LA GUERRE DE 1914-1918 DANS LES MONTAGNES DE LA HAUTE-MEURTHE

PAR

JEAN CORDIER DIRECTEUR D'ÉCOLE A

AOUT 1920

Imprimerie Louis FLEURENT, () LA GUERRE DE 1914-1918 DANS LES MONTAGNES DE LA HAUTE MEURTHE I. La Mobilisation Par sa situation à l'extrême frontière, notre magnifique coin des Vosges a connu dès le début toutes les souffrances occasionnées par la grande guerre. Cette fin de Juillet 1914 était chaude et embrumée. Les nouvelles alarmantes qui venaient de tous côtés pesaient comme un lourd et pénible cauchemar sur les populations paisibles de la Haute-Meurthe. On voulait espérer contre tout espoir, malgré les indices les plus manifestes. Les jours qui ont précédé la mobilisation ont été très mouvementés. Le 27 Juillet les soldats permissionnaires recevaient l'ordre de rejoindre leurs garnisons ; certains ouvriers spécialistes étaient appelés par anticipation. Les dernières automobiles allaient en Alsace ou en revenaient avec précipitation. Dès le mercredi 29 la frontière allemande était fermée, la circulation était interdite et les pionniers de Colmar barraient déjà les routes. Les télégraphistes, les gendarmes, les douaniers, les forestiers déployaient une grande activité. Une surveillance sévère était exercée le long des routes frontières, on abattait les bois, on confectionnait hâtivement des tranchées rudimentaires, on plaçait les chaînes aux postes de douanes. Les journaux étaient attendus avec impatience et lus fébrilement. On commentait les nouvelles, on ne croyait pas à la guerre, on espérait toujours des arrangements. Le 30 Juillet, les bestiaux, les chevaux et les voitures étaient réquisitionnés. Le Bataillon du 158e Régiment d'Infanterie nouvellement caserné à Fraize, les Chasseurs à pied de Saint-Dié étaient alertés, envoyaient des patrouilles dans toutes les directions, formaient des petits postes à une distance respectable de la frontière. Tous ces préparatifs donnaient à la vie locale, si paisible d'ordinaire, une fièvre intense qui grandissait sans cesse, à mesure que l'heure fatale de la mobilisation approchait. Le vendredi 31, des ordres d'appel étaient distribués et enjoignaient à presque tous les réservistes de partir aussitôt. Le 1er Août, ils prenaient les trains du matin. Vers 16h30, les appels lugubres, du tocsin avertissaient les derniers hommes. L'airain sonore annonçait jusque dans les combes les plus reculées la terrible nouvelle de la Patrie menacée. A cet appel, tous les réservistes ont répondu : Présent ! Et les trains du soir emmenaient les derniers contingents. La mobilisation générale, accueillie avec un compréhensible émoi, ne fut troublée par aucun accroc ni incident fâcheux. Combien, parmi ceux qui sont partis si courageusement le 1er Août 1914 ne devaient plus revoir la chaumière et le village natal. Les malheureux ne se doutaient pas que les cloches, en les appelant au secours du pays, sonnaient aussi leur glas et qu'ils recevaient sans le savoir les adieux suprêmes de leurs mères, les derniers baisers de leurs épouses, l'ultime caresse de leurs enfants ! ...... Le 3 Août, la guerre était déclarée, et notre pays devait avoir le triste privilège d'être placé pendant toutes les hostilités à l'avant-garde de nos premières ligues. Plusieurs jours avant la déclaration, les allemands gardaient déjà les hauteurs avoisinant les frontières, se retranchaient solidement derrière des tranchées bétonnées. En maints endroits, ils envoyaient des patrouilles sur notre territoire, notamment dans la région de , , Ban-de-Laveline. Ils avaient donc une avance considérable sur nos troupes qu'un ordre ministériel retenait à quelques kilomètres de la Frontière. II. La Guerre

Période du 3 Août au 11 Septembre 1914

a) Pénétration en Alsace. — Victoires. À la déclaration de guerre, la 1re Armée (21e Corps), formée au début presque exclusivement de nos meilleures troupes de couverture, sous les ordres du Général Dubail, occupe les cols et les crets***, elle s'apprête à envahir les vallées alsaciennes. Les premiers contacts de patrouilles ont lieu dans les environs du Col du Bonhomme. Un soldat du 158e est blessé assez grièvement le 5 août aux Auvernelles près de la Douane, on le conduit à l'hôpital de Fraize. Le 7 août, un caporal du même régiment est tué sur la route de Barançon par des patrouilleurs allemands qui se trouvent dans les bois du Beurleux (Plainfaing). Une croix de bois est érigée à l'intersection de l'ancienne route et de la nouvelle pour rappeler la mémoire de cette première victime. Les Allemands s'avancent jusqu'aux Auvernelles. Plusieurs d'entre eux demandent en patois des renseignements aux gens de Barançon. Ils devaient être originaires des villages alsaciens bordant la frontière ; ils étaient envoyés en éclaireurs parce qu'ils connaissaient le pays et causaient couramment le français. Nos ennemis croyaient peut- être que nous serions moins cruels pour nos anciens compatriotes si nous parvenions à les capturer ; du reste, les Alsaciens ont souvent été obligés de servir en première ligne. Les Bataillons alpins du 14e Corps (12e, 13e, 22e, 28e, 30e) commandés par le Général Bataille, viennent renforcer nos premiers éléments. On leur fait fête au passage, nos populations leur distribuent des provisions, des rafraîchissements, du tabac ; on leur tend des fleurs, l'enthousiasme est indescriptible. Infortunés Chasseurs ! Ce pays si hospitalier devait bientôt abriter la tombe de beaucoup d'entre eux. Ils partaient avec l'insouciance de la jeunesse, en chantant les refrains joyeux de la Savoie et de l'Auvergne, et cependant ils couraient à la mort ! Notre État-major songe à faire une offensive en Alsace, pour décongestionner nos armées du nord. La 1re pénétration est relativement facile, les crêtes sont assez vite enlevées. Le 9 août, nous attaquons le Col de Sainte-Marie ; le 152e de s'empare brillamment du Col de la Schlucht. Le 16 août, nos troupes entrent dans Sainte-Marie-aux-Mines ; une réception enthousiaste leur est réservée Le 18 août, nous pénétrons dans Munster ; le 19 un Bataillon du 152e met l'ennemi en complète déroule au Grand Hohnack après lui avoir tué ou blessé 300 hommes ; le 21 nous entrons à Turckheim. De violents combats se livrent dans les vallées de la Liepvrette, de la Béchine, de la Weiss, et de la Fecht qui descendent à Sainte-Marie, La Poutroye, Kaysersberg, Colmar, Munster. De courageux citoyens de Fraize et de Plainfaing vont en auto vers le Bonhomme, le Rossberg, le Louchpach chercher les blessés et les ramènent à l'hôpital de Fraize. On saisit des otages, on croit voir des espions partout, on les conduit à l'intérieur. On cherche les fameux téléphones souterrains qui, d'après les dires de quelques uns, existent dans la plupart des Caves. Le 10 août nos Bataillons alpins descendent entre la Thur et la Fecht. Ils tiennent la région Ingersheim - Ammerschwihr - Logelbach. Nous prenons Colmar pour objectif et nos patrouilles vont en reconnaissance jusqu'aux abords de la ville. Plus au sud, nous enlevons Mulhouse à deux reprises. Mais subitement les forêts se peuplent de sépultures. Les modestes croix de bois surmontées d'un béret bleu ou d'un képi rouge se multiplient, les nécropoles s'allongent, c'est le meilleur du sang français qui rougit les coteaux alsaciens !

b) Le Repli de nos armées. — L'Invasion. Les Allemands semblent s'être retirés vers Neuf-Brisach. Bientôt nous nous heurtons à la 7e Armée, commandée par le Général Von Herringen, comprenant de l'active et des réserves, pourvue d'un matériel de guerre formidable. Nos échecs en Lorraine (2e Armée) nous obligent à abandonner le terrain conduis. Le 24 août l'ennemi reprend le col de Sainte-Marie, il rejette nos bataillons des Cols et commence à descendre les pentes ouest des Vosges. Plus au nord il envahit notre territoire, Raon-l'Étape et Baccarat deviennent la proie des flammes. Saint-Dié subit un bombardement terrible ; ces trois villes vont recevoir la souillure de l'envahisseur ! Nos armées se retirent en bon ordre en infligeant à l'ennemi de nombreuses pertes, mais aussi en creusant des tombes sur toutes les routes. Notre première offensive en Alsace n'avait donc pas réussi ; la guerre débutait sous de fâcheux auspices ! Nos succès du début avaient été trop faciles. L'ennemi nous rejetait et le sol de notre contrée allait subir la honte de l'invasion, il allait connaître les plus dures misères. L'intention des Allemands est facile à deviner. Ils cherchent à traverser la Meurthe, la , puis la Moselle, à profiter de la trouée de Charmes pour aller vers Neufchâteau et Chaumont et à encercler nos troupes par le sud. Cet effort gigantesque devait se briser au col de la Chipotte. c) Batailles de Saulcy, de , des Journaux. Saint-Dié occupé, Bataille de . L'ennemi est contenu, puis recule Le 24 Août, l'ennemi reprend le Col de Sainte-Marie ; les vallées de la , du Ruisseau Blanc et de la Morte sont envahies. L'exode pénible de la population commence ; les trains sont arrêtés dans la région. On voit sur toutes les routes, dans les forêts les convois lamentables de charrettes qui se suivent, des femmes qui poussent des voitures d'enfant, qui portent des valises, des paquets ficelés à la baie, renfermant des objets disparates, souvent inutiles. Les hommes chassent les bestiaux, conduisent les véhicules, tout cela au milieu de convois militaires interminables. On voit partout des gens affolés qui fuient devant l'ennemi. Les malheureuses populations campent la nuit en plein bois, couchent à la belle étoile, font la soupe au bord du chemin. Les vagues germaniques déferlent par tous les sentiers de la montagne. Le canon gronde, les incendies s'allument, le ciel se colore de rougeurs sinistres, les ruines se multiplient avec l'arrivée des envahisseurs. Ils saisissent des otages, fusillent sans pitié des personnes innocentes, pillent tous les immeubles. Partout où ils passent, les barbares sèment les désastres et la mort. Il faut avoir vu les champs où les obus ont tracé des entonnoirs profonds, les prairies bouleversées, les bois abattus, les maisons trouées, écroulées, consumées, les églises décapitées pour se faire une idée de ce tableau Le 26 Août les 13e et 22e Alpins, les « Diables noirs » sont dirigés sur Fraize et Plainfaing, pour soutenir la 41e Division qui occupe la crête de Mandray, menacée par une forte armée ennemie qui débouche du Sud du Col de Sainte-Marie. L'ennemi est aux abords de Saint-Dié qu'il bombarde furieusement. (Voir plus loin l’entrée des Allemands à Saint-Dié et l'occupation de la ville). Le 27 août, la Brigade Gendron, (51e et 52e Chasseurs) barre la vallée de la Meurthe, au Sud de Saint-Dié, vers Vanémont, Saint-Léonard, Mandray et prête main- forte à la 58e Division de réserve qui se trouve à Saint-Dié. L'ennemi a pu atteindre Saint-Léonard et Saint-Dié et même les dépasser ; la bataille va s'engager dans la vallée de Taintrux, les hauteurs sont arrosées de projectiles allemands. Mandray. -- Le 27 août, Mandray est également occupé par les Allemands. Un convoi considérable de vivres et de munitions est saisi par un détachement du 13e Chasseurs. Notre prise est bonne, nous capturons 250 Bavarois, une quinzaine de caissons, des voilures. 20 Allemands et 50 chevaux sont tués sur place. Les captifs sont amenés à l'école des garçons de Plainfaing avant d'être conduits à l'intérieur. Une foule de curieux assiège la salle où ils sont enfermés, fouillés et interrogés. Les prisonniers échangent facilement un casque neuf contre une vieille casquette. Ils se débarrassent des objets encombrants ; on dirait qu'ils veulent changer de livrée. Mandray a payé cher cette prise, les Allemands ont incendié l'église et une douzaine de maisons en représailles ; 10 civils ont été fusillés ; ils ont pillé et saccagé tout ce qu'ils ont pu. À un moment donné, les ennemis font semblant de se rendre, ils lèvent la crosse en l'air, mais quand les Alpins s'approchent, ils les fusillent à bout portant. À plusieurs reprises le village appartient aux Allemands et aux Français ; pendant 15 jours il est soumis à un bombardement terrible, on se bat avec une grande âpreté dans le cimetière. Saulcy-sur-Meurthe. — La bataille fait également rage à Saulcy. Là, les Allemands ont laissé un millier de cadavres et en ont emmené des voitures pleines pour les enterrer ailleurs. 90 maisons ont été brûlées la plupart à la main. L'incendie déroule ses volutes rouges sur l'écran noir de la nuit. La bataille se développe surtout autour de la gare et vers Anozel ; 45 maisons ont été détruites, il n'en reste que deux ou trois. Le Château de Saulcy, d'abord occupé par une ambulance française est envahi par l'ennemi qui y installe une autre ambulance. Sur la toiture flotte le drapeau de la Croix rouge, mais la construction et le parc servent à abriter les pièces et les mitrailleuses allemandes. Nos troupes placées à Anozel, s'apercevant de cet acte de lâcheté, bombardent le château. De nombreux Bavarois y sont tués. L'abbé Jeanpierre, curé de Saulcy, qui soigne les blessés, y trouve également la mort, tué par un obus français. Le 28 août, le Général Dubail donne l'ordre de tenir face à l'est, les crêtes vosgiennes jusqu'au col du Bonhomme inclus. Il ordonne de refouler ou de retarder la marche de l'ennemi qui s'est installé à Saint-Dié. Le Col du Bonhomme doit servir de charnière. La possession de ce point nous est indispensable pour la manœuvre et l'unité de notre front. De la solidité de cette charnière des Vosges que nous tenons, dit le général Dubail, dépend en réalité le salut de la . Vient-elle à céder ? Plus de rétablissement possible, la France est vaincue. Le 29 Août, la 41e Division se porte sur pour dégager la 28e Division rejetée dans le défilé d'Anozel et pour prêter main forte aux 13e et 22e Chasseurs qui se replient sur Mandray. La 41e Division est formée de la 81e Brigade (152e d'Infanterie, 5e et 15e Chasseurs) puis de la 82e Brigade, (23e et 133e d'Infanterie). Le même jour, les dragons du Commandant Bréant prennent position au Col des Journaux où se trouvent déjà une batterie de montagne et deux Bataillons d'Alpins qui occupent Mandray et la Croix-aux-Mines. Le 30 août, nous attaquons au Nord de Saint-Léonard, de Saulcy à La Croix-aux- Mines et nous subissons un échec qui doit s'aggraver le lendemain. Nous progressons légèrement vers la Behouille, mais le 1er Septembre, l'ennemi s'avance par la vallée de La Croix-aux-Mines. Nos communications avec le Bonhomme sont menacées. La situation de nos troupes est fortement compromise et provoque de nouveaux ordres du Général Dubail. Il faut à tout prix reprendre la crête de Mandray et s'y installer solidement. Pendant huit jours, des combats sanglants se déroulent dans toute cette région, avec des alternatives d'avances et de reculs. Les Alpins vont à la bataille en chantant la Marseillaise. C'est une défense épique, une page belle et sanglante à écrire au livre d'or de l'armée française. Pendant 5 jours d'un combat opiniâtre et sans répit, 1700 hommes arrêtent trois brigades allemandes, plus une brigade d'artillerie envoyée pour appuyer les premières. Ces héros, fous de colère, chargent à la baïonnette le cinquième jour et mettent en fuite un régiment de tirailleurs poméraniens qui s'avance soutenu par un feu terrible d'artillerie, pour forcer le passage. C'est une chose folle, incroyable, que cette défense du col de Mandray, et c'est une chose admirable. Le 3 Septembre, les 12e et 28e chasseurs sont violemment attaqués vers les Trois- Épis, La Baroche, Hachimette, La Poutroye et sont obligés de se retirer vers Orbey et le Wettstein. Pendant ce temps le 30e contient une offensive allemande sur les Bagenelles ; l'ennemi est rejeté dans la direction de Sainte-Marie. Du 1er au 5 Septembre la 41e Division se maintient difficilement sur ses positions. Le 3, un violent combat se livre à la Behouille, les 13e et 22e Chasseurs alpins se couvrent de gloire en chargeant par trois fois à la baïonnette un ennemi bien supérieur en nombre, ne ménageant ni leurs souffrances ni leur sang. Le 5, la 41e Don est rejetée sur la crête de Mandray et doit se replier vers Saint-Léonard où elle borde le 14e Corps. Nos troupes fléchissent jusque sur la Meurthe, de Saint-Léonard au Souche d'Anould. Le col de Mandray et le col des Journaux sont pris et perdus à plusieurs reprises. Les Allemands attachent une grande importance à la possession de ces cols qu'on a si justement nommés « le Tombeau des Alpins. » Ces passages doivent leur permettre de s'emparer de Plainfaing, de Fraize et d'Anould. À ce moment, il semble que nos armées manquent de direction. La liaison n'existe pas suffisamment entre les diverses unités combattantes, on ne s'occupe pas assez, des voisins, on se bat pour soi. Certaines troupes, encore mal aguerries, semblent fléchir trop facilement et ne s'accrochent pas avec assez de persistance à l'ennemi. Des défections se produisent par places. Mais le haut commandement est énergique, les troupes qui reculent sont reformées à l'arrière, encadrées de nouveau et reconduites au front. Les défections sont sévèrement réprimées, plusieurs exécutions ont lieu dans les parages des tunnels de Vanémont. L'ennemi s'approche de Fraize et de Plainfaing. Le 5 septembre l'ennemi est aux portes de Fraize ; des patrouilles allemandes descendent jusqu'aux Aulnes. Les Bavarois vont dévaler la Folie. Les projectiles arrosent la petite bourgade, une cinquantaine d'immeubles sont plus ou moins touchés, d'autres obus vont tomber jusqu'à Clefcy. L'importante filature des Faux, sise entre Fraize et Plainfaing est bombardée par des obus incendiaires, elle flambe dans la matinée. De ce grand bâtiment, il ne reste bientôt plus que des pans de murs calcinés, percés de larges baies. Dans les ruines, c'est un enchevêtrement de fers tordus par la mitraille et l'incendie, des débris de métiers qui jonchent le sol. Une grande partie de la population s'enfuit affolée vers Habeaurupt, Clefcy, Gérardmer, Bruyères, , abandonnant ainsi le pays, voué à une destruction certaine. Les jours suivants, les incendies continuent dans la région ; le presbytère de Fraize et d'autres maisons de Fraize et de Plainfaing deviennent la proie des flammes. Les églises des deux communes sont blessées assez sérieusement ; toutes deux ont reçu des projectiles. Les vitraux de l'église de Fraize ont été en grande partie brisés, le toit de la tour de celle de Plainfaing a été écorné. Les bâtiments du Cours Complémentaire ont reçu divers obus. En éteignant un incendie, deux Pompiers de Plainfaing sont tués par l'explosion d'une marmite. Le Capitaine, commandant la Cie des Sapeurs-Pompiers est couché à terre : grâce à son courage, le centre du bourg est épargné. C'est surtout de la Croix- aux-Mines que les Allemands bombardent Fraize. Leurs pièces se dissimulent dans les replis de Sadey, aux Grandes-Gouttes à la Grosse-Pierre. Dans quelques jours, plus de 2000 obus atteignent la région. La vie y est intenable, les gens couchent dans les caves, s'abritent comme ils peuvent et n'y sont pas toujours en sécurité. Un enfant de Plainfaing, âgé de 7 ans est tué par un projectile qui tombe dans une cuisine où le pauvre petit s'est réfugié. Les soirées surtout sont sinistres, les nuits sont longues ; partout les incendies rougissent le ciel. Ce sont les villages de Saint-Léonard, Anozel, Taintrux, Saulcy, Mandray, Entre- deux-Eaux, le Chipal, qui sont la proie des flammes. Ce sont des rues entières de Saint- Dié qui brûlent. Les maisons sont arrosées de pétrole, l'ennemi y allume des pastilles incendiaires ou envoie des obus qui y mettent le feu. Le brasier prend une telle intensité que tout secours devient inutile ; du reste le marmitage ne discontinue pas : on laisse brûler le tout. Les Allemands emploient dans leurs crimes des raffinements de barbarie inconnus jusqu'alors. Ne faut-il pas pour que la guerre soit courte, qu'elle soit terrible et cruelle ?..

L’ennemi est contenu, - puis se replie. Cette période marque cependant l'arrêt de l'invasion, les Allemands ne peuvent dépasser le col des Journaux ni les lisières environnantes. Dès le 5 septembre, le général Putz ordonne à l'armée des Vosges de ne plus céder de terrain, ses ordres ont pu être exécutés. Grâce à l'énergie de nos défenseurs, le centre du canton devait rester inviolé. Dans la nuit du 5 au 6 Septembre, une vigoureuse offensive de nos troupes nous rend la crête de Mandray et le 7 nous tenons les cols de Mandray et des Journaux. Le petit village du Chipal devait paver cher ce recul de l'ennemi. Avec une férocité inique, toutes les maisons sont incendiées, à part la Chapelle et quelques rares immeubles. Dès le 6 Septembre, la 41e Division rétablit la situation. Les canons sont amenés en grande hâte, on commence à voir les pièces d'artillerie lourde, un ballon sphérique installé entre la gare de Vanémont et fouille les hauteurs frontières ; par contre les « saucisses allemandes » scrutent aussi nos lignes. L'ennemi qui, quelques jours avant, menaçait nos communications avec le Bonhomme voit les siennes menacées vers Saint-Dié. Mais les combats ont été violents dans les forêts de Mandray, de Saulcy et de la Croix-aux-Mines. Nos pertes sont douloureuses, celles des Allemands sont plus fortes encore que les nôtres. Les cimetières sont nombreux dans la région, les tombes isolées se répandent à profusion dans les moindres replis de terrain. Les forêts sont fauchées, les arbres gisent à terre, coupés, hachés, comme de simples épis de blé. Des hectares entiers sont ravagés, parsemés de cadavres, couverts d'éclats d'obus, de projectiles, d'armes brisées, d'effets abandonnés qui soulignent l'âpreté de la lutte. Le 7 Septembre, le 14e Corps progresse légèrement Nous maintenons nos positions au nord du Col du Bonhomme vers le Rossberg. Des indices certains montrent que l'ennemi s'affaiblit sous nos attaques répétées, bien qu'il se renforce sans cesse par l'arrivée de troupes fraîches. Il semble abandonner la lutte dans nos montagnes où il laisse des monceaux de cadavres. Le 8 Septembre, le général Dubail prescrit la reprise de l'offensive et de ce fait nous supportons au Rossberg un bombardement d'une violence inouïe. Pour se rendre compte de ce marmitage intense, le Général Bataille parcourt son secteur et se place derrière la ferme-auberge du Col du Bonhomme. Un obus renverse la muraille derrière laquelle il s'abrite, les éclats le tuent avec plusieurs officiers de sa suite. Ses soldats lui élèvent une pierre tombale taillée dans l'ancien ne borne-frontière. Nous y lisons cette inscription : Général BATAILLE Capitaine VALENTIN Capitaine COUILLEAU Lieutenant ALLOIX Lieutenant ROY Lieutenant GONTHIER Lieutenant SIMON 1914-1915 Malgré la ruée allemande, nous conservons le massif du Bonhomme et nous obtenons les mêmes résultats au col de la Schlucht. Du 6 au 12 Septembre, le Groupe du Bonhomme subit un bombardement intense et continu. Le 11 Septembre, la 41e Division atteint Fouchifol et pousse des reconnaissances de cavalerie jusqu'aux lisières de Ban-de-Laveline. Le lendemain elle attaque . À celle date, l'offensive allemande est brisée sur la Meurthe et sur la Mortagne, puis la victoire de la Marne oblige l'ennemi à retirer les troupes qu'il a lancées dans la région de Saint-Dié. Elles refluent vers les cols de Saâles et de Sainte-Marie, sans avoir pu atteindre leurs objectifs, après deux semaines de violents combats. Les Allemands n'avaient pu forcer la charnière du Bonhomme, ni descendre à Plainfaing, à Fraize et à Anould. Ils avaient été retenus aux cols des Journaux et de Mandray. Plus au Nord, ils avaient légèrement dépassé Saint-Léonard, vers Sarupt, mais la vallée du Taintroué leur avait été néfaste, puisqu'ils n'avaient même pu atteindre le village de Taintrux centre. L'élan irrésistible de l'armée des Vosges avait donc préparé et permis la victoire de la Marne. Si nos troupes n'avaient pu contenir l'ennemi dans les montagnes, il serait parvenu à encercler nos armées du Nord entre Épinal et Toul et la défaite était inévitable.

Par son ardeur au feu, l'armée des Vosges avait sauvé la France. Malheureusement, nous manquons de réserves et de munitions d'artillerie ; nos troupes ne peuvent s'accrocher d'assez près aux fuyards allemands. Nous perdons quelque peu leur contact, aussi les hordes germaniques ne se sentant pas poursuivies avec plus d'énergie s'arrêtent sur les cols et même reviennent sur leurs pas, notamment dans la région Nord et Est de Saint-Dié. Nous leur laissons le temps de se retrancher, et à peu de chose près nous les retrouvons à l'armistice où ils s'arrêtent en 1914. Dans notre région, nous avons cependant quelque peu progressé. Nous tenons solidement le terrain du Lac Blanc à Ban-de-Laveline, Wisembach, le Chêna, le Bois de la Garde et le sud de . III. Localités envahies en 1914

WISEMBACH

Wisembach, coquet village situé au pied du col de Ste-Marie, au confluent du Ruisseau blanc et du ru de la Cude, a particulièrement souffert pendant tontes les hostilités. Il est occupé dès que les ennemis débouchent du Col de Ste-Marie, jusqu'à la victoire de la Marne. Les Allemands se retirent aux lisières Est du village et y demeurent jusqu'à l'armistice. Les ruines s'élèvent partout, bon nombre de maisons sont incendiées ; celles qui restent debout ne sont guère solides : aucun immeuble n'a été épargné. L'église a été incendiée dès le début de l'occupation ainsi que l'usine. Le cimetière à été bouleversé à bien des endroits, l'école et le presbytère ressemblent à des écumoires. Le desservant de la paroisse et l'instituteur ont été emmenés en captivité pendant de longs mois. Des civils innocents, des vieillards ont été fusillés sans motifs, d'autres personnes ont été tuées ou blessées pendant les bombardements. Le village a dû être évacué, il restait à peine une poignée de civils, des âmes courageuses el bien trempées. Les obus seuls ne sont pas à craindre, mais la mitrailleuse et le fusil fauchent impitoyablement les malheureux qui traversent les rues. Les tranchées et les boyaux passent dans les habitations. Tantôt on va de la cave d'une maison au grenier de l'immeuble voisin, et cela sur une assez grande longueur. C’est un des villages les plus meurtris de la région. Toutes les fermes avoisinantes ont été anéanties. GEMAINGOUTTE

Le petit village de Gemaingoutte a été occupé pendant 18 jours, il a eu pendant toute la guerre les honneurs du bombardement. Le plus important quartier a été détruit le 15 août 1915 par des obus incendiaires il n'en reste que des ruines. La mairie et l'école ont reçu plusieurs marmites ; un civil a été fusillé sans motif. et COINCHES

Ces deux villages mit eu la même odyssée que les autres, ils n'ont pas été épargnés et les mêmes faits se reproduisent partout. L'occupation a été pénible. On peut mentionner dans chacun le pillage, le crime, l'incendie : ces trois mots en résument l'histoire. BAN-de-LAVELINE

Le magnifique bourg n'a pas été épargné plus que les localités voisines. Il a connu l'invasion et souffert des bombardements qui ont suivi le retrait de l’ennemi. Pendant toutes les hostilités il a été tenu dans la ligne de feu. Quand nos canons tiraient sur des trains arrivant en gare de Sainte-Marie. Ban-de- Laveline subissait des représailles et recevait des rafales d'obus. L'église a été blessée par plusieurs projectiles, l'école en a également reçu, des immeubles ont été incendiés pendant que la bataille faisait rage ; le tissage n'a pu fonctionner. Des otages ont été saisis. Au moment où l'ennemi battait en retraite, une personne honorable de la commune était gardée à vue dans une grange par quelques soldats allemands. Les obus pleuvaient dru dans tous les coins, quelques uns n'éclataient pas. Tout à coup, un projectile français tombe non loin du groupe sans que la détonation se produise. « Mauvais Français, mauvaise poudre, » dit un des gardiens en s'adressant à son prisonnier. À peine a-t-il prononcé ces paroles qu'un second projectile arrive près de la grange en éclatant avec violence. Les personnages sont couverts de débris, de pierre, de mortier, environnés de flammes et de fumée. Tous sont projetés à terre par la force de l'explosion ! Au bout de quelques secondes le captif se relève indemne et à sa grande stupéfaction, il voit tous ses gardiens tués par notre projectile. C'est la liberté pour le pauvre détenu qui s'enfuit vivement, tout ému de cette scène ! .... Les sections de Ban-de-Laveline ont partagé les mêmes souffrances que le bourg, Honville, Quebrux, Lanterupt ont été ypérités à maintes reprises. Un cultivateur de Honville a été horriblement brûlé on ramassant un éclat d'obus à gaz tiré depuis plusieurs jours. La CROIX-aux-MINES

Les premiers éléments bavarois y arrivent le 25 août. On s'est battu pendant une vingtaine de jours sur tout le territoire de la commune, depuis le Pré de Raves, le Rossberg, les journaux, jusqu'aux chaufours à Moyen-Grain et dans la vallée du Chipal dont les maisons ont presque toutes été détruites. L'usine a été touchée sérieusement à plusieurs reprises, elle n'a pu fonctionner pendant toutes les hostilités. Le village subit le contre coup de la bataille de Mandray. Les bombardements y sont terribles et font une dizaine de victimes. Le petit hameau du Chipal, si gracieusement assis au fond du vallon de la Morte a été anéanti ; en tout il y a eu 45 maisons brûlées. La chapelle échappe à la proie des flammes. Le Maire de la commune, M. Clevenot a été arrêté sans motif. Par deux fois il a failli être fusillé. Par un raffinement de cruauté, les allemands le conduisent sur le lieu de l'exécution : la première fois devant la mairie, la seconde fois derrière l'église. Finalement il est emmené avec d'autres habitants de la commune dans un local de la filature, où on les laisse pendant plusieurs jours, presque sans nourriture. Les hommes du Chipal sont internés à l'église de Ban-de-Laveline ; la fuite des Allemands leur rend la liberté. La population doit être sur le qui-vive jusqu'à l'armistice, car les bombardements sont à craindre chaque jour. MANDRAY - SAULCY-sur-MEURTHE

(Voir précédemment, au chapitre de la bataille) ENTRE-deux-EAUX

Le 3o Août, une partie de la commune est incendiée par les allemands : ils achèvent à la main l'œuvre des obus. Le village se trouve dans une cuvette au milieu de la zone des combats qui se livrent à Mandray, Saint-Léonard, Saulcy et Coinches. Dès le 26 août le village se trouve en plein dans la bataille. Trois civils sont fusillés et les maisons pillées entièrement. Le Maire de la commune, un vieillard, est emmené en otage. Au moment d'être passé par les armes, ce n'est que par miracle qu'il peut éviter le poteau. Il est interné en Alsace jusqu'en 1916 et meurt à son retour, par suite des émotions et des souffrances qu'il vient de supporter. SAINT-LÉONARD

Saint-Léonard est placé pendant deux semaines dans le secteur des combats de Mandray et de Saulcy. Les allemands l'occupent dès le 25 août et y incendient 22 maisons. L'église a particulièrement souffert, sans être anéantie elle est profondément touchée ; les ruines des maisons voisines s'accumulent à ses pieds. Une importante scierie est détruite. Après le départ de l'ennemi les bombardements de St.-Léonard continuent. L'objectif visé est la gare : il faut à tout prix arrêter les trains et démolir la voie ferrée si utile an transport des troupes et du matériel dans les directions d'Épinal, de St-Dié et de Fraize. Le génie militaire français songe à faire sauter les tunnels de Vanémont. 9 fourneaux de mines sont préparés et chargés de cheddite pour retarder l'avance ennemie. Il n'y a plus qu'à faire jaillir l'étincelle. D'heure en heure on attend l'ordre de destruction. La victoire de la Marne nous évite cette opération qui aurait eu par la suite de si ruineuses conséquences. Un camp d'aviation placé entre Saint-Léonard et Anould en 1915 est fréquemment bombardé. Les deux localités voisines sont souvent atteintes par les coups maladroits de l’ennemi. Les hangars trop exposés aux obus sont transportés dans la prairie entre Vanémont et Corcieux. Les VILLAGES de la vallée de la FAVE

Les villages de la vallée de la Faxe ont été plus malheureux encore. Ce n'est pas pendant 15 jours qu'ils ont subi les souffrances de l'invasion, mais durant toutes les hostilités ; ils ne nous ont été rendus qu'à l’armistice. est un morceau de ruines. 47 maisons sur 55 sont détruites. Neuvillers ne vaut guère mieux ; la plupart des immeubles ont été incendiés lors de l'attaque américaine en 1918 ; le village est cependant resté Français après l'occupation de 1914. Provenchères a enduré toutes les souffrances pendant 4 ans, ainsi que les communes avoisinantes. Il faut entendre les récits de nos malheureux frères libérés ! Des volumes entiers ne suffiraient pas pour narrer leurs misères ! Mourant presque de faim, soumis aux plus durs travaux, aux corvées les plus pénibles sous le feu de notre artillerie, ils ont tout supporté fièrement. Ils n'ont pour ainsi dire pas de nouvelles de leurs fils qui combattent pour nons, ils sont séparés de leurs familles, et l'ennemi pille, incendie, fusille sous leurs yeux, au mépris des lois les plus élémentaires de l'humanité. Quelque temps avant l'armistice, ils sont emmenés de longs mois en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Suisse, dans des convois infects sans vivres, sans argent. Combien d'entre eux, des vieillards, des malades, des enfants, ont trouvé une mort douloureuse dans les longs voyages au pays étranger ! La plus légère peccadille attire de sévères punitions ! C'est avec un délire indescriptible que les rares habitants restés au pays accueillent nos premiers soldats libérateurs. Mais aujourd'hui les ruines s'effacent peu à peu les villages pansent leurs plaies, la vie commence à renaître là où la mort était en permanence. SAINT-DIE et TAINTRUX

Dès le 25 Août Saint-Dié, cette laborieuse cité lorraine, subit un bombardement terrible. Les troupes françaises battent en retraite dans les environs, les combats de Saulcy et de Mandray ne nous sont pas favorables. Les Allemands hésitent à entrer dans la ville, ils envoient des parlementaires et avec les plus grandes précautions pénètrent par plusieurs issues. Ils se font précéder de civils, plusieurs sont fusillés et pris entre deux feux. Ils ont choisi des boucliers vivants pour se protéger contre les balles françaises. Un paisible citoyen est grièvement blessé à la cuisse par un coup de feu qui part des lignes françaises. Il échappe à la mort grâce à deux pièces de cinq francs en argent qui se trouvent dans sa poche et qui amortissent le coup. Elles sont tordues par la violence du choc, mais sauvent la vie à leur propriétaire. Le célèbre Lieutenant Eberlein se distingue par ses cruautés. Il fait asseoir des vieillards sur des chaises à l'entrée de la rue d'Alsace, et derrière ce rempart ses soldats tirent à l'aise sur nos Alpins. Les incendies éclatent, la bataille est acharnée dans les faubourgs, les Chasseurs défendent chèrement la cité, les cadavres s'entassent dans les rues, dans les buanderies. Finalement, la ville est envahie, l'auto du général von Knœrtzer stoppe devant la mairie, des proclamations allemandes sont affichées : Saint-Dié doit verser une contribution de guerre de 39.000 frs. Une profonde terreur envahit la cité : les habitants évitent le moindre contact avec l'ennemi et restent terrés dans les maisons. Les Allemands cherchent à se créer une issue vers la rue de la Bolle pour s'assurer l'accès de la route de Taintrux. Dans les quartiers d'Hellieule et de là Bolle, quelques Alpins résistent encore et font le coup de feu contre les premières patrouilles qui s'avancent. Des Bavarois tombent ; pour se venger, les barbares incendient les 29 et 3o août plus de 40 maisons, des ateliers, des usines, des chantiers dans la rue des Cités el à l'extrémité des rues d'Hellieule et de la Bolle. C'est un immense brasier, la ville se couvre d'un épais nuage de fumée et de feu. Le travail de plusieurs générations laborieuses est détruit en quelques heures, mais si le moral est momentanément abattu par tant de crimes, on garde du moins l'espoir que des jours meilleurs reviendront. La bataille continue dans les quartiers des TIGES et du CARDINAL pour la possession delà trouée de la BOLLE et de TAINTRUX. De nouveaux incendies s'allument, il y a d'autres victimes innocentes, des civils et des militaires. Le garde-barrière du passage à niveau des TIGES est lié sur une chaise dans sa maison, puis les Bavarois y mettent le feu. Ils ne parlent plus de faire des prisonniers ; tous les Français qui tombent entre leurs mains, hommes valides ou blessés sont impitoyablement fusillés. D'énormes tranchées sont ouvertes, on y entasse pêle-mêle les cadavres. Malgré tout l'héroïsme de nos défenseurs, le passage de TAINTRUX est cependant forcé. Les détachements ennemis s'y engagent, pénètrent dans la BOLLE, incendient toujours, accumulent les ruines. Ils vont plus loin jusqu'à ROUGIVILLE et aux abords de TAINTRUX, où ils brûlent au total 70 maisons. D'âpres et durs combats se livrent dans cette étroite vallée autrefois si riante et si active ; les cadavres continuent à s'amonceler, les tombes isolées et les cimetières collectifs s'égrènent le long de la route, dans les champs, à l'orée des bois, dans les hautes forêts. Celui qui a pu visiter le champ de bataille au lendemain de la tuerie en a rapporté des émotions ineffaçables. Des cadavres allemands traînaient encore sous les ponts, dans les fossés, plusieurs semaines après la retraite. Mais la vallée de TAINTRUX est néfaste aux ennemis qui ne peuvent déboucher comme ils l'espéraient sur le Haut de VANÉMONT pour gagner les collines de BRUYÈRES et la trouée de CHARMES. Ils doivent reculer en laissant bon nombre des leurs dans les Combes et dans les prairies, ils ont battu en retraite en maudissant ce coin de terre si néfaste, surnommé si justement le « TROU de la MORT ». Il faut songer également à évacuer SAINT-DIÉ, le départ a lieu pendant la nuit du 10 au 11 Septembre. Les Bavarois quittent la ville dans le plus grand silence allumant un dernier mais violent incendie, rue de la BOLLE, tels des brigands qui n'ont pu consommer entièrement leur crime. Voleurs, assassins, incendiaires, les allemands ont passé à SAINT-DIÉ ! Notre chef-lieu d'arrondissement a donc payé un gros tribut à la guerre : un violent bombardement précédant l'occupation, 16 jours de lourde oppression, un régime de terreur, des pillages répétés, des incendies, des assassinats. Puis après la fuite précipitée des Bavarois, la bataille continuelle dans les environs, et jusqu'en 1917 des marmitages quasi continuels par le canon et les visites de taubes qui sèment la mort. « Quel spectacle ! Ce coin de France si florissant et si prospère était jonché de décombres, comme si un ouragan de fer, de feu et de plomb se fût abattu sur ce pays de tranquille industrie et d'honnête labeur. Usines éventrées par l'explosion des obus ; logis rustiques subitement effondrés sous le choc des bombes ; demeures bourgeoises, naguère avenantes et cossues, maintenant déchiquetées, pantelantes, criblées de mitraille, navrantes à regarder, avec leurs toitures défoncées, leurs vitres émiettées, leurs persiennes décrochées qui pendent.... Il faut cependant noter ces tristes tableaux, en fixer l'horreur dans notre mémoire, afin de juger, connue il convient et selon les règles éternelles de la conscience humaine, les auteurs responsables de tous ces crimes dont les nations civilisées doivent connaître les effroyables effets ». Gaston Deschamps. Par ses souffrances, Saint-Dié a bien mérité la Croix de Guerre que le gouvernement de la République vient de lui décerner : la ville peut fièrement la faire figurer dans ses armes. L’ALSACE - En face de La Haute-Meurthe.

Les bourgs Alsaciens qui nous font face de l'autre côté de la chaîne ont subi pendant la guerre un long el douloureux martyr. Les Alsaciens sont suspects aux Allemands : En outre, ils sont pris sans cesse sous le feu puissant de notre artillerie qui démolit et incendie les villages et les fermes où le Boche se tapit. Les malheureuses populations attendent la délivrance avec une impatience fébrile. La faim et la mort les guette sans répit. Aux souffrances physiques s'ajoutent les tortures morales. Les tribunaux allemands sont inexorables : de nombreuses condamnations, des exécutions rapides viennent punir la moindre incartade, le plus petit mouvement d'impatience, le plus faible cri d'espoir. Les Alsaciens sont privés des objets de première nécessité, les rations qu'on leur distribue sont insuffisantes. Il faut payer à prix d'or un petit morceau de chocolat, de savon, une mauvaise paire de chaussures, un léger vêtement : il faut tout subir sans se plaindre. Mais bien avant l'armistice le fléchissement de l'ennemi est visibe, les Alsaciens remarquent que l'édifice allemand est prêt à s'écrouler, que la lourde machine de guerre, si puissante au début fléchit et s'effrite. L'espoir renaît dans les cœurs et à l'armistice qui marque la faillite, l'écrasement complet du Teuton, nous sommes accueillis avec délire et nos premiers soldats sont portés en triomphe. Quelques localités méritent une description sommaire. SAINTE-MARIE-AUX-MINES

La riche cité industrielle de Sainte-Marie a été bien abîmée, surtout le quartier de la gare. La ville était toute désignée pour servir de représailles dans les bombardements de Saint-Dié. Dès que les artilleurs ennemis s'avisaient d'arroser notre chef-lieu d'arrondissement nos pièces ne manquaient pas d'envoyer sur Sainte-Marie une quantité au moins égale de projectiles : souvent même nous répondions avec usure. Les mêmes faits se reproduisaient à Eschery et à Sainte-Croix-aux-Mines. Le BONHOMME

Un village particulièrement atteint, c'est le Bonhomme, si plaisant au milieu de son cadre de montagnes élevées. Les dégâts dans celle région font un triste pendant avec ceux de Wisembach. Quel spectacle navrant pour ceux qui ont pu visiter ce village à l'armistice ! Bien avant de pénétrer dans l'agglomération, on voit que des combats terribles ont dû s'y livrer. Des magnifiques fermes alsaciennes qui s'élevaient sur les moindres coteaux en 1914, il ne reste que des murs calcinés ; si nous entrons au village, nous n'y voyons également que des ruines. La plupart des maisons ont été incendiées par les bombardements, les autres portent des plaies béantes, des trous affreux, les toits sont descendus dans les caves. L’usine a été touchée à bien des reprises, elle ne pourra être utilisée avant longtemps. L'ennemi avait fait de ce coquet village une forteresse de premier ordre, les organisations du Grand Calvaire étaient solidement bétonnées au milieu des roches. Chaque maison était préparée pour la défense, de sorte qu'il a fallu « taper dur dans le tas ». Les tranchées parcouraient la rue le long de la Hintergasse, de la Béchine, il a fallu tout détruire pour déloger l'ennemi. L'église n'est plus qu'une fine dentelle : la nef, le clocher, la tour ont reçu des obus, le presbytère est anéanti. Un bâtiment scolaire abritant la mairie a été incendié, les autres bâtisses du groupe scolaire sont fortement endommagées. Notre artillerie, qui dominait le village a fait une jolie besogne ! ORBEY

Orbey, un gros bourg de plus de 5.000 habitants a subi le même martyr que le Bonhomme. Des maisons ont été incendiées au centre, mais parmi les quartiers qui ont particulièrement été atteints nous citons Pairis, Behtlehem, le Faing. D’importantes usines ont reçu des dégâts mortels. Aujourd'hui les machines se taisent, les cheminées ne fument plus, les métiers sont brisés, tordus, leurs délicats organes sont pulvérisés par le fer et le plomb. Comme dans bien d'autres villages, on compte d'innocentes victimes : des campagnards paisibles oui été tués dans leurs champs, au milieu de leurs prairies ; des passants ont été atteints dans les rues par les balles des fusils et des mitrailleuses, par les shrapnells homicides. D'antres personnes, terrées dans les caves pendant les bombardements ont trouvé la mort sons des monceaux de pierre. Le petit village des Basses-Huttes a vu les mêmes scènes de désolation. Son église est aux trois-quarts détruite, son clocher n'existe plus et les immeubles environnants n'ont pu résistera l'incendie. La POUTROYE

La Poutroye, joli chef-lieu de canton, puissamment abrité par les montagnes qui l'enserrent a reçu moins de blessures. Quelques maisons seulement portent l'empreinte des bombardements, l'usine a eu quelques projectiles. La station a été quelques fois marmitée, ainsi que celle de Hachimette, mais c'est sans comparaison avec les autres localités. La BAROCHE

La Baroche, important village situé sur un plateau, a été témoin de nos premières luttes en Alsace et de ce fait il a payé un large tribut à la guerre, surtout du côté de la Chapelle et sur la Place. Des fermes prospères, des riches marcairies sont complètement rasées. Le nombre des petites croix de bois, l'importance des cimetières montre l'âpreté des combats dans cette région. SULTZEREN STOSSWIHR MUNSTER

Sultzeren et Stoswihr, ces riches cités industrielles ont été plus martyrisées encore. Ces bourgades sont presque anéanties, il ne reste qu'une infinie partie. À certains endroits, ce qui existe ne peut même plus s'appeler des ruines, ce sont des tas de moellons informes et sans nom. Apparemment Munster n'a peut être pas autant souffert, mais ses blessures sont profondes et cachées. Ces petites villes ont chèrement payé leur proximité du Wettstein, du Linge, du Schratzmannele, du Barrenkopf, du Sattel, du Reichackerkopf qui ont eu si souvent les honneurs des communiqués. Les Stations de Tourisme

Les magnifiques hôtels de tourisme construits au Hohneck, à la Schlucht, à l'Altenberg, au Lac Blanc, au col de Sainte-Marie n'ont pas été respectés par la guerre. Ces constructions grandioses disparaissent dès les premiers engagements. Partout le toit et les combles voisinent avec la cave et les sous-sols. La grande station climatique des Trois-Épis a assisté à des engagements sérieux, à des scènes sanglantes de la grande épopée, mais ses hôtels luxueux ne portent pas autant que les autres l'empreinte des grandes luttes. Les fermes auberges, plus modestes, qui offraient de si bons abris et réservaient un accueil si cordial aux touristes n'existent pour ainsi dire plus. En attendant qu'on les relève, on a installé des cantines un peu partout, dans le voisinage des sites agrestes. IV. La Guerre (Suite)

Période du 11 Septembre 1914 au 27 Juillet 1915

Prise du Violu, de la Tête de Faux et du Linge À partir du 11 septembre 1914, notre progression sera lente et méthodique. La plus légère avance fera l'objet d'une préparation méticuleuse, il faudra la payer au prix des plus lourds sacrifices. Au 1er Octobre 1914 notre ligne passe à Wisembach, Quebrux, Lauterupt, les Gelles, le Pré de Raves, les Bagenelles, le Col du Bonhomme, le Lac Blanc, le Lac Noir, le Wettstein et Sultzeren. Parmi les bailleurs occupées par l'ennemi, il en est trois surtout qui nous gênent considérablement et du sommet desquelles il bombarde nos premières lignes et nos positions de l'arrière. A tout prix il faut les lui reprendre et lui supprimer ces observatoires naturels et gênants sur notre front, c'est la Tête du Violu, la Tête de Faux et le sommet du Linge. Ce sera notre objectif du 11 septembre 1914 au 27 juillet 1915. a) LE VIOLU

De la Tête du Violu, (alt. 995 m.) située à 3 km au sud du Col de Sainte-Marie, se détachent trois chaînons, l'un qui se dirige an Nord, vers le Col de Sainte-Marie en passant par le Collet de la Cude, le second à l'Est qui va vers Sainte-Marie et le troisième à l'Ouest qui s'étale au pied do Wisembach, de Gemaingoutte et de Ban-de-Laveline. L'artillerie ennemie, bien dissimulée sur les pentes Est de cette crête, bombarde journellement les vallées du Blanc et de la Morte, même le Pré de Raves et les Bagenelles. L'artillerie lourde, installée au Sud de Sainte-Marie, vers St Philippe, lance ses obus sur La Croix-aux-Mines, la crête des Journaux, Mandray et même sur Saint-Dié ; c'est du Violu que l'ennemi règle son tir. Ordre est donné le 30 septembre de prendre le sommet et les crêtes avoisinantes sur le versant français. Une minutieuse préparation qui dure un mois précède l'offensive. Par des attaques partielles et des coups de mains hardis, tentés au mois d'octobre, nos troupes s'emparent des hauteurs proches du Violu. L'ennemi se retranche solidement sur les pentes Ouest, établit un réseau de défenses de plus de 100 m. de profondeur. Ce sont ces organisations formidables qu'il faudra enlever de vive force ! . . . Pour tromper l'ennemi, des tirs d'artillerie battent tout le front environnant, du Col de Sainte-Marie au Luschbach. Le 31 octobre, l'attaque se déclenche, terrible et meurtrière, elle débute par une préparation d artillerie efficace. Malgré une vive résistance ennemie, nos troupes s'emparent de la maison du Bois, de la Tête du Violu et du Collet de la Cude. Le 1er novembre, nous progressons au Nord, vers le Col de Sainte-Marie. En même temps que la conquête, commence l'organisation. L'ennemi tente des assauts formidables et des contre-attaques furieuses qui lui valent des pertes énormes. Il engage ses unités sans compter, c'est une débauche inouïe de projectiles. L'ennemi est arrêté, mais il se rend compte de l'importance du terrain qu'il vient de céder. Les attaques des 5 et 6 novembre sont particulièrement terribles. On a la certitude que l'ordre allemand est formel : « coûte que coûte, il faut reprendre le secteur perdu ». 6 Bataillons ennemis essaient, mais en vain de nous arracher le sol, ils essuient de lourdes pertes, (800 tués 1600 blessés) sans obtenir aucun résultat. Nos pertes quoique lourdes sont de moindre importance. Jusqu'à la fin des hostilités l'ennemi ne renonce pas à l'idée de réoccuper ce secteur ; il renouvelle les assauts les attaques, les coups de main violents, les combats y ont été très durs et meurtriers ; l'état actuel des lieux nous le crie hautement. « À travers la fumée et les flammes, des sapins entiers, des blocs de granit sont projetés pêle-mêle avec des corps humains et retombent lourdement. La montagne tremble. L'ouragan d'artillerie est à son paroxysme. Les tranchées sont bouleversées, l'ennemi les écrase à coups de grosses torpilles, qui projettent en percutant sur le roc, des milliers d'éclats de pierre, plus dangereux encore que les éclats de fonte. Les nuits se passent à travailler, à guetter aux créneaux, à roder en patrouille entre les lignes. Du matin au soir, Français et Allemands s'épient, se fusillent, engagent de petits postes à petits postes des combats à la grenade. Et pendant ce temps le terrible hiver des Vosges sévit également sur les deux adversaires. La neige comble les tranchées, puis le dégel survient et change les hommes en bloc de boue. » Telle est l'existence de nos défenseurs du Violu. Plus au sud, les 3 et 4 novembre, l'ennemi attaque notre front Sultzeren Wettstein, nous le repoussons brillamment, nous prenons ensuite l'offensive et nos troupes s'établissent sur la ligne de Hohrothberg Wettstein. b) La TÊTE de FAUX

Après la prise du Violu, il fallait songer à conquérir la Tête de Faux qui constitue également pour l'ennemi une position de première importance. C'est une crête élevée qui se détache en éperon de la chaîne principale et qui est formée de trois sommets : Immerlinskopf (alt. 1215 m.) la petite Tète de Faux, (Felseneck alt. 1173 m.) et la grande Tête de Faux, (Buchenkopf, alt. 1219 m.). C'est tout le massif qui sépare la vallée de la Béchine de celle du Blancrupt. Il se trouve prolongé à l'Est par la Côte de Grimaude et au Sud par le Surcenord. Le sommet de la Tête de Faux, constitué de blocs granitiques, domine tout le pays environnant, aussi bien du côté lorrain que du côté alsacien. C'est donc un objectif très utile pour celui qui le possède dans ses lignes. C'est de cet observatoire que l'ennemi dirige sur nos troupes placées entre le Lac Blanc et le Pré de Raves, le feu de ses pièces installées au Rein de l'Autel et au Chamont. Notre État-major décide de s'emparer de cette position. Mais les Allemands y ont accumulé un système défensif considérable : il faut donc que, dans l'attaque, rien ne soit laissé au hasard. Une préparation minutieuse est commencée, la pénétration va être lente et méthodique. Au 10 novembre, nos lignes passent au Col du Bonhomme, (qui servira de charnière jusqu'à l'armistice), elles s'infléchissent vers le Sud-Est par Grande-Ferme, Petite-Ferme, et l'Immerlins. Une nouvelle avance les porte vers la Basse-Marse, la Violette, le Chaume Thiriet et le Sud de la Petite Tête de Faux. Dans une attaque suivante, nous occupons l'Immerlins. L'attaque du sommet est fixée au 2 décembre ; des détachements des 28e et 30e chasseurs, du 215e d'Infie y prennent part. On avance sur tous les points, malgré l'opiniâtreté des engagements. Les pertes sont élevées des deux côtés, surtout à l'attaque de la côte de Grimaude. Le 3 décembre, les combats se renouvellent, plus furieux et plus acharnés, mais le sommet de Tête de Faux est à nous ! Nos chasseurs ont enlevé la crête en deux heures, en éprouvant des pertes assez sensibles. Leur entrain est magnifique ! Les clairons sonnent la charge, les « Diables noirs » chantent la Marseillaise. L'un d'eux avait emporté un drapeau de la mairie de Plainfaing, il est aussitôt arboré au sommet de la crête. Aussitôt prise, aussitôt fortifiée. Grâce à des efforts inouïs, l'organisation de ce piton, qui semblait impossible, devient une réalité. A moins de 10 m. de l'ennemi, on peut construire des abris blindés et chauffés, derrière des réseaux barbelés. L'ennemi tente vainement de nous reprendre notre conquête : bombardements intenses, contre-attaques, mines, torpilles, rien ne peut nous déloger. L'attaque allemande la plus sérieuse est celle de la nuit du 24 au 25 décembre 1914. L'ennemi croit nous surprendre au milieu du réveillon, il amène de gros renforts. De notre côté nous alertons toutes nos unités jusqu'à Plainfaing et le corps à corps s'engage, terrible dans la nuit éclairée seulement par la lueur des projectiles, des grenades et des torpilles. La lutte est à son paroxysme, la vague allemande déferle des tranchées, des cadavres jonchent le sol, les combattants s'embarrassent dans les fils barbelés, hurlent leur rage et leur douleur. Toute la montagne crépite, de larges plaques de sang maculent la blancheur de la neige. La baïonnette entre dans la danse. Le Chasseur Maillier au premier rang a la cuisse brisée, il est couché dans les réseaux, pris entre 2 feux. Néanmoins il exhorte ses amis d'avancer, et voyant arriver une nouvelle vague d'assaut, il crie à ses camarades : « Les voilà tirez, tirez !... » Les chasseurs hésitent, craignant de le toucher, il continue ses appels : « Tirez, tirez donc, N. de D.., ils sont là !...» Et le brave Maillier ne cesse d'encourager les soldats de son escouade. Ses derniers appels sont encore des ordres de tirer. Il meurt, tué à la fois par les balles françaises et les balles allemandes !... Cet acte de sublime héroïsme n'est-il pas digne de celui du Chevalier d'Assas ? Nous pourrions en citer d'autres, la liste en est longue. Le corps de chaque poilu cache l'âme d'un héros. Le combat dure toujours, l'ennemi doit coûte que coûte reprendre la Tête de Faux. « Plus on en tue, dit un chasseur, plus il en revient ! ». C'est vrai. De nouvelles troupes — des chasseurs de la garde, des pionniers, de la landwehr — sont jetées dans la fournaise, mais nos renforts arrivent également et l'attaque est brisée grâce à l'héroïsme de nos chasseurs. A l'aube, de nouvelles contre-attaques se reproduisent. Vaines tentatives, l'ennemi a complètement échoué, laissant sur le terrain 500 hommes hors de combat. Nous perdons 5o chasseurs et comptons une centaine de blessés. De cette époque à l'armistice, les bombardements, les coups de main, la fusillade, les jets de liquide enflammés, de gaz toxiques et lacrymogènes, les torpilles, les grenades, la mitraille font toujours rage dans le secteur, mais l'ennemi ne parvient pas à nous en déloger, la Tête de Faux doit nous rester jusqu'au 11 Novembre 1918 comme une sentinelle avancée sur les organisations allemandes en Alsace. c) LE LINGE

Le Linge, (a1t. 983 m.) est le centre d'un imposant massif de montagnes boisées situées entre la Weiss et la Fecht. Ce massif est légèrement séparé de la chaîne par la dépression du Wettstein et du Combe. Le groupe de sommets qui avoisinent le Linge sont : Le Rain des Chênes (ait. 900 m.) au Nord, le Schratzmannele (alt. 976 m.) et le Barrenkopf au Sud ; à l'Est le Kuh- Berg et à l'Ouest le Grand Hornleskopf (alt. 1003 m.) séparé du Linge par le Combe. Cette position a une grande importance stratégique. De là on peut surveiller tous les environs, on domine les routes avoisinantes, c'est ce qui explique que ce coin de montagnes est convoité par les deux armées rivales, aussi notre haut commandement juge opportun de s'en emparer. Mais la chose n'est pas facile, il faudra démolir les travaux en ciment armé qui sont accumulés dans la région. Il faudra une préparation plus longue et plus méticuleuse encore qu'au Violu et à la Tête de Faux. Notre Etat-major prévoit des difficultés. Le sol est raviné, par place il est couvert de rochers, à d'autres endroits ce sont des carrières, des éboulis de rochers qui rendent les attaques pénibles. Les communications avec l'arrière sont difficiles, il n'existe aucun village pour abriter les troupes, pas de routes abordables, mais seulement des sentiers muletiers très rapides. Les terrains du Combe sont faigneux, découverts et à la vue de l'ennemi. Les bois très épais empêchent de juger le résultat des tirs d'artillerie. On trace de longues routes en montagne, on creuse des tranchées, on perce des boyaux, on accumule les munitions, on élève des baraquements et des abris qui nécessitent de durs travaux sous le marmitage ennemi. La 1re attaque se déclenche le 20 Juillet 1915, après une longue préparation d'artillerie. Ce sont des assauts furieux, les canons de tous calibres inondent la forêt de projectiles, puis les vagues d'assaut entrent sous bois. Les troupes parviennent au sommet du Linge et du Barrenkopf, mais ne peuvent déloger l'ennemi du Schratzmannele. Il faut reculer, abandonner les sommets et s'accrocher aux pentes. Le 22 juillet, nous faisons de nouveaux progrès, le 27 nous abordons pour la seconde fois la crête et le Collet du Linge. La lutte est sans répit, plus âpre encore qu'au Violu et qu'à la Tête de Faux ; nos pertes sont plus sévères, enfin après bien des assauts successifs les Allemands sont délogés du Schratzmannele. Les ennemis contre-attaquent furieusement, ils engagent les effectifs de 7 brigades, font une débauche d'obus et de torpilles, mais au bout d'un mois d'efforts surhumains, l'objectif convoité est atteint. Nous nous y organisons solidement et nous conservons la position jusqu'à l'armistice. Le secteur est toujours tourmenté, nos soldats vivent dans un cercle de feu, de sang, d'angoisses. Les attaques y sont fréquentes et les pertes de part et d'autre sont souvent élevées pour s'assurer la garde du terrain conquis ou pour le reprendre à l'adversaire. « Qu'y a-t-il de plus sombre que nos cœurs, ô Français, tandis que nous nous arrêtons au col du Wettstein et que nous entrevoyons à travers les squelettes des arbres les tombes de nos soldats martyrs, de nos soldats foudroyés dans une sinistre hécatombe aux soirs d'août 1915. Ces bois ont entendu les cris douloureux de notre fière jeunesse, holocauste pour le salut de la France ; ils ont vu des souffrances sans nombre, des membres broyés, brisés, des corps sanglants. Là, tous ces beaux jeunes gens sont morts loin des leurs : sous le bruit des canons on les a glissés de leur lits d'agonie à cette dernière couche où ils ont enfin trouvé le grand repos. Que de mères désespérées, de veuves en longs voiles de deuil sont venues chercher ces tombes, retrouver un nom chéri ; ont sangloté, ont prié, ont parlé à ceux qui sont partis ; ont jeté un appel déchirant a la chair de leur chair qui ne répondra plus. Les tombes sont muettes et toutes les douleurs s'y engloutissent. La forêt comme les tombes, est muette à présent, les grands arbres ont été tués comme les soldats de France. Quelques-uns restent debout, tendent vers le ciel des bras éplorés, protégeant encore les petites croix blanches. Et la flore de la montagne a surgi des décombres et répand ses parfums ; le chèvrefeuille enlace de ses guirlandes les ruines des deux ambulances incendiées ; des touffes d'épilobiums aux grappes rouges croissent dans les pierres croulantes. Dernier hommage de la nature toujours jeune, toujours renaissante pleine d'espoir el d'amour. Les femmes en deuil, les femmes en pleurs cueillent des gerbes fleuries et les déposent avec leurs larmes et leurs baisers sur la terre gonflée par les corps des soldats français... Puis elles gagnent la côte sainte, le calvaire suivi par les combattants : elles cherchent la trace de leurs pas durant la lutte effrayante dans les trous d'obus, les rochers éventrés, les tranchées sanglantes. Ah ! Il faut gravir a genoux ce Golgotha qui s'appelle le Linge, il faut baiser chacune de ces pierres broyées, chaque motte de ce sol bouleversé, car sanglants, ceux que nous aimions ont lutté jusqu'à la mort, sont tombés en face de l'Alsace qu'ils rachetaient . . . pour la France. » (Gazette Vosgienne.) V. La Guerre (fin).

DE 1915 à 1918.

La Vie sous les Obus.

a) La Guerre de Tranchées La prise du Linge marque notre dernière conquête dans le secteur qui nous occupe. Les armées se cristallisent, s'enfoncent sous terre, mais s'observent attentivement. Le pays se prête mal à une guerre offensive, il est creusé, vallonné, boisé ; les combes, les ravins, les torrents dont il est sillonné ne permettent pas les grands déploiements de troupes ni les grandes offensives. Les petits coups de main sont seuls permis avec les attaques purement locales. Les organisations sont tellement fortes des deux côtés que la marche en avant devient impossible. Les tranchées et les boyaux sont facilement dissimulés sons les hautes futaies, dans les taillis épais. Des blochaus formidables, des abris dans les roches, sous les roches se cachent aisément à l'abri des grands arbres. D'épais réseaux de fils de fer barbelés s'enroulent et se croisent autour des plus gros sapins. Le secteur sera sans cesse alerté, l'artillerie de tous calibres tonnera continuellement, habilement camouflée ; la mitrailleuse et la fusillade se feront entendre de jour et de nuit mais sans résultats appréciables de part et d'autre. On se contente de veiller jalousement sur les positions conquises, de peur que l'adversaire vienne les reprendre. Les sommets ont des yeux multiples et invisibles, les montagnes recèlent des observatoires (qui paralysent les mouvements réciproques. Au sommet des hauts sapins on a établi des postes d'observation accessibles par des échelles étroites ; ces postes fouillent sans cesse le pays environnant et dirige le tir des batteries souterraines. Dès qu'un convoi est signalé sur une route, qu'un mouvement de troupe est aperçu, le secteur s'agite et l'artillerie entre en action. Un duel s'engage, et pendant de longues heures, des nuits entières, la voix du canon se fait entendre. Les lignes vont donc rester à peu près stables, à part quelques mètres de tranchées qu'on se dispute de temps à autre. Après l'attaque du Linge, la ligne de bataille est ainsi jalonnée du Nord au Sud : Lisière Est du village de Wisembach, Aubrigoutte, la Côte de Ste-Marie, la Grande Cude, la Tête du Violu, la Maison du Bois ou Collet 907, ancienne frontière jusqu'au sud des Bagenelles. A partir de ce point nos tranchées descendent sur les pentes alsaciennes, à la Chapelle du Bonhomme, aux lisières Ouest du village du Bonhomme, la Verse, Bois Brûlé, Tête de Faux, Surcenord, Creux d'Argent, Sud-Ouest d'Orbey, Est du Noirmont, les Basses Huttes, le Linge, le Schratzmannele, le Barrenkopf. Est de Sultzeren et Ampfersbach. Nous sommes encore sur les mêmes positions à l'armistice. A bien des endroits les lignes ennemies se touchent à moins de 10 m., on entend les conversations d'un camp à l'autre, on se joue des niches, on pose des écriteaux injurieux, on s'envoie des journaux et parfois on se.... cambronne à gorge déployée. Certains lieux de patrouille sont communs : les Français y vont le malin, les Allemands s'y rendent le soir. Parfois même on lutte de politesse. Nos Territoriaux du 43 e ne s'avisent-ils pas un jour de placer des croûtes de pain bien en vue dans une ferme abandonnée du Col des Bagenelles pour montrer aux Allemands qu'ils meurent de faim. Le lendemain, ceux-ci apportent au même endroit un bon morceau de pain, du saucisson et des cigares avec ces simples mots écrits en excellent français : « Nous ne mangeons pas notre pain sec » !... Les Territoriaux et même les réserves territoriales ont fait le coup de feu pendant de longs mois dans notre secteur. Le 43e Territorial d'Infie, composé en majeure partie de Vosgiens, s'est distingué dans bien des attaques. Souvent même nos « Pépères » ont organisé le terrain, construit des abris, fortifié les réseaux que certaines troupes plus jeunes avaient quelque peu négligés. L'arrière a sans cesse subi des bombardements parfois intenses et des visites continuelles de taubes. a été marmité a maintes reprises, ainsi que le RUDLIN. On se demande comment les obus peuvent arriver dans ces gorges étroites, si bien abritées par des montagnes abruptes. b) PLAINFAING. Plainfaing a pour limites immédiates à l'Est trois communes alsaciennes qui sont comprises dans la ligne de feu : Le Bonhomme, Orbey et Sultzeren : c'est dire que la vaste agglomération n'a été épargnée ni par les canons ni par les taubes. En 1914 les patrouilleurs Allemands ont visité les lisières du village : le Beurleux, la Pâle, les Auvernelles. Ils ont tué le 7 août un caporal du 158e à Barançon et un autre aux Minés, le même jour. Outre les bombardements de 1914 sur le centre, (environ 4oo obus), le marmitage a continué pendant l'hiver 1914-15. Les avions ont lancé une douzaine de bombes en 1914. En Septembre 1915, le bombardement a repris de jour et de nuit à intervalles irréguliers puis en Novembre et en Décembre 1915. Le 26 Novembre un obus éclate à 10 m. de la cour de l'école, pendant la récréation du matin : une fillette est légèrement touchée par des éclats, l'église a été atteinte, des tombes abîmées. Le 6 Décembre 1915, 38 obus : l'un d'eux éclate sur le trottoir de l'école, réduisant en miettes 96 vitres du bâtiment scolaire. En tout : 200 obus en 1915. En 1916, les avions lancent plus de 20 bombes et les canons envoient 12 obus. En 1017 el 1918, nouveaux bombardements à espaces irréguliers. Le dernier « arrosage » du centre date du 7 Octobre 1917, quelques jours avant l'armistice, 8 obus atteignent l'Est du village. Les sections de Plainfaing n'ont pas été épargnées : La Mongade, le Forêt, Barançon, Vieille-Charrière, la Hardalle, le Rudlin ont reçu de nombreux projectiles. Le 7 Septembre 1918 l'ennemi envoie des obus à gaz sur la Hardalle. Un enfant qui gardait les bestiaux quelques jours après, est brûlé aux genoux. Presque journellement, les culots d'obus, même des projectiles entiers, tirés par nos batteries de défense contre avions perforent les immeubles, tombent dans les rues et causent un danger permanent. Il est impossible de faire la statistique des obus tirés dans les forêts de Plainfaing, dans les cantonnements du Rain des Genêts, du Col du Bonhomme, de Reichsberg, les marmitages y étaient journaliers et continuels. Si les projectiles n'ont pas causé des dégâts plus considérables, c'est parce que les maisons ne sont pas partout agglomérées, et qu'entre elles il existe des jardins, des vergers ou des prairies. Rappel Historique. — Le Col du Bonhomme a été fortifié à plusieurs reprises. En 1777, René d'Anjou, duc de Lorraine, y passe en revenant de Strasbourg, avant de battre Charles le Téméraire sous les murs de Nancy. Le duc Antoine utilisa le même passage pour rentrer en Lorraine après sa brillante victoire sur les Rustauds en 1525. Une redoute dénommée « fort Galas » y fut établie par Charles IV en 1633 pour défendre le pays contre les Suédois en 1635. Ceux-ci franchirent le col, occupèrent St- Dié et se firent battre entre Fraize et Plainfaing par les gens du pays. En 1636, les troupes du Cardinal de La Vallette franchirent le Col pour se rendre à Kaysersberg. Pendant trois jours, l'armée de 1814 y défila et construisit une redoute. En 1828, Charles X traversa le col pour revenir de Strasbourg. En 1870, ce passage fut aussi fortifié. Jusqu'en 1914 on pouvait encore reconnaître tous les vestiges de ces travaux militaires, mais les tranchées el les blockhaus construits pendant la dernière guerre ont bouleversé complètement le sol, il ne faut plus essayer d'y retrouver la trace des luttes précédentes. c) Fraize

Fraize a eu ses heures particulièrement douloureuses en Septembre 1914 lors des combats du Col des Journaux et du Col de Mandray : des patrouilles ennemies sont descendues jusqu'aux Aulnes. Sans l'héroïque résistance de nos troupes, Fraize était à la veille de l'invasion. En 1915-1916-1917, les taubes font de fréquentes incursions sur le bourg, y déversent des bombes qui tuent des civils, des militaires, des chevaux. Une maison de la Costelle est incendiée lors d'une de ces visites. Fraize n'a pas été bombardée par canons de 1914 à 1917. Une légende, accréditée par cette longue accalmie et parfaitement expliquée par des « stratégistes en chambre », voire même par des officiers d'artillerie, affirmait que le chef-lieu de canton ne pouvait être bombardé des positions ennemies. Quelques « bons bourgeois » donnent la chose comme impossible, expliquent les angles de tir, les trajectoires, l'altitude des montagnes avoisinantes, dessinent des schémas sur les tables des cafés, entre deux apéritifs, mais.... la réalité vient détruire les meilleures raisons. En 1918, l'ennemi prouve le contraire par des... arguments « frappants ». Pendant les mois d'avril et mai une centaine d'obus arrive sur Fraize, sans faire trop de dégâts, sur la ville, les casernes, à la Costelle, à la gare, près de l'église, même devant la mairie. La légende de Fraize inviolable par le canon venait donc de s'anéantir !... Le 6 Juin 1918, vers 8 heures du matin un important dépôl de Cheddite, situé derrière la gare prend feu on ne sait trop comment, Une catastrophe semble imminente, c'est un sauf qui peut et une panique indescriptibles dans tout le quartier. Les habitants fuient, une détonation éclate, le dépôt saute, une immense gerbe de flammes et de fumée s'élève dans le ciel, les arbres environnants sont roussis, mais l'explosion ne cause pas d'autres dégâts, ne fait pas de victimes, c'est un vrai miracle ! En 1917 et en 1918, le génie militaire fait construire à grands frais un épi de tir qui va de la gare aux Faux une ligne ferrée à voie normale pour amener des pièces de gros calibre. Les avions allemands surveillent de près les travaux. Dans la nuit du 25 au 26 avril 1918, un taube survole la nouvelle ligne, lance des fusées éclairantes, et aussitôt le bombardement commence, furieux et précipité. En deux heures, l'artillerie ennemie lance 280 obus sur les Faux, entre Fraize et Plainfaing. Résultats : nombreux trous d'obus dans la prairie, le canal en bois de l'usine est percé, un rail coupé et quelques immeubles « amochés ». Les grosses pièces d'artillerie n'ont jamais été amenées, l'armistice est venu et l'épi de tir demeure inutile. d) Incendie de 2 ballons captifs. Un ballon captif, genre « saucisse » a été installé pendant de longues semaines dans la forêt de Mandray, au pied de la Behouille. Dans l'espace de 15 jours, les avions allemands l'ont incendié deux fois. Les observateurs ont pu descendre sans accident, à l'aide de leurs parachutes. Le second incendie a été très émouvant. Le dimanche 27 Janvier 1918 vers 16 heures, le captif était en observation. Tout à coup un taube surgit de la région du Rossberg et se dirige vers l'appareil. Immédiatement nos pièces de défense contre avions se mettent à tirer, de nombreux flocons blancs tachent le ciel, encadrent le taube. L'aéro ennemi semble abandonner sa proie, il fait des virages savants, feint de s'éloigner et de regagner ses lignes. Mais brusquement il fait volte-face, et avec une vitesse vertigineuse il pique droit sur le mastodonte, s'abaisse à une faible hauteur, lâche une bombe et s'enfuit plus vite encore dans les nuages. Au même moment une flamme s'élève à l'une des extrémités du captif, elle grandit démesurément en un clin d'œil : en quelques secondes l'énorme masse est anéantie. Bien des personnes, ont pu assister à celle scène qui a répandu l'étonnement et la consternation dans le pays. e) Incendie d'un avion français. Mort tragique de l'aviateur. Le 9 Juin 1918, les habitants de Plainfaing ont été très péniblement impressionnés par un combat d'avions juste au-dessus du bourg. Un aéro de reconnaissance de l'escadrille de Corcieux avait quitté le camp d'aviation vers 8 heures et se dirigeait sur les lignes ennemies lorsqu'un taube l'aperçoit et vient à sa rencontre. Notre défense contre avions ne tire pas, craignant d'atteindre notre biplan. Les deux ennemis sont aux prises dans les airs. Pendant quelques secondes on entend le tac-tac des mitrailleuses qui se répondent. Le taube s'enfuit précipitamment vers les lignes et notre avion prend la direction opposée en exécutant une descente en vrille. On a l'intuition qu'il vient d'être touché et qu'il cherche-un terrain convenable pour atterrir sans danger. L'aviateur a sans doute jeté les veux sur la prairie de la Croix- des-Zelles. Il se rapproche toujours du sol en tournant, on se presse pour lui porter secours, mais tout à coup la descente se précipite et le malheureux aviateur et son appareil viennent s'écraser dans des fourrières, près de Noirgoutte. Un cri d'épouvanté et d'angoisse s'élève parmi les spectateurs ! Une haute colonne de flamme se développe, une fumée intense lui succède et les premiers arrivants ne voient que débris informes, fers tordus, bois brisés, enchevêtrés. Une odeur de chairs grillées, de roussi, d'essence, se dégage des décombres. Sous cet amas sinistre et informe, on relève le corps de l'aviateur, affreusement carbonisé. Les assistants se découvrent, les cœurs sont étreints, les larmes coulent devant cet épouvantable malheur. Le pays a beaucoup souffert pendant les furieuses attaques contre Verdun, à partir du 21 février 1916. Malgré la distance qui nous sépare de la cité meusienne, le grondement sourd de la canonnade s'entend jusque dans les moindres vallées. Jour et nuit, c'est un roulement perpétuel. Dans le but de retenir nos troupes dans chaque secteur et d'empêcher les renforts sur Verdun, l'ennemi bombarde furieusement toute la ligne, même l'arrière : St-Léonard, Saulcy, St-Dié, St-Michel, Raon, subissent des marmitages sévères. En dehors du bombardement de 1914, la ville de St-Dié, de 1915 à 1918 a été arrosée de plus de 1000 obus et de plus de 120 bombes d'avions. Le canon fait de nombreuses victimes parmi les civils. Chaque bourgade compte des morts et des blessés. Pour préserver les habitants contre les gaz l'autorité militaire distribue des masques à tout le monde, il faut les porter aussi bien que les soldats : une vague de gaz est toujours à craindre. La liste des personnes tuées serait longue à établir pour toute la région, nous avons payé cher notre proximité de la ligne de feu. Ce triste privilège nous cause même de nombreux deuils après l'armistice. Les engins dangereux laissés un peu partout ont blessé et tué bon nombre d'imprudents. Les dépôts de munitions, de projectiles abondent, les cantonnements sont remplis de fusées, de détonateurs, de cartouches, de grenades, de poudre, d'obus. Malheur aux mains inexpérimentées qui y touchent ! La chronique locale enregistre bien des blessures, bien des décès. Parfois un malheureux bûcheron touche du pied une grenade amorcée, ailleurs la faux heurte un de ces engins meurtriers. Une détonation se produit, on voit passer une civière recouverte d'un drap. C'est une victime de plus à pleurer ! f) Les Routes La guerre dans nos montagnes, avons-nous dit, est parfois difficile. Les communications entre les premières lignes et l'arrière ne sont pas toujours commodes. En 1914, le pays était pourvu d'un bon réseau routier, suffisant pour le trafic local. Mais les longs convois militaires qui se croisent à l'allée et au retour demandent des chemins plus nombreux et plus larges. Il faut créer de nouvelles voies d'accès pour atteindre les sommets, les sentiers sont élargis, les chemins forestiers transformés par les soins du génie en routes larges, facilement utilisables, même par les autos et les gros camions. Aujourd'hui, les crêtes sont reliées entre elles et aux vallées par des voies bien empierrées Dans les endroits où ces chemins passent sous la vue de l'ennemi on a établi des camouflages à l'aide de fascines et de branchages. Aux abords des lignes, les sentiers abrités sont fréquents. g) Le Tacot ! Pour transporter plus facilement et plus rapidement les troupes, les pièces d'artillerie, le ravitaillement, les munitions et le lourd matériel on établit à grands frais un chemin de fer, à voie étroite, qui part de la gare de Fraize, passe à Plainfaing, suit la vallée de Habeaurupt jusqu'au Rudlin et au Valtin. Un embranchement se détache à Plainfaing, suit tous les lacets de la route du Bonhomme, jusqu'au col se continue vers le Luschbach, de là au Calvaire du Lac Blanc, passe le long des Hautes-Chaumes par la Reichsberg, le Gazon du Faing, le Gazon-Martin, le Tanet et a son point terminus à la Schlucht et au Hohneck. Un autre embranchement de ce petit Decauville part également du Fer à cheval et se termine aux Roussels (la Séboue), en passant par les Ponsez. Dans les endroits par trop exposés à la vue de l'ennemi, les pionniers de la voie de 0 m. 60 ont construit des tunnels soigneusement couverts. Du Rudlin au Gazon du Faing, un funiculaire remonte en droite ligne, à travers la forêt, les pentes à pic de la montagne, avec une différence d'altitude de 5oo mètres pour 2 km environ. C'est dire que la pente est très forte. Du Gazon du Faing, un câble aérien, (la Ficelle ! ) porte vivres et munitions jusqu'au Lentzwasen, en Alsace, par une descente aussi rapide. Un autre va jusqu'au Lac de Daren ; enfin un dernier part du Tanet et se rend non loin de Sultzeren. Tous ces petits trains remplacent avantageusement les chevaux. Les mulets, les chiens de l'Alaska et les traîneaux. Rien de plus original que de voir passer le petit Tacot avec ses charges hétéroclites ! Derrière sa minuscule locomotive suivent quelques wagons où s'entassent des caisses de vivres, de cartouches, de grenades, des torpilles, de lourds obus, des tôles ondulées, des poutres, des planches, des balles de foin. Souvent, au-dessus d'un échafaudage savamment édifié, entre des caisses et des ballots, on aperçoit des groupes de permissionnaires munis du bidon et des musettes gonflées. D'autres fois le petit train transporte en hâte des poilus. Ils vont à l'attaque, ils partent en renfort. « Pauvres hommes, dit-on en les voyant passer, ils vont à la boucherie !... » Et le Tacot file, file toujours en déroulant le long des routes, ses épaisses volutes de fumée blanche !... h) Les Voyages. Pendant presque toutes les hostilités, les trains dans la région sont arrêtés, ou du moins ils ne marchent que la nuit, tous feux éteints et pour le service de l'armée seulement. Ces arrivées et ces départs de trains de nuit ont un air lugubre, effrayant. Pas une lumière pas un coup de sifflet, aucun bruit. On charge, on décharge les troupes et les marchandises sans prononcer une parole. Par suite de l'arrêt des trains, les voyages deviennent rares, on ne sort que pour des motifs sérieux. Il faut être muni d'un laissez-passer en règle. Les gendarmes sont inflexibles à ce sujet. Les trains civils ne dépassent plus Corcieux-Vanémont. De cette gare à Saint-Dié et à Raon-l'Etape, on ne prend plus les voyageurs. Des voitures publiques partent de Saint- Dié, de St-Léonard, de Fraize ou de Plainfaing et transportent les voyageurs à Corcieux. On croit se retrouver au temps des diligences. Au surplus, il ne fait pas bon circuler le long des routes. Il faut suivre ou croiser des convois militaires interminables, des files d'autos, de camions, de fourragères qui encombrent les chemins sur de très grands parcours. i) Le travail, l'agriculture, les forêts. L'industrie, le commerce, les mœurs. Le travail se ralentit forcément. L'activité et la production en souffrent. L'agriculture périclite faute de bras. Les femmes ne peuvent remplacer complètement les hommes mobilisés, il ne reste que des vieillards ou des jeunes gens. Dans bien des cas les militaires en cantonnement apportent une aide efficace. Mais bon nombre de prés n'ont pu être fauchés, surtout s'ils sont placés dans la zone de feu. De profonds réseaux barbelés traversent les campagnes : les tranchées, les boyaux sillonnent le pays, dans les vallées comme sur les sommets, de sorte que certaines prairies n'ont pas vu la faux pendant cinq longues années. Il en est de même pour les champs, des hectares entiers n'ont pu être labourés et semés. Nos forêts, si agrestes, si majestueuses, d'une si belle venue sont mortes avec la guerre. Les sapins géants des hautes futaies, comme les petits arbustes des taillis ont été fauchés par la mitraille, le fer et le plomb. D'énormes quantités d'arbres ont été abattus pour construire les blockhaus, étayer les tranchées, chauffer les abris. Rien n'a épargné nos forêts séculaires qui étalent maintenant leurs larges plaies. Elles ont été exposées depuis le début aux coups meurtriers de la lourde artillerie, à la cheddite, à la mitraille, aux torpilles, aux schrapnells des obus, aux balles, aux coups de hache des sapeurs du génie. Parfois aussi nos jeunes pépinières ont été dévastées. Bien des poilus ont confectionné des cannes. Certains permissionnaires ont emporté des paquets volumineux de replants dans le but de les repiquer dans les contrées méridionales.... Souvent, ces jeunes pousses devenues encombrantes, à coté des musettes légendaires venaient se flétrir sous le hall de la première station. Pauvres petits arbustes ! Est-ce que le sapin des Vosges peut s'acclimater dans le Midi !... De même qu'on ne restaure pas les cathédrales on ne refera pas les arbres géants de nos forêts séculaires ! L'industrie, si active sur les rives de la Hante-Meurthe et dans les vallées alsaciennes a vu de sombres journées. De nombreuses usines ont été détruites par les obus ou par l'incendie. D'autres ont arrêté leurs feux parce qu'elles étaient trop près de l'ennemi. Dès que leurs cheminées fumaient, le marmitage commençait. Il semble que l'activité des ruches ouvrières excite la rage de l'Allemand et l'idée de destruction hante sans cesse son esprit. Les roues des scieries cessent de tourner, les moulins se taisent, les ateliers ferment leurs volets. Certain- commerçants bien placés ont vu leur chiffre d'affaires grossir parfois un peu vite, mais la rareté des marchandises, la difficulté des moyens de transport amènent des entraves au trafic. D'autres commerçants mobilisés ont perdu le fruit de leur travail d'avant guerre, il faut se remettre énergiquement à l'œuvre pour se refaire une situation. Si la guerre a déchaîné de grandes souffrances dans notre pays, si elle y a accumulé la mort et la ruine, elle a parfois créé d'autres maux. Dans certains endroits on a un peu oublié que l'ennemi est à nos portes et que toute la France est en deuil. Ce sont des misères inhérentes à la guerre. j) L'École sous les obus La population scolaire est vivement atteinte par la guerre. Dans plusieurs communes les classes sont totalement interrompues, à d'autres endroits elles sont intermittentes, s'ouvrent ou se ferment suivant la fréquence des bombardements. Partout les locaux scolaires sont occupés par l'armée, le matériel est souvent éparpillé, rendu inutilisable. Les livres disparaissent, les armoires scolaires sont vidées. Bien des maîtres sont mobilisés, leur nombre est réduit. Parfois aussi, il faut faire classe sous les obus, descendre dans les caves lors de la visite des taubes, entendre les marmites siffler non loin de l'école. Et puis comment faire des progrès quand on sent les soldats dans la rue, qu'il y a de la poudre en l'air et que les attractions du dehors sont plus intéressantes que le b-a-ba ! Par contre les enfants rendent de grands services au pays dans la production agricole, la récolte de l'or. Ils ont souscrit aux emprunts. Ne pouvant donner leur vie pour la France, ils lui donnent leurs économies. Ils envoient des colis aux prisonniers, adoptent des filleuls, entretiennent les tombes, hélas ! Si communes dans la région. La vie à proximité du front est donc bien mouvementée. On finit cependant par s'habituer au bruit du canon, aux longues nuits passées dans les « caves de bombardements ». Mais les longues années de souffrance réussissent à énerver les âmes les mieux trempées. On trouve le temps long, les bonnes nouvelles se font trop rares. A quand la fin ! Dit-on de toutes parts. On s'arrache les journaux, on veut y trouver l’annonce des grands événements précurseurs de la victoire. On lit les communiqués, on les copie, ils font l'objet de nombreux commentaires et selon qu'ils sont bons ou mauvais, on espère ou on désespère. L'arrivée des troupes américaines dans le secteur, vers le milieu du mois de Juin 1918 remplit le cœur de joie. Les troupes deviennent plus denses, les noirs viennent aussi, les jaunes font leur apparition. On sent que la protection est efficace. Les nouvelles du printemps 1918 remplissent les yeux de larmes, mais dès le 15 Juillet nos armées prennent victorieusement l'offensive, les événements se précipitent. On ressent une joie intense en apprenant le recul de l’ennemis. Fin septembre, nos victoires laissent supposer la débâcle prochaine de l'armée allemande. En effet, à partir de cette époque, nous n'enregistrons que de brillants succès. Les puissances alliées de l'Allemagne demandent la paix, on sent que la fin du cauchemar est proche et que Guillaume II ne tardera pas à demander grâce. La délivrance est proche ! VI. L'Armistice

(11 Novembre 1918)

L’entrée en Alsace

Le 11 Novembre 1918, au matin, des dépêches affichées partout annoncent que le grand jour est arrivé et que les hostilités doivent prendre fin à 11 heures. Quelle joie, quel délire ! A l'heure dite, les cloches de la victoire font vibrer l'air de leur chant de triomphe. Elles nous apportent les lauriers de nos sublimes armées, le succès complet de nos diplomates. « Sonnez, les cloches de la Paix ; Sonnez, les cloches de la Gloire ; Ouvre tes ailes, ô Victoire ; Le Laurier surgit des cyprès. Sonnez à l'infini des temps, Cloches d'amour, cloches de joie ; Que la voix de nos morts s'éploie Parmi nos hymnes éclatants ! Pour le Droit ! Pour la Liberté, Sonnez, cloches de la Justice : Voici l'aube réparatrice Montant du sol ensanglanté ! Paix sur la terre, Et silence à jamais, ô cloches de la Guerre ! » A. FONTAINE. Le drapeau tricolore flotte fièrement sur tout le pays, les cœurs vibrent des mêmes espérances, dans un sublime élan de patriotisme et de légitime orgueil. Des aéroplanes circulent dans les airs avec d'immenses oriflammes tricolores, ils semblent porter la Victoire dans leurs ailes. La joie que tous les Français ressentent à cette heure est doublement belle pour nous, habitants des rives de la Haute-Meurthe qui vivions si près de l'ennemi. Finis les bombardements meurtriers et les raids d'avions qui terrorisaient le pays. Plus jamais nous n'entendrons ces cris terribles : On bombarde ! Un taube ! Il lance des bombes ! Nous n'entendrons plus le sifflement des obus, le clairon ni le tocsin, nous pourrons enfin respirer à l'aise et nous livrer à nos paisibles travaux. Notre joie cependant n'est pas sans mélange. Involontairement notre pensée se porte vers ceux que la mort a frappés et qui n'ont pu voir l'aube de ce jour radieux. Combien, parmi ceux qui sont partis si courageusement le 1er Août 1914, dorment leur dernier sommeil dans les plaines à jamais célèbres de la Flandre, de l'Artois ou de la Champagne, sur les coteaux riants de la Lorraine ou les crêtes de l’Alsace ! Nous songeons à eux et nous les pleurons, mais nos larmes de pieuse affection sont aussi des larmes de joie, des larmes de bonheur ! Debout les Morts ! Le Rêve passe ! Les usines chôment, les métiers sont arrêtés, mais ce n'est plus par crainte du canon, c'est pour fêter la Victoire ! On illumine, on tire des pétards. La poudre et les fusées sont communes dans le pays, tous les cantonnements en recèlent, on les allume et toute la montagne vosgienne est éclairée de mille feux multicolores. Les troupes françaises s'avancent vers les Cols et vont prendre possession de l'Alsace reconquise. L'Aigle aux couleurs allemandes s'enfuit sur la rive droite du Rhin. Ce sont d'abord les bataillons alpins, les pionniers de la Victoire des Vosges, puis viennent les régiments d'infanterie, les cavaliers, les artilleurs qui passent l'ancienne frontière. Les musiques militaires jouent la Marseillaise et font résonner les vallons de leurs hymnes de triomphe. Mais leur marche est prudente ! On connaît le Boche, on sait qu'il a laissé derrière lui, dans sa fuite précipitée, des mines et des engins à retardement. On les fait sauter et nos troupes entrent victorieuses sur les pentes alsaciennes. Les premiers villages sont encore déserts. Les journaux nous ont raconté tout au long l'accueil enthousiaste des premières populations délivrées. Les bourgs de la Liepvrette, de la Béchine, de la Weiss, de la Fecht se couvrent de drapeaux français et d'arcs de triomphe. Dans une émouvante pensée, les Alsaciens mettent aux fenêtres les portraits des ancêtres, pour que leurs yeux morts soient témoins de ces grands événements. Nos populations de la Haute-Meurthe suivent l'armée, bon nombre de familles ont des parents en Alsace. On veut visiter les champs de bataille, on veut les voir le plus tôt possible pour en rapporter des souvenirs vivaces. On veut surprendre le mystère des tranchées, des blockhaus, voir les canons pendant qu'ils sont encore en place, chercher ceux qui nous ont tant fait souffrir pour les faire taire à jamais. Que de difficultés ! Que de précautions il faut prendre pour se frayer un passage à travers les chevaux de frise, les barbelés et les tas de projectiles. On arrive dans les premiers villages alsaciens avec des peines inouïes, après avoir traversé les champs de carnage et de mort. Le pays est encore désert, les habitants ne sont pas revenus. Les plus pressés viennent cependant d'arriver, parcourent les rues comme des âmes en peine, errent à travers les ruines, silencieux, tristes et découragés. Voici leur habitation ! Que de changements ! Quel malheur ! Ils osent à peine en franchir le seuil ouvert. Ils regardent par les fenêtres les maisons vides, les chambres éventrées. Ils se demandent s'ils auront la force et le courage de relever ces monceaux de décombres ! ...... Maintenant que la guerre est finie, le pays se relève. Il panse ses plaies et ses meurtrissures. On se met courageusement à l'œuvre. Les champs, les près et les forêts se débarrassent des réseaux barbelés ; les tranchées se comblent, les blockhaus disparaissent. Les foyers se rallument, les immeubles se redressent, les façades blanchies et les toits d'ardoises remplacent les ruines fumantes. Un pays neuf et nouveau se dresse sur l’ancien. Là où la mort a tant de fois passé, où tout était désolation, la vie renaît, vie nouvelle, plus active et plus féconde...... Le soir, à la veillée, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, jusque dans les moindres chaumines, on parle encore de la guerre. Chacun en garde le souvenir vivace et il restera pour toujours gravé dans les cœurs de ceux qui ont assisté à cette sanglante et triste épopée : Le temps ne pourra y poser sa patine ! Plainfaing, 28 Août 1920. CORDIER. APPENDICE

Une visite à la Tête de Faux

Les touristes qui viennent chaque année vers les rives de la Haute-Meurthe ne manqueront pas de faire l'ascension de la Tête de Faux. C'est un des plus jolis points de vue de la région, aussi complet sur le versant lorrain que sur les pentes alsaciennes. Des combats acharnés, des corps à corps meurtriers, des bombardements intenses et sans cesse répétés viennent de rendre ce coin des Vosges tristement célèbre. Une visite à ce belvédère s'impose donc, non seulement pour admirer la beauté du site, mais surtout pour faire un pieux pèlerinage sur ce champ de bataille où pendant plus de quatre ans la mort a fauché tant de héros. Divers itinéraires conduisent assez facilement au sommet. Le plus court de tous, qui n'est accessible qu'aux piétons, consiste, à franchir le Col du Bonhomme. Suivre la nouvelle route (1 km 200) jusqu'au premier lacet. À cet endroit, prendre à droite le sentier qui descend directement dans la Vallée de la Béchine (durée du trajet : 10 minutes), longer la Grande Ferme, puis atteindre la Petite Ferme (10 minutes) et arriver au Carrefour Marchal (1/4 d'heure). Un écriteau à droite indique : CARREFOUR MARCHAL Sous-lieutenant au 43e R. I. T. Tué à la Tête de Faux le 29 Juillet 1917. De là, se diriger sur la Chaume Thiriet, vaste pâturage couvert en partie de bruyères, au milieu duquel se trouvent les ruines de la métairie incendiée eu 1914 tout au début des hostilités. Le chemin qui traverse la lande de part en part conduit directement au Cimetière du Carrefour Duchesne. On laisse les ruines à droite (1 km environ de traversée). Un second itinéraire, plus long mais moins pénible amène le visiteur à la Chaume Thiriet ; il est même accessible aux autos jusqu'au Carrefour Marchal. Partir du Luschbach, suivre le chemin du Lac Blanc jusqu'à La Maze (1 km). On rentre en forêt. Eviter le premier chemin à gauche, à l'orée du bois, il conduirait à Petite ferme, prendre le second, également à gauche, à 100 m. environ après le premier, il passe par le Camp de Tinfronce et amène directement au Carrefour Marchal, d'où l'on peut gagner la Chaume Thiriet et le Carrefour Duchesne. Un troisième itinéraire, plus long encore, consiste à suivre le chemin du Luschbach au Lac Blanc jusqu'au Calvaire du Lac. Là, prendre à gauche un chemin forestier qui va directement à la Chaume Thiriet. L'important est d'atteindre le Carrefour Duchesne, sorte de première terrasse que l'on trouve avant de gravir le sommet de la Tête de Faux. Un camp très important couvrait une certaine étendue de forêt : aujourd'hui il n'en reste que des vestiges. Le visiteur arrive en face d'une pierre pyramidale de 1 m. 50 de haut portant cette inscription latine : Ecce aptior patet Statis via rupibus, etc An MDCCCCXV. J.C. Puis c’est le cimetière. À l'entrée un monument très sobre, mais combien imposant sur lequel nous lisons d'abord : « À mes frères d'armes, morts pour la Patrie, Le 14e Baton de Chasseurs. — Juin 1915 » puis : « Au Commandant Henri DUCHESNE, Chef de Baton au 215e Mort pour la Patrie le 2 Décembre 1914, à l'assaut de Grimaude ». Derrière ce monument sont abrités les corps des héros glorieusement tombés en défendant ce sol aride. Alignées comme à la parade, toutes les tombes sont soigneusement décorées de mousse, de verdure et de fleurs. Ces croix silencieuses placées devant nous en funèbres rangées semblent se multiplier en une perspective infinie. On ne peut penser, sans une profonde pitié à tant d'existences brutalement fauchées, à tant d'affections déchirées, à tant de souffrances. Dans un coin il y a quelques tombes allemandes. Au fond de la nécropole s'élève la Chapelle Ste Lucie construite en bois rustique : on y disait la messe pendant les hostilités. Le visiteur s'incline respectueusement devant les restes des héros et continue sa course. À gauche, à l'entrée du cimetière, divers écriteaux indiquent la direction à suivre pour aller vers la Tête de Faux, Le chemin est pavé inégalement, pénible sous la chaussure. Impossible de se tromper de roule (1 km environ pour atteindre le sommet). Laisser à gauche la Petite Tête de Faux (1173 m.) Felseneck. La dernière partie du trajet est assez pénible, mais on se hâte pour arriver au point culminant (1219 m.) en passant au milieu d'un terrain bouleversé, déchiqueté, aride, où les tranchées et les boyaux s'entrecroisent. Pendant plus de quatre ans. la bataille a fait rage ; les obus, les torpilles,. les projectiles de tous calibres y ont laissé des traces ineffaçables, des entonnoirs profonds. On croirait volontiers que le rocher qui domine est constitué par les débris d'un immense Colisée, ouvrage d'un peuple roi, ou bien plutôt une forteresse de géants, un rempart cyclopéen. De celle plateforme on découvre l'horizon le plus sévère et le plus grandiose. Rien n'est imposant comme le paysage qui nous environne de tous cotés. Montagnes sur montagnes, abîmes sur abîmes, partout des sommets entrecoupés de riantes vallées sur lesquelles les nuages volent et glissent comme des hirondelles. On plane sur un immense horizon. Ce sont des moissons qui mûrissent, des prairies qui verdoient, des forêts profondes, de jolies chaumières ou de vastes métairies qui se détachent, des habitations qui se groupent en hameaux délicieux, et le tout entrecoupé, arrosé, fertilisé par de nombreux ruisseaux. Tout autour, un cercle de montagnes gigantesques dont les têtes inégales heurtent et découpent les nuages. Nous distinguons très nettement, en partant du Nord et en rayonnant dans le sens des aiguilles d'une montre : Le Grand et le Petit Donon, le Col de Saâles, le Solamont, le Voyemont, le Climont, le Champ du Feu, le Château de Faîte, le Violu, tout dénudé par les projectiles, le Bressoir, le Kalblin, les hauteurs de Kaysersberg ; au loin la plaine d'Alsace ; puis le Limbach, le Gestion, le Cras, le plateau de La Baroche. Les Trois-Épis, la forêt de Turckheim, les Deux Hohnacks, le Rain des Chênes, le Linge, facilement visible par sa nudité, le Noirmont, le Kahlenwasen, le Seekanzel, les hauteurs du Lac Blanc, les Immerlins, la Chaume Thiriet, le Luschbach, Sérichamp, la Schlucht, le Hohneck, les Hautes-Chaumes. Les collines vosgiennes se découpent et s'entrecroisent, on voit l’Avison près de Bruyères, les hauteurs avoisinant Anould, Taintrux, le Rossberg, le Kemberg les roches St-Martin, l'Ormont. A nos pieds, ce sont les hauteurs de la Béchine, le Bonhomme, la Poutroye, les vallées du Blanc-Rupt, du Noir-Rupt, avec Orbey, Pairis, Tannack, les Huttes. Par les temps clairs on a des horizons sur l'Ill, le Rhin, la Forêt-Noire et même les Alpes. Le tout forme un ensemble tellement grandiose qu'on éprouve de la difficulté à s'en arracher. Mais on se trouve aussi au milieu des abris, des cagnas, des fils barbelés, dans un enchevêtrement inextricable, entre les lignes françaises et allemandes qui se trouvaient à quelques mètres de distance. On se demande par quel effort surnaturel des hommes ont pu rester si longtemps au milieu de cette géhenne ! On se rend compte de l'âpreté de la lutte, le cœur est ému et bat fortement. Mais il faut songer au retour qui peut s'effectuer indifféremment en sens inverse par les itinéraires indiqués ci-dessus. Carte Table des Matières I. La Mobilisation ...... 3 II. La Guerre ...... 5 III. Localités envahies en 1914 ...... 12 IV. La Guerre (Suite) ...... 19 V. La Guerre (fin)...... 24 VI. L'Armistice ...... 32 APPENDICE ...... 35 Carte ...... 38