« Ni Putes Ni Soumises »
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Questions de communication 7 | 2005 Espaces politiques au féminin « Ni putes ni soumises » Émergence et politisation d’un mouvement de femmes dans l’espace public Emergence and Politicisation of a Women’s Movement within the Public Space: « Ni putes ni soumises » Sylvie Thiéblemont-Dollet Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/4060 DOI : 10.4000/questionsdecommunication.4060 ISSN : 2259-8901 Éditeur Presses universitaires de Lorraine Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2005 Pagination : 105-120 ISBN : 978-2-86480-859-6 ISSN : 1633-5961 Référence électronique Sylvie Thiéblemont-Dollet, « « Ni putes ni soumises » », Questions de communication [En ligne], 7 | 2005, mis en ligne le 11 mai 2012, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ questionsdecommunication/4060 ; DOI : 10.4000/questionsdecommunication.4060 Tous droits réservés questions de communication, 2005, 7, 105-119 > DO SSIER SYLVIE THIÉBLEMO NT-DO LLET Université Nancy 2 Centre de recherche sur les médiations Université Paul Verlaine-Metz Sylvie.Thieblemont@univ-nancy2 .fr « NI PUTES NI SO UMISES » . ÉMERGENCE ET PO LITISATION D’ UN MO UVEMENT DE FEMMES DANS L’ ESPACE PUBLIC Résumé. — Parce qu’elle a été élue présidente de la fédération nationale des « Maisons des Potes » (décembre 2000), qu’elle est un des membres fondateurs de l’association « N i putes ni soumises », Fadela Amara tend à participer à la construction de la représentation d’un mouvement de femmes dans l’espace public.D e même, la façon dont certains hommes politiques et journalistes contribuent,à leur tour,à cette construction,montre que « N i putes ni soumises » vise un autre espace que celui qui serait purement associatif et se comporte, d’ores et déjà, comme un mouvement politique. Mots clés. — Mouvement de femmes, immigrée, espace public, politisation, journalistes,hommes politiques. 105 S. Thiéblemont-Dollet e travail est la prolongation d’une recherche portant sur le collectif « N i putes ni soumises » (émanation de la Fédération C nationale des « Maison des Potes », créée en 2001), puis sur l’association éponyme constituée en avril 2003, et leur présidente Fadela Amara,sans oublier les femmes – pour la plupart anonymes – qui les ont rejoints à un moment ou à un autre. Plus particulièrement, ce qui nous intéresse est la manière dont Fadela Amara,fille d’immigrés algériens,née en France, a peu à peu construit, sur dix-huit mois environ1, ses énonciations dans la sphère publique (politique et médiatique) et comment, à l’inverse, la sphère politique (élus, représentants de partis, etc.) s’est appropriée une partie des contenus de ses discours (projet de société, propositions concrètes,etc.), parce qu’ils sont l’émanation et la synthèse de propos de femmes représentantes de l’immigration. D e même, comme ils ont relié ces deux pôles, instauré une relation triangulaire et participé de la construction de l’autoreprésentation et de l’hétéro-représentation de Fadela Amara, les médias ont été intégrés à la réflexion. Cette étude résulte de l’observation et de l’analyse des différents glissements ou passages des réseaux informels aux réseaux associatifs, puis politico-médiatiques et inversement, opérés par Fadela Amara par les militants des mouvements suscités ou proches, les journalistes et les acteurs politiques. Car, volontairement ou non, elle a suscité les convoitises d’un certain nombre de journalistes et d’hommes politiques, sans doute pour des logiques de pouvoir dont elle n’a pas toujours mesuré l’ampleur, logiques reliées à des enjeux politiques nationaux importants (e.g. discussion sur le voile, rôle de Tariq Ramadan dans l’échange sur la laïcité à l’occasion du débat télévisé sur France 2 avec N icolas Sarkozy, le 20 novembre 2003, etc.) : on peut réellement parler ici de va-et-vient entre les courants associatif et médiatico- politique. D ès lors, on comprendra l’utilité de se demander si Fadela Amara n’a pas été l’objet de cette instrumentalisation que de nombreuses femmes dénoncent (Pionchon, D erville, 2004), qu’elles soient acteurs politiques (élues) ou tout simplement acteurs du débat public (militantes,membres d’une association). Par ailleurs, comme le suggère le texte de présentation de la journée d’étude du 8 mars 2004, organisée par les revues Communications, M ots et Questions de communication,l’exploration de tels phénomènes permet de comprendre et d’évaluer l’idée selon laquelle on assiste à une féminisation de la politique. C’est donc à partir des propositions de 1 Cette période est constituée d’au moins trois moments clés par rapport à l’évolution du collectif : les journées de la femme des 8 mars 2003 et 2004, qui correspondent également à des manifestations importantes du collectif lui-même telles les marches des « N i putes ni soumises », et leur université annuelle des 8,9 et 10 octobre 2004,dédiée à S.Bellil, auteur de Dans l’enfer des tournantes (2002), et décédée le 7 septembre. 2004. 106 D O SSIER « N i putes ni soumises ». Émergence et politisation d’un mouvement de femmes recherche, proches de celles de Simone Bonnafous (1999 :59-72),que nous avons étayé notre raisonnement pour éclairer la médiatisation politique de Fadela Amara. Face au champ de l’immigration, cette même chercheuse (ibid. : 66) constate que « si le discours des acteurs politiques légitimes et institués a été fréquemment étudié, bien que de façon inégale, l’absence d’étude méthodique des discours et des pratiques médiatiques des autres acteurs de cette co-production est frappante ».Ainsi suggère-t-elle un certain nombre de questionnements (1999 :66-67) que nous nous sommes appropriés :Fadela Amara étant d’origine immigrée, comment et où s’exprime-t-elle ? À quel(s) réseau(x) participe-t-elle ? D e quelles symbolisations est-elle porteuse ? Q uel(s) expert(s) réquisitionne-t-elle pour tel ou tel média et telle ou telle mobilisation ? A-t-elle des liens avec des chercheurs en sciences sociales ? Et de là, enfin, comment s’inscrit-elle – volontairement ou non – dans le champ de l’action médiatique et politique ? Fadela Amara et « Ni putes ni soumises » dans l’espace public masculin G lissement du « collectif » féminin au mouvement associatif Cette série non exhaustive de questions a permis de mettre en perspective la médiatisation effective de Fadela Amara, figure emblématique de la défense des droits les plus élémentaires des femmes des quartiers – dont elle a une certaine expérience pour avoir vécu dans la cité d’Herbet, à Clermont-Ferrand – et, depuis la sortie de son livre, N i putes ni soumises (2003), de tout autre citoyen vivant sur le sol français. Ainsi avons-nous pu constater la construction de la mise en scène de son discours, dans un espace public, au départ « sectoriel [puisque] restreint aux citoyens mobilisés et à leurs proches [femmes des quartiers, militantes], aux autorités mises en cause [élus locaux représentants de la République], aux spectateurs de hasard ou captifs [travailleurs sociaux, formateurs, policiers, religieux, chercheurs, etc.] et au(x) journaliste(s) localier(s) » (Favre, 1999 :148), mais ouvrant, peu à peu, à un « espace public de discussion » plus large (ibid. :150).D’une part, par de nombreuses actions militantes servant à faire connaître le mouvement et/ou destinées au bien-être et à l’amélioration des conditions de vie des femmes,et d’autre part, par les déplacements dans toutes les villes de France lors des « Marches des femmes contre les ghettos et pour l’égalité » (01/02/03-08/03/03, 31/01/04-06/03/04), incluant systématiquement des réunions publiques relayées par les quotidiens et les télévisions généralistes de la presse régionale et D O SSIER 107 S. Thiéblemont-Dollet nationale (Thiéblemont-D ollet, 2003 : 120-124), Fadela Amara a contribué à la construction d’un « tissu social serré et continu » (Favre, 1999 : 148). Autrement dit, dès lors qu’elle a été élue en 2000 présidente de la Fédération nationale des « Maisons des Potes » (qui comprend près de 300 associations de quartier), elle a donné un nouveau souffle à ce réseau formel, en raison des assises juridiques et administratives de ce dernier (association loi 1901) et en sollicitant les réseaux informels qui, pour certains, avaient été à l’origine de la fédération susdite ou d’autres associations inscrites dans la même mouvance. D ans le dossier « Réseaux sociaux en migrations » de la revue H ommes et migrations, Marie-Antoinette Hily et W illiam Berthomière (2004 :9) parlent effectivement, pour le cas des courants migratoires,de « double démarche [consistant] à utiliser, une législation existante (loi de 1901), pour organiser les réseaux informels ». Ce qui correspond à la manière dont s’est constituée et a agi la Fédération nationale des Maisons des Potes, lorsqu’elle a pris corps officiellement, en 1988, à la suite des luttes et des marches (La Marche des Beurs de 1983 organisée par l’association SO S Avenir-Minguettes ; Convergence 1984 ; D ivergence 1985) nées de différents collectifs et associations issus de l’immigration, plus ou moins organisés et concurrents (SO S Racisme, novembre 1984 ; France-Plus,printemps 1985)2. La stratégie a été la même concernant le collectif « N i putes ni soumises » qui, à partir de la démultiplication de la parole de femmes réunies pour la même cause, a glissé en avril 2003 vers une forme structurelle reconnue par les institutions, celle de l’association loi 1901. D e fait, après avoir été chargé de fournir – provisoirement et un tant soit peu – des réponses au problème posé,et après avoir tenté de démontrer que les « profanes » pouvaient intéresser les décideurs et les experts (concept de démocratie technique défendu par Barthes, Callon, Lascoumes,2001 : 16), le collectif transformé en association s’est donné davantage de légitimité. D ès lors, cette mutation lui a permis d’associer plus souvent aux paroles de profanes (témoignages, confidences, etc.) celles d’experts (colloques,universités,etc.), d’assumer une vraie fonction de relais, de médiation et de négociation (entre les citoyen(ne)s qui ont parlé et les décideurs) et lui a donné, par conséquent, une autre visibilité.