Été / Summer 2021

Chris Sharp Katia Kameli Florence Jung Théo-Mario Coppola Christophe Bruno Camille Picquot Taysir Batniji

02 Revue d’art contemporain gratuite / 02 Free Contemporary Art Review Tarik Kiswanson Mirrorbody Carré d’Art, Nîmes VINCENT GEYSKENS 28.05.21 05.09.21 , 2020. Courtesy de l’artiste. Photo Vinciane Lebrun. © Tarik Kiswanson © Tarik Lebrun. Vinciane Courtesy Photo , 2020. de l’artiste. Nest

Dates & Infos : www.carreartmusee.com more info

GRAND ARLES EXPRESS 2021 LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE © Vincent Geyskens, ‘i conformisti’, 2020, oil on canvas, 60 x 80 cm. Photo: Lieven Herreman M-LIFE

Tarik_MIRRORBODY_02_20210507.indd 1 19.05.21 09:31 HASSAN SHARIF Circumnavigation I AM THE SINGLE WORK ARTIST jusqu’à épuisement JUSQU’AU 26 SEPT. 2021 Clarissa Tossin

Hassan Sharif, Jumping No.2, 1983, photographie sur carton, 98 × 73,2 cm, documentation de la performance à Dubaï, collection Guggenheim Abu Dhabi. Photo : Guggenheim Abu Dhabi. 01.07 — 31.10.2021

kunsthallemulhouse.com de l’artiste — Courtesy Brica Wilcox © Photo: cuite ; 18 cm x 10 5 Terre , 2021 Becoming Mineral

K51 A_P ZERO 2 210*297.indd 1 15/06/2021 18:09 Prix des Arts Visuels Une exposition proposée par Julien Arnaud Du 03/07 au 12/09/2021

26 JUIN 29 AOÛT 2021 FRANCESCO FONASSI MICHALA JULINYOVA BERNHARD RÜDIGER FLORENCE SCHMITT Anthony Bodin LEANDER SCHÖNWEGER Ariane Yadan Benoit Baudinat L’ATELIER Cendrine Robelin 1, rue Chateaubriand 44000 Nantes Tous les jours de 10h à 19h Entrée libre Julie Maquet VISUEL : BERNHARD RÜDIGER, LA MAISON DE L’HUMANISTE (DÉTAIL), 2016 / PHOTO ALBERTO RICCI COURTESY L’ARTISTE © ADAGP, , 2021 Un été au Frac Bretagne

(No )T im Ren e & a Francesco t e Go Ghost! Finizio

Lorenz

Boudry

Pauline

Onanism Sorcery Laura Gozlan

Exposition / Exhibition 29.05 – 28.08.2021 Commissariat et production / Curated and produced by 40mcube du Frac ne Du mercredi au samedi, 14h - 19h e Zo auv From Wednesday to Saturday 2 pm - 7 pm PrixM A Fermé les jours fériés / Closed on bank holidays rt Bretagne No ra c MARION VERBOOM PEPTAPON Entrée libre du mercredi au dimanche de14h à19h audimanche dumercredi libre Entrée / T.www.le-carre.org 02430788 96 surMayenne 53200 Château-Gontier Lemonnier Rue duGénéral DUGENÊTEIL CHAPELLE 2021 12 JUIN›29AOÛT de Laurent Faulon Commissariat et Lucien Boidin-Ropiquet Killian DuarteBrandao participation Sonia MartinsMateus Anne Sarah Sanchez Mariam Beltoueva Gabriela Esparon

Florimon Dupont ÉPidermique Basile Frechon Anouk Fraisse Marilou Perez Léo Barranco Paul Caharel Charlotte Bayle Avec

married Just le-shed.com du 11 juinau1 er août2021

du 5 juin au 1er août 2021 le-shed.com

Photo Laurent Folon Photo Charlotte Bayle design Peters Bernard, chambresix.com Dorothea Lange,FarmSecurityAdministration Photographs,1939(c)TheNewYorkPublicLibraryDigitalCollections. D e matter campagne isins v e Gabriela a Galerie Duchamp Jonathan l Sophie d n c Gabriela a parcours public juin 19 YaS Yoann t r Sandra l d e www.voisins-D lina b ormandie r écile b eiS elaunaY lina b mina b t, a rotheruS hommerel, tatianaWolS rotheruS f fact uboS eau auchâteaudet lain Sonneville,Stéphanet ecoq, Jonathanl , Sophied enabderrahmane, a lberG oppin aum lberG

ouen, aud c au château d’Yville, c auchâteaud’Yville, // e-campaG

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19 septembre 2021 19 septembre S // ur une invitation du Frac ur uneinvitationduFrac

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omaine deb ne.orG écile b c, Jeand amperS oppin, k lexandra b onneville, onneville, , r eau, eau, ka ueS et, ubuFFet, odolphe odolphe oiS otS naY - hidet, hidet, cha cha h ircken, éroult, éroult, CRAC Centre Régional d’Art Contemporain Instagram @crac_occitanie Entrée libre Occitanie / Pyrénées Méditerranée Facebook @crac.occitanie et gratuite à Sète 26 quai Aspirant Herber Ouvert tous les jours (sauf le mardi) F-34200 Sète de 12 h 30 à 19 h et le week-end de 14 h à 19 h. +33 (0)4 67 74 94 37 crac.laregion.fr [email protected] CRAC Occitanie / Pyrénées-Méditerranée expositions prolongées jusqu’au 05 septembre 2021 Sur terre et sur mer A Little Night Music avec le Codex Seraphinianus (And Reversals) Exposition personnelle Exposition personnelle de de Luigi Serafini Than Hussein Clark

Luigi Serafini, Than Hussein Clark, Planche du Codex Seraphinianus. Tragedy of the Confidantes (Seeing), 2020. Platinotype. Courtesy de l’artiste Courtesy de l’artiste et de la Galerie Crèvecœur

dans le cadre du projet

Reverse Universe de la commissaire Marie de Brugerolle

Champagne CATHY Ardenne JOSEFOWITZ & SUSIE GREEN EMPEMPTYTY RROOMOOMS FULL OF Duvivier MY APPROPRIATION Photo : Pierre Antoine Margo t & OF HER HOLY HOLLOWNESS

LOLOVEVE Audouz e Léa :

du 19 mai aphisme au 22 août 2021 G r DU 11 JUIN AU 22 AOÛT

FRAC Champagne-Ardenne www.frac-champagneardenne.org 1, place Museux - 51100 Reims Suivez-nous sur Facebook Ouvert du mercredi au dimanche (FRAC Champagne-Ardenne) Commissaire associée : de 14h à 18h et Instagram (fracchampagneardenne)

RAPHAELA VOGEL Le FRAC Champagne-Ardenne est soutenu par la DRAC Grand Est – Ministère de la Culture, la Région Grand Est Juliette Desorgues et la Ville de Reims. Il est membre des réseaux Bulles et Platform. Le FRAC Alsace, le FRAC Champagne-Ardenne et le 49 Nord 6 Est — FRAC Lorraine constituent le réseau des trois FRAC du Grand Est. La Rinus Ruta Van de

Natural VeldeEt sa sélection d’œuvres de la collection du Frac, John Armleder, Jimmie Durham, — —Armen Eloyan, Tomasz Kowalski, Peter Saul, Ettore Spalletti, Laurent Tixador, Rosemarie Exposi- Trockel

Et Kati Heck, ♥♥♥.fracdespaysdelaloire.com ↗ tion artiste associée au projet 21 Quai des Antilles, 44200 Nantes ⮮

Nantes régionalFonds d’art contemporain

— des 🌞🌞 Pays

Frac 02.07 de la Loire Frac / 24.10. 21 07Sommaire

Guest Reviews

La vie à elle-même Kapwani Kiwanga Christophe Le Crédac, Ivry-sur-Seine 83 Bruno Tarik Kiswanson par / by Jean-Paul Fourmentraux Carré d’art, Nîmes avec Isabelle Andriessen, Bianca Bondi, Dora Budor, 84 Interview Raphaela Vogel Tiphaine Calmettes, Grégory Chatonsky, Rochelle Goldberg, 28-37 Confort Moderne, Poitiers 85 Laure Vigna et Flora Katz, curatrice Chris Sharp Luigi Serafini et Than Hussein Clark par / by Patrice Joly CRAC, Sète 86 18-25 Qalqalah Kunsthalle Mulhouse Katia Kameli 87 Charlotte Charbonnel par / by Anysia Troin-Guis Le Creux de l’enfer, Thiers 40-47 88 Théo-Mario Coppola par / by Vanessa Morisset 58-64 Taysir Batniji par / by Guillaume Lasserre 48-55 Portfolio Camille Picquot 68-75 Florence Jung par / by Antoinette Jattiot Exposition collective • 13 juin  5 septembre 2021 76-80

De septembre à juin : Du mardi au vendredi : 14 h-18 h Samedi et dimanche : 11 h - 13 h et 14 h - 18 h En juillet-août : 02#97 tous les jours : 11 h - 13 h et 14 h - 18 h Été / Summer 2021

Le projet « Symbioses or the Green Bead Bores Its Way up 2018 , [détail]. Courtesy l’artistede Miguel et Abreu Gallery, NewYork. a Spiral Staircase Through the Water to Burst Against the Sheet of Glass » de Laure Vigna a été sélectionné par la commission mécénat de la Fondation des Artistes qui lui a apporté son soutien. En couverture / Cover Directeur de la publication / Rédacteurs / Contributors Secrétariat de Rédaction / Éditeur / Publisher Camille Picquot, Modern smoker, Publishing Director Sandra Barré, Jean-Paul Proofreading Association Zoo galerie 30 × 45 cm, photographie Rédacteur-en-chef / Fourmentraux, Antoinette Jattiot, Horya Makhlouf 10 rue Bonne Louise DigestingGold argentique, tirage pigmentaire Editor-in-Chief Patrice Joly, Guillaume Lasserre, 44 000 Nantes (F) sur dibond / Silver photograph. Patrice Joly Ilan Michel, Vanessa Morisset, Publicité / Advertising [email protected] Pigment print on dibond. Camille Picquot, Anysia Troin-Guis. Patrice Joly Avec le soutien du Fonds Mondriaan, du Centre culturel [email protected] Avec le soutien canadien à Paris, de la Fondation Henry Moore de la Ville de Nantes et de Miguel Abreu Gallery. Le Centre international d’art et du paysage est un Centre Traduction / Translation d’art contemporain d’intérêt national financé par Simon Pleasance, Graphisme / Graphic Design la Région Nouvelle-Aquitaine et le Ministère Juliette Raulet-Descombey Aurore Chassé Textes inédits et archives sur Île de Vassivière de la Culture – DRAC Nouvelle-Aquitaine. www.zerodeux.fr F-87120 Beaumont-du-Lac Il est médiateur de l’action Nouveaux Commanditaires Impression / Printing Unpublished texts and archives pour la Fondation de France. Ziur Navarra, Espagne www.zerodeux.fr/en +33 (0)5 55 69 27 27 Le bâtiment du Centre d’art, construit en 1989-91 par les architectes Aldo Rossi et Xavier Fabre, Il est membre des réseaux nationaux d.c.a et Arts en

www.ciapiledevassiviere.com est une Architecture contemporaine remarquable. résidence ainsi que du réseau régional Astre. RochellePhoto : Goldberg, 18Interview Chris Sharp 19Interview Chris Sharp

Chris Sharp

en conversation— avec Patrice Joly

Avec « La Mer imaginaire », Chris Sharp nous offre de connaissances et d’affinités, et qui implique de une vision très éclectique de l’imaginaire lié à la mer, faire des choix, des articulations, des associations, jouant sur les différentes acceptions de l’imaginaire, plus que complexes afin de donner sens et forme dont celles qui renvoient à l’imagination ou à son à une exposition ? En l’occurrence, il semble que côté chimérique. Profitant de la localisation de ce projet remonte à une très ancienne rencontre la Villa Carmignac au cœur de l’île de Porquerolles d’une part : celle de l’un des personnages d’un — bijou méditerranéen au large de la presqu’île roman de Nabokov1, et, de l’autre, de la volonté de Giens —, d’œuvres déjà présentes à l’intérieur de trouver des réponses à certaines interrogations d’un espace qui fait d’emblée penser à un aquarium, liées aux animaux — laissées alors en suspens —, le curateur américain, qui connaît parfaitement à leur proximité, à ce qu’ils nous inspirent la scène européenne et son histoire, développe et à ce qu’ils nous disent de notre humanité ? une thématique qui semblait faite pour le lieu. Effectivement, c’est un peu modeste, et c’est même L’exposition alterne les œuvres « sérieuses » une blague, de décrire le travail de curateur, comme et les plus « légères », les œuvres historiques s’il s’agissait d’un tour de magie. Vous l’avez bien et les productions de jeunes artistes. Si l’on perçoit décrit. J’ajouterai seulement qu’idéalement, les en arrière-plan une inquiétude quant au devenir artistes et l’exposition engendrent le commissaire d’un océan que la fébrilité humaine menace autant que le commissaire crée le show. Cette de toutes parts, « La Mer imaginaire » ne sombre pas exposition, pour moi, aurait été inconcevable dans une mélancolie à laquelle il eut pourtant été sans avoir connu le travail de Jochen Lempert, facile de succomber. Bien au contraire, l’exposition Michael E. Smith, Shimabuku, Lin May Saeed, ne manque pas d’humour, alignant volontiers des parmi d’autres ; dans certains cas, ces rencontres œuvres joueuses, qui déjouent les habituels clichés remontent à plus de dix ans. Ce sont eux qui sont liés à la mer. Des œuvres qui nous forcent aussi à l’origine des pensées que l’on retrouve dans à nous rapprocher davantage d’une nature qu’il est la réalisation de « La Mer imaginaire ». C’est par eux, de plus en plus urgent d’arrêter de regarder de toute par exemple, que j’ai appris que questionner

la hauteur de notre immodestie, pour la considérer nos relations dominantes, violentes et narcissiques Micha Laury, Sans titre (Les Méduses), 2006. plutôt comme partageant la même destinée. avec le règne animal est d’une urgence primordiale. C’est aussi d’eux que j’ai compris que la supposition P.J. Comment est né le principe de cette exposition ? égoïste de notre supériorité sur le règne animal Aviez-vous déjà travaillé sur ces thématiques n’est que la preuve de notre infériorité, et que cela de la mer et de l’imaginaire qu’elle draine, ou bien est d’une tristesse presque infinie, qui mérite, est-ce une intuition, de la part des commanditaires, enfin, une sorte de compassion envers nous-mêmes que ce sujet allait vous inspirer ? (cela constitue en grande partie le pathos C.S. L’idée de cette exposition provient de l’espace incomparable du travail de Jochen Lempert). lui-même et d’une envie que j’ai depuis longtemps En même temps, c’est évident que la beauté formelle de faire une exposition sur la thématique de beaucoup d’œuvres dans l’exposition, comme de l’histoire naturelle, avec tous ses enjeux liés celles de Matisse, de Jean Painlevé, de Paul Klee

à l’actualité et les questions du grand public. ou bien de Gabriel Orozco, n’existerait pas sans 2021. Paris, Domage Photo : Marc © ADAGP, (Porquerolles). Carmignac / Exhibition of « La view Fondation imaginaire », Mer de l’exposition Vue Quand j’ai découvert l’espace de la fondation avec une réelle admiration pour la vie sous-marine. les merveilleuses œuvres in situ de Bruce Nauman — une fontaine flottante de poissons en bronze — Cet éclectisme assez incroyable, historique et la grande peinture panoramique sous-marine et géographique, tranche avec beaucoup de Miquel Barceló, ainsi que le plafond d’eau d’expositions qu’on a l’habitude de voir. (sans compter le fait que la Villa se trouve sur une Attribuez-vous vous ce dernier à votre double île), j’ai compris tout de suite que c’était le contexte appartenance culturelle, européenne et américaine idéal pour une telle exposition. La Villa était déjà (du Nord et du Sud) — transatlantique donc ! —, à moitié comme un aquarium ; il fallait juste remplir qui fait que vous avez une connaissance équivalente l’autre moitié avec des créatures de la mer. de ces deux scènes ? Est-ce un atout ou plutôt une difficulté supplémentaire lorsqu’il faut choisir 1 Chris Sharp, introduction J’aime bien ce « juste » remplir : n’est ce pas dans un réservoir aussi vaste de références ? au catalogue de « La Mer une considération un peu modeste pour un travail Merci. J’ai eu la grande opportunité de vivre imaginaire », p.10. Éditions Jean Boîte, 2021. — celui de curateur — qui représente une somme et travailler dans différentes villes et, comme tous 20Interview Chris Sharp 21Interview Chris Sharp

les curateurs, je cherche toujours à agrandir ma ce pan-là de l’imaginaire marin, même « par la très éloignée de celle de Paul Klee (Orozco est connaissance de l’art. Ça va de soi que l’exposition bande » — ce qui est difficilement évitable en 2021 ? un grand formaliste) — même si les deux positions aurait pu inclure plus d’artistes de l’Asie, etc., Ça aurait été une autre expo, effectivement. sont inversées : Klee se sert de la nature pour aller mais les problématiques sont enracinées dans « La Mer imaginaire » se veut une plongée dans et vers l’abstraction, alors qu’Orozco se sert de l’Ouest, Descartes, et le siècle des Lumières, une balade sous la mer, ainsi que dans l’imagination. l’abstraction pour aller vers la nature, ou le naturel. donc ça reste essentiellement une exposition Il ne s’agit pas de ce qui se passe en surface — même Quoi qu’il en soit, je crois que c’est impossible de l’Occident — bien que la vie sous-marine si ces questions-là sont très importantes, comme d’échapper à l’anthropomorphisme — nous sommes, soit menacée partout dans le monde. celle de l’immigration — mais plutôt dedans. après tout, des êtres humains, nous ne pouvons pas D’ailleurs, je crois que la question de son intérieur, expérimenter le monde autrement — mais peut-être Le concept de solastalgie est au cœur de votre son contenu, est beaucoup plus urgente que tout est-il possible d’échapper à l’anthropocentrisme projet d’exposition, il consiste en une détresse ce qui se passe au-dessus. Les gens sont toujours en revanche. La preuve peut en être trouvée causée par l’anticipation d’un désastre écologique un peu surpris quand je parle d’artistes comme dans l’existence de tant de cultures indigènes qui à venir ; pour beaucoup, ce désastre est déjà là. Jochen Lempert et Lin May Saeed comme maintenaient un rapport beaucoup plus réciproque Il suffit de constater la chute de la population des artistes politiques — vu qu’il s’agit de rapport et respectueux avec le monde naturel. Cette solution des abeilles ou la raréfaction de la ressource animal/humain dans leur travail — mais je crois peut s’entendre comme un pas en arrière, halieutique, déjà évoquée dans les années soixante que ces artistes sont beaucoup plus pertinents mais je crois que c’est devenu une simple question par une précurseuse comme Anita Conti2. La mer que quelqu’un comme, par exemple, Ai Weiwei. de comment survivre. a longtemps été considérée comme un réservoir Alors que ce dernier adore se pencher sur l’actualité, inépuisable de richesses destinées à nourrir Lempert, Lin May ou Gilles Aillaud s’engagent Difficile d’échapper à l’objectivation et à la l’humanité. Cela fait d’ailleurs partie d’un autre sur quelque chose de beaucoup plus constant, spectacularisation de l’animal… Dans son essai, imaginaire qui remonte à la nuit des temps, celui de fondamental, voire de primordial, avec Filipa Ramos3 rappelle à quel ordre de la de la considération de la nature comme un bien des conséquences qui nous importent tous. distanciation le dispositif historique du muséum disponible à volonté : on sent que cet imaginaire d’histoire naturelle — puis du musée d’art — obéit : est en train de basculer dans son contraire, qu’il Est-ce pour cette raison que Nicolas Floc’h est aussi un discours qui établit et impose une pensée faut absolument protéger ce bien si nous voulons présent dans la Mer imaginaire, réalisant au Fort pyramidale, de même qu’il essentialise une continuer à vivre sur une planète habitable. Saint Agathe une exposition dans l’exposition, opposition sujet-sujet, nature-culture dont Pensez-vous que l’art puisse avoir un quelconque aux allures de plaidoyer pour la sauvegarde nous continuons à endosser (à subir) l’empreinte effet dans ce nécessaire renversement, ne serait-ce du littoral : une exploration photographique culturelle. Bien qu’elle reconnaisse que l’art qu’en travaillant cet imaginaire-là ? des fonds sous-marins qui échappe à l’habituel contemporain reconduit dans une large part Bonne question. Dans la plupart des cas, j’ai des traitement touristico-spectaculaire, pour privilégier ces dispositifs, elle reste optimiste sur sa capacité doutes sur la capacité de l’art à provoquer de vrais une vision plus réaliste et légèrement inquiétante — liée à ses spécificités — de déconstruire ces changements politiques, mais dans ce cas précis, de l’état de la flore marine. oppositions de l’intérieur. Dans quelle mesure je crois que ça commence justement avec Justement, c’est bien pour ça. Avec cette exposition, pensez-vous avoir échappé à cette structuration l’imaginaire. La possibilité de concevoir une autre j’ai cherché à donner une perspective assez historique de l’exposition avec « La Mer perception du rapport animal/humain, ou bien, prismatique sur le sujet de la mer. Je voulais qu’il y imaginaire » ? nature/culture est déjà un grand pas vers une ait des moments difficiles, comme dans le travail Oui, c’est presque un cercle vicieux. Bien que nouvelle façon de s’entendre avec le monde de Nicolas, ainsi que poétiques et joyeux, parfois le modèle de l’exposition soit assez classique, naturel — après quoi, vient le langage. Par exemple, dans la même œuvre, comme par exemple j’ai cherché à rendre le visiteur conscient l’idée de l’anthropocentrisme dont l’Occident dans les travaux de Cosima von Bonin et de Micha du dispositif de deux façons : la première, par une est si friand — qui nous permet, d’ailleurs, de voir Laury — l’une apparemment ludique, l’autre quasi-juxtaposition au début du tableau de Gilles la mer « comme réservoir inépuisable de richesses spectaculaire, mais tous les deux recèlent un côté Michael E. Smith, Untitled, 2017. Aillaud, dans lequel nous sommes confrontés Poissons, métal, plastique / Fish, metal, plastic, 163 × 30 × 23 cm. Courtesy Michael E. Smith & KOW, . destinées à nourrir l’humanité » — paraît de plus fort critique. Collection De Vleescouwer – Pieters. © Michael E. Smith. Photo : Marc Domage. à une image de poissons plutôt tristes qui nous en plus indéfendable. Le surgissement d’un nouveau regardent d’un aquarium à moitié plein et négligé. paradigme introduit par la notion d’anthropocène Pour rebondir sur Micha Laury, l’extraordinaire Ce tableau est placé à côté d’une photo de Jochen (même si ce n’est pas vrai à 100 %) a été un grand variété chromatique de ses méduses nous amène Lempert, celle d’un père et de son bébé, choc, je crois, pour beaucoup de gens. C’est difficile à penser qu’il leur a inventé un spectre coloré qui regardent des poissons à travers la vitre de revenir en arrière. Je déteste l’idée tout-à-fait imaginaire, lorsqu’il n’a fait que s’inspirer d’un aquarium. Nous sommes regardés par ceux d’instrumentaliser l’art dans un but quelconque, du réel. Si les températures atmosphériques que l’on regarde. Il n’y rien de naturel dans cet surtout éducatif, mais c’est indéniable qu’une continuent leur courbe ascendante, cet animal, aux échange, et je crois, ou au moins j’espère, qu’une fois grande partie de la beauté de l’art consiste capacités d’adaptation proprement surprenantes, qu’on s’en aperçoit, il devient impossible 2 Dans la plupart des ouvrages qu’elle a publiés, Anita Conti, en sa capacité à engendrer de nouvelles possibilités, risque de devenir la population majoritaire des de ne pas reconnaître la bizarrerie fondamentale une des premières femmes à voir, comprendre (ou mal comprendre) océans, s’accommodant parfaitement des dérives de la situation. La deuxième manière de signaler à avoir été embarquée sur un bateau de pêche en haute mer ou expérimenter le monde. climatiques et de l’invasion des plastiques, le dispositif au visiteur est qu’au contraire dans les années 50, met déjà qu’il investit avec gourmandise, lorsque les d’un aquarium classique, il n’y pas de vitres, même l’accent sur la raréfaction des bancs de morue dans les zones En même temps, l’imaginaire auquel vous faites mammifères, oiseaux marins et autres poissons pas de cloisons dans l’espace de l’exposition : proches de l’Europe et de l’aberration d’une pêche qui référence est un imaginaire relativement apaisé, en subissent les effets mortifères. Des espèces tout est ouvert et fluide (forcément — parce que se concentre sur une seule « neutre »… On aurait pu s’attendre à ce que cet qui disparaissent c’est aussi un imaginaire ce n’est pas un vrai aquarium — mais j’ai quand espèce, délaissant les autres poissons que les pêcheurs imaginaire de la mer soit envisagé dans son versant qui rétrécit… Faudra t-il massivement, dans l’avenir, même voulu donner l’impression de se balader sous rejettent à la mer comme plus problématique : celui qui la fait théâtre inventer des formes nouvelles, comme le font l’eau). On se trouve, symboliquement, dans la mer, de vulgaires déchets (voir notamment le sublime de luttes perpétuelles, de batailles (navales), les œuvres de Gabriel Orozco que vous présentez, avec des animaux. récit de son passage sur d’Homère à Stevenson, d’enjeux de territoires, au risque de coloniser-anthropiser encore un peu le chalutier-saleur Bois-Rosé, Racleurs d’Océan, Petite de la violence des déplacements forcés et de la plus l’imaginaire de la mer ? Bibliothèque Payot, 2017) disparition des migrants — pas seulement celle Je ne sais pas. C’est marrant, la position de Gabriel Bianca Bondi, The fall and rise, 2021. 3 Filipa Ramos, L’éléphant Vue de l’exposition / Exhibition view of « La Mer imaginaire », Fondation Carmignac (Porquerolles). dans la pièce, p.54. des animaux marins. Pourquoi ne pas aborder Orozco dans cette exposition n’est finalement pas Photo : Marc Domage © ADAGP, Paris, 2021. 22Interview Chris Sharp 23Interview Chris Sharp

Chris Sharp

in conversation— with Patrice Joly

With “The Imaginary Sea”, Chris Sharp offers us task—that represents a sum of knowledge a very eclectic vision of the imaginary dimension and affinities, and which involves making choices, associated with the sea, playing on the differing connections and associations which are all quite accepted meanings of “imaginary”, including complex in order to lend meaning and form those which refer to the imagination proper, or its for an exhibition? As it happens, it would seem chimerical aspect. Making the most of the location that this project dates back to a very old encounter, of the Villa Carmignac in the heart of the island on the one hand: a meeting with one of the of Porquerolles—a Mediterranean gem lying off the characters in a Nabokov novel,1 and, on the other, Giens peninsula--, with works already present inside the desire to find answers to certain questions a space which immediately calls an aquarium related to animals—then left unresolved—, to mind, the American curator, who is thoroughly their closeness, what they inspire in us, and acquainted with the European scene and its history, what they say about our humanity? is developing a theme which seemed made for the It is in fact a little modest, and it’s even a joke, place. The exhibition alternates between “serious” describing the curator’s work as if it were a magic and “lighter” works, historical works and the output trick. You’ve described it well. I would simply add of young artists. If we sense in the background that, ideally, artists and the exhibition create an anxiety about the future of an ocean threatened the curator as much as the curator creates from all directions by human feverishness, “The the show. For me, this exhibition would have been Imaginary Sea” does not wallow in a melancholy inconceivable without having known the work to which it would nevertheless have been easy of Jochen Lempert, Michael E. Smith, Shimabuku, to succumb. Quite to the contrary, the exhibition and Lin May Saeed, among others; in some cases, does not lack wit, readily arraying, as it does, those meetings go back more than ten years. various playful works, which avoid the usual clichés They lie at the root of the lines of thought we find connected with the sea. Works which also force in the making of “The Imaginary Sea”. It is through us to get closer still to a nature which it is more them, for example, that I learnt that questioning and more urgent to stop looking at from the full our dominant, violent and narcissistic relations loftiness of our immodesty, to consider it rather with the animal kingdom is of vital urgency. It is also as sharing the same fate. from that thinking that I realized that the selfish Allison Katz, Whale II, 2014. Jean Painlevé, Buste de l’Hippocampe, 1931. Huile sur toile / Oil on canvas, 244 × 122 cm. Courtesy the artist. Tirage vintage unique / Unique vintage print, 141 × 98 cm. © Les Documents Cinématographiques, Paris. supposition of our superiority over the animal P.J. How did the principle behind this exhibition kingdom is merely the proof of our inferiority, come about? Had you already worked on these and that this is something almost infinitely themes of the sea and the imagination, or is it sad which, in the end of the day, deserves a sort to do with a hunch, on the part of the people of compassion towards ourselves (this largely commissioning the show, that this subject would represents the incomparable pathos of Jochen inspire you? Lempert’s work). At the same time, it is clear that C.S. The idea for this show comes from the space the formal beauty of many works in the exhibition, itself, and from a desire I’ve had for a long time to like those of Matisse, Jean Painlevé, Paul Klee put on an exhibition on the theme of natural history, and Gabriel Orozco, would not exist without a real with all its challenges connected with the current admiration for submarine life. situation and issues to do with the general public. When I discovered the space at the foundation with This rather incredible, historical and geographical Bruce Nauman’s wonderful in situ works—a floating eclecticism contrasts with a lot of shows we’re fountain with bronze fish—and Miquel Barceló’s accustomed to seeing. Do you attribute this large panoramic submarine painting, as well the to your twofold cultural membership, ceiling of water (without mentioning the fact that European and American (North and South) the Villa is located on an island), I immediately —so transatlantic!—which means that you have realized that it was the ideal setting for such a show. an equivalent knowledge of these two scenes? The Villa was already half like an aquarium; you just Is this an advantage or, rather, an added difficulty had to fill the other half with sea creatures. when you have to choose from such a vast array 1 Chris Sharp, introduction of references? to the catalogue of “The Thanks. I’ve been extremely lucky for having lived Vue de l’exposition / Exhibition view of « La Mer imaginaire », Imaginary Sea”, p. 10, I like the way you say “just”: isn’t that a slightly Fondation Carmignac (Porquerolles). Editions Jean Boîte, 2021. modest qualification for a task—a curator’s and worked in different cities and, like all curators, Photo : Marc Domage © ADAGP, Paris, 2021. 24Interview Chris Sharp 25Interview Chris Sharp

I’m always trying to enlarge my knowledge of art. The emergence of a new paradigm introduced by Nicolas Floc’h, It goes without saying that the exhibition could the Anthropocene notion (even if it is not 100% true) Plage d’argent, 2020. © ADAGP, Paris, 2021. have included more artists from Asia, and so on, was a great shock, I think, for a lot of people. It’s but the issues are rooted in the West, Descartes hard to go back. I hate the ideas of exploiting art for and the Enlightenment, so it remains essentially any kind of purpose, above all educational, but it is an exhibition of the West—even if submarine life undeniable that much of the beauty of art consists in is under threat all over the world. its capacity to create new possibilities when it comes to seeing, understanding (or misunderstanding) The concept of solastalgia lies at the heart of your and experimenting with the world. exhibition project, it consists in a distress caused by the anticipation of an ecological disaster in the At the same time, the imagination you are referring offing; for a lot of people, this disaster is already to is a relatively calm and “neutral” imagination… here. You just have to be aware of the drop in the We might have expected that this imagination bee population or the ever rarer fish resources, of the sea be seen in its more problematic aspect: already brought up in the 1960s by a precursor like the one that turns it into a theatre of perpetual Anita Conti.2 The sea has long been regarded an struggles, (sea) battles, Homer to Stevenson, inexhaustible reservoir of riches designed to feed territorial challenges, the violence of forced humanity. This, incidentally, is part of another displacements and the disappearance imagination which goes back to the dawn of time, of migrants—not only that of marine creatures. an imagination involving the consideration of Why not tackle this particular part of the marine nature as an asset that is always available: we can imagination, even indirectly—which it is hard sense that this imagination is in the process of to avoid in 2021? tipping over into its opposite, that it is absolutely That would have been a different show, in fact. vital to protect this asset if we want to go on living “The Imaginary Sea” is intended as a plunge into and on an inhabitable planet. Do you think that art can a stroll under the sea, as well as in the imagination. have any kind of effect in this necessary upset, What is involved is not what goes on on the if only by working on this particular imagination? surface—even if these particular questions are very Good question. In most instances, I have my doubts important, like the issue of immigration—but rather 2 In most of the books she has published, Anita Conti, about art’s capacity to give rise to real political inside. What is more, I think that the question one of the first women to have changes, but in this particular case, I think that of its interior, its content, is much more pressing from reality. If atmospheric temperatures carry on museum—complies with: an argument which embarked on a fishing boat on the high seas in the 1950s, the process starts, precisely, with the imagination. than everything happening above the sea. People are along their rising graph, this animal, with its establishes and imposes a pyramidal way already emphasizes the The possibility of conceiving of another perception invariably a bit surprised when I talk about artists depletion of shoals of cod in altogether surprising adaptation capacities, risks of thinking, just as it essentializes a subject-subject, areas close to Europe, and the of the animal/human relation, or else nature/culture like Jochen Lempert and Lin May Saeed as political becoming the majority population of the oceans, nature-culture contrast, whose cultural footprint aberration of a fishing method focusing on a single species, is already a major step towards a new way artists—given that what is involved is an animal/ adapting perfectly to climatic shifts and the we are still adopting (and undergoing). leaving behind the other fish of getting along with the natural world—after human relation in their work—but I think that these invasion of plastic, which it uses with great relish, Although she recognizes that contemporary art is which fishermen toss back into the sea like so much ordinary which comes language. For example, the idea artists are much more relevant than someone like, while mammals, seabirds and fish all suffer to a great extent re-using these arrangements, waste (see in particular the of anthropocentrism which the West is so keen for example, Ai Weiwei. Whereas this latter loves the lethal effects of plastic. Species disappearing she is still optimistic about art’s capacity sublime tale of her time spent on the trawler-cum-salter on—and which, incidentally, enables us to see the sea focusing on the current situation, Lempert, Lin May is also an imagination that shrinks… In the future, —associated with its specific features— spreader Bois-Rosé, Racleurs as an “inexhaustible reservoir of riches designed to and Gilles Aillaud are involved in something much d’Océan, Petite Bibliothèque should we invent new forms on a massive scale, to deconstruct these contrasts from within. Payot, 2017). feed humanity”—seems more and more indefensible. more constant, fundamental and even primordial, the way the works of Gabriel Orozco, which To what degree do you think you have sidestepped with consequences which affect us all. you are showing, do, at the risk of colonizing this historical organization of the exhibition and anthropizing the imagination of the sea a little with “The Imaginary Sea”? Is this why Nicolas Floc’h is also present in the bit more, still? Yes, it’s almost a vicious circle. Although the Imaginary Sea, producing at the Fort Saint Agathe I don’t know. It’s funny, Gabriel Orozco’s stance exhibition model is quite classic, I’ve tried to make an exhibition within the exhibition, in the guise in this show is in the end not very far removed visitors aware of the system in two ways: the first, of making the case for safeguarding the coastline: from that of Paul Klee (Orozco is a great formalist) through a quasi-juxtaposition at the start of Gilles a photographic exploration of the sea bed which —even if the two positions are reversed: Klee uses Aillaud’s picture, in which we are confronted by an sidesteps the usual tourist-cum-spectacular nature to head towards abstraction, while Orozco image of rather sad-looking fish looking at us from treatment, and favours a more realistic and slightly uses abstraction to head towards nature, or the a half-full and neglected aquarium. This picture worrying vision of the state of marine flora…? natural. Whatever the case, I think it’s impossible is placed beside a photo by Jochen Lempert, showing Precisely, that is indeed why. With this exhibition to escape from anthropomorphism—but perhaps a father and his baby, looking at fish through I’ve tried to offer a somewhat prismatic perspective it’s possible to escape from anthropocentrism, the glass side of an aquarium. We are being looked at on the subject of the sea. I wanted there to be on the other hand. The proof of this may be found by what we are looking at. There is nothing natural difficult moments, as in Nicolas’ work, as well as in the existence of so many indigenous cultures which in this exchange, and I think, or at least I hope, poetic and joyful times, sometimes in the same work, maintained a much more reciprocal and respectful that once you realize all this, it becomes impossible like for example in the works of Cosima von Bonin relationship with the natural world. This solution not to acknowledge the basic weirdness of the and Micha Laury—the one seemingly playful, the can be taken as a step backwards, but I think situation. The second way of pointing out the system other spectacular, but both containing a very critical it’s become a simple question of how to survive. to the visitor is that, unlike a classic aquarium, aspect. there are no glass sides, and not even partitions It’s difficult to sidestep the objectivization in the exhibition venue: everything is open and fluid Vue de l’exposition / Exhibition view of « La Mer imaginaire », Fondation Carmignac (Porquerolles). Talking of Micha Laury, the extraordinary chromatic and spectacularization of the animal… In her essay, (perforce—because it’s not a real aquarium—but Photo : Marc Domage 3 (à gauche / on the left) Shimabuku, Les feuilles nagent, 2011. variety of his jellyfish gets us thinking that he has Filipa Ramos reminds us what order of distancing all the same I wanted to give the impression Courtesy de l’artiste / the artist & Air de Paris, Romainville. invented a thoroughly imaginary colour spectrum the historical arrangement of the museum of wandering about under the water). Symbolically (à droite / on the right) Jeff Koons, Acrobat, 2003-2009. 3 Filipa Ramos, L’éléphant © Jeff Koons – Collection Carmignac for them, when all he’s done is draw inspiration dans la pièce, p.54. of natural history—and then of the art speaking, we are in the sea, with animals. 2627

POUR NE PAS Commissariat: Hicham Daoudi Exposition jusqu’au Mariam Abouzid Souali Mustapha Akrim Zainab Andalibe Mohamed Arejdal Hicham Ayouch Hassan Bourkia Diadji Diop DORMIR 19 septembre 2021 Simohammed Fettaka Moataz Nasr Khalil Nemmaoui Fatiha Zemmouri

JOCKUM NORDSTRÖM , 2019 du 19 mai au 29 août 2021 81 cm, collage, aquarelle, graphite et cayon sur papier ×

Musée régional d’art contemporain Exposition conçue pour la Saison Africa2020. Originellement prévue de juin à décembre 2020, la Saison Africa2020 a dû être décalée en raison de la crise Occitanie / Pyrénées-Méditerranée sanitaire, et se tiendra désormais de décembre 2020 à juillet 2021. 146 avenue de la plage, Sérignan mrac.laregion.fr © Jockum Nordström – courtesy de l’artiste et la Galleri Magnus Karlsson, Stockholm Jockum Nordström, Samma spelbord, samma mynt (Same Game Table, Same Coin) [Même table de jeu, même pièce], 99

Manifestation organisée dans le cadre de la Saison Africa2020 Comité des mécènes de la Saison Africa 2020 La Criée centre d’art contemporain – place Honoré Commeurec – Rennes 02 23 62 25 10 – www.la-criee.org – métro : République – bus : La Criée du mardi au vendredi : 12h à 19h, samedi et dimanche et jours fériés : 14h à 19h entrée gratuite

Le Lait Ouvrages de référence de l’artiste rangés par siècle une exposition à l’EESAB à Quimper LA et BELLEVUE à Douarnenez du 17 juillet au 20 août 2021, EESAB-site de Quimper, 8 esplanade François Mitterrand, Quimper GRANDE du 17 juillet au 20 août 2021, Bellevue, 4 rue des Iris, Douarnenez

Neven Allanic Guillaume Gouerou Tom Barbagli Ludovic Lignon Isabel Carvalho Néphéli Barbas Xavier Michel Simon Bérard Morgan Patimo Jeanne Berbinau Aubry Omar Rodriguez Sanmartin Langages tissés Arnaud Biais Justin Sanchez Ve av. J.- C. IXe XIVe XVe XVIe XVIIe Diane Blondeau Cédric Teisseire Valentin Faline Agathe Wiesner Jean-Baptiste Ganne Anne-Laure Wuillai Delphine Bertrand Céline Le Guillou Tom Giampieri Reda Boussella Simon Leroux Maxence Chevreau Kahina Loumi Lucie Férézou Fleur Noguera Camille Girard et Paul Brunet Renaud Perriches Thomas God Boris Régnier Loris Humeau Sylvain Rousseau Margaux Janisset Yoan Sorin LE Guillaume Le Clouërec Elsa Tomkowiak 03|07|21-17|10|21 A commissariat Bruno Peinado XVIIIe XIXe DIAGON une exposition à 28 rue Rochegude Ouvrages ayant inspiré Orla Langages tissés l’œuvre d’Isabel LA STATION à Nice 81000 Albi Carvalho : Os cantores dos Ar(a)c(né)-en-ciel planaltos fundem Avec le soutien de la Fondation du 2 juillet au 18 septembre 2021, La Station, 89 Route de Turin, Nice centredartlelait.com linguagens Calouste Gulbenkian Graphisme © The Shelf Company, 2021 © The Shelf Company, Graphisme 28Guest Christophe Bruno 29Guest Christophe Bruno

L’état d’esprit [de cette pièce] instaurée par : les mots-clés (keywords) n’est pas de faire un générateur de texte servant des annonces publicitaires (adwords) [...] mais c’est vraiment l’attitude pour la fabrication de succès de connexions fortuits de se positionner comme un parasite (les hits, ou les bons coups, comme au hit-parade). d’une structure globale qui est en train Mais ce projet fut rapidement entravé par Hacker Google / Contre d’émerger — Google — et qui contient dans l’entreprise Google, pour cause de non-rentabilité sa base de données l’ensemble de toutes les paroles de l’humanité [...], readymade commerciale, au prétexte que les mots renseignés la gouvernementalité que mon programme vient pêcher, détourner4. n’avaient pas assez de prix, de valeur. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une censure, morale Radicalisant cette démarche, l’artiste crée en 2002 ou même éthique, car ce que révèle cette affaire est algorithmique une performance de 24 h, Google Adwords moins le manque d’intérêt de Google pour la valeur Happening5, qui détourne et parodie la logique poétique de la démarche de l’artiste, que la sanction des adwords par laquelle Google accroît ses revenus économique face à l’échec présumé de la démarche. par Jean-Paul— Fourmentraux liés à la publicité par l’association des liens Christophe Bruno y voit quant à lui le symptôme commerciaux aux résultats de son moteur de d’un nouveau capitalisme, sémantique, instauré recherche. Le premier adword loué par Christophe par la firme Google qui s’approprie et transforme Bruno était le mot « symptom ». Lorsqu’un le langage en marchandise. internaute connecté à Google saisissait ce mot En tant que loueur du service adwords, dans la barre de son moteur de recherche, il tombait Christophe Bruno disposait lui-même de l’accès Cet article est un digest, Google est un champion de la démocratie Épiphanies et Adwords Happenings aux statistiques relatives à la performance en partie recomposé, tiré culturelle, mais sans culture En 2001, l’artiste crée ses premières Épiphanies2 : prioritairement sur le poème énigmatique suivant : de : Jean-Paul Fourmentraux, et à l’efficacité de ses adwords. Pour « symptom », antiDATA. La désobéissance et sans démocratie. Car il n’est un maître des « pièces » de (post) Net Art qui prolongent « Words aren’t free anymore/bicornuate-bicervical numérique. Art et Hacktivisme ni en culture (l’information n’est pas uterus one-eyed hemi-vagina ». Piratant le système il avait par exemple obtenu seulement 16 clics , Dijon, sur le Web l’œuvre de James Joyce. Au début technocritique la paideia) ni en politique (la démocratie d’internautes pour 5 517 vues du poème. Sa location Les Presses du réel, 2020. du XXe siècle, l’écrivain arpentait les rues par lequel Google entra en bourse, Christophe des clics n’est pas une démocratie1). de Dublin et notait dans son carnet, tout au long Bruno créa de nouvelles Épiphanies, étranges chiffrait donc un faible taux d’efficacité : 0,3 %. du parcours, des bribes de conversations et poétiques, qui parodiaient avec humour la logique Le prix de « symptom » étant de 0,05 $, l’artiste était Docteur en physique théorique, converti à l’art échangées entre les différentes personnes strictement commerciale et utilitariste du langage donc prélevé de 0,80 $. Un score bien maigre dans le courant des années 2000, l’artiste français qu’il pouvait croiser sur son chemin — conversations si on s’amuse à le comparer au prix d’autres mots, Christophe Bruno a pensé son œuvre comme dont il proposa de considérer la valeur poétique. dont la valeur Google témoigne à l’envi de la un véritable cheval de Troie contre l’hégémonie Au XXIe siècle, Christophe Bruno transpose mécanique corruptrice des adwords : « sexe » 3 800 $ de Google. Il s’est engagé en 2001 dans une entreprise cette dérive sensible et poétique dans l’univers — on pouvait s’y attendre, « art » 410 $ peut paraître systématique de détournement critique et prospectif, d’Internet et de Google. À partir d’un mot-clé dérisoire, « Dieu » 10 $ se passe de commentaire, souvent cocasse, des fonctionnalités et des usages saisi par un internaute dans la barre de recherche quand « free » 5 700 $ laisse pantois. Ironie du désormais célèbre et « incontournable » moteur du moteur, son générateur d’Épiphanies parasite statistique, qui fait du mot « free », que l’on peut de recherche. Incarnant le renouveau de la figure l’algorithme de Google afin de collecter sur Internet doublement traduire en langue française par « libre » de l’artiste « hacker », ses œuvres nous entraînent des bribes de phrases, ré-agencées comme et « gratuit », le mot le plus cher du palmarès et dont dans une parodie joyeuse et cynique de nos l’usage rencontrait alors le plus fort coût à payer... de petits poèmes aléatoires3. économies langagières et visuelles engendrées Attentive et grande amoureuse des mots par les plateformes numériques. et du langage, la philosophe et philologue Barbara Cassin a bien mis en lumière ce rapport par lequel, 1 Barbara Cassin, Google moi. en régime Google, la qualité n’est rien d’autre qu’une La deuxième mission de l’Amérique, Paris, Albin Michel, propriété émergente de la quantité. On s’éloigne 2007. alors ici des vertus prétendument démocratiques 2 Cf. Christophe Bruno, Épiphanies, www.iterature.com/ de Google, incarnées par le célèbre et non moins epiphanies, (2001-2014). impénétrable algorithme PageRank. 3 Le nom de marque Google, qui est aussi devenu un verbe, C’est l’importance dans l’opinion qui mesure « googler », articule de riches jeux de mots : googol, google, l’importance dans l’opinion. Pour le dire en grec, go-ogle. A l’origine, le mot on élève la doxa au carré, et, pour le dire en marxiste, choisi est « Googol » (terme dérivant de la formule on ne prête qu’aux riches (le capital crée le capital). mathématique 1+100, ou 10100, L’originalité, l’atypie, le génie, le caractère singulier symbolisant la puissance à venir du moteur de recherche), et intempestif de la vérité n’entrent pas dans mais une autre occurrence du mot — googly — renvoie le système tant qu’ils ne sont pas banalisés : à l’œuvre de James Joyce il n’y a pas d’autre de la doxa6. (Finnegan’s Wake, 1939), qui pointe davantage la question C’est bien sa relevancy qui fait la valeur du regard — to ogle — verbe d’un résultat de recherche sur le moteur Google, ayant pour signification « regarder de tous ses yeux soit sa pertinence, au sens de son adaptation (ronds et étonnés), ou encore aux attentes des internautes, auxquels Google reluquer, lorgner, mais aussi 6 Cf. Barbara Cassin, op.cit., jeter un regard amoureux ». p. 104. n’offre par conséquent que ce qui leur convient Barbara Cassin (2007). 7 Cf. Ippolita, La Face cachée (ce qui est convenable pour eux). 4 Christophe Bruno, extrait d’une de Google, Paris, Manuels conférence publique à l’École Payot, 2008. « Ippolita » Mais au-delà de cette stratégie centrée nationale des arts décoratifs est le pseudo d’un groupe de Paris (Ensad) en 2007. informel italien composé sur la seule rationalité économique, Google cache 5 Cf. Christophe Bruno, Google de hackers et d’amateurs peut-être un autre calcul7, plus pernicieux encore, Adwords Happening, www. libertaires, qui se sont iterature.com/adwords (2002) notamment attachés à dévoiler qui est de vouloir connaître, prescrire et maîtriser – premier prix lors de l’édition le système très intrusif de le plus précisément possible toutes les aspirations 2003 du Festival Ars Google. Voir le site du groupe : Electronica, à Linz en Autriche. Christophe Bruno, Épiphanies, 2001-2014 http://ippolita.net. Christophe Bruno, Google Adwords Happening, 2002 des internautes. Par la maîtrise du langage, ce sont 30Guest Christophe Bruno 31Guest Christophe Bruno

aussi les désirs et intentions des internautes et en quasi temps réel au public. Ce n’est plus alors et de la nature du langage emmagasiné et traité en octroyant une signification et une seule à chaque (customers customisés) que la firme souhaite seulement le contenu textuel circulant sur le Net par Google. mot, les privant d’ambiguïté et de polysémie. atteindre : en témoigne le souci d’identification qui est porteur de « valeurs », mais l’interprète L’artiste s’inspire de cette cartographie Visuellement, chaque couple de mot est représenté et de profilage qui préside à la stratégie du moteur lui-même qui le met en actes, mot pour mot, pour réinterpréter les principaux mouvements sur la carte (Dadamap) par un pixel dont la couleur de recherche. Une forme de violation de la vie intime comme un (sous-)texte dicté et transmis via Google. médiatiques et les courants de l’histoire de l’art. est définie par les variables de l’homophonie ou privée des internautes, de leurs habitudes Plusieurs zones de « déchéance de l’aura (couleur rouge), de la proximité sémantique (vert) mentales, de la logique des choix qu’ils opèrent. Le Dadamètre : contre la prédiction du langage » s’y dessinent : la zone Mainstream ou de l’équivoque (bleu). Les pixels organisent et la pensée unique qui renvoie aux discours courants, aux buzzwords ainsi des climats changeants et évolutifs selon Human Browser Le Dadamètre9 constitue en quelque sorte (mots à la mode) et à la pensée unique ; la zone les perturbations du langage. Le projet donne Christophe Bruno intitule « Human Browser8 » l’aboutissement de ces différents « Google hacks », de l’ennui, Boredom, est celle où la proximité à expérimenter les variations possibles pour (le « navigateur humain ») une série de performances entendus comme des dispositifs artistiques sémantique des mots est maximale et où tout chacun de ces coefficients langagiers, permettant Wi-Fi. Un comédien, connecté à Google, interprète et des programmes informatiques qui détournent devient prédictible, on y trouve le bling-bling, à l’internaute d’expérimenter ces différentes zones le « texte global », somme de toutes les paroles l’algorithme de Google de ses fonctions utilitaires les courants pop, Warhol, etc. ; la Wasteland, zone de langage, en naviguant de l’une à l’autre. Les mots de l’humanité. L’interface technologique est alors tout en en révélant les dimensions contraignantes de friche marquée par une très faible proximité correspondants et leurs liens apparaissent, sans remplacée par l’interface la plus ancienne que nous et cachées. sémantique, est représentative des Epiphanies préexistence d’un dictionnaire quelconque, mais connaissions : l’être humain. Équipé d’un casque Découvrant dans une biographie de Marcel de Joyce, mais aussi du Hapax de Mallarmé, comme émanation ou pure émergence, en temps réel, audio, ce navigateur humain (un comédien) Duchamp la méthode d’écriture de l’écrivain qui sont à la limite de la signification ; enfin, la zone de l’état du langage couvert par l’application Google. est « asservi » par les réponses que fait Google, Raymond Roussel, l’artiste Christophe Bruno de l’Utilitarisme, Utilitarianism, dans laquelle le sens en temps réel, aux requêtes émises par l’artiste ambitionne d’établir une correspondance avec l’ère des mots est très (trop) clairement défini dans Que nous dit ce projet de Google ? via une connexion Wi-Fi. Littéralement possédé numérique. Afin d’autogénérer ou de construire l’objectif de neutraliser toute équivoque. par le logiciel, le navigateur humain reçoit d’une voix de façon mécanique sa production littéraire, le Sorte de « carte météo de la pensée globale », Our mission is to organize all the de synthèse un flux textuel (extrait du moteur précurseur du mouvement Dada qu’était Raymond la Dadamap est traversée d’une multitude de flux information in the world (« Notre mission de recherche et converties par une application Roussel avait en effet mis en œuvre un procédé et de courants qui orientent et déterminent les est d’organiser toute l’information de Text To Speech) qu’il restitue oralement jouant sur l’homophonie (la ressemblance) mouvements et la circulation de la pensée Google. dans le monde ») ; Don’t be evil (« Ne sois pas mauvais, méchant10 »). La matière première du capitalisme sémantique serait extraite de la Friche (Wasteland), plus riche Organiser et faire le bien ! Ces deux missions de nouveaux sens et de nouveaux termes, acheminés que s’est donné Google adoptent comme mode postérieurement dans la zone Mainstream, dans opérationnel de mettre de l’ordre dans le chaos. laquelle ils seront abondamment consommés, avant Mais de ce point de vue, la multinationale semble de devenir inévitablement ennuyeux, Boredom, davantage symboliser et prolonger à sa manière et de glisser dans la zone de l’Utilitarisme avant d’être le vecteur de l’impérialisme américain : du bien abandonnés à la zone de Friche où ils seront recyclés. contre le mal. L’espoir ou la croyance démocratique Par conséquent, si les mots ou groupes de mots trouvent alors définitivement leurs limites. qui caractérisent la zone de Friche (Wasteland) On est avec PageRank dans le domaine de sont ceux qui sont le moins recherchés sur Google, 10 Page d’accueil et d’information la rhétorique de lieux communs (les uncontroversial de Google Incorporated. ils sont aussi les plus à même de renouveler le langage topics de Wikipédia), pour le meilleur et pour le pire. 11 Barbara Cassin, Google moi. en favorisant une plus forte créativité. À l’inverse, La deuxième mission de Pour le meilleur : les idées admises, par le plus grand l’Amérique, op. cit., pp. 104-105. la zone utilitaire est celle qui anesthésie le langage, nombre et par les plus renommés constituent notre monde commun — on trouve la même pondération de la démocratie par l’aristocratie chez Aristote et dans PageRank. Pour le pire : quand le monde commun ne produit plus que des « clichés » et qu’on est insensiblement englués dans ce que Hannah Arendt nomme « la banalité du mal » — non pas tant que le mal soit banal, mais parce qu’il devient impossible de vivre et de dire autre chose que des banalités11. Le fonctionnement de Google est en effet entièrement basé sur le plus grand nombre. C’est la doxa contre l’agôn, l’opinion commune et Christophe Bruno, Human Browser, 2004-2017. les allant-de-soi contre le procès du questionnement et le conflit des idées. C’est toujours l’avis ou l’équivoque du sens des mots. Christophe Bruno et peut-être de prédire des tendances artistiques de la majorité qui est recherché, au détriment voit dans « ce projet de machine à produire des et les mutations sociales. L’algorithme conçu de la controverse et de l’opposition, ou simplement romans », dans cette mécanisation de la littérature avec l’ingénieur informaticien Valeriu Lacatusu de la diversité et de la pluralité des points de vue avant l’heure, un écho de ce qui se passe aujourd’hui : permet à Christophe Bruno de scanner les millions hétérogènes. notamment à travers le désir de Google de de pages de Google et d’en extraire et analyser Notons particulièrement que Le Dadamètre mécaniser la pensée et de composer une sorte le langage à partir de trois variables principales : ne s’attaque plus seulement ici aux seuls mots clés, de taylorisme invisible du discours à des fins l’homophonie, la proximité sémantique transformés en adwords, mais prend pour cible cette fois les velléités de prédiction panoptique 8 Cf. Christophe Bruno, Human non plus poétiques mais mercantiles et capitalistes. et l’équivoque. Le Dadamètre organise et dispose Browser, www.iterature.com/ propres au Web sémantique développé par Google. human-browser, (2004-2017). Utilisant les technologies du Web 2.0, réseaux sur une carte différentes régions langagières Cette nouvelle œuvre de Christophe Bruno invite 9 Cf. Christophe Bruno, de neurones, théorie des graphes, linguistique qui offrent une double visualisation, sous la forme Le Dadamètre, www.iterature. en effet à une double réflexion sur les phénomènes com/dadameter, (2004-2017). quantitative, le Dadamètre permet de cartographier, d’un graphe et d’une Dadamap, de l’étendue Christophe Bruno, Le Dadamètre, 2004-2017. 32Guest Christophe Bruno 33Guest Christophe Bruno

de réseau et de globalisation qui redéfinissent Relire la success-story de Google à partir d’Orwell profondément nos relations au langage à l’heure et au travers des projets de Christophe Bruno peut du Web sémantique et de l’intelligence artificielle. s’avérer troublant. Inquiétant aussi. D’une part, Envisageant le Web comme un texte qui se ré-agence tous les ordinateurs des internautes utilisant en permanence, le projet s’applique également Google sont localisés et identifiés par leur adresse Hacking Google / à révéler les algorithmes invisibles de Google. IP (Internet Protocol). D’autre part, toute recherche Il est tentant de faire resurgir ici le mythe de est personnalisée. Google conservant pour chaque Big Brother : Google voit tout, ordonne tout, contrôle internaute la trace de ses visites et de ses demandes Against Algorithmic tout, ayant recourt au profilage pour optimiser son précédentes, enregistrées par les cookies moteur-algorithme. Dans son roman d’anticipation qui en gardent la mémoire. Enfin, de nombreuses 1984, Georges Orwell avait imaginé un environnement applications et solutions informatiques, détenues Governmentality dystopique soumettant le peuple à un régime par l’entreprise Alphabet (société mère de Google totalitaire. Le panoptique du Big Brother, capable depuis 2015) ou articulées à Google, indexent de tout voir sans être vu, déployait trois méthodes et mémorisent des contenus externes au Web : by Jean-Paul— Fourmentraux principales de contrôle du peuple : la surveillance Gdesktop indexe les disques durs, Gmail scanne et vidéo/audio, la suppression de la mémoire collecte les mails, etc.13. On se souvient par exemple (par la falsification et la réécriture de l’histoire) et la qu’en 2006, Google avait capitulé face au régime destruction de la langue (simplification par épuration chinois, en acceptant de réduire ses accès à un de son vocabulaire). La création d’une novlangue Internet local, une sorte d’Intranet politiquement apparaissait même comme un des principaux correct. Obéissant ainsi à l’injonction d’un This article is a digest that is Google is a champion of cultural democracy, Willing to radicalise this approach, the artist created partly reconstructed and taken but without culture and without democracy, in 2002 a 24-hour performance, Google Adwords instruments de cette stratégie visant la maîtrise équivalent chinois du Patriot Act américain, from Fourmentraux Jean-Paul, parfaite de la conscience par une restriction Google garantissait que les tentatives de connexion antiDATA. La désobéissance since it is a master neither of culture Happening,5 which subverted and parodied the logic numérique. Art et Hacktivisme (information is not paideia) nor of politics des limites de la pensée des agents : « la “révolution” à des adresses interdites ne généreraient même technocritique, Dijon, of AdWords by which Google increases its (the democracy of clicks is not a democracy).1 sera complète quand le langage sera parfait. » pas de message d’erreur. Les Presses du réel, 2020. advertising income, as it associates commercial Alternant le ton de la parodie et la prospective links to the results of its search engine. The first With a PhD in theoretical physics, and a conversion C’est une belle chose, la destruction technologique, Christophe Bruno pousse AdWord rented by Christophe Bruno was the word to the arts in the 2000s, the French artist des mots. Naturellement, c’est dans les dans ses derniers retranchements cette tentative “symptom”. When a Web user connected to Google Christophe Bruno has conceived of his work as a real verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de contrôle et de mécanisation de la production entered this word in the browser bar of his search Trojan horse aimed against the hegemony of Google. de déchets, mais il y a des centaines langagière, il se joue des potentialités de Google engine, he would first come across the following de noms dont on peut aussi se débarrasser. Since 2001, he has been focusing on critically en éclairant simultanément les dangers de la enigmatic poem: “Words aren’t free anymore/ Pas seulement les synonymes, il y a aussi and prospectively subverting, in a systematic and surveillance généralisée et en continu du Web, bicornuate-bicervical uterus one-eyed hemi-vagina”. les antonymes. Après tout, quelle raison often comical manner, the functionalities and uses qui dans sa version 2.0 représente un aboutissement Hacking into the system by which Google entered d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est of the infamous and now “unavoidable” search des stratégies de contrôle dans le domaine de l’écrit. the stock market and went public, Christophe que le contraire d’un autre ? Les mots engine. As he embodies the revival of the figure portent en eux-mêmes leur contraire. Car en effet, qu’est-ce d’autre qu’une sorte Bruno created new strange and poetic Epiphanies, of the “hacker” artist, his works draw us into a joyful Prenez « bon », par exemple. Si vous avez de sélection naturelle des mots et du langage which humorously parodied the strictly utilitarian and cynical parody of our linguistic and visual un mot comme « bon », quelle nécessité mise en place et organisée par Google ? and commercial logic of the language established economies, generated through digital platforms. y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? Cet ordonnancement a évidemment pour effet by Google; namely, the keywords used for « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, pervers, non pas de faire littéralement disparaître advertisements (AdWords), leading to the parce qu’il est l’opposé exact de « bon », certains mots, mais de les reléguer à un statut Epiphanies and Adwords Happenings production of successful, fortuitous connections ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on In 2001, the artist created his first Epiphanies,2 et dans une zone d’invisibilité pour le moins (hits, or “good hits”, like the “hit parade”). désire un mot plus fort que « bon », quel sens which are (post) Net Art “pieces” that extend James problématiques… ce que montre bien, ironiquement, But the project was quickly hampered y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots Joyce’s works to the Web. At the beginning of the Le Dadamètre de Christophe Bruno. Car seuls by Google, due to its commercial non-profitability, vagues et inutiles comme « excellent », 20th century, the writer used to roam the streets of les mots les plus rentables sont mis sur le devant under the pretext that the words listed by Bruno « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » Dublin, writing down in his notebook, along the way, englobe le sens de tous ces mots, de la scène par Google, quand ceux de plus faible lacked in price and value. Strictly speaking, what snippets of conversation exchanged with the et, si l’on veut un mot encore plus fort, valeur seront peu à peu délaissés et peut-être même happened was not a matter of moral or even ethical different people who may have crossed his path, il y a « double-plusbon ». Naturellement, oubliés. Cet appauvrissement du langage, effet censorship. What this project revealed was not really 1 Barbara Cassin, Google me: —conversations which he believed possessed poetic 12 Georges Orwell, 1984, première nous employons déjà ces formes, mais dans retors du capitalisme sémantique instauré par one-click democracy, translated Google’s lack of interest in the poetic value of the st partie, chapitre 5, [1949], Paris, la version définitive du novlangue, by Michael Syrotinski, New value to be acknowledged. In the 21 century, Folio poche, 2020. Google, constitue le cœur des interrogations que York: Fordham University Press artist’s approach, but rather the economic sanctions il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, Christophe Bruno transposes this sensitive and 13 Barbara Cassin écrit : « Google permet la lecture des œuvres de l’artiste Christophe [accessed online], 2018 [2007]. following the presumed failure of the said approach. louche par-dessus votre épaule la notion complète du bon et du mauvais sera 2 Cf. Christophe Bruno, poetic drift into the world of Internet and Google. quand vous écrivez un email […] Bruno. Mais si certains aspects de ces œuvres Epiphanies, www.iterature.com/ As for Christophe Bruno, he sees in this situation couverte par six mots seulement, en réalité Starting with a keyword entered by a Web user in Google, par robot interposé, confinent également à la dystopie, chez Christophe epiphanies, (2001-2014). the symptom of a new, semantic capitalism, voit tout, et vous fait les yeux un seul mot. Voyez-vous, Winston, 3 Google’s brand name, which the browser bar of his search engine, the generator doux en ne vous proposant also became a verb, “to google”, l’originalité de cela ? Naturellement, Bruno, le mode opératoire est aussi et surtout celui established by the Google firm, which appropriates quece qui vous intéresse plays on clever word games: of Epiphanies parasites and interferes with Google’s de la farce et de l’humour qui détrousse et parodie and transforms language into merchandise. — c’est sa manière de flirter ajouta-t-il après coup, l’idée vient googol, google, go-ogle. The algorithm in order to collect bits of sentences from avec chacun de vous, en vous de Big Brother12. les ambitions sans bornes et les rêves de puissance word that was originally chosen As a renter of the AdWords service, donnant l’impression d’être was “Googol” (inspired by the the Internet that are then rearranged like little unique. » Barbara Cassin, illimitée du « dieu » Google. Ses projets se situant mathematical formula 1+100, or Christophe Bruno had access to statistics regarding 3 100 random poems. Google moi. La deuxième précisément à la limite de l’objectivité scientifique, 10 , which aimed at the performance and efficiency of his AdWords. mission de l’Amérique, op. cit., symbolizing the upcoming p. 78-79. de la performativité du langage et de la satire. power of the search engine), For “symptom” for example, he obtained only 16 hits The mindset [of this work] is not to create but another instance of the from Internet users for a total of 5,517 views of the word—googly—can be found in a text generator [...] but really it is James Joyce’s literature poem. The rental of this word therefore had the low (Finnegan’s Wake, 1939), and rather about the attitude of positioning refers to the issue of the gaze, oneself as a parasite to a global structure efficiency rate of 0.3%. Since the price of “symptom” —to ogle—a verb which rather which is emerging, —Google—, and which holds was $0.05, the artist was charged $0.80. A rather signifies “ to look with large, round eyes; to stare, to glance in its database all of mankind’s words poor score if one happens to compare it to the price with invitation; to eye [...]; a sort of readymade that my programme of other words, whose Google value clearly points amorously,” Barbara Cassin 4 [2007]. fishes out and subverts. out to the corrupting mechanisms of AdWords: 34Guest Christophe Bruno 35Guest Christophe Bruno

“sex” with $3,800 —pretty expected—, “art” with a “value”, but rather the interpreter themself who derisory $410, “God” with $10—speaking for itself—, puts it into action too, word for word, as a (sub)text while “free” hits an astonishing $5,700. A real dictated and transmitted via Google. statistical irony, which makes the word “free”, translated in French as both “free in regards The Dadameter: against prediction to liberty” and “free of charge”, the most expensive and one-track thinking word on the list and whose use was also The Dadameter9 forms, in a way, the culmination the costliest… of all these various “Google hacks”; these artistic A mindful and a great lover of words and proposals and computer programs that hijack language, the philosopher and philologist Barbara Google’s algorithm away from its utilitarian Cassin has carefully highlighted the relationship functions, yet at the same time reveal its by which quality is nothing more than an emerging constraining and hidden characteristics. trait of quantity, under the Google regime. This idea After discovering the writing system of the thus states a departure from Google’s supposedly author Raymond Roussel in a Marcel Duchamp democratic virtues, embodied by the famous and biography, the artist Christophe Bruno sought to no less impenetrable algorithm PageRank. establish a connection of this system with the digital age. Indeed, in order to self-generate or to construct Importance within the domain of opinion in a mechanical manner his literary work, the is the measure of the importance precursor and forerunner of the Dada movement of the opinion. In ancient Greek, Raymond Roussel had in fact implemented the doxa is squared, and in Marxist terms, a mechanism relying on homophony (resemblance), you only lend to the rich (capital creates and the equivocation of meaning of words. capital). Originality, atypicality, Christophe Bruno believes “Roussel’s project of genius, or the singularity and untimeliness of the truth do not form part of the system a machine producing novels” resonates with what is unless they are made commonplace: going on nowadays, as it was ahead of its time there is no otherness to doxa.6 in mechanising literature. Parallels can be notably made with Google’s desire to mechanise thought It is indeed its relevancy that gives value to a search and to create a kind of invisible Taylorism of result on the Google search engine. That is to say, discourse, for purposes that are no longer poetic, its pertinence, in the sense of it being able to adapt but mercantile and capitalist. to the expectations of Internet users, to whom Using Web 2.0 technologies, neural networks, Google therefore only suggests what agrees to them graph theory and quantitative linguistics, (what is suitable for them). The Dadameter enables mapping, and even perhaps But beyond this strategy based on economic predicting, artistic trends and social mutations. rationality alone, Google may be hiding another, The algorithm designed with the computer engineer even more pernicious, calculation,7 which is wanting Valeriu Lacatusu allowed Christophe Bruno to scan to know, stipulate and control as precisely Google’s millions of pages and to extract and analyse as possible all of the aspirations of Web users. the language used following three key variables: Christophe Bruno, Human Browser, 2004-2017. By mastering its language, it is also the desires homophony, semantic proximity and equivocation. and intentions of those users (as “customised” As such, The Dadameter organises and positions customers) that the company wishes to reach. different linguistic regions on a map. These regions and determine the motions and circulation The project allows juggling different possible Concerns regarding identification and profiling offer a dual viewing, in the form of a graph and a of Google’s thinking. The raw material of semantic variations for each one of these linguistic which govern the search engine strategy are proof Dadamap, of the extent and nature of the language capitalism would be extracted from the Wasteland, coefficients. It enables the Web user to experiment of this: a real form of violation breach of the intimate stored and processed by Google. richer in new meanings and new terms, later with the different zones of language, by navigating and private life of Internet users, of their mental The artist draws inspiration from this on channelled into the Mainstream zone, where from one to the other. The corresponding words and 4 Christophe Bruno, extract from a public lecture given habits, of the logic behind the choices they make. cartography to reinterpret major media phenomena it would be abundantly consumed, before inevitably their relationship reveal themselves, without any at the École nationale des arts and movements in Art History. Several zones becoming boring, in Boredom, and slipping into pre-existing dictionary, as an emanation or pure décoratifs of Paris (Ensad) in 2007. Human Browser of “decline of the aura of language” are identified: the zone of Utilitarianism before being completely emergence, in real time, of the current state 5 Cf. Christophe Bruno, Christophe Bruno entitled Human Browser8 the Mainstream zone, which refers to common abandoned to the Wasteland and recycled. of language under the Google application. Google Adwords Happening, www.iterature.com/adwords his series of Wi-Fi performances. An actor, discourse and speech, buzzwords and one-track Therefore, if the words or groups of words that (2002) – First Prize at the Ars Electronica Festival of 2003, connected to Google, interprets the “global text”, thinking; the Boredom zone, where the semantic compose the Wasteland are those that are the least in Linz, Austria. which is a sum of all the words of humanity. proximity of words is at its maximum and where searched for on Google, they are also the ones What does this Google project tell us? 6 Cf. Barbara Cassin, Google me: one-click democracy, translated The technological interface is as such replaced everything is predictable, where one can find bling that are the most capable of renewing language by Michael Syrotinski, New by the oldest interface we know: the human being. and kitsch, pop movements, Warhol, etc.; and the by encouraging greater creativity. On the contrary, Our mission is to organise all the York: Fordham University Press 10 [accessed online], 2018 [2007], Equipped with headphones, this human browser Wasteland, a brownfield characterised by very little the Utilitarian zone is the one that anaesthetises information in the world; Don’t be evil. p. 50. (an actor) is “enslaved” by Google’s real-time semantic proximity, representative of Joyce’s language, by allocating one, and only one, meaning 7 Cf. Ippolita, La Face cachée de Google, Paris, Manuels answers to the artist’s requests via Wi-Fi Epiphanies, but also of Mallarmé’s Hapax, which are to each word, and thus depriving them of any kind Organise and do good! Google’s two missions aim Payot, 2008. “Ippolita” is the at implementing as its operational mode the idea pseudonym of an Italian group connection. Literally possessed by the software, at the very limit what is comprehensible; and finally, of ambiguity and polysemy. Visually speaking, each of hackers and libertarian the human browser receives from a voice synthesis the zone of Utilitarianism, in which the meaning pair of words is represented on the map (Dadamap) of bringing order out of chaos. But from this point aficionados that have been of view, the multinational company seems to stand committed to exposing a text flow (taken from the search engine of words is very (too) clearly defined, in order by a pixel whose colour is defined by the variables the highly intrusive system and converted through a Text-To-Speech app), to neutralise any type of ambiguity or equivocation. of homophony (the colour red), of semantic for and extend in its own way the vector of American of Google. See the group’s website: http://ippolita.net. and which it reproduces orally for the audience, Acting as a type of “weather map of global proximity (green) and of equivocation (blue). imperialism: the idea of good against evil. Hope 8 Cf. Christophe Bruno, Human and in near real time. It is thus no longer just the text thinking”, the Dadamap is marked and crossed 9 Cf. Christophe Bruno, The As such, pixels organise changing and evolving or democratic thought then definitely reach their Browser, www.iterature.com/ Dadameter, www.iterature. human-browser, (2004-2017). content circulating on the Internet that carries by a variety of fluxes and movements that direct com/dadameter, (2004-2017). climates according to the disturbances of language. breaking point. 36Guest Christophe Bruno 37Guest Christophe Bruno

to the semantic Web developed by Google. This new Reading Google’s success story through the prism work by Christophe Bruno prompts thoughts on the of Orwell and through Christophe Bruno’s art phenomena of network and globalisation, which projects can turn out to be quite disturbing. And profoundly redefine our relationship to language worrisome too. On the one hand, every computer in the age of the semantic Web and artificial using Google is located and identified by its IP intelligence. By considering the Web a text that address (Internet Protocol). On the other hand, every reshapes itself constantly, this project also aims search is tailored and personalised. Google keeps a to expose Google’s invisible algorithms. record of each and every one of the user’s previous It is quite tempting to summon here the myth hits and requests, which it tracks through cookies of Big Brother: Google sees everything, organises that memorise them. Finally, many IT applications everything and controls everything, by profiling, and solutions, owned by the company Alphabet in order to optimise its algorithm-engine. In his (Google’s parent company since 2015) or structured anticipative, social science fiction novel 1984, with Google, index and store content that is external Georges Orwell imagined a dystopian environment to the Web: Gdesktop indexes hard disks, Gmail subjecting people to a totalitarian regime. The Big scans and collects emails, etc.13 For example, Brother panopticon, as capable of seeing everything one can recall when in 2006 Google surrendered without being seen, deployed three main control to the Chinese regime by agreeing to reduce its methods on its people: video/audio surveillance, access to a local Internet, a sort of politically correct memory removal (by falsifying and rewriting history) Intranet. Google then obeyed to the order and the destruction of language (simplification by of a Chinese equivalent of the American Patriot purging its vocabulary). The creation of newspeak Act, which guaranteed that attempts to connect became one of the main instruments of this strategy to suppressed addresses would not even generate to perfectly master consciousness by restricting an error message. the limits of thought of its agents: “the ‘revolution’ Navigating between parody and technology will be complete when language is perfect.” foresight, Christophe Bruno pushes this attempt to control and mechanise the production It’s a beautiful thing, the destruction of language to its very limits. The artist plays of words. Of course the great wastage is around with Google’s terms and potentialities in the verbs and adjectives, but there are by simultaneously highlighting the dangers hundreds of nouns that can be got rid of of generalised and continuous surveillance of the as well. It isn’t only the synonyms; there Web; which in its 2.0 version, is embodied through are also the antonyms. After all, what the culmination of control strategies in the field of justification is there for a word which is simply the opposite of some other word? writing. For what else is there but a kind of natural A word contains its opposite in itself. selection of words and language set up and Take ‘good’, for instance. If you have organised by Google? It’s not about making words a word like ‘good’, what need is there literally disappear, but this type of scheduling and for a word like ‘bad’? ‘Ungood’ will do just sequencing obviously produces the perverse as well —better, because it’s an exact incentive of relegating them to a status and zone opposite, which the other is not. Or again, of invisibility that is, to say the least, problematic... if you want a stronger version of ‘good’, This phenomenon is ironically exemplified by what sense is there in having a whole string Christophe Bruno’s Dadameter. For only the most of vague useless words like ‘excellent’ profitable words are put in the limelight by Google, and ‘splendid’ and all the rest of them? 12 Georges Orwell, 1984, Part while those of lower value are gradually neglected One, Chapter 5, [1949], London: ‘Plusgood’ covers the meaning, Penguin Modern Classics, 2013. or ‘doubleplusgood’ if you want something and perhaps even forgotten. The impoverishment 13 According to Barbara Cassin, stronger still. Of course we use those forms of language, as a twisted effect of Google’s semantic “Google ogles over your shoulder whenever you write already. But in the final version capitalism, is at the heart of the issues tackled an email […] Google, through of Newspeak there’ll be nothing else. by the works of the artist Christophe Bruno. a vicarious robot, sees Christophe Bruno, Le Dadamètre, 2004-2017. everything, and looks at you In the end the whole notion of goodness But even though certain aspects of these works with goo-goo eyes, only offering and badness will be covered by only six do border on dystopia, Christophe Bruno’s modus you what interests you —this is words— in reality, only one word. Don’t you its style of flirting, with every operandi is also, and above all, that of farce and one of you, while giving you the see the beauty of that, Winston? It was humour that mugs and parodies the boundless impression of being unique.” Big Brother’s idea originally, of course,’ With PageRank we are, for better or for worse, The way Google works is in fact entirely based Barbara Cassin, Google me: ambitions and dreams of almighty power of Google one-click democracy, translated he added as an afterthought.12 in the domain of rhetoric, of commonplaces on the greatest number. It is about doxa against by Michael Syrotinski, New The “God”. Christophe Bruno’s projects find (Wikipedia’s uncontroversial topics). For better: agôn: common opinion, norms and all-to-simple York: Fordham University Press themselves precisely at the crossroads of scientific [accessed online], 2018 [2007], The ideas that are accepted, by the greatest number standards, against the trial of careful thought p. 28. objectivity, language performativity and satire. and by the most renowned people, constitute and questioning, and the conflict of ideas. Google our common world,—we find the same weighting seeks the opinion of the majority, to the detriment of democracy by aristocracy in Aristotle as we do of controversy or opposition; or to put it simply, 10 See the homepage and in PageRank. For worse: When the common to the detriment of the diversity and plurality information page of Google Incorporated. world produces only “clichés,” and when we are of heterogeneous points of view. 11 Barbara Cassin, Google me: unthinkingly bogged down in what Hannah Arendt It should be noted that The Dadameter one-click democracy, translated by Michael Syrotinski, calls the “banality of evil,” not so much because evil no longer focuses exclusively on keywords, New York: Fordham University is banal, but rather because it becomes impossible transformed into AdWords, but this time targets Press [accessed online], 2018 [2007], p. 53. to say or live anything other than banalities.11 the panoptical prediction desires that are specific 3839

Hélène Bertin, Le jardin juvénile (détail), installation, 2020. ©Vincent Blesbois

CENTRE D’ART CONTEMPORAIN LA SYNAGOGUE DE DELME

CAMILLE BLATRIX Hélène Julie 29-05 / 22-08-2021 Weather Stork Point Bertin Chaffort 25/09/21 - 30/01/22 TOHU-BOHU OMBRES ERRANTES

www.cac-synagoguedelme.org Julie Chaffort, Printemps (détail), vidéo, 7min40, HD, couleur, son stéréo, 2020. 40Guest Katia Kameli 41Guest Katia Kameli

L’autrice comme productrice : Katia Kameli et ses livres d’images pour réécrire l’Histoire

par Anysia— Troin-Guis

Peut-être héritière de la pensée de Walter Benjamin au VIe siècle après J.C. et sa version en arabe, qui, en pleine montée du nazisme, revendiquait environ deux cents ans plus tard, sous le titre Kalîla la nécessité pour l’artiste d’affirmer sa position wa Dimna. Alors que l’œuvre est fondatrice de classe et d’articuler sa pratique avec une réflexion et reconnue dans le monde arabe médiéval, l’artiste sociale matérialiste en pensant son travail dans déplore l’effacement de cette généalogie lorsque « la relation de celui-ci aux moyens de production la fable est abordée dans les écoles françaises. et sa technique1 », Katia Kameli développe La scénographie fait alors écho à la multitude une œuvre qui déconstruit les clichés de l’Histoire des voix qui informe l’œuvre de La Fontaine et qui par une analyse méthodique de ce qui la fait : est pourtant absente des manuels scolaires : le texte et les images. Elle révèle, à la manière une impression de brouhaha se dégage entre le son du développement d’un film négatif, une mémoire des deux vidéos mettant en scène la comédienne postcoloniale faite de manipulations, de Clara Chabalier et des chercheurs, et la voix de Chloé Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », 2020. confrontations et d’occultations. Franco-Algérienne, Delaume, qui se fait entendre dans un petit espace Vue du plateau 1 du Frac / View of the Frac’s stage 1, Le Roman Algérien, 2020. l’artiste se situe dans une recherche entre où résonnent les mots de l’autrice en lisant un texte © Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. Photo : Laurent Lecat / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. photographies, films et installations, qui interroge écrit spécialement pour l’exposition : On nous et abîme des faits historiques et culturels qui ont l’a dit et on l’a cru. Cacophonie féconde qui appelle irrigué son quotidien, construit dans l’entre-deux au décentrement, au décalage et à une méditerranéen. Dans le cadre de la Saison Africa déhiérarchisation des savoirs et des œuvres 2020, au Frac PACA, son exposition « Elle a allumé — à la manière définie par Lionel Ruffel dans son le vif du passé », curatée par Eva Barois de Caevel, livre Brouhaha. Les Mondes contemporains propose de réévaluer l’Histoire et ses écritures. (Verdier, 2016) —, la polyphonie incarne l’essence de Élaborée sur les deux plateaux du lieu l’installation de Katia Kameli : l’idée que la pluralité marseillais, l’exposition réunit deux propositions, des voix, les transferts culturels et la traduction sont intitulées Stream of stories et Le Roman algérien, à la base de toute culture mais aussi de toute chap. 1, 2 et 3. La première est une installation politique culturelle. Thèse d’ailleurs défendue dans conçue spécifiquement pour le Frac ; elle explore les études postcoloniales par Franz Fanon, Edward les origines orientales des fables, offrant un Said, Gayatri Spivak ou Homi Bhabah — dont contre-point salutaire à la représentation française Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale du genre de prédilection de La Fontaine. Livre apparaît comme un ouvrage fondateur pour l’artiste. sculptural ouvert sur l’espace, tel un point de L’arbitraire de l’histoire littéraire se double croisement, de rencontre, l’installation, à la couleur ainsi d’une politique d’invisibilisation des apports du tableau vert des écoles, tente de déconstruire des littératures indienne, perse et arabe à la fable le canon occidental d’une fable qui serait seulement classique du XVIIe siècle. Palimpseste qu’on le produit d’une culture gréco-latine, à travers a finalement plus gommé que prévu pour l’héritage d’Ésope ou de Phèdre. Croisant correspondre à un canon occidental fantasmé, des collages, des sérigraphies, des fac-similés la fable se voit ici restituée de ses origines multiples, de manuscrits originaux prélevés à la BNF et à la qui gagneraient à être évoquées en classe afin de

1 Walter Benjamin, dans Bibliothèque Royale du Maroc, des vidéos et un faire prendre conscience aux nouvelles générations sa conférence « L’auteur comme dispositif sonore, Stream of stories retrace l’histoire — et notamment celles issues de l’immigration —, Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », 2020. producteur », « Allocution Vue du plateau 2 du Frac / View of the Frac’s à l’institut pour l’étude du genre en insistant sur la circulation des textes la circulation des textes et la richesse des cultures stage 2, Stream of Stories, 2020. du fascisme à paris, le 27 avril à partir de l’écriture du Pañchatantra sanskrit étrangères et du « monde oriental », pour reprendre © Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. 1934. » In Lettres à Brecht. Photo : Laurent Lecat / Frac Provence-Alpes- Page 147 à 164. au IIIe siècle avant J.C., sa traduction en pahlavi une expression qui ne se construit que dans Côte d’Azur. 42Guest Katia Kameli 43Guest Katia Kameli

Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », 2020. Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », 2020. Vue du plateau 2 du Frac / View of the Frac’s stage 2, Stream of Stories, 2020. Vue du plateau 1 du Frac / View of the Frac’s stage 1, Le Roman Algérien, 2020. © Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. Photo : Laurent Lecat / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. © Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. Photo : Laurent Lecat / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur.

l’opposition avec l’Occident. C’est ainsi toute une installation d’Elle a allumé le vif du passé. Dès le une histoire alternative dans un pays où l’image est pour s’en faire le témoin. En ce sens, tel un hasard réflexion sur la traduction que Katia Kameli incarne titre, Le Roman algérien s’affirme comme l’écriture cachée, parfois confisquée : cette fabrique des qui s’organise, les images du Hirak apparaissent dans son œuvre : des travaux d’Emily Apter, et par l’artiste d’un autre volet de l’histoire algérienne : images recomposant un atlas à la Warburg, traces comme une histoire en train de se faire et qui notamment Zones de traduction, à ceux de Tiphaine celui de « l’invu » pour reprendre la notion de la d’un passé colonial et documents de ce qui a été, s’entremêle avec, précisément, l’absence d’images Samoyault, dans le plus récent Traduction philosophe des images, Marie-José Mondzain, est soumise au regard des passants, des jeunes, de la décennie noire que la photojournaliste et violence. Si, pour l’artiste, tout est traduction avec laquelle Katia Kameli collabore dans deux des des intellectuels afin de reconstituer les différentes Louiza Ammi commente. et tout créateur ne se fait que l’interprète de quelque films de l’installation. L’invu, « ce qui est en attente représentations de la mémoire algéroise. Ce travail Explorer des faits, inviter des regards chose de déjà existant, ce n’est pas sans mesurer les de sens dans le débat de la communauté », se voit de l’image en partage donne aussi la priorité extérieurs, partager la parole pour donner forces agonistiques qui modèlent l’acte de traduire : penser tout au long des trois films à partir d’une à l’élaboration d’une histoire vue par les femmes, une vision complexe de la culture et de l’histoire processus de domination fait d’appropriation, première immersion dans la vie algéroise et une une herstory, où l’artiste recueille la parole constituent l’approche artistique et critique de spoliation et de réduction, la traduction peut de ses voies principales : la rue Larbi Ben M’Hidi, de militantes, journalistes, artistes ou philosophes. de Katia Kameli. Ce travail généreux se prolongera aussi se faire éthique, en tant qu’ouverture positive à travers la documentation d’un kiosque nomade La participation de Marie-José Mondzain dans enfin à Marseille en octobre 2021 dans le cadre qui permet la construction du commun. À condition présent depuis des années. Le Roman algérien, les chapitres 2 et 3 en est d’ailleurs emblématique : de l’exposition « EUROPA, Oxalá » au Mucem. de bien vouloir remplacer l’impérialisme (littéraire) chapitre 1 tourne autour de ce kiosque de vente d’abord dans l’analyse des rushes du chapitre 1 C’est cette fois du côté du commissariat que l’artiste, par un transnationalisme. d’images dont les propriétaires, Farouk Azzoug et dans la réactivation des archives et de l’histoire avec António Pinto Ribeiro et Aimé Mpane Enkobo, Au cœur du travail de Katia Kameli : la relation et son fils, installent et affichent tous les jours à travers un travail du regard sur les images, interrogera l’héritage colonial, en abordant les au livre, qui se décline dans Stream of stories tout une nouvelle composition faite d’anciennes cartes puis dans la participation même de l’intellectuelle, études mémorielles et postcoloniales, en réunissant au long d’une exploration entre le texte et l’image, la postales et de reproductions. Ces archives, qui pénètre directement l’espace de l’image différents artistes européens dont les parents ou vidéo et l’illustration, et se prolonge dans la seconde qui croisent ici aussi original et copie, esquissent et ne se contente plus de commenter les faits, les grands-parents sont issus des anciennes colonies. 44Guest Katia Kameli 45Guest Katia Kameli

Author as producer : Katia Kameli and her books of images for re-writing History

by Anysia— Troin-Guis

As a possible heir to the thinking of Walter Benjamin century BCE Pañchatantra, its translation into who, caught up in the full rise of Nazism, laid claim Pahlavi in the 6th century AD, and its version to the need for the artist to assert his position in Arabic, some 200 years later, under the title in terms of class and organize his activities together Kalila wa Dimna. While the work is ground-breaking with a materialist social line of thought by conceiving and recognized in the mediaeval Arab world, his work in “relation to the means of production the artist laments the erasure of this genealogy and its technique”1, Katia Kameli is developing when the fable is taught in French schools. a body of work that deconstructs the clichés The setting thus echoes the host of voices of History using a methodical analysis of what makes which inform La Fontaine’s œuvre, and which do not, it: words and images. Like the development however, feature in school textbooks: an impression of a negative film, she reveals a postcolonial memory of hubbub comes across amid the sound of the two made up of manipulations, comparisons, and videos presenting the actress Clara Chabalier concealments. This Franco-Algerian artist sets and various researchers, and the voice of Chloé herself in a research project situated somewhere Delaume, that can be heard in the small space where between photographs, films and installations, which the author’s words ring out as she reads a text questions and spoils historical and cultural facts written specially for the show: On nous l’a dit which have informed her daily round, constructed et on l’a cru/That’s what we were told and that’s « Elle a allumé le vif du passé », Kameli, Katia 2020. in the Mediterranean interstice. As part of Saison what we believed. A busy cacophony which calls Africa 2020, held at the FRAC PACA, her exhibition for off-centering and discrepancy, and for

titled “Elle a allumé le vif du passé/She has Ignited a de-hierachization of knowledge and works, 2, Stream stage of Stories , 2020. of the Frac’s / View du plateau 2 du Frac Vue the Stuff of the Past”, curated by Eva Barois de Caevel, as defined by Lionel Ruffel in his book Brouhaha.

proposes a re-evaluation of History and its writings. Les Mondes contemporains (Verdier, 2016)…, Photo : Laurent Provence-Alpes-Côte Lecat / Frac 2020. Paris, d’Azur. ADAGP, Kameli, © Katia Filling the two levels of the Marseille venue, polyphony incarnates the essence of Katia Kameli’s the exhibition brings together two proposals, installation : the idea that the plurality of voices, titled Stream of stories and Le Roman algérien/ cultural transfers and translation lie at the root The Algerian Novel, chap. 1, 2 and 3. The first is of all culture, but also all cultural politics. This thesis an installation devised specifically for the FRAC is incidentally championed in post-colonial studies (Regional Contemporary Art Collection); it explores by Franz Fanon, Edward Said, Gayatri Spivak the oriental origins of fables, offering a wholesome and Homi Bhabah—whose Les Lieux de la culture. counterpoint to the French representation of Une théorie postcoloniale appears to be La Fontaine’s favourite genre. As a sculptural book a quintessential work for the artist. opening onto space, like a point of intersection, and The arbitrariness of literary history is thus encounter, the installation, which is the green colour duplicated by a policy of rendering the contributions of a school (black)board, attempts to deconstruct of Indian, Persian and Arabic literature invisible the western canon of a fable which is merely to the 17th century classic fable. Like a palimpsest the product of a Graeco-Latin culture, by way of the that has, in the end of the day, been more erased legacy of Aesop and Phaedra. Combining collages, than planned to tally with a fantasized western silkscreen prints, facsimiles of original manuscripts canon, the fable is here reinstated from its many 1 Walter Benjamin in his lecture held at the BNF and the Royal Library in Morocco, different origins, which would benefit from being “The Author as producer”, “Speech given at the Institute video, and a sound system, Stream of stories retraces discussed in the classroom in order to help new for the Study of Fascism in Paris, the history of the genre with an emphasis on the generations become aware of it…—and in particular 27 April 1934”, in Letters to Brecht, pp, 147-164. circulation of texts based on the writing of the 3rd those resulting from immigration—, the circulation 46Guest Katia Kameli 47Guest Katia Kameli

Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », 2020. Vue du plateau 1 du Frac / View of the Frac’s stage 1, Le Roman Algérien, 2020. © Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. Photo : Laurent Lecat / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur.

of texts and the wealth of foreign cultures and and reproductions. These archives, which here, too, of the “oriental world”, to borrow a term which can overlap original and copy, sketch an alternative only be constructed in contrast with the West. history in a country where the image is hidden, and So what Katia Kameli incarnates in her work at times confiscated: this image factory re-composing is a whole line of thinking about translation: from a Warburg-like atlas, traces of a colonial past and the works of Emily Apter, and in particular Zones documents about what has been, is exposed to the de traduction, to those of Tiphaine Samoyault, eyes of passers-by, young people, and intellectuals, in the most recent Traduction et violence. If, for in order to re-create the differing representations the artist, everything is translation and all creative of memories of Algiers. This work on the shared people are merely the interpreters of something image also gives priority to the development that already exists, this stance also takes into of a history as seen by women, a “herstory”, where account the agonistic forces which shape the act the artist collects the words of militants, journalists, of translating: as a process of domination consisting artists and philosophers. Marie-José Mondzain’s Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », Kameli, Katia 2020. of appropriation, spoliation and reduction, participation in chapters 2 and 3 is incidentally translation may also become ethical, as positive emblematic of this: first and foremost in the analysis openness which permits the construction of the rushes of chapter 1 and in the rekindling of

, 2020. Algérien Roman 1, Le stage of the Frac’s / View du plateau 1 du Frac Vue of the common. Provided that (literary) imperialism archives and history through work involving looking is replaced by a transnationalism. at the images, then in the actual participation

© Katia Kameli, ADAGP, Paris, 2020. Photo : Laurent Provence-Alpes-Côte Lecat / Frac 2020. Paris, d’Azur. ADAGP, Kameli, © Katia At the heart of Katia Kameli’s work we find her of the intellectual woman, who straightforwardly relation to the book, which is expounded in Stream penetrates the space of the image and is no longer of stories throughout an exploration encompassing content to comment on the facts in order to bear words and imagery, videos, and illustration, and is witness. In this sense, like something haphazard that carried on in the second installation of Elle a allumé becomes organized, the images of the Hirak appear le vif du passé. Starting with the title, Le Roman like a history in the process of being made, and which algérien comes across as the writing by the artist intermingles with, it just so happens, the absence of of another chapter of Algerian history: that dealing images of the dark decade which the photo-journalist with the “unseen”, to borrow the notion adopted Louiza Ammi comments on. by that philosopher of images, Marie-José Mondzain, Exploring facts, inviting outside eyes, and with whom Katia Kameli has worked in two of the sharing words to give a complex vision of culture installation’s films. The unseen, “that which is and history represent Katia Kameli’s artistic and awaiting meaning in the debate over community”, critical approach. This generous work will finally be is conceived throughout the three films based on taken up in Marseille in October 2021, as part of the an initial plunge into the life of Algiers and one of its exhibition “EUROPA, Oxalá” at the Mucem. This main thoroughfares: Rue Larbi Ben M’Hibi, through time around it is from the curating angle that the the documentation of a nomadic kiosk that has artist, together with Antonio Pinto Ribeiro and Aimé been there for years. Le Roman algérien, chapitre 1 Mpane Enkobo, will question the colonial legacy, gravitates around this kiosk selling images whose by broaching memorial and postcolonial studies, and owners, Farouk Azzoyug and his son, daily set up and bringing together various European artists whose display a new composition made up of old postcards parents and grandparents hail from former colonies. 48Guest Taysir Batniji 49Guest Taysir Batniji

Taysir Batniji

par Guillaume— Lasserre

De son travail, on se souvient de l’enthousiasme de rentrer chez soi — symbole de la possibilité qu’avait provoqué sa découverte aux Rencontres du retour. Pour les Palestiniens, elle est ce qui d’Arles en 20181, si bien qu’on le croyait celui rattache à la terre d’origine. Le sable revient aussi d’un photographe. Le MAC VAL, musée d’art régulièrement dans le travail de l’artiste. Il s’agit contemporain du Val-de-Marne, qui célèbre de déjouer le stéréotype de l’orientalisme. Batniji l’art sensible, poétique et politique de l’artiste est un grand lecteur d’Edward Saïd2. Il inscrit ses franco-palestinien Taysir Batniji, démontre œuvres dans un dialogue permanent avec l’histoire qu’il n’en est rien. « Quelques bribes arrachées de l’art, comme en témoignent les références au vide qui se creuse », sa première exposition à Bernd et Hilla Becher, mais aussi au groupe rétrospective muséale, témoigne de la diversité d’un Supports/Surfaces — qu’il découvre à la faveur travail sous-tendu par le conflit israélo-palestinien. de l’exposition de Daniel Dezeuze à la Box, la galerie L’artiste est né à Gaza en 1966, quelques mois de l’ENSA, en 1995 —, ou encore à Robert Morris. Son avant la guerre des Six-Jours. Ni documentaire, œuvre s’articule autour du réel, de sa représentation ni journalistique, son œuvre s’envisage de manière et de ses artefacts, prenant pour élément moteur métaphorique. les péripéties de son parcours administratif. Il y a C’est à Naples, en 1993, qu’il poursuit ses toujours ce va-et-vient entre ce qui est et ce qui rend études artistiques, après s’être formé à l’université compte, entre les objets de la mémoire et les dessins, de Naplouse (Cisjordanie), et avant d’obtenir, ce qui reste — à l’image de cet autoportrait perdu l’année suivante, une résidence à l’école nationale mais dont une photographie incarne/porte la supérieure d’art (ENSA) de Bourges, avec un double survivance. L’humour traverse son œuvre. Souvent statut singulier : celui d’enseignant intervenant grinçant, il se fait parfois plus léger. Tout est d’une part et, de l’autre, d’étudiant en quatrième prétexte, tout est métaphore. Il est beaucoup

année, assorti d’un titre de séjour de dix ans. question d’autoportraits dans l’œuvre de Taysir Taysir Batniji, Watchtowers, 2008. Installé en France, marié, père de famille, il obtient Batniji. L’artiste travaille à partir de lui, fabrique Photographies noir et blanc, tirages Lambda sur papier satiné, 50 × 40 cm (chaque) / Black and white photographs, Lambda prints on satin paper, 50 × 40 cm (each). Courtesy Sfeir-Semler gallery, Beirut/Hamburg. Vue de l’exposition / Exhibition view « Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse », MAC VAL 2021. la citoyenneté en 2012. Jusqu’en 2006, date du début à l’aune de son propre corps, comme s’il cherchait Photo : Aurélien Mole © Adagp, Paris 2021. du blocus de Gaza, sa vie se partage entre la France à fixer sa nationalité indéfinie. Beaucoup de ses et la Palestine. Depuis, il ne peut plus se rendre œuvres relèvent de l’intime, du précaire : traces librement sur la terre familiale. de pas, empilement de valises, etc. Le rapport À l’université de Naplouse, l’enseignement au territoire l’obsède. artistique est très académique. Il se concentre L’exposition s’ouvre sur un questionnement essentiellement sur la sculpture, mais c’est surtout autobiographique vis-à-vis de la mort : une vidéo à la peinture que se forme Batniji. Lorsque celui-ci réalisée à partir d’une prise de vue, en 2003, découvre, à son arrivée en France, la multiplicité à Gaza. Cette interrogation est le point de départ de formes et de médiums utilisés dans la création du portrait : un plan fixe sur le visage sombre et contemporaine, il est décontenancé. Il aura besoin surdimensionné de l’artiste, qui se concentre pour de temps pour trouver son propre langage plastique. ne pas cligner des yeux à chaque fois que retentit 1 Guillaume Lasserre, « Taysir Batniji. Une histoire Penser le monde depuis son endroit : c’est une déflagration durant les bombardements. palestinienne », Le Club de Mediapart / Un certain regard le point de départ de l’exposition du MAC VAL. L’installation vidéo est accompagnée d’un court sur la culture, 2 août 2018, C’est aussi une très juste définition de l’art de Taysir texte retranscrivant la réponse d’un commandant https://blogs.mediapart.fr/ guillaume-lasserre/ Batniji. Sans doute l’assertion est-elle vraie pour de l’armée israélienne à un journaliste qui blog/020818/ toute personne vivant un exil qu’elle n’a pas choisi. l’interrogeait sur le bruit des bombes : « un bruit taysir-batniji-une-histoire- palestinienne Dans son journal intime, Chez moi ailleurs (2000-en de fond ». C’est aussi l’intitulé de l’œuvre. 2 Théoricien littéraire, cours), l’artiste photographie son quotidien depuis On comprend mieux sans doute les autoportraits politologue, humaniste, Edward Saïd est né en 1935 son arrivée en France. Ce témoignage existentiel de Taysir Batniji au regard de ID Project (1993-2020), à Jérusalem dans une famille palestinienne. Il enseigne constitue aussi une réflexion sur la nature même œuvre qui résume son itinéraire administratif la littérature anglaise et de la photographie et sur la fabrique de l’image. en seize documents facsimilés, le ramenant comparée à Columbia University, à New York, de 1963 Les œuvres de Taysir Batniji ne sont jamais figées. constamment à une identité indéterminée. Sur à sa mort en 2003. En 1978, L’artiste a du mal à terminer une pièce. L’indéfinition le laissez-passer de voyage que lui a attribué Israël, Taysir Batniji, À géographie variable, 2012. il publie L’Orientalisme. Gravure laser, 42 cure-dents,6,5 × 9 cm, L’Orient créé par l’Occident, de sa vie d’individu structure sa création plastique. « undefined » est apposé à côté de nationalité. cadre 19 × 22 cm / Laser engraving, 42 considéré comme le texte Plusieurs motifs sont récurrents dans son Comment fait-on pour se construire dans cette toothpicks, 6.5 × 9 cm, frame 19 × 22 cm. fondateur des études Photo : Taysir Batniji. postcoloniales. travail : la grille d’abord, mais aussi la clef, qui permet région, quand la nationalité palestinienne est niée ? Courtesy de l'artiste / the artist. 50Guest Taysir Batniji 51Guest Taysir Batniji

Les clefs apparaissent d’abord sous la forme Son atelier, sa valise, ses œuvres, sont autant d’empreintes rouillées sur des toiles roulées (1997), de preuves de son existence. Suspended Time installation influencée par le groupe Supports/ (2006), sablier posé sur son flanc, fixe le temps, Surfaces. Plus tard, elles seront cristallisées le mouvement et l’espace, en immobilisant le sable. par l’artiste (2007-2014), copies exactes de celles « Rien n’est permanent », affirme un dicton arabe qui figurent sur son trousseau de Gaza. que l’artiste prend soin de faire graver sur Non fonctionnelles, extrêmement fragiles, des centaines de savons empilés sur une palette elles illustrent de façon métaphorique non et dont l’espérance fragile apparaît dans la double seulement l’impossible retour mais aussi dissolution de l’œuvre — puisqu’à la matière l’immobilisation quotidienne de tout un peuple précaire, soluble, s’ajoute le démantèlement : impuissant face à la maitrise de l’espace et du temps. les visiteurs étant invités à repartir avec un morceau Les clefs font référence à la Nakba4, l’exode de savon. palestinien de 1948, durant lequel sept-cent-mille L’exposition du MAC VAL s’achève sur personnes ont été déplacées, parties avec leurs clefs une vidéo dans laquelle Taysir Batniji se filme dans comme une promesse. Les clefs sont aussi celles son appartement de Marseille en 2003, en train de l’atelier abandonné de Gaza, que l’artiste de danser sur I Will Survive de Gloria Gaynor, reproduit régulièrement. Des copeaux de bois dans sa version revue et corrigée par la Coupe obtenus à l’aide de taille-crayons jonchent le sol du Monde de football de 1998. La vidéo, et emplissent l’espace. Ils évoquent les coquelicots surimpression de deux plans concomitants, — « Hannoun » en dialecte palestinien, et également est réalisée en réaction à la guerre en Irak. titre de l’installation —, qui sont les premières Les humains, comme les plantes, ont cette fleurs à repousser sur les champs de bataille. prodigieuse capacité à s’adapter à l’environnement Ils ont la couleur rouge du sang. Le taille-crayon dans lequel ils sont déplacés. Taysir Batniji est un souvenir d’enfance pour Batniji. Il est lié incarne, à travers son travail, une poétique à l’apprentissage, à la répétition, qu’il détestait. de la mémoire : celle des exilés, de ceux qui ne sont Alors, pour repousser le temps des devoirs, il taillait jamais tout à fait d’ici, plus vraiment de là-bas. ses crayons jusqu’à les faire disparaitre. Face à l’impermanence de son identité, L’œuvre de Taysir Batniji raconte les désastres la création plastique apparaît alors comme du monde de son point de vue, à son échelle. l’expression de son existence au monde.

Taysir Batniji, Gaza journal intime #3 / Chez moi, 1999 – 2006. Photographies argentiques couleur, tirages jet d’encre sur papier Canson photo satin premium / Silver color photographs, inkjet prints on Canson photo satin premium paper. Courtesy Sfeir-Semler gallery, Beirut/Hamburg. Vue de l’exposition / Exhibition view « Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse », MAC VAL 2021. Photo : Aurélien Mole © Adagp, Paris 2021.

Au début des années 1990, après les accords l’artiste qui reproduit, en creux, les contours d’Oslo, l’autorité palestinienne est brièvement de l’album de mariage de son frère Mayssara, tué autorisée à émettre ses propres papiers d’identité. sous ses yeux par un sniper israélien au neuvième Elle gère alors un territoire composé de deux zones jour de la première intifada à Gaza, en 1987. Taysir séparées : la Palestine et Gaza. Comme sur Batniji est alors âgé de vingt ans. Se souvenir le document de voyage délivré par Israël, il n’y a de la mort à chaque instant, sans doute est-ce ainsi pas de mention de nationalité. que ceux qui ont connu la guerre traversent la vie. Pour l’administration française, Taysir Batniji À la seconde intifada répond Gaza Walls. doit prouver qu’il est Palestinien, alors qu’elle Cette série de photographies prises dans les rues ne reconnaît pas le terme de Palestine après 1948. de Gaza fait état d’une double disparition : Après 2006, l’artiste tentera trois retours à Gaza, celle du corps physique des martyrs et celle qui se solderont par trois échecs. de leur représentation, effacée par la destruction Réalisée entre 2005 et 2006 dans les échoppes — naturelle ou volontaire — des affiches à leur effigie. de Gaza, la série photographique Pères donne Dans Watchtowers, la série de tours et de miradors à voir les portraits encadrés des fondateurs des qu’il réalise3 en 2008, l’artiste décide de répertorier, commerces dans leur environnement. Le portrait selon le même procédé typologique que les Becher, du fondateur est à la fois l’autel privé renvoyant les miradors israéliens qui envahissent le territoire à la famille et la mémoire publique collective du lieu palestinien. L’ensemble témoigne de la violence de commerce. Le magasin, comme lieu ni totalement du principe même de la colonisation. Dans la série privé ni tout à fait public, est un entre-deux. de dessins intitulée Après coup (GH0809), Les échanges avec le territoire sont il imagine ce qui reste des maisons détruites compliqués. Lorsque sa mère décède, Taysir Batniji durant l’« opération Plomb durci » (2008-2009)

3 L’extrême difficulté que ne peut pas se rendre à son enterrement, n’ayant qui, pour la première fois, voit l’utilisation d’obus rencontre Taysir Batniji pas obtenu l’autorisation de retourner à Gaza. à phosphore blanc qui « grignotent » les corps. pour revenir à Gaza fait qu’il délègue la prise de vue Hommage intime, presque imperceptible, To My Taysir Batniji réalise énormément de dessins de ses photographies. Brother (2012) est une série de soixante gravures qui se font parfois objets et se matérialisent. 4 En arabe : « désastre » Taysir Batniji, Suspended Time, 2006. ou « catastrophe ». blanches sur fond blanc réalisées à la main par Il est alors à Gaza pour la dernière fois. Sable, verre, 10 x 27 cm / Sand, glass, 10 x 27 cm. Photo : Taysir Batniji. Courtesy de l'artiste / the artist. 52Guest Taysir Batniji 53Guest Taysir Batniji

Taysir Batniji

by Guillaume— Lasserre

Of his work, we remember the enthusiasm that For the Palestinians, it is what connects them his discovery at the Rencontres d’Arles in 20181 to the land of origin. Sand also appears regularly had provoked, so much so that everyone had in the artist’s work. It is a question of thwarting thought it was that of a photographer. The MAC the stereotype of Orientalism. Batniji is an avid VAL, a museum of contemporary art in the French reader of Edward Said4. He inscribes his works département of Val-de-Marne which celebrates in a permanent dialogue with the history of art, the sensitive, poetic, and political art of the as evidenced by the references to Bernd and Hilla Franco-Palestinian artist Taysir Batniji, proves Becher, but also to the group Supports/ otherwise. “Quelques bribes arrachées au vide qui se Surfaces—which he discovered through Daniel creuse2”, his first retrospective museum exhibition, Dezeuze’s exhibition at the Box, the gallery of the testifies to the diversity of a work underpinned ENSA, in 1995—, or to Robert Morris. His artwork by the Israeli-Palestinian conflict. The artist was revolves around reality, its representation, born in Gaza in 1966, a few months before the and its artifacts, using the twists and turns Six-Day War. Neither documentary nor journalistic, of his administrative career as a driving force. his work is metaphorical. There is always this back-and-forth movement In 1993, he pursued his artistic studies between what is and what testifies, between in Naples, after being trained at the University the objects of memory and the drawings, that which of Nablus (West Bank), and before obtaining remains—just like this self-portrait, lost, save a residency at the Ecole Nationale Supérieure d’Art for a photograph which embodies/carries (ENSA) in Bourges the following year, with a singular its survival. Humor runs through his work. double status: that of a lecturer on the one hand, Often cynical, it sometimes becomes lighter. and that of a student in his fourth year of studies, Everything is a pretext; everything is a metaphor.

on the other, coupled with a ten-year residence There are many self-portraits in Taysir Batniji’s Taysir Batniji, sans titre, 2001 – 2014. permit. Living in France, married, and a father, work. The artist starts from himself, creates Série de 177 portraits, sérigraphie sur Dibond, 31 × 39 cm (chaque) / Series of 177 portraits, silkscreen on Dibond, 31 × 39 cm (each). Courtesy Sfeir-Semler gallery, Beirut/Hamburg. Vue de l’exposition / Exhibition view « Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse », MAC VAL 2021. Photo : Aurélien Mole © Adagp, Paris 2021. he obtained nationality in 2012. Until 2006, with regard to his own body, as if he were trying when the blockade of Gaza began, he had spent to fix his undefined nationality. Many of his works his life between France and Palestine. Since then, are intimate and precarious: footprints, he can no longer travel freely to his family’s land. piles of suitcases, etc. He is obsessed with the At the University of Nablus, artistic education relationship to territory. is very academic. While it focuses mainly on The exhibition opens with an autobiographical sculpture, Batniji’s training focused especially questioning of death: a video made from a 2003 1 Guillaume Lasserre, on painting. When, upon his arrival in France, shooting in Gaza. This questioning is the starting « Taysir Batniji. Une histoire palestinienne » (“Taysir Batniji. he discovered the multiplicity of forms and media point of the portrait: a still frame of the artist’s dark A Palestinian Story”—free used in contemporary creation, he was disconcerted. and oversized face, who focuses on not blinking translation), Le Club de Mediapart / Un certain regard He would need time to find his own plastic language. every time an explosion resounds during the sur la culture, 2 août 2018, Thinking the world from one’s own place: bombings. The video installation is accompanied https://blogs.mediapart.fr/ guillaume-lasserre/ this is the starting point of the MAC VAL exhibition. by a short text transcribing the answer of an Israeli blog/020818/ taysir-batniji-une-histoire- It is also a very accurate definition of Taysir Batniji’s army commander to a journalist asking him about palestinienne. art. The assertion is undoubtedly true for anyone the noise of the bombs: “a background noise”. 2 “A few scraps snatched away from the deepening void” living in an exile that he or she did not choose. This is also the title of the work. (free translation). In his diary, Chez moi ailleurs3 (2000-ongoing), One might understand Taysir Batniji’s 3 “My home, elsewhere” (free translation). the artist photographs his daily life since he arrived self-portraits better in the light of ID Project (1993- 4 A literary theoretician, in France. This existential testimony also 2020), a work that summarizes his administrative a political commentator, and a humanist, Edward Said constitutes a reflection on the very nature itinerary in sixteen facsimile documents, constantly was born in Jerusalem of photography and the making of images. Taysir bringing him back to an undefined identity. On the in 1935, in a Palestinian family. Taysir Batniji, No Condition Is Permanent, 2014 He taught English and Batniji’s works are never static. The artist struggles travel pass he received from Israel, “undefined” (actualisation 2021). comparative literature Savons gravés, palette. Œuvre réalisée at Columbia University, to finish a piece. The indefinition of his life is written next to “nationality”. How does one go avec le soutien de L’Atelier Populaire / in New York, from 1973 until as an individual structures his plastic creation. about constructing oneself in this region when Engraved soaps, palette. Work realized his death in 2003. In 1978, with the support of L’Atelier Populaire. he published Orientalism, His work contains several recurring motifs: Palestinian nationality is denied? Vue de l’exposition / Exhibition view considered to be the founding the gate, first, but also the key, which allows one In the early 1990s, after the Oslo Accords, the « Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse », text of postcolonial studies. MAC VAL 2021. Photo : Aurélien Mole (Author’s note.) to return home—a symbol of the possibility of return. Palestinian Authority was briefly authorized to issue © Adagp, Paris 2021. 54Guest Taysir Batniji 55Guest Taysir Batniji

that he created in 20085, the artist decided to list, according to the same typological process as the beakers, the Israeli watchtowers that invaded the Palestinian territory. The ensemble bears witness to the violence of the very principle of colonization. In the series of drawings entitled Après coup (GH0809), he imagined what remains of the houses destroyed during Operation “Cast Lead” (2008-2009) which, for the first time, saw the use of white phosphorus shells “nibbling” the bodies. Taysir Batniji produced drawings that sometimes became objects and materialized. He was then in Gaza for the last time. The keys first appeared as rusty prints on rolled canvas (1997), an installation influenced by the Supports/Surfaces group. Later on, the exact copies of those that appeared on his keychain in Gaza would be crystallized by the artist (2007-2014). Non-functional, extremely fragile, they were the metaphorical illustration, not only of an impossible return, but also of the daily immobilization of an entire people, powerless against the control of space Taysir Batniji, Sans titre, 1998. Valise, sable, dimensions variables / Suitcase, sand, variable dimensions. and time. The keys refer to the Nakba6, the Photo : Taysir Batniji. Courtesy de l'artiste et des galeries / the artist and galleries Sfeir-Semler Palestinian exodus of 1948, during which seven (Hambourg/Beyrouth) & Éric Dupont (Paris). hundred thousand people were displaced, taking its own identity papers. It then managed a territory their keys with them as a promise. The keys were made up of two separate areas: Palestine and Gaza. also those of the abandoned workshop in Gaza, Just like on the travel document issued by Israel, which the artist reproduces regularly. Wood there was no mention of nationality. shavings obtained using pencil sharpeners litter the While the French administration did not floor and fill the space. They evoke the poppies recognize the term “Palestine” after 1948, Taysir — “Hannoun” in Palestinian dialect, also the title of Batniji still had to prove that he was Palestinian. the installation —, which are the first flowers to grow Taysir Batniji, Hannoun, 1972 – 2009 (actualisation 2021). Performance/installation, photographie couleur, impression jet d’encre sur papier affiche, copeaux de crayons. Œuvre réalisée avec le soutien de BIC et d’Après-midi Lab / After 2006, the artist would make three attempts back on the battlefields. Their color is red, like Performance/installation, color photography, inkjet printing on poster paper, pencil shavings. Work realized with the support of BIC and Après-midi Lab. at returning to Gaza, which would result in three blood. The pencil sharpener is a childhood memory Vue de l’exposition / Exhibition view « Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse », MAC VAL 2021. Photo : Aurélien Mole © Adagp, Paris 2021. failures. for Batniji. It is linked to learning, to repetition, Created between 2005 and 2006 in the shops which he hated. Thus, to postpone homework time, of Gaza, the photographic series Fathers shows he would sharpen his pencils until they disappeared. the framed portraits of the founders of the shops Taysir Batniji’s work tells the disasters of the in their environment. The portrait of the founder world from his point of view, at his scale. His studio, is both the private altar referring to the family his suitcase, his works are all proof of his existence. and the collective public memory of the trading Suspended Time (2006), an hourglass lying place. The store, as a place neither totally private on its side, fixes time, movement, and space, nor totally public, constitutes an in-between. by immobilizing the sand. “Nothing is permanent,” The exchanges with the territory were as the Arabic saying goes — a saying that the artist complicated. When his mother died, Taysir Batniji was careful to have engraved on hundreds of soaps was unable to attend her funeral, as he did not piled on a palette, and the fragile hope of which obtain permission to return to Gaza. An intimate, appeared in the double dissolution of the work almost imperceptible tribute, To My Brother (2012) — since to the precarious, soluble material was is a series of sixty white engravings on a white added the dismantling: visitors were invited to leave background handmade by the artist reproducing, with a piece of soap. in counter-relief, the outlines of the wedding album The MAC VAL exhibition ends with a video of his brother Mayssara, killed before his eyes in which Taysir Batniji films himself in his Marseille by an Israeli sniper on the ninth day of the first apartment in 2003, dancing to Gloria Gaynor’s I Will intifada in Gaza, in 1987. Taysir Batniji was Survive, in its version revised and corrected for the then twenty years old. Remembering death at every 1998 World Cup. The video, a superimposition of two moment—perhaps this is how those who have concomitant shots, was made in reaction to the Iraq experienced war go through life. war. Humans, like plants, are endowed with the The second intifada is echoed by Gaza Walls. prodigious capacity to adapt to the environment Vue de l’exposition / Exhibition view This series of photographs taken in the streets in which they are displaced. Through his work, « Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse », MAC VAL 2021. of Gaza highlights a double disappearance: that Taysir Batniji embodies a poetics of memory: that of Photo : Aurélien Mole © Adagp, Paris 2021. 5 Taysir Batniji’s extreme of the martyrs’ physical body and that of their the exiled, of those who are never quite from here, nor difficulty in returning to Gaza (au centre / on center) led him to delegate the taking representation, erased by the—natural or voluntary ever really from there. Faced with the impermanence Taysir Batniji, Le Socle du monde, 2011. of his shots. (Author’s note.) —destruction of the posters with their effigy. In of his identity, plastic creation appears as the Pavés / cobbles, 196 × 136 × 15 cm. 6 “Disaster” or “catastrophe” Courtesy galerie Éric Dupont, Paris. in Arabic. Watchtowers, the series of towers and watchtowers expression of his existence in the world. New fair location Liste Art Fair Basel 20–26 September Messe Basel, Hall 1.1 Maulbeerstrasse / corner Riehenring 113 Liste Art Fair Basel 2021 4058 Basel Liste Showtime Online, 15–30 September Liste Expedition Online, October onward Liste liste.ch Liste Liste

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210x297-FIAC2021-FR.indd 1 03/06/2021 11:12 58Interview Théo-Mario Coppola 59Interview Théo-Mario Coppola

Théo-Mario Coppola

en conversation avec— Vanessa Morisset

Théo-Mario Coppola, « HOUSE Pour sa onzième édition, la biennale MOMENTUM, et aux « maisons de la culture », pour ne donner OF COMMONS », du 12 juin originellement limitée au contexte nordique que quelques exemples en dehors du champ au 10 octobre 2021 — elle se tient dans divers lieux en Norvège — parlementaire. Le mot « communs » s’inscrit dans s’ouvre à l’international en confiant son commissariat une ascendance complexe, qui mériterait un long à Théo-Mario Coppola. Curateur engagé dans développement. Dans une acceptation radicale, une pensée de l’art d’un point de vue politique, les communs peuvent être entendus comme il a élaboré une exposition à partir d’une réflexion un défi à la démocratie moderne ou aux états théorique rigoureuse, où la mission traditionnelle dont les nombreuses limites contreviennent des biennales de considérer l’art en relation avec aux principes de liberté, d’égalité, d’émancipation, les questions sociales contemporaines est prise et de vivre ensemble au profit d’un repli social très au sérieux. L’événement sera accompagné et d’une recomposition des modes de domination. d’un recueil d’essais à paraître en septembre. Par un geste d’affirmation appris des activistes et des minorités, la revendication de ces deux mots V.M. Comme thème de cette biennale, vous avez opère un déplacement historique, politique, choisi la notion de « communs », quels sont esthétique et philosophique, qui permet de se ses enjeux selon vous? les réapproprier. T-M. C. Dans son acceptation ostromienne1, la notion de communs peut être articulée aux notions En somme, est-ce que l’art ou, comme vous d’« horizontalité » et d’« être-ensemble ». préférez le nommer, « les pratiques esthétiques » Elle permet un renouvellement du rapport à l’utopie, peuvent constituer un espace ou un terrain le développement de formes de résistance, et la mise commun dans le sens d’un endroit où se retrouver en place de solidarités. Un des enjeux majeurs pour discuter et agir ? pour nos communautés et nos sociétés consiste Au-delà des mouvances, des disciplines, et des à débarrasser le langage des formes de domination notions, les pratiques esthétiques contemporaines et à l’enrichir d’une pensée nouvelle. Nous peuvent être entendues comme des espaces réels ne pouvons pas continuer à penser le présent et potentiels de discussion, d’interprétation, et à envisager les modalités d’un avenir avec de reformulation. La locution « terrain commun » des mots qui sont en inadéquation à la réalité. peut se révéler pertinente si elle est prise au sens Sans un renouvellement des concepts, des notions, sociologique de « situation ». En revanche, si c’est des méthodologies, nous reproduisons des usages au sens d’un « espace disponible » voire d’un et des dynamiques en dissonance avec les enjeux « espace à occuper », même dans le contexte contemporains. d’un mouvement de lutte, elle doit être mobilisée avec précaution. Il faut prendre garde à ne pas faire En France, avec l’anniversaire des cent-cinquante un mésusage du mot « communs » en en faisant ans de la Commune, on perçoit immédiatement une lecture universaliste. Qui décide ce qui est mis les enjeux politiques qu’il y a à repenser en commun et pour qui ? Qui a le droit de changer le commun. Votre titre évoque une autre référence cela et dans quel but ? Et de qui prend-on la place ? politique : la Chambre des communes du Les communs sont une condition d’existence Royaume-Uni. Pourriez-vous préciser pourquoi ? et une exigence éthique. Tout est potentiellement HOUSE OF COMMONS s’inscrit dans une multitude à mettre et à penser en commun à condition de références, pas seulement celle des chambres que l’histoire et les spécificités culturelles basses britannique et canadienne actuelles. des communautés soient entendues et respectées. C’est un titre polyphonique qui ne doit être entendu Les communs impliquent de penser les ni dans une seule langue ni dans un seul contexte conditions particulières dans lesquelles ils trouvent socio-historique. Il a des ramifications dans des expressions. Ils invoquent des registres plusieurs sociétés et pays, en Norvège comme de pensée et d’action plus subtils, nourris par les 1 Voir Elinor Ostrom, Gouvernance des biens ailleurs. études postcoloniales et indigènes. De nombreuses communs, pour une nouvelle Le premier mot, « maison », peut certes être terres ont été « dérobées » par les puissances approche des ressources naturelles, Elinor Ostrom. traduit par « chambre », et cela produit d’autres coloniales et le phénomène de colonisation perdure Editions De Boeck, 1990, trad. sens, comme celui de « salle » ou d’« atelier » ; dans de nombreuses parties du monde. Par ailleurs, Cian Dayrit, Tree of Life in the State of Decay and Rebirth, 2019. francaise 2010 (Note de la Textile brodé / Embroidery On Textile (en collaboration avec / with Henry Caceres), 190,5 × 165 cm. rédaction). mais il est également lié aux « maisons du peuple » il ne suffit pas que des pratiques esthétiques 60Interview Théo-Mario Coppola 61Interview Théo-Mario Coppola

Uriel Orlow, Imbizo Ka Mafavuke de façon compartimentée. Elles sont en résonance possibilité d’être et de changer l’ordre du monde (Mafavuke’s Tribunal) , 2017. 28 minutes, les unes avec les autres. Ces axes s’entrelacent ensemble. Il y a notamment une itération d’un travail noir et blanc / couleur / à travers le recueil d’essais, les événements conceptuel du groupe Kollektivnye Deystviya black and white / colour, 16:9, vidéo HD / HD video. et l’exposition collective, qui sont les trois (Actions collectives), créé en URSS dans les années © Uriel Orlow composantes de la biennale. 1970, la vidéo d’une action anticoloniale de Pia Arke, et une tapisserie d’Hannah Ryggen présentée Comment avez-vous choisi les artistes par rapport à l’Exposition universelle de 1937 à Paris. Il y a aussi à cette problématique ? une œuvre importante de Maria Nordman dont J’ai invité des personnes avec des pratiques le travail a affecté de manière significative les différentes, parfois à la croisée de plusieurs pratiques esthétiques contemporaines. J’ai souhaité disciplines. Le travail de ces praticien·ne·s témoigne convier des praticien·ne·s dont l’approche relève d’un engagement sincère, d’une recherche fine d’une sophistication dans l’élaboration d’une pensée et articulée, d’un refus du conformisme et des de la déconstruction et de la résistance. Je pense tendances, et de la volonté de changer de notamment à Camilo Godoy pour sa réflexion paradigme. Leurs projets s’inscrivent dans l’histoire sur les formes de dominations coloniales et l’ancrage des pratiques critiques, de la contestation, et du des représentations racistes, dans le cadre d’une rejet de l’artefact. Pendant la période de recherche coproduction avec le programme de résidences et de préparation de la biennale, les différents axes SOLARIS à Bordeaux. J’ai commandité un nouveau de HOUSE OF COMMONS ont guidé mes choix film à Daisuke Kosugi en coproduction avec le MOT mais m’ont amené à interroger en retour ce que à et Volt à Bergen. Cette œuvre aborde avec l’« art contemporain » peut induire comme réduction finesse la manière dont le traumatisme se manifeste des expressions esthétiques et des principes dans l’intimité des souvenirs par le biais des images éthiques. C’est aussi pour cela que je préfère et des sons, et de leur permanente reformulation penser en termes de « pratiques esthétiques dans la psyché. C’est à ce jour sa vidéo la plus contemporaines », en incluant par exemple personnelle. Il y a également des photographies l’architecture. Cette pratique est présente dans de Paul Mpagi Sepuya qui abordent l’atelier l’exposition, à travers le projet du studio comme un espace d’expérience et d’affinités, au sein d’architecture mexicain S-AR avec qui j’ai initié un duquel les corps photographiés et photographiant contemporaines soient partagées pour que des une récupération populiste et de se conformer dialogue à l’été 2020. Ensemble, pendant plusieurs n’établissent pas des rapports de fétichisation mais « espaces communs » apparaissent. Si elles ouvrent à l’exercice d’une culture officielle. mois, nous avons réfléchi à des pavillons pouvant au contraire de confiance les uns envers les autres. bien des espaces, ces derniers nécessitent que C’est un vecteur contre lequel je veux lutter. être démontés, déplacés et réassemblés, les lieux qui les accueillent appliquent l’autocritique. Je ne crois pas qu’il y ait des projets simples qui produisent une synthèse des différents aspects J’imagine que la préparation de cette biennale Les communs requièrent de nous d’apprendre à comprendre d’une part et des projets complexes de leur recherche en lien avec l’environnement a alimenté vos réflexions personnelles quant et de désapprendre. Comment établir un d’autre part. Il faut montrer des projets pertinents et les communautés. Les trois pavillons qu’iels ont à votre conception du commissariat d’exposition : agencement d’espaces qui soient effectivement si nous souhaitons qu’ils soient accessibles. conçus ont des titres synecdotiques : l’« escalier », est-ce qu’elle vous a conforté dans vos idées, communs, tel est l’enjeu. En tant que curateur·trice·s, si nous laissons la « plateforme », et le « cylindre ». Ils ont plusieurs ou vous a fait entrevoir d’autres pistes ? tempérer nos ambitions curatoriales et ne fonctions et sont présentés sous les différents états Il est toutefois traditionnel pour les biennales défendons pas l’intégrité des projets des d’un pavillon, celui d’accueillir d’autres œuvres Dans un contexte contemporain traversé par des de proposer des thématiques sociales d’actualité, praticien·ne·s avec lesquel·le·s nous travaillons, en leur sein, d’en rester à l’état de potentialité, dominations, des asymétries, des enjeux de pouvoir, avec finalement bien souvent des récupérations nous entrons en connivence avec des formes ou une combinaison des deux. plusieurs valeurs restent pour moi primordiales : touristiques qui désamorcent les questions de domination. Il existe des propositions esthétiques l’éthique, l’indépendance intellectuelle, la cohérence soulevées. Par quels moyens pensez-vous pouvoir articulées qui méritent d’être soutenues, Pourriez-vous donner encore quelques exemples conceptuelle et la rigueur en termes de choix faire en sorte d’y échapper ? au-delà du conformisme et des tendances. qui selon vous incarnent le mieux le désir esthétiques. La notion de communs constitue MOMENTUM était jusqu’ici une biennale orientée de « communs » ? une opportunité pour affirmer un engagement vers des scènes constituées et identifiées comme Les différents axes qui chapitrent la biennale, Pour l’exposition, j’ai d’abord retenu des projets auprès des praticien·ne·s et les accompagner « nordiques ». Son sous-titre promouvant l’espace les nouvelles formes de gouvernance, la résilience, historiques qui témoignent d’un lignage de l’art dans leurs recherches, pour réfléchir aux conditions régional m’est apparu comme une forme l’autonomisation, la protection des écosystèmes, critique et d’une réflexion sur ce qu’implique la dans lesquelles se produisent le travail artistique e d’impérialisme en dissonance avec les exigences constituent-ils pour vous les différents aspects t celui intellectuel, et pour mieux définir requises d’une institution culturelle aujourd’hui. qui définissent les « communs » ? les possibilités mais aussi les limites du curatoriat. Je l’ai fait retirer. J’ai élargi l’ancrage international Oui, en partie. Les communs induisent un ensemble Depuis le début du travail entrepris sur HOUSE de la biennale en mettant en place des partenariats de dispositions sociales et esthétiques dont OF COMMONS, j’ai dû défendre l’auctorialité de mon avec plusieurs organisations, programmes l’articulation permet de renouveler une pensée projet, ainsi que celle des projets des praticien·ne·s. et institutions, en invitant des praticien·ne·s critique, d’affirmer un engagement politique, Dans un contexte de domination institutionnelle d’horizons culturels et de parcours différents, de construire un propos cohérent sur les pratiques allant parfois jusqu’à la prédation, les et en pensant le livre comme un élément dont esthétiques contemporaines. Les formes et les idées curateur·trice·s et les praticien·ne·s sont la diffusion serait d’abord mondiale. C’est aussi une appartiennent à un même continuum qui particulièrement exposé·e·s et leurs droits mal plateforme de solidarité, de liberté et de radicalité nécessite d’intégrer la diversité des références connus et peu respectés. Après HOUSE OF pour les praticien·ne·s que j’ai invité·e·s. et des contextes de production culturelle, COMMONS, je souhaite poursuivre une réflexion Comme vous, j’observe qu’un discours l’intersectionnalité comme outil de décryptage sur les théories et les expériences anarchistes. Pia Arke, Arctic Hysteria, 1996, stratégique est mis en place par un certain des trajectoires. Les nouvelles formes Video 4:3 (S-VHS to DVD) nombre de biennales, non parce qu’elles seraient de gouvernance, les communautés et leur défense, 5: 55 min., Louisiana Museum of Modern Art, Humlebæk, véritablement enclines à un débat d’idées la protection de l’environnement, et les récits Acquis grâce au financement du et à une exploration de questions sociales, alternatifs sont des éléments complémentaires. Fonds Anker / Acquired with funding from the Anker Fund. mais dans le but plus ou moins affirmé d’en faire Les questions contemporaines n’existent pas Courtesy de l’artiste / the artist. 62Interview Théo-Mario Coppola 63Interview Théo-Mario Coppola

Théo-Mario Coppola

in conversation with— Vanessa Morisset

Théo-Mario Coppola, For its eleventh edition, the MOMENTUM biennial, of culture”, to give just a few examples outside “HOUSE OF COMMONS”, —which originally was limited to the Nordic context, the parliamentary field. The word “commons” June 12 to October 10, 2021. as it is held in various spaces across Norway—has is part of a complex ancestry, which would deserve widened its scope to the international scene further development. In a radical sense, by entrusting its curation to Théo-Mario Coppola. the commons can be understood as a challenge A curator committed to thinking about art to modern democracy or to states whose numerous from a political standpoint, he has developed limits go against principles of freedom, equality, an exhibition based on a rigorous theoretical emancipation, and living together, in favour framework, where the traditional mission of a social withdrawal and a re-assemblage of modes of biennials to consider art and its relationship of domination and power structures. to wider contemporary social issues is taken Following the principle of a gesture very seriously. The event will be accompanied by of affirmation learnt from activists and minority a collection of essays to be published in September. groups, the act of reclaiming these two words is a way of operating a historical, political, aesthetic and philosophical displacement, which then allows V.M. As a theme for this biennial, you have chosen to reappropriate them too. the notion of “commons”. For you, what is at stake here? In other words, can art or, as you prefer to call it, T-M. C. In its Ostromian1 understanding, the notion “aesthetic practices”, constitute a space of “commons” is interwoven with the notions or a common ground as a place to meet for debate of “horizontality” and of “being together”. and action? It allows a renewal of the relationship to utopia, Beyond movements, disciplines, and notions, of the elaboration of forms of resistance, and contemporary aesthetic practices can be of the establishment of solidarity. One of the major understood as real and potential spaces challenges of our communities and societies is to rid of discussion, interpretation, and reformulation. Vue de / View of Jeløya, Moss, Norway. language of its forms of domination and power play, The expression “common ground” can be relevant Photo : Eivind Lauritzen and to enrich it with new thought. We cannot if it is taken in the sociological sense of “situation”. continue to think about the present and to envision On the other hand, if it is rather understood modalities for a future with words that are rather as an “available space” or even a “space to be inadequate to reality. Without a renewal of concepts, occupied”, even within the context of a liberation notions, and methodologies, we will reproduce movement, it must be used with precaution. institutions that host them apply self-criticism. element whose dissemination would be firstly global. uses and dynamics that are at odds with We must be careful not to misuse the word The commons require us to learn and unlearn. It is also a platform of solidarity, of freedom and contemporary issues. “commons” by instating a universalist reading of it. How to establish a configuration of spaces that are of radicality for the practitioners I have invited. Who decides what is put in common and for whom? effectively common is the challenge. Like you, I realise that a strategic discourse is In France, with the 150th anniversary of the Paris Who has the right to change this and for what being established by a certain number of biennials, Commune, one can immediately see the political purposes? And whose place is thus being taken? However, it is quite typical for biennials to put not because they would be genuinely inclined stakes involved in rethinking the common. Your The commons are a condition of existence and forward current social topics, but in the end, to a debate of ideas and an exploration of social title also touches upon another political reference: an ethical imperative. Everything is potentially they are often recuperated for tourism purposes. issues, but rather with the more or less stated aim the House of Commons of the United Kingdom. to be put and thought in common, provided that This thus defuses the issues raised. How do you of it being recuperated for populist reasons, and Could you explain why? the history and cultural specificities of communities think that you’ll be able to avoid this? conforming to the establishment an official culture. HOUSE OF COMMONS inscribes itself in a are heard and respected. Until now, MOMENTUM was a biennial that was This is a vector against which I want to fight. multitude of references, and not only the current The commons involve thinking about the oriented towards established and specific scenes I don’t believe that there are simple projects to British and Canadian lower chambers of Parliament specific conditions in which they find expression. identified as “Nordic”. Its subtitle, putting forward understand on the one hand, and complex projects for that matter. It is a polyphonic title that should They invoke more subtle registers of thought and this regional attribute, seemed to me to be a form on the other. We have to show relevant projects not be understood in a single language, nor in action, informed by postcolonial and indigenous of imperialism at odds with the requirements if we want them to be accessible. As curators, a single socio-historical context. It has ramifications studies. Many lands have been “snatched” by of a cultural institution today. I had it removed. if we allow our curatorial ambitions to be tempered within several societies and countries, in Norway colonial powers and the phenomenon of colonization I broadened the international scope of the biennial with and do not defend the integrity of the projects and elsewhere. The first word, “house”, can be persists in many parts of the world. Moreover, by setting up partnerships with several organisations, of the practitioners we work with, we comply with 1 See Elinor Ostrom, Governing the commons: The evolution translated as “chamber”, and that brings in other shared contemporary aesthetic practices do not programmes and institutions, by inviting forms of domination. There are articulated aesthetic of collective action, 1990, meanings, such as “room” or “workshop”; but mean that “common spaces” will emerge. If they do practitioners from different cultural horizons and proposals that deserve to be supported, beyond translated in French in 2010 (Editor’s note). it is also linked to the “people’s house” and “house open up spaces, these practices require that the backgrounds, and by thinking of the book as an current conformism and trends. 64Interview Théo-Mario Coppola 65

Do the different thematic areas that structure Could you give a few more examples that you think the biennial, being new forms of governance, best embody the desire for “commons”? resilience, empowerment, and the protection For the exhibition, I have chosen first of all historical of ecosystems, constitute for you the different projects that testify to a lineage of critical art, aspects that define the “commons”? and to the thought of what the possibility of being Yes, in part. The commons induce a set of social and changing the world order together implies. and aesthetic dispositions whose assemblage allows These include an iteration of a conceptual work for the renewal of critical thought, the affirmation by the group Kollektivnye Deystviya (Collective of a political commitment, and the construction Actions), created in the USSR in the 1970s, a video of a coherent discourse on contemporary aesthetic of an anti-colonial revolt by Pia Arke, and a tapestry practices. Forms and ideas belong to the same by Hannah Ryggen presented at the 1937 World continuum which requires the inclusion of a diversity Exhibition in Paris. There is also an important of references and contexts of cultural production, project by Maria Nordman whose work has and intersectionality as a tool for deciphering significantly affected contemporary aesthetic trajectories. New forms of governance, communities practices. I wanted to invite practitioners whose and their defence, environmental protection, approaches are sophisticated in their way and counter-narratives are complementary of thinking of deconstruction and resistance. elements. Contemporary issues do not exist For example, I have in mind Camilo Godoy for his in a compartmentalised manner. They resonate reflection on forms of colonial domination and with each other. These axes are intertwined through the rooting of racist representations, produced the collection of essays, the events and the collective within the framework of a co-production with exhibition, which are the three components the SOLARIS residency programme in Bordeaux. of the biennial. I commissioned a new film from Daisuke Kosugi in co-production with MOT in Tokyo and Volt How did you choose the artists in relation in Bergen. This work deals with the way trauma to this set of issues? manifests itself in the intimacy of memories I invited people with different practices, sometimes through images and sounds, and their permanent at the crossroads of several disciplines. The work of remoulding in the psyche. This is his most personal these practitioners attests to a sincere commitment, video to date. There are also photographs by Paul a fine and articulated research, a refusal Mpagi Sepuya that look at the studio as a space of conformism and trends, and the will to shift the of experience and affinity, in which the bodies paradigm. Their projects inscribe themselves photographed and photographing do not entertain in the history of critical practices, of uprisings, a relationship of fetishization, but rather of trust and of the rejection of the artefact. During towards each other. the research and preparation period of the biennial, Julie Bena the different thematic areas of HOUSE OF I imagine that the preparation of this biennial Julien Carreyn COMMONS guided my choices, but also led me has played an important role in your own personal Florence Doleac to question in return what “contemporary art” thoughts on your curatorial practice: has it Marine Julié can lead to in terms of a reduction of aesthetic confirmed previous ideas, or has it rather led Katia Kameli expression and ethical principles. This is also you towards other trajectories? Romain Lemé Les petits chats du Rosmeur why I prefer to think about “contemporary aesthetic In a contemporary context marked by domination, Nicolas Milhé practices”, including architecture for example. asymmetries and power structures, several Renaud Perriches This practice is present in the exhibition, through values remain essential for me: ethics, intellectual Florian et Michaël Quistrebert the project of the Mexican architecture studio S-AR, independence, conceptual coherence and Sylvain Rousseau with whom I began working in the summer of 2020. rigour in terms of aesthetic choices. The notion Andraus Simeon

Exposition collective du 20 juillet au 11 septembre 2021 Yoan Sorin Together, for several months, we have thought of commons is an opportunity to reinstate about pavilions that can be dismantled, moved commitment to practitioners and to accompany and reassembled, which produce a synthesis them in their research, to reflect on the conditions of different aspects of their research in relation in which artistic and intellectual works are to the environment and local communities. produced, and to better define the possibilities The three pavilions they have designed have but also the limits of curation. Since the beginning synecdoche titles: the “staircase”, the “platform’” of my work on HOUSE OF COMMONS, I have had and the “cylinder”. They have several purposes to defend the auctoriality of my project, as well and are presented as the different states as that of the practitioners’ projects. In a context of a pavilion; that of hosting other works within of institutional domination that sometimes goes them, of remaining in a state of potentiality, as far as predation, curators and practitioners or a combination of both. are particularly exposed, and their rights poorly known or respected. After HOUSE OF COMMONS, I wish to pursue my research and thought on anarchist theories and experiences. © Delhia Dondain et Yann Rondeau

Galerie HASY 21 grande rue Le Pouliguen DU MERCREDI AU SAMEDI 10H-12h30 | 16H-18h30 sur RDV : 06.64.84.06.01 [email protected] 09—12 Sept. 2021

1 93 Gallery (Paris) • 313 Art Project (Paris, Séoul) • Galería 451 (Oviedo)* • Galerie 8+4 – Paris (Paris) • A&R Fleury (Paris)* • A2Z Art Gallery (Paris, Hong Kong) • Galerie AB (Paris)* • Martine Aboucaya (Paris)* • AD Galerie (Montpellier) • Afikaris (Paris) • Galería Albarrán Bourdais (Madrid) • Galerie Almine Rech (Paris, Bruxelles, Londres, New York, Shanghai)* • Alzueta Gallery (Barcelone) • Galerie Andres Thalmann (Zurich)* • Galerie Art : Concept (Paris)* • Art to Be Gallery (Lille) • Galerie Ariane C-Y (Paris) • Galerie Arts d’Australie – Stéphane Jacob (Paris) • Galerie Cédric Bacqueville (Lille) • Helene Bailly Gallery (Paris)* • Galerie Ange Basso (Paris) • La Balsa Arte (Bogota)* • Galerie Laurence Bernard (Genève)* • Galerie Anne-Sarah Bénichou (Paris)* • Galerie Berès (Paris)* • Galerie Claude Bernard (Paris) • Galerie Bert (Paris) • Galerie Berthéas (Saint-Étienne, Vichy, Paris)* • Galerie Bessières Art Contemporain (Chatou) • Galerie Françoise Besson (Lyon)* • Galerie Binome (Paris) • Bogéna Galerie (Saint-Paul-de-Vence) • Galerie Bernard Bouche (Paris)* • Galerie Boulakia (Londres)* • Galerie Capazza (Nançay) • Galerie Jean-François Cazeau (Paris) • Galerie Chauvy (Paris) • Galerie Chevalier (Paris)* • Galleria Continua (San Gimignano, Beijing, Boissy les Chatel, La Havane, Rome, São Paulo, Paris)* • Galeria Cortina (Barcelone)* • Christopher Cutts Gallery (Toronto) • Danysz (Paris, Shanghai, Londres)* • Galerie Derouillon (Paris)* • Dilecta (Paris) • Ditesheim & Maffei Fine Art (Neuchâtel)* • Galería Marc Domènech (Barcelone) • Galerie Eric Dupont (Paris) • Galerie Dutko (Paris) • galerie frank elbaz (Paris)* • Espace Meyer Zafra (Paris)* • Galerie Valérie Eymeric (Lyon) • Galerie Les Filles Du Calvaire (Paris)* • Galerie Claire Gastaud (Clermont-Ferrand, Paris) • Galerie Louis Gendre (Paris, Chamalières) • Galerie Alain Gutharc (Paris) • H Gallery (Paris) • Galerie Ernst Hilger (Vienne) • Huberty & Breyne Gallery (Bruxelles, Paris) • Galerie Intervalle (Paris) • Galerie Italienne (Paris) • Galerie Jean Fournier (Paris)* • Galerie Jeanne Bucher Jaeger (Paris) • Gallery Joeun (Séoul)* • Kamel Mennour (Paris, Londres)* • Ketabi Projects (Paris)* • Galerie kreo (Paris)* • Galerie La Forest Divonne (Paris, Bruxelles) • Galerie Lahumière (Paris) • Galerie La Ligne (Zurich)* • Galeria de las misiones (Montevideo)* • Galerie Le Feuvre & Roze (Paris)* • Galeria Le Guern (Varsovie)* • Galerie Lara Vincy (Paris) • Alexis Lartigue Fine Art (Paris) • Galerie Jean-Marc Lelouch (Paris) • Galerie Lelong & Co (Paris)* • Galerie Françoise Livinec (Paris, Huelgoat)* • Galerie Loft (Paris) • Loevenbruck (Paris)* • Magnin-A (Paris)* • Maruani Mercier Gallery (Bruxelles)* • Galerie Martel (Paris)* • Massimo De Carlo (Milan, Londres, Hong Kong, Paris)* • Galeria Mayoral (Barcelone, Paris)* • Galerie Marguerite Millin (Paris) • Galerie Minsky (Paris)* • Galerie Mitterrand (Paris)* • Galerie Modulab (Metz) • Galerie Frédéric Moisan (Paris) • Galerie Lélia Mordoch (Paris, Miami) • Galerie Najuma – Fabrice Miliani (Marseille) • Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) • Opera Gallery (Paris) • Galerie Pact (Paris)* • Galerie Paris-Beijing (Paris) • Perrotin (Hong Kong, New York, Paris, Séoul, Tokyo) • Pigment Gallery (Barcelone) • Galerie Provost-Hacker (Lille) • Galerie Rabouan Moussion (Paris) • Raibaudi Wang Gallery (Paris) • Rebecca Hossack Art Gallery (Londres)* • Red Zone Arts (Francfort-sur-le-Main) • Galerie Richard (Paris, New York) • Galerie Thaddaeus Ropac (Londres, Paris, Salzbourg)* • J.-P. Ritsch-Fisch Galerie (Strasbourg) • Galerie Sator (Paris, Romainville)* • Galerie Scene Ouverte (Paris) • Galerie Alex Schlesinger (Zurich)* • School Gallery/Olivier Castaing (Paris) • Galerie Lara Sebdon (Paris) • Sit Down Galerie (Paris)* • Galerie Slotine (Paris) • Galerie Véronique Smagghe (Paris) • Michel Soskine Inc. (Madrid, New York)* • Stems Gallery (Bruxelles)* • Galerie Taménaga (Paris, Tokyo, Osaka) • Galerie Tanit (Munich, Beyrouth)* • Galerie Suzanne Tarasieve (Paris)* • Templon (Paris, Bruxelles) • Galerie Traits Noirs (Paris) • Galerie Patrice Trigano (Paris) • Un- Spaced (Paris) • Galerie Univer/Colette Colla (Paris) • Galerie Vazieux (Paris) • Galerie Anne de Villepoix (Paris)* • Galerie Wagner (Le Touquet Paris-Plage, Paris) • Galerie Olivier Waltman (Paris, Miami) • Galerie Esther Woerdehoff (Paris)* • Galerie XII (Paris, Los Angeles, Shanghai) • Galerie Younique (Lima, Paris) • Yvon Lambert (Paris) • Galerie Géraldine Zberro (Paris)

Promesses : 31 Project (Paris) • Double V Gallery (Marseille) • Hors-Cadre (Paris)* • La Galería Rebelde (Guatemala, Los Angeles)* • Le Cabinet d’Ulysse (Marseille)* • Galerie Marguo (Paris)* • Galerie Pauline Pavec (Paris) • Galerie Véronique Rieffel (Paris, Abidjan) •

Septieme Gallery (Paris) Liste des galeries 2021 / *galeries qui participent pour la 1e fois ou font leur retour à Art Paris

les

et le comité des mécènes de la Saison Africa2020 68Portfolio Camille Picquot 69Portfolio Camille Picquot

Salut soleil (qui sais mourir) dégage l’énergie Salut soleil (qui sais mourir) releases the energy d’un solstice, d’un jour sans fin, d’une nuit d’ivresse. of a solstice, an endless day, a night of drunken revelry. La tension entre les corps éprouvés par la douleur The tension between the bodies experienced by pain ou le plaisir, la tendresse des étreintes ou la vivacité and pleasure, the tenderness of embraces and the des nœuds et des agrippements sont comme les aléas vivacity of knots and grasps are like the ups and downs d’un chemin initiatique. Le regard glisse le long of an initiatory path. The eye slides along a fragmented d’une histoire fragmentée, sensuelle et doucement story which is sensual and mildly subversive. Shadows subversive. Les ombres s’opposent sans violence contrast with each other without any violence in the aux lumières claires et aux formes dessinées par le flash. clear lights and forms traced by the flash. The silver Les photographies argentiques de Camille Picquot photographs of Camille Piquot (born in 1990 in France; (née en 1990 en France ; vit et travaille à Bruxelles) lives and works in Brussels) stake out an enigmatic balisent une aventure énigmatique pouvant rappeler adventure which may call to mind certain writings celle de certains textes du poète-écrivain René Daumal1. by the poet and author René Daumal.1 Brought together Réunies pour la première fois au WIELS for the first time at the WIELS in the exhibition dans l’exposition « Regenerate », ses images abolissent “Regenerate”, her images do away with the time-frame le temps et la distance imposés par les époques and the distance imposed by the successive periods successives des confinements. of lockdown. Camille Picquot fait de l’erreur et du décadrage Camille Piquot turns mistakes and re-framing une force poétique dont jaillissent des formes into a poetic force from which spring haphazard forms. de hasard. Un oiseau mort flotte sur l’eau, des dents A dead bird floats on water, teeth contrast with contrastent avec un visage cagoulé, un corps nu se tient a balaclava’d face, a naked body stands upright, debout et couvert de mousse blanche. Comme dans covered with white foam. As in the self-portrait with l’autoportrait au genou égratigné (Sand Sitting), the scratched knee (Sand Sitting), the disparate motifs, les motifs disparates et teintés de bizarrerie saisissent tinged with weirdness, arrest us with their punctum.2 par leur punctum2. En réaction possible aux regards As a possible reaction to the fleeting looks of the fuyants des sujets, la main de Eye Ball nous attire subjects, the hand in Eye Ball attracts us with an eye avec un œil qu’elle tend en son creux. Si le geste souligne that it holds in its palm. If the gesture underscores un écart entre les deux entités – une main peut-elle a gap between the two entities—can a hand see? voir ? D’où vient cet œil ? –, il les relie aussi. Where does this eye come from?--, it also connects them. Cette approche timide réveille le souvenir This timid approach awakens the memory of the body’s de l’implication primitive du corps aux prémices primitive involvement at the beginning of image de la création des images. Ainsi Eye Ball pourrait creation. So Eye Ball might sum up the totality résumer la globalité d’une démarche de réconciliation of a reconciliatory approach between seeing entre le voir et le toucher, l’image et sa matérialité. and touching, the image and its materiality. Partagé·e·s entre un instinct voyeur et l’envie Split between a peeping-tom instinct and slipping de se glisser entre les corps nus endormis de Slumber, between the sleeping naked bodies of Slumber, nous sommes invité·e·s. à habiter des interstices we are invited to inhabit the interstices of opposites, de contraires, à les caresser plutôt qu’à les opposer. and caress them rather than oppose them. — — 1 Le titre de la série est tiré du poème de René Daumal, 1 The title of the series is taken from the poem by René Daumal, Les Quatre Temps Cardinaux. Les Quatre Temps Cardinaux. Le « punctum » répond, chez Roland Barthes, au « studium », 2 2 The “punctum” corresponds, for Roland Barthes, with the “studium”. deux concepts qui cohabitent ensemble dans une image et qu’il développe Two concepts which co-exist together in one image, which he develops dans La chambre claire (Cahiers du cinéma, Gallimard Seuil, 1980). in La Chambre Claire (Cahiers du cinema, Gallimard Seuil, 1980). « Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point “The punctum of a photo is that chance which, in itself, pricks me (mais aussi me meurtrit, me poigne). » (but also hurts me, punches me).”

Pour toutes les images / For all pictures : Dimensions variables. Photographies argentiques. Tirages pigmentaires sur dibond. / Variable dimensions. Silver photographs. Pigment prints on dibond.

Traction 70Portfolio Camille Picquot 71Portfolio Camille Picquot

Unbutton Folded legs 72Portfolio Camille Picquot 73Portfolio Camille Picquot

Eye Ball

Window kids 74Portfolio Camille Picquot 75Portfolio Camille Picquot

Brother and phones Hole and teeth 76Guest Florence Jung 77Guest Florence Jung

Florence Jung laisse les indices d’un film en train de se faire comme autant de chemins possibles pour l’écri- ture de l’histoire suivante, celle vécue par le·la visiteur·se. Les constructions de ses situations invitent à scruter des pratiques sociales, des aliénations contempo- raines. Chaque lieu est la source d’un contexte et d’un écosystème dont l’artiste s’inspire pour l’élaboration et « D’autres déroulements l’activation de ses scénarios. À l’issue de son séjour à la Rijksakademie à Amsterdam et en réaction au carac- tère voyeuriste des ouvertures conventionnelles des studios d’artistes, elle proposait d’explorer un apparte- ment habité, comme soudainement quitté après le petit-déjeuner. À la recherche vaine de traces et d’une auraient pu se produire » forme plastique identifiable, le·la visiteur·se était confronté·e à sa propre capacité de transgression dans un lieu privé où il·elle n’était pas tout-à-fait invité·e. Au même moment, à l’abri des regards, un paquet d’allu- mettes marqué du nom d’un bar situé à équidistance entre la Rijskakademie et l’appartement où se déroulait par Antoinette— Jattiot le scénario était glissé dans la poche du manteau ou du sac que l’on devait laisser à l’entrée. L’objet, retrouvé après coup, devenait la réminiscence d’un trajet, l’indice d’une distorsion. Dans le travail de Jung, l’étau se resserre toujours peu à peu sur un système et, surtout, sur soi-même, pour nourrir une forme de « pronoia3 » génératrice de sens et de l’œuvre en soi. La concrétisation de la pièce n’advient qu’au moment de la rencontre avec l’autre — le premier instant n’étant jamais un résultat ou l’achèvement du travail mais le démarrage tran- sitoire d’un processus de construction. L’absence d’images en génère d’autres, mentales, permettant à l’ar- tiste d’interroger les labyrinthes des réalités construites par nos mémoires parcellaires. Le mélange entre le « D’autres déroulements auraient pu se produire, d’autres révolutions, entre d’autres gens à notre place, avec réel et la fiction engendre des dommages collatéraux ayant un impact dans le réel qu’elle échafaude. L’œuvre d’autres noms, des autres durées auraient pu avoir lieu, plus longues ou plus courtes, d’autres histoires d’ou- est le résultat de ce processus. blis, de chute verticale dans l’oubli, d’accès foudroyants à d’autres mémoires, d’autres nuits longues, d’amour Parmi l’un des premiers coups marquants de Jung, la coordination d’un kidnapping lors du vernissage sans fin, que sais-je ? » écrivait Marguerite Duras1 ; des mots que l’on pourrait utiliser pour décrire la pratique d’une exposition au 22ruemuller en 2014 reste l’un des plus spectaculaires. Sur la base d’une représentation artistique de Florence Jung. Les scénarios immatériels de l’artiste s’immiscent entre les lignes à l’insu de celles de soi instrumentée par les réponses à un questionnaire aguicheur (« Pensez-vous que la fiction est plus et ceux qui en deviennent les protagonistes. Souvent invisible, l’œuvre scriptée est pourtant bien tangible. Elle attrayante que les faits ? », « Pensez-vous que le mystère apporte une part romanesque à la vie ? », « Pensez- est flagrante et ingénieuse de discrétion, elle nous enveloppe avant même qu’on la saisisse. Le travail de Jung vous qu’une expérience intéressante mène souvent à une autre ? »), elle déjouait l’audace des personnes les se matérialise rarement par des objets et l’artiste ne produit aucune image. La vue d’exposition n’a pas lieu plus téméraires qui s’embarquaient sans le savoir dans un voyage et une nuit au fin fond d’une campagne d’être pour archiver et transmettre une esthétique qui se développe par l’expérience directe, la rumeur et ses inconnue. L’habile détournement de Jung questionnait le besoin d’aventure qui se nourrit du mal de vivre et échos sur les réseaux sociaux comme seule source de dissémination. De la simplicité d’une situation qui se de l’envie de fuir hors de la réalité. Sur place, rien n’y attendait le groupe désireux de déceler l’action d’un déroule sous nos yeux naît une étrangeté qui nourrit le potentiel de la fiction contenu par le réel. performer dans le moindre mouvement des rares personnes rencontrées cette nuit-là. L’œuvre de Jung s’ac- Que l’on glane les images amateures de son travail ou qu’on lise les quatre-vingt-dix pages du dossier de complit dans les rencontres hasardeuses, dans un ensemble de circonstances incontrôlables, ainsi que dans textes sur sa pratique, quelque chose d’insaisissable se dégage de l’ensemble. Ces fragments se répondent en le vide, l’ennui et la recherche inassouvie d’absolu. une cacophonie, un brouhaha de hall de gare plein de mystères et de contradictions. Florence Jung affiche Florence Jung utilise l’art et son contexte comme des microcosmes économiques, sociétaux et poli- une radicalité de posture à contre-courant du contrôle de l’image et de la notion d’auteur. Dans l’attente de la tiques. Ils lui servent à identifier et mettre en lumière des mécanismes collectifs tels que la dissolution de rencontre avec l’œuvre lors d’une exposition qui semble vide, on est saisi·e d’une certaine appréhension. l’individu dans des asservissements alimentés par le soupçon et la méfiance. Dans le cadre d’une invitation au Quand la participation commence-t-elle ? Jusqu’où peut-on s’aventurer pour voir et comprendre ? Doit-on FRAC Lorraine en 2019, Jung avait croisé différentes études statistiques pour dresser le portrait de l’indivi- résister au désir de défi, et à quel prix ? La mise en scène opère dès l’instant où se dessine l’idée d’une narra- du-type vivant dans le Grand Est. La communication de l’ensemble des critères à travers des petites annonces tion. L’opacité apparente de ses méthodes nous positionne dans une zone grise entre action et réflexion auxquelles on pouvait répondre — si l’on y correspondait — interrogeait l’existence même de cette personne. jouant de l’ambiguïté de cette frontière. Que l’on décide ou non d’agir, nous sommes déjà sous tension. Et La figure de Muller répondait par l’absurde à la tyrannie de la majorité. Elle interpellait sur une fragilité collec- n’est-ce pas là, dans cet interstice, que se produit l’émancipation comme l’entend Rancière2 ? tive : la vanité à vouloir mesurer l’inquantifiable, et la stigmatisation de nos comportements ou de nos habitu- Florence Jung développe, depuis 2012, une pratique qui se situe entre l’art, la performance et le texte. des par des chiffres « objectifs » qui nous gouvernent. Récemment, à la New Galerie à Paris, son exposition Lors de sa première exposition, elle initie sa pratique en invitant quatre personnes portant du parfum à s’in- « New Office » présentait les archives de deux ans d’activité d’une société parasite créée par l’artiste. Avec filtrer parmi les convives d’un vernissage. Non explicitement requise, l’interaction du·de la spectateur·rice New Office, le groupe éponyme, Florence Jung s’est engagée dans un processus de traitement de données avec la pièce de Jung s’opérait de fait par la suggestion de cet élément perturbateur annoncé oralement mais répliquant à une micro-échelle l’activité de collecte et de vente de données par des entreprises telles que les non directement décelable. Grâce à l’objet de distinction sociale que représente le parfum, Jung interrogeait GAFAM, mais aussi la crainte collective générée par ces initiatives. Réunies autour d’une dizaine de catégo- aussi les systèmes de l’art et de la société, tous pétris de rituels et de spectacle. À partir de cette date, le refus ries (sexe, réalité, altérité, nature…), les annonces publiées sur Instagram par New Office poussaient le·la d’un titre objectifiant la conduit à la mise en place d’un système de numérotation archivistique des pièces, spectateur·rice à communiquer des éléments intimes à son sujet tout en soulignant le processus de mise en composé de son patronyme et d’un numéro (Jung10, Jung11, Jung12…). Les scénarios de Florence Jung se scène de soi sur les réseaux sociaux. Non sans écho à la transformation du moi en marchandise dont parle Eva nourrissent de l’imprévu dans une réalité subjective, où chacun·e prend part à la réalisation du script initial. Illouz dans ses thèses4, New Office dénonçait les répercussions du capitalisme tardif sur notre santé mentale, Leur formulation écrite est une courte description. Simple, factuelle et distanciée, elle ne souligne aucune la saturation des affects et d’un système faisant du sensible et de la réalisation de soi une composante écono- intention directe. Outre le fait de déconstruire certains codes de l’art contemporain et de questionner la mique. En bonne observatrice des perversions contemporaines, Jung rend visibles des phénomènes qu’elle matérialité et l’irréfutabilité des œuvres, la seule chose que les scénarios ont en commun, c’est d’être tous dévie. Elle propose une émancipation qui invite à réfléchir à la façon dont on peut combler la séparation entrés dans le réel. intime entre soi et ses émotions, soi et ses représentations, soi et les autres. Plus encore que la structure protocolaire, ce sont donc l’infiltration de la fiction et le doute qui sont les Cette réconciliation passe par la mise à disposition d’un espace d’imagination qui hante longtemps véritables rouages de ses dispositifs. L’écriture des scénarios propose une architecture dans laquelle chacun·e celui qui l’a rencontré. Jamais véritablement identifiables, les scénarios que développe Jung restent ouverts peut ou non s’aventurer, et qui se déploie dans le temps — souvent même au-delà de la temporalité durant et s’insèrent durablement dans le réel et dans le souvenir du·de la spectateur·rice. Lors de l’une de ses laquelle elle se produit. Le réel et ce qu’il contient d’a priori insignifiant nourrissent l’œuvre, qui se transforme prochaines expositions, cet été à la biennale de Môtiers (Suisse), nous pouvons nous attendre à ce que la à mesure qu’on l’expérimente. L’objet se développe, il s’hybride dans les souvenirs et se façonne par ses réap- dissémination de la rumeur produite par sa nouvelle œuvre contamine à nouveau nos représentations et paritions et ses marques. Dans les espaces vides du musée ou des contextes qu’elle utilise comme décor, interroge l’arbitraire.

1 Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Editions Gallimard, Collection Folio, p.180 2 « L’émancipation, elle, commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles-mêmes à la structure de la domination et de la sujétion. Elle commence quand on comprend 3 Un terme qui désignerait une forme de paranoïa positive, où l’idée du doute produirait un sentiment que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme cette distribution des positions. » en la faveur de celui ou celle qui éprouverait cette impression. Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, La Fabrique éditions, 2008, p.19 4 Par exemple, Les sentiments du capitalisme, Seuil, 2006. 78Guest Florence Jung 79Guest Florence Jung

Questionnaire

1 = J’y crois pas du tout J’y crois tout-à-fait = 6 “Other developments Penses-tu que la fiction est plus attirante que les faits ? 1 2 3 4 5 6 could have occurred” Penses-tu que la liberté n’est pas un secret, mais une pratique ?

1 2 3 4 5 6 by Antoinette— Jattiot Penses-tu qu’une expérience troublante mène souvent à une autre ?

1 2 3 4 5 6

Penses-tu que l’existence est faite d’espoirs, de rêves, de passions, et aussi de la perte de tout cela ?

1 2 3 4 5 6 “D’autres déroulements auraient pu se produire, d’autres révolutions, entre d’autres gens à notre place, avec Penses-tu que, même dans les moments les plus intenses de la vie, chacun ne fait qu’imiter des scènes et des rôles vus dans la littérature et le cinéma ? d’autres noms, des autres durées auraient pu avoir lieu, plus longues ou plus courtes, d’autres histoires d’oublis, 1 2 3 4 5 6 de chute verticale dans l’oubli, d’accès foudroyants à d’autres mémoires, d’autres nuits longues, d’amour sans Penses-tu que l’art existe aussi quand il n’y a personne pour le voir ? fin, que sais-je ?” 1 Marguerite Duras’ words could well apply to Florence Jung’s artistic practice. The artist’s immaterial scenarios creep between the lines without the knowledge of those who become the protagonists. 1 2 3 4 5 6 Although often invisible, her scripted work is still quite tangible: evident and astutely discreet, it envelops us Penses-tu que le mystère apporte sa part de romanesque au quotidien ? even before we seize it. Jung’s work is rarely materialized by objects and the artist does not produce any 1 2 3 4 5 6 images. Exhibition view has no place to archive and transmit aesthetics that develop through direct experi- ence, rumors, and their echoes on social media as its only medium of dissemination. From the simplicity of a Penses-tu que laisser passer quelque chose d’extraordinaire pour quelque chose de raisonnable est une faute morale ? situation unfolding before our eyes, a form of strangeness is born that nurtures the fictional potential 1 2 3 4 5 6 contained by reality. Penses-tu que la suspension de l’incrédulité est nécessaire pour que la magie opère ? Whether one gleans the amateur images of her work or reads the ninety-page file of texts on her prac- tice, something evasive emerges from the whole. These fragments answer each other in a cacophony resem- 1 2 3 4 5 6 bling the hubbub of a station hall, full of mysteries and contradictions. Florence Jung displays a radical Penses-tu que notre époque se caractérise par une hyper-attention permanente augmentée du sentiment, malgré tout, de manquer quelque chose ? posture going against the flow of image control and the notion of authorship. While waiting to encounter with 1 2 3 4 5 6 her work amidst the perceived emptiness of her exhibition, one is seized with a certain apprehension. When does participation begin? How far can one venture to see and understand? Should one resist the desire for Penses-tu que l’art doit être aussi énigmatique que les êtres humains ? challenge, and at what cost? Staging starts as soon as the idea of a narrative takes shape. The apparent opac- 1 2 3 4 5 6 ity of her methods positions us in a grey zone between action and reflection, playing with the ambiguity of this Penses-tu que la société s’organise selon une double représentation où chacun est à la fois acteur et spectateur ? boundary. Whether we decide to act or not, we are already under tension. And is it not there, in this interstice, that emancipation, as Jacques Rancière2 defines it, occurs? 1 2 3 4 5 6 Since 2012, Florence Jung has been developing a practice that lies between art, performance and text. Penses-tu que le risque d’overdose de monotonie n’est jamais assez évité ? For her first exhibition, she initiated her practice by inviting four people wearing perfume to infiltrate the 1 2 3 4 5 6 opening of an exhibition preview. Although not explicitly required, the spectator’s participation in Jung’s work was effectively operated by the suggestion of this disruptive element, announced orally but not directly Penses-tu que les choses qui comportent une ambiguïté morale tendent à être plus intéressantes que celles qui en sont dépourvues ? detectable. Thanks to the element of social distinction that perfume represents, Jung also questioned the 1 2 3 4 5 6 systems of art and society, both of them molded in rituals and spectacle. From this date on, her rejection of an Penses-tu que le désir est inhérent au crime ? objectifying title led her to set up a system of archival numbering of her pieces, made up of her surname and a number (Jung10, Jung11, Jung12...) Florence Jung’s scenarios feed on the unforeseen of a subjective reality 1 2 3 4 5 6 where everyone takes part in the realization of the initial script. Their written formulation is a short descrip- Penses-tu que le secret est toujours plus beau que sa révélation ? tion. Simple, factual and distanced, it does not indicate any direct intention. Besides deconstructing some 1 2 3 4 5 6 codes of contemporary art and questioning the materiality and irrefutability of artworks, the only thing that the scripts have in common is that they have all entered into reality. Penses-tu que le monde est entré dans un processus intensif et irréversible de fictionalisation du réel ? Even more than the protocol structure, then, it is the infiltration of fiction and doubt that constitutes 1 2 3 4 5 6 the real inner workings of her devices. The writing of the scenarios proposes an architecture in which every- Penses-tu que l’imprévisible a tendance à prévaloir sur l’inévitable ? one can choose whether to venture or not, and which unfolds over time — often, even, beyond the temporality during which takes place. Reality and what it contains of a priori insignificant nurture the work, which trans- 1 2 3 4 5 6 forms itself as one experiences it. The object develops, hybridizes itself in one’s memories, and is shaped by Penses-tu qu’il est parfois important de n’avoir aucune idée de ce que les autres pensent ? its reappearances and marks. In the empty spaces of the museum or in the contexts she uses as her sets, 1 2 3 4 5 6

Penses-tu que l’art doit-être un coup d’un soir éternel ? 1 “Other developments could have occurred, other revolutions, between other people in our place, with other 1 2 3 4 5 6 names, other durations could have taken place, longer or shorter, other stories of forgetfulness, of vertical fall into oblivion, of sudden access to other memories, of other long nights, of endless love, or what have Ton nom : Ton e-mail : you.” in Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Éditions Gallimard, Collection Folio, p.180. (Free translation) 2 “Emancipation starts as soon as one questions the opposition between looking and taking action, once one understands that the very evidences structuring the relationships between saying, seeing and acting are part of the structure of domination and subjection. It starts once one understands that looking is also an act which confirms or transforms this distribution of positions.” in Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, La Fabrique Éditions, 2008, p. 19. (Free translation) 80Guest Florence Jung 81

Florence Jung scatters the clues of a movie in the making as the many possible paths for the writing of the next story, the one experienced by the visitor. The way she constructs her situations invites one to scrutinize social practices and contemporary alien- 09.07-31.08.21 → Exposition en vitrine ations. Each site is the source of a context and an ecosystem from which the artist draws inspiration to elabo- rate and activate her scenarios. After her stay at the Rijksakademie in Amsterdam and as a reaction to the voyeuristic nature of the conventional openings of artists’ studios, she proposed to explore an inhabited Zoo Galerie → Clélia Berthier & Meg Boury apartment, as if suddenly left after breakfast. In the vain search for traces and identifiable plastic forms, the visitor was confronted with his or her own capacity for transgression in a private place where he or she was not quite invited. At the same time, hidden from view, a packet of matches marked with the name of a bar located equidistant between the Rijskakademie and the apartment where the scenario was taking place was slipped into the pocket of the coat or bag that the spectators had left at the entrance. The object, found after- wards, became the reminder of a journey, the hint of a distortion. In Jung’s work, the noose is always tighten- ing little by little around a system, and especially on oneself, so as to nurture a form of “pronoia”3 generating both meaning and the work in itself. The concretization of the piece comes only at the moment of the encoun- ter with the other — the very first moment is never a result or the completion of the work, but rather the transitory beginning of a construction process. The absence of images generates other, mental ones, allowing the artist to question the labyrinths of realities constructed by our fragmented memories. The mixture of reality and fiction generates collateral damage impacting on the reality she is building. The artwork is the result of this process. Among one of Jung’s earliest landmark moves, the coordination of a kidnapping at an exhibition open- ing at 22ruemuller in 2014 remains one of the most spectacular. Based on a self-representation instrumented by responses to a teasing questionnaire (“Do you think that fiction is more appealing than facts?” “Do you think that mystery brings romance to life?”, “Do you think that one interesting experience often leads to another?”), it thwarted the bolder spectators, who unknowingly embarked on a journey and a night deep into unknown countryside. Jung’s skillful diversion questioned the need for adventure that feeds on the mal de ! vivre and the desire to flee from reality. On site, there was nothing awaiting the group eager to detect the Nouvelle adresse action of a performer in the slightest movement of the few people they were meeting that night. Jung’s work www.zoogalerie.fr is accomplished in chance encounters, in a set of uncontrollable circumstances, as well as in emptiness, bore- 12 rue Lamoricière dom and the unfulfilled search for the absolute. Nantes Florence Jung uses art and its context as economic, societal and political microcosms. They serve to 44000 Zoo galerie recoit le soutien de la Ville de Nantes, de la Région des Pays de la Loire, du Conseil Départemental de la Loire-Atlantique et du Ministère de la Culture-DRAC des Pays de la Loire. identify and highlight collective mechanisms such as the dissolution of the individual in enslavements fueled by suspicion and mistrust. As part of an invitation to the FRAC (Regional Contemporary Arts Fund) Lorraine in 2019, Jung had crossed different statistical studies to draw a portrait of the standard individual living in the French Grand Est region. The communication of all the criteria through classified ads which one could respond to — if one corresponded to them — questioned the very existence of this subject. The figure of Muller Éditions Zéro2 responded ad absurdum to the tyranny of the majority. It questioned a collective fragility: the vanity of want- 6 ing to measure the unquantifiable, and the stigmatization of our behaviors or our habits by the “objective” figures that govern us. Recently, at the New Galerie, in Paris, Jung’s exhibition “New Office” presented the Flottant ainsi dans le tumulte qu’exige EDEN TINTO COLLINS « On vous tresse, vous pince la graisse, puis vous MATHILDE GANANCIA la compréhension de la qualité des choses cachées, redresse. Des mains se glissent, et s’insèrent au plus archives of two years of activity of a parasitic company created by the artist. With New Office, the eponymous mon corps noir m’entraînait au plus profond de sa profond de vous-même, pour déposer à l’intérieur matière volatile, dans l’espoir qu’un jour, je puisse de vos cavités thoraciques et abdominales quelques group, Florence Jung engaged in a process of data processing which replicated, on a micro-scale, the activity m’en sortir; pas en cavale, pas par la cage d’escalier, pépites en or. » ni en volant à l’étalage, mais par l’ascenseur, of data collecting and selling by companies such as Big Tech, but also the collective fear generated by these celui qu’iels disent social et, pour ça, je devais me EDEN TINTO COLLINS retrouver, en pleine conscience, exister. GANANCIAMATHILDE initiatives. The ads, divided into a dozen categories (sex, reality, otherness, nature...), were published on Bonne Instagram by New Office and pushed the audience members to communicate intimate elements about them- Bilan de selves while underlining the process of self-staging on social media. Echoing the transformation of the self arrivée parcours into a commodity, as described by Eva Illouz4, New Office denounced the repercussions of late capitalism on Bonne arrivée our mental health, the saturation of affects and a system that makes the sensible world and the realization of de parcours Bilan the self an economic component. As a good observer of contemporary perversions, Jung makes visible the phenomena that she distorts. She proposes an emancipation which invites us to reflect on the way in which one can fill the intimate gap between oneself and one’s emotions, oneself and one’s representations, oneself Zéro2 éditions Zéro2 éditions and the others. Les Bains-Douches, Alençon l raîches l ictions Les Bains-Douches, Alençon l raîches l ictions This reconciliation involves providing a space of imagination which will haunt the one who has met it for a long time. Never truly identifiable, the scenarios that Jung develops remain open and are inserted durably in the spectator’s reality and memory. From one of her next exhibitions, this summer, at the Biennale de Môtiers (Switzerland), we can expect the dissemination of the rumor generated by her new work to influence Eden Tinto Collins Mathilde Ganancia our representations again, and to question arbitrariness. Bonne arrivée Bilan de parcours

12 × 17,5 cm — 74 p. — 12 € 12 × 17,5 cm — 92 p. — 12 € collection Fraîches Fictions collection Fraîches Fictions Graphisme : sunny side up (Bruxelles) Graphisme : sunny side up (Bruxelles) Zéro2 éditions et Bains-Douches Zéro2 éditions et Bains-Douches

diffusion / distribution : Les presses du réel 3 A term indicating a form of positive paranoia, where the very idea of doubt would generate a feeling info@lespressesduréel / www.lespressesduréel.com zero2editions.com beneficial those experiencing that feeling. 4 See, for instance, Cold Intimacies: The Making of Emotional Capitalism, London: Polity Press, 2007. 828383reviews

L’artiste franco-canadienne Kapwani Kiwanga (née en 1978 à Hamilton, Ontario, Canada), dernière lau- Kapwani Kiwanga réate du prix Marcel Duchamp, s’empare des espaces du Crédac, centre d’art contemporain d’Ivry-sur- Cima Cima Seine, pour y raconter, à la faveur d’archives dor- mantes ou méconnues, une histoire humaine à partir par Guillaume Lasserre de la culture des plantes. Diplômée en anthropolo- gie et en religions comparées de l’Université McGill Le Centre d'art contemporain d’Ivry – Le Crédac, de Montréal, Kapwani Kiwanga entreprend ensuite 23.04 — 11.07.2021 des études artistiques en entrant à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2005, avant de poursuivre sa formation au Fresnoy – Studio national des arts contemporains. N été ’U a Une forêt de lés de papier brut allant du sol au D U plafond, métaphore suffocante d’un champ de E h 1

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s théo n immersive où sont invités à circuler les visiteurs, le sentiment d’oppression gagne assez vite, la vision se brouille, les repères spatiaux sont presque inexistants. Une variation dans la longueur de chaque lé permet cependant de casser le rythme monotone de ce pay- sage symbolique. Certains donnent à voir, tatoués à même le papier, des machettes stylisées. L’idée prin- mErciEr cipale de l’œuvre, dénommée Matières premières, est d’éprouver le champ de cannes à sucre. NécrocéaN La deuxième salle s’ouvre sur une suite de quatre sérigraphies, de prime abord blanches sur papier blanc, intitulée Lazarus, en référence au « taxon Lazare2 ». Ainsi peut-on deviner un marsupial aus- tralien, une tortue d’eau douce, un écureuil volant et Exposition www.lEportiquE.org un phasme géant. L’artiste évoque ici la question du Kapwani Kiwanga, The Marias, 2020. camouflage lié à la survie, ainsi qu’une certaine idée Installation avec peinture murale, deux plantes en papier sur socles personnalisés. Du 26 juin au 26 sEptEmbrE © Kapwani Kiwanga / Adagp, 2021. Photo : Marc Domage / le Crédac de la résistance. Courtesy de l’artiste et Galerie Poggi, Paris Le reste de l’espace est dévolu à l’évocation d’une 2021 rizière, dans laquelle pousse une variété de riz spé- ciale : l’Oryza glaberrima qui, d’après les récits oraux, aurait été ramenée depuis l’Afrique de l’Ouest dans les cheveux des femmes contraintes à l’émigration pour être réduites en esclavage. Cette variété de riz est cultivée au nord de l’Amérique du Sud grâce à leur savoir-faire. Le titre de l’exposition, « Cima Cima », est la réappropriation du mot espagnol cimarron3, qui désignait les esclaves fugitifs qui, une fois éman- cipés, se cachaient dans la montagne ou la forêt, dans des villages précaires pouvant être abandonnés à tout moment en cas de danger. L’agriculture était primordiale à leur survivance. C’est dans ce contexte que furent apprivoisées les plantes qu’ils ramenèrent avec eux depuis leur terre natale. Au mur, une grande tapisserie exécutée par l’artiste pour la Renaissance Society à Chicago, qui reprend un motif d’Afrique de l’Ouest, est parsemée de répliques en verre de grains confection de fleurs ornementales en papier. L’œuvre de riz Oryza glaberrima. s’attache enfin à l’histoire de la naturaliste et peintre Invitée par Kapwani Kiwanga, l’artiste Noémie Anna Maria Sybilla Merian (1647-1717), très connue Grand bazar Sauve, qui travaille à l’introduction de gestes plus pour ses illustrations botaniques et, surtout, de trans- proches d’une manière de vivre paysanne, présente formation de chenilles en papillons, qu’elle a exé- Choix de Jean-Hubert Martin trois dessins extraits de la série Motifs vivants, conte- cutées au Suriname. Fait rarissime : elle avait fait le nant chacun des graines de tomates non stérilisées. voyage au début du XVIIIe siècle avec sa fille en bas Quiconque acquiert une de ses œuvres a la possibi- âge. The Marias interroge les différentes conditions dans la collection Antoine de Galbert lité d’en planter les graines, alors que leur commerce féminines d’alors, ce que cela signifie d’être une est interdit. femme à ces époques. Avec ses murs tapissés de jaune, la salle suivante En se saisissant de la culture des plantes et de ce est dévolue à The Marias, la reproduction en fil d’acier qu’elle dit de l’histoire humaine, Kapwani Kiwanga et papiers colorés de la branche feuillue et de celle parle d’asservissement et de résistance, de migra- fleurie d’une même plante, la Caesalpinia pulcher- tion — à travers celles du riz ou de la tomate —, à rima, ou fleur de paon, très répandue en Amérique partir d’histoires en marge des narrations officielles. 1 La papier brut est lui aussi centrale et du Sud. Sa culture fut transmise par les L’exposition « Cima Cima » pose la question de fabriqué à base de résine de fibre autochtones aux esclaves, qui s’en servirent pour ses gestes délibérément cachés répondant à la survie, de canne à sucre. propriétés abortives — refusant de se reproduire dans d’une résistance discrète, de la pratique d’une forme 2 Expression désignant des Château d’Oiron - Exposition du 27 juin au 3 octobre un système où les femmes ne sont plus légalement d’insoumission comme manière de vivre. L’histoire espèces animales ou végétales que l’on a cru éteintes mais qui propriétaires de leur corps. L’avortement est alors parallèle de la route des esclaves et de celle des réapparaissent régulièrement. envisagé comme un acte politique, une façon de plantes démontre l’extrême faculté d’adaptation des 3 Littéralement, « vivant dans contrôler leur corps. La pièce fait aussi référence à humains et des végétaux à tout nouvel environne- les cimes ». Le mot espagnol est lui-même emprunté , 2009. Collection Antoine de Galbert.. Photo Antoine de Galbert.. Julia Andréone Collection 2009. to ear , Here From Céleste Boursier-Mougenot, une autre histoire des femmes. En Europe, dans la ment imposé. L’ambivalence des plantes chère à l’ar- aux Arawaks, chez qui il désignait bourgeoisie de l’époque victorienne, on imposait tiste — nourricières, curatives, mais aussi toxiques —, un animal domestique retourné aux femmes une occupation par les loisirs, telle la s’apparente après tout à celle des humains. à la vie sauvage. 84reviews 85reviews

À Nîmes, le musée d’art contemporain Carré d’art Avec cette première exposition institutionnelle en offre au jeune artiste suédois d’origine palesti- Tarik Kiswanson France, l’artiste allemande Raphaela Vogel présente, Raphaela Vogel nienne Tarik Kiswanson (né en 1986 à Halmstad, au Confort Moderne de Poitiers, d’énigmatiques Suède, vit et travaille entre Paris et Amman) sa pre- Mirrorbody expressions visuelles et sonores. Affirmée intime et My Appropriation mière exposition dans une institution publique fran- personnelle dès son titre, « My Appropriation of Her çaise. « Mirrorbody » s’ouvre avec les Vestibules, un par Guillaume Lasserre Holy Hollowness (Mon Appropriation de la Sainte of Her Holy Hollowness ensemble de sculptures en acier, sortes de cocons Vacuité) » inonde le premier espace d’une douce filiformes, qui, lorsqu’elles sont activées, tournent Carré d’art Nimes, musée d’art contemporain, mélodie interprétée en allemand par l’artiste elle- par Sandra Barré sur elles-mêmes, rappelant la position des derviches 19.05 — 24.10.2021 même. Reprise du lied Bonne nuit (1828) de Franz tourneurs. La pièce est liée à l’histoire de sa famille. Le Schubert, dont les paroles ont été rédigées par le Confort Moderne, Poitiers, vestibule est le lieu de l’attente, de l’entre-deux, l’es- poète Wilhelm Müller, la plasticienne transpose le 11 .06 — 22.08.2021 pace intermédiaire, intérieur et extérieur, le seuil. Son propos original — la peine d’un amour perdu — à la découpage en lamelles d’acier poli renvoie une image colère d’une rivalité entre deux anciens amants. Une fragmentée, engendrant une perte de repères, méta- fois leur séparation consommée, Raphaela Vogel phore d’une vie construite dans l’exil. Né en Suède, écrit à son ex-conjoint, lui aussi artiste, à propos de dans une famille palestinienne qui a déjà connu un leur visibilité individuelle et par rapport à l’accès premier exil en Jordanie, Tarik Kiswanson est de par- aux espaces culturels, sujets de frictions. Ces lettres tout et de nulle part à la fois1. échangées avec lui formeront la complainte venant Diplômé de la Central Saint Martin – University of emplir l’espace central. the Arts London en 2010, puis de l’École nationale Le son, en boucle, s’échappe discrètement. Il supérieure des beaux-arts de Paris en 2014, l’artiste émane de haut-parleurs circulaires disposés en développe une pratique artistique autour des notions contrebas de chacune des sept barres de fer formant de déplacement et d’interstice, de ce qui a été perdu l’installation de l’espace central. Elles sont suspen- et de ce qui a été gagné. C’est donc tout naturelle- dues, toutes identiques, fixées au plafond. De part ment qu’il s’intéresse à l’enfance, période où se forge et d’autre de ce qui ressemble à des barres de pole l’identité. « L’histoire s’inscrit dans le corps2 », écrit dance, six lions assis (quarante-deux au total sur toute Jean-Marc Prévost, directeur de Carré d’art. l’installation), évidés, à peine reconnaissables, se font Une installation réunissant trois vidéos3 liées à face, symétriquement attachés deux à deux par la l’enfance occupe le deuxième espace. Dans le film base. Le lion est un animal récurrent dans l’esthétique Reading Room, un arrière-petit-fils de migrants pales- de Raphaela Vogel. Déjà manifeste — notamment tiniens, filmé dans la bibliothèque d’Edward E. Said dans son installation au centre culturel de Dresde, à Columbia University, à New York, écrit et dessine Riesa Efau — dans In festen Händen en 2016 ou à la des lettres en arabe mais en a perdu le sens. Il reco- fondation Cartier avec In festen Händen III en 2019, pie des choses qu’il ne comprend pas. Le film parle il symbolise, pour l’artiste, l’hégémonie et la force de la perte de la mémoire, de la difficulté éprouvée masculine. Sa longue histoire iconographique l’asso- Raphaela Vogel, Defenders of the Faith, 2021. par le garçon à comprendre une histoire dont il fait cie aux trophées de guerre, à la figure souveraine du Vue de l’exposition « My appropriation of her holy hollowness » au Confort Moderne. Courtesy de l’artiste. pourtant partie. Le flou volontaire de l’image devient règne animal et au pouvoir. Sa prépondérance dans la métaphore de cette perte. The Fall, grande vidéo la statuaire publique, en Europe, vient faire écho aux produite pour l’exposition — et dont l’étonnant format questions de présence dans l’espace public et de visi- vertical s’entend par rapport à la verticalité du corps —, Tarik Kiswanson, Father Form, 2017. Acier poli, 95 cm × 95 cm × 450 cm. bilité artistique, l’un des fils conducteurs de l’expo- montre un enfant dans une salle de classe, qui tombe Collection Lafayette Anticipations. Photo : Gunter Lepkowski. sition. D’autant que ces lions sont en polyuréthane à la renverse au ralenti : une lente chute qui permet Courtesy de l’artiste & carlier I gebauer © Tarik Kiswanson — claire référence au monde de l’art contemporain, au spectateur de ressentir la perte d’équilibre et le que la matière a colonisé. Devoir présenter son travail, danger de l’accident qui vient, mais aussi d’éprouver découvrir deux meubles casiers, faits sur mesure, destinés à conserver de manière se montrer de manière directe ou indirecte, se dévoi- la très grande beauté de la scène. L’histoire person- symbolique les archives du passé. ler, devoir prendre (la) place est primordial lorsque nelle de Tarik Kiswanson explique la multiplicité des Une série de dessins d’enfants réalisés par frottage à partir de poudre l’on est artiste et que la concurrence reste encore langues et les passages de l’une à l’autre : du suédois de fusain, nécessitant une semaine d’exécution, rend compte de l’idée déloyale à celles qui se considèrent comme femmes. à l’arabe, de l’anglais au français. Elles lui permettent d’apparition-disparition. Mais, alors que cette réflexion n’est pas immé- de définir différents rapports au monde à travers les De grands tableaux reprennent l’idée des lamelles d’acier poli des Vestibules. diatement accessible par la délicate voix chan- corporalités spécifiques qu’engendre chaque langue. Les corps, insaisissables, s’y reflètent de manière difractée. Les Nests, grandes tante de Raphaela Vogel — incompréhensible aux L’école est un lieu d’apprentissage, un espace neutre, chrysalides très minimales, ferment le parcours. Réalisées en résine, très lourdes, non-germanophones —, elle prend tout son sens universel : les tableaux noirs sont les mêmes de la elles donnent le sentiment que quelque chose va éclore. dans la salle vidéo. Là, les paroles de la chanson — Jordanie à la France. « Nous ne sommes pas ce que nous pensons être, mais plutôt une compi- traduites — oscillent, défilant dans une typographie Posées à même le sol, des Capsules de Temps, lation de textes. Une compilation d’histoires, passées, présentes et futures, tou- tout droit sortie des nineties, et évoluent dans une et le monstre écartelé, se retrouve tout ce qui inté- grands rectangles colorés réalisés en résine pleine jours changeantes, s’épaississant, s’amenuisant, se démultipliant5 ». Ces propos vidéo empruntant autant à l’esthétique baroque qu’à resse l’artiste : des cartes mentales sur l’histoire de la — transparents pour certains, presque opaques pour de Félix González-Torres semblent particulièrement bien appropriés pour décrire celle de l’art numérique. On y retrouve non seulement musique occidentale, des schémas sur la discipline d’autres — renferment une bougie, des cuillères pro- l’art de Tarik Kiswanson, dans lequel rien n’est figé. Tout est en devenir, dans son le modèle statuaire des lions qui trônent au cœur des équestre qu’est le dressage, des références à la littéra- venant de la ménagère de la grand-mère de l’artiste, travail comme dans sa vie. Dans un des textes qui accompagnent les Vestibules, places publiques, mais également un bestiaire faisant ture, à la philosophie de Marx… Tout un ensemble de ou encore un miroir. Ce dernier objet est récurrent l’artiste — qui est aussi poète — écrit : « Là, dans les reflets, apparaît un moi en per- état d’animaux forts que la mythologie grecque, déjà, savoirs qui fait le tissage culturel d’une jeune femme chez Kiswanson, réfléchissant souvent une image dif- pétuel besoin de transformation. Un moi brisé aux histoires infinies6 ». associait au masculin. Les sous-titres se déroulent, allemande née dans les années 1990 et dont le savoir forme, telle une allégorie de la place occupée par les courent, zigzaguent, comme traversant cette vidéo est, de fait, eurocentré. Ici, plutôt qu’une critique, un exilés. tournée dans une salle circulaire où l’artiste apparaît constat : si le savoir permet une certaine forme de 1 Il partage ce sentiment étrange Al Saadi dans sa pièce importantes collections de tissus L’artiste travaille à partir de vêtements tradition- des déracinés, ceux qui vivent autobiographique, Place, du Moyen-Orient et d’Asie dans des gestes fixes et maussades. Son image par- liberté, celui qui est accessible à l’école oriente les nels4 auxquels il mêle des tenues sportswear de dans un exil permanent. Plus où le temps suspendu des Centrale au monde. fois est creusée, comme si sa peau ne cachait qu’une futurs adultes dans certaines positions sociales et marques contemporaines — devenues des signes vraiment de ce « là-bas » qu’ils ne parents — dans une position 5 Felix Gonzalez-Torres, « Letter absence. Elle pose désabusée, le regard vague, se politiques. Une fois acquises, ces connaissances seront connaissent pas, on leur fait d’attente du retour — se heurte to a collector » in Andrea Rosen, d’appartenance communautaire dans les banlieues comprendre qu’ils ne sont pas au temps présent de l’enfant et à Untitled, The Neverending tenant là, vide, comme le titre de l’exposition le laisse revêtues et aiguilleront la manière de chacun et cha- occidentales —, dans les radiographies qui composent tout à fait d’ici non plus. À la sa culture occidentale qui renvoie Portrait, p. 51-52. Cité dans Felix entendre. cune d’être au monde. Elles créent l’entre-soi d’une la série Passings. On retrouve cette même technique différence de son « compatriote l’origine — ici, Bagdad — Gonzalez-Torres, Specific Objects Plus loin, dans le dernier espace, se dévoile certaine élite, qui serait davantage placée au-dessus dans la suite, Rising Opacity, exposée un peu plus de diaspora », l’artiste Taysir à un concept forcément abstrait. Without Specific Form, Ed. Koenig la récente The (Missed) Education of Miss Vogel des « masses », au-dessus du « populaire », non seule- Batniji, Kiswanson est né ici. 2 Jean-Marc Prévost, « L’ici Books, Londres, 2016, p. 11. loin, influencée par la pensée du philosophe Édouard Il n’a pas connu la Palestine, et l’ailleurs des corps », Tarik (traduction de Jean-Marc (2021) : deux grandes structures circulaires, à échelle ment par le capital économique, mais, surtout, par le Glissant. La présence des corps, très nombreux, se ni même le Proche-Orient. Kiswanson Mirrorbody, catalogue Prévost, op.cit.) humaine, qui étendent des toiles sur cuir que capital culturel et intellectuel. Ces savoirs, assimilés révèle dans leur absence. Il fait partie de cette deuxième de l’exposition éponyme à Carré 6 « There, in the reflections, Raphaela Vogel a suspendues comme des peaux de depuis le plus jeune âge, habillent les subjectivités. génération dont la mémoire d’art musée d’art contemporain appear a self in constant need Un espace surélevé et inaccessible donne à voir, de la terre des origines est de Nîmes, 30 octobre 2020 – of transformation. A shattered bêtes d’abattoir. Il faut entrer dans ces cercles pour L’artiste, en rendant compréhensible son travail non à partir d’un point de vue unique, l’une des pre- indirecte, passée au filtre du récit 26 septembre 2021, Berlin, self, with infinite stories », observer ce qu’ils renferment. Comme sur du vélin, par le détail des acquis (ces œuvres peuvent sembler mières chrysalides de l’artiste, à la forme ovale très — forcément exacerbé — qu’en Distanz Verlag, 2020, 256 pp. extrait du poème accompagnant l’artiste est venue écrire, par le truchement de plu- impénétrables au premier coup d’œil), mais par leur fait la génération précédente, 3 Les vidéos existent aussi l’installation des Vestibules, étirée, « brancusienne » pourrait-on dire. Pour Tarik ce que montre très bien l’autrice de façon autonome. (traduction de Guillaume sieurs ustensiles, ce qui constitue sa mémoire per- assemblage, propose aux spectateurs et spectatrices, Kiswanson, la chrysalide évoque un futur possible, ce et metteuse en scène 4 Conservés à la Fondation Tiraz Lasserre). sonnelle. Dans ces deux agoras à la présence presque de remettre en question l’autorité de cette sagesse qui peut arriver. Il faut se pencher vers la gauche pour franco-iraquienne Tamara en Jordanie, l’une des plus dérangeante, louvoyant entre la banale antisèche eurocentrée et l’espace qui lui est alloué. 86reviews 87reviews

Un océan et quelques générations séparent Luigi Avant tout plateforme éditoriale et curatoriale : ةلقلق Serafini et Than Hussein Clark, deux artistes qui Luigi Serafini « dédiée à la production, la traduction et la circula- Qalqalah semblent avoir peu de choses en commun. Le centre tion de recherches artistiques, théoriques et litté- d’art CRAC Occitanie/Pyrénées-Méditerranée leur & Than Hussein Clark raires en trois langues : français, arabe1 et anglais », plus d’une langue consacre en même temps deux importantes mono- Qalqalah prend la forme d’une exposition sous le titre graphies, qui dialoguent entre elles sans pourtant Reverse Universe de « Qalqalah : plus qu’une langue » à la Kunsthalle de par Guillaume Lasserre s’entremêler dans l’espace. Mulhouse, dans laquelle elle prend soin d’interroger L’un italien, l’autre américain, ils partagent un par Elena Cardin les contextes alsacien et local. Dans cette ville fronta- Kunsthalle Mulhouse, intérêt commun pour la mer Méditerranée en tant lière et de tradition ouvrière, on parle bien des langues. 18.02 — 23.05.2021 qu’espace transitionnel, lieu d’hybridation perma- CRAC Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, Au–delà du français et de l’allemand, on y entend l’an- nente mettant à mal la notion de frontière, mais 10.10.2020 — 05.09.2021 glais, l’arabe ou le turc, entres autres. L’exposition, pla- aussi comme espace fantasmé, peuplé de figures cée sous le commissariat de Victorine Grateloup et mythiques et excentriques. Virginie Bobin, tente de faire entendre des récits plu- Cette mer, berceau de croisements culturels, lin- riels à l’aune de traductions, réécritures, publications, guistiques et géographiques, est aussi une zone d’im- moulages et même de karaokés. Entièrement repen- portants enjeux de pouvoir et de domination. Cela sée pour les espaces2 de la Kunsthalle, l’intervention apparaît d’emblée dans la première salle de l’expo- graphique de Montasser Drissi parcourt l’exposition, sition d’Hussein Clark, où l’artiste met en scène une faisant cohabiter les alphabets arabe et latin. Tout installation évoquant à la fois le sol excentrique de la est pensé à l’horizontale, les citations étant présen- Villa Mabrouka d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé tées dans leur langue d’origine, à l’image de celle de à Tanger ainsi que la figure de Barbara Hutton, riche la chercheuse égyptienne et commissaire artistique héritière au style de vie extravagant qui s’installa dans Sarah Rifky, qui ouvre le parcours et donne son nom la ville marocaine dans les années 1940. Par le biais à l’exposition. d’éléments décoratifs, parfums, horloges, mobiliers L’artiste franco-marocaine Sara Ouhaddou entre- et motifs textiles, l’artiste dépeint au fil de l’exposi- tient un rapport assez particulier avec la langue tion une entière génération d’intellectuels et d’ar- arabe : elle parle un dialecte berbérophone3 sans tistes européens et américains fascinés par la ville de en avoir appris l’alphabet et a grandi dans l’imagi- Tanger, symbole d’un ailleurs exotique, comme Jean naire d’un entre-deux langues. Sa sculpture, Atlas Genet, Paul Bowles ou William Burroughs. Hussein (2) – Brun, donne à voir, à travers des blocs de marbre Clark joue avec les phantasmes de l’orientalisme, du plus brut au plus poli, la finesse progressive d’un oscillant entre fascination, critique et attrait pour un système d’écriture en cours de création. L’œuvre glamour perdu. Le parcours est parsemé d’appropria- évoque la fixation, par l’État marocain, d’un alphabet .plus d'une langue », 2021 : ةلقلق tions et de références de films, livres, personnages amazighe que personne ne lit mais qui habite désor- Vue de l’exposition « Qalqalah et styles à déchiffrer. C’est le cas par exemple de sa mais les monuments marocains. Présentée dans sa Mounira Al Solh, Sama’/ Ma’as - Sharaf (détail), 2017. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Sfeir-Semler, remarquable installation A Year In The International boite de transport, elle raconte aussi une histoire de la Hambourg – Beyrouth © La Kunsthalle Mulhouse. Photo : Sébastien Bozon. Zone, composée de 365 horloges collectées à Tanger, circulation des objets, lisible à la faveur des tampons dans laquelle chaque horloge symbolise un jour de figurant sur la caisse. l’année 1956, moment de bascule qui marque le À proximité, douze œuvres issues de commandes début de l’indépendance du Maroc et la fin de Tanger passées par la structure de production libanaise en tant que « Zone Internationale » administrée par Temporary Art Platform à douze artistes, invités à l’Occident. considérer l’espace de la page comme un lieu public Il semblerait que Hussein Clark partage une cer- dans les quatre journaux4 les plus importants du taine passion pour le code avec son aîné Luigi Serafini Exposition de Luigi Serafini, « Sur terre et sur mer avec le Codex Liban, atteste que choisir un de ces quotidiens est puisque chaque objet est pensé comme un code en Seraphinianus », CRAC Occitanie à Sète, 2020. avant tout choisir une langue, et donc une confession Détail de Perséphone C, 2005. Photo : Marc Domage. soi, cristallisant une histoire et des références très à laquelle s’adresser. 1 Le choix de l’arabe, spécifiques. Pourtant, si Hussein Clark développe un Depuis 2001, les Pays-Bas sollicitent des sociétés à destination de la diaspora parcours chiffré dans lequel chaque élément renvoie privées pour analyser la voix et l’accent du deman- et de la région arabophone de la Méditerranée, traduit un geste à une autre référence, Serafini annule toute possibi- deur d’asile à travers des tests conduits par télé- politique fort pour l’association, lité de lisibilité de son vocabulaire. phone et dont le rôle s’avère décisif pour l’obtention, parallèle, à ceux de Tunisie. La série Ceux qui restent créée en 2018 dans un contexte Figure singulière dans le milieu de l’art italien, ou non, du statut de réfugié5. Spécialiste de l’écoute, est née de sa rencontre avec d’anciens prisonniers national réactionnaire proche du groupe de design Memphis et de Fellini Lawrence Abu Hamdan a travaillé avec des linguistes politiques, tandis que Objets de Tazmamart tente et conservateur. 2 L’exposition fut présentée ainsi que membre du collège de Pataphysique, autour d’un groupe d’immigrés somaliens débou- un début d’inventaire des objets fabriqués clandes- au Centre régional d’art Serafini a développé un univers surréaliste, poly- tés de leur demande d’asile en raison de ces tests. Ils tinement au sein de la prison politique8. Les liens qui contemporain (Crac) Occitanie morphe et profondement queer, dans le sens étymo- ont produit une douzaine de cartes montrant com- les unissent à l’artiste sont suffisamment forts pour à Sète en 2020. 3 La langue amazighe ou logique du terme. Il est notamment connu pour son ment les accents, les dialectes et les voix ne cessent qu’elle soit autorisée à montrer leur corps par frag- berbérophone est à l’époque Codex Seraphinianus, publié pour la première fois d’évoluer, de s’hybrider, au contact des routes migra- ments dans la série In Absentia, à travers des mou- presque exclusivement pratiquée en 1981 par Franco Maria Ricci, sans cesse réédité et toires. Ces cartes, présentées indifféremment dans lages en plâtre, témoins silencieux de l’indicible. à l’oral. devenu source d’inspiration pour beaucoup d’artistes. des contextes artistiques et juridiques6, témoignent Noureddine Ezarraf retourne l’invitation qui lui a été 4 Publiés dans trois langues différentes : l’arabe pour La particularité de cette encyclopédie fantasmée est de l’aberration d’associer une voix à une identité figée faite en préférant se taire que se faire entendre. Il Al-Akhbar et Assafir, le français son illisibilité, il s’agit d’un code indécodable, muet ou à une nationalité. place le visiteur en situation d’écoute de l’espace d’ex- pour L’Orient – Le Jour, et pourtant visuellement très loquace et expressif. À L’installation du trio Fehras Publishing Practices position avec sa sculpture Oreilles nues, qui reprend et l’anglais pour The Daily Star. 5 C’est également le cas travers l’invention d’un alphabet crypté, Serafini veut prolonge les recherches de celui-ci sur la transforma- la forme d’anciens appareils d’écoute militaires. en Belgique et en Allemagne. ramener tout lecteur à l’état de l’enfance, précisé- tion de la langue arabe classique dans le champ de Des cadavres exquis de Ceel Mogami de Haas à la 6 Elles sont utilisées dans ment au moment de transition entre ne pas savoir l’art contemporain, prenant, pour ce faire, la forme seconde langue imposée de Serena Lee, des collages les audiences en faveur lire et lire, un état de savoir en puissance où tout est d’un karaoké performant des publications bilingues de Sophia Al Maria au film Piramidal de Vir Andres des demandeurs d’asile afin de faire la démonstration potentiellement image et signe à la fois. Par son illi- issues de centres d’art et musées du monde arabe. Hera dialoguant avec l’installation de tentures monu- de l’impossibilité de réduire une sibilité, la langue de Serafini devient universelle et L’absence de langue et le silence sont évoqués mentales Sama’/Ma’as – Tout, de Mounira Al Solh, les voix à une identité figée dans une transgénérationnelle comme le montre le deve- à travers plusieurs œuvres, à commencer par le film œuvres présentées dans l’exposition sont autant de nationalité ou une langue. 7 Au Maroc, les années nir viral de certains motifs du Codex sur les réseaux de Benoît Grimalt. Retour à Genoa City porte sur la tentatives pour donner à voir et à entendre des his- de plomb, marquées par une sociaux. mémoire de sa famille pied-noir. Mémé et son frère toires souvent fugitives, qui ont la consonance de lan- violente répression contre À Sète, l’artiste développe un parcours qui ne disent rien, ont honte de leur passé. Grimalt va se gues plurielles, appréhendées au gré de migrations les opposants politiques dialogue avec l’emplacement géographique de servir de leur passion commune pour Les Feux de solitaires, d’exils familiaux. Au-delà de l’approche lin- et les activistes démocrates, s’étendent des années la ville sur le bassin de la Mediterranée, peuplé de l’Amour et de son intrigue à rebondissements pour guistique, l’exposition interroge le regard porté sur soixante-dix jusqu’à 1999, figures marines mythiques, comme le demi-thon, exclusivement aux règles de l’imagination de son retracer l’histoire familiale. Malgré l’omniprésence de les œuvres en fonction des imaginaires politiques et soit la quasi totalité du règne la carpe et la sirène, ainsi que d’une femme-carotte créateur, en laissant le regardeur s’égarer entre les la parole, c’est un sentiment de perte lié à l’oubli qui sociaux qui façonnent chacun d’entre nous. Tout à la d’Hassan II (26 février 1961 allongée sur un lit en terre au milieu de l’espace prin- formes organiques et les couleurs vives de ses compo- traverse le film. La photographe Wiame Haddad, de fois mouvement du langage, vibration phonétique, à sa mort le 23 juillet 1999). 8 Les détenus y étaient cipal du centre d’art. Réticent à toute forme de pen- sitions, proches des ambiances d’un roman de Lewis père marocain et de mère tunisienne, s’est intéressée rebond et écho, Qalqalah est assurément plus qu’une continuellement plongés sée linéaire et quantitative, le monde de Serafini obéit Carroll. au passé des militants politiques sous Hassan II7 et, en langue. dans le noir. 88reviews

L’air est moite au Creux de l’Enfer, et cette sensa- tion sied bien aux œuvres de Charlotte Charbonnel. Charlotte Charbonnel L’artiste a fait de l’ancienne usine de coutellerie la suc- cursale des entrailles de la terre. Avant même d’accé- Larmes de la terre der au centre d’art, l’oreille est assourdie par les fracas du barrage de la Durolle situé au pied du bâtiment. par Ilan Michel À l’intérieur de l’édifice de brique et de granit, le son étouffé de la rivière laisse place à la fraîcheur et au Le Creux de l’Enfer, Thiers, silence d’une caverne de Luna Park abandonnée. De 12.06 — 26.09.2021 grandes traînées de pouzzolane, entière ou sablon- neuse, récoltées sur les pentes des volcans, donnent l’impression d’arpenter une mine tout juste désaffec- tée. Des concrétions jalonnent les plages de sable noir jusqu’à former un grand pilier stalagmitique au fond de l’espace. Les différents îlots formés par les mon- ticules de poussière obligent à reconsidérer le sol et notre avancée, ainsi que l’artiste l’avait mis en scène à la Backslash Gallery en 2018 pour « Paléomancie ». Des perspectives se créent, agrandissent le lieu pourtant accolé à la falaise. L’environnement ferait presque oublier les poulies rouillées encore fixées au plafond, et encore plus les grandes fenêtres qui semblent retenir la lumière à dessein. Cette cendre volcanique est parsemée de flaques de métal solidifié (Molybdomancies, 2021). L’opération tient de l’alchi- mie, ou plus précisément d’une pratique divinatoire nommée « molybdomancie », que l’artiste revisite depuis 2018. La méthode consiste alors à immer- ger du plomb en fusion dans de l’eau et à interpré- ter ses réactions, ses sifflements et la forme obtenue. En apprentie laborantine, l’artiste en a légèrement infléchi le processus. Elle déverse dans la Durolle les coulées d’argent, d’aluminium ou d’étain, les proprié- Vue de l’exposition de Charlotte Charbonnel, « Larmes de la terre ». Le Creux de l’Enfer, 2021. tés de chaque métal dilatant ou contractant le maté- Photo : Vincent Blesbois. riau lors de sa solidification. Si les légendes de trésors enterrés jalonnent le Puy-de-Dôme, du contrebandier Mandrin à une rivière de saphir d’origine volcanique, c’est Le Guide de la France mystérieuse (1964) qui a enclenché l’imaginaire de l’artiste. Dès lors, les lois de la physique adoptent les contours de la magie, et l’on se souvient des joyaux qui seraient dissimulés au fond de la vallée, réinventés ici comme par enchantement. À l’extrémité de l’espace, en faisant volte-face, le visi- teur se trouve sidéré par la projection monumen- car matériels. Les lames assemblées en tiges suspen- tale d’un écoulement de matière visqueuse ralenti dues datent de sa première résidence à Thiers, en au rythme de mille images par seconde. Adaptée 2019, au sein de la coutellerie Dozorme spécialisée au mur de l’ancienne coutellerie, l’image donne l’il- dans l’acier Damas (Nucleus (variation), 2019-2020). lusion que la coulée de lave émane du sommet de Les contreformes récupérées, aux allures de flèches, la bâtisse — vue microscopique de la fusion de roche offrent à l’œil des reflets cinétiques obtenus par les menée avec la fonderie Fusions, tout près de Riom. couches de métal pliées et forgées selon le principe Ce « prélude » aux Larmes de la terre (2021) introduit du feuilletage. Alors qu’à l’époque, les tiges suintantes le temps géologique et convie le spectateur au grand étaient fichées dans la roche de la grotte du Creux de mystère : la transformation invisible du manteau ter- l’Enfer, l’agencement actuel souligne la verticalité sur restre en coulée de lave, sa vaporisation puis sa solidi- laquelle repose tout le parcours d’exposition, méta- fication. Si l’environnement créé au rez-de-chaussée phore de la cheminée du volcan. Accrochées aux évoque une chambre souterraine à peine assourdie, voûtes en berceau, des sphères articulées en inox ins- l’étage rend sensible les tremblements précurseurs pirées d’instruments astronomiques maintiennent en de l’éruption. Le plateau d’exposition est en réalité leur centre des bombes volcaniques (Aérolithes, 2021). séparé en deux parties. D’une part, la suite de l’ins- Quand on s’en approche, les coupes de roches basal- tallation vidéo et sonore, plongée dans la pénombre ; tiques disposées en éclaté font apparaître un noyau de l’autre, une forme de cabinet d’étude qui réunit plus clair, fragment de la croûte terrestre elle-même. les résultats des expériences menées par l’artiste Au travail mené avec un laboratoire universitaire de avec l’acier et les scories volcaniques. Dans le premier pointe à Clermont-Ferrand, Charlotte Charbonnel cas, c’est à un dispositif d’hypnose que nous avons choisit de donner une forme surannée, celle de affaire. L’obstruction des ouvertures par des pan- sphères armillaires utilisées depuis l’Antiquité pour neaux métalliques ajoute à la sensation de touffeur figurer le mouvement des astres autour de la Terre. de l’air et concentre le regard vers la vidéo. Les plans Ce parti-pris dit à la fois la fascination pour une esthé- en mosaïque qui y défilent tirent parti de l’alternance tique précieuse et archaïque de l’état de la science, entre les vues aériennes de Java et les gros plans sur mais surtout les tâtonnements de cette enquête géo- les flux de pouzzolane, des changements d’échelle logique, comme si tout était toujours à reprendre et des va-et-vient entre les fumées et le magma, tan- depuis le début. Quand l’artiste choisit de rendre dis qu’un grondement sourd fait ressentir la vibra- compte de l’expérience sous une forme photogra- tion du volcan. À côté de ces effets de saturation phique, elle ne fait pas autre chose (Série de lames, visuelle et sonore largement répandus dans les arts 2021). Les tirages couleur et au collodion humide de numériques, le cabinet de curiosités présenté dans le fines lames de pouzzolane habituellement glissées second espace ne cesse de charmer par la variété des dans les microscopes témoignent de la capacité essais et des prototypes qui s’y déploient, tant les pro- de procédés optiques séculaires à sonder la nature cessus sont complexes — même si compréhensibles immatérielle de la métamorphose.

MM+BT_INSERT_ZERODEUX.indd 1 24/06/2021 11:14 Adrien VescoVi soleil blAnc — eXPosiTion dU 5.06 AU 19.09.2021 le GrAnd cAFe cenTre d'ArT conTeMPorAin d'inTereT n ATionAl, s T-nAZAire Place des Quatre z’Horloges grandcafe-saintnazaire.fr enTree libre