3457

SOMMAIRE ANALYTIQUE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ...... 3461

 Proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en – Audition de M. Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques ...... 3461

 Audition de MM. Hervé Bécam, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants (GNI), et Alexis Bourdon, président du Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (SNARR) ...... 3478

 Audition de M. Benoît Potier, président-directeur général d’Air Liquide ...... 3500

 Audition de MM. Patrick Artus et Olivier Pastré, économistes et auteurs de « L’économie post-Covid » (sera publié ultérieurement) ...... 3519

 Désignation d’un rapporteur ...... 3520

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES ...... 3521

 Bilan et perspectives de l’opération Barkhane - Audition, depuis Njaména, du général de brigade Marc Conruyt, commandant de l’opération Barkhane (Comanfor) ...... 3521

 Audition de M. Aguila Saleh, Président du Parlement de Tobrouk (sera publiée ultérieurement) ...... 3532

 Audition, en commun avec la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur « L’Arctique, entre défi climatique et risques géopolitiques » (sera publiée ultérieurement) ...... 3532

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES ...... 3533

 Mise en œuvre de la stratégie vaccinale contre la covid-19 – Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ...... 3533

 Proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement – Examen du rapport et du texte de la commission ...... 3544

 Proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans - Examen du rapport et du texte de la commission ...... 3556

 Mise en œuvre de la stratégie vaccinale contre la covid-19 – Audition de M. Antoine Flahault, épidémiologiste, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève ...... 3565

 Désignation de rapporteurs ...... 3574

 Questions diverses ...... 3575

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3458

COMMISSION DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ...... 3577

 Mission d’information sur l’avenir du transport de marchandises face aux impératifs environnementaux – Avenir du fret ferroviaire - Audition de MM. Franck Agogué-Escaré, adjoint au directeur des services de transports - direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (ministère de la transition écologique), Frédéric Delorme, président du pôle TFMM - Fret SNCF, membre de l’Alliance 4F, Raphaël Doutrebente, directeur général d’Europorte, membre de l’Alliance 4F, et Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau ...... 3577

 Proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France - Examen des amendements de séance ...... 3606

 Audition, en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur « L'Arctique, entre défi climatique et risques géopolitiques » (sera publié ultérieurement) ...... 3612

COMMISSION DE LA CULTURE, DE L’ÉDUCATION ET DE LA COMMUNICATION ...... 3613

 Audition sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens 2020-2022 des sociétés de l’audiovisuel public ...... 3613

 Audition de Mme Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France (BNF) ... 3631

 Proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises – Examen du rapport et élaboration du texte de la commission ...... 3638

COMMISSION DES FINANCES ...... 3647

 Audition de MM. Pierre Moscovici, Premier président, et Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes sur le rapport public thématique « Les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance » ...... 3647

 Désignation de rapporteurs ...... 3667

 Questions diverses ...... 3668

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE ...... 3669

 Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur...... 3669

 Désignation d’un rapporteur ...... 3685

 Proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat – Examen du rapport et du texte de la commission ...... 3685

 Proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage – Examen du rapport et du texte de la commission ...... 3692

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3459

 Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels – Examen du rapport et du texte de la commission...... 3705

 Audition de représentants de la profession d'avocat, à la suite du rapport de M. Dominique Perben ...... 3721

 Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ...... 3732

 Audition de M. Jean-Louis Debré, à la suite de son rapport sur les élections départementales et régionales ...... 3743

COMMISSION SPÉCIALE SUR LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE ...... 3755

 Audition de MM. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé ...... 3755

PROGRAMME DE TRAVAIL POUR LA SEMAINE DU 18 JANVIER ET À VENIR ...... 3767

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021

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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

Mercredi 2 décembre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France – Audition de M. Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. – Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui devant nos deux commissions – celle de l’aménagement du territoire et du développement durable et celle des affaires économiques – M. Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Nous vous remercions de vous être rendu disponible pour venir nous parler d’un sujet qui nous tient à cœur : la question de la sobriété numérique, et plus particulièrement la convergence des transitions numérique et environnementale, qui fait l’objet d’une proposition de loi issue des travaux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et qui sera examinée prochainement par le Sénat.

En janvier dernier, notre commission a engagé des travaux sur l’empreinte environnementale du numérique qui constituait encore, selon nous, un « angle mort » des politiques publiques mises en œuvre pour respecter nos engagements climatiques. Nous avons donc mis en place une mission d’information, présidée par notre collègue Patrick Chaize, qui a mené un grand nombre d’auditions et fait réaliser une étude, afin de disposer d’éléments chiffrés inédits sur l’empreinte carbone du numérique en France, ses particularités par rapport aux tendances mondiales et, surtout, son évolution à l’horizon 2040.

Cette première étape constituant un préalable nécessaire afin de définir les leviers d’action les plus pertinents, en voici les deux principaux enseignements : premièrement, le numérique constitue en France une source importante d’émissions de gaz à effet de serre, soit 2 % du total des émissions en 2019, et cette empreinte pourrait augmenter de 60 % d’ici 2040 si rien n’était fait pour la réduire ; deuxièmement, les terminaux sont à l’origine de la plus grande part des impacts environnementaux du numérique en France, à savoir 81 % de l’empreinte carbone totale du secteur – et plus particulièrement la fabrication de ces appareils, responsable de 70 % de l’empreinte carbone totale du numérique.

La mission d’information du Sénat relative à l’empreinte environnementale du numérique a publié une feuille de route comprenant 25 recommandations « pour une transition numérique écologique », dont la proposition de loi reprend les pistes législatives. Celles-ci sont organisées en quatre axes : faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental du numérique ; limiter le renouvellement des terminaux ; faire émerger et développer des usages du numérique écologiquement vertueux ; promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores.

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Après l’intervention de ma collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, le premier signataire de cette proposition de loi, notre collègue Patrick Chaize, prendra la parole pour rappeler l’importance et les enjeux de ce texte. Nos rapporteurs Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, ainsi que la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, Anne-Catherine Loisier, vous interrogeront également sur le fond de cette proposition de loi.

Pour ma part, j’aimerais attirer votre attention sur le caractère large et transpartisan de cette initiative. Elle résulte d’un travail de fond important, adopté à l’unanimité des membres de notre commission et portant sur un enjeu à notre avis essentiel : la convergence des transitions numérique et écologique.

Vous avez annoncé, lors d’un récent colloque portant sur le numérique et l’environnement, la publication très prochaine d’une feuille de route interministérielle sur le sujet. Nous savons aussi, car nos rapporteurs ont entendu beaucoup d’acteurs et également travaillé en lien avec vos services, que vous partagez en partie les orientations de nos travaux. Nous souhaiterions donc, monsieur le secrétaire d’État, que ce travail soit utile pour avancer sur ce sujet et qu’il bénéficie de votre implication et de votre soutien afin de prospérer.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. – Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes ravis de vous retrouver. Depuis quelques mois, nous avons déjà eu souvent l’occasion d’échanger sur des sujets concernant le numérique. Nous avons pu avoir des divergences sur le niveau d’intervention, mais je sais que nous ne divergeons pas sur le fond. Je remercie le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot, de son invitation à débattre de cette proposition de loi.

Si le numérique est avant tout une chance pour la transition environnementale, avec la promesse d’une meilleure utilisation des ressources, il ne peut se situer en dehors des objectifs fixés au niveau national, dans l’accord de sur le climat ou dans la loi Énergie-climat. Tel est, me semble-t-il, l’intérêt de cette proposition de loi : réfléchir sur ce que certains ont pu appeler la « face cachée » du numérique. Cette face cachée, qu’il s’agit de rendre visible, concerne principalement la fabrication des équipements numériques, à travers l’extraction de ressources rares ou la consommation d’énergie carbonée. L’enjeu est donc, tout en encourageant les gestes écoresponsables, de favoriser l’allongement de la durée de vie des équipements, ce qui correspond d’ailleurs à une demande croissante des consommateurs. En somme, on peut considérer que l’enjeu environnemental rejoint l’enjeu de renforcement du libre choix du consommateur face aux acteurs de taille mondiale, qu’il s’agisse de producteurs de terminaux ou de plateformes en ligne.

Monsieur le secrétaire d’État, nous avons eu parfois quelques désaccords sur le niveau pertinent de l’action publique. Aussi, je ne résiste pas à la tentation de vous poser la question suivante : sur ce sujet de l’impact environnemental du numérique, comptez-vous privilégier une action au niveau national ou au niveau européen ? Comptez-vous, par exemple, proposer un volet environnemental dans le fameux Digital service act (DSA) que nous attendons avec impatience ?

M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. – Le numérique est un secteur essentiel de notre économie, indispensable à la transition écologique, à condition que les gains substantiels en matière de lutte contre le réchauffement climatique ne soient pas annulés par le propre impact du numérique en termes d’émissions de gaz à effet de serre ou

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3463 d’utilisation des ressources. Pendant six mois, j’ai présidé la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du numérique, qui a débouché sur une feuille de route ambitieuse et sur une proposition de loi transpartisane. Je veux d’ailleurs remercier l’ensemble des cosignataires de ce texte, qui représentent plus d’un tiers du Sénat.

Depuis la publication de notre rapport, nous avons pris connaissance avec satisfaction des travaux du Conseil national du numérique (CNNum), et avons noté que le Gouvernement entendait avancer sur ce sujet. Plus que jamais, nous sommes animés par un esprit de co-construction, et je ne doute pas que ce soit également votre état d’esprit aujourd’hui. Nous partageons, je crois, l’essentiel des constats et des propositions d’actions.

J’aimerais évoquer quelques points d’ordre général. Premièrement, concernant le calendrier d’application des dispositions prévues par la proposition de loi, notre volonté a été de ne rien arrêter au moment de sa rédaction. Nous souhaitions, en effet, laisser les acteurs réagir aux différents articles et adapter, le cas échéant, le calendrier d’entrée en vigueur. C’est le cas, par exemple, sur les sujets liés à l’écoconception ; une entrée en vigueur immédiate pourrait s’avérer prématurée, dès lors que les travaux de méthodologie menés par l’Agence de la transition écologique (Ademe) et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ne sont pas encore terminés. Je ne doute pas qu’il s’agira d’un point d’attente partagé par les rapporteurs qui pourront proposer des entrées en vigueur adaptées.

Deuxièmement, je note qu’une partie des dispositions de la proposition de loi, comme celle portant sur l’obsolescence logicielle, pourraient être adoptées dans le cadre de la transposition des directives européennes 2019/770 et 2019/771. Ces sujets essentiels nécessitent un véritable débat parlementaire et méritent mieux qu’une simple transposition par voie d’ordonnance qui, pour rappel, devrait intervenir avant l’été.

Troisièmement, je tiens à souligner la complémentarité du texte proposé avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC), puisque trois des quatre chapitres de la proposition de loi portent sur des sujets autres que l’économie circulaire. Plusieurs acteurs ont estimé que ce texte était inédit par sa volonté de s’intéresser à l’ensemble de la chaîne de valeur numérique, des centres de données aux terminaux, en passant par les réseaux. Par ailleurs, dans le chapitre 2 consacré aux terminaux, une bonne partie des articles s’intéresse à des sujets – notamment l’obsolescence logicielle – qui n’ont pu être pleinement traités dans le cadre de la loi AGEC, le Gouvernement souhaitant à l’époque disposer de plus de temps pour analyser la conformité de certaines pistes envisagées avec les directives européennes.

Enfin, je souhaiterais revenir sur l’article 15 de cette proposition de loi, relatif aux forfaits mobiles. Cette disposition n’est pas le cœur du texte, aussi, je ne voudrais pas prendre le risque de trop focaliser notre attention sur ce point. Néanmoins, j’aimerais rappeler que l’objet de l’article 15 est bien de prévoir une tarification des forfaits mobiles proportionnelle, pour partie, au volume de données fixé par l’offre. Pour rappel, si l’énergie consommée par un réseau fixe dépend très peu des usages, la consommation énergétique des réseaux mobiles, a contrario, dépend en grande partie de la quantité de données transmises. Une tarification plus ou moins proportionnelle à l’usage semble donc logique.

Cet article aura un caractère essentiellement préventif. La plupart des offres mobiles respectent déjà ce critère ; il s’agit simplement d’éviter le développement de pratiques peu vertueuses et allant à l’encontre des travaux actuellement menés par le

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Gouvernement pour sensibiliser l’utilisateur à l’impact environnemental de sa connexion mobile. Je rappelle également que, selon l’Agence de l’énergie, le streaming d’une vidéo en 4G consomme quatre fois plus d’énergie que le streaming de la même vidéo en wifi.

Cette proposition de loi constitue une boîte à outils, prête à l’emploi. Ma question est la suivante, monsieur le ministre : que comptez-vous en faire ?

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. – J’aborderai, pour ma part, trois points du contenu de la proposition de loi. Le premier porte sur le chapitre premier, qui concerne l’indispensable prise de conscience par les utilisateurs du numérique de la pollution causée par leurs usages. Tous les acteurs que nous avons entendus sont unanimes : cette sensibilisation est un prérequis incontournable.

L’article 2 propose de conditionner la diplomation des ingénieurs en informatique à l’obtention d’une attestation de compétences acquises en écoconception de services numériques. Sur ce point, la marche est aujourd’hui peut-être trop haute. Il serait plus adapté de viser une généralisation de modules relatifs à l’écoconception des services numériques au sein des formations. Qu’en pensez-vous ?

Mon deuxième point concerne la création de l’observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique. Sur cette proposition se dégage un vrai consensus. En effet, une telle structure de recherche, placée auprès de l’Ademe, permettrait d’analyser et de quantifier les impacts directs ou indirects du numérique sur l’environnement, ainsi que les gains potentiels apportés par le numérique à la transition écologique, objectivant de la sorte les débats souvent stériles entre technophiles et technophobes. Par ailleurs, cet observatoire a vocation à inscrire son action dans un temps long, essentiel à la définition précise des objets.

Mon troisième point concerne l’écoconception. Notre feuille de route préconisait l’interdiction de certaines pratiques écologiquement peu vertueuses, comme le lancement automatique de vidéos ou encore ce qu’on appelle le « scroll infini ». En lien avec notre proposition sur l’obligation d’écoconception des sites web et services en ligne publics, nous souhaiterions intégrer ces pratiques dans le cadre global défini dans l’article 16, de manière à fixer un référentiel général d’écoconception, évolutif et adaptable dans le temps. En effet, viser uniquement l’interdiction risquerait de nous faire tomber dans un inventaire par nature non exhaustif, sachant l’innovation permanente du secteur du digital aujourd’hui. Que pensez-vous de cette proposition ? Pour rendre plus efficace l’article 16, nous pourrions peut-être également prévoir de restreindre cette obligation aux entreprises dont les services numériques occupent la part la plus importante du trafic.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. – Monsieur le secrétaire d’État, nous profitons de ces échanges non seulement pour recenser les attentes du Gouvernement sur cette proposition de loi, mais également, d’une certaine façon, pour la ciseler. Je souhaiterais, de mon côté, aborder les articles 7 à 10, relatifs à l’obsolescence logicielle rendant inopérants certains terminaux. Le sujet n’a pu être pleinement traité dans le cadre de la loi AGEC. Ces articles ne nous semblent pas poser de difficulté de conformité aux directives européennes devant être transposées d’ici l’été prochain. Partagez-vous cette analyse ? Pour assurer la conformité de l’article 8 à ces directives, nous pourrions prévoir une obligation de distinction entre les mises à jour évolutives et les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité du bien – notion beaucoup moins restrictive que celle des mises à jour de sécurité actuellement retenue dans notre proposition de loi.

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Au sujet de l’article 10 prévoyant le droit de désinstaller des mises à jour de logiciels fournis lors de l’achat d’un bien, il pourrait être précisé que le vendeur ne soit pas rendu responsable d’un défaut de conformité. Quel est votre regard sur cette proposition ?

L’article 6, relatif à l’obsolescence programmée, s’avère un peu complexe. Dans notre rapport d’information de juin dernier, nous avions fait le constat du caractère inopérant de l’article L. 441-2 du code de la consommation définissant le délit d’obsolescence programmée. En effet, aucune condamnation n’a été prononcée sur ce fondement depuis 2015. Selon la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’article est aujourd’hui trop restrictif et contraint l’administration à engager des poursuites sur d’autres fondements, comme l’illustre le récent dossier d’Apple : à défaut de pouvoir retenir le fondement juridique de l’obsolescence programmée, la société a été condamnée à une transaction de 25 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses par omission.

Afin de donner une réelle portée au droit, il apparaît donc important de réécrire cet article L. 441-2 du code de la consommation. Reprenant une proposition du CNNum, l’article 6 de la proposition de loi prévoit une inversion de charge de la preuve en matière d’obsolescence programmée. Nous sommes conscients que, conformément au code de procédure pénale, cette proposition ne pourra pas être inscrite dans le droit, dans la mesure où l’obsolescence programmée constitue un délit. Cette proposition, néanmoins, a le mérite d’engager une réflexion sur les modifications à apporter sur l’article du code de la consommation. La DGCCRF s’est saisie de cette opportunité pour nous exprimer ses observations. Selon elle, une piste de modification envisageable serait d’exiger la preuve de l’intention délibérée de raccourcir la durée de vie des produits sans exiger, de surcroît et de façon concomitante, la preuve de l’intention délibérée d’en augmenter le taux de remplacement. Partagez-vous cette observation ?

Enfin, je me réjouis que le Gouvernement ait engagé des travaux concernant l’impact environnemental des centres de données. Nous sommes satisfaits de voir repris par l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finances, l’article 22 de la proposition de loi exigeant une écoconditionnalité à l’octroi d’un tarif réduit en matière de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), dont bénéficient actuellement les centres de données.

Par ailleurs, le décret dit « tertiaire » devrait bientôt s’appliquer aux centres de données, en vertu de la loi portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique (ELAN). Considérant la nature spécifique de ces centres au sein de la catégorie des bâtiments tertiaires, et considérant que leurs impacts environnementaux ne peuvent se résumer à la seule consommation énergétique, ne faudrait-il pas un encadrement environnemental propre aux centres de données, comme le propose l’article 21 de la proposition de loi ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. – Comme cela vient d’être rappelé, le Sénat va bientôt examiner le dispositif d’écoconditionnalité de la TICFE, applicable désormais aux data centers. Plusieurs acteurs du secteur nous ont fait remarquer que ce dispositif n’était finalement pas contraignant et pourrait même être assimilé à une forme de greenwashing ; ils estiment nécessaire de se baser sur des indicateurs chiffrés, notamment en matière d’efficacité énergétique, mais aussi de consommation d’eau, sachant qu’un certain nombre de ces équipements consomment plusieurs millions de litres d’eau potable et qu’ils polluent cette eau. Qu’en pensez-vous ? Et

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3466 si la proposition était retenue, à qui pensez-vous confier le contrôle de cette écoconditionnalité ? Aux douanes – même si cela me semble peu probable au regard de la réforme en cours qui limitera encore les effectifs disponibles ? Aux services déconcentrés du ministère de la transition écologique ?

La sensibilisation du public est essentielle. Le Gouvernement envisage-t-il une campagne de communication sur les écogestes numériques ?

Concernant le partage des données, le numérique représente avant tout une chance pour la transition écologique et le développement de nos sociétés. En partageant davantage les données environnementales, des solutions pourraient émerger plus rapidement, plus concrètement sur le terrain. Que comptez-vous faire pour améliorer ce partage des données environnementales ?

Enfin, en matière d’économie de l’attention, l’article 17 de la proposition de loi présente les débuts d’un encadrement, déjà en partie abordé dans le cadre de nos travaux sur les dark patterns. Serait-il envisageable, sur le modèle de la régulation administrative prévue dans la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi « Avia », de fixer un cadre de régulation basé sur des obligations de moyens applicables aux acteurs les plus fréquentés ?

M. Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. – Il arrive au Gouvernement – la présidente de la commission des affaires économiques le sait bien – de travailler avec la chambre haute. Nous nous sommes beaucoup vus ces derniers temps et nous avons notamment réussi à avancer sur la question de la cybersécurité. Certes, nous avons connu un petit problème de temporalité concernant la régulation économique, mais cela avance puisque deux textes extrêmement importants doivent être présentés la semaine prochaine au niveau européen.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail mené par Patrick Chaize et les rapporteurs sur ces sujets importants. Que va-t-on faire, in fine, de cette proposition de loi ? Cela va dépendre du contenu. Je ne suis pas fermé à ce que l’on puisse avancer sur un certain nombre de points intéressants.

Je voudrais insister sur un élément déterminant, que vous avez rappelé à plusieurs reprises : la transition environnementale ne s’effectuera pas sans transition numérique. Nous avons besoin de beaucoup plus de numérisation et d’innovations pour réussir la transition environnementale. C’est mathématique : de plus en plus de gens consomment sur cette planète, compte tenu notamment du rattrapage extrêmement rapide de certains pays en développement très peuplés ; si nous voulons faire en sorte de maîtriser notre consommation, il faut être plus efficace, et pour être plus efficace, il faut innover ; or, dans l’ensemble des secteurs les plus polluants – le bâtiment, les transports, la logistique, l’agriculture – la question numérique est absolument centrale. Nous avons besoin de connecter beaucoup plus d’objets pour être plus efficaces, c’est-à-dire pour faire autant, voire plus, en consommant moins.

Ceci est également vrai pour l’énergie elle-même : il n’y aura pas de smart grid et de réseaux distribués, avec des cellules de production photovoltaïques ou éoliennes, sans une numérisation massive, une utilisation également massive de l’intelligence artificielle et un développement de la connexion des objets, y compris via la 5G. Il faut avoir cela à l’esprit au moment de réguler le numérique.

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J’ai eu l’occasion, il y a quelques semaines, avec la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, de présenter une feuille de route sur la question de la transition environnementale du numérique qui rejoint, pour beaucoup, les préoccupations évoquées dans la proposition de loi. Le premier point concerne l’objectivation des données chiffrées, encore très lacunaires aujourd’hui. Quand on dit que l’impact environnemental numérique représente 4 à 10 % de la consommation totale, vous conviendrez que 4 ou 10 %, ce n’est pas exactement la même chose. Une objectivation de l’impact environnemental du numérique est donc nécessaire, y compris pour mesurer son impact positif.

Le deuxième élément porte sur la nécessité d’investir dans l’outil numérique pour favoriser la transition environnementale. À cette fin, dans le cadre du plan de relance, nous consacrerons un fonds de 300 millions aux entreprises innovant dans le domaine du numérique environnemental. Enfin, demeure la question de la maîtrise du numérique, qui nous occupe aujourd’hui et sur laquelle je vais revenir plus en détail.

Comme vous avez eu l’occasion de le souligner, un certain nombre d’éléments viennent compléter la loi AGEC. Pour rappel, nous débattons beaucoup de la consommation des données, de l’utilisation des réseaux, de l’utilisation déraisonnée de ces réseaux dans les ascenseurs, mais le vrai sujet concerne les équipements eux-mêmes, c’est-à-dire les téléphones, les ordinateurs ou les équipements électroniques, qui représentent 80 % de l’impact environnemental du numérique. Les Français changent de téléphone, en fonction des chiffres, tous les deux à cinq ans ; tant que nous n’aurons pas réussi à allonger cette durée de vie, les consommations de bande passante ne seront que la partie émergée de l’iceberg.

De manière générale, nous rejoignons les objectifs de la proposition de loi. À certains endroits, celle-ci adopte une approche normative, tandis que nous privilégions une approche incitative. On observe également des différences de calendrier – je pense notamment aux articles 16 et 23, sur lesquels des études sont en cours. Pour d’autres articles, les textes sont en cours d’élaboration, notamment la transposition des directives européennes 2019/770 et 2019/771, relatives respectivement aux contrats de fourniture de contenus et de services numériques et aux contrats de vente de biens. Sur un certain nombre de sujets, comme la question du lancement automatique des vidéos, la concertation s’avère nécessaire pour aboutir à quelque chose d’effectif.

Certains sujets relèvent du niveau européen, notamment la TVA applicable aux produits reconditionnés.

Sur deux sujets, j’aurais des réserves plus importantes : la question de l’interdiction des offres de téléphonie illimitée, qui pose un certain nombre de questions concernant l’inclusion numérique ou encore la liberté d’entreprendre, et le reporting sur les stratégies marketing liées à l’économie de l’attention, dont je doute de la faisabilité opérationnelle, sachant que, par ailleurs, cela introduirait un traitement différencié entre, d’une part, les contenus de services de communication au public en ligne et, d’autre part, les contenus publicitaires.

Se pose également la question des modèles d’affaires : doit-on aborder ce sujet par l’économie de l’attention ou par une régulation économique ? Le fond de ces problèmes, y compris celui de la haine en ligne, renvoie souvent à des questions de concurrence et à l’empreinte de ces très grandes plateformes.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3468

Concernant l’article 2 et la question de la formation, je suis favorable à une généralisation des modules relatifs à l’écoconception des services numériques plutôt qu’à l’établissement de conditions à l’obtention du diplôme. Il n’existe pas de définition normative du contenu des diplômes d’ingénieurs ou de techniciens, mais une labellisation des formations. Les mesures relatives à l’écoconception des services numériques sont très faibles aujourd’hui. Quand on est formé au développement, on est peu sensibilisé à « l’écologie du code » ; il est nécessaire d’avancer sur ce sujet-là.

Sur le rapatriement des articles 18, 19 et 20 dans l’article général sur l’écoconception, il nous semble préférable de prévoir la création de référentiels. Au niveau européen, la directive écoconception, qui doit faire l’objet d’une révision dans le programme de la Commission européenne, serait peut-être plus adaptée pour définir un tel cadre de manière efficiente. Dernièrement, la Commission a exprimé des réserves sur la partie de la loi AGEC liée à l’écoconception, estimant notamment que les indices de réparabilité n’étaient peut-être pas compatibles avec le droit européen.

Par ailleurs, sur le sujet de l’obligation pour les sites enregistrant le plus gros trafic, nous sommes favorables à des mesures incitatives. La feuille de route, que nous présenterons prochainement, inclura de nombreuses mesures en faveur de l’écoconception.

Vous avez évoqué également les articles 7 à 10. L’article 7 serait déjà satisfait par la loi AGEC. Concernant l’article 8, sur la dissociation entre les mises à jour de sécurité indispensables et les mises à jour d’exploitation, des discussions sont en cours au niveau européen. Ainsi rédigé, l’article 8 serait compliqué à mettre en œuvre en l’état du droit, et l’information du consommateur sur les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité est déjà prévue à l’article 27 de la loi AGEC. Les articles 9 et 10, quant à eux, devraient être satisfaits par la transposition prochaine des directives européennes.

L’inversion de la charge de la preuve, proposée à l’article 6, ne semble pas possible dans le droit français. Il existe en revanche un problème sur la question de la preuve de double intention, assez peu applicable dans les faits. La proposition que vous avez discutée avec la DGCCRF paraît pertinente ; elle permettrait, sous réserve de compatibilité européenne, plus de condamnations.

Madame Loisier, les centres de données français sont plutôt vertueux en matière d’écoconditionnalité. Je ne pense pas, très honnêtement, que l’on puisse parler de greenwashing. Pour autant, ce n’est pas tout à fait la même chose de compter sur la bonne volonté des acteurs et d’établir des normes. Peut-on aller plus loin ? On doit regarder ce qui est possible… Cela ne me gêne pas que la France soit en avance sur les standards européens, mais je vois quand même un intérêt stratégique à ce que la France héberge des centres de données, plutôt qu’ils ne s’implantent à l’étranger. Je rappelle que le poids des centres de données dans l’impact environnemental du numérique n’est pas majeur. La plupart des centres de données utilisés par les Européens ne sont pas établis en Europe, et encore moins en France, ce qui pose un problème ; cela pourrait changer suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Par ailleurs, nous avons prévu, avec l’Ademe, une campagne de sensibilisation du public sur la question des gestes du numérique écologique.

Enfin, concernant le partage des données, le député Éric Bothorel doit rendre son rapport sur les données d’intérêt général dans les prochaines semaines. Sans préempter les

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3469 conclusions, les sujets climatiques, écologiques, environnementaux pourraient justifier une telle approche.

M. Cyril Pellevat. – Pour ce qui concerne l’empreinte environnementale du numérique, le Gouvernement plaide auprès de l’Union européenne pour une réduction de la TVA concernant les téléphones reconditionnés. Quel est l’état de l’avancement de ces négociations et pensez-vous que cette proposition puisse aboutir ?

Par ailleurs, où en sont les discussions avec les acteurs de la filière des centres de données visant à fixer les critères qui leur permettront de bénéficier de réductions sur les taxes de consommation d’électricité ? Des solutions commencent-elles à se dégager ?

M. Serge Babary. – Une proposition de résolution sur l’aménagement numérique des territoires, en discussion prochainement au Sénat, évoque les nouvelles fractures territoriales, apparues avec davantage d’acuité encore lors de la pandémie. Comment résorber ces fractures, sachant que, selon un récent rapport d’information du Sénat, plus de 14 millions de Français sont considérés touchés par l’illectronisme ? Naturellement, cela impliquera une multiplication d’installations de réseaux…

M. Jean-Paul Prince. – Non seulement il existe l’empreinte carbone, la consommation énergétique, mais différentes études semblent également montrer la nocivité des rayonnements liés aux antennes relais, avec des cas de maladies graves touchant des personnes vivant à proximité de ces antennes. Pouvez-vous nous préciser si des tests sanitaires sont réalisés régulièrement sur l’ensemble du territoire français, en particulier près des écoles et des crèches, et à quelle fréquence ? Pour ces ondes électromagnétiques, il existe des seuils internationaux indicatifs, fixés par une commission internationale ; on trouve également des seuils nationaux, avec une particularité pour Paris qui a signé une charte avec les différents opérateurs afin que ce seuil soit inférieur. Comptez-vous abaisser ces seuils qui sont plus élevés que ceux de nos voisins ? Et si tel est le cas, dans quel délai ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Nous savons tous que la vidéo en ligne est responsable de 60 % de la consommation numérique. Les articles 18 et 19 de la proposition de loi visent donc à adapter la qualité de la résolution du terminal utilisé et, surtout, à empêcher le lancement automatique des vidéos, sauf en cas d’activation de cette option par l’utilisateur. Comment accueillez-vous cette proposition, sachant qu’une part importante du contenu publié sur les plateformes et des recettes publicitaires associées repose sur ces vidéos en partie responsables des comportements d’addiction ? Croyez-vous que la France puisse mener seule cette bataille ? Ne faudrait-il pas l’élever au niveau européen ? Autrement, l’utilisation d’un réseau privé virtuel (VPN) pourrait permettre de contourner ces exigences. Il me semble que la France a ici un rôle moteur à jouer pour permettre une application effective des dispositions tout à fait fondatrices de cette proposition de loi.

M. Éric Gold. – La crise sanitaire a entraîné des changements de modes de vie qui ne manqueront pas de s’inscrire dans la durée. Parmi les évolutions les plus marquantes, le télétravail s’est considérablement développé : environ un quart des salariés du privé en France étaient, en juin dernier, en télétravail. Cette nouvelle organisation hybride entre le domicile et le bureau a obligé les employeurs à investir rapidement dans du matériel informatique supplémentaire. Nous avons également assisté à une démocratisation rapide de la vidéoconférence. Les experts prédisent que nous ne sommes qu’au début du phénomène ; or, un rapport de l’Ademe, daté de novembre 2019, explique que nos équipements – ordinateurs, smartphones et autres objets connectés – représenteraient 47 % des émissions

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3470 de gaz à effet de serre générées par le numérique et préconise de maîtriser le stockage, ainsi que le trafic de données.

Les enjeux environnementaux sont considérables. Au-delà de la prise de conscience et de la sensibilisation des salariés, et au-delà de la responsabilité sociétale des entreprises, la création d’un label d’écoresponsabilité numérique ne pourrait-elle pas accompagner les entreprises vers une moins forte empreinte environnementale du numérique ? Les collectivités territoriales, tout autant concernées par les évolutions d’organisation du travail, ne pourraient-elles pas intégrer ces aspects dans leurs plans climat-air-énergie territorial (PCAET) ?

M. Franck Montaugé. – Je saluerai d’abord le travail des auteurs de cette proposition de loi et de ceux qui s’y sont associés.

Qu’en est-il de la politique des sociétés Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les Gafam, en matière de réduction de l’impact environnemental du numérique ? Comment cela se passe, notamment, quand nous nous retrouvons associés, au nom de l’État ou par l’intermédiaire d’entreprises françaises, a des projets communs de grande envergure ? Je pense au projet Gaia-X – un super cloud européen – sur lequel l’Union européenne s’est engagée. Quelle est la position de nos partenaires européens et de l’Union européenne sur la question à fort enjeu de la réduction de l’impact environnemental du numérique ? Enfin, comment faire appliquer nos normes aux systèmes hébergés en dehors du territoire national ?

M. Cédric O, secrétaire d’État. – Le sujet de la TVA différenciée pour les appareils reconditionnés relève de la législation européenne. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me prononcer en faveur de cette mesure lors des discussions européennes, mais je vous avoue ne pas avoir en tête la temporalité des discussions sur ce sujet. Je vous propose de revenir vers vous avec des réponses.

Concernant la question des tarifs d’électricité éco-conditionnalisés pour les centres de données, je rappelle que l’amendement adopté à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2021 prévoit que ces derniers doivent, d’une part, se conformer au code de conduite européen sur le sujet et, d’autre part, réaliser des audits chiffrés de leurs émissions de chaleur fatale et mettre en place, le cas échéant, des politiques de réduction de consommation de cette dernière. Je suis ouvert à la discussion et nous pouvons regarder ce qui peut être fait, mais il ne me semble pas que ce soit anodin, même dans la situation actuelle.

Concernant l’inclusion numérique et l’illectronisme, je soulignerai l’ensemble du travail qui est mené, à la fois par les collectivités et l’État, pour la couverture numérique duterritoire.

J’assistais, en début d’après-midi, à la réunion de l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate). Je puis vous confirmer qu’aucun pays européen ne possède plus de kilomètres de fibre que la France ni ne la déploie plus vite. Si nous étions en retard sur la commercialisation, par rapport aux Espagnols notamment, nous avons fait deux fois mieux qu’eux en 2019. Nous pouvons donc difficilement aller plus vite, s’agissant de la réduction de la fracture numérique. Nous pouvons nous en féliciter collectivement, puisque cette politique est menée de concert par les collectivités territoriales et l’État.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3471

Par ailleurs, nous continuons nos efforts pour couvrir les zones blanches, même si certains les trouvent insuffisants. Nous sommes passés de 600 pylônes construits en quinze ans, à 2 500 en deux ans.

S’agissant des médiateurs numériques, j’ai annoncé, il y a deux semaines, le déploiement de 4 000 conseillers sur l’ensemble du territoire, chargés d’accompagner la transition numérique et la formation des Français, des secrétaires de mairie et des travailleurs sociaux, notamment, qui sont confrontés à la vague de l’illectronisme.

Concernant la question des antennes-relais et des seuils limites, je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur Prince : nos seuils sont supérieurs à ceux de nos voisins européens. Les seuils internationaux d’exposition aux ondes sont définis par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). Or, les Français sont exposés, en moyenne, à des valeurs d’exposition aux ondes qui sont 200 fois inférieures aux valeurs définies par l’ICNIRP.

Par ailleurs, la France est le pays européen qui, en 2019, a réalisé le plus grand nombre de mesures d’exposition aux ondes – dans la rue, les écoles, chez les particuliers, etc. – avec 3 066 mesures. Nous en ferons 6 500 en 2020 et 10 000 en 2021, dont la moitié sur des antennes 5G. La majorité de ces mesures, dont les résultats sont publics, sont demandées à la fois par les collectivités territoriales, les associations agréées et les particuliers.

Sur les 3 066 mesures réalisées en 2019, 1 % dépassait d’un dixième les seuils limites. Or dès ce dépassement, conformément à la loi Abeille, une mesure de correction automatique est effectuée avec l’opérateur.

Je ne suis pas non plus d’accord avec vous s’agissant des impacts sanitaires. Vingt-huit mille études ont été réalisées depuis 1950 et un rapport est produit par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) tous les ans. Il est prouvé que, en dessous des seuils limites d’exposition aux ondes, il n’y a aucun effet des ondes électromagnétiques sur la santé humaine.

Nous n’avons jamais réussi à démontrer le lien entre les ondes électromagnétiques et l’électro-sensibilité. Cependant, il est vrai que certaines personnes sont électro-sensibles et souffrent. Il convient donc de s’en occuper, et c’est la raison pour laquelle, des protocoles sanitaires sont en discussion au ministère de la santé.

Madame Renaud-Garabedian, je ne suis pas opposé à ce que nous avancions sur la question des lancements automatiques de vidéos. J’ai cependant un doute sur notre capacité juridique à y parvenir et sur les moyens d’y parvenir. C’est la raison pour laquelle, une concertation est en cours, notamment avec les acteurs concernés. Je n’ai pas vraiment de réserve pour avancer sur le sujet, mais nous devons nous assurer de la faisabilité juridique et de ce que nous voulons faire. D’ailleurs, ne devrions-nous pas avancer au niveau européen ? Je ferai plaisir à Mme la présidente, en disant que nous pouvons avancer sur ce sujet au niveau national, je n’y suis pas opposé. Nous pourrions cependant contourner la réglementation nationale en utilisant un VPN.

S’agissant du télétravail, qui est amené à perdurer, son impact est très bon pour l’environnement. Même si plus d’ordinateurs sont utilisés, les économies faites en termes de déplacement, et donc de pollution par les gaz d’échappement, sont extrêmement importantes. D’ailleurs, les entreprises ont réduit énormément leurs voyages d’affaires en les remplaçant

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3472 par des réunions en visioconférence. Et nombreuses sont celles qui vont continuer à fonctionner ainsi, d’autant que leur budget voyage a nettement diminué. Le confinement a démontré que beaucoup de choses pouvaient être traitées en « distanciel ».

La question des labels éco-responsabilité fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons dans le cadre de notre feuille de route. Nous pourrons donc avancer ensemble sur cette question.

Concernant les Gafam, ne nous y trompons pas, ces entreprises seront les premières à annuler leur impact environnemental. Leur engagement sur cette question est énorme. Jeff Bezos, par exemple, a annoncé la neutralité carbone de l’ensemble d’Amazon à l’horizon 2040. Nous devons cependant continuer à durcir la réglementation et à être offensifs sur la question du caractère environnemental du numérique. Mais l’engagement des Gafam est assez fort et même poussé en interne par leurs salariés.

M. Franck Montaugé. – Ce n’était pas une attaque, juste une question. Concernant le projet Gaia-X, prenons-nous le même type d’engagement et dans les mêmes délais que Jeff Bezos, par exemple ?

M. Cédric O, secrétaire d’État. – C’est une très bonne question, mais je n’ai pas la réponse. Je reviendrai vers vous.

M. Hervé Gillé. – Monsieur le ministre, du futile à l’utile, toute la question est là, et donc, dès que nous abordons la régulation, en toile de fond, il y a l’économie de marché. Pour mettre en place les investissements liés au numérique, nous trouvons toujours des nécessités économiques pour justifier le développement, parfois d’une manière artificielle justement, de ces marchés. Ce sont des chausse-trapes dans lesquelles vous ne souhaitez pas tomber, mais c’est un sujet de fond, qui est transversal à l’ensemble des questions que nous posons.

A été abordée, dans le cadre de l’élaboration de la proposition de loi, la responsabilité sociétale des organisations, et pas uniquement des entreprises – la RSE au sens complet du terme. Êtes-vous favorable à une prise en considération de l’empreinte numérique au sein de la RSE avec des évaluations réalisées au travers de la norme ISO 26000 ?

Vous avez évoqué un label écoresponsable. Pour le coup, le développement de la RSE permettrait de responsabiliser l’ensemble des organisations sur ces questions. D’une manière plus générale, êtes-vous favorable à une responsabilisation des utilisateurs ? Vous avez esquissé quelques propositions, pouvez-vous les reformuler ?

Enfin, concernant les médiateurs numériques, nous connaissons l’appel à projets qui a été lancé. Je rappelle néanmoins que plus nous avancerons, plus les médiateurs numériques travailleront sur des données sensibles. La formation des médiateurs numériques devient donc aujourd’hui primordiale, notamment pour leur apprendre le respect du cadre éthique et déontologique. Il me semble que, pour l’instant, ce sujet n’est pas véritablement abordé ; avez-vous des réponses à nous apporter sur cette question ?

Mme Viviane Artigalas. – La crise a montré combien le développement du numérique était nécessaire pour travailler et étudier, mais aussi pour les artisans et les très petites entreprises (TPE), afin d’être éligibles aux fonds de l’État, et pour nos concitoyens, afin de pouvoir accéder aux services publics. Nous sommes tous d’accord ici pour dire que ce

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3473 développement ne doit pas se faire sans garde-fous sociaux et environnementaux. La mission d’information sur l’illectronisme et l’inclusion numérique, que nous avons menée au Sénat, a montré qu’un grand nombre de nos concitoyens sont encore éloignés de ces usages, mais aussi les TPE et les artisans.

Dans le cadre du plan de relance, vous avez débloqué 250 millions d’euros en faveur de l’inclusion numérique. Votre stratégie de formation aux usages inclut-elle également une formation à la sobriété numérique ? Enfin, ces financements ont-ils vocation à être pérennes – une nécessité pour accompagner la montée en compétences et la structuration d’un écosystème aujourd’hui trop éclaté ?

Mme Martine Filleul. – Les récentes crispations autour de la 5G ont montré la mauvaise appréhension de ce sujet, au regard des enjeux environnementaux, sanitaires, de consommation et d’aménagement. La Convention citoyenne pour le climat l’avait souligné, indiquant qu’un grand débat avec les Français était nécessaire. Or, vous n’avez toujours pas donné suite à cette demande. Ressentez-vous ce besoin de discussion, d’échange et de partage avec la population française ? Si oui, pensez-vous mettre en œuvre cette proposition ?

Ensuite, pour pouvoir être pédagogique, il convient de disposer de données objectives et fiables. Or, nous manquons, en la matière, de ce type de données. L’Arcep l’a également souligné. Nous ne disposons pas d’instruments nous permettant d’effectuer ce travail sur les enjeux environnementaux du numérique. Vous-même, vous indiquez que la méthodologie de calcul de l’empreinte environnementale du numérique est insuffisante. Quelle méthodologie pensez-vous mettre en œuvre pour pouvoir disposer, par exemple, d’un observatoire de l’empreinte environnementale ?

J’aimerais également vous parler de la présence des femmes dans le domaine du numérique. Celles qui sortent aujourd’hui des instituts sont peu nombreuses ; les flux d’étudiants sont essentiellement masculins. Ce qui veut dire que les logiciels, les applications et les algorithmes seront conçus par des hommes, pour des hommes. Quelles mesures pourraient être prises pour ne pas exclure les femmes de cette révolution du numérique ?

Enfin, concernant la lutte contre l’illectronisme, si vous avez fait des annonces en la matière, notamment de financement, mes questionnements restent toujours les mêmes. Prenons l’exemple du pass numérique : il n’est aujourd’hui utilisé que dans 47 départements et n’aboutit à des formations que dans 20 % des cas. Allez-vous mener une enquête pour déterminer quels territoires ont véritablement besoin d’être ciblés dans cette lutte contre l’illectronisme ? Par ailleurs, comptez-vous mettre un peu de structuration dans toutes ces initiatives qui sont, certes, intéressantes, mais dont nous avons du mal à en percevoir les effets ?

M. Daniel Salmon. – Je voudrais tout d’abord saluer cet excellent travail. Je me réjouis de la qualité du rapport d’information et des dispositions de la proposition de loi.

Monsieur le ministre, en introduction vous avez affirmé qu’il n’y aurait pas de transition écologique, sur cette planète, sans transition numérique. C’est beau d’avoir cette certitude, mais je pense que d’autres choix sont possibles. Ces choix seront politiques. Il ne doit pas s’ d’une course effrénée que nous ne pourrions arrêter.

Il existe d’autres modèles de société : des sociétés low-tech, des sociétés avec des circuits courts, des sociétés avec une souveraineté… C’est possible. Je ne vous dis pas que

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3474 c’est souhaitable – sinon, je risque d’être traité d’Amish – mais que c’est possible, que c’est un choix.

Je suis d’ailleurs persuadé que dans cette salle, nombreux sont ceux qui ne troqueraient pas leurs 20 ans d’il y a quelque temps pour avoir 20 ans aujourd’hui. Le numérique n’est pas forcément synonyme de bonheur et de sobriété.

Je souhaite revenir sur la question des forfaits. Il fut un temps, nous avions des forfaits pour l’eau, nous en consommions énormément. De même, il est nécessaire d’indexer le prix sur la consommation numérique ; le signal prix est fondamental. S’agissant de l’électricité, par exemple, nous ne payons pas, en France, le véritable prix. Nous devrons un jour nous poser la question, car je suis persuadé que si le prix était plus élevé, notre consommation serait réduite.

Concernant notre souveraineté, nous avons la fâcheuse tendance à envoyer notre pollution à l’autre bout de monde. Nous sommes, par exemple, dépendants à 95 % des terres rares de la Chine. Quand allons-nous exploiter nos sols pour extraire les terres rares dont nous avons besoin ? Nous pourrons ainsi mesurer l’impact environnemental de ces extractions, car il est facile de se voiler la face et d’importer ce que nous ne voulons plus faire chez nous.

Enfin, s’agissant de la sobriété, nous savons que c’est la publicité qui rend les téléphones obsolètes. La grande majorité des innovations ne seraient jamais vendues si la publicité ne martelait pas que nous ne sommes pas de vrais citoyens si nous n’achetons pas le téléphone dernier cri.

M. Jean-François Longeot, président. – Vous avez bien lu mon rapport, cher collègue, qui fait état de cent millions de téléphones portables et qui évoque l’obsolescence programmée et les terres rares !

Mme Marta de Cidrac. – Monsieur le ministre, vous avez renvoyé un certain nombre de mes collègues à la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC). Je ne peux que m’en féliciter, puisque j’en étais la rapporteure. Mais le sujet qui nous réunit aujourd’hui n’a pas été totalement débattu dans le cadre de cette loi.

Nous avons évoqué le télétravail, la 5G… Aujourd’hui, le seul sujet qui anime nos concitoyens, c’est de pouvoir être connectés dans tous les territoires. Nous avons également évoqué les usages et cet enjeu de la « face cachée » du numérique, sujet qui est vaste et très bien formulé dans le rapport de la mission d’information, pour laquelle je remercie Patrick Chaize et nos deux rapporteurs.

Quelle est votre position à l’égard de cette perche que vous tend le Sénat par l’intermédiaire de cette proposition de loi, qui vise pour la première fois en France à débattre de concert des transitions numérique et environnementale ? Cette question vous a été posée à plusieurs reprises par mes collègues, mais vous n’y avez pas répondu.

M. Jean-Claude Tissot. – Je souhaiterais vous interroger sur une problématique rencontrée par de nombreux maires, notamment de communes de petite taille, à savoir la multiplication de projets, en simultané, d’implantation de pylônes mobiles sur la même commune.

Je reprendrai une question écrite de notre collègue Hervé Maurey, restée sans réponse : « prévue par le code des postes et des télécommunications électroniques, l’incitation

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3475 réglementaire sur la mutualisation des pylônes n’a pas d’effet sur les opérateurs, qui mènent parfois simultanément des projets sans se concerter, sur la même commune. Les maires, quant à eux, disposent de pouvoirs très limités en matière d’implantation des pylônes et se retrouvent sans leviers suffisants pour rationaliser ces initiatives. Au-delà des désagréments esthétiques et visuels, l’impact environnemental et sanitaire de l’installation de deux pylônes sur une même commune de petite taille doit être sérieusement questionné dans un tel texte ».

Comptez-vous rendre effective et efficace cette incitation à mutualiser les pylônes mobiles, lorsque les partages d’infrastructures entre opérateurs sont possibles ?

Mme Sophie Primas, présidente. – Nous ne partageons pas tous votre vision sur la mutualisation des pylônes, cher collègue.

M. Patrick Chaize. – Je souhaite revenir sur l’article 15, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le sujet. Vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, en parlant d’interdiction. Relisez l’article, il incite en réalité à ce que la tarification soit proportionnée au volume de données fixé par le forfait. Nous souhaitons simplement que ce ne soit pas « open bar » sur les débits, si vous me permettez l’expression.

M. Cédric O, secrétaire d’État. – Un travail est en cours effectivement sur l’intégration du numérique environnemental dans les critères de la RSE. Sur ce sujet, nous nous rejoignons. Je ne suis pas fermé sur cette proposition de loi. M. Chaize sait d’ailleurs que l’on peut travailler ensemble. De nombreux sujets sont en discussion ; il est encore trop tôt pour dire si nous pourrons aboutir sur tout, mais je n’ai pas d’opposition de principe et je suis prêt à travailler avec vous et voir si nous pouvons parvenir à des compromis, ce qui semble possible. Mon état d’esprit est ouvert. Je ne sais pas si nous serons d’accord sur tout, mais nous pouvons chercher à avancer ensemble.

Monsieur Gillé, je suis tout à fait d’accord sur l’importance de la formation des conseillers numériques : c’est pour cela que nous avons prévu 350 heures de formation pour les 4 000 conseillers numériques que nous recrutons, formons et déployons sur le terrain en lien avec les collectivités territoriales et les associations qui les hébergent. Au-delà des besoins immédiats, nous voulons structurer une filière de la médiation numérique, en créant une véritable profession, en formant les conseillers pour qu’ils acquièrent des titres professionnels, et en accompagnant ceux qui sont en poste par le biais de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Depuis deux ans, l’enjeu pour le Gouvernement est de structurer une politique publique de l’inclusion numérique. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. C’est pour cela aussi que nous avons déployé les hubs territoriaux, financés par la Caisse des dépôts et consignations, pour faciliter l’échange entre tous les acteurs sur le terrain – centres d’action sociale, entreprises, associations, collectivités, etc. – ou que nous appuyons le développement de la MedNum, société coopérative qui vise à mettre en relation tous les acteurs de la médiation numérique. Tout cela prend du temps, mais j’ai le sentiment qu’un processus est en cours. Le budget de l’inclusion numérique dans l’État a été multiplié par mille en trois ans, passant de 350 000 euros à plus de 250 millions cette année ! Nous voulons déployer cette politique dans la durée. Mon principal défi est que les conseillers numériques arrivent sur le terrain dans les deux années qui viennent : si nous avions plus de postes disponibles, je crois que nous ne saurions pas comment les déployer. Maintenant que l’argent est disponible, il faut rendre le dispositif opérationnel.

La sensibilisation à la sobriété numérique fait partie de la formation des médiateurs, qui relaieront cette préoccupation à leur tour. Mais n’oublions pas que le public

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3476 visé est composé de personnes qui savent à peine allumer un ordinateur… De plus, pour initier au numérique, on propose souvent, pour commencer, des utilisations récréatives du numérique – consultation de vidéos, achat d’un bien sur un site de commerce en ligne, utilisation d’une messagerie en ligne pour communiquer avec ses petits-enfants, etc. – avant d’apprendre à remplir sa déclaration d’impôts en ligne ou actualiser sa fiche Pôle emploi. Les publics visés seront sensibilisés à la sobriété, mais ils sont encore loin d’une consommation compulsive du numérique.

Madame Filleul a évoqué l’utilisation de la 5G…

Mme Martine Filleul. – Ma question prolonge en fait les propos de Mme de Cidrac sur la nécessité d’un débat sur la 5G.

M. Cédric O, secrétaire d’État. – Si nous nous lançons dans un débat sur la 5G aujourd’hui, cette audition n’y suffira pas !

J’ai reçu les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a écrit dans son rapport que le numérique était une chance pour la transition environnementale. Concernant le sujet spécifique de la 5G, elle émet plutôt des craintes d’ordre sanitaire. Celles-ci, comme je l’ai dit, ne semblent pas justifiées. De même, la Convention citoyenne pour le climat est préoccupée par la multiplication des objets connectés ; mais, cela ne concerne pas la bande de 3,5 GHz que nous venons d’attribuer, mais celle des 26 GHz, qui devra être attribuée dans les deux ans qui viennent. Ce débat doit donc avoir lieu au bon moment. Dès lors, si l’on regarde aussi ce qui se passe à l’étranger et la compétition économique mondiale, on constate que beaucoup de pays font de la 5G un élément de base de leur redémarrage économique et de leur attractivité. Il y avait donc urgence à lancer la 5G si nous voulions garder nos industries et éviter qu’elles n’aillent s’installer aux États-Unis ou ailleurs. Nous n’avions pas le luxe d’attendre.

Les Gafam sont nés de la 4G et de la généralisation des portables. Or, nous avons raté cette révolution et les géants du numérique sont américains ou chinois. Si nous ne déployons pas la 5G, nous raterons la prochaine révolution économique aussi et notre dépendance s’accroîtra. Nous sommes soumis à des injonctions contradictoires à cet égard. Je ne peux nier qu’il y a un débat dans la société sur la 5G – même si, comme le montrent les sondages, la majorité des Français y est favorable, y compris parmi les écologistes – mais on ne peut nier ses impacts économiques : voyez la réaction des entreprises télécoms qui ont déclaré que le moratoire sur la 5G de la ville de Rennes leur donnait envie de partir ! Dans la mesure où le débat environnemental concerne la bande 26 GHz, et non celle des 3,5 GHz, nous avons décidé d’avancer.

Vous évoquez le manque de données. Nous avons mandaté l’Ademe et l’Arcep pour qu’elles travaillent sur l’impact environnemental des réseaux. Il appartient par ailleurs à la recherche académique de travailler sur les externalités positives, difficiles à quantifier, car il est difficile d’anticiper la rapidité des ruptures technologiques à moyen terme : on pense qu’elles sont considérables, mais les estimations peuvent varier considérablement.

La place des femmes dans le numérique est un vaste sujet, sur lequel j’ai déjà eu l’occasion de m’engager et de m’exprimer. Je suis plutôt optimiste. On assiste à une prise de conscience du secteur, qui est certes très en retard, car la place des femmes dans les fonctions techniques n’est que de 5 ou 10 %, mais à la suite d’actions comme celles menées par le collectif Sista, qui attaque le sujet par la racine en visant les investisseurs, une évolution est en

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3477 cours. Il reste encore à s’attaquer à la question des formations. J’en ai discuté avec ma collègue, Mme Frédérique Vidal. C’est un effort de long terme. Les Allemands ont réussi à doubler la part des femmes dans les formations technologiques en dix ans.

En ce qui concerne le pass numérique, nous avons contractualisé au total avec 87 départements à la suite du nouvel appel d’offres. Nous avons signé les conventions avec les collectivités en septembre 2019 ; les pass ont commencé à arriver sur le terrain début 2020. Or ils sont déployés dans des lieux physiques, mais ceux-ci sont fermés avec le confinement. Certains pass seront périmés avant même d’avoir été utilisés. Nous accompagnerons les collectivités pour leur réimpression. Il est donc encore difficile de faire une évaluation du dispositif dans ces circonstances.

Monsieur Tissot, en tant que secrétaire d’État chargé des communications électroniques, je suis pris entre deux feux : ceux qui ne veulent pas de pylônes et ceux qui en veulent ! Mais lorsque je me déplace dans les zones blanches ou rurales, on me demande plutôt davantage de connexions que moins ! Récemment, dans une commune près d’Angers, les commerçants et artisans me reprochaient même de n’avoir pas construit un pylône plus puissant. Dans le cadre du New deal mobile, le déploiement est mutualisé dans les zones rurales. Les problèmes de mutualisation sont rares. Lorsque le maire ne pouvait pas régler la question, par le plan local d’urbanisme par exemple, je suis intervenu, mais c’est très rare.

Monsieur Salmon, je ne partage pas du tout le discours selon lequel, il y a vingt ans, c’était mieux. Il suffit de lire le livre de Michel Serres, C’était mieux avant, pour comprendre que ce n’est pas vrai ! C’est oublier l’allongement de l’espérance de vie, la Guerre froide, etc. Ensuite, on ne peut pas réaliser la transition environnementale sans le numérique. Les énergies renouvelables, comme l’éolien ou le photovoltaïque, sont inconcevables sans lui : lorsque l’on passe d’un système où une grosse centrale nucléaire produit de l’électricité pour une grosse ville à un système où chacun est doté de petites cellules photovoltaïques ou éoliennes, il faut avoir recours au numérique pour équilibrer le réseau. On ne peut quand même pas prétendre que tout va se chauffer au bois…

M. Daniel Salmon. – J’ai simplement dit que ce choix s’inscrivait dans un modèle de société. D’autres choix sont possibles !

M. Cédric O, secrétaire d’État. – La population mondiale augmente et consomme davantage. Nous n’avons d’autre choix que d’être plus efficaces, à moins de tuer toutes les personnes âgées ou de limiter les naissances… D’autres modèles existent, certes, mais nous pourrions aussi vivre en dictature plutôt qu’en démocratie… Toutefois, comme le disait l’humoriste, « y’en a qu’ont essayé, ils ont eu des problèmes ! » Cette rhétorique a des limites ! Je suis toutefois d’accord avec vous sur la question des terres rares et des métaux rares. Outre l’aspect environnemental, nous sommes dépendants à l’égard de la Chine ou de l’Afrique. Nous devons creuser cette question.

M. Jean-François Longeot, président. – Je vous remercie. Comme vous l’avez compris, nous espérons que cette proposition de loi, issue d’un travail fourni, prospérera.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 40.

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Mercredi 9 décembre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de MM. Hervé Bécam, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants (GNI), et Alexis Bourdon, président du Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (SNARR)

Mme Sophie Primas, présidente. – Mes chers collègues, nous entendons aujourd’hui les représentants de l’hôtellerie et de la restauration, secteurs qui, avec le secteur des discothèques et de la culture, sont ceux qui, d’un point de vue économique, souffrent probablement le plus de la crise actuelle.

Je remercie pour leur présence, dans une période très chargée et difficile, M. Hervé Becam, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), M. Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants (GNI), et M. Alexis Bourdon, président du Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (SNARR).

Si l’hôtellerie n’a pas fait officiellement l’objet d’une fermeture administrative, il n’en est pas moins vrai que les établissements restent vides, compte tenu de l’absence de clientèle étrangère, de la diminution des déplacements et de l’annulation des événements professionnels, culturels et sportifs.

Depuis plusieurs semaines désormais, les plans sociaux, dans ce secteur, commencent à se multiplier. Les restaurateurs, quant à eux, n’auront ouvert que six mois en 2020, ce qui est évidemment une situation extrêmement difficile.

À l’inverse d’autres secteurs, leur réouverture à une date encore non déterminée se fera dans des conditions extrêmement contraignantes, puisque nous savons que le nombre de couverts va diminuer, que les coûts liés à la protection sanitaire augmenteront et que la clientèle étrangère ne sera probablement pas au rendez-vous.

Les traiteurs sont confrontés à une absence totale de marché : événements familiaux, événements d’entreprise, salons, événements culturels, sportifs, sont tous annulés, comme le salon du Bourget, événement emblématique de bien des difficultés de notre pays dans tous les secteurs.

Pourtant, les restaurateurs, de même que les hôteliers, ont réalisé des efforts financiers, techniques, humains significatifs pour mettre en œuvre un protocole sanitaire loin d’être simple, notamment quand il s’agit d’enlever les masques pour se nourrir, d’aménager les espaces et d’éviter les rassemblements debout. Ils déploient des trésors d’ingéniosité pour maintenir une activité commerciale minimale avec la vente à emporter, la vente sur internet, et la vente de produits de consommation.

Compte tenu de ces efforts et des investissements réalisés, un sentiment d’exaspération, d’incompréhension et presque de colère semble émerger, d’autant que ces

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3479 métiers sont par ailleurs célébrés partout par les pouvoirs publics comme le symbole de la gastronomie et de la culture française.

Nous souhaitons vous entendre, messieurs, sur tous ces points dans la diversité des formes de restauration ici représentées.

Par ailleurs, derrière ces professions, parfois même derrière ces vocations, existent de très nombreux autres métiers, malheureusement moins médiatisés. Je pense à toute la chaîne de vos fournisseurs dans leur diversité – agriculteurs, poissonniers, grossistes, blanchisseurs, pour ne citer qu’eux.

Face à cela, l’État a mis en place des mesures de soutien économique, notamment une aide pouvant atteindre 20 % du chiffre d’affaires au mois de décembre, dans la limite de 200 000 euros. Pour autant – et sans même s’attarder sur le fait que toutes les aides du monde ne remplaceront pas la satisfaction pour vous de pouvoir rouvrir vos établissements –, ces aides, malgré leur poids sur le budget de la France, sont probablement insuffisantes, tant pour les hôtels que pour les restaurants.

En effet, qu’elles soient calculées sur le mois de décembre 2019 ou sur le chiffre d’affaires moyen réalisé en 2019, l’aide sera versée en référence à une période extrêmement mauvaise pour vos secteurs, en raison notamment des manifestations des « gilets jaunes » ou des grèves de fin d’année, dont nous avons vu les conséquences.

En outre, elle n’est pas rétroactive, alors que cela fait désormais quatre mois et demi que vous êtes fermés ou quasiment à l’arrêt. Vous nous direz bien sûr ce que vous pensez de ce soutien.

Avant de vous céder la parole et que mes collègues vous interrogent, je souhaiterais vous poser deux questions.

La première concerne l’état des lieux de 2020 et vos prévisions pour 2021. Quelle est aujourd’hui votre évaluation de la situation, des défaillances à date, de celles à venir, leurs conséquences sur l’emploi ?

Ma seconde question concerne les mesures d’aide mises en place : jusqu’à présent, quel était le niveau de charges que vous avez dû continuer à supporter malgré les mesures de soutien ? Vous nous parlerez en particulier probablement du problème des loyers qui semble être un élément majeur de vos difficultés.

Sans attendre, je vous laisse la parole.

M. Hervé Becam, vice-président de l’UMIH. – Merci, madame la présidente.

Nous savions déjà, en nous présentant devant vous aujourd’hui, que vous étiez particulièrement attentifs aux problèmes de nos métiers, mais à voir le nombre de sénateurs présents aujourd’hui, je constate que c’est une réalité et que vous avez bien conscience de nos difficultés.

Vous venez, madame la présidente, de brosser un tableau exact de la situation. Les restaurants, les cafés sont aujourd’hui fermés, ainsi que 1 500 discothèques qui n’ont pas rouvert depuis le 14 mars.

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La difficulté de la majorité des dirigeants de ces très petites entreprises est de maintenir leur outil en état de fonctionner, en attendant la reprise, prévue le 20 janvier, dont certains commencent à douter, même dans nos rangs.

C’est ce qui explique la montée des insatisfactions, qui justifient qu’un grand nombre d’entre eux, contraints et forcés, exprimeront leur désarroi lundi prochain, lors d’un rassemblement statique que nous organisons à Paris, vraisemblablement place des Invalides, avec le GNI et les autres organisations patronales représentatives de notre secteur d’activité. Ils viendront exprimer leur grande inquiétude et surtout leur souhait de pouvoir recommencer le plus rapidement possible à travailler.

Les entreprises de notre secteur d’activité remercient les Français et le Gouvernement pour les mesures qui ont été prises pour soutenir notre secteur d’activité. On parle beaucoup d’aides, mais ce qui permet aux entreprises de vivre aujourd’hui, c’est plutôt l’endettement.

Les prêts garantis par l’État (PGE) sont certes appréciables, mais constituent un endettement supplémentaire pour les entreprises. Il faudra bien rembourser un jour, même si cela permet aux entreprises de continuer à vivre aujourd’hui.

Nous attendons des précisions concernant la prolongation du chômage partiel. Pour l’instant, le système est maintenu jusqu’au 31 décembre, mais nous n’avons aucune perspective au-delà.

Le fonds de solidarité ou la possibilité d’être directement indemnisé à concurrence de 200 000 euros et à hauteur de 20 % du chiffre d’affaires réalisé en décembre nous permettent de vivre, mais des charges importantes demeurent, comme les loyers ou les droits audiovisuels, qui continuent à être prélevés. Ceci vient grever et appauvrir peu à peu les trésoreries des entreprises et les place dans des situations très difficiles.

M. Didier Chenet, président du GNI. – Vous l’avez rappelé, madame la présidente, l’hôtellerie-restauration recouvre un certain nombre de secteurs auquel tout le monde pense – cafés, bars, brasseries, restaurants, hôtels –, mais aussi les discothèques, les traiteurs ou les organisateurs de réception, auxquels on pense moins.

Il existe un secteur de notre branche complètement à l’arrêt, quand bien même il n’a pas été fermé administrativement : celui des traiteurs. Je dois dire que la façon de traiter les établissements qui sont fermés administrativement et ceux qui ne le sont pas totalement est inadaptée.

À partir du moment où il n’y a plus de congrès, d’événements ni de fêtes familiales, l’activité des traiteurs est entièrement suspendue. Ils sont, de fait, fermés.

Il en est de même pour les hôtels et les hôtels-restaurants qui, du fait du développement du télétravail et des visioconférences, n’accueillent plus personne et ont quasiment été fermés administrativement.

Nous avons réussi à faire considérer les hôtels-restaurants comme des établissements fermés, mais nous n’avons pas encore obtenu la même chose pour les traiteurs. Nous ne désespérons pas cependant. Les hôtels qui sont demeurés ouverts peuvent bénéficier, suivant leur chiffre d’affaires, d’une aide de 20 % plafonnée à 200 000 euros. C’est toute la difficulté de nos négociations.

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Au sentiment d’exaspération et d’incompréhension s’ajoute celui de stigmatisation. Nous refusons, je le dis très nettement, qu’on considère que nos établissements sont ceux dans lesquels le virus circule le plus facilement et de façon importante. Ces allégations se fondent sur une étude américaine parue en novembre dans Nature, réalisée à Chicago sur 350 personnes, lorsqu’il n’existait aucun protocole sanitaire. Ceci n’est pas sérieux et nous ne pouvons l’accepter. On nous dit que l’Institut Pasteur en a réalisé une autre. Nous l’attendons. Nous sommes prêts à tout entendre, car nous voulons savoir exactement ce qu’il en est.

Ce genre de contrevérité est insupportable, d’autant plus que les médias s’en sont malheureusement emparés et l’ont considérée comme parole d’évangile. Pour nous, le combat est perdu d’avance.

Les mesures qui ont été prises en décembre vont dans le bon sens, même s’il nous reste encore à résoudre le problème des traiteurs. Ces mesures vont enfin permettre aux entreprises, pour le mois de décembre, de faire face à leurs frais généraux. Que ne l’a-t-on fait avant !

Combien de mois se sont écoulés et combien de négociations avons-nous connues ! Nous avons été fermés en mars. En mai, on nous proposait 1 500 euros et on arrive aujourd’hui seulement à une solution réaliste. Nous avons un certain nombre de charges fixes - loyers, frais de personnel administratif, frais de surveillance de nos établissements, frais d’électricité et de gaz, etc.

Nous avons prouvé à Bercy que la moyenne des charges fixes de nos entreprises tourne entre 20 % et 25 %, d’où le chiffre de 20 % proposé par le ministère. Nous remercions le Gouvernement de cette aide mais, encore une fois, nous avons emprunté pendant six mois pour couvrir des charges dont nous n’étions absolument pas responsables.

Quand on est chef d’entreprise et qu’on emprunte, c’est pour investir et non pour combler les trous et les pertes accumulées au fil des mois. Toutefois, les remboursements des PGE vont être repoussés d’un an, car nous serons dans l’incapacité de les honorer au mois de mars comme prévu.

Curieusement, compte tenu des PGE et des quelques mesures qui viennent d’être prises, il n’y a pas encore eu de défaillances, mais celles-ci vont arriver au premier trimestre, lorsqu’il va falloir payer tout ce qu’on n’a pas réglé, notamment les loyers, qui n’ont pas été versés depuis des mois.

Avant les mesures prises au mois de décembre, une enquête estimait que 66 % des professionnels se disaient très inquiets pour la reprise, environ 30 % d’entre eux pensant soit déposer le bilan, soit arrêter définitivement leur activité.

Parmi nos charges, nous continuons à devoir payer les loyers. Sur ce point, la mesure prise par le Gouvernement est notoirement insuffisante. Elle va dans le sens de la proposition que nous avions pu faire, mais nous n’avons pas été fermés qu’en novembre : nous l’avons également été trois mois, de la mi-mars à la mi-juin, puis avons ensuite connu une période de couvre-feu et sommes à nouveau fermés depuis novembre. Le Président de la République a dit : « Zéro recette, zéro charge, quoi qu’il en coûte » : ce n’est pas le cas pour nous !

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Le compte n’y est donc pas. Nous sommes bien conscients des efforts qui sont faits par le Gouvernement. Aucun pays, sauf peut-être l’Allemagne, n’en a réalisé autant, mais il y a là quelque chose qui ne va pas.

Nous avons également un problème avec les assurances. Celles-ci ont eu un comportement peu aimable, empreint de cynisme. En tant que chef d’entreprise, le fait que les assurances ne veuillent pas indemniser des professionnels qui ne sont pas assurés ne me choque pas. Toutefois, le fait qu’il ait fallu aller devant les tribunaux pour faire jouer les contrats qui prévoyaient une indemnisation est anormal.

Par ailleurs, la quasi-totalité des professionnels, fin décembre, va se retrouver sans assurance parce que les compagnies dénoncent les contrats à tour de bras. On nous propose de geler le montant des cotisations, mais pour de moins bonnes garanties. La belle affaire ! C’est ni plus ni moins cynique.

Je rappelle – et cela concerne les parlementaires que vous êtes – que les assurances, durant les périodes de confinement, ont réalisé des profits exceptionnels sur l’automobile, les cambriolages, ainsi que sur les entreprises, qui ont connu moins de bris de machines ou d’accidents du travail. Enfin, quelques banques, alors que cela ne devait pas être le cas, ont exigé une garantie sur la part de 10 % du PGE qui n’était pas garantie par l’État. Qui dit garantie dit contrat d’assurance et profit exceptionnel.

Le dernier profit que nous dénonçons, qui est bien caché, se fait sur le dos de l’État à travers le chômage partiel. Les assurances ont indemnisé les entreprises qui pouvaient bénéficier de la prise en charge de leurs pertes d’exploitation à hauteur de 20 % à 25 %, soit le montant des charges fixes. Dans une situation normale, qui fait partie des risques assurantiels, les assurances auraient également dû rembourser aux entreprises les frais de personnel, ce qui aurait représenté 70 % à 75 %. Les assurances ont, par conséquent, économisé sur le dos de l’État et sur le chômage partiel les deux tiers des indemnités qu’elles auraient dû verser.

Nous avons demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de faire la lumière sur tout ce qui s’est passé, car nous ne disposons d’aucun élément. Les chiffres les plus farfelus circulent. On nous dit que les assurances ont versé 400 millions d’euros à tel ou tel fonds d’investissement. Nous sommes prêts à tout entendre, mais nous voulons la vérité. La création d’une telle commission d’enquête, dont vous avez le pouvoir, permettrait de faire la lumière sur ce dossier.

Pourquoi a-t-on attendu décembre pour fixer le bon ajustement, alors que nous avions fourni tous les éléments ? Nous naviguons aujourd’hui dans le brouillard le plus absolu. Nous n’avons aucune visibilité. Les mesures qui ont été prises concernant les fameux 20 % s’appliquant jusqu’à janvier, qu’en est-il du chômage partiel ? Nous n’en savons rien !

Nous sommes le 9 décembre. Ce matin, Europe 1 a annoncé que le chômage partiel allait être reconduit en janvier. Je rappelle qu’il concerne le personnel. Pour nous, le personnel n’est pas une marchandise ! Une demi-heure après cette annonce, le ministère a précisé que rien n’était encore fait.

Tout ceci pose problème. Nous voulons travailler. Nous sommes en capacité de le faire. Nous avons mis en place un protocole sanitaire extrêmement strict. Nous étions hier en réunion avec le ministre en charge du numérique pour la mise en place d’un QR code permettant un contrôle des clients à l’entrée de nos restaurants.

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Nous avons quand même souhaité, pour le principe, que ce QR code ne soit pas réservé qu’aux restaurateurs, afin de ne pas avoir l’impression d’être encore une fois de « vilains petits canards ».

Il n’y a pas de raison, nous semble-t-il, que certains établissements recevant du public – universités ou autres – n’exercent pas ce contrôle si nous devons l’appliquer. Nous y sommes favorables et y sommes prêts. Il ne s’agit pas de refuser mais il ne faut pas nous stigmatiser encore un peu plus.

La situation est pour nous extrêmement grave. Je n’y ajouterai pas le problème rencontré en montagne, que je n’oublie pas, où il existe bon nombre d’établissements. Les discussions que nous avons eues ont tourné court très rapidement. Le lundi, le Premier ministre nous réunissait pour discuter de la situation de la montagne. Les professionnels ont proposé de se revoir le 10 décembre, mais il a estimé que c’était un peu long. Le Président de la République, le lendemain matin, a annoncé la fermeture des stations ! Imaginez ce que peut penser un groupe de professionnels qui a mis en place des protocoles sanitaires sérieux. On a finalement perdu deux heures et demie à discuter pour rien.

Un sujet reste pendant, celui du coût des congés payés sur le chômage partiel. Nous venons, avec une énorme difficulté, d’obtenir le droit de mettre nos salariés en congés payés pendant dix jours au mois de janvier. Compte tenu de tous les délais administratifs et réglementaires, tout doit être bouclé le 10 décembre. La négociation a été extrêmement difficile. C’est un bon compromis mais, en attendant, les choses continuent de courir.

J’ai fait remarquer à Mme la ministre du travail qu’elle avait souhaité que l’on embauche les saisonniers, qui ont tout de suite été placés en chômage partiel. Passons sur le côté un peu ubuesque de la situation : on a demandé à des entreprises qui étaient fermées, qui n’avaient aucune activité et qui risquaient de ne pas rouvrir, de faire tourner le compteur des congés payés pour du personnel qu’elles n’emploieront peut-être jamais, mais qu’elles devront payer. Je rappelle que les congés payés représentent 10 % de la masse salariale, ce qui n’est pas mince.

Nous avons fait le calcul du montant pour notre secteur : cela représente 1,6 milliard d’euros. Nous tenons ce chiffrage à votre disposition. Le ministère du travail n’a d’ailleurs absolument pas contesté ces éléments. Nous devons 16 millions de jours de congés payés à nos salariés au titre du chômage partiel.

Tel est l’état de la situation. Nous voulons rouvrir nos entreprises !

Mme Sophie Primas, présidente. – Monsieur Chenet, pouvez-vous faire un point complémentaire à propos des extras ?

M. Didier Chenet. – On a eu une très mauvaise surprise – dans l’« ancien monde » - lorsque les extras ont été taxés de 20 euros par contrat. Nous étions alors immédiatement montés au créneau. À l’époque, la situation permettait a priori de taxer les entreprises. On a beaucoup fait souffrir les traiteurs, plus encore que les restaurateurs et les hôteliers.

Des mesures ont été prises récemment afin que les extras puissent être indemnisés de 900 euros, ce qui est mieux que rien. C’est un geste qu’il faut souligner. Cela règle le problème pour quelques mois.

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Le logement des saisonniers, particulièrement à la montagne, est d’un coût pharaonique. Le loyer d’un saisonnier représente une dépense minimum de 2 000 euros pour trois mois. Le fait d’embaucher ces saisonniers a généré une dépense supplémentaire à ce titre. Quelqu’un a parlé du « royaume de l’absurdie » : on n’en est parfois pas très loin !

Mme Sophie Primas, présidente. – Monsieur Bourdon, qu’en est-il de la restauration rapide, très importante dans le maillage du territoire ?

M. Alexis Bourdon, président du SNARR. – Les établissements de restauration rapide ont été, comme les autres, totalement fermés lors du premier confinement, quand bien même certains canaux ont été autorisés par décret, comme la livraison à domicile ou la vente à emporter.

À l’époque toutefois, les protocoles sanitaires n’étaient pas en place. La priorité de tous les restaurateurs était de sécuriser l’environnement de leurs salariés, notamment en cuisine. On n’avait pas encore de masque ni de gel. Indépendamment de cette autorisation, la totalité de la profession a fermé.

Une anecdote par rapport au cynisme des assurances : certains canaux étant alors officiellement autorisés, quelques-uns de nos adhérents ont reçu un courrier de leur assureur leur indiquant que leur fermeture n’était pas administrative, le décret les autorisant à travailler.

Le premier confinement a duré jusqu’à fin mai pour ces canaux, dès lors que les protocoles sanitaires étaient en place. Pour les salles, on parlait du mois de juin, voire de mi-juin pour Paris, qui était alors en zone rouge. L’activité a repris très progressivement.

En France, la restauration rapide représente 27 000 points de vente et 175 000 salariés. L’activité de service au volant, très visible, est d’un peu moins de 10 %. On compte 3 000 drives en France.

L’activité reste autorisée – on va en parler à propos du deuxième confinement –, mais la majorité des points de vente n’ont pas cette activité. Ils pratiquent le service au comptoir en centre-ville et souffrent beaucoup.

Les protocoles étaient en place lorsque le couvre-feu est tombé sur les grandes agglomérations. Le confinement de novembre a permis à certains points de vente de rester ouverts, mais quand les flux ne sont pas là, cela ne sert à rien.

L’hôtellerie est moins couverte que nous parce qu’elle n’est pas administrativement fermée. J’illustrerai le côté ubuesque de la situation en soulignant qu’il existe en Seine-et-Marne un grand parc d’attractions qui est fermé. Les restaurants autour sont fermés, mais couverts, alors que les hôtels ne sont pas couverts, bien que, par définition, il ne peut y avoir personne dans les chambres !

En novembre, compte tenu de l’absence totale de flux, environ 30 % de nos points de vente étaient totalement fermés, les autres essayant de ne pas perdre d’argent et de survivre en réduisant leurs horaires d’ouverture, notamment le soir du fait du manque de fréquentation.

Les aides qui couvrent les mois de décembre et de janvier sont les bienvenues. Elles doivent nous aider à passer la fermeture administrative, si toutefois la date du 20 janvier est bien confirmée. L’enjeu pour la totalité de la profession est aussi de réfléchir

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3485 collectivement à la façon dont on rouvrira. Ce sera de toute façon dans un mode très dégradé. Comment donner la chance à la profession de rouvrir, de ne pas perdre d’argent, quand bien même le chiffre d’affaires sera à 30 %, 50 % ou 60 % du précédent ? La problématique est double : il s’agit de réduire les charges fixes – loyers, coûts annexes, car un loyer ne peut doubler si le chiffre d’affaires n’est pas au rendez-vous –, et de travailler sur l’amélioration de la marge sur coût variable, même si l’on sait que les protocoles sanitaires, la sécurité de nos salariés et de nos clients, qui reste une priorité, représentent une dépense.

L’absence de visibilité est bien entendu critique pour les restaurateurs. Les effets de seuil sont des problèmes importants pour un certain nombre d’aides. Ceux qui ont plusieurs points de restauration passent à travers, alors que la problématique est exactement la même. L’effet sur l’emploi sera du coup très compliqué.

Enfin, les PGE ont permis de pousser la poussière sous le tapis. Il y aura sans doute des dépôts de bilan significatifs, mais ce sera peut-être moins médiatisé que dans d’autres industries. En revanche, l’addition de tous les petits commerçants qui vont disparaître sera énorme.

Certains vont perdre leur activité. Pour un petit restaurateur, cela représente souvent toute une vie. Par ailleurs, la caractéristique de notre secteur repose sur sa capacité à embaucher, à former. Si les flux ne sont pas là, ce sera une catastrophe au moins aussi importante que les plans sociaux qui seront très médiatisés. C’est ce que nous devons absolument éviter, en permettant aux restaurateurs de redémarrer leur activité pour survivre.

M. Hervé Becam. – Je précise, s’agissant des défaillances d’entreprises, que les tribunaux de commerce sont aujourd’hui au chômage faute d’activité. Ceci masque les difficultés des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui sont en préparation dans les grandes entreprises ou les grands groupes. Tout cela est dû au fort décalage qui existe entre les annonces politiques et l’effectivité des mesures. Nous craignons, dans notre secteur, une disparition de près de 200 000 emplois si les aides ne nous parviennent pas rapidement et si nous ne pouvons recommencer à travailler.

Mme Sophie Primas, présidente. – La parole est au président de la délégation aux entreprises, Serge Babary, puis aux autres commissaires.

M. Serge Babary. – Nous sommes ici tous très sensibles à la situation de vos entreprises.

Le président Becam vient à l’instant d’indiquer un risque de 200 000 pertes d’emplois. Il s’agit de petites entreprises dont en entendra très peu parler dans les médias, car cela va se passer de façon très diffuse dans les territoires. Nous sommes cependant tous concernés. Il faudra à un moment ou un autre mettre en avant le grand risque social que l’on craint tous en début d’année prochaine. C’est alors que les difficultés vont apparaître, même si le plan de sauvetage remplit pour l’instant à peu près son office.

L’UMIH a formé, le 20 novembre dernier, une double action devant le Conseil d’État contre le décret du 29 octobre, motivée par la rupture d’égalité de traitement avec les restaurants collectifs et routiers, ainsi que par la disproportion de l’interdiction totale d’activité sur tout le territoire national. Une requête en référé devait être traitée dans les dix jours. Nous avons reçu une réponse malheureusement négative hier. Sans en commenter le fond, imaginez-vous d’autres voies de recours ?

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Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Une enquête portant sur environ 6 600 hôteliers, restaurateurs, brasseurs et cafetiers a déterminé que deux tiers des professionnels du secteur considèrent que des dépôts de bilan en masse vont avoir lieu à l’issue du deuxième confinement.

Vous l’avez dit tout à l’heure, des mesures ont été mises en place. J’ai personnellement fait dimanche une demande au titre de l’avantage solidarité instauré à partir du mois d’octobre. Le mardi, l’argent était sur le compte. Un grand nombre d’aides viennent soutenir les petites entreprises.

Pensez-vous qu’on puisse éviter les dépôts de bilan en prorogeant ces mesures ? Durant combien de mois faut-il les maintenir selon vous ?

L’attitude des assurances est par ailleurs un véritable scandale. En temps normal, le principe des compagnies, en cas de sinistre, est de ne pas payer. Plus de 50 % des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration considèrent que les assurances constituent une priorité. Le ministre des finances, la semaine dernière, a annoncé une stagnation des tarifs. Certes, les primes sont les mêmes, mais les garanties sont divisées pour les sinistres autres que ceux liés à l’épidémie.

Je suis tout à fait d’accord avec la nécessité de créer une commission d’enquête sur les assurances. On ne peut pas les laisser agir librement.

Le PLF 2021 a par ailleurs introduit un crédit d’impôt pour les bailleurs. Personnellement, je pense que ce n’est pas incitatif ; mais quid des taxes foncières ? Vous le savez, les hôtels et les restaurants payent des taxes foncières substantielles qui représentent souvent 30 % à 40 % du montant du loyer. Avez-vous réfléchi à une aide ?

Enfin, lors du premier confinement, les hôteliers ont pu accorder des avoirs afin de ne pas mettre leur trésorerie en péril, remboursables au bout de dix-huit mois. Comment pensez-vous que l’on puisse aider les hôteliers à les rembourser ?

Mme Anne Chain-Larché. – Notre but est de relayer vos propos auprès de la population et des professionnels de notre territoire. Je suis sénatrice de Seine-et-Marne. Vous avez évoqué un grand parc d’attractions qui fait vivre notre département. Nous avons rencontré au mois de juin Jean-Marc Banquet d’Orx, président des métiers de l’industrie et de l’hôtellerie d’Île-de-France, qui nous a dit à quel point le territoire était touché.

Pour vous aider face à cette psychose qui s’est emparée du pays et des consommateurs et faire en sorte que toutes les professions dont on ne parle pas – pressings, livreurs, fournisseurs, agriculteurs, notamment dans notre département et en Île-de-France – je souhaiterais que vous décriviez précisément les propositions que vous avez pu faire au Gouvernement en matière de protocole sanitaire.

Il faut absolument communiquer plus encore que vous ne le faites sur les efforts que vous consentez, qui vous font baisser votre capacité d’accueil de 50 à 30 %. Les consommateurs doivent le savoir.

Que pouvez-vous faire de plus ?

Mme Martine Berthet. – En tant que sénatrice de la Savoie, je commencerai par deux questions concernant les stations, où les restaurateurs souhaitent pouvoir rouvrir au plus

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3487 tôt en janvier. Or il semblerait que vous soyez plutôt favorable à une ouverture le 20 janvier. Pouvez-vous nous préciser votre position ?

Avez-vous par ailleurs des chiffres concernant l’embauche des saisonniers ? Beaucoup ont-ils été recrutés, suivant les préconisations de Mme Borne ?

Avez-vous des négociations en cours au sujet des loyers concernant les fonds et les murs ? Cette question va constituer un sujet brûlant pour le maintien des entreprises. D’un côté, les bailleurs ont besoin de leurs recettes et, de l’autre, vos entreprises sont mises en difficulté par rapport à ce sujet.

Enfin, que pensez-vous de la proposition de passage de la TVA de 10 à 5,5 % afin de favoriser la reprise ? Cela constitue-t-il un élément important pour vous ?

M. Franck Menonville. – Ma question s’adresse à MM. Becam et Chenet. Certaines activités ont fait l’objet d’une fermeture administrative, d’autres non, notamment l’hôtellerie. Malheureusement, certains hôtels demeurent aujourd’hui fermés faute de clients et de la réduction du tourisme. Quelles sont les conséquences de ces deux statuts ?

Deuxièmement, malgré les prises en charge, le chômage partiel, le PGE, les reports de charges sociales et fiscales, etc., les échéances sont devant nous, et cela inquiète beaucoup le tissu économique, notamment pour ce qui est du PGE. J’aimerais connaître votre position à ce sujet. Que pensez-vous de la nécessité de transformer le PGE en fonds propres sur une durée longue, permettant ainsi de consolider la structuration des bilans des entreprises et de leur permettre de réinvestir à l’issue de cette crise ?

M. Michel Bonnus. – Vous avez parlé d’or. Le constat est alarmant pour chacun. Vous avez relevé l’absence de marchés pour les traiteurs et les plans sociaux vont se multiplier.

J’ai eu l’occasion de discuter avec les membres du Gouvernement à ce sujet. Il existe aujourd’hui trois problématiques.

L’aspect sanitaire les préoccupe beaucoup, ainsi que l’aspect économique, mais on ne doit pas mésestimer l’aspect judiciaire.

Aujourd’hui, on décide en fonction des futures procédures. Les bureaux du Premier ministre et du ministre de la Santé ont été perquisitionnés, leurs ordinateurs saisis. Cela a été un choc pour eux. Une ouverture prématurée des restaurants peut être très compliquée selon le protocole mis en place, et chaque cas est particulier. La saisonnalité est une question de plus. À la montagne, peut-être voit-on les choses différemment…

Il faut avoir un coup d’avance. Certains pays d’Europe sont passés devant la France en matière de tourisme, comme l’Espagne. La Croatie ou Malte ont des taux de TVA à 5,5 %, l’Allemagne à 7 %. L’Espagne est à 10 %, mais son taux de charges sociales s’élève à 30 %, alors que nous sommes à près de 47 %.

Il faut aujourd’hui travailler sur la sortie de crise et avoir une communication positive pour gagner des parts de marché et réconcilier notre pays avec nos métiers. On peut aujourd’hui éprouver de la peur dans un restaurant. On a stigmatisé notre activité, mais personne n’affirme qu’elle est à l’origine de clusters. J’attends donc avec impatience le

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3488 rapport de l’Institut Pasteur. Vous avez raison de dire que l’étude réalisée à Chicago ne veut strictement rien dire.

Le Gouvernement a été à la hauteur avec ses mesures de soutien. Dans notre métier, on a 30 % d’achats, 30 % de frais fixes, 30 % de masse salariale. Quand il reste 10 %, on est heureux. On ne peut se contenter de gérer l’instant. Il faut avoir un coup d’avance, se préparer au déconfinement dès maintenant. Si on ne travaille pas notre communication, on va vers de grandes désillusions !

Mme Sophie Primas, présidente. – Merci Michel. On sait que tu parles avec ton expérience, ton cœur et ton enthousiasme.

M. Jean-Claude Tissot. – Cette crise sans précédent aura profondément atteint notre économie, nos entreprises et l’ensemble des travailleurs.

Dans vos filières, les extras de l’hôtellerie-restauration étaient jusqu’à peu les grands oubliés des mesures gouvernementales.

Travaillant à la mission, les extras n’ont pas eu le droit à des mesures spécifiques pour les accompagner lors des premiers mois de la crise. Ils ont ainsi été frappés de plein fouet par la mise en berne de l’économie entraînée par le confinement et les mesures de protection sanitaire.

Certains ont, dès le premier mois, épuisé leurs droits au chômage et se sont rapidement retrouvés dans une situation de grande précarité. Une aide spécifique pouvant atteindre 900 euros par mois semble bien insuffisante. De plus, l’une des conditions à remplir pour obtenir cette aide est particulièrement restrictive, puisqu’il faut avoir travaillé au moins 60 % durant l’année 2019. Comment sont pris en compte ceux qui débutent sur le marché du travail ?

La situation est particulièrement grave pour les saisonniers qui dépendent des activités hivernales et se retrouvent privés de tout emploi durant les fêtes de fin d’année et au début de la saison de ski.

Avez-vous pu quantifier le nombre d’extras et de saisonniers qui n’ont pu travailler dans les entreprises que vous représentez ? Une telle analyse permettra de se rendre compte de l’aberration que représente le temps qu’a pris par Gouvernement pour répondre à tous ces citoyens.

Enfin, je croyais que l’acronyme PGE signifiait « prêt garanti par l’État ». J’aurais aimé que vous nous expliquiez les choses plus clairement. Cela pourra nous servir lorsque nous rencontrerons les assurances.

M. Jean-Marc Boyer. – Je suis à l’origine d’un courrier au Président de la République en faveur d’une ouverture au 15 décembre signé par 111 sénateurs.

Au regard des commentaires qui sont faits depuis quelques jours, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une démarche irresponsable – même si on n’ose pas me le dire.

Je reprends les propos que vous avez tenus, monsieur Chenet lors de la visioconférence à laquelle j’ai participé samedi après-midi : « La filière n’est pas pour réclamer une ouverture prématurée de nos établissements. Nous ne voulons pas, à cause des

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3489 fêtes, que le reproche nous soit de nouveau fait d’être à l’origine d’une circulation accrue du virus, qu’il nous soit reproché une fois de plus d’être ceux qui font circuler le virus. C’est une décision très dure. Nous prenons nos responsabilités ». Vous avez en outre précisé : « Si le souhait de ne pas ouvrir prématurément n’est pas partagé par tout le monde, ce sentiment est partagé par une majorité de professionnels ».

Notre démarche se fonde sur les remontées que nous font les professionnels de nos départements. Quels arguments sanitaires avance-t-on aujourd’hui par rapport à la promiscuité que connaissent les transports en commun ou la restauration d’entreprise pour ne pas autoriser l’ouverture de vos établissements ? Il est vrai que l’on doit baisser le masque pour manger et pour boire, mais pouvez-vous mettre en place des mesures sanitaires vous permettant de rouvrir, même dans un format réduit ? Que pouvez-vous faire en plus des mesures déjà existantes ?

On nous dit que le virus reprend depuis un jour ou deux. Ce ne peut être de votre fait, puisque vous êtes fermés. Je finis par me poser des questions. Michel Bonnus vient de dire qu’il convient d’être positif : il faudrait pour ce faire que vous puissiez démontrer que vos protocoles sont efficaces et que vous pouvez rouvrir en toute sécurité.

M. Daniel Gremillet. – Où en êtes-vous des discussions avec certains présidents de collectivités visant à transformer les avances par des aides non remboursables ? On sait que 70 % des entreprises seront dans l’incapacité de rembourser les aides qui leur sont allouées. C’est un vrai problème d’équité. Plus cette aide sera transformée en subvention, plus le traitement des entreprises s’en ressentira.

Ce que vous nous avez dit à propos des assurances constitue un vrai sujet. Les résiliations étaient fréquentes en matière de sinistres. Vous venez d’en illustrer une dimension supplémentaire. Il y a là un travail pour le législateur.

Une question concernant l’apprentissage. Certains ont parlé d’espoir. Évitons que les jeunes en formation soient laissés pour compte. Existe-t-il des initiatives ? Comment faire pour sauver les jeunes ? Vous êtes un élément moteur de l’apprentissage.

Enfin, pour ce qui est des extras, beaucoup de choses vont changer s’agissant des entreprises – congrès, déplacements, etc. Je préside une entreprise fromagère : je vois bien que tout sera différent à l’avenir. Comment imaginez-vous l’après pour ces métiers d’extras très spécifiques ?

Mme Sylviane Noël. – Existe-t-il des régions où les hôtels s’en sortent mieux que d’autres ?

Par ailleurs, quelles sont les mesures à long terme pour retrouver la compétitivité ?

Mme Viviane Artigalas. – Avez-vous fait de la prospective pour savoir comment va évoluer la consommation dans votre secteur d’activité ? Envisagez-vous à long terme de modifier le modèle économique fondé sur le nombre ?

La reprise d’activité s’accompagne de protocoles extrêmement contraignants qui vont fragiliser vos chiffres d’affaires. Certaines entreprises n’hésitent-elles pas à rouvrir ?

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Deuxièmement, Lourdes, dans mon département, est en grande difficulté alors que cet été, la montagne a fait une excellente saison dans tous les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration.

S’ajoute à cela le fait que les stations de ski ne peuvent rouvrir, ce qui m’amène à la question des saisonniers. Beaucoup d’entreprises n’en ont pas embauché. Certaines compétences peuvent se perdre. Pour Lourdes, qui connaît un modèle économique particulier, il est difficile d’en changer.

M. Alain Chatillon. – Sachez que nous comprenons les difficultés de votre secteur, que nous vivons au quotidien.

Madame la présidente, nous avons, avec Martial Bourquin, rédigé différents rapports sur l’accompagnement des entreprises et la réindustrialisation. Aujourd’hui, l’État va enregistrer un pourcentage de dette publique égal à 125 % du PIB environ. On ne sait par ailleurs pas très bien ce que sera 2021.

Il va donc falloir cibler les choses. On a peut-être trop anticipé dans certains secteurs et pas assez dans d’autres. Certains qui ont été fortement aidés par l’État rencontrent finalement moins de difficultés que prévu. Je ne cite personne, mais il nous faut en parler.

Quant aux assurances, elles ont réalisé entre un et deux milliards d’euros d’économies cette année. Allons chercher l’argent là où il est ! Certains secteurs ont reçu beaucoup d’aides, alors qu’ils ont eu moins de difficultés que les autres. Il faudra que nous en débattions, madame la présidente.

Mme Sophie Primas, présidente. – Il me semble qu’on a abordé le sujet lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021. Nous nous pencherons sur ce point.

M. Patrick Chaize. – Quelles mesures seraient nécessaires pour éviter les défaillances a posteriori ? Quelle serait la jauge qui permettrait d’éviter que vous vous décapitalisiez durant cette crise ?

Je souhaiterais également revenir sur la dissonance concernant les dates de réouverture. Globalement, on y perd un peu son latin. Peut-être certains secteurs peuvent-ils ouvrir plus tôt que d’autres. Pouvez-vous nous en expliquer les caractéristiques ?

Enfin, avez-vous pu mesurer les effets du déconfinement sur vos chiffres d’affaires ?

Enfin, je suis conseiller municipal d’un village gastronomique, Vonnas, et j’ai cru comprendre que le déconfinement y avait eu quelques effets. Peuvent-ils être reproductibles ? Les avez-vous intégrés dans vos réflexions pour les mois à venir ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. – Les professionnels ont été appelés à se mobiliser en ligne sur la page umih-contentieuxassurances.fr afin de mener une action collective et demander un nouveau produit d’assurance qui prenne en compte le risque en cas de pandémie. Où en est cette démarche, épaulée, je crois, par un cabinet d’avocats ? Des procédures ont-elles été engagées ? Comment couvrir un nouveau risque sans déclencher une hausse des tarifs des assurances, malgré le gel des franchises pour 2021 annoncé par le ministre de l’économie ?

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D’autre part, on n’a pas parlé de la profession des débiteurs de boisson qui, dans mon département des Alpes-Maritimes, vient de se regrouper en consortium local. Ils n’avaient pas été pris en compte lors du premier confinement et ont finalement été intégrés dans un certain nombre de mesures du plan tourisme. Avec le deuxième confinement, ils ne bénéficient d’aucune aide. Je pense que vous êtes également mobilisés à leurs côtés, mais je voudrais attirer l’attention sur leur activité.

M. Yves Bouloux. – Monsieur Becam, le nombre de licences IV est passé de 200 000 dans les années 1960 à environ 40 000 aujourd’hui. 25 000 communes dans les territoires ruraux ne disposent plus de cette licence.

Au mois de juillet dernier, vous demandiez une remise à plat du régime de la délivrance des licences IV pour les débits de boissons pour redynamiser les territoires ruraux. Où en êtes-vous de vos discussions avec le Gouvernement ?

M. Daniel Salmon. – Quelle est la part des charges des loyers dans votre activité et comment fonctionne le crédit d’impôt mis en place par l’État ? Vous a-t-il apporté des bénéfices ? Qui sont vos bailleurs ? De quelle manière peuvent-ils être mis à contribution ? Si l’on enregistre de nombreuses faillites, ils seront également touchés. La solidarité doit donc s’exercer également à leur niveau.

M. Serge Mérillou. – Ma question concerne le temps long : ne craignez-vous pas que les nouvelles habitudes de vie et de travail qui ont été prises – visioconférences, télétravail, achats en ligne – changent durablement les modes de consommation ?

Avez-vous anticipé cette éventuelle évolution ? On peut assister à une frénésie de consommation ou au contraire demeurer dans les habitudes actuelles. Le temps, par définition, va déterminer l’évolution de vos métiers dans la durée.

M. Fabien Gay. – On estime que le fonds de solidarité est le meilleur système. Nous avons quant à nous plaidé durant des mois pour en alléger les conditions ou augmenter le périmètre, mais certaines choses ne vont pas.

Par exemple, un gérant salarié n’a droit à aucune aide, celui qui a plus de 50 salariés non plus. C’est incompréhensible ! Un gérant salarié cotise pour tous les risques, alors que celui qui est au RSI ne cotise que pour son risque. Avez-vous des discussions avec le Gouvernement à ce propos ?

Par ailleurs les banques ne jouent pas le jeu, il faut le dire. Le rôle d’une banque est d’accompagner une entreprise, ce qui n’est pas le cas en ce moment puisqu’elles ne prennent aucun risque, l’État garantissant les prêts à 90 %. Elles demandent des garanties incroyables sur les 10 % restants, parfois avec des taux ubuesques.

Certains de mes anciens collègues du secteur événementiel m’ont raconté qu’ils ne voulaient pas d’un PGE, mais d’une ligne de crédits non alloués pour investir. Les banques la leur ont refusée. Le PGE est le seul produit que proposent les banques en ce moment.

Enfin, les assurances ont fait et continuent à faire énormément de profits, mais n’indemnisent pas assez leurs assurés. Il nous faut le dire haut et fort. Je ne sais pas s’il faut créer une commission d’enquête sur ce sujet, car beaucoup d’événements de l’année 2020 en mériteraient une, mais c’est une vraie question.

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Enfin, je pense que le chômage partiel n’était pas fait pour prendre en charge autant de personnes. On aurait dû inventer un autre système. Le chômage partiel est destiné à aider une entreprise pendant quelques semaines afin de passer un cap. Le système n’est pas le bon et pèse sur les salariés, qui perdent de l’argent, ainsi que sur les employeurs du secteur, notamment du fait des congés. Les choses ne sont pas près de repartir, surtout dans l’évènementiel. Certains salons prévus au mois de juin sont déjà annulés. Il faut donc inventer un système pour 2021.

M. Bernard Buis. – Quelles mesures de compensation devraient être prises selon vous pour faciliter la remise en route et agir sur le long terme ?

M. Franck Montaugé. – Le mur de la dette est désormais un problème national pour les entreprises françaises, dont les vôtres. Nombre d’entre elles vivent sur l’endettement. Comment s’en sortir ? Envisagez-vous de demander des remises de dettes à l’État, notamment pour éviter les dépôts de bilan ?

D’autre part, qu’en est-il des investissements de vos entreprises pour préparer l’avenir, améliorer la future compétitivité, sauvegarder l’emploi, voire le développer ? La situation difficile dans laquelle nous sommes ne doit pas nous empêcher de nous poser la question. L’État doit-il jouer un rôle particulier d’accompagnement, par exemple avec des prêts à long terme à taux proche de zéro adaptés ?

Enfin, votre proposition de commission d’enquête pour évaluer l’efficacité des politiques publiques en direction des acteurs de l’économie me paraît très opportune et absolument nécessaire.

Mme Sophie Primas, présidente. – Monsieur Bourdon, on parle beaucoup de la charge des loyers, des charges sociales, etc. Comment les charges de franchise, qui doivent exister dans votre secteur d’activité, se présentent-elles ? J’imagine que les grandes enseignes de restauration rapide sont concernées par ce sujet.

Par ailleurs, quel est l’impact de cette crise sur les étudiants ? On sait que la restauration est souvent une source de revenus qui permet aux étudiants de travailler. Avez-vous une estimation à ce sujet ?

Monsieur Chenet, de nombreuses procédures sont en cours à l’encontre des assurances. Combien ont déjà été condamnées à régler des indemnités ?

D’autre part, on a peu parlé de la restauration d’entreprise. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Enfin, quel impact la situation a-t-elle sur les livraisons à domicile à 1 ou 2 euro(s), nonobstant le fait que je m’interroge toujours sur ce modèle, qui pose des problèmes sociaux et économiques ?

M. Alexis Bourdon. – Comment communiquer sur le fait que les choses sont faites extrêmement sérieusement dans nos établissements ?

Après le premier confinement, on a rouvert avec des protocoles très stricts, mais ne nous leurrons pas : nos salariés prenaient les transports en commun, faisaient des tas de choses avant et après le travail. Nous avons eu des cas de salariés positifs dans nos

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3493 restaurants. À aucun moment, à ma connaissance, les agences régionales de santé n’ont déterminé que la transmission provenait des restaurants.

Les agences de santé disposent de ces informations consolidées. Or il n’est pas démontré que le restaurant constitue lui-même un cluster. Cela me semble très important. Si nous devons, à la suite d’un contrôle, désigner un restaurant qui ne sera pas dans les clous, nous n’aurons aucun problème à le dire haut et fort. Nous partageons la même appréciation que les pouvoirs publics. Pas de stigmatisation générale, donc, mais des contrôles, avec des conséquences pour ceux qui ne seraient pas dans les clous.

Qu’en est-il des changements de tendance, du temps long et des modes de consommation différents ? La livraison est-elle une solution pour un certain nombre d’entre nous ? Nous avons relevé, à la fin du premier déconfinement, des tendances plus favorables en matière de vente à emporter et de livraisons que de restauration sur place, ce qui est logique, les contraintes sur les salles étant encore très présentes, dans un univers où le télétravail était encore bien ancré.

Les choses vont-elles durer ? Cette tendance va-t-elle complètement disparaître ? Ce n’est pas ce que nous pensons. Nous estimons que ce sont des moments de consommation qui vont se développer. Cela pose-t-il un problème pour le business model des restaurateurs ? En matière de livraison, la réponse est oui.

Vous dites que nous livrons à 1 ou 2 euro(s) à l’autre bout de Paris : c’est la vision du consommateur, mais les plateformes de livraison prennent aux restaurateurs un pourcentage considérable de 20 à 30 %.

Quand bien même ce canal permet de développer le chiffre d’affaires, cela n’a rien à voir avec les problématiques de point mort et de rentabilité du restaurateur. Le coût global d’une livraison est plutôt de l’ordre de 6 ou 7 euros tout compris. Le restaurateur en paye toutefois une part plus importante que le client final. C’est un problème de business model s’agissant de nos marges.

Vous avez cité la baisse de la TVA parmi les mesures à long terme. Il existe deux points importants parmi l’ensemble des mesures d’accompagnement dont nous avons discuté depuis le premier confinement : les mesures immédiates pour ne pas mourir et celles pour survivre dans un univers différent. Les mesures pour ne pas mourir, ce sont les aides. Elles ont le mérite d’exister. Elles ne sont pas parfaites. On trouve des trous dans la raquette pour certains statuts, avec des effets de seuil qu’on a dénoncés, et des aspects juridiques qui ne nous semblent pas cohérents.

Les loyers sont fixes en général. S’ils doublent tout d’un coup par rapport au chiffre d’affaires, ce ne sera pas possible. Il faudra que les bailleurs qui tirent leurs revenus d’un restaurant fassent un effort de solidarité, de façon à ce que l’on ne se retrouve pas avec des centres-villes complètement vides. Cela me semble très important.

La TVA est un excellent sujet, me semble-t-il encore un peu pollué par l’épisode qui a eu lieu il y a dix ans. La TVA, après de longues discussions, était passée pour la consommation sur place de 19,7 % à 5,5 %, puis on est remonté à 7 %, puis à 10 %. À l’époque, en 2005 et 2008, la profession s’était engagée à créer 40 000 emplois. La TVA a baissé en 2009, au cœur de la crise économique. Il est difficile de démontrer que cette baisse de la TVA a permis de détruire moins d’emplois.

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Aujourd’hui, une baisse permettrait aux restaurateurs de regagner des marges de manœuvre. Il ne s’agit pas de baisser les prix de 5 %.

En revanche, les loyers ne vont pas baisser en proportion. Les primes d’assurance - à supposer qu’elles soient stabilisées – vont augmenter et l’ensemble des coûts fixes vont peser de plus en plus. Il est important que le restaurateur ait un peu de marge de manœuvre. On nous objecte parfois que la baisse de la TVA coûte cher, mais ce n’est vrai que par rapport à une TVA à 10 %. Or aujourd’hui, la TVA est de 0 %, puisque nous sommes fermés.

C’est certes un manque à gagner, mais c’est un gain colossal immédiat pour la collectivité en termes de chômage partiel. Cela permet de remettre un certain nombre de personnes au travail et permet d’alléger les choses économiquement. C’est aussi un élément indispensable pour faire redémarrer l’amont – fournisseurs, commerces de gros, agriculteurs. Les effets induits sont très importants.

J’ajoute que ce n’est pas forcément une mesure définitive. Nous plaidons pour une mesure transitoire qui permette de faire remonter le chiffre d’affaires durant une année par exemple. C’est ce qu’ont fait le Royaume-Uni ou l’Allemagne, qui n’a pourtant pas la réputation de céder à la gabegie budgétaire. Ces mesures sont très efficaces pour le commerce local, et produisent des effets colossaux sur l’emploi.

Quant aux charges de franchise, contrairement aux loyers, elles sont essentiellement variables. Lorsqu’il n’y a pas de chiffre d’affaires, il n’y a pas de redevance. L’enjeu, dans le futur, est d’arriver à transformer ces charges fixes en pourcentages. Si le chiffre d’affaires repart, il est logique que les bailleurs en tirent aussi un bénéfice. En revanche, si le chiffre d’affaires reste très bas, ces charges fixes ne peuvent demeurer au niveau où elles sont aujourd’hui.

M. Didier Chenet. – Nous avons une légère divergence de vues concernant la TVA, en tout cas à moyen terme. L’expérience de la baisse de TVA, telle que nous l’avons vécue en 2009, ne nous a pas laissé un très bon souvenir, même si, grâce à elle, on a sauvé bon nombre d’entreprises qui n’ont pas baissé leurs prix et évité ainsi le dépôt de bilan.

Ce qui nous soucie dans cette mesure transitoire, qui ne durerait pas, provient du fait que nous sommes une activité de main-d’œuvre. Le problème majeur vient du poids des charges sociales. Il faut absolument les diminuer de façon pérenne. Elles sont à un tel niveau que nous finissons par mal payer nos salariés ! C’est le nœud gordien qu’il faut absolument trancher.

Nous privilégions une discussion en profondeur, car nous espérons pérenniser cette diminution, sans quoi nous ne nous en sortirons pas.

S’agissant des assurances, vous avez voté une taxe sur celles-ci. Nous applaudissons des deux mains. J’espère que l’Assemblée nationale voudra bien vous suivre. On a dit que les assureurs ont plié sous la pression du Gouvernement. Pardonnez-moi d’être trivial, mais c’est une plaisanterie ! Oui, votre taxe est la bienvenue et nous vous en remercions.

Vous nous avez posé des questions sur le nombre de dossiers qui ont pu être traités. Nous n’en savons rien. On est dans une totale opacité. Les assureurs nous donnent des

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3495 chiffres mais, lorsqu’on lit la presse, ils sont différents. Mettons donc cartes sur table. Si quelqu’un peut l’obtenir, c’est bien la représentation parlementaire.

Quant aux banques – ce n’est pas très nouveau – elles nous blacklistent et ne jouent pas le jeu. Le deuxième confinement a constitué le coup de grâce. Elles ont fermé les portes et les robinets ! On a de très sérieux soucis avec les banques. Comment allons-nous faire ? Je ne le sais pas, mais c’est un énorme problème.

Vous avez abordé le problème du PGE. Il faut regarder les choses en face. Je ne sais pas si les entreprises seront capables de rembourser leur PGE, ni quand elles pourront le faire. Il faut avoir l’honnêteté de le dire.

C’est un travail qu’il va falloir réaliser, mais vous comprenez bien qu’on ne peut tout mener de front. Les mesures d’urgence viennent d’être prises. Le protocole sanitaire que nous avons signé est extrêmement contraignant. Il diminue le chiffre d’affaires de la restauration de près de la moitié. Les mesures prises au mois de décembre sont bonnes. Vous nous avez demandé quel était le poids de nos charges fixes. Elles sont comprises entre 20 et 25 %. Les loyers sont de l’ordre de 8 %. Il faut que l’on puisse nous accompagner durablement tant que nous aurons un protocole sanitaire obligatoire. Nous le respectons, ce que tous nos collègues n’ont malheureusement pas fait. Nous payons pour eux, mais nous estimons que l’État n’a pas fait son travail. Il fallait que le ministre de l’intérieur prenne ses responsabilités et fasse ce qu’il devait faire !

À Biarritz, par exemple, un restaurateur s’est mal conduit. La police a débarqué et l’établissement a été fermé pendant un mois. Cela a calmé tout le monde ! Un établissement qui ne respecte pas les règles doit être fermé.

M. Michel Bonnus. – Je voudrais réagir à ce sujet. Il fallait avoir en main un protocole clair qui impose aux restaurateurs une ligne directrice. Lorsque vous n’avez rien en main et qu’on vous contrôle, c’est compliqué.

M. Didier Chenet. – Je ne peux vous laisser dire cela : le protocole existe. Il a été édité et distribué à l’ensemble des professionnels.

M. Michel Bonnus. – J’ai demandé à la préfecture de venir dans les restaurants de l’agglomération toulonnaise pour expliquer ce qu’il fallait faire et ne pas faire : elle en a été incapable, tout comme la police !

M. Didier Chenet. – C’est un comble ! Nous, nous disposons de ces protocoles. S’ils ne sont pas distribués en préfecture, que voulez-vous que nous y fassions ? Le problème est là.

Faudra-t-il effacer les PGE en totalité ou en partie et les transformer en quasi-fonds propres, comme certains l’ont préconisé ? Tout cela fait partie des réflexions qu’il faudra avoir.

Pour ce qui est du redémarrage, tant que notre activité sera dégradée du fait des protocoles sanitaires, il faut que l’accompagnement de l’État soit à la hauteur de nos besoins.

Ce qui a été fait en décembre répond à la situation pour un mois, à quelques ajustements près. On a aujourd’hui véritablement le sentiment d’avoir été entendus et de pouvoir faire face à la situation.

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S’agissant des ouvertures anticipées, il faut reconnaître qu’on a assisté à quelques dissonances, même entre professionnels. Cela fait partie de notre ADN : on a envie d’accueillir, d’ouvrir, de travailler, mais quand on a expliqué les risques que cela comportait, notamment sur le plan financier, nos membres ont vite compris qu’on était dans une situation problématique. Comme je l’ai dit, Noël arrivant, le risque était surtout qu’il se passe ce qui se passe aux États-Unis et qu’arrive une nouvelle vague dont on nous aurait accusés d’être à l’origine. Le risque est trop grand pour nous. Nous ne pouvons nous permettre une troisième fermeture. Il faut véritablement que cela reparte bien dès le redémarrage.

Comment se fera cette réouverture ? Sera-t-elle aussi dynamique que celle du mois de juin ? On n’est pas dans la même saison : il n’y a pas de terrasses, on n’est plus en vacances et il n’y aura pas de ski – sauf à partir de février, je l’espère. Ce sera beaucoup plus compliqué.

Le premier redémarrage s’est très bien déroulé, notamment sur le littoral, mais c’est l’arbre qui a masqué la forêt. Beaucoup de territoires ont formidablement bien travaillé. Cependant, dans les grandes villes, cela a été une catastrophe, à Paris en particulier. Paris n’est pas la France, mais c’est 50 % environ du volume du tourisme.

M. Hervé Becam. – Paris et l’Île-de-France représentent entre 25 et 30 % de la capacité d’hébergement de notre pays et captent 50 % de l’activité touristique.

M. Didier Chenet. – Enfin, on s’étonne que la compensation du crédit d’impôt porte uniquement sur le mois de novembre. Il faut absolument, par la loi ou le décret, repousser la date de mise en cause des clauses résolutoires et recourir à une trêve hivernale, comme pour les locataires.

Si on ne repousse pas la date de mise en cause des clauses résolutoires, le bailleur peut nous traîner devant les tribunaux. Il n’aura pas forcément gain de cause, mais ce sera un stress supplémentaire pour nos professionnels. Vous avez les cartes en main pour surseoir d’un an, voire deux ans. Vous verrez que les propriétaires commenceront à s’intéresser à l’avantage fiscal.

Nos métiers, hormis pour ceux que représente Alexis Bourdon, comptent peu de grandes foncières parmi les propriétaires.

Enfin, concernant l’apprentissage, il faut que vous sachiez, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, que la rentrée s’est bien déroulée grâce aux mesures prises par le Gouvernement pour inciter l’engagement d’apprentis. Nous avons autant d’apprentis voire plus que l’année dernière. C’est rassurant. Je ne vous cache pas que certains apprentis sont quelque peu déboussolés et n’ont pas de stage en entreprise du fait de la fermeture de nos établissements. Cela pèse beaucoup, et c’est un problème au bout de six mois. Chez nous, l’apprentissage représente la voie royale pour se préparer à travailler.

On s’est également aperçu, en étudiant le décret de près, qu’en cas de lien de filiation entre le propriétaire et le locataire, le propriétaire n’a pas droit au crédit d’impôt. C’est intelligent ! Ce sont des détails qui sont glissés au dernier moment. Souvent, les enfants rachètent le fonds de commerce et les parents gardent l’immeuble pour leur retraite. Retour à la case départ à ce niveau !

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Tant que le protocole sanitaire s’appliquera, nous demandons à bénéficier des mêmes aides – chômage partiel, etc. – et d’une meilleure visibilité, sinon nous ne nous en sortirons pas.

M. Hervé Becam. – Je précise que je ne suis pas un spécialiste ni un habitué de ce format d’échanges, mais je l’apprécie beaucoup. Je suis moi-même hôtelier et restaurateur avant d’être représentant patronal.

En ce qui concerne les assurances, l’UMIH a mis en place une plateforme dédiée à l’ensemble du secteur d’activité pour recenser, après études, les contrats susceptibles d’être portés demain en justice.

Nous avons sur la plateforme, au moment où je vous parle, plus de 2 000 contrats, dont un peu plus de 1 000 ont déjà été pré-étudiés – et nous venons de commencer. Nous allons soutenir bien évidemment par la suite les professionnels en difficulté dans leurs actions.

Nous sommes cependant allés plus loin pour les cafés, hôtels, restaurants (CHR). Face au comportement irresponsable et incompréhensible des assureurs, nous nous sommes dit que nous pourrions éventuellement travailler à la mise en place d’un contrat multirisques qui prendrait en compte les difficultés que nous connaissons aujourd’hui.

Nous avons abouti et deux ou trois produits multirisques sont déjà à la disposition des professionnels. Toutefois, aucun d’entre eux ne couvre la perte d’exploitation en cas de pandémie. Des négociations entre le Gouvernement et les assureurs devaient aboutir en juin ou juillet. On nous a dit par la suite que ce ne serait pas avant le 31 décembre.

Aujourd’hui, nous n’avons aucune nouvelle, mais tous les assureurs ont retiré de leurs propositions de prise en charge des pandémies dans le cadre des pertes d’exploitation, dans l’attente du texte législatif.

S’agissant du référé devant le Conseil d’État, la procédure continue sur le fond. Nous la laissons perdurer en attendant d’obtenir satisfaction et de pouvoir générer des actions en justice de la part des professionnels à l’encontre des responsables des difficultés que connaissent aujourd’hui les entreprises.

Pour ce qui est de la réouverture, je ne suis pas un farouche partisan de la date du 15 décembre, et j’en suis désolé, monsieur le sénateur. Didier Chenet s’est expliqué sur le sujet : nous préférons, pour préserver la sécurité économique de nos établissements, quelques semaines de sacrifices supplémentaires plutôt que devoir subir des mois de confinement en février ou mars.

Cependant, nous avons écrit au Premier ministre et au ministre de l’éducation nationale pour lui proposer un étirement des vacances de février faisant fi des zones et en accordant trois fois 15 jours.

Mme Sophie Primas, présidente. – Un certain nombre de parlementaires ont également envoyé un courrier à cette fin. Je veux dire au sénateur Boyer que la réponse à sa lettre appelant à ouvrir le 15 décembre se trouve dans Le Canard Enchaîné de ce jour.

M. Hervé Becam. – S’agissant de la transformation des modes de consommation, j’ai échangé hier avec un dirigeant de la plus grosse entreprise mondiale de restauration collective. Nous sommes tombés d’accord sur un constat qui vaut pour nos entreprises,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3498 notamment hôtels et restaurants. Selon des chiffres de Sodexo, 25 % du marché de la restauration d’entreprise, de la restauration et de l’hôtellerie ont disparu du jour au lendemain du fait de l’augmentation du télétravail. Ceci va bien évidemment se répercuter. Alexis Bourdon pourra apporter des précisions supplémentaires à ce sujet.

Lors du premier déconfinement, on a constaté une activité très importante en province fin juin et surtout en juillet, août, septembre et même octobre, de même qu’à Lyon et Toulouse, pour des raisons liées à l’aéronautique, et à Bordeaux, à l’exception des grandes agglomérations du pôle Paris-Île-de-France.

Les difficultés perdurent dans ces régions, même après le déconfinement, mais ce n’est pas le cas de toute la province, où on a enregistré des fréquentations supérieures à 5 %, voire 10 % par rapport à 2019, ce qui veut bien dire que les Français sont restés dans l’Hexagone. On peut à ce titre les en remercier.

Je ne vous apporterai guère de réponse concernant la licence IV, hormis le fait que la branche des cafés, hôtels, brasseries travaille à la réforme du code des débits de boissons. Celle-ci avance. Nous ne pouvons que constater la chute catastrophique des licences des débits de boissons. De 200 000 en 1960, nous sommes descendus à 32 000 ou 33 000 - les services de l’État sont incapables de nous dire exactement combien en compte la France. Nous avons proposé d’en confier la gestion aux organisations professionnelles.

Concernant les PGE remboursables et le devenir de nos entreprises face à ces dettes et leur capacité à les rembourser, je ne dirai pas autre chose que ce qu’ont dit Alexis Bourdon et Didier Chenet. C’est une vraie question. Nous travaillons avec le Gouvernement. La semaine dernière, a annoncé la mise en place d’aides remboursables pour un budget global de 500 millions d’euros.

Ces aides seraient attribuées à hauteur de 25 % du chiffre d’affaires, soumises à un taux de 1 %, avec un différé de remboursement de trois ans et remboursables sur dix ans voire à meilleure fortune. Doit-on travailler sur ces aides pour qu’elles viennent demain suppléer les PGE ? C’est la solution à laquelle nous nous attachons avec le Gouvernement.

Pour ce qui est du protocole, hormis la mise en place d’une application et d’une obligation d’identifier les clients des restaurants, on ne voit pas très bien comment aller plus loin que ce qui est aujourd’hui exigé. Si on augmente la distance entre les tables, on entre dans un système économiquement invivable pour les entreprises.

M. Fabien Gay. – Les charges représentent des cotisations et du salaire socialisé. En réclamant une réduction des cotisations sur le long terme, vous sciez la branche sur laquelle vous êtes assis.

Si on a activé le chômage partiel, c’est bien grâce au risque couvert par les cotisations. Si demain vous réduisez les charges, vous ne cotiserez plus pour un risque. En cas de coup dur, vous ne pourrez faire appel à la solidarité nationale. C’est le même débat pour les impôts, qui financent le fonds de solidarité.

Vous avez dit que la France est l’un des pays où on a le plus aidé les personnes : c’est bien parce que notre modèle social le permet ! Si on l’affaiblit, il ne faudra pas demander à nationaliser les salaires lorsque plus aucune cotisation ne sera payée.

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Mme Sophie Primas, présidente. – C’est un débat politique que nous n’allons pas entamer en cet instant.

M. Daniel Gremillet. – Les collectivités souhaiteraient transformer les aides en subventions, mais elles ne peuvent le faire qu’avec l’accord du ministère des finances et de Bruxelles. C’est fondamental.

Si on transforme les aides en subventions, les entreprises qui n’ont pas demandé d’avances seraient sûrement demanderesses. Il est urgent d’arrêter une position à ce sujet.

M. Didier Chenet. – Vous avez parfaitement raison mais, encore une fois, nous avons traité l’urgence.

S’agissant des mesures à long terme pour retrouver de la compétitivité, il faut absolument travailler à la promotion des territoires. Notre potentiel, aujourd’hui, repose sur la clientèle française. Il n’est qu’à considérer tous les territoires qui ont été visités cet été. C’est ainsi que nous reprendrons une bonne part de notre leadership. N’oublions pas que 80 % du tourisme est franco-français.

Quant à Lourdes, nous militons depuis des mois en faveur d’un plan spécifique. Les choses traînent, ce n’est pas normal. Lourdes est la deuxième ville hôtelière de France. Elle est totalement sinistrée. Un plan spécifique doit être mis en place. C’est ce que nous avons demandé.

M. Hervé Becam. – L’apprentissage et l’alternance sont bien évidemment les modes de formation que nous privilégions dans nos entreprises. Notre opérateur de compétences, AKTO, que j’ai le plaisir de présider, met tout en œuvre pour résoudre le problème des apprentis, qui sont aujourd’hui, dans les centres d’apprentissage, orphelins d’une entreprise et ne peuvent bénéficier de l’ensemble des mesures d’accompagnement.

C’est un travail que l’on mène au quotidien. Nous estimons que le meilleur moyen d’éviter une grande vague de chômage est de consacrer des moyens à la formation. C’est indispensable, ne serait-ce que pour la transmission des savoir-faire qui, dans notre secteur d’activité, pourraient disparaître demain.

Mme Sophie Primas, présidente. – Notre commission et, plus généralement, le Sénat sont particulièrement attentifs à votre secteur d’activité. Nous allons rester en contact sur tous les sujets que vous avez évoqués.

Nous sommes bien sûr à votre disposition et très demandeur d’informations. Enfin, nous avons bien entendu l’appel de M. Chenet en faveur de la création d’une commission d’enquête sur les assurances. Nous allons l’étudier.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.

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Mercredi 16 décembre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35

Audition de M. Benoît Potier, président-directeur général d’Air Liquide

Mme Sophie Primas, présidente. – Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Benoît Potier, président-directeur général d’Air Liquide, pour nous entretenir avec lui des perspectives de développement de la filière française de l’hydrogène.

Air Liquide a été créé en 1902. Il s’agit d’une très belle entreprise, un champion national des gaz, des technologies et des services dans l’industrie, mais également de la santé ; avec 22 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2019, votre groupe rassemble 67 000 collaborateurs et 3,7 millions de clients.

Vous en êtes le PDG depuis une quinzaine d’années et, à ce titre, l’un des pionniers de l’essor de l’hydrogène en France.

L’hydrogène est un vecteur énergétique de premier plan pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En effet, il permet, d’une part, de décarboner certains secteurs, en particulier ceux de l’industrie et des transports et, d’autre part, de stocker l’électricité. Cette capacité de stockage est essentielle pour promouvoir la mobilité propre, en complément des batteries électriques, ainsi que les énergies renouvelables, qui pêchent toujours par leur intermittence.

Malgré son intérêt indéniable, l’hydrogène a longtemps représenté « l’arlésienne » de notre politique énergétique.

Vous avez vous-même parfois confessé, dans la presse, avoir souvent « prêché dans le désert » !

Faute d’un cap clairement défini, c’est au Parlement que s’est exprimé, avant et parfois contre le Gouvernement, un appui sans ambiguïté à la filière française de l’hydrogène.

Notre commission n’y est d’ailleurs pas étrangère. En 2012, le Sénat publiait ses premiers travaux de contrôle sur le sujet, à notre initiative. L’an passé, nous consacrions, pour la première fois, des objectifs et un cadre juridique, lors de l’examen de la loi « Énergie-Climat ». Dès le mois de juin dernier, enfin, nous suggérions des incitations fiscales et budgétaires, dans le cadre de notre propre plan de relance, encore défendues en séance publique il y a quelques semaines, notamment par notre rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie », Daniel Gremillet.

C’est donc avec satisfaction que nous avons accueilli le volet « hydrogène » du plan de relance, qui s’élève à 2 milliards d’euros d’ici 2022 et à 7 milliards d’euros d’ici 2030. Pour autant, je veux indiquer que cette réelle satisfaction cache une relative amertume ; nous aurions pu agir plus rapidement, plus fort et surtout plus tôt !

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Car nous sommes entrés dans une compétition internationale féroce, à laquelle nous devons offrir une réponse d’envergure, à l’échelle nationale, mais aussi européenne.

La France dispose d’atouts considérables sur plusieurs segments du marché de l’hydrogène – les véhicules utilitaires, le train, la distribution ou la recharge –, que vous avez vous-même identifiés dans votre rapport Faire de la France une économie de rupture technologique, remis au ministre de l’Économie en début d’année.

L’Union européenne se mobilise, avec une Stratégie pour l’hydrogène, pour définir les objectifs de l’Union, une Alliance européenne de l’hydrogène, pour coordonner les actions des États membres, et un projet important d’intérêt européen (PIIEC), pour financer une « chaîne de valeur européenne ».

Ce sont des signaux extrêmement positifs, qui doivent aboutir à la constitution de champions nationaux et européens.

Alors que les initiatives se multiplient, je souhaiterais connaître votre analyse sur cette filière.

En premier lieu, quel est votre point de vue sur la mise en œuvre du volet « hydrogène » du plan de relance ? Le montant est-il suffisant pour répondre, d’ici 2030, aux besoins des professionnels, évalués à 24 milliards d’euros par France Hydrogène, et rivaliser avec nos voisins, le plan de l’Allemagne concentrant 9 milliards d’euros ? Le calendrier est-il adapté, dans la mesure où les 2 milliards d’euros de crédits engagés cette année s’achèvent dès 2022 ? Les conditions d’éligibilité vous paraissent-elles pertinentes car il faut rappeler que les 100 millions d’euros annuels promis à la filière, depuis 2018, n’ont jamais été atteints ?

En second lieu, au-delà du plan de relance, quelles autres actions est-il nécessaire d’entreprendre pour développer l’hydrogène ?

Je pense notamment à la gouvernance de la filière, à la formation des employés, aux incitations fiscales ou encore aux souplesses administratives. Je pense aussi aux projets des collectivités territoriales, qui se multiplient et doivent, selon nous, être accompagnés.

Sans plus tarder, je vous passe la parole pour répondre à ces premières questions. Nous connaissons votre engagement pour cette filière et sommes très heureux de vous entendre ce matin.

M. Benoît Potier, président-directeur général d’Air Liquide. – Je vous remercie, Mme la présidente. J’ai beaucoup de plaisir à revenir au Sénat. Quand il s’agit de parler d’hydrogène, de surcroît, c’est la passion – mais aussi la raison ! – qui s’exprime.

En préambule, je veux indiquer que la pandémie de Covid-19 n’a absolument pas ralenti les réflexions menées dans le monde sur la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Au contraire, l’activité de réflexion, de projets et de stratégie sur ces sujets est incomparable. Ce thème est donc tout à fait d’actualité. La crise, en outre, n’a pas à ce jour eu de conséquence dramatique pour notre entreprise. Nous nous sommes beaucoup impliqués dans la gestion sanitaire et nous en sortons beaucoup mieux que d’autres. Nous avons évidemment une pensée pour celles et ceux qui ont été affectés.

J’aborderai le sujet de l’hydrogène en considérant en premier lieu trois échelles géographiques – le monde, l’Europe et la France –, afin de remettre les choses en

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3502 perspectives. Au niveau mondial, nous avons créé au début de l’année 2017, avec 13 autres industriels de plusieurs secteurs, un Conseil mondial de l’hydrogène. L’objectif était d’essayer de transformer ce qui pouvait l’être, c’est-à-dire un produit et les technologies de l’époque, en des éléments majeurs à l’échelle mondiale. Ce conseil se compose aujourd’hui toujours d’industriels, mais également de financiers qui nous ont rejoints. Il accueille ainsi 100 entreprises. Il s’agit d’une sorte de club, de tour de contrôle des initiatives qui entourent l’hydrogène dans le monde. Il est important en effet que nous soyons informés de ces initiatives.

Le Conseil mondial de l’hydrogène a commandé un certain nombre d’études à des cabinets de consultants. Sur la base des données disponibles, il est parvenu à la conclusion qu’environ 20 % de l’énergie consommée dans le monde pourrait prendre la forme de l’hydrogène à l’échéance 2050. L’échelle géographique est donc large, tandis que l’échelle de temps est longue. Je pense que le sujet doit être abordé de la sorte. Si 20 % de l’énergie consommée dans le monde prenait la forme de l’hydrogène, nous aurions fait un cinquième du chemin entre la situation actuelle et le scénario d’augmentation de 2° des températures. 6 000 millions de tonnes de CO2 seraient économisées si nous utilisions l’hydrogène. L’enjeu est donc considérable. C’est pourquoi nous nous sommes mobilisés dès le départ pour faire aboutir le dossier de l’hydrogène. Il représente en outre une valeur de marché d’environ 2 500 milliards de dollars – pour le dire autrement 20 % de 13 000 milliards de dollars, soit la valeur de l’énergie consommée dans le monde chaque année.

Il s’agit de notre point de départ. Si nous agissions de la sorte, nous serions en mesure de créer environ 30 millions d’emplois dans le monde. Nous avons réalisé des calculs précis avec le cabinet McKinsey & Company. Nous pouvons argumenter. L’ordre de grandeur est intéressant.

La seconde échelle géographique est celle de l’Europe. L’Europe a été plus lente à se mobiliser. Elle y est finalement parvenue, puisqu’au mois de juillet 2020, la Commission a publié une étude sur l’hydrogène. À l’échelle de l’Europe, les chiffres sont différents. Les 2 500 milliards de dollars deviennent 800 milliards d’euros. L’Europe se positionne ainsi à concurrence de 40 % environ de la valeur des 2 000 milliards d’euros – équivalant aux 2 500 milliards de dollars. L’Europe affiche une réelle ambition de prendre une part de marché significative dans l’hydrogène.

Ces chiffres portent sur l’horizon 2050. Il existe une forme d’exponentielle qui débute aujourd’hui pour aboutir à 2030. Le premier point de passage est en effet fixé en 2030. Ce qui n’aura pas été engagé dès à présent ne pourra pas survenir d’ici à 2030. Le second point de passage en 2040, quant à lui, correspondra à l’accélération de la courbe exponentielle. En 2050, enfin, nous arriverons à maturité, avec le taux de 20 % évoqué précédemment. Nous avons donc trois horizons de temps. Tout le développement devra se faire massivement entre 2030 et 2050.

Un certain nombre d’incertitudes demeurent. Nous ignorons si l’ensemble des secteurs seront appelés à se développer simultanément. Certains secteurs, au contraire, se développeront-ils de façon privilégiée ou prioritaire ? Les questions que vous avez posées précédemment rejoignent ainsi un certain nombre d’interrogations. Où situer les efforts aujourd’hui ? Qu’est-il réaliste de mettre en œuvre en matière d’investissement ou de recherche, selon la géographie ou les secteurs, afin que l’hydrogène se développe ?

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La Commission européenne, d’abord, a classé l’hydrogène. Il est beaucoup question de couleurs dans l’hydrogène : vous avez sûrement en tête l’hydrogène vert, bleu, jaune, gris, brun... Ces couleurs sont cependant imprécises. La Commission européenne a donc classé l’hydrogène. Retenez que la première classification concerne l’hydrogène renouvelable, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables. Il ne s’agit pas uniquement d’électricité solaire, hydraulique ou éolienne. Il peut s’agir aussi de biogaz, qui est par définition une énergie recyclée. La deuxième classification à retenir, en outre, concerne l’hydrogène bas-carbone, c’est-à-dire celui produit avec du carbone capturé et éventuellement réutilisé ou séquestré. Dans cette voie, nous sommes d’ores et déjà capables de récupérer 95 % du carbone. Si nous utilisons des procédés existants que nous améliorons par une capture du carbone, nous réalisons une grande part du chemin. Le premier message est qu’il ne faut surtout pas éliminer, dans la phase de transition des 10 ou 20 prochaines années, la capture du carbone.

Parmi ces hydrogènes bas-carbone est classé le nucléaire. En France, il s’agit évidemment d’une question importante. Le nucléaire affiche zéro carbone à la production d’électricité. Il n’est en revanche pas renouvelable. Il est classé par la Commission européenne dans les hydrogènes bas-carbone. Air Liquide est tout à fait favorable à l’utilisation d’énergie de type nucléaire dans un pays comme la France – puisque nous en disposons et en disposerons encore pour de nombreuses années ! – dans la mesure où la production d’hydrogène serait sans carbone.

Nous trouvons ensuite l’hydrogène fossile, comme il est produit aujourd’hui, sur base fossile, sans capture de carbone. Il émet du CO2, mais en quantité très moindre par rapport à l’essence ou au diesel utilisés dans les véhicules. Même si nous utilisions un peu d’hydrogène fossile en phase intermédiaire, cela serait déjà beaucoup mieux pour la planète.

La deuxième idée de la Commission européenne concerne la nécessité d’organiser une transition – et non un saut depuis une falaise qui nous ferait tomber ! Ainsi, l’ensemble des actifs qui existent aujourd’hui et produisent de l’hydrogène doivent être en priorité immédiatement décarbonés. L’ensemble des actifs nouveaux des 20 prochaines années devront préférentiellement être des actifs, soit immédiatement décarbonés, soit directement renouvelables. Nous devons donc orchestrer la transition. En outre, dans les seuils d’émission de CO2 par kilo d’hydrogène, seuils qui peuvent être fixés soit à l’échelle de l’Europe, soit à l’échelle de la France, nous devons intégrer cette phase de transition.

La Commission a lancé un certain nombre d’initiatives, dont les projets PIEEC. Ils sont extrêmement intéressants car fédérateurs. Ils permettent à plusieurs industriels de se regrouper pour être en capacité de répondre d’ores et déjà à la volonté de développer l’hydrogène.

La Commission européenne prévoit des investissements colossaux. Nous investissons environ deux à trois fois la valeur de marché de l’hydrogène pour le produire. Si vous atteignez 2 500 milliards de valeur d’hydrogène en 2050, la planète devra avoir investi pour le produire entre 5 000 et 7 500 milliards de dollars. Le niveau est considérable. Il faut donc investir à bon escient. À titre personnel et en ma qualité de co-président du Conseil mondial de l’hydrogène, mon souci est de m’assurer que chaque euro investi dans le monde soit investi efficacement. Nous touchons, en l’occurrence, à vos interrogations. Comment s’organiser à l’échelle d’un pays et à l’échelle de l’Europe pour faire en sorte que la transition s’opère avec des investissements aussi élevés ?

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Nous avons connu une phase durant laquelle nous avons testé les technologies. Nous avons réalisé des tests sur un camion, un train, une voiture, une station-service ou une usine pour vérifier que les technologies étaient viables. Je considère, pour ma part, que cette phase est pratiquement achevée. Nous ne devons pas à présent commettre l’erreur de disséminer l’argent pour tester, dans l’ensemble des pays du monde et pour l’ensemble des applications, des dispositifs dont nous savons déjà qu’ils fonctionnent. Il s’agit d’un premier écueil.

Ensuite, nous devons comprendre que la transition ne surviendra que si nous sommes capables, à une échelle nationale, de fédérer l’ensemble des efforts industriels et d’investissement. Nous tentons d’y parvenir avec les filières et les groupements : France Hydrogène notamment. Le Conseil mondial de l’hydrogène a lui-même une vision sur chaque pays. À l’échelle nationale, le Conseil de l’innovation, puis le rapport Pacte productif, par ses recommandations, ont mis l’accent sur la nécessité d’orchestrer les filières. Je crois que je réponds à l’une de vos questions sur la gouvernance. Nous devons, au niveau national, devenir à la fois opérationnels – avec un Conseil national de l’hydrogène capable d’agir en prenant des décisions pragmatiques – et à même de réfléchir à un niveau différent sur les directions et les initiatives à prendre, et sur la pertinence de l’allocation des budgets entre l’industrie, la mobilité, la recherche. Je pense qu’en France, un Conseil national de l’hydrogène opérationnel est nécessaire. Une participation des organes de l’État, pour s’assurer que la politique de la France bénéficie au pays, serait également utile. Je pense en revanche que nous ne pouvons pas gérer en pratique les projets et les orientations industrielles avec un organe trop large. Telle est ma recommandation.

Les budgets de la Commission européenne sont extrêmement élevés. Ils atteignent plusieurs centaines de milliards d’euros, sur des temps longs. Je n’ai donc rien à ajouter sur l’échelle européenne. À l’échelle des pays, la France affiche un budget de 7 milliards d’euros, dont 3,4 milliards d’ici 2023, c’est-à-dire dans un cadre de temps relativement restreint. C’est un défi. C’est un avantage car l’argent peut être disponible. C’est un défi parce que l’argent ne doit pas être dépensé pour être dépensé. Nous devons éviter de tomber dans l’écueil des 100 millions d’euros annuels promis qui n’ont jamais été atteints. Nous devons être opérationnels et avoir les idées claires. Je reviendrai ensuite sur le plan envisagé par Air Liquide pour les 2 ou 3 prochaines années.

Ces 7 milliards d’euros peuvent paraître faibles, comparativement à la somme de 2 500 milliards de dollars. Il me semble cependant qu’ils correspondent à ce que nous devons investir. Même si l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (Afhypac) avait demandé 24 milliards d’euros, il ne s’agissait pas de 24 milliards d’aides de l’État, mais de 24 milliards d’investissements de la filière dans son ensemble. Le monde privé a évidemment un rôle à assumer. Une société comme Air Liquide, qui aujourd’hui vend 2 milliards d’euros d’hydrogène, est un acteur majeur dans le secteur. Elle possède des plans d’investissements pour les 10 prochaines années qui se comptent en milliards d’euros. Une seule entreprise comme la nôtre envisage d’investir des milliards d’euros d’ici 10 ans. Les 24 milliards d’euros seront ainsi en partie investis par le secteur privé et correspondront en partie à des aides de l’État, en particulier au début du processus. En effet, même si les technologies fonctionnent, elles doivent être mises à l’échelle. Or cette mise à l’échelle est souvent difficile : c’est un peu une « vallée de la mort ». Elle correspond à la période de 2 ou 3 ans durant laquelle nous ne pouvons pas justifier d’un projet économiquement. Des mécanismes de subventions sont nécessaires. Un prix du carbone est également probablement nécessaire. Dès lors qu’un prix de carbone sera fixé idéalement dans une sorte de tunnel croissant, sur les 10 prochaines années, nous pourrons en effet réaliser des

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3505 calculs d’investissements et justifier, vis-à-vis de nos conseils d’administration et de nos actionnaires, des investissements dans ces technologies propres, en fonction du prix du carbone, qui sera prévisible. Il est par conséquent extrêmement important de lier le contexte réglementaire et économique avec une filière comme l’hydrogène. En tout état de cause, je pense que le montant de 7 milliards d’euros est suffisant à ce stade pour démarrer le projet dans les 2 ou 3 prochaines années.

L’Allemagne a investi 9 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros de coopérations internationales. Ces 2 milliards d’euros consistent cependant à installer des fermes solaires en Afrique du Nord, peut-être en Australie, puis à produire de l’hydrogène sur ces sites, pour ensuite l’importer. Cette voie est intéressante, mais questionnable. Elle n’est en effet pas applicable sur toutes les formes d’énergie. Il ne s’agit pas d’une panacée. Nous n’obtiendrons pas un nouveau pétrole liquide en Australie et en Afrique du Nord qui prendra le relai du pétrole existant. La situation n’est pas si simple. Je n’entre pas dans le détail de l’utilité de l’hydrogène potentiellement. Si j’entrais dans le détail, vous verriez que cette chaîne peut s’appliquer quand nous avons besoin réellement d’hydrogène. Si nous avons simplement besoin de kilowatts, le fait d’utiliser le soleil à un point de la planète pour le transformer en hydrogène à liquéfier, puis le transporter et le replacer dans un générateur d’électricité pour produire de l’électricité à l’autre bout du monde n’a pas beaucoup de sens. Cette chaîne-là, d’électricité vers l’électricité, n’est pas intéressante. En revanche, si l’hydrogène est produit à partir de soleil pour réaliser un produit intermédiaire, comme de l’ammoniac par exemple, pour ensuite être transporté et brûlé en tant qu’énergie de chaleur ou utilisé dans une turbine, les schémas deviennent plus économiques. Nous devons par conséquent nous garder d’avancer trop rapidement dans la réflexion.

Je conclus avant de répondre à vos questions en vous rappelant que l’hydrogène n’est qu’un vecteur d’énergie. Une énergie primaire est nécessaire pour le produire. Il s’agit d’un moyen de transporter et de stocker l’énergie. L’énergie primaire peut être une énergie renouvelable, donc de l’électricité. S’il s’agit d’hydrocarbures, la chaîne est différente. La chaîne « carbone » est beaucoup plus économique que la chaîne « électricité ». L’objectif est de réduire les coûts de la chaîne « électricité » pour les rapporter à un niveau de compétitivité avec le carbone satisfaisant. Les coûts ne seront cependant jamais égaux, sauf à taxer l’émission de carbone par l’utilisation d’énergie fossile. La convergence des deux mondes ne viendra que si cet équilibre est bien trouvé. De surcroît, il est absolument indispensable d’investir dans les énergies renouvelables. Il ne peut exister un monde d’hydrogène propre sans un investissement massif en amont. Or, aujourd’hui, en Europe, nous n’avons pas à disposition suffisamment d’énergie renouvelable électrique pour pouvoir développer l’hydrogène. Nous devons nous poser une question de stratégie nationale : comment mettre à disposition des industriels de l’énergie électrique renouvelable ?

Enfin, le dernier point a trait à une limite dans le raisonnement. En France, comme dans beaucoup de pays, le raisonnement veut que, dans l’industrie, la fabrication et la production soient nationales, avant exportation. Ce modèle d’exportation – qui est le modèle allemand – est moins applicable dans le monde de l’énergie, dans la mesure où l’énergie est une chaîne. La valeur se répartit tout au long de la chaîne. Reprenons l’exemple précédent. Si les Australiens produisent de l’énergie solaire, la convertissent en hydrogène, liquéfient cet hydrogène et l’exportent, la majeure partie de la valeur de la chaîne reste en Australie. Si un pays comme la France développe ses technologies et est capable de les exporter, un autre type de valeur s’attachera à la chaîne. Il s’agit d’une valeur de technologies exportées. Le modèle à mettre en œuvre en Europe et dans un pays comme la France doit par conséquent intégrer la presque totalité des composantes de la chaîne. Il ne s’agit pas en effet d’un produit, mais

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3506 d’une chaîne énergétique. Le sujet est complexe. Il demande de disposer d’experts qui savent bien où trouver la valeur. La valeur du pétrole se situe par exemple dans le pays producteur et chez l’explorateur producteur. Le raffinage gagne peu d’argent, la distribution moins encore. Dans l’hydrogène, nous devrons réfléchir sur le lieu où se situe la valeur. Quand nous parlons d’emplois et de valeur ajoutée, la question est de savoir agir pour capter en France une grande partie de la valeur de la chaîne de l’hydrogène.

Mme Sophie Primas, présidente. – Merci beaucoup M. le président-directeur général. Je donne la parole à notre rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie », Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. – Madame la présidente, Monsieur le président-directeur général, mes chers collègues, c’est avec plaisir que je retrouve aujourd’hui M. Potier, qui fut l’un des grands témoins de la Feuille de route pour une relance bas-carbone, que j’ai présentée en juin dernier avec nos anciens collègues Roland Courteau et Daniel Dubois.

Comme l’a très justement indiqué notre Présidente, je me félicite que l’hydrogène ait enfin été pris en compte dans le cadre des plans de relance français et européen, dévoilés à l’automne. Notre rôle sera de veiller à ce que ces annonces soient effectivement et efficacement appliquées. Votre propos nous rappelle qu’il ne suffit pas d’afficher des milliards mais qu’il faut en faire bon usage.

C’est l’un des enjeux des travaux de contrôle que notre commission a souhaité engager pour s’assurer de l’application de la loi « Énergie-Climat » et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Ma première interrogation porte sur les différents usages de l’hydrogène.

À l’initiative de notre commission, la loi « Énergie-Climat » a fixé un objectif de 20 à 40 % d’hydrogène décarboné dans la consommation d’hydrogène, industrielle et totale, en promouvant explicitement ses usages « industriel, énergétique et pour la mobilité ».

Or la PPE ne retient qu’un objectif portant sur la consommation d’hydrogène industriel.

Par ailleurs, dans le cadre du plan de relance, 54 % des 2 milliards d’euros de crédits sont orientés vers la décarbonation de l’industrie, 27 % vers la mobilité et 19 % vers la recherche, l’innovation et les compétences.

Cette répartition est-elle optimale ?

Si nous pouvons nous réjouir du soutien alloué à l’industrie, ne pourrions-nous pas agir davantage en faveur du recours à l’hydrogène dans les domaines de la mobilité, notamment collective ou marchande, du gaz, de l’électricité ou du bâtiment ? De nombreuses initiatives émergent localement, en particulier de la part des régions.

Ma deuxième interrogation a trait aux dispositifs de soutien à l’hydrogène.

En application de l’article 52 de la loi « Énergie-Climat », une ordonnance est en cours de publication sur cette filière : elle doit donner une définition à l’hydrogène, instituer un mécanisme de soutien public, assurer sa traçabilité et encadrer son injection et son stockage.

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Dans sa délibération du 24 septembre dernier, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a appelé à ne pas distinguer les différences sources de l’hydrogène – nucléaire ou renouvelable – dans le dispositif de soutien et à revoir les mécanismes de garantie d’origine et de traçabilité.

Avez-vous un point de vue sur cette ordonnance ?

Par ailleurs, nous constatons que l’Union européenne, via ses stratégies et alliances pour l’hydrogène, promeut essentiellement un hydrogène renouvelable, c’est-à-dire produit par électrolyse de l’eau, à partir de sources d’énergies renouvelables ; l’objectif fixé est de 6 gigawatts de capacités installées d’ici 2024 et de 40 gigawatts d’ici 2030.

Ne serait-il pas nécessaire d’encourager également d’autres formes d’hydrogène au niveau européen ?

Je pense à l’hydrogène bas-carbone, produit par électrolyse de l’eau, à partir d’une source d’énergie nucléaire. Certains professionnels plaident, en outre, pour soutenir d’autres types d’hydrogène, dès lors que leur production est associée à des méthodes de captage et de séquestration du carbone.

Ma troisième interrogation concerne la structuration de la filière française de l’hydrogène. Cette filière emploie déjà 2 000 personnes. De plus, elle regroupe de très grandes entreprises dans les secteurs de la fourniture, du transport, de la distribution ou du stockage, mais également de la fabrication d’équipements.

Quelles sont les perspectives de développement de l’hydrogène, en termes d’emplois et de chiffres d’affaires ? Quels sont les secteurs les plus prometteurs ? Quels sont les atouts et les difficultés de la filière française ?

Surtout, comment s’assurer que son développement bénéficie effectivement à l’économie et à l’emploi locaux ?

À cet égard, vos propos sur la captation de la valeur sont extrêmement intéressants.

Enfin, au-delà de l’hydrogène, vous avez identifié de nombreux marchés énergétiques prometteurs dans le rapport évoqué par notre présidente, tels que la décarbonation de l’industrie, les carburants durables, le photovoltaïque ou l’éolien en mer.

Le plan de relance a-t-il tenu toutes ses promesses pour ces filières d’avenir ?

Mme Sophie Primas, présidente. – Je vous remercie.

M. Benoît Potier. – Je reviens sur la répartition des 3 ou 4 milliards d’euros à disposition à hauteur de 54 % vers la décarbonation de l’industrie, 27 % vers la mobilité et 19 % vers la recherche.

Le taux de 19 % vers la recherche me semble adéquat. Nous connaissons assez bien les sujets sur lesquels la recherche doit porter. À titre d’illustration, la production d’hydrogène par électrolyse nécessite de disposer d’un électrolyseur. Nous savons produire des électrolyseurs depuis longtemps. L’électrolyseur le plus commun et le plus fonctionnel, le « tracteur » des électrolyseurs, présente un certain nombre de caractéristiques. Pour être plus

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3508 apte à capter l’énergie, il est nécessaire de passer à une autre technologie, à savoir une technologie à membrane. Le plus gros électrolyseur à membrane en cours de démarrage dans le monde est propriété d’Air Liquide. Il est situé au Canada. Il ne présente qu’une capacité de 20 mégawatts. Vous citiez précédemment des capacités de 6 à 40 gigawatts. 1 gigawatt représentant 1 000 mégawatts, on en est loin ! Sur la membrane, en outre, seuls les Américains, les Canadiens, les Japonais et les Coréens sont aujourd’hui compétitifs. L’Europe doit se mobiliser. Nous cherchons des chimistes français, allemands, européens qui seraient capables de se regrouper dans un consortium afin de faire progresser tout cela rapidement. Toujours est-il que le taux de 19 % vers la recherche me semble correct.

Le taux de 27 % vers la mobilité donne lieu à débat. Tout le monde a rêvé de voitures à hydrogène. Je vous confirme être arrivé ce matin avec une voiture de ce type, coréenne, qui est garée dans la cour du Sénat. Depuis 3 ou 4 ans, je me rends au bureau chaque matin dans cette voiture à hydrogène. Nous réalisons nous-mêmes nos tests grandeur nature ! Nous rêvions d’une mobilité à hydrogène pour les particuliers. Le problème que nous rencontrons toujours est celui de « la poule et de l’œuf » : le nombre de voitures n’est pas suffisant pour justifier l’investissement dans des stations, tandis qu’il n’existe pas un nombre suffisant de stations pour justifier que les constructeurs automobiles développent la production. Cette difficulté n’est franchement pas facile à résoudre. Pour que cela fonctionne, il faudrait reproduire en 5 ans l’équivalent de l’infrastructure pétrolière – stations-service et garages –, que le monde a mis en place en un siècle. Cela est impossible à recréer même en 10 ans. L’ensemble des industriels mondiaux ont décidé par conséquent depuis 2 ans de mettre l’accent en premier lieu sur la mobilité lourde, c’est-à-dire les camions, les bus, les trains, les avions et les bateaux. En termes d’émissions de CO2, les progrès seront considérables. Sur le plan économique, quand vous disposez d’une densité suffisante de production et de consommation d’un produit, dans un dépôt, une gare, un aéroport ou un port, cela vous offre ce qui est nécessaire pour faire avancer un projet tenant à peu près la route. En revanche, 300 voitures roulant 15 000 kilomètres chaque année continuent d’être nécessaires pour à peu près rentabiliser une seule station-service ! Tel n’est pas le cas et ne sera pas le cas à court terme. Nous devons par conséquent nous concentrer sur les transports lourds. Il n’en demeure pas moins que les technologies utilisées dans les transports lourds sont identiques à celles qui seront utilisées dans la voiture. Nous ne perdons donc pas de temps à amorcer les transports lourds à hydrogène. Dans le secteur des trains, nous disposons d’un champion français, Alstom, qui a été le premier à produire des trains à l’hydrogène en Allemagne. La lenteur de la France à avancer dans le domaine des trains constitue néanmoins une déception car nous disposons de tout ce qui est nécessaire : des lignes non électrifiées, des trains au diesel, et le champion national précité. Nous n’avons pas besoin de tester de nouveau pendant 3 ans un train qui a déjà été testé en Allemagne. En tout état de cause, le taux de 27 % dans la mobilité est le mieux adapté en termes de mobilité professionnelle à ce jour. La situation évoluera peut-être plus rapidement. Si tel est le cas, des investissements dans le monde privé interviendront peut-être, avec un effet « boule de neige » qui ne rendra peut-être pas nécessaire le relèvement de ce taux à 30 ou 50 %. Nous verrons. Ce que je sais aujourd’hui, c’est qu’il faut mettre l’accent sur la mobilité lourde.

Dans le domaine de l’industrie, nous devons orchestrer la transition : l’hydrogène se développera si l’hydrogène déjà produit aujourd’hui est rendu propre. Ce point est le plus urgent. Il a un effet bénéfique immédiat sur la planète et un effet accélérant de l’usage de l’hydrogène. Lorsque vous êtes un industriel et que vous consommez du gaz naturel pour faire de la chaleur, dont vous avez besoin dans votre procédé, vous émettez du CO2. Si nous mettons au point les technologies pour utiliser de l’hydrogène à la place du gaz naturel dans le procédé industriel, nous faisons immédiatement un pas en avant correspondant à la conversion

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3509 d’un combustible par un autre. Je suis donc favorable à un taux de l’ordre de 50 % d’usage industriel dès aujourd’hui. Nous pourrions en effet accomplir des progrès immédiats.

Pour démarrer, sur les quelques années qui viennent, les taux précités me semblent donc être positifs.

Concernant les initiatives des collectivités, il existe un danger à voir chaque ville de France « bricoler de son côté ». La production d’hydrogène se fera, non à Paris mais de façon assez décentralisée. En revanche, l’orchestration doit être coordonnée. C’est mon point de vue en tant qu’industriel, pour aller le plus vite et le plus efficacement.

À propos de l’ordonnance issue de l’article 52 de la loi « Énergie-Climat », et les mécanismes de traçabilité et de garantie d’origine, mon point de vue est assez simple. Finalement, que recherchons-nous ? L’objectif est de réduire le CO2 de la planète. Si, au point d’usage, l’hydrogène est utilisé, nous répondons à 100 % au sujet. L’hydrogène est une molécule utilisable directement. L’hydrogène provient d’un moyen de production. Nous remontons la chaîne jusqu’à la production. La question de la garantie d’origine se situe finalement à cet endroit. Après la production, le traçage devient en revanche inutile. Nous ne créerons pas en effet trois réseaux électriques en France – avec trois prises de courant dans chaque appartement ! – parce qu’il y existe une énergie nucléaire, une énergie renouvelable et une énergie fossile : cela n’aurait aucun sens. La traçabilité dans le transport de l’hydrogène, une fois que l’hydrogène a été produit, n’a donc pas de sens. Les efforts ne doivent pas être mis là où l’hydrogène est transporté mais là où il est produit. Il peut être produit, en l’occurrence, à partir d’une énergie primaire renouvelable ou à partir d’une énergie fossile. Je recommanderais que l’on raisonne au niveau de l’Europe. Si nous sommes capables de produire des électrons propres en Espagne et de les transporter pour les utiliser en France, les objectifs climatiques de l’Europe seront atteints. Nous ne devons donc pas tout ramener à une échelle nationale ou régionale. Je pense qu’il faut développer la capacité d’optimisation des réseaux au niveau européen. En tout état de cause, pour l’hydrogène, ne poussons pas la traçabilité le long de la chaîne, mais davantage la garantie d’origine. C’est ma conviction, du bon sens.

S’agissant du nucléaire, j’ai déjà en partie répondu. Je pense qu’il faut faire feu de tout bois. Tous les leviers pouvant être utilisés dans notre transition énergétique, avec une amélioration significative de l’effet sur l’environnement, doivent l’être, notamment le nucléaire. En dehors de la France, beaucoup de pays sont réticents à utiliser l’énergie nucléaire : ce n’est, pardonnez-moi, pas très intelligent. À partir du moment où nous disposons d’une capacité de production d’électricité sans CO2, utilisons-la ! Ce n’est pas antinomique avec une stratégie de long terme posant la question de la place de l’énergie nucléaire. Je suis très clair là-dessus, en tant qu’ingénieur et industriel : quand on dispose de capacités, il faut les utiliser. Je n’ai aucun problème sur ce sujet et pense que la France devrait en faire un atout. On peut même aller plus loin, quitte à être iconoclaste : objectivement et franchement, si l’on peut utiliser des centrales nucléaires que l’on veut arrêter – alors qu’elles peuvent encore fonctionner ! – pour faire de l’électricité, qui serait convertie en hydrogène puis serait stockée, pourquoi s’en priver ? Si le but final est celui de la préservation de la planète, il faut mettre en œuvre les moyens optimaux.

Concernant la création de valeur en France, de nombreux industriels dans beaucoup de secteurs font partie des leaders mondiaux. Nous possédons donc la compétence nécessaire. L’Allemagne ne possède plus d’industrie pétrolière. Nous possédons au contraire une industrie pétrolière. Nous disposons également de gaz et d’électricité. En matière

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énergétique, nous avons par conséquent un grand nombre de compétences. Nous possédons également des technologies pour produire. Air Liquide détient des technologies uniques, le long de la chaîne, pour garantir que l’hydrogène est conditionné et transporté en toute sécurité. Nous maîtrisons la chaîne haute pression gazeuse et la chaîne liquide. Je vous rappelle que la chaîne liquide est utilisée depuis plus de 50 ans dans la fusée Ariane. L’origine de ce carburant est une usine située à Douai qui, depuis une dizaine d’années, produit de l’hydrogène, ensuite liquéfié et transporté par container jusqu’à Kourou. C’est comme cela que nous avons bâti l’industrie spatiale européenne. Évidemment, nous disposons aujourd’hui d’une usine là-bas. Cette chaîne sera absolument indispensable dans la mobilité de demain. Il existe, en outre, une seconde technologie capable de produire du froid à très basse température. Elle permet ainsi de conditionner l’hydrogène en-dessous de sa température de liquéfaction pour le transporter sans que les entrées thermiques – le réchauffement naturel dans les réservoirs et les camions-citernes – ne représentent une difficulté. Nous sommes les seuls au monde à posséder cette technologie et la vendons actuellement dans toute la chaîne d’approvisionnement du gaz naturel liquéfié (GNL). En réalité, nous possédons – avec l’industrie automobile, comme Michelin, Faurecia ou Plastic Omnium, pétrolière, du gaz et de l’électricité – l’ensemble des compétences utiles. Il reste à orchestrer l’ensemble et à agir rapidement dans les décisions prises. C’est pourquoi, en matière de gouvernance, il me semble que le Conseil national de l’hydrogène doit être plus opérationnel que stratégique dans sa création, de façon à avancer rapidement.

La France peut-elle pour autant avancer seule ? Nous ne sommes pas en situation de désavantage vis-à-vis de l’Allemagne. Les entreprises françaises de taille mondiale qui font partie du Conseil mondial de l’hydrogène sont en particulier plus nombreuses que les entreprises allemandes. Cela témoigne de l’intérêt que les Français ont eu dès le départ pour l’hydrogène. En revanche, il existe une mécanique et une méthode allemandes remarquables mais aussi redoutables pour les concurrents. Lorsqu’elles se mettent en place, les Allemands sont d’une efficacité supérieure à la nôtre, en Allemagne comme à l’international. Pour développer une filière, nous devons nous interroger par conséquent – indépendamment des considérations sur l’hydrogène – sur la manière d’orchestrer un développement industriel fort dans un pays comme le nôtre. Nous menons des réflexions avec les industriels et le Gouvernement. Il y a un an, nous avions organisé une réunion de lancement avec Bruno Le Maire et Elisabeth Borne et une dizaine d’industriels membres du Conseil de l’hydrogène. Le pacte productif puis la crise sanitaire ont fait passer au second plan la visibilité de ces réflexions. Les industriels demeurent néanmoins actuellement extrêmement actifs.

Vous m’avez interrogé enfin sur la décarbonation, le plan de relance et le pacte productif. En réalité, les réflexions que nous avions menées dans le cadre du pacte productif étaient très larges car nous devions faire le tri entre énormément de technologies. Dans les 10 marchés clés, l’hydrogène est ressorti. Je suis resté neutre. Mon rôle de président de ce groupe de travail ne devait pas me conduire en effet à pousser l’hydrogène. L’hydrogène est malgré tout ressorti comme un de ces 10 marchés clés. Depuis lors, les industriels ont travaillé. L’écoute du Gouvernement a été bonne. Vous avez raison d’indiquer que cela n’a pas toujours été le cas : il existait une curiosité il y a 5 ans mais aussi un doute. Nous avons navigué entre cette curiosité et ce doute pendant un long moment ; le président de la République était très intéressé mais le système a mis un peu de temps à se mettre en marche. Je pense qu’il existe aujourd’hui une unanimité au sein du Gouvernement, chez les industriels, au Sénat et à l’Assemblée nationale pour affirmer que la filière a un avenir et que l’on a intérêt à y investir.

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Mme Sophie Primas, présidente. – Je vous remercie, Monsieur le président-directeur général. La parole est aux membres de la commission.

M. Jean-Marie Janssens. – Le président de la République a annoncé dimanche la tenue d’un référendum pour introduire à l’article premier de notre Constitution les notions de biodiversité, d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Dans ces domaines, si les mots sont importants, seuls les actes comptent. En matière de transition énergétique, nous ne pouvons plus perdre de temps et il faut avancer sur des solutions concrètes et durables. C’est le sens du travail conduit par nos fleurons industriels, français et européens.

Le développement de l’hydrogène, notamment en matière de mobilité, apparaît comme un enjeu crucial pour la planète. Dans la perspective de la transition énergétique, la capture et le stockage de CO2 pour la production d’hydrogène sont primordiaux. Certains de nos voisins européens, notamment les pays nordiques, se penchent sur cette question et sur les technologies mises au point. Pouvez-vous nous parler des avancées de la France et de votre groupe dans le domaine ?

M. Franck Montaugé. – Monsieur le président_directeur général, je vous remercie de votre exposé très pédagogique sur un sujet aussi complexe. J’ai deux questions à vous poser, l’une technique, l’autre politique. Du point de vue technique, vous avez classé les différents modes de production en fonction du type d’énergie primaire. Je pense que cette classification donne lieu à des rendements différents selon les cas de figure. Je souhaite vous interroger sur l’utilisation de l’hydrogène pour l’aviation. Considérez-vous que cette énergie permettra de relancer l’aéronautique dans des conditions d’impact environnemental satisfaisantes ? Pensez-vous que la propulsion aéronautique pourra s’opérer exclusivement par l’utilisation de l’hydrogène ? Serons-nous, dans un premier temps, dans une situation hybride avec l’usage de biocarburants, d’une part, et d’énergie à base d’hydrogène, d’autre part ?

Par ailleurs, vous appelez à une réflexion politique de fond sur les orientations et la structuration de la filière, avec fixation de la valeur ajoutée dans l’industrie nationale. Ce sujet ne mérite-t-il pas un débat national, avec une implication forte du Parlement français, pour par exemple suivre les PIIEC, actualiser à terme la PPE – car elle ne prend pas en compte aujourd’hui les apports de l’hydrogène – ou trouver des réponses à la question des équipements territoriaux ? En résumé, la souveraineté nationale et européenne en matière d’énergie passe-t-elle de manière déterminante par cette filière hydrogène ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Monsieur le président-directeur général, vous êtes, depuis plusieurs mois, l’un des seuls dirigeants d’entreprise que je n’ai pas entendus se plaindre pour son entreprise de la situation sanitaire mondiale. Je vous en remercie. Je vous remercie également de la clarté de vos propos. Vous avez la faculté à rendre simple ce qui est compliqué.

Nous avons beaucoup parlé de l’hydrogène. Je souhaiterais que vous reveniez sur le biométhane et la production de gaz naturel, s’agissant notamment des investissements que vous avez récemment réalisés en Italie. Quelles sont selon vous les perspectives de cette source d’énergie ? De manière plus globale, comment cette source d’énergie s’inscrit-elle dans les objectifs climatiques d’Air Liquide ?

M. Laurent Somon. – Il semble que l’hydrogène le moins coûteux soit celui qui provient des raffineries de pétrole ou des réformeurs de gaz naturel. Vous avez indiqué que

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3512 l’hydrogène produit nécessite une importante production d’énergie renouvelable. Vous avez en revanche semblé interrogatif sur la connaissance exacte que nous avons de la stratégie nationale en matière de production, notamment au niveau de la source, de la transformation et des usages de l’hydrogène. N’existe-t-il pas un décalage entre cette stratégie nationale et les stratégies en matière d’énergies renouvelables, en particulier dans le domaine de la méthanisation, qui pourrait se révéler intéressante pour produire de l’hydrogène, tandis qu’elle semble écartée par le Gouvernement dans les systèmes de chauffage des logements neufs ? Existe-t-il ainsi une possibilité de développement de ces énergies renouvelables dans le cadre de la production future d’hydrogène ? Dans un même ordre d’idées, quelles sont les capacités de stockage aujourd’hui de l’hydrogène qui pourrait être produit ? Quel est l’objectif de l’appel à projets lancé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ? Vous avez indiqué que les projets territoriaux ne devaient pas devenir un patchwork. Quel rôle assume votre société dans cet appel à projets ?

M. Bernard Buis. – Les investissements publics dans l’hydrogène vert sont actuellement en forte hausse, notamment en Europe, car cette technologie semble mature pour décarboner certains secteurs d’activité, comme l’industrie et les transports. La France va ainsi allouer 2 milliards d’euros à l’hydrogène vert dans son plan de relance et 7 milliards sur 10 ans. La Commission européenne ambitionne que l’hydrogène vert couvre 12 à 14 % des besoins énergétique d’ici à 2050.

Dans le domaine des transports publics, Versailles, Pau et Lens font figure de précurseurs en matière de bus publics à hydrogène. Vous participez à cette stratégie au titre de l’approvisionnement et de la distribution d’hydrogène. Pouvez-vous nous préciser si, avec l’appui des aides du plan de relance, nos mobilités publiques pourront à terme se tourner rapidement vers un déploiement massif des bus à hydrogène, en vue de la neutralité carbone ?

M. Daniel Salmon. – Vous parliez précédemment de l’électrolyseur par membrane à échangeur de protons. Quels avantages en termes de rendement présente-t-il par rapport aux électrolyseurs classiques alcalins ? Il s’agit d’un sujet crucial. Par ailleurs, est-il selon vous plus important de transporter de l’électricité pour produire de l’hydrogène ou de produire de l’hydrogène à proximité de la source de production d’électricité ? Vous indiquiez également que l’hydrogène fabriqué à partir d’une énergie primaire fossile émettait moins de CO2 que l’énergie fossile utilisée directement. Pouvez-vous nous fournir davantage de détails sur le sujet ? Je n’ai pas compris votre analyse.

M. Yves Bouloux. – Monsieur le président-directeur général, je vous remercie de vos propos particulièrement judicieux. Le Gouvernement a annoncé un plan pour la filière hydrogène doté de 7 milliards d’euros d’ici à 2030, dont 2 milliards d’euros pour 2021-2022. Vous nous avez indiqué que cette somme est suffisante, ce qui nous rassure. Mais comment pensez-vous organiser cette filière d’avenir entre l’État et les industriels ?

Mme Sylviane Noël. – Je souhaite revenir sur vos propos concernant la nécessité de produire un hydrogène vert. La première source d’électricité renouvelable de notre pays provient de l’énergie hydraulique. La France détient d’ailleurs le deuxième plus grand parc européen de barrages. Ne pensez-vous pas que ces barrages devraient être davantage utilisés pour la fabrication demain d’un hydrogène propre et parfaitement décarboné ?

Mme Florence Blatrix Contat. – Merci Monsieur le président-directeur général de votre exposé en effet très clair. L’hydrogène constitue un véritable espoir en matière de mobilité. Je souhaite vous interroger sur le besoin de coordination. Dans ma région, la région

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Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons mis en place le projet Zero Emission Valley, qui concerne le déploiement de 20 stations d’hydrogène et d’une flotte de 100 véhicules à haute intensité d’utilisation, tels que les taxis. Cela contribuera à lutter contre la pollution de l’air, qui est très importante dans notre région. Comment coordonner les initiatives des différentes régions ? La question infrarégionale se pose également. Je pense aux collectivités, aux communautés de communes et d’agglomérations, qui installeront des bornes de recharge pour l’électricité. N’est-il pas possible de penser ces déploiements de manière globale et en prenant en compte les échéances d’installation de bornes à hydrogène ? Comment, en résumé, travailler avec l’ensemble des collectivités pour se projeter à 10 ou 20 ans et développer un réseau de recherche ?

M. Pierre Louault. – Qu’attendez-vous de la France et de son Gouvernement pour permettre au savoir-faire unique d’Air Liquide de capter, dans notre pays, la valeur de la chaîne hydrogène ?

M. Fabien Gay. – J’ai deux questions précises sur les investissements lourds attendus. Dans l’aviation, par exemple, pour que l’ensemble des départs d’avions de l’aéroport Charles-de-Gaulle s’opèrent en utilisant l’hydrogène, 2,5 centrales nucléaires ou 3 200 éoliennes seraient nécessaires. Sur 15 ans, pour passer à de l’hydrogène propre, 9 milliards d’euros seraient à investir. Nous devons avoir par conséquent un débat sur la manière de produire, mais également sur les investissements. Je pense que nous devrons nous montrer extrêmement offensifs sur cette question.

Par ailleurs, de l’électricité est nécessaire pour produire de l’hydrogène. Un débat est mené actuellement sur l’entreprise publique EDF. Restera-t-elle une entreprise intégrée ? Le problème est que l’on va maintenir dans le giron public les éléments demandant des investissements lourds, tandis que les secteurs rapportant de l’argent immédiatement seront privatisés. EDF sera ainsi privée de sa capacité à innover et à investir, notamment dans le nucléaire pour le sécuriser ou le renouveler. Vous êtes un grand industriel et savez que l’électricité est liée à notre compétitivité. Comment appréciez-vous ce projet ? Partout où elle a été conduite, la libération du marché a conduit à augmenter les coûts de l’énergie, notamment en Californie où cela s’est terminé par des black-out énergétiques à répétition.

M. Olivier Rietmann. – Monsieur le président-directeur général, les explications extrêmement intéressantes et précises que vous nous avez apportées m’incitent à m’interroger sur l’avenir du véhicule électrique. Depuis un certain nombre d’années, des capitaux très importants ont été investis dans ces types de véhicule. Le développement du véhicule à hydrogène mettra-t-il fin au véhicule électrique ? Devons_nous continuer à investir dans le véhicule électrique ? N’aura-t-il été qu’un trait d’union entre les véhicules à énergie fossile et les futurs véhicules à hydrogène ?

M. Christian Redon-Sarrazy. – J’ai deux questions à vous poser. La première concerne la rentabilité d’une station, que vous situez à 300 voitures accomplissant 15 000 kilomètres chaque année. Quelles sont les perspectives d’abaissement de ce seuil et à quelle échéance ? Ma seconde question porte sur le lien entre le stockage d’énergie électrique et l’hydrogène. Nous avons aujourd’hui un dilemme car nous produisons de l’énergie à un moment où nous ne rencontrons pas de pics de consommation. L’hydrogène peut-il constituer une manière de répondre à ces questions ?

M. Jean-Claude Tissot. – À votre avis, l’engagement des constructeurs français est-il suffisant pour assurer la rentabilité des stations ? L’engagement pris pour le « tout

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électrique » risque-t-il au contraire d’aboutir à une impasse ? Est-il encore temps de prendre un virage pour s’orienter vers un développement plus général de l’hydrogène ?

M. Daniel Laurent. – Je vous remercie de votre exposé, Monsieur le président-directeur général. L’État, les politiques, la presse en France ne sont-ils pas un peu coupables de faire rêver les Français sur l’hydrogène, « produit miracle », tandis que les objectifs en la matière ne sont pas immédiatement atteignables, avec des coûts de surcroît extrêmement élevés, comme dans un « marché de dupes » ?

M. Benoît Potier. – Vous m’avez interrogé sur les technologies de capture et de séquestration du carbone. Le sujet a été immédiatement dérangeant car il concerne le monde du carbone. Le sujet, d’un point de vue politique, est un peu mis de côté. Nous avons en effet l’envie de nous positionner dans le monde nouveau, ce monde propre. Je ne pense pas cependant que nous parviendrons à vivre dans un monde propre si nous ne sommes pas parvenus à traiter correctement, en grande partie, le monde d’aujourd’hui. Je rappelle qu’aujourd’hui, une grande partie de l’hydrogène produit est à destination du raffinage dans le monde. L’objectif est de retirer le soufre, qui est un polluant. L’arbitrage s’opère entre la santé et le climat. Il n’est pas possible de simplement décider d’un trait de plume de se débarrasser du vieux monde pour en créer un autre. Les technologies de capture et de séquestration du carbone sont donc importantes et utiles. Elles ne sont pas très visibles, car elles ne sont pas politiquement correctes. Elles sont développées par des industriels, y compris des industriels français. Il existe deux grandes voies pour capturer le carbone. La première passe par l’utilisation de la chaleur et des amines. La seconde, créée par Air Liquide sur ses capitaux en Normandie, recourt au froid. Nous possédons les moyens de capturer le carbone. En revanche, la chaîne pour le conditionner, l’apporter dans les ports et le réinjecter dans des endroits où il peut l’être de façon sûre et à long terme manque encore. L’objectif est d’utiliser les champs de pétrole dont les hydrocarbures ont été extraits pour y réinjecter du CO2. Après tout, c’était le lieu de stockage premier du carbone ! Ce dispositif est réaliste. Il est étudié actuellement par les pétroliers.

Vous m’avez interrogé sur la place du Nord de l’Europe. L’ensemble des industriels français compétents sont associés à des industriels internationaux pour mener de grands projets situés essentiellement à Anvers, Rotterdam, en Norvège et dans un certain nombre d’autres endroits du Nord de l’Europe encore à l’étude. Dans les 5 années qui viennent, nous mènerons des projets de capture et de séquestration du carbone qui mettront l’Europe en pointe sur ces sujets d’achèvement du cycle du carbone. Je ne suis pas inquiet. Simplement, le politique doit soutenir les industriels.

Pour répondre à la dernière question, nous ne rêvons pas. Nous rêverions si nous cherchions à bannir l’existant pour nous diriger vers le monde du futur. C’est impossible. Nous devons le faire comprendre aux politiques comme aux citoyens.

Devons-nous imaginer un monde exclusivement hydrogène ou hybride ? La réponse est un monde hybride. J’envisage un monde dans lequel l’hydrogène pénètre dans l’aviation par le biais des taxis volants, des avions de petite taille régionaux qui, fonctionnant à hélices avec des moteurs électriques, peuvent transporter de l’hydrogène et produire de l’électricité à bord. Ensuite, le marché pourrait éventuellement être étendu à l’avion de type A320, qui est très diffusé dans le monde entier et présente une excellente capacité pour l’ensemble des transports domestiques. En revanche, je vois davantage les avions de grande taille qui utilisent du fuel aujourd’hui recourir aux biocarburants dans un futur proche. Il est nécessaire, en l’occurrence, d’entrer dans la segmentation des différents secteurs pour

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3515 comprendre que l’évolution ne sera pas soudaine. La pénétration doit être progressive. Certains actifs, certains modes de déplacement doivent commencer à utiliser de l’hydrogène.

La PPE doit-elle davantage prendre en compte l’hydrogène ? Oui, je le pense. Il faut faire entrer l’hydrogène comme une énergie à part entière dans le mix de la France. Aujourd’hui, si vous regardez les statistiques de Réseau de transport d’électricité (RTE) France, l’hydrogène ne figure pas parmi les différents modes de production d’électricité en France. C’est trop tôt mais il faudra bien faire évoluer les mentalités. À nouveau, comme l’électron, l’hydrogène n’est qu’un intermédiaire, même s’il est plus matériel. Il faut donc le faire entrer, non comme une énergie primaire, mais comme un vecteur énergétique.

Vous avez tous posé la question de la valeur ajoutée. Elle est essentielle. Il nous faut une vraie réflexion sur « où est la valeur ? » et « comment l’orchestre-t-on ? ». Le pire serait de reproduire l’erreur que l’Europe a faite sur les panneaux solaires, c’est-à-dire de subventionner le développement de technologies mondiales sans en avoir le retour par une captation de la valeur. J’ai le sentiment, par ailleurs, que la souveraineté de la France passe par l’hydrogène. La France a notamment l’avantage d’avoir accès à l’eau. L’hydrogène vient de l’eau. Un pays sans eau n’a pas d’hydrogène.

Le sujet du biométhane n’est pas très visible en France, alors que d’autres pays sont bien lancés. Il se trouve qu’Air Liquide est présent sur ce sujet. Nous possédons en effet une technologie très compétitive de transformation du biogaz, à partir de ce qui sort du digesteur. Le biogaz n’a pas la qualité du biométhane, qui se retrouve dans les tuyaux de gaz naturel. Pour acquérir cette qualité, il doit être transformé pour en retirer certains produits – l’azote ou le CO2. Il peut ensuite être comprimé et injecté dans les réseaux. Nous possédons les technologies à membrane nécessaires, qu’Air Liquide a développées à partir d’une collaboration avec du Pont de Nemours qui date d’il y a 30 ans. On ne peut s’improviser créateurs de technologies. Nous ne sommes pas les seuls au niveau mondial mais notre technologie est très bonne. Le biométhane constitue aujourd’hui une excellente solution pour produire de l’hydrogène renouvelable à bas coût. Il est en revanche en très faible quantité par rapport aux besoins énergétiques. Nous ne sommes pas capables actuellement d’être autosuffisants en hydrogène en France par le biais du biométhane ; nous pouvons néanmoins aider l’équation générale en assurant la promotion du biométhane, en convertissant du biogaz en biométhane et en injectant ce biométhane dans les réseaux de gaz naturel. J’ajoute la même remarque que tout à l’heure : une fois la molécule de méthane obtenue, elle est mélangée dans les réseaux de gaz naturel ; si la garantie d’origine est utile, ce ne serait pas le cas d’un mécanisme de la traçabilité ou de réseaux spéciaux pour le biogaz ! En tout état de cause, le monde sera hybride. Nous avons annoncé des investissements en Italie. Nous avons cependant également investi en France, au Royaume-Uni et dans le nord de l’Europe. Nous disposons de stations-service permettant de comprimer et de transporter ce biométhane pour le distribuer auprès de camions fonctionnant au gaz naturel. Nous avons l’expérience de cette chaîne, qui fonctionne.

Vous avez posé une question sur les capacités de stockage existantes. L’hydrogène se stocke dans les cavernes que nous utilisons déjà aujourd’hui pour le gaz naturel. Les réseaux de gaz naturel français sont connectés à un certain nombre de cavernes, qui sont des réservoirs stratégiques. Les réserves de la France sont en partie des cavernes souterraines. Ces cavernes sont souvent creusées dans des couches de sel situées à 2 kilomètres de profondeur et aménagées en créant une sorte de bulle à l’intérieur de cette couche solide. Un réservoir cylindrique est créé en injectant de l’eau et en dissolvant le sel. La bulle rigide devient comme un réservoir très solide. Nous sommes capables ainsi d’injecter

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3516 l’hydrogène et de le ressortir. Ces technologies fonctionnent. Nous possédons la plus grande caverne d’hydrogène au monde. Elle est située au Texas. Elle est connectée à notre réseau de pipelines. Nous injectons de l’hydrogène dans ce réseau quand le prix du gaz naturel est peu élevé ou quand nous en avons en excédent. Nous ressortons l’hydrogène en cas de pointe chez les clients.

L’objectif demain sera d’utiliser l’électricité intermittente, c’est-à-dire celle qui peut être produite, mais qui n’a pas de valeur. Parfois, en effet, un électricien paie pour se débarrasser de ses électrons. La valeur peut ainsi être négative. C’est tout le paradoxe des énergies renouvelables. L’objectif serait de construire suffisamment de stockage connecté au réseau de façon à pouvoir utiliser l’électricité intermittente et à stocker l’hydrogène à un coût très compétitif, puisque la valeur de l’électricité initiale est nulle. À l’inverse, l’hydrogène est très cher quand la valeur de l’électricité intègre le coût des réseaux. De la sorte, il existe une flexibilité au système considérable, dès lors que nous avons réalisé les investissements de production, puisque nous pouvons stocker l’intermittence.

En revanche, les batteries ne permettent pas l’intermittence. La grande difficulté des batteries actuelles est une difficulté de stockage sur le long terme. Une batterie se décharge, à l’image d’un téléphone ou d’un ordinateur. Elle ne permet de stocker de l’électricité que sur une semaine environ. Il n’existe pas de technologie de batteries permettant un stockage sur une longue période. L’hydrogène est une molécule qui se stocke dans des cavernes et peut être conservé pendant une ou plusieurs saisons. Le réservoir est étanche durant un siècle.

Sur le plan de la souveraineté, si la France dispose de capacités de stockage stratégiques, on peut envisager qu’une partie de notre indépendance passe par une bonne gestion de l’énergie. La seule façon de stocker l’énergie, c’est actuellement d’utiliser l’eau des barrages. Si l’on construit « le barrage du XXIe siècle », c’est-à-dire le réservoir d’hydrogène, nous disposerons d’un second mode de stockage.

Je pense qu’il s’agit d’un des motifs pour lesquels l’hydrogène, après une période où nous avons « prêché dans le désert », s’est finalement imposé comme une solution intéressante, du fait de la capacité de stocker le renouvelable et l’intermittent.

Vous m’avez interrogé sur l’avantage de l’électrolyseur à membrane (Proton Exchange Membrane – PEM), développé à Bécancour au Canada, par rapport à celui à l’alcalin, que j’ai qualifié de « tracteur ». Avec l’alcalin, une solution liquide est nécessaire pour générer le courant à partir d’un échange d’ions et de protons. La procédure est lourde et peu réactive. Elle nécessite de surcroît de grandes surfaces. Le coût est en revanche peu élevé puisque la solution est déjà développée. Le rendement est bon. La difficulté vient réellement de l’usage et de la surface, donc des investissements. La technologie à membrane, quant à elle, n’est pas liquide. En outre, elle est réactive : vous pouvez l’ouvrir et la fermer comme un interrupteur classique. Il reste en revanche à en améliorer le rendement, moins bon que celui de l’alcalin aujourd’hui. J’ajoute également que la technologie à membrane permet de produire de l’hydrogène sous pression, au contraire de l’alcalin. Or les usages de l’hydrogène demandent systématiquement de mettre l’hydrogène sous pression pour l’injecter dans une bouteille ou pour le liquéfier. Il est très intéressant de pouvoir économiser cette pression, actuellement d’une dizaine de bars et bientôt d’une trentaine, à un coût nul. D’autres technologies, encore dans les centres de recherche, pourraient bientôt voir le jour : leur maturité technologique (Technology Readiness Level – TLR) est de 5, contre 8 pour arriver sur le marché. En somme, l’alcalin existe déjà, nous croyons beaucoup à la PEM et les

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3517 technologies ultérieures seront moins chères, avec un rendement légèrement inférieur à la PEM mais une efficacité économique beaucoup plus grande.

Les sommes sont-elles suffisantes ? Comment l’État doit-il s’organiser avec les industriels ? Si j’avais une vision précise, je vous l’aurais donnée. Simplement, l’argent a été investi. Il existe donc une volonté d’agir. En outre, les industriels sont moteurs donc il faut les laisser faire ce qu’ils savent faire. Les consortiums et les organisations sont par conséquent à promouvoir. Il en existe une en France, France Hydrogène. Des groupements se sont également mis en place ce qui signifie – c’est une bonne nouvelle ! – que les industriels se préparent à investir. Pour ma part, j’ai souhaité, pour la France, que les sommes soient investies efficacement et judicieusement. De ce point de vue, les politiques doivent se faire accompagner de personnes qui connaissent le sujet. Ils ne peuvent pas raisonner sous l’angle strictement politique. Le Conseil national de l’hydrogène pourrait par exemple assumer un rôle d’expertise et d’accompagnement, à l’image d’un conseil d’administration dans une entreprise. Ma recommandation serait de l’orienter davantage vers l’opérationnel et de réfléchir à la manière d’orienter ses travaux, avec par exemple la présentation d’un rapport régulier à une autre instance, dans une gouvernance à deux niveaux.

L’énergie hydraulique est déjà utilisée au maximum. Faire de l’hydraulique revient à faire du renouvelable, et donc à produire de l’hydrogène.

Vous avez posé une question sur la Zero Emission Valley. Vous avez mis en évidence le fait que certaines initiatives régionales ont déjà lieu. Elles sont positives. Comment les orchestrer au niveau régional pour les rendre bénéfiques dans une stratégie intelligente au niveau national ? Ma réponse est la suivante. À ce jour, un grand nombre de personnes investissent dans la mobilité. Ma recommandation serait d’investir prioritairement dans la mobilité professionnelle, c’est-à-dire les bus, les dépôts, les trains, où il existe un intérêt industriel et économique. De la sorte, vous aidez l’environnement, la région et les industriels. Il est nécessaire en revanche de limiter les investissements à caractère de communication, par exemple, la création d’une station sans disposer des 300 voitures assurant sa rentabilité. La réflexion, dans les régions, doit porter sur de vrais projets industriels. L’État et la stratégie nationale peuvent aider. Le niveau national aura en effet réalisé des études sur ces sujets. Dans la vallée du Rhône, si de l’hydrogène est disponible grâce à l’industrie, notamment de la chimie, il est opportun de le récupérer, le purifier et le mettre à disposition. Dans ce cas de figure, vous aidez la filière hydrogène à se développer. Mais il faut éviter la dispersion de petits projets.

Concernant l’antagonisme supposé entre batteries et hydrogène, il se trouve que l’hydrogène dans un véhicule est de l’électricité. Nous ne brûlons pas l’hydrogène ; nous l’utilisons pour fabriquer l’électricité. Il s’agit par conséquent de véhicules électriques. Il n’existe pas d’antinomie. Seul le stockage de l’énergie à bord varie, avec soit une batterie, soit un réservoir d’hydrogène et une pile à combustible. Je pense que le futur s’écrira avec de l’électrique à batterie pour un certain type de mobilité, la mobilité de ville ou la mobilité n’excédant pas 100 kilomètres, avec une difficulté pour équiper les villes de bornes de recharge car il faut amener des mégawatts dans les villes, ce qui suppose de revoir tous les réseaux et de consommer énormément de mètres carrés. Je pense que nous nous rendrons compte rapidement que la mobilité sur batterie pour l’ensemble des véhicules, affichant des limites, doit être intelligemment réservée où elle a un sens. Quand on dispose d’une maison dans la campagne avec une prise électrique et un garage, on finance soi-même son investissement. Nous ne sommes pas dans une même logique et cela ne saurait être universel. Pendant ce temps-là, l’hydrogène se développera dans les transports lourds. Les piles à

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3518 combustible se démocratiseront. Les prix diminueront. Les centres de production seront concernés. Par exemple, un investissement de 9 milliards d’euros pour l’aéroport Charles-de-Gaulle a un sens si l’ensemble de l’aéroport est converti à l’hydrogène. Nous commencerons cependant par les transports au sol qui émettent énormément de CO2, mais peuvent être convertis : les voitures qui circulent sur les aéroports, les chariots élévateurs, les tracteurs d’avions... Ensuite, nous développerons les taxis volants à hydrogène, avant de passer aux avions de ligne. Un plan doit être orchestré entre la batterie et l’hydrogène.

Il ne me semble pas que nous assistions à la fin du véhicule à batterie mais il faut développer les infrastructures. Je ne pense pas que le monde ait mis des centaines de milliards d’euros d’investissements dans les batteries et les stations de recharge mais il est en train de le faire. Il faut réfléchir à le faire intelligemment, d’abord là où c’est justifié. Nous devons nous poser les questions suivantes : quelles infrastructures, pour quels usages et sur quels périmètres ? Nous devons trouver un équilibre entre les besoins d’aujourd’hui et ceux de demain.

Vous avez posé beaucoup de questions sur la rentabilité des stations. Nous devons construire un plus grand nombre de stations, en premier lieu pour les transports lourds ou pour les flottes captives. À titre d’illustration, nous avons à Paris une flotte captive de taxis à hydrogène – Hype –, à l’initiative d’un entrepreneur, d’Air Liquide et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous disposions de 140 taxis, contre 5 au départ, et nous envisageons d’en développer 600 – qui font plus de 15 000 kilomètres chaque année. Quand nous disposerons notamment d’un nombre suffisant de taxis, une infrastructure à hydrogène aura un sens au niveau de l’agglomération parisienne, de surcroît si l’ensemble est couplé avec les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et d’Orly et avec du transport fluvial à hydrogène. Les stations peuvent ainsi trouver les autres transports comme débouchés. La question du coût de la station est en réalité, une fausse question, si nous parvenons à trouver les usages adaptés et la concentration de ces usages.

Je reviens à votre question sur le rêve. Je crois au marché. Je ne pense pas que le vrai marché soit un « marché de dupes ». Il est simplement de notre devoir et de notre responsabilité d’informer et de ne pas diffuser des fake news. Il s’agit d’un vrai sujet. Dans le Conseil mondial de l’hydrogène, la communication et la transparence ont été les premiers points identifiés. Nous avons besoin de nous montrer transparents et de communiquer pour que les personnes s’inscrivent dans un raisonnement de long terme. D’ici à 2050, nous n’aurons pas tout de suite une voiture à hydrogène mais nous disposerons de la capacité de développer une première, une deuxième puis une troisième phase de l’hydrogène : l’enfance, l’adolescence, puis l’âge adulte. Trois décennies sont devant nous, et nous sommes dans l’enfance !

Mme Sophie Primas, présidente. – Monsieur le président-directeur général, le Sénateur Laurent Somon souhaite que je vous repose la question de l’implication d’Air Liquide dans l’appel à projets de l’Ademe. De son côté, le Sénateur Fabien Gay souhaiterait obtenir une réponse à sa question sur EDF.

M. Benoît Potier. – Comme tout industriel, Air Liquide répond aux appels à projet. Nous répondons aux appels à projet qui correspondent à une stratégie industrielle la plus économique possible. Je pense qu’il est extrêmement satisfaisant que l’Ademe ait réalisé ces appels à projet, pour une sensibilisation au sujet. Il y a 5 ans, je ne pouvais pas prononcer le terme d’« hydrogène » sans que soit évoqué celui de « sécurité ». Je n’ai pas honte de le prononcer car c’est aussi un grand sujet. J’utilise tous les jours une voiture à hydrogène,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3519 connais les technologies, et n’ai pas de difficulté avec ce sujet. Nous nous situons sur des sujets importants sur lesquels l’Ademe fait son travail. En revanche, je mets un peu en garde contre les très petits projets qui sont à orientation politique beaucoup plus qu’industrielle. Je suis un industriel et défendrai toujours la technologie et l’économie.

S’agissant du rôle d’EDF, nous vivons actuellement une électrification massive du monde. Nous aurons donc besoin de l’électricité déjà produite, mais également de beaucoup plus d’électricité. L’électricité qu’EDF produit aujourd’hui est en grande partie nucléaire par choix. EDF se développe également dans les énergies renouvelables. En tout état de cause, nous devons absolument éviter un affaiblissement de la capacité de production de l’électricité en base en France, car nous utiliserons de plus en plus d’électricité. Le premier objectif d’EDF doit être de sécuriser sa base et d’assurer son développement. Une autre partie de l’énergie est intermittente et peut donner lieu à des solutions complémentaires, avec l’hydrogène stocké. EDF ou l’État doivent-ils intervenir dans ces projets-là ? J’ai un point de vue d’entreprise privée même si mes premières propositions d’embauche étaient EDF et GDF. Je crois aux rôles complémentaires. EDF est un acteur extrêmement important en France et à l’extérieur. Je crois au développement d’une filière complémentaire plus agile, avec un autre horizon. L’hydrogène n’est pas seulement l’électricité. Il est plus versatile et complexe. Il présente de nombreux usages. Je pense que chacun doit tenir son rôle.

Mme Sophie Primas, présidente. – Je vous remercie, Monsieur le président-directeur général. Il est extrêmement satisfaisant d’achever l’année avec une audition aussi passionnante, qui nous donne des perspectives d’avenir. J’ai retenu de vos réponses que la transition était un mot-clé, en acceptant le temps long, des investissements et de la recherche. C’est probablement un sujet de société sur lequel nous sommes tous désireux de trouver de la paix et de la sérénité. Vos propos donnent foi en la science, la recherche et l’avenir et, pour cela, nous vous remercions infinement.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de MM. Patrick Artus et Olivier Pastré, économistes et auteurs de « L’économie post-Covid » (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3520

Désignation d’un rapporteur

La commission désigne M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la proposition de loi n° 217 rect. (2019-2020) de M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS).

Mme Sophie Primas, présidente. – L’inscription de ce texte à l’ordre du jour sera actée par la prochaine Conférence des Présidents, avec une demande d’examen selon la procédure de législation en commission (LEC). La date de réunion de cette LEC devrait être fixée au mercredi 27 janvier à 8 h 30 en salle Médicis. Le délai de dépôt des amendements est le lundi 25 janvier à 12 h 00.

Par ailleurs, dans le cadre de la reconstitution du groupe de travail sur l’espace, qui est commun avec la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notre commission doit nommer trois membres. Je vous propose les candidatures de Franck Montaugé, Anne-Catherine Loisier et moi-même pour siéger au sein de ce groupe de travail. Il en est ainsi décidé.

Je vous remercie.

La réunion est close à 11 h 30.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3521

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES

Mercredi 9 décembre 2020

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

Bilan et perspectives de l’opération Barkhane - Audition, depuis Njaména, du général de brigade Marc Conruyt, commandant de l’opération Barkhane (Comanfor)

M. Christian Cambon, président. – Mon général, merci d’avoir accepté cette audition en direct du PC de la force Barkhane à Ndjamena – dans de bonnes conditions de transmission. Je rappelle que vous commandez Barkhane depuis juillet dernier, à la suite du général Pascal Facon, que nous avions auditionné le 9 juillet, quelques jours avant la fin de son mandat.

Avant toute chose je souhaite, au nom de tous les membres de notre commission, rendre hommage aux 5 100 soldats qui combattent sous vos ordres, avec une pensée particulière pour ceux qui ont perdu la vie pour les très nombreux blessés. Nous sommes conscients du courage et de l’abnégation qui vous sont demandés, à vous-même ainsi qu’à vos hommes, pour mener à bien cette mission extrêmement difficile qui consiste à accompagner nos partenaires sahéliens dans leur combat contre le terrorisme. Nous avons suivi avec fierté les succès importants et significatifs de Barkhane depuis le sommet de Pau et, en particulier, depuis la fin de l’été, avec l’opération Bourrasque et ses suites.

La première question que nous nous posons est celle de l’état de la coordination avec les forces armées maliennes (FAMa), la force du G5 Sahel et, plus généralement, les armées des autres pays du Sahel. C’est en effet l’élément-clef pour l’avenir, puisque l’objectif est d’accompagner ces forces vers l’autonomie : la France n’a pas vocation à rester éternellement au Mali ! Quelle appréciation portez-vous désormais sur la qualité et les capacités de ces forces ? L’objectif de réinstaller l’armée malienne sur le terrain, en particulier dans les postes frontières du Liptako et du Gourma, est-il en passe d’être atteint ? Nous souhaiterions également avoir votre retour sur la force Takuba, devenue opérationnelle depuis l’audition de votre prédécesseur, avec l’intégration des Estoniens puis des Tchèques et bientôt l’arrivée des Suédois.

Pourriez-vous, dans un second temps, revenir sur les opérations militaires menées depuis septembre ? Quel bilan faites-vous de l’opération Bourrasque, qui a précisément permis de tester la coopération avec les FAMa, l’armée nigérienne, les alliés, Takuba, avec également la présence d’une Unité légère de reconnaissance et d’intervention (URLI) malienne ? Quel bilan pour les opérations menées ensuite en novembre avec l’élimination de Bah Ag Moussa, chef militaire du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), le 10 novembre, et la neutralisation de plusieurs dizaines de djihadistes ?

Au total, peut-on dire que les Groupes armés terroristes (GAT) ont été durablement affaiblis ? En un mot, les derniers mois ont-ils permis, comme le souhaitait le général Facon, de « mettre les GAT à la portée des forces partenaires et de la force conjointe » ? Je rappelle à cet égard que le commandant de la force conjointe vient justement de juger risquée une réduction de l’effectif de Barkhane. Pensez-vous que vous serez en

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3522 mesure, si une telle réduction a lieu et compte tenu de l’apport certes utile, mais limité de Takuba et de nos partenaires européens – sans parler de la réduction possible de la participation américaine – de continuer à progresser, ou au moins à maintenir la situation ?

Le général Facon nous avait par ailleurs affirmé que la situation politique à Bamako n’avait pas d’incidence sur le plan opérationnel. Est-ce toujours vrai après le coup d’État ? Avez-vous ressenti un affaiblissement de la volonté politique malienne de combattre le djihadisme ?

Enfin, de manière plus générale et pour prendre un peu de recul, qu’a appris l’armée française à travers l’opération Barkhane ? Comment a-t-elle évolué à la suite des difficultés rencontrées sur le terrain et des nouveaux moyens qu’elle a employés ? Je pense en particulier aux drones armés : un tel retour d’expérience intéresserait beaucoup notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je précise enfin que cette audition n’est pas filmée : la parole est libre.

Général Marc Conruyt, commandant de l’opération Barkhane. – Merci de votre invitation. J’aurai tout à l’heure le plaisir d’accueillir le sénateur Cadic, qui nous rejoindra au Tchad ce soir. J’ai pris mes fonctions cet été, comme vous l’avez indiqué. Je tiens avant tout à saluer la mémoire de nos soldats qui sont tombés au Sahel depuis cette date. Ils sont quatre, autant de témoins de la dureté de notre engagement. Vous avez été, au sein même de votre commission, il y a tout juste un an, les témoins du deuil qui touche nos familles quand l’un d’entre nous tombe pour la France.

Le sommet de Pau, le 13 janvier dernier, a permis un sursaut. Sursaut militaire d’abord, avec le renforcement de Barkhane en effectifs ; sursaut politique ensuite, dans la mesure où le lancement de la Coalition pour le Sahel a donné le cadre intégré et international qui répond à l’effort consenti par notre pays et aux ambitions qu’il compte déployer dans ce voisinage géographiquement si proche et stratégiquement si important. Presque un an après ce sommet, quel bilan pouvons-nous faire de notre engagement ?

Notre stratégie est cohérente, et les objectifs importants ont été atteints. Le surge a produit les effets attendus. Mais l’opération Barkhane continue à évoluer profondément. Il n’y a pas deux mandats similaires. La raison en est simple : l’ennemi a sa propre volonté, il aspire à un projet politique et dispose d’une stratégie pour le mettre en œuvre. Si nous œuvrons aux côtés de nos partenaires pour le bénéfice de leur sécurité et de la nôtre, c’est d’abord contre un ennemi que l’on se bat. Nier ou relativiser cette volonté adverse n’est pas seulement une erreur, ce serait à mon sens une faute.

Comme vous le savez, nous faisons face au Sahel à un enchevêtrement de crises et de conflits, dont on souligne à juste titre les racines complexes, tout en exigeant parfois une réponse simple et rapide. Or, la situation reste soumise aux circonstances, à l’art opératif, aux jeux politiques, et à la détermination et aux moyens que nous y consacrons. C’est cette tension entre une nécessaire patience et l’impératif des contingences que je souhaite vous décrire.

Depuis mon arrivée, je fais d’abord le constat de l’évolution permanente de notre ennemi. Depuis le sommet de Pau, et au terme des opérations récentes, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a été affaibli dans le Liptako – même s’il convient de garder une forme de prudence sur l’évaluation que nous en faisons. Si cet ennemi conserve une capacité de nuisance et de régénération, il semble aujourd’hui davantage à la portée des forces partenaires sahéliennes. Ses capacités actuelles ne lui permettent plus d’envisager des actions d’envergure

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3523 comme en 2019. Face à nous, il met en œuvre une stratégie d’évitement. Mais en notre absence, il vise les cadres de l’État ou les chefs locaux pour assurer sa mainmise sur les populations.

Le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM), nébuleuse de plusieurs groupes liés à Al-Qaïda, étend son influence, consolide son organisation et gagne en confiance. C’est aujourd’hui l’ennemi le plus dangereux pour Barkhane, pour les forces internationales et pour le Mali. Non seulement il déstabilise les périphéries du nord du Mali, mais il propage aussi la guerre au Centre, qui est le cœur économique et le bassin de population du pays. À partir de là, il cherche à progresser vers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Il n’y a pas d’ambiguïté : cet ennemi nous cible au Sahel, et c’est lui qui nous a visés encore récemment à Kidal, Ménaka et Gao. Il le ferait probablement en France s’il en avait l’occasion. Il dispose de compétences critiques, d’un commandement bien structuré et d’une expérience acquise sur le long cours. Prospérant sur la misère, l’endoctrinement, l’absence d’alternatives sociales ou économiques, et de manière plus intelligente et patiente que l’EIGS, il cherche à établir son propre mode de gouvernement, son propre système éducatif, sa propre justice. Il s’appuie pour cela sur les tensions communautaires existantes et attire à lui les exclus, les relégués, les menacés, bref tous ceux à qui l’État n’offre pas d’alternative. Il sait aussi jouer de la corde sensible de la négociation pour masquer ses objectifs et tromper les plus naïfs.

Face à cet ennemi, nos alliés sahéliens doivent encore poursuivre et amplifier leurs progrès militaires, mais aussi consentir un effort supplémentaire, avec le soutien de la communauté internationale, en termes de sécurité intérieure, de retour de l’État et de développement économique. C’est à ces conditions qu’un autre destin pour les populations se dessinera, offrant alors d’autres opportunités à ceux qui sont tentés par les offres de recrutement des mouvements terroristes.

Mon second constat porte sur l’évolution du contexte, tout aussi rapide.

Cinq éléments ont influencé notre environnement ces derniers mois. Tout d’abord, l’attaque de Kouré, au Niger, où six de nos ressortissants ont été assassinés. Cette attaque, que l’on attribue à un groupe lié à l’EIGS, a eu un double impact. D’abord, auprès de notre opinion publique en France, où elle a suscité un débat légitime sur notre engagement. Ensuite, au Niger, où elle a obscurci les efforts que les autorités ont conduits et les résultats qu’elles ont obtenus depuis une année. Le deuxième événement est évidemment la transition en cours au Mali, qui doit conduire à des élections générales début 2022. Ces élections sont désormais l’horizon temporel, qui concentre toutes les énergies de la nouvelle haute hiérarchie militaire malienne, avec laquelle nous avons d’excellentes relations, et qui montre chaque jour sa détermination dans la lutte contre les groupes armés terroristes.

Le troisième événement est la libération de près de 200 prisonniers djihadistes, qui a suscité elle aussi des interrogations dans notre pays. Les déclarations du niveau stratégique et du niveau politique ont répondu à celles, limitées, au sein de Barkhane et des familles de nos soldats. En ce qui me concerne, j’ai bien entendu un point d’attention tout particulier sur les conséquences sécuritaires, qui restent à ce stade encore à évaluer. Autre élément de contexte important pour Barkhane : la succession d’élections dans la sous-région. Celles-ci se sont bien déroulées au Burkina Faso et en Côte-d’Ivoire. Cela n’a pas diverti nos moyens, mais la plus grande vigilance est de mise, car la sécurité de nos compatriotes peut être en jeu. Enfin, le débat sur l’islamisme en France, avec ses répercussions à l’étranger, n’est pas neutre

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3524 pour une opération française qui se déroule dans des pays de religion et de culture musulmanes.

Face à ces évolutions, quelle est la feuille de route de la force Barkhane ? Nos actions visent simultanément à réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes et à renforcer les capacités des forces partenaires, afin de mettre les premiers à la portée des secondes. Nous devons donc d’abord mettre en échec l’ennemi en contrant sa stratégie. Pour cela, il faut comprendre qui il est, quels sont ses objectifs et ses modes opératoires, afin de désarticuler ses différentes composantes et de les traiter par les outils appropriés. Notre manœuvre militaire combine de multiples effets : neutraliser les cadres et les combattants ; perturber la coordination entre les katibat, qui se renforcent par échanges d’hommes, d’informations et d’équipements ; empêcher les bascules entre espace saharien et sahélien, voire côtier. Cette manœuvre s’applique à combiner le plus efficacement possible les moyens mis à ma disposition, et tous nos succès opérationnels récents reposent sur l’intégration des effets que chaque composante, chaque expertise de la force, est capable de produire.

Mais ces actions directes ou indirectes sur l’ennemi n’ont de finalité que si elles contribuent au partenariat avec les forces africaines militaires, de gendarmerie et de police, qui sont les seules à pouvoir apporter une solution durable à la question sécuritaire. L’action de toutes les organisations et forces militaires en appui direct à la montée en puissance de ces armées africaines, et en premier lieu des FAMa, est à ce titre essentielle.

Je souhaiterais donc explorer trois dimensions qui démontrent que Barkhane est un élément moteur d’un ensemble stratégique et diplomatique plus vaste.

Tout d’abord, la sahélisation, dont l’objectif est à la fois de donner à nos partenaires une part croissante, quantitativement et qualitativement, dans l’effort militaire global, et d’améliorer la coordination entre eux, puisque le défi du terrorisme est transfrontalier.

L’opération Bourrasque en est un exemple, et elle constitue un jalon important vers une victoire collective contre l’EIGS. En engageant près de 3 000 soldats, pour moitié français et pour moitié issus des forces sahéliennes, avec notamment plus de 1 000 soldats nigériens, nous avons mis en œuvre une opération intégrée jusqu’aux plus bas échelons. Nous avons planifié et conduit Bourrasque à partir d’un PC interallié à Niamey, où des officiers français, nigériens, maliens, américains et de la force conjointe du G5 Sahel travaillaient côte à côte.

Je souhaite souligner ici la contribution américaine, peut-être moins connue, mais significative, et dont l’intégration a encore franchi un cap par rapport à ce qui existait il y a quelques mois. À titre d’exemple, la semaine dernière, plus de 40 % de l’effort en renseignements 3D dans les opérations que nous avons conduites a été fourni par notre partenaire américain.

Sur la voie de la sahélisation, l’opération Bourrasque a montré toute la complémentarité des avantages entre partenaires, en combinant nos capacités cinétiques et technologiques avec la mobilité et la connaissance du terrain des armées sahéliennes. Nos soldats ont pu vérifier sur le terrain que le partenariat de combat était loin d’être à sens unique. Cette opération a aussi apporté un surcroît de force morale et de confiance chez les forces partenaires, en particulier nigériennes, ouvrant la voie à une réponse nationale,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3525 autonome et pérenne. Il nous faut désormais reproduire de telles dynamiques avec les autres partenaires. Ce sera l’objet des opérations futures que nous mènerons.

Nous devons aussi poursuivre notre effort d’harmonisation des plans de campagne de chacun des pays du G5 Sahel. Le Mali est un bon exemple de ce défi, puisqu’il réunit cinq forces : les FAMa, Barkhane, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), la force conjointe du G5 et la Mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM). C’est une fonction importante et souvent méconnue de Barkhane que d’entraîner les autres acteurs et de mettre en cohérence leurs actions. Pour ce faire, nous nous appuyons sur notre réseau partenarial, composé d’éléments insérés dans les états-majors ou dans les unités de nos alliés, et que nous venons encore de densifier. Cette intégration nous est facilitée par une relation ancienne et de confiance avec des partenaires qui reconnaissent notre compétence et notre fidélité.

Les efforts pour appuyer la montée en puissance de la force conjointe du G5 ne sont pas encore achevés. Celle-ci est une remarquable réalisation politique et stratégique, mais elle doit encore gagner en autonomie et en capacité à contester le terrain à l’adversaire. Cela nécessite notamment une amélioration de son soutien logistique. Le général Oumarou Namata Gazama a parfaitement souligné l’exemplaire complémentarité des forces et l’importance de Barkhane pour les unités qu’il commande. Nous entretenons avec lui des relations très étroites pour planifier et conduire ensemble les opérations dans la zone des trois frontières. La perspective de la présidence tchadienne, qui débutera début 2021, doit permettre de maintenir cette dynamique.

La deuxième dimension de notre action est l’européanisation, qui est en quelque sorte le levier qui permet de démultiplier les effets produits, et le témoignage du partage croissant du fardeau de la sécurité au Sahel.

En voici trois exemples.

Le premier est un groupe de Takuba composé de Français et d’Estoniens, et jumelé avec une unité malienne, qui conduit encore aujourd’hui des opérations dans des zones difficiles du Liptako. Il a donné entière satisfaction lors de Bourrasque, et préfigure le modèle qui sera suivi au début de l’année prochaine par les contingents tchèques, suédois et italiens. Ceux-ci donneront à Takuba son volume critique. Mais nous aurons toujours besoin d’un ou deux Task groups, ainsi que de l’autonomie de Takuba en capacités rares.

L’EUTM est un autre exemple qui, par ses actions de conseil, de formation et d’entraînement, participe à la montée en puissance des armées sahéliennes et de la force conjointe du G5. Parce que les FAMa restent le centre de gravité de toute la campagne au Sahel, l’EUTM doit leur consacrer l’essentiel de ses efforts, et je vois régulièrement le général tchèque František Ridzák, avec qui nous conduisons des projets en étroite coordination, tant nous sommes convaincus que la victoire ne sera que collective. Il a relancé l’action de l’EUTM avec détermination, en l’engageant pleinement envers les FAMa.

Je pourrais enfin citer l’apport essentiel des hélicoptères danois, qui malheureusement nous quittent à la fin du mois, des Chinooks britanniques et du détachement estonien qui est intégré à Barkhane à Gao.

La troisième dimension est l’approche intégrée. Nous savons que la crise sahélienne nécessite d’agir sur trois lignes d’opération : rétablir la sécurité, restaurer une

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3526 bonne gouvernance et développer l’économie. Nous ne sommes que concourants dans les dimensions de stabilisation et de développement. Mais la recherche de complémentarité est permanente, car nécessaire. C’est le principe même de la coalition pour le Sahel lancée au printemps. Il reste beaucoup à faire, mais je tire un bilan très positif du travail en commun que nous menons avec l’ensemble des acteurs français, et notamment nos ambassades, les antennes locales de l’Agence française de développement (AFD), le service de coopération et les acteurs internationaux.

Notre campagne militaire est cohérente, et nous allons continuer à frapper tous les groupes terroristes tout en renforçant notre partenariat de combat avec les armées sahéliennes à travers une intégration croissante. Mes moyens pour cela sont suffisants, mais il n’y a rien de superflu, et ma marge de manœuvre est ténue.

Je souhaite revenir sur l’engagement des Européens. Ce qui est fait est fait de manière excellente, mais c’est encore trop peu. À titre d’exemple, une section de soldats estoniens, chargée de la Force protection à Gao, cela peut paraître peu à l’échelle d’un pays européen mais, cela me permet de libérer un pion de manœuvre français supplémentaire sur le terrain pour accompagner nos partenaires. Je perdrai deux hélicoptères Merlin danois fin décembre, puisque leur mandat n’est pas renouvelé et que nous n’avons pas de successeurs. C’est 20 % de ma capacité d’héliportage que je vais perdre, alors que celle-ci était à peine suffisante. Beaucoup d’Européens pourraient faire davantage, même avec de petites contributions, en soutien direct à Barkhane : ce serait d’une grande utilité.

Posons-nous enfin la question de ce que serait le Sahel sans l’engagement français. Barkhane n’apporte qu’une partie de la réponse au défi de la région. Mais c’est une partie incontournable car, à ce stade, elle est la seule force capable de contraindre le projet politique de nos ennemis. Notre action autorise les autres acteurs – les pays du Sahel en premier lieu – à mettre en œuvre les processus et les actions structurelles qui conditionnent une solution durable. Notre contribution permet aussi que d’autres, issus d’Europe ou d’ailleurs, interviennent en supplément ou en complément de nos efforts. Si la voie de sortie est, d’abord et avant tout, politique, il faut sans doute s’inscrire dans la perspective de la fin de la transition au Mali, début 2022, qui est l’horizon possible d’une issue positive. Enfin, je reste convaincu que, sans Barkhane, la question de la stabilité régionale serait posée à très court terme.

Monsieur le président, après ce propos liminaire, permettez-moi de répondre aux questions que vous m’avez posées en introduction.

La coordination avec l’ensemble des forces partenaires, qu’elles soient nationales sahéliennes – des cinq pays du G5 – ou multinationales, à travers la force conjointe du G5, ou qu’elles relèvent plus largement d’autres acteurs sécuritaires qui œuvrent au Sahel, est assez exemplaire et fonctionne très bien. Nous avons des relations quotidiennes avec l’ensemble de ces acteurs, qui nous donnent une appréciation très précise de la situation générale, ce qui nous aide à planifier et à conduire nos opérations ensemble. Sur le plan de la coordination, nous avons atteint un degré de maturité assez remarquable.

Toutes les forces nationales sont pleinement engagées dans un processus de montée en puissance afin de lutter plus efficacement contre les groupes armés terroristes. Bien entendu, s’il s’agit toujours de groupes armés terroristes, le degré de menace diffère d’un pays à un autre.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3527

Les forces armées nigériennes sont peut-être celles qui ont fait les progrès les plus considérables depuis 2019, en termes de capacité, d’organisation et de structuration. L’opération Bourrasque nous a montré des forces armées nigériennes capables d’opérer avec nous à des niveaux d’intégration quasiment jamais atteints. Ainsi, des bataillons ont travaillé ensemble, des compagnies ont travaillé ensemble, des sections ont été détachées au sein de compagnies partenaires, voire même des soldats nigériens au sein de groupes français.

Les forces armées maliennes partent de plus loin. Elles n’ont pas la même histoire militaire récente. Elles font face à une menace plus conséquente. Pour autant, elles sont sur une dynamique positive, à plusieurs égards : capacité à augmenter leurs forces combattantes, c’est-à-dire à créer de la masse de manœuvre ; capacité à réorganiser, de façon générale, un cycle opérationnel qui leur permet d’alterner formation, opérations et repos, ce qui est nécessaire pour pouvoir combattre efficacement dans la durée ; progrès, enfin, dans la manière de combattre, dans l’utilisation des moyens aériens ou des moyens de renseignement, et dans la manœuvre tactique de façon générale. J’ai donc bon espoir que, si elles accélèrent leur assise organique, les forces armées maliennes atteignent le niveau de leurs homologues nigériennes dans l’année qui vient.

Les forces armées burkinabées sont aussi dans une dynamique positive. Elles ont dû se réorganiser de fond en comble face à une menace nouvelle pour elles.

Concernant Takuba, pour l’instant, le Task Group franco-estonien a atteint tous les objectifs qui lui avaient été fixés. Il doit servir de modèle pour la constitution, l’organisation, la préparation et l’engagement des futurs Task Groups. Nous avons pris un peu de retard sur la montée en puissance de Takuba. J’espère que, dès le début de l’année 2021, nous pourrons engager davantage de moyens dans le Liptako.

Vous me demandez quel est le bilan de Bourrasque. J’en retire deux enseignements majeurs. D’abord et de façon générale, les résultats obtenus sont dus à une manœuvre tactique très dynamique, qui a conjugué les effets de tous les moyens dont nous disposons, et qui a mis en difficulté les GAT : manœuvre tactique au sol et dans la troisième dimension, opérations de renseignement, opérations de déception, opérations cyber… Toute la panoplie des moyens a été déployée, avec une concentration des efforts dans une zone particulière pendant plusieurs semaines, ce qui nous a permis d’asphyxier les groupes qui y étaient.

Deuxième enseignement de Bourrasque : l’attitude remarquable des forces armées sahéliennes, nigériennes et maliennes, qui nous ont accompagnés et qui se sont excellemment comportées. Elles ont été très offensives à nos côtés, dans toutes les opérations. L’Unité Légère de Reconnaissance et d’Intervention a donné elle-aussi toute satisfaction. Bien sûr, il y a des choses à améliorer, et nous avons tiré le retour d’expérience pour les prochaines opérations que nous allons conduire, dès le début de l’année prochaine. Je n’en fais pas un modèle, mais une forme de référence que je voudrais répliquer, notamment avec les forces armées maliennes et burkinabées dans les mois prochains.

Vous m’interrogez sur la perspective de la fin du surge. Pour l’instant, aucune décision n’a été prise à ce sujet, et les travaux sont en cours. Clairement, je ne pourrai pas faire plus avec moins. Le surge nous a permis d’obtenir des résultats dans le Liptako contre l’EIGS. Cela a fait baisser la pression, de sorte que nous pouvons engager Takuba dans le Liptako. Je vous confirme d’ailleurs que Takuba est bien sous les ordres de Barkhane. Pouvoir divertir des moyens franco-français du Liptako, parce que Takuba prend la relève, me

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3528 permettra de basculer davantage mon effort, en partenariat avec les FAMa, dans le Gourma contre le RVIM, qui est certainement l’ennemi le plus dangereux.

Sur l’avenir du soutien américain, je ne sais pas quelles seront les décisions de la nouvelle administration américaine, mais ce que nous avons fait, ce que nous sommes en train de faire avec les partenaires militaires américains et ce que nous prévoyons de faire dans les mois qui viennent me laisse plutôt optimiste sur la qualité et la densité du soutien américain lors de nos prochaines opérations.

Vous évoquez la volonté de lutte des politiques maliens. À chaque fois que je les rencontre, ils me réaffirment leurs pleines et entières volonté et disponibilité pour continuer le combat contre les GAT, quels qu’ils soient. Pour l’instant, je n’ai donc pas de raison de douter de leur volonté dans ce domaine. Quant à la nouvelle hiérarchie militaire malienne, que je rencontre beaucoup plus souvent et avec laquelle je travaille très régulièrement, elle n’a aucun doute : elle s’efforce de réorganiser les FAMa afin de lutter efficacement contre les GAT.

Les drones nous ont apporté une capacité supplémentaire, que nous utilisons pleinement. L’essentiel est surtout que nous l’utilisions en parfaite coordination avec les autres composantes. Il s’agit de faire bouger l’ennemi, de créer de l’incertitude, de comprendre ce qu’il fait, et donc d’avoir le renseignement nécessaire. Cette manœuvre nous permet de lui porter des coups à l’exemple de ceux de ces dernières semaines. Le drone armé est donc un moyen supplémentaire considérable et un facteur d’efficacité qui accroit la capacité de la force Barkhane. Nous attendons d’ailleurs le drone Block 5, qui nous permettra d’accroitre encore nos capacités dans ce domaine

M. Christian Cambon, président. – Merci pour toutes ces précisions, qui vont alimenter notre réflexion dans la perspective du débat que le Sénat va organiser, vraisemblablement en février, sur Barkhane.

Mme Hélène Conway-Mouret. – Dans les échanges que nous pouvons avoir avec nos amis maliens – je parle de la population – on observe que la grande majorité respecte ce que nous faisons et est tout à fait consciente de nos sacrifices. Vous avez rappelé les nombreux succès tactiques, qui restent néanmoins insuffisants pour empêcher les organisations ennemies de s’étendre et de se diversifier. Aux raids terrestres se sont ajoutés des frappes aériennes, avec l’utilisation des drones. Est-ce là un changement tactique ? Va-t-il être amplifié ? Pouvons-nous envisager une réduction des forces terrestres ? Diversifier nos actions nous aiderait à mieux combattre les organisations terroristes. À quand la possibilité de combattre au sein des forces locales ?

M. Richard Yung. – Merci pour votre exposé très complet. Takuba permet d’intégrer des forces de différents pays : France, Estonie, puis Italie, etc. Pourquoi est-elle distincte de la force Barkhane ? Cela ne pose-t-il pas des problèmes de hiérarchie et de commandement ? A-t-elle une certaine autonomie ? C’est Takuba qui porte les nouvelles orientations que sont l’utilisation des drones et de forces spéciales. Al-Qaïda a une vision très politique des choses, alors que l’EIGS est plus local et revendique surtout davantage d’autonomie pour l’Azawad. Est-ce une chance pour nous qu’il y ait des divergences fortes entre Al-Qaïda et l’EIGS, sans parler des autres groupes ? Pouvez-vous en profiter sur le plan militaire ? Les négociations avec les GAT sont un problème épineux pour vous, puisque vos hommes sont frappés. Le nouveau Premier ministre malien, tout comme le chef de l’opposition, qui a été libéré, revendiquent l’ouverture d’un dialogue avec certains des groupes. Qu’en pensez-vous ?

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M. Gilbert Roger. – Avec mon collège Cédric Perrin, nous avions commis le rapport ayant permis la décision d’armer les drones ; ce que vous venez de nous confirmer à ce sujet, mon général, renforce notre analyse. Concernant la situation en Libye, avec l’intrusion désormais forte de la Turquie et l’apport des mercenaires venant de Syrie, aurait- on besoin d’un renfort de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ? Ma deuxième question concerne l’Algérie. Avec l’adoption de la nouvelle Constitution, les politiques que nous sommes doivent-ils aider à clarifier l’aide apportée par ce pays ?

M. Olivier Cigolotti. – Mon général, comme vous l’avez rappelé, quatre opérations de haute intensité ont été menées ces dernières semaines, avec d’importants moyens matériels et humains, notamment dans la zone des trois frontières, où se trouvent près de 3 000 soldats – nos forces alliées bien sûr, mais également des Nigériens et des Maliens. Les résultats obtenus ont permis de communiquer, de façon plus large, sur l’opération Barkhane. Ces opérations ont-elles également démontré aux autorités maliennes qu’il n’était pas forcément utile de négocier ?

Par ailleurs, mon général, avons-nous encore affaire à un djihadisme endogène ou bien des éléments extérieurs viennent-ils se rajouter aux combattants des GAT ?

M. Pascal Allizard. – Mon général, il se dit que vous êtes de plus en plus confrontés à des enfants soldats manipulés par nos ennemis. Est-ce une réalité ?

Mme Vivette Lopez. – Je tiens tout d’abord, mon général, à vous dire mon respect et mon admiration. Ces derniers temps, nous avons pu constater la montée en puissance de l’utilisation des drones Reaper au Sahel. Celle-ci est-elle, selon vous, de nature à faire évoluer la configuration des déploiements sur place ?

M. Ronan Le Gleut. – Le 13 janvier dernier, lors du G5 Sahel à Pau, il a été décidé de concentrer nos efforts contre l’EIGS dans le Liptako et la région des trois frontières. Or, depuis février, nous constatons des affrontements entre l’EIGS et le GSIM, que l’on appelle souvent RVIM, lui-même né d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), d’Ansar Dine et des Katibat Macina et Al-Mourabitoun. Ces affrontements, ayant débuté après le sommet de Pau, remettent-ils en cause la priorité fixée alors ? Ne devrions-nous pas, désormais, viser le GSIM ?

M. Hugues Saury. – Fin novembre, plusieurs attaques terroristes revendiquées par Al-Qaïda ont visé, simultanément et en plusieurs points, la force Barkhane dans le nord du Mali. Heureusement, aucune victime n’est à déplorer, et il n’y a que quelques dégâts matériels, notamment à Kidal, à la suite de tirs de roquettes et d’obus. Comment expliquer cette coordination offensive nouvelle et comment y faire face ? Les terroristes sont-ils mieux équipés et, surtout, mieux organisés ? Cela fait-il évoluer notre stratégie sur place ?

Général Marc Conruyt. – Madame Conway-Mouret, vous avez parlé d’éventuels changements tactiques. Il serait illusoire de croire, comme certains, que l’on pourrait neutraliser les GAT uniquement en se reposant sur l’action de forces spéciales et les frappes aériennes. C’est la combinaison durable de tous les moyens à notre disposition – forces terrestres, forces aériennes, moyens de renseignements, etc. – qui nous rend efficaces. Sans cela, nous ne serions pas capables de lutter contre la tactique principale des GAT : se camoufler et se fondre dans la population. Les troupes terrestres sont essentielles pour leur contester le milieu, les contraindre dans leurs déplacements, pour fouiller et détruire leurs zones refuges, leurs camps d’entraînement. Nos résultats tactiques sur le terrain ont toujours

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été le fruit de la meilleure articulation entre nos différents moyens. De ce point de vue, nous avons acquis une grande maturité tactique, face à un ennemi qui évolue sans cesse.

Avec l’opération Bourrasque, nous avons déjà combattu aux côtés de forces sahéliennes. Il y a trois semaines, notre groupement commando a mené avec une section malienne des combats dans le Gourma. Nous avons combattu ensemble à 50/50, et demain, ce sera peut-être 25/75, avec un quart de forces françaises et trois quarts de forces sahéliennes ; nous n’en sommes pas encore là, mais nous avons progressé dans ce domaine.

Monsieur Yung, en termes de commandement, la Task Force Takuba est directement sous mes ordres, sans aucune ambiguïté possible.

Vous avez également évoqué les divergences entre AQMI et l’EI. Ces deux franchises, depuis plusieurs mois, ne cessent de se combattre. Bien entendu, tout ce qui permet d’affaiblir les deux groupes, ensemble ou séparément, nous intéresse, et nous cherchons à l’exploiter.

Concernant la délicate question des négociations, la position de notre pays a été fixée par le Président de la République. Il n’est pas question de négocier avec les groupes terroristes. À mon niveau, elle a été rappelée de façon très claire par le chef d’état-major des armées. Nous regardons la situation de près, car cela peut avoir des conséquences sur Barkhane. Lors de la libération des prisonniers djihadistes en plein milieu de l’opération Bourrasque, la question s’est posée de l’impact sur le moral des soldats, de la réaction des familles. Le chef d’état-major des armées, très rapidement, a donné notre position sur le sujet, ce qui a permis de clarifier les choses. Nos soldats savent pourquoi ils sont là ; ils connaissent le sens de leur mission, aux côtés de leurs camarades sahéliens.

Monsieur Roger, la Libye ne fait pas partie de ma zone d’opération, mais nous surveillons la situation, qui peut avoir un impact au Sahel. Quant à l’implication de l’OTAN, très honnêtement, je ne peux pas vous répondre.

L’implication de l’Algérie reste fondamentale dans la résolution de la crise sahélienne. Une relation plus approfondie, plus directe entre militaires français et militaires algériens serait sans doute utile, afin d’expliquer les objectifs poursuivis par Barkhane et de répondre à certains préjugés concernant l’action militaire française au Sahel.

Monsieur Cigolotti, nos dernières opérations n’ont pas de rapport avec la question des négociations. Les opérations conduites, notamment dans le Gourma contre le RVIM, sont fondées essentiellement sur du renseignement ; d’autres opérations ont été menées parce que nous nous sommes retrouvés face au RVIM dans nos zones d’opérations. Je n’ai jamais reçu la moindre directive pour lier mes opérations à la dynamique des négociations ou à un exercice de communication particulier.

Monsieur Allizard, depuis ma prise de commandement, dans toutes les opérations menées, je n’ai pas été le témoin de la présence d’enfants soldats. Je sais que la question a été soulevée l’été dernier ; nous restons très attentifs à ce sujet.

Madame Lopez, je vous le confirme, l’utilisation du drone Reaper, doté de fonctions de renseignement et de frappe, est de première importance. Les drones Reaper armés viennent s’ajouter aux autres moyens de frappe, avec une possibilité d’observation

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3531 d’une durée bien supérieure. Nous attendons la nouvelle version, qui nous permettra d’être encore plus précis et plus efficaces.

Monsieur Le Gleut, sachez que les deux groupes terroristes font l’objet, de notre part, de la même attention. Certes, lors du sommet de Pau, il nous avait été demandé de nous concentrer sur l’EIGS, mais nous n’avons jamais négligé le RVIM. Un certain nombre des emprises de Barkhane, à Gossi, Gao ou Tombouctou, se trouvent dans la zone d’action du RVIM. Et ce n’est pas parce que nous venons de frapper le RVIM assez durement dans le Gourma que nous allons relâcher notre effort contre l’EIGS dans le Liptako, où nous poursuivons en parallèle nos opérations. L’EIGS ne doit pas relever la tête après tous les efforts accomplis depuis le sommet de Pau ; et nous devons continuer d’affaiblir le RVIM.

Enfin, monsieur Saury, les attaques indirectes que nous avons subies, par des mortiers et des roquettes, sont un sujet de préoccupation permanent. Nous avons été attaqués simultanément, sur des emprises différentes, mais ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à de telles attaques. Le RVIM, au regard des pertes que nous lui avons infligées, a besoin de réagir sur le plan de la communication et Barkhane, symboliquement, représente une cible opportune. À cela s’ajoute l’arrivée d’un nouvel émir, successeur d’Abdelmalek Droukdel à la tête d’AQMI, qui souhaite probablement marquer son territoire.

Nous réfléchissons en permanence à la manière de contrer cette menace. Ce n’est pas facile, nos ennemis agissent la nuit, ils se mettent en position de tir en quelques minutes, envoient deux ou trois roquettes et disparaissent. Heureusement, lors de l’attaque, tous nos moyens de prévention ont fonctionné et permis de mettre nos soldats à l’abri.

Nos ennemis sont-ils mieux équipés ? Non, les mois précédents, à Gossi ou Tombouctou, ils nous avaient frappés avec les mêmes moyens qui restent rudimentaires.

M. Christian Cambon, président. – Merci, mon général, pour tous ces renseignements, qui vont nourrir notre réflexion en vue du débat prévu au début de l’année 2021. Le Parlement – et singulièrement la commission des affaires étrangères et de la défense – est en charge d’exercer un contrôle sur l’ensemble de ces actions, qui coûtent 2 millions d’euros par jour. La signification première de ce débat sera, d’une part, de renouveler notre soutien aux 5 100 soldats et, d’autre part, de demander au Gouvernement de préciser ses intentions afin de transformer en stabilité politique les succès militaires enregistrés. Comme le rappelait le général Castres dans une communication qui avait marqué notre commission, de telles opérations sont comme des autoroutes avec des bretelles de sortie, et il faut savoir laquelle choisir pour déboucher sur un paysage donné. Le Gouvernement devra donc préciser, dans les mois et les années à venir, comment il entend organiser cette transition vers un pouvoir politique transformant la situation actuelle, alors même que les précédentes autorités maliennes n’ont pas exprimé de volonté forte de réconciliation.

Mon général, au nom de la commission, je vous renouvelle notre soutien, notre admiration et notre totale confiance. Notre collègue Olivier Cadic est parmi vous. J’espère que nous aurons l’occasion à notre tour, très prochainement, de venir vous porter ce témoignage de confiance et de nous rendre compte de la situation sur place. Je retire, de mes deux précédentes visites, beaucoup d’enseignements ; sur le terrain, on se rend compte à la fois de la difficulté de la tâche et de l’enthousiasme des soldats qui vous entourent, avec ce sentiment très fort de défendre, loin des frontières de notre pays, notre sécurité et nos valeurs.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3532

Mardi 12 janvier 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président –

La réunion est ouverte à 16 h 40.

Audition de M. Aguila Saleh, Président du Parlement de Tobrouk (sera publiée ultérieurement)

Le compte-rendu sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 18 heures.

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidences de MM. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition, en commun avec la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur « L’Arctique, entre défi climatique et risques géopolitiques » (sera publiée ultérieurement)

Le compte-rendu sera publié ultérieurement.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3533

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 12 janvier 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 10.

Mise en œuvre de la stratégie vaccinale contre la covid-19 – Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous accueillons cet après-midi M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, pour examiner les conditions de la mise en œuvre de la stratégie vaccinale contre la covid-19.

En cette première réunion de notre commission de l’année 2021, je vous adresse tous mes vœux de santé et de prospérité. Je salue les commissaires qui assistent à cette réunion à distance.

La durée de ce temps d’échange est d’une heure. Nous devrons quitter la salle à dix-huit heures afin de permettre à nos collègues de la commission des lois de se réunir dans cette même salle, dans le respect des règles prescrites par la situation sanitaire.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Afin de conserver à nos échanges un caractère interactif, je demanderai à nos collègues d’exposer leur question de la manière la plus concise possible et à M. le ministre de bien vouloir répondre brièvement, après chaque intervenant.

Monsieur le ministre, nous avons accepté la stratégie vaccinale présentée au Sénat le 17 décembre dernier et, avec elle, la priorisation des bénéficiaires du vaccin en fonction de leur exposition au risque de développer une forme grave de la maladie.

Comparé à certains de nos voisins, en particulier l’Allemagne, le déploiement de la campagne vaccinale a cependant souffert de lenteurs, liées à des faiblesses déjà identifiées lors de la première vague à propos des équipements de protection et de la chaîne logistique.

Vous avez eu recours au cabinet McKinsey pour être conseillé, ce qui ne me pose pas de difficulté de principe. Mais pouvez-vous nous indiquer quels ont été les conseils qui vous ont été donnés, qui a été chargé de les mettre en œuvre au sein de l’État et selon quel calendrier ? Ces conseils sont-ils d’ores et déjà appliqués ou sont-ils en passe de l’être ?

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. – Permettez-moi tout d’abord de vous adresser, à mon tour, mes meilleurs vœux.

Un système de carrousel a été mis en place depuis plusieurs années en ce qui concerne le soutien que peuvent apporter des cabinets privés à l’action de l’État. Le cabinet McKinsey, comme cela se fait partout ailleurs en Europe, nous appuie dans la conduite du projet en lien avec la task force chargée de mettre en place la stratégie logistique. L’aide de ce cabinet porte donc sur les aspects opérationnels de la stratégie vaccinale, notamment en

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3534 termes logistiques, et sur la conduite de travaux de comparaison. Il a vocation à aider d’autres ministères que le mien dans l’application de la stratégie vaccinale. Nous avons tout intérêt à utiliser toutes les compétences dont nous disposons, publiques et privées. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir souligné que cela ne vous choquait pas. Ce mode de fonctionnement est traditionnel pour l’État.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Quels conseils vous ont été prodigués et comment sont-ils appliqués ?

M. Olivier Véran, ministre. – Ces conseils sont extrêmement variés. Il s’agit, par exemple, de solliciter très régulièrement les 100 hôpitaux pivots pour vérifier que les livraisons de vaccins ou de seringues se déroulent dans de bonnes conditions. Je pense aussi à la chaîne logistique entre les plateformes du flux A et celles du flux B. Ce travail de fourmi est absolument indispensable. Le cabinet McKinsey n’a pas eu à intervenir dans la stratégie scientifique vaccinale et n’a pris aucune décision en matière de publics prioritaires, par exemple. Toutes les grandes décisions de politique publique relèvent du ministère de la santé, sur la base de recommandations d’autorités scientifiques indépendantes. Ces conseils ne concernent que le cadre purement opérationnel.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. – L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), plutôt dominé par l’opposition, bien que présidé par M. Villani, a souligné que la stratégie vaccinale, depuis l’ouverture de la vaccination aux soignants, lui semblait satisfaisante. Gérard Longuet, vice-président de l’Opecst, s’est même interrogé sur le fait de savoir si ceux qui critiquent aujourd’hui le Gouvernement auraient forcément été plus malins. Mais il s’agit d’une autre question…

Maintenant que la stratégie est en place, il faut un planning de vaccination. On sent aujourd’hui que la population française a beaucoup plus envie de se faire vacciner qu’il y a seulement huit jours. Pensez-vous être en mesure de garantir que les plus de soixante-quinze ans qui le souhaiteront pourront tous être vaccinés d’ici à Pâques ?

M. Olivier Véran, ministre. – L’Opecst a mené un très gros travail, notamment en termes d’auditions. Son avis, que je vous remercie d’avoir rappelé, m’est extrêmement précieux.

Nous avons effectivement décidé d’ouvrir la vaccination aux 5 millions de Français de plus de soixante-quinze ans. Nous nous donnons plusieurs semaines pour y parvenir. Nous disposons aujourd’hui d’un million de doses de vaccins ; 500 000 doses supplémentaires seront livrées entre cet après-midi et demain. Le rythme des livraisons va s’accroître, semaine après semaine.

À partir de jeudi, les personnes qui le souhaitent pourront prendre rendez-vous en ligne ou par téléphone. Il est fondamental d’ouvrir l’accès à la vaccination aux personnes de soixante-quinze ans et plus en ville. Bien évidemment, tout le monde ne pourra pas être vacciné d’un coup. Des milliers de professionnels de santé sont mobilisés, des centaines de centres de vaccination sont opérationnels sur tout le territoire national. Nous vaccinerons au maximum de nos capacités le maximum de personnes. J’espère que nous parviendrons à proposer la vaccination à ces 5 millions de personnes d’ici à Pâques. J’espère même que nous aurons commencé à la proposer à d’autres Français, toujours par tranches d’âge. Tout cela dépendra également de la validation, par les autorités sanitaires européennes, d’autres vaccins.

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Je pense notamment à celui développé par AstraZeneca, dont une validation d’ici à février nous permettrait de renforcer nos stocks de 3 millions de doses en février, puis de 6 millions en mars et de 4 millions en avril… Nous pourrions alors potentiellement disposer de 77 millions de doses avant la fin du mois de juin. Cette montée en puissance progressive ne doit rien à la logistique, mais aux commandes passées par la Commission européenne depuis plusieurs mois et qui nous seront livrées progressivement.

Mme Corinne Imbert. – Après les différentes pénuries rencontrées depuis bientôt un an, nous comprenons votre souci de bien gérer le flux de vaccins livrés sur le territoire national.

Une fois reconstitué, le vaccin Pfizer-BioNTech présente un volume de 2,25 millilitres. Selon le laboratoire, on pouvait utiliser cinq doses par flacon. Vous avez autorisé l’utilisation d’une sixième dose le week-end dernier, le flacon contenant en fait sept doses et demie. C’est une bonne chose, puisque cette sixième dose représente potentiellement 20 % de vaccinés supplémentaires. Avec sept doses, ce serait 40 %. Dès lors, pourquoi ne pas autoriser le prélèvement d’une septième dose ?

Dans le document qu’il a publié le 8 décembre dernier, Pfizer affirme ne disposer d’aucune donnée sur l’interchangeabilité de son vaccin avec d’autres vaccins contre la covid-19. En savez-vous plus aujourd’hui sur cette question ?

Quelle place pensez-vous donner aux différents professionnels de santé de ville – médecins, infirmiers, biologistes, pharmaciens, etc. – dans cette campagne de vaccination en direction des personnes de plus de soixante-quinze ans ? Je ne suis pas certaine que les centres de vaccination qui vont être mis en place dans les départements à partir de la semaine prochaine soient l’unique réponse à apporter, car beaucoup des plus de soixante-quinze ans qui vivent encore à leur domicile ne pourront sans doute pas se déplacer. Envisagez-vous d’associer les professionnels de ville à cette campagne de vaccination, dans une logique de proximité ?

M. Olivier Véran, ministre. – L’utilisation d’une sixième dose a été autorisée par l’Agence européenne des médicaments (AEM) ; mais sans attendre cette autorisation, les professionnels de santé qui s’étaient rendu compte que c’était possible s’en étaient servis. Quant à une septième dose, même si nous avons quelques retours, elle serait absolument exceptionnelle ; c’est dommage, car cela nous aurait permis de gagner 40 % de vaccinés en plus.

Les personnes vaccinées recevront le même vaccin lors de leur rappel vaccinal : il n’y aura pas d’interchangeabilité.

Concernant l’organisation de la vaccination pour les personnes âgées isolées, il revient aux territoires de s’organiser : je suis très girondin en la matière. Je me suis entretenu avec les associations d’élus en début d’après-midi : l’innovation a déjà commencé, avec des binômes médecin-infirmier qui se déplacent pour vacciner ; des collectivités m’ont demandé si elles avaient le droit d’organiser le transport individuel ou collectif de personnes âgées isolées identifiées dans leur fichier canicule : évidemment ! C’est du bon sens, et le bon sens doit prévaloir ; nous faisons appel à toutes les bonnes volontés. Je sais que les élus sont extrêmement mobilisés aux côtés des professionnels.

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À Grenoble, le Conseil de l’Ordre des médecins a organisé des vaccinations à partir de 18 heures jusque très tard pour les libéraux qui travaillent toute la journée. Nous comptons sur tous les professionnels, qu’ils soient étudiants ou retraités. Lorsque nous aurons des vaccins plus simples, qui ne sont pas à utiliser dans les quatre ou cinq jours et qui peuvent voyager plus de douze heures sans casser des brins d’ARN, j’espère vivement que nous pourrons nous appuyer sur le réseau des officines de ville, des médecins libéraux, des infirmiers, de tous les soignants qui peuvent vacciner. Nous savons vacciner 5 millions de Français contre la grippe en une semaine, il n’y a pas de raison que nous n’y arrivions pas avec un vaccin d’utilisation identique.

M. Bernard Jomier. – La question du calendrier est essentielle. Le 17 décembre dernier, vous avez recueilli un large soutien sur votre stratégie vaccinale, qui consiste à cibler d’abord les personnes vulnérables, celles qui risquent de saturer le système hospitalier, voire de mourir du covid, à la fois pour sauver des vies et permettre à notre société de reprendre ses activités. En novembre et décembre, les documents de la Haute Autorité de santé (HAS) prévoyaient la vaccination de 14 à 15 millions de personnes au premier trimestre ; puis la campagne a démarré très lentement et cet objectif est devenu moins crédible. Vous venez cependant d’annoncer que nous disposerions au premier semestre de 77 millions de doses. Sachant qu’il en faut entre 25 et 30 pour vacciner les personnes vulnérables, celles-ci seront-elles vaccinées à la fin du premier trimestre ou plutôt pendant le second ? C’est très important, car cela correspond au calendrier de régression des mesures de restriction d’activité.

Avec 77 millions de doses, nous dépassons largement la vaccination des personnes vulnérables ; envisagez-vous, dans une seconde étape, de promouvoir une stratégie d’élimination du virus par la vaccination d’une fraction beaucoup plus importante de la population ? Si oui, à quelle échéance ?

M. Olivier Véran, ministre. – Nous cherchons à vacciner le maximum de personnes dans le temps le plus court possible, parce que c’est le moyen de protéger les populations et de retrouver le cours de notre vie. Nous faisons le choix de protéger en priorité les personnes qui sont les plus fragiles face au virus. Mais il y a des zones d’incertitudes qui sont de nature non pas politique, mais scientifique, comme la validation du vaccin AstraZeneca, la date de cette validation et le public pour lequel il serait validé. Imaginons que fin janvier, AstraZeneca soit validé uniquement pour les moins de 65 ans, nous aurions alors deux circuits parallèles, l’un réservé aux personnes âgées et l’autre aux personnes plus jeunes. Ces questions relèvent du verdict des autorités sanitaires européennes. Mais si tous les vaccins que nous avons achetés sont validés en temps et en heure par les autorités sanitaires, nous aurons alors 9 millions de vaccins fin février et 21 millions fin mars, ce qui signifie que nous aurons pu démarrer la vaccination d’une dizaine de millions de Français et engagé le processus de la seconde dose pour une partie d’entre eux.

L’objectif est de vacciner un maximum de personnes, donc d’éliminer la circulation du virus. Mais je ne sais pas aujourd’hui si ces vaccins empêchent la contamination ou s’ils protègent uniquement des formes graves. Monsieur le sénateur, je sais que vous êtes médecin et que vous consultez les études scientifiques : vous savez donc comme moi que le vaccin Moderna – mais il n’y a pas de raison qu’il soit le seul – commence à montrer des signes de réduction des contaminations, ce qui serait une formidable nouvelle, car cela signifierait l’opportunité pour l’homme de reprendre le contrôle sur un environnement devenu hostile.

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M. Olivier Henno. – La vitesse de livraison des doses dépend-elle uniquement de la capacité de production des laboratoires, ou dépend-elle aussi du prix des vaccins extrêmement variable d’un vaccin à l’autre ?

M. Olivier Véran, ministre. – Nous n’avons pas mis tous nos œufs dans le même panier : lorsque les commandes ont été passées avant l’été dernier par la Commission européenne, c’était à l’aveugle. Certains pays ont d’ailleurs fait le choix de ne commander qu’un seul vaccin, comme la Corée, pourtant souvent citée en exemple, qui n’a voulu acheter que de l’AstraZeneca. Savez-vous combien de Coréens ont été vaccinés à ce jour ? Aucun ! La campagne vaccinale ne commencera pas avant la fin du mois prochain. Et contrairement à ce que l’on croit, le nombre de cas augmente en Corée. Nous avons une chance en France : nous ne sommes pas un, mais vingt-sept. Lorsque nous avons mis en place un consortium de quatre pays – avec l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas – et que nous avons commencé à contractualiser avec des laboratoires, la Commission européenne nous a demandé de la laisser faire. Le fait de précommander à l’échelle européenne nous a permis d’acheter les doses par centaines de millions et donc de devenir prioritaire par rapport à d’autres États, de disposer de plus de doses que l’Europe n’a d’habitants et surtout de diversifier les commandes auprès des principaux laboratoires. Le prix a été le reflet de cette capacité à négocier. D’autres pays ont fait le choix de se lancer dans l’aventure avec un seul laboratoire, parfois avec succès, comme Israël, parfois sans succès.

M. René-Paul Savary. – J’ai appris ce matin dans le journal local la livraison au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims de vaccins Moderna. Celle-ci remplace-t-elle la livraison des vaccins Pfizer ou vient-elle en complément ? Le passage de trois à six semaines du délai entre les deux injections me préoccupe. Sur quelle base scientifique vous êtes-vous fondé pour prendre cette décision ?

M. Olivier Véran, ministre. – La livraison de Moderna vient en complément : voyez-y un geste à destination des territoires dans lesquels le virus circule beaucoup, comme le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté et Nice. Nous avons décidé d’y concentrer les 50 000 premières doses de vaccins Moderna qui s’ajoutent aux livraisons de Pfizer.

Quant à la seconde injection, selon les laboratoires comme Pfizer, elle devait se faire entre 21 et 28 jours – donc potentiellement quatre semaines après la première injection –, mais l’Agence européenne des médicaments a indiqué dans ses recommandations que l’on pouvait aller jusqu’à 42 jours, au motif qu’il n’y avait pas de raison de penser que ce serait moins efficace. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), pourtant connue pour sa prudence, a établi que ce n’était pas gênant dans un certain nombre de situations. Certains pays ont déjà entériné cette pratique, comme le Canada ou le Danemark. La Grande-Bretagne a fait le choix de repousser la seconde injection à 12 semaines. La HAS a été saisie sur la question d’en faire une règle générale. Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) néanmoins, nous avons fait le choix de conserver l’injection de la deuxième dose trois semaines après la première.

M. René-Paul Savary. – Sur quelle base scientifique ce report a-t-il été autorisé ?

M. Olivier Véran, ministre. – Sur la base des analyses des data, des études qui ont été faites, des réactions chez les patients qui ont reçu ce vaccin après 3, 4 ou 6 semaines. Si l’Agence européenne des médicaments, l’ANSM, la direction générale de la santé (DGS) et si un certain nombre d’États ont déjà pris le parti de passer à 6 semaines, c’est que,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3538 vraisemblablement, l’analyse scientifique des données a montré que c’était possible. Mais ce n’est pas la pratique générale en France.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Certains d’entre nous se sont fait vacciner et on leur a dit de revenir dans six semaines...

M. Olivier Véran, ministre. – Pour l’instant, ce n’est pas une règle générale.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. – On critique fréquemment la stratégie vaccinale pour n’avoir pris en compte que des critères éthiques et sanitaires, au détriment des aspects logistiques. Alain Fischer a d’ailleurs récemment déclaré qu’il n’était pas du tout un spécialiste de ces questions. Vous m’avez rassurée lorsque vous avez dit que les élus locaux seraient maintenant concernés : c’est une bonne nouvelle. Le Lot-et-Garonne, comme le reste de la France, reste désemparé devant l’impréparation qui caractérise la campagne de vaccination française.

Hier matin, notre rencontre hebdomadaire avec le préfet n’a pas été très optimale. Le Lot-et-Garonne fait face à une double difficulté : les doses de vaccin sont insuffisantes, si bien que les congélateurs prêts à recevoir les injections restent majoritairement vides, et, comme beaucoup d’autres départements français, il compte des déserts médicaux, avec des médecins généralistes déjà saturés. Vous venez de dire que les médecins généralistes retraités pourront aussi vacciner, c’est une bonne chose – et c’était la demande faite par le Conseil de l’Ordre du département ; mais avez-vous envisagé des solutions annexes pour fluidifier la vaccination dans les territoires ruraux ?

M. Olivier Véran, ministre. – La ruralité fait tellement partie de nos priorités que j’ai fait un choix différent de nos voisins : non pas déployer 50 vaccinodromes à l’échelle du pays, mais des centaines de petits centres de vaccination à l’échelle des territoires, avec, à terme, 5 à 7 centres de vaccination par département, même si certains départements ont déjà dépassé allègrement ce quota. La répartition des vaccins se fera en fonction des besoins et des vaccins dont nous disposons. Ce n’est pas parce qu’un élu me dira qu’il n’a pas assez de vaccins dans son congélateur qu’on en prendra aux départements voisins pour les lui donner...

Samedi dernier, je n’étais pas dans le Lot-et-Garonne, madame la sénatrice, mais j’étais à Tarbes...

Mme Christine Bonfanti-Dossat. – Ce n’est pas pareil !

M. Olivier Véran, ministre. – ... avec le Premier ministre. Le maire, le président de département et la présidente de région sont mobilisés pour mettre en place des équipes départementales, ont développé des centres de vaccination avec des médecins libéraux, des infirmières, des médecins de ville. Les choses se déroulent bien, avec l’engagement de chacun. Nous ne fixons aucune limite aux élus pour fluidifier les choses. C’est la clé du succès et cela va dans le sens de ce que vous m’aviez demandé lors du débat parlementaire.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. – Il n’y a que trois centres de vaccination dans le Lot-et-Garonne.

M. Olivier Véran, ministre. – L’objectif était d’avoir trois centres par département à la fin de cette semaine et jusqu’à six à la fin du mois. Avec 200 centres ouverts le mardi de la deuxième semaine, je crains plutôt qu’il n’y en ait trop, et qu’ils aient des difficultés à tenir toute une semaine avant la prochaine livraison.

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M. Alain Milon. – Quelles recommandations ont-elles été faites quant à la collecte et au traitement des déchets consécutif à la vaccination ?

M. Olivier Véran, ministre. – Certains nous reprochent d’envoyer des documents copieux pour établir un certain nombre de bonnes pratiques… Un cahier des charges a été envoyé aux préfets et aux agences régionales de santé (ARS), reproductible pour chaque centre de vaccination, qui comporte un chapitre consacré à la « gestion des Dasri », c’est-à-dire les déchets d’activités de soins à risques infectieux. Sur ce sujet, les hôpitaux pivots sont au centre de tout.

Mme Laurence Cohen. – Les masques et les tests l’avaient montré, les vaccins le confirment : la logistique est dans notre pays un problème épineux. J’y vois la conséquence du démantèlement de la logistique publique d’État, au demeurant antérieur au pouvoir actuel.

Résultat : vous faites appel à l’un des plus gros cabinets de conseil au monde, McKinsey, pour, tout de même, 130 000 euros la semaine... Sur quel budget cet argent sera-t-il pris : celui de votre ministère, celui de l’Élysée, celui de la sécurité sociale ?

M. Olivier Véran, ministre. – Ces fonds relèvent du budget de fonctionnement du ministère des solidarités et de la santé ; en aucun cas ils ne seront supportés par la sécurité sociale.

Je revendique que nous fassions appel à toutes les compétences disponibles. Elles sont d’ailleurs nombreuses dans le secteur public. Ainsi, un général est chargé de la logistique au sein de mon ministère, épaulé par deux lieutenants-colonels et plusieurs dizaines de logisticiens.

Plus largement, derrière un terme comme « technostructure », des milliers de personnes sont à l’œuvre, au sein du ministère et en dehors. Elles se sentent parfois montrées du doigt, alors qu’elles mobilisent toute leur énergie et travaillent bien – en réseau, notamment.

Peut-être la France n’est-elle pas, au départ, le pays le mieux équipé sur le plan logistique, mais nous pouvons compter sur des ressources admirables. Je renouvelle mon soutien à toutes ces équipes.

M. Bernard Bonne. – On évoque un taux de perte de 30 % dans les centres de vaccination. Les doses non administrées à des personnes prioritaires ne pourraient-elles pas l’être à d’autres, sans considération de critères, pour éviter les pertes ?

M. Olivier Véran, ministre. – Croit-on que les médecins, les pharmaciens, les infirmiers manquent de bon sens ? Il n’est pas besoin de consignes écrites pour que les quelques doses restantes à la fin d’une journée soient proposées aux personnes présentes.

Nous avons malgré tout formalisé ces consignes – dans un guide devenu célèbre... –, pour que les doses non administrées soient proposées aux personnes sur place, notamment dans les Ehpad.

Les 30 % sont un taux de perte théorique, lié notamment au transport. En pratique, nous en sommes très loin aujourd’hui, ce qui est une excellente nouvelle. En tout cas, nous ne voulons pas jeter de doses de vaccin, car c’est un bien précieux.

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M. Bernard Bonne. – Encore faut-il que la population soit avertie de cette possibilité de vaccination...

M. Olivier Véran, ministre. – Nous parlons de toutes petites quantités – une dose ou deux dans un flacon ouvert. Il y a toujours sur place un soignant de moins de cinquante ans, un proche d’une personne vaccinée ou un personnel de l’Ehpad qui peut en bénéficier. On ne m’a signalé aucun cas où, faute de candidats, des vaccins auraient dû être jetés...

Mme Raymonde Poncet Monge. – La vaccination s’accélère pour les publics prioritaires, comme les aides à domicile, mais les bénévoles des établissements médico-sociaux ne sont pas encore inclus parmi les populations cibles.

Dans le cadre du système régulé au niveau européen, la France reçoit son quota de vaccins précommandés par l’Union européenne. Il semble que certains pays, plus en retard que nous sur le plan logistique, aient libéré des quantités résiduelles de vaccins : font-elles également l’objet d’une régulation européenne ?

Si ce n’est pas le cas, le Parlement et le public doivent avoir accès aux contrats d’achat direct souscrits par la France. Ainsi, un registre public des contrats signés pourrait être mis en place. Vous engagez-vous à la transparence en la matière, comme le demande l’Opecst ?

La transparence est un facteur essentiel pour gagner la confiance des élus et de la population : le succès de notre stratégie vaccinale en dépend !

M. Olivier Véran, ministre. – Lorsque la Commission européenne passe de nouveaux contrats avec des laboratoires auprès desquels elle a déjà précommandé des doses, la règle habituelle s’applique : chaque pays peut commander au prorata de sa population. Si un pays ne souhaite pas acquérir les doses qui lui reviennent, celles-ci sont à nouveau soumises à répartition. La France est extrêmement attentive au respect de ce principe d’équité.

Mme Raymonde Poncet Monge. – En cas d’achat direct de ces quantités résiduelles, les contrats seront-ils rendus publics ?

M. Olivier Véran, ministre. – Il n’y a pas de contrat d’achat direct : les marchés sont conclus uniquement par la Commission européenne, qui procède à la répartition. Ce mécanisme est parfaitement transparent, et ses règles ont été approuvées par les députés européens.

M. Laurent Burgoa. – Je serai direct comme on sait l’être dans le Gard : en matière de stratégie vaccinale, qui décide ? Le pouvoir politique, l’administration – pour ne pas dire la bureaucratie ! – ou trente-cinq citoyens tirés au sort ?

M. Olivier Véran, ministre. – La politique vaccinale est conduite par le ministère de la santé, sous l’autorité du Premier ministre et du Président de la République. Quant à la stratégie d’acquisition des vaccins, elle est conduite conjointement par Agnès Pannier-Runacher et Clément Beaune. Nous suivons les recommandations des autorités scientifiques indépendantes, à commencer par le conseil vaccinal ; grâce à ces instances qui fonctionnent bien, nous sommes outillés pour définir notre stratégie.

Néanmoins, pour répondre à la demande, d’ailleurs relayée au Sénat, d’intégration citoyenne et de démocratie sanitaire, le Conseil économique, social et environnemental

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(CESE) a proposé que des citoyens tirés au sort suivent la politique vaccinale. J’ignore si le tirage au sort a déjà eu lieu.

Toujours est-il que la politique vaccinale est menée de la manière que j’ai dite. J’ai le privilège d’en rendre compte à échéances régulières devant le Parlement ou lors de réunions d’élus. Du point de vue de la transparence, je crois donc que nous remplissons les critères.

Mme Véronique Guillotin. – Puisque le nombre de vaccins paraît aujourd’hui suffisant, ne serait-il pas judicieux d’intégrer assez rapidement aux publics prioritaires les sujets jeunes, mais très fragilisés, notamment immunodéprimés et greffés ?

Par ailleurs, nous connaissons maintenant la capacité de mutation du virus. D’ailleurs, nous ne pouvons exclure l’apparition d’un mutant à l’égard duquel les vaccins seraient moins efficaces, voire inefficaces, ce qui rend encore plus nécessaire de vacciner plus vite. La France va-t-elle accélérer le séquençage pour repérer les variants, et comment ce travail influera-t-il sur la politique vaccinale ?

M. Olivier Véran, ministre. – Le professeur Alain Fischer est chargé d’établir la liste des comorbidités exposant particulièrement au risque de formes graves. Les personnes de moins de soixante-quinze ans présentant ces comorbidités – au total, plusieurs centaines de milliers de Français – pourront bénéficier de la vaccination à partir de lundi prochain.

La liste n’aura pas l’exhaustivité que certains souhaiteraient, mais elle sera rigoureusement fondée sur le plan scientifique. On peut imaginer qu’y figureront, par exemple, les patients souffrant d’hémopathie maligne ou d’un cancer en cours de traitement. Les bénéficiaires d’une greffe d’organe sont également au cœur des préoccupations sanitaires.

En matière de séquençage génomique, nous développons, sous l’égide de ma collègue Frédérique Vidal, des plateformes unifiées regroupant les centres nationaux de référence, l’institut Pasteur, les instituts hospitalo-universitaires et les laboratoires publics et privés, afin d’augmenter nos capacités.

Le professeur Bruno Lina, un éminent virologue, m’a expliqué avoir travaillé sur des milliers de tests PCR réalisés jeudi et vendredi derniers. En utilisant une plateforme Thermo Fischer et en procédant au séquençage des cas suspects, il a trouvé environ 1 % de variants d’origine anglaise parmi les tests positifs, sans concentration géographique particulière. Cette opération permettant de surveiller la croissance des variants et l’apparition de clusters sera renouvelée tous les sept à dix jours environ.

Mme Chantal Deseyne. – Quel est, à six semaines, le taux de protection assuré par le vaccin ? Les scientifiques ne semblent pas d’accord sur la question. Certains affirment que la protection monte en puissance pendant les trois premières semaines, avant d’atteindre un palier, puis éventuellement de baisser. Dans ce cas, une seconde injection à six semaines ne conférerait pas une immunité suffisante.

M. Olivier Véran, ministre. – L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé considère qu’un report de la seconde dose du vaccin Pfizer à six semaines serait sans conséquence. L’Agence européenne des médicaments va dans le même sens.

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J’ai néanmoins décidé que, pour les résidents des Ehpad, la seconde injection se ferait à trois semaines. Pour certaines personnes, dont les soignants de plus de cinquante ans, j’ai également ouvert la possibilité qu’elle soit pratiquée à partir de la quatrième semaine.

L’autorisation de mise sur le marché (AMM) encadre les règles de prescription par les médecins ; nous n’allons pas sur-encadrer par rapport à ce que proposent les agences sanitaires.

J’ai dit précédemment que j’avais saisi la Haute Autorité de santé de cette question ; en réalité, elle s’en est autosaisie, au travers de la commission technique des vaccinations (CTV). Quand je disposerai de recommandations affinées de la HAS, je vous en ferai part, ainsi que des conclusions que nous en tirons.

Mme Victoire Jasmin. – Les contrats passés avec les différentes firmes bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché comportent-ils des clauses de non-recours ?

M. Olivier Véran, ministre. – Il n’y a pas de clause de non-responsabilité qui protégerait les laboratoires. C’est le droit commun qui s’applique : si le produit commercialisé présente un défaut de fabrication, le laboratoire en est entièrement responsable.

En revanche, si une personne est victime d’un effet indésirable grave lié à un aléa thérapeutique, c’est-à-dire sans faute du laboratoire, c’est la solidarité nationale qui jouera, via l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) – celui-ci pouvant se retourner contre le professionnel de santé ayant procédé à l’acte en cas de faute manifeste, ce qui est très rare.

Ce système est donc protecteur pour les soignants, mais pas pour les laboratoires.

M. Martin Lévrier. – Je salue à travers M. le ministre tous nos personnels soignants, mais aussi administratifs ; ces derniers servent souvent de boucs émissaires, ce qui ne résout rien.

Mon collègue Richard Yung demande quelles orientations pourraient être arrêtées pour la vaccination des Français établis hors de France.

Je pose la même question pour les étrangers résidant dans notre pays : entreront-ils dans les procédures françaises ?

Enfin, plusieurs plateformes de prise de rendez-vous médical ont été retenues par l’État pour la phase grand public. Trop de possibilités ne risquent-elles pas de tuer les possibilités ? Comment cette phase sera-t-elle organisée ?

M. Olivier Véran, ministre. – Trois prestataires privés ont été choisis : Keldoc, Maiia et Doctolib – cette dernière plateforme, française, gère les carnets de rendez-vous pour l’Allemagne. Toutefois, un système national uniforme sera mis en place via sante.fr, en sorte que les usagers ne verront aucune différence. Ce site sera actif pour la prise de rendez-vous d’ici à jeudi prochain.

Les Français de l’étranger peuvent se faire vacciner localement ; s’il y a une convention entre la France et l’État où ils résident, les frais seront pris en charge. Ils peuvent aussi venir se faire vacciner en France, dans les mêmes conditions que quiconque.

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Quant aux étrangers résidant dans notre pays, ils peuvent se faire vacciner sur le sol français. S’il y a une convention de sécurité sociale, les frais seront pris en charge.

Mme Corinne Féret. – Quels sont le rôle et la place des élus locaux dans l’organisation et le déploiement de la campagne de vaccination ? Comment les avez-vous consultés et associés à ce processus ?

Nos élus sont prêts à s’investir, comme ils l’ont fait dès le début de l’épidémie, et connaissent parfaitement leur territoire et leur population. Comment peuvent-ils faire connaître leurs besoins ? Par exemple, dans le Calvados, il y a une commune de plus de 8 000 habitants sans centre de vaccination.

M. Olivier Véran, ministre. – J’échange très régulièrement avec les élus locaux, notamment lors de mes nombreux déplacements. On ne peut pas avoir un centre de vaccination partout. Nous en voulons cinq ou six par département, ce qui assurera un bon maillage.

Si les élus veulent organiser des transports collectifs ou individuels, contacter les personnes isolées, mettre à disposition des centres de vaccination des personnels de mairie, promouvoir la vaccination auprès de la population ou mobiliser toute ressource permettant d’enrichir la campagne, ils le peuvent ; ils sont même incités à le faire.

Par ailleurs, les élus locaux participent aux cellules départementales de coordination de la mise en place de la vaccination, avec les préfets et les agences régionales de santé. Leur mission est fondamentale ; partout où je suis allé, j’ai constaté qu’ils la prenaient à bras-le-corps.

Ce fourmillement collectif, au-delà des étiquettes, est essentiel. Les critiques peuvent être légitimes, comme les encouragements à faire plus vite, mieux ou différemment, mais nous devons être soudés comme jamais pour faire face à l’enjeu de la confiance. Car la France ne peut pas avoir un taux d’adhésion à la vaccination moindre que les autres pays. Je n’y crois d’ailleurs pas une seconde : si les Français réfléchissent avant d’agir, ils font, en définitive, le bon choix.

Chacun dans son rôle, donnons leur confiance et accompagnons-les vers ce bon choix !

Mme Catherine Deroche, présidente. – Dans le temps très contraint dont nous disposions, tous nos collègues n’auront pas pu poser leur question.

M. Xavier Iacovelli. – Si vous aviez respecté l’ordre d’inscription, madame la présidente, j’aurais peut-être pu poser la mienne...

Mme Catherine Deroche, présidente. – Ce n’est pas moi qui ai fixé la durée d’une heure. J’ai fait en sorte que tous les groupes politiques puissent s’exprimer.

M. Olivier Véran, ministre. – Je vais continuer d’aller à la rencontre des directions, des pharmaciens, des médecins, des 100 hôpitaux pivots, des directeurs généraux d’ARS et des préfets. Je reste également à la disposition du Parlement. Je serai présent au Sénat demain pour la séance de questions d’actualité au Gouvernement. Vous pouvez aussi m’adresser des questions par l’intermédiaire de mon cabinet ; je me fais fort d’y répondre dans les quarante-huit heures.

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Mme Catherine Deroche, présidente. – Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses précises à nos questions précises, posées sans intention polémique : nous souhaitons que la stratégie vaccinale réussisse !

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 5.

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Mes chers collègues, je souhaite une bonne et heureuse année 2021 à celles et ceux d’entre vous que je n’ai pas croisés hier.

Je renouvelle mes excuses à nos collègues qui n’ont pas pu interroger Olivier Véran hier après-midi. S’ils me transmettent leurs questions, elles seront jointes au questionnaire que nous enverrons au cabinet du ministre, un questionnaire assez complet car certaines réponses entendues hier étaient par trop succinctes, voire floues.

Je salue les commissaires qui participent à nos travaux en visioconférence.

Proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement – Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous allons examiner le rapport de notre collègue Laurence Rossignol sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l’avortement. Ce texte a été inscrit à l’ordre du jour du mercredi 20 janvier au sein de l’espace réservé au groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. – En ce début d’année, je souhaite à notre commission une année de travaux utiles. Dans la crise sanitaire actuelle, nous avons un rôle déterminant à jouer pour établir des diagnostics et formuler des propositions.

La proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement a été déposée par une députée actuellement non inscrite, Albane Gaillot, et cosignée par de nombreux députés, de différents groupes.

De manière assez inhabituelle, nous avons donc demandé l’inscription à l’ordre du jour, dans le cadre de notre espace réservé, d’un texte qui n’est issu ni de nos rangs ni de ceux nos correspondants directs à l’Assemblée nationale. C’est qu’il vise un objectif que nous soutenons et qui, j’imagine, est assez largement partagé : sécuriser le parcours de soins des femmes ayant recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Avant tout, il me revient de vous proposer un périmètre pour l’application des irrecevabilités au titre de l’article 45 de la Constitution.

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Je considère que le périmètre du texte comprend les dispositions relatives aux conditions de réalisation d’une IVG, aux protections des femmes recourant à l’IVG et à leurs conditions d’accès à celle-ci, ainsi qu’aux compétences et obligations des professionnels de santé en matière d’IVG.

En revanche, des amendements relatifs aux conditions de réalisation d’une interruption médicale de grossesse (IMG), à la contraception ou à la prévention des infections sexuellement transmissibles ne me sembleraient pas présenter de lien, même indirect, avec le texte en discussion – même si ces sujets pourront être abordés dans nos débats sur la politique générale de santé sexuelle et reproductive.

Dépénalisée par la loi Veil – qu’on pourrait peut-être appeler la loi Veil-Halimi –, l’interruption volontaire de grossesse reste un sujet politiquement sensible. Voilà quarante-six ans, les femmes ont conquis un droit : celui de disposer de leur corps dans des conditions garantissant leur santé et leur sécurité, en dehors de toute pression et sans rencontrer d’obstacle financier ou matériel.

L’effectivité du droit à l’IVG requiert une vigilance constante. Ainsi, pendant la crise sanitaire, les mesures de confinement et les perturbations de l’offre de soins en ville comme à l’hôpital ont fortement pesé sur l’accès des femmes les plus vulnérables à l’IVG. Le retour à la normale ne signera pourtant pas la fin de ces difficultés d’accès, qui sont d’ordre structurel.

De fait, l’activité d’IVG reste bien souvent marginalisée, voire négligée, dans l’organisation des soins hospitaliers. Dans un contexte où le nombre de centres habilités à pratiquer l’IVG diminue et où certaines femmes sont contraintes de parcourir de longues distances pour avorter, nous devons garder à l’esprit que rien ne sera acquis en matière de droit à l’IVG tant que l’effectivité de celui-ci ne sera pas garantie en tout point du territoire.

La présente proposition de loi aborde deux questions majeures, dont nous avons déjà eu l’occasion de débattre : l’allongement de deux semaines du délai légal d’accès à l’IVG et la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG.

Ces deux avancées, mon groupe a déjà tenté de les faire adopter, avec le soutien d’autres groupes et collègues, notamment lors de l’examen des projets de lois de financement de la sécurité sociale (PLFSS), de la dernière loi « Santé » et des textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire. À chaque fois, on nous a opposé que le véhicule législatif n’était pas le bon, ces questions appelant un débat éthique.

Les conditions exigées me paraissent aujourd’hui réunies : nous examinons une proposition de loi spécifiquement consacrée à l’accès à l’IVG, à la suite d’un rapport d’information très fourni de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et à la lumière d’un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), demandé par le ministre des solidarités et de la santé et publié en décembre dernier.

L’article 1er de la proposition de loi allonge de deux semaines le délai légal de l’IVG, qui pourrait donc être pratiquée sans condition jusqu’à la fin de la quatorzième semaine de grossesse. Il s’agit de répondre à des situations certes limitées par leur nombre, mais inacceptables sur le plan social comme médical. En effet, un certain nombre de femmes ne sont pas en mesure d’exercer leur droit à l’IVG dans le délai actuel de douze semaines de grossesse – ou quatorze semaines d’aménorrhée –, pour plusieurs raisons.

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Bien souvent, les femmes concernées ne découvrent leur grossesse que tardivement, en raison de l’irrégularité de leurs cycles menstruels ou de l’absence de signes cliniques de grossesse. Trois fois sur quatre, l’IVG est pratiquée pour des femmes sous contraception : le temps pour comprendre qu’on est malgré tout enceinte est plus long dans ce cas.

En outre, certaines femmes peuvent être confrontées à des changements importants dans leur situation matérielle, sociale ou affective, qui ne leur permettent plus de poursuivre leur grossesse : séparation, exclusion familiale, perte d’emploi ou de logement...

Il faut songer aussi aux très jeunes filles, qui, bien souvent, ne savent pas interpréter les signes d’une grossesse.

À ces femmes, notre système de soins n’apporte aucune réponse satisfaisante. Certaines se voient proposer un rendez-vous trop tardif par rapport au terme de la grossesse, soit en raison d’un manque d’offre d’orthogénie, soit parce que les services d’orthogénie ne traitent pas leur demande avec la priorité absolue qui devrait s’imposer.

Trois options, tout aussi insatisfaisantes, se présentent alors, devant lesquelles les femmes sont placées en situation non seulement d’inégalité, mais aussi de stress psychologique.

D’abord, la femme peut se rendre à l’étranger, le plus souvent au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Espagne, à condition d’en avoir les moyens : sans compter le coût du déplacement, une IVG pratiquée en Espagne coûte entre 300 à 2 200 euros. En 2018, entre 1 500 et 2 000 femmes se sont rendues dans ces trois pays pour recourir à un avortement.

Ensuite, la femme peut solliciter une interruption médicale de grossesse (IMG) pour détresse psychosociale. Outre que cette procédure est longue, contraignante et susceptible d’aggraver sa souffrance psychique, elle n’assure pas son autonomie décisionnelle, puisqu’elle requiert l’accord préalable d’une équipe pluridisciplinaire.

Enfin, la grossesse non désirée peut être néanmoins poursuivie, la femme n’ayant pas été en mesure d’exercer un de ses droits fondamentaux.

L’allongement du délai ne placerait pas nécessairement la France dans une position singulière parmi les pays industrialisés. En effet, si plus de la moitié des pays européens ont fixé le délai légal de l’IVG à douze semaines de grossesse, ce délai est supérieur dans plusieurs pays : quatorze semaines de grossesse en Espagne et en Autriche, dix-huit semaines d’aménorrhée en Suède, vingt-deux semaines de grossesse aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

L’allongement du délai légal entraîne-t-il un recours plus tardif à l’IVG ? La réponse est non. Ainsi, en 2019, 82 % des avortements pratiqués au Royaume-Uni l’ont été avant la dixième semaine de grossesse ; le nombre d’IVG pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse a même diminué de 2 % par rapport à 2018.

En outre, il n’y a pas d’augmentation du risque de complications entre douze et quatorze semaines de grossesse, comme l’a souligné le CCNE, qui a conclu à l’absence d’objection éthique à l’allongement proposé. Il a ajouté qu’il ne saurait s’agir d’un palliatif des défaillances de notre politique publique de santé reproductive : j’en suis d’accord et je formulerai une proposition à cet égard à la fin de mon intervention.

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L’article 2 de la proposition de loi supprime la clause de conscience spécifique à l’IVG, l’un des éléments du compromis de 1975, à une époque où le Parlement était fortement divisé sur la dépénalisation de l’IVG. Quarante-six ans plus tard, la pertinence de cette clause doit être réexaminée à la lumière des évolutions de la société.

Comme il a été rappelé lors de l’examen en première lecture du projet de loi de bioéthique, la clause de conscience générale, permettant de ne pas accomplir un acte contraire à ses convictions, peut être invoquée par les professionnels de santé intervenant dans les procédures d’IVG et d’IMG. Cette clause de conscience générale est inscrite dans les codes de déontologie des médecins, des sages-femmes et des infirmiers, dont l’opposabilité juridique est garantie par leur intégration au code de la santé publique.

C’est pourquoi la commission spéciale chargée d’examiner ce projet de loi a opté, en matière d’IMG, pour la solution équilibrée proposée par notre collègue Bernard Jomier, écartant l’inscription dans la loi d’une clause de conscience spécifique et maintenant l’obligation pour tout professionnel de santé faisant valoir la clause de conscience générale d’orienter la patiente vers un praticien susceptible de réaliser l’IMG. Cette rédaction de compromis a été adoptée par le Sénat, puis votée conforme par l’Assemblée nationale en deuxième lecture.

Par cohérence, la présente proposition de loi aligne le dispositif de l’IVG sur celui de l’IMG. Elle rappelle ainsi que tout professionnel de santé refusant de pratiquer une IVG est tenu de rediriger la patiente vers une structure qui pourra la prendre en charge.

J’insiste : la possibilité pour un professionnel de santé de ne pas réaliser d’IVG au titre de sa clause de conscience générale ne serait nullement remise en cause par la suppression de la clause de conscience spécifique.

En complément, il est prévu que les agences régionales de santé (ARS) publient un répertoire recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé et structures pratiquant l’IVG.

Par ailleurs, au cours de son examen à l’Assemblée nationale, la proposition de loi a été enrichie de plusieurs dispositions tendant à renforcer l’accès des femmes à l’IVG.

L’article 1er bis autorise les sages-femmes à pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit déjà, dans le cadre d’une expérimentation pour trois ans, l’extension aux sages-femmes de la possibilité de réaliser des IVG instrumentales en établissement de santé, sous réserve du suivi d’une formation complémentaire spécifique et d’une pratique suffisante.

L’article 1er ter supprime le délai de deux jours que la femme enceinte doit observer à l’issue de l’entretien psychosocial avant de confirmer par écrit son souhait de recourir à une IVG. Il s’agit du seul délai de réflexion obligatoire subsistant en matière d’accès à l’IVG. La suppression de ce délai, qui ne s’impose de toute façon que si la femme accepte l’entretien psychosocial, participerait de la fluidification du parcours des femmes envisageant de recourir à une IVG.

L’article 2 bis A précise qu’un professionnel de santé refusant la délivrance d’un contraceptif en urgence méconnaît ses obligations professionnelles et peut être sanctionné à ce titre pour refus de soins.

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Enfin, l’Assemblée nationale a ajouté dans le texte deux demandes de rapport.

Reste que ces mesures ne constituent qu’une réponse partielle à la problématique d’une activité d’orthogénie et de planning familial devenue le parent pauvre de la politique d’organisation des soins dans la plupart des établissements, car jugée non rentable. Peu valorisée sur le plan tarifaire et relativement déconsidérée dans la pratique de la gynécologie obstétrique, l’IVG n’est pas considérée comme prioritaire dans les recrutements des établissements hospitaliers.

Alors que l’offre de soins en cancérologie fait l’objet d’un pilotage national et d’une stratégie nationale spécifiques, mis en œuvre par l’Institut national du cancer, notre offre de soins en orthogénie et, plus largement, notre politique de santé sexuelle et reproductive ne font l’objet d’aucun pilotage national proactif les identifiant comme une dimension prioritaire de notre politique de santé publique.

Pour que l’IVG ne serve plus de variable d’ajustement dans les arbitrages budgétaires des établissements de santé et pour garantir l’équité territoriale dans l’accès aux soins en matière de santé sexuelle et reproductive, je propose dans mon rapport une réflexion sur la création d’un institut national de la santé sexuelle et reproductive, chargé notamment de piloter l’offre de soins en matière d’orthogénie et de planning familial. Ce pilotage devrait être assuré en lien étroit avec les agences régionales de santé et les collectivités territoriales, en particulier les départements, qui agréent les centres de planification ou d’éducation familiale.

Mes chers collègues, je vous propose d’adopter cette proposition de loi, dont l’examen nous offre l’occasion de débattre de solutions pour rendre effectif le droit à l’IVG pour toutes.

Mme Élisabeth Doineau. – Compte tenu de son importance, je regrette que ce sujet n’ait pas été abordé dans le cadre de la loi de bioéthique, ce qui aurait permis d’aller plus loin dans le débat.

Souvenons-nous des images de liesse en Argentine à la fin de l’année dernière : voir ces femmes obtenir enfin l’IVG était touchant et marquant. Je pense aussi à la situation en Pologne. L’IVG est un droit pour lequel il ne faut jamais cesser de se battre.

Si je ne suis pas opposée à l’allongement de deux semaines, je suis beaucoup plus réservée sur la suppression de la clause de conscience spécifique, quelque exhaustive qu’ait été Mme la rapporteure dans son argumentation. Tant que les principaux intéressés, les médecins, ne sont pas unanimement d’accord pour accepter ce rétrécissement de leur latitude d’action, je pense qu’il ne faut pas changer le dispositif en vigueur.

Mme Pascale Gruny. – Les questions médicales ne sont pas mes sujets de prédilection, mais j’ai été sollicitée par les gynécologues et les sages-femmes, que cette proposition de loi inquiète beaucoup.

Les sages-femmes sont contre l’idée de pratiquer l’IVG instrumentale, parce qu’elles ne seront pas en mesure de réparer en cas d’accident ; elles s’inquiètent aussi de leur responsabilité. Elles pensent que, si leur ordre s’est prononcé en faveur du texte, c’est surtout pour obtenir un peu de la reconnaissance que la profession demande depuis longtemps.

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En ce qui concerne les gynécologues, ils ne veulent pas que la clause de conscience actuelle soit modifiée. Au reste, parmi ceux que j’ai rencontrés, un seul la fait valoir. Leur principale inquiétude tient au fait que, à quinze semaines d’aménorrhée, le sexe de l’enfant est connu. En outre, du point de vue de l’état-civil, un acte de décès est établi en cas d’accouchement à seize semaines : en cas d’IVG, on considère qu’on est en présence de déchets anatomiques...

Les gynécologues voient de plus en plus de femmes qui ne prennent pas la pilule, considérant que ce n’est pas naturel ; finalement, l’IVG devient leur méthode contraceptive.

Qu’il y ait des inégalités sociales et territoriales, ils l’entendent, même si, dans mon département, le délai d’accès est de sept jours. Il faut dire que nous avons beaucoup de chômage et qu’on fait des bébés alimentaires.

Les gynécologues proposent l’inscription dans la loi de la prolongation de l’IVG médicamenteuse à domicile, un recours accru à la télémédecine et, surtout, l’interdiction de donner le sexe de l’enfant avant seize semaines.

Mme Laurence Cohen. – Je remercie Laurence Rossignol pour la clarté de son rapport et pour le combat qu’elle mène.

Cette proposition de loi est transpartisane : après avoir été promue par une partie des députés La République En Marche, elle est défendue au Sénat par le groupe socialiste. Preuve que, quand il s’agit de l’intérêt des femmes, nous pouvons réussir à dépasser nos clivages. Chaque fois qu’il y a une avancée dans ce domaine, c’est parce que nous parvenons à le faire au nom de l’intérêt primordial des femmes.

Il faut rappeler que l’interruption volontaire de grossesse n’est jamais un choix léger, fait de gaieté de cœur.

En matière de droits des femmes, quel que soit le ministre compétent, ce n’est jamais ni le bon moment ni le bon véhicule législatif... En l’occurrence, je ne vois pas pourquoi ce texte ne serait pas la bonne occasion de débattre de manière sereine et approfondie de ces questions essentielles.

S’agissant de la clause de conscience spécifique, je voudrais bien qu’on m’explique au nom de quels arguments scientifiques un tel mécanisme est prévu pour l’avortement et pour lui seul, étant entendu que la clause générale suffit. Laurence Rossignol a fort bien rappelé que ce dispositif avait permis l’adoption de la loi en 1975. Mais enfin, depuis lors, nous avons évolué…

Il faudrait, nous dit-on, attendre l’unanimité des médecins. Je ne suis pas médecin et je pense qu’il est important que la commission des affaires sociales ne soit pas composée que de médecins.

M. René-Paul Savary. – C’est très juste !

Mme Laurence Cohen. – L’unanimité existe-t-elle dans un seul domaine de la médecine ? Pourquoi ce blocage au sujet de l’avortement ?

Quant à l’IVG instrumentale, madame Gruny, nous ne devons pas rencontrer les mêmes sages-femmes. Dans mon département comme au niveau syndical, celles que j’ai

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3550 rencontrées insistent beaucoup pour pouvoir pratiquer l’IVG instrumentale. Les quelques professionnelles qui y sont hostiles ne seront forcées à rien.

Sachons évoluer avec les besoins des femmes, car il est préoccupant que, chaque année, 3 000 à 4 000 d’entre elles soient obligées d’avorter à l’étranger. Une situation source de discriminations, car toutes les femmes n’ont pas les moyens de le faire, ce qui entraîne un certain nombre de drames.

Mme Michelle Meunier. – Je suis évidemment favorable à ce texte, qui s’inscrit dans la continuité des propositions que notre groupe et d’autres ont formulées pendant le confinement en matière d’allongement des délais.

Il offre aussi l’occasion de reparler de l’accès à l’IVG. Dans mon département, la population a considérablement augmenté en vingt ans, sans que l’offre de soins se développe de même.

Un vrai pilotage national de la politique de santé sexuelle et reproductive me paraît nécessaire, comme l’a souligné Laurence Rossignol.

En revanche, je suis en total désaccord avec Mme Doineau, car l’IVG n’est pas une question d’éthique, mais de santé publique. Et je suis particulièrement surprise des propos tenus par Mme Gruny, qui ne lui ressemblent pas vraiment. Pour ma part, je ne connais aucune sage-femme ayant la vision dont elle s’est fait l’écho, d’autant que mettre au monde un enfant est techniquement plus risqué que pratiquer une IVG par aspiration…

M. Xavier Iacovelli. – J’appuie l’argumentation de la rapporteure. Si nous attendons l’unanimité des médecins, nous pouvons abandonner tout espoir de légiférer sur l’IVG…

Mme Doineau a affirmé que les médecins sont les premiers concernés. Je considère, quant à moi, que les femmes sont les premières concernées. C’est dans cette perspective que nous devons mener notre réflexion.

Non, madame Gruny, l’IVG n’est pas un moyen de contraception pour celles qui refusent la pilule ; cet acte est traumatisant, et on ne peut laisser penser qu’il serait fait à la légère ou par confort. Le propos sur les bébés alimentaires m’a aussi quelque peu interpellé…

Une grande partie des membres de mon groupe votera cette proposition de loi.

M. Daniel Chasseing. – Entre la demande d’IVG et la réalisation, il s’écoule souvent près de huit jours ; il doit être possible de réduire ce délai. Par ailleurs, les femmes ont parfois du mal à s’informer, trouver des interlocuteurs et connaître les praticiens. L’engorgement de certains centres hospitaliers et la désertification médicale aggravent ces difficultés.

Tous ces problèmes, il est possible d’y remédier en améliorant l’information dans les collèges et les lycées, en étendant la compétence des sages-femmes à la dixième semaine, en supprimant le délai de réflexion de deux jours, en obligeant les médecins qui recourent à la clause de conscience à adresser la femme à un confrère et en poursuivant l’IVG médicamenteuse à cinq semaines à domicile et à sept en établissement.

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Si le délai est allongé à quatorze semaines, un plus grand nombre de médecins et de sages-femmes refuseront de pratiquer l’IVG, en sorte qu’il y aura moins de professionnels pour prendre en charge les demandes. En outre, d’après les spécialistes, l’augmentation de la taille du fœtus entre douze et quatorze semaines augmente les risques, notamment d’hémorragie et d’accouchement prématuré lors des grossesses ultérieures.

Bref, je considère qu’il faut renforcer les moyens et mieux accompagner les femmes pour que toutes les IVG puissent être réalisées avant la fin de la douzième semaine.

Mme Florence Lassarade. – Daniel Chasseing a raison : sur nos territoires, l’accès à l’IVG n’est pas toujours conforme à ce que prévoit la loi ; c’est pourquoi des femmes se retrouvent près du délai limite. Je ne suis pas du tout favorable à l’extension, mais il faut que la prise en charge des femmes soit correctement assurée dans le délai actuel.

Il est vrai que toutes les sages-femmes ne souhaitent pas pratiquer l’IVG instrumentale, compte tenu des enjeux de responsabilité. Une expérimentation est prévue : prenons le temps de voir ce qu’elle donne. Les nouvelles sages-femmes sont sans doute beaucoup plus proactives dans ce domaine. En tout état de cause, le régime de responsabilité doit être bien défini.

Mme Laurence Garnier. – L’Académie de médecine s’est prononcée contre l’allongement du délai de recours à l’IVG, compte tenu des risques de complications pour les femmes à court et moyen terme. Cette position n’est pas éthique ou idéologique, mais relève du rôle d’alerte que joue cette instance sur le plan médical. Madame la rapporteure, avez-vous pris en compte ces arguments et comment y répondez-vous ?

M. Alain Milon. – Je comptais n’intervenir qu’en séance, mais je me sens obligé de répondre à certains propos.

Certes, monsieur Iacovelli, les femmes sont les plus directement concernées ; mais les médecins, qui réalisent l’acte chirurgical, sont concernés directement eux aussi.

En outre, il y a un troisième acteur : l’enfant à naître, qui ne naîtra pas… C’est pourquoi, madame Cohen, il y a bien une raison scientifique en même temps que morale à la clause de conscience : le médecin, en prêtant le serment d’Hippocrate, s’engage à donner et à maintenir la vie, pas à l’interrompre. De ce point de vue, la loi Veil est extrêmement bien faite ; il ne faut pas la modifier en profondeur.

Le nombre annuel d’IVG est compris entre 200 000 et 250 000, et il y a 700 000 accouchements chaque année. En d’autres termes, sur un million de grossesses, un quart sont interrompues. Nous devons mieux accompagner les femmes enceintes, plutôt que de leur dire : puisque vous ne pouvez ou ne voulez pas, on va interrompre. Il est nécessaire que cette solution existe, mais je considère que c’est une solution de facilité.

En outre, dans le cadre du projet de loi de bioéthique, les députés ont insisté sur l’IMG pour un motif psychosocial. C’est une mesure que je réprouve, mais qui répond aux problèmes que Mme la rapporteure a décrits.

M. Bernard Jomier. – Sur un sujet de cette nature, je ne m’exprime pas en fonction de mon appartenance politique.

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Je respecte parfaitement ceux qui, pour des raisons philosophiques, religieuses ou autres, sont opposés à l’IVG de toute façon ; ils sont naturellement hostiles aux mesures visant à rendre plus effectif l’accès des femmes à ce droit.

Étendre le délai de l’IVG n’est pas affaire de militantisme : personne ne souhaite obtenir plus par principe, comme c’est le cas dans d’autres domaines. À mon sens, il s’agit de s’assurer qu’un droit formel devient un droit réel.

Or, depuis des années, l’application effective de ce droit est difficile, pour de multiples raisons. Les propositions présentées ce matin sont avancées depuis des années, sans que la situation change. L’allongement de deux semaines pourrait – même si je n’en suis pas certain – rendre plus effective et plus simple l’application de ce droit. Je ne vois en tout cas aucun obstacle majeur à cette mesure, ni pratique ni éthique. C’est pourquoi je la soutiens.

La clause de conscience doit exister, et elle existe. D’ailleurs, quelle femme voudrait qu’un médecin pratique une IVG sur elle en y étant contraint ? Comme médecin, je suis attaché à ce qu’on respecte le droit d’un confrère à ne pas pratiquer une IVG. Simplement, la clause de conscience générale suffit. Le président de l’Ordre des médecins m’a écrit pour défendre la double clause, mais son argumentation n’est pas juste.

Madame Doineau, vous savez très bien que, si l’on avait attendu l’unanimité des médecins ou même l’accord de leur ordre, il n’y aurait toujours pas de contraception et d’IVG dans notre pays... Heureusement, les positions historiques sur ces sujets ont changé.

La double cause a été supprimée pour l’IMG, et on verra bien qu’aucun médecin ne sera contraint de pratiquer un tel acte contre sa volonté. Il serait logique que le législateur adopte la même position sur l’IVG.

Enfin, monsieur Milon, l’IMG pour raison psychosociale existait déjà. Les députés ont simplement voulu le rappeler, pour une raison que je n’ai pas bien saisie.

Mme Élisabeth Doineau. – Moi non plus...

Mme Véronique Guillotin. – L’accès à l’IVG doit être effectif pour toutes. L’allongement du délai résoudra-t-il les difficultés ? Je n’en suis pas persuadée. Ce qu’il faut, c’est régler les problèmes d’accès aux soins en comblant les lacunes sur les territoires et en améliorant l’éducation.

Le CCNE considère qu’il n’y a pas d’obstacle éthique. À titre personnel, je n’en vois pas non plus, mais l’allongement me paraît une solution facile à un problème complexe. En outre, il faudrait voir si, dans les pays où le délai est plus long, des complications ne sont pas constatées. Il serait dommage de faire courir des risques aux femmes alors que les difficultés peuvent être réglées par d’autres moyens.

La clause de conscience, qui rassure l’ensemble des praticiens, doit être maintenue, d’autant que la France n’est pas l’Italie ; il n’y a pas d’obstruction majeure dans notre pays.

Quant à l’IVG instrumentale, il est vrai que certaines sages-femmes sont réticentes.

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De façon générale, je rejoins la position de Daniel Chasseing : efforçons-nous d’améliorer l’accès à l’IVG. C’est une question de santé publique, certes, mais elle a une dimension éthique, comme M. Milon l’a rappelé : on peut comprendre que pratiquer une IVG heurte la conscience de certains médecins – ce débat existe aussi pour la fin de vie.

Mme Émilienne Poumirol. – Je suis d’accord avec Bernard Jomier : l’allongement du délai n’est pas une fin en soi, mais on constate que, compte tenu des conditions actuelles, 2 000 femmes sont obligées de partir à l’étranger chaque année pour avorter, ce qui est source d’inégalités sociales. Il s’agit de résoudre ce problème, étant entendu qu’une très grande majorité des IVG interviennent avant dix semaines.

Alors que la clause de conscience générale concerne tous les actes médicaux, le maintien de la double clause donne à l’IVG la connotation d’un acte médical très spécifique. Cela n’est pas justifié, car le droit des femmes à l’IVG est acquis. Au reste, comme médecin, je n’ai jamais rencontré une femme qui l’ait exercé par facilité.

Les inégalités territoriales et sociales sont réelles. L’accès à l’IVG est difficile dans nombre de départements, ce qui oblige des femmes à parcourir une longue distance. Notre politique en la matière doit être beaucoup plus incisive, et le pilotage national proposé par Laurence Rossignol peut y contribuer.

Toutes les femmes, où qu’elles habitent et quelles que soient leurs conditions de vie, doivent pouvoir accéder à l’IVG rapidement.

Mme Raymonde Poncet Monge. – J’attends depuis longtemps de ceux qui défendent cette clause spécifique de conscience qu’ils me donnent une explication. Mais je crois qu’il n’y en a pas !

Cette clause stigmatise, culpabilise, comme si l’IVG posait un « super cas de conscience », mais n’accorde aucun droit supplémentaire au médecin. On peut bien sûr toujours en discuter, mais il faut alors nous convaincre de ce qu’elle apporte par rapport à la clause de conscience « classique ». S’il s’agit de dire autre chose, il faut avoir le courage de l’expliciter.

Mme Corinne Imbert. – Je voudrais tout d’abord remercier les différents intervenants, car ce sujet sensible méritait un débat aussi serein et respectueux.

Oui, il s’agit bien d’une question d’éthique. Le CCNE, saisi par le ministre des solidarités et de la santé, s’est d’ailleurs montré favorable au maintien de la clause de conscience spécifique. Cette clause empêche-t-elle les IVG ? Non, puisqu’une grossesse sur quatre commencée en France se termine par une IVG.

Je rejoins ceux de nos collègues qui ont souligné le manque de moyens accordés à cette politique essentielle pour les femmes. Aujourd’hui, 65 % des interruptions volontaires de grossesse concernent des femmes de 19 à 25 ans. Ce serait une erreur de voter une extension du délai d’IVG de douze à quatorze semaines pour pallier ce manque de moyens et les dysfonctionnements qui l’accompagnent. Ne nous trompons de sujet.

Comme l’a souligné Mme la rapporteure, l’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a validé une expérimentation de trois ans de la pratique de l’IVG instrumentale par les sages-femmes. Il me semble donc quelque peu prématuré de voter une

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3554 extension générale. Pascale Gruny nous a justement fait part des interrogations des sages-femmes sur cette question.

Le rapport dispose que 82 % des femmes, au Royaume-Uni, demandent une IVG avant la dixième semaine de grossesse. En France, ce taux s’élève à 95 %. Seules 5 % des femmes ayant recours à une IVG en France le font donc au cours des deux dernières semaines. Certes, 1 500 femmes vont à l’étranger chaque année pour des raisons que nous ne discutons pas – problème de contraception, déni de grossesse…

Notre groupe ne votera pas ce texte, mais nous souhaitons pouvoir en débattre en séance publique – le sujet le mérite. Toutefois, nous présenterons une motion tendant à poser la question préalable.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. – Je tiens également à remercier tous les intervenants pour la qualité de ce débat. Nous discutons régulièrement de ces questions, plusieurs de nos collègues portant souvent des avancées pour faire en sorte que ce droit conquis par les femmes en 1975 ne soit pas que formel, mais bien réel et effectif.

L’adoption de cette proposition de loi permettrait-elle d’apporter toutes les réponses aux problèmes rencontrés dans l’accès à l’IVG en France ? La réponse est non, car ces difficultés sont en partie liées à l’offre de soins. En quinze ans, le nombre d’établissements réalisant des IVG a diminué de 22 %. Nous avons été plusieurs, ces dix dernières années, à souligner, lors de l’examen des différentes lois santé ou portant réorganisation de l’hôpital, que la fermeture de maternités ou d’établissements hospitaliers s’accompagnait souvent de celle d’un centre d’orthogénie. Il s’agit d’une réalité physique et territoriale que cette proposition de loi ne peut régler.

Il y aura toujours des IVG : trois IVG sur quatre concernent des femmes sous contraception. Vous pouvez organiser l’offre de soins de manière aussi performante que possible, il y aura toujours un nombre important d’IVG, car il y aura toujours des accidents de contraception. C’est un droit que les femmes exercent, et c’est bien ainsi. À nous de faire en sorte que toutes puissent exercer ce droit.

Le recours à l’IVG ne doit pas non plus être la conséquence d’une sous-information en termes d’éducation sexuelle. Cela fait dix ans que l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école est totalement défaillante. Il ne s’agit pas seulement d’un manque de moyens, c’est aussi un enjeu idéologique. Que dit-on aux enfants sur leur sexualité ? Certaines personnes refusent que l’on informe les jeunes sur la contraception d’urgence, c’est-à-dire sur la pilule du lendemain, parce qu’ils y voient un acte abortif. Encore une fois, la proposition de loi ne pourra pas régler ce genre de questions idéologiques ou politiques.

On ne constate nulle part dans les pays occidentaux de corrélation entre allongement des délais et pratique eugéniste qui permettrait, par exemple, de choisir le sexe de l’enfant. Ce n’est pas un danger. Pour le CCNE, l’allongement des délais ne pose pas de question éthique. Ces questions ont été tranchées voilà quarante-cinq ans.

Comme d’autres ici, je n’ai toujours pas compris pourquoi la clause de conscience générale ne suffirait pas. Un chirurgien sollicité pour pratiquer une double mastectomie sur une femme qui n’a pas encore développé de cancer du sein, mais qui craint d’en développer en raison d’antécédents familiaux, peut très bien refuser de le faire en invoquant la clause de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3555 conscience. Tous les professionnels de santé sont déjà protégés dans leur liberté de pratique. La double clause de conscience sert donc seulement à rappeler que l’IVG n’est pas un acte médical comme les autres. Cette double clause de conscience n’est pas justifiée par la déontologie, mais par notre conception du droit des femmes à accéder à l’IVG. Je pense qu’elle n’a plus de raison d’être. De très nombreux pays ne connaissent pas cette double clause, ce qui n’empêche pas les médecins de refuser de pratiquer une IVG s’ils ne le souhaitent pas.

Madame Gruny, j’ai pu auditionner le Conseil national de l’ordre des sages-femmes qui m’a indiqué que de plus en plus de sages-femmes se spécialisaient et conventionnaient en orthogénie. Une sage-femme qui ne veut pas faire d’orthogénie sera libre de ne pas en faire. Le Conseil national de l’ordre et les associations représentatives sont favorables aux dispositifs prévus dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Il faut mettre en place un pilotage national de la santé sexuelle et reproductive qui ne doit plus naviguer au gré de la territorialité de l’offre de soins, des fermetures de maternités et d’hôpitaux, de l’ajustement des services d’orthogénie en situation de sous-effectif perpétuel… Mon attention va vers les médecins qui considèrent qu’il est de leur rôle de continuer, contre vents et marées, de défendre cette activité dans l’hôpital. J’ai davantage de compassion et d’empathie pour ces derniers que pour ceux qui se retranchent derrière la double cause de conscience.

Je veux bien croire que les solutions sont ailleurs, mais cela fait des années que rien ne bouge.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Selon moi, l’allongement du délai légal pose tout de même un problème éthique. Il ne faut pas y voir le dernier recours quand le reste ne marche pas.

Je rejoins les propos de Laurence Rossignol sur l’éducation à la vie sexuelle et affective. Lors de nos travaux sur les violences sexuelles, nous avons vu combien l’éducation nationale était défaillante. Dans ma région des Pays de la Loire, j’ai milité pour le maintien du Pass contraception, aujourd’hui intégré à un Pass santé global pour les jeunes. Il faut une meilleure information et faire en sorte que les jeunes, notamment les mineurs, puissent accéder à des consultations gratuites.

EXAMEN DES ARTICLES

Les articles 1er, 1er bis, 1er ter A, 1er ter, 2 bis A, 2 bis, 2 ter et 3 ne sont pas adoptés.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi transmis par l’Assemblée nationale.

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Proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous passons à l’examen du rapport de Mme Monique Lubin et du texte de la commission sur la proposition de loi de M. Rémi Cardon et plusieurs de ses collègues relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans.

Ce texte est inscrit à l’ordre du jour, au sein de l’espace réservé du groupe socialiste, écologiste et républicain, le mercredi 20 janvier prochain.

Mme Monique Lubin, rapporteure. – Je voudrais tout d’abord, bien que l’actualité n’invite pas à l’optimisme, vous souhaiter une excellente année 2021.

En ce qui concerne les travaux législatifs de notre commission, l’année débute par l’examen d’une proposition de loi de notre collègue benjamin du Sénat, Rémi Cardon, visant à ouvrir des droits nouveaux dès dix-huit ans, que j’ai cosignée avec les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain.

Dans le contexte exceptionnel que nous connaissons, il me semble que nous devrions porter un regard neuf sur la proposition d’étendre aux jeunes de moins de 25 ans le revenu de solidarité active (RSA). J’y suis favorable, en particulier compte tenu de l’urgence sociale qui s’annonce pour les jeunes majeurs.

Avant toute chose, il me revient de vous proposer un périmètre pour l’application des irrecevabilités au titre de l’article 45 de la Constitution : je considère qu’il comprend des dispositions relatives aux conditions d’attribution aux personnes âgées de moins de 25 ans, au financement et au service du RSA.

En revanche, j’estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux autres prestations sociales et à l’action sociale, à l’indemnisation du chômage ou aux droits attachés à la majorité civile. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l’article 45 de la Constitution.

Le RSA, qui a succédé le 1er juin 2009 au revenu minimum d’insertion (RMI), est financé par les conseils départementaux et versé par les caisses d’allocations familiales (CAF). Premier minimum social en nombre d’allocataires, il était versé à 1,9 million de foyers bénéficiaires fin 2018. Ce nombre a dépassé 2 millions en 2020.

Il s’agit d’une allocation différentielle complétant les ressources initiales du foyer afin qu’elles atteignent le seuil d’un revenu garanti, ou montant forfaitaire, dont le barème varie selon la composition du foyer. Au 1er avril 2020, ce montant est fixé à 564,78 euros pour une personne seule sans enfant et à 847,17 euros pour une personne avec un enfant ou pour un couple sans enfant. Pour mémoire, le revenu mensuel médian s’élevait en 2018 à 1 771 euros par mois en France métropolitaine, selon l’Insee.

Contrairement à d’autres prestations sociales, le bénéfice du RSA n’est ouvert qu’à partir de l’âge de 25 ans, sauf exception. En outre, le bénéficiaire ne peut pas être élève, étudiant ou stagiaire, sauf s’il est parent isolé ou si ses revenus d’activité sont supérieurs à 500 euros en moyenne par mois.

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Par exception, la condition d’âge ne s’applique pas aux personnes assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants nés ou à naître.

Par ailleurs, une majoration du RSA est accordée sans condition d’âge au parent isolé assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants ou à une femme enceinte isolée. Le montant de ce RSA majoré s’élève, au 1er avril 2020, à 966,99 euros pour une personne avec un enfant. Fin 2018, ses bénéficiaires étaient à 96 % des femmes.

Parmi les 229 200 foyers bénéficiaires du RSA majoré au 31 décembre 2018, 25 % concernent des jeunes de moins de 25 ans – soit 57 300 ménages – alors que seulement 2 % des bénéficiaires du RSA non majoré se trouvent dans cette tranche d’âge.

Enfin, la loi de finances pour 2010 a étendu le RSA aux personnes de moins de 25 ans justifiant de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années précédant la demande. À la différence du RSA de droit commun, ce « RSA jeune actif » est entièrement financé par l’État. Toutefois, du fait de la condition d’activité très restrictive, le nombre de bénéficiaires n’a cessé de diminuer depuis sa création, en particulier depuis 2016, année de la création de la prime d’activité, ouverte dès l’âge de 18 ans. Ils n’étaient plus que 734 en 2019, ce qui montre bien que ce dispositif a manqué sa cible.

Au total, on peut estimer que seuls 91 000 allocataires du RSA sont âgés de moins de 25 ans, sur un total de 1 903 800 allocataires fin 2018. Du fait des conditions actuelles d’attribution de la prestation avant l’âge de 25 ans, il s’agit en majorité de jeunes femmes élevant seules leurs enfants, comme j’ai eu l’occasion de le constater dans mon département.

En posant une condition d’âge minimum à 25 ans, le RSA fait figure d’exception parmi les minima sociaux. En effet, la plupart des prestations sociales non contributives ne comportent pas de conditions d’âge ou sont ouvertes avant l’âge de 25 ans. C’est notamment le cas de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui est ouverte dès l’âge de 20 ans, afin de prendre le relais des allocations familiales dues au titre de l’enfant handicapé et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), qui ne repose pas sur une condition d’âge, mais sur une durée minimale d’activité.

La prime d’activité, ouverte dès l’âge de 18 ans aux personnes qui perçoivent des revenus tirés d’une activité professionnelle ne dépassant pas un plafond, et les aides au logement, qui sont versées sans condition d’âge, constituent les principales prestations non contributives touchant les jeunes adultes.

Le RSA apparaît donc comme une anomalie dans ce paysage. Dans ces conditions, rien ne semble justifier que les jeunes majeurs ne puissent bénéficier de cette solidarité en cas de difficulté, alors qu’ils contribuent à la solidarité nationale. En effet, les arguments traditionnellement invoqués pour justifier cette exclusion, notamment l’assimilation du RSA à une « trappe à inactivité », semblent de plus en plus fragiles, alors que la situation des jeunes est déjà détériorée depuis de nombreuses années.

Certains dispositifs sont néanmoins à la disposition des jeunes précaires.

En particulier, la Garantie jeunes assure un accompagnement spécifique pour les jeunes de 16 à 25 ans sans emploi ni formation, qu’on appelle les NEET (Not in Education, Employment or Training). Ces jeunes étaient environ 960 000 en France en 2018 selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Créée à titre

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3558 expérimental en 2013, puis généralisée en 2017, la Garantie jeunes est une modalité renforcée du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (Pacea) qui accorde une aide financière à son bénéficiaire, couplée à un accompagnement intensif vers l’emploi assuré par les missions locales pendant une durée d’un an en principe et pouvant aller jusqu’à dix-huit mois. La Garantie jeunes a bénéficié à 91 124 jeunes en 2020 et le Gouvernement prévoit sa montée en charge, dans le cadre du plan de relance, jusqu’à 200 000 bénéficiaires en 2021.

Je suis convaincue, par mon expérience, qu’il s’agit d’un dispositif pertinent et efficace pour aider les jeunes les plus éloignés de l’emploi et en rupture familiale à s’insérer.

Toutefois, ce dispositif spécifique, ainsi que les autres aides sociales ouvertes aux jeunes majeurs, qu’elles soient pérennes ou exceptionnelles, ne semblent pas suffisants pour lutter contre la pauvreté des jeunes qui s’est aggravée depuis le début des années 2000. Selon l’Insee, le taux de pauvreté à 50 % du revenu médian était de 8 % dans l’ensemble de la population en 2017 et de 12,6 % chez les 18-29 ans. Pour cette tranche d’âge, ce taux ne s’élevait qu’à 8,2 % en 2002 et sa progression s’est essentiellement déroulée entre 2004 et 2012 pour se stabiliser jusqu’en 2020.

Si l’on retient le seuil plus couramment utilisé de 60 % du revenu médian, 14 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté monétaire en 2018, mais 19,7 % des personnes âgées de 18 à 29 ans se trouvaient dans cette situation.

Il convient en outre de noter que ces statistiques ne prennent en compte que les jeunes adultes vivant de manière autonome. Ceux qui sont contraints de rester ou de retourner chez leurs parents sans pouvoir accéder à un logement autonome, faute de revenus suffisants, ne sont pas pris en compte, alors que leur situation relève aussi de la précarité. De même, les chiffres de la pauvreté ne prennent pas en compte les étudiants. Enfin, comme me l’indiquait le directeur de l’Observatoire des inégalités, la tranche d’âge de 18 à 29 ans retenue par l’Insee comprend des situations trop hétérogènes pour avoir une appréhension suffisamment fine de la situation des jeunes. Il conviendrait donc de préciser et d’affiner ces statistiques pour avoir une meilleure connaissance des difficultés des jeunes majeurs.

Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer les conséquences économiques et sociales de l’épidémie de covid-19 sur les jeunes majeurs, il ne fait pas de doute que la crise sanitaire aggravera la précarité des jeunes de moins de 25 ans et la pauvreté d’une partie d’entre eux, en particulier du fait de la dégradation attendue du niveau du chômage. S’il faut saluer le déploiement par l’État d’aides exceptionnelles de solidarité versées par les CAF aux ménages modestes en juin, puis en novembre 2020, ainsi que la création de nouvelles aides exceptionnelles aux jeunes chômeurs pour 2021, ces dispositifs ponctuels ne permettront pas de soutenir tous les jeunes majeurs dont la situation sociale aura été aggravée par la crise.

J’en viens au dispositif de la proposition de loi de notre collègue Rémi Cardon, dont la rédaction a été inspirée par plusieurs mouvements de jeunesse que j’ai auditionnés. Elle reprend une proposition déjà formulée en 2016 par Christophe Sirugue dans son rapport sur les minima sociaux, puis en décembre dernier par l’Assemblée nationale dans le rapport de la commission d’enquête consacrée à la jeunesse face aux défis du covid-19. Cette proposition de loi a, en outre, recueilli le soutien de nombreuses associations, dont le Secours populaire, le Secours catholique et les Restos du cœur, que j’ai auditionnés, ou encore ATD Quart Monde.

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L’article 1er de ce texte prévoit d’étendre le bénéfice du RSA aux jeunes majeurs dès 18 ans, quelle que soit leur situation familiale, ainsi qu’aux mineurs émancipés.

L’article 2 propose, en conséquence, de supprimer le « RSA jeune actif », qui n’aurait plus de raison d’être.

Selon une estimation de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) réalisée en 2016, le dispositif proposé pourrait bénéficier à 1,4 million de jeunes majeurs pour un coût estimé de 5,8 milliards d’euros.

Je suis bien consciente que cette proposition de loi, dont le dispositif est circonscrit aux conditions d’âge pour bénéficier du RSA, n’épuise pas le sujet de la lutte contre la pauvreté des jeunes majeurs et de leur insertion vers l’emploi, qui suppose d’améliorer notamment leur accès à la formation ou encore au logement.

Certaines situations nécessiteront un traitement spécifique. Je pense notamment aux familles monoparentales ou aux jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance. Je pense également aux problèmes de précarité de l’emploi qui frappent les jeunes à travers les contrats courts, les extras ou, de façon plus récente, l’uberisation du travail. N’oublions pas non plus les étudiants pauvres, qui ne sont pas concernés par le RSA et qui souffrent d’un système de bourses défaillant.

Enfin, le financement des mesures proposées ne devrait pas être uniquement à la charge des conseils départementaux, en particulier dans un contexte où leurs dépenses sociales progressent fortement, mettant certains d’entre eux en difficulté financière.

Comme nous l’a indiqué la déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté, la réforme du revenu universel d’activité (RUA) ne se fera pas sous ce quinquennat. Quant à l’idée d’un revenu de base versé automatiquement et sans contrepartie, elle est pour l’heure rejetée par le Gouvernement, même sous forme expérimentale. Cette idée, promue par l’association des départements solidaires dont j’ai entendu plusieurs représentants, me parait être la bonne solution, à terme, pour soutenir les plus pauvres, notamment les jeunes majeurs. Par son automaticité, cette allocation aurait en outre le mérite d’apporter une réponse au problème du non-recours aux droits.

Dans ces conditions, le dispositif proposé constitue un premier pas important pour soutenir les jeunes majeurs en difficulté. Il apporte une réponse concrète et immédiate face à l’urgence sociale qui s’annonce et avant que soient engagés des travaux de plus grande ampleur sur les minima sociaux, notamment sur le revenu de base, et les dispositifs d’insertion, en mobilisant une prestation sociale qui a le mérite d’exister.

Pour ces raisons, je demande à la commission de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Je remercie Mme Lubin pour son travail. Elle nous a permis de mener de nombreuses auditions.

Je pense que cette proposition de loi arrive à point nommé. L’Humanité de ce matin publie un reportage sur trois jeunes diplômés, précaires, qui n’ont pas droit au RSA. Pour s’en sortir, ils ont pris l’habitude de faire des petits boulots de serveurs dans des restaurants, des cafés ou dans les stations de ski. La perte de ces revenus les a plongés dans une situation d’extrême gravité.

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Notre groupe votera cette proposition de loi, qui constitue un premier pas.

Je ne vais pas revenir sur les dysfonctionnements du système actuel d’aides sociales qui exclut les jeunes de 18 à 25 ans. Par ailleurs, il ne faudrait pas que les départements aient à supporter l’intégralité du dispositif, car ils n’en ont pas les moyens. Ils mettent déjà beaucoup la main à la poche pour aider nos populations. Les chiffres du RSA ont explosé et nous allons avoir du mal à régler la note. Il nous faudra donc insister auprès du Gouvernement pour que cette extension du RSA, si elle était mise en place, soit compensée à l’euro près par l’État.

Dans mon département, je n’ai jamais vu autant de jeunes faire la manche à la porte des supermarchés. Il faut y voir un signe : quand on s’assied devant un supermarché, ce n’est pas seulement pour de l’argent, c’est aussi pour de la nourriture.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. – Votre rapport, madame Lubin, a le mérite de poser un problème qui, à l’évidence, s’est aggravé.

La mise en place de la Garantie jeunes, ces dernières années, vise à répondre au problème de la précarité des jeunes. Le Gouvernement se propose aujourd’hui de doubler le nombre de ses bénéficiaires, soit un investissement de plus d’un milliard d’euros. Ce dispositif, qui ne dure qu’un an, n’est sans doute pas parfait, la moitié des jeunes concernés ne trouvant pas d’emploi à son terme. Nous savons tous que la véritable garantie d’un revenu durable, c’est l’emploi.

Étant favorable au revenu de base, je comprends parfaitement ce que vous proposez. Une mission d’information que je présidais, et dont le rapporteur était Daniel Percheron, a conclu qu’il fallait expérimenter le revenu de base. Aucun gouvernement n’a malheureusement saisi cette opportunité, alors même que le système fiscal actuel nous permettrait de la mettre en place assez facilement.

Le coût du dispositif proposé s’élève à 5,8 milliards d’euros. Mais quid de la récupération de cette enveloppe sur l’ensemble des revenus ? Il s’agit d’une difficulté majeure.

Je reste plutôt favorable au doublement de la Garantie jeunes, qui constitue un progrès. Et je suis pour l’expérimentation d’un revenu de base, en particulier à destination des jeunes, comme notre mission d’information l’a recommandé. J’en resterai là.

M. Philippe Mouiller. – Je remercie Mme Lubin pour son rapport, qui dresse un état des lieux clair, même si nous ne partageons pas les mêmes solutions.

Le coût du dispositif proposé s’élève à 5,8 milliards d’euros. Or nous sommes tous d’accord pour dire que l’État ne compense pas aujourd’hui les dépenses des départements sur le RSA. Nous sommes donc dans l’incapacité de financer cette extension que les départements redoutent.

Il existe déjà certains outils, notamment la Garantie jeunes. Le Gouvernement a engagé des moyens financiers importants pour permettre d’en doubler le nombre de bénéficiaires en 2021.

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Notre groupe est plus favorable aux aides à l’accompagnement et à l’insertion par la formation qu’à une certaine forme d’assistanat. Pour autant, nous sommes bien conscients des conséquences de cette crise économique sur la précarité des plus jeunes. Nous réfléchissons à un certain nombre de propositions, mais qui ne s’inscrivent pas dans une démarche de revenus.

Pour ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de loi.

Mme Frédérique Puissat. – Il existe un panel de dispositifs en matière de formations complémentaires ou d’insertion qui peuvent permettre à tous les jeunes de 18 à 25 ans de s’insérer dans un contexte professionnel assez classique. Je pense aux entreprises d’intérim ou encore à certains organismes de formation, comme l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui réalise un travail remarquable.

Au-delà, et même s’il s’agit de jeunes majeurs, il me semble important de rappeler que les familles sont aussi là pour les accompagner en cas de difficulté. Il ne faut pas nier l’existence d’une responsabilité familiale. Il me semble important de le rappeler dans notre société.

Comme l’a souligné Philippe Mouiller, notre groupe s’inscrit davantage dans une logique d’accompagnement et d’insertion que d’allocations. Il s’agit d’un vrai débat philosophique.

Certains saisonniers qui cherchent un logement et un travail dans les stations de ski sont aujourd’hui obligés de dormir dans leur voiture, à proximité des villages de bas de vallée. Les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (CCAS ou CIAS) sont mobilisés, ce qui pose de vraies difficultés. Nous espérons tous que cette situation n’est que conjoncturelle.

Mme Monique Lubin, rapporteure. – En ce qui concerne la compensation du RSA par l’État, nous connaissons tous la problématique et je comprends parfaitement les questionnements. S’agissant du financement de cette mesure, je pense que des propositions se feront jour lors de l’examen du texte en séance publique.

Nous pouvons tous auditionner les associations et organismes concernés, nous arriverons aux mêmes constats. Si l’on se contente de mesures ponctuelles, on n’en sortira pas. Il faudra bien un jour poser des questions courageuses et obtenir des réponses tout aussi courageuses en matière de financement.

Je suis une fervente partisane de la Garantie jeunes, expérimentée en 2013 dans mon département. À mes yeux, il s’agit du meilleur dispositif d’insertion des jeunes les plus éloignés de l’emploi depuis bien longtemps. Il doit sa réussite aux moyens alloués, notamment en termes d’accompagnement. On arrive à des taux de réussite proches de 50 %.

Le Gouvernement propose de doubler le nombre de bénéficiaires de la Garantie jeunes. C’est un premier pas, mais ce dispositif ne peut être l’alpha et l’oméga de l’insertion des jeunes. On peut ne pas être « NEET », avoir moins de 25 ans et se retrouver sans ressources sans remplir les conditions pour entrer dans ce dispositif. Cette proposition de loi vise donc à répondre à l’urgence, aux besoins de subsistance de ces jeunes.

En ce qui concerne le revenu de base et son expérimentation, monsieur Vanlerenberghe, vous prêchez une convaincue. Mon département fait également partie de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3562 ceux qui souhaitent une telle expérimentation. La mise en place d’un revenu de base constituerait la meilleure solution pour des raisons d’universalité, d’automaticité…. Les associations de jeunes que nous avons auditionnées nous ont répondu qu’il fallait d’abord répondre à l’urgence et que le RSA avait le mérite d’exister. D’un point de vue technique, et même si la question du financement reste posée, il est plus facile de verser immédiatement un RSA à un jeune de moins de 25 ans.

Les nombreux dispositifs existants s’adressent souvent aux plus éloignés de l’emploi. Il faut commencer par eux, mais cela ne répond pas à toutes les problématiques.

Nous pourrions longtemps débattre du choix entre accompagnement et assistanat. Dans mon esprit, il n’est pas question d’attribuer une allocation sans accompagnement. Le RSA prévoit d’ailleurs un accompagnement, qui varie selon les départements.

Nous savons que certaines catégories de bénéficiaires du RSA n’entreront pas dans l’emploi durable. Je pense, par exemple, à la question du handicap. Dans les commissions d’attribution du RSA, on rencontre des personnes qui devraient plutôt relever de l’AAH, mais qui n’y ont pas droit pour diverses raisons et qui ne sont pas employables au regard des conditions actuelles de l’emploi. Que faire ? Je pense aussi aux seniors : plus personne ne veut des personnes de plus de 58 ans, pourtant encore capables de travailler. Notre système de solidarité nous permet de les accompagner jusqu’à leur retraite.

La société ne permet pas à tout le monde de s’insérer dans le monde du travail et on n’a pas le droit de laisser ces personnes sans aucun revenu de subsistance. L’accompagnement doit rester le fil conducteur.

Comme l’a souligné l’Observatoire des inégalités, un jeune de 18 ans n’est pas forcément dans la même situation qu’un jeune de 25 ans. Il faut donc mettre des accompagnements en place pour ceux qui ont besoin d’autre chose que d’un simple revenu de subsistance immédiat.

Les études récentes, notamment celles menées par Esther Duflo, montrent que le fait d’accéder à un minimum social ne désincite pas à la recherche d’un travail. J’aimerais que l’on dépasse cette idée. Quel jeune aujourd’hui aurait envie de s’inscrire durablement dans une situation de bénéficiaire du RSA ?

Lors de son audition, la déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté m’a également opposé la responsabilité familiale. Bien évidemment, les parents ont une responsabilité vis-à-vis de leurs enfants, tout comme les enfants en ont une vis-à-vis de leurs parents seniors. Mais alors, on tombe toujours sur les mêmes : certaines familles vont pouvoir accompagner leurs enfants et leur offrir le gîte et le couvert jusqu’à 30 ans, mais d’autres ne le peuvent plus. Et d’autres encore considèrent que, compte tenu de leurs propres difficultés, dès lors qu’un jeune majeur a terminé son cursus scolaire, il doit se débrouiller. Chacun doit être rappelé à ses propres responsabilités, mais on ne peut absolument pas s’arrêter là.

Mme Pascale Gruny. – Dans RSA, il y a le « A » de « activité ». Il est bien triste de proposer à des jeunes de dix-huit ans d’entrer déjà dans ce circuit... Il faut plutôt les aider à s’insérer, les accompagner dans la formation, même si c’est parfois difficile.

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Mon département est l’un des cinq plus pauvres de notre pays. Le RSA représente 70 % du budget départemental ! Dès avant la crise sanitaire, il fallait frapper à la porte des conseillers de l’Élysée pour obtenir 2 ou 3 millions d’euros pour pouvoir payer les agents.

Parmi ceux qui ne travaillent pas, certains voudraient travailler, mais beaucoup en sont à la troisième ou la quatrième génération sans emploi : ils n’ont jamais vu quelqu’un travailler dans leur famille... Ce n’est pas cette perspective d’avenir qu’il faut leur proposer ! À Château-Thierry, nous fêtons cette année les 400 ans de La Fontaine : relisons « Le Laboureur et ses enfants », sur la dignité fondée sur le travail.

Sur mon territoire, ceux qui travaillent touchent généralement un SMIC, éventuellement amélioré par l’ancienneté. Ils sont les premiers à dire : nous n’en pouvons plus de ceux qui, au RSA, nous regardent partir au travail et nous empêchent de dormir la nuit. Vous pouvez lever les sourcils, mais telle est la réalité dans mon département.

La crise sanitaire entraîne des difficultés considérables. Dans l’événementiel, par exemple, certains, notamment des jeunes, ne peuvent pas bénéficier de l’accompagnement de l’État, parce qu’ils sont employés au noir – pas toujours de leur fait. Ce n’est pas une loi qui permettra de répondre à ce type de difficultés.

Nous avons mis en place le dispositif Aisne Actifs Plus : chaque bénéficiaire du RSA « travaille » trente-cinq heures par semaine – en fait, il suit une formation, effectue un stage ou recherche activement un emploi. Ce plan est fondé sur le volontariat, pour des raisons constitutionnelles. Malheureusement, les volontaires ne sont pas nombreux...

Plutôt que de donner de l’argent sans contrepartie, il faut mettre l’accent sur l’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi et leur insertion dans le travail, source de dignité.

M. Daniel Chasseing. – L’aggravation de la pauvreté des jeunes va se poursuivre sous l’effet de la crise sanitaire, d’autant que, pour les étudiants, le système de bourses n’est pas suffisant. Mais, comme il a été expliqué, les départements ne sont pas en mesure d’assumer davantage de dépenses au titre du RSA.

La désindustrialisation que nous subissons depuis trente ou quarante ans – l’industrie ne pèse plus que 13 % de notre PIB, contre 26 % en Allemagne – est un élément du problème.

Nombre de jeunes sortent du système scolaire sans la moindre formation. Il faut, notamment à travers les missions locales et une augmentation de la Garantie jeunes, les prendre en charge de manière personnalisée pour les accompagner vers un emploi, facteur de dignité et de réalisation personnelle.

M. Olivier Henno. – La question posée est légitime, car plus de la moitié des personnes vivant sous le seuil de pauvreté ont moins de trente ans. Faut-il pour autant que, dès l’âge de dix-huit ans, le revenu ne soit pas lié au travail, à la formation, à l’apprentissage, bref à l’activité ? On touche là à la valeur travail, qui a une dimension sacrée.

Oui, certaines personnes n’entreront pas ou plus dans l’emploi durable. Mais faut-il entériner cette réalité dès dix-huit ans ? Ce serait périlleux pour l’équilibre de notre société, même si j’ai bien conscience des difficultés sociales de nombreux jeunes, qui n’ont pas la chance d’être accompagnés par leur famille.

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Renforçons la Garantie jeunes et améliorons l’accompagnement, plutôt que de déconnecter le revenu de l’activité. Dans le cadre du RSA, nous le savons bien, la contrepartie n’est pas toujours au rendez-vous, même si les départements s’efforcent de faire au mieux.

Mme Annie Le Houerou. – Le problème des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans se posait avant la crise, mais il est désormais exacerbé. On ne peut pas laisser dire que ce serait aux familles d’intervenir : elles-mêmes sont plongées dans de graves difficultés... C’est la solidarité nationale qui doit jouer.

Le RSA, ce n’est pas de l’argent donné sans contrepartie. C’est un socle qui suppose un accompagnement. Je rappelle que la Garantie jeunes est limitée dans le temps et non renouvelable.

Le dispositif proposé, très rapidement opérationnel, offrirait une réponse aux jeunes en très grande difficulté, exposés à des risques très importants dans nos villes comme dans nos campagnes – je pense à l’emprise de réseaux, par exemple de prostitution. Notre responsabilité est de leur proposer un socle sécurisé qui leur permette de trouver leur place dans la société. Ils sont notre avenir : aidons-les à avancer !

Mme Raymonde Poncet Monge. – Il est bon d’avoir rappelé que les revenus de base ne désincitent pas à la recherche d’emploi ; les enquêtes sociologiques l’ont montré.

Je conteste l’emploi du terme « inemployabilité ». L’esprit de l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée », c’est que personne n’est inemployable, à condition d’être accompagné et de se voir donner une deuxième, une troisième, voire une quatrième chance par la formation.

Pour beaucoup d’entreprises, on est inemployable à cinquante-cinq ans... Mais est-on vraiment inemployable ? Évidemment non. L’inemployabilité est une notion qui sert aux entreprises pour justifier des pratiques d’éviction, voire de discrimination.

Mon groupe est favorable à l’élargissement proposé et, au-delà, au revenu de base.

Mme Monique Lubin, rapporteure. – Madame Gruny, il faut voir le RSA jeunes comme un filet de sécurité. Il ne s’agit pas de permettre à des jeunes de s’installer dans une pauvreté chronique dont ils se contenteraient.

La valeur travail est aussi la nôtre. Nous voulons seulement apporter une réponse à l’urgence sociale. Le travail permet notamment à un être humain de se réaliser et de s’autonomiser. Mais on ne peut rester sans réponse devant ceux qui n’ont aucun revenu minimum de subsistance.

Les solidarités familiales se sont disloquées aujourd’hui. Aux deux extrémités de la chaîne de la vie, certaines personnes rencontrent des difficultés extraordinaires.

Nous devons accompagner ce dispositif de mesures d’accompagnement et d’insertion. Mais il faudra aussi y mettre les moyens : le doublement du nombre de bénéficiaires de la Garantie jeunes n’aura aucun sens si les missions locales n’ont pas les moyens adéquats. Rien ne serait pire que de décrédibiliser ce dispositif qui fonctionne quand tant d’autres ne fonctionnent pas…

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Monsieur Chasseing, toutes les personnes auditionnées ont souligné que nous n’avions pas encore suffisamment de recul pour évaluer les conséquences de la crise sanitaire en matière de pauvreté. Toutefois, chaque jour, nous constatons très concrètement l’augmentation de la précarité des jeunes.

Madame Poncet-Monge, je ne considère pas que des individus puissent être inemployables. Je faisais référence aux demandes du monde du travail actuel.

Je savais que nous aurions ce débat entre assistanat et accompagnement. Il faut que nous ouvrions nos chakras : ne restons pas cantonnés sur des positions dogmatiques. Nous devons apporter des réponses concrètes et rapides aux jeunes en situation de précarité.

EXAMEN DES ARTICLES

Les articles 1er, 2 et 3 ne sont pas adoptés.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Mise en œuvre de la stratégie vaccinale contre la covid-19 – Audition de M. Antoine Flahault, épidémiologiste, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous accueillons ce matin M. Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève, que nous avions auditionné, avec beaucoup de profit, dans le cadre de notre commission d’enquête. Monsieur le professeur, nous souhaitons vous entendre sur la mise en œuvre de la stratégie vaccinale contre la covid-19.

Par comparaison avec la façon dont les choses se passent chez certains de nos voisins, en particulier l’Allemagne, le déploiement de la campagne vaccinale en France a souffert de lenteurs, liées à des faiblesses de la chaîne logistique, déjà identifiées lors de la première vague à propos des équipements de protection.

Monsieur Flahault, vous vous êtes exprimé à plusieurs reprises dans les médias sur le déploiement de cette stratégie. Nous sommes intéressés par l’approche comparative qui est la vôtre depuis Genève.

M. Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève. – Merci du grand honneur que vous me faites en m’invitant aujourd’hui.

Il existe deux stratégies vaccinales possibles : une stratégie qui viserait l’immunité collective, visant à barrer la progression de l’épidémie, et une stratégie visant à protéger les personnes à risque, sur le modèle de la stratégie antigrippale. Partout dans le monde c’est la seconde stratégie qui a été choisie, avec l’espoir, bien sûr, qu’elle contribuera à l’immunité

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3566 collective qui, un jour, bloquera définitivement la pandémie. L’objectif prioritaire, donc, est la protection des personnes âgées et des personnes vulnérables.

C’est, selon moi, la bonne stratégie, compte tenu du caractère exceptionnel de la covid-19, capable, par les vagues épidémiques qu’elle provoque, de submerger les systèmes de santé et donc de motiver des modalités de réponse d’une lourdeur inouïe, comme le confinement généralisé. C’est précisément pour éviter ce type de mesures exceptionnelles, qui mettent à genoux nos sociétés et nos économies, que cette stratégie, en dehors de son impact sanitaire attendu, apparaît hautement recommandable.

Les pays que j’ai en vue sont des pays européens – Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Suisse, Irlande, Italie, Royaume-Uni –, auxquels j’associe Israël, champion actuel de la réponse vaccinale. Dans tous ces pays, le vaccin est gratuit, et il n’est pas obligatoire. La gouvernance de la stratégie vaccinale se situe toujours au niveau des gouvernements et, le cas échéant, au niveau fédéral ; parfois – c’est le cas de l’Irlande –, une task force adaptée a été créée.

Le timing de la stratégie vaccinale a été donné dans toute l’Europe par l’Agence européenne des médicaments, dont je salue la grande efficacité. Aujourd’hui, tous les médicaments, en Europe, passent au filtre de ses procédures ; cela a permis que tous les pays européens aient accès au même moment à une autorisation de mise sur le marché (AMM) contraignante, pour le vaccin de Pfizer le 21 décembre, pour le vaccin de Moderna le 6 janvier – on est encore dans l’attente de l’autorisation de mise sur le marché du vaccin d’AstraZeneca. La logistique repose à peu près partout sur des centres de vaccination, d’autant plus nécessaires que le vaccin de Pfizer nécessite une chaîne du froid particulièrement exigeante.

Partout dans les pays que j’ai listés, les publics prioritaires sont les personnes âgées et les personnels de santé, ainsi que ceux des institutions type établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou maisons de retraite. Ce qui varie parfois à la marge, c’est l’intégration d’autres groupes à risque ou essentiels, comme les pompiers ou les forces de police, dans la liste des catégories prioritaires. La priorisation des maisons de retraite a été discutée aux États-Unis : certains experts ont affirmé qu’elle revenait à prendre un risque du point de vue de la réputation des vaccins : des personnes extrêmement âgées étant vaccinées, d’éventuels accidents de santé pourraient être imputés à tort au vaccin, qui serait ainsi discrédité en période de confiance limitée. Ce raisonnement me semble audible, mais spécieux ; les campagnes de vaccination antigrippales concernent toujours au premier chef les maisons de retraite, mais n’ont jamais entraîné ce type de discrédit.

Un mot également sur l’argument de l’immunosénescence : les personnes âgées ont un système immunitaire moins efficace que les personnes plus jeunes, ce qui pourrait rendre le vaccin moins protecteur ; mais cette hypothèse ne s’est pas vérifiée au cours des essais cliniques.

Le défi majeur est un défi d’approvisionnement et de logistique. La France attend 232 millions de doses en 2021, mais 22 millions seulement seront livrées, dans le meilleur des cas, avant juin, et 190 000 doses ont été administrées à ce jour, plaçant la France dans le peloton de queue des pays européens.

Les raisons de ce retard au démarrage sont multiples. J’en donnerai deux, liées à des traumatismes collectifs, à des « fiascos », qui ont probablement influencé les politiques.

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Le vaccin contre l’hépatite B, d’abord : c’était une très bonne résolution que de vouloir vacciner toute la France, notamment tous les jeunes, contre l’hépatite B, responsable d’un cancer extrêmement grave du foie, mais cette campagne de vaccination a été suivie d’une pseudo-épidémie de sclérose en plaques qui, bien qu’elle n’ait jamais été retrouvée ailleurs dans le monde et bien que son imputabilité au vaccin n’ait jamais pu être démontrée, a créé un premier traumatisme dans la société française. Deuxième traumatisme : les vaccinodromes H1N1, qui se sont révélés un fiasco parce qu’ils n’ont pas été utilisés, alors même que l’organisation avait répondu aux attentes et que les doses avaient été fournies en un temps record.

Tous les pays ont leur traumatisme, ou presque : les États-Unis l’ont avec la vaccination menée tambour battant contre la grippe en 1977, qui fut suivie d’une épidémie de syndromes de Guillain-Barré. Au Royaume-Uni, il y a eu une pseudo-controverse sur des cas d’autisme qui surviendraient après la vaccination contre la rougeole, bien que cette relation ne tienne pas la route sur le plan scientifique. Ce genre d’épisodes laisse des traces collectives et chez les gouvernants, qui peuvent avoir des peurs à vaincre lorsqu’ils font face à ce type de défis.

Il faut surtout éviter de confondre les « antivax », ces personnes qui sont résolument, parfois par dogmatisme, parfois par idéologie, parfois pour d’autres raisons, contre la vaccination, et des gens qui ont pu exprimer, à l’occasion de la mise sur le marché d’un nouveau vaccin, des doutes, des réticences, des réserves. Certains de nos collègues médecins ont ainsi souhaité attendre de pouvoir juger sur pièces les résultats publiés des essais cliniques pour émettre un avis documenté. Mais les réticences devraient être levées petit à petit avec l’expérience que l’on va acquérir sur ces vaccins si, comme je le pense, cette expérience s’avère paisible et même enthousiasmante, révélant la grande efficacité d’une technologie nouvelle, associée à un nombre d’effets indésirables extrêmement limité – un tournant, donc, dans la vaccinologie moderne.

La proposition que je ferai pour que nous regardions vers l’avant se décline en deux points. Premièrement, il faut poursuivre sans la modifier la stratégie engagée en France, c’est-à-dire vacciner en priorité les personnes âgées, les personnes à risque et les personnels de santé, tambour battant et le mieux possible, avec le plus de garanties possible.

Je propose, deuxièmement, que soit planifiée dès à présent une opération du type de celle que mon confrère Guy Vallancien a proposée. Les Français savent très bien organiser des élections où 38 millions d’entre eux votent un même dimanche aux mêmes heures, le vote n’étant d’ailleurs pas plus obligatoire que la vaccination ; nous pourrions imaginer qu’en juin prochain on organise deux tours de vaccination où des infirmiers, des médecins, des pharmaciens, délivreraient des doses de vaccin à tous les Français volontaires.

Cette proposition serait réalisable techniquement, du point de vue de l’approvisionnement, si un laboratoire comme Sanofi Pasteur utilisait son savoir-faire pour packager du « vrac » de vaccin : en cinq mois, on devrait pouvoir mettre en flacon l’équivalent de deux fois 40 millions de doses d’un vaccin aujourd’hui mis sur le marché. Ainsi donnerait-on aux Français la possibilité de se dire que la page sera, fin juin, en grande partie tournée, et de partir en vacances tranquillement.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Le calendrier vaccinal communiqué hier par Olivier Véran nous a un peu inquiétés. Vous avez parlé des vaccinations ciblées sur les personnes les plus à risque ; mais il a dit qu’il espérait qu’à Pâques on aurait terminé la

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3568 vaccination des plus de 75 ans, ce qui me paraît très long et, de surcroît, élimine la tranche des 60-75 ans qui, pour certains, attendent vraiment le vaccin de pied ferme.

J’entends ce que vous dites sur la proposition de Guy Vallancien. Au mois de juin se tiendront déjà les élections régionales… Devant l’inorganisation de la vaccination, Guy Vallancien disait qu’on sait parfois s’organiser lorsqu’il s’agit de faire venir beaucoup de monde pour faire la même chose le même jour ; il faut voir ça avec le ministère de l’intérieur !

Vous avez cité Sanofi ; mais ce laboratoire travaille sur un vaccin qui ne sera probablement pas disponible avant la fin de l’année. Disposez-vous d’éléments sur la disponibilité du vaccin de Sanofi ?

M. Antoine Flahault. – Il ne s’agit pas du vaccin de Sanofi ; il s’agit de demander à Sanofi de conditionner du vrac, c’est-à-dire de la substance active d’un vaccin existant, par exemple celui d’AstraZeneca. Le problème n’est pas un problème de stocks ; le problème majeur, pour les trois fabricants, c’est l’embouteillage, la mise en flacon. Il faudrait donc des accords négociés entre les laboratoires pour que Sanofi, par exemple, puisse conditionner dès aujourd’hui des doses de vaccin d’un autre fabricant afin de pouvoir fournir au mois de juin les deux fois 40 millions de doses dont vous avez besoin. Je ne parle pas d’attendre le vaccin de Sanofi, qui ne sera en effet pas disponible en quantité suffisante au mois de juin.

Mme Jocelyne Guidez. – Alors que, dans l’hexagone, un peu plus de 100 000 personnes seulement ont été vaccinées contre la covid-19, plus de 10 % des Israéliens ont déjà reçu une première injection de vaccin. En Israël, la distribution est assurée par l’armée ; le recours à l’armée française et à son savoir-faire reconnu en matière logistique permettrait-il d’outrepasser les lourdeurs administratives qui semblent entraver l’action du ministère de la santé ?

Mme Florence Lassarade. – En Suisse, le débat a émergé sur la possibilité d’un passeport vaccinal ; en France, on a évoqué l’opportunité de lancer le carnet électronique de vaccination. Qu’en est-il dans les autres pays européens, concernant, par exemple, l’utilisation qu’on pourrait faire d’un tel passeport pour réguler les voyages ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. – Vos propos sont rassurants et en phase avec ce que nous avons entendu hier de la part de M. Véran. L’idée de planifier deux tours de vaccination au mois de juin me semble excellente. Se pose néanmoins le problème de l’approvisionnement. Vos chiffres m’ont un peu étonné : en juin, avez-vous dit, la France disposerait de 22 millions de doses de vaccin. Or le ministre de la santé a parlé hier de 21 millions de doses en mars ; on parle de 77 millions de doses en juin, sans compter Sanofi. Avez-vous des statistiques plus précises en la matière, en particulier pour la France ?

M. Antoine Flahault. – Concernant l’armée et la logistique, je crois en effet que le Gouvernement est engagé dans une course contre la montre, qu’il faut gagner. Nous redoutons, avec les nouveaux variants britannique et sud-africain, que le virus ne devienne plus contagieux encore et se fraie un chemin malgré le lancement de la vaccination et l’ébauche d’une immunité collective dans la population. Si l’on arrive à vacciner rapidement, on évitera une mortalité évitable et un nouveau reconfinement du pays. Toutes les forces, y compris, pourquoi pas, les forces armées, doivent donc être mobilisées pour accélérer le processus.

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Je suis d’accord avec vous ; 190 000 doses de vaccin injectées au 12 janvier alors que le pays en a sans doute reçu 1 million, c’est insuffisant ; la montée en charge doit progresser, et tout ce qui est mobilisable est bienvenu. Partout nous faisons face au même défi, dans le canton de Genève par exemple, où la situation est meilleure qu’en France, mais moins bonne qu’en Allemagne, assez proche de celle de l’Espagne. Les controverses, d’ailleurs, existent aussi en Allemagne ; elles sont consubstantielles à la gestion d’une telle crise, mais on peut et on doit faire mieux.

Pour ce qui est du passeport vaccinal et du carnet de vaccination électronique, nous avons, en Suisse, un carnet de santé électronique, et les données de vaccination y sont systématiquement reportées. Mon sentiment est que ce thème pourrait faire l’objet d’une résolution à l’Assemblée mondiale de la santé, organe de gouvernance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : les États membres européens pourraient demander que la vaccination contre la covid-19 soit l’objet d’une mention dans le carnet de vaccination international, outil qui existe et qu’il n’est pas nécessairement besoin de réinventer. Pour aller en Guyane, par exemple, le règlement sanitaire international impose la présentation d’un certificat de vaccination contre la fièvre jaune. Compte tenu du risque d’émergence d’un marché noir ou d’un trafic de faux certificats, il ne faut pas laisser une telle initiative aux États, mais régler ce type de dispositifs au niveau de l’OMS.

Sur l’approvisionnement, je partage votre avis. Vos chiffres, certes, sont différents des miens, mais les miens ne sont pas nécessairement meilleurs que les vôtres. Le chiffre que j’ai donné vient d’un tableau dont la source est gouvernementale, et que l’on trouve en ligne, par exemple, sur le site de BFM TV.

M. Daniel Chasseing. – Les personnes âgées et les personnes à risque sont aujourd’hui vaccinées avec le vaccin Pfizer, dont la conservation est difficile. Si le vaccin AstraZeneca devient disponible, ne pourrait-on pas, avec les médecins, les pharmaciens, les infirmières, vacciner en trente jours toute la population, comme c’est le cas pour la grippe ? Cet autre vaccin se conserve en effet entre 2 et 8°C, ce qui change complètement la donne.

M. René-Paul Savary. – Sur le décalage de la deuxième injection de trois à six semaines après la première, des garanties scientifiques ont-elles été données, ou s’agit-il d’un simple report stratégique ? Je lisais hier soir encore un article de savants français préconisant de respecter les trois semaines de délai.

Mme Corinne Imbert. – Une remarque sur la logistique : il ne faut pas oublier, en la matière, le rôle qui incombe aux grossistes-répartiteurs, qui ont une mission de service public et livrent les officines deux fois par jour. Ce sont des professionnels de la logistique en matière de médicaments.

Un vent de créativité souffle sur le calendrier vaccinal ; René-Paul Savary évoquait le décalage de la deuxième injection ; certains envisagent même une interchangeabilité, entre la première et la deuxième injection, de deux vaccins différents, y compris d’un vaccin à ARN messager et d’un vaccin à adénovirus. Que pensez-vous de ces panachages envisagés ? Ces usages hors autorisation de mise sur le marché pourraient-ils avoir des conséquences collectives ?

M. Antoine Flahault. – Vous avez raison de dire que le vaccin Pfizer est très différent et beaucoup plus contraignant que ceux de Moderna ou d’AstraZeneca en termes d’utilisation par les officines de ville ou les médecins libéraux. Pour le vaccin Pfizer, il n’est

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3570 pas question d’une telle utilisation : le conditionnement, notamment, demande une préparation ; le vaccin doit être reconstitué, ce qui demande beaucoup de temps. Le vaccin de Moderna, lui, n’exige pas d’être reconstitué et peut se conserver au réfrigérateur pendant un mois. Mais il est lui aussi assez contraignant. Le vaccin d’AstraZeneca est le plus facile à administrer ; avec ce vaccin, il n’y aura pas d’objection à impliquer plus massivement les médecins de ville.

Je note néanmoins que les Allemands ont préféré une stratégie centralisée ; ils craignent en effet les passe-droits qui pourraient résulter de la pression s’exerçant sur les médecins de ville, moins bien armés pour sélectionner les personnes à risque à partir des bases de données de l’assurance maladie. Je ne dis pas que les médecins de ville seront plus sujets que d’autres à ce type de détours, mais ils seront plus isolés. Les Allemands préfèrent donc une organisation plus lourde, mais plus protectrice. En période de pénurie de doses, le respect de la priorité donnée aux groupes à risque est très important ; il faut être certain de pouvoir le garantir si l’on passe par des canaux plus décentralisés.

Concernant le décalage de la deuxième injection, le médecin que je suis n’est pas très perturbé par l’idée que la deuxième dose soit administrée un peu plus tard que prévu. Il faut surtout ne pas l’administrer trop tôt : on a besoin d’un délai. Mais injecter la deuxième dose un peu plus tard n’annule en aucun cas le bénéfice de la primo-vaccination.

Cela dit, les deux vaccins aujourd’hui disponibles reposent sur une technologie nouvelle, et les essais ont fait fond sur de tels délais : trois semaines pour l’un, quatre semaines pour l’autre. Le respect du protocole du fabricant et des prescriptions de l’autorisation de mise sur le marché donne des garanties aux patients en cas d’effets indésirables.

Permettez-moi d’ajouter, de surcroît, que la France n’en est pas là ! Lorsque vous aurez écoulé tous les stocks de doses de vaccin, vous pourrez vous poser cette question. Aujourd’hui, l’enjeu est surtout de délivrer les doses disponibles. Mais il est vrai que les Britanniques ont pris cette décision assez hétérodoxe d’allonger le délai.

Sur l’interchangeabilité, je suis beaucoup plus réservé. À nouveau, aucun essai n’a été fait sur ce thème. Un essai était prévu, avec l’idée qu’une combinaison des deux types de vaccin pourrait non pas simplement permettre de répondre à une situation de pénurie, mais améliorer l’efficacité de la vaccination. Or on est presque à 100 % d’efficacité, notamment pour les formes graves, avec les vaccins à ARN messager et avec celui d’AstraZeneca ; cette recherche d’une amélioration de l’efficacité via l’interchangeabilité a donc perdu de sa pertinence. En tout cas, en l’absence de toute expérience sur le sujet, je déconseille très fortement toute interchangeabilité sauvage, opportuniste, non contrôlée.

Par ailleurs, en termes de responsabilité et d’imputation d’un risque vaccinal tardif ou rare, on aura beaucoup de difficulté à savoir lequel est en cause avec deux vaccins.

En ce qui concerne les grossistes répartiteurs, je ne connais pas très bien leur rôle. J’ignore s’ils sont équipés de congélateurs à - 70°. Dans le cadre d’un acheminement décentralisé, ils pourraient faire figure d’opérateurs essentiels en vue d’une diffusion rapide et pragmatique vers les pharmacies d’officine, les médecins de ville ou les « bureaux de vote » de vaccination.

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Mme Catherine Deroche, présidente. – Merci de nous avoir rappelé ce que sont les essais cliniques. Nos collègues qui ont été vaccinés ont eu un rendez-vous six semaines après la première injection pour la deuxième dose. C’est surprenant, car ce n’est pas ce que nous a indiqué le ministre. Dont acte !

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Vous avez parlé de 232 millions de doses de vaccin. Je n’ai pas très bien compris à quoi correspond ce chiffre, mais je ne suis apparemment pas la seule. L’institut Pasteur de Lille avance à grands pas sur un traitement permettant d’éviter les formes graves de covid. Il demandera dans les prochains jours aux autorités de santé de pouvoir débuter les tests sur les patients. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Martin Lévrier. – Vous avez évoqué les traumatismes dans les différents pays. On connaît ceux de la France. Pensez-vous que le consentement préalable était une bonne idée ? Un départ plus lent donne le sentiment que l’on gère l’important plutôt que l’urgent. L’accélération actuelle suffira-t-elle à rattraper le retard que nous avons pris par rapport aux autres pays ? Israël est parti tambour battant sur la vaccination. Malgré un confinement très strict, ce pays enregistre une reprise exponentielle de la pandémie. Quid de la possibilité d’obtenir une immunité en fonction de la diffusion rapide du vaccin ?

M. Jean Sol. – Les variants anglais et sud-africain circulent aujourd’hui dans notre pays. Une vingtaine de personnes seraient touchées. Comment s’organisent le suivi et le dépistage de ces patients ? Les vaccins utilisés auront-ils un impact sur ces variants particulièrement virulents ?

M. Antoine Flahault. – En ce qui concerne les 232 millions de doses, je vous transmettrai le document source, mais je ne garantis pas que ces données soient meilleures que celles dont vous pouvez disposer.

En ce qui concerne le repositionnement du nouveau traitement, l’institut Pasteur de Lille a fait exactement ce qu’il fallait. La controverse un peu pénible sur la chloroquine et l’hydroxychloroquine aurait pu être totalement évitée par une approche plus secrète. La transparence, c’est très bien, mais pas lorsqu’elle vend des arguments non encore validés par les essais cliniques. Le repositionnement d’un médicament existant est une des meilleures stratégies possibles si le traitement montre une efficacité : on aura pu ainsi court-circuiter toutes les phases préalables de développement. Il ne restera plus qu’à procéder aux essais de phase 3, c’est-à-dire contre placebo, pour s’assurer que le médicament a bien une efficacité clinique contre la covid-19. Si c’est le cas, cela pourra changer la donne pour les formes sévères. Je leur souhaite donc bonne chance !

Il n’existe aucun acte médical sans consentement préalable. En revanche, il n’y a pas de consentement écrit pour la plupart des actes médicaux. Seuls quelques actes chirurgicaux font l’objet d’un consentement écrit préalable. Aucun vaccin mis sur le marché ne nécessite un consentement écrit. Je pense qu’il y a eu au départ un peu de confusion dans les circulaires gouvernementales.

Certes, la vaccination a connu un départ lent, mais c’est tout à fait compréhensible en période de fêtes de fin d’année. Je ne suis aux commandes ni à l’échelon français ni à l’échelon suisse, je ne ferai donc aucun commentaire inapproprié. Je suis intimement persuadé que nous pouvons rattraper notre retard. La France est d’ailleurs en train de le faire. Elle a opté pour une stratégie s’appuyant sur 600 centres répartis sur l’ensemble du territoire. C’est

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3572 la meilleure façon de procéder. On aime bien dans notre pays les controverses, j’ai hâte que nous soyons dans celle de la pénurie, cela voudra dire que nous avons entièrement rattrapé notre retard.

Vous avez pris le très bon exemple d’Israël, qui a déjà réussi à vacciner plus de 60 % de ses personnes âgées de façon dynamique et presque agressive. Seul bémol, Israël n’a pas décidé de vacciner les populations palestiniennes. C’est dommage, d’autant que des associations juives internationales ont appelé à la vaccination des Palestiniens. Au-delà, Israël table avant la fin du mois de mars sur une sortie possible de l’urgence sanitaire. Ce sera sans doute la démonstration la plus emblématique que nous aurons à notre disposition pour convaincre les personnes qui ont encore des doutes sur l’efficacité du vaccin. Aujourd’hui, Israël est dans une situation voisine de celle de l’Irlande. Ce pays se situe sur une courbe ascendante encore plus forte que celle que connaît la France actuellement.

Concernant les variants sud-africain et anglais, il est clair que l’Europe continentale ne fait pas assez de séquençage. Le séquençage des souches demande la mise en place de plateformes et a un coût assez élevé. Il doit être réalisé de façon très rigoureuse sur le plan méthodologique, notamment en ce qui concerne l’échantillonnage des personnes séquencées. Il faut en particulier un pourcentage de toutes les positivités du territoire. Il importe de pouvoir retracer l’épidémiologie moléculaire. Les Australiens sont probablement les chefs de file du séquençage dans le monde puisqu’ils ont réussi à tracer des épidémies et des clusters massifs en août dernier. Le Royaume-Uni comme l’Afrique du Sud sont deux pays qui séquencent beaucoup. Il est donc logique qu’ils aient été les premiers à repérer et à tracer des variants. Rien ne dit qu’il n’en existe pas ailleurs. Peut-on les suivre sans séquençage ? Par chance oui, car environ 10 % des PCR du marché européen fonctionnent avec trois sondes : si une des trois sondes ne répond pas, alors on est à peu près sûr qu’il s’agit d’un variant. Il faut ensuite procéder au séquençage de la souche pour déterminer de quel variant il s’agit…

On a eu une bonne nouvelle la semaine dernière à propos du vaccin Pfizer, qui est efficace contre le nouveau variant. On peut espérer qu’il en ira de même du vaccin Moderna. Concernant le vaccin d’AstraZeneca, les études sont encore en cours. Mais nous sommes plutôt confiants.

Mme Véronique Guillotin. – Nous avons interrogé hier Olivier Véran. N’est-il pas urgent d’intégrer aussi dans les publics prioritaires les patients plus jeunes, qui souffrent de pathologies graves, comme les immunodéprimés et les transplantés ? J’ai cru comprendre que c’était en bonne voie. Je partage votre analyse : nous avons eu un démarrage lent et poussif, mais nous sommes en train d’accélérer. Je suis donc optimiste en ce qui concerne la vaccination. J’ai questionné le ministre sur le séquençage dont on mesure tout l’intérêt pour déterminer les souches mutantes. Quid si une souche mutante ne répondait plus au vaccin ? Il faut accélérer la vaccination pour éviter l’émergence de telles souches. Des travaux sont-ils déjà en cours pour faire face à cette hypothèse ? L’idée de deux tours de vaccination sur le mode électoral est une piste intéressante. Est-ce réalisable sur le plan pratique ? Vous avez parlé d’acheminement, mais avons-nous pour vacciner assez de médecins et d’infirmiers dans chaque commune ? J’en doute. Quoi qu’il en soit, nous pourrions élargir ce modèle électoral et prévoir, par exemple, de vacciner l’ensemble de la population sur un mois.

Mme Annick Jacquemet. – Vous avez parlé de 100 % d’efficacité au sujet des vaccins. Avons-nous assez de recul pour connaître leur durée de protection ? Envisage-t-on une vaccination annuelle comme pour la grippe ? Même question par rapport à ceux qui ont

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été malades : avons-nous une idée de l’immunité qu’ils ont développée face au virus ? Onze vaccins sont obligatoires pour les enfants. Pourquoi ne pas rendre également le vaccin contre la covid obligatoire une fois que nous aurons suffisamment de recul ?

Mme Émilienne Poumirol. – Un point me paraît essentiel, à savoir le nombre de doses. Compte tenu des conditions de conservation, l’organisation de la vaccination est difficile. Je ne suis pas hostile à ce que l’armée puisse nous aider. Nous pourrions aussi faire confiance aux collectivités territoriales. Le préfet de mon département a parlé d’ouvrir un centre covid pour 50 000 habitants. Nous lui avons proposé lundi dernier d’en ouvrir plutôt un pour 25 000 habitants, car nous disposons de toute la logistique nécessaire. Ces centres covid devraient avoir une durée de vie limitée : le jour où nous aurons non seulement les vaccins Pfizer, mais aussi les vaccins Moderna et AstraZeneca, nous nous appuierons sur les médecins de ville, les infirmiers et les pharmaciens. Nous pourrions alors, comme pour la vaccination antigrippale, vacciner en cinq ou six semaines l’ensemble de la population. On a beaucoup parlé de la défiance de nos concitoyens à l’égard du vaccin. Mais les Français seront certainement moins méfiants lorsqu’ils pourront se faire vacciner par leur médecin traitant ou leur pharmacien.

À mon sens, le problème essentiel reste celui des doses. Entre les chiffres cités hier par le ministre et ceux que vous nous donnez aujourd’hui, nous n’arrivons pas à nous faire une idée du nombre de doses commandées ou précommandées. Si nous avions tous les vaccins dont nous avons besoin, nous ne serions pas obligés d’ouvrir des centres de vaccination. Combien de doses allons-nous recevoir semaine par semaine ? On a parlé lundi de 500 000 doses pour mon département, la Haute-Garonne : on en a reçu 30 000 pour 1,4 million d’habitants. Quand aurons-nous assez de doses ? C’est selon moi le problème numéro un.

Mme Catherine Deroche, présidente. – C’est une question que nous allons poser au ministre, en complément de l’audition d’hier. Il faut vraiment que nous puissions disposer de chiffres précis. Il ne faudrait pas que nous rencontrions les mêmes difficultés avec le vaccin que pour les masques !

M. Antoine Flahault. – Bien sûr, il n’y a pas que les personnes âgées dans les publics prioritaires. Il y a aussi les personnes ayant des comorbidités. Lors de ma précédente audition, je vous avais parlé de cette série danoise de la première vague portant sur plus de 10 000 personnes, qui montrait que les risques commençaient à être particulièrement préoccupants à partir de l’âge de cinquante ans. Entre cinquante et soixante-dix ans, le risque ressemble à celui du SARS, avec environ 10 % de morbidité en cas de comorbidités assez banales, présentes chez la moitié des personnes de ce segment de la population. Au-delà de quatre-vingts ans, avec ou sans comorbidité, la mortalité avoisine les 50 % des PCR positives, ce qui est absolument effroyable. C’est donc bien ce segment qu’il convient de vacciner, avec ou sans comorbidité. Par ailleurs, ceux qui présentent des comorbidités et qui ont plus de cinquante ans devraient être aussi vaccinés de façon urgente. Idem pour les personnes souffrant des très lourdes comorbidités que vous avez évoquées, quel que soit leur âge.

Concernant le séquençage, la veille sanitaire classique française doit prendre en compte de façon systématique des échantillonnages afin de mettre en place un réseau sentinelle des souches sur l’ensemble du territoire national. C’est à travers un réseau de ce genre que l’on pourra détecter des mutations. Les variants anglais et sud-africain ont entre 17 et 23 mutations, c’est ce qui les rend préoccupants. N’oublions pas que le génome ARN du coronavirus est le plus long génome viral des virus à ARN. Mais c’est un virus qui mute

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3574 beaucoup moins que celui de la grippe. Il est important de surveiller les mutations, non seulement pour la transmissibilité, mais aussi pour la sévérité et les résistances au traitement vaccinal. On n’attend pas de fortes mutations pour le moment, car le virus ne subit pas trop de pression. Si la vaccination entraîne une pression de sélection dans la population, il se peut que de nouveaux variants émergent pour contourner le vaccin. Ce point sera à surveiller par le séquençage.

Pour les deux tours électoraux de vaccination, pourquoi ne pas s’appuyer sur les médecins généralistes, les infirmiers, les pharmaciens, le service de santé des armées, les pompiers et les centres de don du sang ? De mémoire, il y a en France près de 600 000 infirmiers, près de 250 000 médecins et 60 000 pharmaciens, sans parler des étudiants en médecine. Bref, nous disposons d’assez de personnes pour ouvrir les bureaux électoraux deux dimanches consécutifs, ce qui devrait mobiliser 400 000 personnes. Mais avons-nous assez de doses ?

La France compte sur son territoire l’un des cinq opérateurs mondiaux du vaccin. Certes, Sanofi Pasteur n’a pas la possibilité de produire totalement un vaccin à ARN messager made in France, mais il a la capacité de conditionner du vrac et de produire des doses puisque Moderna renonce à tous ses brevets. Qu’importe la modalité, le but est que tout le monde puisse bénéficier du vaccin !

L’information sur la durée de protection des vaccins est une donnée très longue à obtenir. Aujourd’hui, la protection n’est pas remise en question après plusieurs mois. Il y a très peu de réinfections malgré les vagues successives. La maladie confère une immunité naturelle aux personnes atteintes. Les personnes touchées par le SARS-CoV en 2003 ont encore aujourd’hui des anticorps neutralisants et semblent toujours protégées. Elles bénéficient même peut-être d’une immunité croisée contre le SARS-CoV-2. Il est des maladies où l’immunité vaccinale est meilleure que l’immunité naturelle. Quand vous contractez la varicelle, vous risquez plus tard de déclencher un zona, ce qui n’est pas le cas avec le vaccin. Il existe donc des vaccins qui vous protègent mieux que la maladie.

Le frein à la vaccination obligatoire est que nous ne disposons pas d’essais chez l’enfant. Les États-Unis sont en train d’en mener, mais c’est encore un trou dans la raquette qui empêche toute stratégie d’immunité collective. La question de la vaccination obligatoire reste donc en suspens, excepté dans les Ehpad où je ne serais pas choqué qu’un règlement intérieur impose la vaccination. Quoi qu’il en soit, la vaccination obligatoire est davantage un sujet politique qu’un sujet scientifique.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous sommes unanimement ravis de cette audition, ainsi que de la clarté et de la pédagogie de vos réponses sur des sujets parfois complexes. Je vous remercie de nous avoir consacré du temps.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne M. Alain Milon rapporteur sur la proposition de loi n° 200 (2020-2021), adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3575

La commission désigne Mme Frédérique Puissat rapporteur d’une mission d’information sur le bilan des réformes en matière de dialogue social et de négociation collective.

Questions diverses

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nos collègues Élisabeth Doineau et Véronique Guillotin ont souhaité qu’une mission d’information puisse être lancée sur l’endométriose. Je suis un peu réticente à l’idée que notre commission travaille sur une maladie, car cela suppose d’en écarter beaucoup d’autres qui ne méritent pas moins notre intérêt. Surtout, nous n’avons pas la légitimité ni la compétence pour proposer des alternatives aux recommandations établies par les agences sanitaires. Je leur ai cependant proposé de faire un point avec la Caisse nationale d’assurance maladie sur les critères de classement en affection de longue durée.

J’indique par ailleurs que, conformément à notre programme de travail, nous procéderons la semaine prochaine à des auditions plénières, conjointement avec la commission de la culture, sur le sport-santé.

Comme vous le savez peut-être, une pétition demandant la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés recueille un grand nombre de signatures sur la plateforme du Sénat – 56 300 hier soir. Le seuil à partir duquel la conférence des présidents se saisit d’une pétition est de 100 000. Toutefois, à la demande du président du Sénat, notre commission pourrait se prononcer sur l’opportunité de donner suite à cette pétition sous une forme à définir.

Je vous propose que notre collègue Philippe Mouiller nous fasse des propositions la semaine prochaine, dans la perspective de la conférence des présidents du 20 janvier prochain.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 20.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021

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COMMISSION DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Mercredi 9 décembre 2020

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Mission d’information sur l’avenir du transport de marchandises face aux impératifs environnementaux – Avenir du fret ferroviaire - Audition de MM. Franck Agogué-Escaré, adjoint au directeur des services de transports - direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (ministère de la transition écologique), Frédéric Delorme, président du pôle TFMM - Fret SNCF, membre de l’Alliance 4F, Raphaël Doutrebente, directeur général d’Europorte, membre de l’Alliance 4F, et Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau

M. Jean-François Longeot, président. – Nous sommes réunis afin de lancer le début des travaux de la mission d’information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, dont la première réunion de cadrage s’est tenue hier.

Il nous a semblé important de commencer ces travaux en prévoyant un premier temps d’échanges, en réunion plénière, autour de l’avenir du fret ferroviaire. Nous sommes très heureux d’accueillir M. Franck Agogué, adjoint au directeur des services de transport à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ; M. Frédéric Delorme, président du pôle transport ferroviaire et multimodal de marchandises au sein de Fret SNCF, et membre de l’Alliance 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur) ; M. Raphaël Doutrebente, directeur général d’Europorte, et également membre de l’Alliance 4F, ainsi que Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau.

Nous aimerions d’abord vous entendre à propos de la situation actuelle et des obstacles qui pèsent sur le développement du fret ferroviaire. Ce dernier constitue l’une des réponses à la problématique de verdissement du transport de marchandises, ses émissions de CO2 étant environ neuf fois inférieures à celles du transport routier. Pour autant, malgré la volonté partagée d’augmenter sa part modale et les nombreux plans de relance du fret menés par les gouvernements successifs, cette part atteint seulement 9 % en France. Comment chacun d’entre vous, et notamment les opérateurs de fret, expliquez-vous cette situation alors que d’autres pays, comme la Suisse et l’Autriche, ont réussi à atteindre des parts modales de l’ordre de 30 à 35 % ? En ce qui concerne plus spécifiquement les problématiques liées au réseau, en matière d’accès mais aussi de tarification, pourriez-vous nous expliquer, Mme Delon, quels en sont les grands déterminants et quelles sont les éventuelles difficultés rencontrées par SNCF Réseau pour articuler les circulations dédiées au fret avec les autres activités (voyageurs, travaux, etc.) ?

Après avoir évoqué le présent, pourriez-vous nous dire comment vous imaginez l’avenir du fret ferroviaire ? La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, prévue par la loi d’orientation des mobilités, devra bientôt nous être présentée. Pourriez-vous, M. Agogué, nous en dire plus sur la manière dont elle a été définie et nous détailler ses

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3578 différents axes ? Vous pourrez également nous exposer les mesures annoncées à l’issue du premier comité interministériel de la logistique (CILOG) qui s’est tenu hier, et de quelles façons ces mesures vont, directement ou indirectement, bénéficier au fret ferroviaire ?

Enfin, en lien avec précédent, nous avons suivi avec beaucoup d’attention la création de l’Alliance 4F et la remise de son plan d’actions en juin dernier. Cette alliance est inédite puisqu’elle regroupe à la fois Fret SNCF et les autres opérateurs présents sur le marché. Pourriez-vous nous rappeler les raisons qui ont présidé à sa création et ses principales propositions ?

Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et services de SNCF Réseau. – Vous avez évoqué l’importance du réseau pour permettre le développement du fret ferroviaire, dans ses conditions d’accès et dans son modèle de tarification. Tout d’abord, il ne peut y avoir de développement du fret ferroviaire sans un réseau performant.

Durant la période du premier confinement dans le cadre de la crise sanitaire, nous avons, avec les opérateurs, mobilisé tous nos efforts afin de maintenir le maximum de trafic de fret ferroviaire. Cette période, compliquée pour l’économie française, a aussi démontré tout l’intérêt stratégique que représente le fret ferroviaire et l’importance de le développer. Sa part de marché est aujourd’hui faible – vous avez rappelé qu’elle s’élève à 9 % – mais elle est stable, depuis une dizaine d’années environ. L’objectif est maintenant de pouvoir la redévelopper.

Je souhaitais également souligner les enjeux environnementaux du développement du fret ferroviaire en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre mais aussi tous ses bénéfices sur la réduction de la congestion, du bruit et de l’accidentologie. Ces bénéfices sont trop peu valorisés aujourd’hui dans la stratégie autour du développement du fret ferroviaire.

SNCF Réseau est convaincu que le fret ferroviaire possède des atouts très importants et nous savons que nous devons définir une stratégie spécifique pour accompagner son développement dans les prochaines années.

SNCF Réseau finalise actuellement un nouveau projet stratégique – il sera partagé avec son conseil d’administration dans les jours qui viennent – articulé autour de différents axes, déclinés de façon spécifique pour le fret. Le premier est l’orientation clients, et l’accompagnement des clients dans la réalisation de leurs projets. Le deuxième est la qualité de service et la qualité de la production : il existe un réel enjeu, côté réseau, pour améliorer la qualité et la stabilité de la production proposée à nos clients. Le troisième axe est l’amélioration du réseau ferroviaire et de sa performance : pas de développement sans réseau performant, notamment le réseau structurant, qui est utilisé par tous les trafics. Tout ce qui pourra être fait pour améliorer et soutenir la performance du réseau sera bon pour le développement du fret ferroviaire. Le quatrième axe concerne le rétablissement de l’équilibre financier de SNCF Réseau, qui est inscrit dans la loi du pacte ferroviaire. L’objectif d’équilibre doit être atteint en 2024 et est aussi une condition indispensable à la réalisation d’un développement « rentable ». Selon moi, ces quatre premiers enjeux sont vraiment nécessaires au développement des trafics, avec les clients.

Aujourd’hui, la tarification appliquée pour les entreprises de fret ferroviaire se résume à la redevance de circulation. Les entreprises de fret ferroviaire s’acquittent d’une partie de cette redevance qui permet de couvrir les coûts de circulation propres à ce trafic.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3579

Cette partie est compensée par l’État via un « mécanisme de compensation fret ». Globalement, cela représente environ 140 millions d’euros de chiffre d’affaires, versés par les entreprises ferroviaires, et environ 80 millions d’euros versés au travers de la compensation fret. Aujourd’hui, ce qu’on pourrait considérer comme le chiffre d’affaires de SNCF Réseau pour le fret s’élève donc à environ 220 millions d’euros. Le chiffre d’affaires global de SNCF Réseau, quant à lui, s’élève à 6 milliards d’euros en 2019.

Concernant l’économie du système relatif au fret ferroviaire pour SNCF Réseau, le point d’attention est que cette activité de fret ne couvre en réalité que 30 % du coût complet représenté par la circulation de ces trains. Il y a donc un vrai enjeu d’accompagnement du développement du fret ferroviaire sur le plan économique. Dans d’autres pays européens, l’accompagnement par des financements publics du développement ferroviaire est déjà souvent très présent.

Aujourd’hui, 23 entreprises de fret ferroviaire circulent sur le réseau ; 15 opérateurs de transport combiné et toute une série de grands industriels utilisent ce service ferroviaire.

Le plan d’action de SNCF Réseau pour accompagner le développement du fret ferroviaire repose d’abord sur l’accompagnement de la qualité de services. Nous devons accompagner nos opérateurs ferroviaires et les opérateurs de transport combiné en leur proposant des sillons de qualité, sur un réseau qui a besoin d’être renouvelé. Il y a, dans le développement du fret, un enjeu d’investissement très important, qui est fortement relayé par le plan de relance proposé par le Gouvernement, qui couvre aujourd’hui partiellement les besoins d’investissements côté réseau afin de pouvoir répondre véritablement à un développement très fort du fret ferroviaire.

La particularité du réseau est qu’il peut proposer des perspectives de croissance importantes mais il a de forts besoins de renouvellement. Vous l’avez évoqué, un grand volume de travaux est réalisé sur le réseau. Ces travaux sont indispensables pour maintenir et améliorer la performance du réseau, lequel a absolument besoin d’être rajeuni dans ses composants principaux (voies, caténaires, signalisation) pour répondre aux enjeux de qualité de services de l’ensemble des opérateurs. Soutenir ce modèle économique et permettre ces investissements sur le réseau structurant est absolument indispensable pour développer l’ensemble des trafics et, bien sûr, leur qualité. Le fret ferroviaire est bien évidemment largement concerné.

Il me semble que, parmi les actions engagées par SNCF Réseau sur la qualité de services, l’enjeu principal est l’engagement de faire de la qualité le premier objectif, avant le développement. Tant que la qualité, appelée très fortement par l’ensemble des opérateurs, ne sera pas au rendez-vous, il sera difficile de faire beaucoup plus de quantité. Pour améliorer la qualité, il est essentiel de travailler conjointement sur des objectifs de standardisation et d’industrialisation des trafics, donc d’être à mi-chemin entre des besoins qui sont souvent du « sur-mesure » et en allant vers une offre plutôt de type « prêt-à-porter ».

Ce point est important puisque nous avons, en parallèle, des besoins de développement du fret ferroviaire et beaucoup d’expressions de besoins de développement des trafics voyageurs (nationaux, internationaux ou régionaux). Ces trafics empruntent évidemment le même réseau. Afin d’amplifier le développement et d’améliorer la qualité de services, il est vraiment essentiel que le fret ferroviaire puisse s’intégrer dans cette logique de standardisation. Il est également indispensable que le fret ferroviaire puisse anticiper ses

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3580 besoins pour qu’ils soient pris en compte en même temps que ceux des opérateurs voyageurs. Cet élément est primordial dans la stratégie autour de la qualité et de la réponse plus fiable et performante que SNCF Réseau peut apporter aux opérateurs de fret.

J’aimerais souligner l’effort important réalisé par l’État en faveur du développement du fret ferroviaire, avec un plan de soutien massif et, à ma connaissance, inégalé pour la filière. Ce plan de soutien s’adresse à la fois aux opérateurs et au réseau, car l’investissement sur ce dernier sert aux opérateurs de fret. Il permet, par exemple, de renouveler des lignes capillaires fret et d’améliorer la connexion avec les ports, lesquels ont besoin d’une desserte ferroviaire performante et de travailler sur l’amélioration des terminaux combinés rail-route.

J’insiste aussi sur la nécessité d’un accompagnement par les collectivités territoriales. Ces dernières peuvent, dans le cadre des contrats de plan État-Région, apporter un vrai soutien dans les investissements propres au ferroviaire. Je pense encore une fois à la desserte des ports. SNCF Réseau travaille avec les ports de façon significative pour améliorer les connexions.

Nous nous engageons, avec les opérateurs et le soutien de l’État, dans différentes actions permettant de mettre en œuvre les propositions faites au travers du plan de soutien au fret ferroviaire. Nous avons un dialogue régulier avec les opérateurs afin d’en définir les modalités précises.

M. Frédéric Delorme, président de Transport ferroviaire et multimodal de marchandises - Fret SNCF. – Je me présente à vous comme Président de Fret SNCF mais également en tant que membre de l’Alliance 4F, dont fait aussi partie Raphaël Doutrebente.

Fret SNCF est le premier opérateur en France, avec 55 % de parts de marché. En termes de trafic, le groupe SNCF, au sens large, est le deuxième opérateur de fret ferroviaire en Europe, derrière la Deutsche Bahn. Je pourrais donc faire référence à des activités que nous avons en Allemagne, en Espagne ou en Italie, s’il est utile de comparer les situations.

Je vous remercie tout d’abord d’avoir choisi ce sujet, qui arrive à un moment crucial post-crise de la Covid-19. Ce moment a fait émerger, de manière vitale pour notre pays, les questions de souveraineté industrielle et économique, en même temps qu’apparaît un besoin d’engagement écologique et de santé pour nos concitoyens.

Pour une même tonne transportée, par rapport à la route, le fret ferroviaire consomme six fois moins d’énergie (quel que soit le type d’énergie), émet huit fois moins de particules nocives et émet neuf fois moins de tonnes de CO2. Je tiens tout de même à préciser d’emblée que les deux modes de transport ne peuvent être opposés et que l’avenir du fret passe par la route. Ces deux modes doivent être complémentaires. Néanmoins, pour permettre une transformation radicale du bilan écologique du transport de marchandises, un effort significatif doit être mené sur le transport ferroviaire.

Nos territoires seront d’autant plus attractifs qu’ils seront industriellement performants. La logistique entre les industries est déterminante pour l’attractivité des territoires et leurs connexions en France et en Europe. Aujourd’hui, il existe un vrai risque de décrochage, de ce point de vue, puisque la part de marché du fret ferroviaire est de 9 % en France tandis que la moyenne de l’Union européenne est de 18 % et qu’elle a pour ambition de porter cette moyenne à 30 %. Afin d’être dans la course pour nos territoires et nos industries, la

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3581 génération qui vient devrait voir la part du ferroviaire quasiment tripler. Un premier jalon fixé par le Gouvernement est d’atteindre 18 % de parts de marché pour le ferroviaire en 2030. Cela signifierait simplement revenir dans la moyenne européenne. Pour y parvenir, il faut tripler le transport combiné en dix ans et presque doubler le transport conventionnel. Le transport conventionnel concerne à la fois des trains complets mais aussi le système du « wagon isolé », dont Fret SNCF est le principal opérateur et qui consiste à faire rouler des trains mutualisés entre plusieurs industriels sur un système maillé en France.

Monsieur le Président, j’aimerais vous remercier d’avoir eu l’initiative de lancer cette mission d’information. Je m’exprime au nom de tous les membres de l’Alliance 4F en disant que nous sommes très satisfaits du plan de relance engagé par le Gouvernement. Tout d’abord, la méthode a changé. En février, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), au nom de l’État, a fait appel au secteur, ce qui est nouveau : le secteur a formulé les propositions pour constituer ce plan de relance.

Ces propositions ont débouché sur un rapport 4F, remis au ministre des Transports à la fin du mois de juin. Ce rapport se divise en trois volets : la survie, la sauvegarde et le développement. Le premier axe est celui de la survie, car l’année 2020 a été rude pour tous les opérateurs de fret : avec une baisse d’activité très forte qui a pesé sur notre économie. Nous considérons que la sauvegarde est le plan acquis à ce stade. La question du développement est sûrement un point de débat que nous devrons avoir.

Ce plan est donc inédit car 170 millions d’euros par an d’aides d’État concernent l’exploitation. À court terme, un milliard d’euros concerne le réseau, spécialement pour le fret (voies de service, triages, lignes capillaires, amélioration des terminaux). Notons aussi l’existence de 210 millions d’euros afin d’accepter un surcoût des travaux d’investissements sur le réseau pour permettre de libérer des sillons de qualité, donc de faire de la place aux trains de fret. Les plans précédents étaient généralement très orientés vers les infrastructures. Ce plan contient d’autres dimensions même s’il s’agit d’une amorce pour rejoindre la Belgique, la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne, qui investit très franchement sur le fret ferroviaire.

Afin d’ouvrir le débat avec vous, j’aimerais évoquer les trois conditions de réussite à explorer.

La première porte sur l’inscription dans la durée. Le plan concerne les toutes prochaines années. Néanmoins, concernant le ferroviaire, il faut s’inscrire dans un temps long. La question de la pérennité des aides annuelles se pose : si ces aides n’existent qu’un an, l’impact sera faible ; si elles sont récurrentes, l’impact sera réel. Dans son rapport, 4F avait proposé des investissements sur l’infrastructure pour la période 2025-2030. Nous devons quasiment décider dès maintenant d’étudier, d’amorcer ou d’aller chercher des financements européens pour 13 milliards d’euros. En effet, si nous souhaitons écouler le trafic dans les dix prochaines années – d’autant plus avec la cohabitation des voyageurs –, d’importants travaux seront à faire sur le réseau. Quinze plateformes multimodales supplémentaires seront nécessaires, de même faudra-t-il désaturer les nœuds de Lille, Lyon et Paris, améliorer l’accès aux ports, faire du gabarit et organiser des trains longs et plus performants.

La deuxième condition de réussite concerne la question suivante : comment prendre en compte, dans une économie moderne, l’évaluation des co-bénéfices représentés par la baisse des émissions de tonnes de CO2, qui sont valorisables aujourd’hui, ou l’amélioration de la lutte contre la pollution, la réductions des morts prématurées et la décongestion des

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3582 routes ? Cela a une valeur sociétale. Comment l’intégrer dans l’économie moderne ? L’Alliance 4F a remis un rapport, commandé à Altermind, que nous vous adresserons après notre audition. Ce rapport peut engager le débat sur la façon de concilier concrètement économie et écologie d’un point de vue financier.

La troisième condition de réussite est la nécessité d’embarquer tout l’écosystème. Ce processus ne peut pas être juste une relation entre les opérateurs et l’État, mais est beaucoup plus large que ça. En plus des opérateurs qui doivent délivrer un service de qualité, toute une industrie ferroviaire a un gisement énorme d’innovations sur le fret ferroviaire, avec tous les emplois qui vont avec. SNCF Réseau doit être capable d’offrir des sillons dans le marché pour améliorer la qualité et la productivité du fret ferroviaire. Les chargeurs comptent également, car il leur revient de choisir entre la route, le rail ou le fluvial. Je peux également évoquer les ports, ainsi que les transporteurs routiers, indispensables au transport combiné. Le routier est le client du ferroviaire, c’est son étalon. Nous devons nous demander quelles mesures incitatives complémentaires pourraient venir favoriser cette mutation vers un transport propre, lequel serait l’épine dorsale d’une logistique plus performante.

Un autre point important concerne les territoires, qui doivent être associés à l’évaluation des besoins. L’Europe, c’est le Green Deal. L’État, c’est le plan de relance. Je crois que le débat concerne la façon dont sont perçus les besoins des territoires, la manière dont ils remontent et comment nous concilions les trois besoins (territoires, État, Europe) dans un pays où les territoires sont très divers. En effet, ces territoires sont agricoles, portuaires, industriels, urbains ou alpins et ils n’ont pas exactement les mêmes besoins. Une vision planifiée associant toutes les parties prenantes sera dès lors nécessaire.

Enfin, le ferroviaire est d’autant plus performant que le réseau est densifié. Je parle là à la fois du réseau ferré national et de notre réseau d’exploitants. Plus il y a de wagons dans les trains, plus les trains sont denses et plus le rendement est croissant d’un point de vue économique. Nous avons tous une partie de la carte à jouer pour ça.

M. Raphaël Doutrebente, directeur général d’Europorte. – Je ne vais pas répéter les points importants soulignés par Frédéric Delorme. J’aimerais simplement préciser le cadre de mon intervention.

Europorte est le plus grand des petits opérateurs, et SNCF Fret l’opérateur le plus important sur le réseau. Rien n’empêche, cependant, une concurrence saine dans un marché ayant de vrais besoins, d’autant qu’Europorte emploie 900 salariés et représente 250 circulations par semaine.

Pour ma part, je m’inscris dans l’après du plan 4F qui a été initié. La Bretagne, où j’habite, a été désenclavée au siècle dernier, grâce à l’action des politiques. Le fret ferroviaire doit l’être aussi. Le fret ferroviaire est peu connu, souvent corrélé à la SNCF, alors qu’il existe un certain nombre d’opérateurs sur le réseau. De plus, de grands industriels sont présents en région et possèdent des sites peu ou mal raccordés au réseau, en dépit des efforts des régions. J’ai en tête l’exemple d’un industriel important dans l’Ouest, qui a du mal à développer son activité pour couvrir le Grand Paris car son site est mal raccordé. La région fait évidemment ce qu’elle peut mais ne dispose que d’un million d’euros, une somme importante mais insuffisante.

Par ailleurs, pour doubler le fret ferroviaire, il faudra que la route et le rail soient complémentaires. Les régions doivent pouvoir attirer de nouvelles industries. Les projets de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3583 plateformes importantes évoquent rarement le fret mais plutôt l’accès à la route. Pourtant, il est nécessaire d’établir une vraie politique ferroviaire afin d’assurer la circulation des matières et des biens. Frédéric Delorme a dit qu’un grand changement a eu lieu, qui est satisfaisant. Je m’exprime au nom d’Europorte, également en tant que Président de la commission de l’Association Française du Rail (AFRA), ainsi qu’au nom de l’Association Française des détenteurs de wagons (AFWP) et des Opérateurs Ferroviaires de Proximité (OFP). À ce titre, je tiens à saluer les efforts faits par SNCF Réseau.

Mme Delon a indiqué que pendant la crise sanitaire, des points ont eu lieu chaque semaine avec les équipes, dans une situation inimaginable au cours de laquelle nos trains ont continué à circuler. Beaucoup de personnes étaient absentes mais nous avons pu maintenir une activité économique. Cette activité a été valorisée, bien qu’assez peu relayée par la presse. Elle montre que grâce à l’attelage entre réseau et entreprises ferroviaires, nous parvenons à bien travailler ensemble.

J’insiste néanmoins sur le fait que nous aurions besoin d’un vrai plan, quinquennal par exemple. Un temps long est nécessaire, car les contrats avec des opérateurs ne se concluent pas seulement pour une année ou six mois. Lancer des trains implique qu’une étude de sillons soit menée avec SNCF Réseau. Des investissements en locomotives et en wagons sont également nécessaires. Cet ensemble crée de l’emploi. Grâce à Europorte, nous sommes présents partout, dans toute la France – un peu moins en Bretagne – mais nous allons également vers la Belgique et l’Allemagne. Nous créons des emplois qualifiés en France puisque la formation d’un conducteur s’élève à presque 50 000 euros, que nous prenons à notre charge.

Les industriels nous disent qu’ils pourront bénéficier d’une réduction sur les péages en 2021, mais nous devons envisager les cinq à dix années qui viennent. En effet, un industriel ne s’engagera pas pour un an et nous ne pourrons pas lui proposer une ristourne sur une année. Ce point est important. Nous avons besoin de pragmatisme de la part de l’État, et de votre soutien, afin que les industriels soient confiants quant au développement du ferroviaire. Encore une fois, le ferroviaire ne peut être opposé au routier, uniquement sur des questions de pollution. Notre territoire se développe. Les investisseurs, à l’étranger et en France, doivent être confiants pour développer des sites industriels. J’insiste sur ce point.

L’idée n’est pas de toujours demander de l’aide à l’État. Nous devons correctement gérer nos entreprises pour leur assurer un avenir. Je tiens à ce point important car j’ai personnellement participé au redressement d’Europorte. Nous pouvons parvenir à être performants dans ce domaine.

Concernant le Green Deal européen, les régions doivent disposer de plus de moyens. Néanmoins, il est important de connaître les ordres de grandeur. Au niveau européen, le Green Deal représente 672 milliards d’euros. L’aide se décompose en 312 milliards d’euros de subventions et 360 milliards d’euros en prêts. En ce qui concerne l’État français, sur les dossiers qui ont été ouverts avec 4F, nous devrons aller chercher, avec l’aide de la DGITM, 23 milliards d’euros en 2021 et 2022 et 14 milliards d’euros en 2023.

Les autres pays européens ont déjà monté les dossiers et tentent de récupérer cet argent. Le temps file et nous devrons accélérer le processus avant le mois d’avril, avec le ministère, pour pouvoir bénéficie de ces fonds. Nous en aurons besoin pour le fret ferroviaire. Nous devrons passer à une nouvelle étape.

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M. Franck Agogué, adjoint au directeur des services de transport à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (ministère de la transition écologique) – Le Gouvernement est convaincu de l’avenir du fret ferroviaire, d’abord pour des raisons liées au verdissement de son économie. L’autre aspect est l’économie, à travers son industrie, l’activité nucléaire ou la chimie. Durant la crise de la Covid-19, nous avons constaté que toute l’action du fret ferroviaire s’est poursuivie ; elle a été particulièrement bénéfique et nécessaire. Nous devons donc offrir des perspectives au fret ferroviaire.

Des premières réponses ont effectivement été apportées, notamment en termes d’exploitation des services de fret ferroviaire, ce qui est assez novateur. Aujourd’hui, dans le projet de loi de finances, un premier volet de soutien, hors plan de relance, de 170 millions d’euros avait été annoncé par le ministre. Ce volet vise à améliorer la compétitivité du rail mais également le développement de la part modale du fret ferroviaire. Pour 2020 et 2021, la moitié des redevances de circulation nettes est prise en charge par l’État dans son budget. Ces redevances devaient être facturées aux opérateurs et représentent 65 millions d’euros. Une aide à l’exploitation des services de wagons isolés a également été mise en place, qui s’élève à 70 millions d’euros. Par ailleurs, l’aide aux services de transport combiné et le financement d’aides au démarrage de nouveaux services seront accentués.

Enfin, un peu plus classiquement, des mesures d’investissements en faveur du fret ferroviaire ont été décidées. Le volet ferroviaire du plan de relance s’élève à 4,750 milliards d’euros. Cette somme n’est pas négligeable. Si nous ajoutons les 250 millions du plan de relance aux 250 millions de la trajectoire déjà enregistrée à travers la loi d’orientation des mobilités, avec les co-financements qui sont attendus (Union européenne, collectivités), ce plan de relance mobilise un milliard d’euros à court terme, en matière d’investissements sur le fret ferroviaire.

J’insiste également sur les quelques 210 millions d’euros destinés à financer les surcoûts liés à une meilleure prise en compte, par SNCF Réseau, des circulations fret lors des travaux menés sur le réseau ferré. Cette mesure est primordiale pour améliorer la qualité du service de SNCF Réseau, condition essentielle pour le développement du fret ferroviaire.

Les grandes masses des financements sont destinées aux installations terminales, telles que les terminaux de transport combiné, cours de marchandises, accessibilité ferroviaire des ports intérieurs et installations terminales embranchées. Une part sera utilisée pour améliorer le réseau, notamment emprunté par les autoroutes ferroviaires. Nous parlons ici de gabarits et de trains longs. Par ailleurs, la régénération du réseau capillaire fret – qui n’est généralement pas mise en avant – et celles des voies de service et des voies de triage sont également prévues.

La mécanique de ce plan de relance doit se réaliser concrètement, notamment durant les années 2021 et 2022. Je confirme notre volonté de travailler avec les acteurs, notamment 4F et SNCF Réseau. Ces travaux ont bien sûr été initiés dès l’été. Il existe aussi des échanges au niveau régional, certains projets étant parfaitement locaux. L’idée est d’aboutir à un programme complet de ce plan de relance d’ici janvier 2021.

Ces décisions ont été reprises lors du premier Comité Interministériel de la Logistique (CILOG) : l’une des seize mesures concerne le fret ferroviaire. Par ailleurs, le CILOG a évoqué le fluvial et la nécessaire action vis-à-vis des ports.

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Notre ambition est de doubler la part modale du fret ferroviaire. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire est prévue par la loi d’orientation des mobilités. Nous y travaillons. La loi indique qu’il faut travailler sur les mécanismes d’aide ou de soutien au transfert modal, le développement du transport combiné, la question de la logistique d’approvisionnement des agglomérations, la modernisation et mutualisation des infrastructures territoriales (voies capillaires, voies de service, installations terminales embranchées, terminaux de marchandises), le développement d’infrastructures de pôles d’échanges de fret multimodaux, le renforcement de la desserte des grands ports maritimes et leur hinterland, le développement et renforcement des corridors de fret ferroviaire transnationaux.

Le vote de la loi a eu lieu il y a bientôt un an. Comme tout le monde, nous avons été quelque peu bousculés pour organiser la concertation et la façon d’établir cette stratégie.

Je tiens à souligner que nous avons bénéficié du rapport de 4F, évoqué à l’instant, et publié en juin 2020.

Dans le but d’établir une stratégie cohérente qui permette un consensus, nous avons également échangé avec l’Union des Transports Publics et Ferroviaires (UTP), avec des régions de France, des grands ports maritimes, des associations de chargeurs mais aussi France Logistique ou des acteurs de l’innovation. Sur 24 entités sollicitées, nous avons déjà reçu vingt réponses.

Nous arrivons au bout de ce processus. À court terme, nous devons encore préciser des points avec nos partenaires. Nous pensons pouvoir produire un document qui puisse être discuté avec tous, en janvier prochain.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d’information – Ma première question est assez prospective. Les travaux de la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes ont souligné que le commerce européen et mondial connaît de profondes mutations, accélérées par la crise sanitaire de la Covid-19. Quelles seraient, selon vous, les conséquences de ces évolutions sur le développement du fret ferroviaire en France ? Prévoyez-vous des évolutions du trafic de marchandises des différents axes ferroviaires français ? Comment le fret ferroviaire intègre-t-il les problématiques de développement de la logistique urbaine, et de prise en charge du dernier kilomètre ?

Ma deuxième question concerne l’articulation entre le fret ferroviaire et le transport fluvial. La combinaison de ces modes de transport est attractive par la complémentarité et la faible empreinte environnementale de ces deux modes de transport. Selon vous, quels sont les principaux obstacles techniques et financiers qui empêchent le développement de ce transport multimodal ? Que pouvez-vous nous dire de plus sur la réflexion pour le report modal qui a été engagée par Voies navigables de France (VNF) et SNCF Réseau ?

Enfin, je souhaite aborder le fret ferroviaire sous l’angle des politiques européennes. La Cour des comptes européenne porte sur le fret ferroviaire européen un diagnostic similaire à celui que nous portons sur le secteur en France. Elle alertait, en 2016, sur le fait que le transport ferroviaire de marchandises de l’Union européenne n’est toujours pas sur la bonne voie. Quelles sont vos attentes au niveau européen pour réussir à inverser la dynamique dans le secteur ?

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M. Rémy Pointereau, rapporteur de la mission d’information – Ma première question porte sur le verdissement de la flotte ferroviaire française. Nous savons que le fret ferroviaire est plus économe en énergie et moins émetteur de gaz à effet de serre que d’autres modes de transport. Le fret ferroviaire comporte, bien évidemment, de nombreux atouts environnementaux. Néanmoins, d’importants progrès restent à faire. À titre d’exemple, actuellement un quart du matériel roulant fonctionnerait avec des moteurs diesel. S’agit-il d’un sujet de préoccupation pour vous ? Pouvez-vous quantifier les investissements nécessaires à ce verdissement ? Vous avez parlé de plan de relance ; ce dernier vous a peut-être donné davantage de moyens pour investir. Quelles sont les pistes technologiques envisagées par la filière industrielle ?

Je souhaite également vous interroger sur les différentes retombées économiques de l’activité du fret ferroviaire. Ce sujet me paraît important. Disposez-vous d’estimations des effets économiques directs et indirects qui seraient induits par un accroissement de l’activité du fret ferroviaire ? Êtes-vous en mesure de les comparer à ceux observés pour les autres modes de transport de marchandises ?

M. Raphaël Doutrebente. – Je peux répondre à la question sur la partie investissements et sur l’aspect écologique. N’imaginons pas que nos locomotives fonctionneront à l’hydrogène dès demain. L’hydrogène est souvent évoqué comme une piste d’avenir, mais plus de 99 % de son origine est actuellement fossile. Beaucoup de progrès techniques restent donc à faire. Nous avons évidemment beaucoup de locomotives diesel mais également de nombreuses locomotives électriques. Dans mon entreprise, 80 % des trafics sont sous caténaires, ce qui signifie que nous avons la possibilité, avec nos locomotives, de capter l’électricité.

Par ailleurs, des pistes existent, que nous étudions en ce moment. Nous travaillons avec des industriels, notamment avec le groupe Avril, qui a aussi travaillé avec le groupe SNCF. Nous souhaitons faire rouler nos locomotives puisque les moteurs, aux normes Euro 6, permettent de lancer ce type d’expérimentations. La crise nous oblige aussi à accélérer et cela fait partie de nos projets d’avenir.

Vous soulevez également un problème important, qui est l’investissement futur. Avec le développement du fret ferroviaire, l’association française en charge de l’industrie ferroviaire – notamment les grands opérateurs et grands constructeurs de locomotives tels Alstom – a aussi besoin d’investir.

De nombreux effets d’annonces sont faits au sujet de l’hydrogène. Ils sont évidemment importants puisqu’ils permettront de développer cette technologie. Cependant, l’hydrogène doit être vert et nous ne disposerons pas d’hydrogène dès demain ni de locomotives susceptibles de fonctionner à l’hydrogène. La construction de nouveau matériel devra utiliser des nouvelles technologies, ce dont nous devons tenir compte.

Des technologies hybrides existent aussi mais elles en sont encore à leurs prémices et nous n’avons pas encore choisi d’investir dans ce domaine. L’entreprise que je dirige a beaucoup investi dans de nouvelles locomotives. L’hybride est peut-être une solution mais elle n’a de sens que si vous êtes à 90 % en électrique et à 10 % pour le last mile en diesel, pour l’arrivée sur les sites. Ces locomotives coûtent environ 5 millions d’euros pièce. Là aussi, il est nécessaire que les opérateurs européens (notamment les groupes Stadler et Alstom) puissent bénéficier d’une volonté de l’État et des régions de développer cette activité.

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Mme Isabelle Delon. – Globalement, l’ensemble du trafic ferroviaire génère dix fois moins de CO2 que le trafic routier. Il faut évidemment prendre en compte le fait qu’une grande partie du trafic ferroviaire fonctionne sur un mode électrique. Les possibilités de développement concernent aussi ces axes où existe la disponibilité d’une infrastructure permettant l’usage d’un mode électrique pour développer le ferroviaire. Par ailleurs, un train de marchandises permet de remplacer quarante poids lourds. En outre, un train de fret entraîne huit fois moins de pollution de l’air, comparé au trafic routier. Ces chiffres sont peu connus. Il existe un enjeu de sensibilisation de l’ensemble des citoyens. Je crois d’ailleurs que la convention citoyenne a fortement encouragé, par ses propositions, un développement plus important des modes durables.

Nous avons également une responsabilité. Je ferai le lien avec le projet de convention que nous allons signer avec VNF sur le développement des modes durables. Nous avons justement inclus dans ce projet des actions de sensibilisation communes des logisticiens d’aujourd’hui et des logisticiens de demain. Cela signifie à la fois mener des actions de plus en plus coordonnées entre nous vis-à-vis des grands industriels qui réfléchissent à la logistique de demain et qui ont des enjeux de verdissement de leur côté. Ces investissements se préparent souvent dans le long terme. Nous pourrions alors tenter d’influer sur le choix d’une logistique plus ferroviaire ou fluvial que routière et, avec l’ensemble des acteurs (collectivités, État, Europe), sur le positionnement de certaines plateformes multimodales.

J’évoquais le logisticien d’aujourd’hui qui doit construire la logistique de demain. Dans l’action que nous menons avec VNF, nous avons aussi prévu des sensibilisations dans les formations, pour que dans la logistique et dans les formations logistiques, le mode ferroviaire ou fluvial soit aussi davantage pensé à l’intérieur de la chaîne de logistique globale.

Concernant la convention que nous allons signer prochainement avec VNF, SNCF Réseau s’est fortement impliqué pour travailler avec l’alliance 4F et apporter toutes les impulsions ou suggestions de travail en commun auprès des opérateurs ferroviaires, des opérateurs transport combiné et des chargeurs.

Nous avons aussi souhaité travailler avec VNF en tant que gestionnaire d’infrastructures. Dans ce cas, il s’agit donc plutôt de l’alliance des gestionnaires d’infrastructures, pour partager ensemble plusieurs actions. Ces actions sont assez modestes pour le démarrage. Néanmoins, nous avons vraiment cette ambition de faire peser davantage le choix d’un mode durable pour le développement des marchandises.

Les actions envisagées sont finalement assez simples, comme des listes de marché communes et des analyses des opportunités de complémentarité renforcée entre nos deux modes. Il peut aussi s’agir parfois du partage d’informations sur les travaux nécessaires sur nos infrastructures pour assurer leur renouvellement. Nous pouvons ainsi nous assurer que nous n’allons pas faire des travaux au même moment sur le même axe, et donc gêner nos clients communs en ne leur offrant pas de possibilités d’alternatives. Nous serons ainsi en mesure de mieux nous coordonner et donc permettre des alternatives qui ne sont pas forcément utilisées ou imaginées aujourd’hui. Nous pourrons enfin aller, pourquoi pas, vers un principe d’offre multimodale ferroviaire-fluvial.

J’aimerais aussi insister sur le fait que cette alliance entre VNF et SNCF Réseau est partie des territoires et notamment de l’axe Seine (la Normandie et l’Île-de-France). L’axe Seine avait bien identifié des enjeux de complémentarité entre le fluvial – je pourrais même

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3588 dire les ports – et le ferroviaire. Des investissements ferroviaires importants existent cependant sur cet axe avec la modernisation de Serqueux-Gisors, comme un nouvel axe alternatif pour le trafic ferroviaire. Nous avons vraiment identifié des leviers d’action communs. Le contrat que nous signerons prochainement porte à la fois sur les enjeux territoriaux et nationaux, afin de développer la part modale des modes durables et massifiés.

M. Frédéric Delorme. – Dans la vision du développement, il y a les grands axes, les nœuds du réseau et la capillarité pour drainer les trafics, par la route ou par le rail, vers ces grands axes, ayant eux-mêmes des nœuds.

Nous travaillons avec SNCF Réseau sur la question des grands corridors français qui écoulent beaucoup de trafic, en lien avec tout type d’opérateurs, et qui permettent d’accéder au réseau européen. Il se trouve qu’en France, un des points faibles est la saturation des nœuds comme Lyon ou l’Île-de-France. La Bretagne sait bien que l’envoi de marchandises ferroviaires depuis la Bretagne se joue à Paris. D’autres zones, telles que Lille, sont saturées et le seront de plus en plus.

Par rapport à l’Europe, nous avons intérêt à défendre cette particularité française. Il est inutile d’investir sur le European Rail Traffic Management System (ERTMS), le nouveau système de signalisation sur le réseau, si les nœuds sont saturés. Nous avons un vrai problème en France, afin de parvenir à désaturer les nœuds du réseau européen.

Par ailleurs, concernant les autres types de nœuds, qui sont multimodaux, vous avez eu tout à fait raison d’évoquer les ports et le fluvial. Tout d’abord, 4F est très proche de VNF et de Thierry Guimbaud, son directeur général, avec lesquels nous travaillons. Nous nous appellerons peut-être 5F un jour. Cela a été évoqué. Pour le moment, il s’agit de coopération volontaire. Dans l’évolution de la conception logistique, nous devons pouvoir passer facilement de la barge du bateau au train. Or il existe souvent des ruptures de charges. C’est compliqué lorsque nous voulons avoir les faisceaux. Il s’agit donc d’un point de progrès. Par ailleurs, il y a les automatismes. À Duisbourg en Allemagne, la plateforme multimodale est hyper performante et très automatisée. La question du soutien à l’investissement sera donc importante pour ces plateformes.

Ensuite, concernant le développement du transport combiné, les nœuds représentent aussi quinze plateformes supplémentaires. Ces plateformes terrestres seront, d’ici dix ans, implantées en France. Dans l’idéal, certaines d’entre elles devraient être connectées au fluvial, afin d’être complètement multimodales.

J’en viens à la capillarité, qui est importante. 40 % des trafics ferroviaires passent par des lignes capillaires. Il ne faut pas oublier les petites lignes car ce sont les petits ruisseaux qui forment les grandes rivières sur les grands corridors. Pour cela, la politique devrait être de favoriser la réouverture des installations terminales embranchées qui dorment, d’améliorer celles qui existent et de penser aux plateformes routières qui sont à proximité – car nous pouvons drainer par la route vers des hubs du ferroviaire. En ce sens, le transport routier est un vrai complément.

De mon point de vue, le dernier kilomètre est fondamental dans le travail collaboratif avec la route. Il ne s’agit pas d’un seul dernier kilomètre à proprement parler mais de dizaines voire d’une centaine de kilomètres. Si le transport routier draine du trafic dans nos régions vers le transport ferroviaire, cela crée de l’emploi en France. L’incitation du tracteur

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3589 routier à être compatible avec le développement durable (électrique, hydrogène ou gaz) permettra de créer une économie décarbonée et davantage d’emplois en France.

Depuis vingt ans, c’est le transport de pavillons routiers étrangers qui a bénéficié de l’accroissement du trafic de marchandises. Il a été multiplié par onze tandis que celui qui était sous pavillon français était multiplié par deux et demi et le fret ferroviaire divisé par deux. Il faut donc rééquilibrer les parties routières et ferroviaires nationales, créer des emplois en France et travailler la complémentarité. De ce point de vue, le Groupement national des transports combinés (GNTC), qui fait partie de 4F, est très actif avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), pour faire avancer cette idée que le combiné est l’avenir du routier et du ferroviaire en France.

J’aimerais évoquer une solution qui ne coûterait pas cher pour favoriser cette connexion avec davantage de marchandises qui passeraient par la route puis le rail. Elle consiste à favoriser l’utilisation de transports routiers jusqu’à 46 tonnes en dérogation (contre 44 tonnes aujourd’hui) uniquement pour les camions qui amèneraient des marchandises à mettre sur du transport propre, ferroviaire ou fluvial. La dérogation des 44 tonnes avait été initialement envisagée pour permettre ce transfert modal vers le rail. Finalement, elle est devenue généralisée sur tout le territoire. Elle n’a donc pas eu d’impact sur le transfert modal ferroviaire. Cette fois-ci, la proposition est de passer de 44 à 46 tonnes et d’autoriser cette circulation exceptionnelle quand les camions viennent faire quelques dizaines de kilomètres pour amener de la marchandise au rail.

M. Frédéric Marchand. –Hasard du calendrier ou pas, l’Institut du développement durable et des relations internationales ainsi que l’Université Gustave Eiffel produisent cette semaine une note qui s’inscrit parfaitement dans le thème de notre mission d’information et de notre table ronde. Cette note vient compléter les travaux qui ont été menés tout au long de l’année 2020. La note s’intitule Comment la Stratégie de développement du fret ferroviaire peut renforcer l’ambition du secteur en France ?

Nous savons que le fret ferroviaire possède des atouts incontestables pour jouer un rôle important dans la transition vers une économie neutre en carbone en 2050. La stratégie de développement du fret ferroviaire doit définir un objectif de la part modale du fret ferroviaire à l’horizon 2050, avec des étapes intérimaires (2030 et 2040) cohérentes avec une France neutre en carbone. Les dernières stratégies sectorielles récentes, de 2009, 2012, 2013 et 2016, ont toutes proposé des mesures de développement des infrastructures et d’amélioration de la compétitivité du rail. Ne pensez-vous pas que cette stratégie doit appréhender comment évoluera le contexte d’ensemble : les types de marchandises, avec des évolutions macroéconomiques et sociales importantes et qui se poursuivront, l’organisation des chaînes logistiques, les attentes vis-à-vis des services de transport et les offres alternatives ? Ne pensez-vous pas qu’elle devrait ensuite détailler quelles infrastructures ferroviaires devraient être développées ou non, et sont cohérentes avec les évolutions de son contexte logistique ? Et enfin, ne pensez-vous pas qu’elle doit établir la gouvernance de sa mise en œuvre logistique et son adaptation dans le temps ?

M. Philippe Tabarot. –Vous avez, pour la plupart d’entre vous, participé à notre avis budgétaire. Vous avez été très disponibles et nous avons entendu un certain nombre de remarques pertinentes que nous avons essayé de traduire dans notre rapport pour avis sur le projet de loi de finances.

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Mme Delon, je salue la réorganisation actuelle de SNCF Réseau, au niveau national et territorial. À l’heure où nous parlons, vos équipes travaillent sur l’ensemble du territoire national. J’ai une pensée pour celles qui interviennent en ce moment dans la Vallée de la Roya, dans des conditions très difficiles. Elles travaillent sous la neige, dans un chantier particulièrement périlleux. Je peux m’apercevoir que, dans les périodes compliquées, Réseau a des compétences et est particulièrement efficace sur ces chantiers, ô combien difficiles.

Vous aurez véritablement besoin de cette réorganisation de Réseau. Vous avez- vous-même dit, Mme Delon, que le réseau et les infrastructures ont un rôle capital. Il s’agit de la base de toute réussite dans le cadre des ambitions de la politique, au niveau du fret ou au niveau du ferroviaire en général, que nous pouvons avoir dans notre pays. Tout passe par les infrastructures et par le gestionnaire de ces infrastructures.

Je rappelle ce que disait le président Farandou : le réseau est en mauvais état, deux fois moins bien entretenu – ou qui mettra, en tout cas, deux fois plus de temps à être régénéré – que le réseau allemand. Le train serait ralenti sur 5 600 kilomètres de voies ferrées, faute d’entretien. La nécessité de faire des investissements sur les lignes capillaires et les lignes de dessertes fines du territoire s’impose donc forcément.

Les budgets annoncés sur le plan de relance semblent rassurants, même si nous aurions aimé encore plus de moyens. Dans cette commission, nous avions proposé un amendement sur les petites lignes ferroviaires. Nous reviendrons nécessairement à la charge sur ce sujet. Nous espérons pouvoir sauver ces petites lignes dans notre pays, car elles sont importantes pour le transport de voyageurs mais pour le fret également.

Je me demande tout simplement comment vous allez faire. Des travaux conséquents seront menés, puisque des millions d’euros sont annoncés, et même un milliard pour le fret, dans les années à venir. Nombre de lignes dans notre pays seront concernées. Vous devrez tenir les engagements que vous avez pris devant les membres de 4F. Vous avez notamment dit que Réseau est prêt à participer pour doubler la place du fret ferroviaire dans notre pays en 2030 et pour passer de 9 % à 18 %.

Dans le cadre des transports de voyageurs, vous devez trouver des sillons supplémentaires pour les services librement organisés (SLO) afin que l’ouverture puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Bien sûr, il ne faudra pas réserver les meilleurs sillons pour SNCF Voyageurs et transférer les sillons dont personne ne veut aux concurrents.

Vous devez également proposer des sillons aux régions dans le cadre des transports conventionnés. En outre, les régions ont besoin d’une vision à long terme, à cinq ou dix ans, tout comme les opérateurs qui interviendront pour ces régions.

Enfin, l’État s’est redécouvert une passion pour le train de nuit, et c’est tant mieux Dans le plan de relance, des sommes lui sont consacrées et certaines lignes sont fléchées telles que Paris-Tarbes ou Paris-Nice. Je lisais ce matin, dans , que des évolutions se feraient également au niveau européen sur les trains de nuit. Une ligne entre Vienne, Munich et Paris est ainsi annoncée, de même qu’une ligne entre Berlin et Paris dans les années futures.

Je me pose tout simplement une question, par rapport à ces projets et aux moyens qui semblent se dégager notamment de l’État et des différentes collectivités territoriales de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3591 l’Europe. SNCF Réseau ne risque-t-il pas d’être le maillon faible des ambitions ferroviaires de notre pays ?

M. Guillaume Chevrollier. – Le développement du fret est une priorité face aux enjeux environnementaux. Dans la région des Pays de la Loire, nous sommes mobilisés dans le cadre du plan de relance. Une étude a été initiée, avec vos services d’ailleurs, pour relancer le fret ferroviaire. En France, le niveau de fret a été divisé par deux en trente ans. Aujourd’hui, nous prenons le chemin inverse. Cette politique de l’essuie-glace est d’ailleurs assez fréquente.

Je souhaite vous interroger sur le travail que vous menez en lien avec les transporteurs routiers, les grands acteurs du secteur mais aussi les petites et moyennes entreprises (PME), qui sont nombreuses dans mon territoire. Comment articuler ce changement d’orientation stratégique ? S’il y a une montée en puissance du fret ferroviaire, cela aura des incidences sociales très fortes. Quel travail mener avec ces entreprises de transport routier ?

Ma deuxième question portera sur les petites lignes du territoire. Vous avez évoqué le réseau capillaire fret. Le réseau des petites lignes pour les voyageurs est également beaucoup cité. Pour le fret, quelle est votre vision sur ces petites lignes et notamment celles qui pourraient être en impasse sur une trentaine de kilomètres ? Comment voyez-vous leur pérennité dans le temps ? Ont-elles une viabilité ? Quel est leur lien possible avec le transport routier ?

Mme Isabelle Delon. – Merci de vos questions et de l’hommage rendu aux équipes de SNCF Réseau. Je pense effectivement que les équipes sont, avec les acteurs territoriaux, très mobilisées pour essayer de rétablir un trafic normal sur cette ligne. Cette ligne a d’ailleurs démontré tout son intérêt territorial et de desserte locale dans un territoire dont il faut reconnaître qu’il est quelque peu difficile d’accès. En raison du contexte, les accès routiers sont aussi extrêmement perturbés. Merci de cet hommage à l’engagement des cheminots.

Je me réjouis de vous entendre être l’avocat du gestionnaire d’infrastructures, en mettant en lumière tous les défis qui sont les nôtres dans les prochaines années. C’est d’abord le signe qu’il s’agit d’une véritable demande ferroviaire, pour les trafics voyageurs, longue distance, régionaux ou de très grande proximité, comme nous pouvons essayer de les développer avec les collectivités territoriales sur les grandes métropoles. Je pense qu’il s’agit d’un élément très porteur.

Cela représente aussi un défi pour nous car le réseau est unique. Le principe du transport guidé, où on ne se double pas comme sur une autoroute, régule le système avec un certain nombre de principes de fonctionnement. Ce système exige une espèce de règle du jeu partagée. Il exige même une « discipline collective » afin de bien utiliser le réseau dans toutes ses possibilités et potentialités. Il est également important que chacun trouve des réponses dans son utilisation du réseau tout en faisant en sorte qu’il existe un équilibre entre les besoins du fret, des trains de nuit, du transport régional ou quotidien.

Comment allons-nous faire ? Nous ne pouvons formuler une réponse immédiate. J’aimerais cependant rappeler quelques éléments sur le contexte.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3592

Le plan de relance de plus de 4 milliards d’euros permet à SNCF Réseau de maintenir, en 2021, les 2,9 milliards d’euros d’investissements prévus pour la régénération du réseau. Ces 2,9 milliards d’euros étaient prévus mais ils étaient menacés avec la crise de la Covid-19. Cette année, SNCF Réseau a perdu environ un milliard d’euros de recettes. Notons que les recettes de SNCF sont entièrement dédiées aux investissements de régénération du réseau. Grâce au plan de performance, on peut maintenir ce niveau d’investissements en 2021 pour générer et renouveler le réseau. Cela bénéficie à tous les opérateurs qui circulent et, évidemment, à toutes leurs parties prenantes.

Néanmoins, ce niveau d’investissements n’est pas suffisant pour entretenir les presque 30 000 kilomètres de lignes du réseau. Une expertise indépendante avait évalué qu’il fallait environ 3,7 milliards d’euros d’investissements chaque année pour remettre à niveau l’ensemble du réseau dans toutes ses composantes. Aujourd’hui, nous dédions principalement les investissements dont nous disposons au réseau structurant, utilisé par tous.

Au-delà de l’enjeu financier, il existe aussi un enjeu technique. Cet enjeu concerne la bonne exploitation du système ferroviaire, la bonne articulation des demandes des différents opérateurs de transports et la bonne exploitation des nœuds ferroviaires et des axes structurants. Ces axes structurants sont extrêmement sollicités par tous les demandeurs opérateurs ferroviaires mais aussi par les travaux, compte tenu de ce besoin très important de renouvellement.

Cet exercice demande de l’anticipation. Plus nous pouvons anticiper les besoins futurs et plus nous pourrons préparer les conditions de la réalisation de ces nouveaux services. Cela peut parfois être la difficulté du transporteur de fret ferroviaire puisqu’il ne dispose pas forcément de cette capacité à anticiper ses besoins futurs à trois ou cinq ans. Cela fait partie des éléments sur lesquels nous avons envie de travailler ensemble. Le gestionnaire d’infrastructures a aussi le rôle de projeter les futurs besoins ferroviaires sur le réseau pour essayer de faire de la place pour les opérateurs ferroviaires.

C’est également un défi humain. En effet, il faut développer les bonnes compétences au sein des équipes pour pouvoir répondre à l’ensemble des demandes. Il s’agit aussi d’un changement culturel puisque vous avez évoqué l’arrivée de nouveaux opérateurs, ayant des pratiques parfois différentes de celles que nous connaissons. Il s’agit aussi d’être capable d’écouter leurs attentes, de les accompagner et, tout cela, avec la nécessité de neutralité, d’indépendance et de confidentialité. Ces dernières font partie des obligations de SNCF Réseau.

Je serai assez modeste sur la réponse à la question de M. Tabarot. Je pense néanmoins que le projet stratégique que je rappelais tout à l’heure, dans ses grandes ambitions, vise, à partir de 2021, à répondre de façon progressive à cet enjeu de qualité. La qualité est en effet la première attente des opérateurs mais aussi de leurs clients (industriels dans le domaine du fret ou voyageurs utilisant les services au quotidien). Je dirais que notre ambition est de progresser ensemble, petit à petit, avec les différentes parties prenantes, sur le chemin de la qualité et du développement.

M. Frédéric Delorme. – J’aimerais revenir sur la question des PME. Il est vrai que le tissu des entreprises est constitué, pour beaucoup, d’entreprises de type PME dans le domaine routier. Il en existe aussi dans le domaine ferroviaire, que l’on appelle les organismes ferroviaires de proximité.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3593

Nous qui sommes pourtant l’opérateur numéro un en France, ressentons des potentiels de partenariats et de modèles différents qui peuvent cohabiter, et notamment sur les petites lignes. Sur ces petites lignes, des entreprises, plus agiles que des grands opérateurs, peuvent être le bon complément pour faire à la fois de la gestion de maintenance d’infrastructures, exploiter le dernier kilomètre, procéder à de la collecte-distribution chez plusieurs chargeurs n’ayant pas beaucoup de marchandises mais qui, ensemble, peuvent finir par former un train entier. Ce modèle doit se développer dans les territoires. Il existe de nouvelles opportunités pour le faire.

Je vais plutôt parler du domaine routier, au nom du GNTC. Ce dernier est très à la manœuvre pour échanger avec la FNTR. Le tissu routier est fait de PME. Tout d’abord, il faut savoir que la route est le client du rail. Ensuite, il faut considérer que la route est notre référence en termes de qualité et de services. Le premier effort est déjà de satisfaire les routiers quand ils sont clients du rail, afin de donner envie aux routiers de s’intéresser au rail. Cela nous appartient.

Par ailleurs, il est nécessaire d’éduquer pour passer du mode routier classique à un mode routier qui fait du combiné en complément du rail ou du fluvial. Ce n’est pas la même logistique ni la même organisation. Ce ne sont pas forcément, non plus, tout à fait les mêmes compétences. J’ai moi-même pu assister à des échanges entre la FNTR et le GNTC qui montrent que le GNTC est prêt à former les PME afin de démystifier le transport combiné. En effet, faire de la relativement courte distance et du « point à point » sur la longue distance sont deux métiers différents. Pour eux, la question de l’investissement se posera également. Il existe peut-être aussi des opportunités avec ce qu’appelle le quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA4). Ce programme peut entrer dans ces financements pour faire la mutation d’un camion adapté à un transport routier longue distance classique à un camion qui tire un conteneur pour rejoindre un hub ferroviaire. Tous ces leviers sont encore à activer mais ils sont extrêmement puissants pour développer le transport multimodal, et notamment la partie décarbonée qu’est le rail.

M. Raphaël Doutrebente. – Par rapport à votre point concernant le réseau capillaire et le développement au niveau de ces réseaux, je crois que les OFP ont un rôle important à jouer. Néanmoins, les opérateurs ferroviaires – que ce soit Fret SNCF ou nous – sont confrontés à un écueil. Cet écueil concerne notamment les céréales, dans le Grand Ouest, le Centre et l’Est : les infrastructures et les accès aux silos sont extrêmement dangereux, avec soit des restrictions de vitesse soit des fortes chaleurs, souvent déclenchées à partir de vingt degrés. Les photographies sont assez impressionnantes. Il n’est plus possible de faire passer un train sur des voies déformées par la chaleur. Lorsqu’il y a 1 600 tonnes à tirer sur une voie capillaire en mauvais état, vous êtes obligé d’arrêter. Je pense qu’il s’agit en effet d’un grand défi pour SNCF Réseau. Mais ce constat est aussi le résultat de nombreuses années porteuses de promesses non concrétisées.

Nous avons besoin d’une vraie volonté avec un plan quinquennal. Ne m’en voulez pas d’évoquer un plan quinquennal, n’y voyez aucune connotation politique de ma part. J’insiste sur le fait que nous pourrions enfin avoir un dossier d’avenir, comme nous avons désormais un Haut-Commissaire au plan. Nous avons vraiment besoin de nous mettre autour de la table et de nous donner les moyens. Chez Europorte, nous réalisons de la gestion d’infrastructures déléguée par Réseau, ce que nous faisons tout à fait correctement, me semble-t-il. Il s’agit d’une responsabilité importante. Néanmoins, nous le faisons et nous savons le faire car SNCF Réseau nous l’a délégué.

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Sur les travaux, un important travail doit être mené, sinon de plus en plus d’industriels ne verront pas la régénération de ces voies. Ces industriels iront chercher des camions, et pas forcément avec des emplois en France. Ils iront chercher des camions très loin parce qu’évidemment, avec la crise, ils sont en grande difficulté pour certains, avec une sorte de volonté de casser un peu les prix. Ils pourraient être tentés de ne pas aller dans le sens de l’Histoire, en matière d’empreinte environnementale et, surtout, d’avenir pour notre industrie.

J’insiste sur le fait que les céréaliers sont très importants pour nous tous, et jouent un rôle clé sur notre chiffres d’affaires mais aussi sur les emplois qu’ils créent. Beaucoup de tonnes de céréales doivent être amenées vers les ports, ce que nous faisons. Pour alimenter les grands corridors, nous avons vraiment besoin des voies dans un état adéquat.

M. Franck Agogué. – J’aimerais juste apporter une réponse complémentaire à la question qui a été posée à SNCF Réseau. Lorsque j’entends que le fret ferroviaire fait 250 millions d’euros de chiffre d’affaires sur un chiffre total de six milliards, je me dis que l’incitation n’est peut-être pas si importante que ça. Je me demande s’il ne faudrait pas réfléchir collectivement à des leviers d’amélioration de cette incitation. Ces incitations seraient évidemment positives. Cela fait partie des sujets dont j’aimerais qu’ils soient développés.

Par ailleurs, les questions un peu plus générales de prospectives économiques me donnent l’occasion d’indiquer qu’en parallèle, nous travaillons sur une stratégie nationale portuaire. J’espère que cette stratégie sera prochainement présentée et publiée. J’espère qu’il y aura un comité interministériel à la mer. Tout ce qui sera positif pour la compétitivité, la fiabilité et la fluidité des ports, ne pourra l’être qu’en améliorant tout ce qui peut l’être sur la connexion au réseau ferroviaire français. Ces éléments sont dans la stratégie nationale portuaire et doivent être dans celle du fret ferroviaire.

Mme Martine Filleul. – Vos interventions sont extrêmement positives, marquées par une prise de conscience forte de la nécessité de privilégier le transport de marchandises par des modes générant moins de CO2. Vous avez – et c’est bien – l’ambition de reconquérir des parts de marché. D’un autre côté, vous semblez avoir maintenant les moyens de remplir ces objectifs, donc tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

J’aimerais simplement mentionner deux points de vigilance, plus ou moins déjà évoqués par mes collègues.

Le premier point concerne l’humain. Vous avez beaucoup parlé d’économie mais assez peu de la pâte humaine, sauf pour faire état de l’excellence des équipes de SNCF Réseau. La forte diminution des personnels, depuis de nombreuses années et en particulier chez SNCF Réseau, a été peu évoquée. Dans ma région, si je prends l’exemple de la gare de triage de Somain, ses effectifs se sont réduits comme peau de chagrin au fil des années. Je me demande donc comment vous allez parvenir à construire des compétences et des spécialités tellement importantes dans le domaine du fret ferroviaire.

Le deuxième point de vigilance sur lequel je veux appeler votre attention est la nécessité d’une véritable analyse systémique. Je suis toujours inquiète de notre tendance naturelle française à travailler par tuyaux d’orgue. Nous devons vraiment changer notre logiciel, travailler en articulant de manière privilégiée le fluvial et le ferroviaire, en particulier au niveau des ports. Toujours dans le même état d’esprit, nous devons avoir une vision de l’aménagement du territoire, dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. Avec les moyens

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3595 dont nous disposons, quels axes seront privilégiés ? Comment allez-vous organiser des chaînes logistiques cohérentes qui nous permettront d’améliorer de manière juste l’ensemble du territoire français ?

M. Étienne Blanc. – À plusieurs reprises, vous avez abordé la question des nœuds ferroviaires et notamment du nœud ferroviaire lyonnais. Aujourd’hui, entre les ports d’Europe du Nord et les ports du Sud de la France, tout passe par le couloir rhodanien puis traverse Lyon et la gare de la Part-Dieu. Le trafic qui provient de la péninsule ibérique en direction de l’Europe de l’Est passe aussi par la gare de la Part-Dieu. Cela pose un véritable problème, à la fois pour le fret et pour les TER.

L’Europe a justement décidé de financer massivement le projet Lyon-Turin, qui est en réalité un projet européen. Ce projet permettra de mieux relier la péninsule ibérique à l’Europe de l’Est. L’Europe augmente ses participations sur le tunnel de base. Elle a aussi récemment annoncé qu’elle était prête à financer les voies d’accès au Lyon-Turin. Pour être clair, cela signifie que l’Europe serait en mesure de financer une partie du contournement Est de l’agglomération lyonnaise, au même titre qu’elle pourrait financer une grande partie de l’accès à ce réseau ferroviaire nouveau (depuis Grenoble, Chambéry et le sillon alpin).

Ma question est donc simple. Aujourd’hui, du fait de ces financements européens, SNCF Réseau considérera-t-il que les investissements sur ce secteur sont devenus prioritaires et que, du fait des financements européens, le contournement de Lyon est aujourd’hui possible ? Je rappelle que les collectivités territoriales ont accepté d’y apporter une part à hauteur d’un milliard d’euros.

M. Stéphane Demilly. – Nous avons tous constaté que le transport par rail concerne 9,9 % des marchandises. Le deuxième constat, plus alarmant, est que la part modale du transport ferroviaire n’a cessé de diminuer ces dernières années. À titre d’exemple, en 1974, 46 % des marchandises étaient transportées par rail contre 30 % dix ans plus tard. Ce chiffre est aujourd’hui supérieur à 9 %, comme je viens de le dire. C’est beaucoup moins que nos voisins, avec des taux de 35 % pour la Suisse, 32 % pour l’Autriche et 18 % pour l’Allemagne.

Durant ces dernières années, les différents gouvernements successifs ont pris de nombreuses initiatives pour relancer le fret, sans succès. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer l’échec des précédents plans de relance. On a parlé de désindustrialisation, de crise économique, d’ouverture à la concurrence et de perturbations liées aux mouvements sociaux. Une raison est peu évoquée, celle de la confiance perdue des acteurs économiques et – permettez-moi d’utiliser un terme trivial – de la confiance perdue des clients. Si mon dernier point constitue une réalité, quelle stratégie avez-vous enclenchée pour reconquérir les clients, qui sont le point de départ du projet économique ?

Par ailleurs, j’aimerais vous poser une question ayant trait à l’environnement. M. Delorme a rappelé les vertus environnementales du fret ferroviaire. À la tonne-kilomètre transportée, le rail émet effectivement huit fois moins de particules nocives que la route, consomme six fois moins d’énergie et émet neuf fois moins de CO2. En conséquence, le doublement de la part du fret ferroviaire sur dix ans représenterait huit millions de tonnes de CO2 émises en moins en 2030.

En juillet dernier, le Premier ministre a détaillé des mesures d’un plan de reconquête ferroviaire. Le ministre Jean-Baptiste Djebbari a annoncé à plusieurs reprises

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3596 que l’État serait au rendez-vous budgétaire. M. Delorme, j’ai entendu votre satisfaction devant le plan de relance. J’ai également entendu les trois conditions de réussite que vous avez évoquées : la synergie pour développer et optimiser le combiné, l’éco-bénéfice qui devrait être intégrée dans la rentabilité sociétale et la réflexion sur le temps long. J’ai cru entendre le chiffre de treize milliards d’investissements. Comme mon collègue M. Tabarot, je souhaite connaître la stratégie financière envisagée pour absorber la totalité de ces investissements.

M. Jean-François Longeot, président. – Merci. Je compléterai la question. Comment reconquérir la confiance des clients ? Il me semble que cette question est très importante pour que le fret puisse fonctionner.

Mme Isabelle Delon. – Concernant les moyens, un plan de relance significatif est mis en œuvre par le Gouvernement. Ce plan de relance permet de maintenir un certain nombre d’efforts d’investissements sur le réseau. Pour autant, si nous voulons vraiment améliorer durablement le réseau pour développer la qualité, regagner la confiance et reconquérir les clients, un investissement financier plus important doit être engagé dans la durée. Il manque aujourd’hui un milliard d’euros par rapport au besoin d’investissements sur la totalité du réseau, y compris les lignes capillaires évoquées. Aujourd’hui, ce milliard d’euros n’est pas là.

Par ailleurs, j’ai évoqué la dimension humaine sous l’angle des compétences. Je n’ai pas évoqué l’humain sous un autre angle, celui de l’adaptation nécessaire de la façon dont nous réalisons le service ferroviaire, en tout cas pour SNCF Réseau. Ce service ferroviaire nécessite à la fois d’apporter plus d’efficacité et de s’appuyer sur des solutions plus modernes. Il s’agit aussi de moderniser un certain nombre de nos installations. Vous savez qu’à SNCF Réseau, nous avons la chance d’avoir à la fois des installations du XIXe siècle et du XXIe siècle. Nous avons un enjeu important de modernisation de nos installations. Cela se fait progressivement en fonction de nos possibilités financières. Pour continuer, il nous faut engager des actions, notamment en matière de digitalisation, par exemple des postes d’aiguillage. Nous devons donc développer les compétences qui nous permettront de mieux utiliser ces installations modernes.

Pour SNCF Réseau, nous avons également un enjeu d’amélioration de sa performance, avec un effort de performance que nous réalisons également dans le cadre de notre trajectoire stratégique. En outre, cet effort de performance est fixé dans le cadre du contrat de performance avec l’État. Il s’élève à 1,6 milliard d’euros sur dix ans, d’ici à 2026. Ces éléments permettent de vous donner quelques points de repère sur les besoins d’investissements et sur les efforts qui sont réalisés par SNCF Réseau.

Nous partageons par ailleurs ce besoin qui a été évoqué de désaturation des grands nœuds. Le nœud ferroviaire de Lyon en est un bon exemple. Des études ont été engagées. Il y a eu un avancement en termes de vision du schéma d’ensemble. En revanche, la décision n’est pas celle de SNCF Réseau mais plutôt des parties prenantes pour réaliser l’ensemble de ces opérations. L’aide de l’Europe est évidemment bienvenue. Je pense qu’il faut, comme cela a été rappelé tout à l’heure, aller solliciter les possibilités du plan de relance européen pour accompagner la réalisation de ces grands projets. Néanmoins, je ne pense pas que les aides européennes permettront de finaliser l’ensemble du tour de table financier qui est nécessaire pour ces grands investissements. Il est donc vraiment important de continuer à travailler ensemble sur les conditions de réalisation de ces grands investissements.

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J’aimerais ajouter un dernier mot sur la reconquête des clients et de la confiance. Pour Réseau, le premier sujet est vraiment la performance du réseau et la qualité des sillons, des horaires qui pourront être proposés. Cette qualité et cette reconquête se construisent vraiment à plusieurs. J’ai apprécié que Mme Filleul souligne que nous ne pouvions pas y arriver seuls, si chacun reste dans son tuyau d’orgue. C’est ensemble que nous y arriverons, notamment en considérant aussi les contraintes de chacun. Les conditions de réalisation d’une bonne qualité de services sont à réunir. Je pense aux clients ayant des besoins de transport de marchandises puisqu’ils s’engagent, eux aussi, sur des schémas logistiques à long terme. Comment pouvons-nous, avec eux, nous projeter sur un principe de logistique, ferroviaire autant que possible, avec des enjeux d’efficacité que nous pouvons construire ensemble afin de les concrétiser en parts de marché d’ici quelques années ?

M. Frédéric Delorme. – J’aimerais revenir sur l’humain. Vous avez eu tout à fait raison d’insister sur ce point. Nos activités concernent des investissements mais elles concernent également beaucoup le capital humain. Force est de constater qu’avec un recul de moitié du trafic ferroviaire, les effectifs dans nos entreprises se sont adaptés à ce niveau de trafic, y compris chez les opérateurs privés. La question sera tout d’abord de passer le cap de la période actuelle, qui est rude. Nous faisons force de pédagogie en interne sur le fait que, malgré un plan de relance qui est une bonne nouvelle pour préparer l’avenir, l’économie est ralentie à court terme. Pour vous donner un ordre d’idées, le trafic est diminué de 20 % pour Fret SNCF, par rapport à une année normale. Très clairement, nous pourrions en faire plus. Le problème est que nos clients sont en difficulté. Nous comptons donc beaucoup sur la reprise économique et sur le plan de relance économique qui accompagnera le plan de relance du fret ferroviaire.

Nous avons tous des machines de formation que nous savons mettre en œuvre pour récupérer des compétences et les développer. Nous avons parlé des OFP. Un nouveau type de compétence peut apparaître, celui de l’opérateur un peu polyvalent, qui peut faire la petite maintenance de l’infrastructure mais aussi exploiter les trains. Je pense que les petites PME locales peuvent inventer un nouveau modèle social, complémentaire et adapté aux lignes capillaires. Ces lignes nécessitent des modèles plus frugaux ou, en tout cas, plus adaptés que des modèles plus nationaux. Cette cohabitation entre différents modèles sociaux me semble possible dans le monde ferroviaire.

Ensuite, je vous rejoins complètement sur la question de l’analyse systémique. Je l’ai citée, en préambule, parmi les trois conditions de réussite. Nous devons vraiment travailler à plat. C’est ce que nous avons fait dans 4F et il s’agissait déjà d’une nouveauté. Cela ne suffit pas car tous les ministères n’étaient pas tous représentés au sein de 4F. La DGITM était présente mais il faudra que soient aussi présents Bercy, le ministère de la cohésion des territoires et le ministère de la transition écologique. Pour travailler à plat, il faudrait également que les chargeurs et les ports soient nos partenaires. Il est donc complexe de faire fonctionner un écosystème. Nous n’y parviendrons effectivement durablement que si les gouvernances respectent ce côté pluriel, au niveau local et national.

La confiance des clients a été abordée. Le premier devoir est la qualité de services. Il est vrai que l’étalon est la route. Nous devons faire notre part dans ce plan de relance. Cela peut nous aider, notamment sur la question des investissements informatiques, numériques. Certaines de ces questions sont très attendues, comme la connaissance précise de l’heure d’arrivée des marchandises, la réservation de capacités et la logique commerciale prix/volume. Évidemment, plus le volume est important et plus nous sommes capables de faire des prix compétitifs. Les cheminots de toutes les entreprises ferroviaires ayant montré

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3598 pendant la crise du premier confinement que le fret était stratégique, il existe aujourd’hui une reprise de confiance et d’exigence des chargeurs, s’agissant de l’importance stratégique du fret. Pendant cette période, les meilleurs défenseurs du système de wagons isolés ont été les chargeurs. Un rapport a été rédigé par huit sociétés, avec l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), qui exploite le wagon isolé. Ils ont été les meilleurs défenseurs du plan de relance du transport ferroviaire.

Je terminerai sur la question de l’écologie et des 13 milliards d’euros, dont un seul est acquis à court terme. Il s’agit du milliard d’euros attribué à Réseau pour effectuer des travaux de sauvegarde du réseau (voies de service, triage, amélioration de certains accès à des installations ferroviaires, installations terminales embranchées, lignes capillaires) dans les deux ou trois années à venir. Cela ne permettra pas d’écouler un doublement du trafic. Parvenir à un doublement du trafic rejoint le contournement de Lyon, de Lille, c’est-à-dire les trains longs pour lesquels il faut modifier l’infrastructure plus en profondeur et changer les gabarits des tunnels.

Le rapport Altermind a démontré que ces 13 milliards d’euros dépensés en dix ans, qui concernent essentiellement le réseau, génèrent des co-bénéfices évalués à 25 milliards d’euros sur la période 2020-2040. Cette analyse est celle du professeur d’économie Patrice Geoffron (Paris Dauphine). Il a démontré qu’en valorisant le coût des émissions de CO2, de la congestion et des morts prématurées évitées, les 13 milliards d’euros investis dans le fret ferroviaire génèrent 25 milliards d’euros de co-bénéfices pour la société. Le nombre des morts prématurées est sous-estimé dans notre pays. 50 000 morts prématurées sont causées par la pollution tous les ans. Un rapport du Trésor indique que cela représente plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ce n’est donc pas uniquement un drame humain mais aussi un drame économique. Les leviers nous manquent pour concrétiser financièrement ce sujet. Nous savons que la valorisation bénéficie à la société mais une réorientation vers un système vertueux est nécessaire. Ce travail reste à faire. Vous trouverez un certain nombre de propositions dans le rapport d’Altermind.

M. Jean-François Longeot, président. – Vous pouvez compter sur nous pour travailler à vos côtés.

M. Raphaël Doutrebente. – Je reviendrai sur les clients parce qu’il me semble qu’ils sont évidemment le point principal. Je pense que tout le monde doit avoir à l’esprit que l’ouverture à la concurrence a permis de stabiliser la part modale sur les dix dernières années. Nous avons des clients parfois communs mais, comme le disait Frédéric Delorme, nous sommes évidemment concurrents. Je pense qu’il est important pour nous tous que cette concurrence soit saine. J’insiste sur ce point. Cette concurrence ne doit pas concerner uniquement le prix. Si c’est le cas, en définitive, cette concurrence sera au détriment de l’emploi. Europorte est une petite entité mais nous faisons tout de même 130 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous appartenons au groupe Eurotunnel qui génère un milliard d’euros. Nous avons la chance que le président Jacques Gounon soit aussi très impliqué dans le Lyon-Turin.

Cela me permet d’aborder le sujet de l’emploi. Nous avons pu stabiliser et nous augmentons régulièrement nos effectifs. Il s’agit d’un investissement car la formation de conducteur coûte assez cher. Néanmoins, nous formons des personnels à la conduite de trains parce que cette activité est très technique. Le degré de performance, de dextérité et de respect de la sécurité nécessaires à cette pratique est peu connu. En effet, le réseau est assez dense et

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3599 le conducteur doit savoir bien piloter sa locomotive. Nous avons notre propre centre de formation des conducteurs au niveau du groupe. Cette formation est très exigeante.

En augmentant l’offre aux clients, nous pouvons continuer à augmenter nos effectifs, mais également permettre la croissance du fret. La concurrence saine que nous vivons en France doit continuer. J’insiste sur les termes de concurrence saine.

Concernant les investissements européens dont vous avez parlé pour Lyon, je suis d’accord avec vous pour dire que, sur les quais, c’est un peu dangereux. Je me suis permis de citer les éléments du Green Deal au début de mon intervention. Je pense qu’au niveau de l’État, ces milliards d’euros – qui peuvent finir par donner le tournis – doivent devenir une réalité et être mis rapidement dans le programme des dépenses pour permettre à SNCF Réseau de pouvoir répondre aux besoins. Je remercie Mme Delon de répondre aux questions. Néanmoins, l’étape d’après concerne les questions quand et comment. 23 milliards d’euros devront être trouvés avant le mois d’avril. Les dossiers doivent être montés car ces sommes existent.

Si ce qui a été inscrit dans le plan 4F n’est pas engagé et si toutes ces sommes ne sont pas recherchées, les entreprises ferroviaires auront peut-être disparu dans quelques années. Surtout, nous n’aurons pas permis à notre pays de pouvoir se développer, malgré son grand potentiel. Des gens compétents sont présents dans les régions. D’autres peuvent être formés. Des plateformes peuvent être ouvertes avec un accès au fret. Ce n’est pas du tout illusoire. Dans notre entreprise, nous avons lancé un nouveau trafic de combinés. Aujourd’hui, le combiné est souvent divisé entre les acteurs présents. Ce cannibalisme ne crée pas un cercle vertueux. Nous avons relancé un nouveau trafic pour un nouvel opérateur. Il faut donc de la volonté et nous en sommes dotés. Il faut également que SNCF Réseau soit aidé pour que les travaux soient réalisés avec un vrai plan, afin de rassurer nos clients.

M. Franck Agogué. – Concernant le soutien à SNCF Réseau, je rappelle la reprise de la dette de 35 milliards d’euros, décidée par le Gouvernement. Elle permet de maintenir un volume d’importants travaux de régénération, de l’ordre de 2 ou 3 milliards d’euros par an. Nous ne parlons donc pas d’un milliard d’euros du plan de relance puis de plus rien. Un soutien existe. Est-ce suffisant ? J’entends cette question mais il y a quand même une perspective.

M. Éric Gold. – Le Gouvernement a consenti à un effort réel avec des dépenses importantes prévues dans les mobilités vertes, notamment pour le domaine ferroviaire. Appréhender la déclinaison de cette bonne intention est parfois compliqué, que ce soit dans la réfection des réseaux ou la mise en service des nouveaux matériels. Je voudrais notamment aborder la filière hydrogène renouvelable bas carbone, qui constitue une priorité du plan de relance de l’économie pour accélérer la conversion écologique de l’industrie française. J’ai cru comprendre que cette piste était jugée irréaliste par Monsieur le directeur d’Europorte. Or la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, présentée dernièrement, vise une accélération massive avec un engagement de crédits dans le cadre du plan de relance. Ces crédits sont en partie fléchés sur le développement des mobilités lourdes à l’hydrogène.

En matière d’hydrogène, avons-nous une stratégie complète de développement dans le domaine du fret ferroviaire ? Restons-nous sur des actions isolées comme dans certaines régions françaises ? Si vous partagez la vision de M. Doutrebente, que pensez-vous de la chaîne de traction Alstom à Tarbes, qui travaille aujourd’hui sur ce type de matériel ? Le

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3600 ministre Djebbari en a parlé devant cette commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, lors de sa dernière audition.

Mme Angèle Préville. – Je vous poserai une question très concrète concernant la préoccupation des industriels, en région, qui sont mal desservis. Ces industriels sont des potentiels clients mais ils sont mal raccordés. Existe-t-il un travail sur ce sujet pour s’organiser et recenser toutes les entreprises qui se trouvent dans ce cas ? Je pense aux entreprises situées sur des petites lignes, et plus précisément à une grosse entreprise de l’industrie alimentaire qui se trouve dans ma commune. Nous sommes sur la petite ligne Brive-Aurillac. Existe-t-il une planification pour rationaliser tout ça ? Y a-t-il des appels à se manifester ? Allez-vous créer des priorités et des offres ciblées pour ces grosses entreprises ?

Je rebondis par ailleurs sur ce qu’a dit mon collègue. J’avais cru comprendre, par l’audition de M. Farandou la semaine dernière, que la SNCF prévoyait de se lancer dans la production d’hydrogène vert sur les sites.

Quelque chose sera-t-il mis en place, comme des plateformes, pour le maintien des entreprises dans les territoires ruraux ? Des plateformes permettraient que les entreprises des territoires très enclavés puissent être prises en compte.

M. Jean-François Longeot, président. – Il est important de ne pas oublier nos territoires ruraux.

M. Olivier Jacquin. – L’intermodalité a été évoquée, notamment par Martine Filleul et par la co-rapporteure de la mission d’information Nicole Bonnefoy. Thierry Guimbaud avait parlé cet été d’une alliance 5F. 5F suffira-t-il en matière d’intermodalité ? Ne faut-il pas rajouter un M pour les ports maritimes et un R pour le routier ? Je souligne la vraie volonté manifestée par le président Delorme en matière de fret. Je dois dire que le président m’a rassuré. Cette année, j’imaginais Fret SNCF en faillite assez rapidement. Or, je sens qu’il y a une vraie détermination du président Farandou et des équipes.

Je relève néanmoins un paradoxe. Nous savons la difficulté de recruter et former des conducteurs, cela a été dit. Pourtant, vous avez un plan de suppression de près de 110 ou de 150 postes de conducteurs au moment où un plan de relance du fret est annoncé. Cela m’interroge.

J’ai également une question pour la DGITM. Je ne peux pas entendre parler d’un plan de relance. C’est véritablement d’un plan d’équilibre dont il s’agit. Il y a eu des tentatives de plan de relance dans le domaine de l’aérien et de l’automobile. Cependant, concernant le fret, nous avons fait la démonstration pendant le budget que les sommes véritablement nouvelles sont plutôt limitées. Sur les 4,7 milliards d’euros, les sommes nouvelles ne représentent que quelques centaines de millions d’euros seulement. Je dis seulement car j’ai apprécié le rapport du Réseau action climat qui s’appelle Transport ferroviaire : sommes-nous sur les rails ? Ce rapport a chiffré, de manière sérieuse me semble-t-il, les sommes à mettre en jeu si nous voulons être en cohérence avec nos objectifs, notamment carbone et climatique. Ces sommes n’ont rien de comparable avec celles que nous évoquons ici.

Par ailleurs, Monsieur le représentant de la DGITM, je souhaite vous interroger sur les injonctions paradoxales envers SNCF Réseau. Il est en effet paradoxal de demander la gratuité des sillons pour le fret – ce qui est une bonne chose – mais, en même temps, de ne pas

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3601 produire le contrat de performance qui nous indique la véritable trajectoire financière de Réseau pour les trois prochaines années. Il est également paradoxal de demander d’effectuer plus de travaux et de supprimer des postes dans le même temps.

Ma dernière question s’adresse à l’ensemble des intervenants, qui ont été assez mesurés et consensuels sur le besoin d’augmenter la part du fret. Cela fait vingt ans, et depuis l’effondrement du fret, que nous entendons ces discours. M. Delorme a évoqué la prise en compte nécessaire des externalités positives du rail. Le défaut de notre système est bien que nous ne parvenons pas à mettre en place un système pollueur-payeur. Pour ma part, je suis persuadé que nous ne pourrons pas financer le report modal sans un système de prélèvements sur le routier, avec un principe d’écotaxe. J’aimerais que les uns et les autres se positionnent sur ce principe d’écotaxe. La DGITM sait-elle si le commissaire au plan travaille sur ces questions importantes ?

Par ailleurs, le Paquet Mobilité déterminé par la Commission européenne doit être traduit pour 2023. Quelles en sont les orientations ?

Enfin, je m’interroge sur la nécessité de réguler le prix du dernier kilomètre qui vient asphyxier la demande de transports et qui empêche sa massification.

M. Gérard Lahellec. – Je viens des Côtes-d’Armor en Bretagne. Il est vrai que nous n’avons jamais fini de désenclaver notre région. Nous en avons beaucoup parlé au cours du Second Empire et, plus près de nous, avec l’arrivée du TGV. Je dis tout cela pour signifier le désenclavement ne sera jamais fini si nous souhaitons être dans notre temps et pour être de notre temps.

Je pense également que nous gagnerions beaucoup à rapporter nos stratégies à la vie des territoires et à leurs besoins. Nous avons aujourd’hui tendance à raisonner en segments de marché, en macro-économie. Nous le faisons à telle enseigne que la petite région d’où je viens, avec ses 2 700 kilomètres de côtes, n’aurait plus de port. C’est bizarre. Pourtant, nos trois ports décentralisés peuvent constituer un atout, pour peu que nous nous en occupions.

Je viens de ce petit territoire de 3,1 millions d’habitants, avec une croissance démographique annuelle de 25 000 habitants. Des besoins nouveaux existent donc. Ce petit territoire était, jusque-là, la cinquième région de production de France. Nous avons donc besoin de soutenir et de conforter une économie de production durable, et non pas une économie productiviste. Pour cela, le levier qui se trouve à notre disposition est celui du ferroviaire. Il permet en effet l’optimisation de la logistique, en relation avec les ports notamment.

La performance logistique et l’apport particulier du ferroviaire sont des atouts. Je ne voudrais pas réveiller des souvenirs encore douloureux, à savoir l’épisode des bonnets rouges. Les bonnets rouges portaient ces bonnets en référence à 1532 et à la révolte contre le papier timbré. Nous voyons donc bien qu’il n’existe pas de solution miracle. Le financement d’un mode alternatif à la route appelle tout de même à ce que nous soyons conséquents dans la définition des moyens que nous devons mobiliser pour rendre l’évolution acceptable. La route et le ferroviaire ne doivent pas être opposés. Il faut au contraire voir comment trouver ces financements admis par tout le monde. Je souhaite limiter mon propos en disant simplement que nous avons besoin de dépasser ce qui relèverait de la spontanéité automatique du marché, sinon nous allons laisser des territoires sur le bord de la route. Je pense qu’il s’agit d’un élément important. Mark Twain disait : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3602 ils l’ont fait ». Nous devons nous inspirer de Mark Twain. Nous avons une très petite illustration chez nous avec la logistique maritime représentée par la Brittany Ferries. Cette entreprise a malheureusement été victime du Brexit ou de la crise de la Covid-19. Jusque-là, elle assurait des autoroutes de la mer entre Roscoff, Plymouth et Santander, tout en battant pavillon français, ce qui n’est pas neutre. Par ailleurs, l’entreprise était à l’équilibre, sans financements publics. Il s’agit bien de la preuve que notre petit territoire a besoin de cette optimisation logistique. De ce point de vue, il me semble que nous n’en sortirons qu’en nouant des partenariats d’ambition publique entre l’autorité publique, l’État et les territoires (collectivités territoriales, départements, régions).

M. Hervé Gillé. –Vous avez mentionné un milliard d’euros dans le cadre du plan de relance, 13 milliards d’euros à engager et 23 milliards d’euros qu’il faudrait mobiliser dans des conjectures d’opportunité qui ont été citées. Au-delà des annonces financières, nous manquons de lisibilité sur la stratégie, les contractualisations et les réalisations concrètes. Un document-cadre stratégique des investissements pluriannuels est-il disponible ou réalisable ? Il permettrait d’avoir des clés de lecture sur la capacité à mettre en œuvre et à faire. C’est une des interrogations très importantes concernant le plan de relance. Ce document-cadre pourrait-il être communiqué, discuté et pourrait-il permettre d’effectuer des évaluations régulières sur ces sujets ? À quel niveau sont partagées les orientations de ce document-cadre ? Notamment, à quel niveau de gouvernance sont-elles partagées ? Quelles stratégies, en termes de contractualisation, sont débattues et posées sur la table ? Mon collègue évoquait ce point avec les collectivités territoriales, plus particulièrement les régions qui sont directement concernées sur ces sujets. Où en sommes-nous ? Quelle est la stratégie en la matière ?

En ce qui nous concerne, nous n’avons aucune visibilité s’agissant de l’établissement des contrats de plan État-Région. Nous ne savons pas comment l’État fixe sa stratégie et essaie de négocier avec les régions sur une partie des objectifs qui ont pu être évoqués. Cette mise en lisibilité me semble fondamentale lorsque nous voulons évoquer ces sujets aujourd’hui. J’aimerais entendre vos réflexions et vos remarques. Quelles propositions pourrions-nous faire, ensemble, pour essayer d’améliorer ce cadre stratégique et sa mise en lisibilité ? Quelles seraient les propositions quant aux initiatives pouvant être prises afin d’améliorer les contractualisations et faire en sorte que l’intermodalité se développe sur des options de financement à mettre en perspective ?

Mme Christine Herzog. – Je souhaite disposer de quelques chiffres concernant l’activité depuis 2010 de la gare de triage de Woippy, en Moselle, l’une des plus importantes de France. Quels financements et investissements sont prévus dans le cadre de la coalition 4F pour cette gare ?

Mme Évelyne Perrot. – Ce n’est pas une question, c’est un espoir. Si j’ai bien compris, le plan 4F devrait moderniser les installations, booster l’existant et permettre, éventuellement, l’électrification des lignes. Mon département de l’Aube n’a que la ligne 4. Nous attendons l’électrification depuis presque quarante ans. Nous devions l’avoir, enfin, jusqu’à la ville de Troyes en 2022 mais la presse locale a annoncé que cette échéance pourrait ne pas intervenir avant 2028 cette semaine. Je vous parle de ce sujet car nous avons dans notre département l’énorme société agroalimentaire Soufflet. Cette société envoie des milliers de camions sur les routes. Elle attend, comme nous tous, le canal à grand gabarit. Nous aimerions avoir enfin une solution concernant notre ligne 4. Lors d’un voyage sur cette ligne, nous sommes parfois arrêtés pendant dix minutes ou un quart d’heure afin de laisser passer un train

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3603 de marchandises. C’est quelque chose qui, pour nous, fait partie du mirage. Vous avoir entendu ce matin a donc été un réel bonheur pour moi.

M. Jean-François Longeot, président. – Après toutes ces questions, je voudrais, pour ma part, évoquer les externalités, positives ou négatives, que peuvent avoir les différents modes de transport de marchandises. Ces diverses externalités, de nature environnementale ou économique, jouent un rôle clé dans le choix de chaque mode de transport et de l’articulation optimale entre ces derniers. Cependant, la diversité de ces effets externes ainsi que leur caractère indirect rendent leur comparaison et leur comptabilité complexes. À ce jour, existe-t-il une méthodologie établie et reconnue par l’ensemble des acteurs du système permettant de quantifier ces externalités ?

M. Raphaël Doutrebente. – Je vais commencer par répondre à l’intervention de Mme Perrot. Vous devez voir beaucoup de locomotives Europorte et j’en suis très fier. C’est vrai qu’il y a plus de souplesse pour les conducteurs de train. Un sillon peut être à trois heures près. Il n’est, heureusement, pas possible d’avoir une telle souplesse dans le transport passager. Soufflet, qui est l’un de nos principaux clients, met beaucoup de trains sur les rails, grâce à la qualité de services que nous sommes capables d’apporter.

M. Lahellec a parlé de Brittany Ferries. J’ai été un des dirigeants de cette entreprise pendant quatre ans. J’ai participé, modestement, à l’exonération des charges pour le pavillon français. Nous parlions d’emplois. Avec la crise de la Covid-19, la planche à billets a été fortement activée. Je voudrais que nous lancions un défi demain. Si nous voulons que le fret ferroviaire continue, si nous voulons éviter que certains emplois des entreprises comme Fret SNCF soient en jeu dans les années à venir, l’exonération des charges est un sujet important. Cette exonération a sauvé le pavillon français et Brittany Ferries. Certes, la crise conjoncturelle est réelle. Néanmoins, la stabilité, l’augmentation des emplois et, surtout, la formation des marins ont permis que l’entreprise soit performante. Si nous voulons aller plus loin avec notre plan 4F, je lance le défi que nous allions sur le dossier des charges patronales. Ce n’est pas un sujet tabou. Cela permettrait d’avoir un pavillon français et, peut-être demain, un fret ferroviaire qui continue de se développer.

L’autre sujet qui a été évoqué est l’aspect technologique. Je ne pense pas que le sujet de l’hydrogène soit irréaliste. Néanmoins, je dis que la manière dont il est fabriqué et la technologie d’aujourd’hui fonctionnent avec plus de 95 % de carburants. Demain, l’hydrogène sera propre mais l’évolution prendra du temps. Je souscris à votre remarque sur le fait que lancer des nouvelles locomotives prend des années. Si nous partons vers de l’hydrogène propre, je suis évidemment preneur. Nous ne devons pas imaginer disposer demain de l’hydrogène à plus de 95 % de carburants. Ces données sont souvent oubliées dans la presse. Tout le monde est en train de rêver à l’hydrogène. Nous devons faire attention à ce que ces défis technologiques aient une réalité.

Je tiens à dire que nous sommes très novateurs dans nos entreprises de fret. J’ai moi-même lancé une chaire de recherche avec l’École polytechnique, en matière prédictive, avec Éric Moulines, un des pontes du machine learning. Nous nous plaçons dans l’avenir. Nous le faisons avec nos propres moyens, ce qui est très bien car cela nous responsabilise. Il y a des défis technologiques mais il y a aussi des éléments réels comme la rénovation des voies ou le développement de l’électrification. À un moment, cela doit prendre corps. Nous ne devons pas nous leurrer dans des projets trop technologiques. Déjà, nous devons remettre un réseau en état. SNCF Réseau a une certaine pression. C’est ensemble que nous devons

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3604 pouvoir l’améliorer. Ce pavillon français pour le fret ferroviaire, fortement soutenu par le Sénat à l’époque, est un sujet important qui ne doit pas être oublié après notre audition.

M. Frédéric Delorme. – J’ai parlé de ce contexte de court terme avec une baisse d’activité de 20 % sur le trafic de Fret SNCF. Cette baisse d’activité nécessite l’adaptation de nos moyens de production, en espérant que cette baisse ne soit que temporaire. Nous augmenterons évidemment le volume de moyens en cas d’augmentation du trafic. Les 110 conducteurs évoqués précédemment feront l’objet d’une mobilité interne puisque 600 conducteurs sont recrutés chaque année par SNCF Voyageurs. Ils rejoindront donc Voyageurs et ne quitteront pas la SNCF. Cette mobilité vaudra d’ailleurs dans les deux sens.

Concernant la gare de triage de Woippy, je n’ai pas les chiffres exacts mais Isabelle Delon pourra peut-être répondre. Les quatre triages principaux (Woippy, Sibelin, Le Bourget et Miramas) font bien partie du plan d’un milliard qui est programmé. Il est aussi possible d’avoir des contributions des collectivités locales. Les quatre triages sont en tout cas ciblés comme étant des triages à gravité. Ce sont les triages principaux de notre réseau français. Ils bénéficient d’un soutien de notre part pour obtenir des investissements sur les infrastructures.

Concernant la gouvernance, quelque chose est à construire. Nous ressentons aussi le manque de lisibilité que vous avez cité sur les investissements pluriannuels. Les investisseurs les chargeurs et les politiques ont besoin de cette confiance. Nous devons travailler avec la DGITM pour déterminer comment le plan de relance d’un milliard qui est sur la table est partagé avec tout le monde, en sachant que ce plan n’est sécurisé qu’à hauteur de 500 millions d’euros. Le reste est composé de compléments.

J’ai également parlé du plan 2025-2030. Ce sont des investissements où nous pouvons aller chercher des fonds dans les milliards d’euros disponibles en Europe. Cela concerne beaucoup les grands corridors européens. La visibilité sur 2025-2030 au niveau national, dans une logique européenne, est absolument nécessaire. Nous devons construire quelque chose faisant l’objet d’un échange permanent totalement transparent. Par contre, ce ne sera pas suffisant. Il faut préserver et repenser l’approche territoriale par une approche locale.

Par ailleurs, je mettrais la gouvernance en débat mais plusieurs acteurs semblent concernés : SNCF Réseau, les opérateurs, les chargeurs, la région, les métropoles ou encore le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser). Cette gouvernance locale pourrait permettre que la vision planifiée du territorial et une vision nationale et européenne se rejoignent à un moment donné. Je pense que si nous arrivions à construire une gouvernance efficace et fluide entre ces trois niveaux, nous progresserions tous.

Je terminerai par une réflexion sur l’écotaxe. L’alliance 4F ne soutient pas l’écotaxe au niveau national car elle serait contre-productive. Il faut encourager le transport routier de proximité et favoriser la reconstruction d’emplois pour le routier français dans nos territoires. Le combiné en fait partie. Taxer les routiers qui font du transport combiné sera contre-productif. Au contraire, comment pouvons-nous les inciter ? Cela pourrait passer par de l’aide à l’investissement ou de l’aide fiscale. Il y a des choses à inventer.

À l’inverse, j’émets un avis personnel favorable sur l’incitation plus différenciée. En Europe, où il y a des très grands corridors européens ferroviaires, nous pourrions avoir des autoroutes ferroviaires avec des semi-remorques qui montent sur les trains. Un certain nombre

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3605 de transporteurs routiers en sont très satisfaits. Pour financer cette option, peut-être pourrions-nous, de manière ciblée et chirurgicale, inciter les routiers sur les très longues distances de plus de mille kilomètres. Il y a matière à inciter les routiers à abandonner le trafic routier pour une offre alternative ferroviaire permettant de transporter le semi-remorque. L’écotaxe généralisée n’apparaît pas aux membres de 4F comme une solution positive. Quelque chose de plus différencié mériterait une étude réfléchie et raisonnée.

Mme Isabelle Delon. – J’apporterai une précision sur les investissements pour les installations de service. Avant le plan de relance, et depuis plus d’un an, SNCF Réseau avait engagé un plan d’amélioration de ces installations de services. Ce plan est de cent millions d’euros sur cinq ans. Il est élaboré en concertation avec les clients pour évaluer les besoins d’améliorations prioritaires. Il se concrétisera en 2021 par une enveloppe d’investissements d’amélioration de l’ensemble des services Fret et Voyageurs. L’enveloppe est de 24 millions d’euros dans le budget de SNCF Réseau. Sur ces 24 millions d’euros, 8 seront consacrés aux quatre triages évoqués par Frédéric Delorme. 1,5 million sera consacré à la gare de triage de Woippy. Cela concerne principalement des améliorations des voies de service et des appareils de voie qui permettent d’utiliser au mieux ces installations.

Effectivement, le plan de relance d’un milliard d’euros peut permettre d’aller au-delà de ce premier plan de financements, lancé par SNCF Réseau sur ses fonds propres. L’important est de répondre aux besoins des utilisateurs, ainsi que d’accompagner les besoins d’exploitation en qualité et en quantité. Répondre aux besoins est l’ancrage que nous avons choisi. Dès lors que nous aurons des éléments permettant d’évaluer le besoin de développement, nous pourrons aller plus loin en accord avec les parties prenantes. Ainsi, nous pourrons utiliser, le cas échéant, les possibilités du plan de relance au niveau national et territorial.

J’apporterai un petit complément sur le trafic global fret cette année. Nous avons, à ce jour, constaté une baisse de 15 % du fret ferroviaire sur le réseau français. Pour 2021, nous envisageons une augmentation de 13 %, sur la base du trafic réel constaté. Aujourd’hui, nous n’avons pas vraiment fixé d’objectifs pluriannuels, mais notre ambition est de nous inscrire dans une logique d’accompagnement des besoins des clients industriels et des clients opérateurs.

Mme Angèle Préville. – Si je puis me permettre, vous n’avez pas exactement répondu à ma question. Avez-vous fait le recensement des entreprises intéressées ? Avez-vous rédigé une liste ? Est-elle en cours ?

Mme Isabelle Delon. – Non, nous n’avons pas encore fait cette démarche de façon si précise. Nous avons un portefeuille de clients importants avec lesquels nous échangeons régulièrement sur leurs perspectives de développement ou de renforcement de la logistique ferroviaire. Un certain nombre de grands industriels ont des stratégies de développement du ferroviaire dans leur logistique. À ce jour, nous n’avons pas encore fait un recensement complet des opportunités. Notre démarche est à la fois pragmatique et fonction de nos moyens. Des actions et des ressources seront nécessaires pour engager ce plan. Cela est prévu, mais nous n’avons pas encore engagé la démarche à ce jour.

M. Franck Agogué. –Concernant la décarbonation hydrogène, nous pensons qu’une stratégie à court, moyen et long terme doit être définie. Cette stratégie doit porter sur le carburant vert, les locomotives hybrides, les batteries, caténaires légers etc. Le fret

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3606 ferroviaire n’est pas le seul concerné. Nous devons y travailler, y croire et accompagner les expérimentations qui existent.

Le plan de relance porte bien son nom. Il vise à rétablir une situation qui était dégradée. Je ne vais pas vous dire le contraire, il pourrait être plus important. Il a été dit tout à l’heure qu’il y avait quelque chose en dehors du plan de relance, avec la trajectoire de la LOM.

Je voulais préciser que je n’avais pas parlé de la gratuité des péages des entreprises de fret ferroviaire : j’ai dit que c’est l’État qui prenait en charge la moitié de ces péages.

Concernant l’écotaxe, je suppose que vous y reviendrez au cours d’autres auditions.

Monsieur le Président, vous avez parlé des externalités. Je ne suis pas un spécialiste du sujet mais nous avons des services assez compétents, notamment au ministère et au commissariat général au développement durable (CGDD). Des études ont été menées sur les externalités dans le domaine des transports. Je pourrais vous transmettre les publications et les coordonnées des personnes en question.

M. Jean-François Longeot, président. – Madame, Messieurs, mes chers collègues, je vous remercie.

Des moyens financiers importants doivent nous permettre d’être performants et d’afficher une véritable ambition pour développer le fret. Je suis heureux de découvrir votre envie de desserte et d’irrigation de l’ensemble de nos territoires. C’est important pour le maintien et le développement de nos activités économiques. Je crois que nous avons bien fait de créer une mission d’information centrée sur le sujet du transport de marchandises. Cette première audition en témoigne.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 55.

Mardi 12 janvier 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France - Examen des amendements de séance

M. Jean-François Longeot, président. – Mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous présenter mes meilleurs vœux, en cette période compliquée : je vous souhaite une très bonne année, et j’espère que nous pourrons reprendre nos travaux assez rapidement dans de bonnes conditions.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3607

Nous avons à examiner cet après-midi soixante amendements, dont trois amendements déposés par les rapporteurs, aux articles 5, 12 et 16.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS

Article 5

L’amendement rédactionnel DEVDUR.3 est adopté.

Article 12

L’amendement rédactionnel DEVDUR.2 est adopté.

Article 16

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. – L’amendement DEVDUR.1 vise à préciser que le décret fixant les modalités d’application de cet article qui prévoit une obligation d’écoconception des services numériques est pris après avis de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), en plus de l’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

L’amendement DEVDUR.1 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Articles additionnels après l’article 12

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. – Nous sommes favorables à l’amendement n° 44, sous réserve de sa rectification.

M. Jacques Fernique. – Je vais le rectifier.

La commission émet un avis favorable à l’amendement n° 44, sous réserve de rectification.

Articles additionnels après l’article 14 bis

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. – Nous vous proposons de déclarer l’amendement n° 31 irrecevable en application de l’article 45 de la Constitution.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. – En effet, le régime de sanction qu’il prévoit porte sur une interdiction qui est trop générale : elle ne vise pas spécifiquement les équipements numériques mais concerne tout type de bien..

L’amendement n° 31 est déclaré irrecevable en application de l’article 45 de la Constitution.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3608

Article 15

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. – Nous sommes défavorables à l’amendement n° 12.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. – Par la force des choses, l’avis ne peut être favorable.

La commission émet un avis défavorable à l’amendement n° 12.

M. Jean-François Longeot, président. – Je tiens à souligner l’importance de ce texte qui, ayant été traité de façon transpartisane, apparaît déterminant pour le positionnement de notre assemblée. Le rapport du Haut Conseil pour le climat (HCC) remis au président du Sénat le 19 décembre dernier parvient aux mêmes conclusions que nos rapporteurs, et préconise des solutions que la proposition de loi contient déjà. Tout cela manifeste le travail percutant réalisé par notre commission.

La réunion est close à 13 h 50.

Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :

Article 1er

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 46 Défavorable

Article 2

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 4 Défavorable

Article 3

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 47 Défavorable

M. GONTARD 25 Défavorable

Article additionnel après article 3

Auteur N° Avis de la commission

Mme BLATRIX 29 rect. Défavorable CONTAT

M. FERNIQUE 45 Défavorable

Article 4

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 48 Défavorable

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3609

Mme VARAILLAS 10 Défavorable

Article additionnel après article 4

Auteur N° Avis de la commission

Mme BLATRIX 28 Défavorable CONTAT

Article 5

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 5 Défavorable

Article 8

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 49 Défavorable

Article additionnel après article 11

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 19 Défavorable

Mme VARAILLAS 22 Défavorable

Mme VARAILLAS 21 Défavorable

Mme VARAILLAS 18 Défavorable

Article 12

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 11 Défavorable

Article additionnel après article 12

Auteur N° Avis de la commission

M. FERNIQUE 43 Défavorable

M. FERNIQUE 44 rect. Favorable si rectifié

Article 13 A

Auteur N° Avis de la commission

M. GILLÉ 32 Avis du Gouvernement

Article 13

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 6 Défavorable

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3610

Article 14

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 7 Défavorable

Article additionnel après article 14

Auteur N° Avis de la commission

M. MAUREY 58 rect. Défavorable

M. CHAIZE 41 rect. Favorable quater

Article additionnel après article 14 bis

Auteur N° Avis de la commission

Mme BLATRIX 30 Défavorable CONTAT

M. GILLÉ 31 Irrecevable article 45

Mme VARAILLAS 20 Défavorable

Article 15

Auteur N° Avis de la commission

M. REQUIER 8 Défavorable

Mme VARAILLAS 12 Défavorable

M. DANTEC 3 Défavorable

Mme SOLLOGOUB 27 rect. bis Défavorable

Article 16

Auteur N° Avis de la commission

M. PERRIN 2 Défavorable

M. MAUREY 54 rect. Défavorable

M. PERRIN 1 Défavorable

Article additionnel après article 16

Auteur N° Avis de la commission

M. SALMON 38 Défavorable

M. SALMON 39 Défavorable

M. SALMON 40 Défavorable

M. DEVINAZ 35 Sagesse

M. DEVINAZ 34 Défavorable

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3611

M. MAUREY 52 rect. bis Défavorable

M. MAUREY 53 rect. bis Favorable

Article 17 (Supprimé)

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 13 Défavorable

Article additionnel après article 17 (Supprimé)

Auteur N° Avis de la commission

M. MAUREY 55 rect. bis Défavorable

Article 18 (Supprimé)

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 14 Défavorable

Article 19 (Supprimé)

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 15 Défavorable

M. SALMON 37 Défavorable

Article 20 (Supprimé)

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 16 Défavorable

Article additionnel avant article 21

Auteur N° Avis de la commission

Mme VARAILLAS 17 Défavorable

Article 21

Auteur N° Avis de la commission

Mme LOISIER 50 Favorable

Mme SOLLOGOUB 26 rect. bis Défavorable

M. PERRIN 23 Défavorable

Article 23 bis

Auteur N° Avis de la commission

Mme LOISIER 51 Favorable

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3612

Article 24

Auteur N° Avis de la commission

M. MAUREY 56 rect. Défavorable

Article additionnel après article 24

Auteur N° Avis de la commission

M. CHAIZE 42 rect. Favorable quater

Article additionnel après article 26

Auteur N° Avis de la commission

M. GOLD 9 Défavorable

M. MONTAUGÉ 33 Défavorable

M. DEVINAZ 36 rect. Défavorable

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de MM. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition, en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur « L'Arctique, entre défi climatique et risques géopolitiques » (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3613

COMMISSION DE LA CULTURE, DE L’ÉDUCATION ET DE LA COMMUNICATION

Mardi 12 janvier 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 h 5.

Audition sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens 2020-2022 des sociétés de l’audiovisuel public

M. Laurent Lafon, président. – L’audiovisuel public joue un rôle fondamental pour promouvoir la culture, mettre à disposition une information de qualité, notamment au niveau local, accroître l’accès à l’éducation et favoriser la création.

Depuis l’arrivée des premières plateformes américaines, la révolution de l’offre des programmes et des usages crée un défi pour des entreprises publiques qui étaient habituées à exercer leurs missions dans le cadre défini par la loi du 30 septembre 1986. Depuis 2018, le Gouvernement a exigé des efforts, trop longtemps reportés, dans la gestion des entreprises de l’audiovisuel public.

Notre commission, particulièrement attentive à l’évolution du secteur, a soutenu cette demande, mais elle a, en contrepartie, souhaité que les ressources de l’audiovisuel public soient garanties et qu’une gouvernance commune soit instituée.

Le projet de loi de réforme de l’audiovisuel public élaboré par Franck Riester et discuté en commission à l’Assemblée nationale en mars dernier laissait penser que cette évolution allait enfin devenir réalité, mais le Gouvernement a changé d’avis et a saisi les circonstances particulières de la crise sanitaire pour justifier son revirement. Nous ne pouvons que le regretter !

L’abandon de la réforme de la gouvernance, qui fait suite au report de la réforme de la contribution à l’audiovisuel public, illustre la faiblesse de la stratégie de votre tutelle, ce que nous regrettons bien évidemment.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier ces cinq nouveaux contrats d’objectifs et de moyens (COM), qui constituent un pis-aller par rapport à la réforme plus ambitieuse que nous souhaitions.

L’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que les commissions compétentes peuvent donner un avis sur ces COM. Notre commission ne manquera pas à sa mission, en se prononçant à la fin du mois de janvier. Je rappellerai néanmoins que ce même article donne un caractère obligatoire à ces COM et ne leur reconnaît pas de portée indicative. Nous ne pouvons donc que regretter que le Gouvernement ait décidé, depuis 2017, de ne pas respecter les COM en vigueur, sans pour autant les modifier par voie d’avenant, comme il en avait à la fois la possibilité et le devoir. Il a ainsi porté atteinte à cet outil, dont je rappelle que le projet de loi Riester avait prévu le remplacement par des « conventions stratégiques pluriannuelles ».

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3614

J’ajoute par ailleurs que l’article 53 de la loi précitée prévoit que la durée des COM peut varier de trois à cinq ans. Or les contrats qui nous ont été transmis n’auront qu’une durée de deux ans. En effet, ils ne seront pas définitivement adoptés avant la fin du mois de janvier 2021 et ils ne sauraient avoir une portée rétroactive sur 2020. Nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement prenne de nouveau des libertés avec la loi de 1986.

Il appartiendra aux membres de la commission de décider si cette entorse à la lettre de la loi est de nature à faire obstacle à l’examen de ces contrats, qui ont pour mérite d’expliciter le projet que l’actionnaire entend mettre en œuvre pour chacune des entreprises de l’audiovisuel public.

Mesdames et messieurs les présidents, je vous propose pour commencer cette réunion de nous présenter brièvement ces projets à travers un propos liminaire de cinq à sept minutes.

Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions. – Je développerai quatre points à propos de ce COM.

Premièrement, il confirme les arbitrages rendus par le Premier ministre en juillet 2018, ce dont nous nous félicitons. Il comporte des synergies renforcées entre les entreprises et s’inscrit dans un calendrier cohérent. Son terme en 2022 apparaît pragmatique, car les changements de gouvernement entraînent souvent des changements pour l’audiovisuel public. Concis dans sa forme, il n’en contient pas moins 33 indicateurs, contre 19 dans le précédent.

Deuxièmement, il vise à renforcer les missions et l’utilité de France Télévisions auprès de ses publics. Il confirme la place renforcée de la culture et de la création, en prévoyant la programmation du spectacle vivant en première partie de soirée, la transformation du modèle de France 3 – la chaîne nationale à décrochages régionaux deviendra une chaîne régionale à décrochage national –, le caractère structurant de l’offre d’information et le doublement des investissements dans un projet numérique à même de toucher tous les publics.

Troisièmement, il insiste à raison sur l’exemplarité des entreprises, ce qui passe notamment par une représentation plus juste de la société et des territoires, en particulier ultramarins, et une plus grande diversité dans les programmes au sens du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Le COM insiste aussi sur l’accessibilité du service et l’inclusion, dans l’entreprise comme sur les antennes. Le sous-titrage de la chaîne Franceinfo sera ainsi renforcé et des efforts seront menés sur l’audiodescription et la langue des signes. Le COM insiste aussi sur les enjeux du développement durable. Dans la continuité du plan mis en œuvre par mon prédécesseur en 2013, nous avons engagé différentes démarches d’écoproduction, nous sommes en train d’éliminer progressivement tous les plastiques et mis en place un plan Vélo.

Enfin, quatrièmement, en dépit de la cohérence globale de ce COM, je relève trois contradictions.

L’objectif de couverture est en hausse – le nombre de Français qui regardent un programme de France Télévisions au moins une fois par semaine –, mais la suppression de France 4 rend quasiment impossible l’augmentation de la couverture chez les enfants. Concernant la couverture en général, nous sommes soumis à la concurrence grandissante des plateformes.

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Une autre difficulté tient au maintien de l’équilibre d’exploitation sur la période, avec, d’un côté, l’augmentation de nos engagements en matière de création et les missions supplémentaires qui nous sont assignées, et, de l’autre, une ressource publique qui diminue. Dès 2018, nous avons signé un accord de gestion prévisionnelle des emplois avec 85 % des organisations syndicales, qui prévoit une baisse des effectifs importante de 900 personnes d’ici fin à 2022. France Télévisions aura ainsi diminué ses effectifs de plus de 20 % en dix ans, ce qui n’est pas un petit gain de productivité.

Enfin, les synergies au sein du service public sont finalement moins ambitieuses que prévu, comme vous le faisiez remarquer dans votre préambule, monsieur le président.

Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de . – La négociation de ce COM s’est déroulée en 2020, une année où Radio France a connu des audiences en hausse, avec plus de 15 millions d’auditeurs qui nous ont fait confiance chaque jour. Nous essayons d’accompagner au mieux les Français dans cette crise absolument sans précédent.

Comme l’a souligné Delphine Ernotte Cunci, la continuité des orientations financières et stratégiques est l’un des acquis importants de cette négociation avec l’État. La stabilité de ce cadre devrait cette fois être garantie, compte tenu de l’alignement du COM sur les échéances politiques de 2022.

La trajectoire fixée est évidemment extrêmement exigeante, mais elle prolonge celle qui avait été arrêtée en 2018. Pour Radio France, 20 millions d’euros d’économies ont été demandés, dont 11 millions d’euros qui restent encore à accomplir sur les années 2021 et 2022, dans un contexte de crise qui pèse sur nos ressources propres. Le COM prévoit toutefois de compenser cette baisse des ressources. Les économies à réaliser reposent essentiellement sur des réorganisations internes, sur l’évolution de nos métiers et de nos façons de produire, mais je ne vous cache pas que de telles transformations sont très complexes à conduire dans le contexte actuel de travail à distance.

En contrepartie de la brièveté du COM, l’année 2022 sera extrêmement chargée, avec la renégociation du contrat et sans doute la question de la contribution à l’audiovisuel public, un enjeu extrêmement important pour l’ensemble de nos entreprises.

Le COM réaffirme un certain nombre de priorités stratégiques pour Radio France. Il va permettre de suivre la mise en œuvre des objectifs qui figurent déjà dans notre projet d’entreprise, notamment l’importance de l’information et de la proximité. Ce besoin de proximité est tout particulièrement ressorti de la consultation citoyenne que nous avons menée avec France Télévisions, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour connaître les attentes des citoyens à l’égard de leurs médias publics. Ils appellent de leurs vœux une meilleure valorisation de la vie économique et sociale dans les territoires. France Bleu, avec ses 500 heures de programmes locaux chaque jour, a joué un rôle très important pendant la crise, salué par nos auditeurs. La station a contribué à briser l’isolement et a continué à mener les actions de solidarité qui font sa patte. Demain matin, en direct dans la matinale de France Bleu, je remettrai ainsi des dons collectés pour les sinistrés de la tempête Alex.

Je me réjouis que cette dimension figure parmi les priorités de ce COM et qu’il nous encourage également à développer des offres partagées de coopération, notamment avec France 3. L’envol des audiences numériques de France Bleu ces dernières années permet

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3616 d’envisager la construction d’une offre de proximité, complémentaire de la plateforme France Info, devenue la première plateforme d’information consultée quotidiennement par les Français.

La culture est aussi un enjeu très important pour nous. C’est l’identité et la promesse de France Culture. Notre rôle est de favoriser la prescription et la diffusion au public des œuvres culturelles, mais aussi de produire des contenus culturels. Nous allons renforcer les moyens consacrés à ces créations, dans le respect des droits d’auteurs, condition du maintien d’une diversité de la création.

Le COM met tout particulièrement l’accent sur la transition numérique de nos entreprises. La radio vit aujourd’hui une révolution comparable à celle de la libéralisation de la bande FM en 1981. Nos succès d’aujourd’hui s’expliquent par l’avance que nous avions prise sur ces sujets, et les investissements prévus dans le COM vont permettre de poursuivre le travail de modernisation. L’un des enjeux pour le législateur sera de protéger ces contenus audio comme il protège les contenus vidéo, de manière que leur reprise par des acteurs tiers se fasse dans le respect des droits d’auteur. Le développement de contenus audio pour les enfants est également reconnu par le COM – la demande a été forte durant la crise sanitaire.

Le COM tient également compte du rôle que l’on joue dans la musique, à travers nos formations musicales et la capacité de prescription de nos antennes. La Maison de la radio va d’ailleurs être rebaptisée Maison de la radio et de la musique.

L’exemplarité fait partie de l’ADN des entreprises de service public. Nous investissons énormément dans l’évolution des métiers et des compétences de nos collaborateurs, et le COM insiste particulièrement sur les objectifs de responsabilité sociale, de parité et de diversité.

Le COM prévoit enfin le suivi dans la durée des résultats des partenariats que nous avons conclus avec les autres sociétés de l’audiovisuel public. Grâce à l’accessibilité de contenus tiers, notre application Radio France est devenue la référence de l’audio de service public en France aujourd’hui. Nous avons par ailleurs beaucoup de projets importants avec Arte, France Médias Monde, France Télévisions et l’INA pour continuer de répondre de manière innovante aux attentes des citoyens.

Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde. – C’est la première fois que l’on établit un COM avec une partie commune à tout le secteur, en affirmant des valeurs qui nous rassemblent tous, et je tiens en premier lieu à le saluer, car il n’est pas si simple de faire converger cinq entreprises vers des indicateurs communs. Cette année de crise a montré à quel point il était important de pouvoir compter sur un service public, en France, mais aussi dans le monde. Ce COM prévoit donc de nouveaux projets de coopération entre les différents acteurs, tout en respectant la spécificité de chacun.

Comme l’ont souligné les orateurs précédents, ce COM est budgétairement cohérent, mais tout s’arrête en 2022. La principale question que je souhaite donc vous poser porte sur la redevance. Le secteur public a démontré ses performances et sa complémentarité. Comment assure-t-on son avenir à partir de 2023 ?

Ce n’est pas seulement une question de financement, mais aussi de statut. Si les médias publics, faute de recettes propres, sont qualifiés de médias gouvernementaux et ne sont plus considérés comme indépendants, les relations entre les citoyens et ces médias de référence ne vont pas s’arranger.

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À l’international, ce serait même carrément la Bérézina. Notre indépendance, c’est aussi le gage de notre influence. Si YouTube nous qualifiait de chaîne gouvernementale, comme elle le fait avec d’autres chaînes, quelle serait notre crédibilité pour lutter contre les manipulations de l’information et le complotisme que l’on voit poindre sur les réseaux sociaux qui dominent la planète ? C’est une question stratégique majeure.

Ce COM place en son cœur une information vérifiée, honnête, équilibrée et indépendante, luttant contre les infox et les manipulations. La France doit affirmer ses valeurs singulières, car elle est la seule à le faire.

Le plurilinguisme et la francophonie se marient très bien, me semble-t-il. La reconnaissance des langues africaines me semble notamment très importante, en particulier dans la bande sahélienne. Le 14 janvier, nous lançons une diffusion en peul, et nous allons renforcer le mandingue. Nous allons aussi accroître notre diffusion en espagnol – fait un tabac en Amérique latine – et réformer notre offre en arabe, en jouant sur les synergies entre France 24 et MCD.

Dans le domaine numérique, nous ne développons pas de plateforme comme les chaînes généralistes nationales, mais nous adoptons la stratégie du « coucou », en nous positionnant sur tous les carrefours d’audience pour ne pas laisser le monopole aux complotistes.

Ce COM reprend aussi un travail engagé avec notre tutelle sur la présence mondiale régionalisée. Nous avons une stratégie par zone géographique, avec une priorité donnée à l’Afrique et au monde arabe.

La coopération avec les autres sociétés de l’audiovisuel public est primordiale, notamment en termes de contenus éditoriaux, mais aussi de formation ou d’achats groupés.

Évidemment, ce COM prévoit des économies. Au total, nous avons prévu un plan d’économies de 16 millions d’euros, qui se traduit par la renégociation de gros contrats, un plan de départs volontaires de 30 postes et des efforts de rigueur.

Enfin, l’idée d’entreprise exemplaire nous plait beaucoup. Nous avons de bons résultats sur la parité, et la diversité est un peu notre métier. L’indicateur sur l’empreinte carbone est une première, mais il me semble très important de réaliser à l’intérieur de nos sociétés ce que nous affichons sur nos antennes, par souci de cohérence.

Les objectifs et les indicateurs sont plus nombreux que les moyens, cela ne vous aura pas échappé, mais c’est le lot de tous les COM. Nous sommes globalement satisfaits de cet exercice, même si la perspective de 2023 nous inquiète.

M. Bruno Patino, président du directoire d’Arte France. – Ce COM reflète bien l’équilibre et la spécificité d’Arte. Il respecte la double nature d’Arte, une entreprise profondément binationale, dont la stratégie est déterminée par consensus avec nos partenaires allemands, mais qui fait aussi partie de l’audiovisuel public français.

La trajectoire financière a été rappelée : elle avait certes été annoncée, mais elle n’en est pas moins exigeante. Entre 2011 et 2019, Arte a diminué ses frais généraux de 25 %, tout en augmentant son investissement programme de 33 %. Je partage aussi ce qui a été dit sur l’incertitude concernant 2023.

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La stratégie d’Arte tient en trois points : une exigence éditoriale réaffirmée assortie d’un déploiement numérique ambitieux ; une stratégie européenne de plus en plus ambitieuse ; une entreprise exemplaire.

Le COM nous permet de réaffirmer que nous sommes avant tout une chaîne de récits originaux, et non de plateaux. Nous avons vocation à diffuser des documentaires et des œuvres de fiction qui aident à comprendre ou à découvrir. Nous essayons aussi de rendre accessible la complexité, notamment grâce au double regard en termes d’information. Nous sommes principalement tournés vers la production d’œuvres originales européennes.

La stratégie de déploiement numérique va s’accentuer, tout comme la stratégie européenne, également mentionnée dans le COM. Jusqu’à présent, tout l’effort d’Arte a été tourné vers la disponibilité européenne de ses programmes en termes de droits et de diversité linguistique. Nous avons à présent une offre en six langues et nous voulons essayer de conquérir de nouveaux publics.

Sur le volet de l’entreprise exemplaire, nous n’étions pas les plus en avance au sein de l’audiovisuel public. Le COM nous pousse à rattraper notre retard. Nous avons élaboré des plans d’action en matière de diversité et d’environnement et nous voulons obtenir les labels égalité professionnelle hommes-femmes et diversité avant 2022.

M. Laurent Vallet, président de l’Institut national de l’audiovisuel. – Le COM dont nous débattons aujourd’hui constitue un progrès, notamment parce qu’il comporte un volet commun aux sociétés de l’audiovisuel public, mais il présente aussi certaines limites. Par exemple, vouloir englober des entités différentes a évidemment l’inconvénient de rendre les indicateurs moins précis – c’est ce qu’on appelait, quand j’étais élève, le plus petit dénominateur commun... –, même si certains ont vocation à être déclinés dans chaque entreprise.

En outre, le COM s’arrête en 2022 et, comme cela a déjà été dit, beaucoup d’incertitudes financières existent pour la suite, ce qui peut avoir des conséquences, notamment sur notre indépendance.

De manière générale, ce COM nous convient ; il amplifie l’ensemble du mouvement de transformation lancé à l’INA en 2015 dans le cadre du projet d’entreprise, mouvement qui s’est très bien inséré dans le plan gouvernemental de 2018.

En ce qui concerne le volet commun, toutes les missions de l’INA sont bien présentes, y compris celles qui ne se retrouvent pas nécessairement dans les autres entreprises concernées – je pense notamment à nos activités de recherche et de formation. Nous nous réjouissons beaucoup que l’objectif n° 2 du COM réserve un traitement particulier à la mutualisation de la formation professionnelle au sein de l’audiovisuel public – un indicateur de suivi est dédié à ce sujet.

Le volet spécifique à l’INA reflète parfaitement la stratégie que nous menons depuis 2015 : renouveau éditorial et adaptation de nos offres aux nouveaux usages. J’ai eu la chance d’arriver à l’INA, au moment où s’achevait le plan de sauvegarde et de numérisation (PSN) qui a mobilisé presque 200 millions d’euros d’argent public depuis la fin des années 1990. En effet, l’acte majeur de patrimonialisation des archives audiovisuelles est leur éditorialisation, plus que la seule conservation. De nos jours, détenir dix-neuf ou vingt millions d’heures de contenus audiovisuels et avoir la capacité de les diffuser ne sont plus en soi un atout compétitif décisif, puisqu’elles ne représentent plus qu’une infime part de tout ce

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3619 qui est diffusé sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi l’éditorialisation est maintenant au cœur de nos missions.

Cette évolution aurait pu se concrétiser dans la holding France Médias, dont l’INA avait vocation à faire partie, mais elle reste en tout état de cause au centre de nos préoccupations stratégiques.

En matière de formation professionnelle, le COM offre des pistes intéressantes pour progresser vers la mutualisation croissante des actions que mènent nos cinq entreprises. Il évoque notamment la création d’une filiale dédiée à ce sujet sous l’égide de l’INA.

En ce qui concerne l’exemplarité, le COM consacre là aussi des initiatives prises par l’INA. Je pense notamment à la « classe Alpha » : ce nouveau cursus accueille depuis la rentrée d’octobre au sein d’INA sup une centaine de jeunes de 17 à 25 ans sans prérequis de diplôme. Il me semble très important de mettre les démarches d’innovation et de responsabilité sociales au cœur de nos activités de formation initiale et de les ouvrir à nos partenaires. Autre exemple, l’INA ne dispose pas à proprement parler d’un canal de diffusion, mais ses travaux de recherche peuvent fournir des études et des outils d’analyse sur la présence ou la représentation des femmes ou de telle ou telle communauté à l’antenne - plusieurs études que nous avons publiées sur ces sujets ces derniers mois ont d’ailleurs été particulièrement remarquées.

Le COM évoque un objectif particulier : notre implantation. Il existe en effet un enjeu de développement territorial et de responsabilité sociale et environnementale, puisque la ZAC des Fontaines-Giroux a été choisie par la région d’Île-de-France pour implanter, à côté de l’INA, le futur pôle audiovisuel de l’Est parisien.

Le seul point d’attention de ce COM concerne le financement. Les comptes de l’INA ont été lourdement affectés par le choc de 2020 ; en effet, nous devons aller chercher 30 % de nos recettes sur des marchés concurrentiels – formation, vente d’images, etc. –, contre 5 % en moyenne pour les autres entreprises de l’audiovisuel public. En 2020, nous avons ainsi perdu 8 millions d’euros de chiffre d’affaires sur 38 millions, mais grâce à un tour de vis sur les charges la perte a été limitée à 5 millions. Le budget 2021 est à l’équilibre, mais nous devons continuer à investir et pour cela nous devons encore trouver 6 millions d’euros sur la période. Nous avons bon espoir de trouver des solutions dans les semaines qui viennent.

M. Laurent Lafon, président. – Comme Sibyle Veil va devoir nous quitter avant la fin de notre réunion, je vous propose, mes chers collègues, de l’interroger en premier.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis. – Le plan d’affaires du projet de COM de Radio France prévoit une hausse sensible des ressources propres de l’entreprise qui passeraient de 63 millions d’euros en 2020 à 77 millions en 2022, ce qui correspond à une augmentation de plus de 22 % en deux ans. Est-ce crédible dans le cadre de la crise sanitaire et économique que nous connaissons ?

Cette hausse correspond notamment à un accroissement des recettes publicitaires de 4,7 millions d’euros – elles passeraient de 51 millions en 2020 à 55,7 millions en 2022. Le COM 2015–2019 prévoyait que « sur toute la durée du COM les ressources publicitaires ne pourront excéder un plafond de 42 millions d’euros par an ». Pourquoi la notion de plafond a-t-elle disparu du nouveau projet de COM ? Est-ce que vous vous fixez des limites en termes de publicité au-delà de la cible de 55,7 millions mentionnée dans le plan d’affaires ? Ne

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3620 craignez-vous pas que cette hausse de la publicité ne porte une atteinte sérieuse à l’identité des radios de service public, ainsi qu’au modèle économique des radios privées ?

Mme Sibyle Veil. – La tendance dont vous parlez prend comme point de départ l’année 2020 qui est une année de crise, durant laquelle nos ressources propres, notamment la publicité, ont baissé de manière importante. Dans ces projections, nous ne faisons que retrouver en 2022 le niveau de 2019. Un autre élément de cette évolution est lié aux matinales filmées, dont les conditions dépendent du contrat que nous avons conclu avec France Télévisions ; c’est une recette externe qui obéit à une logique différente. Il est vrai que le COM aurait pu présenter les choses de manière différente.

En ce qui concerne les recettes publicitaires de manière générale, je rappelle que nous avons mis en place une approche modérée ; c’est d’ailleurs l’un des éléments qui nous différencient des acteurs privés : ainsi, la durée de la publicité sur nos antennes durant une journée entière est inférieure à celle des matinales de l’ensemble de nos concurrents. En outre, seules trois de nos radios sur sept diffusent de la publicité ; France Culture, France Musique, FIP et Mouv’ n’en diffusent pas. Des limites réglementaires pèsent sur nous en termes de durée. En outre, nous avons pris des engagements responsables, notamment en termes de « verdissement » : ainsi, depuis le 1er janvier, nous avons renoncé à la commercialisation de certains espaces au profit d’acteurs ou de produits écoresponsables.

Je sais que les opérateurs privés sont extrêmement mobilisés sur ce sujet – ils le sont notamment depuis que France Inter est devenue première radio de France… –, mais je ne pense pas que la réponse aux difficultés économiques du secteur soit d’affaiblir le service public. D’ailleurs, si la publicité devait être supprimée de nos antennes, cela n’entraînerait pas un report de nos auditeurs sur les autres acteurs et n’induirait donc pas une augmentation de leurs propres recettes. Cela bénéficierait plus probablement aux recettes publicitaires des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, dont la progression explique d’ailleurs largement les difficultés du secteur. Affaiblir le service public de la radio n’est pas une réponse au modèle économique du secteur commercial. Je crois aussi qu’il faut une solidarité entre les acteurs et qu’il est positif d’avoir un acteur majeur comme Radio France dans le paysage radiophonique. Il me semble que beaucoup d’annonceurs n’iraient pas sur la radio si Radio France ne diffusait pas de publicité.

M. Laurent Lafon, président. – Il me semble qu’aucune autre question n’est spécifiquement destinée à la présidente de Radio France. Je propose donc à notre rapporteur pour avis de continuer.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis. – Ma prochaine question concerne la présidente de France Télévisions.

Madame la présidente, dans votre projet de candidature « France Télévisions, notre bien commun » de juillet 2020, vous avez pris plusieurs engagements importants qui vous ont permis d’être choisie par le CSA. Permettez-moi d’en citer quelques-uns.

Vous avez pris l’engagement que France Télévisions réserverait « ses premières parties de soirée aux séries européennes ou d’expression originale française ». Vous avez déclaré que vous croyiez « au maintien de France 4, offre numérique et linéaire, dédiée à l’éducation et à la jeunesse ». Vous avez ensuite proposé une évolution du cahier des charges de France 5 afin qu’elle devienne « la chaîne de la connaissance et du savoir au service de la conscience écologique ». Vous avez annoncé la création avec l’INA d’un « campus des

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3621 médias ouvert à tous ». Vous avez également proposé la transformation de France 3 en un réseau de treize offres 100 % régionales et la création d’une « offre numérique en symbiose avec France Bleu ». Enfin, et c’est peut-être la proposition la plus ambitieuse de votre projet, vous avez annoncé la création de France Médias +, une « plateforme d’agrégation numérique commune de tous les contenus audio et vidéo de l’audiovisuel public ».

Ma question sera simple : comment expliquez-vous que ces engagements très ambitieux, sur lesquels vous avez été désignée, ne se retrouvent pas dans le COM ou sont mentionnés sous une forme très édulcorée ? Est-ce que la force de votre projet ne se trouve pas affaiblie par les choix de l’actionnaire inscrits dans le COM ? Plus généralement, quel est l’intérêt de vous demander de faire un projet lors de votre candidature, si celui-ci, une fois « validé » par le CSA, n’engage pas votre actionnaire ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. – Je ne sais pas si c’est vraiment à moi qu’il revient de répondre à votre question, mais je vais quand même vous apporter quelques éléments.

Les engagements que j’ai pris devant le CSA valent pour la durée de mon mandat, soit cinq ans, alors que le COM s’arrête en 2022. Pour autant, beaucoup de choses sont tout de même présentes dans le COM. Par exemple, il prévoit un engagement annuel de 500 millions d’euros pour soutenir la création française. J’ai aussi annoncé le 5 janvier dernier que nous ne diffuserions plus de fiction « étrangère », c’est-à-dire hors France et Europe, à une exception près – nous avons encore une fiction en stock et nous la diffuserons en juillet.

Le maintien de France 4 ne m’appartient pas et son arrêt a été acté par le Gouvernement. J’ajoute simplement qu’on ne peut pas demander à France Télévisions d’aller au-delà de ce qu’elle a fait en 2020 sans France 4. Cette chaîne a été extrêmement utile pendant la période de fermeture des écoles – c’était la plus grande salle de classe de France ! Beaucoup de gens sont encore devant la télévision en ce moment, notamment les enfants. Nous demander d’augmenter notre présence auprès des enfants par rapport à 2020, tout en fermant France 4, est incohérent.

En ce qui concerne nos liens avec l’INA, j’ai récemment visité la classe Alpha, dont Laurent Vallet vous a parlé et qui est une initiative absolument formidable. Nous allons nous mettre dans la roue de l’INA pour créer le campus que j’avais mentionné dans mon projet et nous le baptiserons d’ailleurs « campus Alpha ».

Sur les offres régionales, mes engagements sont cohérents avec le COM, même si je souhaite aller plus loin, et je pense que nous pourrons donner un élan supplémentaire sur la durée de mon mandat.

Enfin, sur France Média +, le fait que nous donnions nos podcasts à Radio France est une manière de mettre en place cette plateforme et il est normal que Radio France soit leader en la matière. Il s’agit de regrouper nos compétences par grandes thématiques et le son en fait partie. À la BBC, qui est un peu le modèle de la grande holding, il existe en réalité trois grandes plateformes : news, iPlayer et sounds. Il s’agit bien de construire des offres qui se répondent et se renforcent les unes les autres.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis. – Je comprends l’argument du temps, mais il y a urgence à agir.

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En ce qui concerne France Médias Monde, le projet de COM insiste sur la vocation universelle des offres proposées. Pourtant, ses programmes restent difficilement accessibles en France, alors que ce sont les téléspectateurs français qui les financent à travers la contribution à l’audiovisuel public (CAP), tandis que la diffusion internationale recule dans plusieurs territoires, notamment en Amérique du Nord.

Que prévoyez-vous pour accroître la diffusion en France même, par exemple sur le DAB+ pour RFI et Monte Carlo Doualiya (MCD), et à l’international, par exemple pour France 24 aux États-Unis, sachant notamment que la chaîne n’est plus diffusée à Washington ?

Mme Marie-Christine Saragosse. – La vocation universelle de notre groupe est très importante pour rivaliser avec les autres opérateurs internationaux. Je vous remercie d’ailleurs d’avoir rappelé que c’est le téléspectateur français qui finance, au travers de la CAP, notre groupe. C’est une fierté pour nous !

Nous pouvons dire grâce à cela que nous sommes financés par les citoyens français et il est normal que ces contributeurs en aient le retour, ce qui est le cas, puisque France 24 est disponible dans ses trois langues – français, anglais, arabe – sur tout le territoire métropolitain sur le câble et le satellite. France 24 était également distribuée outre-mer sur la TNT. Il faut aussi mentionner le fait que nous collaborons à Franceinfo : nous fournissons des programmes pour la tranche horaire minuit-six heures – heures de la métropole –, ainsi que des magazines et des duplex.

Nous allons sortir de la TNT en Île-de-France, à la fois pour des raisons économiques et parce que les équipements des Franciliens ont changé – peu d’habitants de cette région n’ont que la TNT. En outre, notre notoriété n’est pas la même aujourd’hui qu’en 2013 et nous ferons en sorte de continuer à nous faire connaître.

Le DAB+ est notre relais de croissance, en complémentarité avec les antennes de Radio France. RFI est présente en FM en Île-de-France et à Lyon, Lille, Strasbourg, Marseille, Bordeaux et Toulouse. RFI a donc un beau maillage sur les grandes villes. Si d’autres appels d’offres étaient lancés, nous serions partants pour les regarder, parce que les sommes en jeu sont raisonnables. Monte Carlo Doualiya a récemment fait l’objet d’une préemption de la ministre de la culture pour être présente en Île-de-France et à Marseille ; une radio arabophone, républicaine et laïque peut vraiment jouer un rôle intéressant.

En ce qui concerne les États-Unis, il faut savoir que les contrats sont chers, parfois un million pour une ville – il existe plusieurs façons de censurer les chaines étrangères... Sachez que notre contrat sur la seule ville de New York coûte 900 000 euros, ce qui est élevé, notamment quand on vous demande en parallèle de réaliser des économies.

Nous devons donc miser sur la maturité technologique des États-Unis ; c’est ce que nous avons fait et, en 2020, ce pays est le deuxième, après la France, en termes de visites sur nos environnements numériques propres – les États-Unis représentent ainsi 10 % de la fréquentation de nos sites propriétaires, soit environ 80 millions de visites en 2020. Il en est de même sur YouTube : les Américains sont en deuxième position et regardent plus de huit minutes en moyenne, ce qui est très élevé pour ce média – nous sommes d’ailleurs notés au même niveau que la BBC. Nous sommes également présents dans les grandes institutions américaines et à l’ONU. Le hors offre du fournisseur d’accès à l’internet (OTT – over the top)

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3623 se développe, que ce soit en anglais, en français et en espagnol, langue très importante aux États-Unis dorénavant.

Dernier exemple de notre présence, nous avons réalisé pendant la pandémie une interview exclusive d’, le principal épidémiologiste américain, et le parti républicain a voulu en reprendre des extraits pour ses clips de campagne... Nous ne sommes donc pas si absents des États-Unis !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis. – Monsieur Patino, lors de votre dernière audition à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, vous aviez indiqué qu’Arte France souhaitait développer la cocréation européenne, ce qui nécessitait une évolution de la réglementation des droits au niveau européen.

Le projet de COM mentionne la nécessité d’une « obtention de droits équivalents de diffusion et d’exploitation à l’échelle européenne », mais n’évoque aucune méthode ni aucun calendrier pour atteindre cet objectif. Pourquoi ce manque de précision ? Est-ce le signe que l’actionnaire n’entend pas agir pour faire évoluer au niveau national et européen la réglementation sur les droits attachés aux productions ? Plus généralement, comment comptez-vous développer votre ambition en matière de production européenne ?

M. Bruno Patino. – Toute stratégie européenne passe par la disponibilité des droits européens et par la capacité de les obtenir. Nous sommes habitués à le faire, mais nous le faisons encore au cas par cas et il faut pouvoir se le permettre financièrement... Il faut à cet égard distinguer les fictions et le reste. Depuis l’irruption des plateformes mondiales, les fictions sont très difficiles à obtenir, d’un point de vue non pas technique, mais économique. Pour les autres productions, les choses sont plus simples.

Aujourd’hui, nous négocions avec les producteurs une extension européenne des droits. Nous le faisons au sein d’Arte France et au sein du groupement européen d’intérêt économique (GEIE), où sont présentes des chaînes partenaires. Vous le savez, la stratégie européenne d’Arte passe par ce GEIE. Notre ambition est d’industrialiser – vous me pardonnerez ce terme – ce processus, car il prend du temps. Cela nécessite un cadre réglementaire cohérent et l’accord des sociétés de production. Je suis président du GEIE et son vice-président est Peter Weber, qui est aussi directeur juridique de la chaîne allemande ZDF et très actif au sein de la commission juridique de l’Union européenne de radio- télévision (UER). Arte peut être un facilitateur pour trouver des solutions « industrielles » – je mets beaucoup de guillemets –…

M. Laurent Lafon, président. – Ce n’est pas un gros mot !

M. Bruno Patino. – … pour européaniser les droits.

Par ailleurs, nous avons l’ambition d’accroître les collaborations européennes. Arte a un rôle central à jouer en la matière. Aujourd’hui, nous coproduisons beaucoup et nous sommes entrés depuis quelques années dans un processus de cocréation. Il est même arrivé que des bureaux d’écriture soient binationaux ; c’est un processus complexe, je ne vais pas vous le cacher, mais il apporte beaucoup de profondeur au récit. Dans les années qui viennent, nous allons passer à une étape supérieure, en essayant de créer des mécanismes d’incubation pour l’écriture.

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M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis. – La situation financière de l’INA est devenue précaire du fait de la baisse de ses ressources propres consécutive à la crise sanitaire. L’institut a donc un besoin impératif de rebondir sur le marché de la formation professionnelle. L’objectif n° 7 du COM prévoit ainsi de développer un pôle d’excellence dédié aux métiers de l’audiovisuel et du numérique tourné prioritairement vers les 15 000 salariés de l’audiovisuel public.

Pourtant, l’annexe du COM qui liste les coopérations prioritaires de l’audiovisuel public à l’horizon 2022 se contente de mentionner la mise en place d’une « réflexion, pilotée par l’INA, sur l’opportunité de créer une entité de formation professionnelle commune de l’audiovisuel public ». Les termes sont tellement prudents qu’on semble discerner une réflexion vouée à ne pas aboutir… Pourquoi cette contradiction entre l’objectif n° 7 et l’annexe du COM ? Pensez-vous vraiment que ce projet de coopération pourra aboutir et dans quel délai ? Qu’en pensent vos collègues des autres entreprises de l’audiovisuel public ?

M. Laurent Vallet. – Je peux vous dire que, si j’avais le sentiment que le COM enterrait ce projet, je n’aurais pas dit qu’il me convenait et qu’il épousait nos priorités stratégiques !

Le développement d’un pôle de formation et de transmission des savoirs tourné prioritairement vers les 15 000 collaborateurs de l’audiovisuel public ne se justifie pas par la crise que nous avons connue en 2020. Ce projet est cohérent avec l’histoire de l’INA. J’ajoute que l’INA a bien d’autres moyens de retrouver le chemin de la croissance ; je pense notamment au succès de ses nouvelles offres numériques, par exemple le service de vidéo à la demande par abonnement Madelen, qui compte aujourd’hui 60 000 abonnés.

En fait, je crois qu’il faut lire en parallèle un autre point du COM, l’indicateur 2.2 : « la part des heures de formation dispensées aux salariés de l’entreprise ayant été réalisées dans un cadre mutualisé et/ou par un organisme de formation, existant ou à créer, appartenant au secteur audiovisuel public, dans le respect des règles de la commande publique ». Ainsi, chaque entreprise va devoir mesurer, sans cible préétablie, le nombre de salariés formés chaque année « dans un cadre mutualisé et/ou par un organisme de formation, existant ou à créer, appartenant au secteur audiovisuel public ». Le cadre mutualisé évoqué est le premier degré de collaboration, mais il s’agit surtout de formations simples à des outils généraux réalisés par des prestataires externes. Le COM évoque aussi un organisme de formation appartenant au secteur audiovisuel public, ce qui est plus intéressant : l’organisme existant cité, c’est l’INA ; celui à créer pourrait être une filiale opérée par l’INA – dans nos propres indicateurs, nous sommes chargés de la préfigurer.

J’ajoute que nous sommes confrontés à des problèmes de commande publique. Toutes les entreprises de l’audiovisuel public sont détenues à 100 % par l’État, sous un statut ou sous un autre, mais nous faisons face à un paradoxe : les contrats que nous signons entre nous ne sont pas considérés comme « in house », si bien que le droit et la jurisprudence nous obligent à des mises en concurrence. La holding France Média aurait sûrement permis de résoudre ce problème…

Cette filiale a évidemment vocation à s’occuper de différents volets de la formation, y compris la formation initiale comme la classe Alpha que nous avons mise en place. Il est vrai que la rédaction du COM fait penser à un appel à réfléchir à cette question, mais en fait les choses sont bien avancées, comme le montrent les indicateurs propres à l’INA. Ce qui compte, c’est l’outil mutualisé : comment rendre le meilleur service, sans caporaliser

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3625 quiconque ! Je reconnais que vous me direz peut-être dans quelques années que j’ai été naïf et que j’ai surestimé mon pouvoir de conviction… Nous verrons !

Mme Catherine Morin-Desailly. – Je vous adresse tous mes vœux pour une année qui s’annonce difficile au vu de la persistance de la crise sanitaire. Nous sommes nombreux à regretter l’abandon de la réforme de l’audiovisuel : on ne fait que reporter la résolution de certains problèmes.

Merci à Mme Saragosse d’avoir souligné la fragilité de ces COM, qui ne portent que sur deux années, alors que la loi leur impose une durée de trois à cinq ans. L’audiovisuel se trouvera donc dans une position fragile en 2022, quand les élections pourraient porter à la tête de l’État des forces qui pourraient être tentées de supprimer la redevance, ou de transformer les dotations publiques en dotations d’État, sapant l’indépendance de nos entreprises audiovisuelles publiques.

Ces COM ont également des aspects positifs, dont les cinq indicateurs communs. À ce propos, la question des publics dits « empêchés » n’est pas évoquée. La recherche de la diversité et de la parité est soulignée, dans le cadre des droits culturels ; j’imagine que vous portez aussi une attention forte à ces publics en situation de handicap. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je veux par ailleurs saluer le modèle vertueux de nos entreprises en matière environnementale.

Plus largement, comment avez-vous préparé ces COM ? Avez-vous travaillé en équipe pour faire le bilan des actions qui vous ont rapprochés, objectif majeur des derniers COM ? Quel bilan faites-vous de Franceinfo ? L’audience est peut-être décevante ; comment corriger le tir et mener de nouvelles actions transversales ? Avez-vous travaillé à ce que Bruno Patino a qualifié de « bouquet éditorial », à destination de la jeunesse notamment, au vu de la regrettable suppression programmée de France 4 ?

Je veux enfin vous interroger sur l’ambition universelle de notre audiovisuel public. Comment avez-vous travaillé ensemble sur l’approfondissement des stratégies européennes et mondiales ? Madame Saragosse, les nouveaux COM contiennent-ils des objectifs et des moyens suffisamment ambitieux en la matière, notamment pour lutter contre la désinformation et la radicalisation ?

M. David Assouline. – Formellement, ces COM contiennent une avancée certaine, à savoir les nouveaux indicateurs communs, qui nous donnent une première idée de la spécificité globale de l’audiovisuel public. Cela ne compense qu’en partie l’absence de holding et de marque commune, comme peut l’être la BBC, mais c’est important.

Je regrette que l’on se soustraie, une fois de plus, à l’évaluation des COM précédents. Cela n’est pas nouveau : tous les deux ou trois ans, on se fixe des objectifs complètement nouveaux sans même examiner si les objectifs précédents ont été atteints ! Chaque fois, on prétend avoir inventé l’eau tiède.

Il est également regrettable que ne soit pas évoquée, parmi les indicateurs communs, la spécificité linéaire de la radio et de la télévision : le direct fait la force de ces médias ! Je pense en premier lieu au marché gigantesque que représente le sport : le service public a abandonné toute ambition de jouer un rôle quelconque dans ce domaine, alors même

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3626 que notre pays organisera les jeux Olympiques en 2024. Le financement du football connaît aujourd’hui une crise ; cela peut être l’occasion de relancer ce débat, car l’audiovisuel public ne peut pas abandonner le sport, activité la plus populaire et fédératrice pour nos concitoyens.

Je sais que l’exercice auquel vous devez vous soumettre autour des COM est compliqué : vous ne pouvez pas vous en montrer insatisfaits, même quand France 4, engagement important de Mme Ernotte, est mise à la poubelle. En tant que politiques, nous pensons toujours être en mesure de faire bouger les choses : pour ma part, je ferai tout pour que cette chaîne ne ferme pas. Vous verrez à quel point elle est nécessaire s’il y a un nouveau confinement ! Je ne connais personne, parmi les spécialistes de l’audiovisuel, qui approuve la suppression de France 4. D’où vient donc cette décision scandaleuse, qui ne se justifie pas même du point de vue financier ?

Votre travail doit être salué, mais je vois bien que l’on vous demande de faire toujours mieux et d’approfondir la révolution numérique, tout en diminuant encore les dotations : c’est inacceptable. La redevance universelle fait maintenant consensus ; il faudra la mettre en place pour garantir l’indépendance de l’audiovisuel public, en dépit de la résistance constante de Bercy, sous ce quinquennat comme le précédent.

M. Julien Bargeton. – Pouvez-vous nous préciser ce que vous attendez dans le domaine numérique, notamment autour de la plateforme Salto ? Comment travaillez-vous ensemble ? Quels objectifs précis seraient utiles ?

Mme Céline Brulin. – J’éprouve une certaine frustration, non à l’égard de vos interventions fort éclairantes, mais du fait de l’absence de représentants de l’État actionnaire, autre partie de ces contrats, à qui de nombreuses questions devraient être posées.

Comme les orateurs précédents, je constate avec inquiétude que ces COM à la durée raccourcie fragiliseront l’audiovisuel public en 2022 ; caler le calendrier sur d’importantes élections peut nuire à l’indépendance de ces acteurs.

Tout en vous satisfaisant de ces COM – exercice obligé –, vous avez reconnu qu’ils seraient très difficiles à mettre en œuvre dans certains domaines, après les efforts majeurs déjà entrepris ces dernières années. Pourriez-vous nous préciser, concrètement, sur quoi porteraient ces difficultés prévisibles ?

La directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) pose des enjeux de financement très importants. Quelle est votre réflexion sur la possible répartition de ces nouvelles recettes ?

Supposons à présent qu’il soit déjà possible de modifier ces contrats, au vu d’une crise plus durable qu’on ne l’avait imaginé. France 4 a montré tout son intérêt éducatif pendant le confinement. La fermeture des lieux culturels donne aussi une nouvelle importance à la diffusion télévisuelle du spectacle vivant. Alors, si de tels avenants étaient possibles, quelles priorités souhaiteriez-vous voir retenues ?

Enfin, vous avez insisté à juste titre sur le besoin de proximité. Pourriez-vous préciser comment il pourrait être traduit ? Je pense à France Ô, qui manque à beaucoup, mais aussi aux inquiétudes qui ont été exprimées pour certains décrochages régionaux de France 3, alors que les régions administratives sont devenues des territoires très vastes, qui ne correspondent plus vraiment à des bassins de vie.

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Mme Delphine Ernotte Cunci. – Je répondrai d’abord en revêtant ma nouvelle casquette européenne de présidente de l’Union européenne de radio-télévision (UER), dont les membres – entreprises audiovisuelles publiques – partagent depuis soixante-dix ans déjà de nombreux programmes et des sujets d’information. L’UER répond notamment à des appels d’offres pour l’acquisition de droits sportifs. M. Assouline a raison : nos moyens baissent alors que le coût de ces droits augmente considérablement. Les nouveaux médias globaux, dont Amazon, participent à cette compétition effrénée. Nous nous retrouvons donc dans une situation de squeeze : on ne peut pas établir de stratégie sur le sport sans de nouveaux moyens. Ces moyens manquent même à l’échelle européenne : les jeux paralympiques, que les services publics européens défendent depuis des années, vont nous échapper au profit d’une agence de droits chinoise : le Comité international olympique ne nous aide pas dans notre mission de service public, même quand les sommes en jeu sont minimes.

Une crise me semble inéluctable : la bonne vieille télévision publique est encore regardée par quatre Français sur cinq et les télévisions privées sont mises à mal par les difficultés du marché publicitaire : leur indépendance est remise en cause dans bien des pays européens. Le service public est toujours plus nécessaire pour avoir des médias indépendants.

Or le sport fait partie d’un service public fort, au même titre que les grands événements, mais aussi les émissions quotidiennes. L’avantage de la télévision sur ses concurrents est le lien que crée le plaisir de regarder la même chose au même moment. Le confinement en a encore renforcé la valeur. En France, 10 millions de personnes vivent seules : nous sommes fiers de leur proposer des rendez-vous quotidiens. Il faut préserver à la fois la création culturelle et ces éléments, qui sont le propre de la télévision.

Madame Brulin, merci pour votre invitation à formuler des vœux ! Pour ma part, j’en ai deux, qui sont très concrets. Le premier serait la préservation de France 4 ; on pourrait du moins attendre la fin de la crise avant de décider de son sort. Le second porte sur Franceinfo : nous avons très bien su, tous ensemble, créer ce nouveau média. La BBC et la RAI sont venues voir comment on avait fait ! Tout le monde en est fier, sauf en France ! Dès lors, je souhaite que cette chaîne puisse être diffusée sur un canal qui lui offre une meilleure exposition.

Monsieur Bargeton, madame Morin-Desailly, nous menons ensemble, depuis des années, énormément de projets, notamment dans le domaine du numérique. Je pense à Franceinfo, mais aussi à Lumni, que nous avons été bien inspirés de lancer à la fin de 2019, juste à temps avant la pandémie. Aujourd’hui, un élève et un professeur sur deux connaissent Lumni. Je pense aussi à Culture Prime, dont les pastilles marchent très bien sur les réseaux sociaux. Il reste à mener des projets nouveaux ; un peu de rationalisation est sans doute nécessaire en la matière, sur le modèle de Franceinfo, première source d’information sur le numérique en France. Cela reste à construire, mais la dynamique est extrêmement positive.

Mme Marie-Christine Saragosse. – Mme Morin-Desailly a évoqué la question des publics handicapés. Le service public se doit d’être vigilant sur ce point, qui relève pleinement de l’indicateur commun sur la diversité. Nous avons des objectifs communs en la matière, notamment le sous-titrage automatique de Franceinfo.

J’ai été quelque peu étonnée par la question de M. Assouline sur l’évaluation des COM précédents. Chaque année, on présente un bilan des trente indicateurs du COM en vigueur. Peut-être un bilan plus général est-il nécessaire, mais cela est délicat en l’absence de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3628 trajectoire financière. Cela est encadré par la loi. Cela dit, les COM sont rarement respectés sur toute leur durée.

Concernant le sport, nous n’avons pas encore perdu les droits de radiodiffusion de certains événements à l’échelle mondiale ; cela contribue notamment à notre succès en Afrique, autour de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) par exemple.

Monsieur Bargeton, la transformation numérique ne passe pas uniquement par le développement de nombreuses plateformes. L’essentiel, c’est la lutte contre la manipulation de l’information, le complotisme et la perte de confiance dans les médias traditionnels. Cette lutte se joue à l’échelle mondiale, dans toutes les langues. Il ne faut pas nous laisser faire, ne pas laisser manipuler les jeunes.

Enfin, puisque Mme Brulin nous invite à rêver, je voudrais pouvoir diffuser dans de nouvelles langues étrangères, notamment en turc, de manière à pouvoir répondre à M. Erdogan, à pouvoir nous adresser à l’importante communauté turque de France dans sa langue natale. La rédaction turque de RFI a malheureusement été fermée en 2010 ; il serait bon d’en recréer une. Les langues africaines sont tout aussi importantes ; je pense notamment au foulfouldé, langue des Peuls, dans laquelle trop de messages hostiles à la France sont émis sans réponse, mais aussi aux langues touarègues et au lingala, l’une des principales langues de la République démocratique du Congo (RDC), principal pays francophone d’Afrique. Je rêve d’une telle tour de Babel !

M. Bruno Patino. – Nous connaissons actuellement une dynamique où nous nous montrons capables de construire beaucoup de choses ensemble. Je pense ainsi à l’offre commune que nous avons élaborée avec France Musique. Beaucoup de nos reportages dans le monde sont réalisés de manière conjointe avec les équipes de France Médias Monde.

Si l’on peut rêver, je veux évoquer le développement européen d’Arte. Notre actionnaire et nos partenaires ne se rendent pas toujours compte qu’il suffit de peu pour obtenir beaucoup. Je ne viens pas demander des sommes astronomiques ; mes demandes sont plus modestes et plus compliquées à la fois. Il reste deux obstacles majeurs à franchir. Le premier est linguistique : nous disposons des droits pour toute l’Europe sur de nombreux programmes, mais pour les exploiter il faut sous-titrer, voire doubler ces programmes, si l’on veut toucher un public trois fois plus large. Cela a un réel coût, mais la rentabilité d’un tel investissement est très forte.

Souvent, nos partenaires et notre tutelle concentrent leur réflexion sur le nombre de plateformes offertes, mais je suis convaincu que ce n’est pas si important. Il faut beaucoup de plateformes, mais ce qui compte surtout, c’est la compétence technologique. La plus grande plateforme ne servira à rien si elle n’est pas technologiquement à jour. Nous sommes toujours prêts à participer à d’autres plateformes, comme les podcasts de Radio France ; cela ne nous prive nullement, mais permet une circulation plus large de nos programmes. Il faut plusieurs plateformes qui marchent bien, qui dialoguent, qui s’entraident, entre lesquelles le public circule. C’est le cas de Culture Prime. En revanche, il faut de la compétence technologique ; or c’est cela qui coûte cher ! Il faut donner au service public les moyens d’être concurrentiel dans ce domaine, notamment en matière de ressources humaines, où le marché est très compétitif.

M. Laurent Vallet. – Je rejoins les propos de Bruno Patino. L’INA veut faire prospérer sa plateforme numérique gratuite et en faire un accès, non seulement à des contenus

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3629 audiovisuels, mais aussi à des offres de formation ou de recherche. Nous sommes aussi toujours prêts à participer, chaque fois que c’est possible, aux offres communes de l’audiovisuel public, de Franceinfo à Lumni, pour lequel l’INA a joué un rôle essentiel, notamment pour les parcours pédagogiques réservés aux enseignants. Nous avons aussi développé des offres de niche propres à l’INA, comme la plateforme payante Madelen, qui doit nous aider à boucler notre budget.

Ce qui importe n’est pas tant le nombre des plateformes – Salto n’a pas vocation à devenir une plateforme unique, c’est plutôt un projet d’exposition de la création française – que la possibilité de mener des coopérations autour des contenus. Nos différentes plateformes peuvent renvoyer les unes vers les autres. Surtout, un travail technique de gestion des données peut être mené de manière commune.

M. Claude Kern. – J’aurai un vœu et une question. Mon vœu, tout d’abord : j’aimerais beaucoup revoir un jour « Au théâtre ce soir »…

M. Laurent Vallet. – Pour 2,99 euros par mois, vous avez accès à toutes les émissions sur le site de l’INA !

Mme Delphine Ernotte Cunci. – Ou sinon, gratuitement, tous les vendredis soir sur France 5 !

M. Claude Kern. – Je veux revenir sur la régionalisation de France 3, qui doit être remplacée par 13 chaînes locales : les équipes sont-elles prêtes sur le terrain ? Quel sera le devenir de France 3 Paris Île-de-France, France 3 Pays basque ou France 3 Alsace, auxquelles les téléspectateurs sont très attachés ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. – Le schéma proposé vise à répondre aux attentes des téléspectateurs exprimées au gré des consultations citoyennes : plus le monde se complexifie, plus le besoin se fait sentir de chaînes combinant dimensions locale et nationale ou internationale. Les gens ne se sentent pas assez représentés à la télévision. C’est pourquoi il est important de parler de ceux qui sont souvent oubliés, de la France rurale, des petites villes, des périphéries, etc. Il faut évoquer ces territoires et leurs difficultés, mais aussi les énergies et les initiatives qui s’y déploient. Le journal de 13 heures de France 2 possède d’ailleurs une nouvelle rubrique Une idée pour la France, consacrée à des initiatives locales incroyables. C’est aussi ce que France 3 cherchera à faire.

Certes, les moyens n’augmentent pas et les effectifs sont plutôt à la baisse, mais cette baisse ne concernera pas de la même manière France 3. Je rappelle aussi que France 3 et l’outre-mer représentent plus de la moitié des effectifs du groupe. Nous possédons de nouveaux moyens plus modernes pour fabriquer de la télévision. Nous en avons l’expérience et le savoir-faire, à l’image de la nouvelle chaîne ViaStella produite par France 3 Corse, ou de la chaîne régionale NoA, que nous avons lancée en Nouvelle-Aquitaine, à la demande du conseil régional.

Il est normal que l’on n’ait pas nécessairement les mêmes attentes dans les Hauts- de-France ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Toute la question est de définir la bonne granularité. Les antennes locales ont toutes leur place sur une chaîne régionale. Les 13 chaînes régionales ne correspondront pas au découpage des régions administratives, et l’échelle pourrait aussi évoluer au cours de la journée, en fonction des sujets. Par exemple, on compte déjà 44 Matinales avec France Bleu, et non 13, ainsi que 24 éditions d’informations.

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De même, rien n’interdit d’investir d’autres champs : ces chaînes pourraient diffuser des compétitions sportives locales ou se faire l’écho de la vitalité culturelle des territoires.

Mme Marie-Christine Saragosse. – Je n’ai pas répondu à votre question sur l’Europe et la jeunesse : attentats, covid, etc., notre jeunesse souffre et mérite notre attention. Nous avons remporté, en novembre, un appel d’offres avec la Deutsche Welle pour construire une offre multilingue à destination des jeunes Européens, afin qu’ils puissent échanger sur des thématiques diverses, du changement climatique à la vie amoureuse. C’est aussi un moyen de lutter contre les manipulations et les infox. Le projet pilote sera lancé en mars à l’occasion du sommet franco-allemand.

M. Max Brisson. – Je partage vos propos sur les chaînes locales et régionales. Élu de la Nouvelle-Aquitaine, je ne peux que saluer la qualité de la chaîne NoA. Ces grandes régions nécessitent une approche granulaire fine : songez que la Nouvelle-Aquitaine est grande comme l’Autriche ! Mais le Pays basque n’est pas la Creuse ! Il faut favoriser l’émergence de télévisions locales au niveau le plus fin pour couvrir des territoires à forte identité et où peuvent être parlées des langues régionales. Les grandes régions ont été décidées sur un coin de table à l’Élysée et ne passeront sans doute pas le siècle, à la différence de la maille des territoires locaux, qui s’inscrit dans une histoire enracinée.

Mme Delphine Ernotte Cunci. – Étant moi-même à moitié basque, je comprends très bien ce que vous voulez dire ! Il peut être pertinent de différencier parfois les programmes entre le Pays basque et les Landes. Mais vous pouvez, en tant que législateur, nous y aider. Les chaînes locales sont en effet reçues par le biais des box des opérateurs ; or ceux-ci n’ont aucune obligation de les diffuser et beaucoup ne sont pas accessibles aux téléspectateurs. Il appartient au législateur de contraindre les opérateurs.

M. Maurice Antiste. – La suppression de France Ô visait à donner plus de visibilité aux ultramarins dans l’audiovisuel national. Où en est-on ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. – Il s’agit d’un sujet très important pour nous, qui figure dans le COM. France Télévisions a aussi signé un pacte pour la visibilité des outre-mer, qui se décline en une quinzaine d’objectifs. Un comité de suivi a été institué qui comprend des représentants des ministères, du Parlement, entre autres. Il se réunit tous les trimestres. La prochaine réunion aura lieu le 3 février. Il compte le nombre de sujets sur l’outre-mer dans les bulletins d’informations, le nombre de premières parties de soirée où un sujet ultramarin a été abordé, etc. Selon ces indicateurs, l’amélioration est nette, même si des progrès restent à faire. Certains membres du comité nous ont dit que notre effort était sensible. Le réflexe de placer au même niveau ce qui se passe à Paris et outre-mer s’enracine. Ce n’était pas le cas avant, où l’on pouvait mettre des jours avant de parler d’un séisme à Mayotte, alors que, là-bas, tout le monde ne parlait que de ça ! Nous développons aussi nos investissements dans des fictions et des productions tournées sur place. Les chaînes « La 1ère » sont un succès et leur portail numérique « Outre-mer La 1ère » bénéficie déjà d’une audience supérieure à celle des offres précédentes.

M. Laurent Lafon, président. – Je vous remercie.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 20.

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Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

Audition de Mme Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France (BNF)

La réunion est ouverte à 9 h 35.

M. Laurent Lafon, président. – Nous sommes heureux de recevoir Mme Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Il s’agit de votre première audition par notre commission depuis votre nomination à ce poste en 2016. Nous portons un intérêt particulier à la BNF, comme en témoigne notamment le travail de nos rapporteurs pour avis, notre ancienne collègue Françoise Laborde, puis son successeur, Julien Bargeton.

Le budget de votre établissement s’établit en 2021 à 216 millions d’euros, soit 70 % du programme « Livre et industries culturelles ». Comme nous l’a exposé il y a quelques jours Julien Bargeton, la BNF sera confrontée à plusieurs grands défis en 2021, notamment l’achèvement espéré des travaux du quadrilatère Richelieu entamés en 2010 et la réalisation du futur centre de stockage, qui semble susciter - comme nous l’a indiqué lors de son audition le 10 novembre dernier - un véritable engouement de la part des collectivités territoriales.

La BNF, garante du stockage et de la préservation de la mémoire de notre pays, est également confrontée au défi de l’archivage numérique. Il concerne sa capacité non seulement à numériser l’ensemble des collections patrimoniales dont elle a la charge, mais aussi à archiver la partie publique de l’ensemble des sites et publications diffusés sur internet. Peut-être souhaiterez-vous nous suggérer des évolutions législatives vous permettant de remplir votre mission dans de meilleures conditions ?

Mme Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France. – Je vous remercie de votre invitation. C’est un honneur pour moi d’évoquer cette grande maison devant vous.

L’impact de la crise de la covid sur la BNF nous occupe tous nécessairement. D’un point de vue budgétaire, cet impact - de l’ordre de 5 millions d’euros - est plutôt limité, car notre modèle économique est très peu dépendant du marché. Cet impact est pris totalement en charge par la BNF, car il n’y a finalement eu aucune compensation de la part de l’État ; la fin de gestion a donc été quelque peu aride. Cet impact budgétaire limité nous a permis de préserver les fragiles équilibres budgétaires de la BNF et de poursuivre nos projets, notamment salariaux : la mise en place, enfin, du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEP), et l’engagement d’une démarche sur l’égalité salariale femmes-hommes, etc. Nous avons restreint nos dépenses de fonctionnement. Le résultat de 2020 est positif, avec une capacité d’autofinancement équivalente à celle de 2019 et donc un prélèvement sur fonds de roulement mesuré.

En revanche, l’impact de la crise sur notre activité a été très important. Après chaque confinement, nous avons rouvert assez tôt, mais nous avons enregistré une baisse de la

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3632 fréquentation de 60 %, ainsi qu’une baisse des abonnements usagers. Symétriquement, nous avons bénéficié d’une intensification de la fréquentation de nos très nombreuses offres en ligne : alors que nous accueillons en temps normal 1,3 million de visiteurs sur site chaque année, nous comptons 16 millions de visites sur la bibliothèque numérique et 16 millions également sur les autres propositions de la bibliothèque, dont 4 millions sur notre offre spécifique dédiée à la presse depuis 2017, Retronews. L’année 2020 nous a donc permis de renforcer notre présence en ligne avec une hausse de la fréquentation de Retronews de 20 % et de nos expositions numériques de 45 %. Nous avons profité de la situation pour accélérer les projets que nous avions engagés en matière de dématérialisation de la relation avec les usagers : adhésion et billetterie en ligne, streaming, etc.

On dit souvent que la BNF est une institution coûteuse, mais c’est avant tout une institution culturelle utile et surtout la plus ancienne du pays ! Depuis le 14ème siècle, elle poursuit une aventure technique et régalienne. Le dépôt légal a été inventé par François Ier en 1537, puis copié et transposé dans de nombreux autres pays. Constituer une mémoire, c’est essentiel en démocratie. La BNF est une institution paradoxale : fragile sur le plan budgétaire, elle est solide par ses missions et ses projets.

Je présente souvent la BNF au travers de ses paradoxes. C’est une institution tout à la fois patrimoniale et très technologique. La BNF a entamé sa transition numérique il y a déjà vingt ans et elle la poursuit. Le travail de la BNF est réalisé au bénéfice de nos publics, mais aussi de nos quelque 400 partenaires, dont nous hébergeons, conservons et diffusons les collections numériques. C’est ainsi que nous avons été chargés de la numérisation des actes du Grand Débat national.

Mais la BNF reste fragile sur son modèle économique. Véritable service public, elle dégage peu de recettes propres. Cela est protecteur en période de crise, mais à long terme, dans un contexte contraint pour les dépenses publiques, c’est une fragilité. Notre réponse est celle de la pédagogie, car notre modèle économique est peu transformable, sauf à renoncer à des missions historiques. Quelque 60 % de nos dépenses sont des dépenses de ressources humaines (RH), car nous sommes une industrie de main d’œuvre. Quant aux autres dépenses - bâtiments, fluides -, elles sont contraintes à 70 %. Reste une vingtaine de millions d’euros pour développer notre offre aux usagers et notre offre culturelle. Nous sommes donc tout à la fois une très grosse institution et une petite institution culturelle avec des moyens très raisonnablement gérés. Certains pays - la Grande-Bretagne par exemple - dégagent des recettes sur le dépôt légal, mais cela ne me semblerait pas bienvenu en France. Certes, l’accès à nos salles de lecture n’est pas gratuit, mais nous ne pouvons pas non plus augmenter le prix du billet de quelques euros.

Notre réponse passe aussi par une gestion rigoureuse. Nous avons fait des efforts sur nos ressources humaines, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), en réduisant de 10 % nos effectifs. Sachez que le projet Richelieu, qui mobilise une soixantaine d’emplois, est intégralement financé par redéploiement ; nous allons adopter un schéma immobilier stratégique pour redéployer notre patrimoine à la demande de l’Inspection générale des finances ; enfin, nous travaillons en continu à transformer nos métiers, comme en matière de gestion du dépôt légal des œuvres audiovisuelles.

Ces transformations créent incontestablement des risques de tensions sociales, bien compréhensibles ; mais le travail de fond que nous réalisons avec les organisations syndicales est positif, que ce soit sur la grille indemnitaire ou les conditions de travail - notamment sur le bâtiment de Tolbiac.

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Notre institution est très forte de ses missions et n’a jamais renoncé à ses grands projets. Certes, la gestion du dépôt légal a été interrompue pendant le premier confinement, mais le retard a, depuis, été comblé. Le chantier Richelieu a été mis totalement à l’arrêt pendant trois mois sur la période cruciale des six derniers mois de travaux : la reprise du chantier a donc été lente. Alors que nous aurions dû ouvrir le site à l’automne 2021, nous ne devrions être en mesure de le faire qu’à l’été 2022, soit avec neuf mois de retard. La fin du chantier est prévue pour le printemps 2021, mais s’ouvre alors une période de travaux complémentaires avec l’installation du musée, la réalisation du jardin, la restauration des façades et surtout le déménagement des collections – 12 millions de documents – qui devrait prendre neuf mois. Ce palais, dont les espaces patrimoniaux exceptionnels étaient relativement fermés, pourra être redécouvert. Sur le plan scientifique, la BNF, l’Institut national de l’histoire de l’art et la bibliothèque nationale de l’Ecole des chartes y mèneront des travaux de recherche. Côté grand public, nous aurons donc une bibliothèque ouverte à tous et consacrée plus particulièrement à l’histoire de l’art, à la bande dessinée et à la médiation numérique ; un musée qui permettra d’accéder aux collections de la bibliothèque ; et une salle d’exposition.

La création du futur centre de conservation - au sein duquel nous installerons un conservatoire national de la presse - est un enjeu majeur pour la BNF. À chaque grande étape de son développement - au 19e siècle lors de l’installation à Richelieu, au 20e siècle lors de la construction du site François-Mitterrand, et maintenant -, la BNF a certes réglé la question de l’espace, mais s’est également ouverte à d’autres sujets, comme celui de la presse aujourd’hui. L’installation en dehors de Paris constitue également un signe important.

La stratégie numérique est un chantier continu. La question du dépôt légal numérique n’est pas encore totalement aboutie, ni aux plans législatif et réglementaire ni dans notre capacité à absorber toute cette production. Nous ne sommes pas encore dans une logique de dépôt, mais dans une logique d’absorption par des robots. Nous pouvons recueillir ce qui est produit en ligne, mais si le contenu est protégé, nous ne pouvons pas le conserver. Il nous manque une brique dans notre dispositif législatif. Au 16e siècle, la France était en avance ; aujourd’hui, de ce point de vue, nous sommes plutôt en retard. Nous attendons donc beaucoup à cet égard de la proposition de loi déposée par Mme Darcos sur le sujet.

La réfection du quadrilatère Richelieu a été l’occasion d’échanges nourris avec notre ministère de tutelle. Nous bénéficions d’un soutien régulier sur le plan budgétaire. Notre budget n’est pas très important. Nous avons conscience que les 2 millions de subventions supplémentaires représentent une somme importante. Nous travaillons en ce moment à notre trajectoire budgétaire sur dix ans, avec l’objectif de lisser les besoins et les financements dans le temps.

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis sur le livre et les industries culturelles. – Le contrat d’objectif et de performance (COP) 2016-2021 s’achève cette année. Quel bilan faites-vous sur son exécution et quels devraient être selon vous les grands axes du futur contrat d’objectif ?

La préservation des collections de la IIIe République est urgente et essentielle pour notre mémoire. Les journaux se dégradent en raison de la composition de l’encre et du papier. Pouvez-vous nous faire un point précis sur ce dossier ? Vos crédits sont-ils suffisants ?

La loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « loi Dadusi », charge la BNF de la conservation des sites

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3634 internet en «.fr ». La vie de nos concitoyens est largement devenue numérique pendant la période de confinement. Le nombre de sites a fortement augmenté. Avez-vous pris des mesures pour traiter spécifiquement cette période ?

Mme Laurence Engel. – Nous faisons un bilan du COP tous les ans. Celui-ci contient de nombreux indicateurs parce que nous avons beaucoup de missions, et nous les suivons tous. Le COP constitue pour nous autant un élément dans la discussion avec le ministère qu’un outil de gestion. Un bilan approfondi était prévu à la mi-2020, mais la crise sanitaire a bouleversé le calendrier.

Le premier axe du COP est lié à l’accueil du public et l’adaptation aux besoins des usagers. Face à la baisse de la fréquentation, mon prédécesseur avait engagé une réflexion pour faire évoluer notre politique des publics. Le bilan est positif : la courbe de la fréquentation s’est inversée ; le nombre de détenteurs d’une carte de lecteur a augmenté de 20 % par exemple. Un autre axe concerne l’objectif de ne plus traiter les collections numériques différemment des collections physiques. Le troisième axe concerne l’intensification de la coopération avec tous nos partenaires et de notre présence sur le territoire national dans le cadre de projets d’éducation artistiques et culturels. Le numérique est un outil précieux à cet égard. Le quatrième axe est relatif à la bonne gestion. La Cour des comptes nous a demandé dans un contrôle de préciser notre trajectoire de long terme et de moderniser nos outils de gestion des RH, mais a souligné notre bonne gestion passée. Ces axes seront aussi au cœur, certainement, du prochain COP.

Le centre de conservation de la presse devrait voir le jour en 2027. L’idée est de rassembler les collections de presse qui sont majoritairement conservées dans deux départements de la bibliothèque. Cela permettra de les conserver dans de meilleures conditions et de faciliter les études sur ce fonds. Comme nous avons déjà beaucoup attendu, certains documents datant de la IIIe ou de la IVe République sont en danger. Le ministère de la culture nous a octroyé une enveloppe de 30 millions d’euros pour ce projet, sur un budget estimé à 90 millions, mais nous n’avons pas de réponse pour le moment concernant nos propositions sur le traitement de ces collections. Nous avons peu d’espoir d’obtenir des fonds au titre du programme d’investissements d’avenir (PIA), faute de modèle économique associé, même si ce programme nous a pourtant permis de financer la plateforme Retronews. Nous sommes ainsi en discussion avec le ministère pour présenter et défendre nos projets.

Une évolution législative et réglementaire est nécessaire pour pouvoir récupérer les données numériques protégées. Toute cette part de la création artistique, notamment audiovisuelle, qui n’est plus diffusée en salle et n’est pas nécessairement diffusée à la télévision, n’est plus appréhendée ni par le dépôt légal géré par l’Institut national de l’audiovisuel (INA) ni par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Il appartient à la BNF de récupérer ces œuvres qui seront perdues du point de vue patrimonial si on ne se dote pas du cadre législatif adapté. En revanche les collectes et le dépôt légal du web fonctionnent très bien. Ce n’est pas aussi systématique que pour le livre ou la presse, mais nous procédons à des collectes chaque année pour avoir une vision de l’internet français, en lien avec les bibliothèques du dépôt légal en région. Nous organisons aussi des collectes spécifiques en cas d’événements d’importance : élections, attentat, manifestation des gilets jaunes, etc. Dans ce cas, les conservateurs programment des robots avec des mots-clefs pour enregistrer ce qui se passe en ligne. Cela est particulièrement vrai pour la crise de la covid où dès janvier, nous avons, en lien avec un certain nombre de partenaires à l’échelle internationale, organisé la collecte numérique autour de cette crise, en repérant non seulement les sites internet, mais aussi tout ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux, afin d’avoir une

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3635 vision assez complète de la manière dont la crise a été perçue par les institutions, les médias, la société.

M. Olivier Paccaud. – Élu de l’Oise, je voudrais savoir où en est le projet de centre de conservation. L’appel à manifestation d’intérêt, paru cet été, était assez précis – je remercie d’ailleurs le directeur général de la BNF d’avoir informé les parlementaires. Ce projet suscite l’intérêt de nombreux EPCI dans le département. Où en est le processus de sélection ? Il était question d’un choix définitif en janvier 2021. La crise sanitaire a dû modifier le calendrier. Quel est le nouveau calendrier ? Quels sont les critères de choix ? Dans l’Oise, tous les sites répondent à l’exigence d’un accès en deux heures en train, ou trois heures en voiture depuis Paris. Avez-vous déjà fait des visites de sites ? Quel rôle également peuvent jouer les collectivités dans le financement ? Outre les EPCI, les départements ou les régions peuvent participer. Dans l’Oise, la volonté partenariale se fait jour. Avez-vous déjà une première sélection ?

M. Pierre Ouzoulias. – Je voudrais vous interroger sur le numérique et la pérennité de vos collections numériques. Comme vos tests sur les CD-ROM l’ont montré, un chantier immense s’ouvre pour assurer la pérennité de la conservation des objets numériques, tant en raison des procédés techniques d’enregistrement que de la fiabilité du support lui-même. Il serait paradoxal que notre civilisation qui produit le plus grand nombre de documents soit celle qui réussisse à en conserver le moins ! Il faut aussi évoquer le problème de la place nécessaire pour conserver ces informations numériques, tout comme celui des techniques d’archivage. Cette problématique concerne aussi d’autres institutions, comme les ministères et les opérateurs de la recherche. On manque d’un plan national de conservation des archives numériques. Enfin, quelles seront vos relations avec la Cité internationale de la langue française qui sera installée à Villers-Cotterêts ?

Mme Laure Darcos. – J’ai dû déposer ma proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs juste avant Noël pour qu’elle puisse être inscrite à l’ordre du jour et que le Conseil d’État en soit saisi. Elle vise de nombreux aspects, y compris le dépôt légal numérique. Je veux aussi rappeler le combat que nous avons mené pour éviter que Google ne numérise l’ensemble de nos œuvres françaises. Dans les années 2008-2009, Google avait décidé de s’emparer des contenus culturels, notamment des livres. L’entreprise avait commencé à numériser, sans autorisation préalable, les fonds des bibliothèques américaines, mais plus de la moitié des ouvrages dans ces bibliothèques ne sont pas de langue anglaise. Google a expliqué à la BNF qu’il pouvait aussi numériser son fonds. Votre prédécesseur, appuyé par le ministère et tous les partenaires - notre commission avait d’ailleurs suivi de près ce dossier - a décidé plutôt de numériser par ses propres moyens les fonds de la bibliothèque des œuvres indisponibles, c’est-à-dire celles qui ne sont pas encore entrées dans le domaine public, ainsi que les nouveautés déjà traitées par les éditeurs, qui ont commencé à numériser l’ensemble de leurs nouveautés à partir de la fin des années 2000. On compte environ 500 000 œuvres dites indisponibles, non commercialisées mais sous droit d’auteur. La numérisation a pris une dizaine d’années. Les équipes de la BNF ont réalisé un travail remarquable pour identifier ces œuvres, les numériser et les commercialiser sur un portail internet spécifique.

M. Jacques Grosperrin. – Quelle est la responsabilité de la BNF en ce qui concerne la préservation de notre patrimoine écrit et intellectuel ? Comment concevez-vous votre rôle dans la diffusion de nos compétences et de la culture française ? Enfin, je voulais aussi vous interroger sur la question de la restitution des manuscrits.

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Mme Catherine Morin-Desailly. – Nous avons en effet récemment débattu de la loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Nous avions aussi créé au Sénat une mission d’information sur les restitutions. Nous avions évoqué, dans nos discussions, la question de la restitution des manuscrits coréens. Ces manuscrits sont-ils toujours en situation de dépôt en Corée ? D’autres œuvres de la BNF sont-elles susceptibles de faire l’objet de demandes de restitution de la part de pays étrangers ou du fait de la volonté de notre Président de la République ?

Quel est l’état de votre relation avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), centre de recherche renommé installé en Normandie, qui conserve la mémoire de l’édition et constitue un lieu de ressources pour les scientifiques ?

M. François Patriat. – La BNF a pour mission de collecter, de cataloguer, de conserver le patrimoine, et de garantir l’accès à tous aux collections ; celles-ci, malgré les efforts entrepris ces dernières années, souffrent toujours, malheureusement, d’un manque de visibilité auprès du public, notamment auprès des jeunes, en dépit d’événements comme le Hackathon BNF. Comment la BNF adapte-t-elle ses outils pour attirer l’attention des internautes et du jeune public ? Je pense notamment à la bataille du référencement que mène la BNF depuis plusieurs années. Je voudrais enfin saluer le succès de Gallica, qui reçoit des millions de visiteurs chaque année.

Mme Sonia de La Provôté. – Pour rebondir sur ce qu’a dit Catherine Morin-Desailly sur la coopération avec l’IMEC, je pense qu’un projet plus vaste serait souhaitable. Une institution comme la vôtre a de grandes capacités ; il faudrait donc plus de visibilité dans les projets de coopération. Par les temps qui courent, alors que nous sommes en pleine mutation sociétale, ce sont autant d’éléments qui peuvent nous aider à réfléchir. En France, nous avons cette capacité : profitons-en !

Pendant le confinement vous avez cherché à valoriser vos collections. Avez-vous eu beaucoup de consultations en ligne ? Le moment que nous venons de vivre a-t-il permis à la BNF d’élargir son public ? Puisqu’on parlait de la jeunesse, avez-vous mis en œuvre une offre à travers le Pass culture ?

Mme Laurence Engel. – Oui, nous avons pris du retard pour le centre de conservation. Nous aurions dû lancer la procédure en mars, mais n’avons pu le faire qu’en juin. Le retard est moins lié au covid qu’au succès de notre appel à manifestation d’intérêt, puisque plus de 50 collectivités ont répondu. Il a fallu étudier sérieusement leurs dossiers, ce qui n’était pas toujours évident car certains n’étaient pas très précis.

Notre premier critère est la qualité du foncier. Parfois, les sites proposés sont inondables, voisins de sites Seveso, ou tout simplement trop petits. Or nous avons besoin au minimum de 15 000 mètres carrés. Les autres critères principaux étaient la distance à Paris, la qualité de vie pour les agents et le financement. Nous nous sommes aussi préoccupés des possibilités de coopération culturelle.

Nous ne pouvons pas nous déplacer dans les 54 lieux proposés. Nous avons été très heureux de voir que la BNF suscitait un tel engouement, d’autant plus qu’il s’agit d’un projet technique : nous ne proposons pas d’ouvrir un musée. La BNF est une institution qui a beaucoup de projets d’investissement, comme la rénovation du site de Tolbiac. Quand elle vient dire qu’il manque encore un peu de place, et qu’il faut une réserve pour le dépôt légal, elle s’attend plutôt à un succès d’estime… Mais quand on dépasse la question budgétaire, on

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3637 constate que les Français, à travers leurs collectivités, considèrent le dépôt légal, la mémoire, comme des éléments très importants.

Nous allons malheureusement décevoir des collectivités qui remplissaient tous les critères. Ce témoignage d’intérêt doit nous conduire à resserrer les liens avec elles. Nous établirons sous peu notre sélection et organiserons les visites dès février.

J’en profite pour rappeller le prix de la carte de lecteur : 15 euros par an pour le haut-de-jardin et 50 euros pour le rez-de-jardin, Richelieu ou l’Arsenal – un peu moins pour les étudiants.

Laure Darcos a insisté sur la décision de souveraineté prise il y a vingt ans grâce à Jean-Noël Jeanneney, qui a lancé la bataille contre Google qui s’est déroulée pendant le mandat de Bruno Racine. Nous avons mis l’accent sur la numérisation de masse. Mais vingt ans après, je constate que ce qui était dangereux dans la proposition de Google était moins le risque d’une perte de patrimoine – nous aurions malgré tout conservé nos documents, y compris en version numérique – que d’oublier le reste, car numériser ne suffit pas, il faut aussi investir dans la conservation pérenne. La BNF est parvenue à convaincre ses tutelles que Google, à long terme, ne nous ferait pas faire des économies, ce qui n’était pas évident.

Nous avons ainsi investi dans toute la chaîne y compris pour la conservation pérenne du numérique natif. La BNF est capable de transformer régulièrement les supports de conservation. Effectivement, conserver du papier est plus simple ; on peut toujours le lire 20, 30 ou 150 ans après. Pour le numérique, il faut disposer de la machine qui sait le lire. Il faut donc un réinvestissement permanent. La BNF s’organise pour s’en assurer dans la durée. Aujourd’hui, nous disposons de plusieurs versions, mais localisées au même endroit, ce qui n’est pas optimal. Nous proposons la fonction de tiers archivage à nos partenaires, y compris nationaux, comme Beaubourg.

La question des indisponibles n’est pas propre à la France. Nous n’avons pas terminé la numérisation des objets physiques. Après les grands efforts des quinze dernières années consacrées aux livres, nous devons nous concentrer sur les objets tels que les estampes, ainsi que sur la presse ; nous accueillons enfin des objets numériques.

Nous sommes en relation avec les équipes de Villers-Cotterêts et cherchons à développer nos liens. Philippe Bélaval, qui connaît bien la BNF, est bien placé pour savoir qu’ils sont naturels. François 1er, ce n’est pas seulement l’édit de Villers-Cotterêts, c’est aussi le début du dépôt légal ; nous avons donc une histoire en partage.

Nous avons bien conscience de notre responsabilité, et pas seulement du point de vue de la conservation, et concernant d’autres supports que le livre. C’est pourquoi nous nous battons pour que notre périmètre ne soit pas réduit et obtenir des aménagements législatifs sur le dépôt légal. Même si cela peut paraître fou de vouloir conserver le net, il faut le faire pour les générations futures. Cette fonction d’institution culturelle participant à la diffusion de la culture française à l’international, notamment sur le net, est assumée par la BNF, même si elle n’est pas suffisamment connue. Gagner la bataille du référencement, c’est produire des métadonnées sur ce qui est produit sur le net : c’est ce que fait la BNF par le catalogage. Elle est très présente dans les instances internationales qui régissent cette activité. Si la BNF, si les bibliothèques nationales en général n’existaient pas, les productions de l’esprit sur le net disparaîtraient rapidement. Nous avons la base qui permet aux industries culturelles, comme YouTube, d’être présente dans les instances de coopération internationale.

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Les bibliothèques travaillent entre elles dans une mécanique très normalisée et internationalisée à travers ce qu’on appelle la réunification numérique. C’est un travail entre pays, entre cultures, entre collections, dans une dynamique pouvant aller jusqu’à la restitution. La BNF y est très investie : nous avons ainsi constitué une collection numérique appelée « patrimoine partagé » pour raconter des histoires communes. Notre dernier opus concerne le Vietnam, dont nous conservons le dépôt légal pour sa période coloniale.

Nous avons publié un document qui fera écho au travail de cette année sur nos collections étrangères, afin de bien les identifier, grâce à une numérisation des inventaires. Nous avons aussi créé avec le musée du Quai Branly une bourse de recherche afin de créer une communauté avec les chercheurs. Les manuscrits coréens se trouvent toujours en Corée, sous la forme d’un dépôt renouvelé tous les cinq ans.

Notre public est jeune, car une bibliothèque, par construction, accueille les étudiants. Nous travaillons à être mieux connu, à faire savoir que cette bibliothèque est ouverte à tous. Nos salles sont de nouveau souvent saturées. Nous avons créé cette année BDnF, une application permettant de créer sa propre BD à partir des images de la BNF, et qui rencontre un très grand succès.

Nous travaillons avec l’IMEC – mais uniquement sur les manuscrits. Les relations ont pu être tendues, mais elles ne le sont plus du tout ; Nathalie Léger fait ainsi partie de notre conseil scientifique.

Nous sommes très fiers de ce que nous faisons pour l’éducation culturelle et artistique, notamment avec les expositions itinérantes à la disposition des établissements scolaires, comme celle sur la laïcité créée après les attentats de 2015, ou plus récemment sur les fake news, qui circulent toujours dans les classes.

Nous participons au Pass culture, mais je ne saurais trop vous dire comment dans l’immédiat car le dispositif évolue. L’enjeu est de toucher des jeunes publics. Par le passé, je sais que nous avions développé des manifestations autour des jeux vidéo, qui font partie des objets que nous conservons.

M. Laurent Lafon, président. – Merci pour vos réponses très précises. Nous aurons le plaisir de venir au quadrilatère Richelieu pour visiter le chantier et mieux comprendre le travail de vos équipes.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises – Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. – Nous nous réunissons à présent pour entendre le rapport de notre collègue Pierre-Antoine Levi et établir le texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ».

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Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur pour nous présenter ses conclusions sur cette proposition de loi.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. – À la demande du groupe UC, le Sénat examinera en effet le 21 janvier prochain une proposition de loi de Pierre Morel-À- L’Huissier, membre du groupe UDI et indépendants, adoptée par l’Assemblée nationale et visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes.

Chant du coq, sonneries des églises, crottins de cheval, coassements des grenouilles ou encore cancanements des canards et des oies : voici quelques-uns des contentieux de voisinage sur lesquels s’est penchée la justice.

La presse quotidienne régionale se fait d’ailleurs l’écho, depuis quelques années, de nombreuses pétitions ou contentieux dans les territoires ruraux relatifs à des sons et odeurs qui y sont présents depuis des générations.

Si certains cas peuvent étonner – comme cette demande de vacanciers dans le Var en 2018 de recourir à des insecticides pour se débarrasser de cigales trop bruyantes –, il n’en demeure pas moins que les élus locaux sont régulièrement interpellés sur ces sujets et doivent parfois jouer le rôle de médiateurs dans un conflit de voisinage.

Ces conflits de voisinage relatifs au patrimoine sensoriel des campagnes ne sont pas nouveaux : les gênes occasionnées par les odeurs et sons dans les territoires ruraux sont présentes depuis plusieurs décennies devant les tribunaux. En 1987, la cour d’appel de Dijon a ainsi été amenée à statuer sur le trouble anormal de voisinage causé par le chant d’un coq en milieu rural. Quant au dérangement lié aux sonneries civiles des églises et horloges municipales la nuit, il a été examiné par le Conseil d’État dès 1974.

Ces conflits s’inscrivent dans une évolution plus générale de la société. Aussi bien en ville qu’à la campagne, la population est moins tolérante au bruit et de manière générale au dérangement. Chacun, y compris dans les territoires ruraux, considère son habitation de plus en plus comme un ilot, déconnecté de l’ilot voisin.

Troisième point, et je pense que nous en sommes tous convaincus : les territoires ruraux, riches d’atouts, ne doivent pas être réduits à ces faits divers médiatisés. Le chant trop matinal ou trop fréquent d’un coq ou les cloches des églises ne doivent pas effacer l’action dynamique des communes et intercommunalités rurales, porteuses de projets de territoires et de développement. Les territoires ruraux, en pleine évolution, sont des territoires d’avenir dont il est important de faire connaître toutes les potentialités.

La volonté de certains d’opposer ruraux d’un côté et néoruraux ou urbains de l’autre est contre-productive. D’un côté, les territoires ruraux sont source d’intérêt croissant de la part d’une partie de la population urbaine, auquel contribuera le développement du télétravail à marche forcée en raison du confinement. De l’autre, ces territoires ont besoin que de nouveaux habitants s’y installent pour continuer à vivre et prospérer. Territoires ruraux et urbains vivent d’interactions et d’échanges.

Ces conflits de voisinage de plus en plus médiatisés restent marginaux et mineurs par rapport aux autres problématiques des territoires ruraux. J’ai auditionné André Torre, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3640 l’environnement (Inrae), qui travaille depuis plusieurs années sur les conflits de voisinage. Il a ainsi étudié les causes de ces contentieux.

À la campagne, ils sont d’abord liés aux infrastructures : le tracé d’une route, d’une autoroute, l’extension d’un aéroport et la compensation des dommages, ou encore les atteintes à l’environnement du fait de ceux-ci. Ils sont ensuite causés par l’usage des sols, avec les plans d’occupation des sols qui transforment des terres agricoles en terrains industriels ou bâtis. Ils concernent également l’eau – qualité et quantité. Ces contentieux sont enfin dus à la pollution de l’eau et de l’air, mais également aux émanations toxiques.

Selon M. Torre, le nombre de conflits de voisinage en lien avec le patrimoine sensoriel des campagnes est stable ces dernières années. En revanche, leur médiatisation est croissante, ce qui ne doit pas faire oublier les autres problèmes auxquels doivent faire face nos territoires ruraux : le numérique, la desserte et l’enclavement territorial ou encore l’accès aux services publics.

Certaines odeurs font partie de l’environnement traditionnel d’un territoire et sont indispensables à son équilibre sociétal, mais aussi économique. Ces gênes sont inhérentes aux territoires ruraux. J’ai auditionné Christian Hugonnet, président de la semaine du son de l’Unesco et expert en acoustique auprès des tribunaux. Je reprends à mon compte ses mots : « le silence n’appartient pas plus à la campagne qu’à la ville. » Le bruit n’est pas forcément le même à la ville et à la campagne, mais il est présent partout.

J’en viens maintenant au droit actuel. Pour évaluer le trouble anormal de voisinage généré par les bruits et odeurs, le juge prend en compte les circonstances de temps et de lieu. Le caractère rural du lieu d’habitation est souligné de manière explicite dans plusieurs décisions. Mais, le chant d’un coq peut tout de même constituer un trouble anormal du voisinage en milieu rural, s’il est jugé trop fort et trop fréquent.

Il existe toutefois une exception au trouble anormal du voisinage : l’antériorité de l’activité génératrice du trouble. Les activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques ne peuvent générer un trouble anormal dès lors que le permis de construire du bâtiment exposé aux nuisances est postérieur à leur existence, à deux conditions : qu’elles s’exercent conformément aux lois et règlements et dans les mêmes conditions que précédemment.

Les sonneries des églises bénéficient d’un régime juridique particulier issu de la loi de séparation des Églises et de l’État et des textes d’application de cette loi. Quatre principes se dégagent : elles sont réglées par arrêté municipal ; lorsqu’elles correspondent à une manifestation religieuse – messe, enterrement –, elles relèvent de la liberté de culte ; lorsqu’elles sont civiles, elles sont autorisées par la pratique locale – dont le juge administratif a longtemps exigé qu’elle soit attestée depuis 1905, mais qui, depuis une jurisprudence de 2015 du Conseil d’État, peut se borner à une pratique régulière et suffisamment durable ; enfin, la responsabilité de la commune peut être engagée si le maire a refusé sans justification valable de prendre des mesures pour assurer la tranquillité publique, ainsi qu’il ressort d’une décision de la cour administrative d’appel de Nancy de 2001 – mais seulement si un trouble anormal est constaté, la sonnerie de cloches n’étant pas en soi un trouble anormal.

J’en arrive maintenant à la proposition de loi. Un texte de loi est-il nécessaire ? Les personnes auditionnées, dans leur grande majorité, ont indiqué que celui-ci pouvait être utile, à deux conditions : que le recensement de ce patrimoine sensoriel soit effectué en

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3641 partenariat avec l’ensemble des acteurs locaux, et que ce texte soit un outil à destination des élus locaux, facilitant la pédagogie et le dialogue sur ces questions.

La proposition de loi en elle-même a été profondément modifiée lors de son examen par l’Assemblée nationale. Elle a même été intégralement réécrite par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale sur la base de l’avis formulé par le Conseil d’État.

L’article 1er du texte dont nous sommes saisis aujourd’hui prévoit d’insérer dans le code de l’environnement la notion de « sons et d’odeurs qui caractérisent » les espaces, ressources et milieux naturels et terrestres. Cela permet de les inclure, de manière explicite, dans le patrimoine commun de la nation. La symbolique est forte en affirmant la dimension sensorielle du patrimoine naturel.

L’article 1er bis prévoit de confier aux services régionaux de l’inventaire une mission d’étude et de qualification de l’identité culturelle des territoires. Je me suis interrogé sur l’attribution d’une nouvelle mission aux services régionaux. Ils me semblent, après réflexion, les mieux à même de remplir cette mission, puisqu’ils élaborent déjà une carte d’identité des territoires. Il s’agirait de la compléter en y intégrant des éléments relatifs au patrimoine sensoriel.

La formation du personnel participant à l’élaboration de l’inventaire ne lui permet pas de remplir pleinement la nouvelle mission prévue par la proposition de loi. Mais il pourrait être formé à ces nouvelles missions et le panel de chercheurs associés élargi : le Gouvernement a d’ailleurs levé le gage. Quant à la question de la méthodologie, je rappelle que les services de l’inventaire ont dû faire un travail similaire de définition de méthodologie, de grilles de critères, ou encore de thésaurus lors de sa mise en place pour le patrimoine dans les années 1960-1970.

Enfin, l’article 1er ter prévoit un rapport du Gouvernement sur le trouble anormal du voisinage. Le Sénat supprime habituellement les demandes de rapport, mais je vous propose de conserver celui-ci.

Une réforme de la responsabilité civile est prévue depuis plusieurs années, sans avoir encore abouti. Nos collègues de la commission des lois ont déposé en juillet dernier une proposition de loi reprenant le projet de la Chancellerie et incluant des dispositions relatives au trouble anormal du voisinage.

Ce rapport est de nature à éclairer les futurs débats sur ce projet de réforme de la responsabilité civile, attendu de longue date. Il serait l’occasion de procéder à un recensement précis des critères d’appréciation pris en compte par le juge lorsqu’il se prononce dans une affaire de trouble anormal du voisinage, notamment la prise en compte des circonstances de lieu.

Je vous propose d’adopter conforme ce texte qui affirme la volonté du Parlement de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes sans toutefois remettre en question les équilibres juridiques existants. Il peut constituer un outil utile pour les élus locaux au quotidien pour les accompagner dans leurs démarches de pédagogie et de médiation.

M. Laurent Lafon, président. – Il nous revient à présent de définir le périmètre de la proposition de loi en vertu de l’article 45 de la Constitution.

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M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. – Je vous propose de considérer que le périmètre inclut les dispositions relatives à la protection et à la valorisation du patrimoine sensoriel des territoires ruraux.

En revanche, je vous propose d’estimer que n’auraient pas de lien, même indirect, avec le texte, les amendements relatifs à la protection et la valorisation du patrimoine matériel, à la protection et la valorisation des territoires urbains, au régime juridique, fiscal et social applicable au secteur agricole et aux agriculteurs et à l’aménagement des territoires ruraux.

M. Olivier Paccaud. – Merci pour cette présentation particulièrement précise. L’intitulé de cette proposition de loi inattendue et originale a pu étonner ou faire sourire. Mais elle n’est pas anecdotique et encore moins comique. Certains parleront d’un texte symbolique, car elle nous parle du sens que nous voulons donner au vivre-ensemble, en particulier dans la ruralité. Nous aurions sans doute préféré l’éviter : le bon sens, la tolérance, la courtoisie et la discussion valent toujours mieux qu’une loi !

Cette proposition de loi de Pierre Morel-À-L’Huissier, notre collègue député de Lozère, part d’un triste constat : notre société est de plus en plus conflictuelle, de plus en plus judiciarisée, avec des issues parfois ubuesques, kafkaïennes. Le ridicule ne tue pas, mais il peut alimenter les prétoires et les tribunes médiatiques.

Difficile d’avoir des statistiques infaillibles, mais le ministère de la justice a recensé ces dernières années plus de 1 800 dépôts de plainte pour dommages liés à l’environnement et 490 recours pour troubles anormaux de voisinage – pas tous liés à la ruralité – ont été examinés. Parmi eux, quelques affaires clochemerlesques, comme aurait dit Gabriel Chevallier, ou abracadabrantesques, comme aurait dit Arthur Rimbaud, ayant pour héros malheureux des animaux qui chantaient trop : des coqs, des grenouilles qui croassent, des cigales qui craquettent, des canards qui cancanent, sans compter des chiens, des ânes, et même des goélands. Je n’oublie pas les cloches trop sonores, ainsi que des moteurs de tracteurs ou de trayeuses dont la mélodie mécanique n’est pas du goût de tous. Seul le pivert semble s’être faufilé entre les mailles du filet des grincheux ! Mais pas les déjections d’abeilles, qui ont fait l’objet d’un recours à Pignols, dans le Puy-de-Dôme.

Toujours est-il que l’identité et l’authenticité de la vie rurale peuvent s’avérer menacées si nous n’y prêtons pas garde, de même que cette évidence : on ne vit pas à la ville comme on vit à la campagne. Apporter un bouclier juridique solide pour soutenir les maires ruraux et les magistrats confrontés à des plaintes farfelues n’est donc pas inutile. L’outil législatif proposé par Pierre Morel-À-L’Huissier a ainsi un double objectif : protéger ce patrimoine sensoriel de nos campagnes, qui constitue une partie de l’ADN de notre pays, mais aussi instaurer les bases d’un dialogue constructif entre deux voisinages qui peuvent avoir du mal à se comprendre. Le texte permet également de préciser deux définitions : le patrimoine sensoriel à inventorier selon les territoires et le trouble anormal du voisinage, une notion floue et jusqu’à présent jurisprudentielle en l’état actuel du droit.

Il faut rendre hommage à Pierre Morel-À-L’Huissier et à sa méthode. Cosigné par 71 députés de tous bords, le texte a été soumis à la sagacité du Conseil d’État, autopsié par les conseillers ministériels concernés, avant d’être ciselé, magnifié, perfectionné par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, et qui a su faire consensus. Il mérite d’être voté conforme : c’est ce que fera le groupe Les Républicains.

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Mme Marie-Pierre Monier. – Nous avons tous, lorsque nous pensons à nos territoires respectifs, des sons ou odeurs caractéristiques qui nous viennent à l’esprit. Maire de Vinsobres, commune viticole, c’est pour moi le son du tracteur. Mais si je pense au sud de la Drôme, ce sont bien sûr les cigales que j’entends.

Cette proposition de loi peut paraître anodine à première vue, voire cocasse, mais il n’en est rien. Elle traduit en réalité l’existence d’une frontière de plus en plus marquée, séparant habitants de longue date des territoires ruraux et nouveaux arrivants, qu’ils soient touristes de passage ou résidents fraîchement installés, souvent désireux de commencer une nouvelle vie en marge de l’agitation urbaine.

Si à la campagne, l’activité prend des formes différentes qu’en ville, cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas ; les sons des tracteurs, l’odeur du lisier, le chant du coq en sont les conséquences. La campagne s’apprivoise : il est nécessaire que celles et ceux qui font le choix d’y vivre apprennent à la connaître.

Au fil des auditions, nous avons pu constater que les conflits de voisinage qui parvenaient effectivement jusqu’au tribunal ne constituaient que la partie émergée de l’iceberg : bon nombre d’entre eux sont réglés bien en amont, le plus souvent grâce à la médiation active des maires. Si nous en entendons autant parler, c’est que la presse, locale, mais aussi nationale s’en fait régulièrement l’écho, suscitant de nombreuses réactions oscillant entre moquerie et consternation. Cette ampleur médiatique révèle l’intérêt que ce sujet suscite pour l’opinion publique.

Aux conséquences très concrètes pour les acteurs des territoires concernés, le texte apporte plusieurs pistes de réponse. Le complément apporté au premier article du code de l’environnement constitue un premier jalon dans la reconnaissance et la protection de ce patrimoine sonore et olfactif qui participe de la richesse de nos espaces naturels.

Le texte propose par ailleurs de confier aux services régionaux de l’inventaire le soin d’étudier et de qualifier l’identité culturelle des territoires, dans une logique de valorisation et de transmission du patrimoine propre à la ruralité. La pertinence de cet échelon décentralisé nous a été confirmée au cours de nos auditions.

Enfin, la demande d’un rapport sur la possibilité d’engager la responsabilité civile pour trouble anormal du voisinage, en éclairant la portée juridique de cette problématique, nous permettra de mieux la poser d’un point de vue législatif. Même si le Sénat n’aime pas voter les demandes de rapports, il faut faire une exception pour celle-ci.

Si les différentes solutions introduites par cette proposition de loi auraient sans nul doute pu être affinées, l’existence même de ce texte a le mérite de poser les premières bases d’une discussion collective autour d’un sujet qui nous renvoie finalement à une problématique fondamentale, celle du vivre-ensemble.

Soulignons par ailleurs que le député rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Pierre Morel-À-L’Huissier, a eu l’initiative de saisir le Conseil d’État et de largement remanier son texte en fonction de son avis. Il serait donc contre-productif de le modifier. C’est pourquoi le groupe SER le votera.

Mme Catherine Morin-Desailly. – Bravo à nos collègues pour leur travail en un temps très court. Cette proposition de loi est originale, mais opportune : d’ici à quelques jours,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3644 la semaine du son sera lancée. Son fondateur, Christian Hugonnet, qui a été auditionné par notre rapporteur, témoigne que notre monde est beaucoup plus rétinien qu’auditif et prend insuffisamment en compte les qualités acoustiques. Il est pourtant nécessaire de réguler le bruit. Ce texte nous parle de la difficulté du vivre-ensemble, mais surtout du déficit d’appréciation des sons qu’il faut réparer dans notre éducation. Je vous invite à participer aux ateliers proposés cette semaine dans le cadre de cette manifestation. L’attention au son peut ainsi permettre d’appréhender les questions de biodiversité.

J’approuve cette proposition de loi qui met un coup de projecteur sur des questions légitimes. Les cloches rythment la vie des villages, mais aussi des villes, dont certains habitants se plaignent aussi qu’elles les dérangent la nuit. Notre commission, qui a dans son champ de compétences l’architecture, devrait se préoccuper de la prise en compte du son dans nos bâtiments et notre urbanisme. Le groupe UC soutiendra ce texte.

Mme Monique de Marco. – Je me suis d’abord interrogée sur l’intitulé de ce texte, ayant le sentiment d’avoir affaire à un sujet un peu secondaire sur lequel j’étais étonnée d’avoir à légiférer. Puis j’ai compris qu’il s’agissait de faciliter la tâche des maires face aux conflits de voisinage. Ce texte va-t-il cependant tout régler ? Ce ne sera pas facile.

Attention à la vision idéalisée du rural qui se dégage de ce texte. Il ne faut pas faciliter l’introduction de nouveaux bruits et de nouveaux effluves ou l’augmentation du nombre des fermes usines et des épandages de pesticides, comme en Gironde. Ils se font avec peu de bruit et d’odeur, mais leurs conséquences sanitaires sont bien là. Nous voterons ce texte.

Je m’interroge sur un point : y a-t-il eu une réelle augmentation du nombre de conflits de voisinage ou bien plutôt une hausse de leur médiatisation ?

Mme Céline Brulin. – Nous souhaitons voter ce texte conforme. Il est intéressant de le mettre en perspective avec la manière dont nos concitoyens conçoivent leur habitat, qu’ils souhaitent hermétique. Je le dis sans jugement de valeur : cela tient à un certain individualisme, mais aussi au fait que la société ne convient plus à leurs attentes. Il faut aussi tenir compte d’une conception de la nature comme milieu sous cloche, sans activités.

Ce texte dit quelque chose sur la judiciarisation croissante de tous les conflits. Ceux-ci sont intrinsèques à la vie, mais rien n’oblige à les porter au tribunal. Beaucoup de nos concitoyens ne peuvent plus se loger au cœur des grandes métropoles. Ce qui a longtemps été une ascension sociale – l’acquisition d’un pavillon avec son bout de jardin – tourne au déclassement : la vie dans un environnement sans médecin, sans service public, sans transports en commun. Nous voyons donc arriver dans nos communes rurales des gens qui ne sont pas préparés à y vivre, parce que ce n’est pas leur choix : ils viennent simplement parce qu’ils ne peuvent pas vivre ailleurs.

Il faudrait aussi contraindre les lotisseurs à organiser des rencontres entre les acquéreurs et le maire, qui pourrait leur expliquer à quoi ressemble la vie dans sa commune. J’ai bien peur que ces conflits ne fassent qu’augmenter avec l’envie de campagne générée par le confinement…

M. François Patriat. – La ruralité doit avoir des défenseurs ; ce texte n’est pas anecdotique. Les épiphénomènes dont il est question font sourire, mais ils reflètent une réalité durable sur le territoire. Le groupe RDPI votera ce texte.

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M. Pierre Ouzoulias. – Un point sur les services régionaux de l’inventaire. Lorsque je travaillais dans une direction régionale des affaires culturelles (DRAC), ils y étaient rattachés. En 2005, ils ont été confiés aux régions, sous prétexte que leur activité n’était pas régalienne. Ce texte leur donne une mission législative, mais sans changer leur rattachement administratif. Il faudra se demander si la protection du patrimoine ne devrait pas être du ressort de la DRAC. Il y a un chantier à mener sur les interactions complexes entre collectivités et État en matière patrimoniale. Les services ont mis 35 ans pour réaliser 35 % de l’inventaire. Ce texte les incite à aller plus vite, mais ajoute de nouveaux objets qui n’étaient pas prévus.

Une précision sur les sonneries de cloches ; elles sont soumises à deux régimes : celui de l’article 43 de la loi de 1905 et celui du Concordat. Les cloches ne sonnent pas de même façon en Alsace-Moselle et ailleurs.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. – Merci pour votre soutien unanime. J’ai échangé avec Pierre Morel-À-L’Huissier, qui m’a confirmé que le texte avait été modifié de manière significative après la consultation du Conseil d’État. Il y est attaché ; je l’ai félicité. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai tout d’abord été étonné par cette initiative législative. Mais le texte m’a rapidement beaucoup intéressé. Il constituera une boîte à outils pour les élus.

L’une des raisons du problème vient de la méconnaissance du travail agricole. Les agriculteurs sont obligés de travailler la nuit, non pour embêter leurs voisins, mais en vertu de la règlementation. Je pense notamment à l’arrêté visant à protéger les insectes pollinisateurs qui interdit certains traitements des champs en présence des abeilles, soit le jour.

Il n’y a pas eu d’augmentation des troubles de voisinage, mais les plaintes pour pollution sont plus nombreuses. On oublie que la campagne a une vie économique. Nul ne peut accepter une odeur de purin toute la journée, mais il faut bien accepter quelques nuisances.

Cette proposition de loi est un début. Le plus judicieux est de la voter conforme. La première audition nous avait un peu perturbés ; la dernière nous a confortés dans le fait que c’est aux services de l’inventaire de faire ce travail. Je tiens d’ailleurs à remercier l’ensemble de mes collègues qui ont participé à ces auditions malgré le calendrier très contraint et avec lesquels j’ai longuement échangé dans le cadre de mes travaux. Cette loi devrait aider les élus.

M. Laurent Lafon, président. – Aucun amendement n’a été déposé. Je mets donc aux voix la proposition de loi.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

M. Laurent Lafon, président. – Belle unanimité ! Merci à notre rapporteur, qui élabore son premier rapport. (Applaudissements.)

La réunion est close à 11 h 45.

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COMMISSION DES FINANCES

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Audition de MM. Pierre Moscovici, Premier président, et Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes sur le rapport public thématique « Les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance »

M. Claude Raynal, président. – Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui le Premier président de la Cour des comptes, M. Pierre Moscovici, accompagné du président de la première chambre, M. Christian Charpy, pour présenter le rapport de la Cour des comptes sur le cadre organique et la gouvernance des finances publiques, publié en novembre 2020.

Monsieur le Premier président, monsieur le président de chambre, mes chers collègues, je vous adresse mes meilleurs vœux pour cette année qui commence.

Avant d’entamer notre audition, je remercie nos collègues d’avoir bien voulu se déplacer dans cette salle, inhabituelle pour nos réunions, mais qui présente l’avantage de permettre à la fois une captation vidéo en direct de notre audition et son suivi par visioconférence. Nos collègues qui doivent, en raison des contraintes sanitaires, nous suivre à distance auront ainsi la possibilité, s’ils le souhaitent, d’intervenir dans nos débats.

Les analyses de ce rapport constituent une contribution importante aux débats en cours sur la gestion des finances publiques, qui prennent une nouvelle dimension avec la crise sanitaire, laquelle devrait conduire à porter le niveau de la dette publique au-delà de 120 % du produit intérieur brut (PIB) en 2021.

Il se place toutefois dans une perspective plus longue, car, bien avant le début de la crise sanitaire, la dernière loi de programmation des finances publiques, promulguée en janvier 2018, n’était déjà plus respectée, et encore moins actualisée. La difficulté à respecter le cadre pluriannuel défini est structurelle ; c’est la raison pour laquelle des réformes de fond peuvent être nécessaires.

Comme l’indique le titre du rapport, les seize recommandations qu’il contient portent, notamment, sur les lois organiques relatives aux lois de finances et à la programmation des finances publiques : elles concernent donc très directement le Parlement et, tout particulièrement, notre commission.

Je vous laisse donc la parole pour nous présenter les principaux éléments de votre travail en nous indiquant en quoi vos propositions rejoignent celles formulées par la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui avait également travaillé sur ce thème avant que la survenue de la pandémie n’interrompe ces travaux, ou, le cas échéant, s’en distinguent.

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M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. – Merci de m’avoir invité à vous présenter le rapport public thématique de la Cour sur le cadre organique et la gouvernance des finances publiques.

Avant d’y venir, je tiens au nom des juridictions financières et en mon nom personnel à vous transmettre, à toutes et tous, mes vœux les plus sincères pour cette nouvelle année 2021. J’espère qu’elle nous apportera la sérénité – sinon budgétaire, au moins humaine – qui nous a manqué en 2020 et qu’elle nous rendra le sourire.

Le rapport de la Cour que je vous présente aujourd’hui est le fruit d’un long et important travail, qui a mobilisé une équipe nombreuse au sein d’une formation interchambres et que nous avons publié en novembre dernier. Il compte beaucoup pour nous, et pour moi, et nous avions à cœur, depuis le début, de le partager avec le Parlement, car vous êtes bien sûr, en particulier sur ces sujets, des interlocuteurs privilégiés.

Plusieurs membres de la Cour sont présents à mes côtés : Christian Charpy, le président de la première chambre, Cécile Fontaine, la rapporteure générale de ce travail, ainsi que Cyprien Canivenc, auditeur. D’autres membres de l’équipe de contrôle, ainsi que notre rapporteure générale n’ont pu, en raison des limitations liées au contexte sanitaire, se joindre à nous, mais je tiens à souligner leur contribution, et je veux à nouveau les remercier chaleureusement pour la qualité du travail fourni.

Notre rapport public thématique intervient, vous le savez, près de vingt ans après l’adoption de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, adoptée en 2001. La Cour a eu plusieurs fois l’occasion de s’exprimer sur le bilan de ce texte. Elle l’a notamment fait en 2011, dans un rapport public dédié aux dix ans de la LOLF, mais elle le fait très régulièrement, notamment dans les travaux sur le budget de l’État, particulièrement en 2018 et 2019, dans le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques ou dans d’autres rapports thématiques.

Nous avions pour projet initial de publier cette année, en 2021, un rapport portant sur les vingt ans de la LOLF.

De son côté, la commission des finances de l’Assemblée nationale a décidé en 2019 de reconstituer la mission d’information sur la LOLF (MILOLF), qui a réalisé un important travail sur le sujet, accompagné de quarante-cinq propositions. Je sais que des contacts ont été noués, au début de l’année 2020, entre les présidents et les rapporteurs généraux des deux commissions des finances pour examiner les initiatives que le Parlement pourrait prendre pour renforcer le cadre organique qui régit nos textes financiers.

Pour sa part, la Cour a souhaité avancer et élargir ses travaux sur la LOLF, à la fois pour soutenir cet élan et pour contribuer, à son niveau, au renforcement du cadre de gouvernance des finances publiques dans leur ensemble.

Il se trouve que la crise actuelle nous a conduits à faire à nouveau évoluer nos travaux. En effet, nous savons désormais, comme vous, que cette crise laissera sur nos finances publiques une empreinte durable ; il faut bien sûr en tenir compte. L’évolution de la gouvernance des finances publiques est une des solutions pour une sortie de crise et est partie intégrante de la mission confiée à la commission dirigée par Jean Arthuis.

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Nous avons donc décidé, comme nous le faisons pour l’ensemble de nos travaux, d’intégrer les conséquences de la crise à nos réflexions en cours afin de publier un rapport thématique qui prenne en compte le nouveau paysage des finances publiques.

Car ce nouveau paysage, durablement dégradé, ne rend pas obsolète la réflexion sur l’évolution du cadre organique et de la gouvernance des finances publiques. Au contraire, il souligne son actualité et sa nécessité, puisque la crise met en évidence les limites du cadre en vigueur et renforce la nécessité à la fois d’ancrer la soutenabilité de la dette publique, qui sera un des grands sujets des années à venir, et d’améliorer l’efficacité des politiques publiques et la qualité de la dépense publique. Comme nous avons eu l’occasion de le souligner déjà dans notre rapport de juin 2020 et comme j’ai pu le rappeler à plusieurs reprises en tant que président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et Premier président de la Cour des comptes, une trajectoire de redressement structurel des finances publiques devra être élaborée et engagée à travers une nouvelle loi de programmation des finances publiques dès que les conditions économiques le permettront. Il me semble nécessaire d’insister de nouveau sur ce point. Nous sommes convaincus que cette trajectoire doit s’inscrire dans un cadre rénové.

Pour dresser le bilan de la stratégie pluriannuelle existante et contribuer à dessiner ce futur cadre, notre rapport s’est appuyé sur plusieurs de nos travaux, des enquêtes spécifiques, des auditions et des comparaisons internationales.

Il est organisé en trois parties, que je vous présenterai successivement.

La première partie porte sur les modalités de pilotage et de programmation des finances publiques, qui doivent permettre d’assurer leur soutenabilité ; la deuxième examine l’excessive fragmentation de l’architecture d’ensemble des finances publiques et formule des propositions pour y remédier ; la troisième, enfin, se concentre sur la structure émiettée du budget de l’État et l’efficience de ses politiques et propose un nouveau cadre pour revenir à l’esprit initial de la LOLF.

Notre rapport formule au total seize recommandations pour renforcer le cadre organique et la gouvernance de nos finances publiques, qui s’articulent avec un grand nombre de propositions déjà formulées par la Cour par le passé. Nous avons choisi de ne proposer que des orientations pouvant être mises en œuvre sans modification constitutionnelle. C’est un choix important, que nous assumons pleinement, car réformer le texte suprême prend du temps et consomme beaucoup d’énergie, alors que la situation actuelle appelle des mesures rapides et opérationnelles. Par ailleurs, et à l’exception de sa troisième partie, centrée sur l’État, le rapport porte sur l’ensemble des administrations publiques.

J’en viens donc au contenu du rapport lui-même.

J’aborderai d’abord la programmation et le pilotage des finances publiques.

Notre rapport souligne en préambule l’intérêt d’une vision pluriannuelle des finances publiques. Je serai bref sur ce point, mais rappelons que la démarche de programmation à moyen terme vise à assurer la cohérence et la soutenabilité de l’action publique dans la durée.

Elle est donc indispensable dans une situation comme celle que nous traversons actuellement, où le creusement massif du déficit et de la dette impose un redressement graduel

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– le rôle de la Cour n’est pas de plaider pour l’austérité –, mais ferme. Des mesures exceptionnelles doivent être prises dans cette situation qui ne l’est pas moins, et des services publics doivent être renforcés et confortés. Cette vision est donc essentielle pour préparer et mener des réformes.

Ne tombons pas dans l’illusion selon laquelle la dette s’annulerait ou se monétiserait. À la fin, une dette se rembourse toujours.

Depuis plus de dix ans déjà, l’horizon du temps long s’est progressivement imposé en France dans la gouvernance des finances publiques. La révision constitutionnelle de 2008 a créé les lois de programmation des finances publiques (LPFP), au sein de l’article 34 de la Constitution. Ce dernier mentionne désormais l’existence d’« orientations pluriannuelles des finances publiques » qui doivent s’inscrire dans l’« objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Le contenu de ces lois de programmation a ensuite été précisé par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, que j’ai eu l’honneur de présenter devant le Parlement lorsque j’étais ministre des finances, qui a également créé le Haut Conseil des finances publiques et a été adoptée le 17 décembre 2012.

Le cadre de programmation a donc été considérablement renforcé et structuré depuis 2008, mais notre rapport montre aussi que ce cadre, très complet sur le papier, revêt, dans la pratique, une portée limitée. Le bilan de dix ans de mise en œuvre de stratégies pluriannuelles est plutôt mitigé, pour ne pas dire décevant.

Depuis 2008, cinq lois de programmation des finances publiques ont été votées, mais leur mise en œuvre a été marquée par des dérapages répétés : leurs objectifs ont en effet rarement été atteints, qu’il s’agisse de la variation du déficit structurel ou encore des objectifs de dépenses, de recettes ou de dette publique. Par exemple, la LPFP 2014-2019 prévoyait que la progression en volume de la dépense publique devait être contenue à moins de 0,3 % sur la période ; or celle-ci a atteint près de 1,2 %.

Concernant la dette, il est inutile d’insister sur le fait que les objectifs de stabilisation puis de réduction n’ont jamais été respectés, avant même la période actuelle ; la France a ainsi abordé cette crise avec un endettement plus important que prévu et plus élevé que celui de ses partenaires européens – la Cour l’a déjà dit ; elle le redira.

Alors, comment expliquer ce décalage entre le cadre juridique existant et sa portée effective ? Nous avons identifié deux faiblesses principales.

La première concerne l’inefficacité des forces de rappel prévues par les textes. La loi organique de 2012 a bien institué un mécanisme de correction, censé être déclenché en cas d’écart à la trajectoire, mais celui-ci contient des flexibilités importantes, qui ont empêché de prévenir et de corriger les écarts répétés qui ont été constatés. Dans les faits, au lieu d’adopter des mesures de correction, le choix a plutôt été de présenter une nouvelle LPFP se contentant de décaler la trajectoire de retour à l’équilibre. C’est ce qui a été fait en 2014, après que le HCFP a déclenché le mécanisme.

La deuxième faiblesse, c’est l’articulation défaillante entre les différents textes financiers, laquelle s’explique principalement par des raisons de hiérarchie des normes – les LPFP ne peuvent pas s’imposer aux lois de finances et de financement –, mais aussi par des raisons de calendrier – les exercices pluriannuels organisés au printemps et à l’automne étant

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3651 largement déconnectés. Les programmes de stabilité présentent ainsi, presque systématiquement, des trajectoires financières distinctes de celles de la loi de programmation adoptée quelques mois auparavant. La logique voudrait pourtant que cette loi soit l’exercice moteur.

Cette faible portée des mécanismes actuels de pluriannualité entame considérablement la crédibilité des exercices de programmation des finances publiques, mais ce n’est malheureusement pas son unique inconvénient. Elle affaiblit aussi la pertinence de l’allocation des moyens financiers à des politiques publiques par essence pluriannuelles.

Le renforcement du cadre pluriannuel, indispensable, doit donc nous permettre d’améliorer notre capacité à faire des choix et à nous y tenir, alors que cette capacité sera plus essentielle que jamais dans les années à venir.

Les comparaisons internationales présentes dans le rapport montrent que ce renforcement est possible et mettent en évidence, chez nos principaux partenaires de la zone euro, quelques éléments clefs du succès. Je voudrais vous en citer quelques-uns, car je les trouve éclairants.

D’abord, dans ces pays, le pilotage des finances publiques bénéficie d’un engagement fort au niveau politique. Aux Pays-Bas, par exemple, c’est l’accord de coalition au sein de la formation gouvernementale qui fixe les plafonds pluriannuels de dépense pour la durée de la législature. C’est aussi le cas en Finlande. Dans ces pays, la pluriannualité des finances publiques fait consensus dans les coalitions.

Ensuite, les cibles de dépense sont stables et couvrent un large périmètre. Toujours aux Pays-Bas, le pilotage des finances publiques est organisé autour d’un plafond global qui représente environ 85 % de la dépense des administrations publiques et qui est divisé en sous-objectifs. Le Danemark s’appuie, quant à lui, sur une enveloppe pluriannuelle couvrant 75 % des dépenses publiques. Comparaison n’est pas raison et je n’omets pas, bien sûr, les différences qui nous séparent de ces pays qu’on qualifie souvent de « frugaux » et qui jouent parfois dans le concert européen un rôle de frein plus que de moteur. S’ils sont « frugaux », pourtant, c’est parce qu’ils estiment que leur propre frugalité a payé pour eux et qu’ils ne souhaitent pas payer pour les autres. Notons tout de même que les dépenses publiques sous norme représentent en France à peine plus du tiers du total des dépenses. C’est dire notre marge de progrès.

Dans ces différents pays, il existe, enfin, des mécanismes de flexibilité qui permettent de respecter les enveloppes définies, même en cas d’imprévus. Concrètement, ce dispositif passe par un système de provisionnement, comme en Suède, ou par des redéploiements, comme aux Pays-Bas. En France, deux de nos cinq LPFP avaient prévu des réserves de programmation, mais les enveloppes définies étaient faibles et concentrées sur le seul budget de l’État.

Pour résumer, que nous révèlent ces exemples étrangers ? Élaborer et respecter une trajectoire pluriannuelle crédible en matière de finances publiques est possible à condition de respecter deux prérequis : un engagement politique affirmé et partagé ainsi que des procédures de qualité. Nous avons besoin des deux.

Le premier point n’est pas de notre ressort : il est de nature politique. En revanche, nous faisons plusieurs propositions sur le second point.

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Tout d’abord, nous proposons de fixer une trajectoire financière soutenable, réaliste et transparente, avec des enveloppes de dépenses et de mesures nouvelles sur les recettes fixées en milliards d’euros et un budget triennal glissant pour l’État.

Ensuite, nous suggérons d’imposer la transparence : les écarts entre les lois financières annuelles et la trajectoire adoptée en LPFP doivent être décomptés et expliqués chaque année, d’abord au Parlement. En parallèle, il faut clarifier les modalités de prise en compte des aléas, avec une provision de programmations fixée en LPFP. De surcroît, il faut procéder à des revues de dépenses. Lorsque j’étais commissaire européen, j’ai constaté à quel point ces méthodes étaient développées chez nos partenaires, alors qu’elles sont peu répandues chez nous. Ces revues de dépenses sont indispensables pour garantir le respect de la trajectoire, selon un calendrier défini en LPFP.

Enfin, il faut établir le budget sur trois années glissantes pour qu’il s’articule mieux avec la programmation – la Milolf l’a également proposé.

Parce qu’une bonne trajectoire doit être surveillée, nous formulons deux recommandations en la matière.

Premièrement, il faut élargir le mandat du HCFP. C’est bon pour le Gouvernement, qui bénéficierait d’un débat plus approfondi sur ses propres options. C’est bon pour le Parlement, qui disposerait de données supplémentaires pour exercer sa mission de contrôle. C’est bon pour le citoyen, qui a toujours besoin de tiers de confiance indépendants. Le HCFP doit pouvoir apprécier le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses et identifier les risques d’écart à la trajectoire. J’y suis tout particulièrement attaché, car je crois au débat démocratique sur les finances publiques.

En Europe, les autres institutions budgétaires indépendantes disposent de compétences et de moyens beaucoup plus étendus. Nous avons commencé sur des bases étroites et nous avons maintenant huit ans d’expérience. L’Union européenne dispose de son propre conseil budgétaire, le European fiscal board. Il faut tirer les leçons de cette expérience et faire un pas en avant : il sera modeste, mais, et il me semble essentiel d’en discuter à la fois avec le Gouvernement et avec les commissions des finances des deux chambres.

Deuxièmement, il faut instaurer un débat annuel sur la dette publique et sa soutenabilité, qui nous semble plus que jamais d’actualité.

La deuxième partie du rapport insiste sur la nécessité de rétablir une vision globale des finances publiques.

Le cadre dans lequel se déploie la dépense publique est fondamental : il détermine à la fois les choix de l’action publique, les conditions de vote du Parlement, les modalités de contrôle et la clarté de l’information transmise, notamment aux citoyens. Or, en France, ce cadre est fragmenté, à l’image de notre système institutionnel.

Tout d’abord, contrairement à beaucoup d’idées reçues, le poids de l’État dans la dépense publique est plus modeste en France qu’à l’étranger : il s’élève à 35 %, contre 38 % en moyenne dans l’Union européenne et 80 % au Royaume-Uni.

Ensuite, les recettes publiques sont réparties entre les différents niveaux d’administration publique sans cohérence d’ensemble. Ainsi, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est affectée à la fois au budget général

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3653 de l’État, à un compte d’affectation spéciale (CAS), aux régions, aux départements et à l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afitf). L’affectation de la TVA est à peine plus simple. Quant à la sécurité sociale, aujourd’hui, elle n’est plus financée qu’à 50 % par des cotisations sociales. De tout cela résulte une forte confusion.

Enfin, la gouvernance d’ensemble et le pilotage global sont insuffisants. En théorie, la trajectoire nationale des finances publiques devrait découler de l’addition des trajectoires financières de tous les secteurs d’administration publique. En pratique, cette méthode ne fonctionne pas, parce que les textes financiers sont disparates, peu coordonnés, et que les lois financières annuelles ne couvrent que les trois quarts de notre dépense publique. Il n’existe d’ailleurs pas de mécanisme ou d’instance de coopération entre les différentes catégories d’administration publique, comme c’est le cas en Allemagne ou en Espagne. Une Conférence nationale des finances publiques avait bien été créée, mais elle n’a été réunie que trois fois.

Cette fragmentation n’est pas une simple gêne cosmétique : elle présente des inconvénients concrets majeurs.

Notre cadre institutionnel est si complexe qu’il affecte la capacité à lire et à comprendre les équilibres entre les recettes et les dépenses des administrations publiques. Les différents soldes n’ont plus qu’une signification très limitée, alors qu’ils orientent des choix souvent décisifs.

De plus, la répartition des recettes et les décisions prises depuis plusieurs années pour le financement de la sécurité sociale et des collectivités territoriales ont conduit à concentrer sur l’État la plus grande partie du déficit et de la dette des administrations publiques. Cette situation résulte du rôle, fondamental dans la crise actuelle comme en 2008, d’assurance collective que joue l’État en France. Mais le risque, à l’issue de la crise, est que la majeure partie de l’effort de redressement soit assumée par le budget de l’État. Nous défendons, à l’inverse, l’idée d’un partage équitable de l’effort entre les différents niveaux d’administration publique, ce qui exige de disposer d’une vision globale des finances publiques.

En outre, le consentement à l’impôt suppose l’adhésion aux dépenses qu’il autorise : il est donc indispensable de garantir la transparence et la lisibilité du budget. Pour redresser nos finances publiques dans les prochaines années, nous devons disposer d’une information globale, fiable et compréhensible par toutes et tous.

À cet égard, nous formulons plusieurs recommandations, conçues pour être mises en œuvre sans réviser la Constitution : associer la sécurité sociale et les collectivités territoriales à l’objectif de soutenabilité des finances publiques en créant une instance de concertation pérenne et en fixant en LPFP les règles de partage des impôts et de garantie de ressources entre administrations publiques ; instaurer dans chaque assemblée une discussion générale préalable à l’examen des projets de loi de finances (PLF) et des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), portant sur les recettes publiques, leur partage et les conditions de l’équilibre des finances de l’État et de la sécurité sociale ; étendre et clarifier les lois financières, notamment les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS). Selon nous, ces derniers textes devraient être élargis aux régimes de retraite complémentaire obligatoires et à l’assurance chômage.

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À cette fin, il faudrait créer une loi de résultat de la sécurité sociale, présentée au printemps, sur le modèle de la loi de règlement.

Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, l’option d’une loi de financement des collectivités, que la Cour des comptes a envisagée par le passé, n’a pas été retenue, en tout cas pas dans ce cadre : elle imposerait de modifier la Constitution. Nous proposons plus modestement la création d’une mission budgétaire rassemblant tous les concours versés par l’État aux collectivités – crédits budgétaires, prélèvements sur recettes, remboursements, dégrèvements d’impôts locaux, etc. L’examen de cette mission deviendrait le cadre de discussion des finances locales devant le Parlement : cette formule de repli nous semble réaliste et crédible.

La troisième partie du rapport se concentre sur le cadre budgétaire de l’État. Nous nous intéressons de près au dispositif prévu par la LOLF, texte consacré avant tout à l’État.

Le premier constat, c’est l’émiettement croissant du budget de l’État, qui est tout aussi préoccupant que la fragmentation des finances publiques. À l’extérieur comme à l’intérieur de ce budget, les dispositifs dérogatoires subsistent, malgré la LOLF, et même se multiplient : dépenses fiscales, impôts et taxes affectés, fonds sans personnalité juridique, comptes spéciaux et autres budgets annexes portent atteinte aux principes fondamentaux d’unité et d’universalité du budget de l’État.

Le second constat, c’est la concentration de l’autorisation parlementaire sur les dépenses du budget général. Le rôle et le pouvoir du législateur s’en trouvent affaiblis, car les sommes échappant aux règles de contrôle et de pilotage en vigueur sont très significatives.

Pour rétablir l’unité et l’universalité budgétaires, nous proposons de compléter les missions budgétaires actuelles en élargissant l’information qu’elles fournissent. Y figureraient désormais, non seulement les crédits budgétaires, mais aussi les dépenses fiscales, les prélèvements sur recettes, les taxes affectées et, plus largement, l’ensemble des moyens déployés par l’État pour financer et soutenir une politique publique. La pertinence de l’ensemble des dérogations au droit commun budgétaire devrait être examinée de manière systématique au cours d’une période de transition de trois à cinq ans avant l’entrée en vigueur définitive d’un nouveau dispositif. Les comptes spéciaux et budgets annexes feraient l’objet d’une attention particulière.

Enfin, l’ambition initiale de la LOLF était de favoriser l’efficience de la dépense publique. Or cet objectif reste beaucoup trop marginal comparé au maintien ou à l’augmentation des enveloppes budgétaires.

Je ne peux pas me résoudre à l’idée que nous soyons le seul pays européen considérant comme négligeable la recherche de la meilleure politique au meilleur prix. Chaque jour, dans leurs achats, les Français recherchent le meilleur rapport qualité-prix. Pourquoi ne feraient-ils pas de même en tant que citoyens, contribuables et usagers du service public ?

Les bouleversements que nous traversons imposent, plus que jamais, de nous concentrer sur la qualité et l’efficacité de la dépense publique. C’est impératif pour faire face aux conséquences de la crise sur notre économie et financer les nouvelles priorités que les autorités politiques vont définir.

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Nous proposons donc d’appliquer la démarche de performance, non plus aux seuls crédits budgétaires, mais à l’ensemble des moyens des politiques publiques ; de conforter la vision pluriannuelle du budget, pour renforcer l’évaluation à moyen terme des politiques publiques en accompagnant les lois de règlement d’un bilan de l’exécution sur trois ans ; enfin, de clarifier et de renforcer la responsabilité des gestionnaires publics pour qu’ils disposent des leviers nécessaires à leurs missions, notamment en réduisant la mise en réserve générale des crédits.

En résumé, la crise actuelle nous invite à définir une nouvelle stratégie de finances publiques, qui impose un cadre organique et une gouvernance rénovés en profondeur. C’est à ce prix que le pays pourra redresser les finances publiques en préservant au mieux les politiques publiques, auxquelles les Français sont attachés, sans renoncer à de nouvelles ambitions. Cet effort ne suffira pas ; mais, sans lui, nous n’y parviendrons pas.

Nous n’appelons pas au grand soir, mais simplement au pragmatisme. Sous l’influence du cadre européen, la crise de 2008 a conduit à l’adoption d’une loi organique en 2012. Cette nouvelle crise doit nous aider à franchir une étape supplémentaire dans la construction de notre cadre de gouvernance. Les politiques publiques de demain exigeront davantage de projection dans le temps long, de coordination et de transparence. Sans ces éléments, nous ne pourrons pas relever les défis de la transition écologique, du vieillissement ou de l’adaptation de notre système de santé.

Ce rapport fournit plusieurs clefs de lecture de la situation actuelle, ainsi qu’un certain nombre de pistes concrètes pour rénover notre cadre de gouvernance financière. Nous espérons qu’il vous sera utile, ainsi qu’au Gouvernement, et nous sommes prêts à travailler avec vous sur les suites à donner à ces propositions pragmatiques et réalistes.

M. Claude Raynal, président. – Vous soulignez avec raison les problèmes auxquels nous nous heurtons. Ainsi, les lois de programmation ne durent que le temps de leur examen : l’exercice européen qui leur succède immédiatement s’inscrit lui-même en décalage. Quant à l’autorisation budgétaire du Parlement, elle est toute relative. Ces problèmes nous irritent à juste titre.

Vous relevez également une difficulté essentielle : quel que soit l’outil technique dont on se dote, l’importance de l’engagement de l’exécutif est fondamentale. À ce titre, la situation actuelle est le fruit de notre histoire ; ce sujet d’ordre politique dépasse à la fois la Haute Assemblée et la Cour des comptes.

Compte tenu d’un grand nombre de questions que mes collègues souhaitent poser, j’invite les uns et les autres à formuler leurs questions en une minute trente.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. – Monsieur le Premier président, vous avez parlé d’instruments de gouvernance et de pilotage lacunaires, d’émiettement et de fragmentation. Nous sommes dans un contexte économique et financier inédit, lié à une crise sanitaire : le moins que l'on puisse dire, c'est que les règles budgétaires fixées par le projet de loi de finances pour 2021 diffèrent notoirement de celles d'un budget préparé dans les conditions « normales ». Dès lors, il nous faut éviter d’ajouter trop de complexité au débat : cela peut nuire à sa lisibilité et masquer les carences de nos politiques de rigueur budgétaire et financière.

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En d’autres termes, si nous voulons retrouver la confiance des Français, nous avons besoin de leur dire un certain nombre de vérités et devons être au rendez-vous des obligations et des engagements que le pays prend sur l’initiative de l’exécutif. Il nous faut sortir d’un exercice purement technique, pour ne pas dire technocratique, pour retrouver cette confiance.

La gouvernance pluriannuelle des finances publiques est une déclinaison des règles européennes. Or une réflexion sur la refonte des règles budgétaires européennes est en cours. Dans ce contexte, n’est-il pas prématuré de réviser le cadre organique de la gouvernance nationale des finances publiques ? Si l’on engage cette réforme dans le même temps que celle qui est prévue au niveau européen, dans quel ordre doit-on procéder et en suivant quels objectifs ?

S’agissant ensuite de la programmation pluriannuelle des finances publiques, vous proposez d’examiner les écarts à la trajectoire pluriannuelle au printemps, au moment de l'examen du projet de loi de règlement. Nous pensons pour notre part qu’il faudrait par ailleurs avancer cet examen. Nos prédécesseurs, président et rapporteur général de la commission des finances, avaient envisagé la transformation de la loi de règlement en une loi d’exécution et de programmation des finances publiques, qui aurait le mérite d’inclure l’ensemble des administrations publiques et d’actualiser justement les trajectoires des finances publiques prévues par le Gouvernement. Cette proposition correspond-elle à ce que vous préconisez ?

Enfin, vous proposez d’instaurer, au milieu de l’année, un moment de cadrage des grands équilibres des textes financiers, mais aussi d’organiser une discussion générale sur les recettes publiques, préalablement à l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Que penseriez-vous de l’idée de discuter, dès le mois de juillet par exemple, d’une loi fiscale qui regrouperait les principales mesures relatives aux prélèvements obligatoires envisagées par le Gouvernement ? Là encore, nos prédécesseurs avaient défendu cette proposition dans les débats préalables à la révision constitutionnelle. Un tel texte permettrait de donner davantage de temps au Parlement pour examiner des dispositifs souvent complexes, de faciliter et d'améliorer la visibilité des mesures fiscales à venir, tant pour les Français en tant que contribuables que pour les entreprises.

Mme Sophie Taillé-Polian. – Ce rapport se situe dans la continuité de ce que la Cour des comptes recommande depuis de longues années. Même si vous affirmez, monsieur le Premier président, que cette vision n'est pas politique, nous savons bien qu'elle l’est. Il serait d'ailleurs préférable que vous l’assumiez un peu plus.

Je vois une difficulté majeure dans la façon dont vous entendez mettre à l'agenda les débats sur la dette, et quasiment exclusivement sur la dette. À mon sens, il faudrait également discuter des questions sociales et, pour rester sur les aspects financiers, s’interroger sur la meilleure manière de prendre en compte les externalités environnementales. On peut tout à fait intégrer dans la comptabilité privée, mais aussi dans les indicateurs publics, dans notre pilotage budgétaire, les réalités extrafinancières qui pèseront sur les finances publiques, et qui pèsent déjà sur celles-ci. Comment faire pour élaborer des politiques et des stratégies financières qui prennent en compte cette dimension environnementale ? Votre rapport est hélas totalement muet sur ces sujets, alors qu’une nouvelle stratégie des finances publiques doit absolument s'appuyer sur ces éléments.

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M. Didier Rambaud. – En tant que rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'État » ces trois dernières années, j'ai observé que le rôle du Haut Conseil des finances publiques suscitait chaque année des interrogations, voire des velléités de remise en cause. Je note votre volonté d'élargir le mandat du HCFP ; j'espère que cette mesure répondra aux observations que j’ai pu entendre.

Vous recommandez de transformer la loi de financement de la sécurité sociale en une loi de protection sociale obligatoire élargie aux régimes de retraite complémentaire obligatoires et à l'assurance chômage. Étant donné les différences de format et, parfois, de qualité entre les jeux de données de certains régimes et ceux des comptes de la sécurité sociale, sous quelles conditions pensez-vous qu'une telle réforme pourrait voir le jour ? Dès lors que vous souhaitez réformer la loi de financement de la sécurité sociale dans un cadre constitutionnel inchangé, pensez-vous que l'examen d'un texte à ce point élargi pourrait tenir dans le délai de cinquante jours prévu par la Constitution ?

Mme Isabelle Briquet. – Monsieur le Premier président, la technicité qu'engendre la LOLF rend peu lisibles les très nombreux documents soumis à notre examen. Par exemple, le bleu budgétaire consacré aux collectivités territoriales retrace seulement 40 % des flux financiers entre l'État et les collectivités.

La Cour des comptes a proposé des pistes d'amélioration à ce sujet, mais ne faudrait-il pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas imaginer une loi de financement des collectivités territoriales ? Vous l'avez d'ailleurs évoqué tout à l'heure en parlant de la difficulté d’engager les révisions constitutionnelles qui en découleraient.

Je souhaite ensuite parler de la loi de règlement, car on n'accorde pas suffisamment d'importance à l'exécution budgétaire. Tous les élus locaux le constatent chaque année : comparaison n'est certes pas raison, mais le vote du compte administratif est un moment important sur le plan tant budgétaire que politique dans les collectivités locales, car il porte sur le contrôle de l'exécution de ce que les élus ont voté précédemment. J'ai lu avec attention votre proposition concernant la loi de règlement. Ne faudrait-il pas là encore aller plus loin et renforcer sa place, en donnant au Parlement davantage de temps pour l’examiner, afin d'en approfondir le contrôle ? Ce contrôle ne pourrait-il pas se faire par mission ?

Sans parler de règle d'or, n’estimez-vous pas souhaitable d'opérer une distinction entre les dépenses qui relèvent du fonctionnement et celles qui relèvent de l'investissement, pour plus de clarté et de lisibilité ?

Enfin, ne serait-il pas judicieux de sortir certaines dépenses des critères européens comme, par exemple, celles qui concernent les opérations extérieures (OPEX) ?

M. Jean-François Rapin. – Monsieur le Premier président, en tant que rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », je m’interroge sur la façon dont les crédits dédiés à la recherche s’insèrent dans le dispositif présenté dans le rapport synthétique, même si j'imagine qu'ils sont répartis entre enseignement et services généraux. J'aimerais comprendre comment sont intégrés les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST). Je déplore chaque année le manque de lisibilité de ce budget.

Ma deuxième remarque a trait aux fonds européens. On sait très bien qu'un plan de relance sera bientôt lancé à l’échelon européen : il faudra à mon avis distinguer les fonds

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3658 qui émanent de l’Europe de ceux qui viennent de l’État français. L’exécutif a parlé d'un plan de relance de 100 milliards d'euros, ce qui était faux, puisque l'on sait très bien que 40 milliards d’euros proviendront de l'Europe.

Troisième et dernière remarque, vous avez parlé des lois de programmation. Il conviendrait d’éclaircir là encore l’éternel débat entre euros constants et euros courants, afin de regagner ce dont M. Husson parlait tout à l’heure, à savoir la confiance des Français.

M. Éric Bocquet. – Monsieur le Premier président, le rapport Pébereau de 2005 contenait déjà les mêmes recommandations que celles que vous formulez alors que, à l'époque, la dette du pays atteignait 66 % du PIB. M. Pébereau appelait déjà à la nécessité de parvenir à un budget à l'équilibre d'ici à 2010 : sans commentaire !

Cela fait des années que l'on entend le même discours. Le sujet n’est pas technique, mais fondamentalement politique, y compris celui sur la dette. Le débat sur la dette est en effet indispensable dans les années à venir. Mais arrêtons de dire que son nécessaire remboursement est un propos plein de bon sens : un État n'est pas un ménage !

Pour garantir un véritable débat démocratique, admettez au moins qu'il existe des options alternatives en ce qui concerne la gestion de cette dette. Aujourd'hui, la Banque centrale européenne (BCE) détient 25 % des titres de dette des États membres de l'Union européenne, soit 3 800 milliards d’euros. Si la BCE les annulait, cela ne lèserait aucun créancier. Je rappelle que, le 27 février 1953, l'Allemagne a bénéficié d'une réduction de 60 % de sa dette en accord avec ses créanciers : c'est donc possible ! Tandis que nous vivons une période exceptionnelle, historique, inédite, le discours que j'entends ce matin est le même que celui que l'on entend depuis des décennies.

Je déplore par ailleurs que la commission Arthuis ne comporte aucun parlementaire, alors qu’on y trouve une ancienne ministre de la santé, une ancienne dirigeante du Medef et une ancienne de Goldman Sachs.

Enfin, vous préconisez de créer une instance pérenne pour veiller à la maîtrise de la dépense publique et des finances publiques. D’accord, mais que manque-t-il aujourd'hui à l'arsenal que nous avons à notre disposition : Bercy, les marchés financiers, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le Haut Conseil des finances publiques, la Cour des comptes ? Qu'est-ce qu’apportera cette nouvelle instance à l'arsenal d'un Parlement dont le rôle est déjà très limité, à cause de l’article 40 de la Constitution notamment ?

M. Claude Raynal, président. – Je précise que le Parlement s’est interrogé sur l’opportunité de contribuer aux travaux de la commission Arthuis, et a finalement considéré qu’il serait malencontreux, voire dangereux d’engager sa responsabilité au travers de cette instance. Notre rôle consiste plutôt à nous positionner sur les recommandations formulées par ce type d’instance.

M. Vincent Delahaye. – Dans une démocratie, ce sont les élus qui doivent avoir le pouvoir. Contrairement à ce qu'a dit M. le Premier président, je crains malheureusement que nous ne soyons pas des décideurs. En revanche, nous pourrions être de meilleurs contrôleurs. Plutôt que d'élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques – j’étais et je reste défavorable à sa création –, je pense qu’il faudrait renforcer les moyens à notre disposition pour exercer un contrôle plus efficace des finances publiques.

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Je suis en outre assez favorable aux revues de dépenses. Qui les piloterait ? Seront-ce les parlementaires, comme je le souhaite ?

Enfin, concernant les collectivités locales, j'ai bien noté votre souhait de créer une nouvelle mission budgétaire sur les concours de toute nature de l'État. Toutefois, je considère que cette mission devrait également inclure les contributions des collectivités locales à l'État, comme la TVA par exemple.

M. Michel Canevet. – Je remercie le Premier président de la Cour des comptes pour les éléments d'analyse qu'il a bien voulu nous communiquer.

Vous nous rappelez notamment que nous n’avons jamais respecté les lois de programmation des finances publiques, et que la France est la championne des pays analysés dans le rapport pour ce qui concerne les dépenses de sécurité sociale.

Vous faites donc le constat de l'inefficacité des lois de programmation des finances publiques : plutôt que de les maintenir, ne serait-il pas préférable de tracer les perspectives budgétaires jusqu’à n+3 dans les lois de finances, de sorte à disposer d’une programmation véritablement pluriannuelle ?

Vous évoquez également l'idée de regrouper les dépenses relatives aux collectivités territoriales, ce qui me semble une approche effectivement intéressante. À défaut d'une loi de financement des dépenses locales spécifique, que préconisez-vous ? Ne faudrait-il pas un examen plus approfondi que celui qui découle d'une mission budgétaire classique, dans la mesure où ce budget constitue un enjeu considérable pour nos finances publiques, puisqu’il représente tout de même la moitié des dépenses de l'État ?

Enfin, comme d’autres, je m'interroge sur votre recommandation de créer une instance pérenne de concertation. Il me semble qu’il existe suffisamment d'outils à notre disposition aujourd'hui.

M. Roger Karoutchi. – Pour ma part, je considère que tous les gouvernements, de gauche et de droite, ont échoué. Par ailleurs, le Parlement n’a plus le pouvoir dont il devrait disposer au niveau financier. Nous n’avons plus le véritable contrôle des impôts ni de la dépense budgétaire. Depuis trente ou quarante ans, on nous explique qu’il faut réformer le système, et cela ne marche pas.

La seule réalité, c’est l’obligation, la contrainte. Nous avons échoué à inscrire la règle d’or dans la Constitution, ce qui aurait été une obligation incontournable. J’estime que les pouvoirs du HCFP doivent être renforcés. Je suis favorable à une loi de programmation pluriannuelle et à l’idée que le HCFP ait le pouvoir de sanctionner le Gouvernement s’il sort de ce cadre. Ne rêvons pas, les majorités parlementaires sont à la disposition du Gouvernement !

Monsieur le Premier président, je vous demande vraiment, au-delà de la nécessité de contrôler mieux et de faire plus, de trouver un système contraignant le Gouvernement à ne plus pouvoir s’exonérer des votes du Parlement et de ses obligations.

M. Gérard Longuet. – Cela s’appelle la vie parlementaire.

M. Pierre Moscovici. – Je m’efforcerai de répondre à toutes ces questions, bien que certaines d’entre elles sortent du cadre du rapport qui est présenté ce matin.

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Vous avez raison de souligner que les règles de l’Union européenne doivent être modifiées. Si on ne dispose pas de règles en matière de finances publiques, on peut s’affranchir de tout. J’ai pu constater en tant que ministre des finances et commissaire européen que les règles de l’Union ne sont plus adaptées. Nous allons vivre pendant dix ans avec une dette publique qui sera au mieux supérieure à 100 % du PIB, et le niveau de déficit restera, au moins jusqu’en 2025, supérieur à 3 %.

Il y a un besoin de cohérence avec les règles de l’Union européenne. La Cour des comptes, notamment dans son rapport du mois de juin, a mis en évidence deux angles : la dette publique d’un côté, et la dépense publique et sa qualité de l’autre, lesquels ont été confirmés depuis lors par le European Fiscal Board. Ce que nous proposons est cohérent avec les dispositions actuelles et je ne vois pas la nécessité d’attendre : il s’agit de mettre en œuvre les règles de notre propre maison, en même temps que nous faisons évoluer les règles européennes.

Ce que vous avez évoqué permet de souligner des points de vue différents avec la Milolf ; je pense notamment à la temporalité. Les trois temps forts actuels des finances publiques ont leur raison d’être et méritent d’être approfondis.

Le mois d’avril, c’est le temps de l’exécution et de la performance, que nous proposons de renforcer avec une loi de résultats de la sécurité sociale au printemps. Le rapport sur le budget de l’État (RBDE) de la Cour des comptes restera publié au moment du dépôt de la loi de règlement. Des dispositions ont été prises pour que sa publication soit avancée l’an prochain à la mi-avril. Le mois d’avril, c’est aussi le temps du programme de stabilité : nous approuvons l’idée qu’il fasse systématiquement l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement – vous le savez, le calendrier est serré, car ce programme doit être envoyé fin avril aux institutions européennes.

Les mois de juin et de juillet correspondent au cadrage des grands équilibres des textes financiers, à l’occasion du débat d’orientation des finances publiques. Il s’agit alors de faire le point sur l’exécution de l’année en cours. Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques intervient en juin, et permet depuis une quinzaine d’années de faire le point sur ces éléments de cadrage et de prévision. Ce pourrait aussi être celui du débat portant sur la soutenabilité de la dette publique.

Enfin, les lois financières sont présentées aux mois de septembre et d’octobre.

Nous pensons que ces trois temps ont toute leur pertinence.

Vous évoquiez, monsieur le rapporteur général, l’idée d’une distinction entre des lois fiscales, en juillet, et des lois de finances en matière de dépenses à l’automne. Selon nous, la question de l’équilibre budgétaire devrait être traitée à l’automne. Nous préférons garantir l’unité de la loi de finances en examinant ensemble les recettes et les dépenses. En contrepartie, il faudrait limiter assez drastiquement les mesures fiscales dans la loi de finances rectificative de fin d’année.

La Cour des comptes avait déjà recommandé en 2014 l’adoption d’une loi de financement des collectivités locales. Une telle évolution supposerait toutefois de réviser la Constitution : il n’est certes pas impossible de l’envisager pour la suite, mais c’est une décision politique. La Cour propose plutôt de regrouper l’ensemble des transferts financiers de l’État au bénéfice des collectivités locales au sein d’une nouvelle mission « Relations avec

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3661 les collectivités territoriales » – chacune des catégories de transferts financiers garderait sa nature propre, sans fongibilité entre elles. Cela permettrait d’avoir une discussion générale sur les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales.

L’élargissement de la loi de financement de la sécurité sociale se limiterait, selon nous, aux régimes complémentaires de retraite ou à l’assurance chômage. Il paraît raisonnable de le faire en cinquante jours. L’examen du PLFSS est très long en France, en comparaison à d’autres pays qui passent plus de temps à examiner le projet de loi de règlement.

Faut-il sortir certaines dépenses des critères européens, pour ce qui concerne les OPEX, la recherche ou l’éducation par exemple ? Pour le moment, notre priorité est d’avoir des cibles de dépenses globales, sans exception.

Pour ce qui concerne la Conférence nationale des finances publiques, les dispositifs de concertation ont montré leur efficacité, notamment en Allemagne et en Espagne, où des mécanismes ont été mis en place pour assurer la convergence de tous les acteurs vers l’objectif d’équilibre des finances publiques à moyen terme. En 2021, plus que jamais, la soutenabilité financière relève d’une responsabilité collective. C’est pourquoi la Cour propose qu’une instance de concertation soit convoquée en amont du dépôt d’une loi de programmation des finances publiques et annuellement en début de procédure budgétaire. Cette instance n’aurait pas vocation à se substituer au rôle du Parlement, mais vise bien au contraire à ce que l’État, les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale identifient les arbitrages pouvant être rendus entre les sous-secteurs d’administration publique.

Le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) permet de compenser en partie la TVA payée par les collectivités sur leurs investissements.

Nous souhaitons qu’il existe un programme de revue de dépenses, articulé avec chacune des LPFP. Elles peuvent être réalisées par le Gouvernement – par des corps de contrôle par exemple –, ce qui n’empêche pas le Parlement de jouer un rôle particulier en la matière. Les revues de dépenses seraient l’une des composantes nécessaires d’un examen allongé de l’exécution budgétaire, que nous appelons de nos vœux. Cette pratique est assez largement répandue dans les pays de l’Union européenne.

J’en viens aux deux questions politiques posées par les sénateurs Karoutchi et Bocquet.

Il est évident que le débat sur la dette doit être pluraliste. Un débat qui n’est pas pluraliste n’est plus un débat : c’est un monologue, un acte d’autorité. La situation est en réalité plus complexe qu’elle ne le fut. Au début de la crise financière, la BCE n’intervenait pas du tout de la même façon qu’aujourd’hui. Avec le fameux « whatever it takes » de Mario Draghi à l’été 2012 sont arrivés les grands programmes d’injection de liquidités et la baisse des taux – jusqu’à des taux d’intérêt négatifs. Mais tout cela était absolument inenvisageable avant ; la BCE a fait évoluer son rôle de manière considérable.

D’ailleurs, le plan de relance européen de l’été dernier comprend, pour la première fois, une mutualisation limitée de la dette publique. Ne faisons donc pas comme s’il n’y avait pas de discussion. Toutefois, ce débat doit être réaliste et doit tenir compte de l’annulation de la dette notamment. Il y a toujours quelqu’un qui finit par la payer : les épargnants. La BCE, ce n’est pas que nous, les Français : ni dans son mandat ni dans sa

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3662 composition. Aussi, la perspective d’une annulation de la dette ne peut exister ! On peut demander inlassablement l’annulation de la dette – c’est arrivé une fois, comme vous l’avez dit –, la BCE ne peut tout faire.

De la même façon, la dette publique ne sera pas intégralement mutualisée, pas davantage qu’elle ne sera annulée ou monétisée. Regardez plutôt le temps qu’il a fallu au moment du Conseil européen pour parvenir à cette avancée considérable, quoique limitée. Nous n’avons pas eu de « moment hamiltonien » de la construction européenne, et nous n’en sommes donc pas à un fédéralisme budgétaire, loin de là… Tout cela nous conduit à admettre que la dette doit être remboursée, au moins en partie, et qu’il nous faut une trajectoire soutenable de la dette publique. Madame Taillé-Polian, c’est dans ce cadre-là que nous pourrons traiter les grandes questions que sont la transition écologique, le vieillissement de la société et l’évolution du système de santé. Si l’on ne retrouve pas des marges de manœuvre, la dette finira par les absorber. Le jour où les taux d’intérêt vont remonter – cela arrivera –, c’est notre capacité à financer nos politiques et nos services publics qui sera remise en cause. C’est pourquoi le débat sur la dette n’est ni de droite ni de gauche, c’est une question d’intérêt général. Il faut le mener avec le pluralisme et le réalisme nécessaires.

Je suis profondément en accord avec Roger Karoutchi. Lorsque j’avais présenté la loi organique en décembre 2012, nous avions eu un débat sur la règle d’or. Des mécanismes permettant d’assurer l’équilibre des finances publiques à moyen terme ont été mis en place partout en Europe. Je comprends que certains d’entre vous ne croient pas en cette instance qu’est le HCFP, mais c’est un instrument indispensable pour le Parlement. Plus le HCFP pourra délivrer des analyses et mettre en place des mécanismes efficients, plus le contrôle parlementaire retrouvera son sens. Il ne s’agit pas d’être contre l’exécutif – c’est d’ailleurs tout l’intérêt pour le Gouvernement d’avoir une instance indépendante. D’ailleurs, le HCFP compte des personnalités qualifiées nommées par les deux assemblées, dont l’ancien sénateur Éric Doligé, nommé par le Président du Sénat. Je propose que son mandat soit élargi afin que l’on puisse apprécier les prévisions en matière de finances publiques et, s’il le faut, réduire les écarts et corriger les trajectoires, mais aussi débattre de la dette publique. Ne nous y trompons pas, il pèche non pas par excès de mandat ou de moyens, mais par insuffisance. C’est d’autant plus marquant si on le compare à nos voisins européens.

Je rappelle que la création du HCFP a été une réponse à la demande d’énoncer une règle d’or. Au vu de la situation dans laquelle nous nous trouvons, il conviendrait d’en élargir le mandat pour créer une véritable instance de débat, avec une expertise indépendante beaucoup plus forte.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. – Les établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST), dont une partie seulement du budget figure dans la loi de finances, sont le symbole même de l’éclatement budgétaire que la Cour des comptes critique dans ce rapport.

Nous devons combiner deux éléments contradictoires : d’une part, accorder aux universités une autonomie dans leur fonctionnement, leur donner des moyens et les soutenir dans leurs dépenses de personnel, et d’autre part, assurer une unité budgétaire. Nous sommes confrontés à cette dualité dans le cadre du travail que nous effectuons, pour le compte du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, sur les relations entre l’État et les opérateurs : les opérateurs sont utiles, et dans le même temps, ils créent une sorte de biais dans la compréhension du budget. C’est pourquoi nous préconiserons d’avoir une vision globale plus claire des emplois publics et des moyens qui leur sont confiés.

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M. Claude Raynal, président. – Il ne nous a pas échappé que vous êtes attaché au HCFP, monsieur le Premier président, car vous nous en avez déjà parlé à trois reprises depuis votre nomination.

M. Jérôme Bascher. – Je me souviens qu’Alain Lambert et Didier Migaud avaient dit que la loi de règlement était la plus importante. Aujourd'hui, quasiment plus personne ne se souvient de l’architecture budgétaire que nous avons connue par le passé, il n’y avait aucun indicateur – il en est autrement avec la LOLF.

Auparavant, le débat d’orientation des finances publiques s’intitulait « débat d’orientation budgétaire », avant la création du ministère des comptes publics et la réforme de 2012. Mais ce débat ne pourrait-il pas devenir la loi de programmation que vous appelez de vos vœux ?

Compte tenu de la diversité des comptabilités des EPST, des hôpitaux, etc., ne conviendrait-il pas de clarifier tout cela ?

Vous avez renoncé à la règle d’or en 2012. Mais c’est un sujet de réforme que vous avez totalement omis dans votre rapport, que j’ai d’ailleurs lu intégralement.

En ce qui concerne le HCFP, j’ai moi-même plaidé dans un de mes rapports en faveur de l’évolution de son mandat sur le volet des dépenses et pour ce qui concerne la dette. En revanche, vous affirmez dans votre rapport que l’évaluation des recettes allongerait le délai d’instruction. Or nous avons pu le constater cet hiver, et cela a fait l’objet d’une observation extrêmement sévère du HCFP, vous n’avez pas été capable d’évaluer l’incidence des nouvelles prévisions de croissance du Gouvernement, faute de scenario économique complet. C’est le Parlement qui devrait être doté de moyens d’évaluation plus amples. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Dallier. – Je suis très heureux que le HCFP existe et suis favorable au renforcement de ses moyens. Mais jusqu’où ?

Il faut aussi de nouveau poser la question de la règle d’or : on a beau inscrire toutes les règlementations et essayer d’encadrer le Gouvernement lorsqu’il présente son budget, rien ne nous ramènera dans une trajectoire de finances publiques acceptable si derrière il n’y a pas de volonté politique.

Nous pourrions évidemment réviser la Constitution pour y inscrire que tout budget doit être présenté en équilibre, mais nous savons bien que c’est aujourd’hui impossible. Quelle forme de règle d’or pourrions-nous donc nous imposer ? Pourquoi d’ailleurs ne pas le faire pour une période transitoire, compte tenu de vos observations sur la durabilité du déficit dans les prochaines années ? Car si on laisse la tendance se poursuivre, on finira comme la Grèce !

M. Claude Raynal, président. – C’est une vision très optimiste…

M. Vincent Capo-Canellas. – Les propositions que vous avez formulées, monsieur le Premier président, essaient d’être pragmatiques et vont dans le bon sens.

Il y a un problème de calendrier pour ce qui concerne l’examen du PLF et de définition du périmètre des missions. Sur la mission « Écologie » par exemple, on peut constater qu’il est difficile d’aborder un grand nombre de sujets divers – transports, biodiversité, rénovation thermique, carburants, etc. – en moins d’une après-midi. Alors qu’il conviendrait de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3664 lutter contre le morcellement et d’améliorer le contrôle, certaines missions restent trop larges dans leur périmètre. De plus, le Parlement travaille à marche forcée à la fin de l’année.

Vous dites également dans votre rapport qu’il faut aborder les taxes affectées en première partie – ce ne peut être d’ailleurs fait différemment, puisque cela a un impact sur le niveau des recettes –, tout en affirmant qu’il est nécessaire de procéder à un vote dans le cadre de la deuxième partie. Bien que je comprenne votre pragmatisme, je ne vois pas comment cela peut fonctionner.

Aussi, vous incluez les budgets annexes – comme le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA), dont je suis le rapporteur spécial – dans les simulations d’une nouvelle mission budgétaire « Écologie », et recommandez plus loin de les supprimer. La Cour des comptes a déjà affirmé que les budgets annexes ont un aspect déresponsabilisant pour l’évolution des crédits budgétaires : quand cela va mal, ils font de la dette, mais, dans le cas contraire, ils se servent de l’activité.

Peut-être faut-il lire ici ce que vous avez écrit en creux, en tenant compte de la Milolf et de la position de la Cour des comptes, et considérer qu’il faille créer des établissements publics ? Vous ai-je bien compris ?...

M. Sébastien Meurant. – On a tendance à oublier que l’argent public est celui des contribuables. La base de la démocratie est le consentement à l’impôt et le vote de la dépense publique. Or nous votons depuis des décennies des budgets qui sont en déséquilibre, avec une dépense publique qui est devenue folle.

À travers l’histoire, on peut observer que la dette finit toujours par se rembourser. Mais vous parlez de réalisme. Pourtant aujourd’hui, on déverse de l’argent qui ne repose sur aucune richesse concrète. On nous dit que l’argent magique n’existe pas, mais l’on peut tout de même se poser des questions…

On peut s’inquiéter d’un problème démocratique et d’un déséquilibre au détriment du Parlement, qui certes vote les textes, mais est largement défaillant dans sa mission de contrôle des dépenses publiques. La question de la consolidation des budgets liés aux différentes missions est loin d’être réglée, et les rapports de la Cour des comptes restent, pour beaucoup, lettre morte, dans la mesure où le Gouvernement ne donne pas suite. Ainsi, en 2017, la Cour avait chiffré la fraude aux retraités centenaires étrangers à plus de 200 millions d’euros par an. Qu’a fait l’administration ? De même, dans un rapport du 8 septembre 2020, concernant la fraude aux prestations sociales, la Cour indique que 7,7 millions de bénéficiaires de retraites sont nés à l’étranger. Là encore, quelle suite a été donnée aux recommandations de ce rapport ?

Par ailleurs, il revient au Parlement de suivre et de contrôler les revues de dépenses.

M. Patrice Joly. – Les cadres juridique et budgétaire ne sont pas définis hors contexte politique et idéologique. Nous ne parlons pas que de technique, nous adoptons aussi des prismes qui orientent notre réflexion. Le vocabulaire utilisé n’est pas non plus neutre : à cet égard, évoquer le « poids » de l’État, ce n’est pas parler de la « part » de l’État, et il y a une différence entre la « maîtrise » des dépenses et la « gestion » ou le « pilotage » de celles-ci.

Le prisme des dépenses révèle aussi une certaine connotation dans les approches. Les revues de recettes sont tout aussi importantes et méritent des débats, compte tenu des enjeux de fraude et de justice fiscales, mais aussi d’acceptabilité de l’impôt.

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On vous rejoint, bien évidemment, sur les enjeux démocratiques et sur l’application des principes d’unité et d’universalité qui permettraient d’améliorer la transparence de la gestion publique, et donc le contrôle des assemblées. L’approche pluriannuelle est un enjeu qu’il faudra maîtriser dans les années à venir.

Il me semble que le réalisme des prévisions n’est pas à la hauteur des résultats. Ce cadre idéologique de la contrainte financière fait que l’on a tendance à prévoir moins de dépenses que ce que l’on sait nécessaire. On ne peut pas balayer d’un revers de la main, monsieur le Premier président, la question de l’annulation de la dette : des économistes sérieux, des prix Nobel s’interrogent. On le sait, une partie de la dette est détenue par les banques centrales, celles-ci étant détenues à leur tour par les États.

M. Vincent Segouin. – Je fais le même constat que mes collègues sur la règle d’or, surtout au moment où l’on propose l’inscription de l’écologie dans la Constitution. La règle d’or est un outil simple et efficace, qui n’entraînera pas de dépenses supplémentaires, et permettra de regagner la confiance des citoyens.

La Cour des comptes a beaucoup d’influence sur les collectivités, mais très peu sur l’État. C’est une dérive qui s’aggrave d’année en année.

M. Marc Laménie. – Merci, monsieur le Premier président, pour votre analyse pédagogique. On parle partout de simplifier, alors que l’on s’aperçoit en réalité que tout est complexe. On l’a encore vu cet automne, avec l’examen de trente-cinq missions budgétaires au moins. Sur le terrain, les moyens humains diminuent, alors que la dette et le déficit budgétaire progressent. Quand cessera cette réduction des services de proximité de l’État ?

M. Charles Guené. – Étant moi-même militant depuis plus d’une décennie pour une nouvelle gouvernance des finances publiques, j’apprécie particulièrement vos propos, monsieur le Premier président.

La trajectoire des finances publiques fait aujourd’hui seulement l’objet d’une gentille causerie à laquelle nous pourrions participer un peu plus. La structure de nos finances publiques est en train d’évoluer très rapidement : fiscalité locale, qui ressemble plutôt à des parts d’impôts nationaux, évolution du budget de la sécurité sociale, inclusion de la fiscalité environnementale, etc. Mais nous n’avons aucune visibilité, et ne bénéficions que de réformettes, au coup par coup. Quelle idée avez-vous d’une nouvelle gouvernance ?

Pour ma part, je ne peux pas imaginer une nouvelle gouvernance – entre les collectivités, le Parlement et l’État – sans que les collectivités locales soient intéressées par la dette. Pourquoi seul l’État s’en préoccupe-t-il ?

On constate que vos préconisations sont considérées par Bercy comme des irritants. Quelles chances d’aboutir avez-vous ?

M. Emmanuel Capus. – Dans le prolongement des travaux de la commission Arthuis, quel est votre sentiment, monsieur le Premier président, sur la délimitation de la dette liée à la covid-19 ? N’a-t-on pas à l’avenir intérêt à l’isoler ?

Nous avons été confrontés à une situation totalement inattendue et exceptionnelle. Personne n’a donc pu imaginer que notre dette augmenterait à ce point en si peu de temps ; nous ne restons d’ailleurs pas à l’abri du développement d’autres épidémies à l’avenir…

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M. Pierre Moscovici. – Ce débat montre l’intérêt que votre assemblée attache au sujet, et la très grande acuité des questionnements constitue pour nous un encouragement.

La Cour des comptes est une grande institution de la République à portée constitutionnelle. Nous souhaitons qu’elle soit plus forte encore, et je prendrai des initiatives en ce sens dans le cadre du chantier de transformation de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes que j’ai lancé.

Le suivi de nos recommandations est assez important. Nous participons au débat public, mais nous ne pouvons pas nous substituer aux décideurs. Nous faisons donc des propositions qui ont pour objectif, non pas d’irriter, mais de faire avancer le débat démocratique ainsi que l’efficience et la qualité des finances publiques.

Le débat d’orientation budgétaire des finances publiques est annuel. La LPFP doit avoir une durée suffisante – de quatre à cinq ans –, la loi d’orientation des finances publiques doit permettre d’analyser les écarts entre la LPFP et la situation annuelle, et d’orienter la préparation des transferts financiers des textes de l’automne.

Il est vrai qu’il y a des comptabilités multiples. L’État, la sécurité sociale et les budgets locaux ont leur compte propre. Comme cela est source de complexité technique, il faut donner des éléments de réconciliation. Tel est le sens de l’objectif de décliner les dépenses des administrations publiques par sous-enveloppe, dans leur comptabilité propre, par souci d’une plus grande cohérence.

Nous insistons beaucoup sur l’importance des lois de règlement, sur le temps que nous devons y consacrer et la force qu’elles doivent avoir.

S’agissant de la règle d’or, est d’ores et déjà prévu, depuis 2008, à l’article 34 de la Constitution un objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. La forme la plus aboutie d’une règle d’or serait d’assurer la suprématie des lois de programmation des finances publiques sur les lois de finances. Je rappelle qu’une réforme constitutionnelle a été votée dans les mêmes termes par les deux assemblées en 2011.

La règle d’or peut aussi être un mécanisme d’or : le HCFP y participe d’ailleurs. Il est de l’intérêt du Parlement et des citoyens de renforcer son mandat, car c’est une instance de débat. Faut-il élargir son mandat aux recettes ou aux dépenses ? Le problème n’est pas le délai, mais d’être saisi dans les bons délais. Cela nous a conduits, dans notre dernier avis, à manifester notre sentiment de frustration face à des décisions prises, car nous n’avions été que partiellement.

M. Claude Raynal, président. – Nous vous comprenons parfaitement, pour l’avoir vécu !

M. Pierre Moscovici. – En ce qui concerne l’articulation avec la première partie, nous proposons de mettre en place de nouvelles missions plus globales, sans bouleverser l’organisation actuelle du vote du budget, mais pour compléter l’information du Parlement lors du vote des moyens de chaque politique publique. Nous proposons donc que les taxes affectées soient récapitulées dans une nouvelle mission budgétaire, car il s’agit d’une composante à part entière des moyens consacrés par l’État aux politiques publiques.

Nous avons proposé que l’examen de nouvelles missions soit l’occasion de confirmer annuellement, par un vote, l’affectation de cette taxe aux opérateurs. Sur les

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3667 plafonds d’emplois du ministère et des opérateurs, nous souhaitons maintenir la répartition actuelle entre la première et la deuxième parties.

L’examen de la mission « Écologie », bien qu’il soit bref, s’appuie sur de nombreux rapports, et il est d’ailleurs plus long que dans la plupart des autres pays. L’accent devrait être mis sur l’exécution du budget de l’État, et des revues de dépenses.

Il est vrai que la structure des dépenses et des recettes a beaucoup changé : c’est bien l’objectif du débat général que nous proposons en amont de l’examen du PLF et du PLFSS, sur l’évolution des recettes, le partage des recettes et in fine l’équilibre.

Concernant la dette de la covid, nous avons eu l’occasion de nous exprimer pour la première fois dans le chapitre « Finances publiques », et nous sommes très dubitatifs sur le cantonnement de cette dette. Je pense que la commission Arthuis sera également prudente. Si nous décidons de reconnaître l’existence d’une dette liée au covid-19, cela signifie que nous reconnaissons qu’elle doive être remboursée, ce qui s’apparenterait à un acte de bonne gestion. Mais le danger serait de considérer qu’il existe une dette à part : bien qu’elle ait une cause sui generis, cela reste de la dette.

Nous exprimons donc une forme de scepticisme à ce stade, en comprenant qu’il y a des arguments pour et des arguments contre. Nous nous inscrirons dans ce débat le moment venu, notamment à l’occasion du rapport public annuel.

M. Christian Charpy. – J’ajoute que, avant la LOLF, il y avait six budgets annexes, contre deux actuellement. L’exception budgétaire que constituent ces budgets ne nous paraît pas raisonnable. Le budget annexe « Publications officielles » ne présente pas de difficulté, mais le BACEA est un peu plus complexe, en ce qu’il finance des opérations commerciales et des opérations régaliennes, ce qui nous semble contraire à la LOLF. Il faudrait probablement créer un établissement public, auquel on confierait à la fois des fonctions commerciales et des fonctions régaliennes. Ou bien peut-être conviendrait-il de séparer les choses, conformément à ce que la Cour des comptes a exprimé à certaines périodes. Mais la séparation est aussi difficile à réaliser. C’est un sujet en devenir.

M. Claude Raynal, président. – Je vous remercie, monsieur le Premier président, de la qualité et de la clarté de vos propos. Je le répète, nous avons bien compris l’intérêt que vous portez au renforcement du HCFP. Nous aurons sans doute l’occasion d’en débattre à l’avenir. Merci également à M. Christian Charpy.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne M. Jean-François Husson rapporteur du projet de loi n° 3734 (A.N. XVe lég.) autorisant l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom.

La commission désigne M. Vincent Delahaye rapporteur du projet de loi n° 688 (2019-2020) autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la

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République française et le Gouvernement de la principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.

Questions diverses

M. Claude Raynal, président. – Je souhaite informer la commission que le comité institué par l’article 8 de la loi n° 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet se réunira prochainement pour examiner la gestion et l’utilisation des fonds recueillis.

Notre collègue et ancien président Vincent Éblé, rapporteur spécial des crédits de la mission « Culture », me représentera à ce comité, qui réunit également le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et de la culture ou leurs représentants.

La réunion est close à 12 heures.

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COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE

Mardi 12 janvier 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 18 h 15.

Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

M. François-Noël Buffet, président. – Nous auditionnons aujourd'hui M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.

Monsieur le Ministre, avant de vous laisser la parole pour évoquer la proposition de loi sur la sécurité globale, je formulerai deux interrogations.

Trois décrets du 2 décembre 2020 ont modifié les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel en permettant de recueillir des données relatives à l’appartenance syndicale, aux activités politiques, aux convictions philosophiques et religieuses, mais également les identifiants sur les réseaux sociaux et certaines données de santé, ceci au nom de la sécurité publique ou de la sûreté de l’État. Si le Conseil d’État, saisi en référé, a estimé qu’aucun des arguments avancés par les requérants n’était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions, le fait d’attester que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes démontre une rupture dans la manière de penser la sûreté de l’État. N’y a-t-il pas là un risque ?

Deuxième question : comment le Beauvau de la sécurité et le débat sur la répartition entre police et gendarmerie annoncés par le Gouvernement s’articuleront-ils avec l’examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale ? Y a-t-il des complémentarités entre ces démarches ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur. – Les fichiers que vous évoquez ont été créés entre 2009 et 2011, puis codifiés dans le code de la sécurité intérieure. Les trois décrets ont été publiés le 2 décembre 2020, notamment suite à un contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en 2017 et en 2018. Trois fichiers sont concernés par ces modifications, qui poursuivent des finalités différentes.

Le fichier Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP) relève de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police de Paris. Il s’agit d’informations nécessaires recueillies dans le cadre d’enquêtes menées par les renseignements territoriaux sur les personnes ayant vocation à accéder à des bâtiments ou à des sites sensibles pour l'État, comme des préfets et des ambassadeurs. L’objectif est de savoir si elles sont ou non dignes d’accéder à des fonctions de souveraineté et de sûreté de l’État.

Les fichiers Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP), qui relève de la DGPN, et Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP), qui est son équivalent pour la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) – les deux fichiers ne sont pas fusionnés –, sont légèrement différents du fichier

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EASP. Il s'agit de la conservation des identités d’individus dont l'activité peut porter atteinte à la sûreté de l'État, intéresser l'ordre public ou être en lien avec des faits de violence collective. Contrairement à beaucoup de fichiers de souveraineté, ces fichiers ont été publiés, ce qui garantit l'information des citoyens et des parlementaires. Ils ont été modifiés à la demande de la CNIL. Nous avons repris les dispositions de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, dite loi RGPD, que la Haute Assemblée avait approuvée. Le texte qui nous avait été transmis par les instances européennes mentionnait les « opinions », et non les « activités » politiques. C’est la CNIL qui nous a demandé de modifier cette référence. Nous avons également ajouté des catégories sur les activités sur les réseaux sociaux, qui étaient évidemment moins liées qu’aujourd'hui à des activités subversives ou à des atteintes à la sûreté de l’État en 2009 et en 2011.

Ainsi que M. le président vient de le rappeler, le Conseil d'État a, dans une décision toute récente, donné raison au ministère de l'intérieur.

M. Jérôme Durain. – L'élargissement de la liste des informations collectées soulève des interrogations. Il y avait des personnes physiques ; il y a désormais des personnes morales. Plusieurs personnalités publiques et juristes estiment que l’on va tout de même un peu loin. S’agit-il, comme je l’ai lu, de régulariser des pratiques qui avaient déjà cours sans base juridique ? Comment les fonctionnaires chargés de renseigner ces fichiers seront-ils formés ? Il faut tout de même un peu de discernement et de subtilité pour apprécier des options philosophiques et politiques.

Surtout, dans un contexte de grande tension dans notre pays et de désordres psychologiques individuels et collectifs, n’est-ce pas jeter de l’huile sur le feu ? Les questions de sécurité publique sont extrêmement sensibles. Ces fichiers semblent de nature à entretenir un climat qui n'est pas sain, en donnant le sentiment de contrevenir aux libertés publiques.

Mme Esther Benbassa. – Pourquoi étendre ces fichiers aux opinions politiques, aux convictions philosophiques et religieuses, mais également à l'appartenance syndicale ? En quoi ce fichage permettrait-il de lutter plus efficacement contre la menace terroriste ? Je m’interroge notamment sur la notion d’atteinte « aux institutions de la République ».

Les associations pourront désormais être concernées. Quelles garanties le Gouvernement prévoit-il pour protéger leur liberté et la liberté d'opinion en leur sein ?

M. Gérald Darmanin, ministre. – Je ne peux pas laisser dire que les décrets contreviennent aux libertés publiques. Ils ont été validés par le Conseil d'État et la CNIL en amont, et de nouveau par le Conseil d'État en aval. Ils sont d’autant plus respectueux des libertés publiques qu’ils ont été conçus à la demande de la CNIL.

Encore une fois, c’est le législateur qui a fait référence aux « opinions » politiques dans le cadre de la loi RGPD, texte voté par la Haute Assemblée. On ne peut pas reprocher au Gouvernement de reprendre par parallélisme la formulation du législateur.

Les décrets dont nous discutons n’ont pas créé ces fichiers. Ils existaient déjà. Simplement, en 2017, la CNIL leur reprochait d’être très sommaires dans leur rédaction. C’est donc à sa demande que nous avons introduit des catégories plus précises. Elle a d’ailleurs qualifié ce travail de régularisation des pratiques des services. Les agents sont évidemment formés, et ils sont d’un grand professionnalisme. Les éléments qu’ils rentrent sont ensuite validés par le service central.

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Monsieur Durain, vous évoquez le contexte. Pour ma part, depuis que je suis ministre de l’intérieur, je suis confronté à un contexte terroriste extrêmement important, ainsi qu’à des actions subversives, comme celles des Black Blocs lors des manifestations. Les décrets viennent lutter contre ceux qui portent atteinte à la sûreté de l'État et aux institutions.

Madame Benbassa, la référence aux « institutions de la République » figure dans le premier fichier, consacré aux personnes susceptibles de se rendre sur des sites ou dans des bâtiments relevant de la sûreté de l’État ou d’accéder aux fonctions de préfet, d’ambassadeur, de directeur d’administration centrale ou de chef d’un service de renseignements. Il est normal que la République puisse vérifier la compatibilité de ces personnalités avec les fonctions éminentes qu’elles seront amenées à exercer.

Il ne s'agit non pas de ficher des personnes selon leur opinion religieuse, syndicale ou politique, mais d’identifier les liens d’individus ayant commis des actions violentes. Cela permet d’avoir plus d’informations, en complément du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Les individus ne sont pas fichés par opinion politique, par opinion syndicale ou par opinion religieuse, mais parce qu'ils ont commis des actions violentes. L’objectif est évidemment de voir quel serait leur cercle d’action. Il convient de relativiser : les fichiers concernent 60 000 personnes, contre 19 millions pour le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ).

M. François-Noël Buffet, président. – Monsieur le ministre, je propose d’aborder à présent la proposition de loi relative à la sécurité globale.

M. Gérald Darmanin, ministre. – Le Beauvau de la sécurité et la répartition entre police nationale et gendarmerie intéressent beaucoup, je le sais, les parlementaires, en particulier les membres de la Haute Assemblée, en charge de représenter les collectivités territoriales.

Le travail que j’ai engagé à la demande du Président de la République permettra de construire une grande loi de programmation de la sécurité intérieure. Cela n’avait pas été fait depuis le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Les organisations syndicales de la police et les représentants des gendarmes ont approuvé les propositions que je leur ai adressées concernant les méthodes qui présideront à nos discussions. J’ai suggéré que des membres du Parlement et des élus locaux, notamment des maires, puissent participer à nos travaux sur la formation, sur les inspections, sur le maintien de l'ordre, etc. Des mesures seront envisagées sur ces différents thèmes. Je souhaite également que puissent être organisés dans tous les territoires de la République des débats publics avec les policiers, les gendarmes, mais aussi les acteurs de la société civile. Le Président de la République pourrait conclure le Beauvau de la sécurité au mois de mai.

Le Livre blanc de la sécurité intérieure avait été commandé par mon prédécesseur. Il porte sur la sécurité en général : organisation des forces de l'ordre, mais également sécurité civile et réponses face aux grandes crises. Parmi les propositions figure effectivement une nouvelle répartition entre la police et la gendarmerie, les territoires de la délinquance ayant évolué. Ce n’est pas nous qui avons proposé les nouvelles cartes, mais nous allons les examiner. Tout en maintenant la distinction entre la police et la gendarmerie, on peut envisager de mutualiser certaines actions face à la cybercriminalité, au trafic de drogue ou aux cambriolages. J’engagerai une discussion avec les élus et les forces de l’ordre territoire par territoire, en regardant les chiffres de la délinquance.

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Je salue le travail très important que les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue ont réalisé à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. Ce texte très ambitieux, qui a été l’un des mieux votés de la législature, permet des avancées considérables dans trois domaines : les compétences de la police municipale, la sécurité privée et l'utilisation des images.

Il prévoit un continuum : si l'État est et doit rester le responsable de la sécurité publique, tout le monde participe. Je pense aux agents de sécurité privés, dont l’un a empêché un attentat voilà cinq ans en ne laissant pas un terroriste pénétrer dans le Stade de France, ou aux agents de police municipale, qui, nous l’avons vu récemment à Nice, sont parfois primo- intervenants face au terrorisme. Si le rôle de l’État en matière de sécurité doit demeurer, nous devons mieux travailler avec nos partenaires sans les considérer comme des acteurs de seconde zone. Ayant été maire, j’ai moi-même souvent regretté que la police municipale soit considérée par l’État comme une force d’appoint.

Nous traitons dignement les compétences de police municipale avec une expérimentation tout à fait originale à l'article 1er, mais nous renforçons en parallèle la place de l'État. Le texte ne prévoit aucun désengagement de l’État. La police municipale pourra constater des délits, aura des compétences judiciaires, mais elle ne pourra pas procéder à des actes d’enquête. Le renforcement des compétences des polices municipales sera gage de meilleure action pour la sécurité de nos concitoyens. D’ailleurs, Christian Estrosi, le président de la commission consultative nationale des polices municipales, a salué ce texte. Bien entendu, certains éléments peuvent toujours être améliorés.

Nous instituons de nouveaux délits pour mieux lutter contre certaines armes par destination, comme les mortiers. Nous sommes également favorables à l’interdiction du protoxyde d'azote, voire à certaines dispositions relatives aux rodéos.

Nous apportons des réponses extrêmement concrètes sur la question des images, avec la mise en place des centres de supervision urbains (CSU). Leur mutualisation permettra aux petites communes, notamment dans les zones gendarmerie, de mettre en place la vidéoprotection sans se ruiner.

Il s’agit aussi de régulariser l'utilisation des drones. Nous voulons encadrer l’utilisation des images, en protégeant la vie privée de nos concitoyens. De même, la généralisation des caméras-piétons permettra une meilleure protection des fonctionnaires de police ou de gendarmerie et facilitera les enquêtes.

En ce qui concerne la sécurité privée, nous voulons non pas faire des agents de sécurité des « policiers bis », mais prendre au sérieux cet acteur économique très important. Nous allons renforcer les contrôles et les sanctions du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), qui dépend du ministère de l'intérieur, et apporter une aide sur la formation et la déontologie des agents.

Le Gouvernement sera évidemment attentif à la rédaction que le Sénat proposera sur l'article 24. Nous souhaitons ardemment pouvoir continuer à protéger nos forces de l'ordre. Il est normal de protéger ceux qui nous protègent.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. – Lors des nombreuses auditions que nous avons déjà menées avec Loïc Hervé, nos interlocuteurs nous ont alertés sur l'élargissement à titre expérimental des prérogatives judiciaires des agents de police

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3673 municipale. En l’occurrence, l'autorité fonctionnelle est le procureur, puisqu'il s'agit d'une action de police judiciaire, et l'autorité hiérarchique est le maire, qui recrute les agents de police municipale. Comment prévenir les risques de confusion ? Quid de l’évaluation ?

La montée en puissance des polices municipales qui est prévue vous paraît-elle de nature à renforcer le continuum de sécurité ? Comment renforcer la police municipale et la police nationale sans enlever des prérogatives à l'une ou à l'autre ?

Nous avons été alertés sur la formation des polices municipales. Certains agents ont des difficultés à rédiger des procès-verbaux. Si nous élargissons les compétences des polices municipales, comment éviter la multiplication des vices de forme ?

Concernant la police municipale à Paris, la préfecture de police de Paris et les élus parisiens nous ont fait part de leur satisfaction s’agissant des conditions dans lesquelles le texte avait été préparé. Mais une question reste posée. Le Gouvernement souhaite que la création de la police municipale soit décidée par un décret en Conseil d'État. Or, selon nous, la création doit résulter d’une délibération de la collectivité locale. Pensez-vous évoluer sur ce point ?

L'article 23, qui prévoit de supprimer du crédit de réduction automatique de peine les infractions commises contre des agents des forces de l’ordre. Ce ne serait par ailleurs plus la gravité de l’infraction qui justifierait une plus grande sévérité dans les conditions d’exécution de la peine, mais la personne au préjudice de laquelle l’infraction a été commise. Ce dispositif vous paraît-il en adéquation avec l'objectif de diminution de la population carcérale et respectueux de l'échelle des peines ?

Enfin, dernière question sur le fameux article 24, qui nous a fait beaucoup travailler avant la trêve des confiseurs. J’ai bien compris que votre intention est de mieux protéger les policiers – c’est aussi le souhait d’une large majorité de nos collègues –, et de le faire par le biais de la loi sur la liberté de la presse, car le code pénal exposerait les journalistes à des risques trop lourds, notamment en ce qui concerne les comparutions immédiates. Cependant, on voit bien que toutes les réactions et toutes les analyses juridiques convergent pour dire que, au regard des principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité, d’une part, et de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, d’autre part, on a un vrai problème d’équilibre. Le Sénat étant très attaché et aux libertés fondamentales et au renforcement de l’autorité, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait quand même utiliser le code pénal, mais, si l’on entre par le code pénal pour mieux protéger les policiers, il faut évidemment que l’on puisse résoudre le problème de maintien de la liberté d’informer et, surtout, que l’on n’envisage pas cette incrimination sous l’angle des opérations de police.

Votre collègue garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, proposera à l’Assemblée nationale, à la fin de ce mois, un article 25, devenu article 18, sur la loi relative aux valeurs de la République qui va dans ce sens, avec une incrimination générale et une peine aggravée quand il s’agit de fonctionnaires dépositaires de l'autorité publique. L’Assemblée nationale va débattre à la fin du mois de la loi sur les valeurs de la République, et nous allons être saisis mi-mars de la loi sur la sécurité globale. Dans ces conditions, comment voyez-vous l’articulation entre ces deux textes ? En clair, est-ce que le Gouvernement fait un lien entre l’article 24, qui pourrait être inséré dans le code pénal, et cet article 18 ? Ce dernier article est- il votre réponse au débat qui s’est ouvert sur la question ?

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3674

M. Loïc Hervé, rapporteur. – En complément de ce qui a été dit par Marc- Philippe Daubresse, et avant d’aborder les trois sujets qui m’échoient, je voudrais d’abord dire que, comme nous examinerons ce texte en mars au lieu de janvier, nous aurons davantage de temps pour mener des auditions. C’est d’autant plus important qu’il s’agit d’une proposition de loi, qui, par définition, n’a pas connu d’étude d’impact ni de passage en Conseil d’État, et encore moins d’avis de la CNIL. D’ailleurs, je remercie le président de la commission des lois d’avoir saisi cette dernière. Nous auditionnerons prochainement sa présidente.

Petite remarque : je trouve le titre de ce texte de loi absolument horrible et je me demande qui l’a inventé. J’imagine que ce n’est pas vous, monsieur le ministre. Celui qui a trouvé l’adjectif épithète à mettre à côté de sécurité mériterait, à défaut d’une médaille, une sévère correction, parce que ce n’est pas ainsi que l’on vend un texte.

J’en viens à mes trois sujets. D’abord, la sécurité privée. Vous demandez au Parlement d’habiliter le Gouvernement à réformer le Conseil national des activités privées de sécurité par ordonnance. Vous savez que nous n’aimons pas cette procédure dans cette maison. Est-ce que, d’ici au mois de mars, un certain nombre d’éléments de cette réforme ne pourraient pas être inscrits en dur dans la loi, les points plus accessoires étant réservés à l’ordonnance ? J’ai déjà quelques pistes.

Sur la sécurité privée, toujours, l’Assemblée nationale est allée plus loin que ce qui était prévu dans le projet de loi initial sur la question de la sous-traitance. Que pensez- vous de la solution retenue ? Vous paraît-elle réaliste pour un secteur économique dans lequel le recours à la sous-traitance en cascade est devenu monnaie courante ? C’est bien de réguler l’activité privée, mais il y a un certain nombre de principes que nous devons quand même respecter.

Plus généralement, quelle est la place que vous envisagez pour les agents de sécurité privée dans le cadre du continuum de sécurité ? Est-ce que vous souhaitez d’autres élargissements ? Où mettez-vous la limite avec le service public proprement dit, qui doit être assumé par des policiers, des gendarmes ou des policiers municipaux ?

J’en viens maintenant à la question des drones. La proposition de loi instaure un cadre spécifique. La jurisprudence administrative la plus récente démontre, s’il le fallait, la nécessité d’avoir un ancrage juridique pour l’utilisation des drones. Les matériels sont déjà dans les services de police et de gendarmerie, où ils sont utilisés. Je suis un élu de la montagne, vous le savez, et, comme sur les littoraux du pays, il est utile de recourir à des drones, notamment pour des opérations de sauvetage, la surveillance des frontières. Le Raid ou le GIGN en ont aussi besoin. Évidemment, il n’est pas question de remettre en cause ce type d’utilisation et le droit doit être adapté à cet effet.

En revanche, dès que l’on touche l’ordre public, les questions de vie privée, la prévention des infractions, il faut a minima s’armer de dispositifs de garantie, de contrôle ou d’encadrement pour préserver les libertés publiques. Nous essayons d’y réfléchir avec Marc- Philippe Daubresse pour aboutir à une solution équilibrée. Quelles finalités précises doivent- être autorisées par la loi pour l’usage des drones ? Quelles limites prévoir ? Comment préserver le droit à la vie privée de nos concitoyens ?

Enfin, sur les caméras mobiles, nous avons entendu ici les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie. C’est quelque chose qui est utile, notamment dans la pacification des relations avec les citoyens. Quel bilan faites-vous de leur usage ? Nous avons

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3675 eu un certain nombre de remontées sur la qualité des matériels. Est-ce que l’on arrivera à avoir des matériels français ou européens suffisamment bien conçus, avec des capacités de mémoire suffisantes ?

Pensez-vous que les agents ou leurs supérieurs hiérarchiques devraient avoir accès plus rapidement aux images contenues dans les terminaux ? Est-ce qu’il faut être vraiment dans une logique de séparation du porteur de la caméra et de celui qui utilise ces images ou est-ce que vous pensez au contraire que l’on pourrait permettre, dans un certain nombre de cas de figure, le rapatriement ou l’exploitation des images beaucoup plus rapidement afin de résoudre des problèmes ? Je pense notamment à une lecture de plaque d’identité.

M. Gérald Darmanin, ministre. – M. Daubresse évoque la question des polices municipales, d’abord en me demandant comment garantir la solidité juridique de l’expérimentation. L’article 1er prévoit une expérimentation quand même large de trois ans, avec très peu de conditions pour y participer : 20 policiers municipaux et un chef de service, ce qui répond à votre question des procès-verbaux, mais nous y reviendrons.

La participation à l’expérimentation repose bien évidemment sur la volonté des élus de recourir à cette expérimentation. Le temps que la loi soit votée et que les décrets soient pris, deux années de mandat seront passées, donc cette expérimentation de trois ans correspondra à la fin du mandat des maires actuels. Cela permettra aux électeurs de trancher démocratiquement.

Nous souhaitons faire confiance aux élus locaux, sans aucune obligation, contrairement à ce que souhaitaient certains députés, tant en ce qui concerne la création que l’armement. C’est à la carte. Il s’agit de choix locaux, l’État gardant le monopole de la sécurité intérieure.

Les délits concernés par cette expérimentation ne nécessitent pas d’enquêtes judiciaires ; il s’agira pour les policiers municipaux de résoudre des problèmes de bon sens. Par exemple, nous avons mis en place l’amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de stupéfiants dans les cas où les personnes ne détiennent pas une grosse quantité de stupéfiants. Actuellement, un policier municipal ne peut pas verbaliser quelqu’un qui fume un joint dans la rue. Soit il détourne les yeux, soit il essaie de retenir cette personne le temps que la police nationale arrive, mais ce n’est pas si simple. Cette situation est un peu absurde. Il y a un certain nombre de faits bêtes comme chou qui doivent pouvoir relever de la police municipale car ils ne nécessitent pas d’actes d’enquête.

Sur la capacité des policiers municipaux à rédiger de bons procès-verbaux à transmettre au procureur de la République, c’est aussi un problème qui concerne les policiers nationaux et les gendarmes, et qui tient plus à notre mauvaise organisation. Dans le Beauvau de la sécurité, nous aborderons ainsi le sujet de l’encadrement, qui est essentiel. Un chef est là pour relire et corriger les procès-verbaux de ses collaborateurs. Il n’est pas simplement là pour transmettre au procureur de la République ou à son substitut. Dans les mauvaises réponses pénales, vues du côté de la police, il n’y a pas que les difficultés de la justice ; il y a aussi des policiers ou des gendarmes qui rédigent mal les procès-verbaux, ce qui entraîne des vices de forme. C’est d’abord une question d’effectifs en officiers de police judiciaire (OPJ). En ce qui concerne le texte qui nous est soumis, il n’est pas prévu que le policier municipal transmette directement au procureur de la République. C’est pour cela qu’il faut un directeur ou un chef de service. Vous le savez, à plus de 20 policiers municipaux, les directeurs ou chefs de service sont souvent des anciens officiers de gendarmerie, des anciens gradés de la police nationale

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3676 ou des personnes qui passent des concours spécifiques extrêmement difficiles qui ont les compétences juridiques pour relire et corriger les procès-verbaux avant de les transmettre au procureur. Il y a enfin les formations que nous devons à chaque agent public.

Sur la Ville de Paris, permettez-moi, monsieur le rapporteur, d’avoir une légère différence d'appréciation. Il me semble que la création de la police municipale devra effectivement relever d’une délibération du Conseil de Paris, comme pour toute police municipale.

En revanche, les statuts de la police municipale relèveront du décret en Conseil d’État, comme, là encore, pour toute police municipale. Il n’y a donc pas d’iniquité avec les autres territoires. J’ajouterai que Paris est, par nature, un endroit où la sécurité publique est particulière. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a une préfecture de police. L’État doit y garder un œil particulier, et la maire de Paris en convient. Ce n’est pas une question de confiance avec ses élus. J’ai cru comprendre, par ailleurs, que la maire de Paris ne souhaitait pas que la police municipale de Paris soit armée, ce que je respecte. Si, demain, une autre majorité veut qu’il en soit autrement, elle prendra une délibération en ce sens.

Sur l’article 23 de la proposition de loi, nous n’avons pas fait le choix des aggravations, qui existent déjà, pour les personnes dépositaires de l’autorité publique. Nous avons préféré supprimer la possibilité de remises de peine pour les personnes ayant porté atteinte à des fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique. Ce n’est pas très différent de ce qui existe : c’est déjà une circonstance aggravante que d’agresser un policier, un gendarme ou toute autre autorité publique. Je tiens à préciser que nous avons rédigé ce dispositif avec le garde des sceaux, alors que certains députés souhaitaient une aggravation des peines ou des peines planchers.

Sur l’article 24, je n’ai pas de fétichisme particulier. Je voudrais cependant exposer quelques idées simples en préambule d’un débat compliqué.

Comme vous l’avez fait, je tiens à souligner la grande importance de protéger nos forces de l’ordre. Je rappelle le drame de Magnanville, qui ne concernait pas simplement les forces de l’ordre, puisque Mme Schneider, qui a été égorgée devant son enfant, était agent technique, administratif et scientifique.

Je vous renvoie sur le site Copwatch, notamment dans notre région, où sont listés les policiers, avec leur photo, leur nom, leur prénom, et dans des conditions qui ne laissent planer aucun doute : ce n’est pas pour leur envoyer des chocolats à Noël !

Je ne peux pas dire que l’article 24 a été bien rédigé. Nous n’en serions pas là si tel avait été le cas. Cependant, si je comprends l’idée du Sénat et d’autres parlementaires de passer par le code pénal, je m’en étonne, ce qui ne veut pas dire que je ne souscrirai pas éventuellement à la rédaction proposée par l’Assemblée nationale et le Sénat. En effet, le code pénal présente l’avantage, c’est vrai, de sortir de la loi sur la presse, et donc de sortir de l’idée, fausse à mon sens, mais répandue chez les journalistes, que ces derniers seraient concernés. Toutefois, je rappelle que le code pénal permet la garde à vue et la comparution immédiate, ce que ne permet pas la loi sur la presse. Le code pénal est donc plus dur. Je soumets cela à la sagacité des législateurs.

Par ailleurs, le choix de la loi sur la presse s’est fait en cohérence avec ce qui existe déjà en matière de protection des identités de certains policiers et gendarmes. Vous

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3677 avez tous vu des policiers de l’antiterrorisme ou de la grande criminalité portant des cagoules lors d’opérations.

Pour l’instant, vous constaterez que j’ai fait plus de droit que de politique, mais il était important de souligner ces points pour expliquer la position que nous avons retenue.

Monsieur Daubresse, vous évoquez la fusion de l’article 24 et de l’article 25 devenu article 18 de la loi sur les valeurs de la République. J’y suis pour ma part très défavorable, car ils ne poursuivent pas les mêmes buts.

L’article 24 prévoit la protection des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie lors des opérations de police. L’Assemblée nationale a d’ailleurs ajouté les policiers municipaux, et on pourrait même imaginer les douaniers ou les agents de l’administration pénitentiaire. Il s’agit de les protéger non pas en tant que tels, mais dans le cadre des opérations de police.

L’article 25, devenu 18, s’adresse, lui, à toute personne dépositaire de l’autorité publique. Malgré mon estime pour les magistrats ou les élus, la protection qu’ils méritent n’est pas de même nature que celle que nous devons aux forces de l’ordre qui risquent leur vie dans des opérations sur le terrain. Ensuite, il prévoit de protéger l’individu et sa famille, ce que ne retient pas l’article 24. Enfin, l’adverbe « immédiatement » est important. Il répond à l’affaire « Samuel Paty ». La fatwa numérique lancée évoquait l’identité de l’enseignant – qui n’est pas une personne dépositaire de l’autorité publique en l’occurrence –, créant les conditions du drame.

Il me semble donc que ces deux articles sont différents. J’entends les préférences du Sénat et nous regarderons évidemment cela. Je ne connais pas la position finale du Gouvernement, puisque je ne connais pas votre rédaction, mais nous souhaitons en tout cas différencier les deux textes.

Monsieur Hervé, s’agissant du CNAPS, j’entends bien que les ordonnances ne réjouissent pas les parlementaires. Cependant, nous devons saisir ce moment pour légiférer dans ce domaine, et l’habilitation que nous vous demandons est, à mes yeux, très importante pour structurer ce domaine d’activités. Il faut beaucoup discuter avec cette filière professionnelle un peu éparpillée sur les questions de sanctions, de formation, avant d’aboutir à une rédaction. Ce que je peux vous proposer, monsieur le rapporteur, c’est non seulement d’éclairer très largement les débats, mais aussi de vous associer le plus étroitement possible à la rédaction de l’ordonnance afin de structurer une filière qui en a besoin.

Vous souhaitez connaître les limites de la sécurité privée. C’est assez clair. Nous excluons tout pouvoir de contrainte, la possibilité de constater des délits, de faire des enquêtes. Il s’agit de s’en tenir strictement aux compétences de surveillance, qui sont essentielles. Imaginez qu’il faille mettre des policiers municipaux et nationaux, des gendarmes dans chaque grand magasin dans chaque festival. Les agents de sécurité privée concourent à la sécurité de nos concitoyens, mais leurs compétences s’arrêtent à celles de l’État régalien et des collectivités locales.

Sur les drones, je souhaite que l’on mette en place un cadre juridique qui nous permette de fonctionner comme avec les caméras de vidéoprotection, qui reposent sur le même principe, et dont plus personne ne conteste l’utilité. Vous avez parlé de liste à la Prévert. Nous sommes prêts à mettre davantage de garanties. Peut-être que le texte de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3678 l’Assemblée nationale n’est pas assez propre, en ce qui concerne notamment la protection des domiciles privés. Les travaux du Sénat pourront contribuer à l’éclairer.

Nous avons listé les cas d’usage, et si je devais comparer avec ce que font nos voisins, qui ne sont pourtant pas d’affreuses dictatures numériques, nous n’avons pas à rougir. Ainsi, les Danois et les Suédois les utilisent pour des finalités judiciaires et pour le maintien de l’ordre, tandis que les Espagnols retiennent exactement les mêmes usages que ceux prévus dans le texte.

Nous sommes l’un des derniers pays à légiférer sur les drones, ce que nous a d’ailleurs reproché la CNIL. Et j’insiste, il n’est nullement question de reconnaissance faciale dans ce texte.

J’en termine sur le bilan des caméras-piétons. La généralisation de l’équipement interviendra au 1er juillet 2021. Il suffit d’aller voir les policiers et les gendarmes pour comprendre que cet équipement apaise tant le fonctionnaire que la personne qui est en face, car les enregistrements sont des éléments probants pour l’autorité judiciaire. Chacun sait que la réponse judiciaire est différente selon qu’un même fait a été filmé ou pas. La parole du policier ou du gendarme n’est jamais aussi forte que la caméra qui montre.

Vous avez raison, le matériel n’est aujourd’hui techniquement pas à la hauteur. Ainsi, il faut entrer son numéro d’identification, ce qui n’est pas évident dans le feu de l’action. Par ailleurs, la batterie se décharge très rapidement. J’ai donc lancé un nouvel appel d’offres pour renouveler l’intégralité de ces caméras. Évidemment, je ne peux pas savoir à ce stade si elles seront françaises ou européennes. Nous souhaitons la solution la plus efficace possible pour que le temps d’utilisation soit plus important et pour que les images puissent être utilisées différemment. D’abord, le fonctionnaire, s’il doit pouvoir les visualiser, ne doit en aucun cas pouvoir les modifier. Cette visualisation est utile pour vérifier quelque chose qui aurait pu leur échapper dans le feu de l’action et ainsi éviter des crimes ou des délits. Il m’apparaît également normal que le fonctionnaire puisse rédiger son rapport en regardant les images, ce qui n’empêche pas l’autorité judiciaire de se faire ensuite son propre avis. Enfin, les images doivent pouvoir être transmises à l’autorité judiciaire ou à l’autorité administrative lorsqu’il y a une difficulté.

Mme Brigitte Lherbier. – Les drones sont très efficaces pour surveiller la montagne, les mers, les frontières. Ils sont aussi pertinents pour la surveillance des manifestations et des regroupements violents, à condition que cela soit encadré.

En principe, les citoyens doivent être informés lorsqu’ils font l’objet de captations vidéo dans des espaces publics. Pour garantir que ces captations à grand angle de vue n’empiètent pas sur les libertés et sur la vie privée, ne peut-on pas envisager un renforcement du rôle du procureur pour s’assurer du bon usage des images ?

Mme Éliane Assassi. – Monsieur le ministre, je remarque que vous défendez cette proposition de loi comme s’il s’agissait d’un projet de loi…

Dans une lettre adressée aux parlementaires, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe critique vertement l’article 24, estimant qu’il porte atteinte à la liberté d’informer. Comment recevez-vous ces critiques ?

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Tout le débat s’est cristallisé sur l’article 24, mais nous nous inquiétons aussi de la montée en puissance de la sécurité privée que la proposition de loi consacre. Vous le justifiez par la possibilité de confier à des agents de sécurité privée des tâches indues accomplies actuellement par des policiers ou des gendarmes. Bien évidemment, certains syndicats de police vous soutiennent, mais, comme le sociologue Christian Mouhanna, nous n’y voyons qu’une logique de suppression des emplois publics. Monsieur le ministre, que pensez-vous de ce processus de privatisation accélérée de notre sécurité publique ?

Mme Françoise Gatel. – Je veux revenir sur l’ancrage territorial de la sécurité. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat est en train d’achever un rapport sur ce sujet.

Je suis heureuse que vous ayez entendu la position de l’Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), pour qui la création d’une police municipale relève d’un libre choix et de la libre administration des collectivités. L’État ne saurait l’imposer pour se décharger d’une fonction régalienne. Je ne dis pas que telle est votre volonté, mais c’est un danger qui nous guette.

Il y a une vraie question sur la formation des policiers municipaux, notamment la formation continue, et la coopération avec la police nationale et la gendarmerie.

Par ailleurs, je voudrais connaître votre position sur le continuum de sécurité dans les territoires non urbains. Un article paru hier dans Le Figaro mettait en exergue l’augmentation de la délinquance dans les zones rurales. Pouvez-vous nous assurer que la gendarmerie ou la police continueront à y être présentes, sachant qu’elles sont de plus en plus occupées par des tâches judiciaires ? Pouvez-vous préciser votre projet de nouvelle répartition des compétences entre police et gendarmerie, cette dernière ayant l’avantage énorme de vivre au milieu de la population dans nos territoires ?

Mme Valérie Boyer. – Monsieur le ministre, je souhaite vous parler d’immigration, en particulier du nombre de titres de séjour qui sont délivrés chaque année à des ressortissants de pays qui n'appartiennent pas à l'Union européenne. Ces chiffres sont rarement analysés dans une perspective de long terme.

Mme Éliane Assassi. – Cela n’a rien à voir avec le texte que nous examinons !

Mme Valérie Boyer. –Je pensais que nous pouvions parler de plusieurs sujets, monsieur le président.

M. François-Noël Buffet, président. – Continuez votre intervention et si vous trouvez un lien avec le texte, c’est mieux...

Mme Valérie Boyer. – Je ne voudrais pas enfreindre les règles de la commission.

Je souhaite évoquer la question de la répartition de ce que vous appelez les « migrants surnuméraires » ou surdotés : on est passé d'un peu moins de 150 000 en 2000 à 274 000 en 2019, soit une progression de 83 %. De même, le nombre annuel de demandeurs d'asile est passé d'un peu moins de 40 000 en 2000 à 132 800 en 2019, soit une multiplication par 3,33 en vingt ans. Ces chiffres montrent que les vingt dernières années ont vu la formation d'une vague migratoire de très grande ampleur : le nombre d'immigrés en 2018 était d'environ 6,8 millions ; selon l'Insee, la population immigrée, qui représentait 5 % du total de la

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3680 population de la France en 1946, en représente 7,5 % en 2000, presque 10 % en 2018, soit un quasi doublement depuis la Libération.

Pendant un mandat qui vous est cher, puisque vous y faites très régulièrement référence, monsieur le ministre, après le retour de au ministère de l'intérieur, la France ne délivrait plus que 171 000 titres de séjour, contre 192 000 en 2004 ; cette année- là, le nombre de demandeurs d'asile n'était plus que de 35 000 contre 40 000 en 2000. C'est bien la preuve que l’on peut avoir une politique migratoire efficace. Et que dire de la progression sans précédent du nombre de reconduites à la frontière, qui sont à mettre à l'actif de cette période, et des près de 33 000 sorties du territoire en 2011, soit 2 000 de plus qu'en 2019 ?

Nous apprenons par la presse que, après les évacuations de camps dans la région parisienne, vous avez décidé, sans en passer par la représentation nationale, de répartir un certain nombre d'immigrés dans des régions considérées comme sous-dotées. Pour reprendre le contrôle de cette politique, il faut une volonté politique très forte et ferme et non une politique de répartition. Monsieur le ministre, pourquoi avoir fait ce choix ?

Mme Dominique Vérien. – La formation des policiers se révèle toujours plus courte, alors que leur rôle se complexifie. De même, contrairement aux formations de la gendarmerie, leur formation n’est pas diplômante. C’est préjudiciable pour le travail que ces policiers peuvent ensuite accomplir, à l’instar des gendarmes.

Même si cela n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons, je souhaite évoquer le code de la justice pénale des mineurs. Certes, cela concerne essentiellement la justice, mais le premier contact des mineurs délinquants se fera avec la police ou la gendarmerie. Le garde des sceaux souhaite que cette réforme soit applicable dès le 31 mars prochain. Policiers et gendarmes seront-ils formés ? Par ailleurs, le logiciel permettant de produire la bonne convocation avec les bonnes références de textes sera-t-il mis à jour dans les temps ?

M. Jérôme Durain. – Nous partageons évidemment certains objectifs du texte, comme le continuum de sécurité et la protection de ceux qui nous protègent.

Lors de l'audition de procureurs, ceux-ci nous ont indiqué nourrir des inquiétudes sur la chaîne de compétence pour établir les saisies et les procès-verbaux, notamment à l’échelon municipal. Les procès-verbaux sont la base des procédures et des enquêtes et les risques de nullité attachés à des procès-verbaux qui seraient mal rédigés sont importants. Le doute sur la capacité d'un chef de service à pouvoir superviser le travail de fonctionnaires peu ou trop mal formés est réel.

Sur l’article 24, force est de constater que le climat ne s’est pas apaisé. Je veux relayer les inquiétudes que nous avons entendues à l’occasion de la table ronde de journalistes, organisée par les rapporteurs cet après-midi, sur la capacité qu'ils auront à accéder à l'information après la mise en œuvre éventuelle de l’article 24. Quid du statut de journaliste et de ceux qui ne le sont pas, mais qui contribuent pourtant à la fabrication de l'information, au droit d'informer et d’être informé ?

Plus encore, la confidentialité ou le maintien du secret des sources pourrait être mis en cause par une utilisation abusive des drones lors des opérations de maintien de l'ordre.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3681

M. Gérald Darmanin, ministre. – Madame Lherbier, le procureur de la République est évidemment essentiel dans le dispositif, puisque c'est sous son autorité qu’agiront les agents qui constateront des délits et les policiers nationaux et les gendarmes qui mèneront des enquêtes.

À l'Assemblée nationale, singulièrement au groupe Les Républicains, on demande que les policiers municipaux puissent faire exactement ce que font les policiers nationaux, par exemple accéder à tous les fichiers ou pouvoir contraindre la liberté de telle ou telle personne.

M. Loïc Hervé, rapporteur. – Nous sommes au Sénat !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je l’ai bien compris…

Cela aurait toutefois comme conséquence que les policiers municipaux sont sous l'autorité exclusive du procureur de la République. Comment un maire peut-il recruter des policiers municipaux pour que ceux-ci ne soient que sous l'autorité du procureur de la République ? Ce serait tout de même une façon un peu étonnante d’imaginer l'intérêt commun, mais je doute que ce soit la volonté première de ceux qui formulent une telle demande.

Le procureur de la République est celui qui donne un certain nombre de possibilités d'action, qui autorise l’enquête et qui permet les privations de liberté. Il mène sa politique pénale comme il l'entend, dans le cadre que lui laisse la loi. La police municipale, dans le cadre de l’expérimentation, sera sous l'autorité de ce que décidera le procureur de la République, qui classera ou pas tel ou tel constat.

Le procureur de la République reste notre pierre angulaire. Les policiers nationaux agissent souvent sous l'autorité d'un magistrat : je suis un employeur, mais pas toujours le donneur d'ordre. Et c'est très bien ainsi, puisque c’est ainsi qu’est fondé notre droit.

Sur les tâches indues et le refus de délégations de service public, je comprends bien la rhétorique du groupe communiste et je respecte tout à fait cette position idéologique. En revanche, je ne peux partager la conclusion du sociologue que Mme Assassi a cité : si la conséquence est la suppression de postes, pourquoi sommes-nous le gouvernement qui a le plus créé de postes sous la Ve République, alors même que nous luttons contre les tâches indues ?

En tant que ministre de l'intérieur, je ne comprends pas pourquoi ce sont quasi systématiquement des policiers qui assurent l’accueil de jour dans les commissariats. Un personnel administratif peut tout à fait le faire, une fois formé à l'accueil et à l'accompagnement. Évidemment, c’est seulement le fonctionnaire de police qui prendra la plainte. Voilà une tâche indue qu’il s’agit de confier non pas à quelqu’un du privé, mais à un autre fonctionnaire, ce que l’on appelle la substitution.

Dans les centres de rétention administrative, ce sont toujours des forces de l'ordre qui s’occupent de la bagagerie. Pourquoi ? On pourrait tout à fait déléguer cette tâche à d’autres : le policier aux frontières, armé, formé, a peut-être mieux à faire.

Il en est de même pour les gardes statiques devant les chambres de certains détenus qui sont par exemple en réanimation : elles sont toujours assurées par des policiers. Si cela va de soi lorsqu’il s'agit de personnes impliquées dans le grand banditisme par exemple, ce n’est pas toujours le cas. On a des conventions avec l’administration pénitentiaire.

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Aujourd’hui, ce sont presque toujours des policiers qui assurent le transport vers les centres de rétention administrative. On peut imaginer que d’autres prennent en charge ces déplacements, car c’est du temps policier pris.

Il ne s’agit pas toujours de déléguer à la sécurité privée, même si, pour moi, ce n’est pas un mauvais mot. Il s’agit de faire en sorte que chaque fonctionnaire puisse faire le travail pour lequel il a été formé et pour lequel il est le mieux utilisé. Quand on parle de tâches indues, il ne faut pas y voir de la privatisation à outrance. Par ailleurs, des agents de sécurité privée pourraient accomplir un certain nombre de tâches. Je pense en tout cas que l’on devrait expérimenter.

L’augmentation de la délinquance dans les campagnes, qu’a évoquée Mme Gatel à la suite de l'article du Figaro, relève de trois types, qui correspondent à trois grands maux qui touchent notre société.

Il y a d’abord les violences conjugales et intrafamiliales, qui sont également en augmentation dans les territoires ruraux.

Il y a ensuite la délinquance routière et je souhaite que le Sénat nous aide à trouver les moyens de lutter contre ce phénomène. Toutes les demi-heures, toutes les vingt minutes en zone gendarmerie, on constate des délits routiers et des refus d'obtempérer de la part de personnes qui, parce qu’elles n’ont pas le bon permis de conduire, roulent sans assurance ou sont sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants, prennent la vie de gendarmes, de policiers ou d'autres en refusant de s'arrêter.

Il y a enfin les actes commis contre ce que l’on pourrait appeler le monde agricole : introduction dans les fermes, vol de carburant, atteintes aux bestiaux, etc.

Ces augmentations traduisent une forme de délinquance qu'il faut prendre en compte. La création de postes dans la gendarmerie nationale est une réponse ; l’implantation territoriale compte, mais l’implantation numérique compte beaucoup également. Vous savez que les gendarmes ont particulièrement avancé dans leur présence territoriale, notamment grâce aux tablettes et à la géolocalisation. Nous espérons que les centres de supervision (CSU) communaux, intercommunaux ou à une échelle plus large permettront de mieux les accompagner. De ce point de vue, je le répète, l’abandon de certaines tâches indues permet de libérer un certain nombre d'effectifs pour les remettre sur le terrain.

Mme Boyer a évoqué des sujets qui ont un rapport très lointain avec le texte, mais je ne voudrais pas la frustrer en ne lui répondant pas. Elle évoque le temps, sans doute important et béni, où Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur : j'étais alors étudiant. J’ai été parlementaire avec elle, après la défaite du président Sarkozy. En évoquant les vingt ans d'augmentation massive de l'immigration, j’imagine qu’elle fait aussi volontiers sa propre autocritique...

On ne peut pas comparer les choses comme elle l’a fait. Comment comparer des chiffres dans des moments où les régimes, notamment du Maghreb et de l'Afrique, connaissaient une stabilité politique un peu différente – Libye, Tunisie, Maroc, Turquie, les théâtres syrien ou irakien – et n'étaient pas dans les mêmes prédispositions ? L'action du président Sarkozy, même si je la loue sur les questions de sécurité, n’est pas tout à fait comparable avec la politique migratoire que nous connaissons : il faudrait sinon attaquer non

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3683 seulement le bilan du Président de la République, mais aussi celui de la chancelière Merkel, puisque les chiffres de l'immigration en Allemagne sont bien plus importants.

Mme Boyer devrait se méfier des chiffres. Quand on fera le bilan de l'année 2020, elle constatera une baisse de la délivrance des titres de séjour de 40 %. Sur 135 000 demandeurs d'asile, seul un quart reçoit des titres d'asile. Notre problème n'est pas tant le nombre de personnes qui viennent sur le territoire national que notre difficulté à les reconduire dans leur pays : les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont un vrai sujet. En outre, en 2020, il n’y avait plus de vols réguliers vers les pays du Maghreb, les pays lointains qui sont des théâtres de guerre, voire les pays avec lesquels nos relations diplomatiques sont plus que compliquées pour obtenir des laissez-passer consulaires, par exemple le Pakistan. Ceci explique sans doute cela.

Les naturalisations ont augmenté de 20 % entre 2007 et 2012. Comme maintenant.

Il faut donc faire attention aux comparaisons, elles ne sont pas toujours raison. Il ne faut pas pour autant caricaturer le débat migratoire : il mérite une vraie discussion et sans doute une amélioration de l'action publique, singulièrement dans la reconduite aux frontières, puisque, dans le contrôle des frontières, il n'y a jamais eu autant de policiers et de gendarmes. C’est d’ailleurs le Président de la République, et avant lui le président Hollande, qui a rétabli les contrôles aux frontières, conformément aux modalités prévues dans les accords de Schengen. Je pense personnellement qu’il faut revoir ces accords ; le Président de la République a encouragé l'Union européenne à le faire et à rétablir nos frontières, ce qui n'était pas le cas au début des années 2000. Il n’est pas question d’en faire le procès à quiconque, puisque le contexte climatique et géopolitique était très différent.

La formation des policiers constitue un sujet tout à fait essentiel, je le comprends mille fois et je l’ai moi-même évoqué. Réduire les formations a été une erreur.

Je pense à la formation initiale. Le Parlement doit toutefois aussi comprendre que l’on ne peut pas à la fois demander plus d'effectifs au ministre de l'intérieur et plus de temps de formation : si l’on fait plus de formation initiale quand on recrute des policiers, il faut accepter qu'ils viennent moins vite dans les commissariats. Ce débat a sans doute poussé mes prédécesseurs à raccourcir cette formation initiale, à tort.

Je pense également à la formation continue. La formation continue théorique, qu’elle soit juridique, physique ou technique, n’est pas suffisante. Les policiers du commissariat de Limoges devaient par exemple bénéficier de cinquante heures de formation annuelle, ils n’en ont fait qu’une dizaine parce qu’ils n’en ont pas le temps : ils sont hyper mobilisés et on n'a pas réglé le problème des horaires dans la police nationale. Quand on a besoin de temps, on le prend toujours sur la formation. C’est regrettable, car on empêche les policiers d'être dans un bon cycle de travail et on ne leur permet pas d’accéder à cette formation à laquelle ils ont droit. C’est de la responsabilité de l'État employeur, c'est-à-dire de moi ; c’est pourquoi nous allons changer les choses.

C’est pareil pour la formation continue pratique. Les policiers doivent par exemple faire trois tirs administratifs par an. Vous constaterez qu'ils sont quasiment tous concentrés au mois de décembre, par manque de stand de tir. On peut imaginer créer des stands de tir communs avec les polices municipales ou des stands de tir mobiles. La première chose que fait l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), lorsqu’il y a un problème

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3684 avec un policier, c’est de vérifier qu’il a bien fait ses trois tirs. Or seulement 60 % des policiers font leurs trois tirs administratifs dans l'année.

Il faut donc améliorer les durées de formation initiale et continue, mais déjà appliquer ce que l’on sait faire. Cela exige un important travail de ressources humaines, ce que j'ai demandé au directeur général de la police nationale. Les gendarmes ont un système différent, mais qui mérite lui aussi d'être amélioré et revu. Le directeur général de la gendarmerie y travaille.

Il faut également améliorer la coordination de nos forces entre police et gendarmerie. En matière de maintien de l'ordre, le travail des CRS et des gendarmes mobiles sur le terrain est complémentaire : il faut que ces personnels passent plus de temps à se former ensemble, pour avoir des réflexes communs et mieux se connaître.

J’en viens au code de la justice pénale des mineurs et à la façon dont le garde des sceaux imagine les prochains textes. Évidemment, certains policiers sont dévolus à des tâches spécifiques dans leur fonction et dans leur métier et ils accomplissent un travail très courageux en ce qui concerne les mineurs. Ils font preuve de beaucoup d'humanité et se heurtent aussi à de nombreuses difficultés pour traiter cette forme de délinquance malheureusement grandissante. Le garde des sceaux et moi-même travaillons pour former aux nouveaux outils juridiques, qui seront conformes aux volontés du législateur.

C’est le magistrat seul qui décide de la culpabilité. Le logiciel dont il a été question et qui s’appelle Cassiopée vient de la magistrature, quand bien même c’est la police qui délivre la convocation. Cela ne signifie pas pour autant que police et gendarmerie ne doivent pas mieux gérer leurs process de logiciels notamment d'enquêtes pénales. Nous y travaillons : deux expérimentations sur la procédure pénale numérique sont en cours à Amiens et à Blois, et j'encourage votre commission à s’y intéresser. Elle se veut le rapprochement des deux procédures, ce qui évitera de nombreux doublons. Nous généraliserons cette procédure à la fin de l'expérimentation. Il en est de même pour les doubles écrans, comme je l'ai fait à la direction générale des finances publiques (DGFiP), l’utilisation de logiciels d’intelligence artificielle ou de dictée plus efficaces, comme le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), qui est en cours de réforme. En matière de procès-verbaux mal rédigés, la police nationale et la gendarmerie doivent aussi faire des efforts.

Nous manquons d’officiers de police judiciaire (OPJ) sur le terrain, alors que 3 000 personnes ont cette qualification, mais sont parties dans des services qui ne sont pas des services de police judiciaire. C’est pourquoi j'ai mis fin aux primes de ces OPJ et ai essayé d’améliorer les primes de ceux qui prennent le risque d'être OPJ sur le terrain ou assument ce travail parfois fastidieux.

Je pense que nous réglerons, structurellement, ce problème. Être officier de police judiciaire est un métier qui doit permettre de garantir le respect du droit et de la procédure. Les procureurs ont donc eu raison de vous alerter sur ce point.

J’ai déjà évoqué l'article 24. Quelle que soit sa rédaction, ce qui intéresse le ministre de l'intérieur, c'est que l’on puisse continuer à protéger les policiers et les gendarmes. Le temps de la navette parlementaire n'aura sans doute jamais été aussi bénéfique à une disposition législative. Tant que le but est atteint et que tout le monde est rassuré, le Gouvernement ne pourra évidemment qu'y être favorable.

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M. François-Noël Buffet, président. – Sur l'article 24, puisqu’il fait l'objet de nombreuses discussions, les rapporteurs formuleront des propositions à la commission, laquelle veillera à ce que la rédaction permette de remplir cette première mission qui est de protéger les policiers ; il n’y a aucun doute sur ce point. Elle veillera également à ce que cette rédaction ne pose aucune difficulté à personne. Notre intérêt, c'est évidemment que les choses se passent bien et que les policiers qui exercent leurs fonctions soient protégés dans l'exercice de leur mission.

Permettez-moi, avant que cette réunion ne s’achève, monsieur le ministre, mes chers collègues, de vous souhaiter une bonne année.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 heures.

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Désignation d’un rapporteur

La commission désigne M. Philippe Bas rapporteur sur le projet de loi n° 254 (2020-2021) portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (procédure accélérée), ainsi que sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et reportant la date de caducité des régimes institués pour faire face à la crise sanitaire (sous réserve de son dépôt et de sa transmission).

Proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat – Examen du rapport et du texte de la commission

M. Henri Leroy, rapporteur. – Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, déposée le 27 octobre dernier par notre collègue Dominique Estrosi-Sassone et cosignée par une centaine de sénateurs.

À la suite des affaires récemment relayées par les médias, telles celles de Théoule- sur-Mer ou du Petit Cambodge, ce texte tend à mieux protéger ce « droit inviolable et sacré » qu’est la propriété, selon les termes de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, contre les squatteurs.

Il existe bien des dispositifs spécifiques pour lutter contre le squat, qui ont été améliorés au fil des ans. Mais les affaires que j’ai évoquées démontrent qu’ils ne sont ni suffisamment dissuasifs à l’égard des squatteurs, ni suffisamment connus des préfectures et des forces de police, voire des propriétaires eux-mêmes.

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Il existe tout d’abord un délit spécifique. L’article 226-4 du code pénal sanctionne l’introduction et le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Le terme de domicile désigne ici, selon la jurisprudence, tout lieu où une personne a le droit de se dire chez elle. En revanche, il ne vise pas des lieux qui ne servent pas effectivement d’habitation, par exemple un appartement vide de meubles ou un terrain nu.

L’article 226-4 prévoit actuellement une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. L’article 1er de la proposition de loi alourdit la sanction, en la portant à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende, afin de la rendre plus dissuasive à l’égard des squatteurs. Pour rappel, le propriétaire qui tente de se faire justice soi-même sans avoir obtenu le concours de l’État encourt lui une peine de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Je signale que cette mesure a déjà été adoptée par le Parlement à l’occasion de l’examen du projet de loi d’accélération et simplification de l’action publique (ASAP), mais qu’elle a été censurée par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif. Il n’y aura pas de difficulté à l’adopter dans cette proposition de loi.

Il existe ensuite une procédure administrative dérogatoire, créée par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (Dalo) à l’initiative du Sénat, et plus précisément de notre collègue Catherine Procaccia, qui permet à un propriétaire ou à un locataire de solliciter le concours du préfet pour procéder à l’évacuation forcée de son logement lorsqu’il y a violation de domicile au sens de l’article 226-4. Cette procédure requiert la réunion de trois conditions cumulatives : le dépôt préalable d’une plainte pénale ; la preuve que le local occupé constitue le domicile du demandeur ; enfin, le constat par un officier de police judiciaire de l’occupation illicite. Elle permet d’obtenir une évacuation rapide des lieux sans attendre d’avoir obtenu une décision de justice.

Ces dispositions « anti-squat » demeurent cependant peu connues et mal appliquées, comme l’ont mis en lumière les auditions auxquelles j’ai procédé.

L’affaire de Théoule-sur-Mer en fournit un exemple frappant : le procureur de la République se serait opposé à une intervention des gendarmes, en invoquant le dépassement d’un délai de flagrance de 48 heures non prévu par les textes, puisqu’il s’agit d’un délit continu, tandis que la sous-préfecture paraissait peu au fait de la procédure prévue à l’article 38 de la loi Dalo, et refusait de l’appliquer à une résidence secondaire. C’est finalement parce qu’elle a constaté des faits de violences conjugales au sein du couple de squatteurs que la gendarmerie nationale est intervenue, ce qui a permis aux propriétaires de récupérer leur bien.

Les représentants du ministère de l’intérieur ont admis que la procédure de l’article 38 précité était mal connue du grand public comme des préfectures. Le ministère ne dispose pas de statistiques nationales sur la mise en œuvre de cette procédure. Il m’a toutefois été indiqué que la préfecture de Paris en avait fait usage à cinq reprises au cours de l’année 2019, ce qui donne une idée de sa faible application.

Mieux faire connaître cette procédure administrative très spécifique auprès des préfets et des forces de sécurité intérieure me semble constituer un impératif. Une circulaire est en cours de préparation par les ministères concernés et nous pourrons interroger en séance la ministre à ce sujet.

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Les articles 2 à 4 de la proposition de loi élargissent le champ d’application des dispositifs anti-squat et renforcent la protection de tous les biens immobiliers, et non du seul domicile.

À cette fin, l’article 2 introduit dans le code pénal quatre nouveaux articles afin de créer un délit d’occupation frauduleuse d’un immeuble, défini comme le fait de se maintenir, sans droit ni titre, dans un bien immobilier appartenant à un tiers contre la volonté de son propriétaire ou de la personne disposant d’un titre à l’occuper. La peine encourue serait identique à celle prévue en cas de violation du domicile : trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Seraient également incriminées la propagande ou la publicité en faveur de l’occupation frauduleuse d’un immeuble, punies d’une amende de 3 750 euros.

L’article 3 de la proposition de loi modifie l’article 38 de la loi Dalo pour permettre l’utilisation de la procédure dérogatoire d’évacuation forcée en cas de maintien sans droit ni titre dans tout bien immobilier, sans subordonner le recours à cette procédure à une entrée illicite dans les lieux. Il réduit également les délais d’intervention accordés au préfet, à la fois pour prononcer une mise en demeure, puis pour procéder à l’évacuation forcée du logement.

Enfin, l’article 4 permettrait d’écarter, dans le cadre de la procédure judiciaire d’expulsion, l’application du délai de deux mois reconnu à l’occupant après la délivrance du commandement d’avoir à libérer les locaux, ainsi que le respect de la trêve hivernale, sans avoir à établir l’existence de voies de fait.

Je suis favorable aux mesures envisagées par le texte, sous réserve de six amendements que je vous présenterai à l’issue de notre discussion et qui ont été élaborés en concertation avec Dominique Estrosi Sassone, avec laquelle j’ai eu un échange tout à fait constructif lors de mes travaux préparatoires.

À la suite des auditions que j’ai menées, auprès des ministères concernés, mais aussi de l’Union nationale des propriétaires immobiliers et de la fondation Abbé Pierre, il me semble nécessaire de distinguer la situation des locataires défaillants, ou des occupants à titre gratuit qui se maintiennent dans les lieux contre la volonté du propriétaire, de celle des véritables squatteurs.

Il s’agit d’une raison d’opportunité, tout d’abord : ces personnes sont entrées dans les lieux de manière licite et elles peuvent être simplement confrontées à un accident de la vie. Pénaliser le locataire défaillant reviendrait finalement à réintroduire l’emprisonnement pour dettes….

Il s’agit également de préserver l’équilibre entre le droit constitutionnel qu’est la propriété, garantie par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le droit au logement, qui a été reconnu comme un objectif de valeur constitutionnelle. Sauf à encourir une censure pour inconstitutionnalité, il n’est pas possible de traiter comme des squatteurs des locataires défaillants, même s’il peut exister des cas de mauvaise foi éhontée chez ces derniers. La régulation des rapports locatifs soulève toutefois des questions qui dépassent le cadre de cette proposition de loi et relèvent de la commission des affaires économiques.

Je vous proposerai donc de préciser que le délit d’occupation frauduleuse d’un immeuble est constitué si l’auteur des faits s’est introduit dans les lieux à l’aide de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3688 manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, ce qui permet de viser les squatteurs sans concerner les locataires défaillants. Enfin, il me paraît nécessaire d’introduire une gradation des peines et de punir plus sévèrement le squat d’un domicile que celui de locaux qui ne sont pas utilisés comme habitation principale.

Je vous proposerai également de préciser la définition de la nouvelle infraction consistant à faire la propagande ou la publicité de l’occupation frauduleuse d’immeuble, pour ne pas être accusé de porter atteinte à la liberté d’expression des associations luttant contre le mal-logement.

Enfin, par cohérence, à l’article 3, je souhaite exclure de la procédure administrative d’évacuation forcée les locataires ou occupants entrés dans les lieux avec l’accord du propriétaire, et qui se maintiendraient contre sa volonté après résiliation du contrat de bail ou retrait de l’autorisation.

Il me semble en revanche opportun d’élargir l’application de cette procédure dérogatoire aux locaux à usage d’habitation. Nous l’avions déjà voté dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan), à l’initiative de notre collègue Marc-Philippe Daubresse, qui était rapporteur pour avis. C’est une disposition qui permet d’apporter une solution lorsque le logement illicitement occupé n’est pas encore le domicile effectif de quelqu’un – par exemple, un logement vacant entre deux locations ou un logement nouvellement acheté.

Enfin, à l’article 4, je vous proposerai de maintenir l’exigence d’une entrée dans les lieux par voies de fait pour priver un occupant du bénéfice du délai de deux mois et de la trêve hivernale dans le cadre d’une procédure d’expulsion, tout en précisant la notion de voies de fait, pour éviter certaines jurisprudences divergentes peu favorables aux propriétaires.

Vous l’aurez compris, sous réserve du recentrage de la proposition de loi sur les squatteurs, je suis tout à fait favorable à ce texte et vous demande de l’adopter modifié par les amendements que je vous présenterai après notre discussion générale.

M. Hussein Bourgi. – Cette proposition de loi est intéressante parce qu’elle répond à des situations que nous connaissons tous et toutes dans nos circonscriptions respectives. Je lui vois une vertu, mais elle pose trois problèmes. Sa vertu est de protéger, de préserver tous les types de biens immobiliers. À cet égard, l’extension de la protection est bienvenue : des terrains, des biens secondaires peuvent aussi être occupés, et ils n’étaient pas suffisamment protégés.

Mais ce texte soulève trois questions. Il double systématiquement les sanctions. Quiconque a assisté à un procès dans lequel des squatteurs sont poursuivis se rend compte que ceux-ci se répartissent en trois catégories. Il y a d’abord une petite minorité de jeunes qui ont fait le choix de vivre en communauté. Une deuxième minorité est constituée d’étrangers qui arrivent en France illégalement et sont souvent orientés par des filières. Mais l’écrasante majorité des squatteurs sont des miséreux : ce sont de petites gens, qui ont galéré pour trouver un logement auprès d’un bailleur privé ou d’un bailleur social. Lorsqu’ils arrivent devant le tribunal, on apprécie le niveau de leurs biens, de leurs moyens, avant de leur infliger une sanction. Autrement dit, nous pouvons doubler, tripler, quadrupler, quintupler même les sanctions : lorsqu’ils arriveront devant les tribunaux, on se rendra compte qu’ils vivent des minima sociaux, qu’ils ne demandent parfois même pas tant ils sont marginalisés.

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L’accroissement des sanctions peut bien satisfaire le législateur, il sera complètement inefficient, et quasiment jamais appliqué sur le terrain.

La création d’une peine complémentaire, consistant à interdire pendant trois ans à toute personne reconnue coupable d’avoir squatté d’exciper du Dalo, fabriquera des squatteurs en puissance. À qui ces personnes vont-elles s’adresser ? Aux bailleurs privés ? Mais elles ne rempliront pas les garanties pécuniaires nécessaires. Ne donnons pas le sentiment de nous acharner sur ces personnes, en ne leur laissant d’autre issue que d’aller squatter ailleurs.

Enfin, la lutte contre la publicité et la propagande risque d’entraver l’action de certaines associations, qui dénoncent la situation du mal-logement dans certaines villes, et interpellent les pouvoirs publics et l’État, sans pour autant cibler les biens des particuliers. Lorsque des biens appartenant à des particuliers sont listés, c’est souvent à travers la presse, pour pointer du doigt des milliers ou des centaines de mètres carrés qui sont inoccupés dans nos villes. Imaginerait-on engager des poursuites contre l’abbé Pierre parce qu’il dirait qu’il faut réquisitionner les logements vacants ?

Je comprends qu’on veuille protéger la propriété individuelle, mais attention à ne pas aller trop loin : il faut trouver un juste équilibre pour protéger deux droits à valeur constitutionnelle, qui sont consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. Henri Leroy, rapporteur. – Sur la question de la peine, il s’agit en fait de mettre à égalité le squatteur et le propriétaire. Ce dernier, s’il évacue lui-même le squatteur de son domicile, encourt trois ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

S’agissant de la peine complémentaire, celui qui aurait commis un délit n’aurait pas le droit de recourir au droit au logement – mais c’est à la discrétion du juge, qui peut appliquer ce dispositif, ou non.

Enfin, sur la propagande, les associations qui luttent contre le mal-logement ne sont pas concernées. Mais une amende de 3 750 euros est prévue pour ceux qui incitent au squat en donnant la conduite à tenir et en encourageant à commettre un délit. Il me paraît logique qu’un texte réprime l’incitation à commettre un délit.

EXAMEN DES ARTICLES

M. Henri Leroy, rapporteur. – Conformément à la procédure fixée par la Conférence des présidents, il nous appartient de définir le périmètre de la proposition de loi pour l’application de l’article 45 de la Constitution, relatif aux cavaliers législatifs. Compte tenu du fait que la proposition de loi tend à améliorer la lutte contre l’occupation sans droit ni titre de biens immobiliers, je vous propose de considérer comme recevable tout amendement portant sur les dispositifs permettant de dissuader et sanctionner les occupants sans droit ni titre de biens immobiliers, ainsi que de les évacuer ou les expulser.

Article 1er

L’article 1er est adopté sans modification.

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Article 2

M. Henri Leroy, rapporteur. – Mon amendement COM-1 précise le champ d’application de cet article afin de viser les seuls squatteurs, et non les locataires défaillants. La rédaction proposée pour le nouvel article 315-1 pourrait en effet donner l’impression que les locataires défaillants pourraient être poursuivis pénalement s’ils se maintiennent quelque temps dans les lieux après la résiliation de leur bail. Or tel n’est pas l’objectif de la proposition de loi.

L’amendement COM-1 est adopté.

M. Henri Leroy, rapporteur. – Mon amendement COM-2 modifie le quantum de la peine encourue en cas d’occupation frauduleuse d’un bien immobilier qui n’est pas un domicile. L’article 1er prévoit de punir de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende l’occupation frauduleuse d’un domicile. Afin de respecter le principe de proportionnalité des peines, il paraît préférable de retenir une peine plus réduite – un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende – lorsque les locaux occupés ne constituent pas un domicile.

L’amendement COM-2 est adopté.

M. Henri Leroy, rapporteur. – Cet article vise à punir des actes de complicité que le code pénal permet déjà de réprimer, puisque son article 121-7 précise que le complice est puni des mêmes peines que l’auteur de l’infraction principale. Mon amendement COM-3 supprime donc l’alinéa 7, superfétatoire.

L’amendement COM-3 est adopté.

M. Henri Leroy, rapporteur. – Mon amendement COM-4 précise la rédaction de l’alinéa 8 afin de sanctionner ceux qui diffusent un véritable mode d’emploi du squat. Ces modes d’emploi consultables en ligne encouragent les squatteurs potentiels à passer à l’acte et leur donnent toutes les astuces pour retarder l’expulsion et tenter d’échapper aux poursuites.

L’amendement COM-4 est adopté.

Article 3

M. Henri Leroy, rapporteur. – Mon amendement COM-5 recentre la procédure dérogatoire d’évacuation forcée sur les seuls squatteurs : les locataires défaillants doivent continuer à relever de la procédure d’expulsion locative classique. Il y ajoute, à l’instar de ce que la commission des lois avait déjà voté au cours de la discussion du projet de loi Elan en 2018, les locaux à usage d’habitation. Il réduit de 48 à 24 heures le délai accordé au préfet pour examiner la demande et prendre la décision de mise en demeure afin d’apporter une réponse plus rapide. À Théoule-sur-Mer, il a fallu attendre trois semaines ! Enfin, mon amendement apporte une amélioration rédactionnelle en remplaçant le terme « préfet » par les mots « représentant de l’État dans le département ».

L’amendement COM-5 est adopté.

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Article 4

M. Henri Leroy, rapporteur. – Mon amendement COM-6 clarifie les critères qualifiant le squat dans le code des procédures civiles d’exécution en reprenant les termes du code pénal. Il clarifie la rédaction de l’article L. 412-3, qui prévoit que les occupants dont l’expulsion a été ordonnée n’ont pas à justifier de titre à l’origine de l’occupation. Cette précision semble induire que le juge n’a pas à tenir compte de l’origine de l’occupation des locaux dans son appréciation de la bonne ou mauvaise foi de l’occupant. Il est donc souhaitable de la supprimer.

L’amendement COM-6 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Sort de Auteur N° Objet l’amendement

Article 2 Création du délit d’occupation frauduleuse d’un immeuble

M. Henri LEROY, 1 Réduction du champ d’application Adopté rapporteur

M. Henri LEROY, 2 Abaissement de la peine encourue Adopté rapporteur

M. Henri LEROY, 3 Suppression du délit spécifique de complicité Adopté rapporteur

M. Henri LEROY, Précision de la définition du délit de propagande et 4 Adopté rapporteur de publicité

Article 3 Extension du champ d’application de la procédure administrative d’évacuation forcée

M. Henri LEROY, Application de la procédure aux logements à usage 5 Adopté rapporteur d’habitation

Article 4 Clarification de la notion de voie de fait dans le cadre de la procédure judiciaire d’expulsion

M. Henri LEROY, 6 Clarification de la notion de voie de fait Adopté rapporteur

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Proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage – Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un contexte particulier. Le législateur s’est déjà penché récemment sur le sujet de l’accueil des gens du voyage. La loi du 7 novembre 2018, issue de propositions de loi d’initiative sénatoriale de notre ancien collègue Jean-Claude Carle et de notre collègue Loïc Hervé, a procédé à un triple renforcement du cadre juridique de la politique d’accueil des gens du voyage : elle a clarifié la répartition des rôles entre État, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), précisé les cas dans lesquels les procédures d’évacuation trouvent à s’appliquer et doublé les sanctions pénales pour l’occupation, par des gens du voyage, de terrains sans titre.

Dès lors, vous vous interrogez sûrement sur la nécessité de remettre sur le métier un sujet dont le législateur s’est saisi il y a deux ans à peine, alors que nous manquons encore de recul sur la portée et l’efficacité des dernières modifications législatives en la matière.

Cette question appelle deux réponses, qui fondent la nécessité de légiférer.

D’une part, force est de constater que des pistes d’amélioration demeurent, tant la politique territoriale d’accueil semble perfectible sur le terrain. En effet, la charge de l’accueil semble inégalement répartie entre les communes et EPCI concernés. Au surplus, les élus locaux ne sont pas toujours en mesure d’anticiper les déplacements de gens du voyage, ce qui rend leur accueil d’autant plus difficile qu’il est imprévu. Par ailleurs, nous savons tous que les stationnements illicites continuent de soulever des difficultés pour les élus locaux, qui constatent le recours trop sporadique à la procédure d’évacuation d’office, pourtant prévue par le législateur.

D’autre part, le Sénat a porté avec constance des positions fortes sur le sujet de l’accueil des gens du voyage : l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté et celui, en 2017 et 2018, des propositions de loi de Jean-Claude Carle et Loïc Hervé ont ainsi été l’occasion pour notre chambre de porter divers dispositifs qui, faute d’avoir été retenus au cours de la navette parlementaire, ne figurent pas dans la loi aujourd’hui. Les difficultés auxquelles ces dispositifs entendaient répondre n’en persistent pas moins et appellent à réitérer une réponse législative dont la nécessité ne s’est pas démentie.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui poursuit ainsi trois objectifs principaux : créer les conditions d’une meilleure anticipation des déplacements de résidences mobiles ; améliorer la gestion des aires d’accueil de gens du voyage ; et renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.

Afin d’atteindre le premier de ces objectifs et d’éviter les risques de saturation des aires d’accueil, l’article 1er de la proposition de loi prévoit le recensement par le préfet de région de l’ensemble des groupes de résidences mobiles de gens du voyage dont l’accueil est prévu à l’horizon de soixante jours. En cas de saturation d’une aire d’accueil, il serait en mesure de réorienter l’un ou plusieurs des groupes envisageant de s’installer sur l’aire concernée. Ce dispositif soulève à la fois des difficultés pratiques – les préfectures de région n’étant, selon toute vraisemblance, pas en mesure de déployer un tel recensement – et des risques juridiques, tenant notamment à la protection des données personnelles.

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Je comprends néanmoins pleinement les objectifs poursuivis par cet article. Afin d’en pallier les difficultés techniques tout en préservant l’esprit ayant présidé à sa rédaction, je vous proposerai donc d’adopter un amendement substituant au recensement une stratégie régionale de gestion des déplacements de résidences mobiles. Je tiens à souligner que le dispositif permettrait d’atteindre les objectifs d’une meilleure anticipation des déplacements de groupes de résidences mobiles et d’une pleine association des collectivités territoriales concernées.

Le deuxième but de la présente proposition de loi est d’améliorer la gestion des aires d’accueil des gens du voyage. À cette fin, elle prévoit principalement la possibilité pour les communes et EPCI concernés de subordonner à une réservation préalable l’accès aux aires d’accueil. Le dispositif ainsi prévu par l’article 2 m’a néanmoins paru perfectible sur le plan technique. Je vous proposerai en conséquence d’adopter un amendement prévoyant une réécriture globale, plus robuste, de l’article.

Il m’a en particulier semblé judicieux, conformément à l’équilibre juridique préservé par le législateur entre devoirs d’accueil et droit de lutter contre les stationnements illicites, d’adapter le champ d’application du nouveau dispositif aux seuls communes et EPCI à jour de leurs obligations d’accueil. J’ai également veillé à réintroduire explicitement au sein de cet article le dispositif de réorientation initialement prévu à l’article 1er. L’amendement que je vous proposerai d’adopter tend enfin à préciser les conditions dans lesquelles le préfet peut procéder à l’évacuation d’office des personnes stationnant sans réservation ou en méconnaissance d’une réservation préalablement acceptée.

D’autres dispositions de la proposition de loi visent également à faciliter, pour les collectivités territoriales concernées, la gestion des aires d’accueil. L’article 4 tend ainsi à comptabiliser les emplacements des aires permanentes d’accueil des gens du voyage dans les quotas de logements sociaux auxquels sont soumises certaines communes. L’article 5 prévoit pour sa part de supprimer la procédure de consignation de fonds pour les communes et EPCI ne respectant pas leurs obligations en matière d’accueil. Déjà examinées et adoptées en des termes identiques par le Sénat, ces dispositions relèvent du bon sens et me semblent pouvoir être adoptées sans modification particulière.

Enfin, le troisième et dernier objectif poursuivi par la présente proposition de loi est le renforcement de la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite, prévue à l’article 9 de la loi dite Besson II. Nous connaissons tous la situation inacceptable dans laquelle peut se trouver une commune ou un EPCI qui, respectueux de ses obligations et confronté à une occupation illicite, voit le préfet opposer une fin de non-recevoir à ses demandes légitimes d’évacuation.

À cet égard, le renforcement de la procédure, d’une part via le doublement de la période pendant laquelle court la mise en demeure du préfet et, d’autre part, par l’obligation du préfet à procéder à l’évacuation d’office dès lors qu’à son échéance la mise en demeure n’a pas été suivie d’effet, me semblent tout à fait bienvenus.

J’ai néanmoins estimé, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, que le dispositif d’astreinte initialement proposé n’était pas suffisamment opérationnel. Rendue redondante par la compétence liée du préfet pour procéder à l’évacuation d’office, une telle disposition semblait finalement – bien que j’en comprenne l’intention – dépourvue d’effet concret. Je vous proposerai en conséquence un amendement tendant à supprimer ce dispositif.

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À titre plus subsidiaire, l’article 7 de la proposition de loi, auquel je souhaite apporter des modifications rédactionnelles, prend acte d’une censure partielle du Conseil constitutionnel relative à l’article 9 de la loi Besson II.

Permettez-moi à présent d’évoquer deux articles qui ne semblent pas apporter une réponse satisfaisante aux trois objectifs que je viens d’évoquer. Leur présence dans la proposition de loi me paraît, au regard de leur faible valeur ajoutée ou des risques constitutionnels qu’ils soulèvent, de nature à mettre en péril sa cohérence.

En premier lieu, l’article 3 renforce le poids des communes et EPCI dans l’élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI). L’introduction de cette disposition paraît inopportune : l’article présente plusieurs problèmes techniques et reprend un amendement rejeté par le Sénat en séance publique lors de l’examen de la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et proximité. Une telle disposition semble au surplus inutile puisque les SDCI ne comportent pas de dispositions en matière d’accueil des gens du voyage, et leur révision est devenue facultative depuis le vote de cette loi. Je vous proposerai en conséquence de supprimer cet article.

En second lieu, l’article 6 limite la proportion de gens du voyage inscrits sur les listes électorales d’une commune à un plafond de 3 % de la population municipale. Cet article revient à restaurer le volet électoral du dispositif de la commune de rattachement qui a été abrogé par la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. D’une part, il court le risque d’être concrètement dépourvu de toute applicabilité : le répertoire électoral unique, dont sont désormais extraites les listes électorales des communes, ne permet pas la prise en compte d’informations relatives à l’appartenance des électeurs à la catégorie de gens du voyage. D’autre part, l’article pose plusieurs risques constitutionnels au regard du principe de liberté de choix du domicile, mais aussi, et surtout, du principe d’égalité devant l’exercice des droits civiques. Au vu des difficultés posées par cet article, je vous proposerai de le supprimer.

C’est donc un texte équilibré et respectueux des intentions de ses auteurs que je vous propose d’adopter.

Je tiens d’ailleurs à remercier chaleureusement les auteurs de la proposition de loi, qui se sont systématiquement rendus disponibles pour échanger, chemin faisant, sur les pistes de solution que je vous propose aujourd’hui.

Ces solutions ayant emporté leur pleine adhésion, je vous les présente aujourd’hui dans un esprit de consensus, convaincue de leur bien-fondé et de leur opérationnalité. J’espère qu’elles recueilleront votre plein et entier soutien.

M. Loïc Hervé. – Je tiens à féliciter notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio pour son travail très complet, et je remercie les auteurs de ce texte, qui nous donnent l’occasion de faire un point sur cette problématique.

Je ne fais pas partie des élus qui ont une vision romantique de l’accueil des gens du voyage. Dans mon département, la Haute-Savoie, la situation est compliquée. Elle le demeure malgré la crise sanitaire, et les élus sont toujours confrontés aux mêmes difficultés.

Le problème de fond dans la loi Besson II est qu’elle a inversé la charge de l’accueil, la faisant reposer sur les élus locaux et non sur les gens du voyage. L’accueil des

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3695 gens du voyage est ainsi une politique publique qu’il est compliqué de mener sur le terrain. Les élus sont souvent des gens de bonne volonté, qui essaient d’apporter un maximum de solutions concrètes. Cela coûte extrêmement cher – le groupe Union centriste a d’ailleurs déposé un amendement à ce sujet. Et, à la fin, c’est le maire qui est responsable, voire coupable, de ne pas avoir mis en place suffisamment de choses pour l’accueil des gens du voyage ! C’est assez difficile à vivre pour les élus. J’ai eu la chance de pouvoir faire une campagne sénatoriale pendant l’été, et je peux vous assurer que, dans mon département, le sujet est presque systématiquement mis sur la table par les élus, y compris dans les petites communes rurales, où le problème se pose plusieurs fois par an.

L’examen de cette proposition de loi est aussi l’occasion de faire le point sur l’application de la loi issue de la fusion entre la proposition de loi de Jean-Claude Carle et la mienne, que l’Assemblée nationale avait partiellement vidée de leur contenu. Avec Catherine Di Folco, qui était rapporteur, nous avions fait un travail minutieux de mise à plat des différents problèmes qui se posaient sur la politique d’accueil des gens du voyage et proposé, pour chacun, des pistes de solutions concrètes. L’Assemblée n’en a conservé qu’une petite partie, et le Sénat a fait le choix, pour en assurer l’entrée en vigueur rapide, d’adopter le texte tel que voté par l’Assemblée

Ce texte comportait entre autres avancées une innovation intéressante : l’amende forfaitaire délictuelle en cas d’installation illicite. À ce jour, les dispositions afférentes figurent dans le code pénal, mais elles ne sont pas appliquées, ce qui pose une vraie difficulté. J’ai alerté le ministre de l’intérieur hier sur ce sujet, et nous devrions voir la mise en œuvre de cette amende forfaitaire délictuelle en octobre – ce qui est un délai extrêmement long, beaucoup trop long si on le confronte à la réalité de terrain vécue par les élus ! Nous devrons, dans l’hémicycle, mettre la pression pour que cette amende forfaitaire délictuelle, qui produit des résultats tout à fait intéressants en matière de trafic de stupéfiants ou de toxicomanie, soit mise en œuvre rapidement.

M. Jean-Yves Leconte. – On comprend le dépôt de cette proposition de loi, vu les difficultés qui viennent d’être évoquées. Si la loi Besson II a mis en place un certain nombre d’obligations, et que celles-ci, au cours des dernières années, sont passées des communes aux EPCI, cela tient aussi à une difficulté : compte tenu du nombre de personnes qui font partie de cette communauté et qui bougent, il n’y a pas suffisamment d’aires d’accueil pour permettre la mobilité. Notre rôle n’est pas simplement de donner des réponses aux élus : nous devons en donner aussi, et surtout, aux gens du voyage qui, pour être mobiles, ont besoin d’un certain nombre de places.

Mme Catherine Di Folco. – Mais il y en a !

M. Jean-Yves Leconte. – Les schémas départementaux prévoient environ 36 500 places en aires permanentes d’accueil, et nous en avons environ 27 300 sur l’ensemble du territoire. Seules 75 % environ des places prévues par les schémas départementaux en aires permanentes d’accueil existent donc dans les faits, et ce chiffre ne progresse plus beaucoup. En revanche, moins d’un quart des schémas départementaux d’accueil des gens du voyage sont réalisés à 100 %. Il n’y a donc pas suffisamment de places d’accueil. Lorsqu’il y a occupation illicite, le préfet sait bien qu’il peut difficilement procéder à l’évacuation d’office s’il n’a pas de solution de repli pour les personnes concernées. Ces dernières années, des solutions ont été mises en place, en particulier pour les communes et EPCI qui remplissent leurs obligations, afin de permettre des expulsions plus rapides en cas d’occupation illicite.

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N’oublions pas, toutefois, que nous parlons d’une communauté qui a été particulièrement touchée par la pandémie, étant donné son mode de vie et ses activités, souvent commerçantes et foraines.

Je salue le travail de la rapporteure. Il y a effectivement des articles qui posent problème : l’article 3, notamment, et l’article 6 portant sur des questions électorales, de ce fait quelque peu hors sujet, et posant des problèmes constitutionnels. Je suis d’accord avec leur suppression.

Pour le reste, Loïc Hervé a raison : il y a une certaine nonchalance du Gouvernement à mettre en œuvre les dispositions qui ont été votées.

M. Loïc Hervé. – C’est le moins qu’on puisse dire…

M. Jean-Yves Leconte. – L’article 8, à cet égard, est redondant avec le droit existant. Pourquoi le voter alors que nous n’avons même pas évalué l’existant ?

La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, votée début 2017, avait mis en place un système de consignation pour les communes qui ne remplissaient pas leurs obligations, puisque le pouvoir de substitution du préfet, qui existe, n’avait jamais été mis en œuvre. Elle avait également précisé le contenu des schémas départementaux et les modalités d’accueil. Le Gouvernement a mis plus de deux ans à prendre les décrets d’application de ces dispositions ! Cette nonchalance pose question.

Puisque les dispositions qui avaient fait évoluer la législation n’ont pas été mises en œuvre par le Gouvernement, et qu’on peut donc difficilement les évaluer, il est difficile d’envisager leur suppression – ou leur aggravation, en ce qui concerne la procédure d’évacuation d’office. Nous ne serons pas favorables à cette proposition de loi.

Mme Françoise Gatel. – Je souhaite à mon tour remercier les auteurs, la rapporteure et saluer le travail qu’on ne cesse de faire au Sénat, et qui montre que cette question n’est pas réglée. Comme souvent, il y a de la perte en ligne dans l’application des dispositions législatives, et le plus difficile est de parcourir le dernier kilomètre !

La loi Besson II revenait à fixer, au sein des schémas départementaux, un nombre de places selon la taille des communes. Il était nécessaire, à l’époque, de faire un effort pour accueillir les gens du voyage. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Certaines communes ou intercommunalités, qui se sont acquittées de leurs obligations et offrent pléthore de places, voient celles-ci occupées à hauteur de 35 % ! Dans mon département, tout autour de la commune dont j’ai eu la chance d’être maire, il y avait cinq ou six aires, qui n’étaient guère plus occupées qu’à hauteur de 35 % – et cela coûtait une joyeuse fortune aux collectivités. Les gens du voyage, comme nous tous, se regroupent par affinité. En outre, ils se sédentarisent. On ne peut pas dire qu’on manque de place. Simplement, se posent de vraies questions de rassemblement de résidences mobiles qui vont bien au-delà de la capacité de l’aire d’accueil. Ce texte est intéressant, car il répond à une forte attente des élus locaux, et à une incompréhension de la population, qui est verbalisée pour toutes sortes d’infractions, et voit de manière régulière des gens du voyage arriver dans des zones d’activités ou sur des terrains sans aucune contrainte.

M. Dany Wattebled. – Dans le Nord, nous avons subi depuis un an une vraie pression des gens du voyage. Même les communes et intercommunalités qui sont en règle ont

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3697 eu des difficultés. Ainsi, Lesquin, qui avait fait une aire de grand passage, a vu celle-ci occupée avant qu’elle ne soit achevée. Bien souvent, les préfets ne réagissent pas, alors que la loi les y oblige. Nous avons donc, et pendant encore un an, 200 caravanes… Nous avions aussi des gens du voyage qui étaient installés sur une commune et que nous avons voulu déplacer sur un aéroport non loin. Ils ont refusé, parce qu’il y avait déjà une autre communauté sur place…

Il serait intéressant de faire un point très précis de tous les départements. Combien d’aires d’accueil sont réellement disponibles ? Il faut faire une analyse approfondie des besoins, et ne pas recréer partout des aires d’accueil dans chaque département. Cette proposition de loi est bienvenue, parce qu’il est temps de mettre des règles, et surtout de les faire appliquer. Il y a bien sûr la question de la bonne gestion du temps de nos policiers ou de nos gendarmes : si on les déplace régulièrement, il y a des heures supplémentaires à payer.

Ce texte n’évoque pas les dégradations. Pourtant, certaines communautés, avant de partir dégradent les aires d’accueil sans qu’aucune poursuite ne soit engagée. Nous avions prévu des dispositions dans le texte précédent, mais elles ont été retirées par l’Assemblée nationale. C’est le seul volet qui manque à ce texte. Pourtant, on sait qui est là, on fait faire un relevé par des huissiers, pour pouvoir, en cas de dégradation, exiger un paiement. C’est trop facile de partir ! J’ai vu des locaux d’activité dégradés de fond en comble – jusqu’aux câbles !

Mme Catherine Di Folco. – Merci pour ce travail. J’espère que ces propositions retiendront un peu plus l’attention de nos collègues députés que celles que nous avions faites en 2018, qui avaient été largement élaguées. Je partage complètement les propos de Loïc Hervé. Mme Gatel a raison : les aires d’accueil ne sont pas occupées à 100 %. Dans cette proposition de loi, nous avions prévu de ne pas imposer de construction d’aires supplémentaires si celles qui existaient n’étaient pas occupées au-delà d’un certain pourcentage qui aurait été fixé par un décret. C’est cette disposition qui avait été supprimée par l’Assemblée nationale, ce qui est regrettable. Il faut déjà que les aires soient occupées à 100 %. Certes, les communes ne se sont peut-être pas toutes acquittées de leurs obligations, mais il faut savoir ce que cela coûte, en investissement et en fonctionnement ! Il est temps de rationaliser l’usage des deniers publics.

Mme Brigitte Lherbier. – Dans le Nord, quand j’étais adjoint à la sécurité de Tourcoing, j’ai eu très souvent à procéder à des évacuations. Pour un élu, c’est une expérience douloureuse. On déplace les gens d’un endroit à l’autre, et l’on n’a pas de solution pérenne : la plupart du temps, c’est pour recommencer le même processus un peu plus tard. Tourcoing étant limitrophe de la Belgique, les gens du voyage restaient en France plutôt que d’aller en Belgique, où les règles étaient beaucoup plus sévères.

Il faut faire une différence entre les différentes catégories de gens du voyage. Les forains, qui se déplacent pour les fêtes foraines, ne posent que rarement des problèmes. Ils ont souvent des terrains et sont organisés. Les gens qui vivent en caravane, et qui n’ont pas vraiment de grands déplacements à faire, posent davantage de problèmes. J’ai siégé dans la commission consultative des gens du voyage du département pendant très longtemps. On voyait qu’il s’agissait de gens très précaires, qui voulaient absolument vivre en caravane, alors qu’ils auraient pu bénéficier d’habitats sociaux. Dans les schémas départementaux, on organise des points d’accueil. Dans le Nord, la plupart sont pleins, et les grandes aires de passage sont souvent remplies de gens qui sont sédentaires. Ces personnes se regroupent en famille et ne bougent pas. Du coup, les nouveaux arrivants occupent des aires illicites, parce que les aires aménagées sont déjà occupées par ces personnes sédentaires. C’est vrai qu’il

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3698 existe encore des places libres, mais on m’a dit, à la métropole européenne de Lille, que les frais demandés pour aller sur ces aires étaient peut-être trop importants.

De toute évidence, les occupations sauvages constituent une très lourde charge pour les villes concernées. Quand on concevait les schémas départementaux, toutes les communes n’étaient pas représentées. Certaines essaient de trouver des solutions en amont. Beaucoup voient cela comme une lourde contrainte. Bref, cette proposition de loi est bienvenue.

M. Éric Kerrouche. – Les difficultés sont différentes, non seulement en fonction de la typologie des aires, mais également en fonction du lieu dans lequel on se trouve. Les aires d’accueil évoluent. Dans les Landes, elles sont très remplies, mais largement de personnes sédentarisées, qui attendent parfois un autre type de logement.

Dans les départements touristiques comme le mien, les problèmes proviennent avant tout des aires de grand passage. Aussi, certains EPCI ne respectent pas leurs obligations. Et, quand bien même vous respectez les vôtres, cela ne veut pas dire que les dispositions dont vous êtes censés bénéficier par ailleurs sont effectivement appliquées.

Sur les aires de grand passage, nous avons un vrai problème, qui est un problème de quantité. Pour parler clairement, c’est la quantité de résidences mobiles présentes qui fait que les forces de l’État peuvent intervenir ou non. En fonction du nombre de caravanes, il y a une possibilité de déloger, ou pas. Il faut donc faire un bilan, au niveau national, de la répartition des aires de grand passage, car c’est là que les problèmes estivaux se posent particulièrement. Le sentiment d’envahissement est souvent périodique et singulièrement ponctuel. Comme Jean-Yves Leconte, je ne suis pas certain qu’il faille encore ajouter d’autres mesures à celles qui existent déjà, et que nous n’avons pas évaluées.

M. Alain Richard. – Notre groupe s’abstiendra sur cette proposition de loi. En effet, nous sommes extrêmement sceptiques quant à l’utilité d’un nouvel acte législatif en la matière, alors que l’application de la loi existante pose déjà de sérieuses difficultés.

Il est difficile de trouver des solutions permettant le maintien en circulation de la partie de la communauté qui continue à se déplacer, la quasi-totalité des aires étant devenue des aires de sédentarisation. Au reste, la formule des terrains familiaux locatifs correspond mal aux attentes des familles de voyageurs qui souhaitent se sédentariser et devenir propriétaires. Les conflits d’usage sont assez fréquents.

Il nous semble qu’il faut plutôt poursuivre la concertation avec les élus locaux et les associations représentatives, de manière à assurer le respect des textes en vigueur.

Mme Cécile Cukierman. – Le sujet est extrêmement sensible. Derrière les discours et la bonne volonté affichée, les difficultés subsistent au niveau local. Pour les élus locaux, il est parfois plus délicat d’ouvrir une aire d’accueil qu’une déchèterie ou une prison, car cela fait débat dans la population.

Il faudrait peut-être réfléchir à une typologie qui permette de refléter l’existence de plusieurs catégories de gens du voyage.

Je m’interroge sur l’effectivité réelle dans le temps de l’article 2. La réservation préalable ne réglera qu’une partie des difficultés. Le problème des grands rassemblements restera posé. Ces dernières années, de véritables efforts ont été faits pour trouver des espaces,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3699 mais, dans les faits, une partie des gens du voyage se sédentarisent, ce qui pose la question des places disponibles à terme sur les aires d’accueil. Nos concitoyens demandent que l’on accompagne ces populations et que l’on facilite leur insertion, notamment via l’école, mais les aires ne sont pas forcément faites pour un usage permanent et sédentaire.

Mon groupe ne votera pas cette proposition de loi. À titre personnel, je pense qu’il faut s’interroger. On sait que l’ensemble des articles issus de la proposition de loi de Jean- Claude Carle et Loïc Hervé n’ont pas été appliqués. Si les lois ne sont pas appliquées, c’est notre démocratie qui est en danger.

Nous aurons à travailler, dans l’avenir, sur une typologie des gens du voyage et à réfléchir aux réponses à apporter à des questions très particulières. Ainsi, deux difficultés se posent dans mon département : celle de personnes très marginales qui se réfugient dans le statut des gens du voyage et celle des grands déplacements collectifs. Il y a parfois des soucis avec les forains, mais je constate que les communes savent s’organiser au sein d’une vallée pour supporter l’accueil temporaire que nécessite, par exemple, l’organisation de la Vogue des noix à Firminy.

M. Jean-Pierre Sueur. – Personne ne peut disconvenir du fait que la loi n’est pas appliquée. Plutôt que de faire une nouvelle loi, pourquoi ne demande-t-on pas, par voie de résolution, l’application par les ministres et les préfets de la loi existante ?

Un rassemblement de 15 000 gens du voyage a lieu chaque année dans un village de 1 200 habitants de mon département. Ce n’est pas facile et cela pose des problèmes concrets, mais nous parvenons à gérer la situation.

Sur la question de la consignation de fonds, nous avons voté une loi en 2017. Cette loi ne semble pas avoir fait l’objet d’une réelle application. Pourquoi la supprimer alors que, n’ayant pas été suffisamment appliquée, elle ne peut, par définition, être correctement évaluée ?

M. Mathieu Darnaud. – Je partage la frustration qui résulte du défaut d’application des textes que nous avons votés. Nous gagnerions à demander au Gouvernement qu’il fasse le nécessaire pour que la loi entre en vigueur.

Il n’en demeure pas moins que nous sommes quotidiennement interpelés par les élus locaux. Il n’est pas anormal de vouloir enrichir la loi, qui mérite des compléments et des aménagements.

Singulièrement, il va falloir traiter le problème, essentiel, du dol pour les collectivités : alors qu’on les a obligées à investir pour réaliser des aires d’accueil des gens du voyage, elles voient des espaces publics occupés, ce qui entraîne, parfois, des coûts particulièrement importants, notamment lorsqu’il s’agit de petites collectivités.

Oui, le législateur doit mettre la pression sur le Gouvernement pour que le texte s’applique – nous sommes tous d’accord –, mais nous devons aussi l’enrichir sur certains points.

Mme Laurence Harribey. – Je veux mettre en garde contre la multiplication des textes, qui peut aussi se retourner contre le Parlement : cela peut donner l’impression que le travail du législateur ne sert pas à grand-chose, faute de décret d’application.

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N’oublions pas que nous sommes les représentants des territoires. En multipliant les textes qui ne seront pas mis en œuvre, on ne sert pas la fonction législative.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – On voit bien que le débat intéresse et interroge chacun d’entre nous. C’est un vrai sujet sur tous les territoires.

Nous pouvons regretter que la loi de 2018 ne soit pas appliquée, et il appartient à chacun d’entre nous d’interpeler le Gouvernement sur la lenteur de sa mise en application.

Je pense néanmoins que nous devons à nouveau légiférer : il est dans notre rôle de rechercher les perspectives d’amélioration des textes existants, même si le Gouvernement n’a pas été capable de les appliquer rapidement.

À titre d’exemple, la loi Besson II prévoit que les grands rassemblements doivent être anticipés avec le préfet et les élus. Le dispositif que je propose à l’article 2 est au contraire concentré sur les rassemblements de moins de cent-cinquante résidences mobiles et vient ainsi compléter l’existant.

La proposition de loi vise à renforcer le rôle et les obligations de l’État, en particulier du préfet, dans la mise en œuvre d’un certain nombre de dispositifs. L’article 1er conforte l’implication du préfet de région, ce qui permettra d’avoir une vision régionale du problème dans les départements. Force est de constater que seules 50 % des aires de grand passage prévues ont été réalisées et que 24 schémas départementaux d’accueil des gens du voyage seulement sont respectés dans l’intégralité de leurs prescriptions au titre de la loi Besson II.

Comme l’ont montré les auditions, les gens du voyage doivent également être responsabilisés. Ils ont des droits, mais aussi des devoirs. Il nous appartient de rappeler les lois et les règles qui régissent les espaces que nous leur proposons, de manière à ce que les élus locaux n’aient pas à assumer des coûts exorbitants de remise en état. Nous devons avancer les uns avec les autres.

La sédentarisation a plusieurs visages. Elle est lente à se mettre en place. Elle est souvent compliquée et coûte très cher aux collectivités. Elle est dans l’air du temps et est souhaitée par les gens du voyage, mais ce n’est pas un choix politique et financier anodin pour les élus.

EXAMEN DES ARTICLES

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – En application du vade- mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d’arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Je vous propose d’indiquer que ce périmètre comprend notamment les dispositions relatives, d’une part, à la gestion des aires d’accueil des gens du voyage et, d’autre part, aux sanctions et procédures applicables dans le cas de stationnements illicites de résidences mobiles de gens du voyage.

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Article 1er

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-7 tend à instituer une stratégie régionale de gestion des déplacements de résidences mobiles de gens du voyage.

M. Loïc Hervé. – Je suis favorable à ce que l’on donne de nouvelles responsabilités au représentant de l’État, notamment au plan régional. Je tiens cependant à souligner que la personnalité des préfets joue énormément. D’un préfet à l’autre, les stratégies territoriales peuvent être très différentes. Les préfets sont plus ou moins allants dans l’application des mesures.

En Haute-Savoie par exemple, la donnée démographique est intégrée dans l’élaboration du schéma départemental. Un préfet a considéré que le nombre de places devait suivre l’augmentation démographique du département, créant des contraintes supplémentaires. Alors que les schémas ont une durée de vie très courte, la pression monte d’année en année…

L’amendement COM-7 est adopté.

Article 2

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-8 vise à garantir la solidité juridique du dispositif de réservation de places de stationnement.

L’amendement COM-8 est adopté.

Article 3

L’amendement de suppression COM-9 est adopté.

Article 6

L’amendement de suppression COM-10 est adopté.

Article 7

L’amendement rédactionnel COM-11 est adopté.

Article 8

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-12 vise à supprimer le dispositif d’astreinte en cas de stationnement illicite, qui serait pratiquement inappliqué.

L’amendement COM-12 est adopté.

Articles additionnels après l’article 8

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-1 a pour objet de prévoir la possibilité de mise en œuvre de la procédure administrative d’évacuation d’office dans les communes et EPCI qui ne respectent pas leurs obligations, mais qui prennent les mesures nécessaires dans le respect du calendrier déterminé par l’État.

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Les collectivités qui, sans être à jour de leurs engagements, font des efforts en ce sens, pourraient bénéficier des mêmes règles d’évacuation d’office que celles qui respectent au schéma départemental.

Je ne suis pas opposée à cette disposition. Dans le même esprit que, en vertu de la loi SRU, les communes qui prouvent qu’elles construisent des logements sociaux ne paient pas la même amende que celles qui ne font rien.

En revanche, je suis défavorable à la mise en demeure prévue par l’amendement. Je propose donc à M. Pellevat de retravailler l’amendement d’ici à la séance publique.

L’amendement COM-1 n’est pas adopté.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-5 est en partie déjà satisfait sur le fond. Son dispositif de mise en demeure pose un problème constitutionnel.

L’amendement COM-5 n’est pas adopté.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-4 rectifié tend à renforcer le dispositif de saisie des véhicules constituant une habitation en permettant leur déplacement de force. Je note que cette disposition pourrait être très difficile à appliquer.

M. Loïc Hervé. – Nous l’avons déjà votée : c’est la stricte reprise du texte de Catherine Di Folco.

M. François-Noël Buffet, président. – Le Sénat doit maintenir sa position, tout en ayant conscience que l’effectivité de la mesure ne va pas de soi.

M. Loïc Hervé. – J’ai conscience de la difficulté matérielle que représente le transport de caravanes : il faut à tout le moins mobiliser des dépanneuses… Le but est cependant de pouvoir menacer d’un transfert lorsqu’une aire d’accueil située à quelques kilomètres n’est pas occupée.

L’amendement COM-4 rectifié est adopté.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – L’amendement COM-6 rectifié vise à modifier les dispositions pénales relatives au stationnement illicite.

Il pose un problème technique : alors que le dispositif proposé prévoit de créer une circonstance aggravante lorsqu’une dégradation de biens est commise à l’occasion d’une installation illicite de gens du voyage, l’objet de l’amendement indique qu’il crée une peine complémentaire d’interdiction de paraître pour ces mêmes installations illicites.

M. Loïc Hervé. – Je le retire. Je le retravaillerai d’ici à la séance publique.

L’amendement COM-6 rectifié est retiré.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. – Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié ont pour objet la remise au Parlement de rapports annuels du

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Gouvernement. Mes chers collègues, vous connaissez la position constante de la commission des lois et du Sénat en général sur la production de rapports !

Par ailleurs, la Commission nationale consultative des gens du voyage fournit de nombreux éléments sur ces sujets.

Je sollicite donc le retrait de ces amendements.

M. Loïc Hervé. – Je suis solidaire de la position du Sénat sur les demandes du rapport au Gouvernement. Toutefois, ces demandes de rapport constituent souvent le seul moyen d’aborder un sujet dans une discussion.

Outre cette demande de rapport, il serait possible de créer avec la commission des finances une mission d’information sur le coût de l’accueil des gens du voyage en France.

On a parlé du coût que représente la construction d’aires d’accueil pour les collectivités. Or, plus les aires restent vides, plus elles coûtent cher, puisque les compensations de la Caisse d’allocations familiales sont fonction de l’occupation. Pour autant, les coûts de fonctionnement sont réels. La remise à niveau d’une aire à la suite de dégradations se chiffre en centaines de milliers d’euros.

Depuis la disparition du carnet de circulation, on ne sait plus dénombrer la population des gens du voyage, d’autant que les chiffres évoluent sur l’année. Certains gens du voyage sont semi-sédentaires.

Nous devons avoir une idée du coût global de l’accueil des gens du voyage dans notre pays. Sur une politique publique de ce niveau, nous devons disposer de chiffres totalement rationnels et agrégés.

Dans quelques semaines, le Sénat va examiner le texte confortant le respect des principes de la République. En France, des milliers d’enfants ne sont pas scolarisés. À l’adolescence, les enfants du voyage, notamment les filles, sont retirés de l’école. En théorie, ces élèves sont inscrits dans un établissement scolaire ou au Centre national d'enseignement à distance (CNED), mais, dans les faits, ils ne vont pas à l’école. Je pense que nous sommes tous complices de cette situation. Nous fermons les yeux sur la réalité. Il y a un travail considérable à mener.

Il existait autrefois des classes mobiles et des instituteurs détachés qui allaient au plus près des familles. Cela n’existe plus. Les enfants du voyage doivent pouvoir être libres de choisir leur vie lorsqu’ils atteignent l’âge adulte. C’est un enjeu considérable pour l’école de la République.

Je redéposerai ces deux amendements en séance.

Les amendements COM-2 rectifié et COM-3 rectifié sont retirés.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

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Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Sort de Auteur N° Objet l’amendement

Article 1er Recensement et réorientation des groupes de résidences mobiles en cas de saturation des aires d’accueil

Mme EUSTACHE- Stratégie régionale de gestion des déplacements de 7 Adopté BRINIO, rapporteure résidences mobiles de gens du voyage

Article 2 Faculté de soumettre à une réservation préalable l’accès aux aires d’accueil

Mme EUSTACHE- Renforcement de la solidité juridique du dispositif 8 Adopté BRINIO, rapporteure de réservation de places de stationnement

Article 3 Renforcement du poids des communes et EPCI dans l’élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale

Mme EUSTACHE- 9 Suppression de l’article 3 Adopté BRINIO, rapporteure

Article 6 Limitation à 3 % de la part de gens du voyage dans le corps électoral d’une commune

Mme EUSTACHE- 10 Suppression de l’article 6 Adopté BRINIO, rapporteure

Article 7 Prise en compte de la censure partielle de l’article 9 de la loi « Besson II » par la décision n° 2019-805 QPC du Conseil constitutionnel

Mme EUSTACHE- 11 Amendement rédactionnel Adopté BRINIO, rapporteure

Article 8 Renforcement de la procédure administrative d’évacuation d’office des résidences mobiles de gens du voyage en cas de stationnement illicite

Mme EUSTACHE- Suppression du dispositif d’astreinte en cas de 12 Adopté BRINIO, rapporteure stationnement illicite

Articles additionnels après l’article 8 Possibilité de mise en œuvre de la procédure administrative d’évacuation d’office dans les communes et EPCI qui ne respectent pas leurs M. PELLEVAT 1 Rejeté obligations mais qui prennent les mesures nécessaires dans le respect du calendrier déterminé par le représentant de l’État Limitation de la durée de stationnement sur les aires M. PELLEVAT 5 Rejeté permanentes d’accueil et aires de grand passage Saisie des véhicules constituant une habitation et M. Loïc HERVÉ 4 rect. Adopté déplacement de force Modification des dispositions pénales relatives au M. Loïc HERVÉ 6 rect. Retiré stationnement illicite

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Sort de Auteur N° Objet l’amendement Remise au Parlement d’un rapport annuel du M. Loïc HERVÉ 2 rect. Gouvernement relatif au coût de la politique Retiré d’accueil des gens du voyage Remise au Parlement d’un rapport annuel du M. Loïc HERVÉ 3 rect. Gouvernement relatif à la scolarisation des enfants Retiré de familles itinérantes

Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels – Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Notre commission est appelée à examiner ce matin la proposition de loi déposée par Annick Billon et plusieurs de nos collègues visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Elle sera débattue dans l’hémicycle le 21 janvier prochain, dans le cadre d’un espace réservé.

Cette proposition de loi a pour objet de créer un nouveau crime sexuel sur mineur de treize ans, de façon à poser dans le code pénal un interdit sociétal clair et de manière à mieux protéger les jeunes adolescents contre les violences sexuelles qui peuvent être commises par des adultes.

Ces dernières années, le Sénat a mené plusieurs travaux de contrôle, qui ont montré que les violences sexuelles sur mineurs demeuraient trop rarement réprimées par les juridictions pénales. Trop souvent, les victimes n’osent pas dénoncer ce qu’elles ont subi et beaucoup de plaintes sont classées sans suite, faute de preuves.

La proposition de loi est examinée deux ans et demi après l’entrée en vigueur de la loi Schiappa du 3 août 2018. Cette loi a amélioré les dispositions pénales tendant à protéger les mineurs, mais elle n’a pas donné satisfaction à tous les acteurs de la protection de l’enfance. Certains, en effet, appellent de leurs vœux la création d’une nouvelle infraction ou une modification de la définition du viol, afin qu’il ne soit plus nécessaire de s’interroger, au cours du procès pénal, sur l’éventuel consentement du jeune mineur qui aurait eu un rapport sexuel avec un majeur.

La proposition de loi de nos collègues vise à répondre à cette attente en créant une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, laquelle serait constituée en cas de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’elle soit, commise par un majeur sur un mineur de treize ans, dès lors que l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime.

La peine encourue serait la même que celle aujourd’hui prévue pour viol sur mineur de quinze ans, soit vingt ans de réclusion criminelle. La peine serait portée à trente ans de réclusion en cas de décès du mineur et à la réclusion criminelle à perpétuité en cas d’actes de torture ou de barbarie.

À la différence du viol ou de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il y a eu un élément de contrainte, de menace de violence ou de surprise, dont la preuve est souvent difficile à rapporter.

Je voudrais souligner que la proposition de nos collègues tient compte des débats qui nous ont occupés en 2018, lors de l’examen de la loi Schiappa.

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À l’époque, le Gouvernement avait envisagé de modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement en cas d’acte de pénétration sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans. Cette solution n’avait pas été retenue au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui n’a admis que de manière très limitée – dans le seul domaine contraventionnel – la possibilité de prévoir une présomption en droit pénal, à condition qu’il s’agisse d’une présomption simple.

La proposition de loi cherche à contourner cet obstacle juridique en créant une infraction autonome. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur serait construite sur le modèle du délit d’atteinte sexuel, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le majeur qui a un contact de nature sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans. Le crime sexuel sur mineur viendrait renforcer la protection des jeunes de moins de treize ans, le délit d’atteinte sexuelle étant maintenu pour les jeunes de treize à quinze ans.

Dans son avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi Schiappa, le Conseil d’État avait par ailleurs estimé que la seule référence à l’âge de la victime pourrait ne pas suffire pour répondre à l’exigence constitutionnelle relative à l’élément intentionnel en matière criminelle. Selon les représentants de la Chancellerie, le fait de retenir un seuil d’âge à treize ans plutôt qu’à quinze ans réduit cependant ce risque constitutionnel.

Dans son avis, le Conseil d’État notait que le seuil de quinze ans soulevait une difficulté dans l’hypothèse, par exemple, d’une relation sexuelle qui serait librement consentie entre un mineur de dix-sept ans et demi et une adolescente de quatorze ans – c’est le problème des « jeunes couples ». Cette relation serait licite au regard du code pénal jusqu’à ce que le jeune homme atteigne l’âge de dix-huit ans, puis elle deviendrait criminelle, donc susceptible de renvoyer le jeune homme aux assises, alors que rien n’aurait changé dans son comportement et qu’il n’aurait bien sûr pas conscience de commettre une infraction.

Avec un seuil à treize ans, l’écart d’âge avec un jeune majeur devient plus significatif – au minimum cinq ans –, ce qui rend beaucoup plus improbable qu’un jeune majeur puisse entretenir une relation consentie avec un mineur à peine sorti de l’enfance.

J’en viens aux auditions auxquelles j’ai procédé. Elles ont montré une absence de consensus.

Les représentants du barreau contestent l’utilité de légiférer à nouveau sur le sujet des infractions sexuelles sur mineurs. Ils estiment que l’arsenal législatif est déjà suffisamment étoffé et ils font valoir que le délit d’atteinte sexuelle pose déjà un interdit clair concernant les rapports entre majeurs et mineurs. Ils nous mettent en garde contre la tentation de légiférer sous le coup de l’émotion et soulignent que les affaires qui ont été médiatisées, comme celles de Pontoise et de Melun, demeurent assez exceptionnelles.

Parmi les interlocuteurs qui sont favorables à une évolution de la législation, une double ligne de clivage est apparue : sur l’âge et sur le choix d’une présomption plutôt que d’une infraction autonome.

Pour ce qui concerne l’âge, comme je vous l’ai indiqué, les auteurs de la proposition de loi ont retenu le seuil d’âge de treize ans à la fois pour mieux garantir la constitutionnalité du dispositif et pour tenir compte de certaines situations de fait. Pourtant, le seuil de quinze ans conserve des partisans, notamment du côté des associations de protection

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3707 de l’enfance, qui ont insisté sur la nécessité de protéger tous les collégiens. Elles ont admis qu’il pouvait exister des jeunes couples, mais elles ont estimé que « l’effet-couperet » inhérent à la fixation d’un seuil était un inconvénient difficilement évitable.

La députée Alexandra Louis, auteure d’un récent rapport d’évaluation de la loi Schiappa, défend elle aussi le seuil des quinze ans, de même que notre collègue Laurence Rossignol, qui a déposé une proposition de loi en ce sens avec plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain.

En ce qui concerne le choix d’une présomption de non-consentement, elle est défendue avec grande conviction par le juge des enfants Édouard Durand, qui travaille sur ce sujet au sein du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce dernier reproche à l’infraction autonome proposée par Annick Billon de gommer la dimension violente de l’acte sexuel imposé au mineur, en évacuant du débat judiciaire la question du consentement. C’est la raison pour laquelle il lui paraît important, par respect pour la victime, d’affirmer une présomption de contrainte en dessous d’un certain âge. Cette idée est également défendue par notre collègue Valérie Boyer, qui a déposé des amendements en ce sens.

Constatant ces nombreuses divergences, je me suis attachée à trouver un moyen d’enrichir le texte pour atténuer les réticences qu’il suscite, tout en conservant le cœur du dispositif proposé par Annick Billon.

Je crois très important de rappeler que, sur le plan politique, la fixation d’un nouveau seuil à treize ans n’est pas synonyme d’affaiblissement de la protection que nous devons aux jeunes de treize à quinze ans. Nous devons vraiment éviter de donner l’impression que le seul public véritablement digne de protection serait les mineurs de moins de treize ans. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement, que le Sénat avait déjà adopté en 2018, mais qui n’avait pas été retenu lors de la commission mixte paritaire sur la loi Schiappa, afin d’indiquer dans le code pénal que la contrainte, qui est un élément constitutif du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de quinze ans, lequel ne dispose pas de la maturité sexuelle suffisante. Il s’agit, par cet amendement, de réaffirmer l’attention que nous devons porter aux mineurs de treize à quinze ans. Nous devons continuer à les protéger.

J’ai auditionné de nombreux principaux de collège, des pédiatres, des parents. J’ai rencontré les animateurs de maisons d’adolescents. Tous les principaux de collège alertent sur les dangers des réseaux sociaux.

Ils soulignent aussi la grande évolution qui s’opère entre les élèves de sixième et ceux de troisième. Être en couple quand on est en sixième, c’est se faire des bisous… La sexualité de ces enfants ne peut pas être comparée à celle des adultes. L’âge du premier rapport sexuel est toujours de dix-sept ans pour les garçons et de seize ans pour les filles, malgré les réseaux sociaux et la pornographie. Le point de vigilance porte sur les jeunes âgés de treize à quinze ans. Entre ces deux âges, la différence est sensible.

Je vous proposerai deux améliorations juridiques au dispositif de la proposition d’Annick Billon.

Il est important de modifier, par coordination, le code de procédure pénale, afin d’appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoire prévues pour les affaires qui concernent les mineurs. Je pense à la possibilité de prononcer une injonction de soins, à l’obligation d’enregistrer l’audition du mineur, au droit de bénéficier

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3708 d’une expertise médico-psychologique et à la possibilité d’inscription dans le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv).

Par le jeu des renvois, la mesure que je vous propose aura également pour effet d’appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de prescription adoptées en 2018 pour les autres crimes sur mineurs : pour ces crimes, l’action publique est prescrite au terme d’un délai de trente ans à compter de la majorité de la victime. C’est très protecteur pour la victime puisque le délai de prescription de droit commun est de vingt ans à compter de la commission des faits. Il tient compte du temps souvent très long qui s’écoule avant que la victime ne parvienne à briser la loi du silence et trouve la force de porter plainte.

En conclusion, je vous proposerai, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi complétée par mes amendements. Conformément à l’accord politique passé entre les groupes, je rappelle que la commission ne peut adopter d’amendements qu’avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi. Je me suis entretenue avec Annick Billon, qui a donné son accord pour que nous intégrions au texte les quatre amendements que j’ai déposés. Je lui ai également demandé quelle était sa position concernant les amendements déposés par nos collègues Valérie Boyer et Michel Savin, que nous examinerons à l’issue de notre débat.

Les amendements que j’ai déposés visent à aboutir à un texte un peu plus complet, pour protéger les enfants de moins de treize ans sans négliger les mineurs âgés de treize à quinze ans. Le Sénat se bat depuis plusieurs années pour protéger tous les mineurs.

M. François-Noël Buffet, président. – Bien évidemment, l’accord de l’auteur pour modifier les propositions de loi ne s’applique qu’en commission : la séance publique reste souveraine.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Nous partageons tous le même objectif : trouver les solutions les plus efficaces, les plus pertinentes, sans nous laisser envahir par les polémiques du moment.

Il ne faut pas non plus légiférer pour légiférer – nous avons déjà beaucoup légiféré. J’ignore si le texte aura, au final, une influence concrète sur la politique pénale, dès lors que le régime de l’opportunité des poursuites de la part du parquet est, en France, un principe intangible.

Au-delà, nous nous interrogeons sur la question du consentement. Nous trouvons globalement insupportable que cette question soit posée à un âge où nous considérons qu’elle ne devrait pas se poser. Sur ce sujet, il n’y a pas forcement d’unanimité au sein des groupes. Pour ma part, je suis favorable au seuil de treize ans : il faudrait affirmer que, en dessous de cet âge, l’acte sexuel n’est pas autorisé. Laurence Rossignol a, pour sa part, déposé une proposition de loi, largement signée par les collègues de mon groupe, retenant l’âge de quinze ans.

Sur la question de contrainte, nous avions travaillé, avec Marie Mercier, sur la différence d’âge. C’est une piste intéressante, même s’il est un peu compliqué d’édicter une différence d’âge normative. Néanmoins, c’est un paramètre que les parquets me semblent prendre en considération.

Sur l’imprescriptibilité, mon groupe n’a pas évolué : nous y restons opposés, pour trois raisons. Premièrement, il nous semble qu’elle doit être réservée aux crimes contre

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3709 l’humanité. Quelle que soit l’horreur des infractions que nous évoquons ce matin, je ne pense pas qu’elles soient plus graves qu’un assassinat précédé d’actes de barbarie. Or celui-ci n’est pas imprescriptible… Deuxièmement, comme on l’a vu dans l’affaire qui a récemment occupé les médias, la prescription est, paradoxalement, un facteur de parole : c’est lorsque les faits sont prescrits que certains parlent. Troisièmement, certains, sachant que les faits seront bientôt prescrits, se mettent à parler.

À ce stade de nos réflexions, mis à part la question de l’âge, sur laquelle certains de mes collègues déposeront peut-être un amendement, l’architecture générale de la proposition de loi, intégrant les propositions de modifications de Marie Mercier, nous semble intéressante. Cependant, nous estimons qu’il convient d’ajouter, dans la définition du viol, les rapports buccaux-génitaux, la pénétration pouvant être effectuée sur la personne de l’auteur. En outre, nous proposerons probablement un allongement de la prescription concernant la non-dénonciation de mauvais traitements ou d’agressions sexuelles, qui est un outil très intéressant.

En résumé, nous sommes plutôt favorables au texte, enrichi des amendements de Mme la rapporteure et des deux amendements que je viens d’évoquer, mais il y aura sans doute, au sein de notre groupe, des positions divergentes sur la question de l’âge.

Mme Dominique Vérien. – Je remercie Mme la rapporteure de la finesse de son travail.

Ce texte est issu des débats que nous avons eus lors de l’examen de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, notamment au sein de la délégation au droit des femmes, que préside Annick Billon.

Il entend marquer clairement l’interdiction d’une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de treize ans. Les associations demandent quinze ans. Cette interdiction existe déjà avec l’atteinte sexuelle, lorsqu’un majeur a une relation sexuelle avec un mineur de quinze ans, sans avoir à prouver quelque consentement que ce soit. Pour autant, le juge se pose toujours la question du consentement. Avec l’institution du crime de violence sexuelle, le consentement ne devra plus être interrogé pour les mineurs de treize ans.

La proximité entre les deux âges peut amener à considérer qu’il n’y a pas forcément de crime en cas de relation entre un jeune de quinze ans et un autre de dix-huit ans. Les enfants évoluent considérablement entre la sixième et la troisième : il n’est pas impossible qu’un élève de seconde ait des relations avec un jeune de terminale… En revanche, on n’imagine pas une relation entre un jeune de terminale et un sixième. Par conséquent, retenir l’écart d’âge entre treize et dix-huit ans plutôt qu’entre quinze et dix-huit ans me semble garantir plus de sécurité. D'ailleurs, dans la loi de 2018, l’écart d’âge constitue déjà un élément qui peut être pris en compte pour caractériser l’infraction.

Les associations évoquent une politique de petits pas. Sur les violences conjugales, on se rend compte que les avancées ont toujours résulté de petits pas… Toutes les avancées qui conduisent à une meilleure protection des femmes ou des enfants doivent être saluées.

En conclusion, notre travail n’est pas totalement achevé. Pour ce faire, il faudrait que la loi soit appliquée, que les procureurs et les juges entendent correctement les victimes,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3710 que les policiers et les gendarmes soient mieux formés à la prise en charge initiale. Cependant, un pas est franchi.

M. Thani Mohamed Soilihi. – Merci pour ce rapport, et merci d’avoir récapitulé le débat tenu il y a trois ans. Comme tous les groupes, le nôtre est partagé. Nous laisserons donc à chacun sa liberté de vote. Il n’y a aucun doute sur la nécessité de protéger, et de mieux en mieux, nos enfants, et les mineurs en général. Mais est-il opportun, moins de trois ans après 2018, de légiférer encore sur un sujet aussi sensible et aussi lourd ? Pour ma part, j’aurais tendance à dire qu’il faut faire confiance aux juges et aux jurés. Trois ans, ce n’est pas suffisant pour remettre à nouveau un tel sujet sur la table sans avoir pris le temps de consulter, d’examiner, d’écouter les jurisprudences qui ne vont pas manquer de survenir. Nous avons un système de double degré de juridiction, avec première instance et appel – et possibilité d’aller en cassation, et même jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme. Attendons de connaître la jurisprudence, notamment de la Cour de cassation, pour décider s’il faut légiférer de nouveau.

Mme Valérie Boyer. – Nous avons tous le même objectif : mieux protéger les mineurs contre les agressions sexuelles. Ce qui nous différencie, ce sont les moyens d’y parvenir. La question de l’imprescriptibilité se pose. Il n’y a pas de bonne solution, et la législation n’a cessé d’évoluer. En tous cas, il faut l’étendre à l’ensemble des crimes sur mineurs : on ne peut pas s’en tenir aux crimes sexuels. Pour la notion de viol, faire figurer les rapports bucco-génitaux me semble une bonne chose, mais je souhaiterais aussi qu’on ajoute la notion de sidération. Il faut également que l’on protège mieux les mineures qui subissent une IVG, en prévoyant la conservation de prélèvements qui pourront ensuite servir de preuves. Je travaille sur ces sujets depuis plusieurs années, et j’ai été vice-présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. J’ai donc déposé plusieurs propositions de loi et rencontré des personnes qui s’occupent de mineurs, notamment dans des hôpitaux de Saint-Germain et de Saint-Denis, et dont la presse parle régulièrement. Je sais qu’il est extrêmement difficile de produire des preuves plusieurs années après le crime.

Bien sûr, je souscris à la protection des 13-15 ans, mais on ne peut pas ignorer les débats qui ont lieu en ce moment chez nos collègues de l’Assemblée nationale sur l’âge de 13 ans pour les mineurs délinquants. La loi rappelle que c’est l’âge du discernement, et c’est un âge qui existe déjà dans notre code. Cela ne signifie pas qu’à 13 ans et un jour on n’est plus protégé… Pour que nos travaux ne restent pas limités à notre hémicycle, nous devons faire en sorte qu’ils puissent être repris. Le but n’est pas simplement de se faire plaisir ici, en disant qu’on a raison, qu’on a bien légiféré, mais de faire avancer la loi. Pour cela, nous devons nous mettre en cohérence avec un certain nombre de choses, même si nous sommes tous d’avis qu’entre 13 et 15 ans il faut améliorer la protection des mineurs. Ce n’est pas parce qu’on améliore la protection jusqu’à 13 ans qu’on la diminue entre 13 et 15 ans.

M. Philippe Bas. – Marie Mercier a de nouveau accepté de faire un travail très difficile, de réinterroger ses propres convictions, après avoir déjà mené cette tâche il y a maintenant un peu plus de deux ans. Le résultat auquel elle aboutit est un compromis, qui nous permet de ne pas rejeter une proposition de loi inspirée par des motivations que nous partageons tous, mais dont on peut se demander, néanmoins, si elle a des chances sérieuses d’améliorer réellement la protection des enfants. Il ne faudrait pas accréditer l’idée que notre code pénal, aujourd’hui, protège les agresseurs plus que les victimes. Nous avons un corps de règles, des incriminations et des délits précis, qui sont autant d’outils familiers à la fois aux magistrats et aux avocats. Quand on modifie la loi pénale pour ajouter à des dispositifs qui sont déjà relativement complexes, on n’est pas sûr qu’on va réellement améliorer la situation

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3711 des victimes qu’il s’agit de protéger. C’est pourquoi, sans faire de juridisme, on a raison d’être prudent dans ces matières. De toute façon, sur des sujets qui, sur le plan humain, sont aussi difficiles et lourds de conséquences – comme sur des sujets qui le seraient moins, d’ailleurs – le rôle du juge est absolument vital : sa capacité d’appréciation de la réalité des situations, qui sont diverses, doit absolument être préservée.

Je suis prêt à ne pas m’opposer à un texte qui ferait consensus entre nous, mais je suis sceptique. Trois points sont pour moi des limites absolument infranchissables – et qui ne sont pas franchies, ce qui me permet de ne pas m’opposer à ce texte. Premièrement, il n’y a pas d’imprescriptibilité. Celle-ci, inventée au procès de Nuremberg, est une dérogation à un principe fondamental du droit qui dit que la justice ne peut plus être rendue dans des conditions permettant d’administrer les preuves du crime ou du délit après une certaine durée. D’ailleurs, avec le système que nous avons adopté, qui ajoute à l’anniversaire des 18 ans un délai de 30 ans, nous allons déjà très loin. Pourtant, c’est parfois parce qu’il y a prescription que le souvenir de la blessure peut remonter à la surface. À cet égard, je ne suis pas certain qu’en ayant voté les 30 ans nous ayons réellement rendu service aux victimes… En tout cas, je n’irai jamais jusqu’à l’imprescriptibilité.

Le deuxième point qui serait un très grand danger pour une démocratie, c’est la présomption irréfragable. Nier la possibilité d’un examen individuel de chaque affaire, qui permette de prendre en compte les circonstances et d’apprécier la réalité, c’est se débarrasser des juges ! Ce serait la fin de la reconnaissance du rôle du juge dans la société, ce serait scandaleux !

Évitons donc de créer des dispositions pénales qui seraient des « machines à Outreau », des machines à erreurs judiciaires. Nous ne franchissons pas cette limite, et c’est heureux. Il ne faut pas hésiter à l’expliquer, malgré une forme de terrorisme du militantisme de la présomption irréfragable, qui n’est pas acceptable dans une démocratie comme la nôtre, ou dans un État de droit.

Enfin, un équilibre a été proposé par notre rapporteur sur l’inscription dans la loi pénale de seuils d’âge. On comprend sa motivation : dire qu’en dessous d’un certain âge, on ne peut pas même admettre l’idée de la relation sexuelle avec l’adulte. Tout le monde partage cette idée, mais il faut aussi s’interroger sur les effets de l’inscription dans la loi pénale de seuils d’âge. Cela signifie qu’au-dessus de cet âge, on n’aurait pas le droit à la même protection, alors même qu’on est aussi vulnérable. Marie Mercier a beaucoup consulté les pédiatres, les psychologues, les psychiatres, qui ont parfaitement mis en évidence le fait que la vulnérabilité ne dépend pas de la date de l’anniversaire. Fixer un âge peut simplifier, mais peut aussi conduire à se préoccuper de la situation de la personne victime qui est en dessous de cet âge, mais a déjà une pratique sexuelle avérée, qui n’est pas de son âge peut-être, mais enfin qui existe, et à ne pas tenir compte de la victime qui est au-dessus du seuil d’âge et qui pourtant est beaucoup plus vulnérable que la précédente. La différence d’âge est un concept utile, et qui repose sur la confiance faite au juge, lequel doit apprécier la situation pour savoir s’il y a eu agression ou non. Le consentement n’est pas un bon instrument : ce qu’on utilise en droit pénal, c’est la contrainte. Se reposer sur le consentement, c’est rendre la victime moins protégée. Se reposer sur la contrainte, c’est faire reposer la charge de la preuve sur l’agresseur.

Je suivrai les propositions de notre rapporteur – jusqu’ici, mais pas plus loin !

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3712

M. François-Noël Buffet, président. – Il n’est effectivement pas question d’aller plus loin que ce que nous proposons !

Mme Éliane Assassi. – Je remercie Mme la rapporteure de son travail tout en responsabilité et tout en finesse, alors que plusieurs affaires surgissent dans l’espace public.

Le sujet est important et sensible. Certains pensent que la proposition de loi est inaboutie. Notre groupe considère majoritairement qu’elle marque une avancée, même si le débat n’est pas clos, particulièrement sur la question de l’âge.

Le texte comble un vide juridique. Mais d’autres questions devraient être abordées d’urgence : la prévention et l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge ; la formation des professionnels ; la récidive des auteurs de crime ou d’agression sexuelle sur mineur ; les moyens de la justice et des forces de l’ordre, mais aussi des services de protection maternelle et infantile.

Je pense que nous adopterons cette proposition de loi telle que modifiée par certains des amendements qui nous seront présentés ce matin.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Nous sommes globalement tous d’accord.

La question de l’âge va continuer à faire débat. Je m’accroche à notre idée d’écart d’âge, qui me semble extrêmement importante.

Je suis d’accord avec Dominique Vérien : on est mineur jusqu’à dix-huit ans. On sait que le passage à l’acte se fait plutôt au lycée.

Je suis d’accord avec Mme Assassi sur la formation et les moyens. Nous en avons déjà longuement débattu dans les précédents rapports, dès 2017, soit bien avant la loi Schiappa.

Il est vrai qu’il n’y a pas assez de jurisprudence, mais la politique des petits pas permet quelques avancées.

Monsieur le président, j’ai bien noté que vous n’étiez pas favorable au fait d’aller plus loin en matière d’imprescriptibilité. Il existe des barrières juridiques qui permettent au Sénat de garder sa cohérence. Il faut prendre le temps du recul, voir ce que l’on a déjà fait et ce qui est mal appliqué. La loi est mal connue de nos concitoyens. Elle est mal appliquée par les magistrats, souvent faute de moyens, raison pour laquelle ces derniers sont régulièrement amenés à correctionnaliser.

Mme Esther Benbassa. – Je remercie Mme la rapporteure de son travail très intéressant.

Cette proposition de loi constitue le énième texte sur la question. L’actualité montre que nos textes n’influent pas sur le comportement de certaines personnes…

Notre groupe sera probablement favorable au seuil de quinze ans. Je suis également d’accord pour que l’on n’adopte pas l’imprescriptibilité et pour que l’on ne mélange pas les genres.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3713

En même temps, je trouve que cette proposition de loi, en créant une infraction autonome et en punissant ces agissements de vingt ans, rend les choses beaucoup plus claires. Mais j’aurais aimé que l’acte sexuel retenu par le texte ne soit pas limité à la pénétration : un acte sexuel commis sur un mineur ne saurait être considéré comme moins grave qu’un autre. Il faudrait également que l’acte sexuel soit défini dans le texte.

EXAMEN DES ARTICLES

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Concernant l’article 45, considérant que l’objet du texte est la création d’une nouvelle infraction pénale, nous estimons qu’entretiennent une relation avec l’objet du texte les amendements qui modifient d’autres infractions sur mineur prévues par le code pénal, qui procèdent à des ajustements dans le code de procédure pénale pour donner à ces infractions leur pleine efficacité ou qui sont directement en lien avec le déroulement de l’enquête judiciaire. En revanche, je vous proposerai de déclarer irrecevables les cinq derniers amendements de la liasse, qui modifient le code du sport, le code de l’éducation et le code de l’action sociale et des familles, parce qu’ils sont vraiment trop éloignés de la politique pénale.

Ensuite, je vous rappelle que le texte est inscrit dans un espace réservé ; conformément à l’accord politique passé entre les groupes, la commission ne peut donc amender le texte qu’avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi. Je me suis entretenue avec Annick Billon, qui m’a indiqué qu’elle était défavorable aux amendements COM-3, COM-4, COM-5 et COM-1. Je vous proposerai donc de ne pas trop nous attarder sur ces quatre amendements, sachant qu’ils pourront être redéposés en séance.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Un amendement relatif à la prescription pour non-dénonciation de mauvais traitements sur un enfant est-il considéré comme entrant dans le champ du texte ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Oui, puisque cela relève du champ de la politique pénale.

Article 1er

Mme Valérie Boyer. – L’amendement COM-3 rectifié proposer d’introduire une présomption de contrainte, en cas de rapport sexuel entre un majeur et un mineur de quinze ans, la contrainte constituant un élément constitutif du crime de viol. Depuis 2018, le fait pour un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans est passible de sept ans d’emprisonnement, contre cinq auparavant. Je salue cette avancée mais je pense qu’il faut aller plus loin.

Pour ma part, je souhaite que l’on parle de « contrainte », et non d’« absence de consentement », car l’auteur est seul responsable de ses actes.

Contrairement au texte qui avait été voté à l’Assemblée nationale, le dispositif que je propose est conforme au principe constitutionnel de présomption d’innocence, proclamé par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puisque l’infraction ne sera pas systématique, dès lors qu’il faudra prouver l’acte, la nature de l’acte et démontrer que l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime, et à celui d’égalité devant la loi, prévu à l’article 6 de la Déclaration. En effet, ce nouveau dispositif est exclu du champ

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3714 d’application de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Aussi, le texte que je propose suit les recommandations de l’avis du Conseil d’État du 21 mars 2018.

Cet amendement permettrait de sanctuariser la protection des mineurs de moins de quinze ans. Selon le juge Édouard Durand, « le passage à l’acte de l’adulte est une perversion du besoin affectif de l’enfant » : en aucun cas, l’enfant ne peut être consentant à une relation sexuelle. Nous devons y mettre un terme.

L’amendement ne crée pas une infraction autonome qui aurait tendance à complexifier notre droit. Que la victime soit majeure ou mineure, le viol est un crime déjà inscrit dans le code pénal.

Je propose donc de fixer une présomption de contrainte pour protéger les mineurs de moins de quinze ans lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – La présomption irréfragable de contrainte n’est pas la voie choisie par l’auteur du texte. Nous ne pouvons donc pas accepter cet amendement.

L’amendement COM-3 rectifié n’est pas adopté.

Mme Valérie Boyer. – L’amendement COM-4 rectifié est un amendement de repli, avec un seuil d’âge à treize ans.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Pour les mêmes raisons, je suis défavorable à l’adoption de cet amendement.

L’amendement COM-4 rectifié n’est pas adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’amendement COM-19 a pour objet de supprimer les mots « lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ». Cette précision est superfétatoire et pourrait amener de la confusion.

L’amendement COM-19 est adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’amendement COM-18 vise à préciser que l’infraction est également constituée si l’acte de pénétration sexuelle est commis sur la personne de l’auteur. Cela répond à la remarque de Marie-Pierre de la Gontrie.

L’amendement COM-18 est adopté.

Article additionnel après l’article 1er

Mme Valérie Boyer. – L’amendement COM-5 rectifié tend à inscrire dans le texte que la contrainte est présumée dans le cas de relations sexuelles entre mineurs, si l’un d’eux a moins de quinze ans, lorsque leur écart d’âge excède deux années ou lorsque l’un exerce sur l’autre une relation d’autorité de droit ou de fait.

C’est pourquoi je proposais d’envisager que, avant l’âge de quinze ans, un mineur peut consentir à des relations sexuelles avec un partenaire mineur si celui-ci est de moins de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3715 deux ans son aîné et s’il n’exerce aucune relation d’autorité, de dépendance ou de forme d’exploitation à son endroit.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’amendement est lui aussi refusé par l’auteur de la proposition de loi. Avis défavorable.

L’amendement COM-5 rectifié n’est pas adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’objet de l’amendement COM-20 est de préciser que la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

C’est avec cet amendement que nous augmentons la protection des mineurs âgés de treize à quinze ans au sein de la proposition de loi.

M. François-Noël Buffet, président. – Cela laisse naturellement aux magistrats toute latitude pour apprécier les situations au cas par cas.

Mme Valérie Boyer. – Je partage l’objectif d’une meilleure protection des mineurs âgés de treize à quinze ans. Je salue cette avancée, mais je sais qu’Alexandra Louis s’oppose à cette politique des petits pas et veut tout mettre à plat, bien qu’elle ait soutenu la loi Schiappa.

Madame la rapporteur, quelle est la définition juridique de l’expression « maturité sexuelle suffisante » ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Je comprends l’objectif de cet amendement, mais je m’interroge sur sa portée juridique.

La contrainte morale ou la surprise sont déjà des paramètres constitutifs du viol. Le dispositif me semble relever, au mieux, d’une circulaire. Je ne vois pas très bien son utilité réelle dans le code, au-delà du geste symbolique.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Cet amendement peut être considéré comme une disposition interprétative. Il complète les dispositions qui figurent déjà à l’article 222-22-1 du code pénal. Dans une décision du 6 février 2015, le Conseil constitutionnel a confirmé qu’il s’agissait bien de dispositions interprétatives.

Madame Boyer, la majorité sexuelle n’existe pas en France. On la déduit, en creux, de l’atteinte sexuelle, pour laquelle le seuil est de quinze ans.

C’est en fait la jurisprudence qui va avoir vocation à préciser la maturité sexuelle. On ne peut pas travailler cette notion sans traiter celle de « discernement ». Celui-ci diffère du consentement : il permet de distinguer le bien du mal. On peut faire preuve de discernement, mais pas forcément sur tous les sujets. Les collégiens ne sont pas dans une sexualité installée. À cet égard, les expertises psychologiques sont extrêmement importantes. Il faut être très prudent avec la notion de discernement.

Mme Valérie Boyer. – La « maturité sexuelle suffisante » est davantage une notion médicale. Que signifie-t-elle pénalement ?

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3716

Mme Marie Mercier, rapporteur. – La maturité, c’est quand on a conscience. La maturité sexuelle, c’est quand on a conscience de la portée et des implications d’un rapport sexuel.

M. Philippe Bas. – Ne peut-on pas considérer qu’il s’agit d’un concept nouveau ? Il sera très important, si nous le faisons entrer dans la loi, de donner des explications précises. Il faudra décrire de manière détaillée les implications de son inscription dans la loi pénale, pour guider le juge et les avocats dans l’application de celle-ci.

M. François-Noël Buffet, président. – La maturité est, pour un individu, la conscience de l’acte qu’il va commettre, c'est-à-dire la capacité à en mesurer l’aspect positif comme l’aspect négatif et donc à pouvoir porter un jugement éclairé sur celui-ci.

Il appartiendra aux magistrats de déterminer, en se fondant sur les expertises psychiatriques ou psychologiques, si, au moment où le fait reproché a été commis, l’enfant mineur avait conscience ou non de l’engagement qu’il prenait. Ce travail est extrêmement délicat, mais les magistrats le font tous les jours dans leur appréciation des situations.

Mme Dominique Vérien. – Nous allons également évoquer le discernement dans le texte sur le code de la justice pénale des mineurs.

On parle depuis longtemps de discernement, sans que celui-ci soit défini dans la loi. Cela n’empêche pas que le terme soit déjà utilisé ! Dès lors, pourquoi n’utiliserions-nous pas le mot « maturité sexuelle » ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Cet amendement est une disposition interprétative : c’est une piste qui est donnée. Il ne mérite pas que l’on se tourmente excessivement.

L’amendement COM-20 est adopté.

Articles additionnels après l’article 4

Mme Valérie Boyer. – L’amendement COM-15 vise à ajouter dans la définition du viol la notion de sidération. Celle-ci est un blocage total qui protège de la souffrance en la distanciant. On entend souvent que les victimes n’ont pas bougé, qu’elles n’ont rien dit…

Annick Billon ne semblait pas opposée à cette précision de la définition.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Effectivement, elle n’est pas opposée à ce que l’on réfléchisse à cette proposition.

Cependant, celle-ci revient à adopter le point de vue de la victime et à retenir comme élément constitutif de l’infraction une donnée purement subjective. Cela prive l’agresseur de toute possibilité de se défendre.

Je comprends l’intention de cet amendement, mais, en l’état, il me semble compliqué de l’adopter. La discussion pourra continuer.

Mme Valérie Boyer. – Je rappelle que c’est Muriel Salmona, qui a défini l’amnésie traumatique et qui a fait évoluer notre droit, qui insiste pour que la notion de sidération soit intégrée dans la définition du viol. Cette notion est totalement définie.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3717

Je n’ai pas compris en quoi elle attentait à la défense de l’auteur des faits de viol, d’autant que la surprise fait partie de la définition du viol.

Les violeurs disent toujours qu’ils ne connaissaient pas l’âge de la victime et que celle-ci ne s’est pas défendue. De fait, celle-ci est sidérée. C’est ce que décrit Muriel Salmona.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Il faut être respectueux des droits des victimes, mais aussi des droits de la défense.

J’ai beaucoup discuté avec Muriel Salmona. Ce sont les neurosciences qui permettront d’apporter la preuve scientifique de l’existence de l’amnésie post-traumatique, mise en évidence par l’armée américaine avec la guerre du Vietnam. On sait aussi que peuvent se mettre en place dans le cerveau des dispositifs complexes de suggestion et d’autosuggestion.

L’amnésie traumatique n’étant pas encore démontrée scientifiquement, il n’est pas encore possible de l’inscrire dans la loi. Nous devons être prudents.

L’amendement COM-15 n’est pas adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Les amendements COM-1 rectifié, COM-6 rectifié et COM-2 rectifié ont trait à l’imprescriptibilité.

Je rappelle que celle-ci ne s’applique qu’à des crimes contre le genre humain.

Les amendements COM-1 rectifié, COM-6 rectifié et COM-2 rectifié ne sont pas adoptés.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – À fin de coordination, l’amendement COM-21 vise à faire figurer le nouvel article 227-24-2 du code pénal, instituant l’infraction de crime sexuel sur mineur à l’article 706-47 du code de procédure pénale.

L’amendement COM-21 est adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’amendement COM-10 rectifié bis concerne le Fijaisv : il tend à élargir la liste des infractions qui peuvent être inscrites à ce fichier.

Cet outil, qui a fait ses preuves, peut encore être enrichi.

Toute personne peut demander à être effacée du fichier, mais l’inscription n’est pas sans conséquence : elle empêche d’exercer certaines activités, oblige à se rendre à la gendarmerie…

L’amendement COM-10 rectifié bis est adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Complémentaire du précédent, l’amendement COM-17 rectifié tend à un élargissement de la liste des décisions qui sont automatiquement inscrites au Fijaisv. J’y suis également favorable.

L’amendement COM-17 rectifié est adopté.

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Mme Marie Mercier, rapporteur. – Mme Billon est défavorable à l’amendement COM-16.

L’amendement COM-16 n’est pas adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’amendement COM-11 rectifié bis a pour objet d’instaurer une peine complémentaire d’interdiction de contact avec les mineurs. Je suis favorable à cette mesure, que nous avions approuvée en 2018.

L’amendement COM-11 rectifié bis est adopté.

Mme Marie Mercier, rapporteur. – L’amendement COM-7 rectifié vise à un prélèvement sur les tissus embryonnaires après une IVG. Il nous paraît difficile de statuer sur cette question délicate actuellement. Je sollicite le retrait de l’amendement.

Mme Valérie Boyer. – Je ne retirerai pas cet amendement, que je défendrai en séance.

Il me paraît important que l’on propose aux mineures victimes de crimes sexuels subissant une IVG de garder une preuve de celui-ci pour le cas où elles souhaiteraient agir en justice ultérieurement. Cette proposition leur serait faite au cours de la consultation préalable à l’intervention, obligatoire pour toutes les mineures.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Cet amendement me paraît extrêmement problématique. J’ignore s’il est recevable au regard de l’article 45 et de l’article 40 de la Constitution. En tout état de cause, je trouve problématique que l’on considère par principe qu’une mineure qui décide d’avoir recours à une IVG puisse être amenée à engager des poursuites judiciaires.

Au reste, la rédaction est assez floue : on ne sait pas qui décide du prélèvement.

Cet amendement mélange la protection des mineurs contre les agressions sexuelles et l’accès à l’IVG.

Mme Valérie Boyer. – La rédaction est à peut-être à revoir, mais je souhaite que l’on retienne l’idée, portée notamment par la Maison des femmes de Saint-Denis et celle de Saint-Germain. C’est à leur demande que j’ai travaillé sur cette question.

Il est important que l’on autorise les mineures à prélever et à conserver des tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux après une interruption de grossesse dans la perspective d’une éventuelle poursuite pénale ultérieure. Cela peut aussi permettre aux personnes frappées d’amnésie traumatique de disposer d’une preuve. Je ne vois pas pourquoi on les priverait de savoir ce qui leur est arrivé, alors que l’on est en train de réfléchir à l’imprescriptibilité.

Ce dispositif est cohérent avec les discussions que nous avons eues. Je conçois que ce soit compliqué, mais je souhaite aujourd'hui que nous ayons ce débat. Il s’agit de protéger les victimes et, surtout, de leur permettre d’avoir une réparation, ne serait-ce que psychologique.

L’objet de l’amendement n’est pas du tout de restreindre l’accès à l’IVG. Au contraire, il est de mieux protéger les victimes dans le temps.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3719

Mme Marie Mercier, rapporteur. – Nous travaillons depuis longtemps sur ces sujets très difficiles. Nous avons toujours débattu avec beaucoup de respect et de sérénité, en nous enrichissant mutuellement de nos approches et de nos expériences. C’est ainsi que nous avons pu faire évoluer les choses.

Cet amendement vise à autoriser le prélèvement de tissus embryonnaires, après une IVG réalisée sur une jeune fille mineure, dans le but de réaliser des analyses génétiques permettant de confondre plus facilement l’auteur d’un viol dans le cas où une procédure judiciaire serait ouverte ultérieurement.

Actuellement, le code de la santé publique n’autorise ces prélèvements qu’à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou scientifiques. De plus, un tel prélèvement ne peut avoir lieu si la femme ayant subi l’IVG est mineure, sauf s’il s’agit de rechercher les causes de l’interruption de grossesse. Cet amendement introduit donc une double rupture par rapport aux principes posés par le code de la santé publique : le prélèvement ne serait pas réalisé à des fins médicales ou scientifiques et les mineures seraient expressément concernées.

Il paraît difficile de statuer sur cette question très délicate, aux confins de la bioéthique, sans avoir sollicité des avis extérieurs. Je me demande en particulier s’il ne serait pas opportun d’encadrer un peu plus le dispositif, en le réservant à des situations laissant penser qu’une infraction a été commise, après un dépôt de plainte par exemple.

M. François-Noël Buffet, président. – Cela pose également un problème de gestion de la preuve et fait naître un risque de mise en cause de personnes, alors même que l’on ne sait pas ce qui s’est passé au moment où l’acte a été commis. L’idée peut paraître intéressante, mais il convient de l’expertiser de manière très approfondie, d’en regarder très précisément toutes les conséquences et de cadrer le dispositif juridiquement.

Au reste, une décision aussi importante nécessite que l’on ouvre le débat avec d’autres commissions, notamment la commission des affaires sociales.

L’amendement COM-7 rectifié n’est pas adopté.

Les amendements COM-8 rectifié bis, COM-9 rectifié bis, COM-12 rectifié bis, COM-13 rectifié bis et COM-14 rectifié bis sont irrecevables en application de l’article 45 de la Constitution.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Sort de Auteur N° Objet l’amendement

Article 1er Création de l’infraction de crime sexuel sur mineur

Mme BOYER 3 rect. Présomption irréfragable de contrainte Rejeté Présomption irréfragable de contrainte avec un seuil Mme BOYER 4 rect. Rejeté d’âge à treize ans

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Sort de Auteur N° Objet l’amendement

Mme MERCIER, 19 Suppression d’une précision superflue Adopté rapporteur

Mme MERCIER, 18 Précision sur la définition de la pénétration sexuelle Adopté rapporteur

Articles additionnels après l’article 1er

Mme BOYER 5 rect. Pénalisation des rapports sexuels entre mineurs Rejeté

Mme MERCIER, Notions de contrainte et de surprise lorsque la 20 Adopté rapporteur victime a moins de 15 ans

Articles additionnels après l’article 4

Mme BOYER 15 Sidération psychique de la victime Rejeté

Mme BILLON 1 rect. Imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs Rejeté Imprescriptibilité des crimes commis sur les Mme BOYER 6 rect. Rejeté mineurs Délai de prescription de quarante ans à compter de Mme BILLON 2 rect. Rejeté la majorité de la victime Mme MERCIER, 21 Coordination avec le code de procédure pénale Adopté rapporteur Élargissement de la liste des infractions pouvant M. SAVIN 10 rect. bis Adopté être inscrites au Fijaisv Élargissement de la liste des décisions Mme BOYER 17 rect. Adopté automatiquement inscrites au Fijaisv Mme BOYER 16 Lutte contre la correctionnalisation des viols Rejeté Peine complémentaire d’interdiction de contact M. SAVIN 11 rect. bis Adopté avec les mineurs Prélèvement sur les tissus embryonnaires après une Mme BOYER 7 rect. Rejeté IVG Irrecevable au Renforcement des contrôles d’honorabilité des M. SAVIN 8 rect. bis titre de l’article 45 arbitres et des surveillants des piscines de la Constitution

Irrecevable au Contrôle de l’honorabilité des bénévoles engagés M. SAVIN 9 rect. bis titre de l’article 45 dans des associations sportives de la Constitution

Irrecevable au M. SAVIN 12 rect. bis Prévention des violences sexuelles dans le sport titre de l’article 45 de la Constitution

Irrecevable au Information auprès des élèves sur la lutte contre les M. SAVIN 13 rect. bis titre de l’article 45 violences sexuelles de la Constitution

Irrecevable au M. SAVIN 14 rect. bis Précision sur les missions de l’ONPE titre de l’article 45 de la Constitution

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3721

Audition de représentants de la profession d'avocat, à la suite du rapport de M. Dominique Perben

M. François-Noël Buffet, président. – Nous entendons maintenant, en visioconférence, M. Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux, Mme Hélène Fontaine, présidente de la Conférence des bâtonniers, M. Olivier Cousi, bâtonnier du barreau de Paris, M. Benoît Chabert, président de la Confédération nationale des avocats, Mme Estellia Araez, présidente du Syndicat des avocats de France, et Mme Catheline Modat, présidente de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats.

Nous avons entendu le 16 décembre dernier M. Dominique Perben, chargé par Mme , alors garde des sceaux, de présider une mission de réflexion sur l’avenir de la profession d’avocat, dans le contexte de la mobilisation contre la réforme des retraites.

Le rapport de cette mission a été remis au nouveau garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, le 26 août dernier. Il comporte treize recommandations, autour de trois axes : l’amélioration de la situation économique des avocats ; l’évolution de l’offre des avocats ; l’amélioration des relations entre les magistrats et les avocats.

Un groupe de travail présidé par la professeure Sandrine Clavel et Me Kami Haeri a également réfléchi au sujet plus spécifique de la formation des avocats, et remis son rapport au garde des sceaux le 6 octobre 2020.

La commission des lois du Sénat est pleinement consciente des difficultés rencontrées par la profession, en particulier par les avocats exerçant une activité judiciaire, lesquelles ont été amplifiées par la crise sanitaire.

Nous souhaitons poursuivre le travail de réflexion sur la vision que nous pourrions construire de la profession d’avocat et sur les évolutions législatives qui pourraient être nécessaires.

Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Je vais vous laisser la parole à tour de rôle pour un propos liminaire d’environ cinq minutes, puis, dans un second temps, nos collègues, en commençant par les rapporteurs pour avis du budget de la justice, Mmes Canayer et Vérien, vous adresseront quelques questions.

Je ne pourrai pas assurer l’ensemble de la présidence de cette réunion : Mme Di Folco, vice-président de la commission des lois, me remplacera.

M. Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux. – J’ai d’excellents souvenirs de mes auditions devant la commission des lois du Sénat et vous remercie sincèrement de cette nouvelle invitation.

La nouvelle mandature du Conseil national des barreaux (CNB) va continuer à travailler suivant les lignes directrices arrêtées par le CNB lors de la précédente mandature. En termes de méthodologie, nous participons aux auditions toujours accompagnés du bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, et de la présidente de la Conférence des bâtonniers, Hélène Fontaine. C’est un signe important pour vous, élus de la République, de savoir qu’autour de l’institution représentative qu’est le Conseil national des barreaux, les grandes forces Paris- province de la profession sont toujours unies.

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Je me réjouis que vous nous auditionniez en même temps que les syndicats de la profession avec lesquels nous collaborons.

La mission Perben avait été instituée en pleine période de lutte de la profession sur la problématique des retraites, laquelle avait fait ressurgir avec une acuité particulière la nécessité de se pencher sur l’économie, les développements et l’avenir de notre profession d’avocat.

Le rapport Perben, au travers des propositions qui y sont formulées, est très pragmatique et bienveillant. Nous avons eu le sentiment d’avoir été écoutés, qu’une analyse avait été faite et des propositions concrètes formulées, ce qui diffère de la façon dont nous avions été entendus pendant plusieurs mois sur le sujet des retraites ou sur la réforme de la justice. Nous avions alors face à nous des pouvoirs publics qui ne comprenaient pas les évolutions de la profession d’avocat et ses revendications, qui étaient non pas pleurnichardes, mais légitimes.

Nous nous satisfaisons globalement de la façon dont les travaux ont été menés, aussi bien en termes de composition de la mission que de propositions qui en sont ressorties, dont certaines correspondent parfois mot à mot à des propositions validées par le Conseil national des barreaux.

Il faut voir comment ces propositions, sur lesquelles vous avez également travaillé, peuvent être mises en place. Comme elles sont bénéfiques pour les avocats, elles le seront également pour les citoyens et les justiciables, car l’activité des avocats est importante pour une justice de qualité.

On parle du recouvrement des honoraires, des évolutions de l’article 700 du code de procédure civile, mais aussi des questions d’égalité homme-femme, de formation initiale, d’association des avocats à la vie des juridictions, d’aide juridictionnelle. Ces questions ont vraiment été appréhendées par le groupe de M. Perben davantage que par les pouvoirs publics. Le ministre a certes fait des efforts, mais ils sont manifestement insuffisants. La comparaison entre ce que le ministre promet et les besoins actés dans le rapport est assez édifiante.

Je le redis, il faut maintenant passer du discours aux actes. Le ministre de la justice a évoqué un projet de loi dont les contours ne sont pas encore définis. Il serait intéressant que nous puissions y introduire un certain nombre d’évolutions avec le soutien des parlementaires, particulièrement du Sénat. Certains sujets sont récurrents, comme la force exécutoire de l’acte d’avocat qu’il serait intéressant de reprendre soit dans le projet de loi soit dans des amendements qui pourraient être adoptés avec votre appui.

Pour terminer, je veux dire que nous avons le sentiment, depuis plusieurs années, d’être mieux compris par votre commission et par le Sénat de manière générale que par d’autres. Je le dis en toute sincérité, et non pour vous flatter, mesdames, messieurs les sénateurs !

Mme Hélène Fontaine, présidente de la Conférence des bâtonniers. – Merci pour cette invitation. Il est important que nous puissions être entendus tous ensemble : cela correspond à la façon de travailler de la mandature précédente, qui est reprise par la nouvelle.

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En ce qui concerne le rapport Perben, les différents sujets évoqués avaient déjà été traités de façon approfondie par la profession, tant par le CNB que par la conférence des bâtonniers et le barreau de Paris. Nombre de propositions du rapport ont été reprises, quelquefois mot pour mot, de propositions faites par la profession. Certaines constituent vraiment une avancée : je pense à la force exécutoire de l’acte d’avocat, quelquefois décriée, mais pour laquelle nous nous sommes beaucoup battus.

J’évoquerai deux points essentiels du rapport.

L’aide juridictionnelle est une question extrêmement importante pour les avocats qui font du judiciaire. Dans le contexte de la réforme des retraites, il a été mis en lumière qu’une partie de la profession travaillait énormément sans être payée en conséquence. Le Gouvernement a relevé le montant de l’unité de valeur (UV). Dans le rapport Perben, il était proposé de porter ce montant à 40 euros, mais le Gouvernement l’a fixé à 34 euros. Il reste beaucoup à faire pour que le travail des avocats puisse être le plus possible payé à son juste prix. Les avocats sont toujours perdants, alors même qu’ils travaillent à perte. Il y a eu des avancées, mais elles ne sont pas satisfaisantes pour le moment.

La profession travaille beaucoup sur les modes alternatifs de règlement des différends (MARD). La procédure participative a été mise en place, notamment la procédure participative aux fins de mise en l’état. Si l’on veut que cela marche, il faut des incitations. Cela a été le cas pour la médiation, qui est passée à 12 UV. Il faut aller dans le même sens maintenant pour la procédure participative.

En ce qui concerne la force exécutoire de l’acte d’avocat, il s’agit d’une demande ancienne de la profession, qui a enfin été évoquée dans le rapport Perben. L’acte d’avocat est bien utilisé. Les avocats travaillent maintenant d’une autre façon : le divorce par consentement mutuel par acte d’avocat est un véritable succès. Mais il manque à l’acte d’avocat cette force exécutoire pour obtenir une égalité de traitement. Par exemple, pour la procédure participative de mise en l’état, il y a, d’un côté, une mise en l’état régalienne, qui va jusqu’au bout, et, de l’autre, une mise en état conventionnelle, qui ne va pas jusqu’au bout. Dans certains pays européens, cette force exécutoire est prévue. L’acte d’avocat offre une sécurité juridique accrue, comme l’a relevé l’Autorité de la concurrence.

La proposition de donner force exécutoire à l’acte d’avocat a été formulée dans le rapport Perben en cas d’accord entre les parties, notamment pour ce qui concerne tous les modes de règlement alternatif des différends.

La profession a fait un travail approfondi sur cette question. Donner une force exécutoire débloquerait la situation économique dans les cabinets d’avocats : elle permettrait à notre profession d’avancer en travaillant autrement.

Nous souhaitons que le rapport ne reste pas lettre morte. Beaucoup d’éléments sont extrêmement précieux, notamment sur le secret professionnel.

M. Olivier Cousi, bâtonnier du barreau de Paris. – J’ajouterai ma voix au concert des propos du président Gavaudan et de la présidente Fontaine sur l’unité de la profession, qui sort renforcée des difficultés que nous avons vécues en 2020.

Le rapport Perben note l’augmentation considérable de la demande de droit dans la société, pour des raisons juridiques et judiciaires, de transparence, de compliance, de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3724 respect des règles environnementales, etc. La profession fait également le constat qu’elle n’a pas suffisamment développé son offre : pour proposer davantage de services juridiques et judiciaires, la profession doit avancer dans le sens des orientations du rapport Perben.

Nous entrons, pour cette nouvelle mandature, dans une période de propositions de la profession et de travail sur son évolution, avec les questions de secret professionnel, de formation, de discipline et d’organisation.

Nous avons le rapport Perben, le rapport Clavel, les propositions du garde des sceaux, des initiatives prises par des députés ou des sénateurs… Mais il manque un pilote. Le nouveau garde des sceaux nous apportera peut-être des réponses, mais nous avons le sentiment que de ne pas être suffisamment consultés en amont des propositions de réforme, qu’elles concernent la profession d’avocat ou la justice en général.

Nous sommes des juristes, des experts, des techniciens de la procédure et du droit. Pourtant, la profession d’avocat n’est pas consultée de manière systématique par les assemblées ou par le Gouvernement sur des questions purement juridiques. Pour prendre un exemple très récent, lorsque le projet de loi Avia sur la haine en ligne avait été proposé, des avocats, des spécialistes de la matière, avaient alerté sur le caractère anticonstitutionnel de ce texte. Il nous avait été répondu qu’il ne fallait pas s’inquiéter, car le Conseil d’État n’avait pas trouvé à redire au projet de loi. Il se trouve que le Conseil constitutionnel a sanctionné ce texte…

Il faut signaler l’utilité des avocats pour la fabrication de la loi. Nous avons, et nous sommes les seuls, la capacité de vous donner des éléments sur le retour d’expérience des lois que vous votez. Par les relations que nous avons avec nos clients, personnes physiques ou personnes morales, nous avons connaissance des insatisfactions, des déceptions ou éventuellement des inquiétudes des Français.

Exemple très parlant, celui de la réforme de la procédure d’appel, avec le décret dit Magendie. Il faut peut-être faire un état des lieux de ces procédures. De ce point de vue, nous devons, et nous pouvons, être force de propositions à vos côtés.

Enfin, la profession d’avocat est perçue comme une activité judiciaire. Nous avons beaucoup souffert pendant le premier confinement de ne pas avoir la possibilité de travailler puisque les juridictions étaient fermées. Mais j’attire aussi votre attention sur le fait que, particulièrement au barreau de Paris, 70 ou 75 % de l’activité des avocats est uniquement consacrée au conseil juridique. Il faut prendre en compte cet aspect pour aborder la question du périmètre de la consultation juridique et du droit. Comment maintenir les avocats au centre du système judiciaire, mais également de la perception juridique de nos concitoyens ? Nous devons éviter la concurrence perçue comme déloyale d’autres professions ou des plateformes en ligne de legal tech, par des entreprises qui ne respectent pas la déontologie, voire parfois le droit français.

M. François-Noël Buffet, président. – Monsieur le bâtonnier, nous sommes sensibles à votre propos. La commission des lois du Sénat, bien avant que je ne la préside, a toujours pris soin d’auditionner la profession sur les différentes thématiques que nous devions traiter, singulièrement sur le texte relatif à la réforme de la justice. Vous avez trouvé dans cette maison des soutiens forts. Nous avons été à vos côtés, comme aux côtés des magistrats et des greffiers, pour défendre ce qui faisait notre ADN commun sur le rôle de la justice, son fonctionnement et la défense des intérêts des justiciables.

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Sans doute pouvons-nous faire plus. Notre réunion d’aujourd’hui montre notre souci de mener un travail collectif – je tiens à vous rassurer !

M. Olivier Cousi. – Je vous en remercie. Je veux également signaler la présence, en ligne, de Me Emmanuel Raskin, qui représente le syndicat Avocats conseils d’entreprises (ACE).

- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-président -

Me Benoît Chabert, président de la Confédération nationale des avocats. – Après celle de nos représentants – le président du Conseil national des barreaux, la présidente de la conférence des bâtonniers et le bâtonnier du barreau de Paris –, qui fédèrent notre profession, voici la parole des syndicats, c'est-à-dire des structures qui défendent, au nom de leurs adhérents, des idées précises. Sachez néanmoins que toutes les personnes qui sont devant vous travaillent de concert ; le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier du barreau de Paris travaillent ensemble et ces institutions sont toujours à l’écoute des syndicats. Par ailleurs, même si les idées défendues par les différents syndicats ne sont pas toujours les mêmes, nous désirons unir nos idées et les promouvoir.

La Confédération nationale des avocats (CNA) a cent ans d’existence ; elle regroupe des avocats orientés plutôt vers le judiciaire que le conseil, avec une vision enracinée dans les grands principes de la profession.

Nous avons été entendus par la commission Perben ; nous avons émis des propositions, dont beaucoup ont été suivies. La CNA avait à peu près les mêmes idées que les autres syndicats, mais je veux dire notre position sur les treize recommandations du rapport.

Sur l’aide juridictionnelle, la recommandation est bonne, mais il faut aller plus loin ; je rejoins les propos d’Hélène Fontaine et Jérôme Gavaudan à ce sujet.

Le renforcement de l’efficacité des ordonnances de taxation des honoraires du bâtonnier est essentiel. Cela peut paraître anecdotique, mais il est crucial qu’un avocat puisse recouvrer rapidement ses honoraires lorsque le bâtonnier les fixe.

J’en viens à la réforme de l’article 700 du code de procédure civile ; il s’agit de la possibilité pour un juge d’obliger la partie perdante à payer les frais d’avocat de la partie gagnante. Aujourd'hui, c’est une faculté laissée à la libre appréciation du juge. Il est proposé d’imposer la production de nos factures au juge pour qu’il puisse statuer sur des éléments précis. C’est une excellente idée, mais c’est dangereux, parce que le juge n’a pas non plus vocation à taxer les honoraires ; le CNB, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris devraient rechercher une solution permettant d’empêcher le juge de fixer arbitrairement le montant à payer. Tout cela reste à définir.

Sur la protection des collaborateurs de cabinet, nous sommes d’accord à 100 % ; il faut mettre en place, dans les barreaux, des contrats groupés d’assurance de collaboration.

Sur l’égalité homme-femme au sein de la profession, nous sommes d’accord avec les propositions qui sont faites.

Sur la réforme de la procédure d’appel, nous sommes aussi d’accord. Aujourd'hui, la responsabilité de l’avocat peut être engagée à tout moment en raison de délais très stricts.

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Le rapport précise que ces délais, qui devaient raccourcir le temps de l’appel, ont été totalement inefficaces, car les procédures sont toujours longues, entre deux et trois ans.

Sur la formation des avocats, nous sommes également d’accord, mais il faut aller plus loin.

Sur le renforcement de l’efficacité des modes amiables de règlement des différends et l’acte d’avocat exécutoire, je souscris à ce qui disait Me Fontaine.

En revanche, nous voyons un grand danger dans la modification de la définition de la consultation juridique. Actuellement, la consultation juridique consiste en un travail de recherche et en la production d’une consultation écrite ; c’est une prestation intellectuelle. Le rapport propose que l’expression « prestation intellectuelle » disparaisse pour que la consultation juridique recouvre également l’opération consistant à appuyer sur un bouton d’ordinateur ; la consultation pourrait alors être faite par une machine. Il faut être très prudent.

Sur le financement des cabinets, la CNA n’a jamais été favorable à l’introduction de capitaux extérieurs dans les structures d’avocats, c'est-à-dire à la possibilité, pour un fonds d’investissement, de devenir actionnaire d’un cabinet d’avocats. Il est précisé dans le rapport que l’apporteur de capitaux pourrait ne pas être associé et ne pas avoir de droit de vote, mais, ne soyons pas naïfs, lorsqu’un financier apporte des capitaux, il a forcément une influence dans la direction d’une structure.

Sur le reste, nous sommes absolument d’accord.

Nous sommes favorables à la participation des avocats à la vie des juridictions. Aujourd'hui, lorsqu’un avocat appelle un juge, on lui répond parfois que celui-ci ne parle pas aux avocats. Le dialogue disparaît, ce qui aboutit généralement au conflit. Il est très important de rétablir le dialogue entre avocat et magistrat et la mise en place de temps annuels de concertation entre le bâtonnier local et le président du tribunal est une excellente idée.

En ce qui concerne l’accès des avocats à la magistrature judiciaire, sachez qu’un avocat qui veut devenir magistrat fait un stage de trente-deux mois sans être rémunéré, à l’issue de quoi on peut lui annoncer qu’il n’est pas intégré à la magistrature. Cela en fait hésiter certains pour s’engager dans cette carrière…

Enfin, nous sommes très attachés au secret professionnel. Ce n’est pas du corporatisme ; simplement, les ordres professionnels, les bâtonniers, les conseils de discipline sont là pour sanctionner les avocats qui commettent des fautes. Il n’est pas envisageable de substituer à cette juridiction ordinale une autre juridiction qui porterait un regard moral sur les actes d’un avocat. Le secret professionnel, seul moyen de garantir la liberté de nos clients et la spécificité de notre métier, doit être contrôlé par le bâtonnier. En le supprimant, on décrédibiliserait le bâtonnier et on transformerait l’avocat en un simple prestataire de services. Si nous prêtons serment, c’est parce qu’il y a des règles, dont le respect est surveillé par l’organe qui nous représente, le bâtonnier de notre ordre, et elles sont organisées par la conférence des bâtonniers et par le CNB. Nous sommes une profession réglementée et non des prestataires comme les autres.

Me Estellia Araez, présidente du syndicat des avocats de France. – Le syndicat des avocats de France (SAF) représente la partie de la profession qui s’occupe essentiellement de procédure judiciaire et qui travaille beaucoup à l’aide juridictionnelle, non

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3727 par choix, mais parce que nos adhérents sont spécialisés dans des contentieux où de nombreux justiciables sont éligibles à cette aide : baux, consommation, droit des étrangers ou droit du travail du côté salarié.

L’avenir de notre profession passe par le respect de notre indépendance, que le Gouvernement semble vouloir mettre à mal. Je vais en donner trois exemples.

On a d’abord l’impression qu’il veut s’immiscer dans la réforme de la formation initiale des avocats, au travers du groupe de travail sur la formation des avocats, présidé par Sandrine Clavel et Kami Haeri, dit « Clavel-Haeri », alors que le CNB, notre institution représentative, a déjà une commission chargée de cette formation. J’y reviendrai.

Second exemple de l’immixtion des pouvoirs publics dans notre profession : la réforme de la discipline. Les pouvoirs publics veulent contrôler notre discipline en édictant nos règles déontologiques. Cela inquiète beaucoup la profession.

Enfin, dernier exemple : le projet de loi qui est envisagé par la Chancellerie, dans lequel le garde des sceaux formule des propositions qui ne sont pas souhaitées par la profession, plutôt que de mettre œuvre celles que nous avons formulées lors des états généraux sur l’avenir de la profession d’avocat.

Pour garantir l’avenir de la profession, il faut améliorer l’indépendance économique des cabinets, donc assurer une rémunération décente des confrères qui acceptent de travailler à l’aide juridictionnelle. Il faut en outre que cette aide couvre mieux, dans l’intérêt du justiciable, des champs actuellement très mal indemnisés ; je pense aux petits litiges dans lesquels les enjeux financiers sont faibles. D’où la proposition, déjà ancienne, de créer des groupes de défense, financés par une majoration de la subvention allouée aux ordres au titre de l’aide juridictionnelle. Ces groupes permettraient de mieux indemniser les avocats confrontés à des contentieux techniques, qui exigent beaucoup de travail. Cette solution permettrait de mieux rémunérer les confrères et d’améliorer la qualité des prestations.

L’avenir de la profession passe également par l’amélioration de notre protection sociale ; la crise sanitaire l’a révélé. La profession a des propositions à faire en la matière.

L’indépendance passe aussi par la cessation des réformes législatives permanentes, tant sur le fond du droit que sur la procédure. La réforme de la procédure d’appel est un bon exemple ; cette réforme n’a aucunement amélioré les délais de procédure – au contraire – et elle a engendré des problèmes procéduraux pour les avocats et les magistrats.

Le SAF a émis des propositions, transmises depuis de nombreux mois au garde des sceaux et au directeur des affaires civiles et du sceau, pour réformer la procédure Magendie et simplifier les procédures d’appel au bénéfice des acteurs de justice et des justiciables, qui subissent un déni de justice à cause de chausse-trappes n’ayant d’autre intérêt que de limiter le nombre de dossiers.

Il faut donc stopper ces réformes législatives incessantes, mais il faut aussi améliorer le fonctionnement des juridictions. Pour que les avocats aient un avenir, travaillent correctement et gagnent de l’argent, les délais de procédure doivent être raccourcis. Les justiciables ne souhaitent pas attendre 18, 24 voire 36 mois pour que leur litige soit tranché. Il faut des moyens supplémentaires, afin d’améliorer ces délais, la qualité de la justice et

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3728 l’intelligibilité des décisions. Si les justiciables ont le sentiment que la justice ne sert à rien, ils finiront par se faire justice eux-mêmes ; nous l’avons perçu pendant la crise des gilets jaunes.

Enfin, il faut se pencher sur la réforme de la formation initiale des élèves-avocats. On entend dire que les avocats sont trop nombreux ; ce n’est pas la question, le problème est que les avocats sont mal formés, car la formation initiale est financée non par l’État, mais par la profession. Il y a une solution simple à ce problème : le contrat d’apprentissage. Cela résoudrait la question du financement de la formation des élèves-avocats ; surtout, cela donnerait leur un statut, dont ils sont aujourd'hui privés. La formation en serait meilleure, car les élèves-avocats feraient, toute l’année, des allers-retours entre l’école et le cabinet.

La mission Clavel-Haeri se trompe en indiquant qu’il faut raccourcir la formation ; il faut la maintenir et en améliorer la qualité. On dit que les élèves ont hâte de se confronter à la vie professionnelle, mais ils n’ont pas de rémunération ; le contrat d’apprentissage répondrait à ces deux problèmes. La durée de la formation ne serait plus un handicap. Le SAF a étudié la faisabilité de cette formation en alternance ; nous avons envoyé cette étude à nos institutions représentatives et au garde des sceaux. Nous la tenons à votre disposition, mesdames et messieurs les sénateurs.

Enfin, il faut améliorer la protection des collaborateurs, qui se trouvent dans une situation complexe quand leur contrat de collaboration est rompu, ce qui peut se faire très facilement. Ils ne bénéficient pas de l’assurance chômage, ce qui est normal s’agissant d’une profession libérale et indépendante, mais ils devraient pouvoir bénéficier de couvertures supplémentaires, notamment d’un contrat d’assurance contre la perte de collaboration, qui doit être étendu à tous les barreaux et mutualisé.

Me Catheline Modat, présidente de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats. – La Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) a vocation à regrouper de jeunes avocats, mais pas uniquement. Nous comptons des confrères qui exercent une activité judiciaire et des avocats ayant une activité de conseil, dans des barreaux de différentes tailles. La population de nos adhérents est très diversifiée et représente bien la population des avocats.

Sur le rapport Perben, nous avons plusieurs observations à formuler. La mission confiée à notre confrère Dominique Perben était très ambitieuse ; malheureusement, il n’a peut-être pas eu le temps de conduire sa mission dans les meilleures conditions en raison de la crise sanitaire, puisqu’il a été missionné le 9 mars et a remis son rapport en août.

La manière dont Mme la garde des sceaux a analysé notre profession me paraît intéressante. Elle indique dans sa lettre de mission que son objectif est de « garantir aux avocats, dont la spécificité professionnelle est le fondement de notre démocratie, leur indépendance, leur liberté d’exercice, leur autonomie de fonctionnement, la viabilité de toutes les structures ». Elle identifie donc bien la spécificité de la profession, liée à notre statut de profession réglementée soumise à une déontologie, qui encadre tous nos actes, dans notre exercice professionnel et dans notre vie personnelle. Ces règles n’existent pas pour nous contraindre ; elles sont surtout là pour protéger nos clients.

Je ne vous cache pas qu’après avoir lu ce rapport avec beaucoup d’intérêt, nous y avons vu un manque d’ambition, ou à tout le moins nous aurions aimé qu’il aille plus loin. Certes, certaines propositions demandées depuis de nombreuses années par la profession sont

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3729 reprises, notamment celles relatives à l’acte d’avocat, à l’exécution provisoire de la taxation des honoraires ou encore à la revalorisation de l’aide juridictionnelle.

Concernant la proposition de créer un observatoire de l’égalité homme-femme au sein de la profession, je voudrais dire que nous sommes déjà allés beaucoup plus loin en pratique. Par exemple, nous avons pris des mesures quant à l’égalité, non pas simplement homme-femme, mais par exemple en faveur des personnes en situation de handicap. De nombreux travaux ont été faits à cet égard au cours de la mandature précédente. Il faut donc nous écouter en amont : la profession a déjà avancé sur de nombreux sujets et elle est allée plus loin que les préconisations du rapport Perben, qui nous semble manquer d’ambition.

Par ailleurs, nous regrettons que cette réflexion sur l’avenir de la profession aborde la question de la collaboration uniquement sous l’angle de la rupture de contrat. Certes, nous sommes une profession d’indépendants et libéraux et ne bénéficions pas de l’assurance chômage. Et, en effet, se pose la question d’une assurance collective de la profession. Mais la collaboration, période de début d’activité, permet de mettre le pied à l’étrier des jeunes confrères pour le développement de leur activité.

En ce qui concerne la situation économique des confrères, d’autant plus compliquée durant l’année 2020, le rapport pointe une incapacité récurrente à nous imposer sur de nouveaux champs d’activité. Il me semble, au contraire, que la profession a multiplié son offre. La vision de notre profession est donc très critique et pessimiste. Les avocats sont pourtant novateurs : nous accompagnons nos clients dans l’évolution de leurs activités et nous savons également faire évoluer la nôtre, dans la cadre de nos règles déontologiques. C’est l’un des objectifs de chaque assemblée générale du CNB, nous œuvrons pour qu’il y ait un avocat dès qu’il y a un besoin de droit.

En revanche, je suis en accord avec Dominique Perben sur le constat d’un accès limité à la justice, en raison des faibles capacités d’accueil. En effet, nous ne pouvons pas être satisfaits des délais de procédure : nous les subissons, tout comme les justiciables. Mais la capacité du système judiciaire à recevoir et à traiter les demandes de justice dans des délais acceptables n’est pas un paramètre que la profession peut maîtriser, puisque cela relève des pouvoirs publics. Nous sommes confrontés, chaque jour, à la carence des moyens de la justice, qui est la cause de notre absence de fonctionnement durant le premier confinement. La profession était prête à fonctionner, mais pas les juridictions – je ne jette pas la pierre aux magistrats. L’amélioration des moyens de la justice permettra de ne pas décourager certains justiciables de saisir la justice.

En matière de développement de l’activité, il me semble que nous avons su investir : nous sommes allés chercher d’autres marchés. Par ailleurs, se pose la question des financements au sujet desquels le rapport préconise l’ouverture à des capitaux. La FNUJA soutient depuis de nombreuses années cette proposition dans des conditions strictement encadrées. Cette mesure a été votée en assemblée générale lors de la dernière mandature du CNB. S’il faut aller dans ce sens, il existe également d’autres moyens comme l’apport d’affaires. C’est l’occasion pour la profession d’obtenir des ressources supplémentaires.

Un point extrêmement important, pourtant non repris dans le rapport Perben, est celui du maillage territorial – la FNUJA y est extrêmement attachée. Nous sommes, aujourd’hui, en mesure d’assurer un service de qualité aux justiciables, car nous sommes à côté d’eux. Nos clients ont besoin d’avocats à proximité. Pour maintenir la vie des barreaux, il

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3730 faut maintenir celle des juridictions. Moins il y aura de juridictions, plus loin les justiciables auront à se déplacer. L’accès de proximité au droit nous paraît donc un élément primordial.

Nous partageons les inquiétudes du syndicat des avocats de France quant à l’intervention croissante des pouvoirs publics, notamment en matière de formation des avocats. Nous sommes très attachés aux prérogatives du CNB et au fait que la profession gère la formation.

M. Emmanuel Raskin, vice-président de l’Association des avocats conseils d’entreprises – Je rejoins grosso modo les propos qui ont été tenus. Nous constatons la déferlante de réformes que le justiciable et la profession a connue, tout spécialement depuis la mandature du Conseil national des barreaux de 2018 à 2020. Je ne compte pas la période de crise sanitaire, pour laquelle nous avons comptabilisé une cinquantaine d’ordonnances en moins d’un an. Je ne compte pas non plus les réformes de la justice venues amender celles, toujours pas digérées, de décembre 2019. Une autre réforme prise par voie réglementaire vient de tomber au mois de novembre dernier.

Je rappelle que la profession d’avocat a une double activité : le conseil et l’action judiciaire. La première est extrêmement importante pour les contentieux. Le règlement national des avocats nous définit comme des « partenaires de justice ». Nous devons travailler avec les magistrats tant les problèmes que rencontre la justice sont importants. Toutefois, on l’a bien compris, la profession d’avocat ne va pas se substituer au budget de l’État. En revanche, plutôt que de multiplier des procédures pour pallier cette carence, il est indispensable de pouvoir avancer avec des textes intelligibles par la profession et surtout par le justiciable. En effet, celui-ci est notre principal client en matière de conseil, qu’il soit un particulier ou une société. Nous défendons une valeur entrepreneuriale qui a son importance. L’absence d’accès aux tribunaux durant le confinement a mis nos clients – qu’il s’agisse des entreprises, des sociétés ou des particuliers – dans une extrême détresse. Pourtant, nous avons réussi à maintenir notre activité, car nous avons été forts et unis.

Beaucoup de choses positives ont été avancées dans le rapport Perben et l’ACE y est majoritairement favorable, même si certains travaux complémentaires doivent être menés. Si on écoute le justiciable et l’avocat qui ne travaille que pour le justiciable, au titre des valeurs fondamentales de la profession que sont son caractère libéral et son indépendance, les axes majeurs du rapport sont bien définis. Le secret professionnel doit être absolument préservé dans tous les domaines d’activité de l’avocat, ainsi que la souplesse économique nécessaire au fonctionnement des cabinets.

Souplesse économique, innovation, réflexion ne sont pas antinomiques avec le respect de nos garanties fondamentales et de notre socle déontologique. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à certaines préconisations du rapport Perben : la pluridisciplinarité, l’ouverture des capitaux pour permettre, sinon une survie économique, l’ouverture de nouveaux horizons, naturellement sous le contrôle de nos règles déontologiques.

En matière de formation, il est important de souligner que la formation initiale n’est pas une redite universitaire. Nous avons besoin que nos jeunes avocats soient formés au management et à la dimension entrepreneuriale. Cette dernière vaut pour tous et pas seulement pour les gros cabinets d’affaires. Le collaborateur libéral ou l’avocat indépendant entrepreneur doit savoir gérer, communiquer, facturer, conclure des conventions d’honoraires,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3731 parler, rédiger, etc. Cette formation doit donc revêtir une dimension pratique plutôt que théorique, cette dernière étant du ressort de l’université.

Enfin, il nous faut nous rapprocher des magistrats. Peu importent les clivages, notamment politiques. La question est de travailler de concert pour la justice avec nos magistrats, les réformes que nous avons connues ne pouvant permettre la préservation de l’accès au droit. Le résultat des cinquante réformes en moins de dix ans pour la cour d’appel est quasi nul par rapport aux objectifs escomptés. Je ne pense pas que la solution judiciaire soit acceptable, dans l’intérêt du justiciable. Le rapport Perben propose ainsi de rallonger les délais couperets de caducité ou d’irrecevabilité, alors que nous pourrions revenir à la loyauté des débats du code de procédure civile, principe malheureusement modifié.

L’article 700 de ce code est également extrêmement important en ce qu’il responsabilise les protagonistes dans le procès : il est dans l’intérêt du justiciable d’avoir tenté, avant le procès, des modes de règlements alternatifs à l’amiable ou en ayant évité le litige par un conseil en amont plus efficient. Nous sommes également favorables à la définition de la consultation juridique à condition qu’elle soit définie sans être sans cesse évolutive. Je m’oppose, à cet égard, au fait de se fonder sur la jurisprudence qui n’est pas un texte normatif.

Mme Agnès Canayer, rapporteure pour avis des crédits des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice ». – Nous avons eu un grand intérêt à entendre vos remarques respectives sur la profession d’avocat dans un temps moins contraint que la préparation d’un projet de loi. Ces tables rondes nous permettent d’avoir des points de vue complémentaires pour étayer notre réflexion.

Sur le sujet de l’aide juridictionnelle, à laquelle nous sommes particulièrement attachés et qui a été au cœur des débats du projet de loi de finances pour 2021, nous avons bien relevé que nous sommes au milieu du gué. Les préconisations du rapport Perben vont plus loin et le Sénat sera très attentif, lors des prochaines lois de finances, aux moyens alloués par le Gouvernement pour tenir l’objectif d’une unité de valeur à 40 euros. Nous tenons également à travailler à la mise en conformité des barèmes avec l’évolution des pratiques de la profession d’avocat, notamment en matière de médiation et de procédures amiables.

Par ailleurs, nous serons attentifs à la question du caractère exécutoire des actes des avocats, qui semble toutefois présenter des risques d’inconstitutionnalité. Nous serons amenés à y retravailler et à trouver une solution juridique.

Je vous remercie pour vos contributions.

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis des crédits des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice ». – J’ai bien noté votre volonté de rapprochement avec les magistrats, qui me paraît indispensable.

Permettez-moi de vous poser quelques questions, compte tenu de nos contraintes horaires, j’aimerais que vous nous transmettiez vos réponses par écrit.

Que pensez-vous du sujet de l’avocat en entreprise à propos duquel le rapport Perben, à la différence du garde des sceaux, qui y est favorable, n’a pas pris position ? Quelle condition faudrait-il lui donner ?

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En matière d’égalité homme-femme, j’ai bien noté que vous avez déjà beaucoup avancé. Toutefois, il m’a semblé qu’une femme en province qui fait du droit pénal a plus de difficulté à gagner sa vie en tant qu’avocat. Aussi, quelles sont ces avancées ? Et que prévoyez-vous pour éviter cette situation qui est bien réelle ?

Mme Catherine Di Folco, président. – Nous vous remercions de votre participation et de vos contributions en réponse aux propos des deux rapporteurs. Nous vous souhaitons une belle année personnelle et professionnelle.

La réunion est close à 13 h 05.

La réunion, close à 13 heures, est reprise à 16 h 30.

Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. François-Noël Buffet, président. – Monsieur le garde des sceaux, merci d’avoir accepté de venir cet après-midi devant notre commission pour aborder ensemble le projet de loi ratifiant l’ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

Au moment où le Sénat a eu à connaître de la loi sur la réforme de la justice, nous avions évoqué avec votre prédécesseur la possibilité de traiter dans ce cadre la question du code de la justice pénale des mineurs. On nous a répondu qu’un texte spécifique y serait consacré. Puis, à la fin du débat parlementaire, on nous a demandé d’habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance. Vous n’y êtes pour rien, monsieur le garde des sceaux, mais cette manière de procéder avait suscité notre mécontentement.

Voilà maintenant que l’ordonnance arrive. Je ne reviendrai pas sur la discussion que nous avons eue au téléphone, la semaine dernière, au sujet de la lettre que vous aviez adressée aux juridictions en prévision de la mise en œuvre de ce texte. Le Sénat en a été chagriné, en particulier la commission des lois.

Nous profiterons avec intérêt de votre présence, cet après-midi, pour évoquer avec vous ce dossier, sur lequel notre collègue Agnès Canayer, rapporteur, aura un certain nombre de questions à vous poser.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – C’est un honneur pour moi de présenter, devant la commission des lois du Sénat, le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs. Vous l’avez rappelé, monsieur le président, je ne suis en rien responsable de la manière dont ce texte arrive devant le Sénat. Il ne serait donc pas juste que je sois le réceptacle de votre courroux.

Je suis fier de débattre avec vous de cette réforme attendue de longue date. Le texte, qui a fait l’objet d’une large concertation, a été enrichi en première lecture à l’Assemblée nationale. Il est l’aboutissement d’un travail de codification et de clarification qui s’est inscrit sur dix ans, période pendant laquelle se sont succédé quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités. Les réformes successives s’étaient empilées sans cohérence, au gré des alternances politiques, transformant l’ordonnance de 1945 en un texte dont tous les professionnels s’accordent à dire qu’il est devenu illisible.

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Cette réforme longuement mûrie et équilibrée arrive désormais devant vous. Elle parvient à répondre aux attentes des Français. Elle améliore la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants, en renforçant les principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945. Elle consacre la primauté de l’éducatif, l’atténuation de la peine et la spécialisation des acteurs.

Monsieur le président, nous nous sommes expliqués au sujet du mépris ou de la condescendance que le ministère de la justice ou moi-même aurions pu afficher à l’encontre de la Chambre haute. Les journalistes de la télévision n’ont pas manqué de relayer l’expression de votre courroux. J’entends vous rassurer complètement sur ce point.

Certains ont manifesté leur inquiétude à l’Assemblée nationale, et d’autres le feront certainement au Sénat, quant au fait que les juridictions ne seraient pas prêtes pour cette réforme. À ma demande, les services du ministère ont procédé à des analyses de la situation, juridiction par juridiction, et nous avons souhaité informer chacune d’entre elles de la première mouture du texte, en précisant qu’il devait encore être examiné par le Sénat. Certains ont qualifié à juste titre cette lettre de circulaire « Canada Dry », car elle avait pour unique vocation de prévenir les professionnels de l’arrivée du texte. J’ai clairement précisé dans cette circulaire que ce texte ne pouvait pas en l’état servir de base au travail des juridictions, car il risquait d’être transformé et amodié au cours du processus législatif, même si je nourris la secrète espérance que les grands équilibres n’en seront pas modifiés. J’ai écrit cela en toutes lettres, sans aucune intention de ne pas considérer le Sénat. Je respecte la Haute Assemblée et j'ai beaucoup de plaisir à travailler avec elle.

J’espère qu’il ne s’agit pas là d’une polémique politicienne. Nous pouvons être d’accord ou bien nous opposer sur certains sujets, mais j’entends que nous poursuivions sur la voie d’échanges de bon niveau.

Cette réforme consacre une justice des mineurs plus efficace, plus lisible, plus rapide, et désormais prévisible pour tous. De nombreux mineurs ont été condamnés après avoir atteint leur majorité, à un moment où ils étaient de « jeunes majeurs » ou de « très vieux mineurs », si vous me permettez l’expression. La mise en examen n’était enserrée par aucun délai, ce qui a contribué à nourrir le « stock » des dossiers, puisque l’usage de ce mot néo- capitalistique est désormais consacré. Des gamins de seize ans ont dû attendre d’avoir vingt- deux ans pour être jugés. À la perte de temps s’ajoute l’inefficacité du message pédagogique, car tout père de famille sait qu’une sanction ou une mesure éducative n’a plus de sens si on l’inflige ou si on l’impose à ses enfants trois ans après les faits.

La rapidité de la première intervention judiciaire, sous la forme d’une audience de culpabilité, ne signifie pas la mise en place d’une justice expéditive, comme certains ont voulu l’affirmer. Les équilibres sont préservés, le temps de l’éducatif n’est pas réduit, mais il est au contraire encadré, et il peut être prolongé lorsqu’on juge que cela est nécessaire. Le travail éducatif s’inscrit ainsi dans un continuum.

Après l’audience de culpabilité, une autre audience est consacrée à la peine, avec dans l’intervalle l’application de mesures éducatives. Le regroupement de toutes les autres procédures en cours a le mérite de la rapidité et permet de prendre en compte les victimes. L’éducatif reste au cœur de cette réforme.

Quant aux étapes de l’examen du texte, elles montrent qu’il a donné lieu à un débat démocratique nourri. Vous en êtes d’ailleurs les garants. La commission des lois de

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3734 l’Assemblée nationale a examiné près d’un demi-millier d’amendements, et les députés en ont examiné autant en séance publique, en décembre dernier.

À la question de savoir si les juridictions et les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) seront prêts, je réponds que oui. Toutes les réformes ont commencé par être mal reçues. Il n’est qu’à voir la loi du 15 juin 2000 dite « loi Guigou », que personne ne songe plus à remettre en question. Elle a pourtant donné lieu à des manifestations devant la Chancellerie, place Vendôme, et je me souviens d’acteurs judiciaires qui n’hésitaient pas à jeter leurs codes par terre en signe de protestation. Persifleur, j’aimais dire alors qu’on ferait mieux de les lire, plutôt que de les jeter… Aucune réforme n’a jamais été accueillie à bras ouverts.

Concrètement, nous avons prévu des renforts de moyens dans les juridictions. Les services du ministère ont identifié une dizaine de juridictions qui souffrent d’une certaine fragilité. Elles ont été analysées et répertoriés. Nous avons affecté 72 magistrats supplémentaires au 1er septembre 2020, ainsi que 100 greffiers, qui ont constitué un renfort immédiat. Depuis 2018, 4 employés de greffe exercent désormais à Bobigny, ce qui satisfait à la demande exprimée par les chefs de juridiction.

La réforme a également été anticipée au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, grâce à la création de 252 emplois supplémentaires jusqu’en 2022. En complément, quatre-vingt-six éducateurs viennent d’être recrutés dans le cadre des budgets qui ont été alloués à la justice de proximité, qui constituent un appui inédit et légitime. Grâce à la mission mise en place par l’Inspection générale de la justice (IGJ), nous avons pu apporter une assistance méthodologique directe aux juridictions et aux services territoriaux de la PJJ pour la mise en place de la réforme. Je peux donc affirmer que les juridictions sont prêtes.

Nous avons également anticipé sa mise en œuvre sur le terrain numérique de façon à ce que les dispositions nouvelles s’exercent plus rapidement.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. – Nous ne contestons pas la nécessité de mettre en œuvre cette réforme, attendue, puisque l’ordonnance de 1945 a été réformée plus de quarante fois, donnant lieu à un certain nombre d’incohérences. Nous avons besoin d’une justice plus adaptée à l’évolution et aux besoins des mineurs.

Néanmoins, le délai prévu pour l’entrée en vigueur de cette réforme pose question. Les juridictions doivent faire face, comme nous tous, aux effets de la crise sanitaire. La récente grève des avocats a ralenti les procédures et augmenté les stocks – le mot n’est pas beau, mais il est concret pour décrire les dossiers qui s’empilent dans les tribunaux. Une mise en œuvre dans un délai très rapproché, au 31 mars, soit un mois après la fin du processus législatif, risque d’être compliquée, même si vous l’avez anticipée. Quand bien même la « technique du sparadrap » serait efficace, et malgré des moyens supplémentaires, un certain nombre de juridictions, fragilisées, ne seront pas prêtes à assimiler cette réforme.

Nous avions eu ce débat au moment de l’examen du dernier projet de loi de finances. Comment tenir un délai aussi raccourci, alors que tous les stocks ne seront pas apurés, et que la période de transition entre l’ancienne et la nouvelle procédure n’aura pas toujours été solidement préparée techniquement, voire juridiquement ? La formation – si ce n’est l’information – de certains acteurs de cette justice des mineurs n’a pas été suffisamment affinée. Les moyens informatiques, dont le logiciel Cassiopée, sont loin d’être au point. Or

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3735 d’autres réformes, comme celle du divorce ou celle du « bloc peine », ont montré que le manque de moyens informatiques nuisait à leur réalisation.

Comment entendez-vous tenir ce délai ? Quels moyens humains seront déployés ? Ce dernier problème n’est pas uniquement quantitatif : il faut certes des personnels en nombre – greffiers, magistrats, acteurs de la PJJ, etc. –, mais il faut aussi des personnels qui soient capables d’assimiler cette réforme d’ampleur. Les pratiques de la justice pénale des mineurs se trouvent totalement changées, notamment par le biais du mécanisme innovant de la césure. Nous sommes très inquiets aujourd’hui quant à une mise en œuvre à délai rapproché, qui, selon nous, fragilisera les fondations d’une réforme essentielle, a fortiori dans le contexte actuel. Nous avons donc besoin de temps supplémentaire.

Ma deuxième question concerne le périmètre de la réforme. Seule une partie de la justice des mineurs – le volet pénal, c’est-à-dire répressif – est concernée. Qu’en est-il du principe éducatif, qui doit primer l’aspect répressif ? Comment entendez-vous articuler ces deux éléments indissociables de la justice des mineurs ?

Ma troisième question porte sur les mineurs non accompagnés (MNA) lesquels, se trouvant souvent happés par des réseaux, sont soustraits à la justice. Pensez-vous que la procédure de l’audience unique leur est adaptée ?

Comment envisagez-vous l’articulation du juge des libertés et de la détention (JLD), mesure ajoutée par l’Assemblée nationale pour répondre au principe d’impartialité du juge, tel que posé par le Conseil constitutionnel en application de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe de continuité du suivi par le juge des enfants qui n’interviendra plus dans ce cadre ?

Vous avez maintenu au sein du code de la justice pénale des mineurs la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes. Cela nous paraît un peu anachronique avec la volonté de spécialisation des juridictions.

Enfin, bien que consciente de la volonté d’une justice plus rapide, dans l’intérêt d’un meilleur développement de l’enfant, je m’interroge tout de même sur la façon dont vous entendez faire respecter les délais fixés pour cette procédure, alors qu’ils ne sont qu’indicatifs.

M. Jean-Pierre Sueur. – Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, vous poser une question qui n’a pas trait à ce texte, mais à l’urgence. Le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à toutes les autorités, a demandé l’adoption d’un texte législatif concernant la possibilité des détenus de contester leurs conditions de détention pour indignité. Alors que vous aviez introduit une réforme en ce sens, à la faveur du projet de loi relatif au Parquet européen à la justice pénale spécialisée, vous y avez finalement renoncé, craignant que cela ne fût considéré comme un des innombrables cavaliers. Soit le Parlement examine une proposition de loi – or je vois mal comment elle pourrait être adoptée avant le mois de mars, compte tenu de la navette –, soit le Gouvernement dépose lui-même un projet de loi. Quand comptez-vous le faire ?

Concernant le présent texte, ne serait-il pas sage d’en reporter la date d’application de quelques mois, de manière que les juridictions puissent se préparer ?

Jean-Pierre Rosenczveig, avec qui nous avons longuement discuté, nous a fait remarquer qu’il est véritablement incompréhensible que l’on ne pose pas l’irresponsabilité

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3736 pénale des mineurs de treize ans. Sur ce point, il conviendrait de mettre en conformité nos lois avec la convention internationale des droits de l’enfant et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est une question centrale, sur laquelle nous avons entendu les représentants de magistrats et d’avocats, ainsi que plusieurs éducateurs.

Enfin, la césure semble être une bonne idée, car cela permet de prendre une première décision : il est en effet nécessaire de donner à l’acte éducatif toute sa place. En revanche, le système pour les réitérants est différent : garde à vue, déferrement au parquet, le centre éducatif fermé pour les moins de seize ans et la détention provisoire pour les plus de seize ans, avec un tribunal qui statue en une seule fois. Pour ces mineurs-là, la philosophie générale du texte paraît ne pas s’appliquer.

M. Jean-Yves Leconte. – En m’extrayant peut-être du sujet de cette audition, ma question porte sur les actes de naissance et le projet de loi relatif à la bioéthique. La rédaction de l’article 4 bis du texte, tel qu’issu des travaux de l’Assemblée nationale, est conforme à ce que le Gouvernement avait défendu lors de la première lecture au Sénat. Elle remet en cause l’article 47 du code civil, qui, en résumé, pose le principe selon lequel les actes d’état civil étrangers font foi, sauf s’ils sont notoirement faux. Le Gouvernement a ainsi entendu faire obstacle à la transcription des actes de naissance des enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l’étranger, contrairement aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’effectivité et de célérité. La France a d’ailleurs plusieurs fois été condamnée... Les décisions de la Cour de cassation sur ce sujet font jurisprudence. Cela pose véritablement problème, notamment pour les mères seules, qui ne pourront pas adopter leur propre enfant. Un défaut de réciprocité des actes d’état civil est aussi en cause.

Êtes-vous à l’aise avec la rédaction de cet article 4 bis?

M. François-Noël Buffet, président. – Je précise que le sujet de la bioéthique ne relève pas de notre commission, le texte ayant été renvoyé à une commission spéciale.

M. Philippe Bas. – Monsieur le garde des sceaux, un certain formalisme est nécessaire à la procédure judiciaire, et trouve de multiples applications informatiques, mises en œuvre par les greffiers, qui permettent aux avocats de suivre l’évolution d’un dossier.

Si l’on règle dans les détails la mise en œuvre de l’ordonnance avant le vote du Sénat, quelles que soient les précautions de langage que vous aurez prises, on risque de vous entendre dire dans quelques jours que vous ne pourrez pas accepter des amendements du Sénat, même s’ils sont bons, car vous ne pourrez pas tenir votre calendrier.

Au fond, nous n’avons aucune préoccupation de politique politicienne : notre motivation est celle de la qualité et du respect du débat parlementaire. Si nous ne pouvons pas amender ce texte parce que les consignes ont déjà été données pour son application dans un délai très rapproché, ou si nous n’arrivons pas à un accord en commission mixte paritaire pour ce motif, qui pourrait être un motif non dit,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Non !

M. Philippe Bas. – … cela constitue un problème pour les relations entre le Parlement et le Gouvernement. J’espère que ce n’est pas du « wishful thinking » que d’espérer une application de ce texte si protéiforme, si important et si ambitieux, dans un délai aussi rapproché, après le vote du Parlement.

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Je m’associe à l’interrogation de notre collègue Jean-Pierre Sueur notamment, car, lorsque l’on fait une réforme aussi importante, un bouton de guêtre ne doit pas manquer. Je comprends que vous ayez sans doute été animé d’un souci d’efficacité, mais cela vient percuter le débat parlementaire dans des conditions très inhabituelles.

Mme Brigitte Lherbier. – Le ministre de l’intérieur nous a confirmé tout à l’heure les chiffres dramatiques d’augmentation de maltraitance, de violences intrafamiliales, des chiffres qui nous avaient déjà présentés par les gendarmes et les procureurs pendant le confinement. Ces chiffres sont terribles, notamment dans le département du Nord, dont je suis élue. Les réitérations de violences, et les formes d’impunité que l’on rencontre parfois vis-à- vis des parents peuvent être à l’origine de bien des déstructurations d’enfants.

Je trouve qu’il est extrêmement douloureux que l’on ne s’intéresse aux jeunes qu’à partir du moment où ils deviennent délinquants. On pourrait intervenir bien en amont – il est d’ailleurs gênant d’associer la sanction à l’éducatif –, mais force est de constater que les services d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) sont surchargés, que les services de placement d’enfants sont retardés et que beaucoup de signalements ne connaissent pas de suite. Tous les enfants en situation de détresse ne deviennent pas délinquants, heureusement, mais il relève de notre responsabilité d’élus et de juristes de pouvoir en sauver quelques-uns. Lorsque j’étais adjointe à la sécurité, j’avais mis en place des travaux d’intérêt général (TIG) : les jeunes qui y venaient se rendaient compte que c’était la première fois que l’on s’intéressait à eux et qu’ils pouvaient montrer qu’ils savaient faire des choses…

Les services de PJJ étaient souvent récalcitrants à participer à nos réunions, suspicieux des élus. Or il faut que tout le monde soit solidaire pour sortir les enfants de la délinquance, quand cela est possible. En revanche, dès lors qu’il y a eu passage à l’acte, je suis convaincue qu’il faut punir. Mais je voulais vous alerter. Il est bien dommage de laisser évoluer les choses très négativement, et d’être réduits à faire de simples constats en aval.

Mme Dominique Vérien. – Premièrement, le logiciel Cassiopée est-il prêt ?

Deuxièmement, il est prévu que les infractions de première à quatrième classe restent de la compétence du tribunal de police, tandis que celles de cinquième classe relèveraient du juge des enfants. Les infractions de quatrième classe, si elles ne présentent pas de particulière gravité lorsqu’elles sont commises par un adulte, révèlent en revanche, pour un enfant, un nécessaire dysfonctionnement, a minima familial. Peut-être conviendrait-il alors de passer plus rapidement devant le juge pour enfants.

Au moment de la rédaction de l’ordonnance, vous aviez prévu, dans les modules de placement, qu’un enfant puisse être aussi confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Vous avez supprimé une telle possibilité, par un amendement déposé à l’Assemblée nationale, et fait en sorte qu’un enfant puisse être placé dans un cadre familial ou chez une personne de confiance. Mais quid des enfants déjà confiés ? Je conçois qu’un enfant qui n’est pas encore pris en charge par les services départementaux ne soit pas confié à l’ASE. En revanche, un enfant déjà confié à l’ASE ne pourra pas être placé dans une famille au moment de la sanction et dépendra de la PJJ : c’est en quelque sorte une double peine, parce qu’il n’avait pas de famille de placement à l’origine. Je m’interroge donc sur cette situation.

Mme Cécile Cukierman. – Je m’associe à l’interrogation de mes collègues sur le respect du travail du Parlement, et du bicamérisme. Nous examinons ce texte en procédure accélérée, alors qu’il est pourtant si important. Nous n’aurons que deux jours pour légiférer :

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3738 le texte n’est pas très long, certes, mais nous sommes susceptibles d’émettre des remarques sur les quelque 300 articles que contient l’ordonnance. Vous l’avez dit dans votre propos introductif, monsieur le garde de sceaux, le Gouvernement a évidemment la maîtrise de l’ordre du jour d’une semaine gouvernementale…

J’ai aussi des préoccupations concernant la mise en place d’une audience unique. Comment envisagez-vous cette procédure dans son déroulé, et sur le plan de la protection des mineurs ? Comment éviter que cette procédure ne laisse se développer une justice « expéditive », comme la qualifient certains ? Nous avons tous conscience de la volonté de désencombrer les juridictions, mais cela ne peut se faire au détriment des justiciables.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Vous avez affirmé, monsieur le garde des sceaux, que toute réforme rencontre son lot d’oppositions et de contestations. Mais on constate qu’un grand nombre de professionnels contestent la date de son entrée en vigueur : la présidente de la Conférence des procureurs généraux a ainsi indiqué que la date du 31 mars prochain était un non-sens. Au-delà des préoccupations corporatistes, il y a une réelle inquiétude. La circulaire traduit la nécessité de votre précipitation : pourquoi sinon auriez- vous eu besoin de la prendre ? Afin qu’il n’y ait pas de malentendu, ma remarque n’a rien à voir avec de l’amour propre ; la question c’est la loi, ce n’est pas le fait de savoir si le Sénat s’offusque d’avoir été ignoré. Comme Philippe Bas l’a souligné, le problème est que les choses sont déjà figées, de fait.

En outre, je souhaite savoir quelle est votre position s’agissant de l’ouverture par le procureur général près la Cour de cassation d’une information judiciaire à votre encontre, devant la Cour de justice de la République, après avis favorable de la commission des requêtes. À quel stade de la procédure pensez-vous que cela pourrait devenir problématique pour l’accomplissement de vos fonctions ?

Mme Valérie Boyer. – Je souscris à ce qu’ont dit mes collègues Jean-Pierre Sueur, Philippe Bas et Marie-Pierre de La Gontrie sur la position compliquée dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Alors que cette réforme va être mise en place – cela fait longtemps que nous parlons de l’enfance délinquante, le texte est ancien, difficile et a été révisé une quarantaine de fois –, j’ai l’impression que le Gouvernement cherche à transformer le Parlement en chambre d’enregistrement des instructions qui auraient été données par le Président de la République. Je m’attendais à des débats plus ambitieux, afin d’avancer ensemble dans une seule et même direction et de trouver un équilibre entre justice et fermeté.

Considérant que le temps presse, vous avez décidé que cette réforme s’appliquerait le 31 mars prochain, et tout est déjà acté, si j’en crois le courrier que vous avez adressé aux professionnels de la justice. On nous parle sans cesse d’urgence : j’ai bien conscience que la pandémie a bousculé le calendrier, mais – je le dis sans aigreur ni orgueil – on ne peut pas continuer à avoir ce genre de relations entre le Parlement et le Gouvernement !

Georges Clemenceau disait : « Pendant une partie de ma vie, j’ai eu foi en la Chambre unique, comme émanation directe du sentiment populaire. J’en suis revenu, les événements m’ont appris qu’il faut laisser au peuple le temps de la réflexion. Le temps de la réflexion, c’est le Sénat. »

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Je suis inquiète de la qualité d’un texte législatif qui a été remanié tellement de fois et de la capacité des professionnels de la justice à travailler dans les conditions que nous craignons.

Mme Marie Mercier. – Je souhaite connaître votre avis, monsieur le garde des sceaux, sur le discernement et sur le consentement, ainsi que sur l’accompagnement des familles dans l’éducation des jeunes. Qu’est-ce que le discernement ? Qu’est-ce que le consentement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Dérogeant peut-être à l’ordre des questions qui m’ont été posées, je vais d’abord répondre à l’aimable interpellation de Mme la sénatrice de La Gontrie. Mon crime, madame la sénatrice, est d’avoir exercé mes fonctions exactement comme l’auraient fait tous mes prédécesseurs, dans des circonstances analogues. J’ai suivi, en effet, les recommandations de mon administration.

Vous ne pouvez pas dire que c’est faux, vous n’en savez rien. Je le démontrerai !

Mon administration est composée de magistrats, et j’ai saisi pour une simple enquête – rien de plus, rien de moins – une autorité indépendante, elle aussi composée de magistrats, pour faire la lumière sur d’éventuelles fautes déontologiques pouvant avoir été commises par des magistrats qui, pour certains d’entre eux, n’ont pas déféré aux convocations qui leur avaient été adressées. Je veux vous dire très calmement, très aimablement et très respectueusement que, si l’objectif – comme cela a été déjà exprimé par certains – est de m’interdire de travailler, ceux-là en seront pour leurs frais. D’ailleurs, je travaille aujourd’hui, avec vous, sur le code de la justice pénale des mineurs. Ma réponse sera sans doute ultérieurement plus complète, très complète, mais je n’ai rien à craindre et je suis totalement serein.

Vous suggérez, madame la rapporteur, un report de la date d’entrée en vigueur de la réforme. Vous faites remarquer, à juste titre, qu’il y a un problème à superposer les anciens dossiers avec ceux qui feront l’objet de la nouvelle procédure. Mais si nous retardons la mise en œuvre de cette loi, cela aggravera davantage ce problème de superposition.

Pourquoi, monsieur Bas, pensez-vous que la publication d’une circulaire vous interdirait de modifier le texte ? Cet argument est assez spécieux ! Pour ma part, je me suis en réalité contenté d’envoyer aux magistrats les très grandes lignes, et de votre côté, je ne pense pas que vous hésiterez à exercer vos droits de parlementaire : quelque quatre cents amendements ont été déposés à l’Assemblée nationale, et je ne crois pas un seul instant que vous vous priverez de déposer, vous aussi, les amendements que vous jugerez utiles.

Nous avons joint à la circulaire Canada Dry le guide de l’inspection générale de la justice (IGJ) pour l’entrée en vigueur de la réforme. Un tableau de simulation des orientations pénales règle la question du stock, tandis qu’un tableau de simulation règle celle du besoin d’audience. Dans le même esprit que la réponse que j’ai adressée à Mme de La Gontrie, je fais confiance en l’analyse de mes services : l’IGJ est faite des magistrats indépendants, qui ont expertisé et fait les analyses nécessaires.

Je prends acte des réticences à envisager une nouvelle procédure, mais cette loi est attendue depuis 2007. Trois jours de débats sont prévus, monsieur Bas, vous aurez donc toute latitude pour m’interroger avec la minutie et le pragmatisme qui sont les vôtres. Vous faites celui qui n’osera pas, mais, naturellement, vous oserez tout ce que vous estimerez utile à

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3740 l’amélioration de ce texte ! D’ailleurs, j’ai retenu quelques amendements de l'Assemblée nationale.

Partout on me fait remarquer l’impréparation des juridictions à cette réforme, en dépit des moyens que nous avons déployés et de la volonté des services de rendre la réforme applicable : personne n’a le goût de l’effort inutile. Je rappelle que 72 magistrats ont été affectés le 1er septembre 2020, ainsi que 100 greffiers. Quelque 252 emplois nouveaux seront créés en 2022 et 86 éducateurs viennent d’être recrutés. Nous avons fait cela à la suite e l’analyse des services de la Chancellerie, qui n’ont aucun intérêt à nous dire que les juridictions sont prêtes alors qu’elles ne le sont pas ! Ce serait une catastrophe que d’envisager un texte inapplicable !

Vous êtes inquiet, monsieur Sueur, de ce que nous devons faire en réaction à la décision du Conseil constitutionnel en date du 2 octobre 2020 : je travaille activement pour que nous puissions être en conformité avec celle-ci.

M. Jean-Pierre Sueur. – Vous préparez donc un projet de loi ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – On essaye de trouver le vecteur législatif pour introduire urgemment ce recours effectif dans notre droit. Je vous en dirai davantage demain, lorsque je vous recevrai.

Sur l’irresponsabilité, les magistrats devront systématiquement motiver le discernement des mineurs de moins de treize ans pour engager des poursuites. C’est un vrai débat. D’un point de vue international, toutes les législations diffèrent. Le discernement, au fond, c’est l’analyse du juge. Je ne crains pas la décision du juge, qui est prise sous l’égide de la philosophie de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante de 1945, qui a été faite, non pas contre les enfants, mais pour les enfants.

J’ai entendu certains dire qu’il n’y avait plus d’enfants quand le crime était grave, comme si c’était à l’aune de la gravité d’un crime que l’on mesurait le discernement ! Un âge doit être évidemment fixé, mais il y aura toujours des débats en la matière… Il faut en réalité laisser au juge, qui est un professionnel de l’enfance, le soin d’analyser le discernement avec beaucoup de souplesse.

L’audience unique, quant à elle, est une procédure exceptionnelle enserrée dans des conditions très strictes, et réversible : à tout moment, le juge garde la main pour décider de revenir dans la procédure classique. Ce sont là de véritables garanties pour l’enfant.

Je ne peux pas tout de suite répondre à votre question, monsieur Leconte, la bioéthique n’étant pas à l’ordre du jour de cette réunion ; nous aurons certainement l’occasion d’en rediscuter.

Monsieur Bas, je vous ai déjà répondu. Je veux encore une fois vous rassurer sur votre pleine et entière capacité à amender ce texte.

Je suis d’accord, madame Lherbier, avec le fait qu’il faille s’efforcer de détecter plus vite, et en amont, la dérive des mineurs vers la délinquance. Je rappelle qu’il existe déjà des textes relatifs à la protection de l’enfant, adoptés en 2007 et en 2016, qui ne seront en aucune façon abrogés par le texte que nous examinerons.

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S’agissant des mineurs qui sont déjà confiés à l’ASE, madame Vérien, la combinaison des dispositions civiles et pénales a vocation à se poursuivre. Cela n’aurait pas de sens d’affirmer que cette réforme balaye la protection et l’éducatif au profit de la répression !

Nombre d’amendements ont été déposés par la France Insoumise à l’Assemblée nationale, pour transférer le contentieux du tribunal de police vers le juge des enfants, dont on nous dit qu’il serait déjà surchargé. Nous nous sommes expliqués devant la représentation nationale et certaines précautions ont été prises, notamment en matière de droits de la défense.

Madame Cécile Cukierman, la procédure de saisine du tribunal pour enfants (TPE) aux fins d’audience unique est dérogatoire à la procédure de mise à l’épreuve éducative décidée par le parquet. La seule hypothèse qui permette le placement en détention provisoire dès le déferrement, hors cas d’ouverture d'information, correspond à la situation dans laquelle le mineur est jugé dans un délai de dix jours à trois mois sur la culpabilité et la sanction. Le TPE peut prononcer toute mesure éducative ou peine, et assortir une peine ferme d’emprisonnement d’un mandat de dépôt, sans condition de quantum ou de récidive. Une fois encore, la procédure est réversible.

J’entends bien ce que vous dites, madame Boyer, mais vous aurez trois jours de débat en séance publique le 26 janvier prochain. L’urgence, c’est aussi celle des justiciables, or la justice des mineurs n’est aujourd’hui plus adaptée. Il n’est pas cohérent qu’un enfant soit jugé trop tardivement ! Les professionnels, dans leur ensemble, réclament cette réforme, et les points névralgiques ont été pris en considération.

Les MNA sont justiciables du code de la justice pénale des mineurs. Le véritable problème avec les MNA réside dans leur identification. Beaucoup de ces identifications ont été réalisées grâce aux services des structures d’accueil et de protection judiciaire de la jeunesse au Maroc. Nous voulons régler cette question.

Enfin, le JLD doit être spécialisé, pour éviter le procès inéquitable, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Philippe Bas. – J’ai dû mal formuler ma question tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux, si je juge la réponse que vous m'avez faite à deux reprises. Je n’ai aucune inquiétude sur notre capacité à exercer notre droit d’amendement. À vrai dire, ce droit ne nous est pas concédé par le Gouvernement, nous le tirons de la Constitution, et nous n’avons aucune espèce d’inhibition face à son exercice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Bien évidemment.

M. Philippe Bas. – Mais comment faire en sorte que le jeu normal du processus législatif puisse aboutir – nous l’espérons, avec un accord en commission mixte paritaire qui prenne en compte le travail du Sénat –, si le débat est à l’avance fermé par le fait que la Chancellerie a déjà décidé ce que serait le dispositif final ? Je crois que vous êtes attaché, comme nous, à un débat de bonne foi. Je note l’ouverture que vous faites par avance à nos amendements, et la preuve par neuf viendra dans le débat parlementaire et dans les travaux de la commission mixte paritaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Usant de la même rhétorique, je pourrais vous dire que le débat est figé, et que je serai donc tenu d’accepter les amendements

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3742 que vous présenterez ! Je souhaite vraiment que cette réforme entre vite en vigueur, parce qu’elle est importante, et j’ai préparé mes magistrats en prenant les précautions nécessaires.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. – Je n’ai pas vraiment obtenu de réponse à mes questions. Une fois encore, pourquoi uniquement se focaliser sur la partie pénale ? Quelle mesure comptez-vous mettre en place pour faire respecter les délais dans la procédure ? Les délais n’étant qu’indicatifs, on perçoit aisément le risque qu’ils ne soient pas respectés.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Je ne suis pas opposé, évidemment, à un code des mineurs plus large, comprenant un certain nombre de dispositions civiles. C’est seulement la temporalité qui fait que nous n’y sommes pas encore parvenus. Il y aurait même une cohérence à regrouper toutes les dispositions relatives aux mineurs dans un seul code.

Concernant les délais, il faut laisser une certaine souplesse. La philosophie du texte est de mettre tout de suite en place une mesure éducative, que l’on prendra en compte pour déterminer la peine. Je trouve que tout cela va dans le bon sens, pour en avoir discuté avec nombre de professionnels qui s’occupent de la justice des mineurs : c’est un grand texte.

M. François-Noël Buffet, président. – Le Sénat fera son œuvre pour faire en sorte que ce texte soit appliqué rapidement, dans de très bonnes conditions, et remplir son office. Il reste quelques questionnements substantiels, rappelés ici par Mme le rapporteur, notamment sur le respect des délais dans la procédure.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – La pensée d’un haut magistrat a été invoquée précédemment pour dire que l’application de ce texte n’est pas possible…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Non, la présidente de la Conférence nationale des procureurs a dit qu’il s’agit d’un non-sens !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. – Les services se sont rapprochés et ont discuté d’un certain nombre de choses. Nous avons pris en considération toute la circonspection qui a été exprimée. De grands débats, notamment avec la directrice de la PJJ, ont eu lieu, pour que les choses soient aplanies.

M. François-Noël Buffet, président. – Je rappelle à mes collègues que cela fait plus d’un an que des auditions se tiennent sur ce texte. Chacun est donc très attaché aux objectifs poursuivis par ce texte.

Je vous remercie de votre participation, monsieur le garde des sceaux.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 17 h 50, est reprise à 18 h 30.

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Audition de M. Jean-Louis Debré, à la suite de son rapport sur les élections départementales et régionales

M. François-Noël Buffet, président. – Nous recevons Jean-Louis Debré, ancien ministre de l’intérieur, président de l’Assemblée nationale et président du Conseil constitutionnel.

Monsieur le président, merci de venir nous présenter le rapport que vous avait demandé le Gouvernement sur les conditions d’organisation ou de report des élections régionales et départementales de mars 2021. Rendu le 13 novembre dernier, ce rapport conclut qu’un report des scrutins à la fin du mois de juin 2021 « serait l’option susceptible de recueillir le soutien politique le plus large ».

Le Gouvernement a déposé un projet de loi en ce sens, que nous examinerons en commission le mercredi 20 janvier et en séance publique le mardi 26 janvier. Notre collègue Philippe Bas est le rapporteur de ce texte.

M. Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel. – Lorsqu’on m’a demandé de réfléchir à la tenue des élections départementales et régionales, qui devaient avoir lieu en mars 2021, je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait beaucoup d’arrière-pensées chez les uns et les autres : ceux qui m’avaient chargé de cette mission souhaitaient les reporter à beaucoup plus tard – après l’élection présidentielle de 2022 ; d’autres souhaitaient les reporter à une date proche de la rentrée de septembre prochain ; un troisième groupe de personnes souhaitait les maintenir à la date prévue.

J’ai tout de suite exclu le report des élections départementales et régionales après l’élection présidentielle : on ne peut pas confiner ainsi l’expression de la démocratie sans créer des problèmes politiques insurmontables ! La jurisprudence du Conseil constitutionnel n’autorise de surcroît un tel report que « dans un délai raisonnable », ce que n’est assurément pas un report de plus d’un an.

La philosophie des élections départementales et régionales ne s’inscrit pas dans le sillage de l’élection présidentielle : aux élections départementales, en particulier, on choisit un homme, une femme, au moins autant qu’une étiquette. Placer ces scrutins après l’élection présidentielle leur aurait donc donné une coloration politique, une passion politique qui n’était pas souhaitable. Cela aurait également produit une suite sans fin d’élections : les deux tours de la présidentielle, les législatives, le renouvellement du Sénat, puis les départementales, les régionales et les municipales !

J’ai également écarté le report des élections départementales et régionales au mois de septembre 2021 car je ne sais pas comment on conduit une campagne électorale lorsque les Français sont en vacances, à moins d’installer des permanences sur les plages ou à la montagne…

Il n’y avait donc qu’une seule solution : le report au printemps 2021. J’ai interrogé non seulement les membres du conseil scientifique, mais aussi d’autres scientifiques pour connaître leur regard sur l’évolution de la pandémie. À peu près tous m’ont dit – on ne parlait pas encore de nouvelles variantes du virus – que l’hiver était la période la plus critique et que, vraisemblablement, la chaleur étant un frein à la transmission du virus, le printemps l’était moins.

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Il était aussi impossible de reporter les élections départementales et régionales en même temps que la campagne présidentielle. Imaginez que des candidats à la présidence de la République soient, en même temps, présidents de région et candidats à leur réélection !

Il n’y avait donc que le mois de juin 2021 pour organiser les élections départementales et régionales, et pas trop tard dans le mois, pour que ce ne soit pas trop proche des vacances. C’est donc la conclusion de mon rapport, qui en tire également les conséquences, notamment sur l’augmentation du plafond des dépenses électorales, et qui lance une réflexion sur le déroulement des scrutins.

Je le dis sans détour : je suis un ardent défenseur de la démocratie s’exprimant dans l’isoloir et dans les urnes. Si l’on veut éviter les pressions, si l’on veut que la République soit l’expression de choix personnels – et elle s’en est toujours bien sortie – il faut un scrutin à bulletins secrets dans l’isoloir.

Certains m’objectent qu’il y a beaucoup d’abstention et qu’il faut trouver d’autres moyens pour que les Françaises et les Français aillent voter. Certes, l’abstention est préoccupante mais il faudrait prendre du temps pour comprendre ses raisons, qui ne sont malheureusement pas que matérielles. Je reste donc très réservé sur le vote par correspondance.

Faisons un petit peu d’histoire. J’ai beaucoup de sympathie pour cette figure historique qu’est Léon Blum. Ce dernier avait déposé une proposition de loi donnant le droit de vote aux femmes. Mais, une fois aux affaires, il a abandonné ce projet, car les républicains lui ont fait valoir que la formation des jeunes femmes à l’époque, complètement dans la main de l’Église, pouvait avoir des conséquences sur les scrutins. Il s’est donc contenté de nommer trois femmes dans son gouvernement comme sous-secrétaires d’État.

Il n’y a pas que des pressions communautaires ; il peut aussi y avoir des pressions familiales ! J’ai beaucoup de sympathie pour les experts mais, tout au long de cette mission, à chaque fois que j’arrivais à une conclusion, j’ai téléphoné à mes conseillers politiques, qui sont les agricultrices et agriculteurs de mon ancien département, pour leur demander : qu’en penses-tu ? Sur le vote par correspondance, une agricultrice de Normandie m’a répondu : « ne fais pas ça ! Mon mari ne sait pas comment je vote et je ne veux pas qu’il le sache, car il m’imposerait de voter comme lui ».

On ne peut pas totalement exclure le vote par correspondance, mais il faut être très prudent. J’ai bien pris note qu’un certain nombre d’élus vantaient ses mérites mais, pour l’organiser, un marché public resterait nécessaire. Je me suis renseigné sur les entreprises qui pourraient postuler : il y avait parmi elles deux entreprises étrangères. N’avons-nous pas assez de problèmes comme cela, pour imaginer de confier l’organisation d’un vote politique à une entreprise étrangère ?

Le vote par correspondance est utilisé dans certains ordres professionnels et pour les députés des Français de l’étranger : au moment du dépouillement, un certain nombre de bulletins sont annulés du fait de leur irrégularité.

Dans une élection à deux tours, comment organiser le second quand on sait, qu’à la suite du premier, le dimanche et le lundi, les candidats organisent la fusion des listes, qu’il faut donc imprimer de nouveaux bulletins de vote et de nouvelles professions de foi, qu’il faut les envoyer dans toutes les campagnes et être sûr qu’elles arrivent avant le dimanche suivant ?

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Enfin, imaginons qu’un mouvement social vienne perturber la distribution du courrier, au risque de bloquer l’expression du suffrage universel…

Le vote par procuration, en revanche, ouvre certaines possibilités d’action. Ainsi, j’ai proposé que chaque électeur puisse disposer de deux procurations. Il semble que le Gouvernement n’a pas retenu cette mesure, qui a pourtant fonctionné lors du second tour des élections municipales de juin 2020.

J’exclus complètement le vote par Internet. En effet, on ne peut pas garantir qu’il est impossible de retracer l’origine des votes. Or le principe dans la République est le secret du vote. Sans compter que tous les Français ne sont pas familiers d’Internet, ce qui serait source de confusions.

Je me résume : élections départementales et régionales en juin 2021, maintien des deux tours, maintien du scrutin avec isoloir, quelques votes par correspondance dans certains cas, deux procurations et pas de vote par Internet.

Faut-il prévoir une clause de revoyure automatique ? Non. Malgré la pandémie, on ne peut pas indéfiniment et automatiquement reporter les élections. Sinon, vous aurez des problèmes politiques et une contestation : on dira que les politiques se protègent et craignent les élections. Ce serait un coup porté à la démocratie ! En revanche, j’ai voulu que le conseil scientifique fournisse un rapport au cours du mois d’avril 2021, pour que chacun prenne ses responsabilités.

J’en viens au difficile problème de la campagne électorale. Elle risque de ne pas se dérouler dans les conditions habituelles mais il faut s’en accommoder. On peut l’organiser tout en assurant le respect des gestes barrières et des autres précautions d’usage.

J’ai recommandé aussi, pour lutter contre l’abstention, que le Gouvernement organise une campagne d’information sur le rôle exact du conseil régional et du conseil départemental, en montrant comment, dans tel village ou telle petite ville, leur action change la vie quotidienne des Français. Faire comprendre l’importance de ces scrutins encouragera nos concitoyens à aller voter !

Tels sont les éléments du consensus auquel nous sommes parvenus.

Ce n’est pas dans l’air du temps, mais j’ai été élevé comme ça : on ne reporte pas indéfiniment l’expression de la démocratie !

M. Philippe Bas, rapporteur. – Je vous remercie d’avoir « décrypté » les conditions dans lesquelles vous avez exécuté la mission que le Gouvernement vous avait confiée. Votre rapport a été très éclairant pour nous. Nous l’avons lu la plume à la main !

Dans le même temps, sur l’initiative du président François-Noël Buffet, notre commission a constitué une mission d’information pour examiner d’éventuelles facilitations du vote à distance. Nos conclusions sont proches des vôtres.

Malgré l’intérêt que plusieurs d’entre nous, dont je fais partie, ont manifesté pour le vote par correspondance, nous avons considéré que le sujet ne pouvait pas mûrir d’ici les prochaines élections départementales et régionales, même reportées.

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En tout état de cause, nous estimons qu’il serait dangereux d’envisager ces modes de votation comme des substituts au vote à l’urne, qui doit rester la modalité de droit commun pour l’exercice du droit de suffrage. Le vote par correspondance « papier » et le vote électronique doivent être appréhendés comme les procurations : il s’agit de permettre à un électeur qui ne peut pas se déplacer pour une raison valable, notamment de santé, d’exprimer son vote.

En effet, même si nous avions réglé toutes les questions que vous avez soulevées sur le vote à distance, la question de principe demeurerait : celle de la participation au scrutin dans les conditions les meilleures possible pour prévenir toute pression sur l’exercice du droit de suffrage. Avant l’instauration de l’isoloir – en 1913 seulement –, le patron de l’usine attendait parfois les ouvriers à la porte de la mairie pour leur remettre le bulletin de vote... L’isoloir est, de ce point de vue, le moins mauvais des systèmes !

Je considère que vous apportez des solutions pragmatiques pour l’organisation des prochaines élections départementales et régionales.

S’agissant du choix de la date, il faut dire que, au moment même où la mission vous était confiée, il n’était peut-être plus temps d’organiser dans de bonnes conditions des élections en mars 2021... Même si je n’étais initialement pas favorable à leur report, je crois qu’on ne pouvait plus faire autrement. C’est d’ailleurs ainsi que vous l’avez présenté !

Néanmoins, que ferons-nous si l’arrivée du vaccin ne permet pas, comme nous l’espérons, de sortir de l’impasse actuelle ? Vous avez examiné le problème dans toutes ses dimensions, y compris la dimension constitutionnelle. Un report des élections départementales et régionales au-delà de juin 2021 supposerait, naturellement, une nouvelle intervention du législateur. Mais dans quelle mesure serait-il autorisé par le Conseil constitutionnel ? Vous ne pouvez en préjuger, mais vous pouvez nous rappeler les règles applicables.

Vous avez évoqué des raisons pratiques pour ne pas retenir la date de septembre 2021. Mais il n’est pas interdit de tenir des élections en septembre : songeons aux élections sénatoriales, même si leur nature est différente.

Au-delà du mois de septembre, il faudra voter le budget de l’État et de la sécurité sociale, après quoi on entrera dans la période de l’élection présidentielle.

Ce qui n’aurait sans doute pas été constitutionnel maintenant – à savoir reporter les élections départementales et régionales à l’automne 2022 – pourrait-il l’être dans les prochains mois, si la situation sanitaire paraissait le justifier ?

Indépendamment de la dimension constitutionnelle, la question de l’opportunité politique et civique d’un tel report se poserait avec force. Vous l’avez d’ailleurs vous-même souligné.

À un moment donné, ne faudrait-il pas considérer que le report d’une élection est une solution de facilité ? La vraie réponse n’est-elle pas d’assurer la sécurité sanitaire du scrutin ? Quelles recommandations feriez-vous à cet égard, pour qu’une élection se déroule en période d’épidémie sans aggravation du risque sanitaire ? Un scrutin pourrait sans doute être organisé dans de bien meilleures conditions que ce qui se passe à la table de famille pendant les fêtes...

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La démocratie doit pouvoir vivre normalement. Si une élection présidentielle avait été prévue en 2021, vous n’auriez certainement pas proposé son report, parce qu’il aurait fallu réviser les articles 6 et 7 de la Constitution. Bref, il faut s’habituer à organiser des scrutins dans un contexte d’épidémie, parce qu’on ne pourra pas toujours les reporter.

Reste une question accessoire, mais qui a son importance : certaines collectivités territoriales présentent un bilan de leur action face à la crise sanitaire, qui n’est pas forcément lié à la campagne électorale. En raison du report des élections départementales et régionales, ne faudrait-il pas assouplir les règles pour les dépenses engagées entre octobre et décembre derniers ?

M. Jean-Louis Debré. – Alfred de Musset a dit, en substance : heureux ceux qui n’ont qu’une vérité ; plus heureux et plus grands ceux qui, ayant fait le tour des choses, ont assez approché la vérité pour savoir qu’on ne l’atteindra jamais...

Quelle sera la position du Conseil constitutionnel sur le report des élections départementales et régionales de 2021 ? Je ne peux pas vous répondre.

Si l’on ne peut pas tenir les élections en juin prochain, ce ne sera pas beaucoup plus facile en septembre 2021. En outre, on sera entré dans la période des comptes de campagne de l’élection présidentielle : si j’ai proposé un report des scrutins en juin 2021, c’est justement pour échapper le plus possible à la dynamique de la campagne présidentielle.

En tout état de cause, face à la menace, la meilleure réponse est parfois de ne pas céder et de permettre l’expression de la démocratie.

En dehors des aspects juridiques, je crains que, si les élections départementales et régionales étaient reportées après l’élection présidentielle, vous ne puissiez pas endiguer la pandémie politique : vous serez vilipendés, accusés d’avoir peur et l’abstention s’aggravera.

Nous sommes capables d’organiser en juin prochain, de huit à dix-huit ou dix-neuf heures – au lieu peut-être de vingt heures –, des scrutins qui se déroulent dans le respect des gestes barrières et des autres mesures sanitaires, d’autant que, d’après les pouvoirs publics, plusieurs millions de personnes auront été vaccinées. Montrons que la démocratie est forte !

Comment comprendre qu’on puisse aller dans des supermarchés bondés – j’ai été effondré de ce que j’y ai vu récemment – et qu’il ne soit pas possible, pendant deux dimanches, d’aller à la mairie pour chanter la démocratie ? Je ne comprends pas...

Tenons les élections départementales et régionales en juin 2021, sereinement, en organisant la campagne électorale et une communication sur le rôle des élus. Je ne vois que des inconvénients à un report supplémentaire.

Au surplus, un report après l’élection présidentielle donnerait une coloration politique à des scrutins qui, surtout pour les élections départementales, doivent être avant tout de proximité. On réduit déjà le nombre de cantons ! Tout devient abstrait ! Ne portons pas atteinte à la démocratie de proximité ! Quand j’étais conseiller général, j’avais une gendarmerie dans mon canton ; aujourd’hui, il n’y en a plus. D’ailleurs, il n’y a plus rien !

M. Philippe Bas, rapporteur. – Il n’y a même plus de cantons...

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M. Jean-Louis Debré. – Au nom de je ne sais quoi, on est en train de supprimer la proximité. Ne plaçons pas l’élection départementale, élection de proximité, dans une dynamique qui en ferait d’abord une élection politique !

Je souhaite, de tout cœur, que les pouvoirs publics montrent leur capacité à faire face au défi devant lequel est placée la démocratie !

M. Jean-Yves Leconte. – Je partage toutes vos affirmations de principe. Néanmoins, dans la situation difficile où nous nous trouvons, il faut consentir des aménagements raisonnables aux principes, sans quoi on se retrouve dans une impasse.

La solution que vous proposez est la meilleure pour l’instant. Mais on sent bien qu’on ne sait pas quoi faire en cas de nouvelle dégradation de la situation sanitaire...

Si votre agricultrice de l’Eure ne sait pas résister à celui qui lui demande son vote par correspondance, elle ne résistera probablement pas non plus à son mari qui lui demande une procuration... Moi-même, sénateur des Français de l’étranger, je suis issu d’un vote où les procurations sont nombreuses – bien plus nombreuses que le nombre de voix requis pour obtenir un siège de sénateur –, ce qui est un réel problème. Pourtant, nous consentons un aménagement à cet égard parce qu’il faut bien trouver des solutions.

Les autres aménagements doivent-ils être absolument refusés ?

Dans votre rapport, vous démolissez le vote par correspondance. Je pourrais partager certaines de vos observations. Reste que, dans un certain nombre de situations, les Français de l’étranger n’ont pas le choix. En outre, un tel système fonctionne sans difficulté majeure dans d’autres pays : je ne pense pas seulement aux États-Unis mais aussi à l’Allemagne, entre autres grandes démocraties.

Ne pourrait-on pas accepter un peu plus d’aménagements raisonnables pour défendre globalement les principes auxquels vous êtes attaché ? Si, au bout du compte, les élections ne peuvent pas avoir lieu en juin 2021, nous serons face à un réel problème...

J’ai le sentiment que nous ne sommes pas prêts à examiner toutes les expériences étrangères permettant de trouver des solutions techniques certes non idéales, mais propres à nous sortir de la situation actuelle sans confiner l’expression démocratique ni modifier l’ordre des scrutins.

M. Jean-Louis Debré. – Le pire serait d’organiser un vote par correspondance de manière hâtive et mal préparée, ce qui tuerait cette modalité de vote pour longtemps.

En quelques semaines, il aurait fallu lancer un appel d’offres, ce qui n’est pas si facile, et s’assurer que l’entreprise choisie soit capable d’organiser quatre votes sur l’ensemble du territoire, en comptant le premier et le second tours.

À la fin de l’année dernière, beaucoup disaient : la solution, c’est le vote par correspondance. En novembre, alors que la campagne a déjà commencé, qu’on n’a rien anticipé et qu’on vit au jour le jour, on me demande de déclarer : « il faut un vote par correspondance » ? Le faire aurait été irresponsable ! Peut-être sera-t-il un jour plus utilisé, mais procédons avec sérieux. Dans les conditions actuelles, je le répète, nous n’avons pas la certitude qu’un tel scrutin se déroulerait dans de bonnes conditions.

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Voyez aussi les polémiques que le vote par correspondance a ouvertes aux États-Unis. La France n’a pas besoin de cela aujourd’hui !

Si, demain, nous envisageons un vote par correspondance, je souhaite que le Gouvernement et les parlementaires prennent le temps de réfléchir à son organisation. Mais ne nous lançons pas dans un tel dispositif, qui n’est pas dans nos habitudes, alors que rien n’est prévu.

Gouverner, c’est prévoir. Je n’ai pas le sentiment que cela soit aujourd’hui la règle pour tout le monde. On ne prévoit rien... On lance : « vote par correspondance » ! Mais comment, avec qui ? Et quid du risque d’intrusion de puissances étrangères ? Nous devons avoir des certitudes à cet égard.

Oui, le vote par correspondance peut être un secours, mais pas s’il est organisé « à la va-vite » et sans précaution.

Mme Dominique Vérien. – Je suis d’accord avec vous : il ne faut pas reporter davantage les élections départementales et régionales de 2021, mais s’adapter à la situation. Demain, nous aurons peut-être à faire face à un autre virus. À un moment, la vie doit reprendre !

Reste qu’il s’agit d’une vie un peu particulière : comment organiser une campagne électorale en respectant les règles sanitaires ? Faut-il permettre aux candidats de faire campagne à la télévision et la radio ? Des télévisions locales, comme France 3, pourraient- elles organiser des débats ?

M. Éric Kerrouche. – Permettez-moi de citer à mon tour Alfred de Musset : « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ». Aujourd’hui, la porte est à demi ouverte, et nous n’avons plus de poignée...

Le Gouvernement s’est mis tout seul dans cette situation, à force de ne réfléchir qu’à une solution : le report des élections, en attendant que les choses aillent mieux. Résultat : nous n’avons pas su anticiper en mai dernier la situation du mois de mars 2021 et, au moment où vous avez commencé vos travaux, le report des scrutins départementaux et régionaux était devenu inévitable.

Un report supplémentaire me semble impossible, au nom de la périodicité raisonnable du scrutin et de sa loyauté. En conséquence, il faut se pencher sur les adaptations que d’autres pays ont su réaliser en amont, en particulier sur les nouvelles solutions trouvées pendant la campagne américaine. Or le texte qui arrive ne traite que du report des scrutins : pourquoi le Gouvernement ne se pose-t-il pas la question de l’organisation d’une campagne dont on sait qu’elle doit avoir lieu ? Puisqu’il faut tenir ces élections, nous devons innover !

Dans les standards internationaux, il est recommandé d’éviter les procurations, qui sont une solution naturelle, mais une mauvaise solution. La « double procuration » n’a pas été retenue dans le texte initial du Gouvernement. Cette réflexion simple, pour ne pas dire simpliste, nous pousse mécaniquement vers le report des élections départementales et régionales, ce qui est un dévoiement de la démocratie.

S’agissant du vote par correspondance, j’ai proposé, avec mon groupe, un texte qui permettrait d’éviter certains écueils d’organisation. J’entends les préventions, mais quand

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3750 faudrait-il mettre en place le vote par correspondance pour qu’il puisse fonctionner ? Peut-on imaginer qu’il faille déjà y réfléchir pour l’élection présidentielle ?

Mme Cécile Cukierman. – Le rapport de Jean-Louis Debré représente assez bien ce qui ressort de nos différents échanges.

Le report d’une élection doit être réalisé en toute humilité, car la décision n’est pas simple à prendre. Il est facile d’exiger que la démocratie ne soit pas confinée, ce dont je suis fondamentalement convaincue, mais l’expérience des élections municipales a montré que, parfois, les électrices et les électeurs ne l’entendent pas de cette façon-là. L’abstention a été très forte, peut-être en raison de la rencontre entre la crise sanitaire et la crise politique.

Nous avons besoin de maintenir un arc républicain très soudé, pour que l’abstention ne s’aggrave pas davantage, ce qui fragiliserait les collectivités territoriales, que nos concitoyennes et nos concitoyens appréhendent parfois mal. Je pense surtout aux départements.

Il est impératif d’assurer la sécurité sanitaire le jour du vote, mais l’élection, c’est aussi la campagne. À l’heure où nous parlons, il y a lieu d’être inquiet pour la qualité du futur temps de campagne, même si de nouvelles formes peuvent être inventées. La fragilisation de certaines pratiques – qui relèvent peut-être de l’ancien monde mais qui ont fait leurs preuves – favorise les exécutifs sortants.

J’ai bien entendu ce que vous avez dit sur le besoin de mieux faire connaître le rôle des départements et des régions. Est-ce le gage d’une participation supplémentaire ? Je n’en suis pas certaine. Il y a vingt ans, les gens appréhendaient-ils mieux la collectivité régionale ? Pas sûr. En tous cas, l’abstention ne fait qu’augmenter. Quoi qu’il en soit, si des spots publicitaires devaient être faits, il faudrait qu’ils soient conçus en fonction de l’intérêt général, sans valoriser telle ou telle majorité sortante.

Je pense, comme vous, que reporter les élections départementales et régionales en septembre 2021 n’apporterait guère de garanties supplémentaires. Nous avons déjà reporté des élections régionales, par exemple celles de décembre 2015. Et nous avons su faire. Mais nous n’étions pas à quelques mois d’une élection présidentielle. Il ne faut pas mélanger les enjeux électoraux.

En l’état, je ne suis pas favorable au vote par correspondance. En revanche, nous avons besoin de réfléchir aux modalités de la procuration, pour la simplifier et la rendre plus accessible. Il faut conserver le principe selon lequel le vote est individuel et peut être décidé jusqu’au dernier moment. Les sondages montrent, en effet, que près de 20 % des électeurs peuvent changer d’avis jusqu’à trois jours avant l’élection, voire même jusqu’au matin du vote.

Vous avez parlé de mieux populariser, de mieux vulgariser la connaissance des compétences des départements et des régions. Que pensez-vous de la volonté, affichée par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, de présenter le projet dit loi dit « 4D » – décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification – en février prochain, avec un examen au Parlement pendant les élections régionales et départementales de juin 2021 ? Cela ne nuirait-il pas à lisibilité du rôle des collectivités territoriales ?

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M. François Bonhomme. – Je vous ai écouté avec beaucoup d’intérêt. Je comprends la difficulté de votre tâche, puisqu’il s’agit de choses importantes, à savoir l’organisation d’une élection, et qu’on ne doit évidemment considérer un bouleversement du calendrier qu’avec une extrême précaution, pour des raisons évidentes.

Il n’empêche que nous devons essayer de trouver une solution tenant compte de deux objectifs : le respect des échéances électorales et la garantie de bonnes conditions de déroulement du scrutin. Nous sommes ici pour essayer de trouver un point d’équilibre, dans cette situation d’incertitude.

J’étais d’accord avec l’essentiel de vos propos. Je crois au vote « physique » car l’acte de voter est l’un des plus importants dans une démocratie. Le vote par procuration ou par correspondance ne doit être que dérogatoire à ce principe général, tout comme le vote électronique. Nous ne devons pas nous incliner devant une espèce de « totem » technologique qui nous ferait perdre de vue l’essentiel.

Vous avez parlé de délai raisonnable…

M. Jean-Louis Debré. – C’est la jurisprudence du Conseil constitutionnel !

M. François Bonhomme. – Je me souviens que les élections municipales de 1995 ont été reportées de quelques mois. Et celles qui devaient se tenir en mars 2007 ont été reportées en mars 2008. Il y avait le risque de « télescopage » avec l’élection présidentielle… Aujourd’hui, la question sanitaire est venue tout bouleverser, y compris dans la société. Selon les époques, on compose plus ou moins avec les principes qui doivent nous guider. L’incertitude risque de planer encore quelques semaines, voire quelques mois. Nous n’avons pas de visibilité et nous naviguons à vue.

Les opérations de vote en elles-mêmes ne posent pas de problèmes même si, avec quatre scrutins, il y aura quelques difficultés matérielles pour les « routeurs » et les imprimeurs entre les deux tours, avec la possibilité de fusion de listes. Mais, comme l’a dit Cécile Cukierman, les élections départementales et régionales sont déjà « télescopées » par la situation que nous connaissons aujourd’hui. Les comptes de campagne vont sans doute être aménagés mais on peut s’interroger sur les conditions psychologiques et la sérénité nécessaires à la préparation de la campagne électorale.

Le scrutin départemental est individuel, contrairement au scrutin régional. On sait que la constitution de listes implique des discussions préalables longues et souvent compliquées. On peut d’ores et déjà être inquiet sur la bonne préparation de ces élections. C’est la première fois, à ma connaissance, que l’incertitude va peser autant sur un scrutin.

M. Jean-Louis Debré. – Pourquoi n’a-t-on pas anticipé ? Pour quelles raisons n’a- t-on pas réfléchi aux élections départementales et régionales dès le mois de mai 2020 ?

Je ne le sais pas, mais j’ai un sentiment. Je ne suis pas proche du Gouvernement, ni de personne, et je regarde tout cela avec beaucoup de distance. Au cours des auditions que j’ai faites, certains ne cachaient pas les conclusions auxquelles ils souhaitaient que j’arrive. Bien sûr, c’était maquillé par des arguments juridiques ou politiques. Mais l’idée était claire : on a eu les élections municipales, maintenant, on « file » sur l’élection présidentielle ! Et on dégage la voie ! Cela m’a stupéfait. On aurait dû me demander cela au lendemain même des élections municipales. Pourquoi avoir attendu ? En fait, on voulait que j’arrive à la conclusion qu’il fallait

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3752 que l’on reporte tout après les présidentielles. Eh bien, dès le départ j’ai dit non. C’est pour cela qu’on ne me confiera pas de deuxième rapport…

Oui, il y a des incertitudes. Mais le pessimisme est d’humeur et l’optimisme de volonté. Il faut être volontaire. Si on est pessimiste, on ne fait plus rien, on attend, on se cache sous la table, on se planque dans la salle Médicis du Sénat, et on attend ! La France, ce n’est pas cela. La démocratie, c’est faire face et faire front.

L’impératif, c’est que les élections départementales et régionales aient lieu dans un délai raisonnable. Je n’anticipe pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel – même si j’ai fait un stage dans cette maison. À mon époque, nous avions une jurisprudence bien précise, qui reposait sur la notion de délai raisonnable. À cet égard, je considère qu’il y a un risque à reporter les élections régionales et départementales après l’élection présidentielle. Cette dernière aura lieu au printemps 2022 et sera suivie des élections législatives. Cela reviendrait à reporter les élections régionales et départementales de quasiment deux ans. On sortirait du raisonnable.

Nous devons faire preuve d’imagination dans l’organisation matérielle des campagnes électorales. Celles-ci ne seront plus exactement celles qu’on a connues dans le passé, ou que la Troisième République a connues, avec des réunions sous les préaux. C’est fini, nous sommes à une autre époque ! Et je suis stupéfait qu’on ne réfléchisse pas aux transformations pratiques qui doivent être faites.

Sans doute, ce sera plus facile pour les élections régionales que pour les élections départementales. Pour les élections régionales, les candidats peuvent faire une expression directe. Pour les élections départementales, il faut passer des cantons aux regroupements de cantons et il n’y a pas de télévision ou de radio cantonale. Cela dit, on reçoit sans cesse des publicités, la sécurité sociale nous envoie des lettres, les impôts aussi… Pourquoi ne pourrait-on pas envoyer à chaque électrice et à chaque électeur un petit document bien fait sur l’action d’un conseil départemental ?

En parlant avec mes amis de l’Eure, je me suis rendu compte que, si les personnes d’un certain âge identifiaient bien le conseiller général, les jeunes ne l’identifiaient plus. Il faudrait pourtant leur expliquer que, s’il y a une subvention pour le club de rugby, si on a organisé des représentations culturelles, c’est certes grâce à la mairie, mais pas uniquement à elle : la communauté d’agglomération et le département ont aussi une action sociale, une action culturelle, une action économique.

J’ai demandé à un certain nombre de lycéens à quoi sert un conseiller général. Ils ont été très gentils, ils ne m’ont pas dit : « à rien » ! Mais il faut comprendre qu’on ne fait plus de campagne électorale comme il y a un siècle ! Et la responsabilité des pouvoirs publics est de promouvoir la connaissance de nos institutions, dès lors qu’il n’y a plus l’instruction civique à l’école. On n’apprend plus rien aux jeunes, ils sont dans leur portable, comment voulez-vous dès lors les intéresser aux campagnes électorales ? Donnons la possibilité aux candidats de communiquer par un certain nombre de mécanismes modernes. C’est aux pouvoirs publics d’organiser cela.

On m’a parlé d’une loi en préparation concernant les collectivités territoriales. C’est tout de même incroyable : en France, on fait des lois mais on ne les applique pas ! En l’espèce, pas la peine de faire des lois. Que l’on commence par faire fonctionner la démocratie locale, car la démocratie nationale ne fonctionnera que si la démocratie locale fonctionne. Quand je suis arrivé au Conseil constitutionnel, on examinait une loi qui était la troisième sur le même sujet.

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J’ai demandé à ce qu’on me fasse un bilan de l’application des deux premières. Il n’y avait pas de bilan, parce que les décrets d’application n’étaient pas encore sortis ! En fait, la loi est devenue un instrument de la communication politique…

Là, nous n’avons pas besoin de loi. Il suffit de prendre des gens qui connaissent le terrain et que ceux-ci regardent comment on peut faire connaître le rôle de la démocratie locale. En effet, entre le maire, le conseiller départemental, la communauté d’agglomération, la communauté de communes, la région, le Sénat, l’Assemblée, on s’y perd ! Au moins, l’instruction civique à l’école avait une conséquence, c’est que la démocratie, les gens la comprenaient ! Aujourd’hui, ils ne la comprennent plus. Nous devons donc organiser des campagnes, avec le ministère de l’intérieur, avec le ministère chargé des collectivités territoriales, et nous devons faire en sorte que les campagnes électorales permettent cette diffusion des idées.

Mais pas « à la va-vite » ! Je suis frappé de constater qu’on a attendu d’être devant l’obstacle pour essayer de trouver une solution. Pourtant, il y a des années qu’on aurait dû se préoccuper de l’évolution des campagnes électorales. Il suffit de regarder comment celles-ci se déroulent dans un certain nombre d’autres pays pour voir qu’ils sont en avance sur nous. Nous, nous sommes toujours dans les conceptions d’il y a un siècle… J’ai beaucoup aimé le mot « populariser ». Oui, il faut populariser, et faire en sorte qu’on comprenne ce que chacun fait !

Toutes les semaines, je faisais visiter le Conseil constitutionnel à des enfants. Un jour, est arrivé le président Giscard d’Estaing. Il a salué les enfants, mais ceux-ci ne le reconnurent pas. Du coup, je les ai réuni dans mon bureau et ai passé en revue avec eux les présidents de la Cinquième République. De Gaulle : « ah oui, il était général, il a fait la guerre et il est revenu ». C’était tout. Pompidou, Giscard : rien. Mitterrand ? « Ah oui, il était de gauche ». Chirac ? « Un type sympa, qui boit de la bière ». Le président suivant a dit « casse-toi pauv’con », et son successeur a fait de la moto pour aller voir sa copine ! C’était tout ce que des enfants de 15 ans avaient retenu de l’action de nos Présidents de la République. Et, quand je les ai interrogés ensuite sur l’action des députés, des sénateurs : rien.

On ne peut pas se plaindre de l’abstention et n’instruire nos enfants de rien. On ne leur raconte rien, on ne leur raconte pas l’Histoire de France. Je rêve que, comme Hippolyte Carnot avait envoyé en 1848 des directives à tous les instituteurs, on leur prescrive aujourd’hui de le faire. C’est indispensable si l’on veut lutter contre l’abstention. Il faut qu’un organisme réfléchisse sereinement, avec les moyens modernes de communication, à la manière dont les campagnes électorales vont se dérouler désormais.

M. François-Noël Buffet, président. – Merci pour cette audition Monsieur le président.

La commission des lois du Sénat a travaillé, comme l’a rappelé tout à l’heure Philippe Bas, en novembre et décembre derniers, à un rapport d’information sur le vote à distance. Nous avons essayé de faire, dans les circonstances d’urgence qui étaient les nôtres, un travail de fond et d’analyse. Je vous en remettrai un exemplaire.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 55.

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COMMISSION SPÉCIALE SUR LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 13 janvier 2021

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de MM. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé

M. Alain Milon, président. – Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l’audition de MM. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, et Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles. J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. – Le projet de loi relatif à la bioéthique arrive en deuxième lecture. C’est une bonne chose après un an de débats, riches et passionnants, avec des interrogations sincères, des doutes, des convictions en train de se forger, qui se sont forgées ou qui ont pu évoluer.

Je souhaite tout d’abord que ce texte puisse être adopté de façon définitive avant l’été, car il est porteur de droits nouveaux dont beaucoup de Français, beaucoup de familles, attendent de pouvoir profiter.

Le débat en première lecture a été riche, serein et respectueux des positions de chacun. C’est dans cet esprit que les membres du Gouvernement qui portent ce texte avec moi envisagent les prochains débats sénatoriaux.

Plus que tout autre texte, les lois de bioéthique se contentent peu des délégations de vote et des consignes de groupe. Ce rapport très subjectif, très personnel et très intime au texte a des avantages – je pense en particulier à l’enrichissement de certaines dispositions, en première lecture, par les parlementaires comme, par exemple, sur les enfants présentant des variations de développement génital ou sur la réalisation, en première intention, d’un examen des caractéristiques génétiques chez le nouveau-né dans le cadre du dépistage néonatal pour la recherche d’anomalies. J’étais moi-même parlementaire en première lecture et ministre en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Cette position m’a permis de faire évoluer, à la marge, un certain nombre de positions par rapport à mes prédécesseurs. Mais il a aussi des inconvénients qui tiennent à la difficulté de conclure et de dire enfin ce que le droit accepte de la science.

Notre responsabilité est grande, sans être écrasante, et nous oblige à faire des choix. Nous les ferons ensemble, parce que c’est au Parlement, et nulle part ailleurs, qu’ils doivent être faits.

J’entends des questions sur le calendrier, sur la temporalité de l’examen de ce texte : je souhaite que la navette puisse se poursuivre et qu’elle aboutisse. Si des divergences subsistent

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3756 sur l’extension de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, celles-ci se concentreront davantage sur la prise en charge que sur l’extension proprement dite.

Le Gouvernement a décidé de ne pas engager la procédure accélérée. Nous prenons le temps du débat. Plusieurs lectures sont nécessaires avant l’adoption définitive de ce projet de loi. Je suis prêt à débattre des dispositions de ce texte et à répondre à toutes vos interrogations.

Les équilibres défendus en première lecture par le Gouvernement perdurent : équilibre entre avancées sociales et préservation des principes ; équilibre entre ouverture des techniques permises par les avancées scientifiques et attachement au respect de l’être humain dans leur application. L’irruption des techniques génétiques interroge notre rapport à la médecine, au patient et finalement à l’humain. Avancer sans crainte n’est pas avancer à n’importe quel prix, quoi qu’il en coûte. Nous sommes sur une ligne de crête entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels parfois douloureux et des conséquences collectives acceptables.

C’est l’honneur du Parlement que d’avoir à débattre de sujets d’importance – principes attachés au don de gamètes, poursuite de l’AMP en cas de décès du conjoint, accès aux origines personnelles des tests génétiques… Chaque voix doit être entendue. Je suis convaincu que nous trouverons ensemble, en fin de discussion, les bons équilibres et les nuances utiles pour un texte dont chacun pourra être fier et qui ouvrira de nouveaux droits, sans rien céder à nos valeurs.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé. – Je me permets tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour cette année 2021. Je souhaite qu’elle soit, pour le Gouvernement et pour le Parlement, l’occasion de poursuivre un effort commun qui a si souvent porté ses fruits. Je suis heureux que nous puissions reprendre le travail extrêmement rigoureux, qui nous avait occupés l’an dernier.

Même dans cette actualité qui nous accapare, nous sentons combien les sujets portés par ce texte dépassent à la fois les clivages politiques et les polémiques du quotidien. Ces enjeux nous préoccupent tous personnellement, intimement. Ils appellent également de notre part une responsabilité collective à la hauteur.

Ces réflexions me tiennent d’autant plus à cœur qu’elles renvoient souvent dans ce texte à la prise en considération de l’intérêt de l’enfant et à la reconnaissance de la diversité, de la richesse et de l’égalité des modèles familiaux. Autant de préoccupations que je sais largement partagées dans cette salle, même si des questions restent en débat, et qu’on ne saurait repousser, comme vient de le souligner le ministre Olivier Véran.

Il s’agit de la concrétisation d’attentes fortes de la société et d’un engagement clair du Gouvernement. Nos échanges seront l’occasion de reparler de l’extension de l’assistance médicale à la procréation, de l’accès à un certain nombre d’informations pour les personnes nées d’AMP ou sous le secret, ou encore de la définition du diagnostic prénatal.

Certains de ces sujets ont été récemment abordés dans d’autres textes, que ce soit lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 ou de celui de la proposition de loi, portée à l’Assemblée nationale par la députée Monique Limon et qui est la

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3757 traduction d’un rapport rédigé conjointement avec la sénatrice et rapporteure Corinne Imbert. Je crois que vous aurez l’occasion d’examiner ce texte très prochainement.

Ces initiatives, ces approfondissements, montrent combien le projet de loi relatif à la bioéthique est attendu. Derrière le ministre Olivier Véran, tout un collectif gouvernemental, avec le garde des sceaux, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et de nombreuses administrations, œuvre à faire aboutir ce beau projet de loi.

Dans cette optique, l’apport du Sénat est incontournable et nous nous réjouissons de pouvoir en débattre de nouveau avec vous aujourd’hui.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. – M. Touraine, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, affirme vouloir « légitimer une procréation sans sexe pour tous ». Est-ce aussi votre vision de l’évolution sociétale que vous voulez voir sanctionner par ce texte ?

La simultanéité de l’extension de l’AMP et de la levée de l’anonymat crée de nombreuses inquiétudes quant au risque de pénurie de gamètes. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le stock et sur l’impact de la crise sanitaire sur les dons ?

Quelle est votre position sur la gestation pour autrui ? Bien qu’elle soit actuellement interdite en droit français, la jurisprudence contourne cette interdiction par le biais des transcriptions. Qu’en pensez-vous ?

Ma dernière question concerne la filiation. La nouvelle rédaction, issue des travaux de l’Assemblée nationale, dispose que la femme qui accouche est bien la mère – soit le b.a.-ba de la filiation maternelle. Toutefois, elle est obligée de reconnaître son enfant, ce qui constitue une régression par rapport au droit existant. Le Sénat avait proposé des techniques de filiation directement inspirées de ce qui existe déjà. Pourquoi s’y opposer ?

M. Bernard Jomier, rapporteur. – Je voudrais tout d’abord saluer le travail de coconstruction mené avec l’Assemblée nationale sur les articles dont je suis rapporteur. Les députés ont retenu un certain nombre des dispositions importantes et certains articles ont même été votés conformes. Cela montre combien il est important de prendre du temps pour bien faire la loi.

Ce texte prévoit d’étendre l’assistance médicale à la procréation. Pour certains, il s’agit d’une réforme progressiste ; d’autres ont une position moins ouverte. Pour ma part, je regrette le manque d’ouverture du texte en ce qui concerne la recherche génomique. Cette situation fait écho à l’état actuel de la recherche française, dont il est beaucoup question en cette période de crise sanitaire. Les Français ont découvert que la nouvelle technique en recherche génomique Crispr-Cas9 a été mise au point par une chercheuse qui a préféré quitter notre pays. Je crains que ce texte, dans sa rédaction actuelle, ne donne pas à nos chercheurs la capacité de travailler sereinement.

L’Assemblée nationale a supprimé un article introduit par le Sénat posant les bases d’un statut de donneur d’organes. Je dois dire, avec beaucoup d’humilité, que nous avions conscience des limites, de l’imperfection de notre dispositif. Mais nous sommes aujourd’hui dans une situation telle qu’il faut actionner tous les leviers pour progresser sur cette question du don d’organes. Il semblerait que vous ayez soutenu cette suppression. Dès lors, quelles propositions comptez-vous faire ? Ne pensez-vous pas utile d’envisager une forme de reconnaissance symbolique qui ne soit en rien une contrepartie au don ?

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3758

Nous avons ouvert le don du sang aux mineurs de 17 ans en première lecture, reprenant ainsi une disposition de la proposition de loi de Damien Abad, adoptée par l’Assemblée nationale en 2018. Nos collègues députés ont souhaité revenir sur cette disposition. Nous avons entendu les objections du président du conseil d’administration de l’Établissement français du sang, que vous avez fait vôtres. Toutefois, ces arguments techniques ne nous ont pas paru pertinents – risques de malaises vagaux, sensibilité plus grande aux carences en fer, autorisation parentale complexe… Là aussi, j’aimerais que vous nous donniez quelques précisions sur votre position.

Vous avez fait adopter, contre l’avis de la commission spéciale de l’Assemblée nationale, dont nous partagions la position, un amendement la France insoumise visant à rétablir la présomption de consentement dans le cadre du don post mortem des personnes bénéficiant d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. Sur un plan éthique, cette présomption de consentement nous paraît extrêmement contestable. Pouvez-vous nous expliquer votre position ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. – En première lecture, le Sénat a ouvert la possibilité de rechercher, dans le cadre du dépistage néonatal, des anomalies génétiques ciblées, listées par arrêté du ministre de la santé.

Il s’agit de dépister des anomalies à l’origine de pathologies très graves qui font aujourd’hui l’objet de thérapies géniques prometteuses et qui représentent un véritable gain de chances pour les personnes concernées, à la condition que ces thérapies soient administrées à un stade précoce chez le jeune enfant, idéalement avant l’apparition des premiers symptômes.

Je me félicite que le Gouvernement ait conservé cet objectif en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le dépistage néonatal devenant ainsi un programme de santé national, avec une base légale. Pourriez-vous nous indiquer si, à l’avenir, des affections génétiques telles que certaines formes d’amyotrophie spinale infantile pourront bien faire partie de la liste des maladies recherchées afin de permettre la prise en charge la plus précoce possible des enfants concernés ?

L’été dernier, devant l’Assemblée nationale, vous avez annoncé le lancement, dès l’automne 2020, d’un « projet de recherche multicentrique » sous la forme d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) dans sept centres hospitaliers, concernant le diagnostic préimplantatoire. Le contexte sanitaire a-t-il permis le lancement de ce projet de recherche dans les délais prévus ? Quels sont ses principaux objectifs ?

Le diagnostic préimplantatoire avec recherche d’aneuploïdies a été introduit par le Sénat en première lecture, contre l’avis du Gouvernement, avant d’être supprimé en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale. Au-delà des reproches qui ont pu être formulés de manière quelque peu primaire, pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce qui vous gêne ?

M. Olivier Henno, rapporteur. – Monsieur le ministre, dans votre propos liminaire, vous avez évoqué une « ligne de crête ». Il me semble que cette expression convient parfaitement à la recherche sur les embryons transgéniques et chimériques.

Nous avons eu des discussions assez approfondies sur ces questions, lors de nos travaux en commission spéciale et en séance publique. Chaque collègue s’interroge en conscience : d’un côté, on se dit qu’il est possible d’améliorer la vie – on nous a, par exemple,

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3759 prédit la possible fin de l’orthopédie froide ; de l’autre, on craint de bouleverser la vie, notamment lorsqu’il est question du génome.

J’aimerais connaître la doctrine du Gouvernement en ce qui concerne la recherche sur les embryons transgéniques et chimériques. Bien évidemment, nous avons conscience que cette question dépasse largement nos frontières.

Par ailleurs, l’article 12 du projet de loi persiste à exclure la possibilité de recourir à l’imagerie cérébrale fonctionnelle pour l’expertise judiciaire. Avez-vous des éléments probants sur des cas d’utilisation abusive de cette technique ?

M. Olivier Véran, ministre. – Je ne suis pas compétent pour répondre à toutes les questions posées, certaines relevant davantage de la compétence du garde des sceaux ou de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Toutefois, ayant suivi la globalité des discussions, je me risquerai à donner quelques réponses, forcément moins précises que si elles émanaient de mes collègues ministres.

Madame Jourda, vous évoquez la « procréation sans sexe pour tous ». Comme vous l’avez souligné, cette expression n’est pas la mienne, mais celle d’un député. Je ne suis pas du tout transhumaniste, mais plutôt pragmatique. Il me semble que les lois de bioéthique galopent souvent après la société et entérinent des pratiques déjà existantes. L’exemple de l’AMP pour les femmes seules ou pour les couples de femmes est emblématique : depuis plus d’une décennie, les femmes seules ou en couple qui souhaitent bénéficier d’une AMP et fonder une famille peuvent le faire. La seule condition étant d’avoir suffisamment d’argent pour se rendre à l’étranger, ce qui n’est pas acceptable.

Je ne dis pas que tout ce qui est interdit doit être autorisé pour la seule raison que cela se fait déjà. Je souligne simplement que certaines pratiques sont entérinées par la société et non par le droit. Je n’ai aucune difficulté à reconnaître aux femmes seules ou en couple le droit de bénéficier d’une AMP, ce qui ne veut pas dire que je nie toute différenciation sexuée ou le rôle parental social et parental biologique. Je n’entrerai pas dans ce type de débat. J’ai mes propres convictions : je suis un progressiste pragmatique et je ne suis pas du tout sûr, monsieur Jomier, de pouvoir aller au bout des idées que je pourrais porter dans un texte de bioéthique. Par définition, une loi de bioéthique est faite pour évoluer, puisqu’elle est révisée tous les cinq ans.

En ce qui concerne le stock de gamètes, nous sommes déjà en situation de flux tendu sur les spermatozoïdes et sur les ovocytes. Nous prenons très au sérieux ce risque de pénurie. Pour autant, je ne crois pas que la question de l’accès aux origines ait entraîné une baisse du nombre de donneurs. Les pays qui ont suivi cette politique n’ont pas non plus été confrontés à une telle baisse – dans certains cas, c’est même l’inverse qui s’est produit.

Le don est une pratique encore confidentielle. Les campagnes de recrutement se font a minima. Nous devons promouvoir cet acte généreux, altruiste. Je ne crois pas du tout que l’adoption de ce texte pourrait induire une baisse du nombre de gamètes disponibles.

Nous avons eu de très longs débats à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la question de la GPA et de la jurisprudence. Le Gouvernement est opposé à la pratique de la GPA et au principe d’enfants apatrides.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3760

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. – Tout au long des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, le Gouvernement n’a cessé de réaffirmer son opposition à la GPA. Il s’agit d’une ligne rouge.

Lors des débats en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, un amendement a été voté qui permet de répondre au problème posé par la Cour de cassation et de se mettre en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme en termes de procédure et de célérité. Le dispositif repose sur l’adoption.

Les transcriptions judiciaires se font toujours sous l’autorité du juge qui prend en considération à la fois l’intérêt de l’enfant et le projet parental au moment de la conception.

Sur tous ces aspects, le Gouvernement est resté fidèle à sa position initiale.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. – Pourquoi avoir instauré, à l’Assemblée nationale, une « filiation indivisible », ce qui n’a jamais existé en droit français et qui n’est pas nécessaire ?

M. Olivier Véran, ministre. – Madame Jourda, je crois que le garde des sceaux serait plus à même de vous répondre précisément sur ces aspects techniques. Un équilibre a été trouvé à l’Assemblée nationale.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. – J’ai voulu en parler avec le garde des sceaux, mais on m’a refusé tout rendez-vous. Il est regrettable que personne ne puisse échanger sur ce point important.

M. Olivier Véran, ministre. – Je transmettrai votre question au garde des sceaux.

Monsieur Jomier, je pense encore une fois que Frédérique Vidal vous répondrait mieux que moi sur la recherche génomique. Nous pouvons avoir chacun nos convictions sur la définition du progressisme en recherche génomique. Toujours est-il que nous ouvrons un certain nombre de portes pour faire progresser la recherche. Ce texte est porteur de cette ambition.

Je ne suis pas favorable à l’octroi d’un statut particulier aux donneurs d’organes. On organise une journée nationale des dons d’organes, on sensibilise, on communique, on accompagne, mais la neutralité financière est un principe important, tout comme la neutralité tout court vis-à-vis du don.

La question du don de sang des mineurs est complexe. J’ai rédigé un rapport sur la filière du sang en 2013 pour Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre. J’étais spontanément plutôt favorable au don du sang des mineurs. Toutefois, après avoir auditionné les fédérations de donneurs et celles des malades, j’ai compris que ce n’était pas une bonne idée. Pour des raisons somatiques d’abord : à 17 ans, on a plus de risques de développer des malaises cardiaques du fait de sa corpulence plus fragile. Pour des raisons juridiques ensuite : tout donneur doit remplir un questionnaire sur ses pratiques sexuelles. Or un mineur doit recueillir l’accord de ses parents avant de donner son sang et ces derniers pourraient s’étonner en cas de refus du centre. En l’espèce, il s’agit de préserver l’intimité de la vie privée du mineur.

J’avais auditionné, voilà quelques années, des responsables d’associations qui militent pour faciliter le don d’organes, des médecins coordonnateurs de cellules de prélèvements multiorganes et des infirmières chargées de contacter les familles. Le taux de refus est beaucoup plus important quand on pose la question à la famille plutôt qu’à la personne

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3761 de son vivant. C’est donc autant d’organes qu’on ne peut prélever et greffer et autant de vies qu’on ne peut améliorer, voire sauver. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a émis un avis favorable sur cet amendement, que j’aurais pu déposer moi-même, relatif à la présomption de consentement post mortem.

Madame Imbert, certaines maladies génétiques deviennent curables, notamment grâce à la thérapie génique, alors qu’elles ne l’étaient pas voilà seulement quelques années. L’amyotrophie spinale en fait partie. Avant de définir les types de pathologies que l’on peut dépister systématiquement, il faut procéder de la même manière que pour les troubles métaboliques comme l’insuffisance surrénalienne à la naissance, par exemple : il faut qu’un certain nombre d’enfants soit atteint, disposer d’un traitement et d’un moyen de diagnostic clair. Je reviens à ma position pragmatique : je n’ai pas envie de limiter nos capacités de dépistage de maladies pouvant emporter des conséquences sanitaires terribles sur les enfants qui viennent de naître ou à naître et qui pourraient être curables. C’est à la science de faire son chemin et des propositions. Le cadre légal de la recherche est amené à évoluer de manière à faciliter un certain nombre de dépistages. Je ne suis pas sûr qu’il faille inscrire dans le marbre de la loi une liste déterminée de pathologies.

En ce qui concerne le PHRC, la durée prévue de recrutement est de trente mois, celle de traitement et de suivi de dix-huit mois. La date de fin de recherche est fixée à septembre 2025. Je ne peux donc pas vous donner de résultats aujourd’hui. Fin 2020, le projet n’avait pas encore été autorisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le premier dépôt de dossier a été effectué en novembre 2020. Les demandes de précision soumises aux investigateurs portent particulièrement sur les critères d’exclusion qui concernent les patientes aux antécédents de fausses couches spontanées et d’échecs d’implantation. Mais les choses vont bouger.

La question du diagnostic préimplantatoire pour la recherche des aneuploïdies (DPI-A) est une question complexe. Nous avons eu un débat très nourri à l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Une majorité s’est dégagée pour en rester au PHRC, qui va démarrer rapidement et qui nous permettra de répondre plus vite aux questions que nous nous posons. J’avais tenu ce raisonnement aux députés : si vous êtes contre le DPI-A, votez contre l’article ; si vous êtes pour le DPI-A, votez aussi contre cet article puisque le PHRC permettra d’aller plus vite. Je crois que c’est une position pragmatique.

Monsieur Henno, je vous avoue que les questions liées aux embryons transgéniques et chimériques relèvent surtout de Mme Vidal. Je ne voudrais pas me risquer sur ce terrain et je me propose de lui transmettre vos questions.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. – Madame Jourda, vous avez présenté comme un recul le système de reconnaissance conjointe anticipée devant notaire. Ce dispositif peut paraître quelque peu étonnant du point de vue de la mère biologique, mais il a été guidé par un souci de simplification. Il s’agit d’une démarche commune des deux membres du couple pour assurer la filiation de l’enfant sans passer par l’adoption pour celle qui n’est pas la mère biologique. Le Gouvernement voit davantage une avancée dans ce dispositif qu’un recul.

Mme Laurence Cohen. – L’ouverture de l’AMP à toutes les femmes était très attendue depuis dix ans. Certes, ce projet de loi va bien au-delà de cette mesure, mais j’aimerais avoir quelques précisions sur l’article 4 qui maintient un régime dérogatoire en matière de filiation. La rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale a évolué favorablement par rapport au texte initial, mais la création de deux régimes différents entre couples lesbiens et

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3762 hétérosexuels institue une discrimination, comme si on ne reconnaissait pas une parfaite égalité entre ces deux types de famille. Quel est votre sentiment ?

Le Sénat avait supprimé, à l’initiative du groupe communiste, républicain citoyen et écologiste, l’article 17, portant sur la création d’embryons chimériques ou transgéniques, estimant que c’était dangereux. L’Assemblée nationale l’a rétabli dans une nouvelle rédaction, mais celle-ci reste dangereuse car elle laisse la porte ouverte. Enfin, la rédaction de l’article 21 bis sur les traitements destinés aux enfants qui présentent une variation de développement génital reste insuffisamment claire et contraignante pour éviter les mutilations sexuelles génitales imposées. Là encore quelles évolutions seraient possibles ?

M. Dominique de Legge. – Le Gouvernement a souhaité favoriser le congé de paternité et inciter les pères à partager le congé parental avec les mères, ce qui est une bonne chose. Il a justifié cela par l’importance de la présence du père. N’est-ce pas contradictoire avec l’idée que la notion de paternité n’existerait plus et pourrait être remplacée par une double maternité ?

M. Thani Mohamed Soilihi. – Quand verrons-nous les premières AMP pour les couples de femmes ? Est-ce envisageable avant la fin de l’année ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. – Le doublement du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, assorti de la prise obligatoire d’une semaine à ce titre, a été adopté à la quasi-unanimité lors du PLFSS. Il n’est pas envisagé pour l’instant de partager le congé parental entre les parents – peut-être cela sera-t-il étudié à l’avenir, car il s’agit d’une préconisation du rapport de la commission Cyrulnik sur les « 1 000 premiers jours » de l’enfant. Aucune étude n’a montré que le développement de l’enfant était altéré s’il était élevé dans une famille homo ou monoparentale. L’important, c’est l’altérité des liens d’attachement qui nous façonnent au cours de nos plus jeunes années, ce n’est pas le genre de nos parents. Le partage du congé de paternité comme l’ouverture aux couples de femmes de l’AMP sont des mesures attendues par nos concitoyens.

En ce qui concerne l’article 21 bis, les amendements visant à interdire les actes chirurgicaux précoces en l’absence d’urgence vitale ne pouvaient être acceptés. Le Gouvernement a donné un avis favorable à l’amendement du député Raphaël Gérard, qui prévoit la prise en charge systématique des enfants présentant une variation du développement génital par des équipes pluridisciplinaires spécialisées, chargées d’établir, dans la concertation, le diagnostic et les propositions thérapeutiques possibles, y compris l’abstention thérapeutique. Cet amendement, qui a été adopté à une très large majorité, s’inscrit, selon nous, parfaitement dans l’esprit des recommandations du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), des médecins, des associations et des différentes parties prenantes.

M. Olivier Véran, ministre. – En ce qui concerne le calendrier, nous travaillons déjà, parallèlement au débat parlementaire, à la préparation des textes d’application, afin d’être prêts à les publier le plus vite possible après l’adoption de la loi, pour que les mesures entrent en vigueur rapidement. Si la loi était adoptée avant l’été, on pourrait envisager de lancer les premiers parcours d’AMP pour des couples de femmes à la fin de l’année.

En ce qui concerne les examens à visée neurologique, nous avons suivi l’avis du Conseil d’État qui nous a demandé de supprimer le recours aux techniques à visée neurologique, d’interdire expressément le recours à des IRM fonctionnelles à des fins judiciaires et de veiller à éviter le détournement de cette technique à des fins judiciaires :

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3763 l’utilisation du détecteur de mensonges n’est, ainsi, pas autorisée en France. Quant à l’amendement qui a été adopté au Sénat en première lecture, il comportait un risque d’inconstitutionnalité : il n’appartient pas au pouvoir réglementaire de limiter par décret des moyens de preuve dont disposent les juges.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. – Je précise, madame Cohen, que si nous avons choisi de créer deux régimes différents pour les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, c’est parce que le ministère de la justice a estimé qu’il s’agissait du dispositif permettant le mieux de sécuriser la filiation.

Mme Victoire Jasmin. – Je souhaite attirer votre attention sur la défaillance du conseil génétique, notamment pour les différentes formes d’hémoglobinopathie, comme la drépanocytose et les thalassémies. Le diagnostic néonatal ne se fait pas partout sur le territoire. On voit de plus en plus d’enfants atteints de drépanocytose naître sans que les parents n’aient été informés. Il faut intensifier le conseil génétique et mieux sensibiliser les différents professionnels à cette problématique sur tout le territoire.

M. Roger Karoutchi. – Je ne suis pas un progressiste pragmatique, je suis un conservateur pragmatique. J’ai voté pour l’extension de l’AMP, mais je me suis abstenu sur l’ensemble, lorsqu’après avoir interpellé Madame Buzyn pour lui demander quelle serait la position du Gouvernement à l’Assemblée nationale, elle m’a répondu que le texte du Sénat ne serait pas conservé dans sa plus grande part… J’ai considéré alors qu’il était inutile de me ridiculiser en votant pour le texte. Bien m’en a pris, puisque le texte a été passablement charcuté à l’Assemblée nationale !

Vous avez raison, les lois courent souvent après les pratiques, mais il n’en demeure pas moins que le législateur doit fixer des règles pour encadrer les évolutions, sinon tout sera permis de facto, et les réseaux sociaux remplaceront le Parlement !

Ma question est simple : quelles mesures apparaissent essentielles aux yeux du Gouvernement dans ce texte ? Pour moi, il s’agit du droit nouveau qu’est l’extension de l’AMP, mais encore aurait-il fallu que les autres dispositions ne soient pas de nature à choquer les uns ou les autres ou à cliver, car, sur de tels sujets il est important d’avancer tous ensemble, si l’on veut que la société français puisse évoluer de manière plus sereine, sans à-coups. Le Gouvernement est-il prêt à reprendre des mesures votées par le Sénat, ou bien considère-t-il que sa majorité à l’Assemblée nationale lui permet de faire fi de notre assemblée ? Je ne sais pas quel sera mon vote si j’ai le sentiment qu’il ne servira à rien. Si le Gouvernement peut demander au Parlement son soutien, il est inversement possible à ce dernier de lui demander sa position et ce qu’il fera pour faciliter un accord… Si la procédure parlementaire vise à retranscrire simplement un rapport de forces, elle est bien longue ! Il est dommage de ne pas chercher un rapprochement des positions.

M. Daniel Chasseing. – Je suis favorable à cette loi qui constitue une avancée sociale et sociétale, car les femmes seules pouvaient déjà aller à l’étranger pour réaliser une AMP, à condition d’avoir suffisamment d’argent. Toutefois, le texte, sur bien des points, est contraire à ce qui a été voté au Sénat. Informer l’enfant avant sa majorité qu’il est né d’un don ne répond pas aux attentes des enfants, car peu souhaitent le savoir. L’anonymat visait à protéger aussi bien les parents, le donneur que l’enfant. Il est aussi légitime que le conjoint du donneur puisse donner son avis sur la levée de l’anonymat, comme nous l’avions voté, car elle le concerne aussi. Enfin, beaucoup de femmes vont à l’étranger pour recourir à une fécondation

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3764 in vitro en raison des risques de fausses couches liées à des anomalies chromosomiques ; or, le diagnostic préimplantatoire (DPI) ne sera pas autorisé en France, c’est regrettable.

M. Olivier Véran, ministre. – La drépanocytose touchant plus spécifiquement certaines catégories de population, le dépistage est ciblé en France en fonction de l’origine géographique des parents : il est proposé à tous les nouveaux-nés dans les territoires ultramarins. Nous attendons l’avis de la HAS pour savoir si les modalités de ciblage doivent être, ou non, revues. Il est vrai que le conseil génétique en outre-mer est peu développé et l’on compte de nombreuses naissances d’enfants atteints de drépanocytose sans que les parents n’aient été informés préalablement. C’est pourquoi l’article 25 prévoit l’extension des missions des conseillers en génétique.

Monsieur Karoutchi, je n’étais pas ministre lors de la première lecture et je ne sais à quelles dispositions vous étiez particulièrement attaché. Il est vrai que nous n’avons pas gardé certaines dispositions du Sénat : ainsi, il me semble normal que l’assurance maladie prenne en charge l’AMP des couples de femmes, autrement on rétablirait une inégalité financière, au sein même de notre territoire, entre les couples qui pourront se l’offrir et les autres, alors que nous voulons justement supprimer cette discrimination ! Nous avons aussi rétabli l’article 2 sur l’autoconservation des gamètes, sujet qui nous semble important. En revanche, nous avons conservé certaines dispositions adoptées par le Sénat, comme les mesures sur le don du corps à des fins d’enseignement médical et de recherche à l’article 7 ter, sur le don du sang pour les majeurs protégés, sur le dépistage néonatal ou sur la conservation des gamètes par des centres privés.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. – Le Gouvernement était plutôt opposé à la possibilité donnée aux parents bénéficiaires d’un don de gamètes de disposer d’informations sur le donneur avant la majorité de l’enfant, au nom de l’intérêt de l’enfant, car cela introduit une asymétrie entre les parents et l’enfant, alors que les rapports peuvent parfois être conflictuels au sein de la famille. Si le Sénat veut revenir sur cette disposition, le Gouvernement pourra vous suivre, afin de contribuer à renforcer le consensus. Il me semble par ailleurs que ce texte est plutôt consensuel, que les débats ont été plutôt apaisés et constructifs, tant au Parlement que dans la société ; plusieurs articles, sept ou huit, ont été adoptés conformes. Les points d’opposition qui restent entre le Gouvernement et le Sénat ne sont pas surprenants et sont conformes à la position initiale des uns et des autres, mais sur certains points la porte du dialogue est ouverte.

M. Olivier Véran, ministre. – La possibilité d’une conservation par des centres privés avait été introduite par votre commission ; le Gouvernement avait émis un avis défavorable en séance et la majorité s’était prononcée contre. Cette mesure a été réintroduite à l’Assemblée nationale, complétée d’une interdiction de dépassement d’honoraires : le Gouvernement a alors donné un avis favorable, rejoignant la position initiale de votre commission.

Mme Catherine Deroche. – Comme M. Karoutchi, j’ai été choquée de la manière abrupte par laquelle Mme Buzyn avait terminé le débat, alors qu’il avait été plutôt constructif sur de nombreux points !

L’article 20 prévoit que l’interruption médicale de grossesse peut être envisagée dans le cas où la poursuite de la grossesse pourrait mettre en péril grave la santé de la femme, ce péril pouvant résulter d’une détresse psychosociale. Or cette détresse est déjà prise en compte par les équipes. Pourquoi mettre ainsi ce critère en exergue et le faire primer sur d’autres ?

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3765

M. Daniel Salmon. – Le groupe écologiste salue les avancées notables de ce texte. N’aurait-il pas été toutefois plus simple d’appliquer le droit commun pour un couple de femmes désireux d’avoir recours à une AMP, plutôt que de créer une exception, source potentielle de confusion. Les opérations sur les personnes concernées par des variations du développement sexuel, qui visent à leur assigner un sexe, sont réalisées à un âge parfois très précoce et sont parfois perçues comme des mutilations. Il serait préférable, lorsque l’enjeu n’est pas vital, d’attendre que l’enfant puisse exprimer son choix. Certes seuls 200 enfants sont concernés sur 800 000 naissances, mais ce nombre est en augmentation.

Mme Michelle Meunier. – Vous avez raison, monsieur le ministre, parfois les évolutions sociales et sociétales précèdent la loi et le législateur doit s’adapter. L’article 32 prévoit une clause de réexamen de la loi dans un délai de sept ans. N’est-ce pas un peu long, vu la rapidité de la recherche et des évolutions sociétales ? Cet article prévoit aussi une évaluation tous les quatre ans par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Alain Milon, président. – Je voulais vous poser la même question ! Comme lors de la précédente loi de bioéthique, je suis favorable à un abaissement du délai de révision à cinq ans.

M. Olivier Véran, ministre. – Sur cette question, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du législateur. Les tests génétiques sont encore anecdotiques, mais vu la vitesse d’évolution des techniques, que vaudra le délai de sept ans s’ils s’avèrent utiles pour les gens ? Les évolutions des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives, les NBIC, ou de la génomique sont tellement rapides qu’il est probable que nous aurons à réviser certaines dispositions sous peu, tandis que le temps législatif peut être très lent : la loi visant à autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires a pris quinze ans et la France a pris un retard considérable. Les oppositions étaient vives, mais maintenant que l’on constate que tout fonctionne très bien, nul ne veut revenir en arrière, et certains opposants à cette loi s’étonnent même aujourd’hui que l’on n’aille pas plus vite… Peut-être que si donnions plus de moyens à notre recherche pour se développer sans agiter des peurs infondées, pourrions-nous aller plus vite.

L’interruption médicalisée de grossesse pour détresse psycho-sociale est déjà légale, mais n’est pas comprise ni appliquée de la même manière partout. L’amendement adopté à l’Assemblée nationale consiste donc plutôt en un rappel à la loi, qu’en un changement du droit en catimini. C’est pourquoi, le Gouvernement a émis un avis de sagesse.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. – Le texte de l’Assemblée nationale sur les opérations effectuées sur les personnes présentant des variations du développement sexuel nous semble équilibré et conforme aux recommandations du CCNE. Au fond, la question est celle de la nécessité médicale de ces interventions : laissons les professionnels de santé l’apprécier au cas par cas.

M. Alain Milon, président. – Je vous remercie.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.

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PROGRAMME DE TRAVAIL POUR LA SEMAINE DU 18 JANVIER ET À VENIR

Commission des affaires économiques

Mercredi 20 janvier 2021 À 9 h 30 Salle Clemenceau et en téléconférence

Captation vidéo

- Audition, en commun avec la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de M. Gérard Mestrallet, ancien président-directeur général d’Engie et ancien président du conseil d’administration de Suez

À 16 h 30 Salle Médicis et en téléconférence

Captation vidéo

- Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Laure de La Raudière, candidate proposée aux fonctions de présidente de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse

- Vote sur la proposition de nomination de Mme Laure de La Raudière aux fonctions de présidente de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse

Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote.

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Mercredi 20 janvier 2021 À 9 h 30 Salle René Monory et en téléconférence

- Examen du rapport et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 223 (2020- 2021) autorisant la ratification du protocole portant amendement de la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs (M. Édouard Courtial, rapporteur). Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote. Les délégations de vote sont autorisées dans les conditions prévues par le Règlement.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3768

- Désignation de rapporteurs sur : . le projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne ; . le Contrat d’objectifs et de moyens (COM) France Médias Monde. À 9 h 45 Salle René Monory et en téléconférence

Captation vidéo - Audition de Mme Marie-Christine Saragosse, Présidente-Directrice générale de France Médias Monde. - Communication de MM. Christian Cambon et Cédric Perrin, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Jacques Le Nay et Richard Yung, suite à leur déplacement en Guyane. - Communication de M. Pascal Allizard, suite au déplacement à Calais et Boulogne-sur-mer du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique. À 16 h 30 Salle René Monory et en téléconférence

Captation vidéo - Audition de Mme , ministre des armées, sur l'opération Barkhane.

Commission des affaires sociales

Mercredi 20 janvier 2021 À 8 h 30 Salle Médicis et en téléconférence

À 8 h 30 : - Examen des amendements de séance sur la proposition de loi (n° 23, 2020-2021), adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer le droit à l’avortement (rapporteure : Mme Laurence Rossignol) - Examen des amendements de séance sur la proposition de loi (n° 182, 2020-2021) de M. Rémi Cardon et plusieurs de ses collègues relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans (rapporteure : Mme Monique Lubin) Délai limite pour le dépôt des amendements pour ces deux textes : lundi 18 janvier 2021 à 12 heures.s Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote. Les délégations de vote sont autorisées dans les conditions prévues par le Règlement.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3769

À 9 h 30 : Captation vidéo. - Audition commune sur le sport et la santé, en commun avec la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de M. Laurent Fleury, responsable du pôle expertise collective et du Pr François Carré, spécialiste en cardiologie et maladies vasculaires, de l’Inserm. À 10 h 30 : Captation vidéo. - Table ronde sur le sport et la santé, en commun avec la commission de la culture, de l’éducation et de la communication : . du Dr Albert Scemama, chef de projet au service évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours de la Haute autorité de santé ; . de M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques, et de Mme Irène Margaritis, chef de l’unité évaluation des risques liés à la nutrition, de l’Anses ; . du Dr Alain Frey, médecin du sport et urgentiste, président de la Société française de traumatologie du sport ; . de Mme Christelle Gautier, cheffe de projet Stratégie nationale sport santé au ministère des sports.

Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Mercredi 20 janvier 2021 À 9 h 30 Salle Clemenceau et en téléconférence

Captation vidéo - Audition commune avec la commission des affaires économiques de M. Gérard Mestrallet, ancien président-directeur général du groupe ENGIE et ancien président du conseil d'administration de SUEZ. À 16 h 45 Salle Clemenceau et en téléconférence

Captation vidéo - Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente, et de M. Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3770

Commission de la culture, de l’éducation et de la communication

Mercredi 20 janvier 2021 À 9 h 30 Salle Médicis et en téléconférence

Captation vidéo - Table ronde conjointe avec la commission des affaires sociales sur le thème « Sport et santé » : À 9 h 30 : - Audition de M. Laurent Fleury, responsable du pôle expertise collective et du Pr François Carré, spécialiste en cardiologie et maladies vasculaires, de l’Inserm. À 10 h 30 : - Audition commune de : . Dr Albert Scemama, chef de projet au service évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours de la Haute autorité de santé, . M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques, et de Mme Irène Margaritis, chef de l'unité évaluation des risques liés à la nutrition, de l'Anses, . Dr Alain Frey, président de la Société française de traumatologie du sport (SFTS) et membre du conseil d’administration de la Société française de médecine de l’exercice et du sport (SFMES), . Mme Christelle Gautier, cheffe de projet Stratégie Nationale Sport Santé au ministère des sports. À 17 heures Salle n° 245 et en téléconférence

- Examen des amendements de séance sur le texte de la commission n° 270 (2020-2021) sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au lundi 18 janvier 2021 à 12 heures. Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3771

Commission des finances

Mercredi 20 janvier 2021 À 10 h 30 Salle n° 131 et en téléconférence

- Examen du rapport de M. Jérôme BASCHER, rapporteur, et élaboration du texte de la commission sur le projet de loi n° 225 (2020-2021) autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine. Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote. Les délégations de vote sont autorisées dans les conditions prévues par le Règlement. - Désignation d’un rapporteur sur le projet de loi n° 3236 (A.N. XVe lég.) ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. - Désignation d’un rapporteur sur la proposition de loi n°2581 (A.N. XVe lég.) relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement. À 16 h 30 Salle n° 263 et en téléconférence

Captation vidéo - Audition de M. Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, et de MM. Jean de Loisy, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts, Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’arts et Damien Valero, président de l'association des anciens élèves de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad - Alumni Paris) pour suite à donner à l’enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l’article 58-2° de la LOLF, sur l’enseignement supérieur en arts plastiques. Jeudi 21 janvier 2021 À 9 h 30 Salle n° 263 et en téléconférence

Captation vidéo - Audition de M. , ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, sur les résultats de l’exercice 2020.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3772

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Mardi 19 janvier 2021 À 14 heures Salle n° 216 et en téléconférence

- Examen des amendements éventuels au texte de la commission n° 262 (2020 2021) sur la proposition de loi n° 81 (2020-2021) tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, présentée par Mme Dominique Estrosi Sassone et plusieurs de ses collègues (rapporteur : M. Henri Leroy) - Examen des amendements éventuels au texte de la commission n° 266 (2020 2021) sur la proposition de loi n° 585 (2019-2020) visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage, présentée par M. Patrick Chaize, Mme Sylviane Noël, M. Alain Chatillon et plusieurs de leurs collègues (rapporteur : Mme Jacqueline Eustache-Brinio) Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote. Les délégations de vote sont autorisées dans les conditions prévues par le Règlement. Mercredi 20 janvier 2021 À 9 heures Salle n° 216 et en téléconférence

- Désignation d’un rapporteur sur le projet de loi n° 3649 rectifié (A.N., XVe lég.) confortant les principes de la République (procédure accélérée) (sous réserve de sa transmission) - Désignation d’un rapporteur sur le projet de loi organique n° 3713 (A.N., XVe lég.) relatif à l’élection du Président de la République (procédure accélérée) (sous réserve de sa transmission) - Examen des amendements éventuels au texte de la commission n° 272 (2020 2021) sur la proposition de loi n° 158 (2020-2021) visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, présentée par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (rapporteur : Mme Marie Mercier) - Examen du rapport de Mme Agnès Canayer et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 228 (2020-2021), adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs Le délai limite pour le dépôt des amendements, auprès du secrétariat de la commission (Ameli commission), est fixé au : Lundi 18 janvier 2021, à 12 heures

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021 3773

- Examen du rapport de M. Philippe Bas et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 254 (2020-2021) portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (procédure accélérée) Le délai limite pour le dépôt des amendements, auprès du secrétariat de la commission (Ameli commission), est fixé au : Lundi 18 janvier 2021, à 12 heures. Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote. Les délégations de vote sont autorisées dans les conditions prévues par le Règlement. Jeudi 21 janvier 2021 À 10 h 45 Salle ½ Clemenceau vestiaire et en téléconférence

Captation vidéo - Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et reportant la date de caducité des régimes institués pour faire face à la crise sanitaire

Commission des affaires européennes

Jeudi 21 janvier 2021 À 9 heures Salle René Monory et en téléconférence

- Projet de loi autorisant l'approbation de la décision (UE, EURATOM) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, EURATOM : communication de MM. Jean-François Rapin et Patrice Joly.

Commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique

Mardi 19 janvier 2021 À 13 h 30 Salle Médicis et en téléconférence

- Examen du rapport de M. Olivier Henno, Mme Corinne Imbert, M. Bernard Jomier et Mme Muriel Jourda, et du texte proposé par la commission spéciale sur le projet de loi n° 686 (2019-2020), adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique. Le délai limite pour le dépôt des amendements en commission (Ameli commission) est fixé au jeudi 14 janvier 2021 à 12 heures. Seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote. Les délégations de vote sont autorisées dans les conditions prévues par le Règlement.

Session parlementaire 2020 / 2021 – CR n° 12 – Semaine du 11 au 17 janvier 2021