Du Commerce À L'aristocratie Terrienne THIEBAUT DE HEU, CITAIN DE METZ (Vers 12G5-1330)
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Du Commerce à l'Aristocratie terrienne THIEBAUT DE HEU, CITAIN DE METZ (vers 12G5-1330) par M. JEAN SCHNEIDER Membre titulaire Parmi les familles patriciennes de Metz, celle qui descendait d'immigrés hutois et garda le nom de sa ville d'origine, Huy-sur- Meuse ou Heu, fut du XIVe au XVIe siècle l'une des plus riches et des plus influentes. Ses destinées illustrent en un cas particuliè rement typique des faits connus de l'histoire sociale: Implanta tion dans une ville de certains marchands itinérants qui la fré quentaient habituellement, entrée de quelques-uns de ces « fo rains » dans l'oligarchie patricienne, évolution de ces familles vers la noblesse terrienne. Dans cette ascension sociale de sa fa mille, Thiébaut de Heu eut un rôle décisif, en lui assurant, en trente ans d'efforts, une des premières places dans la cité (1). La conjoncture était, à la vérité, favorable à de telles entre prises. C'est autour de 1300 que l'histoire situe l'une des étapes importantes de l'évolution sociale des villes du moyen âge. Les abus du gouvernement patricien ne suffisent pas à expliquer la crise qui secoue toutes les villes à partir de 1275 environ; la pous sée démographique constante n'était pas compensée par un ac croissement parallèle des ressources; la colonisation rencontrait de sérieux obstacles dans le Levant et dans l'Est slave; elle était proche du point de saturation, imposé par les techniques agri coles de l'époque. La montée des prix, suivie à la fin du XIIIe siè cle par les premières graves perturbations monétaires, étaient les 14 THIÉBAUT DE HEU, CITAIN DE METZ (1265-1330) symptômes les plus évidents de ce climat de crise, aggravée encore pour les pays d'Outre-Mont par une révolution commerciale que les compagnies italiennes, grâce à leur technique supérieure, opé raient à leur profit. Le long des grandes routes commerciales et dans leur voisinage l'Occident se couvrait de comptoirs tenus par des «Lombards». Dans le monde rural comme dans le milieu urbain cette accélération dans le rythme de l'évolution économi que posait bien des problèmes. Cette crise fut également sensible à Metz, comme le prouvent les révoltes communales de 1283 et 1326 et les concessions tempo raires que le patriciat dut faire aux notables du Commun. Mais comme les industries d'exportation ne tenaient pas une place pré pondérante dans le commerce de la ville, la crise y fut moins sensible qu'ailleurs. Cependant les fortunes seigneuriales, déjà ébranlées, se défendaient difficilement contre l'effritement que favorisaient au surplus les partages de successions. Dans la ville même d'aniennes familles qui avaient joué un rôle dans la révo lution communale s'effaçaient devant des hommes nouveaux. Or sans négliger les opérations financières qui se concentrèrent en quelques mains cette génération se tourna vers la terre comme vers un placement plus sûr. Le phénomène a été observé ailleurs, mais il prit à Metz une ampleur particulière. Le commerce des produits agricoles trouva sans doute jusque vers 1350 des conditions très favorables; les céréales trouvaient toujours preneur dans les pays rhénans et les guerres incessantes dans la région lorraine exigaient pour les troupes et les forte resses un ravitaillement important, La terre restait donc un pla cement rentable, à condition de l'exploiter d'une manière plus rationnelle que ne l'avaient fait les seigneurs ruraux et les an ciennes générations de patriciens. Dans cette génération qui se tourna vers la terre, Thiébaut de Heu donna l'exemple de la réussite la plus éclatante; il devint un des personnages principaux de la cité, tout en assurant à sa fa mille pour plus de deux siècles une des premières places parmi les notables de la cité. Sa vie nous est mieux connue que celle de ses contemporains, grâce au fonds d'archives qu'il constitua et que ses descendants développèrent et conservèrent avec un soin exceptionnel. Plus de 150 documents, concernant directement Thiébaut de Heu, permettent d'étudier ses origines, son ascension sociale, comme de suivre ses opérations financières et de mesurer l'importance de ses placements fonciers (2). THIÉBAUT DE HEU, GITAIN DE METZ (1265-1330) 15 I Les marchands hutois à Metz De récents travaux ont souligné le rôle de la ville de Huy dans le commerce européen du XIe au début du XVe siècle (3). Exportateurs des produits métallurgiques de la vallée mosane, puis des draps de fabrication locale, ses marchands rayonnèrent de l'Angleterre à l'Autriche et par delà les foires du Lendit et de Champagne jusqu'en Espagne. Metz, étape sur les anciennes rou tes lotharingiennes, attira les Hutois. Bien qu'ils n'apparaissent dans les documents messins qu'au début du XIIIe siècle, il est vraisemblable qu'ils prenaient déjà auparavant le chemin de la ville mosellane. Les relations tradi tionnelles de Metz avec le pays de Liège s'étaient renforcées en core, lorsque les comtes de Dabo et Moha acquirent le comté de Metz. Le monastère du Val Notre-Dame, fondé non loin de Huy par Albert, comte de Metz, avait des biens dans la région messine (4). De Basse-Lorraine des immigrants vinrent de plusieurs villes prendre bourgeoisie à Metz, mais les Hutois furent les plus nom breux. Les marchands de Huy avaient déjà des installations à Metz au début du XIIIe siècle; avec d'autres étrangers dont l'origine n'est pas précisée, ils entrèrent en conflit avec le chapitre de la cathédrale et avec l'avoué de la cité, qui se partageaient les re venus du tonlieu. Comme les Hutois possédaient des maisons à Metz, ils prétendaient être exempts de cette taxe. Le jugement pro noncé en cette affaire, en présence du jeune roi Frédéric II, par l'archevêque Thierry de Trêves et le duc de Lorraine Thiébaut Ier, comte de Metz, donna tort aux Hutois; ils ne faisaient à Metz « ni feu ni fumée», leurs familles n'y habitaient pas et ils n'y pre naient pas la garde avec les autres bourgeois. Manifestement les Hutois ne pouvaient revendiquer le droit de bourgeoisie et Huy ne comptait ni au nombre des possessions épiscopales, comme Saint- Trond, ni parmi les « chambres l'empereur », comme Cambrai (5). Un texte hagiographique situe vers la même époque l'aven ture d'une jeune Hutoise, séduite par un clerc et emmenée jusqu'à Metz. La jeune fille avait été confiée à une recluse messine; ello 16 THIÉBAUT DE HEU, GITAIN DE METZ (1265-1330) rencontra dans la ville des marchands de sa parenté qui la rame nèrent à Huy (6). A cette époque les Hutois apparaissaient encore à Metz com me des marchands itinérants; les maisons qu'ils y possédaient leur servaient d'entrepôts. Certains Hutois restèrent fidèles à ce commerce jusqu'à la fin du XIIIe siècle; en 1300 encore l'un d'eux faisait son testament à Metz devant un aman de la ville ; il prenait comme exécuteur testamentaire trois bourgeois messins dont son hôte, Martin de Troyes (7). La mention de ce dernier permet de supposer que des relations s'étaient nouées entre Messins et Hu tois aux foires de Champagne, comme ce fut le cas pour un dra pier de Saint-Nicolas-de-Port à la même époque (8). Dans la pro che famille de Thiébaut de Heu, les descendants de son oncle Gilles ne rompirent leurs attaches avec Huy qu'en l'année 1322 où ils vendirent les rentes leur appartenant dans la ville mosane (9). Alors que vers 1214 les Hutois n'étaient pas encore fixés à Metz, on rencontre un quart de siècle plus tard les premiers exem ples d'enracinement. Heces de Hoi (Huy) fut reçu bourgeois en 4240; il n'est pas connu par d'autres documents messins (10). Jennat de Heu, mort avant 1245, est sans doute un des membres de la famille qui devait s'illustrer plus tard à Metz; il était déjà installé en Saint-Nicolasrue, l'actuelle rue de la Fontaine. C'est d'ailleurs dans ce quartier, au Neufbourg, au Quarteau ou au Champ-à-Seille, que tous les Messins d'origine hutoise auront leur maison, à l'exception de Lambert de Heu, établi en Fourni- rue, l'artère des heaumiers, fourbisseurs d'armes et des orfèvres (11). A la génération suivante on les compte déjà parmi les fa milles influentes du Commun, puisque Gilles de Heu est admis à jurer la paix urbaine de 1250 avec d'autres représentants de la communauté bourgeoise, mais non pas au titre des cinq par^iges ou lignages patriciens (12). Le fils aîné, Jennat, fut le premier à occuper un office municipal; il était maire de Port-Sailly, son quartier, en 1269. Un autre fils, prénommé Gilles (Le Bel) comme son père, fit de nombreux placements fonciers (13). Cette famille s'éteignit en ligne masculine après 1350; le nom de Gilles Le Bel fut repris par les descendants de Gilles II, issus de Simelo 1?, mar chand, gendre de Gilles Ier le Bel. D'autres bourgeois d'origine hutoise sont connus par les tex tes. Godefrin de Heu fut le grand-père de Jennat III de Heu qui devint échevin vers 1302 et d'Afélix, la première femme de Thié- THIÉBAUT DE HEU, CITAIN DE METZ (1265-1330) 17 haut de Heu (14). Quant à Robin Blancmoxon de Heu. reçu bour geois en 1288, il appartient à une famille connue à Huy, mais il n'apparaît pas autrement dans les documents messins (15). Les activités économiques de ces familles nous échappent. La nature des opérations foncières, celles de Gilles en particulier, laissent supposer qu'elles s'occupaient du commerce de vins avec les Pays-Bas; ces opérations portent en effet surtout sur des vi gnes et cens en vin.