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LE MONDE DES LIVRES VENDREDI 18 MAI 2001 LE FEUILLETON LES INFORTUNES RELIGION OUVERTE, LES FOUS DU LOGIS DE PIERRE LEPAPE DES RELIGION FERMÉE Les génies domestiques « Des lézards « MISÉRABLES » La chronique de Roger-Pol Droit du Moyen Age dans le ravin » page III page V racontés de Juan Marsé par Claude Lecouteux ARCHÉOLOGIE page II page VII ELIAS SANBAR DU REGARD ORDINAIRE page IV L’essai d’Alain Roger page VI a Frontispice des Psaumes entiers de représentations faus- « Les citations dans mon travail, (manuscrit dit Sidour Rotschild, ses s’effondrent. Ne dites plus écrit Benjamin, sont comme des XVe siècle, Musée d’Israël, « péché » ou « pécheurs »,mais voleurs de grands chemins qui sur- Jérusalem), représentant plutôt « égarement », «égarés». gissent en armes et dépouillent le le roi David, auteur symbolique Les pécheurs sont des égarés et promeneur de ses convictions. » du « Livre des psaumes », les méchants sont des « malfai- Les touristes de l’existence Juan Marsé avec une harpe. sants ». Beaucoup d’égarés, beau- détestent ces rappels bibliques. Dans le cartouche central, coup de malfaisants, ça se prou- On les comprend. Dans Gloires,la le premier mot ve. Voulez-vous retrouver le sens partie est rude. Il y a là un certain du premier psaume, d’Amen ? Dites : « C’est ma foi. » David, un des plus grands poètes « achreï », « Bonheur à... » Vous avez l’habitude d’Alleluia ? de tous les temps, dressé dans Entendez : «Gloireà Yah».Ne une position limite : vous sentez récitez pas « Mon Dieu, mon passer sur lui la peur, le frisson, cutante, une science, une pas- Dieu, pourquoi m’as-tu abandon- le spasme, la panique, la souffran- sion. Meschonnic traduit la né ? » mais « à quoi m’as-tu aban- ce jusque dans les os ; vous le Bible, et la démonstration est fai- donné » (ce n’est pas du tout la voyez inlassablement aux prises te que nous n’avons eu entre les même chose). Traduction Dhor- avec le mensonge, la corruption mains, jusqu’à présent, que des me (Pléiade) : « Les cieux racon- et la fraude. Il a sa musique, sa approximations ou des recouvre- conviction, ses «priè- ments, tradition hellénique ou res secrètes »,sonmur- chrétienne, compromis du rabbi- Philippe Sollers mure, jour et nuit, nat, dévotion, timidités, voiles. même s’il est courbé, « L’Occident ne s’est fondé que sur tent la gloire de Dieu, et le firma- épuisé, pourri, les tripes brûlan- des traductions et, pour le Nou- ment annonce l’œuvre de ses tes. Il n’a plus de force, son cœur veau Testament, fondement du mains. » Traduction Meschon- va trop vite, il est abandonné, il christianisme, des traductions de nic : « Le ciel proclame la splen- va devenir sourd, muet, aveugle, a traductions de traductions… Si deur du dieu, et l’œuvre de ses pendant que ses ennemis sur lui l’anglais et l’allemand ont eu un mains est ce que raconte le déploie- « se grandissent ». Le tumulte l’en- original second, avec la King ment du ciel. » toure, il patauge dans la détresse James Version et avec Luther, le Autre forme, autre scansion, et des marais de boue, mais il per- français n’en a jamais eu. » Voilà autre disposition des mots sur la siste à chanter ce Dieu « qui main- « Les Misérables » le point essentiel. Dieu, en fran- page, avec des blancs significatifs tient les montagnes dans sa for- çais, est quasiment inaudible, à de respiration. Début des Gloi- ce ».D’uncôtélafosse,lamort moins de le prendre pour Victor res : « Bonheur à l’homme qui n’a et les amis de la mort ; de l’autre Hugo. Il faut donc qu’une éner- pas marché dans le plan des mal- le roc, un grand oiseau aux ailes gie particulière, simultanément faisants et dans le chemin des éga- protectrices, la vie. Autant dire poétique et de traduction, nous rés. » Ce «Bonheur à» est en que Gloires est un livre d’une D.R. fasse franchir cette surdité acqui- effet bien préférable à «Heureux actualité brûlante. se, sirop, emphase ou répulsion. celui qui » (« Heureux qui comme Le poème, pour Meschonnic, est Ulysse a fait un beau voyage »). Au GLOIRES une « force-sujet dans le langa- passage, on signalera à ceux qui Traduction des psaumes ge », et les versets de la Bible se plaignent des textes compor- d’Henri Meschonnic. sont cette force qui n’a pas enco- tant trop de citations le très bel Desclée de Brouwer, 556 p., re été dégagée comme telle. essai de Meschonnic sur Walter 145 F (22,11 ¤). Rien ne le montre mieux, Benjamin dans Utopie du juif,rap- aujourd’hui, que la parution écla- pelant qu’il s’agit là d’un art très UTOPIE DU JUIF tante des Psaumes sous le nou- ancien (le Talmud, par exemple). d’Henri Meschonnic. Gloire veau titre de Gloires.Delabelle Principe de montage permettant Desclée de Brouwer, 422 p., complainte on passe à l’interpel- un autre rapport à l’Histoire. 170 F (25,92 ¤). lation directe, de la « bondieuse- rie » à une sorte de guerre perma- nente et abrupte, où les accents, les te’amim, jouent un rôle fonda- mental. Ce terme hébreu est le pluriel de ta’am, qui veut dire goût. La Bible est une guerre du de la Bible goût. Son parler-chanter (du suite et fin moins dans Gloires) doit s’en- tendre comme un «goûtdansla sieur ? – La Bible, madame. – bouche » – à la fois goût et rai- Mais en quelle langue ? – En En français, on ne l’a son –, comme « une physique du hébreu. – Ah bon, la Bible a aussi langage ». été traduite en hébreu ? » jamais lue que dans Parler, chanter, raisonner sont Quel étrange roman débor- une même substance qui peut dant, qui envahit aussi bien les des traductions être écoutée par Dieu, à qui on bibliothèques que les tables de demande de prêter l’oreille. Gloi- ieu se plaint nuit d’hôtels. Dieu, le seul vrai de traductions. res est plus fort que psaumes,àla depuis longtemps : il trouve Dieu, a parlé, on l’a transcrit, on tonalité idyllique, et sans aucun Dqu’on l’a toujours mal écouté, l’a adapté, commenté, révéré, Henri Meschonnic rend doute préférable à louanges, dont mal entendu, mal lu ; qu’on a cité, découpé, discuté, réfuté ; on Meschonnic dit drôlement que méconnu sa parole, son rythme, continue à se disputer sur son enfin Dieu audible : cela aurait « un côté Saint-John son enseignement, son souffle ; incarnation éventuelle et sa résur- Perse », comme s’il s’agissait que son évidence, en somme, a rection supposée ; on a prétendu paroles sortant de la d’une « adoration vague et d’une été et reste sans cesse déniée, qu’il était mort, mais sans retrou- acceptation du monde et de son caricaturée et détournée vers ver son corps ; on lui attribue des brume cléricale pour histoire ». Mais non, voyons : rien d’autres fins que les siennes. tonnes de convulsions et de fana- de plus tendu, de plus tremblant, Dieu n’est pas le terrible ou le tismes ; on l’entend encore psal- exposer l’épouvante, de plus dramatique que ces paro- a bon Dieu qu’on croit, il n’aime modié, hurlé, proféré, dilué, mais les sortant enfin de la brume cléri- pas les sacrifices, les cultes, les de quoi s’agit-il en fait ? De litté- l’appel au nom divin cale pour exposer l’épouvante et attitudes religieuses ou morales, rature ? De poésie ? De cinéma ? la peur du gouffre, l’appel au il déteste qu’on le prenne au pre- De bande dessinée ? De patholo- et à sa promesse de joie nom divin et à sa promesse de mier degré et qu’on emploie son gie récurrente ? Seule certitude : joie. La Tora n’est pas la Loi, nom en vain, il s’irrite d’être com- il y a un texte, et son fonctionne- entières, saints, sages, justes, cri- mais l’Enseignement. Les Gloires Elias Sanbar pris trop vite ou à demi, il s’affli- ment peut donner le vertige car il minels, clercs, érudits. C’est une sont des situations d’abîme : ge surtout des traductions de lui semble bien être infini. En réali- question de langage, une épreu- c’est l’homme qui risque d’être qui pullulent sur le marché bibli- té, le scandale est là : cette infini- ve physique par rapport à lui. avalé, raflé, détruit par ses persé- que. La Bible ? Oui, d’accord, on té dérange. On ferait tout et n’im- L’œuvre d’Henri Meschonnic cuteurs réels, jeté au trou, mais connaît. Mais dans quelle version porte quoi pour la limiter, la cana- est déjà importante, et il serait qui garde confiance dans son la lisez-vous ? On racontera ici, liser, l’affadir, l’oublier, la reje- temps qu’elle soit reconnue com- « Dieu de la multitude d’étoiles ». une fois de plus, l’histoire de cet- ter, voire l’exterminer. Peine per- me révolutionnaire dans notre On presse Dieu d’écouter, d’inter- te brave dame catholique qui voit due : le livre est là, on l’ouvre, les misérable époque spectaculaire. venir, de parler, de trancher. Il l’a un vieux monsieur ne payant pas surprises surgissent, et on peut Oh, sans grands mots : une indi- fait, il peut donc le refaire. de mine en train de lire un livre. longuement s’étonner de voir gnation à peine contenue, un Des décalages justifiés de « Vous lisez quoi, cher mon- passer à travers lui des foules humour froid, une précision per- mots, et chaque fois des pans www.lemonde.fr 57e ANNÉE – Nº 17515 – 7,50 F - 1,14 EURO FRANCE MÉTROPOLITAINE VENDREDI 18 MAI 2001 FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANI L’avenir Vache folle : le rapport qui accuse des ministres de la Corse b La commission d’enquête du Sénat sur les farines animales critique la gestion par l’Etat a Les députés de la crise de la vache folle b Elle met en cause les quatre ministres de l’agriculture ont voté de la période 1994-2001 b Elle leur reproche d’avoir retardé des mesures de précaution sanitaire les principales COMMENT les ministres de des scientifiques avaient alerté les l’agriculture successifs ont-il géré, pouvoirs publics sur ce risque.