Autour de quelques châteaux en Charolais-Brionnais : les bourgs de Semur-en-Brionnais et Charolles

Franck Chaléat*

Résumé

Les bourgs castraux et abbatiaux sont souvent étudiés comme de simples conséquences des châteaux et abbayes, créés ex nihilo et en une seule fois. Les études précises des plans de Semur-en-Brionnais et de Charolles montrent au contraire une genèse complexe, avec des traces de plusieurs agrandissements, des quartiers d’implan- tation spontanée et d’autres par lotissement régulier. L’étude du réseau viaire à proximité des bourgs donne une bonne indication de l’emplacement et de l’usage des portes. À Charolles, une étude archéologique du quartier des Halles a en outre pu montrer les relations entre le parcellaire et l’évolution des niveaux de sol.

Si les châteaux font souvent, à l’instar des rations qualifiées de « bourgs castraux », en maisons fortes, l’objet d’investigations, d’ana- essayant d’appréhender leur mode de consti- lyses ou de fouilles assez poussées, il n’en va tution et d’évolution, il est toujours resté une pas de même pour l’habitat qui les entoure, différence fondamentale d’ordre conceptuel. notamment lorsqu’il s’agit de localités quelque En effet, la vision schématique la plus répandue peu développées. fait du château un pôle d’attraction et fait du Deux aspects séparent le château et le bourg un simple résultat de la force d’attraction bourg. En premier lieu, la surface concernée exercée par le pôle. D’où un certain défaut de et le volume de données à récolter sont très noblesse pour le bourg, qui se perçoit à travers différents. Ils concernent un ou quelques bâti- l’ensemble des publications. ments dans le premier cas (le centre fortifié et une éventuelle basse-cour), mais plusieurs Nous souhaiterions ici nous concentrer pour maisons, voire une commune actuelle entière une fois plutôt sur l’habitat et le bourg que sur dans le second cas (si l’on y inclut les habi- le château, pour en montrer la complexité, et tats satellites, souvent isolés, comme les écarts). pour tenter d’attirer l’attention sur l’évolution Cela influe sur le temps d’étude à engager et spatiale encore trop peu connue de ces agglo- sur les moyens à mobiliser, d’où sans doute un mérations, notamment à travers deux exemples découragement. locaux : Semur-en-Brionnais et Charolles.

En second lieu, les deux parties ne sont pas, scientifiquement et historiographiquement, considérées à égalité. Si, il y a quinze ans, les études menées à l’instigation de Michel Bur . Voir Bur (Michel) (dir.), Aux origines du second réseau puis celles de Messieurs Affolter, Bouvard et urbain. Les peuplements castraux dans les pays de l’Entre- Voisin, pour ne prendre que les plus connues, Deux : Alsace, Bourgogne, Champagne, Franche-Comté, Lorraine, Luxembourg, Rhénanie-Palatinat, Sarre. Actes ont présenté avec un œil neuf ces agglomé- du colloque de Nancy, 1er - 3 octobre 1992. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 1993. * Doctorat en cours à Lyon 2 sous la direction de Affolter (Éric), Bouvard (André), Voisin (Jean- Messieurs Nicolas Reveyron et Christian Sapin : Claude), Atlas des villes de Franche-Comté, série médié- Genèse et développement des bourgs castraux et monasti- vale, t. 1, Les bourgs castraux de la Haute-Saône. Nancy : ques en Bourgogne méridionale (Charolais et Brionnais). Presses Universitaires de Nancy, 1992.

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Un questionnement renouvelé au sujet des fit Lucien Musset pour la Normandie, ou bien bourgs encore analysant les chartes de franchise qui se répandaient d’une fondation à l’autre et qui La catégorie du « bourg castral » désigne explicitaient l’exercice du pouvoir au sein de un objet aux contours très larges. La littérature ces centres de peuplement. scientifique y loge tout un continuum qui va Les interrogations spatiales n’avaient pour- de la simple agrégation de quelques maisons tant pas été totalement absentes des analyses les autour du château, jusqu’à la ville incontestée, plus précoces, grâce notamment à de précieux à l’exemple de Montpellier ; ces installations devanciers comme Ferdinand-Louis Ganshof peuvent être fortifiées ou non, proches ou pour les villes entre Loire et Rhin : à partir des distantes du château. thèses d’Henri Pirenne, ce chercheur souhai- Le paradigme historique qui a prévalu tait montrer, grâce à une étude de topographie pendant longtemps présentait un château historique du territoire urbain, comment l’ha- installé en terrain vierge et donc en situation bitat marchand (suburbium ou Vorstadt) établi à pionnière, groupant alors autour de lui les proximité du noyau pré-urbain (Altstadt), avait paysans et leur habitat. Dans le bouillonne- dynamisé le développement des villes. Si de ment propre à l’an Mil (l’incastellamento pour semblables approches de topographie histo- l’Italie ou l’encellulement pour la ), les rique ont été brillamment menées en France bourgs étaient vus comme des formations sur l’habitat rural d’Auvergne10, sur les villes spontanées, à la morphologie souvent qualifiée de Franche-Comté11 ou sur les castelnaux de d’ « organique » ; ils étaient le creuset et le lieu Gascogne12, les interrogations spatiales, deve- d’expression de la seigneurie (monastique ou laïque), « institution » censée avoir initié, enca- . Musset (Lucien), Peuplement en bourgade et bourgs dré et accompagné le regroupement général ruraux en Normandie du xe au xiiie siècle, in : Cahiers e e de population (congregatio populi, amasamen- de civilisation médiévale x -xiii siècles, t. IX : 1966, p. 177 à 208. tum hominum). Dès lors, il n’est pas étonnant . Fournier (Gabriel), Chartes de franchises et fortifica- que les premières études de ces bourgs aient tions villageoises en Basse Auvergne au xiiie siècle, in : massivement privilégié les aspects juridiques et Les libertés urbaines et rurales du xie au xive siècle. Actes politiques, tentant de distinguer les différen- du colloque de Spa, 1966. s.l. 1968, p. 223 à 244. Perrin (Charles-Edmond), Les chartes de franchise de la tes catégories de bourgs (bourgs satellites ou France. État des recherches : le Dauphiné et la Savoie, ruraux, castraux ou monastiques), ainsi que le in : Revue Historique, t. 121 : 1964, p. 27 à 54. . Ganshof (Ferdinand-Louis), Étude sur le développement des villes entre Loire et Rhin au Moyen Âge. Paris : PUF/ . Voir notamment Fournier (Gabriel), Châteaux et Bruxelles : éditions de la Librairie Encyclopédique, peuplements au Moyen Âge : essai de synthèse, in : 1943. e Châteaux et peuplements en Europe occidentale du x au 10. Fournier (Gabriel), Le peuplement rural en Basse e xviii siècle. Actes des 1ères journées internationales Auvergne durant le Haut Moyen Âge. Paris : PUF, d’histoire, abbaye de Flaran, 20-22 septembre 1979. 1962. Malgré l’époque choisie (le haut Moyen Âge), Auch : comité départemental de tourisme du Gers, l’auteur traite des relations spatiales entre l’habitat et 1980, notamment p. 142. les châteaux autour du xe siècle (p.360 à 398). . Toujours considérée comme bourg castral dans 11. Affolter (Éric), Bouvard (André), Voisin (Jean- Durand-Dastès (François), Favory (François), Claude), Atlas des villes de Franche-Comté, série médié- Fiches (Jean-Luc), et alii, Des oppida aux métropoles : vale, t. 1, Les bourgs castraux de la Haute-Saône. Nancy, archéologues et géographes en vallée du Rhône. Paris : Presses Universitaires de Nancy, 1992, 214 p. Anthropos/Economica, 1998, p. 153, 218 et encadré 12. Cursente (Benoît), Les castelnaux de la Gascogne p. 233 notamment. médiévale. Bordeaux : Fédération historique du sud- . Ce terme, consacré par la thèse de Pierre Toubert, ouest, 1980. Malgré l’avis divergent d’autres historiens désigne le perchement autoritaire de populations qui distinguent les castelnaux des bourgs castraux, les autour d’un point fortifié. premiers sont, pour Benoît Cursente, une modalité . Ce mot, forgé par Robert Fossier à la suite du premier, du phénomène général de constitution des bourgs et qui se veut plus large, englobe le regroupement au castraux. Les castelnaux sont seulement caractéristi- sein tant de la paroisse que de la seigneurie. ques par la chronologie de leur apparition, puisqu’ils

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nues de plus en plus pressantes et diverses, ont entre disciplines et entre sources15, notamment trouvé de nouvelles voies grâce aux études de des classifications de ces dernières, ont suscité morphologie urbaine et à l’archéologie urbaine, en France la naissance d’un courant qui ques- lorsque cette dernière pouvait concerner des tionne et critique les modes d’acquisition de peuplements castraux. Les analyses morpho- la connaissance jusque là adoptés16. L’étude des logiques sont restées peu développées en bourgs médiévaux suit les nouvelles proposi- France, et les précurseurs nationaux qu’étaient tions faites dans le cadre de l’histoire urbaine, Pierre Lavedan et Jeanne Hugueney dans ce en terme de méthodologies17, de concepts, domaine13, n’ont eu que peu de disciples. Ils voire de perspective historique18. Ensuite, il ont pourtant été les premiers à évoquer la « loi faut prendre en compte la remise en question, de persistance du plan », ouvrant la voie à une cette fois-ci non plus des méthodes, mais des discipline qui visait à repérer et à étudier pour paradigmes établis il y a trois ou quatre décen- elles-même les formes d’organisation générales nies : nous retiendrons entre autres les travaux et particulières d’une trame parcellaire, et ce à récents nuançant grandement le modèle de partir des documents planimétriques (notam- l’incastellamento en Italie19, ou les phénomènes ment les cadastres). C’est au travers d’études d’encellulement et de mutation de l’An Mil20. sérielles relevant de cette méthodologie que 14 des bourgs castraux ont pu être concernés . 15. Consulter ici les deux dossiers très stimulants : Actuellement, les interrogations relatives L’archéologie moderne : une archéologie opportu- à l’histoire du peuplement bénéficient d’un niste et dérobée ? Dossier préparé par J. Burnouf et renouvellement méthodologique, très souvent F. Journot, in : Les Nouvelles de l’archéologie 96, 2004, p. 5 à 42. issu d’autres préoccupations, mais qui boule- L’habitat rural au Moyen Âge. Dossier proposé par verse l’appréhension que l’on peut avoir des É. Zadora-Rio, in : Les Nouvelles de l’archéologie 92, divers renseignements fournis tant par les sour- 2003, p. 5 à 33. ces historiques, planimétriques, qu’archéologi- Saint-Denis (Alain), La topographie de l’espace urbain médiéval. Sources et méthodes, in : Desachy ques. Citons en premier lieu les interrogations (Bernard), Guilhot (Jean-Olivier) (dir.), Archéolo- de plusieurs chercheurs à propos de l’utilisa- gie des villes : démarches et exemples en Picardie, Revue tion faite de ces différentes sources, en vue Archéologique de Picardie n° spécial 16, 1999, de l’élaboration d’une histoire des centres de p. 35-40. 16. Galinié (Henri), Ville, espace urbain et archéologie : peuplement : la remise en cause des rapports essai. Tours : Maison des Sciences de la Ville, de l’Ur- banisme et des paysages, 2000. Chouquer (Gérard), L’étude des paysages : essais sur leurs formes et leur histoire. Paris : Errance, 2000. s’épanouissent au xiiie siècle, après la première vague d’érection de castra, et avant les grandes crises du xive 17. Gauthiez (Bernard), Zadora-Rio (Élisabeth), siècle (voir la définition qu’il donne p. 90). Galinié (Henri) (dir.), Village et ville au Moyen Âge : les dynamiques morphologiques. Tours : Maison 13. Lavedan (Pierre), Hugueney (Jeanne), L’urbanisme des Sciences de l’Homme « Villes et Territoires »/ au Moyen Âge. Paris : Arts et Métiers Graphiques, CNRS/Université François Rabelais), 2003, (Pers- 1974. pectives ‘Villes et Territoires’, 5). 14. Outre l’étude de P. Lavedan et J. Hugueney évoquée 18. Chouquer (Gérard) (éd.), Objets en crise, objets ci-dessus, citons les atlas que constituent entre autres recomposés, Études rurales 167-168, juil.-déc. 2003. les ouvrages suivants : (notamment les articles de S. Robert, concernant la Bourgeois (Luc) (dir.), avec collab. de Augereau transmission des formes du passé, et de M. Watteaux (Nicole), Brunie (David), Favreau (Béatrice), au sujet du problème de la naissance du village au Favreau (Robert), Fricaux-Coutant (Rozenn), Moyen Âge). Guyonnet (Béatrice), Richard (Christian), Les petites villes du Haut-Poitou de l’Antiquité au Moyen 19. Hubert (Étienne), L’incastellamento en Italie centrale : Âge : formes et monuments, vol. 1, Bressuire, Brioux- pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano sur-Boutonne, Loudun, Montmorillon, Saint-Savin- au Moyen Âge. Rome : École française de Rome, sur-Gartempe, Thouars. Chauvigny : Association des 2002 ; (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes Publications Chauvinoises, 2000. et de Rome, 109). Gauthiez (Bernard), Atlas morphologique des villes de 20. Peytremann (Édith), Archéologie de l’habitat rural dans Normandie. Lyon : Cosmogone, 1999. le nord de la France du IVe au XIIe siècle, Saint-Germain-

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Aujourd’hui, la réalité historique paraît bien taires ont depuis été posés pour le nord de la plus complexe. Le concept même de « bourg Bourgogne, d’un point de vue architectural et castral » est quelquefois abandonné pour des topographique26. À la suite de ces recherches, notions censées être moins floues21, et l’on nous souhaiterions, à notre niveau, orienter le découvre de plus en plus de cas où le château regard sur certains aspects de la morphologie est une pièce rapportée à l’habitat, faisant de ce des bourgs castraux du Charolais-Brionnais, à dernier le véritable pôle d’attraction22. travers les deux exemples de Semur-en-Brion- nais et Charolles. Qu’en est-il plus spécifiquement de la Bourgogne ? En 1992, le doyen Jean Richard Le bourg de Semur-en-Brionnais déplorait que « l’étude des bourgs castraux du Duché [… n’avait] pas encore été menée de Le site actuel façon systématique », et que seule l’histoire des « institutions municipales » avait été réalisée23. Chef-lieu de canton de l’arrondissement de On pouvait pourtant, pour la Saône-et-Loire, Charolles (Saône-et-Loire), situé dans le pays s’appuyer sur un volumineux article de Michel du Brionnais, entre le fleuve de la Loire et les Bouillot, qui avait passé en revue sous forme Monts du Beaujolais, Semur est implanté à d’atlas, dès 1967, la morphologie de toute une 4 km environ à l’est-sud-est de . Le série de bourgs (castraux ou autres) du dépar- village occupe massivement la plate forme et tement, posant ainsi de précieuses bases pour le flanc nord-est d’une extrémité de plateau, des études ultérieures24. En droite ligne des le tout dominant, au sud, la vallée du Merdas- études sur les peuplements castraux du nord- son. La majeure partie du plateau principal est de la France25, quelques jalons supplémen- se développe en direction du nord-est, au- delà d’une ancienne vallée morte, et accueille en-Laye : AFAM (Mémoires de l’AFAM, XIII). encore aujourd’hui de vastes bois. L’axe routier Sciascia (Alberto), L’incastellamento nell’ Europa occiden- tale : Fonti e dibattito storiografico. Rome : Marco Vale- principal desservant le village (D 989) relie ce rio. 2007. dernier autant à la vallée de la Loire (route 21. La notion de « localité castrale » est ainsi préférée par vers Marcigny à l’ouest, le long de la vallée du Bernhard Metz pour éviter l’aspect flou du terme Merdasson), qu’aux riches coteaux bocagers « bourg » : voir l’introduction de son article : Metz (Bernhard), En Alsace, bourgs castraux ou villes du Brionnais et à la vallée du Sornin (route castrales ? in : Bur, Les peuplements castraux… p. 223 de Saint-Christophe-en-Brionnais à l’est, qui à 242. traverse le plateau principal) (fig. ).1 22. Baudreu (Dominique), Formes et formations des D’une façon générale, tant dans la qualité villages médiévaux dans le bassin de l’Aude, in : du bâti que dans le tissu urbain, on perçoit Cursente (Benoît) (éd.), Habitats et territoires du Sud. Actes du 126e Congrès national des sociétés histori- une différence très nette entre d’une part un ques et scientifiques, Toulouse, 9-14 avril 2001. Paris : noyau de constructions antérieures au xixe CTHS, 2004, p. 69. siècle, groupé sur la plate forme du rebord 23. Richard (Jean), Les peuplements castraux en Bour- de plateau, ainsi que sur les premières pentes gogne ducale, in : Bur, Les peuplements castraux… p. 39. nord (zone appelée « la Basse Ville »), et d’autre 24. Bouillot (Michel), Formes et urbanisme : morpho- part des ensembles de constructions d’épo- logie urbaine de la Saône-et-Loire, in : La Vie que très récente, éparpillés le long des routes Urbaine, 1967 (3), p. 161 à 200. 25. Bouvard (André), Châteaux et bourgs de la Monta- 26. Voir notamment Mouillebouche (Hervé), Les gne du Doubs. Montbéliard : Société d’émulation de peuplements castraux en Côte-d’Or, in : Mémoi- Montbéliard, 2006. res de la Commission des Antiquités de la Côte-d’Or, Henigfeld (Yves), Masquilier (Amaury) (dir.), Projet t. XXXVII : 1993-1996, p. 210-240, et le recensement collectif de recherche : Archéologie des enceintes urbaines des sites castraux réalisé par le CeCaB : Maerten et leurs abords en Lorraine et en Alsace (XIIe-XVe siècle), (Michel), Mouillebouche (Hervé) (dir.), L’habitat Revue Archéologique de l’Est (26e supplément), fortifié en Bourgogne ducale (Côte-d’Or, Saône-et-Loire). 2008. Base de données sur DVDrom. Chagny : CeCaB, 2010.

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Fig. 1 : plan schématique général de Semur, réalisé à partir de plusieurs plans locaux. En grisé, nous avons indiqué les principaux repères topographiques.

Fig. 2 : ancienne porte de ville appelée « la Fig. 3 : ancienne porte de ville appelée « la porte au poterne », parement interne (photo F.C.) Vau », parement nord (photo F.C.)

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principales. Nous ne nous attarderons pas sur l’histoire spatiale du bourg trouve en revanche les vestiges du château médiéval, à l’extrémité de précieux précédents dans la courte notice orientale du plateau, objets d’une étude histo- morphologique de Michel Bouillot portant sur rique et archéologique renouvelée menée par le tissu urbain de Semur31, et dans un mémoire les membres du CeCaB27, ni sur l’église romane de maîtrise de Corinne Roux soutenu en 1995 Saint-Hilaire, implantée au nord-ouest du à Dijon, intitulé La seigneurie de Semur-en-Brion- château28. Notons en revanche que le contour nais 1055-128232. Cette dernière étude tente quasi-elliptique de l’extrémité du plateau est de dresser le portrait politique, économique bien marqué, au nord et au sud, par le front et social de la seigneurie de Semur sur deux que constitue l’alignement des murs arrières siècles, mais aborde aussi les aspects de l’orga- des maisons, où se fond une ancienne porte nisation du territoire en tentant la première de ville, nommée la Poterne, large de moins de synthèse cartographique de l’organisation du 1,30 m (fig. 2). bourg de Semur du xe au xiiie siècle (fig. 4). Dans le vallon, au nord, est conservée une ancienne porte de ville, appelée la porte au Telle qu’elle est délivrée par les divers auteurs Vau, qui coupe la rue du même nom : il s’agit consultés, l’histoire du développement de d’un édifice à deux niveaux, dont le premier Semur paraît somme toute relativement simple. comporte une arche épaisse en plein-cintre Si la date de première apparition du site dans (fig. 3). En contrebas de cette porte, sur le front les textes fait débat (la mention « Mons qui voca- nord de la route de fond de vallon (en dessous tur Senmurus » en 879 proviendrait d’un faux), de l’actuelle route D 989), un bâtiment servant on sait en revanche que le rebord de plateau de lavoir aurait été construit au xvie siècle accueille déjà un château au xe siècle, placé sur les restes d’une ancienne chapelle ayant le comme verrou défensif du côté le plus exposé vocable de Sainte-Marie-Madeleine. (vers la vallée morte, à l’est). Le village de Saint- Martin-la-Vallée (l’actuel hameau Saint-Martin, Les connaissances historiques à 4 km à l’ouest) aurait préexisté au château, au pied du plateau. Ce sont les familles de ce village À part deux monographies locales qui bros- qui, après avoir quitté les alentours de leur sent à grands traits l’histoire de la localité29, le église paroissiale, se seraient groupées autour du site de Semur a surtout été considéré dans l’op- château. La tenue d’un marché hebdomadaire tique de l’histoire politique de ses seigneurs et dans ce bourg « sub castro de Sinemuro » est du réseau castral30. Notre problématique de confirmée entre 1055 et 108033.

27. Lehner (René-Pierre), Mouillebouche (Hervé), et al., Le donjon de Semur-en-Brionnais : aula caro- Mémoires de la Société Éduenne, t. XV, 1887, p. 251-313 lingienne ou donjon de l’an Mil. À paraître dans et t. XVI, 1888, p. 95-174. Reveyron (Nicolas) (s. dir.), Hugues de Semur, Paray- Jacquier (Élizabeth), Le château de Semur-en-Brion- le-Monial et l’Europe Clunisienne ; acte du colloque de nais et le réseau castral en Bourgogne du sud aux Paray-le-Monial, 1er-4 octobre 2009. xie et xiie siècle, in : Reveyron (Nicolas), Rocher 28. Fishhof (Gil) : Hugues de Semur et les sires de (Michel), Engel (Marie-Thérèse) (dir.), Paray-le- Semur : identité dynastique et l’église de Saint- Monial, Brionnais, Charolais : le renouveau des études Hilaire de Semur-en-Brionnais, à paraître, ibid. romanes. Actes du 2e colloque scientifique internatio- Nicolier (Annelise), L’église de Saint-Hilaire de Semur- nal de Paray-le-Monial, 2-4 octobre 1998. Paray-le- en-Brionnais : une approche archéologique du Monial : Zodiaque, 2000, p. 185 à 199. chantier de construction, à paraître, ibid. 31. Bouillot (Michel), Formes et urbanisme : morpho- 29. Dosso-Greggia (Jean-Louis), Semur-en-Brionnais : logie urbaine de la Saône-et-Loire, in : La Vie son passé. Marcigny : impr. Bérard, 1969. Urbaine, 1967 (3), p. 161 à 200, ici, p. 190. Leduc (Gui), Semur et le Brionnais : une perle dans son écrin 32. Roux (Corinne), La seigneurie de Semur-en-Brionnais roman. Bourg-en-Bresse, Éd. V-art, 2004. 1055-1282, Mémoire de maîtrise de l’université de 30. Cucherat (Chanoine François), Semur-en-Brion- Bourgogne, s. dir. A. Saint-Denis, 1995. nais, ses barons, ses établissements civils, judiciaires et 33. Richard (Jean), Le cartulaire de Marcigny-sur-Loire ecclésiastiques depuis l’an 860 jusqu’à nos jours, in : (1045-1144), essai de reconstitution d’un manuscrit disparu.

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Fig. 4 : synthèse de l’évolution historique du bourg de Semur, selon Corinne Roux (Roux, La seigneurie de Semur… fig. 2, p. 23)

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Une première enceinte, au cours du xiie construction, en 1830, du petit séminaire, sous siècle, aurait cerné le village, définissant ainsi ce l’égide de l’abbé Bonnardel : cela nécessite la que certains ont appelé une ville haute. Accolé destruction d’une partie de la basse-ville et à cette enceinte se constitue la basse-ville, l’annexion du chemin tendant anciennement qui devient un quartier bien individualisé : de la Poterne à la double-porte nord de l’en- peut-être est-ce cette « nouvelle ville » qui est ceinte de la ville-haute. On ouvre alors, plus à mentionnée, près du château de Semur, avant l’est, une rue appelée encore actuellement le 108834. Les fortifications semblent alors gagner chemin neuf, et qui sert toujours à descendre les pentes nord de l’éperon et les bâtiments de la plate-forme sommitale en direction de la dépendant du chapitre collégial colonisent porte au Vau. progressivement la partie occidentale de l’épe- ron, créant une partition entre deux quartiers, La lecture cadastrale l’un laïc à l’est, l’autre religieux à l’ouest. À la fin du xiiie siècle, l’accès au « bourg castral » Au terme de ce rappel des connaissances est désormais sévèrement surveillé : une route spatiales admises, il faut concéder que de larges unique nord-sud est contrôlée par quatre portes, pans de l’histoire du développement spatial et à savoir la porte au Vau au nord (qui permet de architectural de Semur restent entourés d’om- pénétrer dans la basse-ville), une double porte bres, qu’il s’agisse de l’éventuel premier village entre la basse-ville et la citadelle, et enfin une antérieur au château, de la première forteresse poterne dans la face sud de la première enceinte. et de ses modifications ultérieures, du déve- L’ensemble des évolutions du site depuis la loppement de la basse-ville… D’ores et déjà, fin du xe siècle, jusqu’en 1274 est présenté de ces rappels paraissent montrer que la consti- façon synthétique par une planche illustrée du tution du bourg castral ne s’est pas faite de mémoire de maîtrise de Mlle Corinne Roux, façon uniforme et en terrain vierge, puisque le que nous reproduisons ici (fig. 4). château a attiré à lui un habitat déjà constitué La recette de cens faite par le châtelain Pierre relativement proche, et peut-être très antérieur. de Mur en 1440-1441, indique que « depuis dix Nous ne sommes évidemment pas en mesure ans passés ladite ville basse de Semur a este bruslee de proposer une relecture totale du site, mais la et destruite35 » et la chose se reproduit en 1467, reproduction du cadastre napoléonien (fig. 5), puis en 1576, dans des proportions qui nous permet d’opérer quelques remarques : exécuté échappent36. en mai 1825, ce levé parcellaire est antérieur Seule la Révolution Française amène aux grands travaux de construction du petit d’autres modifications : une nouvelle rue, la séminaire, ce qui permettrait de retrouver les « rue de la Réunion », est percée afin d’accé- dispositifs anciens de communication entre la der plus facilement à la partie haute de la ville, plate-forme sommitale et le quartier nommé à l’angle nord-est de l’éperon. Au xixe siècle, la basse-ville. le gros bouleversement spatial provient de la La plate-forme Dijon : Société des Analecta Burgundica, 1957, charte n° 3 (1055-avant 1080), p. 5. La lecture morphologique du plan est riche 34. Ibid., charte n° 13 (avant 1088), p. 14. (fig. 6). Passons rapidement sur les formes lisi- 35. ADCO, B 6 287. bles dans la zone castrale, puisque cela est légè- 36. Decors (Émilie), Le château de Semur-en-Brionnais : rement hors sujet. Les deux tracés ovales 1 et 2 évolution architecturale du château de Saint-Hugues. inscrits l’un dans l’autre ont, selon nous, fossilisé Mémoire de maîtrise d’archéologie, s. dir. N. Revey- ron, Université Lyon 2, 2004, p. 134. d’une part l’emprise du volume tronconique Dosso-Greggia (Jean-Louis), Semur-en-Brionnais : son de terre qui concourt à l’emmottement de la passé. Marcigny : impr. Bérard, 1969, p. 40. Les tour (en 1), et la limite extérieure d’un espace destructions de 1467 sont évoquées dans le terrier de Semur de 1483, ADSL, J 126, terrier Magistri.

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Fig. 5 : extrait du cadastre napoléonien de Semur-en-Brionnais (1825), au 1/2 000). En grisé, les principaux repères topographiques. plus large disposé autour de la place forte, déli- lacunaire (6) s’appuie sur des parcelles bâties mitant peut-être une basse-cour (en 2). et non bâties. Si le tracé 3 est bien l’enceinte La ligne 3 met en valeur une aire encore plus urbaine, les structures n° 4 et 5 peuvent conser- vaste : à la différence des deux premiers, ce tracé ver le souvenir de fossés. On peut comprendre est également formé par des murs de bâtiments, que ces fossés s’interrompent à l’est, là où le notamment sur les faces nord et sud de l’épe- rebord de plateau accueillant le village s’ouvre ron (murs postérieurs de maisons). Superposé vers le vaste plateau principal, puisque le à l’étroite porte appelée la Poterne, sur le flanc château est censé avoir joué le rôle de verrou sud (fig. 2), cet alignement 3 recoupe, au nord, défensif au point le plus faible.37 En revanche, un axe viaire nord-sud, qui prend le nom de pour la partie ouest, l’explication est probléma- rue des Portes vers la basse-ville (actuelle rue de tique, car le dénivelé est moins prononcé à cet la Porte au Vau). Tout porte à croire, donc, que endroit. On place cependant ici le lieu-dit du la structure 3 fossilise les anciens murs urbains : Précolier, à savoir un terrain dépendant depuis sur les faces sud, ouest et nord, la superposition une date inconnue du quartier ecclésiastique38 : de ce tracé avec les contours de la plate-forme peut-être cette possession foncière des clercs naturelle a peut-être évité la construction d’une n’a été acquise que tardivement, et on a alors vraie courtine, remplacée efficacement par les comblé les fossés à cet endroit39. Aucun rensei- seuls murs postérieurs des habitations. Plusieurs autres alignements semblent liés à 37. Cucherat, Semur-en-Brionnais… p. 262. ces murailles. La structure n° 4 double ainsi le 38. Le nom « Précolier » viendrait du latin Pratus scholae, flanc sud de la forme précédente en lui étant et aurait accueilli les loisirs des jeunes clercs : voir grossièrement parallèle, et on trouve au nord un Cucherat, Semur-en-Brionnais… p. 265 phénomène similaire moins marqué (structure 39. On possède d’autres exemples locaux en ce sens, n° 5). Dans la même zone, un alignement très notamment à Paray-le-Monial, où des achats monas- tiques de terrains extra-muros, amènent, entre le xvie

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gnement d’ordre historique ne permet pour faible proportion de parcelles bâties dans cette l’instant de répondre de façon plus assurée. zone au xixe siècle ? Doit-on y voir le résul- Quant à l’alignement 6, il est presque sûr tat des destructions successives de cette annexe qu’au moment où est mise en place la rue des basse, ou bien un échec de la tentative de lotis- Portes qui descend vers la porte au Vau, cet sement ? Seule une étude plus poussée, archéo- accès est protégé par une sorte de fausse-braie, logique ou historique, permettrait de répondre de doublement du mur d’enceinte vers l’exté- avec assurance. Notons du reste que malgré les rieur, pour ménager une entrée renforcée. Les trois destructions de la basse-ville que relatent auteurs mentionnent en effet dans cette zone les textes (cf supra), les vestiges d’une organisa- l’existence d’une double porte au xiiie siècle, tion spatiale planifiée sont encore visibles au appelée « les Portaux »40, et qui donnait accès xixe siècle : aucune opération d’aménagement au quartier ecclésiastique d’alors : la structure 6 urbain n’ayant eu lieu après le xvie siècle dans pourrait en être le vestige. cette zone, il faut croire que certains repères spatiaux étaient suffisamment forts pour être La basse-ville repris de façon durable (limites, bornes…) Deux autres alignements, plus extérieurs (8 La zone appelée la basse-ville se révèle et 9), vont de pair. Le tracé 8 consiste en un également très riche. En 7, les fronts sud de alignement légèrement courbe de plusieurs deux rues dans le prolongement l’une de parcelles non bâties, au nord. Enfin, à l’est, l’autre, affectent à l’est un tracé courbe- tota la structure n° 9 suit le flanc oriental de la lement en discordance avec les formes visibles structure précédente. L’alignement 8 ne suit autour (actuelle ruelle du puits Girardin). Cette aucune courbe de niveau particulière, et son courbure invite à voir les vestiges d’un tracé retour d’équerre oriental répond clairement de limite très contraignant (enceinte, grande à des préoccupations humaines de délimita- voie de communication ou autre). Les deux tion ; ajoutons que la porte au Vau (fig. 3) est îlots concernés par cette ligne 7 présentent un placée à l’endroit où cette structure coupe la parcellaire complexe mais plutôt en lanière. rue des Portes d’axe nord-sud (actuelle rue de Cependant, on y décèle une organisation la Porte au Vau). Cette ligne n° 8 doit être presque « orthogonale », qui affecte même les le vestige d’une clôture de la partie basse de rues : celles-ci montrent une organisation en la ville ainsi que plusieurs auteurs en posent « grille ». Tout cela incite à voir dans cette zone l’hypothèse, mais la Porte au Vau ne présente une implantation très encadrée, voire un site aucun indice permettant d’apprécier la nature de lotissement médiéval, sans doute protégé de cette délimitation : cette dernière permet au nord et à l’est par une enceinte, le tout à seulement d’orienter la datation vers la fin de une certaine distance de la plate-forme du l’époque gothique (xive-xve siècles). À l’est, la château. Peut-être s’agit-il du premier noyau structure n° 9 pourrait alors être le vestige d’un de la basse-ville. Que penser, néanmoins, de la dispositif de fossé oriental doublant l’enceinte 8 : ce sont ces fossés que le chanoine Cuche- rat imagine alimentés en eau, par les étangs et e et le xvii siècle, à un comblement partiel des fossés 41 et un déplacement des murs de ville, tout ceci en sources proches . terrain plat. Voir Chaléat (Franck), Genèse et développement des bourgs Les carrefours viaires castraux et monastiques en Bourgogne du sud : éléments pour une étude de phénoménologie spatiale d’habitats groupés situés actuellement topographiquement à proxi- En morphologie urbaine, on étudie toujours mité de châteaux ou de monastères, mémoire de DEA en parallèle le parcellaire et les axes viaires, car « Histoire et Archéologie des Mondes médiévaux », ces derniers, de par leur orientation ou les points s. dir. N. Reveyron, Université Lyon 2, 2005, vol. 2, p. 300. 40. Cucherat, Semur-en-Brionnais… p. 263. 41. Cucherat, Semur-en-Brionnais… p. 264.

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Fig. 6 : lecture morphologique du cadastre napoléonien de Semur-en-Brionnais (1825). Les numéros et lettres de structures remarquables renvoient au texte. de convergence qu’ils déterminent, peuvent à la porte. Tout indique alors que la porte au indiquer certains changements spatiaux histo- Vau n’a pas été un point d’entrée notable. Les riques. Dans le cas de Semur (fig. 6), remar- deux points de convergence A et B se produi- quons d’abord deux phénomènes de points de sent également loin de toute ouverture dans convergence : l’un en A, qui voit se rejoindre le parcellaire ; en revanche, à chaque fois, l’axe la Grande Route de avec un chemin qui semble avoir le statut le plus important (la allant au sud-est en direction de la vallée du route de Marcigny à Semur pour la structure B, Merdasson (actuelle place de la Réunion) ; en et la grand route de La Clayette pour la structure B se croisent la route de Marcigny à Semur, et A), se courbe en direction du carrefour C. Or, le chemin de la Madeleine de Marcigny à Semur ce dernier se produit là où les structures n° 7, (qui suit, lui, le fond de vallée). On peut ensuite 8 et 9 rencontrent un axe viaire important au considérer qu’en C, les deux chemins princi- sein du tissu, à savoir la rue de la basse-ville. Tout paux résultant des deux premiers carrefours, se concourt alors à restituer ici le point d’entrée croisent, pour rejoindre la rue nommée rue de le plus important de la ville de Semur (à l’en- la basse-ville. droit où l’actuelle D 989 rencontre la rue de la Or, la localisation de ces carrefours par basse-ville). rapport au tissu urbain est incongrue. Ainsi, la Parallèlement, la partie la plus ancienne de la porte au Vau ne semble générer aucune véri- basse-ville (limitée par l’alignement 7, cf supra) table « patte d’oie » spécifique : le chemin de la est en connexion avec ce point C. Il y aurait Madeleine de Marcigny à Semur rencontre deux donc ici le foyer le plus actif de l’urbanisation chemins de desserte rurale au nord de la porte, médiévale du vallon, avec un lotissement d’au mais sans infléchir sa course en direction de moins deux îlots qui attire à lui les chemins celle-ci ; au contraire, c’est un embranchement latéral en retour d’équerre qui vient le relier

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environnants. Sans y voir forcément les traces en traversant le Brionnais en direction de la de la « nouvelle ville » citée avant 108842, ce vallée de l’Azergues ouvrant sur le Lyonnais. lotissement est pour nous antérieur à l’en- Ici encore, l’observation globale du bâti ceinte n° 8, du fait de la courbure orientale du révèle deux zones à l’occupation très dense, tracé 7 ; celle-ci est en effet difficile à expliquer qui se différencient d’une couronne périphé- si l’on considère que ces îlots sont une simple rique au tissu plus lâche. Les deux zones les réorganisation intra-muros, postérieure à l’im- plus denses sont d’une part la vieille ville, à plantation de l’enceinte 8 : rien n’aurait alors savoir l’espace de l’interfluve jusqu’à la zone du empêché l’îlot oriental de venir contre le flanc Champ de Foire (tout de suite au nord-est du est de l’enceinte la plus large. château), et d’autre part la colline de la Made- La rue du Plâtre mentionnée sur le cadastre, leine, au-delà de la Semence. C’est au cœur de et qui vient, en un curieux tracé en chicane, ces deux zones que se repèrent les édifices les rejoindre le point A, ne peut être qu’un perce- plus anciens ou les plus remarquables. Le plus ment tardif se raccordant a posteriori au maillage important d’entre eux reste le château comtal de chemin existant : nous la rattachons au d’origine médiévale (actuel hôtel de ville), percement, sous la Révolution Française, d’une autour duquel subsiste une portion non négli- route permettant de gagner plus aisément la geable du mur d’enceinte, fondé directement partie haute du village, et appelée alors « rue sur le rocher. Le deuxième monument impor- de la Réunion43 ». tant est l’église paroissiale de style néo-roman implantée sur la place de l’église, et bordée au sud par le canal de la Semence. À mi-chemin Le bourg de Charolles entre ces deux édifices, sur l’actuelle rue Baudi- not, se développe la façade de l’ancien couvent Le site actuel des clarisses urbanistes, dans un style gothique sobre (fig. 9). Chef-lieu de canton et d’arrondissement Au sommet de la colline de la Made- implanté dans le sud du département de la leine siège l’ancien prieuré du même nom, Saône-et-Loire, à 21 km environ à l’est de la fondation clunisienne établie à la suite d’une Loire, la localité de Charolles occupe un site première chapelle Sainte-Marie-Madeleine, et d’interfluve (fig. 7), au confluent des deux riviè- qui garde de beaux restes d’architecture gothi- res de la Semence (au sud-est du centre ville) que. L’étude archéologique qui en a été faite et de l’ (au nord-ouest). Le château montre les vestiges encore importants de la médiéval se loge au nord-est du confluent, au première chapelle romane44. Sur l’autre front sommet de l’éperon qui se dresse entre les deux de rue, en descendant vers la ville, on aper- cours d’eau, tandis que les pentes et le pied du çoit une bâtisse présentée comme l’ancienne relief ont accueilli la majeure partie de l’ha- maison seigneuriale des sires de la Magdeleine, bitat (en direction du confluent). Ce dernier et qui comporte une vieille tour d’escalier aux a colonisé également au sud-est la colline de fenêtres de style gothique. la Madeleine, au-delà de la Semence. Trois rameaux de routes desservent principalement Les connaissances historiques le centre-ville actuel de Charolles : une route au nord-est vers et Mâcon ; une autre La littérature scientifique est plus -four au nord-ouest, qui prolonge l’axe principal de nie pour Charolles que pour Semur, mais le Charolles vers Paray-le-Monial ; une troisième, bourg en lui-même reste le parent pauvre enfin, part en direction du sud vers La Clayette, 44. Chaléat (Franck), L’ancien prieuré clunisien de la 42. Richard, Le cartulaire de Marcigny-sur-Loire… n° 13 Madeleine à Charolles, in : Hugues de Semur 1024- (avant 1088). 1109 : lumières clunisiennes. Cluny : Doyen éditeur, 43. Dosso-Greggia, Semur-en-Brionnais… p. 46. 2009, p. 137 à 142.

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Fig. 7 : plan schématique général de Charolles, réalisé à partir de plusieurs plans locaux. En grisé, nous avons indiqué les principaux repères topographiques.

Fig. 8 : ancienne église paroissiale gothique Fig. 9 : façade de l’ancien couvent des clarisses urba- Saint-Nizier de Charolles, avant sa destruction nistes, depuis la rue Baudinot (photo F.C.). (collection privée).

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des écrits. Aucune synthèse historique à peu Marie-Madeleine, sur laquelle les moines de près complète n’a été réalisée jusqu’à ce jour, Cluny prétendent avoir des droits devant le et il faut aller glaner dans diverses sources de comte de Chalon51. Une première église lui renseignements45. Les origines de la châtellenie ferait suite en 104452, englobée un demi-siècle sont éclairées par l’article assez fouillé d’An- plus tard dans le prieuré clunisien qui se déve- dré Déléage concernant divers châteaux du loppe autour (attesté dès 1103-1105)53. Charol- comté46, et la thèse d’Élizabeth Jacquier sur les les apparaît comme castrum dès 956-97854, mais châteaux ducaux de cette même circonscrip- la présence d’un habitat groupé n’est vérita- tion permet de suivre les vagues de réparation blement attestée qu’en 1301, quand Béatrix et ou de construction du château de Charolles47. son mari Robert de Clermont lui octroient L’architecture du bourg est passée en revue une charte de franchises55. La ville est peut-être dans plusieurs articles amateurs ou brochures déjà fortifiée en 1390 et comprend plusieurs locales48, mais, malgré le court exposé morpho- poternes en plus des deux portes principales logique de Michel Bouillot paru en 196749, c’est qui la desservent, l’une vers l’actuelle place de le paysage urbain de l’époque révolutionnaire la Balance au pied du coteau de la Madeleine, qui a été le mieux étudié, dans le mémoire de l’autre avec pont-levis sur l’Arconce. maîtrise d’histoire de Thérèse Lagoutte intitulé Seules les modifications du xve siècle nous Charolles de 1790 à 179350. permettent d’appréhender le paysage urbain. Le château acquiert sa structure définitive vers Les découvertes les plus anciennes sur le 1440 : cinq tours défendent alors la place forte, site du bourg indiquent une occupation du soit les quatre conservées dans le parcellaire, haut Moyen Âge dans la zone du prieuré de la plus une du côté de la Semence, gardant peut- Madeleine, mais c’est seulement à la fin du xe être l’accès à un pont jeté sur cette rivière. Un siècle qu’y est mentionnée une chapelle Sainte grand boulevard rectangulaire semble déjà exis- ter sur le flanc est du château, près de la porte 45. Dubois (frère Maxime), Monographie des communes du de ville nommée porte Montgaru ou porte de Charollais et du Brionnais. Réimpression [1e éd. 1904]. la Planche (sur l’actuelle rue Gambetta). Rééd ; s.l. : Ed. de la Tour Gile, 1989. Voir égale- En périphérie de la ville, il existe déjà au ment La Revue du Charolais : revue d’histoire régionale (Charolais, Brionnais et Bourbonnais), n° 12 : octobre sommet de la colline de la Madeleine le bâti- 1923 ; 13 : novembre 1923 ; 15 : janvier 1924. ment gothique présenté comme la maison 46. Déléage (André), Les origines des Châtellenies du Charolais, in : Revue de la Physiophile, t. 4, 1934, p. 55 à 60. 47. Jacquier (Élizabeth), Les châteaux médiévaux en Bour- 51. Déléage, Les origines des châtellenies… p. 56 : cet gogne du sud (d’après les comptes du bailliage de Charol- auteur cite une notice de plaid datant d’entre 956 les). Thèse soutenue à l’université de Paris IV, dir. et 978. Anne Prache, 1995 52. Grivot (Chanoine Denis), Le prieuré de Charolles. 48. À la découverte du Patrimoine charollais : le Nez en l’Air. Charolles : Les Amis du Prieuré, 1995. Les rues de Charolles. Charolles : GSAC, s. d. 53. La date la plus souvent retenue est celle de 1103, mais Charolles «Mémoire d’une ville». Charolles, A.U.E. du l’abbé Courtépée semble citer un document datant Charolais-Brionnais Val-de-Loire / Antenne Charo- l’acte de 1105 : voir Courtépée (Claude), Descrip- laise du CGSL/Photographie en Charolais/GSAC, tion générale et particulière du Duché de Bourgogne, t. 1, 2003. Histoire et description générale. Avallon : F.E.R.N., Les Amis du Passé Charolais, Ce vieux pays : le canton de 1967-1968, p. 281. Ceci est repris ou complété dans Charolles (Saône-et-Loire) au début du xxe siècle. Charol- Grivot, Le prieuré de Charolles…, Déléage (André), les : Les Amis du Passé Charolais, 1996. Les origines des châtellenies… p. 57, et Jacquier 49. Bouillot (Michel), Formes et urbanisme : morpho- (Élizabeth), Deux prieurés clunisiens en Bourgo- logie urbaine de la Saône-et-Loire, in : La Vie gne du sud : La Madeleine à Charolles et Marcigny, Urbaine, 1967 (3), p. 161 à 200. plan p. 190. in : Cluny : à la découverte des sites clunisiens, Dossiers d’Archéologie 275, juillet-août 2002, p. 30. 50. Lagoutte (Thérèse), Charolles de 1790 à 1793. Mémoire de Maîtrise d’Histoire, s. dir. M. Ligou, 54. Déléage, Les origines des châtellenies… p. 56. Université de Bourgogne, 1969. 55. Dubois, Monographie des communes… p. 77.

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forte des seigneurs de la Magdeleine56, dont le pont (ouvrant sur le faubourg de Champagny, lignage est attesté par les textes depuis 135657 : autour de l’actuelle rue du même nom). Sur aucune trace de fortification n’apparaît plus les trois portes subsistantes, dont la porte de la désormais. Et il semble établi qu’en 1529 les Madeleine à l’emplacement actuel de la place habitants possèdent l’« allée du Pré Saint- de la Balance, la Révolution verra la dispari- Nicolas », au sud-est du bourg. Il doit y avoir tion de la porte de La Clayette (au sud-est) en là une chapelle portant le même vocable, et 179461. accueillant une léproserie58. La première moitié du xixe siècle prolonge Au cours des guerres de Religion, en 1572, ces restructurations, à commencer par la destruc- des lettres patentes signalent que la ville n’est tion de la Porte de la Planche, une porte de plus en état de se défendre, en raison de l’état ville située dans la partie la plus septentrionale déplorable de ses murailles. L’ancien hôpital de la rue Gambetta. En 1843 est ouverte, sur la de la ville, fondé par les comtes du Charolais colline de la Madeleine, la rue des Bruettes, qui au xive siècle, est rebâti en 1616, sur l’actuelle aboutit presque face à l’hôpital, puis, sept ans rue du général Leclerc, et en 1632 est fondé plus tard, la rue des Marais (sur la rive gauche le couvent des clarisses (dans l’actuelle rue de la Semence), tandis que la nouvelle route Baudinot). En 1694, le château subit un incen- de la Clayette est construite. Après la démo- die et est rebâti par le bailli Duhautoy qui y lition, dès 1850, du vieil hôpital Sainte-Agnès, édifie, d’après ce que l’on sait, un pavillon de on perce à l’ouest l’actuelle rue de la Grenette, deux étages, des écuries, et répare le contour vers la route de Génelard : les remblaiements des murailles59. excessifs transforment beaucoup de rez-de- Le xviiie siècle est une période pendant chaussées des maisons adjacentes en caves62. laquelle les murailles et la périphérie immé- Ces modifications concernent aussi le pied diate du vieux bourg sont modifiées. En 1760, du château. Entre 1862 et 1866, on remplace la ville acquiert des Religieuses Clarisses le l’ancienne église gothique Saint-Nizier (fig. 8) terrain situé au nord-est du château (actuelle par l’actuelle église paroissiale néo-romane : place du champ de Foire), où seront installés notons que la nouvelle construction se retrouve le bureau d’octroi et la bascule60. Vingt ans plus occidentée, contrairement à la première église. tard, pour laisser passer les ancres de marine La destruction de la mairie, installée à côté, ainsi transportées de à Toulon-sur-Mer, on que de plusieurs maisons et d’une « tour de la détruit la porte de ville installée près du grand Poterne », permet alors d’agrandir la place de l’église. En 1881 est percée la rue Baudinot, qui relie encore actuellement la place de l’église à 56. Lagoutte, Charolles de 1790 à 1793… p. 10. En 1757, la 63 description faite par le curé de Charolles au sujet de l’hôtel de ville . Plusieurs édifices sont à cette sa commune, pour la confection de la grande carte occasion détruits, dont les anciennes halles du Duché, évoque « le hameau de la Magdelaine ou Sainte-Catherine. La configuration spatiale de fauxbourg de la ville, où il y a deux métairies, un prieuré dit de la Magdelaine, et un petit château apartenant à M. la ville est alors fixée. Maineau conseiller au Parlement de Paris, à quatre cens pas de la ville du côté du Midi. » ADCO, C 3 531, p. 412. 57. Ce vieux pays : le canton de Charolles (Saône-et-Loire) au début du xxe siècle. Charolles : Les Amis du Passé Charolais, 1996, p. 35. 61. Charolles « Mémoire d’une ville ». Charolles : A.U.E. 58. Ce vieux pays : le canton de Charolles… p. 18 ; Dubois, du Charolais-Brionnais - Val de Loire / Antenne Monographie des communes du Charollais… p. 77. Charolaise du CGSL/Photographie en Charolais/ 59. La Revue du Charolais… n° 13, novembre 1923, p. GSAC, 2003, p. 3 ; comparer avec les archives ADCO, 204. On peut suivre les diverses réparations par les C 4 sup subdélégation Charolles. liasses des ADSL B 627, B 634, C 454, et des AN 62. À la découverte du Patrimoine charollais : le Nez en l’Air. Q1 1 008. Les rues de Charolles. Charolles : GSAC, s. d., p. 20 ; 60. Ce vieux pays : le canton de Charolles… p. 41 ; dès 1762, Charolles « Mémoire d’une ville »… p. 5. on pensera y déplacer le marché : ADSL, C 206. 63. À la découverte du Patrimoine charollais… p. 5.

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La lecture des plans anciens mentionnée par les érudits locaux67, ou encore de la « porte derrière le Château » signalée sur Les chercheurs qui étudient Charolles ont un document de 170968. la chance de pouvoir bénéficier de trois plans Pour le reste, une nette différence se perçoit anciens, à savoir, outre le classique cadastre dans l’étoile des chemins. À l’est, les grandes napoléonien, d’un magnifique plan géométral voies C6 (en direction de La Clayette) et C7 (en en couleurs, daté du milieu du xviiie siècle, que direction de ) convergent au sud nous nommerons plan 1 (fig. 10)64 et d’un plan de la colline de la Madeleine, pour former C8. géométral du centre de la ville levé en 1776 et Au carrefour des trois segments, se trouve un copié sur calque en 1905 que nous appellerons bâtiment orné à l’est d’un mur en demi-cercle, plan 2 (fig. 14)65. Nous avons, pour ces deux et qui s’apparente à une chapelle : il peut s’agir documents, recalculé l’échelle métrique, qui d’une simple chapelle dite « de carrefour », reste toutefois d’une précision relative. C’est censée exorciser ce point de passage, et qui par le plan 1, qui a l’avantage de concerner s’identifie peut-être à la chapelle Saint-Jacques autant la ville de Charolles que son environne- reconstruite en 175869. L’aspect rectiligne de ment proche, que nous commencerons. la route de La Clayette C6 fait penser à une fondation du xviiie siècle, propre à l’adminis- Le territoire communal sur le plan 1 tration des Ponts et Chaussées : parmi les lias- ses émises par cette administration, on trouve Ce plan reproduit très finement la campa- trace d’une « nouvelle route de La Clayette »70. gne à l’entour de Charolles, notamment le Cette réfection montre l’importance de l’axe, détail des chemins et certaines limites de lots de ce qui pourrait expliquer que C8 se situe tout propriétés ou de champs. Tout cela permet déjà de même plus dans l’axe de C6 que de C7, de bâtir un discours sur la desserte viaire de la comme si ce dernier n’était qu’un embranche- ville et du territoire à cette époque (fig. 11). ment secondaire. Quoi qu’il en soit, le chemin Remarquons tout d’abord à l’est, que le C8 rencontre C9 (un chemin de Charolles chemin numéroté C11 est ici marqué en lignes à Montot, actuelle rue de la Condemine) au doubles, et se surimpose au motif de paysage nord de la colline de la Madeleine, tout près du (dont la rivière) : il s’agit alors d’un percement pont qui permet d’entrer dans la vieille ville. encore en projet, qui deviendra plus tard la Cette vaste patte d’oie signale un point d’en- route menant vers Vendenesse-lès-Charolles et trée important dans la ville, point qui a peu Mâcon. À la grande enquête visant à la réali- de chance d’avoir beaucoup bougé durant les sation de la carte du Duché de 1757, le curé siècles, et c’est dans cette zone (actuelle place de Charolles précise que ce « grand Chemin de la Balance), que l’on place l’ancienne porte [est] nouvellement fait66 », ce qui date le plan de la Balance71, encore appelée porte de la d’avant 1757, sans plus de précision. Du reste, Madeleine en 170972 et porte de La Clayette on perçoit bien le fait que la réalisation future de C11 vient perturber le système ancien constitué par C10 et C12 : ceux-ci semblent 67. À la découverte du patrimoine charollais… p. 6 : cette s’être auparavant croisés à la lisière de la ville, porte était accompagnée d’une « maison du portier » peut-être au sortir d’une porte ménagée détruite en 1994. dans la partie nord-est de l’enceinte urbaine. 68. La Revue du Charolais… n° 13, novembre 1923, Sans doute s’agit-il de la Porte de la Planche p. 199. 69. ADCO, C 3 404. 64. ADCO, C 1 006. 70. Voir par exemple aux Archives Nationales, les dossiers 14 65. Conservé à la bibliothèque municipale de Charolles, F 149 et H 160. dans le fonds patrimonial, ce plan mentionne que le 71. La Revue du Charolais… n° 12, octobre 1923, p. 187. copiste est un certain Charles Robin. 72. La Revue du Charolais… n° 13, novembre 1923, 66. ADCO, C 3 531, p. 413. p. 199.

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Fig. 10 : plan de la ville de Charolles et de ses faubourgs, à la fin duxviii e siècle ADCO, C 1 006 : 84 x 55 cm. Antérieur à 1757, ce plan est nommé Plan 1 dans le texte (© CG 21/2010).

Fig. 11 : mise en lumière des chemins actifs et fossilisés sur le Plan 1 (ADCO, C 1 006, © CG 21/2010).

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plus tard73. Comme pour confirmer cela, nous paysage. On peut ainsi s’étonner de la locali- avons signalé en C2 un alignement remarquable sation des deux bâtiments que sont le prieuré de limites de champs, dans lequel nous voyons et le château des sires de la Magdeleine, qui la fossilisation probable d’un ancien chemin, sont, en 1757, situés loin de toute urbanisation. qui bordait de plus les bâtiments du prieuré Sont-ils dans une telle situation à cause d’une clunisien de la Madeleine et le château des désurbanisation des faubourgs et d’une rétrac- sires de la Magdeleine (marqués « prieuré » et tion du bâti ? La volonté de s’implanter dans un « château » sur la figure 11). Parallèle à C9, il a « désert » relatif a pu guider les moines cluni- dû être l’ancêtre de ce dernier et venait mani- siens. La mise en lumière d’un ancien chemin festement, comme lui, se raccorder au rameau passant devant le château (C2) laisse penser C8 afin de gagner le pont sur la Semence. C2 que ce dernier (le château des prieurs proba- se confond avec l’actuelle rue de l’hôpital. C9 blement) a longtemps joué un rôle important l’aurait remplacé en ayant l’avantage de se diri- dans la campagne de Charolles, bien que ce ger directement sur le pont, court-circuitant rôle soit pour l’instant impossible à définir. On sans doute le faubourg établi au sortir de ce peut aussi se demander si ce n’est pas sous le dernier. Certainement ce déplacement ne s’est- coup d’une lutte d’influence territoriale entre il pas fait d’un seul coup, et il y a fort à parier les deux pôles comtal et prieural que le déve- que le brin de voie qui est conservé entre C9 et loppement du faubourg de la Madeleine ne C2, à l’ouest du château des sires de la Magde- sera que très tardif (deuxième moitié du xviiie leine, pourrait être un vestige des déplacements siècle). successifs du vieux chemin. À l’ouest de la ville, en revanche, on remar- Le bourg dans le plan 1 que une patte d’oie moins spectaculaire, bien que toujours en rapport avec l’autre pont, sur Si l’on se penche sur la partie plus spéci- l’Arconce : plusieurs chemins ruraux de faible fiquement urbaine du plan antérieur5 à17 7, importance rejoignent le rameau C4, dont C5, on obtient une image assez fine du parcellaire qui résulte de la fusion successive de plusieurs du bourg de Charolles (fig. 12). Qu’on nous chemins, autour d’un axe menant à Lugny pardonne de ne pas livrer ici l’ensemble des (actuelle rue du Calvaire). C’est vraiment cette remarques que l’on peut faire à propos de ce rencontre qui marque la prégnance du pont parcellaire, et que nous avions incluses dans comme point d’accès à la ville : c’est au sortir notre mémoire de DEA76 : l’ampleur des de ce pont (ancien pont-levis74) qu’est restituée renseignements dépasserait le cadre de cette la porte dite « du faubourg de Champagny75 ». contribution. Nous voudrions cependant insis- La rencontre avec C3 est étrange : rectiligne, ter sur deux points, plus particulièrement riches C3 (actuelle RD 17) doit être un percement en hypothèses (fig. 13). autoritaire du xviiie siècle venu se raccorder à Le premier est celui de l’enceinte urbaine, un axe préexistant. De fait, l’alignement noté très lisible sur le plan en couleur : nous mettons C1 pourrait être, à l’instar de C2, un vestige en lumière (par un tracé continu) les aligne- d’ancien chemin prolongeant C4 vers le ments parcellaires qui fossilisent l’emplace- nord-ouest. ment de cette enceinte, enceinte qui vient très On voit donc que ce plan révèle toute l’his- logiquement se raccorder au château sur les toire évolutive des voies d’accès à la ville. Mais deux faces rocheuses de l’éperon. Cependant, il permet d’aller plus loin, notamment quant la présence d’un alignement courbe, au sein à l’implantation de certains marqueurs du du bâti établi au nord-est de l’éperon (tracé en pointillés), pose question : est-ce le vestige d’une prolongation de l’enceinte ? Rien n’est 73. Charolles : Mémoire d’une ville… p. 3. 74. La Revue du Charolais… n° 12, octobre 1923, p. 187. 75. La Revue du Charolais… n° 13, nov. 1923, p. 199. 76. Chaléat, Genèse et développement des bourgs castraux…

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Fig. 12 : agrandissement de la zone intra-muros de Charolles sur le plan 1 (ADCO, C 1 006).

Fig. 13 : indications morphologiques relatives à l’enceinte sur l’agrandissement du plan 1 (ADCO, C 1 006). En tracé trait-point, l’ancien quartier des halles Sainte-Catherine.

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moins sûr. Visible également sur le cadastre gation de cette muraille vers le nord-est78. En napoléonien, cet alignement est en effet plus revanche, pour ce qui est des quatre îlots dont irrégulier que le reste du tracé de l’enceinte. nous venons de parler (indiqués en trait-point), De plus, sa position, le long de la rivière, pour- un agrandissement (fig. 5 1 ) montre que cet rait le lier plutôt à la présence du cours d’eau : ensemble est effectivement comme renfermé fossilisation d’un ancien chemin bordant la sur lui-même, autour d’une place centrale, et Semence, frange de la zone d’inondation, ou porte l’appellation « les hales »79. Les pâtés de encore trace d’un ancien lit de la rivière. Néan- maisons présentent de fait un front continu vers moins, les quelques constructions implan- le nord-est (formé par les façades), le seul accès tées à l’entour, bien qu’éparses, montrent un mentionné étant la rue des Quatre Marmoins parcellaire assez organisé. Nous sommes alors qui mène à l’ouest vers l’église paroissiale. Au tentés de voir là une sorte de zone de lotis- sud-est, une petite venelle sépare les deux îlots sement, gagnée sur les berges de la rivière ou les plus méridionaux, et une voie en chicane sur l’ancien boulevard du château77, mais avec serpente entre les maisons au nord. Par ailleurs, la volonté supposée de prolonger la ville dans on remarque la présence d’une chapelle Sainte- cette direction, peut-être autour d’un ancien Catherine à l’est (tramée dans la fig. 5 1 ) : carrefour de chemins : rappelons que les deux c’est sans doute de cette chapelle qu’il s’agit chemins C10 et C12 convergent vers ce point, lorsqu’on projette, dès 1762, d’utiliser une et le gué voisin (marqué A), desservi par une « chapelle fermée sous les halles » comme abri ruelle (vers l’intérieur de la ville), indique un pour les grains80. Sur le cadastre napoléonien point de franchissement certes secondaire, mais de 1823, ce quartier présente peu ou prou le bien établi. Cette excroissance de l’enceinte même visage (sans chapelle toutefois), mais la aurait pu se faire avec des moyens beaucoup place intérieure est dénommée « halles Sainte- plus légers que pour le reste de la muraille : Catherine » (fig. 16). palissade de bois, muret... Dans l’attente d’une Sur tous ces plans, l’étude morphologique documentation plus fournie, cette proposi- montre que, mis à part pour l’angle sud du tion d’interprétation doit rester une simple carré, les trois rues nommées rue de la halle, du hypothèse. commerce et grande rue sont perpendiculaires, et génèrent une timide ébauche de ce que l’on L’autre fait spatial sur lequel nous voudrions pourrait appeler une « grille » si le phéno- attirer l’attention est l’organisation d’un mène était plus ample. De même, le décou- ensemble de quatre îlots (surlignés par un tracé page parcellaire des îlots se fonde sur des lignes en trait-point dans la figure 13), qui se distin- directrices orthogonales. De là découle l’idée gue du reste du plan 1 : autour d’une cour que l’ensemble est le résultat d’une opération centrale, ces masses montrent une organisation de planification urbaine d’envergure, associant parcellaire bien plus torturée que celle des îlots tracé viaire orthogonal et découpage parcellaire environnants. régulier (du moins au départ, la vie parcellaire La confrontation avec le plan 2 (fig. 14) se du quartier ayant modifié au fur et à mesure révèle intéressante à ce stade ; il s’agit, rappe- les limites). La physionomie d’origine pouvait lons-le, d’une copie datée de 1905 d’un levé consister en une place centrale (accueillant les géométrique de 1776. Nous y avons porté les principaux repères, et indiqué, avec les mêmes 78. Cette zone n’est pas comprise dans la copie de 1905, normes que pour la fig. 13, le tracé visible et on remarque seulement l’existence d’une limite de l’enceinte urbaine ; par la surface qu’il parcellaire lacunaire qui prolonge vers l’est le flanc concerne, ce plan 2 ne permet pas de tester sud des murailles, au-delà de la dernière tour, accolée l’hypothèse présentée plus haut d’une prolon- aux prisons. 79. Pour la facilité de la lecture, nous avons orienté ce plan. 77. Jacquier, Les châteaux médiévaux… 80. ADSL, C 206.

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Fig. 14 : copie de 1905 d’un plan de Charolles levé en 1776 (bibliothèque municipale de Charolles), nommé Plan 2 dans le texte. Nous avons indiqué les principaux repères topographiques ainsi que le tracé restitué de l’enceinte. En tracé trait-point, la zone du quartier des halles Sainte-Catherine.

Fig. 15 : agrandissement de la zone des halles Fig. 16 : agrandissement de la zone des halles sur Sainte-Catherine de Charolles sur le plan 2. le cadastre napoléonien (1823). En grisé, l’emprise En grisé, l’emprise de la chapelle Sainte-Catherine. restituée des deux maisons gothiques actuellement visibles aux n° 8 rue Baudinot et 9 rue Gambetta.

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halles ?) cernée de constructions régulières, (fig. 61 ), n’apparaît pas sur le plan 2, sans doute dont la chapelle Sainte-Catherine, sans doute encore noyée dans les constructions. Ces deux érigée pour assurer la protection ou la bénédic- plans montrent, à un demi siècle d’intervalle, tion du lieu de marché. Les accès, quant à eux, un recul progressif des cours et constructions semblent avoir subi plusieurs modifications, biscornues qui déformaient la place des halles, notamment la rue occidentale, dont le tracé et le percement de la rue Baudinot a dû être en chicane montre qu’elle est un percement facilité par ce relâchement progressif du tissu. exécuté a posteriori. Le plan 2 montre plusieurs La maison voisine comprend, elle, une cave parcelles, très allongées et situées au centre des voûtée d’ogives (fig. 17) sur deux travées, avec côtés nord et ouest de la place, qui pourraient des nervures reposant sur des culots historiés être d’anciens accès progressivement colonisés pour certains (fig. 20). Bien que les figures des par les habitats : ne peut-on alors imaginer la culots montrent quelques signes d’archaïsme, le place d’origine desservie par des rues droites style correspond à une datation du xve siècle. aboutissant au milieu de ses quatre côtés, en un Accessible depuis la rue Baudinot, cette cave tracé fortement géométrisé ? est en fait liée au n° 9 de la rue Gambetta. Les deux maisons reproduisent la même Si nous nous promenons dans le bourg configuration : de par le décalage des niveaux, actuel, il est très facile de repérer l’emplacement leurs caves sont à demi enterrées par rapport à de l’ancien quartier des halles Sainte-Catherine, la rue Baudinot, mais constituent un rez-de- à savoir le bas de la rue Baudinot actuelle. La chaussée vis-à-vis de la rue Gambetta, car cette majeure partie des constructions date du xixe dernière est plus basse en altitude ; de même, siècle, sans doute édifiée à l’occasion du perce- sur la rue Baudinot, le rez-de-chaussée des ment de cette rue qui a éventré les anciennes halles en 188181 ; mais on remarque la présence, au sud, de deux bâtisses conservant d’impor- tants vestiges gothiques et desservies par une terrasse surplombant la rue (n° 8 rue Baudinot et 9 rue Gambetta fig. 18). Contre la maison la plus occidentale, une ancienne venelle est presque entièrement dissimulée (fig. 19) : elle s’identifie selon nous à la venelle visible sur le plan 2 dans la partie est des îlots précédemment étudiés (fig. 51 ), ce qui permet de replacer les deux maisons actuelles sur le cadastre de 1823 (emprise tramée sur la figure 61 ). Les vestiges, de style gothique flamboyant (fin xve siècle ?) sont bien conservés. Il s’agit, pour l’une de ces demeures (au n° 8 rue Baudi- not), d’une tour d’escalier engagée. Celle-ci comporte à l’intérieur des restes de corbeaux et de portes qui indiquent l’existence antérieure d’une cage d’escalier de plan carré. Certaines baies auraient ouvert sur des pièces se dévelop- pant virtuellement à la place de l’actuelle rue Baudinot. Cette tour, déjà visible sur le cadastre napoléonien en position de saillie sur la place Fig. 17 : plan des caves gothiques du n° 9 rue Gambetta (relevés F.C.) 81. À la découverte du patrimoine charollais… p. 12.

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Fig. 18 : façades sur la rue Baudinot des maisons gothiques conservées aux n° 8 rue Baudinot et 9 rue Gambetta : on remarque la présence de la terrasse en rez-de-chaussée (photo F.C.)

Fig. 19 : ancienne venelle conservée à côté du n° 8 Fig. 20 : culot historié recevant une des ogives de la rue Baudinot, vue depuis la rue Baudinot. voûte des caves au n° 9 rue Gambetta (photo F.C.)

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deux bâtiments n’est pas de plain-pied mais est de la ville, au pied du château, peut-être un desservi par une terrasse en hauteur que l’on quartier artisanal82. gagne par un escalier depuis la rue. Et aucune des caves ne possède de porte ancienne (au Cette rapide étude révèle ainsi toute la moins gothique) ouvrant directement sur la complexité des questionnements spatiaux rela- rue Baudinot, alors que tout montre qu’elles tifs aux bourgs castraux médiévaux. Ainsi, dans fonctionnaient pourtant avec cet axe. Pour les deux cas étudiés, la vision d’un château nous, ceci démontre que le sol de la terrasse « pionnier » installé en terrain vierge est mise haute, sur laquelle ouvrent les baies du rez-de- à mal : un premier hameau sur la colline de chaussée, matérialise l’ancien niveau de circu- la Madeleine pour Charolles, et un village de lation des halles Sainte-Catherine : même si la vallon préexistant pour Semur. Les modes de rue Baudinot, aménagée sur la ligne de crête constitution du bourg paraissent également de l’éperon, est encore aujourd’hui surélevée beaucoup plus complexes que ce que l’on par rapport aux deux rues qui l’entourent (rue décrit souvent : manifestement, les zones de Gambetta et rue du Général Leclerc), il faut développement spontané et les zones de lotis- imaginer le sol originel bien plus haut. Ceci sement se mêlent, alors qu’une étude superfi- peut alors expliquer que le quartier des halles, cielle des plans aurait conclu à un regroupement sur les plans 1 et 2, paraisse comme détaché du de population spontané en fonction des lignes reste du tissu urbain : sans doute devait-il, par fortes du relief. De même, il resterait à étudier une altitude supérieure à tout ce qui l’entou- les phases successives de développement des rait, dénoter dans le paysage urbain de Charol- bourgs médiévaux : les éléments architectu- les. La série continue de murs de maisons au raux en notre possession datent les lotissements nord-est pouvait de fait constituer une sorte de repérés de la fin du Moyen Âge, mais rien n’em- mur de terrassement pêche de penser qu’il s’agit de reconstructions Nous avons vu que ce quartier des Halles sur la base d’un découpage foncier organisé possédait les caractéristiques d’une zone plani- bien avant. L’archéologie urbaine serait ici à fiée. Pour l’instant, les éléments gothiques des même de jeter quelques lumières sur l’origine deux maisons détaillées ci-dessus sont les plus de ces quartiers. anciens vestiges conservés dans la zone : ils L’analyse méticuleuse des plans force en peuvent servir d’indice de datation de la mise définitive à se concentrer sur toute une série en place du lotissement, mais sans certitude de détails instructifs, et parfois déroutants. toutefois. Ces bâtiments peuvent en effet avoir Il faut retenir la leçon, souvent oubliée en été reconstruits tardivement sur la base d’une histoire, qui prône pour chaque nouveau site organisation spatiale orthogonale déterminée l’adaptation des grilles de lecture et un oubli bien antérieurement, et ce lotissement a pu temporaire des connaissances acquises : ceci être implanté en remplacement d’un quartier permet la poursuite de l’exercice de connais- préexistant. Rappelons qu’en 1854, le creu- sance sans aveuglement. On peut penser aussi sement effectué dans la cave d’une maison que seule l’accumulation de données textuelles bordant les halles de Charolles (sans plus de permettra de sortir de l’impasse. Pour notre précision) mit au jour un tombeau de pierre, part, nous affirmons que, au moins quant à renfermant un squelette de haute stature, dont ces interrogations d’ordre spatial, priorité doit le crâne reposait sur un cercle de fer riveté. Le être donnée aux lectures planimétriques et aux chanoine François Cucherat y voyait l’indice fouilles archéologiques, et que leur documen- d’une implantation humaine très précoce (fin tation textuelle ne doit se faire qu’a posteriori, du haut Moyen Âge, an Mil ?) dans cette partie

82. Cucherat (Chanoine François), Notice sur le cercle de fer trouvé dans un tombeau à Charolles, et sur l’origine de cette ville. Mâcon : Protat, 1856.

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mais sans oublier les spécificités de chaque type de source. Dans le cas contraire, forte est la tentation de la « localisation à tout prix », ou le risque de contre sens, ou encore celui d’explication erronée. C’est ce que dénonce Henri Galinié lorsqu’il expose ce qui se passe habituellement dans les recherches urbaines ; ce faisant, il nous donne une leçon de pratique qui peut s’appliquer à tous les objets de notre recherche : « Quand les textes montrent l’émergence de termes comme burgus ou suburbium, quel rapport cela a-t-il avec la réalité matérielle ? [...] Il s’agit d’un jargon technique. Il nous faut avoir conservé une foi incommensurable dans la perspicacité des élites pour croire qu’appa- rition dans les textes vaut apparition dans les faits. […] Les usages du sol sont astreints à d’autres logiques que celle des mots qui apparaissent pour préciser le statut de configurations spatia- les compréhensibles par ceux qui manient le droit83. »

83. Galinié (Henri), Ville, espace urbain et archéologie : essai. Tours : Maison des sciences de la ville, de l’ur- banisme et des paysages, 2000. (Sciences de la ville, 16), p. 90.

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