enquête

En se rasant, beaucoup pensent à devenir par pure curiosité. Ça m’intéressait beaucoup, parce président de la République ou Premier ministre. que c’est là que se prennent les décisions, mais je Les masques Assez peu, il faut bien l’avouer, se rêvent en plumes. n’avais pas particulièrement envie de travailler en Scribe de pharaon, une vocation ? Le cliché ne cabinet. Je me disais : ça va durer six mois, et après résiste pas bien longtemps lorsque l’on interroge je ferai autre chose. » Mais au bout d’un mois et de la plume les quelques rares spécimens français – difficile de demi à peine, le « conseiller discours » – étiquette les recenser tous, mais ils s’autoévaluent à une officielle de la plume – de Dominique Bussereau est Henri Guaino écrivait les discours de , Aquilino Morelle peaufine centaine, guère plus. Les uns ont fait Normale « appelé ailleurs ». Entre-temps, le jeune stagiaire a Sup’ ou un Institut d’études politiques, les autres su se faire remarquer. « Le conseiller discours est ceux de François Hollande. Seules les plumes des présidents de la République n’étaient que de simples militants, mais aucun ne venu me voir pour me dire qu’il avait proposé que ce ont des noms familiers. Pourtant, bien d’autres travaillent aux côtés de rêvait vraiment de ce destin. La fonction « plume » soit moi qui le remplace. » Pendant sept mois, il va ministres ou de grands élus locaux. Inconnus de tous et pourtant précieux, les attirait parfois. Mais elle résonnait comme un être la plume de Dominique Bussereau. ils sont au cœur de la fabrication de la parole politique. mirage, un rôle que l’on fantasme plus qu’on ne Une exception ? Pas vraiment. Quand Baptiste le connaît, dans la logique d’une existence qui Ledan est entré au cabinet de Laurent Wauquiez, se veut dans l’ombre. En anglais, plume se dit en septembre 2010, c’était aussi en qualité de sta- Par Baptiste Bouthier d’ailleurs « ghost writer ». giaire, au service presse-communication. Après portraits patrice normand illustration isaac bonan La première fois que Pierre-Jean Le Mauff avoir raté de peu les concours de l’ENA et de l’INET, est entré dans le bureau d’une plume, il s’est dit : deux des plus grandes usines à hauts fonction- « C’est le boulot de mes rêves. » « Alors que je n’avais naires de la République, ce Rennais fait un master aucune idée de ce en quoi ça consistait », précise- en géopolitique, puis vient le temps de trouver un t-il aussitôt. C’était en mars 2010, au cabinet travail. « J’ai obtenu ce stage par hasard, en lisant de Dominique Bussereau, alors secrétaire d’État une petite annonce sur le site de Paris aux Transports. Pierre-Jean Le Mauff n’est qu’un grâce à des codes qu’on m’avait filés... » Deux mois étudiant de 22 ans qui, pour valider son master en plus tard, Laurent Wauquiez passe du secréta- Communication politique au CELSA, commence riat d’État à l’Emploi au ministère des Affaires un stage de six mois comme « petite main ». « C’était européennes ; Baptiste Ledan de stagiaire à

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« On n’est pas des écrivains. Derrière le mot pompeux de plume, qui m’a fait rêver, tu es un exécutant qui produit des éléments de langage. »

Pierre-Jean Le Mauff ancienne plume de Dominique Bussereau

chargé de mission. Mais toujours dans la même qui s’empilent allégrement, des prolongations au veine : « En gros, je rédigeais ses interviews sur bureau jusqu’à minuit, « aussi parce que c’est le des sujets très techniques, et je répondais parfois seul moment où le téléphone ne sonne plus ». Bru- aux demandes d’interviews. À côté de ça, j’ai talité des relations avec l’homme politique pour commencé à donner, de temps en temps, un coup de qui l’on écrit, souvent anecdotiques malgré le rôle main à la fille qui écrivait les discours, notamment central de la plume. « C’est pas l’école, t’es censé ceux des décorations. » En clair, il se fait la main, comprendre tout seul les messages que l’on te jusqu’au mini remaniement de juin 2011. Laurent passe », résume encore Édouard Solier, et tant pis Wauquiez part à l’Enseignement supérieur, Jean si ce n’est qu’un regard ou une tape dans le dos. Leonetti arrive aux Affaires européennes, Baptiste Brutalité de la fin, notamment lors des remanie- Ledan décide d’y rester : « Ils cherchaient du monde. ments gouvernementaux, quand, du jour au len- J’ai vu Leonetti dix minutes, je lui ai envoyé un demain, il faut rapidement faire ses cartons pour discours en fin d’après-midi, j’ai été pris. » Il sera sa aller de Bercy à la place Beauveau ou, dans les plume pendant presque un an, jusqu’à la défaite mauvais cas, simplement laisser sa place aux suc- de Nicolas Sarkozy au deuxième tour de l’élection cesseurs sans avoir le temps de se dire au revoir. présidentielle, en mai dernier. Le genre de mésaventure dont on garde un De stagiaires à plumes, à même pas 25 ans. souvenir précis. Juin 2007 : Nicolas Sarkozy vient Ce n’est pas le seul point commun de ces deux-là. d’être élu président de la République, et après avoir Ils n’avaient pas fait l’ENS, mais un IEP de passé trois ans à préparer des éléments de langage province. Ils avaient une vraie appétence pour la pour Jean-François Copé au porte-parolat des politique, mais aucune démarche militante sur le gouvernements Raffarin puis Villepin, Édouard CV. Rien de tout cela n’est vraiment nécessaire Solier va devenir plume. Grâce à son ancien chef pour devenir plume. Finalement, il n’y a qu’une de cabinet, il se voit confier les discours d’Alain exigence majeure : savoir accepter la brutalité, car Juppé, ministre d’État de l’Écologie, du Dévelop- tout s’y rapporte. pement et de l’Aménagement durables. Sauf que le maire de Bordeaux est battu aux législatives dans « C’est pas l’école » son fief, et qu’il est sacrifié pour l’exemple. « Et je Le mot ne sort qu’à l’improviste, mais l’idée me fais encore une fois sauter le caisson, se marre est toujours latente. Brutalité des premiers pas : Édouard Solier. « Au chômage pour la deuxième « Du jour au lendemain, le conseiller discours m’a fois en un mois... » À peine le temps de réaliser que filé tous ses dossiers en cours, se souvient Pierre- la nouvelle équipe, celle de Jean-Louis Borloo, Jean Le Mauff. Je me suis retrouvé avec un bureau débarque. Il ne le sait pas encore, mais c’est la à mon nom et deux assistantes. Ça fait bizarre. » « Il chance de sa vie. « Ils n’avaient personne pour écrire faut être très rapide, le mec est soumis à une trop les discours et besoin de quelqu’un tout de suite. » grosse pression pour qu’on attende dix-huit mois Il sera finalement la plume du maire de Valen- que Monsieur émerge », explique plus prosaïque- ciennes. Et, très vite, son premier admirateur. ment Édouard Solier, plume de Jean-Louis Borloo. « Notre première séance de travail a été éblouis- Brutalité du rythme de travail, inhérent à la vie sante. Je me suis dit : “Ce gars-là est incroyable. en cabinet, avec des journées de douze heures C’est le mec qu’il me faut”. » Venu d’Angers, il

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« J’aurais adoré être journaliste, d’ailleurs je suis un journaliste raté »

Édouard Solier plume de Jean-Louis Borloo

avait été diplômé de Sciences po Paris et de HEC, Trouver le souffle attaché parlementaire d’Hervé de Charette Mais alors, qu’est-ce qu’une bonne plume ? pendant trois ans puis membre du cabinet de Il faut déjà être capable de suivre le rythme. Chaque Jean-François Copé pendant autant de temps. semaine, il y a jusqu’à quatre discours à écrire, Mais jamais il ne s’était trouvé un attachement qui correspondent aux différents déplacements politique aussi fort. À tel point que quand Jean- de l’homme politique. L’avantage, c’est qu’on peut Louis Borloo, après avoir frôlé Matignon, quitte le les anticiper ; l’inconvénient, c’est qu’ils se succè- gouvernement en novembre 2010, « Je décide, de dent si rapidement qu’il devient vite impossible de ma toute petite place, de ne pas rester non plus. prendre de l’avance. S’y ajoute la rédaction d’in- J’ai eu quelques offres, très aimables, que j’ai décli- terviews ou d’articles dans des revues spécialisées, nées parce que j’étais fatigué, et surtout, parce que de tribunes pour les grands quotidiens, toujours j’étais beaucoup trop imprégné par mon ministre. » décidées au dernier moment, dans certains cas de Aujourd’hui, à 34 ans, Édouard Solier est membre communiqués de presse. Mais aussi de simples du bureau national du Parti radical valoisien, que fiches avec quelques arguments clés – des « billets- préside Jean-Louis Borloo, et il continue d’écrire, points » – voire, pour certains, du courrier de en freelance, les discours de son leader chaque réponse, pour « remercier ceux qui envoient des fois que celui-ci fait appel à lui. rapports, des lettres de réflexions, etc. » Autres Il n’envisageait pourtant pas d’être plume. qualités essentielles : savoir synthétiser et vul- Mais tout attaché parlementaire doit écrire pour gariser. Chaque fois qu’elle doit écrire, la plume, son député : quelques éditos, deux ou trois inter- parce qu’elle n’a pas le temps de se pencher à fond ventions, une plaquette par-ci, par-là pour Hervé sur chaque sujet et parce qu’elle n’a parfois pas de Charette. Puis, chez Copé, pas de discours mais les connaissances nécessaires pour le faire, colla- des notes, des fiches, de courts raisonnements. Et bore avec les autres conseillers du cabinet afin de de fil en aiguille... « En politique, on te demande savoir quoi écrire. « Ce qui est vraiment très inté- toujours ce que t’as fait avant pour te donner le ressant dans ce métier c'est que tu travailles avec même boulot », assure-t-il. Et il s’est laissé porter tout le monde, note Baptiste Ledan. Sauf qu’il ne par le mouvement. « C’est comme dans Forest faut pas calquer leurs mots, ils utilisent un langage Gump. Un jour, le mec, on lui donne une raquette, beaucoup trop technique. » « Ce qui te sauve, c’est on lui apprend à jouer au ping pong, et il se sent que le ministre a une parole relayée publiquement bien. Moi, c’est pareil. On m’a donné un clavier, on qui nécessite un travail de vulgarisation. Moi, ça m’a dit “écris quelque chose”, c’était dur, mais on m’allait très bien ! », relève Pierre-Jean Le Mauff, me disait “tiens, c’est pas mal”. C’est là que tu te pas forcément à l’aise avec tous les sujets trans- dis que t’es peut-être fait pour ça. Moi, je n’étais ports quand il entra au cabinet de Dominique Bus- pas un homme de couloirs à l’Assemblée. Je ne suis sereau. jamais aussi bien qu’avec un ordinateur dans un Il faut également savoir écrire pour un autre. café ou chez moi. J’aurais adoré être journaliste, Et, plus encore, pour celui qui vous emploie, car d’ailleurs je suis un journaliste raté. » les attentes peuvent varier du tout au tout. « Le premier discours que j’ai envoyé à Leonetti,

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«Les textes sont bossés, vérifiés, retravaillés, donc la non-apparition du nom a un sens»

Baptiste Ledan ancienne plume de Laurent Wauquiez et

je l’avais fait sur le seul modèle que j’avais, c’est- auquel je crois, assure Marc Foglia, qui fut la à-dire Wauquiez, se souvient Baptiste Ledan. Le plume de Dominique Bussereau au ministère de texte m’est revenu avec quatre parties soulignées l’Agriculture (2006-2007) puis de Gérard Larcher, en rouge, et c’était les quatre passages qui faisaient à la présidence du Sénat (2009-2011). Je ne suis très Wauquiez, dont le langage est plus direct, plus pas un homme de terrain, j’aimais ce rôle de servir, oral. J’ai compris que ce n’était pas le même style. dans l’ombre, des personnalités de premier plan. » Leonetti privilégie les références littéraires, Pascal, « Les textes sont bossés, vérifiés, retravaillés, Camus... c’est plus lyrique. » Comment mettre ainsi donc la non-apparition du nom a un sens », note « ses pas dans les siens » ? « Il faut l’écouter, l’ob- encore Baptiste Ledan. Tout le monde n’a pas for- server, bien retenir les leçons », énumère Édouard cément cette sagesse. Ne jamais voir apparaître Solier. Car le temps du ministre est compté, et les sa signature, écrire un discours qui n’est lu qu’à rapports finalement assez rares. Le plus souvent, 10%, « c’est un peu le drame de certaines plumes », c’est le directeur de cabinet qui fait le lien entre la confie Pierre-Jean Le Mauff. « Certains sont très plume et l’homme politique. Le premier travail du frustrés parce qu’ils essaient de changer la façon scribe est donc de s’abreuver de son sujet : chaque dont parle ou pense leur ministre, mais c’est pas le intervention écrite, radio ou télé est écoutée, boulot ! », s’insurge presque Édouard Solier. L’idée décortiquée, analysée pour trouver « le souffle », est donc d’aller trouver des satisfactions ailleurs. « les mots », « la mélodie ». Mais pour y parvenir « Ce que j’aimais, c’était la responsabilité. On ne complétement, pour accepter de totalement s’effa- peut pas raconter n’importe quoi, la parole engage, cer derrière celui pour qui l’on écrit, une dernière c’est celle de l’État. Et puis certes, c’est difficile, on qualité fondamentale est citée par tous : l’humilité. sent la fatigue qui s’accumule, mais il y a une vraie « On n’est pas des écrivains, on est des chevilles reconnaissance sociale. On est invité partout, même ouvrières, constate Pierre-Jean Le Mauff. Derrière si on n’a jamais le temps d’y aller avec les emplois le mot pompeux de plume, qui m’a fait rêver, tu es du temps que l’on a... Quand on est universitaire, un exécutant qui produit des éléments de langage. on n’est invité nulle part, si ce n’est dans les col- Tu es là pour servir. » « Il faut avoir l’humilité de loques universitaires ! s’amuse Marc Foglia, ancien reconnaître que c’est celui qui est sur la scène élève de l’École normale supérieure et agrégé de qui va assumer le discours, pas celui qui est en philosophie, aujourd’hui âgé de 37 ans. En poli- coulisse, explique Édouard Solier. Mon rôle, c’est tique, il n’y a rien à faire, on a l’impression d’être de faire en sorte qu’il ait toutes les infos utiles, qu’il au centre des choses, même si c’est parfois une se sente en sécurité, à l’aise. À la limite, s’il ne lit illusion. » « J’étais quand même content de voir une pas mon discours, ce n’est pas grave. » Ce qui arrive tribune que j’avais écrite dans un grand quotidien, plus souvent qu’on ne pourrait l’imaginer, d’où la sourit Baptiste Ledan. Et qu’il n’y ait pas mon nom, mention « seul le prononcé fait foi » qui accompagne ça ne me gênait pas particulièrement. » inévitablement les retranscriptions des discours distribuées à la presse. « Il y a une forme de frus- Marqués à vie tration, mais c’est aussi quelque chose de positif : je Puisque l’effacement est la loi, on peut s’éton- suis quelqu’un qui aime servir mon pays, l’avenir ner que ces plumes en parlent si librement.

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« Quand on écrit les discours d’un homme politique, on fait de la politique »

C’est parce qu’elles ont en commun d’être passées quand même une forme de soulagement, car tous « Je n’ai pas particulièrement cherché à échanger, c’est lui qui chope toute la pression, et il tient la à autre chose, au moins en partie. Difficile, entre pointent « l’épuisement physique ». « Tu as tellement reconnaît sans ambages Baptiste Ledan. Même position. Balèze.” » « Mais un cabinet, ça reste un lieu l’emploi du temps infernal et le devoir de réserve, stressé qu’après, tu es inébranlable. Ça ne te fait avec la plume d’Alain Juppé (alors ministre des de pouvoir, et donc de lutte de pouvoirs, rappelle de trouver quelqu’un qui soit encore en activité et plus mal », décrit Édouard Solier. « Plume, ce n’est Affaires étrangères), que je croisais régulièrement notre plume socialiste. Il y a donc, aussi, une sorte qui accepte de se livrer. Autrement dit, difficile de pas un métier que tu peux tenir pendant vingt ans, au Quai d’Orsay. » Des réunions ont pourtant été de jalousie entre tous pour obtenir un rapport direct recueillir le témoignage d’une plume de gauche, à moins de bosser pour quelqu’un qui va devenir parfois organisées. Marc Foglia se souvient d’avoir avec l’élu ou une présence sur tous les dossiers... si ce n’est anonymement. « C’est une question de président de la République, estime Baptiste Ledan. participé à plusieurs déjeuners entre plumes du C’est ce que montre très bien la BD Quai d’Orsay. » loyauté », assène la plume d’un grand élu local C’est plus un outil sur ton couteau suisse. » Lui gouvernement Villepin, en 2006 et 2007. « Je n’en Les plumes sont unanimes pour qualifier cette socialiste. Elle voit dans les témoignages de « ceux cherche à le mettre en avant pour basculer sur étais pas à l’origine, mais j’avais soutenu cette ini- bande dessinée (2010) de Blain et Lanzac d’« extrê- qui ont envie de la ramener pour eux » une « sorte un poste de chef de cabinet auprès d’un élu local. tiative. On est assez isolé, et c’est toujours utile mement réaliste ». Ils la citent bien plus souvent de défiance », même si elle admet que ne plus être Dans tous les cas, l’expérience en cabinet ouvre de partager une expérience. Le but n’était pas tel- que la série américaine « À la maison blanche » en fonction aide à libérer la parole. Femme dans bien des portes. « Ce sont des hommes politiques lement de se concerter, mais plutôt de se rendre (sept saisons de 1999 à 2006), qui propose une une profession essentiellement masculine, cette connus, ils ont pignon sur rue, donc leur nom agit compte que tout ce qui pouvait nous arriver, aussi plongée passionnante au cœur du fonctionnement plume dénote, même si ce n’est selon elle que le comme une marque », théorise Édouard Solier, bien positivement que négativement, n’était pas de la présidence américaine. Quai d’Orsay raconte reflet « de cabinets où les hommes sont fortement devenu conseiller du président du Conseil supé- lié à notre cas personnel mais à notre condition pour sa part la vie du cabinet du ministre des majoritaires ». Autre différence : elle n’a pas fait une rieur de l’audiovisuel (CSA), Michel Boyon. commune. » Une sorte de thérapie de groupe ? Pour Affaires étrangères Alexandre Taillard de Vorms, grande école et est arrivée là grâce à son parcours Et puis, pour poursuivre la carrière de plume, ses (nombreux) détracteurs, ce genre de sauteries un plus vrai que nature, à de militante. « Mon plaisir, ce n’est pas d’écrire, encore faut-il le pouvoir. Car quand, comme en était plutôt l’occasion de « se pousser du col », « des travers les yeux d’Arthur Vlaminck, thésard qui mais de pousser des trucs auxquels je crois, de mai dernier, le gouvernement bascule, le renou- dîners où tout le monde se prend pour un écrivain ». se retrouve chargé des « langages ». « La scène de porter des projets. Je l’ai fait de manières très dif- vellement de la profession est profond. Tous sont- À gauche aussi, il y a des exemples. En décembre l’imprimante par exemple, c’est à mourir de rire tel- férentes, aujourd’hui je le fais en tant que plume, formels : si tu as un jour travaillé pour la gauche, 2010, le « réseau Plumes vertes » avait par exemple lement c’est vrai, assure notre plume de gauche. demain je le ferai encore autrement. » la droite ne voudra pas de toi, et vice-versa. Et organisé à l’Assemblée nationale une conférence Où ce genre de modifications débiles sur ton texte... Car elle ne se voit pas « faire ça toute sa vie : de raconter comment un directeur de cabinet de entre plumes socialistes sur les questions envi- Parfois, tu sens qu’il suffit de modifier le quart c’est un moment, un mec, un projet », et en cela, elle droite en vient à s’engueuler avec un ami de vingt ronnementales, à l’approche des primaires pour la d’une phrase pour que ça passe de “c’est de la rejoint ses homologues. Car n’est pas Henri Guaino ans, dircab d’un ministre de gauche, parce que présidentielle. Mais, là encore, ce genre d’initiative sous-merde” à “c’est parfait”. » Balloté, malmené, qui veut : pour la plupart des plumes, il s’agit d’un celui-ci n’a pas voulu de la plume qu’il voulait lui ne fait pas franchement l’unanimité. Arthur Vlaminck existe tant bien que mal au Quai emploi temporaire, éventuellement d’un tremplin. refiler... « Honnêtement, si tu n’es pas sur la même d’Orsay. Mais il finit par rédiger le discours majeur Marc Foglia est retourné aux amphithéâtres : ligne politique que celui pour qui tu écris, c’est un Lieu de pouvoirs de la vie politique française des années 2000 : celui « L’expérience a été positive, mais ma vocation, c’est peu schizophrène, remarque Pierre-Jean Le Mauff. La famille, ce n’est pas la communauté des que Dominique de Villepin prononça le 14 février l’enseignement et la recherche ». Pierre-Jean Le Il faut croire à ce que l’on fait dans ce boulot-là. » plumes mais bien le cabinet. Tous y évoquent 2003 devant l’ONU pour s’opposer à une inter- Mauff réalise aujourd’hui des études qualitatives à « Quand on écrit les discours d’un homme politique, un « esprit d’équipe » indéniable, fruit à la fois vention armée en Irak. Un moment de grâce dont l’Ifop, et s’il n’exclut pas de redevenir plume « dans on fait de la politique », tranche notre « plume de des emplois du temps démentiels et de la poli- certains rêvent en se rasant. cinq ans » – comprendre, quand la droite pourra gauche ». tique de l’urgence permanente. On peut même peut-être revenir au gouvernement – il n’en fait En écho, les relations entre plumes des deux parler d’« esprit de tranchée », à en croire Édouard pas une obsession non plus. Car même si « quand bords sont faibles, en dehors des inévitables liens Solier : « Il m’est souvent arrivé d’être assez admi- ça se termine, tu es abasourdi pendant trois mois, amicaux entre personnes issues, par exemple, ratif envers des collègues. C’est assez rare, dans tu as du mal à accepter que le rythme soit moins d’une même promo. D’ailleurs, les rapports entre une boîte, d’avoir une réelle et sincère admiration intense, que l’urgence permanente s’arrête », il y a plumes sont, d’une façon générale, très réduits. pour quelqu’un, une situation où tu te dis : “Le mec,

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