CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE CENTRE REGIONAL DE PUBLICATIONS DE PYRENEES

RENE SOURIAC

LE COMTÉ DE AU MILIEU DU XVIe SIECLE

Editions du C.N.R.S. 15 quai Anatole 75007 PARIS C.N.R.S. CIRCONSCRIPTION MIDI-PYRENEES

Cet ouvrage a été réalisé par le Centre Régional des Publications de l' Administration de la 14 ème Circonscription Midi - Pyrénées.

© C.N.R.S. 1977 I.S.B.N. 2-222-02195-2 A Christiane

AVANT - PROPOS

Les anciennes archives des Etats de Comminges, actuellement conservées aux Archives Départementales de la Haute-Garonne (1), offrent aux chercheurs une grande variété de documents d'ordre administratif, principalement pour le XVI siècle qui fut la plus grande époque de leur histoire : il s'agit en premier lieu des déli- bérations des Etats, dont les séances se tenaient le plus souvent à , capitale du pays, mais aussi parfois à Samatan, à L'Isle-en-Dodon, où, plus rarement dans d'autres cités commingeoises. Nous avons puisé, à l'occasion dans cet important fonds, mais l'étude politique en soi n'est pas l'objet du présent travail. Nous nous sommes attachés à exploiter un fonds particulier, dénommé dans l'inventaire qu'en a fait l'abbé Lestrade « Inventaire de l'agrimensation ou recherche des biens nobles et roturiers dans le comté de Comminges ». Les documents de ce volumineux dossier ont trait à deux enquêtes dont le but était d'aboutir à une révision de l'assiette des impôts, parmi les quelques trois cents communautés du Comminges civil. L'épo- que des opérations c'est le milieu du XVI siècle, vers 1535-1560 – dates qui seront les limites chronologiques de notre étude –. Par la nature de la documentation, l'étude qui va suivre est principalement une étude de structures – économiques, sociales, politiques, culturelles à l'occasion –, telles qu'elles peuvent apparaître à travers le problème fiscal posé à ce moment-là ; en quelque sorte, un « instantané », si imparfait soit-il, du Comté de Comminges au milieu du XVI siècle. D'autres documents sont venus compléter l'image qu'on pouvait découvrir à travers ces enquêtes, en particulier les quelques compois ou livres terriers de seigneu- ries, peu nombreux pour le XVI siècle, mais qu'il a été possible de comparer avec des documents postérieurs de même nature. Des investigations ont été également menées dans les différents fonds d'archives régionaux ou nationaux, qui pouvaient intéresser le Comminges ; mais l'inexistence de registres paroissiaux dans cette période, à rendu l'étude démographique difficile et très imparfaite. D'autre part, nous n'avons pas fait appel, aux registres notariaux, car cela aurait entraîné un temps de dépouillement beaucoup plus important alors que les enquêtes dans une grande mesure satisfaisaient notre désir de connaissance des structures sociales. Des pro- blèmes resteront, de ce fait, en suspens – en particulier en ce qui concerne les for- tunes –, mais ce parti a été pris dans l'intention de proposer rapidement les résultats d'une recherche que nous avons cru fondée sur des documents de bonne qualité et assez généraux pour qu'on puisse y entrevoir une société vivante : ce sont là nos limites, mais c'est aussi notre espoir que d'essayer de montrer cette société commin- geoise en action au milieu du XVI siècle.

(1) Inventaire Lestrade du Fonds des Etats de Comminges – A.D. 31 J99 – 100 Brève chronologie des principaux événements

I – La première recherche

Fin 1534 - Autorisation donnée aux Etats de Comminges par le général des Finances de Guyenne, d'engager la procédure de révision de l'assiette de la taille : opération dénommée « recherche ». 1539 - Début de l'enquête sur le terrain (la première « recherche »). 1543 - Suite et fin de l'enquête sur le terrain. Mars 1545 - Conflit noblesse-Tiers-Etat des villes au sein des Etats : refus des nobles d'entériner les résultats des enquêtes. Novembre 1546 - Promulgation du nouveau tarif fiscal (la « nouvelle bolugue ») malgré l'opposition des nobles. Mars 1548 - Procédure de la première « recherche » annulée par la Cour des Aides de Montpellier.

II – La seconde recherche

Août 1548 - Début de la seconde « recherche » Juillet 1549 (?) - Enquête sur le terrain Novembre 1552 Décembre 1553 - Clôture des opérations de la « recherche ». Promulgation d'un nouveau tarif fiscal, par Tremolet, général des Finances près la Cour des Aides de Montpellier Après 1553 - Procès divers en Cour des Aides au sujet de la nobilité des fonds 1560 - Tentative de compromis au sein des Etats à propos des contes- tations 1562 - Premiers troubles religieux à Toulouse et en Comminges : l'affaire de la « recherche » passe au second plan. Petit lexique des principaux termes techniques employés

- Agrier - Rente seigneuriale en nature, proportionnelle à la récolte, et qui pesait sur certaines terres. - Agrimensation - Arpentement . Syn. : perjement, du nom de la « perche » utilisée par les Commingeois pour arpenter les terres. - Allivrement - Définition en valeur fiscale des terres sur lesquelles pesait l'impôt. - « Bolugue » - bellugue, parfois belugue : feu. Unité de compte fiscale qui occitan : beluga servait à répartir l'impôt en Comminges. Celui-ci était tradi- Etincelle (Alibert) tionnellement divisé en 4000 bolugues et chaque communauté portait le nombre de bolugues correspondant à ses facultés. - Céterée - Unité de mesure agraire en Comminges. La céterée de Muret, ou séterée ou céterée de Comminges, qui deviendra plus tard l'arpent de Muret, équivalait à l'arpent de Toulouse (0,569 ha). Source : Tables de comparaison entre mesures anciennes et nouvelles Toulouse Douladoure - An X. Selon les localités la céterée se divisait en journaux, mesures, pugnères, boisseaux... Lors de la seconde enquête les arpenteurs montpelliérains employèrent la céterée utilisée dans l'arrondissement de Mont- pellier (= 0,1999 ha). Source : M. FORT, Tables de compa- raison entre les anciens poids et mesures du Département de l'Hérault, et les nouveaux poids et mesures. Montpellier An XIII. -Coéquation - syn. dans les documents : esgalisation, regalation, coeque- ment... Désigne l'action de rétablissement de bases justes dans la répartition de la charge fiscale. - Commission, - Délégagion de pouvoir de la part d'une autorité, à une ou plu- Commissaire sieurs personnes, ou à une institution administrative, en vue de réaliser une mission politique ou administrative définie. - Compois -De l'occitan compés. Nous avons choisi l'orthographe com- poi(s) plutôt que compoi(x) souvent utilisée, par souci de plus grande conformité avec l'original occitan. Livre cadastre, réalisé dans le cadre de la communauté d'habi- tants, pour répartir la charge fiscale en fonction des biens de chacun soumis au paiement de la taille. - « Creue » - Impôt extraordinaire ajouté à la taille, seul impôt ordinaire à cette époque. - Dextre - Subidvision de la céterée en Bas-Languedoc. Voir supra céterée - Election - Circonscription financière dont l'origine remonte à la fin du XIV siècle. Voir Doucet (R), Les Institutions de la France au XVIe siècle - p. 304. - Noblesse - Désigne les terres nobles, c'est-à-dire exemptes de tailles. ou noblesses - « Perjement » - Arpentement - Voir supra agrimensation. - « Recherche » - Désigne les opérations d'enquête qui avaient pour but de ou resserche recenser la totalité des biens contribuables aux tailles dans une reperche région déterminée. C'est le nom que reçurent les deux enquê- tes menées en Comminges au milieu du XVI siècle et qui sont l'objet essentiel de la présente étude. - « Ruralité » - Caractérise la nature roturière des fonds, ceux qui sont soumis à la taille. Dans les enquêtes et dans l'ensemble des compois commingeois les terres contribuables sont toujours désignées sous la dénomination de « terres rurales ». Nous n'avons jamais rencontré l'adjectif, roturier, pour caractériser ces fonds. -Terrier - Document seigneurial où sont inscrits tous les tenanciers d'une seigneurie avec le détail de leurs biens-fonds et des charges qu'ils supportent. Existent parfois en Comminges des terriers-compois, à la fois document fiscal et document seigneurial. INTRODUCTION

Mon intérêt, dans le domaine de la recherche, s'était d'abord orienté vers l'étude des anciennes structures agraires. Le Midi offre en général une documentation de premier choix pour qui veux s'efforcer de découvrir les fondements de la société rurale d'avant 1789 : Emmanuel Le Roy Ladurie et Georges Frêche ont mis à l'hon- neur les excellents compois que beaucoup de communes conservent encore. Mon intention était de rechercher grâce à eux l'évolution des structures foncières au cours des trois siècles d'Ancien Régime. Il fallait choisir aussi un espace géographique dans lequel limiter l'investigation à entreprendre : Commingeois d'origine, j'avais déjà pratiqué quelques compois de ce pays lors de la préparation d'un Diplôme d'Etudes Supérieures (1), et j'espérais trouver une gamme de sources assez importante, et sur- tout suffisamment ancienne, pour que son étude puisse être significative. Mais, si les compois conservés sont nombreux en Comminges pour le XVIII siècle, et leur nombre sans doute encore satisfaisant pour le XVIIe siècle, il est beaucoup plus limité en ce qui concerne le XVI siècle : il n'était donc guère possible, en se fon- dant principalement sur ce type de sources, et dans un espace aussi limité, de tenter une fresque de l'histoire foncière qu'on aurait voulu mener de la fin du Moyen- Age à la Révolution Française. C'est alors que j'ai rencontré, dans les inventaires des Archives Départemen- tales de la Haute-Garonne, l'ancien fonds des Etats de Comminges. Deux possibilités se présentaient : ou bien élargir le cadre géographique de l'investigation, et rester dans la ligne précédemment fixée des recherches sur les structures foncières, ou bien conserver comme seul objet d'étude ce cher Comminges où j'avais entrevu un dossier qui semblait pouvoir fournir la substance d'une étude d'histoire économique et sociale. La bienveillante insistance de Monsieur Bennassar dans le sens d'un enga- gement toujours plus poussé vers l'étude du XVI siècle, l'emporta définitivement sur mes premières hésitations. Deux mois d'entraînement à la lecture des écritures cursives du XVI siècle, sur les documents livrés par le fonds des Etats de Comminges me convainquirent que ce choix était le plus heureux ; et je dois remercier tout particulièrement mon directeur de recherches, de m'avoir ouvert cette voie. Car le dossier de la « recherche », fondement essentiel de ce travail, s'est révélé rapidement comme une excellente source de renseignements de tous ordres ; il pourra être à bien des égards, le point de départ d'une étude sur l'évolution des structures agraires, provisoirement mise entre parenthèses, mais qui ne se laissera pas oublier ; peut-être même permettra-t-il d'aborder une étude plus générale des problè- mes commingeois, si les documents s'y prêtent. Puisse l'auteur de ces lignes n'être pas trop inférieur à son métier d'historien, dans la tâche qu'il se propose de réaliser !

(1) Histoire économique et sociale de L'Isle-en-Dodon au XVIII siècle D.E.S. - Toulouse - 1963.

PREMIERE PARTIE

LE PAYS ET SES SOUCIS FISCAUX AU MILIEU DU XVIe SIECLE

CHAPITRE I

LE PAYS COMMINGEOIS AU MILIEU DU XVIe SIECLE

SECTION I - LE COMTE de COMMINGES AU XVI SIECLE La dénomination de Comminges recouvrait, sous l'Ancien Régime, deux cir- conscriptions administratives distinctes : l'une ecclésiastique, le diocèse, autour du siège épiscopal de Saint-Bertrand, l'autre civile, le comté, plus tard l'Election (1) dont la capitale était Muret. Par le hasard des archives, l'objet de la présente étude sera le comté seulement, puisque le fonds des Etats de Comminges le concerne avant tout. Ces deux circonscriptions ne coïncidaient pas et un seul exemple permet d'illustrer et de résumer cette différence : Saint-Bertrand-de-Comminges, capitale du diocèse, n'était pas sous l'Ancien Régime, dans le Comminges civil. C'est pourquoi il s'avère nécessaire da définir de façon précise les limites du comté, et, par opposition celles du diocèse. En ce qui concerne le diocèse ecclésiastique nous nous sommes reportés à la carte publiée par le Docteur Armand Sarramon (2). On peut y remarquer sa forte assise pyrénéenne puisque celui-ci englobait les systèmes pyrénéens de la Garonne, y compris le Val d'Aran espagnol, et de la Neste : il s'étendait donc en bonne part sur l'actuel département des Hautes-Pyrénées, en même temps qu'il englobait la partie méridionale de celui de la Haute-Garonne. Mais si le diocèse ecclésiastique contenait tout ou partie de certaines châtel- lenies commingeoises (3), il apparaît que l'orientation géographique du Comminges civil était assez différente : les deux types de circonscriptions juxtaposaient et oppo- saient des pays de montagne et des piémonts ; cependant le comté de Comminges tel que l'avait fait son histoire au Moyen Age, semblait privilégier le piémont, pour constituer une circonscription essentiellement gasconne, tendant au fil des années à se rapprocher de Toulouse (4). Donner des limites précises à la circonscription administrative qu'était le comté de Comminges au milieu du XVI siècle, n'est pas chose aisée, malgré l'aide précieuse qu'a pu nous apporter sur ce point la documentation que nous avons utilisée (5). Elle nous a permis la constitution de cartes générales, donnant avec suffisamment d'ap- proximation les limites du comté, et intérieurement les limites des châtellenies, comme on peut le voir grâce à la carte ci-après : Carte 1 – Le Comté de Comminges au XVIe siècle Le Comminges civil, qui avait donc Muret pour capitale, se divisait, au milieu du XVI siècle, en neuf circonscriptions : huit châtellenies – Muret, Samatan, L'isle- en-Dodon, Aurignac, Saint-Julien, Salies, Castillon et Fronsac, suivant leur hiérarchie de l'époque –, et une baronnie, celle d'Aspet. C'était les divisions que le Moyen-Age avait léguées à la monarchie française lorsqu'elle incorpora le comté au domaine de la couronne une première fois en 1454, et définitivement en 1502 (6). Elles étaient désignées par le nom de leur ville principale, et le pouvoir royal y était représenté encore au XVI siècle, semble-t-il, par des capitaines qui avaient remplacé les anciens châtelains comtaux, et aussi par des lieutenants du juge de Comminges qui siégeait à Muret (7). D'éminents historiens (8) ont retracé avec beaucoup de talent les ori- gines et la formation de ce petit pays méridional jusqu'à l'aube des temps modernes ; et il n'est pas inutile de nous pencher à leur suite sur son histoire afin de mieux comprendre sa configuration géographique si disparate, et sa situation administrative au milieu du XVI siècle. L'antique cité gallo-romaine des Convènes, dont les limites correspondaient selon Raymond Lizop, à ce qu'étaient les limites historiques du diocèce ecclésias- tique de Comminges avant 1789, donna naissance, au cours du Moyen-Age, à une principauté d'abord pyrénéenne, dont Charles Higounet a retracé magistralement l'évolution. Pour ce dernier auteur, c'est à la maison comtale de Comminges que la région commingeoise doit d'exister ; le domaine qui correspondra plus tard grossiè- rement à la châtellenie de Fronsac, semble avoir été le noyau historique du comté, aussi haut dans le temps qu'on puisse l'apercevoir, vers le XI siècle. Puis c'est au XIIe siècle avec Bernard I que commença la politique matrimoniale qui allait permet- tre l'extension et la construction du comté tel que le recevra le roi de France. En effet Bernard I épousa vers 1120 l'héritière de la maison seigneuriale de Muret ; elle lui apporta de vastes domaines autour de Muret et de Samatan, ainsi l'espace com- mingeois était désormais constitué dans son étendue maximum, de Luchon à Muret. L'ouverture vers Toulouse et l'entrée dans la grande histoire méridionale deve- naient possibles. Il y fallait cependant une personnalité de premier plan : ce fut celle de Bernard IV, contemporain de Philippe-Auguste, et petit-fils par sa mère d'un comte de Toulouse. Il sut jouer le rôle de conseiller écouté de ses cousins de Toulouse, Raymond VI puis Raymond VII, plus jeunes que lui, et, il parvint aussi à préserver le domaine commingeois, un moment conquis par Simon de Montfort. Ses descendants s'efforcèrent aussi de conserver l'intégrité de leur possession ; cepen- dant, ils perdirent, au cours du XIII siècle, le Nébouzan, autour de Saint-Gaudens, qui passa aux mains de la Famille de Foix-Béarn. Surtout l'emprise de la monarchie française se fit peu à peu sentir, à partir du milieu du XIII siècle, et cela allait influer sur la configuration du Comminges moderne. Terre allodiale dans les premiers temps féodaux, le comté rentra définitivement dans la mouvance de Toulouse par l'hommage que Bernard VI, comte de Comminges, prêta à Raymond VII, pour toutes ses terres, et non plus seulement pour ses terres de Muret et de Samatan, qui mouvaient déjà de Toulouse. Or le roi de France hérita des droits du comte de Toulouse en 1271 après la mort d'Alphonse de Poitiers. Ce fut alors que le comté de Comminges rentra dans la mouvance directe des Capétiens : désormais aucun acte important dans le comté ne se fit sans l'assentiment du roi ; phénomène plus grave, la justice de ce dernier empiéta peu à peu sur celle du comte. Ainsi la création des jugeries royales de Rieux et de Rivière, et le paréage royal dans la fondation de plusieurs bastides au cours de la seconde moitié du XIII siècle, expliquent l'existence des multiples enclaves et le dessin sinueux de la carte du comté aux Temps Modernes. Après 1336, des problèmes de succession dans la maison comtale, la misère des temps et les ravages de la guerre entraînèrent le déclin du comté. Le censier du dio- cèse (9), établi en 1387-88, montre la détresse du pays, alors que, d'autre part, man- quaient à la famille comtale des héritiers mâles, face aux ambitions des familles de Foix et d'Armagnac. Les querelles féodales s'ajoutèrent ainsi à la guerre étrangère pour accroître la misère, au temps de la dernière héritière du comté, Marguerite ; celle-ci, mariée, en premières et secondes noces à un Armagnac, puis en troisièmes noces à Mathieu de Foix qui la retint plus de vingt ans prisonnière, ne fut guère maî- tresse des destinées du pays. Survint alors l'échéance en la personne de Charles VII. Ce dernier, las de la turbulence des princes méridionaux, leur imposa le traité de 1443, par lequel le comté, à la mort de Mathieu, rentrerait dans le domaine de la couronne. Cette mort survint en 1553, et Charles VII se saisit aussitôt du comté. Mais l'incorporation définitive au domaine n'eut lieu que cinquante ans plus tard, en 1502, par suite de diverses donations du Comminges faites par Louis XI, Charles VIII et Louis XII. Ainsi, c'est dans une région récemment échue à la couronne, qu'allait se poser la question d'une nouvelle répartition de la taille : il s'agissait de rééquilibrer les charges que devaient supporter les diverses châtellenies du pays, pure querelle interne selon les apparences. Mais, dans ce contexte d'annexion récente, un problème de nature politique ne peut manquer de se poser à nous, celui de savoir si la monarchie eut l'intention de tirer partie de cette querelle pour s'introduire davantage dans l'ad- ministration du pays. Problème essentiel dont on devra débattre à la lumière des événements d'origine fiscale qui agitèrent le Comminges au milieu du XVI siècle. Incorporé dans le domaine royal, le comté de Comminges participait aux divers ressorts administratifs existant à l'époque ; ils sont connus (10) et leur répétition ne présenterait qu'un intérêt relatif si la vie commingeoise n'avait pas été marquée, au XVI siècle, par les chevauchements et les conflits de juridictions : on ne peut donc les passer tout à fait sous silence. Sur ecclésiastique le comté se trouvait par- tagé entre plusieurs diocèses : Comminges et Couserans au Sud, Auch, Lombez, Toulouse et Rieux au Nord et à l'Est (11). Sur le plan judiciaire il était presque en totalité dans la sénéchaussée de Toulouse, une partie seulement ressortissant de Pamiers, et totalement dans le ressort du Parlement de Toulouse. Du point de vue fiscal, essentiel dans cette étude, il se trouvait écartelé entre plusieurs cités : le Comminges était dans la province de Guyenne – il participait aux états généraux de cette province (12) – il devait verser la taille à la recette d'Agen, et c'est à ce titre qu'il s'adressa d'abord au général des Finances de Guyenne lorsqu'il fut question de réviser l'assiette de l'impôt. Mais le comté de Comminges dépendait aussi de la tréso- rerie de Toulouse en ce qui concernait les revenus du domaine du roi, d'après le traité de 1443. Enfin, sur le plan du contentieux fiscal, il ressortissait de la Cour des Aides et Finances siégeant à Montpellier : ceci explique l'intervention des géné- raux des Finances de Montpellier lors de la « recherche des biens nobles et des biens ruraux en Comminges » – dénomination que les contemporains donnèrent aux opérations qui furent menées en vue de la révision de la taille. Ressorts administratifs enchevêtrés, compétences diverses étaient la règle, et pour longtemps encore, au milieu du XVI siècle. Telle était la situation, en Com- minges comme dans les autres provinces françaises.

SECTION II - LE MILIEU COMMINGEOIS La configuration du relief en pays commingeois joua un rôle essentiel dans le mécanisme qui déclencha la procédure de révision de la taille au milieu du XVI siècle : c'est à la demande des châtellenies de montagne que se déroula l'opération, car elles se jugeaient trop imposées étant donné les mauvaises conditions naturelles dans lesquelles elles vivaient (13). Les Commingeois de l'époque se faisaient en effet « une certaine idée » de leur pays. Par ailleurs d'excellents géographes contem- porains (14) ont également décrit le milieu physique pyrénéen ou gascon. C'est pourquoi notre intention sera de rechercher avant tout les renseignements fournis dans ce domaine par les documents anciens, et d'y confronter, à l'occasion les conclusions les plus récentes des études géographiques. Lorsqu'on se penche sur les documents commingeois du XVI siècle, on peut y noter la récurrence de certaines formules, lorsqu'il s'agit des difficultés de la vie locale. Les exemples les plus caractéristiques en sont offerts par les doléances que les Etats de Comminges adressaient au roi ou à son gouverneur de Guyenne. Voici ce qu'écrivaient, en 1557, les trois Etats du pays assemblés à Muret – ils s'adressaient alors au roi de Navarre gouverneur de Guyenne, à propos d'un des multiples impôts extraordinaires demandés cette année-là par le roi – : « Et quant à la subvention demandée en dernier aud. Païs, a esté délibéré supplier très humblement le Roy de Navarre..., premièrement avoir en considération la petitesse dud. païs de Comenge qu'est une seule judicature, situé en pays sterille et infructueux, limitrophe aboutissant au royaulme d'Aragon et montaignes Piré- nées, subiect a gellées, gresles et tempestes, et par le moyen desquelles, depuis quatre ou cinq années consécutivement les fruictz ont esté gastés et perdus, telle- ment que aud. Païs, de quatre ans en ça, il y a eu famine si très grande que par faulte de ung payn, parmy les champs, on voit mourir les pauvres gens »(15). Le témoignage est vivant ; beaucoup d'autres pourraient être avancés, par exemple sur la question du relief et de ses conséquences économiques : «...disant que aux montaignes n'ont d'autre profit que des boys et pasturaiges et que la terre basse est non montueuse est réduite a culture habondante en tout fruictz... » (16). Ainsi le relief opposait deux économies et deux modes de vie différents : un haut-pays montagnard au mode de vie pastoral, consommant essentiellement des produits d'élevage, et un plat-pays, dans les collines et les vallées gasconnes, partici- pant au contraire du mode de vie coutumier à l'époque, dans les pays de climat tempéré océanique, fondé sur les blés et le vin. Et les hommes du XVI siècle, à la suite de leurs prédécesseurs médiévaux, établissaient la frontière entre ces deux types d'économie, aux rives de la Garonne et du Salat. Nos sources indiquent constamment que les trois châtellenies de Fronsac, d'Aspet et de Castillon formaient traditionnel- lement la partie pyrénéenne du comté de Comminges ; la vie était certainement rude dans ces régions, si l'on en croit la doléance ci-après de Lège et de Cazaux-Layrisse – deux petits villages du versant occidental de la vallée de la Pique, pourtant bien en aval de Luchon, où les crêtes dominantes ne dépassent pas 1750 mètres – (17) : « Qu'il soit chose déclarée à monsieur le Juge de comenge comme les terres des lieux de legra et cazau ont été « perjées » et comme lesdites terres sont stériles à cause qu'elles ne sont pas plates mais ravinées et dans les bois, et de deux en deux ans nous n'osons les semer à cause des dévastations des rats. Item quand nous semons les sangliers et les ours mangent la meilleure part des blés, et nous ne pouvons les défendre et quand nous sommes à l'extrêmité d'un champ, les sangliers et les ours sont à l'autre. Item nous ne pouvons nourrir de la volaille ni des oies ni des canards à cause que les loups et les renards les mangent et aussi les chats sauvages et les fouines qui les entraînent des maisons, et les vautours et les éperviers qui prennent les volailles et les emportent, et les aigles qui font leur nourriture des brebis et les emmènent sous les bois, lesquels bois sont de monsieur le conte et du seigneur et dans les bois sont les ours et les loups qui nous mangent les bêtes grosses ou menues. Item... les rochers qui tombent nous tuent les bêtes et parfois les bergers et nous même ». La présence des bêtes sauvages en Comminges à cette époque ne saurait éton- ner, Fernand Braudel l'a maintes fois notée (18) dans les montagnes méditerra- néennes, et dans les régions faiblement humanisées ; cet extrait en offre une descrip- tion pittoresque, et certainement vraie dans ses grandes lignes, malgré l'emphase ordinaire de tels documents. Le Bas-Comminges devait être davantage préservé de cette présence animale si hostile – en tout cas les documents n'y font jamais allusion – et son économie était fondée sur la culture. Cependant le relief, et surtout le climat, introduisaient des différences assez importantes parmi les châtellenies du Bas-Comminges, mais les contemporains ne semblent pas y avoir prêté attention, puisqu'ils divisaient le comté en deux parties seulement. Ainsi la partie méridionale du Bas-Comminges, – les châtellenies de Salies, Saint-Julien et Aurignac – est formée par les chaînons des Petites Pyrénées ; l'humi- dité relative de ces régions n'est pas indifférente dans la répartition des cultures : la vigne en particulier y était beaucoup moins étendue que dans les châtellenies plus sèches des collines gasconnes - L'Isle-en-Dodon et Samatan - ou dans celle de Muret, sur les terrasses et dans la vallée de la Garonne. Par contre les bois y étaient plus étendus, et peut-être aussi les prairies. En somme ces châtellenies prépyrénéennes formaient une transition progressive entre l'économie pastorale dominante des mon- tagnes, et la polyculture gasconne traditionnelle : ceci est parfaitement logique et attesté par les conclusions de la géographie contemporaine ; encore est-il que nos documents, même limités, permettent de l'assurer pour le XVI siècle. Les châtellenies du Bas-Comminges étaient aussi les plus favorisées sur le plan de la qualité des sols, telle qu'on la concevait au XVI siècle. La première enquête avait classé les terres sur lesquelles pesait la taille en deux catégories : bonne et demie terres (19). Le tableau ci-dessous, résume le classement des châtellenies dont nous avons retrouvé les résultats :

Châtellenies dans Bonne terre, en % Demie terre en % l'ordre croissant du total du total de qualité des sols Aspet 40,50 % 59,50 % Salies 56,06% 43,94% Castillon 58 % 42 % Muret 70,95 % 29,05 % L'Isle-en-Dodon 81,21 % 18,79 % Aurignac 81,25% 18,75% Samatan 86,15 % 13,85 %

Ce tableau révèle encore une fois la réalité de la frontière garonnaise : les pays au sud de la Garonne, châtellenie de Salies comprise, étaient beaucoup moins avan- tagés sur le plan pédologique que les régions du Bas-Comminges. Il révèle aussi la bonne qualité des informations recueillies puisque ce classement se trouve en accord avec les conclusions des géographes contemporains. Roger Brunet a noté la fertilité des sols de la région toulousaine, et le Bas-Comminges se trouve dans les limites de son étude : ainsi sont confirmés pour cette région, les forts pourcentages de bonne terre qu'indique le tableau. La confrontation s'avère tout aussi positive, si l'on fait l'analyse, cas par cas, des terroirs communaux : nous avons choisi, pour illustrer le fait, le cas de la châtellenie de Muret parce que les oppositions de terroirs y sont les plus tranchées. Ses villages et son chef-lieu se situent dans la plaine et sur les terrasses de la Garonne ; Roger Brunet écrit que ces terrasses sont les zones les moins fertiles, et en particulier : « C'est la terrasse moyenne qui est généralement la plus médiocre ». Confrontons avec notre source commingeoise du XVI siècle, grâce au tableau ci- après : Tableau 1 – Classification des terroirs de la châtellenie de Muret, dans l'ordre croissant des qualités des sols. Source : A.D. 31 - C 3719 Remarque concernant le tableau précédent : Quelques procès-verbaux d'experts ont été perdus : ceci explique l'absence sur le tableau de quelques-unes des localités de la châtellenie de Muret. Saiguède était donc la communauté la plus mal lotie : la carte du relief publiée par Roger Brunet (20) montre qu'elle se trouve sur les « plateaux caillouteux défon- cés ». Viennent ensuite, parmi les communautés aux sols maigres, celles de Lespérès, de Bois-de-la-Pierre, de et de Saint-Jean-de-Poucharramet, toutes situées sur la moyenne terrasse « médiocre » de la Garonne. Enfin les autres commu- nautés mieux loties sont situées, soit dans la plaine, soit sur les basses terrasses plus fertiles. Ainsi cette confrontation parfaitement concordante entre les connaissances géographiques actuelles et les documents anciens, porte un premier témoignage indis- cutable de la qualité des sources, et des bonnes méthodes mises en œuvre lors de la première enquête. Ceci mérite d'être souligné dans la mesure où les résultats de cette première enquête, nous le verrons, furent contestés par beaucoup de Commingeois. Un très grand intérêt était évidemment porté au climat : c'est un lieu commun sous l'Ancien Régime, mais c'est de lui essentiellement que dépendait l'avenir des populations. La doléance de 1557, précédemment citée, est maintes fois reprise par les Etats de Comminges : la grêle, les gelées, les « tempestes » sont bien souvent citées dans ces vingt années 1540-1560 qui sont le cadre chronologique de notre étude. Cependant les notations sont trop peu « sérielles » pour qu'on puisse envisager de reconstituer une histoire du climat commingeois au milieu du XVI siècle. Les sols et le climat sont certainement les éléments principaux des condition- nements physiques, mais notre étude du milieu biologique ne serait pas complète si nous ne faisions allusion à cet autre fléau bien connu à l'époque qu'était la peste. La peste était certainement à Muret en 1557 (21) bien que les consuls et le procureur du roi déclarent le contraire. Il est vrai que la requête émanant du procu- reur du roi, et adressée au juge de Comminges à l'encontre de deux consuls absen- téistes, fait mention seulement de « dangier de peste » et aussi de « temps de néces- sité » ; mais cet absentéisme n'est-il pas révélateur de la présence du fléau lui-même ? Avec la peste est ainsi complété le tableau des difficultés de l'existence en pays commingeois au milieu du XVI siècle. On peut penser sans doute que la période ne fut pas particulièrement sombre, si l'on se réfère à l'évolution conjoncturelle favora- ble des deux premiers tiers du XVI siècle (22) ; elle a cependant connu son lot habi- tuel de crises et d'épidémies, dont la gravité est difficile à mesurer, dans l'état de nos sources. Ces mauvaises conditions d'existence représentent l'un des versants de l'histoire commingeoise, mais ce n'était pas le seul : l'abondance des documents concernant le versant politique pourrait faire croire même à une prééminence de ce secteur. Cependant le problème ne se pose pas exactement en ces termes, car l'affaire de la taille qui mobilisa profondément les énergies commingeoises en ce milieu de siècle, était étroitement liée aux difficultés quotidiennes du plus grand nombre des Commingeois. Nous connaissons mal le combat que ces derniers menaient pour assurer leur subsistance. Nous connaissons mieux celui qu'ils ont mené pour essayer de limiter la ponction fiscale. Tous deux étaient certainement l'expression à double face d'une même lutte des hommes, dans leur espoir de s'assurer les meilleures conditions de vie possible. Gageons que l'on pourra découvrir ainsi, dans l'affaire de la taille, les structures profondes de la société commingeoise. NOTES du CHAPITRE I

( 1) Election : Circonscription financière qui succèdera à l'ancien comté à partir du XVII siècle. ( 2) Dr A. Sarramon - Les paroisses du diocèse de Comminges en 1786 - Bibl. (119) Carte p. 30 ( 3) cf. carte des circonscriptions ecclésiastiques : annexe E carte n° 4 - Seule la châtellenie de Fronsac était en totalité dans le diocèse de Comminges. Aspet, Salies, Aurignac et L'Isle-en-Dodon y étaient en partie. Castillon, Saint-Julien, Samatan et Muret appartenaient à d'autres diocèses. ( 4) cf. C. Higounet. Le Comté de Comminges de ses origines à son annexion à la couronne - Bibl. (66) - p. 5 « (le comté) s'est allongé sur la Save jusqu'en aval de Samatan et sur la Garonne en aval de Muret à quelques kilomètres à peine des portes de Toulouse ». ( 5) Archives départementales de la Haute-Garonne. Cartes de l'élection de Com- minges au XVIII siècle. ( 6) cf. C. Higounet, Bibl. (66) op cit. p. 581 à 636. ( 7) Par exemple Arnaud de Barrau, seigneur de Puylausic, capitaine de Saint-Julien et de Saint-Béat (C 3724). Noble Jean de Bize, escuyer, capitaine de Fronsac (A.N.P. 5583). Capitaine Bayaut à L'Isle-en-Dodon (A.C.G. 1) ; Capitaine de Castillon... Lieutenants de juge Me Rougier de Lafont à Fronsac (C 3722 n° 1) Me Anthoine Maylié à St-Julien ( » ) Me Bernard de Rivis à L'Isle-en-Dodon ( C 3441) ( 8) Lizop (R), – Histoire de deux cités gallo-romaines : les convenae et les conso- ranni - Bibl. (67) Lizop (R), – Le Comminges et le Couserans avant la domination romaine - Bibl. (68) Higounet (C.), – Le Comté de Comminges depuis ses origines jusqu'à son annexion à la couronne - Bibl. (66) - Ces ouvrages servent de base à l'exposé historique qui suit. ( 9) Censuale beneficiorum (censier de 1387) édité par R. Corraze - Voir sources imprimées. (10) cf. Doucet R., Les institutions de la France au XVIe siècle - Bibl. (19) (11) cf. Annexes, III partie, cartes de localisation. (12) cf. Lestrade (Abbé J.) Cahiers de remontrances des Etats de Comminges... (13) C 3726, n° 1 - Archives de l'agrimensation. (14) R. Brunet, Les campagnes toulousaines - Bibl. (56) M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises - Bibl. (57) H. Cavaillès, La vie pastorale et agricole dans les Pyrénées des Gaves, de l'Adour et des Nestes. - Bibl. (83) (15) Ab. Lestrade, Cahiers de remontrances des Etats de Comminges - p. 18 - (voir sources imprimées) (16) C 3726 n° 1 – Argument utilisé par les châtellenies de montagne pour réclamer la révision de l'assiette fiscale. (17) C 3717 n° 10. L'original est en occitan ; nous en avons fait une traduction litté- rale afin de conserver les tournures de la langue occitane. (18) F. Braudel, La Méditerranée... p. 365-66 - Bibl. (11) (19) La valeur des demies-terres était estimée à la moitié de la valeur fiscale des bonnes terres (20) R. Brunet, op. cit. p. 40 - Bibl. (56) (21) Extrait des délibérations municipales - IAAI f° 42 MURET « A vous Monsieur le juge de commenge... supplie le procureur institué en la comté de commenge disant les consulz estre... institués pour l'administration des Républiques sans que leur soict permis pendant leur temps et charge consu- laire soy absenter ny destraire... sans licence et congie ainsi qu'ils prestent serment en leur reception. Si est ce que maistre Pierre du Busc licencier premier consul et sire Jehan Lanés tiers consul de la presente ville oblians le debvoir de leur charge et serment pour eulx presté en leur reception journellement se absentent de la presente ville soy retirant en leurs mettayries mesme en cest temps de nécessité et dangier de peste qui est aux lieux circonvoisins de lad. ville par cest moyen voulans preserver leur privé profit et au public chouse prouhibée par tout droict et au grand detriment de la république. Ce considéré vous plaira ordonner commandement leur estre faict ne delayser ny soy absen- ter de lad. ville pour les affaires qui y sont à present et peuvent survenir de jour en jour sans estre congédiés a peyne de mil livres... Ce onziesme jour de nobembre Mil cinq cens cinquante sept Trenque juge susdit. Montjuif procureur » f° 43 Réaction des consuls : prétendent que le procureur du roi et le juge n'ont aucune puissance pour s'ingérer des affaires municipales mais décident de leur propre mouvement de rappeler la règle de non absentéisme de leur part. f° 43 - Certificat des consuls et du procureur du roi déclarant qu'il n'y a pas de peste à Muret. (22) cf. infra. Deuxième partie, chapitre III - Bennassar, Jacquart - Le seizième siècle Bibl. (7) CHAPITRE II

L'AUTONOMIE ADMINISTRATIVE du COMMINGES à la VEILLE de la « RECHERCHE »

Son histoire médiévale a fait du Comminges au XVI siècle, un pays d'Etat ; dans la perspective de l'administration générale du royaume à cette époque, cela signifiait avant tout une autonomie fiscale partielle, étant donné que, si le montant des impôts à prélever leur était imposé par le roi et son conseil, les Etats de Commin- ges avaient du moins la responsabilité de la levée : une répartition équitable de cet impôt était donc de leur ressort, sous réserve évidemment de faire entériner par le roi les mesures prises dans ce domaine. Ce privilège était commun à tous les pays d'Etats, et on ne pourrait comprendre, sans y faire référence, le rôle qu'ont joué les Commingeois dans l'affaire de la « recherche » au milieu du XVI siècle. Ainsi les Etats de Comminges constituaient une instance administrative essen- tielle du pays, sinon la seule ; et, depuis la disparition des derniers comtes de Com- minges et de leurs officiers, ils en étaient les seuls représentants face au représentant principal du roi, en l'occurence le « juge ordinaire au pays et comté de Comminges » (1). Ce dernier, maître de la justice, était aussi chargé de mission administrative, tellement les deux choses étaient liées sous l'Ancien Régime : une espèce de dyarchie, aux pouvoirs bien distincts, et où chacun des deux membres était indépendant l'un de l'autre, veillait sur les destinées commingeoises. Il convient d'examiner plus préci- sément leurs fonctions respectives, pour mieux comprendre leur rôle dans l'impor- tante page d'histoire commingeoise à laquelle ils allaient participer.

SECTION I - LE JUGE ORDINAIRE de COMMINGES En tant qu'officier du roi, le juge de Comminges mérite de voir son cas traité le premier, puisque aussi bien, dans le protocole des Etats, il était convoqué en tête de la noblesse, immédiatement après les clercs, auxquels on reconnaissait tradition- nellement préséance de dignité. Noble de fonction, le personnage qui occupait le siège à l'époque, Jean Trenque, licencié ès droit, ne semble pas l'avoir été de nais- sance. Peut-être était-il même Commingeois d'origine, ou bien avait-il entraîné sa famille avec lui, le fait est que le nom des Trenque est répandu à Muret : l'un d'entre eux, marchand, sera souvent consul. L'homme, d'ailleurs, paraît à bien des égards remarquable, sachant à l'occasion dégager l'« esprit » de sa fonction ; il s'acquitta, pensons-nous, très honnêtement, de sa tâche de commissaire lors de la première enquête, avant de voir son œuvre contestée dans sa totalité et anéantie. Un fort caractère certainement, qui n'hésita pas à aller jusqu'au bout de sa « commission » malgré l'hostilité de plus en plus vive de la noblesse et d'une grande partie des com- munautés. Et son mépris d'intellectuel vis-à-vis d'une noblesse sans doute moins cultivée que lui, se manifestera à la faveur des nombreuses altercations qui l'opposè- rent à cet ordre, témoin cet extrait particulièrement savoureux d'une délibération des Etats assemblés à Samatan le 25 mai 1547, où le juge Trenque définit également son rôle avec une certaine fougue : « Pour ce que lesd. seigneurs de Lamezan et du puy de touges requeroient instan- tement que mond. seigneur le Juge fist déclaration comment il entendoit de se trouver icy présider à la présente assemblée, comme scindic ou bien comme juge, car comme juge en ces et semblables assemblées n'avoit-il, comme disent, juris- diction ny puissance, et non comme scindic pour ce que n'en pouvoit estre. Lequel monsieur le Juge, après avoir déclaré que les messieurs de gentilhommes abusoient du nom de scindic, ny entendoient la éthymologie ny effaict d'icelluy, quest porter la parolle d'ung ou plusieurs, procurer leur bien, proffit et utilité, fouyr et évader leur domaige, et en rendre compte et raison, et de tout ce qu'il aura faict, entendu et prove en quoi consiste l'office et charge de scindic, et non poinct en honneurs, prérogatives ny puissances, a dit, respondant à la question proposée, estre appellé aux estatz et assemblées suyvant l'ancienne observance, comme par la teneur et lecture dud. rolle peult apparoir, comme juge et non autrement, et ce pour voir et entendre se auxd. assemblées y auroit question, controverse, trouble ou aulcun abuz, le pacifier, accorder et corriger, faisant exprès commandement -à tous les appellés en lad. assemblée, de cottizer et depar- tir les deniers du Roy justement et esgalement, le fort portant le faible, et ny mesler aucuns deniers privez ny frais, à la peine de cinquante marcz d'or aud. seigneur appliquée, autrement entend en faire les inquisitions à l'encontre des contravenens » (2). C'était une véritable déclaration de guerre, dans une période, il est vrai, où le juge avait été traduit en justice à Montpellier, par les nobles et les villages du plat-pays. Cet extrait permet d'apercevoir mieux aussi une partie de la mission du juge, celle concernant le domaine administratif : elle nous intéresse au premier chef, alors que sa mission judiciaire était sans doute pour lui la plus importante. C'est, d'ailleurs, au nom de son pouvoir judiciaire, que le juge intervient dans la vie administrative des Etats, contrôlant leur attitude et les comportements individuels dans leur sein ; mais sa mission apparaît aussi plus étendue, chargé qu'il est de surveiller la bonne exécu- tion des ordonnances fiscales de la monarchie. Conservateur des intérêts du roi, on peut toutefois se poser la question de son vrai pouvoir par rapport aux Etats, malgré le ton menaçant. Ces derniers, en effet, savaient leur autorité indépendante de celle du juge, et ils ne paraissent pas s'être émus outre mesure de l'incident ; ils contestè- rent son pouvoir de commandement dans les assemblées, et c'est au contraire le juge qui s'inclina comme le prouve la suite du procès-verbal de délibération : «...alors led. seigneur du puy a protesté contre led. monsieur le Juge de ce qu'il use de commandement... de quoy a requis acte en estre retenu par moy Galabert greffier. Led. monsieur le Juge voyant le désordre et discention, altercation et controverse, s'est absenté de lad. salle, et retiré à son lougis. » L'attitude était sage en cette période de tension, mais il semble qu'en temps ordinaire les deux pouvoirs faisaient assez bon ménage, et qu'on ne contestait pas au juge le droit de présidence des Etats, lorsque les représentants de l'Eglise étaient absents. Bien plus, quelques années auparavant, ce sont d'abord les Etats qui l'ont nommé commissaire pour réaliser la première enquête : c'est ce qu'il ressort de l'ordonnance du juge, publiant fin 1546 la nouvelle répartition des « bolugues » (3). Il s'agissait, en l'occurence, d'une mission extraordinaire : il était normal qu'elle soit confiée au seul représentant permanent du roi dans le pays, d'autant plus que sa fonction en faisait un arbitre naturel. L'indifférenciation des charges avait ainsi permis de trouver facilement une solution locale ; cependant la question de l'autorité du juge, forcément limitée dans la hiérarchie judiciaire et administrative du pays, allait se poser à son détriment, et aussi à celui du pays, au moment de tirer les conclusions fiscales de l'enquête : l'autonomie commingeoise apparaît ainsi dans sa juste lumière, des solutions purement locales n'étaient plus applicables lorsque la question posée était aussi considérable que celle de l'impôt ; et certains Commin- geois, mécontents des décisions du juge, ne manquèrent pas de faire appel à la juri- diction supérieure qu'était la Cour des Aides de Montpellier (4). Le prestige du juge s'en trouva sans doute profondément atteint, et la juridiction du contentieux fiscal lui échappa définitivement. C'était, à travers sa personne, une première humiliation pour le pays. Son rôle essentiel, redevint à ce moment-là, le rôle judiciaire ordinaire : notre documentation ne nous permet jamais de l'entrevoir, mais il devait être celui d'un juge royal de son rang. Il est difficile d'ailleurs de définir le rang exact dans la hiérar- chie judiciaire de l'époque, du juge ordinaire de Muret. Ressortissant à la sénéchaus- sée de Toulouse, le Comminges en était une des judicatures et le juge de Muret paraît occuper une position intermédiaire entre les juridictions royales inférieures – les bailies du domaine royal (10) par exemple – et le tribunal du sénéchal, auquel on pouvait faire appel sans doute de ses décisions. Supérieur, sur le plan honorifique, aux lieutenants de juge résidant dans les autres chefs-lieux de châtellenies, l'était-il aussi sur le plan judiciaire ? Pouvait-on faire appel à lui de leurs décisions, ou bien ressortissaient-ils directement au tribunal du sénéchal ? Autant de questions que notre documentation ne permet pas de résoudre. Ces problèmes sont sans doute importants, mais ils ne sont pas essentiels à notre sujet. Le juge joua un rôle considérable dans la « recherche » : il le dut certai- nement à sa position d'officier du roi, mais sa mission, dans ce cas, dépassait sa fonction ordinaire de juge.

SECTION II - LES ETATS de COMMINGES «... Sont aussi en liberté et pocession saisir de tout temps que l'assemblée générale ou autre desd. trois Estats, toutefois qu'elle est mandée par Nous ou Nos officiers, n'en peust faire hour (hors) les limites du comté, soit pour nos propres affaires ou autrement pour quelque cause que ce soit... » Privilèges du comté, confirmés par Charles VIII en 1496 (6) Parmi les Etats provinciaux, encore nombreux à fonctionner au XVI siècle, ceux de Comminges seraient à ranger dans les structures des Etats particuliers de Guyenne (7), au même titre que ceux du Périgord, de l'Agenais, du Rouergue, ou du Quercy. Comme eux, ils déléguaient aux Etats de Guyenne, lorsque par hasard ces derniers étaient convoqués ; mais, alors que les quatre provinces susdites recevaient en bloc le montant des impositions qu'elles se partageaient ensuite (8), le Comminges formait, avec ses aides (9), une recette particulière de Guyenne recevant tous les ans directement du roi, le total des impositions à lever sur le pays. Ceci illustre bien, comme l'affirme René Doucet, « la diversité extrême de ces différents corps » (10). Cette diversité était le résultat de l'histoire, et l'on comprend que le Comminges, comté particulier, rattaché tardivement à la couronne, ait toujours formé un pays séparé dans l'administration royale. De ce fait il avait certains des attributs des grands Etats provinciaux, en matière fiscale en particulier, puisqu'il était, dans ce cas, directement rattaché au Conseil du roi, et que les Etats de Guyenne n'exerçaient de ce point de vue aucune tutelle. Mais, s'il en avait les attributs, l'étendue et les res- sources du modeste comté ne pouvaient pas lui en donner la puissance ; de là vient la menace qui pèse, nous le verrons, dès le XVI siècle sur l'existence même des Etats de Comminges, et qui finira par les rayer de la carte administrative de la France: il faut donc se pencher sur leur histoire. a) - Historique général des Etats de Comminges (11) L'origine des Etats de Comminges paraît se situer dans une période tardive du Moyen-Age. Charles Higounet écrit que les premières assemblées furent convoquées pendant le règne troublé de Marguerite, à partir de 1412 seulement. Il y avait à ce moment-là un siècle et demi que les Etats de Languedoc se réunissaient, et un demi- siècle qu'avaient été créés les Etats de Béarn, pour ne citer que ces exemples voisins du pays commingeois. Apparemment aussi, selon le même auteur, c'est au début du XVI siècle seulement que les Etats furent définitivement constitués. Le rôle des membres convoqués aux Etats en 1502 est le premier document conservé dans le fonds des Etats de Comminges, et il prouve que l'institution possédait déjà ses prin- cipaux attributs : une liste de convocation aux assemblées, et des syndics généraux dont la nomination ne pouvait avoir été faite que par ces mêmes Etats. Il semble donc qu'ils fonctionnaient régulièrement à cette date, cependant nous ne pouvons le vérifier car les archives n'ont conservé qu'un petit nombre de procès-verbaux de délibérations entre 1502 et 1540. Ainsi, c'est avec l'affaire de la « recherche » que les archives deviennent abondantes, et, en général, elles livrent tous les ans plusieurs comptes-rendus d'assemblées. En effet, les deux derniers tiers du XVI siècle seront certainement la période la plus importante dans la vie des Etats de Comminges, marquée d'abord par la que- relle de la taille, et ensuite par la longue série des troubles religieux après 1560. Mais le développement de l'absolutisme au XVIIe siècle allait avoir raison des derniers restes de l'autonomie provinciale. Dès 1601 Henri IV annula les règlements concer- nant leur fonctionnement que les Etats venaient de se donner, et leur imposa le sien, complété en 1611, beaucoup plus restrictif dans deux domaines essentiels : le droit d'assemblée, sur ordre du roi seulement, et le droit d'entrée aux Etats, réservé à quel- ques membres de la noblesse et du clergé, et à un seul consul de chacun des chefs- lieux de châtellenie. Il s'agissait d'une mise en tutelle définitive ; mais il y eut encore plus grave, ce fut la disparition du rôle financier des Etats de Comminges, leur seule raison d'être aux yeux de la monarchie. Dès 1601 aussi, le roi avait supprimé l'office de trésorier des Etats que ces derniers avaient toujours nommé jusque là, et créé à la place un receveur royal ; surtout reparaissait en 1603, la menace de création d'une élection qui devait vider les Etats de leur substance. Ils firent face encore une vingtaine d'années, mais en 1622, la création de l'élection de Comminges à Muret fut définitive, et désormais, les assemblées, qui perdaient le droit de répartir l'impôt, s'espacèrent probablement jusqu'à leur disparition définitive au temps de Louis XIV. La dernière assemblée des Etats connue par leurs archives eut lieu en 1655, mais Marie-José de Naurois-Destenay pense qu'il y en eut encore d'autres jusqu'en 1673. Leur rôle était alors une survivance toute platonique de temps plus anciens, et sans communele verrons, mesurel'autonomie avec ceavait, qu'il à étaitce moment-là, au milieu dudéjà, XVI quelque siècle, difficulté même si, àcomme s'exprimer. nous Pendant toute la période d'activité des Etats les assemblées se tinrent de préfé- rence dans l'enceinte des chefs-lieux des principales châtellenies : le plus souvent à Muret, mais aussi à Samatan et à L'Isle-en-Dodon. Pendant la période de la « recherche », seules des assemblées particulières de chacun des ordres ou des groupes sociaux se tinrent ailleurs que dans les trois villes principales du comté. Problème modeste en vérité, à côté de celui du rôle des Etats dans l'épisode de la « recherche ». Mais avant d'essayer d'en juger, il convient de préciser ce qu'étaient les Etats de Comminges aux alentours de 1540. b) – La composition des Etats Les Etats de Comminges, au milieu du XVI siècle, ressemblaient à ce qu'étaient les assemblées de ce type à cette époque, et dans les provinces françaises où elles existaient. Les trois ordres – Clergé, Noblesse, Tiers Etat – y étaient représentés et à peu près dans les mêmes conditions, par exemple, que dans la grande province voisine de Languedoc (12). On ne sait pas mieux en Comminges qu'en Languedoc, comment s'était fixée la coutume d'y convoquer tel ou tel membre des deux premiers ordres de la société de l'époque, alors que, par contre on comprend mieux la représentation du Tiers, ou du « commun populaire », comme on aimait à dire au milieu du XVI siècle. Et la définition que donne Henri Gilles pour les Etats de Languedoc, paraît convenir aussi au Comminges : ... « on peut dire que les Etats de Languedoc ne sont pas, à proprement parler, une réunion d'ordres qui représenteraient chacun une classe sociale déterminée, mais, bien plutôt, un groupe de vassaux que le roi convoque en raison de leur importance... » En effet, lorsqu'on examine, à partir des rôles de convocation aux Etats (13), leur composition, on doit constater l'absence d'idée de représentativité, même si les règles sont moins strictes en Comminges qu'en Languedoc. Nous avons pu comparer ces listes avec un document, daté de 1499, dont nous possédons un extrait de 1612 conservé aux Archives Départementales du Gers : c'est un rôle des vassaux du roi qui lui devaient hommage à tout changement de seigneur ou de vassal (14), et il révèle l'existence en 1499 de douze seigneurs ecclésiastiques, et de quatre vingt quinze seigneurs laïcs, ceci non compris la baronnie d'Aspet, qui d'ailleurs ne semble pas non plus avoir délégué aux Etats, à l'exception du baron d'Aspet, premier baron de Comminges. Or l'église n'était représentée aux Etats que par sept membres d'abord puis six après la disparition dans les convocations du prieur de Saint-Laurent, et il faut tenir compte aussi du fait qu'il ne s'agissait que du haut-clergé commingeois, pratique normale à l'époque. Ainsi paraissaient aux Etats les évêques de Couserans et de Lombez, titulaires et seigneurs de sièges situés en territoire commingeois, et non l'évêque de Saint-Bertrand qui ne possédait pas de seigneurie dans le cadre du comté de Comminges — les documents de la « recherche » le prouvent (15) —. Mais à côté des évêques, seuls admis dans le vaste Languedoc à partir de la fin du XV siècle, siégaient aussi en Comminges les abbés ou les représentants des principaux monastères du pays : l'abbé de Bonnefont, celui des Feuillants, celui d' près de Muret, le représentant de l'abbesse de Fabas, et jusque vers 1540, le prieur du monas- tère de Saint-Laurent. D'après les quelques rôles d'appel des assemblées, retrouvés pour la période de la « recherche », les gens d'Eglise ne paraissent pas avoir été très assidus aux Etats, à l'exception du vicaire général de Lombez, sans doute un com- mingeois, Jehan de Saman (16), qui fut syndic de l'Eglise avec l'abbé d'Eaunes à partir de 1547-48 environ. Ce manque d'assiduité est également noté pour le Lan- guedoc, et résulte du fait certainement aussi que les affaires du clergé se traitaient déjà depuis longtemps sur le plan national, alors que s'organisaient les Assemblées du Clergé de France ( 17). Les quatre vingt quinze seigneurs laïcs de 1499, n'étaient pas non plus tous convoqués, mais cependant presque la moitié avait droit de comparaître aux Etats de Comminges : ainsi ce petit pays convoquait au XVI siècle une quarantaine de seigneurs (18), alors que le Languedoc n'était représenté que par vingt deux barons (19). Il y avait au sein des Etats de Comminges, selon l'acte précédemment cité de 1499, et le rôle de convocation de 1520, totalement en accord sur ce point, huit barons des Etats représentant quelques unes des plus grandes familles du pays. Le baron d'Aspet, nous l'avons vu, était premier baron des Etats : au moment de la « recherche », la baronnie d'Aspet était âprement disputée au sein des diverses bran- ches de la famille de Foix (20) ; elle échoua finalement en 1549 entre les mains d'Henri d'Albret, roi de Navarre, le grand-père du futur roi de France Henri IV par lequel elle fut rattachée à la couronne en 1607. Le baron d'Aspet ne parut jamais aux Etats dans cette période, et son représentant, une fois seulement en 1547. Les autres barons étaient de moins haute lignée : les seigneurs de Péguilhan et de Roquefort portaient le nom de Comminges ; ils étaient les héritiers des branches cadettes de la famille comtale. Le baron de Benque, peut-être antique descendant des comtes de Comminges, représentait une des plus vieilles seigneuries commin- geoises (21). Les barons de Larboust siégeaient aux Etats au nom de leurs terres commingeoises, et sans doute aussi à cause de leur ancien lien féodal avec les comtes, alors que le Larboust lui-même ne faisait pas partie du comté de Comminges (22). D'autre part les barons de Mauléon, seigneurs de Prat dans la châtellenie de Salies, et les barons de dans la châtellenie de Muret, étaient de grands seigneurs, liés à quelques grandes familles du royaume (23). Enfin nous n'avons pas pu iden- tifier de façons précise le baron de Saint-Paul, possessionné en Castillonnais, dans la baronnie d'Aspet, et dans la châtellenie de Salies, peut-être représentant une des branches de la famille de Foix ; d'ailleurs il n'était plus sur le rôle d'appel en 1551. Les autres nobles étaient seigneurs ordinaires des Etats ; certains n'en représen- taient pas moins d'aussi puissantes familles : ainsi les Ysalguier (24), une des plus riches familles toulousaines, seigneurs de Clermont avaient droit d'entrée aux Etats par leurs seigneuries de Pompiac dans la châtellenie de Samatan, de Saint-Amans et de Saint-Cassian, toutes deux sur le territoire actuel de la commune de Muret. De même le baron de Saint-Blancard en Astarac, de la famille d'Ornezan dont un des membres était à l'époque évêque de Lombez, entrait aux Etats au titre des diverses seigneuries commingeoises qu'il possédait, et qui passeront ensuite dans la famille des Gontaut-Biron (25). Les autres familles seigneuriales avait un rayonnement beaucoup plus restreint, sinon uniquement local : les d'Orbessan, dont le principal représentant, le seigneur de Labastide-Paumès dans la châtellenie de L'Isle-en-Dodon était syndic des Etats au moment de la « recherche », avaient leur zone d'influence située dans les châtellenies de L'isle et de Samatan: Les Tersac, barons de dans la châtellenie de Saint-Julien, mais non barons des Etats, furent célèbres au temps des guerres de religion par leurs relations avec la famille royale (26). C'était de vieilles familles qui s'éteindront progressivement au cours du XVIIe siècle. D'autres au contraire, connaîtront plus tard leur heure de gloire : les Lamezan par exemple, modestes seigneurs d' dans la châtellenie de L'Isle-en-Dodon, mais, semble-t-il fort turbulents au temps de la « recherche » ; une des branches de la famille s'expa- triera au XVIIe siècle et se fixera en Lorraine, où l'un de ses membres fut gouverneur d'Epinal. Autre exemple, les Saint-Lary, seigneurs du village de ce nom dans la châ- tellenie d'Aurignac, mais aussi seigneurs de Gensac, , Montblanc et Montas- truc dans la châtellenie de Samatan, et de Frontignan dans celle de L'Isle-en-Dodon, barons de Bellegarde, dont un descendant, gouverneur de Bourgogne et de Bresse fut fait duc de Bellegarde en 1619 (27). Par contre les puissants seigneurs de Montpezat — l'un d'eux était alors séné- chal de Bazas (28) —, dont le château dominait la vallée de la Garonne au défilé de Saint-Martory, et dont les ancêtres avaient légué les terres sur lesquelles s'était élevée l'abbaye de Bonnefont, ne semblent pas avoir été membres des Etats de Comminges. Voilà bien l'exemple d'une anomalie dont on ne peut pas s'expliquer l'origine. Quoiqu'il en soit, les seigneurs commingeois étaient tout de même bien repré- sentés, et ce fut sans conteste le groupe social le mieux représenté. Mais l'intérêt qu'ils portaient aux Etats ne fut pas des plus grands : avant la « recherche », le seul rôle des présents aux assemblées que nous ayons retrouvé fait mention de seize représentants de la noblesse locale, certainement pas la moitié des convoqués de l'époque dont, cependant, nous ne connaissons pas la liste. Et si, au début de la « recherche », l'intérêt des nobles dans cette affaire, paraît les avoir conduits encore assez nombreux aux Etats, à partir du moment où le problème échappa à l'action des Etats, leur nombre se réduisit à quelques unités : le groupe manifestait ainsi son mépris pour l'institution, et il y a là un point d'histoire très important, que nous essayerons d'éclaircir en pénétrant plus avant dans l'histoire des Etats au temps de la « recherche » (29). La représentation du troisième ordre était beaucoup plus réduite, mais aussi, comme en Languedoc, la plus assidue aux assemblées des Etats. Elle était composée des représentants des neuf villes chefs-lieux de châtellenies ou de baronnie, auxquelles on ajoutait les deux villes épiscopales de Lombez et de Saint-Lizier, situées comme nous l'avons déjà écrit, dans le comté de Comminges. Un moment, à l'époque de la « recherche », Bagnères-de-Luchon eut droit d'entrée aux Etats (30), mais aucune des autres communautés commingeoises ne pouvait y déléguer. La représentation du Tiers-Etat était donc très mal assurée dans les faits, mais il semble cependant que dans la mesure où elle existait elle n'échappait pas aux mem- bres de cet ordre, comme c'était parfois le cas en Languedoc, où des nobles pouvaient représenter des villes. Celles de Comminges étaient trop petites cités pour que les nobles locaux se soient intéressés à leur gestion, et celle-ci appartenait surtout aux hommes de loi et aux marchands (31). Ainsi ce sont eux, en tant que consuls ou syndics des différentes villes qui représentaient le Tiers aux Etats de Comminges. Si nous récapitulons, le pays politique se composait donc dans ses Etats d'une soixantaine de membres, et la noblesse s'y taillait la part du lion avec une possibilité de représentation toujours supérieure aux deux tiers dans leur sein. Tous ces mem- bres, lorsqu'ils se rendaient aux Etats, jouissaient d'une immunité en particulier sur le plan fiscal, comme le rappellent régulièrement les contrats passés entre les Etats et leurs trésoriers (32) : ces derniers ne pouvaient mettre aux arrêts les consuls ou syndics dont les communautés avaient quelque arriéré de tailles. Les hommes du pays formaient la part la plus importante des Etats de Com- minges, il ne faut pas oublier cependant que les représentants permanents du roi en Comminges avaient aussi droit d'entrée aux Etats, et participaient à toutes leurs délibérations. Nous avons déjà noté que le juge de Comminges entrait aux Etats, il était d'ailleurs convoqué en tête de l'ordre de la noblesse, alors que le procureur du roi l'était aussi, mais à la fin. Leur présence était, semble-t-il, indispensable pour légitimer les assemblées des Etats : c'est du moins ce qui ressort d'une protestation du syndic du Tiers de l'époque, Bernard Saint-Lannes, à l'encontre d'une assemblée des nobles faite en mars 1560, hors la présence du juge (33). Les principes de composition des Etats paraissent donc bien établis au milieu du XVIe siècle, et les circonstances n'y apporteront désormais que des modifications limitées, même si elles ont eu, comme nous le verrons, une importance certaine lorsqu'il s'est agi de l'introduction du syndic des villages. Les règles étaient-elles aussi précises lorsqu'il s'agissait du fonctionnement interne des Etats ? c) — Le fonctionnement des Etats de Comminges 1 — La convocation des assemblées Les assemblées des Etats ne pouvaient se faire en Comminges, comme dans les autres provinces d'Etat, que par mandement royal. Charles VIII avait renouvelé le droit pour les Etats de s'assembler qu'il s'agisse des affaires du roi, ou de leurs pro- pres affaires ; mais la légalité exigeait qu'ils soient convoqués par le roi ou par ses officiers (34). Cette volonté royale semble toujours avoir été observée au XVI siècle, s'agissant des Etats généraux du pays, bien que les sources ne soient pas tou- jours précises sur l'origine des convocations. Cela ne faisait pas de problème lorsqu'il s'agissait de l'assemblée générale ordinaire convoquée tous les ans à l'automne, en général en novembre, pour l'octroi des tailles : la convocation royale était alors clairement consignée dans le procès-verbal du greffier. De même, lorsqu'il s'agissait de l'une des nombreuses « creues » d'impôts qui s'abattaient régulièrement sur le pays, l'assemblée, dans ce cas extraordinaire, était aussi convoquée par le roi. Il faut remarquer d'ailleurs qu'à ces deux types d'assemblées paraissaient les commissaires du roi, souvent un des généraux de Guyenne en personne. Au cours de ces réunions, il est bien évident qu'on traitait avant tout les affaires du pays, puisqu'aussi bien dans les Etats de Comminges, comme dans les autres Etats du royaume, il n'était plus question depuis longtemps de débattre du montant des impôts. La délibération à ce sujet était donc extrêmement courte (35), et l'assemblée s'occupait ensuite des affaires locales à l'ordre du jour. Cependant des questions urgentes pouvaient apparaître dans l'intervalle des sessions, alors qu'il n'y avait pas prévision de convocation royale. Comment le pro- blème était-il alors résolu ? Au cours de la « recherche » plusieurs assemblées auront lieu dans une même année (36), et, malgré la multiplication des occasions d'ordre fiscal pour faire assem- bler les Etats, ces dernières n'ont pas suffi pour légaliser toutes les assemblées. C'est le cas, par exemple, de l'assemblée du 3 au 8 mars 1545 (37), convoquée et présidée par les syndics, et où n'apparaît aucune mention de convocation royale. Cependant, aux termes mêmes des privilèges du pays, l'assemblée était probablement régulière, puisqu'il s'agissait de la « recherche », et que les Etats avaient reçu commission pour la mener à bien (38) : ils devaient donc avoir droit de ce fait, et pour cette matière, à se convoquer eux-mêmes ; le juge et le procureur du roi étaient présents, ils n'ont émis aucune protestation, la procédure avait donc été jugée régulière. Pourtant dans cette période troublée de la « recherche », la légalité de telles assemblées convoquées de leur propre mouvement par les officiers des Etats, fut mise en cause, à notre connaissance une seule fois, mais peut-être le problème s'était-il posé plus souvent. Le 24 juillet 1548 (39), le syndic des villages, Arnaud Guilhem de Bosin protesta, ce sont ses propres paroles telles que les a transcrites le greffier, de « l'abus et nullité de ceste assemblée sans puyssance aucune ny permission » ; l'un des consuls représentant les chefs de châtellenies — en l'occurence Germain Bartié, consul de Salies —, répliqua que « les assemblées sont faites de leur consentement, réquisition et autorité de la cour de messieurs les généraulx ». C'était affirmer ainsi la convocation par commissaire du roi, et la querelle ne paraît pas être allée plus loin. Cet épisode nous fait percevoir la conscience que les membres des Etats de Commin- ges avaient des règles régissant leur fonctionnement, et on peut présumer qu'ils s'y sont soumis. Reste cependant le point litigieux des assemblées particulières de tel ou tel ordre ou de tel ou tel groupe social. Les archives des Etats de Comminges conservent les procès-verbaux d'un certain nombre de réunions de chefs de châtellenies, moins souvent de nobles et de villages (40). Faites sans convocation de la part des gens du roi, une fois au moins l'une d'entre elles accusée d'illégalité, elles sont à verser au dossier de la liberté d'association qu'elles semblent manifester. Le XVI siècle est le siècle des « ligues » ; le Comminges les a connues avant la période des troubles reli- gieux et bien avant la fameuse « ligue campanère » qui s'y développa dans les années 1590 (41). Syndicat des villages, syndicat des chefs de châtellenies se développèrent à partir de 1545, dans un but de défense que les coutumes du temps paraissent avoir admis sans difficulté ; organes juridiquement reconnus même puisqu'ils pouvaient agir en justice, alors que pourtant ils se crééraient en dehors des institutions ordi- naires, et en contradiction avec elles. 2 — La présidence Un autre problème concernant le fonctionnement des Etats provinciaux était celui de la présidence de ces assemblées. Traditionnellement elle revenait partout au premier ordre de la société, mais seulement aux évêques lorsqu'ils étaient présents en personne. Le Comminges ne fit certainement pas exception à la règle sur le plan des principes ; cependant, aux temps de la « recherche », ni l'un ni l'autre de ces hauts personnages ne parut jamais en personne aux Etats : la présidence appartenait alors, semble-t-il assez naturellement, sauf cas exceptionnel d'opposition à sa personne, au juge de Comminges en tant que premier de l'ordre de la noblesse. Une délibération postérieure (42) affirme même que le juge avait parfois présidé en la présence des évêques de Couserans ou de Lombez, mais les exemples qu'elle donne sont invéri- fiables et peu crédibles dans la mesure où on n'assure jamais de façon absolue.la pré- sence effective de ces personnages. Le rôle du président était certainement avant tout honorifique, il comportait, aussi, d'après cette même délibération une fonction dans l'assemblée : elle consistait à recueillir les opinions, et à proclamer ensuite les ordonnances des Etats. 3 — Procédure interne : le vote La façon de délibérer dans les Etats de Comminges, permet de poser le problè- me de la nature même des Etats provinciaux. En Comminges, comme dans le Langue- doc voisin (43), on votait, ou plutôt, on recueillait les opinions par tête et non par ordre ; il y a donc, dans cette façon d'agir, une différence fondamentale avec la pratique des Etats nationaux, qui était celle de la délibération et du vote par ordre. Dans le cas du Comminges, nous ne savons pas s'il y a eu une époque où on votait par ordre ; par contre, dans le Languedoc, la procédure de la délibération en commun s'est imposée progressivement au cours du XV siècle, et Henri Gilles la met en rela- tion avec la perte d'indépendance politique des Etats. Nous souscrivons tout à fait à cette opinion, et nous aimerions la concrétiser à partir de l'exemple commingeois du XVI siècle. C'est sans doute parce que les Etats provinciaux étaient considérés, du point de vue de l'administration royale, comme des personnes morales indivisibles, que s'était prise l'habitude de voter par tête : en effet le roi attendait une réponse commune de la part des trois ordres, s'agissant de l'octroi des impôts, car c'était un espace géogra- phique qu'il interrogeait — ou feignait d'interroger —, indépendamment de la nature des membres qui le composaient au niveau représentatif ; ces derniers lui devaient donc une réponse globale, indépendante des oppositions sociales qui, de fait, exis- taient entre les différents groupes. Il fallait donc que les Etats provinciaux abou- tissent d'eux-mêmes à une attitude unitaire vis-à-vis de l'administration royale, et la procédure suivie en Comminges, comme en Languedoc, était une réponse à cette nécessité : la délibération en commun avait l'avantage de rendre plus facile, sinon possible le compromis entre les ordres, et donc la vie même des Etats ; cependant le garde-fou était malgré tout dérisoire, et n'excluait pas le risque de désaccord total. Ce risque existait, en effet, dans les Etats de Comminges, si la règle majoritaire, conséquence de cette pratique de délibération, et absolument nécessaire pour que puisse fonctionner une institution de ce type, n'était pas respectée par l'un ou l'autre des partenaires composant les Etats : une lourde hypothèque pesait ainsi sur l'avenir des Etats de Comminges lorsqu'allait se poser le problème d'une réorganisation de l'assiette de l'impôt. Le but de l'opération était de répartir plus équitablement une masse fiscale théorique toujours identique, dont la conséquence inévitable serait d'augmenter la charge des uns pour alléger celle des autres : comment le principe majoritaire pourrait-il être alors accepté, quant il y avait, pour les Commingeois de l'époque, des recours possibles auprès d'instances autres que les Etats de Comminges, et beaucoup plus puissantes, souveraines même, en l'occurence la Cour des Aides de Montpellier, chargée de juger le contentieux fiscal ? Comment éviter que les membres des Etats, lésés par l'opération, ne portent ailleurs leur querelle ? Situation cruelle, qui montre à quel point la vieille institution les Etats était profondément bloquée ! Et qui prouve, surtout, combien des Etats provinciaux du XVI siècle n'étaient plus des assemblées politiques, où les oppositions sociales auraient pu, non seulement s'exprimer, ce qu'elles faisaient bien évidemment, mais surtout trouver des solutions : c'est parce que celles-ci n'étaient plus de leur ressort que les intéressés étaient obligés de demander justice à d'autres institutions qu'aux institutions locales. La contradic- tion entre les principes de l'autonomie locale d'une part, et ceux de la centralisation administrative d'autre part, ne pouvait jouer qu'au détriment des premiers, à partir du moment où l'autorité monarchique tendait à imposer les seconds : cette autorité existait au temps de la « recherche », devenant peut-être même, semble-t-il, plus ferme sous Henri II qu'elle ne l'avait été sous François I (44). Les Etats de Comminges, comme les autres Etats régionaux, avaient donc été réduits au rang d'organes administratifs au service de la monarchie : leur restait-il, dans ce cas, la possibilité de bien remplir leur mission ? Les difficultés que l'affaire de la taille n'allait pas manquer de susciter, nous permettront d'avancer davantage dans la réponse à cette question. 4 — Les agents des Etats Comme toute institution à caractère périodique, les Etats de Comminges avaient des agents permanents, chargés de préparer leurs réunions, de les représenter auprès des autres organes administratifs, enfin de les défendre et d'exécuter leurs décisions dans l'intervalle des sessions. Les principaux de ces agents étaient les syndics du pays ou des différents ordres, vrais représentants des Etats dont ils éma- naient. D'autres officiers les secondaient, et leur importance était parfois considé- rable, par exemple lorsqu'il s'agissait du greffier ou du trésorier des Etats. - Les syndics Leur nombre varia au cours de la période qui nous intéresse, ceci en relation d'ailleurs avec l'évolution de la situation. Ainsi, lorsque débuta la « recherche », vers 1540, il y avait en Comminges uniquement deux syndics généraux, appartenant tous deux à l'ordre de la noblesse et donc ses syndics, mais qui représentaient aussi l'en- semble des Etats et des ordres, puisque le Clergé et le Tiers n'avaient pas alors de syndic ; le premier était Noble Gaillard d'Orbessan, seigneur de Labastide-Paumès, et le second Noble Arnaud-Guilhem de Lambez, seigneur de Savignac. Labastide et Savignac étaient déjà mentionnés comme syndics sur le rôle de 1520, et ils mourront tous les deux en 1559 (45). S'il s'agit des mêmes personnages, et non de leur père respectif en 1520, — ce que nous ne pouvons vérifier de façon certaine par absence d'une série complète d'archives entre 1520 et 1540 — c'est l'exemple d'une belle longévité. Cependant leur carrière connut, surtout après 1545, quelques vicissitudes ; il semble qu'ils aient abandonné la partie vers 1555 au plus tard, où Savignac déclare qu'il n'est plus syndic, contre toute vérité cependant, puisqu'il n'avait pas été rem- placé : mais il en refusait les obligations dans le procès pendant à Montpellier entre le syndic du Tiers et ceux de la noblesse et des villages (46). En effet, entre 1545 et 1550, d'autres syndics étaient apparus, certains même créés en dehors du cadre des Etats, avant de s'imposer à eux. Nous nous contenterons pour l'instant de les dénombrer, réservant pour plus de clarté l'explication de leur création à des paragraphes ultérieurs. Nous ne traiterons pas non plus des syndics particuliers de communautés ou de vallées, tels ceux mentionnés dans les procès- verbaux de la « recherche » ; ils avaient été nommés simplement en fonction de cette dernière, ainsi leur création n'avait pas d'influence sensible sur les mécanismes insti- tutionnels des Etats de Comminges : ils n'étaient pas en effet syndics des Etats. Par contre le problème est différent lorsqu'il s'agit du syndic des villages men- tionné pour la première fois en février 1546 (47) ; il dut être créé probablement dans le courant de l'année 1545, et le premier fut Maître Arnaud Guilhem de Bosin, notaire de Montpezat (châtellenie de Samatan) ; à l'origine, il fut un simple syndic particulier au nom de certains villages du bas-pays, très inquiets, à juste titre, des conséquences de la nouvelle répartition de la taille qui les menaçait alors : faisant appel de la procédure du juge devant la cour des Aides de Montpellier, il devint un personnage essentiel, élargissant même en 1549 son influence dans le bas-pays à 108 des 185 villages qui le composaient au XVI siècle (48). Personnage tellement impor- tant qu'il fallut l'admettre aux Etats : les comptes mentionnent sa rétribution en tant que syndic du pays à partir de 1555 (49) ; il reçut alors six livres de gages annuels comme le syndic du Tiers, contre dix aux syndics de la noblesse et du clergé, mais sa présence aux assemblées, on ne sait à quel titre, était beaucoup plus ancienne. Lorsque le syndic des villages fut admis, il y avait déjà quelques années qu'avait été constitué aussi un « scindic du commun populaire », celui-ci plus en accord avec les institutions existantes puisqu'il était l'émanation des villes ayant droit de siéger aux Etats. La première mention qui en est faite est du 23 novembre 1547 (50), dans un arrêt de la cour lors du procès devant la Cour des Aides de Montpellier. Mais s'agit-il vraiment à ce moment-là d'un syndic des Etats ? Dès 1546 (51), après avoir pris la résolution de ne plus accepter de nobles ni de gens d'église comme syndics, les chefs de châtellenies avaient nommé un procureur en leur nom près la Cour des Aides ; c'est peut-être ce dernier qui est cité dans l'arrêt précédemment men- tionné ; toujours est-il que la consécration officielle des comptes des Etats date seule- ment de 1552 — le syndic du « commun populaire » est alors Jehan Saint-Lana, marchand de Muret, créé par une assemblée des chefs de châtellenies à Aurignac, dans le courant de l'année 1552 (52). Il joua un rôle essentiel, profitant certainement de l'éclipse politique aux Etats des syndics de la noblesse ; mais dans ces temps de grande controverse sociale, il ne fut certainement pas reconnu par la noblesse comme syndic général, titre qu'il usurpe pourtant quelquefois. Mort en 1557, il sera remplacé en tant que syndic du Tiers par Bernard Saint-Lannes résidant à Toulouse, dont nous ne connaissons pas le degré de parenté avec son prédecesseur. Entre temps le clergé avait aussi créé ses syndics particuliers : les deux syndics de l'Eglise furent créés sans doute le 24 juillet 1548 (53), et acceptés immédiatement par les Etats. Les titulaires de la charge furent Jehan de Saman, archidiacre et vicaire de Lombez, et l'Abbé d'Eaunes ; ils semble s'être présentés, ce jour-là, comme média- teurs entre la noblesse et les chefs de châtellenies, mais nous n'apercevons pas très clairement leur rôle par la suite. Ainsi la « recherche » se clôturait avec la présence aux Etats de six syndics, deux pour chacun des ordres, mais l'un d'entre eux, celui des villages alors que ses mandants n'avaient aucune représentation aux Etats : c'est pour cela certainement qu'on put le supprimer plus tard (54), alors que les circonstances qui l'avaient fait apparaître — la « recherche » — étaient déjà lontaines. Retenons, malgré tout, la grande souplesse de l'institution, capable de s'adapter aux circonstances. A côté du problème que pose parfois l'existence de certains syndics, il y a celui de leur nomination, et surtout celui de leur pouvoir. Pour la période qui nous intéresse — 1540-1560 — nous n'avons guère de renseignements sur la durée du mandat des syndics, et sur la façon dont ils étaient nommés. Pendant les guerres de religion, Marie-José de Naurois-Destenay écrit qu'ils étaient nommés pour trois ans par leur ordre respectif, et qu'ils devaient prêter serment devant l'assemblée. Ces règles étaient peut-être déjà en usage au milieu du XVI siècle mais nous n'en savons rien ; tout au plus se dégagent quelques coutumes, qui apparaissent, par contre, bien enracinées. Chacun des ordres avait certainement le pouvoir de créer ses propres syndics, mais il semble que l'assemblée dans son ensemble avait droit de regard sur les personnalités retenues : ce phénomène se manifesta au moins deux fois ; une première fois, en 1548, le procès verbal de l'assemblée mentionne l'acceptation par tous ses membres des deux nouveaux syndics du clergé. Bien plus même, la coutume était si bien admise qu'il semble que les ordres non concernés avaient droit de regard sur les candidats de celui qui devait nommer un syndic : ainsi, en 1560, lorsque la noblesse dut choisir de nouveaux syndics en remplacement des seigneurs de Labastide et de Savignac, Jean de Saman Syndic de l'Eglise ne s'embarrassa pas pour proposer deux candidats qui lui seraient agréables : la noblesse ne le suivit pas sur ce chemin, puisqu'elle nomma un troisième seigneur, mais il n'y eut aucune protestation de sa part, et on peut conclure sans doute que l'ingérence du syndic du clergé dans les affaires de la noblesse avait paru normale. Ceci ne saurait nous étonner d'ailleurs puisque la règle, dans le fonctionnement des Etats, devait être celle de la concorde entre les ordres, et que les candidatures, par conséquent, devaient être autant que possible les candidatures de conciliation. Bien sûr lorsqu'il s'agissait des syndics généraux du pays, l'acceptation par tous était nécessaire, c'est ce qui ressort de la délibération des chefs de châtellenies réunis à Toulouse en 1545, lorsqu'ils affirment « que d'ore en avant nobles ne gens d'église ne accepteront scindicat ». Le rôle des syndics de Comminges était certainement comparable à celui de tous les officiers de ce type, mais les renseignements que nous avons ne nous le décri- vent peut être pas complètement ; en fait, il apparaît difficile de le distinguer de celui des Etats eux-mêmes, exceptées les quelques mentions qui nous signalent une action de leur part, en dehors du cadre des assemblées. Les syndics généraux, les plus importants, avaient une mission de représentation des Etats vis-à-vis des autres instances administratives et jouaient alors le rôle d'ambassadeur : ainsi, les comptes de 1543 révèlent que le seigneur de Labastide fit un voyage en cour du roi en 1542, mais nous n'en connaissons pas l'objet. De même c'est encore lui qui fut délégué par son ordre aux Etats de Guyenne en 1557 (56). Bien sûr les syndics s'occupaient de toutes les affaires concernant le pays ; les procès en particulier, mais aussi tout ce qui touchait à la vie des Etats ; ainsi lors de la première enquête, ils se sont arrogés une mission quelque peu douteuse sur le plan de la légalité lorsqu'ils convoquaient de leur propre chef des assemblées des Etats (57). Enfin, peut-être même leur arrivait-il de « faire de l'obstruction », profitant en cela de leur situation pour négliger d'informer les Etats : c'est ce qu'incite à penser une délibération du 6 août 1554 (58) où il est fait grief au seigneur de Labastide de n'avoir pas informé à temps les Etats au sujet du rétablissement des élus. Tous ceci est assez banal, mais cependant révélateur du comportement des hommes au sein de l'assemblée des Etats de Comminges : les circonstances expliquent ces attitudes ; elles permirent aux quelques personnalités directement en cause de s'y exprimer avec toute la fouge de leur caractère. - Le greffier des Etats de Comminges A côté des syndics, les Etats avaient d'autres agents pour accomplir leur mission. L'un des plus importants était le greffier, à la fois secrétaire et archiviste : déjà âgé Claude Galabert céda vite la place à son fils Georges lorsque débuta la « recherche » en Comminges. Très déférent, semble-t-il à l'égard des nobles, selon l'habitude du temps, mais très conscient aussi de ses responsabilités, ils n'hésita pas à opposer au seigneur de Lamezan un refus poli (59), lorsque celui-ci lui demanda des documents, qui auraient pu favoriser le rétablissement des élus. Il n'outre passait d'ailleurs pas ses droits, car il avait pris la précaution, dans sa réponse, de se replier derrière une consultation que les syndics du pays avaient eue auprès d'hommes de loi toulousains. C'est la seule occasion où nous voyons intervenir ce personnage dont le rôle devait être, par nature, effacé. Il n'en était pas moins réel : c'était lui qui adressait les convocations aux assemblées, et par conséquent tenait à jour le rôle des appelés aux Etats de Comminges. Pendant les séances il faisait la lecture des com- missions royales ou de tous autres actes dont l'assemblée pouvait avoir besoin. Avec ses clercs il établissait les procès-verbaux des séances, et lui seul ensuite pouvait en donner des copies. La fonction était donc très importante, et Georges Galabert a dû s'en acquitter sans doute loyalement aux yeux de tous les intéressés, car nous n'avons pas trouvé de plaintes à son encontre. - Les Trésoriers des Etats Ils étaient aussi des personnages essentiels dans le fonctionnement des Etats de Comminges : la nomination que ces derniers en avaient, représente un des plus importants privilèges du comté de Comminges au XVI siècle. Les archives des Etats, leurs comptes en particulier, conservent un certain nombre de baux passés entre les trésoriers et les Etats pour la perception des impôts ; leur recrutement se faisait par adjudication de la recette des impôts à la moins-dite : celui ou ceux qui proposaient les frais de levés les plus faibles emportaient le marché, et dressaient un contrat ensuite avec les Etats (60). Ceux que nous avons consultés sont tous iden- tiques quant aux principes généraux, seules variaient les conditions financières du bail. Il n'est pas nécessaire de s'étendre ici sur les conditions techniques de la levée des impôts, les clauses du bail étant par elles-mêmes suffisamment claires : les tréso- riers étaient nommés pour trois ans, et ce qu'il faut retenir d'essentiel, c'est que, comme en Languedoc (61), ils étaient des sortes de banquiers des Etats capables d'avancer, lors des termes des impôts, la somme demandée alors qu'ils ne l'avaient pas encore levée. - Les procureurs du pays près les cours de justice Les comptes des Etats révèlent aussi l'existence permanente de divers procu- reurs du pays. Bien avant la « recherche » certainement, il y avait un procureur du pays près le Parlement de Toulouse, chargé sans doute aussi des affaires portées devant le Sénéchal. Mais l'opération elle-même allait multiplier cette espèce d'agents des Etats. Ainsi en 1544 Jean de Menez fut nommé solliciteur en Cour du roi (62) pour obtenir achèvement de la « recherche », et il deviendra l'année suivante procu- reur du pays au Parlement de Toulouse. Plus tard, lorsque le procès s'ouvrira à Montpellier apparaîtra un solliciteur, puis un procureur du pays près la cour des Aides. Il s'agissait d'hommes de loi, résidant en général dans la ville où les attachait leur fonction : c'est le cas du moins pour les procureurs au Parlement de Toulouse que nous connaissons : de Farguia ou de Menez. Leur fonction de caractère perma- nent ne dispensait pas les Etats, de faire appel aussi pour conseil à d'autres hommes de loi en général à Toulouse. Le nombre des officiers des Etats, leur spécialisation montrent que les Etats de Comminges étaient une institution bien établie, mais aussi capable d'évolution pour s'adapter aux circonstances. L'idée qui pourrait venir à l'esprit est qu'il y a eu peut-être évolution vers une meilleure représentativité des Etats, dans la mesure où tous les principaux partenaires sociaux ont pu enfin se faire entendre en leur sein. Le fait est indéniable et tendrait à prouver qu'il y a eu volonté commingeoise d'agir dans cette direction ; — tout au moins, malgré les oppositions, les institutions n'ont pas empêché cette évolution —. Mais était-ce vraiment le problème des Etats de Comminges ? N'était-ce pas plutôt un combat de circonstance, et bien anachronique par rapport à l'évolution du moment ? Le temps n'était pas au « pouvoir régional », et se pose ainsi la question essentielle du rôle des Etats provinciaux dans la France du XVI siècle. Le maître du jeu politique, en Comminges comme ailleurs, c'était le roi seul maître en particulier du jeu institutionnel : quelle puissance laissait-il aux Etats de Comminges, et pour quoi faire ? C'est à travers le rôle des Etats que nous pour- rons mieux en juger, et saisir l'impact de l'évolution de l'absolutisme sur la vie régionale. d) — Le rôle des Etats de Comminges (62) Tous les historiens sont d'accord pour reconnaître que la fonction principale des Etats provinciaux était de nature fiscale ; dans le cas du Comminges, pays privi- légié encore de ce point de vue au XVI siècle, les Etats avaient la mission de répartir et de lever l'impôt. Du point de vue de la monarchie, derrière lequel on doit toujours se placer puisqu'il était le point de vue essentiel, cette mission était la seule raison d'être des Etats de Comminges. Il va de soi que le point de vue de ces derniers était différent ; aussi essayèrent-ils, tant que le roi leur confia une mission fiscale, d'en tirer parti pour se faire entendre sur d'autres plans. Mais le nœud de leur tragédie pro- pre, c'est de n'avoir pas su se rendre indispensables dans ce domaine, comme l'avaient I S B N , 2 . 22 2 . 02398- X Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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