Romain Gary / Émile Ajar
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ROMAIN GARY/ÉMILE AJAR DANS LA MÊME COLLECTION Artaud, par Alain et Odette Virmaux Beckett, par Alfred Simon Breton, par Gérard Legrand Céline, par Frédéric Vitoux René Char, par Christine Dupouy La Critique littéraire au XX siècle, par Jean-Yves Tadié Duchamp, par Robert Lebel Freud, par Roger Dadoun Roger Gilbert-Lecomte et le Grand Jeu, par Alain et Odette Virmaux Kafka, par Régine Robin Lacan, par Marcelle Marini Francis Ponge, par Claude Évrard Proust, par Jean-Yves Tadié Michel Tournier, par Françoise Merllié Trakl, par Jean-Michel Palmier LES DOSSIERS BELFOND Collection dirigée par Jean-Luc Mercié JEAN-MARIE CATONNÉ ROMAIN GARY ÉMILE AJAR PIERRE BELFOND 216, boulevard Saint-Germain 75007 Paris Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications, envoyez vos nom et adresse, en citant ce livre, aux Editions Pierre Belfond, 216, bd Saint-Germain, 75007 Paris. Et, pour le Canada, à Édipresse Inc., 945, avenue Beaumont Montréal, Québec H3N 1W3. ISBN 2.7144.2561.5 Copyright © Belfond 1990 A mon père, et à la mémoire d'Amédée Dunois, disparu à Bergen-Belsen. « Accéder à l'authenticité en partant d'une imposture, avouez que ce serait assez beau!» Romain Gary, La Tête coupable « Moi aussi j'aurais voulu être quelqu'un d'autre, j'aurais voulu être moi- même. » Émile Ajar, Gros-Câlin AVERTISSEMENT Autant l'avouer tout de suite, l'auteur appartient à une généra- tion qui ne lisait pas Gary, romancier à succès, ex-diplomate hol- lywoodien, gaulliste affiché, dont les gros cigares ostensiblement mordus nous faisaient l'effet d'une panoplie. Du mythe du 18 Juin à la foire du 13 Mai, trop de barbouzes avaient rendu sus- pects jusqu'aux anciens de la France libre. Bêtement, nous n'éprouvions aucune envie de lire ces ouvrages trop récompensés, trop bien vendus, d'un notable de la cinquième République qui finirait tôt ou tard avec Maurice Druon à l'Académie française. Ajoutez à cela qu'époux beaucoup plus âgé d'une jeune star de cinéma dont chacun s'était amouraché lorsqu'elle déambulait le long des Champs-Élysées dans le film de Jean-Luc Godard, A bout de souffle, cet homme trop mûr, trop assuré, ne faisait vraiment rien pour se rendre sympathique. Un ogre à femme. En bon myope, je crus n'avoir jamais lu une seule ligne de lui quand on apprit sa mort par suicide, en 1980. Un auteur à classer. A oublier. Une espèce d'Anatole France. En revanche, nous étions beaucoup à avoir dévoré les œuvres d'un romancier à l'incognito suspect, un peu tapageur, dont la plume tragique et burlesque brisait de toute évidence l'éternel retour des valeurs installées. Loin des best-sellers pour super- productions internationales, genre Racines du ciel ou Promesse de l'aube, Gros-Câlin et La Vie devant soi portaient la marque secrète d'un talent à tirage limité, destiné aux amants des livres, même si les caprices des jurys littéraires les avaient lancés dans la course aux prix. Ajar, c'était un super-Queneau dépouillé de tout intellectualisme, la tendresse et l'humanité en plus, et l'humour corrosif d'un Marcel Aymé. Ajar, c'était un ton indéfinissable n'appartenant qu'à lui, un sens de la formule pathétiquement maladroite pour faire de la métaphysique que, faute de mieux, il faudrait désigner par son nom : des " ajarismes ", ces aphorismes à perdre la tête qui ressemblaient tant à cet auteur sans visage. Durant les années soixante-dix, après la littérature in vitro du nouveau roman, avec Michel Tournier et quelques autres il y avait, il y aurait Émile Ajar. On pouvait certes être déçu par la coquetterie du personnage, fuyant maladivement la publicité, jouant à Jean-Paul Sartre refu- sant son Nobel. Ajar ne s'était pas contenté du Goncourt comme tout le monde! Il avait également cherché à obtenir un prix refusé, ce qui est beaucoup plus rare. Peu importe : le plaisir de lire est dans les livres, pas dans les poses de leur géniteur. Six mois après la mort de Romain Gary, la publication concur- rente de L'Homme que l'on croyait de son petit-cousin Paul Pav- lowitch et celle de Vie et mort d'Émile Ajar de Gary révélait la supercherie. Ajar et Gary ne faisaient qu'un. Je dis bien Ajar et Gary. Difficile de s'habituer à l'idée que Romain Gary avait prêté sa plume à Ajar. Il était plus facile de croire qu'Ajar avait aussi écrit les romans de Gary. Paul Pavlowitch avait été prisonnier de ce jeu d'ombres. En un sens, pour n'avoir jamais lu Gary, cette coupable igno- rance m'innocentait. Avec une amère jubilation celui-ci s'était plaint que pas un critique n'eût reconnu sa voix dans Gros-Câlin, pas plus que dans La Vie devant soi. « C'était, pourtant, exacte- ment la même sensibilité que dans [...] Le Grand Vestiaire, La Promesse de l'aube, et souvent les mêmes phrases, les mêmes tournures, les mêmes humains *. » Conclusion : les " profession- nels" ne lisent pas, ils parcourent. Pour ma part, mes préjugés d'amateur négligent me dédoua- naient : on ne peut reconnaître une voix que l'on ignore. Depuis, j'ai rattrapé le temps perdu. Faute d'avoir pu identifier la sensibi- lité " garyenne " des romans d'Ajar, j'ai lu et relu Gary comme on doit le lire aujourd'hui, avec le regard de ceux qui se sont reconnus dans L'Angoisse du roi Salomon, repérant dans cette œuvre abondante, d'Éducation européenne aux Cerfs-volants, toutes les traces indéniables d'ajarisme. Elles y sont nombreuses. * Voir les notes p. 241 sqq. Et dès le début. Avec le recul, c'est évident : c'est la voix d'Ajar qu'on retrouve dans tout Gary. Lire cette œuvre engagée dans le siècle, c'est inévitablement être confronté à l'homme. Pis : à une légende presque vivante. Comme Malraux. Sa vie est un authentique roman, dit-on, et Gary a particulièrement soigné son personnage, sa première créa- tion. Un récit de caractère biographique avec sa dose de mystère slave, d'aventures franco-gaulliennes, de scandales américains, sans parler de l'apparition du supposé terroriste Ajar, aurait toutes les chances de venir grossir les rangs de ces vies passion- nées qui font tant pour la renommée des grands hommes et la curiosité du public *. J'ai renoncé à faire les poches aux témoins, fouiller dans les tiroirs et secouer les descentes de lit. Seul un lent, patient travail de fourmi dévoreuse d'archives pourrait venir à bout des imbroglios d'une vie composée avec un art des demi- vérités qui est celui des vrais créateurs. J'ai préféré m'appuyer sur l'œuvre. Le vrai Gary s'y trouve. Pour le découvrir, inutile de parcourir la steppe russe, d'inter- viewer les ex-stars des plages californiennes ou de pourchasser les derniers héros de la France libre. Il suffit de lire Gary. Sous son nom ou sous ses différents masques. Et traquer dans la presse de l'époque les images un peu caricaturales qui le défigurèrent et auxquelles il a souvent contribué, par provocation. Car Gary fut aussi une production offerte aux autres comme en font les grands acteurs, au risque d'être dépossédé de soi... Mais, bien qu'ayant une vie publique, ouverte aux indiscré- tions, Gary a toujours protesté contre la réduction de l'œuvre à l'homme. Dans son copieux essai Pour Sganarelle, il écrivait doc- tement : « Tout, chez les " grands " du roman, est toujours autre que ce qui les avait inspirés » Il parle de la transcendance de la fiction au point que la vie personnelle de l'auteur, ses conceptions particulières ne nous intéressent que dans la mesure où elles sont prétextes au roman. Ne cherchons pas dans les manies de l'indi- vidu les secrets du génie créateur. Ni dans la vie les raisons de l'œuvre quand celle-ci est souvent construite à l'image de celle-là. Peu importe qui fut réellement son père, Ivan Mosjoukine ou un * Cela a été fait avec beaucoup d'intuitive fidélité. Cf. Dominique Bona, Romain Gary, Mercure de France. autre, ses rapports avec Jean Seberg, ou sa marque de cigares pré- fèrée. Il faut croire Gary sur parole, même quand il travestit les faits. La vraie mère de Gary, c'est celle de La Promesse de l'aube. Jean Seberg est dans Chien Blanc. On la reconnaît mieux encore sous les traits de la fiancée brisée du dictateur Almayo dans Les Mangeurs d'étoiles. Gary est derrière Jacques Rainier, Jean Danthès, Morel et beaucoup d'autres dont certains contredisent Morel. Il s'appelle aussi Émile Ajar, Tonton Macoute, quoique son nom réel fût Romain Kacew. Certes, toutes ces personnes, et Gary lui-même, ont existé en dehors des mots, de façon privée, personnelle. Il y a de nombreux témoins de cette vie-là qui seront chaque année un peu moins nombreux. Mais force est de reconnaître que beaucoup sont objectivement présents, à jamais, servant de modèle à leur doublure vivante, dans les trente-deux volumes d'une œuvre à signature variable où Gary s'est recher- ché, par-delà son incertaine origine. Il ne s'agit pas de réduire les personnages à la psychologie de leur auteur. C'est exactement l'inverse. Gary s'est créé, et non projeté, dans ses personnages. Il est là, plus vrai que nature. Si faire " pseudo " comme dirait Ajar, c'est enfin trouver l'authentique, on parlera d'une " mytho- biographie " bâtie sur l'imagination romanesque qui est la vraie vie intérieure du créateur.