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Spirale arts • lettres • sciences humaines

Porn Wars : Le Réveil de la Force Antonio Domínguez Leiva

Sacrer ou se taire : actualité de la censure Number 256, Spring 2016

URI: https://id.erudit.org/iderudit/82620ac

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Publisher(s) Spirale magazine culturel inc.

ISSN 0225-9044 (print) 1923-3213 (digital)

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Cite this article Domínguez Leiva, A. (2016). Porn Wars : Le Réveil de la Force. Spirale, (256), 58–60.

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le Réveil de la Force

Par Antonio Domínguez Leiva

Il aura suffi d’un jour après la sortie porn ». Doppelgänger singulier des du tant attendu épisode 7 de la saga blockbusters hollywoodiens au sein Star Wars pour que les ventes du DVD de cet « autre Hollywood » que con­ de la plus célèbre parodie porno de stitue l’industrie pornographique, ce cette dernière, Star Wars XXX (2012), sous-genre, dont Axel Braun s’est érigé augmentent de façon spectaculaire en maître, n’est pas en soi novateur. de 500%, tout comme les recherches Les parodies cochonnes des œuvres thématiques sur PornHub ayant trait littéraires, théâtrales et picturales à à l’univers intergalactique créé jadis succès étaient déjà chose courante par George Lucas (1854%). Le produ­c­ à l’âge libertin et nulle histoire des teur Axel Braun annonce par ailleurs bandes dessinées ne peut ignorer la suite de sa réécriture désinvolte l’importance des « Tijuana Bibles », de la trilogie originale avec Empire versions sexuelles souvent très ex­ Strikes Back XXX et le jour de Noël trêmes des aventures des grandes il gratifia les utilisateurs de Men.com icônes du neuvième art (de Mickey du premier opus d’une quadrilogie Mouse à Buck Rodgers, en passant spécifiquement gay revisitant à son par Plastic Man ou Popeye). Le ciné­ tour la mythologie « warsienne ». ma pour adultes s’était lui aussi fait une spécialité de ce procédé à l’âge Des porno-parodies « old school »… de la « sexploitation » et du soft-core (illustré par des « œuvres » telles que C’est dire à la fois le profond attrait L’arrière-train sifflera trois fois de fétichiste de cette franchise qui a, la Jean-Marie Pallardy, 1975), avant première, su entièrement s’adapter au d’ac­­compagner la transition vers le fétichisme de la marchandise élevé hard-core avec des titres restés au carré qu’incarne le merchandising clas­­­siques (au sens nanarophile) tels geek (les figurines étant devenues, de que Blanche-Fesse et les Sept Mains simples objets transitionnels reliés (Michel Caputo, 1981) ou E-3 : The à l’univers diégétique d’origine, des Extra Testicle du célèbre moteurs actifs de l’appropriation par (1985) – la titrologie elle-même tenant les fans de l’œuvre, voire de la gé­ sou­­vent lieu de seule parodie pour né­­ration même de celle-ci, conçue conférer un « supplément d’âme » pour la prolifération de « créatures » à des productions par ailleurs en­ traduisibles en jouets), et l’impact tiè­rement routinières (tel­les que majeur qu’a pris, dans ce tournant 20 000 vieux sous mé­mère de « Jules de millénaire, le sous-genre long­­temps Terne », métafiction du pauvre – boudé par les pornophiles du « parody branleur, de surcroît – de 1986).

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Mais c’est depuis le tournant du mil­ d’un fan de voir Marcia Brady se faire sous-genre qui ne peut être, pour lénaire que la parodie porno semble prendre » selon l’expression fleurie convaincre, que maniériste. L’œuvre devenue la planche de salut d’une du co-producteur « Jeff Mullen ». Ce commence par l’interrogatoire de la industrie par ailleurs quelque peu qui vaut, bien entendu, pour tout princesse Leia par Darth Vader – dont branlante : « dans un monde de ven­ autre personnage de fiction populaire. on sait tous qu’il est son (mauvais) tes déclinantes de DVD, la parodie père – qui se traduit en fellation c’est le salut », explique le propriétaire Utilisant à bon escient les nouvelles inaugurale et se finit par le threesome de New Sensations/Digital Sin. Si stratégies de marketing par réseaux – tout aussi incestueux – de Leia le documentaire au titre lui-même sociaux interposés, les producteurs avec Luke et Han Solo, en passant parodique de Shaving Ryan’s Privates surent s’inscrire dans le courant de par des séquences assez farfelues (2002) faisait le tour de ce que cette la nouvelle consommation porno­ telle la partouze de la Cantina branche potache du porno doit à la graphique, souvent ironique, qui défie (au son ininterrompu de l’orchestre main de Cash Markman, scénariste les circuits et les publics cibles tra­ extraterrestre) ou le trio de Chewbacca de Sex Trek (1990) ou Nightmare on ditionnels (et dont la littérature elle- avec deux charmantes Stormtroopers Porn Street (1998), en présentant des même témoigne, avec des niches qui ont troqué leur blanche armure œuvres telles que Ass Ventura : Crack telles que le « monster porn », une pour le latex noir cher aux amateurs. Detective (1995), Spermacus (1993) ou forme de reprise parodique de grands On est loin toutefois de la campiness Throbin Hood (1999), l’on considère Not mythes de la culture populaire). réussie de XXX (qui prend the Bradys XXX (produit par Hustler Quantité de variations s’ensuivirent appui sur la série pop des sixties à en 2007) comme le déclencheur de la (Not Bewitched XXX, Not the Cosbys l’encontre des versions disneyfiées nouvelle vague qui inonde désormais XXX – aux résonnances maintenant ou dépressives de Burton et Nolan), le marché. prophétiques) et Hustler réitéra la et le penchant comique gaspille les formule avec sa série des This Ain’t… possibilités d’une réelle érotique war­ … au boom du « parody porn » (The Munsters, Happy Days, Star Trek, sienne, entrevues dans la séquence etc.), dont le fleuron le plus célèbre mythique de Leia réduite en esclavage Alors que les anciennes tentatives reste This Ain’t Avatar XXX (2010), par le monstrueux Jabba the Hutt, filmiques restaient essentiellement pionnier dans son utilisation du 3D réécriture ultime du syndrome de des productions conventionnelles à des fins masturbatoires. Le très la Belle et la Bête qui traverse la agré­mentées de références très ap­ cinéphile Axel Braun renforça quant science-fiction classique. Cet épisode proximatives aux œuvres parodiées à lui les stratégies citationnelles, sera sans doute dûment revisité dans (ce qui n’était pas le cas, par exemple, délaissant le côté plus ouvertement la prochaine production de Braun, des Tijuana Bibles, très imbibées de carnavalesque qui avait accompagné mais ne peut-on être, finalement, leur sujet d’origine à la fois sur le l’émergence du sous-genre pour que déçus par la matérialisation plan diégétique et stylistique), cette se rapprocher du pur pastiche. Son de ce fantasme culturel à peine version du Brady Bunch (1969-1974) se Batman XXX fut le titre adulte le esquissé dans la seule séquence caractérisait par une grande fidélité plus vendu et le plus loué de 2010, érotique de la saga (et qui offusque à son modèle, appelant par là même donnant naissance à une série de tout un pan du fandom en ces temps aux fans nostalgiques de la série. pornifications superhéroïques, Vivid de néopuritanisme) ? Ce sont là, on Loin de la simple moquerie ou de la , où ont depuis défilé le sent, les limites mêmes du sous- capitalisation hâtive d’une référence Superman, Spider-Man, Iron Man genre, menacé autant par la chute passagère, le respect des personnages et les Avengers au grand complet. dans le grotesque (le rire – ou la gêne que l’on plonge dans des situations Star Wars XXX a voulu, quant à lui, – l’emportant alors sur la stimulation irreprésentables dans la diégèse cristalliser les fantasmes suscités souhaitée) que par la concrétion de d’o­rigine rapproche le film de la par l’univers et les personnages du l’indéterminé. pratique de la « fan fiction » érotique très chaste film original de Lucas, popularisée par les nouvelles com­ après des décennies de tentatives Mais loin d’être une simple mode, munautés interprétatives de l’ère infructueuses qui commencèrent, la porno-parodie s’est vue institu­ Internet, qu’il s’agisse du « slash » l’an­née même de sa sortie, par Star tionnalisée dans les XRCO Awards (variations homosexuelles), du « het » Babe (1977), suivi de Sex Wars (1986), puis les AVN Awards, qui comportent (hétérosexuelles), du « squick » (avec Space Nuts (2003) – parodie au carré, depuis 2009 deux catégories dis­ des transgressions majeures, à com­ puisque se basant sur la parodie de tinctes de « Meilleure parodie », mencer par l’inceste), du « OTP3 » Mel Brooks Space Balls – et Porn Wars dramatique et comique (le dernier (pour les ménages à trois), voire du Episode 1 (2006). prix a été remporté par Star Wars XXX « PWP » (ou « Porn without plot », où en 2013). Qui plus est, Braun gagna le le récit est éclipsé par la pure logique De la parodie au pastiche prix du meilleur film de l’année 2015, pornographique). Extension sur petit toutes catégories confondues, avec sa écran de ces réappropriations et va­ Si Braun réussit (relativement) là où parodie de la série culte 24 : c’est la riations, Not the Bradys XXX vise à tant échouèrent avant lui, c’est bien consécration ultime de cette branche « satisfaire le plaisir coupable de plus à cause de cette transformation d’un jadis tant honnie, accompagnée d’une

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relative appréciation critique qui avait matériel de parodies, de pastiches et, dans une industrie qui avait cru pouvoir déserté le porno depuis belle lurette. dans des cas extrêmes, de plagiats », entièrement s’en affranchir mais qui, Poussant jusqu’au bout du fantasme selon les termes de Peter Wollen après les excès déconstructivistes du la logique des « franchises » de dans son article prémonitoire de 1989 porno « gonzo », se trouve confrontée l’imaginaire qui articule la culture « MTV and Posmodernism, too ». à une phase qui n’est pas sans rappeler mainstream dans son ensemble (cette la « littérature de l’épuisement » « culture qui plaît à tout le monde » Dans cette sursaturation fictionnelle diagnostiquée jadis par John Barth. étudiée par Frédéric Martel), ces œuvres où tout a déjà été dit (et en « mieux »), Non seulement les séquences dés­ illustrent, au cas où on la mettrait la transfictionnalité définie par truc­turées et réitératives du « gonzo » encore en doute, la justesse de la Richard Saint-Gelais s’impose comme poussent jusqu’à l’absurde (ou l’insi­ célèbre règle 34 (qui veut qu’il existe, une nécessité quasi-darwinienne : gnifiance) la logique de réduction à propos de tout ce qui existe, une « Ça et là, en divers points du discours des coûts et de l’imaginaire au degré version pornographique) qui régit social, un phénomène apparemment zéro du fantasme, mais elles sont la webosphère. marginal est en train de modifier facilement dépassées à ce jeu par le de fond en comble l’économie tradi­ morcellement et la prolifération de Culture du (porno)recyclage tionnelle de la fiction. Les mondes capsules sur le modèle youtubéen fictifs ont longtemps formé des univers (version ultime du « pornème » Il s’agit là, in fine, d’un effet secon­ parfaitement clos, ou supposés tels […]. audiovisuel comme plus petite unité daire pour le moins inattendu du La culture médiatique de la science- d’une syntagmatique désormais tour­nant postmoderne vers une cul­ fiction semble avoir changé tout cela : ab­sente) sur les sites pirates. Le ture du recyclage marquée par l’intersection n’y est plus proscrite […], « pa­rody porn » permet dès lors de l’écla­tement des frontières entre les elle est en passe d’en devenir la règle. redécouvrir les potentialités d’un genres, unanimement carnavalisés Triomphe apparent du transfert, de la cinéma pornographique narratif, sur le mode de l’humour distancié, circulation idéalement fluide et libre aban­donné après l’âge d’or initial du signe d’une plus vaste réponse de fragments d’encyclopédies fictives, du cinéma X au profit des produc­ parodique à la crise des Grands Récits, non plus confinées à une œuvre uni­que, tions stakhanovistes, low cost et transformant souvent le jeu des mais susceptibles d’être repri­ses, indé­ interchangeables qui nourrirent le mar­ réfé­rences en simples allusions finiment, de texte en texte, en film, en ché de la vidéocassette puis du DVD. amputées de leur signification. Ces série télévisée, en documents de plus caractéristiques avancées autrefois en plus divers et nombreux. » (L’empire En pornotopie aussi, comme dans la par les théoriciens critiques sont du pseudo, 1999) Transfiction qui franchise fatiguée de Georges Lucas, désormais intégrées dans une culture peut aisément, sous l’emprise de la Force semble se réveiller. Est-on dès populaire dominée par le simulacre notre « course à l’extrême », prendre lors en droit d’attendre, au-delà du et le second degré, l’autodérision et la forme de la pornification. pur parodique et du pastiche, le retour les références-clins d’œil devenues de « la grande forme » deleuzienne ciment même des œuvres prises en Retour à la (porno)fiction ? (un temps entrevue aux origines du « un voyage incessant et éclectique hard-core) à cette (très) « petite for­ dans l’Histoire, qui pille la banque Se produit alors le retour ironique, par me » qu’est devenu le cinéma dit d’images du monde pour en faire du le biais de la transtextualité, de la fi­ction « pour adultes » ?

C’est dire […] le profond attrait fétichiste de cette franchise qui a, la première, su entièrement s’adapter au fétichisme de la marchandise élevé au carré qu’incarne le merchandising geek

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