Centre Français de Recherche sur le Renseignement

NOTE D’ACTUALITÉ N°420

LES BARONS DE LA DROGUE LES PLUS RECHERCHÉS

Alain Rodier

Le crime organisé est comme une hydre à plusieurs têtes : quand on en coupe une, d’autres repoussent. Joaquín « El Chapo » Guzmán, le parrain du cartel de , a été de nouveau arrêté le 8 janvier 2015. Maintenant que l'homme est derrière les barreaux, six mois après sa deuxième évasion rocambolesque d’une prison de haute sécurité, la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine a inscrit la mention « capturé » sur sa photo figurant sur la page web Most wanted. Il devrait être extradé vers les Etats-Unis mais la durée de la procédure engagée peut lui laisser le temps de tenter une troisième escapade. Sa fortune lui permet d’acheter gardiens et directeurs de prison ! Mais en attendant, quels sont les autres principaux barons de la drogue en liberté ?

Ismael Zambada García, alias « El Mayo », cartel de Sinaloa (Mexique)

Si « El Chapo » était le chef du cartel de Sinaloa, il n’en n’était pas le seul. Ismael Zambada-Garcia - alias « El Mayo » - est désormais le leader « par intérim » du cartel avec Juan José « El Azul » Esparragoza Moreno qui, lui, est à la tête de la « Fédération », une alliance regroupant les cartels de Sinaloa, de Juarez et de Sonora. El Mayo a fait le choix de la discrétion faisant notamment appel à la chirurgie esthétique. Il a gagné en influence dans les années 1990 alors qu’El Chapo était (déjà) incarcéré. Les deux barons s'allient en 2001 après l’évasion de Chapo d'une prison de haute sécurité. Ils deviennent les chefs d'une alliance de plusieurs groupes du Sinaloa, appelée la Fédération Sinaloa. Ils restent alliés lorsque cette organisation implose en 2008. Plusieurs membres de la famille d'El Mayo sont arrêtés, dont son frère, un neveu et trois de ses fils. L'un d’eux, Vicente Zambada Niebla, a été extradé vers les États-Unis en 2001 où, après avoir plaidé coupable pour trafic de drogue, il a été condamné à dix ans de prison. L’épouse et les quatre filles d’El Mayo, toujours en liberté, remplaceraient les membres de la famille arrêtés dans leurs tâches « commerciales ». Pour sa capture, Ismael Zambada-Garcia s’est vu crédité d’une récompense de cinq millions de dollars qui pèse sur sa tête.

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Ismael Zambada García et

Rafael Caro Quintero, cartel de Sinaloa (Mexique)

Rafael Caro Quintero, un des fondateurs du cartel de Guadalajara aujourd’hui disparu, a été capturé au Costa Rica en 1985 lors d’une opération policière faisant suite aux enlèvements de quatre personnes au Mexique, dont quatre citoyens américains. Il y avait parmi eux un agent de la DEA, Enrique Camarena Salazar. Toutes ces personnes ont été assassinées après avoir été torturées. Caro Quintero a été condamné à 40 ans de prison, mais il a été libéré en août 2013 par un tribunal mexicain pour un problème de procédure. Avant de comparaître de nouveau, Quintero a disparu dans la nature. Il aurait alors rejoint le cartel de Sinaloa dans la Sierra Madre. La libération de Caro Quintero a déclenché un véritable tollé aux États-Unis où l’affaire Camarena est devenue symbolique pour les forces de l'ordre. Quintero aurait repris d’importantes responsabilités aux côtés d'El Mayo. Il y a effectivement du travail puisque le cartel de Sinaloa est le plus puissant d’Amérique latine.

Nemesio Oseguera Cervantes, alias « El Mencho », cartel de Jalisco Nueva Generación (Mexique)

Nemesio Oseguera Cervantes - alias « El Mencho » - est le chef du cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), considéré comme étant l'organisation criminelle en pleine ascension au Mexique. Le cartel s'appuie sur des restes d'autres organisations aujourd’hui disparues. Ce serait la deuxième organisation en importance après le cartel de Sinaloa avec lequel il entretiendrait une certaine collaboration. Le CJNG était peu connu avant 2015, jusqu’à ce qu’il se livre à une série d'attaques dirigées contre les forces de sécurité dans l'État de Jalisco. Un hélicoptère militaire a même été abattu. Depuis, El Mencho est activement recherché. Son frère, son fils, ainsi que d’autres responsables de l’organisation ont été appréhendés. En représailles, ces arrestations ont provoqué une augmentation des meurtres dans l'État du Jalisco. 3

Comme le cartel de Sinaloa, le CJNG est en guerre ouverte contre les Zetas et les Chevaliers templiers pour le contrôle des Etats de Michoacan, Veracruz et Jalisco. Il fait preuve d’une cruauté impitoyable, n’hésitant pas à exhiber en public les restes humains des victimes qu’il a démembrées. Dans le domaine de l’horreur, il est encore pire que Daesh. La grande différence réside dans le fait que les abominations commises au Mexique ne sont médiatisées que localement !

José Adán Salazar Umaña, alias « Chepe Diablo » (Salvador)

José Adán Salazar Umaña « Chepe Diablo » est l'un des fondateurs du cartel de Texis. Ce groupe contrôlerait plusieurs routes du trafic de drogue passant par le Salvador. Il travaillerait pour le compte de différents cartels mexicains et colombiens. Néanmoins, il se distingue de ces organisations par une utilisation limitée de la violence, préférant employer des méthodes plus subtiles comme la corruption. En 2001, la DEA a mentionné Chepe Diablo comme étant un trafiquant de drogue et blanchisseur d'argent. En mai 2014, le département du Trésor américain l’a ajouté à sa « liste des barons de la drogue ». Chepe Diablo incite ses hommes à ne pas porter d'armes, mais plutôt à s'en remettre à la police corrompue pour assurer leur protection. Les liens qu’il entretient avec le monde de la politique et des affaires au Salvador permettent au cartel de 4

travailler librement. Chepe Diablo possède légalement une chaîne d'hôtels, des ranchs, et il a même été le président de la ligue 1 de football du pays. Le ministère du Trésor du Salvador a mené une enquête sur Chepe Diablo en 2014 et en 2015, mais elle a été arrêtée par le bureau du procureur général.

Dario Antonio Úsuga, alias Otoniel (Colombie)

Dario Antonio « Otoniel » Úsuga est le chef du plus important des cartels colombiens, Los Urabeños, formé à partir de deux milices d’autodéfense d’extrême- droite mais aussi d’anciens activistes marxistes des FARC. Le gouvernement américain offre une récompense de 5 millions de dollars pour des informations permettant sa capture. L'organisation d'Otoniel est surtout présente dans la région côtière d'Urabá, à l'est de la frontière avec le Panama. En plus de produire et de transporter de la cocaïne, Los Urabneños se livrent au racket, au trafic des êtres humains et à celui des armes. Ils entretiennent des liens d’affaires avec le cartel de Sinaloa qui vient leur acheter de la cocaïne. Los Urabeños seraient forts de quelques 2 000 membres. De nombreux associés d'Otoniel ont été capturés ou tués au cours de l’année 2015.

Dario Antonio Úsuga et Gerson Gálvez Calle

Gerson Gálvez Calle, alias Caracol (Pérou)

Gerson Gálvez Calle alias « Caracol » est le criminel péruvien le plus recherché par Interpol. Il est à la tête d'une organisation appelée Barrio King. Il aurait dirigé son groupe depuis sa cellule de prison, avant d'être relâché l'année dernière et de disparaître dans la nature. Il a passé 12 ans derrière les barreaux pour tentative d'assassinat, vol et trafic de drogue. Des sources policières disent que Caracol souhaite faire de son organisation le premier cartel du pays en contrôlant la distribution de la cocaïne de sa production jusqu’à sa distribution. Le Barrio King aurait déjà fait passer pour des centaines de millions de dollars de cocaïne dans des conteneurs à bord de bateaux en partance de Callao, le plus grand port du Pérou qu’il contrôle de fait

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Wei Hsueh-Kang, United Wa State Army (USWA) (Birmanie)

Wei Hseuh-kang est un des deux chefs de la United Wa State Army (UWSA), un groupe rebelle dont les forces contrôlent une partie de l'est de la Birmanie dit « Etat Wa », fondé en 1988 après la disparition du Parti communiste birman. L’autre est Bao Youxiang, le « président“ de l’Etat Wa. Cette région fait partie du Triangle d'Or située à cheval sur la Birmanie, la Thaïlande et le Laos. La structure militaire de l’Etat Wa dirigée par Hseuh-kang est soutenue par les Triades chinoises et les Yakuzas japonais, qui sont les premiers acheteurs d’opium cultivé dans le Triangle d’Or. Elle serait forte de 30 000 activistes. L’USAW est décrit par la DEA comme étant « le groupe le plus important dans le trafic d'héroïne en Asie du Sud-Est, peut-être du monde ». Après le vote du Foreign Narcotics Designation Kingpin Act en 1999, Hseuh-kang, ancien compagnon de Khun Sa - un seigneur de guerre birman surnommé le « roi de l’opium » décédé en 2007 - a été l'une des premières personnes à être qualifiée de « baron de la drogue » par Washington. Les États-Unis le recherchent depuis les années 1990,- et le département d'État offre une récompense de 2 millions de dollars pour toute information qui permettrait sa capture. Pourtant, cet individu a réinvesti une partie de ses gains dans l’économie légale avec des bureaux ayant pignon sur rue. Il contrôlerait des sociétés de construction, agricoles, d’extraction de pierres précieuses et de pétrole, d’électronique, de télécommunications et commerciales.

Haji Lal Jan Ishaqzai (Afghanistan)

Haji Lal Jan Ishaqzai serait devenu un trafiquant majeur d'héroïne en Afghanistan dans les années 1980-90. Il s’est installé à Kandahar en 2001. Il aurait vécu dans la même rue qu'Ahmed Wali Karzai, le demi-frère de l'ancien président afghan Hamid Karzai. Wali Karzai a été assassiné en 2011 et était alors soupçonné se livrer à des activités criminelles. Ishaqzai a été arrêté en 2012 ; il était l'un des dix trafiquants de drogue les plus recherchés par les États-Unis. Il a été libéré en 2014 en payant son élargissement 14 millions de dollars. Il serait aujourd’hui installé dans la région de Quetta au Pakistan et continuerait à diriger ses affaires florissantes. L’Afghanistan est le premier pays producteur de pavot au monde, bien avant le Triangle d’Or. Toutes les parties se livrent à ce juteux commerce, que ce soit le gouvernement, les chefs de tribus, les taliban ou Al- 6

Qaida. Seulement, il leur faut des intermédiaires fiables qui assurent le transport à destination. Ishaqzai est l’un de ceux-là.

Matteo Messina Denaro (Italie)

Matteo Messina Denaro - alias « Don Ciccio » ou « Diabolik » -, le supposé capo di tutti capi, le chef de la Coupole (le conseil supérieur de Cosa Nostra qui réunit les mafias siciliennes), est en cavale depuis 1993. Son illustre prédécesseur, Bernardo Provenzano, l’avait été pendant 43 ans avant d’être finalement arrêté dans une bergerie située près de Corleone en 2006 ! Son immédiat successeur, Salvatore Lo Piccolo, n’a tenu qu’un an avant d’être appréhendé. Très soupe au lait, Denaro aurait sur la conscience le meurtre de dizaines de victimes (il se vantait d’en avoir tué 50 entre l’âge de 18 et de 30 ans). A l’inverse de son prédécesseur, il aime la belle vie, les voitures et les habits de luxe et les femmes. Il est marié mais serait peu fidèle. Cette conduite est étonnante car elle aurait dû permettre de l’appréhender depuis longtemps. Il est possible qu’il ne réside plus en Sicile ni en Italie. Il est en effet associé à de nombreux barons de la drogue latino- américains et peut très bien diriger ses florissantes affaires depuis le continent américain.

Matteo Messina Denaro et Semion Yudkkovich Mogilevich

Semion Yudkovich Mogilevich (Russie)

Semion Yudkkovich Mogilevich - alias « Seva » ou le « Don intelligent » - est aussi surnommé le « parrain des parrains » des mafias russes qui entretiennent les réseaux criminels les plus étendus au monde. Le trafic de drogue n'est qu'une de ses multiples activités illégales. Il a été arrêté en Russie pour fraude fiscale en 2008, puis libéré l'année suivante car, selon le ministre de l’Intérieur de l’époque, les charges pesant contre lui n’étaient « pas de nature particulièrement grave ». Il faut reconnaître qu’il est accompagnée d’une armée d’avocats brillantissimes qui ont toujours réussi à balayer les preuves avancées par les autorités policières au sujet de trafic d’armes, contrats de meurtres, racket, trafic de drogue et d’êtres humains, le tout à l’échelle internationale. Mogilevich a été inscrit sur sa liste des personnes les plus recherchées par le FBI en 7

2009, mais il en a été retiré en désespoir de cause en 2015, car les États-Unis n'ont pas de traité d'extradition avec la Russie où Mogilevich vit paisiblement. Selon la rumeur toujours malveillante, Mogilevich entretiendrait de nombreux contacts avec les cartels latino-américains et la Camorra italienne et se serait lié d’amitié avec la famille Genovese de la Cosa Nostra de New York. D’origine ukrainienne, il détiendrait aussi des passeports hongrois et israélien mais serait persona non grata dans ces deux pays en raison de sa réputation légèrement sulfureuse. En fait, il ne peut plus sortir de Russie sous peine d’être arrêté. Cela ne l’empêche pas de continuer de faire fructifier ses nombreuses affaires depuis son havre moscovite. Quant au Président Poutine, il est très attaché à l’indépendance de la justice en Russie. Or cette dernière n’a rien à reprocher à ce bon Mogilevich.

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Le crime organisé reste le pire des dangers qui menace la stabilité des Etats démocratiques, bien avant le terrorisme. En effet, si les « barons de la drogue » sont bien identifiés, ce n’est pas le cas des intermédiaires qui assurent des liaisons directes avec les autorités politiques et administratives corrompues1 de nombreux pays. Le but des organisations criminelles transnationales (OCT) n’est pas de prendre le pouvoir mais de s’y accrocher comme des sangsues pour en profiter au maximum. Si le trafic de drogue reste l’activité la plus rémunératrice, elle est concurrencée par ceux des êtres humains, des armes, des contrefaçons, des espèces protégées, des matières premières, etc. Les OCT font preuve d’une adaptabilité remarquable qui leur permet de coller au marché en se lançant dans des activités fort rémunératrices. L’écologie et les nouvelles technologies sont des domaines qui sont actuellement très porteurs pour faire de juteux profits. Enfin et encore plus grave, les OCT infiltrent de plus en plus l’économie légale, de manière à pouvoir y investir discrètement leurs fabuleux profits. En effet, le blanchiment de l’argent sale a toujours été leur problème numéro un et l’économie réelle reste le débouché le plus attractif.

Alain Rodier Février 2016

1 La corruption se fait généralement en direction de cadres intermédiaires promis à un brillant avenir. Les OCT peuvent aider au bon déroulement de la carrière d’ambitieux en leur faisant profiter de leurs réseaux et, éventuellement en les finançant au moment voulu.