LES NOMS DE NOS RUES

CONTRIBUTION A UNE ÉTUDE SUR LES RUES DE VILLEFRANCHE DU MEME AUTEUR

Promenades villefrancholses. Histoire cursive d'une cité (en collaboration avec M. La- motte). Villefranche, C. Salingardes, 1936, 58 pages (épuisé). Bibliothèque nationale, 8* Lk 7, 44 778. La Madeleine Saint-Mémory. Notes pour servir à l'histoire d'une paroisse (Publication de la Société des Amis de Villefranche et du Bas-Rouergue). Villefranche, C. Salingardes, 1941, 124 pages, 40 fr. Lauréat de la Société Archéologique du Midi de la , 1941. B. N.. 8' le 19, 266. Une vieille famille villefranchoise : DRULHE (1341-1843). Villefranche, C. Salingardes, I942, 60 pages (épuisé). B. N., 8° Lm 3, 4658. Chroniques villefranchoises. Notes d'histoire locale. Première série. Villefranche, C. Salingardes, 1944, 108 pages (épuisé). B. N., 8° Lk7, 44 407. Chroniques villefranchoises. Notes d'histoire locale. Deuxième série. Villefranche, C. Salingardes, 1945, I20 pages, 80 fr. B. N.. 8° Lk 7, 44 407 (2). Jean-Antoine Davi du 31 Régiment de Zouaves aux Armées d'Afrique et d'Italie (1856- 1860). — Extrait de la Revue du Rouergue. avril-juin 1948. , P. Carrère, 1948, Il pages (épuisé). Histoire des hôtels de ville de Villefranche-de-Rouergue, depuis les origines jusqu'à 1900. Villefranche, Salingardes, 1949, 136 pages, 200 fr.

EN PRÉPARATION :

Pour paraître chez C. SALINGARDES, maître-imprimeur, à Villefranche 1 Un couvent du vieux Villefranche: Les Ursulines ermites de Saint-Augustin (1627-1792) (Publication de la Société des Amis de Villefranche, en cours d'impression). Les noms de nos rues. Contribution à une étude sur les rues de Villefranche. (Etude en cours de publication dans le Villefranchois libéré). Chroniques villefranchoises. Notes d'histoire locale. (Troisième série.) Une curieuse figure du passé : Marc-Antoine Lombard, doctrinaire, homme politique, éducateur (1745-1814). Une vieille maison de la place Notre-Dame. A propos de l'inscription de la terrasse de la place Notre-Dame. Papiers et dessins oubliés : Le château de Graves vers 1836. Autour de la fondation de la médaille d'argent du collège des doctrinaires ( !63C). Errata et addenda. La Visitation Sainte-Marie de Villefranche-de-Rouergue (1 642-1 792). Annales de Villefranche-de-Rouergue, de 1800 à 1850. (Continuation des Annales d'E. Cabrol, Drulhe et Pescheloche). Villefranche, ville fortifiée. Les fêtes de la Révolution à Villefranche-de-Rouergue.

Répertoire des sources de l'histoire de Villefranche-de-Rouergue. A. ANCOURT

LES NOMS DE NOS RUES

CONTRIBUTION A UNE ETUDE SUR LES RUES DE VILLEFRANCHE

IMPRIMERIE SALINGARDES VILLEFRANCHE-DE-ROUERGUE 19 5 1

LES NOMS DE NOS RUES CONTRIBUTION A UNE ETUDE SUR LES RUES DE VILLEFRANCHE

AVANT-PROPOS

Chacun de nous aime sa patrie et d'un amour égal sa province, son département> sa ville natale et dans celle-ci le quartier, la rue où s'élève la vieille maison de ses ancêtres, où il a vu le jour, où il a vécu, à laquelle le rattache le souvenir de tant d'événements heureux ou malheureux, d,e tant de rêues et de réalités décevantes. Tout, dans notre rue, nJu., est familier : uisages et bruits. C'est /e boulanger dont le pétrin ronronnant, le matin, nous réveille ; l'épicier faisant claquer, ien les ouvrant, les volets verts de sa boutique ; c'est le cordonnier, en son échoppe. qu'en passant l'on salue ; c'est, à heure fixe, la voiture du laitier roulant sur les pavés avec des bruits de brocs qui s'entrechoquent, la benne du service des boues et sa clochette ; ce sont les enfants partant pour l'école ou jouant à la marelle, sur le trottoir, au retour de la classe ; c'est l¡e facteur que, chaque jour, l'on attend à la même heure ; ce sont les longs entre- tiens des ménagères rentrant du marché et, les soirs d'été, les résinions entre voisins, sur le pas dep portes, et leurs gais conciliabulep. Chaque rue a sa physionomie propre, étant souvent le centre d'une activité particulière ; elle a son nom propre figurant sur les plaques émaillées aux maippns d'angle, sur les suscriptions des plis que le facteur gliss,e dans la fente des boîtes aux lettres de ses malsionr; numérotées. Notre rue, c'est tout un monde, c'est toute une vie. Et c'est parce que chacun aime sa rue que niou.s avons cru inté- resser nos compatriotes en recherchant l'origine du nom de toutes les artères, grandes et petites, de la cité qui leur est chère et en relevant, dans l'ordre chronologique, les appellations successives sous quel les elles ont été désignées au cours des siècles. Ainsi chaque Villefranchois trouvera dans ces modestes notes l'historique de sa rue, de son « coin », de sa place et parfois même d,e sa maison. Tâche ardue et de longue haleine, à laquelle nous nous sommes consacré de tout notre cœur, sans prétendre cependant avoir atteint complètement le but qu,e nous nous étions primitivement fixé. Bien des lacunes subsistent dans cette nomenclature. Pour être mfené à bonne fin, ce travail eût nécessité la collaboration de plusiieurs. Nous aurons du moins donné l'exemple et, nous l'espérons, suscité une féconde émulation. A d'autres de continuer l'œuvre entrepris^, s'ils jugent qu'elle le mérite. Telle queil,e, nous lia livrons au public, en faisant appel à son indulgence, et nous prions le Vil1efranchois libéré. toujours si accueil- lant, de bien vouloir trouver ici l'expression de notre profonde gra- titude pour avoir aimablement consenti à imprimer dans ses colonnes cette étudie que nous dédions à Villefranche, à ses habitants et à s,es édiles. A. A. CHAPITRE PREMIER

UN PEU D'HISTOIRE ET QUELQUES CRITIQUES

Fondée en 1252 par Alphonse de Poitiers, combe de Toulouse et de Rouergue, à la suite de son voyage, l'année précédente, dans l,a province, et vraisemblablement sur la recommandation du sénéchal Jean d'Arcis, Villefranche fut bâtie en quatre années, de 1252 à 1256, sur tun plan régulier, comme l'ont été toutes les villes neuves ou bastides, à l'image des cités; gallo-romaines. L'an tique voie de Segodunum à Divona a pu servir de base aux arpenteurs pour cette construction (1) et constituer, d'lest en ouest, le decumanus maximus (actuelles rues Alibert, Camille-Roques et Jean-de- PlOffilairols) que coupera à angle droit, du nord au sud, le oardo maximus (nues Durand-de-Montlauzeur et de la République) formé par le tracé possible de l'ancienne voie romaine de Gosa s'embranchant, en ce point, sur la première, et son prolongement naturel, plus réoenifc peut-être, en direction de Figeac et de l'Auvergne. Ces lignes maîtresses donneront l'orientation de tous les autres decamani et cardines sleoon- daires, qui leur sont parallèles, et en particulier des rues de Belle-Isle, Marcellm-Fabre et du Général-Pre!s tat et de celles du Sergent^Bories et de Saint-Jacques qui, à leur point de rencontre avec ces dernières encadreront la grande place publique, en bordure de laquelle seront élevées église et maison commune. La ville primitive sera entourée d'un petit mur de rempart», percé de portes à chaque lextrémité dies grandes voies à l'est, celle de SaintJ- Jean ; à l'ouest, celle de Savignac ; au nord, celle de Villefneuve - au midi, celles du Pont et, plus tard, celles de Guiraudet et du Martel au sud-ouest et à l'ouest. Partagée en croix par ses deux artères principales, lia cité se trou- vait divisée en quatre sections ou quartiers, qui prendront, ultérieure- ment les noms de gâches de l'égiMe, guachia de !eccliesia (1345) du sua gacha dlel gua (1367), de la fon tain,e. gâcha de fonte (1367) et du' puech, gacha de pddio (1368).

i ét f (1 L? ° e Segodunum de à Plvona passait-elle par Villefranche ? Il parait bien difficile, en l'état de ri, hl que5ttl0,n' formuler autre chose des conjectures. Il en est de même lorsqu'il M9r ft f 3!efent du plan de notre bastide. On peut admettre - comme le fait notre ami. ri't. K que AJ° maltresses de la cité naissante se sont alignées sur la place Notre-Dame. Cette hypothèse est séduisante - nous le reconnaissons bien volontiers - mais elle ne saurait pen" Ions-nous. réduire à néant la nôtre. La vérité éclatera-t-elle, un jour. à la lumière de quelque trou- vaille historiens et T°nn Ki î"CUment épigraphique ou manuscrit ? Nous le souhaitons. Alors seulement les débat. archéologues seront en mesure de prendre une position sûre et inattaquable dans le La perte irréparable des vieilles archives communales (après 1773) et, avant tout, du oo m pois de 1443, qui eût pu nous donner tant de renseignements précis sur la topographie des lieux, ne peut être qu'imparfaitement compensée par le dépouillement des minutes des notaires villefranchois conservées aux Archives de l' et dont les plus anciennes remontent à 1344. Les sondages que nous y avons faits n'ont pu nous donner que des résultats partiels et ne nous permettent pas de désigner à coup sûr, par leurs noms d'origine, les rues de la cité. Il semble bien cependant que les rues maîtresses aient depuis fort longtemps, pour ne pas dire de tout temps, porté le nom qu'elles ont conservé jusqu'à la fin du siècle dernier, qui est celui des agglomérations voisines où conduisent les routes let chemins partant de la ville. Nous trouvons, dans les actes de la seconde moitié du XIVe siècle, quelque cent ans seulement après la fondation de la cité, à côté de la mention de « chemin par lequel on va de Villefranche vers... » iller per qu,o(-l itur de Villafranoa versas... délie de « rue publique par où l'on va de ViIJ,efranche vers. » caj-rei/m publiera qua itnr clie Villafmnca V>e:rSllS.... avec l'indication du nom des villages ou bourgs vers lesquels tendent ces chemins et ces rues. Souvent aussi, elles portent l'appellation unique de carrlera recta, rue droite ou directe, avec ou sans le nom du point d'aboutissement de chacunie d'elles. Les rues de moindre importance sont généralement désignées sous les simples mots de carreijra publica et les rues traversières sous ceux de carreyro publico ou de carreyro- Or, si, au siècle précédent déjà, il est fait mention de la oarreira uocata recta die Yraudelo, rue appelée droite de Guiraudet (1380), il semble que ce soit à la fin du XVe siècle seulement qu'apparaissent en général, pour les artères principales, les dénominations plus précises, que nous relèverons communément au siècle suivant, de « rue de la Verdesque. de Savignac. de Saint-Jacques », ietc.... carreyra publica nocatp. de la V,er des ca (1474), carreyria lJrocata de Savinhaco (1480), carreyria vocatu Sancti Jacobi (1488), etc... Il est à regretter qu'on n'ait pas su, à quelques rares exceptions près, respecter ces anciens vocables qui furent ceux que choisirent nos ancêtres et qui, pendant plus de 500 ans, furent employés par les innombrables générations qui ont vécu sur le sol de la petite patrie. Dans les cadastres du début du XVIe siècle sont mentionnées, en dialecte rouergat, lies rues Haute et Basse-Savignac, la rue et la place Savigruac, les rues Haute et Basse-Saint-Jean, la rue Villeneuve, et ces noms, évooateurs d'un long passé, auxquels on reste attaché comme à un nom de baptême, 50 ans après lieur arrêt de mort, survivent encore dans la mémoire et le cœur de beaucoup de vieux Villefranchois. Pourquoi avoir modifié lia dénomination de tant d'autres encore dont les noms suggestifs et anciens, comme les choses qu'ils dési- gnaient, faisaient partie, eux aussi, du patrimoine de lJ.;1 cité ? La rue droite du Pont. la carrieyra drecha reliel piOn ou rue Droite, la carrieyra drecha, la place du Pont, la plassa del pon, rappelaient la construction du vieux pont à dos d'âne qui enjambe l'Aveyron. Il avait remplacé ou doublé le gué qui, approximativement à cet endroit, franchissait la rivière et établissait une communication entre la rive gauche, le fau- bourg de la Peyrade et le quartier du Temple et la rive droite, où s'élevait la ville nouvelle. Commencé, en 1298, avec la contribution for- j cée des habitants de la B asti rie-l'E v ôqu e, et terminé vers 1320, de combien d'événements ne fut-il pas le témoin, au cours des âges ? Pourquoi n'avoir pas conservé à l'actuelle « rue du Sénéchal » son ancienne appellation de « rue de Grabde », la carrieym de Grapde, ou lirai a Graplde, qu'elle porta si longtemps, en souvenir de la vieille tour de -ce nom, construite en 1367, rebâtie en 1533, démolie en 1760, sur la rive die l'Aveyron, à proximité de cette rue ? Par suite de quelle fâcheuse confusion a-t-on baptisé de ce nom la rue dite de c la Tour de Grabdis (sic) » «'ouvrant sur les allées Aristide-Briand, à l'entrée de la rue de Belle-Isle, face à l'emplacement sur lequel s'éleva jusqu'en 1808 la tour de ? Pourquoi, d'autre part, n'avoir pas maintenu à la rue actuelle « du Palais », dans la partie de son tracé a voisinant l'ancien hôtel de la Sénéchaussée, la dénomination, qui, pendant des siècles, fut sienne, de « rue de la Sénéchaussée », la carrieyra ou la canto de la s,enescalhia, senescalsia ou seritéscalquia, et à la « rue des Fours banniers » — où il n'y eut jamais, à notre connaissance, de fours de cette nature — le vieux nom pittoresque de « rue du trel » qu'elle portait, il y a deux cents ans, ce qui eût dispensé nos édiles de réserver le nom de « rue du Presisioir ». un peu au hasard sans doute, à l'un des coins du quartier des Pénitents-Noirs ? Comment, par ailleurs, ne pas déplorer que les auteurs modernes de plans n aient pas pris la précaution é1érnentawe de vérifier, avant impression, le nom des rues et aient affublé la rue de la Verdesque du vocable fantaisiste — qui est resté — de « Vierdergue », de celui de « Calais » celle des Ca fiels et de « des teinturiers » la rue Teinturier. Constatons, cependant, par souci de vérité, que tous les vieux noms de nos rues n'ont pas subi ce sort malheureux et que, si nous n avons plus de « rue Guiraudet » nous avons pu du moins conserver une « promenade Guiraudet » et une « rue du faubourg Guiraudet ».

AinsI que nous l'avons signalé plus haut, lies registres de minutes notariales des XIVe et XVe siècles du dépôt départemental ne nous ren- seignent qu incomplètement sur les noms primitifs de nos rues. Le premier volume des procès-verbaux de police dressés par les consuls, lequel commence à l'année 1465 (Archives communales), nous donne pour cette période quelques indications intéressantes dont nous ferons état dans notre nomenclature. Mais la première source vraiment abondante ou nous ayons largement puisé est constituée par les cadas- tres des gâches die l'église, de la gleysa, de la fontaine, de la liOn, et du Celui du pUJech, del pech. a'malheureusement disparu des archives h• depuis longtemps, de même que le registre cor- respondant du cadastre de 1652, ce qui, pour ce quarUef le Xs oomb1er.let plus P la ville, est une lacune Mien ne Pourra Là aussi, les rues principales sont seules nommées. Les rues tra versa ères sont généralement désignées sous l'appellation ancienne rues de carreyro ou carreyro public et sous celle, plus récente, de canto ou canto public. Bien rares sont celles qui portent un liom distiScS? 1HeleV°^> cependant en 1466, exceptionnellement semble -1ii l'indication Nous d'un carmm Arnaldi, que nous traduisons par « Lin d 'Arna.ud » et, en 1606, d'un « canton de Jacques Murât » Dans lies cadastres de 1652, le mot canto s'est généralisé et a par- bout remplacé celui die carreyno. Ce terme dialectal, que l'on rencontre encore sous la forme de cantou ou contou (Bas latin : canthus ; ita- lien : ioaatone ; allemand : liante) signifie : angle, encoignure et sera ultérieurement francisé ,en « coing » ou « coin », mot que nous trou- verons employé, à l'exclusion de tout autre, dans le cadastre de 1673 et de nos jours 'encore. Chaque .cantou ou « canton » tirera sion nom du propriétaire le plus riche, le plus en vue, qui, presque toujours, habitera l'une des: maisons faisant angle. Parfois, le même « coin » sera pourvu de deux noms, selon que l'on en considère la partie haute ou la partie, basse. Au reste, beaucoup de ces noms siéront ceux d'anciens propriétaires, à l'époque déjà disparus ; très souvent, mention est faite de leur seul surnom. Il se trouve aussi qu'un monument public, un établissement privé donne son nom au coin, indication précieuse, dans beaucoup de cas, pour la recherche, à travers les siècles, des diversies activités de la cité. Si les rues conservèrent, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, leurs appellations premières, il n'en fut pas de même des « ooins », dont les vocables changèrent avec les habitants qui, par voie d'héritage ou d'acquisition, sont devenus possesseurs des principaux immeubles. Aussi sera-t-il difficile, pour ne pas dire impossible, de relever les noms, tous les poms qui leur furent successivement assignés. Convenons, d'ailleurs, que lieur énumération ne présenterait souvent qu'un très médiocre intérêt, lia plupart des propriétaires ne nous étant pas connus. Si la curiosité pouvait nous pousser à rechercher le coin qui, en 1743, s'appelait « coin de M. l'Abbé de Montville », à quoi nous servi- rait de retrouver le « coin de Bastine » ou le « coin de Taché » ? Nous nous contenterons de noter ceux qui figurent sur les divers ca- dastres, brevettes et plans à l'époque de leur confection, leur identifi- cation étant de ce fait généralement possible. Lia tourmente révolutionnaire devait laisser bien peu de souvenirs et encore combien éphémères ! dans lia dénomination de nos rues. Si Figeac possède toujours une « place de la Raison » et St-Affrique une « rue Sans-Culotte », les noms de « place Décadère » et de « place de la Régénération », que porta, à Villefranche, la place Notre-Dame;, eurent tôt fait de disparaître.

Il faudra attendre les importants travaux de levée de plan et d'établissement du cadastre, dan-5 le premiter quart du XIXe siècle, pour que se produise un changement radical dans le mode d'appellation, des petites rues ou coins. Ceux-ci ne seront plus officiellement désignés sous le nom du ou parfois des propriétaires les plus marquants, noms qui, nous l'avons vu, variaient avec les individus et les _ temps. Ils recevront un nom définitif — le définitif ne sera, hélas ! bien souvent que provisoire — évoquant l'existence présente ou passée d'une insti- tution, d'un édifice public ou privé ; le culte d'un Saint, patron d'une confrérie religieuse, et, plus tard, la mémoire d'une célébrité locale ou nationale. Pour la première fois, alors, nous verrons apparaître le nom d'un Viliei'ranchois devenu illustre, celui du littérateur Puechméja. auteur die Télèphe. Nous avons retrouvé aux Archives municipales le brouillon du projet qui a servi à la constitution de la liste des noms nouveaux,, adoptée en 1821 pour la confection du plan des alignements et utilisée, ! dieux anis plus tard, dans le plan parcellaire et le cadastre. C est de cette époque que datent la plupart des noms actuels de nos coins. Il va de soi que longbemps encore les Villefranchois conser ver on t les habitudes anciennes, qui de nos jours même n'ont pas été perdues par tous, et continueront à parler du « coin de M. Lobunnes », du « coin Trézières », du « coin Bastide », 'etc..., car un nom de rue c est bien en vérité, selon l'expression récente d'un chroniqueur parisien, « une habitude, un peu de l'atmosphère d'un quartier ». Un plan de la ville datant des environs de 1880 (Archives communales) établi en vue des travaux d'adduction d'eau potable à Villefranche, mentionne, avec quelques erreurs que nous rectifierons, tous lies anciens noms des coins, ce qui est une preuve qu'à cette époque encore on les désignait communément ainsi. Mais les habitudes, si ancrées soient-elles, finis- sent toujours par céder devant des habitudes nouvelles et l'on peut dire que si les plaques scellées à l'angle de nos rues avaient été, depuis qu'elles lexisbent, plus soigneusement entretenues, cette façon vraiment trop primitive de dénommer mois ooiins eût été définitivement aban- donnée. L'idée de l'apposition de ces plaques indicatrices fut, à Ville- franche, lancée en 1870. Le conseil municipal, dans sa séance du 22 avril, avait invité le maire à étudier la question. La déclaration de guerre de la Prusse à la France, trois mois plus tard, devait provoquer l'ajournement du projet, qui ne sera repris qu'après la conclusion de la paix. Avec la proclamation de la République et surtout avec l'institution de la fêbe commémorative du 14 juillet, en 1880, nous assisterons un peu partout en France — et notre Rouergue ne restera pas en marge de cette initiative — à une floraison de noms de rues nouveaux à la gloire de la Ile et de la Ille République et de leurs fondateurs., A Icelte liste s'ajouteront les noms des héros de la résistance à l'envahisseur, ceux des provinces ravies à la Mère-patrie, ceux des philosophes du XVIIIe siècle, précurseurs du mouvement révolutionnaire de 89, et des champions de la Liberté. Les municipalités tiendront à honneur d'inscrire aux angles die lieurs rues les noms de ces grands hommes. Celle de Villefranche, alors présidée par Gustave Andorre, s'y 'emploiera de son mieux. Dès 1881, urne proposition faite dans ce sens par le sieur Miquel avait été renvoyée à lia commission compétente, à la demande du Dr Joseph Plechdo. Il s'agissait d'élever une statue au sergent Portes sur le quai, que l'on baptiserait « Quai Bories ». La place Notre-Dame recevrait le nom de « place Caussanel », en souvenir du fougueux militant de 48, président du Club de,s Cordeliers. et la rue des Pénitents- Bleus celui de « rue Frayssines » pour honorer la mémoire d'un des membres les plus actifs de ce club. Lia commission très certainement rejeta cette suggestion, puisqu'on n'en trouve plus trace dans les déli- bérations qui font suite. Il faudra attendre près de trois années avant que le problème du changement des noms des rues soit de. nouveau évoqué — mais cette fois-ci avec plus d'ampleur — au sein du Conseil. La commission avait d'abord pensé donner le nom de « rue du Marché » à la rue Haube-Savignac, de « rue Bories » à la rue Basse- SaVlgDJac, de « rue Kléber x à la rue des Pénitents-Bleus, de « rue Lobinhes » à celle des Pénitent»-Noirs, de « place d)es 2 Ponts » à la placei ville. la du Pont et de c faubourg Lafayette » à l'un des faubourgs de Après une mise au point, elle arrêtera la liste ci-dessous que le Conseil adoptait dans sa séance du 17 février 1884 : AI1Ioœl1jS noms. Nouveaux noms proposés. Rue Droite. Rue de la République. — du Pont. — de la Garte. — — — de la Côbe-Pavée. — — — du Temple. Place Notre-Dame. Place Nationale. — de l'Ancien-Cimetière. — Sainte-Barbe. — du Dragon. — de la Révolution. — de la Mairie. — de l'Hôbel-dle- VilLe. Faubourg d'Alzou. Faubourg d'Alæ.œ-LorminJe. Boulevard du Petit-Languedoc. Boulevard de la Liberté. — du Quai. — de la République. Rue de la Fontaine. Rue Bories. — Moyenne-S avignae. — Prestat. — Basse-Savigmac. — Lia RlOmiguière. — Saint-Jacques. — de PomiairoLs. — ViUerueuVle. — Puechméja. — Haute-Saint-Jean. — de Belle-Isle. — Basse-Saint-Jean. — Alibert. — de la Boucherie. — Valadier. — du Marbeau. — LlObtirnhes. — des Pénitents-Bleus. — Denfer t-Rochereau. — des Pénitents-Noirs. — Jean-Jacques Rousseau. Place du Pont. Place de Seraincourt. — Savignac. — Pollier. — de l'Ancien-Palais. — Voltaire. Faubourg Guinaudet. Faubourg Barbés. — Savignac (neuf). — Dubmml. — Savignac (vieux). — Cancéris. Boulevard VilLenlcuVie. Boulevard Thiens. — de la Douve. — Gambette. Avenue de l'Hospice. Avenue Ledru-Rollin. de N.-Dame. — Louis-Blanc. — de . — Arago. Cette liste sera rendue publique par arrêté du maire du 7^ avril 1884, mais l'administration supérieure refusera de l'approuver sans avoir reçu au préalable l'assurance que la commune possède les res- sources nécessaires à la réalisation du projet, auquel la Commission des finances semble ne pas avoir donné suite. En définitive, .sur les 33 changements de noms proposés, _ 1 .seule- ment seront ultérieurement retenus, vraisemblablement à la suite de la délibération du Conseil du 12 septembre 1886. Lia rue Droite deviendra la « rue de la République » ; la place de la Mairie, la « place de 1 Ho- teLde-Ville » ; la rue Basse-Saint-Jean, la « rue Alibert » ; la rue du Pont (actuelle rue du Jreu-de-Paume), la « rue de la Côte-Pavée ». Bien plus profondes seront les modifications apportées, à la fin du siècle, sur l'initiative de Prosper Bras, adjoint au maire. Au cours des deux séances du Conseil des 21 mai 1893 et 8 septembre 1895, il fit un large exposé de la question dans des rapports dont 1 impression fut ordonnée et proposa, len s'appuyant sur des arguments fort perti- nents, des dénominations nouvelles pour 43 rues, 5 places, les Couverts et les quais. Lies unes étaient heureuses, les autres discutables, et, si. comme toute œuvre humaine, celle de Bras ne fut pas parfaite, elle eut du moins le grand mérite de rompre avec les méthodes du passé, en substituant à la fantaisie et au sectarisme politique, qui, sans doute avaient présidé à l'élaboration de tels projets et à leur réalisation, un sens réel de la couleur locale, le souci de la vérité historique et tW profond amour de la petite patrie.. On peut toutefois regretter que oet honorable magistrat soit parfois bombé dans les erreurs et les abus contre lesquels il avait voulu réagir et ait rayé du plan de la ville dies appellations vieillies comme la cité elle- même. C'est ainsi que disparaîtront, sans appel, les noms vénérables de c rues Haute et Basse-Savignac », de « rue Haute-Saint-Jean », de « faubourg Savignac », de « vieux faubourg Savignac », de « place du Pont » ie t de « place Siavignac ». S'il eut raison, à notre sens, de supprimer les noms de * rue de la Forme », « du Tambour », « des Verbes ', etc., qui déjà ne disaient plus rien à lies prit des Villefranchois d'alors, et certains vocables de Saints trop nombreux peut-être — conservant à juste titre ceux des patrons des corporations et confréries locales — il eut, par contre, le tort de biffer du même coup des noms évocateurs, comme ceux de 1'( Abreuvoir », de la « Terrasse », etc..., qui rappelaient des particula- rités du lieu. Trop souvent aussi, semble-t-il. il sacrifia au désir — fort louable en soi, mais trop généralisé sans doute — d'inscrire « au ooin des rues (de la ville) le nom des hommes remarquables qu'elle a produits ». Si Guillaume de Garrigues et Pierre Polier, héros de légende, n'eurent pas les statues que de Biarrau réclamait pour eux, ils eurent du moins leuns rues dans la nouvelle répartition. Le précédent était dangereux. Bras fera école. Bon nombre des changements de noms qui siéront présentés ou interviendront effec- tivement au cours des cinquante dernières années seront dus en grande partie au désir de nos édiles, à quelque parti qu'ils appartiennent, de glorifier un homme politique. Certes, beaucoup de ceux-ci ont acquis des titres à notre reconnaissance ; lieur nom glorieux figure ou a figuré fort opportunément à la place d'honneur sur les plaques bleues de nos rues, mais la gloire !est éphémère. Les régimes politiques passent et — nous le savons par expérience — avec eux les hommes qui les ont repréisentés. f : Trop de rues aussi, à notre simple avis, portent des noms de bien- faiteurs de la ville ou de l'hospice. Par délibération du 29 août 1911, approuvée par décret présidentiel du 22 décembre, 16 rues et avenues furent honorées du nom d'un d'entre eux, mais qui connaît aujourd'hui toutes les personnalités dont la générosité a motivé ces changements de vocables ? Qui sait ce que furent Agnès Savignac, Cavilhe, Murat et tant d'autres ? On sera peut-être étonné, par ailleurs, d'apprendre qu'Un excellent VlllJefrnnchoÍJS a obtenu ce suprême hommage en faisant à la ville un don de 1.000 fr. C'est bien peu en vérité, même au oours de la monnaie de l'époque, pour passer à la postérité. Loin de nous, certes, la pensée de SIOus-'estimer les libéralités de ces gens de bien qui se sont penchés sur la misère de leurs semblables et contribué à la soulager, mais n'aurait-on pas pu leur témoigner la reconnaissance de la population de tout autre façon ? Pourquoi une plaque de marbre apposée sous le porche, à l'entrée de notre établisse- ment hospitalier, ne rappellerait-elle pas aux générations futures le geste hautement méritoire de leurs compatriotes ?

Quelque louables qu'aient été de tout temps les intentions des municipalités, il convient de regretter que, dans beaucoup de cas, elles aient agi sans assez de discernement dans le choix des noms des rues et un peu trop abusé dies possibilités qui leur étaient ainsi offiertes de faire oeuvre partisane ou die s'acquitter d'une dette envers un bienfai- teur. C est toujours avec circonspection qu'il convient de procéder en l'occurrence. On ne change pas le nom d'une rue d'un ooup de baguette magique, si légitime que puisse être le motif invoqué et quel que soit le mérite que l'on accorde à une personnalité en vue, surtout lorsqu'il s'agit de rues aux dénominations anciennes. Qui, à Villefranche, a jamais appelé lie boulevard de la Douve « boulevard Salengro » ? Qui eût désigné, si le projet avait été retenu, la place Notre-Dame du nom de « place Francisoo-Ferrer » ? Aussi répéterons-nous avec M. Jules Artièries, l'érudit millavois, ces lignes de Camille Julian, l'in comparable historien des Gaules : « ... Je désire qu'on ne change jamais un vocable de rue, qu'on le laisss bel que les générations disparues l'ont créé. Pour moi, le nom d'une rue est comme celui d'unie ville, comme celui d'une famille ; il est l'œuvrte du temps qui l'a façonné pour celui qui le porte • il a pris ses racines sur le sol ou dans la famille, il faut l'y laisser ; il ne nous appartient plus... Changer le nom d'une rue. c'est supprimer un souvenir du passé, un indice qui nous permet de remonter jusqu'aux temps disr parus ; c'est — excusez-moi si je dramatise — supprimer les vénérables témoins des âges d'autrefois. » Réservons les noms nouveaux aux rues nouvelles et aux rues ;sans nom. TABLE DES MATIÈRES

Page Avant-propos 7 Chapitre premier. — Un peu d'histoire et quelques criti- ques 9 Chap. II. — Essai de classification. Rues disparues ou sans nom. Plan et yœux , 17 Chap. III. — Nomenclature des rues, places, boulevards et avenues de Villefranche 21 la — Noms d'hommes célèbres, d'illustrations locales et de bienfaiteurs de la ville ou de l'hospice 21 2° — Noms évoquant des établissements de diver- ses natures 59 3° — Noms se rattachant à un métier ou rappelant l'existence d'anciennes corporations 73 4° — Noms géographiques ou noms de terroirs 87 5° — Noms de congrégations et confréries religieuses. 93 6° — Noms empruntés aux institutions 98 7° — Noms de Saints 105 80 — Noms de mesures, ustensiles et instruments 108 9° — Dénominations tirées de l'aspect des rues 112 10° — Noms donnés en souvenir d'un événement mé- morable 114 11° — Noms d'édifices religieux ou se rapportant au clergé 117 12° — Noms rappelant les anciennes fortifications de la ville 120 13° — Noms empruntés à l'agriculture 124 14° — Noms d'origine douteuse ou inconnue 126 15° — Noms d'enseignes 127 16° — Nom désignant une individualité aujour'hui ou- bliée 128 Conclusion 129 Errata et addenda 133 Index alphabétique des noms des rues ...... Y 135 Bibliographie, ...... L; \.A138

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