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Une année d’économie collaborative décryptée par 8 médias

Édito

n plein essor, l’économie collaborative démocratise et remet au goût du jour des pratiques vieilles comme le monde et jusqu’ici cantonnées à la sphère d’échange familiale, amicale ou militante. Grâce aux plateformes numériques et à la création de larges communautés, nous pouvons aujourd’hui échanger ou louer un appareil photo, une voiture ou un appartement à de parfaits inconnus. Nous ne frappons plus immédiatement à la porte de notre banquier Décembre 2015 pour lancer une start-up, nous faisons appel Idée Collaborative © est une marque déposée au .E Nous ne jetons plus nos appareils défectueux, nous allons Direction éditoriale MAIF les réparer nous-mêmes dans un Fab Lab ou un Repair café. En somme, nous Philippe Tauvel, Valérie Gilbert, Amélie Ott multiplions nos possibilités d’échanges en pair à pair et gérons nos actifs et Remerciements ressources plus efficacement. Telles sont les promesses du « collaboratif » qui, en Toutes les équipes rédactionnelles de 20 Minutes, supprimant les frontières entre consommateurs et producteurs, rebat les cartes L’Express, Causette, Society, Usbek & Rica, We Demain, Consocollaborative.com, Ouishare de pans entiers de l’économie. Tous les secteurs sont concernés : de la mobilité à l’alimentation en passant par la solidarité et l’accès aux savoirs.Tout cela ne se CONCEPTION ÉDITORIALE Socialter SAS fait pas sans frictions ni résistance de la part des acteurs traditionnels. Face à ces 108, rue du Théâtre 75015 Paris pratiques nouvelles et peu régulées, il nous faut repenser notre modèle social et Directeur de la rédaction / rédacteur en chef Olivier Cohen de Timary notre conception du travail. C’est dans ce contexte de profondes mutations et d’adaptation à un monde Rédacteur en chef pour ce supplément Côme Bastin qui change rapidement que nous avons préparé cette publication. Fruit des Secrétaire de rédaction contributions de 8 médias, Idée collaborative 2015 se propose d’apporter un Brigitte Pennaguer Direction artistique/Illustrations éclairage inédit sur une société collaborative en action. En privilégiant une Ariel Martín Pérez approche « kaléidoscopique », nous choisissons d’appréhender ce mouvement Création graphique Pierre Bisson dans ce qu’il a de plus divers et de fournir les clés pour saisir ses enjeux. Car Contributeurs pour ce supplément si l’économie collaborative paraît très hétéroclite aujourd’hui, elle ouvre de Côme Bastin, Sébastien Claeys, Olivier Cohen de Timary, Arthur De Grave, Orlane Déniel, Marion Garreau, multiples voies pour transformer nos sociétés. À nous désormais de savoir la Florent Trocquenet-Lopez décrypter afin de mettre l’innovation au service du plus grand nombre. Photographe Socialter Erwan Floc’h

Impression Léonce Deprez Z.I. de Ruitz 62620 Ruitz DISTRIBUTION Presstalis

Ce supplément rédactionnel de 100 pages, La MAIF se félicite d’une collaboration inédite de 8 médias partenaires. IDÉE COLLABORATIVE 2015, est distribué avec Socialter n°14 sur l’ensemble de l’édition nationale et pour tous les abonnés. Ce supplément ne peut être vendu séparément.

Éditeur délégué Custom Publishing France 6 rue Rodier 75009 Paris RCS PARIS 394 412 928 Directeur de la publication Gérard Cohen

Socialter Numéro ISSN 2270-6410 3 Numéro de commission paritaire : 1118 D 92060 SOMMAIRE

Vivre sans argent STARTER 32 Grand Témoin. Alain Caillé

La face cachée du don. Ou comment l’économie collaborative 3 Édito donne un second souffle à une logique vieille comme l’humanité. 6 Idée large 8 Starter 34 Vingt-sept à la maison 13 Dominique Mahé : Pour une « société collaborative » Plongée à Vancouver chez Dann, Jordan, Quinn et Brennan qui accueillent des couchsurfeurs du monde entier. 14 Michel Bauwens : Génération bien commun 36 Nuits en libre-échange Marre d’ ? La plateforme française Nightswapping

vous permet le « troc de nuits ». CONSOMMER 37 Voiture à un euro

Partager 38 Bon débarras

Sur Co-recyclage, les déchets des uns font le bonheur des autres. 20 Grand Témoin. Philippe Moati

Pour le sociologue et statisticien, « notre modèle de consommation s’est irrémédiablement fissuré ». PRODUIRE 24 Carburer au partage

Économie, écologie, urbanisme... Comment la révolution Travailler autrement

de la mobilité partagée va tout balayer. 42 Grand témoin. Yann Moulier-Boutang 26 Plan B pour le RER A Comment réorganiser notre État-providence

Quand la RATP et une application de covoiturage pour encadrer toutes nos activités « pollinisatrices » ?

apprennent à collaborer. 46 Pourquoi l’entreprise du futur sera collaborative 28 Ruche Hour La transition vers un mode de production plus

Le plan secret de La Ruche qui dit Oui pour une agriculture horizontal est désormais indispensable à sa survie.

durable. 50 L’odyssée de l’espace 29 Comment manger à la sauce collaborative ? Partage de bureaux, d’appartement, de place de parking… Comment l’économie collaborative 30 Carton Plein bouleverse notre rapport à l’espace et au travail.

Portrait de Laure Courty, pionnière du « costockage ». Découvrez aussi des solutions pour stocker et déménager collaboratif. 52 Pascal Demurger. Changer de paradigme.

4 Erwan Floc’h Joe Waldron © © AGIR

Citoyens connectés 72 Grand témoin. Nathan Stern Comment le numérique et le collaboratif peuvent-ils favoriser le vivre-ensemble ? Éléments de réponse avec un sociologue et pionnier des plateformes d’échange. POC 21 © 76 Programme d’échange Financement Pour lutter contre les inégalités d’accès au savoir, des start-up « EdTech » réinventent l’éducation. 53 Crowdfunding : bientôt le big bang Bulle médiatique, croissance exponentielle, multiplication 78 École pour tous, école par tous des plateformes… Le crowdfunding, en plein boom, suscite beaucoup d’attentes et de convoitises. 79 MOOCs, vers une nouvelle dimension ?

57 Le crowdfunding fashion 80 Super-citoyens Portrait de Vanessa Broche, fondatrice de Wepopit. Comment une start-up citoyenne fait pression sur les politiques au Brésil. 58 La tentation de la finance Faire financer PME et start-up par les particuliers, 83 CityLity connecte les quartiers c’est désormais possible grâce au crowdlending. Mais les loups de la finance ne sont jamais bien loin. Solidarité Faire soi-même 84 Grand témoin. Léa Thomassin Le collaboratif peut-il servir le milieu associatif ? 60 Grand témoin. Ophélia Noor Réponse avec la directrice générale de HelloAsso, Fab Labs, makerspaces, tiers-lieux : jusqu’où iront les makers ? Entretien avec une observatrice avisée 86 MakeSense, ça fait sens du mouvement DIY (Do it yourself). L’association connecte 20 000 membres et 45 pays pour soutenir les entrepreneurs sociaux du monde entier. 62 Génie maker dans un garage Après avoir créé le premier ordinateur brésilien, 88 Crise des réfugiés : le collaboratif contre-attaque Luis Eduardo Sutter a lancé le premier Fab Lab de Rio. Des solutions citoyennes et connectées se multiplient pour faire face à l’un des plus grands défis de ce début de siècle. 64 POC 21 fabrique les objets du futur Dans les Yvelines, un camp d’innovation open source 90 Wheel you help me ? pour un monde plus durable. Portrait de Charlotte de Vilmorin, site de location de voitures adaptées aux personnes handicapées. 66 Vous ne jetterez plus jamais votre smartphone « L’autre Keynote », un joyeux rassemblement de start-up 91 Le « TripAdvisor du handicap » décidées à en finir avec le gaspi électronique.

68 Un atelier de réparation gonflé À Montreuil, une association permet aux cyclistes DIGESTIF de réparer eux-mêmes leur vélo. 92 Antonin Léonard. Après la ruée vers l’or 94 Top 5 des villes les plus « share » 69 L’imprimante 3D : enfer ou paradis ? Comment les enseignes de bricolage passent à l’heure du « co ». 96 Book café 98 Co/Design

5 6 COP des makers Une douche qui recycle son eau, une éolienne low cost, un kit d’agriculture urbaine ou un concentrateur solaire : ce ne sont que quelques-uns des projets passés du concept à la réalité grâce à la POC 21 (Proof of concept). Durant 5 semaines cet été, une centaine de makers, designers, ingénieurs, scientifiques et geeks se sont réunis au château de Millemont, dans les Yvelines. Leur objectif : concevoir et regrouper le meilleur des solutions écologiques en open source (lire page 64) © POC21

7 STARTER Les chiffres et les news de l’économie collaboratives en 2015 Une définition de 296 l’économie collaborative ? Les contours de ce que l’on nomme « économie collaborative » sont très larges. milliards Néanmoins, nous pouvons dégager quatre caractérisques centrales : Le marché mondial de ❶ Une organisation en « réseau » ou communautés l’économie collaborative ❷ Une mutualisation de ressources matérielles ou immatérielles devrait atteindre près de ❸ Une intermédiation via des plateformes numériques 296 milliards d’euros d’ici ❹ Des échanges plus horizontaux (moins de hiérarchies) à 2025, contre 13 milliards en 2014, selon une étude d’avril dernier du cabinet de conseil PwC (soit une 1,3 milliard valeur multipliée par 22 en une décennie). C’est le nombre de smartphones qui ont été écoulés dans le monde, rien qu’en 2014. 52 % D’ici 2018, 55 % du trafic des usagers de l’économie collaborative pensent internet devrait passer par qu’elle sera aussi les technologies mobiles et importante que l’économie les objets connectés. traditionnelle dans le futur. (Étude Sharevolution, (sources : IDC, Schibsted) mars 2015)

« L’économie du xxie siècle « Il faut qu’ sera collaborative ou puisse payer des impôts ne sera pas ! La France en France. » a la chance d’avoir des (Emmanuel Macron, acteurs particulièrement bien Loi #noé, positionnés dans ce secteur. » novembre 2015) (Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, 8 juillet 2015) TEXTO . La jeune BLABLA MASSALA « » Jusqu’en Inde ! Le champion français du covoiturage joue déjà dans la cour des grands a annoncé en janvier l’ouverture de son service Valeur d’entreprise estimée (en $) à fin 2015 au pays du rickshaw. Blablacar a depuis réalisé en septembre 2015 une levée de fonds record de (1) > 60 milliards 200 millions de dollars (183 millions d’euros) pour poursuivre son développement international. = 24 milliards (2) DANS DE BEAUX DRAPS. Depuis le 1er octobre, Airbnb collecte une taxe de séjour à Paris (0,83 euro par voyageur) pour chaque nuitée réservée via sa plateforme. Une nouvelle source de revenus non négligeable = 6,3 milliards pour la capitale, premier marché du groupe en termes de logements proposés (50 000 annonces). = 1,6 milliard

(1) À l’heure où ce magazine est imprimé, une nouvelle levée Coworking mania de fonds en cours valoriserait Uber entre 60 et 70 milliards de dollars. NB : souvent assimilée à l’économie collaborative, Uber est plus précisément une entreprise à classer parmi les 250 plateformes de travail « à la demande ». (2) La valorisation d’Airbnb dépasse aujourd’hui celle des C’est le nombre groupes hôteliers Marriott et Accor d’espaces de coworking en France

10 000 C’est le nombre de coworkers français, QUI VA répartis à part égale entre salariés À LA et freelance CHASSE... 650 000 places de parking 300 € seraient inoccupées en France, Prix moyen mensuel d’un abonnement selon ZenPark, premier opérateur de parkings partagés en France, 71% qui a levé 1,6 million d’euros des espaces organisent des apéros entre en 2015. leurs membres (source : Bureaux à partager)

« Le capitalisme ne sera « Accompagnons « La mise en plus la règle suprême. l’“ubérisation” de commun Il devra apprendre l’économie plutôt que des services, à vivre avec l’économie de la sanctionner ! » des espaces et du partage. » (Nathalie Kosciusko- des savoirs est Morizet, débat sur la fin du (Jeremy Rifkin, irréversible. » salariat, forum Challenges, (Jacques Attali, Le Monde, septembre juillet 2015) Le JDD, juin 2015) 2015) 9 Starter Les consommateurs collaboratifs au scanner Une enquête du Pôle interministériel de prospective Les consommations et d’anticipation des mutations économiques (Pipame), publiée en juillet, estime que 5 % de la émergentes entrent population française arrive à tirer plus de 50 % de son dans les mœurs revenu de la consommation collaborative. Le profil de ces fanas du « co » ? En majorité de jeunes actifs de En % de Français ayant 25-34 ans et des familles avec au moins un enfant. déjà expérimenté... le faire 380 € 85 soi-même C’est la somme que les pratiquants de la consommation l’achat 60 d’occasion collaborative estiment économiser à l’année. 44 l’emprunt 15 % de produits La proportion de pratiquants 21 le covoiturage ayant déclaré ou comptant (passager) déclarer aux impôts leurs l’achat revenus issus de l’économie 18 mutualisé collaborative. (Source : TNS Sofres) l’hébergement Et on le fait pourquoi ? 17 entre Pour 67 % des usagers, la principale motivation est économique, particuliers selon une enquête * du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC). Vient ensuite la volonté de « rencontrer des gens » (47 %), puis de « protéger l’environnement » le crowdfunding (30 %). 14

(*) Société collaborative : l’argent d’abord, le partage aussi,avril 2015. (Source : L’observatoire des consommations émergentes, vague 3, septembre 2015, sous la 10 direction de Philippe Moati) L’ÉCONOMIE COLLABORATIVE EST-ELLE ÉCOLOGIQUE ? Peut encore mieux vert Acheter d’occasion, échanger ou louer ses biens sont des pratiques bénéfiques pour notre environnement, mais à certaines conditions seulement. Explications. Marion Garreau 30 %

des utilisateurs de l’économie collaborative déclarent être motivés par son impact environnemental. À rapporter aux 67 % qui cherchent d’abord un gain économique.

23 %

c’est la part du budget des ménages utilisé pour des biens partageables Ariel Martín Pérez le covoiturage © (passager) ans un monde collaboratif, on partage Pour que riment économie collaborative et sa voiture, on emprunte les outils de écologie, ces pratiques doivent réellement bricolage à son voisin et on troque changer nos modes de consommation. L’Institut 1,5 % Dses vêtements contre d’autres. Autant du développement durable et des relations d’échanges et de réemplois qui permettent de internationales (Iddri) précise, dans une étude sur réduire le nombre de biens utilisés et donc, à le sujet (1), deux autres conditions : la durabilité c’est la part de la consommation terme, la quantité de ceux produits. De quoi des biens partagés, soit leur capacité à tenir dans électrique mondiale représentée par améliorer notre impact environnemental ? le temps pour que la mutualisation n’engendre les plateformes d’échange L’exemple du covoiturage semble aller dans pas un remplacement frénétique, et un transport ce sens : grâce à cette option, trois quarts des optimal des biens. Acheter une cafetière sur Le covoitureurs ont renoncé à la voiture individuelle, Bon Coin à 50 km de chez soi et la récupérer en ce qui leur fait économiser chacun une tonne de voiture ou par livraison n’est pas vraiment écolo. (sources : CRÉDOC, TNS Sofres, La Face cachée du numérique. L’impact CO2 en moyenne par an, selon une étude réalisée Pour cela, mieux vaut aller à la brocante du coin. environnemental des nouvelles par Atema Conseil pour l’Ademe (Agence de En plus, les plateformes d’échange, comme tout technologies, Fabrice Flipo, Michel l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). site internet, sont très gourmandes en énergie. Dobré et Marion Michot, éditions L’échappée, 2013) Mais, à voir la dernière publicité d’Airbnb, on Alors plutôt que de louer une perceuse sur s’interroge. « Mon appart a financé ma collection Zilok.com, passez voir votre voisin. En plus, cela de chaussures », témoigne une « utilisatrice » de favorise le lien social. la plateforme de location de logement. Ainsi, les • usagers du collaboratif ne veulent pas forcément (1) Damien Demailly et Anne-Sophie Novel, « Économie moins consommer et peuvent même faire tout du partage : enjeux et opportunités pour la transition le contraire avec l’argent gagné ou économisé. écologique », Studies, n° 3, Paris, Iddri, 2014. 11 Starter

LEXI- CO 12 expressions à connaître sur le bout des doigts avant d’entrer en société collaborative

Autopartage Mise à disposition d’un véhicule à destination des particuliers sur une courte durée. Le véhicule peut être personnel (OuiCar) ou public (Autolib’). À ne pas confondre avec le…

Covoiturage Fait d’embarquer un ou plusieurs passagers durant son trajet pour partager les frais d’essence et parfois de belles discussions.

Couchsurfing (littéralement « surfing du canapé ») Hébergement gratuit de particulier à particulier, et pas toujours sur un canapé. Également le nom de la plateforme qui a popularisé le concept.

Coworking Fait de travailler à plusieurs, souvent entre salariés indépendants. Se pratique généralement dans un tiers-lieu ou un espace dédié. Échange de compétences, événements et apéros fréquents.

Crowdsourcing (production participative) Utilisation de l’intelligence et des contri- butions du plus grand nombre pour collecter et organiser des informations ou réaliser une tâche. Wikipédia, ça vous dit quelque chose ?

Crowdfunding (financement participatif) Permet à des particuliers, des associa- tions ou des entreprises de faire appel aux internautes pour collecter des fondsvia une plateforme web plutôt qu’une banque. Le crowdfunding peut prendre plusieurs formes : dons, prêts (crowdlen- ding) ou investissements en capital (crowdequity).

Crowdbuying (achat groupé) regroupement de consommateurs pour acheter un ou plusieurs produits moins chers, souvent avec moins d’intermédiaires. Si c’est toujours trop cher, vous pouvez toujours vous tourner vers le…

DIY (Do it yourself – « Faites-le vous-même ») Activité visant à fabriquer des objets, technologiques ou artistiques, de façon artisanale. Internet favorise sa croissance grâce à la diffusion de tutoriels, plans et modes d’emploi gratuits. Peut se pratiquer dans un...

Fab Lab (ou makerspace) Lieu ouvert à tous, équipé de machines telles qu’imprimantes 3D ou fraiseuses numériques. Permet d’y fabriquer des prototypes ou réparer des objets. Cousin proche du hackerspace, lieu de bidouille informatique.

Open source À l’origine, logiciel informatique dont le code source est ouvert et réplicable. Par extension, bien ou service dont les plans ou la méthodologie sont librement consultables et réutilisables.

Peer-to-peer (pair à pair) Modèle de réseau informatique décentralisé. Par extension, toute activité économique ou intellectuelle effectuée directement de particulier à particuliervia internet.

« Uberisation » Néologisme phare de l’année 2015. Nouveau service rendu possible par le numérique et les objets connectés. La mise en relation de travailleurs freelance et leurs clients, sans passer par les intermédiaires classiques, menace du coup des secteurs entiers de 12 l’économie. Exemple ? Uber versus taxis. La boucle est bouclée. Dominique Mahé PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DU GROUPE MAIF Pour une « société collaborative » Président-directeur général militant de la mutuelle d’assurance, Dominique Mahé revient sur le rapprochement de la MAIF avec le monde de l’économie collaborative. Rapprochement qui explique, un peu, le numéro que vous tenez dans les mains ! Propos recueillis par Côme Bastin

La MAIF est une entreprise presque La MAIF a cette année décidé centenaire. Pourquoi l’économie de passer un certain nombre de collaborative est-elle devenue priorité partenariats avec des journaux stratégique ? à la fois grand public et plus Nous sommes nés en 1934 du mouve- spécialisés. Avec quel objectif ? ment enseignant et portons depuis les Au-delà de l’exercice de notre valeurs solidaires de la mutualité. Dans métier d’assureur, au sens strict, notre plan stratégique de 2014, nous nous considérons que la MAIF a avons décidé d’être à la fois en veille et un rôle presque politique (au acteur des économies émergentes, et sens d’implication dans la vie de principalement de l’économie collabo- la cité) à jouer. Nous avons rative. Nous considérons en effet que toujours eu une implication cette effervescence de création et de sociétale très forte autour de start-up n’est pas seulement une sujets sur lesquels nous sommes réponse à la crise. Elle est aussi por- légitimes – comme l’éducation. teuse de lien social nouveau et repose, Nous voulons désormais nous dans ses fondamentaux, sur des valeurs engager également pour une qui sont les nôtres, comme le partage, « société collaborative ». Nous MAIF/DR l’échange, la confiance. avons donc souhaité faire © connaître à nos sociétaires et, Vous êtes président-directeur général d’une entreprise au-delà, au grand public, cette volonté de la mutuelle. Et, dite de l’économie sociale et solidaire (ESS). Quelles pour ce, nous avons développé une communication différences et quelles ressemblances avec l’économie institutionnelle vers des médias dédiés au plus grand collaborative ? nombre, comme L’Express ou 20 Minutes, et des titres plus On remarque d’emblée, entre l’économie collaborative et la spécialisés, dont Socialter. mutualité, des convergences assez évidentes sur les leviers d’action. Cette économie permet d’agréger des publics, des Pourquoi ce numéro « Idée Collaborative 2015 » ? communautés, ce qui est un champ d’action constitutif de Pour rassembler sur un même support toute l’actualité de la MAIF. Nous avons sûrement à « apprendre à l’économie collaborative cette année et donner à voir sa apprendre » de l’économie collaborative et numérique en diversité et son évolution. L’idée n’est pas d’imposer une matière de souplesse, de créativité, d’émergence de nou- vision uniforme de ce mouvement mais au contraire de veaux modes de relations, de désintermédiation via les donner aux lecteurs les clés pour comprendre ses pro- outils digitaux. C’est une rupture et un défi qu’il nous faut messes, ses enjeux, mais aussi sa complexité. La MAIF fait relever dès demain. Mais l’économie collaborative a sans ainsi la démonstration de sa jeunesse et de la proximité doute elle aussi des choses à apprendre de l’ESS, en termes qu’elle veut entretenir avec cette économie émergente. de responsabilité sociale d’entreprise et de contribution à Notre éthique et nos valeurs peuvent se retrouver et se l’intérêt général. C’est une relation gagnant-gagnant. renouveler à la fois dans ces mouvements. • 13 Michel Bauwens Génération bien commun Pour Michel Bauwens, fondateur de la P2P Foundation, le pair à pair pourrait bien transformer le xxie siècle. À condition de cheminer vers une économie collaborative qui enrichisse le bien commun plutôt que de privatiser les profits. Propos recueillis par Arthur De Grave / Photos : Erwan Floc’h

Peut-on vraiment définir l’économie Né en Belgique en 1958, Michel collaborative ? Bauwens voyage aujourd’hui à d’adopter la culture de l’organisation C’est un terme qui recouvre des réalités travers le monde pour diffuser la lorsqu’elle voulut exploiter le travail de très différentes. Le premier modèle philosophie du pair à pair. Après la communauté. consiste à créer des ressources partagées. avoir travaillé chez British Petroleum C’est l’économie qui crée des communs : (BP) puis Belgacom et après avoir Ce type d’initiatives bottom-up créé plusieurs start-up dans l’écono- la capacité qu’ont aujourd’hui les citoyens ne restent-elles pas marginales hors mie numérique au début des années de se connecter et de s’auto-organiser. Ces 2000, il fonde la P2P Foundation du monde bien particulier de l’infor- derniers peuvent, par exemple, produire de en 2005. Il a récemment publié matique ? la connaissance, du design ou encore du Sauver le monde : vers une économie Au contraire, nous assistons à une code ouverts ; autour de ces communs, des post-capitaliste avec le peer-to-peer véritable explosion du phénomène ! entrepreneurs vont ensuite venir co-créer en collaboration avec Jean Lievens Partout dans le monde, les initiatives de la valeur. Cette économie représente (éditions Les Liens qui Libèrent, 2015). civiques – c’est-à-dire ni étatiques ni déjà 1/6 du PIB américain. Linux ou commerciales – se multiplient à un Arduino font partie des fers de lance de ce rythme exponentiel. Je pense notam- mouvement. Le second modèle, souvent ment aux coopératives énergétiques, désigné comme étant celui de l’« économie du partage », aux circuits courts… Les gens reprennent la main ; ils en ne va au contraire pas générer de communs. Il se attendent de moins en moins de la part du secteur contente de mutualiser des ressources sous-utilisées marchand ou de l’État. (appartements, voitures, etc.) pour permettre des transac- tions commerciales entre les particuliers. Les représen- Est-ce la naissance d’une alternative au modèle tants les plus fameux de cette économie sont Uber et consumériste ? Airbnb. Oui, je crois. Il nous faut désormais réinventer une économie éthique qui soit générative pour les communs Toutes ces activités ne sont-elles pas liées par la plutôt qu’extractive. Le problème, c’est que les plate- formation de communautés qui s’auto-organisent ? formes de l’économie du partage fonctionnent selon une Il est important de distinguer les dynamiques top-down logique d’extraction : Uber ne réinvestit pas ses profits et bottom-up. Dans le premier cas, l’entreprise mobilise un dans les infrastructures urbaines. Autrefois, le capitalisme public extérieur tout en gardant le contrôle sur les fins (ce avait le mérite de créer de la valeur et de l’emploi. Au- qui implique généralement une forme d’atomisation du jourd’hui, il se contente de mettre en relation et de Erwan Floc’h public). Dans l’autre, de véritables communautés se prélever une rente sur l’activité citoyenne, contournant au © mettent en place, l’entreprise n’arrivant que dans un passage toute forme de protection sociale. Les plate- second temps. C’est à cette dernière de s’adapter aux formes de l’économie du partage sont riches – leur force communautés productives, pas l’inverse ! Il faut y voir un est de centraliser ce qui est « distribué » –, mais elles déplacement du centre de gravité. Par exemple, la com- peuvent appauvrir la société. munauté Linux [ayant donné naissance au système d’exploitation libre du même nom, ndlr] a inscrit dans sa Les modèles « distribués » sont-ils de taille à lutter ? fondation une sorte de code social régissant les Pour battre les plateformes à leur propre jeu, il faudrait interactions avec l’économie marchande, et ce fut à IBM effectivement que nous parvenions à introduire une

14 « Il nous faut désormais réinventer une économie éthique qui soit générative pour les communs plutôt qu’extractive. »

15 les villes. Avec la suppression de toute aide d’État aux pauvres dans les années 1830, la marchandisation com- plète du travail était achevée. Le premier mutualisme est né de ce besoin de protection de la classe ouvrière. Ma théorie est que nous vivons un deuxième acte d’enclosures, un exode massif, choisi ou contraint, de la condition salariale. Il existe d’un côté une classe précaire forme de coordination dans l’économie distribuée. La éduquée grandissante et, de l’autre, d’importants seg- question est donc de savoir comment changer d’échelle ments de la population en phase d’appauvrissement sans revenir à un modèle centralisé. Une première rapide. Ces gens doivent absolument développer de solution consiste à former des coalitions entrepreneu- nouveaux mécanismes de solidarité. Il y a donc beaucoup riales. Je les appelle les « nouvelles guildes », comme par à apprendre du « vieux » mutualisme. exemple le réseau Enspiral en Nouvelle-Zélande, dont l’idée centrale est le développement de l’aide mutuelle Comment enclencher le mouvement ? entre entrepreneurs. Ce sont des travailleurs indépen- La bonne nouvelle, c’est que les technologies dont nous dants qui créent des outils (Loomio, Cobudget, pour n’en disposons aujourd’hui devraient en théorie permettre de citer que deux) permettant de travailler de façon plus donner de l’ampleur au mouvement bien plus rapide- collaborative. On pourrait également citer Ethos ment qu’au xixe siècle. En revanche, il faut absolument Foundation au Royaume-Uni ou Las Indias en Espagne. que le monde mutualiste se réveille et trouve une manière Deuxième solution : mettre sur pied des méta-réseaux au d’aller à la rencontre des communautés productives. Car niveau des territoires. Je pense notamment à des initia- le paradoxe, aujourd’hui, c’est que le capital a très bien tives comme enCommuns.org en France ou Mutual Aid compris comment exploiter l’hyperproductivité des Network dans le Wisconsin. L’idée est de connecter communs, alors que le secteur coopératif est encore assez localement les flux émergents de l’économie qui œuvrent largement prisonnier de vieux modèles hiérarchiques et pour le commun. La troisième et dernière idée serait de bureaucratiques. Les nouveaux systèmes sont ouverts, Erwan Floc’h réinventer le coopérativisme pour remplacer les plate- basés sur la contribution et non plus sur le membership, © formes privées que nous connaissons aujourd’hui par ce qui entre en contradiction avec la philosophie des plateformes civiques. Bien sûr, ce combat est tout coopérative traditionnelle. L’alliance stratégique entre sauf gagné d’avance. l’économie sociale et solidaire et l’économie du pair à pair est encore à forger, et il y a urgence ! Pensez-vous que la puis- sance publique ait un rôle à Quel nouveau modèle jouer dans cette transfor- de société imaginer à partir mation ? « L’alliance stratégique du pair à pair ? Je le pense. Les villes, en Dans l’ancien système, c’étaient particulier, sont dans une entre l’économie sociale les personnes privées qui position idéale pour déclen- créaient de la valeur, et nous cher cette dynamique. Dans et solidaire partions du principe que chacun un pur modèle bottom-up, était égoïste. Les transactions les participants sont trop et l’économie du pair à commerciales étaient vues rarement portés sur les comme le mode d’interaction questions de passage à pair est encore à forger, sociale dominant, ce qui excluait l’échelle. Aux pouvoirs naturellement les communs et publics locaux de reprendre et il y a urgence. » exigeait par ricochet l’interven- l’initiative pour donner tion d’un État régulateur. Cette naissance à des plateformes façon d’organiser la vie en civiques et connecter les initiatives distribuées. Ils y ont commun ne marche plus : l’État a été mis au pas par les tout intérêt car, pour l’instant, une part substantielle de la forces du marché. Dans le monde du pair à pair, ce sont valeur créée par la société civile est absorbée par la au contraire les citoyens eux-mêmes qui créent de la Californie ! Certaines villes comme Séoul ou Bologne valeur en constituant des communautés productives. ont d’ailleurs amorcé une réflexion de fond sur le sujet. Il faut donc passer d’une économie « extractive » à une économie « générative » et trouver un moyen de tirer de Voyez-vous des convergences possibles entre cette la valeur des communs sans les exploiter. Dans ce nouvelle économie collaborative et le mouvement contexte, le modèle des fondations que nous rencontrons mutualiste historique ? un peu partout dans le mouvement open source (Linux, Il me semble qu’il existe déjà entre les deux de fortes Wikipédia, etc.) devrait servir d’inspiration pour l’État, similitudes d’un point de vue historique. Dans l’Angle- qui agirait désormais comme partenaire et facilitateur. À terre du xixe siècle, les paysans furent chassés de leurs rebours de la vision libertaire, il faut réapprendre à « faire terres et durent se résoudre à devenir des prolétaires dans société ». • 16

18 CONSOMMERCONSOMMER

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Grands témoins

Philippe Moati Sociologue et statisticien de la consommation

Alain Caillé Sociologue et économiste, spécialiste du don

19 ConsommerConsommer Partager LES GRANDS TÉMOINS Philippe Moati « Notre modèle de consommation s’est irrémédiablement fissuré »

Achat direct au producteur, achat d’occasion, mutualisé ou emprunt de produits… Ces pratiques ne sont plus naissantes, mais bel et bien installées dans les habitudes des consommateurs. Entretien avec Philippe Moati, directeur de l’Observatoire des consommations émergentes, et auteur d’une étude statistique sur la question (1) Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Erwan Floc’h

Qu’entendez-vous exactement par bio. Ce sont des personnes plus âgées Après plus de vingt ans passés au « consommation émergente » ? CRÉDOC, Philippe Moati a participé à et moins connectées. Troisième groupe, Bonne question ! Ce n’est pas ce qui est la création en 2011 de l’Observatoire les recycleurs (18 %) qui sont adeptes nouveau, car cela peut-être le retour d’un Société et Consommation (ObSoCo). de l’emprunt ou du marché de l’occa- phénomène ancien. Ça n’est pas non plus L’analyse des transformations du sion. Enfin 37 % des sondés affichent alternatif, car cela n’est pas toujours vécu système économique et social un recours très faible à toutes ces comme tel par le consommateur. Pas traverse ses différents travaux. pratiques de consommation émergente. uniquement collaboratif non plus, car cela L’Économie des bouquets (éditions dépasse ce cadre. Au final, je dirais que de l’Aube, 2008, Prix de l’Académie Quelles sont les motivations de ces c’est tout ce qui échappe au modèle des sciences commerciales 2009) et nouveaux consommateurs ? marchand classique, mais qui révèle les La Nouvelle Révolution Il y a une ambiguïté : c’est à la fois une nouvelles attentes des consommateurs et commerciale (Odile Jacob, 2011) sont manière de continuer à hyperconsom- ses deux derniers livres. pourrait bien un jour devenir dominant. mer dans un contexte défavorable, mais aussi une façon de donner du Quelles grandes tendances se dégagent sens à son acte. Lorsque l’on sonde les de votre étude ? individus, on se rend compte qu’il y a, La transformation du modèle de consommation est déjà dans le même temps, des motivations matérialistes et en cours. Un peu plus de 60 % des Français ont déjà altruistes. On observe également des tendances poli- sauté le pas, d’une manière ou d’une autre. Le faire tiques : les écologistes sont très nombreux, car la plupart soi-même (81 %), l’achat direct au producteur (70 %), de ces pratiques sont associées à des vertus environne- l’occasion (60 %), l’emprunt de produits (44 %) : tout cela mentales. L’extrême gauche est bien représentée aussi, ce ne relève plus de l’épiphénomène réservé à des militants qui témoigne d’une logique de contestation et de chan- bobos écolos. gement social.

Pratique-t-on tout cela à la fois ? Votre étude montre que certaines tendances de Les multipratiquants pèsent moins de 10 %. Ces nouvelles consommation n’ont guère évolué. formes de consommation sont pour eux quasiment C’est tout le paradoxe. La médiatisation de ces sujets, en ordinaires. Pour le reste, chacun compose sa propre particulier de l’économie collaborative, est montée en partition en fonction de ses besoins et spécificités, et l’on flèche depuis 2012. Or, par rapport aux dernières études, distingue plusieurs groupes de pratiquants. Les « Néo- mobiles » (14 %) utilisent surtout le covoiturage et (1) L’Observatoire des consommations émergentes, vague 3, septembre 2015, sous la l’autopartage. Les « Bioéthiques » (18 %) privilégient direction de Philippe Moati. Enquête réalisée du 24 juin au 10 juillet 2015 auprès de l’achat responsable en circuit court, le faire soi-même et le 4 068 personnes.

20 « La transformation du modèle de consommation est en cours. Plus de Philippe Moati 60 % des Français « Notre modèle de consommation ont déjà sauté s’est irrémédiablement fissuré » le pas. »

21 Erwan Floc’h © Consommer Partager Erwan Floc’h ©

les chiffres montrent qu’il n’y a pas eu de « raz de marée corroborés par les données des plateformes elles-mêmes. collaboratif » depuis cette période. La location de pro- C’est aussi un effet « cycle de vie » : ces pratiques sont duits ou l’emprunt entre particuliers, par exemple, encore jeunes. stagnent entre 2013 et 2015. Certaines plateformes n’ont pas réussi à trouver leur Comment l’interpréter ? model. Cela veut dire que le mouvement était parti avant, mais Certains secteurs ont du mal à décoller car ils ne par- que les analystes et les médias se sont réveillés tard. Ces viennent pas au seuil critique d’utilisateurs nécessaire à pratiques sont déjà entrées dans les habitudes des indivi- leur développement. Prenons l’exemple du covoiturage dus, qui les ont d’ailleurs toutes notées positivement dans courte distance. Beaucoup s’y sont essayés, mais les le cadre de l’étude. Certains marchés sont d’ores et déjà plateformes peinent à atteindre un nombre de chauffeurs matures, comme le covoiturage. suffisant pour que l’utilisateur puisse trouver un véhicule Déjà matures ? Des plate- rapidement lorsqu’il sollicite formes comme Blablacar « Les frontières l’application. Résultat : ce connaissent tout de même dernier se détourne de la une sacrée croissance ! traditionnelles plateforme, puis les chauf- Il y a une illusion d’optique. feurs aussi. C’est un cercle Après une phase de croissance s’effacent : on devient vicieux. Par ailleurs, certaines extensive, où l’on recrute pratiques, comme aller faire toujours plus d’utilisateurs, acheteur et vendeur, la cuisine chez son voisin, Blablacar est entrée dans un intéressent beaucoup les développement intensif. Sa salarié et indépendant, journalistes, mais restent pour croissance importante s’ex- l’instant assez marginales. plique par une diversification travailleur et de l’offre, le rachat de plate- Ces nouvelles formes de formes concurrentes ou capitaliste… » consommation ne dureront l’internationalisation. Mais en donc pas toutes dans le termes de consommation, la temps ? pratique du covoiturage n’évolue pas très rapidement en Elles ne dureront peut-être pas toutes en effet, mais elles France. En revanche, sur le crowdfunding, on observe disent quelque chose de notre époque. Un Français sur une augmentation significative de la frange de la popula- deux voudrait consommer mieux. Notre modèle, dont les tion concernée et des montants collectés. Des chiffres fondements remontent à l’entre-deux-guerres, s’est

22 irrémédiablement fissuré. Toutes ces mutations de la Comme la nature a horreur du vide et que l’on a besoin consommation préfigurent une mutation plus générale de confiance pour opérer des transactions, c’est une de notre système économique. Qui sait ce que nous évaluation des individus par les individus eux-mêmes qui réservent les futures start-up ? prend le relais.

Alors, essayons-nous un peu à la prospective ! Verra-t-on des agences de notation de la confiance se Je crois que nous passons d’un modèle consumériste à un mettre en place ? modèle serviciel. À savoir, là où l’on vendait autrefois une Rachel Botsman, auteur de La Montée de la consommation marchandise, on accompagne désormais les individus collaborative (2) affirme que « la confiance sera la monnaie vers l’obtention d’une solution. C’est toute l’économie de du XXIe siècle ». Elle défend avec enthousiasme et empres- la fonctionnalité : avec Vélib’, je vous vends un service (le sement l’idée qu’il faut agréger toutes nos notes chez prêt d’un vélo pour vous rendre d’un point A à un point Blablacar, eBay ou Airbnb pour associer une note de B). Je vous débarrasse du problème du déplacement, sans confiance unique à chaque individu. Des start-up se vous vendre le produit pour autant. Et je garde les lancent sur le créneau. Pour moi, c’est une perspective moyens matériels de production, ce qui permet de cauchemardesque ! Pourquoi pas une puce dans le corps continuer à faire tourner cette nouvelle économie. pour savoir ce que l’autre vaut ? Au final, cette société d’entrepreneurs généralisés, parfois idéalisée, émerge Parmi les mutations que l’on observe, celle du consom- davantage par nécessité que par choix, parce que la société mateur qui se fait producteur. salariale s’effrite. Et, avec elle, les acquis de protection Ça ne fait pas l’ombre d’un doute. On est en train de voir réservés aux salariés. les frontières traditionnelles s’effacer : on devient acheteur et vendeur, salarié et indépendant, travailleur et capita- Que faire pour accompagner ces évolutions positive- liste… Les rôles qui étaient clairement établis dans le ment ? passé débordent les uns sur les autres. Certains y voient Tout d’abord, commencer par en prendre acte. On ne une « revanche » des consommateurs qui ont acquis des reviendra pas à la société salariale des Trente Glorieuses. compétences marchandes au cœur du système et les Se poser ensuite cette question : comment s’acheminer exploitent désormais pour les mettre au service d’un vers un nouveau modèle, tout en ménageant les valeurs système alternatif. auxquelles on tient véritablement ? Il faudrait « rattacher » à l’individu – puisqu’il devient désormais la Est-ce vraiment une alternative ? cellule de base de cette nouvelle économie – un certain Il faut dans le même temps penser qu’il y a là une nombre de droits. Il faudrait aussi réorienter l’État- marchandisation rampante qui atteint des territoires providence, de manière à lui fournir une ceinture protec- jamais imaginés. Même les relations interpersonnelles trice, quel que soit son statut. C’est un peu la flexisécurité deviennent des relations marchandes. Et ce type de scandinave. Certains parlent d’un nouveau statut inspiré de relation n’est pas encadré par les institutions tradition- celui des intermittents ou encore de revenu universel. nelles qui se sont bâties au fil des siècles, comme le droit • (2) Ouvrage publié en collaboration avec Roo Rogers sous le titre What’s Mine Is de la concurrence et le droit de la consommation. Yours: The Rise of Collaborative Consumption, Harper Collins, New York, 2010. La nouvelle consom’action des familles Exit l’hyperconsommation des années 1970 De plus en plus de Français préfèrent louer pour un temps donné avant d’en faire profiter et 1980, motivée par l’affirmation de soi (« Je ou partager plutôt que d’acheter : lorsqu’ils d’autres personnes. consomme, donc je suis »). Adieu les achats de partent en vacances, ils privilégient l’échange À plus ou moins long terme, ces évolutions « rassurance » caractéristiques des années 1990. d’appartements ou les locations chez l’habi- devraient entraîner une mutation profonde En 2015, les familles françaises remettent au tant ; à la rentrée, ils achètent ou échangent des de l’économie. Pour beaucoup, le capitalisme goût du jour certaines notions de partage et de vêtements d’occasion pour leurs enfants (sur financier, que l’on jugeait naguère tout puissant, « frugalité », à l’opposé du gaspillage des années TooShort, L’armoire des petits) ; et ils explorent devrait se voir remplacé par un nouveau type passées. Pour le Centre de recherche pour l’étude assidument tout au long de l’année les nouveaux de « capital social », pour lequel la valeur d’une et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), sites de garde communautaires (comme Happy société sera intimement liée au nombre de les nouveaux comportements d’achat des foyers Sharing) ou de location de jouets (tels Écojouets consom’acteurs qu’elle aura su fédérer. L’essor sont d’abord motivés par le souhait de « mainte- ou Club des p’tits loups). Cette dernière évolu- de l’économie collaborative devrait aussi nir leur qualité de vie ». Ils marquent aussi, dans tion en dit long sur les changements des men- marquer le début de la fameuse « troisième une moindre mesure, leur volonté de rencontrer talités, selon l’économiste américain Jeremy révolution industrielle » que Rifkin appelle de davantage de compatriotes, leur désir de mieux Rifkin : les jouets, longtemps considérés comme ses vœux. Et ce, afin de générer une croissance protéger l’environnement et une relative défiance le premier contact de l’être humain avec la pro- plus respectueuse de l’environnement. vis-à-vis des commerçants et des industriels. priété, deviennent des objets que l’on utilise (L’Express)

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JUSQU’OÙ IRA LA MOBILITÉ PARTAGÉE ? Carburer au par tage Covoiturage, autopartage, location de véhicules : de nouvelles formes de déplacement se sont imposées en quelques années. Mais la révolution de la mobilité partagée ne fait que commencer. Économie, écologie, urbanisme... Elle va tout balayer. Côme Bastin, octobre 2015

n un peu moins de dix perdus... et pour cause : ces der- Le déploiement du marché pas- ans, Blablacar est devenu nières années, le nombre d’entre- sera aussi par de nouvelles pra- un géant, rassemblant prises liées à la mobilité partagée a tiques comme l’autopartage sans 20 millions de membres explosé en France. Et si l’on parle clé. Jusqu’ici, pour louer le véhicule à travers le monde. Le de « mobilité partagée », c’est que d’un particulier, il fallait prendre fleuron de l’économie toutes ces nouvelles façons d’utili- rendez-vous avec le propriétaire collaborative française a réussi à ser la voiture ne se limitent plus au une première fois pour récupérer la Elever 100 millions de dollars en covoiturage. clé, puis une autre fois pour la lui juillet dernier pour accélérer son rendre. Avec Livop ou Koolikar, développement à l’international. AUTOPARTAGE SANS CLÉ c’est fini. Les deux start-up utilisent Après Paris, Lyon et Bordeaux, Inconnue il y a deux ans, Drivy un boîtier qui permet de déverrouil- Autolib, voiture électrique en libre s’est aujourd’hui imposée en France ler les portières de la voiture grâce à service, s’exporte aujourd’hui aux comme l’Airbnb de la location de un badge ou par réseau bluethooth. États-Unis et au Canada. Pendant voitures. En avril dernier, la start-up a Le coût du trajet est ensuite calculé qu’Uber, ce service de transport levé 8 millions d’euros et racheté son automatiquement en fonction du effectué par des particuliers, s’ins- concurrent Buzzcar, portant à 26 000 temps et du nombre de kilomètres talle dans toutes les grandes villes le nombre de ses véhicules de particu- parcourus. On emprunte ainsi la du monde. liers disponibles à la location. Drivy voiture de quelqu’un d’autre... aussi Blablacar, Autolib, Uber... Des ne détient encore que 1 % du marché facilement que si c’était la sienne. noms devenus familiers en quelques en France, mais son fondateur Paulin D’autres acteurs se distinguent années pour bien des Français. Il Dementhon estime que les marges par la communauté qu’ils ciblent. faut dire que d’après une étude de progression sont énormes. « On Wattmobile loue ainsi des véhicules 60 millions de consommateurs, 19 % peut occuper jusqu’à 50 % du marché de électriques à destination des pro- des Français déclarent pratiquer la location sans marcher sur les plates- fessionnels un peu pressés, le plus régulièrement le covoiturage. Mais bandes des loueurs traditionnels. On est souvent à la sortie des gares ou des connaissez-vous Drivy ? Lift ? là pour augmenter le gâteau, pas pour centres d’affaires. Pendant que les Koolicar ? Livop ? Wattmobile ? leur prendre du trafic », explique-t-il chauffeurs de Djump, Heetch ou Heetch ? Djump ? Vous êtes un peu au journal Le Monde. Miinute guettent un public jeune et urbain près des bars ou des boîtes de nuit. À l’intérieur du véhicule, tutoiement et attitude cool sont de « 4 véhicules sur 5 pourraient rigueur.

être supprimés dans les villes s’ils LA FIN DU VÉHICULE PERSONNEL ? Symbole de progrès et de prospé- roulaient presque tout le temps rité durant le xxe siècle, le véhicule personnel voit son règne décliner. et s’ils étaient tous pleins. » À l’heure où chacun peut tour à tour

24 occuper la fonction Le groupe Renault a fait alliance avec de pilote ou pas- Covoiturer avec Bolloré pour produire les véhicules sager selon le jour électriques Bluecar, que l’on em- – voire l’heure –, un cadre juridique prunte avec le système Autolib. Plus il pourrait devenir malheureux, PSA a investi dans la Comment définir et encadrer toutes ces nouvelles formes un simple investis- plateforme de covoiturage Wedrive de mobilité interpersonnelles ? La question se pose depuis sement, qu’on lais- et prévoyait même d’en intégrer la guerre ouverte entre taxis et véhicules de transport avec serait ensuite gérer l’interface aux tableaux de bord de chauffeur (VTC), notamment concernant le statut d’Uber. Il a fallu par des applica- ses voitures... avant que la start- Carburer attendre juillet 2014 pour qu’une définition juridique officielle tions. Celles-ci se up ne mette – sans mauvais jeu de du covoiturage soit établie. Du côté des assureurs, on planche chargeraient de le mots – la clé sous la porte. également sur le sujet. Une partie du prix facturé pour les trajets louer à ceux en ont Outre ses avantages économiques effectués avec Koolikar ou Livop sert ainsi à couvrir les litiges ou besoin le moment accidents éventuels. De son côté, Blablacar propose depuis peu évidents, cette révolution de la au par tage venu, à la manière une assurance « arrivée à destination garantie » mobilité partagée permet de limi- d’un appartement pour ses membres. ter les émissions de CO2 en rédui- dont on délègue sant le nombre de véhicules sur les la gestion à une routes. Autre bénéfice – plus inat- agence. tendu – de l’optimisation du parc Une étude du Massachusetts Insti- temps et s’ils étaient tous pleins. de véhicules dans les villes : faire tute of Technology (MIT) a estimé Les grands groupes ne s’y trompent chuter les loyers. Comment ? En que, dans une mégapole comme plus, préférant désormais y voir une revoyant à la baisse les besoins de Singapour, 30 % des véhicules opportunité plutôt qu’une menace. stationnement ! Des chercheurs suffiraient à assurer la totalité des La SNCF a lancé sa propre plate- de l’Organisation de coopé- déplacements, s’ils étaient mieux forme de covoiturage, iDVROOM, ration et de développement utilisés. Et l’étude va plus loin : en et a investi 100 000 euros dans économiques (OCDE) estiment mutualisant les trajets, on pour- Wattmobile. Vinci Autoroutes ainsi qu’une ville de la taille de rait réduire encore ce trafic de prévoit d’installer 19 parkings Lisbonne se retrouverait dotée 40 %. Au final – sortez vos calcu- de covoiturage à proximité des d’une surface constructible équi- lettes –, c’est 4 véhicules sur 5 qui péages pour permettre aux conduc- valente à celle de 210 stades de pourraient être supprimés dans les teurs d’embarquer ou d’échanger foot si on la libérait de ses par- Little Miss Sunshine / Fox Searchlight Pictures / 20th Century Fox Pictures Searchlight Sunshine / Fox Miss Little villes s’ils roulaient presque tout le leurs passagers plus facilement. kings. « Allô », Mme la Maire ? • Fox Searchlight Pictures Searchlight Fox ©

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QUAND LE COVOITURAGE VOLE AU SECOURS DES USAGERS DU RER Plan B pour le RER A Alors que certains tronçons du RER A sont fermés pour travaux, La RATP et l’application Sharette collaborent pour assurer le transport des voyageurs. Ceux-ci peuvent réserver leur trajet en voiture directement via l’application de la régie de transport. Côme Bastin, juillet 2015

n mois. C’est la durée pendant laquelle le RER A a été fermé cet été pour travaux entre La Défense et Auber, deux stations très utilisées par les Uhabitants d’Île-de-France. Un mois de galère en perspective ? Pas si sûr car, pour la première fois, la régie de transport parisienne a déve- loppé un partenariat avec Sharette, une application de covoiturage ur- Occitandu34

bain, pour assurer le transport des © passagers abandonnés par le RER. Les habitués du RER peuvent désormais compter sur le covoiturage pour rentrer chez eux. INTÉGRÉ À L’APPLI RATP Dès le début des travaux, le 25 juil- let, les passagers du RER ont donc COOPÉRATION INTELLIGENTE coopération intelligente entre trans- pu monter dans les véhicules de Sharette a été selectionnée après ports collectifs et conducteurs particu- particuliers pour rejoindre leur un appel à projet pour « l ’expé- liers, notamment pour désenclaver les destination. Cette offre « multimo- rimentation d’une solution inno- zones peu denses délaissées par les trans- dale » est intégrée à l’application vante de covoiturage » lancé par ports en commun, ou assurer les trajets même de la RATP. la RATP. Auparavant, fin 2013, banlieue-banlieue », prédit le fonda- Les utilisateurs ont alors la possi- la start-up avait également été teur de Sharette. Jusqu’à imaginer, bilité de choisir soit un itinéraire le coup de cœur des Franciliens un jour, des trajets en covoiturage empruntant seulement les trans- au concours « Open data » pro- inclus dans la carte Navigo même ? ports en commun et traditionnels posé par la régie de transport. Pour aller plus loin : www.sharette.fr• bus de remplacement, soit un iti- La collaboration entre les deux en- néraire incluant du covoiturage via treprises est en réalité encore plus un bouton dédié. Coût du trajet en ancienne, puisque Sharette pro- voiture : 2 euros. Difficile de prévoir pose à ses utilisateurs, depuis son combien de personnes ont été sé- lancement, certains trajets en train, duites par l’option cet été. « C’est la lorsqu’aucun covoiturage ne permet première fois qu’un tel partenariat est de rallier la destination souhaitée. mis en place et on ne sait pas comment « On oppose traditionnellement les usagers des transports en commun covoiturage et transports en com- vont répondre », explique Grégoire mun, mais les lignes sont en train de Pins, fondateur de Sharette. de bouger », affirme Grégoire de Après cette phase de test, la colla- Pins. En témoigne également iD- boration entre la RATP et Sharette Vroom, service de covoiturage lancé devrait se poursuivre durant les sept par la SNCF pour soulager son ans que vont durer les travaux du trafic et les éventuelles perturbations. Capture d’écran de l’application RER A, sur d’autres tronçons. « À l’avenir, il y aura une vraie RATPindiquant un covoiturage.

26 Le Blablacar desairs au covoiturage Google se met E Blablacar en mettant Blablacar enmettant vient concurrencer covoiturage. Ce service intègre désormais le à laconduite deGoogle, Waze, l’application d’aide nvoyez-vous enl’air avec leco-avionnage chauffeurs, afinqu’ilsne système surveillera les bisbilles avec les taxis, le passagers. Pour éviter les les conducteurs et les directement enrelation « Jean-Jacques Valette, Jean-Jacques septembre 2015 pour ses taxis collectifs de Waze, déjàconnu en Israël, pays d’origine est actuellement testée de lacourse. L’application empochera 15%duprix deux parjour. Google, lui, leur nombre detrajets à leur parcours, et limitera s’éloignent pastrop de

sherouts

».

octobre 2015 partager lacabine d’un chauffeur routier. pour transport de entreprises des par proposés trajets les recense mi-septembre, la à lancée Wetruck, plateforme La « co-camionnage » Une petite place au co-avionneurs sites, tousgratuits, s’adressent aux un modedetransport. Plusieurs est avanttoutunplaisiretnon légère l’aviation Prudence donc : n’a pasdelicencecommerciale. s’il que votre decarburant part pilote devous faire payer plus collaboratif, laloiinterdit car au forcément tout dansunesprit RobinDR400.bord d’un Le delaLoire,lant leschâteaux à d’Yeude l’île àParis,- ensurvo une centained’euros pourvoler coucou aujetdeluxe. Comptez avion privé,ger àbord d’un du devoya permettent internet - plateformes par lesairs!Plusieurs ? Coupez turage interminables Vous trouvez encovoi- lestrajets septembre 2015 Jean-Jacques Valette, qui auraient, sinon, volé àvide. –,d’Uber rentabilisent desavions com – estunancien dont lePDG com ouletrès élitisteBlackjet. haut degamme, comme Cojetage. quiproposentformes cesoffres 80 %àlamoyenne, lesplate- car de qui restent inférieurs toutefois debord inclus.service Desprix ros pour unvol de 500 kilomètres, :plus cher entre 600 et 2 000 eu- eu. Pour unvoyage enjet, c’est Coavmi.com ouencore Offwefly. MOBILITÉ

:

Wingshare.fr, •

© Capture d’écran Wetruck 27 Consommer Partager

LA RUCHE QUI DIT OUI LÈVE 8 MILLIONS D’EUROS ET SOUTIENT 13 FERMES Ruche hour Pour rapprocher encore plus paysans et consommateurs, la start-up va développer sa plateforme et subventionner des exploitations durables partout en France. Entretien avec Guilhem Cheron, cofondateur de La Ruche qui dit Oui ! Propos recueillis par Côme Bastin, juin 2015

Vous venez de lever 8 millions d’euros. Quels sont vos objectifs ? On a visé des fonds qui étaient dans notre culture : à la fois technologiques (Union Square Ventures) et environnementaux (Quadia). L’objectif, c’est de se donner les moyens de nos ambi- tions, à savoir inventer de nouvelles façons de produire et de consom- mer la nourriture. Et, une des clés c’est la technologie. On a besoin de développeurs, car notre plateforme est encore assez basique, et de ressources humaines pour essaimer à l’international.

Tout cet argent va essentiellement être utilisé pour améliorer la plateforme ? C’est une question centrale. Prenez Uber. Pour l’utilisateur, c’est très simple de réserver un véhicule. Mais, en réalité, c’est extrêmement complexe de faire se rencontrer l’offre et la demande. L’expérience et l’ergonomie sont primordiales pour fidéliser le client. Dans notre cas, c’est compliqué, du fait que nous devons coordonner des achats groupés. Certains militants pensent qu’on peut se débrouiller avec un site mal fichu et compter sur l’engagement des individus pour faire le reste. Mais si c’est plus facile d’acheter quelque chose à manger au supermarché du coin que de commander sur La Ruche, le cerveau va se rabattre sur la pre- mière option. Il faut le prendre en LRQDO compte si l’on veut avoir un impact. ©

28 Vous allez aussi investir dans des fermes ? Exact. Nous avons lancé avec l’association Fermes d’avenir un MANGER À LA SAUCE appel à projet pour 13 exploitations innovantes, une par région [selon le COLLABORATIVE découpage de la réforme territoriale, ndlr]. Le mot d’ordre, c’est de favo- Allier la gastronomie aux nouvelles rencontres, c’est le pari de ces riser une agriculture qui régénère plateformes qui se plient au service de vos papilles… De la vente la nature, comme la permaculture. Chaque ferme se verra financée de bons petits plats aux repas partagés entre particuliers, les à hauteur de 10 000 euros, plus plateformes de mise en relation de gourmets connaissent un beau 20 000 euros via une campagne de succès. En cas de fringale, a sélectionné pour vous quelques sites financement participatif. On a déjà « food friendly ». reçu plus de 200 candidatures.

Distribution d’un côté, production VIZEAT, LE AIRBNB DE LA TABLE Cette entreprise française, créée en juillet 2014, de l’autre : l’objectif est-il de court- après avoir avalé Cookening, se positionne comme circuiter la grande distribution ? la plateforme leader en Europe du « social dining ». Tuer les supermarchés, c’est la mis- Vizeat permet de réserver et partager un repas sion des autres supermarchés ! Nous, chez l’habitant dans pas moins de 50 villes du ce qu’on veut, c’est arriver à asseoir monde. Pour Camille Rumani, cofondatrice avec l’agriculture durable. Et pour cela il Vizeat

Jean-Michel Petit, « la table est le premier réseau © nous faut réinventer toute la chaîne : social, il faut la remettre au cœur des échanges ». L’hôte définit librement le menu, le culture, distribution, consomma- prix, la date, l’heure et la durée du repas qu’il propose, sans oublier de préciser le nombre tion. On a maintenant 700 ruches de voyageurs qu’il désire accueillir. Des événements, organisés dans différentes villes, ouvertes, et ce n’est qu’un début. Il fédèrent une communauté de plus de 1 500 vizeaters. Et pas de panique : les végétariens, faut nous assurer de pouvoir provi- les intolérants au gluten et ceux qui ne mangent que halal ou casher seront aussi servis ! sionner cette demande croissante. C’est une position spéciale, un peu comme si Airbnb devait favoriser VOULEZVOUSDINER, AVEC MOI CE SOIR ? Parcourir le monde, de San Francisco à la construction de logements pour Canberra en passant par New Dehli tout en réussir. Sauf qu’en plus, nous, on découvrant la cuisine locale, c’est également gère des actifs beaucoup moins la promesse faite par VoulezVousDiner. Cette liquides [à valeur constante, ndlr] autre plateforme mondiale du repas chez des puisqu’il s’agit de nourriture. particuliers vous assure de nouer une amitié VoulezVousDiner VoulezVousDiner © avec des passionnés de cuisine. Comment expliquer ce manque L’accent est mis sur les thématiques : cinéastes, écrivains et sculpteurs ouvrent d’offre dans l’agriculture durable ? leurs portes. Ils ambitionnent de nourrir votre esprit autant que votre estomac. L’agriculture héritée des révolutions Quand d’autres vous font savourer leurs plats, dans leur loft, leur villa au bord vertes est la seule qui produit encore de mer ou dans leur manoir. Les plus économes pourront casser une graine pour du confort pour les agriculteurs. moins de 20 euros. Plus j’ai d’hectares, plus je vais obte- nir de subventions avec lesquelles je pourrai m’acheter un beau tracteur KELPLAT, CAP SUR LA GÉOLOCALISATION Lancé en 2013, ce site assure à ses utilisateurs et faire vivre ma famille. Je com- de mettre aux fourneaux tous les cuistots prends que les jeunes agriculteurs amateurs afin qu’ils concoctent de succulents fassent ce choix. D’autant qu’à côté mets pour tous ceux qui n’ont ni le temps ni de ça, les maraîchers bio arrachent les moyens. La philosophie de Kelplat repose les poireaux avec les dents et sur une nourriture saine, 100 % maison et à peinent à joindre les deux bouts. Il

moindre coût. Library DeGolyer faut construire un nouveau récit col- © Le site définit lui-même le prix de vente de lectif autour des fermes de demain, votre plat suivant une grille tarifaire basée sur les ingrédients utilisés. Grande montrer qu’on peut être paysan nouveauté cette année : vous pourrez vendre vos plats à vos voisins sur une durable et avoir une vie normale, en plateforme géolocalisée. Quand efficacité rime avec gourmandise. laissant la nature travailler à notre place. C’est ce qu’on espère faire avec Fermes d’avenir. •

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Elles innovent, apportent un nouveau souffle > LES COLLAB’ELLES à l’économie et s’engagent avec des initiatives collaboratives.

Laure Courty Carton plein Jestocke.com Delphine Bauer © juin 2015

e jour de l’interview, Laure Courty collaborative du travail. « Un écosystème pas du tout dans mon caractère de faire les L est au milieu des cartons. Son en- de start-up s’est créé dans cette cité, on ne choses à moitié », précise-t-elle sans pré- treprise, jestocke.com, service de garde- voulait pas l’éclater », raconte Laure. Les tention aucune. « J’ai plongé le nez dans cet meuble entre particuliers, s’installe pour forces ont alors été mises en commun univers start-up et économie collaborative. deux ans dans un château à Bègles. La pour trouver des locaux avec un bail pré- C’est l’avenir. Pourquoi ça ne marcherait question est tentante. Loue-t-elle une caire pour une dizaine de start-up. Un pas ? » Valoriser des espaces immobiliers cave sur sa plateforme pour entreposer vrai boulot. non utilisés, répondre aux personnes en des affaires ? Ça la fait rire. « Je l’utilise Rien ne laisse percevoir le déménageur, période de mobilité, de déménagement, seulement à titre personnel ! » derrière la silhouette menue. Pourtant de travaux, rassurer et briser les réti- cences avec une assurance incluse dans la transaction… Jestocke.com est lancée 2 en 2013. Très vite. Dans la foulée d’un 2e « J’avais besoin de 4 m , bébé. Laure Courty n’aime pas parler de sa pas trop loin. J’ai cherché sur boîte à la première personne. Pour elle, il faut savoir s’entourer. « C’est un projet trop lourd pour le porter seule. » Il s’agit aussi de le web, je n’ai rien trouvé. » mutualiser, partager. « Nous travaillons en collaboration avec des partenaires. Ce n’est pas toujours une relation Pour la fondatrice de jestocke.com, trimballer ses affaires ne fait pas peur à financière, mais un échange de compétences, l’économie collaborative n’est pas seule- la jeune femme. Le bac en poche, elle de mise à disposition de temps, de locaux. » ment une case pour classer sa start-up. part s’installer un an à Londres, suivront Une levée de fonds en janvier dernier, Cet aménagement provisoire, le temps New-York, l’Autriche, le Mexique. Avant accélère le développement de l’entreprise des travaux de la cité numérique de de se poser à Paris, où elle travaille dans qui vient de passer en quelques mois de 5 Bordeaux, signe une vraie philosophie l’édition, puis à Bordeaux, pour suivre à 10 salariés. Recrutés moins sur leur pro- son mari. Si la question du fil que leur appétence pour la consomma- stockage de ses affaires est tion collaborative. BIO récurrente, c’est quand son Ce style de consommation et d’éco- salon bordelais se trans- nomie du partage, Laure le pratique au 1977 – naissance à Meudon. forme en entrepôt de sa quotidien. « Quand nous avons acheté une 1996 – premier déménagement à Londres cave parisienne que germe maison, on est allé voir les voisins pour leur l’idée de jestocke.com. proposer de partager : toi tu as une tondeuse, 2012 – déménagement à Bordeaux et participation 2 à la création d’une AMAP, « avec producteur de « J’avais besoin de 4 m , pas moi je prends un taille-haie. Quand on le fromages de chèvre » trop loin. J’ai cherché sur le prête, en général, on récupère le “matos” en 2013 – création de Jestocke.com web, je n’ai rien trouvé ». meilleur état ! » Un mode de consomma- Pas de blog pour tester tion communicatif. Quand sa mère vient 2015 – levée de fonds de 350 000 € l’idée sur la toile. « Ce n’est lui rendre visite, elle utilise Blablacar.

30 CAVES, BOX INUTILISÉS… DES ENTREPRISES FRANÇAISES MISENT SUR LA LOCATION D’ESPACES Le costockage DR occupe l’espace © La location de surfaces en pair à pair meuble traditionnel pour la même question de la flexibilité ne doit a franchi la Manche pour poser ses surface. Costockage quadrille le pas être oubliée. « Les locataires valises chez nous. Alors que le succès territoire avec 150 000 m3 d’espaces n’ont pas les clés et veulent parfois du costockage ne se dément pas en disponibles, avec une forte densité venir à n’importe quel moment », Grande-Bretagne, trois entreprises dans les grandes villes. « À Paris, concède Jean-François Dufrasne, françaises trustent aujourd’hui vous trouvez un lieu de stockage tous propriétaire parisien. Prochaine le marché hexagonal en offrant les 250 mètres », poursuit le jeune étape des entreprises du costockage : gratuitement aux propriétaires homme. Le locataire peut aussi échanger avec des professionnels. la possibilité de louer des garde- emprunter des caves ou des box à • meuble, des caves ou des box petits prix. Simon Ryckembusch, Clémence Chopin, juin 2015 inutilisés à ceux qui en manquent. cofondateur de OuiStock, lancée en avril 2014, souligne : « Quand les LA STRATÉGIE DE LA PROXIMITÉ propriétaires peuvent se faire 300 euros Adam Levy-Zauberman et Mickaël par mois de location, les locataires QUELS RISQUES POUR LE Nadjar ont été les premiers à se payent jusqu’à 60 % moins cher que PROPRIÉTAIRE ? lancer en 2012 avec Costockage. chez un professionnel. » Le locataire d’un espace inutilisé « Le locataire débourse moins de Laure Courty, la patronne de doit être vigilant car les biens 100 euros pour bénéficier de 10 m3 Jestocke, qui propose 1 500 offres stockés doivent entrer dans le d’espace à Paris », explique Adam en France, met quant à elle en cadre des conditions générales Levy-Zaubermane. Contre plus avant le lien social qui se tisse d’utilisation. « S’il détient des de 300 euros chez un garde- entre propriétaires et locataires. La stupéfiants, des armes, il encourt un risque pénal à condition de démontrer qu’il avait connaissance et l’intention de les détenir, avertit Michel Leclerc de ÉCONOMIQUE ET CONVIVIAL DroitduPartage.com. En cas de sinistre, l’assurance de la plateforme pourrait refuser le remboursement Comment déménager pour certains biens. » Vous trouvez les trajets en covoiturage interminables ? un plaisir et non un mode de transport. Plusieurs sites, « collaboratifCoupez » par les tous gratuits, s’adressent aux coavionneurs : Wingshare. airsTout ! d’abord,Plusieurs débarrassez-vous fr, Coavmi.com des ou particulierencore Offwefly.eu. sur Zilok.com Pour un voyage ou plateformesobjets inutiles in en- lesen revendantjet, c’est plus sur cher empruntez-la : entre 600 et 2gratuitement 000 euros pour sur un ternetLeboncoin.fr permettent ou envol deles 500donnant kilomètres, Sharevoisins.fr. service de bordSi vous inclus. en avez Des acheté prix desur v oyagerFreecycle.org. à bord quiVous restent ferez toutefois des une inférieurs (tout en de sachant 80 % à qu’ellela moyenne, ne servira car d’unheureux, avion sansprivé, rienles plateformesjeter. Vient qui proposentque 12 minutes ces offres dans votrehaut vie)de gamme,et que duensuite coucou la questionau jet ducomme transport Cojetage.com : sur vous ou ne le savez très pasélitiste où la Blackjet.com stocker ensuite, – deDrivy.com, luxe. Comp vous- donttrouverez le PDG des est undirection ancien Costockage.fr.d’Uber –, rentabilisent Vous y louerez des DR

© tezvéhicules une centaine utilitaires avions de qui toutesauraient, unsinon, grenier volé ou à unevide. cave à un particulier, dtailles’euros pourmis voen- location par des afin d’y entreposer •vos affaires – qui Si, comme 3 millions de Français, lerparticuliers. de l’île d’Yeu Besoin à de gros bras ? seront assurées. Au total, l’économie du vousParis, avez en survolant décidé de les déménager châteaux cettede la Loire,Mydemenageur.com à bord d’un vous en partage vous permettra d’économiser année,Robin DR400.mais que Le la tout camionnette dans un espritde forcémentfournira. Et colla si- vous cherchez un jusqu’à deux tiers du prix d’un votreboratif, beau-frère car la loi interdit est en au pannepilote deet vous bricoleur faire payer pour plus assembler votre déménagement. Mais n’oubliez pas : que vvosotre partamis desont carburant soudainement s’il n’a pas cuisinede licence ou commonter- vos étagères, c’est toujours à vous d’offrir la bière. injoignables,merciale. Prudence ne doncdésespérez : l’aviation pas, légère Pour-combien.com est avant tout est la solution. Jean-Jacques Valette, • l’économie du partage est votre alliée. Une perceuse ? Louez-la à un septembre 2015

31 ConsommerConsommer Vivre sans argent LES GRANDS TÉMOINS Alain Caillé La face cachée du don

Les voies du don sont parfois paradoxales : entre marchandisation de tous les biens et mise en commun désintéressée, l’économie du partage est au croisement de deux modèles de société antagonistes. Perspectives avec un sociologue spécialiste du don. Propos recueillis par Sébastien Claeys et Florent Trocquenet-Lopez

Marchandisation et économie Professeur émérite de sociologie La gratuité peut donc devenir le du partage se développent à l’université Paris Ouest Nanterre masque de la domination et de simultanément. Dans ce contexte, La Défense, Alain Caillé analyse les l’exploitation sociales... quelle est aujourd’hui la place pratiques sociales du don. Directeur Dans « Gift, gift » (L’Année du gratuit dans nos économies ? et fondateur de la Revue du MAUSS sociologique, 1925), Mauss observe Il faudrait d’abord se pencher sur ce (Mouvement anti-utilitariste dans les que, dans les langues germaniques qu’est le « gratuit » car la question du sciences sociales), il a notamment anciennes, c’est le même mot, Gift, don, auquel il est lié, est chargée d’une publié Anthropologie du don, Le tiers qui désigne le « don » et le lourde ambiguïté. On associe paradigme (La Découverte, 2007) et « poison ». Cela nous renvoie à spontanément le don à la charité, à la La Révolution du don. Le management l’ambivalence du don qui est d’abord gratuité absolue, au désintéressement… repensé à la lumière de l’anthropologie un outil politique. En donnant, Or, je pense que cette perspective (Le Seuil, 2014). Il est à l’origine du c’est-à-dire en reconnaissant l’autre Manifeste convivialiste (éditions Le Bord empêche de saisir la réalité du don. dans son humanité, on transforme de l’eau, 2013) regroupant une centaine Comme le dit un proverbe auquel les de personnalités du monde entier. un ennemi potentiel en allié et on économistes américains se réfèrent forme des communautés politiques. souvent : « Un dîner gratuit, ça n’existe Mais, à n’importe quel moment, le pas ! » (1). Le don est toujours lié à don peut faire basculer dans un l’idée de retour. Dans son « Essai sur le don » (L’Année rapport d’asservissement ou devenir une nouvelle source sociologique, 1923-1924), Marcel Mauss n’associe pas le de conflits. Marcel Mauss a montré que celui qui donne don à la gratuité, mais à la triple obligation de sans contre-don possible accumule du pouvoir et place « donner », « recevoir » et « rendre ». En somme, dans le ainsi celui qui reçoit dans une situation de dette et de don, il y a de la gratuité... mais le don n’est jamais servitude. gratuit. Qu’apporte aujourd’hui concrètement la logique Contrairement au don, le « gratuit » serait donc lié du partage à la vie en société ? à l’économie de marché ? Le don est indispensable à la survie économique. D’abord religieuse, la logique du don nécessaire s’est À partir du moment où tout devient marchandise, la déclinée sous une forme laïque dans les coopératives qualité de la production diminue – comme on le ouvrières, les mutuelles, mais aussi les services publics. constate avec le principe de l’obsolescence Or, cette gratuité de la mise en commun est menacée programmée –, mais aussi la qualité de vie : depuis plus par le capitalisme néolibéral. Les grands producteurs de de cinquante ans, aux États-Unis, plus le PIB gratuit, aujourd’hui, ce sont les GAFA (Google, Apple, augmente, plus la société fonctionne dans une logique Facebook, Amazon). La gratuité de leurs services est d’enrichissement individuel privé... et plus le sentiment réelle, mais elle est extrêmement lucrative et leur de bonheur diminue. Il faut retrouver un moyen de permet de détruire un ensemble de régulations sociales, vivre mieux. C’est la logique qui sous-tend l’économie politiques et étatiques protectrices. Cette gratuité radicale est aussi un capitalisme radical. (1) Dans sa version d’origine : « There is no such thing as a free lunch! »

32 « Dans le don, il y a de la gratuité... mais le don n’est jamais gratuit. » collaborative dans le partage des moyens de transport, des habitations, etc. Au-delà de cet enjeu économique, nous avons aussi besoin de la relation du don pour être reconnus dans notre humanité.

Mais, justement, l’économie du partage ne nous transforme-t-elle pas tous en « Homo economicus » ? En effet, c’est un risque. Ces formes d’activités procèdent d’abord d’intentions vertueuses : mutualisation de ressources, nouveaux liens humains qui se créent – lesquels peuvent déboucher sur l’amitié. Mais, très vite, au nom de la gratuité, ces activités sont récupérées par des entrepreneurs et deviennent une nouvelle forme de capitalisme.

Peut-on dire, dans cette perspective, qu’un acte qui relève du don a plus de valeur morale qu’un acte rémunéré ? Il y a une valeur morale intrinsèque du don. Dans la conclusion de son « Essai sur le don », Marcel Mauss écrit que le don est le « roc de la morale éternelle », une injonction que l’on trouve au cœur de toutes les morales et de toutes les religions. Cependant, parce que le don est toujours ambivalent, il est parfois bon de solder cette ambiguïté par le contrat, par l’achat et la vente. Il y a donc des domaines où l’acte marchand a sa pleine Erwan Floc’h / Socialter Erwan Floc’h légitimité. De fait, le don peut devenir © pervers quand les dettes se transforment en une « Dette » régie par les appareils d’État, les c’est-à-dire des individus purement rationnels et banques ou les religions – laquelle entraîne un calculateurs, mutuellement indifférents, qui ne asservissement généralisé, parce que c’est une Dette que penseraient qu’à leurs profits. Nous désirons être personne ne pourra jamais solder, ni moralement ni reconnus comme des donateurs, dans notre générosité, financièrement. mais aussi dans notre générativité, c’est-à-dire notre capacité à faire advenir des choses qui n’existent pas À partir de ce constat, quelle place doit-on faire encore. C’est l’objectif poursuivi au sein du au don dans l’économie ? « mouvement convivialiste », que nous avons initié avec Je ne pense pas qu’il y ait de forme d’économie une cinquantaine d’intellectuels, et qui entre en intrinsèquement désirable. Ce qu’il faut changer, ce n’est dialogue avec des mouvements de l’économie sociale et pas l’économie elle-même, mais les valeurs et les solidaire (ESS), du pacte civique, des altermondialistes, motivations qui organisent les pratiques économiques. etc. Il faut dépasser l’opposition binaire entre l’État et le Contrairement au postulat commun à toutes les marché pour donner voix à ce que Patrick Viveret doctrines politiques des xixe et xxe siècles, nous ne appelle la « société civique », c’est-à-dire l’ensemble des sommes pas seulement des « Homo economicus », acteurs sociaux qui se soucient du bien commun. • 33 Consommer Vivre sans argent

DEVENIR COUCHSURFER

Prière de ne pas tous se baigner en même temps. The Sharing Bros © Vingt-sept à la maison En colocation dans une maison à Vancouver, Dann, Jordan, Quinn et Brennan ont choisi d’ouvrir leurs portes aux adeptes du . Ils hébergent gratuitement – et presque tous les soirs – des voyageurs venus du monde entier. Ivan Chauveau de Quercize (The Sharing Bros), juillet 2015

est un mardi soir comme un autre en bois. Dans la cuisine, un Canadien prépare la pâte à pour la communauté d’East Side, une pizza, tandis qu’une Mexicaine peint une tête de tigre banlieue moyenne de Vancouver. Les géante sur le mur. Dans le salon, deux Espagnols et un poubelles sont sorties, les enfants sont Français discutent musique et spiritualité animiste ; sur rentrés, chacun se prépare à passer à le canapé, un couple d’Helvètes échange avec un jeune ’ table. Tout a l’air normal, sauf qu’à y Allemand pour qui la soirée a visiblement commencé regarder de plus près, quelque chose ne tourne pas rond un peu tôt. Cau numéro 34 : au lieu d’une pelouse coupée au cordeau Ce soir, les habitants de cette étrange demeure ont bat- et d’un traditionnel pick-up, des herbes folles et un tu leur propre record : ils accueillent 27 étrangers de 15 vieux camping-car ont élu domicile devant cette bâtisse nationalités différentes à dormir chez eux. Six d’entre 34 eux devront se contenter du sol, les autres d’un fau- pas. L’avenir ne teuil ou un bout de canapé. Il y a quelques heures, non semblait rien lui 197 – le record de pays seulement ils ne connaissaient pas un seul des indi- réserver de gran- visités vidus qui peuplent maintenant leur maison, mais en diose si bien que par un seul couchsurfer plus ils ne toucheront pas un centime. En effet, sur quand Quinn et la plateforme Couchsurfing.com, l’hébergement des Dan lui ont pro- 689 – le record de voyageurs est gratuit. Plus de 170 personnes sont posé de déména- nuits surfées par un seul passées chez eux durant les cinq derniers mois. Les 4 ger à Vancouver, colocataires « permanents » du lieu s’appellent Dann, il n’a pas hésité couchsurfer Jordan, Quinn et Brennan. Les deux premiers sont longtemps. Au- le record de nuits arboristes, les deux autres sont poètes, mais surtout jourd’hui, dans 2 593 – serveur et musicien. le salon, il se accueillies par un hôte Dan et Quinn ont 22 ans quand ils quittent Lindsey, délecte des voya- le pourcentage de Français leur petit village canadien, pour s’installer à Vancou- geurs avec qui il 9– ver. Ils emménagent dans un appartement en sous-sol, se connecte et songeant au couchsurfing pour mais « La vie [y est] triste et monotone ». Ils se mettent discute. « Quand les vacances en 2014 alors en quête d’une maison à partager avec deux amis, je vois autant de monde heureux autour de moi, je réalise à quel point j’ai envie de continuer à faire ça, j’en ai besoin, cette expérience a changé ma vie du tout au tout. » Cette expérience, c’est donc le couchsurfing. Elle consiste à ouvrir sa maison aux étrangers qui passent dans le coin pour une nuit ou deux, voire plus. « Le soir quand le feu commence à s’éteindre dans la cheminée, confie Quinn, que tu en- tends des rires et différentes langues se mé- langer dans la salle, t’es vraiment l’homme le plus riche au monde ». Quand ils rentrent du travail, il y a toujours un couchsurfer qui aura pris le temps de nettoyer la mai- son, un autre qui aura sorti la poubelle et un dernier qui sera en train de concoc- ter un plat de son pays. « Je change le PQ trois fois par jour, se marre Quinn, et je trouve ça magique ». Ils disent en chœur n’avoir « jamais eu le moindre problème » depuis qu’ils ont commencé l’expérience. Une page Facebook réunit aujourd’hui quelques « pensionnaires » passés par la « Chamber of Converse » comme cette maison unique. Plus de 200 membres s’y échangent photos et bons plans. Beau- coup de couchsurfers passés par chez eux « Je change le PQ trois fois se font également hôtes à leur tour, gonflant une communauté qui ne cesse de s’étendre. Selon le site par jour couchsurfing.com, plus de 10 millions de personnes s’adonneraient au « surf sur canapé » dans 200 000 et je trouve ça magique. » villes en 2015, et les deux tiers auraient moins de 30 ans. Au total, cela représenterait plus de 5,5 millions de Quinn, adepte du couchsurfing rencontres. Vers une heure du matin ce jour-là, dans la Chamber of Converse, la cuisine s’est transformée en salle de Jordan et Brennan. Jordan vient aussi de Lindsey. concert. Un batteur donne le tempo. Il y a un synthé et Même endroit, mêmes galères. Petit, quand il retrou- deux guitares, un violon aussi. Brennan, le rappeur de vait ses deux parents évanouis par terre une bouteille la bande, pose son flow. Un flow qu’il n’interrompra de whisky à la main, il les faisait parler en pinçant même pas lorsqu’un de ses invités allumera des feux DR © tour à tour leurs lèvres. Lorsque les factures d’eau d’artifice dans la cheminé, manquant d’incendier la n’étaient pas payées, il devait se laver dans le lac voi- maison. Les surfeurs de canapé aussi aiment parfois sin en espérant que ses camarades d’école ne le voient faire quelques vagues. • 35 Consommer Vivre sans argent

MARRE D’AIRBNB ? TROQUEZ VOS NUITS AVEC NIGHTSWAPPING Nuits en libre-échange La plateforme française d’hébergement entre particuliers cultive sa différence. Son secret ? Une monnaie virtuelle qui permet d’échanger des « nuits » entre membres du réseau et de se loger gratuitement… ou presque. Côme Bastin, septembre 2015

mi chemin entre Airbnb en juillet dernier. et le couchsurfing. » C’est Par ailleurs, il est ainsi que Serge Duriavig possible d’acheter présente Nightswapping. des points (7 euros Après avoir cofondé l’unité) pour dor- ÀSmartBox, il est depuis 2012 à la tête mir quelque part de ce site de « troc de nuits » entre sans avoir hébergé voyageurs. Le principe ? Héberger au préalable. Pour des membres de la communauté le fondateur, cette permet d’être hébergé à son tour. « pratique servi- Cabanes, péniches, châteaux mais aussi rait à « permettre HLM : tous les types de logements sont l’intégration de acceptés », précise Serge Duriavig. nouveaux membres Nightswapping / DR Nightswapping fonctionne grâce à © dans le réseau », un système de points, appelés (très plutôt qu’à déga- logiquement) « nuits ». Chaque ger des bénéfices. nuit passée dans un logement coûte Il n’empêche : de 1 à 7 nuits selon la taille et pas peur du clash. « Beaucoup de beaucoup des utilisateurs interrogés l’emplacement de l’appartement ou membres d’Airbnb utilisent seulement affirment y avoir recours, soit parce de la maison. On commence donc leur logement pour se faire de l’argent. qu’ils sont trop pressés, soit parce par accueillir des membres chez soi L’esprit des débuts a cédé la place à un qu’ils ont épuisé toutes leurs nuits. avant de s’offrir des nuits ailleurs système hôtelier déguisé. » dans le monde avec les points « Ma copine fait du Airbnb. Moi je TINDER DE L’HÉBERGEMENT gagnés. préfère le couchsurfing », témoigne Nightswapping totalise 150 000 membres Renaud. Malgré les similitudes, et en compte 10 000 de plus chaque ANTI-AIRBNB cet utilisateur de Nightswapping mois, selon son fondateur. L’objectif est « Ce système de monnaie virtuelle perçoit de vraies différences entre d’atteindre le million d’ici deux ans. à un double avantage », explique le les deux plateformes. « Il n’y a pas Après une première levée de fonds fondateur. D’un côté, « cela lève la de relation marchande. Il a fallu qu’on de 2 millions d’euros en juillet 2014, contrainte de réciprocité de la plupart insiste pour que notre hôte, dans la la start-up devrait repartir « pour des sites d’échange de maison » [il faut Drôme, accepte de gagner des nuitées un tour de table à 3 millions début simultanément héberger chez vous la dernière fois ! » 2016 », annonce Serge Duriavig. et vivre chez vos hôtes, ndlr]. De L’équipe planche aussi sur la sortie, l’autre, il garantit que les membres SANS ARGENT… VRAIMENT ? d’ici la fin du mois d’octobre, d’une proposent leur logement d’abord Nightswapping n’est cependant pas application de découverte de loge- pour le goût du voyage et de la entièrement dénué de transactions ments. Concrètement, des hôtes vous convivialité. « Ça évite de tomber financières. Chaque séjour dans un seront proposés en fonction de dans une logique spéculative comme logement est facturé 9,90 euros au votre zone géographique. Vous sur Airbnb. » voyageur. « C’est le même prix quel pourrez les « zapper » (refuser) ou De collaboratif, le géant américain que soit le nombre de nuits et per- les valider. « L’application s’adaptera de l’hébergement chez les particu- met de couvrir les frais d’assurance », progressivement à vos goûts », précise liers n’a en effet plus que le nom, explique Serge Duriavig, qui a Serge Duriavig. De quoi concurren- regrette Serge Duriavig, qui n’a noué un partenariat avec Allianz cer Airbnb et Tinder à la fois ? • 36 LOUER UN VÉHICULE SANS RIEN DÉBOURSER, C’EST POSSIBLE Voiture à 1 euro LuckyLoc propose à ses utilisateurs de rapatrier les véhicules des agences de location – leur permettant de rouler d’une ville à l’autre pour un euro symbolique. Une formule séduisante, à condition de voyager à plusieurs ou de transporter des objets. Côme Bastin, août 2015

uiné par vos vacances ? 140 euros, soit plus cher qu’un train La prochaine fois, le ou un covoiturage. Mieux vaut donc site LuckyLoc vous fera ne pas voyager seul et sans bagages LuckyLoc peut-être économiser © pour que la solution proposée par dans vos déplacements. LuckyLoc soit intéressante finan- RCe nouveau venu dans l’univers cièrement. À noter que la plateforme de l’auto-partage propose en effet propose un partenariat avec Blabla- des trajets entre toutes les villes de car pour embarquer des passagers France pour… un euro ! Comment sur le trajet et ainsi partager les frais. est-ce possible ? Vous cherchez une voiture pour vous rendre de Paris à CHAUFFEURS AUTO-ENTREPRENEURS Marseille. Un concessionnaire « On est sur un marché encore vierge (Hertz, Europcar...) a besoin de ra- dont le potentiel est énorme, mais

patrier un de ses véhicules parisiens Claire Cano et Idris Hassim, fondateurs de LuckyLoc. difficile à évaluer précisément », juge vers la cité phocéenne. LuckyLoc Idris. « Il s’agit d’optimiser des déplace- met en relation les deux parties. Ré- ments. » Parmi les pistes de dévelop- sultat : vous disposez d’un véhicule 22 m3 : en cette période estivale, ils pement : les trajets des constructeurs pour votre trajet et le loueur évite représentent plus de la moitié des qui livrent leurs véhicules directe- de faire appel à un chauffeur profes- véhicules à louer ! À moins, encore ment chez leurs clients, se passant des sionnel. mieux, qu’ils n’aient quelque chose à agences automobiles. « Par exemple, déménager avec. lorsque La Poste renouvelle sa flotte DE LA SMART AU CAMION d’utilitaires », illustre le cofondateur. C’est lors d’un voyage en Nouvelle- PÉAGE ET ESSENCE LuckyLoc s’appuie sur Expedicar, 2e Zélande que Claire Cano profite À LA CHARGE DU CONDUCTEUR plateforme créée par Idris et Claire qui gratuitement d’un van, sur le même Alors demain, des voitures gra- permet de faire déplacer son véhicule principe. De retour en France, elle tuites partout en France ? Pas si sûr. d’une ville à l’autre. Lorsqu’un parti- décide d’importer le concept et co- D’abord, il faut pouvoir trouver un culier ou un professionnel dépose une fonde LuckyLoc en 2012 avec Idris trajet qui corresponde à ses besoins. annonce sur Expedicar, elle est auto- Hassim, un camarade d’HEC. Les Le site a beau afficher une forte matiquement proposée aux conduc- loueurs de véhicules se montrent croissance et Idris, viser l’objectif teurs de LuckyLoc. « Si personne ne rapidement intéressés par le business de « 15 000 trajets en 2015 », il est répond, on fait alors déplacer le véhicule model de leur plateforme. Le service (encore) assez difficile de trouver son par des chauffeurs professionnels sous le qui leur est proposé leur permet en véhicule aux dates et destinations statut auto-entrepreneur », détaille Idris. effet de faire plus de 50 % d’écono- voulues comme sur une plateforme D’ici à penser que les particuliers, qui mie par rapport à un rapatriement de covoiturage. Le mieux reste de doivent en plus payer l’essence, « rem- classique. « On trouve aujourd’hui tous consulter la liste des trajets dispo- placent » en réalité des chauffeurs qui types de véhicules sur le site », explique nibles (une cinquantaine à l’heure où eux sont normalement rémunérés… il Idris Hassim. « De la Smart au 4×4 sont écrites ces lignes). Par ailleurs, si n’y a qu’un pas. Pour Idris, la situation en passant par la Porche ou même les la location du véhicule est quasiment des professionnels et des particuliers véhicules utilitaires pour ceux qui au- gratuite, le particulier doit néan- n’est cependant pas comparable. « Per- raient un objet à déplacer. » Les utili- moins s’acquitter des frais d’essence sonne n’impose à un particulier de faire sateurs ne devront d’ailleurs pas être et de péage. Un budget conséquent un trajet entre Paris et Marseille. Il le effrayés de conduire des camions de sur un Paris-Marseille, de l’ordre de fait car cela répond à son besoin. » • 37 Consommer Vivre sans argent

CO-RECYCLAGE : LES DÉCHETS DES UNS FONT LE BONHEUR DES AUTRES Bon débarras Véritable « Bon Coin du gratuit », cette plateforme lancée en 2012 permet de proposer ou de rechercher des objets pour éviter qu’ils ne finissent à la décharge. Elle vient d’intégrer la promotion 2015 des Acteurs du Paris durable. Côme Bastin, mai 2015 DR ©

azinière, haltère, télé, passées : 67 par redistributions, et le l’histoire de ce hangar agricole de table ou ordi : on trouve reste par une valorisation dans les 1 500 m2 que son propriétaire avait de tout sur Co-recyclage. filières de recyclage. posté sur la plateforme pour pouvoir Mieux, on le trouve Lutte contre le gaspillage et économie le démonter au plus vite et libérer gratuitement. Après circulaire sont autant de valeurs qui le terrain ! Du côté de ceux qui une brève inscription, motivent le geste des donneurs. Mais récupèrent, pas seulement des bobos chacun est libre de proposer ou de pas seulement, explique Renaud Attal, adeptes de la récup’, « mais aussi des Grechercher sur cette plateforme tous cofondateur de la plateforme. « Pour gens vraiment dans le besoin, à qui on types d’objets et de matériaux. Et certains, c’est aussi une manière de se ne demande pas de se justifier comme ça marche : depuis son lancement débarrasser rapidement d’objets inutiles, chez Emmaüs. Enfin la plateforme en 2012, Co-recyclage totalise plutôt que de marchander sur une autre est également créatrice de lien social », 60 000 utilisateurs. En 2014, pas plateforme pour finalement vendre à avance Renaud Attal. « Cela permet de moins de 150 tonnes d’articles y sont un prix dérisoire. » Et de raconter faire des rencontres dans votre quartier. »

38 CONNECTER L’OFFRE ET LA DEMANDE Un bon coin du gratuit ? Oui, mais DES APPLIS INTELLIGENTES pas que. L’objectif de Co-recyclage est de connecter l’offre et la demande de matériaux et objets entre particuliers, POUR ÉCHANGER mais aussi associations et entreprises. Pour cela, l’équipe se déplace sur le terrain pour voir si le matériel laissé par les uns peut intéresser les autres. Le SenseCube, espace de coworking INDIGO « PLUS ON DONNE, PLUS ON EST RICHE » C’est avec cette phrase d’apparence pour entrepreneurs sociaux, a ainsi paradoxale que Stéphane de Freitas hérité des armoires du ministère résume le fonctionnement d’Indigo. de la Santé. « On réfléchit même Récupérer un canapé, donner un avec Bouygues Immobilier à réutiliser cours de langue, se faire aider pour les matériaux d’un immeuble qui son déménagement ou se débarrasser va être démoli au sein de bâtiments de vêtements qu’on n’aime plus : écologiques en construction », précise le autant d’options possibles avec cette cofondateur. Une plateforme spéciale application qui fonctionne grâce au pros devrait voir le jour pour permettre « digo », une monnaie virtuelle. Chaque aux artisans, artistes et entrepreneurs action ou don bénévole effectué au sociaux de récupérer plus facilement sein du réseau rapporte des digos, le matériel dont se débarrassent les qui peuvent ensuite être utilisés pour grandes entreprises. obtenir des biens et services. Indigo

Indigo SERVICE AUX ENTREPRISES © compte intégrer les associations à son fonctionnement. Celles-ci pourront Ce choix permet à la plateforme de solliciter un peu de temps auprès trouver son modèle économique, en des membres pour des opérations de proposant des services aux entreprises nettoyage, du soutien scolaire ou de ou aux collectivités territoriales. l’aide aux sans-abri. Enfin côté , Indigo fonctionne là encore… au don. La mairie de Puteaux a ainsi son La plateforme ne prélèvera aucune commission, aucun abonnement, ne revendra interface dédiée pour permettre aux pas d’informations et ne diffusera pas de publicité non plus. « Aujourd’hui, quand habitants et aux acteurs économiques tu ne recherches pas l’argent, tu n’es pas valorisé. Avec Indigo, on veut renverser la de « co-recycler » objets et matériaux tendance », résume Stéphane. http://indigo.world au sein de la municipalité. Chez Aéroports de Paris, Co-recyclage Côme Bastin, juillet 2015 ne sert pas uniquement la politique RSE (responsabilité sociale des entreprises). La plateforme est venue ECO-MAIRIE.FR UN ÉCHANGE DANS LA VILLE Fin mai, la commune de Grande- remplacer les vieux tableurs Excel Synthe (Nord) a lancé Eco-mairie. pour optimiser les stocks. « Avant fr, « le premier site de partage d’acheter un nouveau siège, on peut collaboratif et durable qui utilise vérifier si cet équipement n’est pas déjà la géolocalisation pour favoriser disponible ailleurs dans l’entreprise. » la mise en relation dans une Nominé pour la promotion 2015 des hyperproximité ». La plateforme Acteurs du Paris durable, Co-recyclage permet aux habitants d’échanger est également incubé au sein du Social ou de revendre d’occasion des DR

Good Lab, dédié aux entreprises sociales © biens et du matériel. Et à la ville technologiquement innovantes, et de réduire les encombrants. emploie 4 personnes. Parmi les projets : Cinq domaines sont concernés nouer des partenariats pérennes, : bricolage, jardinage, mobilier, notamment avec le monde du spectacle vêtements et jeux. « Il s’agit des produits que l’on retrouve le plus dans la collecte et des expositions qui utilisent beaucoup des encombrants, alors qu’on peut aisément en faire profiter ses voisins », de matériaux pour les scénographies. Et, explique la mairie qui précise « qu’en fonction des besoins des habitants, le site surtout, sortir de Paris pour connecter, pourra intégrer d’autres domaines, comme l’animalerie ou l’équipement sportif ». faire co-recycler toute les villes de Jean-Jacques Valette, septembre 2015 France. Quant à l’international, « une version anglaise est dans les cartons », assure Renaud Attal. • 39 p.42 p.53 p.60

40 PRODUIREPRODUIRE

TRAVAILLER AUTREMENT p. 42 FINANCEMENT p. 53 FAIRE SOI-MÊME p. 60

Grands témoins

Yann Moulier-Boutang Économiste, directeur de publication de la revue Multitudes

Ophélia Noor Journaliste, photographe, spécialiste du mouvement maker

41 ProduireProduire Travailler autrement Yann Moulier-Boutang La fable des abeilles Pour Yann Moulier-Boutang, la 2e vague de l’économie numérique se fera sans l’emploi salarié, car elle tire ses revenus d’actifs non marchands comme les données, la confiance ou la collaboration. Il y a donc urgence à réorienter l’État-providence vers ces activités « pollinisatrices ». Propos recueillis par Arthur De Grave / Photos : Erwan Floc’h

Selon vous, nous sommes entrés dans Fils soixante-huitard d’un possible. Prenons l’exemple des abeilles, l’ère du « capitalisme cognitif ». Concrè- philosophe royaliste, influencé justement. La valeur produite par l’api- tement, par quoi cela se traduit-il ? par les travaux de Toni Negri et culture – miel, cire, etc. – correspond à Le capitalisme cognitif se traduit par une Félix Guattari, Yann Moulier-Boutang environ un milliard de dollars par an. transformation radicale des modes de est aujourd’hui directeur de la Mais l’abeille fait bien plus que ce qu’en production de valeur. Très concrètement, publication Multitudes, revue absorbe le secteur marchand : c’est un trimestrielle. Il défend l’ins- cela signifie que la production tend à insecte pollinisateur. Combien vaut cette tauration d’un revenu de base devenir de plus en plus immatérielle et inconditionnel, au motif que pollinisation ? Les estimations les plus que la part de la fabrication dans la valeur les hommes créent tous de la basses la chiffrent à environ 153 milliards ajoutée ne cesse de décroître. Dans la valeur économique dans leur vie et les plus hautes, à plus de 5 000 mil- nouvelle économie, les immatériels quotidienne. Ses derniers livres liards. Cela signifie que ce que nous e changent de nature : après la 2 révolution sont Le Capitalisme cognitif : la prenons en compte via le marché est industrielle, ces derniers avaient été nouvelle grande transformation dérisoire en comparaison du continent codifiés en termes de droits de propriété (Éditions Amsterdam, 2007) et des externalités. C’est un véritable comme les brevets ou les droits d’auteurs. L’Abeille et l’Économiste (Carnets eldorado, du moins pour ceux qui sauront Cela ne fonctionne plus car, aujourd’hui, Nord, 2010). accumuler des dispositifs numériques les actifs immatériels comme la confiance, capables d’en capter une petite partie. la capacité à coopérer, le care sont autre- ment plus difficiles à appréhender. Ils sont pour ainsi dire Vous parlez du modèle économique des GAFA – plus flous. Google, Apple, Facebook et Amazon ? C’est en effet le modèle de Google : proposer des dispo- Vous comparez les individus de cette nouvelle sitifs gratuits qui vont encourager les gens à « butiner » et économie à des abeilles dans la grande ruche développer des biens et services autour. Le PIB annuel de l’économie numérique. mondial équivaut à environ 70 000 milliards de dollars. C’est tout le sens de mon expression « pollinisation ». Prenons les estimations basses et multiplions ce montant Avant la révolution numérique, il était très difficile de par 153… Imaginons un instant qu’un Google, un mettre sur pied un dispositif permettant de capter la Amazon ou un Facebook parvienne à capter ne serait-ce valeur économique des externalités. Mais dès lors qu’ap- que 10 % de cette somme globale. Ils enfonceraient paraissent des plateformes collaboratives sur lesquelles littéralement la valeur de la production mesurée ! Ils ont d’innombrables « abeilles humaines » viennent échanger donc tout intérêt à encourager les formes les plus diverses des informations – « polliniser » donc –, la quantité de de collaboration. Mais cela va bien plus loin que les seuls données à notre disposition devient telle que l’exploita- GAFA. Il existe tout un continuum d’activités pollinisa- tion à grande échelle des externalités positives devient trices – et je parle bien d’activités et non de travail – dans

42 « D’accord pour Yann la désalarisation, mais pas au prix Moulier-Boutang de la précarisation généralisée. »

43 Erwan Floc’h © Produire Travailler autrement Erwan Floc’h ©

la société qui commencent à se développer. Aujourd’hui, s’imposent comme la principale source de création de une voiture, une montre, n’importe quel objet matériel valeur. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas encore sont plutôt des prétextes, de simples supports de la reconnues comme du travail et ne donnent donc pas production d’informations. Même les constructeurs naissance à de nouveaux droits sociaux. automobiles comme BMW ou Mercedes équipent les véhicules de systèmes de capteurs de données sur le Les conséquences sociales ne risquent-elles pas conducteur – acuité visuelle, réflexes, rythme cardiaque, d’être dramatiques ? etc. – pour ensuite monnayer les informations recueillies Il est certain que pour la société salariale, les perspectives auprès de l’industrie pharmaceutique. sont plutôt sombres. C’est toute la société qui va devoir se réorganiser autour de la pollinisation plutôt qu’autour de Vous distinguez ces « activités pollinisatrices » la production matérielle, dont la part dans la valeur du travail. Qu’adviendra-t-il du salariat tel que ajoutée ne peut que décroître. Cette dernière devrait à nous l’avons connu jusqu’alors ? terme se stabiliser autour de 10 %. La force de travail, Cette 2e vague du numérique ne s’attaque plus seulement l’énergie créative se déploient déjà aujourd’hui largement aux opérations simples du cerveau gauche – les opéra- en dehors des cadres du salariat. Dans les années 1970- tions analytiques –, mais également à celles qui relèvent du cerveau droit, autrement plus complexes. Concrète- ment, cela signifie que tous les emplois « Autrefois, les activités non que nous pensions protégés de l’automa- tisation se retrouvent maintenant en danger : avocats, médecins, etc. Allez marchandes et pollinisatrices visiter une salle de marché aujourd’hui, vous n’y verrez plus que 5 ou 6 traders étaient marginales. À présent, dont le rôle est à présent de superviser le travail des algorithmes. C’est l’emploi elles s’imposent comme la salarié dans son ensemble qui se re- trouve chahuté. Nous vivons une période intermédiaire : autrefois, les activités principale source de création non marchandes et pollinisatrices étaient marginales, mais, à présent, elles de valeur. » 44 1980, nous pensions que le salariat occuperait 90 % de la population active. Dans ce contexte, la protection sociale « La puissance était en théorie étendue à tout le monde. Mais, avec l’intermittence croissante du travail, la montée du chômage structurel et l’automatisation croissante des publique doit cesser tâches intellectuelles, les mailles du filet protecteur s’élargissent et de plus en plus d’individus tombent. de socialiser les pertes

Que faire ? et de privatiser les Je vois deux solutions. L’une est réactive : en gros, il suffirait de prendre toutes les activités pollinisatrices du numérique, de leur coller des charges sociales et de profits. » requalifier le tout en emploi salarié. Malheureusement, c’est complètement illusoire. Cela reviendrait à faire rentrer de force les externalités dans un calcul écono- l’El Dorado des externalités ! La puissance publique doit mique marchand. Pensez à l’échec du marché du carbone, cesser de socialiser les pertes et de privatiser les profits. qui cumulait tous les inconvénients du marché et tous les En réorganisant l’État-providence autour du revenu inconvénients de l’arbitraire administratif. d’existence, nous pourrions rééquilibrer l’équation sociale L’autre solution consiste au contraire à développer les tout en créant une incitation à l’innovation pour ce qui activités pollinisatrices du point de vue de l’intérêt concerne les tâches ingrates. général. Elles sont rééquilibratrices pour l’environnement, • constructrices de lien social, et fondamentalement la seule façon de lutter contre la montée des inégalités. En Les revenus de l’économie 1968, environ 10 % de la main-d’œuvre salariée était payée au SMIC. Aujourd’hui, nous en sommes à 25 %. collaborative imposables Le fossé entre les 1 % les plus fortunés et le reste de la société s’est creusé, alors qu’une partie des classes Perceuse, voiture, appartement ou maison, le partage irrigue notre moyennes rejoignait les pauvres. C’est une situation société. Pourtant, seuls 15 % des adeptes ont déclaré ou comptent socialement intenable. déclarer aux impôts leurs revenus issus de cette nouvelle économie, selon le baromètre BVA sur l’économie collaborative de mai 2014. En d’autres termes, c’est tout le système de protection « Tout revenu doit être déclaré à l’administration fiscale dans le but sociale qui est à repenser ? d’être assujetti à l’impôt applicable. C’est notamment le cas des Absolument. Comment reconnaître comme travail des revenus non commerciaux, perçus par les individus qui utilisent les activités non marchandes de façon à constituer une plateformes collaboratives », explique Michel Leclerc, avocat et protection sociale qui ne soit pas subordonnée au statut de cofondateur de Droit du Partage, site sur les enjeux juridiques de salarié ? C’est tout le problème. Les jeunes d’aujourd’hui l’économie collaborative. Selon lui, ce principe connaît une exception butinent. Leur rapport à l’entreprise est en pratique car ces revenus non déclarés résultent bien souvent de différent de celui de leurs aînés. Pour eux, l’emploi en pratiques occasionnelles. Mais l’essor inexorable de l’économie du continu n’est plus que le résultat d’une contrainte écono- partage a donné envie à de plus en plus de particuliers de tirer profit mique. Un jeune qui reprend un emploi salarié ne cherche de cette tendance. généralement pas tant un revenu élevé qu’une protection sociale décente. D’accord pour la désalarisation, mais pas SE RÉFÉRER À LA RÉCURRENCE au prix de la précarisation généralisée ! Ce qui est certain, Une chose est sûre. « Si le revenu perçu, fruit de l’économie c’est qu’avec l’alourdissement du chômage à venir, il n’y a collaborative, est régulier et si son montant prend une part absolument aucune chance pour que le système de protec- importante, il faut déclarer cette activité et se créer un statut tion sociale tel que nous le connaissons puisse tenir. comme celui d’auto-entrepreneur », tient à rappeler Daniel Baldaia, de la Direction générale des Finances publiques. Mais que L’instauration d’un revenu de base universel est-elle signifie concrètement régulier, à partir de quand peut-on parler de la solution ? récurrence ? Pour lever le voile sur ce flou, Daniel Baldaia invite les Oui. Si nous voulons que les emplois d’appoint se Français, qui se poseraient des questions, à se rendre dans un centre développent, il faut que chacun dispose d’un « revenu de des finances publiques ou solliciter le médiateur de Bercy en cas de pollinisation » ou d’un revenu contributif : un revenu litige. Le défaut de déclaration et le défaut de paiement relèvent du inconditionnel versé à chaque individu, d’un montant régime général des revenus non déclarés et des impôts non payés proche du SMIC actuel et cumulatif. Je pense effective- par les particuliers. ment qu’une bonne partie de la protection sociale Et de citer cet exemple : « Une personne au SMIC qui loue sur Airbnb pourrait être assurée par ce biais. Au-delà, c’est bien sûr le son appartement 3 semaines sur 5 sera davantage susceptible d’être système fiscal, inadapté au capitalisme cognitif, qui est à sous le coup de l’impôt qu’un cadre qui le loue une fois par mois.» revoir : la base fiscale de l’impôt est bien trop étroite ;

Clémence Chopin, , juin 2015 Erwan Floc’h nous taxons les stocks et non les flux. Rappelez-vous de ©

45 Produire Travailler autrement Pourquoi l’entreprise du futur sera collaborative

Tout le monde s’accorde à reconnaître que les nouvelles technologies bouleversent le quo- tidien de leurs clients et de leurs salariés. Pourtant, les entreprises peinent encore à trans- former leur organisation en intégrant les mutations numériques. La transition vers un mode de production plus collaboratif est néanmoins indispensable à leur survie. D’autant qu’elle pourrait les rendre bien plus compétitives. Élodie Vialle, juillet 2015

46 Illustration : Joe Waldron Illustration n matin, les employés de Poult, un groupe toulousain de biscuiterie qui fournit de grandes enseignes de distribution, se sont rendus à L’assistant personnel l’usine, mais pas pour occuper leur poste. « On a stoppé les machines, et on leur a demandé digital, un nouveau comment ils voulaient travailler dans le futur », explique UAlexandre Dandan, « manager de l’innovation » du groupe collègue plutôt que « directeur de l’innovation », « dans un souci Aujourd’hui, le smartphone permet de planifier son agenda. de déhiérarchisation ». Ce matin-là, des décisions « assez Demain, comme l’intelligence artificielle incarnée par la fortes » ont été prises, comme la suppression… du comité voix charmante de Scarlett Johansson dans le filmHer , il de direction. C’était en 2010. Trois ans après le choix fait deviendra un assistant personnel, capable de passer au par ce groupe de 800 employés de construire une entreprise crible toutes les compétences des collègues afin de proposer basée sur la confiance, où les salariés donnent leur avis sur la le meilleur profil pour le projet sur lequel on travaille. Un stratégie et où chaque équipe fixe elle-même ses objectifs et collaborateur à garder à distance, sous peine de finir comme ses propres indicateurs. Joaquin Phoenix, fou amoureux de son OS… À la place du comité de direction, des collectifs plus représentatifs ont été mis en place, réunissant des représentants d’un bureau d’études et des différents services et usines de l’entreprise. Partenariats avec les écoles et les start-up, suppression de deux échelons sur les connaissances : « Ce que vous connaissez est qui hiérarchiques, organisation autour de projets « cookies » vous connaissez », estime Herminia Ibarra, professeure ou « Nappé chocolat »…, « nous sommes passés du statut de comportement organisationnel à l’Insead, citée par de biscuitier classique à celui de biscuiterie d’innovation, et ça Jean-Pierre Gaudard dans son livre La Fin du salariat s’est traduit par plus de collaboration », raconte Alexandre (François Bourin Éditeur, 2013). Les entreprises vont Dandan. Si on peut innover dans les biscuits, on devrait également développer leurs propres Labs, à l’image du pouvoir le faire partout, non ? cabinet Deloitte, qui a monté sa « salle de créativité ». Pour Yann Glever, directeur de l’innovation chez Deloitte DU COWORKING AU CORPOWORKING France, les salariés doivent devenir des « intrapreneurs » : Le groupe Poult semble être sur le point de réaliser ce « Ils viennent nous voir avec leur idée, et nous les aidons à la que beaucoup d’entreprises amorcent à peine – voire pas délivrer. » du tout : leur transformation vers un mode d’organisation plus collaboratif. Exit le schéma pyramidal à la papa ! Dans PERDRE UN PEU DE POUVOIR l’entreprise du futur, les travailleurs seront plus autonomes. Dans ce contexte, une compétence devra être inscrite sur Un employé pourra par exemple passer une partie de la tous les CV : l’agilité. Dans la novlangue de l’entreprise, journée à son bureau, puis bidouiller un projet dans un Fab cela signifie la capacité à être flexible, quitte à… court- Lab et finir en conférence téléphonique dans un espace circuiter son responsable direct. « Il faut développer un de « corpoworking » – à savoir un espace de coworking management basé sur un objectif collectif à atteindre, juge mis en place par son entreprise. Une vision Bisounours ? Sylvie Joseph. En France, on est plutôt dans une logique Pour les entreprises, passer en mode collaboratif est plutôt “premier de la classe”, alors qu’il faut au contraire travailler devenu une question de survie, d’après un rapport produit en groupe et faire en sorte qu’un projet naisse de l’intelligence en 2013 par le cabinet Capgemini et le MIT intitulé collective. » L’Avantage numérique : comment les dirigeants numériques Les entreprises doivent donc parvenir à partager les dépassent leurs concurrents dans tous les secteurs. « Pour tout le connaissances. Et ce n’est pas gagné. « L’entreprise telle monde, c’est l’urgence. Le business en dépend, soutient Sylvie qu’on la connaît a été conçue pour un monde où des “sachants” Joseph, directrice de la transformation interne au sein de la organisaient le travail et où des exécutants moins bien formés se branche numérique du groupe La Poste. Nous ne pourrons bornaient à exécuter, analyse Bertrand Duperrin, directeur faire notre mutation que si, et seulement si, nous sommes de la transformation digitale au sein du cabinet de conseil beaucoup plus coopératifs et collaboratifs que nous ne le sommes Emakina. Aujourd’hui, les collaborateurs peuvent contribuer aujourd’hui. » Mais le chemin est encore long puisque, à l’amélioration des modes opératoires. Mais le “système” a été toujours selon le rapport du MIT, 52 % des entreprises conçu pour se protéger des changements. Alors qu’on doit réagir déclarent ignorer ce que le numérique implique pour leur à la complexité croissante de notre environnement par plus organisation et leur métier. Il ne s’agit pas de leur jeter la d’adaptabilité, on y a réagi par de la complication, créant des pierre, mais de les aider à franchir le pas. lourdeurs qui sont in fine autant de freins à la collaboration. » Pour réaliser cette transition historique, qui prendra En fait, les clients, comme les salariés, sont passés à l’ère plusieurs années, un profil va être de plus en plus technologique : ils achètent en ligne, font du covoiturage recherché par les recruteurs : celui de Chief Collaboration sur Blablacar et échangent infos et bons plans avec leurs Officer, c’est-à-dire de « facilitateur », capable d’animer amis via Facebook. C’est souvent comme ça que les un réseau au sein de l’entreprise. Les experts seront choses se passent : les individus adaptent des codes que donc moins recherchés… que les animateurs d’experts. les structures mettent du temps à ingérer. L’entreprise, elle, Dans un monde devenu imprévisible, le réseau prime n’a pas suivi cette révolution digitale. Pour y faire face, il

47 Produire Travailler autrement Illustration : Joe Waldron Illustration

faudra de la volonté donc, et surtout accepter de perdre un at Work (voir encadré). Aujourd’hui, 80 % des sociétés peu de pouvoir. Autre levier pertinent : les réseaux sociaux du CAC 40 disposent ainsi d’un ou de plusieurs réseaux internes, destinés à faire correspondre les besoins des sociaux d’entreprise, selon une étude du cabinet de conseil individus et ceux de l’entreprise, sur le modèle de Facebook Lecko. Or, plus l’information est partagée, plus le pouvoir est distribué.

BALAYER L’ESCALIER PAR LE HAUT « Avec les outils collaboratifs, nous pouvons organiser des Bonheur = productivité programmes de formation via les smartphones, pour permettre aux salariés d’échanger des conseils entre eux », détaille, Les travailleurs mécontents coûtent cher à l’entreprise : enthousiaste, le Canadien Alan Lepofsky, spécialiste des entre 450 et 550 milliards de perte de productivité chaque outils collaboratifs d’entreprise. En témoigne le succès année, selon une étude Gallup. Avec des salariés démotivés, de plateformes comme OpenPediatrics, un réseau social l’entreprise fait face à l’absentéisme ou, à l’inverse, à un dédié aux médecins, ou encore Sharelex (voir l’interview), présentéisme trop insistant. Pourtant, en impliquant davantage un dispositif de création et de partage de solutions les employés, « on fait coup double, observe Pierre-Éric Sutter, juridiques qui repose sur la collaboration entre des acteurs président de Mars-lab, un cabinet de conseil en optimisation pluridisciplinaires, des développeurs et des entrepreneurs. de la performance humaine en entreprise. On rend les salariés Pourtant, selon une étude du cabinet Altimeter publiée plus heureux, mais aussi les actionnaires. » par la Harvard Business Review, la moitié seulement des outils collaboratifs installés dans les entreprises seraient utilisés régulièrement par leurs employés. Et pour cause :

48 © Björn Valdimarsson existent déjàpourcollaborer enentreprise comme Yammer « pour présenter Facebook atWork. D’autres réseaux sociaux t e eprecs Pu cl, l at éalr une rétablir faut il cela, Pour expériences. des connaissanceset des partage le c’est enjeux, des L’un d’organisation plus collaboratifs modes des implémenter comment Concrètement, moyens pourlesatisfaire lesont. les mais négociable,n’est besoinpas Le besoins. leurs de compte en prise valorisés. la et reconnus, l’expression faciliter faut sécurité, Il en sentir se doivent salariés Les collaborer. et discussion conflits les de résoudre pour espaces des ouvrir coopérer. doit de L’entreprise façons les et gouvernance la changer c’estfaut, qu’il pyramidales.Cestructures des recréer structures horizontales, les entreprises ont tendance à Même lorsqu’elles ont la volonté de mettre en place des ce pasunpeuillusoire ? une dans organisation quinel’est— l’entreprise pas démocratie —n’est- de peu un injecter Vouloir démarche sincère. une mais mantra, simple un être pas doit ne collaboration la elle, Pourpluridisciplinaires. acteurs un ShareLex, collaborationdes entrela reposant sur juridiques de solutions de partage de et création de fondatricedispositif et entreprise en médiatrice avocate, est Buisson Brun Anne-Laure devenir unenouvelle norme» « Lacollaboration nedoitpas ou Slack,trèsutilisés, Cotap (pourles smartphones), l’outil collaboratif Mural.ly, lesite d’éditeur decontenus Quip, les pour les entreprises et leurs salariés salariés leurs et entreprises les pour plateformes Do.com et Fuze (pourorganiser des réunions Les gens utilisent déjà Facebook pour partager avec leurs leurs avec partager pour Facebook déjà utilisent gens Les proches le réseau social le réseau social « Et maintenant,

productives »)ouencore TalkSpirit et SeeMy. […]. d’entreprise Nous voulons proposer une offre similaire similaire offre une proposer voulons Nous », explique Facebook

? de risques. d’opportunités encoursestplusporteuse numérique que soient eux-mêmes convaincusqu’ils que latransformation Aux dirigeants, donc, demontrer l’exemple, àcondition « précis eux-mêmes. etutiliséparlesdirigeants des objectifs l’outil reste unmoyen quin’est n’est s’il rien pasintégré à pragmatisme dansl’idéologie,pragmatisme nefaitjamais demal. ça atteindre 190millionsd’euros en2013. Unebonne dosede d’affaires augmenterde13%pour a ainsivuson chiffre eux, neregrettent : pasleurchoix entoutcas legroupe Poult resteune entreprisepluscollaborative long, lespionniers, àparcourirpourconstruire lechemin lespieds!Si traînent du PIB… faire Unchiffretousceuxqui quidevrait réfléchir lesplusavancés. despays numériques unbond de5% Soit supplémentaire si la France s’alignait sur les performances d’euros par an, 2020, à l’horizon le potentiel de croissance à100milliards évalue McKinsey dans laquellelecabinet novembre 2014, metnotammentenlumière uneétude de l’économie. Cedocument, remis augouvernement en numérique » sur latransformation Lemoine le « rapport une nouvelle norme. à conformer se de souhait du résulter juste pas ne Et La religion. une collaboration, faire ça se travaille, d’en ça doit venir c’estde l’intérieur. collaboration, la à n’yetje pas.tiens Le grandplus qu’onmal puisse faire Je n’ai pas de vision idéale de l’entreprise collaborative, selon vous l’entrepriseidéale,collaborativeressemble quoi À ce participants. des de présence la à attendent sens du donner et elles d’ateliers, type bénéfices mieux quels doivent expliquer entreprises Les reconnaissance. peu a de y Il productions. leurs deviennent que ce pas la de savent ne gens autour les mais ndlr], projet, différentsd’un réalisation profils des réunissent qui glamour de parler des « hackathons » [ces événements et chic fait ça Aujourd’hui, co-création. la de éthique L’escalier sebalaie par lehaut », Duperrin. noteBertrand

Peut-être lire alorsavec attention devraient-ils ? • 49 Produire Travailler autrement

LE TRAVAIL À L’HEURE COLLABORATIVE L’odyssée de l’espace Partage de bureaux, d’appartement, mais aussi de cave et même de place de parking... L’économie collaborative mutualise toujours plus d’espaces jusque-là inexploités. À moins qu’elle ne les transforme en marchandise ? Côme Bastin, octobre 2015

e constat est simple », affirme Éric Van Den MON LIT EST UN ACTIF Broek : « Depuis l’avènement du salariat mo- Bingo ! Car il n’y a pas que notre rapport à l’espace de derne, l’outil de production a toujours été rattaché à travail qui est en train de muter sous l’effet du dévelop- un lieu physique déterminé. L’ouvrier à son usine, pement de l’économie collaborative. Un symbole ? En- le cadre à son bureau. Les nouvelles technologies core qualifiée de start-up il y a quelques années, le site ont fait exploser cela. Donc, quelle conséquence de location de logements entre particuliers Airbnb est Len tirer ? » La conséquence, c’est « Mutinerie ». Le nom aujourd’hui valorisé 25 milliards de dollars, soit davan- de l’un des tout premiers espaces de travail partagé de la tage que le premier groupe hôtelier du monde, Marriott région parisienne qu’Éric a ouvert avec ses deux frères (21 milliards). Cet été, le site a permis à quelque 17 mil- début 2012. lions de personnes – l’équivalent de la population des Pays-Bas – de vivre sous le toit d’un autre, avec un pic à un MUTATIONS DU TRAVAIL million le 8 août, un record absolu. Ce qui plaît à tant de Mutinerie : « action collective de rébellion au sein d’un clients ? La quantité et la variété des logements, et une groupe réglé par la discipline », nous renseigne le diction- expérience d’hébergement plus humaine et plus proche naire. Alors Éric, on se rebelle ? « C’est vrai qu’on ne se de la vie locale. Quant aux hôtes, inutile de préciser qu’ils retrouve pas dans la façon dont l’entreprise fonctionne, avec ont là l’occasion de rentabiliser facilement – et ce, sans sa hiérarchie, ses horaires. Plus qu’un bureau partagé, on payer d’impôts, pour le moment – tout ou partie d’un voulait un espace pour faire vivre et collaborer ensemble une logement inoccupé. nouvelle génération de travailleurs. » Entre mutins, on tra- vaille tard ou tôt, on se tutoie, on prend l’apéro, on orga- ESPACES DE STOCKAGE nise des événements et on monte des projets innovants. Cette logique de rentabilisation de l’espace s’étend au- Sont nés à Mutinerie : le think tank OuiShare, le collectif jourd’hui progressivement aux lieux les plus inattendus. MakeSense ou les rencontres Start-Up Africa. Il vous reste quelques mètres carrés dans votre cave ? D’autres ont depuis emboîté le pas à Éric et ses (con)frères. Mettez-les en location sur Jestocke.com et permettez à Une récente étude réalisée par La Fonderie et BAP (Bu- d’autres particuliers d’y entreposer meubles et objets. Le site reaux À Partager) – un poids lourd du secteur – recense gère déjà 230 000 mètres cubes de stockage. Vous n’utilisez 250 espaces de coworking en France, dont 70 % ont moins pas votre place de parking de 8h à 19h ? Sous-louez-la sur de deux ans. À l’heure, à la journée, au mois ou à l’année. Zenpark.com à des automobilistes qui cherchent à se garer Petits ou grands. Alternatifs ou studieux. Il en existe de dans le quartier. « Le marché est énorme, on estime qu’il y a toutes les sortes. Au-delà de l’aspect « pratique » et « à 650 000 places de parking inoccupées en France », s’enthou- la carte » pour les travailleurs nomades, le boom des es- siasme William ES Rosenfeld, président et cofondateur paces de coworking est le signe d’une époque « qui fuit les de Zenpark.com, plateforme qui en propose déjà 2 000. lieux standardisés », analyse Éric Van Den Broek. « Cela Chambre, cave, place de parking... et pourquoi pas conces- se retrouve partout. Alors que les grandes chaînes hôtelières sion de cimetière ? Transformer jusqu’au dernier mètre e ont eu leur heure de gloire à la fin duxx siècle, qui vou- carré inoccupé en objet de spéculation serait-il le vrai des- drait aujourd’hui dormir dans la même chambre que tout sein de l’économie collaborative ? Laure Courty, fondatrice le monde ? » de Jestocke.com, s’en défend et contre-attaque : « Avec

50 notre site, on redonne du pouvoir d’achat, mouvement pionnier devient on combat la crise du logement et on court- « La culture mainstream, il s’institution- circuite des acteurs qui profitaient de leur mo- nalise. Il faut savoir gérer le nopole. » Grâce au numérique, « on limite la alternative des coup et rester inventif. » construction de coûteuses places de parking », juge de son côté William ES Rosenfeld. débuts s’est un ESPACES-OUTILS « Autant d’argent qui sera investi sur la qua- Et pour la suite, Éric a lité du bâti à la place ! » peu perdue […] et plusieurs cordes à son arc. D’abord, Mutineries Village, RENTABILITÉ VS CONVIVIALITÉ certains espaces un tiers-lieu (espace hybride) « Il faut faire attention à ce que les plateformes ouvert non pas en centre- ne s’enferment pas dans une logique trop spé- se rapprochent du ville... mais à la campagne. culative », avertit Serge Duriavig, dirigeant On y vient pour travailler et fondateur de Nightswapping, un site business center. » plusieurs jours au milieu des de « troc de nuits » entre particuliers. Le vaches et goûter à la vie de principe : accueillir chez soi des membres la ferme. L’espace accueille de la communauté, pour à son tour être des événements réguliers et hébergé, grâce aux points gagnés. Une monnaie virtuelle comprend même un Fab Lab. L’autre grand chantier, c’est qui « garantit que les membres proposent d’abord leur loge- Copass. Un système d’abonnement qui permet d’accé- ment par goût du voyage et de la convivialité ». Dans le der à quelque 500 espaces de coworking répartis dans 65 viseur du dirigeant, un certain Airbnb : « Beaucoup de ses pays. « C’est la continuité logique du raisonnement entamé avec membres utilisent seulement leur logement pour se faire de Mutinerie : pourquoi remplacer le bureau par un espace quand on l’argent. L’esprit collaboratif des débuts a cédé la place à un peut le remplacer par “des” espaces ? » Sans surprise, beaucoup système hôtelier déguisé. » Même constat chez Éric Van de membres de Copass sont aussi de fervents utilisateurs Den Broek de Mutineries : « La culture alternative des d’Airbnb. Partout chez elle, la nouvelle génération ne voit débuts du coworking s’est un peu perdue. De gros acteurs se plus l’espace comme un bien, mais comme un outil. Besoin sont lancés sur le marché et certains espaces se rapprochent du de concentration ? Elle va s’isoler à la campagne pour tra- business center. » À l’image de WeWork, véritable « chaîne » vailler. Besoin d’être créatif ? Elle va s’imprégner de l’énergie d’espaces de coworking aux États-Unis et en Grande- des grandes villes. Besoin de se détendre ? Elle se rapproche Bretagne, ou de Regus, multinationale qui propose salles du soleil et de la mer. Et besoin d’argent ? Elle transforme de réunion et centres d’affaires dans 900 villes. Pour au- son logement en gagne-pain en le louant temporairement. tant, l’homme se refuse au pessimisme : « À mesure qu’un Esp(a)ces de sales capitalistes ! • © Björn Valdimarsson

51 Produire Travailler autrement

PascalDIRECTEUR Demurger DU GROUPE MAIF « C’est un énorme changement de paradigme » Comment l’économie collaborative transforme-t-elle le travail d’assureur ? Comment les entreprises du secteur peuvent-elles aider un grand groupe tel que la MAIF à réinventer son fonctionnement interne ? Le directeur général de la mutuelle nous répond. Propos recueillis par Côme Bastin

Pourquoi investir dans les start-up Comment encadrer les nouvelles de l’économie collaborative ? formes de travail, parfois infor- Il y a d’abord une vraie proximité melles, qui découlent de cette culturelle et de valeur entre la nouvelle économie ? MAIF et ces start-up, ainsi que Pour l’instant, la MAIF ne garantit les communautés qu’elles que des biens et des personnes sur leur agrègent. C’est donc un moyen responsabilité civile dans ces nouveaux d’aller à la rencontre de ces modes de consommation. Mais on voit publics, de leur présenter la bien qu’il y a un délitement du droit du MAIF et de les convaincre de travail. La question se pose alors : nous rejoindre. Il y aussi la avons-nous un rôle à jouer dans conviction que l’économie l’accompagnement des changements collaborative est en train de de mode de travail ? Cela fait écho, en changer pas mal de choses dans le quelque sorte, au rôle historique que la monde qui nous entoure : MAIF a pu jouer auprès de commu- consommation, comportement, nautés comme les enseignants. En rapport de l’individu au collectif, même temps, nous n’avons pas envie rapport à la propriété. Il serait de participer au mouvement de irresponsable de passer à côté de démantèlement de l’État-providence. MAIF/DR ces transformations qui pourraient Il faudrait trouver une manière d’orga- © bien, demain, devenir la norme. niser un système de solidarité et de protection pour ces nouveaux travailleurs, sans pour Assurer l’économie collaborative, qu’est-ce que cela autant encourager la dérégulation. On y réfléchit. change à votre métier ? L’assurance traditionnelle consiste à garantir de manière Le contact avec les entreprises de l’économie collabora- permanente, du 1er janvier au 31 décembre, un bien qu’un tive vous conduit-il à changer en interne ? client possède. Il nous faut désormais savoir comment Seuls ceux qui sauront s’adapter à la révolution numé- assurer l’usage ponctuel d’un bien qui ne lui appartient rique survivront ! On investit donc dans l’économie pas et qu’il ne possède pas ! C’est un énorme changement collaborative, mais l’économie collaborative nous investit de paradigme. J’assistais, il y a peu, à une table ronde sur aussi. Ces entreprises nous font gagner en innovation, en l’« uberisation » de l’assurance. Un membre de l’équipe de agilité, en frugalité. On fait bénéficier nombre de nos la plateforme d’échanges de maisons, , cadres de leur expérience au sein d’un « lab d’innova- expliquait qu’il n’arrivait pas à trouver un assureur qui tion » qui mêle internautes et start-uppeurs. Nous avons comprenne les besoins liés à l’activité de sa société. J’ai également lancé une académie digitale en interne avec bien sûr tenté de le convaincre que la MAIF saurait LearnAssembly, pour permettre à nos employés de se accompagner son entreprise, mais c’est un exemple confronter à ces problématiques, de les comprendre et de révélateur. les assimiler. • 52 Financement Produire Crowdfunding : bientôt le Big Bang

Bulle médiatique, croissance exponentielle, multiplication des platesformes… Le crowdfun- ding, en plein boom, suscite beaucoup d’attentes. Mais comment ce nouveau modèle de finan- cement survivra-t-il à son rapprochement avec ses « frères ennemis » du secteur bancaire ? Élodie Vialle, octobre 2015 Illustration : Joe Waldron Illustration

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epuis six ans, Vincent Ricordeau se démène sans compter. En 2009, cet ancien spécialiste du marketing sportif Un outil de « crash- cofonde KissKissBankBank, un site de financement participatif en dons. Quatre test marketing » ans plus tard, il crée HelloMerci, une plateforme de prêts entre particuliers, Lancer un produit, sauver un journal ou même… « sauver la avant de lancer l’année suivante Lendopolis, dédié à Grèce » ou « racheter l’Élysée » : les sites de crowdfunding l’investissement dans les PME. Un activisme payant sont autant des plateformes de fundraising que des outils Dpuisqu’en France le crowdfunding explose. « Les États ont rendu possible le développement de sites de financement de communication destinés à monter une communauté qui participatif. Le marché est en train de naître. Là, c’est le big suivra le projet au-delà de la collecte. «C’est une manière de bang, la ruée vers l’or », lance l’entrepreneur, enthousiaste. tester le marché, son produit auprès des consommateurs », En 2014, 152 millions d’euros ont été collectés en France juge Anne-Claire Ruel, professeur de communication à par les plateformes de crowdfunding. Deux fois plus qu’en l’université de Cergy-Pontoise, qui va jusqu’à parler de « crash- 2013. « La croissance est très forte, mais on ne fait qu’effleurer test marketing » pour décrire le crowdfunding. Les projets le champ des possibles », se réjouit Mathieu Maire du pertinents qui ne suscitent pas immédiatement l’engouement Poset, directeur général adjoint d’Ulule, l’autre grande des internautes risquent donc d’être tués dans l’œuf. Une plateforme française de crowdfunding. logique darwiniste un brin flippante. Avec un taux de croissance annuel de plus de 63 %, le crowdfunding s’impose comme le secteur de l’économie collaborative qui devrait connaître la plus forte progression annuelle d’ici à 2025, selon le cabinet PwC. Le nombre de du Poset. « L’année 2016 sera celle de la concentration plateformes est exponentiel : en France, il en existe déjà des acteurs ; 2017, celle des partenariats », prédit quant à plus d’une soixantaine, généralistes ou très spécialisées, lui Vincent Ricordeau. Et à la fin, il n’en restera qu’un qui proposent par exemple de financer la recherche ou deux, pas plus. « Les autres s’en sortiront en vendant (DaVinciCrowd), les projets bretons (Gwenneg) ou même chrétiens (ChristFunding). La loi d’octobre 2014, votée pour favoriser le financement participatif dans le domaine de l’investissement et du prêt, a accéléré le phénomène. « Tout le monde a encore l’impression de pouvoir jouer sa carte aujourd’hui », constate Vincent Ricordeau.

BULLE MÉDIATIQUE Cette effervescence n’est pas sans rappeler celle qui a agité les entreprises web au début des années 2000. Les conditions d’une nouvelle bulle spéculative sont-elles réunies ? Les acteurs du crowdfunding doivent-ils à leur tour s’attendre à des lendemains de fête difficiles ? Pas certain, si l’on en croit François Desroziers : « Si bulle il y a, elle est surtout médiatique », estime le cofondateur de Spear, une plateforme d’épargne solidaire. Le champ des possibles ouvert par le crowdfunding fascine encore des médias prompts à présenter comme révolutionnaires des modèles qui n’ont pas démontré leur efficacité à long terme. Pourtant, malgré ce miroir médiatique déformant, il est indéniable que tout le monde ne sortira pas gagnant de cette phase euphorique. « Ça va bouger, certains acteurs vont disparaître, d’autres se créer », analyse Mathieu Maire

54 ©Joe Waldron leur fichier clients aux grosses plateformes. Quelques sites spécialisés survivront, certains vendront du conseil et feront de leur activité de crowdfunding un produit d’appel », « Le crowdfunding anticipe François Desroziers. Pour beaucoup, une fois la mise de départ récupérée, l’aventure s’achèvera. Game over. est l’avenir du INTERMÉDIAIRES INDISPENSABLES À quoi ressemblera le crowdfunding une fois le big fundraising pour bang terminé ? Parmi les hypothèses les plus probables, celle d’un secteur dominé par quelques mastodontes internationaux, qui auront survécu après avoir englouti les les associations » plus petites plateformes et, pourquoi pas, grâce à de futurs partenariats stratégiques noués avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Les sites de financement participatif devraient aussi bâtir de plus en plus d’alliances Ismaël Le Mouël est le cofondateur de HelloAsso, avec des acteurs publics, aujourd’hui débordés par cette une plateforme à travers laquelle les associations nouvelle économie, mais toujours soucieux de financer des projets locaux. peuvent gérer leurs dons, leurs adhésions et faire Toutefois, c’est surtout le rapprochement entre les de la billetterie en ligne. plateformes de crowdfunding et les banques qui pourrait faire entrer le financement participatif dans une nouvelle ère. Longtemps dubitatif quant au potentiel Le crowdfunding va-t-il sauver les associations ? du crowdfunding, le secteur bancaire lorgne désormais Sauver, pas forcément, mais il constitue un levier de sur les nouveaux entrants du secteur. « Pour les banques, croissance très intéressant, dans la mesure où il permet métamorphosées par la crise financière, le métier historique de à une nouvelle génération de donateurs de contribuer aux actions associatives, sans pour autant se substituer à la puissance publique. Après tout, le crowdfunding est une nouvelle version du fundraising que pratiquent les associations depuis des années. Avec HelloAsso, nous les accompagnons dans leur démarche de crowdfunding car elles sont encore souvent éloignées du digital.

Combien d’associations sont financées grâce à HelloAsso ? Depuis notre création en 2010, nous avons collecté 12 millions d’euros pour 6 000 associations. Nous connaissons une croissance exponentielle : nous avons réuni plus dans les six derniers mois que dans les trois dernières années ! On pense collecter 10 millions d’euros en 2015. Les potentialités sont énormes puisque 35 milliards d’euros sont levés tous les ans en France par les associations.

À l’inverse de la plupart des plateformes de crowdfunding, vous ne prélevez pas de commission mais proposez au donateur de verser un pourboire. Est-ce rentable ? Tout à fait. Les internautes nous donnent généralement 4 % de la somme versée à l’association [la plupart des plateformes demandent une commission de 8 % environ, ndlr]. La commission exigée peut parfois être un frein au don. Nous avons cherché à ce que notre propre fonctionnement soit participatif dans son business model. Nous voulions bâtir un outil accessible, respectueux des valeurs associatives.

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transformation des dépôts en prêts évolue vers une part plus accompagne les organisations dans leur démarche de forte de simple mise en relation entre les entreprises et les financement participatif. Après tout, l’adage dit que pendant investisseurs, ce qui est justement le métier du crowdfunding », la ruée vers l’or, ce sont les vendeurs de pioches qui se sont écrit la Revue d’économie financière dans son numéro de juin le plus enrichis… 2015. À l’instar de Google, devenu La diversification des formes et des indispensable pour construire les buts du crowdfunding marquera nouvelles routes de l’information, en tout cas une rupture avec le les sites de crowdfunding devraient « Ça va bouger, balbutiement créatif des premières devenir des intermédiaires années d’existence du financement incontournables pour les banques certains acteurs participatif. Une aubaine pour les si celles-ci ne veulent pas se opportunistes. « On peut craindre cantonner au rôle d’immenses vont disparaître, des arnaques, l’arrivée d’escrocs attirés back-offices déconnectés des par l’appât du gain qui filent avec les citoyens. Goldman Sachs estime d’autres se créer. » pépettes. On n’est pas à l’abri de trucs que la part des banques sur le moches », lâche un acteur du secteur. marché du crédit pourrait se Si jamais les plateformes historiques réduire de 20 % face à la montée en finissent par se transformer en outils puissance de ces nouveaux acteurs. déguisés de finance traditionnelle, À terme, des plateformes comme Prosper ou Lending comment réagiront les crowdfunders ? En 2014, déjà, Club pourraient même s’approprier près d’un tiers de beaucoup s’étaient agacés du rachat par Facebook de la la part des banques sur le marché des prêts, d’après la start-up Oculus Rift, financée par des internautes, pour banque d’investissement américaine. En France, le site de un montant de 2 milliards de dollars… Le crowdfunding crédit entre particuliers Prêt d’Union vient d’ailleurs de risque-t-il de « perdre son âme », si tant est qu’il en ait jamais lever 31 millions d’euros pour développer le modèle de eu une ? En tout cas, certains acteurs choisiront sûrement de Lending Club à travers l’Europe. se concentrer sur des valeurs plus « sociales ». C’est ce que tentent déjà de faire des sites comme 1001Pact ou le site Prêt MARIAGE DE RAISON de chez moi, une initiative portée par la Nef, la coopérative Alors qu’ils se félicitaient il y a peu à l’idée de « siphonner les de finances solidaires, qui soutient des projets locaux. Une banques », les acteurs du crowdfunding répètent désormais manière d’entretenir tant bien que mal la créativité et la à l’envi que leur activité est plutôt complémentaire de celle dynamique solidaire des débuts. des banques. Ulule s’est ainsi allié avec Hello bank ! pour • lancer Hello play !, la banque en ligne « nouvelle génération » de BNP Paribas qui offre aux internautes la possibilité de gagner des crédits pour soutenir des projets lorsqu’ils écoutent de la musique. L’heure des mini Pour les sites de financement participatif, de tels partenariats permettent de s’appuyer sur la puissance des géants de l’économie traditionnelle afin de financer business angels ? leur son développement à l’international, mais aussi de démocratiser un secteur encore méconnu du grand public. Demain, de plus en plus de plateformes proposeront C’est dans cette optique que l’agence de développement d’investir dans des entreprises via le crowdfunding. économique Perpignan Méditerranée ID a lancé, en juillet Mais, pour l’instant, les Français sont plutôt réticents. 2015, Pyrénées Méditerranée Crowdfunding, un cercle de « Ils ne sont pas habitués, ils ont parfois l’impression financement participatif à destination des entrepreneurs, qu’on leur parle du CAC 40 alors qu’on peut prendre des en partenariat avec la plateforme WiSEED. Chambres de parts dans de petites entreprises », estime Eva Sadoun, commerce et d’industrie, régions, départements… directrice générale de 1001Pact. Par ailleurs, en 2014, Aujourd’hui, chacun veut sa plateforme de financement 35 % des Français déclaraient ne pas avoir d’épargne participatif, quitte à faire « gonfler » le secteur de façon disponible, selon l’Autorité des marchés financiers (AMF). artificielle. Pourtant, le succès n’est pas toujours au rendez- « Leur première préoccupation est d’avoir une épargne vous. En témoigne l’échec de FriendsClear, un site de prêts sécurisée et disponible. Ce qui n’est pas le cas si vous aux entreprises lancé en 2010 en partenariat avec le Crédit investissez dans une entreprise », décrypte Natalie Agricole Pyrénées Gascogne, qui s’est éteint en 2013, faute Lemaire, directrice des relations avec les épargnants au d’activité suffisante. sein de l’AMF. Rentrer dans le capital d’une entreprise APPÂT DU GAIN reste technique, et le risque de perdre sa mise de départ, voire davantage, existe toujours. Pas sûr, dans ce À l’avenir, tisser des partenariats permettra aussi aux contexte, donc, que les Français se laissent séduire par le acteurs du crowdfunding de diversifier leurs sources de business angélisme en ligne. revenus. Les fondateurs de Spear, « société pour une épargne activement responsable », ont par exemple fait le choix de

créer CapSens, une « agence web en crowdfunding » qui : Joe Waldron Illustration

56 Elles innovent, apportent un nouveau souffle > LES COLLAB’ELLES à l’économie et s’engagent avec des initiatives collaboratives. Vanessa Broche Le crowdfunding fashion

Wepopit DR © novembre 2015

est une histoire qui commence nous nous sommes prêtées au jeu et y avons de fin d’étude des trois étudiantes, leur comme un devoir d’école. Vanessa pris goût. » permettant ainsi d’intégrer l’incubateur C’Broche, rentre d’une pause d’un Après la musique, le cinéma… Wepopit, Creatis, installé à la Gaîté Lyrique à Paris. an entre Asie et Australie « pour explorer le crowdfunding version fashion, permet C’est aussi la forte personnalité du trio le monde » et, de retour sur les bancs de à des créateurs de lancer une collection qui a séduit leur mentor à Sup de Pub. Sup de Pub, doit travailler sur un projet de prêt-à-porter, d’accessoires, de linge- « Il nous avait dit que développer un projet à de création d’entreprise. « J’avais une rie ou encore de financer un défilé, des trois était dur, on lui a démontré le contraire. copine, créatrice de mode, qui tentait de séances photos, un showroom… À tra- Notre projet est porté par la force de notre lancer sa marque » : trouver de l’argent vers ce projet, le trio entre dans le monde trio », raconte Vanessa. Avant de se lancer, pour acheter les matériaux, produire de l’économie collaborative, observant ses ces entrepreneures en herbe décident de une collection, vendre les vêtements… aînés, comme Blablacar, pour voir com- partir 3 mois sacs au dos en Amérique du Une galère qui fait émerger l’idée d’une ment ils ont développé leur communauté Sud. « On avait envie de voir autre chose plateforme de financement participatif et créer la leur autour de la mode. Mais ensemble, de nourrir le projet, de tester notre dédiée aux créateurs de mode. l’économie collaborative, pour Vanessa, capacité à bosser ensemble, de souder l’équipe est simplement un mot qui est mis sur avant de se lancer. » Avec deux autres étudiantes, Alisson leur projet. « Cette économie, ces modes Municchi et Eva Philis, elle se lance avec de consommation sont vraiment intégrés À leur retour, tout va très vite. Installation passion dans ce projet d’étude sans ima- à notre quotidien par notre génération, dans les locaux de l’incubateur d’entre- giner qu’il va vraiment virer à l’aventure constate Vanessa. Du déplacement au troc, preneurs culturels, subvention de la part entrepreneuriale. « Au départ c’était fictif, c’est devenu un réflexe. » de la BPI, elles lancent leur site de crowd- funding mode en juillet 2014 avec trois projets en quête de financement. En jan- vier 2015, elles enrichissent la plateforme « Cette économie, ces modes de d’un magazine pour donner de la visibi- lité aux créateurs et suivre les tendances. consommation sont vraiment En septembre, partant du constat que les jeunes créateurs n’ont pas accès aux ventes privées pour solder leurs invendus, elles intégrés à notre quotidien lancent un e-shop, version outlet, pour vendre leurs anciennes collections. À ce jour, Wepopit a soutenu une quinzaine de par notre génération. » projets en les accompagnant tout au long de leur campagne de collecte de fonds. BIO « Nous avons plein d’autres idées de déve- 1986 – naissance à Paris. Leur école, convaincue par le projet, loppement, s’enthousiasme Vanessa, mais sa viabilité et son côté innovant, nous avançons étape par étape. » Ce qui 2009 – coupe le cordon en partant en Australie décide de soutenir financièrement, lui laisse moins de temps pour partir sac 2014 – lancement de Wepopit.fr et ce pour la première fois, le projet au dos…

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LE CROWDLENDING OU LA FIN DU MONOPOLE BANCAIRE La tentation de la finance Faire financer PME et start-up par les particuliers, c’est désormais possible grâce au crowdlending. Un secteur en plein boom, qui suscite même la convoitise de la finance traditionnelle… Au risque d’y perdre son âme ? Côme Bastin, août 2015

00 000 euros. C’est la somme que Polm 2014, ce sont 88,4 millions d’euros qui ont été collectés de Studio vient de collecter pour lancer un la sorte en France. Bien plus que le pourtant très média- logiciel de télédiagnostic par vidéo grâce à des tique crowdfunding en « don contre don » (voir encadré) lunettes connectées. Sauf que Polm Studio n’est pratiqué par Kisskissbankbank ou Ulule (33,5 millions pas allé emprunter cette somme aux banques. sur la même période). À terme, « le crowdlending pourrait Il l’a obtenue sur Lendopolis, un site de crowdlending s’élever à 10 milliards », estime Olivier Goy, président et (littéralement, « prêt par la foule »), qui permet aux parti- fondateur de Lendix.

1 (1987), 20th Century Fox. Street © Wall culiers d’investir leur argent directement dans des PME. En octobre 2014, la France est devenue l’un des premiers RISK & REWARDS pays du Vieux Continent à mettre fin au monopole ban- Attention cependant à garder à l’esprit que l’on caire, qui stipulait que seules les banques étaient autorisées prête à des PME aux ressources limitées, rap- à prêter de l’argent aux entreprises. Suite à une nouvelle pelle l’association de consommateurs UFC- législation sur le crowdfunding, une plateforme peut dé- Que Choisir. Car à jouer aux apprentis banquiers, on sormais obtenir le statut de « conseiller en financement joue aussi son argent. Les entreprises financées par le participatif ». Finie l’époque où le crowdfunding servait crowdlending affichent un taux de défaut deux fois supé- uniquement à financer l’EP d’un nouveau groupe de rock : rieur à la moyenne du secteur bancaire. Pionnière du prêt avec le crowdlending, les internautes peuvent aujourd’hui participatif en 2012, la société Isodev a ainsi mis la clé sous s’improviser banquiers. la porte en février 2015 suite à « un ni- veau de défaillance très important parmi 88,4 MILLIONS EN 2014 « D’abord méfiants, les les TPE-PME ». Aux États-Unis, où Achat de nouvelles ma- le crowdlending est encore plus déve- chines, travaux de rénova- investisseurs traditionnels loppé, la plateforme Prosper s’est vue tion, ouverture d’un autre lorgnent aujourd’hui assignée en class action (procès initié point de vente : nom- par un groupement de consomma- breuses sont les PME qui se largement sur ce nouveau teurs) pour avoir multiplié les prêts en tournent aujourd’hui vers le maquillant les risques. « Une attention crowdlending pour leur dé- secteur qui promet particulière doit être portée à la sécuri- veloppement. En témoigne sation des investissements », reconnaît l’explosion du nombre de d’alléchants retours sur Patrick Derhy, ancien banquier qui plateformes dans le secteur investissement. » a lancé Prêtgo, un (tout) nouveau depuis 2014 : une quaran- venu sur le marché du crowdlending. taine rien qu’en France, avec Comme nombre de ses concurrents, des stars telles que Unilend, Prêtgo multiplie les gages pour ras- Lendix, Finsquare ou Lendopolis. 33 % des dirigeants surer les utilisateurs : partenariat avec le Conseil supérieur seraient aujourd’hui prêts à financer le développement de de l’ordre des experts-comptables, assistance d’un cabinet leur entreprise de cette manière. de recouvrement de dettes, fonds de garantie, etc. « Bien Car la formule est séduisante pour tout le monde : les sûr, il y a un risque, mais la première des sécurités, c’est de diversi- entreprises, qui peinent souvent à décrocher des finance- fier ses placements », conseille Olivier Goy, rappelant au pas- ments auprès des banques, et les particuliers, qui mobi- sage que la loi française sur le crowdfunding interdit à un lisent leur épargne pour soutenir des projets concrets à particulier de prêter plus de 1 000 euros à un même projet, des taux souvent attractifs (entre 6 et 11 %). Résultat : en « une très bonne décision ».

58 Le crowdlending, une façon de contourner la banque classique. Mais les loups ne sont jamais bien loin (Wall Street de Oliver Stone, 1987).

LES INVESTISSEURS ALLÉCHÉS capital sympathie du secteur ». Un capital basé sur des valeurs Et les bonnes vieilles banques dans tout ça ? « Uberisées » telles que le soutien à l’économie réelle et l’encouragement à leur tour ? Aux États-Unis, elles pourraient en tout cas des projets innovants et solidaires par les particuliers. perdre 11 milliards de dollars de profits par an, selon une En conséquence, Vincent Ricordeau envisage de limiter le récente étude de la banque Goldman Sachs. « C’est tou- poids des investisseurs institutionnels à 20 % des montants jours excitant de jouer l’affrontement, mais nos marchés ne se collectés sur Lendopolis, le reste étant réservé aux particuliers recoupent pas tout à fait », tempère Olivier Goy. Ces dernières et aux PME. Consulté par le gouvernement dans le cadre de sont en effet soumises à un ensemble de contraintes régle- la récente loi Macron, l’entrepreneur a même milité pour ins- mentaires et de ratios financiers qui les empêchent de prêter crire un seuil de 50 % minimum de particuliers prêteurs dans à certaines entreprises. « Alors qu’une fois un dossier accepté, la définition officielle du crowdlending… Les discussions nous ne demandons ni caution ni garantie », poursuit le pré- sont toujours en cours. sident de Lendix. « On peut dire que pour une banque il y a du Vincent Ricordeau a par ailleurs lancé Hello- blanc et du noir, et que nous, on prête au gris. » Merci, une plateforme de prêt permettant aux par- D’abord méfiants, les investisseurs traditionnels lorgnent au- ticuliers de microfinancer l’économie locale. Un jourd’hui largement sur ce nouveau secteur financier qui pro- crowdlending plus « militant », également porté par des pla- met d’alléchants retours sur investissement. Chez Lendix, au teformes comme Blue Bees, dédiée au soutien des projets moins 51 % des prêts accordés aux entreprises proviennent agricoles respectueux de l’environnement, ou Babyloan, site de fonds d’investissements ou de compagnies d’assurance. de microcrédit à destination des entrepreneurs exclus du sys- Aux États-Unis, Lending Club a vu depuis 2008 les investis- tème bancaire. Les profits y sont évidemment plus faibles. seurs institutionnels débarquer massivement parmi ses prê- Mais à quoi bon court-circuiter la finance si c’est pour repro- teurs. Les particuliers n’y pèsent plus que pour 25 % et des duire ses erreurs ? algorithmes les aident à orienter leurs investissements. « Tant • mieux ! », juge Olivier Goy pour qui « l’essentiel est de permettre le financement de l’économie ». 3 grands types de crowdfunding CROWDLENDING MILITANT Don-contre don : financement d’un projet en échange de contreparties non financières Fondateur de Kisskissbankbank et Lendo- (goodies, produits, services). Exemples : Kisskissbankbank, Ulule, . polis, Vincent Ricordeau ne l’entend pas de Crowdlending : prêt à un projet ou à une entreprise, le plus souvent rémunéré. cette oreille. « L’arrivée trop intrusive des fi- Exemples : Unilend, Lendix, Lendopolis. nanciers, dans une période trop courte, dénature prise de participation dans le capital d’entreprises non cotées. ce qui fait la spécificité du crowdlending, à savoir Crowdequity : Exemples : WiSEED, Sowefund, Particeep. l’intelligence collective », met en garde l’entre- preneur pour qui le risque est de « perdre le

59 ProduireProduire Faire soi-même LES GRANDS TÉMOINS Ophélia Noor Jusqu’où iront les makers ?

Fab Labs, hackerspaces, makerspaces, tiers-lieux : Ophélia Noor observe et rend compte du mouvement DIY (Do it yourself) depuis qu’il est arrivé en France. Un nouveau rapport à la création qui commence à intéresser le grand public, mais aussi à inspirer les entreprises. Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Erwan Floc’h

Votre livre (1) et votre parcours vous organisée dans un garage. Donc oui, Ophélia Noor travaille depuis 2010 sur ont conduit à travers les Fab Labs les cultures numériques, notamment ça a été très vite ! Ce qui prend du d’Europe. Quel regard portez-vous les communautés makers et hackers. temps, c’est de trouver un modèle sur l’évolution du mouvement Co-auteur du livre FabLabs, etc. économique pour tous ces lieux. Pour maker ? Les nouveaux lieux de fabrication l’instant, chacun s’arrange avec des Ce qui me frappe, c’est l’hybridation (Eyrolles, 2014), elle est aussi co- bouts de ficelles : investissement des lieux. Auparavant, on avait une fondatrice des Open Bidouille Camp, personnel, prestations, subventions... typologie clairement définie : des Fab fêtes populaires du « Do it your- Labs, des makerspaces, des self ». Elle participe au FacLabUCP et Ce succès témoigne-t-il d’une hackerspaces, des incubateurs, des travaille avec Sc21 sur la transition tendance plus générale des espaces de coworking. Aujourd’hui, numérique de nos sociétés. Ophelia a consommateurs à privilégier le faire tout se mélange. Les espaces de également été journaliste à Owni.fr, soi-même et à lutter contre fabrication incluent des incubateurs, magazine des cultures numériques et l’obsolescence des produits ? pionnier du datajournalisme. les espaces de travail incluent des Je ne dispose pas de données chiffrées machines de fabrication numérique, sur la question, mais j’ai le sentiment etc. De nouveaux types d’espaces ont qu’il y a une appétence croissante par ailleurs vu le jour comme les pour tout cela. Prenez les « Open « biohackerspaces », dédiés aux sciences du vivant. Bidouille Camp », ces fêtes du « Do it yourself » et des De plus, la fréquentation va croissant. Alors qu’au savoirs partagés qu’on avait lancées fin 2012, lorsque départ ces lieux étaient réservés à des hommes plutôt j’étais journaliste chez Owni [site d’information qui a aisés, des femmes, des enfants et un public plus fermé ses portes en décembre 2012, ndlr]. Deux populaire commencent maintenant à les investir. journées de fête et d’ateliers dans les tiers-lieux ou l’espace public, où l’on apprend comment réparer son La croissance a-t-elle été rapide ? vélo, utiliser une imprimante 3D, faire de la couture ou Le mouvement des Fab Labs est né début 2000 lorsque même de la cuisine. Plus d’une trentaine de Neil Gershenfeld, professeur au Massachusetts manifestations de ce type ont été organisées depuis, Institute of Technology (MIT), a lancé un cours spontanément, par des citoyens, à partir de la charte intitulé « Comment fabriquer tout et n’importe quoi ». que nous avons élaborée. Il y aussi les « Maker Faire », Des centaines de personnes s’y sont inscrites... C’est de ces foires à la bidouille qui rencontrent un franc succès là qu’est né le projet d’un réseau de laboratoires de auprès d’un large public, la belle réussite des « Repair fabrication pour passer de l’idée à l’objet. Aujourd’hui, Café » ou bien des ressourceries. on compte 600 Labs à travers le monde et la France – où le mouvement est arrivé en 2010 – est le 2e pays qui en comprend le plus. La dernière conférence (1) FabLabs, etc. Les nouveaux lieux de fabrication numérique, en collaboration annuelle, Fab11, a réuni des centaines de participants avec Camille Bosqué et Laurent Ricard, Paris, éditions Eyrolles, coll. « Serial makers », internationaux, alors que, onze ans plus tôt, elle était décembre 2014.

60 « Je compare souvent la révolution maker au début de l’informatique personnelle dans les années 1980. »

Certains voient dans ce mouvement les prémices d’une future nouvelle révolution industrielle, où chacun deviendrait à la fois producteur et consommateur. Est-ce crédible ? Je compare souvent cela au début de l’informatique personnelle dans les années 1980. Qui aurait imaginé que l’on tiendrait un jour un ordinateur surpuissant dans la main – sans même Erwan Floc’h / Socialter Erwan Floc’h parler d’internet ? C’est un mouvement naissant, © mais personne ne peut prévoir son évolution. En tout cas, les grandes entreprises s’en emparent. Air Liquide, Airbus ou Renault ouvrent leur Fab Lab en interne. Lors de la 10e conférence du mouvement Fab Lab (Fab10) qui s’est tenue en juillet 2014 à Barcelone, Nike et Airbus ont lancé un « appel aux makers ». Leroy Merlin a récemment ouvert un « TechShop » équipé d’imprimantes 3D et de fraiseuses pour tester le potentiel de la fabrication collaborative. Plus généralement, beaucoup de grandes entreprises veulent intégrer dans leur fonctionnement des logiques d’horizontalité et d’expérimentation issues de la philosophie maker. Des structures éducatives, telles que Simplon.co, s’en inspirent également.

Tout cela ne risque-t-il pas de nuire à la philosophie originelle du mouvement, notamment au principe de l’open source ? Vous avez récemment pu assister à la POC 21 (2), Je ne suis pas inquiète. La plupart des Labs prônent un camp d’innovation écologique open source dans l’utilisation de licences libres type Creative Commons. les Yvelines. Quelles sont vos impressions ? Lorsqu’un client ne veut pas partager son travail, on C’est un projet qui vient de collectifs de l’économie sort de la logique contributive et on lui fait payer les collaborative tels que OuiShare et OpenState. De services du Lab. De nouveaux espaces tels que nombreuses personnes fabriquent déjà leur propre l’Usine IO se spécialisent ainsi sur des services plus éolienne ou leur propre machine agricole à travers le orientés business et start-up. Contrairement à ce que monde. À l’approche de la COP 21, il est important de l’on pense, l’open source n’est pas constitutif de l’ADN montrer cette richesse de solutions écologiques que des makers. De tout temps, il y a eu des inventeurs et chacun peut s’approprier, grâce à un tel « showcase » de des bidouilleurs qui ont déposé des brevets. En l’open source. J’espère que cela permettra au public, aux revanche, il est vrai que l’on commence à comprendre décideurs et aux entreprises de comprendre qu’il existe que les modèles ouverts présentent des avantages. d’autres manières d’innover, plus souples, plus Prenez l’imprimante 3D, brevetée dans les années collaboratives et plus contributives. 1980. Pendant vingt ans, rien ne se passe. Mais lorsque • l’invention tombe dans le domaine public, les hackers s’en emparent et la technologie s’améliore et se diffuse (2) POC 21, de l’anglais proof of concept (preuve de faisabilité). Acronyme choisi en écho très rapidement. à la COP 21. DR

61 62 Produire Génie maker dans ungarage Faire soi-même FAB LABDOBRASIL

© The Sharing Bros Après avoir crée le premier ordinateur brésilien, Luis Eduardo Sutter a lancé OHMS, le premier Fab Lab de Rio. Rencontre avec un pionnier du DIY (Do it yourself), un mouvement en pleine expansion. Mathieu Bernard (The Sharing Bros), septembre 2015

résil, 1970. Le régime servir à rien, des boîtes remplies de intellectuelle autocentrée : l’open militaire bat son plein tout et surtout de n’importe quoi… source. Dado le crie haut et fort : « Je quand la seleção vient « On construit nos outils nous-mêmes. déteste les brevets. Ils privent une ma- juste de remporter sa Par exemple, les imprimantes 3D, jeure partie de l’humanité de l’utilisa- 3e Coupe du monde c’est nous qui les avons fabriquées. On tion des connaissances humaines. » Cela de foot. Sous la surveillance des a aussi des drones, des scanners 3D, signifie que les plans de production Bmitraillettes, tous les Cariocas et on a même créé un appareil qui sont libres d’accès et que n’importe dansent et vibrent au son des tue les termites avec des ondes. C’est qui peut les récupérer et améliorer le baterias de samba. Tous ou presque super dangereux, faites gaffe. Faut pas produit. Et, aujourd’hui, la collabora- : Luis Eduardo Sutter, dit Dado, l’utiliser quand il y a les voisins autour, tion devient mondiale. Aussi fou que est resté caché chez lui. En pleine « mais ça tue les termites sans utiliser de cela puisse paraître, Dado a travaillé création » : il met au point le premier produits chimiques ! » et développé dans son makerspace ordinateur de Rio. Chercheur Derrière l’air débonnaire de Dado un programme appelé Elua[RR1], acharné et sans limite, ce Brésilien, se cache une redoutable mécanique aujourd’hui utilisé par la NASA. qui a aujourd’hui une cinquantaine intellectuelle doublée d’un bon gros En France aussi le mouvement des d’années, a connu plusieurs vies. rire franc. « Chez moi, c’est propice à la makers grandit à la vitesse grand V. Quelques années après le Mondial, création, chacun peut y venir et y faire Cinquante makerspaces sont il part pour l’Europe comme ce qu’il veut s’il respecte le lieu. » actuellement répertoriés dans le chercheur au CERN (Conseil pays. Nicolas Huchet fait partie des européen pour la recherche COLLABORATION MONDIALE inventeurs brillants qui ont su tirer nucléaire) avant de rentrer au pays Le garage de Dado s’inscrit dans un pleinement profit de cette collabora- et de passer, notamment, sept ans mouvement plus global : du DIY tion : suite à un accident du travail, sur les routes du Brésil, seul à bord (Do it yourself, « fais-le toi-même ») il a été amputé d’un bras. Comme le de son camping-car. au DIT (Do it together, « faisons-le modèle de prothèse électrique der-

Little Miss Sunshine / Fox Searchlight Pictures / 20th Century Fox Pictures Searchlight Sunshine / Fox Miss Little C’est en 2011 que Luis Eduardo ensemble »). Avec le développement nier cri était inabordable financière- Sutter va découvrir l’économie des espaces comme OHMS, le pro- ment – 27 000 euros –, il s’est rendu sociale et solidaire : emballé, il cessus de production se démocratise dans un Fab Lab (nom français pour fonde le premier makerspace de vite. Passer de l’idée au prototype est makerspace) de Rennes, et, à partir Rio, intitulé OHMS. Traduction : enfin possible. Sous les yeux des habi- d’un modèle en open source, et avec Our Home MakerSpace. Traduction tants du quartier, certains choisissent le concours d’ingénieurs, il a pu déve- bis : un laboratoire communautaire d’imprimer en 3D une poignée de lopper et fabriquer une main bionique ouvert au public où l’on peut se porte, d’autres préfèrent concevoir… entièrement imprimée en 3D, en une retrouver pour créer, collaborer un kayak. Cliché mais néanmoins nuit, pour… 1 000 euros. L’histoire ne et apprendre. L’immobilier à Rio réalité, un jeune Texan a même jugé dit pas s’il envisage de greffer à cette étant très cher, Dado choisit de bon de sortir un modèle 3D d’arme nouvelle main un superbe flingue der- garer sa voiture dans la rue... et à feu. « Devenir un maker dans mon nier cri selon les plans élaborés par un crée son makerspace dans son garage, ce n’est pas juste savoir faire Texan dans la caverne de Dado… garage, qu’il aménage « comme quelque chose, c’est utiliser ses mains pour • dans sa tête ». Autant dire un sacré se mettre au travail », professe Sutter. bordel, du moins en apparence. Des Ces rêves de production décentralisée Un stylo 3D outils partout, dont des fraiseurs et accessible à tous ne verraient jamais numériques – pour découper des le jour s’ils n’étaient pas accompagnés multitâche modèles en bois au millimètre –, et d’une philosophie qui va à l’encontre Soudure, coupe, gravure et dessin. Le stylo puis des machines qui semblent ne de l’idée de brevets et de propriété de l’entreprise tchèque 3Dsimo financé par le crowdfunding a déjà recueilli plus de 100 000 dollars auprès des internautes. « Je déteste les brevets. Ils privent une majeure partie de l’humanité de l’utilisation des connaissances humaines. » © 3Dsimo 63 Produire Faire soi-même Faircap, de l’eau POC 21 potable à 1 dollar fabrique les objets du futur DANS LES YVELINES, UN CAMP D’INNOVATION VEUT INVENTER UN MONDE PLUS DURABLE © DR

Permettre à n’importe retient les bactéries et les quel être humain d’avoir polluants chimiques. » Et accès à une eau potable. pour démontrer l’efficacité C’est la grande ambition de son invention, il de Faircap, un projet de n’hésite pas à mélanger de la POC 21 porté par la terre et de l’eau dans sa Mauricio Cordova, un gourde, avant d’en boire Péruvien qui vit une grande gorgée. « Ça en Espagne. marche », assure-t-il avec Faire baisser la mortalité. un grand sourire. Le grand projet de Utilisation simple. L’idée Mauricio, c’est que de cette gourde lui est sa gourde magique venue lors d’un voyage soit vendue 1 dollar en Amazonie. « Je me suis partout sur la planète. dit qu’il fallait développer « Dans le tiers-monde, une unité de purification cela permettrait d’éviter facile à emporter, qui les maladies liées à l’eau fonctionne sans électricité. » non traitée, qui font des Son filtre est constitué dizaines de milliers de d’une membrane achetée morts chaque année », dans le commerce et de précise l’économiste. charbon actif. Le tout est Mauricio assure que quoi inséré dans un tube de qu’il arrive, il ira jusqu’au PVC, puis connecté à la bout : « Même si aucune bouteille. À la POC 21, entreprise ne veut m’aider, Mauricio a amélioré je financerai le projet son idée de départ après avec une campagne de discussion : « J’essaie de crowdfunding. » fabriquer la membrane via © POC21 20 minutes Démonstration.© « Un une imprimante 3D. Cela filtre permet de traiter permettrait de la reproduire 64 environ 1 000 litres d’eau partout dans le monde. » sale, explique Mauricio. Il B.B. • ienvenue au château de Mil- d’entraide, des échanges constants », assure lemont, dans les Yvelines, à 50 Benjamin Tincq, l’un des organisateurs. km de Paris. C’est dans cette Des « supporters » sont aussi présents pour bâtisse du xviiie siècle, posée épauler les porteurs de projet. Ce sont des L’open au milieu des champs, que la spécialistes en design, en marketing ou POC 21 a établi son camp encore en fabrication. L’équipe de Sunzilla, source est de base. POC, pour « Proof of qui réalise des panneaux solaires mobiles, Concept », que l’on peut traduire par « la a eu recours à cette aide. « On a développé dans le pré Bpreuve que ça marche ». Un acronyme pour notre plan marketing ici, assure Vivien, l’un faire écho à la COP 21, la conférence sur des ingénieurs de l’équipe. Les conditions Et si demain, tous les le climat prévue à Paris à la fin de l’année. de travail sont parfaites. Si tu as besoin exploitants agricoles de quelque chose, tu n’as qu’à demander. » fabriquaient eux-mêmes leurs TRAVAIL EN COLLECTIVITÉ Cette vie en communauté qui se déroule outils à partir de plans gratuits ? Douze projets d’avenir ont été sélectionnés sur 5 semaines coûte 950 000 euros. Un C’est l’un des rêves de l’Atelier par les organisateurs pour venir travailler à montant pris en charge par des partenaires paysan, une coopérative Millemont. Cela va de l’éolienne à 30 euros publics et privés. Après plus d’un mois de fondée en 2011 et basée en à la gourde qui filtre l’eau sale. Depuis la mi- travail, toutes les équipes sont maintenant Isère. Julien Reynier, chargé août, tous les porteurs de projet développent tournées vers un seul objectif : la réalisation de développement, détaille leurs innovations côte à côte. « Personne de leurs objets avant leur présentation le le principe : « On développe ne travaille seul dans son coin. Chaque 19 septembre à Millemont. et on diffuse des outils conçus équipe discute avec les autres, il y a beaucoup Benjamin Benoît, juin 2015• directement par les exploitants. » L’Atelier paysan recense les innovations en faisant le tour des fermes. Dès qu’une machine est jugée intéressante, des techniciens s’occupent d’élaborer des plans détaillés ainsi qu’un tutoriel : « C’est un peu comme le montage d’un meuble Ikea », explique Julien Reynier. Les agriculteurs ne sont pas mis de côté, ils participent aux phases de conception. C’est ce qui s’est passé pour Franck Vuillermet, maraîcher en Savoie. Sa bineuse a été repérée par l’Atelier paysan et mise en open source. Aujourd’hui, n’importe quel agriculteur peut télécharger son plan sur internet. Une vraie fierté pour l’agriculteur : « Pour des petits producteurs, la meilleure solution, c’est souvent de construire soi-même les outils. Mon invention marche, autant en faire profiter les autres. » Même si des plans de machines sont disponibles gratuitement, encore faut-il avoir les notions de bricolage nécessaires pour pouvoir les fabriquer. L’Atelier paysan est bien conscient de ce risque : « Nous organisons des formations d’auto-construction trente fois par an environ, explique Julien Reynier. On loue un hangar et on apprend aux agriculteurs à souder et à découper les métaux. À la fin de la session, ils sont autonomes pour construire les machines. » Environ 400 agriculteurs ont déjà été formés un peu partout en France. • B.B. 65 66 Produire S proposés par lesconstructeurs. renouvellement incessantdesproduits nejustifientpasle technologiques Français estiment quelesinnovations réalisé parOpinionWay, 81%des unsondage pas lesseuls!Selon nouveautés ?Ehbienvous n’êtes êtes un peu fatigués de toutes ces ces iProduits révolutionnaires. Vous 100 euros pourdessinersurtous comprenez unbout deplastiqueà Côme Bastin,octobre 2015 associations décidésàenfiniravec legaspi électronique. Onyétait. plus :c’était l’objet de«L’autre Keynote »,unjoyeux rassemblement destart-up, collectifs et Réparer, réutiliser lesmillionsdesmartphonesencirculation plutôt qu’en produire toujours VOUS NEJETTEREZPLUS VOTRE SMARTPHONE COMME AVANT Born again et même… – uniStylo que jamais, uniPad Pro pluscher 6S Plus, iPhone keynote. Au menu: un tient eptembre 2015. Apple Faire soi-même

une

énième unies (ONU). Et, danslemonde, desNations selon l’Organisation dans lespoubel etélectroniquestriques se retrouvent 1,4 milliondetonnes élec dedéchets tous les 18mois.portable Résultat: En moyenne, un Français change de sont déjàencirculation. qui réutiliser lesmillions d’appareil plutôt detr senter denouveaux téléphones, mais but, cettefois-ci, n’était pasdepré MakeSense. du collectif parisiens Le », Keynote « L’autre dansleslocaux une ambiancemoinssolennelle, Au mêmemoment, setenait, dans UNE AUTRE KEYNOTE ouver une solution pour les françaises en2014,les françaises - - était vente et réutilisation de ces appareils réparation, recyclage, réemploi, re année. crème La desentreprisesde un tiroir parleurpropriétaire chaque sont –lâchementabandonnés dans c’est 15millionsdetéléphones qui trepreneurs, avec desparticuliers. indépendants, souvent auto-en r phone ». meten plateforme La dusmart sente comme le«Uber directeur HuguesPeuchot mepré Exemple avec Remaker, que son LE «UBERDUSMARTPHONE » problème. elation unréseau de réparateurs donc réunie pour s’attaquer au - - - -

© Ifixit / DR Little Miss Sunshine / Fox Searchlight Pictures / 20th Century Fox ver oumêmesamachineàpâtes. à so unesecondetives vie pouroffrir etdesvidéosexplica gratuits égalementdesguides fournit Elle pour appareils électroménagers. pièces détachéesetaccessoires s’est spécialisée dans la vente de qui tientunstand. L’entreprise Pas loindudébat, c’est Spareka monde, dont unetrentaine enFrance. co Amsterdam il y cinq ans, et on en même temps. mettre unappareil enmarche dansle bénévoles, fansdebricolage, àre boire uncoupetêtre aidépardes café, c’est un endroit ou l’on peut plutôt quedelesjeter d pair Café, juge qu’« ilestgrand temps bach, président Re de l’association tire… des bijoux ! Benoît Engel r tir decomposants informatiques à par assemblés dans des jerricans doittogether,Jerry desordinateurs Romain Chanutprésente leprojet morceaux demusique, batson plein. dans l’électronique, entrecoupé de Room », undébatsur le réemploi principale,Dans lasalle la«MKS BRICOLER DANS UNREPAIR CAFÉ pièces reconditionnées àRemaker. les produits des Apple fournissent européens quirecyclent etchinois : beaucoupd’industriels ne tienne la mainsurréparation garder préfèrent originales, « ils car Apple serefuselespièce àfournir à balement un téléphone simple assez du marché delastart-up. «C’est glo C dard, dedéplacement frais inclus. 69 euros pour une réparation stan d etjouit« avecvaille 70 réparateurs présent françaises, dans 6 villes tra an,a moinsd’un Remakerestdéjà ».au bureau, Fondé dansl’heure ily téléphone votre réparer chezvous ou plateforme. Résultat: «Onvient la sollicite qu’unchaque fois client le plusproche etlepluspertinent leprestataire dedéterminer permet Comme pourUber, unalgorithme ecyclés. «Madame Chat», elle, en ’apprendre à réparer tous àréparer ’apprendre cesproduits ». croissance forte ’une très Comptez ’est quiconstitue legros l’iPhone réparer »,réparer juge Hugues. hic : Seul mpte aujourd’hui 750dansle mpte aujourd’hui n téléphone, samachine àla Le premier à aouvert Le ». UnRepair ». cela Qu’à ------

mondial delaréparation, 15 alevé My Smartphone, Save start-up leader Gartner.d’analyse 8septembre, Le la vendus danslemonde, selon lecabinet téléphones reconditionnés quiseront En 2017, ceseront 112millionsde d’émerger. quiestentrain industrielle Car c’est bienunenouvelle filière RE(MADE) INFRANCE du r niques directement aux professionnels - leur produits de revendre électro liers va également aux particu permettre Hug deLarauze, cofondateur.On en Esp cement, uneantenne onvientd’ouvrir réduit.prix lan «Dixmoisaprès notre ordinateurs remis àneufenusine, à desiPhones,d’acheter tablettesou public augrand permet plateforme « comme le Market veut s’imposer boom. Etsurlesecteur, lesiteBack reconditionnés estluiaussienplein puisque lemarché destéléphones non plus, ?Là d’acheter pasd’excuse Réparer c’est bien, besoin mais si j’ai ACHETER RECONDITIONNÉ le monde.» propriétaires dans un tiroir par leurs abandonnés dans téléphones sont 15 millionsde « Chaqueannée, Darty des produits réparés ». Cette Cette desproduits réparés ». Darty une surconsommation des matières premières. facilement parl’utilisateur et permet d’éviter econditionnement surlesite. Ce est smartphone conçu pourêtre réparé agne, s’enthousiasme Thibaud le téléphone le téléphone Fairphone 2, démontable éthique et éthique et Prix delancement :529 € - - » - v tence, compte elle déjà90pointsde millions d’euros. Après deux ans d’exis seront reconditionnés enFrance reconditionnés seront !» en Chine, maisonpeut garantir qu’ils lesproduits defabriquer constructeurs « souligne lepr », Made inFrance los, maisaussi « Des rable, après-vente. avec unservice un produit dequalité, durable, répa « tères liésàl’environnement ou ausocial. str reconditionné ». les Celui-ciévalue cer un label européen « Mobile certifié pr lisation. Présent aurassemblement, son la réduction, duréemploi etdelaréuti de RCube, desacteurs lafédération de se sont récemment regroupés ausein teur, On ne peut peut-être pas empêcher les nepeut pas empêcher peut-être les On ente. EnFrance, lesacteurs dusecteur ésident RenaudAttal, vient delan Le but est de rassurer le consomma uctures surquelque70cri candidates explique Renaud produits moins chers, plus éco ésident deRCube. . Onluigarantit

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© DR © DR 67 Produire Faire soi-même

À MONTREUIL, UNE ASSOCIATION PERMET AUX CYCLISTES DE RÉPARER EUX-MÊMES LEUR VÉLO Un atelier de réparation gonflé

ans l’atelier Ohcyclo de Mon- treuil (Seine-Saint-Denis), Boris et Émilie, deux trente- naires, sont en plein démon- tage d’un vélo hollandais. « Ma Dchambre à air est crevée, explique Émilie, et je n’ai pas le matériel chez moi pour réparer. Je suis venue ici parce que c’était juste à côté de mon appartement. » L’atelier ouvert en mai est quasi professionnel, à une différence près : « Les gens doivent réparer eux-mêmes leurs vélos, explique Julien Nesme, l’un des bénévoles de l’association. Ils font l’essentiel du travail. Nous, on est là pour leur donner des conseils et un coup de main si nécessaire. On a même embauché un salarié. » N’importe qui peut utiliser l’atelier, à condition de payer une cotisation de 20 euros par an. Et la de- mande est là : Ohcyclo compte désormais Boris et Emilie en plein changement de chambre à air. 800 adhérents. Lorsqu’on les questionne sur leurs motivations, les participants citent souvent les mêmes : refus du gaspillage, goût pour la récupération. Récupération maximum « On a d’ailleurs signé une conven- tion avec la ville de Montreuil pour récupérer les vélos abandonnés. », précise Julien Nesme. Benjamin Benoît / 20 Minutes

Les vélos sont ensuite triés. Ceux en plus © mauvais état partent en pièces détachées, les autres sont restaurés et revendus au profit de l’association. Pour le bénévole, la réparation des vélos, « c’est un prétexte pour échanger. Il y a une sorte d’esprit de commu- nauté qui se crée. Tu viens réparer ton vélo et

Un plan détaillé de vélo à l’atelier.

tu discutes naturellement avec les autres. » À terme, l’association pré- voit d’ailleurs de créer une bibliothèque et d’accueillir des exposi- tions de photos dans l’atelier. Benjamin Benoît, avril 2015• Qu’en pensent les professionnels du bricolage ? Le modèle de l’atelier solidaire fait débat. Pour Vincent (prénom d’emprunt), vendeur dans une boutique parisienne, « les clients préfèrent acheter des pièces d’occasion. Puis ils vont aux ateliers d’auto-réparation. C’est devenu très difficile.» À l’inverse, Bernard Rodriguez-Lacam, installé à Montreuil, reste serein : « Je fais du haut de gamme, du luxe, donc ça ne m’enlève rien. Les ateliers d’auto-réparation, c’est bien pour ceux qui ont peu de moyens.» B.B

Deux membres de l’association Ohcyclo en pleine réparation. 68 © The Library of Congress enfer ouparadis ? L’imprimante 3D: - personnes possédantuneimpri propose demettre enrelation les laborative : unsitecomme 3Dhub àl’économie desupport servent col- 3Dnéesdel’openprimantes source conseils dusite. Aujourd’hui, lesim- luiavec les peut laconstruire chez Dix ansplustard, n’importe qui les planssont librement accessibles. RepRap, 3Ddont uneimprimante britannique,fesseur lanceleprojet En 2005, Adrian Bowyer, un pro- OPEN SOURCEET3D utilisé dansdenombreux cas. adapté àl’économie et dupartage source, unmouvement parfaitement tiliser. C’est projet legrand del’open pour les améliorer et pouvoir les réu- Partager librement desdonnées De nouveaux outilsàdisposition de produits et de concours de création. L’enseigne création. de concours de et produits de d’idées proposition de lieu Vous,un Selon 2014, en créé, a LeroyMerlin novateurs. produits des concevoir pour clients leurs de idées Certains distributeurs s’appuient sur les DES CLIENTS POUR LAPARTICIPATION for Home. sourcel’encyclopédieWiki open en et Troc’heures la Les avec communauté faite chose désormais attentes.C’estleurs à réponses des trouvent et partagent artisans les et clients les où univers un créer : jectif ob- Son travaux. de réalisation la vers pas le sauter à personnes de maximum un amener souhaite Castorama lui. chez de côté à bricoleur oncle un n’aToutpas monde le CAP SURLETROC DECOMPÉTENCES le troc decompétences et laco-création deproduits pourincarner cette économie enpleinematurité. L’économie collaborative, ce n’est pasquedes sites derevente et delocation. Le secteur ducommerce spécialisépuise aussi dans L es

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© Capture d’écran Wetruck

© CC BY 2.0 69 70 AGIRAGIR

CITOYENS CONNECTÉS p. 72 SOLIDARITÉ p. 84

Grands témoins

Nathan Stern Sociologue et entrepreneur social

Léa Thomassin Cofondatrice de HelloAsso

71 AgirAgir Citoyens connectés LES GRANDS TÉMOINS Nathan Stern Chercheur en sites de rencontre

Le numérique et le collaboratif peuvent-ils favoriser le vivre-ensemble ? Oui, mais pas à n’importe quelles conditions, répond le sociologue Nathan Stern qui a lancé plusieurs plateformes pour réinventer la vie de quartier et créer de nouvelles solidarités. Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Erwan Floc’h

Vous vous définissez comme de créer de nouveaux liens sociaux à un ingénieur social. Pouvez-vous Sociologue de formation, Nathan moindre coût. nous éclairer là-dessus ? Stern conçoit depuis quinze ans La sensibilité à l’âge et au milieu Pendant des siècles, on a pensé que le des plateformes, jeux et dispositifs social est beaucoup moins forte pour social réclamait surtout du cœur, de la pour élever le niveau d’empathie des amorcer des interactions. Prenez les bienveillance et on est passé à côté de publics les plus divers : cages d’escaliers des immeubles, par sa technicité. Or, il ne suffit pas d’être quartiers (Peuplade, 2003), personnes exemple : tout le monde regarde ses de bonne volonté pour que ça âgées isolées (Voisin-Age, 2008), pieds et c’est presque une impolitesse marche ! Comme pour les ingénieurs cours d’école (Cour Partagée, 2013), que de s’adresser à un voisin pour lui scientifiques, l’approche personnes souffrant de handicap, demander comment il va. Il nous faut familles. Il mène en parallèle une acti- expérimentale, l’empirisme, le goût de revisiter les interfaces que l’on utilise vité de recherche sur la réinvention la mesure ont toute leur place pour de la solidarité, la prévention de la pour interagir avec nos semblables et multiplier les liens sociaux. On violence et l’économie du partage. le digital est intéressant à cet égard. manque d’ailleurs cruellement d’indicateurs sur le niveau de En 2003, vous imaginez en ce sens socialisation de nos sociétés. Dans le site Peuplade. toutes les plateformes que je mets en Je me suis associé avec un place, je me concentre sur la richesse des liens que développeur de Besançon pour le lancer. À l’époque, tissent les membres entre eux. Je préfère qu’une c’était un vrai défi technique. Il n’y avait pas de réseaux personne ait 5 contacts proches qu’elle voit sociaux et même le concept de rencontre via internet régulièrement, que 200 contacts qu’elle connaît à faisait peur. On a démarré à petite échelle, celle de ma peine. rue dans le 17e arrondissement de Paris et, rapidement, 350 habitants nous ont rejoints. On organisait des pots En quoi internet est-il un média pertinent pour de quartier, des rencontres chez les habitants, des votre travail ? ateliers de musique : il y avait une vraie dynamique Auparavant, on avait besoin d’un espace physique, pour construire les institutions dont on avait besoin. comme un café, et de beaucoup de communication Une maison de quartier, un journal local, des cantines pour réussir à réunir les individus au même moment gastronomiques ou populaires ont ainsi vu le jour. et au même endroit. Grâce à internet, il est possible Peuplade s’est progressivement étendue à tout Paris,

72 « Notre représentation de l’autre est affectée par les expériences collaboratives. » Erwan Floc’h / Socialter Erwan Floc’h © 73 Agir Citoyens connectés

mais on a fini par rencontrer des problèmes de modèle Pouvoir noter les personnes avec lesquelles on économique. J’ai depuis tourné la page, mais ce fut une interagit est donc central dans le design des expérience fondatrice. plateformes. Je parlerais plutôt de contrôle social. Il s’agit de Plus récemment, vous avez conçu la plateforme garantir que la personne avec laquelle on va entrer en Voisin-Age. relation se comportera correctement. Au fil des Oui, avec Giovanni Pandolfo, pour le compte de expériences collaboratives, on découvre que les l’Association Les petits frères des Pauvres. L’idée est de individus sont très fiables soumis à un tel contrôle. En constituer, autour des personnes âgées et isolées, un fait, les dés sont un peu pipés, puisque les plateformes pôle de voisins bienveillants qui vont tisser des liens s’arrangent pour éliminer rapidement les membres qui avec elles de façon informelle. On a beaucoup de ne jouent pas le jeu. Toujours est-il que notre femmes trentenaires, en pleine carrière, qui partagent représentation de l’autre finit par en être affectée. des moments avec ces seniors. De vraies relations se Les sondages montrent que ceux qui pratiquent le nouent, ça n’est pas de la charité. covoiturage pensent plus souvent pouvoir faire confiance à un inconnu. Cette croyance n’est pas neutre Sur quoi travaillez-vous actuellement ? sur le plan social et favorise l’ouverture. Happy Week, un jeu de société pour la famille qui importe dans la vie réelle les logiques des plateformes Le terme de « contrôle social » n’est-il pas effrayant ? collaboratives et des réseaux sociaux. Car Facebook, Ce qu’il y a de positif, c’est que le contrôle social est Blablacar, Airbnb sont en réalité désormais effectué par des pairs des jeux sociaux, avec leurs plutôt que des normes règles, leurs modalités de arbitraires. Ça me va très bien présentation de soi, leurs tiers « Ceux qui pratiquent que n’importe qui puisse de confiance, etc. Dans Happy s’improviser cordon bleu et, s’il Week, à chaque fois que l’enfant le covoiturage a du talent, qu’il puisse être se montre autonome, le parent reconnu et vivre de son art. Ce s’engage à lui faire plaisir. Une pensent plus qui m’inquiète, c’est que la sortie au parc si l’on se brosse les possibilité du secret et de dents ou si l’on fait son lit de sa souvent pouvoir l’intimité se dissipe. Moi qui propre initiative. C’est parce suis né avant internet sais qu’il y a un équilibre entre les faire confiance à combien cela a de valeur de contributions que l’ensemble marcher, seul dans la forêt, ou fonctionne. On sort du climat un inconnu. Cette ailleurs, sans que personne n’en culpabilisant pour passer dans le soit informé. Or, on constate ludique et le collaboratif. croyance n’est pas un changement de paradigme : aujourd’hui, ce qui est réel c’est Beaucoup de plateformes neutre sur ce qui est partagé. Un voyage collaboratives visant à créer effectué au Japon devient du lien social, pourtant bien le plan social. » presque hypothétique s’il n’est conçues en théorie, n’arrivent pas posté sur Instagram et pas à percer. Comment visionné par les pairs. Même l’analysez-vous ? mon fils de 5 ans, lorsque l’on fait un gâteau, veut Créer du lien ne se décrète pas. Tout d’abord, plus on poster la vidéo sur YouTube ! Ces moments devraient est local, plus il est difficile de percer. Quand on a peu se suffire à eux-mêmes. L’immanence disparaît de notre de membres, on a peu de contributions : même sur époque. Wikipédia, la proportion de contributeurs est très faible. Les fans de Britney Spears se comptent par Y a-t-il un désenchantement du collaboratif ? millions. Atteindre une masse critique pour les fans de Le mot collaboratif est à la mode. Beaucoup ont pris la rue Lemercier, c’est plus compliqué. Le 2e facteur est le train en marche et font dans le share washing. économique. On est plus enclin à surmonter ses Néanmoins, même le plus cynique des acteurs, réticences culturelles et à s’ouvrir à des étrangers s’il y a lorsqu’il fait du collaboratif, lorsqu’il permet à des un peu d’argent à la clef. Enfin et surtout, les individus individus, quel que soit leur CV, de devenir hôtes, veulent préserver leur anonymat. Si je covoiture avec conducteurs, loueurs, offre une seconde chance, ce que un inconnu sur 150 km, je vais pouvoir le noter et ne font pas les acteurs traditionnels. La disparition décider par exemple de lui refuser l’accès à mon d’UberPop a fait s’évanouir nombre d’espaces sociaux véhicule la fois suivante. Si je transporte ma collègue le où se tissait un lien informel et familier entre des lundi, vais-je pouvoir lui avouer, le mardi, que je n’en ai personnes très différentes. Des conducteurs issus des plus envie parce qu’elle parle trop ? On n’a pas envie de quartiers populaires y côtoyaient des passagers plus tisser des liens dont on risque de se retrouver otage. riches. On se racontait des parcours de vie, on discutait

74 Erwan Floc’h / Socialter Erwan Floc’h ©

de musique. Dans une société française segmentée et rêver ! Et ce, parce que ces places de marché favorisent clivée, tout cela avait une valeur sociale considérable. les interactions vertueuses entre individus. L’État devrait Quand bien même les dirigeants d’Uber visaient s’en inspirer et se dire que son rôle est d’animer une d’abord la rentabilité et le profit. communauté et non de l’administrer. Considérer le social non pas comme un territoire à Peut-on réinventer notre modèle de gouvernance maîtriser, mais comme un ensemble dans lequel favori- à partir des logiques collaboratives ? ser des échanges harmonieux. Pour l’instant, la loi est un Il pourrait y avoir beaucoup de vols et d’arnaques sur les outil de contrôle. On empêche les policiers de faire des plateformes collaboratives. Mais ce n’est pas le cas. bavures et les citoyens de sortir du rang. On interdit, on Mieux : le nombre d’agents de contrôle, par rapport aux prohibe, alors que la force du tsunami collaboratif est nombre de membres, y est ridiculement faible. Même irrépressible. Et si l’on essayait plutôt de faire une société paisible comme l’Islande n’oserait pas en confiance ? • 75 76 personnes à travers leurplateforme. personnes àtravers 2,5millionsde accompagné déjà cofondateur d’OpenClassrooms, ont etMathieuNebra, Dubuc Pierre Agir s’appuient surlenumérique et lecollectif. du travail enentreprise, denouveaux acteurs inventent desméthodes pédagogiques innovantes qui Pour lutter contre lesinégalités d’accès au savoir, faciliter leretour àl’emploi ouchanger laculture Citoyens connectés Programme QUI VEULENTRÉINVENTERL d’échange CES START-UP « Côme Bastin,décembre 2015

EDTECH ’ÉDUCATION

»

© Julien Faure / REA a commence comme ment. « La correction collaborative services, souvent pour toucher des un projet de collégiens fait vraiment partie intégrante de la milliers de salariés. Pas facile, ex- un peu geeks. À 11 ans, pédagogie qui repose sur l’intelligence plique Antoine Amiel, d’adapter Pierre Dubuc publie ses collective », explique Pierre Dubuc. le fonctionnement pyramidal des cours sur internet avec Cette notation par les utilisateurs se entreprises classiques à la logique son ami Mathieu Nebra. « Tout ce retrouve sur la plateforme de cours collaborative des MOOCs. « Cela qu’on voulait, c’était aider deux ou particuliers LiveMentor, où ce ne veut dire que l’on peut être amené à trois copains », raconte le fonda- sont pas les élèves cette fois qui noter son supérieur ! » La start-up a teur d’OpenClassrooms. Lancée sont évalués, mais les professeurs. donc fait le choix du multimodal : en 1999 sous le nom de « Site du Lorsqu’un élève choisit son « men- en plus des MOOCs, elle mobilise Zéro », la plateforme de Pierre et tor », il est ensuite amené à lui attri- un réseau d’intervenants pour orga- Mathieu a depuis accompagné buer un certain nombre de points, niser des ateliers, directement dans 2,5 millions de personnes. Rebapti- selon son niveau de satisfaction. Li- l’entreprise. C’est la « pédagogie in- sée OpenClassrooms en 2013, elle veMentor prend aussi en compte la versée » : « on alterne formation théo- est devenue leader européen dans disponibilité des enseignants pour rique à distance et exercices in situ ». le secteur des MOOCs et emploie les classer, mais n’impose aucune 35 salariés. On peut s’y former au barrière de sélection à l’entrée. « Il LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS code, aux métiers du numérique, existe un grand nombre de matières C’est bien la lutte contre les inégali- à l’entrepreneuriat… le tout sans et autant de pédagogies différentes, tés scolaires et pour l’accès à l’emploi rien débourser ou, dans le cadre des explique Alexandre Dana. Les élèves qui motive ces pionniers de la « Ed- formations les plus avancées, pour sont les mieux placés pour trouver le Tech ». Pourtant, premier paradoxe, 20 à 300 euros par mois. « Pour les mentor qui leur convient. » Quant ces nouvelles solutions proviennent chômeurs, c’est entièrement gratuit », à la qualité des cours, le fondateur d’acteurs privés et sont donc le plus précise Pierre – c’est le but du par- – lui-même professeur particulier souvent payantes. tenariat que viennent de nouer d’économie – la juge supérieure à un « Le soutien scolaire n’a rien de nou- OpenClassrooms, le gouvernement cours classique. « Je peux avoir accès veau », argumente Alexandre Dana, et Pôle emploi. à quantité de ressources sur internet et qui propose avec LiveMentor des Comme ces deux amis, ils sont nom- les partager avec mon élève. On tra- cours plus flexibles et moins chers breux à imaginer des plateformes vaille en temps réel sur des documents (autour de 20 euros de l’heure) numériques innovantes et collabo- et il peut les retrouver sur son espace qu’un acteur classique tel Acado- ratives pour réinventer l’éducation personnel. » mia. « OpenClassrooms permet d’accé- et la formation. Alexandre Dana der à des cours de grandes écoles pour a ainsi lancé LiveMentor, un site DE L’ÉTUDIANT AU QUADRA un tarif dérisoire », répond de son de cours particuliers et de soutien Difficile de faire le portrait type de côté Pierre Dubuc. scolaire par visioconférence qui ceux, toujours plus nombreux, qui Mais surtout, second paradoxe, la compte déjà 30 000 utilisateurs et se tournent vers les cours en ligne, technologie peut constituer une 3 000 « mentors ». Antoine Amiel constate Pierre Dubuc. « De l’étu- barrière non négligeable auprès a de son côté fondé LearnAssem- diant en formation initiale, en passant d’un certain public. « Ces solutions bly, une start-up qui mêle MOOCs, par le salarié, le jeune professionnel qui innovantes sont parfois discrimi- intervenants et programmes d’incu- veut booster sa carrière ou des per- nantes. Tout le monde n’est pas assez bation à destination des particuliers sonnes en reconversion : tous les profils familier avec le numérique et ne se et des entreprises. sont présents sur OpenClassrooms. » retrouve pas dans l’image idéalisée À l’image de cet employé de PSA, de l’individu web-entrepreneur », NOTATION PAR LES PAIRS victime d’un plan économique, reconnaît Antoine Amiel, à pro- Comme pour de nombreux aujourd’hui devenu développeur in- pos des chômeurs de longue durée. MOOCs, la pédagogie d’Open- formatique. « Beaucoup de personnes Une barrière qui tend à s’estomper, Classrooms conjugue travail per- en situation de handicap ou dans des tempère Pierre Dubuc. « Le numé- sonnel et collectif. D’un côté, des régions isolées se tournent également rique est intégré par une frange de la briques de connaissances à assimiler vers nous. » Sur LiveMentor, ce sont population de plus en plus large. Ce en ligne par l’étudiant, organisées les Français installés à l’étranger qui sont les institutions qui ont tendance autour de textes et de vidéos. De ont été séduits, puisqu’ils repré- à se réveiller un peu tard ! » Les deux l’autre, des travaux pratiques « éva- sentent 10 % des utilisateurs. entrepreneurs s’accordent d’ailleurs lués par les pairs ». Concrètement, « Learn Assembly officie auprès des à dire que c’est dès le collège qu’il chaque étudiant est noté (à par- jeunes, des cadres en reconversion, des faut familiariser les individus avec tir d’une grille de consignes) par artistes », précise Antoine Amiel. ces nouvelles modalités de travail trois autres élèves. Pour valider son Mais c’est surtout dans les entre- et d’enseignement. Espérons que la score, chacun doit évaluer en retour prises que le jeune entrepreneur « grande école du numérique » lan- le travail des autres. Résultat : une déploie sa pédagogie nouvelle cée par le gouvernement contribue communauté de membres qui s’en- génération. Axa, BNP, La Poste, à rapprocher un peu plus les deux traident et s’évaluent réciproque- AG2R ou MAIF font appel à ses mondes. • 77 Agir Citoyens connectés

LUTTER CONTRE LES INÉGALITÉS École pour tous, école par tous Lutter contre le décrochage scolaire grâce au numérique et aux pédagogies innovantes, c’est le travail de l’association Transapi qui met en relation bénévoles, enseignants et élèves. octobre 2015

scar a 19 ans. Élève en bac pro Vente, il ren- contre des difficultés à l’école et risque de dé- crocher avant la fin de Ol’année. La raison ? Il souffre d’un handicap : un très fort bégaiement. Difficile de se faire comprendre dans ces conditions. Pourtant, le jeune homme s’exprime parfaite- ment lorsqu’il adresse un e-mail à DR

Muriel Epstein pour lui demander © son aide. « Il était traité par l’insti- tution comme on traitait les sourds il y a 100 ans. J’ai travaillé avec lui à distance, en répondant à ses questions. apprentissage. Et de tendre progres- Touche-à-tout, Muriel enseigne l’es- Il a fait des progrès énormes. Il a eu son sivement vers un modèle éducatif calade, l’anglais pour les classes eu- bac du premier coup et il suit désor- basé sur l’entraide mutuelle. Muriel ropéennes, les mathématiques et la mais un BTS. Je suis très fière de lui. » n’est pas seule à mener ce combat. sociologie. Quand elle a débuté, elle Pour la présidente de l’association D’autres enseignants-chercheurs, voulait être prof de français. Mais Transapi, le cas de Tanguy illustre comme François Taddéi, défendent elle se voyait tout aussi bien prof de le potentiel du numérique pour la ardemment les nouveaux modèles philo. « Au fond, je me fichais un peu de réussite scolaire. « Aujourd’hui en éducatif. Ce biologiste, également la matière que j’allais enseigner. Il n’y a France, on compte 140 000 décro- président du Centre de recherches pas besoin de tout savoir pour pouvoir cheurs “en flux” tous les ans et 600 000 interdisciplinaires (CRI), enchaîne transmettre. Je vois davantage l’ensei- “en stock”. C’est trop », regrette-t-elle. les conférences pour vanter les mé- gnant comme un directeur de recherche, Lancée en 2013, Transapi se donne rites du numérique à l’école. L’outil celui qui accompagne quelqu’un dans pour objectif de lutter contre le dé- permettrait de revenir à un modèle son questionnement et sa réflexion. » crochage grâce à l’expérimentation de horizontal dans l’égalité des chances Aujourd’hui, Transapi ferme ses méthodes pédagogiques innovantes. en favorisant l’autonomie dans l’ap- portes, faute de pouvoir profession- Bénévoles, enseignants et élèves prentissage. Car, d’après les militants naliser son activité. Mais Muriel se réunissent ainsi pour travailler de l’éducation nouvelle, la solution Epstein n’a pas perdu son temps – sur des projets éducatifs collabora- passe d’abord par la remise en ques- ni ses convictions – pour autant. tifs. Des exemples ? La conception tion de la posture de l’enseignant. « On a formé une centaine d’ensei- de MOOCs – pour Massive Open « L’apprentissage, c’est faire. Le seul gnants, pour que le projet puisse être Online Courses, des cours en ligne moyen d’apprendre c’est de faire porté par d’autres, qui se le réappro- gratuits – pour faciliter les révisions quelque chose qu’on ne sait pas faire, de prieront, et continuer à exister. Là, du brevet d’histoire-géo ou encore la se mettre dans une situation de risque. on n’a plus besoin de nous. Ce sont création de jeux vidéo pour l’ensei- Avec une tablette par exemple, vous eux qui vont transmettre désormais. gnement du français comme langue êtes en action ; ce n’est pas le cas lorsque De notre côté, on va mettre en open étrangère. Le but étant de former vous écoutez un prof donner un cours source tout ce que Transapi a fait, pour les jeunes à devenir acteurs de leur magistral », explique Muriel Epstein. que chacun puisse s’en inspirer. » • 78 VOUS N’APPRENDREZ PLUS JAMAIS COMME AVANT Multiplier les partages de savoirs Les « biens communs » sont tendance. Du 5 au 18 octobre 2015, ils ont été MOOCs, vers l’objet d’un nouveau festival francophone (Le temps des communs) auto-organisé et distribué dans toute la francophonie. une nouvelle Ce festival a mis le projecteur sur des initiatives aussi diverses que l’agriculture urbaine (au travers par exemple des jardins partagés de l’agglomération dimension ? nantaise) et la pêche (avec le « retour » des prud’homies d’artisans pêcheurs, qui auto-régulent l’accès à une surface maritime). Le phénomène n’est pas nouveau : on pense, notamment, aux commons, ces terres qui étaient gérées collectivement dans l’Angleterre médiévale et permettaient à chaque cultivateur de récupérer pour lui-même une partie des récoltes. Il n’en est pas moins « boosté » actuellement par le numérique, qui facilite le partage, la création et la gestion collective des ressources. « La notion de partage est le fil conducteur AAriel Martín Pérez © entre tous les communs », soulignait récemment le bibliothécaire et juriste Lionel Maurel, lors d’une conférence organisée à Chambéry par une université Avec l’émergence de la classe et les professionnels du web. « Un populaire. Au-delà des biens communs inversée, qui suscite actuellement créateur d’entreprise ou un salarié qui physiques, il existe ainsi de plus en bien des débats chez les enseignants, suit un parcours de formation sur notre plus de communs de la connaissance : les cours ne sont plus seulement site passe en moyenne 50 % de son les montagnes de savoirs versées dans dispensés dans des salles de classe, temps à regarder des vidéos. Le reste l’encyclopédie collaborative Wikipedia devant les élèves. Ils démarrent de du temps, il échange avec ses pairs et les en sont un exemple, de même que plus en plus souvent à l’extérieur, formateurs sur les forums ou bien par le les cartes ouvertes (OpenStreetMap) sur internet, pour être ensuite biais de systèmes de visioconférence ou enrichies par les utilisateurs et la consolidés dans les établissements. de vraies réunions… » multiplication des « contenus éducatifs Pourquoi en effet ne pas s’appuyer « Les systèmes de notation entre pairs, ouverts », mis à disposition sur de sur les MOOCs, ces cours gratuits très répandus, et le travail en mode grandes plateformes de partage (France et ouverts à tous, pour dispenser projet poussent encore un peu plus université numérique, OpenMOOC...). en ligne les cours magistraux et loin cette dimension collaborative », Bien souvent, ces « communs » de la réserver ensuite les temps d’échange si l’on en croit Matthieu Cisel, connaissance sont le fruit d’un travail aux approfondissements et exercices doctorant sur les MOOCs à l’ENS participatif entre chercheurs, enseignants, pratiques ? Cachan. Au-delà de la difficulté étudiants et passionnés. Entre autres des enseignements, les participants exemples, ceux-ci ont déjà pu participer PAS DE SOLITUDE se heurtent ainsi souvent à une à un MOOCamp Day, organisé en Mais rassurez-vous, la solitude difficulté majeure d’après lui : juin 2014 dans 6 villes françaises pour ne guette pas pour autant les « la nécessité de monter des équipes plancher collectivement sur l’élaboration « apprenants ». « Les MOOCs se internationales solides, qui devront de nouveaux prototypes de cours distinguent des outils d’e-learning parfois travailler ensemble jusqu’à 10 ouverts à tous. Et les organisateurs du “traditionnels” par leur dimension à 15 heures par semaine ». Pour réussir Temps des communs envisagent pour collaborative et sociale », précise le parcours, il faut évidemment leur part de créer leur premier MOOC Antoine Amiel, fondateur de suivre assidûment les cours. Mais d’éducation populaire sur la notion de LearnAssembly, une jeune pousse il faut aussi et surtout apprendre à communs. Les cordonniers ne sont hexagonale spécialisée dans les travailler en mode collaboratif. pas toujours les plus mal chaussés. MOOCs pour les entrepreneurs novembre 2015 • octobre 2015 •

79 Agir Citoyens connectés

COMMENT UNE START-UP CITOYENNE VA FAIRE PLIER LES MAIRIES DU BRÉSIL Super-citoyens Avalanche de mails et de coups de téléphone, surveillance vidéo… Meu Rio développe des outils numériques innovants pour faire pression sur les politiques des villes du Brésil. Côme Bastin, septembre 2015

io, 2012. Au cabinet du un gigantesque parking. Le lende- 24h/24 et l’image retransmise sur maire, c’est la panique. main, la situation ne s’arrange pas. le web. Des citoyens « gardiens » se Depuis 24 heures, la En plus des courriers qui continuent relaient pour assurer la surveillance. boîte e-mail de l’élu est à affluer, c’est le téléphone qui sonne « Qu’un bulldozer pointe son nez... des littéralement submer- en permanence. Dès qu’on raccroche, milliers de citoyens et la presse seront gée de messages venant ça sonne à nouveau. À chaque fois, alors immédiatement mis au parfum d’habitants de toute la ville. Des une personne différente au bout du par SMS », ont-ils prévenus. Rmilliers de courriels, qui réclament fil qui demande l’abandon de cette Au bout de deux mois, devant l’am- tous la même chose : sauver l’école destruction programmée. pleur de la mobilisation et les risques municipale de Friedenreich. Recon- Quelques jours plus tard, c’est en- en termes d’opinion publique, le nue pour son excellence, cette école core pire : des caméras ont été ins- maire jette l’éponge. Et aujourd’hui, des quartiers populaires doit en effet tallées dans les immeubles autour l’école de Friedenreich accueille de être démolie pour laisser la place à de l’école. Le bâtiment est filmé nouveau 300 élèves. Mais qui est

80 donc à l’origine d’une telle agitation ? Ne peut-on donc plus raser des équi- Allô mairie bobo ? pements publics tranquillement ? Chaussée dégradée, absence de signalisation, mobilier urbain défectueux… Il vous

OUTILS INNOVANTS est sûrement déjà arrivé de vous retrouver face à une ou plusieurs de ces situations embarrassantes au quotidien, sans savoir comment régler le problème, ni vers qui vous Le responsable, c’est Meu Rio, une adresser à la mairie. C’est fort de ce constat que Julien Boyé et Baptiste Yvenat ont imaginé nouvelle plateforme qui vise à (re) JaideMaVille, une appli pour remonter des informations pertinentes à sa municipalité. Objectif donner la parole aux Cariocas (les : « Favoriser l’éco-citoyenneté tout en optimisant les services des collectivités », expliquent les habitants de Rio) sur ce qu’ils sou- fondateurs. Comment cela fonctionne ? Vous constatez une dégradation, vous la signalez grâce haitent pour leur ville. Une ville à votre smartphone. Le signalement est transmis instantanément à la collectivité locale sur un connue pour ses inégalités criantes et support cartographique, qui lui offre une vue ses problèmes de corruption. « Notre globale des demandes d’intervention et de travail, c’est de traduire les problèmes leur état d’avancement. Cette dernière l’affecte de politiques publiques dans un langage au technicien de maintenance compétent et compréhensible par le plus grand nombre l’utilisateur est alors averti de l’avancement de et en particulier par les jeunes », résume la résolution du problème. J’aideMaVille a déjà Alessandra Orofino, cofondatrice. signé avec trois collectivités, dont la ville de Meu Rio ne se contente pas de faire Talence en Gironde. signer aux citoyens des pétitions pour défendre telle ou telle cause. L’équipe a développé des outils pour adresser directement et individuelle- rie à rendre certaines de ses données Meu Rio a pu dupliquer son modèle ment leur demande par mail aux élus publiques… « Nous avons même fait en juillet à São Paulo. La start-up concernés. Meu Rio produit égale- changer la Constitution, afin que les compte progressivement s’étendre ment des petites vidéos d’animation, fonctionnaires condamnés pour corrup- à 25 villes brésiliennes pour former destinées à intéresser et mobiliser le tion ne puissent plus accéder à des postes un véritable contre-pouvoir citoyen, plus grand nombre aux probléma- haut placés », raconte Miguel Lago, regroupé sous le réseau « Our Cities Meu Rio / DR

© tiques de développement de la ville. l’autre cofondateur. Network ». Pour Alessandra Oro- Et, au besoin, elle élabore des outils fino, ce n’est pas la technologie qui et applications innovants pour faire PRENEZ LE POUVOIR nous sauvera, mais bien la réforme entendre la voix des populations C’est sur l’échelon urbain qu’il faut des mécanismes du pouvoir poli- urbaines, comme cette plateforme de parier pour impulser le changement, tique. « La démocratie représentative surveillance vidéo. affirme Alessandra Orofino. « 54 % est un système créé pour maintenir les 200 000 Cariocas se sont déjà inves- de la population mondiale vit désor- gens à l’écart des décisions », explique tis dans Meu Rio. Au point que la mais dans les villes, qui consomment la jeune femme. « Nous ne pouvons pas plateforme est aujourd’hui connue 75 % de l’énergie mondiale. La pau- rester dans notre bulle collaborative et dans toute la ville et qu’un jeune de vreté, le changement climatique… tout penser que nous allons sauver le monde, Rio sur quinze en est membre. Cette ce qui nous apparaît comme des pro- juste parce que nous produisons et par- communauté a permis de réorienter blèmes globaux, sont en réalité des pro- tageons d’une nouvelle façon. Ce sont 50 politiques publiques, faisant tom- blèmes liés à l’urbanisme. » Comme les règles du jeu qu’il faut changer ! » ber un projet de loi trop permissive elle a remporté l’année dernière le sur l’environnement, forçant la mai- Google Impact Challenge au Brésil, EN FRANCE AUSSI De quoi inspirer l’Hexagone ? En tout cas, chez nous aussi, une start- up veut rendre la politique aux citoyens. Depuis 2012, Voxe.org mobilise les outils du numérique pour permettre à tous d’accéder à l’information la plus neutre et la plus concrète possible sur les propo- sitions des candidats et pour créer Little Miss Sunshine / Fox Searchlight Pictures / 20th Century Fox Pictures Searchlight Sunshine / Fox Miss Little de nouvelles formes d’implications politiques. Parmi les derniers pro- jets de Voxe, « NewsWatch », une appli qui permet aux citoyens de voter pour ou contre un projet poli- tique, de s’engager via des pétitions, des associations, et de s’adresser directement aux élus. Ça vous rap- Meu Rio / DR © pelle quelque chose au Brésil ? • 81

Citoyens connectés Agir

UNE APPLICATION MOBILE VEUT RECRÉER DU LIEN SOCIAL EN REGROUPANT PLUSIEURS SERVICES CityLity connecte les quartiers demander de l’aide, voir les travaux en cours dans la ville. »

VISER L’HYPERLOCAL Hormis les travaux, toutes les autres actions se font à l’échelle de la résidence. Les fondateurs de CityLity veulent donc séduire les syndicats de copropriété et DR

© les mairies, avec la promesse que l’application leur permettra d’être plus efficaces dans leur travail. « Lorsqu’un habitant signale une panne via notre application, argumente André May, le syndic ou la ville sont alertés. Les habitants du quartier possédant l’application sont informés en temps réel de l’évolution Signaler un problème de voirie, d’immeubles ou d’un quartier du problème sur leur smartphone. » trouver un covoiturage dans son résidentiel. Concrètement, comment La force de CityLity reposera donc quartier, donner un matelas à fonctionne CityLity ? « Lorsqu’on sur le nombre d’utilisateurs qu’elle quelqu’un de son immeuble… Les ouvre l’application, on a le choix entre parviendra à séduire. « On voudrait applications pour répondre à ces plusieurs actions », détaille André atteindre un million d’utilisateurs d’ici problématiques existent déjà, mais May : « Signaler un incident dans son à deux ans », révèle André May. elles ne proposent qu’un seul service immeuble ou sur la voirie, proposer ou Benjamin Benoît, octobre 2015 • à la fois. L’ambition de CityLity, lancée le 24 septembre dans la métropole de Lyon, et disponible QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE POUR CITYLITY ? dans deux mois partout en France L’application propose aux mairies et aux gros syndics une version payante avec sur iOS et Androïd, c’est de tout une carte permettant de visualiser les problèmes (électricité, voirie, voisinage) regrouper dans une seule interface. en temps réel. L’avantage, assure André May, « c’est que l’application fonctionnera L’un de ses fondateurs, André quelle que soit la ville. » Une agglomération de 10 000 habitants devra s’acquitter May, explique qu’il veut « améliorer de 7 200 euros par an pour disposer de la carte interactive, tandis qu’une le lien social » entre les habitants métropole de 100 000 habitants déboursera 30 000 euros chaque année. d’une même zone, qu’il s’agisse L’ancêtre (français) de Facebook renaît Lancé en 2004 à Paris et considéré neuve et s’est ouvert aux 65 millions comme l’un des premiers réseaux de Français. Pour commencer, il suffit sociaux, le site Peuplades était de s’inscrire en trouvant sa « peuplade progressivement tombé dans l’oubli. géographique » – le site en compte Dix ans plus tard, la plateforme renaît 41 754 qui couvrent tout l’Hexagone, sous l’impulsion de Grégoire Even, dont 120 à Paris –, puis de renseigner ancien consultant en développement ses centres d’intérêt. Passée cette étape, Peuplade.fr © durable. L’objectif reste inchangé : place aux rencontres, apéros, balades et favoriser la vie de quartier grâce au ateliers organisés près de chez vous. numérique. Mais le site a fait peau Côme Bastin, septembre 2015 • 83 AgirAgir Solidarité LES GRANDS TÉMOINS Léa Thomassin Social Good Woman Parfois accusées de manquer de valeurs solidaires, les structures du collaboratif n’en sont pas moins performantes grâce à l’usage du numérique et la force de leur communauté. De quoi inspirer le secteur associatif ? Réponse avec Léa Thomassin, directrice générale de HelloAsso. Propos recueillis par Marion Garreau

HelloAsso est une plateforme de Diplômée d’une école de commerce du numérique. La France compte financement participatif pour les et d’un Master en Économie sociale et 1,3 million d’associations : c’est associations, autrement dit, un outil solidaire, Léa Thomassin débute son donc un milieu d’une grande numérique au service de la solidarité. parcours dans une ONG pour les droits diversité. Si certaines structures Comment cette idée vous est-elle de l’Homme en Asie, avant de rejoindre sont ouvertes, d’autres considèrent venue ? Équitel, une agence spécialisée en que développer des outils pour L’un des constats de HelloAsso est que citoyenneté des entreprises. En 2010, toucher davantage de personnes l’engagement social est finalement peu elle cofonde HelloAsso, plateforme de ne fait pas partie de leurs missions. visible et peu valorisé. Quand on crowdfunding pour les associations. Il nous faut donc adopter une demande à quelqu’un ce qu’il fait dans Depuis 2012, elle co-organise la Social démarche pédagogique. C’est Good Week, manifestation dédiée au la vie, il évoque d’emblée son métier important car les citoyens et le web social et solidaire. et non ses engagements. Aujourd’hui, grand public sont leurs forces vives. internet donne une réelle visibilité à C’est leur pérennité qui est en jeu. ceux qui s’impliquent et agissent, encourageant un plus grand nombre à le faire, Est-ce pour mieux mener cet effort de pédagogie notamment chez les jeunes. Bien des Français n’ont pas que vous avez lancé en 2012 la Social Good Week, idée de l’existence de tels engagements. D’autres ne semaine annuelle consacrée au web social et savent pas comment s’y prendre. Si les associations solidaire ? communiquaient davantage, on pourrait généraliser Exactement. Le monde associatif et le monde l’engagement. numérique se connaissent relativement peu et, pourtant, ils partagent les mêmes valeurs. Le logiciel Les associations ont-elles facilement rejoint libre, par exemple, est basé sur un idéal de partage et votre plateforme ? Sont-elles ouvertes à ce que d’ouverture, deux valeurs au cœur du milieu associatif. le numérique peut leur proposer ? Finalement, ces deux mondes s’entendent très bien sur L’accueil que nous avons reçu a été tout à fait favorable, le fond. Les faire se rencontrer permet de faire émerger ce qui nous a agréablement surpris, car beaucoup de nouveaux projets ou bien d’intégrer, au sein de d’associations éprouvent encore des réticences vis-à-vis projets existants, des outils numériques qui vont pouvoir démultiplier leur impact.

Quelles conditions doivent être réunies pour que cette rencontre soit réussie ? « Le monde associatif et le Les mêmes que pour tout projet : une vision commune et une reconnaissance des mêmes enjeux. Si le secteur monde numérique partagent associatif a un savoir et une grande expérience des problèmes sociaux, il ne dispose pas forcément des les mêmes valeurs. » outils ni des ressources nécessaires pour les résoudre, et

84 « La solidarité peut bénéficier du collaboratif pour se renouveler. »

inversement pour le numérique. Il faut donc qu’il y ait un vrai partage des connaissances. Lancée par Les petits frères des Pauvres, Voisin-Age est un bel exemple de réussite. Partie du constat qu’un Français sur dix vit avec moins de trois conversations personnelles par an, l’association a créé une plateforme où chacun peut se géolocaliser et repérer une personne dans le besoin. Sans possibilité de géolocalisation, le système ne marcherait pas. Une part de la réussite est aussi due au fait que Voisin-Age est portée par une structure expérimentée et bien implantée. Car, dans beaucoup de projets, la participation d’un très grand nombre est importante. C’est d’ailleurs à cela que sert aussi la Social Good Week : faire connaître les projets, montrer que le collaboratif ne s’intéresse pas uniquement la consommation, inciter à reconnaître les nouvelles formes d’engagement au-delà du bénévolat traditionnel. À l’image de la plateforme Jaccede, qui répertorie les lieux accessibles aux personnes à mobilité réduite. L’effort de se géolocaliser dans l’un de ces lieux représente une forme d’engagement simple et claire.

Force est de constater que toutes les pratiques collaboratives n’ont pas comme motivation première le bien commun. Certaines entreprises, comme Uber, sont même accusées de favoriser l’individualisme marchand. Comment faire pour que le collaboratif crée du lien social ? Ce n’est qu’une question de terminologie. Au début, on parlait d’économie du partage ; puis, on a parlé d’économie collaborative pour ces innova- tions qui n’ont que très peu à voir avec l’entraide ou la solidarité. Selon moi, ce n’est toujours pas le Erwan Floc’h / Socialter Erwan Floc’h bon terme. Uber n’a rien de collaboratif, mais tout © d’économique. Il ne crée pas d’échange, seulement une nouvelle manière de consommer. Il en va de même Les citoyens ne sortent-ils pas ici de leur rôle pour pour Blablacar : cette plateforme n’a fait qu’ajouter un se substituer à celui de l’État ? caractère monétaire à quelque chose de vieux comme le Le collaboratif est un enfant de la crise et le monde, le stop. En revanche, le point positif est que leur crowdfunding pour les associations, un enfant de la fin énorme succès a permis de démocratiser l’échange et la de l’État-providence. Si l’on utilise Blablacar, c’est pour mutualisation des biens. Ces entreprises ont le mérite de gagner en pouvoir d’achat. En revanche, le financement faire évoluer les mentalités. On se connecte et on participatif présente un véritable intérêt pour les échange avec des individus que l’on ne connaît pas. associations : au-delà de l’argent, il leur permet aussi de Maintenant, il faut se dire que cet échange peut aussi gagner en pouvoir d’action et en visibilité, et d’ouvrir servir l’intérêt général. Beaucoup sont prêts à le faire. On leur organisation aux citoyens. Tout comme le le voit avec le succès de toutes les campagnes pour aider collaboratif peut devenir plus solidaire – ainsi que le les migrants – et notamment avec la plateforme CALM montrent les offres de don publiées sur Le bon coin –, (Comme à la maison) grâce à laquelle on peut proposer la solidarité peut bénéficier du collaboratif pour se de loger des réfugiés chez soi. renouveler. DR Erwan Floc’h / Socialter Erwan Floc’h © • 85 Agir Solidarité

TEMPÊTE DE CERVEAUX Society / DR © MakeSense, ça fait sens 20 000 membres, 45 pays : l’association MakeSense coordonne une immense communauté de volontaires prêts à soutenir des entrepreneurs sociaux et environnementaux dans le monde. Reportage depuis ses locaux parisiens. Amelia Dollah, octobre 2015

u café ? Mieux vaut mettre du sucre dedans, et évaluer leurs besoins en termes d’innovation et de il n’est pas très bon. » Un matin dans le développement. Pendant neuf mois, ils suivent, à deux 11e arrondissement de Paris, à quelques semaines près, le même itinéraire que Leïla Hoballah, pas de la place de la Bastille, le petit déj’ alors bloggeuse pour le magazine dédié aux économies est servi. Pain, myrtilles et fromage blanc, nouvelles Socialter. Trois ans plus tard, le concept a des invendus récupérés chez Biocoop pour pris de l’ampleur. Autofinancé à 85 %, MakeSense nourrir sainement – et gratuitement – les entrepreneurs recense 20 000 bénévoles dans 45 pays et compte des Dde demain. Bienvenue au Sensespace, le local de la antennes à Paris, Bruxelles et Mexico, avant de s’établir communauté MakeSense. « On est ici depuis huit mois. bientôt à Dakar et au Liban. Le soir, les Sensemakers Avant, on était logés à la Blue Factory, dans les locaux se réunissent lors des ateliers « Hold-up ». Armés de l’ESCP, une école de commerce. C’était une ancienne de Post-it, les participants ont deux heures et demie morgue », se marre Christian, cofondateur du projet. pour proposer 100 solutions aux problèmes posés par C’est en suivant un cours sur « La finance autrement » des start-up de l’économie sociale et collaborative. que ce jeune étudiant de 28 ans décide en 2011 de Comment créer le buzz ? Quel modèle économique faire le tour du monde avec Romain, un camarade de choisir ? Quels matériaux utiliser pour mon dispositif ? classe. Le but : rencontrer des entrepreneurs sociaux Pas moins de 1 100 défis à relever sont postés sur

86 la plateforme internet de MakeSense. « Une fois la stratégie établie, on dessine le plan d’attaque sur un story- board. Et on recycle les Post-it sur un arbre décoratif. Pour ne pas gâcher le papier. »

CUISINE COMMUNAUTAIRE ET CHAPEAU DORÉ Entre deux explications, Christian dégaine son iPhone 6 pour montrer les vidéos de communication réalisées, claque la bise aux autres membres de la communauté et répond aux nombreux messages SMS, Twitter ou Face- book qu’il reçoit. Ne sachant pas toujours où donner de Society la tête, il prend tout de même le temps de faire visiter les © lieux. Un open space de 550 m2 répartis sur deux étages, destiné à accueillir les bénévoles et les start-up membres du gang. À l’Entremiam, la cuisine communautaire, le menu du jour et quelques prénoms sont inscrits sur le placard. Chapeau doré vissé sur la tête, Tinou, le com- munity manager de la boîte, explique : « Le midi, on pré- pare les repas ensemble. Ça permet de se nourrir sainement, mais surtout de discuter au lieu de manger bêtement devant son ordi. » L’ambiance est conviviale, mais propice au tra- vail. Seul ou en groupe, chacun fait avancer son projet. Dans un coin, l’équipe de Roger Voice travaille sur une application qui permet aux personnes sourdes de pouvoir téléphoner. De l’autre, Running Heroes réfléchit à une prochaine collaboration avec l’Unicef pour récolter des

vaccins. Grâce à un GPS, l’application attribue des points / Socialter CDT Oscar aux joggeurs en fonction des efforts réalisés. Les coureurs © peuvent ensuite les convertir contre

Little Miss Sunshine / Fox Searchlight Pictures / 20th Century Fox Pictures Searchlight Sunshine / Fox Miss Little des récompenses offertes par plus de 70 partenaires. Parmi les succès de « Le midi, on prépare les repas ensemble. ces jeunes entreprises : L’Alternative Urbaine, qui donne l’opportunité aux Ça permet de se nourrir sainement, mais SDF de devenir guides touristiques – les accompagnant ainsi sur le marché surtout de discuter au lieu de manger de l’emploi –, ou What The Food, qui collabore avec le Crous pour bêtement devant son ordi. » éviter le gaspillage dans les restau- rants universitaires. Pour faire appel à la communauté MakeSense, seules quelques conditions Room, sur le modèle des Boiler Room, pour récompenser sont requises : proposer un enjeu d’ordre social ou envi- les bénévoles, mais aussi pour se faire connaître. La der- ronnemental, viser un objectif supérieur à six mois et pré- nière fois, Isaac Delusion a accepté de donner un concert. » senter un modèle économique viable qui ne nécessite pas Christian rêverait de faire venir les Daft Punk, qu’il de subventions. « Nous, ce qu’on veut, c’est donner du sens. considère comme un modèle de réussite à l’internatio- Que les entreprises servent un objectif avec un impact positif nal. « Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, sur l’humain. » l’enjeu est de remporter le Google Impact Challenge. » Sur un mur, une affiche prône le slogan « In Muham- Les 500 000 euros à la clé leur permettraient d’ou- mad we trust », en l’honneur de Muhammad Yunus. vrir d’autres Sensespaces et de réunir un million de Cet économiste bangladais, surnommé le « banquier bénévoles à travers le monde. Le tout est de récol- des pauvres », a reçu le prix Nobel de la paix en 2006, ter le plus de votes possible. « On organise des Vo- notamment pour ses initiatives de microcrédits. « On ting Party dans plusieurs pays. Les gens se retrouvent l’a rencontré pendant un road trip un peu fou. Un jour, on pour boire des coups, pendant qu’on leur explique notre nous a demandé de l’emmener de Paris à Bruxelles parce projet. Les rencontrer, c’est plus sympa que de juste qu’il devait se rendre à la Commission européenne. On leur demander de cliquer », raconte-t-il en saluant avait quatre heures pendant lesquelles on a pu lui parler de des votants Néo-Zélandais sur Skype. Si le jeune notre projet. Depuis, il nous soutient via YouTube. Attends, idéaliste veut agrandir la communauté citoyenne je te montre la vidéo... » Rallier des célébrités à leur cause, de MakeSense, c’est, dit-il, tout d’abord pour élar- un coup de pouce accélérateur dont voudraient bien gir l’impact de leurs projets. Mais aussi, à terme, bénéficier les Sensemakers. « On organise des MakeSense pour changer la vision de l’économie mondiale. • 87 Agir Solidarité CRISE DES RÉFUGIÉS Le collaboratif contre-attaque Italian Navy / Massimo Sestini Navy / Massimo Italian ©

Couchsurfing pour héberger les migrants, campagne de crowdfunding pour organiser les sauvetages en mer, des initiatives solidaires… Des solutions citoyennes et connectées se multiplient pour faire face à la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Côme Bastin, septembre 2015

ous avez une chambre forme se rapproche pourtant plutôt du mation en ligne destinée à mieux ap- de libre chez vous ? Et couchsurfing », précise Nathanaël. préhender la culture et les différents si vous hébergiez tempo- D’abord parce que les héberge- traumatismes des individus accueillis. rairement un migrant ? ments proposés par les membres de L’association peut s’appuyer sur son Une idée folle ? Plus CALM n’ont bien sûr pas de visée travail de terrain. En effet, Singa depuis le lancement de commerciale. Mais surtout parce met en relation depuis plusieurs CALM (Comme à la maison), que CALM « n’est pas un simple ré- années des personnes désireuses de Vplateforme qui connecte les réfugiés seau d’hébergement mais une véritable partager des activités avec des réfu- arrivés en France et les personnes expérience humaine qui doit nous giés. « Cela peut être un match de foot, prêtes à les accueillir. permettre de nous rencontrer et nous comme un cours de langue », précise Après deux semaines d’existence, enrichir les uns les autres ». Nathanaël. Singa inclut également 7 000 propositions de logement un volet études, nommé le « Labo ». ont été déposées par des particu- FORMATION EN LIGNE En janvier dernier, celui-ci organisait liers sur le site. « Et on reçoit encore En plus d’offrir un lit, il s’agit donc de un « hackathon » de 3 jours autour 500 inscriptions par jour », s’enthou- partager un peu de sa vie. Quels sont des « réfugiés connectés ». Objectif siasme Nathanaël Molle, président vos centres d’intérêt ? Quel est votre de l’opération : mobiliser les nouvelles de l’association Singa, à l’origine de mode de vie ? Êtes-vous fumeur ? technologies pour aider les migrants. l’initiative. Autant de questions auxquelles vous Parmi les projets imaginés, un port- Rapidement qualifiée, par goût de devrez répondre en tant qu’hôte. folio numérique pour présenter ses la formule, de « Airbnb des réfu- Mais ce n’est pas tout : Singa va éga- compétences facilement et une cer- giés » par les médias, « la plate- lement lancer une plateforme de for- taine plateforme… nommée CALM.

88 DU CROWDFUNDING POUR un objectif de 1 250 000) ont déjà SAUVER LES RÉFUGIÉS EN MER signé celle du site Avaaz, réclamant Acquérir un navire de 60 mètres à l’Union européenne de mettre en pour le transformer en ambulance place un plan d’action pour sauver des mers, c’est le projet porté sur plus de vies. Enfin, de nombreux la plateforme Ulule par Klaus groupes de discussion et d’échange Vogel, capitaine dans la marine mar- d’informations ont vu le jour. Parmi chande. Lancée le 12 septembre par eux, Techfugees veut rassembler son association SOS Méditerranée, les projets, produits et start-up du la campagne a permis de récolter numérique capables de répondre à 70 000 euros [plus de 270 000 euros la crise. On y découvre ainsi Bitna- à l’heure où ce magazine est impri- tion, dont l’objectif est de favoriser mé, ndlr]. Il faudrait néanmoins l’identification ou les transactions un million pour acheter le premier financières des migrantsvia la tech- bateau, le Markab. Reste 40 jours nologie de la « blockchain » et des à notre capitaine pour y parvenir. cryptomonnaies. Car, comme le ti- Une fois en mer, le Markab vogue- trait The Independent le 7 septembre, rait au secours des embarcations de Nathanaël Molle, président de Singa, utilise « Surpris de voir les réfugiés syriens fortune en détresse. 2 500 personnes la force des réseaux sociaux et du terrain pour avec un smartphone ? Désolé de vous ont déjà perdu la vie depuis le début venir en aide aux réfugiés. le dire, mais vous êtes un idiot. » de l’année. Des soins d’urgence et un accompagnement psychologique tiques que la France est prête à accueil- BOUGER LES POLITIQUES pourraient également être apportés lir ces personnes. En creux, elle montre Reste à savoir dans quelle me- aux réfugiés, directement à bord du aussi l’inaction des pouvoirs publics. » sure ces dynamiques citoyennes navire. De quoi sauver « entre 250 Le journal Libération a également et collaboratives ne se substi- et 400 migrants [à chaque opération], répertorié sur son site 135 asso- tuent pas au travail des pouvoirs et encore davantage en cas d’ur- ciations prêtes à venir en aide publics. On peut au contraire gence absolue », selon Klaus Vogel. aux réfugiés à partir d’informa- espérer que cet élan pousse les Les sommes à rassembler sont tions remontées par ses lecteurs. politiques français et européens à faramineuses. Car, en plus du prix Chacun est libre de les contacter plus d’humanité et d’investisse- du bateau, il faut ajouter le coût pour s’y engager, selon ses dispo- ment sur la question des réfugiés. de fonctionnement : 3 millions nibilités. Enfin, les collectivités Selon un sondage Elabe/ d’euros par an avec un équipage territoriales s’invitent également BFMTV, 53 % des Français sont d’une dizaine de marins. « On peut dans la partie. Le département de la aujourd’hui favorables à leur y arriver en mobilisant la société civile Gironde a ainsi lancé une plateforme accueil, contre 44 % seulement une européenne », assure Klaus Vogel. en ligne pour connecter citoyens, semaine auparavant. Les récents associations, entreprises et com- revirements politiques d’Angela « CROWDSOURCER » munes qui souhaitent se mobiliser. Merkel, François Hollande ou LES INITIATIVES LOCALES David Cameron n’y sont sans doute « J’aimerais aider, mais je ne sais pas PÉTITIONS ET GROUPES pas étrangers. Si nos politiques comment faire ». C’est une phrase DE RÉFLEXION EN LIGNE suivent l’opinion publique, crowd- qui revient souvent dans les dis- Plus classiques, les pétitions en funding, couchsurfing, crowdsour- cussions et sur les réseaux sociaux ligne rencontrent elle aussi un franc cing et pétitions en ligne devraient à propos des migrants. Qu’à cela succès. 1 236 000 personnes (sur accélérer encore la tendance. ne tienne ! Aiderlesrefugies.fr pro- • pose une carte interactive recen- sant toutes les associations qui s’engagent pour la cause et tous les bénévoles prêts à donner un peu de leur temps (accompagne- ment juridique, cours de langue, dons de vêtements, etc.). La carte inclut aussi tous les logements en- registrés sur la plateforme CALM. Aiderlesrefugies.fr a « une valeur forte : mettre en lumière la solidarité qui fourmille », explique son cofon- Singa /DR dateur, le militant écologiste Julien © Bayou, au média en ligne Youphil. « Elle permet de montrer aux poli-

89 Agir Solidarité

Elles innovent, apportent un nouveau souffle > LES COLLAB’ELLES à l’économie et s’engagent avec des initiatives collaboratives. Charlotte de Vilmorin Wheel you help me ? JF Paga-Grasset Wheeliz.com © septembre 2015

a commence par une histoire de Ç macaron. Pas celui à coller sur la « Ce n’est pas parce qu’on parle voiture pour se garer sur une place réservée aux personnes handicapées, mais cette douceur pour laquelle des de handicap qu’on doit être gourmands peuvent faire des kilomètres. Quand Charlotte de Vilmorin décide dans le don. » avec son fauteuil roulant de faire une c’est facile », raconte la jeune femme qui station de RER pour en acheter, la virée a voyagé de la Russie à l’Inde. Mais macarons tourne au cauchemar. Ascen- comment se rendre de la gare au lieu permettant de développer la plateforme. seurs en panne, elle met 1h 30 à s’évader de rendez-vous ? Le principal loueur de L’activité démarre en mai avec 100 voi- des couloirs de la RATP. Qui s’excuse en voitures adaptées possède une trentaine tures proposées à la location. Début juil- lui envoyant un DVD… sur sa mission de véhicules et le prix est élevé. « Avec let, Wheeliz fêtait sa centième location. handicap. 100 000 propriétaires de voitures aménagées Le plus difficile ? « Trouver un assureur, C’était en 2012. Racontée dans un post en France, il y en avait forcément un dans avoue Charlotte, dans le collaboratif et, en bourré d’humour sur son tout jeune blog, le coin qui pouvait m’en prêter une. » L’idée plus, sur des voitures aménagées. La MAIF l’histoire fait le buzz. La RATP envoie de Wheeliz, premier site de location de a été agile en créant un produit sur-mesure des macarons, le blog de Charlotte dé- voitures adaptées entre particuliers, est pour protéger le véhicule du propriétaire et le colle et elle publie en 2015 Ne dites pas à née. Une solution concrète à un problème locataire. » Pas question de se reposer sur ma mère que je suis handicapée, elle me croit de mobilité qui « permet aux gens d’éviter ses lauriers, Charlotte fourmille d’idées et trapéziste dans un cirque. de renoncer », s’enthousiasme Charlotte. travaille sur le développement de services La question de la mobilité est un obstacle et le déploiement à l’international. Tout quotidien. Au printemps 2014, Charlotte CENT VOITURES en continuant son blog et en entrant au doit se rendre à un mariage à Aix-en- Renoncer n’est pas une option pour Char- conseil d’administration de l’association Provence. « Prendre le train ou l’avion, lotte. Avec cette fille pleine d’énergie, aga- Jaccede. « Un précurseur dans le collaboratif, cée par « cette tendance à dire le site permet de recenser les lieux accessibles aux personnes en fauteuil de ne pour les personnes en fauteuil », explique-t- BIO rien faire » et qui bouscule les elle. Car créer une communauté solidaire a priori, tout va très vite. En est essentiel dans la démarche de Char- 1990 – naissance à Paris. juin 2014, elle quitte son bou- lotte. Même si Wheeliz secoue le monde 2012 – création du blog Wheelcome, itinéraires lot dans une agence de pub. du handicap où la gratuité et le bénévolat d’une jeune parisienne en fauteuil roulant, suivi par En trois semaines, elle trouve sont la référence. « Pourquoi une personne 250 000 lecteurs dans 35 pays. via son blog un associé-geek, qui a payé entre 25 et 50 000 euros une voi- Rémi Janot, en charge du 2015 – publication de Ne dites pas à ma mère que ture aménagée ne pourrait-elle pas la louer je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans développement technique. ? Ce n’est pas parce qu’on parle de handicap un cirque (Grasset). En décembre, elle atteint, en qu’on doit être dans le don. On peut créer une une semaine, les objectifs du économie vertueuse qui crée de la valeur et 2015 – lancement de Wheeliz.com. crowdfunding lancé sur Kiss- de la richesse », s’exclame-t-elle. « Et il y a KissBankBank. 15 000 euros encore tellement de choses à faire. » •

90 © DR

© IWheelShare du handicap » Le «TripAdvisor appli quilesgéolocalise. Accès dans laviequotidienneviaune de témoignerleurexpérience malvoyants etauxmalentendants moteurs,handicapés maisaussiaux ?Permettre principe Le aux ». le TripAdvisor duhandicap « Share, aimaginéI Wheel Sovignet pour touslesautres –qu’Audrey C’est pourson frère –et Lucas séance.la dernière » disponible pour m’aider après àsortir plus personneun cinémacar n’était fois,Une autre jesuisresté coincédans représentais undangerpour lesautres. par unvideursousprétexte queje est inadapté. été refusé «Unefois, j’ai point son environnement quotidien normale. découvre alorsàquel Lucas en fauteuil, veut reprendre unevie de rééducation, lejeune homme, membres inférieurs. Après unan des de laroute quilelaisseparalysé accident estvictimed’un Sovignet Nous sommes en2012lorsqueLucas Côme Bastin,juin2015 cours d’iciseptembre. pourfinalisersondéveloppement à mobilité réduite, malentendantes oumalvoyantes. Unecampagne decrowdfunding esten Cette application permet derecenser et cartographier leslieuxadaptés ounonauxpersonnes I WHEELSHARE forme d’un enregistrement audio. d’un forme la composition deson jeusousla avant quedesamisluirenvoient cartes qui jouaitenfilmantses ce fanadepoker aveugle devenu raconte, aupassage, l’histoire de le téléphone vocale leurpermettant decommander fonctionnera des personnes aveugles. « ndlr], notammentàdestination derécolterpermis 15000euros, afinalement [elle développement est encourspourfinancerson decrowdfundingUne campagne au moisde septembre.opérationnelle test, être devrait Share I Wheel Actuellement enphase debéta- SYNTHÈSE VOCALE lieux « handi-friendly »…lieux «handi-friendly oupas. d’obtenir deFrance unecarte des facile : et accueil sympa l’objectif est au contraire, circulation enfauteuil inadapté, personnel désagréable ou, via unsystème desynthèse », Audrey. détaille Elle L’appli difficile trop encore Une miseenrelation « àlarecherchecandidats detravail. dans les entreprises et à pourvoir la rencontre entre postes adaptés d’emploi de faciliter permettant un volet offres enfininclure pourrait sociale desentreprises (RSE). site Le des politiquesderesponsabilité etlerelaisen lienavec lehandicap d’événementsaussi surlavalorisation économique, table Share I Wheel Ewards.ou leprix Côté modèle pour l’entrepreneuriat féminin récompenses, Biilink comme leprix projet areçu denombreusesLe E-BOUTIQUE DÉDIÉEAU HANDICAP résume Audrey. surl’espace urbainson motàdire », même aux personnes valides, d’avoir permetteShare àtout unchacun, et queI Wheel J’aimerais handicapés. « de l’espace publicinadaptées aux lesportions qui notifieauxmairies detweet automatique un système d’accès. Autre projet : del’appli créer rampe d’une exemple lefinancement collectif,à unprojet d’intérêt par fonds des afin de unepartie reverser dansuneenseigne, auxclients d’argent consistent àfaire dépenserbeaucoup duboycott)de «buycott »(l’inverse Cesséances via des« carrotmobs ». pourront être incitésàs’améliorer qui sont régulièrement mal notés handicap. Ainsi, lescommerces encompteune meilleuredu prise lechangement,d’impulser pour àconstater.se borner s’agitaussi Il ne veut Share pas Mais I Wheel quotidien », s’amuse l’entrepreneure. sont des« handicapés Les », déplore Audrey. • hackers du hackers 91 Digestif

Pour une économie au service du plus grand nombre Après la ruée vers l’or À l’occasion de la refonte du blog Consocollaborative.com, Antonin Léonard, cofondateur du collectif OuiShare, revient sur le chemin parcouru depuis le début de l’aventure.

Pourquoi avoir créé le blog Consocollaborative ? Je l’ai créé en 2010 à la fin de mes études, pour partager mes propres expériences et interviewer les entrepreneurs créateurs de ces nouveaux modèles. À l’époque, c’était encore très émergent… mais je pratiquais déjà le covoiturage, l’hébergement chez l’habitant, le coworking, et comme j’avais trouvé peu d’informations à ce sujet en langue française, j’ai eu l’envie de me lancer.

Comment les choses ont-elles évolué par la suite ? Tous ceux qui ont créé un blog le savent… on n’atteint pas un gros lectorat du jour au lendemain. De mon côté, ce fut au départ un prétexte pour participer à des événements, rencontrer des entrepreneurs, monter en compétence. C’est une histoire que j’essaie de partager avec les étudiants que je fréquente : cela n’a jamais été aussi facile de devenir expert sur un sujet. En 2011, j’ai créé un groupe sur Facebook pour rassembler les personnes passionnées par cette DR

problématique. Nous avons commencé à organiser © des événements et le collectif OuiShare est né en 2012. Dans le même temps, le blog a évolué pour couvrir davantage de sujets, donner la parole à différentes blog devienne une référence à la fois sur l’actualité des parties prenantes, y compris aux entreprises qui intègrent associations et des entreprises qui rendent ces nouveaux les logiques du collaboratif au cœur de leur modèle modèles possibles, mais aussi un lieu d’expression pour économique et de leur transformation interne. les utilisateurs, entrepreneurs et passionnés. Avec comme ligne directrice une vision de l’innovation et de l’économie Justement, le blog vient de faire peau neuve collaborative centrée sur le bénéfice du plus grand avec un nouveau site. Quels sont les objectifs ? nombre, et non au service de quelques-uns seulement. Depuis mai 2015, nous travaillons en collaboration avec Nous allons également lancer ce mois de décembre un une équipe MAIF dans la continuité de leurs engagements annuaire à destination du grand public qui rencencera pour une société collaborative. Nous voulons que le toutes les entreprises de l’économie collaborative. • OUISHARE FEST 2016 Depuis trois ans, le OuiShare Fest rassemble à Paris entrepreneurs, penseurs et militants de l’économie collaborative du monde entier. Trois jours de conférences, d’échanges, d’ateliers mais aussi de fête au Cabaret sauvage, au bord du canal de l’Ourcq. La 4e édition, qui aura lieu du 18 au 20 mai 2016, s’articulera autout du thème « After the gold rush » (après la ruée vers l’or). DR © 92 Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un « Mooc » n’est pas…

… un mouton avec un bouc.

MAIF et ConsoCollaborative s’associent pour promouvoir et décoder les nouvelles formes de consommation. consocollaborative.com Digestif Le top des villes les plus 01 « share » Seoul and co. Le virage du partage, Séoul l’a Où5 vit-on le mieux en mode collaboratif ? pris en 2013, quand la ville a par Marion Garreau placé l’économie collaborative au cœur de sa politique. Depuis, la cité coréenne de 10 millions d’habitants a un nouveau visage : les immeubles accueillent des bibliothèques ou des entrepôts d’outils, des milliers d’habitants partagent leur voiture ou échangent les vêtements de leurs enfants via des sites comme Kiple ou des services comme ePoomasi, des seniors ouvrent leur porte aux jeunes pour troquer logement contre bonne compagnie. Une dynamique soutenue par un incubateur et un laboratoire d’idées dédiés au CC BY 2.0

© collaboratif.

Paris gagné À Paris, il est facile de se déplacer à vélo (Vélib’) ou en voiture (Autolib’) en libre-service, de travailler dans l’un des 55 espaces de coworking et de cultiver 02 dans la centaine de jardins partagés. Depuis peu, les Parisiens sont aussi invités à repenser leur ville : le budget participatif leur permet de voter pour des projets d’investissement (fontaines, ruche, nouvelle place...) suggérés par leurs pairs et présélectionnés par la ville ; l’appel à projets « Réinventer Paris » propose quant à lui « 23 sites à tous les professionnels pour qu’ils puissent exprimer leurs talents ». De quoi faire bouger les lignes de la gouvernance et de l’urbanisme dans l’un des pays leader de l’économie collaborative. DR ©

Barcelone, la Fab City Barcelone entend bien devenir la « ville des Fab Labs », avec l’objectif affiché d’un atelier de fabrication ouvert par quartier 03 d’ici 2020. L’intérêt ? Que les habitants transforment leur environnement en s’appropriant les imprimantes 3D, découpeuses laser ou fraiseuses numériques à leur disposition. La capitale catalane mise aussi sur l’open data, avec un kit Smart Citizen doté de capteurs permettant d’alimenter une carte collaborative sur l’état de la ville (pollution, humidité, trafic, ondes, etc.). Quant au Green Fab

CC0 Public Domain Lab de Valldaura, il n’envisage rien de moins que de préparer le © monde à l’autosuffisance.

94 Comment draguer collaboratif ? Detroit It Yourself Pour Detroit, ville en faillite et symbole de la désindustrialisation, le Que ce soit pour l’envoi d’un texto ou collaboratif a été une question de survie. Désertée par les industries trouver à toute heure des préservatifs, et noyée sous les dettes, l’ancienne capitale du Michigan reprend vie vous n’êtes jamais seul. 04 grâce aux initiatives de ses habitants, qui ont voulu gagner en autonomie Clémence Chopin, juin 2015 et réapprendre à vivre ensemble. Ainsi, 1 500 fermes et jardins urbains partagés ont éclos partout dans la ville. Ateliers vélos, réseaux Wi-Fi ou encore orchestre symphonique sont aussi co-construits. De quoi donner une place de choix aux rois de la débrouille et De l’aide pour envoyer un SMS. du DIY (Do it yourself). « Coucou », « hello » ou « salut » ? Difficile de se décider à formuler son message. Que dire de la ponctuation : votre cœur balance entre les points d’exclamation ou de suspension... Écrire un texto peut rapidement être prise de tête. Plutôt que de prendre celle de votre meilleur ami, sollicitez une foule d’internautes en postant votre message sur Textie. Développé par un Australien, ce site permet de « crowdsourcer » en anglais le contenu de vos SMS.

Se faire coacher en direct. Une fois l’épreuve du SMS franchie, vous arrachez une rencontre avec la personne convoitée. Mais rien n’est gagné d’avance, surtout si la séduction n’est pas votre fort. CrowdPilot convoque les conseils d’internautes (amis, inconnus et même coachs) pour Nastasia Peteuil et Yona Heloua et Yona Peteuil Nastasia

© vous permettre d’exceller dans l’art de la conversation.

Géolocaliser des préservatifs. Sur un petit nuage, vous avez réussi à charmer votre premier rendez- Amsterdam, Share District vous. Mais vous avez oublié de vous munir de l’essentiel. Pas de panique, Pas question d’être une ville intelligente sans la participation des TUP (Trouver un préservatif) une habitants. Tel est le parti pris de la capitale des Pays-Bas, qui a application géolocalisée, développée lancé en 2009 le programme collaboratif « Amsterdam Smart par MSD France et par l’association City ». Ce dernier associe entreprises, chercheurs, pouvoirs 05 HF Prévention, arrive à la rescousse. publics et habitants pour expérimenter un usage innovant des technologies. De quoi TUP aide à dénicher pharmacies, voir se développer des stations de tramway productrices d’énergie, des panneaux distributeurs automatiques et qui aident les automobilistes à réguler leur vitesse sur le périphérique ou encore un supermarchés vendant des préservatifs. système de sous-location de vélos entre particuliers. En plus de conseils, TUP recense aussi les lieux de dépistage des MST.

95 Lies Thru a Lens © Digestif BOOK

Société collaborative, Changer le monde la fin des hiérarchies en deux heures sous la direction de Diana Filippova, Pierre Chevelle collectif 116 pages, 14,90 euros Rue de de l’échiquier, 128 pages, 10 euros Enrichir un article Wikipédia ; faire un « micro-don » ; L’ouvrage de référence du collectif phare de l’économie s’engager auprès d’un collectif comme MakeSense… collaborative en France et dans le monde, OuiShare. Derrière un titre un brin provoc’, 10 projets Travail, politique, entreprise, éducation : ce livre collaboratifs grâce auxquels chacun peut faire bouger esquisse les contours d’une société plus ouverte les choses. et plus inclusive à la fois.

Le scénario Zero Waste L’Abeille et l’Économiste collectif Yann Moulier-Boutang

Rue de l’échiquier, 128 pages, 8 euros Carnets Nord, 254 pages, 18 euros Zéro déchet, zéro gaspillage : mission impossible ? Nous sommes passés d’une économie de l’échange et San Francisco, Capannori ou Trévise ont déjà prouvé de la production à une économie de pollinisation et de le contraire. Un livre qui montre que l’on pourrait contribution. Il est donc temps d’inventer de nouveaux faire de même en France. modèles de rétribution pour cette valeur co-créée chaque jour par les individus.

ÉVÉNEMENTS CO-WORKERS Maker Faire L’Échapée volée du 9 octobre 2015 au 31 janvier 2016 Prochaines dates en France : makerfaire.fr Prochaine édition : du 27 au 29 mai 2016. au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris Ce grand rendez-vous regroupe Plus d’infos sur lechappeevolee.com Internet relie aujourd’hui l’individu à des réseaux conférences, ateliers, stands de Rencontres, talks inspirants, professionnels, techniques, artistiques, culturels, démonstration autour du mouvement expériences uniques, performances au-delà de toute limite géographique. Au travers maker et DIY. Pour tout savoir sur les artistiques et ateliers de travail d’installations, de vidéos, de sculptures, de autour d’innovateurs, de chercheurs 96 dernières avancées de l’impression 3D, peintures, les artistes explorent cette complexité des Fab Labs, des drones, mais aussi et d’acteurs de l’économie nouvelle d’échanges qui dépasse l’échelle humaine. découvrir des bricolages assez inattendus. génération. Vous n’y échapperez pas. CAFÉ

Open Models. Les business models Petit manuel d’économie collaborative de l’économie ouverte à l’usage des entreprises coordonné par Louis-David Benyayer Aurélie Duthoit

collectif, 20 euros Eyrolles, 188 pages, 22 euros Comment créer de la valeur économique lorsqu’on Pas toujours simple d’intégrer les logiques fonctionne selon les modèles de l’open source ? Fruit horizontales et digitales. À travers exemples et cas d’une réflexion et d’une écriture collaborative, ce livre pratiques, ce manuel montre comment les entreprises « de papier et de pixels » donne des pistes, s’appuyant peuvent prendre le virage du collaboratif et s’inspirer sur les exemples de Firefox, Wikispeed ou encore Tesla. des modèles favorisant l’intelligence collective.

Sauver le monde Fablabs, etc. Les nouveaux lieux de fabrication numérique Michel Bauwens Camille Bosqué, Ophélia Noor et Laurent Ricard Les Liens qui Libèrent, 272 pages, 20,50 euros. Eyrolles, 207 pages, 28 euros La « capacité des individus à créer, en tant qu’égaux, de la valeur sans être obligés de demander une Inconnus du grand public il y a quelques années, autorisation à quiconque ». C’est ainsi que Michel les Fab Labs et autres tiers-lieux de culture numérique Bauwens définit la logique du peer-to-peer, qui pourrait se multiplient aujourd’hui partout sur la planète. Un bouleverser le fonctionnement de nos sociétés. instantané du mouvement maker en pleine expansion.

WEBDOC DIY Manifesto Monnaies locales à Montreuil, agriculture urbaine à Détroit, réseau internet low-tech ou réhabilitation de friches industrielles : partout, face à la crise et au désengagement de l’État, des citoyens se lèvent pour fabriquer eux-mêmes les lieux et les outils dont ils ont besoin. C’est l’objet de ce webdocumentaire qui vous emmènera à la rencontre des acteurs du Do it yourself partout sur la planète. 97 diy-manifesto.com 98

© DR © Flowers / Poppy Digestif vos proches. Fonctionne sans encre. avec douceur en communiquer quotidien. pour aussi et Idéal personnalisé journal un concocte vous Printer Little jeux… amis, vos de instagram photos genres, tous en dépêches tweets, privés, à larecherche. contribuer proprede robotet dans le monde d’inventer son source, partout chacun à permettant open robotique » modulaire, plateforme « véritable une créer de ainsi L’objectif des concepteurs est modifiés. et 3D en être imprimés peuvent dont membres les humanoïde robot Poppy, un conçu ont l’Inria les de chercheurs des l’enfant, sur de recherche mécanismes d’apprentissage projet d’un de cadre le Dans EN ROBOTIQUE CHERCHEURS littleprinter.com VOUS AVEZ UNTICKET poppy-project.org

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© Ciel mon radis ! CO DESIGN APPRENEZ.... L’ÉCLAIRAGE DE GRANDS TÉMOINS Comment vivre, habiter, bouger à la sauce collaborative + Comment lutter contre l’obsolescence de votre smartphone Michel Bauwens Comment aider les réfugiés grâce au numérique Comment le pair à pair va bouleverser l’économie du xxie siècle Philippe Moati COMPRENEZ… La révolution de la consommation a déjà commencé Pourquoi la mobilité partagée va tout balayer Alain Caillé Le boom de la finance participative La face cachée du don Pourquoi l’entreprise du futur sera collaborative Yann Moulier-Boutang La fable des abeilles DÉCOUVREZ... Ophélia Noor Des start-up « EdTech » qui réinventent l’éducation Jusqu’où iront les makers ? Des citoyens connectés qui font trembler les maires Nathan Stern Un camp d’innovation écologique open source Comment créer du lien social grâce au numérique ? Léa Thomassin Pourquoi le monde associatif doit prendre exemple sur le collaboratif