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Une étude de l’Intelligent : analyse du style rythmique d’

Mémoire

Anthony Papavassiliou

Maîtrise en musique - musicologie Maître en musique (M.Mus.)

Québec, Canada

© Anthony Papavassiliou, 2014

RÉSUMÉ

L‘ (IDM) est un courant de musique électronique semi- expérimental qui a émergé au Royaume-Uni au début des années 1990. Souvent considérée comme une musique cérébrale peu propice à la danse, l‘IDM n‘avait jamais fait l‘objet de l‘étude nécessaire à la justification d‘un tel jugement. Les analyses formelles menées ici sur des œuvres représentatives d‘Aphex Twin, pionnier et figure principale du courant, montrent une démarche sophistiquée de complexification rythmique qui a pour effet de solliciter activement l‘attention de l‘auditeur. D‘une part, l‘asymétrie organisée aux différents niveaux du rythme provoque des phénomènes d‘ambigüité et de rupture sur le plan de la perception métrique. D‘autre part, l‘abondance d‘ensembles microrythmiques, parfaitement synchronisés avec la structure métrique, produit un dense et précis enrichissement du rythme opéré sous forme d‘agréments gestuels ou texturaux. Ces particularités musicales résultent d‘un lot de choix prédominants définissant le style de l‘artiste et, par la même occasion, fournissent les premiers éléments d‘une définition de l‘IDM basée sur des caractéristiques formelles.

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ABSTRACT

Intelligent Dance Music (IDM) is a semi-experimental genre of that emerged in UK at the turn of the . Even though IDM has been described as a kind of cerebral music not appropriate for dancing, it has not been considered worth of musicological study until now. This thesis presents formal analyses of pieces by pioneering act and main IDM figure Aphex Twin: listeners‘ attention is notably drawn by Aphex Twin's sophisticated approach and complex rhythmic structures. On the one hand, the different rhythmic layers are characterized by an organized asymmetry leading to ambiguity and rupture in the domain of metrical perception. On the other, the large amount of microrhythmic elements, all perfectly synchronized to the metric structure, contribute to greatly enrich rhythm through gestural and textural material. These musical characteristics, that are the result of a number of choices peculiar to the artist‘s style, open the way to a formal definition of IDM.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ...... iii Abstract ...... v Table des matières ...... vii Liste des tableaux ...... ix Liste des figures ...... xi Sigles et abréviations ...... xiii Remerciements ...... xv Introduction...... 1 Chapitre I – Considérations terminologiques ...... 17 1. La structure rythmique : rythme et mètre ...... 17 1.1. Définition ...... 17 1.2. Groupement et mètre ...... 19 1.3. Accentuation et syncope ...... 20 1.4. Dissonance métrique, polyrythmie et polymétrie...... 26 1.5. Ambigüité et indétermination du mètre ...... 27 2. Concepts relatifs aux microdurées ...... 29 2.1. Microson ...... 29 2.2. Microrythme ...... 30 2.3. Microtiming ...... 32 3. Terminologie relative aux éléments de la structure rythmique ...... 33 3.1. Pulsation et unité ...... 34 3.2. Temps, tactus et ...... 34 Chapitre II – Trois analyses d‘œuvres ...... 37 1. Analyse de « To Cure a Weakling Child » ...... 37 1.1. Introduction ...... 37 1.2. Présentation de la méthodologie ...... 37 1.3. Analyse ...... 49 1.4. Synthèse ...... 62 2. Analyse de la forme préliminaire de la forme de « Cock/Ver10 » ...... 63 2.1. Introduction ...... 63 2.2. Analyse de la forme : ambigüité et indétermination ...... 63 2.3. Synthèse : détermination de la forme préliminaire ...... 69 3. Analyse transphonographique de « Cock/Ver10 » ...... 71 3.1. Introduction ...... 71 3.2. Caractéristiques stylistiques de « Cock/Ver10 » ...... 71 3.3. Analyse de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001) ...... 72 3.4. Analyse de l‘hyperphonographe ...... 77 3.5. Synthèse ...... 84 Conclusion ...... 87 Annexe 1 : Figures ...... 91 Annexe 2 : Discographie ...... 93 Annexe 3 : Documents divers ...... 95 Bibliographie ...... 97

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 – Tableau des fréquences d‘évènements par seconde à 84 bpm (B) en fonction de la subdivision du temps exprimée par ces derniers (A)...... 40 Tableau 2 – Tableau des multiples de fréquences (tempo et évènements) en fonction du tempo...... 43 Tableau 3 – Exemple extrait du tableau de transcription réalisé pour l‘analyse de « To Cure A Weakling Child »...... 44 Tableau 4 – Tableau de la forme préliminaire de l‘œuvre à partir des concepts d‘ambigüité et d‘indétermination...... 64

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 – Représentation du plan des évènements concrets (SS) superposé au plan de la structure métrique (SS) selon la notation par points de Lerdahl & Jackendoff (1983). La première note à plus de poids sur le plan de la rythmisation subjective. La notation musicale fournie ici n‘indique pas comment les accents de la SS sont organisés de manière à appuyer les accents de la SM...... 20 Figure 2 – Spectrogramme de la partie centrale de « » (Aphex Twin, 1999)...... 22 Figure 3 – Forme par groupes de « Bucephalus Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). Chaque groupe représente l‘introduction d‘un timbre spécifique dans l‘œuvre (équivalent d‘instrument). Les chiffres indiquent des mesures de quatre temps...... 25 Figure 4 – Cas de consonance et de dissonance fournis en exemple dans Kerbs (1987, p. 102)...... 26 Figure 5 - Premières secondes de « Bucephalu Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). En haut une division du flux musical à 84 bpm, en bas une division du flux musical à 168 bpm...... 39 Figure 6 – Transcription des quatre premiers temps à 84 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball ». Les silences conventionnels ont été remplacés par des « notes vides »...... 40 Figure 7 – Transcription des quatre premiers temps à 84 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball » avec la prise en compte d‘une limite entre rythme et MR...... 41 Figure 8 – Transcription des huit premiers temps à 168 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball »...... 42 Figure 9 – Transcription des huit premiers temps à 168 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball » avec la prise en compte d‘une limite entre rythme et MR...... 42 Figure 10 – Spectrogramme du temps sur lequel est porté la transcription du tableau 3. On aperçoit les quatre coups de GC (3+1) grâce à l‘énergie du spectre qui se déploie verticalement depuis les basses fréquences, et les huit évènements de HH qui partagent également le temps avec des pics d‘énergie dans le haut du spectre...... 45 Figure 11 – Exemples d‘occupation et de transcription des régions du temps. La durée des notes choisies n‘a pas d‘importance du moment que sa position demeure claire...... 46 Figure 12 – Exemples de transcription pour des évènements décalés...... 47 Figure 13 – Exemples de transcription pour des phénomènes MR...... 47 Figure 14 – Exemple extrait du tableau de transcription de « To Cure A Weakling Child »...... 48 Figure 15 – Frise de « To Cure A Weakling Child » (Aphex Twin, 1996). Les différents traits horizontaux délimitent les bas niveaux de la structure et de la forme (parties A-B et cycles A0-A9). Quelques indications de temps sont fournies afin de faciliter le repérage...... 49 Figure 16 – Exemples de spectrogrammes des groupes GC (a), CC (b), HH (c) et BZ (d)...... 50 Figure 17 – Spectrogramme des quatre premiers temps de « To Cure A Weakling Child »...... 52 Figure 18 – Graphique représentant le nombre d‘évènements par temps pour chacun des cycles (courbes colorées)...... 58 Figure 19 – Graphique représentant le nombre de superpositions par temps pour chacun des cycles (courbes colorées)...... 59 Figure 20 – Spectrogramme de la forme préliminaire de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001)...... 63 Figure 21 – Transcription des premières mesures du Bloc B. En A apparaissent les principaux coups de GC, en B, CC et en C, une apparition de la charleston (HH)...... 66 Figure 22 – Spectrogramme du bloc C. En A les variations de hauteur de la mélodie et en B les variations d‘intensité...... 67 Figure 23 – Extrait du rythme de GC et CC dans le bloc F...... 68 Figure 24 – Représentation de la forme de l‘œuvre. Les valeurs indiquées en bas représentent le nombre de mesures de quatre temps. La lettre « A » signifie « ambigüité » et la lettre « I » signifie « indétermination ». 70 Figure 25 – Spectrogrammes d‘extraits de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001) où figurent des successions d‘ensembles MR...... 74 Figure 26 – Spectrogramme du son de grosse caisse granuleux...... 75 Figure 27 – Spectrogramme de l‘hyperphonographe...... 78 Figure 28 – Spectrogramme de la version acoustique de « Cock/Ver10 ». Les traits représentent les temps tandis que les rectangles indiquent les endroits des microdéviations...... 79 Figure 29 – 00:33 : à gauche le MR de l‘œuvre originale (70 e/s), à droite le MR « imité » (25 e/s)...... 81 Figure 30 – 01:33/34 : à gauche le MR de l‘œuvre originale (70 e/s), à droite le MR « imité » (60 e/s)...... 82 Figure 31 – À gauche l‘introduction de l‘œuvre originale, à droite l‘introduction d‘...... 83

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SIGLES ET ABRÉVIATIONS

Sigle / Abr. Définition courte

bpm Battements (ou beats) par minute.

enr. Enregistrement.

e/s Évènement(s) par seconde.

e/t Évènement(s) par temps.

EDM .

Fig. Figure.

IDM Intelligent Dance Music.

IOI InterOnset Interval : Intervalle de durée entre le départ de deux évènements sur la surface sonore (SS).

MH Mélodico-harmonique.

MR Microrythme/microrythmique.

SM Structure métrique : le mètre en tant que grille constituée de points, accentués selon une hiérarchie de niveaux.

SR Structure rythmique : Structure résultante de l‘interaction SS-SM. Le rythme en tant que phénomène structuré.

SS Surface sonore : Évènements concrets (sonores) qui communiquent avec la SM pour produire la SR.

t. Indication du temps d‘analyse dans le cycle en cours (directement suivi du nombre, sans espace).

tt. Indication du temps d‘analyse sur l‘ensemble de l‘œuvre (directement suivi du nombre, sans espace).

TA Temps d‘analyse.

Warp Records : label emblématique de l‘IDM.

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REMERCIEMENTS

Nous remercions chaleureusement notre directrice de recherche Sophie Stévance ainsi que notre co-directeur Serge Lacasse pour leur soutien, leurs conseils et leur infinie patience, ainsi que l‘ensemble des professeurs qui ont continuellement alimenté notre soif de connaissance.

Nous remercions les amis, qui sont là quand il faut, et dédions ce travail à notre mère, qui, en lisant ces lignes, comprendra peut être enfin qu‘elle est la meilleure des mères.

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INTRODUCTION

1. Contexte L‘Intelligent Dance Music (IDM) est un courant de musique électronique semi- expérimental qui a émergé au Royaume-Uni au début des années 1990. La particularité de l‘IDM a tout d‘abord été de proposer une musique électronique libre des standards de l‘époque par la création d‘œuvres innovantes sur les plans rythmique et timbral. Dès 1995, l‘intégration d‘ensembles microrythmiques (communément appelés « drills ») dans les créations des principaux artistes associés au courant, est devenue une pratique presque systématique. Cette volonté d‘enrichissement rythmique, qui se manifeste par l‘élaboration d‘œuvres influencées par la drum‘n‘bass, marque une transformation de l‘identité du courant et fournit les premiers exemples d‘une utilisation maîtrisée des micro-évènements et microdurées dans le domaine des musiques électroniques populaires. Même si cette transformation ne fait qu‘inscrire une nouvelle étape dans le prolongement d‘une démarche de rupture vis-à-vis de l‘EDM1, corpus auquel l‘IDM emprunte toutefois un certain nombre de codes, elle a certainement contribué à éloigner les considérations stylistiques des approximatives descriptions du courant disponibles à ce jour.

L‘absence d‘une définition précise de l‘IDM s‘explique principalement par la variété des descriptions disponibles et le peu de travaux approfondis sur le sujet. Ces lacunes trouvent une première origine dans le débat qui a entouré l‘apparition de l‘acronyme. Celui-ci, qui apparaît le 1er août 1993 avec la création de « l‘IDM List » sur Usenet2, désigne initialement les musiques du catalogue des labels Rephlex3 et Warp Records4 (« Artificial Intelligence »5, 1992-1994). L‘IDM est « plus qu‘une musique

1 Electronic Dance Music. 2 Usenet est un réseau de forums créé en 1979. Il était particulièrement utilisé aux débuts des années 1990 par les producteurs, DJs et passionnés de musiques électroniques. 3 Rephlex est un label créé en 1991 par Richard D. James (Aphex Twin) et Grant Wilson-Claridge. Bien qu‘il fut essentiellement créé pour distribuer et promouvoir de manière indépendante la musique d‘Aphex Twin (parmi les dix premiers articles du catalogue, au moins sept sont des supports pour ses œuvres), le label fut rapidement (à partir de 1993) dédié aux musiques de tous bords dotées d‘une démarche expérimentale ou fondamentalement artistique. 4 Warp records est un label anglais de musiques électroniques créé en 1989 par Steve Beckett et Rob Mitchell. 5 On trouve de nombreuses informations dans une réponse de Brian Behlendorf, l‘administrateur système de la liste, donnée le 3 août 1993 : http://web.archive.org/web/20071118071301/http://elists.resynthesize.com/ idm/1993/08/412600/.

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bounce-up-and-down »6, une « sonorité »7 que Warp nommait déjà « electronic listening music »8 et certains auteurs « intelligent »9. Plus tard, l‘expression « art techno » (Reynolds 2012, Ferreira 2008) apparait tandis que Rephlex propose « braindance »10 comme expression alternative à l‘IDM11. À cette première confusion s‘ajoute donc la succession de deux périodes distinctes dans le développement du courant. La première période, qui recouvre la première moitié des années 1990, est caractérisée par des mélanges de sonorités issues de la techno et de rythmes peu intensifs mais variés, qui confèrent aux œuvres leur caractère de musique d‘ambiance intellectualisée. La seconde période est, quant à elle, marquée par des œuvres généralement plus rapides, prenant en compte une plus vaste étendue de timbres et exprimant une variété rythmique plus complexe, intégrant de nombreux microrythmes et syncopes. On remarque aisément les conséquences de cette ontogenèse particulière du style dans le propos des artistes et amateurs du milieu ou de la littérature académique. Lorsque le sujet de l‘identité du courant est abordé sur l‘IDM List, c‘est essentiellement à la première période, parfois à la deuxième, que les participants se réfèrent pour définir le genre. Les artistes cités sont principalement Aphex Twin et , bien qu‘aucune œuvre ou élément musical particulier ne semble faire figure de référence. Les participants procèdent généralement par analogie ou antonymie et s‘accordent sur le fait qu‘il s‘agit d‘une musique électronique faite d‘expérimentations ou d‘élaborations qui sollicitent un certain degré d‘attention ou de réflexion de la part de l‘auditeur.

6 Ibid. 7 Ibid. 8 Le terme est proposé par le label dès la sortie d‘Artificial Intelligence (1992). Voir Young (2005, p. 52–53). 9 Le terme « intelligent techno » fait son apparition en 1991 sur une liste de discussion dédiée à la musique industrielle (https://groups.google.com/forum/#!msg/rec.music.industrial/3R6TNIJ1jfI/BgFQlSlApkQJ). Le style de musique visé est celui de Coil, un groupe de musique expérimentale anglais formé dans les années 1980 par John Balance et Peter Christopherson. Il apparait également en 1993 sur un sujet d‘une liste de discussion consacrée à la musique rave (https://groups.google.com/forum/#!msg/alt.rave/BBSt1zoax1A/ pOza6fqNpqMJ). Cette fois, le terme est utilisé pour désigner The Black Dog, un groupe de musique électronique anglais qui fut rapidement associé au courant IDM. Il est, par ailleurs, le sujet d‘un article réalisé par Dom Phillips (, 1992). Ce dernier cite des artistes blip/rave/ambient qui ont émergé autour de 1990 et parmi lesquels figure Aphex Twin. Le courant décrit correspond en grande partie à ce qui sera considéré plus tard comme étant de l‘IDM (https://www.djhistory.com/features/when-techno-came-of-age). Colin Faver de Kiss FM, cité dans l‘article, qualifie cette nouvelle musique de « progressive » et commente son caractère dansant : « Some of it you can dance to, some of it you definitely can‘t ». Notons que l‘article est publié six mois après la parution d‘ Artificial Intelligence. 10 Le communiqué est disponible à cette adresse : http://web.archive.org/web/20010302124112 /www.rephlex.com/braindance.htm. 11 Les dérivés de la drum‘n‘bass produits par les artistes d‘IDM forment quant à eux des sous-genres nommés drill‘n‘bass et .

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2. État de la littérature Dans les ouvrages qui y font référence, l‘IDM n‘est mentionné que succinctement, n‘offrant qu‘une description partielle qui se résume la plupart du temps à de vagues considérations calquées sur le consensus signalé plus haut. Mark J. Butler (2006, p. 80) décrit l‘IDM comme étant une étiquette désignant une démarche expérimentale personnelle plutôt qu‘un ensemble de caractéristiques musicales. Christoph Cox et Daniel Warner (2004, p. 414) assimilent l‘IDM au terme « post-techno », pour décrire une musique techno « différente ». Joanna Demers (2010, p. 170) définit l‘IDM comme un sous-genre de l‘electronica12, Shapiro (2004, p. 281) comme une musique qui « convient mieux à une écoute domestique au casque », tandis que Bogdanov (2001, p. xi) décrit le courant légèrement plus en détail, puisqu‘il évoque l‘opposition de la démarche de création de l‘IDM avec la musique électronique dédiée aux clubs de l‘époque, ainsi que la « migration » de la scène depuis l‘Angleterre vers les États-Unis à la fin des années 1990.

Malgré le commun accord sur le caractère cérébral ou expérimental de l‘IDM, aucun auteur n‘a encore tenté de découvrir les visées ou les résultantes de ces expérimentations. Le concept de musique expérimentale, tel qu‘il a été défini par (1961) ou encore Michael Nyman (1999), repose sur un processus de création lors duquel les actions « entraînent des résultats imprévisibles » (Cage 1961, p. 19). Or, la généralisation de l‘emploi des ensembles microrythmiques à partir de 1995, dans les œuvres des artistes d‘IDM (Aphex Twin, Autechre, , ), indique l‘adoption d‘une esthétique inédite dans les musiques populaires. Les drills, que l‘on

12 Ici envisagé comme un remplaçant du terme « EDM ». Le terme « » est également sujet à de nombreuses confusions, puisqu‘il est, selon les auteurs, utilisé pour désigner l‘IDM ou assimilés (Kyrou A. 2002, Seca J.-M. & Voisin B. 2004, Hegarty P. 2007, Emmerson S. 2007), de la musique électronique dansante (Cascone K. 2000, Demers J. 2010), de la musique électronique « de salon » (Bouhassa N. 2002), ou alors l‘ensemble de ces catégories (Bidder S. 1999, Toop D. 2000, Bogdanov V. 2001, Neill b. 2002, Cox C. & Warner D. 2004, Shapiro P. 2004, Danielsen A. 2010, Sicko D. 2010, Reynolds S. 2012). On note une nuance dans l‘ouvrage de Kyrou et al. (2007) qui fait une distinction entre l‘electronica française, expérimentale, et l‘electronica anglo-saxonne qui désigne la pop électronique. Maiken Derno (2004, p. 264) propose une définition plus simple qui englobe toute musique qui « partage la base inorganique de la techno ». L‘explication qui, d‘après nous, est la plus éclairée, est celle fournie par Sicko et Reynolds, qui décrivent le terme comme étant le fruit d‘un désir, éprouvé par la presse et les distributeurs, de catégoriser de manière simpliste et dans une seule et même branche, l‘ensemble des nouveaux courants de musique électronique apparus dans les années 1990.

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retrouve en premier chez Aphex Twin13, sont des ensembles d‘évènements présentés comme de rapides répétitions d‘échantillons sonores. Leur variété timbrale et la précision de leur assemblement témoignent d‘une volonté d‘intégrer de véritables gestes musicaux par le prolongement des fréquences du rythme (~ 10 e/s14 à 50 e/s). Ces gestes, qui font figure de nouveauté15 dans les musiques électroniques à caractère mesuré16, forment parfois des textures granuleuses ou de complexes polyrythmies.

3. Problématique À notre avis, les ensembles microrythmiques présents dans les œuvres d‘IDM constituent une partie ou l‘ensemble d‘un langage musical propre aux artistes du courant. Nous chercherons donc à savoir si ce langage existe et quel est son degré de complexité. Comment, alors, les ensembles microrythmiques sont-ils constitués et de quelle manière interagissent-ils avec la structure rythmique ? Ces questions ont déjà été implicitement suggérées par Stan Hawkins (2007), le seul auteur à avoir décrit les comportements microrythmiques de l‘IDM dans une analyse audiovisuelle du clip de « Windowlicker » (Aphex Twin, Windowlicker, 1999) réalisé par . Il fait notamment référence aux ruptures de la structure rythmique qu‘il attribue à « l‘organisation asymétrique des patrons microrythmiques » (2007, p. 46). Il évoque une prédominance de l‘asymétrie, qui se manifeste également sur le plan du rythme, et se réfère à Butler pour indiquer la présence d‘un phénomène d‘ambigüité similaire à ceux de l‘EDM17. A quel

13 Des drills légers (environ 20 Hz) et épars sont exprimés dans « Xepha » (Aphex Twin, On, 1993), tandis qu‘ « Italic Eyeball » (Caustic Window, Joyrex J4 EP, 1992) propose des ensembles plus rapides (environ 40 Hz) et omniprésents. « Isopropophlex » (Aphex Twin, , 1991), est probablement le premier exemple de l‘incorporation des drills dans un contexte isométrique. 14 Évènement(s)/seconde. 15 L‘aspect granuleux des ensembles microrythmiques de l‘IDM rappelle le son obtenu lorsque l‘on emploie un idiophone tel que le güiro, le kagul, la crécelle ou toute technique de percussion rapide. Pour « ancêtre proche », ils ont les expérimentations électroacoustiques de Xenakis (Concret PH 1958, Analogique B 1959), Stockhausen (Kontakte, 1960), Roads (Klang-1 1974, Prototype 1975) ou encore Truax (Riverrun, 1986). 16 Ici le terme est employé dans le sens déterminé par Sima Arom (2007). Celui-ci définit les musiques mesurées comme des musiques « dans lesquelles chaque durée entretient un rapport strictement proportionnel avec toutes les autres ». Nous parlerons de musiques mesurées et non mesurées sans que référence soit faite au concept de mesure, mais comme équivalents des temps striés et lisses de Pierre Boulez (1987). 17 « When it comes to these beats, they intersect with meter in captivating ways. While this is certainly a subject in itself and not the remit of this study, it is worth underlining the ambiguity of metrical type and grouping. [...] Romping about with the beat trough his characteristic tricky edits, it is as if AT does everything to avoid symmetry in ‗Windowlicker‘. In pop terms, the effect is eclectic as the predominance of asymmetrical rhythms generates unclear beat groupings that imbue the musical material with its metrical diversity. In addition, a sense of downbeat displacement evokes a set of unpredictable beginning points all the

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degré rythme et microrythme sont-ils impliqués dans les phénomènes de rupture ou d‘ambigüité ? L‘ambigüité rythmique de l‘IDM est-elle différente de celle de l‘EDM ?

4. État de la question En dehors de la courte analyse de Hawkins, la musicologie a ignoré les qualités du rythme dans l‘IDM. La discipline semble pourtant différencier clairement EDM et IDM sur le plan de la danse. Reynolds (2012), qui commente l‘apparition des œuvres de la deuxième période dans le milieu bourgeois-bohème, considère la musique du courant comme n‘étant « pas particulièrement dansable » :

This renewed interest in percussive complexity remains oddly cerebral in cast though. In freestyle salons, head nodding rather than booty shaking is the order of the day, and there‘s no drug factor, just beer and an occasional, discreet spliff. Reynolds (2012, p. 474)

Selon Pedro Peixoto Ferreira (2008), pour qui l‘EDM serait un genre de musique fondamentalement conçu pour la danse « non-stop », le reniement du caractère dansant de L‘IDM provient d‘un amalgame entre les visées de l‘EDM et celle de l‘IDM sur ce plan18. Quelles sont les stratégies musicales mises en place par les artistes d‘IDM pour contrevenir à la danse non-stop ? Les études du rythme dans l‘EDM ne sont pas très nombreuses, la musicologie s‘étant davantage penchée sur la dimension socio-historique des musiques électroniques dédiées à la danse que sur la découverte de leurs caractéristiques formelles. La plus ancienne se trouve dans « Feel the beat come down: as rhetoric » (Hawkins, 2003), un article qui propose une analyse de la structure hypermétrique de « French Kiss » (Lil‘ Louis, French Kiss, 1989). Le document nous renseigne sur l‘importance du tactus19, les qualités structurelles de l‘œuvre, ainsi que sur la communication rythme-mètre qui partagerait avec la musique africaine des « processus d‘inflexion, répétition et de développement » (p. 86). Il s‘agit cependant d‘une entreprise

way through, thus heightening the ambiguity. While metrical dissonance prevails for the most of the track, the beat patterns are tightly controlled, terse, and rigid. In this way, the groove calls to attention the richness of textural and timbral material, which enters and exits the sound image discretely » (Hawkins 2007, p. 46-47) 18 « It should be noted, however, that there is a corporeal dimension of IDM that is usually neglected by most theorists » (Ferreira 2008, p. 19). 19 Nous concevons le tactus comme l‘ensemble des accents qui expriment le niveau du temps sur la surface rythmique. Voir la section « Terminologie relative aux éléments de la structure rythmique ».

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limitée, puisque Hawkins ne propose pas ici un modèle d‘analyse, mais plutôt une première tentative de compléter l‘étude sociomusicologique de la house par une analyse formelle :

Accepting that house music is culture-specific, my argument proposes that its organization musically is a critical premise for working out its effect musicologically. My purpose here is to discover and determine how some of the internal mechanisms of a house track function. (Hawkins 2003, p. 81)

La deuxième analyse, qui est une monographie de 346 pages réalisée par Butler en 2006 et intitulée Unlocking the Groove: Rhythm, Meter, And Musical Design in Electronic Dance Music, est le document le plus complet et le plus précis qui ait été élaboré sur le sujet. Dans cet ouvrage, l‘auteur traite notamment de la place des syncopes et de l‘ambigüité rythmique dans l‘EDM, et met en rapport les différents niveaux de la structure des œuvres typiques du courant. Enfin, la troisième analyse rythmique dédiée à l‘EDM a été réalisée par Zeiner-Henriksen (2010). Dans cette thèse de doctorat, l‘auteur étudie le rapport qu‘entretiennent certains motifs habituels dans l‘EDM avec les mouvements du corps. Principalement tourné vers la mise à jour d‘un motif précis, le « poumtchak pattern », ce travail n‘accorde pas une place assez importante à la structure rythmique ainsi qu‘aux différents autres types de motifs éventuellement impliqués dans le discours rythmique du courant.

Les travaux réalisés dans le domaine du microrythme sont un peu plus nombreux, mais aussi plus variés. Ils peuvent être divisés en deux catégories : celle où sont décrites les microdurées d‘une manière générale (et, plus particulièrement, les micro-évènements) et celle où sont décrites les microdurées dans un contexte mesuré. On trouve la description la plus complète des micro-événements dans Microsound (Curtis Roads, 2001). Dans cet ouvrage, le « microson » est défini comme un quantum sonore20 (environ 0.5 ms à 100 ms) pouvant être assemblé pour produire la matière sonore. Le travail de Roads sur l‘organisation des micro-évènements, dont il est le pionnier avec Barry Truax21, nous intéresse pour les premières définitions qu‘il procure des hautes fréquences du rythme. Les

20 Roads cite, parmi ses modèles, le physicien Dennis Gabor, qui proposait une description du phénomène sonore analogue à celui de la matière. Les quantums de la matière trouvent alors un équivalent sous forme de quasi-particules. Bien sûr, les quantums sonores de Roads se situent aux limites de la perception auditive. 21 Barry Truax est un compositeur et professeur en électroacoustique qui a notamment implémenté le traitement temps réel dans la synthèse granulaire, complétant ainsi les travaux de Roads dans le domaine.

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procédés d‘organisation qu‘il décrit ne concernent cependant que des approches liées à la production du son plutôt qu‘à son analyse. D‘autre part, la majorité de ces procédés produisent des « nuages », ensembles asynchrones qui ne sont pas envisagés dans un contexte mesuré22. Dans un contexte mesuré, les seuls travaux effectués sur les microdurées concernent les micro-intervalles temporels et, plus précisément, les microdéviations ou microtimings. Le microtiming désigne « traditionnellement » les microdéviations qui ont lieu dans le jeu de l‘interprète par rapport à la norme métrique à laquelle est soumise la dimension abstraite de la musique. On trouve quelques travaux23 concentrés sur le répertoire afro-américain (V. Iyer 2002, F. Benadon 2006, C. Gerischer 2006, Butterfield 2006, A. Danielsen 2006) ainsi que sur le jeu pianistique classique (Dodson, 2012) 24. Ces déviations, qui dépassent rarement le quart de seconde, sont au centre du phénomène d‘expressivité symbolisé par le swing ou groove25. Contrairement à la dimension gestuelle du jeu instrumental, les microdéviations dans les musiques enregistrées peuvent être paramétrées avec une précision suffisante à l‘exploitation de nouvelles tensions rythmiques. Ce thème n‘a été traité que dans un seul ouvrage, collectif : Musical Rhythm in the Digital Reproduction (Danielsen, 2010). La plus grande partie de l‘ouvrage est consacrée à leur analyse. Les concepts de tolérance rythmique et d‘entraînement y sont explorés et fournissent ainsi la première étude complète des interactions possibles entre rythme, microrythme et mètre.

22 La plupart des types d‘organisations décrites par Roads sont des « nuages » asynchrones. Les types d‘organisations synchrones interviennent alors dans un contexte amétrique. Il existe, par ailleurs, un cas d‘analyse d‘une œuvre de Truax effectuée par Mara Helmuth en 2006. Entièrement composée de microsons, Riverrun est le résultat protoypique des méthodes de création exposées dans l‘ouvrage de Roads. L‘analyse de Helmuth, principalement réalisée à partir des écrits du compositeur ainsi que par le biais de descriptions de spectrogrammes, dévoile l‘absence de structure rythmique caractéristique de ce type de démarche. Voir Mara Helmuth, « Barry Truax's Riverrun », dans Analytical Methods of , Mary Simoni, dir., (New York : Routledge, 2006), 187-238. 23 Dans ces travaux, le terme « microtiming » est parfois remplacé par « microrhythm ». Nous verrons par la suite que ce terme ne devrait pas être conçu comme un équivalent du microtiming mais, comme le propose Danielsen, comme un phénomène plus général dont le microtiming n‘est qu‘un aspect. 24Dans l‘article de Dodson (2012), qui exporte dans le domaine de la musique savante la notion de groove, le microtiming y est vu comme une « solution » aux répétitions de Schumann proposée par l‘interprétation d‘Horowitz. 25 Dans le domaine des musiques populaires, le concept de groove, conçu comme un ensemble d‘instruments rythmiques s‘exprimant dans le cadre d‘une performance (concrète ou simulée) donnant lieu à des micro- déviations, a été traité en détail par Danielsen (2006). On trouvera une définition claire du groove chez Butler (2006, p. 326), ou bien Zeiner-Henriksen (2010, p. 153).

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Nous souhaitons donc analyser les différents niveaux de la structure d‘œuvres d‘IDM afin de dresser un premier inventaire des comportements rythmiques associés au courant. Compte tenu de l‘imprécision des descriptions déjà disponibles, l‘objectif de notre recherche est de contribuer à une meilleure définition de l‘IDM en procédant à l‘étude des éléments stylistiques résultants de la démarche expérimentale. Notre attention s‘est naturellement portée sur les drills, qui occupent une grande partie du répertoire et forment, à partir des années 1990, les éléments d‘un discours rythmique nouveau. Nous inscrivons notre travail dans la continuité des auteurs qui ont précédemment contribué à « démystifier » des pratiques populaires encore largement ignorées par la discipline musicologique. Nous pensons par exemple aux travaux de Hawkins, Butler ou Danielsen qui tous méritent d‘être complétés par l‘analyse, à l‘aide des outils théoriques développés par ces derniers, d‘objets de formes similaires ou dérivées. En analysant la structure rythmique des différentes œuvres d‘IDM de la deuxième période, nous voulons découvrir les agencements particuliers qui conduisent aux phénomènes de rupture et d‘ambigüité identifiés par Hawkins (2007). Il s‘agira, pour toutes les œuvres abordées, de déterminer le rôle du microrythme dans le but, d‘une part, de révéler sa pertinence en tant que composante d‘un langage musical propre aux artistes d‘IDM et, d‘autre part, d‘avancer nos connaissances sur l‘organisation musicale des évènements à l‘échelle micro.

5. Cadre théorique Notre sujet d‘étude se limitant à la dimension rythmique, il est nécessaire de conjuguer deux approches dans le choix des concepts qui vont intégrer notre méthodologie d‘analyse. En effet, nous basons notre travail d‘analyse sur les descriptions occidentales26 classiques du rythme, qui ont pour avantage de permettre une lecture de la structure rythmique fondée sur une hiérarchisation de ses niveaux. La définition du rythme, que ces recherches contribuent à façonner, propose un concept à la fois structurel et phénoménologique27

26 Voir les ouvrages de V. Zuckerkandl (1956), G. Cooper & L. Meyer (1963), E. Cone (1968), A. Komar (1971), W. Berry (1976), M. Yeston (1976), D. Epstein (1979, 1995), F. Lerdahl & R. Jackendoff (1983), W. Benjamin (1984), J. Lester (1986) ou encore J. D. Kramer (1988). 27 Par « phénoménologique », nous faisons référence à Ansermet (1989) et entendons les qualités musicales en fonction de nos attentes, ou ce que Lerdahl et Jackendoff nomment « préférences » : « Thus, the rules of the theory are divided into two distinct types: well-formedness rules, which specify the possible structural descriptions, and preference rules, which designate out of the possible structural descriptions those that correspond to experienced listeners‘ hearings of any particuliar piece. » (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 9)

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constitué, d‘une part, des évènements sonores concrets analysables selon des paramètres contexturels et contextuels et, d‘autre part, des systèmes de préférence ou de hiérarchisation déterminés du point de vue de la réception et qui participent à la perception des formes rythmiques. Ces théories, qui associent généralement des données liées au domaine cognitif avec celles issues de transcriptions d‘œuvres à tempo isochrone, ont établi ce qui peut être résumé en quatre axes principaux :

 Une conception du rythme basée sur la constitution de deux entités communicantes que sont la surface sonore et la structure métrique;

 une typologie des accents, ceux-ci déterminant les niveaux structurels (structure métrique) ainsi que les « poids » exercés à la surface par les éléments sonores;

 une typologie des niveaux de la structure métrique (hypermètre, hypermesure, hyperbeat, etc.);

 une terminologie des éléments (beat, pulse, etc.) et des comportements (ambigüité, dissonance, etc.) du rythme.

Nous nous reposerons en grande partie sur la théorie des accents, très bien décrite par Lerdahl & Jackendoff, qui permet de séparer efficacement surface sonore et structure métrique. Celle-ci sert également d‘outil théorique approprié à la prise en compte de la hiérarchie des niveaux du mètre et des rapports que ces derniers entretiennent avec l‘organisation des évènements sonores. L‘aspect taxinomique des niveaux du rythme est également au cœur de la démarche d‘analyse de Nicolas Ruwet (1972). L‘analyse structurelle de Ruwet, directement inspirée par la linguistique, consiste à diviser le discours musical à partir du phénomène de répétition. L‘intérêt d‘effectuer une analyse de la structure par la répétition permet notamment de dévoiler des éléments de la structure qui n‘apparaissent pas ou mal lorsque sont utilisées d‘autres méthodes d‘analyse. Lors de ce procédé, la division de l‘axe syntagmatique crée des unités qui peuvent ensuite être comparées en terme d‘équivalences paradigmatiques28. Ruwet propose deux types de caractérisations des éléments musicaux à même d‘être engagés dans les rapports d‘équivalences. D‘une part, les éléments paramétriques qui se manifestent soit par la constance de leur manifestation (et qui ne seraient d‘aucun recours pour la segmentation de

28 L‘axe paradigmatique désigne, en linguistique structurale, l‘ensemble des éléments pouvant occuper la même place à un point donné de l‘axe syntagmatique (chaîne parlée).

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l‘œuvre), soit sous la forme d‘une opposition binaire telle que proche/lointain, grave/aigu, etc. D‘autre part, les éléments non paramétriques qui se caractériseront plutôt « par un assez grand nombre de distinctions à l‘intérieur d‘une même dimension29 ». C‘est donc la répétition, qu‘il décrit comme étant une « identité entre des segments répartis à divers endroits de la chaîne syntagmatique », qui sert à la division des segments musicaux, tandis que l‘identité des segments, ou unités, est déterminée par les dimensions non paramétriques que sont la hauteur et la durée30. Si Ruwet choisit ces paramètres pour la segmentation, c‘est parce qu‘ils sont les dimensions principales de la musique tonale. Or, il est tout à fait pertinent, pour l‘analyse des structures rythmiques des œuvres d‘IDM, de procéder à une segmentation à partir de paramètres exclusivement rythmiques, tels que les durées ou la position des éléments à l‘intérieur des plus petites unités. Roads (2001), (2004), Butler (2006), Danielsen (2010) constituent les bases du regard phénoménologique que nous souhaitons porter sur nos analyses. Hearing in Time: Psychological Aspects of Musical Meter (London, 2004) représente une référence concernant les données psychologiques et cognitives liées aux rythme. L‘ouvrage, qui synthétise l‘ensemble des recherches effectuées dans le domaine, appuie les limites d‘échelles fixées par Roads ainsi qu‘une partie de l‘étude des concepts d‘ambigüité et d‘indétermination réalisée par Butler. Ces auteurs fournissent ainsi les éléments de connaissance les plus récents sur l‘analyse des situations de rupture et d‘ambiguïté et définissent un cadre théorique pour la définition des ensembles microrythmiques. C‘est sans aucun doute Danielsen (2010) qui offre la meilleure expertise concernant le domaine des microdéviations, puisqu‘elle poursuit les différentes études qui ont été menées sur le sujet en les réactualisant31. Avec Carlsen, Witek et Johansson (dans Danielsen, 2010), elle aborde la tension métrique, la tolérance rythmique et le concept d‘entraînement, et montre qu‘une organisation minutieuse des microdéviations peut grandement affecter la perception de l‘œuvre à plus grande échelle.

29 Ce type de caractérisation est communément appelée « opposition radiale ». 30Ruwet précise que les deux dimensions seront considérées ensemble, pour ensuite, si besoin est, être considérées séparément. 31 L‘intérêt des recherches de Danielsen sur les microdéviations réside dans la prise en compte, d‘une part, des technologies numériques comme outils permettant leur production et, d‘autre part, de la dimension cognitive qui intervient dans leur interprétation.

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6. Méthodologie Les modestes dimensions de ce mémoire ne nous permettant pas d‘aborder l‘IDM dans toute son étendue, nous avons choisi de concentrer notre étude sur les œuvres d‘Aphex Twin appartenant à la deuxième période. En choisissant de nous focaliser sur une analyse formelle éclairée par des données perceptives, ce que Jean-Jacques Nattiez nomme comme étant l‘approche « esthésique externe » dans son inventaire des situations analytiques (Roy 2003, p. 26), nous avons délibérément modéré l‘utilisation de données émanant des propos du compositeur. La première raison est tout simplement qu‘il n‘a jamais abordé ses œuvres pour en faire le commentaire ou en offrir une description, de même qu‘il n‘a jamais vraiment été précis concernant son processus de création. Parfois il fournit quelques informations sur le matériel utilisé ou quelques procédés de création, mais le futile tend à dominer la teneur des propos. C‘est le cas lorsqu‘il confie à Greg Rule (Keyboard Magazine, avril 1997) utiliser Recycle, un logiciel de découpage audio, afin de créer de petits morceaux d‘échantillons :

One of his favourite mashing tools is Steinberg's ReCycle."Yeah, it's quite a wicked program. The most useful thing about it is it creates a bank on your sampler, and gives it loads of sample names. And that saves you an hour, at least. You can cut something up into, like, 90 samples, and transfer it over SCSI in a minute. That would take two hours normally." And not just for , Richard uses ReCycle for melodic material as well. "I might play a violin or a trumpet scale into Pro Tools—every note I can think of—and then bang it into ReCycle, chop it up into little bits, bang it into the sampler, and you've got a complete bank of sounds in your sampler in about five minutes." (Rule 1997, p. 12)

Une telle situation peu en partie être reprochée aux interviewers, généralement plus préoccupés de connaître des détails de la vie quotidienne, les goûts et états d‘esprits de l‘artiste ou encore des informations sur les travaux en cours et à venir, plutôt que des éléments d‘ordre musicologique. La seconde raison est son attitude de détachement, souvent emprise d‘humour et de désinvolture, lors des entrevues que l‘artiste accorde. Ce dernier se joue souvent des questions qu‘on lui pose et répond volontiers de manière aléatoire ou ironique. Cette tendance devient la règle à partir du début des années 2000, lorsqu‘il impose aux intéressés de lui poser ses questions sous forme de formulaires écrits.

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Kyrou et al. (2007) évoque également un tel comportement lorsqu‘il évoque ses entrevues « je m‘en foutistes » et déclarations « outrancières ».

Les entrevues ne sont cependant pas reconnues pour être les sources les plus fiables quand on les insère dans une démarche de compréhension de l‘œuvre musicale. Même lorsque l‘auteur a une idée très précise du sens qu‘il veut donner à sa création, il peut tout à fait y avoir un décalage entre les intentions exprimées et le résultat perçu. Aphex Twin est, malgré cela, un choix d‘étude naturel lorsqu‘il s‘agit d‘aborder L‘IDM. Il en est la figure principale32 sur plusieurs plans. Sur le plan professionnel, Aphex Twin est à la fois un des producteurs33 pionniers du label Warp, figurant notamment sur Artificial Intelligence, et dirigeant d‘un important label d‘IDM (). Sur le plan musical, il est certainement l‘artiste du genre à être le plus productif et le plus inventif jusqu‘à 2001. Deux aspects de sa musique nous concernent directement. Premièrement, Aphex Twin est l‘auteur d‘ séminaux pour chacune des périodes de l‘IDM, la chronologie de ses créations comporte donc deux périodes qui sont identiques à celle du courant. Selected Ambient Works 89-92 (Aphex Twin, 1992) est un important de l‘IDM naissant, tandis que Hangable Auto Bulb EP et Hangable Auto Bulb EP.2 (Aphex Twin, 1995) marquent le passage à une esthétique dont les drills font partie intégrante. Deuxièmement, outre sa capacité à réaliser des œuvres variées stylistiquement34, Aphex Twin est reconnaissable par son attrait pour la mélodie, qu‘il insère dans des compositions de type instrumental35. Même si la diversité des timbres tend à parfois confondre certains flux sonores, on remarque nettement une organisation des évènements en flux distincts.

32 S. Reynolds (1998) associe l‘IDM à Squarepusher, Luke Vibert et Aphex Twin. J. Demers (2010) écrit que « beaucoup considèrent Aphex Twin, Autechre, et KLF comme des exemples définitifs d‘IDM ». S. Emmerson (2007) ne fait, quant à lui, que référence à Aphex Twin et Autechre comme exemples d‘artistes d‘IDM. 33 Le terme « producteur », qui est parfois utilisé par erreur comme un anglicisme du terme « producer » désignant le réalisateur artistique, est ici utilisé selon l‘acception relativement nouvelle et désormais courante dans le domaine de la création des musiques électroniques. Il fait référence à un contrôle étendu, voir total, de l‘artiste sur la genèse de l‘œuvre, puisque ce dernier réalise généralement l‘ensemble des étapes de la création (composition, performance, arrangement, mixage, etc.) seul. 34 Dans l‘album Druqks (Aphex Twin, 2001), les pièces de breakcore (« Vordhosbn », « Mt Saint Michel Mix+St Michaels Mount ») côtoient mélodies au piano (« ») et œuvres pour piano préparé (« Jynweythek »). 35 L‘intérêt d‘Aphex Twin pour la musique instrumentale ne se mesure pas qu‘à l‘écoute de Druqks. L‘artiste a notamment collaboré avec afin de réaliser une version instrumentale d‘« Icct Hedral » (Aphex Twin, 1995). Certaines de ses œuvres ont également fait l‘objet d‘une reprise par le groupe Alarm Will Sound (Acoustica [Alarm Will Sound Performs Aphex Twin], 2005). L‘une d‘entre elles a fait l‘objet d‘une analyse par nos soins présentée dans ce mémoire.

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Contrairement au duo Autechre, qui tend à effacer la notion de flux dans ses compositions, il est très facile d‘isoler auditivement les formules rythmiques chez Aphex Twin. Cette spécificité a pour avantage de faciliter l‘analyse, mais a aussi le potentiel de pouvoir permettre une meilleure identification des techniques qu‘utilise l‘auteur pour accorder des codes conventionnels avec ceux de l‘IDM.

Nous avons divisé notre travail en deux grands chapitres. Le premier chapitre est dédié à la terminologie des concepts et définitions liées au rythme. Nous y clarifions nos outils théoriques et proposons des compléments jugés nécessaires. Pour présenter les concepts et justifier nos choix, nous agrémentons les cas qui le nécessitent d‘exemples, par l‘analyse ciblée d‘œuvres du répertoire de la seconde période de l‘artiste. C‘est dans le second chapitre que sont présentées nos analyses de deux œuvres d‘Aphex Twin également issues de la seconde période. Chaque œuvre y est confrontée à certains concepts rythmiques exposés dans le premier chapitre. Toutes les méthodes d‘analyse employées découlent de concepts basés sur un contexte mesuré, raison pour laquelle nous avons écarté les outils théoriques d‘analyse qui n‘insèrent pas les phénomènes musicaux dans une structure de durées équivalentes. C‘est le cas avec l‘analyse des musiques électroacoustiques (Roy, 2003) qui offre des modèles dont aucun qui ne soit dédié au rythme. L‘enjeu de l‘analyse des musiques électroacoustiques se joue principalement au niveau de la transcription des formes sonores, qu‘il s‘agit de prévoir afin qu‘elle puisse décrire efficacement la surface sonore ainsi que les relations entretenues par celles-ci. L‘absence de contexte métrique ne permet malheureusement pas d‘identifier plusieurs niveaux d‘organisation temporellement équivalents. Nous avons écarté Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST) pour les mêmes raisons. Les UST sont une série de 19 unités36 définies par les chercheurs du MIM37 (Delalande et al., 1996) dans le but de décrire le mouvement évoqué par les événements sonores. Le principe des UST repose sur la description de « fragments sonores qui, même hors de leur contexte musical, possèdent une signification temporelle due à leur organisation » (Favory, 2007). Elles sont donc un moyen supplémentaire de transcrire des

36 Les 19 UST de base sont « en flottement », « en suspension », « lourdeur », « obsessionnel », « par vagues », « qui avance », « qui tourne », « qui veut démarrer », « sans direction par divergence d'information », « sans direction par excès d'information », « stationnaire », « trajectoire inexorable », « chute », « contracté-étendu », « élan », « étirement », « freinage », « suspension-interrogation », « sur l'erre ». 37 L‘acronyme MIM désigne le Laboratoire Musique et Informatique de Marseille.

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formes sonores dans un contexte où le temps n‘est réellement considéré qu‘au niveau de celles-ci, plutôt que comme un paramètre déterminant la qualité de leur relation.

L‘intérêt des analyses du deuxième chapitre est donc l‘intégration des outils théoriques dans un processus guidé par une méthodologie adaptée. Afin de porter nos analyses sur des exemples pertinents, nous avons dû effectuer un choix parmi les centaines d‘œuvres produites entre 1995 et 2001. Tout d‘abord, nous avons choisi celles qui contenaient des drills. Celles-ci sont presque systématiquement exprimées à des tempi rapides situées entre 150 et 170 bpm environ. Nos critères de sélection étaient essentiellement basés sur les effets de contraste, d‘ambigüité ou de rupture ressentis à l‘écoute ainsi que sur l‘appréciation d‘un certain dynamisme exprimé par le rythme que seule une analyse poussée aurait permis de comprendre. Dans « To Cure a Weakling Child » (Aphex Twin, Richard D. James Album, 1996), qui sera notre première œuvre étudiée, des drills sont régulièrement insérés au sein d‘une structure semblant être organisée de manière relativement simple et répétitive. Celle-ci est interrompue en son milieu par un interlude rythmique dont il est difficile, manuellement, de définir le tempo. Le point important de cette analyse est la présentation d‘une méthodologie conçue pour la transcription des données du rythme dans les œuvres d‘Aphex Twin. Celle-ci repose sur les étapes que sont la détermination de la forme préliminaire de l‘œuvre, la définition du temps d‘analyse et des groupes, la transcription et l‘interprétation des résultats. Dans « To Cure a Weakling Child », nous avons soumis les données de la transcription à l‘analyse paradigmatique de Ruwet. Notre objectif a été la découverte de la structure rythmique dans son ensemble par la comparaison de divers types de récurrences (formules rythmiques, nombre d‘évènements, superpositions, etc.). Les données du rythme et du microrythme sont mises en relation afin de comprendre quel rôle ces derniers jouent dans le discours musical de l‘artiste.

Les deux analyses suivantes portent sur « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, , 2001), une œuvre que nous avons jugée intéressante pour les subtils contrastes d‘énergie entre ses différentes parties. En effet, si la répétition semble encore omniprésente ici, la poursuite de notre méthodologie d‘analyse élaborée pour « To Cure a Weakling Child » nous a confronté à un tempo ambigu lors de l‘étape de sa définition. Cette première étape

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est essentielle, puisqu‘elle contribue dans certains cas à la détermination de la forme préliminaire de l‘œuvre. Or, contrairement à la musique écrite ou une grande part de la musique populaire, où l‘organisation rythmique définit en règle générale assez clairement le tempo de l‘œuvre, la vitesse et l‘agencement des éléments ainsi que la complexité des ensembles autorise plusieurs tempi possibles. L‘objectif est donc ici, en nous servant notamment des concepts d‘indétermination et d‘ambigüité du mètre énoncés par London (2004) et Butler (2006), de tenter de déterminer le comportement de chacune des parties et ainsi obtenir une forme préliminaire basée sur les relations entretenues entre la surface sonore (SS) et la structure métrique (SM). Notre seconde analyse de « Cock/Ver10 » sera quant à elle une analyse transphonographique, puisque nous comparerons l‘œuvre d‘Aphex Twin à la reprise d‘Allarm Will Sound, un groupe de musique instrumentale qui a dédié un album à la réinterprétation des œuvres de l‘artiste (Acoustica [Alarm Will Sound Performs Aphex Twin], 2005). En analysant l‘œuvre acoustique selon les mêmes critères que ceux pris en compte dans l‘analyse originale, nous pouvons comparer les résultats et ainsi mieux cerner le rôle des microdéviations (omniprésentes dans le jeu humain) dans le phénomène d‘ambigüité. Nos observations sont, pour cela, confrontées au concept de tolérance rythmique, pour lequel un premier ensemble de lois a déjà été énoncé dans l‘ouvrage de Danielsen (2010).

7. Outils pratiques d‘analyse Deux types d‘analyses ont été menés pour décrire et comprendre les œuvres abordées, soit l‘analyse à partir de la trace sonore, et l‘analyse à partir de la transcription. L‘analyse à partir de la trace sonore peut se faire à l‘écoute lorsqu‘il s‘agit de transcrire les durées rythmiques en notation musicale, mais nécessite l‘appui d‘un spectrogramme lorsque les données à transcrire sont trop complexes (fréquence des évènements trop élevée, évènements trop courts, etc.). Nous utiliserons RX2 Advanced de l‘éditeur iZotope pour produire les spectrogrammes. L‘avantage de ce logiciel d‘analyse est sa qualité de rendu qui permet d‘observer avec une bonne résolution le comportement du spectre. Les figures en forme de spectrogramme comportent, lorsqu‘elles présentent des ensembles de temps, une règle temporelle horizontale qui marque l‘axe du temps ainsi qu‘une règle verticale qui marque l‘axe des fréquences. Nous aurons la plupart du temps recours à Photoshop CS 5 pour l‘édition des spectrogrammes. L‘utilisation de Photoshop ne se limitera pas à la mise

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en forme des figures (découpages, indications diverses), mais nous servira également à appliquer des repères pour l‘analyse. Cette pratique consistera à dessiner deux lignes verticales blanches au début de deux évènements. Nous obtenons ainsi une unité de temps graphique que nous dupliquons. La grille qui résulte des multiples duplications peut être étirée ou contractée38, afin de correspondre aux accents de la structure rythmique. Nous utiliserons la notation musicale pour transcrire le rythme et les chiffres arabes lorsqu‘il s‘agira de dénombrer les évènements. L‘analyse à partir de la transcription consiste à utiliser les données récoltées du sonore pour les décrire et les comparer. Pour effectuer la comparaison, nous avons choisi de transcrire les données séparément dans les cellules d‘un fichier Excel, un logiciel flexible qui facilite leur manipulation ainsi que la présentation des résultats. Nous utilisons également Mathematica 8 de l‘éditeur Wolfram pour produire des courbes à partir des données récoltées sur Excel. Pour les graphiques qui ne réclament pas la représentation de valeurs précises, Photoshop sera utilisé. Enfin, le tempo sera identifié dans le logiciel Cubase. Ses outils de mesure nous permettent de découvrir celui-ci très précisément. Lors de nos analyses, nous arrondirons le tempo à l‘unité, de sorte de ne pas surcharger le texte d‘informations futiles. Nos indications de temps seront également arrondies à la seconde.

38 L‘ajustement est souvent minime lorsque les deux premiers traits ont été correctement placés. Il est souvent plus important lorsque la grille au complet est apposée sur une œuvre différente.

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CHAPITRE I – CONSIDÉRATIONS TERMINOLOGIQUES

1. La structure rythmique : rythme et mètre 1.1. Définition Le rythme est un domaine très complexe qui regorge d‘études dans de nombreuses disciplines. Lorsqu‘on s‘intéresse au rythme musical, les ouvrages de référence tels que les dictionnaires ne fournissent qu‘une définition générale ou partielle qui s‘attache principalement au caractère périodique du rythme :

Distribution d'une durée en une suite d'intervalles réguliers, rendue sensible par le retour périodique d'un repère et douée d'une fonction et d'un caractère psychologiques et esthétiques. [...].

Retour périodique des temps forts et des temps faibles, disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l'intensité et de la durée) qui donne au morceau sa vitesse, son allure caractéristique. (Le Petit Robert électronique, 2013)

On retrouve la notion de périodicité dans la définition du Oxford Dictionary of Music qui décrit le rythme comme étant la perception d‘une unité de temps :

Rhythm covers everything pertaining to the time aspect of mus. as distinct from the aspect of pitch, i.e. it incl. the effects of beats, accents, measures, grouping of notes into beats, grouping of beats into measures, grouping of measures into phrases, etc. When all these factors are judiciously treated by the performer (with due regularity yet with artistic purpose—an effect of forward movement—and not mere machine‐like accuracy) we feel and say that the performer possesses ‗a sense of rhythm‘. There may be ‗free‘ or ‗strict‘ rhythm.

The human ear seems to demand the perceptible presence of a unit of time (the beat); even in the ‗Free Rhythm‘ of PLAINSONG or of RECITATIVE this can be felt, though in such mus. the grouping into measures is not present. (Oxford Dictionary of Music, 2013)

La musicologie offre cependant une description du rythme plus approfondie. Depuis les études menées par Cooper et Meyer (1960), Lerdahl et Jackendoff (1983), et, plus récemment Hasty (1997), London (2004) ou encore Danielsen (2010)39, il est admis

39 Citons également Friedrich Neumann (1959), Andrew W. Imbrie (1973), TellefKvifte (2007) ou encore Mats Johansson (2010).

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que le rythme est composé de deux plans en interaction permanente. Le premier plan est la partie concrète, soit la « surface » composée des évènements sonores tels qu‘ils apparaissent à l‘écoute et que l‘on nommera « surface sonore » (SS). Le deuxième plan, que l‘on nommera « structure métrique » (SM), est celui de l‘univers abstrait créé par notre esprit dans le but d‘apprécier les relations temporelles entre les évènements. Lorsque nous écoutons un ensemble de sons (surface sonore) qui semblent être répartis sur les repères d‘une grille « virtuelle » composée d‘unités de longueur égales ou similaires40, il nous est possible de percevoir le rythme. Comme le précise Danielsen41, le sensation de rythme est le résultat d‘une communication permanente entre la surface sonore (« sounding realizations ») et la structure métrique (« rhythmic ou virtual reference structure ») : l‘évaluation de l‘intervalle temporel entre chaque son (IOI42) produit des unités sur la grille qui, à son tour, fournit une indication sur les futurs emplacements rythmiques possibles.

Parler de la SS, c‘est désigner un ensemble d‘évènements sonores43 perçus distinctement sur l‘axe du temps. L‘ « étalonnage » que fournit la SM par sa périodicité, et qui donne au rythme perçu son caractère mesuré, permet l‘anticipation nécessaire à la danse, la reproduction ou le jeu de groupe. La présence du mètre dans la théorie du rythme permet d‘expliquer comment nous pouvons « mesurer » les distances entre les sons et prévoir leurs manifestations possibles dans le temps sans que ceux-ci soient obligatoirement réitérés avec une parfaite régularité (qu‘ils soient décalés par rapport à la grille ou tout simplement absents). Lerdahl et Jackendoff (1983, p. 8-9), définissent quatre « composants de l‘intuition musicale hiérarchiques par nature » qui, chacun, jouent un rôle dans la structuration de l‘œuvre. La structure de groupement est relative à la segmentation du discours musical en motifs, phrases et sections. La structure métrique désigne l‘intuition

40 Cette précision est importante, puisqu‘on doit tenir compte du facteur expressif du jeu humain (les microdéviations décrites plus bas) ainsi que des pratiques musicales où certaines unités de la grille semblent avoir une durée plus longue ou courte que les autres. Voir les rythmes ovoïdes de Jean During (1997). 41 « Rhythm comprises an interaction between rhythmic structure and the sounding realization(s) of such structures. This interaction goes both ways, and in fact it is the sounding events that usually serve as the basis for the non-sounding schemes activated in the listener (though those schemes then immediately inform the listener‘s experience of the sounding events). » (Danielsen 2010, p. 19). 42 Inter Onset Interval (littérallement : Intervalle Inter-Attaque). Désigne l‘intervalle de durée mesurable entre chaque début d‘évènement sonore. 43 Voir William Moylan (2007, p. 91) sur la différence entre évènement sonore et objet sonore : « A sound event is the shape or design of the musical idea (or abstract sound) as it is experienced over time. The sound object is the perception of the whole musical idea (or abstract sound) at an instant, out of time ».

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de l‘existence d‘une grille métrique constituée de temps forts et faibles et donc, la perception de ces unités sur différents niveaux. Les deux autres composants sont relatifs aux hauteurs de notes. La réduction de la période de temps concerne la hiérarchie des hauteurs compte tenue de leur position au sein de la structure, tandis que la réduction prolongationnelle réfère à la hiérarchie mélodico-harmonique. Malgré la place importante prise par l‘organisation des hauteurs dans la théorie de Lerdahl et Jackendoff, nous retiendrons deux grandes catégories de hiérarchies. La première est celle relative à la prise en compte des évènements de la SS (qualité, durée, forme, etc.) et la deuxième est celle qui concerne l‘évaluation temporelle par la SM (quantité, fréquence, fond, etc.).

1.2. Groupement et mètre Ainsi, la distinction est communément faite entre le groupement, qui est l‘activité consciente de segmentation du discours musical, et le mètre, qui représente la grille d‘étalonnage subjective. Le groupement peut, dépendamment des informations fournies par la SS, être asymétrique et complexe, contrairement à la segmentation suggérée par la SM, qui est soumise à différentes lois naturelles et permet l‘appréciation et la comparaison de valeurs simples et proportionnelles :

Meter is not simply a matter of regularly recurring dynamic intensifications. It is a set of proportional relationships, an ordering framework of accents and weak beat within which rhythmic groupings take place. It constitutes the matrix out of which rhythm arises. (Cooper et Meyer 1960, p. 96)

We have established that the basic elements of grouping and of meter are fundamentally different: grouping structure consists of units organized hierarchically; metrical structure consists of beats organized hierarchically. (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 25)

Selon Lerdahl et Jackendoff, lorsque la structure de groupement correspond à la structure métrique, celles-ci sont en phase. Lorsqu‘elles ne correspondent pas, elles sont dites déphasées (p. 30). Ces derniers utilisent l‘exemple de l‘anacrouse comme un cas typique de déphasage entre groupement et mètre. Ils distinguent le déphasage léger du déphasage plus conséquent que « l‘auditeur traite plus difficilement », puisque « the recurrent patterns in the two components [groupement et mètre] conflict rather than reinforce one another » (p. 30). Ils considèrent ainsi le degré de phase comme une

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« importante caractéristique rythmique d‘un passage musical ». Enfin, ils précisent que l‘organisation des évènements et de leurs accents peuvent privilégier un seul ou plusieurs groupements en « conflit ». Dans le dernier cas, l‘auditeur a alors « des intuitions vagues ou ambigües » (p. 40).

1.3. Accentuation et syncope Lerdahl et Jackendoff définissent trois types d‘accents entrant en jeu dans la structure rythmique. Les accents phénoménaux désignent « n‘importe quel évènement de la surface musicale qui met de l‘emphase ou qui accentue à un moment du flux musical » (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 17). On peut considérer les accents phénoménaux comme étant des sons, ou évènements, contrastant avec d‘autres sons. Par leur caractéristique contrastante, que leurs différents attributs timbraux leur confèrent, ils exercent un poids sur la SM qui affecte potentiellement le groupement et la définition du mètre. Les accents structuraux désignent quant à eux les poids exercés par les structures qui sont, ici, mélodico- harmoniques. Dans notre analyse de l‘IDM, nous verrons si le rythme et le microrythme peuvent agir en tant qu‘accents structuraux. Enfin, l‘accent métrique réfère à « n‘importe quelle unité de la grille métrique [dit beat] qui est relativement forte dans son contexte métrique ». Les accents métriques désignent des points de la grille métrique, plus ou moins « forts » ou fortement attendus (nous dirons qu‘ils ont plus ou moins de poids) en fonction de leur position par rapport au début (et donc du nombre de niveaux de la SM pris en compte, voir fig.Figure 1 ci-dessous).

Figure 1 – Représentation du plan des évènements concrets (SS) superposé au plan de la structure métrique (SS) selon la notation par points de Lerdahl & Jackendoff (1983). La première note à plus de poids sur le plan de la rythmisation subjective. La notation musicale fournie ici n‘indique pas comment les accents de la SS sont organisés de manière à appuyer les accents de la SM.

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Dans la musique tonale, les accents structuraux n‘interfèrent pas autant avec le mètre que les accents phénoménaux. Les accents structuraux suggèrent des groupements qui ne sont pas nécessairement en phase avec la SM, tandis que les accents phénoménaux sont les indices qui guident la construction du mètre :

Phenomenal accent functions as a perceptual input to metrical accent– that is, the moments of musical stress in the raw signal serve as « cues » from which the listener attempts to extrapolate a regular pattern of metrical accents. If there is little regularity to theses cues, or if they conflict, the sense of metrical accent becomes attenuated or ambiguous. If on the other hand the cues are regular and mutually supporting, the sense of metrical accent become definite and multilevel. Once a clear metrical pattern has been established, the listener renounces it only in the face of strongly contradicting evidence. Syncopation takes place where cues are strongly contradictory yet not strong enough, or regular enough, to override the inferred pattern. In sum, the listener‘s cognitive task is to match the given pattern of phenomenal accentuation as closely as possible to a permissible pattern of metrical accentuation; where the two patterns diverge, the result is syncopation, ambiguity, or some other kind of rhythmic complexity. (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 17-18)

Lorsque les accents se contredisent (accents faibles sur accents forts et inversement), les auteurs évoquent un état d‘ambigüité et de complexité. Lorsqu‘il s‘agit d‘un phénomène isolé ou en nombre suffisamment faible, on parle de syncope. Les accents structuraux de la musique tonale ne contredisent généralement pas le mètre puisque les poids du système tonal reposent sur une certaine correspondance avec le système de « temps fort/temps faible » de la SM et ce, malgré les éventuels déphasages de groupement induits. Les accents phénoménaux jouent un rôle rythmique plus avancé, puisqu‘ils sont à même de perturber ou redéfinir le mètre. La syncope, qui s‘inscrit en dehors des objectifs de la tonalité, est alors perçue comme un élément en conflit avec la structure courante du mètre. On trouve de très nombreux exemples de syncopes dans les rythmes d‘Aphex Twin. Cependant, comme dans de nombreux courants populaires basés sur l‘accentuation des temps faibles, il existe une catégorie de syncopes qui contribuent à l‘affirmation du mètre. Les accents phénoménaux qui sont exprimés sur des temps faibles, considérés par Butler comme des « décorations de temps forts » (2006, p. 88) et qui tendent à atténuer le poids de ces derniers (p. 78), « renforcent notre sens du mètre en jouant avec ou contre lui » (p. 88). La mise en avant des temps 2 et 4 par l‘accentuation de la caisse-claire, qui est un type

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d‘organisation très couramment rencontré dans les œuvres d‘Aphex Twin, est considéré par Butler comme étant la plus apparente des syncopes dans les genres « -driven ». L‘autre catégorie de syncopes tend, quant à elle, à contrarier l‘entrainement du rythme. On trouve ce type d‘accents phénoménaux lorsqu‘une subdivision est appuyée, qu‘un évènement est déplacé ou permuté.

Lorsque les contradictions entre les accents sont trop fortes, trop régulières, ou trop nombreuses, l‘auditeur est susceptible de redéfinir la norme en attribuant un nouveau point de départ à la SM. Dans « Windowlicker » (Aphex Twin, 1999) on retrouve une séquence rythmique hautement perturbée par l‘organisation de la SS. Entre 2:39 et 3:49 un rythme déjà syncopé exprime une série de ruptures qui obligent régulièrement l‘auditeur à reconsidérer la structure de l‘œuvre (enr. 1, fig.Figure 2). Ces ruptures de la perception métrique sont cependant prévues de manière à ce que l‘attention ne soit pas perdue. Elles surviennent sur un tempo que l‘on pourrait qualifier de stable, et sont généralement « préparées » par des séries de syncopes qui, de par leur présence, atténuent la perception de la hiérarchie métrique.

Figure 2 – Spectrogramme de la partie centrale de « Windowlicker » (Aphex Twin, 1999). Dans la fig.Figure 2, on peut très bien apercevoir visuellement les moments stables, où les motifs rythmiques se répètent d‘un temps sur l‘autre, et les moments de tension, repérables aux plus rapides et intensives répétitions ainsi qu‘aux courts moments d‘absence du rythme. Dans notre illustration, nous avons indiqué les temps (123 bpm) avec des barres blanches supportées par des nombres correspondant aux premiers niveaux de la SM. Les signes divers (ronds, ellipses et carrés blancs) indiquent la présence de syncopes. Nous avons indiqué les syncopes usuelles aux 16 premiers temps. Les ronds désignent les syncopes de la grosse caisse, « décalée » d‘un quart ou d‘un demi-temps, et les ellipses indiquent les syncopes de la basse électronique, toujours situées un quart de temps avant le temps attendu. La caisse claire est un élément constant qui affirme la SM en l‘appuyant tous les deux temps. Cette pratique, courante chez Aphex Twin, qui consiste à se servir des

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temps faibles pour y loger un élément directeur du rythme est plus commune dans la musique populaire que dans la musique classique; le skank du reggae est un bon exemple de ce type de procédé. Les 16 premières mesures s‘achèvent sur un effet d‘allongement du son de la caisse claire qui annonce l‘arrivée d‘un temps fort (temps 17). À partir du 27e temps, les syncopes s‘accentuent en impliquant la caisse claire. La syncope du 32e temps (A) n‘en est en faite pas vraiment une, puisqu‘il s‘agit d‘un décalage de la grille d‘un quart de temps facilement perçu comme un allongement du 31e temps. Ce décalage est suivi de trois temps de transition. Le carré blanc indique au temps 3, comme ailleurs, une syncope de temps, car l‘utilisation de la caisse claire sur ce temps constitue, si on se réfère aux repères établis, une surprise. Ce choix s‘avère néanmoins judicieux en préparation de la nouvelle norme. Celle-ci reprend une séquence rythmique normale et est accentuée, en son départ, par l‘introduction de parties vocales.

A la fin du premier cycle de 16 temps (3:03), le temps fort attendu est remplacé par une syncope annonçant une nouvelle transition de trois temps. Bien que l‘endroit de la transition surprenne, là encore le positionnement de la caisse claire sur le troisième temps de la transition permet un passage logique vers le début d‘un nouveau cycle de 16 temps. Celui-ci s‘achève en B par un nouveau décalage de la SR et le début d‘un nouveau cycle préparé par les répétitions du temps précédent. Il s‘ensuit alors 14 temps comportant de nombreuses syncopes et au cours desquels la SM se dessine mal. Le 15e temps, qui réintroduit la partie vocale déjà énoncée durant les deux cycles précédents, marque le début d‘un nouveau cycle qui s‘achève dans le flou. Le contenu du 16e temps est répété sur deux temps que nous avons considérés comme faisant partie de la nouvelle transition. Celle-ci est interrompue au cinquième temps (C) par un décalage de la SR d‘un demi-temps qui perturbe fortement la perception rythmique. La tension métrique est néanmoins résolue par la régularité rythmique qui débute alors, et se prolonge durant 32 temps44. Ce cycle, dernier de cette partie de l‘œuvre, se termine sur quelques temps en syncope. Ils préparent l‘arrivée d‘un temps de transition où la musique s‘efface pour enfin exprimer un dénouement sous forme de répétitions à 210 bpm.

44 Sur le graphique, nous avons séparé les 32 temps en deux cycles de 16 temps pour mieux indiquer la tension au temps 16 et le fait que la deuxième partie du cycle est plus ambigüe que la première, du fait du décalage de la SM et des syncopes de temps qui surviennent.

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En choisissant un groupement mélodico-harmonique, nous obtenons des groupes en phase avec le mètre malgré la dissymétrie de leurs durées. En effet, le rythme, sur lequel repose la structure MH, exprime une série d‘accents phénoménaux contribuant à créer une tension métrique qui ne trouve sa résolution qu‘au moment d‘un retour conjugué entre une meilleure périodicité rythmique et la note principale du contenu MH (do). Les syncopes créent un climat de conflit qui s‘accentue vers la fin des cycles pour aboutir à des transitions élidées où le rythme s‘efface ou se transforme (répétitions, permutations, etc.). Ces ruptures, qui marquent les points de tensions métriques importantes, s‘achèvent sur une redéfinition logique de la SM. Il n‘y a donc pas de déphasage, au sens où Lerdahl et Jackendoff l‘entendent, ni de concurrence entre groupements, puisque la rupture rythmique affecte l‘ensemble des éléments musicaux. Il s‘agit plutôt de « décrochages » du mètre, exprimés, d‘une part, par l‘altération (conflit) puis la redéfinition du mètre (résolution), et, d‘autre part, des déplacements plus ou moins prononcées de la SM. Ces élisions des groupements et du mètre contreviennent fortement à la dance, puisqu‘elles perturbent la perception métrique et gênent ainsi la prédictibilité des évènements futurs. Il ne semble cependant pas s‘agir ici d‘ambigüité, puisqu‘il n‘y a pas de conflits de normes, mais plutôt d‘un jeu orienté sur l‘affirmation ou le déjouement d‘une norme unique et adaptable. Celle- ci se constitue avec une grande précision et une grande rapidité compte tenu de la diversité et de la disposition des différents timbres.

Dans « Bucephalus Bouncing Ball » (Aphex Twin, Come To Daddy, 1997) (enr. 2, fig.Figure 3), on retrouve des déphasages de bas niveau (quatre temps à 168 bpm sur des cycles de 16 à 32 temps) en début d‘œuvre.

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Figure 3 – Forme par groupes de « Bucephalus Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). Chaque groupe représente l‘introduction d‘un timbre spécifique dans l‘œuvre (équivalent d‘instrument). Les chiffres indiquent des mesures de quatre temps. À la septième mesure, survient un break d‘une seule mesure à la place des deux qu‘il aurait fallu pour compléter un cycle de huit mesures. Contrairement à « Windowlicker »45, où nous avons vu que les syncopes et déplacements de la SM produisaient des contradictions temporaires entre les accents phénoménaux et les accents métriques, la perception métrique du rythme au niveau intermédiaire n‘est pas affectée par le type de déphasage rencontré dans « Bucephalus Bouncing Ball ». Dans cette œuvre les accents métriques ne sont pas contrariés, le poids de certains d‘entre eux est seulement diminué par le déplacement des cycles. L‘allongement du cycle situé entre les mesures 12 et 16 est anecdotique : sa dissymétrie provoque une légère tension tandis que le retour à la grille de départ ne résout rien, puisque le nouveau changement invite, comme à la mesure 8, à ré-envisager le groupement des mesures.

45 Notons également que la dimension mélodico-harmonique est particulièrement discrète durant cette première partie de « Bucephalus Bouncing Ball ». Nous avons effectué un découpage de l‘œuvre basé sur l‘introduction et le retrait de nouveaux éléments musicaux. La similarité réside néanmoins dans le fait que les décalages affectent l‘œuvre au complet.

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1.4. Dissonance métrique, polyrythmie et polymétrie. Les éventuels conflits de groupement évoqués par Lerdhal et Jackendoff ont été définis par Krebs (1987) comme des types de dissonance métrique. Krebs s‘appuie principalement sur les travaux de Yeston (1976) qui définissent la dissonance métrique comme la superposition de strates rythmiques dont les « fréquences de mouvement46 » ne sont pas en rapport de nombres entiers. Le cas exemplaire est celui de l‘hémiole, impliquant des syncopes régulières. Le concept énoncé par Yeston, qui parait être une transposition dans le domaine du rythme du phénomène que l‘on retrouve avec la superposition des fréquences sonores, est en fait celui de la polyrythmie. La relation entre les strates est cependant simplifiée à l‘extrême, puisque transposer la logique de Yeston dans le domaine des fréquences sonores reviendrait à ne considérer que les octaves comme consonants. Krebs reprend ce concept en l‘enrichissant. Il propose deux types de dissonances. La dissonance de type A, celle de Yeston, est qualifiée de « relation arithmétique » (1987, p. 101). La dissonance de type B est une relation « d‘alignement » qui intervient lorsque les durées engagées dans les différentes strates ne sont pas en phase (fig.Figure 4 ci-dessous).

Figure 4 – Cas de consonance et de dissonance fournis en exemple dans Kerbs (1987, p. 102). Le pulse level est le niveau où le rythme dessine les plus petites unités de durée. Les niveaux inférieurs de la SS sont nommés « interpretive levels ». Selon l‘auteur, il est donc nécessaire de disposer d‘au moins trois niveaux pour obtenir une quelconque dissonance métrique : un premier niveau qui fait figure de référence (pulse level), ainsi que deux strates « d‘interprétation » qui créent un conflit de groupement. Lorsque la disposition des accents

46 Par ces termes, Yeston se réfère aux durées exprimées par les éléments situés à l‘échelle du motif rythmique (niveau intermédiaire).

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produit des déphasages47 entre les différentes strates du rythme, le groupement devient ambigu. L‘utilisation de l‘expression « dissonance métrique » dans ce cas est problématique pour deux raisons. La première est qu‘elle fait référence à un déphasage de groupement; il ne s‘agit donc pas d‘une interaction où le mètre est impliqué48. La deuxième raison est qu‘en associant ainsi au mètre la notion de dissonance, on évoque l‘idée d‘une friction ou concurrence entre plusieurs normes métriques. Or, cette idée est inconcevable d‘un point de vue perceptif, si l‘on se fie à London (2004). Ce dernier fait une claire distinction entre ce que nous pourrions appeler la dissonance de groupement (polyrythmie) et la dissonance métrique (polymétrie49). Il réfute cependant la possibilité d‘une concurrence entre plusieurs normes métriques. Lorsque les accents suggèrent plusieurs SM, l‘auditeur privilégie une norme sur le modèle « figure/fond » (p. 66-67). La période qui précède la résolution est un passage marqué par l‘ambigüité ou malléabilité (p. 100).

1.5. Ambigüité et indétermination du mètre L‘ambigüité métrique fait l‘objet d‘un classement taxonomique chez London (2004). Celui- ci distingue quatre degrés d‘ambigüité50, soit l‘absence d‘ambigüité, l‘ambigüité latente, l‘ambigüité « véritable » et l‘ambigüité vague :

Unambiguous metric contexts involve pitch/durational patterns that strongly tend to project a single meter and are readily maintained by the listener, even in a deadpan performance.

Latently ambiguous metric contexts involve metrically malleable pitch/durational patterns that have the potential for ambiguity, but these are usually disambiguated by the use of expressive variations in performance.

Truly ambiguous metric contexts involve pitch/durational patterns that may give rise to different metric construals on different listening occasions. This includes in certain tempo ranges, complex textures in which voices/layers project diverse metric organizations, as well as metrically malleable passages in a deadpan performance. Each construal is nonetheless determinate: on each occasion a listener will hear the passage in terms of a particular metrical organization.

47 Ici déphasages entre groupes, et non pas entre groupes et mètre. 48 Ou peu, selon London (2004, p. 101-104). 49 Le terme « polymétrie » est cependant traditionnellement utilisé pour décrire la succession de normes métriques différentes. 50 Cela si l‘on veut bien considérer que l‘absence d‘ambigüité constitue une catégorie.

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Vague metric contexts involve the absence of one or more normative levels of metrical structure. In contrast to a metrically ambiguous context in which there are two or more plausible and determinate patterns of metric organization, in a metrically vague context no determinate pattern ever emerges. (London 2004, p. 106-107)

Selon London, plus l‘ambigüité métrique est forte, plus elle est susceptible de générer des interprétations différentes lors d‘écoutes successives. On retrouve un dérivé de cette typologie chez Butler (2006) qui, dans son analyse rythmique de l‘EDM, utilise une terminologie que nous allons emprunter dans nos futures analyses. Ce dernier distingue l‘indétermination et l‘ambigüité du mètre. L‘indétermination du mètre qualifie une situation où « il n‘y a pas assez d‘information pour prendre une décision à propos de la division du beat51 ou du type de mètre » (p. 111). Équivalent de l‘ambigüité vague de London, le concept d‘indétermination concerne des passages où le rythme n‘est pas présent ou présent sous une forme simple non accentuée (qui n‘indique aucune subdivision ou aucun groupement particulier). On retrouve ce type de phénomènes généralement en début d‘œuvre, en guise d‘introduction (indétermination par absence de rythme) ou lorsque les strates rythmiques sont ajoutées progressivement52, ou en milieu et fin d‘œuvre, lors des moments de repos ou de transition.

Butler décrit deux grandes catégories d‘ambiguïté du mètre relatives à la détermination du tactus : l‘ambiguïté du début (ambiguity of beginning) et l‘ambiguïté du type de mètre (ambiguity of metrical type). L‘ambiguïté du début est, selon l‘auteur, le plus commun des types d‘ambigüité métrique présent dans les musiques électroniques. Elle implique des situations « in which the metrical type of a pattern is clear but the location of its beginning point is not » (Butler 2006, p. 124). Il prend notamment comme exemple « Connected » de James Ruskin (p. 126), une œuvre où les éléments percussifs renforcent des positions en décalage avec le tactus courant, déterminé en partie par le niveau mélodique de la structure. L‘introduction de la grosse caisse en syncope sur chaque demi- temps crée un nouveau tactus possible, à la même vitesse, mais décalé d‘un demi-temps. L‘accentuation de la nouvelle strate en déphasage avec la norme établie crée un climat

51 Bien que nous ayons choisi de remplacer le terme « beat » par « tactus » pour nos analyses (voir section suivante : « Terminologie relative aux éléments de la structure rythmique »), l‘auteur fait référence, dans ce cas-ci, au niveau du temps dans la SM. 52 Ce cas est particulièrement courant dans l‘EDM.

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d‘ambigüité qui force l‘auditeur à choisir entre conserver la phase en cours ou adopter la nouvelle phase proposée. Dans un tel cas, le type d‘accentuation utilisé pour le déphasage joue un rôle important, puisque la grosse caisse apporte suffisamment de poids à la structure pour que soit remis en cause le « début » du tactus. Si les accents avaient été plus légers, le déphasage n‘aurait pas nécessairement créé d‘ambigüité dans la détermination du tactus ou, au contraire, renforcé la norme en cours53. L‘ambigüité du type de mètre est une notion quelque peu confuse. Ce type d‘ambigüité semble être, chez Butler, une catégorie plus générale regroupant l‘indétermination abordée plus tôt, ainsi que les diverses organisations du rythme qui amènent l‘auditeur à reconsidérer le début des séquences (ambigüité de début) ou le niveau du tactus. Il désigne, en résumé, une ambigüité relative à la perception de la hiérarchie des niveaux du mètre. Dans la musique d‘Aphex Twin, l‘ambigüité métrique liée à la détermination du niveau du tactus est un cas courant dont nous allons analyser un exemple de manière approfondie dans le deuxième chapitre.

2. Concepts relatifs aux microdurées 2.1. Microson Les évènements dont la durée varie entre quelques centaines de microsecondes et une centaine de millisecondes sont définis par Roads (2001) comme étant des microsons. L‘échelle où se produit leur organisation est nommée par l‘auteur « micro time scale » (échelle de temps micro) et représente la zone de fréquences située entre la limite haute de l‘audition humaine (environ 20 Khz) et la zone où la perception de la hauteur disparait progressivement au profit de la succession rythmique (environ 20 Hz). Les microsons sont les éléments de base d‘une technique de synthèse sonore prévue pour des agencements et comportements temporels très complexes qui n‘ont pas beaucoup d‘affinité avec le rythme. Le principe d‘une unité sonore, indivisible ou presque, qui fournirait un contenu musical pertinent dans un contexte mesuré a en revanche trouvé quelques applications dans la musique électronique. Les exemples de l‘utilisation de microsons ne manquent pas dans le répertoire des œuvres d‘Aphex Twin. On s‘aperçoit cependant, à l‘écoute ou à la lecture de spectrogrammes, que les microsons de ses œuvres ne sont jamais présentés de manière isolée, comme cela peut être le cas dans des courants de musique électronique qui en font

53 Un exemple de renforcement du tactus par l‘expression des demi-temps dans l‘EDM est fourni par Hans T. Zeiner-Henriksen (2010).

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un abondant usage (glitch, , etc.). Ils sont constitués en ensembles généralement périodiques baptisés ici « ensembles microrythmiques ».

2.2. Microrythme Le terme « microrythme » (MR) est traditionnellement utilisé pour qualifier les évènements déviant de la norme métrique. La durée des déviations impliquées se mesure généralement en millisecondes. Ces dernières sont, par ailleurs, caractéristiques de la performance humaine. Quelques études menées sur le groove, ou swing54, dans les musiques afro- américaines ou latines y font référence sans toutefois le définir clairement. Parmi ces dernières on trouve Iyer (2002) ou Gerisher (2006) qui parle de nuances et phénomènes microrythmiques :

Microrhythmic nuances can play an important role in generating groove, as shown by the musical computer programs aimed at simulating or generating a so-called human or feel factor (see Prögler 1995:22-25). Such phenomena are also essential to Charles Keil's concept of participatory discrepancies ("PDs")(1987). Other studies of the relationship between deviations from equidistant regularity and dance rhythms include Bengtson (1963, 1974, 1987) and Gabrielsson (1982, 1993) on Wiener waltz music and other European dance rhythms. Jairazbhoy's system of "NUTs‖–Nominal Units of Time– opened possibilities for the notation of microrhythmic variations (1983). Microrhythmic phenomena have also been stressed in the studies of African and African American music by Pantaleoni (1972), Kroier (1992), Pinto (1998), and Polak (1997). (Gerisher 2006, p. 99-100)

Dans cet article, Gerisher insiste sur la notion de déviation de la norme dans le concept de microrythme. Hawkins (2007), Kvifte (2007), Butterfield (2011) et Benadon (2006, 2009) l‘assimilent également à des microdéviations de la norme métrique. Que désigne alors précisément le terme « microrythme » dans un contexte de déviation métrique ? Selon Danielsen, le microrythme désigne l‘ensemble des caractéristiques rythmiques des évènements au niveau micro (micro level) :

54 Le groove et le swing sont deux appellations provenant des musiques populaires. Les termes qualifient l‘expressivité traditionnellement issue de la performance humaine. L‘expressivité du groove peut être simulée par informatique (Danielsen, 2010). Dans les séquenceurs numériques, c‘est souvent le terme « swing » qui est employé pour désigner la fonction qui permet d‘avancer ou retarder légèrement certaines notes du rythme.

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Microrhythm on the other hand refers to the overall rhythmic shaping of musical events at the micro level. It encompasses a variety of aspects, including timing. Other microrhythmic aspects are, for example, duration, shape (how does the energy of the sound unfolds over time), timbre, and intensity. There are many studies of microtiming in both classical and groove-based musics but very few focusing on other aspects of microrhythm.55

Le MR sert donc à désigner des patrons d‘évènements rythmiques qui intègrent des microdurées. Nous pensons que cette définition est restrictive, puisqu‘elle se limite à désigner des situations de déviations d‘évènements par rapport à la SM du rythme. Or, nous souhaitons décrire des situations où des évènements organisés au niveau micro ne sont pas affiliés au niveau intermédiaire du rythme. Ils ne sont jamais isolés, puisqu‘ils dessinent, en groupe, des périodicités « autonomes » constituées de micro-évènements et micro-durées. Lacasse (2010) qualifie par ailleurs déjà de microrythmique, dans son analyse de « Breath Me » (Sia, 2004), de tels ensembles formés par la voix craquée56 de Sia. C‘est pourquoi nous différencierons, pour notre étude au moins, les patrons de microdéviations exprimés dans le groove et les ensembles microrythmiques rencontrés dans les œuvres d‘IDM. Ces derniers sont donc envisagés comme des motifs rythmiques à part entière reposant sur une structure métrique dont les qualités restent cependant à démontrer. Si celle-ci existe, elle pourrait en effet avoir des propriétés différentes du mètre tel qu‘il se construit au niveau intermédiaire. Les études qui portent sur le sujet, et qui sont résumées dans l‘ouvrage de London (2004), tendent à fixer la limite de la perception métrique aux alentours de 100 ms par unité (10 e/s), valeur en dessous de laquelle la discrimination des intervalles de durée devient imprécise (Hirsh et al., 1990) et à partir de laquelle le groupement subjectif n‘a plus effet. L‘auteur émet cependant une réserve :

It is probably impossible to come up with hard-and-fast values for these boundaries, as well as for other significant thresholds within those boundaries. The values reported later are largely from experiments that employ nonmusical (or what might be charitably regarded as quasi- musical) stimuli and contexts; for the most part this research lacks ecological validity relative to real-life listening situations. Moreover, this research has shown that various thresholds, acuities and so on, are heavily dependent on task, stimulus, context, and so forth. [...]. Finally,

55 Conversation personnelle (10 septembre 2013). 56Creaky voice ou Lynragealisation.

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all of the various thresholds and rate limits discussed in this chapter are subject to a high degree of inter-subject variation; the reported values are averages for subject populations, and these are often averages within a wide range of data. (London 2004, p. 27)

Comme le suggèrent les propos de London, il se pourrait qu‘à cette limite le mètre disparaisse ou perde seulement certaines propriétés progressivement, de la même manière que lorsque la succession disparait pour laisser place à la continuité sonore. Tenter de déduire des propriétés du MR à partir de nos observations fait partie des objectifs fixés pour la synthèse du chapitre dédié à l‘analyse et à la description des ensembles microrythmiques.

2.3. Microtiming Le microtiming désigne le positionnement d‘une microdéviation par rapport à un point de la norme métrique et donc, par extension, l‘intervalle de durée qui sépare celui-ci de l‘évènement concerné. Comme dans le cas du microrythme, la littérature traitant du microtiming porte exclusivement sur le jeu instrumental (McGuiness 2006, Dodson 2011, Naveda et al. 2011, Frühauf et al. 2013). Dans Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction (2010), Danielsen analyse « Left and Right » d‘Angelo (2000), une œuvre de hip-hop dans laquelle un ensemble de strates est intégré au flux sonore via un procédé de microdéphasage, créant ainsi un contexte d‘ambigüité métrique. Elle propose alors trois hypothèses ou théories de résolution perceptives. La première théorie (modèle métronomique) avance l‘idée selon laquelle l‘auditeur cherche à privilégier durablement une norme parmi les différentes possibilités. La deuxième théorie est celle du décalage temporel local; l‘auditeur « navigue » entre les instruments, ce qui a pour effet d‘étirer ou contracter la durée des unités de la structure métrique. Enfin, la troisième théorie (beat-bin model) suppose que l‘on intègre progressivement l‘ensemble des éléments de la SS dans une norme unique dont les points deviennent des « moments » à durée variable. Cette dernière théorie constitue le fil conducteur de la partie de l‘ouvrage consacrée aux microdéviations.

Les microdéviations ne sont donc pas ici conçues comme une simple caractéristique formelle de l‘expressivité, mais, lorsqu‘elles sont organisées de manière appropriée, comme un facteur d‘ambigüité métrique. Elles produisent alors des déphasages de haut niveau qui affectent la perception des niveaux inférieurs de la SM. Dans les chapitres suivants de

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l‘ouvrage, le phénomène de microdéphasage est exploré au travers de diverses analyses vouées à exposer deux concepts réciproques dérivés du beat-bin model : le pulse region et la tolérance rythmique. Le pulse region désigne une fenêtre perceptive associée à chacun des points de la SM. D‘une durée maximum de 250 ms, sa « taille » varie selon le contexte musical. L‘augmentation de la durée du pulse region engage l‘augmentation de la tolérance rythmique. Lorsque la taille du pulse region s‘agrandit, notre tolérance rythmique augmente, permettant ainsi l‘intégration dans la norme métrique d‘un plus grand nombre de microdéviations. Cinq règles d‘interaction sont établies :

 Les lents conduisent à une augmentation de la tolérance rythmique;

 une haute densité d‘évènements conduit à une diminution de la tolérance rythmique;

 plus le stimulus est régulier, plus le pulse region est étroit;

 plus les microdéviations sont nombreuses, plus le pulse region s‘élargit;

 on ressent une plus grande friction lorsque les microdéviations sont proches sur le plan spectral que lorsqu‘elles sont éloignées. Autrement dit, plus les microdéviations sont éloignées sur le plan spectral, plus elles seront susceptibles de créer des conflits de normes.

Lors de notre troisième étude présentée dans le chapitre sur les analyses, nous utiliserons ces lois pour évaluer les liens éventuels que peut entretenir l‘organisation des microdéviations avec les phénomènes d‘ambigüité que nous aurons recensés.

3. Terminologie relative aux éléments de la structure rythmique Comme nous venons de le voir dans notre exploration des concepts liés au rythme, la terminologie relative à la constitution et au comportement de la SR peut varier d‘un auteur à l‘autre. Parfois un même terme peut désigner deux éléments différents. Le terme « beat », par exemple, est utilisé par Lerdahl et Jackendoff pour décrire une unité de la SM alors qu‘il est considéré chez Butler, ainsi que dans tout le domaine des musiques populaires, comme l‘expression concrète du niveau du temps57. Le pulse est, chez Krebs, la plus petite unité de durée quelconque périodiquement exprimée sur la SS, tandis que chez Danielsen il renvoie au plus haut niveau du beat de Lerdahl et Jackendoff. Cette absence de consensus,

57 L‘utilisation du terme « beat » est cependant quelque peu galvaudé et il peut parfois être difficile de cerner avec précision ce qu‘il désigne dans la littérature traitant des musiques populaires.

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traditionnelle dans le domaine de l‘étude du rythme, est ainsi décrite par Rainer Polak dans son étude du Jembe de Bamako (1998) :

The idea is that one infinite series of equidistant smallest time units forms an unconscious unilinear flow somewhere in or behind the minds of African musicians during their performance. This pulsation would screen or break down different aspects of organization of time like ensemble synchronization, pattern composition or overall rhythmic structure. The concept was elaborated as "Nennwerte" (Dauer 1966), "density referent" (Hood 114), "fastest pulse" (Koetting 1970), "valeurs opérationelles minimales" (Arom 1984) or "Elementarpulsation" (Kubik 1988). Note that the different concept of beat (which bundles two, three or four pulses) was confusingly termed "gross pulse" by Koetting (1970) and was misleadingly termed "pulsation" by Arom (1984). Conversely, Kauffman speaks of "common fast beat" referring to pulsation. This terminological diversity seems impractical and unjustified as all are definitely talking about the same thing.58

Pour ne pas déroger à la règle, nous souhaitons préciser notre choix terminologique et fournir les définitions qui éviteront toute confusion lors du chapitre dédié à l‘analyse.

3.1. Pulsation et unité Nous concevrons ici le terme « pulsation » comme la répétition du pulse de Danielsen, que nous appelons peu simplement « unité de la grille métrique » ou « unité de la SM », la plus petite unité construite sur la SM. Cette utilisation du terme « pulsation » contrevient à la définition proposée par François Picard59. Ce dernier, qui suit le chemin tracé par Arom, définit la pulsation comme un équivalent de ce que nous appellerons le tactus (voir plus bas).

3.2. Temps, tactus et tempo Le temps désigne un intervalle de durée qui constitue le repère privilégié pour la perception et la production musicale. Il est, en principe, fortement accentué par la SS lorsque la danse fait partie des visées du discours musical. Cette intervalle de durée n‘est généralement pas exprimé autrement qu‘en indiquant le nombre de ses répétitions par minute (tempo).

58 Citation provenant du document disponible à cette adresse : http://tcd.freehosting.net/djembemande/ microtiming.html (voir Polak, 1998). 59 Cette définition est fournie dans un document numérique au format « .pdf » disponible à cette adresse : http://www.plm.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/FPRythmes.pdf.

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Équivalent du beat de Butler, le tactus est l‘ensemble des accents qui expriment le niveau du temps sur la SS. Dans les musiques populaires, le tactus est généralement constitué par la grosse caisse et la caisse claire. Le tempo est la fréquence du tactus, et indirectement la durée du temps, exprimée en beats/battements par minute (bpm).

4. Sommaire Parmi les différentes définitions du rythme abordées ici, deux grands types d‘ambigüité rythmique ont été abordés. L‘ambigüité de groupement intervient lorsque plusieurs groupements rythmiques sont possibles et l‘ambigüité métrique se produit lorsque différentes structures ou hiérarchies sont envisageables pour le mètre. Tous les cas d‘ambigüité sont relatifs à une organisation musicale particulière où l‘organisation des accents amène l‘auditeur à faire un choix pouvant différer entre les écoutes. L‘ambigüité est donc une situation subjective qui est caractérisée par une phase de tension rythmique aboutissant à une phase de résolution (le choix). Comme l‘accentuation rythmique, le domaine du microrythme est capable de produire des situations ambigües. Bien qu‘il bénéficie de quelques descriptions sur ses effets possibles ou bien sur la manière de produire et organiser des micro-évènements, le domaine du microrythme est néanmoins relativement méconnu à ce jour. Une autre lacune des études sur le rythme concerne la terminologie dont nous avons proposé un éclaircissement. Nous avons ainsi distingué le microrythme classique, relatif aux microdéviations, des ensembles microrythmiques, tel que ceux qu‘il est possible d‘observer dans les œuvres d‘IDM. Enfin le terme « tactus » a été préféré aux termes « beat », « battement » ou « pulsation » pour décrire la manifestation concrète du niveau « principal » de la structure métrique, celui du temps.

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CHAPITRE II – TROIS ANALYSES D’ŒUVRES

1. Analyse de « To Cure a Weakling Child » 1.1. Introduction L‘objectif de la première analyse que nous allons mener est double. Premièrement, nous souhaitons établir une méthodologie d‘analyse qui soit adaptée au répertoire concerné. Celui-ci, qui regroupe les œuvres produites par Aphex Twin pendant sa deuxième période (1995-2001), comporte de nombreux ensembles microrythmiques qui n‘ont, jusqu‘à maintenant, jamais fait l‘objet d‘une analyse formelle. Le défi réside principalement dans l‘élaboration d‘une méthode qui inclut la transcription des évènements de manière à ce que les données récoltées puissent être exploitées et les formes musicales pertinemment décrites. L‘étape de transcription doit en conséquence être également adaptée à la récolte des données rythmiques, puisque nous souhaitons établir des liens entre les ensembles microrythmiques et les différents niveaux de la SR. Deuxièmement, nous poursuivons bien sûr l‘objectif de décrire l‘œuvre sur laquelle nous allons appliquer notre méthode d‘analyse. « To Cure a Weakling Child » est une œuvre très complexe rythmiquement, où la répétition est également omniprésente (enr. 3). Nous nous inspirerons donc de l‘analyse paradigmatique de Ruwet afin de découvrir, en comparant les équivalences, certains groupements suggérés par l‘organisation rythmique. Dans le même temps, nous découvrirons l‘emplacement, la forme et finalement la fonction des accents phénoménaux et structuraux de l‘œuvre.

1.2. Présentation de la méthodologie 1.2.1. Détermination de la forme préliminaire de l‘œuvre La première étape de toute analyse sera consacrée à une première détermination de la forme. Pour y parvenir, nous trouverons dans un premier temps le ou les tempi de l‘œuvre. En effet, il peut arriver que des changements de tempo ou que l‘organisation du matériel rythmique nous invite à reconsidérer le niveau du tactus (exemple : 80 bpm au lieu de 160, ou inversement). Les variations de tempo pourraient être progressives, auquel cas il faudrait établir une partie dont les limites se situeraient au début et à la fin de la progression. Chez Aphex Twin cependant, les changements de tempo, comme la grande majorité des

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changements opérés sur le plan rythmique, se font essentiellement dans la succession. Si nous choisissons le tempo comme premier paramètre de division de l‘œuvre, c‘est d‘une part parce que, dans un contexte où la majorité des évènements est strictement synchronisée à une SM parfaitement stable, les changements de tempo sont toujours le lieu d‘un changement important du point de vue rythmique. D‘autre part, les choix effectués dans les étapes suivantes de notre méthodologie reposent en grande partie sur la nature temporelle de l‘œuvre et il est donc, en conséquence, nécessaire d‘effectuer, au moins préliminairement, un découpage qui prenne en compte le comportement de l‘œuvre sur ce plan.

Il se pourrait qu‘aucune forme particulière ne se dévoile à partir de la discrimination des éventuels tempi de l‘œuvre. Il faudrait alors privilégier un découpage basé autant que possible sur les contrastes rythmiques avant de se référer au contenu mélodico-harmonique afin de faciliter les étapes suivantes et améliorer la pertinence d‘une analyse qui se veut essentiellement rythmique.

1.2.2. Définition du temps d‘analyse Ce que nous appelons « temps d‘analyse » est une fenêtre temporelle que nous allons déterminer et qui servira d‘unité pour la transcription. En effet, l‘objectif de la transcription est, comme nous l‘indiquions plus tôt, de reporter les ensembles microrythmiques ainsi que les éléments rythmiques. Comme nous le verrons lors de l‘étape de description de la méthode de transcription, celle-ci sera réalisée à l‘aide d‘un tableau où chaque colonne représentera un temps d‘analyse à l‘intérieur duquel nous inscrirons tous les évènements de la partie correspondante de l‘œuvre. Nous avons donc besoin que, d‘une part, les éléments rythmiques soient représentés sous la forme de motifs dont la durée est représentée relativement à celle de l‘unité définie. Nous voudrons alors, pour qu‘ils soient lisibles, que leur notation ne soit ni trop complexe, ni trop simple. D‘autre part, puisque les microsons sont généralement très nombreux et présentés sous la forme d‘éléments dupliqués plutôt que sous la forme de motifs, nous nous attacherons à simplement les dénombrer puis à indiquer le dynamisme à l‘aide d‘une typologie qui sera présentée plus loin. On voudra, par exemple, effectuer notre transcription du rythme sans avoir recours, dans l'idéal, à une notation constituée de triples croches. On voudra également éviter de rencontrer différents

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types de comportements rythmiques ou microrythmiques au sein de notre fenêtre d'analyse, mais aussi ne pas trop limiter la taille de celle-ci pour ne pas fausser la lecture dans le cas où les motifs ou ensembles seraient répartis sur trop d‘unités d‘analyse.

Une autre contrainte, qui va de pair avec les précédentes, est la séparation entre rythme et microrythme. Limiter les valeurs de la notation rythmique et trouver la bonne taille de notre fenêtre d‘analyse permettra de correctement séparer les données liées au rythme et celles liées au microrythme. Prenons comme exemple les premiers évènements de « Bucephalus Bouncing Balls » (Aphex Twin, 1997), œuvre pour laquelle on évalue naturellement un tempo à 168 bpm (fig.Figure 5 ci dessous).

Figure 5 - Premières secondes de « Bucephalu Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). En haut une division du flux musical à 84 bpm, en bas une division du flux musical à 168 bpm. Nous avons choisi de limiter notre explication à deux types de divisions, soit une où le temps d‘analyse (TA) serait égal à deux temps « naturellement » battus et une où le temps d‘analyse serait égal à un temps. Nous aurions pu explorer des rapports différents (1 TA = 4 temps ou 1 TA = 1/2 temps), mais ces deux seules possibilités seront suffisantes pour la démonstration.

1.2.2.1. Première possibilité (1 TA = 2 temps) Si nous ne fixons pas les valeurs de notre notation, nous obtenons un tableau difforme où non seulement la partie rythmique est illisible, mais aussi où rythme et microrythmes ne sont pas différenciés (fig.Figure 6).

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Figure 6 – Transcription des quatre premiers temps à 84 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball ». Les silences conventionnels ont été remplacés par des « notes vides ». Comme nous le voyons, il n‘est même pas nécessaire d‘indiquer le nombre d‘évènements, puisque chacun d‘entre eux est représenté. Nous voudrons alors limiter la valeur des durées rythmiques. Afin que notre choix soit le plus pertinent possible, il nous faudra nous baser sur les limites de fréquence du microrythme que nous avons établi à environ 20 e/s60. Sachant que la fréquence du TA est de 1.4 e/s (84 bpm), il nous faut connaitre la fréquence des types de subdivisions les plus courantes pour savoir quelles subdivisions nous allons décrire rythmiquement. Le tableau ci-dessous en fournit la liste :

A B 2 2.8 3 4.2 4 5.6 6 8.4 8 11.2 12 16.8 16 22.4 24 33.6 32 44.8 48 67.2 64 89.6

Tableau 1 – Tableau des fréquences d‘évènements par seconde à 84 bpm (B) en fonction de la subdivision du temps exprimée par ces derniers (A). Dans la colonne A se trouvent les subdivisions courantes du TA tandis qu‘en B se trouvent les fréquences de ces subdivisions en e/s. Nous remarquons qu‘à partir d‘une

60 Nous avons choisi cette limite pour plusieurs raisons. Nous voulions une valeur qui représente la présence indiscutable du microrythme tout en respectant les limites usuelles du rythme. Nous avons donc pris en compte la valeur départ de la disparition du mètre évoquée plus tôt (10 e/s), les limites de la motricité humaine constatée lors des exercices de frappes successives situées entre 20 et 30 e/s (voir http:// en.wikipedia.org/wiki/WFD_World's_Fastest_Drummer_Extreme_Sport_Drumming) et la fréquence des plus basses notes de musique instrumentale produites et entendues (environ 20 hz). Le choix de 20 e/s comme seuil du microrythme reste, malgré de telles justifications, relativement arbitraire mais néanmoins commode.

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subdivision par 16 nous sommes dans le domaine du microrythme. Dans le cas d‘un TA qui présenterait 16 évènements également répartis, nous indiquerions huit triples-croches dans la cellule dédiée au rythme et le chiffre « 16 » dans la cellule dédiée au nombre d‘évènements. Dans notre exemple, une transcription logique donnerait alors ceci :

Figure 7 – Transcription des quatre premiers temps à 84 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball » avec la prise en compte d‘une limite entre rythme et MR. Nous avons obtenu une dissociation entre les données liées au rythme et celles liées au microrythme61, mais la notation du rythme est encore trop complexe et un peu hasardeuse compte tenu de la trop grande diversité des configurations rythmiques possibles à l‘intérieur d‘une seule unité. Nous voudrions idéalement limiter notre notation à la double croche afin de ne pas nous retrouver, dans des passages plus riches, avec des unités d‘analyse illisibles. Cet objectif s‘atteint en réduisant la durée du ta.

1.2.2.2. Deuxième possibilité (1 TA = 1 temps) Encore une fois, si nous ne limitons pas les valeurs de durée de notre notation rythmique en fonction d‘une limite rythme/microrythme, nous obtenons un tableau (fig.Figure 8), certes plus satisfaisant que celui de la fig.Figure 6, mais bien plus problématique que celui de la fig.Figure 7Figure 7.

61 Avec une telle transcription, il est impossible de situer les microsons au sein de l‘unité, ce qui limite la qualité de l‘analyse. Nous verrons dans la partie sur la transcription les méthodes qui nous permettront de pallier à ce défaut.

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Figure 8 – Transcription des huit premiers temps à 168 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball ». En divisant par deux la duré des ta, nous divisions également par deux les durées des rythmes engagés dans la transcription rythmique, qui ne contiendra que des subdivisions par 2, 3, 4 ou 6. Nous obtiendrons alors un tableau tout à fait convenable (fig. Figure 9).

Figure 9 – Transcription des huit premiers temps à 168 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball » avec la prise en compte d‘une limite entre rythme et MR. La définition du temps d‘analyse, et donc la qualité de la transcription, dépend entièrement du tempo choisi pour le ta. En effet, 168 bpm semble être un tempo bien plus adapté que 84 bpm. En conséquence, si le tempo perçu de l‘œuvre avait été 84 bpm, notre TA aurait été égal à 1/2 temps. Comme le montre le tableauTableau 2 ci-dessous, ce n‘est qu‘à partir de 150 bpm que nous pouvons nous limiter aux doubles croches pour décrire le rythme car, dès lors que nous inscrivons des valeurs de triple croche (en binaire), nous entrons dans le microrythme. Cela signifie que, quelque soit l‘œuvre à analyser, le tempo d‘analyse doit essayer d‘être supérieur ou égal à 150 bpm62.

62 Notons qu‘encore une fois, ce choix a une part d‘arbitraire, puisque les limites du MR ne sont pas franches. Un tempo à 130 ou 140 bpm peuvent faire l‘affaire. Cette règle s‘applique surtout à partir des tempi qui gravitent autour de 10 e/s lorsque le temps est subdivisé par huit. Les tempi situés aux environs de 80 bpm

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Tempo Division (Bpm) Vitesse (e/s) Par 4 Par 8 Par 4 Par 8 70 280 560 4.666667 9.333333 80 320 640 5.333333 10.66667 90 360 720 6 12 100 400 800 6.666667 13.33333 110 440 880 7.333333 14.66667 120 480 960 8 16 130 520 1040 8.666667 17.33333 140 560 1120 9.333333 18.66667 150 600 1200 10 20 160 640 1280 10.66667 21.33333 170 680 1360 11.33333 22.66667 180 720 1440 12 24 190 760 1520 12.66667 25.33333 200 800 1600 13.33333 26.66667 210 840 1680 14 28 220 880 1760 14.66667 29.33333 230 920 1840 15.33333 30.66667 240 960 1920 16 32

Tableau 2 – Tableau des multiples de fréquences (tempo et évènements) en fonction du tempo. Cependant, une analyse du tempo des œuvres de la seconde période d‘Aphex Twin réalisée par nos soins démontre que ce dernier ne fait jamais usage d‘ensembles microrythmiques dans des œuvres qui ne se laissent pas facilement « battre » au dessus de 150 bpm. Cette valeur représente d‘ailleurs la valeur limite entre les œuvres « calmes » et les œuvres complexes sur le plan rythmique. Cette situation peut s‘expliquer par une démarche esthétique privilégiant un certain degré de proximité entre rythme et microrythme.

1.2.3. Dénombrement des évènements La deuxième étape consiste à dénombrer les évènements présents dans chaque temps d'analyse avec, si possible, une différentiation des groupes en présence. Par « groupe », nous faisons référence à un instrument ou type de timbre particulier. Une différentiation des groupes sonores permet une meilleure compréhension du contenu rythmique et des différentes interactions qui peuvent avoir lieu en son sein. A cette étape, il s'agit de réaliser un tableau dont chaque colonne représente un temps et chaque ligne un groupe identifié à l'écoute et confirmé à l'aide du spectrogramme. Pour chacun des groupes, pour lequel un label aura été choisi, un dénombrement sera effectué et reporté dans la case correspondante.

doivent préférablement voir leurs durées divisées par deux (1 ta = 1/2 temps) pour que la taille de la fenêtre soit adéquate.

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Un total sera ensuite réalisé et soustrait d‘un nombre correspondant aux superpositions constatées (exemple Tableau 3).

Temps (m:ss) 0:47

Cumul (TA) 128

Temps (TA) 1 Rythme GC n-4 Rythme CC

Rythme HH y-8 Rythme BZ

Evènements 12

Superpositions 3

Total 9

Tableau 3 – Exemple extrait du tableau de transcription réalisé pour l‘analyse de « To Cure A Weakling Child ». L‘extrait du tableauTableau 3 présente le 128e TA de « To Cure a Weakling Child » intervenant à 00:4763. Seuls deux groupes sont exprimés ; la grosse caisse (GC) et la charleston (HH). GC exprime un motif de deux croches pour une séquence totalisant quatre évènements. Une telle inscription indique que deux des évènements sont répartis également au sein de l‘unité (le premier au début et le deuxième en son milieu) et que les deux autres peuvent se situer n‘importe où excepté sur les positions inoccupées par le rythme. Quand l‘on sait que l‘artiste ne dispose pas ses éléments de manière aléatoire, mais selon une logique qui respecte avant tout la structure métrique, on devine, avec l‘habitude, relativement facilement l‘emplacement possible des deux évènements restants. HH exprime quant à lui un motif de quatre doubles croches pour une séquence totalisant huit évènements. L‘unité 128 est donc composée de 12 évènements dont trois superpositions (quatre évènements rythmiques et deux évènements microrythmiques). Le total du nombre d‘évènements se succédant est donc de neuf (fig.Figure 10).

63 Les indications temporelles (m:ss) figurant dans le tableau se situent sur chaque premier temps de cycle ainsi qu‘à divers endroits jugés utiles au repérage. Leur nombre est limité afin de conserver un certain degré de clarté.

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Figure 10 – Spectrogramme du temps sur lequel est porté la transcription du tableauTableau 3. On aperçoit les quatre coups de GC (3+1) grâce à l‘énergie du spectre qui se déploie verticalement depuis les basses fréquences, et les huit évènements de HH qui partagent également le temps avec des pics d‘énergie dans le haut du spectre.

1.2.4. Types d‘évènements Les flux d'évènements ne sont pas tous de la même nature. Certains, comme ceux de la voix ou des instruments mélodiques, ont une durée rarement inférieure à celle du temps d'analyse et font, de ce fait, de parfaits candidats pour une analyse contexturale dont les détails peuvent être fournis textuellement. Les autres, plus courts, sont généralement de nature fondamentalement rythmique et donc plus pertinents vis-à-vis de notre démarche de transcription. On reconnait généralement les évènements rythmiques sur le spectre par leur courte durée, l'importance de leur attaque ou encore les lignes verticales qu'ils dessinent. Le contenu MH est quant à lui généralement caractérisé par des durées plus longues, des attaques moins proéminentes, ainsi que par le dessin de lignes horizontales.

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1.2.5. Règles de transcription des évènements Pour que la transcription des évènements soit la plus pertinente possible, nous proposons un système de notation qui rende compte à la fois du nombre d'évènements, des motifs exprimés par le rythme, et de la distinction rythme / microrythme. Afin de permettre l‘extraction de telles données de sorte à ce que le résultat soit facile à transcrire et à lire tout en offrant la possibilité de déduire avec une assez bonne précision la répartition des évènements MR, nous avons imaginé un système composé de deux types de notations. La transcription du nombre d‘évènements s‘effectue en chiffres arabes tandis que la transcription du rythme, qui fournira également des informations concernant le microrythme, s‘effectue à l‘aide de la notation musicale occidentale traditionnelle dont le sens a été adapté à nos besoins.

Nous considérons chaque TA comme possédant quatre régions. La notation musicale sert à indiquer la présence d‘un évènement au début d‘une de ces régions, emplacement correspondant aux points de division par quatre du temps (fig.Figure 11). Le choix d‘une division exclusivement binaire n‘est pas sans raison. En effet, toutes les œuvres d‘Aphex Twin sont binaires, ce qui signifie que les premières subdivisions du temps, qui correspondent aux subdivisions rythmiques, seront nécessairement binaires. Comme nous l‘avons déjà observé avec l‘exemple de « Bucephalus Bouncing Ball », les régions sont quant à elles susceptibles d‘être sujettes à une subdivision ternaire.

Figure 11 – Exemples d‘occupation et de transcription des régions du temps. La durée des notes choisies n‘a pas d‘importance du moment que sa position demeure claire.

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Il se peut qu‘un évènement ne soit pas exprimé au début d‘une région, mais plutôt en son sein. Dans ce cas, nous agrémentons alors la note concernée d‘un tiret de soulignement pour signaler une éventuelle microdéviation (fig.Figure 12)

Figure 12 – Exemples de transcription pour des évènements décalés. Enfin, lorsque l‘emplacement de l‘évènement ne correspond à aucune des situations précédentes, nous précisons le nombre total d‘évènements sur le coté droit (fig.Figure 13). Ce type de transcription représente un nombre de possibilités relativement limité qui rend aisé la déduction des emplacements éventuels des évènements MR, puisque ces derniers seront répartis dans des régions déjà occupées par un évènement rythmique.

Figure 13 – Exemples de transcription pour des phénomènes MR. Le total du nombre des évènements n‘est donc pas l‘indication la plus précise concernant la présence de MR, puisqu‘en dessous de 5, il peut être la somme d‘éléments rythmiques et MR (ou rythmiques seulement). En revanche, l‘indication d‘un nombre dans les cellules rythmiques témoigne systématiquement de la présence d‘un ensemble MR d‘au moins deux évènements. Lorsque le dénombrement des évènements MR est impossible, le chiffre est alors remplacé par une étoile (*).

1.2.6. Règles de transcription du dynamisme Lorsque les ensembles MR comportent un nombre suffisant d‘évènements, ils sont susceptibles de bénéficier d‘un traitement qui leur confère un certain dynamisme. Nous avons choisi de classer l‘ensemble de ces traitements possibles en trois catégories. Le

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dynamisme d’intensité désigne les progressions d‘intensité entre les évènements d‘un même ensemble. Dans ce type de dynamisme, chaque évènement subit une altération d‘intensité sur l‘ensemble de son spectre. Le dynamisme de hauteur désigne les changements de timbre qui déplacent l‘énergie du spectre d‘un registre de fréquences vers un autre, au cours de la constitution de l‘ensemble. Dans ce type de dynamisme, l‘intensité est altérée à différents endroits du spectre pour chaque élément. Enfin, le dynamisme de fréquence désigne l‘augmentation ou la diminution des intervalles de temps séparant les différents évènements de l‘ensemble. Chaque type de dynamisme peut être qualifié dans le tableau de transcription de manière simple en indiquant à l‘aide des signes < et > s‘il s‘agit d‘une augmentation ou d‘une diminution.

1.2.7. Transcription des évènements rythmiques divers Il est possible d‘utiliser le tableau de transcription pour reporter des indications potentiellement utiles relatives au contenu MH. Le texte d‘une partie vocale peut être indiqué pour fournir une information supplémentaire sur l‘accentuation de la structure. De la même manière, les notes d‘une mélodie ou d‘une harmonie peuvent être reportées. Une telle démarche permet de repérer avec une certaine facilité les relations possibles entre le rythme, le MR et le contenu MH (exemple fig.Figure 14).

Figure 14 – Exemple extrait du tableau de transcription de « To Cure A Weakling Child ». 1.2.8. Interprétation des résultats Bien que l‘écoute et la lecture du spectre demeurent des supports essentiels lors de l‘étape de description qui suit celle de la transcription, les données ainsi récoltées permettent de nombreuses manipulations. La mise sous forme de graphique du nombre d‘évènements par temps offre, par exemple, un bon outil de description de l‘évolution de la densité des évènements au cours du déroulement de l‘œuvre. Le principal intérêt d‘un tel tableau réside néanmoins dans la possibilité de repérer les moments importants de la structure et de comparer les différentes unités pour chacun de ses niveaux. Ainsi pourront être mis en

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relation les courbes de densité, les ensembles rythmiques ou encore les types de dynamismes.

1.3. Analyse 1.3.1. Forme préliminaire de l‘œuvre Lors de la détermination du tempo de l‘œuvre, trois grandes parties se sont dégagées. La première partie, qui s‘étend de 00:01 à 02:10 (351 temps), exprime un tempo de 163 bpm. Elle est composée d‘une partie introductive de 63 temps, suivie d‘un développement rythmique caractérisé par son aspect périodique que confère l‘ajout progressif, par cycles de 32 temps, de différents groupes rythmiques et MH. La seconde partie s‘étend de 02:10 à 02:51. Principalement composée d‘un déferlement rythmique syncopé, son tempo est légèrement supérieur à celui de la première partie (167 bpm). La fin de la deuxième partie est caractérisée par un passage d‘indétermination métrique qui assure la transition vers le retour, à 02 :51, à une troisième partie à 163 bpm qui reprend le thème de la première partie (enr. 3, fig.Figure 15).

Figure 15 – Frise de « To Cure A Weakling Child » (Aphex Twin, 1996). Les différents traits horizontaux délimitent les bas niveaux de la structure et de la forme (parties A-B et cycles A0-A9). Quelques indications de temps sont fournies afin de faciliter le repérage. La forme que nous proposons à partir des variations de tempo est très clairement perceptible à l‘écoute. N‘importe quel paramètre pouvant servir de base à ce premier découpage aurait donné le même résultat. La partie B marque une rupture profonde avec le discours élaboré en A : le rythme est si complexe du point de vue de la répartition des accents que la perception d‘un éventuel tactus devient imprécise et incertaine. Nous laisserons de côté cette partie, puisqu‘il est question de découvrir les codes du discours chez Aphex Twin. Or la Partie B ne possède pas de niveaux apparents et l‘analyse de la répartition des accents amènerait au mieux à un modèle d‘altération de la perception du mètre qui pourrait, certes, être intéressant, mais qui nous renseignerait peu sur la SR de l‘œuvre.

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1.3.2. Temps d‘analyse et groupes Pour cette analyse, conformément aux règles qui ont été proposées plus haut, nous avons choisi un temps d‘analyse égal au temps perçu lorsque nous avons déterminé le tempo de l‘œuvre. Nous avons également identifié quatre groupes rythmiques différents qui feront l‘objet d‘une transcription rythmique et MR. La grosse caisse (GC, fig.Figure 16a) est caractérisée par la « boule » qu‘elle dessine dans les basses fréquences et qui se prolonge dans les médiums verticalement. Lorsque GC exprime du MR, il est souvent plus facile de se repérer à ce qui se passe au dessus de la « boule » pour des questions de visibilité. Malgré cela, il est parfois difficile de recenser tous les évènements. CC (fig.Figure 16b), dont la sonorité est analogue à celle d‘une caisse claire, est caractérisé par une forte énergie dans les médiums qui interfère avec GC. Les deux groupes ne sont cependant que rarement présentés ensemble. HH (fig.Figure 16c) est un son clair et aigu qui rappelle celui de la charleston. Il est généralement présenté par pairs. Enfin, BZ (fig.Figure 15d) est un groupe plutôt situé dans la partie médium du spectre. Toujours présenté par pairs, chacun de ces éléments dispose de deux pics d‘intensité séparés d‘environ 4000 Hz. Ces pics sont alternés et parfois légèrement déplacés à des fins mélodiques.

Figure 16 – Exemples de spectrogrammes des groupes GC (a), CC (b), HH (c) et BZ (d). 1.3.3. Partie A : description des cycles Notre tableau de transcription (voir onglets « A0-A9 » dans le fichier Excel en annexe 3) a été réalisé en nous basant sur notre écoute et une première vérification du spectrogramme.

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La partie A, que nous souhaitons analyser, semble divisée en deux sous-parties, une première faisant office d‘introduction sur 63 temps ainsi que neuf cycles de 32 temps. Nous avons donc choisi de baser notre transcription sur une division en 10 de la partie A. La première partie (A0) représente les 63 temps de l‘introduction, où le rythme n‘est pas encore élaboré. Les neufs parties suivantes (A1-A9) représentent les neufs cycles de 32 temps suivants. Nous allons, dans un premier temps, décrire les quatre premiers cycles dans leur ensemble, puis proposer une analyse paradigmatique des cycles A1-A9 en procédant selon Ruwet (du tout vers les parties), puis dans le sens inverse (des parties vers le tout). Il s‘agira de déterminer les niveaux de la SR et de décrire le comportement du rythme et du MR pour chacun des niveaux.

1.3.3.1. T.1-63 : introduction « To Cure a Weakling Child » débute par 63 temps introductifs ne comportant que très peu d'évènements courts. Le dénombrement des évènements rythmiques s'avère donc relativement succinct. Comme le montre A0 (00:01-00:24), on observe quelques temps où CC est répétée au niveau rythmique (t.24-27, 56-59) et MR (t.3, 35). Cette partie introductive est essentiellement dédiée à la présentation des premiers éléments MH dont fait partie la ligne vocale. Celle-ci est constituée d‘une voix semblant être celle d‘un enfant qui désigne tour à tour des parties du corps humain (« my feet, my arms and my ears, and your feet »). Les notes jouées par la voix ainsi que les deux instruments qui la supportent (do#, re#, fa, fa#, sol#, la#) n‘expriment aucune échelle ni contexte harmonique particulier64. Une telle indétermination du point de vue du système de hauteurs adopté, qui ressemble par ailleurs à un mode pentatonique « augmenté » d‘une sixième note, participe à l‘ambiance enfantine créée par le timbre et les textes de la partie vocale.

Bien que le contenu MH affirme le tempo dès les premiers temps, il participe également à une ambigüité de début. Les éléments vocaux, qui s‘imposent comme les éléments directeurs de la structure en l‘absence du rythme, sont présentés avec un temps de décalage par rapport au cycle en cours. On ne peut pas dire qu‘il s‘agisse ici d‘une ambigüité de groupement, puisque la SM reste relativement indéterminée : son début est proposé par MH1 et aussitôt concurrencé par la voix. La structure dessinée par la voix

64 Nous pourrions être en do# majeur, fa# majeur ou n‘importe quel mode qui inclut les notes concernées.

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semble être la norme au t.10 lorsque MH1 se synchronise avec cette dernière, mais l‘indétermination qui prend place dans les derniers temps du cycle efface notre perception de la SM avant de réitérer l‘ensemble.

Si rien n‘est à signaler du point de vue MR, notons toutefois la présence d‘une microdéviation d‘une valeur de 55 ms du mot « feet » sur t.4 (fig.Figure 17A).

Figure 17 – Spectrogramme des quatre premiers temps de « To Cure A Weakling Child ». Notons également le fait que A0 ne soit pas un cycle binaire, puisqu‘il se termine sur le 63e temps. Cette asymétrie est peu dérangeante, puisque la SM est mal définie à ce stade. Nous aurions également pu incorporer le silence du début de l‘œuvre, qui dure un temps et qui permet d‘obtenir un nombre de temps pairs pour le cycle A0. Cependant nous devons nous restreindre à commencer l‘axe du temps au premier accent phénoménal franc. Dans une situation éventuelle de progression (crescendo), le choix des limites et de leur description reviendrait à l‘analyste.

1.3.3.2. T.64-351 : Cycles A1-A9 1.3.3.2.1. A1 A1 (00:24-00:35) est caractérisé par l‘ajout de deux groupes : CC et BZ. Le départ de t.64 se fait par l‘introduction d‘un roulement de GC sous la forme d‘un ensemble MR pour lequel il est difficile de déterminer le nombre d‘évènements en présence. Cet ensemble possède une autre particularité qui n‘est remarquable qu‘en appliquant une règle sur le

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spectrogramme. Celui commence en effet plus tôt, un de ses évènements se situant environ 20 ms avant le début du temps. Par conformité avec notre méthode d‘analyse, nous avons indiqué l‘évènement en situation de déviation dans le temps précédent (t.63), tandis que le restant de l‘ensemble figure au t.64. L‘apparition de BZ, qu‘il n‘est pas évident de déceler à l‘écoute, est distinctement révélé par la présence de pics d‘intensité concentrés dans la partie médium/haute du spectre. Le groupe exprime par ailleurs deux types d‘ensembles MR sur l‘ensemble du premier cycle (A1). Soit il recouvre tout ou une partie du temps à une fréquence de 24 e/t65, créant ainsi un effet de quasi-continuité sur lequel est généralement appliqué un effet de dynamisme d‘intensité (crescendo), soit il se présente sous la forme de paires d‘évènements de même fréquence, provoquant ainsi un impact à la fois accentué et granuleux ressemblant à celui du fla66. CC produit le même type de figures rythmiques que celles observées pendant l‘introduction (A0) et est agrémenté de quelques passages MR à la dynamique contraire à celle de BZ (decrescendo). L‘alternance entre les ensembles MR exprimés par BZ et CC en milieu de cycle provoque un véritable effet gestuel qui appuie les bas niveaux de la structure en accentuant une éventuelle division par huit du cycle en cours. Le comportement de GC appuie quant à lui les limites du cycle en constituant une séquence rythmique et MR au dynamisme prononcé lors des derniers temps de celui-ci. Cette particularité contraste avec la manifestation du groupe au cours du cycle. GC semble être essentiellement prévu comme un élément de stabilité de la SR en caractérisant le niveau intermédiaire par l‘alternance et la répétition. Si on observe le comportement des superpositions, qui reflète, lorsqu‘elles sont nombreuses, des situations d‘occupation du spectre qualifiées par une grande richesse de timbres synchronisés sur le plan rythmique (ce que Krebs nommerait la consonance métrique), on remarque qu‘elles surviennent principalement au début de la seconde partie du cycle. Cette disposition affirme l‘établissement d‘une SR binaire où se succèdent moments forts et moments faibles sur différents niveaux, conformément aux poids de la SM.

D'un point de vue strictement MR, chaque flux possède son comportement propre. Bien que GC et CC voient leurs évènements ne se répéter que rarement au delà de 8 e/t, CC

65 Évènement(s)/temps. 66 Le fla est une technique de batteur qui consiste à frapper un tambour (habituellement la caisse claire) avec les deux baguettes en s‘assurant de décaler très légèrement dans le temps le deuxième coup. L‘écart de temps entre les deux évènements se trouve sur l‘échelle du MR.

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respecte la structure métrique et ses subdivisions standards (binaires), tandis que la fréquence de GC semble plus libre dans ses variations. Le MR exprimé par BZ est quant à lui particulier à bien des égards. Tout d'abord, les évènements, très courts ne sont pratiquement jamais présentés seuls. Leur vocation n'est donc pas rythmique, mais bien microrythmique, puisque malgré le fait que l'on puisse isoler chacun d'entre eux, ce n'est que réunis en ensembles qu'ils acquièrent une forme analysable. Les évènements de BZ seront généralement regroupés par paires et occasionnellement selon ses multiples. Contrairement à GC et CC, la fréquence de BZ ne varie pas (24 e/t); seuls le nombre et la disposition des éléments seront sujets à changement. Enfin, la fréquence de BZ est le fruit d‘une subdivision ternaire de la SM et qui se trouve par ailleurs être un multiple commun de la division binaire.

A moins d'être sujet à des variations que la durée ou le registre peuvent rendre imperceptibles, GC conserve son intensité, sa hauteur et sa vitesse dans la plupart des ensembles MR qu'il constitue. Cependant on observe occasionnellement un dynamisme d'intensité (t.1, t.25) et surtout une modification du timbre accompagné d'une variation de chaque classe de dynamisme au dernier temps de la séquence. Sur le plan de CC, on n'observe aucun autre dynamisme que celui opéré sur l'intensité. Les variations d'intensité sont, par ailleurs, pratiquement systématiques lorsque le flux passe dans le domaine du MR. Les exceptions surviennent dans les derniers temps de la séquence, participant ainsi au chaos léger qui caractérise t.28-32.

Lorsqu'il constitue de grands ensembles, le pic bas d‘intensité du spectre de BZ alterne entre deux fréquences situées aux alentours de 700 Hz et 800 Hz, tandis que le pic haut du spectre alterne respectivement entre ~5000 Hz et ~6000 Hz. Ces deux types d'évènements en côtoient deux autres dans des ensembles plus réduits (ex : t.22-24). Ces derniers ont un pic bas en commun (~1150 Hz) et chacun un pic haut (~4000 Hz et ~4750 Hz) qui sera lui aussi alterné. Cette variation forme une pseudo-mélodie qui accompagne assez subtilement les flux mélodico-harmoniques67. Comme nous l'avons déjà mentionné, la fréquence de BZ ne varie pas et demeure à 24 e/s. Un crescendo est cependant appliqué

67 Les variations de hauteur de BZ sont remarquables aux t.15-19 et t.22-24.

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aux grands ensembles, amenant progressivement le faible niveau d'intensité des premiers évènements au niveau nominal que l'on retrouvera sur tous les ensembles plus réduits.

1.3.3.2.2. A2 A2 (00:35-00:47) marque le retour d‘une manifestation presque identique de GC et CC, la disparition de BZ, et l‘intégration, au t.25 (tt.120), du groupe HH. L‘absence de BZ diminue fortement la présence d‘ensembles MR au sein de ce cycle. Cet aspect change lors des huit derniers temps au cours desquels l‘apparition de HH fait croître le nombre des évènements ainsi que le nombre de superpositions. Cette fois-ci, les superpositions provoquent une tension qui contraste avec un contexte rythmiquement calme. Cette tension ne provient pas seulement de l‘augmentation du nombre de superpositions, mais également de leur origine, puisque l‘introduction de HH avant la fin du cycle crée un déphasage de strate (huit temps) qui affecte la perception de ce dernier. On constate que HH est systématiquement associé à un phénomène MR, puisqu‘il est utilisé pour séparer, au gré des temps, les régions par deux.

1.3.3.2.3. A1-A9 : analyse paradigmatique Si nous voulons pratiquer une analyse paradigmatique de cette partie de l‘œuvre, nous devons établir une règle de division. Ruwet préconise une démarche orientée depuis le tout vers les parties lorsqu‘il propose, pour l‘analyse du prélude de Pelléas (Ruwet, 1972), de prendre « pour principe d‘établir une "grande division" chaque fois que réapparaît un motif mélodique déjà présenté auparavant ». Cette consigne n‘est pas claire, puisqu‘il faudrait alors préciser le niveau du motif qui sert de base pour la division. Dans le cas de Ruwet, il s‘agit d‘un répertoire (Debussy) où les répétitions sont des formules évidentes d‘un nombre réduit de mesures. Dans le cas de « To Cure A Weakling Child », la taille des formules où la répétition est évidente est de 32 temps de A1 à A9. A ce moment-ci de l‘analyse, il nous faut trouver un moyen de diviser notre motif. Il faut alors modifier nos critères de répétition afin d‘obtenir des groupes ayant une similarité suffisante pour la nouvelle division. C‘est de cette manière que nous allons procéder dans un premier temps. Nous allons ensuite tenter une analyse « des parties vers le tout », en prenant soin de comparer les unités équivalentes du point de vue de leur position dans le cycle (ce qui complète effectivement l‘élucidation

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préalable d‘une unité de bas niveau, un « grand motif », qui sert d‘unité de référence pour la détermination du groupement basé sur la répétition).

Pour l‘analyse du tout vers les parties (voir onglet « Équivalences 1 » dans le tableau de transcription), nous avons superposé l‘ensemble des cycles A1-A9 pour chaque groupe afin de trouver des critères suffisamment pertinents pour de futures divisions. Chaque changement paramétrique (présence/absence d‘évènements) à été surligné en bleu tandis que les changements discursifs, basés sur les critères non paramétriques que sont les positions rythmiques (relatifs à la transcription par régions de temps) et la densité MR (exprimée par la notation en chiffres arabes dans chacun des temps), ont été surlignés en bleu et encadrés en noir. Les temps correspondant à A1 n‘ont pas été surlignés en raison du fait qu‘il s‘agit de notre cycle de référence dans le processus de répétition de la SR. BZ est le groupe qui observe le plus grand taux de changements (30.64 % de l‘ensemble des temps) bien qu‘il fasse partie de ceux, avec HH et CC, où les changements sont majoritairement dus à des changements d‘états entre la présence ou l‘absence d‘évènements. C‘est GC qui présente le plus grand taux de changements discursifs (40.32 % du nombre de changements), mais aussi le plus grand nombre de changements sur le plan rythmique. Contrairement aux autres groupes, le MR de GC est très peu affecté par la discursivité, ce qui paraît évident, puisque GC est un groupe essentiellement rythmique. Il ne semble pas, par ailleurs, y avoir une logique de tension/détente dans l‘interaction MR/SM, puisque le MR survient aussi bien sur des temps forts (t.1, t.25, t.29) que sur des temps faibles (t.12, t.22-24, t.32). Celui-ci balise néanmoins le niveau des cycles en augmentant la densité des limites (t.1, t.32) de chacun d‘entre eux. CC, qui est aussi un groupe essentiellement rythmique, a une fonction d‘appui de la SR. Les changements discursifs sont peu nombreux (huit) et les motifs constitués de noires et croches. Bien que le MR s‘exerce peu sur les temps forts, on constate qu‘un pic de densité intervient au milieu de la structure (t.17-19), occupe un espace laissé à l‘abandon par GC, mais affirme une division par deux du cycle. CC renforce donc rythmiquement la structure intermédiaire en complétant GC (ce phénomène ne s‘observe pas qu‘aux t.17-19, mais aussi d‘une manière générale sur l‘ensemble du cycle), et renforce, par le biais du MR, la structure de bas niveau en suggérant une division par deux de celle-ci.

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HH et BZ sont quant à eux des groupes principalement caractérisés par leur manifestation sous forme de MR. HH a un statut particulier puisque la totalité des changements discursifs qui l‘affectent sont de nature rythmique, tandis que quatre seulement (sur neuf) sont de nature MR. Un tel phénomène s‘explique du fait que les évènements de HH sont presque toujours présentés par paires lorsqu‘ils expriment le MR, ce qui ne laisse pas plus de six possibilités de changement de densité du MR (pour quatre possibilités de densités : 2, 4, 6 ou 8 évènements68). Comme pour GC, une pause est observée aux temps qui précèdent la subdivision du cycle (t.14-16) et il ne semble pas y avoir de logique précise concernant la répartition des ensembles MR. BZ est moins liée au rythme que HH. Une grande partie de ses changements discursifs ont lieux à la fois sur le plan du rythme (73.33 % de l‘ensemble des changements) et du MR (80 % de l‘ensemble des changements). Encore une fois, la répartition des ensembles MR ne semble pas correspondre à une logique particulière, excepté le cas des deux temps (t.13-14) pour lesquels nous avions déjà évoqué la fonction potentiellement gestuelle introduisant la fin de la première partie du cycle.

Dans l‘ensemble, on remarque que les différents cycles ont une forme très similaire. Le degré de répétition est très élevé sur le plan rythmique comme sur celui du MR, ce qui rend pertinent un groupement par 32 temps, mais annule l‘intérêt d‘éventuels groupements des niveaux supérieurs en l‘absence d‘autres critères de divisions que celui de la répétition. La répartition des accents rythmiques et MR n‘offre pas beaucoup d‘indices sur l‘organisation de la structure excepté à l‘endroit de la subdivision binaire du cycle de 32 temps (t.17) qui est, selon les groupes, préparée ou appuyée par deux types de comportements en parfait contraste : l‘absence totale ou la haute densité des évènements. Le dynamisme des ensembles MR tend à coïncider avec les moments clés de la SM sans pour autant établir de liens logique avec elle. On remarque par exemple que CC est en augmentation d‘intensité lorsqu‘il marque le début de la deuxième partie du cycle, tandis que GC et CC sont en augmentation de l‘intensité lorsqu‘il s‘agit de marquer t.25. Dans le cas de « To Cure a Weakling Child », les dynamismes sont presque exclusivement portés sur l‘intensité générale des évènements concernés. On trouvera dans d‘autres œuvres des

68 Nous avons compté plus d‘évènements aux t.8-9, raison pour laquelle nous précisons que la règle des pairs n‘est observée que « presque » toujours.

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modèles de dynamismes beaucoup plus complexes. Ici nous sommes, de plus, confrontés à la répétition parfaite, sur 32 temps, d‘un unique patron de dynamismes employé.

Le graphique du nombre total d‘évènements par temps présenté ci-dessous (fig.Figure 18), montre le comportement de l‘ensemble des cycles.

Courbes TCWC Evènements

25

20

15

10

5

0 Temps 0 5 10 15 20 25 30

Figure 18 – Graphique représentant le nombre d‘évènements par temps pour chacun des cycles (courbes colorées). Du point de vue de la forme globale de la progression du nombre d‘évènements, on distingue clairement deux phrases jointent par un point de convergence sur t.17. Celui-ci marque la division du cycle en deux parties égales semblant être en miroir dans la distribution des degrés de similarité. La courbe des superpositions (fig.Figure 19) montre trois pics de superpositions où se rejoignent les cycles similaires sur ce plan. Notons que la division par deux est appuyée par un nombre élevé de superpositions qui concernent quatre cycles sur neuf. Deux autres pics sont également présents sur des temps forts de la structure

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(t.5, t.21). Un tel phénomène montre une certaine constance dans la synchronisation des accents de l‘ensemble des groupes aux endroits importants de la SM.

Courbes TCWC Superpositions 12

10

8

6

4

2

0 Temps 0 5 10 15 20 25 30

Figure 19 – Graphique représentant le nombre de superpositions par temps pour chacun des cycles (courbes colorées). On observe, par ailleurs, de nouveau la présence de deux phrases assez proches entre elles du point de vue de l‘organisation de leurs similarités. On retrouve donc, dans ces graphiques, la division binaire déjà suggérée par les organisations rythmiques et MR des t.16-17, caractérisées par le contraste important des motifs de chaque groupe. L‘organisation des dynamismes appuie également une telle division. On aperçoit sur les courbes que, contrairement à la subdivision du cycle (t.17), les limites de ce dernier sont caractérisées par des tendances opposées. Le temps 32, qui représente un temps faible, au même titre que t.16, est caractérisé par la convergence et donc la similarité, tandis que t.1, qui est un temps fort au même titre que t.17, est caractérisé par une dissimilarité totale. Les passages où la dissimilarité est la plus importante sont le lieu d‘une discursivité de bas niveau à laquelle participe l‘évolution du nombre d‘évènements lors de la succession des

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cycles de la partie A. En effet, le nombre d‘évènements et le nombre de superpositions augmente au cours du temps et atteint son maximum durant les cycles A4-A7, avant de diminuer fortement dans les deux derniers cycles.

Nous avons voulu trouver un autre critère de division afin de parvenir à identifier d‘éventuels niveaux supérieurs. Pour cela, nous avons décidé de procéder des parties vers le tout, en prenant, comme unité de motif, le temps. Nous avons alors identifié les récurrences le long de la chaine syntagmatique afin de déterminer les tailles des premiers niveaux de groupement potentiels. En parcourant la chaine syntagmatique de GC, on trouve un niveau de répétition d‘un intervalle de huit temps avec le retour du premier motif de croches, ou un niveau de répétition d‘un intervalle de deux temps avec la récurrence de la croche en syncope. Aucune de ces divisions ne semble cependant offrir d‘informations suffisamment pertinentes sur le groupement. La même démarche appliquée à CC ne donne pas non plus de résultat efficace et favorise un groupement de 32 temps. Une observation du comportement de ce cycle montre néanmoins un phénomène d‘alternance entre les temps qui pourrait inviter à un groupement par deux. La comparaison de ces segments (voir l‘onglet « Équivalences 2 » dans le tableau Excel de l‘annexe 3) fait ressortir, pour ce groupe, un type d‘organisation du cycle qui ne parait pas de manière évidente sur le premier tableau comparatif. On remarque une nouvelle structure basée sur des phrases au nombre de temps variable, et de la forme ATBABT. Elle est composée de six unités caractérisées par l‘alternance en A (avec l‘absence d‘évènement sur chaque première partie), une unité de transition sans contenu (T), trois unités de développement rythmique et MR (B), un retour de A sur deux unités, le retour de B, puis une dernière unité de transition (T). C‘est la répétition des ensembles MR qui suggère fortement un groupement de HH en unités de quatre temps, dont la comparaison confirme le respect d‘une subdivision du cycle par huit. BZ, caractérisé par la grande variété de ses motifs, n‘offre aucune opportunité de groupement autre que celui de la taille du cycle.

Chaque groupe représente donc un type de groupement différent. Dans le cas de GC, deux phrases partagent asymétriquement les cycles (t.1-16 et t.20-32), tandis que l‘organisation de CC crée à l‘intérieur de ces derniers une forme composée de deux types de phrases en alternance. HH respecte la SM en proposant une subdivision binaire des

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cycles, tandis que BZ affirme le premier niveau de ces derniers. Le MR, qui est notamment impliqué dans la division synchrone de HH, participe à la définition de la structure d‘une part parce qu‘il est l‘un des principaux constituants du comportement de la densité et des superpositions et, d‘autre part, parce que la disposition des ensembles autour du t.17 prend part au phénomène de convergence en faveur d‘une corrélation SS/SM.

1.3.3.2.4. Effets Bien qu‘il n‘y ait que peu de variations inter-cycles, les différents groupements ainsi que le dynamisme général du nombre d‘évènements semblent jouer un rôle dans le fait que nous ne percevons pas les cycles comme une succession monotone de motifs rythmiques. Un autre facteur entrant en jeu dans ce phénomène est l‘utilisation d‘effets sur les ensembles MR. Sur A1, un filtre semble être appliqué sur un évènement répété quatre fois (bien que l‘effet empêche la perception de la succession) au t.31 et sur l‘ensemble qui s‘accélère, du point de vue de la fréquence, dans le temps suivant (t.32). La séquence aboutit à la perception de GC dans la terminaison de l‘effet de filtrage sur le t.1 du cycle suivant. Nous avons donc reporté un dynamisme appliqué à du rythme et MR exprimé par GC, cependant, l‘effet provoque un effet discursif qui renforce un groupement en 32 temps. Au cycle suivant (A2), un effet, qui fait penser à une réduction des paramètres de l‘échantillonnage, est appliqué sur les fréquences basses et moyennes du spectre, incluant notamment GC et la voix. Celui-ci dure 16 temps avant d‘être interrompu, partageant ainsi de manière égale le déroulement du cycle. Dans A3 (00:47-00:59), c‘est la dernière région du dernier temps qui est inversée, tandis qu‘en A4 (00:59-01:11), un nouveau filtre est appliqué aux évènements rythmiques et MR de l‘ensemble du t.15 au t.19, soulignant une fois de plus le passage d‘une partie à l‘autre du cycle. A5 (01:11-01:23) est également sujet à un effet proche de celui du filtrage sur BZ et CC du t.2 au t.9, ce qui ne donne pas d‘information particulière sur la structure. Un dérivé de cet effet (mêmes groupes, plus dans les aigus) est appliqué aux t.2-8 d‘A6 (01:23-01:35). A7 (01:35-01:47) ne contient pas d‘effet excepté celui produit par l‘absence de GC sur t.3-10, tandis que le pénultième A8 (01:47-01:58), qui marque le début du dénouement de la partie A, comporte un effet de filtrage à la dynamique aléatoire (du moins, en apparence) sur l‘ensemble des groupes rythmiques aux temps t.2-11. A9 (01:58-02:10) est quant à lui marqué par la présence d‘un petit nombre d‘évènements accompagnés des inversions du contenu MH. Les effets jouent la plupart du

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temps un rôle structurel qui participe, avec les autres types d‘accents, à la perception d‘un ensemble de cycles de 32 temps. Cette stabilité est rompue lorsqu‘est présentée la partie B.

1.4. Synthèse L‘analyse de la partie A de « To Cure A Weakling Child » montre une organisation rythmique hautement codifiée qui met l‘emphase sur une conception instrumentale de l‘arrangement (les groupes) et sur le respect d‘une structure binaire qui, à haut niveau, intègre une subdivision ternaire (le niveau de la division du temps par 12). La répétition des motifs rythmiques ainsi que les effets qui leurs sont appliqués participent à l‘affirmation d‘un groupement de référence d‘une durée de 32 temps. Ces cycles sont organisés de différentes manières selon les groupes, puisque certains sont en phase avec les accents de la SM, tandis que d‘autres proposent une forme dissymétrique en déphasage avec ces derniers. Cette polyrythmie de bas niveau crée un phénomène d‘ambigüité qui dynamise le discours musical, en opposant à la régularité des cycles, la dissymétrie de leurs niveaux supérieurs. Le MR joue un rôle structurel principalement parce qu‘il tend à appuyer les moments importants de la SM. Il peut se manifester sur des temps forts ou faibles sans pour autant que nous trouvions un quelconque lien de préférence avec un ou des types de dynamismes. Nous ne pouvons donc pas établir, à ce stade, de hiérarchie des ensembles MR sur la base du dynamisme, ni, d‘ailleurs, sur la base de la fréquence qui ne semble obéir à aucune loi particulière. Cependant, les temps caractérisés par un grand nombre d‘évènements, phénomène auquel le MR participe pour beaucoup, produisent, au même titre que les effets, des accents qui définissent le cycle et sa première subdivision. La complexité rythmique d‘Aphex Twin ne provient pas uniquement de la variété ou de la fréquence des motifs, de même que les dissymétries de la SR, qui, contrairement aux cas étudiés avec « Windowlicker » et « Bucephallus Bouncing Ball », n‘impliquent pas nécessairement la totalité des strates. Les ensembles MR et les effets jouent le rôle d‘accents ponctuant les groupements en léger déphasage avec les accents métriques. Les accents phénoménaux affirment quant à eux la SM. D‘une part, chaque groupe timbral possède une fonction précise qu‘il occupe avec une grande régularité. D‘autre part, les nombreuses syncopes interviennent dans un contexte de haute densité d‘évènements et d‘extrême précision qui confère une certaine légitimité aux positions faibles jusque dans les hauts niveaux de la SR. Ils participent cependant à une relative ambigüité de groupement de

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bas niveau entre les différents groupes timbraux. Excepté en début d‘œuvre, « To Cure A Weakling Child » n‘est pas sujette à l‘ambigüité métrique. Nous allons analyser ce type d‘ambigüité dans la partie suivante réservée à l‘étude de « Cock/Ver10 ».

2. Analyse de la forme préliminaire de la forme de « Cock/Ver10 » 2.1. Introduction L‘analyse de la forme préliminaire de la forme de « Cock/Ver10 » constitue la première partie d‘une étude en deux parties de cette œuvre. Dans la présente section, nous souhaitons nous attarder sur la première étape de notre méthodologie, qui consiste à déterminer la forme de l‘œuvre en fonction du tempo de celle-ci. Il s‘avère en effet qu‘à l‘écoute, l‘interprétation du tempo de certaines sections permet plusieurs choix possibles. En l‘occurrence, il pourrait être défini à 170 ou 85 bpm69. De plus, la répartition et parfois l‘absence des accents dans les différents moments de l‘œuvre invitent à reconsidérer notre perception du tempo à une vitesse doublement supérieure ou inférieure, selon les contextes. C‘est pourquoi nous proposons de déterminer la forme de « Cock/Ver10 » en nous basant sur les concepts d‘indétermination et d‘ambigüité du mètre que nous avons abordés plus tôt.

2.2. Analyse de la forme : ambigüité et indétermination Comme c‘est très souvent le cas dans les œuvres d‘Aphex Twin70, « Cock/Ver10 » contient différents « moments » rythmiques parfaitement délimités et analysables séparément. La répartition des blocs rythmiques (les moments), contribue à un partitionnement dynamique de l‘œuvre tel que nous pourrions l‘observer dans la musique classique71 (enr. 4).

Figure 20 – Spectrogramme de la forme préliminaire de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001).

69 Cette ambigüité perceptive se confirme par ailleurs lorsque nous utilisons des logiciels de détection de tempo qui se basent généralement sur des algorithmes de détection des transitoires. Selon les modèles, le tempo détecté est égal à 85 bpm ou 170 bpm. 70 Notre analyse de « To Cure a Weakling Child » en fournit un bon exemple. 71Nous pensons notamment aux variations de tempo entre les mouvements de la symphonie ou les thèmes de la sonate.

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Ce partitionnement peut être perçu comme une alternance de moments plus ou moins calmes rythmiquement ou sur le plan de l‘intensité (fig.Figure 20, « 1 »). Il peut également se porter sur le contenu MH, ce qui établirait une forme d‘œuvre morcelée par l‘alternance des thèmes (fig.Figure 20, « 2 » et « 4 »). Partant de l‘hypothèse selon laquelle segmenter l‘œuvre à partir des possibilités de perception du tactus permettrait d‘obtenir une forme préliminaire pertinente dans un contexte d‘analyse rythmique, nous avons choisi d‘identifier et caractériser les parties contrastées du point de vue de la perception métrique, afin d‘obtenir une forme dont nous discuterons la pertinence. Notre analyse donne le tableau présenté ci-dessous (Tableau 4).

Label Début Tempo (bpm) Principe A 0:00 170/85 Indétermination B 0:12 170 C 1:08 85 D 1:19 85/170 Ambiguïté E 2:21 85 F 2:52 85/170 Ambiguïté G 3:26 85/170 Indétermination H 3:55 170 I 4:44 0 Indétermination

Tableau 4 – Tableau de la forme préliminaire de l‘œuvre à partir des concepts d‘ambigüité et d‘indétermination. Le tableau ci-dessus fait l‘inventaire des neuf grandes parties de l‘œuvre déterminées sur la base de leurs qualités rythmiques (également représentées sur la fig.Figure 20, « 3 »). La première partie, ou premier bloc, fait référence à une partie introductive où le mètre est constitué par la répétition d‘un événement bref situé dans le haut du spectre et faisant penser à un coup de charleston fermé (HHC). Bien que sa fréquence soit de 170 bpm, il est tout à fait possible de regrouper les évènements par deux et ainsi percevoir un tempo à 85 bpm. Nous sommes dans un cas typique d‘indétermination de la SM, puisqu‘aucune information sonore n‘invite à découvrir un niveau particulier de la structure métrique. Nous avons déterminé le tempo du bloc B à 170 bpm car celui-ci nous semblait naturellement être à cette valeur. Cela s‘explique en grande partie par le nombre et la fréquence des évènements, qui à été occasionnellement multiplié par deux ou quatre. On distingue ainsi plusieurs niveaux dans la SR. Les évènements à plus faible intensité (HHC et autres) constituent le niveau le plus élevé (4 e/t ) tandis que les évènements à plus forte

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intensité (grosse caisse et caisse claire, que l‘on notera respectivement GC et CC) constituent les niveaux plus bas du rythme (0.5, 1 et 2 e/t).

Malgré tout, on constate une ambigüité dès le premier temps. CC, habituellement réservé aux temps pairs, est ici placée sur les temps impairs. Cela a pour effet de créer une « ambiguïté de début » puisque nous ne nous attendons pas à une introduction de la batterie sur CC, mais plutôt sur GC, qui marque habituellement le premier temps. Sans distinction faite sur le timbre, le plus bas niveau possible du tempo devient 170 bpm. Si on se fie aux positions occupées par le rythme de ce passage, on s‘aperçoit que l‘organisation des pauses forme un ensemble de phrases qui commencent toutes par GC. Les ruptures générées par les pauses (exemple : l‘indétermination temporaire des temps 6 et 7) permettent de régler le « conflit du début » en offrant la possibilité de réévaluer le départ du discours rythmique. En faisant commencer le groupement avec GC, on retrouve la logique des temps impairs/pairs du duo GC/CC qui favorise la perception d‘un tempo à 170 bpm (fig.Figure 21). Ce cas est intéressant puisque, contrairement aux phénomènes de déphasages, la séquence rythmique de la mes. 1 à 15 respecte les positions initialement proposées par la première mesure. Ce n‘est qu‘en aménageant un contexte de phrases par l‘abolition du groupement qu‘Aphex Twin affirme la phase de l‘ensemble. Cependant, le jeu de la cymbale (CY) avec GC et CC lors de la mes. 17 clôt une courte transition vers un changement de phase du rythme. La mes. 17 est un passage marqué par l‘ambigüité au cours duquel un jeu de permutations fait passer CC des temps impairs aux temps pairs. Lorsque la transition prend fin (mes. 18), les temps autrefois occupés par CC le sont désormais par GC et vice versa. D‘un point de vue syntagmatique, les phrases rythmiques ont été décalées d‘un ou de trois temps, respectivement vers la droite ou vers la gauche.

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Figure 21 – Transcription des premières mesures du Bloc B. En A apparaissent les principaux coups de GC, en B, CC et en C, une apparition de la charleston (HH). Bloc C agit comme une partie de transition où le rythme s‘efface. La structure métrique est alors dessinée par le contenu mélodico-harmonique pendant un court moment avant d‘être appuyé par HHC. L‘emphase est ici mise sur une fréquence deux fois inférieure à ce qui était suggéré auparavant, soit un tempo à 85 bpm. Même lorsque HHC accélère, la mélodie supporte le tactus en faisant succéder les notes fidèlement à celui-ci. Deux procédés sont utilisés; le changement de hauteur ainsi que la variation d‘intensité (voir le spectrogramme ci-dessous).

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Figure 22 – Spectrogramme du bloc C. En A les variations de hauteur de la mélodie et en B les variations d‘intensité. À la fin du bloc, HHC décrit un ensemble MR annonçant le passage à une nouvelle séquence rythmique, le bloc D. Celui-ci répond aux standards rythmiques décrits plus haut, à savoir l‘alternance GC/CC sur les temps respectivement impairs et pairs. Une relative ambigüité fait alors son apparition. Le premier temps, qui s‘inscrit dans la logique métrique établie lors du bloc précédent, est suivi à une vitesse double (170 bpm) d‘un coup de CC, lui-même suivi d‘un temps vide, puis d‘un nouveau coup de CC. Notre attention ainsi portée sur la périodicité de CC nous invite à considérer un tempo à 85 bpm décalé d‘un temps à 170 bpm72. Cette invitation est toutefois contrebalancée par le contenu mélodico- harmonique, qui appuie les temps impairs (dans la continuité du comportement observé au bloc précédent), et HHC qui pallie l‘absence relative de GC. Au niveau des intensités, on ressent une certaine prédominance de CC qui s‘impose presque comme élément directeur

72Par là nous entendons : « nous sommes invités à évaluer le tempo à partir des apparitions de CC ». On peut contester une telle approche et considérer le temps qui précède celui de CC, comme le temps de référence pour le tactus, qu‘il soit sonore ou non. Cette situation, de l‘absence de GC sur le 3eme temps n‘est pas nouvelle puisqu‘elle s‘était présentée à de nombreuses reprises pendant les premières mesures analysées du bloc B. La différence essentielle dans le cas du bloc D, est le contraste de la caisse claire avec les autres éléments rythmiques. La grosse caisse perd également de son intensité.

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du rythme. Au fur et à mesure du déroulement de la séquence, le rôle de CC est renforcé par l‘expression d‘un rythme où GC se trouve être majoritairement syncopé. Cette tendance à une perception suggérée du tempo sur les temps de la caisse claire (impairs), qui est assez commune chez Aphex Twin et d‘une manière plus générale dans la drum‘n‘bass, se confirme sans ambigüité possible lorsque le bloc E est introduit. Le bloc F est quant à lui un retour à un certain degré d‘ambigüité métrique. GC joue un rythme simple contenant une syncope, tandis que CC est complexifié. Le rythme est indiqué dans le tableau suivant :

Figure 23 – Extrait du rythme de GC et CC dans le bloc F. On remarque que le deuxième impact de CC est, à cette vitesse, suffisamment proche du troisième temps (88 ms) pour créer un poids sur celui-ci et motiver la prise en compte d‘un tempo à 170 bpm73. CC reste toutefois un élément saillant qui bénéficie d‘un contexte où il ordonnait un tempo à 85 bpm. Ce contexte a cependant été en partie « rompu » sur le premier temps du bloc, puisque celui-ci est en décalage d‘un temps (à 170 bpm) par rapport au groupement rythmique du bloc précédent (85 bpm), intervertissant GC et CC. Le bloc F est ensuite suivi par un bloc d‘indétermination métrique semblable à celui présenté au début de l‘œuvre. Le contenu purement rythmique y est réduit aux répétitions de HHC et le contenu MH n‘y joue aucun rôle précis. Il ne constitue qu‘un passage de transition vers le « climax » de l‘œuvre. Le bloc H, qui constitue le point d‘orgue de l‘œuvre, est la partie la plus dense, la plus riche, et la plus intensive de toutes. Dès les premières secondes, l‘emphase est mise sur les deux premiers temps à 170 bpm, forçant une appréciation du tempo à cette vitesse. CC, qui ne contraste plus avec les autres éléments, occupe les temps 3, 6, 9 et 12, ce qui, avec GC intervenant sur les temps 1, 2, 7 et 874, invite à grouper les temps par six. Ce type de regroupement est cependant rapidement anéanti par l‘organisation rythmique, ne laissant comme choix raisonnable qu‘une plus

73D‘après le concept de pulse region, 88 ms serait une valeur suffisante pour que l‘évènement soit « absorbé » par le repère de la grille duquel il se rapproche. Notons que 88 ms correspondent à 1/4 de temps à 170 bpm et 1/8 temps à 85 bpm. 74Il intervient également en syncope sur les temps 4 et 5, ce qui ne contribue pas réellement à affirmer le niveau de la structure métrique qui nous concerne.

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grande attention pour une périodicité qui ne faillit pas, soit le temps à 170 bpm comme la seule unité pertinente. Vers 04:22, le rythme semble se désagréger. Des éléments sont soustraits à l‘ensemble et les temps ne sont désormais appuyés qu‘occasionnellement avant d‘aboutir à une fin d‘œuvre dénuée de rythme.

2.3. Synthèse : détermination de la forme préliminaire En nous servant des principes d‘indétermination et d‘ambigüité, nous avons vu que la contexture des accents phénoménaux était un paramètre important pour la définition du tempo. Lorsque la caisse claire se détache des autres éléments rythmiques par son intensité, elle semble devenir le tactus, tandis que lorsque les autres éléments du rythme s‘opposent à elle sur les temps qu‘elle n‘occupe pas, le niveau supérieur tend à passer au premier plan. La grosse caisse joue également un rôle important dans la détermination du tempo75. Ce sont les nombreux ajouts et permutations qui contribuent à diminuer son poids, et donc sa participation dans la détermination du tactus. Notre analyse rythmique des parties de « Cock/Ver10 » dévoile une forme où se succèdent différents types de relations et hiérarchies entre les éléments sonores de l‘œuvre. Bien que ces relations soient stables au sein des parties, on remarque des déplacements de motifs ou d‘éléments qui contribuent à l‘ambigüité dans les parties où les poids exercés par les évènements sur la structure sont suffisamment contrastés. De cette analyse émerge une organisation de la forme marquée par la symétrie (voir fig.

75Une étude intéressante : Van Dyck, E. et al., 2010. The impact of the bass drum on body movement in spontaneous dance, dans « Proceedings of the 11th International Conference on Music Perception and Cognition ».Seattle : ICMPC 11.

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Figure 24 ci-dessous), puisqu‘il existe une alternance régulière entre les différentes manifestations du tempo76.

Figure 24 – Représentation de la forme de l‘œuvre. Les valeurs indiquées en bas représentent le nombre de mesures de quatre temps. La lettre « A » signifie « ambigüité » et la lettre « I » signifie « indétermination ». Si on observe la durée de chacune de ces parties, on s‘aperçoit que les moments « lents » et indéterminés sont les plus courts, contrairement aux moments « rapides » et ambigus, qui sont à la fois les moments les plus longs, mais ceux qui occupent également des positions clés (paires) que l‘on pourrait qualifier de fortes, par opposition aux parties auxquelles elles succèdent. Une telle analyse de la forme semble tout à fait pertinente compte tenu de la dimension qui nous préoccupe. On observe, notamment dans la succession des blocs, le même type d‘ordonnancement que l‘on avait repéré à plus petite

76 Si il existe une réelle divergence entre les parties dans leur manière d‘exprimer le tactus, il est toutefois intéressant de noter que c‘est le temps à 170 bpm qui sert d‘unité de durée lors des « pauses » et déphasages (voir fig. 35).

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échelle au sein des premières mesures du bloc B, soit des sections affirmées majoritairement précédées de parties exprimant un certain degré de tension métrique (indétermination ou ambigüité). Comme la fig.Figure 20 le montre, mesurer les contrastes rythmiques par le biais des concepts d‘indétermination et d‘ambigüité produit une forme qui est plus en accord avec l‘énergie exprimée par l‘œuvre au cours du temps que lorsque celle-ci est déterminée à partir du contenu MH. La forme obtenue à partir du contenu MH est plus morcelée, bien qu‘elle soit en phase avec la forme rythmique77.

3. Analyse transphonographique de « Cock/Ver10 » 3.1. Introduction L‘objectif de cette seconde analyse de « Cock/Ver10 » va être de mettre en relation le concept de tolérance rythmique avec l‘organisation rythmique de l‘œuvre en comparant l‘œuvre originale réalisée par Aphex Twin avec une deuxième version de l‘œuvre créée en 2005 par Alarm Will Sound (enr. 5), un ensemble instrumental spécialisé dans l‘interprétation de musiques contemporaines. Ce que nous allons essayer de comprendre par le biais de notre analyse transphonographique, c‘est ce qu‘il advient lorsque l‘œuvre d‘Aphex Twin est envisagée dans un contexte de performance humaine. Pour cela nous allons premièrement dresser un portrait résumé du style de l‘hypophonographe78 en nous basant sur nos précédentes analyses, puis nous allons analyser les deux œuvres en qualifiant le comportement des quatre paires de dimensions suivantes : forme et mètre, rythme et microrythme, mélodie et harmonie, timbres et effets. Dans notre synthèse, nous reprendrons les lois reliées au concept de tolérance rythmique et les confronterons à nos deux analyses ainsi qu‘aux catégories stylistiques déterminées dans la section qui va suivre.

3.2. Caractéristiques stylistiques de « Cock/Ver10 » Lors de notre étape d‘analyse destinée à la détermination de la forme préliminaire de Cock/Ver10, nous avons observé au moins quatre grands aspects du style d‘Aphex Twin en lien avec la dimension rythmique. L‘existence de ces aspects est par ailleurs confirmée par

77 Excepté dans les deux cas suivants : l‘introduction de la partie A et l‘introduction du deuxième RM. 78 Le terme « hypophonographe » est emprunté à Lacasse (2008) qui a transposé dans le domaine des musiques enregistrées (musique phonographique) la terminologie de Genette (1982). Ce dernier définit l‘hypotexte comme étant l‘ouvrage de référence par rapport à ses éventuelles transformations et l‘hypertexte comme étant une transformation de l‘hypotexte.

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nos analyses précédentes portant sur d‘autres œuvres majeures de l‘artiste (« To Cure A Weakling Child », « Windowlicker », « Bucephalus Bouncing Ball »). Ces quatre aspects sont :

 Une organisation des accents phénoménaux qui entraine une ambigüité dans le processus de détermination de certains niveaux de la structure;

 une conception instrumentale qui se reflète dans l‘usage de groupes distincts sur les plans rythmiques et timbraux. L‘analyse de « To Cure A Weakling Child » montrait une conception de l‘organisation rythmique et MR des groupes timbraux qui repose sur la spécificité des types de motifs et de leur agencement;

 des accents ponctuants fournis par l‘application d‘effets timbraux et l‘utilisation de dynamismes MR;

 une structure MH simple qui appuie les principaux groupements rythmiques.

Bien que ce soient ces aspects relevés qui vont guider nos choix de critères pour l‘analyse transphonographique, ils ne seront impliqués directement que dans notre synthèse. Parmi les paramètres que nous privilégions dans notre analyse figurent le timbre des accents rythmiques, les microdéviations ou encore la forme générale des ensembles MR.

3.3. Analyse de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001) 3.3.1. Forme et mètre Dans « Cock/Ver10 », l‘extrême précision de la répartition des évènements et de leur paramétrage sur le plan sonore (intensité, timbre, ...) contribue à créer un jeu avec la SM qui rend par exemple possible, selon les parties de l‘œuvre, la détermination d‘un ou de plusieurs tempi possibles. Ces « parties » forment un ensemble de neuf blocs (A-I) pour lesquels nous avons déjà fourni une description du comportement rythmique. L‘extrême précision dont il est question est mise au profit d‘un respect presque total de la grille métrique contrôlée jusqu‘aux niveaux du MR, ainsi qu‘au paramétrage des accents phénoménaux par le biais de l‘intensité ou d‘un ensemble plus vaste de paramètres qui aboutissent à des changement de timbre79. La grosse caisse du bloc F est plus profonde,

79Ce qui n‘est pas le cas de la version acoustique où le timbre de la caisse claire, par exemple, restera inchangé (si l‘on exclut les légères variations dues au facteur humain) tout au long du déroulement de l‘œuvre.

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résonante et granuleuse que la grosse caisse du bloc B, la caisse claire des blocs B et F contraste plus avec les autres constituants de l‘œuvre que la caisse claire du bloc H et de la fin du bloc B. Les accentuations réalisées par ces caractéristiques sonores sont des exemples d‘éléments qui peuvent favoriser l‘ambigüité métrique.

3.3.2. Rythme et microrythme La grosse caisse et la caisse claire sont les éléments clés du rythme de l‘œuvre, leur articulation contribue à former, affirmer ou déjouer la perception des différents niveaux du mètre. On observe notamment des syncopes récurrentes, comme à 02 :52 où s‘installe un motif caractéristique de la drum‘n‘bass et des syncopes variées servant à enrichir le rythme ou à organiser des transitions entre les différentes phrases ou parties rythmiques. Ces deux instruments sont accompagnés de différents éléments qui ont pour but de construire les niveaux supérieurs du rythme. De nombreux motifs MR sont notamment décrits par ce qui semble être une charleston fermée, une caisse claire électronique, des toms électroniques et divers autres instruments percussifs (03:15). Le MR est omniprésent dans l‘œuvre d‘Aphex Twin. Les ensembles MR consistent généralement en de petits groupes d‘évènements qui se succèdent ou alternent avec des timbres granuleux. Parfois, l‘effet produit peut être considéré comme une sorte de « mélodie du rythme » du fait de la succession des hauteurs produites par les variations de timbre80. On a un exemple de cet effet à 00:30 ou 00:37 (voir fig.Figure 25), où se suivent plusieurs timbres répétés à la même vitesse (environ 70 e/s). Bien qu‘il soit impossible de reconnaître le timbre d‘origine des instruments répétés à une telle fréquence, les caractéristiques timbrales créent l‘illusion d‘une variation dans la fréquence d‘évènements.

80Dans la majorité des cas recensés, il se trouve que les ensembles MR décrits par les instruments rythmiques se limitent à des répétitions de six éléments à une fréquence d‘environ 70 évènements par seconde (ce qui correspondrait par ailleurs à une division de la grille identique à celle de « To Cure A Weakling Child », c‘est à dire par 24).

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Figure 25 – Spectrogrammes d‘extraits de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001) où figurent des successions d‘ensembles MR. Le MR n‘est pas exclusivement exprimé dans un contexte de respect des subdivisions binaires ou ternaires de la grille métrique. A 03:03, un son de grosse caisse est accompagné d‘un son grave sur une période d‘environ 350 ms. La granulosité ressentie lors de ce passage s‘observe dans le spectre sous la forme d‘une répétition régulière, à intensité décroissante, d‘évènements à environ 50 e/s (fig.Figure 26). Plus loin (ex : 03:05), ce qui semble être un effet de résonance81 participe à la sensation d‘une présence MR sans qu‘il soit possible de distinguer une fréquence claire d‘apparition d‘évènements dans le spectre.

81Qui peut aussi bien être produit par l‘application d‘une réverbération que par l‘étirement (ou étalement) de l‘échantillon sonore dans le temps.

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Figure 26 – Spectrogramme du son de grosse caisse granuleux. Dans « Cock/Ver10 », les ensembles MR sont, comme dans « To Cure A Weakling Child », généralement produits par des instruments aigus. Cependant, contrairement à cette dernière œuvre, ils ne sont pas souvent présentés de manière aussi distincte au sein du discours musical, et semblent être davantage mêlés aux autres éléments rythmiques. Ils sont généralement beaucoup plus courts et beaucoup plus variés en fréquence ainsi qu‘en timbre, bien qu‘ils offrent parfois ce moment de « relâchement » caractéristique des ensembles de longue durée (00:16-00:17). L‘utilisation des ensembles MR dans « Cock/Ver10 » parait plus libre du fait de leur variété, mais aussi du contexte dans lequel ils sont insérés. D‘une part, la configuration des groupes timbraux n‘est pas aussi codifiée que dans « To Cure A Weakling Child ». Les timbres et motifs rythmiques sont nombreux et il est ainsi impossible de déceler d‘éventuelles affiliations entre les caractéristiques rythmiques et microrythmiques. D‘autre part, la position des ensembles MR au sein de la SR ne semble pas être sujette à une quelconque contrainte. Le fait qu‘aucun temps ne soit privilégié par leur présence peut s‘expliquer par le comportement rythmique global. En

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effet, les nombreuses permutations d‘accents phénoménaux tendent à créer un contexte décourageant pour toute tentative de groupement des temps. Il parait donc logique que, par le biais d‘une distribution égale dans la structure, le MR participe à un contexte qui, autrement, serait trop marqué par la rupture rythmique. Le MR participe ici à une véritable esthétique de granulation du son appuyée par la fréquence élevée d‘apparition des autres éléments rythmiques « standards ». Les différents ensembles paraissent tantôt continuer le rythme à haut niveau, tantôt ils le complètent en lui administrant une composante timbrale. L‘expression de cette esthétique est frappante dans la dernière partie de l‘œuvre, endroit où les seules composantes MH apparaissent composées d‘un timbre granuleux, « strié », facilement quantifiable au spectrogramme. Enfin, notons l‘absence flagrante du dynamisme dans la plupart des ensembles MR. Ce manque d‘expressivité peut s‘expliquer par la durée des ensembles. Ces derniers, souvent envisageables comme des impacts granuleux constituants d‘un discours essentiellement rythmique, ne laissent pas beaucoup d‘espace à un paramétrage expressif pertinent.

3.3.3. Mélodie et harmonie Du point de vue du contenu MH, on peut observer trois catégories d‘éléments. La première (00:06) est un instrument électronique comportant peu d‘harmoniques82 et dont le timbre fait penser à celui d‘un instrument à vent (légèrement bruité et longue résonance). Il décrit une mélodie lente composée de notes dont la durée ne se situe que rarement en dessous de celle du temps. La deuxième catégorie d‘éléments MH (00:45) est assurée par une sonorité que l‘on pourrait qualifier « d‘acid ». La durée des évènements est ici très courte (inférieure ou égale à 1/4 de temps dans la plupart des cas) et le timbre est à l‘opposé du premier instrument décrit, soit saturé avec une résonnance courte. Enfin, le troisième (1:08) est un instrument qui ressemble au premier, c‘est-à-dire un son synthétique composé de sons purs superposés de manière harmonique. Celui-ci est « sec » dans la mesure où il ne comporte ni saturation ni effet de réverbération, bien qu‘il y ait un jeu de panoramique entre les différents harmoniques exprimés. Sa sonorité se manifeste principalement dans la partie moyenne/haute du spectre.

82On remarque, sur le spectre, que les harmoniques sont inégalement répartis. Leur disposition témoigne d‘un « avantage » de la manipulation informatique sur la manipulation mécanique de l‘instrument acoustique, puisqu‘il est fort probable que l‘auteur ait sélectionné avec précision les harmoniques qu‘il voulait faire entendre.

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3.3.4. Timbres et effets Comme nous le mentionnions plus tôt, à certains endroits on retrouve des timbres saturés ou granuleux qui vont interagir avec les séquences MR exécutées par les instruments rythmiques, créant ainsi des ensembles complexes où rythme et timbre se confondent. Cette situation est particulièrement remarquable entre 02:52 et 03:26 où le synthétiseur « acid » et les éléments du rythme se succèdent et se superposent pour créer une texture complexe à la fois rythmique et timbrale. Des effets similaires à ceux que l‘on retrouve dans la pratique du Djaying83 sont également présents en de nombreux endroits, comme à 00:33, 00:48, 00:52, 00:58, 02:03, 02:43 ou encore 03:26. Enfin, on peut entendre au début de l‘œuvre un effet timbral d‘introduction faisant penser à une manipulation d‘échantillon effectuée à l‘aide d‘un logiciel de granulation (jeu sur la vitesse, probablement la phase et vers la toute fin, l‘espacement des grains).

3.4. Analyse de l‘hyperphonographe 3.4.1. La démarche d‘Alarm Will Sound Le procédé de réinterprétation de l‘œuvre par Alarm Will Sound n‘est ni guidé par une intention de réappropriation, ni par une démarche à portée humoristique. L‘objectif de l‘ensemble a principalement été de « reproduire les pistes originales aussi fidèlement que possible avec des instruments acoustiques84 ». Il y a donc, dans la démarche d‘Alarm Will Sound, une volonté sérieuse de transposer le contenu sonore d‘une œuvre autographique, ici « Cock/Ver10 », vers une œuvre allographique, de « reproduire » l‘originale en adaptant le contenu aux contraintes des nouveaux moyens d‘expression choisis. Il s‘agissait, en somme, d‘imiter les complexes agencements sonores qu‘autorise l‘informatique, par le biais de la performance humaine.

3.4.2. Forme et mètre Tout d‘abord, la durée de l‘œuvre est parfaitement respectée. Il en est de même pour le tempo qui est très proche de celui d‘origine, même s‘il s‘avère être très légèrement imprécis et fluctuant.

83 Nous faisons référence notamment à l‘effet produit lorsque le DJ interrompt la rotation du disque avec ses mains. L‘enregistrement est alors ralenti jusqu‘au point d‘arrêt en faisant chuter par la même occasion la hauteur générale. 84Description de l‘album disponible à cette adresse : http://www.alarmwillsound.com/recordings.php.

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Figure 27 – Spectrogramme de l‘hyperphonographe. On peut voir sur la fig.Figure 27, qui représente le spectrogramme de l‘hyperphonographe sur lequel a été superposé le dessin des formes possibles élaboré à partir de l‘hypophonographe, que le timing des parties correspond parfaitement avec la forme originale. Un seul endroit, noté « (?) », ne reflète pas la division constatée sur l‘hypophonographe. Le contraste attendu n‘est pas présent. À l‘écoute, nous avons tendance à diviser ce passage comme indiqué en (N). Le découpage de l‘œuvre se fait naturellement sur la base de l‘introduction et du retrait de deux grands groupes qui semblent s‘affronter, l‘orchestre et la batterie. La sensation d‘affrontement évoquée renvoie probablement à une volonté de précision temporelle qui transparait dans le manque d‘expressivité de certains passages. L‘intensité de N n‘est pas aussi homogène que dans l‘hypophonographe. Elle est ici généralement plus faible et plus contrastée à la fois. Bien que, comme nous allons le voir, le timbre des effets et instruments MH soit souvent très bien imité, le timbre de la batterie ne reproduit pas les accentuations de l‘œuvre originale. Cela peut s‘expliquer pour plusieurs raisons :

 Conséquemment à la difficulté de les reproduire avec une batterie acoustique, les nuances et la complexité du rythme ne sont pas toutes retranscrites avec précision et il ne ressort que les motifs rythmiques principaux du trio GC/CC/HH;

 on ne retrouve pas les variations de contraste entre la caisse claire et les autres éléments du rythme;

 le manque d‘éléments rythmiques provoque un affaiblissement des contrastes entre les parties rythmées et les parties plus calmes.

L‘ensemble de ces facteurs ne favorise pas les situations d‘ambigüité rythmique qui se construisent à partir des caractéristiques timbrales des accents phénoménaux. Un autre élément qui pourrait entrer en jeu dans la non-expression de l‘ambigüité métrique est l‘ensemble de microdéviations entrainées par le jeu instrumental. On observe sur la fig.Figure 28, que, contrairement à l‘hypophonographe, les événements sont très souvent présentés en déviation par rapport à la norme métrique (qui ne varie presque pas dans le

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temps, grâce aux efforts de l‘ensemble). Les rectangles sur la fig.Figure 28 montrent les principaux retards et anticipations des évènements dans la première partie de N.

Figure 28 – Spectrogramme de la version acoustique de « Cock/Ver10 ». Les traits représentent les temps tandis que les rectangles indiquent les endroits des microdéviations. Contrairement aux œuvres d‘Aphex Twin qui en contiennent peu, les microdéviations de l‘hyperphonographe incitent l‘auditeur à ajuster sa tolérance rythmique de manière à conserver la perception d‘une SM qui ne soit pas contrariée en permanence. Danielsen (2010) décrit, dans son modèle beat-bin, l‘absorption des microdéviations par la perception du mètre comme un type de résolution cognitive favorisée par la présence de microdéviations. À présent, examinons les cinq règles de la tolérance rythmique déjà énoncées plus tôt et confrontons les aux situations rencontrées dans les deux versions de « Cock/Ver10 » :

Les tempi lents conduisent à une augmentation de la tolérance rythmique

Les deux œuvres sont concernées par un tempo rapide bien qu‘elles puissent être aussi envisagées à un tempo deux fois plus lent (170 ou 85 bpm).

Une haute densité d’évènements conduit à une diminution de la tolérance rythmique

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Dans l‘œuvre originale, la très haute densité d‘évènements diminue la tolérance rythmique. Dans la reprise, la plus faible densité d‘évènements devrait conduire à une moins bonne tolérance rythmique.

Plus le stimulus est régulier, plus le pulse region est étroit

Bien qu‘ils soient tous les deux très proches, le stimulus est presque parfaitement régulier chez Aphex Twin, ce qui ne peut pas être le cas avec une interprétation humaine.

Plus les microdéviations sont nombreuses, plus le pulse region s’élargit

L‘œuvre d‘Aphex Twin ne contient que très peu de microdéviations. Par ailleurs, lorsqu‘elles se produisent, il est très probable qu‘elles correspondent à un haut niveau de la grille qui pourrait avoir déjà été exprimé. Dans le cas de l‘hyperphonographe, les microdéviations sont nombreuses et participent sans aucun doute à une augmentation de la tolérance rythmique.

On ressent une plus grande friction lorsque les microdéviations sont proches sur le plan spectral que lorsqu’elles sont éloignées. Autrement dit, plus les microdéviations sont éloignées sur le plan spectral, plus elles seront susceptibles de créer des conflits de normes

Cette règle ne peut s‘appliquer qu‘à l‘hyperphonographe, puisqu‘il est le seul à présenter de nombreuses microdéviations.

Le jeu instrumental tend à produire un degré de tolérance rythmique potentiellement beaucoup plus élevé que lorsque les évènements sont organisés à l‘aide un séquenceur électronique et une volonté de limiter le nombre de microdéviations. Une telle observation conforte l‘hypothèse selon laquelle une analyse de la forme de la version acoustique de « Cock/Ver10 » ne peut et ne doit pas se faire selon des critères d‘ambigüité, puisque le pulse region absorbe une partie des informations susceptibles de contredire la SM et diminue ainsi le rôle de l‘accentuation à haut niveau85. Elle conforte également l‘hypothèse

85 Danielsen indique notamment que la taille maximum du pulse region peut être de 250 ms (125 ms de chaque coté du point de la grille).

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selon laquelle l‘organisation rythmique des œuvres d‘Aphex Twin est propice aux phénomènes d‘ambigüité, puisque cette dernière tend à produire un pulse region étroit.

3.4.3. Rythme et microrythme Comme nous venons de le voir, le rythme est simplifié et principalement relégué à la batterie, par opposition à l‘œuvre originale où un grand nombre d‘éléments participent à celui-ci. Bien que le MR soit pratiquement absent de l‘œuvre, on remarque une volonté d‘exprimer les ensembles et effets MR qui se traduit par deux types d‘attitudes. La première, qui sera à nouveau évoquée dans la partie « timbres et effets », consiste à représenter d‘une manière symbolique certains accents MR à l‘aide d‘instruments mélodiques. On en retrouve des exemples à 00:18, 00:31, 00:32 ou encore 00:37 où un instrument à vent, situé dans les graves, indique de son timbre granuleux la présence de courtes séquences MR. Le second type de transformations du MR consiste à reproduire ou s‘approcher au plus près de la fréquence exprimée dans l‘œuvre originale. On retrouve des exemples à 00:33, lorsque le batteur tente de reproduire les ensembles aigus insérés entre les effets de ralentissement analogiques (fig.Figure 29), où à 01:34, lorsqu‘un frottement parvient presque à rivaliser avec la séquence MR originale (fig.Figure 30).

Figure 29 – 00:33 : à gauche le MR de l‘œuvre originale (70 e/s), à droite le MR « imité » (25 e/s).

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Figure 30 – 01:33/34 : à gauche le MR de l‘œuvre originale (70 e/s), à droite le MR « imité » (60 e/s). Cette différence entre les deux approches de la transformation des ensembles MR montre en réalité une dissociation faite au niveau du timbre. Les ensembles MR situés dans la partie basse du spectre ont été représentés à l‘aide de timbres graves tandis que les ensembles situés dans la partie haute du spectre ont été reproduits à l‘aide de percussions. Il ne faut pas, à notre sens, forcément voir dans cette démarche une logique musicale particulière, mais plutôt une série de choix certainement conditionnée par la dimension participative du projet. Les ensembles MR graves auraient très bien pu être exprimés à l‘aide de divers idiophones, cependant cela aurait sans doute été accorder trop de place aux percussions dans l‘ensemble instrumental.

3.4.4. Mélodie et harmonie Du point de vue des instruments MH, on retrouve les trois catégories présentes dans l‘œuvre d‘Aphex Twin. Le premier instrument semble être un ensemble de métallophones supportés par des cordes jouées à faible intensité. Le métallophone permet de reproduire l‘aspect réverbéré de l‘instrument original. Le deuxième instrument (00:49) est quant à lui interprété par un couple cordes/vents situé dans les basses, tandis que le troisième instrument est joué par un couple similaire situé dans la partie haute du spectre. Dans l‘œuvre d‘Alarm Will Sound, la dimension MH tient une place importante, puisque d‘une

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part le contenu du même type y est reproduit avec une grande fidélité86, et d‘autre part, elle sert à traduire un grand nombre de situations d‘une autre nature (effets, microrythmes, ...) présentées dans l‘œuvre originale. Ainsi mélodie et harmonie passent du second plan au premier par la réinterprétation et l‘altération des autres dimensions de l‘œuvre. Ce type de réorganisation n‘est pas un choix esthétique arbitraire, puisqu‘il est en grande partie provoqué par différentes contraintes liées au mode de diffusion choisi.

3.4.5. Timbre et effets Comme nous venons de le mentionner, la dimension MH s‘exprime largement dans la transformation des différents effets présents dans l‘œuvre d‘Aphex Twin. Si on s‘attarde sur les premières secondes de chacune des deux versions de l‘œuvre, on s‘aperçoit qu‘il y a une grande similitude dans la forme du spectre (fig.Figure 31 ci-dessous).

Figure 31 – À gauche l‘introduction de l‘œuvre originale, à droite l‘introduction d‘Alarm Will Sound. À l‘écoute, on s‘aperçoit que le jeu sur les hauteurs a été employé pour reproduire le mouvement global effectué par la matière sonore dans l‘hypophonographe, mais également pour reproduire les modulations qui ont lieu pendant les moments de « déphasages » de la panoramique. On retrouve le même type d‘usage à 00:33 où les changements de hauteurs occasionnés par « l‘effet vinyle » sont représentés par des glissandos de violons, et à 00:39,

86 Moyennant une transposition, les hauteurs utilisées par Aphex Twin ne se trouvant pas sur la gamme des fréquences tempérées.

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où la transposition répétée d‘un échantillon sonore vers le bas est traduite par une mélodie descendante de vents et cordes. Parfois, c‘est le timbre des instruments, et la dynamique de jeu qui leur est propre, qui est mis à contribution pour reproduire les différents effets employés par Aphex Twin. C‘est le cas, par exemple, à 01:20 où la charleston est ouverte pour imiter la densité d‘évènements du MR, ou lors du climax de l‘œuvre (03:58) où les vents criards offrent toute leur puissance pour exprimer les impacts saturés (et granuleux) de l‘œuvre originale. Il est intéressant de constater qu‘encore une fois dans cette partie, l‘emphase est mise sur un aspect qui n‘est que secondaire dans l‘œuvre d‘Aphex Twin, soit celui de la mélodie jouée par l‘élément saturé qui n‘est exprimé qu‘à faible intensité.

3.5. Synthèse En décidant de reprendre une œuvre d‘Aphex Twin en se limitant à l‘utilisation d‘instruments acoustiques, les artistes d‘Alarm Will Sound se sont exposés à un grand nombre de contraintes forçant le passage d‘une esthétique sonore à une autre. L‘ensemble instrumental reformule le propos de l‘œuvre originale en réduisant la dimension rythmique à son minimum ou en la représentant à l‘aide des instruments sélectionnés pour l‘occasion. Un bon exemple du premier cas se trouve entre 02:00 et 02:23, endroit où l‘ensemble instrumental semble vouloir reproduire le plus fidèlement possible certains aspects du rythme en ne jouant, par exemple, que les coups de charleston effectivement présents dans l‘œuvre originale. Cette démarche, qui ne tient pas compte des accents exprimés sur les quarts de temps (doubles croches à 170 bpm), anéantit totalement la dimension rythmique telle qu‘elle est réellement exprimée par Aphex Twin dans ce passage. Pour exprimer avec fidélité le propos original, il aurait fallu tenter de reproduire l‘effet de « galop » en complétant le rythme de la charleston. Les différents détails de notre analyse confirment la volonté de reproduire, avec des moyens limités, le contenu spectral de l‘hypophonographe. Les effets et ensembles MR sont imités par les instruments mélodiques tandis que la précision, la vitesse et la percussivité du rythme sont assurés par le respect d‘un tempo stable et le soutient de la batterie. Malgré cela, aucun des critères stylistiques parmi les quatre proposés n‘a été respecté, puisqu‘on ne retrouve pas l‘ensemble des facteurs d‘ambigüités propres au discours rythmique d‘Aphex Twin. Cela est provoqué par l‘imprécision de la performance sur le plan du timbre (nuances d‘accents), mais aussi sur le

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plan temporel (microdéviations), augmentant ainsi une tolérance rythmique qui empêche la réalisation d‘un discours musical basé sur l‘ambigüité métrique.

4. Sommaire Les trois analyses conduites dans ce chapitre visent, en premier lieu, à présenter et mettre en œuvre une méthodologie d‘analyse dédiée à l‘analyse de l‘IDM. La première analyse (« To Cure A Weakling Child ») permet la présentation de la méthode au complet, la seconde analyse (« Cock/Ver10 ») insiste sur les étapes pré-transcription de la méthode, tandis que la dernière analyse (« Cock/Ver10 ») appuie le caractère spécifique de la méthode par la comparaison des qualités rythmiques sur lesquelles elle repose, avec une version de l‘œuvre non soumise à la précision caractéristique du genre. Les concepts d‘ambigüité de groupement et d‘ambigüité métrique y sont utilisés comme principaux outils théoriques d‘analyse, puisqu‘il est un des principaux phénomènes identifié dans les descriptions du rythme provenant de la littérature. Les résultats de ces analyses sont concluants, puisqu‘ils dévoilent un discours musical fortement marqué par l‘ambigüité et confirment la pertinence de notre méthodologie d‘analyse. Bien qu‘il participe peu à la structure de l‘œuvre, le microrythme d‘Aphex Twin joue un rôle discursif important qui apporte au climat d‘ambigüité et de rupture une dimension gestuelle non hiérarchisée.

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CONCLUSION

Les œuvres représentatives de la seconde période d‘Aphex Twin (1995-2001), dont nous avons proposé l‘analyse ici, possèdent une dimension rythmique à la fois dominante et complexe. Nous avons vu que leur forme se base principalement sur des contrastes rythmiques appuyés par la dimension mélodico-harmonique. Deux grands types de contrastes ont été identifiés : ceux relatifs à la densité d‘évènements et ceux relatifs à la perception métrique. Une telle manière de constituer la forme distingue déjà l‘œuvre d‘IDM du corpus des musiques électroniques populaires, où le contenu MH tend à fournir les principaux indices sur la segmentation des plus bas niveaux. Elle distingue également, sur ce plan, l‘IDM de l‘EDM, courant dont les impératifs liés à la danse imposent une relative uniformité du rythme. La forme des œuvres d‘EDM est principalement régie par les changements de textures (Butler, 2006) bien que « rhythm and meter also play a role in delineating sections » (p. 222).

Le jeu opéré sur la densité des évènements est une première caractéristique stylistique attribuable aux compositions d‘Aphex Twin. Il est particulièrement remarquable dans « Cock/Ver10 », où les fréquences d‘apparition des évènements atteignent parfois 70 e/s. C‘est aussi une caractéristique évidente des différentes œuvres que nous avons analysées, bien que la présence des ensembles microrythmiques s‘y manifeste avec plus de retenue que dans « Cock/Ver10 ». Le tempo systématiquement élevé de ce type de compositions joue un rôle important dans l‘esthétique de l‘artiste, puisque cela permet d‘établir une relation étroite entre les fréquences du rythmes et celles situées dans le domaine du microrythme. Le souci d‘une telle cohérence, occasionnellement ponctuée par les contrastes de densité des différentes parties, confère au rythme une énergie inhabituelle que l‘on trouve relatée dans le vocabulaire des auteurs et critiques musicales sous la forme d‘une imagerie particulièrement évocatrice87. L‘évocation de termes appartenant aux

87 Parmi celles-ci figurent « intense drum loop », « hyper-breakbeat drum programs », « jackhammer quick beats » (Bogdanov 2001, p. 18), « ambitious blend of impossibly fasts break beats » (Demers 2010, p. 63), « inspired breakbeat tomfoolery » (Reynolds 2012, p. 474), « rhythmic ferocity » (Reighley 2004, p. 189), ou encore « exagerated virtuosity of the machine » (Danielsen 2010, p. 2). Dans sa critique publiée dans le Hartford Courant (1997), Roger Catlin qualifie les rythmes du « Richard D. James Album » (Aphex Twin, 1996) comme un « kaleidoscope of beats and blips » ou encore des « unhumanly fast techno rhythms ». Malcolm Seymour III (Pitchfork, 2001), entend dans « Drukqs » (Aphex Twin, 2001) le « biting ring of blistering drums ».

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registres de l‘excès et de « l‘inhumain » traduisent la présence d‘une organisation qui ne se limite pas simplement à la notion de vitesse. Les ensembles microrythmiques, composantes majeures de ces « excès » rythmiques, sont élaborés avec une extrême précision. À de rares exceptions près, ils forment des suites parfaitement régulières d‘évènements et expriment ainsi des fréquences statiques. En effet, leurs fluctuations se produisent de manière discrète, par des séries d‘ensembles entretenant entre eux des rapports simples. Le parfait exemple de ce phénomène est observable dans l‘introduction de « Bucephallus Bouncing Ball » (fig.Figure 5), où un motif rythmique, représentant un rebondissement de balle, est morcelé en unités de fréquences ternaires (24 e/t, 12 e/t), puis binaires (4 e/t, 2 e/t). À l‘aide de notre méthodologie d‘analyse présentée dans la partie consacrée à « To Cure A Weakling Child », nous pourrons, lors de futurs travaux, découvrir si cette manière de fractionner les ensembles MR, qui est identifiée ici comme un trait caractéristique (Larue 1992, p. 5) du style d‘Aphex Twin, est partagée par les autres compositeurs d‘IDM. Deux grandes catégories de contextures des ensembles MR ressortent également de notre étude rythmique et microrythmique de la musique d‘Aphex Twin. La première catégorie est celle des ensembles exprimant des fréquences proches de celles du rythme (entre 20 et 40 e/s environ). Ils sont généralement longs (1/2 temps ou plus) et altérés dans le temps de manière continue sur le plan du timbre. Ces ensembles dynamiques ou gestuels forment des gestes musicaux discursifs lorsqu‘ils « prolongent » le rythme ou ponctuant lorsqu‘ils marquent des pauses transitionnelles au sein des phrases rythmiques. La seconde catégorie est celle des ensembles texturaux. Ils se distinguent par leur durée relativement courte, des fréquences élevées et l‘absence de dynamisme. Ces ensembles ont comme particularité d‘exprimer des notes pouvant jouer un rôle dans l‘élaboration de motifs percussifs ou mélodiques. Souvent élaborés à partir d‘évènements servant aussi dans la composition du rythme, ils présentent un timbre qui s‘intègre parfaitement dans le flux sonore. Ces deux types d‘ensembles MR sont souvent associés par Aphex Twin. Ils se succèdent ou se superposent et forment ainsi une esthétique musicale basée sur la granulosité de complexes organisations du discret88.

88 Dans un précédent article (Papavassiliou, 2011), nous nommons « micromanipulation sonore » une telle démarche d‘organisation des évènements. La micromanipulation sonore est envisagée comme une « opération effectuée sur des micro-éléments sonores à l‘aide d‘outils permettant la création ou l‘édition du son à très petite échelle ». Les opérations affectant des échelles de temps très réduites étant courantes dans la création

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La perception métrique est la deuxième source de contrastes importants dans la forme des œuvres de l‘artiste. Ce dernier joue avec elle pour produire des effets d‘ambigüité et de rupture considérés comme typiques de son langage musical (Hawkins 2007, p. 47). Aphex Twin organise la structure rythmique en s‘appuyant en grande partie sur l‘affaiblissement des poids de la SM, une stratégie que Butler attribue aux courants breakbeat lorsqu‘il décrit le rôle particulier de la syncope dans ce type de musique. Aphex Twin généralise ce procédé en favorisant l‘utilisation de cycles de répétitions longs, des groupements asymétriques ainsi que les positions faibles des niveaux intermédiaires. Il émerge d‘une structure ainsi affaiblie ou « dénaturée », un climat permanent d‘une ambigüité légère qui participe probablement à altérer notre capacité à anticiper les évènements peu récurrents. Ce climat est renforcé par les nombreuses ruptures causées par les permutations entre la grosse caisse et la caisse claire, les élisions de boucles et les décalages de phrases rythmiques qui invitent occasionnellement l‘auditeur à reconsidérer la structure du mètre. L‘ambigüité métrique, qui est un phénomène décrit par Butler comme étant habituel dans l‘EDM, est ici amplifiée par les différentes stratégies visant à briser la symétrie structurante du rythme. L‘emploi des différentes techniques de rupture, qui participent également à la dissymétrie rythmique, produit une musique qui se distingue nettement de l‘EDM sur le plan de la danse. Bien que le corps puisse sans aucun doute être sollicité par le rythme des œuvres d‘IDM, il ne peut pas l‘être de la même manière qu‘à l‘audition d‘une œuvre d‘EDM, où la continuité rythmique et mélodico-harmonique est privilégiée au profit de la danse non-stop. Chez Aphex Twin, l‘aspect cérébral émane en grande partie de l‘attention que le flux musical requiert pour être pleinement intégré, compte tenu de la densité des éléments musicaux, mais aussi de la part quasi perpétuelle d‘inattendu provoquée par les disruptions régulières des différents niveaux du mètre.

Le rôle du microrythme dans la structure rythmique n‘est pas aussi pertinent que nous le pensions avant d‘entamer nos analyses. Comme nous l‘avons vu, les ensembles MR ne jouent pas un rôle déterminant au sein de la structure rythmique. Leur disposition n‘est pas majoritairement stratégique du point de vue des moments ou temps forts, et aucune hiérarchie particulière n‘a été décelée. Ils ne peuvent ainsi pas être considérés comme des musicale assistée par ordinateur, on distingue une micromanipulation d‘une manipulation usuelle par le résultat qui, dans le premier cas, produit des micro-évènements.

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accents structuraux, tels qu‘ils sont définis par Lerdahl et Jackendoff, mais plutôt comme des éléments polymorphes appuyant ou non les structures existantes. L‘extrême précision des durées et le faible nombre de microdéviations sont, par ailleurs, des facteurs importants dans notre perception du rythme, puisqu‘ils augmentent notre sensibilité au comportement des différents niveaux de la structure rythmique. La définition des plus petites subdivisions de la grille métrique par un grand nombre d‘ensembles MR, ainsi synchronisés avec les niveaux inférieurs de la SR, pourrait également participer à cette sensibilité. Cela constituerait un argument en faveur de notre hypothèse selon laquelle les durées inférieures à 100 ms pourraient jouer un rôle dans la perception du mètre. Il serait intéressant de mener une étude cognitive sur la perception métrique de ce type de situations en les confrontant à des extraits où des ensembles MR ne seraient pas synchronisés avec la SM.

La musique d‘Aphex Twin est donc un exemple d‘IDM reposant sur une codification singulière des niveaux du rythme. Le caractère expérimental, souvent souligné par la littérature, provient essentiellement de la nouveauté que représente l‘utilisation d‘ensembles microrythmiques dans des œuvres à caractère mesuré ainsi que l‘esthétique granuleuse qui découle de sa manière de les organiser. Les différents effets utilisés à titre discursif et le caractère inattendu de l‘agencement des accents phénoménaux sont également des procédés qui s‘inscrivent dans une démarche créative que l‘on pourrait qualifier d‘expérimentale. Les œuvres de l‘artiste sont néanmoins marquées par un désir de cohérence méthodique qui transparait dans toutes les œuvres analysées. L‘insertion systématique d‘ensembles MR dans des œuvres à tempo rapide, la poursuite d‘une certaine dissymétrie et la volonté de rupture sont autant de caractéristiques stylistiques propres à Aphex Twin et pour lesquelles il conviendrait, dans le futur, de déterminer sur quels plans et à quels degrés elles se retrouvent dans les œuvres d‘autres artistes d‘IDM.

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ANNEXE 1 : FIGURES

Les figures dont les dimensions nécessitaient plus d‘espace qu‘une seule page pour être présentées de manière lisible ont été placées dans un dossier joint intitulé « _Annexe1_Figures ». Voici la liste des fichiers que ce répertoire contient ainsi qu‘une courte description correspondante :

 « _Fig.2.png » : Fig. 2 – Spectrogramme de « Windowlicker ».

 « _Fig.15.png » : Fig. 15 – Spectrogramme de « To Cure A Weakling Child ».

 « _Fig.20.png » : Fig. 20 – Forme de « Cock-Ver10 » (Aphex Twin).

 « _Fig.27.png » : Fig. 27 – Forme de « Cock-Ver10 » (Alarm Will Sound).

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ANNEXE 2 : DISCOGRAPHIE

Notre travail contient des références vers des enregistrements dont nous recommandons la consultation lors du parcours analytique. Ici figure la liste des enregistrements, agrémentés d‘un lien vers le site d‘hébergement de vidéos Youtube, afin de permettre l‘écoute des œuvres correspondantes. Les éléments discographiques sont fournis entre parenthèses sous la forme « auteur, "titre", album, date, label, référence » :

 Enr. 1 : http://www.youtube.com/watch?v=7MBaEEODzU0 (Aphex Twin, « Windowlicker », Windowlicker, 1999, Warp Records, WAP105CD)

 Enr. 2 : http://www.youtube.com/watch?v=uIeA2ct5Sew (Aphex Twin, « Bucephalus Bouncing Ball », Come To Daddy, 1997, Warp Records, WAP94CD)

 Enr. 3 : http://www.youtube.com/watch?v=pugC5qZ_SXU (Aphex Twin, « To Cure A Weakling Child », Richard D. James Album, 1996, Warp Records, WAPCD43)

 Enr. 4 : http://www.youtube.com/watch?v=-M8sIzLNVT0 (Aphex Twin, « Cock/Ver10 », Drukqs, 2001, Warp Records, WARPCD92)

 Enr. 5 : http://www.youtube.com/watch?v=GrxCiWpG5wc (Alarm Will Sound, « Cock/Ver10 », Acoustica [Alarm Will Sound Performs Aphex Twin], 2005, Cantaloupe Music, CA21028)

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ANNEXE 3 : DOCUMENTS DIVERS

Les différents tableaux utilisés dans notre analyse de « To Cure A Weakling Child » sont contenus dans un fichier Excel située dans le répertoire joint intitulé « _Annexe3_Divers ».

Le fichier concerné se nomme « _Transcription.xls ».

Les notes de musique représentées dans le fichier de transcriptions ont été réalisées à l‘aide de la police de caractère nommée « MusiSync », réalisée par Robert Allgeyer en 2008 et libre d‘utilisation89. Les fichiers intitulés « MusiSync.ttf » et « MusiSync(2).ttf », présents dans le répertoire « _Annexe3_Divers», nécessitent d‘être installés sur l‘ordinateur afin que les informations rythmiques soient correctement affichées.

89 La page où il est possible de la télécharger se situe à l‘adresse suivante : http://www.fontspace.com/robert- allgeyer/musisync

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