Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards Phases 2 et 3 : Territoires et stratégies

Olivier PASQUET Architecte-géographe Avril 2014

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA -Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 1 2 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Sommaire 2. Stratégies p.35

2.1. Méthodologie p.35

2.2. Rappel des épisodes précédents p.35

2.3. Pour la fin de la routine vers la Révolution viticole p.37 2.3.1. Fleury Lacoste et son «Guide pratique du vigneron» p.38 2.3.2. Fleury Lacoste et Jules Guyot p.39 2.3.3. Le Ban des vendanges p.40 1. Territoires p. 4 2.3.4. Promotion des nouveaux modes de conduite de la vigne p.41 2.3.5. Mise en place des concours de viticulture p.42 1.1. La description du vignoble savoyard en 1807 p. 4 2.3.6. Les démarches scientifiques p.47 2.3.7. L’approche ampélographique p.48 1.2. Superficie : les chiffres p. 5 2.3.8. Lesmarchés et les foires aux vins p.49 2.3.9. Du négoce à la promotion p.52 1.3. Les terroirs viticoles de et de Haute-Savoie décrits par Jules Guyot en 1868 p. 6 2.4. La vraie révolution p.56 1.3.1. La Savoie p. 7 2.4.1. Il est là p.56 1.3.2. La Haute-Savoie p.13 2.4.2. On l’attendait et il était déjà là p.59 2.4.3. La progression de l’invasion p.62 1.4. Cartographie de l’évolution du vignoble savoyard p.21 2.4.4. Les congrès viticoles p.67 1.4.1. Méthodologie p.21 2.4.5. La reconstitution du vignoble 1.4.2. Analyse cartographique p.23 et l’importation des vignes américaines p.68 a. Vignoble de Chautagne p.24 2.4.6. La reconstruction des vignobles p.71 b. Vignoble de Jongieux p.25 2.4.7. Les cours et concours de greffage p.75 c. Vignoble des Abymes p.26 2.4.8. Les concours de viticulture p.46 d. Vignoble de la Combe de Savoie p.27 2.4.9. Les maladies cryptogamiques p.82 e. Vignoble de Frangy p.28 f. Vignoble de Crépy p.28 g. Vignoble de Seyssel p.30 2.5. Les cépages, les vins, les marchés et leurs crises p.84 2.5.1. Les cépages p.84 1.5. Toponymie viticole p.31 2.5.2. Les vins p.88 1.5.1. Commune de Jongieux p.31 2.5.3. Le marché et ses crises p.91 1.5.2. Commune d’Apremont p.32 2.5.4. Les enjeux fonciers p.96 1.5.3. Commune de Lucey p.32 1.5.4. Commune de Douvaine p.33 1.5.5. Commune de Frangy p.34 3. Conclusion p.97

4. Bibliographie p.99

Photographie de couverture (© M.V.V.S.) : Sur le stand des Vins de Savoie au Salon de l’Agriculture, au milieu des années 1950.

Les photos dont le crédit n’est pas mentionné sont des photographies prises par Olivier Pasquet dans les archives de d’agriculture Savoie Mont-Blanc.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 3 passer et le prix devient excessif. On recueille même dans cette dernière La vigne dure longtemps en Savoie ; elle 1. Territoires contrée une très grande quantité de vin, s’y perpétue par le moyen du provignage; La première partie de l’étude s’est atta- mais d’une qualité fort médiocre ; il est M. Costa désireroit cependant qu’elle y chée à analyser la construction du vigno- connu sous le nom de vin des Abimes, fût renouvelée tous les vingt ans. L’usage ble savoyard depuis ses origines jusqu’à du nom des Abimes de Mian, dont nous des échalas, si commun dans le voisinage la fin du 18e siècle. avons déjà parlé. Des défrichements suc- de Genève, n’est observé que pour les vi- Cette seconde phase d’étude montrera, cessifs ont beaucoup agrandi le vignoble gnobles de Chambéry, et dans un petit elle, l’évolution de ce même vignoble à de Mian; ce qui a donné lieu à des récla- nombre d’autres. partir du 19e siècle, notamment pour ce mations de la part des communes limitro- On plante presque toujours la vigne dans qui concerne son emprise (cartographie, phes du département de l’Isère. Il y avoit les terrains en pente, qui ne seroient pas superficie). eu très anciennement, à cette même occa- propres au labourage ; deux façons, quel- (Une troisième et dernière partie s’atta- sion, des querelles graves entre les sujets quefois trois par an, outre les travaux né- chera elle au choix stratégiques opérés du duc de Savoie et ceux du Dauphin-de- cessaires pour planter et provigner, etc., au long du 19e et au début du 20e pour Viennois. entraînent en bas une grande quantité de mieux cerner son évolution qualitative). L’excédent des vins de l’arrondissement terre végétale, indépendamment des ava- de Chambéry passe à Genève, ainsi que langes que les pluies ou fonte des neiges Pour ce qui est de l’évolution quantitative dans les montagnes d’Annecy, du ci-de- causent trop souvent dans les endroits du vignoble, le croisement des documents vant Faucigny et de la Tarentaise ; il sert les plus inclinés. Les vignobles de Saint- cadastraux de plus en plus précis, mis en à l’indemniser de ce qui lui manque en Julien sont particulièrement exposés à cet place sur le territoire des Savoie à partir grains. inconvénient ; ils sont construits en for- des années 1732, permettra de visualiser me de terrasses ; le cultivateur est obligé, notre analyse. Mais les documents d’ar- L’arrondissement d’Annecy récolte du e chaque printemps, d’y remonter dans des chives, à partir du 19 siècle, nous offrent, vin dans plusieurs de ses cantons. Celui hottes les terres éboulées, et de faire de outre des chiffres précis, des descrip- dont on fait le plus de cas est le vin de nouvelles murailles pour les retenir. tions littéraires détaillées du vignoble, qui Desingy, canton de Rumilly. Il y a sur donnent une approche complémentaire les bords du lac d’Annecy, dit M. Costa, Les différentes espèces de plants de vigne au traitement cartographique. quelques vignes très-belles, très producti- dans le département sont très-multipliées. L’arrondissement de Chambéry est, sans ves et bien traitées à la manière de celle de Peu de vignerons prennent soin de les dis- 1.1. La description du vi- contredit, le plus riche en vignes. Il y en a bourgogne. tinguer ou de les séparer ; au contraire, plus ou moins dans tous ses cantons, ex- on les confond assez généralement les uns gnoble savoyard en 1807 La Tarentaise offre aussi des vignobles, cepté les Beauges, les Échelles et . avec les autres et ce mélange désordonné mais en quantité insuffisante pour les be- produit une foule de variétés. Le baron Jean Joseph de Verneilh-Puy- Les vignobles qu’on estime le plus sont, soins de cet arrondissement : aussi tire-t- raseau (1756-1839) fut préfet du dépar- il beaucoup de vins de la vallée de l’Isère, Des plants étrangers de vins célèbres tement du Mont-Blanc, qui regroupait 1°, ceux de Montmélian ; ce qui comprend au dessous de Conflans. Il y a un vignoble réussiroient peut-être dans quelques en- la Savoie et la Haute-Savoie, de 1802 à les territoires d’Arbin, de Saint-Jean-de- fort étendu sur la rive droite de l’Isère en- droits, comme plusieurs expériences sem- 1804. Il fit publier en 1802 ses Statisti-“ la-Porte, et en général ceux de la vallée de tre Moutiers et Bourg-Maurice. blent l’indiquer. Le Vin d’Altesse, par ques du Département du Mont-Blanc”, l’Isère jusque vers Conflans ; exemple, qu’on peut donner pour un vin qui contiennent une intéressante des- 2°, ceux de Saint-Alban, près de Cham- La vigne se cultive avec succès dans plu- étranger lorsqu’il a été attendu, est un cription du vignoble savoyard à cette béry , où sont les coteaux vantés du mont- sieurs parties de Maurienne, favorisées plant de Chypre apporté par un prince de époque. Termino : d’une bonne exposition. Il s’en trouve la maison de Savoie. Ce n’est plus du vin 3°, ceux de la Chautagne et des bords du jusqu’au de Saint-Michel, qui n’est éloi- de Chypre, dit M. Costa, mais c’est un vin “La vigne est très cultivée en Savoie ; pres- Rhône, où l’on trouve les coteaux d’Al- gné du Mony-Cenis que de cinq myria- que tous les coteaux bien exposés sont en fin de beaucoup de qualité, et qui est dis- tesse et de Marétel. mètres environ. tingué des meilleurs vins blancs du pays. vignobles. C’est peut-être, dit M. Costa, Les principaux vignobles de cet arrondis- une des principales causes de la pauvreté On cultive encore la vigne dans la vallée On cite une autre expérience faite par un sement sont ceux d’Ayton, de Saint-Jean, propriétaire du Chablais, qui ayant fait ve- de cette contrée. Quand le vin abonde, de la Rochette, ainsi que dans les commu- de Saint-Julien et surtout de Prinscens et on s’y accoutume, on en boit beaucoup nes qui longent la montagne du Granier, nir des plants de Bourgogne, en a obtenu d’Echaillon ; on prétend que ces deux der- des vins rouges d’une qualité supérieure. ; lorsqu’il manque on ne peut plus s’en entre Chambéry et la rivière d’Isère. niers différent peu du vin de Bourgogne.

4 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Une partie considérable des vins du pays en longues allées, entre lesquelles on sème À partir des années 1728-1732, date son “Histoire de la vigne et du vin en Sa- est transportée, à dos de mulets, à Genève du blé, du maïs, des légumes et autres pro- d’élaboration du cadastre sarde de Sa- voie” : et dans les montagnes des environs. Cette ductions. Dans la commune de la Motte, voie, les premiers chiffres fiables de- - 16 494 ha au total (8 948 ha pour la Sa- voiture est la seule praticable dans des près du Bourget, on en fait d’une espèce vraient être disponibles. Les données voie et 7 546 ha pour la Haute-Savoie), chemins aussi scabreux. particulière, qui offre un spectacle fort cadastrales de cette “mappe sarde” auxquels il convient d’ajouter, selon Pier- agréable ; ce sont des cerisiers ou des éra- sont-elles trop précises ? re Tochon 3 000 ha de treillage en Savoie; Les vignobles sont plus ou moins sujets bles, plantés à la distance d’environ trois Nul ne s’est vraiment lancé dans la ce qui donne un total de 19 494 ha. aux gelées pendant le mois d’avril, suivant mètres les uns des autres. conversion et l’addition des chiffres four- Tochon, à cette occasion, vient démentir leurs expositions. Ce fléau est d’ailleurs A mesure que les branches de la vigne nis commune par commune pour l’en- les chiffres publiés par Jules Guyot (pu- rarement général ; il lui échappe toujours croissent, on a soin de les plier et de les semble de la Savoie et la Haute-Savoie. bliés après les visites du célèbre agro- quelques cantons mieux abrités. On a entrelacer en les dirigeant d’un arbre à En fait ce ne sont pas tant les opérations nome en Savoie) qui indiquait 10 000 ha remarqué que les vignes situées dans le l’autre : de sorte que toute la ligne offre mathématiques qui posent problème que pour la Savoie et 5 000 ha pour la Hau- voisinage des lacs, notamment de celui du une continuité de berceaux ou de voûtes la nature des parcelles de vignes. Com- te-Savoie (en rajoutant “qu’on ne sait pas Bourget, y sont les moins exposés. de verdure, d’où l’on voit pendre dans la ment en effet mélanger les vignes basses d’où il les a sorti !”). Les vins rouges de Montmélian et des en- belle saison de belles grappes de raisin. et les innombrables parcelles de culture virons, ceux du Mont-Termino et de la (céréales, etc.) “hautinées”, c'est-à-dire Il convient pourtant de souligner qu’en Dans les endroits où le bois de chêne ou 1881, quand sont publiées ces statisti- Chautagne, sont très-bons pour le service de châtaignier est commun, l’on étaie les quadrillées de ligne de vignes sur “hau- de . Pour faire ces vins, gros ou tins” (ou “hutins”). ques, résultant des opérations de la ré- vignes hautes en bois secs, tantôt en forme vision cadastrale, celle-ci n’est que très clairets, qu’on appelle fins, l’usage est de de treilles, et tantôt en forme de palissades ne laisser cuver la vendange que pendant François Vermale dans son ouvrage “Les partielle et beaucoup de communes de ; ces dernières surtout garantissent les classes rurales en Savoie au XVIIIe siè- Savoie comme de Haute-Savoie, ne dis- deux ou trois jours au plus, tandis qu’en fonds de terre de la violence des vents. Les d’autres endroits le cuvage dure huit ou cle” ne donne pas de chiffres globaux. posent pas encore de leur nouveau ca- hutins sont généralement très productifs; dastre “français”. dix jours, et quelquefois davantage. On dans son livre “ on peut les appeler la vigne des labou- Jean Nicolas La Savoie Il est intéressant de mentionner les chif- fait de très bons vins blancs dans la com- e ”, non plus mais il en don- reurs. Le vin qu’ils donnent est un peu au XVIII siècle fres de superficie en vigne par arrondis- mune de Saint-Innocent, ainsi que sur les ne un autre : vert, mais très sain, et il désaltère mieux sement : coteaux d’Altesse et de Marétel, rive gau- - 10 109 ha pour le département du Mont- les ouvriers que des vins forts. On ne re- - Arrondissement d’ : 683 ha che du Rhône. Blanc (Savoie et Haute-Savoie) sous le cherche que la quantité dans le choix des (90 ha pour Mercury, 78 ha pour Alber- consulat. Hutins. On cultive dans plusieurs val- plants de ces vignes ; mais quand les espè- tville, 98 ha pour ). lées, surtout dans les environs de Cham- ces ont été choisies, le vin s’améliore. Il y - Arrondissement de Chambéry : 6 320 ha a à Lasseraz, près de Chambéry, quelques Pierre Tochon, dans son livre “Histoire béry, des vignes hautes, connues dans le de l’agriculture en Savoie”, publié en (avec 200 ha pour Aix-les-Bains, 281 ha pays sous le nom de hutins, auxquels on hutins de Malvoisie ; on en fait un vin pour Apremont, 506 ha pour les Marches, blanc fumeux très délicat, et qui mousse 1872, donne lui aussi des chiffres : donne des formes diverses plus ou moins - 18 555 ha de vigne pour le total des 210 ha pour , 300 ha pour Saint- ingénieuses, suivant les localités : ce sont comme le Champagne quand il a été mis Pierre d’Albigny, 350 ha pour Cruet, 241 en bouteilles au mois de mars.” deux départements (11 209 ha en Savoie des ceps à hautes tiges, plantés au pied et 7 346 ha en Haute-Savoie). ha pour Saint-Jean-de-la-Porte, 180 ha de certains arbres, tels que le mûrier, le pour , 217 ha pour Motz). cerisier, l’orme, l’érable, etc. le long des- 1.2. Superficie : les chiffres En fait les données cadastrales sont tou- - Arrondissement de Moutiers : 754 ha quels ils filent. Ici la vigne ne se nourrit Avant d’aborder une approche cartogra- jours au centre de ces estimations. À (92 ha pour Brides-les-Bains, 54 ha pour presque plus aux dépens de la terre ; la partir de 1862, immédiatement après le la Côte-d’Aime. même culture et les mêmes engrais leur phique du vignoble, il convient de s’ar- rêter sur les chiffres à notre disposition rattachement de la Savoie à la France, - Arrondissement de Saint-Jean-de-Mau- profitent à l’un et à l’autre ; quelquefois commencent les opérations de révision rienne : 1 191 ha (88 ha pour Aiton, 60 ha même le champ est protégé par les hutins, concernant la superficie du vignoble sa- voyard autant que sur leur imprécision. du cadastre “sarde”. Cette vérification pour Hermillon, 104 Saint-Michel, 212 ha en ce qu’ils arrêtent et brisent les cour- permet de préciser la superficie viticole pour Saint-Julien). rans d’air nuisibles. La première partie a permis d’évoquer l’importance, au Moyen Âge, du vignoble des Savoie. Un peu plus tard en 1892, soit plus de 14 Le même terrain et les mêmes labeurs don- Les chiffres sont publiés dans le Bullettin années après l’apparition du Phylloxéra nent ainsi deux récoltes ; si l’une manque, savoyard qui devait couvrir une surface à e de la Société Centrale d’Agriculture et en Savoie, le Bulletin de la société Cen- l’autre y supplée. Les hutins sont ordinai- peu près équivalente de celle du 18 siè- cle, sans doute environ 15 000 hectares. corrigés à la lumière de cette source par trale d’Agriculture de la Savoie reprend rement plantés d’une manière régulière, Pierre Tochon, quand il publie en 1887, les chiffres du Bulletin (national) de sta-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 5 tistique et de législation (11 483 ha pour - années 1960-1969 : 3 926 ha Si l’on fait référence aux chiffres de 1980- Le vignoble savoyard perd encore un peu la Savoie et 7 282 ha pour la Haute-Sa- (3 476 + 450) 1987, l’Isère (2 799 ha qui tomberont plus de 1 000 ha entre la période 1970- voie) soient un total de 18 765 ha pour - années 1970-1979 : 3 087 ha ensuite à 330 ha en 2010) et le Puy de 1979 et le dernier recensement agricole les deux départements. (2 703 +384) Dôme (2 285 ha) connaissent un effon- de 2010, qui, de plus, confirme la baisse - années 1980-1987 : 2 635 ha drement très semblable à celui du vigno- de superficie sur la période 2000-2010. Ces chiffres sont à mettre en parallèle (2 278 + 357) ble savoyard. Par contre le vignoble voi- avec ceux réunis par Marcel Lachiver sin qu’on sait “réputé” du département La cartographie de l’évolution du vigno- dans son remarquable livre “ Vins, vignes Aujourd’hui la superficie du vignoble sa- du Rhône (21 210 ha) est resté lui à peu ble, présentée dans les pages suivantes, (source Agreste et vignerons, histoire du vignoble fran- voyard est de 2 060 ha près stable à partir de 1930. permettra d’affiner ces tendances d’évo- ”. 2010) (1840 ha pour la Savoie et 220 ha çais lution pour chacun des terroirs viticoles a croisé les données pour la Haute-Savoie). - La comparaison des chiffres de 1880 à Marcel Lachiver de Savoie et de Haute-Savoie et d’en des différentes administrations (enquê- Depuis le recensement de l’année 2 000 1909 montre que la superficie du vigno- montrer les disparités. tes agricoles, services fiscaux, etc.) pour le vignoble a perdu 5 % de sa surface en ble savoyard est restée stable (de 20 263 suivre l’évolution du vignoble français, Savoie et 10 % de sa surface en Haute ha à 17 304 ha), malgré deux décennies département par département, de 1788 Savoie. de sévère pandémie phylloxérique. 1.3. Les terroirs viticoles aux années 1980-1987. Ces recherches Le vignoble a donc (comme on le verra de Savoie et de Haute-Sa- Les chiffres fournis par donnent pour les départements de la Marcel Larchiver dans le chapitre suivant) été reconstruit voie décrits par Jules Guyot différent parfois d’autres sources : Savoie et de la Haute-Savoie les chiffres en temps réel. Sur cette période il a perdu en 1868 - indique le chiffre de suivants : Jean Nicolas moins de 15 % de sa surface, soit moins 10 109 ha pour le Consulat, quand Mar- En 1868, Jules Guyot (1807-1872), scien- (les années 1788, 1824, 18729, 1835, de 3 000 ha. cel Larchiver avance celui de 14 600 ha tifique réputé pour ses travaux viticoles 1840 et 1852 n’étant pas renseignées = (et en particulier ces principes de taille de étranger, la Savoie n’étant pas française) pour 1809, - Les chiffres qui s’égrènent après la pre- - Jean Nicolas évoque les chiffres du mière guerre mondiale montrent la “des- la vigne), se voit confier, par le ministère Sont donnés entre parenthèse les chiffres Recensement général agricole de 1964 cente aux enfers” du vignoble savoyard. de l’Agriculture, la mission de visiter tout par département = Savoie puis Haute- (source ministère de l’Agriculture) : 5 070 Coup sur coup, l’impact de la première le vignoble de France. Savoie) : ha (4 427ha en Savoie et 643 ha en Hau- guerre mondiale, les grandes crises viti- En six ans, de 1861 à 1867, il parcourt te-Savoie), coles (années 1907 et années 1930), la ainsi 71 départements viticoles en rédi- - année : 1808 14 600 ha grande crise économique et la seconde geant pour chacun un rapport de présen- (9 900 + 4 700) L’ensemble de ces données amène les guerre mondiale, semblent s’acharner à tation, tous regroupés dans une énorme - année : remarques ou questions suivantes : 1862 18 555 ha réduire la superficie du vignoble. publication de deux tomes. (11 209 + 7 346) La spécificité foncière du vignoble sa- - années : - La frustration est grande de ne pouvoir Les conditions de cette visite importante 1870-1879 18 911 ha voyard (propriété nobiliaire et bourgeoise (11 555 + 7 356) disposer des chiffres globaux pour l’an- pour la Savoie seront évoquées dans le des vignobles de qualité), les mauvais - années : née 1732. chapitre suivant (“Stratégies”). 1880-1889 20 263 ha choix d’encépagement faits pour la re- (12 199 + 8 064) Ceux de la période du Consulat (1799- En laissant de coté les chiffres, nous construction du vignoble après la pandé- - années : 1804) fournis par Jean Nicolas, étonnent : l’avons vu, contestés de ce rapport, nous 1890-1899 19 114 ha mie phylloxérique et le caractère routinier (11 827 + 7 287) le vignoble aurait-il pu doubler de surface nous arrêterons sur l’aspect descriptif de d’une viticulture ayant perdu ses élites ne - années : en seulement 70 ou 80 ans ? Les chiffres ce qui paraît bel et bien être l’apogée du 1900-1909 17 304 ha font qu’accroître l’ampleur d’un proces- (10 643 + 6 661) de Marcel Larchiver paraissent pourtant le vignoble savoyard, quelques années plus sus à l’oeuvre dans la plupart des vigno- - années : confirmer avec un essor régulier de 1808 tard frappé par le Phylloxéra. 1910-1919 13 581 ha bles “ordinaires” du territoire national. (9 368 + 4 213) à 1880-1889, période à laquelle semble Les deux rapports de Jules Guyot sont - années : atteint le pic de superficie (20 263 ha). particulièrement précieux : 1920-1929 12 172 ha - Pour terminer avec les chiffres les plus ré- (8 999 + 3 173) - Le vignoble savoyard est très étendu cents, la chute, parfois évoquée à une su- - D’une part il s’agit d’un véritable audit, - années : 1930-1939 9 790 ha au début des années 1890, mais cela perficie totale de 1 600 ha, n’apparaît pas souvent sans concessions, réalisé par (7 347 + 2 443) reste relatif, si l’on compare aux 29 191 dans les chiffres disponibles. De même un professionnel de grand renom, qui - années : 1940-1949 7 281 ha ha du département voisin de l’Isère, aux l’inversion de la tendance au déclin avan- n’est pas venu pour flagorner la viticul- (5 509 + 1 772) 29 584 ha du département du Rhône, cée comme résultat de l’attribution de ture savoyarde et en faire une description - années : 1950-1959 4 620 ha sans parler des 45 538 ha du départe- l’A.O.C. en 1973 n’apparaît pas non plus. complaisante (ce qui aurait pu être le cas (3 886 + 734) ment du Puy-de-Dôme.

6 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie compte tenu des enjeux commerciaux tre ces hautes montagnes et les torrents ; propres à la viniculture). Les manque- souvent même elles occupent les plaines ments de la viticulture qu’il qualifie de alluvionnaires du fond des vallées ; mais “savoisienne” en l’opposant à la viticul- ces plaines, et même les rampes basses peu ture “suisse” (voisine) sont caractérisés inclinées qui les accostent, sont surtout avec précision. réservées aux céréales, aux prairies ; dans - D’autre part, l’intérêt de cette des- les bas-fond on voit encore trop souvent cription des vignobles de Savoie et de des marais à laîches et à roseaux. Haute-Savoie réside dans la date de sa On observe des vignes à toutes les exposi- réalisation, c'est-à-dire années 1866 et tions, mais celles des meilleurs crus sont 1867, juste avant les premières attaques est-sud et sud-ouest ; pourtant on estime phylloxériques et le bouleversement du beaucoup l’exposition ouest à , vignoble qui s’en est suivi. Les croquis dans la Chautagne, et l’on y récolte de fort établis constituent un outil unique pour bon vins. appréhender le paysage viticole d’une époque, somme toute pas si lointaine. Dans la vallée de l’Isère, les vignes mon- tent à 200 et jusqu’à 400 m au dessus du - Enfin, cette publication officialise l’en- thalweg ; dans la Maurienne et dans beau- trée du vignoble savoyard dans le pay- coup d’autres points, elles ne paraissent sage viticole français. Guyot fait souvent pas craindre le voisinage des bois, qu’elles des comparaisons ou des analogies à longent souvent et dans lesquels parfois d’autres vignobles français célèbres. elles semblent enchassées en petites par- De façon plus anecdotique, la formation celles (voir plus loin la fig. 155). médicale du docteur Guyot transparaît La disposition la plus générale des vignes, clairement dans certains passages com- et de toutes les vignes à bon vins, est en me celui consacré au crétinisme et aux souches irrégulièrement élevées de 20 à remèdes à y apporter ou celui relatif à 50 centimètres de terre, à un, deux, trois l’eau d’Évian, en rappelant que le Doc- ou quatre bras, sans la moindre symétrie; teur avait su joindre l’utile à l’agréable en Maurienne, les souches sont en tête de puisqu’il avait réalisé son étude pendant saule. La distance des souches (difficile une cure thermale à Évian... à saisir, parce que les souches sont pêle- De même l’expertise du Docteur pour la mêle, sans alignement ni espacement fixe, taille de la vigne se répand en longues par suite des provignages continus) m’a descriptions des usages locaux en la paru être en moyenne de 2 pieds ou 66 matière (quelques unes ont été coupées centimètre au carré, soit 22 500 ceps à © Olivier Pasquet Croquis dressé par Jules Guyot pour alléger la lecture). l’hectare ; mais le dépérissement successif simultanée de tous les ceps de la vigne, Pour terminer on soulignera que quelques amené par les provignages réduit le plus autrefois était, et est encore aujourd’hui, 1° parce que les recouchages de la troisiè- années plus tard, en 1887, Pierre Tochon souvent ce nombre à moins de moitié : de planter en fossés distants de 2 mètres me année sont une opération plus couteu- publiera sa “Monographie des vignes, entre Saint-Jean-de-Maurienne et Saint- (6 pieds), et à la troisième année de re- se que la plantation à bouture et au pal ; des vins et des cépages des deux dépar- Michel, on voit le nombre des ceps varier coucher les sarments poussés à droite et 2 ° parce que, au lieu d’obtenir une récolte tements de la Savoie” qui sera abordée de 5 000 à 50 000. à gauche à 2 pieds, de façon à garnir la franche et déjà notable dès la troisième an- dans le chapitre suivant “Stratégies”. Pour faire les plantations de vignes, on vigne à 2 pieds carrés. née, cette récolte est retardée et en partie 1.3.1. La Savoie ne défonce profondément que par excep- Cette méthode n’a besoin que du tiers du annulée par le recouchage ; tion ; on plante soit en plants racinés, plant total ; mais elle coûte bien plus cher 3° enfin parce que la vigne ainsi recouchée “[…] Les vignes, dans la Savoie, occupent soit à simple bouture, soit au trou, soit au et donne des résultats bien moins avan- est une mauvaise vigne, qui n’a plus de surtout les rampes inférieures des hautes pal ; pourtant la méthode la plus générale tageux que la mise en terre immédiate et francs pieds ; il faudra l’entretenir par des montagnes et les mamelons compris en-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 7 provignages annuels d’un douzième ou Maurienne surtout, les vignerons dres- n’a pas cette excuse, puisque la haie sépa- d’un quinzième. sent une ligne en cordons bas, sur petits rative de deux vignes qui se touchent est Chaque cep de vigne doit être planté en piquets et lattes, et laissent aux ceps de également couverte de raisins. place et y rester intact ; s’il meurt, il doit longs sarments et crochets de remplace- être remplacé par un jeune plant enraciné ment. Ces lignes sont couvertes de rai- Aux environs de Chambéry, à Montmé- avec bon trou et bon engrais : la santé et la sins à quinze et vingt grappes par ceps; lian, Cruet, Saint-Pierre-d’Albigny et fertilité de la vigne sont ainsi bien mieux leurs bois sont plus longs et plus forts ; jusqu’à Albertville, chaque souche est ir- assurés que par le provignage. tandis que dans la même vigne, les ceps régulièrement dressée de 20 à 30 centimè- Les plus vieilles souches de franc pied taillés sont courts et stériles et les bois tres de terre, sur un, deux ou trois bras ; sont les plus fertiles ; la preuve en est ac- en sont chétifs. Le long des mergers chaque souche est soutenue par un écha- quise partout, excepté là où l’on provigne [murgers ?] à Saint-Michel, Saint-Ju- las de 1,20 m à 1,30 m. Les échalas tou- et où il n’y a jamais de vieilles souches de lien, etc. les lignes des ceps sont lâchées tefois sont pour la plupart, des brins de franc pied. En Chautagne, les vignes sur à longs bois et sur les pierres, et c’est là bois ronds et fort peu réguliers. La figure roches lamellaires fendillées ne sont pas que se fait la plus belle récolte et parfois 153 donne l’aspect de quelques souches de Montmélian. provignées ; elles vivent très longtemps et Sur les vignes en moignon ou à tête de toute la récolte. Aussi quand un métayer sont plus fertiles que les autres, au dire saule, comme dans la Maurienne, on prend une vigne, a-t-il bien soin de re- Dans la Chautagne, à Ruffieux, les vignes des vignerons. laisse deux ou trois crochets à un ou deux garder aux lignes palissées ou conduites sur roches sont moins provignées et plus yeux ; et quand la souche est très vigou- sur les mergers ; s’il n’y a point de ces de franc pied ; elles sont en ligne et as- Dans toute la Savoie, et surtout près de lignes, il compte la vigne pour bien peu. Chambéry, on ne fume la vigne qu’en la reuse, on laisse une broche de sept à huit sez bien formées sur trois ou quatre bras. provignant. On pratique au trou d’un yeux, qu’on courbe et qu’on fixe en arc ou C’est là le principe du système appliqué La figure 154 représente une souche de pied de profondeur ; on y couche la souche pleyure. depuis quinze ans, avec le plus grand suc- Chautagne taillée a et non taillée b. et on étale les sarments aux angles ; on Les vignes traitées sans pleyures (lon- cès, par M. Fleury-Lacoste. Le vigneron D’Aiton et d’Aiguebelle à la Chambre, on remplit de 10 à 12 centimètres de terre, gues tailles), et c’est l’immense majorité, le pratique sans règles, mais avec persévé- voit des vignes bordées et coupées par des on ajoute une bonne charge de fumier (12 sont, on peut le dire relativement stérili- rance et amour, en bordure ; et pourtant haies, soutenus par de petits piquets et des à 15 litres) ; puis on recharge encore de sées. On a lieu d’être surpris qu’une pa- jamais il ne lui est venu l’idée de mettre traverses ; les ceps inscrits entre ces haies terre le fumier, sans remplis toutefois le reille taille et une pareille conduite aient toute sa vigne en bordures distantes de 80 sont très bas et non soutenus (fig. 155). trou tout à fait. Les sarments sont ainsi à persisté si longtemps entre les mains des centimètres à 1 mètre ; et ce n’est pas à À Conflans, chaque cep dressé à 50 ou 60 25 centimètres sous terre, et pour prendre vignerons savoisiens ; car généralement, dire que ce procédé réussit en bordure et centimètres de terre a, au contraire des vi- racine, il faut que les chevelus remontent, tout autour de leurs vignes, ou dans la ne réussirait pas en vigne pleine : non, il gnes de la Maurienne, une perche de 2,50 contre nature, vers les engrais : aussi, cet- m pour échalas (fig 156). te méthode de provignage ne donne-t-elle Outre les vignes basses, on rencontre à du fruit qu’après plusieurs années, et par- peu près partout des vignes conduites en fois les sarments languissent et périssent. espaliers, sur poteaux et fils de fer, à 1 mè- Lorsqu’on s’abstient d’apporter du fumier tre, 1,50 m de terre ; des vignes en treilles et de compléter le provin, dans lequel on sur bois morts (fig. 157) et sur poteaux de a mis seulement 10 à 12 centimètres de 2 m et plus de hauteur. Les poteaux et les terre, les sarments poussent à merveille traverses en bois de ces treilles, nombreu- et donnent souvent du fruit la première ses et répandues partout, sont parfois de année. véritables charpentes, et souvent des ar- La taille des vignes basses se fait à un seul bres vivants, taillés en gobelet pour porter courson par bras, courson à deux et sou- des vignes, sont intercalés à distances ré- vent à un seul œil franc, et encore la taille gulières dans ces treilles, afin d’en assurer se fait-elle près de l’œil conservé, en sup- la solidité (fig. 158). primant la plus grande partie de sa cellule Enfin, des arbres seuls, plantés ad hoc, médullaire supérieure, ce qui estropie cet soit en quinconce (fig. 159) soit en lignes œil, le stérilise souvent et parfois le fait périr. de jouelles ou de bordures, servent de sup-

8 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie de-Maurienne, depuis Aiton jusqu’à plant général, sur chaque cep, un beau Saint-Michel, offre à elle seule plus de dix sarment de l’année, qu’on abaisse à quel- variétés de conduite de vignes en haies, en ques degrés au-dessous de la ligne hori- treilles et en arbres. Ces variétés sont de zontale et qu’on attache le long d’une tra- la négligence ou de la fantaisie ; mais les verse (a b c fig. 160). Ces sarments le plus vraies treilles et les plus répandues sont souvent remplacés par de nouveaux tous celles dont j’ai donné l’aspect (fig. 157 et les ans, se couvrent de raisins. On appelle 158) : tantôt elles forment limite ; tantôt, sorties ces cordons ou longs sarments ; les et c’est le plus souvent, elles sont dispo- sorties forment souvent de véritables gale- sées depuis 7,50 m jusqu’à 15 mètres de ries couvertes de fruits le long des treilles. distance les unes des autres en jouelles, et Les vignes sont parfois ébourgeonnées et elles inscrivent ainsi des cultures diver- effeuillées au dessous des raisins ; avant ses. le mois de juin ; elles sont bien rarement La plupart des treilles, sur palissades hau- rognées et ne sont jamais pincées : aussi port à de grands ceps de vigne qui s’ap- feston d’un arbre à l’autre, et les lignes puient et les surmontent comme dans le forment de cette manière une série de ti- midi. On voit beaucoup de ces vignes en ges en boules comme des orangers, reliées arbres autour de Chambéry et surtout aux entre elles par des guirlandes du plus gra- environs d’Aix-les-Bains. Mais c’est prin- cieux effet (de e, etc. fig 159). cipalement dans les lieux bas et humides Il me serait impossible de reproduire par que les vignes se montrent ainsi condui- des figures toutes les variétés de disposi- tes; on en remarque pourtant aussi sur des tion des vignes en haies et en treilles de croupes et des sommets de mamelons et de la Savoie : tantôt les haies sont à 60 cen- plateaux au pied des grandes montagnes. timètres de terre et forment des vignes en Souvent chaque arbre (érable ou merisier) lignes presque pleines ; tantôt elles sont porte son cep isolé (a b c, fig. 159) ; sou- à 1 m , à 1,50 m et à 2 mètres au-dessus vent aussi une division du cep se porte en du sol, et sont plus ou moins écartées les

tes ou basses, sont formées de cordons voit-on les échalas, les treilles et les arbres plus ou moins longs, sur lesquels sont des avec des pampres très élevées ou pendant portants, surmontés chacun d’un long de toute leur longueur ? Les vignerons sarment, soit incliné plus ou moins en donnent pour excuse de leur abstention trajectoire, soit recourbé en demi-cercle et du rognage des vignes basses la nécessité rattaché, son extrémité supérieure en bas de laisser les sarments longs pour provi- et en ligne perpendiculaire. Ces sarments gner ; mais ils pourraient ne pas rogner mesurent jusqu’à 1,20 m de développe- seulement les ceps destinés au provi- ment chacun : aussi cette conduite de la gnage, ce qui réserverait un quinzième vigne donne-t-elle beaucoup de fruits, ou un vingtième des ceps ; et d’ailleurs le dont le vin est malheureusement fort mé- provignage exigez rarement un sarment diocre. Pour augmenter encore la produc- de plus de 1,20 m de longueur, et j’ai vu tion de ces treilles, on emprunte à leur beaucoup de pampres de 2 mètres à 2,50 m unes des autres. La vallée de Saint-Jean- qui auraient dû être rognés.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 9 m’ont soutenu qu’un troisième labour en ce dernier genre ; je regrette de n’avoir blancs que les vins de Savoie méritent était funeste à la vigne. Il ne faut pas sans pu étudier cette grande production. leur classement élevé ; les oenophiles du doute que la vigne soit tourmentée par des pays le comprennent parfaitement. labours profonds ; mais trois ou quatre bi- La mondeuse est le cépage producteur et nages superficiels sont tous extrêmement caractéristique des vins rouges du dépar- Le persan, et surtout le petit persan, pro- profitables. tement de la Savoie ; cette espèce garnit à duit un vin exceptionnel et d’une rare elle seule les cinq sixièmes de la superficie qualité, le vin de Saint-Jean-de-Maurien- Deux cépages, trois au plus, constituent des bons vignobles à vins rouges, et ses ne et quelques vignobles environnants. La seuls les bons vignobles du département de vins sont dignes de fixer l’attention. contrée du vignoble de Saint-Jean qui pro- la Savoie ; ce sont : - la mondeuse, raisin Les vins de Saint-Jean-de-la-Porte, les duit le meilleur vin de persan se nomme noir à grains moyens ronds, à grappes al- vins de Cruet, de Montmélian, d’Arbins, Prinsens ; la contrée de Bonne-Nouvelle longées, à feuilles d’un vert pâle ; - le per- de Challes, de Mont-Terminot, de Grésy, vient ensuite. san, à grappes moins allongées, à grains de Montailleur, de Conflans, de Ruffieux, Le vin de Princens a un riche bouquet, une noirs plus serrés, mais surtout remarqua- etc. doivent tous leur origine et leurs qua- saveur chaude et généreuse et une action bles par leur forme, qui est plutôt celle de lités précieuses à la mondeuse. physiologique stimulante comme celle des deux petits cônes joints par leur base que vins de Bourgogne ; malheureusement il celle d’un ovale : la queue de la grappe du Ces qualités sont d’abord un bouquet faut attendre ce vin douze ou quinze ans persan est perpendiculaire à la branche, particulier aussi fin, moins prononcé pour le boire dans toute sa valeur ; vingt- dure et roide comme celle du pineau ; la et du même genre que celui des vins de cinq ans font mieux encore. Dans les pre- feuille du persan ets d’un vert foncé ; - la Bordeaux, lequel se développe avec l’âge mières années, le vin de persan est âpre douce noire, qui n’est autre chose que le et devient de plus en plus agréable ; une et astringent au point d’être désagréable cot rouge, pied rouge, pied de perdrix: elle saveur douce et veloutée quand les vins à boire. a le grain noir, moins serré que celui du sont cuvés de trois à cinq jours ; quand persan, l’axe de la rafle rouge violacé, les ils sont moins cuvés, ils ont une petite Par contre, le vin de hibou, qui s’appelle feuilles très vertes. La douce noire a une pointe acidulée, rafraîchissement, mais aussi hivernais, peut-être du liverdun, est variété à queue verte, c’est le cot vert. qui masque leur valeur sérieuse ; enfin, et agréable à boire au bout de quelques mois L’effeuillage se fait ici au mois de juin pardessus tout, les vin de bonne année de ; mais ces vins sont si peu abondants, et et ne se pratique plus avant la vendange Le persan et la mondeuse ont aussi chacun Saint-Jean-de-la Porte, de Montmélian, c’est toujours la mondeuse qui reste le pour favoriser la maturité, comme il se une variété grosse et petite. Il existe enco- de Cruet, d’Arbins et de Ruffieux, ainsi plant caractéristique de la Savoie. Le seul pratique dans la plupart des autres vigno- re une espèce de raisin spécial à Saint-Ju- que de tous les pays avoisinants, sont inconvénient de la mondeuse et d’être un bles. lien-en-Maurienne : c’est le hibou, à gros essentiellement digestifs ; ils ne portent peu tardive dans sa maturité ; le pineau Les cultures données à la vigne en grains noirs et à grosse grappes, donnant point à la tête et n’agitent pas le système mûrit au moins quinze jours avant elle. Savoie se réduisent à deux : l’une en mars un vin singulier, qui a l’avantage d’être nerveux. Ils partagent ainsi, quoiqu’à un Le persan et la douce noire sont à peu près et avril, l’autre en juin ou juillet ; dans bon à boire au bout de trois ou quatre degré moins parfait, les qualités des vins exclusivement destinés à garnir les espa- certaines localités on se contente même de mois et d’être sain et assez agréable ; mais légers du Médoc. Les vins des bons crus liers, les treilles et les arbres. la première. ce vin est bien inférieur aux produits du de la Savoie sont appelés à une bonne et On accuse la mondeuse d’être moins pro- persan et de la mondeuse. légitime réputation, qu’ils ont eue autre- ductive sous cette conduite ; j’ai vu cepen- Aux environs d’Albertville, à Conflans, Il existe une grande variété de raisins fois et qu’ils méritent de recouvrer. dant, chez M. Vérat, de grandes treilles par exemple, les colons partiaires deman- blancs, appelés plants d’altesse, plants de mondeuses chargées de nombreuses et dent un morceau de vigne pour y avoir de Chypre, gamay blanc, chasselas, etc.; Ces vins sont aujourd’hui préparés diver- magnifiques grappes. de l’herbe pour leur vache : à leurs yeux, mais je n’ai point arrêté mon attention sement ; généralement ils ont leur véri- Le persan est très sujet à l’oïdium, qui l’herbe est le vrai produit de la vigne ; sur eux, faute de temps. Ces cépages four- table cachet quand ils sont cuvés de trois paraît se développer sur les treilles et sur tandis qu’en nettoyant la vigne et en nissent des vins de fantaisie, des vins, les à cinq jours, selon l’année ; malheureuse- les vignes en hautains avec une intensité utilisant les produits de l’épamprage, ils uns très spiritueux (plants d’altesse), les ment, pour les avoir plus légers, la mode qui devrait être réprimée énergiquement donneraient à leur bétail le double ou le autres très peu alcooliques (chasselas), était venue de les faire cuvée de 12 à 24 par les soufrages, sous peine de voir le triple d’une excellente nourriture et dou- ou bien des vins très abondants pour le heures seulement, ce qui leur donnait le fléau devenir bientôt général. On ne pa- bleraient leurs produits en raisin. commerce et ses mélanges : les abîmes de caractère des vins blancs un peu déguisés raît jusqu’ici prendre aucune précaution Dans la Chautagne, de bons vignerons sont d’une fertilité extraordinaire par le commencement de cuvaison. C’est contre l’oïdium en Savoie, où le défaut comme vins rouges et non comme vins

10 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie d’épamprage est encore une cause puis- comme s’opposant à tout progrès dans la sante d’extension de la maladie. viticulture et dans la vinification. Ainsi le A la vendange, les raisins sont foulés à la persan et le pineau mûrissent en moyenne vigne, dans une grande partie de la Sa- quinze jours avant la mondeuse ; il faut voie, dans des vaisseaux appelés gerles, donc perdre les produits des premiers faits en bois étanche, vidés dans des cu- ou vendanger la seconde avant sa matu- ves contenants 50 hectolitres de raisins. rité : ainsi celui qui veut attendre la plus On met deux ou trois jours à remplir grande maturité, pour faire un vin fin, est une cuve et l’on tire douze, vingt-quatre obligé de vendanger en même temps que et quarante-huit heures après le remplis- celui qui se hâte de récolter pour faire de sage de la cuve ; de cette façon on n’est ja- la piquette. mais bien sûr du temps de la cuvaison, et d’ailleurs la cuvaison des diverses parties La vigne, au dire de tous les propriétai- de la vendange est toujours inégale : pour res savoisiens avec lesquels j’ai été mis en bien cuver, il faut remplir toute la cuve rapport, est leur principale richesse et la en un jour, ou ne fouler, comme dans la plus grande richesse du pays ; c’est elle Chautagne, que quand la cuve est pleine. qui commandite leurs métayages. A Ruffieux, on attend que la cuve ait jeté Un métayer ne veut point d’une terre qui son premier bouillon, puis on foule à pieds ne compte pas un dixième de sa surface nus jusqu’à la cheville ; la cuve reprend en vignes ; si cette superficie est de deux sa fermentation, et quand la fermentation dixièmes, il augmente les conditions du tombe, on foule à fond, à corps nu. La cu- fermage : Si je n’ai point de vignes, disent vaison en Chautagne comme en Maurien- les métayezrs, avec quoi payerai-je mon ne dure de huit à douze jours. cens ? La vigne seule donne de l’argent clair. J’ai goûté chez M. Gaujon, à Arbin, deux Un fait constant et bien remarquable en vins de 1886, provenant d’une même vi- Savoie m’a été signalé par M. Fleury- gne et des mêmes cépages, l’un ayant cuvé Lacoste, par M. Chalin, par M. Vérat, et 12 à 15 heures, l’autre ayant cuvé 72 heu- m’a été confirmé par tous : c’est que, dans res : le premier avait toute la légèreté des toute contrée de la Savoie où les vins sont vins blancs et leur acidité ; l’autre avait bons et se vendent facilement, la main- tout le bouquet, tout le velouté et toute d’œuvre est abondante et à bon marché, la plénitude des vins du Médoc, sans la et il n’y a pas d’émigration : partout où moindre trace de liqueur ni d’acidité. la vigne n’existe pas, et là où elle ne pro- Les caves, en Savoie, sont généralement duit qu’une boisson locale sans valeur, la bonnes, bien voûtées et bien fraîches ; les main-d’œuvre est rare et chère, et tous les vins, qui pour la plupart sont de garde et main-d’œuvre exécutés par ce dernier ; de part et d’autre, en prévenant simple- jeunes gens s’en vont dans les villes. de transport, y sont parfaitement traités cet arrangement comporte la fourniture ment après la vendange, peuvent varier et Mr Fleury-Lacoste, président de la So- par les outillages et les soutirages conve- des fumiers et des échalas par moitié et le varient selon les localités ; mais le prin- ciété centrale d’agriculture de la Savoie, nables. Les vaisseaux à garder le vin dans partage par moitié des produits en nature, cipe du partage entre le travail et la pro- donne le plus beau modèle de conduite et les caves sont de 3 à 8 hectolitres et plus. c’est-à-dire du vin mis en futailles. Parfois priété est la règle, et c’est là la meilleure de culturelle rationnelle dans ses vignes Le prix moyen de la journée de travail en le propriétaire prend un quinzième en sus condition pour assurer la main d’œuvre de Cruet et dans son clos du Colombier : Savoie est de 1 fr. 50 cent. de la moitié, mais alors il fournit tout le aux campagnes, pour y développer et y depuis plusieurs années et sur une grande Le mode de culture et d’exploitation des fumier ; parfois il fait toutes les fournitu- retenir la population. échelle (14 hectares de vignes) il prouve vignes le plus généralement répandu est res, et le vigneron n’a droit qu’au tiers de tous les ans qu’on peut et qu’on doit récol- l’apport de la vigne fait par le propriétaire la récolte. Enfin, les détails du contrat sy- Le ban de vendange existe en Savoie ; ter le double et le triple de produits dans au vigneron, contre tous les travaux de nallagmatique et essentiellement aléatoire la Société Centrale d’Agriculture de la les mêmes sites, dans les mêmes terrains, Savoie en sollicite avec énergie l’abolition, avec les mêmes cépages, en substituant

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 11 présence de la figure 162, donne une idée de la différence des deux cultures et du contraste de leur production ligneuse et fruitière. Je termine en consignant ici une idée plus médicale [Jules guyot était au départ mé- decin] que viticole. J’ai lieu de penser que le crétinisme se- rait vaincu par l’usage alimentaire des vins légers du pays, à l’exclusion presque absolue de l’eau, cause évidente de cette dégradation organique. Le crétinisme dis- paraîtrait de la Savoie, comme les fièvres ont en grande partie disparu des Landes, de la Sologne, et des Dombes là où l’on a prescrit la substitution des vins, même des demi-vins et de la piquette aux eaux malsaines de ce Pays. Rien ne serait plus facile que de créer un établissement uù tous les crétins, enfants et adultes, hom- mes et femmes, seraient admis, employés à la culture de la vigne et mis au régime continu des petits vins. Un tel établissement s’entretiendrait et s’étendrait indéfiniment par ses propres produits. En estimant, en moyenne le travail de quatre crétins pour celui d’un homme, ils produiraient facilement 60 hectolitres de vin, dont ils consomme- raient la moitié, à 8 litres par jour en moyenne pour les quatre ; il resterait 30 la viticulture rationnelle et typique à la Depuis plus de douze ans, M. Fleury-La de la culture ordinaire et de la culture hectolitres, dont la valeur, à 20 fr. suffi- culture ancienne et actuelle du pays. coste était conduit aux mêmes conséquen- réformée de M. Fleury-Lacoste. Chaque rait facilement au surplus de leur entre- Me Fleury-Lacoste n’a pas seulement ces que j’avais tirées de l’observation et cep de son clos du Colombier, de deux ou tien. Comme il ne serait pas nécessaire cherché et satisfait son intérêt personnel de la pratique viticoles ; et ses idées à cet trois hectares, portait de trente à quarante que les vins fussent de choix et de grande en transformant ses vignes en désordre, égard, ainsi que ses applications, se sont grappes magnifiques ; et si l’on jetait des qualité, la culture des vignes en treilles et taillées à coursons, entretenues par les fixées définitivement à la méthode type yeux par-dessus le mur d’appui séparatif en jouelles permettraient d’intercaler aux provignages, en vignes de franc pied, en que j’ai publiée en texte et en gravures de- des vignes du pays, en contact immédiat vignes toutes les cultures nécessaires à ligne, à branches à bois et à branches à puis dis ans ; mais il était dans la même et ayant un meilleur sol, au dire des habi- la consommation de l’établissement. Les fruit, ébourgeonnées, pincées, rognées et voie bien avant mes publications. tants, on voyait seulement deux ou trois enfants et les jeunes gens, régénérés dans palissées avec soin ; mais il a plus encore MM. d’Anglès, vice-président, Bon- grappes au plus à chaque souche ; dans une telle institution deviendraient, à l’âge cultivé pour démontrer et vulgariser les jean, secrétaire, les docteurs Bénarié et le clos éclatait la richesse et le progrès, en convenable, des ouvriers formés et recher- meilleures procédés de viticulture, comme MM. Dubouloz, Gaujon, Chalin, Vérat, dehors était la médiocrité routinière. chés pour l’agriculture et la viticulture.” il le fait par ailleurs pour les autres bran- Guillermin, etc. membres de la Société C’était l’opinion unanime des assistants, ches de l’agriculture. centrale d’agriculture de la Savoie, ont été tous propriétaires et viticulteurs impor- témoins avec moi du contraste frappant tants. La figure 161, que je mets ici en

12 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 1.3.2. La Haute-Savoie d’autres fort bien cultivés par M. Mol dans le canton de Faverges ; mais, à mon [A signaler comme il sera précisé dans le grand regret, le temps m’a fait défaut, et chapitre suivant “Stratégies”, que Jules j’ai du négliger ces vignes, ainsi que quel- Guyot a profité d’une cure thermale pour ques autres également intéressantes. effectuer sa mission d’étude sur le vigno- Quoi qu’il en soit, les 5 000 hectares de ble de Haute-Savoie] vignes donnent un produit brut total de 8 “Le département de la Haute-Savoie, dont millions, sur la quatre-vingt-sixième par- j’ai visité successivement les quatre arron- tie du territoire, qui est de 431 715 hec- dissements, Annecy, Bonneville, Saint- tares ; ils répondent au budget de 8 000 Julien, et Thonon, m’a semblé posséder un familles ou de 32 000 habitants, le neu- sol plus fertile et plus riche encore que celui vième de la population, qui est de 273 768 du département de la Savoie : il offre des habitants. surfaces considérables et des expositions […] magnifiques pour la vigne, et pourtant la La viticulture de Haute-Savoie ne présen- vigne n’y occupe qu’une superficie pres- te aucun type original, sauf les cultures que insignifiante ; elle n’atteint pas 5 000 en crosses d’Évian et les cultures en haies hectares dans tout le département. Ce fait vives basses d’Yvoire et de Thonon. est d’autant plus surprenant, que dans les Je reproduis (fig 163) un spécimen cava- quatre arrondissements la moyenne pro- lier de la culture de la vigne en crosse, sur duction dépasse partout 50 hectolitres à un croquis pris à la hâte en 1863, époque l’hectare, et que partout le prix moyen de où je ne pus que jeter un coup d’œil in- l’hectolitre s’élève au-dessus de 30 francs suffisant sur cette intéressante conduite ; il s’élèvera bien davantage, parce que les de la vigne ; mais en 1867 je pus en faire routes et les chemins de fer ont ouvert et une étude spéciale dont je vais tracer ici ouvriront des débouchés de plus en plus les traits principaux. faciles vers le nord. La culture la plus remarquable d’Évian Toutefois l’altitude des chaînes de monta- appartient aux cultures à grande arbores- gnes et de leurs subdivisions, l’étendue de cence. leurs plateaux, la mauvaise orientation la Tous les voyageurs, tous les touristes, plus générale de leurs rampes, l’étroitesse connaissent les crosses d’Évian, consti- des vallées et le voisinage des neiges et tuées par de grands arbres avec toutes des glaciers, enfin la situation plus sep- leurs branches, revêtus du haut au bas tentrionale et l’inclinaison d’une partie de par les ramifications et les pampres de la son plan vers le nord, laissent à la Haute- vigne, qui présentent à l’œil de véritables Savoie des surfaces bien moins étendues futaies vignobles, avec autant de fruits et bien moins favorables à la viticulture que l’on voit de glands sur les chênes des que celles que possède le département de forêts. Tous sont persuadés que la vigne la Savoie. est là abandonnée à elle-même sur ces ar- Les bords du lac Léman, d’Évian à Tho- bres, et sont loin de se douter qu’elle y re- non à Douvaine, puis Annemasse à Bon- çoit les directions, les attaches et les tailles neville, d’une part ; de Saint-Julien à les meilleures et les mieux raisonnées. Frangy et à Seysssel, de l’autre ; ensuite Chaque échalas est un grand arbre, un ar- les bords du lac d’Annecy : tels sont les bre de 30 à 50 centimètres de diamètre au principaux points vignobles de la Haute- tronc et de 8 à 12 mètres de hauteur, un Savoie. Il existe bien encore une petite châtaignier le plus souvent avec sa tige et vigne vers Sallanches ; il en existe aussi toutes ses branches dépouillées avec soin

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 13 de leur écorce. Cet arbre est acheté dans par les plus grands hivers, et sa chaleur la forêt, sur des pentes ou des plateaux propre reste fixe à 6 degrés au-dessus de difficiles à aborder ; il doit être écorcé sur zéro, à 50 mètres de profondeur : aussi place, chargé sur un grand chariot à deux semble-t-il fumer par les grands froids. bœufs, amené à la vigne, repris à bras La chaleur moyenne de ses eaux, comme d’hommes, transportés au lieu qu’il doit celle des eaux des mers, protège donc la occuper : là il est dressé et planté solide- végétation contre les gelées de printemps ment à un mètre et demi dans terre ; une et d’automne dans toutes les cultures qui journée de six hommes et de deux bœufs l’avoisinent ; c’est là un fait constaté. est à peine suffisante pour l’opération : tout cela représente environ 20 francs Si le climat d’Évian est favorable à la pro- de main-d’œuvre à joindre aux 20 ou 25 duction de tous les fruits, son sol ne lui francs d’achat de l’arbre. est pas moins avantageux. Formé, dans sa plus grande étendue, de Autrefois le père de famille, avec ses en- diluvium alpin argileux, siliceux et calcai- fants et ses serviteurs à petit gage et à re, tantôt pur, tantôt mélangé de gravier grand travail, pouvait garnir un demi- ou de galets, tantôt reposant sur sables hectare de ses 72 crosses en 36 journées ou galets lacustres perméables ou sur un ; le temps alors n’était pas l’argent : le sous-sol argileux et marneux imperméa- temps, c’était la vie en famille avec les ble, le sol cultivable offre des épaisseurs repas et le couvert, le coin du feu, les af- considérables de un à plusieurs mètres, fections qui suffisaient à payer le travail généralement traversé par l’eau ; sa com- de corps, de tête et de cœur ; travail que position est tellement heureuse qu’il garde tout l’argent du monde n’achète et n’ob- assez d’humidité pour entretenir toujours tient plus aujourd’hui. D’un autre côté, une riche végétation, fruitière surtout, et les arbres deviennent de plus en plus ra- rarement trop pour lui nuire. Aussi voit- res et de plus en plus chers, et tout porte on partout, sur les bords du lac comme à croire que cette curieuse culture devra sur les rampes et les plateaux assez élevés, disparaître bientôt. Hâtons nous donc de des cerisiers, des poiriers, des pommiers, la faire connaître et d’en décrire les ensei- des châtaigniers et des noyers gigantes- gnements qu’elle peut offrir. ques ; j’ai vu dans les champs et dans les haies, sans culture, des poiriers couverts Évian et son territoire jouissent d’un cli- de fruits, qui n’avaient pas moins de 12 mat très-heureux et très favorable non mètres de hauteur. On cite un poirier, seulement à la vigne, mais encore à tous dans la commune de Publier, qui s’élève les arbres fruitiers. Il est exempt des cha- à 20 mètres, offre un tronc de 3,45 m de leurs et des froids extrêmes ; car les fi- circonférence et une arborescence de 60 guiers, les lauriers et même les grenadiers mètres de tour : il donne, tous les trois y propspérent en pleine terre et les deux ans, de 100 000 à 120 000 poires, de 30 à premiers arbustes y acquièrent de grande 40 000 dans les deux années d’intervalle, dimensions ; le maïs s’y développe et y et fournit ainsi de 15 à 20 hectolitres de mûrit parfaitement ses épis. poiré, dans ses grandes années, et de 5 à Le voisinage du lac Léman, dans une de 7 hectolitres dans les années de repos re- ses plus grandes largeurs et profondeurs, latif. contribue beaucoup à la modération de la Assurément le terrain et le climat entrent température, par ses brises l’été, par sa pour beaucoup dans cette végétation et chaleur propre l’hiver. Ce lac gèle rare- dans cette fécondité excessive des arbres ment et seulement un peu sur ses bords

14 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie fruitiers et de la vigne en crosse ; mais l’homme ; toutefois les vrais principes de la grande arborescence, à laquelle les ha- sa durée et de fécondité n’en restent pas bitants du pays ont le bon esprit de les moins les mêmes que ceux de la généralité abandonner ou de les conduire, n’y contri- des arbres fruitiers ; les crosses d’Évian en bue pas moins. offrent la preuve pla plus évidente. M. Decaisne, professeur au Jardin des Plantes et membre de l’Académie des Le territoire de la ville d’Évian ne contient sciences, proclame et répète avec raison que 70 hectares de vignes, mais son can- depuis trente ans : que c’est la produc- ton en compte 455 hectares, dont la moitié tion fruitière à plein vent et à grande environ est cultivée en crosses et la moitié arborescence qui seule peut alimenter la en vignes basses ; quelques vignes mixtes consommation générale des fruits à bon ou en crossons (petites crosses) figurent marché ; que la taille à outrance restreint pour un chiffre insignifiant dans ce total. au contraire cette production à des pro- Le rendement moyen des vignes basses est portions infimes, et n’offre que l’avantage compris entre 40 et 50 hectolitres à l’hec- de plier beaucoup d’espèces aux exigences tare ; celui des crosses ou vignes hautes, et à l’ornement des jardins. avant l’oïdium, était compris entre 80 et 120 hectolitres ; et, en outre, les pommes Qui n’a admiré les pommiers et les poi- de terre, les haricots, les petit pous, les riers à cidre et à poiré pliant sous le poids choux, les betteraves, les salades, le maïs, d’innombrables fruits ? Mais en les ad- les céréales, les fourrages, sont cultivés mirant, qui ne s’est pas dit : si ces arbres entre les crosses, et y rendent autant, portent tant de fruits, c’est que ce sont des et même plus, dit-on, que si les crosses fruits à cidre et à poiré ? n’existaient pas, tandis que les vignes Eh bien, non ! c’est qu’ils sont à libre et basses n’admettent aucune culture inter- à grande arborescence. – Il y a une foule calaire. de poiriers et de pommiers, à délicieux fruits de table, qui ne produisent autant La presque totalité des vins est faite en quand ils sont en plein vent et à grande vin blanc et fournie par les fendants verts arborescence. La grande arborescence est et les fendants roux ; le peu de vin rouge la première condition de toute grande pro- produit est donné par le savoyan (mon- duction fruitière. deuse), par le gamay, dit beaujolais et Sans doute il est quelques exceptions : montferrant, et par quelques ceps de noir les pêchers, les figuiers d’Argenteuil en doux ou cot. sont des exemples ; mais la règle géné- rale est que plus un arbre s’approche de Les vins des crosses d’Évian sont blancs son arborescence et de sa végétation na- et légers, et ils sont aussi sains qu’agréa- turelles, plus il est vigoureux, plus ilvit bles ; tous les étrangers les boivent avec longtemps, plus il est fertile. La vigne plaisir, et leur usage aux repas me semble elle- même fournit des preuves irrécusa- contribuer, au moins autant que celui des bles de cette grande vérité ; mais, comme eaux au rétablissement des malades. les pêchers et les figuiers, elle exige des Les vins blancs des vignes basses sont un conditions de préservation du froid et de peu plus alcooliques et un peu plus corsés rayonnement calorifique dans nos climats que ceux ceux des vignes hautes ; mais ; elle exige partout, plus que les pêchers ils m’ont paru moins fins et moins déli- et les figuiers, des conditions de soutè- cats. Les habitants du pays préfèrent de nement, d’attache et de délimitation qui beaucoup leurs vins à leurs eaux, qui sont demandent sans cesse l’intervention de toutes légèrement alcalines, très limpides,

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 15 très fraîches, franches de goût et des plus appliquer pour la première fois. Pourtant […] haute de près de 10 mètres. séduisantes à boire ; mais malgré ces gran- la plantation des arbres en pleine végé- Je reproduis (figure 176) une des plus bel- des qualités on en use très peu dans les tation est aujourd’hui reconnue comme les crosses moyennes et des mieux dispo- Les vignes basses à Évian sont plantées à familles. où le vin est bu presque toujours bonne et se pratique avec un grand succès sées, garnie de ses trois ceps, entièrement 0,75 m au carré ; elles comptent ainsi de pur : ce qui n’empêche pas les exemples ; il est donc utile de faire constater qu’elle développés et tels qu’ils sont taillés et dis- 17 à 18 000 ceps à l’hectare, parfaitement des plus belles vieillesses, exemptes d’in- s’adapte bien à la plantation de la vigne. posés après la taille et avant la pousse. en ligne, et chaque cep est muni d’un firmités de corps et d’esprit, d’y être très Si des trois yeux laissés hors de terre trois On peut se figurer quelle masse de raisins échalas de 1,40 à 1,50 m. nombreux et les maladies endémiques d’y bourgeons surgissent et prospèrent, à la et de pampres une pareille arborescence Pour planter les vignes basses, on défonce être inconnues. première taille on abat les deux bourgeons peut produire : j’ai vu cette riche produc- préalablement toute la superficie de sol à ou sarments inférieurs et l’on garde de tion cette année même. – J’aurais voulu 0,50 m de profondeur et plus, si le terrain Autrefois les crosses étaient plantées à 4 préférence le supérieur, s’il est assez fort ; la faire reproduire par la photographie, le permet. Pourtant on signale dans le ou 5 mètres au carré ; aujourd’hui on les ce choix est motivé par la nécessité de faire mais je n’ai pas trouvé d’artiste sous ma pays une vigne, une seule il est vrai, qui a éloigne de 8 à 12 mètres. monter la tige. main ; je renonce à en donner une idée par été plantée sur un simple labour de char- Quelquefois on fait grimper sur une […] un dessin d’imagination, car il semblerait rue, qui compte aujourd’hui de soixante à même crosse jusqu’à cinq et six ceps plan- Dans la commune de Publier, près une exagération inadmissible. soixante et dix ans et qui conserve la plus tés autour ; parfois, un seul cep suffit à la d’Évian, plusieurs cultivateurs, et entre belle vigueur. Ce fait ne m’étonne point: garnir, mais généralement trois ceps sont autres M. Blanc-Marie, montent la tige Quoiqu’il en soit, les crosses ainsi char- car le terrain d’Évian, surtout là où il disposés et conduits à cet effet. de leurs crosses en un seul jet, et leurs gées annuellement ne semblent éprouver est est perméable à l’eau, doit donner des Le plant préféré, pour les crosses, est le treilles sont beaucoup plus tôt formées, aucune fatigue ; elles vivent avec la force vignes plus fertiles et plus durables sans plant enraciné, de deux ou trois ans, pro- plus vigoureuses et plus fertiles. On voit et la majesté des chênes, des châtaigniers être défoncé qu’avec défoncement. venant du provignage d’une bouture de des treilles, ainsi conduites, déjà bien et des noyers séculaires, dont les fruits J’ai vu bien des vignobles où le défonce- fendant vert ou rouge, s’il s’agit de rai- constituées donnant 30 litres de vin à la abondants paraissent bien plus être un ment est reconnu désavantageux à la vi- sins blancs (chasselas), ce qui est le cas le troisième année, résultat qu’on obtient à rayonnement de santé, une splendide pa- gne : les Charentes, les Pyrénées-Orien- plus fréquent, et de noir doux ou cot vert peine à huit et à dix ans par la taille cour- rure, qu’un fardeau pesant, une charge tales, par exemple, ont mis ce fait hors de ou rouge, s’il s’agit de raisins noirs. te. mortelle à leur gigantesque et robuste doute. – On pourrait, à coup sûr, éviter à On défonce avec soin et l’on vide un trou Les viticulteurs traditionnels le recon- couronne. Evian la grande dépense du minage par- de 1 mètre carré sur 70 centimètres et plus naissent, mais ils disent que cela ne du- Lorsque de cette puissante végétation les tout où l’eau n’est pas retenue par le sol. de profondeur ; on le remplit de 30 à 40 rera pas. yeux s’abaissent sur les vignes naines, de On plante la vigne basse en boutures, centimètres de terre extraite ; on y place le Que les progressistes se rassurent : leurs mêmes espèces, qui sont à leurs pieds (fig. sans vieux bois au pied, le plus souvent ou les plants coudés de cinq à six colliers crosses ainsi formées, suivant les forces 177, même échelle), on comprend sans à la cheville, à 0,30 m de profondeur : on de racines, à 30 ou 40 centimètres ; on re- et les lois de la nature, vivront plus long- peine que les racines de ces dernières sont coule dans le trou de la terre fine, un peu couvre de terre, puis de fumier consommé temps fortes et fécondes que les vignes rachitiques comme leurs tiges ; qu’elles de cendre, et l’on tasse fortement la terre : ; on achève de remplir avec la terre ; enfin affaiblies et vieillies avant l’âge par les dévorent rapidement tous les aliments du on rogne à deux yeux au dessus du sol. on taille le sarment sortant à trois yeux artifices humains. peu d’espaces qu’elles occupent sous la L’époque de la plantation est le mois et au-dessus du sol. Du reste, la pratique qui consiste à former superficie du sol ; que leur force vitale ne même la fin de mai ; entre la taille et la dépasse pas les proportions de leur volume plantation on entretient la verdeur des Contrairement aux idées qui dominaient rapidement les treilles et les cordons de vi- gnes, en mettant à profit toutes les forces anatomique et celles des organes assimila- boutures en les trempant de temps en il y a quelques années, les viticulteurs du teurs qui les surmontent et les animent ; temps dans l’eau. canton d’Évian, au lieu de faire de plants de la végétation produite, est déjà depuis longtemps reconnue préférable à la forma- qu’il faut des cultures, des engrais et des La pousse de première année est de 15 à 25 enracinés au mois de novembre leur plan- soins multiples pour réparer l’épuisement centimètres. –Si le bourgeon supérieure a tation, ont trouvé plus avantageux de la tion lente et à courte taille et adoptée avec succès par les horticulteurs expérimentés, que la production de quelques grappes végété, on le préfère au sarment inférieur faire quand la sève monte, et quand le leur inflige et pour conserver un peu de pour former la tête de souche, à 16 ou 18 bourgeon est sorti. La végétation est plus non seulement pour la vigne, mais encore tous les arbres fruitiers. vie à ces petits êtres artificiels. centimètres de terre ; on taille en mars le prompte, plus franche et plus vigoureuse. sarment supérieur à un oeil et on suppri- C’est là une vérité reconnue et une pra- Les viticulteurs d’Évian peuvent donc La figure 178 est le croquis, dessiné à un sans crainte mettre à profit leurs longs me le sarment inférieur. tique établie depuis longtemps dans les centimètre et demi par mètres, et pris sur Pendant trois ou quatre ans, on taille tous Charentes pour les boutures ; mais pour sarments pour garnir rapidement leurs place dans les environs d’Évian, d’une crosses. les sarments, sortis de la tête, à un œil à la les plants enracinés, c’est ici que je la vois crosse type, très fournie de branches et couronne, pour grossir et fortifier la tête

16 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie (fig.179 A) ; à partir de quatre à cind ans, J’essayerai vainement de donner une idée tions rentrent dans les types de la Savoie courte, sont loin cependant d’être encore et ne forment point, d’ailleurs, le fond des exclusivement adoptés : la blanquette et vignobles. la roussette grosse et petite s’observent encore à Évian, à Thonon, à Douvaine, à Dans sa viticulture en plein champ et bas- Féterne, parmi les blancs, et le savoyan ou se sur terre, la Haute-Savoie s’est absolu- savoyen, gros rouge, le plant de Lyon, le ment inspirée de deux méthodes, l’une savagnin, le plant de Dôle et le cortaillaud suisse, l’autre savoisienne, qui la parta- sont toujours la base des vins rouges, gent à peu près par moitié, chacune de ces surtout le savoyan ou savoyen, qui n’est cultures dominant de plus en plus à me- autre que la mondeuse de Savoie. Grâce sure qu’elle s’approche davantage du pays à la roussette, à la blanquette et au kle- duquel elle dérive évidemment. Sur les vnet ou pineau gris, on fait d’excellents bords du Léman et le long de la rive gau- vins blancs à Évian, à Seyssel, à Frangy, che du Rhône qui en sort, les minages ou à Aïsse, etc. défonçages se pratiquent de jour en jour Les vins rouges de Thonon, de Frangy, de davantage, comme en Suisse : la vigne en Menthon, de Veyrier, de Talloires et de lignes parfaites, les ceps à 80 centimètres certains coteaux de Bonneville à Anne- dans le rang, devient la loi commune ; masse sont très bons, se conservent bien les échalas à chaque cep de 1,30m à 1,50 et se transportent de même, surtout en m parfaitement alignés, y sont adoptés ; montant et en allant vers le nord. l’ébourgeonnage (appelé effeuillage dans le pays) s’y fait avec soin ; le relevage et À mesure qu’on observe les vignes plus le liage, y sont faits deux fois ; le rognage près du département de la Savoie, on re- entre les deux sèves pour refouler la sève trouve prédominante la culture sans dé- (comme disent avec raison les vignerons) fonçage profond : les vignes sont sans s’y pratique scrupuleusement ; un ou deux alignement et parfois sans échalas ; le labourages, avec deux binages ou ratissa- savoyen ou mondeuse domine dans les ge et plus, tiennent les vignes constam- plants rouges ; on y voit reparaître le per- ment en bon état ; les fumures abondan- san gros et petit, la douce noire ou cot, tes y sont données tous les trois ans. Le la blanquette et la roussette, parmi les fendant vert et le fendant roux (cépages blancs ; on ébourgeonne, mais on ne fait suisses, sorte de chasselas) y sont cultivés plus le rognage entre les deux sèves ; les de prédilection ; ce sont des professeurs vignes sont moins bien attachées et sont on forme trois ou quatre bras horizontaux, de leur aspect dans la figure 190 : les de Genève et des inspecteurs du canton binées moins souvent ; elles sont moins en le plus souvent trois, sur la tête, taillés à feuilles de l’érable, qui constitue la haie, et qui y viennent donner des leçons (car en état permanent de propreté : en un mot, la un œil (fig. 179 B) ; et enfin, plus tard, la ses rameaux se confondent avec ceux de la Suisse on enseigne la viticulture), et ils y culture de la Savoie se retrouve tout entiè- taille de chaque courson, sur chaque bras, vigne de telle façon, qu’il est très difficile de sont particulièrement influents. Sous ce re. Mais si les traditions défectueuses sont est portée à deux yeux (fig. 179 C). distinguer la vigne de l’arbrisseau auquel régime bien observé, la plupart des vignes conservées, les bons et anciens cépages le L’échalas, enlevé seulement à la taille, est elle est mariée et de comprendre rien à la rendent de 80 à 100 hectolitres à l’hectare sont aussi ; et à mes yeux, il y a par là ; mais le vin de ces vignes, comme celui de remis au premier labour. vue d’ensemble. Les crosses d’Évian et les plus que compensation entre la méthode […] la Suisse, est bien inférieur à celui du dé- savoisienne et la méthode suisse. haies d’Yvoire sont les deux extrêmes de partement de la Savoie et à la plupart des Après cette étude de la vigne en crosse, la culture de la vigne sur arbres. Rien n’est mieux planté, dressé, échalassé, il est curieux de jeter un coup d’œil sur vins de France : toutefois, il se vend bien aligné, épampré, lié, rogné, labouré, sarclé les vignes en haies contre terre, dont on On voit encore sur les bords du lac des vi- et aussi se vend cher, à cause des faciles et fumé qu’une vigne suisse au bord du voit encore des échantillons entre Yvoire gnes sur arbres en quinconce ou en lignes débouchés. Léman : mais aucune taille, selon moi, ne et Thonon, dans le même arrondissement ; on y voit également des treilles plus ou Les fendants verts et les fendants roux, serait moins intelligente et moins produc- qu’Évian. moins élevées, et entre et sous lesquelles se qui donnent abondamment à la taille tive, si elle ne s’appliquait à des cépages font diverses cultures : mais ces disposi- qui donnent énormément à la taille courte.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 17 La taille suisse est la taille en tête de saule, paux vignobles de l’arrondissement occu- quart, dont le jus trouble est mis à part. cinq ans, propriétaire de vignes et grand sorte de moignon renflé sur lequel pous- pent la rive nord-est du lac : les vignobles C’est là la pratique du pays ; on m’affirme oenophile de Talloires. sent les sarments porteurs au nombre de de Veyrier, de Menthon et de Talloires y que les vignerons n’en changeraient pas. trois, quatre, cinq et jusqu’à six, suivant sont étagés au-dessous de la Tournette, J’ai goûté des vins rouges du lac d’Annecy Nous avons goûté, outre les vins rouges, la force de la végétation (fig. 191, a). A la qui les domine en magnifiques frontons de 1855, de 1846, de 1834 et de 1802 : ils des vins blancs de roussette de 1861 et de taille sèche, chaque sarment est taillé à un de rochers, à 4 000 m de hauteur, et leurs ont bien le bouquet, la saveur et les quali- 1859 : le premier rappelait la tisane de œil France et le borgne ‘œil assis à l’em- vignes descendent jusqu’à l’eau du lac. Le tés hygiéniques des vins de mondeuse, et, Champagne et la Blanquette de Limoux ; pâtement du sarment sur le vieux bois) ; château de Menthon s’élève sur le som- quoique inférieurs aux vins du départe- le second avait plus d’alcool formé et tirait souvent même le sarment est rabattu sur met d’un cône de vignes, entre le lac et la ment de la Savoie, ils sont néanmoins très à l’amer des vins du midi. Les vins blancs le borgne sans œil franc, quand la vigne montagne et il semble commander tous les sains et très bons ; mais leur mode de cu- de Bonneville de l’année, ceux d’Aïsse, ne semble pas assez vigoureuse. On va- vignobles de la côte. vaison est compliqué fort inutilement et sont légers, agréables, coulants : à mesure rie la taille en tête de saule en donnant trop prolongé, puisque la cuvaison dure qu’ils vieillissent, ils prennent du spiri- à la souche deux, trois ou quatre petites M. Gaillard, président du Comice agricole au moins douze jours. tueux et rappellent un peu le Pouilly. cornes ou moignons (fig. 191, b). Les fen- d’Annecy, M. Poulet, maire de Talloires, On met le vin dans de grands et vieux Les vignes de l’arrondissement de Bonne- dants, ainsi que quelques autres cépages MM. Sautier, Dunand et Jacmod et M. vaisseaux, qui souvent donnent des goûts ville sont surtout assises sur les flancs est, à vins négatifs et communs, supportent Augier, secrétaire du Comice, qui m’ont de fût et déterminent l’acescence ; néan- sud et sud-ouest et sur les rampes infé- très bien cette première et deuxième taille fait visiter leurs vignobles, déguster leurs moins les vins que j’ai goûtés étaient pour rieures du môle de la côte Hyot, au nord en Suisse et dans la Haute-Savoie, comme vins, et qui m’ont édifié sur tous les faits la plupart très droits, surtout ceux de M. de Bonneville, et elles s’étendent en sui- les gouais, guenche, foirard, gamay, etc. de leur viticulture, classent ainsi le rende- le docteur Roger, âgé de quatre-vingt- vant l’Arve dans le sens d’Annemasse. la supportent en Jura, en Bourgogne et en ment respectif des trois principaux vigno- Beaujolais ; comme le jurançon, les terets- bles : Menthon, 50 hectolitres (production bourets et les aramons, le grenache, etc. la moyenne) ; Talloires, 70 hectolitres ; et supportent dans le midi. Veyrier, 80 hectolitres à l’hectare . Une telle production impose une réserve ex- J’essaye de donner ici l’aspect général trême dans les réformes de la culture. d’une vigne suisse ou de Seyssel, ou de Collonges, comme on voudra, soit qu’on Le cépage dominant qui est la mondeuse, entende établir que la France a imité la véritable trésor de la Savoie, mérite aussi Suisse ou bien que la Suisse a imité la d’y être parfaitement respecté. France. Ce qui est malheureusement cer- La vendange se fait ici dans des paniers, tain, c’est que la viticulture suisse est la dont le contenu est versé dans des hottes, plus soignée des deux dans la même mé- lesquelles sont portées et vidées dans les thode (voir la fig. 192). cuves, sans que le raisin soit foulé. Aussi- tôt que la fermentation est déclarée, le vi- À Annecy, quelques rares propriétaires gneron foule la surface de son marc pour défoncent pour planter ; la majorité plan- qu’il ne s’aigrisse pas ; il recommence, te en fossés de 1 mètre de large, à deux toutes les douze heures, ce foulage su- rangs qui seront provignés plus tard pour perficiel pendant trois jours. (Il faut no- garnir l’intervalle de 2 mètres laissé en- ter qu’il a fallu deux ou trois jours pour tre chaque fossé de première plantation ; emplir la cuve.) Cinq à huit jours après on dresse la souche sur deux ou trois bras ces trois jours de foulage, on reprend la taillés à courson à un ou à deux yeux ; on grappe dans la cuve pour en sortir le li- met des échalas de 1,30 m à chaque cep ; quide ; dans plusieurs vignes il n’y en a même Le jus exprimé est remis dans la cuve, qui pas du tout ; l’on n’ébourgeonne pas, l’on a gardé le quart environ de son marc. On ne rogne pas ; en un mot, les pratiques suspend pendant trois jours le pressage ; de viticulture de la Savoie se retrouvent on attend que le jus s’éclaircisse, et après à peu de chose près à Annecy. Les princi- le tirage de la cuve on presse le dernier

18 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Elles sont encore, pour la plupart plantées de Lyon ou gamay et le savagnin, espèce de droit, une des raisons qui ont le plus nées est de 1 franc à 1,25 franc et nourri. sans alignement ; mais la méthode suisse pineau noir, mais très rare aujourd’hui: le déterminé l’accroissement de la vigne Un bon domestique se paye 200 francs pénètre déjà dans leur culture et finira par cortaillaud est aussi un peu cultivé dans se trouverait dans la destruction entière par an, nourri, logé et blanchi. Les vignes s’y installer entièrement, car elle est plus l’arrondissement. Les cépages blancs qui d’une grande forêt de sapins située sur suisses, en face de Thonon, emploient les parfaite et plus productive que la méthode dominent sur les rampes du Salève, à le versant de la montagne faisant face au femmes savoisiennes pendant six semai- savoisienne. A propos de cette observa- Saint-Julien et à Annemasse, sont les fen- village de Collonges, point milieu de cette nes aux opérations de l’épamprage, qui ne tion, M. Dufour, maire de Bonneville, me dants verts et roux ; tandis qu’à Seyssel, contrée. Une différence notable, disent-ils, se font guère ou qui ne se font pas bien en dit qu’avant que la vigne y fût cultivée Frangy, Musiège, ce sont les roussettes s’est fait sentir depuis lors dans le climat, Savoie. Une femme est payée 20 francs et et bien cultivée, la misère existait dans la hautes et basses, qui donnent des vins devenu chaud, moins humide et moins su- nourrie pour ses six semaines. commune d’Aïsse, tandis qu’aujourd’hui plus fins et plus spiritueux. Les vins de jet aux brouillards froids et aux gelées du M. Duboloz, trésorier du Comice, me dit, Aïsse est un des plus riches pays de la Musiège, récoltés sur l’asphalte pur, sont printemps.» en présence de M. le baron Dupaz et de contrée, grâce à ses vignes et à ses vins très fins et très agréables ; ceux de Frangy M. Borin, maire de Thonon, que la vigne blancs très estimés. sont beaucoup plus forts et peuvent en- À Thonon, comme à Saint-Julien, comme est ce qui rend le plus dans l’arrondisse- trer en ligne avec les vins blancs secs de à Bonneville, comme à Annecy, le cépage ment. Les vignes rendaient 7 p. % quand Les propriétaires et vignerons progressis- liqueur. rouge dominant est le savoyan, savoyen, le chart de vin se vendait 100 francs ; tes minent le sol jusqu’à 1 mètre, au prix gros rouge, ou mondeuse, qui ne constitue aujourd’hui il se vend 200 francs. de 860 francs les 29 ares plantés, avec Pour les vins rouges, la cuvaison est plus qu’une seule et même espèce à deux varié- M. le président du Comice ne peut ap- crèche ou muraille intermédiaire faite. On simple et moins prolongée qu’à Annecy tés, grosse et petite. Le savagnin et le pi- prouver les fraudes provenant de l’exagé- plante au pal, à 30 centimètres de profon- et à Bonneville ; elle varie de cinq à huit neau gris se joignent à la mondeuse pour ration des cultures de betteraves pour la deur, on ajoute du sable de l’Arve, légère- jours. les vins rouges, qui sont la principale pro- […] distillation ; il pense que la betterave en- ment humecté, et l’on tasse fortement : on duction de l’arrondissement. Toutefois la graisse le bétail, mais qu’elle ne le crée pas laisse trois yeux dehors ; la distance est de À Collonges-sous-Salève, les cépages roussette et la blanquette donnent, avec le ; il regarde la culture industrielle comme 80 centimètres entre les lignes et les ceps blancs sont ceux du canton de Vaud gringet et le verdet pour vignes basses et engendrant la misère et la dépopulation. au carré. La taille est en tête de saule : la maintenant ; on les a substitués aux an- la séchette, pour treilles, de très bons vins J’étais heureux de rencontrer chez un conduite est la même qu’en Suisse, sauf ciens, provenant sans doute de Frangy et blancs ; les fendants verts et roux sont agriculteur aussi distingué que M. le ba- pour la roussette, grosse et petite, à la- de Seyssel. également cultivés, mais surtout pour la ron Dupas des convictions raisonnées qui quelle on laisse trois yeux francs, au lieu Quand aux cépages rouges, ce sont : le quantité. sont absolument les miennes. d’un laissé aux fendants verts et roux. gros rouge, dit savoyen, mûrissant tardi- Le gringet complète la liste des cépages vement : le plant de la Dôle ou cortaillaud, La production moyenne des vignes de En somme, dans tous ses arrondissements, blancs de Bonneville avec les roussettes et le plant de Lyon ou gamay avec le sava- Thonon est de 40 hectolitres, et les vins la Haute-Savoie peut faire de bons vins de les fendants. Quand aux cépages rouges, gnin ou petit pineau ; puis une variété rouges et blancs s’y vendent de 35 francs consommation ordinaire ; dans chacun la mondeuse (savoyen) en est la base avec précoce de pineau provenant de Zurich, à 40 francs l’hectolitre. d’eux elle compte des surfaces considéra- un peu de persan et de douce noire. On appelée klevner : c’est probablement notre Le sol est calcaire, silici-ferrugineux, avec bles où la vigne peut prospérer. Près d’An- cuve les vins rouges dix à douze jours ; morillon hâtif, dit précoce aux environs au sous-sol,du gravier marneux à 66 cen- necy, en venant de Saint-Julien, avant et mais les trois cinquième de l’arrondisse- de Paris. timètres de profondeur. après le torrent du Fier, j’ai vu des sites et ment sont blancs. L’exploitation des vi- Les cultures de la vigne sont mi-partie à des terres à vignes magnifiques. La plus gnes se fait à moitié fruit entre le vigneron La culture des vignes du Salève est celle la suisse, mi-partie à l’ancienne méthode grande partie de la plaine, entre la Roche qui fournit toute la main d’œuvre, la moi- de la Suisse : du moins cette méthode y savoisienne. Les plants rouges sont à 80 et Bonneville, n’est propre qu’à la vigne. tié des échalas et du fumier, et qui paye la domine. Les vignes sous Salève sont sou- centimètres et les blancs à 66 centimètre. De Saint-Julien à Beaumont, les environs moitié des impôts, et le propriétaire, qui vent gelées et grêlées : cel diminue le chif- J’ai vu beaucoup de vignes bien échalas- de Thonon ne comptent pas la douzième fournit l’autre moitié et partage les vins, fre du rendement moyen, qui, pour les sées et alignées : j’en ai vu d’autres sans partie des vignes qui pourraient y pros- les marcs et les sarments. M. Jacquier, se- raisins blancs, s’approche pourtant de 80 échalas et sans alignement. Les cuvai- pérer. crétaire du Comice agricole, a bien voulu hectolitres à l’hectares. Aussi étend-on la sons durent de six à dix jours ; on mêle Aucun pays ne possède des débouchés me faire visiter les vignes et me fournir culture de la vigne partout où elle peut les vins de pressurage aux vins de cuve, plus faciles et plus sûrs vers le nord que tous ces renseignements. réussir. et l’on conserve les vins en bonnes caves la Haute-Savoie ; elle peut donc, elle doit Ici M. Bouthillier de Beaumont place une voûtées. se livrer à l’extension énergique de ses vi- Le plant dominant à Saint-Julien est en- gnobles. core le savoyen, auquel se joignent le plant observation très importante : L’exploitation la plus générale des vignes «Au dire des agriculteurs âgés de l’en- se fait à moitié produits. Le prix des jour-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 19 Tome II du livre de Jules Guyot © Archives départementales de la Savoie © Archives

20 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 1.4. Cartographie de l’évo- culièrement ambitieuse. Son achèvement dut attendre la fin de la seconde guerre lution du vignoble savoyard mondiale. (1732/1860/aujourd’hui) Les dernières communes a être dotées de ce nouveaux cadastre furent celles du 1.4.1. Méthodologie Val d’Arly, qui comme durent at- tendre 1945 pour changer de cadastre et La Savoie a la “chance” exceptionnelle abandonner la “mappe sarde” de 1732, de disposer de deux cadastres tout à fait alors toujours en vigueur. remarquables : Cet étalement dans la réalisation du ca- - le cadastre dit “sarde”, réalisé au début dastre “français” complique un peu l’étu- de 18e siècle à l’initiative du roi de Pié- de du vignoble, car ces opérations cadas- mont-Sardaigne, Victor Amédée II, sur trales furent pour l’essentiel conduites au l’ensemble des communes des “États de plus fort de la crise phylloxérique, sans Savoie” (soient près de 600 communes) qu’il ne soit vraiment possible de savoir et quelques 200 communes du Piémont. dans quelle mesure cette catastrophe a Ce cadastre, dans sa formule la plus éla- été prise en compte ou non par les géo- borée, c'est-à-dire celle mise en œuvre mètres du cadastre. en Savoie, intégrait des cartes très pré- cises réalisées à une échelle proche du Il est d’ailleurs à noter que la réalisation 1/ 2400e. du cadastre “sarde”, faite avec des ins- Ces cartes étaient accompagnées d’un truments rudimentaires (compas et plan- ensemble de documents qui permettaient chette) avait été entièrement conduite en d’asseoir l’impôt sur la propriété foncière, 5 ans, avec une précision et une exacti- ce qui était une nouveauté “révolutionnai- tude tout à fait remarquable. re” mettant, dans les faits, fin à la féoda- lité plusieurs années avant la Révolution Pour conduire l’étude de l’évolution du française. vignoble, mesurée à l’aune des archives Les cartes du cadastre “sarde”, les cadastrales, une difficulté première a été “mappes sardes” sont désormais prati- celle d’accéder et de collecter les don- quement toutes numérisées et bon nom- nées de quelque 32 communes viticoles. bre d’entre elles ont fait l’objet d’une Cette quantité importante de documents départementales de la Savoie © Archives exploitation cartographique (avec géo- a limité les possibilités de traitement (im- Cadastre “sarde”, 1732, de la commune de Jongieux (Savoie). référencement, etc.) connue sous la dé- possibilité formulée par les services des nomination d’ “Atlas Barbero”, du nom de archives départementales concernés ; Dominique Barbero, initiateur du projet. coût dissuasif des reproductions sur CD; impossibilité matérielle de traitement de - Quand la Savoie fut rattachée à la Fran- données uniquement accessibles par in- ce, en 1860, l’État français se lança dans ternet), la réalisation d’un nouveau cadastre, connu sous le nom de cadastre “fran- - Pour le cadastre “sarde”, ont été utili- çais”. sées les données tirées des cartes dispo- La période napoléonienne avait déjà nibles sur CD, des cartes accessibles sur connu tel projet, mais le cadastre dit “na- Internet et de certaines cartes de l’ “Atlas poléonien” ne fut réalisé que sur un très Barbero” consultées en salle aux Archi- petit nombre de communes. Cette opéra- ves départementales de Haute-Savoie, tion, conduite à partir de 1860, était parti- départementales de la Savoie © Archives Détail du cadastre “sarde”, coteau de Marestel avec la représentation figurative des ceps de vigne.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 21 - Pour le cadastre “français”, l’idée de dé- La qualité de l’impression ne permettait part était de traiter les données des feuilles au final pas de traiter les données, c'est- cadastrales, qui auraient été assemblées à-dire de lire les indications portées sur commune par commune. Mais la masse chaque parcelle (V ou Vig pour vigne). de documents requis a conduit les Archi- La solution adoptée a été au final de partir ves départementales de Savoie à refuser des tableaux d’assemblage communaux d’en faire une copie CD. Restait alors la sur lesquels étaient reportées les gran- possibilité de faire imprimer les docu- des masses de culture, un peu à l’image ments à partir des feuilles mises en ligne de ce qui avait été fait pour le cadastre sur les sites internet Sabaudia (73+74). napoléonien. © Archives départementales de la Haute-Savoie © Archives Canevas trigonométrique de la commune de Ballaison (Haute-Savoie) réalisé par les géomètres en 1883. Ce choix contraint s’est un peu opéré pris six mois pleins. Ces informations au détriment de la précision. Une étude étaient virtuellement disponibles dans précédente, semblablement menée sur les services de la Maison de la Vigne et le territoire du canton d’Aime en Savoie, du Vin de Savoie, mais n’avaient jamais avait montré les différences pouvant exis- fait l’objet d’une exploitation globale per- ter entre l’emprise des vignes repérées à mettant la visualisation de l’emprise ac- la parcelle près sur les feuilles sectionna- tuelle totale du vignoble. Après une très les et l’emprise du vignoble reportée sur longue attente et la solution de problè- © Archives départementales de la Haute-Savoie © Archives Tableau d’assemblage du cadastre de 1883 de la commune de Ballaison (Haute-Savoie). les tableaux d’assemblage communaux. mes informatiques du SIG, la sortie PDF Mais, compte tenu de l’échelle d’analyse, réalisée par les services géomatiques de il est apparu que ces dernières indications la Chambre d’Agriculture Savoie Mont- étaient satisfaisantes pour cette étude. Blanc a permis la visualisation de l’em- prise actuelle globale du vignoble. Il convient d’insister sur la remarquable Il faut souligner que l’outil mis en place qualité de ce premier cadastre français par et pour les viticulteurs a plus un usage dont la précision et le détail, que cela soit à la parcelle, qu’à cette grande échelle. au niveau des relevés de bâtiment, de la nature des sols, ou de la toponymie, sont - Pour le secteur Ayse/Marignier/Bon- impressionnants. neville, c’est le cadastre “français” qui a cette fois posé problème. - Paradoxalement, la plus grosse difficulté Les indications portées sur les tableaux aura été l’accès aux données concernant d’assemblage ne le sont pas avec l’ins- l’emprise géographique actuelle du vi- cription de lettres spécifiques V( pour vi- © Archives départementales de la Haute-Savoie © Archives gnoble savoyard. Ceci aura pratiquement Détail du tableau d’assemblage du cadastre de 1883 de la commune de Ballaison (Haute-Savoie). gne), mais avec un système de surcharge

22 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie de couleur (série de bleutés très voisins 1.4.2. Analyse cartographique les uns des autres). Avant d’aborder l’analyse proprement Pour comprendre à quoi se rapportent dite, il faut préciser, que le jaune qu’on ces surcharges de couleur, seule solu- voit sur les cartes qui suivent, et qui cor- tion, se reporter aux feuilles cadastrales respond à “l’emprise du vignoble actuel”, mises en ligne sur Internet, mais en les a disparu de presque toutes les commu- agrandissant pour pouvoir lire le lettrage nes savoyardes, qui, si elles étaient pré- mentionné pour chaque parcelle. Ceci sentées ici, seraient pour beaucoup (mi- est un exercice pratiquement impossible, ses à part les communes de “montagne” car la seule solution serait d’imprimer ces ou d’altitude) elles aussi passablement e feuilles cadastrales à partir des CD origi- bariolées de bleu (vigne au début du 18 e naux des archives, ce qui on l’a vu est im- siècle) et de rouge (vigne à la fin du 19 possible. Le vignoble d’Ayse n’a pu pour siècle). cette raison être traité dans l’étude. Il faut insister sur le fait que c’est princi- palement la disparition de la vigne sur ces - Le problème est un peu différent pour communes, où elle est aujourd’hui tota- le vignoble de moyenne Maurienne. Ce- lement absente (ou présente sous forme lui-ci a pratiquement entièrement dis- de “reliques” anecdotiques), qui explique paru. Seules (ou presque) subsistent les l’impressionnante réduction des surfaces quelques parcelles remises en culture à viticoles depuis la fin du 19e siècle. Hermillon, Saint-Jean-de-Maurienne et Saint-Julien-Montdenis par l’association L’analyse qui suit porte donc sur des Solid’Art. communes encore considérées comme Comme le propos de cette partie de viticoles aujourd‘hui mais où l’évolution © Olivier Pasquet du vignoble laisse apparaître de grandes Document intermédiaire de travail : sur le fond d’assemblage cadastral de la commune de Chigin, en bleu l’étude était bien d’aborder et de quan- l’emprise du vignoble sur le cadastre de 1732 -avec en gris les parties détériorées- et en rouge, superposée tifier la dynamique d’évolution du vigno- disparités. l’emprise du vignoble sur le cadastre “français” de 1875. ble, les cartes de ce secteur ne sont pas Une question fondamentale doit être évo- présentées ; le vignoble ayant pratique- quée en préalable. Ce sont donc pour des raisons, autant que les chiffres de superficie doivent être ment disparu. Pourquoi la vigne est-elle restée dans naturelles que foncières, que les vigno- nuancés, puisque si globalement le recul Il est sûr que cette analyse pourrait être ces communes et pas dans les autres? bles, présentés dans les cartes suivantes est spectaculaire, sur certains secteurs conduite avec une précision encore plus Sans parler des communes où, de fait, la (à l’exception de celui d’Ayse), ont sur- de nouvelles vignes ont vu le jour. grande pour ces deux premières pério- vigne n’est pas la bienvenue, certaines vécu à ce qui apparaît, au vu des chiffres, Sur les différentes cartes qui suivent, un des de références (1732 et fin du 19e/dé- communes étaient encore citées par Ju- comme un vrai cataclysme, au change- fond cadastral IGN Géoportail a été uti- but du 20e siècle), mais c’est, a priori, la les Guyot, en 1868, il n’y a donc pas si ment de références d’une société qui lisé comme habillage pour faciliter la lec- première fois que ce type de travail est longtemps, comme très viticoles : abandonne l’essentiel de ses traditions ture en faisant référence à la localisation conduit sur l’ensemble des grands vigno- - pour la Savoie : Saint-Jean et Saint- viticoles (héritées de l’antiquité) en seule- du bâti ainsi qu’à la plus ou moins grande bles de Savoie. Michel-de-Maurienne, Aiton, Aiguebelle, ment un peu plus d’un demi siècle. Conflans, Montailleur, densité du découpage parcellaire. Il convient de préciser que dans les pa- Les cartes qui suivent donnent donc des - pour la Haute-Savoie : Annecy, Men- ges qui suivent les cartes ont été mises à éléments complémentaires pour analyser thon, Talloires, Veyrier, Faverges, Bonne- la même échelle, ce qui permet de com- l’évolution du vignoble par croisement ville, Annemasse, Évian, Collonges, etc.). parer l’importance respective de leur em- avec les données chiffrées et les descrip- Les réponses à ces questions sont cer- prise présente et passée et de comparer tions du vignoble retranscrites dans les tainement à trouver dans le premier cha- leur évolution. paragraphes précédents. pitre de cette étude (“Les origines”) et dans la propriété nobiliaire, aristocratique Elles montrent en tout état de cause que et bourgeoise des vignobles de qualité. l’évolution du vignoble est complexe et

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 23 © Olivier Pasquet Brison-Saint-Innocent : vignoble de la Combe aux Moines (hors carte ci-contre).

a. Vignoble de Chautagne accrue sur Ruffieux et Chindrieux et s’est Le vignoble s’étire avec une remarqua- réduite sur Motz et Serrières. ble cohérence au bout du lac du Bour- get, depuis la commune de Chindrieux et Le vignoble d’aujourd’hui s’est plus ou pour finir à Motz (mais en fait la continuité moins maintenu sur la commune de géographique se prolonge avec le vigno- Ruffieux, par contre, et notamment par ble de Seyssel). rapport à son emprise sur le cadastre Il débordait également, encore 1881 sur “français”, il a très nettement diminué sur l’autre rive du lac du Bourget à et les communes de Chindrieux, Serrières , mais sur ces deux communes le et Motz (commune où la “déprise” viticole vignoble a presque disparu aujourd’hui, a été la plus forte). mis à part une étroite bande de vigne C’est d’ailleurs un peu comme si le pro- prolongeant le vignoble de Lucey. cessus d’abandon de la vigne qui a tou- Cette cohérence du vignoble s’est pour- ché spectaculairement (cfr. pages suivan- suivie entre la période d’élaboration des tes) le vignoble de Seysel, au nord, avait deux cadastres (sarde et français). Il est gagné par contagion, celui de Chauta- © Olivier Pasquet pourtant à noter que durant cette pé- gne. Carte de l’évolution du “vignoble de Chautagne”, depuis 1732. riode, l’emprise du vignoble s’est plutôt

24 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie © Olivier Pasquet Le vignoble de Jongieux, vu du site de Saint-Romain. b. Vignoble de Jongieux Saint-Jean-de-Chevelu. Cette pratique culturale étant d’ailleurs attestée par la

Le vignoble historique (en bleu sur la car- tradition orale (“on vendangeait les hi- © Olivier Pasquet te), compris comme celui de la “mappe boux”) et la première couverture photo- Carte de l’évolution du “vignoble de Jongieux”, depuis 1732. sarde de Jongieux”, s’étire principalement graphique aérienne IGN de l’année 1937 dans les années 1920 et moins enco- le long du Rhône pour suivre ensuite les qui montrent une multitudes d’arbres re en 1732 (principalement le secteur flancs de la montagne de la Charvaz en parsemant les cultures. de Saint-Romain). direction du Mont-du-Chat. Sans surprise bien sûr, les “hutins” ont La réduction des surfaces en vigne (ca- Une autre partie occupe les pentes disparu. Dans l’immense majorité des dastres “sarde” et “français”) a été spec- surélevées dominant la plaine du Rhône cas, ils n’ont pas été remplacés par de la taculaire à et à Saint-de-Chevelu. de Yenne. vigne, mais par les céréales ou les prai- ries. Le cadastre “français” réalisé sur ce sec- Elle a été plus mesurée à Lucey où cette La carte montre clairement un noyau de teur au début des années 1920, montre “déprise” s’est cantonnée aux pentes rai- “dynamisme” viticole qui s’est développé une expansion spectaculaire de la vigne des des “Côtes du Rhône” sur lesquelles et organisé à partir des communes de en “hutins” (ou “hautains”) (en rose sur la la difficulté d’exploitation semble extrê- Billième et surtout de Jongieux, où la vi- carte), en particulier sur la commune de me. Par contre à Billième et plus encore gne apparaît clairement aujourd’hui com- Yenne, mais aussi en proportion plus mo- à Jongieux, la vigne a gagné des sec- me la culture largement prédominante. deste sur celles de Billième, Jongieux et teurs où elle était peu (voire pas) présente

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 25 © Olivier Pasquet © Olivier Pasquet Photo de groupe dans le vignoble des Abymes, devant le Mont Granier, pendant l’étude de sol réalisée par le B.E. Sigales. Carte de l’évolution du “vignoble des Abymes”, depuis 1732.

c. Vignoble “des Abymes” parcelles qui n’étaient pas en vigne en La catastrophe de 1248 a d’évidence Par commodité le terme des Abymes est 1868, ni en 1732. Le processus est plus créé un terroir propice à la viticulture, utilisé pour regrouper le vignoble qui s’est complexe sur la commune des Marches mais elle a créé aussi des opportunités créé sur les terrains bouleversés par l’ef- et celle de Myans, où nombre de par- foncières pour les personnes venant de fondrement du Mont Granier en 1248. celles en vigne en 1868 ont vu la vigne l’extérieur (“forains” de Chambéry pour les abandonner alors qu’elle en a ga- l’essentiel), cultiver la vigne sur des ter- Ont été retenues pour la carte, les com- gné d’autres, proches, qui ne l’avaient rains dont ils n’étaient pas propriétaires munes d’Apremont, des Marches et de jusqu’alors jamais connue. (cf. le procès évoqué au premier chapitre Myans, mais auraient pu s’y ajouter les “Les origines”). communes voisines de Saint-Baldoph et Pour appréhender avec une plus grande Chapareillan (avec un problème de dis- précision cette évolution complexe, il Le commerce du vin écoulé à Chambéry ponibilité de sources pour cette dernière conviendrait de travailler à la parcelle pour a vraisemblablement généré un dynamis- commune isèroise qui ne possède pas de ce qui concerne le cadastre dit “français”, me viticole et commercial qui n’a fait que cadastre “sarde”). car dans un tel contexte d’émiettement croître à partir du 18e siècle. parcellaire, les blocs de parcelles de vi- La pression foncière pour mettre en vigne Sur les trois communes cartographiées gnes, dessinés sur les tableaux d’assem- de nouveaux terrains n’a visiblement pas la progression du vignoble entre 1732 blage par les géomètres, manquent peut- été stoppée par la pandémie phylloxéri- (parcelles en bleu) et l’année 1868 durant être de rigueur, sans qu’il ne soit pourtant que et a pu trouver une intensité nouvelle laquelle est réalisé le cadastre “français” lieu de remettre en cause ses grandes avec l’ouverture de nouveaux débouchés (en rouge sur la carte), est spectaculaire. lignes. commerciaux (stations de ski). Cette progression paraît se poursuivre avec l’emprise actuelle du vignoble sur Une chose apparaît clairement avec la commune d’Apremont, gagnant des l’analyse de ces sources cadastrales.

26 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie © IGN Géoprtail Détail de la vue aérienne actuelle du coteau de Tormery (Chignin, Savoie) avec les terrassements des années 1980 et juste au-dessus la trace des anciennes parcelles de vignes reboisées. d. Vignoble de la Combe de Savoie un siècle et demi, résultant d’enjeux fon- Le vignoble s’étend sur les pentes raides ciers (très vraisemblablement viticoles) montant vers le chapelet des sommets particulièrement tendus. dominant la plaine de l’Isère (Roc de Tormery, la Savoyarde, le Tapin, la Roche La comparaison avec l’emprise actuel- du guet) avec une remarquable cohé- le du vignoble montre une très grande rence, depuis la commune de Chignin à stabilité sur la commune de Chignin ; la celle de Saint-Jean-la-Porte. Il se prolon- frange supérieure du vignoble montant ge vers l’ouest sur Saint-Jeoire-Prieuré et généralement juste un peu plus haut que surtout vers l’Est sur les communes de sa limite actuelle. Saint-Pierre-d’Albigny et de Fréterive. Par contre sur les communes de Mont- Sur les documents cadastraux de 1732 mélian-Arbin, Cruet et Saint-Jean-de-la- © Olivier Pasquet Carte de l’évolution du “vignoble de la Combe de Savoie”, depuis 1732. et 1876, le vignoble avait quelque mo- Porte la déprise viticole est notable, no- deste extension sur les communes de tamment au regard de ce qu’elle était en Sainte-Hélène-du-lac et de où 1876. aujourd’hui la vigne a disparu. Partout ou presque, le vignoble y montait beaucoup plus haut. L’abandon de ces Le vignoble, dans sa partie principale est parties hautes des coteaux est la plus resté d’une grande cohérence sans nota- spectaculaire à Saint-Jean-de-la-Porte, ble transformation, entre les années 1732 où malgré le processus de reconquête et 1875. qui semble s’y mettre à l’œuvre, le boi- Il convient de noter que le mauvais état sement et la broussaille ont remplacé de du cadastre “sarde” de Chignin, outre façon très visible la vigne de 1892. qu’il rend difficile son exploitation, atteste d’une fébrile utilisation pendant presque

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 27 f. Vignoble de Crépy Comme le vignoble de Seyssel, le f vignoble de Crépy, grâce au réseau de relation d’un de ses viticulteurs éclairé, Léon Mercier, a été l’un des premiers à obtenir l’A.O.C. qui lui a été officiellement attribuée en 1948. Mais contrairement aux vignobles de Frangy et Seyssel, le vignoble de Crépy a connu une stabilité remarquable, qui s’est perpétuée jusqu’à

© Olivier Pasquet aujourd’hui. Vue de Frangy. La période 1732/1883 a presque consti- tué une phase d’extension (modérée) du vignoble. Aujourd’hui celui-ci s’est concentré autour de son noyau central en délaissant les écarts qu’il occupait sur les trois communes de Douvaine, Ballaison

© Olivier Pasquet et Loisin. Carte de l’évolution du “vignoble de Frangy”, depuis 1732. Mais il convient de nuancer cette résis- e. Vignoble de Frangy tance par le petit nombre de viticulteurs restant en activité (moins d’une dizaine). Le vignoble de Frangy/Desingy/Musièges De plus, un exploitant possède à lui seul malgré son éclatement, était en 1732, un 63 % de la surface A.O.C. du vignoble. vignoble important, occupant une part La résistance du vignoble de Crépy n’en notable de la surface agricole de chacune demeure pas moins une belle réussite des trois communes concernées. viticole du vignoble de Haute-Savoie. Ce qui apparaît avec évidence est une réduction très importante de l’emprise du vignoble entre 1732 et 1908-1910. C’est la déprise viticole la plus importante par- mi les secteurs déjà abordés. Serait-ce une conséquence visible du ravage du phylloxéra ? La date de réalisation du ca- dastre “français” le laisserait imaginer. La déprise est en tous cas particulière- ment importante sur la commune de Fran- gy où toute la partie du vignoble jouxtant Musièges est pratiquement entièrement abandonnée. Pourtant, c’est, en fin de compte, sur cette même commune, que le vignoble a le mieux résisté. Il a totale- ment disparu de Musièges et ne subsiste qu’en parcelles dispersées (même si elles sont de grande taille) sur la commune de © Olivier Pasquet Desingy. © Olivier Pasquet Vendanges sur le vignoble de Crépy , à Douvaine Carte de l’évolution du “vignoble de Crépy”, depuis 1732.

28 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie © Olivier Pasquet Le vignoble de Seysel, à Corbonod (Ain). g. Vignoble de Seyssel Le vignoble de Seyssel et Bassy s’étire extension sur l’autre rive du Rhône (Sey- sur les coteaux qui descendent en pente sell, Corbonod, …), mais impose aussi la © Olivier Pasquet douce vers le Rhône. réflexion sur l’attribution de l’A.O.C. vin“ Carte de l’évolution du “vignoble de Seyssel”, depuis 1732. Doté d’une grande réputation des siècles de Seyssel” en 1942 (pour les commu- durant, privilégié par son implantation nes de Corbonod et Seyssel dans l’Ain et (Seyssel est un port de transit important Seyssel en Haute-Savoie) qui n’aura eu pour les échanges commerciaux vers au final qu’un impact limité (voir aucun) Lyon et Genève), le vignoble a, au début sur le maintien de la viticulture sur le sec- du 18e siècle, une emprise remarquable. teur. Contrairement au vignoble de Frangy, il résiste bien jusqu’au début du 20e siècle. L’emprise se réduit sur les deux commu- nes (Bassy et Seyssel) mais de manière très mesurée. Par contre le vignoble s’effondre par la suite, pour aujourd’hui se réduire à quelques parcelles, qu’on pourrait pres- que compter sur les doigts d’une main. Cette réduction spectaculaire de l’empri- se du vignoble peut être nuancée par son

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 29 1.5. Toponymie viticole sont les données toponymiques qu’elles 1.5.1. Commune de Jongieux Le vignoble est important, mais les topo- contiennent qui sont les plus étonnantes, (Savoie) nymes n’y sont pas si nombreux. Les archives cadastrales constituent un notamment quand leur interprétation est Le premier exemple illustrant la diver- Le nom de Mareste ou Marestel est don- base de données considérable, que celà appliquée aux terroirs viticoles. sité des utilisations possibles des don- né à plusieurs mas, ainsi que celui de soit en volume, mais aussi en qualité Jordan (Sordan ?). Cette interprétation revêt de multiples nées toponymiques contenues dans les d’informations pour la connaissance des Sur le cadastre de 1921, on retrouve des entrées : cadastres sera celui de la commune de territoires. toponymes de 1732 : Marestel, J(S)or- - l’interprétation des toponymes anciens Jongieux avec son célèbre coteau de Les pages précédentes illustrent l’inter- dan, Fontagnieu, Saint-Romain. et de leur origine, Marestel. prétation que l’on peut en faire en terme Mais beaucoup de nouveaux toponymes - l’analyse de l’évolution de ces topony- La carte de gauche positionne sur l’em- quantitatif pour évaluer l’évolution de viticoles apparaissent (notamment celui mes suivant la datation des sources, prise du vignoble de 1732, les noms de l’occupation des sols. En terme qualitatif, du “Grand Marestel”), alors que d’autres - la relation entre les toponymes et l’évo- “mas” et “lieux dits” extraits des registres les archives cadastrales permettent une disparaissent. Ceci témoigne bien de la vi- lution de l’occupation des sols. du cadastre “sarde” et cartographiés par analyse foncière très précise, mais ce M. D. Barbero. talité de la viticulture entre ces deux dates. © Olivier Pasquet © Olivier Pasquet Carte de l’emprise et des toponymes viticoles de Jongieux (Savoie) en1732. Carte de l’emprise et des toponymes viticoles de Jongieux (Savoie) en 1921.

30 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie © Olivier Pasquet Carte de l’emprise et des toponymes viticoles d’Apremont (Savoie) en 1732.

1.5.2. Commune d’Apremont ment liés à la viticulture : la Grande Vigne, (Savoie) la Plantée, la Croix du Plant... D’autres témoignent des bouleverse- La toponymie de la commune d’Apre- © Olivier Pasquet mont retranscrite sur le cadastre de ments géomorphologiques du site, Carte de l’évolution du vignoble d’Apremont entre 1732 et 1877, avec les toponymes viticoles de 1732. 1732, témoigne de l’éboulement célèbre notamment au plan hydraulique : le Pont du Mont Granier, cinq siècles auparavant: Neuf, le Marais du Chêne, Fontaine large, Si le secteur des Sables est resté sans nombreux, à tel point qu’on dirait que Les Abymes, Pierre Achée, le Mollard etc.. vigne en cette fin de 19e siècle, le Bois chaque parcelle s’est vue attribuer un Long, le Molard Martin, , les Sa- Une autre lecture possible est la lecture Carrier, se retrouve lui entièrement planté nom propre, les toponymes du tableau bles, etc. (sur la carte ci-dessus, ne figu- des anciens toponymes du cadastre en vigne. d’assemblage du cadastre d’Apremont rent que les toponymes des secteurs en “sarde”, reportés sur la carte de l’emprise Il en est de même pour le secteur de Neuf de 1877, sont ceux qui figurent sur les vigne en 1732). viticole indiquée par les données du ca- Fontaines. feuilles sectionnales qui n’en comportent On retrouve sur le tableau d’assemblage dastre de 1877, comme le montre la carte Un constat doit être également fait pour pas davantage. ci-contre. (En soulignant la notoire exten- ce qui concerne la densité des topony- du cadastre de 1877, nombre de topo- C’est sans doute une preuve de plus, si il sion du vignoble; extension qui mériterait mes : contrairement aux trois exemples nymes de la “mappe” sarde (les Abymes, en est besoin, de l’impact de la catastro- d’être affinée avec une analyse à la par- qui suivent (Lucey, Frangy, Douvaine) Pierre Hachée, le Reposoir, etc.), mais phe de 1248. on en découvre de nouveaux, directe- celle du cadastre de 1877). où les toponymes sont particulièrement

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 31 1.5.3. Commune de Lucey (“les origines”) indique que les parcelles (Savoie) concernées étaient des anciennes pro- priétés du comte de Savoie, ce qui pour- Sur la carte ci-contre (tableau d’assem- rait expliquer ce nom emblématique. blage du cadastre de Lucey de 1923) est reportée en bleu l’emprise de la vigne Par contre, l’explication avancée par le indiquée par le cadastre sarde de 1732, biologiste José Vouillamoz indiquant que ainsi que les toponymes associés pour le toponyme “les Altesses” ferait référen- cette même époque aux parcelles en vi- ce à un lieu aménagé en terrasses pour gne. la culture de la vigne et pas à l’origine aristocratique des propriétaires, paraît Ce qui apparaît en premier lieu est la peu convaincante. D’abord la superficie densité des toponymes, déjà évoquée en du secteur est bien limitée et en plus, page précédente : chaque parcelle de vi- l’étude du terrain, montre que l’ensemble gne semble porter un nom. du secteur est a peu près homogène (ver- Ceci est a priori en soi une preuve de sant rocailleux à très forte pente). l’ancienneté du vignoble, en soulignant que celui-ci a régulièrement régressé par la suite. Parmi ces toponymes, beaucoup font ré- férence à la géomorphologie : la Combe Noire, le Plat du Loup, Dessus le Sommet des Rochers, les Costes du Biez, Côte du Rhône, la Côte, les Combettes, le Petit Molard, les Molles, le Replat, ... Peu semblent directement liés à une sémantique viticole. Les Neyrettes, les Noirettes, le Crément..., pourraient l'être éventuellement (référence à un cépage, ou à la vinification?) sans que cela soit certain. Restent les références à la dimension historique du site, qui pourrait être le lieu d’implantation du cépage Altesse. Les “mas” (ou lieux dits) du cadastre “sarde”, le Château, la Porte du Château, le champ de la Rey, semblent à l’évidence © Olivier Pasquet Carte de l’emprise et des toponymes viticoles de Lucey, en 1732 (sur fond tableau assemblage de 1923). se rattacher à cette dernière dimension. Mais que dire du toponyme les Altes- ses, qu’on voit, “noyé” au milieu de tant d’autres. Le secteur est de petite super- ficie, pas très éloigné du Château de Lu- cey. Une analyse du cadastre sarde condui- te dans la première partie de l’étude

32 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 1.5.5. Commune de Frangy ment référence à la viticulture : la Grande (Haute-Savoie) Vigne, Dessus les vignes, Aux Vignolettes (et peut-être le Paradis...). La réalisation de la carte (ci-dessous) des Pour les autres dans leur majorité, il s’agit toponymes viticoles de Frangy en 1732 de références géomorphologiques (la permet de “zoomer” sur le territoire com- Coste, les Combes, etc.) ou patronymi- munal et d’évaluer à nouveau la réduction ques (Chez Roulet, etc.). importante de l’emprise viticole entre la “mappe” sarde et le cadastre “français” de 1908. Mais là, à la différence de Douvaine, seuls trois toponymes de 1732 font explicite- © Olivier Pasquet Carte emprise et toponymes viticoles de Douvaine, en 1732 (sur fond tableau assemblage de 1908).

1.5.4. Commune de Douvaine ces toponymes font explicitement réfé- (Haute-Savoie) rence à la viticulture : la Vigne d’Avaux, À Douvaine, une des trois communes de les Hutins, la Vigne du Mur, la Grande Vi- l’A.O.P. Crépy (avec Loisin et Ballaison) gne, la Plantée, la Plantaz. la densité des toponymes est là aussi Le toponyme Crépy qui a donné son nom impressionnante. Une multitude de lieux à l’A.O.C. en 1948, est même présent sur dits balise le territoire avec une précision la “mappe” de 1732, pour dénommer un extrême. secteur de vigne étendu. Sur la carte ci-dessus, n’ont été reportés que ceux qui s’attachaient à des parcel- Dans ce cas particulier, la toponymie at- les en vigne en 1732. teste avec évidence l’ancienneté du vi- Contrairement aux exemple précédents, gnoble. © Olivier Pasquet Carte de l’emprise et des toponymes viticoles de Frangy, en 1732 (sur fond tableau assemblage de 1908).

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 33 34 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie n’est jamais été faite, soit que l’ouvrage une parution trimestrielle, puis passeront Léman, membre fondateur de la “Société 2. Stratégies ait été perdu : en 1903 à une formule mensuelle. Royale Économique de Chambéry Les changements considérables qui “ pour l’Agriculture, le Commerce et les Depuis vingt ans, l’art agricole fait des La plupart des numéros a été retrouvée ” créée deux ans auparavant, publie apparaissent dans la cartographie du progrès remarquables dans le Duché de Arts vignoble savoyard, entre le XVIIIe siècle et les articles “viticoles” photographiés, son “Essai sur l’amélioration de l’agri- Savoie. La Chambre Royale d’Agriculture exception faite des années 1867, 1868 et et l’époque contemporaine, amènent à et de Commerce n’a rien négligé pour ré- culture dans les Pays montueux et en s’interroger sur les politiques conduites 1869. Pour les années 1877, 1883, 1890, particulier dans la Savoye”, (sommai- pandre et encourager les bonnes méthodes 1900, 1901, 1902, 1907, 1909, 1910, et rement évoqué dans la première partie de en matière viticole durant cette période. de culture. Toutefois, autant le cadre de l’étude que partie de 1876 et 1878, seuls les sommai- l’étude - pages 120 à 122 -). Le nouveau volume d’Annales qu’elle res ont été photographiés (en 2009), mais la disponibilité des sources, ont conduit à publie traite des questions agricoles de la Parmi les différentes thématiques agrico- arrêter l’analyse aux années qui suivirent les documents pas retrouvés (problème plus haute importance : les Epizooties, la de classement ?) en 2014. les abordées, l’ouvrage propose de nou- la première guerre mondiale. Monographie des pommes de terre et la veaux préceptes et des expérimentations 2.1. Méthodologie maladie qui les attaque, les Engrais et la La publication des bulletins mensuels afférents à la conduite de la vigne (“cha- manière de conserver sanas déperdition s’arrête “officiellement” entre Août 1914 pitre septième : De la Vigne”). La caractérisation des stratégies viticoles leurs principes fertilisants. et Juillet 1916, mais pas de trace des an- Ces recommandations s’appuient sur une e développées en Savoie, au cours du 19 Le volume suivant, qui ne tardera pas à nées 1917, 1918, 1919 et 1920. analyse du marché vinicole savoyard de e e siècle et au début du 20 siècle, s’appuie paraître, sera consacré principalement à Après l’année 1921, les bulletins pren- la fin du 18 siècle, caractérisé en premier sur l’analyse des publications des Cham- la culture perfectionnée de la vigne, à la nent plus la forme d’une compilation de lieu par une production abondante. Mais bre et Société d’Agriculture. fabrication des vins, aux soins particu- procès verbaux des réunions, sans ré- une forte consommation locale renchérit Elle a d’abord nécessité la collecte des liers qu’ils exigent pour améliorer leur dactionnel ou autres articles. La viticultu- le prix du vin et rentabilise l’importation sources dont certaines sont conser- qualité et les approprier aux besoins du re n’est plus que très rarement mention- de vin étranger (malgré le coût du trans- vées à La Bibliothèque Diocésaine de commerce extérieur». née. Pour l’analyse ont été pris, comme port) ; problème est rendu plus aigu par l’irrégularité de la production locale. Chambéry, d’autres à la Médiathèque de Malheureusement nulle trace d’un pa- “échantillons”, les années 1930 et 1940. Chambéry et, pour l’essentiel, dans les reil ouvrage n’a pu être trouvée dans les Malgré les “manques” dans la docu- Au vu de ce constat, le marquis Costa archives de la Chambre d’agriculture Sa- différentes archives et bibliothèques. Im- mentation analysée, la période couverte de Beauregard propose des méthodes voie Mont-Blanc. possible de dire si ce projet a été mené à s’étend donc sur pratiquement un siècle. de culture devant assurer une production Le dépouillement des articles concernant son terme ou non. L’analyse faite de ses riches données vi- plus régulière, améliorer la qualité pour la viticulture dans ces publications cou- Par contre, il convient d’ajouter que la ticoles est conduite conjointement avec favoriser l’exportation, avec deux axes vrent la période 1826 à 1940, en appor- suite de cette introduction évoque une grille thématique et chronologique. “l’éta- principaux “ tant les précisions suivantes : et les pro- l’abondance du vin et sa per- blissement des chemins de fer” ”. messes de richesse de ces chutes d’eaux fection - Pour la période allant de 1826 à 1857, A propos de l’exportation, Costa précise “ ”. c'est-à-dire celle de la Chambre Royale qui s’élèvent à plus de six cents 2.2. Rappel des épisodes d’ailleurs dans une note de bas de page: d’Agriculture et de Commerce, les bulle- tins sont, soit d’une parution épisodique “L’industrie s’est déjà emparée de quel- précédents “Qu’on ne croye pas que l’âpreté des che- ou irrégulière, soit malheureusement per- ques unes de ces valeurs, mais si elles Pour faire le lien avec le premier chapitre mins empêchât cette exportation. Si les dus (ce qui semble le cas pour ceux qui étaient toutes utilisées, la Savoie serait “Les origines” et caractériser le carac- vins se perfectionnent et qu’ils abondent, étaient conservés, il y a encore quelques transformée en un vaste atelier, dont les tère routinier de la viticulture que les éli- ils sortiront à grand flots ; c’est une den- années, à la Bibliothèque Diocésaine : produits alimenteraient non seulement le tes agricoles du 19e siècle s’attacheront rée de première nécessité : et le plus ou le années 1826, 1827, 1830 et 1832). commerce intérieur, mais encore l’Amé- à combattre, il est intéressant de revenir moins de perfection influe totalement sur Restent les bulletins des années 1836, rique et les principaux marchés de l’Eu- sur l’ouvrage célèbre du marquis Costa son débit. Cette vérité doit bien nous en- 1844, dans lesquels aucun sujet ne traite rope.” de Beauregard, qui, en précurseur, avait courager à en rechercher la perfection.” e de la viticulture, et celui de 1846, numéro - C’est à partir de la constitution de la tenté, déjà à la fin du 18 siècle, de mener Il propose l’introduction de nouveaux cé- spécial “Pomme de terre”, qui fait, dans “Société centrale d’Agriculture de la ce combat. pages en prenant de façon assez surpre- son introduction, l’annonce très promet- province de Savoie-Propre”, le 19 Avril En 1774 Le marquis Joseph Barthélemy nante l’exemple de l’Altesse (qui désigne teuse d’un numéro spécial “Viticulture”, 1857, que l’édition régulière des “Bulle- Alexis Costa de Beauregard, proprié- ainsi désormais notoirement un cépage hélas introuvable, soit que la publication tins” va commencer. Ceux-ci ont d’abord taire du château de Cernex à Chens-sur- et non plus un toponyme) :

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 35 “Le vin d’Altesse, qu’on prend pour un “Quand une vigne est une fois plantée, on conduite de la vigne dans la perspective “On devrait donc, pour agir selon ces vin étranger excellent, quand on le don- ne pense plus à y faire aucun changement, d’une viticulture expérimentale et savan- principes, replanter à neuf tous les ans ne pour tel et quand il est vieux et bien ou à y maintenir l’assortiment de plants te : une partie des lignes de sa Vigne ; car je conservé, est un plan de Chypre, qu’un de qu’on y avait établi d’abord. Il se dégrade “[…] ces expériences devront être écrites, suppose qu’on viendra bientôt à les mettre nos Princes a fait venir en Savoye : ce n’est cependant, et souvent d’une manière très avec soin, tous les ans pour la mémoire. toutes en lignes.”. plus un vin de Chypre [la réputation du fâcheuse. C’est là le moyen de s’avancer avec assu- A ce propos il cite le vignoble de Romans, vin de Chypre a perduré après le Moyen Votre vin n’a plus la qualité qu’on lui rance, vers la science du gouvernement de dans la Drôme, où l’ “on replante, avec le âge] ; mais c’est un vin fin, de beaucoup trouvait il y a dix ans ; d’où vient cela? la Vigne”. plus grand succès toutes les Vignes tous de qualité, et qui conserve une distinction C’est que quelques-uns de ces plants ont les vingt ans. La Savoye serait bien riche, Pourtant Costa propose, dans une pers- ”. très-grande au dessus des meilleurs vins péri ou diminué, tandis que d’autres se pective agricole globale dépassant la si cet usage s’y introduisait blancs du pays : l’espèce n’a point dégéné- sont augmentés. Les plus délicats, les seule viticulture, de mettre cette science Outre l’aménagement des caves qu’il ” ré ; elle diffère beaucoup des autres ceps. plus printemniers, les plus susceptibles de au service de ce qu’on peut qualifier déjà préconise (sol en béton de chaux poli et Agronome éclairé, Costa de Beauregard souffrir des gelées, ont succombé ; on les de productivisme viticole en privilégiant proscription du parquet bois), dans sa prend l’exemple d’un viticulteur du Cha- a remplacé par les ceps voisins de moin- une augmentation du volume de produc- proscription du bois il vante le transport blais qui a fait venir un plant de Bourgo- dre qualité, qu’on y a provigné ; le vin a tion. du vin par mulet qui évite la mise en ton- gne. changé, à mesure que la vigne a changé de neau et la consommation de bois. cépage et sans qu’on s’en soit aperçu.” “Secouant donc ici toute idée qui n’est “ “Il en fait un vin délicieux, avec de la sève, Là encore, en négatif, Costa de Beau- pas relative à l’abondance vin, nous nous Une partie des vins qui se vendent, mais différente de celle de Bourgogne : regard, nous présente la viticulture an- attacherons uniquement à cette dernière se portent à dos de mulets à Genève et c’est un vin distingué de tous les autres cienne : chaque parcelle est plantée au qualité ; et nous ne penserons à le ren- ailleurs : cette voiture leste et facile est la vins rouges du pays, par sa finesse et par départ avec un assortiment de cépages dre meilleur, qu’autant que cela ne nuira plus naturelle dans les chemins scabreux ” ses qualités supérieures. et elle est vendangée de manière unitaire pas à la quantité. Car je suppose qu’on a ; et le débit de nos vins, qui deviendra pourvu à la boisson du maître, dans un grand, si on sait les perfectionner, éten- À travers cette recommandation, il met sans prise en compte de la diversité des cépages. Ce qui importe semble-t-il alors canton réservé où l’on sacrifie l’abondan- dra certainement cet usage, qui évitera de en lumière l’importance du cépage en dé- ce à la bonté”. grandes dépenses et la ruine des bois.” nonçant la non prise non compte de cet c’est le terroir. Cette importance donnée élément par les vignerons de l’époque : au terroir, Costa la juge néfaste. Ceci amène Costa à laisser de coté une Derniers propos un peu énigmatiques. viticulture de qualité “ Costa fait référence aux chargements “Le préjugé qui attribue tout au terroir, celle des vins dont “Ce qui empêche cette recherche [en ma- les qualités distinguées se feront recher- de bouteilles décrits dans une lettre de tière d’encépagement] ; c’est qu’on est à l’exposition, au climat, est pernicieux, ” et à consacrer ses 1781, en première partie de l’étude (page parce que montrant le mal hors de nos cher par les étrangers dans la pernicieuse habitude de tout attri- recommandations à celle où “on trouvera 39 : “50 à 52 bouteilles par charge, ce qui buer au terroir. Mais avec ce préjugé, qui pouvoirs, nous ne sommes par-là excités à […] rien faire, et nous restons dans l’inaction. moins d’impôts, moins de terrein, ne fait que 25 à 26 par paniers. C’est à éloigne la recherche des plants étrangers, moins de temps employé, moins de prix Chambéry que l’on compose pour Turin, on devrait au moins s’appliquer à rassem- Que peut-on faire, en effet, pour changer la qualité du terroir, l’exposition ? etc.. capital, moins de travail pour clorre, pour la charge de 80 bouteilles, autrement 40 bler les plants qui se distinguent dans le garder le raisin, pour faire les transports par caisse ou panier.”). Mais que dire du pays, pour en essayer divers mélanges.” Nul remède, sans doute, si le mal vient de rapport avec le bois ? Évoque-t-il la mise là.” de terre, pour redoubler les cultures, Par là, il confirme la diversité de l’encépa- etc.”. en tonneau… mais de quel bois ? Sapin La leçon du marquis Costa est de dire ou épicéa ? Les ressources en chêne gement du vignoble Savoyard en 1774, Pour ses recommandations visant à aug- qu’avant d’attribuer des défauts (ou des étaient-elles suffisantes ? qui sera renseignée quelques trente an- menter la production de la vigne, Costa qualités) au terroir, il faut faire des com- nées plus tard par l’inventaire des cépa- fait notamment référence à des exem- Il aborde ensuite les questions de culture paraisons avec la conduite des parcelles ges de 1804. ples Suisses (Lavaux, environs du lac de (nécessité de la fumure) et les problèmes voisines et bien sûr porter attention au Par là aussi, il dénonce une pratique do- Bienne). Elles portent entre autre sur la de la viticulture de forte pente (obligation travail dans la cave (mais Costa précise minante voir exclusive, celle du provigna- plantation de “ de remontage annuel de la terre à inscrire que ce n’est pas l’objet de son article et sarments bien choisis, bien ge (replantation de pieds francs à partir impérativement dans les contrats de loca- qu’il convient de se référer aux nombreux nourris, plantés à distance requise dans la des ceps existants) qui limite considéra- ” ; le choix du plant ; le renouvelle- tion de vigne, utilité des fossés à creuser traités qui existent en cette matière). ligne blement le renouvellement variétal des ment des ceps. au sommet des parcelles de vignes, …). parcelles de vigne. Costa s’intéresse donc avant tout à la Pour mettre en oeuvre ses préceptes, Sur ce dernier point il précise :

36 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Costa prône la séparation absolue entre vin un peu vert, c’est toujours sans mau- à mesure qu’elles croissent, sont dirigées, rer, de les soigner, de les conduire jusqu’à viticulture et agriculture : vaise suite : ils le boivent pur, et ils ne pliées, mélangées, entrelacées, d’un arbre ce qu’ils eussent produit. Les autres, des “ lui reconnaissent d’autre effet que de leur à l’autre, de manière qu’il se forme, de plants de l’Hermitage : D’autres, de Pié- La conclusion de ce que nous avons dit donner de leur donner de la vigueur et de toute la ligne, un seul berceau de 8 à 10 mont, de Toscane, de Champagne, etc. de la Vigne, est que le vin fin doit se tra- la gaieté. Les vins forts, quand on essaye pieds de hauteur, outre la tige. Les ceps D’autres, de meilleurs plants du pays. vailler avec soin et de manière à en per- de leur en donner, leur montent à la tête, sont plantés au pied des érables, et garnis- Tous devraient s’étudier aux mélanges de fectionner principalement la qualité, pour et les altèrent.” sent tout le berceau de leurs sarments, qui raisins les plus convenables, à la meilleure en faire un objet d’exportation, après .” - “ sont là dans les situations les plus favora- manière de faire les vins avoir abreuvé le propriétaire ; que le vin Dans les alentours de Genève, un champ bles, tant pour les brins à fruit que pour abondant doit être multiplié autant qu’il planté de hutins est un objet délicieux à les brins à bois.» se peut, pour encourager les travaux et voir. Les érables qui seuls soutiennent les animer les nerfs, dans le pays. Tous deux ceps, rangés en quinconce, forment des - “Dans les lieux où le bois de chêne, ou dérangent le laboureur de la culture de ses alignements dans tous les sens. L’arbre a de châtaignier, est commun, on sait diver- 2.3. Pour la fin de la routine terres et de ses bestiaux. une forme agréable et régulière, qui est très ses sortes de hutins étayés en bois secs, vers la révolution viticole ? Le labourage et la Vigne doivent donc propre à servir d’appui aux sarments et très productifs. Ceux que l’on élève en faire deux métiers séparés absolument; fruit, qui s’élancent en corde d’un érable à muraille, sur des palissades faites exprès À partir de l’année 1858, début de la publi- s’ils sont réunis sur une même tête : le l’autre. Les branches perpendiculaires des en cerisiers, ou autre bois verts, ont bien cation régulière de ses “Bulletins”, la So- vin se travaillera toujours aux dépens des érables servent de soutien et de direction aussi des avantages et garnissent puis- ciété Centrale d’Agriculture commence à champs, ou les champs au détriment de la aux brins à bois qui se préparent à porter samment les fonds de terre, des vents et mener une campagne systématique pour vigne, ou ils se nuiront réciproquement.” du fruit l’année suivante. Ainsi ces sar- des courants d’air.” faire évoluer et “moderniser” l’agriculture, et tout particulièrement la viticulture, très ments sont l’un et l’autre dans la situa- Pour toutes ces sortes de hutins, Costa tion qui leur convient, comme on le fera importante en Savoie et de longue date Costa fait donc cette différence, essen- propose des méthodes de taille adaptées en prise avec l’économie marchande. tielle à ses yeux, entre le “ ” et le voir tout à l’heure ; l’un pour se charger mais toujours dans l’optique d’en aug- vin fin de vin, l’autre pour croître en bois.[…] Elle peut compter en cela sur M. Fleury “vin abondant”. Pour celui qui veut œu- menter la production. Lacoste, son premier président, élu en vrer à l’amélioration de l’agriculture, ce C’est un magnifique spectacle, que de voir Il milite fortement pour la conduite de la dans un même champ, d’un côté le chau- 1857, lors de la mise en place de la So- vin abondant est de première importance vigne en ligne (treilles), refusant le désor- ciété. pour garantir rendement et efficacité des me, reste d’une belle récolte, et de l’autre, dre traditionnel induit par le provignage ces hutins prêts à vendanger. Ce sont des “laboureurs” : systématique. Appliquée aux hutins, tables de trois pieds de large, composées de Costa pense que la qualité de la produc- 2.3.1. Fleury Lacoste et son “[…] quatre traits de sarments cordés, et ratta- tion doit augmenter autant que la quan- “Guide pratique du vigneron” les laboureurs doivent boire, et ne pas chés bout à bout, ceux d’un érable à ceux tité, en prenant exemple sur l’Italie et le , né à Montmélian en s’épargner cet aliment des nerfs. Puisque de l’autre ; d’où pendent à tous les nœuds Piémont voisin. Jean Fleury Lacoste la Vigne doit lui être enlevée, il faut qu’il de beaux raisins bien mûrs : les feuilles 1802, “prit en 1830, le goût des études tire sa boisson de ses champs. ” qu’on a ramassé quelques jours à l’avance, “Des treilles ainsi cultivées, donnent dans viticoles et œnologiques”. pour bien exposer les raisins au soleil, les divers lieux de l’Italie, d’excellents vins. En 1857, il fut nommé proviseur des éco- laissent voir à découvert. Cela ressemble à les du canton de Montmélian, et, pendant Aussi Costa consacre-t-il le reste de son Dans la Toscane le vin aleatico est tout en une fête champêtre, dont le festin est pré- l’exercice de ces fonctions, conçut le article aux hutins “ treille, dans les champs ; dans le Piémont, rangés en ligne dans paré par l’art et par la nature. Quand ils projet d’introduire l’enseignement agrico- ”. l’Alexandrin, le Milanois, les hutins don- les champs sont une fois en état, le produit est consi- le dans les écoles primaires ; ce fut dans Il distingue en Savoie différents types de nent dans les champs des vins distingués, dérable : ils ne coûtent point de bois sec ; le but d’en faciliter l’exécution qu’il publia hutins: et en quantité. Ce sont là des expériences ils ne nuisent point aux bleds, et n’usent auxquelles les cultivateurs de Savoye sont en 1862, son “Cours élémentaire d’agri- “En premier lieu les vignes qui s’enrou- d’autres engrais que celui du champ.” invités à donner la sanction locale ; la culture” qui a eu deux éditions. lent sur de grands arbres, noyers, chênes, - “On fait dans la paroisse de la Mothe, Société d’Agriculture devrait inviter ses Malgré les nombreuses occupations que cerisiers, peupliers, ormeaux, etc. entre Chambéry et le Bourget, une autre Membres à se diviser entre’eux ces expé- lui créaient la direction de son vignoble, Le vin n’en est pas bon ; mais il est très espèce d’hutins, qui sont bien beaux et riences. M. Fleury Lacoste a été successivement sain, et désaltère mieux que les vins forts bien riches : ce sont des cerisiers ou des Les uns se chargeraient de cultiver, dans maire de Montmélian et de Cruet. et fumeux […] Quand une grande soif érables de 6 pieds de tige environ, plantés les endroits convenables les plants de Bour- oblige les ouvriers à boire beaucoup de ce à 8 pieds les uns des autres ; les branches, gogne ; de faire les frais pour s’en procu-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 37 En 1859, Mr Lacoste, Président de la Le “Guide pratique du vigneron Société centrale, est présenté comme Culture, Vendange et Vinification” suit dans le “Bulletin” de la Société cen- écrit en 1864 par M. Fleury Lacoste, Pré- trale d’agriculture : sident de la Société centrale d’Agricul- ture du département de la Savoie, est par “La vigne est une des grandes richesses la suite édité chez Eugène Lacroix, édi- de l’industrie agricole de notre pays ; si teur de la Bibliothèque des professions l’on savait donner à son produit tous les industrielles et commerciales, à Paris en soins qu’il exige et en améliorer la nature, 1865. L’auteur veut amener les vignerons nous pourrions obtenir, dans certaines “à douter de la routine, en les faisant en- localités, des vins qui ne perdraient peut- trer dans la voie de la discussion et de la être rien à être comparés aux meilleurs culture rationnelle.” vins de France. Les vins de St-Jean de la Porte, de Montmélian, de Cruet, d’ Ar- La sortie de l’ouvrage est ainsi annoncée bin, de Monterminod, d’Apremont, de dans le Bulletin de la Société : Prinsent, des Touvières, etc., sont là pour “Ce guide pratique est divisé en deux par- justifier ces assertions. ties. La première partie traite des prin- Depuis près de vingt ans M. Lacoste s’oc- cipes généraux de la culture typique et cupe d’une manière pratique de cet inté- rationnelle, mise en pratique et publiée ressant sujet ; il a publié en 1854 ses idées par notre savant collègue, le docteur Ju- et ses résultats dans un excellent ouvrage les Guyot ; la seconde contient la simple qui a pour titre “Manuel du Vigneron”, indication des travaux à réaliser mois par et depuis lors, l’expérience n’a fait que mois.” confirmer les vues de l’auteur. Cette année, cet infatigable agronome a successivement entretenu la Société : 1° Des moyens d’éviter les gelées tardives du printemps (qui compromettent si sou- vent la récolte) et de garantir nos vignes de la coulure à l’époque critique de la flo- raison (séance du 5 février) ; 2° Du couchage et du provignage (séance du 5 mars) ; 3° Du liage ou accolage, de l’épamprage et de l’effeuillage, et de quelques coutu- mes vicieuses en agriculture (séance du 6 août).”

À la lecture des comptes rendus de ces communications, des vignerons exté- rieurs (dont 3 vignerons, membres de la Société impériale d’agriculture de Rouen), demandent la publication de ces com- munications. Ceci est fait dans le bulletin de 1859.

38 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 2.3.2. Fleury Lacoste et Jules ble exploré. Par ce moyen, nous commen- Guyot cerons à préparer les esprits à la grande révolution viticole qu’il s’agit d’opérer. Il M. Fleury Lacoste est un admirateur faut que M. Guyot sache que dans notre inconditionnel du célèbre Docteur Jules département les vignes sont généralement Guyot. Il appelle l’attention des membres cultivées à moitié fruit par des vignerons de la Société sur l’importance du Traité fermiers pauvres d’argent, riches de rou- de Guyot, pour ce qui est de la conduite tine, qui ne pourront jamais adopter un de la vigne et notamment de la taille. nouveau système de culture qui exige des Le Docteur Guyot, né en 1808 en Bour- travaux inusités et surtout des avances de gogne, après s’être consacré à des fonds ; que les propriétaires, en général, recherches sur la télégraphie, prit la tête ne s’occupent sérieusement de leurs vi- en 1850, d’un grand vignoble de cham- gnes qu’au moment des vendanges, où ils pagne à Sillery, près de Reims. Il créa un viennent prendre la moitié de leur pauvre vignoble de 34 hectares dans un terrain récolte. des moins favorables à la vigne, qu’il quit- C’est donc aux propriétaires que le doc- ta en 1857. Il publie la synthèse de son teur viticole devra s’adresser, et sa pré- expérience dans son ouvrage “Culture sence seule exercera sur eux une immense de la vigne, vinification”, qui l’amena influence, influence que je n’ai pas et à être un consultant incontournable du que n’a pas d’ordinaire une personne du Ministère de l’Agriculture. pays.” Quand la Savoie se trouve rattachée à la En fait la mission confiée au docteur France, Fleury Lacoste demande au Mi- Guyot par le ministre dépasse très nistre de l’Agriculture, que Guyot condui- largement la Savoie. Elle prévoit la visite se une mission d’étude en Savoie. de l’ensemble des 70 départements viti- La demande est acceptée en 1862. Mis- coles du territoire national. sion est confiée, par le ministre de l’Agri- Aussi Fleury Lacoste ouvre l’une des culture à Mr Jules Guyot. Il doit commen- séances de la Société avec les propos cer à visiter, le département de la Savoie, suivants : en Juillet 1862, “afin d’y étudier la viti- “Depuis plus d’un an, M. Le docteur culture et d’y faire connaître les modifica- Guyot fait bravement son tour des vignes tions qui pourraient l’améliorer”. de France. Les rapports qu’il adresse au Le docteur avant sa visite adresse en ministre de l’agriculture sur la manière Janvier 1862 une lettre au président de de soigner les vignes et de faire le vin la Société centrale d’agriculture pour an- dans chaque département qu’il visite, réu- noncer et préparer sa “mission”. nis plus tard, nous l’espérons, en un seul Le président de la Société Mr Fleury La- ouvrage, jetteront un grand jour sur cette coste lit la lettre du docteur Guyot et branche de l’agriculture encore bien né- précise que “la visite d’un vignoble sera gligée en France, et qui pour elle doit être faite en présence d’un certains nombre une source d’inépuisables richesses.” de vignerons et de propriétaires […]. Mr Arrivant en Savoie, le Docteur Guyot par- Guyot fera part de ses impressions, et dé- ticipe à la séance de la Société centrale veloppera son système de culture en pre- d’Agriculture, le 5 Juillet 1862. Il présente nant en considération l’exposition et la la mission et son effet : “classer nos vins, nature du sol, la quantité des produits et modifier dans certaines localités le mode l’état dans lequel il aura trouvé le vigno- de culture de la vigne, et augmenter, dans

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 39 une notable proportion, la quantité de Dans la séance de la Société, du 6 pouvait exercer une surveillance prompte répète que nous devons aussi conserver produit, l’une des principales richesses de décembre 1862, M. Fleury Lacoste abor- et facile, pour la rentrée de la dime et pour notre précieux plant de mondeuse qui ce département.” de cette question de la suppression du la fabrication du vin ; il est évident que les produit un vin moëlleux, riche et brillant ban des vendanges. Les membres sont ” Le Président (Fleury Lacoste) fait, à cette seigneurs raisonnaient très bien et qu’ils de couleur. d’accord sur le principe, mais lors des obtenaient par le ban des vendanges tou- Pour Fleury Lacoste, le ban des vendan- occasion, trois autres communications : séances suivantes se contentent de ges est un frein néfaste pour l’introduc- - présentation des principes relatifs à la tes les garanties désirables contre l’infidé- demander son aménagement “convena- lité et l’ignorance de leurs vassaux.” tion de ces nouveaux cépages plus pré- méthode préconisée par M. Guyot, ble”. coces. - état de la culture dans le département, M. Fleury Lacoste, qui fut nommé maire - les moyens de reconnaître un cépage Le préfet, destinataire d’une lettre en ce de la ville de Montmélian en 1846, raconte Plus encore le ban des vendanges ne fin d’un cépage grossier. sens, s’engage (avec réserve) à faire comment il a pu convaincre le juge-mage prend pas en compte la présence des “pénétrer [l’idée dans] l’esprit des admi- et les syndics de Chambéry de renoncer raisins blancs dans les vignes. Après sa visite en Savoie, le Dr Guyot en- à venir en tenue d’apparat à la cérémonie nistrations locales, s’il est bien démontré “ voie une lettre adressée aux membres de qu’on peut sans inconvénients graves, re- d’ouverture du ban des vendanges, “en Sans parler des nouveaux plants, n’est-il la Société et aux vignerons savoyards en noncer à un vieil usage qui, s’il n’a pas été laissant aux propriétaires la faculté de pas de notoriété publique que les raisins prodiguant ses conseils sur la taille et la établi tout à fait en vue de la conservation fixer le jour de la vendange”. blancs disséminés dans nos vignobles, ne culture de la vigne, en insistant sur la né- peuvent être récoltés que pourris ? C’est de la propriété, contribue cependant beau- La principale critique, que M. Fleury La- cessité de “bien préparer l’enseignement coup à l’assurer et à la faciliter”. tout simple, puisqu’ils sont plus précoces coste faisait au ban de vendanges, était que les raisins noirs ; chaque année, un et le progrès de la viticulture en recom- Pour appuyer cette demande, M. Fleu- ” de ne pas prendre en compte la diversité grand nombre de propriétaires réclament mandant les meilleures pratiques. ry Lacoste, présente dans cette même Il conclue sa lettre comme suit : de maturation des cépages. Il insistait et adressent des demandes à M. le Préfet séance du 6 décembre 1862, le mémoire par là sur l’importance, jusqu’alors sans “Bientôt, Messieurs, nous entrerons dans pour être autoriser à vendanger leurs rai- qu’il a rédigé sur la question. doute mésestimée des cépages : sins blancs ; ce qui leur est accordé si le la voie d’une culture de la vigne intelli- Il souligne d’abord qu’il avait appris, en gente et raisonnée. […] Il est évident pour “ propriétaire est assez heureux de posséder 1861, qu’un grand nombre de dépar- Il est généralement reconnu par tous les sa vigne blanche sur le bord d’un grand nous que les produits de la vigne sont tements viticoles de l’empire (français) grands viticulteurs que la nature du plant une des principales richesses de ce dépar- chemin ; dans le cas contraire il perd la avaient supprimé le ban des vendanges. exerce la plus grande influence sur la qua- moitié de sa récolte.” tement et que la révolution viticole, que lité du vin, et que les variétés de la vigne nous appelons de tous nos vœux, aug- “La coutume du ban des vendanges est ne sont pas entièrement dues à l’influence M. Fleury Lacoste termine son long rap- mentera considérablement la quantité de très ancienne et avait sa raison d’être à du sol et du climat”. port par les phrases suivantes : ces produits.” une époque où la propriété foncière n’ap- Il propose au passage de renouveler les “Les gardes-champêtres surveillent nos partenait qu’à un certain nombre de fa- plants de Savoie. milles nobles et à des couvents ! Alors le céréales et toutes nos cultures en général, 2.3.3. Le ban des vendanges paysan habitait dans une pauvre cabane “ les garde-bois surveillent nos forêts et les Les plants que nous cultivons en Savoie gardes-vignes suffisent bien pour sur- Une des principales cibles de la “révolu- dont il était à peine propriétaire ; il vivait ont une maturité assez tardive, puisqu’en dans une ignorance complète des hommes veiller nos raisins. Les garanties conser- tion viticole”, promue par Fleury Lacoste général nous ne vendangeons que la vatrices me paraissent donc suffisantes, qui se réfère aux préceptes du Docteur et des choses et prenait fort peu d’intérêt première quinzaine d’octobre. Tout en pour tout ce qui l’entourait. D’un autre et il résultera de la suppression du ban Guyot et veut mettre fin à une viticulture conservant nos excellents plants de mon- des vendanges un grand mouvement de routinière, directement héritée du Moyen coté, les seigneurs de ce temps là ne s’oc- deuse et de persans, ne conviendrait-il pas cupaient nullement de leur propriétés progrès dans la viticulture, et, par consé- Âge comme de la Féodalité, est l’institu- d’introduire dans certaines parties de nos quent, une augmentation considérable tion du “Ban des vendanges”, maintes fois et habitaient ordinairement la cour ou vignobles à renouveler, des plants plus bien servaient dans les armées royales ; dans la valeur territoriale ; - de plus, une évoquée dans la partie ”Les origines”. précoces qui donneraient à la fois abon- amélioration certaine dans la qualité de il était donc tout naturel que ces grands dance et qualité ? Le pineau, par exemple, Le Président Lacoste, suivi par les mem- seigneurs prissent des mesures conserva- nos vins et leur quantité, - résultats très est un plant qui produit les grands vins importants, puisque le vin est en défini- bres de la Société centrale n’auront de trices en présence de vignerons hostiles, de Bourgogne […]. Le plant de Beaujolais cesse de demander, au Conseil Général avides et ignorants ; or, que pouvait-on […]. tive, une des premières et principales ri- appelé picard Voilà, Messieurs des chesses de la Savoie.” et au Ministre de l’Agriculture son abo- inventer de plus pratique que le ban des plants que je viens d’introduire à Cruet lition. vendanges ? dans de nouvelles plantations, et plu- Par ce moyen généralement appliqué, on sieurs propriétaires en ont fait autant. Je

40 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Les revendications de Fleury Lacoste et Le 5 avril 1862, la société vote l’impres- de faire un rapport sur ces vignes, je me En 1865 : des membres de la Société sont reprises sion des mémoires de M. Lacoste sur suis empressé de satisfaire à son désir, et - Importance de l’azotage du sol pour par Jules Guyot dans son rapport de 1863 : cette question technique. M. Fleury La- hier j’ai donné lecture de ce rapport à no- toutes les cultures en général, et princi- coste reprend pour partie le contenu de palement pour la vigne, “ tre société d’agriculture : le succès a été Le ban de vendange existe en Savoie, et ses échanges avec le comte de la Loyère, complet ; mais je n’ai accepté les éloges de - Nouvelles observations pratiques sur le la Société centrale d’agriculture de la Sa- mais aussi les commentaires et réponses mes collègues que pour les rendre à vous pincage de la vigne, voie en sollicite avec énergie l’abolition, du docteur Guyot. [M.Guyot] et à M . Fleury Lacoste à qui ils - l’Alun existe-t-il naturellement dans les comme s’opposant à tout progrès dans vins ? “ reviennent de droit. Ce rapport sera im- la viticulture et la vinification. Ainsi le Le précepte rigoureux étant de ne jamais primé, et nous vous en enverrons un ou - Pressoir à Vin en fer. persan et le pineau mûrissent en moyen- laisser la sève se perdre en produisant des plusieurs exemplaires.” ne quinze jours avant la mondeuse ; ou pampres inutiles, alors il est donc évident En 1866 : - Drainage de la vigne par les sarments, il faut donc perdre les produits des pre- que pour conserver une végétation conve- Dans le même numéro du “Journal - Nouvelles observations sur la végétation miers ou vendanger la seconde avant sa nable à ce fin cépage, il ne s’agira plus que d’agriculture pratique”, on cite le passa- de la vigne en 1866 (par Fleury Lacoste), maturité : ainsi celui qui veut attendre la d’augmenter, ou diminuer, ou supprimer ge d’une lettre adressée à M. le docteur - Nouvelles observations sur les effets plus grande maturité pour faire un vin fin la branche à fruit, suivant la vigueur ou Jules Guyot par M. le vicomte de Saint- produits par la fumure des vignes (par est obligé de vendanger en même temps la faiblesse du cep ; de lui donner plus ou Triviers, grand propriétaire du Beaujolais : que celui qui se hâte de récolter pour faire moins d’engrais et de conserver la branche Fleury Lacoste), de la piquette. Le ban de vendange est à à fruit deux ans de suite. Cette théorie, qui “J’ai envoyé mes vignerons chez M. le - Amélioration des vins par le cuvage ra- la fois stupide et odieux ; c’est un reste de est pour ainsi dire nouvelle pour la vigne comte de la Loyez et chez M. Fleury La- tionnel. la barbarie féodale, qu’un gouvernement basse, doit appeler l’attention de tous les coste ; ils sont revenus enthousiasmés En 1870 : .” libéral ne peut laisser subsister viticulteurs. et parfaitement édifiés, et, bien que nos - Viticulture et viniculture : Hèsiode, la vi- Dans la séance du 6 Août 1864, Lacoste Je vous engage donc, Messieurs, à faire cultures du Beaujolais soient des plus in- ticulture 947 ans avant Jésus christ, revient sur la demande de suppression. des essais comparatifs sur plusieurs espè- telligentes et des mieux adaptées à notre - Conservation des vins et élimination Par la suite aucune mention n’est trouvée ces de cépages et de nous faire part de vos excellent cépage, ils ont vu là des exem- des mycodermes au moyen tu tanin de ” décision officielle de suppression. Cel- observations. Je m’adresse de même à tous ples qui nous profiteront. raisin. les vignerons français, puisque cette ques- - Culture de la vigne dans les terres argi- le-ci, avec les cataclysmes qui suivront, ” Fleury Lacoste fait lui-même état de ces sera sans doute tombée d’elle-même en tion intéresse la science et la pratique. nombreuses visites : leuses, désuétude, sans autre formalisme ? Tous les mémoires et articles, résultant - Les chardons dans les vignobles, de ces échanges permanents, sont lar- “Enfin des propriétaires, des vignerons - Les vins anglais, gement diffusés dans des publications de l’Isère, du Jura, de l’Ain, du Rhône, - Moyens de déterminer le titre alcoolique professionnelles en dehors de la Savoie etc., sont venus visiter mes cultures de vi- des Vins et des Liqueurs sucrées, 2.3.4. Promotion des nouveaux (Journal d’agriculture pratique, etc.) et les gne. Si je vous donne ces détails, ce n’est - Le mariage des vins, modes de conduite de la vigne vignerons sont invités à venir visiter les que dans le but de faire savoir à tous les - Pourquoi le goût de la vendange diffère agriculteurs du département que la so- de celui du raisin. Les Bulletins de la Société montrent clai- vignobles “expérimentaux”, tels celui de M. Fleury Lacoste pour la Savoie ou celui ciété centrale d’agriculture du départe- rement une remarquable émulation autour En 1873 : du comte de la Loyère (à Beaune). ment remplit son mandat de propagande de la conduite de la vigne. Ils deviennent agricole, et que chacun de nous contri- - Sur la présence dans les feuilles, les un espace d’échange d’informations bue, autant qu’il le peut, à propager les vrilles et les jeunes pousses de la vigne, techniques partagées par un large réseau Ainsi le “Journal d’agriculture pratique” meilleurs systèmes de culture.” des matières qu’on retrouve dans le raisin de viticulteurs “éclairés” qui se rencon- (n°21, du 5 novembre 1862) raconte la vi- lui-même , trent dans les Congrès, se rendent visite site d’un de ses contributeurs en Savoie : - Conférence donnée à Montpellier sur et s’écrivent. Les Bulletins deviennent un outil de dif- l’histoire et la géographie de la vigne (très “Je suis allé visiter les vignes de M. Fleu- fusion permanent des nouvelles connais- long article), Ainsi, M. Fleury Lacoste fait état de ses ry Lacoste ; ces vignes sont plus belles sances viti-vinicoles, souvent reprises - Influence exercée par les cultures ré- échanges avec M. le comte de la Loyè- que je ne pensais ; elles présentent un d’articles publiés dans d’autres revues centes et par les herbes sur la production re, savant viticulteur de Savigny, près de ravissant coup d’œil dont on ne peut se nationales ou régionales, comme en té- de la gelée blanche dans les vignes. (par Beaune (Côte-d’Or) à propos du pinçage faire une idée sans les avoir vues. M. de moigne la liste suivante des articles pu- M. , de Montpellier), des bourgeons sur les branches à fruit. Louis Viala Vougy, notre président, m’ayant prié bliés au fil des ans : - Sur le pinçage de la vigne,

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 41 - Les pressoirs, dence de M. Dieu, préfet du département taille sur deux boutons au lieu de le faire lui-même, qui l’a amené à en faire de bon. - Minium gris pour cercles de tonneau, de la Savoie. sur un seul, à cause des variations at- Nous ne croyons pas trop nous aventurer - Vin blanc ayant le goût de soufre. Le concours, prévu au départ en 1859, mosphériques continuelles que la vigne en disant que personne en Savoie n’a En 1874 : a du être repoussé par suite du passage est obligée de supporter au printemps de encore poussé aussi loin que lui l’art de la - Provignage et bouturage, des troupes françaises qui allaient “ Faverges. viticulture et l’œnologie : il est à regretter gé- que la concision d’un rapport ne permette - Jaugeage des futailles, néreusement prêter au Piémont le secours Cet établissement splendide a du coûter - Procédés pour nettoyer les bouteilles pas d’entrer dans de plus longs détails à de leurs armes pour l’indépendance de d’énormes sacrifices de peines et d’argent ce sujet. maculées de corps gras, l’Italie”. et cependant M. Moll est amplement dé- - La vigne se plait sur les coteaux, Prix de vente de ses vins pendant 5 an- L’objectif affiché pour ce type de mani- dommagé par les résultats obtenus, car - Les nuages artificiels contre la gelée, nées consécutives : Mondeuse entre 45 festation est d’être des “ ces vignes n’étaient primitivement que - Cuvage des vins en vases clos, réunions desti- et 32 francs, Bourguignon entre 90 et 60 broussailles, ravins et vieux cépages de francs. - Sur la matière colorante du vin, nées à augmenter de manière durable la nul produit. - Quels soins faut-il donner aux treilles et prospérité matérielle des agriculteurs et ”. vignes pour diminuer la fâcheuse influen- des producteurs en tout genre L’exposant a essayé environ cent cin- La commission, considérant la position tout exceptionnelle que s’est faite M. Moll ce de la gelée. “ quante variétés de cépages. Il est résulté Rien n’est plus propre au développement des nombreuses observations qu’il a fai- dans cette branche de l’agriculture, sans En 1875 : des améliorations agricoles que ces belles tes que les plans les plus favorables à contredit la plus importante du départe- - Les ennemis de la vigne, et utiles expositions” est-il écrit dans le la culture dans notre pays, soit pour la ment de la Savoie, considérant que la ré- - Du rajeunissement de la vigne sans in- Bulletin. Lors du Concours de Chambéry quantité, soit pour la qualité, sont prin- compense allouée par le programme n’est terruption de récolte, de 1861, hommage est rendu au comte cipalement : le pinau de Clos Vougeau, le pas suffisante n’est pas suffisante, propose - De la composition du vin, Pillet-Will. Dans le Jury, le comte Marin, persan de Maurienne, et le gamai (gros au jury (adopté) d’accorder un prix d’hon- - Les ennemis de la vigne sans interrup- agronome, représente la ville de Cham- de Bourgogne) pour les vins rouges ; les neur spécial à cet exposant hors ligne.” béry. Le Concours a bénéficié de subven- tion de récolte, plants suisses d’Yvorme et de Lavaux er - Du rajeunissement de la vigne, tions importantes du ministère de l’agri- - “1 prix du programme. – Mr Charles pour les bons vins blancs ordinaires et le Rey propriétaire à Montmélian, pour sa - Les vases vinaires, culture. pineau blanc pour les vins fins. - De la composition du vin. Les rapports des visites faites par le jury culture la mieux soignée et la plus per- chez les vainqueurs des prix de la troi- Voici une épreuve faite par cet intelligent fectionnée que la commission ait trouvée En 1878 : sième section (“Viticulture”) offrent une agronome le 27 septembre 1857, au gleu- dans les vignobles de cette localité, ainsi ” - Soufrage de la vigne, description particulièrement intéressante coénomètre, pour la densité des moux, sa vigne des Molettes. - Sur le vinage à prix réduit, des “vignobles” donnés en exemple à cette toutes conditions égales d’ailleurs. - Le manquant dans les tonneaux. époque. (en Degrés) - “Premier prix d’honneur spécial (mé- Mondeuse 8 et ½ daille en vermeil) à M. Henry Mol, pro- Persan 12 2.3.5. La mise en place des priétaire à Faverges, Gamai rouge 10 Pour avoir augmenté la qualité et la va- Pineau noir 12 Concours de viticulture leur des vins dans le pays qu’il habite, par Pineau Blanc 11 Pour faire appliquer sur le terrain ces ses procédés nouveaux d’établissement et Pineau gris 12 pratiques nouvelles, la Société centrale de culture de la vigne, ainsi que de vini- fication.” M. Moll a singulièrement augmenté la d’agriculture met en œuvre l’organisa- qualité des vins de Faverges, et par la vi- tion de concours techniques viticoles, Rapport de M. Veyrat François : ticulture et la vinification ; son exemple a concernant la conduite de la vigne en gé- été d’une utile influence pour le pays qu’il néral et aussi plus spécifiquement la taille “ habite. Il a eu a soutenir de rudes assauts de la vigne. M. Moll cultive 160 ares de vigne en ter- contre l’esprit de routine, et a fini, grâce rasse, tenue et établie à l’instar de celles Ceci débute en 1861, avec l’organisa- à la constance de ses efforts et à son ap- du canton de Vaud. Il a suivi le système titude exceptionnelle, par triompher de tion, grâce à l’aide de M. le comte Pillet- suisse pour la plantation, l’échalassage, Will, généreux donateur, du concours de tout. C’est la condition primitive où il l’épamprage et le pincement continu ; il se trouvait de faire de mauvais vin, dit-il Chambéry, qui sera placé sous la prési- diffère de ce mode en cela seulement qu’il

42 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Rapport de M. Joseph-Claude Rey : si l’exemple qu’il donne aux viticulteurs “ était généralement suivi, l’on arriverait, La commission nommée pour la viticul- en peu d’années, à doubler le produit de ce ture s’est rendue le 9 août dans le vignoble beau vignoble. de Montmélian pour visiter divers lots de Successivement, M. Rey nous a engagés vignes que M. Rey Charles y cultive lui- à aller visiter une vigne qu’il possède aux même, depuis vingt ans, par ses domes- Mollettes, lieu dit Petit-Bayard. tiques et ses ouvriers. Ces lots de vignes Cette vigne, de la contenance d’un hectare forment une contenance totale de plus de et demi (soit 5 journaux), placés sur les 4 hectares (soit 13 journaux). deux versants, nord et sud, d’une petite En entrant dans ces vignes, la commission colline, a été plantée en lignes distantes a de suite reconnu combien leur culture d’un mètre quarante centimètres l’une de est mieux soignée que celles environnan- l’autre, et conduites en manière de treilles tes, et il serait difficile de refuser à ce vi- basses (50 centimètres de hauteur) par le ticulteur actif et intelligent le juste tribut moyen de forts échalas et d’un seul rang d’éloges qu’il mérite. de fil de fer. Cette plantation se présente sous un fort joli aspect, et surtout avec En parcourant attentivement les vignes de une grande abondance de raisins, espèces M. Rey, on trouve partout le sol en parfait persans et douce-noires, et elle est dirigée état de propreté, les ceps bien relevés, liés par son propriétaire de la manière la plus et échalassés, les clairières remplacées par soignée.” des plantations de barbus très forts et de plusieurs années et enfin les ceps garnis - “2e prix. – M. Victor Python fils, ban- de beaux et nombreux raisins. quier, pour avoir introduit dans ses vi- M. Rey, dont les vignes sont en divers en- gnes la plantation en quinconce par pro- droits, placées sur une pente rapide, n’a vignage, et pour la bonne direction des pas craint, pour assurer plus de durée aux soins généraux apportés à sa culture. résultats de ses travaux, de construire Rapport de M. Verdet Etienne : plusieurs murs de soutènement. Ajoutons La propriété de M. Python Victor est si- que la commission a pu d’autant mieux tuée à Villette, commune de , apprécier ces travaux viticoles, qu’elle clos dit de Rosset. Sa vigne se compose a constamment trouvé dans les vignes d’environ 135 ares, soit 4 journaux 25 limitrophes des points de comparaison, toises ancienne mesure ; elle est de créa- d’où ressortaient grandement l’excellente tion toute récente. Il existe peu de vieux culture et la supériorité de celle de M. ceps ; les 4/5e sont tout jeunes, nous vou- Rey. lons dire 5 à 6 ans. Elle est toute plantée Que si cependant la commission a trouvé en quinconce, parfaitement distancée et dans le vignoble de Montmélian quelques échalassée. Des chemins très bien placés lots de vignes assez bien tenus et présen- ont été pratiqués pour l’investiture et la tant une jolie récolte, elle a pu s’assurer dévestiture, soit pour le travail, soit pour que ces produits n’étaient dus principale- en sortir la récolte ; par ce moyen, aucune ment qu’à la fertilité exceptionnel du sol. avarie ne peut arriver dans l’intérieur, En résumé, la visite que la commission puisque l’ouvrier y est conduit naturelle- a faite dans le vignoble de Montmélian a ment pour son travail, sans être obligé de produit en elle la conviction que les vignes passer sur les ceps. Nous observons que de M. Rey sont assurément celles qui y la végétation est des plus belles, et qu’il sont cultivées avec le plus de soins et d’in- serait difficile de trouver une localité où telligence ; elle est de plus persuadée que il y eût moins de mauvais herbage. Enfin,

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 43 nous estimons qu’en continuant les mê- de M.Pillet, principalement au moment siècle, sur lequel on continuait à planter royal déclarant d’utilité publique le dessé- mes soins encore deux ou trois ans, cette de la taille ; il nous a déclaré qu’il se ferait des vignes. chement de ces terrains. vigne sera d’un grand rapport. un plaisir de donner aux visiteurs tous les “ Le travail exécuté par M. Python mérite à renseignements désirables. Onze concurrents se sont présentés pour Après le dessèchement vint le minage, tout égard d’être pris en sérieuse considé- Nous finissons en concluant que si nos se disputer la prime d’honneur, desti- opération difficile puisque la pioche ne née, cette année-ci, à l’arrondissement de pouvait y suffire et qu’il fallait à chaque ration ; et si l’on veut en avoir une preuve viticulteurs se mettaient à suivre ce sys- ” convaincante, il suffit de visiter les vignes tème, ils verraient leurs récoltes doubler Chambéry. instant employer la poudre pour diviser [deux concurrents hors programme sont les blocs de rochers enfouis dans le sol. qui le limitent. C’est là qu’on peut juger de produits. Sous tous les rapports, M. mentionnés particulièrement] d’un bon travail, car l’œil se refuse d’ob- Pillet a fait faire un progrès à ce genre de C’est ainsi qu’avec beaucoup de persévé- server ces dernières.” culture.” - “M. Pierre Viviand a desséché 9 hectares rance M. Viviand est parvenu à faire un d’un terrain faisant partie de sa propriété sol excellent d’un terrain sans valeur ; et - “Mention honorable. - M. Benoit Pillet, En 1864, un autre Concours départemen- des Marches et situé dans le territoire des il a été assez heureux pour faire bénéficier jardinier à Chambéry, pour sa culture tal est programmé à Chambéry (26 et 27 Abimes de Myans. Ce terrain se trouve de son travail les voisins, qui n’ont pas en treille de plans de Bourgogne sur une Août 1864) pour la “Culture spéciale de la presque à l’extrémité de ce bassin acci- tardé à pratiquer des fossés pour éloigner étendue d’un hectare, donnant les plus vigne”. denté qui, venant du hameau de Myans, de leurs champs les eaux qu’ils amènent beaux produits, résultat attribué par la aboutit au lac des Marches. Cette plaine dans le canal collecteur construit par M. commission au genre de taille. “Une médaille de vermeil sera accordée vallonnée reçoit tout naturellement les Viviand. au cultivateur qui aura, dans l’année qui eaux qui descendent des collines et des C’est, Messieurs, pour reconnaître l’uti- Rapport de M. Verdet Etienne : précède le concours départemental, réalisé nombreux mamelons environnants. Ces lité de ces travaux de dessèchement que le M. Pillet possède au fond du champ de les plus grandes améliorations dans ses eaux trouvant un sol rendu presque im- Jury a décerné à M. Pierre Viviand une mars des treilles basses-tiges sur un es- vignobles, et fait de nouvelles plantations perméable, soit par sa nature même, soit médaille en vermeil.” pace d’un hectare 50 ares de jardin. La avec le plus d’intelligence et de goût. par son sous sol rocheux, y séjournaient et majeure partie de ses plantations est en La Commission chargée de visiter ces vi- condamnaient quelques parties de terrain - “M. le comte Jules de Montbel pos- qualité bourguignonne. Ensuite de ren- gnobles et plantations nouvelles, devra te- à une culture fort incertaine, ou créaient sède à Combefort, dans la commune de seignements recueillis tant auprès de l’ex- nir compte de l’intelligence du vigneron, des marais et même d’assez grandes ma- Saint-Pierre de Soucy, une grande pro- posant que d’autres personnes, il résulte et ne jamais oublier que les dépenses seu- res d’eau, suivant les inégalités du sol. priété, qui d’abord en mauvais état, a qu’avant de récolter, il fallait qu’il exé- les qui peuvent se solder en bénéfices, ont Pendant les chaleurs de l’été, ces parties été complètement transformée par lui. cutât trois genres de taille pendant trois droit à la récompense. marécageuses se desséchaient à moitié, les Sans perdre son temps, comme ces pro- années consécutives. Pour mieux nous mares d’eau diminuaient d’étendue, mais priétaires chagrins, à des récriminations mettre au courant de son genre de travail, N.B. Les personnes qui se proposent de ces eaux croupissantes et de ces végé- stériles contre la routine des paysans, M. M. Pillet nous a communiqué un petit de concourir pour la prime d’honneur taux en décomposition, s’élevaient des le comte de Montbel a agi ! Pendant plus rapport de détails qu’il avait et que nous ou pour la culture de la vigne devront miasmes qui apportaient la fièvre. de trente ans, il a poursuivi l’amélioration joignons à celui-ci. s’adresser leurs demandes au secrétaire et la plus value de sa propriété de Com- Ces vignes, treillage bas, sont de création soussigné jusqu’au 31 mai courant, terme M. Viviand pensa avec raison que l’écou- befort. Ses champs ont été défoncés l’un nouvelle, nous voulons dire de 3 à cinq de rigueur. lement naturel de toutes les eaux de cette ère après l’autre ; en défrichant, en assainis- ans. La récolte cette année ne leur fera Les primes de cette 1 section sont exclu- partie des Abimes de Myans devait avoir sant, en plantant et en faisant tout cela pas défaut, et nous pouvons même dire sivement réservées à l’arrondissement de lieu dans le lac des Marches, et qu’avec un ” avec une grande justesse de coup d’œil, qu’elle sera abondante ; nous attribuons Chambéry. grand fossé ou canal collecteur communi- avec un grand esprit de suite, M. le comte quant avec le lac et recevant les eaux ap- cette quantité au plan et surtout au genre Là encore les rapports de visite aux lau- de Montbel est parvenu à quintupler le re- portées par d’autres fossés latéraux, il ne de taille adopté par M. Pillet. Ce qui nous réats offrent des descriptions remarqua- venu de sa propriété, et le château de Com- tarderait pas à assainir ses neufs hectares confirme dans le jugement que nous por- bles du travail des viticulteurs les plus befort, grâce à lui, se trouve aujourd’hui de terrain. Mais pour arriver au lac des tons, c’est que sur les anciens ceps, qui méritants aux yeux du Jury ; ainsi le rap- au milieu d’une bonne et belle propriété Marches le canal collecteur devrait tra- sont d’une famille différente, et qui précé- port sur la prime d’honneur par M. Henry de rente. demment ont été taillées selon l’ancienne Gojon, propriétaire à Francin, qui vient verser les propriétés de quelques voisins, méthode, la récolte est de beaucoup infé- confirmer les informations du chapitre qui, bien mauvais juges de leurs vérita- Quinze hectares de marais ont été des- rieure. précédent (“Territoires”), à savoir l’essor bles intérêts, refusèrent le passage, et ce séchés et mis en culture au moyen d’un Nous croyons utile d’engager nos viticul- du vignoble des Abymes au milieu du 19e ne fut pas sans de nombreuses démarches drainage fait par empierrement ; près de teurs de visiter les nouvelles plantations que M. Viviand obtint en 1848 un décret cinq hectares de forêts ont été défrichés, et

44 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie donnent aujourd’hui de fort belles récoltes son plan spécial. de la vigne, avec là encore des rapports gional agricole de la Haute-Savoie. Dans en sainfoin ; les vieilles vignes ont été par La plus grande section est complantée en intéressants sur les visites de la Commis- ce cadre le Jury visite le domaine de M. des soins ramenées à une bonne produc- petit pineau. Les autres le sont en gros pi- sion comme celle faite chez M. Gellas, à François Demole, à Crevins-Bossey (ar- tion, tandis que les nouvelles, en partie neau, en persan et en mondeuse. Villard-Sallet : rondissement de Saint-Julien), qui a déjà eu une médaille d’or grand module pour plantées en plants de Beaujolais, fournis- Une partie a été taillée d’après le système “ sent en abondance un vin agréable. Guyot, et chaque cep a sa branche à bois et La Commission a visité chez ce concur- ses défrichements, ses prairies et son vi- sa branche à fruit ; et dans l’autre, M. de rent une nouvelle plantation de 120 ares, gnoble, au concours d’Annecy de 1865. Le premier, M. le comte Jules de Montbel Montbel a suivi l’usage du pays, ne lais- sur un défoncement de 60 centimètres de En 1873, la superficie du domaine est de a introduit dans la vallée de Saint-Pierre sant à chaque cep qu’une ou deux bran- profondeur. Cette plantation a été faite au 82 hectares dont 8 hectares de vignes (et de Soucy l’usage du bois mort pour sou- ches à bois. moyen de crossettes préalablement raclées 24 de bois). tenir et palisser les treilles. Il a, par cet Nous avons constaté que la taille Guyot dans la partie inférieure, comme cela se usage, augmenté de beaucoup la qualité pratique en Suisse. Elle est en lignes es- Le compte rendu et l’analyse détaillée de avait donné de plus beaux résultats sur l’exploitation fait plusieurs dizaines de du vin ; presque tous les champs qui lui les plants de persan, et que la taille ordi- pacées d’un mètre trente centimètres les ont paru propres à la culture de la vigne unes des autres. La distance dans les li- pages. naire avait été plus avantageuse pour le Seul un extrait est retranscrit ici : sont aujourd’hui sillonnés par de beaux pineau et la mondeuse.“ gnes est de un mètre environ. La moitié treillages ; en un mot, la propriété de de cette vigne est à sa troisième année ; “ Combefort, qui ne fournissait, il y a vingt En 1865 est organisé un Concours Agri- elle a bien poussé ; quelques pieds man- La culture de la vigne est la plus impor- ans, que le vin nécessaire au ménage du cole départemental à Albertville, les 16 et quants ont été replacés l’année suivan- tante de notre contrée. Elle est la seule propriétaire, produit aujourd’hui 550 17 Septembre. te. Chaque cep est attaché à un échalas. agriculture lucrative, aussi est-elle l’ob- hectolitres de vin. Des prix sont là aussi attribués pour la Cette partie de vignoble étant en création, jectif principal du cultivateur de la ré- “Culture spéciale de la vigne”. nous n’avons pas pu apprécier le mode gion. Les vins de Bossey ont une certaine M. le comte de Montbel a porté ses marais renommée dans le bassin du lac Léman “ de conduite qu’on se proposait de lui ap- ou blachères à leur plus haut point de ren- Une médaille de vermeil sera accordée au pliquer. C’est ce que nous avons fait sur et, par suite, un débouché assuré, avec un dement en y faisant exécuter des travaux cultivateur qui aura, dans l’année, réalisé l’autre moitié de la vigne, âgée de quatre avantage de quelques centimes par litre qui lui permettent d’arroser ou d’égout- les plus grandes améliorations dans ses ans. Elle est portée sur un fil de fer, à la sur les vins de la plaine. ter le sol selon le besoin ; enfin, il a fait vignobles, et fait de nouvelles plantations Aussi, la valeur d’un hectare de vigne ” hauteur de soixante centimètres, sur la- faire, pour l’exploitation de sa propriété, avec le plus d’intelligence et de goût. quelle est étendu un sarment qui ne doit dans le Clos de Crevins, du vignoble de un chemin qui lui a coûté cher, mais qui pas, comme dans les vignes en lisses à la l’Hôpital et des parties bien situées du vi- lui donne maintenant une viabilité écono- En plus de ces manifestations, toutes les Guyot, être enlevé à la taille d’hiver pour gnoble de Bossey, arrive-t-elle souvent à mique. occasions sont saisies pour promouvoir être remplacé par un autre, mais doit for- dépasser la somme de 25 000 francs ; des les nouvelles pratiques viticoles. Ainsi, en mer un cordon permanent taillé en crochet vignes ayant cette valeur doivent néces- Tous ces travaux qui constituent vrai- sairement représenter un fort intérêt, et 1872, une “École de viticulture” est mise à deux boutons, comme dans les treilla- ment toute une œuvre agricole ont paru en place dans le cadre de l’Exposition ges à la Thoméry. Les pousses de l’année comme il ne s’agit pas de vins de grand dignes au jury d’une récompense spéciale universelle de Lyon. avaient été pincées. prix, il faut que la quantité s’ajoute à une et il a décerné une médaille d’or à M. le certaine qualité ; de là, l’obligation, la né- ” Nous croyons que ce système, que nous Comte Jules de Montbel. Y sont donnés les cours suivants : n’avons vu pratiquer nulle part en vigno- cessité d’une culture intensive et en même temps prudente. - Multiplication par semis, ble, est bon, surtout pour le cépage adopté Le compte rendu des visites des vigno- par M. Gellas pour cette partie de ses vi- Les sept huitièmes et au-delà des vignes bles par le jury donne quelques préci- - Multiplication par boutures, du vignoble de Crevins-Bossey sont im- - Plants enracinés, gnes : c’est le gamai, qui produit peu de sions complémentaires. bois.” plantées en Blanc. Le cépage prédominant - Du provignage, est le fendant roux de Vaud qu’on dit être “Les vignes cultivées par M. de Montbel, - L’école de taille, le synonyme du chasselas roux de Fontai- dont le sol est composé de schiste ardoisé, - Les hautains et les treilles, Ces manifestations sont régulièrement nebleau. sont d’une étendue de cinq hectares envi- - Treillages. organisées à une échelle plus large qui ron. C’est un coteau autrefois inculte qui permet d’avoir une vision plus globale de C’est le cépage généralement adopté : nous Dans le cadre des comices agricoles, se devons signaler cependant la coexistence, a été défoncé et qui est planté en ligne. La tiennent aussi des concours agricoles, tel la viticulture “avancée” de l’époque. propreté du sol et le soin donné à chaque mais dans de minimes proportions, du celui de la Rochette, dans lesquels s’in- fendant vert et des plants du Rhin, gros cep ne laissent rien à désirer. Ce coteau est tègre toujours une prime pour la culture En 1873 est organisé, le Concours ré- divisé en plusieurs sections, et chacune a et petit.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 45 M. Demole a trouvé, à son entrée en pos- sine qui, dans les vieilles vignes, est pro- session, un mas de trois hectares de vignes, bablement déjà le résultat d’un provigna- lieu dit au Clos de la Maison, en triste état, ge, de se charger de nourrir elle-même un rapportant environ 45 hectolitres à l’hec- nouvel enfant ; pour provigner, il faut, en tare ; de fortes fumures, d’innombrables outre tordre la souche sur elle-même, cette provignages, le renouvellement de deux contorsion gêne grandement la circulation parcelles de ce vignoble et une culture des de la sève et va contre nature ; enfin, par plus sérieuses ont amené ce clos à l’état de suite de l’avantage reconnu des planta- grande production. tions espacées à 80 centimètres ou 1 mètre, on a été appelé à renoncer à un provignage Le soussigné a dès lors, par l’acquisition en faisant une plantation à ces distances ; d’un hectare de vignes au vignoble de avec la hauteur à laquelle on rogne les l’Hôpital et par la plantation de quatre bois de l’année, on ne peut plus avoir hectares de vignes, constitué l’ensemble des bois assez longs pour provigner. de huit hectares de vignes qu’il possède aujourd’hui à Crevins. Les vignes plantées sont espacées d’un mètre entre les lignes et de 75 centimètres dans les lignes ; la plantation a eu lieu après minage coûteux à 60 centimètres environ. Les baguettes, choisies dans les meilleurs vignobles du canton de Vaud, sont raclées, écorcées au couteau dans toute la partie destinée à être mise en ter- re, puis fortement serrées dans le trou. La plantation a lieu vers le milieu de mai. […] La vigne, une fois établie, reçoit à Crevins les cultures suivantes : Pendant l’hiver, les terres accumulées dans la partie in- férieure sont remontées, les fumiers sont apportés entre les souches, le tout à dos d’homme. Fin février, si le temps le permet, la taille commence, elle se fait au sécateur ; elle a lieu sur un bouton et le borgne à raison d’un porteur par corne ; le nombre des cor- nes étant généralement de trois, rarement de quatre, il en résulte que nous avons presque toujours trois porteurs ayant cha- cun deux boutons dont le borgne. Puis, vient le provignage ou la plantation de plants enracinés partout où une souche manque. Le provignage est généralement abandon- né et ce pour plusieurs raisons. Provigner, en effet, c’est demander à une souche voi-

46 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Le plant enraciné doit avoir deux et en août la première année ; dès lors ils Les concours de taille de vigne commen- Les concours continuent en 1876. ” cent par celui de Chambéry, le 1er Mars ans : à un an il n’est pas assez fort, sont conservés sans autres transvasages. “ à trois ans il reprend avec peine et (texte rédigé par le propriétaire lui-mê- 1874. Les concours de taille de vigne inaugu- me.) rés en 1874 continuent à être très suivis il ne donne pas un bon résultat. “ Une première façon au fossoir à cornes, Avant d’ouvrir le concours, M. Tochon par nos vignerons ; les conférences qui les très profonde, est donnée en mars, l’écha- A partir de 1874, sous l’influence du nou- a fait une conférence sur les principes précèdent et qui les suivent sont des en- las est planté. veau Président de la Société centrale généraux qui doivent diriger le vigneron seignements dont chacun fait son profit.” Une seconde façon fin avril, lorsque le d’agriculture, M. Bel, sont organisées des dans la formation de la souche de la vigne, Un concours de taille est organisé à Yenne bouton débourre. manifestations beaucoup plus techni- il a appelé leur attention sur la nécessité dans les vignes de M. Rumilly, au hameau Au commencement de juin, les femmes ques : les concours de taille de vigne qui de ménager le cep, de ne lui laisser qu’un d’Étain. 42 concurrents y participent. entrent dans les vignes pour effeuiller. connaissent un grand succès, présentés nombre de yeux fructiers en rapport avec Les principes de l’effeuillage sont des plus ainsi par le Président lui-même : ses forces, il a insisté sur les avantages “La conférence qui a précédé le concours a qu’on obtenait en donnant aux cornes de porté sur les irrégularités que l’on remar- simples : l’ouvrière respecte la végétation “ des boutons de la taille, qu’ils portent La commission du budget avait proposé vigne une disposition symétrique pour que dans la taille des vignobles du canton d’organiser deux concours de taille de vi- équilibrer autant que possible la réparti- de Yenne, sur le but que l’on donne aux des raisins ou qu’ils n’en portent pas, et ” abat impitoyablement tout ce qui est venu gne et d’y consacrer une somme de 200 tion de la sève. vignes dans telle ou telle localité, sur les d’ailleurs que sur les dits boutons. francs. Suivra celui d’Arbin, du 8 mars 1874, pour circonstances climatériques qui obligent à Les concours de taille de vigne ne sont adopter un système de taille plutôt qu’un Cette opération s’appelle également la lequel 40 concurrents se sont inscrits. ” taille en vert ; elle est des plus importan- pas une innovation : depuis longtemps les En 1875, un rapport sur les résultats des autre. tes, en ce sens qu’une vigne bien effeuillée pays les plus viticoles de France les ont concours de taille est publié dans le “ Dans la “ ” un grand utilisés pour propager un meilleur sys- Bul- Révolution viticole est nécessairement bien taillée l’année letin” : pas a été franchi, le passage de la ser- suivante. tème de taille et arriver à donner à la sou- pette au sécateur, ainsi que l’application […] La vendange se fait à la brante : toute che tous les soins de nettoiement qu’elle “Il y a quelques années à peine, la serpette des principes de taille du Docteur Guyot. la récolte est apportée à dos d’hommes sur exige. était le seul instrument employé par nos le pressoir, pressée immédiatement nuit et Ces concours doivent avoir d’excellents vignerons : longtemps ils ont repoussé le 2.3.6. Les démarches scientifi- jour et encavée de suite. résultats en Savoie, où jusqu’à ce jour on sécateur, instrument nouveau, coûtant ques La fermentation tumultueuse a lieu dans n’a imprimé aucune direction régulière à cher, plus difficile à manier que la ser- les fûts. la taille. pette. L’implication des membres “éclairés” de Les cépages rouges cultivé dans ma pro- Ces concours ont un autre avantage : ils La serpette a incontestablement l’avan- la Société d’agriculture ne se limite pas priété sur soixante-quinze ares environ mettent en présence la serpette et le sé- tage de faire des coupes nettes, de ne pas au champ de la pratique, elle intègre aussi sont le plant Savoyen, sont la Mondeuse, cateur, seuls instruments utilisés pour comprimer le sarment comme le sécateur une dimension scientifique revendiquée. un Gamai appelé plant de Lyon, un pi- donner cette première façon à la vigne ; et de pénétrer à peu près partout pour en- Lors du Congrès scientifique de France, neau dit plant de Bordeaux, plus quelque ils permettent de juger de leur mérite tant lever les chicots et les petits bourgeons qui tenu à Chambéry du 10 au 20 Août 1863, peu d’aramon et de Pic-Poule noir. au point de vue de la perfection du travail ont poussé entre les cornes et les souches ; M. Fleury Lacoste intervient dans la Les pressoirs sont au nombre de trois bas- que de la rapidité de l’exécution. mais pour obtenir ce résultat, il faut per- deuxième section à propos de “ la cultu- sins en granit, vis en fer de quinze centi- dre beaucoup de temps, il faut avoir à sa re améliorée de la vigne”. mètres de diamètre ; le poids de la vis et de La Société, convaincue des heureux résul- disposition, plusieurs instruments […]. l’engrenage est de 700 kilos. tats qu’on devait obtenir de ces concours, Avec le sécateur vous obtiendrez un tra- Le “Bulletin” en publie un extrait, en an- Les trois pressoirs sont combinés de ma- a décidé que pour cette année, on en orga- vail deux fois plus rapide : la solidité de nonçant une publication à venir ultérieu- niserait deux dont l’un aurait lieu dans l’instrument permet de couper, d’abattre rement. nière à marcher au moyen d’une seule er corde s’enroulant sur un tour unique ma- les environs de Chambéry le 1 mars, tout ce qui se présente […]. l’autre dans les environs de Montmélian, Ces considérations ont été assez puissan- “Il existe en Savoie, dit M. Lacoste, en- nié par deux hommes. ” viron dix mille hectares de vignes basses: La vendange est coupée trois fois. le 8 du même mois. tes en raison de la rareté et de la cherté croissante de la main d’œuvre, pour ame- la production moyenne d’hectare est de La cave est garnie de fûts de toutes gran- vingt-quatre hectolitres de vin ; […]. Or deurs pouvant contenir ensemble mille ner les vignerons à se procurer des séca- teurs ; le moment n’est pas éloigné où ce en admettant que la conduite de la vigne hectolitres. fut changée, c’est-à-dire améliorée, on ar- Les vins sont transvasés en mars, en juin sera le seul instrument de taille de la vi- gne.” riverait facilement à doubler et même tri-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 47 pler ce produit annuel.” 2.3.7. L’approche ampélographi- “Il résulte, Messieurs, de cet aperçu, que que la culture améliorée de la vigne pourrait occuper un plus grand nombre de bras ; Les extraits du texte écrit, en 1862, par qu’elle favoriserait la colonisation en aug- Fleury Lacoste à propos du Ban des mentant le nombre des vigneronnages et vendanges, l’avait déjà souligné, l’impor- par conséquent le nombre des familles ru- tance de l’encépagement va connaître un rales! intérêt qu’il n’avait jusqu’alors jamais eu, Je prie donc MM. Les membres de cette remettant directement en cause, en plus section du Congrès, de prendre en sérieu- du ban des vendanges, la vieille routine se considération les deux propositions que du provignage, qui prenait finalement fort je vais avoir l’honneur de formuler : peu en compte l’importance des cépa- 1° Appeler l’attention du gouvernement ges, puisque qu’on se contentait de faire de l’empereur sur les heureux résultats se multiplier la vigne de ceps en ceps qu’on pourrait obtenir en favorisant et en sans renouvellement véritable. encourageant la culture rationnelle et ty- Dans son “Guide pratique du vigneron”, pique de la vigne ; Fleury Lacoste consacre un chapitre au 2° Demander la création d’une grande prime d’honneur, spécialement destinée “Choix des cépages” : à la culture améliorée de la vigne et dis- “Dans les bons coteaux, il faut autant que tribuée dans les concours agricoles régio- possible obtenir de bon vin ; pour avoir naux.” de bon vin, il faut avoir de bons cépages. Or, plantons donc tous les meilleurs et les Dans cette perspective un regain d’in- plus fins cépages ! térêt émerge pour ce qui concerne la La mondeuse de Savoie conviendra botanique. toujours dans les expositions les plus Le baron d’Alexandry, maire de la ville de chaudes de nos bons vignobles; le per- Chambéry, propose en 1863 au conseil san donne aussi d’excellents produits ; municipal de faire reconstruire le jardin quelques douces-noires mélangées à ces botanique détruit par les travaux de ré- deux plants sont conseillées par un assez parations du château impérial pour créer grand nombre de viticulteurs. Je ne suis un “Jardin expérimental d’arboriculture point partisan de la douce-noire pour les et d’horticulture”. bons vins, et je ne fais que constater les conseils de certains eonologues de notre Ceci permet d’éclairer un nouveau département. Le pineau de Bourgogne et domaine de recherche et de mobilisation quelque petits gamays ont le grand avan- viticole : l’ampélographie. tage d’être plus précoces que la mondeuse et conviennent donc à tous nos cantons, où la mondeuse n’obtient qu’une ma- turité difficile ou incomplète. Mais, en général, je répète à tous les vignerons que s’ils ont le bonheur de planter une vigne dans une exposition favorable qui donne ordinairement de bon vin, il faut planter les fins cépages et abandonner les gamays et les douces-noires pour les petits vins de consommation générale.

48 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Cet intérêt nouveau pour une science qui conservatoire de 3 ha pour comparer les fraîches des divers lots qui représentaient leurs qualités vinaires, de leur robusticité n’est pas encore véritablement connue divers cépages cultivés en France. les centres viticoles un peu importants de et de leur vitalité.” sous le nom d’ampélographie, s’appuie Il demande à M. Lacoste “de lui adresser l’Isère. sur le vaste réseau de relation des mem- quelques cépages cultivés dans ses vigno- L’expérience autorisée de M. Tochon, qui “Les États adhérents en 1878 étaient l’Ita- bres de la Société centrale. bles, particulièrement la mondeuse, le per- a reçu à Grenoble le meilleur accueil, a été lie, la Dalmatie, le Portugal, la Prusse auxquels sont venus se joindre au congrès En 1861, à l’initiative du savoyard Fran- san gros et petits et lui offre, en échange, utilement mise à contribution pour opérer les cépages de Tarn-et-Garonne, surtout un travail d’ensemble sur les cépages des de Genève des représentants de la Suisse cisque de Lachenal, conseiller à la cour et de la France, sans que le gouvernement royale de Cagliari, 20 000 plants de le chasselas si réputé de Montauban. trois départements. M. Le président émet le vœu qu’un éta- Pour compléter les échantillons qui man- de ces deux pays soit entré dans l’union vignes de Sardaigne, sont gratuitement formée pour lui donner une subvention offerts et distribués entre 80 propriétaires blissement de ce genre soit créé aux envi- quaient à la belle collection cultivée par rons de Chambéry.” M. Tochon dans sa propriété de Servolex, annuelle.” de Savoie et Haute-Savoie (“ils promet- Dans le même temps, de Matharel, ins- il s’était adressé à MM. Chautemps, Cha- Différentes théories sont encore en débat tent une qualité de raisins, sinon égale tenod et Rosay de la Haute-Savoie, à MM. à celle qu’ils produisent en Sardaigne, pecteur général des finances à Paris pour l’identification des variétés de rai- demande pour son domaine du Chéiy Avet d’Aigueblanche, Gouvert et Falcoz sins : au moins supérieure à la qualité de nos des Marches, Mugnier de Saint-Pierre plants de Savoie”). (Puy-de-Dôme), trente mille plants de la - M. le comte de Rovasenda (de Turin) : mondeuse de Savoie. d’Albigny, Girard de Torméry, Déperse basée sur l’observation des raisins (cou- Quelques années plus tard, cette impor- de Saint-Baldoph, Besson, architecte, de leur, saveur, forme des grains) des feuilles tation de cépages de Sardaigne est évo- Ces demandes se sont faites par l’inter- Barby, et Galley, maire de ; les et des bourgeons, quée dans le Bulletin. médiaire du docteur Jules Guyot. uns et les autres ont répondu avec em- - M.Pizzini de Florence : forme des pé- Dans le sens inverse M. le comte de Vil- pressement à la demande qui leur avait “Il y a trois ans passés, la Société a reçu et pins leneuve informe la Société qu’il s’est pro- été adressée. - M. Charles Oberlin de Genève : position distribué, à un grand nombre de proprié- curé, chez un pépiniériste de Nuits (Côte- Nous espérons pouvoir publier dans le taires des plants de Sardaigne (premier et longueur des étamines et des pistils de d’Or), des plants de pineau à 25 francs prochain Bulletin de la Société le travail la fleur de raisin choix de raisin) qui lui avaient été géné- le mille (contre 15 à 20 francs pour “des d’ensemble que prépare en ce moment reusement offerts par divers riches viti- - M. Goethe : la position des vrilles plants de Savoie”). M. Tochon sur les résultats pratiques du Parmi les participants le français Victor culteurs de l’île. Nous savons que presque congrès de Grenoble.” partout ces plants ont bien réussi, mais Mais ce n’est que quelques années plus Pulliat, de Chiroubles. tard que l’ampélographie acquiert ses nous n’avons pas d’autres détails à ce En 1875, une exposition des cépages est lettres de noblesse. sujet, si ce n’est de MM. Le Baron d’An- organisée dans le cadre du Congrès viti- gleys, et Gabriel Terpand. Le premier a 2.3.8. Les marchés et foires aux Les 18, 19 et 20 septembre 1874 est or- cole de l’Isère. vins obtenu cette année d’excellents raisins ganisé le Congrès ampélographique de Les 23 et 24 Septembre 1878, un grand muscats. M. Terpand a d’abord fait, la Grenoble. Contrairement à l’image souvent véhicu- Congrès ampélographique est organisé à première année, une pépinière qui a bien Pierre Tochon y participe comme un des lée, la viticulture savoyarde est depuis le Genève. réussi ; en 1864, il en a fait un treillage, organisateurs. Moyen Âge indissociable du commerce long de 100 mètres et si il n’a pas eu de L’organisation de la Société internationa- du vin. Elle est donc directement soumi- fruits cette année, la récolte prochaine “M. Tochon a fait précéder le congrès le d’ampélographie, fondée à Vienne en se aux aléas d’un marché qui, on le sait, promet d’être abondante, car la végétation d’une visite à nos principaux vignobles 1873, relève de l’initiative du Comte de s’est considérablement développé au 19e est magnifique et les bois vigoureux. ” des deux Savoie. Sambuis, viticulteur italien. siècle avec l’essor conjoint de l’industria- Il a ensuite réuni la collection complète “ [par la société] lisation et de l’urbanisation, mais aussi En 1863, des vignobles conservatoires Le but poursuivi est de des raisins de cuve qui forment la base de développer le goût des études ampélogra- avec l’accroissement de la consomma- commencent à voir le jour un peu partout notre production vinicole. Cette collection tion en milieu rural. et on s’échange de plants. phiques et d’arriver avec le concours de comptait pas moins de 37 variétés de rai- ses membres à fixer la dénomination et Comment pourrait-il en être autrement Le 7 mars M. le Président Lacoste fait sins blancs et noirs. la synonymie des variétés de raisins qui d’ailleurs si l’on s’en réfère aux chiffres état de la demande de M. Garrissen, pré- De l’avis des nombreux visiteurs qui ont peuplent les vignobles de l’Europe, à dé- de production du vignoble savoyard? sident de la Société des sciences d’agri- parcouru l’exposition installée au Jardin terminer les signes extérieurs auxquels des plantes de Grenoble, l’exposition de la En 1865, le Bulletin de la Société cen- culture et belles-lettres du département on les reconnaît, enfin à rechercher leur trale reprend les chiffres donnés par M. du Tarn. Cette Société vient de fonder un Savoie était sans contredit l’une des plus mérite sous le rapport de leur précocité, de nombreuses, des mieux classées et des plus Jean Montmayeur, dans son ouvrage

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 49 “Savoie et Savoyards : Note de statisti- - Vignes basses : 2 500 hectares Les bulletins de la Société centrale font se rapprocher du prix qu’ils avaient perdu ques agricoles”. - treillages 2 469 hectares également état de la grande variabilité depuis l’apparition de la maladie” (l’Oï- - Total : 4 269 hectares des volumes produits. dium, sans que cela ne soit précisé). Pour ce qui concerne la superficie du On rappellera à cette occasion les sinis- Prix en moyenne en francs par « tonneau vignoble, Montmayeur a vraisemblable- Fleury Lacoste, apporte une information tres années 1850 qui virent la pire chute du pays » (= 450 litres) ment tiré ses chiffres du cadastre sarde qui corrobore celle indiquée précédem- de production jamais enregistrée sur le de 1732 (à vérifier ?). ment pour un vignoble des Marches : vignoble français, causée par une ma- 1856 1857 1858 avec de nouvelles plantations de vignes, “ ladie nouvelle venue d’Amérique : l’oï- St Jean S’en tenant à l’ancien cadastre, et lais- la superficie du vignoble s’est accrue au dium. La production nationale française de la porte 260 240 160 sant de coté les importantes améliorations cours du 19e siècle. faites dès lors pour parer aux erreurs en moyenne de 45 millions d’hectolitres, Cruet 260 230 130 inévitables des statistiques agricoles, M. “Depuis sept ou huit ans, mille hectares tombe, en 1851 à 11 millions. Arbin 240 230 150 Montmélian 240 200 130 Montmayeur porte la culture des vignes ont été plantés en treillages. Depuis notre Aucun bulletin de la Société royale cou- Tormery 160 175 130 basses à 14 000 hectares, dont un tiers annexion à la France, les vignerons soi- vrant ces années n’est hélas disponible Chignin 160 175 130 seulement pour le département de la Hau- gnent un peu mieux leurs vignes basses pour mesurer l’impact de l’arrivée de Monterminod 160 140 100 te-Savoie. La superficie occupée par les et cette tendance d’amélioration ne fera l’oïdium en Savoie. Par contre à partir Apremont 180 140 110 treilles et hautins peut se réduire à 3 000 que se développer de plus en plus. Il faut de l’année 1859, les pages du Bulletin

hectares. Calculant le rendement moyen espérer que le nouveau mode de cultiver se remplissent d’articles sur l’oïdium et Au passage, ce tableau constitue une des vignes basses à raison de 25 hectoli- la vigne se répandra rapidement, et que les traitement à donner à la vigne pour le sorte de baromètre de la cote des crus de tres, et celui des vignes de la seconde caté- dans peu d’années on arrivera à tripler les combattre. gorie, à raison de 35 hectolitres par hecta- produits viticoles du département. Savoie, même pas remise en cause pour res on obtient : La qualité des vins en 1860 a été très mé- La reliure de l’année 1858, qui rassemble la mauvaise année 1858. les différents bulletins des deux premières diocre dans les vignobles les mieux expo- Compte tenu du volume global important - Pour les 14 000 hectares de vignes bas- années d’existence de la Société, indique sés, tels que ceux de Montmélian, Arbin, de la production viticole savoyarde, on ses : 350 000 hectolitres, le chiffrage des récoltes pour les années Cruet, St Jean de la Porte et Montermi- comprend que la Société ait encouragé - pour les 3 000 hectares de treillages et 1856, 1857 et 1858 qui témoignent en- nod, mais dans toutes les autres partie de les initiatives pour favoriser le commerce hautins : 105 000 hectolitres, l’arrondissement elle a été très mauvaise. core des atteintes de la maladie. - Total de la production annuelle : et la production du vin. ” En 1856, le Persan a très peu donné mais 455 000 hectolitres. La statistique de la récolte 1861 n’est pas Ainsi à l’occasion du Comice d’Alber- la Douce-noire était très abondante. Ce encore faite ; mais d’après les documents tville, qui s’était tenu le 20 septembre fut exactement le contraire pour l’année communiqués par M. le président, le pro- 1863, “ Les chiffres de Montmayeur sont intéres- suivante en 1857. Cette année là, il n’y a deux médailles d’argent ont été duit de la récolte de 1861 a été celui d’une décernées à MM. Vellat Victor, de Mon- sants mais à prendre avec grande pré- année moyenne, c'est-à-dire de 27 hecto- eu pratiquement pas de maladie. caution. Ils donnent sans doute la super- tailleur, et Guillot Joachim, de , litres par hectare, ou 134 163 hectolitres En 1857, la récolte est 1/3 plus abon- pour avoir procuré des débouchés avanta- ficie du vignoble en 1732, mais pas ceux dans l’arrondissement. La qualité a été du vignoble de 1865 au moment même dante que l’année précédente. Les hutins geux aux vins de l’arrondissement d’Al- excellente dans toutes les expositions, et ont en particulier, fourni un rendement bertville.” ou une grande révision cadastrale a les vins de nos meilleurs vignobles sont commencé en Savoie ; révision qui, avec considérable. Sur le plan de la qualité des très recherchés à cause de leur qualité su- Mais à partir de 1864, la Société va pren- l’élaboration du cadastre “français”, don- ” vins, 1857 est “une année exceptionnelle périeure et de leur belle couleur. dre elle-même les choses en main, avec nera, mais beaucoup plus tard, des chif- qui vient combler les vides des années l’organisation de marchés aux vins. fres très précis. Du coup l’extrapolation meilleures encore : 1834, 1846, 1848 et Ces chiffres sont vraisemblablement ”. avec les rendements moyens de 1865 est 1854 “ plus fiables que ceux de Montmayeur. Sur l’initiative de son président, la So- quelque peu hasardeuse. Ils montrent qu’en 1861, le vignoble de ciété a provoqué la création d’un Marché En 1858, la qualité des vins est par contre l’arrondissement de Chambéry produi- aux vins, approuvé par décret de M. le inférieure. Le Président Fleury Lacoste avait de son sait autant qu’aujourd’hui l’ensemble des préfet en date du 5 septembre 1864, sous coté rassemblé des chiffres, mais s’est la désignation de foire aux vins, et qui vignobles de Savoie et de Haute-Savoie Un tableau relate l’évolution du prix des contenté dans un Bulletin de la Société aura lieu chaque année le 26 novembre, réunis (environ 130 000 hectolitres en vins selon les crus pour ces trois années. de donner ceux sur l’arrondissement de à Montmélian, centre des principaux vi- 2011). Il est précisé qu’“ Chambéry, pour l’année 1860 : en 1857, il commence à gnobles de la Savoie.

50 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie […] M. le président avait écrit à S.E.M. Pour le canton d’Aix-les-Bains : - M. le Boron d’Alexandry, maire de lian, la Société veut reproduire la mani- le ministre de l’agriculture pour le prier - Baron Despine, médecin à Aix-les- Chambéry, pour son vin rouge de Mont- festation dans les différents arrondisse- de désigner M. le docteur Jules Guyot en Bains, et son vin rouge de St-Innocent. mélian (Villard-d’Héry, 1er cru) et son vin ments savoyards et avance, dans son qualité de délégué à ce marché [mais im- Pour le canton de Chambéry : blanc de Montmeillan , Villard d’Héry, en Bulletin des “Propositions pour compléter possible car Guyot est en déplacement - Berru J.L., fermier de M. Ch Barral à bouteilles, l’établissement d’une Foire aux vins”. ailleurs].” Bissy, pour son vin rouge de Bissy, - De Montbel le comte, à Saint-Pierre de - Marquis Joseph De Ville de Travernay, Soucy, pour son vin rouge de St-Pierre de “L’ancien proverbe dit : qu’il n’y a pas Le Bulletin publie l’arrêté du 5 septembre propriétaire à Chambéry, pour son vin Soucy (treilles), de foire sans retour, et cette idée a déjà 1864, qui précise les modalités d’organi- rouge de Monterminod, - Pillet François, fermier de M. le Baron sans doute préoccupé tous les vignerons sation du marché. - Exertier Louis, négociant à Chambéry, du Noyer à la Motte, pour son vin rouge intelligents. En effet, la grande Foire de “ pour son vin rouge de Challes et ses vins de la Motte (la Pérouse) treillages. Montmélian est plutôt destinée à fixer Chaque échantillon de vins, composé de une base authentique des prix de chaque quatre demi-litres, devra toujours porter, de Hautins, - Sylvoz Charles, propriétaire à St-Jeoire, Pour le canton de Ruffieux : cru du département, principalement pour sur une étiquette, le nom du producteur, - Uniquement du vin rouge de Ruffieux, les vins nouveaux de tous ces différents celui du vignoble, la quantité d’hectolitres pour ses vins rouges d’Apremont et de St-Jeoire. Chindrieux, serrières, Motz. crus ; mais ne serait-il pas convenable à vendre, le prix demandé et tout autre d’offrir ces mêmes qualités de vins, soit renseignement jugé utile par l’exposant. Pour le canton de Chamoux : Pour le canton de St-Jean-de-Maurienne : - Deschamps Jean, avoué à St-Jean- aux marchands, soit au consommateur Les producteurs pourront envoyer au - Comte d’Aviernoz Bernard, propriétaire en général, lorsque ces vins ont déjà subi marché des échantillons de vins vieux à Coise, pour son vin rouge de Rubeau. de-Maurienne, pour son vin rouge de l’Echaillon, hameau d’Hermillon, les sous tirages indispensables et qu’ils similaires, à la condition expresse qu’ils peuvent donner toutes les garanties de en auront à vendre, et déclarer en même Pour le canton de Montmélian : - Falcoz Alexis, propriétaire à Arbin, pour - Baron Angleys, propriétaire à Chambé- son vin rouge de St-Jean-de-Maurienne durée et de conservation, après avoir tra- temps le nombre d’hectolitres. versé le moment critique de la floraison Comme les vins blancs nouveaux ne sont ry, pour son vin rouge de Chignin (sous (Bonne-Nouvelle) les Tours), - Grange Joseph, notaire à St-Jean-de- et l’action souvent désastreuse des gran- pas encore clairs à cette époque, chaque […] - Bourgeois Louis, négociant à Montmé- Maurienne, pour son vin rouge (Prins- des chaleurs de l’été ? J’ai l’honneur exposant aura droit de réunir des échan- de vous proposer l’adoption en principe, tillons de vins similaires de l’année précé- lian, pour son vin rouge de Montmélian (la sent) Peysse) vin fin pour bouteilles, d’une foire aux vins dans chaque chef-lieu dente, afin d’établir, par comparaison, le Pour le canton de St-Pierre d’Albigny : d’arrondissement le jour même où aura mérite et l’avenir de la récolte actuelle.” - Mme Bontron Andreanne, propriétaire à , pour son vin rouge de Tormery - Comtesse De Villette de Chambéry, pour lieu le concours agricole départemental. La première édition du marché de Mont- (Moiron, de la Maladière et son vin blanc son vin rouge de St-Pierre d’Albigny, mas Une foire aux vins deviendrait dans cette mélian connaît un franc succès. sec de Torméry, de la Plataz, circonstance une annexe à l’exhibition - Comte de Chambost, propriétaire - Comte de Chambost, propriétaire à des produits agricoles. Cette organisation “107 personnes se sont fait inscrire pour Chambéry, pour son vin rouge de St-Jean donnerait une grande animation et un in- ce marché ; celui de Beaune (Côte-d’Or), à Chambéry, pour son vin rouge de Chignin, de la Porte, mas de la Mort, térêt tout nouveau à nos concours agrico- qui a eu lieu les 13 et 14 novembre et à sa - Lacoste Fleury, propriétaire à Cruet, les. Les vins de l’arrondissement où aurait 7e année, ne comptait que 93 exposants. - Baron De Couz, propriétaire à Francin, pour ses vins blancs et rouges de Francin pour ses vins rouges de Cruet lieu le concours s’y trouveraient en très Les 107 inscrits pour le marché de Mont- “Parmi les acheteurs, nous avons surtout grande majorité; les marchands, les étran- mélian comprennent les quantités de vins et de Montmélian, - Denarié gaspard, médecin à Chambéry, remarqué les négociants de la Tarentaise gers et les consommateurs de tout genre suivantes : et de la Haute-Savoie.” qui figurent ordinairement dans ces fêtes Vins de1864, pour son vin rouge de Chignin (Tormery), - Lacoste Fleury, propriétaire à Cruet, agricoles, auraient la faculté de déguster Rouges : 11 821 hectolitres les vins de cet arrondissement… ; il en Blancs : 269 hectolitres pour son vin rouge d’Arbin, Cette liste montre à l’évidence l’origine - Marquis d’Oncieu, propriétaire à Cham- résulterait de nombreuses transactions, Vins vieux, Rouges : 943 hectolitres sociale des propriétaires des vignobles de nouveaux débouchés, et les bons vins Blancs : 14 hectolitres béry, pour son vin rouge d’Arbin, produisant les vins les plus réputés de - Quenard pierre, propriétaire à Chignin, de consommation générale pour ainsi dire Total 13 047 hectolitres.” Savoie. inconnus jusqu’à ce jour hors de l’arron- pour son vin rouge de Chignin, L’emprise aristocratique et celle de la Suivent, dans l’article du Bulletin, le nom - Viviand Pierre, propriétaire à Chambéry, dissement prendrait une valeur réelle en bourgeoisie urbaine est toujours très mar- entrant dans le mouvement commercial. des participants, canton par canton. Il est pour son vin rouge des Marches , mas de quée sur le vignoble savoyard de 1864. intéressant de pointer quelques notables la Violette, Ces foires aux vins n’auraient donc lieu et aristocrates : Devant le succès du Marché de Montmé- que tous les quatre ans, mais plus tard,

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 51 elles pourraient s’établir annuellement, si 1865 des crus de Montmélian, Arbin, des fûts toujours en bon état, ce qui man- Les vignes qui produisent les vins expo- le succès répondait à notre attente. Fleury St-Jean de la Porte, Cruet, Chignin, Côte que souvent en temps ordinaire, et bien sés se trouvent cultivés sur divers points Lacoste” Rouge et Apremont s’est vendu en petits plus souvent aux époques d’abondance. de notre territoire. On en rencontre à tou- Sans attendre, une nouvelle édition de la lots de 45 à 55 centimes le litre ; le nou- Les uns y trouveraient le moyen d’échap- tes les expositions et à une altitude dont Foire aux vins de Montmélian est annon- veau de même provenance, livrable au per à l’obligation de sacrifier leurs pro- le point le plus bas est à 225 mètres au cée pour les 26 et 27 septembre 1865, premier transvasage, de 30 à 40 francs duits et les autres maintes occasions de dessus du niveau de la mer, à Saint-Ge- avec un rappel des résultats de la pre- l’hectolitre. marchés très profitables. De là un double nix, pour s’élever à 790 mètres à Bellentre mière édition : Ceux de St-Jeoire, la Rochette, Grésy, St- effet salutaire qui contribuerait puissam- en Tarentaise. Pierre d’Albigny, Ste-Hélène du Lac, ont ment à relever les cours et le moral des Dans ces conditions, il était difficile de ne “À la foire aux vins de 1864, 107 inscrits été cotés pour 1865 de 30 à 35 cent. Le li- viticulteurs.” pas adopter une division de nos vignobles ont mis en vente, sur échantillons, 13 407 tre ; pour 1868 de 20 à 30 fr. l’hectolitre. qui groupât les circonstances spéciales hectolitres de vins, et environ 3 000 hec- Enfin les vins de treillage de l’année se qui contribuent à modifier les qualités des tolitres représentés à l’exposition par des livrent sur grosse lie de 15 à 20 fr. l’hecto- 2.3.8. Du négoce à la promotion vins et leur donnât une uniformité rela- propriétaires non inscrits au catalogue.” litre. On le voit malgré l’abondance de la tive. Malheureusement la deuxième édition, ne récolte, malgré l’infériorité incontestable À partir de 1870, les grandes manifesta- On sait, en effet, que la latitude, l’altitude, connaît pas le succès de la première : seule- des vins de 1866 sur ceux de 1865, ils se tions viticoles se multiplient et la Société l’exposition, la situation, le sol, le cépage, ment 79 exposants et 5 618 hectolitres pro- maintiennent à peu près dans les condi- centrale se mobilise pour que la Savoie le système de taille et de culture, le mode posés. tions de vente que nous avons signalées soit représentée dans ces manifestations de fabrication modifient les qualités qu’on M. Pierre Tochon, fait pour la Société un rap- l’année dernière.” afin de maintenir ou d’accroître la réputa- recherche dans les vins et leur donnent un port sur ce second marché de Montmélian, tion des vins de Savoie à l’extérieur. caractère spécial, un cachet local. Un des problèmes récurrents de la viticul- La première grande occasion qui se pré- publié dans le Bulletin : ture, qui éclatera quelques années plus Dans la division que nous avons adopté “En dégustant les vins, le Jury a constaté sente est l’exposition internationale de pour classer les vins si variés de la Sa- tard, avec la surproduction et la grande Lyon où la Société veut présenter une des progrès sensibles réalisés dans leur fa- e voie, nous avons tenu compte du cours crise viticole du début du XX siècle, est Exposition vinicole de la Savoie. brication ; jamais ils ne se sont présentés celui du stockage de la récolte. des rivières et des fleuves, de la direction des vallées, de l’uniformité de l’orienta- dans de meilleurs conditions ; leur cou- Dans une “Causerie vinicole” régulière- “M. le Président rappelle l’attention à leur est belle leur limpidité parfaite. ment publiée dans le Bulletin, un viticul- l’attention de la Société sur l’opportu- tion, de la réunion de certains cépages à On pourrait peut-être reprocher aux vins teur du Midi avance la proposition pour nité qu’il y aurait d’exposer les vins de la mondeuse, qui forme à peu près partout communs un peu de verdeur, un peu construction de lieux de stockage des la Savoie à l’exposition Internationale de la base de notre production en vin rouge, d’acidité qu’on ne rencontrait nulle part récoltes. Lyon, qui aura lieu du 1er mai au 1er oc- comme la roussane, la roussette et l’al- en 1865 ; mais les bons crus de Montmé- tobre 1872. tesse pour les vins fins, la jacquère pour mlian, Arbin, St-Jean-de-la-Porte, Cruet, “Nous avons dit dans notre dernière cau- Il fait remarquer que déjà nos vins sont les vins communs, forment le fonds de nos Chignin, Apremont et Côte-Rouge seront serie qu’il y a quelque chose à faire pour avantageusement connus dans la seconde vignobles à raisins blancs. certainement des vins de bonne consom- conjurer les tristes effets de l’avilissement ville de France ; qu’en présence des plan- Nous fondant sur ces considérations, nous mation. des prix. […] Il y a donc une urgente néces- tations nouvelles que l’on exécute à peu avons divisé la Savoie en 11 sections, aux- Les raisins blancs tardivement récoltés sité de pourvoir au logement des futures près partout, il est nécessaire de trouver quelles nous donnons des noms particu- semblent avoir puisé dans les derniers récoltes, même les plus exubérantes, sous un débouché au trop plein qui ne man- liers propres à les faire reconnaître. rayons du soleil, une maturité exception- peine de voir, chaque année les revenus quera pas de se produire dans un délai Voici ces divisions ; nous ferons suivre nelle. Les vins blancs de Chignin, St-Jean viticoles passer à l’état de pure illusion. rapproché.” chacune d’elles du nom des exposants. de la Porte, Altesse, Côte-Rouge, ont été Il conviendrait d’avoir assez de tonneaux, 1ère section : vignes de la vallée de l’Arc, reconnus de qualité supérieure, aussi les non seulement pour les produits ordinai- Deux ans plus tard, la Savoie agricole est bien présente à l’exposition de Lyon. comprenant tout l’arrondissement de détenteurs maintiennent leurs prix entre res de chaque vignoble, mais aussi pour Saint-Jean de Maurienne. 50 et 60 francs l’hectolitre. les cas d’abondance exceptionnelle et pour “La Société centrale d’agriculture de - Deschamps, avoué à St Jean de Mau- Le marché des 26 et 27 novembre a donné la conservation de quelques vins vieux. Chambéry a pris l’initiative d’une exposi- […] rienne : vins de Princens, lieu à des transactions assez importantes L’application plus ou moins large de tion de vins de nos principaux crûs ; elle a - Finet Auguste, avoué à Chambéry : vins qui se sont opérées dans les conditions cette idée rendrait, ce nous semble, de très aussi planté dans le jardin de l’exposition d’Echaillon, suivantes. grands services aux propriétaires et aux de Lyon nos divers système de treilles et - Falcoz Alexis, avocat, vins de Bonne- Le peu de vin disponible de la récolte de négociants, en mettant à leur disposition de cordons. Nouvelle.

52 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 2 ème section : vignes de la vallée du Gelon, d’Arbin, Haut-Rhône, s’étendant du Fier au lac du née 1872 : production moyenne : 25 hec- de la Rochette à Chamousset - Turrel, avocat : vins blancs et rouges de Bourget, tolitres/ha ; superficies en vigne pour la - Dijoud, médecin à la Rochette : vins rou- Montmélian, - Mme veuve Audremasse, Berlioz, Baron Savoie = environ 12 000 ha de vignes et ges et blancs de Côte-Rouge, - Denarié Gaspard, médecin, Revel, mé- Girod de Montfalcon, Goddard : vins de la Haute-Savoie = 7 500 ha. - Falquet, membre du Conseil Général : decin, Silvoz, présient du Comice : vins Ruffieux, Pour la dégustation proprement dite, vins de Villard-Sallet, de Chigin, - Gaillard, médecin : vin de Serrière. il est regretté la très faible représenta- - Pachoud : vin du Betton, - Gouvert, avocat : vins de Chignin-Tor- tion de vins de Haute-Savoie, mais au Picollet d’Hermillon : vins de Côte Rou- mery. e contraire louée la très belle collection ge, 11 section : vignes du Rhône inférieur (ce vignoble suit la rive gauche du Rhône pour la Savoie, réunie par la Société Cen- - Rey Maurice : vins blancs et rouges de e trale d’Agriculture de Chambéry (selon la Côte-Rouge. 6 section : Vignes de la vallée de la Leys- jusqu’à Saint-Genix-d’Aoste), se, de Saint-Jeoire à la colline de Lémenc - Bouffier Joseph, d’Yenne ; vin d’Arcoliè- classification de Pierre Tochon, faite à - De la Place, de Chambéry : vins de Mon- res et blanc de Jongieux-Marestel, l’occasion de l’exposition de Lyon). ème 3 section : vignes de la Haute-Isère, terminod, - Berthet Jean-Marie, Belly Francisque “ comprenant tout l’arrondissement de - Baron Angleys, de Chambéry : vins de : vin rouge de lagneux et blanc de La- Les vins des vignes basses de la Savoie, Moutiers Challes, gneux, seuls représentés à l’Exposition, sont à (Pas d’exposants sélectionnés) - Sylvoz, président du Comice : vins de - Rubod Charles : vin rouge et blanc du peu près tous produits par la mondeuse Saint-Jeoire. Châtelard, mêlée en faible proportion avec des rai- - Goybet Pierre, avocat : vin blanc de Lu- sins blancs et un dixième ou un quart au 4e section : vignes de l’Isère inférieure, plus de douce noire ou corbeau, appelé e cey-Altesse, d’Albertville à St Jean de la Porte, de Cha- 7 section : Vignes de la vallée de Cham- - Rumilly Joseph, notaire : vins de Mon- aussi plant de Montmélian, parce qu’on le mousset à . béry s’étendant des Marches à la monta- thoux. cultive, quoique en faible proportion, dans - Baron d’Alexandry, propriétaire à gne de l’Epine le vignoble de ce nom. Montchabod : vins rouge et blancs de Vil- - Déperse Joseph, avocat : vin de Saint- On voit par cet extrait du catalogue géné- Les vins blancs communs de la Savoie se lard-d’Héry, Baldoph, ral, que la Savoie vinicole est convenable- - D’Aviernoz, propriétaire à Coise : vin - Tardy aîné, Sylvoz Charles : vin d’Apre- récoltent presque exclusivement sur la ment représentée à l’Exposition de Lyon.” commune des Marches, dans les terrains de Coise, mont, (Pierre Tochon) - De Montbel : vins de Saint-Pierre de - Falcoz ndré : vin des Marches, bouleversés, où sont venus s’arrêter ; puis Soucy. - Peyssard, commandant en retraite : vin Cette longue liste permet d’inventorier se déliter les immenses blocs de calcaire blanc de Myans. l’ensemble des vins de Savoie considé- détachés, en 1249, de la montagne de Gre- rés comme exportables à l’époque. On nier ; un seul plant, la Jacquière, cépage e très productif, peuple ce vignoble. 5 section : vignes de la Combe de Savoie, e notera que, déjà, les vignes de la Haute- comprenant les côteaux de St-Jean de la 8 section : vignes de la vallée d’Aix-les- Isère ne sont plus présentées, vraisem- Les vins mousseux qui reçoivent le nom Porte, Cruet, Arbin, montmélian, Fran- Bains, comprenant les coteaux de Cham- blablement du fait de la médiocre qualité d’Altesse sont produits par un raisin tar- cin et Chignin. béry au lac du Bourget de leur vin (à cette époque). dif, peu productif, connu sous le nom de - Besson Jean-Joseph, Borson, colonel maçonnais. Ce même raisin produit les - Morand Charles, Marquis De Chambost La réputation des vins était déjà diffusée Hippolyte, Savay, de Saint-Jean de la Por- d’état major : vin de Méry, vins secs de Marétel. - Dégaillon, propriétaire : vin de Tou- par des guides/catalogues, comme le Les vins secs de Chignin, Villard-d’Héry, te : vins de la Mort, célèbre “Topographie de tous les vi- - Baron d’’Alexandry, Billoud, Marquis vière, les vins doux de Côte-Rouge, de Montmé- - Guilland, médecin : vin de Drumettaz- gnobles connus” de A. Jullien, dont la lian proviennent de la Roussanne de l’Er- De Chambost : vins de Cruet-Lourdain, première édition paraît à Paris, en 1816. ” - Fleury-Levret : vins de Cruet-le-Colom- Clarafond. mitage, mêlée à quelques autres plants. bier, En 1872, la Société des agriculteurs de Ces renseignements très intéressants et - Goffoz Louis, Turrel avocat : vins de e France rédige un rapport du jury de dé- très précis, nous ont été fournis par M. 9 section : vignes de la vallée du lac du Pierre Tochon», Cruet, Bourget et de tous ses contours gustation des vins de la Savoie et de la (mais sans doute mal retranscrits, vues - Bel, maire, Dupuy, notaire, Coutin, - Lathoud Marie, du Bourget-Charpi- Haute-Savoie. Cette classification des les erreurs). Guillermin Charles, avocat : vins de gnat. vins est destinée à la réactualisation du Suit un commentaire reprenant presque Montmélian-la-Maladière, guide Jullien (éditions de 1820 et 1854). tous les vins présentés au Concours de - Lepasquier, Veyrat, négociant : vins 10e section : vignes de la Chautagne ou du Les chiffres sont réactualisés pour l’an- Lyon de 1872.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 53 A la fin de l’année 1872, un article duBul- moitié fruit leurs vignes. letin de la Société centrale revient sur La Société se chargeait de tous les frais, cette opération. et cependant elle déclarait que chaque ex- “ posant aurait droit individuellement aux La collection des vins de la Savoie, que récompenses.” notre Société avait organisée, a été l’objet d’une étude sérieuse ; il ne s’agissait pas, La liste des récompenses obtenues par en effet, pour ces vins, de s’assurer s’ils les exposants savoisiens est la suivante : avaient conservé le rang qui leur avait été “ précédemment attribué dans les classifica- Classe LXXV. Boissons fermentées tions générales des vignobles de France. Médaille d’Or : Les dégustateurs devaient pousser leurs - Société centrale d’agriculture de Cham- investigations plus loin ; ils avaient à béry Vins ordinaires rouges et blancs déterminer, pour la première fois, si ces Médaille d’or : vins, déjà signalés à l’Exposition de Pa- - M. Turel, de Montmélian. Vins fins. ris par une médaille d’argent, pouvaient Médailles de Bronze : MM. prendre rang dans la consommation lo- - Le baron d’Alexandry, sénateur, à Cham- cale et le commerce général de la France, béry. Vins secs et vins rouges bourgeois, et quel rang on devrait leur attribuer. - Jallabert, d’Arbin. Vins fins de Mont- Les vins de la Savoie sont sortis avec une mélian et d’Arbin, faveur signalée de cette double épreuve. - Arminjon, conseiller à la cour de Cham- Aussi le jury, après avoir décerné à notre béry. Vins fins de Saint-Jean-de-la-Porte, Société un diplôme d’honneur, pour l’en- - Comte de Boigne, à Chambéry. Vins semble de son exposition collective, a ré- mousseux et liquoreux de Lucey et d’Al- compensé les propriétaires en leur distri- tesse, buant deux médailles d’or, huit d’argent - Brachet, à Aix les Bains. Vins de Tou- et trois mentions honorables. vières, [ …] notre président, M. Tochon, a obtenu - Dégaillon Barthélémy, d’Aix. Vins de une grande médaille de vermeil pour ses Touvières, travaux agricoles et ampélographiques.” - Mme Veuve Dolin, de Chambéry. Ver- mouth, etc., Cette politique de promotion des vins de - Finet, ancien avoué à Chambéry. Vin de Savoie, menée par la Société centrale, l’Echaillon, trouve une forme d’apothéose lors de - Gaillard Marie, docteur à Serrières. Vin l’année, combien symbolique (on le verra rouge de la Chautagne, dans les pages suivantes), de 1878 avec - Gardet Pierre, de la Trinité. Vins de Cô- la présentation des vins à l’Exposition te-Rouge, universelle de Paris, sur le Champ de - Gouvert Camille, des Marches. Vins des Mars. Marches, de Chignin et de Tormery, “ - Pachoud Pierre, du Betton-Bettonnet. Comité départemental de la Savoie Vins blancs.” La Société centrale d’agriculture du dé- partement de la Savoie avait pris l’initia- tive de l’exposition collective des vins de la Savoie. La Société, dans son programme de décembre 1877, appelait à prendre part à cette exposition, tous les propriétaires exploitant directement ou faisant valoir à

54 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Le Bulletin donne les précisions suivantes : à la consommation locale. “ Depuis l’annexion de la Savoie à la Fran- Appréciés dans leur ensemble, les vins ce, tous ses marchés lui étant ouverts, elle rouges de la Savoie ont été classés parmi a pu étendre sa production, assurée qu’el- les bons vins ordinaires, parmi les plus le était de trouver des débouchés dans les solides et les plus hygiéniques. [Pour ce qui est des vins blancs de la Sa- grands centres de la mère patrie ; toute- voie] fois, pour en profiter, il était nécessaire en dehors des vins blancs ordinaires, de mettre les consommateurs à même de envoyés à l’Exposition pour donner une s’assurer de la qualité de nos produits. idée de la variété de notre production vi- C’est cette tâche qu’a placée en tête de son nicole, nos vignobles produisent des vins programme la Société centrale d’agricul- blancs de qualité fort remarquable. ture du département de la Savoie, et ja- Deux plants connus, la roussette haute, mais dès lors, elle n’a manqué à la mission désignée en Savoie sous le nom d’Altesse, qu’elle s’est volontairement imposée. et la rousanne, de la Drôme, produisent […] Par trois fois nos vins réunis ont nos meilleurs vins blancs. mérité des récompenses aux Expositions Ces deux plants impriment à leurs produits universelles de Paris et de Lyon de 1867, des caractères tout différents: les premiers 1872 et 1878 ; ils sont aujourd’hui classés donnent généralement des vins doux dis- et les 18 000 hectolitres de vin que nous posés à la mousse pendant la première an- exportons ne manqueront jamais d’acqué- née, passant ensuite au liquoreux ou au sec. reurs. Les seconds fournissent des vins secs, Applaudissons à ces résultats, mais ayant le bouquet rappelant les grands n’oublions pas que nous devons en attri- crus de l’Hermitage. buer une bonne part à l’initiative de la On trouve la roussette haute ou altesse à société centrale d’agriculture du départe- Montmélian, à Vimines, à Jongieux et un ment de la Savoie, qui, en sentinelle avan- peu partout dans le canton de Yenne. cée, veille sur nos intérêts agricoles.” La roussanne est surtout cultivée dans les vignobles de Chignin, de Villard d’Héry, ainsi que dans la vallée de la Rochette. Le jury a accordé une faveur marquée aux vins blancs de ces diverses provenances, dont tous les exposants ont reçu des ré- compenses. Toutefois, les vins doux et mousseux, pro- venant de l’altesse, ont obtenu la préfé- rence en 1872, à Lyon, et en 1878 à Paris : des médailles d’or leur ont été attribuées. […] Jusqu’en 1860, la Savoie, resserrée dans les limites étroites du royaume de Sar- daigne en deça des monts, ne pouvait fréquenter ni les marchés du Piémont dont elle était séparée par le Mont Cenis, ni aborder les marchés français dont les droits de douane lui barraient l’entrée. Aussi ses exportations étaient presque nulles et sa production forcément limitée

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 55 2.4. La vraie révolution limites à l’est et au sud sont en culture, les deux autres en vignes. Des siècles de “routine” viticole vont Le sol silico-argilo-calcaire est peu per- voler en éclat, non pas à cause des ef- méable à l’eau, la terre est blanche. forts opiniâtres des élites viticoles de la Il y a trois ans environ que le propriétaire Société centrale d’agriculture, mais à s’est aperçu de la maladie de sa vigne, cause d’un petit insecte. Celui-ci a pu ignorant la présence et sans doute l’exis- dans les années 1850, avec la mise en tence du phylloxera ; il a attribué le mal à place des premières lignes transatlanti- un excès d’humidité, il a fait un drainage ques régulières, survivre à une traversée pour la combattre. en bateau vapeur d’une dizaine de jours, Si l’on admet que le phylloxera, en pé- quand le même voyage d’une durée de nétrant dans le Sud-Est de la France, ne trois semaines à un mois sur les paque- permet de constater sa présence que trois bots à voile, le trouvait mort à son arrivée ou quatre ans après son apport sur une en Europe. vigne, la tache du Bouchet remonterait à 6 ou 7 ans. 2.4.1. Il est là ! En rapprochant la date de l’attaque de cel- Bulletin trimestriel de la Société cen- le de la plantation, l’on pourrait supposer trale d’agriculture de la Savoie du 1er que ce sont les ceps ayant servi à planter Octobre 1878 au 31 décembre 1878. la vigne qui ont apporté l’insecte. Nous ne pensons pas que cette supposi- Commission d’étude et de vigilance tion soit admissible parce que la mon- du Phylloxera du département de la deuse rouge et la jacquère blanche, plants Savoie. garnissant la vigne, ont été levés chez le “Le 2 octobre passé, le phylloxera a été propriétaire lui-même ou chez ses voisins; trouvé en Savoie. Rien ne faisait suppo- l’on trouve partout ces ceps dans nos vi- ser jusqu’à ce moment que nous fussions gnobles. attaqués. Les vignes américaines ne peuvent non C’est dans une visite aux vignobles des plus être accusées de ce méfait, car s’il y Marches, commune limitrophe du dépar- a eu de tout temps des isabelles ; nous ne tement de l’Isère, que l’insecte a été décou- connaissons dans toute la Savoie qu’un vert. seul cep de cordifolia sauvage, à Alber- La vigne contaminée se trouve au mas tville, dans la propriété du baron Perrier dit du Bouchet, au point de jonction des de la Bâthie ; du reste, sa plantation re- Marches avec Chignin et Francin; un vide monte à 35 ans, il n’est pas phylloxéré et d’environ cent mètres carrés de ceps morts il se trouve à 40 kilomètres du point d’at- ou mourants a attiré notre attention, et taque. le premier coup de pioche donné sur une Le lendemain de cette première visite, souche encore saine a mis à découvert des la Commission d’étude et de vigilance racines fortement phylloxérées, portant du phylloxera, réunie sous la prési- des insectes de tous âges et à tous les états. dence de M. le Préfet, a décidé d’en faire Plusieurs ceps successivement fouillés une seconde ; elle a eu lieu le 6, et un nou- nous ont convaincu que la tache avait une veau point d’attaque a été découvert à étendue de 20 ares environ. Chignin, à un kilomètre environ du Bou- La vigne est attaquée au nord, dans un chet, dans une vigne fort belle et très bien lieu peu fréquenté ; elle se trouve sur un cultivée, appartenant au maire de cette coteau converti en vigne depuis 9 ans ; ses commune ; plus tard, une troisième tache

56 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie a été signalée à 500 mètres de la seconde. organisés sur le sujet. Une fois le mal déclaré, on a cru reconnaî- Pierre Tochon, né le 4 mars 1819, était tre la présence de l’insecte un peu partout, originaire de Haute-Savoie. Il fut brillam- à la Rochette, à Yenne, à Montmélian et ment admis à l’École royale d’Agricul- en bien d’autres endroits ; mais des pluies ture de Grignon en 1840. Après ses étu- continuelles qui ont détrempé le sol, la des, il voyage en Suisse, en Belgique et précocité de la saison hivernale n’ont pas Angleterre, puis travaille un temps à Tu- permis de s’assurer d’une manière certai- rin, dans l’entreprise de fabrique d’instru- ne si l’insecte a envahi ces divers points. ments d’agriculture d’Auguste Burdin. Il Nous avons des raisons de croire que le prend ensuite la gestion d’une importante mal est grand, mais il nous faudra atten- exploitation agricole à Vuache (Haute-Sa- dre la renaissance de la végétation et le ré- voie), avant de se consacrer à son domai- veil malfaisant de l’insecte pour connaître ne de Servolex. Il remplace M. le comte toute l’étendue du désastre qui menace la Marin à la Chambre royale d’Agriculture Savoie. et de commerce des États sardes, pour D’où nous vient l’insecte qui nous a at- laquelle il s’occupe notamment des ex- teints ? Nous l’avons dit, nous n’avons positions nationales de Turin et Gênes pas de collections de plants américains, puis de l’exposition universelle de Paris que l’on accuse de le répandre ; mais nous en 1855. sommes limitrophes du département de Après l’annexion, il rentre au Ministère de l’Isère, dont la moitié des vignes sont atta- l’agriculture. Il s’occupa de la participa- quées ou détruites, et bien que l’on ait pas tion de la Savoie à l’exposition universelle signalé la présence du phylloxera près de de Paris et devint en 1871 président de nous dans la vallée, il n’y a pas le moindre la Société centrale d’agriculture. (Il décé- doute qu’il s’y trouve. dera le 1er janvier 1892) Du reste, peu importe de constater d’où L’introduction du dernier Bulletin trimes- nous vient ce fléau ; l’important pour triel de 1878, précise le contexte de la nous serait de trouver le moyen d’arrêter funeste découverte : sa marche envahissante. Jusqu’à ce jour, rien n’a été fait ; l’on en “Nous disions, dans notre dernier compte- est encore à chercher le moyen de faire face rendu, que les délégués étaient partis pour à la dépense qu’entraînera les traitements le Midi de la France, afin d’apprendre à des taches constatées. reconnaître la présence du phylloxera et Nous aimons à espérer que l’État, appli- de s’instruire sur les procédés pratiques quant à cette nouvelle invasion le bénéfice d’appliquer le sulfure de carbone injecté de l’article 4 de la loi récemment votée, au moyen du pal. pourvoira aux premiers frais du traite- Cette commission, présidée par M. le ment jugé le plus efficace.” baron Perrier de la Bâthie, professeur à Le président de la Commission d’étude et l’École normale d’Albertville, se compo- de vigilance. Pierre Tochon sait de MM. : - Brun, instituteur à Chignin, Tel est le constat sans appel du Prési- - Huguet, instituteur à Mercury-Gé- dent de la commission départementale milly, de la Savoie qui connaît bien le problème - Joël Jean-Baptiste, instituteur à Saint- puisqu’il a passé des jours à sillonner la Julien (Maurienne), France pour recueillir des informations, - Vuillerme, professeur au lycée de Cham- notamment dans les différents colloques béry

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 57 Un des livres de Pierre Tochon © Yves Cartton CNRS © Yves

Avis de décès de Pierre Tochon

58 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - Faivre, instituteur à Vimines. 2.4.2. On l’attendait et il était […] À peine ces Messieurs étaient-ils de déjà là! retour de leur intéressante excursion, dont nous publierons sous peu le comp- La découverte de l’atteinte phylloxéri- te-rendu, que M. Tochon, président de que de la Savoie, n’était pas une surprise la commission d’étude et de vigilance du mais plutôt une nouvelle redoutée et at- phylloxera, dans une course d’investiga- tendue. Détecté dans le Midi de la France tion, faite aux Marches le 2 octobre passé, en 1865, sa progression faisait, depuis, y découvrait une tache déjà ancienne et l’objet d’une préoccupation constante à très étendue. travers toute la France viticole, mobili- Cette invasion n’était pas, malheureuse- sée pour combattre cet ennemi, dont on ment, la seule ; le lendemain une commis- connaîtra vite les caractéristiques, mais sion présidée par M. le Préfet trouvait le beaucoup plus lentement, les moyens de phylloxera dans les vignes de Chignin ; le combattre. enfin sa présence a été constatée dans les La menace se rapprochait et l’inquiétude grandes vignes d’Yenne. grandissait comme en témoigne le comp- Dès lors, de nombreux points ont été in- te-rendu des travaux de la Société du 1er diqués comme pouvant être contaminés, juillet au 30 septembre 1874. notamment à la Croix-de-la-Rochette, à Cruet, à Montmélian et ailleurs ; mais “La Société a été appelée à prendre des me- tout en trouvant des indications précur- sures conservatrices contre l’invasion du seuses du mal, les commissaires délégués phylloxera qui des environs de Vienne en n’ont pas découvert l’insecte. Dauphiné, où on avait reconnu sa présen- Du reste, la date avancée de la saison n’a ce en 1873, a étendu sa funeste influence pas permis de faire des recherches aussi sur une partie du département du Rhône. assurées qu’elles le seront aux mois de mai Pour le moment, la seule barrière à oppo- et de juin, époque du réveil de l’insecte. ser à cet insecte envahisseur a été de de- Il faudra donc attendre ce moment pour mander la prohibition des sarments, des s’assurer de l’étendue du mal qui frappe barbues et des raisins venant des pays nos vignobles. phylloxérés.” Tout le monde se demande ce que l’on va Au dernier trimestre de l’année 1874, la faire pour entraver la marche de l’insecte. Société s’implique directement pour me- En présence des dépenses considérables ner la veille et faire face à la menace. qu’entraîne l’un des traitements préconi- “La Société a eu souvent à s’occuper des sés et mis en pratique en Suisse et dans le progrès de la marche du phylloxera vers Midi de la France, M. le Préfet a pris la nos frontières ; c’est pour retarder autant louable initiative de demander au minis- que possible son apparition dans nos vi- tre de l’agriculture et du commerce d’ap- gnobles qu’elle a obtenu un arrêté préfec- pliquer à la Savoie le bénéfice de l’article 4 toral qui prohibe le transport des plants de la loi récemment votée sur le phylloxe- enracinés ou non des cépages provenant ra. Dans ces conditions, ce serait l’État des pays phylloxérés. Plus tard elle a ob- qui traiterait nos vignes ; nous attendons tenu de M. Le ministre de l’Agriculture le résultat des démarches faites par M. le l’envoi d’un microscope pour faire des Préfet dans l’intérêt de la Savoie.” études et s’assurer de la présence de cet ennemi de la vigne. Planche du numéro spécial Phylloxéra du Bulletin de la Société centrale d’agriculture de la Savoie

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 59 C’est dans ces conditions que la Société a du temps et c’est beaucoup.[…] nes l’ont cru d’abord, à l’oïdium, mais décidé d’envoyer un délégué au Congrès Pour compléter l’étude que nous venons bien à une excroissance cryptogamique de Montpellier, où devaient être traités de faire, il nous resterait à parler de quel- par les hommes les plus compétents des ques variétés de ceps américains, résis- questions séricicoles et viticoles d’un tant aux atteintes du phylloxera, comme grand intérêt pour nous.” moyen de replanter, sans crainte de nou- C’est Pierre Tochon qui sera mandaté. veaux désastres, les vignobles détruits par cet insecte ; mais en écrivant pour un Pierre Tochon, revenu du Congrès qui pays où l’on n’a pas signalé jusqu’à ce s’était tenu à Montpellier en Octobre jour un seul point d’attaque, après avoir 1874, avait publié dans le Bulletin l’article indiqué les motifs qui nous font entrevoir suivant, complétant son compte rendu la possibilité de n’être pas même attaqués, du Congrès. nous aurions mauvaise grâce aujourd’hui de faire cette étude ; nous aimons mieux “On voit par ce qui précède [le compte espérer que nous n’aurons jamais besoin rendu du Congrès de Montpellier] que tout d’y revenir. Chambéry, le 15 décembre semble se réunir d’une part pour entraver 1874. Pierre Tochon ” la rapidité de l’invasion, d’autre part pour Déjà le Bulletin du 1er octobre au 31 dé- empêcher l’apparition du phylloxera dans cembre 1875, montrait des signes d’in- nos vignes. quiétude, sans que la liaison avec ce qui Cette espérance se raffermit, lorsque l’on se passait dans les régions voisines n’ait jette un coup d’œil sur les remparts de été nécessairement faite : montagnes d’une grande élévation dont se trouve entouré le sol de la Savoie. ; il sem- “On sait que quelques communes des en- ble que le Phylloxera s’arrêtera affamé, virons de Chambéry ont vu une bonne sera anéanti devant ces forteresses cou- partie de la récolte de leurs treillages dé- vertes de forêts, de neige et de glaciers. truite par des causes qui ne ressemblaient Ne nous confions cependant pas trop dans en rien à celles qui en avaient diminué cette immunité ; fumons, soignons nos jusqu’à ce jour le rendement. vignes, pour les préparer à la résistance ; soyons prudents, évitons tout ce qui peut La Société a ouvert une enquête entre ses de près ou de loin favoriser l’introduction membres pour connaître la cause vraie de de l’insecte, un seul cep enraciné venu cet état de choses. d’un pays phylloxéré, un seul puceron ap- Il résulte de l’enquête que cette perte de porté sur ses radicelles, peut-être le point récolte doit être attribuée à des accidents de départ de l’invasion de nos vignes. Re- multiples et que ce n’est pas la grêle qui y tardons, ajournons pour toujours, s’il le a fait le plus de mal. faut, l’introduction d’un plant étranger s’il doit nous occasionner d’aussi grands Nos treilles ont eu en effet à souffrir : désastres que ceux dont nous avons été té- moins dans le midi de la France. 1° Des attaques de l’eumolpe, encore ap- récolte de nos treillages, et c’est cer- appelée cot dans le Midi, carie et rouille Éloignons par tous les moyens en notre pelé diablotin, lisette, écrivain; cet insecte tainement celle qui a fait le plus de partout ailleurs. pouvoir l’époque de l’invasion de nos vi- à l’état de larve attaque successivement la mal, est due à la présence d’une tache du On avait à peine observé jusqu’à ce jour racine, les jeunes grappes puis les feuilles. grain : d’abord imperceptible, elle s’étend cette maladie de la vigne dans nos treilla- gnes . Si plus tard, de proche en proche, […] le phylloxéra arrive jusqu’à nous, plus Le docteur Jules Guyot cite, page 226, et se durcit jusqu’à ce que le grain en soit ges : le mal qu’elle a occasionné est consi- VI, un petit instrument destiné à prendre entièrement enveloppé : cet état maladif dérable. heureux que tant d’autres départements, […] nous aurons récolté, nous aurons gagné et à détruire l’eumolpe dans le Gard. n’est pas dû, comme beaucoup de person- La seconde cause de destruction de la

60 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Il paraît que la douce noire ou corbeau est organiser des commissions de prévoyance plus sensible que les autres cépages de la contre l’invasion du phylloxéra ; nous Savoie aux atteintes du cot : c’est ce qui avons indiqué dans notre dernier Bulle- explique la perte qui en a été la conséquen- tin la composition de cette commission, il ce, nos treillages étant surtout plantés de nous reste à faire connaître le résultat de douce noire. ses travaux. La troisième cause doit être attribuée à Jusqu’à ce jour, le phylloxéra n’a été dé- la brûlure ou rougeot qui s’attaque aux couvert nulle part en Savoie ; plusieurs feuilles avant la maturité du raisin ; il les propriétaires ont conçu des craintes sur fait passer rapidement à la dernière phase sa présence dans leurs vignes en voyant de la végétation : on s’aperçoit de sa pré- le dépérissement partiel qui s’était pro- sence à la coloration vineuse des feuilles, duit : il a suffit d’une visite de M. Tochon, puis à leur chute précoce ; privés de leur présent de la commission centrale, pour protecteur et de leurs nourriciers, les rai- les rassurer ; espérons qu’il en sera long- sins se flétrissent au lieu d’achever leur temps encore ainsi.” maturité.” Une loi du 22 juillet 1874, avait déjà ins- tauré la mise en place, par le ministre de l’agriculture et du commerce, de la com- mission supérieure du Phylloxéra. Ce n’est que deux ans plus tard devant la progression de la pandémie, que la mise en place d’une commission semblable est demandée au plan départemental. “Monsieur le Ministre de l’Agriculture a communiqué aux préfets de chaque dé- partement une circulaire résumant les travaux de la commission supérieure du phylloxéra ; cette commission engage les départements viticoles déjà attaqués, ainsi que ceux indemnes des attaques de l’in- secte ampélophage, à nommer une com- mission centrale d’études et de vigilance dont la Société d’agriculture, quand il en existe une, fournirait les éléments essen- tiels ; mais qui s’adjoindrait les personnes dont le concours lui paraîtrait nécessaire. Tous les membres de la Société se sont empressés de se mettre à la disposition de M. le Préfet pour faire partie de cette commission qu’il s’occupe de constituer.” Dans le courant de l’année 1876, Pierre To- chon est tout naturellement désigné pour prendre la tête de la Commission de la Savoie. “Une circulaire de M. le Ministre avait engagé le préfet de chaque département à

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 61 2.4.3. La progression de l’Inva- conformément aux dispositions de l’art On trouve qu’en une seule année la pré- prierait M. le Préfet de lui servir d’in- sion 4 de la loi du 15 juillet 1878, les taches sence du phylloxera a été constatée sur termédiaire auprès du conseil général ou phylloxériques découvertes aux Marches, tous les centres viticoles de l’arrondisse- de sa Commission permanente, afin que, Dans la séance de sa mise en place, du à la Croix-de-la-Rochette et à Yenne se- ment de Chambéry, et vingt-six hectares se basant sur les considérations que l’on 21 mai 1879, le comité d’études et de raient traitées aux frais de l’Etat. En de vignes, attaquées sur soixante-trois trouvera ci-après, il fasse des démarches vigilance du phylloxéra, entend le rapport même temps, se rendaient sur les lieux M. points différents, dans seize communes, auprès de M. le Ministre de l’agriculture, le M. le Préfet de la Savoie, comme le re- du Peyrot, inspecteur général de l’agri- se trouvent baux prises avec l’insecte. pour obtenir la levée de l’interdiction qui late un nouvel article du Bulletin. culture, ainsi que des agents spéciaux On le voit, l’invasion est déjà considéra- pèse dans l’arrondissement de Chambéry “Pendant les six mois qui se sont écou- de la compagnie P.L.M., dirigés par M. ble, et nous ne parlons pas des nouveaux sur la libre circulation des cépages amé- lés depuis notre dernier compte-rendu, Gastine, chimiste attaché à la compagnie. foyers d’infection cachés sous le sol, qui le ricains résistant aux attaques du phyl- le phylloxera a malheureusement dépassé A peine avaient-ils injecté le sulfure de sont bien davantage. loxera. de beaucoup les limites que nous tracions carbone sur les taches des Marches et de Il est difficile, en effet, de ne pas faire re- Toutefois, cette demande ne s’étend pas dans notre dernier Bulletin. Chignin, qu’ils en découvraient, non loin monter la première apparition du phyl- aux plants racinés, elle est limitée à l’in- L’État, ayant décidé d’opérer à ses frais le de là, à Saint-Jeoire, dans le vallon de la loxera, en Savoie, à moins de 7 à 8 ans, troduction des boutures, et afin que l’on traitement des vignes phylloxérées par le Boissette, sur de grandes étendues de vi- quand l’on trouve des surfaces relative- ne puisse accuser ces boutures d’apporter sulfure de carbone, a chargé de ce soin la gnes. C’était le point de départ de l’inva- ment considérables de cinq à vingt ares de avec elles de nouveaux germes d’infection, compagnie de Paris-Lyon à la Méditerra- sion en Savoie, tout porte à le croire. vignes totalement détruites par l’insecte, la Société a offert de servir d’intermédiaire née ; son outillage, sa fabrication de sulfu- […] Je ne suis Messieurs, vous le savez, comme l’on en voit à la Boisserette, sur entre l’expéditeur et celui qui en aura fait re de carbone, les chimistes, les moniteurs que le président d’honneur de votre co- Saint-Jeoire, à Drumettaz-Clarafond, à la demande, et de ne remettre à ce dernier dont elle dispose lui facilitent plus qu’à mité. Vous devez nommer un président Saint-Pierre-de-Curtille, à Saint-Paul, à les boutures qu’après les avoir soumises à tout autre cette tâche. effectif et un secrétaire. Je vous prie de Yenne et aux Marches.” un bain insecticide.” M. Gastine, arrivé en Savoie en avril, s’est vouloir procéder à cette double élection. aussitôt occupé de s’assurer si les taches Je vous prie, en outre de prendre les dis- Pour faire face à l’invasion la Société se A la fin du troisième trimestre 1880, dans indiquées ou douteuses étaient réellement positions que vous jugerez le plus conve- mobilise en renforçant les relations avec les travaux de la Société sont ainsi résu- atteintes par le phylloxera ; il est résulté nables pour me fournir, avant le 10 juin tous les acteurs concernés à travers més : de ses recherches que le mal était plus prochain, le rapport trimestriel que, par la France, qui se réunissent dans des une circulaire du 28 avril dernier, M. le “La Société centrale d’agriculture du grand qu’on ne le croyait généralement ; Congrès afin de partager leurs connais- département de la Savoie avait décidé aux communes de la Croix-de-la-Rochet- ministre de l’Agriculture demande aux sances. comités centraux d’études et de vigilance d’ouvrir un concours entre les fabricants te, des Marches, de Chignin, de Yenne est et les inventeurs d’instruments destinés venu se joindre Saint-Jeoire et c’est là que sur l’état des vignobles, sur les expérien- “Le phylloxera étendant de plus en plus ces entreprises, sur les résultats obtenus, en Savoie sa marche destructive, malgré au soufrage de la vigne ; une somme de le mal est le plus considérable. 200 fr. avait été votée dans ce but. En même temps que ces invasions étaient enfin sur les faits concernant les intérêts le soin qu’a pris l’État de faire appliquer, viticoles et économiques du département. à ses frais, aux vignes attaquées des trai- Ce concours a eu lieu le 18 juillet, et l’on visitées, on en fixait le périmètre, et une a tout lieu de s’applaudir des résultats zone de protection de 10 mètres était tra- Le préfet de la Savoie Saisset-Schneider” tements au sulfure de carbone, la Société a voulu être renseignée d’une manière plus obtenus, puisque l’on a aujourd’hui une cée tout autour. machine très simple, d’un prix peu élevé Bien que les applications du sulfure de car- La recherche de taches phylloxériques précise sur les résultats obtenus jusqu’à ce jour des insecticides et de la plantation et d’une solidité à toute épreuve à recom- bone à toutes ces taches aient été contra- se développe dans toute la Savoie et on mander à nos vignerons pour combattre riées par des pluies persistantes, dans peu commence à réaliser l’étendue et l’an- des cépages américains. [qui a frappé le vignoble long- Dans ce but, la Société a prié M. Tochon, l’oïdium de jours l’opération sera achevée. cienneté de l’invasion. Quand on l’at- temps avant le Phylloxera]. Messieurs, tendait et qu’on le voyait s’approcher en son président, de se rendre au congrès de Nîmes pour l’y représenter. Ce congrès On trouvera le compte-rendu de ce Je vous ai réunis pour procéder à votre Isère et dans le Rhône voisin, l’insecte concours, dont on a voté l’impression, installation et vous demande le concours était déjà là, comme le relate un article et les courses [=visites] qui l’ont précédé et suivi ont été l’objet d’un rapport fort dans le Bulletin que nous publions le plus zélé dans l’intérêt de la défense de du Bulletin. aujourd’hui. vos précieux vignobles contre l’invasion intéressant, lu dans la réunion du 27 dé- cembre passé. Ce travail a provoqué une Notre Société a pris part à la réunion des de plus en plus menaçante du phylloxera. “Situation phylloxérique de l’arrondisse- Sociétés savantes de la Savoie, qui s’est Il y a deux mois, M. le ministre de l’agri- discussion longue et approfondie, à la ment de Chambéry en décembre 1879 : suite de laquelle la Société a décidé qu’elle tenue cette année à Chambéry. L’atteinte culture et du commerce décidait que, portée à nos vignes par le développement

62 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie de l’action phylloxérique et la difficulté Total des taches trouvées en 1880 = 181 d’arrêter ce fléau en ont fait l’objet. Taches trouvées en 1879 = 63 Total des taches au 14 août 1880 = 244 Dans une conférence dont on trouvera un compte rendu succinct ci-après, M. M. Gastine, délégué régional, prescrit Perrier de la Bâthie a fait connaître l’éten- dans ses dernières instructions d’étendre due du mal et le peu de résultat obtenu la zone de protection de 30 à 40 mètres jusqu’à ce jour du traitement au sulfure autour de la tache, ce qui, en supposant de carbone appliqué par l’Etat sur tous les l’étendue de chaque tache de 1 are, donne- points envahis. rait en moyenne pour chaque point d’atta- que une superficie de 85 ares à soumettre Il résulte des données recueillies sur cet au traitement. […] Cette perspective [prix intéressant sujet que la vallée qui s’étend beaucoup élevé des traitements par le sulfure de Montmélian à St-Jean-de-la-Porte, de carbone] donne une grande actualité, d’un coté, et de Montmélian à St-Jean- pour nous, aux congrès qui se réunissent de-la-Porte, d’un coté, et de Montmélian chaque année pour étudier les moyens de à Saint-Alban, de l’autre, serait attaquée sauvegarder les intérêts de la viticulture sur un grand nombre de points. Le sol française. de cette vallée, formé d’éboulis calcaires, semble faciliter l’extension du mal, les ra- Ces congrès ont eu lieu jusqu’à ce jour cines placées dans un terrain peu profond dans le midi de la France, où l’invasion a se prêtent aux attaques de l’insecte, et le pris naissance, et où elle a accumulé tant sulfure de carbone, injecté dans un sol de ruines. aussi perméable, perd ses facultés insecti- cides avant d’atteindre l’insecte. Cette année, ce sont les départements du Centre et de l’Est qui en ont pris l’initia- Cet état de choses prête aux récrimina- tive. tions des vignerons : ils se plaignent et du traitement qu’on leur impose, traitement qui nuit à leurs récoltes sans arrêter l’ex- tension du mal. Le fléau prend de si grandes proportions que le moment n’est pas éloigné où l’État renoncera à faire pour nous ce qu’il ne peut faire ailleurs sans compromettre ses finances. Voici l’étendue phylloxérique de la Savoie au 14 août passé : Taches reconnues avant l’organisation des recherches = 6 On a trouvé dès lors en nombre de taches nouvelles sur les communes de : - Chignin = 80 - St Jeoire, sur un quart du vignoble = 43 - Francin = 6 - Montmélian = 30 - Arbin = 3 - Cruet sur la moitié du vignoble = 13

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 63 Un de ces congrès s’est tenu à Clermont- t-on pas exploré plus du vingtième du Ferrand, à l’occasion du concours régio- territoire. La quantité d’insectes est telle nal. aujourd’hui que le sulfure de carbone ne La Société de viticulture de Lyon en a pourrait plus être employé utilement, si organisé un second, auquel elle a joint ce n’est peut-être pour empêcher de nou- une exposition de raisins, de vins, d’ins- veaux progrès. Le seul remède efficace truments de viticulture et une exposition chez nous est la reconstruction des vi- horticole ; il s’est tenu les 12, 13 et 14 sep- gnes par le cépage américain : c’est celle tembre. qu’il faut dès à présent préparer, car elle Le premier de ces congrès s’est formé dans deviendra urgente à brève échéance.” un but tout différent du second. Les orga- nisateurs ont voulu protester contre l’in- Dans le même temps, la Suisse voisine troduction des plants américains comme est, elle aussi, touchée. Le Bulletin repro- moyen de remplacer les vignes françaises. duction le texte de la Loi instituant une Ils croient encore qu’au moyen d’insec- association temporaire et obligatoire pour ticides, par des fumures rationnelles et la défense du vignoble genevois contre le abondantes, on peut sauver nos vignes de phylloxéra. la destruction qui les menace. Le congrès de Lyon s’est placé à un point Le vignoble de Savoie connaît une situa- de vue tout différent, l’expérience ayant tion de plus en plus difficile. Entre la forte prouvé qu’aucun insecticide, aucun en- gelée de 1879, 1880, l’oïdium, la coulure grais ne peut soutenir l’existence de nos et le phylloxéra, les rendements de la vi- variétés de vignes dans des conditions gne sont en chute libre. économiques acceptables. On estime que nous devons chercher notre salut dans la “L’arrondissement de Chambéry, qui plantation des vignes américaines résis- cultive seul les deux tiers des vignes du tant au phylloxera, soit comme plant de département, a obtenu en 1880 une de- production directe là où le raisin peut mû- mi-récolte de vin de bonne qualité, très rir, soit comme porte-greffe où le raisin recherché et presque tout enlevé sous lie à américain ne mûrit pas et partout où l’on des hauts prix. veut conserver nos plants français. L’arrondissement de Moutiers aurait La Société centrale d’agriculture était re- aussi une demi-récolte, mais de médiocre présentée à ce congrès par MM. Pierre qualité. Tochon, Perrier de la Bâthie, Bel, député, L’arrondissement d’Albertville n’a pas Dégaillon, André Falloz, Charles Syl- dépassé un quart du rendement moyen ; voz.” le vin y est bon. Enfin, Saint-Jean de Maurienne a, avec M. Perrier de la Bâthie fait une conféren- une demi-récolte, un excellent vin. ce sur le phylloxéra au congrès des So- En résumant en donnée, on arrive à un ciétés savantes. Il conclue sa conférence tiers de production, soit 100 000 hectoli- comme suit : tres, au lieu de 300 000 que donne une année moyenne.” “Si l’on consulte l’état actuel de la vi- gne en Savoie, on ne peut s’empêcher de En septembre 1880, Pierre Tochon, qui trouver sa situation très compromise ; participe au Congrès international viticole l’année dernière, 63 taches ont été dé- de Lyon, y lit le rapport qu’il a rédigé sur couvertes ; cette année, quinze jours de la Situation Phylloxérique des vignes de recherches en ont révélé 160 : encore n’a- l’arrondissement de Chambéry, qui sera

64 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie plus tard reproduit dans le Bulletin. Il fait […] La Savoie ne doit pas espérer de voir Au début de l’année 1881, le Comité cen- Le Comité central d’études et de vigilance état de la suspicion qui a gagné les vi- mûrir la plupart des raisins des cépages tral d’études et de vigilance du Phylloxé- du département, par les considérations ci- ticulteurs savoyards désireux de trouver américains de la famille des aestivalis, ra pour le département de la Savoie émet dessus développées, est unanime à prier le l’origine de l’invasion. donnant des produits directs, à l’excep- des doutes sur les solutions proposées Conseil général de la Savoie de bien vou- par l’État, comme en témoigne le procès “ tion peut-être, en raisins rouges, du jac- loir, dans sa prochaine session, solliciter On n’a pas manqué de s’enquérir d’où quez, du cynthiana et de l’elzimbourg, de verbal de la réunion du 24 mars 1881. de M. le Ministre de l’agriculture la li- pouvait nous venir l’insecte colonisateur l’elvira et du noah en blanc, du delaward “ […] bre circulation, dans l’arrondissement de de la Boisserette. en raisin rose, et encore le jacquez, le plus Le Comité central : Chambéry, des plants américains à l’état Les vignes américaines ne peuvent être renommé de ces cépages, s’enthracnose fa- Considérant qu’il est constaté que le sul- de boutures non enracinées.” accusées de ce méfait. Avant l’invasion, cilement. fure de carbone appliqué aux vignes de la il n’était pas entré en Savoie un seul cep Savoie n’a pas donné les heureux résul- Le Bulletin de la Société centrale appuie Comme porte-greffe, le riparia baron cette demande en publiant dans ses pa- du Nouveau-Monde, sauf peut-être l’Isa- Perrier a pu se répandre rapidement.” tats obtenus dans d’autres départements, belle, que l’on trouve depuis un temps im- et que, malgré les soins apportés à son ges des articles empruntés à d’autres mémorial dans tous les jardins. De retour du Congrès de Lyon, Tochon injection, la marche envahissante de l’in- journaux : Ce ne sont pas non plus des plants fran- rédige son rapport pour la Société cen- secte n’a pas été sensiblement retardée ; trale. - Progrès accomplis en 1880 dans l’art çais tirés des pays phylloxérés qui ont Que ce résultat semble devoir être attri- de planter et de greffer la vigne : Rapport sur le congrès viticole de Lyon: gratifiés de ces parasites, les cépages rou- bué à la trop grande perméabilité du sol, Très long article écrit par E.Giret (Prési- ges et blancs peu nombreux, cultivés dans au peu de profondeur de la couche arable dent du Comice agricole de Béziers). “[…] nos vignes, s’y trouvent depuis des siècles Le déboire a été grand pour quelques et à l’habitude traditionnelle des vigne- - Choix des variétés de vignes américai- ; on les conserve religieusement et l’on a individualités arrivées avec la persuasion rons du pays de renouveler leurs vignes nes par rapport à leur destination et aux pas de motifs pour les tirer de l’étranger. que la lutte allait s’établir entre les parti- par le provignage. […] milieux : Nous en sommes donc réduits à des conjec- sans des insecticides ou des plants amé- Extrait du Manuel pratique de viticulture tures, à supposer par exemple, que le vent ricains. Considérant que l’État cessant d’appli- pour la reconstitution des vignobles mé- qui s’engouffre dans le couloir étroit de la A Lyon, rien de pareil ne s’est produit: quer le sulfure de carbone aux vignes de ridionaux par M. G. Foëx. Boisserette apporté les premiers insectes les grands producteurs de cépages amé- l’arrondissement de Chambéry, et que en parcourant les 40 ou 50 kilomètres qui ricains, les marchands de plants, comme l’impossibilité de former des syndicats de En fait la Commission de vigilance doit nous séparent de Talissieu-Culoz, dans on les appelle, nous ont donné d’utiles recherches et d’applications d’insecticide faire face à l’hostilité de nombreux viti- l’Ain, on en traversant le département de leçons sur la multiplication, le greffage, ayant été antérieurement constatée par les culteurs qui refusent les opérations de l’Isère pour nous arriver de Vienne, où le l’adaptation des vignes américaines à no- soins de M. le Préfet, les vignes déjà atta- traitement par le sulfure de carbone sur phylloxera a depuis longtemps droit de tre sol, les qualités des différentes variétés quées, d’une superposition de plus de 200 leurs vignes. cité. ; sur les moyens, enfin, de nous procurer hectares, et celles qui le seront ultérieu- […] à peu de frais du bois pour renouveler nos rement se trouvant abandonnées à elles- Résultats obtenus en Savoie par les appli- vignes. Ces utiles conseils nous ont été mêmes, ne tarderont pas à périr ; cations du sulfure de carbone donnés avec autant de désintéressement […] Considérant qu’en dehors des insec- Le peu de résultat obtenu des sacrifices que que le ferait un professeur n’ayant pas le ticides destinés à prolonger momentané- l’État et le département se sont imposés moindre espace de terre planté de cépages ment la durée des vignes phylloxérées, pour nous venir en aide nous fait craindre du Nouveau-Monde. il existe un moyen assuré d’en opérer la que, le jour où nous serons abandonnés à […] replantation, c’est de recourir aux vi- nous-mêmes, le traitement au sulfure de Les vœux du Congrès gnes américaines résistant aux atteintes carbone, auquel nos vignerons n’ont pas Cinquième vœu de l’insecte […], que ces essais peuvent se foi, qu’ils subissent malgré eux et dont Le Congrès émet le vœu que le gouver- faire sans danger d’augmenter l’étendue ils réclament avec instance la cessation, nement accorde aux vignes américaines, du mal, en limitant l’apport de plants ne soit complètement abandonné lorsqu’il qui s’imposent dans les pays où la vigne américains à l’état de boutures ; car, s’il s’agira d’en payer les frais. française est détruite par le phylloxera, les est inadmissible que des sarments coupés faveur accordées aux insecticides dans les de décembre à février portent avec eux des Les cépages américains régions récemment envahies.” germes de phylloxera, il n’est est pas de La Motte-Servolex, le 17 septembre 1880. même des racinés tirés des pays où l’in- Pierre Tochon secte existe partout ;

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 65 Compte rendu des travaux de la Société dant un été aussi chaud que celui de 1881. L’an dernier, la commune de Saint-Pierre cultures et laissent aux propriétaires le du 1er avril au 30 juin 1881 On voit bien, dans les vignobles de Mont- d’Albigny paraissait encore indemne, soin de reconstituer eux-mêmes leurs vi- mélian et de Chignin, de grandes surfaces et voilà que de grandes taches trouvées gnes. “[…] Le vœu que l’État reprit à sa charge et sous sa direction la recherche de l’insecte sans verdure, attaquées par l’insecte : ces sous le château de Minjoux et sous celui Il résulte de cet état de choses que, si beau- et l’application du sulfure de carbone aux vignes devaient fatalement périr ; ce que de Miolans prouvent que cette indemnité coup de vignes s’arrachent, peu se replan- vignes phylloxérées, a été agréé par M. le l’on désirerait savoir, c’est l’extension n’était qu’apparente ; car le nombre de tent en cépages français, parce que déjà on Ministre de l’agriculture, et une escouade donnée à l’invasion par l’essaimage, c’est ceps tués par l’insecte établit d’une ma- s’est convaincu de l’inutilité de ces plan- de travailleurs ne tardent pas à parcourir sa marche progressive vers telle ou telle nière péremptoire que le mal existe depuis tations : aussitôt plantées, elles sont at- commune. plusieurs années. taquées par le phylloxera, elles disparais- de nouveau les vignes puçeronnées pour […] leur faire des applications de sulfure de Nos vignerons se refusent toujours à lais- sent en peu de temps. En attendant, les carbone. La France a inauguré la série de ses ser traiter leurs vignes au sulfure de car- terrains en vignes perdent 50 % sur leur congrès par celui de Montpellier : il s’est bone, et malgré la bonne volonté du délé- valeur primitive, ou, pour mieux dire, ils Nous souhaitons que nos vignerons, ” mieux inspirés que par le passé, facilitent tenu à l’École nationale d’agriculture de gué départemental, ce mauvais vouloir le n’ont pas d’acheteurs. la tâche des opérations au lieu de l’entra- la Gaillarde ; on s’y est exclusivement oc- laisse sans travail. Quelques taches seu- cupé de la vigne américaine, de son adap- lement ont pu être traitées, tandis qu’il ver, comme ils l’ont fait jusqu’à présent. Presque dix ans plus tard, en 1894, l’inva- tation au sol, de sa résistance à l’insecte faudrait généraliser les applications. Il est aujourd’hui bien prouvé, en effet, sion du phylloxéra continue à progresser, de la greffe qui lui convient le mieux. La question de l’introduction des vignes que si l’introduction des cépages améri- comme l’atteste la “Chronique agricole” Le congrès a été unanime à reconnaître américaines n’a pas fait un pas, le Conseil cains résistant à l’insecte est un moyen du Bulletin de la Société centrale. que ce sont les riparias qui s’adaptent le général n’ayant pas cru convenable d’en assuré de reconstituer des vignes détrui- ” tes par le phylloxera, il est de même in- plus facilement à toute espèce de sol ; ce faire la demande. “Malgré les fortes fumures et les soins in- contestable que le sulfure de carbone ap- sont eux aussi qui se présentent le mieux fatigables du vigneron, nos dernières vi- à la greffe. L’york’s-madeira, le salonis et pliqué au début de la maladie peut, non En 1885, “le phylloxera continue à éten- gnes vont disparaître après avoir pendant pas sauver la vigne, mais en retarder la le vialla viennent ensuite. de longues années résisté à l’invasion du La greffe qu’il convient le mieux d’adop- dre le cercle de ses déprédations, l’arron- destruction pendant un laps de temps qui dissement de Chambéry compte bien peu terrible insecte. Cette année le fléau étend sera d’autant plus prolongé que l’on se ter est la greffe anglaise toutes les fois que ses ravages aux plantations indemnes l’on opére sur la table, et la greffe en fente de communes où on ne l’ait pas découvert. trouvera dans un terrain fort et profond Les premiers vignobles atteints sont en- jusqu’à ce jour de ses atteintes. Nous ve- et que l’on utilisera l’insecticide avec pru- dans les autres cas. Les ligatures en rafias nons de voir une vigne qui, l’année der- paraissent préférables à toute autre.” tièrement détruits ; dans d’autres, la fruc- dence, en automne et au printemps, pen- tification cesse de payer la peine que se nière, a donné une merveilleuse récolte, dant l’arrêt de la végétation. A la fin de l’année 1881, la situation s’est donne le vigneron ; enfin, il en est encore dont la faible et maladive poussée annonce C’est du reste ce que l’on fait dans le Rhô- encore aggravée et les relations se ten- qui, fort heureusement, n’en sont qu’à la que l’automne verra tomber ses derniè- ne et dans presque tous les vignobles en dent entre la Société centrale et l’État. première période d’attaque. res feuilles. On peut donc dire, sans rien voie de destruction. La vigne américaine exagérer, que nos vignes auront vécu. Le “ Il est vrai que l’on nous signale de toute se plante à côté des applications des divers Le phylloxera fait des progrès en Savoie, parts ; les vignes phylloxérées ou non, ne raisin a disparu sous la coulure partout insecticides qui ont fait leurs preuves. » sans que l’on en soit officiellement averti rendent plus comme autrefois ; l’oïdium où sa floraison s’est faite à l’époque des par les commissions de recherches placées pluies. Si nous ajoutons à cela les autres A l’automne de l’année 1881, Bulletin de sévit cependant avec le moins d’intensité, sous la direction du délégué départemen- et jamais on ne leur a donné autant de soins maladies auxquelles la vigne paie chaque la Société aborde immanquablement le tal. année son tribu, nous pouvons affirmer même sujet. culturaux qu’on ne le fait aujourd’hui ; Ces recherches ont été limitées en 1881 mais il est d’autres maladies cryptogami- avec certitude que la vendange de 1894 ne aux arrondissements de Saint-Jean de rappellera que de très loin celle de l’année Chronique agricole de la Savoie du 1er ques de la vigne qui lui font beaucoup de ” juillet au 30 septembre 1881 Maurienne, d’Albertville et de Moutiers. mal, telle : l’anthracnose, le blanc des ra- dernière. “Le phylloxera occupe toujours la pre- Il paraît que l’on n’a rien trouvé dans ces cines ou pouridié, puis le mildew. mière place dans les préoccupations de la vignobles qui dénotât la présence de l’in- Le vigneron est désarmé contre ces nom- Société centrale d’agriculture du départe- secte. breuses maladies et, peu à peu, le découra- ment de la Savoie. L’arrondissement de Chambéry est de plus gement le gagne. Les moins hardis aban- Malheureusement, toute recherche de l’in- en plus envahi, les taches se multiplient ; donnent leurs métayages parce que le vin secte ayant cessé depuis novembre 1880, il en résulte un état maladif qui gagne de qu’ils en obtiennent ne paie plus leurs on ne sait les progrès qu’il a dû faire pen- proche en proche tous les vignobles. peines ; d’autres négligent les dernières

66 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 2.4.4. Les congrès viticoles - le Congrès viticole international de sins sur pied ou coupés des producteurs professeurs, les délégués départementaux Montpellier d’octobre 1874 directs, enfin les vins que chacun d’eux et les représentants de la presse agricole. Depuis le début de l’invasion phylloxéri- Il est décidé l’envoi de M. Planchon en donne sous le climat de la France. Cette heureuse initiative a été couronnée que en France, les congrès viticoles se Amérique pour étudier le phylloxéra. Il Dans le principe, chaque Congrès phyl- de succès et 34 agronomes se trouvaient sont succèdés à des intervalles de plus rentra en confirmant la résistance des vi- loxérique marquait une étape, un progrès, réunis au banquet du 1er octobre. en plus rapprochés à mesure que l’inva- gnes américaines. une découverte défensive bien définie ; on Le président de ce banquet était M. Pierre sion s’étendait et gagnait l’Europe entiè- y venait pour s’instruire ; on partait satis- Tochon, président de la Société centrale re. Elle ignorait en effet les frontières des On y annonce les résultats du traitement par le sulfure de carbone. fait de ce que l’on avait appris, bien résolu d’agriculture du département de la Savoie; états. de mettre à profit, d’expérimenter ce que elle serait revenue de droit à M. Scawinski “L’universalité de l’invasion phylloxéri- - Congrès viticole international de Bor- l’on savait de nouveau. En est-il de même père, élève de la promotion de 1838, fixé que a eu un autre résultat : les Congrès deaux de décembre 1875 aujourd’hui ? dans le Médoc : une indisposition l’a em- nationaux sont devenus internationaux. On présente les découvertes sur le cycle pêché de prendre part au banquet.” de reproduction et de développement de Après avoir lu l’analyse sommaire que On a pensé avec raison que l’attaque et Pendant le Congrès de Bordeaux des l’insecte et celles sur les cépages améri- nous venons de faire, nous ne pensons pas l’invasion sévissant sur tous les États vi- excursions sont organisées : une dans le cains. que nos lecteurs répondent affirmative- ticoles, il fallait se liguer pour combattre ment. Médoc et l’autre dans le Libournais. ” l’ennemi commun. - Congrès viticole de Nîmes des 21, 22 et Ce n’est pas, en effet, en un an, qu’en vi- À l’occasion de cette dernière excursion, Chacun de ces Congrès marquait de pe- 23 septembre 1879 ticulture une expérience peut affirmer des visite est rendue à Mme Veuve Ponsot, tites victoires dans la lutte contre le pu- À ce moment 42 départements français résultats : il lui faut une expérience plus participante connue et remarquée du ceron, dont la liste suivante, reproduite étaient atteints. On commence à contes- longue.” Congrès de Bordeaux. Elle possède le dans le Bulletin de la Société centrale, ter la “nocivité” des vignes américaines. - Congrès international phylloxérique de domaine viticole des Annereaux sur la rappelle les étapes. “Si nous prenons, pour exemple, les deux Bordeaux du 10 au 15 octobre 1881 commune de Lalande-Pomerol. Son mari était mort au moment où débutait l’inva- - Congrès viticole de Lyon d’avril 1869, Savoie, il n’y était pas entré un cep amé- “D’après les derniers renseignements re- ricain, avant l’invasion phylloxérique, cueillis par la commission supérieure du sion phylloxérique de ce vignoble. - Congrès viticole de Beaune de novem- et ce qu’il y a de plus remarquable, bien phylloxera, remontant au 1er juillet 1880, bre 1869 que ces cépages y soient assez répandus sur les 172 157 hectares de vignes de la “Le Riparia est le cépage américain que “Au Congrès de Beaune, pour la première aujourd’hui, et que les taches phylloxéri- Gironde, 20 500 avaient été complètement l’on préfère aux Annereaux comme porte- fois, on entendit parler des vignes améri- ques se comptent par centaines, les cépa- détruits à cette date et 136 475 se trou- greffe. Les boutures qu’on en obtient sont caines, comme moyen de repeupler nos vi- ges américains ne portent pas d’insectes vaient envahis. mises en pépinières en avril, leurs racines gnes détruites. M. Lalliman, de Bordeaux, sur leurs racines. […] Dans tous les vignobles en renom et sont assez fortes pour qu’il soit avanta- geux de les greffer un an après. parla des Aestivalis comme résistant à […] Divers modes de multiplication ont surtout dans la Gironde, les vignes améri- l’insecte et donnant des vins communs caines doivent être utilisées comme porte- La greffe anglaise est seule utilisée ; on la été proposées, afin d’arriver à reproduire fait sur table avec la machine de M. Petit, dont il avait apporté des échantillons. les variétés qui ne se prêtent pas au bou- greffes de nos cépages pour conserver la Cette révélation de la résistance des vignes réputation de nos vins. beau-frère de Mme Ponsot, et sous sa di- turage. rection. américaines aux piqûres du phylloxera Les différentes formes de greffes, celles qui Les meilleurs porte-greffes sont les diver- fut accueillie, nous devons le reconnaître, ses variétés de Riparia et l’Yorks-Madeira; Voici du reste comment opère l’atelier de s’assimilent le mieux le greffon de tel ou greffage installé dans le rez-terre de l’ha- avec une grande incrédulité par ceux-là tel cépage, ont ensuite été abordées.” ces deux cépages peuvent pratiquement mêmes qui aujourd’hui en sont les plus être considérés comme indemnes. bitation : chauds partisans.” - Congrès viticole de Lyon des 12, 13 et Le greffage des vignes française sur raci- Des greffons de toutes grosseurs, des cé- 14 septembre 1880 pages préférés sont préparés à l’avance et - Congrès viticole de Valence en avril nes américaines paraît un moyen mainte- “ placés sur une longue table, à la tête de 1870 Les vignes américaines, en pleine végé- nant assurer de reconstituer nos vignes. tation, quelques-unes garnies de leurs laquelle est fixée la machine Petit, qu’un “Un vœu est émis à la fin de la réunion […] A Bordeaux, les élèves de École d’agri- fruits, s’y trouvaient en collection, et l’on culture de Grignon, qui s’y trouvaient en homme manœuvre. Des femmes sont assi- pour qu’une carte phylloxérique des vi- pouvait étudier, sur un espace relative- ses autour de cette table. gnobles envahis fût dressée, par les soins grand nombre, ont proposé de rompre avec ment restreint, la multiplication des vi- les traditions trop exclusivistes en appe- Les barbues mises à la portée du greffeur des Sociétés agricoles, dans le plus bref gnes exotiques, leurs diverses variétés, les sont raccourcies au-dessous de la pousse délai possible.” lant à prendre part à cette fête de l’agri- modes de greffage recommandés, les rai- culture les élèves de toutes les écoles, les de l’année ; d’un coup de taille, il fait la coupe oblique de la greffe, puis la lan-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 67 guette. Ces porte-greffes ainsi préparés vers cette femme du monde, devenue no- 1885.” Pierre Tochon, éclairé par les informa- sont jetés sur la table, où des femmes les tre collègue en viticulture, sans lui vouer Le congrès est largement consacré au tions collectées a très vite l’intuition que prennent pour les assortir au greffon, les un souvenir de reconnaissance, pour son phylloxéra et aux autres maladies de la beaucoup des solutions proposées sont assembler et en faire la ligature avec des utile intervention dans la lutte entreprise vigne. vouées à l’échec et que la solution ne lanières de Raphia. contre le destructeur de nos vignes. Nous peut venir que de la résistance des vi- Ces lanières doivent être assez longues sommes sûr de ne pas trouver de contra- gnes américaines au Phylloxera. Il écrit pour envelopper sans solution de continui- dicteurs en disant que Mme Ponsot a bien 2.4.5. La reconstruction du vignoble et pour le Bulletin un mémoire sur la vigne té non-seulement les parties sectionnées, mérité de la viticulture. […]” l’importation des vignes américaines américaine. Chambéry, le 10 décembre 1881 Le Pré- mais encore pour couvrir un centimètre Les statistiques agricoles de l’année 1880 Pierre Tochon, l’auteur du mémoire, ne sident de la Société centrale d’agricul- au moins au-dessus, afin d’empêcher le donnent le chiffre de 7 322, 331 hectares cache pas sa préférence pour la techni- ture du département de la Savoie. Pierre greffon de développer des racines qui l’af- de vignes cultivées pour le département que du greffage par rapport aux injec- Tochon franchiraient. de la Savoie, sans qu’il soit possible d’y tions de sulfure de carbone, prônées par Un greffeur habile fournit du travail à - Congrès international phylloxérique de lire vraiment l’impact de l’invasion phyl- le gouvernement. deux ou trois femmes. Un atelier ainsi Turin, le 20 octobre 1884 loxérique. Celle-ci est trop récente et les constitué fait de 5 à 600 greffes par jour. surfaces affectées qui ont été repérées “ […] L’Italie comptait en 1884, 1 000 ha de vignes Nous avons affirmé nos convictions à cet contaminées ; l’invasion remonterait à 1875 encore ont minimes par rapport à la su- égard, en conseillant la continuation du Mme Ponsot a fait découvrir une rangée Pierre Tochon fait à la Société centrale perficie totale du vignoble. de ces greffes, mises en place au prin- traitement commencé par l’État, afin de d’agriculture de la Savoie un compte ren- La participation de Pierre Tochon et retarder autant que possible l’invasion temps, et chacun de nous a pu s’assurer du très détaillé de tous les sujets abordés d’autres membres de la Société à tous que la soudure du greffon avec le porte- des nombreux vignobles restés indemnes dans le Congrès. ces Congrès a renforcé, en Savoie, la à ce jour. greffe était parfaite et qu’aucune racine ne conviction que le salut du vignoble sa- s’était développée sur le greffon : il y avait - Congrès de Lyon au Palais du commer- Toutefois, nous n’avons jamais perdu de voyard résidait dans les vignes améri- vue que, de l’avis même des partisans les fort peu de non-réussite. ce, les 4 et 5 juin 1885 caines, mais la circulation des plants et […] La visite du domaine des Annereaux, Il est écrit que “le pays” où se réunit le plus convaincus du sulfure de carbone, boutures de ces cépages était désormais une vigne attaquée, bien que traitée avec sous la conduite de Mme Ponsot, a été Congrès (le département du Rhône) qui interdite. sans contredit l’une des plus instructives compte 36 000 ha de vignes en a 33 000 le plus grand soin, est fatalement condam- que nous ayons faites. de détruites ou d’attaquées. “Pendant le trimestre [1er janvier au 31 née à périr. Il n’est pas facile de trouver, réunies sur Les participants sont encore partagés mars 1882] qui vient de s’écouler, la So- Cette éventualité, en se réalisant dans un un même domaine, des preuves indénia- entre l’utilisation des vignes américaines ciété d’agriculture a eu quatre réunions. laps de temps d’autant plus court que l’on bles des immenses services que peut ren- à bon fruits pour la production et d’autres Elle s’est occupée à diverses reprises, dans aura fait moins d’efforts pour en retarder dre la vigne américaine, pour la reconsti- cépages pour les porte-greffes. ces réunions, des vignes atteintes par le la date, apportera avec elle la ruine de tution des vignes détruites. Une exposition viticole est organisée dans phylloxera. Elle a constaté, sur le rapport l’une des plus riches productions agrico- Chez Mme Ponsot, tout s’enchaine et se le cadre du concours régional agricole de son honorable Président, que l’état des les du département de la Savoie ; elle aura suit ; la théorie a fait place à la pratique ; tenu en même temps que le Congrès. Elle vignobles du département souffrait de de si graves conséquences économiques elle seule a convaincu notre guide que le comprend notamment une présentation plus en plus de l’invasion de cet insecte. que nous considérons comme un devoir Les arrondissements d’Albertville, de de nous en occuper pour en conjurer, s’il Riparia est le meilleur des porte-greffes ; de 650 cépages en pots. ” que la greffe anglaise sur table est préfé- Moutiers et de Saint-Jean de Maurienne est possible, les conséquences. rable à toute autre ; que la soudure en pé- - Congrès national viticole de Bordeaux sont les seuls où la présence du phylloxera pinière des greffes donne de meilleurs ré- du 30 août au 5 septembre 1886 n’ait pas été signalée d’une manière par- Des propositions alternatives sont donc sultats que la soudure en place ; qu’enfin, “La Gironde a une superficie de 141 789 ticulière. présentées dans la publication de la So- la vigne greffée conserve son immunité, ha de vignes, dont 134 152 ha sont en- La Société, après mûre discussion, a émis ciété. maintient les qualités du vin de la vigne core en vignes françaises, et 7 637 en vi- l’avis que le moyen le plus efficace pour française, en augmentant son produit. La gnes américaines ; sur ce dernier total 4 combattre le phylloxera était l’emploi des “Reconstitution des vignes françaises par nuit était venue lorsque nous avons serré 632 ha sont des porte-greffes, 2 131 en cépages américains partout où les vignes les plants américains résistant au phyl- la main que nous offrait gracieusement producteurs directs, et 874 en pépinière. devaient être renouvelées, et qu’on devait loxera. Mme Ponsot, en nous disant au revoir. L’étendue des vignes phylloxérées était de recommander comme porte-greffes les cé- Étant donné que les vignes françaises ne Il est impossible de reporter notre pensée 76 018 hectares en 1884 ; il a eu un ac- pages du Riparia et de l’York-Madeira.” peuvent prolonger leur résistance aux at- croissement de 7 158 ha pendant l’année taques du phylloxera au-delà d’un laps de

68 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie temps prévu à l’avance, et qu’au contraire cains dans l’arrondissement de Chambéry. un certain nombre de variétés de cépages Nous ne réclamerons pas, en ce moment, américains vivent avec lui et résistent à la libre circulation des plants racinés, qui ses atteintes, on a pensé à substituer ces présentent, eu égard à leur provenance, seconds plants aux premiers aussitôt que un danger réel de porter avec eux le phyl- l’insecte les fait périr. loxera, et par conséquent d’augmenter les Cette solution si simple d’une question trop nombreux foyers d’infection qui déjà qui se rattache à un si grand nombre d’in- existent chez nous. térêts a soulevé dans la presse de nom- Il n’en est pas de même des boutu- breux débats contradictoires. res sur lesquelles il n’existe ni œufs, Nous ne devons pas nous en plaindre, ces ni insectes, mais qui cependant par débats en se prolongeant, en se passion- mesure de précaution, devront être nant, ont eu pour résultat de faire étudier immergées pendant deux heures dans un et résoudre les questions si importantes bain de savon noir, pour prévenir tout relatives à l’adaptation du sol, à la réalité danger. et à la durée de la résistance de certains Aussitôt que nous aurons obtenu l’auto- cépages, à leur valeur comme producteurs risation demandée, chaque propriétaire directs et comme porte-greffes, à la taille, d’un vignoble un peu important devra à la multiplication et à la greffe.” créer une pépinière de 5 à 10 boutures des variétés de vignes américaines les plus ré- sistantes. “Ce qu’une sage prévoyance conseille de Au bout de deux ans, ces barbues seront faire en Savoie mises en place en pleine vignes ; leur réus- L’arrondissement de Chambéry est phyl- site ou leur peu de développement fixera loxéré ; l’État a essayé d’entraver la mar- chaque propriétaire sur les variétés qu’il che de l’invasion par des traitements au doit conserver. sulfure de carbone. Nous espérons que sa Ces plants, en se développant, fourniront louable initiative sera couronnée de suc- économiquement des boutures destinées à cès. Nous estimons encore que si l’État créer de nouvelles pépinières, à regarnir et nous retire sa protection, il est d’une sage à replanter les vignes détruites. prévoyance de lui substituer un syndicat Il serait encore très-utile d’opérer quel- qui poursuive sans interruption son œu- ques greffes dès la deuxième année pour vre ; ce sera un moyen, sinon de préserver, en étudier les résultats. » du moins de retarder l’invasion générale Suivent des conseils pratiques pour la et la ruine de nos vignes. multiplication des vignes américaines Mais tout en retardant cet événement, fa- (multiplication par semis, bouturage, talement prévu, nous devons porter nos marcotte) et la greffe. vues plus loin et prévoir le jour, déjà arri- vé pour quelques vignes, où il nous faudra d’abord regarnir, puis replanter des sur- faces plus ou moins considérables, sous peine de priver notre département d’une de ses principales sources de richesse. Le moment est donc venu de nous préparer à la lutte, en obtenant de M. le Ministre de l’agriculture et du commerce la libre circulation des boutures de plants améri-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 69 «Adresses Compte rendu des travaux de la société Conflans ; il fournit tous les ans plusieurs “Ce que coûtera la plantation d’un hectare Des pépiniéristes et propriétaires de vi- du 1er avril au 30 juin 1882 milliers de boutures ; on a aussi obtenu de vignes en cépages américains. gnes américaines les plus rapprochés de “ des plants de semis et par greffage. Ces L’agriculteur prévoyant, qui saura ses Chambéry pouvant fournir les boutures M. le Président de la Société a donné lec- plantations n’ont pas été faites en fraude vignes contaminées et qui aura foi dans et les greffons recommandés : ture d’un intéressant travail qu’il a pré- de la loi, elles ont une origine légitime ; les vignes américaines, s’en procurera de - M. le baron Perrier de la Bâthie, à paré relativement aux moyens à employer on doit en faire la distinction et ne pas les bonne heure quelques pieds qu’il plantera Conflans, cède à 1fr pièce les barbues de pour combattre dans les vignes l’invasion comprendre dans la proscription deman- pour former un treillage. deux ans du Riparia-baron-Perrier du phylloxera. La Société a prescrit l’in- dée. Dès la première année, ses barbues lui - MM. Gotteland, au Champ-de-Mars et sertion de ce travail au présent Bulletin.” M. le Préfet peut faire visiter ces plan- fourniront 4 ou 5 boutures par pied, 10 Tochon Janus, à Nézin, procureront les Fort des connaissances acquises au fil de tations, et si, placées dans un pays non à 15 la seconde, et de plus nombreuses les variétés de vignes américaines qu’on leur ses participations à de nombreux congrès phylloxéré, leurs racines nourrissent des années suivantes. demandera. et fortement impliqué dans un réseau très insectes, je crois avec vous qu’elles doi- S’il a la précaution de former annuelle- Producteurs de vignes américaines : actif d’agronomes, Pierre Tochon expose vent être arrachées ; mais si ces planta- ment une pépinière et d’en greffer les su- - M Paul de Mortillet, à la Tronche, près pour la première fois ce qu’il sait être la tions sont indemnes, pourquoi les proscri- jets racinés d’un an, il sera en mesure de Grenoble (Isère). solution pour vaincre le phylloxéra, en re, pourquoi en empêcher la vente à ceux replanter ses vignes, presque sans frais, - M. Victor Pulliat, à Chrirouble, par Ro- soulignant l’opportunité locale que repé- qui, avec la presque unanimité des viti- au fur et à mesure qu’elles succomberont. manèche (Saône-et-Loire). sente les plantations d’Ernest Perrier de culteurs du Midi, croient à leur résistance Le vigneron qui n’aura pas eu cette pré- - M. Gaillard, à Brignais (Rhône). La Bâthie à Albertville. et les considèrent comme l’unique moyen voyance et qui voudra replanter devra - M. Aimé Champin, au château de la Sa- de sauver nos vignes d’une destruction acheter 8 000 à 10 000 boutures par hec- lette, près de Montélimar (Drôme). “Les semis de plants américains en Sa- complète ? tare, selon qu’il voudra planter à un mè- - M. L. J.E. Robin, à Lapeyrouse-Mornay, voie. La vigne américaine ne porte pas fatale- tre ou à un mètre 25 ; ces boutures, qu’il par Moraz (Drôme). Les numéros des 19 et 21 avril du Patriote ment sur ses racines, comme on voudrait devra prendre de premier choix, lui seront - M/ L.Reich, à l’Armeillère, par Arles savoisien contenaient deux articles sur les le faire croire, le phylloxera. Il est facile de livrées dès à présent à 60 fr le mille. Cette (Bouches-du Rhône) questions qui se rattachent à l’invasion se convaincre de cette assertion en visitant acquisition lui coutera 480 à 600 fr. de Dans le même numéro : phylloxérique des vignes de la Savoie ; sur mon domaine de Servolex les planta- boutures par hectare. - la lettre de la Société (Pierre Tochon) au voici des observations et des éclaircisse- tions de vignes américaines commencées Ces plants greffés après un an seront sou- conseil général sur “l’utilité qu’il y aurait ments sur les faits qui y sont relatés, qu’a il y a six ans. Elles sont tout-à-fait indem- dés et prêts à mettre en place à deux ans. d’obtenir la libre circulation des cépa- cru devoir y faire, en réponse, M. le Prési- nes ; il n’y a aucun danger à les propager Les autres frais sont les mêmes, qu’on les ges américains dans l’arrondissement de dent de la Société centrales d’agriculture dans ces conditions ; […] applique à la plantation de la vigne fran- Chambéry”. : Que l’on poursuive la même enquête sur çaise ou de la vigne américaines. Dès 1882, il est décidé de réaliser une Je dirai de suite, pour éviter tout malen- les innombrables barbues de mondeuse ou On voit par cet aperçu que l’on a beaucoup tendu, que je condamne d’une manière autres variétés tirées des vignobles conta- exagéré les frais qu’entraîne la plantation pépinière départementale de cépages ” américains. absolue l’introduction et le transport de minées, et l’on se convaincra que ce sont d’une vigne sur racinés américains. plants de vignes racinés provenant d’un bien ces cépages chargés d’insectes qui “Le conseil général de la Savoie a voté, pays phylloxéré, que ces cépages soient ont propagé le mal. […] Pierre Tochon, La Motte-Servolex, le 22 avril 1882” En 1885, la pandémie phylloxérique sem- dans sa réunion d’avril, une somme de français ou américains, que les localités ble affecter prioritairement les vignes 2000 francs pour la création d’une pépi- d’où on les a tirés s’appellent Chignin, basses de qualité des coteaux, laissant nière départementale de cépages améri- Saint-Jeoire ou Montmélian, car c’est le Mais il faut convaincre le Conseil général entrevoir une réorganisation du vignoble. cains. moyen de propager en grand l’insecte des- de la Savoie de faire pression auprès du Comment doit-on constituer cette pépi- tructeur de nos vignes. ministère de l’agriculture pour autoriser la “Les treillages de la Savoie. nière ? Si donc, comme vous le dites, on a importé circulation des vignes américaines. Depuis la destruction par le phylloxera M. le chimiste Gastine, consulté sur cette des plants racinés de l’Hérault, on a com- d’une notable partie des vignes de l’ar- question, conseille des semis de ripa- mis une imprudence que je déplore. Pierre Tochon, dresse, pour l’assemblée rondissement de Chambéry, et la crainte ria avec des semences tirées directement Mais en dehors de cet apport, il existe en départementale, cet état détaillé de la si- de voir bientôt disparaître celles qui nous d’Amérique, sans doute pour éviter la Savoie des plantations de vignes américai- tuation phylloxérique en Savoie et des re- restent, la culture de la vigne en treillages possibilité de leur hybridation.” nes de provenance locale, tirées du riparia mèdes à appliquer. En fin de son article, il a pris une importance considérable. Nos du baron Perrier, planté il y a 40 ans à aborde des questions pratiques. vignerons estiment, en effet, qu’elles ne

70 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie seront pas aussi facilement envahies que Midi, pour rétablir les vignes détruites. 2.4.6. La reconstruction du vi- priés à la nature du sol et aux exigences les vignes basses. Ils pensent que, s’ils Sur 66 communes viticoles de l’arrondis- gnoble climatériques de nos diverses régions viti- n’ont plus les bons vins de nos coteaux, sement de Chambéry, 53 sont attaquées, coles, dans les soins tout particuliers don- ils pourront toujours se désaltérer avec et les vides qui se sont produits dans nos Au début des années 1880, le ton des nés aux nouvelles plantations, soit en vue leurs vins de treillages. meilleurs vignobles doivent disparaître. bulletins change et se politise, très forte- de l’amélioration ou de l’abondance des Une autre raison donnera, dans un ave- Le vigneron bien inspiré doit se persuader ment. C’est la période de la Grande Dé- produits, dans la fabrication et la conser- nir prochain, une plus grande importance de deux choses : s’il veut conserver sa vi- pression qui a débuté avec la crise ban- vation des vins.” à ces treillages ; c’est l’introduction des gne au début de l’attaque, il doit utiliser caire de 1873 et se prolongera jusqu’au plants américains à produits directs ; par les injections de sulfure de carbone ; si la milieu des années 1890. Une des “chances” de la Savoie aura été leur vigueur et l’abondance de leurs fruits, vigne ne paye plus les frais qu’elle occa- Les bulletins commencent par des ar- d’être touchée très tard par l’insecte et ils doivent s’accommoder admirablement sionne, il doit la replanter en cépages amé- ticles très politiques rédigés par V. Bar- d’avoir pu réagir très vite, en étant parti- de ce mode de culture, sans craindre de le ricains greffés avec les cépages du pays, let dénonçant les politiques en place au culièrement bien informée sur les meilleu- voir détruire par le phylloxera.” pour conserver à nos vins la qualité qui niveau national, comme l’atteste cette res parades à adopter, comme le compte les ont fait rechercher jusqu’à ce jour.” phrase tirée d’un article de 1882 : “Nou- rendu des travaux de la Société du 1er Les demandes de Tochon et de la Socié- velle preuve de l’impuissance de notre octobre au 31 décembre 1884. té finissent par être entendues. Le conseil Le vignoble savoyard n’est pas pour régime parlementaire” : “ général intervient auprès du Ministre de autant sauvé. Le “vieux” vignoble, c'est- L’invasion phylloxérique de la Savoie, l’agriculture. à-dire celui qui n’a pas été replanté en vi- “Jamais les ambitions politiques, les théo- qui remonte à une date déjà ancienne, gnes américaines, continue d’être affecté ries insensées de nos économistes, les cri- n’avait pas eu à son début l’intensité re- “ Le phylloxéra continuant à accentuer le par le phylloxéra et finit d’être terrassé minelles doctrines des sectes antisociales marquée dans le Midi de la France ; aussi cercle de son invasion, le Conseil géné- par de nouvelles maladies et au rang pre- ne s’étaient encore affirmées avec autant les vignerons avaient cru, pendant long- ral de la Savoie a pris l’initiative, dans mier d’entre elles le mildiou. d’audace : la mesure de nos déceptions est temps, que le mal serait sans conséquence sa dernière réunion, de demander à M. comble et nous pouvons entrevoir de plus pour la généralité de leurs vignes. le Ministre de l’agriculture d’étendre à La “Chronique agricole” du bulletin tri- grands maux que la continuation d’un tel L’élévation de la température en 1884, en notre département la libre circulation des mestriel du 1er Trimestre 1894 fait ainsi état de choses.” favorisant la propagation de l’insecte, est cépages du Nouveau Monde. La commis- état de cette triste situation. venue enlever toute illusion à cet égard et sion centrale d’études et de vigilance du convaincre le vigneron qu’il était temps “ phylloxera et la Société centrale d’agricul- Malgré les fortes fumures et les soins in- Mais, grâce aux initiatives locales et à la de profiter de l’expérience des phylloxérés ture ont l’une et l’autre donné une entière fatigables du vigneron, nos dernières vi- mobilisation des membres de la Société, du Midi pour reconstituer leurs vignes approbation à cette mesure, aujourd’hui gnes vont disparaître après avoir pendant la reconstruction du vignoble savoyard détruites ? soumise à l’enquête communale, en res- de longues années résisté à l’invasion du est en marche. C’est en définitive le dra- Étant admis que la légèreté des terres treignant cette autorisation au sel arron- terrible insecte. Cette année le fléau étend matique épisode du phylloxéra qui aura consacrées à la culture de la vigne et leur dissement de Chambéry. ses ravages aux plantations indemnes été la meilleure arme contre la routine vi- peu de profondeur n’est pas favorable au Tout fait prévoir que, dès le mois de février, jusqu’à ce jour de ses atteintes. Nous ve- ticole des savoyards, à commencer par traitement au sulfure de carbone, c’est à la l’autorisation demandée sera accordée. Les nons de voir une vigne qui, l’année der- la fin du provignage et l’intérêt spécifique vigne américaine qu’il faut avoir recours. personnes qui auront à ce moment besoin nière, a donné une merveilleuse récolte, porté au choix des cépages qu’implique Les vignes exotiques ont contre elles la de replanter des vignes pourront deman- dont la faible et maladive poussée annonce le greffage. nécessité du greffage et l’impossibilité du der des plants américains dans leur centre que l’automne verra tomber ses derniè- provignage ; pour y remédier, il faudrait de production, aux meilleures conditions res feuilles. On peut donc dire, sans rien “Viticulture : Le greffage de la vigne et les trouver parmi les hybrides des variétés possibles. exagérer, que nos vignes auront vécu. Le progrès de la viticulture. Conséquences résistantes précoces, sans goûts foxés et Il n’y a plus à hésiter, dix-huit ans d’expé- raisin a disparu sous la coulure partout heureuses de l’invasion phylloxérique. fertiles ? C’est ce but qu’a poursuivi le riences ont prouvé qu’un certain nombre où sa floraison s’est faite à l’époque des Le greffage de la vigne n’a pas été seu- Président de la Société d’agriculture en de cépages américains résistent d’une ma- pluies. Si nous ajoutons à cela les autres lement la sauvegarde de nos nouvelles cultivant, dans son domaine de Servolex, nière permanente, aux attaques de l’in- maladies auxquelles la vigne paie chaque plantations, il a donné un nouvel essor à un grand nombre d’hybrides américains secte ; que, greffés avec nos cépages, le vin année son tribu, nous pouvons affirmer la viticulture française ; il est le point de dont il a apporté les fruits sur table à la conserve ses qualité et la vigne devient avec certitude que la vendange de 1894 ne départ des progrès accomplis. réunion du 4 octobre passé. plus fructifère. Le moment est donc venu rappellera que de très loin celle de l’année Nous constatons ces progrès dans un L’exposition comprenait des raisins de de suivre l’exemple des viticulteurs du dernière.” choix judicieux de cépages mieux appro- Jacquez, d’Elsinbourg, d’Othello, du Ca-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 71 nada, de Black-Eagle, de Sanaqua, de Cor- du mois de mars, et l’empressement des M. Dégaillon qui lisait beaucoup et qui (en ha) Vignes basses Terres hutinées nucopia, de Brant en rouge, de Delaward, propriétaires de vignes et vignerons à sui- allait au loin étudier les moyens mis en de Noah et d’Elvira, en blanc. vre les cours ont dépassé les espérances pratique pour combattre cet insecte dé- Chambéry 6 320 1 496 Des explications fournies par M. Tochon, conçues à cet égard.” vastateur, se décida, sans hésitation, à Albertville 683 147 il résulte que tous ces cépages mûrissent renouveler ses vignes en utilisant les cé- Moutiers 716 38 sur son domaine avant la Mondeuse. pages américains. La mort l’a surpris au St-Jean-Maur. 1 191 23 […] Mais l’invasion de l’insecte progresse ” toujours et le vignoble commence son moment où, plein de confiance dans l’ave- TOTAL 8 911 1 604 Malgré les avantages que trouveraient nos déclin, comme l’indique l’article “ nir, il espérait avoir le temps d’en opérer vignerons dans la culture des hybrides à Étude le renouvellement complet. Il convient de rappeler les chiffres de la bon fruit, M. le président n’en conseille pratique de la reconstitution des vignes […] superficie totale du vignoble du dépar- détruites par le phylloxéra, en utilisant l’utilisation que pour fournir des treilla- ”. Disons, en terminant ces quelques mots tement de la Savoie donnés par Pierre ges ; pour la vigne, la culture des plants les vignes américaines consacrés à la mémoire des membres de Tochon pour l’année 1872 (juste avant américains porte-greffes avec greffons en “[…] à la fin de 1885, sur les 66 communes la Société qui nous ont quitté, que si tous la contagion du vignoble) : 11 209 hec- Mondeuse sera toujours préférable, parce viticoles de l’arrondissement de Chambé- les hommes, sans emploi comme eux, sa- tares. qu’elle conservera à nos vins leurs an- ry, 55 étaient plus ou moins envahies par vaient utiliser leur temps et consacrer une Ainsi le vignoble, arrivé en 1886, n’aurait ciennes qualités.” l’insecte. partie de leur fortune aux améliorations perdu “que” 694 hectares. agricoles, ils y trouveraient une occupa- En recherchant les résultats de cet état de Au plan national, la mobilisation est aussi La vaste entreprise de reconstruction tion agréable et utile à leurs intérêts, en choses, on trouve que les premières vignes à son maximum. Les “Notes de lecture” du vignoble savoyard mobilise tous les même temps qu’ils contribueront à porter phylloxériques ont été en partie arrachées, du bulletin sont consacrées au le livre acteurs locaux, comme en 1885, les à un haut degré le rendement de l’agricul- puis converties en prairies artificielles ; “Guide pratique du vigneron pour la membres de l’Académie de Savoie qui que de grands vignobles ne payant plus ture en Savoie.” déploient leurs moyens techniques et fi- reconstitution des vignes par les cépa- les frais qu’ils occasionnaient, sont négli- ” qui vient d’être publié nanciers mais aussi leur réseau de rela- Malgré les ravages de l’insecte, les sur- ges américains gés ou abandonnés ; qu’enfin le vigneron au moment où le parlement vote, en avril tions, qui permet l’arrivée en Savoie du faces en vigne de la Savoie, ne semblent porte tous ses soins sur les vignes dont le 1887, à Paris, la loi dégrevant, pendant 4 premier maître greffeur signalé dans les pourtant pas chuter spectaculairement dépérissement est le moins accentué. ans, de l’impôt foncier les terrains phyl- documents de la Société. Le mal s’est assez généralisé pour qu’on comme l’indique les données reprises dans le Bulletin pour 1886, soit 8 ans loxérés, plantés ou replantés en vignes. “ ne se fasse plus d’illusions sur la consé- L’Académie de Savoie désirant aider à la quence de l’invasion phylloxérique, le après son apparition (“Etude sur la vigne, propagation des procédés relatifs au gref- découragement gagne les vignerons, et son caractère botanique, son origine, son Au début 1888, la destruction du vignoble fage des vignes destinées à remplacer cel- chacun d’eux prévoit à courte échéance histoire, etc.”). par le phylloxéra et sa reconstitution par les des vignes détruites par le phylloxera, la disparition complète de sa plus riche Dans cet article (de G. Buchard, membre les viticulteurs vont toujours de paire. a bien voulu mettre à la disposition de la culture. Société d’agriculture, pour être distribués de la Société, 12 avril 1886) de vulgarisa- “(La reconstitution des vignes de la Sa- Le moment est venu d’aviser aux moyens tion scientifique qui reprend les données aux communes les plus phylloxérées, un de prolonger, autant que possible, la voie détruites par le phylloxéra.) certain nombre de boutures de vignes du livre de Pierre Tochon, un tableau don- À mesure que le phylloxéra étend ses ra- conservation des vignes, encore en pro- ne les superficies en vigne. américaines, porte greffes les plus résis- duction, et de repeupler, avec l’assurance vages, que le mal est assez grand pour tants, et aussi quelques boutures à bon de les conserver, celles déjà arrachées, ou “Les renseignements statistiques que nous nécessiter l’arrachage des vignes qui ne fruit. mourantes.” avons recueillis, soit auprès des agents payent plus les frais qu’elles occasionnent, En acceptant avec reconnaissance cette des Contributions directes, soit dans les on voit enfin se reconstituer partiellement libéralité, la Société a pris des mesures De plus, c’est aussi une triste période bureaux de la préfecture ont donné les ré- les vignes détruites. pour qu’elle soit utilisée sans retard, et pour la Société qui voit disparaître dans sultats suivants : pour entrer dans les vues de l’Académie, un même trimestre de 1885, trois de ses Depuis quatre ans, la Société centrale elle a autorisé son président à faire venir membres éminents : M. le baron d’An- d’agriculture a préparé ce mouvement, aux frais de la Société, un maître-greffeur gleys, M. Lepasquier et M. Dégaillon. Tous soit en distribuant des plants américains, qui donnerait des cours de greffe pour la à l’instar de ce dernier s’étaient largement pour que l’on fasse l’essai, soit en initiant vigne dans les cantons viticoles les plus mobilisés pour vaincre le phylloxéra. nos vignerons à la pratique de la greffe. rapprochés de Chambéry. Arrondissements Le nombre des cours de greffage va tou- Ces cours ont eu lieu au commencement “Propriétaire de vignobles phylloxérés,

72 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie jours en s’augmentant, et, cette année, Société d’agriculture fait état des progrès sont rendus à Favraz, sur un champ très et l’abondance des mondeuses greffées cinq sur six de nos arrondissements comi- réalisés dans la reconstitution. Au troisiè- étendu connu de nos lecteurs. M. Sylvoz a-t-il contribué à ce résultat ? Mais il y ciaux ont fait donner des cours dans les me trimestre 1888, une visite est faite aux y cultive, à coté d’une pépinière de porte- a eu un entrain, une émulation des plus communes les plus phylloxérées. reconstructions de vignes de M. Sylvoz, greffes américains, tous les plants directs accentués, et l’on s’est mis résolument à […] membre influent de la Société, deux ans recommandés. l’œuvre. Le greffage n’est pas le seul moyen pour après une première visite en août 1886. Le nombre s’en est accru depuis la vi- Nul doute que, maintenant que l’élan est reconstituer nos vignes : on a fait de “ site de 1886 du triomphe à jus blanc, du donné, on se hâtera de rattraper le temps nombreux achats d’américains greffés en M. Sylvoz est un grand propriétaire de black-défiance et du saint-sauveur à jus perdu afin de retrouver les belles récoltes mondeuse, malheureusement le prix de vignes ; en présence de la dévastation coloré.” et l’excellent vin dont on semblait devoir revient élevé de ces plantations et aussi la occasionnée par le phylloxéra ; il a hâte être à jamais privé.” rareté des plants greffés ne permettent pas de retrouver les récoltes qu’il a perdues ; aussi, après s’être assuré qu’il y avait un Les progrès de la reconstitution sont ren- Dans ces mêmes conférences de Cham- d’étendre beaucoup ces reconstitutions. béry, fait un rapport dé- moyen, aujourd’hui reconnu infaillible, dus publics dans des “conférences viti- Pierre Tochon Tous nos vignerons n’aiment pas la gref- taillé et très préoccupant sur la situation de revoir les belles plantations d’autrefois, coles”, comme celles données à Cham- fe, parce que leur habitude de couchage, de du moment. provignage, ne peut s’y appliquer ; aussi il s’est résolument mis à l’œuvre, et, dans béry les 4, 5 et 6 octobre 1890. les deux premières années qui se sont “[…] ont-ils une préférence marquée pour les “ Si l’on nous demande maintenant producteurs directs. écoulées depuis notre première visite, il a Il y a eu, en Savoie, une longue hésita- non seulement achevé la plantation de la tion avant de voir les premiers propriétai- quelle est la situation actuelle de nos vi- Cette année des marchands de jacquez gnes, nous devons reconnaître que toutes racinés sont venus offrir à des prix rela- vigne du Nant, de plus d’un hectare, mais res de vignes détruites par le phylloxéra encore il nous a montré une autre vigne, entreprendra la reconstitution de leurs sont envahies par l’insecte à des états dif- tivement bas ces plants ; il y a cependant férents. à son acceptation en barbue deux graves approximativement de la même étendue, vignobles. entièrement replantée, cette année même, Les motifs de cette indécision résidaient Les vignes les mieux exposées, celles qui inconvénients : le premier, c’est que ces donnaient nos meilleurs vins, ont été les plants portent toujours sur leurs racines de plants greffés, entièrement replantés, dans la crainte de ne pas réussir, en fai- cette année, de plants greffés sur améri- sant la dépense considérable qu’occasion- premières attaquées. Ce sont aussi celles des phylloxéras ; en le plantant on contri- qui présentaient le plus de vides. Tous buera à augmenter le nombre de ces in- cains. nait cette opération, par les défoncements, Pour aller vite, il faut mettre en place un achat de cépages, frais de fumures, de le coteau sud de la vallée, de Chambéry sectes et à les répandre où il n’y en a pas à Saint-Pierre d’Albigny, présente un as- encore ; grand nombre de plants greffés ; sa propre plantation, culture d’entretien, alors que pépinière ne suffisant pas, il en a tiré plu- les propriétaires devaient tout faire : la pect qui attriste la vue des visiteurs et l’on Le deuxième inconvénient, c’est que le ne trouve que difficilement à se procurer jacquez très productif, à long bois, ne mû- sieurs mille des départements du Centre plupart des vignerons ayant dès le début et du Midi, qui en font la spéculation. refusé de s’associer à la dépense ; enfin, il les meilleurs vins de garde dont nous gar- rit pas toujours son fruit, c’est un plant […] nissions autrefois, à de bonnes conditions, au moins aussi tardif que la mondeuse, et faut le dire, on a été pendant quelques an- Dans la vigne du Nant, les plantations nées à ne pas bien réussir les greffages et nos bouteillers. on sait si en treillage elle mûrit souvent Au-dessus de Saint-Pierre d’Albigny, et son raisin. sont faites à un mètre en tous sens ; dans à ne pas trouver, même à des hauts prix, la nouvelle vigne M.Sylvoz a planté à tous les plants greffés en mondeuse dont aussi dans la Haute-Maurienne, les vi- On a aussi importé un certain nombre gnes, quoique phylloxérées, donnent en- d’othellos, ce plant très productif et mû- 1,33 m en tous sens, afin de faciliter la on aurait eu besoin. culture à la charrue, d’établir les vignes En Savoie, où le renouvellement séculaire core des produits plus ou moins rémuné- rissant chez nous sera d’un grand se- rateurs. cours dans les treillages ; mais, pour que en treillons et donner plus de développe- des vignes s’opère par le provignage, on ment aux ceps qui, greffés sur américains, a eu aussi, il faut le dire, toutes les pei- Partout ailleurs, plus de la moitié des vi- le vin que l’on obtiendra n’ait pas de goût gnes sont arrachées. Ce qui reste sur pied spécial, il sera nécessaire de le mêler à la voient augmenter leur végétation arbo- nes du monde à amener nos vignerons à rescente. renoncer à cet usage pour ne planter que l’est aussi, au fur et à mesure que cesse la cuve avec la douce-noire, le persan ou la production. mondeuse.” Dans les plantations de 1888, M. Sylvoz des pieds greffés, et encore aujourd’hui a fait une petite part aux plants améri- un grand nombre d’entre eux plantent Là où la nature du sol se prête à la cultu- cains à bon fruits, deux lignes sont en l’othello et même le jacquez, afin d’éviter re, on a converti les vignes en prairies cynthyana, deux en othello, le surplus en le plant greffé et continuer à provigner. artificielles, surtout en sainfoin, moins alicante-bouchot et en mondeuse. Cette année, le vigneron s’est-il décidé à exigeant que la luzerne. Malheureuse- […] aider le propriétaire ? A-t-on été peiné de ment, ces sols faciles à cultiver forment voir des vignobles à grands rendements l’exception. Dans ses comptes rendus des travaux la De la vigne du Nant, les visiteurs se réduits à l’état de pâturage ? La baisse Aussi, la rapidité des côtes, la nature ro-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 73 cailleuse du sol, son peu de profondeur qu’ils ne pourront plus renouveler, com- dans le Beaujolais) 1889 voit de décès de M. Planchon qui amènent l’ancien vigneron à les abandon- me par le passé, par le provignage. - M. le comte de Villeneuve (prix de re- avait été le premier “découvreur” du phyl- ner. […] vient, en Savoie, d’un hectare de vignes loxéra en France. La Société apporte une Enfin, quelques propriétaires ont entre- Aussi, tous les vignobles de quelque im- planté en plants greffés) contribution financière pour l’élévation pris, dès le début, de reconstituer leurs portance, reconstitués jusqu’à ce jour, d’un monument à Montpellier, à sa mé- moire. vignes au fur et à mesure de leur destruc- l’ont été par des propriétaires de vignes et Le programme des Conférences viticoles tion. Malheureusement ils ont eu de rares exclusivement à leur frais. de Chambéry comprennent aussi : imitateurs. Car, si l’on recherche l’éten- Citons parmi les pionniers qui se sont les - Une visite à des vignes reconstituées Deux ans plus tard il est rappelé aux vi- due de ces repeuplements, on n’arrive pas premiers occupés de la reconstitution des sur racines américaines (Chez M. de Vil- ticulteurs savoyards que la Pépinière dé- à 60 hectares, travaux entrepris par un vignes détruites, en opérant sur quelques leneuve à , directeur du Syndicat partementale de vignes américaines peut nombre considérable de propriétaires et hectares : MM. Sylvoz, de Saint-Jeoire ; agricole de Savoie) leur fournir des plants à prix réduits. exceptionnellement par des vignerons. le regretté Dégaillon, d’Aix ; le marquis - l’Exposition de raisins installée à l’Hô- Les premières personnes qui, il y a 11 à 12 d’Oncieu de la Bâthie ; Joseph Blanchard, tel-de-ville “Au moment où de sérieux efforts se font ans, se sont occupées de porte-greffes, ont de Saint-Innocent ; Baron d’Alexandry, pour reconstituer les vignes de la Savoie, imité les planteurs du Midi, en donnant de Villard-d’héry ; comte d’Aviernoz, de Pour amplifier le mouvement de reconsti- nous rappelons à nos lecteurs que la pé- la préférence au Riparia. On a cependant Coise ; François Gabet de Vimines : les tution, bien modeste comme le constatait pinière départementale disposera cette an- essayé d’autres variétés, mais on est tou- Hospices de Chambéry ; les Chartreux de Tochon (60 hectares en 1890), la Société née d’un grand nombre de plants racinés jours revenu au Riparia-Baron-Perrier, Villeneuve ; André Falcoz, des Marches ; centrale engage des moyens financiers en et de boutures qui seront cédés à 40 % au qui avait droit de cité parmi nous. le comte de Villeneuve, de Cognin ; les frè- distribuant des primes aux viticulteurs. dessous du cours, aux vignerons qui en […] res Favier-Dunoyer; Mme Veuve Perrier feront la demande.” Il nous reste à indiquer la cause du peu de de la Bâthie, le baron Perrier de la Bâthie, “La Société centrale d’agriculture de développement donné à la reconstitution d’Albertville, et M. Arminjon, de Saint- Chambéry, désireuse d’encourager la re- de nos vignes détruites. Jean de la Porte ; Billoud, d’Arbin ; Bel, La reconstitution du vignoble s’entoure constitution des vignes détruites, exploi- aussi d’un accompagnement scientifi- La principale et, pour ainsi dire, l’unique ancien député ; Bernard de Montmélian tées jusqu’à ce jour à moitié fruit, distri- cause du peu d’importance de nos récentes ; baron de Fortis, de Serrières ; Champe- que. buera, en septembre 1891, des primes de M. le docteur Hollande (géologue), direc- plantations réside dans la difficulté d’opé- nois, de Cruet ; Thomas, de Saint-Bal- 300 fr, de 200 fr., de 5 de 100 fr., aux vi- rer directement un travail de cette nature, doph : Mme la comtesse de la Fléchère ; teur de l’École supérieure de Chambéry gnerons qui, à partir de cet hiver, auront et M. le baron Perrier de la Bâthie, pro- alors que les vignes ayant généralement M. Rumilly de Yenne; M. Parent, avoué aidé les propriétaires à replanter leurs vi- peu d’étendues, le propriétaire ne réside de Chambéry, et quelques autres dont les fesseur départemental d’agriculture, sont gnes. chargés de “ pas sur les lieux où, le plus souvent, il noms nous échappent.” La Commission, chargée de la visite de l’analyse physico-chimique n’a pas même une habitation, et que le ces vignes, devra tenir compte, dans la des terrains susceptibles d’être reconsti- métayer qui, jusque-là, rendait son in- A la suite du rapport de Pierre Tochon, le distribution des récompenses, de la part tués en vignes, et, en même temps, de la tervention inutile, lui refuse aujourd’hui Bullletin publie un long texte sur les por- prise par le vigneron au minage du sol, à création de champs d’expériences multi- son concours. te-greffes employés dans les divers sols ples destinés à établir la marche raisonnée la plantation, à la fumure et aux cultures ” Cet état de chose se continuant sera cause de la Savoie. et la transcription des inter- d’entretien. et sûre de cette reconstitution. de l’abandon de bien des terres jusqu’à ce ventions de : La fourniture des plants greffés et soudés, jour cultivées en vignes. Car peu de pro- - M. Victor Pulliat (De l’appropriation du des échalas, et selon les conventions, de priétaires se décideront à quitter leurs oc- tout ou partie de la fumure, restant à la cupations pour opérer directement. cépage au sol) - M. G. Foëx (Biologie du Phylloxéra) charge du propriétaire. Le mauvais vouloir du métayer n’est pas Les concurrents à ces primes adresseront seulement dû à l’importance du travail - M. le Baron Perrier de la Bâthie (Sur le mildew) leurs demandes au Président de la so- que nécessite le repeuplement d’un hec- ciété en août prochain, en indiquant leur tare de vignes, tous les propriétaires étant - M. Aimé Champin (Classification des vignes au point de vue cultural et la syno- adresse, où se trouve la vigne, son étendue disposés à contribuer à la dépense, mais et les conditions dans lesquelles, d’accord bien au peu de confiance qu’ils ont eu, nymie des cépages) - M. Bender (Sur les porte-greffes) avec le propriétaire, ils ont opéré le tra- jusqu’à ce jour, dans l’avenir des greffa- vail.” ges, et surtout dans la durée des vignes - M. Silvestre (Résultats de la reconstitu- tion des vignes sur racines américaines

74 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 2.4.7 Les cours et concours de Le jour de la clôture des inscriptions, greffage 104 élèves s’étaient fait inscrire à Cham- béry, 35 à Chignin, 85 à Montmélian et La dynamique de reconstitution du vi- 36 à Saint-Pierre d’Albigny. gnoble savoyard s’appuie sur une straté- […] Les résultats de ces cours, aux- gie de formation. Devant l’ampleur de la quels plus de 300 personnes ont pris tâche, il faut apprendre aux vignerons à part, ont dépassé nos espérances ; la So- greffer, ce qui diminue le coût de l’opé- ciété a été bien inspirée en les donnant. ration, mais aussi ce qui doit permettre Le maître-greffeur a rappelé à plusieurs une diffusion géographique, étalée dans reprises qu’il n’avait trouvé nulle part un la durée, de ce savoir faire. aussi grand nombre d’élèves arrivant en si peu de leçons à des résultats aussi sa- A partir de l’année 1882, la Société cen- tisfaisants.” trale d’agriculture organise des concours de greffage. “Soixante-un concurrents ont pris part au concours de greffage organisé par la Société centrale d’agriculture entre les maîtres-greffeurs du département. Dix ont obtenu le diplôme supérieur et quatre la mention du diplôme supérieur. Ce sont les jeunes qui ont le mieux réussi les gref- fes, car ils ont la main moins lourde que leurs aînés. Le jury d’examen a été très sévère dans la délivrance des diplômes. Cette sévérité était nécessaire puisque le concours n’avait lieu qu’entre maîtres- greffeurs et qu’il avait surtout pour but de faire un choix, une sélection entre les meilleurs. Dans tous les cas, les résultats obtenus font grandement honneur aux écoles de greffage de la Savoie qui ont fait faire un grand pas à la reconstitution de nos vignobles.” Des cours de greffe de vignes sont or- ganisés en 1885 (du 1 au 7 mars). Mais avant de faire venir du Beaujolais un maî- tre greffeur, il faut connaître le nombre d’élèves intéressés. “Des affiches furent envoyées aux com- munes viticoles les plus phylloxérées : des lettres personnelles avaient en outre été adressées à toutes les personnes qui s’in- téressent au progrès de l’agriculture.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 75 Les cours vont être ainsi organisés à par- ges américains. - Rapport sur les cours de greffage de la Une fois seulement est évoquée la cher- tir de 1886, dans tout le département. Un projet complet sera présenté d’ici à la vigne dans le canton d’Aix-les-Bains. té des “plants des pépiniéristes”, mais impossible de trouver dans ce fonds un “ prochaine réunion pour tirer le meilleur “ Montmélian et toutes les communes viti- parti possible de la somme que la Société Un nombre considérable de viticulteurs éclairage sur le développement des pépi- coles du canton ont fourni un grand nom- compare à une école de greffage. ont répondu à son appel, et, dès la seconde nières viticoles de la Combe de Savoie. bre d’élèves à M. Falcoz. Là encore il faut La Société a aussi pensé qu’il serait utile séance, beaucoup d’élèves arrivaient au remplacer de grandes surfaces détruites et de continuer à faire des distributions de cours avec un paquet de greffes à l’an- arrachées, de nombreux greffeurs sont né- glaise qu’ils avaient fait à temps perdu 2.4.8. Les concours de viticulture plants américains porte-greffes ou autres, ” cessaires ; on commence à le comprendre. afin de hâter le moment où chaque pro- chez eux. De là est né l’empressement à assister aux Pour amplifier le mouvement de re- priétaire aura chez lui une pépinière de constitution du vignoble la Société met cours, car ce qui effraye le plus le vigne- En 1888 et 1889, la Société centrale plants résistant au phylloxéra où il trou- également en œuvre l’organisation de ron dans la reconstitution des vignes par poursuit son entreprise de formation au vera les éléments de renouvellement de “concours de viticulture” pour encoura- les plants américains, en prenant quelques ses vignes.” greffage. soins, il n’est pas d’opération plus facile.” ger la reconstitution des vignes à moi- tié fruit, détruites par le phylloxéra. Les “ “Le phylloxéra continuant à étendre les En 1885, des cours démonstratifs de gref- Le Bulletin annonce chacun de ces cours, concurrents sont donc pour une partie fage de la vigne avaient été organisés par parfois qualifiés “d’écoles”, et en publie le vides qu’il cause à nos vignobles, leur reconstruction s’impose. On continuera les propriétaires et pour l’autre les “vigne- les soins de la Société d’agriculture. Un rapport. rons” (ou métayers). Ces concours sont maître greffeur avait été appelé du Beau- donc à patronner les cours de greffage en - Rapport de M. Sylvoz sur les leçons réglementant l’utilisation des fonds mis organisés au plan départemental. jolais pour cet objet. 500 élèves se sont de greffage de la vigne données à Saint- présentés aux leçons. Ces élèves ont dès à la disposition des comices afin de leur Jeoire les 19 et 20 janvier 1887. faire produire les meilleurs résultats.” Le premier concerne, en 1891, le dépar- lors généralisé le greffage dans un grand (Mention des premiers qui se sont mis tement de la Savoie. Il engage 23 vigne- nombre de communes viticoles. à l’œuvre pour la reconstitution : M. le rons candidats, parmi eux : En 1889, des “ Sollicité de nouveau, en 1886, d’organiser marquis d’Oncieu, de Chaffardon, M. cours de viticulture améri- ” sont ainsi “ des cours, la Société d’agriculture s’est Deguillon, M ; André Falcoz, M. le baron caine et de greffage de la vigne MM. Poncet, oncle et neveu, cultivent organisés à : adressée à quelques-uns de ses membres d’Alexandry, etc.). à moitié fruit une vigne située à Arbin, les plus habiles et les plus dévoués ; ils ont Albertville, Tours, Aigueblanche, Gré- appartenant à MM. Sylvoz et Arminjon. bien voulu se charger de faire des cours - Rapport de M. le baron Perrier de la Bâ- sy-sur-Isère, Aiguebelle, La Chambre, Avec l’aide de son beau-frère, ils ont re- démonstratifs dans les communes vitico- thie sur les écoles de greffage ouvertes à St-Jean-de Maurienne, Saint-Michel-de constitué cette année 30 ares de vignes ; les de Chambéry nord et sud, de Chignin, Albertville et à Saint-Pierre d’Albigny, les Maurienne, Saint-Pierre d’Albigny, Bet- ils en ont fait tous les travaux, les pro- de Montmélian, de Saint-Pierre d’Albi- 25, 26, 27 et 28 janvier 1887. ton-Betonnet, La Rochette, Montmélian, priétaires ayant pris à leur charge la four- gny et de Grésy-sur-Isère, où le phylloxe- Chambéry, Aix-les-Bains, Ruffieux, le niture du fumier, des échalas et des plants ra a sévi avec le plus d’intensité. […] Ces - Rapport de M. Veyrat sur les écoles de Bourget-du-lac, et Yenne. racinés et greffés. cours ont eu lieu les samedi 27 et diman- greffage de Yenne, Montmélian, La Ro- Antérieurement, ils ont déjà replanté che 28 mars; ils seront continués les 4 et chette et Grésy sur Isère. L’analyse détaillée de tous les Bulletins dans les mêmes conditions 2 000 pieds de 11 avril.” - Rapport sur les cours de greffage de la publiés à partir de l’invasion phylloxé- greffage en mondeuse. “ vigne dans la circonscription comiciale rique et traitant de la question des re- Ces plantations sont dans un très bon état Le budget prévoit pour les écoles de gref- plantations, des pépinières et du gref- et les cultures d’entretien ont été fage de 1887 une dépense de 400 fr. On d’Albertville, en 1888. Nombre d’élèves ayant suivi les cours : fage, jamais n’est apparue explicitement données avec soin. La Commission a dû sait que ces écoles sont appelées à initier la mention et à plus forte raison le nom réduire à 2 ares le travail opéré par l’on- les plus habiles de nos vignerons à la pra- Grésy-sur-Isère : 45 ; Saint-Vital : 32 ; Sainte-Hélène-sur-Isère : 54 ; Verrens-Ar- de pépiniéristes savoyards, installés en cle et le neveu qui vivent en famille, les tique di greffage, afin qu’une fois formés, Savoie et fournissant des plants pour 10 ares restant formant la part du beau ils puissent à leur tour opérer comme mo- vey : 47 ; Gilly-sur-Isère : 51 ; Saint-Sigis- mond : 31 ; Albertville : 42. la reconstitution du vignoble. Aucune frère. niteurs en enseignant la greffe à tous les mention des Pépinières Reymondon de MM. Poncet, oncle et neveu, placés au vignerons de leur commune. Chambéry, qui , dès 1890, mettaient sur cinquième rang ont obtenu une prime de Lorsque dans chaque maison des vigne- le marché des plants greffés et soudés 100 fr..” rons l’un des ouvriers saura greffer, rien sur boutures, ni, non plus, des activités ne s’opposera plus à la reconstitution de de la famille Pichon de Fréterive. nos vignes détruites en utilisant des cépa-

76 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Faute de moyens, la Société décide de les produits ont toujours été remarqués renvoyer les concours de viticulture pré- dans les concours : les Roussettes hautes vus pour la Savoie, en 1882, à l’année et basses et le Saint-Péray pour les vins suivante. blancs ; le Cortaillod à saveur de Bour- Pour ce qui concerne la Haute-Savoie, gogne, la Mondeuse qui donne le bon et un concours est fait dans le cadre du solide ordinaire. Le concurrent a le mérite Concours régional agricole d’Annecy, en d’avoir, depuis très longtemps, appliqué 1892. Le département de la Haute-Sa- le greffage à la vigne comme un moyen voie compte alors, selon les indications d’augmenter sa fertilité. du Bulletin, 8 173 hectares de vignes. Tel qu’il est, le vignoble de Jersagne peut encore donner de beaux produits, moyen- “La Commission a cru devoir relever le nant d’abondantes fumures et des traite- courage des viticulteurs si éprouvés de- ments rapprochés à la bouillie bordelaise. puis quelques années, en faisant connaî- C’est pour avoir su le maintenir dans cet tre ceux d’entre eux qui ont su conserver état et pour la parfaite installation des ses leurs vignes par de bons soins culturaux appareils vinaires que le jury attribue une et des traitements au sulfate de cuivre. médaille d’argent grand module à M. Ro- Elle a tenu surtout à récompenser, par de say, qui sera fier, quand même de voir un nombreuses médailles, les hommes d’ini- de ses voisins, formé par son exemple, ob- tiatives qui ont commencé la reconstitu- tenir une médaille d’or pour des travaux tion du vignoble détruit ou attaqué par le plus récents. phylloxéra.” […] Parmi les récompenses très nombreuses Médaille d’or grand module décernées du Concours d’Annecy, sont […] remarquées les récompenses suivantes : Lupin Amédée, propriétaire à Frangy, est l’heureux émule de M. Rosay ; il a acheté, “Médaille d’argent grand module il y a quelques vingt ans, dans un coteau […] autrefois réputé pour ses produits, un lot M. Rosay Jean-Joseph, habite le domaine de vignes ruinées, les a arrachées, a laissé de Jersagne, commune de Frangy. C’est quelque temps le sol se reposer en prairies un agriculteur qui a de longs et brillants artificielles et, de 1876 à 1890, a entrepris états de service et un viticulteur hors li- et achevé de belles plantations qui ont fait gne. Il a obtenu, en 1873, une médaille l’objet de notre visite. L’étendue des jeu- d’or grand module pour la création d’un nes vignes est de 2 hectares 40 ares ; tout beau vignoble de dix hectares qui est a été miné à un mètre de profondeur ; des aujourd’hui réduit à quatre seulement. [le fossés de drainage sont établis tous les phylloxera aurait donc détruit les 6 autres dix ou quinze mètres au plus. La parcelle hectares ?] qui est en contre-bas de la route, lieu dit Situé dans une pente assez rapide, ce aux Haricoques, est préservée des eaux vignoble serait exposé aux ravages des du chemin par un caniveau en blocs de pluies, s’il n’était sillonné de chemins ciment, sur une longueur de 200 mètres. sous forme de barrages ; les eaux retenues Les vignes sont fumées tous les trois ans par eux descendent dans des fossés pavés, avec des terreaux ainsi composés : terre déposent leur limon dans des fosses se préparée à l’avance, engrais mi-partie de succédant à intervalles réguliers et vont cheval et de bêtes à cornes, plâtre et sulfa- ensuite se jeter dans le ravin inférieur. te de fer pour fixer l’azote, arrosage avec M. Rosay cultive divers cépages dont du purin et fosses d’aisances, sang et dé-

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 77 bris de boucherie. d’or à M. Lupin pour la tenue parfaite de - M. Parent, à Caramagne, près de Cham- Petite Sirrah ; en blanc, la Roussanne de Cette fumure est complétée par des en- son vignoble, lui adresse, ainsi qu’à son béry la Drôme, le Sémillon, le Sauvignon ; sur grais chimiques et surtout par les cendres fils, des félicitations pour l’exemple qu’il - M. Humbert d’Alexandry, au château les portes-greffes Riparia, Baron Perrier, du four de M. Lupin, qui est boulanger. donne dans la contrée.” de Chiron, à Cognin Rupestris. - M. Chauland de la Motte en Bauges Au milieu du vignoble dévasté et presque Pour ce qui concerne les vignerons ou les anéanti de Frangy, les vignes du concur- pour ses vignes à Saint-Alban Autres médailles d’or : - M. d’Oncieu, vignoble de la Bâthie à fermiers participant à ce même Concours rent émergent comme une île de verdure. - Louis Chautemps, de Valleiry (2,30 ha), de 1893, les visites ont été effectuées Nulle part, nous n’avons vu les traite- Barby - Gabriel Duborget, de Messery (3 ha), - M. Rey, à la Rochette (très visitées par chez : ments empiriques produire des résul- - M. Collet, Rumilly, - Donnier Marie, fermier à Bassens de la tats aussi complets : c’est que M. Lupin les viticulteurs) - Mme Taine (femme de l’écrivain), à - M. Droguet à Saint Baldoh princesse de San Elia, née Menabrea, les pratiques depuis sept ans. Il emploie Menthon, - Mme veuve Exertier, fermière de l’hospi- la bouillie bordelaise avec trois kilos. De - M. Chabert, à Saint-Bapldoph - MM. Dépommier Pierre, César et Marc, - M. Falcoz, aux Marches (2,85 ha re- ce des enfants assistés de Saint-Alban, chaux. Les échalas, ainsi que la paille de de Veyrier et Talloires (1,40 ha), - François Vivet, fermier de M. Billiet à St- seigle pour attacher, sont trempés dans constituées) - Maurice Sautier-Thyrion, Veyrier (plus - M. Perret à Challes les Eaux Alban, une dissolution de sulfate de cuivre. La de 4 ha), - Gachet Alexis qui cultive à Barby le do- vigne de Merlaton, qui est au-dessus de - M. Champenois, à Cruet - Auguste Dunand, de Metz( à coté de - M. Boisson, de Saint-Jean-de-la-Porte maine de Chanterelle, appartenant aux la route, à quelque distance, dans un co- Seyssel),(55 ares reconstitués), Hospices civils de Chambéry, teau rapide, est plantée pour les deux tiers - M. d’Alexandry à Villard d’Héry - François Faurax, régisseur du comte - Mme Veuve Arnaud, à Betton Bettonet - Pierre Courrier, fermier des Hospices de de Mondeuse et de Douce-Noire, et pour d’Oncieu de la Bâthie, au château de Challes-les-Eaux, un tiers de Roussette haute et basse. La - Mme Horteur à Chamoux et à la Cham- Bassy, bre - Charles Poncet, qui cultive la propriété Roussettte basse se distingue de l’autre - André-Joseph Vernaz, à Thonon (pro- de Mme veuve Sylvoz et M.Arminjon, par la forme de ses feuilles, qui sont moins - M. Gerlotto Frontignano à Saint-Jean priétaire de l’Hôtel du midi). de Maurienne (plus de 1 ha - Jean Gavillet d’Arbin, vigneron pour les lobées, même à la base; par une légère co- Hospices de Chambéry, loration rougeâtre du bourgeonnement et - M. Caminet, à Lagneux, commune d’Yenne. - François Tardy, à Cruet, qui a pris à des pétioles, par des mérihalles plus allon- À signaler les difficultés signalées de M. moitié fruit les vignes ruinées de M. le gées. Faurax : comte de Ternenge. Le raisin de la Roussette basse est à gros grains, court, ailé, ramassé ; celui de la “En 1889, Faurax a planté, après un bon On notera la diversité des cépages dans On perçoit clairement que cette distinc- Roussette haute a la grappe allongée, le défoncement, sur vieille esparcette, une certaines exploitations ; tion entre propriétaires et vignerons tra- grain moyen ou sous-moyen. La Rous- surface 61 ares ; ne trouvant pas alors de - Chez M. d’Oncieu (Château de la Bâ- duit une situation foncière et économique sette basse est très délaissée aujourd’hui, Roussette greffée, il a pris ce que les pépi- thie à Barby) : “La Mondeuse est le cé- à caractère potentiellement conflictuel. son vin doucereux ayant une réputation niéristes avaient en blancs ; c’est ainsi que page dominant ; ses porte-greffes sont Dans son organisation le concours essaie de casse-tête et de coupe-jarrets bien jus- nous y avons trouvé des lignes complètes : le Riparia 50 %, le Jacquez 10 %, le de le désamorcer. Ceci transparaît bien tifiée. de Pineau blanc sur York, de Sauvignon Rupestris 5 % ; les Gamays, les hybri- dans l’annonce de celui du 29 juin 1895. sur Jacquez et York, de Sémillon sur Yorck La vigne des Haricoques est plantée en des Bouschet, Portugais bleu, Etraire de er Fendant de Lavaux, Mondeuse et Petit- et Taylor, de Folle blanche sur Vialla.” l’Adhui, Douce-noire, Castel, 10% ; les “Article 1 Bouschet. La Mondeuse, chez M. Lupin, Fendants sur Riparia et Solonis, 12% ; Deux concours de Viticulture sont ouverts par la Société centrale d’agricul- est d’une très grande fertilité, les soins de À signaler aussi la visite de Côte-Rouge, les Jacquères sur Riparia et Solonis 8 % tous genres qu’elle reçoit en avancent la ; un peu de Sainte-Marie de Sauvignac, ture du département de la Savoie. chez M. Pierre Rey, à Villard d’Héry, dont Le premier : 1° Entre les fermiers et les maturité. le vignoble de 8 à 10 ha qui avait été en- Chasselas divers, une centaine de directs Les vignes de M. Lupin lui reviennent complètent cette importante plantation.” vignerons qui auront contribué à la re- tièrement détruit et dont la reconstruction - Chez M. Falcoz : en Mondeuse, Alican- constitution des vignes ; 2° entre les pro- à trente mille francs, y compris le cellier a recommencé quatre ans auparavant. nouvellement construit. La main d’œuvre, te, Jacquère, Douce-Noire, Etraire Sain- priétaires exploitant directement de leurs les frais de culture et la fumure s’élèvent à Pour le Concours de viticulture du dépar- te-Marie, Jacquez (sur Solonis, Riparia, mains. 2 500 francs, mais le produit moyen éva- tement de la Savoie, en 1893, les visites Vialla ou Jacquez). Le second Concours comprendra les pro- lué en argent est d’environ 6 500 francs. effectuées chez les propriétaires sont les - Chez M. d’Alexandry : en rouge, la priétaires qui font valoir eux-mêmes leurs La Commission, en accordant une médaille suivantes : Mondeuse, la Douce-noire, le Persan, la vignes, mais qui n’exploitent pas de leurs mains.

78 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Article 2e tement ; mais elle n’a pas à regretter ses pouvait donner que des vins durs, aci- très fertiles et bien mûrs ; mais nulle part Les candidats du premier Concours de- fatigues, car elle a éprouvé une indicible des, qui ne pouvaient se boire qu’ «en te- nous n’en avons trouvés aussi beaux que vront avoir au moins 29 ares 48 centiares, satisfaction en constatant une fois de plus nant son verre d’une main et la table de chez M. François Marion, à Chindrieux, soit un journal de vignes greffées à la 3e les progrès réalisés chaque année par les l’autre». Ces griefs ne sont pas fondés et, qui, paraît-il, aurait obtenu, avec ses ga- feuille ou au dessus ; ceux du second, un reconstitutions qui se font en Savoie. dans la plupart des coteaux de la Savoie, mays et ses portuguais, plus de 350 hec- hectare au moins à la 3e feuille ou au-des- Elle a constaté combien nos coteaux -si la mondeuse, quoique de troisième époque, tolitres de vin sur sept journaux conduits sus.” dénudés- se sont rapidement couverts de y mûrit très bien et donne des vins excel- en cordons. Ce sont là des rendements Le concours est organisé dans le pampres, dont les fruits donneront, dans lents qui ont fait la fortune et la renom- considérables pour notre pays. cadre d’un contexte politique toujours quelques années, des vins aussi abondants, mée de notre pays. L’on recommande aussi la syrah, qui ap- très conflictuel (voir supra). La charge aussi bons et aussi généreux que ceux des Les vins d’Arbin, de Saint-Jean de la Por- partient à la même époque de maturité contre la représentation nationale conti- vieilles vignes. Pour ne pas avoir à décrire te, des Cornioles, etc., n’allument-ils pas que la mondeuse. Avec l’encépagement nue à s’exprimer avec virulence dans le les reconstitutions de chaque exposant, les esprits des plus fins gourmets ? suivant : 4/5 mondeuse et 1/5 syrah, l’on Bulletin de la Société centrale : ce qui nous aurait entraîné dans d’inuti- Chaque pays doit conserver ses cépages : aurait des vins plus fins, plus bouquetés les répétitions, nous avons cru préférable c’est le seul moyen de conserver la réputa- qu’avec la mondeuse pure ; mais cepen- “Les invasions du phylloxera et celle des d’en faire ressortir les données générales. tion à nos vins. dant nous avons rarement rencontré ce divers cryptogames qui ont détruit la vi- Comme nous le disions, la reconstitution Le portugais bleu est un cépage très préco- cépage dans nos vignobles. gne française n’ont été que les avant-cou- marche à grands pas, et, dans dix ans, la ce, qui aime la taille longue et qui, par sui- Savoie produira autant de vins que par le te, peut être conduit facilement en treille ; Comme plants blancs, ce sont la roussette, reurs des désastres qui ont successivement le crépy, qui ont le plus de vogue ; mais la atteint nos diverses productions et qui, di- passé. Après bien des tâtonnements, l’on mais son vin, pour acquérir de la solidité est enfin arrivé à ne plus planter que de et un peu plus de saveur , demande à être roussette, la Sainte-Marie, la Roussane, sons-le franchement, n’étaient pas seule- sont toujours réservées pour les bons co- ment l’œuvre des fléaux de la nature, mais bons cépages greffés sur des américains les amélioré pendant la fermentation , c'est- plus résistants au phylloxera et les mieux à-dire dans la cuve, par une addition de teaux où elles sont susceptibles de donner à laquelle avait grandement participé une des vins de choix, atteignant des prix très situation économique créée de toute pièces adaptés au terrain. 50 gr. d’acide tartrique et de 20 gr. de tan- L’impulsion a été donnée par des viti- nin par hectolitre. L’acide tartrique pour- élevés, comme les vins de Seyssel, de Ma- par notre représentation nationale sous le restel, d’Altesse, etc. Ici la qualité com- nom de libre-échange, en permettant aux culteurs intelligents qui ont toujours été rait être avantageusement remplacé par à l’avant-garde du progrès agricole et l’addition d’un dixième de raisins blancs, pense la quantité. Un peu de roussette, produits des nations étrangères obtenus ajoutée à la mondeuse, lui donne plus de à moins de frais d’envahir nos marchés auxquels le pays doit un tribut de recon- comme le chasselas, le meslier, la Sainte- naissance. Le mouvement est depuis long- Marie, etc. Il ne doit pas être utilisé que pointe et corrige un peu sa dureté. Le cré- et d’y déterminer une baisse considéra- py ou fendant roux donne des raisins très ble. La crise que nous traversons, loin de temps commencé et il va en s’accélérant ; dans les endroits élevés où la mondeuse, les retardataires n’ont plus qu’à suivre. la douce-noire et le persan n’arrivent que gros et très nombreux, ayant beaucoup de s’atténuer, s’accentue et s’aggrave d’une ressemblance avec le chasselas blanc ; son situation économique des plus périlleuses difficilement à maturité. Quels sont les porte-greffes choisis par Au début de la reconstitution, l’on a beau- raisin est plus sucré et son vin plus fin et et dont il n’est pas possible de prévoir la les viticulteurs que nous avons visités et plus alcoolique ; mais il aime les exposi- durée.” coup vanté les bouschets, particulièrement quels résultats en ont-ils obtenus ? l’alicante. Les plants du Midi ne donnent tions chaudes. Dans ce contexte tourmenté, le rapport On peut dire, sans exagération, que plus même pas de bons vins dans leu milieu de 90 centièmes des vignes reconstituées Nous avons aussi rencontré, dans les vi- général sur le concours de viticulture de naturel ; comment en donneraient-ils chez gnobles de Chignin et d’Arbin, un cépage Savoie de 1895 est publié dans le Bulle- sont greffées sur riparia. Puis viennent le nous, où la température est souvent insuf- ère rupestris, le jacquez et le solonis. Quel- blanc particulier, assez productif, de 1 tin, avec une adresse aux viticulteurs afin fisante à une maturité parfaite ? maturité, donnant un vin très alcoolique qu’ils prennent conscience de la valeur ques timides essais seulement ont été faits Au moment de nos dernières tournées, sur hybrides franco-américains. et d’un goût exquis. Il est connu sous le des cépages savoyards. […] la récolte arrivait à terme ; nous avons nom de greffou de Chignin. En l’associant pu goûter, en même temps, des alicantes “ Quels sont les cépages utilisés en Savoie ? à la mondeuse, on obtient un vin d’un La Commission, chargée de la visite des étaient toujours moins mûrs que les mon- bouquet parfait. Dans les sols moins bons vignes, […] a commencé ses visites le 19 Quels sont ceux qu’il faut conserver ou deuses et leur moût plus acide. qu’il faut rejeter ? et moins bien exposés, on devra recourir août pour les terminer le 2 octobre. Sa Dans les récentes plantations, l’on a à la jacquère qui est plus rustique. Là, on tâche a été assez difficile vu le nombre et La mondeuse est évidemment le plant rou- d’ailleurs complètement abandonnés les ge qui a servi à reconstituer presque tous doit rechercher la quantité plutôt que la les mérites des concurrents. Ajoutons que bouschets et les aramons. qualité. les candidats étaient dispersés dans pres- nos vignobles. Certains, cependant, l’ont […] Nous avons vu les gamays partout que toutes les régions viticoles du dépar- assez malmenée, en prétendant qu’elle ne

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 79 En un mot, suivant le sol, le climat et l’ex- qui lui a si bien réussi, aura bientôt tout été les premiers à rentrer dans la voie de Leur vin est généralement peu abondant position, la mondeuse, le gamay Mourot, son vignoble reconstitué avec l’aide de ses la reconstitution. Les effets en ont été re- et de médiocre qualité ; il peut bien se la syrah, la douce-noire, le persan, voilà auxiliaires qui ne lui marchanderont pas marquables. Les ouvriers agricoles ont consommer dans le ménage du vigneron, les seuls plants rouges qui devront géné- leur dévouement et leurs bras. été retenus à la campagne, puisqu’ils y mais il n’a aucune valeur marchande. ralement rentrer dans nos vignes. On de- […] trouvaient un travail abondant. Le succès De plus, ces producteurs directs ne sont mandera nos vins blancs à la roussette, au Ma tâche de rapporteur sera finie quand des premières plantations a convaincu les même pas résistants au phylloxéra. bergeron, à la Sainte-Marie, au crépy ou j’aurai dit que, sur le parcours de Challes- plus incrédules, ceux qui n’avaient pas foi On s’est alors jeté sur les plants greffés; fendant roux et à la jacquère.” les-Eaux à St-Jean-d’Arvey visité par la dans la vigne américaine. mais un engouement déplorable a fait Dans ce compte rendu on trouve une Commission, la reconstitution est achevée, Devant la baisse constante du taux de l’in- rechercher des plants étrangers au pays, des rares mentions du cépage Bergeron, que la végétation se présente bien, sauf de térêt, les revenus ont diminué considéra- comme les Bouschets et le Portugais bleu. c'est-à-dire la Roussane, qu’un Bulletin légères différences provenant uniquement blement et beaucoup de propriétaires ont On a bien vite reconnu que leur vin était des traitements cupriques appliqué plus été obligés de se consacrer à l’agriculture. inférieur à nos vins de pays. Aussitôt, no- un peu antérieur qualifiait deRoussane “ ”. ou moins en temps utile ; que les divers Ces propriétaires sont en général fort ins- tre mondeuse a reconquis son ancienne fa- de la Drôme porte-greffes employés ne présentent pas truits, et, par la lecture des publications veur et aujourd’hui elle est presque seule encore, vu leur âge de plantation, de diffé- agricoles, ils ont été rapidement au cou- employée pour la fabrication de nos vins Le rapport de M. Falcoz sur la visite des rences appréciables, sauf la chlorose plus rant des nouvelles méthodes de culture et rouges de vigne. Quelques uns ajoutent, vignes pour le concours de viticulture or- particulière aux Riparias de toute prove- ils sont devenus de précieux guides pour il est vrai de la petite Syrah, qui est le ganisé dans le cadre du comice, qui suit nance, et qu’enfin le black-rot et le rot- leurs fermiers, pour leurs vignerons. C’est plant de l’Ermitage, dans le but de donner l’analyse générale du concours, apporte blanc n’ont pas encore atteint toute cette l’association directe de l’intelligence, du plus de bouquet, plus de parfum au vin de des précisions supplémentaires. contrée vinicole. capital et du travail qui produit le maxi- mondeuse, mais c’est toujours dans une Il n’en est malheureusement pas de même mum d’effet utile. faible proportion, un cinquième au plus. “Visite le 17 août par la commission (M. pour la région des Marches, où tout le bas Ainsi l’absentéisme, encore si répandu Pour l’obtention des vins blancs, on ne Thomas, président du Comice, Baron Per- des Abîmes est dévasté par ces deux terri- en Angleterre, n’est plus chez nous qu’à plante plus dans les bons sols que la Rous- rier de la Bâthie, Lyonne, trésorier, Hum- bles maladies, qui vont anéantir les der- l’état de souvenir. Nous nous en réjouis- sette, la Roussanne et le fendant ; dans les bert d’Alexandry , Deslarmes, directeur nières vignes de Jacquère, que ménageait sons. sols médiocres, la Jacquère. du Syndicat des Agriculteurs, André Fal- encore le phylloxéra. L’aspect de ces grap- M. Perrière, conseiller d’arrondissement Après bien des tâtonnements, il est coz). pes desséchées fend le cœur du vigneron. du canton, après avoir fait fortune à Pa- aujourd’hui reconnu que nos meilleurs Exploitation de Mme la comtesse de la […] ris, est revenu dans son pays natal où il a porte-greffes pour les terrains peu calcai- Chavanne. Je regrette de finir par une note aussi acheté à très bon compte l’ancien château res, sont : le Riparia, qui convient aux sols Madame la comtesse de , en triste ; mais il convient de signaler l’ap- de Saint-Philippe et ses dépendances qui riches, meubles et profonds, le Rupestris, intéressant trois vignerons intelligents parition de ces implacables ennemis de la étaient dans un grand état de délabre- aux terrains secs et pierreux, le Solonis, dans la reconstruction de son vignoble vigne pour chercher à leur opposer une ment. Le nouveau propriétaire, en homme aux terrains compacts et humides.” de la Bâthie, possède déjà 1ha 80 ares de opiniâtre défense. N’est-il pas du devoir actif qu’il a toujours été, entreprit de res- Parmi les élites “rurales” qui ont été à la vigne à la troisième feuille, plantés et diri- de l’administration municipale de signa- taurer le château et la propriété. Il a déjà gés par ces travailleurs. ” pointe de la mobilisation pour la recons- ler à qui de droit cette apparition ? replanté trois journaux de vignes avec de titution du vignoble, nous retrouvons, au […] la Mondeuse sur Riparia. La Mondeuse greffée sur Riparia est pres- […] détour d’une visite de jury du concours La visite des vignes des concurrents du de taille et de conduite de la vigne en que le cépage exclusif de ces plantations et Le beau et fertile canton de Saint-Pierre paraît très vigoureuse sur ce porte-greffe. Concours agricole de Chambéry se ter- 1898, le baron d’Angleys, qui fut long- mine avec ce commentaire final qui nous d’Albigny, si riche et si prospère autrefois temps vice président de la Société cen- Les labours et sarclages ont été opérés avec par l’abondance et la valeur de ses vins, si soin, malgré la saison pluvieuse, de même ramène dans le contexte de la Grande trale d’agriculture. dépression déjà évoquée : cruellement frappé il y a quelques années que les sulfatages. Au résumé, état de vi- par l’invasion phylloxérique, a été un des gne qui fait honneur à ces braves vigne- premiers à reconstituer ses vignobles. “Le Concours de taille et de conduite de rons qui trouveront déjà cette année, dans “La restauration des vignes est toujours Au début, comme partout d’ailleurs, on a la vigne organisée par la Société centrale la belle vendange que nous avons vue, une très onéreuse : les dépenses excèdent sou- essayé des américains directs; mais les es- d’agriculture a eu lieu, en 1898, dans les juste rémunération de leurs sueurs. vent la valeur brute du sol. Ce fait expli- pérances qu’ils avaient fait naître se sont arrondissements d’Albertville, Moutiers Madame la comtesse de la Chavanne, en que pourquoi les propriétaires aisés ont vite évanouies. et Saint-Jean-de-Maurienne. continuant cette méthode de plantation

80 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie [Les visites sont faites sur les vignes de bénéfices suffisants. de taille à leurs jeunes vignobles ; leur bres du Jury, en même temps que profita- propriétaires concurrents …] […suit une longue réflexion sur les avan- mérite n’est pas tant d’avoir affronté ble aux vignerons.” La deuxième journée au matin nous réu- tages et les inconvénients des tailles res- l’aléa d’un premier essai, le succès était nit à la gare de , d’où nous nous pectives : du cordon, Royat et Guyot] assuré; il consiste plutôt dans l’esprit de dirigeons sur la propriété de M. le baron progrès dont ils ont fait preuve en ac- d’Angleys, un agriculteur entreprenant Mais notre but en ce moment est surtout cordant toute confiance aux conseils des qui, avec son initiative hardie et intelli- d’inculquer aux viticulteurs, certains praticiens autorisés et qui leur vaut de gente n’hésite pas à consacrer de fortes principes généraux applicables dans la posséder aujourd’hui des vignobles mo- sommes à des expériences, à des essais plupart des cas, nous réservant de revenir dèles destinés à exercer la plus heureuse agricoles d’intérêt général et dont le mé- sur les détails en temps voulu. A en juger influence sur l’esprit de nos vignerons. Ce rite à lui revenir est d’autant plus grand par l’état de choses actuel, nous avons es- sera leur récompense. que le résultat en est moins assuré. poir d’atteindre rapidement notre but ; la Bien que voulant quelques fois enfermer Commission a pu constater en effet, avec Il nous est agréable aussi de dire que, dans les capricieux problèmes de la nature dans grande satisfaction, que de très sensibles son ensemble, le concours de 1899 a été un cadre un peu trop mathématiques, M. progrès avaient été réalisés dans le per- remarquable ; il consacre la réalisation le baron Angleys n’en a pas moins obtenu fectionnement de la culture de la vigne. d’un grand progrès dans nos méthodes de de forts beaux résultats, et sans hésitation Le mérite en revient pour une large part à taille et de conduite de la vigne ; la bonne le jury a été unanime à lui décerner la certains viticulteurs favorisés et dévoués, volonté observée chez tous les concurrents plus haute récompense. Après une pro- qui chacun dans sa sphère d’action, se sont et la facilité avec laquelle notre critique a menade rapide dans toute la propriété, au consacrés à la propagation des bonnes mé- été comprise et acceptée partout nous ont cours de laquelle nous pouvons juger de thodes de culture. A tous, maîtres et élè- fait entrevoir la fin prochaine du règne de l’intelligence et de la précision avec les- ves, j’adresse, au nom de la Commission, la routine. mes plus sincères félicitations. Chambéry ” quelles toutes choses ont été installées ; les ” Chambéry 15 novembre 1899 cordons, unilatéraux, et dirigés de bas en le 1er janvier 1899 haut, sont forts et vigoureux ; à signaler Pourtant la Savoie n’en reste pas moins Arrivée dans les derniers jours du 19e siè- quelques confusions faites par le vigne- toujours en prise avec le phylloxéra com- cle, la reconstitution du vignoble semble ron entre les taille Guyot et Royat qu’il me l’atteste le rapport sur la visite aux être une entreprise en voie d’achèvement, leur applique ; il s’est attaché un peu trop vignobles et résultats du concours Mau- du moins pour ce qui est du vignoble de à conserver un sarment de retour sur le rienne, arrondissement d’Albertville et Ta- qualité. Cette reconstitution s’est opérée coude. rentaise de 1902. en mettant fin à la routine viticole, tant Le compte rendu de ce même concours décriée depuis la fin du 18e siècle. “ permet aussi de caractériser les objectifs Onze viticulteurs ont répondu à son C’est ce dont se félicite le rapport du appel : deux à l’entrée de la Maurienne, généraux de la reconstitution du vigno- concours de viticulture de 1899 dont le ble : la grande production, ce qui s’avé- sur la commune d’Aiton, et neuf dans la programme comprenait les points sui- région d’Albertville. Un seul concurrent rera quelques années plus tard être une vants : 1° Taille d’hiver ; 2° Conduite de erreur. de Saint-julien en Maurienne s’était fait […] la vigne, équilibre entre la vigueur et la inscrire et n’a pas été visité, parce qu’il a production ; 3° Taille d’été, ébourgeon- paru évident, d’après sa correspondance, Un des points résultants du concours nage, pincement. Il voyait concourir 28 consiste dans une tendance générale des qu’il n’était pas dans les conditions du vignerons. programme. producteurs à viser à la grande produc- Le rapport qui raconte les trois jours de tion et, partant, dans la transformation de visite de la Commission chez les concur- Sans doute, les régions de la Maurienne la souche basse en cordon ; trois concur- rents se conclue ainsi : rents sur cinq ont donné lieu à cette ob- et de la Tarentaise sont encore en pleine servation ; ils en donnent pour raison “ invasion phylloxérique. La reconstitution Nous ne saurions cependant terminer y est à ses débuts, mais des replantations qu’actuellement les frais de culture de la sans féliciter et remercier encore une fois vigne sont considérables et qu’une sur- y sont effectuées, dont la visite aurait été les viticulteurs d’initiatives qui n’ont pas certainement intéressante pour les mem- production seule permettra de réaliser des hésité à appliquer les nouvelle méthodes

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 81 2.4.9. Les maladies cryptogami- différents rapports datés de 1854 sur ce ques qu’on nomme “maladie de la vigne”, où il précise “depuis 4 ans une maladie parti- Le phylloxéra n’était pas la première atta- culière frappe cruellement la vigne sans que importante du vignoble savoyard et distinction de sol ni de climat”. Cette ne sera pas non plus la dernière. même année la production du vignoble français diminue des 9/10e. Ce n’était là L’Oïdium : qu’un avant-goût du prix que fera payer e Au début du 19 siècle l’engouement des l’attrait pour l’exotisme viticole. riches propriétaires de domaines viticoles pour l’ampélographie multiplie les échan- Le mildew : ges de cépages à travers l’Europe et au- À peine trois ans après la découverte du delà. phylloxéra en Savoie, on commence à En 1774, le marquis Costa de Beaure- parler d’une nouvelle maladie de la vigne, gard incitait les membres de la socié- découverte par Planchon, elle aussi d’ori- té d’agriculture de Savoie à diversifier gine américaine, le mildew (ou mildiou), l’encépagement de leurs vignes, en im- qui vient de faire son apparition en 1878 portant des plants du Piémont, de Tos- dans le Sud-Ouest de la France. Elle est cane, de Bourgogne ou de l’Hermitage. signalée en Savoie en 1882. Concernant cette dernière provenance drômoise, on peut se demander d’ailleurs “Ce fut en 1882 que la maladie de la vigne, si elle n’expliquerait pas la l’importation connue en Amérique sous le nom de mil- en Savoie du cépage Roussanne (“Ber- diou, désignée scientifiquement sous celui geron” ou “Brabin”). de peronospora viticola, fit son apparition dans les vignes de la Savoie ; elle a pris Près d’un siècle plus tard, en 1861, à l’ini- dès lors une extension inquiétante.” tiative du savoyard Francisque de Lache- Ceci fait l’objet d’un long article (“Déve- nal, conseiller à la cour royale de Cagliari, loppement et propagation du mildiou”) 20 000 plants de vignes de Sardaigne, dans le Bulletin de la Société centrale ré- sont gratuitement offerts et distribués digé par J. Deslarmes. entre 80 propriétaires de Savoie et Hau- te-Savoie. Le Black Rot : Ces importations sont le fait des élites Mais déjà, et dès 1882, on parle d’une viticoles françaises qui s’entichent, dès autre maladie de Black rot ou Rot brun le début du 19e siècle, des vignes améri- qui fait l’objet, dans le Bulletin, d’un long caines. Leur importation est facilitée par article rédigé par Humbert d’Alexandry. l’essor de la marine marchande transat- lantique. Cette nouvelle maladie de la vigne, dé- couverte en France, par Viala apparaît En 1847 un petit champignon fait ainsi dans le vignoble de l’Hérault, en 1885. son apparition dans les serres du Baron Elle ne mettra pas longtemps à arriver en Rothschild à Suresnes : l’Oïdium, para- Savoie puisqu’un avis du Préfet de la Sa- site de la vigne américaine. Trois ans plus voie signale l’apparition du Black Rot en tard, il dévaste l’ensemble du vignoble Savoie est daté du 3 août 1896. français et fait son apparition en Savoie en 1850. Dans son «Nouveau manuel du vigneron» publié en 1855, Fleury Lacoste annexe

82 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Dès lors, en plus des articles consacrés à la feuille, la vigne était : chez les uns, la défense du vignoble contre les attein- armés pour se défendre; chez les autres, tes du phylloxéra, les pages du Bulletin le raisin était fort, et lorsque les feuilles se remplissent d’articles sur les maladies ont roussi, le raisin était à moitié mûr ; de la vigne et leurs traitements. le vin sera moins bon chez ceux qui n’ont - Long article de E. Perrier de la Bâthie, rien fait que chez ceux qui ont traité professeur départemental d’agriculture une fois et mieux deux fois que chez les de la Savoie, sur les maladies de la vigne autres, mais ils auront encore du vin. et leurs traitements. On ne saurait trop recommander de se - article de Pierre Tochon, président de la préparer à la lutte pour 1888, car le mil- diou n’a pas seulement pour conséquence Société : “Le mildiou en Savoie : Moyens ”. de contaminer les feuilles ; sous un nom pratiques de la combattre différent, sous celui de Brun-Rot, il s’at- Les traitements occupent de longues ru- taque aussi aux raisins qu’il macule vers briques comme celui du mildiou = chaux la mi-juillet, en compromettant une par- imprégnée de sulfate de cuivre à l’état tie de la grappe.” pulvérulent (ou “bouillie bordelaise”), avec l’apparition de nouveaux outils de travail Un arrêté du Préfet de la Savoie en date viticole comme le pulvérisateur Vermorel du 7 mars 1891 rend obligatoire le traite- destiné au passage des “bouillies”. ment des vignes contre le Mildiou. Les comptes rendus des travaux de la Dès lors la lutte contre les maladies de Société comme celui couvrant la période la vigne sera un sujet qui ne quittera plus du 1er juillet au 30 septembre 1887, en l’agenda des viticulteurs savoyards, qui font largement l’écho. plus est quand ils réussissent à grand frais à reconstituer leur vignoble. “La vigne a continué à être l’objet des principales préoccupations de la Société centrale d’agriculture. Après une année comme 1886 où le mil- diou s’était montré d’une intensité désas- treuse, il était probable que nous verrions cette cryptogame réapparaître en 1887 ; aussi avons-nous insisté auprès de nos vignerons pour les amener à utiliser les dilutions cupriques qui, jusqu’à ce jour, ont donné des résultats incontestables. Un grand nombre de propriétaires ont suivi les conseils qui leur venaient de tous les pays viticoles, et des centaines de pul- vérisateurs, placés entre les mains de nos cultivateurs, ont été mis à contributions pour combattre l’éventualité d’une nou- velle invasion. Heureusement, une chaleur excep- tionnelle a retardé l’apparition du mil- diou, lorsque les orages accompagnés de pluies ont fait naître le champignon de Page de publicité dans le Bulletin de la Société centrale de Janvier 1921

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 83 2.5. Les cépages, les vins, revient sur sa visite dans le Libournais et cite souvent la veuve Ponsot, qui appa- le marché et ses crises remment lui avait fait forte impression. Dans le même numéro du Bulletin de la 2.5.1. Les cépages Société centrale, il consacre aussi un ar- La pandémie phylloxérique arrive en ticle à “La dégustation des vins de raisins Savoie (et en France) à un moment où américains (producteurs directs)”. l’ampélographie connaît un regain d’in- térêt. Les viticulteurs éclairés se rendent L’engouement pour ces producteurs compte que la routine viticole ancienne, directs semble s’éroder assez vite comme du fait du recours systématique au pro- l’indique M. Perrier de la Bâthie, quand il vignage, ne prend pas assez en compte dresse pour le Bulletin la situation des ré- la spécificité des différents cépages, dont coltes en 1892. la diversité était alors finalement très mal “ connue. Les conditions météorologiques de l’hi- ver ont été extrêmement favorables à la En 1876, suite au décès soudain du reconstitution du vignoble. Grâce au beau célèbre Victor Mas (très connu par temps et aux faibles quantités de neige ailleurs pour ses travaux de pomologie), tombées, les défoncements se sont opérés M. Pulliat lance un appel à souscription sur des surfaces assez étendues en Savoie. pour l’édition du livre qu’il avait commen- Aussi les plants de vigne sont hors de cé avec M. Mas, “Le vignoble, monogra- prix et souvent introuvables. On constate phie des raisins de table et des raisins de avec satisfaction que les producteurs di- vigne”. rects perdent de plus en plus de faveur. Pour terminer l’ouvrage Pulliat fait appel Le bon sens de nos viticulteurs leur a fait à Pierre Tochon. L’ouvrage est présenté comprendre que l’avenir est à la qualité et comme suit : que, s’ils veulent continuer à trouver un écoulement avantageux de leurs vins, ils “Le Vignoble n’est pas un ouvrage de doivent s’en tenir aux meilleurs cépages fantaisie, mais un guide sûr qui s’adresse du pays, greffés sur porte-greffes et bien tout aussi bien à l’homme qui ne possède adapté à chaque sol. Les vins du Midi, qu’un petit jardinet qu’au propriétaire de d’Algérie, de Tunisie et les falsifications petits, moyens ou grands vigneronnages.” de toutes sortes nous inonderont de plus Pourtant la reconstitution du vignoble en plus, et nos bonnes qualités seules trou- avec la vigne américaine résistante au veront grâce auprès des consommateurs. phylloxéra débouche sur une grande Si la reconstitution s’active, la destruc- confusion. tion fait non moins de progrès. Sans par- La solution qui consiste à greffer les ler du phylloxéra qui continue sa marche “bons” cépages locaux traditionnels en avant, le mildew se montre de plus en sur des portes greffe américains est plus agressif. Combien de vignes hélas, concurrencée par la plantation en pro- qui ont échappé jusqu’à ce jour au puce- ducteurs directs de cépages améri- ron, succombent sous les atteintes de ce cains vinifiables ; cette solution est redoutable parasite. plus “simple” que la première et permet Celles qui n’ont pas été traitées ou qui de planter de la vigne jusqu’en plaine. l’ont été insuffisamment sont aux abois. Le vigneron les délaisse et le propriétaire Pierre Tochon, consacre en 1888 un article se trouve dans la dure nécessité de faire Page de publicité dans le Bulletin de la Société centrale de Janvier 1921 au cépage Othello, qui peut être vinifié. Il face aux deux fléaux à la fois.

84 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie L’époque des greffages de la vigne s’ap- défaits, les racines étalées et recouvertes proche. On ne saurait trop recommander abondamment de sable fin légèrement hu- à ce propos de n’employer que des sar- mide que l’on fait pénétrer au milieu des ments sélectionnés récoltés sur des vignes plants, et que l’on tasse.” traitées soigneusement et exemptes de mildew. Les sarments des vignes mildiou- En fait, après des siècles d’immobilisme, séees sont affaiblis, incomplètement mûrs le vignoble savoyard rentre dans une et ne donneraient que de très mauvaises ” phase d’instabilité permanente avec l’ap- réussites. parition répétée de nouvelles maladies. L’intérêt pour les cépages locaux se dé- C’est pourquoi, en plus de la pépinière veloppe quelques années plus tard. départementale, vont être aménagés À partir de 1903, ce même bulletin se des “champs d’expériences”, d’abord aux lance dans la publication d’articles d’ Marches à coté de la pépinière, puis dans “ampélographie comparée”, sur certains différents secteurs du département de la cépages savoyards traditionnels : Savoie. - Prin Blanc, Altesse verte, Chapot, Ma- connais Blanc, Le suivi des essais faits sur ces terrains - Verdonne ou Verdette, doit pouvoir orienter la reconstitution du - Roussette basse et Gringet, vignoble. - Bon Blanc de la Maurienne, “ - Joubertin, Sous le bénéfice de ces remarques nous - Persan Blanc. publierons chaque année les résultats ob- tenus, tant dans l’étude des producteurs Dans le même temps, M. de Villeneuve, directs que des plants greffés à la Pépi- membre éminent de la Société centrale nière départementale, aux champs d’expé- publie sa “Monographie des Mondeu- riences viticoles des Marches, de Saint-Si- ses”, à propos des formes décolorées de gismond, de Saint-Julien-de Maurienne, la Mondeuse. d’Aigueblanche et de Centron ; ces qua- L’hésitation entre les deux solutions est tre dernières vignes d’expériences ont malgré tout encore palpable en 1904, à été plantées au printemps de 1906 et ne la lecture du communiqué qui suit, car comportent pour l’instant aucun ensei- désormais les maladies cryptogamiques gnement. Nous serons heureux de joindre doivent être à leur tour prises en compte. aux nôtres les observations qui nous se- rons communiquées par les viticulteurs. “Pépinière départementale En ce qui concerne la Pépinière départe- Les bois et racinés de porte-greffes et pro- mentale, elle mérite mieux qu’une courte ducteurs directs provenant de la pépinière étude. Elle a contribué et contribue encore départementale, seront mis en vente à efficacement à la reconstitution du vigno- partir du 25 février. ble du département. Non seulement il y a Il n’est pas inutile de rappeler à cet égard été créé patiemment, à la longue, un vé- qu’une cause fréquente d’insuccès dans ritable jardin botanique, viticole par les les plantations de vignes greffées ou non, soins minutieux de MM. Veyrat et Pa- est le manque de soins donnés à leur ré- rent, ayant tous les deux un culte de la ception. On se contente de placer un peu viticulture, mais de nombreuses observa- de terre sur le paquet dont l’intérieur se tions ont été relevées par eux.” dessèche et moisit, alors que les paquets (suivent l’ensemble de ces observations de plants devraient être complètement très détaillées)

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 85 “Le champ d’expériences viticoles des le Petits-Bouschet, la Corbesse, le Grand- Marches a été organisé en 1908 comme Noir de la Calmelle pour les rouges, et suite à une décision du Conseil Général pour les blancs le Meslier Saint-François, de la Savoie. le Fendant Roux, le Chemin-Blanc.” Sa superficie est d’environ 20 ares. Il repose sur un éboulis du Mont-Gra- L’ensemble des visites montre une diver- nier, qui s’étend sur toute la région si cu- sité beaucoup plus grande encore. Elles rieuse connue sous le nom des Abimes de soulignent, au passage, l’importance pri- Myans. […] se par les traitements de la vigne. Les cépages cultivés dans le but de recher- cher des espèces résistantes au black-rot “Vigne de François Marie Carle, Maire de et autres maladies cryptogamiques com- Barberaz. prennent exclusivement des producteurs Les traitements ont été successivement directs. La plupart de ces cépages ont été pratiqués à la bouillie eupro-arsénicale envoyés par des hybrideurs qui les ont Sébastian, à la bouillie au Verdet nicotiné créés. On trouvera ci-après la liste des enfin à la bouillie bordelaise.” cépages cultivés, le plan de la vigne d’ex- périences.” Pourtant petit à petit, le paysage viticole Les observations faites aux Champs d’ex- savoyard semble se clarifier et le greffage périences de la Pépinière départementale des cépages traditionnels “classiques” et au champ des Marches en 1907, sont semble s’imposer comme la seule solu- publiées dans un Bulletin de 1908 sous le tion à long terme possible, ceci dès 1912, titre “Hybrides producteurs directs”. comme en témoigne le rapport de M. Rougier, Directeur des Services agrico- “Nous avons publié l’année dernière (voir les de la Loire relatif à la “Prime D’Hon- Bulletin de février 1907) divers rensei- neur Viticulture et Arboriculture” du gnements généraux sur les producteurs Concours régional agricole. directs et nos observations à la Pépinière départementale et au champ des Marches “Bien que le département de la Savoie pour 1906.” n’occupe pas un rang très élevé dans la viticulture de notre pays, elle n’en joue pas moins un rôle assez important dans Cette démarche expérimentale ne tarde un grand nombre de localités. Elle se pré- par à trouver son application sur le ter- sente d’ailleurs avec des caractères bien rain, comme en témoigne le rapport du particuliers qui ont frappé les ampélogra- Président, le comte de Villeneuve, rédi- phes et leurs auteurs viticoles. gé suite aux visites faites dans le cadre Il existe en Savoie des crus dont la répu- du Concours de Viticulture de la Société tation, tout en ne s’étendant pas très loin, Centrale d’Agriculture de 1911. n’en est pas moins établie et, dans tous les S’ajoutant à la diffusion de producteurs cas parfaitement justifiée. directs, le greffage permet d’accroître de En vin rouge, le vin dit de Montmélian, façon significative la diversité de l’encé- obtenu avec la Mondeuse dans les monta- pagement. gnes calcaires de ce canton, est bouqueté, “Visite de la vigne de M. Auguste Parent très agréable et pourrait être classé large- à Caramagne (1ha 30 ares). ment dans les grands ordinaire. Plus en Les principales variétés des cépages culti- Maurienne, se trouve, ou plutôt se trou- vés sont : la Mondeuse, la Douce-Noire, vait, le vignoble de Saint-Jean, complanté en Persan, qui donnait un vin d’abord

86 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie rude et âpre, mais qui s’affine en vieillis- ses vignes d’essais créées récemment dans tié du vignoble est en raisins noirs. Il a Il faut signaler que dans son analyse de sant et finit par acquérir un parfum très les arrondissements.” adopté la taille Guyot avec espacement de l’inventaire des cépages de 1804, Pierre développé. Ce vin est d’ailleurs d’une so- 1,20 m entre les treillons. Parmi les va- Galet, identifie la Roussane au “Barbin” lidité à toute épreuve. riétés, on remarque le Meiller S. Fran- de l’inventaire du Canton de la Rochet- Le palmarès du Concours de Viticulture te (“ Comme vin blanc, la Roussette, véritable de la Société Centrale d’Agriculture en çois, la Jacquère, la Roussette de Frangy, Raisin blanc, de couleur jaunâtre, cépage fin, donne, lorsqu’elle est cultivée 1912, traduit malgré tout un grand éclec- la Mondeuse, de l’Alicante, du Gamay de feuilles grandes et très dentelées. D’un dans de bonnes côtes, un vin de haute tisme variétal esquissé par le rapport de Bourgogne, etc., le tout greffé sur Ripa- grand et excellent produit. Se plait par- qualité avec un cachet bien caractéristi- M. le Comte de Villeneuve Président du ria-Rupestris. tout mais plus particulièrement dans un que. Citons aussi, non plus comme cépage Jury et Rapporteur. Toute la plantation, bien préservée de terrain grossier et pierreux. Ce raisin est fin, mais comme vigne d’abondance, la bonne heure et des premiers jours de mai, très bon à manger. On pourrait le cultiver Jacquère, qui a élu domicile dans les abî- Ce rapport fait état de chacune des vi- présente un bel aspect : les raisins beaux au Luxembourg”). mes de Myans et occupe avec avantage sites faites dans des vignobles pratique- et assez nombreux au propriétaire une Cette dernière source, qui vient corroborer les terrains provenant de l’éboulement du ment tous replantés : récolte bien au-dessus de la moyenne. M. la tradition locale semble confirmer que la Mont-Granier. Bellemin a ménagé dans le vignoble un Roussane était présente en Savoie au dé- “- Chez Gaime Jean-Pierre, à la Rochette : large chemin pour le transport des terres Un grand nombre d’autres cépages se Mondeuse, Etraire, Martin-Côte rouge et but du 19e siècle, sans qu’il soit possible du bas au sommet de la vigne, des engrais si ce cépage était un cépage “savoyard” rencontrent également en Savoie, notam- Blanc, Gouay, Fendant, et l’enlèvement des produits. ment dans les treillages de la plaine et - Chez Philibert Prallet, à la Croix de La autochtone, ou bien un cépage importé Cette vigne répond en tous points aux de da Drôme jusqu’en Savoie. les hautins sur bois, vivant ou mort, qui Rochette : Côte Rouge, Sauvignon et toute conditions du concours ; aussi la Com- contribuent pour une large part à donner les variétés de cépages français mission est-elle unanime pour adresser À relire les écrits de Costa de Beauregard, à la viticulture savoisienne sa physiono- - Chez M. Péguet à la Rochette : Mollette ses félicitations à M. Bellemin en lui ac- au début de ce chapitre, et son admira- mie particulière. blanche cordant la médaille de vermeil grand mo- tion du vignoble de la Drôme, il est ten- Mais en Savoie, comme ailleurs, la ques- - Chez Charles Albert Blanc, à Betton- dule de l’Etat et une somme de 20 francs tant de se demander si ça ne serait pas tion viticole est dominée par la lutte contre Bettonnet : Fendants et Mondeuses pour son vigneron, M. Jouty Laurent.” tout simplement qui aurait été à l’origine les maladies diverses, notamment par les - Chez Jean-Baptiste Laymond à St de cette importation. maladies cryptogamiques qui, dans les bas Etienne de Cuines (Clos du Clappey) Un constat un peu surprenant doit être des vallées, trouvent un milieu d’élection : « l’encépagement est des plus variés fait. Parmi tous les cépages mentionnés, À la sortie de la première guerre mondiale, des plus favorables à leur développement. en variétés blanches, roses et noires». le cépage Roussane, ou Bergeron, ou en- lors de l’assemblée générale de la Société C’est surtout en vue d’arriver à soutenir - Chez l’Abbé Poingt à St Georges d’Hur- core Barbin, associé aujourd’hui aux vins d’agriculture, le 8 février 1919, le secré- la lutte plus facilement, que beaucoup de tières : Mondeuse, Grand-Noir, Jacquère, réputés de Chignin, n’est que très peu taire-trésorier, M. Cadoret, directeur des personnes se demandent s’il ne convient Gamay-Teinturier, Fréau, Mourot, Chas- souvent mentionné : Services agricoles, prend la parole avec selas blancs et roses, Madeleine royale comme sujet la “Situation agricole de la pas de faire une place large aux produc- - une fois à propos de l’exposition de vins - Chez Phillipe Michel, au Clos de Saint- Savoie après les années de guerre”. Ses teurs directs américains plus robustes de Savoie à l’exposition internationale de Sébastien à Conflans (Roussette haute, propos pour ce qui concerne la viticulture dans tous les milieux où l’on ne vise pas à Lyon, en 1872, avec la mention de “ Chardonnay, Syrrah, Bergeron.” Rous- fixent sans doute l’évolution de la viticul- la production de vins de qualité. Le jury, ”, associée aux vins sanne de l’Ermitage ture pour de nombreuses années. sans vouloir prendre parti dans l’orien- secs de Chignin, Villard-d’Héry, aux vins tation à donner à la viticulture nouvelle Même diversité, un an plus tard, lors de doux de Côte-Rouge, de Montmélian, “ de la Savoie, mais ayant été agréablement la visite des vignes des candidats au La vigne a certainement plus souffert de - une fois lors du Concours de viticulture [conséquence de la guerre] impressionné par les produits qu’il a dé- Concours de La Rochette, avec un exem- l’inculture que du département de la Savoie, en 1893 : la prairie. Nombreuses sont les parcelles gusté, appelle l’attention sur la conserva- ple parmi d’autres : elle est signalée comme “Roussanne de la tion des crus réputés. affaiblies qu’il faudra reconstituer. Dans “M. Bellemin Auguste, sur la même com- Drôme”, sur le domaine de M. d’Alexan- l’avenir, le viticulteur savoyard devra li- Mais nous savons que toutes les ques- mune (de La Croix-de-la-Rochette) et lieu dry, maire de Chambéry, à Villard d’Héry. miter le nombre de ses cépages pour ob- tions viticoles et particulièrement celle dit «aux Côtes Rouges», a reconstitué un - dans le rapport général du concours de tenir les hauts rendements qui abaissent des porte-greffes, des greffons s’adaptant vignoble d’un hectare environ à raison viticulture de Savoie de 1895, le prix de revient. La Savoie possède en aux diverses régions, sont étudiées avec d’un tiers par année. Les ceps ont 4, 5 et - une fois à l’occasion du concours effet, quelques plants absolument remar- soin dans votre pépinière départementale, 6 années de plantation. La moitié du vi- agricole régional de 1912, signalée à quables s’adaptant très bien à tout le dé- vaste champ d’expériences, et dans diver- gnoble est en raisins blancs et l’autre moi- Conflans, au clos Saint Sébastien. partement.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 87 La Mondeuse doit former la base de tous taires de vins de nos premiers crus. les encépagements à vins rouges et la Jac- M. le marquis de la Serraz fait remarquer quère se substituer à tous les plants à vins qu’il y a non moins d’intérêt à attirer, blancs dans toute la zone moyenne. Dans et qu’il faut s’attacher surtout à présen- les plaines cependant, on aura recours ter des échantillons de vins qui peuvent avec succès aux hybrides qui résistent être offerts au commerce en une certaine aux maladies et qui, sulfités, débourbés et quantité, comme ceux de la Chautagne, levurés, donnent de bons vins de table et de la Combe de Savoie, etc.. On devrait de commerce. En Savoie, le vin blanc ne envoyer également des vins de treille ; ces sera jamais concurrencé par les vins du vins sont très abondants et l’on pourrait Midi. Aussi la viticulture doit s’orienter certainement en tirer un parti commer- de ce côté avec encépagement de deux tiers cial, d’après M. de la Serraz. en Jacquère.” M. Falcoz émet le vœu que l’Exposition Les orientations préconisées par M. Ca- proprement dite soit complétée par une doret parachèvent la fin de la vieille vi- notice statistique soignée et complète, sur ticulture routinière et préparent le terrain la situation et la production de tous les vi- du productivisme agricole des années gnobles. Tout le monde admet la nécessité futures. Intention ou coïncidence, l’article de cette notice, et il est répondu qu’elle entre du Bulletin de ce mois de février 1919, d’ailleurs dans le programme de qui suit immédiatement (page suivante) divers travaux, de la rédaction des- quels ont été chargés dans la séance le compte rendu de l’assemblée générale est consacré à “L’Agriculture industriel- précédente MM. Perrier de la Bâthie, le”. Denarié, Hollande, Parent et Villeneuve. M. Gavard dit que le Beaujolais livre des vins forts jolis, à 60 francs la pièce, qui 2.5.2. Les Vins font une concurrence sérieuse aux vins de la Savoie ; qu’il faut profiter de l’occasion Compte tenu des enjeux commerciaux qu’offre l’Exposition pour combattre cette de plus en plus tendus au fur et à mesure concurrence dans la mesure du possible. que la reconstitution du vignoble pro- D’après M. Falcoz, on ne peut guère comp- gresse et que le volume de production ter sur le débouché de Paris où les vins de retrouve des niveaux “corrects”, la qualité Savoie arrivent aplatis, tout en coutant du vin reste un élément déterminant, qui fort cher. M. Gouvert, son gendre, achète conduit la Société centrale à poursuivre à 35 francs, pour Paris, des vins à 12° ; or les “expositions” de vins de Savoie pour en Savoie, on est obligé de payer 40 francs en faire la promotion. Mais une fois de des vins qui n’accusent que 8 °. plus le dilemme entre quantité et quantité resurgit. M. Denarié pense que l’on ne doit pas se décourager au point de vue de l’extension “M. le président propose [lors de la séan- des débouchés ; il est arrivé, lui, en effet, à ce du 5 novembre 1898] de continuer à vendre tous ses vins de 1898 à Paris, et au discuter les conditions à imposer aux viti- prix de 40 francs. culteurs qui seront admis à prendre part à l’exposition collective des vins de la Sa- voie. M. Falcoz est d’avis de ne pas accepter tous les vins, et dit que l’on doit surtout ne pas négliger de faire appel aux proprié-

88 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Finalement, il est convenu que l’on divi- Dans la deuxième série, les Marétel et d’autant plus qu’elle avoisinait celle des “Vous avez, Messieurs, présentes à la sera l’Exposition collective de la Savoie en petite Sainte-Marie dominant, et dans crus célèbres des Côtes du Rhône. Les pro- mémoire les déplorables conditions dans 5 classes, comprenant vins vieux et vins la troisième, la Jacquère, la grosse Sain- priétaires de ces derniers crus, d’ailleurs lesquelles s’est trouvée la viticulture en jeunes de vignes, et dont 2 pour les vins te-Marie, le Crépy et le Meslier. De nom- excellents, n’ignorent pas l’importance 1909 et 1910. Les étés pluvieux et froids blancs et 2 pour les vins rouges, plus 1 breux prix supplémentaires ont du être de la mise en scène et leurs flacons ver- n’ont pas permis à la vigne de mûrir ses classe pour les vins de treilles. accordés dans cette catégorie. meils, abondamment décorés d’étiquet- bois et ses fruits, la lutte contre le mildiou Il est entendu que les échantillons d’eaux tes rutilantes, étaient offerts à la clien- a été vaine, les ravages de la cochylis ont de vie seront annexés à la dite exhibi- Parmi les vins rouges, la Mondeuse tient tèle par d’aimables dames, ce qui ne gâte pris la proportion d’un désastre. Les vi- tion.” le premier rang ; mais, dans la deuxième rien. Nos vins de Savoie, avec leur aspect gnerons, impuissants à défendre le prix série des mélanges de Persan, Douce-Noi- honnête, parfois un peu trouble, ont par de leur travail, se sont laissés aller, pour re et Mondeuse, en vieilles vignes ont été Pour stimuler l’émulation vers la qualité ” leurs qualités propres, retenu l’attention la plupart, à un profond découragement. très remarqués. de plus d’un acheteur et nous croyons sa- poursuit l’organisation de “Concours des C’était donc le moment, ou jamais, pour vins”, comme celui organisé en 1906 et voir que quelques affaires ont été traitées Dans cette recherche de qualité, la So- la Société Centrale d’Agriculture de s’in- dont M. Laurent, professeur d’agricultu- à des prix avantageux. Il s’agit unique- ciété dispose d’outils nouveaux. téresser à ces braves gens et de les encou- re, fait le rapport . ment de vins de la Savoie avantageuse- ment connus en dehors du département.” rager. “ Si vous parcourez nos annales, vous ver- “La palme des vins rouges, comme des M. Laurent appelle l’attention de la Société [en 1905] sur l’offre gracieuse de rez que, depuis sa création, notre Société blancs, revient cette année à un vigno- Nouvelle participation de la Savoie à a toujours aidé par ses conseils, soutenu, ble de Cruet, à Lourdin. Le vin blanc de la station œnologique de Bourgogne, à Beaune, d’effectuer gratuitement chaque l’Exposition des vins à Lyon de 1911, dans la mesure de ses moyens, la culture Lourdin (Bergeron) est particulièrement que la “Chronique agricole” du Bulle- de la vigne, la production du vin, cette remarquable par son liquoreux et son titre année une série d’analyses complètes de vins-types des principaux vignobles de la tin de la Société centrale résume ainsi : richesse de notre pays qui s’ajoute à tant alcoolique qui atteint 14°3. Nous avons d’autres et qui les surpasse toutes quel- entendu dire que l’échantillon exposé rap- Savoie dans un but scientifique d’intérêt “Nous avons remarqué avec plai- général.” quefois. pelait les meilleures années du célèbre vin sir à Lyon que les exposants de Sa- Sous les crêtes de nos montagnes peu- de Côte Rouge avant l’invasion phylloxé- voie étaient plus nombreux que plées de hêtres et des chênes qui sont rique. C’est toute justice. La ville de Lyon, avec ses expositions d’ordinaires. Mais que de progrès à réa- chargés d’alimenter la flamme de nos Le Bergeron allie à la finesse le velouté et régulières, devient un peu une vitrine liser dans la présentation de nos crus! foyers, nous devons être fiers de pou la chaleur. Tous les francs-buveurs (et ce incontournable pour les vins de Savoie, Sans doute une présentation trop soignée voir récolter des vins généreux et bien- petit péché est fréquent en Savoie) vous même si les savoyards n’ont que de pe- n’est pas désirable ; elle masque souvent faisants, qui nous donnent la force et diront qu’un excès de Bergeron, s’il don- tits moyens face à des concurrents bien la pauvre qualité du contenu ; mais en- l’excitation salutaire dont nous avons ne une gaité communicative, ne fatigue rodés à ce type d’exercice. core faut-il montrer des bouteilles nettes, besoin pour assurer le travail quotidien. pas. Il laisse « son homme » aussi dispos Ainsi est-il fait état de l’Exposition des et des étiquettes lisibles. Les exposants de- Cultivée en Savoie depuis un temps le lendemain à l’heure de son travail que vins à Lyon, de 1908. vraient être d’autant plus incités à bien immémorial, la vigne a des droits à la veille. L’on n’en saurait dire autant présenter leurs produits que nous savons notre reconnaissance : elle a contri- du Chardonnay, par exemple, tant il est “La place nous manque pour rendre comp- pertinemment qu’un certain nombre te de l’exposition de vins organisée à Lyon bué à la vigueur de notre race; aban- vrai que le vin renferme à coté de l’alcool d’entre eux ont vendu avantageusement donner son culte, ce serait dégénérer. des éthers d’une nature particulière pour les 11, 12, 13 décembre par la Société ré- leurs vins à la suite de cette exposition.” gionale de viticulture de cette ville. Certes l’épreuve de 1910 a été cruelle, chaque cépage, éthers dont les effets sur Pourtant dans cette période de renais- mais notre malheur même n’a-t-il pas fait l’appareil nerveux ou digestif sont bien Qu’il nous suffise de dire qu’elle a obtenu un succès complet. De nombreux échan- sance, la nature et ses rigueurs vient surgir une nouvelle tactique et des remè- différents pour l’intensité et la durée. cette fois compromettre les efforts ef- des qui, ayant fait leurs preuves ailleurs, Comme d’ordinaire, dans les cépages tillons avaient été apportés du Beaujolais, de la Loire, de l’Ain, du Jura, de la Côte fectués, avec les terribles années 1909 vont nous permettre d’engager la lutte blancs de la première série, les Roussettes et 1910, évoquées par M. le comte dans des conditions meilleures ? viennent en bonne place, et un vin très d’Or, de la Drôme et de la Savoie. Cette dernière exposition, faite par le Syndicat de Villeneuve, dans son rapport sur le jeune (3e feuille) de Jongieux est plein Concours de Viticulture de la Société d’avenir. Le Sémillon, le Bergeron, l’Al- des Agriculteurs, réunissait 80 bouteilles des meilleurs crus, rouges et blancs, du Centrale d’Agriculture en 1911, lu pour la tesse se partagent les suffrages et un vin distribution des récompenses, le samedi de Duchesse a même trouvé des amateurs. département. La présentation laissait un peu à désirer pour l’exposition de Savoie, 23 décembre à 2 heures de l’après midi.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 89 supposer après une saison aussi défavora- ble à la maturation. Ceux de Jacquère, de la terrible Jacquère, sont même à cet égard si riches que l’on est porté à admettre l’hypothèse d’un sucrage, très rationnel d’ailleurs dans les mauvaises années.” Les pages du bulletin de la Société cen- trale peuvent maintenant se détacher de l’urgence des réactions face au phylloxé- ra et aux maladies cryptogamiques pour se consacrer à la vinification avec des ar- ticles didactiques : - Conseils sur la vinification, - Vinification en blanc, - Traitement des tonneaux altérés.

Cépages et modes de conduite de la vigne, selon les vignobles en septembre 1912 et résultats d’analyse de la station oenologique de Beaune. Ces vins ont été très appréciés, trop appré- En organisant ce concours, mes collè- (suit une longue description de leur tour- ciés même d’un certain public, qui envahit gues et moi avions précisément la pensée née dans les vignes des concurrents = la salle d’exposition le dimanche et, faute de nous instruire à ce sujet, l’espoir de peu d’intérêt et ton entre la visite touristi- d’avoir mis de coté préalablement tous les constater des traitements efficaces et d’en que et un paternalisme condescendant.) échantillons destinés aux analyses, nous vulgariser les formules Pourtant à la veille de la première guerre avons craint à un moment de ne pouvoir Pour permettre à tous d’en profiter. Est- mondiale, le calme semble regagner le vi- faire procéder à l’étude projetée. Quel- il besoin de vous apprendre que, pour gnoble savoyard. ques échantillons ayant été sauvés, nous cette fois, nos recherches n’ont abouti avons transmis à M. Mathieu, directeur à rien de certain. Quand nous sommes Les vins de la Savoie au concours agri- de la Station œnologique de Beaune (Côte- arrivés dans les vignes, le soleil avait cole interdépartemental de Chambéry d’Or), qui, avec la plus grande amabilité, accompli son œuvre salutaire, les cham- “De nombreux exposants avaient répondu a bien voulu faire effectuer les analyses pignons et les insectes avaient disparu, de nos vins et auquel nous adressons, au les vignerons s’étaient rappelés enfin que à l’appel fait par la Société centrale d’agri- culture et avaient tenu à montrer aux vi- nom des viticulteurs, nos sincères remer- leur misère ne dure pas et qu’il faut lui ciements. imposer une indomptable espérance.“ siteurs du concours interdépartemental la grande variété de vins que produit le On verra, par le tableau ci-après, que vignoble de Savoie. les vins de 1912 ont un degré alcoolique beaucoup plus élevé qu’on aurait pu le

90 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 2.5.3. Le marché et ses crises bles sont restés en cave, sans espoir de les voir sensiblement s’améliorer par l’âge, et La viticulture savoyarde de qualité a, avec des craintes, malheureusement trop depuis toujours, été une viticulture de légitimes d’en perdre une partie. négoce, directement soumise à l’évolu- Ce fait désastreux, en 1871, pour la Sa- tion des marchés, elle-même directement voie et pour les départements qui, comme dépendante des conditions climatiques, nous, ont reçu une grande quantité de ces mais aussi du développement des capa- vins, s’est reproduit sur une moins grande cités de transport. échelle en 1872 ; il aura lieu dans les condi- Une première crise vient affecter la Sa- tions actuelles toutes les fois que l’Italie voie viticole, avant même l’attaque du sera favorisée d’une récolte abondante, phylloxéra. toutes les fois qu’une mauvaise récolte La cause en est la possibilité nouvelle élèvera assez le prix des vins pour permet- d’importation des vins italiens, liée à tre à ceux d’Italie de supporter les frais de l’ouverture du tunnel des Alpes (autre- transport de la distance qui nous sépare.” ment appelé “tunnel ferroviaire du Mont- Pourtant, le caractère inévitable de l’im- er Cenis”) inauguré le 1 mars en 1871. portation des vins italiens en France de- “ En 1871, la récolte des vins a été en Sa- vient vite une évidence, et Pierre Tochon voie, comme dans la plupart des dépar- réclamera bientôt, plutôt qu’une interdic- tements du sud-est de la France, d’une tion, une régulation du marché avec des abondance exceptionnelle. Ces vins, il droits équitables pour tous. faut le reconnaître, étaient loin de valoir “Un jour les vins de Piémont auront la leurs devanciers […]. réputation qu’ils méritent, car il y en a Cependant, l’épuisement de la récolte de d’excellents, mais on ne sait pas les faire 1870, que sa qualité avait fait rechercher et moins les conserver. de bonne heure, faisait espérer l’écoule- En résumé, nous croyons utile, dans un ment des vins de 1871, non pas comme prochain traité de commerce avec l’Italie, vins de garde, mais pour faire face aux be- de chercher à diminuer les droits de doua- soins des consommateurs. ne à l’entrée des vins français et à ne pas Ces prévisions commençaient à se réali- empêcher l’importation en France des vins ser, lorsque l’achèvement du tunnel des d’Italie, car ils sont utiles au commerce, et Alpes fournit aux vins italiens un facile certaines qualités n’ont pas leurs analogues débouché sur nos marchés. Le commerce en France, nous parlons des vins de en a profité pour nous inonder de leurs coupage. Comme le demande M. To- produits. chon, qu’on établisse des droits réci- L’Italie avait obtenu en 1871 une récol- proques, mais, dans l’intérêt même te plus abondante que la nôtre et, plus de l’agriculture française, ces droits heureuse que nous, cette faveur du ciel doivent être très minimes.” peut-on n’avait pas été en partie annihilée par lire dans un extrait de l’article de Lucien l’inclémence du temps. Fondard, d’Alessandria, Piémont, publié Les vins de la Haute-Italie, qui nous avoi- dans le Bulletin de la Société centrale. sine, se présentaient donc sur nos marchés à des prix rendus modérés par l’abondan- Les viticulteurs savoyards commencent ce, avec des qualités alcooliques et une co- à réaliser que le marché est lui aussi en loration qu’on ne trouvait pas chez les nô- train de changer, qu’une crise viticole tres ; les acheteurs les ont préférés et une commence et que, pour cela aussi, il faut grande partie des produits de nos vigno- trouver les moyens d’y remédier.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 91 “A peine la viticulture s’est-elle quelque comme une grande menace pour le vi- peu relevée grâce à de nombreux efforts, gnoble, même si les chiffres de superficie des divers fléaux qui attaquent les vigno- et de production restent assez stables : bles, que les propriétaires se voient dans la En Février 1904, la Direction générale des nécessité, ou de garder leur vin, ou de le contributions indirectes donne les chiffres vendre à des prix dérisoires. suivants relatifs au vignoble du départe- […] ment de la Savoie : Mévente des vins. Superficie cultivée : 9 942 hectares On cherchait autrefois dans le vin la fi- Production en 1902 : 232 086 hectolitres nesse, le goût, la chaleur saine et toni- Production en 1908 : 202 020 hectolitres fiante pour l’organisme. Aujourd’hui, la Moyenne des dix dernières années : classe ouvrière, qui est la grosse masse des 207 707 hectolitres consommateurs, a le palais blasé par l’al- cool d’industrie, et n’apprécie plus avec la même délicatesse. Le consommateur veut En fait, c’est la surproduction des autres que le vin ait du montant (lisez l’addition régions qui va accélérer la crise, jusqu’à d’alcool) pour impressionner le palais, et son paroxysme de 1910. la couleur noire, parce qu’il est habitué En réaction, la Société centrale d’agricul- aux gros vins d’Espagne et d’Italie. ture de la Savoie, décide, en 1905, de se […] servir de son Bulletin comme de support Dans notre département, nous avons re- publicitaire pour promouvoir la produc- marqué, à plusieurs reprises, la tendance tion des viticulteurs intéressés par cette qu’ont les propriétaires à vouloir cultiver formule inédite. Elle y imprime un “encar- des plants de vigne à grands rendements. tage à titre exceptionnel dans le Bulletin On veut trop introduire dans notre région des offres faites par les vendeurs de vins ”. des hybrides Bouschet, de l’Aramon, il est préférable de garder les variétés qui nous donnaient ce vin si agréable d’autrefois. Nous avons aussi remarqué un engoue- ment un peu trop grand pour les produc- teurs directs américains. Il ne faut pas oublier que la plupart de ces cépages don- nent une boisson détestable. […] Malgré le choix des cépages et le bon soin apporté aux vins, on peut n’obtenir que des produits médiocres et invendables, si la vigne ne se trouve pas bien expo- sée. Nous remarquons que l’on veut trop planter sans tenir compte de l’exposition du sol.”

Désormais, après le phylloxera, les condi- tions climatiques, le Mildiou et l’ouverture du tunnel des Alpes, c’est la surproduc- tion qui est perçue par les viticulteurs

92 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie BULLETIN MENSUEL Février 1905 blanc, dans la région de Yenne. la vente deviendra chaque jour plus diffi- producteurs disposant d’agents actifs Vente des Vins de Savoie – Avis . Vallée de Chambéry, peu de demandes, cile. Que notre vin reste savoisien, c'est-à- dans ces vallées, permettrait peut-être de 20 à 25 fr. l’hecto, le blanc un peu moins, dire d’une couleur moyenne, un peu rude, reconquérir ces débouchés de vente qui Pourtant la crise continue et on com- quelques uns vont de 20 à 30 fr. tranva- un peu vert, mais, grâce à cette même aci- vont se perdre ou sont déjà complètement mence à évoquer l’arrachage des vignes, sés. dité, clair et brillant dans sa jeunesse, fin perdus, car rien ne se modifie aussi vite même s’il ne s’agit que de rapporter la . Vallée du Gelon, 28 à 32 pour les et bouqueté dans sa vieillesse. Qu’il soit que le goût du consommateur. Mais l’es- situation dans le Midi de la France. blancs. quelqu’un et non une chose vague, neu- prit individualiste est encore plus tenace “La mévente persiste par suite de la de- . Vallée de l’Isère, 25, 27, les meilleurs 30 tre, sans caractère. Ce vin là est encore chez le vigneron que chez le laboureur.” mande restreinte des acheteurs et de l’offre, ou 32. Quelques grosses caves se sont déjà heureusement produit en abondance en La colère monte chez les viticulteurs et la par tous les marchands, de vins du Midi à vendues vers Albertville à 0,55 ou même Savoie. Il remplit bien des foudres. C’est mobilisation s’organise. On approche de des prix très bas. Cependant dans leur en- 0,60 les 2 litres. avec lui qu’il faut reconquérir le débouché la funeste année 1907 et de ses émeutes semble les vins de Savoie sont bons cette . Basse Maurienne, 30 à 35 tout naturel de nos vins dans l’Albanais, viticoles. La réunion viticole de Lyon té- année et l’on peut prévoir une hausse, car . Haute Maurienne, Saint-Julien et Saint- les Bauges, les Entremont, la Maurienne moigne de cette tension grandissante. les affaires reprennent quelque activité Michel : le vin du pays, assez rare, s’écou- et la Tarentaise, que nous avons laissé dans le Midi. Or, c’est le Midi qui règle le à 45 et même 50 fr l’hecto. perdre. “La réunion provoquée par la Société ré- . Tarentaise, Aigueblanche : le prix se le cours de nos vins. Le lot des vins faibles Faisons aussi le nécessaire pour faciliter gionale de viticulture de Lyon dans cette commence à s’y épuiser et la concurrence maintient à 45 fr.. ville le 23 décembre 1906 avait groupé plus Comme d’ordinaire les prix s’élèvent, à les achats. Si le Midi nous envahit, le ton- qui jusqu’ici se trouvait à Montpellier ; neau, le fût perdu et les tarifs réduits du de 1 500 viticulteurs. Ce fut une réunion Béziers, etc., des vins ordinaires entre 10 mesure que l’on s’élève aussi dans les val- un peu plus houleuse où l’état critique de lées.” P.L.M. y sont pour beaucoup. Le vendeur et 20 francs l’hectolitre, élève son offre envoie aussi volontiers des échantillons. la viticulture dans quelques régions s’est entre 5 et 10 francs. Les cours se raffer- Inspirons-nous de ces pratiques dans la traduit par des propositions énergiques missent et il est possible qu’ils montent La vente des vins de Savoie continue au qui ont fréquemment reçu l’approbation mesure du possible. Soyons aussi com- ” peu à peu, comme on l’a constaté en 1901 long de l’année 1905 à tenir la une du merçants qu’on peut l’être dans la bonne d’un public surexcité. et 1902. Toutefois, ceci dépend des appa- Bulletin. acceptation du mot.“ rences de la prochaine récolte et des gelées Durant l’année 1908, tout semble se “ printanières. La vérité est que les caves restent pleines. liguer contre la viticulture savoyarde. La […] [l’auteur cite les propos d’un de ses Pas de changement notable en 1906, la Si nos vignerons n’usent pas, comme ils le desserte ferroviaire de la Tarentaise et de amis à Béziers ] : devraient, des facilités offertes par le Bul- situation du marché du vin n’évolue guè- re. la Maurienne permet un acheminement - Le meilleur remède immédiat serait la letin (l’encartage), c’est qu’ils n’ont pas massif des vins du Midi. Le vin de Savoie distillation d’une partie de la récolte. Il y l’habitude, qu’ils attendent que d’autres “ se trouve privé, faute de moyens, de son aient commencé et que l’initiative leur fait La mévente des vins se perpétue. On ar- a un remède préventif : arrachage d’une rive, dans le bassin de Chambéry, à pra- marché “naturel”, au moment même où partie des plaines. Personne ne veut défaut. Imbus de craintes chimériques, ou la récolte est en quantité exceptionnelle, d’un faux esprit d’amour-propre, ils hési- tiquer dans le commerce du vin local des commencer. En ce qui me concerne, j’ai prix inconnus jusqu’ici et à peine supé- comme l’indique le point sur la “Situation arraché quelques hectares pour faire mes tent à traiter leurs affaires au grand jour. des cultures”, dans le Bulletin du mois Or, pour vivre, pour lutter contre les pro- rieurs à ceux du Midi. Pour peu que cela fourrages et de l’avoine. La polyculture a dure on pourra dire avec M. Costa que de septembre. du bon.- ducteurs du Midi qui nous inondent de leurs réclames et ensuite de leurs vins, il «si la Savoie a beaucoup de vignes, c’est “ Nous n’en sommes pas encore là en Sa- peut-être une des plus grandes causes de Les tonneaux si chers en ce moment, une voie et espérons n’être pas réduits à pa- faut employer des procédés analogues ; fois pleins, reste la question de la vente l’agriculteur doit de plus prendre de plus sa misère». Il est vrai que cette réflexion reille extrémité. Ceci confirme cet adage est suggérée à l’auteur non par la mévente qui ne s’était pas posée en 1907. Il sera populaire très vrai dans une région où la en plus l’esprit commercial et se préoccu- peu facile, même à un prix faible, d’écou- per non pas tant de la production mais de des vins, peu connue à cette époque, mais viticulture est aléatoire, que l’on ne doit par ce fait que «quand le vin abonde on ler la récolte. Quoique les opinions sur la pas avoir «tous ses œufs dans le même pa- la vente. récolte méridionale soient diverses, nous […] s’y accoutume…» […] Il monte chaque nier». […] jour dans la vallée de Bourg-St-Maurice pouvons prévoir une concurrence active Voici les cours pratiqués en Savoie au Dans la lutte avec le Midi, nous suc- des vins du Midi. Le trafic habituel de la comberons pour la quantité et le prix de une centaine d’hectolitres de vin, dont pas commencement de février : un seul vin de Savoie. Pendant ce temps, vendange dont on expédie les wagons en . Les cantons du Guiers, achats rares, en- revient à l’hectolitre. Si nous offrons au Maurienne et en Tarentaise, a commencé, consommateur une sorte de vin du Midi, nos vignerons attendent chez eux le client viron 40 fr. la pièce de 225 litres, rouge ou rare et difficile. Une union de vignerons et plus d’un vigneron en Savoie serait

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 93 heureux d’écouler ainsi sa récolte. C’est blancs, 30 fr. la pièce de 225 litres ; maintenant qu’une association puissante, - Saint-Béron, très bonne ; disposant de capitaux et d’agents com- - Bourget-du-Lac, récolte exceptionnelle, merciaux dans les vallées de la Savoie et vins blancs 20 à 35 fr. l’hecto ; de la Haute-Savoie qui sont les débouchés - très bonne récolte à Saint-Alban (20 fr. normaux de nos vins, rendrait services. Il l’hecto), à La ravoire ; ne faut cesser de le répéter : le viticulteur - à Saint-Jean-de-la-Porte, très belles ven- doit aujourd’hui se doubler d’un commer- danges faites dans d’excellentes condi- çant. Il doit employer des procédés com- tions, 20 fr l’hecto ; merciaux pour écouler sa marchandise - Chamoux, très bonne récolte, 1 hecto à au lieu d’attendre l’acheteur en devisant l’are ; prix très faibles au pressoir par dé- dans son cellier. Il est nécessaire de rom- faut de vases vinaires ; pre complètement avec cette ancienne - Cevins, récolte abondante, qualité pas- habitude. Le consommateur, sollicité sur sable ; place de tous côtés, donne sa clientèle au - Feissons-sur-Isère, Aigueblanche, récol- voyageur de commerce, au marchand de te superbe, défaut de futailles, vente sur vins qui offre, présente, fait déguster, in- pied 11 à 13 fr. les 100 kilos, prix moyen siste, et finalement enlève le marché. 25 fr. l’hecto ; Il y a loin de là évidemment aux habitudes - Brides-les-Bains, vin abondant, de bon- familiales du vigneron de Savoie ; mais la ne qualité ; vente du produit obtenu avec tant de pei- - Aiton, récolte très abondante, manque ne est aujourd’hui à ce prix.” de futaille, 15 à 20 fr. – Saint-Julien-de-Maurienne, les plants Cette situation très préoccupante est nouveaux commencent à donner, 30 à 40 précisée dans l’“Appréciation des ré- fr. l’hecto ; coltes en 1908” du même Bulletin. Il y a - La Chambre, très bonne récolte, 30 fr. beaucoup de vin, mais de piètre qualité. l’hecto. Les prix ont une tendance nette à la hausse. “ Vignes Dans beaucoup d’endroits, le manque La récolte a été partout au-dessus de la de futaille a obligé le vigneron à vendre moyenne ; les vendanges faites en septem- précipitamment, ce qui a occasionné une bre par un temps pluvieux ne donnent baisse momentanée.” qu’un vin de qualité passable; les vigne- rons qui ont attendu le mois d’octobre ont eu qualité et quantité. En 1910-1911, la crise viticole gagne Les prix des vins ne sont pas encore éta- bel et bien la Savoie en même temps blis définitivement ; que le reste de la France viticole, avec - Albens, 15 à 20 fr. l’hecto ; une acuité considérablement accrue par - Aix, grande quantité; de terribles conditions climatiques et le - Serrières, vin très abondant : vins rou- ravage des maladies. ges, 16 à 20 fr. ; - Yenne, quantité de raisins, vendanges bien effectuées parce que tardives, altesse et marétel bien réussis ; vin vieux, 40 à 45 fr la pièce de 225 liy. ; cours des nouveaux à peine établi, 25 à 30 fr. la pièce ; - , très bonne récolte : vins

94 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie Le gouvernement vote une aide excep- Vingt ans plus tard, la situation, sans tionnelle pour le secours aux viticulteurs. surprise, ne s’est pas améliorée. Ce Dans un procès verbal des réunions de sont cette fois les années de la Grande la Commission départementale de répar- dépression de 1929, qui touche tous les tition, l’annonce ainsi. secteurs de l’économie et de l’agricul- ture. “Une somme de 70 000 francs a été al- louée à la Savoie sur le crédit de 5 millions voté récemment par le Parlement comme M. Fernex de Mongex, qui vient d’être élu secours aux viticulteurs si éprouvés en président et lit le passage d’un article de 1910. […] journal qu’il venait de trouver, s'adresse Les sommes allouées ne constituent pas ainsi aux membres de ce qui est devenu uniquement un secours. Elles ont pour maintenant la Chambre départementale but de faciliter le traitement des maladies d’agriculture de la Savoie récemment cryptogamiques et la lutte contre les in- mise en place en mai 1927, en remplace- sectes nuisibles en 1911, d’engager les vi- ment de l’ancienne Société d’agriculture. ticulteurs à faire tous les efforts nécessai- “ res pour mener à bien la récolte future.” Il n’y a pas qu’une crise du vin. Il y a une crise générale agricole qui atteint avec le vin, le blé, le sucre, les pommes de Les vendanges de l’année suivante (1912) terre, l’alcool et les matières premières. ne viennent pas inverser cette pente fâ- La crise étant générale ne peut être réglée cheuse. que par des procédés qui tiendront compte “ des convenances des divers intérêts de la Septembre, mois des vendanges, fut gra- culture et qui n’en sacrifieront aucun. tifié d’un temps sec, peu propice à la ma- C’est bien et même très bien de venir au turation des grappes. Une bise aigre et secours du vin, mais pour Dieu ! Faisons persistante laisse au début d’octobre nos en sorte que ce secours n’ait pas comme raisins à peine «tournés» et les brumes de contre-partie le sacrifice de la betterave. Il la première quinzaine d’octobre ne per- ne faut pas dire la betterave ou le vin ; il mettant pas de rattraper le temps perdu. faut dire : la betterave et le vin ; il ne faut On se décide, à regret, à vendanger de pas dire non plus, vins du Languedoc ou crainte des chutes de neige ou des gelées vin d’Algérie, mais bien : vins du Langue- précoces. Dans les vignes pourvues de doc et vins d’Algérie. On emploie la pre- leur feuillage, et bien défendues des mala- mière formule parceque le problème n’est dies cryptogamiques, le vin sera passable, examiné qu’à la lumière des petits intérêts mais la récolte est très irrégulière par suite particuliers. Résultat ; tout le monde est de la coulure printanière. Par contre on se mécontent. Mais si le problème était exa- demande si il ne sera pas indispensable de miné du point de vue de l’intérêt national, procéder à des coupages pour les vins de on aurait tôt fait de trouver une solution treillages, dans les coteaux élevés, surtout qui contenterait tout le monde.” pour la récolte des vignes défeuillées dès septembre. Après de bons débuts, l’année Il convient de souligner l’ampleur du “pro- viticole en Savoie se termine en général blème algérien”. Dans l’année et demi ” médiocrement. qui précédait 1930, 45 000 ha de vignes avaient été plantés en Algérie ; en 30 ans, 120 000 hectares y avaient été plantés.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 95 2.5.6. Les enjeux fonciers celui-ci est dans le domaine depuis 1858 gnoble, mettre en lumière la fragilité d’un péries, je trouve que le vigneron, à la fin et fermier depuis 1863 ; son dernier bail, système qui s’était finalement perpétué de la dixième année après la plantation, se Au fil de la lecture des Bulletins de la So- daté de 1869, est conclu pour 20 ans ; depuis la féodalité. trouve à peu près payé de ses déboursés et ciété d’agriculture, la spécificité foncière nous avons donc à compter avec un fer- “ travaux ; s’il fait des bénéfices à partir de du vignoble de qualité transparaît et avec mier à long terme. En Savoie, où les propriétaires et vigne- cette date. elle, ses incidences sur l’évolution de sa […] Les vignes sont cultivées, soit direc- rons sont généralement associés dans la De ce que je viens d’expliquer on peut gestion. tement par ouvriers, soit par vignerons ; création et l’exploitation du vignoble, les tirer la conclusion suivante : Dans toute ces derniers reçoivent pour leur travail les rapports entre les deux parties sont d’or- exploitation agricole faites un bail fixant Ce qui apparaît au départ comme une dinaires empreints d’une grande cordia- caractéristique “historique” purement deux cinquièmes de la vendange. les devoirs et les droits de chacune des Le travail des vignes est estimé par le fer- lité dont on doit vivement désirer le main- deux parties et toutes les difficultés seront “technique”, va, avec la pandémie phyl- tien. loxérique, se révéler être un problème mier du Betton à 240 francs par hectare. presque évitées.” M. Pachoud est certainement un des viti- Des difficultés peuvent cependant surgir majeur pour la pérennité même du vigno- lorsqu’il n’y a pas de contrat écrit. Pres- ble. culteurs les plus sérieux du département, En réponse à cette intervention une autre un de ceux dont les vignes sont les mieux que partout dans nos régions on s’en est Lorsque le phylloxéra n’a encore fait que tenu à des accords verbaux, et ceci peut contribution au débat donnant des re- cultivées ; il est cependant encore bien commandations pour les précisions à frapper à la porte de la Savoie, le rapport loin, à en juger par le coût du travail par présenter des inconvénients lorsque le des visites faites pour la prime d’hon- vigneron, après la destruction des vignes intégrer dans les baux, qui en règle géné- hectare, de faire pour l’exploitation de son rale n’étaient que verbaux. neur, les prix culturaux et les médailles vignoble les dépenses de culture que la vi- par le phylloxéra, a reconstitué le vigno- de spécialité décernés lors du Concours ble. En cas de vente par le propriétaire, Mais le ton de l’auteur qui reste anony- gne demande, si l’on veut la forcer à pro- me, un certain B., propriétaire, est très régional agricole de Chambéry (1879), duire son maximum de rendement. la situation est loin d’être nette. C’est donne l’image de rapports apaisés entre sur un cas de ce genre que, récemment, polémique. L’article se termine ainsi, en Sans aller bien loin, sans sortir de Savoie, indiquant au passage un des principaux propriétaires et “vignerons” (métayers ou nous voyons en effet dans le bassin du les Tribunaux de Chambéry étaient ap- fermiers). Ceci parait notamment être le pelés à statuer. Nous nous proposons un effets de la reconstitution du vignoble, Léman, par exemple, dans l’arrondisse- une révolution foncière qui parachève la cas sur le domaine du Betton (superficie ment de Saint-Julien (Haute-Savoie), la point de vue général, en laissant de coté totale = 62 hectares), commune du Bet- toute personnalité sur cette question très transformation du vignoble de qualité en culture de la vigne exiger un débours de Savoie : ton-Bettonnet, exploité par M. Pachoud, 650 francs par hectare en simple main- intéressante au sujet de laquelle nous ac- fermier à prix d’argent (fermage “classi- d’œuvre. cueillerons alors, volontiers, toutes les “ opinions.” Qui a changé ? Le propriétaire ou le vi- que”), qui a massivement investi pour dé- Nous ne voulons pas entrer dans les dé- gneron, ou tous les deux ? Je ne veux pas velopper l’exploitation. tails, mais nous citerons un seul terme discuter la chose. Je constaterai seulement “La grosse ressource du Betton consiste de comparaison : le travail des femmes Compte tenu de l’origine sociale des que de tous côtés vous voyez le proprié- dans son vignoble, soit 12 hectares 50 consistant dans l’effeuillage, l’attachage, membres de la Société d’agriculture, le taire ne cultivant point de ses mains ven- ares de vignes vieilles, adultes et jeunes, le relevage et le pinçage de la vigne, est ton du Bulletin reste très retenu sur ce dre ses terres et ses vignes, et le paysan, cépage de mondeuse, implantées dans une compté chez nous à plus de 200 fr. par sujet très sensible. La série d’articles fermier ou vigneron, acheter les unes et terre profonde et dans une exposition pro- hectare, tandis qu’au Betton, M. Pachoud “Propriétaires et vignerons” prend le les autres. Ne serait-ce donc pas juste de pice. ne le porte qu’à 50 fr. parti très prudent de donner la parole à conclure que dans cette association de pro- Ces vignes sont toutes cultivées en vignes La différence du prix de revient de cette ses lecteurs : priétaire et du vigneron, c’est au second et seule opération de détail donne un aperçu basses ; une portion notable d’entre el- “ non au premier que va la plus grosse part de l’infériorité relative de la généralité des Nous donnons ci-dessous une opinion. du gâteau ?” les, plantées en ligne dans tous les sens, Ce n’est qu’une opinion…” est-il pré- se détache avantageusement du vignoble soins de culture des vignes dans le dépar- tement de la Savoie.” cisé en préambule de numéro de février implanté, comme l’on dit, en foule ou à la 1904. volée ; l’aspect et l’examen de l’ensemble dénotent des façons de culture et de pro- Pourtant, un quart de siècle plus tard, en Sur la base d’une comparaison longue et preté bien entendues. février 1904, le sujet “Des rapports entre détaillée sur 10 ans des frais et des recet- Un fort tiers de ce vignoble a été crée par propriétaires et vignerons” fait l’objet de tes de chacun, l’auteur (un propriétaire de M. Pachoud et à ses frais. plusieurs articles du Bulletin de la Société Cognin) y donne la conclusion suivante : Disons de suite, pour expliquer cet effort d’agriculture. La crise phylloxérique vient, considérable de la part d’un fermier, que avec l’entreprise de reconstitution du vi- “Tout en ne tenant pas compte des intem-

96 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie L’article de M. Cadoret intitulé “la vinifi- qui va affecter le vignoble savoyard, le donné à la friche ou dans le meilleur des 3. Conclusion cation en blanc : au Sarto”, dans les co- faisant passer, en quelques 80 ans, de cas replanté avec des producteurs directs lonnes du premier bulletin sorti après la 17 000 à 2 600 hectares, dans une “des- et des hybrides, pour pouvoir satisfaire le L’analyse conduite dans le dernier cha- guerre mondiale de 14-18 (février 1919), cente aux enfers” aussi spectaculaire besoin en boisson de propriétaires peu pitre de cette étude a été possible grâce permet de mesurer ce changement de qu’inéluctable ; déclin à replacer, il faut exigeants sur la qualité d’une “piquette” à l’existence d’un fonds documentaire ton envers le “ ”. le souligner, dans le contexte d’une dé- qu’on peut encore “déguster” aujourd’hui exceptionnel : les Bulletins de la Société bon vigneron savoyard prise agraire généralisée. En effet, durant sur quelques communes de Tarentaise et centrale d’agriculture de la Savoie. “ Le progrès, qu’on le veuille ou non, pénè- cette même période en Savoie, sur l’en- de Maurienne. Ces documents auront permis de couvrir tre partout. Le Sarto lui-même, ce lieu sa- semble des deux départements, la forêt a Pour ce qui est du vignoble, qualifié une période décisive pour la viticulture cré où le bon vigneron savoyard va noyer vu sa superficie croître d’environ 130 000 aujourd’hui par le terme de “qualité”, savoyarde, celle s’étendant de la pandé- ses chagrins les jours de deuil, mais où, hectares, qui, englobent, pour partie, les c'est-à-dire le vignoble ayant depuis le mie phylloxérique à la fin de la première par contre il reçoit les amis les jours de quelque 14 000 hectares abandonnés par Moyen Âge une vocation commerciale af- guerre mondiale. bonheur, est aujourd’hui inondé de pro- la viticulture. grès. Des expériences admirablement bien firmée et des liens directs avec le négoce Mais à partir des années 1930, période conduites par notre excellent ami M. Seys- C’est en fait la conjonction d’une série de local ou d’exportation, l’ambigüité des qui marque le passage de la Société à la sel, maire d’Apremont, lui permettront de facteurs qui va entraîner le vignoble sa- rapports entre propriétaires et vignerons Chambre d’agriculture (en 1927), les pu- faire déguster à ses amis et visiteurs un voyard sur cette pente fatale. va être un obstacle majeur à sa reconsti- blications changent de nature pour de- tution : les vignerons, forts de l’absence vin sans pareil, vin de cristal où corps, Il n’est pas inutile de rappeler ce qu’était venir un “simple” moyen de diffusion des de baux écrits vont le plus souvent refu- mâche, finesse et bouquet se trouvent réu- la viticulture savoyarde à l’apogée de son comptes rendus des réunions statutaires ser de partager les lourds frais de replan- nis, comme dans un nectar préparé pour développement, dans la première moitié de la structure (assemblées générales, tation. Nombre de propriétaires sont ainsi des dieux. du 19e siècle : un vignoble très étendu, contraints d’abandonner leurs vignes à conseils d’administration, etc.). Le miracle réalisé est à la portée de tous mais au rendement faible (25 hectolitres la friche, au moment où de toute façon les amis du progrès. M. Seyssel a simple- par hectares) ; renouvelé pour sa quasi- Leur exploitation n’est plus véritablement ils commencent à se désintéresser de la ment : totalité par le provignage qui faisait peu possible pour une analyse géo-historique 1° Vendangé tardivement ; terre. de la viticulture, d’autant qu’à l’approche de cas de l’encépagement ; avec une 2° Pressé et sulfité immédiatement le diversité de cépages qui se retrouvaient Pour accentuer les difficultés, la recons- de la seconde guerre mondiale les men- moût à 12 grammes par hectolitres ; tions, sans même parler d’articles dignes mélangés dans les parcelles et ensuite titution va intervenir au plus fort d’une 3° Enlevé les lies de débourbage ; dans les cuves et les tonneaux ; possédé, la Grande Crise viticole du début du 20e de ce nom, abordant la viticulture devien- 4° Réalisé la fermentation en apportant nent pratiquement inexistantes. pour ce qui était des secteurs voués à la siècle, au plus fort de la surproduction des levures de Chablis (les levures de qualité et au commerce, par l’aristocratie des grandes régions viticoles du Midi qui De plus, il faut le souligner, à partir des an- Champagne-Verzenay sont supérieures) ; et la bourgeoisie urbaine, qui employaient avaient commencé, elles, plus tôt la re- nées 1920, dans les pages du “Bulletin” 5° Pratiqué une bonne aération pour per- pour son exploitation métayers (à “ constitution de leur vignobles, mais aussi mettre aux levures d’effectuer un travail demi de ce qui était encore la Société centrale fruit”) et ouvriers agricoles ; le reste, à quant allait arriver sur le marché local du d’agriculture de la Savoie, le ton employé parfait ; savoir les secteurs d’autoconsommation, vin italien pouvant être commodément pour aborder la viticulture, notamment 6° Soutiré une seule fois. se trouvant émietté en une kyrielle de mi- acheminé en Savoie par le nouveau tun- sous la plume du secrétaire général, A. Le vin obtenu est parfait. er nuscules parcelles. nel des Alpes, en même temps que du vin Cadoret, qui rédige presque tous les arti- Pour un 1 essai, M. Seyssel a réalisé un d’Algérie qui comme celui du Midi profi- C’est un vignoble dans cet état de “rou- cles, devient très condescendant. coup de maître qui va faire école ! Nos tait du développement du réseau ferré tine” que viennent tour à tour, dans la se- félicitations à M. Seyssel, bon vigneron, pour être vendu dans les vallées savoyar- Quelque chose a changé : le Bulletin n’est conde moitié du 19e siècle, frapper l’oï- artiste de son métier et ami de la science, des (Tarentaise, Maurienne etc.). définitivement plus l’outil de mobilisation attendu que cette dernière a forcé d’une dium, le phylloxéra, et le mildiew suivi du et de formation qu’il était jadis, fait par et façon élégante la porte de son “Sarto.” Black rot. Quand survient la première guerre mon- pour les acteurs de la viticulture savoyar- diale, le conflit vient faucher les bras in- Le vignoble d’autoconsommation, qui de, même si ceux qui avaient la parole dispensables aux propriétaires (souvent Un résultat essentiel de l’analyse, condui- occupe les secteurs les plus élevés, est, dans ces pages, étaient pour l’essentiel décimés eux aussi sur les champs de te dans ce dernier chapitre, est sans dou- bien que dernier frappé, le plus dure- les propriétaires fonciers, élite éclairée de bataille) pour replanter leurs vignobles. Il te celui d’offrir des indications donnant à ment touché. Faute de moyens pour être l’agriculture de l’époque. décime en même temps les vignerons et comprendre l’incroyable déprise viticole convenablement reconstitué, il est aban- les paysans susceptibles de racheter les

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 97 parcelles de vigne “abandonnées” par les de la Savoie à Vinexpo 2013, organisa- propriétaires et leurs anciens vignerons. tion du 40e anniversaire de l’A.O.C. vin de Savoie, salon des vins de montagne À peine le bruit du canon étouffé, qu’une de Chambéry, etc.) et les manifestations autre catastrophe se profile, la Grande ou événements dont portait témoignage Crise économique de 1929 qui vient af- le Bulletin de la Société centrale d’agri- fecter directement l’ensemble de l’agri- culture de la Savoie (participation des culture, sans oublier la viticulture qui vins de Savoie à l’Exposition Universelle connaît à nouveau une crise viticole sans de Paris, exposition de vins de Savoie à précédent. Elle aura pour conséquence l’exposition internationale de Lyon, or- la mise en place en 1935 des premières ganisation des concours de viticulture à A.O.C. viticoles, attribuées, 38 ans plus Chambéry, etc.)? tard, aux vignobles savoyards ayant sur- vécu à cette terrible épopée. Comment ne pas faire le parallèle entre l’intérêt actuel pour les anciens cépages Ces quelques épisodes, sans même évo- savoyards avec la création des vignobles quer ceux des siècles précédents, mon- conservatoires du projet européen Vin’alp trent avec évidence que la viticulture est, et les recherches passionnées de Pierre de fait, inscrite dans le temps long. Tochon, de M. de Villeneuve, de leurs Le vignoble savoyard du début du 18e amis pour sauver les cépages menacés siècle était vraisemblablement le prolon- de disparition par le phylloxéra et mettre Statistiques sur la vigne en Savoie dans le Bulletin de la Société centrale d’agriculture (1886). gement sophistiqué du vignoble savoyard en place la pépinière départementale des du Moyen Âge, développé sous l’impul- marches ou les champs d’expérimenta- sion des comtes de Savoie. tion viticole? Le vignoble du début du XXe siècle était, Comment ne pas comparer les actions on vient de le voir, la reconstitution ou la de promotion d’aujourd’hui avec celles reconstruction sur des bases nouvelles, d’hier quand la Société centrale d’agri- mais sur les mêmes terroirs, du vieux vi- culture inaugurait (en 1905) la formule de gnoble routinier mis en ruine par le phyl- l’encart publicitaire dans son propre bul- loxéra et les maladies cryptogamiques. letin trimestriel, principalement lu par ses membres, pour l’essentiel des produc- Le vignoble d’aujourd’hui, celui du début teurs de vins? du XXIe siècle, ne peut se comprendre sans tous ses états antérieurs, puisqu’il Comment, enfin, ne pas penser à la très en est d’une certaine façon le souvenir ou actuelle menace de l’esca et aux préoc- la trace. cupations qu’elle suscite, quand on lit le récit détaillé de la lente progression du Plus encore, sans parler de répétition de phylloxéra à partir de 1878? l’histoire, il est possible de souligner des analogies frappantes dans la réaction Pour ces raisons la présente étude géo- face à des problèmes similaires. Les at- historique qui se termine avec ces der- titudes et projets d’aujourd’hui renvoient nières lignes, veut rendre accessible au en effet souvent à des épisodes déjà vu lecteur un ensemble, aussi large que ou lu dans les pages précédentes. possible, de textes et de documents de référence, qui doivent servir à mettre en Comment ne pas établir de parallèle en- perspective les démarches et actions tre ce qui a pu se passer pour le vignoble d’aujourd’hui ou de demain, au service savoyard durant les derniers mois (stand de la viticulture savoyarde. Le coteau de Marestel et le château de la Mar (Jongieux), au début du 20e siècle.

98 Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards - O.Pasquet, architecte/géographe - “VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie 4. Bibliographie (des volumes Les origines et Territoires et Stratégies) 4.1. Ouvrages généraux sur l’histoire de la viticulture :

• Bouvier M., (2001), Les saveurs du vin antique, vins d’hier, vignerons d’aujourd’hui, Errance, Paris. • Carrier N. et Mouthon F., (2010), Paysans des Alpes Les communautés montagnardes au Moyen Âge, Presse Universitaire de rennes, • Collectif, (2002), Terriers et plans-terriers du XIIIe au XVIIIe siècle, Actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Ecole des Chartes, Paris. • Collectif dir. Poux M., J.-P. Brun et M.-L. Hervé-Monteil), (2011), Le vin et la vigne dans les Trois Gaules, Gallia, CNRS Éditions, Paris. • Collectif dir. Comba R., (1990), colloque d’Alba : Vigne e vini nel Piemonte medievale, Ed. L’Arciere, Cuneo. • Collectif dir. Longhi A., (2008), Cadastres et territoires, Alinea Editrice, Turin. • Corvol A., (2002), Forêt et Vigne, Bois et Vin XVIe-XXe siècle, L’Harmattan, Paris. • Dr Crolas et Vermorel V. (1884), Guide pratique du vigneron pour l’emploi du sulfure de carbone contre le phylloxéra, Couet, Montpellier. • Dion R., (1959, 2010), Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXe siècle, CNRS Editions, Paris. • Dion R., (1990), Le paysage et la vigne, Essais de géographie historique, Bibliothèque historique Payot, Paris. • Guyot J., (1868), Étude des vignobles de France, tomes I et II, Masson, Paris. • Lachiver M., (1988), Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français, Arthème Fayard, Lille. • Moriondo G.et Vouillamoz J.F., (2011), Origine des cépages valaisans et valdôtains, L’ADN rencontre l’histoire, éd. du Belvédère, Fleurier CH. • Pitte J.-R. (sous la direction de),(2010), Le bon vin, entre terroir, savoir-faire et savoir boire, actualité de la pensée de Roger Dion, CNRS Éditions, Paris. • Pitte J.R., (2005), Le vin et le Divin, Fayard, Paris. • Planchon J-E., (1875), Les vignes américaines, leur culture, leur résistance au phylloxéra et leur avenir en europe, Delahaye, Paris. • Viala P., (1885), Les maladies de la vigne, Coulet, Montpellier.

4.2. Articles généraux sur l’histoire de la viticulture, dans les revues et les actes de colloques :

• Bouby L. et Marinval P.,(2001 et 2011), La vigne et les débuts de la viticulture en France : apports de l’archéobotanique, Gallia tomes 58 et 68, CNRS Editions, Paris. • Balouiré D., (2002), Chronique vineuse : L’Église et la viticulture, site Revue Kefas. • Guillaumet M., (2009), Bernard de Clairevaux et la volonté réformatrice, Colloque Institut Albert le Grand. • Hersant Y., (1996), Ceci est mon sang, in revue “Communications” • Marlière E., (2001), Le tonneau en Gaule romaine, revue Gallia. Tome 58.

“VIN’ALP” Action du programme Interreg IV A ALCOTRA France-Italie - O.Pasquet, architecte/géographe - Étude géo-historique du vignoble et des paysages viticoles savoyards 99 4.3. Ouvrages sur la Savoie et sa viticulture :

• Bruchet M., (1988), L’ancien cadastre de Savoie, Archives Haute-Savoie, Annecy. • Costa de Beauregard (marquis), (1774), Essai sur l’amélioration de l’agriculture dans les pays montueux et en particulier la Savoie, M.F. Gonin, Chambéry. • de Seyssel-Cressieu M., (1900), La maison de Seyssel, ses origines, sa généalogie, son histoire d’après les documents originaux, Allier frères, Grenoble. • Dessaix J., (1854) La Savoie historique, pittoresque, statistique et biographique, J.Perrin, Chambéry. • Fleury Lacoste, (1855), Nouveau manuel du vigneron, Bachet, Chambéry. • Fleury Lacoste, (1865), Guide pratique du vigneron, Ménard et Cie, Chambéry. • Guichenon S., (1778), Histoire généalogique de la royale maison de Savoie : justifiée par titres, Jean-Michel Briolo, Turin. • Guyot J., (1868), Étude des vignobles de France, tome II, Masson, Paris. • Lacoste F., (1865), Guide pratique du vigneron, Ménard et Cie, Chambéry. • Ménabra L., (1841), Les Alpes historiques, première étude Montmélian et les Alpes, Puthod, Chambéry. • Montmayeur J.B.L., (1865), Savoie et Savoyards, notes de statistiques agricoles, Moutiers. • Nicolas J.,( 1978 ), La Savoie au XVIIIe siècle, éd. Maloine, Paris. • Tochon P., (1871), Histoire de l’agriculture en Savoie depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Chambéry, 262 p.. • Tochon P. (1897), (1930), Monographie des vignes, des cépages et des vins de Savoie, Ménard, Chambéry. • Trepier abbé (1878), Le décanat de Saint-André, Mémoires de l’Académie des sciences, belles lettres et arts, 3e série, t. VI..

4.4. Articles généraux sur la Savoie et sa viticulture dans les régions voisines, dans les revues et actes de colloques :

• Aliprandi L et G., (2002), Les Alpes et les premières cartes - itinéraires au XVIe siècle, Revue de géographie alpine, Tome 90 n°3, Grenoble. • Allix A., (1923), Le trafic en Dauphiné à la fin du Moyen Âge, Revue de Géographie Alpine, tome 11, Grenoble. • Blondel L., (1929), Le port gallo-romain de Genève, Congrès du Rhône, Genève. • Bréal J.-C., (2011), La viticulture dans la partie occidentale du territoire Allobroge, Révision de quelques données archéologiques et des sources textuelles, Revue • Gallia Le vin et la vigne dans les Trois Gaules, CNRS Editions, Paris. • Dardier J. (1970), La vigne dans la Cluse de Chambéry, (Etude dactylographiée, Archives départementales de la Savoie). • Delaye D., (2009), Les péages de Pizançon et Charmagnieu : l’exemple d’une fiscalité fluviale au XVIIe et XVIIIe siècle, UPMF, Grenoble. • Dufournet P., (1968), Navigation sur le Rhône Supérieur, Actes du congrès des sociétés savantes (Comité des travaux historiques et scientifiques,C.T.H.S.). • Gex F., (1921), Albertville le port de l’Hopital, Étude de géographie urbaine, Revue de géographie alpine, Tome 9 n°1. • Gex F., (1943), La Vigne dans la Combe de Savoie, Revue de Géographie Alpine, Grenoble. • Jospin J.-P., (2005), Vicus Augusti : Aoste, Isère, Revue archéologique de Narbonnaise, Tome 38-39. • Mollo Mezzena R., (1997), L’età del Bronzo e l’età del Ferro in Valle d’Aosta, Actes du XXXe colloque de l’AFEAF, Atti, Courmayeur. • Paulus L., (1999), La vigne et le vin en Savoie (XIVe et début du XVe siècle)”, Mémoire DEA Université Lyon II. • Chanoine Perroud, (1945), La Chautagne capitale et la navigation sur le Rhône, Cahiers de Savoie, Chambéry. • Roman J., (1903), Les routes à travers les Alpes, Bull. Soc. Etudes Hautes Alpes. • Vion R., (1956), Un vignoble savoyard : la Chautagne, Revue de géographie alpine, t.44, Grenoble.

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