Journal de la Société des Océanistes

141 | juillet-décembre 2015 Nouveaux regards sur les chefferies fidjiennes New Insights on Fijian Chieftainships

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jso/7323 DOI : 10.4000/jso.7323 ISSN : 1760-7256

Éditeur Société des océanistes

Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2015 ISBN : 978-2-85430-126-7 ISSN : 0300-953x

Référence électronique Journal de la Société des Océanistes, 141 | juillet-décembre 2015, « Nouveaux regards sur les chefferies fdjiennes » [En ligne], mis en ligne le 15 décembre 2017, consulté le 21 novembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/jso/7323 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.7323

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SOMMAIRE

Dossier Nouveaux regards sur les chefferies fidjiennes

Chefferies fidjiennes d’hier et d’aujourd’hui Simonne Pauwels

Chiefdoms and chieftancies in . Yesterday and today Simonne Pauwels

La gestion des partenaires d’échange et des objets occidentaux par les chefs fidjiens (1800-1855) Stéphanie Leclerc-Caffarel

Le pays Nasau sous l’égide du canon de Nalawa. Bouleversements coloniaux et nouvelles formes de hiérarchies au centre-est de (Fidji) Françoise Cayrol

The iTaukei Chief: Value and Alterity in Verata Matti Eräsaari

At the Intersection of Chieftainship and Constitutional Government: Some Comparisons from Micronesia Glenn Petersen

La chefferie autrement. Une notion mille-feuilles bonne à repenser Viviane Cretton

Hors dossier

« J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois ! » : VIH, antirétroviraux et prise en charge médicale aux îles Fidji Fabienne Labbé

Some Australian official views of New Caledonia’s Melanesians, 1941 to 1953 Stephen Henningham

Personnalité métaphysique et rites traditionnels mortuaires Sud Fore Jerome T. Whitfield, Wandagi H. Pako et Michael P. Alpers

Miscellanées

Feux croisés sur les arts des îles Salomon À propos de deux expositions récentes et de leur catalogue Gilles Bounoure

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Comptes rendus d'ouvrages

Compte rendu de Language Contact in the Early Colonial Pacific. Maritime Polynesian Pidgin before Pidgin English, de Emanuel J. DRECHSEL Gilles Bounoure

Compte rendu de The Aranda’s Pepa. An Introduction to Carl Strehlow’s masterpiece ‘Die Aranda- Loritja-Stämme in Zentral-Australien’, de Anna KENNY Laurent Dousset

Compte rendu de Degei’s Descendants. Spirits, Place and People in Pre-Cession Fiji, de Matthew Spriggs et Deryck Scarr (eds) Gilles Bounoure

Compte rendu de Kago, Kastom and Kalja: The Study of Indigenous Movements in Melanesia Today, de Marc TABANI et Marcellin ABONG (eds) Jean-Louis Rallu

Compte rendu de Ma‘afu, prince of Tonga, chief of Fiji. The life and times of Fiji’s first , de John SPURWAY Gilles Bounoure

Compte rendu de Nickel. La naissance de l’industrie calédonienne, de Yann Bencivengo Sarah Mohamed-Gaillard

Compte rendu de Discovery and Empire. The French in the South Seas, de John WEST- SOOBY (ed.) Gilles Bounoure

Actes de la Société et Actualités

In memoriam Pierre Maranda (1930-2015) Fabienne Labbé et Sandra Revolon

Bibliographie chronologique de Pierre Maranda Isabelle Leblic

In memoriam Betty Villeminot (1924-2015) Christian Coiffier

À propos de la thèse de Patrice Godin Bernard Rigo et Serge Tcherkézoff

Assemblées générales extraodinaires 2015 : modification des statuts

Cinéma des Océanistes et Conférences de la SdO

Liste des ouvrages reçus

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Simonne Pauwels (dir.) Dossier Nouveaux regards sur les chefferies fidjiennes

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Chefferies fidjiennes d’hier et d’aujourd’hui Chiefdoms and chieftancies in Fiji. Yesterday and today

Simonne Pauwels

1 Il est impropre de parler au singulier de la chefferie à Fidji tant sa définition est liée aux configurations spatiales et temporelles et au statut des interlocuteurs au sein de la société fidjienne. Il existe cependant une version idéalisée de la chefferie, véhiculée non seulement par les administrateurs coloniaux, les historiens, les anthropologues (Roth, Scarr, Geddes), mais aussi par certains Fidjiens contemporains, souvent issus de lignées de chefs. Ils voient ces derniers comme une condition sine qua non au bien-être de la vie villageoise dans une logique de service réciproque : le peuple sert le chef qui sert le peuple en redistribuant les richesses tout en garantissant la paix et l’abondance. Cet état harmonieux daterait de l’époque précoloniale, puis aurait été préservé par le pouvoir colonial et la création du grand conseil des chefs (GCC). Le retour de cet état est aujourd’hui promis par une partie de l’opposition traditionaliste et conservatrice. La réalité est très différente, beaucoup plus complexe, certainement moins uniforme. C’est ce que ce dossier entend démontrer, en se déplaçant au fil des articles, dans le temps comme dans l’espace, en respectant le statut des interlocuteurs.

2 Cette introduction aborde, au cours d’un rapide historique, deux faits importants pour apprécier pleinement les articles. Il s’agit dans un premier temps de la distinction entre l’est fidjien, en contact avec les Blancs dès leur arrivée, et l’ouest et l’intérieur des terres de l’île principale, Viti Levu, apparemment moins hiérarchisés mais aussi dépourvus des denrées commercialisables et ensuite déjà sous le joug de deux grandes chefferies, Rewa et surtout Bau, au moment de l’arrivée des planteurs. Puis, le fait qu’il existe deux façons contradictoires de lire la relation à la terre, selon que l’on soit chef ou itaukei, « occupant originel ». Cette double lecture a probablement toujours existé. Mais la dichotomie s’est accentuée avec la colonisation, la surinterprétation de certains droits et obligations, mais aussi avec l’influence de certaines exégèses et traductions anglaises de concepts fidjiens. Aujourd’hui la tenure foncière à Fidji n’est toujours pas enregistrée partout, elle ne satisfait pas les occupants originaux, elle est source de

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conflits parfois centenaires et alimente énormément de frustrations auprès des autochtones1.

Photo 1. – Tui Korocau réceptionnant une dent de cachalot lors de la première visite de son enfant de sœur au village, Nakobo, Vanua Levu, Fidji (6/11/2015)

(cliché de Simonne Pauwels)

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Photo 2. – Session de kava avec le chef, Nakobo, Vanua Levu, Fidji (9/11/2015)

(cliché de Simonne Pauwels)

3 Pour comprendre ces faits, abordant l’histoire de Fidji, les ouvrages sont très nombreux (Campbell, France, Maude, Reid, Routledge, Sahlins, Scarr, Spurway, Toganivalu pour n’en citer que quelques-uns), comme le sont les documents officiels à partir des années 1850. Avant cela, il faut souvent se contenter des écrits des missionnaires (Calvert, Fison, Lyth, Waterhouse, Williams, etc.), certes fort riches bien que parfois partiaux, comme ceux des voyageurs et autres écumeurs de grèves2. Dès le début, les ouvrages des anthropologues (Hocart, Hooper, Nayacakalou, Sahlins, Ravuvu, Fidjiens ou travaillant à Fidji) s’intéressent aux questions de tenure foncière tant elles sont au centre de la société et de sa répartition majeure entre turaga et itaukei. S’il est impossible de donner une seule description et/ou définition de « chef », il l’est encore moins de le faire sans parler de sa relation avec la terre. Nous retrouverons ce constat, de manière plus ou moins manifeste, dans chacun des articles, y compris dans celui qui, à titre de comparaison, porte sur la Micronésie.

La terre et les chefs

4 La société précoloniale n’a jamais été homogène, même, comme il est souvent suggéré, dans les chefferies orientales. Les traditions régionales étaient hétéroclites, les chefferies et les confédérations belliqueuses, les alliances se faisaient, se défaisaient au gré des mariages, des guerres de succession, etc. Mais les dernières décennies, avant la cession à la Couronne britannique, furent le théâtre de deux événements majeurs : la découverte par les Occidentaux de deux denrées lucratives, le bois de santal (1802) et la bèche de mer (1820) et l’arrivée du christianisme (1835), par le biais des méthodistes – et trois ans plus tard les catholiques. Ces intrus donnèrent aux chefs à la fois la possibilité et l’envie de s’arroger un pouvoir grandissant sur le peuple, le rendant

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corvéable à merci et aliénant progressivement ses terres, sur lesquelles ils n’avaient pas toujours autorité. Ainsi les chefs prétendaient punir leurs « sujets » déloyaux3 mais, en réalité, ils trouvaient là surtout le moyen d’entrer en possession du capital nécessaire à l’acquisition des biens occidentaux. Religion et commerce, même s’ils étaient souvent source de conflits, avaient la même exigence de stabilité voyant dès la moitié du XIXe siècle une solution dans la construction d’une unité englobante telle un royaume ou, plus tard, un État colonial (Bayliss-Smith et al., 1988 ; Clammer, 1976 ; Howard, 1991 ; Ryle, 2010).

5 Dès les premiers contacts avec les Occidentaux (1800), ce sont les chefs, et non des moindres, qui établissent une relation avec ces baleiniers, voyageurs, naufragés et autres écumeurs de grève originaires des États-Unis, d’Espagne (et Manille) ou de la colonie britannique en Australie (Leclerc-Caffarel dans ce dossier, pp. 199-222). Ces premiers échanges d’objets initient souvent de vraies échanges commerciaux : bois de santal et bèche de mer contre fusils, dents de cachalots ou bateaux, par exemple. Les armes des Blancs et ceux qui savent les manier sont mis au service du commerce, lui- même tributaire de main-d’œuvre tant pour l’exploitation du bois de santal que pour la collecte de la bèche de mer. Dans certaines régions, la présence de denrées convoitées par les Blancs crée des conflits locaux et alimente une redéfinition, par les armes, des rapports de force entre chefs au détriment du peuple devenu synonyme de force de travail. Nul doute dès lors que le labeur fournis à leur chef par les gens du commun : culture de la terre, construction de maisons, pêche, etc., et connu sous le nom de lala (Leclerc-Caffarel), augmente d’intensité, voire change de nature. La relation unissant les chefs à leur peuple subit des transformations formulées, nous le verrons, par écrit par certains chefs d’entre eux en 1872. Elles seront plus tard, après la Cession, discutées longuement dès les premières réunions du conseil des chefs.

6 Auparavant, entre 1815 et 1825, dans la chefferie de Bau, comme le raconte Leclerc- Caffarel, le chef Naulivou réussit à étendre son influence à la région centrale de l’archipel (mer de Koro) comme à la petite île de Viwa, stratégiquement placée entre Verata et Bau. Il collecta également du tribut sur la côte Nord de Viti Levu, le sud de Vanua Levu, ainsi que dans les îles du centre (Lomaiviti) et de l’est (Lau). À la fin de son règne (1829), seule la chefferie de Rewa put encore se prétendre l’égale de Bau. Le rôle de Charles Savage4 au début de cette ascension est minutieusement analysé dans l’article déjà cité. Le successeur de Naulivou s’évertua à faire des Occidentaux des alliés plutôt que des ennemis, et à canaliser leurs forces potentiellement destructrices à son avantage. Son fils, Cakobau, se convertit au christianisme méthodiste en 1854 afin d’obtenir l’aide du Roi de Tonga et de Ma’afu5 pour battre la chefferie de Rewa. Après sa victoire il devient l’allié par excellence des commerçants, consuls ou conseillers euro- américains réunis dans la capitale Levuka, et des missionnaires. Sa carrière politique fut ensuite toute tracée (voir plus loin).

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Picture 3. – Toit et faitage d’église de chef de Tubou (Lakeba, Lau), 2007

(cliché de l’auteur)

7 Avec l’arrivée des missionnaires en 1835, comme plus tard, celle de Ma’afu, fils d’un des trois grands chefs tongiens et potentiel successeur, les Lau, jusque-là confinés à l’île de Lakeba et sa zone d’influence qui allait de l’île de Cicia au nord à celle de Ono6 à l’extrême sud, subirent de grands changements. Sous couvert de ce qui est communément appelée « la guerre du christianisme », valu ni lotu, – mais qui est en fait la guerre de la conversion –, le territoire fut élargi aux îles de Vanua Balavu et Moala ainsi qu’à leurs dépendances, au préjudice, respectivement, des chefferies de Cakaudrove et Bau. L’influence croissante de Ma’afu, puis sa prise de pouvoir, avec la complaisance et le soutien des missionnaires comme ceux de son parent le roi de Tonga – qui en fait le gouverneur des Tongiens à Fidji –, marqua profondément l’archipel. La tenure foncière, au cœur même des concepts de la chefferie et plus encore de chef, on le verra dans tous les articles, est chamboulée au point d’avoir laissé des traces jusqu’à ce jour. La terre est redistribuée entre Fidjiens et Tongiens, nombreux dans tout l’est fidjien, de manière à rapporter un maximum de taxes mais, autre exception à Fidji, Ma’afu décida que, dans les Lau, la terre non utilisée ne peut être aliénée, seulement louée – à son profit et non pas à celui des propriétaires traditionnels. En 1869, quand le roi de Tonga se retira des affaires fidjiennes, le nouveau titre de Tui Lau fut créé, par les missionnaires et les conseillers européens, spécialement pour Ma’afu afin qu’il puisse devenir un chef « fidjien » et rester dans la région. Le titre de , restant limité à Lakeba comme à sa zone d’influence, devint secondaire.

8 Toujours sous l’influence de Ma’afu, les rapports de force entre chefferies changèrent. Celles de Bua, Cakaudrove et Lau s’unirent en une confédération avec Ma’afu à sa tête. La rivalité entre ce dernier et Cakobau, qui, conforté par les missionnaires, les commerçants de Levuka et les planteurs de Viti Levu, se comporta en chef suprême de

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l’ensemble des Fidji, atteignit son paroxysme. Les tensions étaient telles que tous les témoins occidentaux craignirent une guerre menaçant leurs commerces et leurs plantations.

9 En 1871, sous la pression des colons de toutes sortes et de Thurston7, alors Consul honoraire britannique, eut lieu la création d’un royaume fidjien unissant de gré ou de force les domaines des chefs puissants du moment. Cakobau fut nommé roi avec le titre de Tui Viti et Ma’afu vice-roi. L’assemblée législative fut composée à la fois de Fidjiens et de colons.

10 Une constitution vit le jour. Elle consacra évidemment, et cela a été souvent dénoncé, une place importante au statut des chefs en distinguant de manière définitive les « grands chefs », appelés « ruling chiefs » des chefs subordonnés, appelés « vassals ». Mais si on s’attache à la notion de chef en relation avec la terre, alors apparaît la portée de la phrase suivante : « The lands of Fiji are vested in the ruling chiefs, and occupied by their subordinate chiefs (or vassals) and people in consideration for past, present, and future services. » Et plus loin : « The ruling chief has the right, and also the power, to remove at pleasure any sub- chief or people from the lands they occupy. » (Fison, 1903 : 349)

11 Ceux qui sont appelés « ruling chief » sont principalement Cakobau, Tui Bua, Tui Lau, Tui Macuata Tui Dreketi de Rewa et de Cakaudrove. La nature de leur autorité nouvelle impliqua que les chefs mineurs de leur domaine respectif furent obligés d’adhérer à celle-ci. Nul doute que ce paragraphe fut rédigé conjointement par les chefs et les colons qui ensemble cherchèrent à instituer les moyens de développer un royaume économiquement rentable, même si leurs intérêts s’avéraient forcément concurrentiels. Le choix des cinq attributions ministérielles est remarquable ; un secrétariat des chefs et les ministères du Commerce, des Terres et des Travaux, des Finances et des Affaires autochtones. À eux seuls, ils prouvent que le but était de simplifier la tenure foncière, de gérer la présence des autochtones sous l’égide des chefs et dans l’intérêt du commerce et des plantations. Le royaume fut fragile. Très vite les chefs de l’est furent prêts à mettre en place une scission avec Cakobau dont ils estimèrent injustifiée la place de roi et usurpés ses droits clamés sur l’intérieur et l’ouest de Viti Levu ainsi que sur les Yasawa.

12 L’idée d’une cession au Royaume uni refit alors surface malgré le premier refus essuyé en 18628. Thurston, entre temps Premier ministre de Cakobau et fervent opposant à la présence de Ma’afu à Fidji, élabora avec l’accord du roi un document de 19 articles (Spurway, 2015 : 397) qu’il remit à la Couronne en 1873. Les articles détaillent les futurs titres et salaires destinés à Cakobau comme à d’autres chefs. Mais, ce qui nous intéresse plus ici, ils stipulent aussi que : « the Fijian chiefs were to retain all existing private rights, real and personal » (article 15) et ensuite que : « the ruling chief of every tribe [was] to be recognised as the owner of the lands of his tribe, and guardian of their rights and interests. » (Spurway, 2015 : 398)

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Photo 4. – Maison du Tui Lau à Vanuabalavu, vide jusqu’à l’installation du prochain Tui Lau, 24/10/2015

(cliché de l’auteur)

13 Ces réserves, impliquant que les Fidjiens continuent à être propriétaires des terres ont été la raison du refus des conditions par le Colonial Office. La Reine Victoria, elle, s’exprima pour dire que l’offre de Cession était acceptable mais uniquement si elle était sans réserves en ce qui concerne la terre (Spurway, 2015 : 415). Ceci ne signifie nullement que la Couronne ignorait que la terre, pour les chefs fidjiens, représentait l’essence même de leur autorité. Mais pour la Couronne, dans une colonie, toute terre devait être à sa disposition. À Fidji, un juste milieu entre ces deux positions a été trouvé : la Couronne s’arrogeât le droit de réglementer la terre en laissa ensuite la majorité des terres entre les mains des chefs et de leur peuple. Avant même l’annexion, tous les observateurs et conseillers (Pritchard, Swanston, Thurston, Goodenough, Robinson, etc.), même si de tendances distinctes, avaient noté la nature particulière (pour les Occidentaux) de la tenure foncière fidjienne, et avaient également à l’esprit que beaucoup de terres étaient déjà entre les mains de prétendus propriétaires euro- américains, qu’il ne serait pas judicieux d’exproprier dans une colonie de plantations, à condition qu’ils fussent en possessions de titres jugés « légitimes ».

14 Si l’on considère les deux étapes, constitution du Royaume puis offre de cession, on voit que les chefs, lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes, évoquent la hiérarchie entre eux, les terres qu’ils prétendent « posséder » et le peuple à leur service. Malheureusement, il est impossible de connaître le mot ou la notion fidjienne que les chefs ont accepté de voir traduit par « owner of the land »9. Mais il est certain qu’un itaukei ni qele , ou « occupant originel de la terre » (cf. tous les articles du dossier), aurait préféré l’expression « responsable de la terre », c’est-à-dire responsable de son usage, de sa fertilité, au service du bien-être du chef et du peuple. Il se serait défini lui-même par son appartenance à cette terre comme tous les membres de son unité sociale depuis des générations à partir de leur installation.

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15 Quoi qu’il en soit, retenons que, formulée ainsi, l’offre fut jugée inacceptable par la Couronne, non pas parce qu’elle ne tenait pas compte des droits des itaukei mais parce qu’elle ne donnait pas à la Couronne ce qu’elle estimait lui revenir.

16 L’acte de cession fut signé en octobre 1874 (pour consulter le texte, http:// www.usp.ac.fj). Le paragraphe 4 stipule que toute terre n’ayant pas été vendue « dans les règles » à des Européens ou n’étant pas utilisée ou occupée ou prévue de l’être par un chef ou par sa tribu, deviendra terre de la Couronne. Le paragraphe 7 ajoute que toute revendication de terre par qui que ce soit sera dûment examinée et résolue.

17 Treize chefs10 signèrent le document, et l’administration coloniale, pensant construire sa gestion sur une politique fidjienne traditionnelle, divisa le pays en douze provinces, chacune présidée par un Roko Tui, le chef ayant généralement été identifié comme étant le plus important de la confédération (matanitu) correspondante (Nayacakalou, 1975 : 83). Ils furent formellement installés par l’administration coloniale. Notons qu’ils portèrent d’emblée une double casquette : député auprès du gouverneur et autorité héréditaire et coutumière dans leur chefferie. Il était prévu que les chefs importants et les inferieurs se réunissent annuellement dans un conseil des chefs (Bosevakaturaga), ancêtre du grand conseil des chefs (voir Cretton dans ce dossier, pp. 267-282), afin de conseiller l’administration coloniale, de recevoir ses directives et de les transmettre dans leur province-chefferie. La hiérarchie entre chefferies fut figée une fois pour toute au détriment des régions sous-représentées ou représentées par des chefs dans lesquels les habitants ne se reconnaissent pas.

18 L’acte de cession promet une enquête à propos du statut foncier de toutes les terres, y compris celle des autochtones, sans donner plus de détails. Mais dans son journal (cité par Spurway, 2015 : 430, note 63), Thurston, devenu secrétaire colonial, traduit très clairement l’état d’esprit qui prévaut au moment de la signature : « The chief of every qali (was) to be acknowledged and recognised as owner, absolute, of the lands of the qali and guardian of the interests and rights of the people. » (Thurston, n.d.)

19 Sachant que Thurston lisait les faits fidjiens avec des lunettes de Bau, on peut traduire qali par « territoire de personnes assujetties », comme dans l’expression qali vaka Bau, « territoire assujetti à Bau » : c’est donc bien le territoire qui est soumis et non le chef. Cette expression n’est pas utilisée dans toutes les régions de Fidji, mais son usage montre comment, dès le départ, le gouvernement colonial, conscient de la diversité sociopolitique de sa colonie, l’uniformise en créant un ordre néo-traditionnel sur le modèle de la chefferie de Bau : les consuls et autres conseillers britanniques, les colons de Levuka, les planteurs et les missionnaires avaient déjà développé des relations privilégiées avec cette dernière et avaient contribué à sa montée en puissance. Les autres chefferies de l’est, telles Rewa, Bua, Cakaudrove ou Lau, se voyaient nier leurs dissimilitudes, mais les régions de l’Ouest et de l’intérieur de Viti Levu, plus différentes encore, étaient combattues (voir Cayrol dans ce dossier, pp. 223-238) et forcées à se couler dans le moule de l’uniformisation. En résultèrent trois grands Matanitu (Confédérations), , et (incluant les chefferies de Cakaudrove et Lau). L’ouest de Fidji et l’intérieur des terres de l’île principale de Viti Levu devinrent au fil du temps les provinces de Ra et Ba, et furent réparties de fait entre Burebasaga et Kubuna au lieu d’être réunies dans un quatrième Matanitu reconnaissant leur identité propre.

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Photo 5. – Tanoa de chef dans la résidence du Tui Nayau (Tubou, Lakeba), 2007

(cliché de l’auteur)

20 Comme promis dans l’acte de cession, un des premiers soucis du gouvernement colonial fut de comprendre le système de tenure foncière (France : 1969). Il demanda au conseil des chefs de faire un rapport sur le sujet, mais devant la diversité des systèmes et les enjeux personnels, ils n’arrivèrent pas à se mettre d’accord. Entre temps, Gordon fit contrôler les titres de propriété des colons, mais la situation des itaukei resta inchangée. Finalement, Lorimer Fison11 se risqua à l’exercice complet. Soucieux de rendre aux itaukei leurs droits sur les terres, il prononça un discours qui fit date 12 et dont les définitions furent rapidement appliquées sur le terrain.

21 S’il explicita les règles de succession ou le pouvoir des chefs comme variant à travers le pays, il expliqua néanmoins les unités sociales en se basant sur le modèle de Bau. Tenant compte du désir de l’administration de voir une tenure foncière uniforme à travers la colonie, il présenta l’unité sociale, mataqali, comme propriétaire de la terre.

22 Les conséquences de ce discours sont visibles dans la société fidjienne jusqu’à nos jours. La définition même de mataqali, qui eut plusieurs définitions, fut uniformisée. Dans certaines régions, des unités sociales plus petites, telles les tokatoka, furent obligées de se fondre totalement dans les mataqali dont elles faisaient partie, abandonnant ainsi leurs droits fonciers. Dans d’autres, des mataqali de chefs, dont l’administration coloniale estima qu’elles n’eurent pas ou pas assez de terres s’en virent attribuées13. Les intérêts différents des colons ainsi que des chefs se rencontrèrent : d’une part, les chefs eurent conscience que leur avenir dépendait du pouvoir qu’ils pourraient acquérir ou garder sur les terres afin de donner une nouvelle envergure à leurs titres, d’autre part, le gouvernement colonial voulait une gestion uniforme par indirect rule, moyennement onéreuse et paisible, de la société autochtone en l’isolant de celle de l’immigration et du

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développement de l’économie monétaire (Walter, 1978). Ce souci d’uniformisation ne quittera plus Fidji !

23 Morgan a transmis à Fison l’idée que la société fidjienne avait atteint le stade de développement dans lequel la propriété de la terre était collective et inaliénable, même par les chefs. Le discours du missionnaire tendait donc à le prouver comme à en convaincre le gouverneur Gordon. D’emblée, nous voyons que le but de la démonstration est double : attester l’inaliénation de la terre et montrer que si le chef était « un Lord, il n’était point un Landlord » (Fison : 345). Fison commença par présenter deux points de vue obligatoirement rencontrés par un enquêteur de la Land Claims Commission. Celui des chefs prétendant être les owners of the land, que je traduis ici par « détenteurs de la terre », et celui des itaukei, selon sa traduction proprietors of the soil, soit « propriétaires du sol », affirmant être les seuls propriétaires. Les itaukei sont réputés être les premiers occupants d’une terre, les chefs sont des étrangers arrivés ensuite et dont des qualités exceptionnelles, physiques et de commandement, ont poussé les itaukei à les inviter à devenir leur chef (Stranger-king de Sahlins, 1981). Dans son texte, Fison ne revient plus sur ces traductions, mais elles n’étaient évidemment pas fortuites. Land en fidjien se dit vanua et soil, qele. Vanua peut désigner la terre, le pays, mais également ses habitants, sa forêt, sa mer, son rivage, un lopin, un quartier, un village, une région, une chefferie, etc. Qele est univoque : c’est le sol sur lequel on plante ou on construit. Pour lui, les deux affirmations étaient vraies et les deux étaient fausses en même temps. Cet auteur considéra qu’il s’agissait d’une évolution : la terre appartenait aux itaukei et maintenant les chefs s’en sont emparés. Mais au moment où il écrivit ceci, il ne faisait plus lui-même la différence entre terre et sol.

24 Le mataqali est donc devenu l’unité sociale à laquelle appartient une terre : elle rassemble souvent des personnes qui se référent à un ancêtre commun, par la consanguinité ou par un lien de migration simultanée, etc.14. Les mataqali dans une chefferie remplissent des fonctions différentes : prêtres, guerriers, cultivateurs, distributeurs des offrandes, pêcheurs, navigateurs, faiseurs de chef, etc. Une personne va cultiver de préférence les terres de son mataqali, mais elle peut très bien demander au chef d’un autre mataqali l’autorisation de cultiver sur ses terres à condition de lui apporter ses premiers fruits. En principe la demande se limite aux terres du village. Celui qui veut défricher une terre procède de la même manière et l’usufruit ainsi obtenu est héréditaire.

25 Mais si, comme nous l’avons vu, tous les chefs n’étaient pas propriétaires des terres, d’autres catégories ne le sont toujours pas. Fison donne l’exemple des kai tani, les étrangers, les fugitifs, les prisonniers de guerre, etc. Un étranger reste un étranger mais s’il a quelque chose d’exceptionnel (homme de paix ou homme de guerre), le chef lui donnera sa fille en mariage et un lopin de terre. Son fils deviendra vasu, « enfant de sœur », et taukei vulagi, « détenteur de la terre étranger », jusqu’à ce que la mémoire s’efface, mais, ajoute Fison, elle ne s’efface jamais.

26 Ensuite viennent les kaisi, parfois traduit par « esclaves » dans la littérature, dont on dit qu’ils sont dépourvus d’âme, d’ancêtres, de dieux. En fait, ce sont les descendants de personnes sans père, des hommes-maris15. Sans terres ils cultivent celles des autres pour les autres. Ce terme est aujourd’hui pratiquement interdit d’usage à Fidji ; il est insultant même si, localement, des villages entiers sont toujours perçus comme tels.

27 Par exemple, les migrants, qui, à la suite d’une dispute ou, autrefois, poussés par la guerre, s’installent au village, étant chez eux itaukei, ne peuvent devenir kaisi : « ils

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auront toujours des ancêtres ». Mais cultivant la terre des autres, celle-ci est susceptible de leur être enlevée à tout moment.

28 Les villages qui, au temps des guerres, se soumettaient à un chef restaient clairement propriétaires même s’ils payaient un tribut, rendant des services martiaux et offrant de la nourriture en temps de paix.

29 On peut alors se demander si la conquête affectait la propriété d’une terre, base peut- être d’un statut de propriétaire pour les chefs « conquérants ». Là encore l’ethnographie répond par la négative. Une conquête concernait les fruits de la terre mais pas la terre elle-même. De la même manière, le titre porté par le chef d’un mataqali conquis reste vivant tant que ce dernier n’est pas éteint, tant qu’il compte des membres vivants. C’est le titre qui, depuis le premier occupant d’une terre, lie les membres d’un mataqali d’une manière inaliénable à cette dernière.

30 Tout ceci reste évidemment le point de vue du itaukei qui, par contre, ne niera pas devoir des services et des offrandes à son chef et dira qu’il le fait volontiers, mais en aucun cas en tant que serf ou locataire. Le chef est leur Lord mais pas leur Landlord : s’il lui est permis de prendre les fruits de la terre, il ne peut s’emparer de la terre, qele.

Photo 6. – Racine de kava offerte au faisant office de chef lors de l’inauguration des nouveaux bureaux de la Province de Lau à (11/12/2008)

(cliché de l’auteur)

31 Au moment des premiers contacts, il semblerait que le point de vue des chefs fût qu’ils étaient maîtres des fruits de la terre (et de la mer). Disposant du bois de santal et de la bèche de mer, ils eurent aussi le droit de faire travailler le peuple habitant la chefferie sous forme de lala. Ce point de vue convenait évidemment bien aux Européens qui avant la colonisation officielle ne s’étaient guère souciés du sort du peuple, laissant aux chefs fidjiens la tâche d’augmenter les services se transformant peu à peu en travail forcé. Ce qui au départ était une relation réciproque entre chef et peuple s’étendit à une relation tripartite dans laquelle s’immisçaient conjointement les biens des Blancs et l’économie monétaire. Les services rendus aux chefs, telles des offrandes aux représentants sur terre des dieux ancestraux, augmentaient à fur et à mesure que les chefs perdaient de leur qualité divine. Comme le formula un informateur de Hocart :

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« […] ce n’est pas le droit des chefs [turaga] d’oppresser le peuple. Certains s’imaginent être chef mais oublient que s’ils n’y avaient pas de […] [itaukei], ils ne seraient pas chef. »16 (Hocart, 1929 : 98)

32 En effet, tant que le chef sera installé rituellement, veibuli, (et non administrativement), son caractère divin sera indiscutable pour le peuple qui l’a « fait naître (chef) », buli. Voici comment à Lakeba, en 2010, un informateur n’appartenant pas à la ligné des chefs décrivait le point culminant de la cérémonie très complexe d’installation : « le chef des itaukei, après avoir donné une racine de kava [symbole de la terre], noue un morceau de tapa [autre symbole de la terre] autour des deux bras du futur chef avec ces paroles : “Je te donne l’entière responsabilité, lewa taucoko, sur la ‘terre’ (vanua), je te donne également la responsabilité et l’autorité sur le ‘peuple’ (lewenivanua)”. Puis le chef prend la parole et dit : “Je vous rends la terre (qele) pour que vous puissiez planter et cultiver pour moi”. »

33 À mon avis, ce double sens de « terre » ou land que la langue fidjienne rend par vanua et qele a échappé à beaucoup de monde. Fison l’a pressenti, comme il le démontrait dans ses traductions par l’emploi de land et soil ; les chefs en ont joué quand ils ont vendu les terres aux Blancs et transmis ensuite la souveraineté aux Britanniques. Ils pouvaient se choisir un autre chef, lui donner la responsabilité sur les terres de Fidji, mais ils ne pouvaient en aucun cas vendre la terre car même s’ils étaient chefs, il fallait que le sol, qele, soit cultivé afin de les servir et leur fournir des offrandes pour les divinités.

34 La volonté inscrite dans l’acte de cession § 7(3) que : « all claims to title to land by whomsoever preferred […] whether on the part of the said Tui Viti and other high chiefs or of persons now holding office under them or any of them shall in due course be fully investigated and equitably adjusted » donna lieu en ce qui concerne les terres sous contrôle autochtone (87 % du total) à la création de la Land Claim Commission (1880, conjointement au discours de Fison) et plus tard en 1940, de le Native Land Trust Board (aujourd’hui itaukei Land Trust Board). Plusieurs campagnes de cadastrage n’ont pas suffi, ni à finir le travail, ni a résoudre d’incessants conflits, très souvent issus de ces deux dichotomies entre vanua et qele et entre turaga et itaukei.

Du premier contact à l’analyse de la chefferie…

35 Ce dossier17 comporte cinq articles que nous avons choisi de présenter chronologiquement. Le premier traitant de la période de la première moitié du XIXe siècle, celle des premiers contacts avec les Blancs. Les deux suivants analysent la chefferie ou le concept de chef dans des sociétés contemporaines à Fidji, l’une dans l’ouest, l’autre dans l’est de l’île principale, Viti Levu. Ensuite, un article sur la position de la chefferie en Micronésie vient montrer combien le cas fidjien du rapport des chefs à la terre n’est pas isolé mais s’inscrit dans un ensemble culturel beaucoup plus vaste. Et finalement, le dernier dossier nous présente une réflexion sur le chef ou le leader, à nouveau à Fidji, en tant que politicien dans un monde global.

36 Stéphanie Leclerc-Caffarel (pp. 199-222) expose différentes manières des chefs de gérer l’incursion des Blancs dans la première moitié du XIXe siècle. Elle montre comment ce qui commence avec des échanges réciproques d’objets précieux, se transforme en échanges commerciaux sans pour autant intégrer complètement les partenaires blancs dans la société fidjiennes. Par contre, l’introduction et l’obtention des armes à feu permettent à certains chefs d’étendre leur zone d’influence et d’autorité.

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Parallèlement, les Euro-Américains avec l’aide de l’un d’entre eux, celui de Bau, établissent leur première capitale coloniale sur l’île d’Ovalau. Fait important, les plantations font leur apparition et la terre aussi acquiert une valeur marchande. Mais l’auteur montre également combien l’équilibre entre les chefferies était changeant avant même l’arrivée des Occidentaux et combien il s’est figé en ce qui concerne la hiérarchie entre les chefferies après le choc de la colonisation.

37 L’article de Françoise Cayrol (pp. 223-238) parle précisément des bouleversements coloniaux dans le centre de Viti Levu, cette région sur laquelle Cakobau prétendait avoir de l’autorité mais qui dut faire face à de nouvelles formes de hiérarchie. Partant d’un important rassemblement dans la grande région de Nalawa au moment du passage à l’an 2000, l’auteur explore le symbolisme que les habitants du district de Nasau attachent à un ancien site réunissant en un seul lieu leur passé, leurs esprits, leurs guerres, le christianisme et leur présent. Il est rare de voir une telle reconstruction historique, particulièrement dans cette région de Fidji. Les narrations locales et les rituels sont présentés comme autant de manière d’intégrer des étrangers, de Bau, Viwa, Tonga, Inde et Europe sans qu’ils deviennent pour autant des gens de Nalawa comme les gens de Nalawa ne se reconnaissent pas dans l’État fidjien actuel. On en veut pour preuve les événements actuels (juillet-septembre 2015) se déroulant dans la région et portés devant les tribunaux. Des accusations de tentatives de séditions sont portées, y compris contre le chef de Nalawa. La volonté serait de faire de Ra un territoire autonome et chrétien. L’affaire entre en résonance avec les attentes du passage à l’an 2000, mais également avec le peu de prise en compte, et donc de représentativité, de cette région de Viti Levu, largement laissée en dehors du développement économique ces dernières années.

38 L’article de Matti Eräsaari (pp. 241-264) émane de recherches menées dans la chefferie de Verata dans l’est fidjien. Il présente plusieurs changements actuels : dans la façon d’être chef, dans les relations sociales et dans les échanges. La dichotomie, attestée maintes fois dans l’ethnographie de Fidji, entre gens de la terre (itaukei et hôtes) et gens de la mer (vulagi et invités), s’est effondrée à cause des changements politiques coloniaux et postcoloniaux comme des conflits propres à une nation multi-ethnique. Aujourd’hui, dans cette chefferie vulagi n’est plus utilisé pour les gens sans terre venant de la mer, tels les chefs et leurs lignages. Le terme est utilisé pour tous les Fidjiens allochtones et en particulier la population indo-fidjienne. Tous les autochtones sont alors considérés être des itaukei. Ceci va dans le sens de la récente classification imposé par l’État qui veut que les autochtones soit des itaukei et que le terme Fidjien soit réservé à toute personne ayant la nationalité. À Verata un mythe d’ancêtres communs à tous les itaukei gagne en importance. Notons que ce mythe a surgit lors de l’introduction des Indiens et la séparation ethnique instaurée par le colonisateur et que le phénomène s’amplifie une seconde fois à Fidji comme le résultat des changements politiques de la dernière décennie dans un État toujours multi-ethnique (voir Cretton, pp. 267-282).

39 Matti Eräsaari analyse de manière subtile comment cette origine commune des membres du village de Naloto « déclasse » les personnes et les objets : il n’y a plus de gens de la mer et des gens de la terre, il n’y a plus que des itaukei. La dent de cachalot objet très valorisé, parce que venant de l’extérieur, devient maintenant le symbole d’autochtonie. Symbolisant la mer, le poisson disparaît quasiment des échanges. Et, les

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chefs ne sont plus installés mais remplacés par des leaders élus lors d’élections dans lesquelles les candidats ne se bousculent pas.

40 L’article de Petersen est le seul à ne pas concerner Fidji. Il démontre que les sociétés micronésiennes et polynésiennes (incluant Fidji orientale) ont une histoire culturelle commune mais souvent oubliée et que la manière dont les Micronésiens donnent une place à leurs chefs pourrait inspirer les autres sociétés. Le premier point cité par cet auteur comme étant commun à toutes ces sociétés a été traité dans cette introduction et est présent dans tous les autres articles : le lien indélébile entre les chefs, la terre, les mondes surnaturel et naturel, sources de mana. Le second point, également évoqué dans les autres articles, est la réciprocité des dons entre chefs et peuple. Évidemment ces constats n’empêchent pas que des différences importantes existent et que les luttes pour la position de chef trouvent des expressions variables. En Micronésie la séparation entre deux formes de pouvoir, les chefs de guerre et les chefs dont l’autorité est basée sur des liens généalogiques avec des ancêtres, permet d’arriver à un état d’équilibre dans l’organisation de la société actuelle.

41 Après un détour éclairant par la philosophie politique occidentale concernant la relation à la terre, la nature de l’autorité et celle de la propriété – par le travail de la terre –, Petersen établit le parallèle avec celle des sociétés micronésiennes, dans lesquelles le lecteur reconnaîtra également les sociétés fidjiennes. Une inversion cependant, là où les chefs micronésiens ont l’autorité sur la terre parce qu’ils sont arrivés les premiers et pour cette raison deviennent chef, les Fidjiens donnent cette autorité aux chefs parce qu’ils les ont installés en tant que chef lors de leur arrivée tardive.

42 Finalement, Glenn Petersen (pp. 255-266) conteste les scientifiques étrangers, et certains membres des sociétés concernées, prétendant que les institutions gouvernementales comprenant des chefs sont incompatibles avec la démocratie. Selon lui, ne pas prendre en compte les nombreuses manipulations des généalogies après l’installation d’un chef, correspond à ne pas voir combien le choix, exigeant une cohésion, est guidé par le souci de choisir la personne capable d’autorité. Il plaide en faveur d’une analyse n’opposant pas « tradition » et « démocratie » mais portant son attention sur les tensions entre différentes valeurs et leurs représentants.

43 C’est ce que fait l’article de Viviane Cretton (pp. 267-222), clôturant ce dossier. Il a comme point de départ l’hétérogénéité qui caractérisait l’ensemble des chefs fidjiens et d’autres leaders légitimes ou moins légitimes durant le coup d’État de 2000. Il analyse également l’efficacité des transactions symboliques lors de la résolution de ce conflit. Il critique, comme Petersen, l‘analyse de la tradition, ou des chefs, comme obstacles au développement, à l’économie, à la modernité ou à la démocratie.

44 Après avoir traité le concept de Chief comme une catégorie plurielle et située, Viviane Cretton part de la prise d’otage de plus de trente parlementaires fidjiens et indo- fidjiens lors du coup d’État de 2000 pour montrer que les dissensions entre l’est et l’ouest de Fidji ne peuvent s’expliquer uniquement comme étant des survivances d’un passé colonial voire précolonial. Le mécontentement est inséparable de la situation économique même s’il est historiquement construit. Pendant la prise d’otage les chefs des régions de l’ouest réclament toujours la création d’une quatrième matanitu arguant du fait que l’économie du pays est située dans leur région. Témoignage de l’importance de chefs, s’il en faut ; pendant les presque deux mois de leur séquestration, les membres du GCC remplissent leur fonction de protecteur en temps de crise, rappelant par des

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échanges multiples de tabua, « dent de cachalot », l’objet le plus valorisé et le plus symboliquement chargé, les valeurs de la société fidjienne : respect et humilité.

45 Finalement, l’article montre, à travers les trajectoires de plusieurs dirigeants successifs, comment, si le pluralisme et la complexité sont inhérents à la figure du chef à Fidji, la polyphonie et les nuances sont, elles, constitutives des représentations locales et situées du mana. Ceci révèle la nouvelle configuration de la classe sociopolitique fidjienne dans toute sa complexité.

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NOTES

1. Aucun article n’abordera la relation à la terre des Fidjiens d’origine indienne. Ceci nous aurait éloigné de notre sujet. 2. Le lecteur trouvera une bibliographie et des données issues de ces sources analysées dans l’article de Stéphanie Leclerc-Caffarel dans ce dossier (pp. 199-222).

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3. Par exemple, dans les années 1850, Golea Lalabalavu, chef suprême de Cakaudrove, vendait l’île de Kanacea au nord des îles Lau et déplaçait sa population vers l’île de Taveuni après qu’elle ait soutenu un guerrier tongien dans une guerre contre la chefferie. 4. Charles Savage est un naufragé, fin stratège et manipulateur de ses propres armes qui vécut aux côtés de Naulivou jusqu’en 1813. 5. Pour plus de détails historiques et une analyse fine des enjeux, voir les écrits de Spurway qui en donnent une lecture à partir de la vie de Ma’afu, chef tongien, qui réussi à jouer un rôle prépondérant après avoir endossé, en 1869, le titre crée pour lui de Tui Lau et parvint à unifier les chefferies de Lakeba et de Vanua Balavu en tant que la chefferie des Lau. 6. La réelle histoire de Ono-i-Lau reste obscure. Il semblerait qu’elle s’affirmait comme indépendante jusqu’à l’installation de la chefferie Vuanirewa à Lakeba. Ses habitants furent les bourreaux de Niumatawalu, le père du premier Tui Nayau à Lakeba, sur ordre de Naulivou. Rasolo, le premier Tui Nayau, vengea son père et « annexa » l’île. Il est fort probable que ceci ne soit pas le point de vue des habitants de Ono qui, entre autres, se sont convertis au christianisme sans attendre l’approbation du Tui Nayau. 7. Thurston, citoyen britannique ayant rejoint une expédition botanique en 1864, fait naufrage au large de Samoa. Quelques mois plus tard, il arrive à Fidji et, en 1869, il devient consul pour Fidji et Tonga. 8. Pour plus de détails sur cette première offre de cession et un aperçu des relations tendues entre Pritchard, Ma’afu et les missionnaires, voir E.A. Brown (1973), Samson (1998), Spurway (2015), Thornley (2002). 9. En effet, à ma connaissance, il n’existe pas de version écrite en langue fidjienne de l’offre de cession. Par contre, elle existe pour l’acte de cession (Geraghty, 2003), ainsi qu’une explication de texte en fidjien à l’intention des chefs signataires, retrouvée par hasard en 2012 et aujourd’hui aux Archives nationales de Fidji. 10. Deux pour la chefferie de Macuata qui est, depuis des décennies, en proie à une guerre fratricide, souvent alimentée par Ma’afu invoquant la protection des Chrétiens Méthodistes. Les grands absents sont les chefs des régions de l’intérieur de Viti Levu et de l’ouest, y compris les Yasawas (voir Cayrol dans ce dossier, pp. 223-238). 11. Missionnaire méthodiste, anthropologue et ami et informateur de Lewis H. Morgan. Il communiqua à ce dernier les systèmes de parenté fidjiens (et tongiens) repris par Morgan comme un supplément de la troisième partie de Systems of Consanguinity and Affinity (1871). 12. Le discours fut prononcé en 1880 devant les futurs enquêteurs de la Land Claims Commission mais n’a été publié qu’en 1903, au moment de la seconde campagne de la Land Claims Commission. 13. Pour comprendre le manque de terres des lignées de chefs, voir Eräsaari dans ce dossier. 14. Pour d’autres raisons de se rassembler en un mataqali, voir Eräsaari et Cayrol dans ce dossier. 15. N’ayant pas de père, ils n’ont pas accès à la terre du mataqali de leur père. Ils ne pourront que cultiver la terre du mataqali de leur épouse dans une relation de dépendance. 16. « […] it is not the right of the chiefs [turaga] to oppress the people. Some people imagine they are chiefs by themselves and forget that but for the landmen [itaukei], they would not be chiefs. » 17. Le Journal de la Société des Océanistes n’a jamais consacré de dossier à Fidji et rarement des articles, à l’exception d’un article très proche du sujet de ce dossier intitulé : « Une noblesse sous contrôle. Le pouvoir coutumier vu de Rewa (Fidji Est) » par Émilie Nolet (JSO 133) et quelques autres récents indirectement sur Fidji comme « Phosphate mining and the relocation of the Banabans to northern Fiji in 1945: Lessons for climate change-forced displacement » par Julia B. Edwards (JSO 138-139) ou « Le groupe du Fer de Lance mélanésien face à ses défis » par Nathalie Mrgudovic (JSO 140). D’autres articles plus anciens ont traité de Fidji (voir https:// jso.revues.org/). Espérons que ce dossier et ce numéro dans lequel il est également question de Fidji fonctionne comme un appel pour d’autres articles concernant ce pays passionnant.

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Chiefdoms and chieftancies in Fiji. Yesterday and today

Simonne Pauwels Translation : Nora Scott

1 One cannot properly speak of Fijian chiefdoms in the singular, so closely is the definition bound up with spatial and temporal configurations as well as with the status of the speakers in Fijian society. There exists nevertheless an idealized version of the chiefdom, transmitted not only by colonial administrators, historians and anthropologists (Roth, Scarr, Geddes) but also by certain contemporary Fijians, often from chiefly families. They see the chief as a condition sine qua non of village well-being within a logic of reciprocal service: the people serve him, who in turn serves the people by redistributing the wealth while ensuring peace and abundance. According to the idealized version, this harmonious state of affairs dates from pre-colonial times, and was preserved by the colonial powers and the creation of the (GCC). Today the promise of a return to this state is held out by part of the traditionalist, conservative opposition. The reality is quite different, much more complex and certainly less uniform. This will become clear as the reader goes from one article to the next in the present dossier, traveling through time as well as space, and respecting the status of the speakers.

2 In the course of a rapid historical overview, this introduction will address two facts that are important for a full understanding of the articles. In the first place, a distinction must be made between the eastern part of Fiji, which was in contact with the Whites from their arrival, and the western part together with the interior of the main island of Viti Levu, apparently less marked by hierarchy but also lacking marketable goods and later, when the planters arrived, already under the yoke of two major chiefdoms, Rewa, and especially Bau. Secondly, there are two contradictory readings of the relationship with the land, depending on whether one is a chief or an “original occupant”, itaukei. This two-sided reading has probably always existed. But the dichotomy has grown with colonization, with the overinterpretation of certain rights and duties, but also under the influence of certain English glosses and translations of Fijian concepts. Even today the land register is not complete for all of

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Fiji and does not satisfy the original occupants; it is a source of sometimes centuries of conflict and fuels a huge number of frustrations among the indigenous populations.1

Photo 1. – Tui Korocau receiving a whale’s tooth during the first visit in the village of his sister’s child, Nakobo, Vanua Levu, Fidji (6/11/2015)

(picture of Simonne Pauwels)

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Photo 2. – ava session with the chief, Nakoba Nakobo, Vanua Levu, Fidji (9/11/2015)

(picture of Simonne Pauwels)

3 There are a great many works on the history of Fiji that can help understand these facts (Campbell, France, Maude, Reid, Routledge, Sahlins, Scarr, Spurway, Toganivalu, to mention only a few), to which must be added the official documents beginning in the 1850s. Before that date, we must be content with the writings of missionaries (Calvert, Fison, Lyth, Waterhouse, Williams, etc.), which are rich in information to be sure, but sometimes partial, as are those of the voyagers and various beachcombers.2 From the outset, anthropologists (Hocart, Hooper, Nayacakalou, Sahlins, Ravuvu: Fijians or working in Fiji) have taken an interest in land registers, central as they are to the society and its division into two major groups, turaga and itaukei. If it is impossible to provide a single description and/or definition of “chief”, it is even less possible to do so without speaking of his relation to the land. This observation features more or less explicitly in each of the articles in this dossier, including the article on Micronesia, which has been included for purposes of comparison.

Land and the chiefs

4 Precolonial society was never homogeneous, even, as it has often been suggested, in the eastern chiefdoms. Regional traditions were varied, the chiefdoms and confederacies war-like, alliances were made and unmade in response to marriages, wars of succession, etc. But the final decades before the cession to the British Crown were the theater of two major events: the Westerners’ discovery of two lucrative commodities, sandalwood (1802) and bêches-de-mer, or sea cucumbers (1820), and the arrival of Christian missionaries (1835), first from the Methodist Church and three years later from the Catholic. These interlopers provided the chiefs with both the possibility and the desire to assume growing power over the people, subjecting them to forced labor at

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will and progressively alienating their lands, over which they still lacked authority. The chiefs claimed they were punishing their disloyal “subjects”, 3 but in in fact they saw this as a means of gaining possession of the capital they needed to procure Western goods. Even if they were often a source of conflict, religion and trade shared the same need for stability, and in the mid 19th century saw a solution in the construction of an all-encompassing unity such as a kingdom or, later, a colonial State (Bayliss-Smith et al., 1988; Clammer, 1976; Howard, 1991; Ryle, 2010).

5 When the first contacts with Westerners occurred (1800), it was the chiefs and not the least among them, who built up a relationship with these whalers, travelers, castaways and other beachcombers from the United States, Spain (and Manilla), or from the British colony in Australia (Leclerc-Caffarel in this dossier, pp. 199-222). These initial exchanges of objects were often the starting point for true commercial exchanges: sandalwood and bêches-de-mer for guns, cachalot teeth for boats, for example. The Whitemen’s weapons and those who knew how to use them were pressed into the service of trade, itself dependent on labor to exploit the sandalwood and bêches-de- mer. In some regions, the presence of goods coveted by the Whites created local conflicts and fueled an armed re-definition of power relations between chiefs, to the detriment of the people, now synonymous with manpower. There is no doubt, therefore, that the labor the commonors provided their chief – by cultivating the land, building houses, fishing, and so on – known as lala (Leclerc-Carrarel), grew more intense and even changed in nature. The relation binding the chiefs to their people underwent transformations that were set down in writing in 1872, as we will see, by a number of chiefs in consultation with each other. These transformations would later, after the Cession, be discussed at length in the early meetings of the councils of chiefs.

6 Previously, between 1815 and 1825, in the chiefdom of Bau, as Leclerc-Caffarel tells it, Chief Naulivou managed to extend his influence as far as the central part of the archipelago (Koro Sea) as well as to the little island of Viwa, strategically located between Verata and Bau. He also collected tribute on the north coast of Viti Levu, the south coast of Vanua Levu and in the central and eastern islands (Lomaiviti and Lau, respectively). At the end of his reign (in 1829), Rewa was the only chiefdom that could claim equality with Bau. The role played by Charles Savage4 at the beginning of this rise to power is meticulously analyzed in the article already mentioned. Naulivou’s successor made every effort to make allies rather than enemies of the Westerners, and to turn their potentially destructive power to his advantage. His son, Cakobau, converted to the Methodist Church in 1854 in order to secure the help of the King of Tonga and of Ma‘afu5 in defeating the chiefdom of Rewa. Following his victory, he became the ally par excellence of the merchants, consuls and Euro-American advisors gathered in the capital, Levuka, as well as principal ally of the missionaries. His political career would thenceforth be all mapped out (see below).

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Picture 3. – Roof and ridgepole of the chiefly church of Tubou (Lakeba, Lau), 2007

(picture of Simonne Pauwels)

7 With the arrival of the missionaries in 1835, as later with that of Ma‘afu, son of one of the three high Togan chiefs and potentional successor, the Lau, until then confined to the island of Lakeba and its zone of influence, which extended from the Island of Cicia in the north to that of Ono, at the southern tip of the archipelago, were subjected to major changes. Under the guise of what is commonly called “the war of Christianity”, valu ni lotu, but which was actually a war of conversion – the territory was enlarged to the islands of Vanua Balavu and Moala and to their dependencies, at the expense of the chiefdoms of Cakaudrove and Bau. Ma‘afu’s growing influence, and then his takeover with the tacit consent and support of the missionaries and that of his relative, the King of Tonga – who made him governor of the Tongans in Fiji –, left a profound mark on the archipelago. The system of land tenure, at the very heart of the concepts of chiefdom and even more of chief, as we will see in all the articles, was left in a shambles, traces of which subsist today. The land was divided up between Fijians and Tongans, of whom there were many in the east of Fiji, so as to maximize tax revenues; but, another exception in Fiji, Ma‘afu decided that, in the Lau group, unused land could not be alienated, merely rented out – for his own profit and not that of the traditional owners. In 1869, when the King of Tonga withdrew from Fijian affairs, the missionaries and European advisors created the new title of Tui Lau especially for Ma‘afu so that he might become a Fijian “chief” and remain in the area. Tui Nayau, restricted to Lakeba and its zone of influence, became a secondary title.

8 While still under the influence of Ma‘afu, the balance of power between chiefdoms shifted. Bua, Cakaudrove and Lau formed a confederacy with Ma‘afu at its head. The rivalry between Ma‘afu and Cakobau, who with the support of the missionaries, the merchants of Levuka and the planters of Viti Levu, conducted himself as though he

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were the paramount chief of of all the Fiji Islands, reached its height. Tensions were running so high that Western observers feared a war that would threaten their businesses and plantations.

9 In 1874, in response to pressure from settlers of all kinds and from Thurston, 6 the then honorary British Consul, a Fijian kingdom was created which brought together, for better or for worse, the powerful chiefdoms of the time. Cakobau was named king, with the title of Tui Viti, and Ma‘afu became viceroy. The legislative assembly included both Fijians and settlers.

10 A constitution was drawn up. In a decision that was often criticized, an important place was obviously given to the status of the chiefs, making a definitive distinction between “ruling chiefs” and subordinate chiefs, or “vassals”. But if we concentrate on the notion of chief in relation to the land, the import of the following phrase is clear: “The lands of Fiji are vested in the ruling chiefs, and occupied by their subordinate chiefs (or vassals) and people in consideration for past, present, and future services.” And further on: “ The ruling chief has the right, and also the power, to remove at pleasure any sub-chief or people from the lands they occupy” (Fison, 1903 : 349).

11 The “ruling chiefs” were principally Cakobau, Tui Bua, Tui Lau, Tui Macuata, from Rewa and Tui Cakau from Cakaudrove. The nature of their new authority entailed that the subordinate chiefs in their respective domains were obliged to give their allegiance. No doubt this paragraph was written jointly by chiefs and settlers, who sought to establish the means of developing an economically profitable kingdom, even if their interests of necessity turned out to be in competition. The choice of the five ministerial portfolios is noteworthy: Chief Secretariat and Ministries of Trade and Commerce, Lands and Works, Finance and Native Affairs. These alone prove that the underlying aim was to simplify land tenure, to manage the presence of indigenous peoples under the authority of the chiefs and in the interest of trade and the plantations. The kingdom was a fragile construction. Very quickly the eastern chiefs were prepared to break with Cakobau, who they felt did not deserve the position of king and had usurped the rights he claimed on the interior and western part of Viti Levu and on the Yasawa group.

12 The idea of cession to the United Kingdom again came up, despite its initial rejection in 1862. 7 In the meantime, Thurston, Cakobau’s Prime Minister and a fervent opponent of the presence of Ma‘afu in Fiji, drew up, with the agreement of the king, a document containing 19 articles (Spurway; 2015: 397), which he delivered to the British government in 1873. The articles detailed the future titles and salaries for Cakobau as well as for other chiefs. But more interesting still is that they also stipulated that: “the Fijian chiefs were to retain all existing private rights, real and personal” (article 15), and then that: “the ruling chief of every tribe [was] to be recognised as the owner of the lands of his tribe, and guardian of their rights and interests” (Spurway, 2015: 398).

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Photo 4. – Residence of the Tui Lau in Vanuabalavu, empty till the installation of the next Tui Lau, 24/10/2015

(picture of Simonne Pauwels)

13 These conditions implying that the Fijians continued to own their lands were the reason the Colonial Office rejected them. Queen Victoria personally spoke out to say that the offer of Cession was acceptable, but only if it was unconditional with regard to land (Spurway, 2015: 415). This in no way meant the Crown was unaware that, for the Fijian chiefs, land was the crux of their authority. But for the Crown, all lands of a colony must be at the Crown’s disposal. In Fiji, a proper balance between the two positions was found: the Crown claimed for itself the right to first regulate landuse, then leaving the bulk of the lands in the hands of the chiefs and their people. Even before annexation, all observers and advisors (Pritchard, Swanston, Thurston, Goodenough, Robinson, etc.), while favoring different tendencies, had noted the peculiar (for Westerners) nature of the Fijian land-holding system; they also bore in mind that much of the land was already in the hands of European or American self- proclaimed owners, which it would be unwise to expropriate in a colony of planters providing they held “legitimate” title.

14 Looking at the two stages – constitution of the Kingdom then proposal of cession – we see that, when the chiefs talk about themselves, they evoke their respective ranking, the lands they claim to “own” and the people at their service. Unfortunately it is impossible to know the word or the Fijian notion the chiefs accepted to be translated as “owner of the land”. 8 It is nevertheless certain that an itaukei ni qele, or “original occupant of the land” (cf. all articles in this dossier), would have preferred the expression “responsible for the land”, in other words responsible for its use and its fertitily in the service of the well-being of the chief and of his people. The chief would define himself by his belonging to a particular land, like all members of his social unit from the time they settled there.

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15 In any event, the offer, as it was formulated, was deemed unacceptable by the Crown, not because it did not take into account the rights of the itaukei but because it failed to give the Crown what it deemed its rightfull due.

16 The Deed of Cession was signed in October 1874 (text available at: www.usp.ac.fj). Paragraph 4 stipulates that the proprietorship of “all lands not shown to be now alienated so as to have become bona fide the property of Europeans or other foreigners or not now in the actual use or occupation of some Chief or tribe or not actually required for the probable future support and maintenance of some chief or tribe shall be and is hereby declared to be vested in Her said Majesty…”. Paragraph 7 adds that all claims to title by whomsoever shall in due course be investigated and adjusted.

17 Thirteen chiefs9 signed the document, and the Colonial Office, thinking to build it’s governance on a traditional form of Fijian rule, divided the country into twelve provinces, each governed by a Roko Tui, who had been identified as the highest chief in the respective confederacy (matanitu) (Nayacakalou, 1975: 83). The Colonial Office formally installed them. Interestingly, the Roko Tui wore two hats from the outset: deputy to the governor, and hereditary and customary authority in their chiefdom. The ruling chiefs and the subordinate chiefs would meet annually in a Council of Chiefs (Bosevakaturaga), the ancestor of the Great Council of Chiefs (see Cretton, this dossier, pp. 267-282), in order to advise the Colonial Office, to receive directives and to transmit them in their local province-cum-chiefdom. The chiefdoms were ranked once and for all, to the detriment of underrepresented regions or those represented by chiefs whom the inhabitants did not recognize as representing them.

18 The Deed of Cession also promised to look into the ownership of all lands, including those in indigenous hands, without going into further detail. But in his journal (cited by Spurway, 2015: 430, note 63), Thurston, now Colonial Secretary, clearly echoed the prevailing state of mind at the time of signature: “ The chief of every qali [was] to be acknowledged and recognised as owner, absolute, of the lands of the qali and guardian of the interests and rights of the people” (Thurston, n.d.).

19 Given that Thurston read Fijian events through the lense of Bau, we can translate qali by “territory of subjected persons”, as in the expression qali vaka Bau, “subjected territory of Bau”. It is therefore the territory that is subjected and not the chief. The expression is not used in all parts of Fiji, but its utilization here shows how, from the outset, the colonial government, aware of the socio-political diversity of its colony, created uniformity through the imposition of a neo-traditional order modeled on the chiefdom of Bau: the consuls and other British advisors, the settlers of Levuka, the planters and the missionaries had already established privileged relations with this chiefdom and had contributed to its rising power. The other eastern chiefdoms, such as Rewa, Bua, Cakaudrove or Lau, saw their dissimilarities denied, but the West and the interior of Viti Levu, which were even more different, were brought to heel (see Cayrol, this volume, pp. 223-238) and forced into the mold of uniformity. This produced three large matanitu (confederacies: Burebasaga, Kubuna and Tovata, which included the chiefdoms of Cakaudrove and Lau). Western Fiji and the interior of the main island of Viti Levu in time became the provinces of Ra and Ba, and were divided between Burebasaga and Kubuna instead of being joined into a fourth matanitu with its own identity.

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Photo 5. – Chiefly tanoa in the residence of the Tui Nayau (Tubou, Lakeba), 2007

(picture of Simonne Pauwels)

20 As promised in the Deed of Cession, one of the first concerns of the colonial government was to understand the system of land tenure (France: 1969). The Council of Chiefs was asked to report on the subject, but confronted by the diversity of the system and the personal interests at stake, they were unable to reach agreement. Meanwhile, Gordon had the property deeds of the settlers verified, but the situation of the itaukei went unchanged. In the end, Lorimer Fison10 set out to make a complete inventory. Concerned with restoring their landrights to the itaukei, he gave a milestone speech,11 laying out definitions that were rapidly applied. If he clearly stated that rules for the succession of chiefs or their power varied from one part of the country to another, he nevertheless explained the social units as being modeled on those of Bau. Taking into consideration the administration’s desire to have a single system of land tenure throughout the colony, he presented the mataqali as the proprietor of the land.

21 The consequences of this speech can be seen in Fijian society to this day. The very definition of mataqali, which in fact had several, was uniformized. In certain regions the smaller social units, such as the tokatoka, were forced to fit themselves into the mataqali of which they were a part, thus abandoning their land rights. In others, the mataqali governed by chiefs that the colonial administration deemed to have insufficient lands were given more. 12 The varied interests of the settlers as well as those of the chiefs coincided: on the one hand, the chiefs were well aware that their future depended on the power they could acquire or keep over the lands so as to amplify their titles, while on the other hand, the colonial government wanted to achieve a uniform governance by a moderately expensive and peaceful “indirect rule” of the indigenous society, isolating it from that of the settlers and from the developing money economy (Walter, 1978). Uniformization would continue to be an ongoing preoccupation in Fiji!

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22 Fison had learned from Morgan that Fijian society had attained the stage of development in which land ownership was collective and inalienable, even by the chiefs. His discourse therefore intended to prove this and to convince Governor Gordon that it was so. Here we see that the aim of the demonstration was twofold: to attest the inalienability of the land and to show that, if the chief was a “Lord” he was not a “Landlord” (Fison: 345). Fison began by presenting two points of view inevitably encountered by an inspector for the Land Claims Commission: that of the chiefs claiming to be the “owners of the land”, and that of the itaukei, translated as “proprietors of the soil” and claiming to be the sole proprietors. The itaukei were reputed to be the original occupants of a land; the chiefs were latecomers from outside whose exceptional physical qualities and ability to command prompted the itaukei to invite them to become their chief (see Sahlins’ Stranger-King, 1981). Fison does not question these translations in his text, but they were clearly not fortuitous. “Land” is vanua in Fijian, and “soil” is qele. Vanua can designate the land, the country but also its inhabitants, its forest, sea, shore, a plot of land, a neighborhood, a village, a region, a chiefdom, etc. Qele has only one meaning: it is the soil in which one plants or on which one builds. For Fison, both statements were true and at the same time both were false. He considered that there had been an evolution: the land had belonged to the itaukei and now the chiefs had taken it over. But at the time he was writing, he no longer made a distinction between “land” and “soil”.

23 The mataqali had thus become the social unit to which a land belonged: it often included persons who traced themselves back to a common ancestor, through bloodlines or through a bond of simulteous migration, etc. 13 The mataqali in a chiefdom contained different functions: priests, warriors, cultivators, distributors of offerings, fishermen, sailors, chief-makers, etc. One person might preferably cultivate the lands of his own mataqali, but he could also ask the chief of another mataqali to be allowed to cultivate that chief’s lands providing he brought him the first fruits of his labors. Theoretically this request was limited to village lands. Someone who wanted to clear a piece of land proceded in the same manner, and the usufruct thus obtained became hereditary.

24 But if, as we have seen, not all chiefs were landowners, other categories are still not. Fison gives the example of the kai tani, strangers, fugitives, prisoners of war and so on. A stranger remains a stranger, but if he possesses an exceptional quality (a man of peace or a man of war), the chief will give him his daughter in marriage together with a piece of land. His son in turn will become a vasu, “a sister’s child”, and taukei vulagi, “a holder of stranger’s land”, until the memory of this disappears, but, Fison adds, it never does.

25 Next come the kaisi, sometimes translated as “slaves” in the literature, who are said to have no soul, no ancestors, no gods. In reality these are descendants of fatherless people, or “husbandsmen”. 14 As they have no land, they work the land for others. Use of this term is practically forbidden in Fiji; it is insulting, even if, locally, whole villages are seen to belong to this category.

26 For instance, migrants who were itaukei in their own village and who, following a quarrel or, formerly, driven out by war, settle in another village cannot become kaisi: “they will always have ancestors”. But since they are working someone else’s land, it can be taken from them at any time. Villages that, in wartime, submitted to a chief

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clearly remain proprietors of their land, even if they paid a tribute by providing military services and offering food in peacetime.

27 Did conquest affect the ownership of a land, then, perhaps the basis of proprietorship for the “conquering” chiefs? Here, too, the ethnographic material says “no”. Conquest concerned fruits of the land but not the land itself. Likewise, the title carried by the chief of a conquered mataqali remains alive as long the mataqali exists, as long as it still has living members. It is the title that, beginning with the first occupant, binds the members of a mataqali to it inalienably.

28 All this obviously remains the viewpoint of the itaukei, who, on the other hand, do not deny they owe services and offerings to their chief, and will say that they perform these willing, but in no way as serfs or tenants. The chief is their “Lord” but not their “Landlord”; if he is allowed to take the fruits of the land, he may not take the land itself, qele.

Photo 6. – Kava root offered to the acting chief during the opening rituals of the new Lauan Provincial offices in Suva (11/12/2008)

(picture of Simonne Pauwels)

29 At the time of the first contacts, it would seem that the chiefly point of view was that they were masters of the fruits of the land (and of the sea). Having the right to the sandalwood and the bêches-de-mer, they also had the right to the labor of the inhabitants of the chiefdom, in the form of lala. This viewpoint obviously suited the Europeans, who, before the establishment of the official colony, had shown little concern for the fate of the people, leaving it to the Fijian chiefs to increase the services, which gradually became a form of forced labor. What at the outset was a reciprocal relationship between a chief and his people became a relationship between three parties, in which the goods of the Whites and the monetary economy came to play an important part. The services rendered to the chiefs, such as offerings to the earthly representatives of the ancestral gods, increased as the chiefs lost their divine quality. As one of Hocart’s informants put it: “ […] it is not the right of the chiefs [turaga] to oppress the people. Some people imagine they are chiefs by themselves and forget that but for the landmen [itaukei], they would not be chiefs” (Hocart, 1929: 98).

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30 Insofar as the chief was installed with a ritual, veibuli, and not by the administration, his divine character would be indisputable for the people, who “caused him to be born (chief)”, buli. Here is how, in 2010, one of my Lakeba informants, who was not from the chiefly line, described the highpoint of the very complex installation ceremony: “The chief of the itaukei, after having given a kava root [symbol of the land], ties a piece of tapa [another symbol of the land] around the arm of the future chief, saying: ‘I give you the entire responsibility (lewa taucoko) over the “land” (vanua), I also give you responsibility and authority over the “people” (lewenivanua).’ Then the chief speaks and says: ‘I give you back the soil (qele) so that you may plant and cultivate for me’.”

31 I believe the double sense of “land”, for which the Fijian language uses vanua and qele, escaped many people. Fison sensed this, as he showed in his translations in which he used “land” and “soil”; the chiefs played on the double meaning when they sold lands to the Whites and then transferred sovereignty to the British. They could choose another chief, give him responsibility for the lands of Fiji, but in no case could they sell the land, for, even if they were chiefs, the soil, qele, had to be cultivated so as to serve them and provide them with offerings for the gods.

32 The will, set down in the Deed of Cession §7(3), that: “all claims to title to land by whomsoever preferred […] whether on the part of the said Tui Viti and other high chiefs or of persons now holding office under them or any of them shall in due course be fully investigated and equitably adjusted”, led, insofar as indigenous lands were concerned (87% of the total), to the creation of the Land Claims Commission (1880, conjointly with the allocution by Fison), and later, in 1940, to the Native Land Trust Board (today Itaukei Land Trust Board). Several campagnes to register lands sufficed neither to finish the work nor to resolve incessant conflicts, often stemming from the dichotomies between vanua and qele, and between turaga and itaukei.

From first contact to analysis of chiefdoms and chieftaincies…

33 This dossier15 contains five articles, which we have chosen to present in chronological order. The first deals with the first half of the 19th century, the time of the first contacts with Whites. The next two analyze chieftaincy or the concept of chief in contemporary Fijian societies: one in the western part and the other in the eastern part of the main island, Viti Levu. Then an article on the position of chiefdoms in Micronesia shows that the relation of chiefs to the land as found in Fiji is not an isolated case but part of a much broader set of cultural values. The final article is a reflection on the chief or leader, once again in Fiji, as a politician in a globalized world.

34 Stéphanie Leclerc-Caffarel (pp. 199-222) discusses the different ways chiefs managed the incursion of Europeans in the first half of the 19th century. She shows how what began with reciprocal exchanges of valuables turned into commercial exchanges without completely integrating the white partners in Fijian society. On the other hand, the introduction and acquisition of firearms allowed certain chiefs to extend their zone of influence and authority. In parallel, the Europeans and Americans, with the help of the chief of Bau, set up their first colonial capital on the island of Ovalau. Importantly, the plantations made their appearance, and land acquired commercial value. But the author also shows how shifting the balance between the chiefdoms had been even

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before the arrival of the Whites and how the hierarchy among chiefdoms became set after the shock of colonization.

35 Françoise Cayrol’s article (pp. 223-238) talks precisely about the upheaval caused by colonization in the center of Viti Levu, the region over which Cakobau claimed authority but which was forced to cope with new forms of hierarchy. Starting from a large gathering in the important region of Nalawa at the turn of the present millennium, the author explores the symbolism the inhabitants of Nasau district attach to an ancient site that draws together at the same time their past, their spirits, their wars, the arrival of Christianity and their present. It is unusual to see such a historical reconstruction, particularly in this part of Fiji. Local narratives and rituals are presented as ways of integrating outsiders, from Ba, Viwa, Tonga, India and Europe, without actually making them people of Nalawa since the people of Nalawa do not recognize themselves in the present-day state of Fiji. Proof of this are the events that unfolded in the region between July and September 2015, and wound up in court. Charges of attempted sedition, including against the chief of Nalawa, were brought. The plan was apparently to make Ra an autonomous, Christian territory. The affair resonated with the expectations surrounding the passage to Y2K, but also with the lack of inclusion, and thus of the representativity of this part of Vivi Levu, largely left out of the recent spate of economic development.

36 Matti Eräsaari’s article (pp. 241-264) stems from research in the eastern Fijian chiefdom of Verata. Several contemporary changes are presented: in the way of being a chief, in social relations and in exchanges. The dichotomy often attested in the ethnography of Fiji between people of the land (itaukei and hosts) and people of the sea (vulagi and guests) has collapsed owing to the political changes during colonial and postcolonial times as well as to the conflicts typical of multi-ethnic nations. Today, people in this chiefdom no longer use the term vulagi for landless people coming from the sea, such as the chiefs and their families. Instead, the term is used for all allochthonous Fijians and in particular the Indo-Fijian population. All autochthonous people are therefore considered to be itaukei. This goes in the sense of the recent classification imposed by the State, which designates the indigenous populations as itaukei, while reserving the term “Fijian” for anyone who has this nationality. In Verata, a myth tracing all itaukei to a set of common ancestors is gaining ground. This myth sprang up with the introduction of Indian populations and the ethnic separation brought in by the colonial power; the phenomenon has had a spurt of growth in Fiji as the result of the last decade of political changes in a still-multi-ethnic State (see Cretton, pp. 267-282).

37 Matti Eräsaari conducts a subtle analysis of how the common origin attributed to the members of Naloto village renders both persons and objects “classless”: there are no longer people of the sea and people of the land, there are now only itaukei. The cachalot tooth, which was highly valued because it came from outside, has become the symbol of indigenousness. Fish, a symbol of the sea, have all but disappeared from exchanges. And the chiefs are no longer installed, but have been replaced by “leaders” chosen in elections for which few line up to run.

38 Peterson’s article is the only one that does not deal with Fiji. Casting his net further abroad, he shows not only that Micronesian and Polynesian societies (including eastern Fiji) share a cultural history that is often forgotten, and but also how Micronesians give their chiefs a place that could inspire the other societies. The first point Peterson cites as being common to these societies was addressed in this introduction and is present in

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all the other articles: it is the indissoluble bond between the chiefs, the land and the natural and supernatural worlds, sources of mana. The second point, also mentioned in the other articles, is the reciprocal exchange of gifts between chiefs and the people. Clearly these constants do not prevent the existence of major differences, or varying expressions of the struggles for the position of chief. In Micronesia, the separation between two forms of power – war chiefs and chiefs whose authority is based on genealogical ties with ancestor figures – allows the organization of present-day society to achieve a state of equilibrium.

39 After an enlightening excursus through Western philosophical ideas concerning the relation with the land, and the nature of authority and ownership through working the land, Peterson goes on to establish the parallel with the philosophy of Micronesian societies, in which the reader will also recognize the societies of Fiji. One inversion, though: there where Micronesian chiefs have authority on the land because they were the first to arrive and therefore become chiefs, the Fijians give this authority to their chiefs because they installed them as chiefs when they finally arrived.

40 Lastly, Glenn Petersen (pp. 255-266) disagrees with outside researchers and with certain members of the societies concerned, claiming that government institutions including chiefs are incompatible with democracy. He maintains that not to take account of the many genealogical manipulations after the installation of a chief is tantamount to failing to see the degree to which the choice, which demands cohesion, is guided by the concern to pick the person capable of exercizing authority. He argues for an analysis that does not oppose “tradition” and “democracy” but focuses on the tensions between the different values and those who represent them.

41 This is the burden of Viviane Cretton’s article (pp. 267-282), which closes this dossier. She starts from the heterogeneous character of the Fijian chiefs and other legitimate leaders, or at least legitimate during the coup d’Etat in 2000. She also analyses the efficacy of the symbolic transactions carried out during the resolution of this conflict. Like Petersen, she criticises the analysis of tradition or of chiefs as obstacles to development, the economy, modernity or democracy.

42 Having dealt with the concept of “chief” as a plural situated category, Viviane Cretton uses the taking of more than thirty Fijian and Indo-Fijian members of parliament hostage in the 2000 coup d’Etat to show that the dissension between eastern and western Fiji cannot be explained uniquely as survivals of a colonial or even a pre- colonial past. The discontent is inseparable from the economic situation even if it has been historically constructed. During the hostage crisis, the chiefs of the western regions demanded the creation of a fourth matanitu, arguing that the economic activity of the country was concentrated in their part of the country. A testament to the importance of chiefs if such were needed; during the nearly two months of their sequestration, the members of the GCC fulfilled their function of protector in times of crisis, recalling by means of numerous exchanges of tabua, “cachalot teeth”, the most valuable and symbolically loaded object, the values of Fijian society: respect and humility.

43 Finally, the article uses the trajectories of a succession of leaders to show that, if pluralism and complexity are inherent to the figure of the chief in Fiji, polyphony and shading are constitutive of the local and situated representations of mana. Cretton’s analysis shows the full complexity of the new configuration of the Fijian sociopolitical class.

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NOTES

1. No article deals with the Indo-Fijians’ relation with the land, which would have taken us too far from our topic. 2. A bibliography and data from the sources analyzed can be found in Stéphanie Leclerc- Caffarel’s article by in this dossier (pp. 199-222). 3. For instance, in the 1850s, Golea Lalabalavu, high chief of Cakaudrove, sold the island of Kanacea, north of the Lau islands, and moved its population to the island of Taveuni after it had supported a Tongan warrior in a war against the chiefdom. 4. Charles Savage was a castaway, a clever strategist and fine marksman who lived alongside Naulivou until 1813. 5. For further historical details and a close analysis of the issues through the life of the Tongan chief Ma‘afu, who played a major role after having taken, in 1869, the title of Tui Lau that had

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been created for him and managed to unify the chiefdoms of Lakeba and Vanua Balavu as Lau chiefdoms, see the work of Spurway. 6. Thurston, a British citizen who had joined a botanical expedition in 1864, was shipwrecked off the shore of Samoa. A few months later he arrived in Fiji and in 1969 was made consul of Fiji and Tonga. 7. For further details on this first offer of cession and a glimpse of the tense relations between Pritchard, Ma‘afu and the missionaries, see E.A. Brown (1973), Samson (1998), Spurway (2015), Thornley (2002). 8. To my knowledge there is no written version in Fijian of the offer of cession. Alternatively, the Deed of Cession (Geraghty, 2003) exists in Fijian together with an explanation in the same language designed for the main signataries; it was stumbled on in 2012 and is now in the National Archives of Fiji. 9. Of whom two for the chiefdom of Macuata, which for decades had been embroiled in a fratricidal war, often stoked by Ma‘afu, who invoed the protection of the Methodists. Absent were the chiefs of the interior of Viti Levu and western Fiji, including the Yasawas (see Cayrol in this dossier, pp. 223-238). 10. Methodist missionary, anthropologist, and friend and informant of Lewis H. Morgan, he gave him information on the Fijian (and Tongan) kinship systems, which Morgan added to the third part of his Systems of Consanguinity and Affinity (1871). 11. The speech was given in 1880 in front of the future investigators of the Land Claims Commission, but was not published until 1903, at the time of the second campaign of the Land Claims Commission. 12. To better understand the lack of land in these chiefly families, see Eräsaari in this dossier. 13. For further reasons to come together in a mataqali, see Eräsaari and Cayrol, this dossier. 14. Not having a father, they do not have access to the land of their father’s mataqal. They can only cultivate the land of their wife’s mataqali as dependents. 15. The Journal de la Société des Océanistes has never devoted an issue to Fiji and only rarely articles, with the exception of an article touching closely on the subject of this dossier, entitled: “Une noblesse sous contrôle. Le pouvoir coutumier vu de Rewa (Fidji Est)”, by Émilie Nolet (JSO 133), and a few recent articles touching indirectly on Fiji, such as “Phosphate mining and the relocation of the Banabans to northern Fiji in 1945: Lessons for climate change-forced displacemen” by Julia B. Edwards (JSO 138-139) or “Le groupe du Fer de Lance mélanésien face à ses défis” by Nathalie Mrgudovic (JSO 140). Other, earlier, articles have dealt directly with Fiji (see https://jso.revues.org/). We hope this special dossier, and this issue, which also present other subjects on Fiji, will stimulate new articles on this fascinating country.

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La gestion des partenaires d’échange et des objets occidentaux par les chefs fidjiens (1800-1855) Fijian Chiefs’ Management of Exchange Partners and Western Objects (1800– 1855)

Stéphanie Leclerc-Caffarel

1 Routledge (1985 : 5-6) explique que la cession de la souveraineté fidjienne à la couronne d’Angleterre (1874) résulte au moins en partie d’une interférence des intérêts étrangers – occidentaux notamment – dans la politique de la région1. Pour la période antérieure à 1855, il insiste davantage sur les luttes de pouvoir entre les grandes chefferies de l’archipel, et sur leur rôle dans la construction des Fidji modernes. Les Euro-Américains ne peuvent pas encore être considérés comme des acteurs indépendants de la politique fidjienne (idem : 36-38). Néanmoins, au début du XIXe siècle, la place des armes à feu et de ceux qui savent les manier devient cruciale (ibid. : 43-48). D’autres objets d’importation comme les dents de cachalot prennent aussi de l’importance sur les plans politique et symbolique. Et dès les années 1830, les missionnaires chrétiens viennent ajouter le lotu (christianisme)2 aux enjeux diplomatiques préexistants. La question du rôle des chefs dans la gestion de ces intrusions étrangères est centrale. Comment, et selon quelles modalités, des objets et des hommes tels que les armes à feu et les beachcombers (écumeurs de grève) entrent-ils dans le quotidien des Fidjiens au XIXe siècle ? Dans quelle mesure les chefs en font-ils des instruments de leur propre ascension, plutôt qu’ils n’en sont les victimes ? Peut-on généraliser à tout l’archipel des motifs d’intégration qui pourraient n’être le fait que d’une chefferie, voire d’un chef ?

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Carte 1. – Les îles Fidji au XIXe siècle, mentionnant les principales chefferies citées dans le texte

(carte de l’auteur)

2 Parce qu’ils sont les interlocuteurs principaux des voyageurs occidentaux avant 1855, cet article se place du côté des chefs (turaga), c’est-à-dire des figures d’autorité politique et religieuse3 telles que les définissent notamment Hooper (1996) dans les Lau et Sahlins (1985) historiquement. En particulier, il s’intéresse aux chefs des rangs les plus élevés que je distingue ici des chefs dont l’autorité est plus localisée en les appelant Turaga, avec une majuscule. Par contre, cet article fait une relative abstraction du « peuple ». Il faut pourtant garder à l’esprit que les rôles et les statuts des Turaga se définissent par rapport à ceux du Vanua – le territoire et sa population – qui est par essence l’entité complémentaire et partenaire des Turaga4. Dans les régions de l’est et du nord de Fidji que cet article considère, cette relation réciproque (veiqaravi) vis-à-vis du Vanua repose notamment sur des échanges – de femmes, d’objets de valeur (iyau) et de nourriture – attestés dans l’ethnographie contemporaine comme dans les mythes et les récits historiques (par exemple, Hooper, 1982, 1996 ; Sahlins, 1983, 1985, 2004)5. En fait, une telle dualité peut être formulée pour tout binôme itaukei (autochtones) vulagi (étrangers, invités) ; la relation Turaga-Vanua est un cas particulier (Hooper, 1996 : 247, 264 ; Toren, 1994). Les chefs fidjiens des rangs les plus élevés sont considérés comme étrangers à la terre sur laquelle ils règnent (Sahlins, 1985 : 78). Ils s’allient au peuple autochtone par voie de mariage(s) et d’échanges et sont assimilés à des dieux locaux. Puisque c’est le binôme chefs fidjiens-voyageurs occidentaux qui nous intéresse ici, il convient de considérer à leur tour les Euro-Américains comme des « partenaires d’échange » des Turaga. Dans cette configuration, les premiers sont plus étrangers au Vanua que les seconds. Cet article interroge le rôle et la nature de leurs échanges.

3 Les termes fidjiens mentionnés plus haut sont polysémiques. En fidjien standard aujourd’hui, « turaga » désigne les individus de sexe masculin6 que le rang et/ou la

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situation distinguent. Selon le contexte, il s’agit d’une formule respectueuse proche de l’anglais gentleman ou d’un indicateur de statut social. Je traduis ici turaga par « chef ». Ce terme s’applique à un grand nombre d’individus à Fidji selon les subdivisions considérées, et avec des variations régionales, historiques et circonstancielles importantes (Hooper, 1996). Les chefs principaux de Fidji se distinguent par leur position sociale, leurs prérogatives cérémonielles, la part d’essence divine qu’on leur attribue et leur influence étendue, mais aussi par leur rapport à la mer – à l’extérieur des îles (Hooper, 1996, 2013). Les chefs de rangs inférieurs sont à la tête d’unités sociales plus réduites. Celles-ci incluent des groupes familiaux (tokatoka) et des clans (mataqali), constitutifs du Vanua7 ou de groupes satellites qui lui sont associés – clans guerriers par exemple. Plus le rang et les fonctions sont importants, plus le chef qui les incarne assume de niveaux d’autorité. Pour plus de clarté, je m’efforcerai ici d’utiliser les titres fidjiens plutôt que des formules générales. Ainsi, je dirai le Vunivalu de Bau plutôt que le chef de Bau. La notion de chef suprême est fluctuante avant 1855 ; elle est en partie en jeu dans les exemples discutés plus bas8.

4 En résumé, cet article cherche à comprendre comment, avant 1855, les chefs fidjiens de haut rang (Turaga) intègrent les visiteurs occidentaux ainsi que les biens et les idées qu’ils véhiculent ; et comment ceux-ci influencent leur propre représentation du pouvoir. Le développement qui suit consiste en une analyse chronologique d’échanges et de phénomènes d’assimilation dans quatre localités (Bua, Bau, Lau et Somosomo9). Les quatre premières parties mettent chacune l’accent sur une de ces chefferies. La dernière section est consacrée à la conversion au christianisme (lotu) de Cakobau, le Vunivalu de Bau considéré historiquement comme le chef le plus important des Fidji en raison de son rôle dans l’instauration du protectorat britannique en 187410.

Bua Bay : le marché du bois de santal

5 Après une phase de « découverte » initiée par Tasman (1643) et Cook (1774), les relations entre Fidjiens et Occidentaux prennent un nouvel essor pendant la première partie du XIXe siècle. Le bois de santal, les bêches-de-mer 11 et l’écaille de tortue font l’objet d’un marché lucratif entre le Pacifique, l’Europe, l’Amérique et l’Asie. Fidji se trouve en outre sur la route des baleiniers et des explorateurs cartographes qui parcourent le Pacifique Sud. De nombreux navires européens et américains sillonnent ces eaux, apportant avec eux un grand nombre d’interlocuteurs pour les Turaga12.

6 Les habitants de Bua, au sud-est de Vanua Levu, sont les premiers à entrer en contact prolongé avec les Euro-Américains, en raison de la présence de bois de santal dans cette partie de l’île (Derrick, 1957 : 39-42). C’est le naufrage du schooner Argo, en 180013 dans les Lau (Bukatatanoa ou Argo Reef), qui initie les transactions décrites ci-après. La plupart des naufragés gagnent Tonga, y compris peut-être Charles Savage dont nous allons reparler. Exception notable, Oliver Slater reste près de deux ans dans l’archipel. Il y repère de grandes quantités de bois de santal. En 1804, il revient l’exploiter (Im Thurn et Wharton, 1925 : XXXII-XXXIX, XLII).

7 L’exploitation du bois de santal, puis la pêche et le conditionnement des holothuries sont des activités demandeuses de main d’œuvre. Au début du XIXe siècle, les compétences et le nombre d’hommes requis obligent les marins occidentaux à employer des travailleurs autochtones pour réunir des cargaisons conséquentes de bois de santal puis de bêches-de-mer séchées. Et ceci ne peut se faire que par l’entremise des

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chefs, car leur statut leur permet de requérir ou de réquisitionner un certain nombre de biens et de services auprès de leurs sujets, de leurs parents et de leurs alliés. Les deux formes principales de ces requêtes sont dites kerekere et lala. Elles sont associées au concept veiqali qui désigne le lien entre les sujets et leur chef (Capell, 1941 : 189 ; Gatty, 2009 : 187), matérialisé par un ensemble de prestations. Il exclut par définition les visiteurs euro-américains, étrangers à ce système.

8 Quoique souvent traduit par « mendier » (Sahlins, 1962 : 203 ; 1993 : 855-859), kerekere désigne en fait une requête justifiée et mutuellement consentie (Sahlins, 1962 : 203-214 ; 1993 : 854-855). Cette requête, souvent tacite, permet notamment au vasu (enfant de sœur) de solliciter l’aide ou la propriété de ses parents maternels (Pauwels, 2015 : 144). Quoiqu’elle ne soit pas l’apanage des chefs, cette prérogative prend toute son ampleur dans les hautes sphères de la société fidjienne, puisque l’aide ou les biens en question y sont plus importants.

9 Le terme lala désigne le travail ou les biens que les gens du commun doivent fournir à leur Turaga, ou la requête de ce dernier pour les obtenir (Capell, 1941 : 130 ; Gatty, 2009 : 130). Pendant la première moitié du XIXe siècle, le lala pouvait prendre plusieurs formes depuis la culture de la terre jusqu’à la construction des maisons, en passant par la pêche – y compris d’holothuries – et l’abattage du bois de santal.

10 De plus, les Turaga perçoivent des contributions de chefferies tributaires (qali), sous la forme d’objets de valeur et d’échange (iyau14), de denrées et de services15. Ils sont aussi en droit d’exiger une réparation rituelle (soro) lorsqu’ils ont été offensés16. En général, les événements liés au Turaga (mariage, funérailles, installation) brassent un grand nombre de richesses. Par les chefs transitent une grande quantité de biens et de services, selon un système de centralisation (pooling) qui implique une mise en commun des ressources (Sahlins, 1972 : 188-189). Pendant la période qui nous occupe, ce sont les Turaga qui détiennent les clés de l’accès aux richesses fidjiennes, y compris celles que les Occidentaux convoitent et qui permettent d’obtenir des choses importées.

11 À ces égards, la période de contact entre les marchands de bois de santal et les habitants de Bua ou « Sandalwood » Bay (1800-1815) nous enseigne deux choses essentielles. D’abord, elle montre que les chefs sont les interlocuteurs privilégiés des Euro-Américains – au moins de ceux qui ont la charge des transactions principales et qui les relatent dans leurs carnets de bord. Elle illustre aussi combien les Occidentaux savent tôt s’adapter aux demandes et aux croyances de leurs partenaires autochtones.

Afflux de biens d’importation et rôle des chefs

12 À ces deux titres, les écrits de W. Lockerby17 sont particulièrement intéressants. En 1808, il relate par exemple comment certaines tentatives pour satisfaire le Tui Bua (voir encadré), basées sur le système de valeur européen, restent vaines : « The King18 [of Bua] had a present made him of a wooden house, by some gentlemen of Botany Bay, Lord, Cable & Co., which he did not like. […] The King said it would neither keep out the sun, nor the rain. The house was divided into two apartments; one containing the different articles the King had obtained from Europeans, and in the other was deposited the fire-arms that I had with me in the boat, consisting in four muskets, two pairs of pistols, six cutlasses, six boarding pikes, a compass, quadrant, spy-glass, &c. […]. The King has likewise been presented with a brass laced hat, with a brass crown, but he would much rather have had a whale’s tooth, that being the most valuable article among them. They hang them about their necks on great festivals, and give them with their daughters in marriage – as

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their marriage portion – in short, he who is possessed of a quantity of them, thinks himself extremely rich. » (Im Thurn et Wharton, 1925 : 25)

Le porteur du titre Tui Bua entre dans la catégorie des Turaga définie plus haut. Le personnage décrit par Lockerby est présenté comme le chef le plus important de la région de Bua en 1808-1809, et comme un acteur incontournable du marché du bois de santal à Fidji grâce à l’intercession dont il est capable auprès de chefs dont l’autorité est plus localisée (Dodge 1972 : 185). Quain (1948 : IX-X) a en outre montré que, comme ailleurs au centre et à l’est de Fidji, les Turaga de Bua appartiennent à une « caste » à part en tant que descendants d’immigrants polynésiens (Tongiens). Il existe cependant des incertitudes sur l’autorité du chef sous la protection duquel Lockerby se trouve. En effet, le nom qu’il donne pour ce Turaga est « Beumbowala », « Blambowalla » (Dodge, 1972 : 183, 187) ou « Beumbowallow » (Im Thurn et Wharton, 1925 : 13-14). Dodge traduit cette transcription phonétique par « Buli Bouwalu » (1972 : 183 n.7). C’est à dire qu’il s’agirait d’un titre plutôt que d’un nom, désignant le chef résidant à (Na)Bouwalu, un village aujourd’hui situé dans le district de Vuya de la province de Bua. En raison de l’autorité étendue que Lockerby impute à son hôte, on peut penser qu’il s’agit bien du Tui Bua, c’est à dire du Turaga principal de la région, si tant est que le titre soit déjà en place avant 1810 ce qui n’est pas avéré. Lockerby se contredit cependant en affirmant, d’une part, que l’autorité du chef de « Myemboo Bay » [Mai Bua Bay] s’étend à l’île [de Vanua Levu] toute entière (Dodge, 1972 : 185) et, d’autre part, qu’il existe quatre chefs principaux sur cette île, dont Im Thurn et Wharton déduisent qu’il s’agit des Tui Bua, Tui Macuata, Tui Cakau et Tui Dama (1925 : 21 n.1). En effet, Lockerby décrit plusieurs chefs inféodés à son protecteur (Dodge, 1972 : 186-187), mais il n’y inclut pas celui qu’il nomme « Buledam », Buli Dama, le chef du district de Dama (Im Thurn et Wharton, 1925 : 23-24 n.2). Ce dernier est présenté davantage comme un égal du protecteur de Lockerby que comme un de ses sujets (Idem : LXXIV, LXXVI). Ceci laisse deux possibilités. Soit l’hôte de Lockerby est le Tui Bua, et « Buledam » son voisin et homologue dans la chefferie voisine de Dama ; soit on se situe au niveau de ce que l’on considère aujourd’hui comme des districts de la province de Bua, soit Bua, Vuya et Dama, sachant que ces subdivisions ont été généralisées, parfois schématiquement, au début de la colonisation britannique sans correspondre toujours à la réalité historique. En référence à Lockerby qui désigne Buli Bouwalu comme le chef de Bua, je parle ici de Tui Bua. Le lecteur est toutefois prié de garder à l’esprit l’ambiguïté qui existe, inhérente aux sources.

13 Cet extrait montre le manque d’intérêt du Tui Bua pour certains objets de manufacture européenne comme une « couronne en alliage de cuivre » ; mais il illustre aussi une attraction pour d’autres biens véhiculés par les Occidentaux, dont les dents de cachalot. Lockerby ne détaille pas la nature des articles « obtenus des Européens » par le chef. D’autres textes permettent néanmoins de penser qu’ils sont similaires à ceux que le subrécargue lui-même entrepose sous la protection du Turaga. Armes à feu et instruments de navigation sont en effet des objets d’échange clés pendant la période qui nous intéresse, tout comme l’ivoire de cachalot décrit ici comme « l’article le plus F0 F0 19 valorisé parmi eux 5B natives 5D » .

14 Les instructions que Lockerby fournit ensuite à ses pairs (1813) détaillent les moyens à la disposition des marins pour obtenir du bois de santal, par l’intermédiaire des chefs.

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Le glossaire compilé par le subrécargue fournit la transcription phonétique d’une variété d’objets d’échange, des outils en métal aux miroirs en passant par les perles de verre. Le premier mot de cette liste désigne l’ivoire. Il est traduit par « tamboo », i.e. probablement tabua – quoique l’homonymie sonore avec le terme tabu (proscrit, sacré) ne puisse être ignorée. Plus loin, Lockerby explique : « une pièce d’ivoire pesant environ une livre vaut deux tonnes de bois [de santal]. » (Dodge, 1972 : 185)

15 Le second mot du glossaire, « matow » (i.e. matau), désigne le fer et par extension les objets forgés. Puis viennent les mousquets, leurs munitions, ainsi que des pièces de tissu (cloth) d’origine occidentale. Un certain nombre de denrées locales sont aussi listées, témoins des préoccupations de subsistance des marins et des transactions annexes au trafic du santal.

16 Plus loin, Lockerby décrit les chefs de Bua, leurs relations, ainsi que leur influence. Surtout, il indique leurs dispositions envers les Occidentaux (Dodge, 1972 : 185-187), soulignant leur rôle de partenaires d’échange incontournables, notamment en ce qui concerne le chef principal de Bua. Il fournit ensuite une liste d’articles de troc utiles pour lesquels il suggère les quantités qu’il conviendrait d’apporter à Bua (idem : 187). Il met ainsi en lumière un certain nombre d’objets d’échange, importants à la charnière des années 1800-1810.

17 Encore une fois, l’ivoire figure en tête de liste. « Ivoire façonné en forme de dent de cachalot » arrive en première position, suivie de la mention « ivoire de toute sorte », puis de « couteaux avec un manche d’ivoire ». Lockerby précise : « 400 livres d’ivoire donneront environ 2 000 dents d’une livre (lb) à une once (os) chacune. » (Dodge, 1972 : 187)

18 Lockerby recommande aussi l’emploi de certains coquillages blancs « en aussi grand nombre que possible ». Comme les dents de cachalot et leurs substituts, ces derniers montrent une prise en compte – à défaut peut-être d’une compréhension – des systèmes symboliques fidjiens. Dans l’imaginaire collectif local les dents de cachalot comme certains coquillages (par exemple buli vula/buli dina (Ovula ovum) blancs et buli kula (Cypraea aurantium) de couleur jaune orangé) sont des matériaux prestigieux venus de la mer, et à ce titre l’apanage des Turaga (Hooper, 2013 : 103). C’est aussi le cas de leurs couleurs – blanche à brun rougeâtre – que l’on retrouve dans les attributs traditionnels du pouvoir comme les ornements pectoraux et les étoffes d’écorce battue portés par les chefs.

19 Dans sa liste des objets indispensables au marchandage santalier, Lockerby compte

F0 aussi des miroirs, et de petites pièces de tissu rouge « pour suspendre les dents 5B de F0 cachalot5D ». Le rouge vif des tissus européens, et de certaines perles de verre, rappelle une couleur prestigieuse à Fidji. Rare dans la nature, elle est notamment associée aux plumes d’un perroquet endémique (kula). Il s’agit d’un rouge vif chatoyant qui peut avoir des reflets bleus ou verts, et dont les Fidjiens disent parfois en anglais qu’il est « doré » (golden). Les plumes rouges, les choses qui leur sont apparentées (tissus, perles de verre) et cette couleur « rouge doré » sont étroitement associées à ce qui est précieux voire sacré à Fidji, par exemple aux coquillages buli kula qui sont des insignes de rang, ou à l’île de Burotu – le royaume englouti des morts de la tradition polynésienne.

20 La mention de dents de cachalot entrelacées de tissu européen et d’une grande quantité d’ivoire en circulation est d’autant plus marquante ici que ces mêmes catégories sont

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absentes des collections muséales de la période. Cette non-représentation admet très peu d’exceptions jusqu’à la fin des années 1830 (Leclerc-Caffarel, 2013 : 127, 181). Ces biens ne circulent alors que dans un sens, des marchands vers les Turaga. Extrêmement précieux pour ces derniers, ils soulignent leur succès dans les transactions avec les Occidentaux et évoquent de plusieurs manières leur souveraineté (par exemple, origine marine, couleurs).

Conflits et conceptions hiérarchiques à l’œuvre

21 Les écrits de Lockerby donnent aussi à voir la place des conflits armés dans les premières relations entre chefs fidjiens et Euro-Américains. D’une part, les Occidentaux associés aux chefs qui leur procurent du bois de santal prennent part aux conflits locaux. D’autre part, l’exploitation du santal elle-même génère des querelles et des trahisons (Derrick, 1957 : 42-43). Ainsi, Lockerby explique avoir pris part à une attaque contre le Tui Bua – pourtant son protecteur – en échange de la promesse des rebelles de lui fournir du santal en octobre 1808 (Im Thurn et Wharton, 1925 : 46). Mais, le mois suivant, Lockerby et d’autres marins combattent à nouveau aux côtés du Tui Bua (idem : 53).

22 Ces exemples éclairent le rôle des marins étrangers dans l’équilibre politique local. Tour à tour ennemis ou alliés, ils sont aussi des objets de convoitise (ibid. : 54). À travers eux, c’est l’accès au marché lucratif du santal qui se joue. Les Européens deviennent eux-mêmes des monnaies d’échange, parfois troqués contre des biens d’origine occidentale. Ainsi, Lockerby explique comment, alors que le capitaine du General Wellesley sécurise une transaction de bois de santal en détenant des otages fidjiens de haut rang, il est lui-même en proie à la colère de leur peuple. C’est alors que : « Bulendam [Buli Dama] and the father of one of the chiefs prisoners on board ransomed me and my comrade from the chief who had us in his possession for two whale’s teeth, two tomahawks and two pieces of iron. » (Im Thurn et Wharton, 1925 : 47)

23 Enfin, Lockerby montre combien les Occidentaux se familiarisent rapidement avec les croyances et les pratiques religieuses fidjiennes, et vice versa. Il explique par exemple avoir évoqué « le dieu de l’homme blanc » à plusieurs reprises pour lutter contre des actes jugés barbares, comme la strangulation des veuves de haut rang (Im Thurn et Wharton, 1925 : 63-65). Quant aux croyances fidjiennes, Lockerby témoigne d’une certaine compréhension de leur fonctionnement, au point de pouvoir identifier un cadeau de marque – tel le corps entier d’un homme « cuit de la manière qui est toujours employée lorsqu’ils font des présents à leur chefs principaux » (idem : 66-67) – et de les utiliser à son avantage : « On the 16th of May [1809] I went about ten miles up the river Embagaba to a village where I was told there was a large lot of Sandlewood; but the owners wanted a large whale’s tooth for it, and I had not one to give. As the ship had almost completed her cargo, I wished very much to get this parcel. To accomplish my end I made use of a stratagem that answered the F0 20 F0 purpose. I told the native that the ship’s Callow 5B Kalou 5D […] had sent me for the wood and ordered me to pay for it in ironwork. […] I then took some long grass and bound it round several of his bread fruit trees; this done I made a pile of stones before the pond of fresh water which was before his door; and then told him whoever should eat of the bread fruit would die, and that the same fate would meet the person who should wash himself in the pond […] After a good deal of persuasion I was prevailed upon to take off the taboo, and received a lot of wood as a present to the ship’s Callow. It was soon carried down to the boat with more yams, plantains, &c. than it could contain […] Afterwards I made them a present

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of a quantity of iron and beads, of far more value to them than a whale’s tooth, if they could have understood their own interests. » (Im Thurn et Wharton, 1925 : 65-66)

24 L’extrait ci-dessus ne prend en compte ni la valeur d’une « grosse dent de cachalot » ni le rôle stratégique d’une offrande au « Kalou » du General Wellesley pour les villageois. Il témoigne en revanche d’une certaine aisance de Lockerby parmi ses hôtes et tend à montrer que les habitants de la région perçoivent les visiteurs occidentaux selon une hiérarchie proche de la leur. Ainsi, les dieux/esprits évoqués par le subrécargue, comme leur pouvoir de nuisance, semblent gérés à l’aune des pratiques fidjiennes traditionnelles. Par exemple, le chef de district refusant de passer outre la strangulation d’une femme de chef près de « Nandorey » Bay, en dépit d’une offre de « plusieurs dents de cachalot, de perles, &c. », craint d’abord les parents du défunt et les chefs alentour. Mais une fois la strangulation accomplie, il en vient à craindre le « Kalou de l’homme blanc », qu’il espère apaiser par un sacrifice de noix de coco (Im Thurn et Warthon, 1925 : 63-64)21.

25 Les capitaines des navires santaliers sont, eux, assimilés à des chefs. Ceci donne lieu à un certain nombre de mésinterprétations dans la littérature. On en déduit souvent qu’ils sont devenus des chefs locaux, ou qu’ils ont été a priori perçus comme tels (par exemple Campbell, 1980 ; Maude, 1964). Or, ils ne sont probablement jamais considérés comme des Turaga à Fidji ; mais puisqu’ils sont les interlocuteurs occidentaux les plus élevés en rang aux moments des transactions qui nous intéressent, ils ont pu être assimilés à des chefs étrangers par les Turaga, et notamment à leurs propres supérieurs hiérarchiques restés en Europe ou en Amérique (cf. Hooper, 1996 : 250, 264). Ce doit être le cas du Capitaine Scot [sic] qui reçoit en cadeau le corps humain dédié à la consommation cannibale déjà cité (Im Thurn et Warthon, 1925 : 66-67). Scot n’en demeure pas moins un étranger (vulagi), traité comme un chef selon l’étiquette fidjienne.

26 L’exploitation du bois de santal à Bua pose les bases des relations entre Fidjiens et Occidentaux avant 1855. Les exemples ci-dessus montrent qu’elles reposent largement sur des échanges, dès les premières années du XIXe siècle. De prime abord commerciales, ces transactions revêtent aussi un caractère politique. Elles influencent notamment le positionnement hiérarchique des chefs les uns par rapport aux autres. Certains aspects religieux (par exemple l’évocation du Kalou de l’homme blanc) sont manipulés par les Occidentaux pour orienter les échanges en leur faveur, alors que l’introduction d’armes à feu et de combattants européens, comme l’importation massive d’ivoire, impactent durablement la façon qu’ont les Turaga d’asseoir leur pouvoir par des succès guerriers et via l’accumulation et la circulation de biens importés de grande valeur. Sahlins (1983 : 90-91) note d’ailleurs une augmentation de la consommation cannibale, parallèle à l’accroissement de la quantité d’ivoire de cachalot en circulation à Fidji dans la première moitié du XIXe siècle, aussi symptomatique des luttes de pouvoir intenses qui s’exercent alors entre les chefferies. Ce qui précède montre surtout que les chefs de Bua, en particulier celui qui jouit de la plus grande autorité, sélectionnent les biens qu’on leur propose. Certains Occidentaux familiers des us locaux savent s’adapter à leurs demandes et au fonctionnement hiérarchique de la chefferie. Ainsi, des catégories symboliques et culturelles fidjiennes traditionnelles conditionnent les premières relations entre chefs fidjiens et marins occidentaux – aussi sûrement que les intentions occidentales sinon davantage.

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27 Progressivement, les possibilités d’obtenir du santal à Bua se réduisent – en raison de la surexploitation et d’un nombre accru de conflits entre marchands et indigènes (Derrick, 1957 : 42-43). À la recherche de trépangs, les marchands européens, américains et australiens délaissent alors Bua au profit d’autres régions de Fidji, septentrionales (Cakaudrove, Macuata) et centrales (Bau, Ovalau, Viwa).

Bau : la fabrique du pouvoir

28 Souvent, la chefferie de Bau est considérée comme la plus importante de l’histoire fidjienne. Ceci tient notamment au rôle des Turaga de Bau dans le placement de l’archipel sous protectorat britannique en 1874. La coopération voire l’initiative de Cakobau dans cette affaire sera discutée en fin d’article. Cakobau est le sixième Vunivalu de Bau. Installé en 1853, on lui attribue une influence croissante depuis la fin des années 1830. À partir de 1871, il est officiellement appelé Tui Viti (chef de toutes les îles Fidji). Pourtant, ni la prépondérance de Bau dans l’archipel ni celle des Vunivalu à Bau même ne sont avérées historiquement22. Plus que les enjeux de cette ascension, ce sont ses mécanismes qui m’intéressent ici, en particulier le rapport des chefs de Bau aux hommes, aux objets et aux idées venus d’Occident.

29 Le second porteur du titre de Vunivalu de Bau, Banuve, règne de 1770 à 1803 environ. De son époque, une seule référence explicite à la présence occidentale subsiste. Il s’agit de son nom posthume, Banuve Baleivavalagi ou « Banuve mort d’une maladie européenne »23. Plusieurs historiens décrivent une épidémie de choléra asiatique (lila balavu) dans les premières années du XIXe siècle – suite au naufrage du schooner Argo.

Naulivou et Charles Savage

30 Le règne de Naulivou, fils et successeur de Banuve, est davantage marqué par la présence occidentale. Il reste en particulier associé au nom de Charles Savage. Ce personnage est l’objet d’une véritable légende, dont la construction au XIXe et au XXe siècle a été analysée par Campbell (1980). Ce que l’on sait avec un certain degré de certitude, c’est que Savage arrive à Fidji via Tonga en 1808, à bord de l’Eliza qui s’échoue près de Nairai (mer de Koro). À Fidji, sa connaissance du tongien et du maniement des armes à feu se révèlent utiles ; et il semble avoir été apprécié par Naulivou après son passage vers Bau à une date inconnue. Comme d’autres beachcombers, il est employé par le Turaga comme stratège militaire, et pour manipuler ses propres armes à feu. Il est récompensé en fonction de ses succès. Il meurt en 1813 à Wailea (Vanua Levu), dans une rixe entre marchands de bois de santal et indigènes (Dillon, 1829, I : 12-24).

31 Certaines sources, postérieures à sa mort, lui attribuent le titre « d’homme blanc du Vunivalu » (Tatawaqa, 1913) ou Koroi ni Vunivalu (guerrier du Vunivalu). Elles associent son nom à d’importantes victoires de Bau dans lesquelles l’armement occidental aurait permis de l’emporter, à Kasavu et à Nakelo notamment. Là où l’on mentionne son histoire, il est aussi souvent question de son mariage avec au moins une femme de haut rang, peut-être une fille du Roko Tui Bau appelée Kakua ou Kapua (Campbell, 1980).

32 Ce dernier point, comme l’attribution d’un nom honorifique et d’une réputation guerrière teintée de férocité, peut être comparé au traitement de certains combattants fidjiens indépendants, alliés au Vanua par les Turaga au XIXe siècle alors que le

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cannibalisme est encore avéré à Fidji. Sahlins (1983 : 83-84) décrit deux castes de guerriers étrangers au Vanua dont l’une des fonctions est de fournir au Turaga des victimes sacrificielles (bokola) pour la consommation cannibale. Les premiers sont des guerriers terrestres, dits bati balavu par opposition aux bati leka qui appartiennent au Vanua. Les seconds sont des marins et des pêcheurs, des gens de la mer, kai wai. Sahlins explique comment, en plus de leur relation au Vanua, certains Turaga assoient leur pouvoir sur cette troisième catégorie, constituée « d’hommes dangereux » (tamata rerevaki). Leur partenariat est scellé et réitéré par un échange de femme(s), et dans le sens inverse de victimes sacrificielles. En particulier, les leaders des clans guerriers qui fournissent au Turaga des bokola lui seraient originellement « attachés » – et assujettis – « par le don d’une fille royale » (idem : 83-84). Entre Turaga et guerriers, la circulation des épouses et des victimes sacrificielles se fait donc à l’inverse de celle entre Turaga et Vanua. Initialement, c’est en effet le Vanua qui cède une femme de haut rang au Turaga en échange d’une part de sa divinité. Cette dernière est considérée comme bienfaisante une fois le Turaga – également étranger et dangereux – « domestiqué » comme un dieu local (Sahlins, 1985). Elle est synonyme d’une grande efficacité empreinte de surnaturel (mana). Dans la première moitié du XIXe siècle, la nature divine du Turaga se manifeste notamment par sa consommation de chair humaine, une nourriture réservée aux dieux. Une partie de cette nourriture sacrée (tabu) peut être redistribuée au Vanua, comme un peu de la divinité et du mana auxquels les autochtones ont droit grâce à leur association avec le Turaga (Sahlins, 1983).

33 Savage est un marin dont la réputation de guerrier s’est inscrite dans la tradition orale, quoique en grande partie après sa mort (Campbell, 1980). Il pourrait être comparé aux kai wai, qui font la force de Bau (Sahlins, 2004 : 63-64). Cependant, de fortes différences entre le beachcomber et ces marins-guerriers subsistent. En particulier, il n’est nulle part question d’une fille de Naulivou lui-même, ou issue de son mataqali (Tui Kaba). De surcroît, si le mariage de Savage avec la fille du Roko Tui Bau était attesté, il convient de rappeler les tensions entre les porteurs des deux titres principaux de Bau (Vunivalu et Roko Tui). De fait, le Roko Tui est probablement en exil au moment d’un tel mariage (Toganivalu, s.d.). En poussant plus loin l’analyse, on peut même envisager ce mariage comme une humiliation infligée au Roko Tui Bau. En effet, il est de coutume à Fidji au début du XIXe siècle qu’un chef vaincu cède au vainqueur une de ses filles, en signe de reddition (soro). En refusant d’épouser lui-même cette fille, et plus encore en faisant en sorte qu’elle épouse Savage, Naulivou aurait pu marquer son opposition à toute réconciliation possible avec les membres du mataqali Vuaniivi, désormais privé du titre Roko Tui Bau au profit du clan Vusaratu (Toganivalu, s.d.). En d’autres termes, que cette rumeur de mariage avec une femme de haut rang ait été interprétée comme une prérogative octroyée à Savage indique surtout une projection des modèles occidentaux sur le cas fidjien par les observateurs historiques24. Finalement, la mention récurrente d’une opposition de Savage à certaines pratiques fidjiennes, dont le cannibalisme (Campbell, 1980), ne va pas non plus dans le sens de la comparaison avec les kai wai.

34 Ici encore, les Occidentaux semblent intégrés à la société fidjienne au gré d’enjeux politiques et selon des modalités qui vont au-delà des relations avec les Euro- Américains. Ces derniers forment une catégorie à part. Ils sont fondamentalement étrangers (kai tani – d’une autre nature) au système fidjien, même lorsqu’ils sont des hôtes (vulagi) acceptés voire appréciés. Les partenariats les plus pérennes s’établissent

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néanmoins au gré d’échanges (de services, de femmes, etc.), comme il est d’usage à Fidji avec des protagonistes qui n’appartiennent pas au Vanua.

Le rôle des armes à feu

35 Au-delà des controverses, le fait que le nom de Savage ait perduré dans la tradition fidjienne, associé à celui de Naulivou et aux armes à feu est intéressant. Plus que Savage et ses acolytes, il semble que les fusils firent de Naulivou un stratège redoutable (Routledge, 1985 : 43). Après l’effondrement du marché du santal, les Occidentaux sont pour quelques temps moins nombreux à Fidji et l’apport en armes à feu est ralenti. Naulivou a donc le temps de consolider ses victoires grâce à celles déjà en sa possession (idem : 47). En dix ans environ, entre le milieu des années 1810 et le milieu des années 1820, il réussit à étendre son influence à la région centrale de l’archipel (mer de Koro) et à la petite île de Viwa, stratégiquement placée entre Verata25 et Bau. En s’appuyant sur les vasu de haut rang de Bau26 qui visitent régulièrement leurs parents maternels et collectent leurs tributs (Pauwels, 2015 : 160), il renforce aussi son autorité sur la côte Nord de Viti Levu, le sud de Vanua Levu, ainsi que sur les îles du centre (Lomaiviti) et de l’est (Lau). À la fin de son règne (1829), seule la chefferie de Rewa peut encore se prétendre l’égale de Bau (Routledge, 1985 : 48).

36 Progressivement, les mousquets qui font au moins en partie le succès de Naulivou deviennent une monnaie d’échange incontournable du trafic des bêches-de-mer. Ils semblent alors à peu près aussi valorisés que l’ivoire, et sont plus souvent que lui mentionnés dans les écrits des marchands. Ces derniers distinguent la pacotille – perles de verre et menus objets de métal – des objets de valeur qui viennent d’être cités (Leclerc-Caffarel, 2013 : 128). Avec les premiers, ils achètent de la nourriture et font de « petits cadeaux » (gifts). L’ivoire et les armes leur permettent d’acquérir les richesses qu’ils sont venus chercher à Fidji (par exemple trépang, écaille de tortue) et dans ce sens de faire des dons importants aux Turaga, les incitant au partenariat et à la réciprocité. À Bau en 1827, le capitaine Driver peut par exemple obtenir seize gros tonneaux pleins d’holothuries pour un mousquet. Il faut cinq à six jours de travail dans les récifs pour réunir cette quantité de mollusques ; et Driver est néanmoins perçu comme un homme généreux par les autochtones (Cary, 1998 : 64).

37 Toutes sortes d’armes à feu sont échangées contre des bêches-de-mer (Clunie, 2003b : 184 sq.) mais les fusils bon marché (flintlocks) sont les plus fréquents (Clunie, 1983a : 103). Clunie montre que les Fidjiens ne se contentent pas d’ajouter pistolets et autres fusils au répertoire des armes à leur disposition ; ils les intègrent à des catégories préexistantes. S’ils avaient considéré les mousquets comme des objets d’emprunt, les Fidjiens auraient pu utiliser des consonances étrangères pour les désigner. C’est le cas d’autres biens importés, comme le cheptel bovin que l’on trouve parfois sur les navires occidentaux. En fidjien, le bovidé est appelé bulumakau (bull and cow) d’après les mots anglais de référence. Mais il n’y a rien à Fidji qui ressemble à une vache dans la faune endémique. Au contraire, les mousquets sont dits dakai, c’est-à-dire qu’ils sont appelés comme les arcs. Les balles sont nommées gasau (flèche/roseau). Cette terminologie montre une compréhension du fonctionnement des fusils, ainsi qu’une assimilation aux armes à projectiles fidjiennes traditionnelles27. De plus, ces dakai importés ressemblent à certaines massues fidjiennes comme les cali, munis de bords contondants redoutables (idem : 107). Ils apparaissent donc non seulement comme des arcs particulièrement

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performants, mais aussi comme une combinaison de deux des armes de combat fidjiennes les plus efficaces. Il existe d’ailleurs dans les collections muséales de la fin du XIXe siècle des fusils incrustés d’ivoire, comparables aux massues prestigieuses réservées aux chefs et aux guerriers de haut rang. Les plus fines de ces incrustations sont attribuées aux artisans polynésiens présents à Fidji pour y construire des pirogues, et qui fournissent aux Turaga des insignes de pouvoir au gré d’échanges attestés depuis la fin du XVIIIe siècle entre Fidji et Tonga (Clunie, 2003a : 91 ; Kaeppler, 1978).

La politique étrangère de Tanoa

38 Si le règne de Naulivou est celui de la montée en puissance de Bau et des Vunivalu (Routledge, 1985 ; Toganivalu, s.d.), celui de son jeune frère Tanoa (1829-1852) est marqué par les dissensions internes et les crises politiques. En 1832, Tanoa est notamment victime d’un complot fomenté par ses demi-frères, Caucau et Ramudra – fils de Banuve et de sa quatrième épouse, Dabuli28. Les rebelles échouent à prendre la vie de Tanoa29, mais ils ont raison de celle de son héritier (Tubuanakoro) et de son trône. Tanoa le regagne en 1837 avec l’aide de son jeune fils, Seru (Cakobau). Après quelques années d’apaisement, un conflit oppose le Vunivalu au Tui Cakau de Somosomo. Finalement, une guerre éclate entre Bau et Rewa, pour durer de 1843 à 185530.

39 En dépit – ou peut-être en raison – de l’adversité rencontrée dans les affaires internes, Tanoa prolonge la stratégie de Naulivou quant aux Occidentaux. Il s’évertue à en faire des alliés plutôt que des ennemis, et à canaliser leurs forces potentiellement destructrices à son avantage. Deux exemples illustrent cette tendance : le cas de David Whippy et la prise de position du Vunivalu dans le règlement de « l’affaire Bureau ».

40 Si Savage est « l’homme blanc » de Naulivou, Tanoa peut s’appuyer sur les talents de David Whippy pour mener à bien sa politique auprès des Occidentaux. Ce marchand américain – à Fidji depuis le début des années 1820 – est un fin négociateur et un bon interprète (Wilkes, 1845, III : 49, 58-59, etc. ; Cary, 1998 ; Wallis, 1851). Ces caractéristiques, la confiance que lui accordent les visiteurs occidentaux comme le Vunivalu de Bau, et la bonne connaissance qu’il a des îles en font un ambassadeur idéal. C’est à ce titre qu’il sert le Vunivalu en tant que matakibau (ambassadeur de Bau), puis le gouvernement américain comme agent commercial, avec une dimension consulaire de 1840 à 1846, avant la nomination de J.B. Williams (Campbell, 1998 : 66 ; Derrick, 1957 : 67 ; Wilkes, 1845).

41 Puisque le port de Levuka (Ovalau) offre de meilleures possibilités de mouillage aux navires euro-américains que Bau, Tanoa y transfère Whippy et demande au Tui Levuka (le Turaga d’Ovalau tributaire de Bau) de lui fournir une épouse (Toganivalu, s.d.) – selon le procédé déjà évoqué de l’intégration des étrangers au Vanua. Malheureusement, Toganivalu ne précise pas si l’épouse choisie est une fille du Tui Levuka, ni même si ce mariage a réellement eu lieu. L’histoire montre néanmoins le caractère décisif de ce transfert. Le settlement occidental à Levuka est voué à devenir la première capitale coloniale du groupe.

42 De façon générale, Whippy semble avoir influencé l’avenir de Fidji en favorisant et en accompagnant la transformation de la présence euro-américaine dans l’archipel. Il se positionne par exemple en faveur des missionnaires, et – fait rare – semble avoir réussi le passage du statut de beachcomber à celui de colon (settler). Il est à ce titre précurseur

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dans un certain nombre d’entreprises occidentales à Fidji, dès les années 1840. Ainsi, au commerce de bêches-de-mer, il faut ajouter la construction navale à l’occidentale, la plantation de canne à sucre et la spéculation foncière. Finalement, il semble être passé d’une profonde adaptation au monde fidjien autochtone, décrite par Cary (1998) dans les années 1820, à une collaboration plus autonome avec les Turaga, engendrant des désaccords avec Cakobau (Campbell, 1998 : 62-68).

43 « L’affaire Bureau » est un autre exemple de l’impact de la politique étrangère de Tanoa sur l’équilibre des forces de la région. De prime abord, les Européens impliqués dans cet incident semblent avoir agi en toute indépendance. Mais une analyse plus poussée éclaire les enjeux locaux de la manœuvre.

44 Présent à Fidji au début des années 1830, le capitaine Bureau est un personnage assez obscur de l’histoire fidjienne, de nationalité française (Broc, 2003 : 98) – probablement un marchand d’holothuries et d’écaille de tortue et à ce titre aussi un trafiquant d’armes. Comme ses confrères santaliers, il semble qu’il ait eu l’habitude de prendre part aux conflits locaux, notamment auprès des rebelles de Bau, Mara et Seru Tanoa (Routledge, 1985 : 61). Cette attitude cause sa mort en 1834, au large de Viwa.

45 Lorsque Dumont d’Urville revient à Fidji en octobre 1838 à la tête des corvettes Astrolabe et Zélée pour compléter ses relevés cartographiques31, il a aussi pour mission de faire respecter le nom de la France dans les territoires visités. C’est pourquoi il décide de mener une expédition punitive contre les responsables présumés du meurtre de Bureau. D’après les renseignements obtenus de sources plus ou moins concordantes – certaines proches du Vunivalu de Bau – il faut blâmer Namosimalua (Tui Viwa) et son neveu Verani (Dumont d’Urville, 1841-54, IV : 171-172, 179-181, 201). Le 17 octobre 1838, une troupe d’hommes armés incendie le village de « Piva » (Viwa) avant de le mettre à sac. Malheureusement pour d’Urville, Namosimalua et ses hommes, prévenus, ont fui avec leurs effets personnels ne laissant qu’un maigre butin aux militaires français. G. de Rocquemaurel, le second de d’Urville sur L’Astrolabe, raconte la scène dans son journal (1837-40) : « Les flammes, chassées par le vent, nous forcèrent à la retraite, et nous quittâmes au plus vite la petite baie pour venir attaquer l’autre partie du village. Mais la disparition de l’ennemi a déjà rendu notre expédition plutôt vandale que militaire […] Le village fut occupé par nos gens tandis que les hauteurs étaient gardées par quelques hommes, on visita toutes les cases qui ne fournirent qu’un butin assez mince. Des nattes en lambeaux, quelques ustensiles [de] ménage, des pots en terre cuite, les premiers que nous eussions [vus] dans l’Océanie, quelques corbeilles à provisions assez bien tressées composèrent tout le butin des maraudeurs. Les naturels avaient emportés leurs armes, leurs étoffes et leurs provisions. »

46 Malgré cette maigre récolte, d’Urville est satisfait (1841-54, IV : 201). Il ignore qu’il a été l’instrument de la vengeance de Tanoa contre son versatile vassal, et que comme Bureau il a engagé ses hommes dans les conflits locaux. En 1838, en effet, l’assise de Tanoa sur le trône de Bau est précaire (Calvert, 2003 : 21 ; Wilkes, 1845, III : 17). L’expédition punitive contre Namosimalua, qui s’est associé aux rebelles de Bau avant de vouer de nouveau allégeance au Vunivalu, va dans le sens de l’autorité retrouvée. Tanoa accorde son aide pleine et entière à d’Urville (Dumont d’Urville, 1841-54, IV : 193), au point d’abriter les corvettes dans la baie de Bau pendant l’attaque. Après la « victoire », il accueille les officiers français en grande pompe, leur offrant yaqona (kava) et magiti (banquet) comme à des alliés (idem : 204-210).

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Figure 1. – « Réception des Français à Pao »

(Dumont d’Urville, 1841-54, Atlas : pl. 83)

47 En plus d’avoir de facto renforcé l’autorité de Tanoa, l’événement bénéficie aux missionnaires. Abattu par sa défaite, le Tui Viwa se met en quête de nouveaux partenaires. Peu de temps après l’incendie de Viwa, il demande aux méthodistes présents à Fidji depuis 1835 de lui envoyer un indigène converti pour lui enseigner le lotu (christianisme). Bientôt, Namosimalua se déclare en faveur du lotu, quoiqu’il ne se convertisse jamais officiellement et refuse de renoncer aux pratiques qui font horreur aux missionnaires – dont le cannibalisme et la polygamie (Faure, 1929 : 36). Malgré cette réserve, Calvert considère le soutien du Tui Viwa au lotu comme une avancée décisive. Il rend possible, dit-il, l’installation de chrétiens à Viwa – stratégiquement positionnée vis-à-vis de Bau (Calvert, 2003 : 283). C’est là aussi que de premières conversions significatives ont lieu. En 1844, Vatea se convertit (idem : 276-277). Elle est l’épouse de Namosimalua et une sœur classificatoire de Cakobau – la fille de Caucau, un chef rebelle vaincu (voir plus haut). En 1845, c’est Verani, le neveu de Namosimalua et un fidèle conseiller de Cakobau qui choisit la voie du lotu, affectant le futur Vunivalu par sa décision (ibid. : 263 sqq. ; Wallis, 1851 : 65-66).

Les insignes du pouvoir

48 Progressivement, Tanoa et son ambassadeur Whippy deviennent des interlocuteurs incontournables pour les Occidentaux (Campbell, 1998 : 64). En 1840, alors que Tanoa s’apprête à rendre visite au commandant de l’U.S. Exploring Expedition qui souhaite lui faire signer des accords pour la protection des bateaux de commerce américains, Wilkes décrit : « Tanoa despatched David Whippy on board to inform me of his arrival, when I immediately sent Lieutenant Carr to call upon him and inform him that my boat would be at the shore in

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the morning for him […]. He [Tanoa] was, after the fashion of his group, almost naked, having a small maro passed around his loins, with long ends to it, and a large turban of tapa cloth in folds about his head, so as almost to hide the expression of his countenance; his face was bedaubed with oil and ivory-black, as were also his long beard and mustaches […] From his begrimed look he has obtained the sobriquet of “Old Snuff”, among the whites; he is about sixty-five years old, tall, slender, and rather bent by age; on his breast, hanging from his neck, he wore an ornament made of mother-of-pearl, tortoise-shell, and ivory, not very F0 F0 neatly put together, and as large as a dinner-plate, (called diva ndina 5B civa dina 5D ); on his F0 F0 arms he had shell armlets, (called ygato 5B qato 5D ) made of the trochus-shell by grinding them down to the form of rings […]. » (Wilkes, 1845, III : 58)

49 Outre le rôle clé du Vunivalu dans les relations entre Fidjiens et Occidentaux et les modalités de ce qui paraît être une rencontre entre deux personnes d’autorité (Tanoa et Wilkes), cet extrait met en lumière l’ornementation corporelle du Turaga. En association avec d’autres attributs de son rang, Tanoa porte notamment un large pectoral composite. La description s’accompagne de la gravure ci-dessous32.

Figure 2. – “Tanoa” par A.T. Agate

(Wilkes, 1845, III : 58)

50 En plus de l’ivoire de cachalot, importé, ce pectoral réunit des matériaux clés du monde symbolique fidjien. L’huître perlière (civa) est un marqueur de rang important dans toute la Polynésie (Clunie, 2003a : 82, fig.100, 2013 : 167). Les premiers ornements fidjiens de type civa dans la littérature sont mentionnés par Bligh en 1792 (Henderson, 1933 : 152-153). Ils sont alors composés d’une simple coquille polie et sont inaccessibles aux voyageurs européens (Leclerc-Caffarel, 2013 : 59-61). Le civa porté par Tanoa est lui serti d’ivoire. Il inclut aussi un petit triangle d’écaille de tortue dans sa partie supérieure gauche (ci-contre, fig. 2).

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51 Si le terme civa désigne originellement l’huître perlière ( Pinctada margaritifera), il renvoie aussi aux pectoraux ayant la forme du coquillage mais réalisés avec d’autres matériaux. Par exemple, les ornements de nacre et d’ivoire sont dits civavonovono (civa incrusté). Civatabua désigne un assemblage de pièces uniquement en ivoire (Leclerc- Caffarel, 2013 : 119-124). Une fois encore, il semble qu’un matériau importé, l’ivoire, vienne remplacer, compléter ou renforcer une matière plus familière – la nacre d’huître perlière33.

52 Déjà évoqués par Warren Osborn en 1834, les civavonovono sont inaliénables34 en 1840, alors même que les pectoraux les plus simples sont devenus accessibles aux Occidentaux35 : « Pearl shells with the cross taken from their back, are worn by them [Fijians], some of these they consider very valuable, as they have been handed down from father to son for many generations. Old Snuff [Tanoa] has one which has been handed down in this way, it is broken and lashed together in many places, he always wears it upon his neck and takes great care of it. » (Osborn, 1833-35)

53 Hooper définit de tels ornements comme des regalia, des attributs du pouvoir des Turaga (2013 : 147-151). De facture vraisemblablement tongienne (Clunie, 2003a : fig.23, 117, 118 ; Damm, 1975), ils réunissent des matériaux précieux, pour certains emblématiques des relations commerciales avec les Occidentaux (ivoire36, écaille de tortue, parfois métal). Un tel plastron met en valeur le pouvoir intrinsèque du Vunivalu en tant que Turaga (c’est-à-dire un étranger venu de la mer, connecté à la Polynésie), ainsi que le succès de ses partenariats avec les Européens et la force de son réseau de relations dans la région.

54 Ce qui précède a montré comment des objets (dents de cachalot, fusils) et des hommes (Savage, Whippy) véhiculés par les Occidentaux deviennent des atouts politiques des Vunivalu de Bau avant 1855. C’est par l’échange d’objets de valeur, de prestations (banquets), de femmes (épouses) et de services (protection, médiation) que ces associations sont instaurées et maintenues. C’est-à-dire qu’elles le sont à la manière fidjienne. Comme en première partie, on constate une incorporation d’éléments extérieurs dans la sphère locale. En particulier, les marins euro-américains (beachcombers, marchands et officiers de marine) sont accueillis selon leur rang supposé au sein de la société occidentale qu’ils incarnent. Les services rendus et le potentiel qu’une alliance avec eux (commerciale, guerrière, etc.) représente sont aussi des facteurs importants. Ils sont donc traités selon des catégories qui combinent des représentations fidjiennes et européennes du pouvoir, en lien avec les différentes fonctions qu’ils occupent de facto auprès des Turaga (par exemple kai wai, mataki). Ils conservent néanmoins toujours leur statut d’étrangers (kai tani) et d’hôtes (vulagi).

Lau : le paramètre missionnaire

Un système économique spécifique

55 De par leur situation géographique et le peu de ressources commerciales (trépang, santal) qu’elles offrent aux visiteurs occidentaux, les Fidji orientales (Lau) sont en retrait des flux d’échanges évoqués précédemment. Mais on trouve d’autres richesses dans ces îles ; notamment un bois dur et sacré très valorisé, le vesi (Intsia bijuga), utilisé dans la fabrication des bols à kava de type polynésien (tanoa) et pour les grandes

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pirogues à double coque (drua) qui requièrent la combinaison de savoir-faire tongiens, samoans et fidjiens pour voir le jour (Young, 1982 : 35-36 ; Clunie, 2003a : 15, 21-22). En outre, la position et l’étendue des Lau, de Vanua Balavu37 à Ono-i-Lau, en font un point de passage obligé pour de nombreux bateaux en provenance de Tonga, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Un grand nombre d’objets d’échange, locaux et importés, transitent donc par ces îles. Les Turaga de Lakeba (île principale) jouissent, eux, d’une position stratégique entre les chefferies de Somosomo, Bau et Tonga auxquelles ils sont connectés par intermariages (Young, 1982 : 32).

56 En conséquence, le contact direct avec les Euro-Américains semble subsidiaire dans l’approvisionnement de Lakeba en biens importés. Part belle est faite, en revanche, aux circuits d’échanges traditionnels qui opèrent dans les Lau et au-delà (Young, 1982 : 35), en particulier via Tonga à l’est, Vanua Levu au nord et Viti Levu à l’ouest. Ceci pourrait expliquer certaines attitudes des Tui Nayau38, qui semblent moins préoccupés de leurs relations directes avec les Occidentaux que de ce qu’elles impliquent en termes de politique locale. Ils sont probablement aussi refroidis par une mauvaise expérience suite au naufrage de l’Argo, en 1800 (Pauwels, com. pers.). Ceci étant dit, à la fois soucieux d’une bonne entente avec leurs alliés et suzerains et de l’allégeance des territoires sous leur autorité, les Turaga de Lakeba adaptent sensiblement leur politique vis-à-vis des Européens entre 1800 et 1855. L’évolution des rapports entre missionnaires et Tui Nayau est un bon baromètre de cette tendance. En voici un résumé.

57 En 1830, le Tui Nayau Malani accueille froidement les missionnaires tahitiens qui lui sont envoyés par la London Missionary Society (LMS). En 1835, Taliai Tupou, le demi-frère de Malani devenu Tui Nayau à son tour, accepte que les révérends wesleyens Cargill et Cross s’installent à Lakeba39. En 1838, Hunt, Jaggar et Calvert se joignent à eux. Fidji devient alors un district indépendant de celui de Tonga pour les wesleyens (Calvert, 2003 : 27), et Lakeba le point de départ de leur expansion à travers l’archipel. En 1839, une chapelle est construite à Tubou (Lakeba). En 1842, une autre est édifiée à Oneata où des conversions ont lieu avec l’accord du Tui Nayau (idem : 93-94). En 1849, enfin, Taliai Tupou professe publiquement son rattachement à la religion chrétienne (ibid. : 136) – près de cinq ans avant la conversion de Cakobau.

58 La progression des Tui Nayau sur le chemin du lotu (christianisme) semble explicite. La compréhension des tenants et aboutissants de cette chronologie méritent néanmoins quelques approfondissements.

Chronologie d’une conversion

Premiers temps : « tolérance sans enthousiasme »

59 Malani et son jeune frère, Soroaqali, sont décrits par Young (1982) comme réfractaires aux incursions européennes dans les affaires des Lau. D’après Thornley (2005 : 27), c’est pourtant Malani qui envoie Isereli Takai – un jeune Fidjien d’origine tongienne apparenté au Tui Nayau – vers l’est (jusqu’à Tahiti via Tonga) pour qu’il s’y renseigne sur la religion chrétienne. Quelques années plus tard, Malani règne encore quand Takai et ses acolytes tahitiens de la LMS (Arue, Hatai et Jacaro) se présentent à Lakeba. Ils s’installent d’abord à l’écart de Tubou, dans un endroit sans village appelé Tulaki (S. Pauwels, communication personnelle). Mais, en 1832 ils quittent Lakeba sans y avoir provoqué de conversions. Ils s’installent à Oneata, une île à laquelle Takai est apparenté. C’est là qu’ils commencent à faire des émules (Young, 1982 : 43-44). Dans le

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même temps Ono-i-Lau, à l’extrême sud, embrasse aussi le lotu (idem : 43), et avec un certain militantisme en dépit des persécutions menées par Lakeba si l’on en croit les récits missionnaires (Calvert, 2003 : 51-90). Young explique ces conversions par « l’enthousiasme pour l’innovation » des îles périphériques (1982 : 32). Elles seraient mieux disposées que Lakeba au contact avec les Occidentaux, car relativement exclues du système économique mentionné plus haut (idem : 41-42). Elles sont aussi plus souvent fréquentées par des navires européens que le reste des Lau et indépendamment connectées à certains alliés de Lakeba comme Bau et Tonga (ibid. : 46).

60 En plus de devoir maintenir son ascendant sur ces « franges turbulentes » (Young, 1982 : 46), le Tui Nayau doit veiller à satisfaire des alliés dont les intérêts divergent. Parmi ces derniers, les Turaga de Lakeba sont liés par mariage aux Vunivalu de Bau depuis la fin du XVIIIe siècle au moins (idem : 40) ; et ils sont aussi unis aux iSokula de Somosomo40. Les chefs tongiens sont également nombreux à visiter les Lau41. Malani et Taliai Tupou sont eux-mêmes vasu de Tonga, et à ce titre peuvent faire appel à des guerriers tongiens pour mener leurs combats42 (Pauwels, 2015 : 158). Ces partenariats font en partie la fortune des Lau, mais ils sont parfois difficiles à gérer. Ainsi, en 1841 la guerre entre Somosomo et Bau met Taliai Tupou dans l’embarras, « obligé de choisir entre deux façons de se faire un ennemi redoutable » parmi ses alliés de longue date (Lyth in Young, 1982 : 47).

61 L’accueil des missionnaires chrétiens et la conversion de certains de ses vassaux posent encore davantage de problèmes au Tui Nayau. Bau est encore fermement opposé au lotu, dans le même temps supporté par un grand nombre de Tongiens (Young, 1982 : 47-50). Aussi longtemps que possible Taliai Tupou mène ce que Young qualifie de « politique prudente, de tolérance sans enthousiasme ». Mais pressé de toutes parts de prendre position, il avance vers la conversion.

62 En 1835, deux ans après avoir succédé à Malani, Taliai Tupou accède à la demande des wesleyens de s’installer à Lakeba. Ces derniers bénéficient du soutien tongien et d’une solide préparation (Henderson, 1931 : 72, 79; Schütz, 1977 : 60-61, 64 ; Calvert, 2003 : 6). Ces missionnaires se révèlent des partenaires d’échange importants, y compris dans l’approvisionnement des autochtones en objets d’importation comme des dents de cachalot, des articles de quincaillerie et des pièces de vêtement (Leclerc-Caffarel, 2013 : 255-259). Une fois à Lakeba, ils bénéficient de la protection du Turaga, comme il est d’usage à Fidji lorsqu’il est question d’étrangers dont la présence est acceptée (vulagi). Malgré cela, Cargill mentionne de médiocres succès en 1837. Schütz résume ses propos : « Tui Nayau continued to be vague. During a severe illness, he refused to participate in the customary ceremonies, but, on the other hand, made no positive move toward accepting the new religion. He said, “When Tanoa becomes a Christian, I will follow him”. » (Schütz, 1977 : 98)

63 Cette dernière phrase attribuée au Tui Nayau, comme les arrangements pris durant sa maladie, montrent que le Turaga a surtout à cœur de ne froisser aucun de ses alliés, ni ceux qui le sont de longue date (Bau et Tonga) ni les nouveaux (missionnaires). Les relations et la hiérarchie entre les chefferies conditionnent la progression du lotu. D’autres réticences de ce type sont mentionnées dans le journal de Cargill (Schütz, 1977 : 123, 169). La plupart désignent le Vunivalu de Bau comme le décisionnaire de l’avenir religieux de Fidji, et en font une cible clé des missionnaires.

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Deuxième temps : alliances changeantes

64 En 1839 pourtant, avec l’accord de plusieurs Turaga, les wesleyens s’installent dans d’autres parties de l’archipel, notamment à Rewa, Somosomo et Viwa43. À partir de là, leur nombre ne cesse de croître, bientôt renforcé par d’autres missionnaires dont un grand nombre de Tongiens. La même année, ce sont les Tongiens résidant à Tubou qui y font construire une chapelle (Calvert, 2003 : 91).

65 En 1842, le cas d’Oneata marque un changement dans l’attitude du Tui Nayau. Taliai Tupou autorise plusieurs conversions, alors qu’elles se faisaient jusque-là sans son consentement. Mais, il est toujours réticent à suivre lui-même cette voie. Il semble craindre pour son autorité, notamment pour sa capacité à accumuler les biens nécessaires à sa fonction et à sa légitimité : th F0 F0 « September 27 —The King and several of his attendants paid us a visit 5B … 5D we had a long discourse on the subject of religion. He seems to think the time for embracing religion is nigh; but fears lest the people will not obey him in that they will be slack in giving him property. » (Henderson, 1931: 105) Et Henderson d’ajouter : « That is, pay their taxes. This fear was well founded. By embracing Christianity and thereby abandoning his old gods from whom his authority was principally derived, the chief would be cutting the ground from under his own feet. » (Henderson, 1931 : 105 n81)

66 En 1844, la mort de Soroaqali change la donne. Il est le frère aîné de Taliai Tupou et l’un des plus fervents opposants du lotu dans les Lau. Si l’ordre traditionnel avait été respecté, Soroaqali aurait succédé à Malani. Mais son statut de vasu taukei, puisque sa mère est issue de la noblesse de Lakeba (mataqali Narewadamu), lui octroie une place suffisamment importante – plus importante même que celle de Tui Nayau – pour qu’il la préfère à celle de chef régnant. Il cède donc la position à son cadet, et promet d’assurer sa protection (Pauwels, 2015 : 158). Il est un allié irremplaçable de Taliai Tupou, qui ne peut se permettre de l’offenser par sa conversion.

67 Deux ans plus tard, le fils aîné de Malani, Wetasau (ou Vuetasau44), se convertit (Calvert, 2003 : 129). Puis, le 19 octobre 1849, Taliai Tupou professe publiquement son rattachement au lotu (idem : 136).

68 Le 29 octobre, le révérend Lyth transmet la nouvelle à ses confrères : « I have unusual things to communicate both pleasing and otherwise. Tuinayau & his heathen friends have lotued. He has been at our Chapel two successive Sundays. He thuvaed F0 F0 th 5B cuva, i.e. bow the head (Capell, 1941 : 46) 5D on Friday 19 inst. and with him Bolabitu & Veikoso – on the following day Tukana the priest &c, on the Sabbath Tuitubou, & since then the two Mata-ki-Baus. They have louted well & stand firm. The old king has acted nobly – he at once determined on a meeting of the people to put the affairs of the land in order and accordingly assembled them on Thursday 26th. We were requested to attend […] Lua, Wetasau & the other chiefs; and the representatives from all the towns attended. The meeting had reference to the management of the affairs of the land exclusively and was a very satisfactory one. Mara was expected but whether he would come peaceably or with hostile intentions was a matter of doubt – though they were led to expect that he might come with an army to fight them. » (Lyth, 1848-50 : folio 983)

69 Ainsi, la démarche du Tui Nayau entraîne une cascade de conversions parmi ses sujets et alliés. Si les sujets suivent comme il se doit leur chef, le danger d’instabilité peut venir de l’extérieur, en l’occurrence de Mara Kapaiwai45, natif de Bau mais vasu levu de Lakeba. Mara arrive bel et bien à la tête d’une flotte imposante, mais c’est

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probablement en tant que collecteur de tributs comme il incombe souvent aux vasu, et conformément à la stratégie de Bau en la matière. La paix est préservée46.

70 Lyth conclut néanmoins son courrier comme suit : « It is determined upon by the Tonguese to build a fence for the protection of their wives and families to be ready against any future invasion of Mara not in anger but in self defence not against Bau or any one but for self preservation. A soro is about to be sent at Bau F0 F0 by the king 5B Tui Nayau 5D . I hope you will do your best to lay the whole case on as much as F0 F0 47 you think proper before Thakombau 5B Cakobau 5D . The soro has been talked of some time & is therefore not a new idea at all. Lakemba is loyal to Tuinayau & Tuinayau & Lakemba are loyal to Bau. God save the king of Lakemba & the king of Feejee48 too […] » (Lyth, 1848-50 : folio 988)

71 Ce courrier montre la dimension politique de la conversion du Tui Nayau. Devenir chrétien alors qu’un allié, et qui plus est un suzerain, n’a pas encore franchi le pas peut être considéré comme un acte de dissidence. Au contraire, suivre son Turaga sur le chemin du lotu est perçu comme un acte de loyauté, voire d’allégeance. La lettre de Lyth explique aussi dans quelle mesure la marge de manœuvre et les moyens d’actions des missionnaires s’inscrivent dans les pratiques traditionnelles. Ainsi, les écrits missionnaires font souvent comme ici référence au soro (demande de pardon rituelle, impliquant une compensation matérielle) pratiqué par les ministres chrétiens et leurs acolytes (voir par exemple Young, 1982 : 43).

72 Ce dernier point ajoute une dimension matérielle importante aux aspects idéologiques et politiques qui semblent présider à la conversion du Tui Nayau. En particulier, ce qui précède a montré en quoi les alliances politiques entre les grands chefs de la région conditionnent l’acceptation et l’incorporation d’idéologies étrangères comme le christianisme à Fidji, avant 1855. Dans le cas des Lau, il semble que le facteur tongien – donc local – soit décisif. Ce sont les missionnaires bénéficiant du meilleur soutien tongien qui réussissent, et l’influence de Tonga se renforce à Lakeba alors que Taliai Tupou, d’ascendance tongienne, se retrouve seul face à des alliances fidjiennes problématiques et privé de son soutien autochtone en la personne de Soroaqali, vasu taukei de Lakeba. Pour ma démonstration, cela confirme le poids de dynamiques déjà à l’œuvre avant l’arrivée des Occidentaux. L’équilibre entre les chefferies de la région est changeant. Ici encore, le facteur occidental semble n’être qu’une dimension de ces transformations.

Somosomo : les échanges nécessaires

73 Nous l’avons entraperçu plus haut, les relations entre missionnaires et Fidjiens ne peuvent être réduites aux seuls domaines spirituel ou politique, y compris dans les Lau (Leclerc-Caffarel, 2013 : 255-259)49. De la même façon que marchands et beachcombers ne participaient pas seulement à des transactions commerciales, la dimension matérielle de l’installation missionnaire dans les chefferies fidjiennes est importante. Les enjeux de cette incorporation multiple (de croyances, de schémas de pensée, mais aussi de biens et d’hommes) sont particulièrement sensibles à Somosomo dès la fin des années 1830.

74 Lorsque les missionnaires wesleyens s’installent à Lakeba (1835), Yavala est le Tui Cakau. Mais la littérature montre que son fils, Tui’ila’ila, est déjà influent dans la chefferie. Il le devient peut-être plus encore à la mort de son frère, Rabici, en juillet

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1839 – concomitamment à l’arrivée des révérends Hunt et Lyth à Taveuni (Schütz, 1977 : 146).

75 En janvier 1837, Cargill mentionne une visite du Tui Cakau et de ses fils à Lakeba : « They were anxious to have Missionnaries and request Bror Cross to accompany them. » (Schütz, 1977 : 92)

76 Les raisons de cette requête et les arguments en sa faveur sont présents dans la correspondance de Cargill. Le missionnaire prête aux Turaga les propos suivants : « The Chief of Lakemba is not powerful, – his people are very few and poor, & he cannot practise what you teach without the consent of his superiors. If you come to us, we will allow our children to be taught to read on your first arrival, & we will listen to your doctrine, that we may know if it is true or false, beneficial or useless. » (Schütz, 1977 : 95) Dans le même temps pourtant, Tui’ila’ila aurait dit : « Tui Nayau has become a very powerful chief – I am overwhelmed. » (Cargill, 1841 : 150, cité par Reid, 1990 : 29) Et Yavala de préciser : « True – everything is true that comes from the white man's country: muskets & gunpowder are true, & your religion must be true. » (Schütz, 1977 : 95)

77 Ces propos illustrent une certaine convoitise, engendrée par la présence missionnaire et l’accès aux biens d’importation qu’elle permet (Reid, 1990 : 29). Un parallèle est possible avec ce qui a déjà été noté en marge du commerce du bois de santal. Là encore, il s’agit d’une lutte de pouvoir et d’influence, assujettie à la géopolitique locale. Le Tui Cakau est plus indépendant de Bau que son allié de l’est. Il craint sans doute que son pouvoir ne décroisse au profit de celui du Tui Nayau. Dans le même temps, il aspire à un plus grand accès aux choses venues d’Occident, jusque-là surtout obtenues par le biais d’échanges locaux, y compris via Tonga (Henderson, 1931 : 237).

78 Cet aspect demeure vivace jusqu’à la fin des années 1840 à Somosomo. On trouve dans les journaux missionnaires de nombreuses références à l’attitude de Tui’ila’ila quant aux biens d'origine occidentale. La plupart dénoncent les demandes répétées du Turaga, jugées excessives – voir par exemple la lettre du révérend Williams datée de mai 1844, évoquant l’intervention du commandant de l’U.S. Exploring Expedition pour les faire cesser (Henderson 1931 : 184-186 n. 65).

79 Dans le même temps, on constate une insatisfaction grandissante de Tui’ila’ila, et d’autres chefs, face à l’attitude réservée des missionnaires en matière de « dons » (gifts) (par exemple Henderson 1931 : 250). Ainsi, en 1839, Lyth prête à Tui’ila’ila les mots suivants : « This is a land of chiefs, & it is our custom to give & not to sell. Give us your riches, & we will freely give you food. » (Sahlins, 1993 : 858)50

80 Ce que le Turaga explique ici est typique de la gestion fidjienne des flux d’échanges (Leclerc-Caffarel, 2013), que l’on pourrait qualifier d’après Sahlins (1972 : 194-195) de réciprocité équilibrée (balanced reciprocity). C’est-à-dire qu’elle implique un rendu pour chaque chose donnée, matérielle ou immatérielle, sans obligation d’immédiateté. En se plaçant sous la protection de chefs locaux les missionnaires s’insèrent dans ce système, combiné à la mise en commun des ressources évoquée en début d’article. Malheureusement, cette réciprocité normale et nécessaire dans le contexte fidjien traditionnel semble mal négociée de part et d’autre de la relation avec les missionnaires, obligeant d’un côté les chefs à « mendier » – en réalité kerekere, à demander ce à quoi ils estiment avoir droit (Sahlins, 1993) – et de l’autre les émissaires chrétiens à « payer ».

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81 Cette inadéquation est contre-productive du point de vue du lotu puisqu’elle attise la résistance de certains Turaga – et donc de leur peuple. Elle entraîne sans doute en partie l’abandon de la mission de Somosomo par les wesleyens en 1847 (Calvert, 2003 : 45). Elle incite en tous cas les missionnaires à tenter un changement de stratégie vers la fin des années 1840. Calvert résume le problème : « On arriving in the islands, the Missionaries had found it necessary to conciliate the Chiefs and people, and obtain a safe dwelling among them, by the liberal distribution of presents. The practice, which thus began with necessity, had been continued in compliance with the shameless opportunity of the Chiefs, until it had grown into a burdensome tax, and placed Missionaries upon a false footing, by endangering their spiritual influence over the people, in substituting that which any one might gain by gifts. Among the people themselves, the presentation of a gift without an equivalent in return was an acknowledgment of inferiority and subjection, whence arose another important reason why a clear understanding should be established in this matter. » (Calvert, 2003 : 283)

82 Calvert se rend à Viwa, déterminé à mettre un terme au système des « dons excessifs » (promiscuous giving), au bénéfice d’une attitude plus conforme aux idées occidentales de l’échange. Son interlocuteur en cette occasion est Cakobau, le futur Vunivalu de Bau : « When the Missionary’s goods arrived from Lakemba, Thakombau went on board the Wesley, accompanied by Mr. Calvert, who, according to the established custom, as a newcomer, presented the Chief with an offering of property from the district he had left, consisting of two large wooden bowls, a bale of sinnet, and two China pigs. These were received very graciously: but on their way to the shore, Thakombau was compelled to listen to one of the lectures he dreaded so much. It was the first step towards the intended F0 F0 reformation and was after this fashion: “ 5B … 5D I left England originally with one object, and for that alone I have come to live with you in this part of Fiji. My one great object is to have F0 F0 you saved from your sins and their dreadful consequences in the next world 5B … 5D While this is the only object I have in view, I am aware that you are destitute of many articles which we have in England, and which would increase your comfort. Some of this I can obtain for you by writing to my friends in England. I shall be glad to do so, as I should like to see you improved and raised in temporal matters. Only, when I send for goods, I have to pay for them, and you must pay for whatever I obtain for you. We give our time and energies to your salvation; but we have not come to supply you with worldly riches. Yet, if you will pay for what you require, we will try to obtain useful articles for you.” » (Calvert, 2003 : 283-284)

83 Les circonstances de ce discours paradoxal montrent que les missionnaires ont une certaine compréhension des us et des coutumes fidjiens, et qu’ils ont les moyens de s’y conformer – quoique parfois difficilement en raison de problèmes d’approvisionnement. Ils s’y refusent sciemment. De fait, ce que Calvert offre à Cakobau n’est autre qu’une relation commerciale – un échange de biens à la manière occidentale – alors même qu’il insiste sur la vocation spirituelle des missionnaires et, implicitement, sur la différence entre eux et d’autres Occidentaux (par exemple marchands, beachcombers).

84 Sur ces points Calvert et ses collègues se fourvoient au moins de deux façons ; d’une part en pensant qu’il est plus approprié de vendre et d’acheter plutôt que de donner et de recevoir dans le contexte fidjien du milieu du XIXe siècle, d’autre part en présumant que les Turaga distinguent nettement le lotu de la valeur matérielle et symbolique des biens d’origine occidentale (voir les propos attribués au Tui Cakau Yavala, plus haut).

85 Les exemples qui précèdent confirment ce que nous avons vu jusqu’ici. Ils montrent que les échanges, en particulier les échanges de biens, sont prégnants dans les interactions entre les Turaga et les Occidentaux pendant la première moitié du XIXe siècle. Pour les premiers, ils sont un moyen essentiel d’intégrer les seconds à leur

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univers, même si une fois encore on constate que les Occidentaux restent à la marge de la société fidjienne. Ce caractère marginal, voire inadéquat, est plus évident encore lorsque les conceptions économiques ou morales des uns et des autres entrent en conflit – voir aussi plus haut les réticences liées à la strangulation des veuves ou au cannibalisme. Pourtant, l’ensemble de la période 1800-1855 montre que les transactions se succèdent et se renouvellent sans cesse, à la faveur de la capacité d’adaptation de tous les protagonistes. Cette perpétuation est fonction des objectifs de chacun, Fidjiens comme Occidentaux. Ce qui suit montre que leurs transactions revêtent parfois un caractère de nécessité. C’est le cas de la conversion au lotu de Cakobau, jugée décisive pour l’avenir religieux de l’archipel, et cruciale en termes d’alliances pour le Vunivalu.

La conversion de Cakobau : le contexte de la guerre entre Bau et Rewa

86 L’hostilité de Bau quant aux stratégies missionnaires n’est pas seulement le fait des Turaga appartenant au clan des Vunivalu (Tui Kaba), quoique sans doute en partie inféodée à leur choix. Ainsi, Lyth cite un chef de Bau, sans précision, dans ses Réminiscences fidjiennes et tongiennes :

F0 F0 « You come here & you will only buy and sell, and we hate buying. 5B When 5D we ask you for a thing you say no. If a Feejeean said no, we shd kill him, don’t you know that. We are a land of Chiefs. We have plenty of riches. When we come to Somosomo, we have plenty of pigs, and in Lakemba & in every koro [village]. We have them without buying. We hate buying and we hate the lotu. We will never lotu. » (Lyth, s.d. : 74-75)

87 Au tournant des années 1840, Cakobau semble lui percevoir l’obtention de biens importés comme la seule raison valable de se convertir. Mais, il subordonne ce désir au respect de la hiérarchie fidjienne. Ainsi, suite à la conversion de son conseiller Verani, le neveu du Tui Viwa déjà mentionné, M. Wallis lui prête ces propos : « Verani send us the riches that you have obtained by ‘lotuing.’ They belong to us [Cakobau/Vunivalu]. Why have you ‘lotued?’ What have we done, that you have become angry with us, and left us? » (Wallis, 1851 : 71)

88 La conversion de Verani est un affront pour Cakobau, d’autant plus grand que Wallis écrit avoir entendu le futur Vunivalu dire : « I told him to wait a little, and then we would ‘lotu’ together. » (Wallis, 1851 : 70)

89 Mais si en 1845 Cakobau envisage sa propre conversion, c’est sans doute en termes de monnaie d’échange et au service de sa propre emprise sur les partenariats en jeu. Ainsi : « He tells Mr. W. that if he ‘lotues,’ he will burn his ‘beech de mer’ houses, and forbid the natives to fish. » (Wallis, 1851 : 82)

90 Quelques années plus tard la réaction de Cakobau au discours de Calvert déjà cité – telle que ce dernier la transcrit – peut donc paraître surprenante :

F0 F0 « Thakombau listened complacently 5B … 5D and said he was glad to know the right plan, and should like to be informed of what was expected in payment for any articles he might hereafter desire. A decisive and important step was thus taken, which made it easier to resist F0 F0 the perpetual begging of smaller people. Yet, in many cases, it was still hard to refuse 5B … 5D Nevertheless, though it was still necessary to make occasional presents, the more reserved plan was found to answer; for the people learned to value what they worked for, and gained self-respect in being rid of a system which pauperized them. » (Calvert, 2003 : 284-285)

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91 Dans cet extrait, Calvert néglige la réciprocité intrinsèque à la chefferie ; et il omet de considérer son interlocuteur comme un véritable stratège politique.

92 En 1845, l’avantage est du côté de Cakobau. La guerre entre Bau et Rewa commence à peine. L’ascendant de Cakobau sur les Fidji est solide. En décembre, il met notamment à mort le Roko Tui Dreketi Banuve – homonyme du Vunivalu de Bau évoqué en deuxième partie, et porteur du titre principal de Rewa. Le titre échoit à Cakonauto (Routledge, 1985 : 68, 82), mieux connu des Européens sous le nom de Phillips (Eagleston, 1834). Il est vasu des Tui Kaba (le mataqali des Vunivalu de Bau). En bons termes avec Cakobau comme avec les Occidentaux, son règne sur Rewa semble à l’avantage des Vunivalu de Bau (Routledge, 1985 : 69). Le Tui Cakau Yavala vient aussi de mourir, laissant la place à son inoffensif cousin (Ralulu) à Somosomo, en paix avec Bau depuis 1842. Tui’ila’ila reste le leader officieux de la chefferie, mais il semble qu’il ait aussi eu des relations harmonieuses avec Cakobau pendant les dernières années de sa vie (idem : 79). Enfin, sa propre conversion fait l’objet de toutes les attentions missionnaires, alors même que la main d’œuvre qu’il peut fournir aux marchands de bêches-de-mer à Ovalau et Viwa reste une monnaie d’échange précieuse.

93 En 1854 néanmoins, les forces en présence ont changé au détriment du Vunivalu. Les Occidentaux basés à Levuka ont gagné en autonomie, et après une dispute avec Cakobau se sont alliés au Roko Tui Dreketi. Cakonauto/Phillips est mort en 1852. Qaraniqio lui a succédé. D’après Routledge (1985), il est vasu des Vusaratu (le mataqali du Roko Tui Bau), quoique peut-être apparenté par sa mère plutôt à la noblesse locale de Bau (mataqali Nabaubau) pour Sahlins (2004). Il est dans les deux cas vasu d’un clan rival des Tui Kaba (mataqali des Vunivalu de Bau), en plus d’être un ennemi d’enfance de son frère classificatoire, Cakobau, également vasu de Bau puisque leurs mères seraient « sœurs ». Les Turaga de Rewa et les gens d’Ovalau ont organisé le siège de Bau, privant la chefferie de ses contacts avec les Occidentaux, de son approvisionnement en armes et en munitions, et de précieux soutiens. Mara Kapaiwai, déjà cité, a aussi rejoint la cause de Qaraniqio. Son rang lui permet de prétendre au trône de Bau (Routledge 1985 : 80-82). Pendant ce temps, à l’est, Ma’afu est devenu le gouverneur des Tongiens de Fidji. Il a gagné en influence dans la région de Moala, jusque-là sous le joug de Bau, et s’apprête à faire de même à Vanua Balavu avec l’accord de Tui’ila’ila (Reid, 1990 : 41-42)51.

94 Rewa bénéficie en outre du soutien de J.B. Williams, le premier consul des États-Unis (1846-60). Ce personnage est un des premiers Occidentaux « indépendamment actifs » à Fidji, aux côtés de D. Whippy (Routledge, 1985 : 69-71). À la différence de ce dernier cependant, et en dépit d’une brève alliance entre les deux hommes, Williams apparaît dans la littérature comme un personnage sans scrupules, avide et peu préoccupé du sort des Fidjiens (Campbell, 1998 : 66-67). À Fidji, il s’adonne à la spéculation foncière et prend part à la guerre entre Rewa et Bau en faisant peser sur Cakobau des réclamations, des dettes et des menaces de plus en plus importantes, suite notamment au saccage de ses propriétés par des insulaires et en vertu du titre Tui Viti alors attribué à Cakobau de façon virtuelle, puisque en dépit d’une influence accrue des Vunivalu de Bau depuis le début du siècle (voir plus haut) il n’est pas encore question d’unité à Fidji au début des années 1850, et certainement pas sous le patronage de Cakobau. Quelques années plus tôt, Williams avait déjà vendu à Cakobau un bateau de facture européenne pour plus de six fois sa valeur en huile de coco (Kenny, 1956 : 9-10). Plusieurs autres ressortissants américains, dont Whippy, viennent ajouter aux réclamations de

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Williams. En 1855, ce qu’on appelle la « dette américaine » atteint $43,686 (Campbell, 1998 : 67).

95 En avril 1854, un mois après un grave incendie à Bau (Waterhouse, 1997 : 159-160), suivi d’une défaite à Kaba (idem : 165), Cakobau est fortement endetté et en mauvaise posture vis-à-vis du Roko Tui Dreketi et de ses autres opposants. Il reçoit alors une lettre du roi de Tonga (Taufa’ahau/George Tupou) lui enjoignant de se convertir. Si l’on en croit Waterhouse, le Tu’i Tonga, jusque-là évasif quant à l’aide qu’il pouvait apporter au Vunivalu la conditionnerait maintenant de façon explicite : « I wish, Thakombau, you would lotu » (ibid.: 169). Affecté par les événements du début de l’année 1854 – dont la mort de Tui’ila’ila –, considérablement affaibli par le siège de Rewa, apparemment délaissé par ses propres dieux, et pressé par ses alliés potentiels de prendre position quant au lotu (Waterhouse, 1997 : 176-177), Cakobau semble n’avoir guère le choix. Il se convertit le 30 avril 1854 (idem : 178-179).

96 Comme ses pairs, Cakobau s’est donc adapté aux circonstances. Il canalise tant bien que mal les forces extérieures au profit de son emprise politique sur les événements. 1855 est pour lui une année victorieuse. Elle commence par la mort (naturelle) de Qaraniqio, rapidement suivie de la célèbre bataille de Kaba (7 avril) qui entérine la victoire du Vunivalu et des Tongiens sur Rewa et les rebelles de Bau (Routledge, 1985 : 86). Le pouvoir de Bau restauré, la conversion du Vunivalu en entraîne bien d’autres. Mais alors que l’influence des Occidentaux dans les affaires fidjiennes est de plus en plus tangible, la tactique de Cakobau reste conforme à celle de ses prédécesseurs, plus proches des négociants qui passent ou s’installent dans les îles que des missionnaires qui veulent tant les transformer (Routledge, 1985 : 88).

97 De la même façon, Cakobau et la plupart des Turaga cités plus haut décident de s’en remettre aux Anglais plutôt qu’aux Américains dès les années 1860, et jusqu’à la Cession de la souveraineté fidjienne à la reine d’Angleterre en 1874. En plus des dissensions morales qui existent entre les chefs fidjiens et les voyageurs occidentaux de tous types, les officiels américains, dont Ch. Wilkes et surtout J.B. Williams, accablent les Turaga de responsabilités pénales qui n’avaient pas cours jusque-là (Wilkes, 1845 ; Routledge, 1985 : 71). Les Anglais apparaissent comme un rempart aux difficultés que cela engendre, sur fond de rivalité larvée entre les États-Unis et la Grande-Bretagne (McIntyre, 1960). En règle générale, les officiels anglais comme le capitaine Denham, puis les gouverneurs britanniques, se montrent plus attentifs aux usages locaux et entrent plus volontiers que leurs homologues américains dans des relations d’échanges avec les Turaga, comparables aux pratiques traditionnelles (Routledge, 1985 : 84 ; Herle & Carreau, 2013).

98 En 1860, une première proposition de Cession est examinée par le gouvernement britannique qui la refuse. Quelques années plus tard néanmoins la dette américaine est soldée (McIntyre, 1960 ; Routledge, 1985 : 117-120) et la Cession à la couronne d’Angleterre est entérinée. Après 1874, une partie des conflits entre Turaga et créanciers américains se reversent dans une bataille juridique entre les États-Unis et l’Angleterre. Elle ne prend fin que dans les années 1920. La question de la propriété des terres fidjiennes est au cœur des débats (Fromageot, 1924). Elle est aussi prépondérante dans certaines problématiques coloniales et postcoloniales à Fidji (par exemple France, 1969 ; Kaplan, 1988 ; Kelly et Kaplan, 2001 : 161), témoignant de la différence intrinsèque qui subsiste jusqu’à nos jours, du point de vue fidjien, entre les autochtones (itaukei) et les étrangers (vulagi), y compris aujourd’hui les Fidjiens d’origine indienne

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qui descendent de travailleurs employés par le gouvernement colonial dans les plantations à la fin du XIXe siècle.

Conclusion

99 L’objectif de cet article était d’appréhender les relations entre les Fidjiens et les Occidentaux du point de vue des chefs fidjiens, de 1800 à 1855. Il s’est appuyé sur l’exemple des chefferies de Bua, Bau, Lau et Somosomo, avec des références subsidiaires à Rewa et Viwa. Dans le même temps, il a fait appel aux récits et aux collections compilés par plusieurs types de voyageurs occidentaux, marchands et missionnaires surtout, mais aussi officiers de marine, consuls et premiers colons (settlers) installés dans les îles. Ces cas d’étude, choisis pour leur pertinence historique et pour leurs points commun structurels, ont permis d’illustrer la pluralité des relations entre les Fidjiens et les Occidentaux, prises dans un ensemble de dynamiques endogènes et exogènes.

100 En dépit de cette complexité, de grands traits peuvent être dégagés. Fondamentalement, les principes de réciprocité et de complémentarité inhérents à l’exercice du pouvoir à Fidji sont aussi à l’œuvre dans la gestion des incursions étrangères par les Turaga. Ce sont des partenariats que les chefs semblent chercher auprès des voyageurs occidentaux, et des modèles préexistants sont utilisés pour canaliser et intégrer certains Euro-Américains au monde fidjien. Cependant, ces visiteurs restent toujours en marge du système ; ils demeurent des étrangers (kai tani) qui vont et viennent. Pour les marchands et les officiers de marine, Fidji n’est souvent qu’une escale au cours de leurs voyages. Quelques partenariats au long cours se créent néanmoins, entre Naulivou et Savage ou bien Tanoa et Whippy par exemple. Par définition, les missionnaires tendent vers des relations plus pérennes, mais c’est à condition de profondes transformations chez leurs hôtes.

101 En dépit de ces divergences de perception, les Occidentaux deviennent des partenaires d’échange importants pour les Turaga pendant la première moitié du XIXe siècle – quoique différemment selon la situation géographique et politique de chaque chefferie et les ambitions de chaque chef. Les objets venus d’au-delà des mers, jusque-là surtout obtenus via des échanges locaux, notamment auprès des Tongiens, prennent une importance nouvelle. Ils affluent en larges quantités dans les îles dès les années 1800, comme le montrent les récits des Euro-Américains impliqués dans le commerce du bois de santal, puis des bêches-de-mer. En particulier, l’ivoire, les armes à feu, et dans une moindre mesure les objets en métal et les pièces de tissu, deviennent des objets d’échange et de valeur locaux (iyau). Leur accumulation marque le rang. Et en raison de leur valeur symbolique, certains matériaux comme l’ivoire de cachalot et le tissu rouge entrent dans la composition de ce qu’Hooper (2013) appelle des regalia. Il s’agit par exemple de pectoraux composites, notamment observés à Bau et à Somosomo (Wilkes, 1845, III : 58-59 ; Henderson, 1931 : 187), et de colliers en dents de cachalot et tissu rouge (Dodge, 1972 : 187). Ces objets, remarqués par les visiteurs occidentaux, sont globalement absents des collections muséales avant 1855 ; de même pour les fusils incrustés d’ivoire. Cette inaliénabilité témoigne de leur valeur aux yeux des chefs fidjiens (voir Leclerc-Caffarel, 2013).

102 Selon la tradition fidjienne, c’est à l’aune d’échanges que l’on mesure la puissance et la bonne volonté d’un allié, réel ou potentiel, et que l’on crée avec lui un partenariat plus

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ou moins solide. Parmi les nombreux indices qui attestent du mana d’un Turaga, c’est-à- dire de son efficacité dans l’exercice de sa fonction, on trouve ses insignes de rang (dont les regalia susmentionnés) mais aussi ses succès militaires et son aptitude à fournir à son peuple, à ses alliés ou, le cas échéant, à son suzerain des choses précieuses (iyau) et de la nourriture. Parmi ces offrandes, la chair humaine, nourriture des dieux et des Turaga, est à part, tout comme les femmes qui circulent dans le sens inverse des bokola (victimes sacrificielles). Le parallèle que Sahlins souligne, au début du XIXe siècle, entre la quantité de dents de cachalot en circulation et l’augmentation de la consommation cannibale à Fidji (1983 : 90-91) illustre la reconfiguration de l’équilibre politique qui a lieu dans l’archipel. Cette dernière se traduit par la montée en puissance de certains Turaga en contact avec les Occidentaux, comme les Vunivalu de Bau. Notons que les armes à feu, désormais fréquentes sur les champs de bataille fidjiens, participent aussi à l’accroissement du nombre de victimes sacrificielles. De façon générale, c’est la capacité d’accumulation (de bokola, de victoires, d’iyau, d’alliés, etc.) de certains grands chefs, et donc leur puissance, qui est accrue. Si le facteur occidental, pluriel, n’est qu’un des aspects de cette restructuration du pouvoir, en termes militaires et en matière d’échanges le rôle des objets véhiculés par les Occidentaux paraît, lui, capital.

103 À l’évidence, il ne faut pas occulter les motivations des Euro-Américains, et leurs propres réussites dans la manipulation de la géopolitique fidjienne du XIXe siècle. Mais, il convient de garder en tête la dimension fondamentalement matérielle et diplomatique de ces relations pour les chefs fidjiens avant 1855. Dans tous les cas précités, il est d’abord question d’échanges, de partenariats et de rivalités locales pour les Turaga. Et cela explique notamment leur convoitise pour les biens importés, le dépit qu’engendrent les échecs et les déconvenues dans les relations avec les Euro- Américains et l’attitude apparemment versatile de certains souverains vis-à-vis des Occidentaux.

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NOTES

1. Le terme « Fidji » et ses dérivés, en ce qu’ils renvoient à une entité cohérente et à des frontières stables, sont anachroniques ici (Leclerc-Caffarel, 2013 : 2). Ils désignent dans cet article l’aire géographique correspondant à l’état moderne de la République de Fidji, à l’exception de dont l’ajout historique au groupe en 1879 n’est pas pertinent pour mon propos (voir aussi Leclerc-Caffarel, 2013 : 41-42). Il convient toutefois de replacer Fidji à la frontière de la Polynésie occidentale et dans le contexte géopolitique du XIXe siècle, dans l’aire d’influence de Tonga et de la colonie britannique de Port Jackson (Australie). Le mot « Occident » et ses dérivés désignent l’Europe et les États-Unis d’Amérique, d’un point de vue géographique et politique, ainsi que les colons d’origine européenne présents en Australie et en Nouvelle-Zélande au XIXe siècle. 2. Le mot lotu, d’origine tongienne, désigne la religion chrétienne et ses différentes branches. 3. En matière de religion aussi, il convient de noter le rôle des chefs. Comme le formule Hocart : « […] there is no religion in Fiji, only a system which in Europe has split into religion and business » (1970 : 256). Par essence, la personne du Turaga est sacrée (tabu) et l’ordonnancement du monde autour d’elle duel, quoiqu’il y ait des subtilités dans la répartition des rôles spirituels et temporels dans certaines chefferies comme celle de Bau (Hocart, 1970 : 163-164). 4. Il est très difficile de généraliser à Fidji, en particulier au début du XIXe siècle. L’archipel est alors extrêmement morcelé sur le plan politique. Néanmoins, les cas d’étude choisis ici sont relativement proches du point de vue de leur fonctionnement social et politique, pour autant qu’on puisse en juger par les sources anciennes à notre disposition. Ils sont aussi apparentés en termes linguistiques (Geraghty, 1983). Le lecteur est cependant prié de garder à l’esprit l’absence d’unité dans ces domaines. Tous les termes fidjiens employés ici sont en fidjien standard, issu du dialecte de Bau – l’une des trois langues officielles à Fidji aujourd’hui avec l’anglais et l’hindi. 5. Concernant le principe de réciprocité, impérieux dans plusieurs domaines de la vie fidjienne contemporaine, voir aussi Ravuvu (1983 : 11). 6. Marama est l’équivalent féminin. 7. Comme turaga, vanua est un terme polysémique, avec plusieurs niveaux de signification selon le contexte. Ceux-ci sont bien explicités par Hooper pour les Lau (1996 : 247). Vanua avec une majuscule désigne ici le territoire principal sur lequel règne un Turaga, ainsi que ses habitants. Il s’agit d’une entité géopolitique, par opposition au vanua (lieu) qui renvoie à une localisation géographique. Il s’oppose aussi aux territoires assujettis ou tributaires (qali). 8. Les personnages fidjiens mentionnés dans le texte, ainsi que les titres principaux pour chaque chefferie, sont repris dans un tableau récapitulatif placé en annexe. 9. La ville de Somosomo (Taveuni) est le siège de la chefferie du Nord, aux mains du clan (mataqali) iSokula depuis le début du XIXe siècle au moins – – puisque le quatrième Tui Cakau, Yavala, règne de 1829 à 1845. L’apparition du titre Tui Cakau a lui-même son origine dans l’accession au pouvoir des iSokula (Routledge, 1985 : 38). Dans la littérature ancienne, le nom éponyme de Somosomo désigne la chefferie dont le leader porte le titre Tui Cakau. C’est en référence à cette littérature et à la situation géopolitique de la première moitié du XIXe siècle que « Somosomo » est utilisé dans cet article. Cakaudrove est une appellation alternative qui désigne aujourd’hui le tiers sud-est de Vanua Levu, ainsi que les îles de Taveuni, Rabi et Kioa. 10. Toutes les sources écrites utilisées ici sont d’origine occidentale, y compris les citations attribuées à des chefs fidjiens. 11. Comme le bois de santal utilisé dans la fabrication de l’encens, ces mollusques aussi appelés holothuries ou trépangs sont prisés sur les marchés chinois, en raison des vertus médicinales et aphrodisiaques qu’on leur prête. Plusieurs variétés prolifèrent dans les eaux fidjiennes au début du XIXe siècle. Pêchées puis séchées à Fidji, certaines sont ensuite acheminées vers la Chine via les Philippines, notamment par des armateurs américains. Ce commerce atteint son apogée à Fidji dans les années 1830.

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12. Des dizaines de capitaines et de logkeepers sont répertoriés par Langdon (1978), pour les bateaux en provenance de la seule côte Est américaine. 13. La date exacte du naufrage fait débat (Derrick, 1957 : 39 ; Toganivalu, s.d. ; Im Thurn et Warthon, 1925 : XXXIV). 14. La catégorie « iyau » est notamment discutée par Hooper (1982 : 50-51) et Thomas (1991 : 67-68). Hooper oppose les iyau aux iyaya, choses communes et équipement personnel (gear). Thomas les définit comme des objets précieux voués à être aliénés par l’échange. Aux objets manufacturés listés par Hooper (1982) et Toganivalu (1917), j’ajoute pour ma part un certain nombre d’ornements corporels et d’autres marqueurs de rang (comme les armes), comparables aux « trésors » māori taonga (Nouvelle-Zélande). Quoique ces artefacts ne soient pas toujours destinés à l’échange, ils influencent les transactions en matérialisant les statuts et le mana (efficacité) des protagonistes. 15. Ces taxes (vakacavacava) sont proportionnelles à la puissance de la chefferie, et parfois essentielle à sa subsistance. C’est par exemple le cas de Bau au début du XIXe siècle (Gatty, 2009 : 187 ; Sahlins, 2004 : 30-33). 16. Cette pratique existe encore aujourd’hui. Elle prend toute sa mesure lorsqu’elle vise le pardon d’un Turaga puisque les biens impliqués sont plus nombreux et plus prestigieux que ceux nécessaires au règlement d’un différend entre roturiers. Le même terme désignait autrefois la reddition (Gatty, 2009 : 230 ; Capell, 1941 : 237). 17. William Lockerby est l’officier en charge de la cargaison sur le santalier Jenny, stationné à Fidji en mai 1808 (Im Thurn et Wharton, 1925 : LXIV, 11-19). Peu après qu’un premier chargement de santal a été rassemblé, Lockerby est abandonné sur Vanua Levu. Il passe alors plusieurs mois en compagnie des insulaires, sous la protection d’un chef de haut rang de la région de Bua (idem : LXV). De cette cohabitation subsiste un journal publié en 1925 (Im Thurn et Wharton, 1925.), et d’autres écrits destinés à ses pairs (Lockerby, 1813 ; Dodge, 1972). 18. Les termes « roi » et « royaume » sont inappropriés à la géopolitique du XIXe siècle à Fidji. Mais cette terminologie est fréquente dans la littérature. 19. Toutes les traductions sont de l’auteure. 20. Originellement, le terme kalou semble avoir désigné les esprits, ceux des morts et des ancêtres comme ceux de la nature. Par extension et sous l’influence des missionnaires, il renvoie aussi à ce que nous appelons « dieu » dans la tradition judéo-chrétienne (Capell, 1941 : 96-97). 21. À Fidji, les cocotiers et leurs produits (palmes, noix) sont considérés comme des offrandes venues de la terre (vanua) (Hooper, 2013 : 129). Ils sont aussi utilisés pour signifier et lever les prescriptions religieuses (tabu) (Leclerc-Caffarel, 2013 : 104-105) ou bien encore pour les oracles (Henderson, 1831 : 39 ; Seemann, 1862 : 377-378 ; Leclerc-Caffarel, 2013 : 175, 179-180). 22. À l’origine, le porteur du titre Roko Tui Bau est le chef principal de Bau. Il est le leader spirituel par opposition au Vunivalu, considéré comme un chef de guerre. Au cours du XIXe siècle – à partir du règne de Naulivou (Vunivalu) – les Vunivalu montent en puissance au détriment des Roko Tui Bau et la distinction des fonctions spirituelles et temporelles se fait moins sensible (Sahlins, 2004 : 63 ; Routledge, 1985 : 43 ; Toganivalu, s.d. ; Hocart, 1970 : 164). 23. Le terme valagi ou vavalagi vient du tongien palangi ou papalangi. Il désigne tout ce qui a trait à l’homme occidental, blanc, y compris son lieu d’origine virtuel au-delà des mers. Il se distingue du terme vulagi qui indique ceux qui ont le statut de visiteurs ou d’invités ; c’est-à-dire qu’ils sont temporairement présents dans la communauté. Culturellement, vulagi s’oppose à itaukei (autochtones) (Hooper, 1996 : 247). Valagi et vulagi diffèrent aussi du terme kai tani, qui renvoie à l’étranger au sens de celui qui est d’une autre nature. Par essence, le Turaga tel que le décrit Sahlins (1983 ; 1985) est un kai tani par rapport aux gens du Vanua. 24. Mes plus sincères remerciements vont à Simonne Pauwels, pour son aide dans cette analyse du cas de Savage.

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25. Verata est considérée comme une des chefferies de Fidji les plus importantes historiquement, son déclin en faveur de Bau est amorcé au début de la période qui nous occupe. 26. Cette stratégie est déjà celle de Verata, la chefferie dominant l’archipel au XVIIIe siècle (Routledge, 1985 : 38). 27. De la même façon, on a vu qu’en 1813 Lockerby utilise « matow » (i.e. matau) pour désigner les outils en fer. C’est-à-dire qu’il les appelle comme la lame de l’herminette traditionnelle. Cette homonymie souligne un usage antérieur que les pièces métalliques obtenues des Euro- Américains – dont des lames de haches – viennent remplir. 28. Naulivou et Tanoa sont les fils de Lewasaki (ou Lewasau), l’épouse principale de Banuve, originaire de Rewa. 29. Tanoa fuit à Somosomo sous la protection du Tui Cakau, alors allié à Bau (Toganivalu s.d.). 30. Cet épisode de l’histoire fidjienne est largement discuté dans la littérature (Sahlins, 2004 ; Routledge, 1985 : 68-88 ; Derrick, 1957 : 85ff ; Toganivalu, s.d.). 31. Un premier voyage d’exploration avait déjà conduit d’Urville et son Astrolabe à Fidji, du 24 mai au 11 juin 1827 (Leclerc-Caffarel, 2013 : 144-157) 32. Dans les années 1980, cette image permet à Clunie (1983b) d’identifier le plastron en question dans les collections du musée d’archéologie et d’anthropologie de l’université de Cambridge (Herle et Carreau, 2013 : 4 fig.1.4, 73 fig.5.1, 82, 95-96), plus de cent ans après qu’il a été offert au premier gouverneur des Fidji (1875-1880), A. Gordon, par Cakobau. 33. Il est d’ailleurs probable que même les tabua, aujourd’hui invariablement en ivoire de cachalot, aient pu être autrefois faits d’autres matériaux (pierre, bois, coquillage, dent de morse) (cf. Deane, 1921 : 77-78 ; Brewster, 1937 : 40 ; Roth, 1973 : 97-99 ; Reid, 1990 : 10 n40, 20-21 ; Clunie, 2013, 2003a : 124 ; Hooper, 2013 : 146-147). 34. On sait qu’il existe traditionnellement à Fidji des objets « de famille » qui contrairement aux iyau précieux mais échangeables sont soigneusement gardés et transmis au sein des familles de haut rang. C’est le cas par exemple de ce que Hooper nomme les « heirloom tabua » (2013 : 141-145).

F0 F0 35. Le lieutenant Reynolds décrit « des ornements pectoraux faits 5B d’une seule pièce5D de nacre,

F0 F0 mais auxquels ils 5B Fidjiens5D n’accordent pas une grande importance » (Hoffman Cleaver & Stann, 1998 : 160–161). Plusieurs spécimens de ce type sont d’ailleurs présents dans la collection Wilkes conservée à Washington par la Smithsonian Institution (par exemple E3039- E3043, E4542). La concurrence des ornements composites semble avoir entraîné une dévaluation des pièces uniquement faites de nacre. 36. Les Fidjiens ne chassent pas la baleine. Les réseaux d’échange traditionnels entre les îles du groupe et au-delà permettent la circulation d’ivoire et d’os de cétacé, ainsi que d’objets manufacturés, avant l’arrivée des marchands occidentaux. Ces derniers changent néanmoins la donne par les quantités qu’ils importent à Fidji, entraînant une certaine démocratisation de l’ivoire. Les savoir-faire les plus perfectionnés sont attribués aux artisans tongiens et samoans (Hooper, 2013 : 129-133 ; 1982 : 85-89). 37. Quoiqu’elle fasse géographiquement partie des Lau, au début du XIXe siècle et jusqu’aux victoires de Ma’afu dans les années 1850, Vanua Balavu est sous l’influence de la chefferie de Somosomo. Ma’afu est l’héritier de la lignée royale des Tu’i Kanokupolu (Tonga), et un acteur clé de l’histoire fidjienne (voir Routledge, 1985 : 76). 38. Pendant la période qui nous occupe, le porteur du titre Tui Nayau est le chef principal des Lau. Il est basé à Tubou (Lakeba). 39. Les wesleyens appartiennent à une autre branche de l’Église méthodiste. Ils se distinguent des missionnaires de la LMS. 40. Vers 1837, Taliai Tupou a notamment épousé Qativi, une fille de Tui’ila’ila, futur Tui Cakau. 41. Rappelons que des artisans tongiens viennent dans les Lau pour y construire de grandes pirogues (Young, 1982 : 35-36). De cette présence tongienne résultent un certain nombre

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d’échanges d’objets manufacturés, mais aussi de techniques et de motifs stylistiques. Les artisans tongiens fournissent notamment aux Turaga des objets de parure et de prestige en ivoire de cachalot. En outre, les sœurs des Tu’i Tonga étaient autrefois préférablement mariées à des hommes fidjiens de haut rang (Kaeppler, 1978 : 247-248). Cette pratique n’a pas été perpétuée par les Vuanirewa (mataqali porteur du titre Tui Nayau pendant la période qui nous occupe), mais elle donne une idée de la profondeur historique des relations entre Fidji et Tonga. 42. Leurs mères sont toutes deux apparentées aux clans royaux Tu’i Tonga et Tu’i Kanokupolu. 43. Thornley donne des éléments de compréhension sur ce début de propagation du lotu, consenti par les Turaga (par exemple Thornley, 2000, 2002, 2005). 44. Wetasau est la forme de Lau (Derrick, 1957 : 81 n12). Les deux orthographes existent dans la littérature. 45. Ce Mara-là – il y a deux Mara parmi les dissidents historiques de Bau (Routledge, 1985 : 50-51) – est le fils de Vuibureta et de Veisaca de Lakeba. Son père est lui-même fils de Banuve et de Ufia, également originaire de Lakeba. Il est exécuté en 1859 sur ordre de Cakobau (Young, 1982 : 46-47 ; Routledge, 1985 : 80). 46. À terme, les tensions religieuses ne se concentrèrent pas sur Bau même. Elles se firent surtout sentir dans les îles de la région de Moala, connectées aux Lasakau de Bau, et à Vanua Balavu, sous influence de Somosomo (Routledge, 1985 : 73). Avec l’aide des Tongiens, y compris celle de Ma’afu (voir note 37), la iValu ni lotu ou guerre de religion qui y fut menée tourna à l’avantage des wesleyens en 1853. 47. En 1849, Cakobau n’est pas encore officiellement Vunivalu, mais son influence à Bau et au-delà est grandissante depuis la fin des années 1830 (Routledge, 1985 : 61). 48. Le titre Tui Viti (chef de toutes les Fidji) aurait commencé à être utilisé au cours des années 1830 « par Tanoa » (Routledge, 1985 : 61). Il désigne sans doute déjà Cakobau, dont l’influence est croissante bien avant la fin du règne de son père. 49. Outre la dimension matérielle, il faut souligner aussi la pratique cruciale de la médecine par certains missionnaires, dont le révérend Lyth (voir Leclerc-Caffarel, 2013 : 248). 50. La référence que Sahlins donne pour cette citation est une entrée du journal de Lyth (1835-42) datée du 30 décembre 1839. Je ne retrouve pas cette phrase à la date indiquée. 51. Rappelons que l’île dépend de la chefferie de Somosomo, et non de Lau à l’époque.

RÉSUMÉS

Dès 1800, un grand nombre de navires occidentaux visitent les îles Fidji pour des raisons commerciales, scientifiques et religieuses. Avant 1855, il semble que ces visiteurs aient eu peu d’impact direct sur l’équilibre politique de l’archipel, asservi à la diplomatie de quelques grandes chefferies. Dans les conflits locaux, néanmoins, des changements s’opèrent. La place des armes à feu et de ceux qui savent les manier devient cruciale, alors même que d’autres objets d’importation comme les dents de cachalot prennent de l’importance sur les plans politique et symbolique. À ceci s’ajoute l’installation des premiers missionnaires chrétiens dans les îles. S’intéressant à la gestion de ces intrusions étrangères par les chefs fidjiens, avec une attention particulière aux chefferies de Bua, Bau, Lau et Somosomo, cet article illustre en quoi l’intégration des biens et des hommes étrangers à la communauté relève à la fois de dynamiques déjà à

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l’œuvre, de catégories fidjiennes préexistantes et d’influences extérieures. Surtout, il souligne l’importance des échanges dans ces relations.

From 1800 on, a number of Western vessels visited the Fiji islands for commercial, scientific or religious reasons. Before 1855, such visitors seem to have had little impact on the political balance of the archipelago, which depended on a few powerful chiefdoms. In local conflicts, however, things were changing. The role of firearms and of those who knew how to handle them became crucial, while other imported goods such as whale’s teeth were growing a political and symbolic significance. To this, one must add the settlement of the first Christian missionaries in the islands. This article is concerned with the chiefly management of these foreign intrusions. With specific attention to the chiefdoms of Bua, Bau, Lau and Somosomo, it shows that the absorption of outsider men and goods into the Fijian community fell under local dynamics, pre- existing Fijian categories as well as foreign influences. Above all, it highlights the importance of exchanges within these relations.

INDEX

Mots-clés : Fidji, xixe siècle, voyageurs, biens d’importation, échanges, systèmes de valeur Keywords : Fiji, 19th century, voyagers, imported goods, exchanges, value systems

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Le pays Nasau sous l’égide du canon de Nalawa. Bouleversements coloniaux et nouvelles formes de hiérarchies au centre-est de Viti Levu (Fidji) Nasau Valley in “times of war”. Colonial Upheaval and New Forms Of Hierarchy in East-Central Viti Levu (Fiji

Françoise Cayrol

Quelques semaines avant le passage à l’an 2000, une animation inhabituelle régnait dans la vallée de Nasau. Les carriers, petits convoyeurs habituellement rares dans cette région du centre-est de Viti Levu, allaient et venaient sur la piste, transportant les villageois tout au plaisir de se retrouver. La raison principale de ces déplacements tenait au projet d’organiser dans la vallée, et ce pour toute la grande région de Nalawa, les cérémonies qui devaient marquer le passage à l’an 2000. Le site choisi pour ce grand rassemblement se trouvait en hauteur au-dessus d’un col et les villageois avaient déjà commencé à le débroussailler. Il s’agissait de l’ancien village de Bulibuligone, littéralement « créer » ou « faire l’enfant » où résidait, au « temps des guerres », c’est- à-dire au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le Tui Nalawa, entouré des représentants de la plupart des groupes actuellement présents dans la vallée. Bulibuligone se situe plus précisément sur l’un des plus hauts sommets bordant la rive Nord de la rivière Lawaki, il consiste en une vaste plateforme aménagée où des vestiges de tertres témoignent de la présence d’anciens bâtiments dont certains de taille imposante. De sa partie est, en surplomb au-dessus d’une falaise abrupte, la vue à 180° est époustouflante, le regard se perdant au-dessus des plaines jusqu’au rivage et au- delà vers l’horizon marin. Lors de ma première visite du site, quelques hommes débroussaillaient encore et l’actuel Tui Nalawa était présent parmi eux. J’appris qu’avant d’entreprendre quoi que ce soit en ce lieu, il avait été nécessaire d’en réveiller

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les très anciens et très puissants esprits, vu (« base », « racine »). Afin de pouvoir préparer le kava (yaqona) nécessaire à ce réveil 1, le vuniwai, « médecin » ou prêtre traditionnel2, du Tui Nalawa, avait dû faire apparaître de l’eau, ce qui avait été considéré comme un véritable « miracle »3. Mes accompagnateurs et moi-même avions apporté du yaqona. Or une fois ce dernier présenté, il fut préparé dans un trou creusé dans le sol, et tapissé de feuilles de bananiers, et non dans un tanoa, le plat de bois normalement en usage au cours de ce type de cérémonie, devenue aujourd’hui dans tout Fidji un véritable rituel politique de la chefferie fidjienne4. Devant mes yeux ébahis revivait par là même l’ancien rite du burau décrit par les tout premiers observateurs comme spécifique aux sociétés de cette région, et que je pensais être totalement passé d’usage (voir à ce propos notamment Lester, 1941 ; Cluny, 1986 ; Cayrol, 2015). C’était le même rite qui avait été organisé, me dit-on, pour le réveil des esprits du site. À la fin de la journée, en redescendant de Bulibuligone, nous nous arrêtâmes un peu plus bas, devant un ancien canon dont la gueule était pointée vers le Sud. On me le présenta comme en rapport avec la christianisation de la vallée. Mes accompagnateurs me demandèrent de prendre des photos d’eux près du canon en me disant que leur réussite serait un test indiquant que nous avions fait ce qu’il fallait en approchant ce site5. Ce n’est que plus tard, bien après leur développement réussi, que j’appris que des personnes nues auraient dû y apparaître. La région de Nalawa fait intégralement partie aujourd’hui de la province de Ra dont elle constitue la partie la plus méridionale. L’actuel Tui ou « chef » de cette région, selon le terme fidjien aujourd’hui consacré6, ne réside plus à Bulibuligone, mais à l’Est, à Matawailevu, un village proche de la route principale reliant Suva à Rakiraki et des installations provinciales où il a son bureau. Tous les villages de la vallée de la Lawaki sont placés sous son égide et ceci bien qu’ils forment eux-mêmes des districts – de moindre importance –, et qu’ils soient dotés pour certains de leur propre Tui, tel celui de Nasau. À la fin du XIXe siècle, la région de Nalawa a appartenu à l’une des neuf grandes divisions administratives créées par l’administration coloniale britannique : « Colo », se décomposant en Colo-Nord, Colo-Ouest et Colo-Est. Le terme Colo « haut » se rapporte encore aujourd’hui aux régions de l’intérieur montagneux de l’île de Viti Levu qui ont tardivement adopté la foi chrétienne et ont longtemps échappé au contrôle de l’administration coloniale. Au cours de ce même siècle, le terme Kai Colo, « gens du haut », qui désigne encore les populations de cette région, renvoyait largement à la sauvagerie, au « satanisme » et à la férocité. Il a tôt constitué l’une des catégories les plus dévalorisées de la hiérarchie coloniale instituée par les Britanniques, les missionnaires et leurs alliés. Les Kai Colo y ont combattu ces derniers et ont été les acteurs ou les sympathisants de différents mouvements ou cultes violemment réprimés, considérés par les missionnaires comme des manifestations délibérées de paganisme. Ces populations se sont clairement opposées en cela aux Fidjiens du littoral et surtout du sud-est et de Bau, où les premiers missionnaires avaient pris pied à partir de Tonga, et que les Britanniques ont tout d’abord appuyés avant de prendre, seuls, la responsabilité de la « pacification » du pays. Récemment, une partie de ces représentations était encore de mise. Ainsi, dans les années 1990, le garçon le plus âgé de la famille qui m’avait accueillie me confiait qu’on lui faisait bien sentir le manque d’éducation dû à son origine kai colo quand il

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descendait chez ses parents maternels résidant sur la côte. Parallèlement, la réputation des Kai Colo de perpétuer des pratiques en rapport avec les anciens esprits, les « diables » ou tevoro, était toujours aussi tenace. Mais aujourd’hui, Fidji (comme d’autres nations océaniennes, telle la Nouvelle-Zélande) est engagé dans une nouvelle définition de ses symboles nationaux – un travail sur le drapeau de la nation est en cours, afin d’en ôter les éléments britanniques toujours présents quarante-cinq ans après l’indépendance. Parallèlement, des intellectuels fidjiens mettent en relief ou redéfinissent une « identité » Itaukei et le statut des Kai Colo change. On les dit représenter l’« origine », le berceau de cette identité, et leurs pratiques sont de ce fait qualifiées de « vraies », dina7, mais sans que la représentation de la nation en tant qu’entité culturellement une ne soit pour autant remise en cause. En effet, depuis un siècle, Fidji renvoie, côté Itaukei, l’image d’une nation particulièrement homogène tant sur le plan culturel que politique. Le processus de « standardisation » linguistique tôt mis en place dans l’archipel, à partir de la langue de Bau, le rôle décisif pendant longtemps d’une instance politique « coutumière », « le grand conseil de chefs », et la présence d’un type de grande chefferie aux rituels politiques propres, pratiquement devenue un paradigme anthropologique depuis les travaux de Marshall Sahlins, y sont pour beaucoup. Or cet « universel fidjien » est en partie une construction coloniale avant d’être nationale. Bien des discordances entrevues lors de notre séjour dans le village de Nasau y renvoient. Vue de l’intérieur mais plus encore de l’extérieur (Nicole, 2011 : 1-7), l’histoire coloniale de Fidji, mises à part les complexes problématiques indo-fidjiennes à l’origine des divers tumultes politiques, semble avoir été l’une des plus apaisées et des plus respectueuses du peuple autochtone que le Pacifique a connues. Certes, les décisions alors prises par les administrateurs britanniques contrastent tant avec d’autres, quant à la question des terres notamment (il suffit de se référer au contexte néo-calédonien), que cette histoire reste en ce sens remarquable. Cependant, comme le montre Robert Nicole, elle ne s’est pas non plus faite sans violence en particulier dans les hautes terres de Viti Levu et sans de formidables bouleversements coloniaux (Nicole, 2011), qui ont selon toute vraisemblance favorisé l’instauration de nouvelles formes d’organisation et de hiérarchies. Officiellement, la célébration du passage à l’an 2000 sur le site de Bulibuligone devait permettre de rassembler tous les Nalawa au cœur de la foi chrétienne en raison du rôle déterminant qu’aurait joué ce site dans la conversion de toute la région. Mais, à partir des discordances évoquées plus haut et d’un certain nombre de représentations, contemporaines, du passé, nous montrerons à quel point le choix de ce site est lourd de sens8.

Le vanua de Nasau, une organisation remarquable accompagnée de notables discordances

Situé en amont de Bulibuligone sur la Lawaki, le village de Nasau forme avec ceux d’Ovalau, Vanuakula, Nubumakita, Nukulau, Nasukamai et Nauria, le « district » ou tikina du même nom. Le Tui Nasau, placé à la tête de cet ensemble, y réside. Il s’agissait d’une femme très âgée peu avant les cérémonies du passage à l’an 2000 (elle est décédée peu après) mais le titre (Tui Nasau) est aujourd’hui porté par un homme. Ce district constitue la partie est de la division administrative de Nalawa, qui compte également

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les districts Lawaki, Nalawa (qui donne son nom à la division la plus grande) et Nababa. Au sein du district de Nasau, les villages de Nasukamai, Nukulau et Nauria sont situés à l’Est et au Nord-Est, tandis que Numbumakita est localisé au Sud, à proximité de la province de Naitasiri.

Carte 1. – La région de Nalawa et les villages de Nasau

(©Françoise Cayrol, Nouméa, 27/07/15)

Dans le village de Nasau même, situé dans une boucle de la Lawaki, deux principaux groupes sont en présence, celui de Nasau, associé au titre de Tui, et celui de Nasauqaqa. Ce sont eux qui nous intéressent ici particulièrement car ils forment un ensemble structurellement tout à fait remarquable, tant sur le plan de l’organisation de l’espace que sur celui des différents éléments du cosmos avec lesquels ils sont chacun en relation. Mais cette belle organisation pose, comme nous le verrons ensuite, un certain nombre de questions.

Une organisation remarquable d’un point de vue structurel

Commençons par l’organisation du village lui-même. À la génération précédente, les maisons de l’aîné de chacun des deux groupes se faisaient face, de part et d’autre du rara, la place cérémonielle du village, omniprésente à Fidji. Mais aujourd’hui, l’aîné du second groupe, chef de file dans la région du mouvement évangélique Assemblée de Dieu, a préféré établir sa résidence en hauteur auprès de la tombe de ses ancêtres et donc à proximité du tertre d’origine de son groupe, laissant à son cadet, et porte- parole, la charge de « se tenir face » à la maison du Tui Nasau9. À l’opposé, au milieu de chacun des grands côtés de la place, l’église méthodiste, d’une part, et un abri sous lequel est placé, d’autre part, le grand tambour de bois du village, situés face à face,

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constituent une sorte de frontière au sein du village. Celle-ci sépare la zone d’habitation des Nasau, localisée du côté de l’amont de la rivière, et celle des Nasauqaqa, du côté de l’aval. Les maisons concernées sont ainsi regroupées de part et d’autre de cet axe, autour de celle de l’aîné ou du porte-parole pour les Nasauqaqa, à la lisière de cette place (pour les aînés) ou en contrebas (pour les cadets). Le village accueille également les représentants d’autres groupes inclus plus ou moins récemment au sein des deux premiers, et leurs habitations situées côté église et côté grand tambour, séparent également celles des Nasau et des Nasauqaqa.

Carte 2. – Le village de Nasau avant le passage à l’an 2000

(©FC, Nouméa, 27/07/15)

Cette association des deux groupes avec l’amont ou l’aval de la Lawaki se retrouve dans un tout autre domaine. En effet, le groupe du Tui Nasau fait fonction de « porte » vers l’ouest et l’amont de la rivière, et c’est dans cette direction que la plupart des mariages sont conclus, tandis que les Nasauqaqa ouvrent le passage vers l’est et l’aval – c’est aussi par eux que passe le Tui Nalawa quand il se rend à Nasau –, direction privilégiée des unions qu’ils scellent10. Mais, localement, le village de Nasau forme lui-même une unité matrimoniale forte, les intermariages entre ces deux groupes étant très nombreux depuis plusieurs générations. La présence encore très importante dans la vie quotidienne des anciens « esprits » est souvent mentionnée comme étant l’un des traits caractéristiques de la province de Ra et des régions de l’ancien Colo. Le vanua de Nasau abrite, comme tant d’autres hors de cette région, un grand nombre de ces esprits, vu, dont les plus importants sont ici les kalou vu, ou « esprits d’origine », rattachés aux « tertres », ’obu, au-dessus desquels les premiers représentants des groupes à s’être installés dans la région ont construit leur demeure.

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La localisation des ’obu des deux principaux groupes de Nasau détermine l’emplacement de leurs jardins, de leurs cimetières, de leurs zones de pêche le long des rives de la Lawaki et des chemins particuliers qui les traversent. Point d’origine de l’enracinement dans le sol des membres de ces groupes, ces sites, mêmes éloignés et situés en hauteur sur les collines qui entourent le village, se trouvent le plus généralement dans l’axe de la maison de l’aîné, du côté de sa partie la plus valorisée, dite la plus « haute »11. Le nom qui est systématiquement donné à la maison de l’aîné et, qui sert à désigner le sous-groupe auquel appartient ce dernier, n’est autre que celui du site où le ’obu est localisé. Là, ou à proximité, se trouve un arbre d’une espèce particulière qui représente le groupe dans son ensemble, ses branches les plus récentes se rapportant aux générations les plus jeunes. Des récits font part de la persistance près d’eux de phénomènes « miraculeux » (apparitions de poissons de taille exceptionnelle afin de nourrir un invité de marque, transformation de pierres en coquillages marins…), en rapport avec la fertilité du groupe. Ces phénomènes sont autant de manifestations de la puissance des kalou-vu. Dans le cas des Nasauqaqa, leur arbre est clairement dit appartenir à une espèce rare à Nasau car liée aux environnements arides, ce trait marquant par là même leur origine étrangère à la localité. Il en est de même de l’apparition de coquillages, citée en exemple, ce récit appartenant à ce groupe. Les membres de Nasau et les membres de Nasauqaqa sont par ailleurs en relation avec plusieurs autres espèces particulières, animales et/ou végétales, sauvages ou cultivées pour certaines, parfois objets d’interdits alimentaires. Ces espèces sont appelés les icavu’i, associés dans cette région aux divers groupes et qui marquent la présence des vu ou des kalou vu ou encore leur puissance d’abondance ou de fertilité. Parmi ces espèces, l’une d’elles, végétale ou animale, est directement reliée aux organes génitaux des hommes et des femmes et au-delà à la puissance fertile du groupe. Ce rapport se manifeste quasi quotidiennement à travers des jeux mères-enfants, des interdits, des formules, des relations à plaisanteries et, lors des cérémonies de mariage, de chants évoquant par paraphrases l’attrait des attributs sexuels du jeune couple et leur rapprochement (Cayrol, 2015). Il est strictement interdit d’y faire référence en dehors de ces contextes, surtout de la part d’étrangers ou entre certains parents, sous peine de vives réactions des intéressés, qui, autrefois, pouvaient aller jusqu’à des maltraitances physiques et même des abus sexuels (Brewster, 1922). Aujourd’hui dans toute la région de Nasau, si une personne « dit » les cavu’i, elle s’expose à ce qu’on jette de l’eau sur elle ou bien à boire d’une traite un énorme bol de yaqona donné comme « l’eau » du cavu’i (wai ni …) (Cayrol, 2015). La présence et l’importance sans commune mesure de l’ensemble de ces éléments et en particulier des icavu’i, tantôt décrits comme des emblèmes, tantôt qualifiés de totémiques par la littérature ancienne, sont une des caractéristiques de ces sociétés des hautes terres de Viti Levu dont Nalawa fait partie (voir, entre autres, River, 1908 ; de Marzan, 1907 ; Thomson, 1911 ; Brewster, 1922). Leur persistance dans la région de Nasau est tout à fait remarquable. Ils y déterminent la nature particulière des deux principaux groupes en présence dans le village de Nasau et leur complétude puisque celui du groupe Nasau, associé à des poissons et à des herbes bordant la rivière, est dit relever du domaine aquatique (wai) tandis que celui du groupe Nasauqaqa, associé à des fruits et à un oiseau marcheur, est qualifié de terrestre (vanua). Dans ce dernier cas, cet oiseau renvoie également à la région d’origine du groupe, marquée par l’aridité.

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Schéma 1. – Complétudes des relations à des éléments du cosmos des deux principaux groupes de Nasau

(©Françoise Cayrol, Nouméa, 27/07/15)

S’ajoute à ces traits spécifiques le secret dont les noms d’aînés sont entourés, présenté aujourd’hui comme étant un autre élément fort de la culture itaukei de cette région. Mais, davantage qu’un secret, il s’agit de l’impossibilité de prononcer ces noms en public, ce qui reviendrait à invoquer les esprits auxquels ils appartiennent fondamentalement. Lors des cérémonies publiques, l’aîné du groupe – à la tête de ce dernier – est en lieu et place du kalou vu qu’il représente en toutes circonstances. Mais, cette relation des noms aux vu est fondamentale, dit-on, lors des sova ni yaqona pratiqués secrètement et qui consistent à appeler un vu afin de diriger sa puissance vers des objectifs personnels (et aujourd’hui jugés profondément antisociaux). En contrepartie, la personne qui pratique ce rituel se met totalement au service de ce vu, lui faisant régulièrement, et à sa demande, des offrandes de yaqona. C’est à ce rituel que celui du burau pratiqué à Bulibuligone afin d’invoquer les anciens esprits du lieu a été spontanément comparé par mes accompagnateurs. En rapport avec la transmission des noms des aînés, l’existence de catégories ’ako et lavo à laquelle l’on appartient en générations alternes (quand un père est ’ako, sont fil est lavo et son petit-fils de nouveau ’ako etc.) est une autre particularité de ces sociétés (Brewster, 1922 et 1919 ; Hocart, 1931 et 1937)12. Mais ce système, à partir duquel l’on désigne ou interpelle le plus communément les personnes, vient complexifier les représentations « emblématiques » ou « totémiques » évoquées plus haut. En effet, si dans la vie quotidienne, seules les appellations simples ’ako et lavo s’entendent, elles sont en fait caractérisées par des désignations propres à chaque groupe, prononcées dans des contextes de demandes spécifiques13. La désignation ’ako est alors suivie le plus généralement de luve ni, « enfant de », auquel s’ajoute le nom de l’un des icavu’i du groupe ou bien de son évocation à travers une paraphrase et il en est de même pour celle de lavo mais le icavu’i est alors différent. Les personnes sont donc ainsi mises en relation avec des éléments emblématiques ou « totémiques » propres à leur groupe mais différant selon qu’elles sont ’ako ou lavo, le changement s’effectuant à chaque génération.

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Schéma 2. – Les ’ako/lavo et leurs relations alternées aux éléments propres des groupes

(©Françoise Cayrol, Nouméa, 27/07/15)

Dans le village de Nasau, l’on dit que le , la puissance issue du kalou vu, passe par les ’ako et les lavo. Mais, parallèlement, l’on souligne également qu’un homme ’ako devait toujours épouser une femme lavo ou vice versa et aujourd’hui encore quand une femme venant d’un groupe où ces distinctions n’existent pas prend pour époux un homme de la région, elle est toujours désignée de manière différente de ce dernier, ’ako s’il est lavo ou lavo s’il est ’ako. De ce fait, une personne est toujours ’ako ou bien encore lavo comme son grand-père paternel – et dans le cas des hommes aînés, les noms sont transmis de la même manière – mais aussi comme sa mère et son oncle utérin, qui, dans toute la région, en raison des règles d’exogamie en vigueur, à part quelques exceptions que nous évoquerons, appartiennent obligatoirement à un autre groupe. Or, l’on remarque que les membres du groupe Nasau et Nasauqaqa partagent souvent (au moins deux à deux) la même référence à des éléments identiques mais de manière croisée et ceci pourrait être fondamentalement en rapport avec l’étroitesse de leurs liens entretenus depuis plusieurs générations par un nombre important de mariages entre les deux groupes14. En effet, le cas se répète dans la vallée à chaque fois que ces mêmes conditions sont établies15. On notera de plus, que, comme le montre très clairement l’exemple d’un groupe résidant à Vanuakula, la spécificité de ces icavu’i est en relation avec la maîtrise de certains éléments, soleil, chaleur ou froid, eau, etc., des maîtrises très peu étudiées à Fidji, en comparaison, avec, par exemple, la Nouvelle- Calédonie (Cayrol, 2015).

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Schéma 3. – Croisement des ’ako/lavo par rapport aux deux principaux groupes de Nasau

(© Françoise Cayrol, 27/07/15)

Pour revenir aux groupes Nasau et Nasauqaqa, ils ont enfin en commun de posséder chacun un kalou-vu « esprit d’origine » ou un vu « esprit » quelque peu inattendu. L’esprit d’origine des Nasauqaqa, nommé Kai India, marque sa présence et sa puissance de fertilité par le fait que les jeunes filles de ce groupe ont des cheveux lisses, telles les Fidjiennes d’origine indienne. Dans le même ordre d’idées, l’on raconte que, quand un membre de ce groupe est perdu dans la ville de Rakiraki et ne sait plus comment rejoindre le village, il y a toujours un « Indien » qui s’approche afin de le protéger et de le guider vers le véhicule qui le reconduira vers la vallée, il s’agit du Kai India. Parallèlement, dans le groupe Nasau, on décrit la présence d’un esprit « blanc », d’origine européenne, qui se manifeste à travers la peau très claire et la chevelure rousse de certains jumeaux des deux sexes, ce type de jumeaux étant désigné par le terme masarau qui se rapporte dans la langue propre de cette société 16 à l’objet d’échange le plus valorisé de tous : la dent de cachalot17. Ici, l’on soulignera que les représentations ne portent pas à proprement parler sur de possibles métissages mais associent des éléments « étrangers » à la puissance de ces êtres particuliers que sont les vu et les kalou vu, conférant de ce fait aux premiers une valeur tout à fait remarquable.

Discordances en pays de Nasau

Chacun des deux principaux groupes de Nasau est présenté comme un ensemble de frères issus d’un ancêtre commun (pour Nasau) ou d’une paire de germains de même sexe (pour Nasauqaqa). Mais ils se différencient l’un par rapport à l’autre du point de vue de leur origine et de leur statut. Selon les termes fidjiens aujourd’hui consacrés, et renvoyant à une structure pyramidale, du strict point de vue de leur organisation, ils devraient être chacun un yavusa (ou « clan ») comportant des sous-groupes d’agnats ou mataqali, exogames, formés à leur tour de « familles » ou tokatoka (voir entre autres, Cappell et Lester, 1941 ; France, 1969 ; Turner 1986 ; Ravuvu 1988 : p. 37 et supra ; Pigliasco, 2007 : 161-169). Or, comme nous l’avons montré (Cayrol 2012 et 2015), bien que ces termes soient bien employés à Nasau, en particulier face aux étrangers, ces groupes et les sous-groupes qui les constituent ne correspondent pas à de tels schémas. Il n’est pas question de revenir ici en détail sur ces inadéquations décrites ailleurs (Cayrol, op. cit.) et communes sous d’autres formes à une grande partie de Fidji, mais de porter davantage que nous ne l’avons fait jusque-là notre attention sur leurs origines et leurs relations statutaires. Le village de Nasau n’existe pas, en effet, depuis des temps immémoriaux, bien au contraire, sa création et par là même son aspect structurellement remarquable, est indissociable d’événements complexes relativement récents. Ses habitants ne cachent pas que leurs aïeux ou kawa étaient un temps présents ensemble à Bulibuligone, cet

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ancien « village de guerre », koro ni valu, rapidement décrit en introduction. Là, soutenant le Tui Nalawa de l’époque, ils occupaient différentes fonctions auprès de ce dernier et se battaient à ses côtés (un de ces groupes se définit lui-même comme ayant été un pourvoyeur de victimes pour le compte du Tui Nalawa). Cependant, au cours de l’une de ces batailles, une porte a été ouverte, permettant aux ennemis d’entrer. À la fin du « temps des guerres », sur lequel nous reviendrons, le groupe du Tui Nasau a rejoint la région du même nom, où certains de ses parents ou alliés étaient déjà établis avant Bulibuligone, et l’autre a été installé à proximité par le Tui Nalawa afin, dit-on clairement, de « garder » le premier18. Une fois de retour dans la région, les Nasau et les Nasauqaqa n’ont pas cohabité tout de suite au sein d’un même village. Les premiers se sont tout d’abord établis à proximité d’Ovalau au nord de Nasau (cf. carte 1), puis, un premier déplacement a eu lieu vers Nakorobilo (un ancien village jouxtant celui de Nasau, sur lequel se trouve aujourd’hui une école) où celle qui portait le titre de Tui au moment du passage à l’an 2000, la Marama Tui Nasau (de marama, « Madame ») disait être née au début du siècle. Parallèlement, les Nasauqaqa étaient quant à eux bien établis du côté de l’actuel village de Nasau (le site s’appelait alors Nadawa, nom qu’il a gardé sur les cartes de Viti Levu) et tout le flanc des collines environnantes porte encore la trace de nombreux habitats et jardins de proximité. Selon certains, ce serait le manque de place à Nakorobilo, qui aurait poussé le premier groupe à venir rejoindre le second créant ainsi le village de Nasau. Mais un autre facteur est à prendre en compte dans la constitution du village de Nasau : le passage dans la région des enquêteurs de la Commission des terres, mise en place par l’administration britannique. En effet, au cours de ces enquêtes (qui semblent avoir été menées au début du XXe siècle dans la région), les populations de toutes les régions de Fidji ont dû faire état de leurs terres, cet état, enregistré, devenant une référence officielle pour tout conflit foncier (cf. Ravuvu, 1988 : 42-47). Comme toutes les terres non déclarées tombaient alors dans l’escarcelle de la couronne britannique, les deux groupes, représentés par un nombre jugé insuffisant d’individus, surtout du côté des Nasauqaqa, disent avoir préféré faire cause commune. C’est ainsi que, officiellement, ces deux groupes appartiennent au même territoire ou vanua, qui a pris le nom de Nasau, « le sau », selon le terme qui désigne la puissance issue des esprits attachée à l’aîné d’un groupe. En effet, lors des mêmes enquêtes, les populations devaient décrire leur organisation sociale mais à partir d’un modèle imposé. Ce dernier avait été mis au point par les administrateurs britanniques à partir de l’organisation de l’est de l’archipel et plus particulièrement de la petite île de Bau, tenue pour un universel fidjien. C’est à ce modèle que se rapporte le terme yavusa évoqué plus haut. Ces enquêtes ont constitué un puissant canal de diffusion d’une hiérarchie formelle propre à l’est de l’archipel (et à Bau), depuis longtemps sous influence tongienne, mais retravaillée et en grande partie inventée par les Britanniques (France, 1969 ; Ravuvu, 1988). Aujourd’hui, et depuis au moins trois générations, le groupe Nasau est ainsi détenteur du titre de Tui (qui n’existait pas dans la région), tandis que le second exerce la fonction de Nasauqaqa, de qaqa, « fort », « victorieux », ou encore de liganisau, de liga, « mains », mettant la force de ses membres au service du sau et étant en charge de la bonne marche de la maison du Tui.

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C’est ainsi également que lors des cérémonies officielles, suivant un rituel dont l’origine serait tongienne (cf. supra note 4) , les habitants du village prélèvent à un récipient de bois, tanoa, les coupes de kava (yaqona) pour les distribuer selon un ordre reflétant la hiérarchie en vigueur, tout d’abord au Tui Nasau, puis aux aînés représentants leurs propres groupes. Quand ces cérémonies concernent le Vanua, ou pays de Nasau dans son ensemble, les Nasauqaqa, englobés par les Nasau, n’apparaissent pas au sein de cet ordre. Mais, au cours de celles qui sont centrées sur le village, ils redeviennent un groupe propre, prenant place au côté du Tui. Sur le littoral de Ra, comme ailleurs à Fidji, les tanoa, tels d’autres objets extrêmement valorisés, sont manipulés avec la plus grande délicatesse et, dans ce cas-là, une grande sensualité. Ainsi avant d’être utilisé le récipient est soigneusement nettoyé à partir de gestes qui s’apparentent à des caresses. Or, à Nasau ces objets, peu nombreux et presque tous très abîmés, ne font pas l’objet de ce type d’attention et de respect. Nombreux sont ceux qui soulignent d’ailleurs que cette cérémonie n’existait pas auparavant dans la région, où seul le burau évoqué en introduction était en usage. Il semble de plus d’après les témoignages que la plante (piper methysticum) à partir de laquelle l’on prépare toujours la décoction partagée lors de la cérémonie aujourd’hui n’était alors pas employée ni même connue. Pour leurs burau, les Nasau avaient recours à une autre espèce (certainement le yaqona yaqona) et le breuvage était bu à travers des pailles à même le sol, tel qu’il l’est encore aujourd’hui, au Vanuatu, dans le nord de l’île de Pentecôte, par exemple. Par ailleurs, le terme mana prononcé lors des discours consacrés qui accompagnent la présentation traditionnelle de kava aujourd’hui à Fidji (et qui relève également du vocabulaire chrétien) est dit n’avoir jamais appartenu à la langue de Nasau (voir ci- dessus note 17). Seule la notion de sau existait précise-t-on. Et dans une société où les manifestations de la fertilité sont si prégnantes, où le terme (loga) qui désigne le jardin d’ignames se rapporte aussi à la couche des humains, où le mot est identique pour les petits amoncellements de terre au sein desquels sont plantés les taros et le fait d’être enceinte pour une femme, cette notion prend un sens remarquable puisque les tuteurs autour desquels s’enroulent les tiges d’igname sont également leurs sau. La littérature souligne la nature différente non seulement des groupes (beaucoup plus indépendants) mais aussi des « chefs » aujourd’hui encore dans les sociétés des anciens Hill Tribes, ces derniers ne se tenant pas à part de leurs sujets mais vivant de manière beaucoup plus « égalitaire » parmi eux (Turner, 1986) que ne le font ceux des régions littorales ou de l’est. Les attitudes du Tui Nasau, comme du Tui Nalawa, en particulier lors du burau organisé à Bulibuligone, pourraient effectivement être ainsi qualifiées. Mais la manière dont le titre de Tui est transmis à Nasau questionne également. En effet, le fait de porter ce titre n’est pas la prérogative d’un seul sous-groupe. Au tout début du XXe siècle vraisemblablement, il était associé à un premier sous-groupe. Puis, l’aîné de ce dernier étant alors absent (il travaillait sur des plantations), le titre est passé à un autre sous-groupe et de là, à la Marama Tui Nasau, pour revenir dernièrement à l’aîné du groupe de départ. Ces passages de titre d’un groupe à l’autre sont attestés ailleurs à Viti Levu (voir notamment Turner, 1986, pour Matailobau) mais nombreux sont ceux à Nasau qui soulignent qu’il n’y a pas fondamentalement d’« aîné » parmi les sous-groupes constituant le yavusa Nasau. En effet, ils sont décrits comme étant viriviri (de viri, le « côté »), cette notion se rapportant tout particulièrement à la

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position des plantes sauvages et protectrices (dont certaines font partie des icavu’i), alignées les unes à côté des autres sur le bord des jardins, à la même hauteur. Enfin, contrairement aux sous-groupes Nasauqaqa, bien décrits quant à eux comme issus de l’arrivée de deux « frères » dans la région, nous l’avons déjà évoqué, et entre lesquels les règles d’exogamie s’appliquent, ceux des Nasau sont également dits être rattachés à un tertre propre à chacun d’entre eux et leurs membres continuent aujourd’hui encore de se marier entre eux, ce qui, allant à l’encontre des règles d’exogamie attendues, semble difficilement compréhensible aux yeux des Nasauqaqa. Tout porte donc à penser que, loin de correspondre au modèle hiérarchique issu de l’est de l’archipel, le yavusa formé par le groupe Nasau pourrait être – à l’origine tout au moins – aussi hétérogène que le vanua constitué par les Nasau et les Nasauqaqa au moment des enquêtes portant sur les terres. Cette possible hétérogénéité n’est jamais mise en avant à Nasau, ce qui contraste avec le fait que la présence de tous à Bulibuligone au temps des guerres est clairement indiquée.

Le temps des guerres et le canon de Nalawa

De manière très générale le temps des guerres est donné comme déterminant dans l’installation des groupes au sein de la vallée. Leurs membres décrivent à ce propos une situation extrêmement chaotique provoquée par une mobilité sans précédent de représentants de groupes ou d’individus, qui, pourchassés et fuyant leur lieu d’origine, parcouraient Viti Levu pour venir se cacher au sein d’autres groupes. Afin de préserver sa vie, il était alors nécessaire d’effacer ses traces et de changer le nom de son groupe mais aussi ses emblèmes (icavu’i)19. Or, ce « temps des guerres », fondamental dans l’histoire de cette région, mais dont l’approche est très sensible et peu aisée, renvoie de nouveau à Bulibuligone et à son canon. Tentons tout d’abord d’en établir le contexte historique, et ceci en très grande partie grâce au travail particulièrement important de Robert Nicole (op.cit.). Nous reviendrons ensuite sur un ensemble d’éléments pour certains recueillis à Nasau à l’occasion de l’organisation de la cérémonie de passage à l’an 2000 à Bulibuligone.

Un amalgame de forces dirigé vers la mise en place d’un ordre colonial

Il est peu de dire que pour les sociétés fidjiennes, comme pour bien d’autres dans cette partie du Pacifique, le XIXe siècle a été celui de bouleversements sans précédents. Dans l’archipel fidjien, la première moitié de ce siècle voit en effet se développer l’hégémonie de la petite île de Bau, située au sud-est de Viti Levu, et, de manière plus générale, les conditions qui déboucheront après la cession de 1874, sur la guerre dite de Colo (en 1876), une confrontation sans précédent, selon les termes de Robert Nicole, entre « les populations laissées pour compte » de cette région et « l’amalgame de forces qui émergent alors pour devenir l’ordre colonial dominant » (Nicole, 2006 : 32). Face à l’estuaire de la rivière Rewa, la petite île de Bau est un lieu de toute première importance dans l’histoire de l’archipel. Sans ressources propres, autres que maritimes, sans terre à cultiver, dominant les mers de la région avec ses pirogues doubles de guerre, elle vit de tributs collectés dans les régions littorales et les îles qu’elle domine (voir Sahlins, 2004).

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Les Tongiens sont présents depuis longtemps dans les îles Lau (à l’est de l’archipel), où les premiers missionnaires méthodistes (wesleyens) s’établissent. Leur présence semble également anciennement attestée sur le littoral d’une partie des grandes îles et il en est de même à Ra. Bau tente sans succès de contrôler le commerce de la bêche-de-mer qui bat son plein vers les années trente et quarante, mettant à profit l’ensemble des divers liens, entre autres matrimoniaux, tissés dans la région (Sahlins, 2004). Un homme de Viwa, île située à proximité de Bau, nommé Varani, du nom d’un bateau français qu’il avait attaqué, tôt christianisé, joue pendant longtemps un rôle actif dans le soutien de la politique de Bau et la mise en place de son réseau d’influence, en particulier sur la grande île (Thornley, 2000 : 324-364). Les traders européens sont alors nombreux dans certaines régions, obligeant certains chefs à demander à l’Église la proclamation de lois permettant de limiter leurs nuisances. En 1855, a lieu ce qui est communément appelé la bataille de Kaba, qui va permettre à Cakobau, « chef de guerre » de Bau, soutenu par les Tongiens et allié incontesté des missionnaires et des Britanniques, de conforter son hégémonie. Les interventions armées vont se multiplier, sur Viti Levu (et contre les Kai Colo), entre autres, alors même que, comme le souligne Robert Nicole, les planteurs sont de plus en plus nombreux à s’établir sur des terres dévastées, dont les populations auront été chassées. Cakobau ou ses représentants s’arrogent les terres conquises afin de les vendre pour acheter toujours plus d’armes à feu. Une force de frappe sans précédent est ainsi constituée. Comme le retrace Robert Nicole, dès 1860, Nakorotubu, situé entre Tailevu et Ra, réclame son indépendance, suivi par de nombreux groupes installés sur le littoral et à l’intérieur des terres (2006 : 14-16). Mais Cakobau multiplie les campagnes, s’appuyant sur les missionnaires considérés de ce fait comme des alliés particulièrement dangereux de Bau. Certains sont mis à mal, ce qui provoque l’organisation d’expéditions punitives (2006 : 16). Les villages se fortifient (Nicole, 2006 : 36). Le prix peu élevé des terres ainsi acquises attire davantage de colons qui, avec la complicité de chefs installés sur le littoral, prennent possession des meilleures (ibidem). Selon un phénomène bien connu en Nouvelle-Calédonie, par exemple, les populations sont repoussées vers l’intérieur. Une véritable résistance armée s’organise dans certaines régions et deux armées de Bau sont battues en 1868. La résistance face aux colons s’organise et des planteurs sont expulsés. La pression est toujours intense et, toujours en 1868, Cakobau vend 200 000 acres de terres situées sur l’île de Beqa, à Cakaudrove, dans la région de Ra et à proximité de Suva, à une compagnie polynésienne (Nicole, 2011 : 19). L’année suivante la résistance se renforce. Les populations de l’intérieur, dont celles présentes dans la région de Nalawa, constituent un véritable cercle de défense contre Bau et les missionnaires. Des raids sont organisés, incitant les planteurs et les missionnaires à partir. Robert Nicole note, qu’en 1870, l’aliénation foncière est si importante que le consul britannique craint une généralisation des conflits et leur transformation en véritable guerre raciale au sein de Viti Levu. Les planteurs arment leurs ouvriers agricoles venus du Vanuatu et des îles Salomon (Nicole, 2006 : 41). Cakobau se proclame « roi de Fidji », peu après, en 1871, à Levuka alors capitale de l’archipel, sur l’île d’Ovalau, et les ventes de terres conduites parfois par des chefs présents sur le littoral, se poursuivent (Nicole, 2011 : 17). Les populations de l’intérieur sont de plus en plus craintes. Des planteurs sont tués au nord de Viti Levu, provoquant une répression sanglante.

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Un autre homme de Viwa, Ratu Isikeli Tabakaucoro – proche allié et parent de Cakobau –, alors gouverneur de Ra, impose des taxes individuelles, intensifiant encore la pression sur des populations qui, comme le souligne Robert Nicole, n’avaient jamais conçu jusque-là la possibilité d’être soumis à des règles autres que celles s’exerçant au sein de leur propre vanua (Nicole, 2006 : 44-45). Le paiement de ces taxes oblige de plus les populations à travailler sur des plantations, alors même que les recruteurs sont également des hommes de Bau. Durant les mêmes années et largement au-delà, des mouvements syncrétiques (comme le Tuka, ou « l’eau d’immortalité ») vont prendre une ampleur inquiétante (Kaplan 1989, 1990, 1995 ; Kaplan et Kelly, 1994, Nicole, 2004). En 1873, à Ba, une famille de colons est tuée ainsi que ses ouvriers. Une expédition punitive à l’ampleur inégalée s’organise. Elle prend la forme d’une véritable guerre de soumission, selon les termes de Robert Nicole. Deux mille hommes sont enrôlés et des centaines de personnes meurent du côté des rebelles. De nombreuses autres sont faites prisonnières et de nouvelles terres sont dévastées et vendues. Ce schéma de violence au bénéfice du gouvernement de Cakobau se reproduit n’épargnant ni les femmes ni les enfants. Après la bataille de Nakorowaiwai, au nord de Ra, qui ouvre « un front religieux tout autant que politique » (Nicole, 2006 : 48 ; voir aussi Kaplan, 1989, 1990 et 1995, par rapport aux Vatukaloko et au mouvement Tuka), le ressentiment envers Bau se transforme en une profonde blessure, accroissant l’instabilité de la région (Nicole, ibidem). Dans la région de Nalawa et de Nasau, entre autres, de nombreux villages de l’intérieur sont brûlés (Nicole, 2006 : 48). À la fin de la même année, trois cents planteurs « blancs » signent une pétition demandant l’annexion de l’archipel à la Couronne. Le ressentiment des populations de l’intérieur envers Bau et les missionnaires est à son apogée. Des groupes de l’intérieur s’allient et, selon Brewster, tout le haut de la rivière Wainimala prend de nouveau les armes contre le gouvernement. Les troupes de Bau conduites par Harding sont attaquées après avoir traversé Nalawa et la riposte est sans précédent dans l’histoire de Fidji (Brewster, 1920, in Nicole, 2006 : 50). Les leaders des insurgés sont capturés et exécutés tandis qu’une rafle magistrale est organisée. Tout est emporté, en particulier les tambours de bois, privant ainsi les populations de l’intérieur d’importants outils de communication. La résistance de Colo-est est brisée (Nicole, 2006 : 50). La Cession est signée à Levuka en octobre 1874 mais sans que les représentants des régions de l’intérieur ne soient conviés (2006 : 59). S’ouvre alors une période mouvementée qui voit ces « chefs » de l’intérieur se rencontrer et se positionner face à l’administration britannique. Un meeting tenu à Navuvo en janvier 1875 rassemble soixante-neuf d’entre eux mais tous attrapent une maladie auparavant contractée par Cakobau lors de l’un de ses voyages et meurent ensuite. Elle privera l’intérieur de Viti Levu de 40 % de sa population. Cette maladie est mise sur le compte de la colère des anciens dieux et les Kai Colo survivants retournent habiter dans leurs villages fortifiés (2006 : 61). Les rencontres entre eux continuent néanmoins d’avoir lieu, certains désirant la paix alors que d’autres sont prêts à rouvrir les hostilités. L’état d’urgence est proclamé dans les hautes terres, Nalawa compris. La très mal nommée « petite guerre de Gordon », du nom du gouverneur de l’époque, a lieu en 1876. La répression est importante et les déportations très nombreuses. Il est interdit aux Kai Colo de retourner chez eux, s’ils résident sur des hauteurs où en des lieux difficilement accessibles (id. : 85). Le gouvernement britannique aura ensuite à faire face à une multiplication de mouvements syncrétiques (Tuka, Luve ni wai « enfants de l’eau », etc.) qui, considérés

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comme des mouvements de rébellion, seront également réprimés et interdits (voir Kaplan 1989, 1990, 1995 ; Kaplan et Kelly, 1994 ; Nicole, 2004 et 2011).

Bulibuligone et le canon du vanua, la guerre du Tui Nalawa

Au moment du passage à l’an 2000, c’est avant tout dans la relation de Ra et de Nalawa avec le christianisme que le rôle du Tui Nalawa est mis en valeur. Et le canon du site de Bulibuligone est censé avoir été capital à ce propos20. En effet, selon des témoignages relevés dans la vallée de Nasau et des interviews conduites en 1984 par le Fiji Museum auprès de deux proches de l’actuel Tui Nalawa, ce canon aurait été tout d’abord la propriété de Ratu Varani – Roko Tui Viwa, allié de Bau (cf. ci-dessus) 21. L’objet aurait été transporté là en passant par Rukuruku, dans la province de Naitasiri. Ce don aurait été fait en raison des liens de parenté étroits qui unissaient les deux hommes mais aussi de la réputation qu’avait ce premier Tui Nalawa de posséder d’importants pouvoirs surnaturels. Roko Varani espérait ainsi que le Tui Nalawa serait de son côté dans la guerre qu’il menait contre Cakobau, alors qu’il avait lui-même longtemps soutenu ce dernier. Or, comme il est dit, très vite après l’installation de ce canon à Bulibuligone, la christianisation de l’ensemble de la vallée et par-delà de Ra a eu lieu. Concernant plus particulièrement le canon lui-même, il est dit qu’il suffisait aux fils aînés du Tui Nalawa partant à la chasse de le garnir de certaines vignes sauvages et d’en frotter le fût de certaines feuilles pour que, très rapidement, un porc, toujours de couleur noire et au col marqué de blanc, se présente à eux22. En 1875, peu après la Cession et avant la « petite guerre », Arthur J. L. Gordon publie des notes concernant une expédition à l’intérieur des terres. Cette publication se veut rassurante par rapport aux malentendus qui auraient circulé parmi les populations des hautes terres, leur annonçant la confiscation de leurs terres. L’expédition gagne la région de Nalawa et le village de Bulibuligone, alors décrit comme le « chief town » du district. La présence d’un grand fossé côté montagne est notée. La vue magnifique offerte par le site est particulièrement remarquée. Des mesures sont prises au compas de la baie de Viti Levu, à Boubuco, à deux jours de marche de Bulibuligone au sud-sud- ouest. Gordon passe toute la journée du lendemain, un dimanche, dans la maison du chef de l’endroit, un vieil homme, Un portrait est fait de lui et, surtout de sa fille, Samanumu, dont la beauté est particulièrement appréciée par les visiteurs. Le village reçoit la visite d’un teacher23 qui y prie. L’expédition quitte le village le lundi matin, accompagnée d’une vingtaine d’hommes appartenant à la police locale, chacun armé d’un fusil. Gordon note que ces derniers rejoignaient Boubuco pour y collecter des taxes, envoyés non pas par Ratu Isikeli, chargé de l’administration de Ra, mais par le « Taukei Nalawa » et ceci pour son propre compte. Dans la vallée, les jardins paraissent florissants, du tabac et de la canne à sucre (tous deux introduits) poussant particulièrement bien sur les sites des maisons brûlées (Gordon, 1875 : 19-21). Un autre récit, semblant dater du début des années 1870, décrit également Bulibuligone et fait part de l’accueil réservé aux visiteurs par le vieux chef (« Niu Dumu », en fait Niu Damu, selon le nom encore actuellement porté aujourd’hui par le Tui Nalawa). Dit posséder une cinquantaine de femmes, ce dernier est présenté comme étant le père d’innombrables enfants dont beaucoup mourraient en bas âge, certains tués par le simple regard de leur géniteur. Niu Dumu vit dans une toute petite maison, l’ancienne ayant été détruite par une tribu ennemie. D’ailleurs, une rumeur selon laquelle le site

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devait être attaqué durant la nuit que les visiteurs passent sur le site étant parvenue jusqu’aux oreilles de Niu Dumu, les tambours de bois sont battus régulièrement jusqu’au matin. Le lendemain, il est noté qu’aucun habitant de Bulibuligone ne sort sans fusil sur le site, et ceci même pour aller d’une maison à une autre. Un mois auparavant, le frère de Niu Dumu et quarante hommes avaient été tués au sein d’un autre poste fortifié. La présence de biens européens (boîtes de viandes, vêtements, haches, longs couteaux etc.), obtenus grâce aux travaux des hommes sur les plantations, est rapportée. De même, des armes et des munitions sont envoyées le jour de départ des visiteurs, de Bulibuligone vers tous les villages dépendant de celui-ci. Parmi les soixante maisons du site, l’une, très grande, aurait été construite pour servir d’église, mais Niu Dumu aurait tourné le dos à la foi chrétienne avant que le bâtiment soit terminé. Les habitants de Bulibuligone disent avoir été des amis de Bau et reçoivent toujours les présents qui en proviennent. La préparation de yaqona est rapportée mais non sans avoir noté l’ajout au breuvage de certaines feuilles broyées, destinées à provoquer le sommeil (Gaggin, 1878 : 72-76). Ces témoignages, qui ne font jamais part de l’existence d’un canon à proximité du site, sont intéressants car concernant la christianisation de la vallée, ils nous montrent une situation bien plus complexe mais sans surprise cependant par rapport au contexte historique général. D’autres textes, issus de l’administration coloniale, mettent en relief le soutient du Tui Nalawa mais tout en précisant pour certains que ce dernier joue dans le dos des administrateurs un tout autre rôle (Colin Newbury, 2010 : 100). Comme le souligne Robert Nicole, on comprend que bien des groupes aient tenté de maintenir la paix et le dialogue avec les instances coloniales tout en menant localement de complexes jeux d’alliance (Nicole, 2006). Cette complexité est également appréhendable par le fait que, selon des témoignages relevés à Nasau, une partie des groupes aujourd’hui présents à Nasau et ayant résidé un temps à Bulibuligone, avec le Tui Nalawa, viendrait en fait d’une région située plus au sud, dans l’actuelle province de Naitasiri24. Personne à Nasau n’a indiqué la possible origine étrangère du Tui Nalawa25 ou bien le caractère récent de sa fonction. Cependant « la guerre du Tui Nalawa », à laquelle ces groupes auraient participé et qui aurait donné à ce dernier prééminence sur un aîné dont le descendant aurait été, lui, à la tête de Naitasiri, constitue un épisode marquant de l’histoire du site de Bulibuligone et de la région. En 2014, l’ancien prêtre ou bete du Tui Nalawa, Tuidama, précisait à un journaliste du Fidji Times, quotidien fidjien : « Nabulibuligone est le siège traditionnel du Tui Nalawa. Ce nom [“faire l’enfant”, “installer un chef”] montre que le mana a été donné au plus jeune frère par l’aîné. Il a été donné à Niudamu […] [à cette occasion]. Nawaqaliwa26 est l’aîné et Niudamu le plus jeune. Ce sont les Nacobicibici [terme attaché au titre du Tui Nalawa]. » (Solomoni Biumaiono, 2014) Le site est décrit dans le quotidien comme l’ancien lieu de résidence de cinquante-deux yavusa, chiffre alors associé aux cinquante-deux semaines d’une année de service auprès du Tui et il y est dit qu’avant que soit mis fin à la fonction dont cet ancien prêtre avait la charge, les touristes qui tentaient de prendre des photos du site de Bulibuligone, mais qui n’avaient pas suivi le bon chemin pour se rendre sur le lieu, soit n’y arrivaient pas, soit voyaient apparaître des personnes nues sur leurs pellicules (Solomoni Biumaiono, 2014).

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Bulibuligone et le canon du vanua, l’invasion tongienne

Outre la guerre du Tui Nalawa, les Nasau citent un autre épisode ayant concerné Bulibuligone. En effet, c’est là qu’aurait été arrêtée « l’invasion tongienne », ce site jouant là un rôle déterminant pour tout Viti Levu. Il est possible que ceci renvoie à une partie du passé de Fidji plus éloigné encore, à la présence des Tongiens à Ra et, peut- être davantage, à l’extension de l’influence de Bau et à la conquête de l’île de Lakeba, aux Lau, menée par des guerriers originaires de Ra mais affiliés à cette île. Il s’agit d’un fameux « régiment » nommé Vuaka Loa, « Porc noir », dont la réputation avait atteint Tonga. Mais ce qui nous paraît plus intéressant ici est le fait que l’évocation de ce rôle a parallèlement été l’occasion de revenir, à travers une version très particulière, sur l’un des grands mythes de Ra.

Photo 1. – Présentation de dents cachalot (tabua) lors d’une cérémonie, Nasau, 1997 (cliché de F. Cayrol)

(cliché de F. Cayrol)

Au nord de Ra, avant le littoral, une chaine de montagnes s’élève, abritant plusieurs grottes. Ce site impressionnant, nommé Nakauvadra (de kau « l’arbre » et vadra le « pandanus »), est à n’en pas douter un des lieux les plus connus et les plus commentés de Viti Levu. En effet, il est décrit comme le site de résidence d’un « dieu » Degei qui, adoptant la forme d’un serpent, habite plus précisément au sein de l’une de ces grottes. Ce site et les représentations qui l’entourent sont en relation avec les populations Vatukaloko, du nord de Ra, victimes de la bataille dite de Nakorowaiwai qui a eu lieu avant la cession (Kaplan, 1995). Le mythe, aux multiples versions, met en scène ce dieu et son coq ou pigeon, Turuqawa, volé par des jumeaux, les Ciri – identifiés parfois

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comme des étrangers et parfois comme les propres descendants de Degei. Ce vol est à l’origine d’une importante guerre et du déplacement de plusieurs groupes. Pour certains auteurs, les récits concernant Degei, qui intègrent souvent un épisode relatif au déluge, seraient en partie une invention missionnaire, et il est vrai qu’aux yeux des missionnaires, ils avaient l’avantage de témoigner de l’existence d’un certain type de croyance monothéiste à Fidji. Degei a ainsi été considéré par eux comme étant le principal dieu de Fidji et aujourd’hui, la vision selon laquelle Ra serait le berceau de la culture Itaukei est très liée à ces représentations. Mais pour d’autres commentateurs, les récits qui mettent en scène Degei sont en rapport avec l’arrivée d’immigrants instaurateurs d’un nouvel ordre ou bien retracent le départ de Ra d’un ensemble de groupes qui s’installeront dans diverses régions, dont dans les plaines du delta de la rivière Rewa et Bau, donnant naissance aux grandes familles aristocratiques fidjiennes. Il est difficile de rendre compte d’une trame un tant soit peu détaillée organisant ce mythe tant ses versions sont nombreuses. Mais, en nous référant ici à l’une d’elles donnée par Gatty, à la suite du vol de l’oiseau, les jumeaux sont poursuivis (Gatty, 2009 : 209). Ils trouvent refuge à Narauyabe, le village d’un personnage au nom de Rokola, un charpentier spécialisé dans la construction des grandes pirogues d’origine tongienne, au service de Degei. Le village de Rokola est attaqué par un « champion » du dieu, c’est- à-dire un guerrier de grande réputation, Vueti, originaire de Verata, qui deviendra le premier Roko Tui Bau. Les jumeaux s’enfuient le long de la rivière Wainibuka, grâce à une montée des eaux. On notera que dans certaines versions, l’on trouve un Teki, présenté comme un autre guerrier de grande réputation et désigné comme l’homme fort de Nalawa. Il apparaît pour perdre la vie en se battant du côté de Degei contre les jumeaux. Le récit que j’ai relevé à Nasau ne cite pas Teki. Par contre, il s’inscrit au cœur des relations entre Ra et Tonga mais aussi entre Ra et bien d’autres « étrangers ». En effet, il débute avec une compétition de lancer de javelots (veitiqa) organisée à Tonga, dont le prix n’est autre que le fameux coq27. C’est ainsi que ce dernier, gagné par Fidji, arrive à Viti Levu où, précise le récit, nul oiseau de ce type n’existait alors. Il est immense28. Après avoir transité par les Lau où il a laissé ses empreintes, il est placé à Nadarivatu (Ra) et plus précisément, à Natoalevu (« Le grand coq »). La première nuit de son installation, le coq réveille Degei. Ce dernier envoie son matanivanua (« porte-parole » dont la fonction est indissociable de la grande chefferie fidjienne) le chercher et l’oiseau est alors placé près d’un grand banian. Mais un matin, Degei n’est pas réveillé par son coq, les jumeaux, eux aussi originaires de Tonga29, l’ayant tué. En apprenant la nouvelle, Degei est furieux et c’est ainsi qu’une guerre, suivie de la dispersion de nombreux groupes, débute. Beaucoup de sang coule, les jumeaux utilisant des « troncs de fougère d’où sortent des flammes », c’est-à-dire des canons. Ensuite, ils partent vers Rau, et construisent un bateau sur le haut de la montagne avec l’aide de charpentiers. Un déluge emportant le bateau, ils suivent le cours de la Wainibuka et se dispersent à Nukutubu (« Là où lève le sable ») un village de charpentier dans la vallée de là Rewa et sur l’île de Kadavu. Le récit précise que les jumeaux étaient seuls dans le bateau car personne, exceptée leur mère, ne voulait les accompagner par peur de Degei. Toujours selon ce récit, la dispersion ou plus précisément les divisions qui ont lieu par la suite ont eu pour conséquence d’éloigner une partie des occupants du bateau et leurs descendants de l’archipel mais tout en les associant aux diverses nations alors en relation à Viti Levu : ainsi se rendent-ils en

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Allemagne, alors que la mère des jumeaux, nommée de manière tout à fait inattendue Britain Veretania, rejoint quant à elle l’Inde (Endia).

Bulibuligone et son canon, le choix exemplaire de l’incorporation d’une puissance étrangère

Revenons maintenant sur l’ensemble de ces éléments. Il apparaît tout d’abord important de souligner combien les représentations actuelles ne sauraient être analysées sans que compte soit tenu des bouleversements survenus tout au long du XIXe siècle. En l’état actuel de nos connaissances, il est difficile de positionner dans le temps la guerre du Tui Nalawa. Mais ce dernier, proche parent d’un homme de Viwa, vainqueur d’un conflit local, hésitant à se convertir au christianisme, soutenant Bau et l’administration coloniale tout en allant à son encontre, participant à la diffusion des biens européens et, en particulier, des armes qui circulent alors largement, semble tout à fait exemplaire de cet état de fait. Loin de nous, bien sûr, de penser que les mythes évoqués sont à prendre au pied de la lettre comme autant d’indicateurs d’épisodes historiques. Cependant, leur importance est considérable tant ils sont à Nasau le canal privilégié des représentations du passé, à tout moment recomposables à partir de nouveaux questionnements issus parfois d’événements contemporains. Dans l’installation des groupes aujourd’hui présents dans la vallée de Nasau mais également des types de hiérarchies qui y prévalent, le rôle déterminant des Tongiens, de la conquête de Bau et de l’installation des conditions très particulières sur lesquelles se sont appuyés les Britanniques ne fait pas de doute. Mais parmi les bouleversements intervenus tout au long du temps des guerres, on aura noté à quel point la présence d’étrangers est importante. Les représentations du passé en rapport avec Bulibuligone sont véritablement travaillées par les relations avec l’extérieur, comme si les Nasau ou les Nalawa prenaient la mesure d’un nouvel univers. Il s’agit également d’une maîtrise de cet espace, puisque la mère des jumeaux, au nom associé à la Grande-Bretagne, est censée avoir rejoint une autre colonie britannique, l’Inde, alors même que, sur l’île, la venue de travailleurs indiens a été favorisée. Un commentaire concernant la partie du mythe évoquée ici explique d’ailleurs le fait que les femmes indiennes portent aujourd’hui des objets sur la tête (attitude qui n’a rien de fidjien car seul un « chef » peut porter un couvre-chef) par la présence de cette mère (de haute naissance) dans le bateau. Ici tout se passe donc comme si l’arrivée des Indiens, particulièrement nombreux à Ra, venait s’inscrire dans le prolongement de ce voyage vers l’extérieur. Or cette logique de retour, dans laquelle l’on peut lire une influence chrétienne, traverse également tous les mouvements syncrétiques qui se multiplient à la même époque dans la région de Ra (Kaplan) et Nalawa est considéré après la Cession comme un haut lieu de leur développement.

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Photo 2. – Présentation d’un bol de yaqona avant sa distribution lors d’une cérémonie de mariage, Nasau, 1996

(cliché de F. Cayrol)

Nous avons déjà évoqué la position particulièrement valorisée des « étrangers » dans les représentations des deux principaux groupes présents à Nasau. Le prêtre traditionnel du Tui Nalawa, dont nous avons présenté le témoignage, paru en 1984 dans le Fiji Times, y précise que son groupe (le mataqali Delaibeqa) est également en relation avec des « dieux » étrangers. Au nombre de sept, ces dieux sont décrits comme étant, sous leur forme humaine, des Allemands30 (deux d’entre eux portent des uniformes, l’un de militaire, l’autre de policier) et, sous leur forme animale, des serpents de mer (d’une espèce particulière qui remonte les rivières). Positionner ainsi ces « dieux » ou ses « esprits » en tant que vu ou mieux, kalou vu, revient à reconnaître leur formidable puissance, à se mettre sous leur protection et bénéficier de leur efficacité. Or, à cette époque la puissance est indissociable des armes à feu dont la source est bien extérieure (le nom même de Varani provient d’un haut fait d’armes de ce dernier contre un navire français, dont les canons ont été volés).

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Photo 3. – Préparation de yaqona sur le site de Bulibuligone Bulibuligone 1999

(cliché de F. Cayrol)

Ces sociétés, où le statut de guerrier était si important, sont travaillées par la violence qui s’installe tout au long du XIXe siècle et nous touchons là du doigt la complexité du choix de Bulibuligone pour l’organisation du passage à l’an 2000. Elle nous demande de reconsidérer la présence du canon de Bulibuligone et son rôle dans la christianisation de la vallée. En effet, élément issu de l’extérieur, il est comme nous l’avons vu, directement associé aux esprits du lieu puisque le photographier, comme prendre toute image du site, réserve des surprises à ceux qui n’auront pas approché le lieu comme il se doit. D’ailleurs, les proches du Tui Nasau le précisent au cours de l’enquête conduite par le Fiji Museum : grâce aux pouvoirs surnaturels du Tui Nalawa, il suffit à ses aînés de garnir le canon de certaines vignes sauvages et d’en frotter le fût de certaines feuilles pour que, partant à la chasse, très rapidement un porc se présente à eux. En ce sens, ce canon, tout à la fois arme et agent de l’efficacité des esprits, est lui aussi exemplaire. Ces gestes font de ce canon un objet rituel à part entière. Or, ils sont identiques à ceux pratiqués alors par les organisateurs de ce qui a été considéré comme un des mouvements syncrétiques qui se multiplient dans la région, les Luve ni wai, soit les « enfants de l’eau ». Nous n’avons fait jusque-là que les évoquer rapidement. Tels qu’ils sont décrits, ces mouvements auxquels une importante littérature est consacrée, semblent consister en rites organisés par des jeunes gens qui se rendent au bord du rivage d’une rivière. Garnissant de feuilles et de fleurs le lieu où ceux-ci prenaient place et attendaient la venue « d’esprits de l’eau » Luve ni wai, qui prenaient alors possession de certains d’entre eux, leur transmettant ainsi la connaissance de danses et de chants particuliers. En ce sens, ils paraissent être des rites sans grands dangers, comme il en existe tant ailleurs. Mais, ils sont également vus comme des rituels de préparation à la guerre et se muent en des quêtes d’invincibilité pour se multiplier d’autant à Naitasiri et Ra (Nicole 2004, Kaplan, 2011), . À partir de ces remarques, on est en droit de se

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demander sur quoi se fonde plus précisément la christianisation de Nalawa qui a finalement positionné certains groupes dans le camp des vainqueurs.

Conclusion

Nous avons évoqué en introduction à quel point Fidji se présente comme une nation homogène. Or, cette homogénéité découle également des événements particuliers qui viennent d’être en partie retracés. Les actuelles frontières régionales et administratives sont à repenser en montrant combien leur instauration est assortie de la prééminence de certains groupes porteurs des paraphernalia d’un nouvel ordre hiérarchique ou bien qui ont favorisé leur diffusion. Face à ces données, il est possible de penser que les formes hiérarchiques comme le statut de certains groupes seraient différents aujourd’hui si les conditions de l’arrivée de la chrétienté et des Britanniques l’avaient également été. Ces conditions, cette histoire spécifique, les mythes qui s’y rapportent parfois indirectement forment la trame de représentations du passé explicites qui nous permettent de saisir combien est symbolique le choix fait par le Tui Nalawa de revenir sur l’ancien site de Bulibuligone pour pénétrer avec l’ensemble de ses sujets dans le XXIe siècle. Ce choix est certes en rapport à la christianisation de la vallée mais, au-delà, également à un ordre qui tient ensemble bien des éléments dépassant ce cadre et s’enracinant au sein de ces sociétés des « collines » si singulières . Ce tout assoit la hiérarchie aujourd’hui de mise dans la vallée de Nasau, et l’intégration au pouvoir des esprits locaux d’une formidable puissance issue de l’étranger en fait intégralement partie. Or, il est impossible de conclure cet article sans évoquer les faits d’actualité qui secouent aujourd’hui Ra. En effet, le Tui Nalawa, certains de ses proches et d’autres personnes de cette région sont actuellement mis en examen (depuis plusieurs mois) pour tentative de sédition et de constitution à Ra d’un état chrétien autonome. L’entraînement secret de civils par un ancien militaire de l’armée britanique (très nombreux sont les Fidjiens ayant ainsi servi la Grande-Bretagne, à Ra comme partout dans l’archipel) fait partie des charges auxquelles est confronté ce groupe. Comment ne pas voir en ces derniers développements de l’actualité fidjienne, et avant qu’un vrai travail d’enquête puisse être accompli, une mise en echo des bouleversements vécus par les populations de cette région au XIXe siècle et du choix de Bulibuligone pour y organiser, plus d’un siècle plus tard, un des plus grands rassemblements que Nalawa ait connu : celui du passage à l’an 2000 !

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Turner James W., 1986. The sins of the Father: Rank and Succession in a Fijian Chiefdom, Oceania 57, pp. 128-141.

NOTES

1. Sous différentes formes, le breuvage tiré d’un poivrier (Piper methysticum) est omniprésent dans toutes les sociétés de la région, où sa consommation est un puissant moyen de communication avec les ancêtres et les esprits. 2. Le terme vu ni wai peut être littéralement traduit par « racine de l’eau ». 3. Cet homme a en fait creusé un trou sur un des flancs du sommet menant au site, révélant ainsi très certainement une ancienne source. 4. Les références concernant cette cérémonie sont très nombreuses, pour une approche de son organisation à partir de la région de Nasau, voir Cayrol (2013 et 2015). Pour la décrire rapidement de manière schématique, les personnes dont le statut est le plus important (dont avant tout les chefs) sont assises en arc de cercle, face à des jeunes gens chargés de préparer la boisson sous les ordres d’un aîné. Celle-ci est ensuite distribuée en commençant par la personne au statut le plus haut, l’ordre de distribution et de consommation reflétant alors la hiérarchie en vigueur. Ce rituel serait originaire de Tonga (Lester, 1941 : 236, Cluny, 1986 : 80). Dans certaines régions, des plats de céramique sont utilisés – souvent davantage en relation aux femmes (Cayrol, 2015) – mais ceux de bois sont indissociables des cérémonies les plus officielles. 5. Il s’agit bien entendu d’une conformation aux règles fidjiennes qui seules peuvent inciter les esprits du lieu à accepter la présence d’un étranger. 6. Tui Nalawa est un des quatre grands titres de la province de Ra. 7. Le terme dina marque la valeur des objets, espèces, attitudes ou autres ainsi qualifiés. Il s’agit par exemple pour les ignames, d’espèces locales qui jouent un rôle important dans les échanges. 8. Ce texte doit beaucoup au très important travail effectué par Robert Nicole (2011), qui, pour la première fois, présente de manière détaillée l’histoire de cette région, rompant avec celle, officielle, généralement connue. Ce travail en partie dans la lignée de celui de Kaplan (1995) pour le nord de Ra, aborde bien des problématiques sous un regard nouveau. Cet article est de plus le fruit de nombreuses discussions très enrichissantes avec Simonne Pauwels, dont le travail est centré sur les îles Lau. Je la remercie ici pour ces discussions et la relecture attentive de ce travail.

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9. Lors des cérémonies fidjiennes, le chef se tient au plus haut de l’espace regardant ceux qu’il représente (cf. ci-dessus note n° 5). L’organisation spatiale du village de Nasau semble renvoyer à cette disposition. On notera que dans d’autres villages de la région, cette organisation « modèle » est beaucoup moins évidente. 10. Concernant les mariages dans la région et les chemins qu’ils ouvrent, prolongent ou réactualisent, voir Cayrol (2015). 11. Pour une présentation de l’organisation des maisons et de manière plus globale de la société de Nasau et de ses traits caractéristiques rapidement présentés ci-dessous, voir Cayrol (2012 et 2015). 12. Ce système est à Nasau en rapport avec la transmission des noms d’aînés et les pratiques matrimoniales (Cayrol, 2015). 13. Il s’agit de tout ce qui tombe sous la pratique du Kerekere, une demande qui, si elle ne peut être refusée, place toujours le demandeur dans une position inférieure à celle de son interlocuteur (Cayrol, 2015). 14. On notera que ces croisements ne concernent jamais les arbres, kau, propre aux groupes. 15. Ceci évoque la possibilité que les groupes ainsi réunis forment des « paires » cérémonielles au sein d’une localité, où les relations neveux (vasu)/oncles utérins soient en quelque sorte concentrées (concernant ces relations à Nasau, voir Cayrol 2015). 16. La langue de Nasau qui tend à disparaître appartient aux langages du centre-est de Viti Levu. Parmi ses caractéristiques, le « t » y est remplacé par une glottale stop. L’on reconnait ainsi assez aisément les termes empruntés à une autre langue, et en particulier au fidjien « standard » par le fait que, s’il contiennent un « t », ce dernier est alors prononcé. 17. Généralement plus connu sous le nom de tabua. 18. En 1989, à l’occasion d’une rixe ayant pris des proportions importantes entre les jeunes de ces deux groupes, les personnes les plus âgées du village soulignaient que les conflits entre Nasau et Nasauqaqa se répétaient à chaque génération. 19. Les Nasau soulignent que les ‘ako/lavo ne pouvaient quant à eux se changer, ce qui conforte l’idée qu’ils dépendent des relations tissées au sein même d’une localité. Les croisements décrits plus hauts sont très généraux, dans tout le district de Nasau. 20. Les 150 ans de l’arrivée du christianisme à Fidji ont été fêtés en 1985. À cette occasion, le Tui Nalawa de l’époque s’est rendu sur le site de Bulibuligone. Il est pris en photo près du canon (Solomoni Biumaiono, 2014). 21. Je remercie ici tout particulièrement le Fidji Museum, sa directrice Sagale Buadromo et son équipe pour les très intéressants échanges que nous avons eus autour de Bulibuligone et l’indication de cette recherche menée par le musée. 22. « Na daqai ni Vanua , Old cannon which belongs to Ratu Moave NiuDamu n°1 – Tui Nalawa», voyage sur le terrain, à Ra, interviews du 30 mai 1984, Fiji Museum, 532 b, avec l’autorisation du Fiji Museum. 23. Les teachers, océaniens, formés par les missionnaires avaient pour mission de transmettre la foi chrétienne. Ils étaient souvent envoyés en quelque sorte en « éclaireurs » là où le missionnaire aurait particulièrement craint pour sa vie. 24. Un village, Sawalevu, nom d’un petit ruisseau situé dans cette province en serait le lieu d’origine. 25. Le fait de souligner en public le caractère étranger d’un groupe ou d’une personne vivant dans la localité s’apparente à une injure. De tels propos échangés entre les deux principaux groupes présents à Nasau m’ont été rapportés, l’aîné de l’un disant à l’autre « mais qui te connaît ici ? ». 26. Nawaqaliwa, est un autre nom donné à la « guerre du Tui Nalawa », le terme waqa se rapporte à un contenant d’esprit ou de personne, bateau, avion, et liwa, certainement « au froid » auquel certains groupes liés à la maîtrise du climat sont plus particulièrement associés dans la région.

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27. Il serait difficile de ne pas évoquer ici le fait que, comme le précise Gatty, le terme ulutoa littéralement « tête du poulet » se rapportait à la partie distale du javelot utilisé dans les jeux de veitiqa, faite de bois ; cette partie du javelot, attaché à la hampe, était particulièrement dure (Gatty, 2009 : 107). Les femmes étaient attirées par celui qui remportait la compétition (2009 : 269). Par ailleurs, traditionnellement, ce jeu avait lieu après la fin de la plantation des ignames (2009 : 335). 28. On notera ici que la taille est toujours une manifestation de la puissance, les esprits les plus puissants se montrent ainsi toujours à Nasau sous les traits d’un être humain de très grande taille. 29. Le récit indique également qu’ils vivent à Nubu et qu’ils seraient originaires du yavusa Nadaruatu. 30. Ce témoignage mériterait d’être analysé plus avant en tenant compte du passage (bien plus tard que le temps de guerres) dans la région d’un « prophète » fidjien, Apolosi Nawai, qui disait soutenir les Allemands. Il fut exilé en 1940 à Rotuma.

RÉSUMÉS

Comparée à d’autres états situés plus à l’ouest, la nation fidjienne donne, côté Itaukei (c’est-à- dire Fidjiens d’origine fidjienne), une impression de grande homogénéité à la fois culturelle et politique. Le processus de standardisation linguistique que connaît l’archipel y est pour beaucoup comme la présence d’un type de chefferie pratiquement devenue un paradigme anthropologique avec les travaux de Marshall Sahlins. Or, celle-ci, avec ses rituels propres, n’était pas un universel fidjien. Plusieurs auteurs anciens en témoignent pour les sociétés du centre de Viti Levu, alors dénommées les Hill Tribes. Ici, nous parlerons de l’une d’entre elles, Nasau, dont certaines représentations et pratiques témoignent encore du formidable bouleversement conjointement instauré, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, par la « pacification » britannique et l’avancée « tongienne », à l’origine de la conversion et de l’instauration de nouvelles formes de hiérarchies dans la région.

Itaukei people in Fiji, that is to say the native people of Fiji, seem very homogenous regarding both cultural and political matters compared to people from further west. The process of linguistic standardisation undertaken by the archipelago plays a huge part into this, as well as a specific kind of chieftaincy that can be almost considered an anthropological paradigm thanks to the work of Marshall Sahlins. However this chieftaincy isn't prevalent in all of Fiji, as shown by several authors who have studied Viti Levu societies then known as the Hill Tribes. We will focus today on one of those societies, Nasau, located in the middle east of the fijian archipelago, where a number of representations and practices testify of the great upheaval of the XIXth century caused by both the British pacification and the tongan progress that established new forms of hierarchies within this region.

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INDEX

Mots-clés : organisation sociale, centre de Viti Levu, hiérarchie, guerres, bouleversements coloniaux, homogénéité nationale Keywords : social organization, center of Viti Levu, hierarchy, wars, colonial upheavals, national homogeneity

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The iTaukei Chief: Value and Alterity in Verata

Matti Eräsaari

I would like to thank the editors and reviewers for the questions and comments that made it possible for me to present the argument in a readable form. The writing of this article was made possible by grants from the Finnish Cultural Foundation and the Emil Aaltonen Foundation to whom I am also grateful.

1 In 2010 the Government of Fiji passed a decree which replaced the English words “Fijian”, “indigenous” and “indigenous Fijian” with the Fijian word “iTaukei” in all the English-language laws, official documents and names of Government agencies referring to “the original and native settlers of Fiji” (Government of Fiji 2010). Consequently, the Ministry of Indigenous Affairs became the Ministry of iTaukei Affairs, the Fijian Affairs Act became the iTaukei Affairs Act, and so forth.1 In the simplest of terms, what happened here was that the government used its authority to establish an endonym in place of the misleading “Fijian”, a term which can be used both in reference to the indigenous population and to Fijian nationals.

2 Everyone familiar with Fiji’s recent history of coups and the role ethnicity has played in the coups understands that the name change works in two ways: it both sets apart the group designated as taukei2 as a distinct category, but it can also be seen as an attempt at broadening the gloss of the word “Fijian” – “freeing” the noun denoting Fijian nationality to usage that is devoid of ethnic connotations, as it were. Whether the first should have been attempted in the first place, and whether the second is possible just by a governmental decision, are both questions that this article addresses only indirectly. What I want to draw attention to, instead, is what a value-laden choice this is, and what are the structural implications of such a choice.

3 The word taukei has for a long time been defined as one half of a conceptual pair, serving as counter-notion to that of vulagi, the “guest” or “stranger”. The significance of foreign origin in indigenous Fijian value systems has been a constant theme in the ethnography of Fiji; this has been elaborated with regard to political power and exchange value in a highly persuasive manner by Marshall Sahlins in particular (see

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e.g. Sahlins 1985, 1994, see also Sahlins 2013). In this conceptual pairing, taukei does indeed stand for “the original settlers”, as clarified by the Government circular letter cited above, but it also stands for the notions of “owner” and “host”. Together, the conceptual pair can be taken to exemplify how certain values can be “preserved in the very fabric of language”, as E. P. Thompson (1970 [1968]: 54) once phrased it. Though Thompson speaks of the moral values of the English crowd rather than the binary semantic values of Fijian symbolic order that I evoke here, I want to emphasise that the two are, in this instance at least, inseparable. Linguistic value is also, as Saussure (1993 [1983]: 113) already reminded us, a fundamentally social construction that relies on the general acceptance of the community of speakers.

4 Unaisi Nabobo-Baba (2006) gives a fair account of the connotations expressed through the taukei–vulagi dichotomy in the district of Vugalei, south-eastern Viti Levu: « The Vugalei Fijian see the world in terms of a clear dichotomy between taukei – people who are of the land, own the land and therefore look after the land – and vulagi (visitors). Visitors are seen as not belonging, and therefore not feeling responsibility for the land, resources and all else that exists within it […] those who are taukei to a vanua (“land”) should always have the best interests of their vanua at heart, especially if they are brought up well. » (Nabobo-Baba 2006: 44–45)

5 However, it is not the different interests of the owner and the visitor that come out most strongly in Nabobo-Baba’s writing, but rather the implications of the moral higher ground occupied by the taukei. In the words of one of her interlocutors: “If I was a vulagi woman, I could not speak out freely” (op. cit. 45). In an examination of texts forwarded during the public hearings organised for the review of the 1990 constitution, Robert Norton (2000) discusses a range of different takes on the taukei/ulagi dichotomy. These show how the ideology discussed by Nabobo-Baba can be harnessed into national-level political usage, a rhetorical move sometimes labelled “taukeism”. Here are some examples: « The Fijians regard themselves as the owner of Fiji in the same way the owner of a house protects his interests in his house, » and they do not respond favorably to tenants “who demand equal rights with the owner” as the issue was phrased by the Viti Civil Servants’ Association (Norton 2000: 103). The SVT party’s petition phrased the issue even more pointedly: « The Taukei are normally at the forefront in decision making. The vulagi are allowed to participate […] but they must not be domineering or forceful. […] Whilst they are welcome to stay and enjoy the fruits of their labour, […] they need to be reminded time and time again of this fact. […] The taukei and vulagi concept, host/ guest relationship, continues to be challenged and upset by […] the human rights concept in which all are considered equal. » (Norton 2000: 98; see also Ravuvu 1991)

6 And so it goes on, all the way to the Methodist Church’s call “to ensure the absolute control over this nation by the i Taukei” (Norton 2000: 100).

7 Similar rhetoric is very common in the Tailevu Province where I conducted research in 2007–2008, and judging by conversations held with visitors from other parts of Fiji, not uncommon elsewhere in indigenous Fiji either. Most typically applied to interethnic relations, the point typically remains the same: “they are the guests, they ought to know their place”.

8 This is radically different from a Fiji that once allowed A. M. Hocart to gloss vulagi both as “guest” and as “heavenly god” (cited in Sahlins 1985: 75) rather than a mere “visitor”. Indeed, it is the liberal and accommodating view on “visitors” that makes the

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contrast between the “past” and “present” guests particularly pronounced, such as the one expressed by Ratu Nacula Jo, who would rather portray the taukei “as the gracious host who is mindful of the interests of other communities […] the honoured guests” (Norton 2000: 98). For such a view brings to the fore with marked finality exactly how far the current usage is from the idea of chieftainship based on alterity: stranger-kings, sacred nephews or ruthless usurpers can hardly feed off the kind benevolence of their gracious hosts.

9 This article addresses the theme of Fijian chieftainship from the viewpoint of the categories of guest and host, presenting first the social-structural argument on an abstract, “as if” basis and then an ethnographic case from the particular location that I am most familiar with, the village of Naloto in Verata, Tailevu. Although I view the ethnographic case and the historical argument as fundamentally intertwined, I want to keep the two threads apart for two reasons. First of all, the chiefdom of Verata has a unique position in the Fijian order, and the ideas of autochthony and alterity implied by the categories of stranger and guest are crucial to that position. Verata is the chiefdom that is most consistently regarded as the genealogical senior among the Fijian chiefly families, and could with relative ease be regarded either as the epitome of the alterity of chieftaincy or its opposite, the origin point par excellence (Eräsaari 2013). In other words, what applies for one region in Fiji does not necessarily apply for another. And for this reason, I want to first present the largely shared core ideas and common history that is applicable to most of Fijian ethnography, and only then the particular way in which these ideas play out in the Naloto social world.

Taukei vs. vulagi: the structural argument

10 In Lau Islands, Fiji, A. M. Hocart forwards the often-cited claim that Fijian chiefs “came from overseas: it is so in all countries in Fiji” (Hocart 1929: 27). The claim agrees with an observable general pattern which is present throughout the ethnography of central- eastern Fiji, from Brewster (1922) to Hocart (1929, 1970 [1936]) and Sahlins (e.g. 1972, 1985, 1994), with the general principle also upheld by Kaplan (1995) and Toren (1988, 1994), to name but a few. The argument, in a nutshell, is that particularly coastal East Fijian chiefs have been regarded as landless aristocrats who are dependent on their subjects for their material welfare, but are at the same time powerful leaders because of the alterity they incorporate. This duality is realised through the founding marriage between an apical male ancestor and his autochthonous spouse, whose offspring then make up the chiefly dynasty. Chiefly lineages, in other words, can be regarded both as strangers vis-à-vis the owners of the land due to their foreign ancestry, and as their indigenous kinsmen: “synthetic personae” who incorporate both autochthonous and foreign values. Yet it has been the foreign side that has traditionally served as the marker of chiefly charisma (Sahlins 1994; cf. Geertz 1983).

11 Hocart’s interpretation of the word vulagi as “heavenly god” (vū + lagi) is inseparable from the socio-cultural underpinnings of this model of chieftainship; for him it is an expression of what Kajsa Ekholm-Friedman and Jonathan Friedman (1995) discuss as exo-sociality, the utilisation of distinctly foreign means for local ends; or what Rupert Stasch (2013) describes as “xenophilia” or the “variety of representations in which people […] invest the culturally and ethnically different with special value”; and what Marshall Sahlins discusses as “alterity” (2012, 2013) in reference to the socio-cultural

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principle of differentiation that often precedes economics in the determination of spiritual and material value. What all three clearly show is that this principle does not apply to politics alone, but can be observed in a variety of interrelated contexts, ranging from economic to semantic, moral or, according to Sahlins (2013), even nutritional value.

12 Hence, as Sahlins (e.g. 1994) has shown, in addition to the chiefs being strangers, so were their attendants, close allies and paraphernalia. The chiefs surrounded themselves with foreigners, wore foreign decorations made by foreign artisans, even assumed foreign titles. The value of alterity has been particularly manifest in the tabua, whale teeth that have been described as “Fijian money” by Marcel Mauss (1966: 29), “cultural currency” by Andrew Arno (2005), and as similar to money by Nicholas Thomas (1991, 1995). This worth, it has repeatedly been shown (for previous work on tabua see Hooper 2013: 103–106), is due to the objects’ foreign origin. As a matter of fact, this was not evident merely in origin myths (see Sahlins 1983: 72–73; Thomas 1991: 70): 19th-century sources also state that the exchange value of tabua varied in accordance to the physical signs of age displayed by the objects: the difference between the “red” and the “white” whale teeth was, according to the beachcomber William Diaper, “the same as between our shillings and sovereigns”. The red teeth, Diaper informs us, “were brought to the Feejees by the Tongans, by whom they were first introduced” (Erskine 1967 [1853]: 439; see also Williams 1985 [1858]: 40–41). In a manner reminiscent of Malinowski’s analysis of the kula exchange, these items then prove that not only does the objects’ exchange value increase with the distance they have travelled, value may also be recorded onto the objects in marks of wear that Malinowski identified as “historic sentimentalism” (Malinowski 1984 [1922]: 89; see also Godelier 1999).

13 Yet the whale teeth do not just draw their value from the same source that also comprises the chiefs’ charisma, the mythological accounts actually draw close parallels between the tabua and the chiefs. The whale teeth not only first appear in Fiji together with the foreigner-chief in the best-known myth accounting for the origin of whale teeth (Stanmore papers ca 1875–1880; Sahlins 1983: 72-73; Thomas 1991: 70), but also share a name with the foreigner, Tabua. In another myth, a multiply-reversed version from interior Viti Levu reported by Abramson (2013: 13–14), the sacred stranger brought in by the shark-god is a woman known as Adi Waimaro, who herself turns into a whale tooth and is stored away as a valuable. A recent issue of the Journal of the Polynesian Society (122 [2]) presents an exhaustive analysis of the material and the cosmological origins of Fijian tabua, clearly illustrating that original source of Fijian tabua is in Tonga. But Clunie’s (2013) contribution in particular further illustrates that the histories of whale teeth and stranger-kings are fundamentally intertwined: that the Tongan tapua, crescent-shaped objects made from ivory, were once heirlooms or “shrines” containing lineage deities and associated with first-fruits type harvest rites. Between the 15th and the 17th centuries, “successive Tu‘i Tonga […] set about forging a fresh power base in Fiji, spawning hybrid lineages, becoming variously deified and disseminating tapua, which changed the face of Fijian society” (Clunie 2013: 164–165). The growing importance of tabua in Fiji was, from the outset, connected with the Tongan chiefly influence in Fiji.

14 The whale teeth, in other words, are a powerful symbol of the foreign value invested in Fijian chieftaincy. But the issue extends much further: the dichotomy of stranger-

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guests and autochthonous hosts is also generalizable to the wider relations between groups designated as “land” and “sea”, whilst the “land” and “sea” designations in their turn also express the material conditions of land ownership, a political economic rationale, if you will. All of this has, again, been extensively reported elsewhere (for references, see below), so I will here present but the bare-bones version that makes it possible to follow my argument.

15 The status of “guest” marked the old-time chiefs off as a non-land-owning category: Hocart’s informants told him as much in the Lau group, where “[t]he nobles of old had no land; they had only the authority (lewa)” (Hocart 1929: 98). But a similar pattern can be traced in Eastern Viti Levu, too: in the village of Naloto, people maintain that the chiefs of old did not own land, and though they became official land owners when the village lands were surveyed in the 1930s, theirs is but a small patch of land in comparison to the Naloto “land warriors” (bati). The same applies for the Naloto “sea people”, two immigrant clans of shared ancestry from the nearby village of Ucunivanua, whose farm land lies at the edge of the village land area. Together, the sea moiety and the chiefly lineage comprise over 50% of the village population, yet own hold less than 10% of the village lands (see Eräsaari 2013: 18–39) In this respect, the distinction between chiefs and people is materially similar and symbolically largely overlapping with the division into land and sea people that comes to the fore on ritual occasions, when the groups denoted as “land” and “sea” (are expected to) follow a set of prescriptive rules: the sea people should provide salt water produce to the land people and abstain from eating it themselves, whilst the land people should provide pork and root crops to the sea people and abstain from eating pork, red coconut cream or plantains. For the clans designated as “sea people” (kai wai), like the foreigner-chiefs, “do not belong to the original scheme of things, never being natives of the tribe, but foreigners attached to it” as specialist groups who ply their trade “only for the chiefs” (Hocart 1970: 108). Sea people are, as a rule, considered more proficient fishermen and are often expected to make a living from the sea rather than land, which they were only entitled to as affines or due to the benevolence of their hosts in the “original scheme of things”.

16 A. M. Hocart illustrates the overlapping of the categories of land and sea with those of “noble” and “warrior” (bati) as they are played out on the geographical plane: « each coast tribe stands to one or more tribes inland of them in the relation of coast and hill, or noble and mbati [bati] or tooth on edge; the “hill tribe” in its turn is “coast tribe” to one further inland, and so it goes on. This relation is called veimbatiki [ veibatiki], or relation of noble and mbati. It involves certain food restrictions: thus the coast tribe may not eat fish in presence of its mbati, nor can the mbati eat pig in presence of the coast tribe; as for turtle and large fish, the coast tribe might not eat them at all, but had to send them to the mbati; if they ate it in secret, as often happened, and it was found out, they had their houses burnt down. » (Hocart 1924: 186)

17 What Hocart illustrates is that although based on the material conditions of land ownership on the village or corresponding local level, the same categories co-exist on the inter-village or inter-chiefdom level, where they take on a more relational character. He depicts North-Eastern Viti Levu as a series of consecutive zones, where the same group can be classified as “sea” in relation to the groups landward from it and as “land” in relation to those seaward of it; these relationships find expression in exchanges of fish and pork moving against each other, fish moving inland from the coast and pork towards the coast from inland. All this can be visualised as a relation of

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encompassment, where the hierarchically superior sea encompasses land on every consecutive level. Even sea people who are not considered “nobles” are easily fitted in this pattern in Hocart’s model, in which they are affiliated with the chiefs; maintain their specialist role only for the chiefs.

Map 1. – Sea encompasses land: author’s depiction of Hocart 1924

(Viti Levu map from Wikimedia Commons)

18 But Hocart’s explanation of the relationship between land and sea also illustrates another important characteristic of the arrangement. Though the sea denomination stands for “nobility” and chiefliness, the landspeople have privileges to counterbalance their obligations. A coast tribe who ate the bati’s due, Hocart recalls, “had their houses burnt down”. These are no mere formalities.

19 The same assumptions were also present in my fieldwork site, Naloto village, which is said to take its name from the inland polity of Naloto in Wainibuka. According to Naloto village sources, the Wainibuka polity was split into two groups in the mythical past: the Tui (“chief”) people, closer to the Wainibuka river, became the chiefly group vis-à-vis the Bati people, who took residence “in the bush”. The Tui people’s ceremonial obligation was to provide fish from the Wainibuka river, which they gave to the Bati, the Bati people gave pork to the Tui, until a section of the chiefly group was forced to move away from the chiefdom of Naloto and settle in what became Naloto village “probably because they ate something they should not have”, I was told in the village.

20 Ultimately, the sea people were not just dependent on the land people for farm land, root crops and manpower: the land people also installed or “made” (buli) the chiefs in what can be seen as the structural equivalent of Hocart’s (1929) famous descriptions of chiefly installations in the Lau group – in which the stranger-chief symbolically dies during the ceremony in order to be reborn as a god of the land (see also Sahlins 1985:

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73–103). This is why Hocart regarded the 19th century divine kings as synthetic personae who, once in office, combined the gods of the land with their own stranger ancestry. “Fijian titles are in [sic] the gift of certain families, who alone can perform the rite of installation”, he writes elsewhere (Hocart 1922: 289), and from this point of view it makes sense to recall what the head of the installing clan in Naloto was keen to point out to me – that “The sauturaga [installer/war chief] and the matanivanua [spokesman] are born into their stations, the komai [hereditary village chief] is not” – that according to this model, there should be no hereditary chieftaincy in Fiji.

21 Thus in this east Fijian tradition the hierarchical superiority of the sea/stranger/guest denomination can only be legitimated through the dichotomic relation with its antithesis, as the installation of the foreigner-chief by the autochthonous “king makers” clearly illustrates. Even the powerful rulers of the big coastal polities required autochthonous legitimation for their rule – a point emphasised by Martha Kaplan (1995), who pointed out that the colonial-era codification of Fijian culture turned the eastern/coastal arrangement into a model for Fijian political organisation writ large. The centralised political power of the coastal chiefs was both more convenient for administrative purposes and corresponded with the expectations of the colonial administrators. The resulting large-scale inability to recognise the “land” groups’ structural claims led to the rise of a powerful hereditary Fijian chiefly class: the installing groups were no longer necessary. But it is crucial to recognise the fact that in the long run, it is impossible to maintain one half of a dichotomy and do away with the other: the two rely on one another for definition. The strangeness of the stranger needs the autochthone or the in-group to remain strange: once the contrast disappears the distinction is void of meaning – the stranger grows unstrange, as happens in a Bernard Malamud novel (The Assistant, 1957). Hence the colonial administration’s failure to recognise the structural arrangement contained in the dichotomy of land and sea led them not only to make all Fijian clans land owners in concrete terms – regardless of “land” or “sea” affiliations – they also adopted the practice of translating “native Fijian” as taukei in colonial legislation.

The historical argument

22 The emergence of a state-approved Fijian culture has been described and explained elsewhere (e.g. France 1969; Kaplan 1988; Kaplan and Kelly 2001; Kelly 2004), so again I will but recapitulate. What emerged from the work of a group of turn-of-the-20th- century ethnographer-administrators was an administrator’s version of Fijian culture, encoded in the Native Laws and Regulations. Almost every aspect of Fijian culture was codified in the Native Regulations: from the chiefs’ obligations towards their people to the limits of their privileges; from proper window and house foundation sizes to correct religious practises, acceptable reasons for leaving one’s home village; marriages, funerals, taxation values for village produce, observance of the Sunday Sabbath, monetary limits for requests from kinsmen and rules regarding stray pigs, and so forth. But, crucially, the whole construction was founded upon collective land ownership. From Lorimer Fison’s (1881) tradition-defining lecture it still took almost forty years to decide upon which level of social organisation the land ownership ought to be fixed. In the end it was decided that the land-owning unit is the mataqali, although it became obvious early on that not only did patterns of land ownership vary

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throughout Fiji, but also the meaning of this social division varied – people were uncertain what was the difference or relation between the mataqali and the yavusa, for example (France 1969).

23 In material terms, this process came to define all native Fijians as land owners. Every mataqali’s history was recorded as evidence in the Native Lands Commission books where mataqali membership was likewise registered; native lands were surveyed and allocated to local mataqali, and this model remains definitive to this day – presently 87.9% of Fiji’s land area belongs to indigenous Fijian groups (Fiji Bureau of Statistics 2011). The material foundations of indigenous land rights, therefore, hardly support the taukei vs. vulagi distinction any more. Hocart’s Lauan informants attested as much already in the early 20th century: « The nobles of old had no land; they had only the authority (lewa); it is only since the Tongan rule [in the Lau group] and the Government that it extends to the soil. They could not take land; only the sister’s son could bring land to the nobles; the elders of the landsmen […] would decide to give land for their sister’s son to plant in. The nobles used to refer to us landsmen. » (Hocart 1929: 98)

24 But it was not just the material conditions of the Land-Sea division that changed. Over the course of translating a seemingly endless number of Native Laws, Regulations, Bills, Bulletins and Circulars, the Native Administration also adopted a practice of translating “native Fijian” as taukei (rather than kai Viti – “Fijian” – for example), applying a term that in the old order was reserved for the titular land owners in reference to the entire native population. I am not saying that this act of re-naming by itself would have necessarily changed anything, but combined with the communal system of land ownership, not to mention the pre-cession acts aimed at reducing the Tongan influence in Fijian politics (see e.g. Derrick 2001 [1949]: 143; Seemann 1862: 250–251), it is justified to say that the material and historical conditions underlying Fijian chieftainship changed dramatically.

25 And of course the very same colonial administrators who took it upon themselves to finalise and codify Fijian culture also brought to Fiji a significant number of new “guests” – or was it “strangers” – the Indo-Fijian population that today makes up over 37% of Fiji’s total population (Fiji Facts and Figures 2011). Over the course of the history outlined above, they have repeatedly been deployed as the silent other against whom indigenous Fijian culture has been compared. As Kaplan and Kelly (2001) have shown, Indo-Fijians have been presented as business-oriented and lacking a culture of their own, whilst the rationale of bringing indentured labour into the islands in the late 19th century was inseparable from the protectivist stance that the colonial administration adopted towards the indigenous population (see also Kelly 2004). The deployment of racial stereotypes plays a significant part in the turn from xenophilia even to its opposite, xenophobia, as has become apparent at least during the 1987 and 2000 coups.

26 It should be emphasised that this is not a sudden change but rather represents a series of gradual, interrelated processes that have been unfolding for almost one and a half centuries. What I want to draw attention to here is that the subsequent shift in the connotations of guesthood and alterity represents a transformation of the conditions underlying chiefship particularly in eastern Fiji. After all, the ability of Fijian chiefs to encompass the social totalities of people that they rule over, it has repeatedly been emphasised in the literature (e.g. Hocart 1970; Sahlins 1985, 1994), is grounded in their capacity to personify shared notions of power and charisma. The actualisation of these

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conditions is a far more complex issue to look into than simply laying out the structural argument. Moreover, it is something that cannot be conclusively argued with reference to a single locality in Fiji. What I want to do, however, is to portray one case where a strong case can be made for precisely such value shift. If this may happen in one particular place in Fiji, it may then be asked, the possibility of parallel developments ought to be looked into elsewhere as well.

The case of Naloto, Verata

27 Naloto is the largest of the seven villages that make up the land (vanua) of Verata (cf. Eräsaari 2013: 16). The village is home to roughly 300 people, in addition to whom there are more than twice as? many people registered in the Native Land Register as Nalotans but who do not live there. Less than a mile from the village of Ucunivanua, home of the Verata paramount chief, Nalotans take great pride in being part of the chiefdom of Verata: the kin groups in the village trace their histories back to the mythical founding of the kingdom in Verata (see below), whilst in historical times, Naloto was the stronghold of the Veratans during the Cakobau wars when Ucunivanua was burnt to the ground. Together with the villages of Kumi, Sawa and Uliloli, Naloto is classified as part of the Yavusa Qalibure, or the Verata high chief’s land warriors. Naloto is thus a commoner village of relatively low status within the chiefdom, though representative of Verata’s high chiefly status when Nalotans visit another chiefdom. The village itself divides into two local-level yavusa or moieties, land and sea. The groups comprising the land moiety own 94% of the village lands and the head of the land moiety, the Komai Naloto, is the hereditary village leader. On ceremonial occasions, he represents the entire village; encompasses both moieties, even though the sea moiety has their own chief, titled Na Tunidau.

28 The sea moiety, for their part, are descendants of a chiefly lineage from Ucunivanua; they are “nobles”, turaga, as a land moiety man once pointed out to me, and genealogically outrank their village neighbours. At the same time, a sea moiety elder once pointed out, “the kai wai are not supposed to be in Naloto” but represent a division which, in his opinion, should only exist in a chiefly village. With this he meant that the presence of sea people in a non-chiefly village represents a departure from the established order of things: however, this would be a highly typical anomaly insofar as there are in fact sea people in at least six out of the seven Verata villages. Hence, in Hocart’s terms, the sea people are regularly occurring strangers who “do not belong to the original scheme of things”. Yet they, too, call themselves taukei, regarding themselves both “the original and native settlers of Fiji” and land owners in Naloto.

29 At the very beginning of my 2007–2008 fieldwork in Naloto, one of my hosts – a sea moiety man just a few years my senior – explained me: “We have always been here, we were the first! The originals [laughs], the originals.” “What about the people on the other side”, I asked, meaning the other half of the village associated with the land moiety, “where do they come from?” “Everyone was always here”, my friend explained and repeated. “We are the originals, we have always been here”.

30 At that time, what stroke me was that he had just finished explaining to me a version of the widespread origin myth according to which all Fijians originate from Tanganyika, Africa. Different versions of this myth are widely accepted throughout Fiji; I have heard the same core myth, with only minor variations, recounted from the Mamanucas to

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Tailevu, and have good reason to believe it is accepted further east as well. A key feature of the myth lies in its ability to provide a shared history for all indigenous Fijians. In a Naloto version, for example, “the first Fijian taukei” set out from Tanganyika, crossed the seas with canoes that were expertly handled by their “sea people”, until they reached Vuda on the west coast of Viti Levu. Some versions say they then split up in Vuda: the land people crossed the island on foot through the interior; the sea people took the canoes round the island. Finally they all settled in Verata on the east coast, where their leader, the mythical hero Rokomoutu, founded the first kingdom of Fiji.

31 As Kaplan (1995: 28) points out, the myth could just as well stand for foreign origin in contrast to fully autochthonous origin myths (e.g. Tregear 1903) in which the “original” Fijians are created in Fiji, from the local soil or fauna. But this is not the use to which the myths are put to in Naloto, as evident already from the citation above. Rather, the origin stories portray the arriving Fijians as first settlers, whether that be in Fiji in general or in a particular locality – or both, as in Verata. Hence in Naloto village, the same pattern is repeated in every local group’s origin story: each group in the village – typically classified as mataqali (see Eräsaari 2013: 22–31) – has its own origin story, and all of them emphasise the group’s “originality” in the village. The group said to have originated from the inland polity of Naloto and thence given the village its name, I was once explained, are “the same Naloto as those in Naitaisiri, but they have always been here”. It is similar with the other clans in the village: one claims to have occupied land adjacent to the present-day village before the arrival of the others, another to have been the first but then conceding the chieftainship to another group, and so forth. And since Nalotans as a rule do not find it necessary to contest each others’ accounts, every group is equally original to the place, every group was the first. Even the sea people in Naloto make the same claim, despite the fact that they are latecomers in the village: they moved to Naloto from the neighbouring village in the early 20th century. They, however, claim originality by being originals to the chiefdom of Verata rather than the village of Naloto: it was their founding ancestor, the sea chief Ramasi, who oversaw the migration from Africa. But as evidenced by the Naloto sea people’s story of their arrival in Verata, power is thought to always have been on the “land” side: « when they arrived at Verata, Rokomoutu asked Ramasi if they could have a bowl of yaqona to thank him for sailing them safely through the rough oceans. So they prepared the yaqona, but there was no cup. So Rokomoutu asked Ramasi: ‘you drink first, because you’re older than me’. Ramasi replied: ‘No, I cannot drink it, you drink the yaqona first.’ But Rokomoutu insisted: ‘Oh, this is just to express our thanks to you for protecting us from the high seas.’ They kept on arguing like that, until finally Ramasi bent over to drink the yaqona inside the tanoa without using a cup. While he was doing that, Rokomoutu knew our land, Verata, will be lead and looked after by these kai wai people. ‘This is not good’, he thought, and so he pressed Ramasi’s head right in to the tanoa. Ramasi cleaned his face with his hand and said: ‘What have you done? This is shameful, you shouldn’t have done this. You asked me, I told you to drink first but you told me to drink first. But when I was drinking, you pressed my head down. Why?’ Rokomoutu didn’t say anything. He was ashamed. And so Ramasi told Rokomoutu: ‘From now on, we’ll share this tanoa. Inside it’s water; outside it’s land. I will look after the sea, you look after the land. Whatever is found in the sea is mine; islands and everything out of the sea, out of Verata is mine. Yours will be the land round here. » (Abbreviated from an English-language narration by a sea moiety clan elder recorded in July 2007)

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Picture 1. Tanoa – inside water, outside land, Naloto village, 2008

(photograph by Milla Eräsaari)

32 The myth reveals the Naloto sea people’s preference for classifying themselves amongst “the original and native settlers of Fiji”: the sea denomination is primarily regarded as a hereditary occupational proficiency, so that sea people (kai wai) are assumed to be expert fishermen and sailors. Yet they share a common origin, common substance, with all the other taukei in Fiji. But there is more to the myth, obviously. It also shows that just like the sea people were skilled professionals from the very beginning, so the ruling chiefs were landsmen. In this particular myth, the narrator goes as far as to bend the Viti Levu geography to match the shift in relations of encompassment, making land contain the sea like a kava bowl contains the liquid inside it.

Pictures 2-3. – A man of the chiefly clan receiving the first cup during a funeral, Naisausau village, Namara, 2008

(photograph by Milla Eräsaari)

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33 The ascendency of the land affiliation, furthermore, coincides with what can be described almost as the disappearance of “sea” goods from traditional exchanges. Instead of the prescribed exchanges in pigs and fish described above, the villagers and their Tailevu neighbours now prefer exchanges in mutually similar substances – taro, cassava and beef. Pigs, the land people’s ceremonial offering, are still at times used to mark out particular personages, but fish has become a seldom-used ceremonial gift. The generally preferred ceremonial meat item (sasalu) is now beef, which for example in funeral rites is typically accompanied by root crops, pandanus mats, yaqona and whale teeth, and eventually reciprocated in kind.

34 The whale teeth, while remaining in use, have been thoroughly “indigenised”. In the locally best-known myth accounting for their origin, the first tabua was made by Rokomoutu’s disowned son, Buatawatawa, from a branch (taba) of the Frangipani (bua) tree on the island of Vanua Levu in Fiji. The autochthonous wooden objects were, according to this story (for a longer version, see Eräsaari 2013: 133-134) replaced by whale teeth only when European whalers made their way to Fiji in the 19th century. Indeed, a whale tooth is now sometimes known as a tabua ni Viti – a “Fijian tabua” – though to distinguish a “Fijian” whale tooth from what, that I do not know. Perhaps from the “tabua lasulasu”, counterfeit whale teeth made out of plastic: objects which, so the villagers assured me, are made by “some people in Australia”, by “Indians” or simply by generic “foreigners” – anyone but the taukei, that is. Hence a genuine whale tooth is now considered autochthonous to Fiji whilst the counterfeit item is considered foreign.

35 The distinctive value of foreign origin has, in other words, not just fallen out of favour in Naloto; it has taken on a markedly negative connotation. But along with it has gone the passion for difference itself, previously exemplified in the chiefs, groups and the exchanges they made. Instead of the exchanges in pigs and fish described by Hocart (1924, see above), Nalotans now prefer mortuary gifts (reguregu) comprising tabua, mats, oxen, taro and cassava: compiled prestations that stand for men and women, land and sea alike, and tend to be reciprocated with more of the same over time. They generally reciprocate ceremonial gifts of yaqona ( sevusevu) with more yaqona, and always, always respond to a tabua received with another tabua (for full details, see Eräsaari 2013: 124-186).

36 Steven Hooper (2013), drawing on material collected in the Lau group, explicitly states that presenting whale teeth in combination with other categories of exchange items – such as feast food (magiti) – and the undiscriminating reciprocation of tabua with tabua, regardless of context, would both go against received protocol (op. cit.: 122, 129). Hooper exemplifies the latter with a Kabara informant’s account of atoning for an elopement (bulubulu), a context wherein a tabua should not be reciprocated (though this obviously can happen in Lau, too). Nalotans, for their part, not only systematically reciprocate whale teeth given as bulubulu, they also systematically combine the bulubulu with another ritual event, the kau mata ni gone, in which a child is presented to his/her maternal relatives. Both of these are quintessentially events in which the two parties or “sides” are not of equal standing: the bulubulu is an event for humbly asking for forgiveness, the kau mata ni gone an ostentatious affair for asserting a child’s vasu rights which, as one of Simonne Pauwels’ Lauan informants puts it, “should not be an exchange, otherwise we become equal again” (Pauwels 2015: 151).

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37 In Naloto, the two terms – bulubulu and kau mata ni gone – both refer to the prototypical Naloto wedding that is organised once the couple have a child that they can present to the girl’s family. The choice of term used in reference to the event may still depend on whether the speaker is of the boy’s or the girl’s group: the former would be more likely to call the event a “kau mata ni gone”, the latter could call it a “bulubulu” – whilst the couple at the centre of the ritual would be likely to label it vakamau: a “wedding”. Yet the content of the ceremony remains the same: the wedding comprises two recognisable parts or rites that are always performed in succession. The first is the bulubulu, atonement (“burying” of the ill deed). In the bulubulu the boy’s side – the guests (vulagi) – present tabua, print cloth and kerosene to the girl’s side – the hosts (taukei) – to make up for “stealing” a bride (and receive an equal number of tabua in reciprocation). This was explained to me as a one-sided affair inasmuch as the hosts are the wronged party who are under no obligation to even receive the visitors, let alone their gifts. I was explicitly told that no feasting ought to be expected after what is, in the final analysis, a mere presentation of wealth given in recompense of a priceless human being. In practice, however, the bulubulu is always followed by another rite, the kau mata ni gone (“carrying the face of the child”), in which the child of the couple is presented to his or her maternal relatives. The linkage appears to be so well established, that I have even seen the marriage of a couple who had to wait long years because they had no child to present. In the end they held the ceremony after adopting a child from a close relative. In the kau mata ni gone, the child, carrying a tabua, is presented to a maternal grandmother: they exchange tabua, whilst the ceremonial wealth brought by the visitors (more cloth and kerosene, though these gifts are often collated into the presentation made during the bulubulu) is reciprocated with the thick pile of pandanus mats and tapa that the grandmother was waiting upon. A feast offered by the hosts in honour of the guests concludes the event. The label adopted obviously does affect the way one morally evaluates the situation: a group that arrives to bulubulu are wrongdoers who should not expect anything in reciprocation, a group arriving to kau mata ni gone will be the honoured guests of a feast. The ritual, nonetheless, always follows the same format, in which every tabua is reciprocated with a tabua and a feast is given after the gift exchanges. By fusing the two into a single ritual, Nalotans display their preference to render practices that are elsewhere markedly unequal into displays of balanced reciprocity, bordering on competitive equality (McDowell 1990; Toren 2000; Eräsaari 2013).

38 Christina Toren (1994, 2000) has referred to the Fijian ideologies of hierarchy and competitive equality – overlapping the “sea” and “land” denominations – as an “antithetical duality”, pointing out that the two should be regarded as aspects of one another (Toren 2000: 226). They constitute a single idea, an opposition upon which much of Fijian social life and political organisation is based, as evidenced in the “election” and installation of Fijian chiefs. It would actually be impossible, she points out, for chieftaincy to be based on an all-embracing hierarchy any more than it is possible to maintain chieftaincy on the basis of equality; “in Fiji, equal and hierarchical relations invariably implicate one another – so much so that at times they threaten to collapse into one another, and the challenge is to keep them distinct” (Toren 2000: 119).

39 Looking at the semantic value accruing to the land and sea denominations – their mythological denotata, if you will – one could justifiably argue that in Naloto, the two have indeed “collapsed into one another”. The “stranger” or “foreigner” is a prime

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example of a category which can only be upheld in a dichotomous relation to its antithesis; without the stranger, the in-group also lacks a definition, as Lévi-Strauss’ (1952, 1970) work also makes clear. This contrast is absent from the myths considered relevant in Naloto, where everyone are simply “originals”.

40 The corresponding absence of chiefly elections or installations in Naloto fits the pattern almost too neatly. The last chiefly installation in Naloto took place sometime in the fifties or early sixties, and since then the village chiefs have been titled komai rather than ratu, the latter being the title born by the installed Naloto chiefs of old. I was told that this corresponds to diminishing status: that in comparison to the ratus of old, the current village paramounts are “just komais”. The komai title, which according to Capell’s Dictionary (2003 [1941]) is a short form for koya mai (“the one from…”), is used for the chiefs of every Veratan village except for the paramount chief in Ucunivanua, the Ratu mai Verata. The last Ratu of Naloto, so I have been told, was buried within the village perimeters with full ritual observances; since then the Komai Naloto have been buried in their mataqali’s graveyard outside the village proper. A senior member of the kin group traditionally responsible for burying the chiefs suspects the installations ceased because the installing clan lost the paraphernalia required for installations. A senior member of the installing clan insists that the installations ceased when the chiefly group started picking out the chiefs by themselves, thereby violating the installers’ right to elect the chief.

41 But this unilaterally transmitted title is not a particularly coveted one. Before the current komai, all senior members of the chiefly group refused the title in turn, so that it was handed to another lineage for a time, whilst several senior men also report that they refused the title before it was handed to its current holder. Nor is it a strong title. The villagers treat their hereditary chief with little respect: they disobey his commands, fail to consult him before initiating communal projects, talk while he is talking, many even make witchcraft accusations behind his back. The komai has no right to request people to work for him, nor does he receive any formal first fruits offerings – though people are generally uncertain whether even a Ratu Naloto ever received first fruits.

42 The komai, for his part, often fails to attend to his chiefly duties: he generally refuses the chiefly seat in the Methodist church, and is regularly absent from big ceremonial events, too – often because he was not consulted in advance. This is, by and large, no big deal: in his absence either the chief of the sea people (na Tunidau) or another member of the komai’s mataqali assumes his place as well as his title.

43 This is the only model for village chieftaincy available to the villagers. No-one remembers what the installations were like, no-one knows how to perform them, and not once during my fieldwork in 2007–2008 did I hear anyone suggest re-instituting the practice. Neither did people ever discuss the possibility of making their Komai into a Ratu again. Yet this is not to say that they cannot show respect in the traditional mode. Take, for instance, the two formal chiefly funerals that occurred in Tailevu in 2015: those of the Verata paramount (Ratu mai Verata) and the Vugalei paramount (Vunisalevu na Turaga na Tui Vugalei). The latter, recognised as a chief of Verata’s warrior allies, bati balavu, passed away in March 2015. His funeral was attended by a group of Naloto sea people, who joined the hosting group as their in-laws. On the occasion of this big, formal funeral organised by people known for their “traditionalism”, the Nalotans did mark the event by presenting the traditionally prescribed fish in addition to gifts of

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tabua, yaqona, mats, biscuits, bread and the like. Upon the funeral of the Verata paramount in June 2015, Naloto attended the funeral together with the Sawa and Uliloli villages, presenting a pig in addition to tabua, yaqona, mats and taro and, furthermore, staying overnight in the chiefly village as a high chief’s land warriors are supposed to.

44 However, recognising chiefship elsewhere and acting upon it in the custom-prescribed way has no bearing on issues of leadership closer to home. The fact remains that the relevant modes for articulating differentiation are absent in the community. Indeed, during my fieldwork I witnessed several occasions where recognition of the land–sea dichotomy was called for, such as several non-chiefly funerals in Vugalei, during which Nalotans went to considerable lengths to not take their traditional due. On one occasion, when a mataqali meeting admitted – at the insistence of a Vugalei lady married to Naloto – that a “sea” presentation was called for, the elders still decided to request money from an urban relative in order to buy a bull instead. On another, one of the sea moiety fishermen went through considerable trouble to catch an early-morning lorry to town in order to sell a big fish and use the money to buy taro for another funeral in Vugalei. And the same was even more pronounced within the village, where the local bati were at times angrily calling for the sea people to bring them fish that they could reciprocate with a “bati ni ika” – tabua presented in reciprocation for fish, but to no avail. Such differentiating features, it would appear, are only reserved for chiefs seen to preside over others, differentiated by distance. Thus it is in the chiefly village of Ucunivanua, too. Not even the Verata paramount was awarded full honours in his lifetime: I was always told that his own village was split over the paramountcy and he himself remained uninstalled. Indeed, the emphatic comments of one of his clansmen during his funeral seem to indicate as much: “He said only those from the Sobasoba clan knew who could become the titleholder [and added that] Ratu Ilisoni Qio was the next in line, the younger brother of the late Ratu” (Bolatiki 2015).

45 And yet the villagers would prefer to have a strong leader: they talk of the deeds of old- time chiefs, look at the fine figures of ancient chiefs in the Fiji Museum photographs, talk of the deeds of the ancients. Many maintain that the title is simply held by the wrong man, that the rightful heir lives on another island or has refused the title. But it is just as common that they find fault with the village population at large. I was often told that the real problem is that “everyone wants to be chiefs”, “everyone wants to be grand”, or what amounts to the same, that “everyone wants to drink first” in the yaqona ring. There is a wide consensus about the fact that the chieftaincy is not as it ought to be, but the problem is conceived to be either at the top of the pyramid or at the bottom, or not irregularly both. There is, in other words, no prevailing view regarding the root causes of this conceived lack of leadership.

46 “The old ones”, one of my friends once commented the absence of leadership in the village, “those who should be making the decisions do not know how to act properly (…) do not know how to give orders or to call people together”. He thought that they only “stay up too late and wake up too late”, a reference to excessive yaqona drinking. Yet he did not think that the solution to the problem was to be found in the elders’ actions as such, or even in changing the chief. Instead, he saw it as a question of returning to the old ways: the villagers should invite “someone from Fijian Affairs” (now the Ministry of iTaukei Affairs) to teach them how to again observe the old food taboos. In his view, in other words, the route to rediscovering proper leadership lay in the rediscovery of differential roles in the village. Once the land and the sea sides

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would resume the food prohibitions that are the sign of their contrasting roles, the rest would follow suit.

47 This was as close as any of my interlocutors came to connecting the village-level issues with the long-term changes discussed in this article: an unspecified assumption that if villagers were again to start observing the discontinued food exchanges and corresponding prohibitions, chieftaincy would follow suit. As a rule, though, the villagers had no shared stance on the issue of chieftainship: some preferred to blame the bad food – biscuits and noodles – that make men less imposing than their forefathers, others blamed “human rights and democracy”, whilst money was perhaps the most common scapegoat. What was common to these and many other explanations was that whilst they were not very specific on the causation, they all agreed that there was something amiss with leadership that was in need of fixing.

48 With regard to Fijian ethnography in general, this is a claim that has been heard before, whilst causes have been sought from diverse sources ranging from the mismatch between chiefly obligations and privileges (Sahlins 1962) to increased commodification of inter-household relations (Toren 2007) or the effect of Christianity on the chiefs’ mana (Tomlinson 2009). My version, focusing on a shift in the valuation of origin, would probably be best taken as an addition to the existing literature rather than a challenge upon it. It is, nevertheless, the explanation that best agrees with the situation in Naloto, Verata, where the discourse is particularly preoccupied with origins. Not only does Nalotan mythology show a single-minded preference for local origin, the same occurs with whale teeth as well. This further corresponds with a shift away from the use of salt-water produce in ceremonial exchange, a media traditionally associated with guesthood vis-à-vis land ownership. Indeed, the points connecting village ideology with the state and colonial discourse are evident in the local connotations of the concepts for guest – vulagi – and host – taukei.

49 During my fieldwork in 2008, many of my friends in Naloto recalled the heated racist anger towards the Indo-Fijian population that gripped Naloto, like many other northern Tailevu villages, during the 2000 coup. One can still hear the racial stereotypes of the greedy, calculating and profiteering “Indian” employed in village discourse. And even though the villagers are, by their own admission, now much more reflexive about issues of race and nationality, most nevertheless emphasise the notion that as taukei – meaning indigenous Fijians – they hold an inalienable claim on Fijian soil, one which all “guests” in Fiji ought to recognise. (For similar views, see Trnka 2008: 3.) However, this emphasis on hostship carries moral value that extends beyond questions of ethnicity – questions that are hardly part of everyday conversation in an all-indigenous village. In-marrying women, for example, can be described as vulagi, particularly if they are new to the village (Cf. Nabobo-Baba 2006: 45); likewise, I have heard visiting urban relatives being likened to “guests” with the implication that they come to partake in the hospitalities rather than shoulder collective responsibilities. But the logic of guests and hosts also unfolds recurrently on ceremonial occasions.

50 This can be exemplified with funerals, the most numerous of the different traditional (vakavanua) rituals held in the village. During a funeral the kin group of the deceased, known as taukei ni mate, receive each group of guests (vulagi) in turn, one after the other. Upon presenting the funeral gifts known as reguregu – the whale teeth and beef discussed above – the guests proceed to take their place as part of the growing group of hosts gathered to welcome the next arrivals. In a large funeral, this can mean more

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than twenty arriving groups who, one by one, present their gifts and join the company of those who have come before them. In short, each group that arrives to a funeral goes from being funeral guests to being subsumed into the hosting group. The last group to arrive should be the weka ni mate, the group who bring the body and act as the ultimate guests in the funeral. It is upon their arrival that the expanded group of hosts moves to one side of the funeral space to face a small group of honoured guests. Once the two sides have completed a series of exchanges, these ultimate guests, too, become part of the funeral communion. The second day of the funeral brings this funeral communion markedly in focus: the church service and burial are followed by a feast and another formal yaqona session, at the end of which the guests of honour customarily ask permission to leave (tatau): once granted, the communion is considered over and others, too, are free to leave the funeral. This idea of unity is also emphasised in the exchanges: the activities leading to the reguregu put an emphasis on ceremonial pooling, conducted under the supervision of senior men, whilst the subsequent distribution of wealth is conducted unceremoniously by women. The traditional funeral hymn sang at every Fijian funeral service, “Meda sa tiko vakaveiwekani”, expresses yet again the same idea of unity: “we are like kinsmen to each other”.

51 What I want to draw attention to is this. The category of the host maintains a higher moral value, as is evident in the inter-ethnic application of the term, or the insecure status of a young wife in her husband’s village: this has been noted before, for example by Norton (2000), Nabobo-Baba (2006) and Trnka (2008). But the ritual arrangement also presents a pattern in which the two sides are repeatedly merged into the hosting side. These events are overseen by and organised in terms of the hosts: they are an example of what Joel Robbins (2007: 297) has discussed in terms of “rationalisation”, of the idea that in hierarchical arrangements the “valued elements tend to be more elaborately worked out […] and to control the rationalization of less valued ideas”. Hence the significance of the build-up to the valued moments, the combining of people and ceremonial wealth as well as the repetitive presentations that accompany the inclusion of individual groups to the ritual communion. In contrast, the moments of division and distribution are distinctively lacking in decorum and senior participation.

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Picture 4. – Na Tunidau, the head of the Naloto sea moiety, receiving ceremonial wealth during a wedding (Naloto village, 2007)

(photograph by Milla Eräsaari)

52 But following Robbins’ idea of rationalisation, we can also view the entire movement away from stranger-kings, Tongan titles or foreign valuables (Sahlins 1994) as an instantiation of the same value shift. Instead of foreign paraphernalia, we now find power in Verata wrapped in indigenous symbols – symbols which can, like the tabua, even remain precisely the same as before. But if we are simply talking about a reversal of polarities within a dichotomy, then why should it be of any consequence – “the more things change, the more they stay the same”? The answer is simple: strangers and alterity stand for a profound difference, in one way or the other they require the presence among “us” of something or someone whose origin lies outside the present society. The ideas of indigeneity or originality hardly require the presence of strangers among us, it suffices that they are somewhere out there. The problem with regard to political power is that such ideas offer a poor basis for distinction – it has to be found anew.

Conclusions

53 At least since the 1960s there has been a widespread consensus among the learned about the falsity of the myth concerning the African origins of the Fijian taukei (e.g. Sahlins 1962; France 1966): it is a recent, easily traceable construction and cannot be supported by archaeological or linguistic facts. By the time of my Ph.D. fieldwork in 2008, renouncing this myth had become such a routine act both in Fiji’s classrooms and in popular newspapers like the Fiji Times and Fiji Sun, that people would often be ashamed of even talking about their beliefs regarding origins (see, however, Tuwere 2002 for a more sympathetic view). All this myth-bashing has hidden in plain view what the myth actually stands for: the shared ancestry of all indigenous Fijians. To reiterate a view gleaned from a number of Tailevu villages, it makes no sense to talk about

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“autochthones” and “foreigners” if the entire indigenous population is thought to have arrived at the same time.

54 In this article I have argued, furthermore, that due to both colonial policies and 20th- century ethnic tensions, this merged identity has tended to emphasise the host/land owner side of the dichotomy rather than its opposite. The taukei concept, in its present- day form, could accommodate both autochthonous and foreign origin (insofar as both can be regarded the “original settlers” of Fiji) but the issue of land ownership tips the scales significantly in favour of the former. This is certainly so in the Veratan village of Naloto, where not just political power, but also the value invested in exchange items such as whale teeth is dressed in local rather than foreign clothes.

55 Steven Hooper (2013: 154) emphasises the latter point, stating that “[t]abua and chiefs may be regarded as equivalent, the former metonymically standing for the latter, and possibly vice-versa”, while regarding both as “culturally constructed artefacts of external origin”. But whereas Hooper’s material from Lau is unequivocal about the external origin of both, my Naloto material sees them reversing polarities, while still maintaining “the explicit association, in testimony and in practice, between tabua and chiefs” (Hooper 2013: 153).

Picture 5. – Drinking yaqona to mark the occasion of clearing up the chiefly burial ground where the old chiefs were buried (Naloto village, 2007)

(photograph by Milla Eräsaari)

56 But reversing polarities from a foreign to indigenous value – even moving across the invisible line separating xenophilia from xenophobia – implicates important structural changes for Fijian chieftainship. In practical terms, the changes described above do not allow for a select aristocracy to express their status and wealth as originality. Rather, the category of taukei now stands in opposition to other ethnic groups, exposing a shift from a structural arrangement where the value of alterity was expressed by groups of domesticated or “in-group” strangers, to one where the negative value of alterity is – at least on the level of political organisation – moved outside the “us” group. From this

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point of view, the values crucial to the political organisation can no longer be evoked in an “among” relation but rather “between” increasingly clearly-demarcated groups.

57 Yet what applies for Naloto should not be generalised for all of Fiji, that much is evident just by recalling the Lauan examples discussed in this article, whilst much of the west of Fiji remains ethnographically uncharted territory. I therefore want to conclude this article by emphasising the fact that even the mythological foundation offered by the myth of African origins offers itself to other structural realisations besides the one discussed here. The most obvious is the one offered to Martha Kaplan (1995: 28) by a Vatukaloko man: “I hold to Fiji only, I do not come from South America, Egypt, or Tanganyika. I have always been here, not arrived there”. It is, in other words, still possible to insist upon the sea groups’ alterity, whether they are keen to uphold such an idea themselves or not. Likewise, as I have tried to show, the land–sea dichotomy may be upheld without labelling either side as the foreigner, through an emphasis on their “occupational” roles, just as the host–guest relationship may also be relevant with regard to places of residence or temporary ceremonial roles. All of this does not, in other words, have to pose a “threat” to the dichotomous pattern within which matters of value tend to be articulated in Fiji: this structural arrangement itself ought to be considered a bearer of value rather than expression thereof. But what I believe has relevance beyond the village of Naloto or chiefdom of Verata, is the turn to “originality” adopted as a mode of legitimation, and this is something that I feel will only have an increasing influence on the way political authority is articulated in indigenous Fiji.

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NOTES

1. Since this article looks into changes that have occurred in the meaning of the word taukei, I will try to avoid unnecessary confusion by sticking with the old system, using the expressions “indigenous” or “indigenous Fijian” for indigenous Fijian people and culture. In the pre-2010 state nomenclature, institutions referring to indigenous Fiji often used simply “Fijian”: I prefer to reserve this label to people and phenomena of or from the Republic of Fiji, regardless of ethnic background. 2. The spelling preferred in the names of official state institutions simply places the particle i before the root word taukei. In such instances the particle connotes “the person or thing acted on” (Capell 2003 [1941]: 73), as in “the ministry acting on iTaukei affairs”.

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ABSTRACTS

Over the course of the last century and a half, the structural and political underpinnings of Fijian chieftaincy have changed in significant ways and is no longer best represented by the union of the stranger-chief and local lineage. According to what must be the most widely-accepted origin mythology in present-day Fiji, the first Fijians arrived from Tanganyika, Africa. Emphasising the shared origins of all indigenous Fijians, this mythology denies the internal differentiation between autochthones and strangers that is often highlighted as a key constituent in Fijian political organization. In this ethnographic tradition, it is the “synthetic” combination of foreign charisma and autochthonous legitimation that holds up chieftaincy. Colonial-era Native Legislation reveals us a similar denial of the dichotomy in material and linguistic terms, overriding the distinction between the land-owning autochthones and the landless strangers, respectively designated as the “owners” or “hosts” (taukei) and “strangers” or “guests” (vulagi). This article considers the 2010 governmental decision to replace the words “Fijian” or “native Fijian” with the word iTaukei in official English-language use – this being the most recent example of a development that has been in the making for a considerable while.

Au cours du dernier siècle et demi, la structure et les soubassements politiques du système de chefferie de Fidji ont changé de manière significative, et leur meilleure représentation n’est plus l’union de l’étranger-chef avec le lignage local. Selon ce qui est sans doute le mythe des origines le plus largement accepté à Fidji aujourd’hui, les premiers Fidjéens arrivèrent de Tanganyika, en Afrique. Mettant l’accent sur les origines partagées de tous les Fidjéens, ce mythe nie la distinction interne entre autochtones et étrangers – distinction souvent présentée comme un constituant clef de l’organisation politique de Fidji. Dans cette tradition, c’est la combinaison « synthétique » entre le charisme étranger et la légitimité autochtone qui définit la chefferie. La législation autochtone de l’ère coloniale nie également la dichotomie matérielle et linguistique entre les propriétaires fonciers autochtones et les étrangers sans terre, respectivement désignés comme « propriétaires » (taukei) et « hôtes » (vulagi). Cet article se penche sur la décision gouvernementale de 2010 de remplacer les mots « Fidjian » ou « Native Fidjian » par le mot iTaukei en anglais officiel – une décision qui n’est que l’exemple le plus récent d’un développement qui est en cours depuis longtemps.

INDEX

Mots-clés: valeur, origine, altérité, autochthonie, tabua Keywords: value, origin, alterity, autochthony, tabua

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At the Intersection of Chieftainship and Constitutional Government: Some Comparisons from Micronesia À l'intersection de la chefferie et du gouvernement constitutionnel : quelques comparaisons de Micronésie

Glenn Petersen

1 Though Micronesian societies’ traditional governments have their roots in cultural history shared with Fiji and Polynesia, they do not attract much attention. This is unfortunate, because there is much to be learned from Micronesians’ experiences integrating the dynamics of chieftainship with parliamentary rule. My aim here is to describe key aspects of traditional Micronesian polities, to explore some of the reasons why Micronesians have opted to retain these, and to challenge claims that such traditional forms and practices are inherently incompatible with European-based socio-political forms. There just may be some profit in comparing Micronesian responses to the dilemma of maintaining chiefly politics in an era that loudly, if not necessarily scrupulously, shouts out the inevitability of democracy, or at least quasi- democratic forms.

2 During the course of the first millennium BCE, voyaging peoples made the leap from Near Oceania to Remote Oceania, heading out from the Solomon Islands, east (to Fiji, Tonga, and Samoa), south (to what are now known as Vanuatu and New Caledonia), and north (to Pohnpei and Kosrae). There must have been multiple voyages in each direction, conducted by several different but closely related populations, and these peoples carried with them a range of interrelated languages, cultural beliefs, and social practices. The modern populations of Eastern Melanesia, Fiji, Polynesia, and most of Micronesia are descended from these ancestral stocks and for all the apparent differences in their languages, cultures, and societies, they manifest important and fundamental commonalities.1 The overarching socio-political form scholars refer to as chieftainship thrives everywhere in these islands and plays a central organizing role in the social lives of their peoples.

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3 Each of these societies has undergone not only its own specific historical developments but also experienced ongoing and recurring linkages with the societies of multiple other islands. Because they also share some fundamental precepts and because they must ultimately provide viable governments to their peoples, it possible to point to certain recurring themes. Among these are notions of deep and indelible ties between leaders and land; leaders’ status rooted in kin groups; precedence within and between groups based to some extent on seniority of descent; dynamic ties between leaders and the natural and supernatural worlds (often known by some cognate of “mana”); and reciprocal notions that gifts must be given to leaders for both religious and practical reasons and that leaders must bestow gifts on their constituents for similar reasons. There exist everywhere in the region well-developed ideologies of hierarchy or rank, but the behavioral signs of hierarchical organization vary greatly, from quasi- egalitarian to seemingly authoritarian. In all these societies, however, no matter how despotic they seem to be, multiple checks and balances are provided by variant versions of key mythological charters, competition for status within and between kin groups laying claim to chiefly positions, rivalries for local precedence, and the practical exigencies of demography, political and martial skills, and idiosyncrasies of individual personalities.

4 Many foreign political scientists, as well as some members of these societies, argue that the governmental institutions comprising chieftainship are fundamentally incompatible with the state-organized and more or less democratic political processes introduced into the islands by foreign colonial governments. This perspective seems absurd on its face, since there are not many political processes less democratic than the forcible imposition of foreign rule, but this contradiction has not kept scholars and bureaucrats from decrying the benighted politics of chieftainship as constituting the greatest impediment to the salvation political scientists attribute to the modern nation-state, Westphalian-based international relations, and Grotian political theory. There is perhaps even greater irony in the specter of metropolitan powers insisting on replication of their own political practices as a condition of decolonization.

5 Underlying my approach here is my sense that in everyday life virtually all systems of politics and government operate at some degree of variance from whatever theoretical frameworks they are supposed to be based upon. (“Utopia,” that is, a place where there is absolute coherence between the theory and practice of government, exists, in Thomas More’s original sense of the word, “no place.”) Contemporary state-organized governments are inherently neither more nor less likely to perform according to theory than chieftainships, and problems attributed to the alleged inefficiencies and inequalities of chieftainship are likely to be the result of conflicts between competing forms of government, rather than the necessary consequence of one type of government or another.

Some elements of Micronesian socio-political organization

6 Traditional social life in Micronesia is characterized by the region’s dispersed matrilineal clans, which exist virtually everywhere in the area.2 As I have demonstrated at length in Traditional Micronesian Societies (Petersen, 2009), these seem to have first taken form on Pohnpei and Kosrae in the eastern Carolines, then diffused to the rest of

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the Micronesian islands, probably because of the adaptive advantages they confer in a region that is home to the western Pacific’s typhoon spawning grounds and beset by ENSO-driven droughts. The dispersed character of the clans means that on each Micronesian island or community are resident subclans and lineages of multiple clans, and each clan has subclans and lineages planted on multiple islands and communities. Ethnological accounts tend to stress Micronesia’s matriliny as its key distinction, but it is in fact the dispersed nature of these descent groups that is most salient.

7 These clans and lineages are in classical ethnological terms “conical” in organization and in fact fit the archetypal model of conical clans, developed by Marshall Sahlins (1958, 1968) and refined by Patrick Kirch (1989), even more closely than Polynesia’s descent groups. The clans, along with the lineages that constitute them, have multiple functions and characteristics, but for present purposes two of these are of greatest relevance: the ways in which clans that successfully assert settlement priority on any island or in any community provide chiefs for all the other groups residing there, and ways in which the ambiguities of genealogical seniority promote effective leadership within the ruling lineages and communities.

8 A fundamental precept of Micronesian life is that the first kin group to settle an area or island thereby establishes title over it. But in Epeli Hau’ofa’s sense of a “sea of islands,” Micronesia has always been a sea of immigrants, as its characteristic dispersed clan pattern clearly demonstrates. The nature of Micronesian communities reflects the fact that they survive only by creating and maintaining close ties to other islands and communities. This means that even though the first settlers and their descendants claim (and are usually believed to possess) fairly well-established title to the land, they need to attract new members with ties to other places. According to both Micronesian mythology and reality, nearly everyone has come from somewhere else. But after arriving, visiting voyagers can quickly become settlers, even while retaining ties to fellow clan members in the communities from whence they came (which is of course the reason they are encouraged to settle). The primary means of enticing visiting voyagers to settle is to provide them with rights to land. Having received title to the lands they settle, newly arrived groups are made to feel secure enough to remain and to thus share with the resident population the advantages of their ties to other islands and communities.

9 This is why in virtually all Micronesian societies there exist dual kinds of titles to land, the rights claimed by the first settlers (“residual” rights in Goodenough’s 1951 terminology) and the rights claimed by the later occupants who actually reside on and cultivate the land (“provisional” rights). In other words, a community seeks new members precisely because they bring with them ties to other places, ties the original settlers hope to multiply in order to improve their community’s security. But because the new settlers bring with them already-existing clan and lineage organization, they possess already-established patterns of hierarchical relations. That is, in order for Micronesian communities to persist and thrive they must incorporate competing organizations.

10 In each and every Micronesian community there are two cross-cutting forms of chiefly authority. There is the territorial chief, who is head of the kin group – clan or lineage – that claims to have originally settled the land, and then there are also the chiefs of all the other kin groups that have subsequently settled there. Micronesian communities have, almost by definition, multiple chiefs who derive their authority from differing

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sources, some from the land and some from their kin groups. Simple checks and balances, then, are inherent in the nature of Micronesian socio-political organization.

11 On the high islands, with much larger (though not necessarily denser) populations than the atolls, hierarchies based on genealogical seniority and settlement priority can become quite elaborate. Smaller, local communities with their own cross-cutting chiefly hierarchies are subsumed into larger paramount chiefdoms that may include dozens of these smaller units, sometimes with intermediate-level groupings as well. Competition among the larger chiefdoms resulted in increasing levels of organization, and additional forms of rank developed, including but by no means limited to specialists of many kinds. On some of the largest islands, including Pohnpei, Yap, and Palau, federations appeared.

12 Moreover, all these communities and societies maintained patterns of councils where, depending on population size and other factors, either the entire adult population or representative leaders from lineages were free to speak their minds. While Micronesian political styles call for low-key discussions in public venues (indeed, Palauans refer to political discourse as “whispering”), the ability to gauge public opinion is considered a vital element of competent leadership, a point to which I shall return.

13 The multiple and cross-cutting lines of authority in Micronesian communities thus produce an effective series of and checks and balances. These were thoroughly formalized in some societies; on Pohnpei, for instance, there were three parallel lines of chiefly titles within each of the paramount chiefdoms, each with its own source of authority enabling it to confront and challenge the others under certain circumstances.

14 It is also the case, of course, that violence, on the part of both individuals and groups, had a significant role in Micronesian political life. Stories of assassinations of chiefs are not unusual and served to remind leaders of the dangers that abusive behaviors can pose, as well as threats from rival (especially junior) kinsmen. Moreover, local oral histories, ethnohistoric accounts, and ethnographic reports tell us that warfare was a significant factor in Micronesian life. It is my own sense (Petersen 2014) that the many aspects of martial spirit that run through Micronesian culture – and this is especially seen in the many forms of dance performances that incorporate forms of mock combat – are intended to warn potential foes that a community is able to protect itself at least as much as they are evidence that Micronesian communities spent a good deal of time and energy actually engaged in combat. In many Micronesian societies, war leaders possess rank, status, and authority that is distinct from leaders whose authority is based on genealogical ties to ancestors. Again we encounter the separation of powers, which in turn provides checks and balances.

15 A much broader point follows from this. Micronesian political rhetoric combines emphases on both humility and the power of leaders. Chiefs are simultaneously accorded the greatest respect and expected to behave with true modesty. There are, of course, exceptions to this, but tensions between status and humility are fundamental to nearly every aspect of Micronesian socio-political style.

Seniority

16 There is a second way in which Micronesian clan organization shapes the nature of political life and, again, this derives from an older Oceanic pattern. I am referring to

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the ways in which ambiguities of genealogical seniority promote effective leadership within the ruling lineages and communities. Micronesian political theory stresses the importance of seniority of descent, as is typical of conical clan organization, but precisely because this principle has influence on so many aspects of life it possesses significant potential for doing harm. If chiefly succession were entirely automatic, and birth order was its sole determinant, then communities would face the recurring danger of having incompetent heirs occupying crucial leadership positions. They would find themselves with chiefs unable to guide them, or to listen thoughtfully to wise counsel. While a great many factors determine the actual processes of succession, one fundamental contradiction in the process provides the ambiguity and tension necessary to truly dynamic political life. And that is the ambiguity inherent in Micronesian concepts of seniority.

17 These concepts depend on competing notions of what in English can be glossed as “older.” I have heard Pohnpeians, when pushed beyond customary reticence into asserting a right of authority, say, “Ngehi me laud.” They could mean by this “I am senior” or “I am older,” meaning either that they are genealogically closer to an apical ancestor or chronologically older than the individuals they asserting their claims against. That is, in a matrilineal society there are built-in ambiguities or tensions between an older, genealogically senior woman’s younger brothers and her sons. Her brothers are a generation older than their sisters’ sons, while at the same time her sons are genealogically senior to their mothers’ younger brothers. Each category can legitimately claim to be senior to the other. And despite many claims to the contrary by interested individuals, both methods of reckoning who is senior—genealogy and chronology—are regularly asserted by pretenders to a chiefly title.3 While this may seem in the abstract to be a somewhat trivial distinction, it is in fact utterly central to much of political life. Because there are almost always several potential successors to an important title as a result of this ambiguity, chiefly succession is often disputed. The ensuing rivalries in turn generate the sorts of competitive practices that flow from the status anxiety Irving Goldman (1955, 1970) long ago described in Polynesian societies. Would-be leaders must continually prove themselves; they are rarely entirely comfortable with their claims to titles; and together with close family members and allies they must engage almost ceaselessly in the competitive feasting that characterizes so much of public life.

18 In Micronesia this status ambiguity is only sometimes a matter of public record, but it plays continually behind the scenes, and in combination with the dual and often ambiguous notions about land tenure it contributes materially to the dynamic character of chieftainship I am describing here.

Land and Political Theory

19 Complex webs of ideas, assumptions, and historical traditions shape relations among Micronesian land tenure, lineages, chieftainship, and political life in general. But this richly textured fabric does not, in fact, differ all that much from aspects of European and American political traditions. I turn for a moment to Western political thought in order to provide a context for understanding some of the subtleties of Micronesian life. The era of the English Revolution provides modern political theory with much of its basis for considering relations between property – or more specifically, land – and

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political life. In Two Treatises of Government John Locke provided both his contemporaries and subsequent generations of thinkers with some timeless arguments regarding the appropriate nature of government. In his first treatise Locke challenged arguments in support of what is now known as “the divine right of kings.” This notion held that the legitimacy of the king’s rule derived from his authority over all the realm’s lands as a consequence of his succession from Adam, to whom God had granted dominion over all the earth. Rather than directly disputing the specific character of a king’s antecedents, Locke instead denied that “Property in Land gives a Man Power over the Life of another” and reasoned that “no Man could ever have a just Power over the Life of another, by Right of property in Land or Possessions” (Locke, 1960: 205-206, I.iv, 41-42). In the second treatise Locke developed this principle further, maintaining that « every Man has a Property in his own Person […]. The Labour of his Body, and the Work of his Hands, we may say, are properly his. Whatsoever he then removes out of the State that Nature hath provided, and left it in, he hath mixed his Labour with, and joyned it to something that is his own, and thereby makes it his Property. » (Locke, 1960: 328-329, II.v.27)

20 That is, humans create property by conjoining their own labor with nature.

21 It is necessary to stress here that there have been periods – eras, in fact – when republican and monarchical principles coexisted, as they also do in many contemporary Pacific island societies. As Pocock’s The Machiavellian Moment (1975) fully demonstrates, aspects of both these contrasting outlooks informed western political discourse for centuries. Within a single European society, then, there were competing notions about relationships between government and property. While these are not identical with Micronesian perspectives on connections between chiefly government and property rights, they draw on strikingly similar assumptions: concurrent, competing notions about rights conferred by hereditary succession and by actually working the land.

22 Similar precepts inform traditional Micronesian society. While the authority and the rights of chiefs are sometimes attributed to conquest (especially in the Marshalls), in general the authority that inheres in a Micronesian chief by virtue of his office is rooted in his descent from ancestors who were the first to occupy or settle an island or place. Almost everywhere we find that a community’s leading lineage or clan claims that its legitimacy as the pre-eminent group derives from this settlement priority, and the community’s chief is chief by virtue of being head of its leading descent group. The concept of residual title over land bears this out. What is owed to a chief – first fruits, respect, and, in some circumstances and to some degree, obedience – is owed to him because of his group’s precedence. The chief’s eminence comes because of his status as a senior member of the senior group. Both the importance of seniority of descent and the importance of residual title over the land are cited by nearly every Micronesian when discussing why a chief is a chief, what privileges a chief is due, and what responsibilities encumber him. Whatever disagreements Micronesians may have about what constitutes chieftainship, and about which individual should occupy the office (and there are many), they all know intuitively how and why one is supposed to become a chief.

23 At the same time, we can see a shared notion that the descent groups that occupy land – the people who work it, improve it, and derive their lives and identities from it – are also its rightful proprietors. And there is a common notion that the land derives its

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value from the work that a lineage, and more important, its ancestors, has put into developing and improving it, making it productive farmland, keep it yielding a living to those who continue to cultivate it. While the chiefly lineage’s claims over land derive from priority of settlement and descent, the claims of lineages residing upon this same land derive from the labor they have invested in it. And although Micronesians readily attest to the chief’s authority over the land, they are equally vocal about the lineage’s rights over it. A chief cannot alienate a lineage’s land – remove it from them or drive them off it – unless there is an overriding consensus within the community that the lineage has done something socially unacceptable or reprehensible to bring this upon themselves, or clearly and repeatedly failed to discharge their acknowledged duties to the chief. As Goodenough notes, in Chuuk there may arise « a situation in which powerful persons and lineages could take advantage of weaker ones. While this has happened, the entire community is likely to unite against a too frequent offender » (1951: 60).

24 In short, there are two differing Micronesian concepts regarding land rights, and the nature of Micronesian political thought cannot be understood unless both these viewpoints are comprehended simultaneously. Unfortunately, most of those who have reported on Micronesian chieftainship and land tenure have assumed that the Micronesian statements about chiefly authority and dominion that resonate with European conceptions of the divine rights of kings constitute the totality of the Micronesian perspective. And thus Micronesian chiefs are commonly portrayed as being in possession of rather awesome authority. But closer examination of the dynamics of Micronesian sociopolitical life tends to belie this stereotype. The only way to make sense of this disparity is to recognize the simultaneous existence of these two contrary notions.

25 Locke’s notion in the second treatise was that land became property – was separated out from nature – by the labor of those who worked it, and that property was thus imbued with the personality of those who created it. Land belonged to those who cultivated it and could not rightly or justly be taken from them. In order to prevent the unjust taking of land by those who were stronger, individual property owners joined together to create governments, the original purpose of which was to protect the property of those who consented to join together and thus founded the government. His logic lies at the heart of subsequent theories of the “social contract,” that is, that people consent to government and can therefore withdraw their consent and thereby act to change the government.

26 In the same vein, James Harrington, drawing from Machiavelli’s claim that it was the possession of arms that assured people their rights as political actors, and writing in the same era, insisted that the right to bear arms was in turn dependent upon individuals’ secure status as owners of their own land.4 A monarch exercises limited sway over land-holding people, and they are not obliged to fight for him – their arms are their own. Forms of government roughly approximating democracy were possible only where people held land in relative equality. Under these circumstances, citizens possessed the human resources needed to disperse political authority in a diversified and balanced way and were thereby enabled to establish and preserve a stable polity. This in turn assured land holders security of tenure; they could pass their land on to their descendants, who were in turn assured not only of a place in political life, but also

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of the means through which to participate actively in it (Harrington, 1992; Pocock, 1975: 386-390).

27 In a pre-industrial society based on a subsistence economy, each lineage’s rights over its own land enables its members to function as political actors. Under normal circumstances, resident lineages’ relationships with the community’s chief are defined by the lineages actual tenure over their land and possession of their own arms. In Micronesian societies, every adult male is a potential warrior, as well as a freeholder and chiefs are obliged to listen and to heed. Throughout Micronesia public politics are conducted via councils composed of the heads of all the local lineages. Freedom of speech seems to be the norm, inasmuch as these councils engage in consideration of public business until all have expressed what they wish to say and then work hard to achieve consensus before any action is taken.

28 Finally, and most significantly, the tension between these two seemingly opposing political themes – of chiefly rights based on hereditary authority over land and lineage rights based on who works on the land – appears to reflect another central tenet of classical republican theory. By acknowledging their chief’s authority over their land, Micronesian lineages assure themselves that he will also be responsible for protecting it. And because the chief is the leader of the entire community, and everyone in it acknowledges his authority, a threat to any one lineage’s land means the potential mobilization, via the chief, of the entire community to defend it. In readily acknowledging the chief’s authority over their land, Micronesians are not denying their own proprietary rights, but instead, assuring themselves of their government’s protection of their lands. This is very much, if not precisely, the way Locke explained the nature of government.

29 It may well be that an interpretation based in western political theory does not adequately or truly represent Micronesians’ understandings of their own political systems. But I believe that it does capture the underlying tension between the honor and deference chiefs receive, on the one hand, and the sense of individual and lineage autonomy, on the other, that together characterize Micronesian political dynamics. Tensions between the rights and responsibilities of government and the rights and responsibilities of individuals and families are characteristic of political life everywhere, and constitute the basic roots of the checks and balances that are the very stuff of politics. The essential similarities among what appear on the surface to be quite different forms of government are not always well understood by political scientists.

Criticism of contemporary chieftainship

30 Stephanie Lawson’s Tradition versus Democracy in the South Pacific (1996) provides one of the most systematic critiques of the roles chiefs play in present-day Pacific islands governments. Lawson examines the contemporary workings of government in Fiji, Tonga, and Western Samoa, seeking to demonstrate that “traditionalist emphasis” on chiefs, monarchy, and matai in these societies enhances and enforces the continuing rule of elites. “The concept of tradition,” she says, “is one of the most important components of an ideological arsenal which has been used to counter the development of more democratic norms of political conduct and organization.” In her view, indigenous claims about the continuing significance of tradition serve largely to preserve elite power and privilege against claims to “more extensive opportunities for

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participation” on the part of “those without traditionally derived political or social status” (1996: 5, Lawson’s emphasis).

31 Underlying Lawson’s treatment is a misapprehension about the presence and character of participatory politics as a key element in the dynamics of chieftainship. Arguing that “a substantial part of the history of democratic development in the West has been about depersonalizing political power, and vesting it in impersonal institutions,” she contrasts the island polities in her case studies as marked by “a much stronger personalized element in the assertion of tradition since its most authoritative bearers are those whose status is largely (although not exclusively) ascribed” (1996: 12). Yet it is clear that in these societies, as in Micronesia, the most politically salient aspects of ascription are commonly seen in the manipulating (or selective reinterpretation) of genealogies after the fact of succession to a chiefly title. Indeed, I have had Micronesian chiefs explain to me that much of clanship’s viability lies precisely in the broad net of men it makes eligible for titles, and this is borne out by ethnographies describing situations in which it is obvious that ascription is not the most salient factor in access to titles (Alkire, 1989: 44-46; Kiste, 1974: 52; Petersen, 1982). Lawson makes the error of granting unquestioning credence to these post facto claims, which in fact serve to legitimize, rather than prescribe, succession.

32 On the other hand, she also dismisses as little more than instrumentalist maneuvering the claims put forward by elites about their rights to run things, that is, “the manipulation of tradition by indigenous elites in ways that enhance their own legitimacy by sanctifying the political order to which they owe their privilege” (1996: 12). Again, I see several problems with this portrayal. While it is certainly accurate in some senses, it is also a basic truism of social life that is hardly peculiar to Pacific islands politics; her assertions evoke Jeremy Bentham’s powerful diatribe against “malefactors in high places” for whom “preservation of order is but keeping things in the state they are in: preservation of good order is keeping things in that state which, in proportion as it is good for the preservers, is bad for every body else” (Bentham, 1995: 112). Moreover, her analysis seems to indicate that the operation of political dynamics works only to justify the status quo, and rarely if ever constitutes a basic part of daily social life in communities full of people trying to get things done. Lawson finds it problematic (1996:17) that “‘traditionalism’ can emerge and take on an explicitly ideological character that lends itself readily to instrumental manipulation” and that “tradition exhorts its participants to an attitude of reverence and duty toward the practices and values that have been transmitted from the past.” This echoes much too closely those classic political science attitudes describing “traditional society, in which vast masses live an unpolitical life, embedded in customs and usages they need not understand” (Merckl, 1967: 208). Anyone who has spent much time in Pacific island societies knows how rarely one encounters unpolitical lives.

33 This outlook is, I think, the consequence of a perspective that overemphasizes the place of institutions in political life. In this approach, “democracy” is mostly about government. Yet, democracy is more appropriately – or at least productively – understood as something considerably more extensive than a type of government. Sheldon Wolin, who has devoted his distinguished career to the exploration of democratic politics, maintains that “democracy needs to be reconceived as something other than a form of government” (1996: 43). James Kloppenburg insists that “democracy is not now, nor has it ever been, primarily a question of representative

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institutions,” and suggests instead that it be “conceived as a way of life rather than a way simply of managing conflict and preserving order” (1995: 176).

34 When Lawson does tackle the issue of just what it is that constitutes democracy, she acknowledges that the gap between theory and practice “is just as problematic in the West where democratic institutions have largely failed to deliver on the promise of greater equality for the mass of ordinary people” (1996: 27). If this is indeed the case (and I certainly believe that it is), then it seems to me her entire argument founders. We are asked to believe that Pacific island political cultures are predisposed toward personalized and authoritarian government and the instrumentalist manipulations of modern-day elites that prevent these societies from reaping the fruits of democratic institutions introduced by their erstwhile colonial rulers. But if the societies in which this western political form has arisen cannot themselves properly or fully implement it, then why are we blaming defects in the societies where it has been subsequently introduced for faults that appear to be inherent in the form itself?

35 It is precisely because the organization of daily life in most Pacific islands communities fosters an overwhelming amount of communication among groups of citizens that positions such as Lawson’s are troubling. She is particularly unhappy with “claims of the ‘democracy-as-indigenous’ kind” and the question of whether the island nations have “pre-existing democratic traditions that can provide a better basis for contemporary political institutions than those imported from the West” (1996: 27-28). She explicitly denies this possibility, however, insisting “those principles that first gave democracy pride of place as the most desirable form of government are largely absent in the political practice” of the countries she examines (1996: 30), and railing against “what some defenders of non-democratic systems in the South Pacific have done in promoting the validity of indigenous traditions against Western ideas about democracy” (1996: 34). From this perspective, it is specious to defend the political practices of these societies on grounds that they entail indigenous forms of democratic action or that they have the right to pursue their own political destinies regardless of what Westerners think best for them.

36 Lawson is hardly alone in her analysis, nor am I in my critique. Among the persistent complaints about shortcomings of the roles chiefly politics continue to play in present- day Fijian government, we find for example, Ratu Joni Madraiwiwi, who bears a high title and has also served as Fiji’s Vice President, observing that there is “little recognition or understanding by Fijians of the full implications of democracy” (2006: 295). As I have argued, though, even scholars from so-called democracies are themselves often unable to grasp the full implications of the political systems they tout. Vijay Naidu believes that in Fiji “Chiefly hegemony has been jeopardised with the divisions between and within confederacies, the vying for power among ‘younger’ chiefs, widespread disputes over succession to chiefly titles” (2006: 300-301). But it may well be that divisions, rivalries, and disputes are the lifeblood of any viable political system. And as Stewart Firth observes, the call for improved “governance is part of a wider globalizing message preached by aid donors and international institutions, who see good governance as the best way to implement globalization and the free market, and who rather like to place the blame for failure not on global institutions but on national shortcomings in the developing countries” (2006: 2).

37 There are in all these cases more complex processes, and more conscious political action, than Lawson and others seem to think. I am by no means suggesting that

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tradition and democracy are synonymous in Pacific island political cultures, but any work that is framed in terms of tradition versus democracy is apt to misunderstand a great deal of contemporary political life in the region. Despite the relative magnitude of most Pacific island nation-states’ bureaucracies, their governments are not particularly oppressive. This must in some measure be attributed to a widespread indigenous commitment to participatory politics--that is, traditional democracy.

Recent experience in Micronesia

38 An array of colonial administrations have ruled the Micronesian islands. North of the equator, most of the island groups underwent successive rule by Spain, Germany, Japan, and the United States before achieving self-government and independence in the late twentieth century. Colonial rulers were ambivalent and unsystematic in their dealings with the chiefs, sometimes propping them up and at other times undermining them. An as yet unpublished paper has undertaken a comparative study of these processes in six different cases under American rule in the years following World War Two, providing useful historical perspective (Carucci et al., n.d.).

39 In the Marshalls, for instance, the U.S. administration established a Marshall Islands legislature. From the time it first convened in 1950, the body found itself engaged in heated debate over land rights, with paramount chiefs’ claims “that as of right they owned all the land” set against commoners who were “stating that land was held in common.” Disagreement about who wields authority over land continues (Carucci et al., n.d.: 7). In the Federated States of Micronesia’s Yap state the government includes Councils of Traditional Leaders from both the island of Yap and from the outer islands, charged with matters of tradition and custom, areas which are broadly interpreted in contemporary life there. Many Yapese insist that their chiefly councils exercise veto power over all legislation proposed in the Yap state legislature that they, the councils themselves, consider to lie within the realm of authority over tradition, and chiefs continue to exercise considerable influence over who runs for elective office. But on the whole, Carucci concludes, the chiefs’ roles remain in great flux (n.d.: 17)

40 Palau’s constitution recognizes traditional leadership as possessing authority equal to constitutional law. The national legislature consults with the Council of Chiefs; chiefs comment formally on government actions. “Legal arguments about the scope of traditional chiefly power often rise to Palau’s Supreme Court” and “the two forms of governance are engaged in an ongoing dialogue and contest in managing Palau’s political life.” (n.d.: 20). Commenting on Micronesia as a whole, Carucci concludes « Chiefdoms that remain effective in the modern context are not relics of the past, but systems that local people---as well as chiefly elites---find relevant and useful. This is not to say that melding tradition and modern governance is easy. Traditional authority today in the Pacific as elsewhere must engage with issues of human rights, voter equality, and women’s rights. While the chiefly ideal emphasizes generosity and redistribution, the reality has changed. Transparency, nepotism, and corruption pose unique challenges when improprieties can be claimed as traditional rights. Yet Micronesia’s chiefs have also used their authority in the service of the community by influencing public opinion and government policy. » (n.d.: 26)

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Photo 1. – The FSM national capital complex in Palikir, Pohnpei, constructed in the 1980s, incorporates materials replicating the natural basalt columns used in the structures of Nan Madol, an ancient political center on Pohnpei, thus visually integrating traditional Micronesian forms with those of constitutional government

(picture by the author)

A Micronesian Chamber of Chiefs

41 The history of proposals to create an explicit constitutional role for Micronesian chiefs provides perspective on the Micronesians’ highly nuanced appreciation of checks and balances in their societies as a whole. In 1975, while the islands were still ruled by the United States as the Trust Territory of the Pacific Islands, a constitutional convention assembled in Saipan to draft a charter for a proposed new Micronesian nation-state. The 1975 ConCon’s outcomes were decidedly mixed, reflecting competing outlooks on the islands’ political status, and are only marginally relevant here. One item, however, is entirely relevant, Article V, Section 3 of the 1975 draft constitution specified that "the Congress may establish, when needed, a Chamber of Chiefs." The negotiations entailed in getting this item into the draft were intricate and marked by great ambivalence on the part of many of the delegates. This draft was ultimately adopted as the Federated States of Micronesia’s constitution in 1979, but tellingly, the FSM Congress did not opt to establish a chiefly chamber.

42 In 1990 the FSM convened a second constitutional convention (Petersen, 1993, 1994). One key proposed amendment was to establish (rather than merely allow establishment of) the Chamber of Chiefs (Petersen, 1997). As the convention progressed it became clear that there was considerable opposition to the proposal. It was deferred, taken up and deferred again, then reconsidered, amended, and after much skilled negotiation it finally passed by a 27-1 vote. Opposition to it was initially mounted by both several state delegations and a number of individual delegates, but delegates were not merely divided among themselves in their attitudes toward the proposed Chamber;

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many were personally ambivalent, at times pressing for the Chamber and at other points voicing doubts about its potential to serve the Micronesian people.

43 Opposition to the new Chamber was complex – there was palpable fear of the chiefs’ political influence, but there was nearly equal desire to have them play a formal role in government as a check on the national congress. Delegates from every state, no matter what their position on the proposed amendment, insisted that no one in Micronesia – neither the Congress, the Convention, nor the people – could tell the chiefs what to do. But no one suggested that the chiefs would be ineffectual, nor that they were irrelevant or anachronisms. Rather, the crucial problem was the place that the chiefly system itself should hold in the contemporary Micronesian political scene.

44 Some very sophisticated points of view were expressed in testimony before the committee considering the proposal. The Chief Justice of Pohnpei State's Supreme Court argued that the institution of chieftainship itself would be threatened if chiefly roles were made subject to western legal precepts. It was exactly this sort of legislation, he said, that took away the powers of European monarchs. A Chuukese delegate pointed out that codification of chieftainship would be likely to freeze the relative rankings of titles, lineages, and clans in place and thus destroy the fluidity that characterizes the entire system.

45 The proposal was defeated overwhelmingly in the FSM’s 1991 Constitutional Referendum. Popular opposition to the Chamber of Chiefs, however, is evidence not of chieftainship's declining significance in Micronesia, but of just the converse. The fact that in the traditional leaders' presence the ConCon delegates could not bring themselves to gainsay the chiefs exemplifies the dilemma. The chiefs retain tremendous influence, of various types and springing from multiple sources. In general, Micronesian communities have relied on the strengths of their chiefs to guarantee certain defensive functions – in relation to threats from both abroad and the supernatural world – and most people are thus inclined to support them. At the same time, however, people strongly resist any attempts on the part of the chiefs to interfere too much in the everyday, domestic sphere of community life. Micronesians accomplish these dual, contradictory tasks with political structures in which various leaders, factions, and communities ceaselessly compete with one another and thus serve to check overweening ambition and unwarranted attempts to exercise power.

46 As the entire thrust of the Chamber of Chiefs issue made clear, Micronesians have significant reservations about the power of their national government, generally perceiving the Congress as entirely too strong. Permitting the chiefs to take on a formal role in the national government would not only have enhanced their power, but decreased the dual character of the present-day Micronesian scene, which now functions with Congress on the one hand and traditional politics on the other. Keeping chiefs out of government seems to have been a deliberate means of preserving both their role as protectors of the people and the traditional structures of competing power blocs. For all that the FSM Constitution portrays itself as a guardian of Micronesian customs and traditions, the Micronesian people see their guarantees situated elsewhere, and aim to keep them there. It is solely from this perspective, I think, that we can understand why it was only in Kosrae, where there are no chiefs, that a majority actually voted in favor of the Chamber of Chiefs, while in Yap, which most observers would agree has the most viable traditional polity and the only state government with an official role for chiefs already in place, the Chamber received its greatest opposition.

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Conclusion

47 Micronesian societies share common historical and cultural roots with Fiji and other eastern Oceanic communities. Chieftainship, land tenure, lineage structure, and the politics of everyday life are all closely entwined, and remain central to the survival of these new nation-states. Conversion to Christianity, colonial rule, and struggles for autonomy, self-rule, and independence have brought substantial changes to local political dynamics, but have not erased patterns that developed and proved effective over the course of millennia.

48 It is easy for political scientists and other scholars, along with international aid agencies and political operatives, to find fault in the processes of chiefly governance. For reasons that are short-sighted, chauvinistic, and perhaps narcissistic, too many observers tend to misunderstand democracy and democratic processes, often attributing a certain magical purity and effectiveness to them. In the Politics, a work that has certainly stood the test of time, Aristotle argued that in and of itself democracy is not an especially viable form of government. In his analysis, rather, the true value of democracy lies in the contributions it can make to mixed government, and held that it is in this combination of government by the one, the few, and the many that we find what he calls a successful government, that is a real “polity.” Modern democratic states incorporate the one (the executive), the few (a legislature), and the many (the electorate), and have proved viable and resilient, if hardly free from strife, and in contemporary Pacific island nation-states chieftainship constitutes a significant part of mixed governments.

49 It is possible, I suppose, to imagine that good government is peaceful government, free from turmoil. But this does not strike me as especially plausible. Good government is a product of checks and balances, and of divisions of power, and depends on an element of struggle. Whether the procedures that organize productive opposition evolved in Westminster or were devised in Philadelphia, formal democracy does not really differ that much from the structures of Micronesian, Fijian and other Oceanic polities. They are all designed to be driven by opposition and competition, and competition begets cooperation; if they can do anything, chiefs and their people can, when necessary, cooperate. Chiefs, like any politicians, have been known to exploit and behave in ruthless fashion. But their status in their societies is in the end rooted in respect and affection, rather than the selfish and, sometimes, seemingly mindless individualism that increasingly characterizes modern capitalist worldviews. Chiefs and chieftainship, as part of a mixed government, offers the societies that retain them viable, humane, and familiar alternatives.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Palau and the Marianas were settled from the west and Yap probably from the south, but these societies were profoundly affected by influences from the Eastern Carolines (Petersen, 2006). 2. Even Kiribati has clear evidence of matrilineal clans pre-existing more recent influences from Samoa. 3. When I first began to encounter significant differences of opinion about who was considered rightful successor to a title, I naively assumed that this was because people no longer understood their own cultural rules. I came in time to understand instead that these differences are what make the system survive and thrive. 4. The reference here is to Machiavelli’s republican ideas (spelled out in The Discourses on Livy), and not to the more problematic program outlined in the much better-known The Prince.

ABSTRACTS

Indigenous Micronesian political forms closely parallel those of eastern Melanesian and Polynesian societies. Chieftainship integrates aspects of land tenure, kin groupings, status hierarchy, and ideologies of the supernatural. Because so many aspects of social and political economy meet in these institutions, chiefly politics have traditionally been responsive to popular pressures; there is in fact, if not necessarily in myth, very little that is autocratic about them. The primary debate in the Federated States of Micronesia has not been about the importance of chieftainship, but whether the people are better served by including chiefs within their constitutional government or keeping them outside it, where it is believed they can more effectively exercise the checks and balances the people wish to maintain.

Les formes politiques indigènes de Micronésie sont très proches de celles des sociétés de Polynésie et de Mélanésie de l’est. La chefferie intègre certains aspects de la propriété foncière, des groupements de parenté, des statuts hiérarchiques et des idéologies de la surnature. Dans la mesure où ces institutions sont à la croisée de tant d’aspects de l’économie sociale et politique, les politiques menées par les chefs tendent, traditionnellement, à tenir compte des pressions populaires ; quoi qu’en dise le mythe, dans les faits, elles ne sont que très marginalement autocratiques. Le débat central parmi les États fédérés de Micronésie ne concerne donc pas l’importance de la chefferie, mais la question de savoir si le peuple a intérêt à ce que le gouvernement constitutionnel inclut les chefs, ou s’il vaut mieux les en exclure, partant du principe qu’il sont mieux placés pour garantir le contrôle et le contre-point que le peuple souhaite maintenir.

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INDEX

Mots-clés: chefferie, governement constitutionnel, États fédérés de Micronésie Keywords: Chieftainship, constitutional government, Federated States of Micronesia

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La chefferie autrement. Une notion mille-feuilles bonne à repenser A Different Chiefdom. A Multi-Layered Notion “Good to re-Think”

Viviane Cretton

Je remercie Simonne Pauwels pour ses pertinentes suggestions, ainsi que les deux relecteurs anonymes pour leurs remarques et commentaires judicieux. « Ce que vous appelez démocratie n’est pas quelque chose de nouveau pour nous. C’est notre façon de vivre au village. » (Adi Litia Cakobau, vice-présidente du Grand conseil des Chefs, Suva, 21 mars 2000)

1 Emblème de la chefferie à Fidji, le Grand Conseil des Chefs a été abrogé en mars 2012. En conséquence du coup d’État orchestré le 5 décembre 2006 par Voreqe Bainimarama, actuel Premier ministre alors amiral, ses séances étaient déjà suspendues depuis 2007. Communément considéré par les habitants de Fidji et par les anthropologues comme l’instance traditionnelle suprême, le Grand Conseil des Chefs a bénéficié depuis l’Indépendance en 1970 d’un droit de veto sur les décisions prises dans le cadre du Parlement. Souvent défini comme le garant des droits coutumiers des Fidjiens, ce Conseil avait été formalisé par l’administration coloniale de Sir Arthur Hamilton Gordon, dès 1875, dans l’objectif de faciliter l’administration de la colonie (1874-1970) et de sélectionner des représentants fidjiens au gouvernement colonial (Norton, 2000 : 145).

2 L’abrogation planifiée du Grand Conseil des Chefs met fin à la trajectoire d’une institution fidjienne aussi valorisée au plan symbolique que controversée au niveau politique. Ce changement invite à repenser la chefferie à rebours du sens commun. Comprise comme un système stratifié de pouvoirs anciens et nouveaux, symboliques et politiques, elle s’incarne dans la figure du chef, à différentes échelles (famille, village, district, nation) et selon diverses conceptions (emic, etic). À Fidji comme ailleurs dans le Pacifique, la signification exacte du terme « chef » diffère d’une communauté à l’autre. Dans l’usage des auteurs en général, il désigne un leader politique qui dessine son

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autorité et son influence à partir d’un discours issu de la tradition locale (White et Lamont, 1997 : 10).

3 Sur la base d’une immersion ethnographique de longue durée (1997 ; 2000-2001 ; 2002 ; 2014), cet article propose de revisiter le rôle des chefs et celui d’autres leaders légitimes et moins légitimes durant le coup d’État de 2000. En mettant en évidence l’hétérogénéité qui caractérise les chefs coutumiers fidjiens dans leur ensemble, hier comme aujourd’hui, il offre de jeter un nouvel éclairage sur la situation actuelle, esquissant les récurrences et retournements conjoncturels qui la façonnent.

4 La première partie s’attachera à déconstruire la notion de chefferie à Fidji, au prisme des influences occidentales et coloniales qui l’ont façonnée. Elle fera émerger le pluralisme inhérent à la notion de chefferie, tel qu’il s’est révélé durant le coup d’État de 2000. La deuxième partie sera consacrée, d’une part, à l’efficacité des transactions symboliques qui ont contribué à la résolution du conflit en 2000. Les pratiques spécifiquement fidjiennes qui se sont déployées au cœur de la crise politique mettent en jeu des objets de chefs (dent de cachalot ou tabua) qui s’échangent « à la manière des chefs ». Et, en continuité, les trajectoires de plusieurs dirigeants successifs après l’Indépendance seront connectées à diverses interprétations, également plurielles, de leur mana. Ceci permettra de révéler la nouvelle configuration de la classe sociopolitique fidjienne dans toute sa complexité.

« La chefferie », une reconstruction occidentale

5 J’ai montré ailleurs (Cretton, 2005, 2007, 2009) que la chefferie est une construction anthropologique qui a d’abord été considérée, dans une perspective néo-évolutionniste, comme un stade intermédiaire entre la tribu et l’État (Sahlins, 1961 ; Service, 1962). Essentiellement interprétée en opposition à l’État de droit, elle a été o pposée à la démocratie occidentale, elle-même réduite à un système de vote, à la citoyenneté ou aux droits civiques. En général, du côté des administrations coloniales et postcoloniales successives, comme du côté d’une certaine littérature savante, les chefs fidjiens ont été perçus comme des entités figées et homogènes, des obstacles au développement économique et politique de l’archipel. Cette perception reflète une dichotomie particulièrement étayée en sciences sociales et hors les murs de l’académie, celle qui opposerait les sociétés traditionnelles aux sociétés modernes, les sociétés d’ailleurs à celles d’ici, hier à aujourd’hui.

De l’ethnocentrisme à l’écocentrisme

6 Du côté universitaire, Lawson (1991, 1996) a contribué à cristalliser cette opposition en avançant que la démocratie est « ce qui manque » à la politique fidjienne perçue comme l’apanage d’une élite de chefs voulant maintenir ses privilèges. Cette idée que les chefs coutumiers fidjiens freinent la croissance économique et politique de l’archipel remonte à la période coloniale. On se souvient du rapport Spate, commandité par l’administration britannique en 1958, qui remettait sévèrement en question le rôle des chefs, en cristallisant la dichotomie « individu versus collectif » et en renforçant une opposition entre « le système de l’argent » (individualisme) et celui de « la coutume » (collectivisme). Une autre expertise plus récente a conclu aux mêmes résultats, malgré 44 ans d’écart (Cretton, 2007 : 274-280). En 2002, le rapport de la

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société d’Audit Pricewaterhouse Coopers, mandatée par le gouvernement fidjien pour réviser l’administration fidjienne, a similairement incriminé « l’incompétence » des chefs coutumiers en matière économique et politique, leur « manque d’intérêt pour le peuple », leur autorité qui « ne peut plus aller de soi », ou encore « les conflits entre les droits individuels et le système collectif de la vie au village ». À nouveau, « tradition » et « culture » sont opposées au « progrès », à « l’économie », au « développement ».

7 Avec récurrence, le système des chefs est désigné comme l’antithèse d’un système « économique » global et « démocratique » dans lequel pourtant il s’insère. Suivant le même esprit, au cours de la dernière décennie, une certaine littérature savante anglophone a diffusé l’idée que certains États sont plus faibles que d’autres, en raison de leur instabilité politique. Plus récemment encore, Robertson (2012) a mis en évidence « l’échec » des leaders fidjiens à démocratiser leur communauté depuis l’Indépendance. Ce point de vue avait déjà été critiqué notamment par Douglas (2003 : 8) qui a montré que « la plupart des ethnologues dépeignent l’identité nationale en Mélanésie comme récente, faible, contestée ou absente, surtout dans les régions reculées ». En opposition, les États « forts » sont définis par l’idée d’une démocratie florissante et d’une croissance économique stable sur le plan national et mondial. Aujourd’hui, dans le contexte d’une économie décrétée globale, une graduation en terme de performance persévère à hiérarchiser les sociétés du globe – non plus de la sauvagerie à la civilisation, mais de la faiblesse à la force, selon des critères à la fois occidentaux, économiques et politiques.

8 Toutefois, plutôt que nous dire quelque chose de spécifique à propos du système de chefferie fidjien, ce type d’analyse exacerbe le biais ethno et/ou éco centriste de son approche. Par exemple, en posant des questions sur les incompatibilités entre le développement économique de l’archipel et l’Administration fidjienne, les deux Audits réalisés par Spate et PricewaterhouseCoopers postulent un lien de causalité entre l’un et l’autre, mais ce n’est jamais la croissance économique qui est perçue comme une entrave à l’Administration fidjienne. Ce n’est jamais le système de « développement économique » dominant qui est remis en cause, mais bien l’Administration fidjienne et le système de chefs sur lesquels elle se fonde.

9 Sans prendre en considération la spécificité du « profit » dans son acception fidjienne (redistribution plutôt qu’accumulation), ni même reconnaître la complexité de la société insulaire, les rapports d’expertise réduisent celle-ci à ses « faiblesses », à ses « manques », à ses « rigidités », en regard du système économique dominant. Il est implicitement postulé que la société fidjienne « doit » s’insérer dans ce système plus vaste, sans remettre en cause celui-ci. En clair, une autre vision du développement économique et de l’économie en général – qui ne serait pas calquée sur les modèles du libéralisme – n’est jamais prise en considération dans les discours dominants (ce qui n’est bien sûr pas une spécificité fidjienne). Par contre, cette définition par l’« absence » révèle les enjeux idéologiques sous-jacents aux réflexions scientifiques, aux expertises ou aux opinions produites sur ce sujet. À vrai dire, ce type d’analyse n’est pas nouveau, puisqu’il avait déjà été critiqué par Clastres (1974), lorsqu’il relevait le biais ethnocentrique des théories sur les sociétés « sans État ».

10 Ce modèle de réflexion par « le manque » a pris et prend toujours pour référence l’État, la structure, les valeurs ou encore les croyances des anciennes sociétés coloniales pour mesurer la progression politique, sociale, ou économique des autres sociétés. Dans le cas fidjien, ce point de vue est celui qui a remodelé l’archipel dès 1874, lorsque les

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administrateurs britanniques uniformisèrent les structures fidjiennes existantes dans l’objectif de développer la colonie, important d’Inde une main-d’œuvre considérée comme propice au travail dans les plantations de canne à sucre, confinant les Fidjiens dans leurs villages et renforçant les privilèges de leurs chefs en instaurant un Grand Conseil des Chefs.

La restructuration coloniale : simplifier la diversité

11 Il a été démontré que la restructuration coloniale de la société fidjienne a contribué à son homogénéisation (Lal, 1992). Par exemple, les diverses chefferies existantes avant l’arrivée des Européens ont été regroupées en trois grandes confédérations ou matanitu (Kubuna, Tovata, Burebasaga), considérées comme les unités les plus importantes sur le plan coutumier1. Le matanitu a représenté « la forme la plus élevée d’organisation politique fidjienne » (Nayacakalou, 1975 : 23)2. Celle-ci résulte d’un long passé de querelles, d’alliances et d’obligations entre chefs, missionnaires et colons (Routledge, 1985 ; Tuwere, 2002 : 24-30). Aujourd’hui, ces trois confédérations divisent l’archipel en trois grandes chefferies, si l’on peut dire, et dans l’ensemble, les sources convergent pour admettre l’uniformisation d’une structure sociale autrefois flexible et diversifiée (France, 1969 ; Nayacakalou, 1975, 1978 ; Ravuvu, 1983, 1991 ; Lawson, 1991 ; Robertson et Sutherland, 2001).

12 Nayacakalou (1975 : 38-40) cite plusieurs exemples de chefs étrangers adoptés par un groupe, ou encore de chefs usurpateurs ou de chefs chassés par les leurs. Le principe de l’usurpation de pouvoir est fréquent dans les traditions des états tributaires et Fidji n’est pas une exception (Rutz, 1995 : 76). En ce sens, l’administration coloniale a fortement restreint la liberté de choisir un leader (Nayacakalou, 1975 : 40). Elle a simultanément contraint une hiérarchie autrefois mobile à se conformer à des règles de descendance lignagère patrilinéaire. Ces règles furent énoncées à des fins de répartition foncière pour mieux pouvoir administrer la colonie. Le critère de descendance patrilinéaire a été sélectionné par l’administration Gordon pour déterminer à la fois des unités parentales de propriété foncière et une hiérarchie de rang (chef/non-chef), en évacuant la diversité des situations existant à l’époque, spécialement à l’intérieur et à l’ouest de Viti Levu. Toutefois, une certaine variété semble perdurer, selon diverses procédures d’affiliation individuelles et collectives sous-jacentes à tel ou tel groupe.

13 Divers groupes de parents, dans de nombreux villages, ne connaissent pas leur ascendance originelle précise. Il n’est pas rare non plus qu’un groupe de parents qui ignore son ancêtre commun soit rattaché à un groupe quelconque, par adoption ou simple affiliation. Nayacakalou (1975 : 39) cite l’exemple du district de Tokatoka qui réunit six villages dont deux villages de chefs ont été adoptés par le groupe plus large. Des situations similaires sont rapportées par Geddes sur l’île de Vatulele (cité par Nayacakalou, 1975 : 39).

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Photos 1-2. – Échange de tabua lors de la restitution d’un couple dans son village, Moturiki

(clichés de l’auteur, 2000)

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Une structure mille-feuilles

14 Chefferie et État sont en quelque sorte imbriqués, depuis l’indépendance en 1970 au moins. À Fidji, comme dans d’autres sociétés postcoloniales, différents types de pouvoir, anciens et nouveaux, sont à prendre en considération. Ceux-ci tantôt se superposent ou s’enchevêtrent, tantôt se confrontent ou se côtoient.

15 Le rôle que peuvent jouer les hiérarchies fidjiennes dans les « structures constitutionnelles modernes » a été particulièrement mis en évidence par l’historien samoan Tuimaleali’ifano (2000 : 253) : « les liens du sang, les mariages politiques ou dynastiques, la religion, les capacités personnelles et les richesses relatives sous-tendent la suprématie politique et économique. »

16 La façon dont les relations de parenté dites traditionnelles sont impliquées dans les affiliations politiques contemporaines complexifie les relations actuelles et leur compréhension pour l’analyste, car différents niveaux de références (anciens et nouveaux) peuvent s’y superposer ou s’y confondre.

17 Les anciennes querelles pour la suprématie à Fidji peuvent fournir des informations sur les chicanes politiques actuelles entre divers partis. J’ai montré ailleurs (Cretton, 2007 : 167-216) comment d’anciennes rivalités entre les chefferies de Bau, Lau et Cakaudrove se sont rejouées lors de la destitution de feu Sir Ratu , Président de Fidji en mai 2000. A contrario du discours dominant, des relations de rivalité – veiqati – entre Lau et Bau pour la course au titre de Tui Kaba témoignent de la complexité de la situation politique fidjienne qu’il serait réducteur de résumer à la survivance d’une vieille querelle coloniale entre l’Est et l’Ouest. En effet, les rivalités entre les deux lignages de la famille Cakobau – les Mataiwelagi et les Naisogolaca – qui se sont réactualisées suite au coup d’État en 2000 incarnent plutôt le dynamisme du paysage politique à Fidji, ses variations, ses mouvements, sa profondeur et sa complexité.

18 Tenter de comprendre le pouvoir politique à Fidji sans prendre en considération la multiplicité des niveaux de référence qui s’incarnent dans les relations (politiques, de parenté, sociales, genrées, ethniques), ainsi que les diverses périodes historiques qui structurent cette société (précoloniale, coloniale, postcoloniale) serait vain, ou pour le moins réducteur. Sur un plan générique, le chef – compris comme figure du pouvoir – se positionne aujourd’hui à l’intersection des cultures politiques locales, nationales et globales (White et Lindstrom, 1997 : 3).

Chief, une catégorie plurielle et située

19 Ce n’est qu’aux XVIIIe et XIXe siècles – période majeure de l’exploration européenne et de la colonisation dans le Pacifique –, que « chef » (chief) est devenu le terme courant pour nommer les dirigeants « des peuples sauvages et barbares » (White et Lindstrom, 1997 : 7) du Pacifique.

20 Aujourd’hui, le « chef » peut se comprendre comme un leader politique qui a construit son autorité et son influence à partir d’un discours issu de la tradition locale (ibid. : 10). Suffisamment souple, cette catégorisation permet d’inclure ce que Sahlins (1968) a appelé bigman, cette figure de pouvoir comparée au « bourgeois » occidental et devenue emblème du système politique propre à la Mélanésie. La distinction faite entre bigman mélanésien (pouvoir acquis) et chief polynésien (pouvoir hérité) présente une typologie

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dualiste qui simplifie, en quelque sorte, les variations multiples de la réalité du leadership dans le Pacifique Sud (White et Lindstrom, 1997 : 9). À Fidji notamment, acquisition personnelle et héritage sont étroitement imbriqués. Ceci pourrait s’expliquer par le positionnement de l’archipel, au croisement de la Mélanésie et de la Polynésie. Mais des imbrications similaires sont observées entre autres en Papouasie Nouvelle-Guinée, Vanuatu et Samoa.

21 Chez les Sulka de Nouvelle Bretagne orientale, par exemple, on ne devient pas taven (chef de village, statut le plus élevé qui a cependant perdu sa validité aujourd’hui) parce qu’on a réalisé de grandes choses, mais on réalise de grandes choses parce qu’on est taven (Jeudy-Ballini, 2004 : 116-119). Ici, le statut de taven est d’abord hérité avant d’être démontré, c’est-à-dire collectivement validé (ibid.). Au Vanuatu en Mélanésie, les Ni Vanuatu s’attribuent le terme « chef » (ou chief en anglais et jif en bislama) dans divers contextes politiques ou économiques (Wittersheim, 2002). Mais le champ sémantique de la notion est on ne peut plus flou et chief désigne peut-être tout simplement « un leader, quel qu’il soit » (ibid. : 135). En Polynésie, à Samoa, le matai est librement choisi comme représentant du groupe familial (Tcherkézoff, 2000 : 115).

22 En fait, de nombreux chefs polynésiens aujourd’hui manifestent des capacités personnelles qui rentreraient dans la catégorie de bigman, comme c’est le cas à Samoa. En parallèle, un certain nombre de leaders des sociétés mélanésiennes affiche des caractéristiques qui les rattacheraient à la catégorie de chief, comme c’est le cas chez les Sulka cités plus haut. À vrai dire, la catégorie de bigman n’est plus guère utilisée que par quelques anthropologues (White et Lindstrom, 1997 ; Wittersheim, 2002) pour signifier tantôt un type de pouvoir acquis, tantôt un modèle de pouvoir propre à la Mélanésie. Et la plupart des dirigeants du Pacifique postcolonial réclament pour eux-mêmes le titre de chief, comme c’est le cas au Vanuatu ou à Fidji.

23 À Fidji, en général, chief réfère à l’héritage du titre de chef, mais celui-ci doit susciter l’accord du groupe concerné et peut se refuser par l’individu prétendant au titre. Le langage courant oppose le chief au commoner, compris comme n’appartenant pas à une lignée de chefs et ne possédant pas de titre. Toutefois, la signification exacte du terme « chef » diffère d’un lieu et d’une communauté à l’autre. En général, un chef est un turaga. C’est-à-dire quelqu’un qui possède le titre de chef, soit parce qu’il appartient à une famille de chef, soit parce qu’il a été installé rituellement en tant que chef dirigeant de son groupe. Hérités de façon patrilinéaire depuis la colonisation (1874-1970), les titres varient selon les régions de l’archipel : le plus répandu est Ratu pour les hommes. Les femmes de lignée de chef possèdent le titre de Adi. Dans les provinces de Rewa et Naitasiri, le titre équivalent est pour les hommes comme pour les femmes. Il reste difficile d’établir les terminologies emic utilisées avant l’arrivée des Européens. Sans doute que le terme originel était Tui, de Tù qui signifie littéralement « qui se tient dans la place » et que l’on retrouve dans Ra-tù, où ra désigne une marque de respect envers celui « qui se tient dans la place ». Tui est aujourd’hui le titre le plus élevé associé à celui de king, ou roi. Le titre de Tui est octroyé aux chefs (hommes et femmes) de lignages importants et aux chefs des trois matanitu ou grandes confédérations de Fidji : Burebasaga, Kubuna, Tovata. Chacune d’entre elles possède un titre suprême : Tui Dreketi pour Burebasaga3, Tui Kaba pour Kubuna4 et Tui Cakau pour Tovata5.

24 À travers la littérature, le plus célèbre des chefs fidjiens est peut-être Ratu Seru Cakobau, surnommé Tui Viti, le grand roi de Fidji. Il vécut de 1815 à 1883 et céda Fidji à la Grande-Bretagne en 1874, en collaboration avec onze autres chefs de Fidji. Toutefois,

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à la différence de Kamehameha V à Hawaï et malgré son surnom, sa suprématie n’a jamais suscité l’unanimité du peuple fidjien et Tui Viti n’a jamais fait l’objet d’une installation rituelle6. Aucun individu n’ayant été installé rituellement en tant que « chef de Fidji », d’anciennes rivalités perdurent entre les trois grandes confédérations de l’archipel, à propos de la suprématie du titre. Voyons de plus près comment celles-ci se sont exprimées et recomposées au niveau politique, suite au coup d’État de 2000.

« Chefferie » et hétérogénéité. Ou des divisions entre les chefs de l’Est, ceux de l’Ouest, du Nord et le Grand Conseil des Chefs

25 Suite à la prise en otages de plus de trente parlementaires fidjiens et indo-fidjiens en train de siéger dans une salle du Parlement à Suva, le 19 mai 2000, la plupart des chefs de villages, de districts et de provinces se sont prononcés dans la sphère publique pour faire part de leur position : pour ou contre le renversement du gouvernement par George Speight et son groupe armé. Cet événement a dès lors révélé des divisions anciennes et nouvelles entre les différents matanitu de Fidji.

26 Des revendications pour une quatrième confédération (matanitu) dans l’ouest de l’archipel ont ressurgi, ce qui avait été aussi le cas en 1987. Ces prises de position publiques – sous forme de communiqués de presse, de prises de parole dans les médias ou de manifestations – ont réactivé une vieille division coloniale entre les chefs de l’Est Fidji et ceux de l’Ouest. Toutefois, ces dissensions ne peuvent pas s’expliquer comme étant des survivances d’un passé colonial voire précolonial. Elles illustrent plutôt l’expression d’un mécontentement, certes historiquement construit, mais inséparable aujourd’hui de la situation économique. Regardons cela de plus près.

Rivalités historiques, symboliques, économiques

27 Les 7 et 8 juin 2000, de nombreux chefs venus des provinces de Namosi, Serua, Nadroga/Navosa, Ba et Ra dans l’ouest de Viti Levu – appartenant aux confédérations de Kubuna et Burebasaga – se sont réunis à Nadi pour discuter la constitution d’une quatrième confédération dont le nom serait Yasasa Vaka Ra. Préalablement, entre le 21 mai et la fin du mois de juin 2000, diverses délégations de chefs de l’Ouest se sont exprimées dans les médias pour évoquer la « suprématie » des chefs de l’Est Fidji en matière de politique nationale. « D’abord le gouvernement dirigé par feu Timoci Bavadra et maintenant c’est le gouvernement de Chaudhry qui a été renversé, arme au poing. Bavadra était de Viseisei et Chaudhry est de Ba. Il semble que ces bandes qui ont renversé le gouvernement élu démocratiquement en 1987 et cette année n’aiment pas les dirigeants de l’Ouest. Alors la seule chose à faire est de former un gouvernement à l’Ouest. » (Ratu Jone Ravetale, chef du village de Navoci, Fiji Sun, 6 juin 2000)

28 Feu Dr. Timoci Bavadra, Premier ministre en 1987, était originaire du village de Viseisei dans la province de Ba, à l’Ouest. Il a été destitué par le Colonel , originaire de Cakaudrove (sur l’île de Vanua Levu, dans la division Nord de Fidji). En 2000, le Premier ministre Mahendra Chaudhry, aussi originaire de Ba, a été destitué par George Speight, originaire de Tailevu à l’est de Viti Levu. Mais les revendications pour un gouvernement séparé, par les chefs de l’Ouest, dépassent les origines régionales des

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leaders. En 2000, elles se sont principalement fondées sur l’importante contribution de l’ouest du pays à l’économie nationale. En réalité, les chefs réclamaient une représentation sur le plan de la politique nationale qui soit proportionnelle à leur apport à l’économie du pays : « Nous avons l’industrie du sucre, les mines d’or, l’aéroport international et les attractions touristiques majeures. » (Ratu Sairusi, chef de Ba, Fiji Times, 4 juin 2000)

29 En 1987 déjà, des requêtes similaires à celles de 2000 s’étaient exprimées dans l’Ouest, plaçant la question économique au cœur des revendications pour une quatrième confédération, (Thomas, 1990 : 137). À ce moment-là, les gens « ordinaires » (non-chefs) espéraient profondément qu’un gouvernement autonome leur permette de se faire entendre à Suva, la capitale. Cela aurait pu conduire, pensaient-ils, à construire davantage de routes et à fournir d’autres services nécessaires dans la région. En 2000 par contre, les revendications pour une quatrième confédération ont plutôt porté sur la possibilité d’une autonomie économique de l’Ouest par rapport au reste du pays : « Ce qui nous concerne en priorité, c’est que l’Ouest a toujours été affecté. Nous souffrons le plus parce que la plupart de nos personnes sont employées dans le tourisme et l’industrie du sucre – deux industries qui soutiennent l’économie nationale. Et certains sentent que nous n’avons pas à subir les difficultés créées par les autres, dès lors que nous avons les ressources pour nous assumer nous-mêmes.» (Ratu Osea Gavidi, chef de Nadroga, Fiji Times, 8 juin 2000)

30 La division entre l’est et l’ouest de Fidji s’inscrit en continuité avec un passé précolonial socialement diversifié (Thomas, 1990 : 132), constitué d’alliances et de relations changeantes. Il est communément considéré que dans les petites îles qui constituent le centre et l’est de Fidji, des confédérations hiérarchisées se sont développées et que les plus grands de ces chefs ont plus tard été impliqués dans l’administration coloniale. À l’intérieur et à l’ouest de Viti Levu, par contre, le pouvoir traditionnel aurait été plus localisé7.

31 De substantielles rébellions ont toutefois eu lieu à l’intérieur de l’île, nécessitant une répression militaire organisée pendant la colonie (Ravuvu, 1974 : 4). En 1876, également, des gens de l’intérieur (kai Colo, hill tribes) de l’île principale se sont soulevés pour revendiquer leur autonomie politique et religieuse, en s’opposant à la fois à l’administration coloniale et à la tentative de conversion au christianisme (Thomas, 1990 : 134). Cette insurrection s’inscrivait également dans un passé de guerres internes. Le conflit a opposé les gens de la côte ouest et du bas de la vallée de Sigatoka et ceux de l’intérieur, à l’ouest du pays.

32 Cette division entre les gens « de l’intérieur » et ceux « des côtes » persiste dans les affiliations et les alliances contemporaines : les gens du sommet de la vallée sont étroitement reliés à ceux de l’intérieur mais pas à ceux de la côte (Thomas, 1990). La situation s’est complexifiée avec l’administration coloniale qui regardait les gens des collines (kai Colo) comme des semeurs de troubles. Celle-ci tenta alors de diviser le groupe « de l’intérieur » (highlanders) relativement uni en trois provinces : Colo East, Colo West et Colo North. Lors d’une réorganisation du système administratif concernant les Fidjiens autochtones en 1948, ces provinces furent assimilées à des provinces de la côte (Thomas, 1990 : 134). Ceci activa le mécontentement des gens de l’intérieur qui, désavantagés économiquement, se retrouvèrent marginalisés au sein de leur nouvelle province.

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33 À la suite de 1987, il avait été proposé que la présidence de la République circule entre les chefs suprêmes de Tovata, Burebasaga et Kubuna, sur une base de cinq ans. Mais la partie occidentale de l’archipel se répartissant entre les confédérations de Burebasaga et Kubuna, les dirigeants de l’ouest se sont sentis fortement marginalisés par cette proposition (Thomas, 1990 : 137). En 2000, ces dissensions internes, exacerbées, se sont exprimées par des manifestations de ralliement ou de résistance à la « cause indigène » défendue par George Speight. Rendons-nous à l’intérieur du Parlement fidjien assiégé, à Suva, pour observer ceci de plus près.

Photos 3-4. – À l’intérieur du parlement assiégé

(clichés de l’auteur)

Médiations, transactions symboliques et gestion du conflit

34 Quelques jours après la prise d’otages en mai 2000, George Speight et ses hommes ouvrirent les portes du complexe parlementaire à leurs supporters. Rapidement, l’événement se mua en une sorte d’attraction, éveillant la curiosité et le soutien d’un public de plus en plus nombreux et suscitant l’intérêt des médias nationaux et internationaux.

35 Des centaines d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes, principalement issus des villages avoisinants, se rendirent dans l’enceinte du Parlement pour soutenir le coup d’État, en apportant diverses offrandes de nourriture et du kava. Des délégations et des médiateurs de toutes sortes se succédèrent pour venir négocier ou pour faire valoir leur position auprès des « rebelles » : la délégation du Grand Conseil des Chefs ; la

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délégation des chefs de l’Ouest ; Ratu Tu’akitau Cokanauto, chef de Bau et leader du Fiji Association Party, venu boire le kava avec les auteurs du coup d’État, le 22 mai ; les membres de la Counter Revolutionary Warfare Unit (CRWU) – une unité de milice spéciale au sein de l’Armée – qui se sont ralliés à Speight dès le début de la prise d’otages ; l’envoyé spécial des Nations unies, Serge Veira de Mello, et le secrétaire du Commonwealth, Don Mc Kinnon, venus ensemble tenter de négocier avec les « terroristes » et visiter les otages, le 24 mai ; les journalistes d’outre-mer nourris et logés par les rebelles dans un espace spécialement apprêté pour eux au sein du complexe parlementaire ; les activistes Māoris s’étant expressément déplacés de Nouvelle-Zélande en signe de soutien à la cause indigène ; la délégation de supporters du parti Soqosoqo ni Vakavulewa ni Taukei (SVT, un parti défenseur des droits et intérêts des Fidjiens autochtones), menée par le maire de Suva, Mataiasi Ragigia, effectuant une visite dite « protocolaire », le 4 juin ; la délégation de la très influente Église méthodiste comprenant le Révérend Anil Reuben, chef de file des Méthodistes indiens, et venant proposer une « médiation spirituelle ».

Le Grand Conseil des Chefs, une médiation

36 C’est dans ce contexte que le Grand Conseil des Chefs, dirigé par Sitiveni Rabuka, s’est profilé tel le médiateur principal des négociations. Au plan législatif, le Grand Conseil des Chefs avait (avant son abolition) des devoirs de protection envers les Fidjiens. Mais cette responsabilité lui était communément attribuée au plan moral également. Dans la « philosophie Fidjienne » (Durutalo, 2003 : 170), le rôle du chef est avant tout celui d’un « protecteur » et d’un « gardien de la paix » pour tous ceux qui vivent sous son autorité traditionnelle. Ceci implique que lors de conflits, le rôle du chef en tant que « pacificateur » et « arbitre neutre » devient crucial pour la stabilité de la vie dans la communauté. Il n’est donc pas arbitraire qu’après le coup d’État, le Grand Conseil des Chefs ait été aussitôt investi du pouvoir (ou du devoir), par la population comme par ses élus, de réconcilier les différends liés à la crise politique.

37 De surcroît, les négociations qui ont mené à la libération des otages se sont déroulées suivant certaines caractéristiques qui n’ont rien à envier aux pratiques de participation citoyenne, telles qu’enseignées en Suisse notamment : une volonté rapidement activée de négocier entre groupes opposés, des pratiques mutuelles de respect entre factions ennemies, des échanges, de longues discussions en face à face souvent accompagnées de transactions symboliques. Parmi celles-ci, des échanges de tabua (dent de cachalot) ont joué un rôle spécifique durant le conflit de 2000.

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Photo 5. – Présentation d’une dent de cachalot à un chef (Lakeba, Tubou, octobre 2008)

(cliché de Simonne Pauwels)

Les tabua : des objets de chefs, anciens, mythiques, et efficaces

38 Les tabua incarnent le dynamisme et l’efficacité symbolique des pratiques dites coutumières au cœur du système de chefferie fidjien : le pouvoir de faire, refaire ou défaire les liens sociaux, celui de constituer des alliances ou d’ouvrir des discordes, celui de sceller la paix ou de déclencher le conflit. Considérée comme l’objet traditionnel suprême offert à la personne la plus importante, la dent de cachalot relève du don et du fait social total (Mauss, 1983/1950). Au cœur d’un mythe fondateur (Sahlins, 1982 ; Thomas, 1991), les tabua bénéficient assurément d’un statut symbolique privilégié à Fidji dont Mauss avait probablement déjà vu l’essentiel : « Leur présentation constitue une requête ; les accepter, c’est s’engager. » (Mauss, 1983 : 191)

39 Les tabua sont généralement présentées pour effectuer une demande individuelle ou collective à un individu ou à un groupe. Elles nécessitent un ou plusieurs donneurs et plusieurs receveurs. Accepter une tabua signifie accepter le dessein de la requête, qu’il s’agisse d’une demande spécifique ou d’une manifestation de bienvenue. La refuser consiste à refuser la demande en question. Dit rapidement, les tabua sont échangées dans le cadre de naissances, mariages, funérailles et d’autres événements comme la construction d’une maison, d’une église, d’une école, lors de la visite d’un personnage important ou encore lors de situations exceptionnelles.

40 Avant d’illustrer l’efficacité actuelle des tabua, il faut retenir que leur valorisation sociale et symbolique est telle qu’une demande impliquant une présentation de dent de cachalot est rarement refusée (Sahlins, 1962 : 199)8, même si toutefois cela peut se

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produire (Hooper, 1982 : 127-128 ; Sahlins, 1991 : 48 ; Waterhouse, 1997 : 79). Les événements de l’année 2000 montrent aussi que les refus de tabua sont possibles (Fiji Sun, 20 juillet 2000 ; Fiji’s Daily Post, 7 août 2000), mais qu’ils sont le plus souvent déclencheurs ou accélérateurs de conflit, à des degrés divers. Car ce que les refus remettent en cause, ce n’est pas simplement une demande quelle qu’elle soit mais plutôt ceux que cette demande engage – soit les relations qui s’établissent entre le groupe des solliciteurs et celui des « refuseurs ». Dès lors, pour appréhender le sens investi dans la transaction par les personnes concernées, il faut prendre en considération un réseau compliqué d’interactions agissantes, comme l’histoire, les relations de parenté et les dynamiques entre ces relations (Sahlins, 1962 ; Tuimaleali’ifano, 2000).

41 Pour exemplifier ce qui précède, en 2000, la destitution du Président de la République des îles Fidji, Sir Ratu Kamisese Mara, s’est faite sur présentation de tabua. Le 29 mai au soir, le commandant des Forces militaires fidjiennes, Frank Bainimarama, accompagné d’un groupe d’officiers, a approché le chef de haut rang de l’Est Fidji pour lui demander d’abdiquer. Lui présentant une tabua, il a sollicité son pardon pour cet acte de destitution. Le Président a accepté (cf. Cretton, 2005 ; voir également Lal, 2000a : 281).

42 Subséquemment, sur l’île principale, plusieurs postes de contrôle policiers ou militaires et différents sites stratégiques (dont le barrage de Monasavu) ont également été occupés sur présentation de tabua, et de kava. Des groupes de propriétaires terriens ont bloqué plusieurs accès routiers aux alentours de Suva pendant des jours, en s’asseyant en tailleur à même le sol, tout en buvant du kava. À la fin de la prise d’otages encore (13 juillet 2000), différentes cérémonies impliquant des échanges de tabua ont eu lieu entre diverses factions pour demander pardon pour les violences commises et les dommages engendrés pour le pays, ainsi que pour réconcilier les différents groupes en présence.

Des objets de tempérance

43 Pour l’esprit acquis aux idées d’interventions armées nécessaires en situation de conflit, de telles pratiques de négociation (impliquant du temps, des transactions symboliques, une quête de consensus) peuvent être mal comprises. Par exemple, dans le cadre des pourparlers entre chefs, militaires et rebelles qui ont précédé la libération des otages, les présentations faites par la délégation des chefs au groupe de Speight ont été interprétées par des journalistes d’outre-mer comme un ralliement des chefs à la cause de Speight. Pourtant dans le contexte fidjien, offrir du kava, des nattes, des tissus d’écorce ou autres objets de valeur symbolique, et accepter ce qui a été donné ne signifie pas, de fait, « manifester sa sympathie », son « soutien » ou sa « reconnaissance », comme on pourrait le comprendre en Europe, où l’on donne rarement quelque chose à un ennemi ou à une personne qu’on n’apprécie pas. Pour l’individu façonné par des normes de socialisation individualiste, cette façon de négocier ne va pas de soi. Pour préciser ceci, écoutons M. Sadole qui faisait partie de la délégation du Grand Conseil des Chefs durant les négociations : « Chaque jour, nous [délégation du Grand Conseil des Chefs] allions là-bas [dans le Parlement pris en otage], chaque jour, pour parler à ces personnes en essayant de résoudre la crise. Nous apportions du yaqona et des cigarettes à ces personnes qui faisaient partie de nos familles, parce que c’est la façon de faire dans notre culture. Alors les gens et les journalistes ont dit après que nous soutenions le coup d’État, mais non, en aucune façon. C’est un malentendu à propos de notre culture. Vous

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savez, je n’aime pas les journalistes étrangers, ils ont interprété que nous avons soutenu le coup d’État, mais non. Voyez, dans la culture fidjienne, c’est la façon de faire, offrir du kava et des cigarettes et quelques chocolats, parce que nous avions des membres de notre famille là-bas, aussi bien des personnes impliquées dans le coup d’État que des otages. Chaque jour, nous avons apporté du kava, nous nous sommes assis et avons parlé. Je me rappelle que le premier jour où nous avons dû y aller, ils étaient proches de se battre, mais le Président qui était très intelligent a dit non, maintenant nous devons régler cela, nous préparons le grog et nous allons boire le grog et après la première tournée de bols, vous savez, les gens se sont calmés [en descendant ses bras pour signifier le fait qu’ils s’étaient calmés]. [Rires]. Alors nous avons bu du grog, tous les jours nous avons bu du yaqona. C’est la façon fidjienne, vous savez, parce que lorsque vous buvez, vous montrez votre respect… Et probablement que si la crise avait été réglée par la loi, cela aurait engendré davantage de blessés. Vous savez, nous Fidjiens, nous buvons du kava en montrant notre respect [et il frappe trois fois dans ses mains]. » (Entretien avec M. Sadole, secrétaire du GCC, Suva, 6 août 2002)

44 Pendant les presque deux mois qu’a duré la prise d’otages, les objets symboliques qui ont circulé entre les principales catégories d’acteurs en présence ont eu pour effet d’activer les négociations politiques et de tempérer la violence du conflit de longs jours durant. On peut dire que les échanges de dents de cachalot incarnent la relation que les négociateurs fidjiens entretiennent avec le conflit et la violence, une relation pour laquelle tous les participants adoptent une attitude de chefs, vakaturaga : pour négocier les événements, amis et ennemis s’asseyent autour du kava et se manifestent un respect mutuel, s’élevant ainsi tous au rang de chef.

« À la manière d’un chef »

45 Littéralement, vakaturaga signifie qu’une action et ses caractéristiques satisfont la présence d’un chef (même s’il n’y a pas de chef à ce moment-là), parce que l’action est menée « à la manière d’un chef ». Ce comportement idéal se manifeste par des attitudes de respect (veidokai), de déférence (vakarokoroko), d’attention et d’obéissance (vakarorogo), ou d’humilité (malua), non seulement envers les chefs mais à l’égard de tout un chacun (Ravuvu, 1983 : 103-106). On dit d’une personne qui présente de telles caractéristiques qu’elle est tamata i tovo vakaturaga, c’est-à-dire que son comportement satisfait la présence d’un chef, parce qu’elle agit comme si tout un chacun était quelqu’un d’aussi important qu’un chef ou qu’un supérieur : « Lorsque vous êtes vakaturaga, vous ne montrez pas votre statut. » (Epi Duravasi, conseiller à l’École Queens Victoria, entretien, 26 août 2002)

46 À Samoa également, la position du chef n’est pas communément perçue comme étant hiérarchique et dominante, mais comme égalitaire et démocratique (Tcherkézoff, 2000). Pour les Samoans, la notion de matai ou de détenteur du titre est égalitaire parce que le matai est librement choisi comme représentant du groupe familial. Ce choix démocratique est fait par consensus et non pas par système de vote. Certes, avec le consensus, les personnes influentes ont naturellement un poids inégal en comparaison des jeunes ou des nouveaux, et cela peut paraître non démocratique. Mais de nombreux Samoans considèrent que le système de vote est désavantageux, parce qu’il réduit l’expérience de chaque personne. Beaucoup pensent que le système de vote introduit une dichotomie entre le gagnant et le perdant, ce qui crée une division au sein du groupe. Par contre, lorsqu’une décision est prise par consensus, il n’y a pas clairement

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de perdant. Ceci explique pourquoi le consensus est toujours la seule procédure admise dans toutes les assemblées de famille à Samoa (Tcherkézoff, 2000 : 115-116).

Photo 6. – Présentation de tabua par des femmes, lors d’une cérémonie de levée de deuil

(cliché de l’auteur)

Des objets d’échange spécifiquement fidjiens

47 Aussi surprenantes qu’elles peuvent paraître à l’observatrice occidentale, les pratiques observées incarnent sans doute la spécificité du conflit fidjien : un conflit dont la violence a été atténuée par de multiples échanges symboliques et pratiques dites « traditionnelles » ou « de respect » qui se sont déroulées entre les divers protagonistes. Le fait de manger et de boire la nourriture et la boisson « de la terre » (racines et yaqona) au pied du Parlement assiégé visait à manifester le soutien des « gens de la terre » (taukei) à la prise d’otages, tout en affirmant les valeurs du vanua (la terre et ses habitants).

48 Ailleurs dans le Pacifique Sud, ce ne sont pas des dents de cachalot mais d’autres biens qui sont mis en cause dans les cérémonies de conciliation : des dents de dauphins, des coquillages, des nourritures, des noix de bétel ou des nattes. Au-delà de l’objet particulier mis en jeu dans l’échange, Fidji se rattache aux sociétés du Pacifique Sud comprises comme des communautés qui connectent le social, le politique et l’économique sur fond de réciprocité. Toutefois, dans les îles avoisinantes, les pratiques de résolution du conflit peuvent contenir de fortes doses de compromis et de marchandage, en contraste avec les lois occidentales qui adjugent un vainqueur et un perdant (Dinnen, 2003 : 8). Aux Salomon, par exemple, dans le cadre d’un conflit accru entre 2000 et 2003, certaines pratiques coutumières de compensation ont pris des proportions exacerbées (Arkwright, 2003 : 177-189). Traditionnellement, la

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compensation signifie le paiement cérémoniel de biens coutumiers en monnaie locale comme un moyen de redresser l’insulte faite au groupe. Mais dans la situation aux Salomon, il s’agissait de réclamer le coût des destructions occasionnées par le conflit. Le Père Arkwright (2003) raconte l’anecdote de 5 millions de dollars (en dollars des îles Salomon) demandés en compensation pour une injure dite à l’égard des gens de Malaita par les gens de Guanalcanal. Toutefois, à Fidji, la spécificité du i soro ou cérémonie de réconciliation se distingue du rituel de compensation salomonais. Il s’agit plutôt d’une demande de réparation dans le sens de Hooper (1982 : 124), c’est-à-dire un sens très chrétien de demande de rachat.

49 Assurément, les transactions symboliques ont permis de pacifier le conflit en 2000, de façon spécifique, tout en renforçant un sentiment d’appartenance identitaire aux sociétés du Pacifique Sud qui se sentent reliées entre elles par l’océan (Hau’ofa, 2008). Au cœur de ce système de don – porteur de revendications sociales et politiques face aux pressions internationales venues de l’ONU ou du Commonwealth –, les relations de parenté et de pouvoir entre différentes catégories de chefs ou leaders ont révélé une autre dimension de la flexibilité inhérente à la chefferie fidjienne. Examinons cela de plus près.

Figures de leader, conflits de classes, hétérogénéité du pouvoir

50 Constitutives du politique à Fidji, les connexions de classes comme celles de parenté autorisent une mise en perspective de différents types de pouvoir, anciens et nouveaux, lesquels, en réalité, tantôt se superposent ou s’imbriquent, tantôt se confrontent ou se côtoient. Les figures de leaders successifs, légitimes et moins légitimes, exemplifient la diversité et le pluralisme inhérent à la catégorie de chef. Pour illustration, Ratu Mara et Rabuka incarnent deux figures de leader, l’une détentrice d’un titre élevé de chef et l’autre qualifiée de commoner.

51 Ratu Sir Kamisese Mara est originaire de la province de Lau, dans l’est de Fidji. Détenteur du titre de Tui Nayau, il est également soumis à l’autorité coutumière de Tui Cakau, pour le matanitu de Tovata. Chef de haut rang de l’Est Fidji, Mara a construit son mana (Teiawa, 2001 : 31)9 sur son propre titre et sur celui de sa femme, Roko Tui Dreketi, le titre le plus élevé de Burebasaga. Son éducation à Oxford lui a permis de faire carrière dans les affaires en s’associant avec une élite économique d’Européens et d’Indo-Fidjiens. En parallèle, sa carrière politique a évincé quelques chefs rivaux dans sa région d’origine, en générant simultanément un ressentiment dans les provinces situées à l’ouest (Teaiwa, 2001 : 31). Avec ses privilèges hérités de naissance, et son éducation universitaire valorisée symboliquement, Ratu Mara incarne une élite de chefs dont les pouvoirs ont été renforcés par l’administration coloniale, celle-ci ayant su œuvrer pour faciliter l’accès à l’éducation et à l’emploi (Leckie, 2002 : 128). Certains Fidjiens considèrent que les titres universitaires peuvent renforcer le mana d’un chef, spécialement lorsqu’ils s’acquièrent à l’étranger. À Suva, plusieurs personnes m’ont parlé de Ratu Mara comme d’un chef possédant un double mana, c’est-à-dire une double autorité issue d’un double savoir. Il est perçu comme maîtrisant à la fois le langage de « la tradition » – en tant que Tui Nayau, chef de rang élevé du groupe des îles Lau – et le langage du monde politique ou économique occidental – en tant que président de la République, titulaire d’une licence d’économie obtenue à Oxford. Pour les gens des Lau,

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par contre, le mana provient uniquement du titre et de la relation avec les ancêtres. Ici, Ratu Mara est considéré comme efficace au plan de la nation grâce à son kaukauwa (force et pouvoir) et performant au plan de la chefferie, par son mana. Sur l’île de Lakeba, la construction d’un hôpital ou d’une école est considérée comme l’expression de son kaukauwa, pas de son mana. Par contre, le fait de ne pas être frappé par un cyclone ou d’avoir des jardins florissants sont des preuves du mana d’un chef10.

52 De même que le pluralisme et la complexité sont inhérents à la figure du chef à Fidji, polyphonie et nuances semblent constitutives des représentations locales et situées du mana.

53 Ainsi, tous les leaders politiques ne possèdent pas l’aura coutumière d’un chef de haut rang tel que Ratu Mara. Par exemple, l’ancien Premier ministre destitué en 1987, le Dr. Timoci Bavadra, est communément désigné par son titre universitaire de Docteur, et non pas en fonction de son origine coutumière dans le village de chef de haut rang de Viseisei, à l’ouest. Posséder un titre universitaire est généralement considéré comme un avoir efficace : celui de pouvoir se faire une place dans la société fidjienne. Ne pas être instruit du tout est souvent regardé, à l’inverse, comme quelque chose de péjoratif, au village comme en ville. Un anonyme instruit me confiait que le problème des chefs coutumiers, « c’est qu’ils sont souvent ignorants », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas poursuivi leur instruction au-delà de la scolarisation secondaire, voire primaire. Selon cet interlocuteur, un certain nombre de chefs qui siègent au Grand Conseil des Chefs n’ont pas bénéficié d’enseignement supérieur et se trouvent difficilement à même de décider, en ce qui concerne les questions de politique nationale. L’héritage du titre coutumier ne suffit plus à construire la légitimité du mana. La superposition des savoirs particuliers, transmis et acquis, inscrite dans un réseau de relations inter et intra- familiales, contribue à la (re)construction du mana, compris comme un pouvoir d’action politique efficace et performant, dans le sens de Keesing (1984).

54 Sitiveni Rabuka, quant à lui, est un bati (du clan des guerriers) 11 de Cakaudrove qui a fait une carrière militaire dans l’armée fidjienne. Son mana s’est construit sur la ferveur religieuse qu’il a toujours manifestée publiquement et son soutien aux discours méthodistes. Ses deux coups d’État en 1987 et l’appui qu’il a constamment reçu du Grand Conseil des Chefs ont participé à renforcer son autorité (Teaiwa, 2001 : 32). Diverses affaires privées médiatisées auraient de surcroît contribué à amplifier son charisme politique, en le rendant sympathique et accessible aux yeux de ses admirateurs. Les gens du peuple « peuvent s’identifier plus facilement à Rabuka qu’à l’aristocrate Ratu Mara » (Teaiwa, 2001: 32). À l’opposé de l’ancien Président Mara, Rabuka a développé une popularité de self-made man. Le gouvernement de Rabuka a permis l’accession d’une nouvelle « classe » de personnes – pas forcément titulaires de titre de chef – dans l’administration gouvernementale. En tant que commoner, le leader des coups d’État de 1987 a participé à la constitution d’une nouvelle mobilité sociale, qui trouve déjà certains antécédents sous la gouvernance de Ratu Sukuna – chef de Bau, et premier président à la tête de l’administration fidjienne en 1954.

Du mana issu des classes moyennes

55 L’expansion de la classe moyenne – comprise comme l’avènement d’un groupe de fonctionnaires, travaillant dans les nouveaux départements gouvernementaux (Norton, 1977 : 65) – a commencé dans les années soixante, sous le gouvernement de Sukuna. Des

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personnes non détentrices de titre de chef ont commencé à bénéficier d’une position économique et d’un prestige social qui se rapprochaient de ceux des hauts chefs qui détenaient des postes gouvernementaux. Quelques-uns ont occupé des fonctions au même niveau que les chefs dans la bureaucratie et fréquentaient les mêmes clubs ou associations. En 1947, le premier commoner à avoir été nommé au Conseil législatif et ensuite au comité des Affaires fidjiennes (Fijian Affairs) est un enseignant de Tailevu. Le même homme a été aussi eté nommé Roko Tui Tailevu, acquérant ainsi un titre de chef et une supériorité sociale sur les autres chefs. Il n’était pas inhabituel pour un « roturier » d’être désigné Roko Tui (chef de haut rang), après la Deuxième Guerre mondiale (Norton, 1977). L’attribution du titre visait en quelque sorte à réparer ce qui était considéré comme une « erreur » (par exemple ne pas être né au bon endroit) et à rendre la personne concernée plus « fréquentable ». Quoi qu’il en soit, les années cinquante virent une augmentation du nombre des individus ne descendant pas d’une lignée de chefs représentés dans le gouvernement central et dans l’administration fidjienne. Et quelques-uns d’entre eux ont pu commencer des carrières politiques, en tant que leaders d’associations.

56 Dans la continuité de la mobilité sociale renforcée sous le régime de Rabuka, le pouvoir représenté par les chefs et leurs statuts, leur mana, s’est transformé dans le cadre d’une nouvelle conjoncture socio-économique. C’est dans ce contexte qu’a pu émerger une nouvelle classe de leader économique et politique, considérée comme peu « légitime ». Elle s’illustre notamment par la figure de George Speight, homme d’affaires devenu le leader visible du coup d’État de 2000 (et néanmoins inconnu de la scène politique fidjienne, au moment des faits).

Figure de l’usurpateur et mana illégitime

57 Les « intérêts des Fidjiens indigènes » revendiqués par George Speight ont été largement discutés par le discours dominant durant l’année 2000. L’idée que ceux-ci s’élevaient « contre » les intérêts des Indo-Fidjiens représentés par Chaudhry s’est largement répandue dans la population.

58 En tant que métis ayant étudié aux États-Unis et revendiquant « la cause indigène », la figure controversée de George Speight exemplifie la problématique liée à la nouvelle indigénéité fidjienne. Son ascendance européenne, par exemple, a suscité passablement de discussions, voire d’indignations du côté des opposants fidjiens au coup d’État. Speight a parfois été qualifié de « descendant de colon blanc » par les médias et le sens commun. Il faut savoir qu’à Fidji, les personnes nées de couples mixtes sont péjorativement appelées half-caste ( kai loma)12. À travers les médias locaux, spécialement la radio, de nombreux reproches furent adressés au leader half-caste, dont celui de ne jamais s’exprimer publiquement en langue fidjienne (mais en anglais), de n’avoir pas de nom fidjien (Speight) et de n’avoir jamais vraiment vécu à Fidji (mais plutôt en Australie et aux États-Unis).

59 La mère de George Speight, fidjienne, est originaire du village de Naivicula dans la province de Tailevu à l’est de Viti Levu. Son père, Sam Speight, est un ancien parlementaire qui avait été inscrit à la naissance dans le groupe de sa mère, sous le nom de Savenaca Tokainavo, en raison de son ascendance considérée officiellement « illégitime »13 (Robertson et Sutherland, 2000 : 146). Sam n’utilisa le nom de son père, Speight, que lorsqu’il commença à travailler dans les mines d’or de Vatukoula. Un nom

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européen, durant la période coloniale, permettait d’obtenir un travail mieux rémunéré (Robertson et Sutherland, 2001 : 146). Sam Speight reprit le nom de sa mère, Tokainavo, après les coups d’État de 1987, ce qui l’autorisa à remporter un siège représentant les Fidjiens « indigènes » au Parlement en 1992 (Teaiwa, 2001 : 33)14.

60 La référence à l’indigénéité fidjienne est un enjeu pour les individus nés de père ou de mère non fidjiens. Être inscrit dans le registre fidjien des naissances, Vola ni Kawa ni Bula (VKB), suffit à pouvoir revendiquer son statut d’ « indigène », celui d’habitant originel légitimement possesseur de la terre de ses ancêtres. En ce sens, l’inscription au VKB confère un statut socio-culturel, mais elle constitue aussi une stratégie politique, particulièrement utilisée sous le système électoral antérieur à 1997. Cette tactique est illustrée notamment par la manœuvre de l’ancien parlementaire, Jim Ah Koy, considéré par divers analystes comme le protecteur et mentor de George Speight (Teaiwa, 2001 ; Robertson et Sutherland, 2001)15. D’ascendance chinoise et fidjienne, l’homme d’affaires millionnaire16 Ah Koy a revendiqué sa « fidjianité » pour les élections de 1992, en obtenant l’enregistrement au VKB du côté du yavusa de sa mère. Son inscription lui a permis d’obtenir un siège et de représenter la circonscription électorale de Kadavu au Parlement.

61 Les nouvelles configurations du mana autochtone sont interdépendantes des revendications identitaires de personnes de la génération de Speight, d’ascendance mixte comme lui. En effet, à la suite de 1987, les descendants d’Européens se sont progressivement détournés de leur identification historique aux privilèges coloniaux pour revendiquer leur statut de part Fijian (Teaiwa, 2001) : « George Speight prétend représenter les intérêts fidjiens indigènes. En arborant son nom européen, en parlant exclusivement en anglais, en exhibant ses licences universitaires américaines et australiennes pour mana et en portant des vêtements stylés, Monsieur Speight représente certes les intérêts fidjiens indigènes. Mais ses intérêts fidjiens indigènes ne sont, clairement, ni les intérêts fidjiens indigènes de Ratu Mara, ni ceux de feu Dr. Bavadra. » (Teaiwa, 2001 : 33)

De Mara à Bainimarama, la légitimité du mana en mutation

62 Indissociable du lieu d’origine et du groupe d’appartenance, la trajectoire politique d’un leader fidjien est imbriquée dans un réseau d’alliances complexes, anciennes et nouvelles, héritées et/ou acquises. Les privilèges sociaux peuvent être le résultat à la fois d’un héritage de droit commun et/ou d’une acquisition de prestige par le niveau d’instruction et/ou le capital économique.

63 La carrière politique de Ratu Mara trouve sa légitimité dans son double mana : à la fois fidjien par son ascendance et occidental par son instruction. Celles des Premiers ministres qui lui ont succédé trouvent par contre leur légitimité dans d’autres facteurs conjoncturels. En contraste avec le personnage de Ratu Mara, Rabuka, par exemple, a développé sa propre popularité à partir de son image de « self-made man », converti aussi bien à l’éthique capitaliste que chrétienne. Une éthique par laquelle l’ambition d’un homme d’affaires tel que George Speight a pu se consolider.

64 Mara, Rabuka, Speight ou Bainimarama incarnent autant de figures du mana « indigène » : le premier construit sur une ascendance dite noble consolidée par une instruction occidentale à Oxford ; l’autre élaboré sur une ascendance « de guerrier » confirmée par une carrière militaire et une ferveur chrétienne ; le troisième, d’ascendance mixte, arrivé par l’instruction aux États-Unis et les affaires en Australie ;

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et le quatrième, Premier ministre depuis 2009, officiellement élu en 2014, fervent démocrate au passé militaire, qui n’a eu de cesse depuis sa présidence intérimaire en 2000, de dénoncer publiquement les dérives de l’ethnonationalisme fidjien.

65 Le mana de Bainimarama s’est construit sur son combat « pour » la démocratie depuis 2000, plus spécifiquement pour une égalité de droits entre citoyens de Fidji, indépendamment de leur origine ethnique. Originaire de Bau dans l’est de Fidji, Bainimarama est considéré populairement comme un véritable héros : le Fiji’s Daily Post l’a consacré « homme de l’année », à la fin 2000, pour son implication en faveur d’un maintien de la démocratie durant le conflit. Depuis son coup d’État en 2006, il n’a cessé pourtant de repousser les élections « démocratiques » promises, ce qui lui a permis d’asseoir son pouvoir, d’effectuer des changements dans le gouvernement et de mettre en place une nouvelle Constitution (2013). En parallèle de ce combat, Bainimarama a suspendu le Grand Conseil des Chefs en 2007, avant de prononcer son abrogation en 2012. Pour cette occasion, le leader autoproclamé accusa le Conseil d’être « devenu politisé au détriment de la poursuite par Fidji d’une citoyenneté commune et égale » (Bainimara, 13 mars 2012). Il serait depuis considéré comme un chef légitime à part entière (Lal, 2012). En juin 2014, Bainimarama a choisi de quitter l’armée pour pouvoir se porter candidat aux élections qu’il remporta en septembre de la même année Ce changement de statut (de militaire à civil) pour « entrer en démocratie » rompt avec le style de leadership d’un Rabuka, qui lui n’a jamais quitté son statut de bati. Fin stratège et/ou démocrate convaincu, Bainimarama instaure assurément une rupture avec le style et la rhétorique des coups précédents.

66 D’un autre côté par contre, son action renforce une continuité avec les leaderships précédents, en regard des répercussions économiques et politiques sur l’archipel. En effet, depuis 1987, des récurrences se sont installées, coup après coup, comme les sanctions internationales qui pénalisent Fidji sur les plans économique et politique, le pourcentage de population indo-fidjienne qui ne cesse de diminuer pour cause d’émigration successive (30 % de la population aujourd’hui) ou le taux de pauvreté qui ne cesse de s’accroître (50 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté en 2012).

La chefferie autrement

67 Loin de représenter une structure figée et linéaire (ce qu’elle n’a jamais été), la notion de chefferie doit se comprendre comme une sorte de constellation qui se compose et se recompose de façon subtile, en agençant divers éléments selon des ordres différents et respectivement mouvants, au gré des négociations qui s’actualisent à différentes échelles, locales, nationales, internationales. On l’a vu, isoler l’un de ces éléments pour en faire une caractéristique de la chefferie contre une certaine idée de la démocratie revient à biaiser la compréhension, à évincer la complexité des conjonctures en mouvement.

68 Depuis plusieurs décennies, la participation de la nation fidjienne à la communauté internationale s’incarne par l’adhésion à plus de quarante organisations internationales économiques, politiques, sociales ou culturelles (dont l’ONU, le FMI, Interpol, le Commonwealth, l’OMS, le CIO ou le G-77) et des représentations diplomatiques en divers lieux anglophones de la planète dont les États-Unis. Dans ce contexte, les volontés de distinction politique, au plan national, se construisent en interdépendance avec les

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normes et les valeurs partagées au plan international, dit mondial (Cretton, 2009). Ici, la chefferie s’articule autour d’un éventail de stratégies, lesquelles s’agencent localement parfois en accord, et parfois en désaccord avec l’institutionnalisation de ces normes communes (démocratie), tout en stimulant des manœuvres de distinctions intra, inter et supra-nationales.

69 Assurément, la chefferie aujourd’hui ne peut plus se comprendre uniquement tel un système traditionnel de chefs aux titres tantôt hérités, tantôt acquis. Les titres et statuts qui s’acquièrent au cours d’une carrière professionnelle, politique, économique, ou militaire (docteur, président, directeur, commandant), participent aussi à la construction du mana indigène. Titres et capitaux hérités et acquis tantôt s’associent et se complètent, tantôt s’affrontent, se côtoient ou s’excluent, selon la façon dont les individus sociaux les activent dans leurs pratiques quotidiennes. À travers les crises politiques et désordres sociaux des deux dernières décennies, une passation de pouvoir semble s’être opérée, des figures coutumières issues de la période coloniale (le noble Ratu Mara) vers des figures militaires plus guerrières (Rabuka, Bainimarama) (Norton, 2012). Des personnalités historiques comme Sitiveni Rabuka, Ratu Mara, George Speight et plus récemment Frank Bainimara, exemplifient chacun à des degrés divers une figure du mana fidjien. Par leur trajectoire, les dirigeants successifs du pays, légitimement élus ou autoproclamés, témoignent du pluralisme inhérent à la figure du chef à Fidji, en illustrant la nouvelle configuration de la classe sociopolitique fidjienne.

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NOTES

1. Dans son sens « moderne » et courant, matanitu signifie « un État », « un gouvernement ». 2. Nayacakalou relate l’existence supposée de huit ou neuf matanitu à Fidji avant l’intrusion politique des Européens. L’auteur mentionne qu’il est difficile de définir ces organisations avec précision, car elles étaient sujettes à des alliances politiques particulièrement fluctuantes et changeantes dans les turbulences du XIXe siècle. 3. L'épouse de feu Ratu Mara, Ro Lala Mara fut titulaire du titre de 1974 à 2004. L'actuelle titulaire du titre est Ro . 4. Titre vacant et disputé. 5. Ratu Naiqama Lalabalavu détient ce titre. Il reste cependant d’autres porteurs du titre de Tui, comme Tui Soso, Tui Tubou, qui peuvent par ailleurs être des « commoners », même s’ils ne l’ont probablement pas toujours été. 6. Par contre, en tant que chef suprême du matanitu de Kubuna, Ratu Seru Cakobau était détenteur du titre de Tui Kaba Na Vunivalu. 7. L’administration coloniale s’est installée dans l’est de Fidji, là où se trouvaient les chefs les plus influents. Ceux-ci auraient-ils eu autant de pouvoir, si l’administration coloniale s’était établie dans l’ouest ? 8. Sa valeur économique est également élevée aujourd’hui et les tabua, qui sont faites d’ivoire précieux, peuvent se vendre et s’acheter dans les divers pawnshops (monts-de-piété) de la capitale pour un montant qui peut varier entre 100 et plus de 700 dollars fidjiens. 9. Verbe signifiant « être efficace, réussir, être réalisé, “fonctionner” ». Keesing (1984 : 137) a montré que la traduction répandue de mana par une sorte de « médium invisible du pouvoir » est

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une erreur qui a donné lieu à de nombreuses mésinterprétations anthropologiques. Le mana est une condition et non pas une chose. Lorsque des choses sont mana, elles sont efficaces, vraies, performantes. 10. Je remercie Simonne Pauwels pour les précisions concernant Lau. 11. Bati signifie littéralement « dents », ou « l’arête, le bord, le tournant ». Le terme renvoie à un groupe social qui vivait traditionnellement à la frontière de l’espace d’un autre groupe auquel il devait allégeance. 12. Le terme fidjien signifie littéralement une personne « entre-deux ». 13. C’est-à-dire qu’il est né d’une union non consacrée par un mariage d’Église. Son père était un fermier européen de Tailevu. 14. Avant la Constitution de 1997, le système électoral fidjien était ethniquement divisé en trois listes : on votait pour des Fidjiens, des Indiens ou des Autres (Generals). 15. Ah Koy avait été suspecté d’avoir financé les coups d’État de Rabuka, en 1987. En 2000, ses liens avec la famille de George Speight ont ravivé la même suspicion. 16. Propriétaire de la firme informatique Datec.

RÉSUMÉS

Cet article présente la réalité polyphonique, historiquement stratifiée et située de la notion de chefferie dans le contexte de la politique fidjienne récente. Sur la base d’une enquête de terrain de longue durée, il explore la complexité et le pluralisme inhérents à la figure du chef à Fidji. La notion de chefferie est d’abord déconstruite au prisme des influences occidentales et coloniales qui l’ont façonnée. L’hétérogénéité qui a caractérisé l’ensemble des chefs fidjiens durant le coup d’État de 2000 est ici mise en évidence. Puis le texte revisite le rôle de médiation joué par les leaders légitimes (et moins légitimes) durant ce coup d’État. Il examine l’efficacité de certaines pratiques spécifiquement fidjiennes de résolution du conflit qui mettent en jeu des objets de chef (dent de cachalot ou tabua). En continuité, l’article relie les trajectoires de plusieurs dirigeants successifs après l’Indépendance à diverses interprétations, également plurielles, de leur mana. Ce faisant, il analyse la nouvelle configuration de la classe sociopolitique fidjienne dans toute sa complexité.

This paper ethnographies the highly stratified and situated notion of chieftainship within recent Fijian politics. Based on a long term fieldwork, the article explores the complexity and the pluralism that are inherent in chief figure in Fiji. A first part deconstructs the notion on chieftainship in Fiji through the prism of western and colonial influences. During the 2000 coup d’Etat, heterogeneity appeared to be the main feature of the Fijian chiefs as a whole. A second part revisits the mediation enacted by the legitimate and less legitimate leaders during the 2000 Coup d’Etat. It examines the efficiency of some distinctively Fijian practices involving chiefly artefacts (sperm whale’s tooth or tabua) to resolve conflict. In the end, the paper connects the trajectory of successive post-independance leaders with diverse understandings of their mana. This brings to enlighten the configuration of the new socio-political class in Fiji in all of its complexity.

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INDEX

Mots-clés : chef, tabua, mana, coup d’État, anthropologie politique Keywords : Chief, tabua, mana, Coup d’Etat, political anthropology

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Hors dossier

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« J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois ! » : VIH, antirétroviraux et prise en charge médicale aux îles Fidji

“I’m so sick and tired of going to the clinic every month!”: HIV, antiretroviral treatments and medical follow-up in Fiji

Fabienne Labbé

Mereani

1 Lorsque je la rencontrai pour la première fois à la clinique de suivi et de traitement du VIH (virus de l’immunodéficience humaine) de Suva en juin 2013, Mereani 1, 31 ans, venait de manquer un peu plus de deux jours de son traitement antirétroviral. Son mari, sans emploi, n’avait réussi à réunir que le matin même, en vendant de la ferraille aux abords de la route, les quelque quatre dollars fidjiens (FJD) nécessaires au trajet entre leur maison située dans un quartier d’habitat informel (settlement) en banlieue de la capitale et la clinique de suivi et de traitement du VIH de Suva.

2 Lors de nos échanges, Mereani me confia avoir longtemps refusé la prise en charge médicale de sa condition. Pendant près de cinq ans après l’annonce de sa séropositivité, elle n’avait en fait reçu aucun soin. Elle craignait tout d’abord que son conjoint de l’époque, avec qui elle vivait en relation de facto, ne découvre qu’elle était atteinte du VIH. Lorsqu’elle avait finalement révélé sa condition à son conjoint et que celui-ci avait lui-même découvert sa condition, ce dernier s’était par ailleurs opposé à ce qu’elle se rende à la clinique, craignant qu’elle soit aperçue à proximité de celle-ci par un membre de leur famille ou par quelqu’un de leur entourage et que leur séropositivité respective soit ainsi connue. Après le décès de son conjoint des suites du sida (syndrome d’immunodéficience acquise) en 2009, Mereani disait toutefois avoir amorcé un traitement antirétroviral et s’être mise à fréquenter régulièrement la clinique,

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devenant même, selon ses dires, une patiente exemplaire aux yeux des médecins et des infirmières; et ceci, même s’il lui était difficile de trouver des justifications à ses nombreux déplacements vers Suva pour les membres de sa famille avec qui elle habitait et auxquels elle avait caché sa condition.

3 Un peu plus de quatre ans plus tard, les visites régulières à la clinique étaient toutefois devenues un poids pour Mereani : « Je ne sais pas pourquoi ils ne peuvent pas juste nous donner nos médicaments pour trois mois. J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois! »

4 La situation financière précaire de Mereani expliquait en grande partie son ressentiment de devoir se rendre à la clinique tous les mois pour obtenir son traitement. Une partie de sa frustration tenait également au type de suivi qu’elle disait recevoir à la clinique. Selon elle, les consultations à la clinique se résumaient le plus souvent à quelques questions – « Comment vas-tu? », « Des problèmes? », « Des soucis avec ta médication? » – puis à la remise des antirétroviraux. Mereani déplorait également les fréquents changements de personnel à la clinique qui, disait-elle, avait un impact sur sa confiance dans le personnel soignant. Mereani se plaignait aussi de ruptures de stock de médicaments à la clinique et de l’irrégularité des tests de cellules immunitaires CD4 et de charge virale permettant d’évaluer son état de santé : « Tout ce qu’ils disent “Okay, on ne peut pas te donner… On ne prendra pas ton sang et tout ça parce que les tests ne sont pas…” […] Je ne sais pas, quelque chose ne va pas à Mataika House [le laboratoire national]. Ils disent toujours que quelque chose ne va pas à Mataika House. »

5 Pour toutes ces raisons, Mereani voyait difficilement l’intérêt de venir consulter à la clinique tous les mois.

6 Quelques années avant notre rencontre, Mereani avait eu recours au traitement d’un spécialiste de la médecine traditionnelle fidjienne qui prétendait pouvoir guérir le VIH. Elle avait alors mis fin à son traitement antirétroviral et ne l’avait repris que quelque huit mois plus tard, lorsque son état de santé s’était considérablement détérioré. Se remémorant cet épisode, Mereani disait regretter d’avoir interrompu son traitement et soulignait l’importance des antirétroviraux dans sa vie : « Je les vois comme ma vie. C’est ma vie. […] C’est comme ça que je me sens par rapport aux antirétroviraux. Les antirétroviraux sont vraiment importants pour moi. »

7 Paradoxalement, Mereani signalait également son intention de se rendre sous peu dans une Église pentecôtiste afin d’y être baptisée et qu’on prie pour sa guérison. Sur un ton mêlant découragement et colère, elle s’expliquait : « Je ne veux pas prendre des pilules pour le reste de ma vie! »

8 Sur fond de difficultés financières et de tensions et de frustrations vécues à l’intérieur de la clinique, vivre avec le VIH sous traitement était devenu, pour Mereani, un fardeau.

Le traitement et le suivi médical du VIH : perspectives anthropologiques

9 Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, les traitements antirétroviraux du VIH sont devenus un objet d’étude privilégié en anthropologie médicale. Les travaux réalisés par les anthropologues sur ce sujet ont montré que ces médicaments, accessibles à un

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nombre croissant de personnes dans les pays en développement grâce à des politiques d’accès historiques, voyagent vers les environnements de soins avec des « bagages » (Hardon et Dilger, 2011 : 149) : des « protocoles » et des « lignes directrices » sur les personnes à traiter et pour quelles raisons; des manuels et des « ressources » pour la formation du personnel soignant; des « instruments diagnostiques » et des « politiques » destinés à encourager le dépistage; des lignes directrices sur la façon de s’assurer de l’observance des patients aux traitements, etc. À travers ces « bagages » sont véhiculées : « [des] conceptions spécifiques de l’éthique, du professionnalisme, des droits humains et de la responsabilité individuelle. » (Hardon et Dilger, 2011 : 139)

10 Les travaux des anthropologues sur les traitements du VIH ont également montré que ces technologies globalisées acquièrent une « dynamique sociale » lorsqu’ils sont implantés dans des systèmes de santé caractérisés par des arrangements socioprofessionnels et des dynamiques économiques et politiques qui leur sont propres. Les anthropologues ont notamment mis en lumière les « situations de frictions et d’ambiguïtés » (Mattes, 2011) qui surviennent lorsque ces médicaments de pointe deviennent accessibles dans des contextes où le personnel médical et l’équipement manquent cruellement. Parallèlement ou conjointement à leurs analyses des « biographies » (Hardon et Dilger, 2011) des traitements antirétroviraux et de leur introduction dans différents contextes, les anthropologues se sont également penchés sur l’expérience des hommes et des femmes atteints du VIH et de leur vie sous traitement. Les travaux de ces chercheurs ont révélé que dans leur effort pour s’astreindre au strict régime de traitement et de suivi requis par leur condition, les personnes atteintes du VIH négocient des priorités morales concurrentes (competing moral priorities). La possibilité ou la décision de ces dernières d’observer la prise en charge médicale du VIH est ainsi tributaire d’un ensemble de facteurs, notamment de leur conception de la maladie et des thérapeutiques efficaces, de normes et de rôles de genre, de leur intégration dans des réseaux sociaux et familiaux et de leurs conditions socio-économiques d’existence (voir notamment Desclaux, 2003; Hardon et Dilger, 2011; Mattes, 2011, 2012). La stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH, qu’elles soient réelles ou perçues, jouent également un rôle crucial dans la capacité des personnes touchées par l’infection à solliciter des soins (voir notamment Aggleton et al., 2005).

11 En Océanie, où les traitements antirétroviraux sont disponibles dans la plupart des pays depuis le milieu des années 2000, peu d’anthropologues se sont intéressés jusqu’ici à ces médicaments ou, plus généralement, à l’expérience de la prise en charge médicale du VIH. Seule Leslie Butt s’est en fait penchée sur cet important objet d’étude. Dans ses travaux sur la Papouasie, Butt (2011, 2013, 2015) nous propose une analyse des contextes sociaux, culturels et politiques qui amènent les personnes séropositives à déserter en masse le système de soins. Dans cette province indonésienne, et particulièrement dans la région des Hautes-Terres, où les travailleurs de la santé estiment que 90 % des personnes recevant un diagnostic de VIH – en majorité des Papous – refusent les soins, Butt soutient que ce rejet systématique par les personnes séropositives est à comprendre à l’intersection de plusieurs facteurs. La peur de la stigmatisation et de l’ostracisme amènent d’abord, selon l’auteur, les personnes atteintes du VIH à taire leur statut sérologique et à éviter toute situation pouvant mettre en danger le secret sur leur condition comme des solutions stratégiques pour

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maintenir les liens sociaux et éviter l’exclusion. La présence massive d’immigrants indonésiens dans les services de santé, dans un contexte politique caractérisé par le racisme et les violences interethniques, contribue également à susciter des craintes et des appréhensions chez la minorité papoue et à générer une méfiance qui prédispose au refus de soins. Pour les personnes qui sollicitent malgré tout un soutien médical, la confrontation avec le système de santé est douloureuse, les personnes vivant avec le VIH d’origine papoue devant composer, comme le soutient l’auteur, avec l’attitude stigmatisante des médecins et des infirmières et avec le refus quasi systématique de ceux-ci de leur prescrire les traitements antirétroviraux pourtant requis par leur état de santé. Alors qu’elle constitue un « pilier » des programmes transnationaux de dispensation des antirétroviraux et des services de counseling associés au dépistage de l’infection, Butt montre également que la confidentialité est « un idéal piètrement enseigné et systématiquement violé en pratique » en Papouasie (2011 : 319). Le résultat de cette relation de soins (ou plutôt de cette absence de relation) est dramatique : dans les Hautes-Terres de Papouasie, les personnes atteintes du VIH dépérissent et meurent en l’espace de quelques mois, voire de quelques semaines après l’annonce de leur diagnostic (pour des travaux sur l’expérience des traitements antirétroviraux en Océanie menés dans des approches autres qu’anthropologiques, voir également Kelly et al., 2009, 2010, 2011 et Gorman, 2013).

Prise en charge médicale du VIH et observance aux îles Fidji

12 Cet article s’inscrit dans la lignée de ces travaux anthropologiques sur les traitements antirétroviraux et propose une analyse de l’expérience des Fidjiens autochtones (i Taukei) vivant avec le VIH alors qu’ils tentent d’observer le traitement et le suivi médical préconisés pour leur condition. Aux Fidji, les personnes atteintes du VIH bénéficient gratuitement des antirétroviraux depuis juillet 2004. L’accès aux traitements fut initialement rendu possible grâce au soutien financier du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria. Depuis la décision prise par le Fonds en 2008 de ne plus financer les initiatives relatives aux VIH dans les pays à moyen revenu, dont les îles Fidji font partie – une décision prise sur fond de crise économique mondiale et d’incapacité des États à honorer leurs engagements financiers envers le Fonds –, le coût des traitements est assumé par le gouvernement. À la fin de 2004, première année de la mise en place du programme d’accès aux traitements, 12 personnes vivant avec le VIH bénéficiaient des antirétroviraux (comm. pers., employé de la clinique de suivi du VIH de Suva, juin 2013). Cinq ans plus tard, en 2009, ce nombre était passé à 48 (UNGASS, 2010). À la fin de l’année 2013, 172 parmi les 257 hommes, femmes et enfants suivis pour une infection à VIH aux Fidji, soit 67 %, étaient, selon le ministère de la Santé, sous traitement (UNGASS, 2013). Cette augmentation du nombre de personnes sous traitement est en partie attribuable au nombre croissant de personnes apprenant chaque année leur séropositivité aux Fidji (64 personnes en 2013 en comparaison de 36 en 2004, nombre total de cas de VIH enregistrés à la fin 2013 : 546) (UNGASS, 2013). Elle résulte également de lignes directrices émises par l’Organisation mondiale de la santé concernant l’initiation des traitements antirétroviraux dans les pays en développement. Deux révisions de ces lignes directrices en 2010 et en 2013 (abaissement du seuil minimal d’éligibilité aux traitements de ≤ 200 CD4/mm3 à ≤

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350 CD4/mm3 en 2010 et de ≤ 350 CD4/mm3 à ≤500 CD4/mm3 en juin 2013) ont amené à traiter plus tôt un plus grand nombre de personnes aux Fidji.

13 La prise en charge médicale des personnes séropositives aux îles Fidji est réalisée dans trois cliniques spécialisées dans l’information, le dépistage, le suivi et le traitement des infections sexuellement transmissibles et du VIH situées dans les trois plus grandes villes du pays : Suva, Lautoka et Labasa. Le personnel de ces cliniques comprend généralement un médecin, une ou deux infirmières et une personne atteinte du VIH, appelée HIV advocate, employée pour offrir un accompagnement aux personnes séropositives nouvellement diagnostiquées et pour participer à des activités de sensibilisation à l’infection. Outre les antirétroviraux, la prise en charge consiste en des visites mensuelles à la clinique, destinées à favoriser l’observance des patients au traitement et à suivre l’évolution de leur état de santé. Le suivi consiste essentiellement en des consultations médicales et des examens sanguins. Les consultations sont menées par le médecin ou par l’infirmière et devraient comprendre, selon le protocole médical, des questions sur l’état de santé du patient, des questions sur de possibles problèmes avec le traitement en cours, la prise du poids et un examen physiologique sommaire. Les bilans sanguins, quant à eux, incluent des analyses biochimiques (au besoin), la numération de la formule sanguine complète (3 mois) et la numération des cellules immunitaires CD4 (3 mois). Le gouvernement fidjien se targue également d’être le seul pays du Pacifique insulaire (hormis les collectivités d’outre-mer françaises et américaines) à offrir aux personnes vivant avec le VIH la numération de leur charge virale (6 mois), mesure permettant l’évaluation la plus exacte de l’état de santé des personnes touchées par le VIH et de l’efficacité des traitements. En outre, dans l’optique d’offrir un « continuum de soins » (continuum of care) aux personnes vivant avec l’infection, les personnes séropositives nouvellement diagnostiquées sont mises en relation, lorsqu’elles le désirent, avec l’organisation nationale de personnes vivant avec le VIH, le Fiji Network for People Living with HIV and AIDS (FJN +), qui propose une multitude de services aux personnes séropositives incluant du support émotionnel, de l’information sur les traitements et la maladie et de l’aide financière.

14 Si cette description donne à penser que le VIH est « bien géré » aux îles Fidji, le récit de Mereani, présenté en introduction, laisse toutefois entrevoir des omissions, des failles et des tensions importantes dans l’organisation de la prise en charge médicale du VIH aux Fidji. L’analyse ethnographique amène également à nuancer, voire à questionner, le chiffre de 67 % de personnes vivant avec le VIH sous antirétroviraux avancé par le gouvernement. Les traitements antirétroviraux exigent des niveaux d’observance extrêmement élevés. On estime en effet que plus de 95 % des doses – un taux supérieur à celui exigé par la plupart des pathologies – doivent être ingérées à intervalles fixes (toutes les 12 heures exactement) pour assurer la pleine efficacité du traitement (sur ce sujet, voir notamment Laing et Hodgkin, 2006). Parmi 17 hommes et femmes vivant avec le VIH rencontrés lors d’un séjour aux Fidji en 2013, 15 étaient sous traitement, une personne refusait les antirétroviraux (pour des raisons qui sont abordées plus loin) alors que l’état de santé de l’autre ne nécessitait pas l’initiation d’un traitement. Parmi les personnes sous antirétroviraux, une majorité (10, n=14) rapportait n’avoir manqué aucune dose de leur traitement antirétroviral au cours des sept derniers jours. Deux personnes rapportaient, pour leur part, n’avoir manqué qu’une seule prise alors que deux personnes rapportaient des oublis qui laissaient présager des risques d’apparition de résistances (trois pour l’une, cinq pour l’autre)2.

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15 Derrière cette observance quasi parfaite à court terme se dessinaient toutefois des réalités qui permettaient d’entrevoir les difficultés rencontrées par la plupart des personnes séropositives dans la prise de leur traitement. Une personne affirmait ainsi que la dernière semaine n’était pas représentative de ses comportements habituels de prise et rapportait oublier fréquemment jusqu’à dix doses par mois. Trois personnes rapportaient, pour leur part, que leur observance du traitement n’était que très récente, ne datant que de quelques semaines ou de quelques mois à peine. Parmi les 15 personnes qui étaient sous antirétroviraux, 13 rapportaient également avoir déjà interrompu leur traitement pour des périodes allant de quelques semaines à plusieurs mois, voire plusieurs années consécutives. Un peu plus du quart d’entre elles rapportaient même avoir cessé leur traitement à plus d’une reprise.

16 Un portrait de l’observance serait par ailleurs incomplet sans la prise en compte du nombre important de personnes séropositives aux Fidji qui choisissent non seulement de refuser ou de mettre fin aux traitements, mais qui en viennent également à cesser les consultations médicales, mettant ainsi en péril la stabilité de leur état de santé et le succès des traitements à venir. En juin 2013, un peu plus d’une personne sur cinq (26/124) fréquentant la clinique de suivi du VIH de Suva avait interrompu son suivi médical depuis plus de trois mois et était, pour cette raison, considérée comme « perdue de vue » (Reproductive Health Clinic of Suva Second Quarter Report 2013). À la fin de 2012, un rapport de la clinique de suivi du VIH de Lautoka indiquait que parmi les 30 patients suivis à la clinique, deux étaient perdus de vue, quatre ne se présentaient à la clinique qu’occasionnellement, quatre avaient manqué leur dernier contrôle médical et que quatre personnes nouvellement diagnostiquées retardaient l’initiation de leur suivi (Reproductive Health Clinic of Lautoka Annual Report 2012). Cette situation était loin d’être nouvelle. Cinq ans plus tôt, en 2007, les cliniques de suivi du VIH affichaient des taux de perdus de vue variant entre 18 % et 50 %3, suggérant ainsi l’épreuve que représente, pour plusieurs personnes séropositives, la prise en charge médicale du VIH.

Étudier les difficultés et les contraintes auxquelles les personnes atteintes du VIH font face

17 Mon objectif, dans cet article, est d’examiner les raisons qui amènent les personnes vivant avec le VIH aux Fidji à refuser ou à interrompre la prise en charge médicale de leur condition. Si les traitements antirétroviraux permettent d’améliorer radicalement l’espérance et la qualité de vie des personnes atteintes du VIH, je montre néanmoins dans cet article que la prise de ces médicaments ainsi que le suivi médical régulier qu’elle nécessite sont associés à des difficultés et des contraintes multiples avec lesquelles les personnes concernées doivent composer. Dans certaines circonstances, ces difficultés se soldent par des interruptions, temporaires ou permanentes, de traitement et de suivi.

18 Cet article s’appuie sur une recherche ethnographique de 14 mois sur le VIH menée aux îles Fidji en 2007 et 2008. L’objectif de cette recherche était de documenter et d’analyser l’expérience des personnes vivant avec le VIH en examinant, notamment, les facteurs associés à la vulnérabilité à l’infection, la façon dont les personnes séropositives négocient la stigmatisation associée au VIH, l’impact du VIH sur les sociabilités des personnes atteintes ainsi que leurs parcours thérapeutiques. Près de

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cinq ans plus tard, en mai et juin 2013, je suis retournée aux îles Fidji afin d’effectuer une étude de suivi de l’expérience des hommes et des femmes initialement rencontrés.4

19 Au cœur de l’étude proposée dans cet article se trouvent des entretiens approfondis réalisés en 2007 et 2008 avec 28 personnes atteintes du VIH et neuf professionnels de la santé impliqués dans la prise en charge de l’infection. Parmi les 28 personnes séropositives rencontrées – 11 hommes et 17 femmes – presque toutes (25 personnes) étaient d’origine fidjienne autochtone ou i Taukei (ci-après appelés Fidjiens). Elles étaient âgées entre 21 ans et 45 ans (âge médian = 30,5 ans) et se savaient vivre avec le VIH depuis des périodes variant entre deux semaines et environ huit ans (médiane = 3 ans). Quinze d’entre elles prenaient des antirétroviraux (année médiane de la mise sous traitement = 2006). Une très forte majorité (23 personnes) habitait en milieu urbain. Les personnes séropositives furent recrutées via les cliniques de suivi du VIH ou encore via le Fiji Network for People Living with HIV and AIDS, avec lesquels toutes, à l’exception d’une personne, avaient des liens. Près de cinq ans plus tard, il fut possible de faire des entretiens de suivi avec 17 des 28 personnes initialement rencontrées – 11 femmes et six hommes, dont 15 sous traitements antirétroviraux (année médiane de la mise sous traitement = 2007). Cinq entretiens avec des infirmières et des médecins impliqués dans le suivi et le traitement du VIH furent également réalisés.5

20 Mon propos dans cet article est triple. Je soutiens, dans un premier temps, que la décision des personnes séropositives aux îles Fidji d’observer ou non la prise en charge médicale requise par leur condition se prend dans un univers moral où préserver sa réputation et celle de sa famille, de son lignage et de son clan est souvent considéré plus important que la seule santé ou survie à court terme. Je soutiens, dans un second temps, que la capacité des personnes atteintes du VIH aux Fidji de s’astreindre au traitement et au suivi médical à long terme de leur condition est fortement tributaire de leurs conditions quotidiennes d’existence et particulièrement de leur capacité à assumer les coûts de transport et de nourriture associés à la prise en charge du VIH. Dans un troisième temps, je soutiens que les interactions entre soignants et soignés et les dysfonctionnements du système de santé aux îles Fidji concourent à faire de la prise en charge du VIH un fardeau qui prédispose aux interruptions de traitement et de suivi. Les processus et les réalités observés aux Fidji révèlent en fait l’écart entre les programmes d’accès aux antirétroviraux tels qu’ils sont imaginés et définis au niveau global et leur implémentation au niveau local. En conclusion, je formule finalement des recommandations pour une meilleure expérience de la prise en charge médicale du VIH aux îles Fidji.

Stigmatisation, honte et crainte du dévoilement du statut sérologique

21 Lors de notre rencontre initiale en 2008, Lice, une jeune femme qui vivait avec le VIH depuis deux ans, au sujet des raisons qui amenaient certaines personnes séropositives à interrompre ou à refuser la prise en charge médicale de leur condition, affirmait : « Pour certains, c’est encore la peur, tu sais. Juste la peur d’être connu comme personne séropositive, comme personne vivant avec le VIH. […] Oui, tu sais, […] la peur d’être vu près de la clinique [de VIH] et qu’est-ce que les gens vont dire après et… Ouais, c’est une des plus grandes peurs, qui peut en fait les empêcher d’accéder aux services. »

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22 Ces propos allaient être repris invariablement par presque toutes les personnes séropositives que j’allais rencontrer par la suite de même que par le personnel soignant des cliniques de suivi et de traitement du VIH, pour qui la crainte du dévoilement de leur statut sérologique constituait la principale raison sous-tendant les refus et les interruptions de suivi par les personnes vivant avec le VIH.

23 La littérature sur le VIH/sida a abondamment souligné l’impact de la stigmatisation et de la discrimination liées au VIH sur la qualité de vie et le bien-être des personnes atteintes ainsi que sur leur capacité d’accéder aux soins (voir entre autres Aggleton et al., 2005). Aux Fidji, la crainte des personnes séropositives de voir leur condition connue ou soupçonnée, et la stigmatisation et l’exclusion qui pourraient en résulter, prend une dimension particulière en raison de la valeur fondamentale accordée à la réputation dans l’univers moral fidjien. Lors des entretiens, le terme le plus fréquemment employé par les personnes vivant avec le VIH pour parler de leur réaction à l’annonce de leur séropositivité était le terme madua, un terme polysémique recouvrant des émotions et des attitudes telles que l’humilité, la timidité et l’embarras, mais traduit le plus couramment, en référence au VIH, par la honte et la culpabilité (sur le concept de madua voir notamment Arno, 1990 et Toren, 1990). En raison de son association avec le « péché » et l’« immoralité », le VIH est en effet perçu, aux îles Fidji, comme entachant la réputation de la personne directement affectée par l’infection, mais également celle de sa famille, de son lignage, de son clan et de son village, qui sont considérés comme responsables de l’éducation et, par conséquent, des actions de leurs membres. Ce sentiment de donner un « mauvais nom » à leur famille, à leur lignage et à leurs autres groupes d’appartenance ainsi que le sentiment de perdre la face ou, pour emprunter les termes d’Hanne Morgensen, de « ne plus être reconnu comme une personne qui importe » (2010, citée dans Mattes, 2012 : 76), sont considérés à l’origine de cette émotion chez les personnes vivant avec le VIH. Salote, une femme de 29 ans qui vivait avec le VIH depuis environ cinq ans en 2008, au sujet de sa séropositivité, affirmait ainsi : « Personnellement, je me sens encore madua. Parce que j’ai donné une mauvaise réputation à ma famille. C’est ce que je ressens. C’est ce que certains vont penser aussi. »

24 Il est par ailleurs de perception courante, à la fois chez les personnes séropositives et chez leurs soignants, que le sentiment de honte associé au fait de vivre avec le VIH est ressenti avec plus d’intensité par les hommes, en raison des discours nationaux et internationaux qui leur attribuent souvent la responsabilité de la transmission de l’infection et en raison d’idéaux dominants de la masculinité qui les définissent comme forts et indépendants, donc non malades. Comme l’ont soutenu certains auteurs (voir notamment Toren, 1990; Kaitani, 2003 ; Teaiwa, 2005), les hommes fidjiens sont également moins accoutumés à la surveillance sociale que ne le sont les femmes. D’après le personnel soignant des cliniques de suivi du VIH, davantage d’hommes que de femmes sont d’ailleurs perdus de vue pour le suivi médical du VIH aux Fidji. Jone, un homme de quarante ans qui vivait avec le VIH depuis un peu plus de sept ans lors de notre première rencontre en 2008, en parlant de l’annonce de son diagnostic, affirmait ainsi : « […] ce qui m’inquiétait… Premièrement, je ne savais pas. Tout ce que je savais c’est qu’avec le sida, tu as une vie très courte. Okay. Et l’autre chose, j’avais entendu dire que cette maladie est une maladie très honteuse. C’est très… c’est une maladie

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sexuelle. […] Je pensais “Moi-même, j’ai tellement traîné.” Ouais. Je pensais à cette habitude “Okay, les gens vont me pointer du doigt. ‘Ouais, c’est la conséquence de ce qu’il…’ […] C’est la conséquence de ce qu’il a fait. C’est tout. Alors on n’a pas à se préoccuper.’” Ce que les gens allaient dire. Je pensais à ma famille et à mon village [aussi] parce que tu sais, la culture fidjienne est différente [de la culture occidentale]. Si tu fais quelque chose de mal, ça amène la honte sur la famille, la honte sur la communauté : mataqali (lignage), yavusa (clan), koro (village), tous. Et la province. Ça m’est aussi venu à l’esprit. »

25 Au vu de la honte et de la stigmatisation associées au fait de vivre avec le VIH aux Fidji, plusieurs personnes séropositives choisissent de conserver le secret sur leur condition afin de préserver leur réputation de même que celle de leur famille et de leur lignage et de maintenir leurs liens sociaux. Et précisément parce qu’elles représentent un risque pour le dévoilement de leur statut sérologique, les visites régulières à la clinique sont considérées par bon nombre d’entre elles comme étant hasardeuses. Se rendre à la clinique tous les mois pour obtenir leur traitement et pour effectuer leur suivi médical exige en effet des personnes atteintes du VIH qu’elles s’extraient de leur milieu familial et professionnel, parfois pour des périodes de temps prolongées, avec le risque d’éveiller les soupçons sur leur condition. Se rendre à la clinique mensuellement pour aller chercher leurs médicaments et pour effectuer un bilan implique également, pour les personnes vivant avec le VIH, le risque d’être vu à proximité de la clinique par des parents, amis, collègues ou membres de l’entourage. Lors de nos discussions, de nombreuses personnes critiquaient ainsi le choix d’emplacement des cliniques, qu’elles jugeaient situées dans des secteurs trop achalandés ou ne permettant que très difficilement de se soustraire aux regards indiscrets (photo 1). Plusieurs personnes séropositives se plaignaient également de la présence de rubans rouges, symbole international de la lutte contre le sida, à l’extérieur des cliniques (photo 2); une stratégie qui, si elle visait à faire la promotion des services médicaux pour le VIH, n’en rompait pas moins avec l’anonymat promis aux patients.

Photo 1. – Clinique de suivi et de traitement du VIH de Suva

(cliché de l’auteur, 2013)

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Photo 2. – Panneau orné d’un ruban rouge, symbole international de la lutte contre le sida, situé à l’entrée de la clinique de suivi et de traitement du VIH de Lautoka

(cliché de l’auteur, 2013)

26 Les personnes vivant avec le VIH craignaient également le dévoilement de leur condition par le personnel médical, non sans raison. Au moment de mes premiers entretiens en 2007 et 2008, plus du tiers des personnes séropositives prenant part à ma recherche (10 personnes sur 28) rapportaient avoir vécu des violations de confidentialité par des travailleurs de la santé œuvrant dans les hôpitaux, en particulier des infirmières.6 Plusieurs rapportaient également avoir été l’objet de mesures extraordinaires de « prévention du risque » (par exemple le placement en chambre d’isolement, le port de gants par les infirmières pour porter leur bébé, etc.) qui, en plus d’avoir généré chez elles de forts sentiments de honte et d’exclusion, avaient contribué à semer le doute sur leur condition dans leur entourage. Lors de mon retour sur le terrain près de cinq ans plus tard, en 2013, toutes les personnes séropositives rencontrées affirmaient que l’attitude des travailleurs de la santé à leur égard s’était grandement améliorée. À l’origine de cette amélioration, notons un effort soutenu de sensibilisation à la maladie par le ministère de la Santé ayant contribué à une meilleure compréhension de l’infection par le personnel soignant. La promulgation, par le gouvernement fidjien, d’un décret national sur le VIH, le HIV/AIDS Decree 2011, reconnu par ONUSIDA pour son progressisme et pénalisant à la fois les violations de confidentialité et les pratiques discriminatoires envers les personnes séropositives dans le système de soins de santé, semblait également avoir eu un effet dissuasif.7

27 Si les personnes séropositives décrivaient de meilleures interactions avec le personnel médical, elles n’en étaient cependant pas moins conscientes des violations de confidentialité « ordinaires », prenant la forme de commérages, dont elles étaient régulièrement victimes à l’intérieur du système de santé, incluant dans les cliniques de suivi du VIH (voir également Butt, 2011 et Gorman, 2013). En entretien, les personnes

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vivant avec le VIH rapportaient ainsi avoir entendu à maintes reprises des infirmières des cliniques de suivi du VIH discuter entre elles des histoires personnelles d’autres patients (photos 3 et 4). Elles affirmaient également que les personnes séropositives employées par les cliniques de suivi du VIH pour offrir un accompagnement aux personnes nouvellement diagnostiquées et pour faire de la sensibilisation à la maladie étaient à l’origine de fuites d’informations sur les patients. Mes interlocuteurs et interlocutrices faisaient également état d’occasions où des infirmières des cliniques de suivi du VIH leur avaient divulgué le statut sérologique de patients assis dans la salle d’attente. Mereani, au sujet de sa confiance envers le personnel de sa clinique médicale, affirmait ainsi : « J’ai été témoin de beaucoup de cas ici où j’étais, comme, “Vous n’êtes pas censés faire ça!” Mais… Ouais. [Si je demande] “Qu’est-ce que cette personne… [vient faire à la clinique]?” [Les infirmières me répondent] “Oh! Cette fille? Elle est comme toi.” [FL : Elles te disent ça?] Ouais et ce n’est pas correct, mais… […] Une Fidjienne qui ne fait pas de commérages, ce n’est pas vraiment une Fidjienne. (Rires) »

Photos 3-4. – Clinique de suivi et de traitement du VIH de Suva. La réception juxtaposant la salle d’attente permet aux patients d’entendre les conversations du personnel soignant

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(clichés de l’auteur, 2013)

28 Face à la possibilité que leur statut sérologique soit soupçonné, voire révélé, et face aux conséquences qu’un dévoilement de leur séropositivité pourrait avoir pour elles- mêmes et pour leurs proches, les personnes vivant avec le VIH procèdent à une hiérarchisation des risques. Certaines personnes choisissent ainsi de ne consulter que lorsque l’infection constitue une menace immédiate pour leur santé ou pour celle de leurs proches, comme dans le cas des femmes enceintes afin de prévenir la transmission du virus à leur enfant. D’autres consultent de façon relativement régulière, mais mettent en œuvre un ensemble de stratégies afin de minimiser le risque d’identification, visitant, par exemple, la clinique à des périodes de faible achalandage, se rendant à la clinique, après entente avec le personnel soignant, en dehors des heures d’ouverture ou prenant des dispositions pour rencontrer médecin ou infirmière et recevoir leur traitement dans un parc, une station d’autobus ou un magasin de vêtements de seconde main.

29 Face au risque de rejet social qu’une séropositivité connue ou soupçonnée peut représenter, certaines personnes se refusent toutefois à tout suivi médical, préférant plutôt se tourner vers la médecine traditionnelle ou vers les traitements de guérison spirituelle ou encore ne solliciter aucun soin. C’était le cas notamment du premier conjoint de Mereani. De l’annonce de son diagnostic en 2004 jusqu’en 2009, ce dernier n’avait jamais visité la clinique médicale. Il était décédé environ cinq ans plus tard, après une brève hospitalisation, de complications hépatiques. Au sujet de son conjoint, Mereani disait : « Il ne voulait pas croire qu’il était séropositif. Il ne voulait pas que les gens sachent qu’il était séropositif. […] Et les hommes ont ce truc d’ego. Ils ne veulent pas aller [à la clinique] et… Ça les fait se sentir : “Oh! Je suis malade, tu sais?” »

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30 Ceci pointe en direction d’idéaux de la masculinité (les hommes forts, aventureux, indépendants, etc.) qui non seulement rendent les hommes susceptibles de contracter le VIH aux Fidji, mais qui les rendent également moins enclins à solliciter des soins pour leur condition, résultant en ce qui pourrait être qualifié de double vulnérabilité des hommes face au VIH aux Fidji. Les données présentées ci-dessus soulignent également l’erreur spécifique des cliniques de suivi et de traitement du VIH aux Fidji qui font la promotion de leurs services tout en prétendant offrir l’anonymat aux patients. De même, elles révèlent les violations de confidentialité qui ont cours dans le système de soins, amenant à conclure, comme le fait Butt (2011 : 319), que la confidentialité, s’il s’agit d’un pilier idéologique des programmes transnationaux liés au VIH, est un idéal certainement mal enseigné et clairement difficilement mis en pratique. Finalement, les données présentées ci-dessus illustrent la préoccupation persistante des personnes vivant avec le VIH aux Fidji pour la stigmatisation et la discrimination liées à l’infection. Aux Fidji, la honte et la « mort sociale » à court terme pouvant découler d’une séropositivité connue ou soupçonnée apparaissent plus risquées, pour de nombreuses personnes vivant avec le VIH, que la mort physique à long terme associée au virus.

Coûts de transport, faim et précarité financière

31 De nombreux auteurs ont noté, avec justesse, « l’évidente prépondérance de l’économique » (Desclaux, 2003 : 41) lorsqu’il est question de prise en charge du VIH dans les pays en développement. Dans plusieurs pays, les coûts prohibitifs des traitements antirétroviraux les rendent hors de portée de la majorité des personnes pour lesquelles ils seraient médicalement justifiés. Là où les traitements sont gratuits, les coûts de transport pour se rendre à la clinique et les frais associés aux consultations (frais d’enregistrement, frais d’usagers, etc.) constituent d’importantes barrières de l’accès aux soins (voir par exemple Weiser et al., 2003; Castro et Farmer, 2005; Hardon et al., 2007). Aux Fidji, où les multithérapies antirétrovirales du VIH sont accessibles gratuitement, les coûts de transport, et plus spécifiquement le prix du billet d’autobus, représentent une contrainte qui affecte profondément l’expérience de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH et qui limite considérablement leur capacité d’observer les recommandations relatives à leur suivi et à leur traitement. Comme plusieurs auteurs l’ont noté pour d’autres pays ou régions du monde (voir par exemple Hardon et al., 2007; Kalofonos, 2010; Kelly et al., 2011), la faim associée à la prise des antirétroviraux est également une expérience avec laquelle plusieurs personnes séropositives aux îles Fidji doivent composer et qui les amène, dans certains cas, à interrompre leur traitement.

32 Au moment de la collecte de données en 2013, près de la moitié des personnes séropositives ayant participé à ma recherche (huit personnes sur 17) étaient sans emploi et n’avaient accès à aucun revenu d’emploi salarié par des membres de leur famille. Ce taux était encore plus élevé en 2007 et 2008, alors que les deux tiers d’entre elles (18 personnes sur 28) n’avaient accès à aucune source de revenu stable. La plupart de ces personnes ne pouvaient compter, pour compléter les produits d’une agriculture de subsistance et assurer leur survie, que sur l’allocation mensuelle, d’un montant variant entre 55 et 100 FJD (entre 30 et 55 USD), qui leur était versée par le ministère de la Sécurité sociale, de la Condition féminine et de la Lutte à la pauvreté (Ministry of

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Social Welfare, Women and Poverty Allevation) ainsi que sur des bons alimentaires, d’une valeur de 30 FJD (16 USD), reçus du même ministère. En mars 2014, un membre du personnel du Fiji Network for People Living with HIV and AIDS (FJN +) m’informait par ailleurs d’une révision des programmes de soutien financier du ministère de la Sécurité sociale, de la Condition féminine et de la Lutte à la pauvreté qui s’était soldée, pour les personnes séropositives membres de l’organisation, par une baisse importante de l’aide reçue. Ainsi, la plupart des personnes qui recevaient, en mai et juin 2013, une aide de 60 FJD [33 USD] en argent et de 30 FJD [16 USD] en bons alimentaires ne pouvaient compter, quelques mois plus tard, que sur une contribution de 30 FJD en argent et de 30 FJD en bons alimentaires (comm. pers., employé de FJN+, 3 et 4 mars 2014).

33 Ce soutien financier, maigre selon tout standard, servait, dans de nombreux cas, à répondre aux besoins de plusieurs personnes. Seini, une femme séropositive de 32 ans, était, par exemple, avec son bon alimentaire et son allocation mensuelle de 60 FJD, la principale pourvoyeuse des besoins d’une famille de trois adultes. De même, ce maigre soutien financier servait à répondre à une variété de besoins (nourriture, frais associés à la scolarisation des enfants, loyer, obligations sociales et familiales, etc.) qui entraient en concurrence avec les coûts de transport pour se rendre à la clinique. Asena, une femme qui vivait à quelque 25 km de la capitale et qui n’avait pas vu de médecin ou d’infirmière depuis environ un an, lors de notre rencontre en 2013, expliquait ainsi que l’argent utilisé pour se rendre à la clinique signifiait de l’argent en moins pour ses besoins alimentaires ainsi que pour ceux de son mari : « Moi, pour moi personnellement, c’est juste le prix du billet d’autobus. Le prix. Si je n’ai pas l’argent, je reste à la maison et je prie. Comme ça. Je ne veux pas… Si j’y vais, avec quel argent nous allons acheter le sucre? Pas de travail! Ouais! C’est pour ça. C’est la principale chose pour moi. »

34 Mereani, tel que mentionné en introduction de cet article, venait, pour sa part, au moment de notre rencontre en 2013, de manquer un peu plus de deux jours de son traitement. Interrogée sur les raisons qui l’avaient amenée à manquer des prises de médicaments, elle expliquait qu’elle n’avait pas réussi à réunir à temps l’argent nécessaire pour se rendre à la clinique, ceci, notamment, en raison de la présence, à la maison, de visiteurs en provenance du village et des coûts additionnels en nourriture et en kava que cela avait engendrés. La difficulté de se rendre à la clinique sur une base mensuelle est encore plus grande pour les personnes habitant en milieu rural. Un couple de personnes séropositives qui vivaient dans un village situé à environ 150 km de la capitale et dont les frais de transport pour se rendre à la clinique s’élevaient, à eux deux, à plus de 45 FJD, ne disposaient, par exemple, que d’un total de 90 FJD par mois pour acheter les produits de première nécessité pour eux-mêmes et pour leur petite fille de deux ans. La machine du VIH (juggernaut) (Nguyen, 2009), et le flot d’humains, de médicaments et de technologies qu’elle nécessite, ne s’éloigne que très rarement des centres urbains.

35 Lors de nos discussions en 2013, les personnes vivant avec le VIH suivies à la clinique de Suva évoquaient également comment l’emplacement même de la clinique contribuait à exacerber leur difficulté financière à s’astreindre à la prise en charge médicale de leur condition. La localisation excentrée de la clinique de Suva signifie, en effet, pour plusieurs personnes résidant dans les zones périphériques de la capitale, un aller- retour supplémentaire en autobus et, par conséquent, des coûts additionnels (pour la plupart 1,40 FJD). La clinique est par ailleurs située au sommet d’une colline, ce qui la

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rend, de l’avis de plusieurs, difficilement accessible pour les personnes n’ayant pas le moyen de payer le transport et dont l’état de santé est fragile. Viliame, un homme qui vivait avec le VIH depuis plus d’une dizaine d’années et qui était impliqué dans le plaidoyer pour la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH, lorsqu’interrogé au sujet des facteurs rendant difficile le suivi médical régulier de l’infection, affirmait ainsi : « Parfois, ils n’ont pas le prix du billet d’autobus et ils ont à marcher d’ici [du centre-ville] pour se rendre à la clinique. Parfois, j’essaie de marcher jusque là-haut et quand j’arrive là-bas, je suis tout en sueur. Oui! Et je suis fatigué et… Imagine si je tombe malade et que j’ai à me rendre à Suva et, ensuite, d’ici jusque là-haut parce que je n’ai pas le prix du billet d’autobus! »

36 La capacité des personnes séropositives de s’astreindre à la prise en charge médicale à long terme requise par leur condition dépend également de leur expérience des traitements. Si, en 2007 et 2008 tout comme en 2013, une majorité de personnes séropositives soulignaient les effets positifs que les antirétroviraux avaient sur leur existence, en parlant même régulièrement, comme Mereani, comme de « leur vie » (voir également Gorman, 2013)8, la plupart évoquaient néanmoins les effets secondaires importants qui leur étaient associés (nausées, vomissements, diarrhée, maux de tête, étourdissements, éruptions cutanées, faiblesse, sueurs froides, anémie, etc.). Parmi ceux-ci, la faim était la plus souvent mentionnée. Le processus de reconstruction des défenses immunitaires et de guérison des tissus et des organes permis par les multithérapies antirétrovirales nécessite en effet un apport calorifique et nutritif important qui se traduit, pour plusieurs patients, par une sensation de faim et un besoin accru de manger. Cet effet secondaire des traitements n’est toutefois pas envisagé de façon forcément indésirable par les personnes vivant avec le VIH. De façon cohérente avec la valorisation locale de la corpulence et avec la conception fidjienne faisant du fait de manger beaucoup un signe de santé physique, émotionnelle et relationnelle (Becker, 1995), une partie de mes interlocuteurs considéraient en effet la faim et la prise de poids associées aux antirétroviraux comme étant à la fois la cause et le résultat de leur état de bien-être.

37 Pour les personnes confrontées à d’importantes difficultés financières, cette sensation de faim et ce besoin accru de manger liés à la prise des antirétroviraux sont toutefois vécus comme des fardeaux. Le cas de Kelera est sur ce point éclairant. Kelera n’avait que 19 ans lorsqu’elle apprit, en 2002, qu’elle était atteinte du VIH. Deux ans plus tard, lorsque les traitements antirétroviraux étaient devenus accessibles pour la première fois aux Fidji, elle avait amorcé un traitement, mais l’avait interrompu après à peine quelques mois. Kelera résidait dans un quartier d’habitat informel en périphérie de la ville de Suva avec son mari et ses beaux-parents âgés. Elle demeurait à la maison alors que son mari, qui était également séropositif, avait dû quitter son travail dans une compagnie de transport maritime en raison de son état de santé devenu fragile. Pour subvenir à leurs besoins, le couple ne disposait que des quelques tubercules qui poussaient dans leur petit jardin ainsi que d’une allocation de 60 FJD par mois reçue du gouvernement. Lors de nos échanges, Kelera expliquait avoir interrompu ses antirétroviraux parce que ceux-ci augmentaient son appétit et qu’elle n’avait souvent pas suffisamment à manger pour calmer sa faim. Elle affirmait par ailleurs que la vue de la nourriture dans les autres maisons du quartier la rendait à la fois furieuse et envieuse. Dans ces circonstances, elle disait avoir préféré ne plus prendre son traitement. Elle ne l’avait finalement repris que près de trois ans plus tard, lorsque son

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état de santé s’était considérablement détérioré et que la prise des antirétroviraux était devenue une question de survie.

38 Comme l’a noté Vinh-Kim Nguyen pour les pays en développement en général (2005 : 142), les personnes séropositives aux Fidji qui n’ont pas le « capital financier » pour payer les coûts de transport associés aux visites régulières à la clinique et les coûts accrus de nourriture liés à la prise de leur traitement se tournent régulièrement vers leur « capital social », c’est-à-dire vers leur réseau de relations, afin de mobiliser les ressources nécessaires à la prise en charge médicale de leur condition. Solliciter le soutien financier de leur entourage n’est toutefois pas sans difficulté. Le secret sur la condition et le caractère asymptomatique de l’infection compromettent les chances des personnes vivant avec le VIH de voir leur entourage accéder à leurs demandes, les visites à l’hôpital étant souvent perçues, en absence de signes de maladie, comme inutiles. Réitérer les demandes d’aide financière représente également un risque pour le dévoilement du statut sérologique. Mobiliser l’aide des réseaux familiaux pour se rendre à la clinique est également difficile pour certaines personnes dont la séropositivité est connue, mais mal acceptée de leur entourage. Sisilia, une femme de 26 ans, lors de notre rencontre en 2008, racontait ainsi comment le refus de la cousine avec qui elle habitait de lui donner le 1 FJD nécessaire à ses frais de transport pour se rendre à l’hôpital faisait partie du traitement qui lui était réservé pour avoir contracté le VIH et pour avoir entaché la réputation de la famille. Plus généralement, la possibilité pour les proches des personnes vivant avec le VIH de répondre aux demandes d’aide financière de ces dernières sur le long terme est fortement limitée par leur propre situation financière, souvent précaire.

39 Joindre l’organisation nationale de personnes vivant avec le VIH, FJN+, est également une stratégie employée par plusieurs, et principalement par les femmes, afin de sécuriser un appui financier. Avec le support émotionnel et l’opportunité d’échanger avec des personnes partageant leur réalité, obtenir un soutien financier ou matériel est en effet la principale raison qui amène les personnes vivant avec le VIH aux Fidji à joindre ce type d’organisation. FJN+ rembourse les frais de transport associés à la participation de ses membres aux rencontres mensuelles du groupe à Suva, ce qui permet à certains de se rendre, du même coup, à la clinique pour le suivi de leur condition. FJN+ prend également en charge les coûts d’envoi, par autobus, des traitements antirétroviraux de certaines personnes pour qui se déplacer mensuellement à la clinique pour obtenir leurs médicaments tient presque de l’impossible (par exemple le couple déjà mentionné vivant à 150 km de la clinique médicale de Suva). De même, FJN+ rémunère ses membres pour certaines tâches accomplies pour l’organisation (tâches ménagères, participation aux activités de sensibilisation, etc.) Il s’agit toutefois de solutions fragiles et à court terme, tributaires, notamment, de la possibilité, pour les personnes vivant avec le VIH, d’avancer les fonds nécessaires à leur déplacement ou de disposer de crédits sur leur téléphone portable afin de contacter le personnel de FJN+ et de les aviser des difficultés rencontrées. Ces stratégies sont par ailleurs sujettes aux oublis du personnel, aux problèmes organisationnels et aux problèmes de financement. La situation financière précaire de FJN+ en mai et juin 2013, en raison notamment de la fin d’un important financement régional (Pacific Islands HIV & STI Response Fund), lui permettait d’ailleurs de plus en plus difficilement de soutenir financièrement ses membres, ce dont ceux-ci se plaignaient régulièrement. Pérenniser l’aide financière afin de pouvoir observer la prise en charge médicale de leur condition constitue un véritable défi pour plusieurs

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personnes séropositives aux Fidji. Dans ce contexte, les interruptions temporaires ou permanentes de traitement et de suivi sont, pour certaines, difficilement évitables. Comme l’a noté avec justesse Dominik Mattes (2011 : 178), les décisions des patients sont prises dans « des mondes vécus souvent façonnés par la précarité économique et la lutte pour la simple survie. »

La relation soignant-soigné : une confiance difficile à établir et des échanges limités

40 Les interactions entre soignants et soignés jouent également un rôle fondamental dans l’expérience de la prise en charge médicale du VIH aux îles Fidji. Les programmes d’accès aux antirétroviraux, tels qu’ils ont été définis au niveau global, présupposent un type particulier de relation de soins. La confidentialité, comme il en a été question précédemment, constitue un pilier de celle-ci. Le personnel médical est également censé adopter une « approche empathique » envers les patients, établir des « rapports individualisés » avec ceux-ci, poser des « questions approfondies » (probing questions), leur offrir du « support émotionnel » et « communiquer efficacement » avec eux ainsi qu’avec leur famille (Butt, 2011 : 320). Le modèle d’accompagnement à l’observance promu par ces programmes transnationaux présuppose également la possibilité, pour les patients, de parler ouvertement de leur situation personnelle avec le personnel médical de façon à identifier les barrières individuelles potentielles à l’observance des traitements à long terme (Mattes, 2011). Sous-jacent à ces programmes globaux d’accès aux antirétroviraux se trouve également l’idée de l’empowerment des patients, qui sont appelés à devenir des acteurs de leur santé et à devenir des « patients-citoyens responsabilisés » (Robins, 2006).

41 Nulle part l’écart entre le modèle « sur papier » et la réalité du terrain n’est-il probablement aussi flagrant. Si les personnes vivant avec le VIH aux Fidji décrivent généralement les médecins et les infirmières des cliniques de suivi du VIH comme étant accueillants, chaleureux et respectueux, elles parlent néanmoins d’une difficile confiance à établir avec ceux-ci. Parmi les doléances des hommes et des femmes rencontrés en 2013, les fréquents changements de personnel dans les cliniques figuraient en tête de liste. Salote, qui ne s’était pas rendu à la clinique depuis sept mois pour son suivi, affirmait ainsi : « C’est un problème, tu sais. Les médecins n’arrêtent pas de changer. Nous sommes hésitants à aller à la clinique quand nous savons qu’il y a un nouveau médecin. Parce que nous avons confiance aux médecins que nous connaissons. »

42 Entre 2007 et 2013, pas moins de sept médecins différents avaient été en poste à la clinique de suivi du VIH de Suva. Pour la clinique de suivi du VIH de Lautoka, ce chiffre s’élevait à cinq. Cet important roulement de personnel dans les cliniques avait pour effet d’aggraver la peur des personnes séropositives relativement à la possible divulgation d’informations personnelles les concernant et l’éventuel dévoilement de leur condition qui pourrait en résulter. Litia, une femme de 29 ans qui vivait avec le VIH depuis un peu plus de 10 ans, affirmait sans équivoque : « Les médecins ici, tu sais, je ne leur donne pas ma confiance. […] Parce qu’[…] après un mois, ils partent, ils s’en vont quelque part puis un autre médecin [arrive]. Quand Dr [le nom du médecin responsable de la clinique] va revenir, [elle] va être ici et ce médecin va s’en retourner. Mais nous ne savons pas ce qu’il va... tu sais. Ce

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que ce médecin va dire à ces gens [qui vont lui demander] “Hey! Qui sont-elles [les personnes vivant avec le VIH]?” Nous ne savons pas. »

43 Ces fréquents changements de personnel représentent également un frein à l’établissement d’un climat d’intimité et de confiance permettant la confidence entre soignés et soignants. De même, l’important roulement de personnel dans les cliniques de suivi du VIH se traduit par des doutes, chez les personnes séropositives, concernant les connaissances du personnel soignant. En entretien en 2013, les patients parlaient ainsi de leurs médecins et de leurs infirmières comme étant moins expérimentés et comme ayant une moins grande connaissance du VIH que les médecins et les infirmières qui avaient suivi leur santé au cours des premières années de l’arrivée des traitements antirétroviraux aux Fidji. Ils parlaient également de docteurs qui quittaient la clinique – et souvent le pays – après une année ou deux et qui étaient remplacés par de jeunes docteurs inexpérimentés et souvent peu formés. Un médecin d’une des cliniques de suivi du VIH me confiait d’ailleurs n’avoir reçu qu’une formation de trois jours couvrant toutes les dimensions de la prise en charge médicale du VIH et des infections sexuellement transmissibles préalablement à son entrée en poste comme médecin responsable. De même, les nombreux départs et arrivées des travailleurs de la santé dans les cliniques ne permettent pas à ces derniers d’acquérir une connaissance approfondie de l’histoire personnelle et médicale des patients, ce qui est souvent assimilé, par les personnes vivant avec le VIH, à de l’incompétence.

44 Lors de nos discussions, les personnes vivant avec le VIH se plaignaient également du déroulement des consultations médicales dans les cliniques de suivi du VIH. Elles décrivaient ces consultations comme étant trop brèves (approximativement 5 à 10 minutes) et axées sur la dispensation des antirétroviraux. Elles affirmaient qu’aucun examen physiologique n’était mené la plupart du temps et que leur poids n’était pris que très irrégulièrement. Comme le récit de Mereani l’évoquait en introduction, les consultations à la clinique ne consistaient, selon la plupart d’entre elles, qu’en quelques questions – « Comment vas-tu? », « Des problèmes? », « Des soucis avec ta médication? » – puis à la remise des médicaments.

45 Les hommes et les femmes rencontrés décrivaient également des échanges limités avec le personnel soignant. Les rencontres médicales, d’après elles, étaient centrées sur leur santé physique ; leur situation personnelle tout comme leurs projets de vie (le désir d’enfants, par exemple), bien qu’ils soient susceptibles d’éclairer les motivations de suivi du traitement, n’étaient qu’exceptionnellement l’objet de discussions. Outre des consultations laissant peu de place aux échanges personnalisés, les hommes et les femmes rencontrés faisaient également état du peu d’informations leur étant transmises par les médecins et les infirmières concernant l’infection ou les traitements. Alors qu’une très forte majorité (81 %) de personnes vivant avec le VIH aux Fidji sont d’origine fidjienne autochtone (UNGASS, 2013)9, les médecins traitants des cliniques de suivi du VIH sont pour l’essentiel, et ce, depuis la mise sur pied de ces établissements, d’origine indo-fidjienne ou « autre ». Les consultations médicales se déroulent donc en anglais, une langue que maîtrisent mal plusieurs patients. Le personnel soignant, notamment les infirmières d’origine fidjienne autochtone, identifie d’ailleurs la barrière de la langue entre médecins et patients comme un des principaux défis associés à leur travail. Au-delà de la différence de la langue, les personnes séropositives font également état du jargon scientifique employé par le personnel médical pour

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s’adresser à elles, ce qui les empêche de comprendre les informations – par ailleurs peu nombreuses – transmises.

46 Si les personnes séropositives rencontrées soulignaient le peu d’informations transmises par le personnel médical des cliniques de suivi du VIH, elles rapportaient elles-mêmes ne poser que très rarement de questions lors des consultations. Leurs propos lors des entretiens traduisaient en fait le profond malaise ressenti par une majorité d’entre elles à l’idée d’interroger directement leurs médecins et leurs infirmières; malaise qui semble lié à la fois aux rôles d’écoute et d’obéissance (compliance) assignés traditionnellement au patient dans la relation de soin et aux idéaux d’humilité, de modestie et de respect censés guider, dans la communauté fidjienne, les comportements en présence de personnes de position sociale supérieure (voir par exemple Nayacakalou, 1978 et Toren, 1990). Mes interlocuteurs parlaient ainsi de leur réticence à poser des questions au personnel soignant de peur de les déranger dans leur travail ou de faire patienter indûment d’autres patients attendant dans la salle d’attente. Une majorité affirmait ne poser de questions au personnel soignant que lorsque confrontée à des problèmes de santé spécifiques pour lesquels elles pensaient nécessiter des soins. , qui au moment de notre rencontre en 2013 participait à des séances de sensibilisation au VIH organisées par sa clinique médicale, interrogée à savoir si elle posait des questions au personnel médical, affirmait ainsi : « Oui, quand les questions viennent de la communauté, [que] je ne peux pas répondre, je vais voir le docteur, je demande. [...] [FL : Mais pour toi personnellement, est-ce que tu poses des questions ou pas tellement?] Non… Pour moi, si je me sens malade et que je veux des médicaments, alors que je demande au docteur. [Mais] poser des questions sur le VIH juste pour savoir, n’importe comment… Non. »

47 Cet inconfort des personnes séropositives à poser des questions au personnel soignant – loin d’être unique aux îles Fidji et à la prise en charge du VIH – ainsi que le peu d’informations transmises spontanément par les médecins et les infirmières à leurs patients sont associés à une connaissance imparfaite des traitements et de la maladie chez les personnes vivant avec le VIH aux Fidji, connaissance que ces dernières associent elles-mêmes à des problèmes d’observance des traitements et du suivi médical. Joindre une organisation de personnes séropositives est un des moyens à la disposition des patients pour accéder à de l’information sur leur condition et de pallier les manquements du système de soins. Joindre une telle organisation permet également aux personnes atteintes du VIH d’obtenir du support émotionnel et de chercher des solutions à leurs difficultés personnelles, qui sont peu prises en compte dans la relation de soin. Le modèle d’interactions entre soignants et soignés observé dans le cadre de la prise en charge du VIH aux îles Fidji correspond au modèle dominant construit dans le cadre du traitement des problèmes de santé aigus, caractérisé par des échanges limités et des rapports hiérarchiques entre patients et personnel soignant, et qui s’avère peu adapté au suivi d’une infection chronique comme le VIH. Le modèle promu par les programmes transnationaux d’accès aux traitements antirétroviraux, qui met l’emphase sur une approche empathique, les rapports individualisés et la possibilité, pour les patients, de se confier au personnel soignant, rencontre un obstacle majeur aux Fidji : celui du manque de stabilité du personnel médical supposée par ces programmes et essentielle à l’établissement d’une relation de confiance entre les personnes atteintes du VIH et leur personnel soignant.

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Faire face aux dysfonctionnements du système de soins

48 L’implémentation des programmes d’accès aux antirétroviraux au sein de systèmes de santé qui peinent, sur fond de crise économique et politique, à offrir des soins de santé de qualité à leur population génère finalement d’importantes tensions (voir notamment Hardon et Dilger, 2011 et Mattes, 2011). Aux Fidji, les cliniques de suivi du VIH sont ainsi confrontées à d’importants problèmes de personnel qui se traduisent, notamment, par l’absence récurrente de médecins dans les cliniques. En plus du suivi médical des patients, les médecins responsables des cliniques de suivi du VIH sont en effet appelés à accomplir une pluralité de tâches (visites dans les hôpitaux, séances de sensibilisation, conférences, réunions, etc.) qui les conduisent à quitter régulièrement la clinique. Plusieurs médecins partagent également leur temps entre la prise en charge du VIH et d’autres fonctions. En 2012, la clinique de Suva était ainsi restée sans médecin pendant une période de plus de six mois après que le médecin qui en était responsable se soit vu assigner de nouvelles responsabilités au sein du ministère de la Santé. Il en va de même pour les infirmières, qui sont appelées à prendre en charge différentes activités (séances d’information, dépistage, visites à domicile, etc.) qui les amènent à s’absenter de la clinique sur une base régulière.

49 Ces absences répétées des médecins et des infirmières à la clinique sont lourdes de conséquences pour les personnes vivant avec le VIH. Pour ceux et celles ayant épuisé leur dose mensuelle d’antirétroviraux, ces absences du personnel soignant signifient se heurter parfois à une clinique vide au moment de renouveler leurs médicaments, ce qui ne leur laisse d’autres choix que de manquer des doses de leur traitement ou de recourir au prêt de médicaments. Suliasi, un homme de 41 ans, lors de notre rencontre en 2013, affirmait ainsi : « La seule chose qui me force à aller à la [clinique], c’est quand je suis à court de médicaments. Et quand j’arrive là-bas, le médecin n’est pas là. Le médecin n’est pas là. [FL : Ça arrive fréquemment?] Oui, oui! Ouais, le médecin n’est pas là, elle est partie pour les visites [à l’hôpital] et ainsi de suite. D’autres tâches. [FL : Que fais-tu dans ce genre d’occasions?] Oh, je dois soit y retourner ou même demander à certains de mes amis, d’autres “PVVIH” [personnes vivant avec le VIH] qui prennent les mêmes médicaments. [...] Je leur demande de m’en donner puis je… [FL : Tu leur redonnes?] Quand j’ai eu les miens, ouais. [...] C’est soit tu manques ou tu demandes. »

50 Pour les personnes malades nécessitant des soins, les absences répétées du personnel médical à la clinique signifient également un processus compliqué de prescription médicamenteuse puisqu’aucun médicament, à l’exception des antirétroviraux faisant déjà l’objet d’une ordonnance, ne peut être donné aux patients par les infirmières sans discussion préalable avec le médecin. Viliame, lors de notre rencontre en 2013, parlait ainsi des difficultés liées à la prescription des médicaments : « [FL : Si le médecin est là, c’est le médecin qui s’occupe de toi. C’est ça?] C’est le médecin. [FL : Et si le docteur n’est pas là?] L’infirmière. Et si je vais [à la clinique] et que l’infirmière est là, l’infirmière essaie de joindre le médecin, elle cherche le médecin et il est dans une réunion. Ouais. Parce que j’ai vécu ça souvent. Quand ma [santé] empire et que je suis très malade, je veux voir le docteur. L’infirmière est là et… Elle ne sait pas quoi faire! Elle n’arrête pas d’appeler le docteur “[Viliame] a ça, ça et ça.” Le docteur lui explique au téléphone quoi prescrire et… Ce n’est pas bon. »

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51 Les personnes vivant avec le VIH doivent également composer avec les ruptures régulières de stock de tests diagnostiques destinés au suivi de leur condition. Au moment de mon séjour sur le terrain en mai et juin 2013, aucune numération des cellules CD4 permettant d’évaluer l’état des défenses immunitaires des personnes séropositives ne pouvait être réalisée dans le pays, et ce, depuis une période d’au moins trois mois consécutifs. Tout décompte de la charge virale permettant de juger de l’évolution de l’infection et du succès des thérapies mises en place semblait par ailleurs avoir été suspendu depuis la fin de l’année 2012. Alors que les directives du ministère de la Santé relatives au suivi médical des personnes atteintes du VIH prévoyaient, au printemps 2013, la réalisation de tests de numération des cellules CD4 tous les trois mois et de charge virale tous les six mois (comm. pers., membre du personnel médical de la clinique de suivi du VIH de Suva, mai 2013), plusieurs des personnes rencontrées rapportaient des bilans datant de plusieurs mois, voire de plusieurs années consécutives. C’était, par exemple, le cas de Jone qui, en dépit de ses visites régulières à la clinique, affirmait n’avoir fait l’objet que d’une seule mesure de CD4 en 18 mois. C’était également le cas de Viliame, dont le dernier examen sanguin remontait à novembre 2012. Malgré les activités de plaidoyer menées par certains militants auprès du gouvernement fidjien, les irrégularités dans l’accès aux tests diagnostiques du VIH étaient toujours un problème au moment d’écrire cet article (comm. pers., personne vivant avec le VIH, 10 mars 2015).

52 De façon préoccupante, les médicaments employés dans le traitement du VIH et des infections opportunistes qui lui sont associées sont également l’objet de ruptures d’inventaire. En mai 2013, le cotrimoxazole, un antibiotique utilisé comme prophylaxie des infections opportunistes chez les personnes séropositives, était en rupture de stock depuis au moins deux mois dans les hôpitaux et les cliniques médicales de la grande région de Suva. Le coût prohibitif de ce traitement dans les pharmacies privées – environ 60 FJD par mois (33 USD), soit l’équivalent de l’allocation mensuelle reçue du gouvernement par plusieurs personnes séropositives – empêchait par ailleurs une majorité d’entre elles de se les procurer à l’extérieur du système public de santé ou encore à FJN+ d’en subventionner l’achat pour ses membres. Le fluconazole, un antibiotique utilisé dans le traitement de la candidose buccale, une infection relativement commune chez les personnes vivant avec le VIH, était, de la même façon, inaccessible à la clinique de suivi de la capitale depuis 2010 (comm. pers., membre du personnel médical de la clinique de suivi du VIH de Suva, mai 2013), forçant ainsi les personnes nécessitant un traitement à s’en passer ou à se tourner vers la médecine traditionnelle en quête de solutions de rechange.

53 L’accès aux antirétroviraux est lui-même problématique. Au printemps 2013, mes interlocuteurs se plaignaient d’antirétroviraux périmés reçus dans les cliniques de suivi du VIH. Plusieurs évoquaient également des ruptures de stock de traitement, gardant notamment en mémoire un épisode, survenu en 2009 ou 2010, au cours duquel plusieurs personnes avaient été forcées de changer de traitement pendant une période d’un peu plus d’un mois après que la pharmacie nationale ait été à court de plusieurs combinaisons médicamenteuses. En avril 2013, FJN+ rapportait également avoir eu à défrayer les coûts d’achat des antirétroviraux d’un de ses membres dans une pharmacie privée après que les réserves de la combinaison de ce dernier soient tombées en

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rupture de stock à la pharmacie gouvernementale et, ce, pendant une période d’au moins deux semaines.

54 L’indisponibilité des antirétroviraux dans le système public de santé, bien qu’exceptionnelle, a un impact évident sur l’observance du traitement, la capacité des personnes séropositives de respecter les directives relatives à la prise de leurs médicaments dépendant en premier lieu, s’il est besoin de le rappeler, de la possibilité d’y avoir accès de façon continue et durable. Les ruptures de stock de médicaments, de même que les ruptures d’inventaire de tests diagnostiques ainsi que les absences répétées du personnel médical dans les cliniques, bien qu’en elles-mêmes problématiques, ont, à leur tour, d’importantes conséquences. En occasionnant des consultations supplémentaires, elles augmentent le risque, pour les personnes séropositives, d’être aperçues à proximité de la clinique et ajoutent à leur difficulté de s’extirper de leur milieu familial ou professionnel pour se rendre en consultation sans éveiller les soupçons sur leur condition. En entraînant des visites additionnelles à la clinique, elles exacerbent également les difficultés financières associées à la prise en charge médicale du VIH. Le manque de régularité des examens et des procédures et les problèmes d’approvisionnement en médicaments contribuent également à générer de l’inquiétude chez les personnes atteintes au sujet de l’efficacité de leurs traitements et de leur réelle condition de santé. De même, les dysfonctionnements du système de soins ébranlent la confiance des patients dans le personnel soignant des cliniques de suivi du VIH et dans la qualité du suivi reçu, aboutissant, chez plusieurs, à la perception des visites à la clinique comme étant inutiles et à un sentiment de fatigue face à la prise en charge médicale très clairement illustré par le récit de Mereani présenté en introduction. La mise en oeuvre d’un programme d’accès aux antirétroviraux dans un environnement de soins sous-équipé et sous-financé comme celui des Fidji génère inévitablement des frictions qui affectent profondément l’expérience et les pratiques de soin des personnes atteintes du VIH.

Conclusion

55 L’arrivée des traitements antirétroviraux aux îles Fidji en juillet 2004 a radicalement transformé l’expérience vécue du VIH. En permettant de freiner la multiplication rapide du virus dans le corps et de renforcer les défenses immunitaires, ces traitements ont permis de diminuer de façon spectaculaire l’incidence des infections opportunistes chez les personnes vivant avec le VIH et, par le fait même, d’améliorer fondamentalement leur espérance et leur qualité de vie. Accessibles initialement grâce au financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria, qui a permis l’accès aux traitements dans de nombreux pays en développement, les coûts des médicaments sont, depuis la fin 2008, pris en charge par le gouvernement. Comme l’a noté avec justesse Leslie Butt (2011 : 326), gratuité des traitements ne signifie toutefois pas accès gratuit et sans difficulté. Les personnes vivant avec le VIH aux Fidji, dans leur effort pour s’astreindre au traitement et au suivi préconisés pour leur condition, doivent composer avec des contraintes et des difficultés multiples qui, dans certains cas, engendrent des interruptions de prise en charge.

56 Comme cet article l’a montré, la décision des personnes atteintes du VIH d’origine fidjienne autochtone (i Taukei) d’observer le traitement et le suivi de leur condition est d’abord prise à la lumière des risques de dévoilement de leur statut sérologique dans un

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contexte où l’infection génère la honte pour soi et pour sa famille, son lignage et son clan et où une mauvaise réputation menace l’existence sociale même. Retarder, refuser ou interrompre le suivi et le traitement médical de sa condition s’impose alors pour certaines personnes comme une solution stratégique pour préserver le secret sur leur condition et maintenir leurs liens sociaux; une décision elle-même sous-pesée à la lumière des risques qu’une séropositivité non suivie (via l’apparition de symptômes) peut représenter pour le dévoilement de la condition. Les données présentées dans cet article suggèrent par ailleurs que les idéaux dominants de la masculinité aux Fidji amènent les hommes à ressentir avec plus de force la honte associée au VIH, avec un effet dramatique : ceux-ci seraient en effet plus nombreux à déserter le système de santé et à ne solliciter aucun soin pour leur condition.

57 Cet article a également montré que les visites à la clinique pour effectuer leur suivi et pour obtenir leurs médicaments occasionnent des coûts de transport qui sont difficiles à assumer pour les personnes atteintes du VIH aux Fidji vivant des situations de précarité financière. Solliciter l’aide de l’entourage, sur fond de gestion du secret sur la condition et de solidarités sociales et familiales fragilisées par la maladie et les difficultés financières, ne se fait par ailleurs pas sans difficulté. Les données présentées dans l’article révèlent également un paradoxe important des traitements antirétroviraux : ces médicaments, s’ils redonnent la vie, entraînent également la faim, générant un effet « déshumanisant » (Kalofonos, 2010 : 364) pour ceux et celles n’ayant pas suffisamment à manger. Habituellement rapporté dans les pays en proie à une extrêmement pauvreté, ce « paradoxe tragique » (2010 : 369) des traitements antirétroviraux a également cours aux Fidji, révélant l’impact fondamental du niveau socio-économique sur l’expérience de la prise en charge médicale du VIH.

58 L’étude proposée ici met également en lumière les modifications et les adaptations qui surviennent dans les programmes transnationaux d’accès aux antirétroviraux alors qu’ils sont implémentés dans des environnements de soins locaux. Alors que les protocoles et les lignes directrices des programmes d’accès aux traitements antirétroviraux présupposent et font à la fois la promotion d’une relation de soins individualisée, fondée sur des rapports empathiques, le support émotionnel et la communication entre soignés et soignants, la prise en charge médicale du VIH telle qu’elle s’observe aux Fidji révèle plutôt la prégnance d’un modèle dominant de soins axé sur la dispensation des médicaments et caractérisé par des échanges limités et des rapports hiérarchiques entre soignés et soignants. Certains principes idéologiques de ces initiatives globales de santé perdent également en valeur ou en applicabilité lors de leur passage au niveau local. La confidentialité, pourtant un pilier des programmes d’accès aux traitements, est ainsi difficilement mise en pratique aux Fidji, alors que la relation d’intimité et de confidence entre soignants et soignés valorisée par ces mêmes programmes présuppose une stabilité du personnel médical qui existe peu ou prou. Finalement, les processus et réalités décrits pour Fidji montrent la difficulté d’implanter de vastes initiatives de santé telles que les programmes d’accès aux antirétroviraux dans des systèmes de soins sous-équipés et sous-financés. Si le programme d’accès aux traitements antirétroviraux aux Fidji est un succès aux regards des vies sauvées, les données présentées dans cet article révèlent l’ampleur des dysfonctionnements observés, allant de l’absence de médecin dans les cliniques, aux problèmes de stock d’instruments diagnostiques, aux difficultés d’approvisionnement en médicaments et aux antirétroviraux périmés.

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59 Si les contraintes et difficultés rencontrées par les personnes atteintes du VIH aux Fidji dans leur effort pour solliciter les soins appropriés à leur condition tiennent en grande partie de facteurs structuraux (pauvreté, sous-financement du système de santé) et de réalités culturelles fortement ancrées (idéaux liés au genre, honte, rapports soignants- soignés), il semble néanmoins possible d’imaginer certaines mesures, proposées ici, qui pourraient contribuer à améliorer l’expérience de la prise en charge des personnes séropositives aux îles Fidji, notamment : 1. Retirer les rubans rouges installés devant les façades des cliniques de suivi du VIH, qui, s’ils facilitent l’identification des lieux offrant des services médicaux pour l’infection, facilitent également l’identification des personnes touchées par celle-ci.

2. Réserver des journées ou des plages horaires au suivi des personnes atteintes du VIH, en s’assurant de la présence d’un médecin à celles-ci, et donner des rendez-vous aux patients. Cette mesure semble envisageable aux Fidji compte tenu du faible nombre de personnes séropositives suivies par le système de santé (124 personnes à la clinique de Suva en juin 2013, par exemple) et permettrait d’éviter aux personnes séropositives d’attendre indûment ou de se retrouver devant une clinique vide ou sans médecin lors de leurs consultations. 3. Fixer la fréquence des consultations médicales aux trois mois plutôt qu’aux mois. Les visites mensuelles à la clinique, si elles sont destinées à favoriser l’observance des patients aux traitements, sont au contraire associées, comme l’a montré cet article, à une pluralité de difficultés qui contribuent à générer de la non-observance. Peu d’actes médicaux sont par ailleurs posés lors de ces rencontres mensuelles. 4. Décentraliser la dispensation des antirétroviraux et mettre en place de nouvelles initiatives permettant d’accéder aux traitements. Il pourrait s’agir d’une voie à envisager si la capacité d’achat en médicaments des îles Fidji ne permet pas de donner trois mois d’antirétroviraux à la fois aux patients. Différentes options pourraient être considérées : a. 1. 1. Donner la possibilité aux personnes séropositives de collecter leurs médicaments dans un certain nombre de centres de santé situés à proximité de leur domicile, de façon à diminuer les coûts de transport et les risques d’identification associés aux visites mensuelles à la clinique de VIH. 2. Organiser la visite d’un médecin ou d’une infirmière pour dispenser les antirétroviraux lors des rencontres mensuelles du Fiji Network for People Living with HIV and AIDS à Suva, de façon à éviter aux personnes séropositives membres de cette organisation les frais de transport entre le centre-ville et la clinique.

3. Donner aux personnes atteintes du VIH le désirant la possibilité de recevoir leur traitement à domicile par un travailleur de santé communautaire ou par une personne séropositive formée à cet effet. Cette approche est déjà employée dans certains pays, notamment par l’organisation Partners in Health, co-fondée par l’anthropologue Paul Farmer (voir notamment Castro et Farmer, 2005). Au moment de mon séjour aux Fidji en 2013, cette façon de faire était également utilisée avec succès par une personne séropositive, qui craignait d’être vue à proximité de la clinique, en collaboration avec le personnel médical. Proposer cette façon de faire à un nombre plus large de personnes atteintes du VIH aux Fidji pourrait être une des manières de réduire les difficultés et les contraintes liées à la prise en charge médicale du VIH aux Fidji.

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NOTES

1. Les noms utilisés dans le texte sont des pseudonymes. Certaines informations personnelles ont également été omises ou modifiées afin de préserver l’anonymat des interlocuteurs. 2. Trois prises manquées sur une période d’un mois (5 % des doses) seraient en effet suffisantes pour affecter l’efficacité des traitements antirétroviraux. 3. Ces taux sont issus de documents de travail obtenus auprès des cliniques de suivi du VIH de Suva, de Lautoka et de Labasa ainsi que de discussions avec leur personnel soignant à différents moments en 2007. Une définition standard des « perdus de vue » (plus de trois mois sans consulter) n’ayant été adoptée par les trois cliniques qu’en 2013, ces taux doivent être considérés avec prudence. 4. Cette enquête de longue durée a été rendue possible grâce au soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture, via leurs programmes de bourses de doctorat, ainsi que du Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (CREDO). Cette recherche a reçu l’approbation du comité d’éthique à la recherche du ministère de la Santé des îles Fidji (numéro d’approbation : 009-2007). Je désire remercier Laurent Dousset, Christine Jourdan et Simonne Pauwels pour leur soutien au cours de la rédaction de cet article. Je remercie également chaleureusement l’évaluateur anonyme pour ses commentaires et suggestions, lesquels ont permis de renforcer et de clarifier considérablement les arguments de cet article. 5. Parmi les 11 personnes séropositives qu’il fut impossible de revoir en entretien en 2013, cinq étaient décédées du sida, deux étaient en prison, une avait rompu tout lien avec les organisations de personnes vivant avec le VIH ou avec le système de santé, deux personnes travaillaient à l’extérieur des îles Fidji et une personne n’a pu être jointe. 6. Une recherche réalisée par la Pacific Islands AIDS Foundation en 2008 incluant des données issues d’entretiens avec 15 hommes et femmes vivant avec le VIH aux Fidji rapporte des cas similaires de violations de confidentialité. On peut notamment lire dans le rapport faisant état des résultats de la recherche : « Parmi les 19 participants de cette étude, 12 avaient vécu des violations de confidentialité par des travailleurs de la santé. Les infirmières, en particulier, étaient perçues comme étant à l’origine de plusieurs violations de la confidentialité. » (PIAF, 2009 : 37) 7. Au moment d’écrire, aucun travailleur de la santé n’avait, à ma connaissance, été traduit en justice en vertu de ce décret sur le VIH. Il importe de souligner la difficulté, pour les personnes vivant avec le VIH, d’entreprendre des démarches judiciaires en vue de punir une violation de confidentialité alors que ces démarches constituent en elles-mêmes une menace pour le secret entourant la condition. 8. L’affirmation des personnes vivant avec le VIH selon laquelle les traitements antirétroviraux sont littéralement leur vie révèle un paradoxe inhérent à ceux-ci. Alors qu’ils permettent aux hommes et aux femmes atteints du VIH de demeurer en vie (« Les traitements sont ma vie » au sens de « Ces traitements me permettent d’être en vie »), la lourdeur et les contraintes de ceux-ci amènent certaines personnes à éprouver le sentiment que leur vie se résume à ceux-ci (« Les traitements sont ma vie » au sens de « Ces traitements prennent toute la place dans ma vie. ») Atteindre les niveaux d’observance nécessaires à la pleine efficacité des antirétroviraux requiert en effet des personnes vivant avec le VIH qu’elles fassent de la prise de leurs médicaments à heures fixes une priorité organisant nombre de décisions personnelles, ce qui exige des

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aménagements au mode de vie. Ces aménagements étaient considérés comme difficiles par plusieurs. La longueur de cet article ne me permet pas de traiter de ces questions ici. 9. 81 % des cas de VIH aux Fidji ont été enregistrés, jusqu’ici, chez les Fidjiens i Taukei, 12 % chez les Fidjiens d’origine indienne et 4 % chez les Fidjiens d’origines « autres » (l’origine ethnique de 3 % des cas est inconnue) (UNGASS, 2013). Lors du dernier recensement en 2007, ces trois groupes représentaient respectivement 57 %, 37 % et 6 % de la population des îles Fidji (UNGASS, 2013). Il est toutefois impossible d’affirmer si cette surreprésentation des Fidjiens autochtones dans les statistiques sur le VIH est le reflet d’une réalité épidémiologique ou bien si elle résulte plutôt d’un sous-dépistage du VIH au sein des autres communautés.

RÉSUMÉS

À partir d’une enquête portant sur l’expérience du VIH aux îles Fidji, cet article examine les raisons qui amènent les personnes séropositives d’origine fidjienne autochtone à cesser la prise en charge médicale de leur condition. Trois arguments sont défendus. Je soutiens d’abord que la décision des personnes séropositives d’observer ou non la prise en charge de leur condition se prend dans un univers moral où préserver sa réputation et celle de sa famille et de son lignage est considéré plus important que la seule santé ou survie. Deuxièmement, je soutiens que la capacité des patients de s’astreindre au traitement et au suivi de leur condition est fortement tributaire de leur capacité à assumer les coûts associés à ceux-ci. Troisièmement, je soutiens que la relation soignant-soigné et les dysfonctionnements du système de santé concourent à faire de la prise en charge un fardeau qui prédispose aux interruptions de soins. En conclusion, je formule des recommandations pour améliorer l’expérience de la prise en charge médicale du VIH aux Fidji.

Drawing on research on the lived experience of HIV in Fiji, this paper explores the reasons leading HIV-positive people of Indigenous Fijian origin to stop medical care for their condition. My argument in this paper is threefold. First, I argue that interruptions in treatment and medical follow-up by people living with HIV in Fiji take place in a local moral world in which preserving one’s reputation and that of one’s family and lineage is often given higher priority than mere health or survival. Second, I argue that the decision of HIV-positive people to refuse or to cease medical care for their condition is strongly influenced by their inability to assume the costs this entails. Third, I argue that relationships between health workers and patients and dysfunctions in the healthcare system contribute to the factors leading people living with HIV to perceive HIV care as a burden. This, in turn, encourages interruptions of treatment and medical follow-up. To conclude, I make recommendations for improved HIV care services in Fiji.

INDEX

Mots-clés : Fidji, vih/sida, soins de santé, traitements antirétroviraux, observance, stigmatisation Keywords : Fiji, hiv/aids, health care, antiretroviral treatments, adherence, stigmatization

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Some Australian official views of New Caledonia’s Melanesians, 1941 to 1953 Des vues officielles australiennes des Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie (1941-1953)

Stephen Henningham

The author is grateful for the insightful comments on an earlier draft of this article by JSO’s editor and readers. « [The Melanesian troops] are of excellent physique, can move quickly in close country and are adaptable… » (Australian Mission, 1941) « The natives are a fine race, intelligent and strong. » (Kneen, quoted in Lawrey, 1982) « […] having a history of savagery, they have been regarded by Europeans as of little economic significance. They are used for heavy unskilled work, but are reported to be lazy. On the other hand, they make good stockmen on cattle stations […] The ability of at least some to proceed to higher education is demonstrated by the recent ordination of two of their number to the Catholic priesthood […] » (Smith, 1948). « [There was a] […] widespread tendency in the European community to regard Lenormand as representing native as opposed to European interests, a tendency associated with strong racial prejudice – however unexpected among Frenchmen, against his wife. » (Anderson, 1951b)

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1 These four quotations highlight aspects of the views of Australian military officers and civilian officials on the Melanesians of New Caledonia and Dependencies (hereafter New Caledonia) in the decade or so from 1941. After providing background on Australian preconceptions and on Australian interest in New Caledonia during the period under review, this article discusses some of the views on the Melanesians provided during the war, mainly by military officers. It then considers, in more detail, the views of Australian officials in the years following the war. Only a small number of Australians, we should note, served in New Caledonia as military officers or officials in the period under review: probably no more than twenty overall, with some of them spending only a few months there. The article presents direct quotations in an effort to ‘bring to life’ the views expressed, and to share source material which is not well known in Australia or elsewhere. There was a tendency for these Australian observers to rely on second- hand information, which diminished the quality of the information they collected and conveyed. Their reports sometimes over-simplified or distorted some aspects, presumably because of imperfect understanding and/or because of an effort to present information in terms more readily comprehensible to the intended audience. Now and again I have added comments to provide background or to help correct the historical record. But I have not done this on all occasions, given that my main concern is to present some of the views of Australian observers during a particular historical period. The discussion of these various views often covers familiar ground, corroborating understandings established in a number of scholarly studies, notably in Ismet Kurtovitch’s comprehensive account (1998). But I hope that the discussion also offers additional insights and information, and casts an interesting sidelight on the Melanesians of New Caledonia, and on Australian views on them, in an era when they began to emerge slowly into the mainstream of the life and politics of New Caledonia.

Preconceptions

2 What were the likely preconceptions of these Australian observers when they arrived in New Caledonia? In the 1940s and early 1950s the great majority of Australian were descendants of immigrants from the British Isles, or else were recent British or other European migrants. They mostly saw non-European peoples through a lens of racial stereotypes and prejudice, and regarded some ‘races’ as less advanced than others. The specific views of these observers on New Caledonia and its Melanesian population were probably also shaped by press items and by contemporary and earlier books and articles. Some of these texts were of a genre epitomized by the title of H.E. Lewis Priday’s Cannibal Island: The Turbulent Story of New Caledonia’s Cannibal Coasts (Priday, 1944). One likely influence was Wilfred Burchett’s Pacific Treasure Island. Published in Sydney in early 1941, this lively survey sold well.

3 The scattered references to New Caledonia’s Melanesians in the 1940s and early 1950s in the National Archives of Australia indicate that contacts with Melanesians by Australian representatives were infrequent and transitory. John Lawrey, a career diplomat who was a junior official in New Caledonia in 1941 and 1942, and who was Acting-Australian Consul in Noumea for several months in 1950, recalled that the Melanesians « […] form[ed] a background to wartime events but, in the atmosphere of that time, not much more. » (Lawrey, 1982 : 9)

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4 Nonetheless, the views expressed by military officers during the early war years were based in part on direct contact with the Melanesians themselves. In contrast, the views expressed by Australian officials later in the war and in the post-war years generally do not reflect direct contact.

5 The military officers travelled widely in New Caledonia and some were based in remote areas. In contrast, the civilian officials lived in Noumea, the capital and main town, and made only occasional visits to the interior. In the 1940s and 1950s (and for many years afterwards) Noumea was a very ‘white’ town, with Melanesians present only on its margins. The European French, who dominated Noumea and New Caledonia, consisted of two groups: the ‘metropolitan’ French and the Caledonians. The metropolitans numbered a few hundred and worked in official, professional, business, and technical positions. They mostly stayed in New Caledonia for only a few years. The Caledonians were a settler community derived from immigration from France since the latter half of the nineteenth century. The work and social contacts of an Australian official were very rarely with Melanesians, as several documents show (Commonwealth of Australia, 1948; External Affairs, Pacific Division, 1948; External Affairs, 1949). Their contacts were with French metropolitan officials, occasionally with French businessmen and clergy, and with the Caledonians. Australian officials had good relations with members of the Caledonian elite. For example successive Australian consuls were on cordial terms with Senator Henri Lafleur, from whom, until mid-1954, the Australian government leased the Consulate’s combined office building and residence (Cumpston, 1954). The views of Australian officials on the Melanesians were often second hand, derived in part from engagement socially in a masculine world of after-work drinks and camaraderie. According to one account: « Two or three miles from the heart of Noumea is the “Biarritz” nightclub standing on the beach at Anse Vata. Many of the notabilities drive to the Biarritz between 5.30 p.m. and 7.30 p.m. Here one offers hospitality, the Biarritz making a substantial profit out of one’s generosity – a small bottle of French beer costing, for example, 5/- [five shillings]. » (Commonwealth of Australia, 1948: 3).

Australia and New Caledonia in the 1940s and early 1950s

6 In the 1920s and 1930s Australian knowledge and awareness of New Caledonia was sketchy (Lawrey, 1982: 16-19). But with the Fall of France in 1940, combined with fear of Japan, New Caledonia became important to its large neighbour. Australia intervened in September 1940 to help win over New Caledonia to Free France, and for the rest of the war provided self-interested but appreciated defence and economic assistance (Lawrey, 1982). Under the Australian Labor governments from 1941 to 1949, External Affairs Minister Herbert Vere Evatt championed Australian engagement in the South Pacific (Thompson, 1998: 116-17). On 14 October 1943 Evatt told Australia’s parliament that it was « …essential that…there should be a very close and intimate relationship between Australia and New Caledonia. » Australian interest continued after a conservative government came to power in December 1949. In May 1950 External Affairs Minister Percy Spender set out the importance to Australia of nearby island groups, including New Caledonia. « …Australia has a duty to itself which must not be neglected. This is the duty of ensuring by every means open to us that in the island areas immediately adjacent

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to Australia, in whatever direction they lie, nothing takes place that can in any way offer a threat to Australian security, either in the short or the long term. These islands are, as experience has shown, our last ring of defence against aggression, and Australia must be vitally concerned with whatever changes take place in them… New Guinea happens to be largest and most important of those island areas that are of direct concern to us. But in the same way we cannot be passive observers of any developments in Timor, the New Hebrides and New Caledonia that might have unwelcome consequences for Australia. » (Spender, 1950)

7 In 1950 Spender raised with France the Australian use of air and naval facilities in New Caledonia, but did not pursue this idea (Mohamed-Gaillard, 2010: 38; Aldrich, 1993: 59– 60). In the late 1940s and early 1950s Australia campaigned successfully against the use of Japanese contract labour in New Caledonia (Henningham, 2015). Overall, in the decade or so from 1941, New Caledonia received more Australian official attention than in the preceding decades, and more than it would again receive until the emergence of militant Kanak nationalism in the late 1970s. Some of that attention involved consideration of the Melanesian population, at first in terms of its contribution to the war effort, and then later with respect to the implications of its participation in electoral politics.

8 Who were they, these Melanesians, in the period reviewed here? In 1945 the population of New Caledonia comprised 31,000 Melanesians, 18,000 Europeans, and 13,500 ‘Others’, most of whom were Indonesian and Vietnamese indentured workers (Brou, 1981: 1; Leblic, 1993: 30-31). The indentured workers usually returned to their home countries after completing their contracts, although this was not possible during the war years. Until after the war the Melanesians were French subjects rather than French citizens, and their movements and activities were strictly regulated under a ‘Native Code’. They exemplified the diversity characteristic of Melanesia. There were nearly thirty indigenous languages; French was their lingua franca. Members of each indigenous language group formed one or more tribal groups, in turn divided into clans, the key unit for identity and social organisation. Chiefly systems prevailed, but their nature varied. There were important differences between the main island of New Caledonia (La Grande Terre) and the Loyalty Islands. Colonialism had brought many changes, including, on the main island, forced movement of populations onto reserves following defeat in colonial conflict or to make way for the transfer of land to settlers. Conversion to Christianity had created a further distinction between Catholics and Protestants, often related to clan and tribal rivalries (Connell, 1987: 9-15, 27-31; Guiart in Deschamps and Guiart, 1957: 114-120; Leblic, 1993: 79-82; Leblic, 2007: 273-274).

9 In the French language of this era, the Melanesians were often still known as Canaques, an often derogatory term, or as Indigènes (natives), a more neutral term. In the late 1940s the French administration often used the neutral word ‘Autochtones’, which meant ‘original inhabitants’. In the 1950s the term ‘Mélanésiens’ (Melanesians), previously mainly used in scholarly work, came into common usage, generally replacing the terms used earlier. Because of the diversity and limited cohesion of the Melanesian population during this period, ‘Melanesian’ is used this article as a broad descriptive term, rather than as a designation of a community with a matured sense of identity.

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The war years

10 In February 1941 the Australian Government sent a military mission to assess and advise on New Caledonia’s defence, given concerns about a possible Japanese thrust south. The mission was impressed by the Melanesian troops, who served under metropolitan and Caledonian officers and non-commissioned officers, describing them as « … powerfully built and active. » They were reportedly ‘soft’ because of their diet but hardened up quickly once on military rations. They were also « … said to be stronger than the Tahitians, but not so intelligent. They are undoubtedly very keen » (Australian Mission, 1941: Appendix 10). They were, « […] of excellent physique, can move quickly in close country and are adaptable […]. The work done in the one tactical exercise witnessed was very creditable. They know the terrain inside out. » (Australian Mission, 1941: 31)

11 The mission commented that the « Natives [are] said to be mostly for de Gaulle, but actually they probably understand or care little about politics » (Australian Mission, 1941: 42).

12 Next, in mid-1941, Captain T.P. Kneen conducted a secret mission to investigate political and military conditions. He concluded that the terrain of the main island was ideal for guerrilla operations. He reported favourably on the Melanesians, noting their readiness to volunteer: « The natives are a fine race, intelligent and strong. They are loyal subjects, of whom more wish to enlist than can be accepted… In some districts, however, notably in the far North, they have always at the back of their minds the fact that the French came and took their land only 80 years ago. » (Quoted in Lawrey, 1982: 124)

13 As Kurtovitch (1996: 6) notes, it appears that the enlistment rate of the Melanesians was higher than that of the Caledonians.

14 For the first few months after the start of the Pacific war in December 1941 the Australian government feared that a Japanese attack on New Caledonia was imminent. From December 1941 to July 1942 an Australian commando company served there. It prepared for a possible guerrilla campaign against a Japanese force, including by training ‘native scout’ detachments. It also trained elements of the large American force that arrived in March 1942. The commandos’ unit history described the Melanesians as ‘friendly and cooperative’ (Garland, 1997: 12). One of its officers reported that: « Our men came to be held in high regard both by the New Caledonian French and by the natives, which latter gave us the greatest assistance wherever we went. This gave the lie to earlier reports that the natives of New Caledonia were treacherous and cunning. » (Dennis, quoted in Lawrey, 1982: 124).

15 In early January 1942, the Minister of External Affairs offered the assessment, based on what his military and other advisers had told him, that if properly supplied: « [The] New Caledonians will fight and fight well […]. Their record as soldiers was good in [the] last war, and natives from the Loyalty Islands made excellent sailors. » (External Affairs, Minister, 1942)

16 The reference here to ‘New Caledonians’ presumably covered both Caledonians and Melanesians, but this is not certain.

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17 We should also note a comment on Melanesian capacity in a book by Australian journalist Wilfred Burchett. Dorothy Shineberg (1986) points out that Burchett’s main engagement was with Caledonians. For him, as fellow ‘…younger sons of empire’, the Caledonians had an affinity with white Australians (Burchett, 1941: 222). But in his 1941 book he also celebrated the skills and capacity of ‘Emile’, a Loyalty Islander. He commented: « For those people who believe that Kanakas are stupid, incapable and unwilling to learn, I should like to present Emile as the living proof of their error. » (Burchett, 1941: 46)

18 Burchett’s book was the only up-to-date English-language account of New Caledonia. It was used in Australian military circles: when Ron Couche and his fellow commando officers were being briefed while en route to New Caledonia, they were each given a copy. Couche recalled that: ‘It was to prove a very useful book...’ (Garland, 1997: 18).

19 In the later phase of the war, from mid-1942, the Australian officials and military officers in New Caledonia were mainly in contact with French officials and Caledonian leaders, and with officers of the American forces stationed there. They had little direct contact with Melanesians. However the Australian government showed interest from time to time. In July 1943 the Department of External Affairs (DEA) asked the Australian representative in New Caledonia, B.C. (Bertram) Ballard to report on indications that the United States might seek to maintain a presence in New Caledonia and the New Hebrides after the war (External Affairs, July 1943). Before arriving in New Caledonia in August 1940, Ballard has been Australia’s legal representative in the New Hebrides. Among other topics, Ballard was asked to report on ‘the effects of wartime developments on native life’…[and]…‘any other wartime activities which may affect future … native policy.’ Ballard responded that « The principal effect of present circumstances on the native population has been to confer considerable wealth on them in return for their services as laundrymen and camp followers generally; this has resulted in a certain reluctance to engage in agricultural work for the coffee-growers and other agriculturalists to the former extent, but the Administration has brought pressure on them to do so. »

20 Meanwhile, in the neighbouring New Hebrides, « The open handedness of the Americans will by now be perfectly known throughout the Group, and the natives will be quite happy to see the Americans stay indefinitely, for this reason, but there is not the slightest evidence of their being dissatisfied with the present governmental arrangements, and in the main native communal and village life has not been disrupted. » (Ballard, 1943)

21 In December 1943 DEA again sought Ballard’s advice on various subjects, including ‘native education and health’, as part of preparations for an Australian/New Zealand meeting in January 1944 (External Affairs, December 1943). Among other things, the meeting would consider native welfare and advancement. Ballard reported as follows. « As education, both state and mission, is carried out in French, most of the natives, and certainly all the younger ones, now understand and speak the language well enough for all common purposes. Of the 5,430 able-bodied native men, 1,186 have enlisted in the Army and Navy, 1,000 are employed privately, 500 are employed by government departments, and upwards of 1,150 by the U.S. Army (i.e. a total of more than 3,836); the remainder living in the villages is considered to be an indispensable minimum… Since the arrival of service personnel in great numbers, the native ideas of material well-being have risen considerably – not only lavish gifts of food and clothing, but also high wages paid for small services are responsible for this. In the country districts, however, apart from the absence of the

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men mentioned above, the main structure of village life has remained unaltered. » (Ballard, 1944)

22 Ballard’s comments are in neutral terms, but tie in with scholarly accounts of the very heavy demands made on the Melanesian population during the war (see Kurtovitch, 1992, 1996 and 1998). Ballard also noted that in the hospital in Noumea, « The native and isolation wards are overcrowded, and their hygienic condition has been stated by the Director of the Service to be “deplorable”, resulting in such occurrences as the infection of patients in other sections of the hospital with amoebic dysentery during their treatment. Moreover, in the isolation ward European, native and Asiatic patients are all treated together, nor can those suffering from different diseases be kept separate. » (Ballard, 1944)

The immediate post-war period, 1945 to 1949

23 In 1946 the French government instituted important reforms in France’s overseas possessions, including granting French citizenship to indigenous peoples. In New Caledonia the abolition of the Code de l’Indigénat (Native Code) removed residential, work and other restrictions (see Kurtovitch, 1997a; Leblic, 1993: 53-54). The granting of citizenship appeared to open the way for the Melanesians to gain the right to vote. The reforms implemented in New Caledonia in the post-war years, we should note, would put the Melanesians in a much better position, in terms of political rights, than the indigenous populations of Australia itself and of its overseas territories during that period.

24 In May 1946 the Australian representative in New Caledonia, Hal Barnett, a former lieutenant-commander who had been a naval liaison officer in Noumea for some months in 1942, reported on the outcome of voting on a proposed new French constitution. In metropolitan France the constitution had been only narrowly rejected, but in New Caledonia three-quarters of those who voted had voted against it. (A more moderate constitution subsequently won overall support and was enacted.) Barnett underlined the significance of what he understood as a proposal in the rejected constitution to give the vote to ‘… all native peoples in the French colonies’. He believed this proposal had strongly influenced the voting in New Caledonia, because the Melanesians outnumbered: « the French population by about two to one. By no stretch of the imagination can one visualise the New Caledonian French endorsing a constitution which would give the Kanakes (sic) a voting power of two to one vis à vis themselves. New Caledonia and Dependencies are represented in the Chamber of Deputies by a single member, and New Caledonians, not unnaturally, considered as inevitable the ultimate election of a Kanaka deputy to represent New Caledonia had the Constitution been accepted. » (Barnett, 1946)

25 Barnett said there might have been a political crisis if the referendum had decided in favour of the proposed constitution. He declared that: « So strong is the opposition to the enfranchisement of the Kanakas that some people say they would seek autonomy rather than submit to a constitution which incorporated this principle. »

26 Before the election there had even been discussion ‘… of the relative advantages of a rapprochement with Australia or the United States in the event of a bid for autonomy.’ He noted that, ‘Generally in politics New Caledonians talk much and do little.’ (Here Barnett is referring to the Caledonians when he uses the term ‘New Caledonians’,

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rather than to the total population of the territory.) But, he noted, the Caledonians had taken part in direct action during the war, first in support of the rallying of New Caledonia to Free France in September 1940 and then later, in May 1942, in protest against the conduct of Admiral d’Argenlieu. He advised that: « … should enfranchisement of the local natives ever become an accomplished fact there is the remote possibility of an autonomous movement developing… »

27 As this could involve an approach to Australia, he suggested that thought should be given ‘…to this potential problem in advance.’ Barnett’s use of various inconsistent and derogatory terms in his comments (Kanakes, Kanakas, Kanaka) indicates not only a lack of knowledge but also a lack of comfort with the extension of voting and other rights to the Melanesians.

28 The following January, Barnett noted that recent voting patterns in New Caledonia had reflected strong anti-communist feeling. He believed the main reason for Caledonian opposition to communism was because the French Communist Party envisaged « …the enfranchisement of all French native peoples. As the Canaques or “Indigènes” in the Island outnumber the white population by two to one, New Caledonians simply regard the proposal to grant universal suffrage to the Canaques as tantamount to handing over to them the control of New Caledonia. The significance of events in the Netherland East Indies is not lost on them and they fear that it would only be a matter of time before the Canaques developed the aggressive nationalism of the Indonesians were the former granted the privilege of universal suffrage. It is hardly likely that such would be the immediate effect of enfranchisement but that is how New Caledonians regard the proposal and it can be taken for granted that they will oppose this step to the last ditch. » (Barnett, 1947)

29 In these remarks, Barnett refers again to the Caledonians as ‘New Caledonians’, acknowledging their primacy, and discounting the presence of the Melanesians. But his conceptualization of New Caledonia’s Melanesians has evolved at least insofar as he now refers to them as ‘Canaques’ rather than ‘Kanakas’. His reference to the ‘aggressive nationalism’ of the Indonesians appears to relate to the (ultimately successful) challenge to Dutch rule in the ‘Dutch East Indies’ of the Indonesian nationalist movement, rather than specifically to electoral and voting issues. (On communist influence in New Caledonia at this time, see Kurtovitch, 2000)

30 In the event the Caledonians did not oppose the extension of the franchise to the last ditch, but they did mount a successful delaying action. Under an ordinance of August 1945 the French government had granted New Caledonia a deputy in the French parliament. The suffrage was extended to the following categories of Melanesian men: returned servicemen, chiefs, pastors, assistant-teachers and nurses. The number totalled 1,144, some 11 per cent of the Melanesian adult population. In October 1946 the vote was extended to additional categories of adult Melanesian males, without, however, substantially increasing the number of Melanesian voters. Meanwhile the extension of the vote to European French women had more than doubled the number of European French (Caledonian and metropolitan) electors, bringing their number to over 9,000 (Brou, 1981: 9, 12). Article 4 of the Constitution of the Fourth Republic, enacted in 1946, gave all citizens over 21 the right to vote. But another article (number 80) prescribed that in the overseas territories specific laws would set out eligibility. Angleviel (2006: 24) comments that the delay in the substantial extension of the franchise to the Melanesians meant that for some years New Caledonia was the only

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French Overseas Territory lacking any indigenous representative in its Conseil Général (General Council), the local self-governing body.

31 In early 1948 New Caledonia’s Melanesians again attracted some official Australian attention, when the Australian Government sent an ‘Economic Mission’ to New Caledonia, tasked with looking into ways into which Australian-New Caledonian economic relationship could be consolidated and strengthened (see Henningham, 2014). In his lengthy report, J.T. (John) Smith, a keen young official from the Department of Trade and Commerce, made some references to the Melanesians, including the following remarks. « The Natives were an important factor in the settlement of the Colony. Hostile from the start to white occupation they proved a menace to all attempts to expand the early settlement. … they were cannibals and in 1878 organised a great revolt which might have succeeded in wiping out the European population. Even as late as 1917 a native revolt had to be quelled but today they are reported to be peaceful and harmless. » (Smith, 1948: 13).

32 Smith described them as being of ‘…Melanesian origin’ but added that the ‘…natives in the Loyalty Islands show a strong admixture of Polynesian blood.’ In a later passage he commented that: « In general, Melanesians have proved difficult of adaption to Western methods of labour. Primarily small-scale agriculturalists or fishermen and having a history of savagery, they have been regarded by Europeans as of little economic significance. They are used for heavy unskilled work, but are reported to be lazy. On the other hand, they make good stockmen on cattle stations and doubtless the spread of education among them will, in time, do much to improve them as workers. The ability of at least some to proceed to higher education is demonstrated by the recent ordination of two of their number to the Catholic priesthood, for which a further 28 are studying at the local seminary in Paita. » (Smith, 1948: 59-60).

33 Smith’s view of the New Caledonian Melanesians generally seems to have been that of many Caledonians of that era, namely that essentially the Melanesians had been and were an obstacle to the successful development of a settler colony. However he did also note that ‘no real attempt’ had been made ‘…to develop the native population so as to enable it, in time, to become an integral part of the community’ (1948: 86-7).

34 Later in 1948, K.T. Kelly, acting as Consul while Barnett was on leave, reported that « … the 30,000 Melanesians on the Island make little or no direct contribution to production of goods for export. » In his view the Melanesians could not take the place of the Indonesian and Vietnamese workforce (Kelly, 1948). The background here is that after the war there was a labour shortage. This shortage resulted in part from the gradual repatriation of many of the Asian workers, whose return home had been prevented by the war. Most of the Asians who remained were unwilling to continue in their previous employment. On 15 June 1945, the French government had released the Asian workers from their contracts. The New Caledonian administration attempted unsuccessfully to constrain their places of residence, in order to keep them engaged in mining and agriculture in the interior. Most of them moved to Noumea, where they worked as labourers and artisans, or set up small enterprises. In Kelly’s assessment, the Melanesians would suffer if they became proletarian miners. ‘In the short-term view’, he noted, ‘Melanesian labourers cannot meet the needs of the exporting section of the Island’s economy.’ Kelly concluded that: « An increase in the population (and naturally in the labour supply) of the Island is essential if the Colony is to establish for all its present inhabitants a reasonably

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high European standard of living. Such a standard, even for the Melanesians, appears to be the goal of the French administration. » (Kelly, 1948)

35 His remark that progress was apparently intended ‘even for the Melanesians’ displays an attitude characteristic of many Australians at that time.

The early 1950s

36 In the early 1950s Australian diplomatic reporting on the Melanesians continued to be episodic, but offered some insights. On 30 June 1950 the high chief of Maré (one of the Loyalty Islands), Henri Naisseline, contributed to Le Calédonien, a left wing newssheet. In his article he complained about the modest payments given to the chiefs. They were paid 800 to 1,200 francs a month whereas an office boy got 2,250 francs a month. He noted that some minor and high chiefs « …are proud to be called by their official titles and to wear a fine uniform with gold rank badges. Poor high chiefs! Our rank badges are of no use but to obtain cheap or even free labour when the Administration asks for it. » (Quoted in Lawrey, 1950)

37 Moreover, the chiefs were not given a travel allowance, and relied on the hospitality of their ‘subjects’ when travelling. As a result, Naisseline said, ‘…the latter – most of them heads of families - have to kill their poultry and livestock to feed their chiefs.’ In his comments on the article, Acting-Consul Lawrey described Naisseline as able and well educated, and ‘…the outstanding figure among the Territory’s native notables.’ Referring to the General Council, which at that time was dominated by conservative Caledonians, Lawrey said Naisseline’s remarks in the press article indicated that ‘… some at least of the native notables have not been convinced by the General Council that all is for the best in the best of all possible colonial worlds.’ Lawrey commented on France’s rule of the tribal villages in New Caledonia through a hierarchy of chiefs ‘… whose authority was very largely created by the French as an instrument of government to replace the chaotic clan system…’ Some years earlier, (presumably during his service as assistant to Ballard during the war), the then Secretary General of New Caledonia had told him that ‘We give them a semblance of authority.’ Indeed, Lawrey observed, « …the chief in his gold-braided uniform is often not much more than a façade designed to obscure the less picturesque figure of the corporal of gendarmerie who really represents authority… »

38 Lawrey also recalled that General de Gaulle sent Naisseline a letter thanking him ‘…in warm terms for the contribution made by the numerous Maré natives who enlisted in the Free French naval forces [during the war].’ Some Caledonians, he said, had expressed concern that the General ‘…might give the chiefs ideas above their station if he took actions of this kind.’

39 In these years Melanesians were slowly beginning to engage more fully with the wider economy and society. In April 1951 a new Australian Consul, H.D. (David) Anderson, a young career diplomat with previous postings in France and Pakistan, and who had served in the Australian army in Papua New Guinea during the war, reported on a visit to the Tiébaghi chrome workings. Anderson described this operation as New Caledonia’s main producer of chrome, and said that over 70 Melanesians were working underground there. According to the manager, Mr Bergman, an American, the Melanesians were ‘...at least as hard-working and efficient as their co-workers of other

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races.’ This was because they were getting the same wages and same treatment as their fellow workers. The Melanesian workers were from the resource-poor Loyalty Islands; Bergman doubted whether those from the mainland would be attracted to mining, as they had ‘...a stronger economic interest in adherence to their still self-supporting tribal organisation.’ The Société le Nickel (SLN), the largest and dominant mining concern in New Caledonia, was also employing some Melanesians (Anderson, 1951a).

40 Shortly afterwards, in May 1951, there was a substantial change to the electoral system. Anderson advised that a new law had extended the franchise to all adult male Melanesians able to read French and to all adult female Melanesians who were mothers of two or more living children, or mothers of a serviceman killed on active service (Anderson, 1951b). According to Angleviel and Brou, the Governor told his officials to assess the French language test leniently, so that it became little more than a formality, thus boosting the number of new voters (Angleviel, 2006: 27-8; Brou, 1981: 16-17). Although the Melanesians would not attain full suffrage until 1957, the expansion of the Melanesian vote in 1951 had a significant impact.

41 Anderson provided a lengthy assessment of the implications of this reform. In doing so he set out carefully the terms he was using (Anderson, 1951b). The Melanesians had rarely featured in earlier reporting from him or his predecessors, and it was presumably for that reason that he thought he should clarify his use of terms. He advised that: « The term native is used in this context in direct translation of “indigène” the term in official use in New Caledonia – notwithstanding that the majority of the French European community in the Territory is likewise native-born. The term “Melanesian” is not universally applicable, for Polynesians and mixed strains are found in Loyalty Islands and even in certain parts of the east coast on the mainland. The term “Canaque” (Kanaka) on the other hand is a vulgarism, sometimes offensive to native susceptibilities. »

42 Anderson reported that there had been ‘…some disquiet in the European community’ when it was realised that in New Caledonia the vote had been extended to nearly 9,000 people in a Melanesian community of 32,500. European voters numbered less than 11,000 in a European community of 21,000. There had been wishful thinking among some Caledonians ‘…that few natives would go to the polls or record formal votes.’ It was also suggested that granting the vote to some Melanesian women, ‘…who occupy an inferior status in the tribal system, would cheapen the vote in native eyes.’ Resentment had also been « …expressed at the suddenness with which the National Assembly in Paris, without prior consultation of local European interests, had passed legislation of such crucial importance to the Territory’s… future. For not only ha[d] the law assimilated for electoral purposes two racial groups with few common interests or points of contact. Its logical extension – native representation in a common General Council – would involve decisions on matters of general and even of mainly European interest, in which the numerically stronger native community would eventually have a preponderant voice. Even disregarding these implications, the present cultural level of the native community is such as to raise the gravest doubts as to its political capacity. »

43 Anderson noted that more than 90 per cent of the Melanesians lived on reserves within a tribal structure where ‘…the chief still retains considerable influence and indeed acts as magistrate in civil affairs.’ Their essentially subsistence agriculture gave them ‘…a

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standard of living by no means uncomfortable, though well below European levels.’ In his view they were « …docile and passive in temperament, suggestible and easily swayed. Their development towards a sense of civil identity and civic responsibility has not been assisted by the practical centralisation of authority in the chief… »

44 The Melanesians had benefited from education, but the highest level generally attained was equivalent to fourth grade in an Australian school. « Official policy ha[d] deliberately maintained educational development at a uniform rate, so that there is no native “intelligentsia” as such and few individuals capable of developing into leaders of opinion. »

45 Anderson suggests here that officials had averted the emergence of a modern Melanesian elite as matter of conscious policy, whereas in fact this circumstance may have resulted more from indifference and neglect. He also gives the impression that the French state had taken on responsibility for Melanesian education, whereas this task had mainly, though not exclusively, been taken on by the Protestant and Catholic missions. (On Melanesian education in the preceding decades, see Pineau-Salaün, 2000.) In more general terms, however, Anderson noted the enduring importance of the Protestant and Catholic missions. He reported that communism had made some progress among the ‘detribalised proletariat’ of Noumea, and also with two or three chiefs. He observed that « The handful of French Communists or fellow travellers in Noumea nevertheless represent[ed] the only political group within the European community which has shown any interest in native affairs. » He said that the Melanesians displayed « …no understanding of Communist dogma, but Communist slogans make a ready appeal to the few dissatisfied individuals with a sense of communal identity and an unsatisfied desire for ‘equality of rights’. » In summary, the Melanesians comprised: « …a politically unconscious mass, with a low level of education and few educated leaders of its own, though most susceptible to mission influence and guidance; and of a very small but active minority with Communist sympathies. »

46 In the same report, Anderson (1951b) described the four contestants in the election. Roger Gervolino, the ‘lacklustre’ incumbent, ‘…had proved acceptable to the established commercial interests which dominate the General Council.’ He ‘…had evinced no interest in the native question…. and indeed seemed to make no serious bid for the native vote.’ François Paladini described himself as ‘Progressive’ and was backed by ‘…the fellow-travelling news sheet Le Calédonien’. Paladini had built a following as the only candidate ‘…openly opposed to the dominant commercial interests.’ His campaign offered social services to lower-income Caledonians and pitched for the Melanesian vote « …by undertaking to press for adoption of a statut indigène establishing their constitutional position, civil rights and effective political representation. »

47 Two leading chiefs had responded by calling on the Melanesians to vote for Paladini. Another candidate was Maurice Lenormand, a metropolitan pharmacist married to a Loyalty Islander. Anderson said it was ‘…taken for granted in Noumea’ that Lenormand was ‘sponsored by the missions’. Lenormand had taken a keen interest in Melanesian affairs since his arrival in New Caledonia, and ran ‘an able campaign’. He did not challenge Gervolino on any of

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« …the issues of European concern… and indeed outbid him in his defence of the Pacific Franc. His statements on native policy were moderate and measured in tone…. [He declared that]… without offending any legitimate interest, it will be necessary to promote the conditions and means of progressive evolution within the traditional tribal way of life… »

48 Finally there was Paul Métadier, a former resident and the candidate of de Gaulle’s Rassemblement Pour la France (RPF). He ran a modest campaign, focused on his Gaullist credentials, and made ‘…no statement on the native question.’

49 The election was held on 1 July 1951. The overall turnout was 70 per cent, with Melanesian participation ‘not much inferior’ to that of the Europeans. Lenormand won with 5,034 votes, followed by Gervolino (4,207), Metadier (2,249), and Paladini (2,152). Anderson reported that Gervolino and then Metadier had attracted most votes in essentially Caledonian Noumea and its suburbs, with Paladini and Lenormand a long way back. On the West coast (where there was a significant Caledonian presence), Lenormand won a simple majority. In the Melanesian-majority areas of the East coast, the Isle of Pines and the Loyalty Islands, Lenormand won an overall majority, followed by Paladini, and then Gervolino, with Metadier running last. Anderson noted that « …natives in areas under direct mission influence polled solidly for Lenormand. The most striking instance was on Bélep, a strong Catholic mission, where 147 of the 150 recorded votes were cast in his favour. »

50 Meanwhile Paladini had polled well (595 votes) in Maré where, Anderson noted, high chief Naisseline had ‘Communist sympathies.’ Paladini had also done well in Lifou, « …where Communist propaganda made considerable headway shortly after the war and is still being combatted by a Protestant Mission, at Houailou…and at Bourail…the district of a second pro-Communist chief. »

51 Lenormand’s victory had been a surprise. Anderson said Lenormand had benefited from the splitting of the conservative European vote between Gervolino and Metadier. Anderson recorded a « …widespread tendency in the European community to regard Lenormand as representing native as opposed to European interests, a tendency associated with strong racial prejudice – however unexpected among Frenchmen, against his wife.»

52 One would note that Lenormand had attracted not only Melanesian votes but also those of a significant number of Caledonians, comprising reformists, workers and rural traders who had developed close links with the Melanesians (see Trépied, 2010: 263-4). The Caledonian community expressed, Anderson said, « …alarm at the size and solidity of the native vote, which in a sense obtained the election of its “own” candidate. The active role of the Missions has also been much criticised and has given rise to a certain amount of anti-clerical feeling. Finally some anti-metropolitan sentiment has been generated by the suddenness of the French National Assembly’s decision in adopting Law No. 51/586 [which had extended the franchise]. Most important, however, the European community has been stirred into giving some thought to the native question.» (Anderson, 1951b)

53 An open letter to the General Council, signed by several leading citizens, appeared in La France Australe on 25 July (clipping held with Anderson, 1951b). The correspondents underlined ‘…the absence of common interests between the two racial groups…’ They said they wrote on behalf of ‘the Caledonian Population’, which had built New Caledonia, and had served loyally in both world wars. There were distinctions between the Caledonian and Melanesian communities, but relations were harmonious. They called for two electoral colleges, one for European and one for Melanesian voters.

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54 Anderson reported that French officials and the Missions were less perturbed than the Caledonians by the election outcome. They were « …confident that with wise guidance and by a gradual process of moderate evolution the native community can ultimately be brought to a level of political capacity at which its voting rights could be freely exercised without a clash of interests with the European community and without serious inter-communal feeling. » (1951b)

55 Following the election Pastor Lacheret, who headed the Protestant mission, confirmed mission support. He told Anderson that it had been at his direct initiative that Lenormand was invited to stand. The Protestant mission had been apprehensive about « …the dangers implicit in leaving the newly enfranchised native community without direction, and it was further impressed with the importance of electing a Deputy with an understanding of the native question.» It had regarded Lenormand « …as the only moderate candidate well-informed and interested in native affairs, capable of framing a moderate native policy, and likely to have a wide electoral appeal among the native community.» The Catholic Church took a similar stance. Anderson reported that « …a private conversation with Mr Stéphane de Saint-Quentin, who may be said to represent the Catholic interest in the General Council, left me in no doubt that the Pastor’s view was fully shared by the episcopate.»

56 In November 1951 Anderson (1951c) reported further on the implications of the new political circumstances. He noted that Senator Lafleur had indicated to his colleagues during his recent visit to Noumea that he still hoped the French Government ‘...could be induced to table legislation restricting effective native participation in the Council.’ In an earlier discussion Rouleau, the Head of the Native Affairs Department, had told Anderson that it might be too late for a double electoral college to be arranged, however desirable, but did not expect ‘…heavy native representation in the General Council for many years to come (Anderson, 1951b).’ In November Rouleau told Anderson that he saw no prospect for special dual arrangements, but advised that the French administration in New Caledonia « …had recommended to the French Government an increase in the number of seats in the General Council to take account of the increased size of the electorate, but so distributed as to safeguard European preponderance in the Council for a considerable time to come.» (Anderson, 1951c)

57 Anderson reported that he thought that Henri Bonneaud, the President of the General Council, a strong advocate for Caledonian rights and interests, and for the double electoral college, would nonetheless be satisfied if, as Rouleau expected, only four or five Melanesian councillors were returned at the next election (Anderson, 1951c).

58 While determined to defend their position, Bonneaud and the other General Council members were aware that circumstances were evolving. Anderson reported that at the November 1951 session of the General Council, ‘…the…Council has shown an unaccustomed interest in native welfare and the Native Affairs Department (Anderson, 1951d).’ Previously the Council had paid little attention to Melanesian issues. Drawing on a press report, Anderson advised that Bonneaud had stressed that the Council had not been informed of an administrative decision to reduce the amount in the budget for public works in the Melanesian communities. Bonneaud had also criticized a statement by the Head of Native Affairs that a lack of funds had prevented the completion of the registration of the Melanesian population, claiming that the present Council had ‘…

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never refused credits for the examination of such important matters.’ One Councillor asked for a scientific investigation into the taro disease ‘…in order to examine the steps to be taken to protect this important native crop.’ The General Council also called for the reorganisation of the Native Affairs Department, in view of ‘…the social evolution of the natives over the last fifty years and more and also the new rights conferred on them.’ Anderson noted that the Native Affairs Department comprised the Head and a secretary-typist, and the gendarmes who represented it in the interior. It appears that there was scope to increase its staffing.

59 In December Anderson reported on the proposed legislation for new election arrangements for the General Council (Anderson, 1951e). He understood Bonneaud had asked Senator Lafleur to work for the elimination of the fifth seat provisionally allocated to the Loyalty Islands, because the electors in this division constituted less than half of the total Melanesian electorate. In a recent debate in the National Assembly, Lenormand had attacked the Government’s draft Bill, which he saw as an attempt to introduce a double college system, which Anderson said was what it amounted to. Lenormand had presented a counter-proposal with a single college. ‘In the eyes of the present General Council,’ Anderson said, Lenormand’s proposal would entail ‘…an ultimate, if not an immediate danger of native predominance in the Council.’ In response to this concern, Lenormand had put emphasis on proposed ‘union lists’ which would include both European and Melanesian candidates. Anderson advised that the present General Council regarded the approach of Lenormand as ‘…theoretical, unrelated to considerations of practical politics, and extremely dangerous for the future.’ In Anderson’s view, « It would be unfortunate, however, if their present differences should lead to an open breach, for the Council as at present composed almost certainly commands the support of most Europeans, while Lenormand could probably carry the native community with him. Such a situation could only benefit the little group of Communists and fellow-travellers associated with Le Calédonien, which is so far the only newspaper to publish Lenormand’s speech [to the National Assembly] or indeed to give any account of it. » (Anderson, 1951e)

60 Anderson’s reporting attracted favourable attention in Canberra. One official commented that Anderson’s memoranda ‘…supplement[ed] material which has important political significance – to wit – [the] native vote everywhere (Kuskie et. al., 1951).’ Officials agreed to thank Anderson for his memoranda, and to ask him for more reports in the form of despatches, thus ensuring wider circulation. They also decided on the preparation of a paper drawing on Anderson’s reports for Current Notes on International Affairs, an official publication directed to the policy community, the press and the educated public. This article appeared a few months later (External Affairs, 1952).

61 In 1951 and 1952 complicated politicking took place on the issue of the franchise, both in metropolitan France and in New Caledonia. In April 1952 Anderson reported that both a French government bill and bill put forward by Duveau, the deputy for Madagascar, appeared « …to make generous provision for the political aspirations of the Melanesian and Melanesian-Polynesian inhabitants of New Caledonia. (Indeed, there is little evidence of any such aspirations among the native community prior to [the] passage of the 1951 electoral law.) The stage of development attained by the average New Caledonian native may be somewhat higher than that of the mission- trained Papuan, but it is still far below that of the Maori. It is true, as Mr.

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Lenormand emphasized in the Assembly, that since 1917 the European and native communities have lived side by side without evident friction: this seems to be due less to any genuine intercommunal understanding than to the width of the social division between them, resulting partly from the superior economic power of the European but also from the native’s own tenacious adhesion to the tribal way of life. Mr Lenormand also spoke in the Assembly of progress in the field of native education. This certainly represents a dynamic factor in the situation which should not be discounted, but the cultural and economic level of the average native voter of tomorrow is still such, judged by liberal democratic standards, as to raise grave doubts of his political capacity. However this may be, far-reaching political rights have already been given to some fifty per cent of the adult native community and it is likely that the clock will be put still further forward. In these circumstances, and whatever the form and colour of the General Council which emerges from proceedings in Paris, the rift that has now appeared between Mr. Lenormand and his parliamentary colleagues is a most disquieting development.» (Anderson, 1952) Anderson feared Lenormand’s robust approach was « …not calculated to promote that harmonious association of the two communities to which Mr. Lenormand has dedicated his parliamentary career. The sincerity of his intentions has not been questioned by those who know him well, but the present direction of his efforts as spokesman for the native interest is likely to be of most benefit to the handful of Noumea Communists and fellow-travellers who already command a small native following.»

62 Eventually a compromise was reached comprising a single electoral college but with representation skewed in favour of the European population. (Angleviel, 2006: 29-30, 52, 58; Kurtovitch, 1997b: 44).

63 Elections were held on 8 February 1953 for the General Council. Lenormand’s Union Calédonienne (UC) list gained the great majority of Melanesian votes, and a minority of Caledonian votes. It won 14 of the 25 seats, achieving, with the support of another elected representative, a majority of 15. Brou (1981: 25) described the result as a ‘crushing victory’ for UC. For the first time, the Council had Melanesian members: those elected included nine Melanesians, all of whom had stood on the UC list. The new Council met for the first time on 26 February 1953. The pressing issue of the day was a strike by New Caledonia’s public servants. Anderson (1953) reported that the Council had some sympathy for the demands of the strikers, but was concerned about the pressure on the territorial budget if these demands were met. But the Council’s concentration on this issue had ‘one important consequence’ in that both the UC majority and the conservative Caledonian opposition « … were of one mind in protesting against the failure of “the Metropolis” to consult the local assembly on a measure which was bound to have far-reaching effects on the local budget. The issue thus drew both parties together and eventually brought them into effective collaboration, to a point at which the regular Council committees were for practical purposes by-passed by informal meetings of representatives of all groups. (The nine native Councillors, incidentally, took little part in these discussions, contenting themselves with observing and voting with their group as the occasion required; and indeed only three members of the majority… Lenormand, Bergès and Caron… seem to have been active throughout the proceedings.) A similar pattern appears to have been followed in subsequent Council meetings, and relations between majority and opposition seem much more cordial than could have been anticipated at the opening of the first session. In conversation on 12th March, the Deputy Lenormand told me that he was now confident that a cordial and efficient working relationship between the two groups would eventually be established on a solid basis.»

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64 Lenormand’s hopes for cooperation would be disappointed, but for the moment the anxiety of those who had been concerned by the implications of greater Melanesian involvement in elections and the political system had been allayed. (On the first generation of Melanesian elected representatives, see Soriano, 2014.)

65 In the early 1950s, through their involvement as voters in substantial numbers for the first time, the Melanesians of New Caledonia took a decisive step on the long road to emancipation. In the years ahead, the French administration, the missions and conservative Caledonian leaders would continue their efforts to manage, in support of their own respective specific interests, increased Melanesian participation in the electoral system (Ward, 1988: 99-100). For their part, for several years the Melanesians were prepared to seek to work with the Caledonians and remained loyal to France.

Conclusions

66 Any conclusions we might draw from the various Australian perspectives presented here on New Caledonia’s Melanesians in the decade or so from 1941 can only be tentative, because of the episodic nature of the comments, the small number of those who commented, their varied standpoints, their use of second-hand information, and their lack of sustained direct contact with the Melanesians. But it is noteworthy that the Australian military officers, who were presumably practical, down-to-earth men, and who had some direct contact with Melanesians, rose in part above the constraints of preconceptions and prejudices and came away with a favourable impression. Direct contact can make a difference. In the late 1940s the views of Barnett, Smith and Kelly appear to have been shaped by the views of their Caledonian informants. Smith did recognise, however, that the elevation of two Melanesians to the priesthood had shown a Melanesian capacity for education. In the early 1950s Lawrey and Anderson took a somewhat more liberal stance. In Anderson’s view the Melanesians of New Caledonia had reached a development stage well below that of the Maori of New Zealand, but higher than that of the ‘mission-trained Papuan’. He was relieved when the initial participation of Melanesians in the General Council went smoothly, and did not disrupt the stability of New Caledonia.

67 Some of the reports discussed in this article also provide further evidence for this period of the intolerance and inflexibility of many Caledonians. The persistence of attitudes of this kind no doubt contributed, in some measure, to the emergence in the 1970s of strongly militant Melanesian nationalism.

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ABSTRACTS

In the decade or so from 1941, Australian military officers and government officials paid some attention, for the first time, to the Melanesians of New Caledonia. Their comments illuminate Australian attitudes in that period, and offer perspectives on a significant stage in the history of New Caledonia, in terms particularly of the partial enfranchisement of the Melanesians.

Pendant les années de 1941 à 1953, les officiers militaires et les fonctionnaires australiens, pour la toute première fois, ont porté une certaine attention aux Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie. Leurs commentaires éclairent les perspectives australiennes de cette époque, et documentent une phase importante dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, concernant notamment l’accession d’une partie des Mélanésiens au droit de vote.

INDEX

Mots-clés: Australie, Nouvelle-Calédonie, Mélanésiens, Deuxième Guerre mondiale, Suffrage Keywords: Australia, New Caledonia, Melanesians, Second World War, Suffrage

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Personnalité métaphysique et rites traditionnels mortuaires Sud Fore Metaphysical personhood and traditional South Fore mortuary rites

Jerome T. Whitfield, Wandagi H. Pako and Michael P. Alpers

We acknowledge the help of the Fore communities and the many individuals who have made this study possible. We thank the Director of the MRC Prion Unit, Professor John Collinge, the Director of the Papua New Guinea Institute of Medical Research, Professor Peter Siba, and its former Director Professor John Reeder, for their support. This study was funded by the Medical Research Council of the UK.

1 This paper examines concepts of metaphysical personhood of the South Fore people in Papua New Guinea (PNG) by examining the 5 souls of the person that are released from the body at death. This approach follows the lead of Stephen (1989) who has convincingly advocated for an understanding of indigenous concepts of souls to understand Melanesian personhood. The difficulty of elucidating such concepts has been highlighted by Strathern (1990). We have contextualized the souls in a rich ethnographic description of South Fore mortuary rites to avoid imposing exogenous constructs on indigenous concepts, and avoided the overuse of analytical language, so the unity of South Fore cultural concepts could be revealed.

2 This approach elucidated a relationship between the humors of the body (Stewart and Strathern, 2001) and their counterpart souls (Whitfield et al., 2008). The extension of the deceased person in mediated and unmediated exchanges (Strathern, 1990) during mortuary rituals contained power through the 5 souls of the person. This power originated in the overlaying cosmology written into the landscape (Tilley, 1994), which was part of the overall cosmos (de Coppet and Itéanu, 1995) and capable of penetrating a person’s personal space through the power of truth (Weiner, 1983). In this case cosmos is defined as: « […] cultural ideas in general set into overarching notions of a world beyond each individual person to which the body belongs. » (Stewart and Strathern, 2001: viii)

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Map 1. – Papua New Guinea. The insert shows the location of the Fore linguistic group who inhabit the Okapa District of the eastern highlands of PNG, and have been divided administratively and geographically into the North and South Fore. There are three dialects of the Fore language, ibusakamana spoken in the North Fore, and atikamana and pamusakamana spoken in the South Fore

Map 2. – Map showing the linguistic groups of the eastern highlands and bordering central highlands. The Fore linguistic group is highlighted with a red border

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Metaphysical personhood in Papua New Guinea

3 Metaphysical components of personhood have been described by anthropologists in relation to dreams and death. In this exposition we examined ethnographic descriptions of Melanesian concepts of embodied souls and spirits to further our understanding of personhood. Rivers wrote about soul-substance in Melanesia, and describes the belief in two souls found amongst the inhabitants of the Tami Islands. Malinowski described the spirits of the dead in the Trobriand Islands called baloma and kosi. Rosalind Moss brought together data from a variety of sources about mortuary customs in Polynesia, Melanesia and Indonesia. She used the terms ghost, soul and soul-substance in her descriptions. In New Ireland, life-force was transferred from the corpse to a Malangan sculpture and finally released during the rotting of the sculpture . Panoff (1968) provided a deep description of the notion of the double self among the Maenge, who inhabit the south coast of New Britain. Panoff was cautious in his definition of these entities, avoiding the use of “soul” which stresses spiritual faculties and “substance” that would undermine the dual nature of the Maenge.

4 Schieffelin (1976) described the Kaluli concept of mama, which meant shadow or reflection of a living person, which inhabited a world on the slopes of Mount Bosavi. Here the mama of a man appeared as a pig, and of a woman as a cassowary. The souls of the deceased followed rivers west from Mt Bosavi, and these rivers appeared as broad roads to the souls. Eventually the roads converged in an all-consuming fire called imol, where the dead were consumed by flames and reborn as ane kalu (Schieffelin, 1976).

5 In the western highlands region of PNG descriptions of the metaphysical person were found for the Huli, Kyaka Enga and the Mae Enga. Robert Glasse (1965) wrote about the immaterial essence of human personality of the Huli, which survived death in the form of a ghost which could affect the living. The Mae Enga believed that a person’s spirit was in some way implanted into a child from the totality of the ancestral spirit pool. When a person died the spirit became a ghost and remained with the corpse till burial, after which it wandered through the clan’s land (Meggitt, 1965: 110). The Kyaka Enga believed that a person’s soul, called imwambu, became a ghost after death. Shadows or reflections of the deceased were also called imwambu (Bulmer, 1965). Stewart and Strathern (2001: 131-136) summarized descriptions of noman amongst the Melpa, nomane amongst the Maring, and the Kuman term nomana and its variants: noman, nomane and nomanao. The Kuman words were translated as opinion, feeling, belief, intellect, soul, insight, heart, thought and custom. Their discussion highlighted the difficulty of translating metaphysical meanings, and how different words are used by different linguistic and dialect groups which may or may not share a common meaning.

6 In the eastern highlands of PNG descriptions of the souls and spirit components of the person were found for the Simbari, Siane, Daribi, Asaro, Gadsup, Tairora, Gimi, Yagaria and the Fore. Herdt (1977) described the mediating role of shamans and their spirit familiars between ghosts of the dead and the souls of the living, and how male initiates acquired spirit familiars. Salisbury (1965) wrote about the Siane, who believed that men, pigs and certain other animals had a body and a spiritual aspect which he called ‘spirit’ and described as a ‘non-discrete spiritual essence’. The Siane called the spirit oinya, which turned into korova at death and during a later ceremony joined an undifferentiated pool of korova, from which korova subsequently entered another body to become oinya (Salisbury, 1965: 55). According to the Daribi, a person was not born

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with a soul (noma); instead it developed within them as they grew. After death the noma became an izibidi (ghost) . When a person died in the Asaro his vital essence took the form of a ghost called foroso, which remained in the vicinity of the living . Du Toit stated that amongst the Gadsup the soul had a visual dimension called timami, and a manes dimension called aumi. The timami departed from the body at death, but the aumi remained near the corpse and after burial it departed to become an ancestor. Watson mentioned an afterworld in the Saruwaged Range to the north of the Tairora. The land of the dead was called bánamáqa, and ghosts (bana) could return and frighten humans or assist them.

7 Anthropological studies were conducted amongst the northwesternmost Gimi by Glick and Gillison (1993). Glick translated the term aona as vital force, shadow or soul. He regarded the use of the word soul as misleading as it suggested immortality, a concept that the Gimi rejected. Aona also meant familiar spirit, and a human might take on the aona of an animal, which then became his familiar spirit. Glick used the single word ‘power’ to define aona. Gillison described aona as: « auna is the life force that motivates people, pigs and other sentient beings including the kore or ghost. It arises in the head and moves in the blood to the heart, producing pulse and heartbeat. auna fills the lungs, liver, and other organs with ‘wind’ and is exuded in breath, voice, sweat, tears, intestinal gas […] » (Gillison, 1993: 108)

8 The Hua, a dialect group of the Yagaria, had the concept of aune, the positive aspect of nu, described as ‘vital essence’ (Meigs, 1995: 18). Meigs described aune as a possible cognate of the Siane notion of oinya identified by Salisbury (Meigs, 1995: 125).

9 In Graham Scott’s Fore dictionary naumáwé refers to spirit, breath or soul. The departed soul or spirit of the deceased is called amanane. Kweraye means evil spirit, devil, demon or Satan in Fore (Scott, 1980: 216). Eségenáyé is the word for strength, might, power, toughness, courage and authority (Scott, 1980: 34).

10 The indigenous concepts have been described in a variety of ways, including soul, spirit, life force, ghost, vital essence and spiritual essence. The data highlight the importance of ethnographic investigation to elicit understandings of indigenous concepts within the unity of their context, rather than the meaning of isolated words. Strathern (1990) has emphasized the importance of the correct translation of indigenous concepts: « The task is not to imagine one can replace exogenous concepts by indigenous counterparts; rather the task is to convey the complexity of the indigenous constructs in reference to the particular context in which they are produced. » (Strathern, 1990: 8) At the same time she cautions against the dangers of analytical language: « Analytical language appears to create itself as increasingly more complex and increasingly removed from the ‘realities’ of the worlds it attempts to delineate, and not least from the languages in which people themselves describe them. » (Strathern, 1990: 6)

11 Finally, Strathern acknowledges that it is important to recognize that Melanesians have their own whole unities that can be obscured by our own analysis (Strathern, 1990: 11-12).

12 These three points raised by Strathern are relevant to the choice of words used to describe Melanesian metaphysical aspects of the person that depart from the body at death. The term soul is avoided by some anthropologists (Gillison, 1993; Glick, 1963;

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Panoff, 1968), and used by others (Herdt, 1977; Herdt and Stephen, 1989; Schieffelin, 1976). Herdt pointed out that in the past it had been assumed that the word soul needed little translation, and was analogous to the Christian theological definition, a misconception Herdt and Stephen (1989) have removed. Previously, we have used the term soul , and continue to do so in this paper. We define it as the part or parts of the person that depart from the body at death. The Fore describe 5 departing souls, which differ widely in their detailed attributes. Other terminologies are less satisfactory. The term ‘spiritual essence’ suggests an undivided entity (Panoff, 1968), and the term ‘spirit’ is often associated with ghosts (Parrinder, 1989). To understand the concepts of the 5 souls of the South Fore we discussed the matter in depth with many Fore people and to place these concepts in their universal context we have turned to ethnographic descriptions and not relied on analytical language, whilst acknowledging the difficulties of matching exogenous concepts with indigenous ones.

13 Although there are ethnographies about the South Fore’s neighbours in the eastern highlands, as mentioned above, few contain detailed descriptions of cosmologies and mortuary rites necessary for the investigation of the partible person apparent in death (Bonnemère, 2014: 740). Meigs (1995) understood Hua religion in terms of the regulation of an individual’s vital substance, but does not mention mortuary rites. Her understanding of mortuary anthropophagy was based on food rules (Meigs, 1995: 40). Gillison (1993) interpreted Gimi beliefs in terms of myth, allowing her theoretical analysis to ignore statements made by her informants (Lipset, 1994: 164). More recently, preliminary investigations throughout the eastern highlands do suggest that many of the linguistic groups of the Eastern Family and the East-Central Family of the East New Guinea Highlands Stock might share similar cosmologies (Whitfield, 2011).

Melanesian personhood

14 The subject of Melanesian personhood was invigorated by Leenhardt’s ‘Do Kamo’, which became available in English in 1979, and contributed to the early literature. Leenhardt often recounted his proposal to Boesoou Erijisi, his oldest convert:

15 « In short, what we’ve brought into your thinking is the notion of spirit » [or mind: spirit]. To which came the correction: « Spirit? Bah! We’ve always known about the spirit. What you brought was the body. » (Clifford, 1992: 172)

16 Leenhardt struggled with the Descartian mind-body dualism, and saw the centre of a Melanesian’s relationships as empty: there was no separation of the outside from the inside defined by the body (Clifford, 1992: 185). However, Strathern disparaged the idea of an empty centre where western imagination puts the self (Strathern, 1990: 269). Strathern saw the person as objectified through the relationships that constitute him or her, which she referred to as the partible person. During mediated exchange the objects of the transaction, such as shells or pigs, were conceptualized as part of the person, and seen as extracted from one person and absorbed into another, carrying influence in the part. In unmediated exchange people had a direct effect on the lives and bodies of their relatives through substances such as semen or blood (Strathern, 1990: 178). The internal body was composed of the relationship of substances, and the external was concerned with relationships with people, thus making the body appear as the result of human actions (Strathern, 1990: 208). However, the notion of the partible person is a western conceptual approach to investigations of relationships and

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exchange, and not one that the South Fore would recognize in their daily understanding of the embodied person. It is only in death that the South Fore person becomes the partible person that is so amenable to the analysis of personhood (Bonnemère, 2014: 740).

17 The discussions on Melanesian personhood have been well summarized . Not everyone agreed with Marilyn Strathern, and some viewed her approach as static and believed that an actor-orientated and ethnohistorical approach would expose more complex shifting modes of personhood (Stewart and Strathern, 2000a). Melanesians also valued individual achievements and self-assertion (Stewart and Strathern, 2000b). It is now generally accepted that both relationality and individuality exist together, but with varying emphasis in different cultures (LiPuma, 1998; Lindenbaum, 2008).

18 More recently the debate about personhood has moved to new forms of individualism, as modernity has transformed traditional understandings (LiPuma, 1998: 53). Robbins has written about the transformation of the Urapmin by local charismatic Christians, which led them to abandon their traditional religion, sacred houses and ancestral bones.

19 Another approach to investigations about Melanesian personhood was advocated for by Stephen (1989), who convincingly argued her exposition that concepts of personhood and self need to be understood through indigenous concepts of embodied souls. The concepts of souls were linked to sacred ancestral powers from which the living gained access to knowledge and power. Consciousness was found in these souls, which were part of the person’s body yet distinct from it.

20 Stewart and Strathern (2001) wrote about humors of the body (blood, fat and water) and substances, such as bone and spittle. In Papua New Guinea bodily fluids were seen to modify behaviour, whilst bodily thermal states were seen to modify health. Anna Meigs (1995) wrote about the bodily states of the Hua in the eastern highlands of Papua New Guinea, and how they maintained a bodily balance between hard and soft substances. In trying to understand how the souls of the deceased person extend out from humors or objects during exchange, Herdt suggested that: « The self invests in these particular concepts and narratives. The I/me extends out beyond the boundaries of one’s skin through imagination into a world of symbolic objects indexed in the discourse of others. » (Herdt, 1989: 27)

21 Such an approach removes the false analytical dichotomies of natural-supernatural and religious-profane. As Geertz pointed out: « the world as lived and the world as imagined […] turn out to be the same world. » (Geertz, 1973: 112)

22 These concepts in turn needed to be understood within the wider understanding of the cosmos, its power and its relationship to the human inhabitants. Cultural ideas were set out in an overarching view of the world which were beyond the individual, yet to which the body belonged. This world was not static but undergoing constant flow and change as experienced by the environment and its inhabitants, and the bodies and souls of the inhabitants were part of this process. The person was part of the cosmos, yet maintained an individual aspect (Stewart and Strathern, 2001). To understand the process it was necessary to understand the relationship between personhood and cosmos through the souls and humors that constituted the composite person at birth, during initiation and throughout adulthood, and those that were released at the death of the person.

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23 To investigate further the concepts of personhood we turned to Morphy (1990), who divided Yolngu myths into two categories, those of creation and those of inheritance. Myths of creation were about the creation of the landscape, and the ancestral beings, and those of inheritance were about the humans who inhabited the landscape and their rights to the land. The myths of creation help us to understand personhood. The close relationship between personhood, the landscape and its overlying cosmology has been well documented for indigenous Australians and others (Tilley, 1994).

24 Tilley (1994) pointed out that places are both empirical and the result of the inhabitants’ social practices. The physical and sensory resources of the landscape were drawn on for the creation of cosmologies, social identity, social relations and social reproduction. As the landscape was drawn on in daily activities its power permeated its inhabitants and their social and cultural activities (Tilley, 1994). We define power as the capacity to influence abilities, emotions, actions and outcomes.

25 The power found in the landscape came from the overlying cosmology, which explained the creation of the world and its inhabitants. The durability and rarity of mythological locales in the landscape were the foundation of the truth of these events which gave power to these myths and their interpretations. Power itself was evident in the truth of the past and could be traced through the clan ancestors to the mythical creator. The power of the cosmology and landscape were evident in the power of speech to destroy and create, and nothing was more powerful than the speech of the ancestors and the creator. The power of truth entered an individual’s personal space and this was the basis of its power. As Weiner (1983) pointed out, truth could disrupt and destroy, as well as bring order and create.

26 In the mediated and unmediated exchange of South Fore mortuary rituals we followed the atomization of the double self and followed the transference of the souls and their corresponding humors. We investigated South Fore understandings of personhood in relation to the cosmos, and traced the power of these exchanges back to the cosmology in the landscape.

27 Although not the focus of this paper, the ethnographic data shows the vital role played by women in rituals in a male-dominated society (Bonnemère, 2004). In the South Fore women were often referred to as the wombs of the men’s cult houses, and the importance of their female reproductive powers recognized in the agnate-affine relationship. The most powerful warrior skills were endowed by the souls of deceased women to male initiates or warriors.

28 The data presented, which included field notes and transcriptions, were collected between 1996 and 2010, and based on interviews with 65 men and 11 women. The gender imbalance is very apparent in the South Fore, with many villages having no elderly women. The gender imbalance of the interviewees was the result of the epidemic of kuru, a neurological disease found amongst the Fore and some of their neighbours, which devasted the older generation of women (Alpers, 2007). Although we present a predominantly male viewpoint based on the larger number of male interviews there was congruence with the narratives collected from the elderly women.

29 Although adult males did not participate in eating the dead, the men who were interviewed had participated in or witnessed mortuary feasts as children, and some ceased to participate at the age of about 14. At the height of the kuru epidemic 2% per year of the population of villages in the epicenter of the disease were dying of kuru

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(Mead et al., 2009), and those interviewed are likely to have participated in or witnessed at least 10 mortuary feasts. The team conducted interviews in 20 different villages with members of 24 different clans.

30 The anthropologist (JTW) lived and worked in Papua New Guinea for 7 years and continued to conduct fieldwork on a regular basis for a further 7 years. The anthropologist was also a qualified nurse with a background in emergency and tropical medicine and these skills were used to benefit the communities. The project also sourced funding for community development projects and oversaw the establishment of schools, water supplies, a village birth attendant program and malaria control. The project employed 14 local full-time staff and casuals when required. Long periods were spent visiting communities within the South Fore and other kuru-affected communities, as well as many others throughout the eastern highlands. There was a close relationship during this time between the anthropologist and staff whose extensive kinship ties enabled the team to work in many different communities. MPA has worked within and as part of Fore communities for 50 years in a relationship built of mutual respect and trust (Alpers, 2014). The importance of time in the field and relationships of mutual indebtedness and trust have already been described by Mallett (2003: 273) in relationship to reciprocal entrustment with customary knowledge.

31 Local staff, especially David Ikabala and Sena Anua, conducted initial interviews with elderly people who had participated in or witnessed anthropophagic practices, based on their kinship ties. This allowed the team to gauge the participant’s willingness to divulge traditionally secret information and the response of the local communities. Once the team concluded that the participants were delighted to talk about their traditional way of life and experiences, in-depth interviews were conducted by the anthropologist and other team members using group interviews. During these interviews WHP contributed extensively with the translation of concepts, and the team used Fore, Tok Pisin and English languages to develop understandings of the mortuary rituals and their concepts.

32 Interpretations of South Fore mortuary practices by colonial patrol officers, kuru investigators and anthropologists have not been uniform, and their historicity has been accessed diachronically in a separate paper, which also takes into account the colonial encounter and the traumatic kuru epidemic (Whitfield, 2015).

South Fore cosmology

33 The people of the Fore linguistic group inhabit the Okapa District of the eastern highlands of Papua New Guinea, and have been divided geographically and administratively into the North and South Fore. There are two dialects spoken in the South Fore, the atikamana spoken by the atigina and the pamusakamana spoken by the pamusagina. The names used here are those of the pamusakamana dialect, and may be slightly different in atikamana.

34 To understand South Fore concepts of the metaphysical person it is necessary to start by investigating South Fore cosmology. The mythology explains the connection between the land (bagina), the creation of the sacred ancestors (amani) whose descendants make up the clans found in the Okapa region today, and the eschatological beliefs behind their traditional mortuary rites.

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35 The South Fore have their own traditional explanations for the origin of the universe, as they experienced it prior to the colonial encounter. Their myths are located in time through genealogies which connect the living to the founding ancestors of the clans and finally back to the bagina.

36 The rivers are the blood, the stones the bones, the ground the skin and the plants the hair of the bagina. The bagina is the land, and it created the amani, the sacred ancestors of each clan, from whom men are descended, and once the amani were created the bagina changed back to its original form – the land. Everything came from the bagina and was eaten by the bagina when it died. According to the South Fore, their creation myth and that of other linguistic groups was called kalukalu. In the myth an old man, the bagina, cooked a bone with wild green vegetables in a bamboo tube and created the amani at a place called Andai (Whitfield, 2011: 152-157).

37 Another myth told the story of a male and female amani who travelled from Andai (the place of creation in Ivaki in the previous myth) up the Lamari River Valley to Manyavindi. The amani settled in Manyavindi (which is near the village of Okasa) and the population grew until eventually the offspring of the founding amani spread out into their own lands, and their descendants make up the human clans of the region today. The amani were the guardians of the bagina, and the portal through which humans interacted with the hidden powers of the bagina. They were similar to humans, but physically more powerful and more knowledgeable about the powers of the bagina. The term amani was also used for the sacred grounds of the amani, which consisted of a cave that led to kwelanamandi (the land of the ancestors), a lake, a mountain, a pine grove and palm trees (Whitfield, 2011: 158-175).

38 All the founding clans of the South Fore had a tunnel from their amani ground that led into kwelanamandi, through which the souls of their dead clansmen and clanswomen travelled after death. It was very similar to the land of the living, but there were no wars, sorcerers or famines, and the dead lived a much pleasanter life than the living. It was like a dream world where time did not exist, and when people dreamed of the dead they visited kwelanamandi (Whitfield, 2011: 175-176).

The five souls of the South Fore

39 The South Fore metaphysical person consisted of 5 souls connected to corporeal humors (Table 1). There was no single term to describe the souls in the Fore language; however, today the South Fore use the word soul to describe the 5 traditional souls. The Fore members of some Christian denominations, such as the Seventh Day Adventists and Salvation Army, retain their belief in the 5 traditional souls.

40 The Fore believed that a person’s auma, bones and patrilineal blood are formed from the father’s sperm. However, the South Fore emphasize patrilineal blood as the substance that defines patrilineal descent from a clan’s amani. The matrilineal blood and flesh are a source of pollution for initiates and men. The Fore do not deny human biology, but have their own parallel social construction of the person which also explains human biology.

41 A Fore adult man or woman had 5 souls contained within the body of the living that dispersed after death. A person was born with auma, ama and kwela, and these three souls eventually reunited after death to become an ancestor in kwelanamandi. The aona

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and yesegi were transmitted during initiation and mortuary rituals. The following are descriptions of the five souls. However, to fully understand the 5 souls of the South Fore and to apprehend these allusive indigenous concepts it is necessary to analyse them in the context of traditional mortuary rites.

Auma

42 The following are descriptions of what auma means to the Fore. « It’s your love. » « It’s the inspired thought from your heart. » « A character who smiles at you from afar when he sees you. » « Whatever good we have comes from our auma. » « Free-willed speeches that we make. » « Mutual friendship is inspired by auma. » (Whitfield, 2011: 177-178)

43 The closest comparison is to the contemporary western concept of the I/me, and consists of the person’s good qualities that distinguish the person from other individuals.

Table 1. – The five souls of the South Fore person, their bodily humors and their manifestation during mortuary rites

The partible person of the South Fore Intermediate period Final ceremony person apparent at death

The five souls of the South Fore Person and This marked the their corresponding bodily humors end of the mortuary rituals Period between death and the and the departure final ceremony. Souls Humors of the deceased’s souls to the land of the ancestors.

auma The I/me, consisting The auma travelled to the land Located in the centre of a person’s good of the ancestors and awaited of the body and distinguishing the ama and kwela. qualities

ama The patrilineal bones were These three souls A simulacrum of the Located in the bones separated from the matrilineal were reunited in auma with magical (patrilineal flesh and blood. The ama the land of the powers to help the substance) assisted the family during the dead, where the mourning family mortuary rites. deceased was members reborn as an Formed from the The dangerous kwela consisted ancestor. deceased’s flesh and of mainly matrilineal substance kwela blood, consisting at the start of the intermediate The dangerous ghost mainly of matrilineal period, but by the end it was of the deceased. substance, but also transformed into a benign soul some patrilineal consisting of patrilineal substance substance.

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Aona A person’s abilities Found throughout which are also the body apparent in their spirit familiar. These abilities were The aona remained with the inherited by the Yesegi ama and the yesegi with the deceased’s eldest The power/ kwela. child of the same aggression of a Located on a person’s sex. person, also skin apparent in the character of their spirit familiar

Ama

44 The ama is a simulacrum (an immaterial double of the living person with magical powers) of the auma, which remained with the family until the obsequies were completed. An apparition of the ama would appear to relatives after death allowing them to see their loved one for the last time. It assisted the family during the mourning period by detecting those responsible for the death, in avenging the deceased’s death and by enhancing food presentations. A dying person would tell their loved ones that his ama would assist them after his death, as he realized that the funeral was a great burden on the family, and believing that he could help after death eased the pain of separation. The ama gave endowments of yesegi and aona to family members, or other mourners who consumed the body of the deceased out of love. After the departure of the ama to kwelanamandi it could still be called upon to assist the living through the relics of the deceased.

45 Certain bones had a strong connection with the ama, especially the collar bones and jawbone, and the hair of the deceased. The relics acted as talismans by providing a portal to the deceased’s ama, which assisted the family members with their requests. These requests might include help in battle, protection from sorcerers, a cure for an illness or to find a lost pig. Gradually, the link between the living and the deceased faded as the next generation passed away, and the ama no longer assisted the living. The ancestor had forgotten the living, and their hair and bones were then left by their sepulture.

Kwela

46 The kwela was the dangerous soul of the deceased which could harm the deceased’s family members. The kwela formed from the matrilineal flesh and blood, and as the body decomposed it became more and more powerful. The smell of decomposition was the kwela that travelled on the wind, as a cloud of pollution in the form of a human, and harmed the women and children of the family of the deceased if the obsequies were not performed correctly.

47 As the body decomposed the kwela became immensely dangerous; so exposed sepultures, which were baskets or platforms built in sugar cane or bamboo groves, were

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built far away from human habitation to ensure that people did not come into contact with the kwela. If the body was buried most of the pollution from the decomposition remained in the burial pit, so the kwela was not as dangerous. Finally, if the body was consumed the kwela remained in the female affines, called anagra in South Fore, for an equivalent period of time to decomposition on an exposed sepulture, thus rendering the kwela even less dangerous. The kwela of the deceased would not harm those of the same matrilineal blood, so the affines could safely consume the body.

48 Although we have used the term soul to describe the kwela, it is important to understand that the kwela undergoes a transformation during the liminal period from a dangerous soul, with ghost-like behaviours, to a benign soul, as the matrilineal blood and flesh are removed during decomposition. Finally, the kwela is purified when it crosses the red river at the entrance to kwelanamandi. The benign kwela that makes up part of an ancestor at the end of the mortuary rites is the part that arose from the patrilineal blood of the deceased, purified of matrilineal substance.

Yesegi

49 Yesegi was the term used to describe a man’s aggression, way of thinking, lack of fear and the supernatural power of his aona. It was a man’s yesegi that made him a great warrior or a powerful sorcerer. Yesegi was the power of a person’s aona and the two were intimately linked. It came from three possible sources: firstly it was received from the amani with aona during initiation rites; secondly it could be inherited from a deceased family member; and thirdly it could come as a powerful endowment from the ama. Yesegi was part of a person’s skin when he was alive and it departed from the body with the kwela after death. The yesegi of the deceased was normally transferred to one of the deceased’s sons, and this gradually became apparent as he grew older. Women who helped carry shields or wielded clubs during battles also had yesegi. Not everybody had yesegi, but it was evident in those who possessed it.

Aona

50 Aona can be described as a person’s abilities, and came from three possible sources: as an endowment from the ama of a deceased person, inherited from a person’s deceased parents, or from the bagina via the amani during initiation rituals. People’s aona might make them good gardeners, hunters, raisers of pigs, distributors of food, warriors, bilum makers etc. People were not born with aona; it was something they gained during their lives. When people became old their aona dissipated, and they would say that it was time for them to die as their aona was weak. The ama transferred the deceased’s aona to his favourite child, who was normally the oldest child of the same sex. As well as the aona of the deceased, a child or other relative might receive aona from the ama in the form of an endowment during mortuary rites.

51 The opportunity for initiates to acquire aona and yesegi from the amani happened at the following initiation rites: kokana, andamana and akitona. It also occurred on the night before a man was married. During akitona initiates had a vision of an animal or plant, which became their familiar spirit – the connection between a man and the bagina. A man’s character was also affected by his familiar spirit, so if the familiar spirit was an

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aggressive animal, then the initiate would be aggressive, as he had also received yesegi. Men never ate their familiar spirit, as it would destroy their aona.

52 Once a man had a familiar spirit (aona) he received visions from the bagina when under the influence of a hallucinogenic drug mix made from the bark of the agora tree and ileleva (wild taro). The drugs released the ama from the body, so it entered the world of dreams and visions, and the user’s aona connected with the bagina to receive its assistance. The familiar spirit would appear in dreams or visions and assist a man by warning him of dangers, or tell him where to find pigs or possums when hunting (these are just some examples).

53 Contact with a decomposing body through touch, smell and ingestion would contaminate a warrior or an initiate, and damage his aona. The men avoided those who ate the dead, so that their aona was not damaged. Food taboos were designed to protect a man’s aona, as were many of the rules of the men’s cult houses. There were also rules to protect a young woman, in particular those who were newly married, from the pollution of a corpse. Although this rule was to protect the woman, in reality its principal purpose was to stop her from becoming a danger to her husband’s aona.

54 Ivaena was the first ritual where women might gain aona from their patrilineal amani or the ama of an ancestor. This was performed the night before a woman was sent to live with her husband’s family (Whitfield, 2011:177-190).

Transumption in the South Fore

55 The term ‘transumption’ for these mortuary practices was first used by Alpers in 1999. It is defined as: « the mortuary practice of consumption of the dead and incorporation of the body of the dead person into the bodies of living relatives, thus helping to free the spirit of the dead. »

56 This practice had deep religious significance for the people of the kuru-affected region and surrounding groups. It was therefore not appropriate to use the term ‘cannibalism’ or even ‘endocannibalism’ for these practices, to which contemporary members of these societies give such good witness, because of the strong negative and derogatory connotations of these terms (Fisher, 2010: 91).

The journey of the auma to kwelanamandi

57 When a man was dying his familiar spirit would come and grieve over him and then die. The family would find a dead snake, lizard or whatever was the dying man’s familiar spirit near their village, and they then knew that the man was about to die. The familiar spirit was the connection between the bagina and the initiated man, and this connection was broken just prior to death.

58 His favourite maternal uncle would open the door to kwelanamandi by exonerating the deceased for any offences he had caused the affines during his life. As death approached a man would tell his relatives that the ancestors had come to accompany him on his journey to the land of the ancestors. To reach kwelanamandi the deceased had to look aggressive, so he could frighten away the wild ghosts, kavugi, and open the road to kwelanamandi. The kavugi inhabited the amani and were omens of death and

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protectors of the road to kwelanamandi. The deceased’s auma was escorted by his ama and kwela, and the ama and kwela of the ancestors, to ensure that it arrived safely.

59 The deceased man’s clothing was hung up inside the clan’s amani ground, as an offering, and the amani asked to assist the auma on its journey to kwelanamandi. A senior man from the family performed this ritual called autavana.

60 During the night after the death an agemate would shoot one of the dead man’s arrows towards the clan’s amani with the deceased’s bow shouting out the name of the clan’s amani. This informed the amani of the death, and requested its help to avenge the death. Firstly, the deceased’s hair was wrapped around the arrow and the arrow was placed in the corpse’s hand. When lit the arrow was guided by the ama of the deceased to the amani.

61 Then the ama was asked to assist finding those responsible for a sorcery-related death, in a ritual called bakana. This soul possession involved the ama of the deceased entering the body of a male family member. The man ate hallucinogenics, performed certain rituals, and as he hyperventilated on tobacco he became possessed by the ama and was able to see the kwela. Once possessed he would explain the cause of death to the other family members. The possessed man followed the kwela, and it showed where the man had died, what had been used to kill him, and who was responsible.

62 After death the auma walked across the bagina and said farewell to it. When it reached the amani, the amani asked why he had died, and after feeding the auma, the amani showed it the road to kwelanamandi. The shadows of whatever was put on the body would go to kwelanamandi with the auma. The shadows of the funeral items were simulacrums of mortuary items that could be used by the deceased in kwelanamandi. After 2-3 days the auma and the escorting ancestors crossed the red river at the entrance to kwelanamandi, and after being welcomed by the ancestors settled on its allocated ground. The deceased’s ama and kwela turned back at the red river, and returned to be with the body.

Sites chosen for the disposal of the body

63 Once the body started to decompose the relatives knew that the auma had entered kwelanamandi and it was time to dispose of the body before the kwela became too dangerous. Traditionally transumption was the most common method of disposal of a corpse in the South Fore, and many of the bodies that were placed in graves, baskets or on raised platforms were later removed and eaten out of love and respect for the deceased. Sepultures were normally next to a bamboo, sugar cane or casuarina grove, as they provided shade and marked the sepulture. They also needed to be far enough from the village to avoid polluting it. There were a few cases when the body was not consumed, such as when the person died of a ‘natural disease’ such as epidemic dysentery, or where the agency responsible for the disease, such as leprosy, was thought to be contagious. A few people requested burial as they wished to be eaten by the land, and an even smaller number wished for their bodies to be placed in a basket or on a bamboo platform in their favourite place. However, these bodies were normally removed and consumed by the women who did not want the body to be subject to the process of decomposition.

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Participation in transumption

64 Ideally, corpses were meant to be eaten by older women who were no longer able to bear children, as their aona was fading. Women with two or more children could participate but were only meant to eat muscle. However, these rules were not enforced and nearly all the females from the age of 3 upwards took part in transumption. There were some prohibitions on newlyweds, but these were removed after the birth of the first child.

65 Boys participated in transumption with their mothers from the age of 3 until they moved to the men’s cult house and became initiates between 6 and 8 years old. Besides the ilevino ritual, initiates and warriors did not participate in transumption. There were a few old men who took part with the women, but this behaviour was frowned upon by the other men.

66 Ilevino was the name of a secret male ritual that involved eating a small piece of the cooked vagina of a dead female relative by an initiate under the supervision of a male warrior. Only a few chosen initiates took part in this ritual in the hope of receiving aona and yesegi that would make them a powerful warrior. Some male warriors with powerful aona and yesegi from the ilevino ritual continued to perform this secret rite throughout their lives.

67 A woman’s sexual organs were regarded as a shameful source of pollution, in the form of menstrual blood, which endangered the whole community. For this reason both adult men and women colluded in trying to hide the truth about sex and sexual reproduction from the unmarried youth and children. Open discussion about birth, menstruation and sex were forbidden subjects, and men never witnessed childbirth or menstruation. It was the duty of an anagra (female affine) to eat the vagina, and the ama might bestow an endowment on her; however, when a man ate a piece of vagina the ama would hopefully endow him to be a great warrior. This was the most powerful endowment a man could receive. When the woman’s ama saw the man’s humility and courage when he ate, it would endow him to become a great warrior.

Rules for claiming and distributing a male body

68 The body of a male belonged to his matrilineal affines, and normally the senior uncle on the matrilineal side claimed the corpse and oversaw its care, transport to the sepulture and disposal. Sometimes the duty fell to another matrilineal uncle that the deceased was particularly close to. If the body was to be disposed of by transumption he would transfer the duties of division, dismemberment and cooking to the senior female anagra, who was normally his wife. He would stay and witness the transumption of the corpse to ensure that the anagra carried out their duties diligently, and to see if there was any behaviour amongst the guests which might indicate their families’ involvement in a sorcery-related death.

69 In the case of a married man there were at least two groups of anagra: one from his deceased’s mother’s family and another from the man’s wife’s family. Ideally, both families came from the same clan, but in reality they were often from different clans.

70 The oldest son’s wife of the deceased man would make a request for part of the body on behalf of the family. This request was not a right, and was made on behalf of the

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daughters-in-law and other women in the family, who were called anatu. Normally, the anatu were given the head and the right arm of the deceased. The arm was symbolic for food, support and protection, and was consumed by the anatu out of respect for the deceased person’s good actions to their family. The head was requested as it was symbolic of the deceased’s individual humanity: the face was the visual aspect of this individuality.

Rules for claiming and distributing a female body

71 If a married woman died her body was claimed by her eldest brother, but this right was transferred to his male cousins who would transfer the right to their wives for the purpose of transumption. Those who had rights in the body of the deceased had also received her bride price. In the distribution of the body the anagra and the anaso (an older woman from the same clan as the deceased, who had married into the deceased’s husband’s clan, and acted as her godmother) had the rights; the senior anatu would request the deceased’s arm, head or both, and the anagra normally agreed. The deceased woman’s daughters who had married out would attend the obsequies with their families and participate in transumption with the anatu.

72 The rights to an unmarried girl belonged to her oldest brother but these rights were transferred to his male cousins who would have received her bride price if she had lived, and they transferred it to their wives if the body was to be disposed of by transumption. This was compensation for not receiving the bride price that would have been received if she had grown old enough to marry, and the corpse was consumed by their wives. The female cousins always claimed the head as that was regarded as the most important part of the body by the family.

73 All the women who had rights to part of the body would receive an equal share. The women held the part that they claimed, marked it with red earth or tied vines around it. Once the body was claimed, and those claims had been mediated by the senior anagra in charge of the obsequy, dismemberment began.

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Picture 1. – Mr Anderson Puwa, community liaison officer for the Papua New Guinea Institute of Medical Research and MRC Prion Unit kuru project, and community leader of Waisa village in the South Fore, overseeing a funeral feast in honour of his deceased uncle, Mr Papane Agaya, in 2006

(picture by J. Whitfield)

The dismemberment and preparation of a male and female body for transumption

74 On arrival at the designated sepulture the body was placed on a bed of wild green vegetables on 2 bark cloths resting on banana leaves. The bed was designed so that none of the body was lost during transumption. The anagra surrounded the top of the body and the female members of the family, if they remained to witness the dismemberment, sat down about a metre away around the lower half of the body. When the body was about to be dismembered the women chased the young children away and told them that if they did not leave the kwela would eat them.

75 The body was not normally dismembered with close family members present, as it was unbearable for them to watch, so the agnates normally moved away when the anagra dismembered the body. An appointed male family member witnessed the transumption, remembered how the body was distributed and ensured that the body was treated properly. The family recorded the first division of the body then other senior women who received parts of the body recorded each subsequent division, so all the women who took part in eating the body would receive correct purification and compensation payments during aindu, aluana and igoghana.

76 The senior anagra in charge would start dismemberment of the body with her bamboo knife. It was believed that when the first drop of blood from the body touched the bagina it welcomed the kwela and ama and comforted them.

77 The body was dismembered by the old anagra: that is, women with grey hair who could no longer bear children. The aona of the older women were already fading, so they were not affected by the pollution of the body. The younger anagra who had rights to part of

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the body would ask the older ones to cut their parts for them. The younger women were not allowed to cut the body as they would be polluted by the blood and this would pose a danger to their husbands’ aona. These men were the warriors who protected the community, and if the pollution reached them through their wives their aona would be damaged, and they would not be able to carry out their defence successfully. Women over the age of sixteen assisted by holding the body during de-limbing. They did not assist for the torso of a man or woman as they were forbidden to see a man’s intestines full of excrement and the genitals of either sex, and this part of the obsequy was hidden from all except the elderly anagra. There were two groups of anagra for a married man, one on each side of the body. When a woman died the women of her patrilineal line dismembered the body. Firstly, they cut off the feet and then filleted the legs. The hands were cut off at the wrist, the arms filleted and the bones removed. The leg bones were cut off and the body sat down on the tapa cloth with the back of the torso downwards. The chest and abdomen were cut open and the intestines removed and given to the widow, who hid them in a bilum full of greens. In the pamusagina the widow received nothing, as they believed that if she ate part of her husband his kwela would remain with her forever. In the atigina the widow had to eat part of the body to help her forget her dead husband, and the internal organs were shared amongst the anagra. A woman’s body was consumed by her patrilineal line and the older women claimed her internal organs and genitals. The older anagra cut the body so that the intestines and genitals remained hidden from the other mourners, and to ensure that this happened they crouched down and made a wall around the body with their bark capes so that the other participants could not see what was happening. The head was then cut off and finally the backbone divided up. As the body was dismembered the person who claimed a particular part took it and put it on a banana leaf plate with a breadfruit leaf on top containing wild ferns. The bones were divided up and placed on top of each pile of meat belonging to the recipients. The daughters-in-law of the anagra, or their own daughters, would assist them in subdividing the meat, so it could be shoved inside the bamboo tubes with wild green vegetables, and once cooked shared with the ename (unrelated female guests who lived in the same or neighbouring villages). Wild green vegetables symbolized that the deceased had departed to another world – to a wild place where he would forget the living.

78 The intestinal contents were emptied into a hole under the fire where the body was to be cooked, while hidden by the capes of the anagra. The gall bladder was also buried under the same fire. The intestines were washed out, cut up, dried on the fire to make them softer, and then stuffed into bamboo tubes with wild green vegetables and spices. Certain women mixed spices in their mouths and then spat them on the meat so that it tasted better. Ginger, traditional salt, and other herbs and spices were used. The body was always cooked in bamboo tubes as it was imperative that the whole body was eaten and if a traditional earth steam oven was used fluids from the body would have seeped into the ground.

Transumption: subdivision and consumption of the corpse

79 The bamboo tubes were placed on the fire, and turned frequently by the women, so the meat cooked evenly over a period of about 20 minutes. Breadfruit and banana leaves were heated on the fire to make them soft by the anagra and their assistants, and then a large plate of banana leaves was made on the ground. Breadfruit leaves were prepared

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to act as separate plates for the distribution of the cooked meat. Each anagra and the anaso would empty half of her tubes’ contents onto the communal leaf plate, the contents of which were given to the other female guests who came to mourn the deceased. The anatu did the same, and half of the tubes that contained the brain were contributed to the communal pile.

80 The body was shared with the female visitors from surrounding villages (ename) who had a connection with the deceased. Piles of food were prepared for women from particular villages or clans and the senior woman from each group controlled the distribution. All the female participants received part of the body as they had come out of sorrow, and the family and affines had to ensure that they were treated well. The intestines, spine, internal organs and genitals were not shared with the ename. When women attended the obsequies, they showed that they and their families were not involved in the death since, if they did not eat, their husbands would have been suspected of being involved in a sorcery-related death. If a woman’s husband had been involved in the death the deceased’s kwela would attack her. This attack often took the form of stomach ache, which was interpreted as the kwela attacking the woman in revenge. Some women relished the opportunity to eat the cooked meat, and had a reputation for this in their communities.

81 The ename were fed from the end of a sharpened piece of bamboo, and the women from the same lineage as the deceased received their meat on a banana or breadfruit leaf and ate with their hands. This protected the ename’s families from the kwela. If the meat touched the woman’s skin the kwela might remain on her skin, and then harm her family if a member had upset the deceased when he was living. The kwela would not harm the women from the family who ate the body as they ate out of love, so they could eat with their fingers from a banana or breadfruit leaf. This ritual showed the ideal group loyalties: those from the same community were trusted and ate with their hands and those from other communities ate from a stick. However, it was also a way of protecting the ename, who were welcome at the feast, from harm.

82 The anagra and anaso shared their meat with their daughters-in-law and their children, their ‘poromeri’ (Tok Pisin for agemates) who supported them at this time, their daughters and their children, and their mothers if they were still alive.

83 If the anatu received an arm, a finger would be given to each of the children of the deceased to eat if they were still small. The fingers were cooked in bamboo with greens and the flesh eaten, and then the bones crushed, cooked with greens in bamboo and eaten. A woman or child might receive an endowment (aona) by eating a parent’s or grandparent’s finger; in this situation the endowment was given by the ama out of respect for the person’s sorrow.

84 In the pamusagina the mother-in-law would eat the dead man’s penis and the senior mother’s brother’s wife would eat the testicles; it was believed that if the younger women ate them they would become ill. The older women might receive an endowment from the ama of the deceased by eating the sexual organs. The brain, sexual organs, spine and internal organs were meant to be eaten by elderly females, but in practice the rules were not enforced. Newly married women from the agnates and affines who took part in transumption received part of the body on a stick, so they did not pollute their husbands.

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85 The mourners ate at the sepulture and when evening approached took their remaining bamboo tubes back to the house of one of the anatu in the women’s area of the hamlet (kami). The tapa cloth used to carry the corpse was put on the ground and breadfruit leaves placed on top before the meat was emptied from the remaining bamboo tubes. The anagra shared the meat on the tapa cloth with the close female relatives who stayed in the mourning house that night.

86 The head was not always eaten with the body, as the family tried to keep it for as long as possible, so they could continue to look at the deceased person’s face. Once the face changed, that is, when it started to decompose, it was eaten as this signaled that the auma had reached kwelanamandi, and from then on only memories would remain. In the morning, the head of a man was taken to the boundary between the kami and the men’s area, and shown to any of the men who wished to see the deceased person’s face for the last time.

87 The head was then placed on wild green vegetables on a large concave stone to retain any fluids. Firstly, the hair was pulled out, and this required little effort. A cut was then made with a bamboo knife from the forehead to the back of the head and the skin peeled off. Next, the jaw and tongue were removed, and then the rest of the skin and meat. A large hole was made in the top of the skull using another stone from a river, and fingers wrapped in greens were pushed into the hole and the brain loosened from the skull. The brain hemispheres, cerebellum and brain stem were then pulled out through the hole. The skull and the broken parts from the cranium were browned by the fire. The brain was mixed with wild green vegetables and put in bamboo tubes. The meat from the skull was shared amongst the anatu and the other women of the deceased’s family. The hair that was not kept to contact the deceased’s ama was burnt and the ashes mixed with greens and cooked in bamboo tubes and eaten. Fluid left in the tubes when the contents were removed was drunk and grease on the hands wiped on the participant’s hair and skin. The brain tissue and meat were cooked separately. Finally, the two stones used to process the skull were taken to the sepulture and placed next to it.

88 Pregnant women rubbed fluids from the cooked body on to their abdomens, and later checked their newborn children for signs that indicated that their babies had inherited a physical feature, such as looks or a birth mark, from the deceased. The ama transformed the baby to have the behavioural mannerisms and general appearance of the deceased. This was an endowment from the ama of the deceased, and was called andagosa.

Ikwaya ana

89 The flesh from the corpse was consumed on the first day and night, and on the following day any remaining flesh was consumed with the bones. The women departed from the widow’s house with the bones, any leftover meat, and bamboo knives and containers used during transumption.

90 The bones were placed by the fire to dry, so they would break into smaller pieces without sharp edges. Then the women crushed them with stones in nase, a wild green vegetable, covered in ikwaya (another wild green vegetable), which had been chewed, so the bone dust stuck to it; the greens were then wrapped up, placed in bamboo tubes,

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and cooked. They were eating a loved one, and the deceased’s ama and kwela witnessed the obsequies, so the body had to be treated with respect.

91 After cooking the bones the women started to eat them, and as evening approached they returned to the mourning house and remained there till transumption of the body was completed. The process of consuming a body could take up to three weeks.

92 An appointed family member watched over the eating of the bones during ikwaya ana to ensure that the rituals were carried out correctly. All the leaves, bamboo containers, knives and anything else used during the mortuary rituals were burnt on fires and the ashes mixed with wild green vegetables and eaten. This ensured that the entire body was eaten, and the deceased became an ancestor. The ashes were prepared in the same manner as the bones.

93 At the end of ikwaya ana the fireplace was covered up with earth and became the temporary sepulture for the ama. The stones used to break the bones were cleaned with banana skins which were then burnt in the fire, and the stones returned to the bamboo grove or sugar cane grove which marked the sepulture.

94 After the body was eaten the anagra felt as though the deceased was within them, and this reduced the grief of the participants. Even though the person had died, he or she was still with the living, and had not yet departed; the souls only departed when the grief had subsided and people had accepted the death. Transumption reduced the grief of the mourners and shortened the mourning period.

95 Once the fireplace was covered up the family would light a small fire by the side of the sepulture in the morning and afternoon. Food and water were placed there as the ama was cold, hungry and thirsty. This started after transumption and continued until aindu.

Mortuary rites following the transumption of the deceased

Isosoana

96 This feast was held after the deceased’s bones were consumed and included the pepatakina ritual. This feast was for all those who grieved and was held in honour of the deceased. Women from the village who were not in the mourning house collected vegetables and prepared an earth oven inside the hamlet of the deceased.

Pepatakina

97 The women left the mourning house in a ritual called pepatakina; this required the use of the leaves from the earth oven used to prepare isosoana, a feast of vegetables, some of which were prepared for the women when they came out of the mourning house. The cooked leaves were placed on the ground from the entrance of the mourning house to the piles of food for the women who had consumed the body. When the women walked on the leaves the steam purified their bodies. The next day the women started to prepare for aindu as pepatakina freed them to move around the kami -- except for the widow, who remained at the back of her house.

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Aindu

98 Aindu was the name of the second purification ritual after the completion of transumption. This ritual was normally performed three days after isosoana to remove the pollution from those who had taken part in transumption. The ritual freed the participants to carry out normal domestic duties again, such as gardening, and most importantly allowed them to engage in activities to assist the obsequies. The women collected wild and domestic green vegetables and hunted garden rats, and the men hunted tree kangaroos, possums and wild pigs. Everything was taken to the kami where the women gutted the animals and placed them on the fire in the mourning house. The burning fur and fat gave off a strong smell that purified the kami. The women then purified themselves by rubbing the carcasses over their bodies, grass skirts and bark capes. Finally, the women cooked the carcasses in bamboo tubes and ate them. If a bark cape was used to carry human meat it too was purified. Sometimes children took part in aindu, but it was not as important for them to be purified as they did not possess aona. This ritual purified the bodies of the participants of transumption and the village, and ensured that the whole body was consumed.

Kavunda

99 Isosoana marked the start of kavunda, the grieving period. When grass started to appear on the grave it signalled the end of kavunda and the family then started to prepare for aluana. Kavunda meant ‘eating of wild greens’. It lasted for one or two months when the mourning was still intense, and friends and relatives continued to visit the grieving family. The anatu collected vegetables from their gardens in the village and continued to feed the guests, and when the garden foods were finished they collected wild ferns, sweet potato leaves and grasses. Every few days a steam oven was prepared full of sweet potatoes to feed the family and guests, and visiting male relatives brought wild meat to bolster the mourners’ diet. During the night the mourners sang and expressed their grief.

100 The stems of the consumed wild plants were heaped in a pile, and at the feast called aluana, which marked the end of kavunda, they were burnt. During forays into the forest to collect wild green vegetables, edible plants that the deceased had seen or touched were collected, cooked and eaten. By eating items connected to the deceased the mourners remembered their loved one and this helped them to overcome their grief.

Aluana

101 Aluana was the last feast to remove pollution from the mourners (except the widow) and consisted of wild meat presentations. Sometimes a domestic pig was added to thank the affines for consuming the body. Normally, the feast took place a couple of months after the body was consumed, and marked the end of kavunda and the public mourning of the community.

102 The men hunted possums, wild pigs, cassowaries and eels, whilst the women and children hunted rats and collected grubs. The food was presented to all the women who had participated in the transumption of the body.

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103 At the end of aluana the kwela departed from the temporary sepultures, which were the bodies of the anagra, and joined the ama at the sepulture, which was the fireplace where the body was cooked. After aluana the women were free of pollution and able to concentrate on preparing gardens and raising pigs for agona and igoghana. It was a tremendous relief for the anagra when the kwela departed from their bodies. However, close family members continued to mourn the loss of their loved one, and the widow remained in mourning and under certain prohibitions until after agona.

Igoghana

104 Igoghana often required the rearing of pigs, so it took place two years after transumption when pigs had been specifically raised. Igoghana consisted of presentations of cooked pigs and vegetables given to the families of those who consumed the body, as a payment for the service of eating something that was not meant to be eaten (the body was a source of pollution and not meant to be consumed). The payment was made to the senior males of the families who had participated in transumption, and not to their wives.

Agona

105 Preparations for agona took between two and three years, as it required ten to twenty- five pigs depending on the importance of the deceased. This payment was for the matrilineal blood that allowed the patrilineal line to reproduce and continue. The payment was known as ‘head pay’ and consisted of: bows, arrows, headdresses, crops, salt, toea shells, stone axes, and cooked and live pigs. These items were not equivalent to the life of a person, but a means of thanking the affines. It is important to recognize that this redress were never equivalent to the loss of a loved one for the family. It was a material apology, and the aggrieved family did not privately forget, or forgive the perpetrators. All the affines received part of the agona payment, and other participants who had various rights received small payments of food.

106 The kwela and ama were told by the mourners that life was much better in kwelanamandi with their ancestors, and told to depart. Firstly, they said goodbye to the bagina, then ate with the amani and continued on the road to kwelanamandi. The shadows of all the food and items used at the mortuary feasts went with the kwela and ama to kwelanamandi. After agona the family was sad, as the deceased had finally departed forever. Once the kwela and ama arrived in kwelanamandi they were reunited with the auma, and the deceased was reborn as an ancestor. The shadows of all the food and goods used during the mortuary rituals allowed the deceased to prepare a feast for the ancestors.

Conclusion

107 The person’s connection to the cosmos was made apparent at birth and death. The South Fore understood the conception of the person, composed of patrilineal and matrilineal humors brought together, as the result of social and biological processes. The transumption of the physical body and the departure of the souls followed Hertz’s

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theory of secondary burial . Detailed ethnographic descriptions of South Fore mortuary rites proved fruitful in eliciting an indigenous understanding of personhood.

108 However, the ethnographic data also highlighted the conundrum facing Stewart and Strathern (2001) in understanding indigenous concepts of noman amongst the Melpa and their neighbours. To understand the meaning of the 5 souls of the South Fore it was necessary to contextualize them within the cosmos. Single words or phrases were inadequate to describe such entities. Indeed, the kwela changed from a soul with ghost- like behavior to a benign soul by the end of the mortuary rituals. The South Fore gave different descriptions for the auma. The aona could take multiple forms, such as a plant or animal familiar spirit, and was also described as a person’s abilities in combination with yesegi.

109 The humors of the body were divided into the bones, and the flesh and blood. Their soul counterparts were the ama, which represented social ideals of behavior, including exchange and reciprocity, and the ambiguous kwela. Yesegi was found on a person’s skin, and the aona in the body. Only after death was the person reconstituted as a socially ideal person, in the form of pure patrilineal substance, as an ancestor. For this to happen, the kwela, which was initially ghost-like in its behaviour, had to be purified of matrilineal blood and flesh that manifested from the putrid substances of decomposition to become a patrilineal soul formed only of patrilineal blood. Once transformed, the souls of the deceased returned to the amani, from whom they originated, and finally to the bagina, the creator, when they entered kwelanamandi. This cosmology allowed for a number of ways to dispose of the deceased, including platforms, baskets, burial and transumption, all of which achieved the same end results, and precluded the consumption of enemies within the same cosmological context.

110 The very notion of cosmos as described by Stewart and Strathern (2001:145-146) flowed through the embodied South Fore person. The souls and humors of the person came from the bagina via the amani, and all were returned to the bagina at death. The South Fore cosmology was written into the landscape and both were part of an overarching cosmos that covered the relationships between its inhabitants, and between the inhabitants and their living environment, in this case the bagina and its metaphysical creations. It was from locales in the landscape, which were sites of mythological events, that power emanated and penetrated a person’s personal space (Weiner, 1983).

111 People were hubs of wider relationships and the souls and humors of a deceased person carried influence and power during mortuary exchanges, which came from the truth that was written into the landscape. This power flowed, in mediated and unmediated exchange, in the objects and humors of the deceased. The correct performance of the mortuary rituals was rewarded with endowments and assistance from the ama, and the incorrect was punishable by the kwela. The deceased’s aona and yesegi were inherited by their children. Bones and objects, such as bows or arrows, that belonged to the deceased maintained a connection to the ama and acted as talismans. The correct performance of the rituals was the way of the ancestors and expressed the power of truth.

112 Embodied persons were part of the cosmos and linked in both moral and physical terms through their souls and humors. This meant that a person’s social interactions were informed by ideas of cosmology, morality, ancestrality, mythology and power that emanated from the landscape, as part of an overall cosmos. Culturally approved

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behaviour followed the way of the ancestors, and thus contained their power of speech. This meant that all social acts contained the power of truth if performed within a group’s culturally prescribed norms of correct behaviour. A person’s auma was evident in their moral behaviour, aona in their abiltites, such as dividing food at a mortuary feast, and yesegi in a warrior’s abilities when the community needed defending. When people failed to abide by the way of the ancestors they were punished by the bagina, or the kwela during mortuary rites.

113 In the South Fore the embodied person was perceived as an individual composed of humors and souls which were imbued with the power of truth, which emanated from their cosmology and landscape, as part of an overarching cosmos. At death the embodied souls separated from the humors and yet remained linked to them for the duration of the mortuary rites and beyond, revealing the partible person and South Fore concepts of personhood.

ABSTRACTS

Ethnographic studies on Melanesian concepts of the human body and religion have expanded our understandings of the concept of personhood. Melanesian ethnographers have used a number of descriptive words to describe the metaphysical components of the person, including: soul, spirit, life force, ghost, and vital and spiritual essence. By investigating the traditional mortuary rites of the South Fore people in Papua New Guinea, which included the practice of endocannibalism, investigators were able to distinguish the 5 souls of the composite metaphysical person and their relationship to the humors of the body. An understanding of the South Fore cosmology and its relationship to its human inhabitants was required to understand these deeply embedded concepts. The South Fore person was found to be composed of 5 souls and bodily humors which together formed a composite individual, yet partible through division. We elucidated the concepts of the 5 souls of the Fore person, which revealed a strong correlation between the landscape with its overlying cosmology and the cultural bodily humors, and demonstrated their relationship to the power of the land.

Les études ethnographiques sur les concepts mélanésiens du corps humain et la religion ont élargi notre compréhension de la notion de personnalité. Les ethnographes mélanésiens ont utilisé un certain nombre de mots descriptifs pour décrire les composants métaphysiques de la personne, y compris l'âme, l'esprit, la force de vie, le fantôme et l'essence vitale et spirituelle. En enquêtant sur les rites funéraires traditionnels du peuple du Sud Fore (PNG), avec une pratique de l’endocannibalisme, les enquêteurs ont été en mesure de distinguer les cinq âmes de la personne métaphysique composite et leur relation avec les humeurs du corps. Une bonne compréhension de la cosmologie du Sud Fore et sa relation avec ses habitants humains ont été nécessaires pour comprendre ces concepts profondément ancrés. La personne du Sud Fore est donc composée de cinq âmes et humeurs corporelles qui, ensemble, forment un individu composite, encore divisible. Ici est donc élucidé le concept des cinq âmes de la personne Fore, qui révèle une forte corrélation entre le paysage avec sa cosmologie sus-jacente et les humeurs corporelles culturelles, et la preuve de leur relation à la puissance de la terre.

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INDEX

Mots-clés: personnalité, âme, rites mortuaires, Sud Fore, cannibalisme Keywords: personhood, soul, mortuary rites, South Fore, cannibalism

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Miscellanées

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Feux croisés sur les arts des îles Salomon À propos de deux expositions récentes et de leur catalogue

Gilles Bounoure

1 À Canberra et à Paris, le public aura pu voir à peu d’années d’intervalle deux expositions importantes sur les arts anciens des îles Salomon, entreprises notables en raison du peu de manifestations consacrées jusqu’à présent à cet ensemble de cultures, mais aussi du fait de leurs mérites respectifs qu’il importait de relever. Croisant leurs faisceaux à la façon des phares côtiers et se différenciant comme eux par leur secteur angulaire et leur portée, l’une et l’autre auront marqué leurs zones propres d’ombres et de lumières. Une fois délimitées et mises bout à bout, ces zones pourraient aider à concevoir un panorama plus complet de ces expressions artistiques, demeurées méconnues dans leur détail et énigmatiques pour beaucoup d’entre elles. À côté de sources anciennes à mieux exploiter, ce panorama aurait à prendre en compte les

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préoccupations des Salomonais d’aujourd’hui dont aucune de ces manifestations n’a tenté de se faire l’écho, pour de probables raisons de prudence à mesurer elles aussi.

Art ou arts ?

2 De ces deux expositions, « Varilaku : Pacific arts from the Solomon Islands », présentée à la National Gallery of Australia du 24 février au 29 mai 2011, et « L’éclat des ombres. L’art en noir et blanc des îles Salomon », au musée du quai Branly du 18 novembre 2014 au 1er février 2015, le rédacteur de ces lignes n’a pu voir que la seconde, très ingénieusement disposée dans l’espace contraignant de la « Mezzanine Est » de ce bâtiment1. Pour celle de Canberra dont ne sera décrit ici que le catalogue, la presse australienne a livré d’assez longs comptes rendus (par exemple sous les plumes de Siobhan Heanue et d’Helen Musa, 2011), soulignant que c’était la première manifestation jamais consacrée à ces arts dans un musée de ce pays, commentaire valant aussi pour l’exposition parisienne. Si l’on excepte la présentation permanente du British Museum « The Solomon Islanders » conçue par Bryan A.L. Cranstone et Dorota Starzecka, visible du 31 mai 1974 au 23 juin 1985, avec une publication qui fut longtemps la seule en ce domaine (Starzecka 1974), ces arts n’ont donné lieu qu’à un très petit nombre d’initiatives d’institutions publiques.

3 Parmi elles on citera le Burke Museum de Seattle présentant entre août 2008 et juillet 2009 sous le titre « From the Solomon Islands 1928-30 » la petite collection récoltée sur place par l’ornithologue Walter J. Eyerdam, membre de la Whitney South Seas Expedition lancée par l’American Museum of Natural History, léguée au musée par ses descendants, le musée national d’Honiara renouvelant ses vitrines et son parcours à l’occasion du 11e Festival of Pacific Arts de 2012 et y ajoutant en 2014 une exposition intitulée « Black Birding. The Queensland-Pacific Indentured Labour Trade and Australian South Sea Islanders », l’Ayers House Museum d’Adelaide organisant au printemps 2013, sous le titre « Art Treasures from Solomon Islands » une exposition réunissant les membres de l’Artists’Association of Solomon Islands constituée à la faveur du festival précité, initiatives récentes que complètent les expositions de Canberra et de Paris évoquées ici.

4 Elles se distinguent d’abord par leur titre, le premier paraissant annoncer des arts divers dont le second semble au contraire affirmer l’unité, même si l’un et l’autre mêlent habilement le pluriel et le singulier. Indépendamment des soucis de communication ayant pu présider à leur choix, cette divergence traduit une difficulté presque constante dans l’appréhension, l’analyse et la présentation des arts océaniens, mélanésiens surtout. D’une proximité ou d’une contiguïté géographique et d’une histoire coloniale largement partagée, n’est-ce pas une pétition de principe que de déduire une homogénéité d’expression artistique entre des sociétés souvent en conflit les unes avec les autres et dont beaucoup d’objets marquaient la singularité ? Dans le cas des îles Salomon, où les premiers découvreurs espagnols étaient venus chercher les bords d’un continent inconnu avant d’en explorer les détroits et d’y reconnaître un archipel, ne serait-ce pas revenir à la même illusion que de vouloir y trouver une continuité artistique dont font douter aussi bien les distances que des disparités de langue, de mœurs et de style observables parfois à l’intérieur d’une même île ?

5 Il n’est pas inutile d’examiner comment les meilleurs spécialistes des décennies passées ont abordé cette difficulté, se référant souvent à une partition entre trois aires

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stylistiques déjà classique en leur temps, et sur laquelle on reviendra. Selon Tibor Bodrogi (1959 : 22-23), « the Solomon Islands […] form a separate style province [with] three cultural districts. Well-developed initiation rites are the salient feature of the western group, head hunting is characteristic of the central islands, while totemism and the belief in powerful marine spirtis is typical of the eastern islands. Each of the different cultural traits has given rise to corresponding works of art and caused the development of different forms and functions ; nevertheless, the use of identical media and the ressemblance between the decorative elements lends a uniform character to the art of the Solomon Islands. » Alfred Bühler (1962 : 142 et 147) écrivait d’abord : « Malgré les différences culturelles profondes, les formes d’art de ce groupe d’îles peuvent être comprises en une seule province à style caractéristique. » Mais il concluait à quelques pages de distance : « Les îles Salomon constituent une région sans unité stylistique. »

6 En quelques mots, Gerd Koch (1969 : 87) formulait l’hypothèse d’une diversification des arts de l’archipel au cours des âges : « eine Vielfalt unterschiedlicher Lokalkulturen existierte, die jedoch offensichtlich von einer gemeinsamen Basis entwickelt waren. »

7 Carl A. Schmitz (1971 : 249 et 251) estimait plus simplement : « apart from [some] variations, the entire area exhibits the same basic stylistic features », autorisant à parler de « basic Solomon Islands style ».

8 Pour D. Starckeza (1974 : 40-42), « the great cultural diversity of the Solomons is reflected in the art of the islands but there are certain underlying similarities of style and decorative motifs. Certain characteristics are common to the whole region: both two-dimensional and three-dimensional représentations occur; large figure are relatively inusual; the importanced of the head in human figure representations is emphasised by its size or its style […]. Solomon Islands art has an inusually highly developed sense of form and combines vigour and intensity with elegance… »

9 Aux yeux de Douglas Newton (1979 : 50), « the first impression given by Solomon Islands art is that it is dramatic, elegant and curiously luxurious. This is due mainly to the predominance of black as an overall color, with very minor highlights in red and small linear patterns in white. »

10 À ceux de Waldemar Stöhr (1987 : 205), « Die Kunst der Solomonen hat […] ein ziemlich einheitliches Gepräge », c’est-à-dire un caractère relativement homogène. Plus récemment, Christian Kaufmann (1993 : 559) en traitait lui aussi comme d’une unité : « L’art des îles Salomon (y compris celui des îles Santa Cruz) est dominé par le contraste entre une forme proche de la vie, très élaborée, et une “dénaturation” des surfaces par un fin revêtement d’une couleur noire à base de résine, souvent incrusté de fragments de nacre. »

11 Enfin, pour Deborah Waite (2011 : 34), l’unité de ces arts tiendrait à l’omniprésence de la figuration humaine et de son « langage corporel » : « Here, all the images – or figures – can be described as anthropomorphic in that they have human-like heads, limbs and torsos, but exactly what they represent varies. Some may connote the presence of ancestral or non-human spirits. Other are intended to capture the essence of living people. And one should be able to tell the difference. A proces of visual coding has long been at work among artists throughout the Solomon Islands. »

12 Ni la similarité de matériaux et de techniques (dont certaines se retrouvent ailleurs, comme dans l’archipel de l’Amirauté) ni l’histoire « maritime et coloniale » à laquelle

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elles doivent leur nom ne suffisant à faire des îles Salomon une « province stylistique », il faut ainsi en chercher les indices dans des parentés de goûts, de sentiments, de sensations ou de postures reliant les insulaires à distance et autorisant entre eux des échanges qui ne furent pas constamment belliqueux. Au-delà de leurs discordances, les titres des deux expositions en posent l’un et l’autre le principe. Comme l’explique le maître d’œuvre de la première, Crispin Howarth, dans l’introduction du catalogue (2011 :22), varilaku est un terme de la lagune de Marovo désignant la qualité nécessaire à la chasse aux têtes, la témérité – c’est aussi, ajoutera-t-on, le nom, ironique ou non, d’un lieu-dit de Roviana d’où partaient les expéditions contre Marovo (Gina 2003 : 2, Liligeto 2006 : 59-61) – avec cela que cette chasse toucha surtout le centre de l’archipel et ne peut guère caractériser ses extrémités est et ouest. Le titre de l’exposition parisienne reprenait celui d’un récent article de Sandra Revolon, commissaire de cette manifestation au côté de Magali Mélandri, à propos de l’usage des nacres et de leurs irisations magiques, censées « imiter la nature pour reproduire le monde » (Mélandri et Revolon 2014 : 149, Revolon 2012), analyse à l’évidence fondée pour beaucoup d’objets des îles du centre et de l’est, moins opérante pour ceux, non moins nombreux, surtout dans les îles occidentales, dépourvus de ces inclusions de nacre.

13 Malgré leurs efforts respectifs, aucune des deux expositions ne pouvait aborder de front cette épineuse question de l’unité des expressions plastiques de l’archipel, puisque ni l’une ni l’autre n’en livraient un aperçu suffisamment représentatif. Celle de Canberra s’attachait aux îles Salomon d’avant leur partition coloniale de 1899, telle que les représentait par exemple la carte servant de frontispice au livre de Guppy (1887), courant de Buka à Santa Ana, et plaçant encore Santa Isabel, Choiseul et les Shortland « under German influence ». Forte d’une soixantaine d’objets, elle ne faisait aucune mention des « enclaves polynésiennes » aujourd’hui rattachées à l’archipel, ni même de la province de Temotu (Santa Cruz, Tikopia et Vanikoro principalement), toutes absentes de la carte ouvrant le catalogue. Rassemblant deux cents œuvres et documents (certains seulement dans le catalogue, d’autres présentés mais non reproduits), l’exposition parisienne comportait quant à elle des objets de Rennell, Bellona et des Santa Cruz, faciles à situer sur la « carte linguistique des îles Salomon » illustrant l’excellent article consacré par Angela Terrill aux « langues des îles Salomon, reflets des interactions sociales », carte s’arrêtant – et la sélection d’objets aussi – à une « Papouasie Nouvelle-Guinée » laissée en blanc au nord-ouest de la frontière de 1899, comme si ni Bougainville ni Buka n’avaient eu d’importance dans l’histoire des arts salomonais2. C’était du même coup priver le public du gros millier de spécimens de ces îles conservé au musée du quai Branly et sur lequel Nicolas Garnier a récemment rédigé une très remarquable et utile « note de recherche » (2013), et omettre un des trois « cultural districts » acceptés par la plupart des spécialistes précités. Si cette manifestation avait eu, comme il arrive dans ce musée, un caractère diplomatique impliquant les autorités d’Honiara, cette sélection d’objets limitée aux frontières politiques actuelles y aurait trouvé sa justification, mais tel n’était pas le cas. Dans leur introduction, M. Mélandri et S. Revolon n’explicitent nulle part leur choix, et les lecteurs peuvent s’étonner de se voir rappeler, dans l’exposé de Peter Sheppard qui suit, qu’à la faveur du dernier maximum glaciaire, « théoriquement toutes accessibles à pied, les îles principales de Buka à Guadalcanal ont pu être occupées dès le pléistocène supérieur » offrant ainsi un continuum à prendre en compte, au moins du point de vue de l’archéologie, mais aussi pour l’étude des arts et des techniques de date plus récente.

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Éclairages et zones d’ombre

14 S’agissant d’arts, on signalera d’abord la belle attention portée aux objets par chacun de ces catalogues, avec d’abondantes photographies en pleine page, maints détails montrés plus grands que nature venant conforter ce sentiment de « luxe » et d’« élégance » mis en avant par D. Newton et D. Starzecka, et des textes s’attachant principalement à replacer les œuvres dans leur contexte. Dans Varilaku, outre la contribution précitée de D. Waite sur le « langage corporel » et un avant-propos de David Attenborough rappelant qu’à côté de la réputation de raffinement et de férocité faite aux Salomonais par les Occidentaux, les combats de la guerre du Pacifique, à Guadalcanal et ailleurs, ont montré de quoi étaient capables ces derniers dans les mêmes registres, on trouvera, sous la signature de Cr. Howarth, une introduction générale (« Land, People and spiritual Environment », pp. 12-31) ne cachant rien des exactions coloniales, et un catalogue thématique, envisageant successivement les sculptures anthropomorphes (« Bodies, abstraction and realism », pp. 48-63), les parures et les ornements de prestige (« Objects of Authority, Enhancement and Enchantment », pp. 64-85), les objets à caractère sacré ou magique (« Objects of contained Power », pp. 86-93), et pour finir, les figures de proue et les autres sculptures liées à la navigation et aux hangars à canots, à leur décoration et à leurs reliques (« Beyond Control : Sea, Air and Spirit Beings », pp. 94-119).

15 À l’exception de deux d’entre elles et de quelques photographies anciennes en mains privées, toutes les œuvres retenues provenaient d’institutions publiques australiennes, et beaucoup n’avaient jamais été reproduites ou publiées avec tant de soin. Parmi les pièces inédites, généralement de grande qualité, il faut mentionner la longue planche ornementée (2,56 m), provenant sans doute d’une maison des hommes de Buka, retrouvée par Cr. Howarth dans les réserves d’un musée tasmanien, objet sans équivalent dans les collections publiques d’Australie sinon d’ailleurs. Les légendes précisant toujours les dates de collecte ou d’entrée dans les catalogues permettent de distinguer les acquisitions anciennes des plus récentes, judicieux principe évitant d’avancer des datations « impressionnistes » impossibles à vérifier du fait des matériaux mis en œuvre : on ne peut présenter tel brassard de Makira en fossile de bénitier acquis en 1892 par le musée Victoria de Melbourne (p. 11 et 65) que comme antérieur à cette date, sa datation géologique n’étant ici d’aucun intérêt et les techniques de fabrication échappant à toute chronologie précise. Certains achats récents de la National Gallery of Australia complètent les connaissances en matière de circulation des objets sur le marché. Ainsi, le poteau de hangar à canots de Santa Ana présentant deux personnages superposés (p. 112), acquis en 2006, provient de la même « collecte » qu’une pièce figurant dans l’exposition parisienne (n° 78, p. 171), elle aussi passée entre les mains du marchand parisien Charles Ratton, après celles de son concurrent et ami Ernest Ascher, les deux sculptures ayant été très probablement achetées sur place par le « chercheur indépendant » et photographe Hugo Adolf Bernatzik (1936 : 6) durant son séjour de 1932 chez le « roi blanc » de l’île Henry Küper. Ces deux poteaux furent du reste identiquement raccourcis à Paris, à la demande du même Ratton.

16 On ne peut s’attarder ici sur l’excellente sélection d’objets opérée par Cr. Howarth, y compris pour des œuvres « naturalistes » tardives, qu’on dirait volontiers « de

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commande » ou « d’art colon », mais dont D. Waite (p. 39 sq.) et lui-même défendent l’intérêt, voire le caractère traditionnel, et sur certaines desquelles N. Garnier, dans la « note » précitée (2013 : 17, à propos du sculpteur Genu), ajoute d’utiles compléments. Marquant un égal souci de qualité, les objets rassemblés dans l’exposition parisienne provenaient pour un tiers (44) de collections publiques françaises, et pour le reste de musées étrangers et de prêteurs privés, marchands ou non, « provenances » trop diverses pour proposer mieux, dans les légendes, que des datations conjecturales. L’Éclat des ombres, le catalogue qui les présente, réunit une trentaine de contributions de taille et d’ambition variées, impossibles à énumérer dans ces colonnes, mais dont la liste des signataires, à compléter des noms précités, suggère tout le sérieux et l’importance : David Akin, Ben Burt, Christian Coiffier, Pei-yi Guo, Edvard Hviding, Christine Jourdan, Jari Kupiainen, Géraldine Le Roux, Pierre Maranda, Michael W. Scott, Tim Thomas, D. Waite, Goeffrey M. White, Johanna Whiteley, soit nombre de spécialistes réputés des cultures de l’archipel et de leurs arts.

17 Hormis l’introduction, les articles de P. Sheppard, d’A. Terrill et l’essai historique de D. Akin et G. M. White sur « les artefacts de la guerre, art, échange et politique pendant la Seconde Guerre mondiale » qui ont une portée générale, la plupart des textes se concentrent sur l’étude des îles orientales (Malaita, Makira, Santa Ana) et de la Nouvelle-Géorgie et de ses environs, reflétant l’état lacunaire des connaissances actuelles et la concentration des chercheurs sur des « cultural districts » déjà assez bien explorés. Deux brefs articles de J. Whiteley sont consacrés à des objets de Santa Isabel, J. Kupiainen consacre deux développements à Rennell et Bellona, un autre plus bref, dû à G. Le Roux, s’attache aux monnaies de plumes de Santa Cruz, aucun n’évoque les arts de Choiseul pourtant représentés au catalogue par deux objets, et la sculpture de Guadalcanal est illustrée par deux « porteuses de coupe », sans commentaire explicatif (voir ci-après celle dont le musée du quai Branly a aimablement autorisé la reproduction dans le JSO), tandis que les sociétés de cette île ne se trouvent mentionnées qu’à propos de cuisine, dans le texte que consacre Chr. Jourdan aux « cultures alimentaires » du centre et de l’est de l’archipel.

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Figure 1. – « Bol cariatide. Île de Guadalcanal, côte nord. Fin du XIXe siècle. Bois teinté (Alstonia scholaris), nacre, résine, graines 64 x 26 x 22 cm. Legs Édouard-Victor Saint-Paul. Musée du quai Branly, inv. 71.1977.42.1 »

(© Courtesy musée du quai Branly)

18 Si l’histoire des arts, et même l’ethnologie, des îles Salomon comptent d’importantes « zones grises », il subsiste sur certaines d’entre elles quelques lueurs fournies par les vieilles explorations occidentales, méritant au moins d’être rappelées au public de ce pays-ci. Le temps n’est plus où un rédacteur des Cahiers coloniaux de 1889 (Mager 1889 : 301-302) pouvait s’écrier : « Les îles Salomon sont françaises par leur nom, françaises par leur histoire. […] Le 31 janvier 1887, les journaux de Paris, le National entre autres, publièrent cette information officieuse : “Une note diplomatique affirmant les droits de la France sur l’archipel Salomon a été remise à l’Allemagne.” Devons-nous renoncer à tout jamais au groupe septentrional, à la baie de Choiseul, au port Praslin, à la baie de Mille Vaisseaux située (sic) sur les côtes des îles Choiseul et Isabelle ? Pourquoi ne pas prendre possession des trois îles méridionales : Malaïta, Guadalcanar, Saint- Christophe, qui sont restées en dehors de la sphère d’action que l’Allemagne s’est assignée ? »

19 Parmi les arguments énumérés par ce rédacteur – par exemple, nourrir la Nouvelle- Calédonie dont les îles Salomon seraient « le salut », et « grâce à leur fertilité », également « le grenier » – l’un des moins discutables est qu’elles furent : « baptisées et explorées par des navigateurs français, par Bougainville, Surville, d’Entrecasteaux, Dumont d’Urville. »

20 L’exposition parisienne réunissait quelques pièces collectées par l’équipage de ce dernier, passé à Malaita et à Santa Isabel en novembre 1838, mais présentées de façon quelque peu disparate. Était attribué à ce voyage un « avant de pirogue » conservé au musée national de la Marine (n° 65 du catalogue, p. 137, inv. 39 EX 7, ce même musée

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possédant un autre spécimen de même origine, 39 EX 6, très érodé mais avec un personnage aux mains levées à mettre en relation avec l’analyse que fait D. Waite des boucliers offrant cette posture dans le catalogue de Canberra, p. 41, ou encore avec le bouclier du musée du quai Branly, inv. 70.2003.4.1, p. 142), évidemment collecté à Santa Isabel, le catalogue ne le signalant pas. Tel était également le cas du pendentif en conus (Musée du quai Branly inv. 72.56.193, non reproduit) et d’un autre en tridacne et fibres végétales teintées (Musée du quai Branly, inv. 72.56.196, n° 90 du catalogue, p. 190), eux aussi à restituer à Santa Isabel, pour des raisons qu’on verra plus loin. À l’inverse, un étui à chaux en bambou gravé (musée du quai Branly inv. 72.56.169, n° 79 du catalogue, p. 176) est justement donné comme de la même île, sans autre indication, alors que la base de données du musée attribue à la même circumnavigation sa collecte, celle d’un autre spécimen très proche (72.56.168.1-2, ne provenant manifestement pas de Vanikoro), et d’une petite dizaine d’objets témoignant du passage de L’Astrolabe et de La Zélée sur ces côtes des îles Salomon. Des pièces analogues sont conservées dans plusieurs musées régionaux, dans le Nord de la France en particulier (S. Jacquemin, 1997 : 46-47), et une vitrine n’aurait pas été de trop pour signaler l’intérêt de cette collecte.

21 En même temps que se préparait ou que se tenait cette exposition du musée du quai Branly, des antiquaires spécialisés de la place de Paris proposaient des objets acquis sur les mêmes rivages par l’ingénieur hydrographe de l’expédition, Adrien Vincendon- Dumoulin, ensuite conservés dans la résidence familiale, puis dispersés en vente publique en mai 2003 (Gros-Delettrez 2003). L’un de ces antiquaires avait quelque raison de présenter ensuite une figure de proue nguzunguzu issue de cette vieille collection comme « one of the earliest examples ever collected by European explorators. » (Meyer, 2011, n° 3)

22 Haut de 22 cm, cet objet provient très probablement de Santa Isabel, la dernière île de l’archipel où aient accosté ces navigateurs. Ces exemples, auxquels on pourrait ajouter des dizaines d’autres, suggèrent qu’en France la situation de « dispersion » et de défaut d’« investigation » des collections historiques océaniennes jadis constatée par Marie- Charlotte Laroche (1945 : 53 sur les collections « Dumont d’Urville ») il y a 70 ans a laissé de profondes séquelles, en dépit des efforts récents pour y remédier. Du même point de vue, on peut regretter que, malgré l’abondance et la précision de leurs observations faites à terre, et jusqu’à l’intérieur des maisons cérémonielles, les récits publiés de la même expédition (Dumont d’Urville [Vincendon-Dumoulin et a.] 1843 : 21-87, 104-113, 295-304), sans parler de versions inédites pouvant mériter l’impression, n’ont jusqu’à présent donné lieu à aucune étude du point de vue de l’ethnographie ou de l’histoire des arts des îles Salomon, pour les confronter aux objets subsistant aujourd’hui de ce périple.

23 Quoique Dumont d’Urville ait écrit lui-même (1835 : II, 155) que l’expédition de Surville, qui fit escale en octobre 1769 à Santa Isabel, avait rapporté « les seuls documents un peu étendus que l’on possède » sur l’archipel, ses officiers la créditant plus tard d’avoir légué « sur ces îles les notions les plus complètes que nous en ayons » (1843 : 100), le périple qui mena le Saint-Jean Baptiste de Pondichéry à Callao, le faisant s’arrêter notamment aux îles Salomon et à l’extrême nord de la Nouvelle-Zélande – quelques jours après la première visite de Cook –, n’est pas mentionné dans le texte du catalogue, le nom du navigateur ne figurant que sur la carte de Fleurieu (1790) reproduite pp. 46-47. De cette expédition secrète, mêlant missions d’exploration, de

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renseignement et de commerce interlope – avec l’appui discret de Choiseul, secrétaire d’État à la marine, et de la haute banque, la famille Law de Lauriston en particulier – subsistent les copies d’au moins quatre journaux de voyage différents en français, certains accompagnés de dessins, et des versions en castillan, destinées à obtenir des autorités espagnoles la mainlevée sur le navire dont elles avaient ordonné la saisie au Chili (Kelly, 1967). Ces mêmes autorités s’alarmèrent tellement des menées françaises venues à leur connaissance qu’elles lancèrent aussitôt une de leurs dernières missions d’exploration, celle du San Lorenzo (Corney, 1903 : XLI sq.).

Figure 2. – Claret de Fleurieu, Découvertes des François en 1768 et 1769 au Sud-Est de la Nouvelle Guinée… 1790, planche VII

(© archives de l’auteur)

24 Les apports des circumnavigations concomitantes de Bougainville et de Cook rejetèrent dans l’ombre celle de Surville, dénuée de prétention scientifique et fâcheusement conclue par la mort du capitaine et de son « invité » maori aux abords du Chili, puis l’immobilisation du navire pendant trois ans (1770-1773). Il fallut attendre une décennie de plus pour voir publiés les premiers extraits de journaux, en appendice de ceux du périple de Marion Dufresne (Rochon, 1783 : 251-290), dans un contexte de tension franco-britannique lié à la guerre d’Indépendance américaine déterminant quelques années plus tard la publication d’extraits plus amples, à l’appui de revendications territoriales sans détour (Claret de Fleurieu 1790 : 93-154, Laborde 1791 : II, avertissement 42-62, texte 1-115). Plus de deux siècles s’écouleront avant la première édition intégrale en français de l’un de ces journaux, celui du lieutenant Pottier de l’Horme (Morgat, 2004), suivie peu après par une évocation assez sommaire de ce voyage due à l’historien néo-zélandais (Dunmore, 2008) l’ayant pourtant le plus précisément étudié (Dunmore, 1981).

25 C’est encore en Nouvelle-Zélande, voilà un siècle (McNab, 1914), que fut traduit et commenté un autre de ces journaux, celui de Pierre Monneron, subrécargue du Saint-

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Jean Baptiste et écrivain du bord, lié aux Choiseul et à la haute banque, chargé des missions secrètes et des négociations avec les autorités espagnoles, arrivé à Paris dès 1771 en compagnie de Lova Sarega3, « petit sauvage enlevé de son pays » lors d’un affrontement survenu à Santa Isabel le 14 octobre 1769, et auquel ces journaux sont redevables de leurs précisions ethnographiques sur cette partie des îles Salomon, dénommée par Surville « Arsacides » (c’est-à-dire « Assassins »). D’autres chercheurs néo-zélandais ont depuis lors scruté les documents subsistant de ce périple pour ce qu’ils rapportent utilement des Maori (par exemple Ollivier et Hingley, 1982). Mais ces textes continueront d’être ignorés des historiens (tout récemment, West-Sooby, 2013 : 5, 24, 35, mentions insignifiantes) et des ethnologues ou commissaires d’exposition tant qu’ils n’auront pas été édités avec l’ampleur et la rigueur nécessaires. L’entreprise n’est pas simple : les dessins associés aux copies françaises et espagnoles du journal de Monneron sont probablement à restituer à Pottier de l’Horme, lequel, resté au Chili, ne put lire la relation du voyage de Bougainville qui « informe » ou déforme la rédaction de Monneron (fait déjà observé par Claret de Fleurieu, 1790 : 104 note), elle-même plus riche en renseignements obtenus de Lova Sarega, etc. Pour l’heure, on ne peut qu’emprunter de brèves citations aux textes déjà édités pour suggérer l’intérêt du témoignage ethnographique qu’ils relaient et qu’on pourrait presque qualifier « de première main ».

Figure 3. – Laborde, Histoire abrégée de la Mer du Sud, 1791, tome II

(© archives de l’auteur)

26 On s’en tiendra donc ici à deux exemples en rapport avec ces expositions. Pour ce qui est des ornements corporels masculins, celle de Paris présentait un « pectoral » en bénitier fossile (p. 190 du catalogue, MQB inv. 72.56.196) collecté lors de l’escale de Dumont d’Urville à Santa Isabel, et qu’il n’est peut-être pas exact de qualifier de pagosia, terme propre à la lagune de Roviana (Nagaoka, 2011 : 189 et 450). Les compagnons de Surville avaient décrit en ces termes ce type d’objet apparemment attesté aussi à Florida (Waite, 1987 : 68 et pl. 15) :

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« Quelques-uns suspendent aussi à leur col une espèce de peigne d'une pierre blanche à laquelle, suivant le rapport de Lova Sarega, ils attachent un très grand prix. » (Fleurieu, 1790 : 128, sans doute d’après Labé) « Ils portent au-dessus du coude un cercle, et au cou un ornement qui a la forme d’un peigne ; il est fait avec une pierre blanche qu’ils estiment beaucoup , selon ce que nous dit le jeune sauvage que nous avons pris. Ils ont aussi plusieurs sortes de bracelets. » (Laborde, 1790, II : 63-64, d’après Monneron4)

Figure 4. – « Pendentif pagosia, îles Salomon occidentales, début du XIXe siècle. Coquillage (Tridacna sp.), fibres végétales teintées. Collecté par Jules-Sébastien César Dumont d’Urville, second voyage de l’Astrolabe et de la Zélée, 1837-1840. Paris, musée du quai Branly inv. 72.56.196 »

(© Courtesy musée du quai Branly)

27 Parmi les chercheurs contemporains, Bill Evans (2005 : 240) est le seul à s’être intéressé au dessin de « bouclier de jonc long de 3 pieds, rerero » accompagnant plusieurs versions de ces journaux, qui en décrivent aussi les principaux usages : « Ils ont, pour se garantir des flèches, un bouclier fait de rottin fendu, tressé comme nos ouvrages en osier plein : une des faces est garnie de deux espèces d'anses ou poignées pour y passer le bras. Ils s'en couvrent le dos & la tête, lorsqu’ils sont assis dans leurs bateaux, & s'en servent aussi de parapluie. Quelques-uns de ces boucliers sont ornés aux quatre coins de houpes ou floccons faits d'une espèce de ruban de paille rouge & jaune » (Fleurieu, 1790 :130, ici d’après Monneron5)

28 Comme le suppose avec vraisemblance B. Evans, ces boucliers à sommet bilobé, paraissant avoir « a more complex structure than the later shields », furent remplacés au XIXe siècle par des objets de fabrication plus simple, en enroulements elliptiques de vannerie ou en longs rectangles d’écorce renforcés par une armature convexe, tel celui, sans décor, recueilli lors de l’escale de Dumont d’Urville à Santa Isabel que conserve le musée du quai Branly (Inv. 72.84.358). Si, ainsi qu’il semble, l’invention de ce type de

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bouclier convexe (avec des dimensions comparables à celles de leurs prédécesseurs, « trois pieds » environ) doit être assignée à la même île, il ne serait pas incongru de mettre en relation les figurations symboliques ornant les plus prestigieux d’entre eux (catalogue de Paris pp. 142 et 140, Musée du quai Branly inv. 70.2003.4.1 et 71.1887.67.9, ce dernier à comparer avec celui du catalogue de Canberra, pp. 80-81, Australian Museum E 25422), représentant sans doute des personnages aux bras levés, avec les motifs non moins stylisés dont s’ornent les pièces de tapa qui partaient de cette île en direction de la Nouvelle-Géorgie ou d’autres lieux d’échange de l’archipel. L’un des mérites de l’exposition parisienne et de ses commissaires est d’avoir pris en compte et prolongé les recherches récentes sur ces tapas et leurs décors (notamment Richards et Roga, 2005), introuvables dans l’exposition et le catalogue de Canberra, faute de place probablement.

Figure 5. – « Étoffe d’écorce battue, pohe. Île de Santa Isabel. Début du XXe siècle ( ?). Liber d’écorce battu, colorants naturels. 255 x 90 cm. Paris, musée du quai Branly, inv. 72.1992.0.13 »

(© Courtesy musée du quai Branly)

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Figure 6. – « Bouclier. Île de Santa Isabel. XIXe siècle. Écorce, résine (noix de Parinarium), nacre. 87,5 x 23 cm. Ancienne collection Hunter. Paris, musée du quai Branly, inv. 70.2003.4.1 »

(© Courtesy musée du quai Branly)

29 On trouvera dans L’Éclat des ombres de nombreuses autres avancées rendant cet ouvrage indispensable. Beaucoup concernent des objets peu connus, tels les bâtons de danse en forme d’oiseau décrits par P. Maranda (178-179), ou souvent envisagés jusqu’à présent hors de toute perspective historique, à l’instar des « lances cérémonielles » de Bellona et Rennell, dont J. Kupiainen (pp. 50-55) relate l’invention « vers le milieu du XIXe siècle »6. C’est l’introduction de cette perspective historique, animant l’organisation même du catalogue parisien, entre « transformations » (pp. 49-144) et « permanences » (pp. 145-209), qui constitue sans doute le trait le plus neuf de ces deux expositions, même si aucune des deux n’évoque ce qui est advenu de l’archipel au sortir de la guerre du Pacifique, spécialement au cours des dernières décennies marquées par des tragédies à répétition, tant du côté de l’État des îles Salomon que de celui des « îles Salomon du Nord-Ouest », anciennement allemandes, puis sous mandat australien, avant de revenir à la Papouasie Nouvelle-Guinée : là, des dizaines de milliers de déplacés et des centaines de victimes lors de conflits « ethniques » à Guadalcanal et ailleurs, ici, dix ans de guerre civile à Bougainville (1988-1998) autour de l’immense mine de cuivre de Panguna, entre 15 et 20 000 morts selon les estimations des autorités australiennes, dont les troupes sont intervenues sur ces deux « théâtres d’opération ». Ces tragédies n’ont évidemment pas de rapport direct avec l’histoire des arts océaniens, leurs blessures sont toujours ouvertes, les armes continuent de parler, et il était légitime de la part des responsables des expositions de Canberra et de Paris de se concentrer sur les objets à montrer et les cultures anciennes qu’ils représentent et dont le public d’éducation européenne reste peu familier. Pourtant, peut-on oublier les Salomonais d’aujourd’hui ?

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Figure 7. – « Île de Rennell, village de Niupani. Début du XXe siècle. Bois 192 x 12,5 x 3 cm. Collecté par Monique de Ganay, expédition de La Korrigane, 1935. Musée du quai Branly, inv. 71.1961.103.45 »

(© Courtesy musée du quai Branly)

« Ethnicisation » et histoire des arts

30 Un des articles les plus éclairants de L’Éclat des ombres, « La métaphysique des particules » (pp. 172-176), dû à M. W. Scott, s’attache aux divers usages de la chaux à Makira et alentours, et particulièrement à sa vertu de transmettre à qui s’en pare le visage ou le corps des pouvoirs magiques, mena, terme arosien dérivé du mana océanien. Or, note-t-il (pp. 174 et 176), « la peinture corporelle à la poudre de chaux est aujourd’hui devenue emblématique de la coutume (kastom). […] La particule mena de Makira, dans le contexte actuel d’ethnicisation croissante des identités insulaires et régionales, peut être utilisée contre les autres mais reconnaît et protège les siens. »

31 Depuis une décennie au moins, cette « ethnicisation » est désignée par de nombreux observateurs, ceux de l’Union européenne et des Nations unies en particulier (par exemple UDNP 2004 : 5, Olyan et a. 2010 : 5, voir aussi l’enquête de Wood, 2014), comme l’un des risques majeurs encourus par les habitants de l’archipel, également menacés par la « vulnérabilité climatique », le déboisement, la pollution et les expropriations liées aux gigantesques projets miniers en cours, à Guadalcanal pour l’or, à Santa Isabel et dans tout le sud-est de Choiseul pour le nickel, à Rennell pour la bauxite, etc., les insulaires des Salomon restant victimes de la même convoitise pour les métaux qui avait attiré les premiers Occidentaux chez eux.

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32 Que « l’ethnicisation » soit à considérer comme une résultante d’autres crises actuelles (économique, politique, environnementale…) frappant l’archipel ou comme un facteur quasiment indépendant – remontant à l’histoire même de la colonisation et à ses injustices selon John Houainamo Naitoro (2000 :3), et pouvant orienter la politique vers un certain type de prophétisme millénariste, comme M. W. Scott l’a montré récemment (2014) pour les îles Salomon orientales –, les ethnologues et les historiens des arts océaniens ne peuvent que s’en inquiéter, sauf à se satisfaire d’une « anthropologie inutile », selon la formule de Georges Guille-Escuret, ou d’une érudition décorative au service de ce que l’esthétique a de plus frivole. De l’étude des cultures traditionnelles des îles Salomon, à l’approfondissement de laquelle ces catalogues auront contribué chacun à leur manière, on doit attendre non seulement qu’elle apporte ses lumières sur les « zones grises » des sociétés et des mœurs du temps jadis, mais aussi qu’elle contribue à dissiper les obscurantismes du temps présent, cette variante du racisme qu’on nomme l’« ethnicisme » n’étant pas le moindre. Dans ce contexte, même la question de la continuité, voire de l’unité, des traditions artistiques de l’archipel évoquée au début de ce développement a une dimension politique dont les spécialistes doivent prendre toute la mesure.

33 S’exprimant en tant que directeur de la Bougainville Cultural Foundation, le prestigieux leader indépendantiste Moses Havini (né en 1947 à Buka, décédé à Sydney en mai 2015) a formulé des propositions pleines de raison sur les relations à établir entre les musées occidentaux et les Salomonais, en vue de transferts de connaissances allant dans les deux sens, avec ce qu’ils supposent de « meaningful dialogue » et de « co- operation » (2003 : 125). Entre 2005 et 2010 (Bolton et al., 2013, voir JSO 138-139), les océanistes du British Museum ont mené à bien le Melanesian Art Project reposant sur les mêmes principes, et consistant notamment à inviter des « experts locaux » à examiner les collections londoniennes. Pour ce qui est des îles Salomon, un ouvrage collectif (Burt et Bolton 2014) a pu réunir pour la première fois des éclairages de première main dus à des insulaires, Jackson Gege (Clan valuables of Guadalcanal), Evelyn Tetehu (Some family treasures of Santa Isabel), Michael Kwa’ioloa (Traditional money and artefacts in Malaita), Salome Samou (Santa Cruz feather-money: Its demise and revival). Cette intelligente politique de recherche et de partage des savoirs, qui contribue évidemment à la lutte contre l’« ethnicisation », attend d’être mieux développée à Canberra et à Paris, après les belles et utiles expositions qui y ont été présentées.

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NOTES

1. Le plan de l’exposition est détaillé, vitrine par vitrine, dans la « liste des œuvres exposées », pp. 211-216 du catalogue parisien. 2. Une autre carte (pp. 18-19) mentionne cependant Bougainville et Buka, mais pour illustrer la contribution de P. Sheppard consacrée à l’archéologie de l’archipel qui souligne l’importance du site de Kilu, à Buka, datant d’environ 27 000 ans avant notre ère. Classiquement, archéologues et spécialistes des arts du Pacifique désignent ces îles sous le nom de « nord-ouest des Salomon », d’où un quiproquo permanent, les « Western Solomons » des cartes politiques recoupant ce qu’ils nomment quant à eux « Salomon centrales » (voir par exemple Kaufmann, 1993 : 560-563). 3. Aucune étude ne semble avoir été consacrée à Lova Sarega, contrairement à Omaï et à d’autres insulaires du Pacifique « dépaysés » par des navigateurs occidentaux au cours des mêmes années. Dans les commentaires élogieux qu’il fait de sa « probité » et de ses « heureuses dispositions », Monneron en parle au présent, comme pour le recommander à d’autres protecteurs français, et sa rédaction est signée et datée de « Paris, le 4 octobre 1771 ». Le destin du premier « informateur ethnographique » des îles Salomon arrivé en Europe reste à éclairer. 4. C’est ce que montre la traduction de McNab (1914 : 256) : « They wear a bracelet above the elbow, and round the neck an ornamant which resembles a comb, made of a white stone,which they hold in great esteem, according to the young savage we captured. They possess several kinds of bracelets. » Pottier de l’Horme n’a pas décrit cet objet. Souvent cité comme riche d’informations de ce genre, ce qui est publié du journal de Shortland (Phillip, 1789 : 198) ne consacre que trois phrases vagues aux ornements corporels des Salomon. 5. « To guard themselves against arrows, they carry a shield made of tantan cane » etc. (McNab, 1914 : 257). La description de Pottier de l’Horme (Morgat, 2004 : 131-132) est plus diserte.

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6. Voir néanmoins Monberg (1991 : 174) qui écrivait déjà : « The shape of this spear was “invented” fairly recently », etc.

AUTEUR

GILLES BOUNOURE Fr337-348

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Comptes rendus d'ouvrages

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Compte rendu de Language Contact in the Early Colonial Pacific. Maritime Polynesian Pidgin before Pidgin English, de Emanuel J. DRECHSEL

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

DRECHSEL Emanuel J., 2014. Language Contact in the Early Colonial Pacific. Maritime Polynesian Pidgin before Pidgin English, Cambridge, Cambridge University Press, 334 p., bibliogr., cartes, index.

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1 L’auteur étudie les pidgins, créoles et autres « jargons » depuis plus de trois décennies, s’étant attaché d’abord au pidgin des Indiens de l’embouchure du Mississipi, aux environs de Mobile, confrontés à la colonisation espagnole dès le XVIe siècle, puis au pidgin hawaiien. Sa première publication sur ce qu’il nomme le Maritime Polynesian Pigdin remonte à 1999, et il n’a cessé d’étendre depuis lors ses recherches, dont ce livre présente les résultats. Dans quelle(s) langue(s) navigateurs occidentaux et insulaires polynésiens ont-ils communiqué durant le premier siècle de la colonisation ? Qu’on la prenne sous l’angle linguistique, sociologique ou ethnohistorique, la question est passionnante, et l’ouvrage ici décrit, qui est avant tout d’un linguiste mais tout à fait lisible par des non spécialistes, ne l’est pas moins.

2 E. Drechsel le rappelle abondamment, d’autres avant lui avaient déjà envisagé cette question, et il dresse un vaste tableau de leurs recherches, de leurs apports et de leurs failles. Beaucoup de ces travaux présument, par eurocentrisme, que les langues des visiteurs (anglais, français) formèrent la base des premiers pidgins polynésiens, les insulaires étant en somme trop « enfantins » – ainsi qu’on lit abondamment dans la littérature coloniale – pour créer de telles langues de contact. Or c’est l’hypothèse inverse que confortait déjà l’étude du pidgin hawaiien, de création plus tardive que le Maritime Polynesian Pidgin, mais ayant conservé une structure nettement polynésienne. Chez nombre de ses prédécesseurs, E. Drechsel met encore en évidence d’autres défauts, l’absence de méthode historique, de critique des sources, les vues « présentistes », les anachronismes psychologiques ou factuels, et plus généralement ce qu’il nomme les « œillères culturelles » (cultural blinders) dont on trouve trace bien sûr aussi dans les relations des navigations occidentales en Polynésie. On n’enregistre, on ne consigne par écrit que ce que l’on comprend, fait-il remarquer, et non l’inintelligible – principe élémentaire qu’on voit à l’œuvre non seulement dans les vestiges de ce premier pidgin conservés par la littérature du temps, mais aussi dans la constitution et le développement de cette langue, avant la diffusion générale du pidgin english.

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3 L’ouvrage est très clairement (et classiquement) organisé en trois parties elles-mêmes constituées de trois chapitres. La première de ces parties, « Questions, theories, and methods of historical sociolinguistics », s’ouvre sur une introduction à la fois critique, méthodologique et prospective où le projet du livre est ainsi défini : « The case in point is Maritime Polynesian Pidgin (MPP), a grammatically reduced Polynesian-based medium, which by all indications originated fromcontacts between Society Islanders and French or British explorers on their first voyages to the Pacific in the 1760s. MPP proved a convenient lingua franca on other islands of eastern Polynesia, foremost New Zealand, the Marquesas, and the Hawaiian Islands as well as aboard European and American ships with Polynesian crews as part of European and American explorations, trade, and colonization into the late nineteenth century. Like many other non-European pidgins and creoles, MPP has not survived into modern times except perhaps in the form of Parau Tinito, in use between Tahitians and Chinese immigrants in Tahiti in the 1970s (William H. Wilson, personal communication, 14 June 2002). By all indications, this contact medium belongs to the past, specifically the colonial period with no more than isolated attestations surviving in subséquent decades, and does not permit linguistic fieldwork with living speakers on any large, systematic scale. This fact patently makes evident the historical nature of MPP in particular as well as pidgins and creoles at large. In place of field research, this study relies exclusively on a blend of philological and ethnohistorical analysis with the ultimate goal of demonstrating the feasibility and systematic application of both in the Pidgin’s historical reconstruction as part of an exemplary ethnohistory of speaking of the Pacific. » (p. 18) « By focusing on MPP, Language Contact in the Early Colonial Pacific addresses the role of a native institution notwithstanding its colonial origin. » (p. 21)

4 Les chapitres 2 (Maritime Polynesian Pidgin and pidgin and creole linguistics) et 3 (Ethnohistory of speaking as a historical-sociolinguistic methodology) examinent avec beaucoup de clarté les difficultés spécifiques à l’étude de ces langues davantage parlées qu’écrites, et la plupart du temps méprisées – il aura par exemple fallu attendre le XXIe siècle pour que soit rassemblé et publié un dictionnaire du créole de l’île Maurice – et appellent à la création d’une « ethnohistoire de la parole ».

5 La deuxième partie (Historical attestations of Maritime Polynesian Pidgin [MPP]) est de loin la plus ample. À travers l’étude de trente-trois cas donnant lieu à autant de sous chapitres, elle esquisse l’histoire de cette langue de contact qui n’aura duré qu’un siècle, parfois moins selon les endroits. Le chapitre 4 (Emergence, stabilization, and expansion) conduit des premières visites anglo-franco-espagnoles dans les îles de la Société à l’établissement d’interprètes ou de truchements permanents aux îles Marquises et en Nouvelle-Zélande, au début du XIXe siècle. Le chapitre 5 (Resilience against depidginization and relexification) s’attache aux transformations subies par ce pidgin dans les décennies suivantes, au cours desquelles se développe du reste le pidgin hawaiien, tandis que les missionnaires posent peu à peu leurs marques sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire, et en quels termes, même si les années 1820 montrent : « the use of MPP by the first American missionaries in their early endeavors with native Hawaiians, although they came to make every effort at learning the vernacular. » (p. 163)

6 Le chapitre 6 (Survival in niches) montre le déclin de ce parler, sauf dans certaines circonstances sociohistoriques particulières, tel ce « tahitien facile et bâtard de la plage » encore pratiqué en 1872 par « les filles à demi civilisées de Papeete », au témoignage de Pierre Loti (p. 228).

7 On ne peut être qu’impressionné par le nombre et la qualité des témoignages choisis et analysés par E. Drechsel, donnés la plupart du temps dans leur langue d’origine, accompagnés de leur traduction le cas échéant, avec restitution des passages en pidgin

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fréquemment déformés par leurs citateurs. À côté de rarissimes lapsus – on ne peut dater de 1812 (pp. 162 et 305) la relation par Choris (1822) de la première circumnavigation de Kotzebue, entreprise entre 1815 et 1818 – on relève certains oublis affaiblissant parfois les démonstrations de l’auteur. Les récits des premières circumnavigations russes (Krusenstern, Lisiansky, Langsdorff, Kotzebue, Chamisso, Choris) sont étudiés, non celui de Lutke, en dépit de l’important matériel linguistique qu’il contient (1835, tome II, pp. 355-380, « vocabulaire comparatif »). Plus significativement encore, E. Drechsel s’appuie sur le témoignage d’Ingraham (1971, texte par ailleurs laconique et décevant) pour déduire de ses difficultés à entrer en relation avec les insulaires que le Maritime Polynesian Pidgin n’avait pas encore atteint les îles Marquises en 1790 ; il omet les observations de l’équipage du Solide d’Étienne Marchand, qui séjourna quelques jours dans l’archipel en juin 1791, suggérant plutôt le contraire : « Le capitaine Chanal a dressé un Vocabulaire de Santa-Christina, qui comprend quelques mots de la Langue des Naturels de cette île ; il n’y a fait entrer que ceux dont il a pu constater la vraie signification ; et il les a écrits comme un Français les entend et les prononce. […]. Le chirurgien Roblet, de son côté, a également dressé un Vocabulaire des mots mendoçains qu’il a pu recueillir […]. La Langue des habitans de Santa-Christina a la plus grande affinité avec celle des îles de la Société, ou plutôt c’est la même Langue […]. Pour la mieux saisir, on consultoit principalement les femmes, dont le son de voix, plus clair que celui des hommes, permet plus facilement de distinguer les nuances de l'articulation : c’étoient les meilleurs maîtres de langue ; et l’on n’admiroit pas moins leur sagacité à saisir les questions, que leur justesse à y répondre. » (Claret de Fleurieu, 1798, I, 152-157, voir aussi 581-584 et tableau « vocabulaire de Vahîtahô », notamment pour ce qu’il suppose de « Ouka-ouka », « actes de l’union intime des Sexes » (sic), entre marins français et insulaires.)

8 E. Drechsel reconnaît du reste que son enquête d’ethnohistoire linguistique ne pouvait être exhaustive : « My selection of possible sources has inevitably remained somewhat fortuitous beyond a reasonable expectation that they address relevant information on early colonial history in the eastern Pacific (broadly defined). » (p. 93)

9 Elle réserve par ailleurs des surprises et même de véritables morceaux de bravoure. Le Journal peu connu de la corvette L’Alcmène, parcourant l’Océanie en 1850 et 1851, publié par Louis Théodore Bérard (simple « officier d’administration » souvent confondu avec son homonyme Auguste Bérard alors contre-amiral), suggère que le Maritime Polynesian Pidgin a pu être également pratiqué en Nouvelle-Calédonie, hypothèse qu’E. Drechsel discute sans l’admettre complètement (pp. 220-225). Les pages fort brillantes (199-216) qu’il consacre aux récits semi-autobiographiques d’Hermann Melville, Typee (1846) et Omoo (1847), dont l’authenticité fut aussitôt mise en cause, font litière de ces soupçons sans cesse reformulés depuis lors, pour déboucher de façon convaincante sur cette conclusion : « Once reconstituted, Melville’s linguistic data prove surprisingly consistent not only internally, i.e. among each other, but also in comparison with earlier and recent recordings of MPP. » (p. 213)

10 Ni les quatre semaines passées par Melville aux îles Marquises, ni le court séjour qu’il effectua immédiatement après à Tahiti ne lui suffirent évidemment à maîtriser ce pidgin, et il est très probable qu’il en apprit les rudiments soit dans la navigation précédant son débarquement « sauvage », soit dans les suivantes qui le mirent en contact avec le pidgin hawaiien dont quelques traces sont perceptibles dans ses

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notations. Gage supplémentaire d’authenticité, les « r » dont il truffe ses citations polynésiennes montrent qu’il ne les a pas puisées dans la littérature antérieure, et que s’il avait si « mauvaise oreille », la cause en remontait aux particularités du parler entendu dans son enfance, à New York et quelques autres lieux de Nouvelle-Angleterre.

11 Dans la dernière partie (Structure, function, and history of Maritime Polynesian Pidgin), E. Drechsel revient successivement sur les caractéristiques syntaxiques et lexicales de ce pidgin (chapitre 7, Linguistic patterns), sur ses divers rôles et usages (chapitre 8, History and social functions) et enfin sur les pistes ouvertes par cette enquête (chapitre 9, Conclusions: linguistic, sociohistorical, and theoretical implications). Sur le plan de la syntaxe, l’ordre sujet-verbe-objet (ou sujet-groupe verbal, sujet-copule-prédicat, etc.) n’est pas un critère décisif d’origine occidentale, cette structure coexistant en polynésien avec l’ordre verbe-sujet-objet, ou verbe-sujet, plus fréquent. Encore faut-il spécifier dans quel contexte social, dans quel type de discours ou niveau de langue ils se trouvaient respectivement employés, et E. Drechsel a largement raison de souligner tout ce qui séparait le commerce avec les étrangers en lingua franca d’usages de la parole plus solennels ou touchant même au sacré, et dont les visiteurs occidentaux n’ont quasiment rien su recueillir. Du point de vue lexicographique, les conclusions de ce travail s’appuient sur un double répertoire alphabétique en même temps qu’analytique établi et mis en ligne par l’auteur, aujourd’hui consultable dans une version révisée (Drechsel, 2014).

12 Du point de vue historique, on s’explique mieux que ce pidgin, souvent cité par les Occidentaux pour apporter une pointe d’authenticité et de couleur locale à leurs récits des mers du Sud, ait jusqu’à présent échappé aux regards de beaucoup de spécialistes, du fait du statut spécial de ses locuteurs et de la relative brièveté de son existence : « Based on currently available historical information, MPP did not carry on in New Zealand beyond the first half of the nineteenth century, and faced an uncertain fate in the Marquesas, even though declarations of demise remain premature without better evidence. The Pidgin still endured in the Hawaiian Islands on multiethnic plantations until the end of the nineteenth century and even into the early twentieth. » (p. 231)

13 Mais la conclusion probablement la plus importante de ce maître-livre d’ethnohistoire linguistique est que ce pidgin fut créé et développé à l’initiative même des insulaires, gardant ainsi quelque prise sur leurs visiteurs, tant qu’ils n’étaient que leurs hôtes, et non encore leurs envahisseurs, colonisateurs et évangélisateurs. Ainsi que le suggère le passage précité, sa disparition paraît coïncider remarquablement avec les prises de possession par les Européens des îles Marquises et de la Nouvelle-Zélande, derniers bastions de la résistance polynésienne à l’occidentalisation, et E. Drechsel semble avoir défini là un jalon essentiel, jusqu’à présent trop peu pris en compte, de l’histoire du Pacifique et de ses insulaires.

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BIBLIOGRAPHIE

CLARET DE FLEURIEU Charles Pierre, 1798. Voyage autour du monde pendant les années 1790, 1791, 1792, par Étienne Marchand…, Paris, imprimerie de la République.

CHORIS Louis, 1822. Voyage pittoresque autour du monde, avec des portraits de sauvages d'Amérique, d'Asie, d'Afrique, et des îles du Grand Océan…, Paris, Firmin Didot.

DRECHSEL Emanuel J. 2014. Etymological Vocabulary and Index of Maritime Polynesian Pidgin, Cambridge, Cambridge University Press [en ligne].

INGRAHAM Joseph, 1971. Journal of the Brigantine Hope on a Voyage to the Northwest Coast of North America 1790–92, Barre, Massachusetts, Imprint Society.

LUTKÉ Frédéric, 1835. Voyage autour du monde exécuté sur l’ordre de sa majesté l’empereur Nicolas Ier sur la corvette Le Séniavine…, tome second, Paris, Firmin Didot.

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Compte rendu de The Aranda’s Pepa. An Introduction to Carl Strehlow’s masterpiece ‘Die Aranda- Loritja- Stämme in Zentral-Australien’, de Anna KENNY

Laurent Dousset

RÉFÉRENCE

KENNY Anna, 2013. The Aranda’s Pepa. An Introduction to Carl Strehlow’s masterpiece ‘Die Aranda- Loritja-Stämme in Zentral-Australien’, Canberra, ANU E Press, xix + 310 p., bibliogr., index.

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1 Sans aucun doute l’ethnographie des Aborigènes d’Australie, et plus particulièrement celle qui concerne la ou plutôt les tribus Aranda (Arrernte), a-t-elle marqué l’évolution des sciences humaines et sociales et influencé des personnages, concepts et théories fondateurs pour ces disciplines. On rappellera les formes élémentaires de la vie religieuse (Durkheim 1912), les structures élémentaires de la parenté (Lévi-Strauss 1947), ou encore Malthus, Morgan, Freud et bien d’autres encore qui tous, à un moment ou un autre et à des degrés divers ont pensé devoir, comme le disait si bien Aram Yengoyan (1979), confronter leurs hypothèses au terrain australien pour leur fournir la validité générale qu’ils espéraient.

2 Dans cette généalogie d’un assortiment important de la discipline anthropologique, les travaux de Spencer et Gillen sur les Aranda australiens apparaissent comme une source originelle et inévitable, affirmant raconter ce que ces Aborigènes étaient avant… avant l’arrivée des Blancs, de la colonisation, la déculturation, la sédentarisation, etc. Tout anthropologue comparatiste ou théoricien se doit, à un moment ou une autre, croiser leurs chemins ; celui des Aranda et de Spencer et Gillen, témoins inconditionnels d’un monde qui n’existerait plus mais qui, au-delà de la seule Australie, nous renverrait vers l’essentiel et le fondamental de l’humanité tout entière.

3 Derrière ce qu’on appellerait de nos jours la « médiatisation » inconditionnelle des travaux de ces deux auteurs, dont le premier, Walter B. Spencer, naturaliste et théoricien du darwinisme, doit tout au second, Francis J. Gillen, ethnographe assidu et méticuleux, se profile aussi une anthropologie particulière et particulièrement durable. Britannique de nationalité, systémique, presque structurale de par les modèles descriptifs et explicatifs déployés, cette science allait construire – pour ne pas dire inventer – des modèles dans lesquels, comme le traduisait Durkheim lorsqu’il affirmait la disparition de l’individu australien, les acteurs et interlocuteurs s’éteignent derrière des schémas, des catégories et des structures qui les dépassent à tel point que la

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stratégie, l’inflexion, l’adaptation, le changement ou, pire, la transformation seraient hors de portée de la conscience humaine (au moins aborigène).

4 L’anthropologie, et plus particulièrement australianiste, aurait probablement été tout autre si l’histoire avait voué autant de passion et d’importance à un autre personnage, de la même époque et travaillant avec la même tribu, à savoir le missionnaire luthérien Carl Strehlow (1871-1922). Restée non traduite en anglais et dénigrée avec virulence par Spencer qui avait, et ceci de manière explicite, décidé d’entrer dans l’histoire comme le dernier qui avait vu et vécu les véritables Aranda, l’œuvre gigantesque de Strehlow, comme de tant de missionnaires luthériens, si importante et fondamentale pourtant, fut tout simplement oubliée… ou presque.

5 Complémentaire parfois, souvent contraire aux généralisations d’un Spencer, l’ethnographie de Strehlow est tout le contraire de ces darwinismes et systématismes que prône à l’époque l’approche britannique. Humaniste de formation, Strehlow s’intéresse aussi à tous ces aspects de la culture Aranda, oubliés ou évacués par Spencer et Gillen, qui mettent au cœur de la réflexion les nuances linguistiques, les fluidités sociales et les actions et pensées des individus à tel point qu’on peut parler ici d’une tentative précoce de dégager une véritable ontologie des représentations aborigènes. Strehlow était un des émissaires de ce même humanisme qui plaçait la langue au cœur de l’intelligibilité culturelle auquel appartenait Boas.

6 Issu d’une thèse de doctorat, c’est à la découverte ou redécouverte de cette œuvre que l’ouvrage d’Anna Kenny est voué. Ayant travaillé sur et avec les Aranda, en particulier dans le cadre de revendications foncières, l’auteure découvre les archives et surtout l’importante correspondance entre le missionnaire Carl Strehlow et le scientifique Moritz von Leonhardi – éditeur, mentor et ami du premier – qui sont hébergés au Strehlow Reserach Center à Alice Springs, en Australie centrale. Cette découverte et la lecture de Die Aranda- Loritja-Stämme in Zentral-Australien, publié de 1907 à 1920 en cinq volumes, permettent à Kenny de redonner à Strehlow toute sa place dans l’ethnographie australienne et au-delà.

7 L’ouvrage est organisé en deux parties avec chacun plusieurs chapitres. La première partie nous raconte la vie de Carl Strehlow, ses séjours en Australie, en particulier à la mission de Hermannsburg, et la manière dont sa pensée et sa méthode ethnographique furent progressivement modelées au travers de sa formation religieuse et de ses échanges avec von Leonhardi. Anna Kenny replace ainsi les travaux de Strehlow dans l’histoire de traditions anthropologiques divergentes. Allemande d’une part, inspirée de Gottfried Herder en particulier, qui fonda une approche dans laquelle l’analyse des particularités culturelles, indissociables de la langue, devient à elle seule l’objectif premier du travail ethnographique et analytique. C’est cette tradition qui, au travers de Boas, motiva également un pan important de l’anthropologie outre-Atlantique. Tradition britannique de l’autre, où, au contraire, les particularités culturelles sont saisies comme des témoins ou des vestiges d’une chaine évolutive (et plus tard fonctionnaliste et structurelle) qui ne peut être comprise que par la juxtaposition de systèmes culturels comparés. Si la première tradition tente de détailler les manières de faire et de penser propres aux individus porteurs d’une culture, la seconde au contraire s’intéressera aux aspects structurels et systémiques qui peuvent engendrer des regards croisés. L’académie australienne étant dominée par cette seconde tradition, l’analyse de Kenny nous permet de mieux comprendre le contexte dans lequel une œuvre comme celle de Strehlow ne pouvait connaître autre destin que la négligence.

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8 La seconde partie présente et analyse un éventail d’aspects ethnologiques et éléments ethnographiques des travaux de Strehlow en les replaçant dans une exigence anthropologique plus contemporaine. Tout en soulignant les limites de certaines propositions du missionnaire-chercheur, en particulier celles du domaine de la parenté pour laquelle Strehlow ne semblait pas avoir développé une sensibilité suffisante, elle montre aussi combien l’analyse des mythes, de la cosmologie, des rapports fonciers et des classifications sociales a tout à gagner à une lecture de ces travaux pourtant centenaires. Alors que, pour ne citer qu’un domaine, Spencer et Gillen – et plus tard Radcliffe-Brown dans la même lignée – décrivaient un système d’organisation territoriale figé dans des règles pensées objectives et déterminées, l’ethnographie de Strehlow montre au contraire à quel point les filiations complémentaires, les stratégies et les fluidités, ainsi que les affiliations véritables des individus sont les témoins de modalités de transmission et de reproduction d’organisations foncières complexes et souples à la fois. L’ethnographie de Strehlow fait comprendre, s’il en était encore besoin, que même ces Aborigènes qui n’avaient pas encore subi les transformations induites par l’arrivée de la société occidentale, étaient déjà de véritables acteurs qui savaient jongler avec les normes et les valeurs, loin de n’être que des pions de structures sociales inaltérables.

9 Malgré quelques imperfections et parfois des passages et transitions trop rapides, l’ouvrage d’Anna Kenny constitue ainsi et sans aucun doute une contribution importante pour l’anthropologie australianiste et au-delà. Il nous fournit la clé pour découvrir et comprendre toute une ethnographie oubliée et pourtant de grande importance. À la lecture de cet ouvrage, on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas eu davantage de Carl Strehlow ailleurs également.

BIBLIOGRAPHIE

DURKHEIM Emile, 1960 [1912]. Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Paris, PUF.

LÉVI-STRAUSS Claude, 1947. Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton.

YENGOYAN Aram, 1979. Economy, Society, and Myth in Aboriginal Australia, Annual Review of Anthropology 8, pp. 393-415.

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Compte rendu de Degei’s Descendants. Spirits, Place and People in Pre-Cession Fiji, de Matthew Spriggs et Deryck Scarr (eds)

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

PARKE Aubrey, 2014. Degei’s Descendants. Spirits, Place and People in Pre-Cession Fiji, edited by Matthew Spriggs and Deryck Scarr, Canberra, Australian National University Press, XXX-308 pages, cartes, appendices, bibliogr.

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1 La présence des éditeurs sur la page de titre le suggère, il s’agit d’une publication posthume, préparée par leurs soins à partir de la thèse soutenue par Aubrey Parke (1925-2007) dans la dernière année de sa vie, où il continuait de lutter contre une maladie sans remède. Comme l’expose Matthiew Spriggs dans l’hommage biographique ouvrant le volume, ce titre universitaire couronnait plus d’un demi-siècle de recherches passionnées sur l’archipel fidjien, son histoire et sa préhistoire. Après de solides études classiques, qui lui firent mener des fouilles archéologiques dans le Dorset, et des années de guerre où il mit sa vie en jeu à bord de bombardiers de la RAF, Parke prolongea ses études à Oxford et fut recruté par le British Colonial Service qui l’envoya aux îles Fidji. Il y occupa divers postes dans les deux décennies précédant l’indépendance (octobre 1970), sans cesser de se soucier d’archéologie, devenant même le conseiller du Fiji Museum en la matière. Il s’établit ensuite à Canberra, intégra l’administration de la future université nationale, continua à se préoccuper de la préhistoire fidjienne, mais ne put se consacrer entièrement à l’œuvre qu’il projetait qu’en 1990, au moment de sa retraite, avant que sa maladie n’interfère dans l’avancement de son travail. C’est à l’hôpital que lui furent remis ses insignes de docteur.

2 Les contributions de Parke à l’archéologie fidjienne sont restées peu ou prou ignorées et manquent à la plupart des bibliographies récentes. M. Spriggs confesse lui-même ne pas en avoir pris connaissance avant de se charger d’éditer ce volume. Dans un panorama pourtant extrêmement détaillé des débuts de l’archéologie en Polynésie occidentale, Janet Davidson (2008 : 23) écrit seulement de lui : « Long time resident Aubrey Parke reported on ceremonial sites on Vanua Levu (Parke 1971, 1972). » sans mention de ses publications ultérieures. En tête d’un volume collectif spécifiquement dévolue à l’archéologie fidjienne, Geoffrey Clark et Atholl Anderson l’incluent dans leurs remerciements (2009 : 13) mais ne citent aucun de ses travaux, etc.

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Cet état de fait a conduit M. Spriggs à vérifier si Parke était seulement « an enthusiastic amateur in Fiji », comme l’écrivait Simon Best à propos de ses études des fortifications fidjiennes (JPS 102-4, 1993 : 396). Et de montrer que loin d’être un amateur, il était probablement, de tous les « résidents » britanniques de l’archipel dans les décennies précédant l’indépendance, le mieux formé aux recherches archéologiques, et l’un des plus aptes à recueillir des insulaires leurs traditions ethno-historiques, comme il sut le faire à Rotuma. Mais il était fonctionnaire de l’administration coloniale et non chercheur attitré ou envoyé en mission, et son scepticisme à l’égard des datations par radiocarbone et autres méthodes de laboratoire mises en avant par les archéologues de l’après-guerre soucieux de promouvoir leur discipline le plaçait forcément en marge de la recherche académique et de ses réseaux.

3 Pour être touchante, sinon exemplaire de la part de son auteur et de ses éditeurs, l’histoire de ce livre ne présume évidemment ni de son utilité ni de son actualité, l’une et l’autre paraissant néanmoins hors de cause à lire les premiers mots de Parke, en tête de sa préface (XIX) : « The first aim of my research is to determine, from oral accounts I recorded over a period of some fifty years, how Fijians especially in western areas of Fiji currently understand and explain (a) the origins, characteristics, development and interactions of the social and political divisions of late pre-Colonial traditional Fijian society, and (b) the general principles of traditional land tenure. The second aim is to assess the reasoning, consistency and, where possible, the historical accuracy of such understandings. »

4 Cette sorte de recherche n’a rien à redouter des résultats « positifs » mais toujours révisables de l’archéologie de terrain, et elle serait plutôt à même d’en orienter les intérêts, voire de lui désigner les secteurs à fouiller. Ainsi qu’écrit Parke (p. 16), « Indeed it may have to be admitted that neither the NLC [Native Land Commission] accounts nor my oral accounts will ever be accepted as being historically accurate. The results of archaeological field surveys and linguistic investigations, however, should provide data from these other disciplines which throw light on the question of the accuracy or reasonableness of the recorded and oral accounts. »

5 Mais ce n’est pas si simple : il mentionne des vestiges ou des endroits remarquables par dizaines, tout en précisant qu’on ne visite pas ces lieux sacrés sans négociations ou cérémonies préalables, tant ils restent chargés de forces obscures à apprivoiser et de revendications foncières à continuer de faire valoir. Avant d’autres, Parke avait compris que c’était autrement plus difficile que d’exhumer des habitats celtes dans le Dorset ou des cimetières mérovingiens dans le centre de Paris.

6 Même s’il n’est pas formulé explicitement, le point de départ de ce long travail d’enquête se devine dans les premiers chapitres du livre : jeune cadre (« Officer ») de l’administration coloniale britannique, l’auteur avait eu peine à démêler la situation – juridique, pratique, sociale – du « foncier » dans les districts dont on l’avait chargé. Cela remontait, il en démêle l’histoire, aux premiers actes d’Arthur Gordon, le gouverneur nommé après la cession de l’archipel à la Couronne britannique (1874), administration qualifiée tantôt de « généreuse » avec les autochtones, tantôt de « paresseuse » ou de « féodale », mais essentiellement dépourvue de moyens et réduite à la vieille solution romaine : une « provincia » ne doit rien coûter à la métropole, c’est plutôt à l’« Urbs » que devraient en revenir les possibles revenus, et aux colonisés de s’arranger entre eux pour les fournir. Fut ainsi enregistrée une première cartographie des « land tenures », corrigée à maintes reprises jusqu’à une ultime réforme en 1945, celle qu’eut à faire respecter Parke et dont il vérifia rapidement tous les aspects flous ou filous, dans

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l’ouest et le nord-ouest de Viti Levu, les régions les moins précisément étudiées de la grande île, où se concentrent aussi les sites ou les projets miniers (or et cuivre : Geopacific Resources 2005, 2012, magnétite : Amex 2015). Parke n’y fait allusion qu’une seule fois (p. 204), à propos de sa visite d’un site mégalithique, « defaced by miners exploring the area known as Vatutu », riche en grès aurifère. Tels sont aussi les districts sur lesquels il a orienté sa recherche, déjà précieuse à ce seul titre.

7 C’est pourtant à proximité de la côte Est que les relations occidentales les plus anciennes situent le séjour du dieu ou héros civilisateur Degei : « According to the universal belief of the natives, the supreme deity, and governor of their island-world, is a being termed Ndengei. He is represented as having the form of a serpent in the head and one side of the body, while the rest is made of stone, by which he is rendered immortal. His residence is in a cave, in the mountains of Viti-levu, at a place called Nakauvandra, nearly opposite to Mbua, or Sandalwood Bay » écrit ainsi Hale (1846 : 52, non cité par Parke), même si son supérieur Wilkes (1845, III : 83) situe le lieu « near the western end of Vitilevu », sans doute par lapsus. Ajoutant ses précisions à celles du missionnaire Fison (voir aussi 1904 : 27-31, non utilisé par Parke), Joske (1889 : 266, cité par Parke p. 63 mais absent de sa bibliographie) indique : « In some dialects nGalongalo is synonomous with Kauvandra. The Kauvandra [a mountain range in the North of Vitilevu], is the home of nDegei (the Fijian Creator) and his cave, which I have visited, faces the N. W. »

8 Parmi les nombreuses pages qu’il lui consacre, Thomson (1908 : 112, 134) le présente en ces termes : « Ndengei, primarily a god of Rakiraki on the north-east coast of Vitilevu, but known throughout Fiji except in the eastern islands of the Lau group » avant de suggérer son importance par cette observation : « When the missionaries first attempted the conversion of Rakiraki the people thought that Christianity was a mere variant of their own cult of Ndengei, using the following argument: Ndengei = the True God; Jehovah = the True God ; therefore, Jehovah = Ndengei. »

9 Identification encore facilitée par les légendes épiques lui attribuant la responsabilité d’un vaste déluge, déclenché pour châtier les meurtriers du pigeon sacré accoutumé à venir le réveiller. Ce qui a conduit des spécialistes à mettre en doute, à l’instar de Peter France (1966 : 112, cité par Parke p. 133), la valeur de ces légendes « born of missionary parentage, and nurtured by the enquiries of the Native Lands Commission. »

10 Tout en admettant que les mythes associés à Degei furent « largely missionary-and anthropologist-influenced », Parke soutient que pourtant « there could well be an original kernel, even if overlaid by accretions » (p. 29). La mise au jour de ce noyau primitif, qui constitue une autre grande ambition de l’ouvrage, repose évidemment sur l’apport d’informations inédites issues de la tradition orale, mais aussi sur une critique rigoureuse des sources, à nettoyer de leurs « accrétions ». Ici réside la principale faiblesse de ce volume, qui fourmille de données et d’observations pour la plupart de première main, mais sans les références qui permettraient non pas de les authentifier, la sincérité de cette recherche étant éclatante, mais de les approfondir ou de les prolonger. C’est par exception que sont précisés le nom des informateurs et les circonstances dans lesquelles furent recueillis leurs propos, à des décennies de distance (1953 : 113 et 235, ici sans nom d’informateur, 1995 : 133). Plus fréquentes, les allusions vagues (« some said… others said… », p. 25, 29, etc., « some myths… other myths », p. 67) font regretter l’absence de tout appareil de notes, les éditeurs n’ayant pu mieux faire, après la destruction des vastes archives de Parke peu après son décès (M. Spriggs, p. IX), que

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de préciser les sources qui leur étaient connues. Voilà qui conduit aussi à recommander la version électronique proposée gratuitement par l’ANU E-Press (ISBN: 9781925021844) plutôt que la version imprimée (ISBN: 9781925021813), dépourvue d’index.

11 Mais ces éditeurs n’auront pas travaillé en vain, et il ne faudrait pas que ce livre, parce qu’il est inachevé, parfois un peu brouillon et répétitif comme le sont souvent les thèses, soit dédaigné à l’exemple des précédents travaux de Parke, assimilés à d’aimables divertissements d’« amateur enthousiaste ». À côté d’informations orales qui mériteront certainement de longues enquêtes de la part des Fidjiens eux-mêmes, il rassemble des données historiques peu connues et utilisables sans délai (par exemple, pp. 45-56 sur l’établissement tardif des Blancs dans l’ouest de Viti Levu, la cession de terres par les chefs en échange de fusils, l’iconoclasme des missionnaires wesleyens, etc.), et il met surtout en évidence la fluidité des pratiques foncières, mais aussi sociales et religieuses prévalant avant que l’administration coloniale n’entreprenne de les figer, pour des résultats aussi désastreux aux Fidji que dans le reste du Pacifique.

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Compte rendu de Kago, Kastom and Kalja: The Study of Indigenous Movements in Melanesia Today, de Marc TABANI et Marcellin ABONG (eds)

Jean-Louis Rallu

RÉFÉRENCE

Tabani Marc and Marcellin Abong (eds), 2013. Kago, Kastom and Kalja: The Study of Indigenous Movements in Melanesia Today, Marseille, pacific-credo Publications, coll. Cahiers du CREDO, 218 p., bibliogr., 16 ill.

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1 L’ouvrage, suite à deux sessions ASAO en 2009 et 2010, se propose de faire le point sur le concept, assez imprécis, de « cargo cult » – dont on a dit qu’il n’était ni cargo, ni culte et que plusieurs auteurs proposent de mettre entre guillemets inversés ou même de l’écrire en le barrant –, et sur les tendances récentes de ces « mouvements » (nous les appelons ainsi pour rester « neutres ») après plusieurs décennies d’indépendance et de modernisation (Tabani).

2 L’origine du terme est l’article d’un planteur dans un numéro de Pacific Island Monthly en 1945. Il sera rapidement repris par la mission luthérienne, puis par les ethnologues, principalement ceux travaillant comme conseillers des gouvernements coloniaux. Cette origine atteste bien son fondement anti-indépendantiste.

3 Ce point est confirmé par l’histoire du mouvement de Yali dans la région de Madang en Papouasie Nouvelle-Guinée (Hermann). Ancien soldat de l’armée australienne, Yali avait obtenu, après la guerre, le support du gouvernement australien pour inciter les Mélanésiens à se développer économiquement en faisant des plantations industrielles. Il inquiéta les colons – qui y virent une menace pour le système économique colonial, reposant sur le travail indigène – et les missions – inquiètes de voir leurs fidèles se préoccuper des biens matériels plus que de leur âme. L’administration, comprenant que le développement indigène conduirait un jour à l’indépendance, finit par suivre leurs avis et emprisonner Yali. À sa sortie de prison, c’était un homme brisé dont le nom fut exploité par des illuminés promettant la venue de richesses miraculeuses.

4 Les auteurs des différents chapitres organisent principalement leurs analyses autour des dualités : ethnocentrisme/« othering » (Dalton), exogène/endogène (observateurs/ participants) (Hermann), visions du monde subjectiviste/objectiviste (Dalton, Jolly), pour éclairer et dépasser l’ancienne opposition : rationalité/irrationalité, avec souvent une approche « dialoguale » entre l’ethnocentrisme et l’exotisme. Certains les qualifient de mouvements sociaux ou sociopolitiques, nés dans un contexte colonial d’inégalité – notamment après que les Mélanésiens aient considéré que l’égalité entre

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blancs et noirs était possible par leur expérience des bases américaines –, mais ils ne s’inscriraient pas dans une évolution linéaire vers la modernité. Tabani et Abong les replacent, comme l’indique le titre de l’ouvrage, dans le cadre d’une trilogie, en réalité à quatre éléments, kago (kalt), kastom and kalja, qui permet d’apporter au terme des nuances et des précisions dont il avait bien besoin.

5 Considérant ses deux parties, l’aspect messianique prévaut souvent sur l’accaparement de richesses. Ainsi, dans le culte Mata Kamo, apparu au milieu des années 1940 dans la Province Enga de PNG, il s’agit plus fondamentalement d’une transformation de l’humanité, par de nouvelles coutumes rompant avec la tradition, pour accéder à l’immortalité, liée au soleil dans la cosmogonie enga (Biersack). Le thème des richesses matérielles « acquises sans effort », était surtout développé dans les zones proches des centres européens et leur acquisition était dépendante de la transformation spirituelle recherchée, trait commun de ces mouvements « religieux ». Les rites qui leur sont associés se comprennent dans le cadre d’une subjectivité, un « mana » attribués aux animaux (dénués d’âme selon le christianisme), à la nature et à certains objets, considérés comme inerte ou sans subjectivité par les Européens (Dalton). Cependant, Jolly retrouve cette subjectivité dans certains aspects du créationnisme et du catholicisme (qui vénère les représentations des saints et bénit des objets). Les missions s’opposèrent à ces mouvements par peur d’un retour aux croyances et conceptions du monde ancestrales et de devoir suivre les colons en cas d’indépendance.

6 Concernant l’aspect messianiste de ces mouvements qui ont surpris les Européens, il conviendrait de rappeler que le changement social et culturel a existé avant le contact. De tout temps, des visionnaires, se réclamant de rêves inspirés par les ancêtres, ont apporté des modifications à la coutume. Cependant, on ne sait rien des modalités concrètes de ces changements, de la manière dont ils étaient « reçus » ni du statut qui en résultait pour leur initiateur. Plus récemment, la position des « prophètes-cargo » dans la société traditionnelle a été assez peu étudiée. Étaient-ils des membres ou des personnes plus ou moins éloignées de la chefferie, quelles étaient la place de leur lignage et leurs alliances matrimoniales et quel rapport cela a-t-il eu avec leur expansion géographique, leur succès ou leur échec ? Il faut aussi considérer que le « prophétisme » inclut souvent une part de « profiteur » qui sait exploiter la crédulité des autres à son avantage matériel ou de prestige, comme Fred et quelques autres en 2000 à Tanna, Mark Sopiang, le leader de Personal Viability à Lihir (PNG) et tous ceux à l’origine de factions locales de ces mouvements. Mais, on n’a pas de typologie de ces leaders pas plus que de ces mouvements qui apparaissent très divers, aussi bien par leurs causes que par leurs formes (Davenport and Çoker, 1967).

7 Si ces mouvements sociopolitiques, de même que le Nagriamel, pouvaient être qualifiés d’indépendantistes sous la colonisation (Abong), ils ont continué d’exister et il en est apparu qui leur ressemblent sur plusieurs points après les indépendances. À Lihir où se situe une mine d’or, les récentes expériences de capacity building et de Grassroot Universities ont pris l’aspect d’un mimétisme moderniste plus que d’une mystique, espérant toutefois un accès quasi automatique au succès économique (Macintyre). Ce cas exemplifie ces mouvements comme des réactions aux inégalités, maintenant entre expatriés et indigènes, entre natifs et migrants, entre classes sociales basées sur le niveau d’éducation, la profession, le salaire et par conséquent le mode de vie.

8 Mais « no one identifes at all with ‘cargo cult’ » (Hermann, p.148). Le cargoïste ou cargo- cultiste, c’était et c’est encore toujours l’autre, et la plupart des auteurs notent que

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l’aspect négatif prévalait pour les indigènes qui le ressentaient comme une discrimination supplémentaire. Le kago est extérieur, c’est la kastom qui est intérieure et qui fut à la base de l’opposition aux Européens et des indépendances (Tabani). Mais, elle n’a pas assuré le succès de tous les partis politiques. Le Nagriamel était bien, si on exclut certaines de ses relations économiques et financières, une manifestation anti- européenne et il voulait rétablir l’honorabilité des coutumes (Abong), mais il devint sécessionniste plutôt que nationaliste. Cependant, il compte encore des adhérents et des représentants dans les assemblées locales et nationale. Les partis qui ont réussi sont restés éloignés des promesses économiques et se sont concentrés sur la reconnaissance de la kastom et la réclamation du pouvoir politique, préalable nécessaire à une économie indépendante par et au profit des Mélanésiens. Les résultats mitigés ont récemment donné lieu à l’émergence de la kastom economi.

9 Cargoïste est maintenant une accusation que se renvoient parfois les hommes politiques. Le terme est passé dans le langage courant et de l’internet, utilisé pour qualifier McCain ou les politiques économiques d’Obama. Lindstrom classe ces manifestations selon les aspects positif et négatif. Le terme recouvre parfois un « culte », cette fois pour les Européens – et pas seulement eux –, à l’exemple de la crise financière, et il connaît une réalisation par l’apport monétaire des shows du Mouvement John Frum organisés pour les touristes à Tanna. Et finalement, « Cargo’s secret […] is also the secret of modern desire itself […] unrequited, undying and never-ending » (Lindstrom p.184)

BIBLIOGRAPHIE

DAVENPORT William and Gülbün ÇOKER, 1967. The Moro Movement of Guadalcanal, British Solomon Islands Protectorate, Journal of Polynesian Society, 76:2, pp.123-176.

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Compte rendu de Ma‘afu, prince of Tonga, chief of Fiji. The life and times of Fiji’s first Tui Lau, de John SPURWAY

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

SPURWAY John, 2015. Ma‘afu, prince of Tonga, chief of Fiji. The life and times of Fiji’s first Tui Lau, Canberra, Australian National University Press, XL-694 pp., appendices, glossaire, bibliographie, index, cartes, 80 documents photographiques.

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1 Dans une esquisse d’« histoire contrefactuelle » (genre déjà exploré par Pascal avec le nez de Cléopâtre), un blogueur tongien d’ascendance fidjienne se demandait récemment « ce qui serait advenu si Ma‘afu » (vers 1825-1881) « avait tomber les chefs de Fidji » (Langi 2010), pour imposer à l’archipel le même régime monarchique qu’à Tonga, le préservant sans doute ensuite de l’instabilité politique et des coups d’État. À l’inverse, les catholiques pratiquants de Taveuni, qui se flattent de constituer près de la moitié des habitants de cette île touchant aux côtes orientales de Vanua Levu, ont commémoré à plusieurs reprises ces dernières années la victoire remportée à l’été 1862 sur les troupes tongiennes de Ma‘afu que dirigeait son principal lieutenant Wainiqolo (tué dans l’opération), par Golea, futur Tui Cakau, conseillé par un missionnaire mariste fin tacticien, Laurent Favre, déterminant le passage au catholicisme de ce chef et de ses fidèles, et plus tard l’édification de l’église de Wairiki, non loin du théâtre de ces affrontements (CathNews New Zealand, 2014). Beaucoup de guides touristiques, et même certains sites officiels, rappellent cet exploit des « Taveuni warriors » et le rattachent aux traditions guerrières fidjiennes. La force de ces traditions n’éclairerait-elle pas le rôle prépondérant pris par les militaires dans l’histoire contemporaine de l’archipel, comme l’avance une recherche récente (Goiran 2010 : 3 et passim) ? Nulle part, dans le Pacifique ou ailleurs, étudier la période de la colonisation ne peut s’envisager indépendamment des enjeux et des partis pris d’aujourd’hui, mais il est peu de sociétés ou d’États où cette intrication soit aussi sensible qu’à Fidji.

2 N’étant ni tongien ni fidjien, J. Spurway n’a eu pour objectif, écrit-il dans sa préface, que d’éclairer les insulaires sur des événements et un personnage à peu près absents de leurs manuels scolaires et relevant peut-être eux aussi d’un « passé qui ne passe pas », selon la formule devenue fameuse d’Éric Conan et Henry Rousso. Mais il ne cache pas sa fascination pour Ma‘afu, dont un journaliste de l’époque, l’ayant fréquenté sur le tard de sa vie, pouvait écrire :

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« Maafu, nephew of King George of Tonga, was the most remarkable native the Pacific Islands have known since the days of Kamahameha the Great, of Hawaii. » (Thomas 1886 : 24)

3 J. Spurway a commencé à s’intéresser à lui dès 1985, il lui a consacré en 2001 une thèse dont il explique cocassement qu’il dut l’amputer des douze dernières années de son personnage pour ne pas dépasser la jauge académique des 100 000 mots, puis de nombreux articles, travaux couronnés par ce maître livre, œuvre de toute une vie ou presque, et que l’éditeur a eu la bonne idée de présenter à la fois sous forme imprimée et en version électronique libre d’accès. Sans s’illusionner sur les limites ou les pièges de la narration biographique, J. Spurway insiste sur une difficulté qui n’est pas propre à ce genre historique, celle de se mettre autant que possible « in the mind » des figures évoquées, autrement dit de se garder de « l’anachronisme psychologique, le pire de tous, le plus insidieux », ainsi qu’écrivait Lucien Febvre. D’où l’abondance des analyses et des interrogations qui ponctuent son récit, et « l’approche contrefactuelle » de sa conclusion. Au vu des éléments réunis par l’historien, Ma‘afu aurait bien pu devenir roi des Tonga au début des années 1860 (p. 516), sinon des Fidji dans les années suivantes…

4 Quoique confirmant la stature de Ma‘afu et l’intérêt d’en prendre la mesure, cette hypothèse est évidemment bien loin de résumer les apports de cette somme qui offre de véritables plongées dans les turbulences d’une époque où « l’esprit de la frontière » avait cours très au-delà du Far West américain, mais avec des effets comparables sur les colons et les colonisés. On ne saurait évoquer ici en détail les 14 chapitres où J. Spurway suit son personnage depuis sa naissance dans la plus haute aristocratie tongienne jusqu’à sa mort comme chef suprême des Lau, reconnu et appointé par les autorités britanniques, mais il faut au moins l’indiquer, son souci de retranscrire, sinon de comprendre, les pensées de ses protagonistes l’a conduit à choisir leurs propres mots pour intituler ses chapitres et les nourrir de sources de première main. « Ma‘afu‘otu‘itonga » (1), tel fut le nom, en même temps que le titre, reçu par Ma‘afu à sa naissance, avant d’être baptisé Henry en 1830. « Ma‘afu… had sailed for Feejee… » (2) reprend les termes du missionnaire Thomas signalant en 1841 une visite clandestine (sinon une fuite) du prince tongien aux îles Lau. « A fast ignorant vain young man » (3) est un jugement porté sur lui par le même missionnaire en 1847. Commentant en 1852 la reprise de ses menées politico-guerrières succédant à une brève période de piété, le missionnaire Lyth lâchait « …the reformation is exploded » (4). « We are Kai Tonga » (5) sont des mots prononcés par Ma‘afu la même année, avant de révéler son ambition profonde, en 1861 : « I shall be chief at Bau… » (6). « Tonga is too small for him… » (7), estimait de lui le missionnaire Calvert en 1863. « A man of great energy and ambition » (8), avertissait en 1868 Thurston, futur consul britannique puis gouverneur de l’archipel. En 1870, le journaliste Britton le décrivait ainsi à ses lecteurs : « He looks every inch a chief » (9). Trois ans plus tard, Le Fiji Times martelait : « There is no doubt Ma‘afu means mischief now » (10). En 1874, au plus fort des troubles précédant la cession de l’archipel, Swanston, son propre secrétaire, faisait savoir « Ma‘afu’s word is in the hills… » (11). Une fois cette cession opérée, la même année, Cakobau lançait : « Sa oti, Ma‘afu », « il est fini, Ma‘afu » (12). « He is regarded with much bitterness and ill-will » (13) écrivait de lui Gordon, premier gouverneur résident, en 1875. Apprenant la mort de Ma‘afu en février 1881, Thurston, « the wisest contemporary observer of the political scene in Fiji » aux yeux de l’historien (p. 502), formulait ce jugement définitif : « He was a very dangerous man » (14).

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5 Ces chapitres sont forcément de contenu disparate, du fait du rythme des événements relatés et des documents disponibles, souvent lacunaires, parfois surabondants. Pour les premières décennies de la période évoquée, « [the] middle years of the nineteenth century, among the remote islands of Lau and eastern Cakaudrove, the missionary sources are almost all we have » (p. XIX) et J. Spurway s’appuie principalement sur la littérature méthodiste, n’accordant qu’une place réduite aux écrits des missionnaires catholiques, certes moins nombreux que leurs concurrents protestants, mais plus attentifs qu’eux à garantir Fidji de « l’immigration des Tongiens » soutiens des wesleyens (voir par exemple Lamy, 1902 : 201, écho tardif des positions maristes). Les archives navales françaises recèlent peut- être aussi d’utiles renseignements sur les navires périodiquement délégués aux Fidji pour s’assurer du sort des missionnaires et de leurs néophytes, telle la corvette La Bayonnaise, commandant Le Bris-Durumain, ancien fouriériste, dépêchée de Tahiti par le très catholique Du Bouzet, en 1858, pour signer une convention de paix entre la France et Cakobau que Ma‘afu avait déjà entrepris d’affaiblir (épisode non signalé dans l’ouvrage ici décrit), mais l’exploitation de ces documents ne pourra sans doute que compléter le cadre magistralement dessiné par J. Spurway. Les quinze ou seize premières années de Ma‘afu, avant un mariage princier l’égalant en prestige avec le futur roi George Tupou, désormais son beau-frère, ne sont connues que par une poignée de documents, dont l’historien tente de combler les manques par un brillant tableau conjectural de ce que put être l’éducation du jeune aristocrate, entre un père indolent, ne s’appuyant sur le lotu que pour compenser sa faiblesse politique, et une mère pieuse et lettrée, espérant sans doute en faire un champion de la foi nouvellement arrivée, sinon un « bon élève » des wesleyens.

6 Dans le chapitre suivant, couvrant les activités de Ma‘afu avant qu’il ne décide de faire des îles Lau son domaine puis la base arrière de ses opérations dans le reste des Fidji, J. Spurway évoque l’expédition emmenée par un groupe de santaliers – dont Samuel Henry, notoirement lié aux missionnaires de la LMS à Tahiti – aux Nouvelles-Hébrides, et conclue par le massacre de plusieurs insulaires, certains asphyxiés dans une grotte d’Efate. Les santaliers avaient recruté des dizaines de Tongiens, avec la participation de Ma‘afu, à qui le massacre fut parfois imputé, tantôt pour souligner sa férocité tantôt pour vanter sa détermination. Inadvertance très compréhensible dans la multitude de documents mis en œuvre pour cette recherche, J. Spurway écrit alors : « Julian Thomas, in his Cannibals and Convicts, London 1886, stated that Ma`afu lit the fire at the cave’s entrance (p. 67). Writing more than 40 years after the events, Thomas is likely to have been influenced by Erskine’s published account. » (page 47 n. 87)

7 On ne lit rien de tel chez Thomas (la p. 67 faisant partie de ses développements sur la Nouvelle-Calédonie), mais ces mots, pp. 24-25 : « The worst deed ever alleged against the early sandalwood traders was that a number of natives were suffocated in a cave at Vate, in the New Hebrides, by the smoke from a fire built at its mouth. But this was done by order of Maafu, who, on behalf of an Australian syndicate of highly-respectable merchants and church members, was ‘bossing’ an expedition in search of sandalwood through the New Hebrides. I do not think Maafu would be guilty of any needless atrocity. »

8 Pour sa part, Erskine dégage plutôt la responsabilité de « Maafu, who was tired of this warfare » (1853, pp. 144-145 et 326-327, ici p. 144). Thomas, puisant évidemment à une autre source qu’Erskine, ajoute au contraire :

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« In Loma Loma there is a cave where a number of native Fijians, his opponents, concealed themselves; he smoked them to death in the same manner as at Vate. It was a favourite coup of his in warfare… » (1886 : 25).

9 J. Spurway estime (pp. 43 n. 73, 133 n. 96 et 512), non d’après Thomas, mais selon une source encore plus tardive (Sundowner, 1897 : 44-45), qu’il faut voir seulement, dans cette « vague oral tradition of Ma‘afu suffocating a number of Fijians in a cave near Lomaloma, an echo of the murders committed in a New Hebrides cave during Ma`afu’s youth. »

10 Duplication sans doute nécessaire à la légende – y compris posthume – de Ma‘afu, puisque ce dernier auteur, qui ignore l’épisode d’Efate, bien avéré quant à lui, ne marchande pas son admiration pour « Ma‘afu, the Napoleon of the Pacific » (1897 : 96), le « Lord Byron of Tonga » (1896 : 24, épithètes non citées par J. Spurway), le menant lui aussi à l’approche « contrefactuelle » : « If Maafu had lived, he would have succeeded, upon the death, the late King George of Tonga, to the throne of that country » (1896 : 25).

11 Comme le montre le récit de J. Spurway, ces hypothèses ne faisaient que prolonger les interrogations, les frayeurs, et parfois aussi les espérances qu’avait suscitées Ma‘afu de son vivant. Pour le géographe et explorateur allemand Greffrath (1871 : 542), profitant d’un passage à Levuka à la fin de l’été 1871 pour décrire la situation politique de l’archipel, il n’était pas « invraisemblable » (unwahrscheinlich) dans ces circonstances « dass der hochbegabte Maafu, der Tui Lau, sich zuletzt zum Herrn der ganzen Fidschi- Gruppe aufwerden werde. »

12 Admiratif lui aussi, le portrait (ignoré de J. Spurway) que cet observateur dresse du « Regent » reproduit une formule qui courait alors et semblait condenser les sentiments inspirés par son omnipotence ou ses capacités de nuisance : « Was Maafu sagt, das thut er. […] Was Maafu sagt, ist Gesetz in Vanua Levu und was in Vanua Levu Gesetz ist, gilt auch in Bua und Mathuata » (544, 545)

13 À en croire quelques journaux de cette période, il aurait même eu la faveur des milieux d’affaires, aux Fiji ou ailleurs dans le Pacifique, spéculant presque sur les mêmes hypothèses que le blogueur précité : « Were if not for the fear of offending the American officials, - commanders of war vessels – Maafu would at once become King of the entire group. There would then be a responsible and powerful head to the Government, with whom foreigners and foreign powers could treat, with insurance that order would be enforced and treaties and engagements be observed » (The Pacific Commercial Advertiser, May 6 1871 : 2).

14 Quelles leçons tirer, quels prolongements attendre de la somme de J. Spurway ? Sa fresque pourra toujours être complétée, ainsi qu’il a été esquissé ici, de quelques touches marginales, sans altérer ce qu’elle a de monumental et de magistral. Du reste, son auteur a manifestement consulté et pris en compte beaucoup plus de documents qu’il n’en cite, élaguant parfois son appareil de notes pour le confort des lecteurs. Son approche biographique lève une part du mystère : pourquoi ce prince si doué, selon les critères occidentaux aussi bien que polynésiens, et devenu si puissant à l’orée des années 1860 que sa parole faisait loi, s’est-il résigné à signer avec Cakobau et les autres chefs fidjiens l’acte de cession de 1874 ? C’est notamment que sa parole n’était pas des plus fiables, ni ses intentions des plus claires ou constantes : « Ma‘afu’s denial of intent, manifested in his feigned indignation at the false reports concerning his actions, were characteristic of him on any occasion when he was confronted with his misdeeds » (p. 354).

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15 Une autre explication tient aux contradictions de la colonisation, princes tongiens et chefs fidjiens prenant goût – ou se sentant astreints – à cumuler tout ce que les autochtones et les Occidentaux consentaient à leurs élites respectives en matière de prérogatives, de privilèges et de prébendes, et à conjuguer des logiques sociales opposées. Son équipée avec les santaliers en témoigne, Ma‘afu entra très jeune dans l’économie monétaire, et ne cessa ensuite de « faire de l’argent » ou d’en promettre, par exemple pour acheter des armes à feu. La consommation effrénée d’alcool marquant le tard de sa vie, jusqu’à lui attirer les remontrances de Gordon, ne fut peut-être au départ qu’une façon de marquer à l’occidentale sa haute position sociale, mais ses besoins d’argent l’avaient fait recourir bien avant au vol ou au pillage de ses « sujets », au bénéfice final des Blancs. Du reste, la cession de l’archipel à la couronne britannique pourrait être résumée à une histoire d’argent, ou plus exactement de « dette » à l’égard des Occidentaux. En 1858, ainsi que rapporte Seemann (1862 : 246) plus d’une décennie avant sa signature, « Bau was again in trouble. For various outrages asserted to have been committed against the life and property of American citizens, the Government of the United States demanded indemnity to Cakobau, as supreme chief of Bau and titular King of Fiji. The Corvette ‘Vandalia’, Captain Sinclair, has been sent to enforce the claim, and as the sum of 45,000 dollars was altogether beyond the means of the Fijian King to pay, overtures were made to Mr. Pritchard for the cession of Fiji to Great Britain, on condition that this sum, which the natives were going to refund by assigning the proprietorship of 200,000 acres of land, be liquidated. »

16 L’aura héroïque de Ma’afu, entré dans la légende de son vivant même, a une dimension idéologique dont l’historien peut tout au plus pointer ce qu’elle eut dès le départ de littéraire ou même de théâtral, citant en exergue de son travail Goethe et Euripide, auxquels on serait tenté d’ajouter Shakespeare : cette dimension reste sensible dans ce qu’en écrivent Fidjiens et Tongiens d’aujourd’hui. Mais la biographie de J. Spurway, qui constitue à elle seule une réussite et un exploit, ouvre surtout la voie à d’autres études sur ceux qui, acteurs, témoins ou victimes de la colonisation, les quelque 2 000 Blancs établis dans l’archipel et les quelque 100 000 autochtones, ont réellement fait que chaque parole de Ma‘afu ne se réalise pas, autrement dit une véritable « histoire sociale » de la colonisation des îles Fidji.

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Compte rendu de Nickel. La naissance de l’industrie calédonienne, de Yann Bencivengo

Sarah Mohamed-Gaillard

RÉFÉRENCE

BENCIVENGO Yann, 2014. Nickel. La naissance de l’industrie calédonienne, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Perspectives historiques », 420 p., glossaire, bibliogr., état des sources, chronologie, index, 89 illustrations noir et blanc et couleur, annexes comportant 106 illustrations en noir et blanc (photographies et cartes).

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1 C’est dans la belle collection Perspective historique des Presses universitaires François Rabelais que Yann Bencivengo publie une monographie de La Société Le Nickel, de la découverte des gisements calédoniens par Jules Garnier en 1864 à la veille de la Première Guerre mondiale. Ce texte de 327 pages, suivi d’un volumineux dossier d’annexes, constitue une version remaniée de la thèse d’histoire que Yann Bencivengo a soutenue en 2010 à l’université Paris I, et qui a reçu le prix Crédit agricole d’histoire des entreprises.

2 Partant de la découverte des gisements de nickel calédoniens qui bouleverse la donne de ce secteur économique, l’auteur s’attache à décrire les hommes qui, des dirigeants à la main d’œuvre, sont engagés dans le développement d’une industrie minière et métallurgique dans une colonie éloignée et quasiment dépourvue d’infrastructures. Yann Bencivengo, qui a eu accès aux archives de l’entreprise Le Nickel, a mobilisé de nombreux autres fonds publics et privés conservés à Paris, Aix-en-Provence, Roubaix et Nouméa. Cet ouvrage comble donc un manque historiographique important sur une entreprise et un secteur qui s’imposent comme des acteurs majeurs de la vie économique, politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.

3 Cette étude claire et rigoureuse explore en trois parties et neuf chapitres les différentes échelles de l’activité de la Société Le Nickel ; multinationale née à l’initiative d’acteurs calédoniens, construite sur les gisements de la Grande Terre, mais dont les activités dispersées de la Nouvelle-Calédonie à l’Europe sont marquées par le poids des distances tant géographiques que temporelles.

4 Yann Bencivengo analyse d’abord les bases de l’entreprise Le Nickel. Quelques années après sa découverte, le minerai calédonien, par sa teneur élevée en nickel, sa qualité et sa facilité d’extraction bouleverse les conditions du marché du nickel en dépit des coûts de transports élevés. Les débuts sont toutefois difficiles car il faut mettre au point le procédé technique permettant d’extraire le nickel du minerai, par ailleurs boycotté par

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les usiniers anglais et allemands qui cherchent à protéger de cette concurrence les mines européennes. Puis, la chute des cours du nickel entraîne la faillite de la banque de la Nouvelle-Calédonie. Au cours de ces premières années, John Higginson travaille au rapprochement des hommes et des entreprises investies dans le nickel calédonien, des fusions dont naît, en 1880, la société Le Nickel, qui s’appuie sur le procédé mis au point par Jules Garnier. Higginson, affairiste aventurier qui tend à pousser ses intérêts personnels en les présentant comme ceux de la colonie, accède ainsi à la direction de la succursale calédonienne de l’entreprise. En dépit d’une stratégie qui vise à étouffer les mineurs européens et à éviter le développement de toute concurrence en Nouvelle- Calédonie, la société Le Nickel est rapidement en difficulté et doit trouver de nouveaux partenaires industriels et commerciaux. Dans ces circonstances, la banque Rothschild, qui a consenti des avances à la société Le Nickel, entre dans son capital en 1883 avant d’en prendre le contrôle en 1885, suite à l’éviction d’Higginson discrédité par des choix hasardeux.

5 L’auteur s’attarde ensuite sur la politique définie par la multinationale parisienne pour sa succursale calédonienne. Le Nickel poursuit la stratégie qui vise à évincer toute concurrence locale, tout en recherchant un mode de gestion lui permettant de surmonter les contraintes liées à l’éloignement entre le centre de décision parisien et le terrain calédonien. En 1889, décision est finalement prise de séparer géographiquement les directions et de leur assigner des compétences différentes : la direction parisienne est en charge des affaires commerciales et administrative, tandis que la direction de Nouméa est avant tout technique. L’heure est désormais celle des gestionnaires qui s’attachent à épurer les comptes de la société, à regagner la confiance des actionnaires et à étendre et rationnaliser le domaine minier de l’entreprise. Cette politique rigoureuse au service d’objectifs à long terme permet à la société Le Nickel d’être en position de force à la veille de la Grande guerre, d’autant que le nickel qui fut d’abord utilisé par l’industrie du luxe puis par les monnaies est désormais très demandé par l’industrie de l’armement. Parallèlement, la transformation locale du minerai reste une priorité partagée par le gouverneur Feillet qui fait du développement de l’économie de la colonie une priorité. Des dispositions sont ainsi prises pour favoriser la création d’usines métallurgiques, et c’est dans ce contexte qu’André Ballande construit sa fonderie de Doniambo, qui est opérationnelle en 1910.

6 Enfin, Yann Bencivengo analyse le fonctionnement de la succursale calédonienne, et tout d’abord la mise en œuvre des décisions prises par le siège parisien. La distance spatiale et temporelle de même que le manque d’infrastructures de la colonie constituent en effet de véritables contraintes, tant pour les communications que le transport du minerai. Il faut ainsi trois à quatre jours à cheval pour se rendre de Nouméa à Thio, le principal site minier du Nickel. De 1880 à 1885, le minerai extrait à Thio rejoint par cabotage la capitale de la colonie où il est transformé en mattes avant d’être expédié dans les usines du Havre, des environs de Birmingham et de Glasgow. A partir de 1890, une partie du minerai est expédiée depuis le port ouvert de Thio qui, avec l’ouverture de la fonderie de Thio-Mission, acquiert un rôle déterminant. Mais les rotations maritimes entre la Nouvelle-Calédonie et l’Europe sont longues – sept à huit mois de mer pour un aller-retour – irrégulières et périlleuses. Le passage des voiliers aux vapeurs en 1891 permet plus de rapidité, de régularité et de sécurité, mais 40 navires venus charger du minerai à Thio font néanmoins naufrage entre 1905 et 1907. La main d’œuvre constitue une autre préoccupation capitale de la succursale calédonienne. Les cadres et ingénieurs sont recrutés en France, mais il est difficile de

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trouver des candidats en raison de l’éloignement et de la mauvaise réputation de la colonie. Il faut aussi trouver pour les mines une force de travail suffisamment importante, stable et bon marché. Après le départ en 1883 des mineurs australiens qui ont participé à la découverte des gisements calédoniens, la société Le Nickel tente d’engager des colons-mineurs qui, en échange d’un total de 1500 jours de travail, obtiennent une maison et 5 hectares de terre. Après l’échec de cette tentative et concluant à l’inadaptation des travailleurs kanak aux travaux du front de taille, Le Nickel recourt à l’immigration néo-hébridaise. En 1882, 48 à 62% des travailleurs de Thio ont ainsi été recrutés aux Nouvelles-Hébrides. Mais, les conditions douteuses des recrutements poussent les autorités de la colonie à en suspendre la pratique de 1882 à 1884, puis de 1885 à 1890. La société Le Nickel se tourne alors vers la population pénale de la Nouvelle-Calédonie et conclut, en 1887 et 1888, quatre contrats avec l’administration pénitentiaire lui permettant d’employer des bagnards. Parallèlement, elle se tourne vers l’Asie. Le recrutement d’engagés sous contrat en 1884-87 n’étant pas concluant, elle négocie avec le Japon, mais les 600 engagés qui arrivent dans la colonie en 1892 se plaignent vite de leurs conditions de travail et de vie. En 1900, l’administration pénitentiaire met un terme aux contrats qualifiés de chaire humaine et Le Nickel, privé de sa principale source de main d’œuvre, se dirige une nouvelle fois vers le Japon. Les travailleurs japonais, désormais recrutés sur le modèle des ouvriers européens, constituent 41% de la main d’œuvre employée à Thio en 1900. Mais une fois encore, les relations se tendent entre ces travailleurs et Le Nickel. Notons enfin que la société recourt ponctuellement aux relégués et libérés, et que les engagés tonkinois et javanais sont peu employés par les mines avant 1914. Cette main d’œuvre qui, entre 1889 et 1914, oscille entre 700 à 1500 mineurs selon les pics de production, est soumise à des conditions de travail difficiles et dangereuses. Entre 1891 et 1895, 29 des 111 accidents qui se produisent à Thio sont mortels, et les éboulements en sont la principale cause. Il faut toutefois attendre 1915 pour que le gouverneur adopte un arrêté local sur les mesures destinées à assurer la sécurité du personnel. En dépit des difficultés liées à l’extraction du minerai et de sa transformation, les hommes qui s’impliquent dans ce secteur constituent un groupe assez stable. Ces hommes d’affaires et petits mineurs locaux sont à l’origine de nombreuses sociétés à durée de vie courte, en raison de leurs moyens financiers limités et de leurs lacunes techniques pour exploiter les concessions. Dans ce climat d’affairisme colonial, la Société Le Nickel et la maison Ballande à l’origine de la société des Hauts Fourneaux profitent des difficultés financières des petits mineurs et obtiennent de nouvelles concessions, ce qui leur permet d’étendre leur domaine minier et de s’imposer comme les leaders du secteur. En quelques années, la société Le Nickel devient donc le moteur de la vie économique de la Nouvelle-Calédonie et marque fortement et durablement l’archipel. Les flux de main d’œuvre qu’elle organise pour dégager la force de travail nécessaire à l’exploitation des mines, ont ainsi un impact sur l’évolution démographique de la Nouvelle-Calédonie. Le Nickel se voit rapidement reprocher de détourner la main d’œuvre pénale de la mise en valeur de l’archipel et de contribuer au maintien de la transportation qui entrave le développement de la colonisation libre. Sa position de quasi-monopole suscite aussi de nombreuses critiques, et Le Nickel fait peu à peu figure de véritable Etat dans l’Etat. Enfin, la constitution du domaine minier ne peut être déconnectés des spoliations foncières dont est alors victime la population kanak.

7 Signalons que l’ouvrage donne une large place aux illustrations. L’auteur a en effet porté un soin particulier à appuyer son analyse sur de nombreux graphiques,

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organigrammes, et tableaux et cartes qui éclairent particulièrement bien le texte. Le volume présente aussi une importante documentation iconographique – cartes postales et photographies commentées – qui donne de la chair au propos et constitue également une source. Le développement de 327 pages est en effet suivi d’un dossier de quelque quatre-vingt pages, intitulé Etudes iconographiques et composé de huit sections : les fonderies de la société Le Nickel ; le gisement Zizette ; le plateau de Thio ; les plans inclinés du plateau de Thio, un exemple de système de descente des minerais vers la vallée ; le transporteur des mines Bornet ; les installations de la Société Le Nickel à Thio-Mission ; le centre de Poro. Un glossaire, une chronologie, un état des sources consultées, une bibliographique et un index achèvent cette étude fouillée.

8 Cette belle étude d’histoire économique constitue donc tout à la fois une monographie d’entreprise en contexte colonial, l’histoire d’une branche de la deuxième révolution industrielle et une histoire minière de la Nouvelle-Calédonie. Certes, le lecteur avant tout intéressé par la Nouvelle-Calédonie pourrait souhaiter de plus amples développements sur les relations de la société avec la population kanak dans la région de Thio, par exemple, ou sur l’influence politique que la société a pu exercer. Mais, il n’en reste pas moins que l’ouvrage et son auteur s’imposent comme des références pour une histoire de la mine en plein développement.

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Compte rendu de Discovery and Empire. The French in the South Seas, de John WEST-SOOBY (ed.)

Gilles Bounoure

RÉFÉRENCE

WEST-SOOBY John (ed.), 2013. Discovery and Empire. The French in the South Seas, Adelaide, University of Adelaide Press, xiv-282 p., bibliogr., 18 ill.

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1 Ce volume, dont on peut consulter librement la version électronique sur le site de l’éditeur, a pour origine un colloque organisé en juillet 2009 dans le cadre de la XVIIth Biennial Conference of the Australasian Association of European Historians, alors réunie à Adelaide. Outre l’introduction de J. West-Sooby soulignant la cohérence de ce recueil, il rassemble huit contributions d’universitaires et de conservateurs australiens, ordonnées chronologiquement et traitant souvent d’aspects peu connus des visées et des menées françaises dans l’exploration et la colonisation de l’Océanie. L’ouvrage rend également hommage à Frank Horner, disparu en 2004, et à qui l’on doit notamment la reconsidération, sinon la redécouverte, sur les pas de Jean-Paul Faivre, de l’expédition de Baudin en Australie, entre 1801 et 1803.

2 Dans sa « Frank Horner Lecture » intitulée « The Globe Encompassed: France and Pacific Convergences in the Age of the Enlightenment », John Gascoigne, spécialiste des Lumières, étudie comment les objectifs initiaux des explorateurs, « God, Gold and Glory », se sont modifiés au cours des Temps modernes, la « gloire » scientifique finissant par l’emporter sur les autres visées. Il s’appuie sur des archives françaises analysées plus en détail dans certaines des contributions suivantes, et il estime que dans l’alternance de divergences et de convergences caractérisant (selon David Northrup) l’ensemble de l’histoire humaine, les explorateurs français « éclairés » du Pacifique ont préparé la mondialisation contemporaine.

3 Dans « The Abbé Paulmier’s Mémoires and Early French Voyages in Search of Terra Australis », Margaret Sankey qui a signalé dès 2001 l’importance de l’ouvrage de Jean Paulmier de Cortonne (1664) prêtant à son aïeul Binot Paulmier, Sieur de Gonneville, la découverte en 1504 d’une Terra australis, montre, cartes et documents d’archives à l’appui, que « the impetus for discovery by the French during the eighteenth century was inflected » par la foi accordée à cette prétendue découverte : « It was this specific territory that the French focused on rediscovering, neglecting and paying scant attention to other possibilities » (p. 42). « Marion du Fresne and Kerguelen-Trémarec were the last two French explorers to search for Gonneville’s Land » (p. 64) « It would only be after the exploding of the Gonneville myth that the French would, in the nineteenth century, turn their interest and efforts towards the more profitable Pacific Ocean. » (p. 66)

4 Ainsi s’expliquerait en partie pourquoi les Français arrivèrent toujours en second dans l’exploration et la conquête du Pacifique.

5 Avec « The Acquisitive Eye? French Observations in the Pacific from Bougainville to Baudin », Jean Fornasiero et John West-Sooby reviennent sur un débat ancien, les principales intentions ayant présidé à ces circumnavigations soutenues par les gouvernants de l’époque : « What is important here is not so much whether the three navigators [Bougainville, La Pérouse et Baudin, D’Entrecasteaux laissé de côté faute de place] looked for and saw the same things but rather whether they saw with the same eye. And was this the acquisitive eye, the eye of the coloniser or potential future possessor? Or was it the inquisitive eye of the scientific traveller? Or both at once? » (p. 72) Au terme de leur examen, ils concluent : « The eye they cast on the natural world and the peoples that inhabited it was much more inquisitive than acquisitive. It is in this context that they displayed an unequivocal commitment to Enlightenment values – values which transcended their defence of the narrow government interests of the day. » (p. 95)

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6 Les auteurs remarquent un même attachement au pittoresque chargé de références gréco-romaines chez les aristocrates Bougainville et La Pérouse, manquant à un Baudin fils de commerçant (p. 86), plus scientifique dans son récit. Ces comparaisons sont intéressantes, mais à compléter de tout un arrière-plan intellectuel et politique que ces contributeurs ont omis d’évoquer, sans doute faute de place aussi.

7 Shino Konishi, dans « Discovering the Savage Senses: French and British Explorers’ Encounters with Aboriginal People », développe également d’utiles comparaisons, prenant comme point de départ les Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l'observation des peuples sauvages (1799) de Joseph-Marie de Gérando et passant successivement en revue des remarques concernant l’odorat, le goût, le toucher, l’ouïe et la vue dues principalement aux officiers de la First Fleet et à ceux des expéditions de d’Entrecasteaux et Baudin, et Péron avant tout pour cette dernière. Là encore, on aurait pu souhaiter une présentation moins hâtive de ces navigateurs de formation très différente – on sait par exemple comment Péron, plus proche de Cuvier que de Gérando, à l’inverse de Baudin, a été pour le moins infidèle à ces deux derniers.

8 Dans « A Case of Peripheral Vision: Early Spanish and French Perceptions of the British Colony at Port Jackson », le même esprit de comparaison porte J. West-Sooby à mettre en regard les rapports consignés par Malaspina, lors d’un séjour de quatre semaines, au printemps 1793, et par Baudin, resté cinq mois de l’hiver et du printemps 1802, à Port Jackson et alentour. Le premier y était venu sur ordre, le second de sa propre initiative, donnant ensuite lieu à un long Mémoire sur les établissements anglais à la Nouvelle Hollande, à la Terre de Diémen et sur les Archipels du grand océan Pacifique adressé par Péron au conseiller d’État Fourcroy. Les deux rédacteurs développent des réflexions sur l’éloignement extrême de cette colonie, le premier s’inquiète des menaces qu’elle fait peser sur les possessions espagnoles dans le Pacifique, le second va jusqu’à proposer un plan d’attaque pour s’en rendre maître, illustrant la compétition entre les trois grandes puissances du temps, où « il ne pouvait y avoir qu’un gagnant » (p. 167).

9 Stephanie Pfennigwerth, avec « New Creatures Made Known: Some Animal Histories of the Baudin Expedition », s’intéresse aux émeus nains (espèce éteinte dès 1805) rapportés vivants en France et dont le dernier mourut en 1822 au Jardin des Plantes. Elle analyse également les descriptions animalières de Péron, pleines de moralisme et d’anthropomorphisme, mais ne l’empêchant nullement de consommer de ces animaux et de spéculer sur le profit à en tirer. Les animaux, soutient-elle aussi, jouèrent un rôle dans l’histoire de l’expédition et purent aviver les réactions britanniques contre ce qui pouvait ressembler à un essai de colonisation.

10 Dans « “Primitive race”, “pure race”, “brown race”, “every race”: Louis Freycinet’s Understanding of Human Difference in Oceania », Nicole Starbuck cherche à déterminer l’attitude du navigateur à l’égard des insulaires du Pacifique : « Overall, his inconsistent and imprecise use of the word demonstrates that he understood “race” as being applicable, in the fluid manner in which it had been used by eighteenthcentury navigators, to such categories as type of human, nation or, even more broadly, as civilised/uncivilised. Given the language he used, it appears that, while it was usually on the basis of physical appearance that he grouped people, Freycinet did not seek to order these “races” according to a hierarchy. » (p. 225) Contrairement à Péron, « Freycinet demonstrated no interest in establishing a “racial” hierarchy; in fact, he describes such a variety of characteristics within each group and such problems with

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measuring individuals’ features and strength that, had he tried, any significant comparisons or assessments would have been rather difficult to make. » (p. 227) « In his own observations, there is no sign that the captain subscribed to developing theories of innate character traits or undeveloped, even limited, intellect, that could be either assumed on the basis of race or identified by physical features. » (pp. 231-232) « A similarly humanistic and empirical approach was taken to the subject of intellectual capacity. Freycinet’s evaluations of intelligence were made in reference to what he had observed or otherwise learned of peoples’ skills. » (p. 234) « In fact, there is no pattern in the Voyage, as there would later be in d’Urville’s report, of negative character traits being attributed to the people who least resembled Europeans in their physical features or, conversely, of positive character traits being attributed to people deemedrelatively handsome. » (p. 235) « In all, Freycinet’s understanding of human difference was ambivalent and, correspondingly, his manner of dealing with it, cautious. » (p. 237) « Voyagers’ Enlightenment understandings of humanity were slow to change; as exemplified by Freycinet’s reports from the Uranie voyage, these enduring understandings continued to give humanistic meanings to anthropological data at the same time that laboratory scientists were developing the science of race. » (p. 240)

11 En complément de cet article comme de ceux de S. Konishi et de J. Fornasiero et J. West- Sooby, on pourra se référer à la très précieuse « présentation » de Jean Copans et Jean Jamin ouvrant leur édition des Mémoires de la Société des observateurs de l’Homme (1994), pour mieux comprendre qu’ayant été formé par Baudin, Freycinet soit resté fidèle aux orientations de Gérando et des autres « Idéologistes », posant par principe l’unité de l’espèce humaine.

12 La contribution fermant ce volume est peut-être celle qui impressionnera le plus les lecteurs français. Dans « Imperial Eyes on the Pacific Prize: French Visions of a Perfect Penal Colony in the South Seas », Jacqueline Dutton met au jour deux des ressorts ayant conduit à l’usage de la Nouvelle-Calédonie comme colonie pénitentiaire. Le premier, mêlé de vues relevant plus ou moins de l’utopie, consistait à vouloir déporter ou reléguer au loin celles et ceux que la justice avait déjà mis « au ban de la société ». J. Dutton rappelle que « Charles de Brosses was already extolling the virtues of the faraway continent as an ideal destination for deporting “demi-citoyens” in 1756 » (p. 249), comme on avait déjà fait en Louisiane à l’époque de Manon Lescaut. Le deuxième visait à faire aussi bien sinon mieux que les Britanniques à Botany Bay et à Norfolk Island, utilisée comme « quartier de haute sécurité » pour les convicts les plus rétifs. Après le Mémoire précité de Péron (admirateur de Botany Bay, au contraire de Baudin), vinrent sous la Restauration les propositions de Forestier « de fonder un établissement de condamnés hommes et femmes au Port du Roi George dans la Nouvelle Hollande », affirmant en 1816 : « Il faut encore chercher à quelque distance du Chef Lieu une île ou du moins une terre circonscrite et dont la garde soit facile, où l’on puisse transporter ceux des convicts qui mériteraient de subir un second degré de déportation ».

13 Duperrey et Hyacinthe de Bougainville furent chargés de repérer des lieux propices sur les côtes australiennes, instructions qu’ils n’exécutèrent pas, à la différence de Dumont d’Urville et de Jules de Blosseville, signataire en 1826 d’un Projet d’une colonie pénale sur la côte S.O. de la Nouvelle Hollande. La Révolution de Juillet fit oublier tous ces plans. C’est seulement après la Révolution de 1848 et la prise du pouvoir par Louis-Napoléon Bonaparte que fut relancée l’idée de la déportation dans des colonies plus lointaines que l’Algérie ou le Sénégal, la Nouvelle-Calédonie paraissant en somme le lieu « idéal » :

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« New Caledonia was a “grande terre” in the Pacific, with outlying islands like the Île des Pins. This geographical configuration mirrored precisely that of Australia and Norfolk Island, emphasising the potential for the two-tier rehabilitation process admired by Forestier, by which recidivists or anti-social convicts were transported from Australia to Norfolk Island. » (pp. 271-272)

14 J. Dutton insiste sur le fond « utopique » de l’entreprise, prolongé par les malheureux essais de « phalanstère » saint-simonien du gouverneur Guillain, et plus significativement encore par les erreurs de pronostics sur l’extinction des autochtones inspirées de l’exemple des Aborigènes. Jusqu’où les colons français furent-ils tentés de faire subir aux Kanak les atrocités longtemps tolérées en Australie, c’est une question que n’aborde pas l’auteure, mais que suggère évidemment sa belle étude.

BIBLIOGRAPHIE

COPANS Jean et Jean JAMIN (éds), 1994. Aux origines de l’anthropologie française. Les mémoires de la Société des observateurs de l’Homme en l’an VIII, édition revue et corrigée, Paris, Jean-Michel Place.

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Actes de la Société et Actualités

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In memoriam Pierre Maranda (1930-2015)

Fabienne Labbé et Sandra Revolon

Fabienne Labbé, Sandra Revolon et l’équipe de JSO tiennent à remercier Marie-Pierre Renaud de l’Université Laval, pour les photos provenant des archives de Pierre Maranda.

Pierre Maranda s’est éteint le 5 juillet 2015 à Saint-Nicolas, au Québec, vers 14h. Dans son bureau, assis face à son ordinateur, il composait un courriel adressé à son éditeur. Penser, étudier, explorer, analyser. Lire. Écrire. Échanger, communiquer, partager, transmettre. Sa vie durant, il s’est consacré à cette passion de la recherche qui l’a conduit à composer une œuvre monumentale. Une

œuvre en forme de constellation, croisant l’ethnographie, l’anthropologie, la philosophie, la linguistique, la sémiotique, l’épistémologie, les mathématiques, l’informatique et la muséologie.

Les matériaux ethnographiques collectés par Pierre chez les Lau des îles Salomon et les analyses qu’il en a proposées dans de multiples publications constituent aujourd’hui un travail de référence pour les sciences sociales. Du point de vue ethnographique d’abord, parce que, détaillant avec finesse, respect et rigueur la cosmologie de cette société mélanésienne dans une perspective diachronique, ses recherches de longue haleine dépeignent les transformations intervenues depuis la conversion au christianisme, la pénétration de l’économie de marché et la constitution d’un État centralisé. Méthodologiquement ensuite, à travers notamment les développements auxquels ont donné lieu leur restitution : le site internet Peuples des eaux, gens des îles ( http://www.oceanie.org) et, plus largement, le travail d’archivage au Musée de la civilisation de Québec, auquel il s’est consacré avec son équipe pendant plus de dix ans; outre leur haute valeur scientifique, ces réalisations témoignent de la dimension avant-gardiste de la démarche de Pierre, qui s’est attaché très tôt à réfléchir à la question de la diffusion des sciences sociales auprès de publics variés et de leur restitution vers les sociétés ethnographiées. L’originalité et l’ampleur de la pensée de ce proche de Claude Lévi-Strauss s’expriment enfin dans les analyses structuralistes qu’il a produites, au fil desquelles il a développé une approche sémiotique de la société lau reposant sur le traitement statistique des données ethnographiques et le croisement des disciplines permettant de les analyser. Parmi ses thèmes de prédilection : l’analyse des mythes et de la parenté, les relations homme/femme, la synergie terre/mer, les échanges, la technologie culturelle, la sexualité, le religieux. Mais son éveil au monde et l’éclectisme de sa curiosité l’ont amené à explorer bien d’autres territoires : les Premières Nations de la Colombie-Britannique, la société

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québécoise contemporaine, l’intelligence artificielle et la littérature, à travers notamment l’écriture de pièces de théâtre et la publication d’un roman en 1985 sur les relations conjugales. Jeune pianiste doué et travailleur, il composa aussi des sonates qu’il détruisit lorsqu’il entendit pour la première fois les Variations Goldberg interprétées par Glenn Gould.

Photo 1. – Pierre Maranda sur son terrain, Lagune lau, Malaita, îles Salomon

(© archives Pierre Maranda)

Ouverte et vive, lumineuse, généreuse et profondément humaine, l’œuvre de Pierre est à l’image de l’homme qu’il était : sa gourmandise pour le chocolat, le vin et la gastronomie, son goût pour les voitures et la vitesse, ses fameux costumes japonais, son rire, l’odeur du tabac se consumant dans sa pipe, l’éclat de son regard. Et l’intérêt infini qu’il portait aux autres, avec lesquels il s’efforçait d’entrer en résonance, d’installer une forme de synchronie génésique dont il tirait un plaisir évident, mais qui permettait également à ceux qui avaient l’opportunité de travailler à ses côtés de se construire une estime de soi, de se considérer comme des êtres pensants et créatifs. Sa patience, son érudition et sa modestie, sa qualité d’écoute : « Et toi, qu’en penses-tu ? » ; en agissant avec les autres, il agissait sur eux avec bienveillance. C’est sans doute ce qui faisait la singularité des amitiés qu’il instaurait avec ceux qu’il invitait à partager son univers, un univers d’espièglerie, d’intelligence et de liberté qui continuera de résonner en nous.

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Photos 2-4. – Pierre Maranda sur son terrain, Lagune lau, Malaita, îles Salomon

(© archives Pierre Maranda)

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Bibliographie chronologique de Pierre Maranda

Isabelle Leblic

NOTE DE L’ÉDITEUR

Bibliographie établie pour le JSO à partir de recherches faites sur internet, du catalogue de la bibliothèque du LAS (EHESS Paris) et du Fonds Pierre Maranda.

MARANDA Pierre, 1954. La pureté de la philosophie selon Kant, Nos Cahiers 5, 7 p. (non paginé).

KÖNGAS-MARANDA Elli and Pierre MARANDA, 1962. Structural models in folklore, Midwest Folklore 12, 3, Special Issue, pp. 135-192.

MARANDA Pierre, 1954. Recherche d’une synthèse pour notre temps, Collège et famille 12, 4, pp. 136- 140.

MARANDA Pierre, 1955. Claudel et l’humanisme, Collège et famille 21, 5, pp. 206-210.

MARANDA Pierre, 1959. Textes classiques hindous: présentation, textes et notes explicatives, Échanges 10, 17 p. (non paginé).

MARANDA Pierre, 1963. Note sur l’élément de parenté, Anthropos 58, pp. 810-828.

MARANDA Pierre, 1964. Kinship semantics, Anthropos, International review of ethnology and linguistics 59, pp. 517-528.

MARANDA Pierre, 1964. Marquesan Social Structure: An Ethnohistorical Contribution, Ethnohistory 11, pp. 301-379.

MARANDA Pierre, 1966. Formal analysis and intra-cultural studies (Analyse formelle et études inter-culturelles), Symposium on Cross-

Cultural Research Tools in Comparative Social Anthropology, Paris, 19-22 septembre 1966, 23 p. multigr.

MARANDA Pierre, 1967. Computers in the Bush: Analysis of Ge Mythology, in J. Helm (ed.), Essays on the Verbal and Visual Arts, Proceedings of the 1966 Annual Meetings of the American Ethnological Society, Seattle, University of Washington Press, pp. 77-83.

MARANDA Pierre, 1967. Formal Analysis and Intra-Cultural Studies, Social Science Information UNESCO Vl, 4, pp. 7-36. MARANDA Pierre, 1967. Lecture mécanographique des mythes, Informations sur les sciences sociales/Social Science lnformation UNESCO VI, 5, pp. 219-222.

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Filmographie

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Logiciels

MARANDA Pierre, avec Brock TAYLOR, 1974. HEROFINDER, A Computer system for contingency analysis, Vancouver, B.C., Department of Anthropology & Sociology, University of British Columbia.

MARANDA Pierre, avec Sylvie NADEAU, 1989. DISCAN/MICROMOT 2.0, logiciel d’analyse de contenu et de discours au moyen des chaînes de Markov, Québec, Laboratoire de recherches sémiographiques en anthropologie.Fabienne Labbé, Sandra Revolon et l’équipe de JSO tiennent à remercier Marie-Pierre Renaud de l’Université Laval, pour les photos provenant des archives de Pierre Maranda.

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In memoriam Betty Villeminot (1924-2015)

Christian Coiffier

Betty Villeminot nous a quitté à l’âge de quatre-vingt onze ans le 28 septembre dernier. Son nom reste associé à celui de son mari Jacques dans la mémoire des nombreux spectateurs des conférences « Connaissance du monde », association placée sous le haut patronage du ministère de l’Éducation nationale. En effet, ces infatigables voyageurs firent découvrir les contrées lointaines de l’Australie et des îles du Pacifique à un très large public alors que les documentaires télévisés étaient encore rares et les voyages touristiques aériens encore peu abordables. C’est ainsi qu’ils présentèrent leurs nouveaux films à la salle Pleyel et dans les salles de spectacles des villes de province. Betty participa grandement à la réalisation des publications illustrées qui accompagnaient chacune de leurs conférences (Coiffier, 2013 : 238). Le matériel documentaire (films, photos, livres, objets ethnographiques) rapporté par Betty et Jacques demeure aujourd’hui un témoignage unique sur la vie de certaines communautés océaniennes dans la seconde moitié du vingtième siècle. Betty participa à presque toutes les expéditions et à tous les tournages que le couple effectua dans des régions souvent difficiles d’accès à cette époque. C’est elle qui s’occupait principalement de l’organisation de l’intendance, ce qui est primordiale pour le bon succès de telles expéditions. Betty était toujours présente discrètement aux côté de Jacques lors des conférences et c’est ainsi que je fis sa connaissance il y a plus de cinquante ans. Elle avait souvent quelques anecdotes originales à ajouter aux commentaires de son mari sur les films projetés. C’est elle, toujours avec le sourire, qui assurait souvent les dédicaces des divers ouvrages écrits avec Jacques et dont la vente clôturait traditionnellement les séances de Connaissance du monde.

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Photo 1. – Betty Villeminot parmi les hommes et les femmes de la vallée de la Waghi

(cliché de Jacques Villeminot, 1960)

Betty a consacré beaucoup de son temps à l’écriture. Son dernier ouvrage personnel, Alcheringa, le Temps du Rêve éternel, traduit en anglais et en espagnol, reçu un certain succès bien mérité. Cet ouvrage très humaniste évoque avec une précision anthropologique le long calvaire subit depuis plus de deux siècles par les communautés Aborigènes d’Australie. C’est en quelque sorte un véritable testament qu’elle a souhaité laisser aux nouvelles générations. En janvier 2011, Betty et Jacques Villeminot honorèrent de leur présence le cinéma des Océanistes au musée du quai Branly. Ils commentèrent la version numérisée de leur film Les Hommes oubliés d’Australie réalisé plus de cinquante années auparavant dans le désert australien. Bien qu’affaiblie par la maladie Betty, avec laquelle j’avais pu converser chez elle il y a quelques mois, avait gardé un esprit vif et volontaire. Elle portait toujours un regard plein de curiosité sur le monde, teinté cependant d’une certaine nostalgie.

BIBLIOGRAPHIE

VILLEMINOT Betty, 1997. Alcheringa, le Temps du Rêve éternel, Paris, Albin Michel.

COIFFIER Christian, 2013. Les rêves océaniens de Jacques et Betty Villeminot, Journal de la Société des Océanistes 136-137, pp. 233-238 (http://jso.revues.org/6877).

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À propos de la thèse de Patrice Godin

Bernard Rigo et Serge Tcherkézoff

Le 30 septembre 2014, à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Patrice Godin a soutenu publiquement sa thèse de doctorat, « Les échanges sont le souffle de la coutume : logiques sociales de la ‘vie’ et de la ‘puissance’ en pays hyeehen (Nouvelle-Calédonie, côté nord-est) », devant le jury présidé par Adriano Favole, professeur en anthropologie sociale et culturelle à l’Université de Turin, et constitué, en plus du directeur de thèse, Bernard Rigo, professeur en langues et cultures océaniennes à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, par MM. Tamatoa Bambridge, directeur de recherche en sciences humaines et sociales au CNRS, Alexandre Mawyer, maître de conférences en Pacific Studies à l’Université d’Hawai’i-Manoa et Serge Tcherkézoff, directeur d’études en anthropologie sociale et culturelle à l’EHESS. Cette thèse est centrée sur la région nord-est de la Nouvelle-Calédonie, le « pays hyeehen » (la région de Hienghène). Patrice Godin a suivi un parcours qui, à l’instigation de Jean-Marie Tjibaou, l’a mené de la rénovation du musée de la Nouvelle- Calédonie et de la conception du centre culturel-musée de Hienghène, à la conduite d’enquêtes anthropologiques dans les pays de Hyeehen et Tnedo, sur la côte nord-est de la Grande Terre. Le cœur du travail : la mise en évidence d’un schéma socio-culturel fondamental qu’on retrouve à l’œuvre à tous les niveaux de la structure sociale des communautés kanak de la région et cela sur plus d’un siècle et demi de présence française et celle des transformations sociales – en l’occurrence du milieu XIXe siècle à nos jours – des chefferies anciennes, des « réserves » et des « tribus » de la période coloniale et des groupements juridiques modernes comme les GDPL (groupement de droit particulier local). Ce schéma, sous-tendant la définition de l’identité sociale, ne dissocie pas ancrage au sol et échanges (de femmes, d’enfants, de noms, de terres, de richesses et de vivres), liens de parenté – pensés dans le registre de la germanité – et hiérarchie de statuts, rapports entre les vivants et les morts, et rend intelligible des domaines aussi divers que les représentations de l’espace, la structure des sous-clans, le vocabulaire de la parenté, l’échelle des statuts sociaux et la relation aux « chefs », la double nature de la chefferie, enracinée mais d’origine extérieure, la construction de la

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personne dans toutes les étapes de la vie par le cycle des échanges cérémoniels, ainsi que la relation aux morts et au malheur, etc. En dernière lecture, c’est toute l’organisation sociale et son système rituel des communautés de Hyeehen et Tnedo qui demandent à être référés à une cosmologie en action dont les idées-valeurs fondamentales sont aujourd’hui encore la « vie » (maric) et la « puissance » (jinu). La « vie », portée par les discours, les monnaies, les richesses et les vivres donnés par les parents utérins dans les échanges cérémoniels, la « vie » comme souffle créateur venant de la terre et y revenant à la mort, source de fécondité et de fertilité, matière même des relations de parenté entre les hommes et don des ancêtres. La « puissance », enfermée dans les « médicaments » de chaque clan paternel et de la chefferie, la « puissance » comme force et énergie prodiguées et nécessaires au développement et à la protection de la « vie » qui n’existe par définition qu’en quantité limitée au sein de chaque personne, de chaque lieu, de chaque groupe social. À propos de ce schéma d’une circulation cérémonielle-cosmologique, il faut évoquer la mémoire de Daniel de Coppet, responsable de l’équipe de recherche du CNRS (« ERASME ») à laquelle Patrice Godin fut longtemps associé : son article de 1968 paru dans l’Homme, « Pour une étude des échanges cérémoniels en Mélanésie », exerça une influence déterminante dans la réflexion conduite par Patrice Godin. La thèse suit un plan d’une grande clarté logique et pédagogique. Le premier des sept chapitres permet de situer les Hyeehen dans leur espace géographique et leur histoire récente : informations sur l’environnement naturel, le découpage administratif actuel des communautés, la démographie, les langues, l’économie et la colonisation. Déjà sur ce domaine, on est frappé par le luxe de détails : mention de treize variétés composant la forêt, distinction des quatre types de roussettes au sein des neuf espèces de chiroptères, etc. Le découpage territorial complexe est bien présenté, pour aider le lecteur dans une complexité ajoutée par les transformations coloniales : districts administratifs, grandes chefferies précoloniales, « Maisons », terroirs divisés en réserves et villages, « tribus » dans le langage de l’administration coloniale. La situation linguistique est clarifiée entre les quatre idiomes de la région hyeehen. L’évolution démographique est clairement présentée. La situation foncière et son évolution, enjeu fondamental, est éclaircie : foncier global de la région, foncier coutumier (GDPL/terres de réserves/terres claniques). Au plan économique et/ou agricole est soulignée l’évolution contrastée qui fait que, malgré une augmentation des terres coutumières depuis 1984 par la reprise de terres spoliées, la surface agricole effectivement utilisée a diminué d’un quart. L’horticulture demeure cependant fondamentale et l’étude des échanges cérémoniels proposée plus loin le montre amplement (cycle de l’igname, etc.). À cette présentation géographique succède une autre historique qui expose, depuis les premiers contacts (James Cook) jusqu’à la prise de possession, l’interaction avec les chefferies locales, le balancement colonial qui veut affermir l’autorité de l’État, parfois contre l’autorité missionnaire mariste, le jeu subtil entre le grand chef Bwaarhat et le gouverneur Guillain. L’auteur montre de quelle façon la région hyeehen fut relativement moins touchée par les spoliations foncières et la politique de « transportation pénale » que d’autres parties de la Nouvelle-Calédonie, et cela jusqu’à la fin du 19e siècle. Ensuite, après 1890, ce sont là aussi les violences militaires coloniales comme ailleurs en Nouvelle-Calédonie, la guerre de 1917 et jusqu’à la revendication nationaliste contemporaine. Mais cette histoire fait que la région hyeehen, plus que d’autres sans doute, a conservé une part de son patrimoine culturel

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et rituel, au moins dans une mémoire transmise et que P. Godin a pu interroger durant de nombreuses années. Le deuxième chapitre traite de la conceptualisation de l’espace, afin de cerner l’ancrage et l’ouverture au monde, principes exprimés dans la figure emblématique de la « maison » (nga, hwanga). Il ouvre déjà toute la problématique qui est de montrer comment, selon les contextes, l’organisation sociale hyeehen articule lien au sol et échanges. Le système de repérage combine la référence à l’environnement et la référence à Ego. L’ensemble des oppositions courantes en Océanie (vers la mer/vers l’intérieur des terres, aval/amont, vers le large/la côte etc.) se laisse regrouper en un système avec un axe orienté « haut/bas » et un axe non orienté du déplacement transversal (« à niveau »), en quelque sorte perpendiculaire au premier axe. De nombreuses pages décrivent les divers cas possibles de la conceptualisation de la maison, puis du groupe local à celle de toute la Grande Terre, et même la carte du ciel, la course du soleil et la division quotidienne du temps, et toute la cosmologie (l’univers dans sa verticalité est comme une case ronde, le ciel voûte qui rejoint la mer à l’horizon), jusqu’à la représentation tripartite du corps humain et du corps de l’igname qui est si central dans les échanges cérémoniels. Ce même système sert à énoncer les questions de statut entre personnes (rappelons que nous sommes dans des sociétés où la question du rang de chacun est omniprésente, trait « polynésien » dirait-on si l’on conservait la fausse opposition « Mélanésie/Polynésie »), tout à fait indépendamment de la topographie : être en relation avec un supérieur est « monter » vers lui (un inférieur : « descendre » ; un égal « être à niveau »). À ce propos, l’auteur note que souvent, le « respect » de l’autre conduit à faire une distinction : faire référence à soi et dire que l’on « monte » vers un supérieur, mais, si l’on est soi-même le supérieur, éviter de dire que l’on « descend » et dire que l’on est « à niveau », ou bien utiliser une autre référence (parenté, âge, et même topographie environnante) pour trouver le moyen de dire à l’autre, pourtant de rang inférieur, que l’on « monte » vers lui. Là aussi c’est un trait « polynésien » caractéristique (où l’on utilise aussi la différence des registres lexicaux : tout un vocabulaire spécialisé pour s’adresser à un supérieur, mais le supérieur ne l’utilisera jamais pour lui-même en parlant à un inférieur). Enfin, les repères que nous appelons, à tort, « ego-centrés », où peut se dire le déplacement entre Ego et d’autres, font en fait référence au centre habituel de vie locale, et sont eux- mêmes socio-centriques. Très généralement, on peut parler d’une représentation holiste de l’espace (sans disjonction radicale entre espace, personne, univers et société). Le troisième chapitre relie la conceptualisation hyeehen de l’espace à l’organisation sociale, et en dégage un schéma idéal, autour du concept de « maison » par une double référence: d’une part aux lieux interdits (hiri lek) qui non seulement ancrent les morts dans leurs terroirs, mais aussi les intègrent dans un vaste réseau de communications à l’échelle sinon de l’univers, du moins de la région ; d’autre part aux « chemins » (cneedan) qui relient les vivants au sein des « maisons » et les « maisons » entre elles aux travers des échanges. La Maison la plus large, dite aussi « pays », est une communauté-et-un-territoire sous l’autorité d’un grand chef ou aîné suprême tneamaa, avec une case cérémonielle dite « grande maison ». La littérature et l’administration l’ont considérée comme une « chefferie ». Au deuxième niveau, la « maison-souche », sous l’autorité d’un chef daama de rang inférieur, souvent supplantée par l’invention coloniale de la « tribu » qui regroupe en un seul lieu de « réserve » plusieurs maisons- souches précoloniales, invention transformée depuis les années 1980 avec la réattribution de terres et les GDPL qui les gèrent. Au troisième niveau, la « maisonnée »

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qui rassemble des familles autour d’une case ronde ou « vraie maison » et d’une place réservée aux rassemblements et aux échanges cérémoniels. L’unité de la chefferie (pays) se donne à voir par la notion de « muret » ba, muret de pierres sèches qui soutient le tertre sur lequel la Grande Maison est érigée. Notion éminemment centripète où le territoire est défini non par des frontières tangibles, qui furent très mouvantes selon les alliances et l’autorité-prestige du chef, mais comme l’aire où on voit agir l’aptitude du chef à coaliser des groupes d’origines diverses en une même société. (Là encore on voit les nombreux rapprochements à faire avec le système des « titres » et les Maisons de ces titres, qui définissent de la même façon le territoire coutumier dans le système polynésien des Iles Samoa). Au delà de cette limite mouvante, règne l’aptitude d’un autre chef à coaliser, et donc un autre « pays » ou Grande Maison. Le réseau que le « pays » constitue est maintenu et constamment vivifié par les messages qui, accompagnés d’une étoffe de tissu (auparavant des écorces comme le tapa polynésien, aujourd’hui des « manous », rouleaux de tissu imprimé), distribuent (« descendent ») la « parole » du Chef à ses « soutiens » (les maisons de niveau inférieur, les maisons-souche et leurs chefs daama), selon des « grands chemins » cérémoniels et statutaires bien établis (là encore on voit la comparaison avec la Polynésie occidentale). La parole appelle aussi à des travaux collectifs (réfection de maisons, champ collectif d’ignames, etc. et rassemblement de dons qui « remontent » ainsi. Ce réseau est appelé par les habitants la « filoche », la corde qui relie par leur tête les poissons pêchés et portés. L’auteur analyse de près, dans l’histoire et la période contemporaine, les « grands chemins » des deux Grandes Maisons qui constituent la région hyeenhen qui est l’objet de l’étude présentée ici. Toutefois ces « chemins » sont aussi ceux qui sont « interdits » car ils étaient la voie empruntée par les morts pour rejoindre le monde sous-marin. Aujourd’hui encore, on peut entendre parfois les morts sur ces chemins. L’auteur cartographie ensuite avec minutie la longue liste des maisons-souche des deux Grandes Maisons de la région, les allées cérémonielles de ces Maisons où se distribuaient hiérarchiquement les maisonnées, en incluant l’étude et la localisation des divers sites « interdits », ceux où les esprits ancestraux se rassemblent, où certains rituels anciens de la chefferie étaient effectués, anciens cimetières, lieux cachés qui servaient à préparer les « médicaments » de la chefferie, etc. Puis il décrit la construction et le schéma des Maisons (de chef : case ronde) et des tertres, avec l’analyse terminologique de toutes les parties de la maison, et, pour dire bref, l’analyse symbolique (l’ensemble, les différents axes d’orientation, etc.) qui révèle, comme souvent, le caractère cosmomorphe de la maison et sa construction comme un acte générateur de « vie » maric, notion fondamentale de la société et au cœur du système des échanges cérémoniels, comme on l’apprend plus loin. Le système de représentation de l’espace déjà décrit se retrouve évidemment dans la maison. La Grande Maison, et aux niveaux inférieurs la maison-souche, commandent l’organisation spatiale de l’allée cérémonielle le long de laquelle les autres maisons sont situées, où, à travers des études de cas détaillés, on retrouve les grands principes déjà repérés. Enfin, une étude comparée de topographie traditionnelle et de topographie de « tribus » issues des transformations coloniales montre d’une part l’intrication entre les références spatiales aux morts d’avant la christianisation et aux morts chrétiens, et montre ce qui demeure intangible dans l’inscription spatiale des relations entre chefs et soutiens,

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entre esprit ancestral du lieu et fondateurs, entre hommes et femmes, entre vivants et morts. Le quatrième chapitre, après une présentation du vocabulaire des relations sociales hyeehen, porte sur les rapports qui président à la constitution des « chefferies » et des « clans ». L’organisation sociale hyeehen présente des traits singuliers comparativement aux autres communautés kanak de la Grande-Terre ; elle apparaît aussi très différente de ce qu’elle était avant les débuts de la colonisation, à la fin du XIXe siècle. Dépendante de son ancrage à la terre, elle n’a résisté aux spoliations foncières et aux déplacements forcés qu’en se reconstruisant à l’économie sur les bases territoriales réduites que lui concédait le colonisateur. Pour autant, elle n’a pas tout oublié de ses fondements et il est encore possible d’en restituer la logique sociale et historique. Mais pour ce faire, il faut revenir de manière critique sur la représentation du don du chef à un étranger et interroger les « secrets » dont les Hyeehen entourent l’origine de leur système social, leurs « mythes » et les versions parfois contradictoires qu’ils en donnent. Ce chapitre comprend également une analyse du vocabulaire de parenté hyeehen en relation d’une part avec les principes d’identité qui fondent les liens de consanguinité entre individus, d’autre part avec les règles affichées du mariage et développe un nouveau concept opératoire, celui d’hétéro-germanité diachronique ou généalogique, afin de rendre compte de la place centrale qu’occupe la relation frère- sœur dans l’organisation des communautés hyeehen. Dans le chapitre 5 sont décrits et analysés les échanges cérémoniels (genaman) qui prennent place tout au long du cycle de vie de chacun, échanges de richesses et de vivres qui permettent la construction non seulement de la personne et du lien social, mais aussi du monde dans sa totalité. Le chapitre 6 traite de la maladie, comme « signe » du désordre dans les échanges, et de son traitement. Il met en évidence toute l’importance de la relation aux morts et aux esprits en général dans la construction de l’ordre social hyeehen. Le septième et dernier chapitre s’attache à comprendre la chefferie à la fois comme institution particulière et comme système des échanges qui, en lien avec la cosmologie, donne sa structure à la société hyeehen dans son ensemble. Il présente en particulier le cycle cérémoniel de la culture de l’igname. Il développe une thèse proche des théories d’Hocart qui veut que ce soit en dernière instance le système rituel, et donc une cosmologie en action, qui structure ces formations sociales singulières que sont les chefferies hyeehen et qui continue de donner partiellement sens à leur histoire. Le texte est suivi d’une brève conclusion comparative à l’échelle régionale, en particulier sur la notion sociologique de “Maison”, puis d’une annexe historique très fournie sur les transformations des deux Maisons hyeehen et enfin d’un lexique détaillé. Cette thèse est la restitution d’une partie des recherches minutieuses menées de façon continue sur trente-trois ans par un acteur important de la culture et de l’histoire de ce pays, quelqu’un qui possédait dès le début des compétences particulièrement adaptées à son projet : l’expertise professionnelle du muséographe, le souci du détail de l’ethnographe et la maîtrise des grandes théories et approches de l’anthropologie sociale et culturelle. C’est cette longue durée qui a permis un travail sur la langue et dans la langue. Cette connaissance fine du nemi, langue kanak menacée qui compte déjà moins d’un millier de locuteurs, est l’outil indispensable de l’anthropologue pour comprendre la sophistication du système de parenté, les articulations symboliques

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entre le visible et l’invisible, la logique en acte dans la construction de la case, les représentations qui prévalent dans la préservation du corps physique et du corps social. Le lexique nemi en annexe n’est pas seulement utile à la compréhension de la thèse, il est aussi une contribution importante à la connaissance de cette langue et, on l’espère, le socle d’un dictionnaire à venir. Un aspect qui peut paraître inattendu doit être relevé : les membres du jury ont tous été frappés par « l’air de famille », comme dirait Wittgenstein, entre des éléments culturels majeurs que Patrice Godin décrit dans le détail pour les communautés hyeehen et qu’on retrouve quasi à l’identique dans la Polynésie, aussi bien occidentale qu’orientale. Ce n’est pas le moindre mérite de ce travail que de contribuer à fragiliser encore davantage la frontière que Dumont D’Urville a placée entre Mélanésie et Polynésie. Sur des questions aussi précises que la structure du vocabulaire de parenté, le jeu entre localité et affiliation dans les unités sociales qui sont des « maisons », la structure centripète de l’aire d’autorité d’une chefferie, du tertre kanak à la « grande maison » samoane ou le marae de Polynésie orientale, les homologies, et souvent de véritables similitudes, sont frappantes. La grande leçon donnée par ce travail est aussi la manière dont des schémas socioculturels de longue durée perdurent au-delà des profonds bouleversements que les sociétés kanak ont connus par la colonisation. Par exemple, sur la question de l’évangélisation, Patrice Godin souligne une juxtaposition (et non un syncrétisme) : « Avec le christianisme, on peut dire de manière quelque peu paradoxale que tout a changé et que rien n’a changé. Tout a changé puisque les esprits des défunts ne vont plus aujourd’hui vivre une seconde vie dans l’ancien royaume des morts de Tiduuon situé à l’embouchure de la Ouaième, mais gagnent en fonction de leurs péchés le paradis ou l’enfer, que les cérémonies funéraires ne réclament plus l’intervention de deuilleurs chargés de veiller sur les cadavres et de permettre la transformation des esprits des vivants en ancêtres, etc. Rien n’a changé car les morts restent des acteurs à part entière de la société, qu’on leur parle, qu’on leur adresse des prières et des offrandes et qu’en retour les morts ne cessent d’interférer dans le monde des vivants […] Les morts continuent à être les gardiens de la loi. Ils sanctionnent sa transgression en envoyant des maladies et des malheurs et ils soignent ces maladies et ces malheurs dès lors qu’on accepte de réparer les fautes que soi-même, ses proches ou ses ancêtres ont pu commettre. » (extrait de la soutenance) On retiendra aussi que les « fautes » les plus sanctionnées sont des manquements aux prestations réclamées par les échanges cérémoniels. Ce constat est très significatif car on peut généraliser à l’échelle de toute une partie de l’Océanie. Les systèmes politiques, l’usage de la langue, et la tenure foncière ont été profondément transformés au cours de la période coloniale. Mais, du moins quand demeurent à la fois l’usage, même transformé, de la langue locale et une part au moins de la tenure foncière « coutumière », les conceptions du renouvellement de la vie, pour chaque individu et au niveau des unités sociales, demeurent également, du moins tant que le système des échanges cérémoniels continue d’exister – et de faire sens, c’est-à-dire que les « richesses » (monnaies traditionnelles, etc.) échangées continuent de porter l’idée même du renouvellement de la vie. C’est en ce sens que, en pays hyeehen, les échanges sont « le souffle de la coutume », et que nous devons retenir la leçon donnée par cette thèse, avec sa description de chaque type de « monnaie » donnée, de chaque type d’échange cérémoniel conduits au cours du cycle de la vie, qui tous ensemble constituent en fin de compte le système des idées-valeurs maric et jinu.

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En cela, cette thèse est très utile aux lecteurs de l’Essai sur le don de Mauss et au cercle des Océanistes. Mais aussi et surtout elle est utile aux Hyeehen eux-mêmes qui y trouveront des éléments de mémoire et de transmission, sur un fond apaisé de reconnaissance.

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Assemblées générales extraodinaires 2015 : modification des statuts

Assemblée générale extraordinaire du 3/8/2015

L’Assemblée générale extraordinaire débute à 15h10. Son ordre du jour concerne la modificaiton des statuts de la SdO afin de lui permettre de réaliser, produire, distribuer, diffuser et éditer des oeuvres audiovisuelles et cinématographies… Chacun des adhérents s’est exprimé sur la question suivante par « oui » ou par « non » ou par un vote blanc ou une abstention : « Êtes-vous d’accord avec les modifications des statuts de la Société des Océanistes proposées ? » Les ajouts aux anciens statuts apparaissent en gras : « La Société des Océanistes, fondée en 1945, est une association loi 1901 dont les principaux buts sont de rassembler les personnes s’intéressant à l’Océanie, de réunir les documents susceptibles de favoriser des études sur l’Océanie et de publier différents ouvrages dont le Journal de la Société des Océanistes (JSO), ou de produire des œuvres sur tous supports. I. But, siège et composition de la société Article premier L’association “Loi 1901” dite “Société des Océanistes”, a été créée en 1945. Elle a pour but : • de grouper les personnes s’intéressant à l’Océanie • de réunir et de diffuser les documents susceptibles de favoriser la connaissance de l’Océanie • de faciliter les échanges de vue par des réunions • de publier : le Journal de la Société des Océanistes ainsi que d’autres publications • de réaliser, produire, distribuer, diffuser et éditer des œuvres audiovisuelles et cinématographiques, de documentaires ou de fictions sur différentes sujets traitant de

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l’Océanie, et de promouvoir par diverses actions (expositions, festivals…) les œuvres produites. • d’organiser des congrès, des conférences ou des expositions. » Les membres à jour de leur cotisation 2015 à cette date sont au nombre de 90. • Nombre de votants sur place : 4 • Nombre de votants par correspondance : 26 • Nombre total de votants : 30 • Nombre total de votes valides : 29 Le quorum n’étant pas atteint, l’assemblée générale extraordinaire ne peut donc pas siéger et valider les modifications. Une nouvelle assemblée générale extraordinaire doit donc être convoquée. et, suivant les statuts, elle pourra valablement délibérer quel que soit le nombre des présents.

Comme prévu dans le courrier du 6 juillet 2015, cette seconde AGE se tiendra le mardi 1er septembre 2015, à 15h00, salle de cours n°2 du musée du quai Branly. L’ordre du jour concernera donc à nouveau et exclusivement les changements de statuts en lien avec les activités audiovisuelles de la Société des Océanistes. Elle est destinée à valider ou invalider les propositions du Conseil d’administration afin de pouvoir obtenir, comme nous l’avons expliqué dans notre précédant courrier, le versement de subventions liées à notre nouvelle activité dans le domaine audiovisuel. L’AGE, ayant épuisé son ordre du jour, est close à 15h30.

Assemblée générale extraordinaire du 1/9/2015

L’Assemblée générale extraordinaire débute en salle de cours n°2 (musée du quai Branly) à 15h05. Les membres à jour de leur cotisation 2015 à cette date sont au nombre de 96. • Nombre de votants sur place : 6 • Nombre de votants par correspondance : 16. • Nombre total de votes exprimés valides : 22 Conformément aux statuts de la société des Océanistes (http://www.oceanistes.org/ oceanie/spip.php?article2), cette seconde assemblée générale extraordinaire peut valablement délibérer quel que soit le nombre des présents. À la question : « Êtes-vous d’accord avec les modifications des statuts de la Société des Océanistes proposées ? » 22 votes ont répondu oui contre 0 vote non. Les nouveaux statuts, portant sur l’objet de la société des Océanistes, sont donc adoptés.

L’AGE, ayant épuisé son ordre du jour, est close à 15h30.

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Cinéma des Océanistes et Conférences de la SdO

18 juin 2015 : cinéma*

Damien Faure : West Papua (2002, 52 mn, Kimsa Films), en présence du réalisateur et de Philippe Pataud-Célérier, auteur, journaliste En Papouasie Occidentale sévit depuis quarante ans une guerre oubliée des médias. Le peuple papou lutte pour sa survie face aux militaires indonésiens.

17 septembre 2015 : conférence*

Aurélie Condevaux (EIREST, université François Rabelais, Tours) : La démocratie tongienne au prisme du « patrimoine » En 2008, le royaume tongien fut porté sur le devant de la scène internationale par l'inscription du lakalaka – forme de poésie chantée et dansée étroitement liée à la structure sociale hiérarchique tongienne – sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité de l'UNESCO. Tonga devint ainsi l'une des rares nations du Pacifique (avec le Japon et les Philippines) à être représentée sur cette liste. Comment l'approche anthropologique du processus de « mise en patrimoine » du lakalaka peut nous renseigner sur les dynamiques ayant trait à la structure hiérarchique tongienne et au processus de démocratisation ?

15 octobre 2015 : cinéma*

Alan Nogues : La dernière révolte. Documentaire sur la guerre kanak de 1917 (2015, 70 mn, Émotion Capturée/ADCK/NC1ère) À l'ombre immense de la Grande guerre en Europe, dans un pays régi par le conde de l'Indigénat, la Nouvelle-Calédonie, se fomentait la dernière révolte kanak qui allait secouer la région de Koné et de Hienghène en 1917, et semer la panique dans tout le

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pays. La dernière révolte est un documentaire qui se propose de lever le voile sur un gouffre de l'histoire coloniale longtemps resté dans l'ombre.

12 novembre 2015 : conférence*

Pacifique(S) contemporain : rencontre avec les artistes Michel Tuffery, George Nuku, Tracey Tawhiao, Rachael Rakena, Natalie Robertson, Janet Lilo, Jeremy Leatinu'u En novembre et décembre 2015, quatorze artistes contemporains, māoris et du Pacifique, vivant en Nouvelle-Zélande, exposeront leurs œuvres sur plus de dix sites simultanément au Havre et à Rouen. Cette rencontre avec sept de ces artistes sera l'occasion d'aborder avec eux les thèmes centraux de ces expositions qui explorent et développent les relations et les affinités entre le Pacifique et la France

17 décembre 2015 : cinéma*

Hélène Guiot : Paroles de tapa (2015, 52 mn, Société des Océanistes), en présence de la réalisatrice et d'Isabelle Leblic Au rythme des battoirs, les tapa d’Océanie prennent vie. Paroles, regards, gestes… participent de cette création, nourrissent l'immatérialité et donnent sens à ces étoffes. Tourné à l’occasion du premier festival des tapa d’Océanie, le documentaire Paroles de tapa se fait l’écho des savoir-faire et de la vitalité de ce patrimoine ancestral.

Appel pour les Conférences et le Cinéma de la SdO (année 2016)

La Société des Océanistes au musée du quai Branly poursuit en 2016 le cycle de conférences et de projections de film consacrées au monde océanien. Dédiées à la diffusion des connaissances sur le Pacifique, ces conférences et séances de cinéma abordent les thèmes les plus divers (littérature, anthropologie, sciences du vivant, arts…). Chaque conférence ou séance de cinéma, d’une durée d’une heure, est suivie d’échanges et de discussions pour une seconde heure. Ce programme se déroule le jeudi, une fois par mois, dans la salle de cinéma du musée du quai Branly, de 18h à 20h. Si vous souhaitez présenter une communication ou un film, merci de nous envoyer une proposition comprenant vos noms et adresse email, le titre et le résumé de votre papier (500 mots maximum) ou le film à l’adresse suivante : [email protected] et/ou [email protected].

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NOTES

*. Les séances de cinéma ont lieu dans la salle de cinéma et les conférences dans l’atelier 1, au musée du quai Branly de 18 h à 20 h (entrée libre dans la mesure des places disponibles)

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Liste des ouvrages reçus

NOTE DE L’ÉDITEUR

[La liste précédente est incluse dans le numéro 140]

2015

BENNETT Judith A. (ed.). Oceanian Journeys and Sojourns. Home thoughts abroad, Dunedin, Otago University Press, 390 p., bibliogr., index, ill. noir et blanc (CR à venir).

BONNEMÈRE Pascale. Agir pour un autre. La construction de la personne masculine en Papouasie Nouvelle-Guinée, Aix-en-Provence, PUP, coll. Penser le genre, 242 p., glossaire, bibliogr., ill. couleurs (CR à venir). BOULAY Roger. Casse-tête et massues kanak, Igé, Éditions de L'Étrave, 63 p., bibliogr., très nombreuses ill. couleur et noir et blanc (CR dans le numéro 140). DRUETT Joan. Tupaia. Le ilote polynésien du Capitaine Cook, traduit de l’anglais par Henri Theureau et Luc Duflos, Tahiti, ’Ura Editions, 415 p., bibliogr., lexique, ill. couleurs et noir et blanc (CR à venir). FINNEY S. et al.. At Home and in the Field. Ethnographic encounters in Asia and the Pacific Islands, Honolulu, University of Hawai’i Press, 331 p., bibliogr., index (CR à venir). HVIDING Edward & Geoffrey White (eds). Pacific Alternatives. Cultural politics in contemporary Oceania, Canon Pyon, Sean Kingston Publishing, 285 p., index, photos en noir et blanc (CR à venir). HOWARTH Crispin. Myth + Magic. Art of the Sepik River, Papua New Guinea, with contributions by Barry Craig and Natalie Wilson, Canberra, National Gallery of Australia, 232 p., bibliogr., carte, 132 ill. noir et blanc et couleur (CR à venir). JACOBS Karen, Chantal KNOWLES and Chris WINGFIELD (eds). Trophies, Relics and Curios? Missionary Heritage from Africa and the Pacific, Leiden, Sidestone Press, 218 p., bibliogr., index, nombreuses illustrations in et hors texte (CR dans ce numéro).

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JEBENS Holger (ed.). Storybuk Pairundu. Tales and legends from the Kewa (southern Highlands, Papua New Guinea), collected by Alex Yapua Ari, Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 356 p., bibliogr., index, ill. couleur. MACKLEY-CRUMP Jared. The Pacific Festivals of Aotearoa New Zealand. Negotiating Place and Identity in a New Homeland, Honolulu, University of Hawai’i Press, 217 p., glossaire, bibliogr., index (CR à venir). MARTINEZ Julia and Adrian VICKERS. The Pearl Frontier. Indonesian Labor and Indigenous Encounters in Autralia’s Northern Trading Network, Honolulu, University of Hawai’i Press, 227 p., appendix, notes, bibliogr., index, ill. noir et blanc (CR à venir). POINTER Margaret. Niue 1774-1974. 200 Years of Contact and Change, Otago, Otago University Press, 376 p., glossaire, bibliogr., index, très nombreuses ill. dans le texte (CR à venir). SPURWAY John. Ma‘afu, prince of Tonga, chief of Fiji. The life and times of Fiji’s first Tui Lau, Canberra, Australian National University Press, xl-694 pp., appendices, glossaire, bibliogr., index, cartes, 80 documents photographiques (CR dans ce numéro). TOREN Christina and Simonne PAUWELS (eds). Living kinship in the Pacific, New York Oxford, Berghahn Books, Pacific perspectives: Studies for European Society for Oceanists 4, 266 p., bibliog., index, graph. (CR à venir).

2014

BENCIVENGO Yann, 2014. Nickel. La naissance de l’industrie calédonienne, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Perspectives historiques », , 420 p., glossaire, bibliogr., état des sources, chronologie, index, 89 illustrations noir et blanc et couleur, annexes comportant 106 illustrations en noir et blanc (photographies et cartes) (CR dans ce numéro).

CAMUS Guigone. Tabiteuea, Kiribati, Paris, Fondation culturelle Barbier-Mueller, Hazan, 184 p., bibliogr., aide-mémoire, 152 ill. couleur, 7 cartes (CR dans le numéro 140). CLÉMENT Julien. Cultures physiques. Le rugby de Samoa, Paris, Éditions Rue d’Ulm, coll. Sciences sociales, 247 p., notes, 2 annexes, bibliogr., 14 ill. couleur. DRECHSEL Emanuel J. Language Contact in the Early Colonial Pacific. Maritime Polynesian Pidgin before Pidgin English, Cambridge, Cambridge University Press, 334 p., bibliogr., cartes, index (CR dans ce numéro). DUYKER Edward. Dumont d’Urville. Explorer and Polymath, Honolulu, University of Hawai’i Press, 671 p., appendix, notes, glossaire, bibliogr., index, nombreuses illustrations (CR à venir). FLUBACHER Christophe (éd.), 2014. Surréalisme et arts primitifs. Un air de famille, Lens Crans- Montana et Ostfildern, Fondation Pierre Arnaud et Hatje Cantz Verlag. 334 p., bibliogr., 200 repro. en pleine page et nombr. ill. dans le texte (CR dans le numéro 138-139). GHASARIAN Christian. Rapa, île du bout du monde, île dans le monde, Paris, Demopolis, 598 p., glossaire, 2 annexes, index, bibliogr., ill. couleur et noir et blanc. GROS DE BELER Aude (éd.). Tatoueurs, tatoués, catalogue de l'exposition du MQB, Paris - Arles, musée du quai Branly - actes Sud, 304 p., bibliogr., liste des œuvres exposées, nombreuses ill. couleur.

Journal de la Société des Océanistes, 141 | juillet-décembre 2015 329

HERMANN Elfriede, Wolfgang KEMPF and Toon V AN MEIJL (eds). Belonging in Oceania- Movement, Place-Making and Multiple Identifications, New York, Oxford, Berghahn, 232 p., bibliogr., index (CR à venir). KAHN Jennifer G. and Patrick Vinton KIRCH. Monumentality and Ritual. Materialization in the society Islands; The Archaeology of a Major Ceremonial Complex in the ‘Opunohu Valley, Mo’orea, Honolulu, Bishop Museum Press, Bishop Museum Bulletin in Anthropology 13, 267 p., appendix, bibliogr., ill. noir et blanc (CR à venir). LAURIÈRE Christine. L’odyssée pascuane. Mission Métraux-Lavachery, île de Pâques (1934 -1935), Les carnets de Bérose 3, Lahic / ministère de la Culture et de la Communication - Direction générale des patrimoines, 198 p., bibliogr., 35 ill., 23 documents reproduits (CR dans le numéro 140). LINDERMANN Peter. L'État au pays des merveilles, Bern, Peter Lang, 642 p., bibliogr.

MIDDLETON Angela. Pewhairangi. Bay of Islands Missions and Māori 1814 to 1845, Dunedin, Otago University Press, 336 p., annexes, glossaire, bibliogr., index, très nombreuses illustrations dans le texte (CR à venir). NOCUS Isabelle, Jacques VERNAUDON et Mirose PAIA (éds), L'école plurilingue en outre-mer, Apprendre plusieurs langues, plusieurs langues pour apprendre, Rennes, PUR, coll. Des sociétés, 505 p., cartes et ill. en noir et blanc (CR à venir). NOLET Émilie. Le cadet à la peau rouge. Pouvoir etparenté dans l'archipel des Tuamotu, Paris, CTHS, Le regard de l'ethnologue 29, 256 p., bibliogr., glossaire, ill.

PARKE Aubrey. Degei’s Descendants. Spirits, Place and People in Pre-Cession Fiji, edited by Matthew Spriggs and Deryck Scarr, Canberra, ANU Press, XXX-308 p., cartes, appendices, bibliogr. (CR dans ce numéro). RAGACHE Gilles. L'Outre Mer français pendant la guerre (1939-1945), Paris, Economica, coll. Campagnes et stratégies, 226 p., bibliogr., carte, ill. SIMÉONI Patricia et Vincent LEBOT. Buveurs de kava, Port Vila, éditions Géoconsulte, 361 p., bibliogr., 77 cartes et figures, 415 photos couleur (CR dans le numéro 138-139). SISSONS Jeffrey. The Polynesian Iconoclasm – Religious Revolution and the Seasonality of Power, New york, Oxford, Berghahn, ASAO Studies in Pacific Anthropology 5, 160 p., appendix, bibliogr., index, 20 illustrations noir et blanc (CR à venir). SORIANO Éric. La fin des Indigènes en Nouvelle-Calédonie. Le colonial à l'épreuve du politique. 1946-1976, Paris, Karthala - MSH, Karapaa Mémoire et actualité du Pacifique 4, 302 p., bibliogr., sources, 1 carte (CR à venir).

2013

BARBE Dominique, Michel PÉREZ et René ZIMMER (éds). Objets d’art et art de l’objet en Océanie, actes du XXIe colloque Corail, Paris, L’Harmattan, 246 p., une vingtaine d’illustrations noir et blanc (CR dans le numéro 138-139).

BRINGREVE Francine and David J. STUART-FOX (eds). Living with Indonesian Art. The Frits Liefkes Collection, Rijksmuseum Volkenkunde « Collection Series », Amsterdam, KIT Publishers, 336 pages, bibliographie, carte, 337 ill. noir et blanc et couleu (CR dans le numéro 140).

Journal de la Société des Océanistes, 141 | juillet-décembre 2015 330

BOLTON Lissant, Nicholas THOMAS, Elizabeth BONSHEK, Julie ADAMS and Ben BURT (eds). Melanesia. Art and Encounter, The British Museum Press, 384 p., bibliogr., index, appendice, 306 ill. en couleur, cartes (CR dans le numéro 138-139). Boulay Roger et Emmanuel Kasarhérou (éds), 2013. Kanak. L’art est une parole, Paris- Arles, musée du quai Branly-Actes Sud, 340 p., carte, bibliogr., index, très nombreuses illustrations noir et blanc et couleur (CR dans le numéro 138-139). COMITÉ FRANÇAIS DE L'UICN [coord. O. GARGOMINY et A BOCQUET]. Biodiversité d’Outre-mer, Paris, UICN-France / Beaumont-de-Lomagne, Éditions Roger Le Guen - PANACOCO, 360 p., index des noms scientifiques, nombreuses ill. couleur. CONRU Kevin (éd.). Art de l’archipel Bismarck, textes de Klaus-Jochen Krüger, Bart Van Bussel, K. Conru, Ingrid Heermann, photographies d’Hughes Dubois, Milan, éditions 5 Continents, 328 p., bibliogr., carte, très nombreuses illustrations noir et blanc et couleur (CR dans le numéro 138-139). COUPAYE Ludovic. Growing Artefacts, Displaying Relationships Yams, Art and Technology amongst the Nyamikum Abelam of Papua New Guinea, New York Oxford, Berghahn Books, Matérials Mediation 2, 376 pages, bibliog., index, 23 figs & illus., 10 tables, 1 map (CR à venir). DAGEN Philippe et Maureen MURPHY (éds). Charles Ratton. L’invention des arts « primitifs », Paris, Skira-Flammarion-Musée du quai Branly, 184 p., bibliogr., nombr. ill. couleur (CR dans le numéro 138-139). DE MONBRISON Constance et Corazon S. Alvina (éds). Philippines, archipel des échanges, Paris, Musée du quai Branly-Actes Sud, 370 p., bibliogr., cartes, 242 ill. en couleur (CR dans le numéro 136-137). DUSSY Dorothée et Éric WITTERSHEIM (éds). Villes invisibles , Anthropologie urbaine du Pacifique, Paris, L'Harmattan, Cahiers du Pacifique sud contemporain 7, 288 p. bibliogr. après chaque chap. (CR à venir). FABERON Florence et Jean-Yves FABERON (éds). Religion et société en Nouvelle-Calédonie et en Océanie, Clermont-Ferrand, Les éditions du Centre Michel de l’Hospital, 484 p., ill. couleur et noir et blanc (CR à venir). FISHER S. Roger. Oceanic Voices – European Quills. The Early Documents on and Chamorro and Rapanui, Berlin, Akademie Verlag GmbH, colonial and Postcolonial Linguistics, band 4, 245 p., index (CR à venir). GIBSON Lorraine. We Don’t Do Dots. Aboriginal Art and Culture in Wilcannia, New South Wales, Canon Pyon, Sean Kingston Publishing, 294 p., bibliogr., index, 51 ill. couleur dans le texte (CR dans le numéro 136-137). GUIOT Hélène (éd.). Vivre la mer. Expressions océaniennes de l’insularité, Rochefort, Rennes, La Corderie Royale-PUR, coll. Essais, 234 p., index, bibliogr., ill. noir et blanc dans le texte, 2 cahiers couleur. HERLE Anita and Lucie CARREAU (eds). Chiefs and Governors. Art and Power in Fiji, Cambridge, Museum of Archaeology and Anthropology, v-131 p., bibliogr., cartes, très nombreuses ill. noir et blanc et couleur (CR dans le numéro 138-139). HERMÈS La Revue. Le monde Pacifique dans la mondialisation, Paris, CNRS Éditions, 262 p., ill. noir et blanc (CR à venir).

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HOWARTH Crispin. Kastom. Art of Vanuatu, contributions de Kirk Huffman et Lisa McDonald, Canberra, National Gallery of Australia, 120 p., carte, bibliogr., très nombreuses ill. en couleu (CR dans le numéro 140). KAUFMANN Christian and Oliver WICK (eds). Nukuoro. Sculptures from Micronesia, Riehen- Munich, Fondation Beyeler-Hirmer Verlag. 280 p., cartes, index, bibliogr., très nombreuses illustrations en couleur (CR dans le numéro 138-139). KENNY Anna. The Aranda’s Pepa. An Introduction to Carl Strehlow’s masterpiece ‘Die Aranda- Loritja-Stämme in Zentral-Australien’, Canberra, ANU E Press, XIX + 310 p., bibliogr., index (CR dans ce numéro). MARSHALL Mac. Drinking Smoke. The Tobacco Syndemic in Oceania, Honolulu, University of Hawai’i Press, 292 p., index, bibliogr., ill. noir et blanc. MONTET Christian et Florent VENAYRE. La concurrence à Tahiti. Une utopie ?, Pirae, Au vent des îles, 310 p., bibliogr., graph. et tab. SAURA Bruno. Mythes et usages des mythes, Autochtonie et ideologie de la terre Mère en Polynésie, Louvain, Peeters, 293 p., cartes. SMITH Vanessa & Nicholas THOMAS (eds). Mutiny and Aftermath. James Morrison's Account of the mutiny on the Bounty and the Island of Tahiti, Honolulu, University of Hawai’i Press, 345 p., appendix, notes, bibliogr., index, ill. noir et blanc. STATHAM Nigel (ed.). A History of Tonga as recorded by Rev. John Thomas, published by permission of the family of John Thomas and the Methodist Church in Britain, Seoul, The Bible Society in Korea [Gwynneville, New South Wales, Nigel Statham], 442 p., appendices, bibliogr., index des noms propres, CD reproduisant « The Unadjusted Text of A History of Tonga (CR dans le numéro 140). TABANI Marc and Marcellin ABONG (eds). Kago, Kastom and Kalja: The Study of Indigenous Movements in Melanesia Today, Marseille, pacific-credo Publications, coll. Cahiers du CREDO, 218 p., bibliogr., 16 ill. (CR dans ce numéro).

2012

ANDERSON Atholl and Douglas J. KENNETT (eds). Taking the High Ground. The Archaeology of Rapa, a Fortified Island in Remote East Polynesia, Canberra, anu E Press, Terra Australis 37, 288 p., bibliogr., annexes, cartes, schémas, nombreuses ill. noir et blanc et couleur dans le texte (CR dans le numéro 136-137).

BANARÉ Eddy. Les récits du Nickel en Nouvelle-Calédonie (1853-1960), Paris, Honoré Champion,coll. Francophonies, 430 p., index, bibliogr. (CR à venir). BURCK François. Mon cheminement politique avec Éloi Machoro (1972-1985), Nouvelle-Calédonie, les éditions de la Province des îles Loyauté, 160 p. dont une annexe « Documents » pp. 119-160 avec doc. photogr., discours et lettres d’Éloi Machoro, 5 photos couleur (CR dans le numéro 136-137). BYRNE Sarah, Anne CLARKE, Rodney HARRISSON and Torrence ROBIN (eds). Unpacking the Collection. Networks of Material and Social Agency in the Museum, New York-Dordrecht- Heidelberg-London, Springer, 342 p., index, bibliogr., ill. noir et blanc et couleur dans le texte (CR dans le numéro 136-137).

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DENNER Antje S. Les îles d’Anir. Esprits, masques et spectacles dans le sud de la Nouvelle-Irlande, Paris-Genève, Hazan-Fondation culturelle Musée Barbier-Mueller, 176 p., avant-propos de Steven Hooper, préface de Michael Gunn, traduction de Jean-François Allain, glossaire, annexes, index, bibliogr., environ 160 ill. noir et blanc et couleur (CR dans le numéro 140). GALIPAUD Jean-Christophe et Valérie J AUNEAU. Au-delà d’un naufrage. Les survivants de l’expédition Lapérouse, Actes-Sud Errance/IRD, 287 p., nombreuses photographies en noir et en couleur (CR dans le numéro 140). GERRITS G.J.M. The Haus Tambaran of Bongiora. A View from Within of the Tambaran and Yam Cults of the Abelam in the East Sepik Province of Papua New Guinea, Lugano, Museo delle Culture di Lugano, 486 p., cartes, tables, appendixes, notes, glossaire, index, bibliogr., ill. couleur et noir et blanc (CR à venir). GUIART Jean (1ère éd. 1962). Religions d’Océanie, nouvelle édition revue et complétée, Nouméa et Pape’ete, Le Rocher à la Voile et Haere Pō, 112 p., bibliogr. (CR dans le numéro 138-139). GUILLE-ESCURET Georges. Sociologie comparée du cannibalisme : 2. La consommation d’autrui en Asie et en Océanie, Paris, Presses universitaires de France, 420 p., bibliogr., index (CR dans le numéro 138-139). GUILLE-ESCURET Georges. Les mangeurs d’autres. Civilisation et cannibalisme, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « Cahiers de l’Homme », 292 p., bibliogr., index (CR dans le numéro 138-139). JACOBS Karen. Collecting Kamoro. Objects, encounters and representation on the southwest coast of Papua, Leiden, Mededelingen van het Rijksmuseum voor Volkenkunde, Sidestone Press, 282 p., bibliogr., index, 47 ill. noir et blanc et couleur dans le texte (CR dans le numéro 136-137). JORE Léonce (éd.), 2012 (nlle éd.). Océania. Légendes et récits polynésiens publiés par La Société d’études océaniennes, Paris, Commissariat des Établissements français de l’Océanie à l’Exposition coloniale internationale, postface de 2012 de Robert Koenig, 282 p. (CR dans le numéro 140). LEPANI Katherine. Islands of Love, Islands of Risk. Culture and hiv in the Trobriands, Nashville, Vanderbilt University Press, 242 p., glossaire, bibliogr., index, cartes et ill. noir et blanc dans le texte (CR dans le numéro 136-137). NAEPELS Michel. Conjurer la guerre : violence et pouvoir en Nouvelle-Calédonie, Paris, EHESS, En temps et lieux 41, 288 p., bibliogr., glossaire, 8 fig. et ill. REVOLON Sandra, Pierre LEMONNIER et Maxence BAILLY (éds). Techniques & Culture 58 : Objets irremplaçables, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 277 p., nombreuses ill. couleur (CR dans le numéro 136-137). SCODITTI G. M. G. Notes of a cognitive texture of an oral mind. Kitawa, a Melanesian Cutlure. Wantage, SK Publishing, 307 p., bibliogr., index et glossaire, ill. couleur (CR à venir). STANLEY Nick. The making of Asmat Art. Indigenous art in a World perspective, Canon Pyon, Sean Kingston Publishing, 249 p., carte, index, bibliogr., ill. couleur et noir et blanc (CR à venir).

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