoureusement le rôle des représentations que les acteurs entretiennent envers le territoire et la rivière, mais également envers d’autres acteurs : « Il est impossible de comprendre les politiques d’aménagements, quelque soit l’échelle géographique […] les difficultés rencontrées pour les mettre en œuvre, sans prendre en compte cette dimension géopolitique, celle des acteurs, de leurs intérêts, de leurs relations d’alliance ou de rivalité, de leurs cultures et de leurs représentations » (Subra, 2005). En somme, dans cette recherche, nous allons accorder une grande importance aux discours et aux représentations des acteurs qui se sont mobilisés contre les projets, car ce sont elles qui ont contribué à la naissance d’un véritable conflit entre les opposants et les tenants de la filière de la petite production hydroélectrique sur la rivière Batiscan.

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Questions de recherche Nous proposons d’aborder cette problématique sous l’angle des représentations et du rapport au territoire (rivière) qui influence le discours des acteurs et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Plus précisément, les questions de recherche deviennent : Quelle est l’impact des politiques énergétiques québécoises sur l’aménagement et la mise en valeur des rivières, dans un contexte où des projets de petites centrales deviennent la source de conflits à l’échelle locale et régionale? Quelles sont les représentations territoriales et les perceptions de la mise en valeur des rivières qui influencent les actions et les revendications des acteurs concernés par les projets de petites centrales? Comment ces représentations influencent-elles les rapports des acteurs entre eux et quelles sont les stratégies misent de l’avant par ceux-ci pour arriver à leurs fins?

Revue de littérature Pour répondre à ce questionnement, en plus des ouvrages mentionnés précédemment, nous allons maintenant passer ceux que nous avons consulter et qui traitent : 1) du mouvement de conservation et de protection des rivières au Québec et ailleurs dans le monde; 2) des enjeux de la petite production hydroélectrique; 3) de l’importance du territoire dans les conflits d’usage et d’aménagement; 4) du rôle des représentations des acteurs dans ces conflits; 5) des arguments avancés par les promoteurs et les opposants aux projets de petites centrales au Québec.

Le mouvement de conservation et de protection des rivières au Québec et ailleurs dans le monde Nous avons recensé plusieurs auteurs, principalement canadiens et américains, qui se sont penchés sur la question du mouvement de conservation et de protection des rivières. Tout d’abord, dans son ouvrage Endangered rivers and the conservation movement (1988), Palmer souligne que, depuis le début du 17e siècle jusqu’à aujourd’hui, un très grand nombre de rivières nord-américaines ont été endiguées, dérivées ou polluées. Palmer démontre qu’une conception utilitariste des rivières a, jusqu’à tout récemment, caractérisé les différents modes de gestion et d’aménagement des rivières. Il souligne également que la valeur paysagère des rivières, non endiguées ou dérivées, n’a été reconnue que vers le

14 milieu du XXe siècle, alors qu’un mouvement d’opposition à la construction de barrages a vu le jour aux États-Unis et ailleurs dans le monde. De plus, Palmer souligne l’émergence d’un nouveau discours, central dans le mouvement de conservation des rivières, mettant de l’avant l’importance de l’intégrité écologique, de la qualité de l’eau et de la valeur paysagère et récréative des cours d’eau. Deux autres ouvrages, Rivers for life : managing water for people and nature (Postel et Richter, 2003) et A natural history of the free flowing river (Waters, 2000), démontrent l’importance des rivières vierges, non endiguées et non polluées, pour la santé des écosystèmes. Les processus écologiques qui supportent les écosystèmes aquatiques y sont décris en détail, de même que la manière dont ceux-ci ont été perturbés par des barrages, des diversions et d’autres altérations. Nous avons également retenu trois ouvrages qui abordent la question de l’émergence du mouvement de conservation des rivières au Québec: Gens de rivières (Noel, 2000); Rivières du Québec: Découverte d'une richesse patrimoniale et naturelle (Mercier et Hamel, 2005); Le guide des chutes du Québec (Depeyre et Gauthier, 2005). Ces trois ouvrages abordent essentiellement les mêmes questions que les ouvrages mentionnés précédemment, mais appliquées au contexte québécois.

Les enjeux associés à la petite production hydroélectrique Nous avons aussi consulté plusieurs études qui permettent de mieux cerner les différents enjeux associés à la petite production hydroélectrique, au Québec et ailleurs dans le monde. Tout d’abord, le ministère français de l’Écologie et du Développement durable (MEDD) a publié en 2003 une étude, Les Enjeux de l’Hydroélectricité, qui présente un tour d’horizon exhaustif des enjeux que peut susciter l’implantation d’une petite centrale sur un territoire, ainsi que des conflits d’usages potentiels. Bien que cet ouvrage analyse des problématiques liées à l’aménagement à des fins hydroélectriques des rivières de la France, plusieurs aspects abordés dans celui-ci peuvent être transposés au contexte québécois et à notre étude de cas sur la rivière Batiscan. Nous avons également consulté l’article The likely adverse environemental impacts of renewable energy sources : impacts and utilization (Abassi et Abassi, 2000). Cet article aborde la question des impacts environnementaux associés à différents types de production d’énergie renouvelable, dont l’hydroélectricité. Nous avons également consulté un ouvrage de Louis Von Moos, Aperçu

15 général sur les petites centrales (1997), qui permet de connaître les différents enjeux et conflits associés à ce type de projets en Europe. En ce qui concerne les enjeux de la petite production au Québec, nous avons consulté plusieurs documents publiés par le ministère des Affaires municipales et des Régions (2005; 2006), le ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs (1990; 1993; 1996; 2001; 2004; 2005; 2006) et Hydro- Québec (1980; 1985; 1987; 1991a; 1991b). L’ensemble de ces documents permet de faire une analyse des différentes stratégies énergétiques provinciales entre 1990 et 2007 en ce qui concerne l’évolution de la petite production hydroélectrique au Québec. De plus, ces ouvrages permettent également de connaître les principaux objectifs gouvernementaux qui motivent l’adoption des politiques énergétiques associées à la petite production hydroélectrique, ainsi que les enjeux qui y sont rattachés.

L’importance du territoire dans les conflits d’usages et d’aménagement L’étude des conflits, de plus en plus centrale dans la compréhension et l’analyse des controverse socio-environnementale, sera notre objet d’étude dans le cadre de cette recherche. Lecourt et Faburel (2005) présentent l’étude des conflits comme étant une façon d’analyser et de comprendre les changements de territorialité. De plus, les auteurs soulignent que les opposants à un projet d’aménagement cherchent à se réapproprier collectivement leur espace de vie au moment d’un conflit et qu’ils s’organisent et se regroupent pour intervenir sur la scène publique. Les auteurs proposent également un cadre méthodologique propre à l’étude des conflits d’aménagements en milieux ruraux, dont certains éléments seront repris dans le cadre de cette recherche. Plusieurs autres auteurs se sont penchés sur l’importance du territoire dans les conflits d’usages et d’aménagement (Di Méo, 1995; Melé, 2004; Torre, 2005; Valette, 2005; Subra 2006). En somme, ces auteurs soulignent que les conflits et les controverses socio-environnementales permettent de révéler de nouvelles scènes de production territoriale. Le conflit permet de connaître l’intensité de la valeur identitaire d’un territoire et de l’appropriation de celui-ci par les riverains et les usagers. D’autres auteurs se sont penchés sur la question de la défense de l’environnement, le concept de l’acceptabilité sociale et des impacts des différents projets territoriaux sur le milieu de vie des riverains (Beauchamp, 1997; Charlier, 1999; Moser et Weiss, 2003). Des textes de Jobert (1998) et de Marchetti (2005) nous ont permis de définir

16 et de bien comprendre le concept du syndrome Nimby (pas dans ma cour), souvent mis en cause dans les conflits d’usage et d’aménagement. Finalement, nous avons consulté deux ouvrages qui présentent différents concepts propres au rapport que l’Homme entretient envers la nature et l’environnement (Worster, 1998; Matagne 2002). Les auteurs présentent les différentes conceptions de la nature, leurs évolutions dans le temps et leurs impacts sur les différents mouvements de conservation et de protection de la nature.

Le rôle des représentations dans les conflits territoriaux L’analyse des représentations des acteurs est centrale pour la compréhension d’un conflit territorial ou de toute controverse socio-environnementale. Premièrement, nous avons consulté un ouvrage de Flament et Rouquette (Anatomie des idées ordinaires : comment étudier les représentations sociales?, 2003), afin que notre analyse des représentations repose sur une méthode de recherche qui soit efficace et qui puisse ensuite être reprise par d’autres chercheurs. Par ailleurs, un ouvrage de Felonneau (2003) nous permet de comprendre le rôle et l’importance des représentations sociales dans le champ de l’environnement et des conflits qui y sont associés. Nous avons également consulté une thèse de doctorat (Tremblay, 2003), présentée à la faculté d’Aménagement de l’Université de Montréal, dans laquelle l’auteur a analysé « le rôle stratégique des représentations sociales à caractère paysager dans le mouvement de récupération des rivières à des fins récréatives ». Plus particulièrement, l’auteur a analysé les conflits d’usages et d’aménagement propres aux différents projets de mise en valeur de la rivière Gatineau (Outaouais), dans un contexte où celles-ci sont ciblées par un projet de développement hydroélectrique. De plus, les relations « acteurs-territoire / rivière » et « acteurs-acteurs » y sont abondamment traitées. Par ailleurs, plusieurs passages abordent les conflits sociaux et les représentations que se font les acteurs des enjeux liés à l’eau nous permettront de valider certains aspects de la présente recherche. Une autre étude (Poullaouec-Gonidec et al., 1999), réalisée par la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal à la demande d’Hydro-Québec, permet une analyse approfondie des représentations et des enjeux de paysages associés à la filière de la petite production hydroélectrique au Québec (Poullaouec-Gonidec et al., 1999). Outre cette thèse et cette étude, nous avons consulté deux autres articles qui abordent les mêmes thèmes (Poullaouec-Gonidec et Tremblay,

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1999; 2004). Ces textes reprennent beaucoup de thèmes étudiés par Tremblay dans sa thèse, mais leur intérêt réside dans le fait qu’ils abordent brièvement des enjeux de paysage propres à notre étude de cas portant sur la rivière Batiscan.

Les arguments avancés par les promoteurs et les opposants aux projets de petites centrales au Québec L’étude des représentations repose sur l’identification des acteurs concernés par une controverse socio-environnementale ainsi que la prise en compte et l’analyse de leur discours. Premièrement, les nombreux mémoires présentés à la Commission de l’économie et du travail dans le cadre de la consultation publique sur la nouvelle stratégie énergétique 2006-2015 ont, d’une part, permis d’identifier les principaux acteurs provinciaux, oeuvrant à différentes échelles, qui sont concernés par le développement hydroélectrique au Québec et, d’autre part, de faire une synthèse des arguments avancés par les opposants et les partisans des projets de petites centrales (AQPER, 2004; FQF, 2005; FQM, 2005; Fondation Rivières, 2005). D’autre part, certains mémoires présentés dans le même contexte, font bien la présentation des acteurs locaux et régionaux qui appuient ou s’opposent aux projets de petites centrales sur la rivière Batiscan (Amis de la Batiscan, 2005; Chute-Libre, 2005; Eau Vive Batiscan, 2005; MRC de Mékinac, 2005). Sur le plan juridique, un article du juriste Jean Baril, intitulé « La cause Forces Motrices Batiscan : détournement de rivière ou détournement de sens? » facilite la compréhension de l’évolution de l’opposition face au premier projet de petite centrale sur la rivière Batiscan. L’auteur analyse en profondeur les divers arguments avancés par les promoteurs et les opposants, tout en faisant une analyse exhaustive de la saga juridique qui a caractérisé cette cause (Baril, 2003). D’un point de vue économique et énergétique, plusieurs auteurs ont publié des études sur la pertinence du programme gouvernemental des petites centrales au Québec et sur la quote-part qui devrait y être consacrée (Raphals et Dunsky, 1999; Drapeau, 1999). Finalement, nous avons également consulté plusieurs documents, mémoires et communiqués produits par les acteurs qui s’opposent ou appuient les différents projets de petites centrales qui feront l’objet de notre étude de cas sur la Batiscan.

En somme, le rôle des représentations territoriales dans les conflits associés à l’aménagement et à la mise en valeur des rivières a été très peu étudié jusqu’à maintenant.

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Cependant, l’ensemble des travaux mentionnés précédemment contribue à apporter des éléments de réponse à notre questionnement de recherche. Cette étude se veut donc un complément aux différents travaux déjà effectués sur le sujet de la gouvernance territoriale en situation controversée. Ainsi, notre analyse portera donc sur le rôle stratégique des représentations territoriales dans un cas de controverse socio-environnementale, dans un contexte où des projets de petites centrales deviennent la source de conflits à l’échelle locale et régionale.

Hypothèses de la recherche 1. Au Québec, la réfection et la construction de petites centrales par des producteurs indépendants, à partir du début des années 1990, reposaient principalement sur des objectifs gouvernementaux de développement local et régional. 2. Les promoteurs des projets de PCH mettent de l’avant la dimension économique des retombées de la mise en valeur énergétique des rivières pour les milieux hôtes. 3. Au-delà du syndrome NIMBY8, le discours des opposants aux projets de petites centrales hydroélectriques s’inscrit dans une logique de revendication où le territoire et la rivière, perçus comme milieu de vie, possèdent une valeur symbolique et identitaire qui les amène à se réapproprier leur milieu de vie. 4. Pour les opposants, les dimensions environnementale, paysagère et patrimoniale sont importantes dans les projets de mise en valeur des rivières. Pour cette raison, ils cherchent à élaborer, proposer et mettre en œuvre des projets alternatifs, qui permettraient à la fois un développement économique et la préservation des attraits naturels du cours d’eau pour les générations futures.

Objectifs généraux et spécifiques de la recherche L’objectif général de cette recherche est de mieux comprendre, à travers l’étude des représentations territoriales, les enjeux d’aménagement et de mise en valeur de la rivière Batiscan, dans un contexte où trois projets de petites centrales hydroélectriques sont la source de tensions et de conflits à l’échelle locale et régionale.

Plus spécifiquement, cet objectif se traduira par une meilleure compréhension des impacts des politiques énergétiques provinciales concernant la petite production hydroélectrique, sur l’aménagement et la mise en valeur des rivières du Québec. Cela nous

8 Not In My Back Yard / « Pas dans ma cours » : Définition au chapitre 2, dans la section 2.1 « Concepts fondamentaux ».

19 permettra également d’analyser et de connaître quelles sont les conséquences de ces politiques pour les populations riveraines et les nombreux usagers des rivières visées par des projets de petite production hydroélectrique.

À l’échelle locale et régionale, l’étude de cas sur la Batiscan nous permettra de comprendre pourquoi et comment a émergé le mouvement d’opposition aux projets de petites centrales. De plus, nous chercherons à définir, par l’étude des représentations, comment cette opposition se traduit dans le discours des acteurs concernés, autant les promoteurs que les opposants.

En somme, nous cherchons à identifier et à analyser les causes et les conséquences des conflits d’aménagement et de mise en valeur des rivières, selon une approche holistique et multiscalaire. Ainsi, la méthodologie de recherche propre à cette étude pourrait être réutilisée pour aborder d’autres études de cas similaires et, ultimement, pour mieux comprendre d’autres conflits d’aménagements associés à la gestion et à l’aménagement des ressources hydriques sur territoire donné.

Présentation et plan du mémoire À la suite de l’introduction, le premier chapitre expose le cadre méthodologique propre à cette étude. Les principaux acteurs, le type de sources et la méthode de l’analyse du discours par l’analyse de contenu y sont présentés de façon détaillée. Le deuxième chapitre présente le contexte de l’émergence du programme des petites centrales dans la stratégie énergétique québécoise et les différentes phases qui y sont associées. Nous verrons également comment le mouvement d’opposition contre ce type de projet a pris naissance et, surtout, comment il a évolué entre 1990 et 2007. Dans le troisième chapitre, nous présentons l’étude de cas portant sur les trois projets de petites centrales sur la rivière Batiscan. En effectuant un parallèle constant avec les éléments présentés au cours du chapitre précédent, nous analyserons en profondeur la question des conflits d’usages et d’aménagement associée à ces projets de petites centrales. Le quatrième chapitre, le plus important de cette étude, aborde en détail la question des conflits liés aux projets de petites centrales en fonction des représentations territoriales des acteurs et des leurs perceptions de

20 la mise en valeur des rivières. Finalement, le dernier chapitre renferme une autocritique de la méthodologie et la conclusion du mémoire.

21 Premier chapitre - Méthodologie

Le territoire est l’objet des politiques de l’État et constitue un élément central du discours identitaire, tant il est vrai que les sociétés humaines se définissent aussi dans le temps et dans l’espace, sur un territoire qu’elles s’approprient par le biais de ces constructions que l’on nomme représentations territoriales. --Frédéric Lasserre

1.1 Les concepts fondamentaux Territoire, acteurs, discours, représentations, syndrome NIMBY et petites centrales hydroélectriques sont des notions et des concepts fondamentaux dans le cadre de cette étude de géopolitique locale. Premièrement, le territoire correspond à une portion d'espace géographique qui fait l'objet d'une appropriation physique et ou symbolique. Le territoire est également considéré comme :

L’articulation de trois facettes, existentielle (entité et identité territoriale), physique (propriétés naturelles et matérielles) et organisationnelle (rôle et propriétés des agents sociaux) et est également soumis à un certain nombre de contraintes (positives ou négatives) naturelles, historiques, économiques, physiques et sociales qui lui confèrent son originalité et qui le différencient des autres territoires (Lecourt et Faburel, 2005 : 78). Le territoire est le résultat d’actions humaines, car il fait l’objet d’un aménagement, d’une organisation, d’une exploitation et d’une forme ou une autre de mise en valeur. Dans le cadre de cette recherche, le concept de territoire est central car celui-ci est « un vecteur et une ressource pour l’action collective et surtout comme devant être pris en considération » (Lecourt et Faburel, 2005 : 79). Ainsi, le territoire devient le théâtre de conflits lorsque des projets de petites centrales hydroélectriques soulèvent des enjeux en ce qui concerne l’aménagement et la mise en valeur de la rivière Batiscan. Comme A. Torre (2005), nous considérons le conflit comme une « tension révélée par la proximité géographique d'acteurs aux points de vue et/ou intérêts divergents quant à l'usage ou l'aménagement de l'espace ». Ainsi, les acteurs qui s’opposent à ces projets sont amenés à se mobiliser et se regrouper et leur discours est influencé par des représentations territoriales et des perceptions de la mise en valeur de la rivière qui diffèrent de celles des tenants de la filière

22 de la petite production hydroélectrique. Ces notions de pouvoir et d’enjeux sur un territoire justifient le choix de l’approche géopolitique privilégiée dans le cadre de cette étude : « l’étude des différents types d’enjeux de pouvoir et d’identité sur des territoires, et sur les représentations qui leur sont associées » (Lasserre et Gonon, 2001: 112).

Ces enjeux mettent en cause des acteurs territorialisés (Gumuchian et al, 2003). Habituellement, le concept d’acteur permet d’identifier une catégorie ou un groupe (élus, associations de riverains, institutions, entreprises privées) partageant les mêmes valeurs, perceptions ou représentations. Généralement, les membres de ce groupe « s'identifient aux mêmes référents socioculturels, visent les mêmes objectifs politiques et socioéconomiques » et ceux-ci mettent en œuvre des stratégies afin de faire valoir leurs intérêts en développant une action collective « ayant une incidence sur une portion d'espace géographique et les autres acteurs » (Subra, 2005). De plus, les acteurs entretiennent avec le territoire envers lequel ils ont un sentiment d’appartenance une « relation à chaque fois spécifique, mais toujours essentielle » (Subra, 2005). Dans le cadre de notre étude, cette relation s’exprime en termes d’usages et les acteurs sont directement interpellés par les projets de petites centrales qui peuvent modifier leur rapport au territoire en fonction de leurs perceptions de la mise en valeur des rivières. Pour analyser les enjeux, souvent complexes, il est primordial d’identifier les acteurs concernés par la problématique et de connaître leur rôle : « La mise en œuvre de projet de territoire, la compréhension des processus de construction, ou encore de recomposition des territoires passent notamment par la reconnaissance et la compréhension des rôles ainsi que des compétences des différents acteurs » (Gumuchian et al, 2003 : 113).

Pour arriver à leurs fins, soit empêcher la réalisation du projet de petite centrale ou mettre en œuvre un projet alternatif, les acteurs doivent mettent de l’avant des stratégies et se construire un argumentaire, le discours : Dans les processus dynamiques d’émergence, d’affirmation, voire de construction ou de recomposition des territoires, les acteurs sont omniprésents et disposent d’une arme efficace : le discours. Porteurs d’intentionnalités, les acteurs énoncent des discours, plus ou moins structurés selon la place qu’ils occupent ; ces discours visent à donner un sens au territoire, à produire des territoires multiples, imbriqués, superposés,

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multiplicité qui renvoie elle-même à celle des acteurs concernés (Gumuchian et al, 2003 : 107-108). Cela nous amène à aborder le concept qui est au cœur de cette étude, soit l’étude du discours des acteurs interpellés par les enjeux soulevés par les projets de petites centrales hydroélectriques. En effet, les discours, porteurs de représentations, dévoilent les contradictions, les perceptions et les intentions des acteurs, ce qui nous permet de comprendre différentes dimensions du conflit qui demeurent difficilement perceptibles lors d’une première approche. Par ailleurs, les représentations peuvent être définies comme étant « une façon de voir un aspect du monde, qui se traduit dans le jugement et dans l’action » (Flament et Rouquette, 2003 : 13). Plus particulièrement, les représentations sont : Une structure cognitive et mentale relativement globale et abstraite, laquelle constitue un modèle interne à un groupe, à un individu, ayant pour fonction de conceptualiser le réel, puisque ce dernier ne peut être appréhendé dans sa totalité, mais uniquement à travers ce que nous en percevons, mieux, à travers les structures que nous construisons à partir de nos perceptions afin de donner sens à ces dernières. Ces constructions sont donc fonction des prismes à travers lesquels l’individu regarde le monde extérieur, et ces prismes sont le produit de sa propre histoire, mais aussi des conventions culturelles du groupe dans lequel il vit (Lasserre et Gonon 2001). Les différentes représentations du territoire ainsi que les différentes perceptions de la mise en valeur des rivières du Québec permettent de comprendre et d’expliquer les objectifs latents des acteurs ainsi que la nature de l’appui ou de l’opposition à ces projets. Plus précisément, les représentations territoriales, qui sont notre objet d’étude, reposent sur la mise en valeur, par un acteur ou un groupe d’acteurs, de « lieux forts, centraux, de lieux de mémoire, porteurs d'identifications territoriales liées à la construction d'une forme d'identité, d'un sentiment d'appartenance sur un territoire donné » (Faburel et Lecourt, 2005). Dans le cadre de cette recherche, l’étude des représentations, par l’analyse du discours, permettra une meilleure compréhension des stratégies et des logiques d’action des acteurs.

D’autre part, le syndrome NIMBY, associé à la résistance locale aux projets territoriaux comme ceux des petites centrales, est un autre concept clé dans le cadre de cette étude où les conflits d’usages et d’aménagement sont centraux. Le syndrome NIMBY

24 signifie « Not In My Back Yard » ou, en français, « pas dans ma cour ». Cet acronyme fait référence à « l’attitude d’opposition d’une population locale vis-à-vis d’un projet lorsque celui-ci est susceptible d’entraîner certaines nuisances ou modifications, réelles ou supposées, du cadre de vie » (Marchetti, 2005 : 3). Les projets touchés par ce syndrome possèdent trois caractéristiques distinctes : 1) localement, ils sont perçus comme générateurs de nuisances; 2) ils satisfont un besoin public ou une demande privée d’origine, en partie, non locale; 3) il s’agit en général d’infrastructures ayant un impact sur une partie importante d’un lieu ou d’un territoire, qui peuvent nécessiter des expropriations et qui sont généralement destructeurs de l’environnement naturel (Jobert, 1998; Marchetti, 2005). Ces trois principes s’appliquent donc aux trois projets étudiés dans notre étude de cas, puisque ceux-ci recoupent les arguments avancés par les acteurs du mouvement d’opposition aux projets de petites centrales. Dans le cadre de cette étude, nous chercherons à démontrer que l’opposition aux projets de petites centrales sur la Batiscan va au-delà d’une simple réaction NIMBY.

Finalement, le dernier concept qui fera l’objet d’une définition est celui de « petite centrale hydroélectrique » (Figure 3).

Figure 3 : Site désaffecté et réaménagé en 1998 (Chutes de la Chaudière, Saint-Nicolas)

Source : Innergex, 2005

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Généralement, la définition technique d’une petite centrale, telle que celle proposée par l’Association européenne de la petite hydraulique, fait l’unanimité : « une installation permettant de générer de l'électricité en convertissant la puissance disponible de l'eau d’un cours d'eau possédant une dénivellation significative (Figure 4).

Figure 4 : Schéma simplifié d’un site aménagé pour la petite production hydroélectrique

Source : MEDD, 2005 Dans la plupart des cas, ce type d’installation est au fil de l'eau, c’est-à-dire sans réservoir d'accumulation (MEDD, 2005). Cependant, en effectuant une revue de littérature sur le seuil (MW) qui différencie la petite production hydroélectrique de la moyenne, nous avons constaté qu’il n’existe « aucun consensus ou standard international sur ce qu’est ou devrait être une petite centrale hydroélectrique » (Drapeau, 1999; Raphals et Dunsky, 1999; Drapeau, 2000). Cependant, ces mêmes auteurs soulignent qu’à l’échelle internationale, la typologie la plus souvent rencontrée est celle attribuant un seuil maximal de 10 MW à la petite hydraulique (Tableau 2).

Tableau 2 : Centrales hydroélectriques - la typologie internationale Micro Mini Petite hydro Moyen Grand Très grand hydro hydro aménagement aménagement aménagement Puissance Puissance Puissance installée Puissance Hauteur du Hauteur du installée installée >1 MW à 10 MW installée barrage barrage < 100 kw 100 kw à 1 MW > 10 MW > 15 m. > 150 m. Source : McCully, 1996, cité par Drapeau (2000 : 28).

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Au Québec, cette classification pose problème puisque ce seuil, déterminé par le ministère des Ressources naturelles (MRN), était fixé à 10 MW avant 1984, à 25 MW entre 1984 et 1999, pour ensuite être augmenté à 50 MW en 1999 (MRNF, 2003). Il semble donc y avoir « sinon confusion dans la définition des termes, du moins absence de correspondance entre les lois et les règlements » et la classification internationale relatifs aux différentes tailles des aménagements hydroélectriques (Drapeau, 1999). La position du gouvernement du Québec sur la définition d’une petite centrale hydroélectrique a donc été fort changeante au gré des différentes politiques énergétiques (Blain, 2003; Drapeau, 2000; Drapeau 1999; Raphals et Dunsky, 1999). À ce sujet, Drapeau (1999) : « aller jusqu’à 50 MW nous semble un moyen inutile de « déguiser » des centrales moyennes en petites centrales ». Cependant, l’Association québécoise des producteurs d’énergie renouvelable (AQPER, 2005) prétend que la « taille des installations qualifiées de petites centrales a moins d’importance que son insertion environnementale dans le milieu local ». Par ailleurs, au cours des dernières années, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) et l’AQPER ont régulièrement exercé des pressions auprès du gouvernement pour que celui-ci augmente le seuil de puissance des petites centrales jusqu’à 100 MW (AQPER, 2005; FQM, 2006). Outre le fait que les projets de petites centrales sont la source de conflits d’usages, il semble que la définition et l’utilisation du terme « petite centrale » soient elles- mêmes la source de tension entre les acteurs9.

1.2 Identification des acteurs et le type de sources recherchées Les sources privilégiées pour répondre au questionnement de recherche sont les discours porteurs de représentations des nombreux acteurs concernés par les projets de petites centrales hydroélectriques. Ces acteurs proviennent de différentes échelles politiques et administratives. À l’échelle provinciale, les principaux acteurs sont le gouvernement du Québec, l’AQPER, la FQM et la Fondation Rivières. Une attention particulière sera accordée aux discours de ces acteurs, ainsi qu’aux différentes sources primaires produites

9 Au Québec, la grande majorité des promoteurs des projets de petites centrales utilisent les termes « micro » ou « minicentrales », tandis que les opposants utilisent souvent le terme, plus approprié, de « petite centrale » pour désigner les ouvrages hydroélectriques québécois de moins de 50 MW. L’utilisation d’une appellation plutôt qu’une autre peut reposer sur les représentations que les acteurs se font de la petite hydraulique et de ses impacts socioéconomiques et environnementaux.

27 par ceux-ci. À l’échelle régionale, les principaux acteurs sont les promoteurs des projets de petites centrales sur la rivière Batiscan (La Société d’énergie de la rivière Batiscan, Hydro- Mékinac, Forces Motrices Batiscan) et leurs partenaires régionaux (la MRC de Mékinac et le Complexe écotouristique de la Batiscanie). À l’échelle locale, les acteurs sont nombreux et leurs discours constituent une partie importante du corpus à l’étude. Plus précisément, nous étudierons les discours des promoteurs locaux des projets et des groupes d’opposants qui se sont formés dans chacune des localités concernées : Notre-Dame-de-Montauban (Chute-Libre); Saint-Adelphe (Eau Vive Batiscan); Saint-Narcisse, Sainte-Geneviève-de- Batiscan et Saint-Stanislas (Les Amis de la Batiscan). En somme, les documents écrits que ces acteurs ont produits entre 1990 et 2007 et les sources orales récoltées sur le terrain à l’été et l’automne 2006 serviront à analyser le discours de ces acteurs. Cette démarche nous permettra d’analyser les représentations territoriales des acteurs en fonction des relations « acteurs-territoire/rivière » et « acteurs-acteurs » et ainsi être en mesure de faire la démonstration de nos hypothèses.

1.2.1 Méthode de collecte des sources primaires et secondaires La collecte des sources primaires orales et écrites a été effectuée selon deux techniques complémentaires, soit la recherche documentaire et la réalisation de quinze entretiens semi-dirigés auprès des acteurs (informateurs-clés) concernés par les projets de petites centrales hydroélectriques au Québec et, plus particulièrement, sur la rivière Batiscan (Fenneteau, 2002). Nous avons privilégié une méthode basée sur les entretiens semi-dirigés, car elle nous est apparue la plus appropriée pour récolter à la fois des sources primaires orales et écrites, porteuses de représentations. En effet, pour mener une étude portant sur des conflits d’usages ou d’aménagement, une « méthodologie utile est l’analyse du discours avec des enquêtes par entretiens dont les objectifs sont de percevoir les relations qui se sont tissées au cours du temps entre les différents acteurs et les territoires » (Gumuchian et al, 2003 : 138). Une grille précisant les principaux thèmes abordés lors des entretiens semi-dirigés est présentée en annexe (Annexe 1). Dans la mesure du possible, les entretiens ont été effectués en personne. Par contre, pour des raisons de disponibilités ou de contraintes hors de notre contrôle, certains entretiens ont été réalisés par voie téléphonique. Cependant, certains acteurs ont également refusé de nous rencontrer ou nous ont référé à

28 des documents écrits par eux ou leur association. De plus, en raison de conflits entre partisans et opposants aux projets de petites centrales, au sein de municipalités peu populeuses, la majorité des acteurs rencontrés ont demandé à conserver l’anonymat dans le cadre de l’étude ou être seulement identifiés par le groupe ou l’association auquel ceux-ci se rattachent (ex. Chute-Libre).

En plus des sources orales, nous avons recueilli et consulté de nombreux documents écrits produits ou publiés par les acteurs : mémoires, cartes, résultats de consultations populaires, procès-verbaux de rencontres, communiqués, etc. Tout d’abord, nous avons consulté de nombreux documents et communiqués gouvernementaux. Parmi ceux-ci, les documents qui nous intéressent plus particulièrement sont ceux présentant les enjeux de l’hydroélectricité au Québec (Hydro-Québec, 2004), les orientations (MRNF, 2005) et les versions finales des politiques énergétiques (MRN, 1996 ; MRNF, 2006) qui ont marqué les différentes phases du programme des petites centrales pendant la période à l’étude (1990 et 2007). Nous avons également consulté les documents présentant les nouvelles lois (21 et 62) sur les compétences municipales en matière de participation à la production d’électricité (MAMR, 2005; MAMR, 2006). Les mémoires produits par les organismes nationaux qui se montrent ouvertement en faveur (AQPER, 2005 ; FQM, 2005, ibid., 2006) ou contre les projets de petites centrales (FQCK, 1999 ; RQGE, 1999 ; Fondation Rivières, 2005a Ibid., 2005b, ibid., 2005c) ont également été d’une grande utilité. De plus, le rapport de la Commission d’enquête sur la politique d’achat d’électricité auprès des producteurs privés, publié en 1997, a permis une analyse approfondie des motifs et des modalités de la mise en œuvre du premier programme des petites centrales au début des années 1990.

Par ailleurs, les mémoires présentés, entre 1990 et 2007, par l’ensemble des acteurs concernés par le dossier des petites centrales à la Commission parlementaire sur l’économie et le travail (2004-2005) et à la Régie de l’Énergie (1998-1999), constituent également des sources primaires écrites de premier ordre (Amis de la Batiscan, 2005; AQPER, 2005; Chute-Libre, 2005; Eau vive Batiscan, 2005; FQM, 2005; Fondation Rivières, 2005c; MRC de Mékinac, 2005). De plus, les documents écrits (communiqués, procès-verbaux, résultats de sondages, résumés d’entrevues) produits et diffusés par ces acteurs sont également d’une

29 grande utilité, dans la mesure où ceux-ci permettent également l’analyse de leurs discours, donc des représentations.

Finalement, le corpus à l’étude a été complété par le dépouillement de quatre médias écrits québécois qui ont abondamment traité de la problématique des petites centrales pendant la période à l’étude (1990-2007)10. Nous avons retenu au moins un quotidien pour chacune des échelles à l’étude. Ceux-ci sont, à l’échelle provinciale, Le Devoir et La Presse, à l’échelle régionale, Le Nouvelliste, et à l’échelle de la MRC de Mékinac, L’Hebdo Mékinac-des Chenaux. En plus des articles sur le sujet, on y retrouve la prise de position directe (lettres d’opinion et communiqués) de plusieurs acteurs provinciaux, régionaux et locaux, qui permettent également une analyse du discours de ces derniers. Il ressort de cette présentation de la méthode de collecte des sources que les acteurs produisent des discours très différents, tant dans leurs natures que dans leurs formes. Il importe donc de trouver une méthode d’analyse de ce corpus qui permet de traiter des sources d’origines et de formes très variées, afin de faire ressortir les représentations et les perceptions des acteurs, dans un contexte où un projet de petite centrale devient un enjeu local et régional.

1.3 Méthode d’analyse des données : l’analyse de contenu L’analyse de contenu est la méthode d’analyse qui a été privilégiée pour le traitement des sources orales et écrites, recueillies lors des entretiens et de la recherche documentaire. Le choix de cette méthode repose sur le fait que celle-ci est un des instruments les plus complets et les plus fréquemment utilisés en sciences sociales : « l’analyse de contenu est une technique d’étude détaillée des contenus de documents. Elle a pour rôle d’en dégager les significations, associations, intentions… non directement perceptibles à la simple lecture des documents » (Aktouf, 1987 : 117). Cette méthode a été retenue parce que l’un « des très grands champs d’application de l’analyse de contenu est celui de l’analyse des discours » (L’écuyer, 1990 : 24). Ainsi, nous souhaitons étudier et comparer des « matériaux issus de sources différentes [dans le but de connaître]

10 Cette tâche a été facilitée par l’utilisation de la banque de données en ligne « NouveauEureka.cc » (http://nouveau.eureka.cc/WebPages/default.aspx). Celle-ci renferme plus de 1000 sources d'actualité et d'affaires, dont plus de 130 journaux canadiens depuis le milieu des années 1980.

30 les directions successives que prend le contenu du message » (Grawitz, 1990 : 703). L’objectif ultime de toute analyse de contenu est de : Déterminer la signification exacte du message étudié, […] un discours, un article de journal, un écrit scientifique, un rapport verbal […] par ce procédé le chercheur tente de découvrir ce que l’information analysée signifie, ce que l’auteur du message a voulu dire exactement, non pas par rapport à l’interprétation subjective du chercheur, mais bien par rapport au point de vue de l’AUTEUR même du message (L’écuyer, 1990 : 14). De plus, les objectifs spécifiques d’une analyse de contenu visent à déterminer qui est l’auteur du message, quels sont les revendications et les objectifs latents de son discours, comment celui-ci est construit, à qui il s’adresse et quels sont les effets et les buts escomptés par l’auteur du message. Par ailleurs, L’Écuyer précise qu’une analyse de contenu doit servir à analyser le contenu manifeste ou latent du message, ou, encore mieux, d’effectuer une analyse de ces deux éléments : Le contenu manifeste réfère au matériel brut faisant l’objet de l’analyse. Celle-ci porte alors sur ce qui est dit ou écrit, tel quel, directement et ouvertement. Dans l’analyse des contenus manifestes, le chercheur pose comme postulat que tout le sens, la totalité de la signification, existe déjà directement dans le matériel tel qu’obtenu. Les contenus latents renvoient pour leur part aux éléments symboliques du matériel analysé. Dans cette perspective, le chercheur pose comme postulat que la signification réelle et profonde du matériel analysé réside au-delà de ce qui est ouvertement exprimé. Il faut donc travailler plutôt à découvrir le sens voilé, le sens caché des mots, des phrases et des images qui constituent le matériel analysé. Il ne s’agit plus de chercher la signification à travers ce qui est dit, mais surtout dans ce qui n’est pas dit (Ibid, 1990 : 22-23). Dans le cadre de cette étude, où les représentations des acteurs sont centrales, nous allons faire appel à ces deux méthodes complémentaires, afin de dégager à la fois les contenus manifestes et latents des différentes sources produites par les acteurs. L’analyse du discours des acteurs permettra ainsi une meilleure compréhension de leurs revendications, de leurs stratégies et de leurs logiques d’action. En raison de la diversité et de l’hétérogénéité des sources qui composent le corpus à l’étude, il aurait été d’effectuer une analyse de contenu de type quantitative. C’est pourquoi nous avons privilégié l’approche qualitative. Celle-ci repose sur « le postulat que l’essence de la signification du phénomène étudié réside dans la nature, la spécificité même des contenus du matériel étudié plutôt que dans sa seule répartition quantitative » (L’Écuyer, 1990 : 31). De plus,

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Grawitz (1990 : 726) souligne que l’analyse qualitative est d’autant plus intéressante « en raison de sa souplesse », permettant ainsi l’analyse de « sources différentes où le contenu principal change » telles que celles qui sont étudiées dans le cadre de cette recherche. Finalement, l’opération centrale d’une analyse de contenu relève de l’élaboration d’une grille de catégories. En effet, les auteurs s’entendent pour affirmer que la valeur de l’analyse de contenu dépend de la pertinence des catégories identifiées, comme caractérisant le phénomène étudié (Aktouf, 1990; Grawitz, 1990 ; L’Écuyer, 1990). Les catégories permettent de faire le lien entre l’objectif de la recherche et les résultats, c’est-à- dire, suivant les cas, « de la proposition ou de la vérification d’une hypothèse explicative, d’un diagnostic ou d’une prévision » (Grawitz, 1990 : 710). Celles-ci doivent être exclusives, objectives et pertinentes11 (L’Écuyer 1990 : 9). En somme, il s’agit « d’enregistrer tous les éléments du corpus pertinent afin de les classer par thèmes ou catégories thématiques […] en vue de procéder à des comparaisons significatives entre les différents documents-supports » (Robert et Bouillaguet, 2002 : 28). Dans le cadre de cette étude, nous avons retenu onze catégories qui seront au centre de l’analyse de contenu (Tableau 3).

Tableau 3 : Les catégories de l’analyse de contenu Acteurs Période Échelle Revendications Rationalité Hydro-Mékinac 2000-2006 locale Petite centrale (chute du Neuf) Économique S.E.R.B. 2004-2006 locale Petite centrale (chute du Deux) Économique + énergétique Forces Motrices 1999-2005 locale Petite centrale (chute des Ailes) Économique Batiscan (financement du parc) Arrêt du projet (chute du Neuf) Préservation du milieu de vie Chute-Libre 2000-2006 locale Projets alternatifs Intégrité écologique Arrêt du projet (chute du Deux) Préservation du milieu de vie Eau Vive Batiscan 2004-2006 locale Intégrité écologique Arrêt du projet (chute des ailes) Préservation du milieu de vie Amis de la Batiscan 1999-2006 locale Projets alternatifs Intégrité écologique MRC de Mékinac 1996-2006 Rég. Petite centrale (chute du Neuf) Développement régional FQM 1990-2006 Prov. Lobbying – petites centrales Développement régional APPHQ / AQPER 1990-2006 Prov. Lobbying – petites centrales Économique + énergétique Intégrité écologique Fondation Rivières 2003-3006 Prov. Moratoire (petites centrales) Alternatives Gouv. provincial 1990-2006 Prov. Décentralisation / diversification Développement régional

11 Exclusives : les mêmes éléments ne doivent pas pouvoir appartenir à plusieurs catégories; 2) Objectives : les caractéristiques des catégories sont bien définies et suffisamment claires pour qu’un autre chercheur puisse classer des éléments dans les mêmes catégories; 3) Pertinentes : en rapport à la fois avec l’objectif poursuivi et le contenu que l’on traite.

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Dans le tableau 3, nous avons exposé les principaux acteurs qui ont joué un rôle majeur dans les conflits associés aux petites centrales, notamment en ce qui concerne l’étude de cas sur la rivière Batiscan. Ceux-ci ont été catégorisés en fonction de la période au cours de laquelle ils ont été concernés par la problématique à l’étude. Ensuite, l’échelle nous informe sur l’échelle d’intervention et la portée géographique des discours des principaux acteurs (locale, régionale ou provinciale). Pour l’étude des représentations, les deux dernières catégories sont centrales. Tout d’abord, la catégorie « revendications » permet de définir les objectifs manifestes du discours des acteurs, tels qu’ils peuvent être directement perçus dans les sources analysées. Finalement, la catégorie « rationalité » présente les objectifs latents véhiculés par le discours des acteurs, ce qui n’est pas directement perceptible lors d’une première approche. Il s’agit ici de découvrir, à travers le discours des acteurs, ce qui se cache derrière leurs revendications manifestes. Cela nous informe sur les représentations des acteurs et ce qui justifie leurs revendications.

D’autre part, il est important de mentionner que la méthode de l’analyse de contenu qualitative peut laisser une grande place à la subjectivité du chercheur. Pour cette raison, l’analyse doit être très rigoureuse, afin que celle-ci puisse être reprise par un autre chercheur. Dans le cadre de cette étude, l’analyse du discours par l’analyse de contenu permettra de connaître les enjeux pour chacun des acteurs et de définir quelles sont les représentations qui sont à la base de leurs revendications et de leurs actions. Avant de passer à l’analyse proprement dite des sources constituant notre corpus, nous allons présenter, dans le prochain chapitre, dans quel contexte ont émergé les conflits d’usages et d’aménagement liés aux petites centrales hydroélectriques au Québec.

33 Deuxième chapitre - La place de la production hydroélectrique privée dans la stratégie énergétique provinciale

En plus des sites à grand potentiel hydroélectrique, le Québec dispose aussi d’un potentiel appréciable de sites hydrauliques de moindre envergure, dont la mise en valeur contribue à son développement économique. --AQPER

2.1 L’émergence du premier programme des petites centrales : 1990-1994 Au Québec, c’est au ministère de l’Énergie et des Ressources (MER)12 que revient la responsabilité de mettre en valeur et de développer le potentiel hydroélectrique du territoire. Dès 1978, le MER a tenté de convaincre Hydro-Québec d’intégrer l’aménagement ou l’exploitation des petites centrales dans son plan d’équipement, « mais la société d’État se limitait alors à effectuer quelques études sommaires » (Commission Doyon, 1997 : 587). De plus, lors de la réalisation des premières études conduites par le MER sur le sujet, celui-ci s’intéressait principalement aux sites désaffectés. Au cours de la même période, Hydro-Québec a été invitée par le MER à mener une série d’études et à adopter certaines politiques concernant le développement de la petite production hydroélectrique :

1980 : Potentiel de centrales hydroélectriques de moyennes et petites tailles. (Hydro-Québec, 76 p.) 1985 : Construction et exploitation de petites centrales par des tiers au Québec. (Hydro-Québec, 35 p.) 1987 : Politique d’achat d’électricité produite par des petites centrales appartenant à des tiers au Québec. (Hydro-Québec, 15 p.) À cette époque, Hydro-Québec était davantage préoccupée par ses projets de grande envergure et semblait peu intéressée par l’exploitation et la mise en valeur énergétique des

12 Le MER deviendra, entre 1994 et 2003, le ministère des Ressources naturelles (MRN) et à partir de 2003, le ministère des Ressources naturelles, de la faune et des parcs (MRNF).

34 petites rivières13. Invitée à participer au processus de mise en valeur des sites de moins de 25 MW par le MER, la société d’État évoque deux raisons pour ne pas être le maître d’œuvre du programme des petites centrales. Tout d’abord, elle conclut que sa méthode de gestion et sa culture d’entreprise sont « mésadaptées à une approche, dite micro, d’exploitation » (Commission Doyon, 1997 : 588). De plus, la remise en fonction de la majorité des sites désaffectés de moins de 25 MW, visés par le programme du MER, engendreraient pour Hydro-Québec des coûts « d’autant plus onéreux qu’il aurait été impensable pour elle d’envisager leur réfection » (Ibid. : 589). Le désintérêt de la société d’État pour les petites centrales a alors amené le MER à envisager l’ouverture de ce secteur énergétique à la concurrence, c’est-à-dire aux producteurs privés. Cette option rejoignait alors les principaux objectifs du MER qui étaient de favoriser « l’économie régionale et catalyser un essor technologique dans ce domaine précis qu’est l’ingénierie hydraulique québécoise » (Commission Doyon, 1997 : 588). Ces objectifs ont d’ailleurs été confirmés dans la politique énergétique de 1988, où le développement de la petite production hydroélectrique occupait une place importante.

2.1.1 Le premier programme gouvernemental des petites centrales C’est dans ce contexte que le gouvernement du Québec a annoncé, le 12 septembre 1990, son Programme d'aménagement et d'exploitation des petites centrales hydroélectriques de 25 MW ou moins par des producteurs privés. Cette nouvelle politique s’insérait alors comme un « complément au mandat de fourniture d’électricité confié à Hydro-Québec » (MRN, 2001). Ainsi, l’électricité produite par les petites centrales privées devait servir à combler le déficit énergétique anticipé pour les années 1995-199614. Pour mettre en œuvre cette politique, le MRN a lancé un appel de propositions restreint auprès des producteurs privés en 1991 (APR-91). Dans le cadre de l’APR-91, 55 centrales ont été construites et mises en exploitation pour une puissance totale de 250 MW (AQPER, 2005).

13 Au Québec, le ministère des Ressources naturelles fait la distinction entre les grandes et les petites rivières, selon qu’elles permettent des aménagements de plus ou de moins de 100 MW (Drapeau, 2000 : 31). 14 Avec cette politique, les producteurs privés se distinguaient des autoconsommateurs (ex : Alcan), puisque la principale raison d’être de leurs installations reposait non pas sur l’utilisation de l’énergie produite à des fins de production industrielle, mais plutôt sur la fourniture d’énergie à Hydro-Québec à titre de seul et unique client (MRN, 2001).

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La grande majorité de ces projets de petites centrales ont été réalisés sur des sites publics désaffectés (44 projets) et très peu sur des sites vierges (11 projets – Figure 5).

Figure 5 : Centrale Chute-à-Magnan sur la rivière du Loup (St-Paulin, 1994 – 7,7 MW)

Source : Innergex, 2005 Cependant, les activités du programme des petites centrales ont été temporairement suspendues en juin 1994. Hydro-Québec estimait alors avoir reçu suffisamment d’énergie pour combler ses besoins futurs, de la part de ses propres aménagements et des petites centrales réalisées dans le cadre de l’APR-91 (MRN, 2001). Cependant, il semble que l’émergence d’un mouvement d’opposition contre ce type de projet a également eu un rôle à jouer dans l’instauration de ce moratoire (Blain, 2001; Fondation Rivières, 2005c).

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2.1.2 L’émergence d’un mouvement d’opposition Le mouvement d’opposition contre ce type de projet a émergé lorsque des citoyens ont constaté l’impact de certains projets de petites centrales sur les rivières et les territoires où ils avaient été réalisés. C’est ainsi que deux citoyens, Alain Saladzius15 et Anne-Marie Saint-Cerny, ont décidé d’entreprendre une enquête sur les impacts et le bien-fondé du programme des projets de petites centrales. Après plusieurs mois d’enquête, ils ont déposé un rapport au ministère des Affaires municipales et des régions (MAMR) à la demande de Guy Chevrette, le ministre de l’époque. Ce rapport avançait notamment le fait que le prix payé par Hydro-Québec aux producteurs privés, pour l’achat de l’électricité, était deux fois supérieur au prix de revente sur les marchés québécois et américain. Ils remettaient également en question l’implantation des projets de petites centrales sur des sites vierges et signalaient les nombreux impacts environnementaux sur d’importants tronçons de rivière (Figure 6).

Figure 6 : Dynamitage et déboisement lors de l’aménagement d’un site pour la construction d’une petite centrale (Centrale La Pulpe à Rimouski - 3,74 MW).

Source : http://www.mrnf.gouv.qc.ca/energie/forces/repertoire/rimouski.htm De plus, ils soulignaient que les petites centrales n’avaient engendré que de faibles retombées socioéconomiques pour les milieux hôtes. Finalement, ils soupçonnaient certains

15 Un des cofondateurs de la Fondation Rivières et le coordonnateur du mouvement Adoptez une rivière (voir page 43).

37 promoteurs de sous-déclarer la puissance de leur centrale, afin de se soustraire aux obligations en vertu de la Loi sur la qualité de l’Environnement (Fondation Rivières, 2006). Le dépôt de ce rapport au MAMR et l’importante couverture médiatique de ce dossier ont fortement contribué à l’émergence du mouvement d’opposition qui s’ensuivit. En raison de diverses allégations et de la controverse entourant le programme gouvernemental des petites centrales, le gouvernement péquiste, nouvellement élu en 1995, a été amené à créer la Commission d’enquête sur la politique d’achat d’électricité par Hydro-Québec auprès des producteurs privés (Commission Doyon).

2.2 La Commission Doyon et le Débat sur l’énergie : 1995-2000 C’est donc par l’entremise de la Commission Doyon que le premier programme des petites centrales a été analysé. Dans le rapport final, rendu public en avril 1997, les commissaires ont relevé de nombreuses lacunes et irrégularités, principalement au sujet des impacts environnementaux suivants : l’absence ou le non-respect des débits réservés (écologiques et esthétiques) ainsi que des problèmes reliés à la migration des poissons et à l’intégration des aménagements hydroélectriques au paysage. De plus, la Commission a constaté « la propension du Ministère [de l’Environnement] à s’en remettre aux études et évaluations des promoteurs, notamment en ce qui concerne l’assujettissement du projet aux normes environnementales édictées par le gouvernement » (Commission Doyon, 1997 : 594). En conséquence, le rapport présente des recommandations visant la hausse des normes environnementales et le respect de celles-ci : Le MEF doit, avec la participation du MRN, réaliser une revue complète de l’ensemble des impacts environnementaux propres aux petites centrales, rehausser ses exigences de mesure du débit réservé ainsi que renforcer les procédures de contrôle et de suivi des conditions inscrites aux certificats d’autorisation (Commission Doyon, 1997 : 594). D’autre part, la Commission remettait en cause les contrats signés entre Hydro- Québec et les producteurs indépendants pour l’achat de l’électricité produite par leurs petites centrales. En effet, le MRN et Hydro-Québec ont privilégié la méthode des coûts évités, pour déterminer le prix fixe payé aux producteurs privés pour l’achat de l’électricité

38 produite par ceux-ci16. L’énergie produite par les producteurs privés était donc achetée « 4 à 5 cents le kilowatt-heure (kWh) par Hydro-Québec pour ensuite être écoulée à perte (2,5 à 4 cents / kWh) sur les marchés québécois et canadien17 » (Poirier, 2001). De plus, l’instauration du moratoire a obligé le gouvernement à annuler certains projets et à octroyer une compensation financière aux promoteurs pour des raisons diverses : rupture de contrat, remboursement des frais d’avant-projet et des études d’impacts (ibid.). C’est donc Hydro- Québec et, indirectement, les contribuables qui ont assumé l’ensemble de ces pertes engendrées par la production privée, alors évaluées à plus de 180 millions de dollars entre 1991 et 1996 (Blain, 2001; Poirier, 2001). Pour cette raison, la Commission (1997 : 221) recommandait de : 1) mettre fin à l'utilisation des coûts évités pour fixer le tarif dans le cadre d'une politique d'achat d'électricité produite par des producteurs privés; 2) d’acheter l'électricité produite par des producteurs privés aux meilleures conditions en instituant une procédure d'appel d'offres public faisant place à la concurrence notamment quant au prix, en prenant soin que le prix maximal n'excède pas les coûts évités lorsqu'il est possible de les calculer selon une méthode fiable. Ces constats ont alors amené plusieurs opposants à déclarer que « le programme des petites centrales s’est traduit par une subvention indirecte accordée au secteur privé » (Fondation Rivières, 2005 : 54).

Finalement, dans la conclusion du rapport, les commissaires n’hésitent pas à mettre en doute le bien-fondé du programme gouvernemental des petites centrales. Plusieurs de leurs arguments recoupent ceux avancés par Saladzius et Saint-Cerny dans leur rapport remis au ministre Guy Chevrette en 1995. En effet, la Commission n’était pas convaincue

16 Dans le cadre l’APR-91, Hydro-Québec avait utilisé, lors de la signature des contrats d’achat d’électricité avec les producteurs indépendants, un prix de référence basé sur les coûts évités. Ceux-ci correspondent aux coûts des projets futurs envisagés pour satisfaire la demande (MRNF, 2003). Le principe des coûts évités, en puissance, était alors basé sur les coûts du projet LG2A et, en énergie, sur ceux du projet Grande-Baleine. (Raphals, 2004). Les contrats signés entre Hydro-Québec et les producteurs indépendants garantissaient une indexation annuelle minimale de 3 % sur le prix d’achat de l’électricité. 17 Les coûts évités furent calculés selon le principe que l’électricité produite serait livrée jusqu’à la boucle de Montréal et donc qu’Hydro-Québec évitait de payer les coûts de transport afférents. Cependant, les projets de petites centrales étant situés, pour la plupart, en région, l’application des coûts évités n’était pas si simple. En effet, les travaux de la Commission Doyon ont démontré qu’une partie de la production a dû être transportée vers Montréal ou d’autres centres de charge. Ainsi, pour que la tarification représente véritablement les coûts évités, il aurait fallu que les producteurs privés, et non Hydro-Québec, assument ces coûts de transports. En conséquence, Hydro-Québec payait le producteur privé pour un produit livré, mais assumait elle-même les frais de transport (Dunsky et Raphals, 1999).

39 du « bien-fondé des raisons avancées à l’époque pour justifier la pertinence du programme d’achat de production privée » (Commission Doyon, 1997 : 589). La Commission soulignait qu’il aurait été utile que le gouvernement « s’interroge sur l’opportunité de poursuivre un programme dont les retombées économiques se limitent à la courte période de construction, mais dont un nombre grandissant de citoyens pourraient, à long terme, continuer à subir les effets pervers » (Commission Doyon, 1997 : 594). Parmi les 103 recommandations que contenait le rapport final de la Commission à l’endroit de l’APPHQ, du MRN, d’Hydro-Québec et du ministère de l’Environnement et de la Faune (MEF), deux de celles-ci retiennent plus particulièrement notre attention : 1) [La Commission recommande que] une plus grande implication de la population dans le processus décisionnel et une meilleure intégration des projets dans les milieux hôtes; 2) soient exclus du programme des petites centrales les sites vierges à moins que des études précises et détaillées, ayant fait l’objet d’audiences publiques, ne justifient l’installation d’aménagements nouveaux selon les points de vue économique, social et environnemental (Commission Doyon, 1997 : 603-604).

2.2.1 Débat public sur l’énergie et nouvelle politique énergétique (1996) Au cours de la même période, le gouvernement du Québec a tenu une vaste consultation, le Débat public sur l’énergie au Québec, qui a mené en novembre 1996 à la nouvelle politique gouvernementale de l’énergie (L’Énergie au service du Québec) et le mois suivant, à la création de la Régie de l’énergie18. Dans le cadre du Débat public sur l’énergie, les instances locales et régionales ont revendiqué une participation accrue dans l’exploitation de différentes filières énergétiques, notamment pour la réalisation de petites centrales hydroélectriques. De plus, l’Association des producteurs privés d’hydroélectricité du Québec (APPHQ)19 exerçait des activités de lobbying auprès du gouvernement provincial. En effet, l’APPHQ estimait que les petites centrales étaient une des meilleures solutions pour diversifier les apports énergétiques du Québec (APPHQ, 1994). De plus, elle

18 En même temps qu’il met en place la Régie de l’énergie, le gouvernement définit une orientation claire et ferme en vue de déréglementer la production d’électricité, et confie à la Régie un mandat à cette fin (MRN, 2001). 19 L’APPHQ, fondée en 1991 suite à l’APR-91, a redéfini son mandat et représente, depuis 1998, l’ensemble des producteurs d’énergie renouvelable. Le groupe porte le nom d’Association québécoise des producteurs d’énergie renouvelable (AQPER).

40 affirmait que la filière de la petite production hydroélectrique produit une énergie renouvelable et particulièrement peu polluante, comparativement aux grands barrages : Une grosse centrale entraîne des répercussions environnementales potentiellement plus importantes à tous les égards et son aménagement se fait souvent au détriment des autres ressources du cours d’eau […] les petites centrales sont complémentaires et nécessaires pour atteindre les objectifs du développement durable afin d’optimiser l’utilisation de la ressource hydraulique et de minimiser les impacts négatifs sur l’environnement (APPHQ, 1994). Dans ce dossier, le MRN semble avoir constamment soutenu le discours des promoteurs des petites centrales. En effet, quelques années auparavant, il les définissait également comme une façon durable de diversifier les approvisionnements énergétiques, tout en étant un complément aux grands projets (MRN, 1990). Le MRN utilise d’ailleurs un discours similaire dans la politique énergétique de 1996 : Pour leur part, les centrales de petite et moyenne envergures apporteraient la flexibilité nécessaire, facilitant la planification de la satisfaction des besoins dans un contexte de fluctuation relative de la demande. Ces centrales sont mieux adaptées à l’évolution des besoins. Elles peuvent comporter des répercussions moindres sur l’environnement. Surtout, elles se caractérisent par une réduction des investissements requis et des risques financiers correspondants, comparativement aux mégaprojets (MRN, 1996 : 46). Par contre, le MRN reconnaît que les petites centrales sont particulièrement dépendantes des fluctuations saisonnières du débit des cours d’eau, notamment pour les centrales au fil de l’eau. Cela signifie qu’il faut prévoir des « équipements complémentaires afin de satisfaire la pointe de l’hiver et de contrebalancer les périodes de faible hydraulicité » (MRN, 1996 : 46). Suite à cet aveu du MRN sur la faible capacité de stockage et de production des petites centrales20, il est surprenant de constater que le ministère les présente toujours comme un moyen complémentaire efficace pour tendre vers la sécurité énergétique. Le discours du MRN sur cette question semble donc quelque peu contradictoire. C’est d’ailleurs un argument qui sera repris plus tard par plusieurs opposants à ce type de projets.

Ainsi, dans le dossier des petites centrales, il semble que le véritable objectif du MRN, au-delà de la production énergétique, reposait sur le développement régional. En

20 Le facteur d’utilisation moyen d’une petite centrale est d’environ 60 % (AQPER, 2005; MEDD, 2005).

41 effet, ce thème était omniprésent lors du Débat public sur l’énergie et il est devenu un élément central de la politique énergétique de 1996, où il apparaît à plus de 40 reprises au cours des quelques pages consacrées au développement de la petite production hydroélectrique. Le MRN insistait alors sur le fait que le secteur énergétique constitue un levier économique important pour les régions ressources : « la croissance des attentes en provenance des régions est l’une des caractéristiques du Québec moderne […] En effet, désirant prendre en main leur propre développement économique, les régions-ressources considèrent l’énergie comme un levier essentiel à cette fin » (MRN, 1996 : 21). De plus, le MRN ajoute que : La construction de centrales de petite envergure a stimulé l’apparition, au Québec, d’un secteur d’activités adapté à ce type d’investissements […] le gouvernement accorde une grande importance au maintien et à la croissance de ces activités, créatrices de richesses et d’emplois, notamment en région (MRN, 1996 : 46). Par contre, le MRN, qui avait jusqu’à ce jour mis beaucoup d’emphase sur les retombées économiques et les emplois créés par le premier programme des petites centrales, nuance ici ses propos : « des initiatives doivent pouvoir être prises afin que les retombées économiques se prolongent au-delà de la construction, par exemple en prévoyant des développements touristiques à partir des projets réalisés » (MRN, 1996 : 78).

Dans la politique énergétique de 1996, il est mentionné à plusieurs reprises que les ressources hydrauliques non exploitées sont encore très abondantes, notamment pour la petite production hydroélectrique. Selon le MRN, le potentiel théoriquement aménageable sur le territoire québécois, pour des centrales de 100 MW et moins, était alors estimé à 10 000 MW21 (MRN, 1996 : 40). Par ailleurs, le MRN reconnaît que « la difficulté ne réside donc pas dans la rareté de la ressource, mais provient plutôt de la nécessité d’établir un consensus social sur le développement des cours d’eau » (MRN, 1996 :42). L’aménagement des rivières soulève donc des enjeux qu’il ne faut pas négliger, mais qui demeurent au cœur des enjeux en ce qui concerne la petite production hydroélectrique :

21 Ce potentiel est une estimation pour l’ensemble du territoire québécois. En 1995, Hydro-Québec a réalisé une étude pour établir le potentiel théoriquement aménageable des petites centrales sur le territoire desservi par son réseau de transport. Celui-ci a été calculé avec une grande précision : 1630 MW sur 250 sites. Cependant, le potentiel économiquement aménageable est beaucoup plus faible, soit entre 550 et 800 MW (Groupe Stop et Coalition verte, 1999).

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Sur un territoire comme le Québec, où les ressources hydrauliques ont une importance considérable, la mise en valeur de ces ressources soulève la question du choix de développement à privilégier pour les rivières. Le problème se pose notamment pour les cours d’eau situés près d’un bassin de population, ou lorsque les rivières revêtent un caractère patrimonial exceptionnel (MRN, 1996 : 42). D’autre part, c’est dans le cadre de cette politique énergétique que le gouvernement provincial abordera pour la première fois la question de la classification des rivières. À cette fin, le MRN énonce trois principes de bases qui devraient être observés lors de l’étude de nouveaux projets d’aménagement hydroélectriques : 1) pour les nouveaux projets hydroélectriques, on privilégiera l’utilisation de rivières déjà aménagées ; 2) La classification des rivières visera à favoriser la polyvalence et la compatibilité des usages ; 3) Le processus doit conduire, de façon prioritaire, à protéger les rivières à fort potentiel patrimonial, ou revêtant un caractère exceptionnel (MRN, 1996 : 43). Cette initiative a été accueillie favorablement par les opposants aux projets de petites centrales, mais comme nous le verrons plus tard, elle ne sera jamais véritablement mise en œuvre par le gouvernement.

Finalement, un des grands objectifs de cette politique énergétique était d’attribuer une plus grande place au secteur privé et à la concurrence pour le développement et l’exploitation des filières de production d’électricité, notamment celle des petites centrales hydroélectriques. De façon plus précise, on y retrouve trois initiatives qui répondent à cet objectif : 1) Le gouvernement élargit la possibilité, pour les producteurs privés, de participer à l’exploitation des différentes filières de production, selon des modalités précises ; 2) Dans tous les cas, une véritable concurrence devra s’établir, le principe des appels d’offres étant généralisé ; 3) Des mesures seront proposées, afin de faciliter la participation à l’exploitation des filières des instances régionales et locales, de même que des nations autochtones (MRN, 1996 : 53).

Un des faits marquants du document énonçant les orientations de cette politique énergétique était les nombreuses références à des petites centrales de 50 MW, alors que la limite officielle était encore fixée à 25 MW. Pour mettre en œuvre cette orientation de la politique énergétique concernant les petites centrales, le gouvernement a adopté en juin 1999, le projet de loi no 15, afin d’amender la Loi sur le régime des eaux (L.Q. 1999 c. 12).

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Ainsi, la puissance maximale d’une petite centrale pouvant être admissible à l’octroi par décret des forces hydrauliques du domaine de l’État à des producteurs indépendants a été haussée de 25 à 50 MW (MRNF, 2003). La même année, la Régie de l’énergie a tenu une vaste consultation publique sur les modalités de mise en œuvre de la contribution de la filière de la petite hydraulique au plan de ressources d’Hydro-Québec. Suite à cette consultation, la Régie statuait, en décembre 1999, que la quote-part attribuée à la filière des petites centrales ne devrait pas dépasser 150 MW en plus de proposer un prix « socialement acceptable » de 4,5 ¢/kWh pour l’achat de l’électricité produite par les producteurs privés. De plus, dans cet avis, la Régie recommandait d’effectuer des consultations publiques auprès des acteurs concernés et « d’éliminer tôt dans le processus les sites publics où il apparaît qu’un aménagement hydroélectrique est incompatible ou inacceptable » (MRN, 2001 : 4).

Dans le but de lever le moratoire sur la petite production hydroélectrique et pour lancer son nouveau programme de production privée, le gouvernement a modifié la Loi sur la Régie de l’énergie, par l’entremise du projet de loi 116. Ce projet de loi « contesté de toutes parts, mais sanctionné tout de même par l’Assemblée nationale, sous le bâillon, en janvier 2000 » (Blain, 2001), consacre le principe de la déréglementation de la production d’énergie22 et impose à Hydro-Québec « de procéder par appels d’offres pour combler ses besoins d’électricité excédant 165 TWh » (MRNF, 2003). Par ailleurs, cette loi introduisait aussi le pouvoir pour le gouvernement de « fixer pour une source particulière l’approvisionnement en électricité, le bloc d’énergie et son prix maximal » (MRN, 2001). Finalement, cette loi instaurait également la possibilité pour les MRC de former des sociétés en commandite avec les producteurs privés, afin d’exploiter une petite centrale sur son territoire (< 50 % des parts). Tout était donc en place pour la levée du moratoire qui s’ensuivit et la mise en œuvre du nouveau programme des petites centrales privées.

22 Par ailleurs, l’adoption de cette loi a, selon la Fondation Rivières (2005c), vidé de sa substance la mission de la Régie de l’énergie, puisque l’ensemble de la production d’énergie québécoise se trouvait ainsi soustrait à tout examen indépendant (ce qui était le rôle principal de la Régie lors de sa création en 1999).

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2.3 Nouveau régime d’octroi des forces hydrauliques du domaine de l’État : 2001-2003 Le 24 mai 2001, le gouvernement du Québec (Parti québécois), alors dirigé par Bernard Landry, fait l’annonce du Nouveau régime d’octroi des forces hydrauliques du domaine de l’État pour des centrales hydroélectriques de 50 mégawatts et moins. Selon le MRN, le contexte a beaucoup évolué depuis le programme des petites centrales de 1990 et la nécessité de la relance de ce nouveau programme repose sur huit facteurs principaux :

• La sécurité d’approvisionnement à des conditions compétitives. • La mise en valeur de la ressource hydrique. • Le développement des régions. • La prise en charge par le milieu de son développement. • La participation des nations autochtones. • Le développement d’une source d’énergie propre et renouvelable. • Le développement de l’expertise des entreprises québécoises. • Les redevances versées au gouvernement (MRN, 2001 : 3-4). L’ensemble de ces critères recoupe les objectifs et les orientations énoncés dans la politique énergétique de 1996. De plus, dans ce nouveau programme, le MRN affirme avoir cherché à tenir compte au maximum des recommandations formulées par la Commission Doyon, notamment en ayant recours à la procédure par appels d’offres. Ainsi, le gouvernement misait sur le principe de la concurrence, afin d’éviter le fiasco financier du premier programme où les prix payés par Hydro-Québec pour l’achat de l’électricité produite par les producteurs privés étaient fixés d’avance, selon l’approche des coûts évités. De plus, pour resserrer l’examen et le contrôle des impacts environnementaux des projets, le gouvernement a, en 2002, modifié le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement. Le seuil permettant à la population de faire la demande d’une étude d’impacts environnementaux des petites centrales a ainsi été abaissé de 10 MW à 5 MW (MRNF, 2003).

Par ailleurs, le MRN a également modifié l’approche proposée en 1990, afin de permettre aux MRC et aux municipalités de s’impliquer dans les projets de petites centrales dans le cadre du nouveau régime d’octroi. Ainsi, en invitant les instances locales et régionales à participer aux projets, en créant des sociétés en commandite en partenariat avec les promoteurs privés, le MRN avait comme objectif de rendre les projets plus

45 acceptables pour les populations locales. En effet, devant la possibilité d’une implication financière minoritaire (< 50 % des parts), plusieurs municipalités ou MRC espéraient toucher d’importantes retombées économiques. Ce nouveau régime d’octroi, fort attendu par les promoteurs, a donc été accueilli favorablement par l’AQPER et la Fédération québécoise des municipalités, qui représente plus de 900 municipalités et 85 MRC. D’ailleurs, cette dernière écrivait à ce sujet que les petites centrales sont un « moyen privilégié de développement régional […] Le gouvernement du Québec ne peut reculer sur ce dossier dont les retombées pourraient être majeures sur le développement économique des régions du Québec, tant à l’occasion de la construction que durant l’exploitation des petites centrales » (FQM, 2001).

En avril 2002, le gouvernement a lancé le processus d’appel d’offres pour 36 sites de 50 MW et moins admissibles aux fins de location, pour une puissance totale de plus de 425 MW. Cependant, plusieurs éléments du nouveau régime d’octroi ont suscité une vive réaction chez les opposants aux projets de petites centrales. En effet, une des premières réactions des opposants a été de constater que le MRN et Hydro-Québec ne tenaient pas compte de l’avis de la Régie de l’énergie qui avait recommandé, en 1999, une quote-part maximale de 150 MW pour la filière de la petite production hydroélectrique. D’autre part, la grande majorité des sites sélectionnés par le MRN dans le cadre des appels d’offres étaient des sites vierges (33 sur 36). Encore une fois, cela allait à l’encontre des recommandations de la Commission Doyon et des principes énoncés dans la politique énergétique de 1996 qui précisaient : 1) Que soient exclus du programme des petites centrales les sites vierges à moins que des études précises et détaillées, ayant fait l’objet d’audiences publiques, ne justifient l’installation d’aménagements nouveaux selon les points de vue économique, social et environnemental (Commission Doyon, 1997 : 604); 2) Pour les nouveaux projets hydroélectriques, on privilégiera l’utilisation de rivières déjà aménagées […] Le gouvernement considère que l’importance et la portée de ces impacts pourront être sensiblement limitées, si l’on vise en priorité le développement de projets situés sur des rivières déjà aménagées (MRN, 1996 : 43 et 78). Ces faits ont catalysé la réémergence du mouvement d’opposition. En effet, celui-ci a pris une grande ampleur entre 2001 et 2002, notamment avec la création de la Fondation

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Rivières, le documentaire Rivières d’Argent23 et la naissance du mouvement Adoptez une rivière, qui encourageait le parrainage des rivières, la création de comités locaux et l’appui de ceux-ci par des artistes et des personnalités de différents milieux. L’impact majeur de cette opposition grandissante et de l’implication de personnalités publiques dans ce dossier a été de transposer un débat local et régional sur la scène nationale.

De plus, c’est au cours de la même période que de nombreuses associations de riverains ont vu le jour pour défendre différents aspects de leurs rivières ou du territoire visé par les projets de petites centrales24. Devant les pressions émanant de groupes environnementaux et la mobilisation de nombreux citoyens en région, le gouvernement a peu à peu réduit le nombre de sites admissibles pour les appels d’offres, pour finalement en retenir que deux, qui disposaient déjà d’un barrage sur le site25.

2.3.1 La politique nationale de l’eau et le nouveau moratoire Ensuite, deux éléments majeurs ont forcé le gouvernement à revoir sa position en ce qui concerne le développement de la petite production hydroélectrique. Tout d’abord, à l’approche des élections provinciales de 2003, il était évident que l’impopularité du programme des petites centrales dans plusieurs régions du Québec, l’opposition grandissante, les manifestations, le parrainage des rivières par des artistes ainsi que la visibilité des opposants dans les médias allaient causer un tort considérable au gouvernement péquiste, qui cherchait alors à se faire réélire. De plus, le gouvernement s’apprêtait, en novembre 2002, à divulguer la Politique nationale de l’eau. Cette politique, fort attendue et grande fierté du gouvernement péquiste, comportait des orientations

23 Le documentaire Rivières d’Argent a été réalisé par Michel Gauthier, président et cofondateur de la Fondation Rivières. Il s’agit d’un documentaire de 50 minutes qui analyse l’ensemble des enjeux du développement de la petite hydraulique au Québec. Dans celui-ci, le comédien Gaston Lepage et Louis-Gilles Francoeur, journaliste pour Le Devoir et spécialiste des questions environnementales, rencontrent plusieurs acteurs concernés par la mise en valeur des rivières et les petites centrales (principalement le cheminement du comité « Les Amis de la Batiscan » dans sa lutte contre Boralex et le promoteur local, le Complexe écotouristique de la Batiscanie, qui projetaient de construire une petite centrale au cœur du parc régional de la Batiscan. Sans avoir eu le même impact que le documentaire L’Erreur boréale de Richard Desjardins, celui-ci a toutefois été présenté sur les ondes de Radio-Canada et de RDI à plusieurs reprises entre 2002 et 2006. Il est maintenant diffusé aux quatre coins de la province par les membres de la Fondation Rivières, lors de rencontres d’information ou de sensibilisation. 24 Par exemple : Eau Vive Batiscan, les Amis de la rivière Batiscan, Chute-Libre, la Coalition pour une rivière Gatineau naturelle, les Amis de la rivière Verte, les Sentinelles des Quinze, etc.

47 potentiellement conflictuelles avec celles du programme des petites centrales. C’est pour cette raison que Bernard Landry, alors premier ministre du Québec, a déclaré lors de l’annonce de la Politique nationale de l’eau le 26 novembre 2002 : « J’annonce aujourd’hui qu’aucun nouveau barrage ne sera construit pour des petites centrales au Québec » (Saint- Jean, 2002). Encore une fois, cette décision fut accueillie favorablement par les opposants et les militants environnementalistes. Par contre, l’année suivante, le parti libéral de Jean Charest, dans son discours préélectoral, accordait une très grande importance à la relance des projets hydroélectriques. En effet, celui-ci affirmait : « dès notre élection, nous ferons de l’hydroélectricité notre premier choix d’approvisionnement électrique et nous accélérerons le développement de son potentiel » (AQPER, 2004 : 11). La même année, les libéraux ont remporté les élections et le contexte politique était de nouveau favorable pour la relance d’un troisième programme des petites centrales.

2.4 Retour des petites centrales et gestion au « cas par cas » : 2003-2006 Le gouvernement libéral, fidèle à son discours préélectoral, n’a pas tardé à se montrer en faveur de la relance des grands et des petits projets hydroélectriques. Par contre, quelques mois après l’élection du gouvernement libéral, le ministre des Ressources naturelles, Sam Hamad, déclarait que la volonté gouvernementale n’était plus incarnée dans un programme, mais se traduirait par une gestion au « cas par cas » (Le Devoir, 10 mai 2003). Ainsi, le gouvernement proposait une approche de la petite hydraulique totalement différente de celles privilégiées par ces prédécesseurs. D’autre part, dans un document de consultation publié en 2004, Le secteur énergétique au Québec - Contexte, enjeux et questionnements, le Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs abordait la question des petites centrales en spécifiant que « le développement des petites centrales peut constituer pour le milieu une occasion intéressante de prise en charge de son propre développement économique » (MRNF, 2004 : 38). De plus, le MRNF insiste sur le fait que les instances locales et régionales peuvent maintenant participer aux projets d’aménagement de petites centrales sur leur territoire, en partenariat avec l’entreprise

25 La Matawin (Lanaudière) et la Magpie (Côte-Nord). Deux sites de 15 MW ont également été accordés aux Innus de Betsiamites sans appels d’offres (rivière Sault-aux-Cochons).

48 privée, pour en partager les bénéfices en formant avec elles des sociétés en commandite. Ces partenariats public-privé représentent pour les communautés locales « des retombées financières non négligeables, régulières et étalées dans le temps » (MRN, 2004 : 38). Finalement, le MRN a énoncé trois critères essentiels que les nouveaux projets de petites centrales devraient rencontrer : 1) une volonté populaire bien affirmée; 2) un impact environnemental minime; 3) un impact économique et énergétique substantiel (AQPER, 2004 : 11). De plus, en mars 2005, le gouvernement a présenté son projet de loi n° 62 (Loi sur les compétences municipales). Ce projet de loi comportait plusieurs articles qui définissaient les nouveaux pouvoirs des municipalités en matière de gestion des eaux, d’aménagement des rivières et de développement hydroélectrique à l’échelle locale. Pour les opposants aux projets de petites centrales, deux de ces articles pouvaient se révéler problématiques :

ARTICLE 18 : Toute municipalité locale peut constituer avec Hydro- Québec une société en commandite qui a, entre autres objets, celui de produire de l’électricité. Hydro-Québec doit fournir, en tout temps, au moins la moitié de l’apport au fonds commun de la société en commandite et en être le commandité (MAMR, 2005). Tout d’abord, les opposants, dont la Fondation Rivières, réagissaient devant l’ambiguïté de cet article en ce qui concerne le rôle d’Hydro-Québec. En effet, le projet de loi n° 62 « ne précise pas si Hydro-Québec aura l’obligation de s’associer avec toute municipalité qui en fera la demande ou si elle conservera son bon vouloir « (Fondation Rivières, 2005b : 4). De plus, la Fondation Rivières s’oppose au fait que les partenariats public-privé permettent l’exploitation d’une ressource collective (les rivières) dans le but d’en générer des profits privés. Dans ce sens, si le projet est inévitable, il serait préférable qu’Hydro-Québec soit le seul et unique partenaire des instances locales et régionales : « l’Article 18 devrait être maintenu en permettant aux municipalités de s’associer à Hydro- Québec. [Cependant] le secteur privé doit expressément demeurer exclu du secteur énergétique, afin que les retombées économiques engendrées par ces activités bénéficient à l’ensemble de la collectivité québécoise » (Fondation Rivières, 2005b : 5). Il était donc logique que la Fondation Rivières s’oppose également à l’Article 124. ARTICLE 124 : Toute municipalité régionale de comté peut constituer, avec une entreprise du secteur privé, une société en commandite pour produire de

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l’électricité au moyen d’une centrale hydroélectrique dont la puissance attribuable à la force hydraulique du domaine de l’État est égale ou inférieure à 50 mégawatts. L’entreprise du secteur privé doit fournir, en tout temps, au moins la moitié de l’apport au fond commun de la société en commandite et en être le commandité (MAMR, 2005). Pour la Fondation Rivières (2005b : 13), le fait d’obliger les municipalités ou les MRC à s’associer au secteur privé en leur laissant une participation égale ou supérieure à 50 % « assure une manne au secteur privé ». Pour cet acteur, l’Article 124 engendrerait inévitablement le « transfert de richesses collectives, issues d’un patrimoine commun, vers une poignée d’entreprises privées qui recherchent avant tout un profit financier » (Ibid.). Par contre, le MRN, dès 2001, avait anticipé ce genre de réaction des opposants en déclarant que le régime d’octroi risquait d’être perçu comme : Une aliénation d’un bien public au profit d’intérêts privés alors qu’il s’agit en fait d’une location à durée limitée (25 ans) […] le gouvernement s’est assuré d’en récupérer la rente sous forme de prix avantageux pour les consommateurs, de bénéfices pour les communautés locales et de redevances sur les forces hydrauliques (MRN, 2001 : 8). En somme, la Fondation Rivières dénonce le rôle grandissant des MRC dans le développement énergétique puisque, d’un côté, les MRC sont invitées à participer au développement énergétique par l’entremise de sociétés en commandite et ainsi bénéficier de revenus substantiels et, d’un autre côté, celles-ci se voient conférer des responsabilités croissantes en ce qui concerne l’arbitrage des projets qui ont lieu sur son territoire. La Fondation Rivières (2005a) écrivait à ce propos :

Les instances locales font, avec la nouvelle stratégie énergétique, office de partenaires principaux du projet, ce qui les met en situation de conflit d’intérêts. En tant que bénéficiaires et promoteurs, évalueront-elles avec toute l’indépendance requise la pertinence et les nombreux aspects de projets susceptibles de diviser la population? Quoi qu’il en soit, la majorité des opposants craint que les nouveaux pouvoirs conférés aux municipalités et aux MRC contribuent à l’accélération du développement de la petite production hydroélectrique, engendrant ainsi une recrudescence des conflits d’usages qui y sont associés. Malgré l’opposition qu’il suscitait, ce projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale le 24 mai 2005. Cette étape franchie, le gouvernement a rendu publiques, en novembre 2005, les orientations de la nouvelle stratégie énergétique 2006-

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2015. Dans ce document, le MRNF tenait toujours le même discours et déclarait que « la réalisation de petites centrales hydroélectriques constitue un levier de développement économique important pour plusieurs régions du Québec » (MRNF, 2005). Cependant, en raison de la nouvelle controverse suscitée par cette annonce et la vive opposition émanant de plusieurs milieux, le gouvernement a décidé de renoncer à la relance officielle du programme des petites centrales privées dans la version finale de la stratégie énergétique, dévoilée en mai 2006. En effet, le gouvernement libéral de Jean Charest avait maintenant un discours totalement différent de celui qu’il tenait seulement un an plus tôt : Le gouvernement n’entend pas promouvoir le développement des petites centrales privées. […] Le gouvernement croit opportun de laisser aux milieux intéressés la possibilité de développer de tels projets dans la mesure où il sont appuyés par le milieu, génèrent des bénéfices pour leur région et sont sous le contrôle de la communauté. […] Enfin, ces projets devront tous être soumis au processus environnemental du BAPE et faire l’objet d’une entente avec Hydro-Québec sur le prix d’achat de cette énergie avant d’être présentés au gouvernement (MRNF, 2006 : 19). De plus, le ministre des Ressources naturelles, Pierre Corbeil, résumait bien la position du MRN par les propos suivants : « le développement de la petite hydraulique se fera par et pour les communautés locales. Nous mettons à la disposition des régions des outils de développement. C'est à elles de relever ce défi » (MRNF, 2006). Évidemment, cette nouvelle orientation de la stratégie énergétique comblait les attentes des promoteurs, de l’AQPER et de la FQM. À la suite du dévoilement de la politique énergétique, cette dernière écrivait : « les régions du Québec pourront enfin assurer leur développement en utilisant les ressources dont elles disposent […] Avec cette stratégie, le gouvernement se rend à une demande répétée de la FQM et pose un geste concret en faveur de la décentralisation » (FQM, 2006). De plus, la FQM soulignait que les résultats d’un sondage interne auprès des MRC, réalisé en 2004, démontre que « plus de 75 % d’entre elles souhaiteraient pouvoir être propriétaires majoritaires d’une centrale hydroélectrique » (FQM, 2005 :10).

Au printemps 2006, le gouvernement a déposé le projet de loi n° 21 (Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal - 2006, c. 31), afin de mettre en œuvre les nouvelles orientations de la stratégie énergétique. Ce projet de loi,

51 adopté le 11 juillet 2006, définissait les nouveaux pouvoirs municipaux en ce qui concerne la possibilité, pour les milieux intéressés, de réaliser des projets de petites centrales :

1. Comme dans le cas de la production d’énergie éolienne, il n’est plus nécessaire de constituer une société en commandite pour exploiter la centrale;

2. La participation financière des municipalités, qui peut prendre différentes formes, n’est plus limitée à la moitié des fonds requis comme elle l’était auparavant;

3. Les petites centrales exploitées doivent cependant demeurer sous le contrôle de la communauté en détenant la majorité des actions votantes ou en nommant la majorité des membres du conseil d’administration d’une personne morale vouée à cette fin;

4. Tous les projets devront être soumis au processus environnemental du BAPE et faire l’objet d’une entente avec Hydro-Québec sur le prix d’achat de cette énergie avant d’être présentés au gouvernement;

5. Les différents projets devront être présentés à la population et soumis à des référendums locaux (MAMR, 2006). Ainsi, en quelques mois seulement, les orientations de la stratégie énergétique ont été modifiées en profondeur, de même que les pouvoirs et compétences des municipalités et des MRC. L’orientation finale concernant l’exploitation des petites centrales repose toujours sur une logique au « cas par cas ». Le choix du gouvernement en cette matière est étonnant, puisque cette approche au « cas par cas » avait été fortement déconseillée dans le rapport de la Commission Doyon, car celle-ci pouvait devenir très conflictuelle au sein des milieux hôtes. Cette approche avait déjà été envisagée par le MRN en 2001, mais celui-ci l’avait alors rejeté au profit d’un régime d’octroi reposant sur un processus d’appels d’offres, que le MRN jugeait alors beaucoup plus « équitable et transparent » (MRN, 2001 : 7). De plus, Jacques Brassard, ministre des Ressources naturelles en 2001, affirmait que l’approche au « cas par cas » comportait un inconvénient majeur, car elle « n’assure pas une pleine mise en valeur de la ressource hydraulique, [qui devrait exiger] la mise en place d’un plan de gestion gouvernemental structuré autour d’orientations et d’objectifs précis » (MRN, 2001 : 7). Cette approche au « cas par cas », privilégiée par le gouvernement libéral, est également au cœur d’une nouvelle recrudescence de l’opposition.

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En effet, selon plusieurs acteurs, celle-ci reflète un manque de vision globale et intégrée de la gestion des ressources hydrauliques, du secteur énergétique et du développement régional : « Le gouvernement Charest préfère laisser se multiplier les projets sans lui- même encadrer ce développement par un programme gouvernemental balisé et transparent » (Le Devoir, 25 mai 2004).

2.5 Synthèse et ouverture Au Québec, la réfection et la mise en service de petites centrales par des producteurs indépendants, à partir du début des années 1990, visaient à satisfaire des objectifs gouvernementaux concernant les retombées économiques locales et régionales, mais également le développement et la maximisation de l’utilisation des ressources hydrauliques québécoises. Le programme gouvernemental des petites centrales a suscité une vive controverse quelques années plus tard en raison de diverses allégations (Poullaouec- Gonidec et al., 1999 : 111). Le gouvernement provincial a donc été amené à instaurer un moratoire (1994) et à mettre sur pied la Commission d’enquête sur la politique d’achat par Hydro-Québec auprès des producteurs privés (1995-1997). Les travaux de la Commission ont démontré que plusieurs normes environnementales n’avaient pas été respectées, que les populations locales avaient été peu consultées et que les retombées socioéconomiques, à l’exception de la période de construction, étaient peu importantes pour les milieux hôtes. De plus, la Commission recommandait une meilleure intégration des projets dans les milieux hôtes et déconseillait fortement la réalisation de nouveaux projets de petites centrales sur des sites vierges.

Cependant, le gouvernement provincial a pris des dispositions, dans sa politique énergétique de 1996, pour lever le moratoire sur les projets de petites centrales et relancer un nouveau programme dans les années suivantes. Cela s’est traduit, en 2001, par la mise en œuvre du Nouveau régime d’octroi des forces hydrauliques du domaine de l’État pour les petites centrales de moins de 50 MW. Dans le cadre de nouveau programme, le gouvernement invitait les MRC et les municipalités à participer aux projets sous la forme d’un partenariat public-privé (< 50 % des parts), afin de rendre les projets plus acceptables financièrement pour les milieux hôtes. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement a également modifié plusieurs lois afin de rendre plus strictes les normes environnementales

53 relatives à ces projets. Dans le cadre de ce nouveau programme, la grande majorité des sites dévoilés par le gouvernement à des fins d’appels d’offres étaient des sites vierges, ce qui allait à l’encontre des recommandations de la Commission Doyon. Rapidement, le mouvement d’opposition a connu un essor important, notamment avec l’intervention de plusieurs groupes nationaux26 et la création de nombreux comités de citoyens dans les régions concernées. L’intervention de ces groupes a grandement contribué à transposer des débats locaux et régionaux sur la scène nationale. Devant l’opposition grandissante et au moment de dévoiler la Politique nationale de l’eau (2002), le gouvernement a retiré la plupart des projets, à l’exception de ceux ayant déjà un barrage sur le site. Cependant, en 2005 et 2006, une nouvelle stratégie énergétique et de nouvelles lois (Loi 62 et Loi 21) sont venues conférer davantage de pouvoirs aux municipalités en ce qui concerne l’aménagement des rivières et la participation des instances locales et régionales à la production d’électricité. Depuis 2003, le gouvernement privilégie un mode de gestion au « cas par cas » et le développement de la petite production hydroélectrique n’est plus encadré par aucun programme gouvernemental, comme en 1990 et en 2001. De plus, tous les projets doivent maintenant être soumis à une étude du BAPE et les instances locales doivent être les actionnaires majoritaires et les principaux promoteurs des projets de petites centrales ( > 50 % des parts). En dépit du fort mouvement d’opposition, le gouvernement a cherché, à plusieurs reprises, à relancer le développement de la petite production hydroélectrique dans une perspective de développement local et régional. Comme nous le verrons au cours des chapitres suivants, l’aspect des retombées économiques est souvent présenté comme le premier argument en faveur de la petite production hydroélectrique, tant par le gouvernement que par les promoteurs des projets. Par contre, pour les riverains et les usagers des rivières, d’autres critères doivent être considérés pour définir l’acceptabilité sociale, la faisabilité et la pertinence d’un projet de petite centrale.

Maintenant que nous savons dans quel contexte le mouvement d’opposition aux petites centrales a pris naissance, nous allons aborder l’étude de cas portant sur la rivière Batiscan, où trois projets de petites centrales feront l’objet d’une étude approfondie. Cette

26 Entres autres, la Coalition Eau Secours!, la Fondation Rivières et la création du mouvement Adoptez une rivière, où des artistes étaient invités à appuyer des comités de citoyens, en région, et parrainer des rivières visées par des projets de petites centrales.

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étude de cas permettra l’étude de l’émergence du mouvement d’opposition à l’échelle locale et l’analyse des enjeux du développement de la petite production hydroélectrique pour les milieux hôtes.

55 Troisième chapitre - Étude de cas : les trois projets de petites centrales sur la rivière Batiscan

Les retombées économiques des petites centrales se concentrent principalement dans les régions ressources […] L’aménagement des ressources du territoire en étroite association avec le milieu constitue pour celui-ci une occasion de prise en charge de son développement économique. --MRN et AQPER Une rivière polluée ou endiguée n’est plus vraiment une rivière. Les forêts et les rivières sauvages sont profondément encrées dans la psyché collective des Québécois. Leur destruction a un effet démoralisant. Leur protection aura un effet mobilisateur. --André Noël

Dans ce chapitre, nous allons analyser les différents enjeux, pour les communautés locales, de la mise en valeur de la rivière Batiscan à des fins de production hydroélectrique. Notre choix s’est arrêté sur celle-ci puisque, depuis une dizaine d’années, il s’agit d’une des rivières méridionales québécoises les plus convoitées par les promoteurs privés en raison de son fort débit et de ses nombreuses chutes. De plus, la majorité des sites propices à l’implantation d’une petite centrale sont situés à proximité de zones habitées ou mises en valeur, notamment à des fins récréotouristiques. Avant d’aborder l’étude de cas, nous allons effectuer un bref survol historique de la succession des modes d’utilisation de la Batiscan.

Comme toutes les rivières méridionales qui prennent leur source profondément à l’intérieur des terres, la Batiscan a d’abord servi à l’exploration et à la colonisation du territoire et, plus tard, à la navigation et au transport des marchandises. Vers le milieu du XIXe siècle, lorsque l’exploitation forestière s’est intensifiée pour devenir le principal moteur de développement régional de la Maurice, la rivière Batiscan s’est alors transformée en artère fluviale importante pour le transport du bois par la drave27. Dans les années 1890, les principales chutes de la rivière Batiscan ont été numérotées pour mieux les identifier sur le parcours de la drave du bois, depuis l’intérieur des terres jusqu’à la municipalité de

27 Les rivières Pierre-Paul et Tawachiche, deux tributaires de la Batiscan, ont aussi servi à la drave entre 1860 et 1960. (SAMBBA, 2007).

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Batiscan où s’était implanté un moulin à scie28. Au total, dix chutes de la Batiscan ont été numérotées : UN à DIX. Aujourd’hui, la plupart de ces chutes sont connues sous d’autres noms, mais les anciennes appellations, basées sur la numérotation des chutes établies au XIXe siècle, demeurent fortement ancrées dans les traditions et le langage courant des communautés locales. Cet élément historique explique pourquoi les chutes du Deux, du Cinq et du Neuf, aujourd’hui visées par des projets de petites centrales, sont toujours connues et identifiées par la population en fonction de ce système établi à la fin du XIXe siècle. Finalement, la dernière campagne de drave a été menée en 1963 (Figure 7).

Figure 7 : La drave sur la Batiscan, près de son embouchure (1928)

Source : Collection du Vieux-Presbytère de Batiscan. Pendant plus d’un siècle, l’utilisation première de la rivière aura donc reposé sur la navigation et le transport du bois (SAMBBA, 2007). Cependant, depuis quelques décennies, la vocation première de la rivière a profondément changé. En effet, selon la Société d’aménagement et de mise en valeur de la rivière Batiscan (SAMBBA), la rivière offre « surtout des potentiels touristiques avec l’industrie du plein air : canot, rafting, paysage, etc. » (SAMBBA, 2007). La rivière Batiscan a été harnachée pour la première fois en 1896. Des vestiges de cette première centrale subsistent au site de la Grande Chute, situé

28 Vers 1930, le bois transporté sur la Batiscan servait également à l’alimentation d’une usine de pâtes et papiers (la William Price Company). À cette époque, l’industrie des pâtes et papiers était le principal moteur de développement socioéconomique de la Mauricie.

57 au cœur du Parc régional de la rivière Batiscan. Cependant, entre 1924 et 1926, ces installations ont été complètement réaménagées pour permettre la réalisation d’une centrale d’une plus grande puissance (15 MW). Cette dernière a été intégrée au réseau de production d’hydroélectricité d’Hydro-Québec en 1963 (Figure 8).

Figure 8 : Le barrage de Saint-Narcisse et son débit réservé (en été)

Source : Parc de la rivière Batiscan, 2006. Par ailleurs, plusieurs promoteurs ont montré une attention particulière pour la rivière Batiscan dès le moment où le gouvernement a dévoilé un intérêt pour la production indépendante d’hydroélectricité vers la fin des années 1980. En effet, entre 1990 et 2007, trois projets différents de petites centrales ont été présentés aux populations locales. Ceux- ci auraient été répartis sur un tronçon de 40 kilomètres, entre les municipalités de Sainte- Geneviève-de-Batiscan et de Notre-Dame-de-Montauban (Figure 9). Rapidement, ces projets ont soulevé de nombreux enjeux et ont soulevé beaucoup d’opposition au sein des communautés concernées. Les prochains paragraphes nous permettront de connaître les particularités de chacun de ces projets ainsi que les réactions et les revendications différents acteurs face à l’annonce de ces projets.

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Figure 9 : Carte des principales chutes de la rivière Batiscan29

Source : Guide des chutes du Québec, 2005. Modifié par Mathieu Gingras, 2007. 3.1 Le projet de Forces Motrices Batiscan à la chute des Ailes

En 1979, les municipalités de Sainte-Geneviève-de-Batiscan, Saint-Narcisse et Saint-Stanislas ont mis sur pied une corporation à but non lucratif, la Corporation du parc de la Batiscan. Celle-ci avait comme mandat de gérer le nouveau Parc régional de la Batiscan (Figure 10).

29 Les chutes ciblées par les projets de petites centrales sur la Batiscan 1) la chute des Ailes (ennoiement de la chute à Murphy et à Denis (en partie)); 2) les chutes du Deux et du Cinq (ennoiement des chutes du Trois, du Quatre, du Six, du Sept et du Huit (en partie)); 3) la chute du Neuf.

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Figure 10 : Emplacement du parc de la rivière Batiscan et de ses trois secteurs

Source : http://www.parcbatiscan.com/ Celui-ci, d’une superficie de 400 hectares, a été subdivisé en trois secteurs distincts : le secteur Grand Bassin, le secteur Barrage (déjà harnaché) et le secteur Murphy (visé par le projet de petite centrale de Forces Motrices Batiscan). La Corporation était soutenue financièrement par les trois municipalités et les gouvernements provinciaux et fédéraux, par l’entremise de divers programmes, ont également investi dans le parc. En 1986, la Corporation a acheté de la compagnie Price, pour une somme de 24 000 dollars, les terrains, le lit de la rivière ainsi que les droits hydrauliques du secteur Murphy30. Cependant, ceux-ci ont été rachetés pour la somme de 500 000 dollars, en août 1993, par une société sans but lucratif nouvellement créée : le Complexe écotouristique de la

30 Au XIXe siècle, la compagnie Price a construit un barrage et un moulin à scie sur le site de la chute Murphy et un village s’y est développé. Des ruines et des vestiges de cette époque sont encore visibles sur le site, même si la plupart des infrastructures datant de cette époque sont aujourd’hui disparues. En raison de certains principes juridiques relevant des droits seigneuriaux, le secteur Murphy du parc de la rivière Batiscan est un des très rares endroits au Québec où il est possible de devenir propriétaire du lit d’une rivière.

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Batiscanie inc31. Pendant la même période, le Complexe écotouristique et des actionnaires privés ont créé une corporation à but lucratif, Hydro-Batiscan, dans le but de développer le potentiel hydroélectrique de la chute des Ailes (Figure 11) dans le secteur Murphy (Amis de la rivière Batiscan, 1999). Au cours du même mois, les gestionnaires du Complexe écotouristique ont fait un emprunt de 125 000 dollars à la Caisse populaire de Saint- Narcisse et ont déposé les terrains du parc en garantie, afin de répondre à un manque de financement récurrent du parc (Ibid).

Figure 11 : Kayakiste à l’œuvre dans le secteur de la chute des Ailes.

Source : FQCK, 1999 En 1998, Hydro-Batiscan s’est associée à Boralex, une filière de la compagnie Cascades, pour former la société Forces Motrices Batiscan (FMB). L’objectif des dirigeants du Complexe écotouristique était de céder l’ensemble des terrains et des droits hydrauliques à Boralex, contre 20 % des parts de FMB : « Le Complexe écotouristique de la Batiscanie envisage d’utiliser les revenus qu’il touchera de l’exploitation hydroélectrique pour procéder à des aménagements récréotouristiques, aux abords du barrage et du bassin, une auberge et des chalets, et améliorer la rentabilité du parc » (Le Nouvelliste, 27 août 1999). C’est ainsi que le 30 juillet 1998, FMB a fait une demande d’autorisation à la direction régionale du ministère de l’Environnement (MENV-Mauricie)

31 Dans le but d’alléger le texte, nous utiliserons au cours de ce chapitre l’expression « Complexe écotouristique » pour désigner le Complexe écotouristique de la Batiscanie inc.

61 pour la réalisation d’un projet visant la construction et l’exploitation d’une petite centrale d’une puissance de 9,7 MW sur le site de la chute des Ailes (Figure 12)32.

Figure 12 : Carte du secteur Murphy du parc régional de la Batiscan

Source : http://www.parcbatiscan.com/. Modifié par Mathieu Gingras (2007). Au cours des semaines suivantes, FMB a présenté divers documents d’avant-projet et des études d’impact préliminaires qui ont été étudiés par les experts du MENV. Le 27 mai 1999, le ministre de l’Environnement, Paul Bégin, a émis un certificat d’autorisation permettant à FMB de réaliser son projet de petite centrale, estimé à plus de 16 millions de dollars. Rapidement, une opposition s’est manifestée, notamment par une campagne de sensibilisation orchestrée par la « Coalition Eau Secours! » et un de ses porte-parole, monsieur Alain Saladzius33. Ces derniers ont incité les opposants locaux à se regrouper au sein d’un comité de citoyens : « Les Amis de la Batiscan ». Ils ont également participé à

32 Par cette demande d’autorisation, FMB visait à se soumettre à l’Article 22 de la Loi sur la Qualité de l’Environnement (L.Q.E.) : « Nul ne peut ériger ou modifier une construction, entreprendre l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité […] s’il est susceptible d’en résulter une émission, un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans l’environnement ou une modification de la qualité de l’environnement, à moins d’obtenir préalablement du ministre un certificat d’autorisation. Cependant, quiconque érige ou modifie une construction, exécute des travaux ou des ouvrages, entreprend l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité […] dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent […] doit préalablement obtenir du ministre un certificat d’autorisation ».

62 l’organisation, en août 1999, d’une descente symbolique regroupant une vingtaine de kayakistes et de canoteurs sur la section de la rivière visée par le projet34.

Les membres de ce comité de citoyens, nouvellement formé, déploraient le manque de transparence des promoteurs et le peu d’information disponible : « Nous n’avons pas d’entrée dans les médias pour répercuter notre message et nos inquiétudes […] les seules informations disponibles nous parviennent du promoteur et ont été données dans une assemblée de promotion du projet, tenue en septembre 1998 » (Le Devoir, 2 septembre 1999). Cependant, pour Guy Veillette, ex-président du Complexe écotouristique de la Batiscanie, le projet avait été présenté à la population et il y avait un consensus régional sur le sujet : « Plusieurs citoyens des municipalités de Saint-Stanislas, Saint-Narcisse, Sainte- Geneviève-de-Batiscan, ainsi que des municipalités environnantes ont accepté de s’impliquer financièrement dans ce projet communautaire et sont bien confiants que les retombées économiques favoriseront le développement économique et récréotouristique du parc » (La Presse, 3 août 1999). De plus, celui-ci ajoute que « depuis le Débat public sur l’énergie au Québec, qui a eu lieu à l’été 1995 et au cours duquel le Complexe écotouristique de la Batiscanie a présenté un mémoire, le projet de microcentrale hydroélectrique a toujours été mené avec transparence » (Le Nouvelliste, 27 août 1999). Cette affirmation a été réfutée par les opposants qui affirmaient que les citoyens des trois municipalités n’ont jamais été consultés pour toutes les décisions prises par les dirigeants du parc entre 1993 et 1998, ainsi que pour l’ensemble des transactions immobilières effectuées par la Corporation du Parc et, plus tard, par le Complexe écotouristique.

33 Celui-ci avait été un acteur important et un des auteurs du rapport sur les petites centrales, remis au ministre Guy Chevrette en 1994, qui avait mené à la création de la Commission Doyon l’année suivante. 34 Selon la Fédération québécoise du canot et du kayak (FQCK), les dirigeants du Parc, depuis cette descente symbolique, ont exigé de tout amateur d’eau vive une police d’assurance responsabilité civile de cinq millions de dollars pour avoir accès à la rivière. Étant donné qu’aucune assurance responsabilité civile personnelle ne couvre un tiers contre une poursuite entamée par l'assuré, la seule possibilité de couverture serait que le Parc accepte de négocier avec la FQCK et ses homologues, afin que les fédérations ajoutent le Parc à titre de co- assuré à leurs polices d'assurance. Cette pratique serait courante et elle permettrait aux fédérations de couvrir les co-assurés en cas de poursuite par un de leurs membres. De cette façon, elles assurent l'accès à des sections de rivières qui coulent en terrains privés. Cependant, la couverture habituelle est d’un ou deux millions. Selon la FQCK, l’objectif était donc d’empêcher l’accès à la rivière, à l’intérieur du parc, aux amateurs d’eau vive. Ainsi, il semble que les dirigeants du parc ont cherché à empêcher la tenue de nouvelles manifestations sur l’eau et la venue d’amateurs de sports d’eau vive dans cette section du parc visée par le projet de FMB (Source : http://www.canot-kayak.qc.ca/preserv/riv_Batiscan.html).

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3.1.1 Une saga juridique : du T.A.Q. à la Cour supérieure Au mois d’août 1999, après avoir étudié, à la demande des opposants, les différents documents d’avant-projet préparés par FMB, l’Association professionnelle des ingénieurs gouvernementaux du Québec (APIGQ) a adressé une demande au ministre de l’Environnement pour que celui-ci révoque le certificat d’autorisation émis à FMB. Dans les documents transmis au MENV, le promoteur précisait que son projet prévoyait la construction et l’exploitation d’une petite centrale au fil de l’eau « d’une puissance de 9,7 MW ne nécessitant donc pas la création d’un réservoir [...] la superficie ennoyée serait de 33 335 mètres carrés » (Baril, 2003). À la lecture de cette information, il semble évident que FMB cherchait à voir son projet dispensé du processus d’étude des impacts environnementaux, prévus à l’Article 2 (sections a et l) du Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement : Article 2. Les constructions, ouvrages, travaux, plans, programmes, exploitations ou activités décrits ci-dessous sont assujettis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement prévu à la section V.1 de la Loi et doivent faire l’objet d’un certificat d’autorisation délivré par le gouvernement en vertu de l’article 31.5 de la Loi : a) la construction et l’exploitation subséquente d’un barrage ou d’une digue placé à la décharge d’un lac dont la superficie totale excède ou excédera 200 000 mètres carrés ou d’un barrage ou d’une digue destiné à créer un réservoir d’une superficie totale excédant 50 000 mètres carrés ; l) la construction, la reconstruction et l’exploitation subséquente : d’une centrale hydroélectrique ou d’une centrale thermique fonctionnant aux combustibles fossiles, d’une puissance supérieure à 10 MW [abaissé à 5 MW en 2002 par le Parti Québécois] (Baril, 2003). Ainsi, en déclarant une puissance de 9,7 MW, la section l de l’Article 2 ne pouvait s’appliquer au projet présenté par FMB. Par contre, la section 2a est celle qui, en raison d’interprétations différentes, a entraîné une saga juridique et a mené l’APIGQ à demander la révocation du certificat d’autorisation émis par le ministre en mai 1999. En effet, le promoteur mentionne dans la totalité de ces documents, sauf un, que la superficie créée en amont du barrage serait de 33 335 m², ce qui se situe sous le seuil de 50 000 m² indiqué dans le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement. Cependant, il est mentionné une seule fois, « dans un document préparé par la firme NOVE Environnement inc., que la surface de la retenue sera de 183 601 mètres carrés » (Baril,

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2003). En vertu de cette information, le projet aurait donc dû être soumis à la procédure d’évaluation environnementale. De son côté, FMB maintenait que le ministère avait tous les documents nécessaires pour évaluer l’ampleur du projet lorsqu’il a émis le certificat, puisque l’information concernant la véritable superficie du réservoir qui serait créé y était mentionnée au moins une fois.

Au printemps 2000, les Amis de la Batiscan (Figure 13) se sont également adressés à un expert indépendant35, afin que celui-ci détermine la puissance de la centrale projetée, en basant ses calculs sur les données contenues dans les études d’avant-projet que FMB a présentées au MENV.

Figure 13 : « Les Amis de la Batiscan » lors d’une rencontre à l’automne 2000 au parc régional de la rivière Batiscan (Secteur Murphy).

Source : Nichole Ouellete, 2000. Le chercheur est arrivé à la conclusion que la centrale serait d’une puissance de 11,8 MW et non pas de 9,7 MW comme l’affirmait FMB. Cela semble démontrer que le promoteur a volontairement sous-estimé la puissance de sa centrale, afin d’échapper au processus d’évaluation environnementale prévu par la L.Q.E. Le point litigieux reposait donc sur la validité et l’interprétation de ces chiffres. De plus, avec l’intervention de l’APIGQ dans le dossier, l’opposition s’est mieux organisée et des pressions émanant des groupes environnementaux et des comités de citoyens ont été exercées afin que le ministre

65 révoque le certificat d’autorisation émis à FMB. Par ailleurs, lorsque le ministère fédéral des Pêches et Océans a pris connaissance du dossier, il n’a pas tardé a avisé le promoteur que la réalisation d’une évaluation rigoureuse des pertes d’habitat pour le poisson attribuables au projet serait exigée, afin « d’obtenir de Boralex des solutions de rechange ou des mesures d’atténuation suffisantes » (Le Devoir, 11 septembre 1999)36. Par ailleurs, les mesures d’atténuation proposées par le promoteur et acceptées par le gouvernement étaient nettement inférieures à celles que nous retrouvons dans la L.Q.E.37.

Ces nombreux revirements dans ce dossier ont amené le ministère de l’Environnement a réévalué sa position et, le 22 septembre 1999, le ministre Bégin a fait parvenir un avis à Forces Motrices Batiscan pour l’aviser de la révocation du certificat d’autorisation émis le 27 mai 1999. Le promoteur disposait alors de 30 jours pour réagir à cet avis. Au cours de la même période, le comité de citoyens « Les Amis de la Batiscan » a déposé un mémoire dans le cadre des audiences publiques sur la gestion de l’eau, afin d’attirer l’attention du ministre sur les conflits d’usages soulevés par le projet de petite centrale. De plus, ceux-ci qualifiaient « d’anormal et d’inacceptable [le fait] que le ministère n’ait pas soumis le devis de projet [de Forces Motrices Batiscan] à un ingénieur,

35 Monsieur François Anctil : professeur et chercheur au Département de génie civil (ingénierie hydraulique) à l’Université Laval. 36 Le ministère fédéral des Pêches et Océans peut intervenir dans un dossier où la réalisation d’un projet aurait des incidences sur une voie navigable, des eaux internationales (ici, le Fleuve Saint-Laurent) ou des ressources halieutiques dépendant de celles-ci (ici, la migration et le frai des dorés). De plus, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale stipule qu’un projet peut être soumis à des audiences publiques s’il est la source de controverse publique intense. 37 Dans le but de maintenir des conditions minimales de survie de la faune et de la flore aquatiques, l’indicateur 7Q2 est utilisé par le ministère de l’Environnement du Québec. Il correspond au plus faible débit d’une rivière durant 7 jours consécutifs, avec un intervalle de récurrence moyen d’une fois tous les deux ans. Selon le MENV, le 7Q2 de la Batiscan, dans le secteur de la chute des Ailes, est de 19 m³/s. Par contre, dès le début, le promoteur a admis que son projet de petite centrale ne pourrait être rentable avec un débit réservé équivalent au 7Q2. Dans ses études préliminaires, il proposait un débit réservé de 4 m³/s en tout temps et de 8 m³/s entre le 1er avril et le 30 novembre (débit esthétique). En raison de l’écart important entre la proposition de FMB et l’objectif fixé par le MENV, le 7Q2 fut bonifié à 10 m³/s de la mi-avril à la mi-juillet, 6 m³/s de la mi-juillet à la fin d'octobre et 4 m³/s en hiver. Le MENV a exigé que FMB fasse la démonstration de la rentabilité de son projet, ce que le promoteur a refusé de faire. Finalement, le MENV a tout de même autorisé la réalisation du projet en acceptant un débit réservé de 10 m³/s. En échange de cette concession, le MENV a exigé l’aménagement de fosses à poissons, en aval, ainsi que l’envoi d’une lettre du promoteur affirmant et expliquant que son projet ne pouvait être rentable s’il devait respecter un débit réservé égal au 7Q2. De plus, le certificat accordé à FMB stipulait que le débit réservé pourrait même être revu à la baisse après la première année d’exploitation (Sources diverses).

66 de sorte qu’ils ont dû investir temps et argent38 pour faire appliquer la loi à la place du ministère » (Le Devoir, 12 mai 2000). Finalement, après avoir pris en compte les observations de FMB, le ministre a maintenu sa position et a révoqué définitivement le certificat. Le promoteur disposait alors d’une autre période de 30 jours pour contester cette décision devant le Tribunal administratif du Québec (T.A.Q.).

À ce moment, les opposants croyaient que le promoteur n’irait pas en appel puisqu’il avait affirmé à de nombreuses reprises qu’il retirerait son projet si ce dernier n’était pas souhaité par le milieu. De plus, pendant la même période, le comité « Les Amis de la Batiscan » a fait circuler une pétition réclamant l’abandon du projet, qui a été signée par plus de 3600 personnes. Malgré cela, le promoteur a rapidement fait part de son intention de contester la révocation du certificat devant le T.A.Q. Le 24 août 2000, le jugement du T.A.Q., en faveur de FMB, réinstaurait la validité du certificat d’autorisation pour la construction de la petite centrale. Le T.A.Q. remettait ainsi en cause le pouvoir de révocation du ministre, même si plusieurs aspects du projet allaient à l’encontre de nombreuses dispositions de la Loi sur la qualité de l’environnement et du Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts environnementaux39. Immédiatement, la « Coalition Eau Secours! » et les opposants locaux ont fait pression sur le MENV et son ministre pour que celui-ci porte la décision du T.A.Q. en appel. Le 20 septembre 2000, le ministre Bégin a fait une demande au T.A.Q. pour que la décision d’août 2000 soit révisée.

Parallèlement, le comité « Les Amis de la Batiscan » a entamé une autre démarche. Après avoir engagé un avocat-conseil, ceux-ci ont informé le promoteur de leur intention de déposer une « action en nullité et en injonction permanente » contre le projet de petite centrale, jusqu’à ce que celui-ci soit soumis au processus d’évaluation environnementale. Forces Motrices Batiscan a aussitôt déposé une requête en irrecevabilité et une requête en suspension d’instance, jusqu’à ce que les contestations judiciaires du jugement du T.A.Q. soient épuisées (Baril, 2003). La requête en suspension d’instance a été accueillie par la

38 Par divers moyens, les Amis de la Batiscan ont amassé plus de 12 000 $ pour payer les frais d’avocat et l’embauche d’ingénieurs : réalisation de contre-expertises, connaître les détails des projets, etc. 39 Le TAQ rejette donc la prétention du ministre Bégin voulant que les dispositions d’ordre public, tels les quatre motifs prévus à l’Article 122.1 de la L.Q.E., lui conféraient le pouvoir implicite de révoquer un certificat d’autorisation émis en son nom par un fonctionnaire ayant commis une erreur majeure dans l’analyse d’un dossier (Baril, 2003 et Le Devoir, 24 août 2000).

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Cour supérieure en novembre 2000 et, si le MENV perdait sa cause en appel, le débat pourrait alors se faire lors des audiences entourant l’action en nullité (Ibid.). Le 15 juin 2001, le T.A.Q. a tranché en faveur du ministre en reconnaissant son pouvoir de révocation, même si les motifs évoqués par celui-ci ne figuraient pas parmi ceux prévus par la L.Q.E.40. Le certificat d’autorisation émis à FMB en 1999 a donc été déclaré « ultra vires – illégal et nul » par le T.A.Q. (Ibid.). Le 5 mars 2002, FMB a déposé une requête en révision judiciaire à la Cour Supérieure du Québec. Le jugement de la Cour Supérieure est venu confirmer la première décision prise par le T.A.Q. et a rétabli la validité du certificat d’autorisation. En réponse à cette décision, le président de Boralex déclarait : « ce qui me satisfait grandement, c’est que le tribunal a reconnu qu’on a fait un travail transparent. Il a reconnu qu’on a présenté un dossier correct et qu’on n’a induit personne en erreur » (Le Nouvelliste, 6 mars 2002). Cette affirmation est surprenante, car FMB, dans sa demande de révision du jugement, invoquait uniquement le pouvoir de révocation du ministre en vertu de l’Article 122.1 de la L.Q.E. De plus, le T.A.Q. ne s’est jamais prononcé sur la validité du certificat délivré à FMB : « le magistrat n’accorde aucune importance, dans son jugement, au fait que le barrage auquel il donne le feu vert déroge aux dispositions de la L.Q.E. et du Règlement sur l’évaluation environnementale » (Le Devoir, 7 mars 2002). En mars 2002, le nouveau ministre de l’Environnement, André Boisclair, annonce la décision du gouvernement de porter en appel le jugement de la Cour Supérieure. Le 1er décembre 2003, après avoir entendu la cause, la Cour d’appel du Québec reconnaît le pouvoir du ministre de l’Environnement de révoquer un certificat d’autorisation « qu’il n’avait pas la compétence d’émettre » (Baril, 2003). Pour la deuxième fois, un tribunal venait réviser un jugement en faveur de FMB et ainsi confirmer la révocation du certificat d’autorisation. Bien que FMB avait encore la possibilité de porter ce jugement en appel à la Cour Suprême, ce nouveau revirement, accueilli favorablement par les acteurs opposés au projet, a cependant suscité de vives réactions chez le promoteur privé (Boralex) et les dirigeants du

40 Devant le TAQ, pour expliquer que la superficie du bief créé en amont allait dépasser le seuil des 50 000 m² indiqués dans le Règlement, FMB avait basé son argumentation sur le fait que son projet allait créer une retenue d’eau et non un réservoir, comme l’indique l’Article 2.a. du Règlement. Ainsi, selon FMB, l’Article 2 ne peut s’appliquer à leur projet puisque leur projet de petite centrale ne créera qu’une retenue d’eau pour hausser la hauteur de la chute alimentant une petite centrale au fil de l’eau. Dans son jugement du 14 juin 2001, le TAQ définit qu’il « ne suffit pas d’appeler le plan d’eau un bassin de retenue plutôt qu’un réservoir pour modifier les effets sur l’environnement » (Baril, 2003).

68 parc de la Batiscan. Cela a contribué à diviser davantage les différents acteurs de la scène régionale concernés par ce dossier. À cette époque, les maires de Saint-Narcisse et de Sainte-Geneviève-de-Batiscan41 ainsi que le président du Complexe écotouristique de la Batiscanie, trois ardents partisans du projet, étaient persuadés que le jugement de la Cour d’appel du Québec avait probablement mis définitivement un terme au projet : « Avec cette décision, on va perdre une source importante de revenus, car je ne crois pas que Boralex va aller jusqu’en Cour suprême » (Le Nouvelliste, 3 décembre 2003). Cependant, pour le maire de Saint-Stanislas, la troisième municipalité impliquée financièrement dans le parc de la Batiscan, il en était tout autrement : « Je suis heureux de voir que le ministre a le pouvoir de corriger une erreur. S’il a le pouvoir de délivrer un certificat d’autorisation, il doit avoir le pouvoir de le révoquer. Je pense que cette décision est une victoire du gros bon sens. Et en plus, le parc s’autofinance depuis trois ans » (Le Devoir, 4 décembre 2003).

En janvier 2004, le jugement de la Cour d’appel du Québec a été porté en appel par FMB. Le 29 avril, après l’étude du dossier présenté par le requérant, la Cour suprême du Canada a annoncé qu’elle refusait la demande d’autorisation d’appel. Cette ultime tentative du promoteur pour récupérer son certificat d’autorisation a donc été vaine, même si les dirigeants du Parc croyaient que la Cour supérieure allait trancher en faveur de FMB : Notre croyance est que le projet était en respect des normes et des règlements en vigueur au Québec […] Je ne m’attendais pas à cette décision, car les jugements précédents étaient toujours contradictoires. Cela nous obligera à recommencer nos démarches pour financer le parc, car le problème est toujours là : on doit trouver des moyens de financement qui sont récurrents et à long terme42. Pour les Amis de la Batiscan, ce verdict est venu mettre un terme à une longue campagne de sensibilisation et à une importante mobilisation citoyenne : On s’est rendu le plus loin possible à ce niveau et on est très content de la décision. C’est le résultat de la mobilisation des citoyens : on disait depuis le début que la réglementation du ministère de l’Environnement n’avait pas été respectée et que l’État devait avoir le droit de retirer un permis […] La Cour Suprême nous a donné raison et il faut regarder l’avenir avec enthousiasme, parce que le Parc a de plus en plus de visiteurs et dans les

41 Messieurs Gilles R. Cossette et André Magny. 42 Entretiens (Automne 2006) et Le Nouvelliste, 30 avril 2004.

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années à venir les gens vont avoir besoin de plus en plus de ce genre d’espace, mais ils voudront des espaces naturels et préservés43.

3.1.2 Perspectives et inquiétudes Il est intéressant d’analyser plus en profondeur les différents éléments qui ont entraîné la mobilisation de plusieurs acteurs contre le projet de petite centrale de FMB. Dès le départ, lorsque le Complexe écotouristique de la Batiscanie, par l’entremise de la corporation Hydro-Batiscan, s’est associé à Boralex pour la réalisation d’une petite centrale, son objectif principal était d’assurer le financement à long terme du parc. Cependant, les dirigeants du Parc, à la demande de Boralex, ont toujours refusé de dévoiler les revenus que toucherait le Complexe écotouristique pour la vente de l’électricité produite par la petite centrale. De plus, les bilans financiers du parc n’ont pas été dévoilés à ceux qui en ont fait la demande. Par ailleurs, la façon dont les revenus provenant de l’exploitation de la petite centrale allaient être réinvestis dans le parc n’a pas été définie avec précision. Il semble que les dirigeants du Parc ont mis beaucoup d’emphase sur leur partenariat avec Boralex, sans nécessairement avoir de plan directeur pour le développement à long terme du Parc, ni « de plan B si le projet de petite centrale ne devait pas être mené à terme »44. En 2001, le président du complexe écotouristique de la Batiscanie déclarait : « On n’a jamais eu l’objectif de faire des microcentrales (sic) […] C’est un moyen qui a été identifié […] Pour nous, ce n’est pas un débat entourant les minicentrales. C’est un débat concernant le développement du parc à long terme » (Le Nouvelliste, 14 juillet 2001).

L’absence d’un plan directeur et le manque de financement sont deux éléments qui ont poussé les dirigeants, par l’entremise de la société Forces Motrices Batiscan, à vouloir harnacher la chute des Ailes dans le secteur Murphy du parc de la Batiscan. Ce projet aurait entraîné l’inondation d’un terrain de camping, de pistes de vélo de montagne, de sentiers pédestres en bordure de la rivière, une modification du paysage du site de la chute des Ailes et l’ennoiement complet de la chute à Murphy en amont. Dans le but de financer le parc, les dirigeants étaient donc prêts à modifier profondément le paysage d’un des secteurs les plus appréciés et les plus fréquentés. Par contre, pour les opposants au projet de FMB, aucun compromis ne peut être accepté lorsqu’il s’agit de conserver la rivière, ses chutes et les

43 Entretiens (Été 2006) et Le Nouvelliste, 30 avril 2004.

70 autres éléments paysagers du parc dans leur intégrité : « Un échantillon de nature qui mérite d'être enchâssé dans un parc, qu'il soit régional ou provincial, mérite d'être préservé dans son intégrité » (FQCK, 1999).

Le jugement de la Cour supérieure a mis un terme à la saga juridique qui a ponctué le cours de ce dossier et celui-ci fut accueilli comme une victoire par les opposants. Cependant, il n’existait toujours pas de solution au financement du parc. À cette fin, les Amis de la Batiscan prônaient la mise sur pied d’une coalition régionale qui aurait comme objectif de définir un ensemble de mesures « permettant à la fois d’assurer le financement du parc sans porter atteinte à ce patrimoine collectif, partie intégrante de l’histoire et de la culture de la région » (Amis de la Batiscan, 2005 : 3). Selon eux, il était essentiel d’élaborer un plan directeur pour le développement de ce parc, alors fréquenté par plusieurs dizaines de milliers de visiteurs annuellement45.

3.2 Le projet piloté par Hydro-Mékinac à la chute du Neuf

La chute du Neuf, d’une hauteur de 21,3 mètres, est située en plein cœur de Notre- Dame-de-Montauban, une municipalité de 776 habitants46. Cette chute est beaucoup mieux connue sous le nom de chute du cinq dollars (ou cinq piastres), en raison de sa forte ressemblance avec la chute Otter (Yukon) qui apparaissait au verso des anciens billets de cinq dollars (1954-1972). En 1979, lors des fêtes du centenaire de la municipalité, les citoyens ont tous participé à l’aménagement d’un parc municipal (parc de la chute du Neuf) dont les installations sont toujours utilisées de nos jours par les visiteurs (Figure 14)47.

44 Entretiens (Automne 2006). 45 La visibilité de la cause a permis à la Coalition régionale mise sur pieds pour assurer le financement du parc de trouver plusieurs sources de financement, dont la plus importante a été obtenue en 2002. Le 10 septembre, la Corporation du Parc de la rivière Batiscan s’est vu attribuer une aide financière gouvernementale de 477 332 $, dans le cadre du programme « Travaux d’infrastructures Canada-Québec », pour l'aménagement de nouvelles infrastructures (Le Nouvelliste, 12 septembre 2002). 46 Données pour l’année 2006. 47 Le nombre de visiteurs qui se rendent annuellement au Parc municipal de la chute du Neuf a été estimé à plus de 15 000 en 1990 (SAMBBA, 2007 : 159).

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Figure 14 : Le parc de la chute du Neuf (rivière Batiscan)

Un projet piloté par Hydro-Mékinac sur la rivière Batiscan 10,4 MW

Chute du Neuf

Notre-Dame-de- Montauban (Mauricie).

© Mathieu Gingras, 2006

On y retrouve des sentiers pédestres, des passerelles et des belvédères qui surplombent la rivière et offrent une vue spectaculaire sur les différents bras de la chute ainsi que sur le village en contrebas (Figure 15).

Figure 15 : Passerelles et belvédère : parc de la chute du Neuf

Source : Mathieu GINGRAS, 2006.

3.2.1 Les projets d’exploitation du potentiel hydroélectrique de la chute du Neuf Il faut remonter en 1987 pour retrouver les origines du premier projet de petite centrale concernant le site de la chute du Neuf. À cette époque, comme aujourd’hui, les principaux promoteurs étaient la MRC de Mékinac et la municipalité de Notre-Dame-de- Montauban. Celles-ci manifestaient alors leur volonté « d’acquérir d’Hydro-Québec les

72 terrains et les droits hydriques au site des chutes du Neuf sur la rivière Batiscan » (MRC de Mékinac, 2005 :4). Ayant été retenu sur la liste des sites devant être dévoilés en juin 1994, dans le cadre du premier programme gouvernemental des petites centrales (1991- 1994), celui-ci a été abandonné en raison du décret du moratoire en 1994 et de la création de la commission Doyon en 199548. Cependant, les promoteurs du projet sont rapidement revenus à la charge dès l’année suivante. En effet, la MRC a donné le mandat à la société d’ingénieurs CIMA+ de réaliser des études préliminaires et de faisabilité pour connaître le potentiel hydroélectrique de la rivière Batiscan. Dans son rapport final, CIMA+ mentionne que le site de la chute du Neuf offre le meilleur potentiel de développement hydroélectrique. Celui-ci est alors estimé à 13 MW, pour un coût de 2113 dollars par kilowatt installé49. D’autre part, dans une section du rapport abordant la question des impacts potentiels d’une petite centrale sur la rivière et l’environnement immédiat de la chute du Neuf, les experts de CIMA+ ont écrit : Après la construction du barrage et de la centrale, l’aspect visuel de la chute sera moins intéressant et le kiosque de l’île [passerelles et belvédères] devra disparaître. Nous croyons, cependant, que l’intérêt suscité par l’aménagement hydroélectrique pour les visiteurs pourra être tout aussi intéressant et susciter autant sinon plus d’intérêt que l’aménagement présent (CIMA+, 1995). Comme nous le verrons plus tard, ce bref passage énonçait déjà le principal point litigieux qui allait, entre 1998 et 2007, opposer les promoteurs et les détracteurs de ce projet de petite centrale. La MRC, par l’entremise de cette étude, cherchait donc à relancer un projet qui n’avait pas réussi à franchir toutes les étapes du premier programme gouvernemental des petites centrales privées. Par ailleurs, suite au dévoilement de la nouvelle politique énergétique québécoise en 1996 et devant la volonté du gouvernement de relancer la petite production hydroélectrique, trois soumissionnaires ont démontré leur intérêt pour la réalisation d’une petite centrale à la chute du Neuf. Parmi ceux-ci, la municipalité de Notre-Dame-de-Montauban et la MRC de Mékinac ont réitéré, en novembre 1998, leur intention de réaliser un projet de 10,4 MW. Dans les semaines

48 À cette époque, la MRC et la municipalité dénonçaient le fait que les trois autres projets, impliquant des municipalités, qui avaient aussi été annulés en raison du moratoire ont « tous fait l’objet de dérogations et sont maintenant réalisés » (MRC de Mékinac, 2005 : 4). 49 En 1995, la société CIMA+ estimait qu’un coût de 2500 dollars par kilowatts installé constituait la limite financière supérieure pour la faisabilité d’un projet de petite centrale sur la Batiscan.

73 suivantes, la MRC a adopté une résolution lui permettant d’acheter des terrains, d’une valeur de 20 000 $, situés à proximité de la chute du Neuf (Le Nouvelliste, 26 novembre 1998). De plus, les représentants de la MRC ont également rencontré les hauts dirigeants d’Hydro-Québec pour discuter de l’acquisition des droits hydriques de la chute du Neuf. Le projet était alors évalué à plus de 20 millions de dollars et les redevances annuelles pour la MRC étaient estimées à près de 280 000 dollars50 (Tableau 4).

Tableau 4 : Caractéristiques économiques du projet de petite centrale à la chute du Neuf Année Petite centrale à la chute du Neuf 1ere 25e Calcul des revenus totaux : Production (millions de kWh) avec un facteur d’utilisation moyen de 60 % : 54,7 54,7 Prix de vente (cent/kWh – indexation de 3%) : 6,0 12,2 Revenus totaux (milliers de $) : 3 282,0 6 671,6 Calcul des dépenses totales (milliers de $) : Intérêts : 1 600,0 6 671,8 Amortissement : 800,0 800,0 En-lieu de taxe : 98,5 200,1 Droits d'eau (redevances) : 29,6 30,5 Dépenses d'exploitation : 420,0 853,8 Dépenses totales : 2 948,1 3 484,5 Bénéfices nets avant impôts (milliers de $) : 333,9 3187,2 Impôts sur revenus exigibles/reportés (milliers de $) : 0,0 0,0 Bénéfices nets après impôts (milliers de $) : 333,9 3187,2 Capitaux propres (milliers de $) : 4 000,0 4 000,0 Rendement sur l'avoir avant/après impôts 8,3 % 79,7 % Rendement moyen avant/après 25 ans : 32,1 % 32,1 % Redevances à la MRC/ municipalité : 58,4 % 58,4 % Redevance fixe en valeur actuelle (milliers de $) : 280,0 280,0 Source : Fondation Rivières, 2004. Modifié par Mathieu Gingras, 2006. Selon Jules Paquin, ex-préfet de la MRC de Mékinac et ex-maire de la municipalité de Notre-Dame-de-Montauban, la région pourrait « retirer plus de 10 millions de dollars de retombées pour la phase de construction, dont la durée est estimée à deux ans » (Le

50 Selon une étude réalisée par la Fondation Rivières en 2004, les profits réalisés par les trois partenaires auraient été les suivants à la fin du contrat de 25 ans : 1) le promoteur privé (20 millions de dollars); 2) la municipalité de Notre-Dame-de-Montauban (7 millions de dollars en redevances nettes); 3) la MRC de Mékinac (hypothèse de 49 % de participation maximale dans le projet, avec 40 millions de dollars de bénéfices après impôts) (Saladzius, 2004).

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Nouvelliste, 26 novembre 1998). En 1998, l’ex-député du comté de Portneuf, Roger Bertrand, déclarait à propos du projet de petite centrale : « nous nous devons de rester vigilants sur des dossiers de cette envergure […] Il serait désolant de priver toute une région d’un outil de développement économique majeur et c’est pourquoi j’entends consacrer les efforts nécessaires pour que ce dossier se réalise incessamment » (Le Soleil, 22 mars 1999).

Ce projet était alors unique au Québec, puisque c’était la première fois qu’une municipalité et une MRC souhaitaient s’unir pour devenir les propriétaires d’installations hydroélectriques51. Il était alors prévu que la municipalité de Notre-Dame-de-Montauban se verrait octroyer 25% des parts contre 35% pour la MRC de Mékinac. Ceux-ci envisageaient alors un partenariat avec une entreprise privée, comme CIMA+, pour la réalisation des études techniques et des aménagements liés à la construction du barrage et de la petite centrale (40 % des parts). En 1999, la MRC de Mékinac a fait une demande auprès d’Hydro-Québec pour obtenir l’autorisation d’utiliser le nom Hydro-Mékinac dans le cadre de son projet de mise en valeur de la chute du Neuf (Le Nouvelliste, 10 septembre 2002).

Plus tard, au début de l’année 2000, plusieurs citoyens de la municipalité de Notre- Dame-de-Montauban souhaitaient obtenir davantage d’information au sujet des retombées et des impacts associés au projet de petite centrale. De plus, plusieurs citoyens de la municipalité se questionnaient sur l’état d’avancement du projet, alors qu’ils n’avaient été que très peu informés et consultés sur le sujet. C’est dans cet état d’esprit qu’a été formé le comité de citoyens « Chute Libre » à l’été 2000. La mobilisation des citoyens a d’abord été difficile, mais des rencontres d’information et de sensibilisation ont permis de rallier davantage de gens à leur cause. Les membres de ce comité, qui compte aujourd’hui plus de 150 membres, prônaient une plus grande transparence de la part des promoteurs ainsi qu’un meilleur accès à l’information. Notamment, le comité Chute Libre souhaitait que les élus diffusent l’étude réalisée par CIMA+ en 1995 : Elle était disponible, commandée par la MRC, financée par les fonds publics, mais on n'a pas été en mesure d'en voir la couleur avant l'année 2002 ou à peu près, c'était comme un document secret […] on avait, nous, comme comité de citoyens, posé des questions à la municipalité, à la MRC,

51 Pour une période de 25 ans : durée des contrats d’achat d’électricité signés avec Hydro-Québec.

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avec généralement fort peu de réponses […] nous nous sentons méprisés parce que nous nous opposons à ce projet et demandons plus de transparence de leur part52. Le 14 mars 2002, le gouvernement, faisant face à une forte opposition, a annoncé qu’il ne retenait que 14 des 36 sites, dont celui de la chute du Neuf, dans le cadre du Nouveau régime d’octroi et d’exploitation des forces hydrauliques du domaine de l’État pour les centrales hydroélectriques de 50 mégawatts et moins53. Lors de cette annonce, le ministre des Ressources naturelles, François Gendron, a déclaré : « en établissant cette liste, nous avons favorisé des projets qui ont reçu un fort appui dans leur milieu » (Le Nouvelliste, 10 septembre 2002). De plus, Jules Paquin, le maire de Notre-Dame-de- Montauban et préfet de la MRC, déclarait alors aux médias locaux et régionaux que « 90% de la population appuie le projet de barrage » (Chute Libre, 2005 : 3). Évidemment, le comité « Chute Libre » ne partageait pas ce point de vue et a tenu, en juillet 2002, une consultation populaire auprès de 491 électeurs de Notre-Dame-de-Montauban (Tableau 5). Tableau 5 : Résultat de la consultation populaire Questions posées concernant le projet de petite centrale Pourcentage (Êtes-vous favorables à…) (%) La conservation de la chute du Neuf dans son état naturel ? 77 La réalisation du projet de petite centrale ? 5 Indécis ? 18 Source : Les Petites nouvelles de Chute Libre, Notre-Dame-de-Montauban, 12 août 2002 Au cours du même été, d’autres actions ont été entreprises par le groupe, dont la plus importante fut l’organisation d’une marche symbolique, du village jusqu’au parc de la chute du Neuf, regroupant plus de 350 personnes.

Le 30 octobre 2002, des experts de la société CIMA+ sont venus présenter le projet aux citoyens de Notre-Dame-de-Montauban, en prévision de l’appel d’offres qui devait être ouvert en novembre54. Deux semaines plus tard, le conseil municipal a tenu un référendum sur la question du projet de petite centrale, puisque le nouveau régime d’octroi reposait en grande partie sur la participation et la consultation du milieu hôte. Cependant, les membres

52 Entrevues (été 2006) et Commission parlementaire de l’économie et du travail. Jeudi, 27 janvier 2005. Le journal des débats. Vol. 38. Nº 45. 53 Voir le deuxième chapitre – section 2.3.1. 54 Voir le deuxième chapitre – section 2.3

76 du comité « Chute Libre » se sont ouvertement opposés à ce référendum, annoncé avec seulement trois jours d’avis. Selon eux, la question, suivie d’un long préambule, laissait sous-entendre que le projet de petite centrale était inévitable et que les gens de la municipalité devaient choisir entre le projet piloté par la MRC, qui entraînerait des retombées importantes pour la région; ou un autre piloté par un promoteur privé, sans autres retombées que celles engendrées pendant la période de construction : La question posée par la municipalité laissait entendre que, si la population refusait le projet Hydro Mékinac soutenu par la MRC, un promoteur privé pourrait construire le barrage, sans générer de retombées économiques dans la région55. Alors, les gens qui avaient plus ou moins d'information, bien c'est sûr qu'ils se disent: Il y a un barrage de toute façon […] Je prends le projet de la MRC […] il y a eu un taux de votation d'au-dessus de 80 % […] Il y a eu 47 % des gens qui ont voté contre le projet de barrage sur la rivière. Alors, c'est pour dire que, même avec des données faussées, il y a une grande opposition56. Cet exemple démontre bien que les référendums locaux, dans le cadre de ce genre de projet où une municipalité ou une MRC sont en cause, suscitent souvent de vives réactions en raison des divergences d’opinions au sein de la communauté et d’un certain manque de transparence des élus et des promoteurs des projets. Pour cette raison, les opposants au projet de petite centrale sont persuadés que le résultat aurait été différent si le référendum avait reposé sur une question claire et directe : « Voulez-vous d’un projet de barrage sur la chute du Neuf à Notre-Dame-de-Montauban? Oui ou non? » (Le Nouvelliste, 23 novembre 2002). Néanmoins, le débat entourant ce référendum local aura été de courte durée puisque le gouvernement a retiré, lors de l’annonce de la politique nationale de l’eau le 26 novembre 2002, tous les sites vierges, dont celui de la chute du Neuf, qui étaient admissibles aux appels d’offres57. C’était donc la deuxième fois que ce projet ne franchissait pas une des étapes devant mener à sa réalisation.

55 En effet, l’avocat-conseil engagé par Hydro-Mékinac a déclaré en 2002, lors d’une rencontre d’information tenue à Notre-Dame-de-Montauban, que si le projet était réalisé par un promoteur privé, les « redevances seraient réduites à un maigre 10 000 $ annuellement » (Le Nouvelliste, 2 novembre 2002). 56 Entrevues (été 2006) et Commission parlementaire de l’économie et du travail. Jeudi, 27 janvier 2005. Le journal des débats. Vol. 38. Nº 45. 57 Devant le mécontentement et les pressions émanant de divers milieux, le gouvernement a été amené à réduire le nombre de sites de trente-six à quatorze, ensuite à neuf, à sept, puis à trois, pour finalement éliminer tous les sites vierges et ne retenir que deux sites disposant déjà de barrages ou d’autres aménagements hydrauliques (Magpie et Matawin).

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3.2.2 Hydro-Mékinac apporte des modifications à son projet controversé En 2004, le projet a rapidement refait surface suite à l’élection du Parti Libéral du Québec, qui se montrait alors en faveur de la relance du développement de la petite production hydroélectrique. En effet, la MRC est revenue à la charge pour une troisième fois avec son projet de petite centrale, cette fois-ci, fortement modifié. Cette fois-ci, le nouveau projet, d’une puissance plus modeste de 9,3 MW, serait totalement mené par des intérêts publics. La MRC, par l’entremise de la société Hydro-Mékinac, a misé sur partenariat avec un nouveau partenaire : la Corporation du pont Mékinac58. Cette dernière est une corporation sans but lucratif, dont « la charte et les règlements prévoient que tous ses profits doivent être injectés dans des projets favorisant le développement de la MRC de Mékinac » (MRC de Mékinac, 2005 : 4).

Par ailleurs, dans le cadre de ce nouveau projet, les promoteurs prévoyaient la construction d’un barrage gonflable59 à une distance de 300 pieds [91,5 m] en amont de la chute du Neuf et non plus directement à la tête de celle-ci, comme le prévoyait le projet initial de 10,4 MW. Selon la MRC, de cet endroit, « les gens ne verraient pas le barrage en amont, qui serait haut de 26 pieds [7,9 m] et long de 390 pieds [118,8 m] […] ce projet permet la mise en valeur du site actuel tout en améliorant la chute naturelle par l’ajout d’un palier intégré » (MRC de Mékinac, 2005 : 4). De plus, ces changements exigeraient la construction « d’une conduite forcée souterraine longue de 2000 pieds » (Ibid.). Ces modifications permettraient d’atténuer considérablement les impacts sur le paysage et l’aspect visuel de la chute, tout en assurant la sauvegarde du parc municipal et des infrastructures, comme les belvédères et les passerelles. Bien que ce projet semble permettre une meilleure harmonisation des infrastructures dans le paysage, les impacts éventuels sur le débit de la chute, le principal critère esthétique du site, n’ont pas été précisés. De plus, la MRC précise qu’un des aspects non négligeables du projet en est un qui relève de la sécurité publique : « Les coûteuses inondations de décembre 2003 ont

58 Rebaptisée « Corporation pour le développement durable », dans le cadre de ce projet de petite centrale. 59 Un barrage gonflable est un ouvrage au fil de l’eau constitué de deux ou plusieurs vannes gonflables qui reposent sur un radier de béton. Un système automatisé permet d’ajuster le gonflement des vannes en fonction des fluctuations du débit, afin de maintenir le niveau d’eau au niveau souhaité. Par exemple, un tel ouvrage a été réalisé, à des fins récréotouristiques (activités nautiques), sur la rivière Chaudière, près du centre-ville de Saint-Georges-de-Beauce.

78 permis de constater que le simple ajout d’un câble d’acier au fil de l’eau permettrait de régulariser les problèmes. Or, l’aménagement d’un seuil permanent, à la tête de la chute, aura certainement un effet aussi bénéfique » (MRC de Mékinac, 2005 : 5).

Toutefois, selon les opposants au projet, cet élément ne constitue pas un argument majeur en faveur de celui-ci. Premièrement, les inondations de décembre 2003 constituent un phénomène exceptionnel qui a été causé par des pluies abondantes et rien n’indique que celui-ci pourrait se reproduire dans un avenir rapproché. Deuxièmement, pourquoi opter pour la construction d’un barrage si un simple câble d’acier au fil de l’eau permettait également d’empêcher la formation d’embâcles sur la rivière?

3.2.3 La petite centrale et les perspectives de développement régional Il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi la MRC est revenue à la charge une troisième fois avec ce projet de petite centrale, après que celui-ci eut été rejeté à deux reprises par une partie importante de la population ainsi que par le gouvernement. Le mémoire que la MRC a présenté à la Commission parlementaire de l’économie et du travail, en janvier 2005, est assez révélateur à ce sujet. En effet, nous pouvons y lire : « ce projet constitue une des rares issues pour assurer un développement que nous souhaitons durable bien sûr, mais également autonome. [Celui-ci] permettrait de franchir le point d’inflexion entre le constat d’un déclin presque irréversible de notre milieu de vie et l’espoir de reprendre le contrôle de notre milieu de vie » (MRC de Mékinac, 2005 : 16). Ce passage permet de comprendre que la MRC fonde beaucoup d’espoir sur ce projet pour relancer, en partie, l’économie locale et régionale.

Cependant, pour les opposants, le fait que la MRC soit le principal promoteur de ce projet constitue un problème en soi. En effet, selon les membres du comité « Chute Libre », le développement récréotouristique de la région est au ralenti, car la MRC, en mettant l’accent sur le projet de petite centrale à la chute du Neuf, n’est pas intéressée à parrainer d’autres projets de mise en valeur du site : En fait, moi, je suis persuadé que, si ce n'était pas la MRC qui avait ce projet-là, depuis 15 ans qui poussent ce projet envers et contre tous, il y aurait eu un beau développement régional. C'est un site extraordinaire. Il y a des agents touristiques qui travaillent au CLD, puis je suis sûre qu'il y aurait

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eu un projet régional touristique qui marcherait, il y aurait les infrastructures et il y aurait eu de l'emploi, il y aurait eu une visibilité depuis plusieurs années. On est bloqués politiquement parce que c'est la MRC qui prône ce projet […] C'est vraiment un site exceptionnel qu'on croit qu'on devrait plutôt préserver et s'en servir comme moteur pour un développement écotouristique dans notre secteur60. La position de la MRC dans ce dossier est surprenante, puisque sur la page d’accueil de son site Internet, celle-ci accorde une grande importance à la beauté et au potentiel d’attraction des paysages naturels de son territoire et de la Batiscan : « Notre MRC regorge de sites enchanteurs et offre toute une panoplie d’activités […] ainsi que la proximité de la nature sauvage et ces attraits bucoliques du milieu rural. Plus particulièrement, nous vous invitons à venir voir […] la Batiscan et plus de 2000 lacs et cours d’eau »61. Pour les opposants, il est donc impensable que la MRC renonce à un des plus beaux sites naturels de son territoire, la chute du Neuf, pour la construction d’une petite centrale. Pour eux, ce site possède à la fois une forte charge emblématique et un fort potentiel de développement récréotouristique. Pour ces raisons, ces acteurs estiment que la chute du Neuf est un élément du territoire qu’il est important de conserver dans son état naturel : Cette chute-là, elle coule en plein coeur de notre village […] La chute du Neuf c’est notre drapeau, à Notre-Dame-de-Montauban, c’est le porte- étendard de notre histoire, c’est le point de ralliement de toutes les générations. Pas question de troquer pour quelques dollars ce symbole du passé, du présent et, surtout de notre avenir. [...] Quand on parle de Notre- Dame-de-Montauban, tout de suite les gens font référence à cette chute-là [...] on veut s'en servir comme un potentiel de développement, c'est notre atout principal de développement chez nous62. Pour assurer la protection du site, le comité « Chute Libre » a déposé, en juillet 2005, une demande au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) pour faire classer le parc de la chute du Neuf en tant qu’aire protégée. La demande vise la totalité du parc et plus d’un kilomètre de berges, autant en aval qu’en amont de la chute du Neuf. Dans un communiqué publié en février 2006, « Chute Libre » écrivait : « L’objectif est de conserver notre patrimoine environnemental et de protéger la Batiscan contre tous les promoteurs avides de profits ».

60 Entrevues (automne 2006) et Commission parlementaire de l’économie et du travail. Jeudi, 27 janvier 2005. Le journal des débats. Vol. 38. N° 45. 61 Site Internet – Centre Local de Développement Mékinac (01/13/2007): http://www.cldmekinac.com/

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En 2005, la MRC a créé un comité provisoire d’étude rassemblant plusieurs acteurs, partisans et opposants, concernés par le projet dans le but d’évaluer l’ensemble des impacts de celui-ci. Selon le préfet de la MRC, il existe entre les différents membres de ce comité un « beau dialogue et un excellent partenariat [...] les préoccupations récréotouristiques et économiques sont envisagées avec soin, tout en faisant l’objet de discussions harmonieuses » (Le Nouvelliste, 29 novembre 2006). En somme, le projet est toujours actif et, en y apportant de sérieuses modifications, la MRC est convaincue que son projet de petite centrale aura des impacts moindres sur les attraits paysagers et naturels du site de la chute du Neuf. L’objectif poursuivi par la MRC est donc de concilier deux usages de la rivière, hydroélectrique et récréotouristique, afin de rendre ce projet beaucoup plus acceptable pour la population locale et les usagers de la rivière. Cependant, en raison de leurs expériences antérieures et des nombreux dessous de ce dossier, les opposants risquent de ne pas se rallier facilement à ce projet, en dépit du fait que le promoteur cherche à prendre en compte leur discours et leurs exigences afin que les impacts soient moindres.

3.3 Le projet de la Société d’énergie de la rivière Batiscan à la chute du Deux

Depuis 2004, un troisième projet de petite centrale a vu le jour. Celui-ci est piloté par la Société d’énergie de la rivière Batiscan (SERB), formée de la firme d’ingénieurs Axor et d’un promoteur privé63. Par ailleurs, ce projet-ci se distingue des deux autres par le fait qu’il ne repose sur aucun partenariat avec les instances locales. Le site visé par le projet est la chute du Deux, située sur le territoire de la municipalité de Saint-Adelphe (Figure 16).

62 Les Petites nouvelles de Chute Libre, Notre-Dame-de-Montauban, 12 août 2002. 63 Paul Bécotte, un homme d’affaires et exploitant forestier de Repentigny est le partenaire de la firme Axor.

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Figure 16 : Site de la chute du Deux (rivière Batiscan)

Un projet piloté par la Société d’énergie de la rivière Batiscan

17 MW chute du Deux

Saint-Adelphe (Mauricie)

© Tawachiche.com, 2005

La SERB a annoncé, en mars 2004, qu’elle étudiait la possibilité de construire un barrage de 18 mètres de haut et de 80 mètres de long, afin d’alimenter une petite centrale au fil de l’eau d’une puissance de 17 MW. Ce projet était alors évalué à 35 millions de dollars. Le fait qu’un seul propriétaire possède la grande majorité des bandes riveraines qui seraient touchées par le projet de barrage, entre les chutes du Deux et du Sept, facilite la tâche des promoteurs du projet64. En effet, dès le mois de mai 2004, alors que les représentants d’Axor déclaraient que leur projet était encore au stade embryonnaire, le promoteur avait déjà fait une offre d’achat au propriétaire de ces terrains. Par contre, certaines personnes, qui possèdent des terrains à proximité du site visé par le projet ou qui utilisent la rivière à des fins récréatives, s’opposaient à la construction d’un barrage et d’une petite centrale. Les opposants, appuyés par les comités « Chute Libre » et « Les Amis de la Batiscan », n’ont pas tardé à former un nouveau comité de citoyens : « Eau Vive Batiscan ». Celui-ci compte aujourd’hui plus de 250 membres et il s’est donné pour mission de « voir à la conservation et à la protection des eaux vives et des berges de la rivière Batiscan et de son affluent la Tawachiche et de préserver la qualité de leurs écosystèmes » (Eau Vive Batiscan, 2005a : V). Le 31 juillet 2004, le comité « Eau Vive Batiscan » a organisé la journée « Découverte

64 Ces terres auraient été achetées de la Price Company, qui aurait elle-même envisagé la possibilité de réaliser un projet de barrage hydroélectrique dans ce secteur au début du siècle : 1900-1920 (Entretiens, été 2006).

82 de la Batiscan » où plus de 200 personnes ont participé à diverses activités, dont la descente de la rivière Batiscan, en guise de protestation au projet de petite centrale65.

En septembre 2004, lors d’une rencontre d’information tenue à Saint-Adelphe, Bertrand Lastère, ingénieur chez Axor, a mis beaucoup d’emphase sur les retombées économiques régionales, évaluées à 20 millions de dollars, que pourraient engendrer la réalisation du projet de petite centrale. De plus, dans les documents d’avant-projet préparés par Axor, une grande importance est accordée au fait que le projet pourrait permettre la création d’une cinquantaine d’emplois directs et environ 25 emplois indirects pendant la période de construction66. Cependant, selon le même document, il est précisé que le barrage et la petite centrale, une fois réalisés, n’entraîneraient la création que d’un emploi spécialisé permanent et cinq emplois à temps partiel. Par ailleurs, les représentants d’Axor ont assuré que la rivière Batiscan ne subirait aucun changement en amont de la chute du Sept et en aval de la chute du Deux. Par contre, entre ces deux sites, une série de chutes et de rapides seraient ennoyés suite à la construction du barrage. Selon les représentants d’Axor, la réalisation du projet de petite centrale n’entraînera un « changement de vocation que sur 11 des 190 kilomètres de la rivière […] il s’agit d’un projet qui ne va pas dégrader, mais seulement modifier l’environnement » (Le Nouvelliste, 29 septembre 2004). Cependant, le comité « Eau Vive Batiscan » s’opposait à ce projet en raison de la création d’une importante retenue d’eau en amont et de l’ennoiement de plusieurs chutes :

La construction d’un barrage à Saint-Adelphe (Mauricie) vient amputer la Batiscan de son potentiel écotouristique […] Les impacts écologiques dévastateurs de ce projet priveraient les citoyens de trois municipalités de la MRC de Mékinac, soit Saint-Adelphe, Sainte-Thècle et Lac-aux-Sables, de la jouissance de certaines de leurs terres […] En plus, l’inondation fera disparaître à tout jamais six de nos chutes sur la Batiscan et trois sur la Tawachiche (Eau Vive Batiscan, 2005). En effet, l’inondation en amont du barrage serait importante et toucherait deux rivières, la Batiscan sur treize kilomètres et la Tawachiche sur cinq kilomètres, ainsi que trois municipalités, Saint-Adelphe, Lac-aux-Sables et Sainte-Thècle (Figure 17).

65 Cette activité a été répétée avec succès en 2005 et en 2006 et les comités de citoyens prévoient l’organiser de nouveau en 2007. 66 Habituellement, les projets de petites centrales sont réalisés à l’intérieur d’une période de deux à trois ans.

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Figure 17 : Barrage à la chute du Deux : aperçu de l’inondation des terres

Source : Axor, 2004

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Plusieurs terrains, deux ponts et plusieurs dizaines d’arpents de terres agricoles seraient inondés, particulièrement dans la zone où la Tawachiche se jette dans la Batiscan. Selon l’étude réalisée par Axor, la municipalité de Sainte-Thècle subirait 5% des impacts environnementaux, contre 43 % pour Saint-Adelphe et 52 % pour Lac-aux-Sables.

Le 3 octobre, les élus de Sainte-Thècle, la municipalité qui serait la moins touchée par les inondations (5%), ont voté et adopté à l’unanimité une résolution dans laquelle ils avancent deux raisons pour expliquer leur opposition au projet de petite centrale : 1) l’inondation et la dévaluation de terrains; 2) la protection de l’aspect écotouristique du milieu en lien avec l’orientation municipale du développement harmonieux et durable (Le Nouvelliste, 27 octobre 2004). Par contre, le maire de Sainte-Thècle, André C. Veillette67, affirmait qu’un référendum sur la question pourrait être tenu si la population le demandait. Le 13 octobre 2004, les élus de Lac-aux-Sables, la municipalité qui serait la plus touchée par les inondations (52%), ont rejeté, par un vote de trois contre deux, une résolution semblable à celle adoptée par Sainte-Thècle. D’autre part, le maire de Saint-Adelphe, Monsieur Paul Labranche, a précisé que le conseil municipal ne se prononcerait pas en faveur ni contre le projet et que, « en temps et lieux, si nécessaire, la population pourrait s’exprimer à ce sujet, puisque la décision appartient aux citoyens de Saint-Adelphe d’accepter ou non ce projet sur notre territoire » (Le Nouvelliste, 27 octobre 2004). De plus, conscient d’une division de la population sur ce sujet, celui-ci déclarait : « dans ce débat public, ne laissons pas nos différences d’opinions détruire l’harmonie dans notre municipalité, au profit de la haine et de la discorde » (Le Nouvelliste, 11 novembre 2004). Au cours de l’hiver et du printemps 2005, les membres du comité « Eau Vive Batiscan » ont préparé un mémoire, présenté au MDDEP en juillet 2005, dont l’objectif était de faire classer une partie de la rivière Batiscan en tant que réserve aquatique du Québec. Le tronçon de la rivière visé par la demande est celui situé entre les chutes du Deux et du Sept, le même qui serait ennoyé suite à la réalisation du barrage et de la petite centrale. Dans ce mémoire, le comité dresse un portrait des caractéristiques et des

67 André C. Veillette est le maire de Sainte-Thècle et le préfet de la MRC de Mékinac. Celui-ci a appuyé la relance du projet de petite centrale à la chute du Neuf en 2004. Depuis, il est un des principaux promoteurs de ce projet.

85 particularités qui, selon lui, font de la rivière Batiscan et de ses chutes « un patrimoine naturel et historique d’une grande valeur » (Eau Vive Batiscan, 2005b : 19).

Le 20 septembre 2005, le promoteur a déposé un avis de projet auprès du MDDEP, pour la construction d’un barrage et d’une petite centrale à la hauteur de la chute du Deux. Trois jours plus tard, le MDDEP faisait parvenir au promoteur ses directives pour la réalisation d’une étude d’impact. Ensuite, le promoteur devait réaliser une étude préliminaire qui devrait être soumise au MDDEP. Plus tard, si le projet était accepté par le MDDEP, la population et les acteurs concernés seraient tenus de s’exprimer ou de déposer un mémoire dans le cadre d’audiences publiques. Devant l’avancement de la procédure, les comités « Chute Libre », « Eau Vive Batiscan » et la Fondation Rivières ont fait circuler une pétition contre le projet, signée par plus de 9000 personnes, qui a été remise en novembre 2005 à la députée de Champlain, Mme Noëlla Champagne. Par cette pétition, qui devait ensuite être remise au ministre des Ressources naturelles, les signataires réaffirmaient leur opposition aux deux projets toujours actifs de petites centrales sur la Batiscan en réclamant l’établissement d’un nouveau moratoire. De plus, dans un communiqué rendu public en février 2006, « Eau Vive Batiscan » et « Chute Libre » ont réitéré leur intention de contester le projet piloté par la Société d’énergie de la rivière Batiscan : Plutôt que de signifier un refus à ce projet, le ministère a fait parvenir ses directives pour la réalisation d’une étude d’impact environnemental! Ce qui signifie que le projet est officiel et qu’il faut se mobiliser pour manifester notre désaccord. La mobilisation citoyenne en Mauricie a porté fruit dans le projet Boralex au parc de la rivière Batiscan où le promoteur a dû se retirer du projet. Il faut continuer à défendre la rivière Batiscan68. Ceux-ci ont récolté un nouvel appui, le 6 février 2006, lorsque le conseil municipal de Lac-aux-Sables s’est prononcé, à l’unanimité, contre le projet de petite centrale en adoptant une résolution à cet effet69. Selon la municipalité, l’ennoiement engendré par la construction d’un barrage sur le site de la chute du Deux contribuerait à la perte de bonnes terres agricoles. D’autre part, le projet de petite centrale irait à l’encontre d’un projet de traitement des eaux usées que la municipalité souhaite mettre en place. En effet, dans le but

68 Eau Vive Batiscan et Chute Libre. Février 2006. Rivière Batiscan : de plus en plus d’opposition aux projets de barrage, Communiqué. 3p.

86 de se conformer aux nouvelles normes du MDDEP en matière de traitement des eaux, la municipalité devra aménager deux étangs aérés en bordure de la rivière, à proximité de l’actuelle usine de traitement des eaux. Les eaux traitées doivent être rejetées dans un cours d’eau où le débit constant constitue le traitement final, ce qui serait incompatible avec la retenue d’eau créée par le barrage, suite à la réalisation du projet de petite centrale. Cependant, les maires des municipalités de Sainte-Thècle et de Lac-aux-Sables ne croient pas que les élus de Saint-Adelphe vont adopter une résolution semblable en raison des retombées économiques potentielles : « La centrale serait construite sur leur territoire. C’est une entrée de taxes qui semble peser dans la balance dans leur cas » (L’Hebdo Mékinac – Des Chenaux, 18 février 2006).

3.3.1 Un nouveau projet pour la Société d’énergie de la rivière Batiscan Après avoir terminé ses études préliminaires, en 2006, la SERB a conclu que son projet de petite centrale à la hauteur de la chute du Deux n’était plus rentable. De plus, plusieurs propriétaires riverains refusaient catégoriquement de vendre une partie de leurs terrains, ainsi que toute forme de compensation pour l’inondation de ceux-ci. Suite à plus de trois années de préparation et après avoir reçu les autorisations nécessaires du MDDEP, la SERB décidait donc de déplacer son projet en amont du site initial, soit à la chute du Cinq située sur le territoire de la municipalité de Lac-aux-Sables. Par ailleurs, le promoteur savait pertinemment que, selon l’étude réalisée par la société CIMA+ en 1995, la chute du Deux, prise individuellement, n’offrait pas un potentiel hydroélectrique justifiant une étude de faisabilité. Selon la même étude, seulement le regroupement des chutes du Trois et du Quatre ainsi que celui des chutes du Cinq et du Six offraient un potentiel hydroélectrique suffisant pour être aménagées.

La SERB a donc décidé de déplacer son projet à la chute du Cinq, où le potentiel hydroélectrique est supérieur à celui de la chute du Deux. Cependant, les dirigeants d’Axor ont ajouté que « le projet de la Deux pourrait revenir si les tarifs à l’achat d’Hydro- Québec augmentaient » (Le Nouvelliste, 10 décembre 2006). Toutefois, même en réalisant leur projet sur le site de la chute du Cinq, la question de la faisabilité financière demeure

69 Une résolution que le conseil municipal avait rejetée une première fois en octobre 2004.

87 entière. En effet, la société CIMA+ estimait, en 1995, que la mise en valeur de ces sites à des fins hydroélectriques représentait « un coût d’environ 2500 $ par kilowatt installé, ce qui les plaçait à la limite supérieure de la faisabilité financière » (CIMA+, 1995). Quoi qu’il en soit, la SERB a choisi d’aller de l’avant avec ce nouveau projet et Axor est venue le présenter, le 23 janvier 2007, à la population et aux élus de Lac-aux-Sables. Le nouveau projet présentait des caractéristiques plus modestes que le précédent : une puissance de 10 MW et un barrage de 8 mètres de haut et d’une longueur de 80 mètres. L’inondation toucherait quatre chutes (Cinq à Huit) sur la Batiscan70. Pour la SERB, l’avantage de ce nouveau projet réside dans le fait que la totalité des impacts environnementaux serait localisée sur le territoire de la municipalité de Lac-aux-Sables. La SERB n’aurait donc plus qu’à négocier avec le conseil municipal de cette municipalité et les quelques propriétaires des terrains situés sur les rives de la Batiscan. Ces derniers sont d’ailleurs beaucoup moins nombreux qu’à Sainte-Thècle et Saint-Adelphe. Avant que le nouveau projet soit annoncé publiquement, plusieurs propriétaires avaient déjà été approchés par Axor et le promoteur pour se faire offrir des compensations pour l’inondation d’une partie de leurs terres. Certains d’entre eux se déclaraient en faveur du projet, mais qu’ils se « rallieraient à la majorité si la population s’opposait au projet » (Le Nouvelliste, 10 décembre 2006).

Après près de trois ans, la SERB n’a jamais reculé ni retiré aucun de ses deux projets, alors qu’elle s’était engagée à le faire, lors d’une rencontre tenue en septembre 2004 à Saint-Adelphe, si une quelconque opposition se manifestait. Cependant, le 15 février 2007, le conseil municipal de Lac-aux-Sables a adopté unanimement une autre résolution contre le nouveau projet de la SERB à la chute du Cinq. Le conseil municipal s’oppose donc à ce nouveau projet pour les mêmes motifs que ceux évoqués un an plus tôt, dans le cadre du premier projet à la chute du Deux, en raison de l’incompatibilité d’un projet de petite centrale avec celui des étangs aérés pour l’assainissement des eaux. En réaffirmant ainsi son opposition, il semble acquis que la municipalité de Lac-aux-Sables ne permettra pas la réalisation d’un projet de petite centrale sur la section de la Batiscan qui coule sur son territoire, entre les chutes du Cinq et du Huit. Cependant, deux raisons nous font penser qu’il est probable que la SERB revienne à la charge avec son projet initial à la

70 Cependant, la chute du Huit serait seulement inondée en période de crue.

88 chute du Deux : 1) la municipalité de Saint-Adelphe, contrairement à ses voisines, ne s’est jamais ouvertement opposée au projet de petite centrale; 2) comme la SERB l’a elle-même mentionné, son projet à la chute du Deux pourrait revenir si les tarifs à l’achat d’Hydro- Québec augmentaient. 3.4 Synthèse et ouverture Les trois sites qui ont été visés par des projets de petites centrales sur la rivière Batiscan sont tous à proximité de zones habitées et très fréquentées par les populations locales et les divers utilisateurs récréatifs de la rivière. En raison de la polémique grandissante qui entoure les projets de petites centrales, depuis le début des années 1990, les riverains ont été de plus en plus sensibilisés aux impacts environnementaux et à la conservation de certains tronçons de rivières, de chutes et de parcs jugés patrimoniaux. Par ailleurs, les promoteurs des différents projets ont semblé sous-estimer l’importance du mouvement d’opposition et les recours des comités de citoyens, lorsque ces derniers questionnaient le bien-fondé des projets de petites centrales.

Dans le cas du projet piloté par Forces Motrices Batiscan, Boralex a tout fait pour empêcher la tenue d’audiences publiques sur le projet dont la puissance et les impacts étaient, après analyse, beaucoup plus importants que ceux avancés par le promoteur. Ensuite, l’acharnement de FMB devant les tribunaux, qui a conduit cette cause jusqu’à la Cour supérieure, a grandement contribué à ternir l’image des producteurs indépendants d’électricité. La médiatisation de cette cause, l’importante opposition locale et régionale et l’intervention de groupes environnementaux reconnus, constituent autant de raisons pour expliquer l’importante mobilisation des citoyens face aux deux autres projets de petites centrales dans la région.

Par ailleurs, les projets de petites centrales, en raison des redevances qui y sont associées, sont perçus par leurs partisans, notamment la classe politique, comme étant un levier de développement régional inespéré. D’ailleurs, cette vision « salvatrice » de la petite hydraulique explique, en grande partie, l’acharnement des acteurs locaux qui se sont fait les promoteurs des projets à la chute des Ailes (parc de la Batiscan) et à la chute du Neuf (Notre-Dame-de-Montauban). Cette observation ne s’applique pas au projet de la Société

89 d’énergie de la rivière Batiscan aux chutes du Deux et du Cinq, puisque celui-ci ne reposait sur aucun partenariat avec les instances locales et régionales.

Dans cette étude de cas, les projets de petites centrales ont constitué, invariablement, une source de division au sein des communautés locales concernées. De plus, un des principaux problèmes soulevés dans cette étude en est un de transparence et d’accès à l’information. Dans les trois cas présentés, les acteurs qui ont cherché à obtenir davantage d’information ont tous affirmé que les promoteurs refusaient de divulguer certaines informations techniques et financières des projets, jugées d’intérêt public. En somme, pour les partisans des projets de petites centrales, le partenariat entre les promoteurs et les municipalités et les MRC représente un modèle de développement régional intéressant et orienté sur le développement durable. Par contre, ces projets vont souvent à l’encontre de la perception de certains acteurs pour qui les rivières et les chutes constituent un bien commun possédant une forte valeur identitaire et patrimoniale. Pour cette raison, il en résulte inévitablement des conflits d’usages où deux perceptions des rivières se confrontent : la rivière en tant que « stock de ressources » vs la rivière en tant que « milieu de vie » (Tremblay, 2003). Ce sont donc ces enjeux et ces tensions, naissant de représentations territoriales différentes, qui caractérisent les relations entre les divers acteurs, que nous proposons d’analyser plus en profondeur au cours du chapitre suivant.

90 Quatrième chapitre – Enjeux, représentations et logiques d’action des acteurs

En plus de favoriser l’aménagement et l’accès à des sites naturels, les petites centrales hydroélectriques n’occupent que peu d’espace et n’entraînent que très rarement une inondation du rivage ou une dérivation du courant. Leur taille et leur conception même font en sorte de préserver, voir de mettre en valeur l’aspect visuel des cours d’eau qu’ils utilisent. --AQPER Une rivière qui coule au cœur d’un village ne peut être considérée comme une simple ressource à exploiter […] Une rivière représente beaucoup plus aux yeux de ceux qui la côtoient chaque jour, qui l’entendent, qui y naviguent, y pêchent ou y nagent. Elle revêt une valeur identitaire, culturelle et sociale dont il faut tenir compte. --Fondation Rivières et Chute Libre

Au cours des deux chapitres précédents, nous avons pu démontrer que les projets de petites centrales sont la source de conflits d’usage qui créaient des tensions entre différents acteurs concernés par la mise en valeur des rivières québécoises. De plus, nous savons maintenant que, dans ce dossier, les revendications et les stratégies mises en œuvre par les acteurs reposent autant sur des éléments objectifs que sur des représentations. Cependant, ce sont souvent ces représentations, présentes dans le discours des acteurs, qui motivent ces derniers dans leurs revendications, leurs stratégies et leurs logiques d’action. Dans ce chapitre, nous chercherons donc à identifier et à analyser les représentations des acteurs, partisans et opposants, dans la mesure où ils tentent d’empêcher ou de promouvoir la réalisation des projets de petites centrales sur leur territoire.

4.1 Le rôle et l’importance des représentations territoriales dans le discours des acteurs L’opposition locale et régionale aux projets de petites centrales, souvent interprétée par les promoteurs comme étant une manifestation du syndrome NIMBY, repose plutôt sur une volonté de soulever un débat sur des questions d’équité sociale et intergénérationnelle relatives aux aspects environnementaux, paysagers et patrimoniaux des rivières (Tremblay, 2003). Au sein de plusieurs communautés locales, les projets de petites centrales ont provoqué l’émergence de forces d’opposition qui reposaient sur un argument central : la réalisation d’une petite centrale sur une rivière est contraire à la notion de bien commun et

91 porterait atteinte au paysage et à l’intégrité environnementale du cours d’eau. De plus, les modifications majeures apportées à des sites naturels, comme les chutes et les rapides d’une rivière, entraînent une « transformation symbolique du territoire et de l’image qu’il donne à voir » (Lecourt et Faburel, 2006). Ainsi, pour les acteurs opposés à ce type de projet, la réalisation d’une petite centrale est synonyme de destruction des paysages, d’atteinte à l’environnement et de perte de qualité de vie. À partir de cette représentation, ceux-ci sont convaincus que le développement du récréotourisme, un secteur économique en plein essor au Québec, serait compromis par la réalisation d’une petite centrale hydroélectrique sur un site jugé patrimonial. Dans le cadre de notre étude de cas, ces constats se sont avérés être les éléments centraux au cœur des préoccupations des opposants. Par exemple, dans le cas du projet de FMB dans le parc régional de la Batiscan, le groupe « Les Amis de la Batiscan » s’opposait au projet parce que, selon ses membres, la construction d’une petite centrale allait porter atteinte à un des principaux attraits du parc (la chute des Ailes et un tronçon important de la rivière) et à l’image de celui-ci. Les mêmes éléments sont à la base des revendications du comité « Chute Libre » qui s’oppose à un projet de petite centrale au cœur du parc municipal de la chute du Neuf (Figure 18).

Figure 18 : « Non au barrage » : bannière placée dans les arbres en surplomb d’un des belvédères du parc de la chute du Neuf (Notre-Dame-de-Montauban).

Source : Mathieu Gingras, 2006 Le discours des acteurs opposés aux projets de petites centrales est caractérisé par un certain radicalisme dans la mesure où la nécessité de préserver l’intégrité écologique et

92 les caractéristiques naturelles de la Batiscan n’est pas négociable. Par contre, leur discours met également en scène un certain pragmatisme, puisqu’en rejetant les projets de petites centrales, ceux-ci sont conscients de l’importance d’élaborer et de mettre en œuvre des alternatives viables, c’est-à-dire des projets territoriaux qui pourraient générer des retombées socioéconomiques locales et régionales. Selon Tremblay (2003), le radicalisme pragmatique des acteurs prend assise « sur les forces, les faiblesses, les opportunités, les caractéristiques socioéconomiques, les aspirations locales et régionales pour définir l’idéal vers lequel le milieu devrait se porter ». Ce radicalisme pragmatique, avant tout territorialisé, s’oppose au radicalisme idéologique des groupes nationaux comme la « Fondation Rivières » et la « Coalition Eau Secours! », dans la mesure où les acteurs locaux sont plus conciliants dans leurs prises de position et leurs revendications. De plus, ceux-ci cherchent à élaborer un véritable projet alternatif, qui permettrait à la fois un développement économique et la protection des caractéristiques naturelles de la Batiscan. Par exemple, le groupe « Les Amis de la Batiscan », qui s’est opposé au projet d’une petite centrale dans le Parc régional de la Batiscan, a contribué à sensibiliser plusieurs décideurs locaux sur l’importance de trouver de nouvelles façons de financer le parc sans porter atteinte à ses principaux attraits.

Une autre stratégie mise de l’avant par les opposants est la sensibilisation des riverains et des citoyens des municipalités concernées, dans l’espoir qu’une majorité de citoyens redécouvre la rivière et ses attraits, afin de (re)développer un sentiment d’appartenance71. De plus, ces acteurs misent sur la notion de rareté, puisque la Batiscan est une des rares rivières méridionales du Québec à avoir été très peu régularisées et harnachées (un seul barrage) et où la qualité de l’eau est relativement bonne sur l’ensemble de son cours (Hébert, 2005; SAMBBA, 2007). Ainsi, les caractéristiques naturelles de la rivière et les notions de beauté et de rareté qui y sont associées demeurent des forces sur lesquelles peut reposer le développement récréotouristique de la région. Cette stratégie repose donc sur le réinvestissement de valeurs identitaires associées à la rivière et au territoire. La rivière et ses chutes sont les éléments du territoire qui sont à la base d’un

71 La sensibilisation se fait notamment par des rencontres d’informations, l’organisation de forums régionaux sur la gestion de l’eau, la tenue d’événements annuels associés à la mise en valeur de la rivière comme la descente de la Batiscan en juillet, les visites guidées des chutes et autres sites d’intérêt touristique, etc.

93 processus où les acteurs locaux se réapproprient collectivement leur milieu de vie (Figure 19).

Figure 19 : Territorialisation - délimitation du territoire à défendre contre le projet de petite centrale au coeur du village de Notre-Dame-de-Montauban.

Source : Mathieu Gingras, 2006 De leur côté, les promoteurs de petites centrales élaborent des projets et les présentent comme pouvant être intégrés harmonieusement dans le milieu hôte, tout en générant des retombées économiques importantes pour celui-ci. Dans les chapitres précédents, nous avons vu qu’une des stratégies des promoteurs repose sur la proposition de mesures d’atténuation et des investissements dans des infrastructures récréotouristiques locales ou régionales. Par ailleurs, les promoteurs ont tenté d’intégrer certaines exigences des opposants dans leurs projets72. Cette stratégie avait pour but de rendre plus acceptables certains aspects de leur projet, lorsque l’annonce de redevances ou de retombées économiques pour le milieu ne constituait pas un argument suffisant pour rallier les opposants au projet. De cette façon, les promoteurs tendent à répondre minimalement aux attentes des opposants en mettant l’accent sur certaines mesures d’atténuation des impacts et sur le fait que ceux-ci seraient très localisés sur le territoire.

72 Par exemple, le nouveau projet piloté par Hydro-Mékinac à la chute du Neuf (Voir chapitre précédent).

94

Cependant, dans le cas de la Batiscan, deux sites sur trois (les chutes du Neuf et des Ailes) possèdent un véritable potentiel de développement récréotouristique. De plus, ces deux sites, pour des motifs d’ordre esthétique et paysager ont déjà été intégrés à l’intérieur de parcs, respectivement municipal et régional. En effet, ces sites, qui présentent des attraits naturels hors du commun et qui ont une valeur identitaire et emblématique pour les communautés locales, sont également les mêmes qui sont visés par les promoteurs pour le développement hydroélectrique : « les barrages hydroélectriques sont installés là où les paysages sont les plus extraordinaires de par le dénivelé ou l’encaissement. La chute magnifique qui remplit de joie l’excursionniste est l’objet de convoitise du promoteur de centrales » (FQCK, 1999). Ces éléments confortent les acteurs opposés aux projets de petites centrales dans leur position et consolide leurs représentations face au territoire et à la rivière.

4.2 Rivières et hydroélectricité : les impacts sur le paysage et l’environnement La question des impacts des petits aménagements hydroélectriques sur le paysage est importante, mais a été très peu étudiée. En 1999, dans le but de pallier ce manque, Hydro-Québec a mandaté la Chaire de recherche en paysage et en environnement de l’Université de Montréal pour la réalisation d’une étude sur le sujet : Balisage des enjeux du paysage de trois filières de production d'électricité : Transformations spatiales, représentations et enjeux (Poullaouec et al., 1999).

Le paysage correspond avant tout à un concept de « qualifications et d’appréciations sensibles, plurielles et à la fois individuelles et collectives envers un territoire » (Poullaouec-Gonidec-Gonidec et al., 2000). Les différents aspects du paysage mettent donc en évidence les dimensions identitaires des lieux fréquentés par les communautés locales. Pour un nombre grandissant d’acteurs interpellés par la gestion de l’eau et la mise en valeur des rivières, les nombreux aspects du paysage deviennent des préoccupations majeures :

Le paysage est le réceptacle des valeurs sociales et culturelles et des composantes environnementales d’un milieu […] L’eau exerce un pouvoir d’attrait sur le regard, invitant la contemplation et évoquant la pureté ou

95

encore la force de la nature […] Par exemple, les qualités scéniques des chutes justifient souvent l’implantation de belvédères, de points de vue panoramique et de sentiers (Poullaouec-Gonidec et Tremblay, 1999). Selon Poullaouec-Gonidec et al. (2000), les nouvelles cultures de regard sur les paysages de rivières semblent se réinventer sur la base de trois éléments : « 1) une lecture plus environnementaliste des cours d’eau; 2) une qualité de l’expérience du lieu (qualité de contact visuel avec les lieux); 3) une expérience physique du paysage qui va au-delà du seul contact visuel, notamment avec les activités sportives qui favorisent le corps à corps avec le cours d’eau ». Ces trois éléments constituent des aspects importants de l’argumentaire des groupes locaux opposés à l’harnachement de la Batiscan. Premièrement, les impacts environnementaux associés aux projets de petites centrales sont relativement bien connus et occupent une place importante dans l’argumentaire des opposants à ce type de projet. En effet, la construction d’une petite centrale et des infrastructures connexes entraîne une série d’impacts environnementaux qui modifient le régime hydrologique, le régime sédimentologique, le régime des glaces et du frasil et le régime thermique de la rivière. De plus, les paramètres chimiques et physiques de l’eau sont également perturbés, tant en aval qu’en amont du barrage (Raphals & Dunsky, 1999; Fondations rivières, 2005). L’ensemble de ces facteurs influe sur la faune et la flore ainsi que sur la préservation et le maintien de certains habitats aquatiques et riverains. Finalement, les infrastructures servant à la production hydroélectrique (barrage, canal d’amenée, centrale) ont un impact important, quoique localisé, sur les niveaux d’eau et le débit de la rivière. Selon certains auteurs, les petites centrales, individuellement, génèrent dans leur milieu récepteur les mêmes impacts que les grands aménagements. Sur une base cumulative, elles risquent cependant d’entraîner des impacts sur l’environnement plus élevés qu’un complexe unique de taille équivalente (Maucor, 1984; Drapeau, 1999; Raphals & Dunsky, 1999; Duchemin, 2001; MEDD, 2005; Fondation Rivières, 2005). Deuxièmement, un autre enjeu majeur soulevé par les projets de petites centrales repose sur la valorisation des paysages du cours d’eau, souvent emblématiques. De plus, la rivière, de par ses caractéristiques uniques, offre un énorme potentiel de développement récréotouristique en raison de la beauté de ses paysages (chutes et rapides). Troisièmement, l’émergence des activités récréatives associées à la rivière (sports d’eau vive, pêche, canot-camping, baignade, observation et randonnée) constitue également un des éléments importants pour les riverains et les

96 utilisateurs récréatifs, dans la mesure où ils peuvent avoir un « contact » privilégié avec la rivière.

Dans les trois cas étudiés, les sites de la rivière Batiscan visés par les projets de petites centrales sont fréquentés chaque année par des dizaines de milliers de visiteurs provenant de l’extérieur de la région, mais surtout par les collectivités locales, qui les perçoivent comme partie intégrante de leur territoire, de leur milieu de vie. À ce sujet, Poullaouec et al. (1999 : 28) soulignent que : Dans les cas où les projets de petites centrales visent des sites qui sont inclus dans des parcs urbains ou régionaux, les dimensions esthétiques doivent être prisent en compte de manière à intégrer les petites centrales aux projets formulés par les décideurs locaux et régionaux ou aux projets implicitement entretenus par les populations locales qui fréquentent ces lieux depuis longtemps. En effet, dans le cas des trois projets à l’étude, les opposants estiment que la préservation du caractère naturel et paysager de la Batiscan et de ses chutes est un élément suffisant pour s’opposer aux projets de petites centrales. Pour cette raison, ils refusent de voir leur territoire et leur rivière transformés à des fins de production hydroélectrique, car ils estiment que la valeur de la Batiscan repose sur des notions qui vont au-delà des différents potentiels de développement qu’elle offre : « on ne peut pas mesurer la valeur des rivières qu’en termes du revenu que l’on peut en tirer » (Eau Vive Batiscan, 2005).

Par ailleurs, les rapides et les chutes, visés par la filière des petites centrales, ont souvent une forte valeur emblématique. De plus, les chutes et les rapides qui font l’objet d’une forte valorisation par les populations locales ont souvent des toponymes qui diffèrent de celui de la rivière. L’altération ou l’aménagement de ces sites pour la construction d’un barrage et d’une petite centrale est alors souvent perçu comme étant une « agression à l’identité des lieux » (Poullaouec-Gonidec et al., 1999). Le concept de paysage est un élément central du discours des opposants aux petites centrales, puisque la « reconnaissance d’un paysage d’intérêt procède d’un investissement de valeurs dans un territoire qui n’est pas simplement vu, mais qui est désormais regardé, c’est-à-dire transformé en paysage par le regard » (Poullaouec et al., 2000). De plus, les gens interpellés par la sauvegarde des caractéristiques naturelles de la Batiscan contribuent à la

97 construction d’un véritable projet de paysage qui, à long terme, permettra de transformer le regard que d’autres acteurs porteront sur la rivière et ses principaux attraits.

Les membres des groupes locaux opposés au harnachement de la Batiscan sont donc motivés par une volonté de se réapproprier leur paysage pour faire connaître et reconnaître sa qualité, afin d’influencer les modes de mise en valeur du territoire et de la rivière qui seront privilégiés par les décideurs. En s’opposant farouchement à la réalisation des projets de petites centrales sur leur territoire, les trois comités de citoyens cherchaient à empêcher l’inondation de chutes ou la modification de paysages ayant une très forte signification pour les communautés locales. La qualité exceptionnelle des sites était reconnue depuis longtemps, mais devant les projets de PCH, les acteurs locaux ont cherché à se réapproprier et à mettre en valeur ces éléments du territoire. De plus, dans le but de sauvegarder les différents attraits paysagers de ces sites, les contestataires ont cherché à élaborer des projets alternatifs. Pour cette raison, certains décideurs locaux, qui étaient conscients de la valeur des attraits naturels de certains sites, étaient prêts à les modifier en totalité ou en partie, dans l’unique but de régler certains problèmes de financement. Cela a été le cas du Complexe écotouristique de la Batiscanie, dans le cadre de son projet à la chute des Ailes, et de la MRC de Mékinac, dans son le cadre de son projet à la chute du Neuf. Pour les opposants, il était inconcevable d’amputer des parcs de leurs principaux attraits naturels et paysagers, même si les redevances associées aux projets de petites centrales devaient servir à assurer le financement de ceux-ci ou l’investissement dans des infrastructures locales. Pour ces acteurs, il était essentiel de favoriser le développement de ces sites en misant sur la conservation et la mise en valeur de sites naturels. Par exemple, dans le cas du projet à la chute des Ailes, dans le parc régional de la Batiscan, le comité « Les Amis de la Batiscan » s’est impliqué pour trouver des solutions concrètes pour la relance du parc. Cette initiative, basée sur la recherche de nouveaux modes de financement pour le parc, s’inscrit dans une stratégie où deux objectifs se recoupent : 1) assurer le financement à long terme du parc; 2) assurer la préservation des principaux attraits du parc, soit la chute des Ailes et le tronçon de la Batiscan visé par le projet.

Par ailleurs, les promoteurs proposent différentes mesures pour atténuer les impacts des infrastructures (barrage, centrale, conduite d’amenée) sur le paysage et pour mieux

98 intégrer celles-ci dans le milieu. Par exemple, la société Hydro-Mékinac a proposé, dans son plus récent projet à la chute du Neuf, que le barrage soit construit beaucoup plus loin en amont de la chute, afin de réduire l’impact direct sur le paysage73. De cette façon, le promoteur cherchait à répondre aux attentes des groupes opposés au projet qui souhaitaient conserver l’aspect naturel de la chute et du paysage environnant (Figure 20).

Figure 20 : Aspect actuel de la chute du Neuf et schéma des impacts supposés sur le débit de la chute après la construction du barrage.

Source : Chute Libre (Schéma réalisé en 2002. Par CIMA+, pour le compte d’Hydro-Mékinac) Par contre, cette stratégie des promoteurs mise uniquement sur l’intégration des infrastructures dans le milieu, alors que les critères de beauté de la chute dépendent fortement de son débit. Selon plusieurs acteurs, les dispositifs mis de l’avant par les promoteurs concernant le maintien de débits réservés esthétiques ne permettent pas de répondre aux exigences des contestataires, parce que « la question de l’esthétique naturelle de la chute n’est pas quantifiable » (RQGE, 1999 : 23). Actuellement, lors de la détermination d’un débit réservé dans le cadre de la réalisation d’un ouvrage hydraulique,

73 Dans le cadre du premier projet piloté par Hydro-Mékinac, la construction du barrage directement à la tête de la chute aurait obligé la destruction d’une partie importante du parc municipal de la chute du Neuf, notamment le belvédère et la totalité des passerelles permettant d’avoir une vue spectaculaire sur les chutes et le village en contrebas.

99 les lois environnementales québécoises cherchent à empêcher la perte nette d’habitat74. Selon Poullaouec-Gonidec et Tremblay (1999 : 8), ce principe :

Laisse beaucoup d’arbitraire sur le choix de l’espèce à favoriser et remet en question l’équité entre les usagers des cours d’eau, défavorisant ceux qui valoriseraient d’autres espèces que celles pour lesquelles le débit est optimisé et défavorisant ceux qui recherchent autre chose que des habitats fauniques, mais qui attendent du débit d’une chute ou d’une cascade qu’il évoque des significations autres que celles d’une chute contrôlée à distance (Ibid. : 8 et 9). En somme, les opposants aux projets de petites centrales rejettent l’idée d’un paysage artificialisé, où le maintien d’un débit réservé esthétique permet de montrer une image particulière du paysage à une certaine catégorie d’usagers (souvent les touristes), et pendant une période de temps prédéfinie, soit pendant le jour et seulement au cours de la saison touristique estivale75. Pour la population locale, le réaménagement du site, suite à la construction des infrastructures de production d’énergie, tend à banaliser les lieux. C’est pour cette raison que les groupes « Chute Libre » et « Les Amis de la Batiscan » se sont opposés avec force aux projets de petites centrales qui devaient être réalisés à même des parcs créés pour la conservation et la mise en valeur des paysages de rivière (chutes du Neuf et des Ailes) présents sur ces sites. Selon cette perception, la réalisation de projets de petites centrales à l’intérieur des limites de ces parcs irait à l’encontre de la vocation même du territoire. Une autre crainte exprimée par les opposants concerne l’entretien post- exploitation d’une petite centrale. En effet, Hydro-Québec n’étant pas dans l’obligation de renouveler les contrats d’achat d’électricité76 signés avec les producteurs indépendants, rien

74 L’objectif premier dans le calcul d’un débit réservé pour un site particulier est la conservation des habitats et de la vie aquatique en aval des installations servant à la retenue d’eau et à la production hydroélectrique. Cependant, la Commission Doyon a démontré que les débits réservés écologiques n’étaient pas toujours respectés par les promoteurs. De plus, dans le cadre de nombreux projets de petites centrales, les promoteurs ont été autorisés à maintenir des débits réservés nettement en deçà des normes permettant le maintien des habitats aquatiques en aval du barrage (voir Chapitre 2 : l’exemple du projet de Forces Motrices Batiscan à la chute des Ailes). 75 Par exemple, en 1998, pour le projet de réaménagement du site des Chutes-de-la-Chaudière, le MENV a informé le promoteur du projet (la société Innergex), qu’il devait maintenir un débit réservé esthétique de 37 m³/s pendant le jour et la période estivale, contre un débit écologique de 12,5 m³/s en dehors des heures d’ouverture du parc (le promoteur proposait un débit écologique de seulement 5 m³/s dans son projet préliminaire). Pour rendre son projet plus acceptable, Innergex s’était également engagé à investir 346 000 $ dans le parc des Chutes-de-la-Chaudière et à y contribuer à raison d’un montant indexé de 100 000 $ par année. 76 Les contrats sont d’une durée variant entre 20 et 25 ans et peuvent être renouvelés une seule fois.

100 n’obligerait les promoteurs, « une fois leurs profits réalisés, de poursuivre l’amélioration et l’entretien de lieux qui resteront à jamais défigurés » (Le Devoir, 1er octobre 2002).

4.3 L’intégrité de la rivière Batiscan et la notion de patrimoine commun Par ailleurs, les représentations associées aux attraits paysagers de la Batiscan sont étroitement associées à la notion de patrimoine. En effet, lorsque des dimensions identitaires et un attachement envers un territoire « sont présents dans le processus de qualification paysagère, il arrive souvent que le paysage valorisé se voie conférer une valeur patrimoniale, soit à l’échelle locale, régionale ou même nationale » (Poullaouec- Gonidec et al., 2000). Le patrimoine repose sur quatre valeurs distinctes qui sont l’exemplarité, l’historicité, la beauté et l’identité (Ibid.). La beauté et l’identité sont les deux valeurs qui jouent un rôle central dans le type de conflits d’usages analysés dans la présente recherche : 1) La beauté peut relever du « beau universel » (le pittoresque) à l’émotion esthétique personnelle; 2) L’identité s’étend du patrimoine comme emblème national aux simples lieux de mémoire pour un groupe ou quelques individus. Tout comme le paysage, le patrimoine est porteur d’une identité collective (Ibid.). Les acteurs opposés aux projets de petites centrales perçoivent la rivière et ses attraits paysagers comme étant un patrimoine commun. Cette perception fait intervenir une autre représentation qui amène ces acteurs à prétendre que la Batiscan doit essentiellement être destinée à des usages collectifs. En effet, leur raisonnement repose sur le fait que, dans la juridiction québécoise, les rivières et les plans d’eau appartiennent à la collectivité. Ainsi, le discours des opposants aux projets de petites centrales, repose sur le fait que : « l’usage dont cette ressource fait l’objet doit conséquemment être évalué sous l’angle de l’équité intergénérationnelle […] La portée d’un usage sur le potentiel d’une ressource commune pour les générations futures dépend de la disponibilité de la ressource et de la détérioration subséquente de l’usage » (RQGE, 1999 : 9). Pour cette raison, l’utilisation des rivières pour des fins de profits privés a été perçue négativement par les riverains et les utilisateurs de la rivière : « nous considérons que les projets de petits barrages sont injustifiés, contraires au bien commun, et nous refusons de voir dilapider notre richesse

101 collective »77. Pour les groupes de citoyens opposés aux projets de petites centrales, il est donc primordial de protéger les attraits paysagers et l’intégrité environnementale de la Batiscan pour le bien des générations futures. Cette représentation véhicule la perception que l’hydroélectricité est incompatible avec la mise en valeur des caractéristiques naturelles de la rivière et du développement récréotouristique. Les projets de petites centrales amputeraient, en partie, ce patrimoine naturel que les communautés locales souhaitent valoriser au profit des générations suivantes. Par ses impacts sur l’environnement, le paysage et le développement récréotouristique, la petite production hydroélectrique priverait toute une région de cette plus value environnementale, récréotouristique et paysagère. À ce sujet, Poullaouec-Gonidec et al. (1999 : 28) soulignent que : « le caractère public de la plus-value [générée par l’aménagement d’une petite centrale] est très important, car si les projets d’aménagements n’en tiennent pas compte, des sentiments de dépossession d’une ressource collective émergeront ». Globalement, la perception de la rivière comme « milieu de vie » s’oppose à celle, plus traditionnelle, de la rivière comme « ensemble de ressources appropriables de façon privative » (Tremblay, 2003 : 9). Cet aspect du problème avait été soulevé par le MENV dans une étude réalisée en 1994, dans laquelle elle précisait qu’il était crucial d’analyser rigoureusement l’intérêt d’un projet de petite centrale « par rapport à la perte du patrimoine et à sa valeur économique potentielle (tourisme, pêche, activités récréatives, biodiversité, pouvoir autoépurateur de la rivière…) »78. Cependant, les opposants estiment que ces éléments ne semblent pas avoir fait l’objet d’une analyse rigoureuse de la part des promoteurs des projets de petites centrales sur la Batiscan.

Par ailleurs, pour les groupes nationaux opposés aux projets de petites centrales, les mesures d’atténuation offertes par les promoteurs ne sauraient remplacer le potentiel de développement écotouristique et la valeur identitaire et patrimoniale d’une rivière dans son état naturel. Ceux-ci affirment également que tout mécanisme de compensation devrait pouvoir profiter à l’ensemble de la collectivité québécoise et non pas à la seule localité qui

77 Commission parlementaire de l’économie et du travail. 26/01/2005. Le journal des débats. Vol. 38. N° 78. 78 Cadre d’analyse des projets de petites centrales hydroélectriques (MENV, 1994), cité par Groupe Stop et Coalition verte, 1999.

102 subirait les impacts découlant d’un projet de petite centrale, puisque les rivières constituent une ressource collective.

Dans les conflits caractérisant certains projets d’aménagement, le patrimoine peut être reconnu institutionnellement et bénéficier de mesures de protection. Par contre, il se peut aussi que le patrimoine soit reconnu, comme dans le cas de la Batiscan, mais qu’il ne soit peu ou pas protégé (Lecourt et Faburel, 2006 : 83). En effet, deux sites visés par les projets de petites centrales avaient été intégrés dans des parcs : le parc municipal de la chute du Neuf et le Parc régional de la rivière Batiscan (chute des Ailes). Ce fait semble démontrer qu’il existe un certain consensus social sur la valeur identitaire et patrimoniale de ces deux sites79. Par contre, ceux-ci sont des parcs gérés par le milieu municipal, alors les divers éléments de leurs territoires, comme les chutes, ne bénéficient pas de véritables mesures de protection80. Pour les opposants, les projets de développement hydroélectrique à l’intérieur même des limites de ces parcs constituent une menace pour la préservation de milieux déjà valorisés pour leur qualité environnementale et paysagère : « [la réalisation des petites centrales] évacuerait ainsi la singularité des lieux, c’est-à-dire les significations culturelles associées aux différentes chutes de cette portion de la Batiscan » (Poullaouec- Gonidec et Tremblay, 1999). Devant ce constat, les comités de citoyens ont cherché à ériger en symbole territorial les chutes et les tronçons de rivières qui seraient affectés par les projets de petites centrales, afin d’obtenir leur protection définitive.

Dans le cas du projet de la SERB à Saint-Adelphe et à Lac-aux-Sables, la stratégie du comité « Eau Vive Batiscan » est différente puisque la section de la rivière visée n’est pas intégrée dans un parc. En effet, les terrains bordant les chutes du Deux et du Cinq appartiennent à des citoyens qui possèdent des terres et des habitations secondaires aux abords de la rivière. Ils sont aussi interpellés par la sauvegarde des attraits patrimoniaux de

79 Dans une étude réalisée au début des années 1980, Hydro-Québec mentionnait que le site de la chute des Ailes, visé par le projet de Forces Motrices Batiscan (1998-2004), était caractérisé par un fort potentiel archéologique, notamment en raison des vestiges d’un village et des installations associées à la période où la compagnie Price était très active dans la région à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. 80 Le parc municipal de la chute du Neuf est géré par la municipalité de Notre-Dame-de-Montauban et le Parc régional de la Batiscan est administré, en partie, par les municipalités de Saint-Narcisse, de Sainte-Geneviève- de-Batiscan et de Saint-Stanislas. Dans ces conditions, la protection des éléments du territoire intégrés dans ces parcs ne dépend que de la bonne volonté des administrateurs locaux et régionaux, contrairement aux parcs provinciaux et aux aires protégées dont la protection est assurée par des lois et des règlements.

103 la Batiscan : « Nos rivières sont notre patrimoine naturel que nous voulons léguer à nos enfants » (EVB, 2005 : 3). Cependant, leurs revendications reposent également sur des éléments relatifs à la jouissance de leurs terres et de leurs propriétés en bordure de la rivière : « Je crois que la privation de la jouissance des lieux sur notre propriété ne s’estime pas en argent. Je crois que c’est très légitime de vouloir léguer à nos enfants des habitats conservés dans leur état naturel » (Le Nouvelliste, 4 août 2004). Pour l’ensemble de ces raisons, les gens se sont regroupés au sein de comités de citoyens, afin de donner plus d’importance au mouvement d’opposition et plus de portée à leurs discours, tout en cherchant à mettre en œuvre des projets alternatifs aux petites centrales.

4.4 Les petites centrales : le potentiel de développement régional et les impacts sur le récréotourisme L’analyse précédente nous a permis de comprendre que, de façon générale, dans le dossier de la petite hydraulique, deux représentations centrales s’opposent. D’un côté, les promoteurs et les partisans de la petite hydraulique se représentent la rivière comme un « stock de ressources appropriables de façon privative » que les régions, en partenariat avec des promoteurs privés, peuvent exploiter à des fins de production hydroélectrique, dans le but d’engendrer des retombées économiques importantes pour le milieu hôte. Par ailleurs, les opposants aux projets de petites centrales perçoivent la rivière et ses nombreux attraits comme un « milieu de vie », une richesse patrimoniale dont il faut absolument protéger l’intégrité et, de préférence, l’intégralité, afin de pouvoir la mettre en valeur à des fins récréotouristiques. Pour les promoteurs et les partisans des projets de petites centrales, l’argument du développement régional et des retombées économiques est très important. C’était d’ailleurs un des arguments principaux avancés par le gouvernement provincial et le MRN lors du lancement du premier programme des petites centrales de 1990 et lors des relances subséquentes81. Les problèmes économiques régionaux se faisant plus criants, plusieurs municipalités et MRC perçoivent alors les projets de petites centrales comme une façon d’obtenir une source de financement à long terme. Par exemple, les élus de la

81 Les promoteurs et les partisans des projets de petites centrales mettent de l’avant le fait que le premier programme a permis la création de 7 000 emplois (phase de construction) et des investissements de 500 millions de dollars, principalement dans les régions ressources (AQPER, 2005 et MRN, 2001).

104 municipalité de Notre-Dame-de-Montauban et de la MRC de Mékinac affirmaient que les redevances associées au projet de petite centrale à la chute du Neuf, estimées à 280 000 dollars annuellement82, permettraient d’investir dans l’assainissement des eaux et l’amélioration des chemins publics (Le Nouvelliste, 2 novembre 2002). De plus, la MRC de Mékinac estime que les projets de petites centrales « ne sont pas répulsifs, ils peuvent même s’avérer des atouts de développement récréotouristique qui ne feraient, dans notre cas, que bonifier les retombées économiques directes, tellement essentielles pour l’avenir de la MRC de Mékinac83 » (MRC de Mékinac, 2005 : 2).

Par ailleurs, l’AQPER affirme que la légitimité des projets de petites centrales réside dans le fait qu’ils créent plus d’emplois locaux permanents, par MW installés, que les mégaprojets. Par exemple, l’AQPER souligne que la centrale « SM-3 d’Hydro-Québec créera 5 emplois locaux pour 880 MW installés, alors que les deux centrales privées SM-1 et SM-2 sur la même rivière en créent 5 mais pour 47 MW installés, soit 19 fois plus par MW » (AQPER, 2005 : 13). Cet exemple tend à donner raison aux promoteurs, mais il faut souligner que les petites centrales permettent, en moyenne, la création de 1,7 emploi permanent [souvent spécialisé] par centrale (Fondation Rivières, 2005 : 57). De plus, il est intéressant de constater qu’à l’exception de la réalisation des travaux de génie civil, le milieu hôte est très peu impliqué dans la réalisation d’un projet de petite centrale (Tableau 6).

82 Les retombées associées aux projets de petites centrales dépendent fortement des coups d’eau et des sécheresses (Fondations Rivières, 2005a). Le facteur d’utilisation moyen des petites centrales se situe habituellement autour de 60 % et varie en fonction de la capacité de la retenue d’eau, des crues, de la pluviométrie et des sécheresses (Raphals & Dunsky, 1999). Le rendement et les retombées économiques des petites centrales dépendent donc fortement de ces facteurs. Dans plusieurs cas, il s’est avéré que les promoteurs ne respectaient pas les débits réservés, dans le but de garantir la rentabilité de leurs centrales. (Commission Doyon, 1997; Blain, 2001; Fondation Rivières, 2005c). 83 Pour démontrer l’importance du projet de petite centrale pour le développement de la région, la MRC de Mékinac écrit : « notre population diminue et vieillit plus vite qu’ailleurs au Québec, nos revenus sont plus faibles et davantage constitués de paiements de transferts et notre marché du travail est anémique. Ce ne sont pas là des complaintes, mais bien la mesure des défis que nous avons à relever » (MRC de Mékinac, 2005).

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Tableau 6 : Répartition des activités/emplois pendant la construction d’une petite centrale hydroélectrique. Milieu Hors Région de Province Hors Activité de construction hôte Montréal Montréal Québec Québec (%) (%) (%) (%) (%) Travaux de génie civil 74 86 12 98 1.3 1) Main-d’oeuvre 66 81 19 100 0 2) Autre 77 90 8 98 2 Travaux de génie méc./élec. 13 27 39 76 24 1) Turbine-alternateur84 17 26 65 91 9 2) Sans turbine-alternateur 5 25 40 65 35 3) Main-d’oeuvre 35 95 5 100 0 Ingénierie et gestion 21 38 60 98 2 Autres coûts / activités 28 48 12 60 40 Total – période de construction 41 60 27 87 13 Total – période d’exploitation 10 29 46 75 25 Source : Groupe Stop et Coalition verte, 1999 : 31 et AQPER, 2005 (Adapté par l’auteur). De plus, les travaux de la Commission Doyon (1997 : 238) ont souligné cette faible création d’emplois comme étant un argument permettant de remettre en doute le rôle de la petite hydraulique en tant que moteur de développement régional : Les emplois permanents sont, à toutes fins utiles, inexistants, sauf quant à de possibles activités touristiques incidentes. L’exploitation d’une petite centrale ne crée pratiquement pas d’emplois, ce qui est d’ailleurs essentiel pour qu’elle soit rentable. La surveillance et le contrôle de l’opération technique sont souvent assurés à distance au siège social du producteur. La seule activité locale est alors liée à la sécurité et à l’entretien et ne s’exerce qu’à temps partiel. Par ailleurs, l’AQPER souligne que l’aspect environnemental est particulièrement pris en compte et est encadré par un ensemble de lois rigoureuses et que, dans certains cas, « plusieurs aménagements réalisés depuis 1990, […] ont contribué à augmenter l’attrait des sites […] Ils ont permis aussi de sécuriser certaines installations dangereuses pour le public, du fait de leur abandon » (Cerceau, 2004). En effet, dans certains cas, il est possible de mettre en valeur, sur le plan récréotouristique, certains sites harnachés. À titre d’exemples, l’AQPER cite : 1) la centrale de Rivière-du-Loup85 qui a reçu le Grand prix du

84 Le Groupe turbine-alternateur constitue le noyau de toute centrale hydraulique (forte valeur ajoutée et contenu technologique important). Cet équipement est pratiquement toujours développé et fabriqué entièrement hors de la région du projet, et une partie significative est importée (Groupe Stop, 1999 : 33). 85 Dans le cas de la centrale de Rivière-du-Loup, le promoteur a accepté de participer à l’aménagement d’un parc urbain municipal. Par contre, ce projet se distingue de ceux projetés sur la Batiscan, dans la mesure où : 1) celui-ci visait la réaffectation d’un site et non un site vierge et 2) celui-ci était situé en plein cœur de la ville de Rivière-du-Loup, où l’intégration au paysage était beaucoup plus facile que dans un site où les paysages « naturels » prédominent.

106 tourisme québécois en 1997; 2) la centrale des Chutes-de-la-Chaudière86 qui a contribué à l’aménagement d’infrastructures touristiques dans le parc et a ainsi amené une hausse sensible de la fréquentation par le public de la région (AQPER, 2005). Ainsi, l’ensemble des promoteurs et des partisans des projets de petites centrales partage la représentation selon laquelle le développement hydroélectrique est compatible avec le récréotourisme et la préservation des attraits naturels de la rivière. De plus, l’AQPER souligne que, sur le territoire québécois, plusieurs centrales hydroélectriques sont situées dans des parcs : « Chute Chaudière, Coaticook, Sept-Chutes, Centrale Paton au lac des Nations; et elles font toutes partie de circuits touristiques » (AQPER, 2005 : 14). Cependant, dans la plupart des cas, ces centrales ont fait l’objet d’une réfection et ont été remises en service au cours des quinze dernières années. Souvent, les parcs, où ces petites centrales sont présentes, ont été créés pour souligner cet élément historique et mettre en valeur le patrimoine hydroélectrique du territoire. Cet argument ne peut donc pas s’appliquer au cas des projets sur la Batiscan, où les promoteurs souhaitaient réaliser des projets de petites centrales sur des sites vierges, dont deux sont déjà intégrés dans des parcs. Ces parcs ont d’ailleurs été créés dans le but de protéger et de mettre en valeur des sites naturels présentant des attraits naturels et paysagers hors du commun et ayant une forte charge identitaire et emblématique pour les populations locales.

Les opposants locaux et régionaux aux projets sur la Batiscan ne contestent pas la nécessité de trouver des moyens de relancer l’économie régionale. Par contre, ils cherchent à proposer des modes de mise en valeur du territoire et de la rivière qui entraîneront moins d’impacts environnementaux et qui permettront un développement socioéconomique à plus long terme. Pour cette raison, ces acteurs misent fortement sur le développement du récréotourisme et de l’écotourisme87. En effet, ceux-ci mettent de l’avant le fait que « le tourisme constitue le secteur de l’économie où le nombre d’emplois créés par rapport à la

86 À l’époque, ce projet avait soulevé une vive controverse, comparable à celle qui a caractérisé le projet de Forces Motrices Batiscan dans le Parc régional de la Batiscan. Cependant, il s’agit ici, encore une fois, d’un site qui a fait l’objet d’une réfection et non d’un site vierge. 87 Le récréotourisme correspond à l’ensemble des activités liées au loisir et au tourisme de plein air. Il repose sur la découverte des milieux naturels et la pratique d’activités sportives diverses. L’écotourisme, de son côté, vise à faire découvrir un milieu naturel tout en préservant son intégrité. L’écotourisme repose sur des activités d’interprétation des composantes naturelles ou culturelles du milieu tout en favorisant une attitude de respect envers l'environnement.

107 capitalisation est l’un des plus importants, et qui a de plus l’avantage de favoriser les économies régionales88 » (RQGE, 1999 : 14). Selon le conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT), ce secteur économique est : La 1ère industrie à l’échelle mondiale […] le tourisme est l’un secteur des plus dynamiques de l’économie du Québec. Le tourisme représentait 3,2 % de l’emploi au Québec en 1998 […] c’est 26 112 entreprises et près de 320 000 emplois directs et indirects. C’est l’un des secteurs d’activité économique qui connaît la plus forte croissance en ce qui a trait à la création d’emplois (CQRHT, 2004). Donc, pour ces acteurs, le développement du récréotourisme constitue une alternative viable aux projets de petites centrales. De plus, cette représentation est renforcée par le fait que la petite hydraulique ne contribue pas à créer d’emplois à moyen et long terme et que l’activité économique suscitée par la construction des installations et des barrages est de courte durée : « Après tout, malgré les retombées que ces projets font miroiter en échange de leur dérangement environnemental, il n’en reste pas moins qu’ils ne créent pas ces précieux et nombreux emplois qui pourraient faire la différence économique dans les milieux ruraux » (Le Nouvelliste, 8 octobre 2004). De plus, le discours de ces acteurs véhicule la représentation que « la construction d’un barrage […] vient amputer la Batiscan de son rôle écotouristique » (EVB, 2005 : 8). Ainsi, pour les opposants, la crainte d’une destruction des attraits paysagers de la Batiscan recoupe celle de la fin du développement récréotouristique et d’une perte de visibilité externe pour le territoire. De plus, devant la pluralité des projets de petites centrales sur la Batiscan, les comités de citoyens étaient persuadés que l'exploitation intensive de la rivière à des fins de production hydroélectrique pourrait ne pas garantir la qualité du produit de plein air de la région. Dans ce contexte, les opposants avancent qu’il est impossible de calculer la rentabilité d’une centrale hydroélectrique sans prendre en compte son impact sur le potentiel récréotouristique de la région, car la « protection et la durabilité des ressources naturelles sont essentielles au développement et au maintien des activités de plein air et de

88 L’écotourisme représentait plus de 15 % du secteur touristique québécois en 2004. Cependant, il connaît la croissance la plus rapide depuis 10 ans. De plus, ce secteur engendre des retombées de plus de 2,9 milliards de dollars annuellement au Québec (valeur ajoutée de 1,4 milliard de dollars). Plus de 36 500 emplois y sont associés. En 2004, plus de 51,7% des Québécois affirmaient avoir pratiqué au moins une activité écotouristique au cours de l’année. En moyenne, les ménages québécois dépensent 1800 dollars par année pour la pratique de ces activités (Aventure Écotourisme Québec, 2004).

108 tourisme »89. Les usagers et les groupes locaux opposés aux projets de petites centrales sur la Batiscan voient dans la promotion du récréotourisme un moyen d’arriver à une fin, soit la protection des caractéristiques naturelles qui confèrent un statut particulier à cette rivière méridionale. Parallèlement, la protection des caractéristiques naturelles de la Batiscan permettrait aussi de garantir le succès du développement récréotouristique.90 Pour appuyer ce fait, les opposants soulignent que : « le parc de la rivière Batiscan est un volet écotouristique très important pour la Mauricie […] sa clientèle a doublé depuis le temps qu'on a parlé de s'opposer à une petite centrale dans le parc de la rivière Batiscan. Donc, ça veut dire quelque chose… »91. De plus, le parc a été récompensé à de nombreuses reprises lors des Grands Prix du tourisme québécois.92 Cependant, cette vision n’est pas partagée par la Fédération québécoise des municipalités, une ardente partisane des projets de petites centrales, pour qui le « secteur récréotouristique, si important soit-il pour les régions, ne suffit pas à lui seul à fournir des moyens permettant des actions structurantes pour les milieux » (FQM, 2005 : 12).

D’autre part, le Regroupement québécois des groupes écologistes (RQGE) a identifié trois enjeux récréotouristiques majeurs pouvant être associés au développement de la petite production hydroélectrique : 1) L’utilisation fréquente des biefs-amont et réservoir de tête pour la pratique sportive ou la détente (chalets, pêche, canotage); 2) La mise en valeur des attraits esthétiques, culturels ou naturels du site de la rupture de pente ; 3) La pratique d’activités extensives le long de la rivière génère elle aussi un attrait (sentiers intermunicipaux, pistes cyclables et autres activités de rives se bonifient du charme et des caprices de l’eau, de même que toutes les activités nautiques qui nécessitent une multitude d’accès au cours d’eau (RQGE, 1999 : 16). Le premier enjeu, soit l’utilisation des réservoirs à des fins récréotouristiques est un argument souvent mis de l’avant par les promoteurs (AQPER, 2005; Cerceau, 2004; Baril,

89 Entretiens (Été 2006). 90 La FQCK et la SAMBBA décrivent le potentiel de développement récréotouristique de la MRC de Mékinac comme étant très important, en raison de l’important couvert forestier, d’une faune abondante et diversifiée, de la présence de centaines de cours d’eau et de lacs, dont la Batiscan constitue l’artère fluviale principale (FQCK, 1999; SAMBBA, 2007) 91 Entretiens (Automne 2006). 92 Notamment, en 2004, le parc a remporté le Grand Prix de bronze dans la catégorie « Camping » et a remporté les grands honneurs dans la catégorie « Prix tourisme de plein air et aventure / Mauricie » (http://www.aventure-ecotourisme.qc.ca).

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2003), mais les retenues d’eau envisagées dans le cas des projets sur la Batiscan n’offrent qu’un faible potentiel de développement sur ce plan. Par contre, les deux autres enjeux sont très importants et occupent une place centrale dans le discours des comités locaux interpellés par la mise en valeur de la Batiscan. Par contre, l’AQPER estime que la participation des MRC et des municipalités dans les projets devrait assurer une « garantie supplémentaire de la prise en compte des intérêts du milieu », notamment en ce qui concerne la compatibilité avec le développement récréotouristique (AQPER, 2005). L’AQPER affirme que « si le potentiel d’un site est suffisamment important, il est sûrement déjà exploité, dans quel cas les instances locales pourront en évaluer la valeur économique et déterminer si le site doit être réservé à cette fin » (Ibid.). Par contre, dans le cas du projet à la chute du Neuf où un des principaux promoteurs est la MRC de Mékinac, les opposants sont convaincus que cette situation empêche la MRC d’envisager des projets alternatifs et de miser sur le développement du potentiel récréotouristique du site. Dans le cas du projet de FMB dans la Parc régional de la Batiscan, les Amis de la Batiscan ont fait un constat similaire : L'expertise de compagnies comme Axor, CIMA+, comme Boralex, qui sont allées rencontrer les gens et qui vendent bien leur produit, a un peu engourdi, pour ne pas dire hypnotisé certaines MRC par une approche monétaire intéressante. Et, pendant tout ce temps-là, personne n'a eu l'idée de présenter un autre plan directeur, ce qui faisait dire à M. Boisclair, qui était à l'époque ministre de l'Environnement: « Mais avez-vous un autre plan de match, si on va de l'avant, puis ça ne se fait pas votre barrage? » Et on a vu un malaise dans un groupe quelconque à la réunion à laquelle je participais. Non, on n'a pas d'autres plans parce que celui-là, il est tellement intéressant financièrement93. Ce passage démontre bien la perception des membres des comités de citoyens opposés aux petites centrales face à l’attitude passive de plusieurs décideurs locaux en ce qui concerne l’élaboration de projets alternatifs. Par contre, dans le cas des deux projets proposés par la SERB aux chutes du Deux et du Cinq, les municipalités concernées ont adopté, devant l’opposition locale grandissante, des résolutions dans lesquelles elles désapprouvaient le projet. Cette prise de position des élus dans ce dossier peut s’expliquer par le fait que le projet de la SERB ne reposait sur aucun partenariat avec le milieu hôte,

93 Chute Libre : Commission parlementaire de l’économie et du travail. 26/01/2005. Le journal des débats. Vol. 38. N° 78.

110 d’où une source négligeable de revenus pour celui-ci. Plusieurs acteurs ont reproché à la classe politique régionale de ne pas avoir pris en considération les divers éléments de leur discours, notamment ceux portant sur le potentiel de développement récréotouristique de la Batiscan. Dans le même ordre d’idées, ces acteurs citent régulièrement l’exemple suivant : en 2001, le conseil municipal du canton de Lochaber, en Outaouais, a décidé d’appuyer la pétition présentée par ses citoyens qui s’opposaient au projet de construction d’une petite centrale de 18 mégawatts sur la rivière Petite-Nation : « En plus de nuire au potentiel récréotouristique de la région, la construction d’un barrage viendrait altérer de façon irréversible un site naturel d’une très grande beauté ». (Les petites nouvelles de Chute libre, 12 août 2002). La municipalité a choisi de miser sur le développement du potentiel récréotouristique du territoire et, en accord avec la MRC de Papineau, le projet a été abandonné. Pour les acteurs mobilisés contre les projets de petites centrales, cet exemple démontre que le développement régional pourrait se faire en misant sur la protection et la mise en valeur des principaux attraits de la Batiscan94.

4.5 La mobilisation : un pas vers la protection des rivières? Lorsque des citoyens se mobilisent contre un ou des projets, il est fréquent que ceux-ci se regroupent au sein d’associations et que, par la suite, certaines de ces associations se fédèrent pour augmenter la visibilité du territoire ou de la cause à défendre, tout en augmentant significativement la portée du discours des acteurs (Lecourt et Faburel, 2006). Dans le cas de la Batiscan, l’opposition locale et régionale contre les trois projets de petites centrales s’est organisée selon ce schéma, propre aux conflits d’usage et d’aménagement. Les comités de citoyens opposés aux projets se sont donc associés de façon plus ou moins formelle, dans le but de tirer profit de leur association, tout en conservant leur autonomie et leurs spécificités (ibid.). Ceux-ci ont donc cherché à élargir leurs réseaux de compétences en prenant contact avec d’autres associations concernées par des enjeux similaires.

94 En novembre 2006, un nouveau projet récréotouristique, la Route des barrages et chutes, a vu le jour en Mauricie. Ce projet permettrait de relier, par des pistes cyclables, les principaux barrages et chutes de la région, afin de mettre en valeur le patrimoine hydroélectrique et les principaux attraits naturels des rivières Saint-Maurice et Batiscan (Le Nouvelliste, 6 novembre 2006).

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Les responsables des comités de citoyens locaux, appuyés par la Fondation Rivières et divers organismes nationaux, ont également cherché à établir une association avec des personnalités qui pourraient agir à titre de porte-parole. Dans le cas de la Batiscan, le grand nombre de personnalités95 qui ont accepté d’appuyer publiquement les comités locaux (Chute Libre, Eau Vive Batiscan, les Amis de la Batiscan) est révélateur de l’ampleur du débat au sein des communautés locales.

De façon générale, les revendications des acteurs et leur approche « conservatrice » dans le dossier des petites centrales sont nées d’un constat : dans le passé, plusieurs projets de petites centrales ont contribué à détériorer, parfois de façon irréversible, le milieu où elles ont été implantées, portant ainsi atteinte aux dimensions environnementales, paysagères et patrimoniales de certains sites. Les mouvements associatifs d’opposition ont donc cherché à adopter une ligne très dure en réclamant un moratoire sur les petites centrales et en revendiquant la protection et la conservation des lieux visés par ces projets : « Il faut absolument qu'il y ait une réglementation pour déclarer des rivières patrimoniales et qu'elles soient conservées... en les déclarant aussi aires protégées à certains endroits »96. Selon ces mêmes groupes, le Québec gagnerait à protéger certains sites ou territoires de tout développement, car ce n’est qu’à « ces conditions que les promesses du tourisme d’aventure se réaliseront au Québec et par une gestion du patrimoine naturel » (RQGE, 1999 : 15). Ces mêmes acteurs soulignent également qu’une très faible partie du territoire québécois méridional est actuellement protégée. Ce constat est encore plus vrai en ce qui concerne les milieux humides et les rivières. En effet, au Québec, seulement 2,91 % du territoire (48 536 km²) était protégé en 200297 et « on compte sur le bout des doigts les

95 Selon le site de la Fondation Rivières (www.fondation-rivieres.org), la Batiscan compte, dans le cadre du mouvement Adoptez une rivière, sept parrains officiels : Laurent Allaire, Robert Brouillette, Michel Chartrand, Richard Fontaine, Aubert Pallascio, Ricardo Petrella, Paul Piché, Kim Yaroshevskaya. 96 Chute Libre. Commission parlementaire de l’économie et du travail. 26/01/2005. Le journal des débats. Vol. 38. N° 78. 97 Il faut noter que 75 % du territoire québécois actuellement protégé correspond à des zones de mise à bas du caribou, dans le Nord-du-Québec, et à l’aire de confinement du cerf de Virginie, constituée de la presque totalité de l’île d’Anticosti. Le gouvernement s’était fixé comme objectif d’atteindre, en 2005, une superficie de l’ordre de 8 % du territoire québécois, soit un ajout d’environ 85 000 km². Cependant, plusieurs auteurs soulignent le retard du Québec dans le domaine de la protection de son territoire, notamment dans la partie méridionale, puisque la moyenne mondiale se situe entre 8 et 10 % (RQGE, 1999; Gouvernement du Québec, 2004; Noël, 2005; Fondation Rivières, 2005c).

112 tronçons de rivières qui font l’objet d’une protection et il s’agit, dans presque tous les cas, de portions de rivières à saumons situées en Gaspésie » (Noël, 2005).

Devant les revendications de nombreux groupes environnementaux, le gouvernement provincial s’était engagé, dans la politique énergétique de 1996, à élaborer un processus de classification des rivières et à mettre en place un programme québécois des rivières patrimoniales. Le gouvernement avait alors comme objectif de « protéger les rivières à fort potentiel patrimonial et […] désigner les rivières où les aménagements hydroélectriques peuvent êtres considérés, en s’appuyant sur les consensus régionaux »98. Ce processus aurait permis de tenir compte des « particularités naturelles, fauniques et récréatives des rivières et de protéger et de mettre en valeur ces cours d’eau au bénéfice des générations futures »99. À cette fin, le gouvernement a mis en place, en 1998, un groupe de travail composé de trois ministères (Culture et Communications, Environnement et Faune, Ressources Naturelles). Ce comité a ensuite publié un document qui a été distribué à 64 organismes québécois à des fins de consultation. Les 64 organismes ont présenté leurs commentaires et recommandations au vers la fin de l’année 1998. C’est seulement en 2003, cinq ans plus tard, que le gouvernement péquiste de Bernard Landry a déclaré qu’il allait investir trois millions de dollars par année pour la création d’un Réseau national de rivières protégées (Fondation Rivières, 2005a). À cette occasion, les populations des régions étaient invitées à soumettre la candidature de quinze rivières. Cependant, avec l’élection du gouvernement libéral de Jean Charest la même année, ce projet ne s’est jamais concrétisé (Eau Vive Batiscan, 2005; Fondation Rivière, 2005; Noël, 2005).

Sur la rive nord du Saint-Laurent, seulement deux rivières possèdent un statut particulier : 1) la rivière Ashuapmushuan100, un tributaire du lac Saint-Jean; 2) la rivière Jacques-Cartier, qui a été intégrée au Réseau des rivières du patrimoine canadien

98 Communiqué du MRNF, 2 février 1998. 99 Ibid. 100 Cette rivière a longtemps été convoitée par Hydro-Québec et des producteurs indépendants pour l’exploitation de son fort potentiel hydroélectrique. En plus de son statut de rivière patrimoniale, le gouvernement du Québec a annoncé en 2003 son intention de créer une réserve aquatique qui couvrirait 276,6 km² (un corridor de 0,6 à 6 km de largeur, qui englobe le lit majeur de la rivière Ashuapmushuan et les versants de sa vallée, du km 51 au km 177 à partir de son embouchure) (Le Devoir, 8 avril 2003).

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(RRPC)101. Dans les deux cas, le statut particulier des rivières et de la vallée où elles coulent est le résultat d’une importante mobilisation des citoyens. Le cas de la Jacques- Cartier est particulièrement intéressant puisque la mobilisation des citoyens contre un projet de développement hydroélectrique, il y a trente ans, a grandement contribué à la création du parc provincial de la Jacques-Cartier, aujourd’hui fréquenté par plusieurs dizaines de milliers de visiteurs annuellement : Les membres du Comité pour la conservation de la Jacques-Cartier (CCJC) étaient sans doute plus susceptibles que les autres citoyens de la région ou du Québec de comprendre la nature exacte du projet d’Hydro-Québec [projet Champigny] et l’étendue de ses effets anticipés. C’est parce qu’ils connaissaient mieux que tout autre la beauté du tronçon de rivière qu’on voulait inonder, son potentiel récréatif manifeste et son statut de parc qu’ils ont été les premiers à soulever des interrogations et des doutes quant à l’opportunité de ce projet […] À la suite de l’abandon du projet, le gouvernement québécois attribue, en 1981, le statut de parc de conservation à ce secteur du parc des Laurentides et lui donne l’appellation de parc de la Jacques-Cartier. Grâce à un petit groupe de citoyens déterminés, ce territoire est maintenant protégé contre toute forme d’exploitation commerciale et industrielle des ressources naturelles102. Suite à l’étude des trois cas sur la Batiscan, nous constatons que les opposants sont motivés par le même objectif que les membres de la CCJC il y a trente ans. L’objectif ultime de leur démarche est de convaincre l’ensemble des citoyens des municipalités concernées par les projets de petites centrales, ainsi que la classe politique locale, régionale et provinciale de l’importance d’assurer la protection de certaines rivières jugées patrimoniales. Le discours de ces acteurs véhicule la perception que très peu a été fait jusqu’à maintenant pour la conservation de ces sites : « dans chacune des régions touchées, il y a du travail à faire, car nous avons toujours travaillé en fonction du développement et non de la protection » (Le Nouvelliste, 10 septembre 2002). Par ailleurs, certains auteurs qui se sont penchés sur la question soulignent qu’il devrait y avoir un souci de « préserver certains paysages investis de valeurs particulières, mais qui doivent être encadrés d’une

101 Le RRPC a été créé en 1984 et regroupe actuellement 40 rivières d'une longueur totale de plus de 9800 km. Au Québec, seule la rivière Jacques-Cartier possède ce statut particulier (Noël, 2005). Le RRPC est le pendant canadien du Wild and Scenic Rivers Act (États-Unis), adopté il y a plus de 25 ans. Cette loi protège déjà plus de 16 000 kilomètres de torrents et de rivières patrimoniaux aux États-Unis (Noël, 2005). 102 Site Internet de la SEPAQ. Extrait du mémoire présenté à la Commission parlementaire de l’industrie et du commerce, du tourisme, de la chasse et de la pêche, le 17 mai 1973, par le Comité pour la conservation de la Jacques-Cartier (CCJC). Consulté le 16/04/2007 : http://www.sepaq.com/pq/jac/fr/historique.html.

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éthique particulière, à l’écoute des préoccupations des différents acteurs et des populations quand à leur territoire » (Poullaouec-Gonidec et al., 2000).

Cette notion de préservation est centrale dans le discours des acteurs locaux opposés au projets de petites centrales, car ils sont convaincus que la réalisation des projets récréotouristiques « nécessite le maintien à l’état naturel de la rivière et de ses caractéristiques naturelles » (FQCK, 1999). Cet élément est également présent dans le discours des acteurs nationaux pour qui la « création de richesse et d’emplois locaux liés à la préservation du milieu naturel existe, et doit être présentée aux acteurs locaux » (Le Nouvelliste, 21 octobre 2006). De plus, le discours de ces acteurs met également l’accent sur la nécessité et l’urgence de la protection des attraits de la rivière puisque « les rivières québécoises méridionales présentant un intérêt pour le développement récréotouristique et la navigation non motorisée sont de moins en moins nombreuses »103. En effet, la protection des sites visés par les projets de petites centrales permettrait la préservation des principaux attraits naturels et paysagers de la rivière et du territoire, perçue comme « essentielle au développement et au maintien des activités de plein air et de tourisme » (RQGE, 1999 : 15). Le discours de tous les acteurs opposés aux projets de petites centrales souligne que le Québec gagnerait à protéger certains territoires de tout développement, « afin de permettre à la flore, à la faune et aux rivières de se maintenir dans un état optimal » (RQGE, 1999 :15). En somme, ceux-ci préconisent une gestion prudente du patrimoine naturel et soutiennent qu’il est crucial de protéger les éléments du territoire et des rivières ayant une forte valeur identitaire pour les communautés locales (Figure 21).

103 Entretiens (Automne 2006).

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Figure 21 : Table ronde lors du Forum national sur l’énergie et la préservation des rivières104 (Mauricie, octobre 2005)

Source : www.fondation-rivières.org

De plus, cette approche permettrait de mettre sur pieds un véritable projet sociétal, reposant sur le développement récréotouristique, qui serait beaucoup plus rassembleur pour les gens concernés par la mise en valeur de la rivière : C'est que, depuis trop longtemps dans notre milieu rural, on a travaillé à se défendre, à se débattre […] pour ramasser des sous pour nous aider à payer un avocat, pour nous aider à comprendre c'est quoi des mégawatts, c'est quoi une centrale au fil de l'eau […] Tout ce temps-là, ces belles énergies ont créé une synergie dans nos milieux ruraux. Tous ces gens-là, avec la passion légendaire, ont éveillé un sentiment d'appartenance à nos régions, à notre rivière, et je souhaite que cette énergie-là ait la même réception devant nos élus quand on arrivera avec des projets qui sont beaucoup plus rassembleurs. […] en protégeant la rivière, on se rend compte que c'est beaucoup plus rassembleur, et la paix sociale reviendra parce que là on développera à notre image, dans notre milieu, en respect avec notre environnement105. 4.6 Synthèse Tout d’abord, il ressort de cette analyse que, dans tous les cas, les promoteurs de petites centrales mettent de l’avant la dimension économique des retombées pour les

104 Plus de 20 comités de citoyens et organisations, de partout au Québec, ont participé à ce forum. Cette fin de semaine de formation et de discussion visait à faire un lien entre les enjeux sociaux, environnementaux, économiques et énergétiques de la production d’énergie (www.fondation-rivières.org).

116 populations locales. Cependant, les opposants rejettent ces projets d’aménagement et de mise en valeur de la rivière Batiscan, car les projets de petites centrales sont perçus comme étant une menace pour la qualité de leur « milieu de vie ». Pour ces acteurs, la rivière Batiscan possède des caractéristiques naturelles rares pour un cours d’eau méridional : son eau est de très bonne qualité et on y retrouve un seul barrage sur les 196 kilomètres de son cours; son profil présente une quinzaine de chutes spectaculaires; de nombreux parcs y ont été créés pour mettre en valeur les attraits naturels et paysagers de la rivière.

Ces éléments participent à la construction de la représentation selon laquelle la réalisation de projets de petites centrales sur la Batiscan ou à l’intérieur des limites de parcs municipaux et régionaux irait à l’encontre de la vocation même du territoire. De plus, dans l’espoir de voir la rivière et ses principaux attraits naturels préservés, ceux-ci ont élaboré et cherché à mettre en oeuvre des projets alternatifs axés vers le récréotourisme. Le discours de ces acteurs véhicule la représentation que le récréotourisme constitue une activité économique majeure et suffisante pour assurer un développement local régional à long terme. Le développement de ce secteur en plein essor, qui engendre d’importantes retombées socioéconomiques, notamment en région, permettrait de contrer le projet de petite centrale. D’autre part, la rivière est perçue comme une ressource patrimoniale dont les principaux usages doivent d’abord servir à répondre à des besoins collectifs. Pour cette raison, ces acteurs s’opposent aux impacts irréversibles qui seraient engendrés par la construction de petites centrales sur des sites présentant des paysages de rivière (encaissement, chutes et rapides) emblématiques et ayant une forte valeur identitaire pour les communautés locales. Par ailleurs, la préservation des principaux attraits de la rivière Batiscan est elle-même perçue comme étant un élément fondamental à la réussite du développement du secteur récréotouristique.

Pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment, les comités locaux de citoyens, appuyés par une bonne partie de la population, ont fait des demandes officielles au gouvernement provincial pour que des aires protégées et des réserves aquatiques soient créées. L’objectif de cette démarche était de garantir la protection définitive des

105 Entretiens (Été 2006) et Commission parlementaire de l’économie et du travail. 26/01/2005. Le journal des débats. Vol. 38. N° 78.

117 caractéristiques naturelles de la rivière Batiscan, afin de soustraire ces sites à d’éventuels projets de petites centrales. En somme, il semble que, pour les opposants, la valeur de la Batiscan repose sur des aspects qui ne sont que très peu considérés par les décideurs actuels.

118 Conclusion

Notre seule option, c’est de fréquenter les rivières et d’amener les gens à les voir. Si on ne voit pas, on ne sait pas. --Michel Gauthier (Fondation Rivières)

Dans le contexte international actuel, notamment dans les pays en voie de développement, les petites centrales hydroélectriques peuvent être perçues comme des supports au développement socioéconomique des régions qu’elles desservent, en particulier les régions rurales (Poullaouec-Gonidec et al., 1999 : 111). La grande majorité de ces régions vont accueillir favorablement de tels projets dans la mesure où celles-ci souffrent souvent d’un manque d’électrification qui nuit à leur développement106. Cependant, le contexte québécois ne peut se comparer à ces contextes de pénurie d’énergie ou de naissance de la production hydroélectrique. De plus, le caractère renouvelable et propre de l’énergie produite par la filière de la petite production hydroélectrique est de plus en plus remis en question107.

Par ailleurs, le Québec, depuis le milieu du XXe siècle, a surtout misé sur l’exploitation des grandes rivières nordiques pour la réalisation de mégaprojets hydroélectriques. Pour cette raison, il existe encore, sur le territoire québécois, quelques rivières méridionales peu exploitées, comme la Batiscan, dont le potentiel de développement récréotouristique, axé sur la mise en valeur des caractéristiques naturelles et des aspects paysagers du territoire où elle coule, demeure important. Ainsi, il n’est pas surprenant de constater que les projets de petites centrales, en dépit d’une perspective de développement socioéconomique pour les milieux hôtes, soulèvent d’importants conflits d’usages qui divisent les populations à l’échelle locale et régionale en ce qui concerne l’aménagement et la mise en valeur de la rivière. Ces projets ont donc bouleversé le rapport au territoire et à la rivière de certains acteurs, pour lesquels la production hydroélectrique

106 Dans les pays en développement, le rôle des petites centrales hydrauliques est plus important, dans la mesure où les réseaux sont moins puissants et la diversité des solutions hydrauliques permet des solutions locales et décentralisées de production (Von Moos, 1997). 107 Palmer, 1988; Drapeau, 1999; Poullaouec-Gonidec et al., 1999; Raphals & Dunsky, 1999; Abbasi et Abbasi, 2000; Waters, 2000; Postel, 2005.

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était incompatible avec la vocation actuelle [et projetée] du territoire, de même qu’avec la représentation d’un milieu de vie de qualité.

La réfection et la construction de petites centrales au Québec : retour sur les objectifs gouvernementaux Dans un premier temps, nous avons pu démontrer qu’au Québec, la réfection et la construction de petites centrales par des producteurs indépendants, à partir du début des années 1990, reposaient principalement sur des objectifs gouvernementaux de développement local et régional. Au départ, l’émergence du mouvement d’opposition aux projets de petites centrales et sa consolidation semblent avoir été catalysées par les nombreuses irrégularités qui ont caractérisé le programme gouvernemental de 1990 concernant la petite production privée d’hydroélectricité. Certains acteurs, qui ont été amenés à créer, au début des années 2000, la Fondation Rivières et le mouvement Adoptez une rivière108, ont dénoncé les impacts environnementaux, les faibles retombées économiques et les modalités des contrats d’achat d’électricité signés entre les producteurs indépendants et Hydro-Québec. Les constats qu’ils ont faits ont soulevé une controverse si importante, que le gouvernement provincial a été dans l’obligation d’instaurer un moratoire sur la petite production hydroélectrique et de créer la Commission d’enquête sur la politique d’achat d’électricité d’Hydro-Québec auprès des producteurs privés (1995-1997). Après deux ans de travaux, la Commission a établi que le programme gouvernemental avait souffert de plusieurs lacunes et questionnait ouvertement sa légitimité. Plus particulièrement, la Commission recommandait d’éviter l’aménagement de nouveaux sites vierges et de consulter, tôt dans le processus, les communautés locales concernées. De plus, la Commission statuait que les projets de petites centrales, à l’exception de la période de construction, entraînaient très peu de retombées socioéconomiques pour les milieux hôtes.

Dans un deuxième temps, le gouvernement a, entre 1996 et 2001, cherché à relancer le développement de la petite production hydroélectrique. Pour rendre ces projets plus acceptables pour les milieux hôtes, le gouvernement a amendé certaines lois (L.R.Q. et

108 Des regroupements nationaux comme la Coalition Eau Secours! et la Fondation Rivières ont contribué à la création du mouvement Adoptez une rivière, où des artistes étaient invités à appuyer des comités de citoyens, en région, et parrainer des rivières visées par des projets de petites centrales.

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L.Q.E.)109, afin de resserrer les normes environnementales et assurer une plus grande participation des instances locales dans les projets. Cependant, certains aspects négatifs du programme de 1990, révélés par les travaux de la Commission Doyon, ont été répétés lors du nouveau programme gouvernemental de 2001, notamment en ce qui concerne l’exclusion des sites vierges, la consultation et la prise en compte des intérêts des populations locales (Commission Doyon, 1997). Par ailleurs, le gouvernement, dans sa plus récente politique énergétique (2006), abandonnait l’idée d’encadrer la petite production hydroélectrique à l’aide d’un programme gouvernemental bien défini, allant une fois de plus à l’encontre d’une recommandation de la Commission Doyon. En somme, c’est pour atteindre son objectif de développement local et régional que le gouvernement a conféré en 2006, par l’entremise des lois 21 et 62, des compétences et des responsabilités grandissantes aux municipalités et aux MRC en ce qui concerne l’aménagement des rivières et la participation à la production d’énergie.

En somme, par l’adoption de ces nouvelles politiques, le gouvernement cherchait à rendre plus acceptables ces projets, souvent impopulaires dans les milieux hôtes, en permettant aux instances locales et régionales de devenir les principaux acteurs de ce type de développement, afin d’augmenter significativement les retombées socioéconomiques qui y sont rattachées110. Ainsi, toutes les municipalités souhaitant développer le potentiel hydroélectrique de rivières situées sur leur territoire pourront dorénavant présenter une demande en ce sens au gouvernement. Le gouvernement a cherché à faire de la petite production hydroélectrique un véritable moteur de développement local et régional et ses objectifs et son discours sur la question n’ont que très peu évolué au cours de la période à l’étude (1990-2007). Et cela, en dépit du fait qu’un grand nombre d’acteurs questionnait la légitimité de la petite production hydroélectrique au Québec et qu’une forte opposition subsiste toujours dans les milieux hôtes.

109 Loi sur le régime des eaux. Loi sur la qualité de l’Environnement (petites centrales : 25 MW (avant 1999) / 50 MW (entre 1999-2007). Règlement sur l'évaluation et l'examen des impacts sur l'environnement (Avant 2002, seuls les projets de plus de 10 MW étaient soumis à une étude du BAPE, après 2002 (plus de 5MW) et après 2006 (tous les projets). 110 Depuis 2006, les instances locales doivent dorénavant être les actionnaires majoritaires des nouveaux projets de petites centrales (plus de 51 % des parts).

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Par ailleurs, le rôle grandissant des instances locales et régionales dans la production énergétique et l’aménagement des cours d’eau risque d’occasionner une multiplication des projets111, surtout en considérant la vision « salvatrice » qui caractérise souvent la perception qu’ont les décideurs locaux de la petite production hydroélectrique. Cette crainte a d’ailleurs été exprimée par l’ensemble des opposants rencontrés dans le cadre de cette recherche. De plus, le potentiel de développement socioéconomique associé à la petite production hydroélectrique fait en sorte qu’il est rare qu’un autre type d’aménagement et de mise en valeur du territoire soit considéré par les décideurs locaux lorsqu’un projet de petite centrale est envisagé (ex. le cas de la chute du Neuf). En somme, la dimension économique des projets de petites centrales hydroélectriques pèse souvent très lourd dans la balance par rapport aux autres critères, lorsqu’une MRC et une municipalité doivent se prononcer sur le sujet.

Retour sur les représentations des partisans et des promoteurs des projets de petites centrales Premièrement, nous avons pu démontrer, suite à l’étude de cas sur la Batiscan, que les promoteurs des petites centrales, tout comme le gouvernement, utilisaient abondamment l’argument des retombées économiques pour les milieux hôtes. Les tenants de la filière de la petite production hydroélectrique ont présenté les projets aux populations locales comme étant un important levier de développement et une solution à différents problèmes de financement. Dans le cas du projet dans le parc régional de la Batiscan, les gestionnaires du parc ont fondé beaucoup d’espoir dans leur partenariat avec Boralex, dans le but de développer le potentiel hydroélectrique de la chute des Ailes et ainsi régler les problèmes financiers récurrents du parc et construire de nouvelles infrastructures. Par ailleurs, pour les élus de la municipalité de Notre-Dame-de-Montauban et de la MRC de Mékinac, la réalisation de la petite centrale sur le site de la chute du Neuf permettrait de générer des redevances qui pourraient être réinvesties dans des infrastructures municipales. Dans le cas des deux projets de la Société d’énergie de la rivière Batiscan aux chutes du Deux et du

111 La Fédération québécoise des municipalités avançait, en 2005, qu’un sondage interne, auprès des municipalités membres, dévoilait que plus de 75 % d’entre elles souhaitaient devenir les propriétaires majoritaires d’installations hydroélectriques (FQM, 2005).

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Cinq, les retombées pour le milieu hôte auraient été minimes puisque le promoteur privé n’envisageait aucun partenariat avec les instances locales. Toutefois, les trois études de cas ont démontré que l’aspect économique des retombées des petites centrales n’est pas garant de leur acceptabilité sociale. Le mouvement d’opposition aux petites centrales repose sur des éléments complexes qui vont au-delà du seul aspect financier, trop souvent central, dans les conditions qui déterminent ou non la faisabilité et l’acceptabilité sociale d’un tel projet.

Retour sur les représentations et les logiques d’action du mouvement d’opposition Les sites visés par les projets de petites centrales sont tous situés à proximité de zones habitées, fréquentées par les communautés locales et valorisées à des fins récréotouristiques ou de villégiature. Ainsi, ces projets ont été rapidement perçus comme étant une « menace » pour l’intégrité environnementale de la rivière et ses caractéristiques naturelles. Cette perception des riverains et des usagers de la rivière peut s’expliquer par le fait que, depuis 1963, l’année de la dernière campagne de drave sur la rivière Batiscan, ceux-ci se sont peu à peu réappropriés collectivement le cours d’eau et de nouveaux usages, principalement récréotouristiques, ont vu le jour. Plusieurs municipalités ont alors cherché à mettre la rivière et ses principaux attraits naturels et paysagers en valeur. Nous pouvons penser, entre autres, à la création du parc municipal de la chute du Neuf (Notre-Dame-de- Montauban) et du parc régional de la Batiscan (Saint-Narcisse, Saint-Stanislas, Sainte- Geneviève-de-Batiscan) et à l’organisation du Festival des deux rivières (Saint-Stanislas). Au cours des dernières décennies, les riverains et divers usagers de la rivière ont donc développé un sentiment d’attachement profond envers la Batiscan. La rivière, ses chutes et ses paysages sont devenus, de par leur caractère emblématique et identitaire, un aspect important de leur territoire. Pour cette raison, plusieurs citoyens se sont mobilisés et se sont regroupés au sein de comités (Chute Libre, Eau Vive Batiscan, Les Amis de la Batiscan) pour s’opposer aux projets de petites centrales. Ces acteurs s’opposaient au fait que les promoteurs et les instances locales, pour obtenir des retombées socioéconomiques associées aux projets de petites centrales, étaient prêts à amputer une partie importante du patrimoine naturel du territoire et de la rivière. Pour les opposants, la réalisation de projets

123 hydroélectriques à l’intérieur des limites de parcs, créés pour mettre en valeur les attraits naturels et paysagers de la Batiscan, allait à l’encontre de la vocation même du territoire. Les projets de petites centrales, tout comme les projets de parcs éoliens, sont souvent perçus, par les opposants, comme engendrant une transformation symbolique du territoire et de l’image qu’il donne à voir (Valette, 2005).

Par ailleurs, convaincus que les projets de petites centrales n’étaient pas justifiés, les différents comités de citoyens ont cherché à faire front commun pour empêcher leur réalisation et proposer des projets alternatifs. Premièrement, ceux-ci soulignent le fait que la filière de la petite production hydroélectrique ne génère très peu d’emplois, pourtant essentiels pour qu’un projet contribue réellement au développement local et régional (Commission Doyon, 1999; Poullaouec-Gonidec et al., 1999; Blain, 2001; Fondation Rivières, 2005c). De plus, pour les opposants, la qualité de l’eau de la Batiscan, la beauté et la rareté des paysages sont autant de forces sur lesquelles pourrait reposer le développement du secteur récréotouristique. Le développement de ce secteur permettrait à la fois de contrer le projet adverse et de générer des retombées socioéconomiques à long terme, tout en assurant la préservation des caractéristiques naturelles de la rivière. D’autre part, la préservation des principaux attraits paysagers et naturels de la Batiscan est perçue comme un élément fondamental à la réussite du projet récréotouristique. Cette représentation s’explique par le fait que les opposants ne partagent pas l’opinion des promoteurs en ce qui concerne la compatibilité des petites centrales et du développement récréotouristique112. De plus, les opposants sont également motivés par la représentation que la rivière (et ses chutes) est une ressource collective - un patrimoine naturel - qui doit essentiellement servir à répondre à des usages collectifs.

112 Les promoteurs et les partisans des projets affirment que les petites centrales peuvent être compatibles avec le développement du secteur récréotouristique et citent souvent les exemples suivants : le parc des Chutes-de- la-Chaudière, la centrale de Rivière-du-Loup et celle de Rimouski (MRN, 2001; Cerceau, 2004; AQPER, 2005; Cerceau, 2005; FQM, 2005). Cependant, il faut comprendre que ces petites centrales ont toutes fait l’objet d’une réfection, au cours des années 1990, et qu’aucune n’a été construite sur un site vierge. La question de la compatibilité des usages se pose donc vraiment dans le cas de la Batiscan, puisque les trois sites visés par les projets sont vierges, dont deux sont situés au cœur de parcs créés pour mettre en valeur les principaux attraits paysagers et naturels de la Batiscan (parc municipal de la chute du Neuf et parc régional de la Batiscan).

124

Dans le cadre de nos trois études de cas, les groupes environnementalistes nationaux, comme la Coalition Eaux Secours et la Fondations Rivières, ont surtout contribué à mobiliser les acteurs des scènes locales et régionales, tout en donnant une plus grande visibilité au mouvement d’opposition et une plus grande portée à leurs discours. Par contre, le discours des acteurs provinciaux, qui repose sur un radicalisme idéologique, diffère de celui des acteurs de la scène locale, plus pragmatique. En effet, ces derniers démontrent plus d’ouverture et sont plus conciliants dans leurs revendications, en cherchant à élaborer des alternatives territoriales viables aux projets de petites centrales, dans une perspective de développement régional, tout en assurant la protection de sites ayant une valeur identitaire et patrimoniale. En effet, nous avons démontré que les opposants ont cherché à sensibiliser les populations et les décideurs locaux de l’importance de préserver les caractéristiques naturelles de la rivière, une ressource collective, pour le bien des générations futures. Ainsi, les opposants ont cherché à mettre en valeur les différents attributs territoriaux participant à la construction de l’identité territoriale (les parcs, les rapides et les chutes). Cette construction territoriale gagne ensuite en visibilité externe (Lecourt et Faburel, 2005), ce qui favorise la défense de la rivière et du territoire visés par le projet de petite centrale. De plus, les demandes que les comités de citoyens ont faites au gouvernement pour la création d’aires protégées et de réserves aquatiques s’inscrivent dans la même stratégie. En somme, l’avènement des projets de petites centrales sur la Batiscan a contribué à raviver et à intensifier l’attachement et le rapport que plusieurs riverains et usagers de la rivière ont envers leur territoire.

Autocritique de la démarche méthodologique Dans le cadre de cette étude, nous avons privilégié une méthodologie basée sur l’analyse du discours par l’analyse de contenu. Cette méthode nous a permis de connaître et d’analyser les représentations des acteurs, rendant ainsi possible la compréhension des conflits associés aux projets de petites centrales sur les rivières du Québec et, plus particulièrement, sur la rivière Batiscan. Cette recherche a permis la compréhension d’un cas de géopolitique locale, actuel, dont certains événements, survenus il y a plus de dix ans, influencent toujours les rapports entre les acteurs ainsi que leurs représentations associées au territoire à la mise en valeur de la rivière. L’usage des archives et des journaux a donc

125 permis de connaître les enjeux et les événements passés associés à la problématique, en plus de permettre l’analyse de l’évolution du discours des acteurs pendant la période à l’étude (1990-2007). Par ailleurs, les communiqués et les mémoires produits par les acteurs au moment même où se déroulait le conflit, de même que les entretiens semi-dirigés, nous ont permis d’obtenir des informations de première main et d’actualité.

Cependant, les archives, les journaux et les entretiens ne permettent pas de tirer des conclusions définitives sur tous les aspects de la problématique abordée dans cette recherche. Tout d’abord, il peut y avoir un certain écart entre le contenu des discours des comités de citoyens (Les Amis de la Batiscan, Chute Libre, Eau Vive Batiscan) et les citoyens qui ne sont pas membres de ces comités, mais qui s’opposent tout de même aux projets de petites centrales. Par contre, de nombreuses pétitions, lettres d’opinion dans les journaux et consultations populaires ont révélé qu’un nombre très élevé de citoyens appuyait la démarche des comités locaux113. Cela semble démontrer que la majorité des gens opposés aux projets adhéraient à leurs discours. Malgré cela, il aurait été intéressant d’analyser en quoi le discours de ces gens peut différer du discours des comités de citoyens.

Par ailleurs, le fait que, à quelques exceptions près, seuls les promoteurs des projets (promoteurs privés et certains décideurs locaux) s’affichent publiquement en faveur de la réalisation des projets de petites centrales peut constituer une autre limite à cette recherche. En effet, il aurait été intéressant de connaître et d’analyser plus en profondeur le discours des citoyens qui appuient les différents projets. À l’exception de quelques lettres d’opinions dans les journaux, ces acteurs, n’étant membres d’aucun regroupement ou comité, étaient difficilement identifiables. Il était alors très difficile de les rencontrer pour les interroger. Ainsi, certaines questions demeurent en suspens et pourraient faire, ultérieurement, l’objet d’une analyse plus approfondie : adhèrent-ils complètement aux discours des promoteurs des projets? Pour quelles raisons sont-ils en faveur du ou des projets? Partagent-ils les mêmes représentations du territoire et de la mise en valeur de la rivière que les promoteurs? Voilà autant de pistes de réflexions et de questions qui mériteraient d’être abordées lors d’un projet de recherche similaire.

113 Voir le troisième chapitre.

126

Finalement, il aurait été pertinent de réaliser une étude de cas dans une région où un projet de petite centrale a été mené à terme, en dépit de la forte opposition locale. Dans ce cas, nous aurions pu analyser l’évolution des représentations des acteurs, avant et après le projet, tout en établissant un parallèle avec l’étude de cas sur la Batiscan, où aucun projet n’a encore été réalisé. Cependant, dans la présente étude, nous voulions étudier les représentations des acteurs, dans la mesure où celles-ci influençaient leurs revendications et leurs logiques d’action, dans un contexte d’émergence d’un mouvement d’opposition aux projets de petites centrales à l’échelle locale et régionale. Ainsi, si nous devions recommencer cette recherche, nous l’aborderions de la même façon, car les sources et la méthodologie utilisées nous ont permis de répondre de façon satisfaisante au questionnement de recherche.

L’étude des représentations comme outil pour prévenir et analyser les conflits territoriaux Dans le cadre de cette recherche, l’étude du discours et des représentations territoriales des acteurs nous a permis de confirmer que le territoire joue un rôle central dans les controverses socio-environnementales (Felonneau, 2003 ; Lecourt et Faburel, 2005; Valette, 2005). Comme le précise Melé (2004), l’analyse des conflits permet de révéler des ancrages territoriaux interprétés en terme d’appartenance, d’appropriation ou même d’identités territoriales. L’analyse du processus de mobilisation contre les projets de petites centrales sur la rivière Batiscan démontre un passage d’une appropriation territoriale plus ou moins affirmée, avant l’annonce du projet, à une territorialité plus forte, suite à l’annonce du projet et engendrée par le processus de mobilisation subséquent. En effet, les projets de petites centrales, perçus comme une « menace » pour l’intégrité environnementale des cours d’eau et des paysages, ont amené les riverains et les usagers à se réapproprier le territoire et la rivière menacés. Plus précisément, dans le cadre de notre étude, nous avons pu démontrer que les conflits entres les acteurs sont nés de la confrontation de représentations différentes de l’espace (territoire) et de l’usage qu’il doit en être fait. Comme le souligne Valette (2005), le conflit naît de la pluralité des représentations associées aux usages actuels et potentiels de l’espace visé par un projet susceptible de soulever une controverse territoriale. Dans notre étude de cas, il existait

127 plusieurs usages du territoire potentiellement conflictuels : 1) espace-support d’une activité économique pour les promoteurs des petites centrales; 2) espace-support pour le développement récréotouristique; 3) espace résidentiel temporaire et permanent; 4) espace récréatif pour les riverains et les usagers, en nombre croissant, pour qui prime la dimension patrimoniale, culturelle et paysagère du territoire. Ainsi, la complexité des controverses socio-environnementales nécessite une approche où, dès les premières phases d’un projet d’aménagement, la prise en compte des intérêts et des représentations de l’ensemble des acteurs concernés doit être une priorité pour les promoteurs des projets et les décideurs locaux. Notre recherche a également démontré que l’étude des représentations aurait probablement favorisé la concertation des acteurs, plutôt qu’une confrontation. Ainsi, les projets de petites centrales auraient pu faire l’objet d’une « intégration » au territoire, plutôt qu’être perçus comme une « intrusion » dans le milieu hôte.

Dans les conflits d’aménagements, notamment en ce qui concerne les petites centrales, le discours des opposants repose essentiellement sur des arguments écologiques (environnementaux) et esthétiques (paysagers). En effet, depuis quelques décennies, de nouvelles connaissances dans le domaine de l’écologie et de l’environnement ont profondément bouleversé les conceptions de la nature et ont engendré un important mouvement populaire prônant la conservation et la protection des écosystèmes, notamment des rivières (Charlier, 1999; Abbasi et Abbasi, 2000; Waters, 2000; Postel, 2003; Tremblay, 2003). En effet, l’opposition aux projets de petites centrales hydroélectriques, sur la rivière Batiscan, vient du fait qu’un nombre croissant de riverains et d’usagers ont pris conscience de la valeur d’un milieu naturel non altéré. Ce phénomène s’explique par le passage au cours des dernières décennies, chez un nombre grandissant d’acteurs, d’une conception utilitariste de la nature à une vision plus écologique, où l’intégrité environnementale et paysagère d’un territoire devient un aspect incontournable dans l’acceptabilité sociale des nouveaux projets territoriaux (Worster, 1998; Matagne, 2002; Leopold, 2004). Par ailleurs, cette recherche a également permis de souligner l’importance de la montée des arguments esthétiques dans les conflits d’aménagement. Que ce soit pour la construction d’autoroutes, l’implantation d’industries polluantes ou d’infrastructures de production d’énergie (parcs éoliens, barrages et dérivations partielles, centrales

128 hydroélectriques), les enjeux de paysage deviennent un aspect incontournable des projets d’aménagement du territoire (Palmer, 1988; Poullaouec-Gonidec et al, 1999; Tremblay, 2003; Valette, 2005). La prise en compte par les promoteurs de cette dimension, peu considérée jusqu’à maintenant, permettrait d’augmenter sensiblement l’acceptabilité sociale d’un projet d’aménagement, comme celui d’une petite centrale hydroélectrique. En somme, cette recherche a démontré qu’il est fondamental que les promoteurs, lors de la planification d’un projet d’aménagement, tiennent également compte des projets et des représentations que les communautés locales et les usagers entretiennent par rapport au devenir de leur territoire – leur milieu de vie.

129 ANNEXE 1 : Grille d’entretien

* Les questions, les objectifs et les indicateurs qui composent cette grille d’entretien n’ont pas été abordés avec tous les acteurs rencontrés, mais représentent des thèmes qui ont permis de structurer les échanges avec les différents acteurs.

A) Relation entre l’acteur et le problème :

Objectif 1 Connaître la perception qu’a l’acteur de l’hydroélectricité au Québec. 6 L’hydroélectricité en général 6 L’hydroélectricité comme mode de développement 6 L’hydroélectricité comme mode de mise en valeur des rivières.

Objectif 2 Déterminer la perception qu’a l’acteur de la petite production hydroélectrique. 6 Leur place dans la stratégie énergétique. 6 Avantages / inconvénients de la petite hydraulique.

B) Aménagement des rivières (liens à la rivière et développement régional) :

Objectif 3 Connaître les relations entre l’acteur et la rivière Batiscan. 6 Décrire la rivière Batiscan (identifier et définir le lien d’attachement). 6 Importance de la rivière, de ses attraits pour l’acteur. 6 Les usages, activités, fréquentation de sites associés à la rivière qui concernent l’acteur.

Objectif 4 Situer l’acteur face au développement régional et à l’aménagement des rivières. 6 Quels sont les potentiels de mise en valeur de la rivière : (hydroélectrique, récréotouristique, autre ?)

Objectif 4 Déterminer quelle est la perception des acteurs face aux projets de petites centrales sur la rivière Batiscan (Mauricie) → Étude de cas. 6 Pertinence et potentiel de l’intégration d’un projet de petite centrale sur la rivière Batiscan. 6 Intégration dans le milieu : enjeux et tensions possibles ? 6 Projets de petites centrales sur la Batiscan = votre vision du développement régional ?

130

6 Une bonne façon de mettre en valeur la rivière? 6 Croyez-vous que l’implantation d’une petite centrale aura des répercussions sur vos propres activités liées à la rivière? 6 Protection actuelle des attraits de la rivière : adéquate ?

C) Interactions entre les acteurs (coopération/tensions) :

Objectif 6 Déterminer si l’acteur partage ou s’oppose à la vision d’autres catégories d’acteurs. 6 Comment expliquez-vous le mouvement d’opposition aux projets de petites centrales ? 6 Selon vous, qui sont les principaux partisans et opposants aux projets de petites centrales? 6 Partagez-vous la vision d’un de ces acteurs?

Objectif 7 Déterminer le degré d’implication des acteurs dans le processus décisionnel associé aux projets de petites centrales sur la rivière Batiscan et déterminer les rapports de force entre les acteurs. 6 De quelle façon êtes-vous impliqué dans le dossier des petites centrales? 6 Avez-vous participé activement aux rencontres d’information? 6 Au cours de ces rencontres (conseil municipal, promoteurs, etc.), quelle était l’attitude générale des acteurs présents? De ceux ayant pris la parole? Dans quel climat se déroulaient ces rencontres? Quels étaient les principaux éléments abordés? 6 Étiez-vous présent lors de ces rencontres? Avez-vous pris la parole? Quel était votre rôle?

Objectif 8 Déterminer quels sont les acteurs les plus influents et l’importance de leur influence. 6 Entretenez-vous des liens avec d’autres acteurs? Lesquels? 6 Quelle forme prend cette collaboration? Vous est-elle utile? De quelle façon? 6 Croyez-vous que vos interventions ou celles de votre organisation ont eu un réel impact sur le processus décisionnel? 6 Quel a été le principal impact de votre prise de position et de vos revendications?

131 ANNEXE B : Pétition pour sauver les chutes de la Batiscan (Les Amis de la Batiscan)

La construction d'un barrage privé dans le Parc de la rivière Batiscan entraînera la destruction de chutes et de paysages magnifiques. Le réservoir d'eau créé par ce barrage fera disparaître les majestueux rapides des chutes à Murphy, des sentiers pédestres et de vélo, ainsi qu'un camping rustique. Quant à la chute des Ailes, elle se retrouvera pratiquement asséchée sur des centaines de mètres, l'eau de la rivière étant détournée dans des conduites forcées. Ce site d'une grande valeur, encore dans son état naturel et fréquenté par des milliers d'amants de la nature, doit être préservé et développé harmonieusement. Nous nous opposons à ce projet de barrage privé et demandons : Aux responsables du parc de la Batiscan, à ceux du Complexe écotouristique de la Batiscanie, ainsi qu'aux municipalités concernées, de cesser toutes démarches visant la réalisation de ce barrage; À la compagnie Boralex, filiale de Cascades, d'abandonner ce projet; Au ministère de l'Environnement, de résilier le certificat d'autorisation émis et de convoquer des audiences publiques, comme prévu par la loi; Au gouvernement du Québec de soutenir le développement de solutions alternatives pour le Parc, en collaboration avec les partenaires régionaux.

Retourner cette pétition à l'adresse suivante, avant le 10 octobre 1999.

"Les Ami-e-s du Parc de la Batiscan" Casier Postal 7, Saint-Stanislas, Québec, G0X 3E0

Source : Les Amis de la Batiscan, 1999.

132 Bibliographie

Journaux : Consultés systématiquement entre 1990-2007 : Le Devoir, Montréal L’Hebdo Mékinac-des Chenaux, MRC Mékinac et des Chenaux Le Nouvelliste, Trois-Rivières La Presse, Montréal Autres journaux consultés : Le Soleil, Québec La Tribune, Sherbrooke Le Droit, Ottawa-Gatineau

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