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RAP - 2009 - Mélanges Marc Durand PETIT LEXIQUE MEDIÉVAL À L’USAGE DU PAYSAGE Jean-Marc POPINEAU* Depuis quelques années, l’étude des terroirs l’exemple bien connu du terme de « masure », défini ruraux est abordée par les chercheurs (Joëlle classiquement comme correspondant à une bâtisse Burnouf, Gérard Chouquer, Jean-Louis Abbé, quelconque avant le XVe siècle, mais qui désigne Philippe Racinet notamment), au moyen des une bâtisse en ruine après et qui correspond en fait, méthodes de l’ « archéogéographie », aussi appelée dans l’exemple que nous étudierons ci-dessous, à « archéologie extensive ». une parcelle de 800 m² en moyenne, parfois plantée (vignes, fruitiers), non close et située près de L’objet d’étude de cette discipline novatrice l’habitat ! On le voit, de maison à ruine et à jardin, est le milieu, l’espace, le paysage du passé. Elle les possibilités de confusions sont grandes et la associe pour cela trois disciplines qui travaillent prudence est de mise pour décrire le paysage rural habituellement séparément, la géographie, médiéval à partir des seuls textes d’époque. l’histoire et l’archéologie, avec leurs techniques respectives (carto - et photo - interprétation, L’objectif de cet article n’est pas de dresser prospections diverses, enquête orale, archéologie l’inventaire des termes décrivant l’espace des élévations…). L’archéogéographie revisite géographique médiéval et d’indiquer pour chacun également les liens avec d’autres disciplines comme d’eux leur sens le plus fréquent. D’excellent la sociologie, l’ethnographie, l’histoire de l’art, ouvrages existent sur ce sujet (LACHIVER, LAMBERT, l’anthropologie, les sciences naturalistes… Cette TOUATI…, voir bibliographie) et nous invitons le discipline a pour but la reconstitution hypothétique lecteur à s’y référer. Il peut en revanche être utile de de l’« anthroposystème » et des modalités faire le point sur les termes les plus fréquemment d’appropriation du sol par l’homme dans les rencontrés dans les textes concernant la Picardie au sociétés anciennes. Les archéogéographes appellent Moyen Âge, et de tenter, lorsque la précision des « anthroposystème » un système dans lequel textes le permet, de donner une définition sûre bien interagissent deux ensembles : un sociosystème que forcément contextuelle. [le territoire des sociétés] et un écosystème plus ou moins artificialisé [le terroir]. Ce système est inscrit Pour y parvenir, nous avons relevés tous les dans un espace géographique donné et évolue avec termes descriptifs de l’espace dans les textes le temps sous l’effet de facteurs externes et/ou médiévaux concernant le canton de Pont-Sainte- internes au système. Maxence (Oise). Cet espace a auparavant été étudié finement au moyen des techniques de Une des principales difficultés qui guette l’archéogéographie (POPINEAU), ce qui a souvent l’archéogéographe dans ses tentatives d’étudier permis de situer dans l’espace actuel les éléments l’espace rural médiéval est de définir le sens qu’il glanés dans les textes. L’étude archéogéographique faut donner aux différents mots décrivant le milieu, du canton de Pont-Sainte-Maxence est née des le paysage, l’environnement, dans les textes écrits travaux de Marc Durand. L’archéologue a étudié au Moyen Âge. L’extraordinaire variété des termes, dès 1974 l’église et le village de Noël-Saint-Martin et, pour un même terme, la prodigieuse variabilité (commune de Villeneuve-sur-Verberie, Oise). de sens en fonction non seulement du lieu, mais Véritable précurseur en la matière, il a accompagné aussi de l’époque et même de l’origine du rédacteur ses fouilles archéologiques classiques de l’église rend la description de l’anthroposystème médiéval du village, effectuées de 1974 à 1976, d’une étude très hasardeuse. Il faut à chaque instant se garder de qui préfigure ce que sera l’archéogéographie dans plaquer à la fois notre vision actuelle du paysage et les années 1990. Considérant le territoire de Noël- le sens actuel du vocabulaire descriptif de l’espace Saint-Martin comme un objet archéologique en lui- sur des réalités médiévales toujours fort différentes. même, Marc Durand a réuni des informations sur Nombreux sont les contresens sources d’erreur, tel la géographie physique, la géologie, la géographie Petit lexique médiéval à l’usage du paysage. 143 RAP - 2009 - Mélanges Marc Durand RAP - 2009 - Mélanges Marc Durand administrative, la toponymie, l’histoire des origines LES TERMES DÉSIGNANT LES JARDINS Le jardin, le jardinet, les hyarts… Le terme est toujours utilisé en 1444 au Theil à nos jours, l’architecture et l’archéologie (DURAND (commune de Villeneuve-sur-Verberie) et à Noël- 1977). Cette étude passionnante et novatrice a été à Le courtil, le cortil, les courtieux… Le jardin, selon la définition classique, est issu de Saint-Remy (commune de Roberval), on le trouve l’origine de la voie choisie par l’auteur de ses lignes l’ancien français jart, du francique gard (cf. le lieu- dans le cartulaire du prieuré de Saint Nicolas d’Acy pour ses recherches futures. Marc Durand a synthétisé La définition classique de courtil , du latin dit cadastral "Les Ziarts" (Pontpoint), issu de hyarts lès Senlis : ledit prieur a à Authuil (Noe Saint Martin) ses longues recherches archéogéographiques sur les médiéval curtilla ou curticella, « petite cour », avec enchaînement phonétique) et signifie lopin de son hotel et une chappelle et jardin (AFFORTY, t. XXI p. relation entre les églises et l’habitat dans sa brillante comporte deux sens possibles : division de la curtis terre cultivé près de l’habitat. La Curne confirme ce 296). De même, le prieuré possède à Noe St Remy une étude intitulée Archéologie du cimetière médiéval au (réserve ou domaine seigneurial) ou simple petit sens. Est-il un synonyme du courtil précédent ? maison et deux jardins enclos de murs (fig. 1). sud-est de l’Oise. Relations avec l’habitat et évolution jardin clos, lopin de terre (TOUATI). Selon Lambert, le des rites et des pratiques funéraires du VIe au XVIe siècle courtil (pluriel courtieux), dérivé de l’ancien français La première mention de jardin apparaît en 1292 (DURAND 1988). court, possède le sens de « jardin souvent clos près à Roberval, il est alors situé à proximité du moulin de la maison » (LAMBERT, p. 33). Le sens varie donc de Roberval (MOREL 1884, p. 45). Parmi les document utilisés pour l’étude entre division de la réserve et jardin clos. du canton de Pont-Sainte-Maxence, un texte Dans le dénombrement de Rhuis de 1390, il y a véritablement exceptionnel par la précision À Saint-Germain-lès-Verberie en 1260, le 70 fois la mention de jardin ou jardinet, mais seules géographique dont il fait preuve nous est cartulaire de l’abbaye Saint-Corneille de Compiègne 11 mentions concernent la dénomination d’une parvenu. Conservé miraculeusement au château mentionne un cens sur une maison et le cortil qui parcelle, les autres ne servent qu’à localiser diverses vient d’être vendu au monastère (MOREL 1894, t. II, terres. La superficie moyenne de ces jardins à Rhuis de Roberval depuis plus de 600 ans, ce texte p. 484-485). Dans ce texte, un des premiers à être et Saint-Germain lès Verberie en 1390 est de 1 décrit minutieusement le paysage des paroisses rédigé en français pour ce terroir, le courtil est quartier (950 m²), ils sont donc un peu plus petits de Rhuis et de Saint-Germain-lès-Verberie en associé à une maison mais on ignore son aspect. que les courtils, mais les surfaces restent similaires. 1390 (MOREL 1882). Il s’agit d’un dénombrement Ces jardins se répartissent dans tous les hameaux : féodal, description de biens rédigée dans des À Roberval, en 1411 et 1416, l’hommage du fief circonstances d’exception (la Guerre de Cent Ans). de Roberval mentionne entre autres une bassecourt C’est un censier (Fossier préfère le terme de « Livre [où il y a ] troys quartiers de courtil (1). La tournure HABITATS JARDINS MAISONS foncier ») qui présente un tableau précis d’une du texte laisse entendre qu’il ne s’agit pas de clos, RHUIS 15 12 partie des biens et revenus des deux maîtres de la Fig. 1 - Lieu-dit "Le Clos-l’Abbé". (Roberval), désigné ni de bois, ni de marais, ni de vignes, ni de friches, AU RU 7 11 seigneurie, un écuyer non identifié (sans doute le comme « jardin enclos de murs », en 1444, appartenant à ni de terre labourable, puisque le dénombrement VAULX 4 4 l’abbé de Saint-Nicolas d’Acy. Des murs subsistent. fils de Jehan du Mesnil, seigneur à Houdancourt) et énumère tous ces termes plus loin. En revanche, il SAINT-GERMAIN-LÈS-VERBERIE 8 3 l’écuyer Mahieu de Septoutres. Le dénombrement est associé à la ferme de la Basse Cour. Le sens énumère, pour 542 entrées, le nom, le prénom, le de « jardin non clos situé près de l’exploitation » BACOUËL 1 1 En 1455 encore, le terme apparaît à Raray où il métier ou le titre du tenancier, le type de bien, sa semble donc devoir être retenu. MOULIN MOYEN 1 1 permet de délimiter le dîmage du même prieuré contenance, le lieu-dit, le nom et le prénom du ou MOULIN FAUCONNIER 1 1 et qui s’étend jusques ou plus prés des jardins de des précédent(s) tenancier(s), deux limites et enfin À Rhuis / Saint-Germain-lès-Verberie en Raray (AFFORTY, t. XXI p. 555). En 1456, le terme la ou les impositions pesant sur le bien. 1390, ce terme de courtil apparaît 14 fois dans le de jardin est utilisé pour le dénombrement du fief dénombrement. Il y a par exemple un courtil, Le cas de Saint-Germain-lès-Verberie (peu d’Harcelay (commune de Roberval) comprenant Ce dénombrement est un document dont la contenant environ demi quartier de terre, seant au de maisons mais beaucoup de jardins) confirme l’hostel de Areslay, ferme, lieu, pourpris, avec les précision extraordinaire permet d’obtenir une image lieu-dit Dessoux le Peupple, tenant [...] au chemin qui l’existence en ce lieu d’habitats non déclarés dans jardins… (2).