CHAIGNAY ET SAINT BENIGNE

Pour qui s’intéresse à l’histoire du village de , il est difficile de s’affranchir de ce Saint, vénéré à , après l’avoir été à EPAGNY, qui fût en son temps, un lieu de pèlerinage sur les lieux de son arrestation et de son martyr.

Nous nous intéresserons ici au vécu des habitants de nos localités durant la présence des moines de l’abbaye de Saint-Bénigne de DIJON du Xème siècle au XVIII ème siècle, la révolution de 1789, marquant l’apogée et la fin de cette abbaye.

COURTEPEE dans sa Description générale et particulière du Duché de Bourgogne paru en 1777 nous dit que CHAIGNAY fût détruit au Xème siècle, puis rebâti au XIème par les moines de l’abbaye de Saint-Bénigne sous l’Abbé JARENTON .

L’abbé de Saint Bénigne était seigneur et décimateur des paroisses de CHAIGNAY, MARSANNAY, MESSIGNY, VAROIS, entre autres.

C’est dire si les liens sont riches, étroits entre l’abbaye dijonnaise et notre village.

Tout au long de l’année 2012, DIJON et son diocèse fêteront le XVème centenaire du culte rendu à St Bénigne, au cours de différentes manifestations, qui ont d’ailleurs débuté près de Langres, à St GEOSMES précisément, en novembre 2011, par une marche en direction de la Cathédrale de DIJON. Les étapes majeures ont été GEMEAUX et EPAGNY, autres localités où le Saint et ses baptisés ont été martyrisés au IIème siècle par les romains.

L’ORIGINE ET LA FIN DE SAINT BENIGNE

Saint Bénigne est originaire de Smyrne (Izmir aujourd’hui) et a connu saint Polycarpe. Ce dernier était disciple de l’apôtre et évangéliste saint Jean qui lui confia la mission d’évangéliser la Gaule. Saint Bénigne a ainsi évangélisé Marseille, Autun et Langres, en terres Eduennes et Lingonnes.

Par la voie Agrippa qui relie Lyon à Trêves en passant par Dijon et Langres, il n’y a donc rien d’étonnant à trouver les traces de son passage à GEMEAUX, EPAGNY (pour sa fontaine) et SAINT GEOSMES près de LANGRES.

Ces localités revendiquent aujourd’hui la possession d’un sarcophage contenant les restes de trois frères jumeaux, Speusippe, Méleusippe et Eleusippe, baptisés par Saint-Bénigne à Langres et qui ont été martyrisés par les romains (empereur Aurélien) au IIème siècle. GEMEAUX possède un buste reliquaire de l’un des trois frères. SAINT GEOSMES a retrouvé en 1990 dans sa crypte carolingienne du IXème siècle les ossements brisés des trois frères.

Leur nom même fait référence aux jumeaux. Le nom de GEMEAUX et de GEOSMES viendrait de JUMEAUX . . . une hypothèse souvent avancée par les historiens.

A Epagny, à l’emplacement même de la mairie actuelle, l’abbé-historien J.DENIZOT en 1866 nous dit que de nombreux cercueils gallo-romains ont été découverts, ils renfermaient des squelettes dont la tête était placée sur la poitrine, ce qui indiquerait une mort par le glaive

Arrêté à EPAGNY, sur les lieux de l’actuelle fontaine et d’une villa romaine en l’an 177, Saint Bénigne, lors d’une des nombreuses persécutions contre les chrétiens, souffrit le martyre pour avoir repoussé les avances de l’empereur Aurélien et du gouverneur du pays Terentius. Martyre horrible : écartelé, alènes sous les ongles, pieds dans le plomb fondu, puis finalement jeté à des chiens affamés … qui l’épargnèrent. Finalement on lui brisa le crâne et perça son corps d’un coup de lance.

André VAUCHEZ, en 2008, décrit le contexte de développement du culte de Saint Bénigne :

« Grégoire de Tours raconte qu’en Gaule, au début du VIème siècle, l’évêque de LANGRES fit ouvrir un beau sarcophage antique où reposaient les restes d’un personnage inconnu envers lequel la population de DIJON manifestait une grande dévotion ».

Cet évêque dans un premier temps supportait très mal cet état de fait, jusqu’à ce qu’il se ravisa, allant jusqu’à construire un oratoire près du tombeau. Il fit construire une crypte où il descendit lui-même le sarcophage le 24 novembre 511. Cette date a un nom : Translato le tombeau de saint benigne Sancti Benigni Ce sarcophage se situait dans un angle du cimetière dit « des basiliques » à l’Ouest du castrum de DIJON, lieu de dévotion où selon la légende, on obtenait ce que l’on voulait en priant un personnage inconnu : « le bien-bon », « le bienveillant», Bénignus, Bénigne.

L’ESSOR ET LES DECLINS DE L’ABBAYE

Quelques années après la construction de l’oratoire et de la crypte, en 535, une basilique fut construite. Le lieu attirant des foules innombrables et le culte du saint prenant de l’extension.

En 584, le roi mérovingien Gontran fait don d’un mobilier fort riche, mais ce sera aussi une période de décadence pour la jeune abbaye. Cette dernière sera reprise en main par Issac, évêque de Langres, qui crée un monastère selon la règle de Saint-Benoît, la restaure (l’actuelle chapelle Sainte Marie en est une trace), mais encore une fois, la décadence entraîne la disparition du monastère, la basilique est rasée totalement en l’an 1000.

Guillaume de Volpiano, moine italien venu de Cluny, arrive avec douze de ses confrères, appelé par l’évêque de Langres, et la reconstruction par des ouvriers venus d’Italie commence. Trois sanctuaires sont élevés sur l’emplacement du tombeau de Saint-Bénigne : une église souterraine contenant le tombeau, une église de surface pour le culte, une rotonde de trois étages (seul l’étage inférieur est visible encore aujourd’hui). Ces constructions seront consacrées le 17 février 1107.

LE RAYONNEMENT DE L’ABBAYE DANS LE DIJONNAIS

Il faut croire qu’il a concerné beaucoup de nos bourgs et villages à cette époque, tant ces moines ont œuvré à leur reconstruction après le passage de hordes venues du Nord (les nor-man) ou de l’Est.

Un abbé se fera particulièrement remarquer : l’abbé JARENTON

Vers l’an 1100, l’une des tours de la basilique Saint Bénigne s’écroule, tuant plusieurs personnes, endommageant le chœur. C’est sous sa conduite que les réparations furent effectuées.

De l’an mille à l’an 1100 une succession d’hivers rudes suivis de famines dévastatrices sont propices au déferlement de bandes de pillards et d’exactions au préjudice des habitants

Nos villages furent totalement détruits pendant cette période et rebâtis par les moines de l’abbaye de Saint Bénigne. Nous trouvons dans beaucoup de documents : CHAIGNAY (Casnedus), EPAGNY (Spaniacium), MARSANNAY (Marcellus), MESSIGNY, VAROIS, le nom du même abbé JARENTON pour rebâtir nos villages. Cette époque voit parallèlement la construction d’églises et de cures en pierre : constructions indispensables pour élever le village au statut de paroisse avec un curé à demeure.

Autre difficulté, politique celle-là : pour nos villages pendant ce onzième siècle, le duc de Bourgogne (Otte Guillaume) était installé à . Le roi de Robert II voulut transférer la cour du duc, avec son accord, à DIJON, alors possession de l’Evêque de LANGRES qui pouvait s’y opposer. Une guerre était inévitable. Elle fut engagée, sans succès, à l’automne 1015, perdue devant la détermination essentielle des abbés de Saint Bénigne et de Guillaume de Volpiano en particulier.

D’où les « dons » du roi de France que nous voyons de nos villages : CHAIGNAY, EPAGNY, MARSANNAY, VAROIS, ASNIERES, etc . . . effectués après la mort de l’évêque de LANGRES Brun de Roucy en 1016. Son successeur Lambert de Vignory donna même DIJON et tout le DIJONNAIS au duc de Bourgogne et DIJON devint la capitale définitive du duché.

Cette période vit l’apogée des abbayes, dont Saint Bénigne de DIJON. Durant les trois siècles qui ont suivi, les trois siècles capétiens, l’absence de guerres régionales, de grande épidémie (mis à part la grande peste de 1348) ont permis un développement économique important. De nombreux emplois s’effectuaient auprès des seigneurs ducaux, des bourgeois locaux. Par contre, le servage restait aussi contraignant dans les campagnes, leur affranchissement n’intervenant qu’au XVème siècle, contrairement aux villes qui l’obtinrent au XIIème siècle.

L’AFFRANCHISSEMENT DE CHAIGNAY

Une partie du village fut d’abord donnée à l’abbaye de Saint-Bénigne de DIJON en l’an 1012 ; mais cette possession avait été peu après usurpée par les seigneurs du voisinage. L’abbé JARENTON, secondé par l’évêque de Langres, parvint vers 1100, non seulement à recouvrer ce que son monastère avait perdu, mais aussi à déterminer les détenteurs du restant de la seigneurie à en faire « hommage » à Saint-Bénigne.

L’année suivante, le duc Hugues 1er, en prenant la Croix, (Il fut duc de Bourgogne de 1076 à 1079, puis moine à l'abbaye de Cluny, jusqu'à sa mort en 1093) affirma la propriété de l’abbaye en exemptant les habitants de CHAIGNAY des droits de péage qu’ils payaient à DIJON.

Plus d’un siècle après, le monastère de Saint-Bénigne se trouvant dans l’impossibilité d’acquitter ses dettes avec ses ressources ordinaires, l’abbé ADAM, proposa de remettre à perpétuité toutes les tailles à ceux des hommes de Saint-Bénigne qui abandonneraient aussitôt au monastère la moitié de leurs biens meubles, ainsi que la moitié de leur récolte de grains et de vin. Il s’engagea en outre à tenir quittes de la « redevance des oubliés » tous ceux qui continueraient à résider sur Armoiries des ducs ses terres. Seulement, tout en réservant les « cens, les dîmes et les capétiens de Bourgogne : tierces », il exigeait par chaque bête de trait ou de labour, une bandé d'or et d'azur de prestation de 2 sols dijonnais, d’un quartaut (57 litres ndlr) de froment six pièces, à la bordure de gueules

et d’un autre d’avoine, et de celui qui en était dépourvu, le paiement en deniers et en blé de la quantité qu’une bête pouvait rapporter (3).

Le duc de Bourgogne Eudes III et Robert de Châtillon s’étant portés garants de ces promesses (Vidimus), les habitants de CHAIGNAY, considérant que, « si lourdes que fussent encore ces conditions », elles avaient l’avantage de les soustraire à l’arbitraire. Ils les acceptèrent.

Quatre vingt ans plus tard, ils firent un nouveau sacrifice pour obtenir leur liberté, et ils payèrent une nouvelle redevance sur le lait de brebis et chèvres, et cédèrent à l’abbaye la meilleure partie de leurs biens communaux (les actuelles corvées).

LA VIE DES HABITANTS

Les impôts, déjà . . .

L’abbaye de Saint Bénigne, seigneur et décimateur de CHAIGNAY exerçait ses pouvoirs de justice et d’administration, des pouvoirs considérables, sans véritable possibilité de recours : la taille, la dîme du treizième, les corvées (six jours par an et par feu), les droits de vente, les droits de banalité, la gabelle (droit sur le sel de Salin à verser au duc).

La charte de 1208 ayant, comme on l’a vu plus haut, réservé les cens, les dîmes et les tierces, ces impôts continuèrent à se prélever sur le pied de deux gerbes sur treize ; mais dès les premières années du 14ème siècle, les habitants de CHAIGNAY, qui avaient planté en vigne une partie du territoire, ne s’étant pas crus obligés envers Saint-Bénigne à lui payer davantage les prémisses d’un terrain dont ils avaient changé la culture, l’abbaye était intervenue, en menaçant de faire arracher les vignes.

L’affaire fût soumise à l’arbitrage de J.de BRETENIERE, « sage en droit », il fut décidé qu’on ne ferait pas de nouvelles plantations sans le congé (l’autorisation ndlr) des religieux, et que la dîme se lèverait sur le vin récolté, sur le pied d’un muid sur treize (foudre de 912 litres), plus une censive de 6 deniers par journal (1/3 d’ha) pour la tierce.

En 1561, une nouvelle transaction réduisit à une gerbe sur dix la dîme sur les céréales.

En 1564, à la suite d’un long procès, une sentence du baillage de Dijon maintient l’abbaye en possession du droit de percevoir le jour de la St Rémi, sur tous les habitants non LA CORVEE DE BOIS clercs et « bigames », possesseurs d’animaux laitiers (chèvres ou brebis) : un bichot (mesure de grains de 85 livres) par moitié de froment et avoine et huit boisseaux d’avoine (mesure de Dijon) et 2 sols dijonnais. « Permettant, moyennant ce, à tous habitans, de pouvoir tenir une bête trayant en son hostel ». Cette redevance, qui pourrait s’apparenter à l’actuelle patente sur les commerces, était à multiplier par le nombre d’animaux. Il y avait en sus, à Chaignay, une dîme sur les agneaux. Si les moines de Saint-Bénigne s’étaient décidés à affranchir une de leurs terres, il n’entendirent jamais que cette liberté, pourtant si chèrement vendue, profitât à d’autres que ceux vivant sur leur domaine. Si un habitant quittait le village sans leur consentement, il était déchu de la franchise qu’il avait obtenue, ses biens étaient saisis et le « déserteur » ne réintégrait pas la seigneurie. Ses droits passaient en d’autres mains, à moins que par indulgence, ou lorsqu’il s’agissait d’un mariage, les abbés consentissent à les lui restituer, moyennant indemnité et paiement de la redevance annuelle. (Transaction de 1414. Archives de Saint-Bénigne –Domaine de Chaignay).

L’administration communale

Le village est administré par « une assemblée des habitants de la communauté » qui se réunit après la messe du dimanche et délibère sur les intérêts communs, la gestion de la « fabrique », c.a.d le budget de la paroisse.

Chaque année, en présence de l’intendant des abbés, se tient une assemblée générale (dite « des grands jours ») qui réunit chaque famille (chaque « feux »), avec présence obligatoire, pour voter les impôts communaux. Un « procureur » était désigné pour représenter la communauté, des « assesseurs » pour la répartition des impôts. Notons à ce propos, que nos commissions communales des impôts emploient toujours le terme « d’assesseurs » pour les personnes chargées de cette mission de répartition communale des impôts fonciers. Des « messiers », chargés de la garde et de la surveillance des troupeaux étaient également élus.

Au village de CHAIGNAY, subsistent, non pas ce type d’impôt, mais ces appellations de dîme et de corvées.

Le « dîme » est en effet un espace situé en plein centre-bourg, aujourd’hui loti, mais qui était à l’époque occupé par une grange tenue par les abbés de Saint Bénigne et qui entreposaient leur « dime du treizième » sous forme de grains ou de gerbes. Cette grange fût détruite au XIX ème.

Les « corvées » désignent aujourd’hui un certain nombre de terres de culture, de bonne à très bonne qualité. Leur surface est d’une soixante d’hectares. Corvées de , des Fases, Mangin, de la raie, des meix éprois, de médepain, de la forêt, du montot. Toutes ces parcelles figurent toujours aujourd’hui sous cette appellation depuis plusieurs siècles.

Une petite explication sur certains mots anciens : le « meix » est constitué par la ferme elle-même : habitation, granges, écuries, jardins, vergers attenants. Les terres et pâturages constituent « l’héritage ».

Ces « corvées » ont-elles été exploitées directement par l’abbaye, le travail étant effectué par des serfs ? Nous ne le savons pas. Par contre, il est certain qu’avant la révolution de 1789, ces terres étaient louées à l’abbaye de Saint Bénigne qui en était propriétaire.

Il en était de même à CHAIGNAY d’une bonne partie du plateau de terres se situant à l’Ouest du Village, des lieux-dit « combe carlot », à la métairie des « rentes du seuil ». Les urbanistes diraient aujourd’hui – du champ de tir au château d’eau-. Soit 120 ha de qualité très moyenne à mauvaise. L’abbaye en avait fait des lots loués également par la dîme du treizième à des familles nécessiteuses

Cette perception est engrangée au lieu-dit « le dîme » par un intendant des abbés, un nommé LEROUGE, mais lorsque la révolution éclata, ce mode de perception de fermage avait déjà disparu. Le paiement en monnaie avait remplacé le paiement en nature.

A la révolution, tous ces biens du clergé sont confisqués et vendus comme bien national. Un fermier : Nicolas FREMYOT et l’intendant LEROUGE se porteront acquéreurs des parcelles désignées « corvées ». Les parcelles de plateau (soit 120 ha) seront vendues beaucoup plus tard, avec pas mal de péripéties, aux fermiers en place. Quelques parcelles, les plus mauvaises, ne trouvèrent pas preneur et restèrent propriété de la nouvelle commune de CHAIGNAY.

Jean-Marc DAURELLE

Sources et bibliographie :

Monographie de Chaignay par Armand ROUGET Archives municipales de Chaignay Archives départementales de la Côte d’or –série B Fonds de l’abbaye de Saint-Bénigne – Domaine de Chaignay Chroniques de l’abbaye de Saint-Bénigne Les racines du val de Norges par Jean-Claude SOBOLE La baronnie du Val de Saint-Julien par Marcel BOLOTTE (3) Charte originale de Chaignay (archives de la chambre des comptes de Dijon, B 11637)