SUGGESTIONS DE COURSES

Une ascension originale demeu- C’est à partir de ce point que je choi- rée intacte sis d’approcher le sommet. La première étape de la montée suit un sentier d’abord boisé, puis longe la rivière au Le sommet des fond du vallon très encaissé issu de par le l’alpage d’Anzeindaz. Sur ma gauche, les falaises vertigineuses de la Tête d’Enfer. versant sud-ouest Les premiers chalets d’alpage invitent au Situé à la frontière des cantons de repos, mais pas de temps à perdre, car le et du , l’imposant mas- trajet est encore long ! En effet, on aper- sif des Diablerets est bien connu çoit désormais le point culminant des des skieurs, en raison des remon- Diablerets, qui surplombe majestueuse- tées mécaniques qui leur permet- ment de plus de 1300 m les vastes plaines gazonnées. Je poursuis donc ma route en tent de s’approcher aisément de parcourant ce paysage d’Eden, parsemé son point culminant. Néanmoins, d’immenses blocs détachés de la paroi, ce belvédère exceptionnel réserve en direction du Pas de Cheville (2038 m). " encore des aspects mystérieux et Peu avant le col, je bifurque sur la gauche BA081448 swisstopo de l’autorisation avec reproduite 000, 100 remarquablement préservés. Le et profite de la vaste langue herbeuse de : # parcours proposé, bien que relati- la Lué Tortay jusqu’à l’altitude de 2455 m. 1 CN vement exigeant et réclamant un Plus au sud, les sommets de Tête à Pierre Le parcours proposé se déroule que l'on peut rejoindre excellent sens de l’itinéraire, ravira Grept, du , ou encore des en grande partie dans le versant soit par Solalex (A), soit tout alpiniste en quête d’authen-­ Dents du Midi se détachent progressive- sud du massif des Diablerets, par Derborence (B). ticité et de nature intacte, dans l’esprit des pionniers.

Qui n’a jamais été intrigué et captivé par la réputation de ce puissant mas- sif, le sommet le plus élevé des Alpes vaudoises et le seul à présenter un pay- sage glaciaire ? De nombreuses légen- des circulaient autrefois à son sujet. Il abriterait la résidence des démons, dont le jeu de prédilection consiste- rait à prendre pour cible la Tour Saint-Martin, ou Quille du Diable, un curieux monolithe de 40 m posé sur les pentes sommitales des Diablerets. Comme projectiles, ils se serviraient d’énormes blocs arrachés à la monta- gne. Les démons qui manquent leur cible seraient à l’origine des éboule- ments dans le versant sud, dont le plus tristement célèbre reste celui de Derborence en 1714, repris par C.- F. Ramuz. Depuis lors, un téléphéri- que reliant la station des Diablerets au Sex Rouge a quelque peu effacé le my- the, les abords du massif étant désor- mais l’objet d’un afflux touristique important. D’où ma curiosité de ten- ter un itinéraire d’accès historique et peu fréquenté, réalisé pour la pre­ mière fois en 1856 par une caravane L’un des maîtres des lieux sem- ble veiller sur la rare fréquenta- emmenée par le célèbre écrivain et al- tion de l’itinéraire ! piniste Eugène Rambert. Ce parcours se déroule en grande partie dans le versant sud du massif, que l’on peut Les vastes étendues préservées rejoindre soit par Derborence, soit de l’alpage d’Anzeindaz, à partir duquel se dressent les sommets par Solalex, au pied du Miroir de Tête Ronde et des Diablerets. d’Argen­tine.

20 LES ALPES 8/2008 Une croix orne le point culmi- nant des Diablerets.

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# Photos : Florian Widmer Florian : Photos SUGGESTIONS DE COURSES

Dans le milieu de la face sud, on profite de parcourir de grandes dalles de cal- caire blanc stratifié. Le sommet est visible sur la droite.

Le village des Diablerets est situé près de 2200 mètres en contrebas, surmonté par la chaîne constituée de gauche à droite par le Châtillon, le Tarent et la Para. : Florian Widmer Florian : Photos

Arrivée sur le sommet dit d’Anzeindaz, coté 3209,7 m. Pour ment. Parvenu au pied d’une falaise, je suis bien sur la bonne voie ! On aboutit à atteindre le point culminant et la suis soudain impressionné par l’ampleur de grandes dalles stratifiées, dont le par- croix, il faut encore suivre une digne d’une cathédrale du versant méri- cours est surprenant et plus aisé. Le col belle arête aérienne sur une cen- taine de mètres. dional de la montagne, tourmenté par séparant Tête Ronde du sommet des d’immenses plis tectoniques. Diablerets est alors en vue et m’encourage Il faut ensuite se diriger le long de C’est à partir de cet instant que le à poursuivre, malgré l’inclinaison des l’arête ouest jusqu’au pied du bloc som- caractère alpin de la course s’affirme. Il pentes d’éboulis instables. Le silence mital, d’aspect massif. Il est défendu à la s’agit de suivre une vire d’environ 150 m n’est troublé que par quelques chutes de base par un banc rocheux de 6-8 mètres sur la gauche pour franchir un banc ro- pierres ponctuellement déclenchées par de hauteur, que j’aborde sur la droite à cheux, puis de revenir d’autant à droite. de rares bouquetins. L’atmosphère est l’aplomb d’une niche surmontée par un Je m’élève alors tout droit jusqu’à des ro- sauvage, et le survol furtif d’un aigle bloc pointu caractéristique. C’est le pas- chers blancs plus solides. Après quelques royal renforce encore cette impression. sage clé, le Pas du Lustre, où l’un des pre- dizaines de mètres d’escalade, une étroite Encore un peu, et je croirais distinguer miers ascensionnistes, Jean Muret, avait vire ascendante file sur la droite. La vi- des diablotins au loin ! Je rallie enfin parait-t-il été « suspendu comme un lus- sion d’un cairn soudain me rassure : je l’arête à 3000 m environ, d’où la vue tre » par ses guides en 1857 ! De bonnes plonge dans le versant nord, occupé par prises solides me permettent de franchir le glacier crevassé de Pierredar.

22 LES ALPES 8/2008 cet obstacle et d’accéder à la facette Giacomini me permet de reprendre mes voies classiques, comme si j’en effectuais ouest, formée de belles dalles que je re- esprits et de rassembler déjà de nom- le premier parcours. De nos jours, ces monte par des passages intéressants, en breux souvenirs. L’itinéraire m’a procuré instants privilégiés se doivent d’être ap- tirant légèrement vers la droite. Dans le la sensation peu commune d’effectuer préciés à leur juste valeur ! a haut, la pente s’adoucit alors que le ro- une ascension originale hors des grandes Florian Widmer, Lausanne cher devient plus sombre. Le sommet d’Anzeindaz (3209,7 m) est enfin atteint, et c’est par une élégante crête aérienne Informations pratiques que je rejoins la croix du point culmi- Difficulté Randonnée alpine d’envergure réclamant un pied sûr et un excellent sens nant. La réputation du panorama offert de l’itinéraire, surtout lors des 700 derniers mètres. Plusieurs courts pas- par ce sommet n’est plus à faire : on em- sages d’escalade en bon rocher dans le bloc sommital (II). Cotation alpine F, brasse toute la Suisse occidentale, le Jura, cotation randonnée T6 l’ensemble des Préalpes ainsi que les Matériel Il est préférable d’emporter une corde et quelques sangles pour certains géants du massif du Mont-Blanc, des passages d’escalade faciles, mais exposés. Nous recommandons égale- Alpes valaisannes et bernoises. A proxi- ment le port d’un casque. mité, on distingue la Tête de Barme, le Durée Solalex–Pas de Cheville ou Derborence–Pas de Cheville : 2 h. Jusqu’au Sex Rouge, l’Oldenhorn, de même que la sommet : 3 h 30. Compter encore 4 h pour la descente. Au total : 9 h 30 fameuse Quille du Diable ! La blancheur Dénivelé 1750 m, de Solalex ou de Derborence des glaciers des Diablerets et de Tsan- Carte CN 1 : 25 000, feuille 1285 Les Diablerets fleuron contraste soudain avec les pers- Accès Solalex et Derborence s’atteignent en véhicule privé ou en car postal. pectives des vertes prairies situées plus de 1200 mètres en contrebas. Période Attendre la disparition des névés dans la face sud. Privilégier un temps sec, entre juillet et mi-septembre Déjà, il faut penser à la descente, en se rappelant des passages empruntés peu Variante La cabane de Pierredar offre aussi plusieurs voies d’accès par le versant NW. avant et en restant prudent. De retour à Bibliographie Maurice Brandt, Guide des Alpes et des Préalpes vaudoises, Editions du Anzeindaz, une halte à l’accueillant refuge CAS 1985 (épuisé, nouvelle édition env. 2009)

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