Le Genre De L'opéra Radiophonique
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Le genre de l’opéra radiophonique Morgane Paquette Dans le domaine de la création radiophonique originale, les LA COQUILLE À PLANÈTES : commandes passées à des compositeurs pour mettre en musique des œuvres d’écrivains contemporains aboutirent LE PREMIER OPÉRA RADIOPHONIQUE à la création d’opéras radiophoniques tels que Illusion d’Harsanyi ou Phèdre de Mihalovici. L’opéra radiophonique La Coquille à planètes fut créé en 1943-1944 sur un livret de respecte la « contrainte créatrice » qu’impose la radio. En Pierre Schaeffer et une musique de Claude Arrieu. C’est en effet, « opéra radiophonique ne signifie pas opéra à la radio, quelque sorte un opéra radiophonique expérimental en mais opéra pour la radio 1 ». huit épisodes. D’après Claude Arrieu : Voici une première définition de Giordano Ferrari pour ce « Il s’agissait, par le biais de l’astrologie et de l’“étude” genre très particulier : des douze signes du zodiaque, d’un travail de recherche sur la radio et ses différentes possibilités, sortes « Expression “opéra radiophonique” : en ce qui concerne d’arroseur arrosé de la radio. Plus tard, tous les étudiants le mot “opéra”, il faut l’interpréter comme référence au de la radio y ont puisé, car c’était non seulement une théâtre musical au sens large. C’est donc une histoire œuvre de composition, mais aussi une œuvre pleine de (ou un simple sujet) racontée par la musique ou en strict recherche de travail sur les différentes sonorités et qui rapport avec elle, d’une manière bien sûr libérée des utilisait toute une “mosaïque” d’instruments […]. Cette lois narratives et des conventions de l’opéra de tradition mise en œuvre très nouvelle a ouvert beaucoup de portes – l’histoire peut être non linéaire ou ressembler à un aux jeunes metteurs en ondes et futurs réalisateurs […]. parcours dans l’esprit du théâtre musical d’avant-garde –, C’est une œuvre compliquée, aujourd’hui dépassée, bien et la voix ne doit pas forcément être liée à la tradition du sûr, mais c’est un document auquel je tiens 4. » chant lyrique 2… » Pierre Schaeffer déclarait à son sujet : « Cette “Suite fantas- L’opéra radiophonique est donc un genre lyrique nouveau, tique pour une voix et douze monstres”, inspirée des signes qui ne met en jeu que des moyens sonores. La difficulté du zodiaque, doit donner “du ralenti à l’accéléré, du simple pour le compositeur est de créer une pièce compréhensible au complexe, des occasions de démonter les mécanismes uniquement par l’écoute de celle-ci. radiophoniques 5”. » « La radio a créé un genre lyrique nouveau, l’opéra radiophonique, qui s’exprime par des moyens sonores CLAUDE ARRIEU : […]. L’opéra radiophonique substitue au “spectacle total” un “art musical total”, où la musique embrasse l’opéra UNE PIONNIÈRE À LA RADIO tout entier pour le réduire à soi. Fusion totale de tous les matériaux sonores sous l’autorité de la musique, l’opéra Claude Arrieu naît le 30 novembre 1903. Pianiste de forma- radiophonique est par essence “composition musicale”. tion, elle fut élève de Paul Dukas pour la composition. Elle Ainsi se trouve surmontée l’antinomie spectacle- fit une véritable carrière à la radio et entra en 1935 au ser- musique 3. » vice des programmes de la Radiodiffusion française. Formée par Pierre Schaeffer, elle exerça en 1938 la fonction de met- Dans un opéra radiophonique, il n’y a pas de mise en scène, teur en ondes. Son travail consciencieux l’amènera à occu- pas de théâtre. Le spectateur n’est plus « parasité » par la per le poste de chef-adjoint du service des illustrations vision de la scène et peut se concentrer uniquement sur la musicales 6, qui se transforme plus tard en poste de réalisa- musique. trice de programmes. Il est évident que ce travail a influencé l’œuvre de Claude Arrieu. Son catalogue présente près d’une cinquantaine de pièces destinées à la radio. 1 Giordano Ferrari, « Opéras radiophoniques, un genre de dramaturgie musicale », in Laurent Feneyrou (dir.), Musique et dramaturgie, esthétique de la représentation 4 Commentaire de Claude Arrieu recueilli par Françoise Masset, « Le théâtre lyrique au XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 639. de Claude Arrieu », in Danièle Pistone (dir.), Le Théâtre lyrique français de 1945-1985, 2 Ibid. Paris, Champion, 1987, p. 196. 3 Gisèle Brelet, « Musique contemporaine en France », in Claude Roland-Manuel 5 Pierre Schaeffer, in Sylvie Dallet, Pierre Schaeffer : itinéraires d’un chercheur, (dir.), Histoire de la musique, Paris, Gallimard, t. II, 1963, p. 1265, coll. « Encyclopédie Paris, Éditions du Centre d’études et de recherche Pierre-Schaeffer, 1996, p. 31. de la Pléiade ». 6 Voir la fiche « Les débuts de la musique radiophonique ». AUTOUR DE L’AFFAIRE TAILLEFERRE 1 France-Yvonne Bril déclare à propos de Claude Arrieu : agréable commerce. Nous avons travaillé avec plaisir à cette Cabine téléphonique 9. » « Son œuvre et sa vie témoignent […] de l’attention et du vif intérêt qu’elle prête à toutes les conquêtes de l’époque, Claude Arrieu a joué un rôle très important dans le déve- et particulièrement à l’évolution du langage et des loppement de l’art radiophonique. Elle y a grandement moyens musicaux de ces trente dernières années ; n’a- contribué en travaillant à la Radiodiffusion française et en t-elle pas été l’un des premiers compositeurs à participer comprenant les contraintes de ce média très particulier. aux travaux de Pierre Schaeffer lorsqu’il entretenait les Ce travail lui a permis de créer des œuvres adaptées à ce recherches formelles et acoustiques d’où allait naître une média et lui a ouvert les voies du prix Italia, qu’elle obtient expression typiquement radiophonique, puis la musique en 1949. Ses pièces radiophoniques ont connu un grand concrète 7 ? » succès. Elle crée même un opéra bouffe (genre avec lequel elle est particulièrement à l’aise) pour la radio. Elle disparaît Dans une lettre du 19 février 1953 à la Société des auteurs et le 7 mars 1990. compositeurs dramatiques, Claude Arrieu fait l’inventaire de ses œuvres et notamment de ses pièces radiophoniques : LES CONTRAINTES « Pièces radiophoniques : – Candide de Jean Tardieu d’après Voltaire D’UN GENRE SPÉCIFIQUE – Jonathan Swift de Germaine Dubreuil – L’Âne Culotte d’Henri Bosco DES CONTRAINTES TECHNIQUES – La Coquille à planètes de Pierre Schaeffer L’opéra radiophonique est un genre très particulier qui – Comédies italiennes d’Étienne Fuzellier impose des contraintes aux compositeurs. En effet, « à la – Faust de Ribemont Dussaigne radio, le public est aveugle. Ce que nous recherchions, – Peter Pan de Claude-André Puget c’était un langage purement radiophonique et je suivais – Mystère de Noël de Loys Masson l’entreprise de très près, dans les studios d’enregistrement, – Le Monstre turquin de Michel Arnaud travaillant en relation étroite avec le réalisateur, par Je dois ajouter que je suis 1er prix de composition musicale exemple Alain Trutat, Jean-Jacques Vierne 10… » du Conservatoire de Paris et que j’ai composé la musique de Frédéric Général, œuvre qui a obtenu en 1949, le grand Certaines actions ne peuvent être intégrées pour des rai- prix Italia 8. » sons techniques, car les auditeurs ne pourraient les com- prendre. Pierre Schaeffer l’explique : « Vous dites très bien La sensibilité de Claude Arrieu est très proche de compo- au cinéma : “Pierre bat Paul”, mais essayez de dire “Pierre siteurs comme Poulenc ou Tailleferre. Cette « petite sœur ne bat pas Paul”. Vous voulez faire comprendre à la radio des Six », comme Tailleferre aimait à l’appeler, se sent avant qu’une pièce de vingt sous est tombée à terre, vous l’enten- tout un compositeur français : elle veut défendre les quali- dez fort bien tomber. Comment entendez-vous qu’on la tés d’un style fait de pudeur et de retenue, et veut s’expri- ramasse 11 ? » mer avec simplicité. Le compositeur doit donc faire très attention à ce qu’il Claude Arrieu remporte un grand succès avec ses pièces intègre dans sa pièce. Claude Arrieu qualifie ainsi la compo- radiophoniques. Ses ouvrages bouffes sont aussi, incon- sition radiophonique : testablement, des réussites. Elle est en cela une héritière d’Emmanuel Chabrier, dont on a dit qu’il avait aboli la hié- « Comment définir la musique à la radio ? D’abord et rarchisation des genres, en donnant à l’opéra bouffe ses probablement, c’est l’abnégation du compositeur en tant lettres de noblesse. Bien que Cadet Roussel soit le premier que purement lui-même. Un exemple : si on souligne des opéra de Claude Darrieu, écrit en 1953, rien n’y manque : le phrases parlées, des récits, monologues, dialogues, il lui livret est gai et farfelu à souhait, la musique saisit chaque faut se résigner à ce que l’on ne “l’entende pas”. occasion d’être alerte et entraînante. Elle suit un rythme N’étant jamais au premier plan, la musique peut être un rapide et enlevé, grâce à l’utilisation de danses. pivot, un prétexte. Elle doit avoir la valeur d’une couleur ou d’un bruit. On ne saurait s’en passer, mais il n’est pas Quant à la Princesse de Babylone (1960), c’est un opéra bouffe utile de l’identifier, c’est à cette condition seule qu’elle dont le livret, tout aussi fantaisiste que celui de Cadet peut être juste. Elle suggère, complète, ajoute parfois, Roussel, est prétexte à une musique gaie et exubérante. mais ne sort jamais du décor. Les procédés pour l’écrire sont divers, les problèmes posés nombreux, souvent Entre juin et août 1958, Claude Arrieu compose La Cabine difficiles à résoudre. La musique va créer une ambiance : téléphonique, opéra bouffe en un acte sur un livret de Michel prolonger un silence.