Kernos Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique

25 | 2012 Varia

De Pallantion d’Arcadie à du Latium : fêtes « arcadiennes » et fêtes romaines (Denys d’Halicarnasse, I, 32, 3-33, 3)

Madeleine Jost

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/kernos/2108 DOI : 10.4000/kernos.2108 ISSN : 2034-7871

Éditeur Centre international d'étude de la religion grecque antique

Édition imprimée Date de publication : 26 octobre 2012 Pagination : 103-123 ISSN : 0776-3824

Référence électronique Madeleine Jost, « De Pallantion d’Arcadie à Pallantium du Latium : fêtes « arcadiennes » et fêtes romaines », Kernos [En ligne], 25 | 2012, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 17 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/kernos/2108 ; DOI : 10.4000/kernos.2108

Kernos Kernos 25(2012),p.103123.

DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium: fêtes«arcadiennes»etfêtesromaines (Denysd’Halicarnasse,I,32,333,3) * Résumé: Selon Denys d’Halicarnasse (I, 3133 et 80, 1), les Arcadiens, conduits par Évandre,seseraientinstallésdansleLatiumoùilsauraientétablidenombreuxcultes,parmi lesquels les Lykaia , assimilés aux , les fêtes de Niké, un culte de Déméter caractérisé par des nephalia et les Hippokrateia de Poséidon Hippios, appelés à Rome Consualia .Touteunetraditionérudite,du XIX eau XXI esiècle,parledetransfertsdecultede l’arcadiennePallantionàlaPallantiumduLatium.Ons’attacheraàmontrerqu’iln’enest rienetqueDenyschoisitlesfêtesévoquéesselonunpointdevueromain.L’Arcadienejoue aucunautrerôlequeceluidefournirdesnomsetunecautiond’hellénismeetd’ancienneté. Abstract: AccordingtoDionysiusofHalicarnassus(I.3133and80.1)theArcadiansled byEvandersettledinLatium,wheretheyestablishednumerouscults,includingthe Lykaia , assimilatedtothe Lupercalia ,thefestivalsofNike,acultofDemetermarkedby nephalia ,and the Hippokrateia of Poseidon Hippios, known in Rome as Consualia. A whole scholarly tradition, from the 19th century to the 21st, speaks of a cult transfer from Arcadian PallantiontoPallantiuminLatium.Anattemptwillbemadetoshowthatthisisnotatall thecase,andthatDionysiuschosethefestivalscitedaccordingtoaRomanpointofview. Arcadia plays no part, save to provide names and a justification through Hellenism and antiquity. Au livre I des Antiquités romaines , Denys d’Halicarnasse raconte comment Évandre,filsd’Hermèsetd’unenymphelocale(Thémisou ),quittasa patriedePallantion 1d’Arcadie,àlasuited’uneguerrecivile,avecuncontingent d’Arcadienspeunombreux.SonexpéditionlefitaborderauxrivesduLatium. Faunus, «l’héritier du trône des Aborigènes» l’accueillit «avec beaucoup d’aménité» et lui donna une portion de territoire. «Les Arcadiens», rapporte Denys, «comme Thémis le leur signifiait dans ses prophéties, choisissent une collinesituéenonloinduTibre,quisetrouveàpeuprèsaujourd’huiaumilieude la ville de Rome, et y établissent un petit village suffisant pour contenir les équipagesdesdeuxnaviresquilesavaientamenésdeGrèce…Àcettebourgade, ils donnent le nom de Pallantium, d’après celui de leur métropole d’Arcadie – *JeremercieJohnScheiddesesgénéreuxconseils. 1Parcommodité,j’adoptelaformePallantionpourlabourgaded’ArcadieetcelledePallan tiumpourl’installationduLatium.DenysemploielemêmevocableΠαλλντιονpourlesdeux établissements. 104 M.JOST aujourd’huitoutefoiselleestappeléePalatiumparlesRomains,caravecletemps lemotaétédéformé,cequidonnelieuàbeaucoupd’étymologiesaberrantes»2. Dès leur arrivée, «les Arcadiens se mirent à organiser la construction de toutes sortes d’édifices en suivant les usages de chez eux et en particulier ils érigèrentdes temples».Le premierd’entreeuxfutdédiéàPan Lykaios ,àun endroitquelesRomainsnomment Lupercal «cequel’ontraduiraitpar Lykaion ». Dessacrificesselonlemodeancestralfurentinstituésenfévrier.Ausommetde lacolline,«ilsdélimitèrentl’enclossacrédeNiké»,pourquiilsinstituèrentdes sacrificesrépartissurl’année;selonunelégendearcadienne,Nikéauraitétéla filledePallas,lefilsdeLykaon,quiauraitaussiélevéenmêmetempsladéesse Athéna,selonlavolontédequiNikéreçutdeshonneurs.«Ilsbâtirentaussiun sanctuaireàDéméteretluioffrirentdessacrificesaccomplispardesfemmeset sanslibationsdevin».Enfin,«ilsattribuèrentunenclosàPoséidonHippioset instituèrent la fête appelée Hippokrateia par les Arcadiens et Consualia par les Romains». Il s’agit manifestement là des cultes les plus importants; Denys ajoute qu’ils «consacrèrent beaucoup d’autres enclos, autels et statues et instituèrentdespurificationsetdessacrificesd’aprèsleursritesancestraux,qui se déroulèrent toujours de la même façon jusqu’à [son] époque». Je me demanderai comment expliquer la liste des sanctuaires établis sur le Palatin selon Denys. Reflètetelle un véritable transfert de cultes d’Arcadie à Rome, commeplusieursétudesrécenteslelaissentencoreentendre?oulescultesont ilsété choisisparDenyssurtout pourlescorrespondances,réelles ousuppo sées,qu’ilsoffraientavecdescultesromainsetpourlapossibilitédedémontrer auxRomainsl’originegrecquedeleurscultes 3.

Touteunelignéed’auteurs,du XIX eau XXI esiècle,suiventDenysd’Halicar nasse. Ils considèrent que Niké, Poséidon Hippios et Déméter, qu’il donne comme des divinités importées de Pallantion par Évandre, ont réellement été honorées dans cette bourgade. La liste de cultes donnée par Denys pour PallantiumduLatiumserait,exceptionfaitedePanLykaiosvenudumontLycée, le reflet des installations cultuelles de Pallantion d’Arcadie. D’où l’idée qu’il y auraiteutransfertdecultesd’ArcadiedansleLatium 4.AinsiImmerwhar,dans sonlivrefondateursurlescultesd’Arcadie,introduitdesrubriques«Pallantion» pourPoséidonHippios,DéméteretNiké,aveclacitationdutextedeDenys 5.La perspectiveestlamêmechezR.Stiglitzqui,danssamonographiesurlesGrandes 2Denysd’Halicarnasse,I,31,34(traductionFROMENTIN [2006]).Pourcesétymologies,voir V.Fromentin,p.244245.L’étymologieproposéeparDenys,quiapparaîtpourlapremièrefois ici,estencorecellequ’adoptePausanias(VIII,44,5). 3 Sur le projet de Denys d’Halicarnasse, voir DELCOURT (2005), p. 105114 et 139156; FROMENTIN (2006),p.832. 4 Ces études émanent surtout d’«Hellénistes», tandis que les «Romanistes» refusent d’embléel’idéed’untransfert:DELCOURT (2005),p.153. 5IMMERWHAR(1891),p.38(Poséidon),105(Déméter),224(Niké). DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 105

Déessesd’Arcadie 6,restitueàPallantionl’existencedesdivinitéscitées.Certesil s’étonne de la contradiction entre Pausanias, qui mentionne «Koré, fille de Déméter»7,etDenysquiparledeDéméter:elletiendraitàl’écartchronologique dessources.Maisiln’hésitepasàtirerdelamentionparDenys«dessacrifices accomplis[àPallantium]pardesfemmesetsanslibationsdevin»,l’idéequ’ily avait à Pallantion une Déméter Thesmophoros, honorée selon le rituel des nephalia , alors même que cette déesse n’est pas attestée autrement en Arcadie 8. Puis,constatantqu’unsanctuairedePoséidonHippiosestcitéparDenysjuste aprèsceluideDéméter,Stiglitzsupposel’existencedecedieuàPallantioneten infèredesliensétroitsentrelesdeuxdivinités,commeailleursenArcadie.Dans lesannées2000l’idéedetransfertcultuelseperpétue:en2003,J.Mylonopoulos consacretroispagesausanctuairedePoséidon Hippios (?)àPallantion.Ilestsuivi parA.LoMonacoen2009 9. Chezplusieursauteurs,l’attributiondescultesàPallantiondéboucheexplici tement sur l’idée d’une exportation réelle d’Arcadie au Latium. En 1904, le fouilleurdumontLycée,K.Kourouniotis,n’hésitepasàinvoquerdesliensentre l’Arcadieetl’Italiepourexpliquerlaprésenced’unesortede lituus àlamaind’une statuette de Zeus 10 .O. Gruppe dans sa synthèse sur la Griechische Mythologie 11 supposeégalementl’influencedirectedesArcadienssurRome.OndoitàJean Bayetd’avoirprislecontrepieddesauteursquiprêtentunfondementhistorique aux allégations de Denys. Réfutant Gruppe 12 , il écrit, à propos des Lupercalia : «uneassimilationrécenteesttoutaussipossible,etpluscroyablequ’uneaction directe et ancienne de l’Arcadie sur le Latium». Il reste néanmoins dans une perspectivehistoricisanteeninterprétantcommeplustardivel’arrivéed’Évandre enItalie.Plusrécemment,lalectureparl’histoiredelalégended’Évandreaété remiseàl’honneurparlessavantsquicherchentdanslesdonnéesarchéologiques desindicesenfaveurdelatraditionlittéraire 13 .Maisilestvraiquel’archéologiene permet pas d’établir la venue de Mycéniens dans le Latium et, comme l’écrit J.Poucet 14 ,«ceseraituneerreurméthodologiquedeprésenter[l]esminuscules

6STIGLITZ (1967),p.6870. 7Pausanias,VIII,44,5. 8Voircidessous,p.114. 9 MYLONOPOULOS (2003), p. 120122; LO MONACO (2009), p. 422 (elle omet en revanche DéméteretNiké). 10 Athènes,MN13209.VoirKOUROUNIOTIS (1904),col.190192(le lituus auraitétéapporté parÉvandreenItalie) 11 GRUPPE (1906),I 4,p.203204. 12 BAYET (1920),p.7374. 13 VoirMUSTI (1985),p.437445; DELCOURT (2006),p.829833,aveclabibliographiedelanote 3. Dans la lignée de Gruppe, on ajoutera CAPDEVILLE (1993), p. 167 et 169, qui parle, pour les Lupercalia ,«d’usagesprovenantdeGrèce»etde«transpositionauLatiumd’unefêtearcadienne». 14 POUCET (1985),p.131. 106 M.JOST vestigeségéomycéniensdel’Italiecentralecommeuneconfirmationarchéologi quedel’historicitéglobaledeslégendesd’Évandreetd’Énée». C’est la restitution à Pallantion des cultes cités par Denys et l’idée d’un transfertdecultesdePallantionàPallantiumqu’ilfautrefuser.L’archéologiede Pallantionn’estcertesd’aucunsecours,caronneconnaîtpaslesdestinataires destemplesquiontétémisaujour. 15 .MaislesilencedePausaniasestéloquent. IlnenommeaucundescultesdontparleDenys.OrlabourgadedePallantion «avaitreçudesfaveursdel’empereur(AntoninlePieux)»ensouvenirdel’im plantationparÉvandred’unétablissementaubordduTibre.Pausaniasavuun templeavecunestatuedePallas,lehéroséponyme,ancêtred’Évandre,etune statue d’Évandre: elles rappelaient la tradition de la fondation de Palatium/ Palatin qui était suffisamment populaire encore pour qu’Antonin le Pieux accordât à Pallantion d’Arcadie la liberté et l’exemption d’impôt au nom de cettelégende.SilescultesapportésparÉvandreauLatiumavaienteuquelque réalitéàPallantion,ilsauraientcertainementétépieusementconservésetPausa nias, qui a manifestement vu le site, n’aurait pas omis Poséidon, Déméter et Niké. Il est clair qu’il n’y a aucune raison valable d’imaginer ces divinités à Pallantion.Decefait,l’idéed’untransfertdepuisPallantionn’aplusderaison d’être. Dernièrement,en2003,lathéoried’unautretransfertdecultes,nonplusde Pallantion, mais de Lykosoura d’Arcadie, a vu le jour dans la thèse de Th.MavrogiannissurÉnéeetÉvandre 16 .Cetauteuraffirmedécelerune«cor respondance…évidente 17 »entrelescultesapportésparÉvandresurlePalatin etlescultesdeLykosoura,dontilsseraientenquelquesortedesdoublets 18 .Or leparallélismequ’ilétablitentrelepanthéondeLykosouraetceluidePallan tium est tout à fait forcé. Il décèle dans la structure religieuse de Lykosoura deuxpôles:lesanctuairedeDespoina(etsesparents)etceluidePan,doublet, selon lui, du sanctuaire du mont Lycée. L’importance qu’il accorde à Pan, à égalitéavecDespoina,estévidemmentexagéréesil’onseréfèreàPausaniasetà l’épigraphie 19 .Deplus,PanàLykosouraneportepasl’épiclèseLykaios quile rattacheraitaumontLycéeetrienn’indiquequesonculteproviennedecesanc tuaire.ToutporteàcroirequelecultedePan Lycaeus quementionneDenysà Pallantium,loind’êtrepasséparLykosoura,renvoiedirectementaumontLycée. DelaNikédePallantium,MavrogiannisrapprocheAthéna.Certeslesdeux divinitésétaientliéesdanslalégende«arcadienne»querapporteDenys,mais 15 VoirØSTBY (1995),p.5393. 16 MAVROGIANNIS (2003). 17 MAVROGIANNIS (2003),p.125. 18 Onpeutarguer,enfaveurdeLykosoura,decequeDenysneparlepasexplicitementde cultes importés de Pallantion; il conclut (I, 33, 3) que «les cérémonies qui subsistent encore aujourd’huitémoignentassezdescoutumesjadisenusages chezlesArcadiens». 19 Pausanias,VIII,37,111etvoirJOST (1985),p.172178. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 107 onnesauraitparlerd’équivalencecultuelle;d’ailleursAthénaestpeuprésenteà Lykosoura:onneconnaît,parPausanias,quedes xoana –cequin’indiquepas forcément un temple propre à la déesse, alors que Niké est l’une des quatre grandesdivinitéscitéespourPallantium.QuantaucultemajeurdeLykosoura, celuideDespoina,iln’apparaîtdansletableaudeMavrogiannisqueparlebiais deDéméter,samère.Orlatonalitécultuellenettementthesmophoriquedela DéméterdeDenysn’aaucunrapportaveclecultemystériquedeDespoina(ci dessous, p.114). Enfin, Poséidon Hippios a un simple autel à Lykosoura en tant que père de Despoina, ce qui ne saurait expliquer sa présence et son importance à Pallantium où la déesse est absente. Les rapprochements qui concernentlesquatredivinitésdePallantiumaveclescultesdeLykosourame paraissentdoncabusifs 20 .Siparallèleilyavait,onnes’expliqueraitd’ailleurspas l’absenceàPallantiumd’Artémis,l’unedesquatrefiguresdugroupecultuelde Lykosoura.N’étaitcel’apparitiondenomsdedivinités,dontontrouveraitl’iden tique à Phigalie par exemple, le panthéon de Lykosoura et celui de Pallantium n’ontrienencommun.Dèslors,lecontextehistoriquedanslequelMavrogiannis placeletransfertdedivinitésdeLykosouraàPallantiumestsujetàcaution. L’auteur tente de préciser le moment où les Romains peuvent avoir été en contactavecLykosouraetsescultes.Lalégendearcadienneseseraitconstituée dans ses grandes lignes à la fin du III e siècle sur l’exemple de la légende de Télèphe, ancêtre de Pergame, pendant une période de philia et symmachia entre RomeetAttaleIdePergame.FabiusPictor,àRome,auraiteuunrôleessentiel. Mais l’assimilation des cultes romains et des cultes arcadiens supposait une connaissanceconcrètedelaréalitéarcadiennedelapartdesRomains.Audébut du II esiècle,aprèsquelapaixdeFlamininuseutassisla«libertédesGrecs»,un traitéd’allianceachaioromainconcluen194auraitrendusonimportancediplo matiqueàMégalopolisdansle koinon ,tandisques’érigeaitàLykosouravoisinele groupecultueldeDamophondeMessène,encommémorationdelavictoiresur Nabis.TroisinscriptionsdeLykosouraoùapparaîtlegentilicedes Iulii témoigne raient de leur intérêt pour ce site. C’est au II e siècle que viendraient donc de LykosouralescultesapportésparÉvandre.Autotal,cettereconstructionmanque depreuvesindubitablessurdescontactsréelsentreRomeetLykosoura,donton avuparailleursl’absencedeparentécultuelleavecRome. Bref, àrester ducôté grec, on ne trouve aucune solutionsatisfaisante pour expliquerlesraisonsduchoixdeDenys.J’avais,en1985,émisl’idéequeletexte des Antiquités reflète l’image que se faisait Denys du panthéon arcadien 21 . A.Delcourt reprend l’hypothèse, tout en remarquant que pour Niké c’est la réalitéromainequiprendledessus 22 .C’estqu’ilfautchangerd’optiqueetsans 20 Pourd’autresdétails,sanséchodansletextedeDenysdontjetraite,voirMAVROGIANNIS (2003),p.127. 21 JOST (1985),p.198. 22 DELCOURT (2005),p.152153. 108 M.JOST négligerl’importanceduthèmearcadien,l’étudieràpartirdeRome.Lesdivinités etlescultes«arcadiens»n’ontilspasétéchoisisenfonctiondeleurséquivalents romainsetdesfêtesquileursontattachées?SansnierqueDenyspuisseavoireu une teinture de religion arcadienne, il faudrait alors définitivement renoncer à chercherdansles realia arcadienslesmotivationsdeseschoix.Ensuivantl’ordre qu’iladopte,jecommenceraiparletempledePan Lykaios pourlequeljerésu merailesgrandeslignesd’unarticleplusdéveloppéàparaîtredansles Mélanges PierreCarlier . Le temple de Pan Lykaios fut élevé par les Arcadiens sur un site «que les Romainsappellent Lupercal,cequenouspourrionstraduirepar Lykaion ».Denys établitunesynonymieentrelestoponymes Lykaion et Lupercal et,quelqueschapi tres plus loin, il décrit sous le nom de Lykaia la course des Lupercalia 23 . Relier entreeuxlesnomsdumontLycée,des Lykaia ,du Lupercal ,des Lupercalia et de Pan Lykaios/Lycaeus reposeimplicitementsuruneétymologiepopulaireàpartir des noms du loup: λκος en grec et lupus en latin. Un ensemble de textes de Varron,Ovide,Virgile,PlutarqueetServius 24 permetdemettreenlumièretoute unetraditionenfaveurdecetteétymologieetd’établirlescorrespondancesentre lesdifférentsnomsenvisagés.Uneautreétymologieplaçaitlalouve( lupa )quivint nourrir Romulus et Rémus abandonnés à l’origine du nom du Lupercal et des Luperques 25 .Danscecas,Romulusétaitlefondateuroulerefondateurdes Luper calia . Denys semble connaître les deux versions: en I, 32, 3, tout en rappelant l’origine arcadienne du Lupercal , il évoque la louve qui, pour allaiter les deux jumeaux,ytrouvarefuge.MaisauchapitreI,32,3,quiestl’objetdemonétude,il s’appuiesurl’étymologieàpartirdeλκος/lupus,carelleluipermetderattacher lafondationdes Lupercalia àl’Arcadie,suivantsonprojetencedébutdulivreI. Outre ces rapprochements onomastiques, Denys suggère une similitude cultuelleentre Lykaia et Lupercalia. C’estmanifesteenI,31,4,oùilaffirmequeles Romainsn’ontrienchangéausacrificeancestralaccompliparÉvandre,touten donnantcommedatecelledes Lupercalia (15février).C’estencoreplusexplicite auchapitreI,80,1,oùaprèsavoirrapportéquelesjeunesgensdoivent«célébrer le sacrifice arcadien des Lykaia en l’honneur de Pan, comme l’avait institué Évandre»,ildécritlescoursesdejeunesgensquisontlemomentfortdes Luper calia .CommeDenys,TiteLiveparled’une«fêteannuelleimportéed’Arcadie» qui «consistait à faire des courses de jeunes gens»26 . Les Lupercalia et leurs coursesauraientenquelquesortereprislasuiteetlecontenudes Lykaia, dontle rituel,nonexplicitéparDenys,estprésuméidentique.Biendesauteursmoder 23 Denysd’Halicarnasse,I,80,1. 24 Varron,citéparAugustin, CitédeDieu XVIII,17;Ovide,Fastes II,433435; Virgile, Énéide VIII,343344;Plutarque, ViedeRomulus ,21,4;Plutarque,ÉtiologiesRomaines 68;Servius, Comm .à Virgile, Géorg .I,16. 25 Ovide, Fastes II,413421;Plutarque, ViedeRomulus ,21,45. 26 TiteLive,I,5. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 109 nes, comme R.M. Ogilvie ou A. Delcourt 27 , suivent Denys et TiteLive: ils admettentl’idéed’unesimilitudeentre Lykaia et Lupercalia .L’équivalencesuppo sée entre ces deux fêtes atelle quelque fondement dans les faits? Lykaia et Lupercalia sontilsassimilables,voiremêmeseulementressemblants?Ilconvient d’examinerdeplusprèslaprétenduesimilitudeentre Lykaion et Lupercal , Lykaia et Lupercalia 28 . Une première différence, fondamentale, apparaîtdans le destinataire de la fête:surlemontLycée,c’estZeusquiportel’épiclèse Lykaios 29 .Danslevillage fondé par Évandre, Zeus est absent et c’est Pan qui reçoit l’épithète Lykaios/ Lycaeus 30 .OrlecultedeZeus Lykaios étaittrèsparticulier,puisqu’ilcomportait, disaiton, un sacrifice humain et des légendes de lycanthropie 31 . Augustin rap porte,parmiles«transformationsincroyables»transmisesparVarron,lecasd’un certainDéménètequi«goûtaausacrificequelesArcadiensoffrentrégulièrement à leur dieu du Lycée»; il fut transformé en loup et la dixième année, ayant retrouvésaformehumaine,ilfutvainqueurcommepugilisteauconcoursolym pique.L’histoiredevaitêtreconnuedeDenys,dontVarronsembleêtreunedes sourcesprivilégiées 32 ,maisillanégligeicietlaissedecôté,commelefontaussi sescontemporains,l’existencedudieumajeurdumontLycée,Zeus Lykaios ,au profitdePan.Ilestvraiquel’imagedecivilisateurqu’ildonnedupeuplearca dien 33 s’accommodait mal de la réputation cannibalique des sacrifices à Zeus Lykaios ;maislaraisondecechangementdedivinitéestailleurs. Pan est certes bien attesté sur le mont Lycée; il yjoueunrôleréel,mais secondaire par rapport à Zeus Lykaios 34 . Manifestement l’abandon de Zeus Lykaios pourPan Lycaeus estunphénomèneromainquiestsansrapportavecla réalitéarcadienne(toutauplus,l’existenced’unsanctuairedePansurlemont Lycée peut avoir favorisé le processus). Les Antiquaires romains, lorsqu’ils rapprochentles Lykaia etles Lupercalia, ontentêteavanttoutles Lupercalia et 27 OGILVIE (1965), p. 52: «The similarity of the Luperci to the cult of Zeus Lukaios in Arcadiafacilitatedtheconstruction»;DELCOURT (2001),p.832,parlede«l’étroitparallèleentre LupercaliaetLykaia». 28 SeuleLO MONACO (2009)abordebrièvement(p.140141)lacomparaisonentrelesrites des Lykaia etceuxdes Lupercalia ,sanstoutefoissouleverlaquestiondudestinataireduculte.Ses remarquessurladatedesdeuxfêtesetsurleurrecrutementsocialnemeparaissentpasfondées, étantdonnélecaractèreincertaindesdonnéesarcadiennes(voirJOST [1985],p.208,pourladate, etp.267pourl’interprétationinitiatiqueavecclassesd’âge). 29 Pausanias,VIII,38,4et6. 30 Pour Lycaeus ,voirVirgile, Énéide VIII,343344;TiteLive,I,5;Justin,XLIII,1,6;Servius, Comm. àVirgile, Géorgiques I,17. 31 VoirJOST (1985),p.249269. 32 FROMENTIN (2006)p.5556. 33 Voircidessous,p.121. 34 LeprêtredePanestnomméenalternanceavecceluideZeuscommeéponymedansles listes de Lykaioniques du IV e s. Mais son rôle est secondaire: le dieu figure au revers des monnaiesdelaConfédérationarcadiennequiportentZeusaudroit(voirJOST [1985],p.475). 110 M.JOST leurdieututélairePan 35 ,PanInuus 36 ouPanFaunus.L’identificationhabituelle dePanàFaunusapparaîtexplicitementchezOvide:«[Évandre]appritàces peuplesdenombreuxcultes,maisenpremierceluideFaunusauxdeuxcornes …Faunusquiestàmoitiébouc,tueshonoréparlesLuperquescourtvêtus, quandilspurifientavecdeslanièresdepeaulafouledesbadauds»37 .Sansdoute d’abord étranger aux Lupercalia 38 , Pan, PanInuus et PanFaunus, dieu de la natureetdesbergers,deviennentlesdestinatairesdecettefête.Quantàl’épi thète Lycaeus ,fréquentechezlesauteurslatins,lesRomainsl’ontcréélorsqu’ils ont voulu rattacher leur dieu au sanctuaire vénérable fondé par Lykaon 39 . Il s’agitd’uneépithèteoronymique,forgéesurlenomdumontLycée.Celuiciest introduit pour renvoyer à l’Arcadie et à l’ancienneté de ses cultes, dont il devientunsymbole.Lerôleexclusifaccordéparles Romains àPandansles Lykaia/Lupercalia arejaillisurl’imagequ’ilssefontdudieuenArcadiemême. «PourlesArcadiensleplusancienetleplushonorédesdieuxestPan»,écrit Denys 40 ,etchezVirgile,Panestle deusArcadiae parexcellence 41 .Tantpourle montLycéequepourl’ensembledel’Arcadie,ils’agitd’uninfléchissementdela réalité:cetteprimauténecorrespondpasautémoignageconcretquedonnepar exemplelemonnayagedesSévèresenArcadie,surlequelPanoccupeuneplace toutàfaitsecondaire 42 .LaprimautédePan Lycaeus estdoncbienunecréation romaine.IlenestdemêmepourlaphysionomiedesonlieudeculteàRomeet pourlerituelquel’onypratique. L’emplacementapproprié(πιτδειον)quelesRomainsnomment Lupercal est unsiteoùsetrouvaitàl’origine«unevastegrotte»,«unépaisboisdechênes», uneforêtet«dessourcesprofondesjaillissantdedessouslesrochers»43 .Cette évocationinaugure, commel’anotéJ.FabreSerris 44 ,la représentation conven tionnelle de l’Arcadie que développeront les poètes et les peintres romains. Le cadren’arienàvoiraveclaréalitédupaysagearidedumontLycéearcadien 45 . Ladescriptionduritueldes Lykaia etdes Lupercalia montrequ’ilsn’ontàpeu prèsrienencommun,etilfautàDenysetàTiteLivebeaucoupdedésintérêt 35 Denysd’Halicarnasse,I,32,3;Virgile, Énéide VIII,343344. 36 TiteLive,I,5.Inuusest,sembletil,unsurnomdeFaunus. 37 Ovide, Fastes V,99102.VoiraussiPlutarque, Étiologiesromaines ,68,quiprécise,pourles Lupercales:«lesacrificesefaitenl’honneurdePan». 38 VoirSCHILLING (1981),p.400401. 39 Pausanias, VIII, 1, 2. Pan ne porte pas l’épiclèse Lykaios en Arcadie (une occurrence épigraphiquedePan Lykeios àTégée: IG V2,93). 40 Denysd’Halicarnasse,I,32,3. 41 Virgile, Bucoliques X,26et Géorgiques III,392. 42 VoirJOST (2010),p.243244. 43 Denysd’Halicarnasse,I,32,45;voiraussiI,79,8.Cf.COARELLI (1996),p.198199et DELCOURT (2005),p.150n.2. 44 FABRESERRIS (2008),p.14. 45 VoirJOST (1985),p. 459460. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 111 pourlaréalitédes Lykaia –voirededésinvolture 46 –pourparlerdesimilitudeet de permanence des coutumes arcadiennes, tout en évoquant la course des Lupercalia quiestsanséquivalentdansles Lykaia .LecultedePansurleLycéene présentaitaucuneparticulariténotable.Ledieudevaitêtrehonoréd’unsacrifice banalavantlesconcoursdes Lykaia ,quicomportaientdescoursesdechevauxet des épreuves athlétiques se déroulant dans le stade et l’hippodrome du mont Lycée en l’honneur de Zeus Lykaios et de Pan tout à la fois 47 . Aux Lupercalia, célébrés annuellement le 15 février, on faisait, selon Plutarque, le sacrifice de chèvres 48 .Cesacrificen’étaitpassuivide ludi ,maisd’unensemblederitesorigi naux,sansréelparallèleenGrèce.Aprèslesacrificeavaitlieuunbanquet 49 .Puis commençaitlacoursepurifiantequecitentDenys,TiteLiveet,demanièreplus détaillée,Plutarque 50 :«Ensuite,ilsdécoupentlespeauxdechèvreenlanièreset courentàtraverslaville,nus,avecunsimplepagne».Lacoursesedérouletout autour du Palatin. Les Luperques, répartis en deux groupes, tout en courant, brandissent les lanières de peau et en «frappent quiconque se trouve sur leur chemin. Les femmes en âge d’être mère n’évitent pas leurs coups, persuadées qu’ilscontribuentàlesrendrefécondesetàlesfaireaccoucherheureusement»51 . Lesdifférentesphasesdurituelontfaitl’objetdediversesinterprétations,déjàde la part d’Ovide et de Plutarque 52 . L’exégèse moderne a pris le relais. Citons le résumé prudent de G. Dumézil: «Les rites étaient les uns purificatoires, les autresfécondants,sansqu’ilsoittoujourspossiblededistinguerlesdeuxinten tions.Quelquesunsrestenténigmatiques»53 .Cequiestenquestionici,c’estla présuméeressemblanceavecles Lykaia . Le rite de flagellation est central dans les Lupercalia , et W.H. Roscher 54 a vouluenrapprocherlacérémoniearcadienne,mentionnéeparThéocriteetson scholiaste 55 ,aucoursdelaquellelesjeunesgensfrappaientPanauxflancsetaux 46 Ilestdouteuxquel’ondoiveparlerd’ignorance:voircidessus,p.109,àproposdutexte deVarron. 47 Pausanias,VIII,38,5.Voir JOST (1985),p.267268. 48 Plutarque, ViedeRomulus ,21,6; ValèreMaxime,II,2,9. 49 ValèreMaxime,II,2,9.Suivaituncurieuxrituel(initiatique?),rapportéparleseulPlutar que, ViedeRomulus ,21,67. 50 Denysd’Halicarnasse,I,80,1;TiteLive,I,5;Plutarque, ViedeRomulus ,21,7. 51 Plutarque, ViedeRomulus ,21,7;cf .id .,Viede César ,61,23.Plutarqueajoutequ’«uneparti cularitédecettefête,c’estquelesLuperquesysacrifientunchien»,détailquiestreprisdansles Étiologiesromaines ,48. 52 Ovide, Fastes ;Plutarque, ViedeRomulus ,21,6.Pourlesinterprétationsmodernesdes Luperca lia ,voirlabibliographiedonnéeparBEARD ,N ORTH ,P RICE (2006),p.64,n.140(enparticulierULF [1982],quianalyselesétudesantérieures).VoirCARANDINI (2006),p.109112,p.348356et,p.477 491,unappendicesurles Lupercalia parP.Carafa. 53 DUMÉZIL , op.cit. ,p.353 54 ROSCHER (19841987), s.v. «Pan»,col.1350. 55 Théocrite, Idylles , VII, 106108 et la scholie à ce passage. Pour le rituel des scilles, voir BORGEAUD (1979),p.107114etJOST (1985),p.470472. 112 M.JOST

épaules avec des scilles, lorsque la chasse était infructueuse. Roscher localise cette pratique cultuelle sur le mont Lycée et y voit la preuve de l’origine arcadiennedes Lupercalia .LerapprochementreparaîtchezR.M.Ogilvie,dans son commentaire de TiteLive, et chez V. Fromentin qui, dans ses notes au livreIdeDenys,jugequecetusage«adûfaciliter…l’assimilationdeFaunusà Pan»56 .Maisenréalitéilestclairquerienn’autoriseàrapporterleriteaumont Lycée, comme le font ces auteurs à la suite de Roscher; c’est la volonté de rapprocher Lupercalia et Lykaia quileuradictél’attributionduritueldesscilles auLycée. Sil’onécartecefauxparallèle,forceestdeconstaterque,nipourleurdestina taire principal ni pour leur rituel, Lykaia et Lupercalia ne sont assimilables. La superposition du nom des deux fêtes chez les auteurs latins repose sur un rapprochemententreleursappellationsetnonsurdesfaitscultuelsarcadiens.Elle n’impliqueaucuneconnaissancedesritesdumontLycéeetn’adoncqu’unrap port lointain avec l’Arcadie. On constate plutôt à Rome une véritable «roma nisation»d’uneArcadieimaginée.C’estbienentoutcasàpartirdeRomequ’il fautévaluerlalistedescultes«importés»deDenys. Lechoixparcetauteurdes LykaiaLupercalia commepremiercultefondépar Évandre sur le Palatin s’explique sans doute par la réputation d’ancienneté qu’avaientles Lykaia chezlesAnciens:lafêteauraitétéfondéeparLykaon,fils dePélasgos(lepremierroiarcadien) 57 ,cequiluiconféraituneantiquitévéné rable,dontpouvaientainsiseréclamerles Lupercalia .

VenonsenàNiké.«Ausommetdelacolline,rapporteDenys,ilsdélimitèrent l’enclos sacré de Niké, et instituèrent pour elle aussi des sacrifices répartis sur l’année,etquelesRomainsaccomplissaientencoredemontemps».CertesNiké estattestéeenArcadie:quatredescitésquibattentmonnaiesouslesSévèresla prennentcommeemblème,Psophis,ThelpousaetPhigalieenArcadieocciden taleetMantinée 58 .Iln’yaaucuneattestationdanslarégiondePallantionetla présencedeladéessedanslesdivinitésimportéesparÉvandrenereflètemanifes tement pas, on l’a dit 59 , une réalité arcadienne. En revanche, l’existence sur le montPalatindedeuxtemplesde Victoria ,l’équivalentlatindeNiké,acertaine mentdéterminéDenysàfaireuneplaceimportanteàladéesse.Untempleavait étédédiéparL.PostumiusMegellusen294 60 .Onenauraitlesvestigesmonu 56 OGILVIE (1965),p.5253;FROMENTIN (2006),p.272. 57 Pausanias,VIII,1,2;Aristote,fr.637ROSE ;scholieàEuripide, Oreste ,1647 . 58 JOST (2010),p.249151.QueNikéaiteuuneplaceplusimportanteenGrècequenele suggère le silence absolu de Pausanias est une réalité que Denys peut avoir connue; il n’en découlepasquecesoitlacausedesonchoixpourPallantium. 59 Voircidessus,p.106.Critiquesurlerestedutexte,j’avaisimprudemmentfaitconfiance auxdiresdeDenyssurNiké(JOST [1985],p.197198),enraisondelalégende«arcadienne»qu’il rapporte;cepointdevueestàcorriger. 60 TiteLive,X,23,9. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 113 mentauxsurlePalatindanslesruinessituéesentrela«maisondeLivie»,la domus Tiberiana etletempledelaGrandeMère.Unsecondpetittemplefutérigédansle mêmesecteurSudOuestduPalatin;dédiéparM.PorciusCatoen193,ilétait consacréà VictoriaVirgo 61 .Lesdeuxdéessesavaientleurfêtelemêmejour,le1 er août 62 .DenysvoitdansletéménosdeNikéfondéparÉvandrel’ancêtredeces édifices.Pourlesfêtesannuellespériodiques(διετησους)consacréesà Victoria ,on trouve dans le calendrier des fêtes romaines, la fête Victoriae in Capitolio le 17 juillet,les Ludi VictoriaeCaesaris du20au30juillet,lesfêtes Victoriae et Victoriae VirginiinPalatio le1 er août,etle26octobreles LudiVictoriaeSullanae 63 . Honorée par les Arcadiens, Niké serait originaire de chez eux. Selon une légendearcadienne(᾿Αρκδεςυθολογοσιν),NikéseraitlafilledePallas,lefilsde Lykaon, et elle aurait reçu «les honneurs que les hommes lui rendent au jourd’hui» par la volonté d’Athéna, pour avoir été élevée avec cette déesse. «AthénaeneffetfutconfiéeparZeusàPallasdèssanaissanceetélevéeparlui jusqu’àcequellefûtdevenueunejeunefille».Cettelégenden’estconnuequepar Denys.Saconstructionéruditereposesurdesjeuxdemotsàpartirdunomde Pallas.Nikéétait,selonHésiode 64 ,lafilleduTitanPallasetdeStyx,filled’Océan. Denys, ou plutôt quelque mythographe plus ancien 65 , aura profité de l’homo nymieentreleTitanPallasetPallas,filsdeLykaon,pourattribuerauroiarcadien lapaternitédeNiké.Quantàl’associationavecAthéna,donnéecommesuntrophos , ellejouesansdoutesurlerapprochemententrelenomduhérosTitanPallaset l’épithète Pallas souvent attribuée à Athéna. Pallas désignant Athéna comme «jeunefille»,lehéroshomonymedevientletuteurdelajeunessed’Athéna.Cette légende«savante»permetàDenysderevendiquerpourleshonneursrendusà Niké/ Victoria non seulement une origine arcadienne, mais aussi une origine divine,puisqu’ilsdécoulentdelavolontéd’Athéna. LaprésencedeNikéausommetdelanouvellePallantion,sansêtreinvrai semblable en contexte arcadien, traduit en fait une réalité topographique de Romeàl’époquedeDenys.ÀRome,commelenoteA.Delcourt 66 ,letemple consacréà Victoria connaîtuneferveurtouteparticulièreaumomentdelamise enplacedurégimeaugustéen.

«Ils bâtirent aussi», poursuit Denys, «un sanctuaire à Déméter et ils lui offrirentdessacrificesaccomplispardesfemmesetsanslibationdevin,comme c’est la coutume chez les Grecs, et auxquels notre époque n’a rien changé»67 . 61 TiteLive,XXXV,9,6;voirPENSABENE (1999),p.150151. 62 SCULLARD (1981),p.169170. 63 SCULLARD (1981),p.166,167,170,196. 64 Hésiode, Théogonie ,383384. 65 Ilnes’agitpasnécessairementd’unArcadien,commejeledisais:JOST (1985),p.531. 66 DELCOURT (2005),p.151etn.8. 67 Denysd’Halicarnasse,I,33,1. 114 M.JOST

L’accès du culte réservé aux femmes oriente immédiatement vers un culte thesmophorique de type grec 68 . Ce n’est pas en Arcadie qu’on en trouvera le modèle.Seuleyestsûrementattestée,prèsdePhénéos,uneDéméter Thesmia 69 , dont les lois sacrées rejettent non pas le vin, mais la fève qui est impure. On notera d’ailleurs que Denys ne se réfère pas ici aux traditions arcadiennes apportéesparÉvandre,maisà«lacoutumechezlesGrecs».Defait,leslibations «sobres», sans vin, ou nèphalia sont bien connues en Grèce 70 et le refus par DéméterduvinqueluioffreMétaniredansl’ Hymnehomérique enestcommele gestefondateur.Excluantuneoriginearcadienne,c’estànouveauversRomequ’il fautnoustournerpourinterpréterlecultedelaDéméterapportéparÉvandre. DéméterapouréquivalentàRomeladéesseCérès.LetempledeCérèsne setrouvaitpassurlePalatin,oùl’auraitinstalléÉvandre,maissurlapentede l’Aventin,prèsdu CircusMaximus ,àlahauteurdes carceres ducirque 71 .Cen’est pasdanslavieillefêtedes Cérialia ques’inscrivent lescoutumesauxquellesse réfère Denys. Elle honorait le 19 avril une ancienne divinité italique aux fonctions agraires, Cérès, associée dans une triade avec Liber et Libera; or l’existenced’unflaminedeCéresetlerôledesédilesdelaplèbenesontpas compatiblesavecunefêteréservéeauxfemmes 72 .Enrevanche,lesprécisions quedonneDenyssurleritueloriententversles sacragraecaCereris etlesritesdu sacrumanniversarium .Ils’agitbiend’uncultegrec,maisdontl’origineestlarge mentpostérieureàÉvandreetauxoriginesdeRome.Iln’apparaîticiquepar anticipation.Cicéronendonnel’évocationlapluscomplète 73 :«Nosaïeuxont voulu que le culte de Cérès fût célébré avec piété et cérémonial. Comme ce culte avait été importé de Grèce, il était toujours desservi par des prêtresses grecquesettoutlevocabulaireétaitgrec.MaistoutenchoisissantenGrèceune femme pourlesinitierà cecultehelléniqueetpourlecélébrer,ilsontvoulu que, célébrant un culte pour des citoyens , elle fût citoyenne, afin qu’ellepriâtlesdieuximmortelsselondesritesétrangersetvenusdudehors, sansdoute,maisdumoinsavecunespritnationaletcivique».Ajoutonsàce textequicaractériselanaturegrecquedes sacraCereris etleuradoptionàRome, ladéfinitiondeFestusquiindiqueleurcontenu:«desfêtesdeCérèsimportées de Grèce, que les matrones célébraient en l’honneur de la découverte de Proserpine»74 .Cecultegrecserait,selonLeBonniec,venudeGrandeGrèceet 68 PARKER (2005),p.276288. 69 VoirDéméter Thesmia ,prèsdumontCyllène(Paus.VIII,15,34)etunementionarca dienne, sans localisation précise, de Déméter Thesmophoros (JOST [1985], p. 325326; D UBOIS [1986],p.195202,l’attribueàPhénéosengrandepartieàcausedutextedePausanias). 70 PIRENNE DELFORGE (2011),p.137etn.128. 71 COARELLI (1993),p.260261. 72 LE BONNIEC (1958),p.112114.MAVROGIANNIS (2003),p.115,parleàtortdes LudiCeriales . 73 Cicéron, ProBalbo ,55.Voiraussi id., Verrines ,4,114115et Verrines ,5,187. 74 Festus,86L, s.v. graecasacra .VoiraussiLE BONNIEC (1958),p.381386,pourl’examendes textesdeCicéronetdeFestus. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 115 ilauraitétéadoptédanslasecondemoitiédu III esiècle 75 ,danslecontextedes défaitessubiesparlesRomains,quisetournèrentversdescultesétrangers.Il supplantait l’ancienne triade, pour associer Cérès et Proserpine. Réservée aux femmes, la célébration du sacrum anniversarium Cereris comportait des initia tions 76 .C’était«lagrandefêteannuelle,lafêteparexcellenceducultehelléni que.Elles’opposenettementaux Cerialia ,fêteannuelleduculteancien»77 . Le clergé était exclusivement féminin. Le fait est corroboré par plusieurs témoignages. Cela ressort du Pro Balbo de Cicéron 78 : «le culte était toujours desservipardesprêtressesgrecques»,–Cicéronencitedeux–dontlerôleest «d’initierlesRomainsàceritehelléniqueetdelecélébrer».Enoutre,denom breuses inscriptions donnent des noms de femmes comme sacerdos Cereris ou Cerealis 79 , sans qu’il n’y ait jamais de nom d’homme dans cette fonction. Un passagedes Verrines 80 indiquequelesprêtressesetlesgrandesprêtressesd’un sanctuairedeCataneétaientdesfemmesâgéesetconnues.L’importanceaccor dée par les Romains à cette prêtrise féminine se marque dans le fait que ces prêtresses sont seules citoyennes et qu’elles portent, comme les Vestales, le titrede publicae (prêtresses du culte public) 81 . L’accomplissement par ces fem mes des sacrifices, selon ce qu’indique Denys, est néanmoins problématique, comme pour les Thesmophories grecques. Sans doute fautil admettre pour 82 ellesunrôlede sacrifiants etnonpasde sacrificateurs . LesparticipantesaucultedeCérèsetProserpineétaientellesaussiexclusive mentdesfemmes,commelemontreuntextedes Lois deCicéron:«Qu’iln’yait pasdesacrificesnocturnescélébrésparlesfemmes (mulierum) ,hormisceuxquise fontrégulièrement aunomdupeupleetqu’ellesne procèdent àl’initiationde personne,sicen’estselonl’usageàCérèsparlesacrificeselonlemodegrec( graeco ritu) »83 . TiteLive, lorsqu’il rapporte l’interruption du sacrum anniversarium Cereris par l’annonce de la défaite de Cannes 84 , parle des « matrones», qui, toutes en deuiletdoncsouilléesparlamortd’unprochenepeuventcélébrerlafête.Les 75 LE BONNIEC (1958), p. 390396. Cf. Cicéron qui rapporte que les prêtresses du culte étaient généralement originaires des colonies grecques de Naples et de Vélia dans le Sud de l’Italie; SPAETH (1996), p. 1112. Dans le texte de Cicéron, adsumpta de Graecia peut, selon Le BonniecetSpaeth,désignerlaGrandeGrèce. 76 Cicéron, Lois II,21(textetraduitcidessous). 77 LE BONNIEC (1958),p.420. 78 Cicéron, ProBalbo ,55.VoiraussiValèreMaxime,I,1,1. 79 LE BONNIEC (1958),p.397;SPAETH (1996),p.104. 80 Cicéron, Verrine s,4,99. 81 LE BONNIEC (1958),p.399. 82 Voir P ARKER (2005), p. 276 et n. 27 (avec la bibliographie). Ajouter R. OSBORNE , «Women and Sacrifice in Classical Greece”, CQ 43 (1993), p.392405 [= R. BUXTON (éd.), OxfordReadingsinGreekReligion ,Oxford,2000,p.294313]quinuancelepointdevue. 83 Cicéron, Lois II,21. 84 TiteLive,XXII,56,45;cf.XXXIV,6,15. 116 M.JOST

«matrones», c’estàdire les femmes mariées, plutôt des classes élevées, sont égalementcitéescommecélébrantesdes Graecasacra danslanoticedeFestus 85 . Les jeunes filles peuvent cependant avoir été également admises, comme le suggèreunpassagedes Verrines deCicéron 86 àproposd’unsanctuairedeCérèsà Catanequi«estinterditauxhommesetdontlescérémoniessontaccompliespar lesfemmesetlesjeunesfilles–mulieresetvirgines ». UnpassagedeValèreMaxime nomme pour la célébration des Graeca sacra qui suivirent la bataille de Cannes touteslesfemmes:lesmères,lesfilles,lesfemmesetlessœurs 87 .Laprésence simultanéedesfemmesmariéesetplusâgéesetdesjeunesfemmes,nonencore mariées,pourrait,selonSpeath 88 ,renvoyeraumythedeDéméter/CérèsetKoré/ PerséphoneProserpinequimetenscènelamèreetlafille.Festusneparletilpas defête«enl’honneurdeladécouvertedeProserpine»? L’interdictionduvin,quementionneDenys,lorsdusacrificeoffertparles femmesn’estpasderègledanslesThesmophoriesgrecquesnidanslesautres cultesdeDéméter 89 etl’affirmationdeDenys«commec’estlacoutumechez lesGrecs»estdoncànuancer.Cetinterditdoiticirenvoyeràlamêmefêtedu sacrumanniversariumCereris quelalimitationdelafêteauxfemmes,carpourles cultesrustiquesdeCérèscommepourlecultedelatriadeCérès,Liber,Libera leslibationsdevinsontadmises 90 .Onenauraitl’écho,d’aprèsH.LeBonniec 91 , dansdeuxversdePlauteoùlepersonnagedeStaphyla,constatantqu’iln’ya «pasunegouttedevin»(danslesemplettespourlebanquet),demandesil’on vacélébrer«lesnocesdeCérès»92 .Deuxversd’OvideadressésàCérès 93 font allusionà«unjourdefêtesansamour,sanschantsetsansvin»:selonH.Le Bonniec, «l’abstinence du vin s’ajouterait à celle du pain et à l’obligation de chastetépendantlaneuvainedepénitencedu castuscereris »94 .Laprivationdevin instauréedanslafêtedu sacrumanniversariumCereris nefaitquegénéraliserune

85 Festus,p.86L, s.v. Graecasacra . 86 Cicéron, Verr. II,4,99. 87 Valère Maxime I, 1, 15. Pour les divergences entre TiteLive et Valère Maxime sur les mesuresprisesaprèsladéfaitedeCannes,voirLE BONNIEC (1958),p.400402. 88 SPAETH (1996),p.107108. 89 Oncite,enfaveurde néphalia pourDéméter,laconduitedeMétanirerefusantlevin(ci dessus,p.114)etlesacrificeauxDespoinaid’Olympie(Pausanias,V,15,10),maisilfautalors supposertouteuneséried’«exceptions»aux néphalia pourladéesse(voirFARNELL III[1907],p. 102). Notons d’ailleurs, la mention par V. PIRENNE DELFORGE (2011), p. 144145, n. 155, de deuxinscriptionsathéniennes,oùl’onvoitdesmentionsexplicitesdesacrificesàDéméter,sans qu’ils soient qualifiés de néphalios , alors que le terme apparaît pour d’autres dieux dans ces documents. 90 LE BONNIEC (1958),p.417. 91 Ibid. 92 Plaute, Aulularia ,354355. 93 Ovide, Amores III,10,4748. 94 LE BONNIEC (1958),p.416. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 117 prescriptionrituellequi,sansêtrelarèglepourlesThesmophoriesgrecques,est plusieursfoisattestéepourDéméter. Autotal,cequeDenysd’Halicarnassedonnepourarcadiendériveenfaitde l’observationd’unculteromain.

Évandreetsescompagnons«attribuèrentaussiunenclosàPoséidon Hippios etilsinstituèrentunefêtenommée Hippokrateia parlesArcadienset Consualia par lesRomains».Pendantcettefête,«ilestdecoutumeàRomequeleschevauxet lesmulesinterrompenttouttravailetaientlatêtecouronnéedefleurs»95 .Sans évoquer la fête arcadienne, Denys se borne à mentionner des rites célébrés à Rome. Peuton penser, comme il le suppose, que les Consualia avaient quelque rapportavecdes Hippokrateia arcadiens? La fête des Hippokrateia n’est pas connue ailleurs que dans le passage de Denys 96 .Miseàpartuneglosed’Hésychiusoùletermeπποκράτεια désignelefait devaincreavecdeschevaux,lemot,dérivéd’unhypothétique(dieu?)Hippokra tès,n’estpasattestéautrement.Onrenonceraentoutcasàrestituerl’existence d’ Hippokrateia àPallantion,commelefontencoreFr.BernsteinetJ.Mylonopou los 97 . Il faut chercher ailleurs l’origine de l’équivalence entre des Hippokrateia , attribuésàl’ArcadiedemanièresuspecteparDenys,etles Consualia romains.Un point est assuré: l’équivalence entre Poséidon Hippios , Neptune Equestris et le dieudes Consualia ,Consus,estbienattestéedèsl’époquedeDenysetaprèslui. Poséidon Hippios estNeptune Equestris ,commelenoteTertullien 98 :«Maisil y a aussi un Neptune Equestris que les Grecs nomment Ιππιος»; Neptune Equestris équivaut à Consus, comme le signale Servius 99 : «Neptune, dieu équestre,quiestaussiappeléConsus».Àl’époqueaugustéenne,chezTiteLive, Romulus «imagine [pour organiser l’enlèvement des ] de préparer des jeuxsolennelsenl’honneurdeNeptune Equestris :illesnomme Consualia »100 .De même, Strabon attribue le concours hippique célébré par Romulus (i.e. les Consualia )àPoséidon 101 .AulivreIIdes Antiquitésromaines ,Denys,sanssoucide cohérenceavecl’affirmationd’uneoriginearcadiennedes Consualia aulivreI–j’y reviendrai–102 ,affirmeque«lesRomainsontcontinuéàcélébrerjusqu’à[son] époquelafêteinstituéeparRomulusencetteoccasion[leraptdesSabines].Ils l’appellentles Consualia ».Puisildécritunmomentessentieldecettefête:«On metaujour,enledégageantdelaterre,unautelsouterrainsituéprèsdu Circus 95 Denysd’Halicarnasse,I,33,2. 96 JOST (1985),p.292;CAPDEVILLE (1993),p.167. 97 Voircidessus;BERNSTEIN (1997),p.425;MYLONOPOULOS (2003),p.121. 98 Tertullien, Spectacles IX,2. 99 Servius, Comm. àVirgile, Énéide ,VIII635.VoiraussiJeanleLydien,I,30. 100 TiteLive,I,9. 101 Strabon,V,3,2.MêmechosechezPolyen,VIII,3,1. 102 Denysd’Halicarnasse,I,33,2.Voircidessous,p.121. 118 M.JOST

Maximus etonl’honorepardesprémicesetdessacrificesqu’onfaitbrûler.Les RomainsappellentConsusledieuauquelonrendceshommages»103 . LasuitedutextemontrequelatraditionquifaisaitéquivaloirPoséidonet Consus ne s’était pas établie sans difficulté. Denys donne deux explications différentesproposéesparlesAncienspourlenomdudieuetpoursonautel. «Sil’oninterprètecenom[Consus]dansnotrelangue,ils’agit,seloncertains, de Poséidon Seisichthon (‘Ébranleur du sol’); les mêmes prétendent qu’on l’honoreparunautelsouterrainparcequec’estcedieulàquiestmaîtredela terre»104 .PourlesunsdoncConsusestPoséidon.«Cependant,ajouteDenys, je connais une autre tradition. J’ai entendu dire que la fête est effectivement célébréeenl’honneurdePoséidon,quelacoursedechevauxestconsacréeau mêmedieu,maisquel’autelaétéérigéparlasuitepourhonorerunecertaine divinitéaunomsecret,quiprésideauxdesseinscachésetenestlagardienne». La«divinitéaunomsecret»recouvreévidemmentaussiConsus,dontlenom étaitrapprochéparlesAnciensdumot consilium (conseil),maisilestdanscette secondeexplicationdistinctdePoséidon.ChezlesAnciens,Consusesttantôt donnécommePoséidon–nonplus Hippios ,mais Seisichthon –ettantôtcomme une divinité cachée du conseil. Après Denys, Plutarque donne également plusieurstraditions.Dansla ViedeRomulus ,ilracontecommentcepersonnage «avaitdécouvert,cachésouslaterre,l’auteld’undieu.Lenomdecedieuétait Consus,c’estàdireconseiller…Selond’autrescedieuétaitPoséidon Hippios , parce que l’autel, placé dans le Circus Maximus , reste toujours couvert, sauf pendant les concours hippiques. D’autres affirment que, l’habitude étant de tenir conseil dans le secret, loin des yeux du public, il est normal que l’autel consacré au dieu fût caché sous terre»105 . L’alternative entre Consus et Poséidon Hippios est résolue par une identification dans l’ Étiologie romaine où Plutarque, s’interrogeant sur le couronnement et le repos des chevaux et des ânes lors des Consualia , demande: «Estce parce qu’ils célèbrent la fête en l’honneur de Poséidon Hippeios ?»106 , associant ainsi Poséidon Hippios et les Consualia.Autotal,ilressortdestextesqu’unepartiedelatraditionfaisaitde Consusundieucaché,liéau«conseil»,tandisqued’autresyvoyaientl’équi valentlatindePoséidon.C’estàcettedernièretraditionqueserallieDenysau livreI.Peutonensaisirl’origine? Pour répondre, il faut éclairer la nature du lien entre PoséidonNeptune et Consus.Lesdeuxdivinitésontàvoiraveclemondesouterrain.Poséidon Hippios , toutparticulièrementenArcadie,estunedivinitéchthoniennedelafécondité(la 103 Denysd’Halicarnasse,II,31,23.L’autelétaitàl’extrémitésudestdela spina du Circus Maximus :voirCIANCIO ROSSETTO (1993),p.322. 104 VoiraussiJeanleLydien, Desmagistratures ,30,1:«C’estundieucachéetsouterrain,et, commeledisentlespoètes,‘ébranleurdelaterre’ (Enosigaios) et‘ébranleurdusol’( Enosichthon )». 105 Plutarque, ViedeRomulus ,14,34. 106 Plutarque, Étiologiesromaines ,48. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 119 procréationduchevalArionlemontre)etdelafertilitéliéeàsamaîtrisedeseaux courantes 107 . Avec l’épithète Seisichthon que lui accole Denys au livre II, il est l’«ébranleurdusol»,cequiillustreunautreaspectdesesliensaveclasphère souterraine.Consusestluiaussiunedivinitéchthonienne.Plutôtqu’undieudu conseil (consilium),selonuneétymologieproposéeaussibienparDenysquepar Plutarque,c’est,selonlaformuledeG.Dumézil,ledieude«l’engrangement,la miseenréservedesproduitsdelaculture»:sonnomdérivedutermetechnique condere ,«conserver,garder,mettreenréserve»108 .Ils’agitd’undieuagraire;ila unefonctionchthonienneliéeàlafertilitéterrestre,commelerévèlel’enfouis sement de son autel à l’extrémité du Circus Maximus . Au demeurant, Poséidon Hippios etConsus,s’ilsrelèventdelamêmesphèrechthonienne,ontdeschamps etdesmodesd’actionbiendifférents.Cequilesrapprocheleplusestlaplacequi est réservée au cheval dans leur culte. L’épiclèse cultuelle de Poséidon Hippios indique qu’il est le «maître des chevaux», que l’on honore par des courses hippiquesaux Poseidaia deMantinéeparexemple 109 .ÀRome,lorsdesdeuxfêtes de Consus, Consualia du 19 août et du 15 décembre 110 , des courses libres ou attelées de chevaux, de mulets et d’ânes se déroulaient dans le Circus Maximus auprès de son autel souterrain 111 . Ces fêtes célèbrent toutes deux la mise en réserve des grains que préside Consus; après la course, d’après Plutarque, les Romainslaissentleschevauxetlesânessereposeretlescouronnentdefleurs. L’équivalence entre PoséidonNeptune et Consus est un phénomène se condaire 112 . Les Consualia primitifs ne semblent pas avoir comporté de courses hippiques.C’estsousl’influencedesÉtrusques–dontonsaitparlesimagesqu’ils endonnentcombienilsappréciaientcetypedeconcours–quecellesciauraient étéintroduitesdanslacélébrationdes Consualia ,donnantàcettefêtesoncaractère spectaculaire 113 . L’idée d’une influence étrusque, qu’A. Piganiol pousse jusqu’à fairedeConsusundieuinfernal 114 ,aétéminimiséeaucontraireparP.Stehou wer 115 ;elleestrepriseparFr.Bernstein,selonquil’assimilationdePoséidonet Consusseseraitfaitàlafindu IV eouaudébutdu IIIesiècle,voireaucoursdu III e, avec, comme intermédiaire, la Grande Grèce. Quoi qu’il en soit, ce sont ces 107 JOST (1985),p.285286; MYLONOPOULOS (2003),p.381382et398399. 108 DUMÉZIL (1969),p.292. 109 Pausanias,VIII,10,1.VoirJOST (1985),p.290. 110 DUMÉZIL (1969),p.299301. Contra ,ERNOUT ,M EILLET (1967), s.v. ‘Consus’. 111 Denys d’Halicarnasse, I, 33, 2; II, 30, 3 et II, 31, 2; Festus, p. 135 L, s.v. mulis . Les concoursavaientlieu,sembletil,lorsdesdeuxfêtes:SCULLARD (1981),p.178.Pourunelecture historicisantedestroismentionsdelafêtechezDenys,voirCAPDEVILLE (1993),p.166168;elles reflèteraientuneévolutiondes Consualia avecl’accentportésuccessivementsurlesjeuxathléti ques,puislescoursesdechevauxetenfinlesdéfilésdequadrupèdes, 112 VoirBERNSTEIN (1997),p.436437. 113 Voirlamiseaupointd’OGILVE (1965),p.6667. 114 PIGANIOL (1923),p. 335349. 115 STEHOUWER (1956),p.35. 120 M.JOST coursesenl’honneurdeConsusquiontconduitlesinterprètesàgréciserConsus enPoséidon Hippios ,ce«quiluivalutàsontourd’êtreréinterprétéen Neptunus equestris , puis en Neptunus tout court»116 , alors même que le Neptune romain n’avaithéritédePoséidonquelafonctionmarine. Ilresteunproblème:celuidelacontradictionentrelelivreI,oùDenysratta che l’institution des Consualia à Évandre, et le livre II où, comme TiteLive et Plutarque,ilparledeRomulus.Sil’onveut,avecJ.P.Thuillier,«àtouteforce trouverunecohérence»àl’histoiredes Consualia chezDenys 117 ,onpeutconce voirqueRomulusaitinvitélesSabinslorsdes Hippokrateia déjàexistants;puis, pourremercierConsus,ilauraitdésormaisconsacrécettefêteaudieu.Maisona vu,àproposdes Lykaia queDenysnecraintpaslescontradictionslorsqueles contextessontdifférentsetl’oncroiraplutôtFr.Bernstein,quiattribuel’incohé rencedes Antiquités àl’histoiredelacompositiondel’œuvre 118 . Fautilsuivrecetauteurlorsqu’ilsupposel’existenced’uneversionquitenait comptedes Hippokrateia d’Arcadieetfaisaitenquelquesortefusionnerlaversion d’Évandre et celle de Romulus? Il note que la version «romuléenne» laisse parfois ouverte l’idée que Romulus apparaîtrait comme le réformateur de jeux plusanciens,qu’ilnomma Consualia 119 .LetextedeTiteLive Romulus…ludos… paratNeptunoEquestrisolemne;Consualiavocat 120 peutêtreinterprétédanscesens,si l’onfaitde ludos desjeuxdéjàexistants.Bernsteinciteàl’appuidecetteinterpréta tion, un texte de Tertullien («Par la suite, des jeux qui honoraient initialement Neptunereçurentlenomde Consualia .CarNeptunes’appelleaussiConsus») 121 etunpassagedeCicéron 122 quiévoque,danslecontexteduraptdesSabines,des jeuxpublics«dontRomulusfaisaitalorscélébrerlepremieranniversaire».Siles deux textes semblent effectivement impliquer l’existence de jeux antérieurs à Romulus 123 ,letextedeTertullienapparaîtsurtoutcommeunessaiderationaliser et de rendre compte de l’équivalence Neptune/Consus, en supposant un état antérieuroùNeptuneétaithonoréseul.Audemeurant,rienn’indiqueuncarac tèrearcadienpourcespremiersjeux,quiautoriseraitàlesrattacheraux Hippokra teia arcadiensetàÉvandre.Autotal,la«versiond’Évandre»n’apparaîtexplici tementquechezDenysetsafusionavecla«versiondeRomulus»,enrelation avecl’hellénisationdelareligionromaineau III esiècle,restebienhypothétique. Tandisquelaversionromuléennes’inscritdansunetraditionbienétablie,la version d’Évandre est une construction de Denys qui a plaqué sur une fête 116 DUMÉZIL(1974),p.278. 117 THUILLIER (1989),p.239. 118 BERNSTEIN (1997),p.435. 119 BERNSTEIN (1997),p.431432. 120 TiteLive,I,9. 121 Tertullien, Lesspectacles V,4,5. 122 Cicéron, République II,7,12. 123 VoiraussiPolyenVIII,3,1. DePallantiond’ArcadieàPallantiumduLatium 121 romaine, dont il vante ainsi l’ancienneté, une prétendue réalité arcadienne. Rendue plausible par la fréquence des attestations de Poséidon Hippios en Arcadie,ellen’enestpasmoinsunecréationartificielle,pourlesbesoinsdesa démonstration. De toute évidence Denys, cherchant à imposer l’idée d’une origine arcadienne des plus vieux cultes romains, a trouvé dans l’équivalence Poséidon Hippios /Consus,sansdouteétablieavantlui,uneoccasion,deratta cherlafêteromaineàl’Arcadiemythique.

Les raisons qu’a Denys d’opérer l’assimilation entre fêtes «arcadiennes» et fêtesromainestiennentàsonprogramme:ilyvoitunargumentpourprouver quelesRomainssontdesGrecs,plusprécisémentdesArcadiens,quiontapporté lacivilisationaveceux:«IlsfurentlespremiersàintroduireenItaliel’usagede l’alphabetgrecainsiquelamusiqueproduitepardesinstrumentsappeléslyres, trigonesetflûtes…Onditaussiqu’ilsinstituèrentdeslois,qu’ilscontribuèrent auplushautpointàfairepasserlaviequotidiennedelasauvagerieàlacivilisa tion, qu’ils apportèrent à la communauté humaine des arts, des coutumes et beaucoup d’autres bienfaits»124 . Par ailleurs, l’ancienneté des Arcadiens,«les premiers des Grecs à traverser le golfe d’Ionie»125 , ces «prosélènes», «nés d’avantlalune»,commelesappellentOvideetPlutarque 126 ,conféraitàRome uneantiquitévénérable.Autotal,onauravuqueniDenysnilesautresécrivains quirapprochentlesfêtes«arcadiennes»etlesfêtesromainesnesesontlivrésà unevéritablecomparaisondesfaits.L’ interpretatioarcadica desdivinitésetdesfêtes romaines ne repose que sur des rapprochements approximatifs dans lesquels l’Arcadienejoueaucunautrerôlequeceluidefournirdesnomsetunecaution d’hellénismeetd’ancienneté. MadeleineJOST 33,rueSébastienMercier FR–75015PARIS Courriel:[email protected]

124 Denysd’Halicarnasse,I,33,3.VoiraussiDELCOURT (2005),p.143156. 125 Denysd’Halicarnasse,I,11, 2. 126 Ovide, Fastes I,469;II,290;V,90; Plutarque, Étiologiesromaines ,76. 122 M.JOST

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