n°127 11 Mai 2020

La Revue Séquentielle est une sorte de revue de presse numérique non exhaustive qui aime faire les pas de côté nécessaire à la compréhension du monde qui nous entoure. De la presse traditionnelle aux éclats de voix glanésici ou là sur la toile elle tente de restituer une complexité qui nous est souvent confisquée au profit du simple et du naire.bi La pluralité des expressions et l’éclectisme des sujets abordés visent à attraper l’attention des lecteurs et contribuer à alimenter les esprits critiques face aux idées reçues. Bien entendu le contenu idéologique n’engage pas la FSU territoriale mais bien les auteurs des articles.

"Un être qui s’habitue à tout, voilà, je pense, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme. »

Fiodor M. Dostoïevski n°127 LA REVUE SEQUENTIELLE MEDIAS - TRIBUNES - TRACTS - COMMUNIQUES - INFORMATIONS JURIDIQUES & STATUTAIRES

Sciences, confiance et démocratie IR-FSU – 5 Mai 2020 « A l’occasion de la sortie d’un article de Luc Rouban dans "The conversation" que vous trouverez ci-joint. Gérard Aschieri membre du CESE pour la FSU nous a transmis l’anlyse suivante : La période que nous vivons met en lumière à la fois l’importance de la science et les débats qu’elle suscite : débats entre scientifiques, instrumentalisation par les politiques, développement de la défiance, ignorance de ce qu’est une démarche scientifique.... Ainsi est parue une enquête d’opinion où l’on demandait aux personnes interrogées si elles croyaient à l’efficacité de la Chloroquine pour le traitement du Covid 19 : 59% des personnes interrogées ont répondu oui, 20% non, seulement 21% ont répondu ne pas savoir. Comme si les résultats scientifiques étaient une question d ’opinion et non de méthode scientifique ! Cela ne manque pas d’interroger au regard de la place de la science dans notre société et dans notre démocratie. En effet le débat démocratique nécessite non seulement un socle de valeurs partagées mais aussi la reconnaissance d’une réalité commune, dans toute sa complexité, échappant aux préjugés et aux diverses visions du monde. C ’est cette question que le Conseil Economique Social et Environnemental avait traitée dans une étude publiée en janvier dernier et dont j’étais rapporteur ; la situation que nous vivons et les débats qu’elle suscite en illustrent l’actualité... » Lire la suite en cliquant sur le lien suivant : http://institut.fsu.fr/Sciences-confiance-et- democratie.html?fbclid=IwAR0m_JI6c3YFw1wUQ1jZnkWIwOVFhzx3YWuAWnU4pPNdo1FFzSE98ywB -rA

Comprendre & #09 – La revue FSU numérique du Conseil Départemental de l’Hérault Snuter34 - Avril-Mai-Juin 2020 Comprendre & Agir est la revue numérique syndicale de la FSU du conseil départemental de l’Hérault. Elle correspond à l’engagement du syndicat pris lors des élections professionnelles, celui d’informer les agents sur l’actualité sociale dans la collectivité et rendre transparente notre activité syndicale. Elle a aussi pour ambition d’engager les débats sociaux et statutaires et donner un éclairage sur leurs enjeux. La quasi-totalité du numéro 9 de Comprendre & Agir est élaboré par les agent-es du département, adhérent-es et militant-es de la section FSU du conseil départemental de l’Hérault. Nous les remercions pour cet engagement et pour ce qu’ils donnent à tous les agent-es de la collectivité. Au sommaire : Nous devons prendre nos responsabilités – Un protocole sans dialogue ? – RIFSEEP, qu’es aquo ? – Ce que dit le cahier des charges du RIFSEEP des attentes de la collectivité ? – Même partielle, contre la rémunération au mérite ! – Au conseil départemental de l’Hérault : le dialogue social victime collatérale du coronavirus – Projet de Loi 3D : attention danger ! – Actualité juridique et statutaire – PPCR – « Classe exceptionnelle » : Un examen professionnel pour les ssistanta -es socio- éducatif et éducateurs-trices de jeunes enfants – On a voté ! : on vous dit quoi et on vous explique pourquoi… – Confinement et prévention des accidents domestiques : tous concernés ! – Les assistants familiaux toujours mobilisé -es ! – Covid19 : Interview du docteur Gérard Chaouat, immunologiste, chercheur CNRS et militant FSU – Des politiques sociales restreignant ’l accès aux droits – Le tutorat des étudiants en travail social au Conseil Départemental de l’Hérault : tous concernés ! – À + dans la BUS ! – La vérité est ailleurs : Pourquoi croit-on aux infoX ? – Des Li [vres] de favoritisme : la littérature de l’engagement face à la crise du coronavirus… Lire la suite en cliquant sur le lien ou en copiant cette adresse dans la barre de recherche de votre navigateur : http:// www.snuter34fsu.fr/2020/04/30/comprendre-agir-09-avril-mai-juin-2020/

Le cri de détresse des mères isolées en confinement Bondyblog – 6 Mai 2020 « Le confinement révèle toutes les difficultés auxquelles les mères isolées sont confrontées au quotidien. Entre instabilité professionnelle, précarité et charge mentale, elles ont le sentiment d’être abandonnées des pouvoirs publics. Témoignages. Elles sont 1 530 000 en et leur nombre a presque doublé en 30 ans. Souvent confrontées à une situation professionnelle et financière instable, les mères isolées représentent aujourd’hui 84% des familles monoparentales. Elles subissent de plein fouet les effets du confinement. « J’avais réussi à trouver un équilibre, mais là tout est figé », soupire Elisabeth*, 42 ans. Il y a un an, cette cadre a dû quitter son lieu de résidence et son emploi pour fuir les violences psychologiques que lui faisait vivre son conjoint. « J’ai senti qu’on allait vers des violences physiques et j’ai voulu nous protéger, mon fils et moi. » Tous deux transitent par plusieurs logements avant de s’installer de façon plus pérenne. En recherche d’emploi, elle a dû tout arrêter du jour au lendemain pour ne se consacrer qu’à son fils âgé de deux ans... » Lire la suite en cliquant sur le lien ou en copiant cette adresse dans la barre de recherche de votre navigateur https://www.bondyblog.fr/societe/le-cri-de-detresse-des-meres-isolees-en-confinement/

n°127 LA REVUE SEQUENTIELLE MEDIAS - TRIBUNES - TRACTS - COMMUNIQUES - INFORMATIONS JURIDIQUES & STATUTAIRES

Personnes âgées: voilà la circulaire de la honte Par dominique vidal – 28 avril 2020 « À force de la chercher en vain, j'aurais fini par douter de l’existence de cette circulaire du 19 mars qu’évoquait « Le Canard enchaîné » la semaine dernière et qui inciterait les médecins à limiter l’admission en réanimation des personnes « fragiles ». Et voilà que m’est parvenu ce message d’une personne active dans un hôpital. Appelons-le Matthieu pour lui éviter un licenciement brutal. « La lecture de votre article “Euthanasie ? Non : Euthanasie !” m’a fait repenser – écrivait-il – à un document découvert sur le site de la SFAR portant sur les recommandations relatives à la “Décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19”. En lisant ce document, j'ai ressenti un réel malaise avec l'impression que chacun ne pourrait effectivement pas accéder à la réanimation faute d'un “équilibre entre les besoins médicaux et les ressources disponibles” ... Je suppose, poursuit mon correspondant, « que vous avez déjà pu lire ce document, mais je vous en laisse le lien ci -contre : https://sfar.org/download/decision-dadmission-des-patients-en-unites-de-reanimation-et-unites-de-soins-critiques-dans-un-contexte- depidemie-a-covid-19/ Quand je l’ai lu, j'ai également pensé que devoir être confronté à un tel choix pour les soignants et accompagnants de personnes âgées n'était pas normal.. » Lire la suite en cliquant sur le lien suivant : https://blogs.mediapart.fr/dominique-vidal/ blog/280420/personnes-agees-voila-la-circulaire-de-la-honte

Notre corps, nous même : manuel féministe Radio grenouille – 8 Mai 2020 « Ouvrage de référence publié en 1971 aux Etats-Unis et traduit dans plus de trente langues : Notre corps, nous même a permis à des millions de femmes d’apprendre à connaître leurs corps, à le considérer et à le défendre. Longtemps introuvable en librairie, il y a fait son grand retour le 20 février, dans une version augmentée et actualisée. Un collectif ’ d autrice a travaillé pendant trois ans, en récoltant des témoignages, en participant à des groupes de travail et en se rapprochant d’autres collectifs. Pour parvenir à une somme qui parle de désir, de masturbation, de contraception mais aussi de violences sexistes et d’auto-défense. Alors qu’une présentation du manuel féministe devait avoir lieu le 9 avril dernier à la librairie l’Hydre à milles têtes, nous avons décidé d’activer un dispositif d’entretien à distance (confinement oblige) avec deux des autrices Nina Faure et Yelena Perret... » Lire la suite et é couter l’émission en cliquant sur le lien ou en copiant cette adresse dans la barre de recherche de votre navigateur : http://www.radiogrenouille.com/actualites-2/sujets/manuel-feministe-entretien-avec-deux-autrices-de-notre-corps-nous- meme/

Les femmes seront-elles les perdantes de l'après-Covid? Slate.fr — 8 mai 2020 « Comme l'a dit je ne sais plus qui, «elles cousent, ils causent». Au début du XXe siècle, les féministes sont mobilisées depuis plusieurs années pour obtenir le droit de vote. Elles forment des groupes d'action, manifestent, troublent l'ordre public, fondent des journaux, écrivent des articles, utilisent parfois la violence. Elles arrivent à mettre la question au premier plan. Et puis, c'est la guerre. La vraie. En 1914, nombre de féministes se rallient à la grande cause nationale: il faut être unies face à la guerre. Même celles pour qui féminisme et pacifisme vont de pair décident de mettre leurs revendications en sourdine. De toute façon, on ne les écoute pas, et elles pensent que si les femmes participent à l'effort de guerre, les politiques n'auront pas d'autre choix après l'armistice que de leur accorder le droit de vote. Lire la suite en cliquant sur le lien ou en copiant cette adresse dans la barre de recherche de votre navigateur http://www.slate.fr/ story/190431/titiou-droits-egalite-femmes-homme-feminisme-apres-crise-pandemie-covid-19-changement-systeme

« Sois belle ! Garde la ligne ! Travaille ! Éduque ! » Les injonctions assourdissantes des magazines féminins Acrimed - 4 mai 2020 « Nous ne devons pas faire confiance aux magazines féminins ! [...] Ils renouvellent et recyclent sans cesse les fondements de notre aliénation de femme dans le système patriarcal, pour mieux le perpétuer tout en servant les intérêts de l’ordre économique et social. » Reparu en 2019 avec une préface de Mona Chollet, l’ouvrage Femmes-femmes sur papier glacé (1974) [1] mettait à jour la « fonction idéologique » des magazines féminins d’il y a plus de cinquante ans. Aujourd’hui, le constat tient toujours – tout particulièrement en pleine crise du coronavirus. Le confinement offre en effet un terrain d’expression inépuisable aux injonctions traditionnelles ; et l’encadrement des femmes est plus que jamais de mise. Sous couvert de promotion du « libre arbitre » et du « bien-être », les féminins n’en finissent pas de donner en spectacle une vision du monde individualiste, productiviste, en huis clos, et soumise aux normes dominantes (de genre, de classe, du tr avail, etc.). Première partie de notre meilleur du pire de la presse « féminine » Lire la suite en cliquant sur le lien ou en copiant cette adresse dans la barre de recherche de votre navigateur : https:// www.acrimed.org/Sois-belle-Garde-la-ligne-Travaille-Eduque-Les

DROIT DE RETRAIT &

Le droit de retrait : se protéger SANS se mere en faute

C’est un droit fondamental pour tout salarié, datant de 1982, implicitement lié à l’obligaon pour l’employeur de protéger ses salariés (Arcle L4121-1 du Code du Travail). Récemment aaqué par l’employeur, dans une « note » de la DGAFP (Direcon de la foncon publique ; une « note » n’a aucune valeur légale), le droit de retrait est indissociable de la noon de DGI (Danger Grave et imminent) menaçant le salarié. Aenon, c’est un droit individuel, qui s’ulise seulement à quatre condions bien précises, et dont la légimité s’évalue au cas par cas (in fine par l’Inspecteur du travail, voire le juge).

UTILISER LE DROIT DE RETRAIT : Les 4 condions à respecter (Arcles 5-6 à 5-10 du décret n°82-453)

ALERTE + GRAVE + IMMINENT + MOTIF RAISONNABLE

Si un agent a un mof raisonnable de penser qu’une situaon de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ( ainsi que toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protecon ), il le signale immédiatement à l’autorité administrave ou à son représentant, qui le consigne sur le Registre de signalement d’un Danger Grave et Imminent (DGI). Aucune sancon, aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent qui s’est reré d’une situaon de travail dont il avait un mof raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. ATTENTION !!! Les 4 passages soulignés sont impérafs ! En creux, ça veut dire qu’une sancon financière et/ou disciplinaire pourrait être prise contre un agent qui n’aurait pas respecté les quatre points suivants en même temps.

Dès qu’on pense déceler un risque, on a l’obligaon légale de le signaler à son supérieur ALERTE ? hiérarchique. On parle de « droit d’alerte », mais c’est en réalité un « devoir » d’alerte. Comment ? Le plus vite possible, et par tous les moyens ules, mais il vaut mieux qu’il y ait des traces écrites... Pas de droit de retrait sans droit d’alerte… C’est une menace directe pour la vie et la santé de l’agent, c’est à dire pouvant provoquer un DANGER GRAVE ? dommage à l’intégrité physique ou à la santé de la personne . Dans le cas du Coronavirus, le caractère éventuellement GRAVE ne fait guère de doute… mais à condion d’y être réellement exposé. Voir (de loin) une personne aeinte du Covid19 n’est pas grave en soi… DANGER IMMINENT ? C’est un danger à même de se produire dans un délai très rapproché. Ce qui veut dire que pour pouvoir percevoir ce risque, il faut être sur son lieu de travail, percevoir le risque à même de se produire, ou constater une défectuosité dans les systèmes de protecon. Chacun comprendra que ce dernier point est fondamental dans le contexte actuel. Mais cela veut dire aussi qu’on ne peut pas déclencher un droit de retrait avant de se rendre sur son lieu de travail. Un exemple : l’absence de tests de dépistage. Elle est très regreable, mais elle ne constue pas un mof de retrait. En effet suis-je protégé(e) et légime à uliser le droit de retrait si une organisaon syndicale a déclenché une « procédure d’alerte » au niveau naonal ou départemental ? ABSOLUMENT PAS . Je dois percevoir une menace imminente sur mon propre lieu de travail pour user de mon droit de retrait individuel.

Mof RAISONNABLE ? Je dois avoir des raisons valables de penser que je suis menacé par un DGI, sans que ce soit à moi d’en faire la preuve. Un exemple ? Une dalle du plafond se détache, et des poussières de fibres se répandent dans l’air. Le collègue, même s’il n’est pas spécialiste des matériaux, peut avoir un mof raisonnable de penser qu’il s’agit peut-être de fibres d’amiante. Ce n’est pas au salarié de prouver l’existence d’un DGI, mais c’est à l’employeur de prendre des mesures pour le protéger, ou de lui prouver éventuellement que ce DGI n’existait pas. Mais aenon, la peur et l’inquiétude, séparées d’une situaon parculière de travail, ne peuvent pas seules jusfier un droit de retrait… Défectuosité dans les systèmes de protecon » ? Dans le cadre de l’épidémie de Covid19, une entorse à l’un des éléments suivants pourrait probablement accréditer concrètement un DGI : ∗ Insuffisance d’un des moyens de protecon exigés par les autorités sanitaires ∗ Insuffisance de mise en place d’une organisaon adaptée (distances, matériel de protecon…) ∗ Insuffisance de mesures de protecon collecves (neoyage des locaux, modes de circulaon…) ∗ Impossibilité de moyens de protecon individuels conformes aux normes sanitaires ∗ Absence ou insuffisance dans l’évaluaon des risques

COMMENT UTILISER LE DROIT DE RETRAIT ?

Si les 4 condions sont remplies, un salarié peut décider de faire usage de son droit de retrait . Aenon, c’est un droit individuel, pas collecf . Cela n’a aucun sens de « voter » un droit de retrait. Mais si plusieurs agents d’un même site décident en même temps de faire usage de leur droit de retrait individuel, cela donne de la force au droit de retrait et incitera l’employeur à vraiment se préoccuper de la situation plutôt que de la nier et de menacer les agents de sanction . En cas de droit de retrait, est-ce que j’ai le droit de rentrer chez moi ? Pas forcément. La plupart du temps, non. Faire usage de son droit de retrait, c’est se rerer de la situaon de travail qui comporte un DGI, à condion bien sûr de ne pas mere les autres en danger . Il faut rester à la disposion de son administraon pour exercer les missions qui peuvent l’être.

DANS TOUS LES CAS : faire appel à un élu FSU des personnels en CHSCT Pourquoi ? Car il va d’abord vous conseiller pour déterminer si vous êtes légime à faire usage de votre droit de retrait, et vous permere de vous protéger tout en restant dans les clous. Et surtout… si c’est un élu en CHSCT qui remplit le registre DGI, cela déclenchera automaquement une enquête d’urgence sur l’existence de ce DGI, auquel l’élu en CHSCT sera associé, sans forcément d’ailleurs qu’il y ait eu droit de retrait. Et, si et seulement si l’élu est en désaccord avec l’employeur sur la réalité du danger ou sur les mesures prises pour le faire cesser, il y aura convocaon d’un CHSCT extraordinaire dans les 24h.

SNUTER34 - LA FSU TERRITORIALE DE L’HERAULT 0783837765 - [email protected] www.snuter34fsu.fr

0123 6 | coronavirus DIMANCHE 10 - LUNDI 11 MAI 2020 Déconfinement : quels changements le 11 mai ? De nouvelles règles de comportement vont être instaurées et pourront différer selon les territoires

u 51 e jour d’un confinement inédit en France mis en place A pour lutter contre l’épidémie due au coronavirus, le pre- mier ministre, Edouard Philippe, en- touré d’une partie de son gouvernement, Pose d’autocollants a présenté, jeudi 7 mai, son plan de dans les transports l’après-11 mai. publics de Alors que de nombreuses questions Mulhouse subsistent, ce déconfinement sera « un (Haut-Rhin), processus très progressif, au minimum sur vendredi 8 mai. plusieurs semaines » a-t-il prévenu. Re- SÉBASTIEN BOZON/AFP trouvez ce qui changera, ou pas, pour vous à partir du lundi 11 mai.

Quelles différences entre les départements invité à rester chez vous en isolement, verts et rouges ? comme pour une personne malade » et à Les départements situés en Ile-de- prendre votre température deux fois par France, dans les Hauts-de-France, le jour, a précisé M. Véran. Grand-Est, la Bourgogne-Franche-Comté Puis « sept jours après le dernier contact ainsi que Mayotte ont été classés en avec la personne malade » , le « cas con- rouge sur la carte du déconfinement. tact » sera à son tour « testé dans les mê- Cela signifie que dans ces zones, « le virus mes conditions qu’une personne ma- circule encore activement, l’hôpital con- lade » . Si le test se révèle négatif, la per- naît encore des tensions » , a souligné sonne contact devra toutefois rester Edouard Philippe. isolée sept jours de plus. A partir de lundi, la seule différence se fera dans les parcs et jardins qui pourront J’habite dans rouvrir dans les départements « verts », Les personnes âgées et mais pas dans les 32 départements « rou- un département vert, vulnérables resteront-elles ges ». Puis à partir du lundi 18 mai, seuls puis-je me rendre dans les collèges situés dans les départements confinées ? en vert pourront rouvrir, pour les 6 e et les un département rouge ? « Il n’y aura pas de confinement obliga- 5e dans un premier temps. A partir de lundi, il sera possible de se toire pour les personnes vulnérables après Le premier ministre a précisé jeudi que rendre librement dans un département le 11 mai » , a déclaré le premier ministre. la différence entre ces deux France serait rouge si vous habitez dans un départe- Toutefois, il a demandé aux personnes plus nette début juin, pour la seconde ment vert, et vice-versa. Ce déplacement « âgées ou malades de pathologies étape du déconfinement. Il a notam- est toutefois limité à 100 km du domicile comme l’obésité, le diabète » ou souffrant ment évoqué « l’ouverture, peut-être, des si vous n’avez pas de motifs profession- « d’insuffisance respiratoire » de « conser- lycées, des cafés, des restaurants » dans les nels ou familiaux impérieux pour vous ver (…) des règles de prudence très stric- départements verts. En revanche, ces rendre au-delà. tes » , comme « celles des deux derniers établissements resteront fermés dans les Interrogé sur ce sujet mercredi 29 avril mois » . « Nous faisons confiance aux per- départements qui resteront rouges sur Franceinfo, le ministre de la santé, sonnes qui se savent vulnérables pour se après le 2 juin. Olivier Véran, a toutefois souhaité que protéger. Il ne s’agit pas d’ordonner » , a ces déplacements soient limités. « Si vous ajouté le chef du gouvernement. A partir du 11 mai, puis-je habitez dans une zone de circulation ac- tive du virus, vous n’avez pas vocation à Pourrai-je aller voir sortir sans attestation ? vous déplacer dans des zones dans les- A compter de lundi, il ne sera plus utile quelles le virus ne circule pas puisque, par un proche en Ehpad ? d’avoir une attestation à chaque fois que définition, c’est là que vous prenez le 15 000 fleuristes, 3 300 libraires qui vont ment aux personnes vulnérables de le Fermées depuis mi-mars, les portes des vous sortez de chez vous, à l’exception de risque de faire diffuser le virus plus large- rouvrir » , partout en France. Mais de porter « pour toutes les sorties » et « pour résidences pour personnes âgées vont Mayotte, où le confinement a été pro- ment », a-t-il déclaré. nouvelles règles pourront être mises en toutes les visites » à domicile. rester presque closes : le gouvernement a longé. Mais cette liberté retrouvée sera place par ces commerces, pour respecter exclu jeudi tout « assouplissement supplé- limitée à 100 km autour de votre rési- les gestes barrières et les règles de distan- Si j’ai des symptômes du mentaire » avant trois semaines. « Les visi- dence. En cas de contrôle, « un simple jus- Les personnes parties ciation physique : port du masque, distri- tes des proches pourront se poursuivre si la tificatif de domicile sera suffisant, l’attes- de leur domicile principal bution de gel hydroalcoolique, circula- Covid-19, que dois-je faire ? situation de l’établissement le permet, dans tation d’assurance ou une facture, un tion en sens unique, nombre de person- Si une personne présente des symptô- les mêmes conditions qu’aujourd’hui » , a chéquier, par exemple » , a précisé le mi- pour rejoindre une nes limitées, etc. mes (toux, fièvre, gêne respiratoire…), poursuivi M. Véran. nistre de l’intérieur, Christophe Castaner. résidence secondaire Les centres commerciaux de plus de elle devra prendre contact avec son mé- D’abord interdits de visites extérieures, En revanche, au-delà de cette limite, « cal- 40 000 m 2 pourront rouvrir partout en decin généraliste, ou appeler le 15 s’il puis progressivement isolés dans leur culée à vol d’oiseau » , « une nouvelle attes- pendant le confinement métropole, sauf en Ile-de-France. En re- n’est pas disponible, qui décidera alors chambre à mesure que le virus faisait des tation » sera nécessaire. pourront-elles rentrer vanche, les bars, restaurants et cinémas s’il y a lieu, ou non, de pratiquer un test ravages, les résidents peuvent depuis le En Ile-de-France, pour pouvoir em- resteront fermés sur tout le territoire, au PCR. Si c’est le cas, celui-ci pourra être réa- 20 avril recevoir des visites de proches, prunter le métro, le RER ou le bus aux à partir du 11 mai ? moins jusqu’à début juin. lisé « dans un hôpital, un laboratoire de mais de façon très encadrée et limitée. heures de pointe (6 h 30-9 h 30 et 16 heu- Cette question n’a pas été abordée jeudi. ville, un drive, ou chez vous par une équipe res-19 heures), il faudra par ailleurs Mais Christophe Castaner a annoncé di- Dans quelles circonstances mobile » , a détaillé M. Véran. Puis-je aller me promener détenir « une attestation de l’employeur manche au micro de RTL que les Français Si la personne est testée positive, elle ou avoir un motif impérieux pour se dé- partis se confiner à plus de 100 km de dois-je porter un masque ? sera suivie par « son médecin généraliste, sur les plages ? placer, que ce soit un motif de santé, une chez eux pouvaient « rentrer dans leur Le port du masque, qu’il soit en tissu ou tout au long de la maladie » , et mise à Le gouvernement a assoupli sa position convocation de justice ou pour accompa- domicile principal pour préparer une re- de type chirurgical, sera obligatoire dans l’isolement. Ce confinement « durera jus- sur les fermetures des plages, jeudi. « La gner des enfants » , a annoncé la ministre prise professionnelle ou la scolarisation les transports en commun pour les pas- qu’à deux jours après la guérison des règle générale reste la fermeture, mais le des transports, Elisabeth Borne. Elle de- de leurs enfants » . sagers à partir de 11 ans et les contreve- symptômes, c’est-à-dire en moyenne pen- préfet pourra autoriser l’accès aux plages, vra notamment indiquer « les horaires nants seront passibles d’une amende de dant huit à dix jours », a précisé le minis- aux lacs et aux centres nautiques sur de- auxquels l’employé est autorisé à rejoin- 135 euros, a annoncé M me Borne. tre de la santé. mande des maires , a fait savoir M. Casta- dre son lieu de travail » , selon la région Ile- A partir du 11 mai, Il sera également obligatoire pour tous Si les conditions le permettent, le pa- ner. Ils devront alors présenter un disposi- de-France. puis-je aller voir les personnels travaillant dans les crè- tient pourra rester à son domicile durant tif et des aménagements suffisants pour Cette obligation pourrait être envisa- ches et les établissements scolaires. Dans cet isolement. S’il ne vit pas seul, il lui garantir la distanciation physique. » gée dans d’autres agglomérations, si elles mes parents ou mes amis ? les entreprises, ce sera aussi le cas dans sera recommandé de rester dans une en font la demande, selon M. Philippe. Il sera possible de rendre visite librement les situations où un écart d’au moins un pièce spécifique, d’éviter les contacts à sa famille ou à ses amis, s’ils se trouvent mètre entre deux individus n’est pas res- avec les autres occupants, d’aérer régu- Je suis à l’étranger, autour des 100 km de votre lieu de pecté, selon le ministère du travail. lièrement, de se laver les mains fréquem- puis-je me rendre Pour quelles raisons résidence. L’employeur « peut » fournir ce type ment, d’éviter de toucher des objets qui suis-je autorisé à me Mais une fête entre amis ou un repas de d’accessoires, complète le guide fourni peuvent l’être par d’autres personnes, et en France ? famille ne constitue pas un motif impé- par le ministère, ce qui laisse entendre de désinfecter les surfaces régulière- Les frontières avec les pays non euro- déplacer au-delà de 100 km ? rieux de déplacement au-delà des que ce n’est pas une obligation pesant sur ment touchées. péens « resteront fermées jusqu’à nouvel Au-delà de cette nouvelle limite de 100 km. Et ces retrouvailles devront être les patrons. Les commerçants pourront Si ce n’est pas possible, et sur son auto- ordre » , a averti M. Castaner, et les person- 100 km de votre résidence, il faudra limitées « à des groupes de dix personnes également exiger que leurs clients por- risation, le patient pourra être logé dans nes devant se rendre en France devront justifier « de motifs professionnels, maximum, dans les règles de distancia- tent un masque dans leurs boutiques. un lieu mis à sa disposition, notamment respecter une quatorzaine à leur arrivée comme avoir un métier qui exige la mobi- tion physique. A compter du 2 juin, un Le port du masque n’est pas imposé dans un hôtel. sur le territoire. lité (chauffeur routier, avocat…), ou de nouveau seuil pourra être réexaminé » , a pour tous en permanence dans l’espace Par ailleurs, lorsqu’une personne sera A l’intérieur de l’espace européen motifs familiaux impérieux, comme un indiqué Christophe Castaner. public. Toutefois à Nice, le maire LR, testée positive, le médecin alertera l’Assu- (Union européenne, espace Schengen et deuil ou l’aide à une personne vulnéra- Christian Estrosi, a annoncé vendredi rance maladie, qui se mettra en relation Royaume-Uni), les déplacements restent ble » , selon le ministre de l’intérieur. qu’il sera obligatoire dans l’espace public avec elle pour identifier d’éventuels « cas soumis à dérogation « jusqu’au 15 juin au « Cette limite ne s’applique que si on quitte Tous les commerces sur « l’ensemble du territoire niçois » sous contacts » qu’elle aurait pu contaminer . moins » , sans mesure de quatorzaine. Il son département de résidence » , a précisé seront-ils rouverts peine d’une amende de 35 euros. Sur le faudra justifier d’un motif impérieux M. Castaner . visage… ou dans la poche « il sera obliga- Si je suis un « cas contact », pour entrer en France, comme « la garde, « La simple visite pour se faire plaisir, le à partir du 11 mai ? toire de l’avoir sur soi » a précisé l’élu. la visite ou la poursuite de la scolarité déplacement dans une résidence secon- Le ministre de l’économie et des finan- En revanche, M. Véran a préconisé que que dois-je faire ? d’un enfant » ou encore pour des tra- daire, tout cela me semble en revanche ne ces, , a annoncé que « le les personnes présentant des symptô- « Si le risque [de contamination] est avéré, vailleurs saisonniers agricoles. La libre pas relever du motif impérieux et il faut 11 mai, ce sont 400 000 entreprises » et mes de Covid-19 portent un masque tout par exemple, si vous avez partagé un dé- circulation des travailleurs frontaliers dans toute la mesure du possible se l’inter- notamment « 77 000 salons de coiffure, le temps, même à domicile, pour proté- jeuner avec une personne malade sans sera préservée. p dire » , a prévenu Edouard Philippe. 33 000 commerces d’habillement, ger leur entourage. Il demande égale- respecter de distanciation, vous serez jérémie lamothe DIMANCHE 10 MAI 2020 LE JOURNAL DU DIMANCHE 13 Demain, le déconfinement

INTERVIEW Gérald Bronner. ÉDOUARD CAUPEIL/PASCO IRRATIONALITÉ Aux yeux de ce spécialiste des thèses complotistes, le confinement a été un incubateur de crédulité

Il est l’auteur de nombreux cule. Ils ne veulent pas entendre que livres aux titres éclairants, dont c’est la frivolité méthodologique de L’Inquiétant Principe de précau- Raoult et ses déclarations trop pré- tion, La Démocratie des crédules coces qui ont suscité la suspicion à et Déchéance de rationalité. son égard. Pour eux, il représente une sorte de héros en lutte contre Pour le décrypteur des croyances un empire imaginaire. collectives que vous êtes, cette période n’est-elle pas un incroyable Souverainistes et raoultiens ont laboratoire à ciel ouvert ? célébré leurs noces autour de la revue La période du confinement notam- de Michel Onfray Front populaire : cela ment a été un véritable incubateur vous surprend-il ? de crédulité. On le voit en observant Cette alliance confirme l’existence la popularité des termes « virus » et de cette cartographie. Onfray et « complot » dans les recherches sur quelques autres ont endossé depuis Google. Nous avons consacré plus de plusieurs années une forme de néo- temps au monde numérique. Vouloir populisme qui imagine l’existence s’informer est un bon réflexe ; encore d’un empire cohérent travaillant faut-il pouvoir le faire auprès de contre les intérêts du peuple. Pour sources raisonnables. Sur Internet, eux, médias, politiques, scienti- les produits de la crédulité – théorie fiques, tous conspirent. La figure du complot, remède miracle… – se de Raoult, revendiquant d’être un diffusent souvent plus vite et sont renégat, flatte cette mythologie, plus visibles que les autres. De plus, ou même encore ceslle de Luc les incertitudes objectives ou ressen- Montagnier – pourtant Prix Nobel – ties portant sur nombre de sujets qui qui, totalement marginalisé pour ses ont traversé cette crise – masques, déclarations loufoques depuis une tests, chloroquine, origine du vingtaine d’années, a alimenté lui virus – ont favorisé la recherche de aussi les théories du complot. réponses souvent trop hâtives. Or c’est la caractéristique permanente Mais n’est-il pas étonnant des croyances que de proposer des de voir que cette idéologie touche réponses à toutes les questions que même des scientifiques ? vous pouvez vous poser. Leur point commun est souvent qu’ils revendiquent le bon sens Est-ce la peur qui nourrit l’irrationalité ? contre la méthode scientifique. La peur que suscite cette pandémie C’est de la démagogie cognitive, est-elle sans précédent ? c’est-à-dire l’instrumentalisation La croyance est parfois un bon de nos intuitions erronées sur le anxiolytique et la peur, un excel- monde. Or c’est précisément l’un lent produit sur le marché de des acquis les plus essentiels de la l’information, pourtant elle ne méthode scientifique que de nous suscite pas toujours l’irrationalité. permettre de mettre à distance notre Durant un temps, lorsque le dan- Gérald Bronner, sociologue pensée spontanée lorsqu’elle est ger s’approchait de nos frontières, fautive. Il est piquant que Raoult l’expertise scientifique était très se revendique de Paul Feyerabend, audible. C’est lorsque la peur s’est qui est l’auteur d’un célèbre livre : atténuée que l’on est passé à des «6La peur est Contre la méthode. Tout cela nous questions secondaires et à un exer- rappelle simplement que la science, cice dont nos sociétés raffolent : ce n’est pas un diplôme. Il ne faut l’indignation et les formes d’irra- pas l’essentialiser. Elle est avant tout tionalité collective qu’elle peut un excellent produit sur une méthode : si vous l’abandonnez, inspirer. Songez qu’en France on vous quittez de vous-même la cité s’indigne tous les deux jours sur de la raison. C’est ce que j’ai appelé les réseaux sociaux ! La colère est la déchéance de rationalité. le sentiment qui s’y répand le plus le marché de l’info6» vite, et ça a été mesuré aussi bien À quoi accrochez-vous cette passion en Occident qu’en Asie. convaincus qu’elle soit si utile. Pré- coup d’argent à la recherche dans de l’épidémiologie –, à surestimer humaine qu’est la volonté de croire férons-nous sauver nos vacances ce domaine. Puisqu’il paraissait dans un premier temps nos réelles qu’on nous cache quelque chose, Voulez-vous dire que c’est cette colère estivales ou rester précautionneux ? prophétiser la pandémie dans une compétences. Pourquoi ? Parce que le « on-ne-nous-dit-pas-toutisme » ? qui inspire l’irrationalité ? D’une certaine façon, l’autorité nous conférence de 2015, c’est donc lui nous ne sommes pas encore assez Pour parler comme Nietzsche, ce Disons que cette colère est dans épargne ce dilemme et c’est ainsi le coupable ! savants pour prendre conscience de n’est pas la douleur qui est insuppor- certains cas justifiée, mais elle que nous acceptons la servitude l’ampleur de notre incompétence. Ça table mais le non-sens de la douleur. peut aussi être un symptôme de volontaire. Lorsque l’on s’en remet provoque un effet paradoxal : ceux L’idée que l’on ne nous dit pas tout la volonté de trouver obsession- à la responsabilité des individus, «!Les épidémies qui en savent le moins parlent plus est simplement l’expression d’un nellement des responsables. Les le choix pèse de nouveau sur eux et plus fort que tous les autres. C’est besoin cognitif face à des événe- épidémies ont toujours suscité ce comme un couvercle. suscitent ainsi que l’on en vient à réaliser un ments douloureux mais qui sont réflexe, et ça se transforme parfois sondage sur l’efficacité de l’hydroxy- dépourvus de sens. Cette urgence à en théorie du complot. Pour vous qui avez travaillé sur l’obsession chloroquine et que l’on observe que comprendre traverse toute la pensée la haine des vaccins, n’y a-t-il de trouver des 80 % des Français ont un avis ! religieuse : comment rendre compte La posture infantilisante d’Olivier pas comme une ironie de l’histoire de l’imperfection du monde et de Véran ou celle de technocrate un rien dans le fait qu’aujourd’hui tout responsables!» Que vous inspirent les débats entre l’existence de Dieu ? C’est la question fouettard d’Édouard Philippe semblent attende le vaccin ? Didier Raoult et ses confrères ? de la théodicée posée par Leibniz. rassurer davantage les Français Tout le monde, non : plus d’un C’est un objet social très intéres- Les théories du complot sécularisent que la tentative d’Emmanuel Macron quart des Français sondés ont N’est-ce pas un problème sant à étudier. Cette question s’est le problème de la théodicée : pour de les responsabiliser ; comment déclaré qu’ils refuseraient de se pour un pays de compter autant beaucoup politisée et on peut dire rendre compte de l’imperfection du comprenez-vous cela ? faire vacciner. En outre, le récit de virologues que d’habitants ? qu’elle surligne une cartographie monde, elles convoquent l’action Nous avons en France une cer- antivaccinal s’est répandu, encore En période d’incertitude, nous cher- idéologique qui se dessinait déjà de groupes malveillants. Lorsque le taine passion pour le principe de une fois, grâce aux récits du com- chons de l’information, c’est normal. avant la pandémie. Dans le sondage diable disparaît de notre imaginaire précaution. Or nous sommes prêts plot. La théorie la plus en vogue Le problème est que ça a créé un effet que j’évoquais, on voit que les élec- contemporain, il faut s’inventer de à payer les coûts de la précaution à est celle qui attribuait la respon- Dunning-Kruger collectif. C’est-à- teurs de La France insoumise, ceux nouvelles figures du mal. g condition qu’ils soient mutualisés. sabilité de l’épidémie à Bill Gates dire la tendance que nous avons du Rassemblement national et plus Lorsque nous devons directement au prétexte qu’il est justement tous, lorsque nous nous initions à encore ceux qui se déclarent Gilets PROPOS RECUEILLIS PAR en payer le prix, nous sommes moins provaccin et qu’il donne beau- une question – par exemple celle jaunes croient en la vertu de la molé- ANNA CABANA Jeudi 7 mai 2020 l’Humanité 9

12,1 MILLIONS DE SALARIÉS AU CHÔMAGE PARTIEL LES FEDEX EN GRÈVE « J’espère bien qu’on est proche du palier et qu’on Sur plusieurs sites, les salariés de Fedex (livraison va assister à une décrue du chômage partiel de colis) ont débrayé ce mercredi, et d’autres en même temps qu’on aura une croissance de ceux actions sont prévues pour dénoncer le « mépris » qui vont retourner au travail. » de la direction qui refuse « catégoriquement Muriel Pénicaud Ministre du Travail d’accorder une prime de 1 000 euros ». Capital/travail

Pour tenter de rassurer les chefs d’entreprise, le gouvernement ne ménage pas ses efforts. Sans toutefois envisager de modifier la loi pour l’instant. Patrick Gardin/Divergence

e droit semble parfois être un bagage bien encombrant pour SANTÉ AU TRAVAIL le patronat, à la manœuvre ces derniers jours pour tenter d’infléchir la législation dans Lun sens plus clément à leur égard. Face aux contamina- Le patronat tente tions au Covid-19 qui se multiplient sur les lieux de travail, les employeurs en appellent au gouvernement pour tenter de restreindre leur responsabilité juridique. Hier, le réseau de PME CroissancePlus s’alarmait dans un de se dédouaner communiqué des « menaces judiciaires qui semblent illimitées et incontrôlables » de la Via un lobbying tous azimuts, les employeurs veulent modifier la loi part des salariés, se félicitant par ailleurs de l’amendement adopté la veille par le pour éviter les poursuites de salariés contaminés par le Covid-19. Sénat visant à limiter la responsabilité pénale des décideurs publics et privés dans la ges- tion de la crise du coronavirus (lire notre édition du 6 mai). Le 30 avril, le Medef, la pour l’instant. « Je ne vois pas comment les vation de la santé et sécurité des salariés. mardi. « Je ne vois pas bien ce que ce texte CPME, l’U2P (entreprises de proximité), la élus locaux ou les employeurs qui donneraient « Muriel Pénicaud dit n’importe quoi sur apporte par rapport à la loi Fauchon, qui va FNSEA, l’Udes et l’UNAPL avaient déjà les instructions nécessaires afin d’assurer l’obligation de moyens renforcés, qui est déjà très loin dans l’exonération des décideurs envoyé un courrier commun à la ministre notamment le respect des gestes barrières et quasiment aussi contraignante que l’obli- en cas de délits non intentionnels. Il sem- du Travail, Muriel Pénicaud, pour exiger des dispositifs de sécurité pourraient voir leur gation de résultat (avant un arrêt de la Cour blerait tout juste que cela puisse s’appliquer une clarification du « périmètre de l’obli- responsabilité engagée », avait par exemple de Cassation de 2015, la jurisprudence posait aux personnes morales, mais c’est en tout gation de moyens renforcés » posée par la pointé dès le 29 avril la ministre de la Justice, une obligation de résultat aux employeurs cas très mal rédigé », estime-t-il. jurisprudence en matière de responsabilité , lors d’une séance de ques- en matière sanitaire – NDLR) », s’agace « La question à laquelle devrait répondre le civile. Une manière pudique de demander tions au gouvernement au Sénat. Hier, c’est Jean-Paul Teissonnière, avocat spécialisé gouvernement devrait plutôt être ce qu’on un réel changement législatif, notamment sur les ondes d’Europe 1 que Muriel Pénicaud dans les procédures liées à la santé au travail. fait des malades et comment on les prend en la transposition d’une partie d’une directive a estimé qu’ « un employeur qui respecterait « Même vis-à-vis des employeurs, ce n’est charge », pointe-t-il, rappelant la proposition européenne de 1989 permettant « l’exclusion les fiches métier du ministère du Travail et le pas très raisonnable de les induire en erreur », d’un fonds d’indemnisation des victimes ou la diminution de la responsabilité des protocole national de déconfinement remplirait souligne-t-il. Sans se prononcer sur la du coronavirus, en faveur de laquelle il plai- employeurs pour des faits dus à des circons- ses obligations de moyens renforcés ». validité des documents évoqués par la mi- dait déjà dans nos colonnes il y a plusieurs tances qui sont étrangères à ces derniers, nistre du Travail, l’avocat rappelle que la semaines (lire notre édition du 31 mars). anormales et imprévisibles, ou à des événe- « Muriel Pénicaud dit n’importe jurisprudence impose à l’employeur de Une mesure qu’exigent également l’Asso- ments exceptionnels, dont les conséquences quoi sur l’obligation prendre « toutes les mesures » de prévention ciation nationale de défense des victimes n’auraient pu être évitées malgré toute la de moyens renforcés » posées par le Code du travail (articles de l’amiante (Andeva), la Fnath (association diligence déployée ». Pas sûr pour autant que les juges aient la L.4121-1 et L.4121-2). Sur le volet de la des accidentés de la vie) et le collectif Co- Pour tenter de rassurer les chefs d’entreprise, même appréciation que le gouvernement responsabilité pénale, M e Teissonnière ronavictimes, fondé par les membres du le gouvernement ne ménage pas ses efforts. de ce que recouvre cette fameuse obligation nuance l’importance de l’amendement Comité anti-amiante Jussieu. Sans toutefois envisager de modifier la loi de moyens renforcés en termes de préser- adopté par le Sénat dans la nuit de lundi à LOAN NGUYEN 10 Aujourd’hui en France 10 VENDREDI 8 MAI 2020

ÉCONOMIE CRISE DU CORONAVIRUS De nouvelles règles dans les magasins Marquage au sol, désinfection des articles, essayages réduits… Les boutiques qui s’apprêtent à rouvrir ont dû revoir leurs pratiques et demander à leurs clients de s’adapter eux aussi.

aOn demande aux clients d’être raisonnables. Mais il est difficile de leur interdire de toucher. BENOIT JAUBERT, DIRECTEUR D’EXPLOITATION DU GROUPE FNAC DARTY

Dans les boutiques de prêt-à-porter, de nouvelles procédures de nettoyage et de désinfection ont été mises en place. LP/ARNAUD JOURNOIS LP/ARNAUD

PAR SYLVIE DE MACEDO preuve de tolérance les pre- l’entrée », indiquent les maga- Peut-on toucher Jaubert, de Fnac Darty, qui Comment récupérer ET ODILE PLICHON miers jours, mais la règle, sins de chaussures Eram. et essayer les articles ? prévoit de nettoyer régulière- des produits autrement c’est le masque pour tous », Dans tous les points de Toutes les enseignes ont éla- ment les produits en dé- qu’en magasin ? APRÈS HUIT SEMAINES de confirme Grégoire Rousseau, vente, ce sera 4 m 2 minimum boré des procédures pour net- monstration. « A partir du Pour ceux qui hésitent à se fermeture, l’ensemble des le directeur opérationnel de par personne. Un ratio qui ne toyer et désinfecter régulière- moment où on leur propose rendre en magasin, les servi- magasins (exception faite de l’enseigne d’électroménager. pose pas (trop) de problèmes ment les lieux où il y aura le du gel, on considère que les ces de drive sans contact (à certains grands centres com- Les magasins de jouets aux grands magasins. Pour plus de contacts. Action invite mains sont propres », ajoute l’entrée du point de vente ou merciaux) vont rouvrir leurs PicWicToys et King Jouet l’im- eux, la principale préoccupa- toutefois « ses clients à ne tou- le DG de King Jouet. Presque sur le parking) vont aussi se portes à partir de lundi. Et posent aussi aux parents tion est plutôt d’éviter « une cher que la marchandise qu’ils tous les magasins distribue- développer. Les enseignes presque tous ont adopté les comme aux enfants (de plus concentration trop importan- souhaitent acheter ». Même ront du gel hydroalcoolique à comme Fnac Darty, Boulan- mêmes règles : leurs ven- de 11 ans pour la première, et à te en certains points », signale recommandation chez l’entrée et aux caisses. Action ger, PicWicToys et King Jouet deurs et caissiers porteront partir de 8 ans pour la secon- le directeur opérationnel de PicWicToys qui a aussi décidé donnera même des gants à qui avaient adopté ce disposi- un masque (parfois doublé de). « On refusera les clients Boulanger, qui va ainsi propo- de fermer les zones où les en- ceux qui le souhaitent. tif pendant le confinement, d’une visière) tandis que les qui n’en portent pas, précise ser un système de rendez- fants pouvaient s’amuser (tout Et pourra-t-on essayer les ont annoncé leur maintien. points de contact entre clients Philippe Gueydon, directeur vous, avec un vendeur ou le comme King Jouet). vêtements ? Decathlon a dé- « C’est un réel succès auprès et salariés seront souvent général de King Jouet. Ce sera SAV, pour éviter des files d’at- Les autres enseignes en cidé de fermer ses cabines des clients qui le jugent très équipés de Plexiglas. Certains peut-être anticommercial, tente. Beaucoup d’enseignes appellent plutôt au bon sens. d’essayage, tout comme Gé- sécurisant », signale Grégoire des employés auront aussi mais je l’assume. Si tout le ont d’ailleurs mis en place un « On demande aux clients mo. « C’est surtout le contact Rousseau de Boulanger. des gants, notamment ceux monde en porte, les risques plan de circulation et un mar- d’être raisonnables. Mais il est direct avec la peau qu’on veut D’autres, comme Gémo (d’ici qui manipulent des colis ou sont bien moindres. » quage au sol pour faire res- difficile de leur interdire de éviter », explique Philippe à fin mai) ou Sephora, vont le de la monnaie. Mais ce n’est pecter la distance de 1 m. toucher », précise Benoît Thirache alors que des mi- déployer. pas tout : les clients eux-mê- Puis-je venir bas jetables — comme chez Les magasins Etam ont mes devront se plier à accompagné ? Eram — seront mis à disposi- aussi imaginé des dispositifs certaines règles. On vous ex- « Si vous prévoyez une séan- tion des clients pour essayer de vente directe via Skype ou plique tout. ce de shopping avec vos copi- les chaussures. Etam, l’ensei- WhatsApp ou encore de nes, vous ne pourrez peut- gne de vêtements et de linge- vente à domicile appelée « le Dois-je porter être pas rentrer toutes dans le rie, compte laisser ses cabi- panier à la maison ». « Si un masque ? magasin en même temps, ce nes ouvertes. « Elles seront par exemple vous voulez Partout, le port du masque est sera une ou deux à la fois », nettoyées après chaque pas- acheter un maillot de bain, recommandé. « Les clients répond Philippe Thirache, di- sage. Et s’il y a trop de monde, vous pourrez appeler le ma- d’eux-mêmes en porteront recteur général de l’enseigne le magasin pourra les fer- gasin pour qu’on dépose à vo- un sans qu’il soit nécessaire de vêtements et de chaussu- mer », précise Patricia Tran- tre domicile un panier d’une de leur demander », estime res Gémo. Comme aujour- vouëz, la directrice générale dizaine d’articles que vous Benoît Jaubert, directeur d’ex- d’hui pour les commerces ali- de l’enseigne. Et que devien- pourrez essayer tranquille- ploitation du groupe Fnac mentaires, une gestion du flux nent les produits essayés et ment et qui sera récupéré Darty. D’autres enseignes sera assurée. « Un marquage non achetés ? « Ils seront mis trois jours plus tard », annon- vont plus loin et préfèrent le au sol sera mis en place à l’en- dans des bacs pendant ce la directrice générale qui

rendre obligatoire. C’est le cas trée du magasin, et le nombre PERRIN »/MAXPPP/RÉMY PROGRÈS LE PQR/« PHOTO 24 heures puis passés à la va- rappelle que « cette crise obli- de Decathlon mais aussi de de clients possibles sur la sur- Dans les magasins Decathlon, marquage au sol de rigueur et port peur avant d’être remis en ge chacun à faire preuve Boulanger. « Nous ferons face de vente sera indiqué à du masque obligatoire. Pour les vendeurs comme pour les clients. rayons », explique-t-elle. d’agilité et à innover ».

twipe_ftp 18 u EXPRESSO Libération Vendredi 8 Mai 2020

LIBÉ.FR A Madrid, «pizzagate» pour jeunes défavorisés Pendant la fermeture des cantines, la région de la capitale espagnole offrait depuis le 14 mars une pizza tous les midis aux enfants d’allocataires du RMI, soit 11 500 familles. Pour la présidente de la région de droite, il valait mieux ça que rien du tout, «comme c’est le cas au Venezuela», et de toute façon, «100 % des enfants adorent ça». Restée sourde aux critiques, elle a finale- ment reculé mercredi après un communiqué au vitriol de la Fondation Gasol créée par deux basketteurs catalans de la NBA. PHOTO GETTY IMAGES Dans le Nord, un sas de l’ASE pour les enfants maltraités

A Hellemmes, sins et guirlandes en crépon près de Lille, sept pour les égayer. «Créer ces sas, c’était salutaire, mais points d’accueil c’est de la débrouille», com- temporaires ont été mente Olivier Treneul, tra- ouverts à l’Aide vailleur social et délégué sociale à l’enfance SUD au département. «Si pour accueillir le tissu des hébergements 70 mineurs en n’avait pas été aussi abîmé, situation de danger avec la perte de 700 places entre 2015 et 2018, on n’au- que des juges ont rait pas eu besoin d’aller décidé d’éloigner dans des établissements de leur famille. scolaires», pas forcément adaptés. Par Pour les gestes barrières, on STÉPHANIE oublie : entre les câlins, les MAURICE chaussures à ajuster, le Correspondante à Lille savonnage sous la douche Photo AIMÉE THIRION ou le lavage des dents, des mesures d’hygiène que sou- e n’ai pas encore ap- vent les enfants ne maîtri- «J pelé ma maman, sent pas à cause des carences moi», déclare à la édu catives, ils sont impos - cantonade Jules (1), 6 ans. sibles à tenir. Les adultes «C’est ce soir après la douche, portent tous un masque, hein oui ?» L’éducatrice spé- obligatoire. cialisée le rassure. Jules a été le premier à arriver dans ce «Première attache». Ce centre d’accueil temporaire, lundi, c’est l’anniversaire de ouvert en urgence à Hellem- Jules, il le dit à tout le monde, mes, une commune associée sourire contagieux. Une des à Lille (Nord). L’annonce du éducatrices spécialisées, nor- confinement a pris de court malement de service jus- les services de l’Aide sociale qu’à 14 heures, est allée lui à l’enfance (ASE) et les asso- chercher un cadeau, des figu- ciations du secteur. Il a fallu Anissa Deghmani, éducatrice spécialisée, au sas du collège Saint-Exupéry à Hellemmes (Nord), lundi. rines Pokémon, et est encore fermer en urgence les Mai- là à 17 h 30 pour souffler les sons d’enfants à caractère à l’enfance. Soit 70 enfants et réseau et se retrouvent en diffi- accueils temporaires mis 16 ans, sont hébergés dans bougies. Ils sont huit à la ta- social (Mecs), confiner les fa- adolescents qu’on ne peut culté face à l’enfant», consta- en place en urgence. L’idée, l’internat déserté du collège ble du goûter, on a attendu le milles d’accueil qui héber- pas laisser chez eux. «Nous te-t-il. Comme un môme tur- créer un sas d’au moins qua- Saint-Exupéry. L’autorisation retour de jumeaux de 6 ans, gent les mineurs placés. Avec sommes les coulisses du confi- bulent qui a besoin de ses torze jours pour vérifier l’état a été facile à obtenir, les collè- partis visiter la Mecs qui va une conséquence imprévue : nement, ce qui se passe en ar- deux entraînements de foot de santé des enfants, avant ges sont aussi gérés par les accueillir ensemble, pour l’impossibilité de recevoir de rière-plan et qu’on ne voit pas par semaine pour se défouler, qu’ils puissent rejoindre leur le conseil départemental. ne pas briser la fratrie. «Les nouveaux arrivants. «Notre tellement», constate Anissa et qui se retrouve coincé dans placement définitif, en fa- «Quand on est arrivés, il n’y enfants ont du mal à com- priorité est de préserver l’état Deghmani, éducatrice spé- un petit appartement. «Des mille d’accueil ou en foyer. A avait rien dans la salle, que les prendre qu’ils ne vont pas res- sanitaire dans nos établis - cialisée, volontaire pour cet parentalités s’écroulent bru- Lille, la structure a ouvert casiers et les tables de ping- ter ici, nous sommes leur pre- sements», confirme Valéry accueil temporaire. «Dans la talement et c’est le placement le 16 avril. Elle s’est montée pong pliées», racontent les mière attache», glisse Anissa Bidaut, directeur de la pro- majorité des cas, ce sont des direct», soupire Samuel Van- en une semaine, un tour de éducateurs spécialisés. Les Deghmani. tection de l’enfance à l’asso- négligences graves, avec par devyvere. force administratif, grâce à équipes ont rameuté leur ré- Devoir à nouveau déména- ciation la Sauvegarde du exemple des problématiques la coopération de trois asso- seau personnel pour meubler ger, c’est encore une rupture Nord. d’alcoolisme exacerbé par le Grand vide. Alors, dès le ciations de protection de l’en- ce grand vide. Le gestionnaire qui se rajoute, et l’inconvé- confinement», précise Sa- 23 mars, le département du fance, la Sauvegarde du Nord, du collège a donné les an- nient du sas d’accueil. Klarys «Coulisses». Où accueillir muel Vandevyvere, respon- Nord, en charge de l’Aide so- l’Alefpa et la Sprene. Les huit ciens jeux de ses enfants. Les (1), la seule ado de 16 ans, est alors les enfants, que le juge sable Lille-Ouest au pôle ciale à l’enfance, a ouvert sept enfants présents, âgés de 5 à chambres sont immenses, devant la télé, musique à décide d’éloigner de leur fa- protection de l’enfance de la prévues pour trois en temps fond. De retour de fugue, elle mille, à cause d’une mise en Sauvegarde. normal, devenues individuel- ne peut pas rejoindre un danger imminente et grave ? Peu ou pas d’enfants battus les. «Un tout-petit dans 20 m 2 foyer tout de suite : «Fran- Le confinement fait explo- ou victimes de violences Peu ou pas de victimes de tout seul, ça lui fait bizarre», chement, c’est super sympa ser les statistiques : entre sexuelles, plutôt des parents violences, plutôt des parents sourit Carole Sejournet, la di- d’être ici, on ne se retrouve le 15 mars et le 15 avril, les or- sur le fil, aidés d’habitude par rectrice du sas. pas dehors. On se sent un peu donnances de placement l’école, le centre aéré, les sur le fil, aidés d’habitude comme chez nous, malgré que provisoires ont augmenté proches, grands-parents ou par l’école, le centre aéré, Crépon. Les éducateurs ont (sic) ce soit un collège.» • de 25 % dans le Nord, selon voisins. «Du jour au len - personnalisé au maximum les chiffres de l’Aide sociale demain, ils ont perdu leur les proches. les chambres, ateliers des- (1) Les prénoms ont été modifiés.

18 u www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe Libération Jeudi 7 Mai 2020 IDÉES/ «On confie plus le patrimoine aux hommes, aux dépens de leurs sœurs et épouses»

Dans «le Genre du capital» , les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac révèlent les grandes inégalités qui se cachent derrière les «petits arrangements familiaux» des héritages et des divorces. L’écart de capital entre

DR DR les hommes et les femmes a augmenté depuis vingt ans.

Recueilli par famille pour ce qu’elle est : une institution dans les entreprises et le milieu du travail, tant un budget serré. De nombreuses figures SONYA FAURE économique, certes «mêlée en permanence mais cette domination se construit aussi dans féminines gilets jaunes l’ont montré, comme de culpabilité, d’amour, de haine, de jalou- la famille. Ce sont aux hommes qu’on confie Ingrid Levavasseur : qu’elles soient mères cé- ux inégalités salariales, il faudra dé- sie», disent-elles. Loin d’être un havre de paix plus volontiers le patrimoine aux dépens de libataires ou en couple, les problèmes d’ar- A sormais ajouter les inégalités de capi- épargné par la violence capitaliste, la famille leurs sœurs, de leurs épouses ou ex-épouses. gent sont des pro blèmes de femmes. Quand tal. Non seulement les femmes ont reproduit les inégalités. Les deux sociologues Céline Bessière : Et cela malgré un droit on grimpe dans la hiérarchie sociale, c’est moins de patrimoine que les hommes, mais se sont longuement entretenues avec les formellement égalitaire. Depuis 1804, le code tout l’inverse qui se produit. L’Insee demande l’écart entre les deux sexes s’est accru ces membres de familles de la région viticole civil proclame la répartition égalitaire de qu’une seule personne par foyer, «la plus au vingt dernières années. Deux siècles après de Cognac (Charente), elles ont accompagné l’héritage entre les descendants directs du fait du patrimoine du ménage», réponde à son la promulgation du code civil napoléonien, (parfois sur plus de quinze ans !) les stratégies défunt, quels que soient leur sexe ou leur enquête sur les patrimoines. Comme le mon- qui impose de répartir l’héritage de manière immobilières de foyers de tout milieu social, rang dans la fratrie. Et depuis 1985, maris tre Camille Herlin-Giret, plus le ménage est égalitaire entre les descendants directs, les elles ont parfois assisté aux mariages et et épouses ont théoriquement un pouvoir de riche, plus ce sont les hommes qui répondent fils sont, dans les faits, toujours avantagés aux enterrements. Elles ont enquêté au gestion égal sur leurs biens. au questionnaire. Dans les familles riches et par rapport à leurs sœurs. Quant aux sépara- sein des études notariales, des cabinets Dans les classes populaires, écrivez-vous, très riches, les femmes sont tenues à l’écart tions, elles se soldent toujours, et malgré le d’avocats et des juges aux affaires familiales. les problèmes d’argent sont des pro - des questions d’argent. Certaines femmes ne passage devant le juge, par une franche Leur livre tire les fils d’inégalités de genre et blèmes de femmes. Chez les riches, au savent pas combien gagne leur conjoint. baisse du niveau de vie des femmes… et une de classe mêlées. contraire, on les tient à l’écart. Pourquoi ? En 2016, le New York Times Magazine relatait relative stabilité de celui des hommes. Pour Le capital a-t-il un sexe ? C. B. : Dans les familles ouvrières, ce sont les l’histoire de Sarah Pursglove qui a découvert révéler de telles inégalités, Céline Bessière Sibylle Gollac : Il a, en tout cas, un genre, et femmes qui tiennent les comptes. Elles sont grâce au scandale des «Panama Papers» que et Sibylle Gollac, les auteures du Genre du il est «masculin». Non seulement les hommes en première lignes pour gérer les dettes, les son mari, un entrepreneur finlandais, était à capital (La Découverte), ont dû étudier la détiennent souvent le pouvoir économique factures impayées, faire les courses en respec- la tête d’une fortune de 400 millions de dol- Libération Jeudi 7 Mai 2020 u 19 SARAH BOUILLAUD SARAH lars, et non de quelques millions, comme il gagnait, et à quel point les fils qui prennent mille» se dégage déjà quand on observe les se marie beaucoup moins. Et quand mariage l’avait affirmé lors de la procédure de divorce ! la suite de leur père à la tête de l’entreprise inégalités de revenus au sein des couples : il y a, c’est, plus souvent que par le passé, sous C’est ce que vous appelez la «production familiale sont en meilleure position que l’écart grimpe alors à 42 % entre les con- le régime de la séparation de biens. L’horizon de l’ignorance»… leurs sœurs pour en apprécier la valeur au joints, contre 9 % entre les hommes et les de la séparation possible encourage les con- C. B. : Le terme vient des recherches sur l’in- moment de la succession. femmes célibataires. La conjugalité hétéro- joints hétérosexuels à faire patrimoine à part, dustrie du tabac, qui a longtemps organisé L’inégalité salariale entre hommes et sexuelle creuse donc les inégalités de revenu. comme si cela permettait de protéger leur au- l’ignorance du grand public sur les méfaits de femmes est régulièrement dénoncée. Ce Longtemps, le mariage, par défaut sous le ré- tonomie. Mais cela renforce les inégalités. Les la cigarette. Le mécanisme est le même dans qu’on sait moins, c’est que les inégalités gime de la communauté de biens réduite femmes continuent à s’occuper davantage des les milieux les plus aisés qui s’entourent d’avo- de capital, elles, augmentent. aux acquêts, produisait une égalité de patri- enfants et des tâches domestiques, mais elles cats fiscalistes, de banquiers, de comptables S. G. : L’écart entre le moine formelle : n’ont plus les compensations patrimoniales et de notaires, pour produire de la complexité patrimoine des fem- CÉLINE BESSIÈRE la maison apparte- dont elles bénéficiaient auparavant. et de l’ignorance pour se protéger du fisc… et mes et des hommes et SIBYLLE GOLLAC nait pour moitié au C. B. : Les femmes paient la norme égalitaire de facto des épouses. est passé de 9 % à 16 % LE GENRE mari et pour moitié qui s’est mise en place ces dernières décen- S. G. : Il existe deux moments clés dans la entre 1998 et 2015. Il DU CAPITAL. à l’épouse. C’est ce nies. Revendiquant leur autonomie, elles reproduction des inégalités au sein de la est, certes, plus faible COMMENT qui expliquait la fai- tiennent à contribuer aux frais du ménage à famille, deux moments où les injustices se que celui des reve- LA FAMILLE blesse relative des égalité avec les hommes, à payer la moitié du révèlent, deux moments où chacun se met à nus : les inégalités REPRODUIT inégalités de patri- loyer et des courses hebdomadaires. Mais en compter : les séparations conjugales et les de salaires sont de LES INÉGALITÉ moine jusqu’à la fin pratique, elles gagnent toujours moins. A successions. Ce qui nous a frappées, en obser- l’ordre de 24 % en La Découverte, du XX e siècle. De- terme, les normes égalitaires en viennent à vant ces moments, c’est de voir à quel point moyenne. Mais un 2020, 336 p., 21 €, puis, elles ont pres- produire de l’inégalité. C’était l’un des enjeux les épouses ne savaient pas combien leur mari premier «effet fa- (ebook 14,99 €). que doublé car on de ce livre : mettre sur le ta- Suite page 20 20 u www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe Libération Jeudi 7 Mai 2020 IDÉES/

Suite de la page 19 pis l’existence d’inéga- cière équivalente… sauf que notre enquête lités très fortes et que l’on ne voit pas parce «Des mécanismes issus de la société paysanne dans les études notariales et auprès des avo- qu’elles prennent place au sein de la famille. perdurent, notamment dans le Sud-Ouest. cats montre à quel point cette compensation Comment naissent concrètement ces financière peut être sous-évaluée. disparités ? Les notaires nous prévenaient : “Ici, c’est spécial, Comment les professionnels du droit par - C. B. : La préférence pour un garçon, souvent ticipent-ils alors à la reproduction des le premier, existe bel et bien. Lors de nos on arrive souvent à faire une part pour inégalités de genre ? enquêtes de terrain, les sœurs, les cousines, les garçons, une demi-part pour les filles.”» C. B. : Ils mettent en place une «comptabilité les nièces nous expliquaient les logiques des inversée». Quand la famille arrive chez le no- successions familiales : «Ma mère a toujours Sibylle Gollac taire, c’est déjà plié, l’entreprise est destinée préféré les garçons…» Ou bien : «Dans notre à l’un des fils. La question devient donc : famille, ça ressemble à la loi salique !» Cette res nous prévenaient : «Ici, c’est spécial, on passé beaucoup de temps à retaper et donc à Combien peut-il mettre pour compenser ses réalité se retrouve dans les statistiques : arrive souvent à faire une part pour les gar- valo riser les maisons de ses filles, qui ont en- frères et sœurs ? On trouve un arrangement les fils héritent davantage que les filles çons, une demi-part pour les filles.» suite divorcé les unes après les autres et ont de famille, et le notaire va faire en sorte que des biens structurants : les entreprises et les C. B. : C’est un cercle vicieux : parce que dans perdu leur maison (comme la majorité des ça cadre, que ça apparaisse égal. biens immobiliers. leur couple, les femmes n’ont pas le pouvoir femmes après une séparation, même quand S. G. : De la même manière, les premiers fils Oui, mais pourquoi encore au XXI e siècle ? économique, elles sont en position financière elles ont la garde des enfants). Aux yeux de reçoivent leur héritage plus tôt que les filles. S. G. : Des mécanismes issus de la société pay- plus fragile et apparaissent comme de «mau- leurs parents, elles sont apparues comme des Ils reprennent l’entreprise du père et sont sanne perdurent, notamment dans certaines vaises héritières» qui ne pourront pas perpé- dilapidatrices irresponsables. Les femmes hé- plus souvent bénéficiaires de donations du régions comme le Sud-Ouest, dont les histo- tuer le patrimoine familial comme le feraient ritent donc moins souvent des entreprises ou vivant des parents, peut-être parce que les riens ont depuis longtemps analysé les pra - leurs frères. Dans une des familles auprès des biens immobiliers. Le code civil impose filles vivent plus vite avec leur conjoint sur tiques successorales inégalitaires. Les notai- desquelles nous avons enquêté, le père avait qu’on leur donne une compensation finan- lequel elles s’appuient financièrement, alors Inégalités : un nerf de famille

Les familles sont aussi des institutions économiques, tuation financière de leurs ex-conjoints, elle, avec des disparités en capital moins connues que celles entre reste quasiment inchangée (lire interview). salaires. Pour révéler ces injustices, souvent passées sous Il faut pour le comprendre lire entre les li- gnes des représentations sexistes qui circu- silence au nom de la «paix des familles», des chercheuses lent encore au sein des familles, comme au en appellent à une sociologie féministe des foyers. cœur des études notariales, mais rentrer aussi dans des détails très techniques, ce uoi, la famille aussi ? Les relations les ou biens immobiliers notamment –, mais qu’ont fait Sibylle Gollac et Céline Bessière. Q entre conjoints, entre frères et sœurs, ces disparités se sont creusées depuis vingt et même entre parents et enfants ans : l’écart entre le patrimoine des femmes UNE INSTITUTION MÊLÉE D’AMOUR, seraient, elles aussi, le creuset d’inégalités ? et des hommes est passé de 9 % à 16 % en- DE HAINE ET DE JALOUSIE Lors de la mobilisation des gilets jaunes, des tre 1998 et 2015. Autant les inégalités de salaires entre hom- femmes ont pris la parole mêlant, comme Une première cause peut sembler évidente : mes et femmes sont connues, et souvent rarement dans le discours public, leur préca- les hommes ayant des revenus en moyenne dénoncées (à défaut d’être corrigées), autant rité économique à leurs parcours intimes : plus élevés que les femmes, il est logique les disparités de genre en termes de patri- divorce, enfants à élever seules… Le projet de qu’ils aient, plus que les femmes, l’occasion moine sont peu étudiées. L’ouvrage majeur de réforme des retraites a révélé, quant à lui, à de mettre de côté et de faire fructifier leur Thomas Piketty, le Capital au XXI e siècle quel point les charges familiales pesant tradi- épargne. Mais il existe d’autres raisons (Seuil), qui a montré à quel point les inégalités tionnellement sur les femmes se répercu- moins avouables, dissimulées dans les replis de richesse sont devenues centrales, n’en dit taient sur leur situation économique, et ce douillets de la famille : les fils héritent en mot. Et pour cause, les données manquent. jusqu’à leur mort. Après la Guerre des Rose, la moyenne davantage que leurs sœurs (alors Notre appareil statistique est tout entier fondé lutte des classes intrafamiliale. que, depuis Napoléon, le code civil impose sur la catégorie de «ménage», qui invisibilise La famille est habituellement considérée la répartition égalitaire de l’héritage entre les les inégalités le composant, idem pour les comme un havre de paix, au sein duquel se descendants directs). Et les séparations pé- données fiscales qui reposent sur la notion de reposer des violences économiques du de- nalisent gravement les femmes quand la si- «foyer fiscal». hors. Comme un lieu de solidarité financière, «Même si la penser en ces termes ne va pas de compensant les aléas de la vie. C’est en partie soi, la famille est une institution économique, vrai, mais encore faut-il analyser comment «Le capital économique pointe Céline Bessière. Une économie mêlée s’organise cette entraide, et en faveur de qui. en permanence de culpabilité, d’amour, de «Nous vivons un moment de bascule, esti- hérité est devenu plus haine, de jalousie.» La perspective remet en ment les deux sociologues Céline Bessière et central que jamais dans cause notre vision de la famille moderne occi- Sibylle Gollac. L’attention enfin portée sur les dentale, dont l’histoire a commencé à s’écrire e violences conjugales casse l’image idyllique la reproduction des au XIX siècle, comme le rappellent les deux VOZ’IMAGE . FRONSAC COCO de la famille comme oasis au sein de la vio- sociologues dans leur livre. La famille choisie, lence capitaliste.» Dans le Genre du capital. inégalités. Or ce capital, née d’un mariage d’amour et soucieuse de ses Comment la famille reproduit les inégalités ce sont les hommes enfants, aurait alors supplanté les unions de moins sur «les choses». Dans les années 60, (La Découverte, 2020), les deux chercheuses raison et d’intérêt. «Les liens, dit Céline Bes- l’historien Philippe Ariès développe à son tour démontrent, de manière implacable, com- qui le détiennent, sière, auraient remplacé les biens.» Emile Dur- l’idée que le souci de l’enfant et l’affection que ment le couple et les fratries sont loin d’être et cela de plus en plus.» kheim lui-même, le père fondateur de la lui portent ses parents vont croissant depuis épargnés par les inégalités sociales. Non sociologie française, prédisait à la fin du les Lumières. Enfin, dans les années 90, le so- seulement, les hommes ont davantage de Céline Bessière et Sibylle Gollac XIX e siècle que la famille serait de plus en plus ciologue François de Singly dépeint les rela- capital que les femmes – entreprises familia- Sociologues centrée sur les sentiments, et de moins en tions parents-enfants comme «épurées», elles Libération Jeudi 7 Mai 2020 u 21

que les parents veulent «doter» leur fils pour S. G. : Quant au montant de la pension ali- ont du capital. Comme eux, ils sont sensibles tamment. L’idée qu’une femme demande un qu’il s’installe. Ces donations précoces leur mentaire, il est aussi fixé selon une «compta- à la volonté de maintenir une entreprise après soutien financier à son conjoint n’est pour el- donnent à leur tour une position dominante bilité inversée» : les pensions sont fixées en une séparation, ou à ne pas payer trop d’im- les pas totalement légitime. dans leur couple… les inégalités s’articulent fonction de ce que l’ex-mari peut payer, pas en pôts. Leur priorité est de protéger l’intérêt de Les femmes ont elles-mêmes tendance à et se cumulent. Cet «héritage anticipé» rend fonction de ce dont l’ex-femme a besoin pour la famille, donc de transmettre le patrimoine, passer sous silence ces injustices, pour le fils moins fragile économiquement et con- vivre avec les enfants dont elle a la charge. Les quitte à refuser une prestation compensatoire sauvegarder la «paix des familles»… crétise l’idée qu’il fera un meilleur héritier juges parlent d’une logique «pragmatique». qui obligerait l’homme à vendre la maison de C. B. : Elles ont été formées à ça : pacifier les que ses sœurs. Ils se refusent à fragi liser la situation finan- famille. Les notaires à la tête des études sont relations, se dévouer, faire en sorte que les Les séparations sont l’autre grand mo- cière des hommes en fixant une pension ali- de plus très majoritairement des hommes. Ils gens se parlent. Lors des successions, les ment de révélation des inégalités. mentaire élevée. Ce sont alors les femmes qui s’identifient plus facilement à leur clientèle sœurs ne veulent pas déclencher de conflits C. B. : Un divorce ou une rupture de pacs se retrouvent dans une situation de «deman- masculine, qui va leur paraître naturellement avec leurs parents ou frères. Dans les sépara- entraîne une perte moyenne de niveau de vie deuse», de «mendiante», contrainte d’aller ré- plus apte à bien gérer le patrimoine familial. tions, les femmes achètent leur tranquillité et de 19 % pour les femmes et de 2,5 % pour clamer des aides et les minima sociaux. Mais les juges femmes elles-mêmes peu- celle de leurs enfants. Au nom de relations les hommes. Des mécanismes, comme la Vous avez enquêté dans les cabinets vent avoir des réactions sexistes ! apaisées, elles ne réclament pas leur dû. pres tation compensatoire, existent pour d’avocats, auprès des juges et des notaires. C. B. : C’est un paradoxe. Ces magistrates, les S. G. : Cela ne veut pas dire qu’elles sont limiter ces disparités mais celle-ci ne Si les règles sont égalitaires sur le papier, plus âgées notamment, se sont elles-mêmes dupes. Nos entretiens révèlent la tension concerne que les couples mariés et compense les pratiques sont très différenciées en battues pour leur carrière et valorisent très dans laquelle elles sont prises entre l’impor- en réalité très peu : dans les jugements de fonction des classes sociales et du genre. fortement l’autonomie financière féminine. tance à leurs yeux de préserver la tranquillité divorce où une prestation compensatoire a S. G. : Les professionnels du droit investissent De ce point de vue, elles sont progressistes. familiale et le fait qu’elles ne trouvent pas ça été fixée, l’écart de niveau de vie des conjoints davantage sur les «bons clients», notamment Mais elles sont aussi de leur classe : elles ont juste. Elles encaissent. Elles portent la charge était de 52 %. La prestation ne fait descendre des chefs d’entreprise et des professions libé- les moyens financiers de faire carrière – en émotionnelle que représente le fait d’accepter cet écart qu’à 40 %. rales, qui les sollicitent souvent parce qu’ils confiant leurs enfants à d’autres femmes no- en permanence, de passer l’éponge. •

économiques familiaux», ce que la sociolo- gue américaine Viviana Zelizer, qui a con- sacré ses recherches au lien entre l’argent et l’intime, nomme les «transactions inti- mes» . «Sur le terrain, la question économi- que était extrêmement structurante des relations entre frères et sœurs, entre con- joints, rapporte Sibylle Gollac. Les choses ont bien changé depuis les mariages arrangés du XVIII e siècle bien sûr. Mais les transformations sociales les plus récentes, comme l’augmentation des séparations ou la baisse du nombre de mariages sous le ré- gime de la communauté de biens, ont con- tribué à renforcer les inégalités de genre qu’il faut sans cesse croiser avec les ques-

tions de classes sociales.» TEJERO BENJAMIN

LA FAMILLE DOIT ÊTRE RÉINVESTIE PAR LES FÉMINISTES Longtemps abandonnée aux conserva- teurs, la famille doit être réinvestie par les féministes, insistent Céline Bessière et Si- bylle Gollac, qui revendiquent l’héritage du féminisme matérialiste des années 70. Nourri du marxisme, ce courant de pen- LA REVUE IDÉES sée radical inscrivait les problématiques de genre dans les rapports de classes NUMÉRIQUE sociales, dénonçait «l’économie politique DE «LIBÉ» du patriarcat» et le travail gratuit des femmes, à l’image de la sociologue Chris- Les inégalités de genre se tine Delphy. «Depuis les années 70, des lois mêlent aux inégalités sociales : ont formellement égalisé le pouvoir des le travail de sociologues comme conjoints sur la gestion des biens. Mais le Sibylle Gollac et Céline Bessière capital économique hérité est devenu au- montre que les analyses en jourd’hui plus central que jamais dans la terme de classes ont encore reproduction des inégalités : il faut habiter de beaux jours devant elles, dans un quartier chic pour étudier dans à condition de les croiser le “bon” lycée ; il faut avoir des fonds pour avec les recherches les plus rassurer les banques, en cette époque de actuelles. Dans le deuxième retour de l’entreprenariat ; et jusqu’à la numéro de bulb, la revue Idées ne serviraient plus de «support à la transmis- travail domestique qui n’est pas comptabilisé réforme des retraites qui encourage la ca- numérique de Libé , retrouvez de sion directe du patrimoine». dans le PIB) et qui les distribue lors des sépa- pitalisation… Or le capital économique, ce nombreux articles consacrés à La sociologie a été imprégnée de cette vision rations et des successions», réfute Céline sont les hommes qui le détiennent, et cela la «nouvelle lutte des classes», irénique de la famille, pétrie de sentiments Bessière. Dans les familles où elles enquê- de plus en plus» , martèlent Céline Bessière qu’elle se déroule sur les réseaux et d’affects. «Tout le parti pris de notre livre tent longuement, mais aussi dans les études et Sibylle Gollac, qui en appellent à une sociaux ou dans les maternelles. est au contraire d’aller la regarder comme notariales et les cabinets d’avocats, les deux «sociologie féministe de la famille». Retrouvez bulb #2 sur une institution qui produit des richesses (le sociologues décortiquent les «arrangements SONYA FAURE bulb.liberation.fr 2 0123 | CORONAVIRUS JEUDI 7 MAI 2020

Ehpad : autopsie d’une catastrophe annoncée Plus de 12 700 résidents d’Ehpad sont morts du Covid. « Le Monde » a enquêté sur les dessous de cette tragédie, dans laquelle deux tiers des établissements ont déclaré avoir eu une contamination

epuis le début l’épidémie, le Grand Est. Si le virus a décimé plus de rési- plus de la moitié des dents à l’est qu’à l’ouest, le Covid-19 est entré 25 531 victimes du Covid-19 partout : pas moins de 66 % des établisse- vivaient en maison de re- ments ont déclaré un cas de contamination. D traite. Au total, quelque Ouvrir la boîte noire de cette catastrophe 12 769 résidents en Etablis- permet d’en mesurer les ressorts. sements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont morts depuis le 1 er mars, selon le dernier bilan de Santé publique France. Des carences en masques Parmi eux, 3 298 sont décédés à l’hôpital. Ce premier constat est unanime. Le manque Alors que les portes de leurs établisse- de masques a conduit les soignants à trans- ments s’ouvrent de nouveau aux familles, mettre le virus à des résidents qui l’ont payé directeurs, soignants, médecins estiment de leur vie. La peur de la pénurie à tous les avoir mené « une guerre sans arme », sur « un étages – au niveau de l’Etat, des Agences ré- front sous-estimé » par le gouvernement gionales de santé (ARS) et des directeurs avec des « directives ministérielles peu claires, d’Ehpad – a conduit à un engrenage funeste. inadaptées » et « corrigées » trop tard. Pour Depuis le début, assure le ministère, les ces sentinelles du grand âge, des vies Ehpad ont été « prioritaires » . Pourtant, la auraient pu être épargnées. « On a vécu une distribution de masques à large échelle n’a tragédie », s’afflige Malika Belarbi, déléguée démarré que le 22 mars. Entre-temps, malgré nationale CGT et aide-soignante dans les un approvisionnement au gré des deman- Hauts-de-Seine. des, les Ehpad ont manqué de visibilité sur teur du Covid-19 est arrivé après son décès… Bourgogne-Franche-Comté, « nous avons eu Alors que les premières plaintes en justice l’accès à de nouveaux stocks. L’Etat ayant « Un test réalisé plus tôt aurait permis qu’il beaucoup de refus de transferts de la part du de proches de résidents décédés visent l’Etat réquisitionné la production nationale et les soit soigné », soupire celle qui a enterré son SAMU ou des hôpitaux au début de la crise », mais aussi des Ehpad privés lucratifs, « il n’est importations de masques jusqu’au 21 mars, père le 8 avril au pied du mont Aiguille. rapporte la patronne du Synerpa . pas question que l’on paye l’addition pour il leur était quasi impossible de s’en procurer Au sujet des tests, la critique des acteurs est Des refus liés à la saturation des hôpitaux, tout le monde », prévient Florence Arnaiz- sur le marché. La peur du manque s’est ré- presque aussi virulente. La ligne initiale du mais qui ont « été une perte de chance pour Maumé, déléguée générale du Syndicat na- pandue. Des directeurs les ont distribués au ministère a d’abord été restrictive : à partir certains résidents, poursuit M me Arnaiz- tional des établissements et résidences pri- compte-gouttes. D’autant que protocole du de trois cas testés positif en Ehpad, il leur a Maumé . Il a fallu attendre le 23 mars pour que vés pour personnes âgées (Synerpa). De ministère les y encourageait puisqu’il préco- été recommandé de cesser le dépistage, con- le ministère installe une ligne directe permet- bonne guerre, elle braque les projeteurs sur nisait le port de masques en cas de Covid sidérant que le foyer infectieux était identi- tant aux Ehpad de joindre le SAMU sans com- les tutelles. « Force est de constater que quand avéré ou suspecté. Et non de manière pré- fié. Quand, le 30 mars, le Conseil scientifique poser le 15, trop souvent saturé ». A partir de la Olivier Véran [ministre des solidarités et de la ventive. Certains directeurs ont même été chargé du suivi de l’épidémie indique « que fin mars, des lits ont été mis à disposition des santé] a repris nombre de nos demandes, jusqu’à les mettre sous clé. les nouvelles capacités de tests diagnostiques Ehpad dans des hôpitaux de proximité rap- l’administration a déroulé derrière. Mais on a Le 22 mars, Olivier Véran annonce la devraient être prioritairement orientées vers pelle le ministère. « Les chiffres montrent que perdu un mois et demi. Un retard à l’allumage distribution de 500 000 masques par jour. « IL Y A EU UNE les établissements médico-sociaux », rappelle les personnes âgées et même très âgées ont sans lequel, affirme-t-elle , on peut penser Dès lors, la doctrine évolue : tout Ehpad SOUS-ESTIMATION le ministère, il a « été alors décidé de flécher été, au final, très nombreuses à avoir été qu’il y aurait eu moins de morts. » devra recevoir des masques à raison de deux une immense majorité de ces nouvelles capa- hospitalisées » , fait-on valoir. De fait, un peu Le secteur des Ehpad privés non lucratifs par résident, « même s’il n’a pas de cas de INITIALE DES BESOINS cités de tests vers les Ehpad » . plus de 43 % des personnes hospitalisées est tout aussi sévère contre l’exécutif. « Il y a Covid » , précise le ministère. La doctrine a failli être fatale pour Jeanne pour Covid ont plus de 80 ans. Avec toutefois eu un retard coupable de la prise en compte Malgré de multiples consignes envoyées DES EHPAD PARCE Simon. Sur la foi d’une petite fièvre, cette ré- d’importants écarts régionaux. En Ile-de- de la situation dans les Ehpad », lance Marie- aux ARS pour clarifier la ligne auprès des QUE L’ATTENTION DES sidente d’un Ehpad privé à Marseille a été France, 20 % des résidents d’Ehpad victimes Sophie Desaulle, présidente de la Fédération Ehpad, « un cafouillage » sur les règles de dis- placée dans l’aile des résidents qui mon- du Covid sont morts à l’hôpital. Soit 1 000 des établissements hospitaliers et d’aide à la tribution a perduré, selon un acteur le dos- POUVOIRS PUBLICS traient des symptômes du Covid. Trois tests sur environ 5 000, depuis le 1 er mars. Dans les personne privés (Fehap). Le gouvernement sier. Aide-soignante dans un Ehpad associa- consécutifs ont établi après coup qu’elle Hauts-de-France, ils sont environ 40 %. n’est toutefois pas le seul fautif, à ses yeux : tif à Montreuil, Maya (le prénom a été modi- A ÉTÉ CONCENTRÉE n’avait pas contracté la maladie. Jeanne a re- « A chaque crise sanitaire, la France a pour ré- fié) a vécu des situations qui l’ont révoltée. trouvé sa chambre mais, regroupée une di- flexe de protéger la filière des soins, donc l’hô- « J’ai vu des collègues, faute de masque et de UNIQUEMENT SUR zaine de jours avec des malades, elle a couru Un modèle à revoir pital. A l’inverse, les pays nordiques, de culture surblouse, refuser de rentrer dans les cham- CE QUI SE PASSAIT le risque d’être contaminée faute de test La crise a aussi révélé les forces et des anglo-saxonne, l’Allemagne notamment, bres de malades du Covid. Des résidents sont préalable. Comme la fille de Georges Joubert, faiblesses des Ehpad. « Les établissements in- prennent d’abord en compte la situation des alors restés sans médicament et sans manger. EN RÉANIMATION » Marina ne peut s’empêcher de penser que tégrés dans les filières gériatriques, relève personnes vulnérables. » Les infirmières n’ont pas voulu aller non plus à son père aurait pu être sauvé s’il avait été M. Bourquin de la FHF, ont pu bénéficier de MARC BOURQUIN Au sein de l’Etat, « la gestion de crise s’est leur chevet pour leur prodiguer leur traite- testé plus tôt. En convalescence dans un éta- moyens supplémentaires : équipes mobiles de conseiller stratégique faite, comme souvent en pareilles circonstan- ment. Certaines avaient pourtant accès aux blissement privé à Sartrouville (Yvelines), gériatrie, appel à des personnels hospitaliers, de la Fédération hospitalière ces, de façon séquencée, observe l’ancienne masques, contrairement aux soignants. » « mon père n’a été testé que parce que l’hôpi- télé- expertise. » de France secrétaire d’Etat, aujourd’hui présidente de la « Il y a eu une sous-estimation initiale des tal où il devait être transféré a exigé qu’il le A l’inverse, un grand nombre d’Ehpad Caisse nationale de solidarité pour l’autono- besoins des Ehpad parce que l’attention des soit » . C’est seulement au lendemain de son n’étaient pas préparés au choc. C’est le cas de mie, Marie-Anne Montchamp. La surchauffe pouvoirs publics a été concentrée unique- décès que le test a révélé qu’il était positif. petites structures communales démunies à l’hôpital a fait qu’on a manqué de cerveau ment sur ce qui se passait en réanimation, Certains Ehpad et quelques ARS se sont de tout matériel médical. Une partie de leurs disponible pour piloter les Ehpad sans, pour confirme Marc Bourquin, conseiller stratégi- toutefois affranchis de la consigne des « trois résidents auraient eu sans doute plus de autant, laisser suffisamment la capacité aux que de la Fédération hospitalière de France tests maximum » pour dépister largement chances d’être sauvés s’ils avaient disposé acteurs de s’organiser sur le terrain » . (FHF) . On peut le comprendre mais c’était une les résidents avant le 6 avril. L’ARS de la Nou- d’appareil à oxygène mural, mais aussi Au ministère de la santé, on préfère voir erreur, la suite l’a prouvée. Ce n’est pas faute velle-Aquitaine a initié dès la fin mars un dé- d’aides-soignants ou de médecins généralis- dans ces mises en cause un « jeu d’acteurs » d’avoir alerté sur la nécessité de traiter les pistage systématique des résidents et des tes alentours prêts à venir en renfort. « Ce et l’on balaie les reproches. « Il n’y a eu aucun Ehpad comme on a traité l’hôpital. » personnels de tous les Ehpad dès la première constat ne fait qu’accréditer l’idée qu’il faut décalage entre la gestion de la crise à l’hôpital suspicion de Covid. En Provence-Alpes-Côté renforcer les liens des Ehpad avec l’ensemble et dans les Ehpad. Elles ont été menées en d’Azur, le dépistage généralisé des résidents des hôpitaux publics sur une même zone », même temps. La prise de conscience des pro- Un manque de tests de l’Ehpad de Mauguio (Hérault) a permis de affirme M. Bourquin. blèmes a été simultanée. C’est irréfutable ! » , A Chichilianne en Isère, le maire a déposé un détecter des symptômes de la maladie jus- Le bilan humain de la pandémie « surligne riposte-t-on dans l’entourage d’Olivier bouquet de jonquilles sur la tombe de Geor- que-là inconnus (diarrhée, chutes). qu’on ne peut plus reproduire le modèle de Véran. Preuve en est que « beaucoup de déci- ges Joubert au début du printemps. Le méde- l’Ehpad tel qu’il existe aujourd’hui », abonde sions ont été prises début mars pour le secteur cin urgentiste, venu pour tenter de réanimer Une prise en charge Jérôme Guedj, ex-député (PS) de l’Essonne, médicosocial » : les visites en Ehpad ont ainsi l’ancien enseignant, dans sa chambre à la missionné par Olivier Véran sur la protec- été interdites dès le 6 mars, bien avant le con- maison de retraite à Marseille, a obtenu qu’il à l’hôpital inégale tion des plus âgés pendant la crise. finement national. soit testé in extremis, raconte sa fille, Cathe- Tous les Ehpad touchés par le Covid ont été D’ores et déjà, à marche forcée, en traver- L’Etat a beau réfuter tout manquement, les rine Duba Joubert. « Il l’a été sur son lit de confrontés à la difficulté de la prise en charge sant la tourmente, les Ehpad ont dû acquérir Ehpad n’en ont pas moins livré bataille à ar- mort alors que je demandais depuis des jours des malades. D’une région à l’autre, les chan- de nouveaux réflexes. « Nous avons forte- mes inégales selon les territoires, notam- à la direction de l’établissement qu’il soit dé- ces de pouvoir les hospitaliser quand leur ment avancé, en quelques semaines, dans le ment en Bourgogne-Franche-Comté et dans pisté. » Le résultat indiquant qu’il était por- état le permettait ont été très inégales. En traitement de difficultés que l’on essayait de 0123 JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 3

Dans quelles conditions sont morts les résidents atteints du Covid-19 Si les détresses respiratoires aiguës ne sont pas si fréquentes, les soins palliatifs sont compliqués à mettre en œuvre, assurent les soignants des Ehpad

TÉMOIGNAGES Avec toujours les mêmes questions : gnante pour l’ensemble des résidents, « Est-ce que je demande un transfert à « LE PERSONNEL S’EST les conseils par téléphone ne suffisent omment sont-ils morts ? Ont- l’hôpital ? » ; « Est-ce que je limite les RETROUVÉ SEUL POUR pas », souligne la docteure Véronique C ils été accompagnés aux der- soins ? », « Si oui, avec quels médica- Fournier, présidente du Centre natio- niers moments de leur vie ? ments ? » ACCOMPAGNER nal des soins palliatifs et de la fin de Ont-ils bénéficié de soins antidouleur « A partir de là, la situation est deve- vie. Une réalité qu’a vécue de près la lorsqu’ils en avaient besoin ? Telles nue à peu près contrôlable », résume DES PATIENTS QUI docteure Pauline Rabier, de l’équipe sont les questions, lancinantes, que se Brigitte Klinkert. La présidente du SONT MORTS PARFOIS mobile de gériatrie de l’hôpital AP-HP posent les familles de ceux – et ils sont conseil départemental ne le cache du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), des milliers – auxquels le Covid-19, ces pas : le Haut-Rhin n’était pas préparé à TRÈS BRUTALEMENT » qui participe depuis le début de dernières semaines, a ôté la vie dans l’augmentation subite des décès l’épidémie à la régulation d’une ving- PAULINE RABIER les établissements d’hébergement survenue dans la deuxième quin- taine d’Ehpad dans ce secteur de la ré- pour personnes âgées dépendantes zaine de mars. « On parle souvent de équipe mobile de gériatrie gion parisienne, soit environ un mil- (Ehpad) où ils résidaient. Sans que vague, mais chez nous cela a été un de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre lier de résidents. leurs proches, le plus souvent, puis- véritable tsunami, rappelle-t-elle. sent venir leur dire adieu, ni même Dans les Ehpad, la question de l’accom- Présences des proches assister à leur mise en bière. pagnement en fin de vie s’est alors po- dente qui va fêter mercredi prochain « Dans 70 % de ces établissements, j’ai Dans leur infortune, ces établisse- sée de manière cruciale. Et la situation ses 100 ans est qui est en pleine forme. vu des médecins coordinateurs et des ments ont eu une chance : la première a entraîné des situations difficiles, avec Et sur les douze résidents que nous médecins prescripteurs extraordinai- vague de l’épidémie est survenue parfois un accompagnement insatis- avons perdus, il y a eu des détresses res- res, qui ont géré les fins de vie quasi- dans le Grand-Est, région plutôt bien faisant. » Le Haut-Rhin compte 74 Eh- piratoires, mais ça n’a pas été la règle. » ment vingt-quatre heures sur vingt- dotée en matière de prise en charge pad, soit 7 183 places. Au total, 2 088 ré- A La Roselière (Kunheim, Haut- quatre, raconte-t-elle. Mais quand il du grand âge et d’organisation des sidents y ont été suspectés ou confir- Rhin), Ehpad doté d’un médecin et de n’y avait ni médecin ni infirmière de soins palliatifs. Présent dans le Haut- més « Covid + ». Le 28 avril, 630 d’entre huit infirmières, on déplore douze nuit, la prise en charge des détresses Rhin dès début mars, le coronavirus eux étaient morts, dont 578 sur le lieu morts sur 115 résidents. Mais aucun respiratoires a parfois été extrême- atteint rapidement le Bas-Rhin. Le de vie et 52 à l’hôpital. cas de détresse respiratoire aiguë. « La ment compliquée. Certains malades 15 mars, la barre du millier de cas plupart sont morts durant la journée, ont pu être transférés d’urgence à l’hô- déclarés est franchie dans le Grand- « Fantasme collectif » quasiment d’un instant à l’autre. pital, mais, le plus souvent, ça n’a pas Est. Les hôpitaux sont au bord de la Morts comment ? Moins mal, semble- Comme si l’infection avait accéléré leur été possible. Et le personnel s’est A l’Ehpad de Thise saturation. Dans les Ehpad, les t-il, que ce que l’on a pu craindre. Tous dégradation générale avant qu’ils n’ar- retrouvé seul pour accompagner des (Doubs), le 16 avril. premiers décès surviennent. les soignants que nous avons interro- rivent à des complications pathologi- patients qui sont morts de manière SÉBASTIEN BOZON/AFP « Dès ce moment-là, notre ARS gés le répètent : les personnes âgées ques extrêmes », avance le docteur parfois extrêmement brutale. Quand il [agence régionale de santé] nous a emportées par le Covid n’ont pas Marc Bouché, président du conseil y a 30 décès en quinze jours dans de saisis pour répondre à la crainte que les toutes connu une détresse respira- d’administration de l’établissement. telles conditions, comment parler de résidents développent des symptômes toire aiguë, tant s’en faut. « Les équipes Au centre départemental de repos et soins palliatifs ? Il y a des soignants qui insupportables et que personne ne s’en du Grand-Est nous avaient avertis que de soins (CDRS) de Colmar (Haut- ont vu des morts franchement pas occupe », relate Véronique Legrain, certains patients mourraient en Rhin), le bilan que donne le chef du confortables. » surmonter depuis des années », se félicite l’en- médecin au Réseau alsacien de soins s’étouffant. C’est ce que nous voulions pôle médical, Stéphane Carnein, est En Normandie, zone relativement tourage du ministre de la santé : la présence palliatifs. Très vite, cette structure de absolument éviter, et nos propositions plus contrasté : sur la trentaine de épargnée par l’épidémie, la cellule médicale a été renforcée, la téléconsultation coordination appelle la dizaine thérapeutiques sont allées dans ce résidents (sur 340) décédés ces derniè- éthique régionale mise en œuvre au déployée, des solutions de renforts en per- d’équipes mobiles de soins palliatifs sens-là. Mais en fait, heureusement, ces res semaines, « certains sont claire- début de la crise sanitaire est pilotée sonnels ont été trouvées. du territoire pour que chacune décès difficiles ne sont pas la majorité », ment morts du Covid et l’on a mis en par le professeur Grégoire Moutel, La perspective du déconfinement et des signale aux médecins coordinateurs affirme Claire Fourcade, vice-prési- place, quand il le fallait, les protocoles chef du service de médecine légale et effets du dépistage massif dans les Ehpad des Ehpad de son secteur qu’elle est à dence de la Société française d’accom- de fin de vie qui avaient été prévus ». droit de la santé au CHU de Caen. donnent toutefois déjà des sueurs froides à leur disposition. pagnement et de soins palliatifs Autrement dit : beaucoup d’oxygène « Nous venons d’avoir une réunion de l’équipe d’Olivier Véran. Où trouver les nou- Le réseau établit une liste de médica- (SFAP) . « On est dans un fantasme pour les aider à respirer le mieux toutes les cellules régionales, et le cons- veaux bénévoles qui suppléeront les soi- ments et de matériels nécessaires, collectif d’asphyxie, on imagine toutes possible et, si cela ne suffisait pas, une tat est le même partout : même si de gnants dépistés malades du Covid, qui ne puis propose un « protocole simplifié ces personnes âgées, seules dans leur sédation profonde et continue. très bonnes choses ont été faites dans pourront plus travailler ? Jérôme Guedj sug- pour la prise en charge symptomati- chambre, en train de s’étouffer. La Dans ces trois Ehpad du Grand-Est, certains Ehpad, les soins palliatifs n’ont gère la création d’une « réserve de volontaires que de la dyspnée sans intention de réalité est beaucoup plus nuancée. On pourtant relativement privilégiés sur globalement pas pu être mis en œuvre pour le secteur médicosocial » que les départe- sédation et de la détresse respiratoire peut mourir du coronavirus par épuise- le plan médical, le personnel n’en a correctement », estime-t-il. ments, au titre du grand âge dans leurs com- avec sédation profonde chez un ment, sans passer par la détresse respi- pas moins été démuni devant l’am- Car l’accompagnement de fin de vie, pétences, pourraient organiser. « Certains ont patient âgé “Covid +” en Ehpad » – pro- ratoire », confirme Véronique Legrain. pleur et la brutalité des événements. ce n’est pas seulement des médica- été proactifs pendant la crise. Mais la plupart tocole qui sera par la suite amplement « Sur les 29 résidents de notre Ehpad, Comment, dès lors, s’étonner que les ments, ni même un personnel soi- ont raté le coche », assène l’ancien élu. relayé sur tout le territoire français. 27 ont été atteints du Covid, et douze en structures défavorisées aient été gnant attentif et aidant. La présence Entre l’Etat et les départements qui cofi- Enfin, il organise une astreinte d’infir- sont morts, détaille Xavier Mattelaer, débordées ? Partout, les remontées des proches est un élément essentiel. nancent les Ehpad, un autre dossier brûlant mières libérales susceptibles de venir médecin de soins palliatifs à la clini- sont les mêmes : dans les établisse- Or, les proches étaient interdits de est sur la table. Les Ehpad réclament plu- en renfort, la nuit, dans les Ehpad. A que de la Toussaint, grosse structure ments en difficulté, ce ne sont pas visites. Certains n’ont même été pré- sieurs centaines de millions d’euros, « d’ici à partir du 30 mars, une astreinte télé- médicale située au cœur de Stras- tant les produits sédatifs qui ont man- venus qu’après le décès, d’autres se l’été », pour compenser leurs dépenses majo- phonique avec numéro vert est mise bourg (Bas-Rhin) dont l’Ehpad a dû qué que le manque de personnel, et de sont vu refuser l’accès au dossier mé- rées par la crise et le manque à gagner du fait en place, pour laquelle gériatres et gérer un cluster. « Au départ, on se di- personnel formé. « Le plus souvent, les dical . « Il y a donc légitimement des de l’arrêt des admissions. Emmanuel Maron experts en soins palliatifs se relaient sait : “Ils sont tous âgés, ils ont tous des Ehpad sont en lien conventionnel avec gens dans le doute, qui ne savent pas si a promis une prime pour tous les soignants. vingt-quatre heures sur vingt-quatre comorbidités, donc ils vont tous mou- une équipe de gériatrie hospitalière et leurs proches ont bénéficié d’un ac- Les négociations commencent à peine pour et sept jours sur sept pour répondre rir d’une détresse respiratoire horrible.” une équipe de soins palliatifs. Mais, compagnement de qualité avant de savoir ce que chacun mettra de sa poche. p aux sollicitations des Ehpad. Environ Mais, finalement, on a eu onze patients dans une crise aiguë comme celle-là, mourir » , conclut M. Moutel. p béatrice jérôme quinze appels sont reçus par jour. asymptomatiques – dont une rési- lorsqu’il n’y a la nuit qu’une aide-soi- catherine vincent

Epidémie de Covid-19 : situation au 5 mai, 14 heures

DÉCONFINEMENT DÉCÈS EN FRANCE HOSPITALISATIONS...... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants EN EUROPE Synthèse des deux indicateurs de 100 à 123 Royaume-Uni Personnes 29 501 morts retenus par le gouvernement : et départements de 50 à 100 circulation active du virus limitrophes hospitalisées 44 décès / 100 000 hab. Guadeloupe 25 531 de 25 à 50 et tension hospitalière sur les capacités depuis le 1 er mars Moins de 25 Italie en réanimation dont 16 060 à l’hôpital 24 775 29 315 morts Martinique et 9 471 en Ehpad 49 décès / 100 000 hab.

RÉAMINATION ET SOINS Espagne Mayotte INTENSIFS 25 613 morts Au moins un 55 décès / 100 000 hab. des deux facteurs est rouge La Réunion 3 340 Nouvelles admissions France Au moins un 2 972 25 531 morts journalières des deux 38 décès / 100 000 hab. facteurs Guyane est orange 987 Allemagne (au 4 mai) 771 Les deux facteurs 6 993 sont verts 18 mars 5 mai 18 mars 5 mai 8 décès / 100 000 hab. Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University 8 l’Humanité Mercredi 6 mai 2020 1 milliard C’est, en euros, l’estimation par le secteur aérien français de ses besoins pour surmonter la crise Capital/travail provoquée par le coronavirus. COVID-19

ÉTUDE « Les salariés ont déjà payé un lourd tribut à la crise » La CGT des cadres est la première à publier une grande enquête sur les conditions de travail pendant le confinement. Sites dangereux, télétravail dégradé… Le syndicat met aussi en garde contre une reprise trop pressée.

e 15 avril, nous repre- de lancer cette première grande étude située En effet, le constat est sans appel. Les salariés les catégories socioprofessionnelles. 70 % nons le travail, sans du côté des salariés. L’enquête affiche sa ont été durement impactés par la crise et ont des télétravailleurs appartiennent aux caté- masque, avec deux « rigueur méthodologique et scientifique », perdu en rémunération, notamment ceux gories ingénieurs, techniciens ou cadres « paires de gants chacun insiste l’organisation, qui a sollicité pour son mis au chômage partiel. Les primes promises intermédiaires, alors que 61 % des ouvriers qui se déchirent en une analyse des syndicalistes statisticiens issus ont rarement été distribuées, alors que les et employés sont présents dans les établis- Lheure environ », confie de grandes administrations publiques. Un dividendes, en revanche, ne sont pas restés sements. Sans surprise, l’activité sur site se Thomas, installateur état des lieux qui veut aussi permettre aux confinés. Un tiers des travailleurs ont vu leur concentre dans les télécommunications, thermique. « Dans l’école où je suis inter- salariés de « mesurer leur tribut à la crise en charge de travail augmenter, et le temps de l’agroalimentaire, les transports, l’industrie venue, j’ai trouvé que le contexte mettait termes de congés, de rémunération moindre, travail s’est allongé pour 20 % d’entre eux, chimique, la santé et l’action sociale. Les en danger les employé·es ainsi que les enfants de conditions de travail et de risques pour la facilité par la nouvelle législation. Les situa- salariés ayant répondu à l’enquête s’inquiètent accueilli·es », témoigne Corinne, profes- santé », précise Marie-José Kotlicki. tions de travail se révèlent très diverses selon des risques majeurs auxquels ils sont toujours seure des écoles. Pour la première fois depuis le début du confinement, une grande enquête a analysé les conditions de travail des Français, exerçant sur leur site habituel LE TRAVAIL SOUS CONFINEMENT ou en télétravail, depuis le début de la Enquête publiée par l’Ugict-CGT sur les conditions de travail et d’exercice de la responsabilité professionnelle durant le confinement : pandémie. 34 000 salariés et fonctionnaires 34 000 réponses de salarié-es de tous statuts et secteurs professionnels, dont près de 60 % non syndiqué·es, recueillies en ligne entre le 8 et le 24 avril. ont répondu sans détour au syndicat des cadres de la CGT, alors que seule une en- Les ouvriers/employés plus concernés par le chômage partiel ou le travail sur site quête s’appuyant sur les données des en- 1 % NC 38 % treprises détaillait jusqu’ici les actuelles 16 % situations, réalisée par le service statistique du ministère du Travail (flash Acemo Covid-19). 37 % « Nous voulions briser l’isolement des salariés Travail sur site Télétravail 22 % et leur redonner la parole sur la réalité de leur 61 % travail, alors que le gouvernement a publié des ordonnances réduisant considérablement les droits sociaux. » Pour Marie-José Kotlicki, 25 % secrétaire générale de la CGT des cadres Ouvriers/Employés Professions intermédiaires Cadres (Ugict-CGT), il était donc urgent et primordial 1 % NC 19 % 17 % 60 PROPOSITIONS POUR UN NOUVEAU CAP Inactivité Chômage 56 % Anticiper le déconfinement et sortir partiel 55 % ou congés durablement de la crise sanitaire, sociale, 26 % 26 % économique et environnementale : un cap qui a orienté les 60 propositions de l’Ugict-CGT complétant son étude. Alors que le rôle des représentants des personnels Femmes hommes, pas d’inégalités face à la crise s’est avéré central en période épidémique, Hommes Femmes le syndicat veut le renforcer, ainsi que celui de l’inspection et de la médecine du travail. Un accord doit absolument être signé avec les syndicats pour conditionner toute reprise du travail à « protéger/tester/isoler… 50 % 50 % 49 % 51 % 53 %47 % 50 % 50 % pour de vrai ». Bilan sur le télétravail, sécurisation de la délégation de pouvoir et de responsabilité des cadres, travail décloisonné donnant plus d’autonomie Travail sur site Télétravail Chômage partiel Inactivité ou congés aux salariés, réduction du temps de travail… À lire sur luttevirale.fr SOURCE : UGICT-CGT Mercredi 6 mai 2020 l’Humanité 9 Capital/travail

exposés dans leur établissement : 66 % doivent terrogeant sur leurs conditions de travail, manipuler des équipements potentiellement leur espace, leur état psychologique. Quant TEL QUEL contaminés, et deux tiers croisent plus de aux obligations du Code du travail impliquant « J’ai peur de contaminer mes proches en venant au travail » 6 collègues par jour. Mais, surtout, 56 % un droit à la déconnexion et l’établissement reçoivent du public. Les mesures de protection de plages horaires précises, elles sont tombées Brigitte, 48 ans « Des mesures ont été mises en place : mises en place par l’employeur s’avèrent aux oubliettes. À cela s’ajoute, pour les parents Opératrice de ligne lavage de mains obligatoire ; on a du gel, souvent insuffisantes. La majorité n’a pas d’enfants de moins de 16 ans, la supervision chez Nestlé (Itancourt) des lingettes. Mais je ne suis pas seule prévu d’arrêt maladie préventif pour les sa- de l’école à la maison, sans réduction de temps à travailler sur ma ligne, contrairement lariés vulnérables et 93 % n’ont pas proposé et de charge de travail, dégradant durement aux collègues dans leurs bureaux. Je travaille en 2x8, et la personne que je d’alternative aux transports en commun. leurs conditions de travail, et touchant ma- remplace ne nettoie pas forcément l’outil de travail… Les masques, c’est pareil : Masques et gants de protection sont encore joritairement les femmes. « 43 % des télétra- on nous en donne deux par jour, mais certains le mettent mal. Ou alors ça des denrées rares pour 39 % des travailleurs, vailleuses nous ont dit que ça se traduisait par les saoule, et ils l’enlèvent. Je vis avec une personne fragile et j’ai peur de la quand 33 % remarquent que le mètre de plus de 4 heures de tâches domestiques sup- contaminer en venant au travail. Les conditions ne sont pas idylliques quand distance de sécurité n’est pas mis en place, plémentaires par jour », alerte Sophie Binet, on sait qu’on va fermer en décembre et que nos potages seront ensuite produits un standard pourtant déjà très minimal par qui met en garde contre un « cocktail de risques dans les pays de l’Est. Mais on vient quand même, parce que normalement, rapport à ceux de nos voisins européens. Or psychosociaux très inquiétant additionnant on devrait être reclassés après le CSE. Et ça sera difficile de retrouver du travail « ces risques auraient pu être évités, remarque isolement, surcharge de travail, perte de sens après le Covid. Je viens pour toucher un salaire et parce que je ne peux plus Sophie Binet, de l’Ugict-CGT, puisque 3 sa- et qualité empêchée ». être en arrêt maladie. Mais je ne me sens pas utile : nous produisons des aides lariés sur 10 qui ont continué à travailler sur Pour l’Ugict, cette enquête globale était culinaires, des bouillons cubes pour donner du goût. Ce n’est pas essentiel ! site nous disent que leur activité n’était pas nécessaire pour ne pas fracturer le collectif Déjà, soi-disant, ça ne se vendait pas et c’est pour cela qu’on fermera essentielle en période de crise, et 10 % estiment de travail, démontrer les difficultés à tous les en décembre. Et maintenant toutes les lignes fonctionnent ! On aurait pu qu’elle aurait pu s’effectuer en télétravail ». étages, certains employeurs jouant sur les comprendre pour une, qui produit de la nourriture liquide pour les hôpitaux : potentiels antagonismes cols bleus/cols blancs celle-là est vraiment essentielle pour les gens malades, en fin de vie, mais Des difficultés à tous les étages pour négocier des accords de « solidarité ». produire des aides culinaires, non… On n’a pas compris pourquoi on devait Le télétravail serait-il la solution miracle ? « Nous sommes déjà confrontés à des tentatives y retourner. C’est Nestlé. C’est le profit. Ils ont même promis une prime, mais Pas toujours… L’enquête met en avant un de partage de la pénurie, explicite Marie-José uniquement pour faire venir les intérimaires… » travail à distance dégradé, dû principalement Kotlicki. On demande aux cadres de rétrocéder à une organisation décidée en urgence et peu des jours de congés ou de RTT, de rémunération, accompagnée. Deux tiers des télétravailleurs pour mieux rémunérer les salariés en situation n’avaient jamais exercé hors de leur bureau de chômage partiel. Et pourtant la plupart des « La grosse supercherie de l’école à la maison en bossant !» avant la pandémie. L’employeur a très rare- grandes entreprises continuent à verser des Cécile, 34 ans « La vraie difficulté pour moi, ce sont ment pris en main l’aménagement ou prêté dividendes en période de crise sanitaire. » Mère de deux enfants les enfants… J’ai beaucoup plus de travail du matériel informatique. Pour 37 %, l’en- DOSSIER RÉALISÉ PAR et je suis tout le temps dérangée par cadrement n’a pas suivi ses salariés, les in- KAREEN JANSELME des mails, des sms… Du coup, c’est assez difficile d’être concentrée, efficace, et mère en même temps ! On a supprimé un repas : j’organise un gros brunch à midi et un vrai repas le soir. Je travaille bien tôt le matin, quand tout le monde dort. Ensuite, c’est la valse des écrans, car Les précaires, principales victimes du chômage partiel et de l’inactivité nous n’avons pas un ordinateur par personne et uniquement trois pièces pour quatre. Alors on tourne, en fonction des visioconférences sur pour mon 10 % mari, demes coups de téléphone et des cours sur ordinateur pour l’aînée. 24 % Le problème, c’est que les femmes sont aux premières lignes, même à distance. L’école à la maison en bossant, c’est la plus grosse supercherie de cette période. Le matin, on vérifie sur Pronote (le logiciel à distance de l’école), sur le mail et 90 % CDI ou fonctionnaires 76 % sur le cahier de texte, et on doit assembler tout ça. Ils me font de la peine quand Précaire (CDD, je me dis que, pour trois mois d’incurie des adultes, ils vont perdre une année intérim, saisonniers...) scolaire… J’ai une amie qui est séparée de son mari. Et là, elle a l’impression Chômage partiel Inactivité ou congés de revenir trois ans en arrière : elle a beau travailler, elle appelle ses enfants par Skype tous les jours quand elle n’en a pas la garde pour faire sur Les salariés du privé en première ligne face à la baisse d’activité les devoirs. Le père, qui a “un vrai travail, lui”, ne peut pas s’en occuper. Même avec des conditions optimales, c’est impossible de s’occuper scolairement 6 % 3 % 8 % des enfants et de travailler en même temps. Soit l’école organise des visiocours, soit on laisse tomber et l’école s’arrête pour tous. » 26 % 3 % 31 % 29 % Autres statuts

89 % 21 % Fonctionnaires ou agents publics 63 % 71 % « Ils télétravaillaient la nuit, les dimanches » 50 % Salariés du secteur Marie, 46 ans « J’exerce un métier qui se prête bien privé Journaliste au télétravail et je le faisais déjà deux jours Travail sur site Télétravail Chômage partiel Inactivité dans une revue juridique par semaine. Mais ce n’était pas le cas ou congés de tout mon service, où le passage ne s’est pas réalisé sans douleur ! Certains n’avaient pas le matériel, ni l’habitude : Les salariés déjà durement touchés Plus de la moitié des salariés en chômage ils travaillaient la nuit, les dimanches, mélangeaient vie professionnelle et vie par la crise partiel ont perdu des revenus personnelle. C’est comme si l’entreprise avait été une capsule qui les protégeait et qui avait explosé ! C’était rigolo… Le problème, c’est que ces personnes Travail sur site Oui ou ils vont l’être Non 3 % ne respectaient pas les barrières d’un cadre de travail d’habitude très normé. Là, tu étais sollicité n’importe quand et tu devais répondre dans les cinq minutes. Télétravail Gain de Pourtant, je travaille avec des juristes, des personnes diplômées, censées être 1 % revenus à l’aise avec les outils informatiques. Mais, au début, elles perdaient les pédales. 45 % 50 % 55 % Chômage partiel Beaucoup travaillaient même en congé, alors qu’avant, dans mon entreprise, 0 % si je travaillais un jour de repos, je me faisais taper sur les doigts… Là, dans cette Travail sur site période, il n’y a plus eu la peur du gendarme, des contrôles… Mais ça va un peu 14 % mieux maintenant. En même temps, je n’ai pas trop de nouvelles des autres car 55 % 50 % 45 % Télétravail Perte de on ne se voit plus du tout. C’est bizarre comme isolement. On ne sait pas ce qui se 6 % revenus passe dans l’entreprise. Il y a deux-trois délégués syndicaux attentifs, mais qui ne viennent pas aux nouvelles, mais je ne pense pas qu’ils aient nos coordonnées. Cadres Professions Ouvriers/ Chômage partiel 56 % De temps en temps, on discute une demi-heure avec le chef de service sur une ligne intermédiaires Employés audio pourrie qui marche mal. Nous allons rester encore un moment en télétravail. »

10 u FRANCE Libération Mercredi 6 Mai 2020

Au commissariat central de Lille, le 23 avril, une victime de violences conjugales attend pour une confrontation avec le mis en cause. Les avocats du suspect et de la victime

bitants», précise à Libération son chef adjoint, Sélim Méroud – a rappelé depuis le 6 avril qua- tre réservistes, dont trois délégués à la cohé- sion police-population. Ils sont chargés de prendre attache avec d’anciennes victimes de Violences intrafamiliales violences intrafamiliales afin de prévenir «le risque de réitération» pendant le confinement. L’initiative locale durera «au moins jusqu’au déconfinement», explique Méroud, qui sou- haite qu’elle puisse «perdurer au-delà». Objectif : s’assurer que tout va bien pour ces femmes que les mesures sanitaires isolent un peu plus et piègent parfois entre quatre murs «Les victimes ont moins avec un conjoint, ou ex, violent. Une liste de 200 victimes a été établie avec le parquet, le service de contrôle judiciaire et d’enquête, et une association d’aide aux victimes et de mé- diation. En un mois, plus de 172 d’entre elles ont été contactées. Toutes les détentrices d’un «téléphone grave danger» (un téléphone por- table attribué par le procureur, équipé d’une touche permettant d’alerter un service d’as- d’échappatoires» sistance) ont été contactées en priorité. «COURSE CONTRE LA MONTRE» Ce jeudi matin, Jacky s’imprègne de son pre- l y a eu ce premier SMS : «Monsieur aidez- mier dossier. Un couple séparé : il a frappé à I moi SVP il vient de me taper pour un cour- la porte un soir alors qu’elle attendait un co- Depuis le début du confinement, le Nord rier… un bulletin de mon fils.» Suivi d’un lis, s’est caché derrière le judas, est entré de autre : «SVP je vais pas tenir, il va me finir.» Les force, l’a traitée de «pute» et giflée. L’ancien a constaté une hausse des interventions messages sont arrivés sur le portable de Jacky policier de la brigade anticriminalité (BAC) (1), retraité de la police. Il a alerté les services compose le numéro noté dans la procédure. pour différends familiaux. La sûreté de police secours, une patrouille a interpellé Las, celui-ci n’est plus attribué. Autre dossier, urbaine lilloise a mis en place une cellule le conjoint violent au domicile familial. Quel- nouvel échec : le numéro fonctionne, mais ques jours plus tôt, il avait contacté cette n’est pas celui de la victime. «Aucun cas n’est chargée de recontacter 200 femmes, femme en instance de séparation, confinée laissé sans réponse, même si cela demande un avec son futur ex et leurs enfants. Dans le dos- peu plus de temps», garantit le réserviste. Le parfois isolées par les mesures sanitaires. sier, déjà plusieurs procédures pour violences troisième dossier est le bon. Au bout du fil, un conjugales. Jacky s’était enquis du déroulé du timbre clair et assuré : «Je suis avec les enfants Par huis clos, avait laissé son numéro : «Je l’ai eue à la maison. Il n’y a pas de souci, il respecte, CHLOÉ PILORGET-REZZOUK deux-trois fois au téléphone. Elle avait besoin il ne s’approche pas du tout.» Faute de ren- Envoyée spéciale à Lille de parler, c’était tendu.» contre physique, la voix reste un indicateur Photos AIMÉE THIRION La sûreté urbaine de Lille – qui couvre la moitié clé. «On sent vite si la personne est en danger. de l’agglomération, soit «environ 600 000 ha- Et au moindre doute, on envoie une pa- Libération Mercredi 6 Mai 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 11 Pour les femmes et les enfants, un danger aggravé

Face à des violences Me Isabelle Steyer, avocate Grâce à ces fonds, en Ile-de- favorisées spécialisée, qui se dit «folle- France, les stu dettes inoccu- par l’isolement, ment inquiète». pées d’une résidence étu- le gouvernement L’Etat comme les associa- diante ont déjà accueilli une tions tentent donc de multi- cinquantaine de femmes de et les associations plier les moyens de donner tous âges depuis début avril, multiplient l’alerte : outre l’appel au 17, orientées par la police ou les initiatives. il est possible de demander des travailleurs sociaux. de l’aide dans l’une des «Sans cela, et vu que la plu- lise a 25 ans. Elle a 20 000 pharmacies du ter- part des hébergements exis- E une fille de 3 mois. ritoire, d’envoyer un SMS tants sont saturés, ces fem- Le 17 avril, son petit au 114, numéro initialement mes auraient dû faire appel ami, avec qui elle venait de dédié aux personnes sour- au 115. Or, aussi nécessaires rompre, demande à la revoir. des ou malentendantes qui que soient leurs services, ils Ils se donnent rendez-vous a vu ses sollicitations plus posent plusieurs difficultés : sur un parking à Aunay-sur- que doubler (et dans les mixité, absence d’accompa- Odon, dans le Calvados. Il deux tiers des cas, pour des gnement social, psycholo- l’aurait poignardée dans le violences intrafamiliales), gique ou juridique. Beau- cou à deux reprises, en pré- de se rendre sur la plate- coup d’entre elles sont sence du nourrisson. Elise a forme de tchat du ministère parties précipitamment, la moelle épinière section- de l’Intérieur, accessible alors on leur fournit aussi née et restera tétraplégique. vingt-quatre heures sur de quoi se nourrir, se laver, Jennifer, elle, avait 35 ans. vingt-quatre et cinq fois plus téléphoner…» explique Bri- Elle était agent d’entretien sollicitée depuis le début du gitte Chabert, présidente de à l’hôpital de Seclin, dans confinement… Des points l’Union régionale solidarité le Nord. Elle avait cinq en- d’information ont égale- femmes Ile-de-France, qui dans le bureau d’un enquêteur de la brigade des mineurs de Lille, le 23 avril. fants, âgés de 6 à 16 ans. Son ment vu le jour dans quatre- chapeaute le projet. compagnon a été mis en vingts centres commerciaux examen pour «meurtres». Il pour accompagner et sensi- Vigilance est soupçonné d’avoir tué biliser. Plus de 230 person- Autre avantage : les femmes Jennifer et deux de ses nes y ont déjà été accueillies. peuvent s’y poser quelques enfants, Doriane et Thiméo, Le nombre de «téléphones semaines avec leurs enfants. le 5 avril à Carvin (Pas-de- grave danger» en circulation Eux aussi subissent de plein Calais). Les histoires d’Elise a été accru : courant avril, un fouet la violence ces derniè- et Jennifer sont de tragiques millier d’entre eux étaient en res semaines, comme en at- illustrations de la hausse circulation, une centaine de teste la hausse continue des des violences intrafamiliales plus en un mois… appels reçus par le 119, nu- observée en France depuis le Reste un autre défi : éloigner méro vert de l’enfance en début du confinement. l’auteur ou mettre la victime danger, depuis la mise en à l’abri. Pour ce faire, place du confinement. «Isolement» 20 000 nuitées d’héber- «D’ordinaire, on reçoit en Ainsi, en zone gendarmerie, gement d’urgence ont été moyenne 1 200 appels par les interventions pour ce débloquées par le gouver- jour. Là, on a connu des motif ont bondi en nement. «L’éloignement du journées à 2 500», indique moyenne de 30 % ces der- conjoint violent est dans la Pascal Vigneron, directeur nières semaines (lire notre loi, et néanmoins il est très du service télé phonique, reportage ci-contre). Dès la peu appliqué. Nous voulons pour qui ce regain d’activité mi-mars, les associations en faire une réalité, avec l’ac- vient en partie des cam - venant en aide aux victimes cord de la victime», appuie la pagnes de sensibilisation, de violences conjugales secrétaire d’Etat à l’Egalité mais pas seulement : avaient exprimé leur in- entre les femmes et les hom- «Des situations de tension se quiétude, certaines d’entre mes, Marlène Schiappa. trouvent exacerbées par le elles réclamant la mise en Face à l’urgence, la Fonda- confinement.» Une avocate de suspect et une psychologue venue pour une expertise psy. place d’un plan d’urgence tion des femmes a lancé une Pour autant, professeurs, pour venir en aide aux vic - vaste collecte de fonds. Plus éducateurs et travailleurs times. «Les violences conju- de 2 millions d’euros ont sociaux, qui d’habitude peu- trouille», soutient Robert, lui aussi mobilisé. vingt-quatre heures, qui peut être prolongé. Il gales ne pouvaient qu’être déjà été récoltés, qui servent vent repérer le danger, ne Dans un autre couloir de l’hôtel de police de va falloir entendre la victime, ses deux en- aggravées par le confine- entre autres à financer peuvent plus le faire. Alors, Lille, Philippe, chef de la brigade spéciali- fants… C’est une course contre la montre», s’in- ment : l’isolement de la vic- 40 000 nuitées supplémen- Pascal Vigneron exhorte sée dans les violences conjugales de Ville - quiète Philippe, installé dans un bureau de ses time fait partie de la straté- taires pour les femmes. chacun à la plus grande vigi- neuve-d’Ascq et Wattignies, a récupéré le dos- collègues de la «CAC», la cellule anticambrio- gie de l’agresseur», analyse lance : «Ce sont parfois leurs sier de la femme ayant appelé à l’aide par SMS. lage. Des affiches de films d’action (dont Ro- Elisabeth Moiron-Braud, amis qui nous contactent. On Le conjoint violent, connu des forces de cky ) au mur et sur les tables, quelques flacons secrétaire générale de la «Des situations a par exemple reçu un appel l’ordre, a été placé en garde à vue la veille de gel hydro alcoolique. Comme partout, le Co- mission interministérielle de tension d’une adolescente à qui une à 17 heures, puis entendu à 2 heures du matin vid-19 a contraint la sûreté urbaine de Lille à pour la protection des copine avait confié sur les par l’équipe de nuit. Le suspect nie «en bloc» : une ré organisation de ses services, de la prise femmes (Miprof), chargée se trouvent réseaux sociaux être réguliè- sa femme n’est qu’une «menteuse», tombée de plainte aux brigades spécialisées. Les effec- par le gouvernement de rement victime d’attouche- «toute seule». Il est 9 h 15, l’enquêteur n’arrive tifs travaillent en «mode dégradé» (c’est-à-dire conduire une mission d’in- exacerbées en ments», relate-t-il. Et d’ajou- pas à joindre l’unité médico-judiciaire chargée en équipes alternées et réduites) et un «pool formation sur le sujet. «Le confinement.» ter : «Dans le doute, il ne faut d’évaluer les blessures physiques et psy - judiciaire» traite en priorité les flagrants délits confinement peut devenir pas s’abstenir. On n’en vou- chiques de la victime – qui se verra notifier et les enquêtes urgentes. En ces temps pandé - un moyen d’emmurer la pa- Pascal Vigneron dra jamais à quelqu’un de cinq jours d’incapacité totale de travail (ITT). miques, ce sont ainsi trente enquêteurs par role, les coups et les bleus des directeur du numéro s’être trompé.» «En flag, nous sommes tenus à un délai de semaine, dont une petite Suite page 12 femmes», avertit quant à elle pour l’enfance en danger VIRGINIE BALLET 12 u FRANCE Libération Mercredi 6 Mai 2020

Suite de la page 11 dizaine de fonction - 25 mars. Agir vite, même à effectif réduit. naires spécialisés dans la protection de la fa- Dans un coin, une jeune femme patiente, l’air mille, qui sont mobilisés. «On laisse des cou- soucieux, les yeux rivés sur le fond d’écran de ples confinés ensemble, avec des gens qui son smartphone où se détache le visage d’une saturent de rester enfermés. Forcément, cela fillette. Elle glisse : «J’ai peur de le voir.» peut vite dégénérer», lâche Jimmy, policier de Quelques minutes plus tard, la voilà face à son la CAC parfois appelé en renfort. compagnon, contre lequel elle a porté plainte la veille. La confrontation, en présence des «QUELQUES “PRIMOS”» avocats, se déroule dans l’exigu bureau de Dans le département, les interventions pour Pascal, enquêteur à la brigade des mineurs différends familiaux ont grimpé de 35 % de- (BM). Tout le monde porte un masque chirur- puis le début du confinement, par compa - gical. La victime pleure, les mains agrippées raison avec la même période l’an dernier. «Ce à son sac. Lors de sa déposition, elle a témoi- sont plutôt des “réguliers”, qui deviennent plus gné de nombreux épisodes d’insultes et de réguliers», estime Philippe à ce stade, même violences. Comme ce coup de pied qui lui a si «on a quelques “primo”». Comme ce septua- fracturé le plancher orbital et le nez il y a quel- génaire arrêté au petit matin, fortement ques années, ou ces gourdes de protéines je- alcoolisé, après avoir violemment giflé et me- tées en plein visage. nacé sa femme. Celle-ci, âgée de 72 ans, s’était réfugiée chez leur voisin, qui a composé le 17. «AVANT QU’IL Y AIT UN DRAME» En revanche, le nombre de plaintes pour vio- Ça part toujours «de petits trucs». Une phrase lences physiques au sein de la cellule fami- «mal interprétée», une engueulade «de trop». liale a baissé de 27 %. «Je pense que ça va se Cette fois, une valise mal rangée. Elle a dé- délier après le confinement, avance Vincent, posé plainte «pour que ça s’arrête». Cela fait enquêteur à la brigade depuis trois ans. Cela cinq ans que ça dure. En 2017, elle avait déjà peut être compliqué de nous alerter ou de dé- porté plainte, mais le couple s’était finalement poser plainte, même si pas mal de choses se remis ensemble. «On réessaie à chaque fois et mettent en place. Les victimes ont moins ça ne marche pas», sanglote la jeune mère de d’échappatoires.» Il pense à cette femme qui famille. Les jambes tremblantes, elle avoue a supplié la police de ne pas venir chercher l’avoir menacé une fois d’un couteau : «Avec tout de suite son époux qui devait être audi- tout ce qu’il me fait, j’ai déjà eu envie de me sui- tionné dans le cadre d’une enquête prélimi- cider… Sur le coup de la colère, je me suis dit : naire : «Quand il va revenir, il se vengera sur il faut que je le plante, que tout s’arrête.» moi.» A l’inverse, une autre est venue porter Son conjoint a passé la nuit au poste. Il recon- plainte pour des faits anciens : «Confinée avec naît certains des faits de violence, pas tous. son conjoint, elle a pris peur.» «Il faut assumer, monsieur. Ça fait partie d’un Sur l’ensemble du territoire, les signalements tout : ce sont des violences conjugales, tance le sur le portail web des violences sexuelles brigadier-chef. Cette garde à vue doit être un et sexistes ont doublé les trois premières se- élément déclencheur. Il va falloir trouver une maines d’avril par rapport à l’an passé, avant solution, avant qu’il y ait un drame. Sinon, de se tasser légèrement, indique à Libé le ser- c’est le service de la brigade des mineurs qui vice d’information et de communication de va s’occuper de vous. Vous croyez qu’un enfant la police nationale. Pas étonnant pour Vin- peut grandir dans une famille où on frappe cent, qui évoque ce voisin ayant récemment et insulte au quotidien ? Un enfant, c’est une alerté sur du bruit et des pleurs. Un collègue éponge.» D’ailleurs, la petite dort mal. Elle re- passe une tête : «Même avant, des dossiers, il fuse de mâcher, ne mange «que de la purée» y en avait tous les jours. Dans le Nord, les vio- à 3 ans passés. En prononçant ces mots, le lences conjugales, c’est un cheval de bataille.» regard de la mère s’embue. A l’autre bout de La nuit passée, deux des trente gardes à vue la pièce, son conjoint aussi pleure en silence. concernaient ce type de faits. Un des suspects Placé sous contrôle judiciaire avec mesure a été arrêté après «avoir projeté sa femme d’éloignement, il sera jugé à une date ulté- contre le mur». La politique pénale est claire rieure pour «violences habituelles» – des vio- et ne date pas du confinement : un traitement lences conjugales répétées. Il risque cinq ans prioritaire et une réponse «forte», comme l’a de prison et 75 000 euros d’amende. • rappelé la chancellerie dans une circulaire le (1) Le prénom a été modifié. A Besançon, le 23 avril 2019, au centre Altérité, qui accueille des hommes en attente de

faire état de sa crainte que les «dis- putes quotidiennes» ne mènent à de nouvelles violences à son domicile. Une ligne d’écoute pour En plus des nuitées d’hôtel, les écoutants lui ont indiqué les coor- données d’un thérapeute. Cette initiative ne fait toutefois pas «empêcher le passage à l’acte» l’unanimité. Dans un communiqué diffusé le 10 avril, le collectif pari- sien des «colleuses», qui parsèment Un numéro national à dération nationale des asso ciations tème pervers d’une part, et d’autre d’une heure en moyenne, à l’issue les villes de messages dénonçant les destination des conjoints et des centres de prise en charge part, des hommes peut-être plus fra- desquelles il peut être proposé aux féminicides depuis plusieurs mois, violents a été lancé début d’auteurs de violences conjugales giles psychologiquement, qui agis- appelants de recontacter leur inter- a dénoncé une «mesure inefficace avril. Une initiative qui ne et familiales (Fnacav), cette ligne sent dans l’impulsion. Contraire- locuteur s’ils en ressentent le be- et inutile», démontrant selon elles fait pas l’unanimité, alors d’écoute a déjà reçu plus d’une cen- ment à la première catégorie, ces soin, de se rapprocher d’une struc- une grande méconnaissance de la que la prise en charge taine d’appels depuis son ouverture, derniers sont plutôt dans la souf- ture proche de chez eux, voire de «psychologie des auteurs», et jugé des auteurs se développe le 6 avril. «Il s’agit très majoritaire- france que dans la jouissance. Les s’éloigner de leur domicile grâce à «révoltant » que des fonds soient in- depuis quelques années ment d’hommes, soit qui sentent mots “je n’arrive plus à me contrôler, des solutions d’hébergement tem- vestis dans la prise en charge des seulement en France. qu’ils vont passer à l’acte, soit qui aidez-moi” reviennent souvent», dé- poraires dans des centres ou des hô- auteurs plutôt qu’au bénéfice des l’ont déjà fait. Parfois, ils appellent roule-t-il. tels, à travers un partenariat avec le victimes. sur demande de leur conjointe», pré- groupe SOS, spécialisé dans l’éco- ccompagner et essayer de cise le président de la Fnacav, Alain «MESURE INUTILE» nomie sociale et solidaire. «ANGLE MORT» A prévenir : face à la recrudes- Legrand, qui exhorte à «appeler Au bout du fil, une trentaine C’est ce qui a par exemple été pro- «Si on sauve ne serait-ce qu’une per- cence des violences intrafa- avant de frapper». d’écoutants rompus (psychologues posé récemment à un trentenaire sonne, on aura gagné», pointe Alain miliales (notamment conjugales) Psychologue et psychanalyste, ce ou éducateurs) à la prise en charge alsacien : en couple depuis huit ans, Legrand, pour qui il y a encore en en cette période de confinement, un dernier distingue deux types de des auteurs se relaient six jours sur père de deux enfants, cet homme France une forme de « tabou » numéro national d’écoute (1) à des- profils chez les appelants : «Des sept pour tenter «d’accroître la pro- déjà condamné à effectuer un stage autour de la prise en charge des tination des conjoints violents a été hommes violents, qui sont dans la babilité d’empêcher un passage à de responsabilisation l’été dernier auteurs de violences conjugales. lancé il y a un mois. Gérée par la Fé- domination et l’emprise via un sys- l’acte», au cours de conversations a contacté la ligne d’écoute pour «C’était un angle mort des politi- Libération Mercredi 6 Mai 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 13 A Marseille, l’OM offre un asile

Une vingtaine 46 lits supplémentaires qui de femmes sont sont à présent disponibles à la Commanderie ne sont donc pas hébergées avec leurs de trop pour les équipes de SOS enfants dans les Femmes, qui ne tarissent pas locaux du centre d’éloges sur le site. «A la diffé- d’entraînement rence d’autres unités d’héberge- ment, on y trouve facilement des que le club de foot endroits pour s’isoler, souligne a mis à la disposition Valérie Secco. Les femmes de la préfecture. ont chacune une chambre pour elles, qu’elles occupent parfois lles se sont installées avec leurs enfants. En matière dans le bâtiment où, d’hébergement d’urgence, on est E d’ordinaire, s’activent au top niveau.» les jeunes footballeurs. Depuis près de deux semaines, vingt Ludothèque et une femmes victimes de vio- Afin d’accompagner les vic - lences conjugales, accompa- times, l’association a mobilisé gnées de leurs enfants, ont été une vingtaine de personnes mises à l’abri dans les locaux (assistantes sociales, anima- de la Commanderie, le centre teurs, psychologues), et c’est d’entraînement de l’Olym- l’OM, via l’entreprise de restau- pique de Marseille. Puisque, ration collective Sodexo, qui confinement oblige, les jeunes offre les trois repas journaliers. en formation ont déserté le Une collecte au sein du club a bâtiment, un vaste complexe aussi permis de monter une lu- situé dans le 13 e arrondisse- dothèque pour les plus jeunes. ment de la ville, le club a pro- «Les femmes ont accès à un par- posé début avril de mettre ses cours santé de plus d’1 kilo- installations à la disposition mètre, ce qui leur permet de se de la préfecture pour organiser ressourcer. Et les enfants ont in- des dépistages ou encore loger vesti le stade», abonde Valérie des soignants. Secco, qui a aussi relevé, à tra- vers les témoignages des héber- «Désorganisation» gées, que «symboliquement, se C’est la préfecture qui a finale- retrouver dans un lieu si excep- ment choisi de dédier l’équipe- tionnel, c’est aussi très valori- ment aux victimes de violences sant». Notamment pour deux intrafamiliales, contraintes de ados, fans de foot et du club. quitter en urgence leur domi- «Pour des enfants, ce n’est pas cile, la crise sanitaire ayant facile de partir de chez eux en parfois aggravé leur situation. laissant tout derrière, rappelle procès ou déjà condamnés pour des violences intrafamiliales. PHOTO RAPHAËL HELLE. SIGNATURES «Dans le département, nous Carine Crépin, psychologue n’avons pas enregistré d’aug- pour SOS Femmes. Le fait de se mentation des signalements de retrouver ici, de bénéficier des ques publiques, qui a été mis au jour tient par exemple un tchat à destina- conjoints violents, la garde des violences durant les quinze installations sportives, de pou- pendant le Grenelle des violences tion des victimes, ouvert sept jours Sceaux, Nicole Belloubet, a annoncé premiers jours de confinement. voir prendre l’air, ça aide à conjugales. Oui, c’est un changement sur sept mais qui ferme à 21 heures. début avril l’ouverture d’une plate- On a même constaté une baisse, s’apaiser et se reconstruire.» de paradigme. En soignant les Seule option : la plateforme gouver- forme recensant des places d’hé- précise Valérie Secco, direc- Pour les équipes accompa- auteurs, on protège les victimes», dé- nementale «Arrêtons les violences» bergement temporaires, à destina- trice de SOS Femmes, une gnantes, la prise en charge sur fend pour sa part la secrétaire d’Etat qui permet des signalements sept tion des procureurs. Chaque année association mandatée par la place est aussi simplifiée : «Le à l’Egalité entre les femmes et les jours sur sept et à toute heure, mais en France, environ 220 000 femmes préfecture pour accompagner fait d’être présents quotidien- hommes, Marlène Schiappa, auprès sans écoute ou accompagnement sont victimes de violences physiques les nouvelles arrivantes à la nement avec les femmes sur de Libération . psychologique. et /ou sexuelles. En 2018, 18 591 per- Commanderie. Mais c’est pro- le site simplifie les démarches «A titre personnel, je pense qu’on ne sonnes ont été condamnées pour bablement lié à la désorgani - qui, en période de confinement, peut sortir des violences sans une ÉLOIGNEMENT des violences sur leur partenaire sation des services d’ordinaire auraient pu être plus compli- véritable politique d’accompagne- En France, on ne compte qu’une poi- ou ex-partenaire, dont 96 % sont des affectés à leur prise en charge. quées.» Car il faut surtout gérer ment des auteurs», analyse Caroline gnée de centres spécialisés dans la hommes. C’est aussi plus compliqué l’après-urgence, pour des vic- De Haas, militante au sein du mou- prise en charge des auteurs, tandis VIRGINIE BALLET pour les femmes de donner times déboussolées qui repar- vement féministe #NousToutes, à qu’au Canada, plus en pointe, il en l’alerte, étant donné qu’elles tent à zéro. «Même si elles sont l’origine d’une pétition pour un plan existe plus de 200, lancés dès le dé- (1) 08 019 019 11, du lundi au dimanche, sont souvent confinées avec hébergées dans un site excep- d’urgence contre les violences en pé- but des années 80. La France semble de 9 heures à 19 heures. leurs agresseurs…» tionnel, elles sont parties de riode de confinement. «Pour autant, toutefois opérer un changement ces Si la proposition de l’OM est chez elles et, en général, c’est est-ce qu’une ligne téléphonique est dernières années, avec notamment une chance, c’est surtout parce pour ne pas y revenir, insiste le dispositif adéquat ?» s’interroge-t- la mise en place de stages de respon- que «le circuit des places dispo- Valérie Secco. Ça reste un saut LIBÉ.FR elle, soulignant la question cruciale sabilisation (prévus par la loi du nibles pour des accueils d’ur- dans le vide.» L’OM s’est engagé du déni dans lequel se trouvent bon 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre gence est habituellement en à ce qu’elles puissent rester à nombre de ces auteurs. les femmes et les hommes). A l’issue Elles s’appelaient Jennifer, tension dans le département», la Commanderie jusqu’à la re- Cette spécialiste distingue deux axes du Grenelle des violences conjugales Florence ou Salma… elles ont relève la directrice : en temps prise de la saison de football. d’amélioration : une meilleure for- à l’automne, le Premier ministre été tuées par leur conjoint en normal, dans les Bouches-du- Marlène Schiappa devrait sa- mation pour les professionnels et la a fait part de sa volonté que soient avril. Tous les mois depuis jan- Rhône, l’Etat met à disposi- luer l’expérience en s’y rendant mise en place de dispositifs d’accom- créés deux centres spécialisés par ré- vier 2017, Libération recense les tion 193 places d’hébergement, ce mercredi. pagnement des victimes accessibles gion d’ici la fin du quinquennat. Et féminicides et raconte les vies auxquelles s’ajouteront bientôt STÉPHANIE HAROUNYAN de nuit. L’association En avant toutes sur la question de l’éloignement des derrière les chiffres. 24 places supplémentaires. Les Correspondante à Marseille 2 uCOVID-19 ÉVÉNEMENT Libération Mercredi 6 Mai 2020 Le bâillon de culture

Librairies, théâtres et cinémas fermés, festivals annulés… Déjà sinistrés par le confinement, les milieux de l’art et du spectacle devraient pâtir après le 11 mai des règles de distanciation sociale. Ils guettent avec appréhension les annonces présidentielles de ce mercredi.

e 6 mars tombait l’annonce de l’annula- désinvestissement public qui avaient précédé destinées semblent pourtant chaînées les encore des mesures de quarantaine pour les L tion pure et simple du Salon du livre la pandémie, quelles réponses ambitieuses ? unes aux autres, à des échelles économiques équipes de tournage avant le premier clap afin 2020, un coup de semonce qui préve- Depuis plusieurs semaines, une multitude de allant de la superproduction à l’artisanat lo- de s’assurer que tout le monde sur le plateau nait le monde de la culture encore insouciant voix s’élèvent pour réclamer une remise à plat cal, que la réponse ne saurait être à la hauteur est safe ! Bon courage. de la violence de la tempête à venir. Onze des politiques en la matière, des investisse- si elle se contente de prolonger les mesures Depuis que les cinémas ont tiré le rideau, l’en- jours plus tard, le confinement fermait par ments, voire un revenu minimum dont béné- de sparadraps et bouts de ficelle sans axe di- semble de la chaîne de production des films milliers salles de cinéma, théâtres, salles de ficieraient indifféremment intermittents du recteur des politiques culturelles depuis accuse des dommages et périls colossaux. En concerts, musées, librairies, puis tombaient spectacle et auteurs. Après un mois d’assour- trente ans. amont de la diffusion, les distributeurs ont in- une à une les annonces d’annulation de festi- dissante atonie en la matière, Emmanuel Ma- vesti pour des films reportés sine die, aux dé- vals, plongeant le pays dans un spectaculaire cron s’est laissé émouvoir par une tribune «FOIRE D’EMPOIGNE» bouchés incertains. «Il va vite y avoir des victi- black-out culturel. La crise est majeure et sans (parue jeudi dans le Monde ), où une centaine La rupture est là, béante. La crise a aussi ses mes dans la distribution française, certifie précédent par l’effarante synchronie des ces- de personnalités, parmi lesquelles quelques- bénéficiaires et ses effets d’aubaine, pour les Vincent Maraval, patron de la société de pro- sations d’activité et l’absence de perspectives unes des plus médiatiques et des moins mal tenants essentiellement américains de l’éco- duction et de distribution Wild Bunch, inter- à court et moyen terme qu’elle ouvre en même loties, de Catherine Deneuve à Omar Sy, se nomie numérique (Netflix, Google, Amazon rogé par Libération. Soit les distributeurs ne temps pour le monde du théâtre, de la danse, faisaient les porte-voix du secteur – lequel, il ou Disney) nous rivant aux écrans domesti- peuvent pas écouler leurs stocks de films faute de l’art contemporain, du livre, de la musi- faut le rappeler, par delà tout ce qu’il cultive que. La culture «physique», celle qui requiert de visibilité sur le marché de l’exploitation en que… Déjà échaudé depuis des semaines par de nourritures spirituelles, pèse autant dans de sortir de chez soi, voit se dessiner des salles, soit ils n’ont pas constitué de stocks et les non-réponses du ministère de la Culture l’économie française que l’industrie agroali- contraintes prophylactiques préconisées par ne trouveront pas de quoi redémarrer. Il y a un sollicité sur la manière d’affronter la période mentaire. Alors que son ministre, Franck un rapport de l’infectiologue François Bricaire effet domino qui entraîne toute la chaîne dans et un Franck Riester évasif ou aphone, le mi- Riester, a beaucoup occupé l’espace ces der- (révélé par le JDD ) remis vendredi à Emma- des difficultés presque insurmontables, sauf lieu culturel a particulièrement mal vécu nières heures, à coups de tribunes et d’inter- nuel Macron. Deux sièges de séparation entre à envisager un chômage partiel sur deux ans.» d’être tout simplement exclu des préoccupa- views, sans rien formuler de concret, et tandis les spectateurs, port du masque obligatoire, Le refus persistant, en dépit des tractations tions d’Edouard Philippe dans son discours que Jack Lang réclamait mardi dans le Monde ventilation de la salle, annulation des entrac- en cours, des compagnies d’assurances de du 28 avril à l’Assemblée nationale. Celui-ci un «New Deal» culturel, le Président doit an- tes pour les théâtres, distance minimale d’un prendre en charge le risque épidémique sur a ensuite tenté de se rattraper au Sénat, lundi, noncer ses «premières décisions» sur le sujet mètre entre les acteurs. Et ce genre de phra- les plateaux exclut actuellement toute hypo- en évoquant la possibilité d’une réouverture ce mercredi depuis l’Elysée, après une discus- ses, lunaire : «En cas de rapprochements impé- thèse pérenne de reprise. Un fonds spécial des cinémas début juin. sion «avec des artistes». ratifs liés à des scènes de colère ou d’amour, les abondé par l’Etat est douloureusement at- Au désastre en marche qui accroît toutes les Or l’effondrement qui guette est si vaste et comédiens devraient se soumettre à des prises tendu par les producteurs, notamment les in- calamités et les effets de concentration ou de touche une telle variété d’acteurs dont les de température et à des tests sérologiques.» Ou dépendants, dont le pronostic vital est engagé Libération Mercredi 6 Mai 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 3 Les intermittents réclament des aides pour éviter le désastre

Avec l’arrêt complet les intermittents. Autrement dit, du secteur culturel, un maintien automatique de leurs droits les douze mois sui- de nombreux salariés vant la sortie du confinement, risquent de perdre pour préserver ce vivier essen- leur statut, faute tiel de travailleurs. d’heures travaillées. Garantie. Créé en 1936, le ré- a culture est à l’arrêt pour gime de salarié intermittent à L un temps incertain mais, employeurs multiples, ancêtre sans les petites mains qui du régime actuel, a initialement la font tourner, il est certain été pensé pour le secteur du ci- qu’elle ne pourra redémarrer. néma, qui avait besoin de mobi- Depuis quelques jours, les voix liser ponctuellement différents s’élèvent, de plus en plus fortes, corps de métier. Mais à l’époque, pour alerter sur les conséquen- les producteurs ne trouvaient ces désastreuses que la crise du personne. Ouvriers et techni- coronavirus pourrait avoir sur ciens préféraient avoir une paye les intermittents. Les collectifs fixe, un seul patron. Afin de s’as- Année noire 2020 et Culture en surer une main-d’œuvre, il fallait danger ont vu le jour et lancé si- pouvoir rémunérer ces salariés multanément des pétitions, re- entre les périodes de travail, leur cueillant à elles deux plus de offrir une garantie. Le filet de sé- 250 000 signatures en une se- curité, c’est l’Unédic, créée maine. Il s’agit de textes récla- en 1958. Depuis la fin des an- mant des mesures d’urgence, nées 1960, les techniciens et les adressés tantôt au président de artistes relèvent des annexes 8 la République, tantôt aux minis- et 10 de l’assurance chômage, tres du Travail et de la Culture. des textes plusieurs fois renégo- Leurs auteurs craignent un «tsu- ciés mais toujours en vigueur. Un nami social et culturel», avec des intermittent est rémunéré à salariés déjà fragiles, privés d’ac- l’heure, ou au cachet, embauché tivité en raison des annulations en CDDU (contrat à durée déter- ou reports d’événements, et qui, minée d’usage) pour un tour- par effet domino, pourraient nage, une pièce, un concert, etc. être radiés à tour de bras par Il s’agit d’un contrat court renou- Pôle Emploi et déchus de leur velable à volonté, sans carence ni statut d’intermittent. «Et si un indemnité de précarité à la fin. retour complet à la normale ne se Depuis 2016, il faut avoir travaillé faisait qu’à l’automne 2021 ? […] 507 heures dans l’année écoulée Les emplois concernés ne peuvent pour être indemnisé entre les à mesure qu’ils creusent dans leur trésorerie en avril, lors de sa présentation en plein déni du Au musée pas se permettre ces devinettes», contrats l’année suivante. A cha- raison d’un calendrier de projets en tournage 74 e Festival d’Avignon, Olivier Py n’a pas man- du Louvre, prévient un collectif de 500 per- que date anniversaire, l’intermit- ou en postproduction à l’arrêt. L’horizon d’un qué de rappeler l’impact économique d’un évé- à Paris sonnalités, dont Jeanne Balibar, tent fait les comptes, Pôle Em- redémarrage cahin-caha au 2 juin sera évalué nement représentant pour la ville et sa région le 12 mars. Catherine Deneuve, Jean Dujar- ploi calcule, et ainsi de suite. Et à la fin du mois. Mais quels films pour essuyer 100 millions d’euros de retombées. Le directeur PHOTO DENIS din, dans une lettre ouverte à ça passe ou ça casse. Selon les les plâtres d’une reprise contrainte par la divi- de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, ne voyant ALLARD Emmanuel Macron parue dans derniers chiffres de Pôle Emploi, sion des jauges des salles (mesures barrières pas comment accorder la Tétralogie de Wagner le Monde. en 2018, la France comptait obligent) et du nombre de séances, en sus d’un avec les impératifs de distanciation physique, 274 000 intermittents. Si un tiers appétit incertain du public ? «Quand les salles à moins de chanter dans son coude, envisage «Année blanche». «Culture sont embauchés régulièrement rouvriront, ce sera la foire d’empoigne, pronos- de fermer trois mois l’Opéra Bastille à la rentrée oubliée» est devenu le cri de ral- dans l’audiovisuel, la moitié tra- tique Thomas Ordonneau, de la société de dis- pour ne reprendre qu’en janvier. Avec la lour- liement sur les réseaux sociaux. vaillent dans le spectacle vivant, tribution Shellac. Chacun devra rattraper son deur de ses charges fixes (le lieu perd beaucoup Car la seule mesure dédiée aux un secteur saisonnier lié en chiffre d’affaires et la loi du marché régnera.» à l’arrêt), ce sont 40 millions d’euros de pertes, intermittents à ce jour figure grande partie aux festivals de Au cœur d’un embouteillage de sorties, les cumulées à celles enregistrées pendant les grè- dans le décret du 14 avril, paru printemps et d’été. Avant même grosses locomotives risquent de s’arroger la ves de décembre, soit un cinquième du budget après les annonces mi-mars de le Covid-19 et l’arrêt forcé du part du lion sur les écrans. Les contre-chocs du global annuel de l’institution. Quant au secteur Franck Riester. Le texte donne monde de la culture, seul un gros marasme annoncé – des hémorragies budgétai- privé, maintenir des représentations avec 20 % accès au chômage partiel et fait tiers des intermittents (envi- res, du chômage prolongé en masse, des annu- de la jauge de salle remplie revient soit à faire de la période de confinement un ron 36 %) étaient parvenus à pas- lations de contrats et faillites probables – sont flamber le prix du billet, soit à couler la quasi- «temps mort», durant lequel au- ser la barre des 507 heures. vertigineux, et augurent un bouleversement du totalité des entreprises. Selon le Centre natio- cune fin de droits ne sera pro- N’ayant pas suffisamment tra- paysage à long terme. nal de la musique, la perte en billetterie de la noncée. Et la durée du confine- vaillé, les autres ne peuvent pré- filière spectacle atteindra les 500 millions d’eu- ment rallongera d’autant la tendre aux allocations chômage. COMA ros à la fin mai. «Le spectacle vivant est en dan- période de référence servant au 27 % des intermittents ont tra- Tout aussi gelé depuis début mars dans l’élan ger absolu», observait mi-mars le Prodiss, syn- décompte des heures et à l’ou- vaillé 24 heures ou moins qui devait les conduire vers un été toujours ri- dicat des professionnels du secteur, estimant verture des droits. Un assouplis- en 2018. Combien seront sous la che en créations et premières entre Avignon, à 590 millions d’euros la perte en chiffre d’affai- sement des règles jugé bien in- barre en 2019 ? L’année blanche Montpellier, Marseille, Aix, le spectacle vivant res, en imaginant un scénario catastrophe arri- suffisant pour les collectifs voudrait qu’on ne compte pas. compte ses pertes et boit la tasse. Tous ces festi- vant à échéance le… 31 mai. Pour l’heure, il montés au créneau. Tous récla- Pour éviter l’hécatombe. vals ont bien sûr fini par lâcher la rampe. Début s’agit donc d’un coma, avec plu- Suite page 4 ment une «année blanche» pour NOÉMIE ROUSSEAU 4 u ÉVÉNEMENT Libération Mercredi 6 Mai 2020

Suite de la page 3 sieurs fonctions vitales touchées. Plus ou moins gravement selon Le spectacle vivant veut bouger encore qu’on est une salle subventionnée à 70 % comme la Comédie-Française ou le Théâtre national de Strasbourg, une salle mixte (50 % La fermeture actuelle des en croit le rapport Bricaire – seront des pro- naliser les calendriers de tournée des artistes, de subventions, 50 % de ressources propres) ductions plus locales. Ce sera le cas au Festi- expliquant les avantages à voir une compa- comme la Philharmonie de Paris, ou un théâ- frontières internationales val d’automne à Paris, dont la 49 e édition se gnie brésilienne tourner pendant un mois en tre subventionné à moins de 30 %. pourrait pousser le secteur recompose sans le Polonais Krystian Lupa et Allemagne plutôt que d’enchaîner les mono- Même s’ils seront peut-être les premiers à à envisager, à l’avenir, un sa troupe d’acteurs chinois, et plus largement dates partout dans le monde sur une même pouvoir rouvrir avec des systèmes prudents système de tournées plus sans une majorité d’artistes hors espace durée. La réflexion était timide il y a encore de flux de visiteurs (l’Institut Giacometti à Pa- Schengen. La Biennale de la danse de Lyon, quelques mois, mais les programmateurs ris annonce une réouverture le 15 mai), les responsable. de son côté, avec ses 22 créations, repoussera français étaient déjà une centaine, la se- musées souffrent eux aussi des dix plaies les pièces venues d’Afrique à mai-juin 2021 maine passée, à participer à une réunion or- d’Egypte. Le confinement a creusé un trou n 2019, plutôt que de faire circuler sa pour recentrer son calendrier automnal 2020 ganisée par l’Office national de diffusion ar- abyssal dans les revenus de leur billetterie E pièce Isadora Duncan aux Etats-Unis, sur les spectacles nationaux. Voilà pour l’ho- tistique (Onda) sur le sujet, et à en convenir (sans parler de ceux des boutiques et cafés), le chorégraphe français Jérôme Bel en rizon immédiat. Mais à long terme ? en chœur : la mobilité internationale doit ils doivent reporter des expositions en chaîne a créé, par souci écologique, une version Certains redoutent qu’apparaisse dans le impérativement être préservée mais plus – et en annuler d’autres, préparées pendant américaine par Skype. En 2011, lorsqu’il a champ culturel ce qui affleure dans le sec- comme avant. «On était de plus en plus libé- des années –, voire renvoyer des œuvres chè- commencé à faire voyager son blockbuster teur agroalimentaire : une tendance au loca- ral dans la manière d’accueillir les spectacles rement convoyées à leurs prêteurs sans qu’el- Clôture de l’amour, le metteur en scène Pascal vorisme, au protectionnisme, boostée par la dans les théâtres du monde entier : aussitôt les aient été vues, avec zéro visibilité pour la Rambert n’a pas emmené ses acteurs avec transition verte. Le prix serait sans doute arrivés, aussitôt repartis, analyse Pascale suite. Annuler les expos prévues ? Les repor- lui : plutôt qu’une tournée, l’idée était de re- coûteux. A la fois pour ces compagnies indé- Henrot à la direction de l’institution. On tra- ter jusqu’à créer un embouteillage ? Et com- créer la pièce en diverses langues, de Pékin pendantes françaises qui réalisent pour cer- vaille donc, à l’avenir, à rallonger le temps de ment faire s’ils ne peuvent compter sur les au Caire, avec chaque fois une équipe locale taines 50 % de leurs dates à l’étranger, mais diffusion des artistes sur un même territoire, prêts internationaux pour encore de longs – des acteurs stars dans leur pays, la plupart aussi pour ces milliers d’artistes étrangers en privilégiant et en multipliant les résiden- mois ? Au centre Pompidou, les pertes de la du temps. Ils ne sont pas les seuls à avoir testé pour qui la France est à la fois un marché et ces, y compris internationales. Ce serait une billetterie sont estimées entre 1,2 et 1,5 mil- ce modèle – celui d’un théâtre à la fois mon- un asile. Sans parler des maisons de produc- piste à explorer avec le ministère.» lion d’euros par mois (sans compter les man- dial, mais en circuit court, dira-t-on – qui tion, à l’instar de celles tenues par Olivier ques à gagner pour ce qui est du mécénat, de semble équilibrer sur une balance de valeurs Mantei par exemple, à la fois directeur de «FRAIS D’APPROCHE» la location d’espaces, des ventes de produits les impératifs écolos, les considérations sani- l’Opéra-Comique et copropriétaire du Théâ- Un ralliement probable aux préceptes «slow» dérivés, etc.). taires les plus alarmantes et l’historique né- tre des Bouffes du Nord à Paris, deux struc- que confirme, de son côté, Nicolas Dubourg, cessité des échanges artistiques internatio- tures dont le modèle économique repose nouveau président du Syndicat des entre- SOUTIEN TRÉBUCHANT naux. De là à faire de ces cas particuliers des moins sur la billetterie que sur les tournées prises artistiques et culturelles (Syndeac) : Pour sa part, toute la chaîne du livre est elle modèles d’exportation du futur… (40 dates en moyenne pour les pièces de «Quand on est un théâtre, les “frais d’appro- aussi à l’arrêt, soit 50 000 personnes, depuis théâtre et une quinzaine pour les opéras). che” (billets d’avion, etc.), c’est la moitié du la fermeture des librairies. «Le cœur du réac- LA FRANCE, UN MARCHÉ ET UN ASILE «Attention, produire local n’a pas le même budget d’un contrat de cession, détaille-t-il. teur, ce sont elles, on bouffe tous grâce à elles», Et pourquoi pas ? Fermeture des frontières coût mais n’apporte pas non plus les mêmes On a fondé notre modèle économique de dit un éditeur. Conséquence immédiate : une oblige, le spectacle vivant s’est engagé depuis recettes» , rappelle-t-il, lui qui sait à quel mobilité artistique sur celui des compagnies perte de chiffre d’affaires, qu’Antoine Galli- le début du confinement dans une vaste ré- point les maisons françaises ont besoin de aériennes low-cost. Quand vous accueillez un mard estimait le 16 avril sur France Info, de flexion concernant la mobilité artistique in- la force de frappe économique des théâtres spectacle en France, avec des interprètes 90 % pour son groupe Madrigall pendant le ternationale. En tête des secteurs concernés, étrangers pour coproduire et diffuser les étrangers, c’est parfois moins cher de ren- confinement, et de 30 % sur l’année 2020. Des la musique et la danse, proposant les castings spectacles. Il faudrait alors, au contraire, voyer les artistes chez eux à Londres ou Ma- mesures de chômage partiel ont été mises en parmi les plus cosmopolites et qui, épargnés «consolider les réseaux de coproduction, et drid entre deux dates que de les loger à l’hô- place à tous les maillons, comme chez Actes par la barrière du sous-titrage qui empèse le inventer un modèle commun écoresponsable tel. Et si ces compagnies s’effondrent ? Avec le Sud ou Editis. Et le secteur n’a pas attendu théâtre et l’opéra, sont les plus nomades. où les forces seraient mutualisées autour de modèle des prix d’aujourd’hui, en tout cas, pour demander du soutien trébuchant : l’Etat Jusqu’à fin 2020, on y voit malheureusement valeurs fortes» . Ce qui était hier une ten- faire venir en France une compagnie ita- va débloquer 5 millions d’euros : très en deçà clair : les spectacles qui joueront dans les dance deviendrait donc une nécessité. De- lienne ou anglaise, ce serait impossible.» de ce que le secteur du livre réclame pour frei- grands événements internationaux en puis quelques années, en effet, la vague verte ÈVE BEAUVALLET ner le désastre. Il y a aussi la mise en place France – dans des conditions lunaires, si l’on invite les partenaires internationaux à ratio- et GUILLAUME TION d’un fonds d’aides, des reports de charges, des délais de paiement, de prêts garantis par l’Etat… La baisse du chiffre d’affaires des li- braires serait de l’ordre de 20 % à 30 % sur l’an- Love Train, née. Si toute la profession réclame la réouver- d’Emanuel ture le 11 mai, pour ne pas étouffer les étals, en Gat. sommeil depuis deux mois, des sorties ont été PHOTO DR supprimées ou reportées, au moins à l’au- tomne (Gallimard prévoit ainsi une coupe de 40 % de sa production et de nombreux ajour- nements). «Il y aura moins de titres. Et aussi certainement moins d’éditeurs», a pronostiqué Vincent Montagne, président du Syndicat na- tional de l’édition dans un entretien à Livres Hebdo. On risque de voir débouler dans la ren- trée littéraire une majorité d’apprentis best- sellers et d’auteurs à succès lancés pour rattra- per le manque à gagner. «Tout le monde cherche un livre qui va lui sauver son année», dit un éditeur. On le voit, l’attente et l’angoisse sont énormes. Les décisions qui se font attendre ne sauraient consister seulement en une perfusion ponc- tuelle destinée à reconstituer les déséquilibres déjà à l’œuvre avant la catastrophe. A l’aune de ce qu’il reste de l’hypothèse d’une exception culturelle française, et par delà les logiques in- dustrielles auxquelles on résume trop volon- tiers la portée de la création, tout un secteur attend aujourd’hui de l’Etat qu’il rende les arts et la culture à leur ambition et vocation pre- mière de trésor commun et de service public. ÈVE BEAUVALLET, ÉLISABETH FRANCK-DUMAS, JULIEN GESTER, SANDRA ONANA, DIDIER PÉRON, GILLES RENAULT, FRÉDÉRIQUE ROUSSEL et GUILLAUME TION 22 0123 | SCIENCE & MÉDECINE MERCREDI 6 MAI 2020

DOSSIER La recherche scientifique chamboulée par le Covid-19

Face à l’urgence de l’épidémie, la production de connaissances s’est emballée, et les normes habituelles sont bousculées. Pas toujours pour le meilleur

vez-vous pris connaissance de notre communiqué de presse sur A cette annonce majeure ? » Le SMS, reçu lundi 27 avril à 13 h 30, a été envoyé par le directeur de la communica- tion de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en personne. Le document est arrivé moins d’une heure plus tôt dans notre boîte mail, avec un titre alléchant : « Le tocilizumab améliore significativement le pronostic des patients avec pneumonie Covid moyenne ou sévère. » Mais le court texte n’apporte aucune donnée chiffrée sur l’am- pleur des résultats obtenus avec ce médica- ment, un immunomodulateur habituelle- ment utilisé dans la polyarthrite rhuma- toïde. Le communiqué précise juste que les résultats de l’essai clinique vont être soumis à une revue scientifique, et qu’ils devraient être confirmés de manière indépendante par des essais supplémentaires. « Compte tenu du contexte de la pandémie, les cher- cheurs et le promoteur se sont sentis obligés, d’un point de vue éthique, de communiquer ces informations, en attendant l’examen par les pairs tout en continuant le suivi plus long de ces patients », justifie l’AP-HP. A 14 heures, un « brief presse » virtuel com- mence, introduit par le directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, qui explique que c’est « probablement la première démons- tration, dans des conditions contrôlées d’un essai randomisé, de résultats encourageants sur le pronostic de patients ayant une forme sévère de la maladie Covid » . En vingt minu- tes, pas moins de sept universitaires impli- qués dans cette étude, appelée Corimuno, prennent la parole. Moindre mortalité chez les patients traités avec ce médicament, ré- duction de la durée du séjour en réanima- tion ? Aucune précision n’est donnée, mais l’opération de communication est un succès dans les médias et sur les réseaux sociaux. A partir des résumés de 7 200 articles sur le SARS-CoV-2 publiés dans la base PubMed depuis janvier, David Chavalarias, de l’Institut des systèmes complexes L’étude en question est effectivement de d’Ile-de-France, a extrait les mots spécifiques ainsi que leurs relations dans le corpus, faisant jaillir les thèmes de recherche. D. CHAVALARIAS/ISC-PIF/HTTP://MAPS.GARGANTEXT.ORG haut niveau (depuis plusieurs semaines, nous sommes en contact avec plusieurs de se dit lui aussi « impressionné » par la mue contre moins de 800 en 2019 (où, par défi- parfois moins bien présentés dans la forme » , ses investigateurs). Mais à ce stade, il faut opérée. « Dans ce contexte de confinement, nition, seul le mot-clé « coronavirus » exis- reconnaît la revue Nature dans un commu- croire l’AP-HP sur parole, puisqu’il n’y a basculer sur le coronavirus constitue souvent, tait). Soit plus de trente nouveautés par jour, niqué. « C’est la même chose mais en plus ra- aucune publication scientifique, ni même c’est vrai, le seul moyen de continuer à tra- dimanches compris. pide » , assure Holden Thorp, directeur de prépublication, ce qui explique l’absence de vailler , admet-il. Mais les chercheurs ont sur- Jessica Richoux, interne au CHU de Greno- Science . La « chose » en question désigne l’un résultats chiffrés dont la primeur est réser- tout ressenti l’impérieuse nécessité d’être uti- « BIEN SÛR, IL Y A ble, a vite vu arriver cette avalanche de publi- des piliers du contrôle qualité de la recher- vée aux relecteurs de l’article. Depuis des les. Les virologues, comme moi, pour qui il ne DES COUACS, cations. « Mi-mars, lorsque j’ai dû interrompre che, l’évaluation par les pairs. Cette relecture semaines, une partie de la communauté serait pas pensable de ne pas être sur le pont. mon stage d’interne pour rejoindre une unité prend en général plusieurs mois, avec des scientifique reproche au microbiologiste Mais c’est beaucoup plus large. Avec des résul- MAIS IL Y A Covid, j’ai pensé à la manière dont il faudrait échanges entre auteurs et évaluateurs, des Didier Raoult les lacunes méthodologiques tats incroyables. L’interactome complet du SURTOUT UNE s’organiser pour être à jour de nos connais- demandes d’expériences ou d’analyses sup- de ses études sur l’hydroxychloroquine, virus, autrement dit ses interactions avec les sances sur le plan clinique », raconte-t-elle. plémentaires, des corrections… Mais là, les mais aussi son mode de communication différentes cellules, est sorti en un mois et INCROYABLE Comment assimiler les quelque 1 500 articles mois sont devenus des semaines, voire des direct, par des vidéos et des communiqués demi. En temps normal, il faudrait trois ans. IMPLICATION sur les coronavirus à portée clinique déjà en- jours. Science a ainsi publié l’article présen- de presse de l’Institut hospitalo-universi- Tout va à une vitesse folle. » registrés sur la base de référence américaine tant la structure de la protéine spicule, utili- taire (IHU) Méditerranée infection livrés Faire plus, plus vite, et si possible mieux. Ou DE TOUTE LA PubMed, qui rapidement deviennent 3 500 ? sée par le SARS-CoV-2 pour entrer dans les avant toute publication. L’AP-HP aurait-elle plus précisément faire beaucoup plus, beau- COMMUNAUTÉ » « Cette vague allait saturer nos capacités de cellules, neuf jours après l’avoir reçu. Un été séduite par les méthodes tapageuses du coup plus vite, et si possible aussi bien. Entre PASCALE COSSART veille » , réalise Jessica Richoux. record, selon Holden Thorp. franc-tireur marseillais ? ces injonctions a priori contradictoires, c’est BIOLOGISTE Elle s’associe avec d’autres collègues, puis un nouvel équilibre que le système s’acharne elle contacte une « agence digitale » de Mar- QUATRE ARTICLES RETIRÉS « TOUT VA À UNE VITESSE FOLLE » à trouver. Avec, pour les équipes, une pre- seille, La Fabrique VingtCinq. Dix jours plus Simple « ajustement » du « timing » , comme En vérité, la progression de l’épidémie de mière difficulté : gérer et assimiler l’afflux tard, le site Bibliovid voit le jour. La quin- le dit Science ? « Personne ne peut croire que Covid-19, qui a officiellement contaminé au sans précédent d’informations publiées par zaine de personnes chargées de la veille la vitesse et la quantité ne vont pas affecter la 4 mai 3,5 millions de personnes à travers le les grands journaux. Scopus, l’une des bases trient environ 150 articles par jour pour en qualité. Des articles sont publiés aujourd’hui monde et tué près de 250 000 malades, a bou- de données de référence des publications retenir une dizaine, les classer en thémati- avec des standards méthodologiques plus leversé les pratiques de la recherche scienti- scientifiques, recensait au 30 avril, pour 2020, ques (diagnostic, épidémiologie, thérapie…), faibles, voire anormaux, comme des études fique et plus particulièrement biomédicale. plus de 4 200 articles et lettres parlant de les résumer en français et les classer en sans groupe contrôle , souligne Ivan Oransky, Organisation des équipes, financement des « coronavirus », « Covid-19 » ou « SARS-CoV-2 », « niveaux de preuve », une échelle utilisée cofondateur de Retraction Watch, un site projets, montage des expériences et essais, par les cliniciens. 4 500 articles sont déjà re- spécialisé dans le suivi de l’activité édito- publication des résultats : tous les maillons censés et 3 000 visites sont comptabilisées riale scientifique. Lors de l’épidémie d’Ebola de cette longue chaîne, érigée pendant des Sans labo, les chercheuses aux fourneaux quotidiennement. en 2014-2015, certains avaient alerté sur la né- décennies, parfois des siècles, semblent avoir Les éditeurs de journaux eux-mêmes ont cessité de ne pas abaisser les standards malgré été affectés par l’expansion du nouveau coro- Le nouveau virus frappe plus massivement et plus gravement les hommes, réagi pour soutenir la cadence. Bien que les l’urgence. Pourtant cela recommence. » navirus et l’urgence intimée aux chercheurs c’est établi. Mais le confinement imposé par l’épidémie mondiale semble deux plus importants dans le domaine géné- Pour le moment, peu d’articles ont été reti- de lui trouver des parades. particulièrement toucher les chercheuses scientifiques. Le magazine fémi- raliste, Nature et Science, ne communiquent rés de la littérature à cause de « dérapages ». « Très honnêtement, une telle pression et une nin en ligne The Lily a publié une enquête qui constate un changement pas de chiffres, ils confirment une augmenta- Quatre, selon Retraction Watch. Par le Lancet telle mobilisation générale, je n’avais jamais important dans la production éditoriale depuis l’arrivée de la maladie. tion des propositions. « Dans nos quatre jour- (une lettre évoquant le travail difficile d’in- vu ça , soutient la biologiste Pascale Cossart, Dans le domaine de l’astrophysique, la chute du nombre d’articles publiés naux, nous avons 30 % de plus de soumissions firmières chinoises à partir de témoignages professeure à l’Institut Pasteur et secrétaire sur les sites de preprint serait de 50 % plus importante chez les femmes en mars-avril par rapport à la même période de seconde main), Practical Preventive perpétuelle de l’Académie des sciences. D’ha- que chez les hommes. Elizabeth Hannon, rédactrice en chef adjointe l’an dernier, avec une part importante d’arti- Medicine (une étude sur des faux positifs bitude, chaque spécialiste pense que son petit du British Journal for the Philosophy of Science, a indiqué, sur Twitter, cles sur le Covid-19 , estime de son côté Bernd péchant par « manque de données » ), le sujet est au centre du monde. Ce réflexe a dis- qu’elle avait reçu depuis un mois un nombre « négligeable » de proposi- Pulverer, responsable des publications de la Chinese Journal of Epidemiology (des conclu- paru. Pour le sida, il a fallu des années, là, ça tions d’auteures, « du jamais-vu » . David Samuels, éditeur de la revue société savante European Molecular Biology sions relatives à une transmission du s’est fait en quelques semaines. Et que l’on ne Comparative Political Studies , a pour sa part enregistré une augmentation Organization, qui édite des journaux réputés Covid-19 sans contact dans un bus) et le Bul- me parle pas de cacophonie ! Bien sûr, il y a des de 25 % des propositions en ce mois d’avril comparé à l’an dernier… dans le domaine. Même hors Covid, les cher- letin de la dialyse à domicile (un article sur la couacs, mais il y a surtout une incroyable im- mais cette croissance serait intégralement le fait des hommes. cheurs publient davantage car, leur labora- contamination d’un liquide de dialyse). En- plication de toute la communauté et un travail La raison est claire : en ces temps de confinement, les tâches domestiques toire arrêté, ils ont souvent plus de temps pour fin l’article de Didier Raoult décrivant son immense accompli en un temps record. » reposent en grande partie sur les épaules des femmes. Un fardeau finir des articles ou achever de les corriger. » essai de traitement à l’hydroxychloroquine Chef de groupe à l’Institut de recherche en qui handicape particulièrement les jeunes chercheuses, mères d’enfants Il faut donc faire un tri. « Tous les articles et l’azithromycine, publié dans l’ Internatio- infectiologie de Montpellier, Raphaël Gaudin en bas âge, « les plus précaires professionnellement » , insiste le site. “Covid-19” sont publiés aussi vite que possible, nal Journal of Antimicrobial Agents , a reçu un 0123 MERCREDI 6 MAI 2020 science & médecine | 23

avertissement de la société savante proprié- D’autres en attaquent le principe. « BioRxiv mêmes qu’elles auront contribué à faire pren- la frénésie mondiale d’essais cliniques. Le taire de la publication. « Dans ce contexte, et medRxiv doivent être profondément rema- dre » , constate l’épidémiologiste Pierre-Yves 4 mai, le site Covid-nma.com, piloté par des toute la difficulté est d’accélérer la diffusion niés ou même fermés. Sous couvert de par- Boëlle. Le Covid a sorti la discipline de sa zone membres de la fondation Cochrane, recen- des connaissances, tout en veillant à éviter de tage pour la communauté scientifique se ca- de confort, en raison des forts enjeux de sait 1 829 études, dont 626 sont des essais désinformer » , résume Bernd Pulverer . che en fait une course malsaine au “J’étais là santé publique mais aussi économiques et randomisés (en excluant ceux évaluant des Cet équilibre périlleux se trouve chamboulé le premier”, à laquelle s’ajoute l’utilisation de sociaux, attachés aux résultats des modéli- médecines traditionnelles chinoises). Signe par l’irruption d’autres types de publication, ces preprints pour demander des crédits ou sations, admet-il. Position périlleuse mais des temps, et de l’histoire de cette épidémie, les preprints, selon le terme anglais : des tex- bien multiplier les références à ses propres gratifiante : certains de ses confrères sont de- la Chine arrive en tête (154 essais), largement tes de recherche mis en ligne, souvent en travaux sans aucune honte. Sans compter les venus des vedettes médiatiques au même ti- devant les Etats-Unis (109). Mais la France même temps qu’ils sont soumis à des jour- gens qui lisent, prennent ça pour argent tre que des médecins, comme Neil Ferguson s’est également lancée à corps perdu dans la naux, et qui n’ont donc pas encore été évalués comptant et vont avaler n’importe quoi, s’em- en Angleterre ou en Suède. course puisque 44 essais avaient déjà été par les pairs. Utilisé depuis 1991 par les physi- porte Bruno Canard, directeur de recherche La production scientifique n’est pas entrée autorisés le 1 er mai (dernier recensement dis- ciens, les mathématiciens ou les informati- au CNRS (Marseille) et spécialiste des corona- seule dans la spirale de la vitesse. Le finance- ponible) et 36 autres sont en cours d’instruc- ciens, par le biais du site arXiv.org, ce mode virus. En plus, en ce moment, la plupart des ment a dû suivre. Le 6 mars, l’Agence natio- tion par l’Agence nationale de sécurité des de publication progressait lentement chez les journaux s’engagent à reviewer les articles en nale de la recherche (ANR) a lancé un appel médicaments (ANSM) et les comités de pro- biologistes, médecins ou chimistes depuis le une semaine, il n’y a donc aucune raison d’offres « Flash » consacré au coronavirus. tection des personnes (CPP), chargés d’éva- lancement en 2013 de bioRxiv par les Améri- d’utiliser ces abris à torchons. » « D’habitude, la procédure dure deux ou trois luer sécurité, pertinence et qualité méthodo- cains du Cold Spring Harbor Laboratory, suivi Lauréat du célèbre prix Lasker et directeur « DES ARTICLES mois, là c’était un mois seulement » , témoigne logique des projets. depuis par medRxiv et chemRxiv. exécutif du campus Janelia (700 chercheurs), Dominique Dunon-Bluteau, responsable du en Virginie, le biologiste Ron Vale tempère SONT PUBLIÉS département biologie-santé de l’ANR. Plus de RECORDS DE VITESSE EXPLOSION DES PRÉPUBLICATIONS ces critiques : « Les préprints accélèrent la mi- AUJOURD’HUI 250 projets ont été déposés, pour 86 acceptés Dans ce contexte d’urgence, les procédures Le coronavirus les a tous dopés. En avril, sur se à disposition des informations, ils permet- et 40 en liste complémentaire, en dix jours d’autorisation ont été accélérées à un medRxiv, il y avait 1 500 preprints, soit sept tent aussi de publier des observations certes AVEC DES d’expertise. Au départ, l’ANR n’avait même rythme qui laisse pantois les chercheurs ha- fois plus qu’en janvier, dont 1 000 environ re- parfois incomplètes mais potentiellement STANDARDS pas les moyens de ses ambitions, avec 3 mil- bitués à plusieurs mois d’attente. A l’ANSM, latifs à la pandémie. Sur bioRxiv, c’est 3 500, précieuses pour les autres chercheurs. Le tout, lions d’euros prévus. En quelques semaines, les demandes sont évaluées « dans des délais soit plus de 30 % de plus qu’en janvier, selon c’est de savoir s’en servir. » MÉTHODO- l’enveloppe est passée à 14,5 millions, ouvrant moyens de 7 jours contre 60 jours selon les John Inglis, le cofondateur de ces deux sites. Comme si cette abondance ne suffisait LOGIQUES PLUS ainsi la porte à davantage de projets. « On a dû délais réglementaires » . L’examen par les Le succès a provoqué un engorgement. Alors pas, les spécialistes ont démultiplié les ca- innover là aussi » , salue Dominique Dunon- CPP est aussi beaucoup plus rapide. S’agis- que, sur arXiv, un article est mis en ligne le naux. A côté des revues et des preprints, ils FAIBLES, VOIRE Bluteau. Pour la première fois, l’ANR est sou- sant de la plate-forme d’essais Corimuno, lendemain de son dépôt, cela peut prendre ont utilisé des serveurs plus faciles d’accès ANORMAUX » tenue par des régions et des fondations (Fon- destinée à tester de façon randomisée une plus de trois jours sur medRxiv. Car des « rè- comme Zenodo, développé au CERN, là en- IVAN ORANSKY dation pour la recherche médicale, Fonda- série de molécules dans les formes graves de gles » ont été posées pour limiter les soumis- core pour faciliter la vie des chercheurs et COFONDATEUR tion de France). Un fonds exceptionnel du Covid, il s’est écoulé seulement huit jours sions. « L’attention du public sur ces sites peut l’échange d’informations. D’autres mettent DU SITE ministère a permis de boucler le budget. Si entre l’idée du protocole et l’inclusion du amplifier le risque d’automédication, détour- leurs travaux en ligne sur les sites de leur RETRACTION WATCH chacun salue la réactivité de l’ANR, beaucoup premier malade, souligne l’épidémiologiste ner l’emploi de médicaments, créer des pénu- laboratoire ou leur site personnel, comme redoutent « l’écart, une fois encore, entre le Philippe Ravaud, à l’origine de la conception ries de certains traitements… Nous avons les équipes de Pascal Crépey à Rennes, Vitto- temps du financement et celui de la recherche, de cette étude promue par l’AP-HP. donc décidé de ne plus accepter les articles ria Colizza à l’Inserm Paris ou Samuel Alizon ce que les chercheurs ont dénoncé tout l’hiver , Records de vitesse, donc, au risque de re- prédisant des effets thérapeutiques seulement au CNRS à Montpellier. Sans oublier Didier rappelle la sociologue des sciences Séverine dondances discutables. En effet, sur les à partir de simulations informatiques. Et s’il y Raoult, dont l’institut offre systématique- Louvel (Sciences Po Grenoble). La plupart de 80 essais français, une vingtaine évaluent a des essais in vitro, nous regardons au cas ment, sur son site, la primeur des travaux, ces projets vont nécessiter d’aller au-delà des la seule hydroxychloroquine. Dix-huit pro- par cas , rappelle John Inglis . Cela a frustré que l’oracle de Marseille commente ensuite dix-huit mois prévus. Qui pourra les prendre tocoles de test de la molécule chère à Didier plusieurs auteurs, mais ç’a été accepté par les dans de longues vidéos. en charge ? Devront-ils s’arrêter ? » Raoult et Donald Trump sont également en biologistes et cliniciens. » Gérer la vitesse. Eviter les sorties de route. cours aux Etats-Unis et au Canada. Sans Un avertissement sur ces sites rappelle LES ÉPIDÉMIOLOGISTES EN VEDETTES « J’espère que nous y sommes parvenus » , compter le reste du monde… aussi la nature particulière de ces prépublica- Dans cette profusion, une catégorie de publi- confie Nathalie Bajos, sociologue et démogra- Si du côté des essais cliniques personne tions, « résultats préliminaires » qui « ne doi- cations s’est vite démarquée : celle qui con- phe à l’Inserm. Sitôt annoncée la mise en n’entend maintenir le régime actuel une fois vent pas guider une pratique clinique ». cerne l’épidémiologie et ses modèles pour place du confinement, son équipe, qui étudie l’épidémie maîtrisée, nul doute que le monde Peine perdue. Cette forme de communica- prévoir l’évolution de l’épidémie en fonction les inégalités sociales de santé, a décidé de de la recherche sortira changé de l’expérience tion, destinée d’abord aux spécialistes, s’est de différents scénarios qui guideront les dé- suivre cet événement sans précédent, « néces- du Covid-19. Fondateur du modèle des pre- vite trouvée propulsée sur la scène médiati- cisions sanitaires. Ce sous-domaine illustre sairement révélateur » . « Les instituts de son- prints avec le site arXiv, le physicien Paul que, dès le début de la pandémie, souvent toutes les facettes de la recherche actuelle. dage étaient fermés , raconte-t-elle. Nous nous Ginsparg est convaincu que, pour les bio- sans les précautions nécessaires. Son succès La quantité, d’abord, car il y a au moins sommes donc appuyés sur des cohortes que logistes et les médecins, « il n’y aura pas de dépasse même parfois celui des articles des autant de modèles que de modélisateurs, nous suivions déjà. Mais en quinze jours, à par- retour en arrière » : « Physiciens, mathémati- grandes revues. Selon la société Altmetric, chaque modèle ne répondant pas stricte- tir du 17 mars, il a fallu boucler tout le projet et ciens, informaticiens, aucune communauté qui dénombre les citations recueillies sur ment aux mêmes questions, n’utilisant pas surtout réaliser le questionnaire, que nous qui a goûté à cet outil ne l’a jamais aban- Twitter, dans des journaux grand public et les mêmes équations et surtout pas les mê- avons déployé le 3 avril. Normalement, ça donné » , assure-t-il. De même, l’engagement sur des blogs, quatre des vingt articles de mes hypothèses. D’où l’importance de la prend un an et demi. Sans doute aurions-nous pris dès la mi-février par les principaux édi- son top 20 actuel sont des preprints. Dont transparence pour pouvoir débattre des fait mieux à un rythme normal. » teurs scientifiques de « libérer » l’accès à leur un, particulièrement fameux, retiré depuis qualités et mérites de ces travaux. C’est le D’autres n’ont pas sa modestie. Ainsi l’Amé- production, actuelle et passée, sur le corona- (un cas resté exceptionnel) : salué par le Prix sens d’un appel lancé dans Science le 30 avril ricain John Ioannidis défend-il les résultats virus, pourrait faire tache d’huile. La montée Nobel , il pointait la proxi- pour inciter à la mise à disposition des codes de l’enquête qu’il a cosignée, publiée le 17 avril en puissance de l’accès ouvert ( open access ) mité suspecte du nouveau virus avec le ce- informatiques au cœur de ces modèles. sur medRxiv, sur la prévalence du virus dans se poursuit, en effet, depuis près de vingt ans, lui du sida et laissait entendre une possible L’urgence, ensuite : les gouvernements doi- le comté de Santa Barbara, en Californie. S’ap- plus récemment appuyée par de nombreuses manipulation artificielle. vent décider vite, et ils demandent aux spé- puyant sur des études sérologiques, le cher- agences et fondations ou encore par l’Union Certains dénoncent les conséquences de cialistes de savoir rapidement si telle ou telle cheur de Stanford, pourfendeur des dérives européenne. Ne manquait peut-être qu’un cette explosion. « En temps normal, consacrer mesure sera efficace. Comment faire dans de la recherche et célèbre pour un article de événement mondial pour en sceller le sort. quelques heures par semaine à la lecture d’ar- des situations aussi inédites qu’un confine- 2005 intitulé « Pourquoi la plupart des études Même constat avec les congrès internatio- ticles scientifiques nous suffit pour être à jour, ment général, sur lequel personne n’a de sont fausses », assurait que le taux de morta- naux, un des moteurs de l’activité scientifi- mais ce n’est aujourd’hui plus possible avec données antérieures ? Statut scientifique in- lité du Covid-19 était peu élevé, de moins de que, brisé net par le confinement. « Nous de- cette inflation de preprints , constate Fabrice certain, paradoxe de prophéties qui ne se réa- 0,2 %. Biais d’échantillonnage, manque de vrons inventer de nouvelles façons de faire car André, directeur de la recherche de l’Institut liseront pas : « Les modélisations peuvent se fiabilité du test : le tollé a été général. les visioconférences en grand comité ne favori- Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne). fonder sur le meilleur des connaissances et des Cette conduite à tombeau ouvert, sans sent pas les interactions qui sont sources de Nous avons aujourd’hui deux personnes pour données disponibles lorsqu’elles sont faites, grand respect du code de la route ni des nouvelles collaborations ou idées » , estime faire un tri de ce qui sort, et cela a un coût. » pour être ensuite invalidées par les mesures autres véhicules, semble avoir culminé dans David Chavalarias, directeur de l’Institut des systèmes complexes d’Ile-de-France. Mais nombre de chercheurs considèrent que leur vie de globe-trotteur appartient au passé. Reste la place du monde de la recherche. L’écart apparaît désormais abyssal entre l’uti- LES ASSOCIATIONS DE PATIENTS LAISSÉES DE CÔTÉ lité sociale du secteur, les attentes considé- rables du public, et le sort réservé aux cher- cheurs. Il y a quelques mois, comme les per- e constat est unanime, les asso- le principe de base « rien pour nous la gestion de crise nous préoccupe sur le VIH, ou ceux qui ont été concernés par sonnels des hôpitaux, ils manifestaient L ciations d’usagers de la santé sans nous », promu par la charte de plan politique . Les instances locales et un Covid-19, ou encore aux patients contre le saccage des institutions de recher- sont les grandes oubliées du dé- Denver en 1983, écrite par les malades régionales de la démocratie en santé chroniques de manière générale, aux che, sacrifiées sur l’autel des équilibres bud- bat sur le Covid-19. Certes, mi-avril, du sida en plein contexte épidémique, ont été gelées depuis le début de la aidants… » , déplore Thomas Sannié, gétaires et de la compétition mondiale. Dé- Jean-François Delfraissy a demandé au questionnent les associations ? crise » , poursuit Magali Léo. de l’Association française des hémo- sormais, ils sont les oracles des plateaux télé- gouvernement, au nom du Conseil A ce stade, le conseil scientifique a in- philes (AFH) et membre du conseil de visés, les stars des réseaux sociaux, plébiscités scientifique Covid-19 qu’il préside, la tégré, le 27 mars, une personne issue « Savoir expérientiel » surveillance de l’AP-HP. par les lecteurs et redoutés des politiques. mise en place d’un « comité de liaison de la société civile : Marie-Aleth Grard, « Cette crise révèle la manière dont on Après un temps de sidération, les « Cette crise agit comme un miroir grossis- avec la société ». Selon lui, il faut « une vice-présidente d’ATD Quart Monde, pense les politiques de santé publique initiatives se multiplient. Les mouve- sant des difficultés de notre système académi- adhésion de la population » pour réus- nommée par le président du Sénat, en France, dont on considère la place ments associatifs travaillent en réseau que » , constate Pierre-Yves Modicom, ensei- sir le déconfinement. Comme d’au- Gérard Larcher, afin que « les 9 millions accordée aux malades, la démocratie avec des spécialistes sur les questions gnant-chercheur à l’université de Bordeaux tres, telle la virologue Françoise-Barré de Français en dessous du seuil de pau- sanitaire » , constate Marc Dixneuf, du débat scientifique, ont mis en place en sciences du langage et études germa- Sinoussi, il a participé à la lutte contre vreté ne soient pas oubliés » . Mais le directeur général d’Aides. La Société des programmes d’éducation théra- niques. Il est aussi membre du collectif le sida. Cette lutte pendant laquelle les gouvernement n’a associé aucune per- française de santé publique a appelé peutique du patient, formulent des RogueESR qui, le 31 mars, a lancé une péti- malades ont porté leur parole. sonnalité issue de France Assos Santé, elle aussi « à la nécessaire implication propositions pour le déconfinement. tion, signée par plus de 6 500 personnes, Mais, à ce jour, « le principe d’un co- qui rassemble 72 associations d’usa- de tous les acteurs, dont les associa- « Le temps viendra où les citoyens pour « refonder l’université et la recherche ». mité de liaison avec la société n’a pas été gers du système de santé. « On a l’im- tions de malades ou d’usagers du sys- voudront connaître les arbitrages qui Parmi les constats, il y a ceux du « sous-finan- acté » , nous a indiqué dimanche 3 mai pression que l’Etat manque une chance tème de santé ». « C’est comme si le ont été faits, sur quels critères les cement, de la concurrence entre équipes, de la le ministère de la santé. La Conférence de mobiliser les corps intermédiaires » , savoir scientifique était supérieur au malades ont été triés. Ils vont ques- précarité, de la quête du sensationnalisme » … nationale de santé (CNS), sorte de par- déplore Gérard Raymond, président savoir expérientiel » , constate Corinne tionner la continuité des soins cou- Des maladies chroniques, pour les unes tem- lement de la santé, définie par la loi, du groupement. « Il ignore aussi les or- Devos, vice-présidente de l’AFA Crohn rants pour les patients, la pénurie de porairement masquées par la mobilisation s’est de son côté autosaisie, dès fin ganisations qui œuvrent au plus près RCH, qui représente les patients tou- matériel, l’impossibilité d’accompa- générale contre la pandémie, pour les autres mars. « Même si nous comprenons le des besoins des personnes exposées à chés par les maladies inflammatoires gner ses morts à leur dernière de- largement amplifiées. Les effets inattendus caractère d’urgence, on constate à tous des sur-risques de mortalité et au dé- chroniques de l’intestin. meure… », souligne Olivia Gross, cher- d’un virus décidément imprévisible. p niveaux l’absence de prise en considé- faut de soins liés au Covid » , insiste Alors que le plan « Ma santé 2022 », cheuse au Laboratoire éducations et sandrine cabut, ration et de mobilisation des associa- Magali Léo, responsable du plaidoyer adopté par le gouvernement à la mi- pratiques de santé (LEPS, Sorbonne nathaniel herzberg, tions d’usagers » , indique Emmanuel à l’association de patients Renaloo. 2019, faisait une grande place au pa- Paris Nord). Et ils pourraient ne plus david larousserie, Rusch, président de la CNS, qui n’a pas Point positif, « les relations avec tient, on assiste là à un recul. « On ne questionner, mais dénoncer. p hervé morin été saisie par le ministère. Où est passé l’Assurance-maladie sont bonnes, mais laisse pas la place à ceux qui ont vécu le p. sa. et pascale santi ÉVELYNE, CAISSIÈRE DANS UN HYPERMARCHÉ

Évelyne a 46 ans et neuf ans de métier au Carrefour du centre commercial Mayol, dans le centre-ville de Toulon (Var). Alors que la CGT a porté plainte contre le groupe Carrefour et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, pour « mise en danger de la vie d’autrui » en raison des manquements sanitaires liés au coronavirus, elle nous raconte son quotidien de salariée indispensable à la nation.

Par ANNA CUXAC – Illustration CAMILLE BESSE

Śŧ2‡Շ‡¡Ř‡©ƒ¹¼ˆ~ˆƒ‡©Æ l’annonce du aux Carrefour des deux zones commer- Le mépris de classe, je connais. C’est confinement, nous avons, ici comme ciales qui encadrent Toulon. Ceux-là, des “ah ouais ! tu es caissière”, lancés ailleurs, été pris d’assaut par des cen- on s’y rend une fois par semaine pour avec un air compatissant. Mais il n’y a taines de clients venus faire des stocks. “les grosses courses”, c’est forcément pas de sot métier. Un sourire en caisse Il y a eu un début de baston au rayon peut mettre de la joie dans la journée pâtes et des gens qui s’engueulaient à de certain·es. La direction a essayé la caisse pour griller la priorité. Une de nous imposer un “merci pour votre sorte d’angoisse collective dont la ques - visite”, mais moi, les phrases toutes tion sous-jacente serait : “Qui va bien faites ne m’intéressent pas. De toute pouvoir mourir le premier ?” Comme façon, la direction est souvent à côté si stocker le papier toilette allait vous de la plaque et c’est d’autant plus pré- protéger de l’épidémie. Depuis, les gnant avec le coronavirus. chahuts et les razzias se sont calmés, Nous n’avons pas eu d’information mais il faut dire que ceux qui ont claqué spécifique, de réunion ou ne serait-ce 500 euros en paquets de pâtes ont de qu’un mail envoyé aux salarié·es pour quoi manger pendant une année. Par nous expliquer comment travailler dans contre, il y a toujours les petits malins plus anonyme. La spécificité de mon ce contexte. Tout s’est fait au jour le qui n’ont pas bien compris le sens du Carrefour me fait aimer mon métier : jour : on a commencé par nous mettre confinement et viennent trois fois par avec les habitué·es, il y a ces petits des films plastiques tout autour des jour pour dépannage, une brique de mots, ces “bonjour” et ces “comment caisses, puis on nous a fourni des gants lait par ci, une bouteille de coca par là. ça va aujourd’hui ?” . jetables et du produit nettoyant. Il était Je me permets de temps à autre une J’ai commencé il y a neuf ans en coupé à l’eau, alors mes collègues de la petite remarque bien sentie. contrat pro après avoir été cuistot au CGT sont allé·es chercher de meilleurs C’est le paradoxe du Carrefour Lavandou [un village situé à une heure produits en rayon. Je me suis syndiquée Mayol : il a la taille d’un hypermar- de Toulon, ndlr]. La cuisine, c’est ma à la CGT il y a un an. Hors temps de ché, mais, situé en plein centre-ville grande passion. Mais j’ai dû m’installer corona, nos principales revendications les pieds quasi dans l’eau du port, il à Toulon pour prendre soin de ma mère concernent la transformation des CDD sert de commerce de proximité à une malade, alors ça a été une formation, en CDI et des embauches supplémen - clientèle d’habitué·es, contrairement deux CDD, puis un CDI chez Carrefour. taires. Là, ce que nous demandons, c’est de faire en sorte d’être protégé·es en continuant de travailler. La semaine dernière, alors que j’étais en service “roller” [personne qui va cher- cher les prix à l’intérieur des rayons quand il y a un problème en caisse], mais sans rollers, j’ai entendu le chef de sécu dire : “C’est bon, on va faire rentrer les clients quinze par quinze, comme ça elles arrête- ront d’avoir peur celles-là.” Je lui ai lancé : “Mais bien sûr que nous avons peur.” Moi, je vis seule, donc passe encore. Mais pour mes collègues qui ont des enfants ou des personnes fragiles à la maison, bien sûr que j’ai peur. Certaines se sont

resto et une bonne mutuelle. Mais je être agressée par des imbéciles qui, continuerai de travailler. Pas pour les bizarrement, ne se comportent pas de mises en arrêt pour éviter une contami- actionnaires, mais pour les collègues. la sorte avec nos quelques collègues nation, je les comprends. Du coup, je me Au début, comme partout, il a été masculins. Il y a trois ans, un type m’a retrouve à être particulièrement poly- impossible pour la direction de mettre même frappée. J’avais fait remarquer, valente en ce moment : j’alterne selon la main sur des masques. Une cliente, avec le sourire, à son ami qu’être au les besoins entre la caisse, l’accueil, le couturière à la retraite, nous en a cousu téléphone ne l’empêchait pas de me dire drive et le roller. deux cents, quel beau geste ! Il m’en bonjour. Il a commencé à hurler : “C’est Quand j’ai appris qu’une caissière a été distribué deux, motifs fleuris et pas une caissière qui va m’apprendre la du groupe était décédée du corona à lavables. Nous continuons à les por- politesse, je veux voir le directeur, je vais Saint-Denis, le 26 mars, j’ai eu la boule ter. Début avril, notre magasin a enfin te faire perdre ton taf”, et l’autre m’a mis au ventre. Être caissière en ce moment, été livré en masques jetables, mais la une beigne. Ils ont été coursés dans la c’est se dire que nos vies ne valent direction ne nous en distribue qu’un galerie commerciale par des collègues, que 1 000 euros, la prime qui nous a par jour faute de stocks suffisants, et et on ne les a plus jamais revus par ici. été accordée par le groupe pour nous on sait qu’ils ne sont portables que Heureusement, il y a des client·es remercier de ne pas lâcher nos postes. trois heures. qui vous font tenir, comme ceux qui Ce n’est pas grand-chose, même pas Ça pourrait être pire. Chez Lidl, nos me remercient pour mon courage de un mois de salaire pour moi qui, ayant consœurs sont minutées. Et j’ai le cuir rester travailler. Ce que j’aimerais, c’est demandé mes 35 heures et travaillant épais. Hors corona, être caissière, c’est que cet épisode du corona fasse que, le dimanche, touche 1 200 euros, sans avoir le dos et les poignets qui morflent dans l’après, nous soyons un peu plus compter l’intéressement, les tickets à la fin de la journée. C’est surtout considérées. » U 2 l’Humanité Mardi 5 mai 2020

MACRON DANS UNE ÉCOLE À POISSY Le chef de l’État doit se rendre ce mardi à l’école élémentaire Pierre-de-Ronsard, à Poissy (Yvelines), en compagnie du ministre L’événement de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, et du maire Karl Olive (DVD). COVID-19

ÉCOLES Les maires abandonnés face à une équation sans solution De nombreux édiles renoncent à rouvrir les établissements scolaires dès le 11 mai, faute de temps et de moyens. En Île-de-France, plus de 300 d’entre eux ont interpellé Emmanuel Macron sur le désengagement de l’État.

a meilleure défense, c’est pragmatisme et de bonne volonté », tout en définitive change encore la donne sur des l’attaque. Attendu sur son plan renvoyant l’annonce des « derniers détails » éléments clés (lire ci-contre), comme le calcul de déconfinement, cette fois à jeudi. Il doit aussi se rendre ce mardi dans du nombre d’élèves, le port du masque, le présenté au Sénat, le premier une école de Poissy (Yvelines). Le maire LR nettoyage ou encore la restauration. Un casse- ministre s’est fait donneur de de la ville, Karl Olive, est l’un des rares tête pour les collectivités. « En trois jours leçons, ce lundi, à l’égard de à ne pas avoir signé le texte. Pas ouvrables – c’est ce qu’il nous reste, L « NOUS NE maires très inquiets à l’ap- sûr, cependant, que l’opéra- puisque vendredi est férié –, proche de la réouverture des écoles. « Ce tion com suffise à désamorcer COMPRENONS PAS réunir la totalité des conditions POURQUOI L’ÉTAT SE n’est pas parce que cela ne peut pas être ap- la levée de boucliers, tant les DÉSENGAGE, ALORS QUE requises, sur la base d’un do- pliqué partout que cela ne doit être appliqué griefs sont sérieux. « L’État L’ÉDUCATION ET cument que nous n’avons eu nulle part, chaque enfant de retour à l’école ne peut pas se désengager de LA SANTÉ SONT DES que ce lundi, n’est pas pos- est une victoire », a ainsi lancé Édouard Phi- sa responsabilité dans la ré- COMPÉTENCES sible », résume André Laignel lippe, alors que la colère des élus est encore ouverture des écoles le 11 mai ; RÉGALIENNES. » (PS), maire d’Issoudun (Indre) montée d’un cran ces derniers jours. Car, à et ce calendrier est, dans la LES 332MAIRES et premier vice-président de la lecture du protocole sanitaire publié par plupart de nos communes, FRANCILIENS. l’Association des maires de les services du ministre de l’Éducation na- intenable et irréaliste », inter- France (AMF). « Ce sont les Les élus franciliens ne veulent pas endosser la responsabilité de la réouverture, et exigent « tionale, et face au risque de deuxième vague pellent les maires, dont celle de Paris, 63 pages du plan Blanquer qu’il faut de l’épidémie, nombre de maires tirent la Anne Hidalgo (PS). Les édiles fustigent « un analyser et appliquer en moins d’une semaine, sonnette d’alarme. Pas moins de 332 d’entre calendrier à marche forcée », des « directives c’est bien sûr impossible », renchérit Philippe affirment ne pas comprendre « comment il eux, pour la seule Île-de-France, ont cosigné mouvantes » et demandent en premier lieu Bouyssou (PCF), maire d’Ivry-sur-Seine est possible de concilier l’objectif de volon- une lettre ouverte au président de la Répu- à « repousser la date de réouverture des écoles (Val-de-Marne) et signataire de la tribune. tariat (le retour à l’école est renvoyé à la blique, publiée dimanche en fin d’après-midi s’agissant des départements classés rouge ». Les raisons mêmes de la reprise des cours responsabilité des parents – NDLR) et de sur le site de la Tribune . Attendu depuis l’annonce, le 13 avril, du sont mises en cause par des élus locaux en pallier les inégalités sociales et territoriales ». Pour tenter de déminer le terrain, Emmanuel début du déconfinement pour le 11 mai, le première ligne. « Nous avons le sentiment Président de l’Association des élus com- Macron est lui aussi monté au créneau, lundi, fameux protocole sanitaire à mettre en œuvre que (l’)objectif initial (résorber les inégalités munistes et républicains (Anecr), Ian Bros- pour appeler à aborder le 11 mai avec « beau- dans les établissements scolaires n’est arrivé sociales et territoriales – NDLR) a été perdu sat, maire adjoint de la capitale au logement, coup d’organisation », de « calme », « de que trois semaines plus tard. Et sa version de vue », assurent les édiles franciliens, qui estime même que « le président de la Ré- publique a fait un choix politique, essentiel- lement guidé par des impératifs économiques, et charge les collectivités locales de s’en débrouiller. C’est une manière très dange- Les exigences sanitaires allégées par le ministère reuse de la part de l’État de se défausser. On rompt avec le principe républicain Masque non obligatoire, classes denses, enfants de maternelle de s’approcher à devenait obligatoire pour tous les adultes, d’égalité ». réouverture des cantines : la version moins d’un mètre de leurs camarades de la maternelle au collège. Leurs em- définitive du protocole sanitaire na- pendant la récréation ? Les modifications ployeurs, État ou collectivités locales, L’Association des maires de France tional réserve des surprises peu apportées ne simplifient rien, mais posent devaient fournir ces masques à partir du demande « une clarification » rassurantes. la question de la sécurité sanitaire elle- 11 mai. Pour les élèves, il était obligatoire « Nous avons affaire à un État qui dit, se dédit même. Comme si la volonté de rouvrir au collège, facultatif en élémentaire et et s’absente du territoire », confirme André ’est la surprise du chef ! Publiée les écoles devait l’emporter, quels que interdit en maternelle. Le revirement Laignel, qui n’ouvrira ses écoles qu’après le 3 mai, avec deux jours de soient les risques. opéré dans le texte définitif est notable : que le préfet aura signé un protocole local, retard, la version définitive hormis en maternelle, le masque n’est soumis au préalable aux directeurs d’école, Cdu protocole sanitaire natio- plus obligatoire, mais seulement « re- aux syndicats, aux parents et à l’inspecteur nal, qui doit permettre la re- PORT DU MASQUE commandé » pour les adultes… sauf « dans académique. Les élus franciliens ne veulent prise des cours, a été modifiée par rapport OBLIGATOIRE, MAIS PAS TROP toutes les situations où les règles de dis- pas plus endosser seuls la responsabilité de à la version provisoire (lire notre édition tanciation risquent de ne pas être respec- la réouverture, et exigent « que l’État s’assure d’hier). Au final, l’ensemble demeure Dans la première version du protocole, tées », à savoir « pendant la circulation que toutes les conditions sanitaires sont réu- extrêmement lourd, voire inapplicable. les choses étaient assez claires. Le port au sein de la classe ou de l’établissement, nies ». Au-delà, c’est la question de la res- Comment, par exemple, empêcher des du masque « grand public » (lavable) ou encore pendant la Suite page 4 ponsabilité pénale des maires que l’AMF a Mardi 5 mai 2020 l’Humanité 3

PROTECTION PAS GARANTIE « Au vu du protocole, il apparaît que de 3 nombreuses écoles n’auront pas la capacité Ce pourrait être, en nombre de jours, la durée d’y répondre et ne pourront donc pas garantir de la prérentrée à Paris, entre le retour des la protection des personnels et élèves. » enseignants, le 11 mai, et celui des premiers SUD éducation élèves de maternelle et primaire, le 14 mai. L’événement

ÉDITORIAL Par Laurent Mouloud Bruno Arbesu Défausse Plus que jamais, la perspective d’une réouverture des écoles ma- ternelles et primaires à partir de lundi 11 mai a du plomb dans l’aile. Et tout confirme que cette fameuse date butoir, décidée au doigt mouillé par le président de la République, tenait bien plus de la prophétie autoréali- satrice que du plan de bataille concerté et réaliste. Bien sûr, les services du ministère ont bûché dur pour rédiger un « protocole sani- taire» qui tente de cadrer avec force détails – jusqu’à l’absurde parfois – cette reprise des cours. Mais voilà. Comme d’autres avant lui, cet épais pensum technocratique, publié à quelques jours seulement de l’échéance, s’exonère d’une bonne part de la réalité quotidienne des classes et des contraintes commu- nales. Entre théorie et pratique, le fossé est béant. Et la prise de risque maximale. Personnels de l’éducation natio- nale et élus locaux ne s’y trompent pas. Nombre d’entre eux, notamment dans les zones urbaines où l’épidé- mie est encore virulente, dénoncent un casse-tête irréalisable en si peu Les élus franciliens ne veulent pas endosser la responsabilité de la réouverture, et exigent « que l’État s’assure que toutes les conditions sanitaires sont réunies ». F. Chapolard de temps. Et refusent d’être les din- dons de la farce en endossant la res- ponsabilité – y compris civile et soulevée dès la semaine dernière, demandant CE1 et les CE2. Quant aux petites et moyennes pénale – d’une rentrée des classes « une clarification » (lire encadré). « Préciser sections, « les mesures de distanciation et LA RESPONSABILITÉ précipitée, à marche forcée, où la la loi, rappeler la jurisprudence (...), oui. At- les gestes barrières étant très complexes à PÉNALE DES ÉLUS santé des enfants et des enseignants ténuer la responsabilité, je suis nettement plus mettre en œuvre, aucune date n’est actuel- FAIT DÉBAT passerait après l’obstination d’un réservé », a répliqué Édouard Philippe. lement arrêtée ». président qui rêve, avant toute chose, Dans de telles circonstances, nombre Les maires ouvrant les écoles au de remettre au travail les parents d’entre eux ont déjà annoncé que leurs écoles À Ivry, un « accueil éducatif 11 mai pourront-ils être sanctionnés d’élèves. L’exécutif veut relancer la resteraient fermées, au moins un temps. alternatif » pénalement en cas de machine économique ? À lui d’as- C’est le cas de plus de dix communes de la Reste aussi l’épineuse question des moyens, contamination en leur sein ? sumer jusqu’au bout ce choix en Seine-Saint-Denis, de plusieurs villes du car la fourniture de masques ou encore les L’inquiétude croît chez certains donnant du temps et des moyens. Pas-de-Calais, du Val-d’Oise, de la Drôme, dépenses supplémentaires pour le nettoyage édiles : le président de l’Association Et non pas en jouant le perpétuel de l’Hérault, ou encore de la Haute-Garonne. sont bel et bien renvoyées aux communes, des maires de France (AMF), désengagement. « Il me semble opportun d’envisager un report déjà financièrement étouffées par des années François Baroin, est lui-même Cela relève pour l’instant du vœu du déconfinement scolaire en le repoussant d’austérité budgétaires. « Les surcoûts liés à monté au créneau pour réclamer pieux. Acculé, Emmanuel Macron au mois de septembre », plaide également la reprise doivent être pris en charge par l’État, davantage de « protection tente depuis dimanche de désamor- le maire LR de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, mais à l’heure qu’il est, nous n’avons aucune juridique ». Même au sein de cer la fronde. Il a appelé hier à abor- dans un courrier au premier ministre où il indication à ce sujet », regrette André Laignel, LaREM, 138 députés et 19 sénateurs der le 11 mai avec « calme » et évoque, en outre, les inconnues liées à la également président du Comité des finances sont intervenus en ce sens et « pragmatisme », en rappelant que maladie de Kawasaki. locales. « Pour ouvrir une école, on a besoin proposent, dans le cadre du projet tout se fera sur la base du « volon- Lorsqu’ils prennent la décision d’ouvrir, du double de personnels par rapport à d’ha- de loi prorogeant l’état d’urgence tariat » des familles. Là encore, une les élus adaptent les recommandations. bitude », donne en exemple Philippe Bouyssou. sanitaire, « une adaptation de la manière de fermer les yeux. Et de Plutôt que le 12 mai, les enfants ne seront Selon ses calculs, à Ivry, 10 écoles sur 28 pour- législation pour effectivement laisser les parents, dont beaucoup accueillis à Lille qu’à compter du 14 mai, et raient réouvrir au vu des conditions, soit une protéger les maires pénalement sont en situation de pression éco- à raison de dix élèves au maximum par classe, capacité d’accueil de 1 000 enfants sur 6 000. mais aussi toutes les personnes nomique et sociale, notamment dans ont annoncé la maire, Martine Aubry (PS), « Comment les choisit-on ? » interroge l’élu, dépositaires d’une mission de les quartiers populaires, prendre la et le directeur académique Jean-Yves Bessol. qui a décidé de mettre en place un « accueil service public dans le cadre des responsabilité du risque de mettre Même à Lyon, laboratoire de la Macronie, éducatif alternatif », dont une cinquantaine opérations de déconfinement ». leur enfant à l’école… Une stratégie le calendrier sera échelonné, a fait savoir la d’enfants identifiés comme en grande difficulté L’exécutif est « prêt au dialogue », de la défausse décidément insup- ville ce dimanche : le 14 mai pour les grandes pourraient bénéficier dès cette semaine. assure la porte-parole du portable. sections de maternelle, les CP et CM2, le JULIA HAMLAOUI gouvernement, Sibeth Ndiaye. 25 mai pour les CM1, et… le 4 juin pour les AVEC BENJAMIN KÖNIG 4 l’Humanité Mardi 5 mai 2020 L’événement COVID-19

Les exigences sanitaires allégées manquants… Visiblement, ce qui prime, par le ministère plus que la justesse ou la crédibilité du récréation ». Côté collégiens, même trans- calcul, c’est la volonté de mettre un maxi- formation : le masque n’est plus obliga- mum d’élèves dans les classes. Là encore, toire que dans les situations « à risque ». au mépris de toute prudence sanitaire. La mention de la date du 11 mai pour la fourniture des masques disparaît égale- ment, comme si le gouvernement pré- CANTINE voyait qu’il ne pourrait pas tenir cette LE SUJET REVIENT AU MENU date… même si Jean-Michel Blanquer réaffirmait, le 2 mai, que ce serait bien le Pour éviter la réouverture des réfectoires, cas. Pourtant, aucune nouvelle donnée lieux éminemment complexes à gérer médicale ne semble justifier l’allègement dans un contexte épidémique, le protocole du port du masque. C’est juste un obstacle recommandait initialement que les élèves en moins sur le chemin de la réouverture ; prennent leur repas de midi dans les salles mais c’est une prise de risque de plus de classe, laissant aux collectivités locales pour la santé des élèves et des le choix de fournir les repas (froids) ou professionnels. de demander aux familles de les fournir. Le texte définitif inverse cette recom- mandation : c’est à présent la réouverture DISTANCIATION des cantines qui prévaut, la prise de repas LES FAUX CALCULS froids en salle de classe n’étant plus en- visagée qu’en cas « d’impossibilité de Au départ, les effectifs des élèves de- restauration dans les lieux habituels dans vaient être, au maximum, de 15 par classe le respect des prescriptions » sanitaires. en collège et en primaire, et de 10 en Ce revirement donnera satisfaction à tous maternelle. Sans doute pour répondre à ceux qui, avec raison, soulignaient l’im- tous ceux qui réclamaient de prendre portance du repas pris à la cantine pour exemple sur la Belgique qui a fixé une les enfants issus de familles défavorisées. norme de 4 m2 au minimum par élève, En revanche, il ne simplifiera pas la tâche le protocole définitif détaille la manière des collectivités locales, qui vont devoir de déterminer la capacité d’accueil de assurer à nouveau la restauration, sans chaque classe. Et reprend finalement la plus de moyens – notamment en per- norme belge… mais en l’accommodant sonnel – et avec des procédures sanitaires à une sauce bien particulière, puisqu’il encore plus complexes. Ce que ne com- peut être fait exception pour les élèves pensera pas le léger allègement au niveau « placés, dans la configuration de la classe, de l’entretien, puisque les tables, chaises contre un mur, une fenêtre, une biblio- et autres objets n’auront plus à être dé- thèque, etc. ». Moyennant quoi, poursuit sinfectés après chaque utilisation – ce le texte, « une salle de 50 m² doit permettre qui était parfaitement lunaire. d’accueillir 16 personnes », soit 15 élèves Pas plus réaliste dans son application et et un enseignant (notons au passage que moins sûr sur le plan sanitaire, ce proto- la présence de personnel non enseignant, cole, dans sa version définitive, aura fort Atsem ou AVS, n’est pas prise en à faire pour convaincre tous ceux – profs, compte !). Seize personnes, 4 m2 chacun : parents, élus… – qui, de plus en plus nom- cela fait 64 m2, et non 50. Et le protocole breux, refusent une reprise le 11 mai. Hormis en maternelle, le masque n’est plus obligatoire, mais seulement « recommandé » pour les adultes… sauf « n’explique pas où sont passés les 14 m2 OLIVIER CHARTRAIN où les règles de distanciation risquent de ne pas être respectées ». Marta Nascimento/Rea

LES ENFANTS RACONTENT LEUR VIE CONFINÉE : « C’EST BIZARRE ! »

Ils s’appellent Nathan, « Pour retarder l’échéance Ce serait quand même bien qu’on ait Émeline, Sacha, Rayan, des devoirs, je me suis même des informations précises. » mis à aimer la vaisselle ! » Lili et Loïs. Ils ont entre 7 et 16 ans et, depuis Nathan, 15 ans, 3e, Cherbourg « C’est nul de chez nul ! » le 16 mars, vivent confinés Émeline, 7 ans, CE1, Montrouge chez eux, comme tout « C’est une situation étrange. le monde. Entre l’école Premièrement, je suis obligé de me lever tôt. Beaucoup trop tôt pour une journée « Emmanuel Macron a annoncé à la maison, l’absence où on ne va pas au collège. C’est d’un jour à l’autre qu’on n’aurait de copains et de sorties, compliqué de prendre conscience qu’on plus école, à cause du coronavirus. sans oublier la vie n’est pas en vacances alors qu’on passe Il y avait trop de personnes qui faisaient la journée à la maison. C’est difficile de se de grandes retrouvailles et, du coup, en famille 24 heures mettre aux devoirs et de rester concentré. il a dit qu’il fallait rester confiné. sur 24 parfois « un peu Au collège, on n’a pas le choix. On ne se mais, finalement, je suis plutôt content C’est nul ! On a loupé le carnaval, compliquée », ils racontent pose pas la question. Alors que dans ma de rentrer au collège. Normalement, l’arrivée du printemps, on n’a pas chambre, je suis tenté de rêvasser, de ce sera le 18 mai, mais on ne nous a rien pu fêter les anniversaires en classe… avec leurs mots à eux faire d’autres choses, de jouer… dit de précis. Je ne sais pas si ce sera L’école, ça se passe bien à la maison cette drôle de période Pour retarder l’échéance, je me suis tous les jours, si on devra respecter mais puisque je finis toutes les matières même mis à aimer faire la vaisselle ! une distance avec les autres ou si je en fin de matinée, l’après-midi, je n’ai et la perspective Du coup, je termine mes journées plus devrai porter un masque. J’espère plus rien à faire. Alors je m’occupe. du déconfinement. tard. Je ne pensais pas dire ça un jour vraiment que ce ne sera pas le cas ! Je joue aux Playmobil, je regarde Mardi 5 mai 2020 l’Humanité 5 L’événement

« Nous avons de grandes difficultés à voir comment me6re en place ces mesures »

Francette Popineau, secrétaire générale d’une classe, il y a évidemment des meubles, Seulement, nous sentons que nous allons du Snuipp-FSU, premier syndicat du des armoires. Que l’éducation nationale être les premiers à rouvrir le bal. Notre primaire, s’inquiète de la très grande nous fasse un plan, qu’elle nous explique responsabilité va être extrêmement im- responsabilité que cette rentrée fait exactement comment se traduit concrète- portante sur la suite de cette épidémie. Si peser sur les enseignants, les premiers ment ce qu’elle préconise. Parce que les nous ratons le coche, nous en serons à « rouvrir le bal ». Entretien. enseignants ont beaucoup de mal à voir quelque part responsables. Il ne faudrait comment il serait possible de mettre autant pas vivre une deuxième vague, alors que e gouvernement vient d’assouplir d’élèves dans leur classe, tout en gardant les lits en réanimation ne sont pas libres les mesures sanitaires pour le retour une distanciation physique. En permettant, et que le personnel soignant n’a pas eu le en classe du 11 mai, notamment sur par exemple, qu’un enfant qui éternue puisse temps de se reposer. L’enjeu est considé- le port du masque. Qu’en aller se laver les mains, en restant bien à un rable. Ce sont beaucoup d’obligations qui pensez-vous ? mètre de chaque côté de ses ca- pèsent sur les épaules du corps LFRANCETTE POPINEAU On peut se poser la marades. Oui, nous avons de enseignant. question de la pertinence de mesures sa- grandes difficultés à visualiser nitaires strictes qui sont immédiatement comment toutes ces mesures Dans ces conditions, quelle sera assouplies ensuite. Beaucoup de mes col- pourront se mettre en place. Ce l’ambiance dans les classes ? lègues s’interrogent : ces assouplissements qui provoque énormément de FRANCETTE POPINEAU Malgré l’en- ne vont-ils pas faire prendre des risques stress chez les enseignants, avec vie des uns et des autres de re- aux uns et aux autres ? Sont-ils validés par des consignes sanitaires strictes, trouver les élèves, l’école va une autorité médicale ? Hier, les masques qui s’assouplissent sans que l’on prendre des airs bien tristes. devaient être obligatoires. Aujourd’hui, sache pourquoi. Nous allons passer notre temps

non. Cela ne cache-t-il pas une infaisabilité Mira à dire aux enfants : ne touche à imposer des masques pour tous ? Ou une Dans le Val-de-Marne, une in- Francette pas à ça, recule-toi, tu es trop impossibilité à obtenir des masques en tersyndicale s’oppose à la rentrée Popineau près, lave-toi les mains… C’est nombre suffisant ? Parce que là, on ne com- le 11 mai. Par ailleurs, d’autres Secrétaire une drôle d’école qui va se prend plus rien. Les masques représentent enseignants aspirent à revoir les générale du mettre en place, pas du tout la seule barrière pour nous protéger. Je ne élèves. Quel climat règne-t-il Snuipp-FSU ordinaire, et on se demande si vois pas comment on pourrait s’en dis- chez vos collègues ? le jeu en vaut la chandelle. Tout penser sans nous mettre en danger, nous, FRANCETTE POPINEAU Le ministère le monde s’interroge. Les en- enseignants et élèves. de l’Éducation nationale l’a lui même dé- seignants appréhendent cette rentrée, car claré : là où il ne sera pas possible d’ouvrir, ils ont le sentiment qu’ils ne vont que don- Des assouplissements ont également été on ne le fera pas. Le Val-de-Marne est un ner des consignes négatives aux enfants. apportés sur les surfaces dans les classes… département situé en zone rouge. Effecti- Dans ces conditions, il sera très difficile de FRANCETTE POPINEAU Décidément, au nouveau vement, on ne comprend pas pourquoi mettre en place des apprentissages avec ministère, on a du mal avec la comptabilité ! dans les régions où le Covid est très présent, des élèves qui ne pourront pas jouer, pas On nous dit qu’avec 50 m2, il est possible tout devrait rester fermé sauf l’école. Mais manipuler… Mais une fois de plus, nous ne de faire rentrer 16 personnes et plus tard, il faut aussi tenir compte du fait que beau- reprendrons les cours que si les conditions on nous explique qu’il faut 4 m2 par per- coup de collègues ont très envie de re- sanitaires sont réunies. our les adultes… sauf « dans toutes les situations sonne. Comment 16 multiplié par 4 peut prendre la classe. Nous avons un travail ENTRETIEN RÉALISÉ PAR donner 50 ? Sachant que dans les 50 m 2 de relation et nos élèves nous manquent. NADÈGE DUBESSAY

des dessins animés. Je dessine. surtout la maladie, mais on m’a expliqué Je me demande si on va pouvoir parler à faire tous ensemble, comme Je fais des activités manuelles avec que pour les enfants, il n’y avait pas trop entre nous et entendre la maîtresse la pétanque, et après, ça va mieux. » maman… Avec papa et maman, ce n’est de risque. Ce qui m’embête, c’est si elle aussi, elle en a un. Peut-être pas toujours la fête. Maman dit qu’elle ne de ne pas voir mes copains. qu’au moins, elle n’entendra pas peut pas travailler comme elle le veut et, On s’appelle en visio, parfois, on se quand je bavarde. Moi, ça me va « Si les écoles n’avaient pas le soir, elle se plaint d’avoir trop travaillé… montre nos maisons, on discute, plutôt bien de faire la classe à la maison. fermé, on serait tous Eh oui ! Pour qu’elle fasse son film, il faut on joue mais ce n’est pas pareil. Ça va plus vite et ça me laisse plus contaminés » écrire à des personnes du Québec, des C’est pour ça que, d’un côté, je suis de temps pour jouer. Et maman États-Unis, d’Afrique… Et papa, lui, c’est content de rentrer en classe le 25 mai. ne travaille plus, alors c’est super. Rayan, 9 ans, CM1, Paris réunion téléphonique, réunion Ça va quand même être bizarre… Je peux être avec elle tout le temps. téléphonique… Et avec tout ça, les On va faire la classe avec des masques ! Mon papa est médecin à l’hôpital. vacances de Pâques ont été annulées. Ça, Je le vois moins mais je suis super fier « L’école à la maison, ça se passe bien. c’est nul, nul, nul de chez nul ! » de lui ! Je ne suis pas sûr qu’il soigne Ma mère m’aide à faire les devoirs. Si les des gens qui ont le coronavirus écoles n’avaient pas fermé, on serait tous Le prénom a été modifié. mais, comme avant il travaillait dans contaminés. Ça se serait répandu partout un laboratoire avec des souris, je me dis dans le monde. J’ai envie d’y retourner qu’il va peut-être trouver le remède. pour retrouver les copains et ma « Ça va quand même être Moi, ça ne m’inquiète pas trop qu’il maîtresse. Mais ce qui me manque le bizarre, on va faire la classe parte à l’hôpital, mais mon frère plus, c’est de ne pas aller au parc. Chaque avec des masques ! » Oscar et ma sœur Adèle, qui ont 2 ans fois que je descends les poubelles, j’y et 4 ans, ils ont peur. Ils pleurent pense. Parfois, je sors faire des courses Sacha, 8 ans, CE2, Bordeaux quand il part le matin. Ils ne comprennent avec ma mère et je lui demande d’y aller, pas que nous, on soit obligés mais c’est impossible. Sinon, je regarde de se cacher du virus mais pas lui. la télé. Ça m’arrive de jouer au foot chez « Finalement, ce n’est pas si mal d’être Comme je suis le plus grand, j’essaie moi, mais chaque fois que la balle va trop confiné ! Au début ça m’inquiétait, de les rassurer. On trouve un jeu haut, ma mère se met à crier. » 6 l’Humanité Mardi 5 mai 2020 L’événement COVID-19 Les parents salariés refusent le chantage aux revenus

La FCPE, le SAF, la FSU et Soli- France (SAF), à la FSU et à Soli- daires exigent que la loi garantisse daires, a décidé de réagir. Une pro- le chômage partiel aux parents position d’amendement au projet qui décideraient de ne pas ren- de loi de prolongation de l’état voyer leurs enfants à l’école. d’urgence sanitaire – dont l’examen a commencé ce lundi 4 mai – a ainsi douard Philippe avait annoncé été envoyée à l’ensemble des une réouverture des écoles groupes de l’Assemblée nationale Éprogressive et « sur la base et du Sénat. Il institue « un dispositif du volontariat ». Il n’en sera rien. de protection des parents qui seront Ainsi, les parents salariés qui feront contraints de garder leurs enfants à le choix de ne pas renvoyer leurs leur domicile » pour qu’ils ne soient enfants sur les bancs de l’école se pas « exposés à des pertes de rému- retrouveront privés de chômage nération, voire des sanctions, de la partiel. part de leurs employeurs, qu’ils soient privés ou publics », détaille le SAF. « C’est zéro euro Il prévoit également que les parents ou des jours de congé » absents pour garde d’enfants ne Pour Rodrigo Arenas, coprésident puissent par « être exclus du bénéfice national de la FCPE, c’est un peu la du dispositif (…) relatif au chômage goutte d’eau qui fait déborder le partiel ». vase. Un nouveau coup qui s’ajoute à la perte de revenu (- 16 %) occa- « L’État invente le service sionnée par la bascule, depuis le public à la carte » 1er mai, des arrêts maladie pour garde Selon un sondage réalisé auprès d’enfants vers le chômage partiel. de 2 000 familles en Seine-Saint- Il reste du chemin pour « garantir l’effectivité du choix aux parents »... Jean-Claude Moschetti/REA « Ça, c’était l’acte 1, estime Rodrigo Denis, 75 % refusent le retour de Arenas. Acte 2, seuls les parents qui leurs enfants à l’école pour des fourniront à leur employeur une at- raisons de santé, individuelle et LES CRÈCHES AUSSI ROUVRENT LE 11 MAI testation de l’école prouvant qu’elle collective, rapporte Rodrigo Arenas. n’est pas en mesure d’accueillir leur Alors, certes, conclut le coprésident Il reste une (très) petite semaine aux Familles monoparentales, soignants, enfant seront éligibles au chômage de la FCPE, « il faut que les écoles professionnels de la petite enfance pour mettre en enseignants, couples d’actifs exclus du télétravail partiel. » S’ils oublient ou s’ils font rouvrent le plus vite possible. Mais musique les annonces d’Édouard Philippe le seront donc prioritaires et le port du masque le choix de poursuivre l’école à la certainement pas au prix d’un chan- 28 avril. Car les crèches, elles aussi, doivent sera obligatoire pour le personnel. Faute d’un maison, « c’est zéro euro ou des jours tage financier aux parents et alors rouvrir le 11 mai, « par groupes de dix enfants cadre national plus précis, pourtant promis, de congé ». que l’État invente le service public à maximum, avec la possibilité d’accueillir plusieurs les autres modalités (taux d’encadrement, Afin de « garantir l’effectivité du la carte au mépris de ses responsa- groupes de dix enfants » si les locaux le accès des parents, gestion des jeux et jouets…) choix aux parents », c’est par voie bilités républicaines et de l’accès permettent, avait précisé le premier ministre. risquent de varier d’un endroit à l’autre… parlementaire que la FCPE, associée égalitaire à l’éducation ». au Syndicat des avocats de MARION D’ALLARD

LES ENFANTS RACONTENT LEUR VIE CONFINÉE

« Avec mes parents, du confinement. On est toujours tous « Ça me permet de faire effrayant. Par contre, ça me permet de on s’engueule beaucoup ensemble, enfermés, dans notre des choses que je n’ai pas faire des choses dont je n’ai pas plus depuis le début appartement. On devient fous. J’ai l’habitude de faire » l’habitude. Je prends le temps d’écrire, du confinement » beaucoup de caractère. C’est souvent lire, faire du tricot, des choses manuelles. que je m’énerve et qu’il y a des tensions. Loïs, 16 ans, 1re , Nice Par contre, être en permanence avec les Lili, 12 ans, 6e, Paris Mais, avant, je partais voir mes copines, parents, c’est forcément compliqué. Mais ou j’allais au collège, et on oubliait. on a appris à vivre ensemble et, avec le Maintenant, ce n’est plus possible. C’est « Au début, je ne m’inquiétais pas du temps, ça va mieux. Ce n’est pas facile de « Ce n’est pas toujours évident de faire la aussi ce qui me manque avec le tout. Je pensais que ce n’était pas grave, ne pas voir d’autres personnes que les classe à la maison, surtout en 6e. C’est confinement. Ne pas pouvoir vraiment que la fermeture des établissements trois avec qui l’on vit. Et en plus, c’est ma première année de collège, donc c’est être seule, de temps en temps. » était une mesure du gouvernement pour quelque chose que je ne contrôle pas… plus dur. On a des profs différents qui calmer l’opposition. Pour moi, ce n’était donc ça m’énerve. Mais c’est aussi très nous envoient chacun beaucoup de pas un problème sanitaire, plutôt une agréable. Je suis dans les dernières devoirs. Le bon côté, c’est que je peux question politique. Je n’ai pas été années de la vie à la maison, avec mes dormir jusqu’à 10 heures, mais je préfère enchantée par la fermeture du lycée. Je parents. Après, je ferai mes études quand même être au collège. On suis en 1re et on est un peu comme les supérieures. C’est bien de profiter de ce apprend et on comprend mieux. On est cobayes de la réforme du bac. J’ai moment-là. Avec un peu de chance, on plus encadré. À la maison, j’essaie de évolué, j’ai pris conscience de l’ampleur va sortir de cette crise en ayant pris des faire toute seule les devoirs qu’on nous du problème. C’est difficile de prendre du leçons par rapport à l’écologie, à la envoie sur Internet. Maintenant, la recul. Je pense qu’on a peur du virus solidarité. Les gens vont peut-être se plateforme fonctionne bien, mais parfois parce qu’on ne sait pas le contrôler et rendre compte que c’est vraiment je bloque. J’essaie de demander de l’aide qu’on a l’habitude de tout contrôler. C’est important. J’essaie de positiver, même si à mes parents, mais ils travaillent aussi mon ressenti par rapport à mon je suis plutôt sceptique. J’espère que les beaucoup. Ils ne peuvent pas tout faire. quotidien. Le confinement, c’est quelque mentalités vont évoluer. » Parfois, ça part en dispute. Ça arrive chose que je ne contrôle pas, que je ne PROPOS RECUEILLIS PAR beaucoup plus souvent depuis le début connais pas. Cet inconnu est très FLORENT LE DU ET ÉMILIEN URBACH 2 u ÉVÉNEMENT Libération Mardi 5 Mai 2020

difficulté intrinsèque des mesu- surtout quand les soignants ont ÉDITORIAL res de précaution nécessaires à la donné l’exemple de la continuité sécurité sanitaire en sont la du service public ? Ces arguments cause. Le gouvernement peut se – qui s’entendent – n’effacent pas Par défendre en expliquant que l’opé- les incertitudes de la communi- LAURENT JOFFRIN ration est par nature malaisée, cation gouvernementale. Il sem- que les distances nécessaires en- ble bien que le conseil scientifi- tre les élèves et la rigueur des ges- que sur lequel s’appuie l’exécutif tes barrières empêchent, en tout n’était pas favorable à cette réou- état de cause, d’accueillir les en- verture. Que la date du 11 mai a Complexité fants en totalité. On lui reproche été choisie de manière en partie de se défausser sur les maires et arbitraire. Et, surtout, que l’op- Une rentrée à l’essai… La réou- les enseignants ? Mais qu’au- tion du volontariat donnée aux verture des classes prévues pour rait-on dit s’il avait édicté de Paris familles – et qui les plonge dans la semaine prochaine ressem- des règles uniformes et obligatoi- un stress compréhensible – blera à tout sauf à un retour à la res sans tenir compte des situa- contredit l’argument social par normale. Réticence des maires tions locales ? Et si les précau- ailleurs avancé. Si certains élèves – parfois doublée d’hostilité – tions sont prises et l’épidémie de décrochent, notamment dans les inquiétude des parents, circons- faible ampleur dans une région, quartiers populaires, le volonta- pection, méfiance et division comment poursuivre sans fin un riat pourrait bien être un obstacle chez les enseignants : une grande confinement qui prive les élèves à leur retour en classe. Le gou - partie des élèves, selon toute pro- d’enseignement et multiplie les vernement fait certes face à une babilité, ne reprendra pas le che- décrochages scolaires ? Dans une crise confuse et imprévisible. min de l’école le 11 ou 12 mai. La France qui reprend peu à peu le Le moins qu’on puisse, c’est qu’il disparité des situations, la com- travail, devrait-on faire une ex- a du mal à y introduire de la plexité des règles de reprise, la ception pour les enseignants, clarté. • ECOLES

Copie confuse A l’école Centre 1, au Bouscat, en Gironde. A partir du 11 mai, les

ner : «Ne disons pas d’emblée que pour la désinfection quotidienne des parce que ce n’est pas possible par- salles. Avec ce protocole, la responsa- Des consignes très strictes, un accueil qui ne pourra être tout, cela ne sera possible nulle ble du ménage devient une responsa- part.» Plusieurs communes, notam- ble sanitaire. Vous imaginez la pres- que très partiel… La réouverture des primaires, lundi, ment en Ile-de-France et dans le sion sur ses épaules ?» Il s’interroge promet d’être surtout symbolique. Sur le terrain, maires Nord, ont déjà averti : leurs écoles aussi sur l’accueil inconditionnel de resteront fermées. Dans un texte pu- l’école, remis en cause de fait. Lau- et directeurs tentent de mettre en place des protocoles blié dans la Tribune, plus de rence Rosat, directrice d’une école 300 maires franciliens estiment que primaire à Metzervisse (Moselle), re- qui virent parfois à l’absurde. les conditions sanitaires ne sont pas fuse de choisir elle-même. «Quels réunies le 11 mai et demandent un critères retenir ? Nous voulons être le report. D’autres, au contraire, ouvri- plus justes possible et proposer à tous Par qui poireauteront pour déposer «une question d’honneur», a dit ront coûte que coûte, comme Jean- le même accueil. En fonction du NELLY DIDELOT, leurs bambins ? Et 280 enfants qui Blanquer –, elle ne reprendra qu’à Didier Berger, le maire de Clamart : nombre d’enfants qui vont revenir, STÉPHANIE HAROUNYAN doivent aller se laver les mains une raison de quelques heures par se- «C’est vital pour que les parents qui nous pensons organiser des groupes (à Marseille) et MARIE dizaine de fois par jour, quand on a maine. Et encore, pas partout. Sur- ne peuvent pas faire autrement puis- qui auraient chacun cours à l’école PIQUEMAL 5 ou 6 lavabos dans l’école… Com- tout, elle ne ressemblera pas du tout sent retourner bosser. Mais il faut ar- pendant deux jours.» Photo RODOLPHE ESCHER bien d’heures cela prend-il ? La re- à l’école que les élèves connaissent. rêter de nous rajouter des conditions, prise de la classe mardi 12 mai, pro- Les règles sanitaires, imposées dans et nous laisser gérer.» Sébastien Vin- «TOUT EST MINUTÉ» epuis une semaine, les direc- mise par le président de la un protocole publié dimanche, ont cini, édile socialiste de Cintegabelle Chaque école bricole son plan. D teurs et directrices d’école République, est un casse-tête inso- fini de rendre l’équation impossible. en Haute-Garonne, hésite. «Laisser Bruno (1), enseignant en REP +, s’ap- font des maths. Comment luble pour les équipes enseignantes, un service public fermé, ça déstabi- prête à entrer dans sa énième visio- faire tenir 15 enfants dans des salles les mairies qui ont la responsabilité «PRESSION» lise une commune.» Mais comment réunion avec ses collègues pour affi- de classe de 50 m², sans qu’ils croi- du bâti scolaire et du temps périsco- Lundi au Sénat, Edouard Philippe a faire pour appliquer le protocole ? ner le leur. Dans son école, située sent d’autres élèves dans le couloir ? laires… et les parents, qui se retrou- temporisé : «Dans certains endroits, «On sait déjà que des agents commu- dans un quartier très défavorisé de Quelle longueur de trottoir est né- vent à devoir choisir. Le gouverne- ça va être difficile, on en prend acte. naux à la santé fragile ne vont pas Marseille, «très peu de parents envi- cessaire pour contenir une file de ment a beau répéter comme un Et dans beaucoup d’autres, ça va très reprendre le boulot alors qu’il nous sagent de remettre leurs enfants. Ils parents, espacés chacun d’un mètre, gimmick que l’école va rouvrir – bien se passer.» Avant de sermon- faudrait plus de monde rien que ont trop peur», explique-t-il. Selon Libération Mardi 5 Mai 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 3

devant attendre le 25 mai pour revenir dans des classes de 15 élèves maximum. Problème : une semaine plus tard, lors de la présentation de son plan de déconfinement devant les députés, Edouard Philippe donne un ordre contraire : maternelles et élémentaires le 11 mai, collèges une semaine plus tard – dans les départements les moins touchés – et retour des lycéens pas avant juin. «Il a merdé, recon- naît un de ses camarades au gouvernement. On était dans le moment le plus compliqué de la séquence, les gens attendaient des informa- tions claires, précises, arbitrées, on ne peut pas annoncer des trucs pas calés.» Là encore, Jean-Michel Blanquer s’est défendu en expliquant qu’il avait là «présenté une série d’hypothèses faites pour évoluer». «On retrouve l’essentiel dans le plan du Premier ministre, que nous avons travaillé ensemble pour la partie scolaire», a-t-il insisté ensuite. A Matignon, on confirme qu’Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer se sont vus la veille de cette audition parlementaire. Mais que consigne avait été passée d’éviter de livrer publiquement des «hypothèses» sur des sujets si concernants…

«Ivre de rage». «Tant que les arbitrages ne sont pas rendus, tu fermes ta gueule, rappelle un membre du gouvernement. Là, Blanquer parle pour le plaisir d’exister. Ça le rend ivre de rage de ne pas être au centre de l’image. Or l’éducation c’est le sujet anxiogène par nature.» Des frottements sur fond de bataille pour Mati- gnon ? «Blanquer a recruté un nouveau conseiller qui n’arrête pas de répéter à qui veut l’entendre qu’il est là pour le mener à Mati- gnon», rapporte un ministre. Dans l’entourage de Philippe, on dément toute tension. On prend soin, au contraire, de louer la «compé- tence» et le «professionnalisme» d’un ministre issu de la société civile qui a su «faire des réfor- mes». Mais on insiste bien sur le fait que le ministre de l’Education «joue gros» dans la séquence qui vient. «A Matignon, on compte sur Blanquer», insiste-t-on. «S’il veut Matignon, j’espère qu’il a de gros mus- cles parce que ça va être compliqué», observe un conseiller de l’exécutif. D’autant plus que si son capital confiance mesuré par l’Ifop est remonté à 40 % d’opinions favorables (+10 points entre mars et avril), ses batailles passées avec les syn- dicats ont laissé des traces et ne plaident pas pour la «concorde» souhaitée par Macron. L’an- cien directeur général de l’enseignement sco- laire avait bien commencé avec la mise en place sanitaires seront lavés toutes les deux heures et les classes après chaque passage d'élèves. du dédoublement des classes de CP en zones prioritaires (REP et REP +), mesure phare du candidat Macron. Mais il a attaqué cette crise une consultation lancée par l’asso- sanitaire après des mois de tensions avec les ciation de parents d’élèves de Mar- profs : son bras de fer sur la réforme du lycée a seille MPE 13, «62 % des 3 300 pa- Blanquer, le crash-test laissé des traces, tout comme la réforme des rents qui ont répondu se disent retraites dont les enseignants craignaient d’être défavorables à la reprise le 11 mai. Si les futurs grands perdants. on ajoute les 16 % de “je ne sais pas Régulièrement à contretemps macronie depuis 2017 malgré des conflits à répé- Difficile dans de telles conditions d’embarquer encore”, on a une très large majorité depuis le début de la crise, tition avec les enseignants a commencé par un des troupes enseignantes qui ont l’impression qui n’est pas partante. On ne pensait le ministre de l’Education, déjà énorme loupé. Le 12 mars, à l’heure du café, il qu’on leur demande de rouvrir leurs classes pas que ce serait aussi élevé». Dans de se fait très solennel : «Nous n’avons jamais envi- pour permettre avant tout la reprise de l’acti- l’école de Bruno, l’équipe tente de fragilisé par un bras fer avec sagé la fermeture totale [des écoles] parce qu’elle vité économique en dépit des risques sani- mettre en place une organisation les enseignants sur les retraites, nous semble contre-productive.» Raté : moins taires et des priorités pédagogiques. Surtout pour éviter la panique le jour J. «On a fait de la réouverture des de douze heures plus tard, Emmanuel Macron dans une maison habituée aux directives va faire venir les classes à des heures écoles un mantra. Très risqué. annonce que toutes les écoles du territoire fer- centralisées. Pourtant, Blanquer tient là une différentes, mais il ne faut pas que meront «jusqu’à nouvel ordre». occasion d’appliquer l’une des raisons pour quelqu’un soit en retard, parce lesquelles Macron l’a mis à ce poste : plus d’au- qu’après l’accueil, il va falloir monter l fait de cette réouverture des classes une «Trucs pas calés». Blanquer a eu beau ex- tonomie pour les chefs d’établissement sco- se laver les mains, et vite libérer la I «question d’honneur». Mais c’est un crash- pliquer que cette décision présidentielle était laire et la « liberté de choix» laissée au terrain. place pour la classe suivante. Tout test politique que s’apprête à vivre Jean-Mi- calquée sur l’avis du conseil scientifique, d’en- Exactement l’option retenue par l’exécutif est minuté, au moindre retard, tout chel Blanquer avec le retour des élèves en trée de jeu, son poids dans le dispositif gouver- pour le 11 mai. «On est en mode “vous faites sera par terre», soupire l’enseignant, classe dans des conditions baroques et très cri- nemental de la gestion de crise en a pris un comme vous voulez” avec les maires», reconnaît qui s’interroge aussi sur la réalité tiquées. «Je ne choisis pas la facilité», a convenu sacré coup. Rebelote fin avril : auditionné par un membre du gouvernement pour qui «Blan- pédagogique de cette reprise. «Pour le ministre de l’Education nationale avant le la commission des Affaires culturelles de l’As- quer a l’avantage de connaître la maison par le travail en classe, on va devoir limi- week-end. Et c’est peu dire que l’ancien recteur semblée nationale, le ministre détaille un pre- cœur mais c’est Philippe qui a été maire lui- ter le matériel utilisé, parce que déjà d’académie ne s’est pas «facilité» la tâche de- mier mode d’emploi pour le retour «progressif» même et qui sait qu’on ne peut que faire du sur- que pour les agents de la ville en puis le début de cette crise sanitaire… Rares des élèves : grandes sections de maternelle, CP mesure». De quoi éviter que le ministre de charge de l’entretien, c’est mission sont les ministres d’importance à avoir été et CM2 en premier ; sixièmes, troisièmes, pre- l’Education, au moins sur ce point-là, ne impossible… Je pense qu’avec quatre autant contredits par Matignon, l’Elysée ou les mières et terminales et une partie des lycées s’écarte des consignes de Matignon. enfants par classe, Suite page 4 deux. Celui qui faisait figure de bon élève de la professionnels à partir du 18 mai ; les autres LILIAN ALEMAGNA 6 u ÉVÉNEMENT Libération Lundi 4 Mai 2020 Montpellier explore de nouvelles pistes

La mairie a créé que Nicolas Le Moigne, porte-pa- des infrastructures role de l’association Vélocité, deve- nue l’interlocutrice incontournable temporaires pour sur les sujets de mobilité à Mont - faciliter les trajets pellier. C’est là que l’urbanisme tac- à vélo. L’association tique exprime toute sa pertinence : flexibles et peu coûteux, les aména- Vélocité et EE-LV gements provisoires sont faciles à s’en réjouissent, installer. Nous avons déjà beaucoup mais espèrent de retours positifs concernant leur pérennisation. ces deux nouvelles pistes cyclables.» Le confinement se prête à de telles modifications : selon la mairie, le est à vélo, forcément, que trafic automobile a chuté de 60 % C’ Philippe Saurel a inauguré à Montpellier depuis le 17 mars. fin avril deux tronçons «L’humain se réapproprie la voirie. cyclables aménagés sur des voies L’espace urbain s’est transformé. jusqu’ici réservées aux voitures. C’est une opportunité fabuleuse «Montpellier est la première ville de pour expérimenter», s’enthou- France à créer des pis- siasme Nicolas Le Moigne. tes cyclables tempo- L’épidémie a convaincu raires», a clai- des Montpelliérains

ronné le maire de AVEYRON GARD de se mettre au vélo. la septième ville Dans le monde de France. Certes, Montpellier d’après, Vélocité TARN ces nou velles pis- espère que ces tes représentent HÉRAULT nouveaux venus un total de moins poursuivront sur de 5 kilomètres et leur lancée, séduits restent temporaires, AUDE Mer par la distanciation Méditerranée mais «si elles donnent sociale naturelle de 10 km satisfaction à tous les usa- cette alternative aux gers, on les rendra définitives», transports en commun, offrant a assuré l’édile divers gauche, qui ne de fait plus de place aux plus fragi- perd pas de vue l’élection munici- les. «Le vélo est un véritable outil pale en cours. Ces aménagements – pour accompagner le déconfinement. l’un dessert le quartier des hôpi- Beaucoup sont prêts à changer leurs taux, l’autre rallonge un parcours habitudes de transport pour s’y met- cyclable reliant Montpellier à Cas- tre», assure le porte-parole. Son as- telnau-le-Lez, une commune limi- sociation propose même d’accom- trophe – ont le mérite d’ouvrir la pagner les no vices avec une «aide au voie. Philippe Saurel évoque désor- trajet», qui consiste à trouver pour mais la création d’une dizaine de ki- eux les pistes cyclables leur permet- lomètres supplémentaires de piste tant d’effectuer au mieux leurs par- provisoires «pour plus tard». cours quotidiens. Climat favorable, population jeune, territoire quasi A Montpellier, un collectif a réalisé des pochoirs «Je suis un des deux» sur les pistes, le 1 er mai. Alternative. Ces inaugurations plat, trafic automobile conges- ont placé la notion d’urbanisme tionné : «Nous avons tout pour faire tactique (lire page 4) au centre du de Montpellier la reine de la petite d’aménagements spécifiques et de pas l’idéal». Quatre jours plus tard que les cyclistes sont aussi des élec- débat local. «En France, comme reine», résume Coralie Mantion, tête parkings sécurisés. «Il est temps de apparaissait le hashtag #JeSuis - teurs. «Le vélo s’est imposé comme nous n’avons pas de culture vélo, de liste EE-LV aux municipales. changer de braquet et de passer à UnDesDeux, mouvement porté par un réel enjeu dans la campagne des c’est compliqué de réussir des amé- Problème : trop de gens craignent une vision globale de la ville. On doit Vélocité, qui a déclenché une dyna- municipales. Nous avons d’ailleurs nagements du premier coup, expli- de se déplacer à vélo en l’absence arrêter avec le bricolage et les projets mique citoyenne et fait basculer le été sollicités par toutes les grandes jetables. Philippe Saurel n’a pas en- rapport de force. listes , raconte Nicolas Le Moigne. Le core fait sa “vélorution”», assène la Lors d’un rassemblement organisé “grand oral vélo” que nous avons or- candidate écolo, arrivée en sixième le 10 novembre, retenu comme la ganisé cet hiver a réuni 340 person- position à l’issue du premier tour date anniversaire de ce tournant, nes ainsi que la plupart des candi- où le vote vert s’est éparpillé sur de Vélocité comptait 2 700 bicyclettes. dats ou leurs représentants. Tous nombreuses listes. Selon elle, ce L’occasion pour tous de rappeler ont été obligés de se positionner.» n’est que «sous la pression de Vélo- Suspendue par le confinement, la cité» que le maire a créé ces pistes course des municipales n’est pas fi- cyclables temporaires. «On doit arrêter nie. Le second tour pourrait avoir lieu fin juin, mais plus vraisembla- «Grand oral». L’association, qui avec le bricolage et blement à l’automne. Tous les can- doit soumettre cette semaine de les projets jetables. didats, Saurel le premier, savent que nou velles propositions à l’équipe le déconfinement leur offre l’occa- Saurel, a surgi sur le devant de la Philippe Saurel sion d’être dans le coup et qu’ils scène publique en octobre 2018. In- n’ont pas intérêt à perdre les pé- terrogé sur le manque de pistes cy- n’a pas encore fait dales dans la dernière ligne droite. clables à Montpellier, le maire avait sa “vélorution”.» SARAH FINGER déclaré que «faire une infrastruc- (à Montpellier) ture pour qu’elle soit utilisée par Coralie Mantion tête de liste Photos Cinq kilomètres de pistes provisoires ont été inaugurés. deux per sonnes, ce n’est peut-être EE-LV aux municipales DAVID RICHARD. TRANSIT