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« Des artistes et des territoires : Palestine et palestinité »

Adrien SCANGA

Séminaire de « La Fabrique Culturelle »

Mémoire sous la direction de Mme Claire TOUPIN-GUYOT 2014-2015

Remerciements

Mes remerciements vont tout d'abord à madame Claire Toupin-Guyot pour son accompagnement et sa bienveillance tout au long de la constitution de ce mémoire. Je tiens à remercier tout particulièrement Amina Hamshari pour son amabilité et sa bienveillance, pour m'avoir accordé deux entretiens qui ont été essentiels à ma réflexion, pour avoir eu la patience et la disponibilité de répondre à mes questions. Je tiens à remercier monsieur Anthony Bruno pour sa bienveillance, pour sa disponibilité et pour m'avoir aiguillé dans mes recherches. Mes remerciements vont aussi spécialement à Marion Slitine pour m'avoir accordé de son temps lors d'un rapide passage à Rennes, pour m'avoir fourni des informations nécessaire à l'orientation de mes recherches et pour m'avoir présenté Arab Nasser. Je souhaite adresser un chaleureux "shukran" à Arab Nasser pour l'agréable discussion que nous avons pu avoir à Rennes avec Marion Slitine et pour la bière qu'il m'a offerte et dont je lui suis redevable. Je souhaite exprimer ma gratitude envers Frank Barat et Hamid Moulay avec lesquels j'ai beaucoup discuté et qui sans le savoir ont contribué à mon investissement dans la rédaction de ce mémoire. Je tiens à remercier également mes très chères Barbara, Lucia et Adèle qui m'ont encouragé et qui ont relu ce mémoire. Je souhaite également exprimer ma gratitude aussi envers Enora, Pauline et Alexandre pour leurs encouragements et leur intérêt pour ce mémoire et les services qu'ils m'ont rendu, ainsi que pour les programmes télévisés pertinents qu'ils m'ont suggérés. Il me semble également important de remercier Ece et Aurelia pour m'avoir beaucoup encouragé par la chaleur de leur accueil qui a rendu le travail infiniment plus léger. Merci également à Alizée pour le temps et la discussion qu'elle m'a accordés et les sources précieuses qu'elle m'a fourni. Je voudrais remercier enfin très particulièrement Pino, Marine, Elsa et Hamza, à qui j'ai pensé tous les jours en écrivant ce mémoire.

Résumés/Synopsis

Français La culture collective est une question fondamentale de l'histoire du peuple Palestinien. Elle s'est constituée autour d'événements et de conditions qui lui sont propres, notamment depuis qu'il a été chassé de la terre de Palestine en 1948, lors de l'épisode de la Nakba, la "catastrophe". Depuis, l'immense diaspora qu'il a formé (plus de 10 millions de personnes en 2013), les 5,5 millions de réfugiés recensés en 2014, l'éclatement de ce peuple à travers des enclaves territoriales dans les Territoires Palestiniens Occupés, en Israël ou à Gaza forcent la reconnaissance d'un paradoxe : il semble que les Palestiniens conservent malgré tout une unité grâce à l'identification aux mêmes référents imaginaires, qui sont qualifiés ici d'identification à la Palestinité. Une approche par les arts de Palestiniens de différentes origines géographiques est entreprise ici pour mieux saisir les tensions qui unissent les identités individuelles et la culture collective mais aussi la façon dont l'art permet aux Palestiniens de s'affirmer de se définir par eux-mêmes et d'agir sur la réalité de leurs conditions malgré leur situation de faiblesse dans le conflit avec Israël. Les symboles de la terre de Palestine et la multitude de territoires sur lesquelles demeurent les Palestiniens étant les charnières entre la culture et l'identité, le passé et le futur. English Collective culture is a fundamental question of the Palestinian people history. It has been formed by events and conditions that are specific to it, especially since it has been chased from the land of Palestine in 1948, during the Nakba episode, "the catastrophe". Since then, the enormous diaspora that it formed – more than 10 million people in 2013, the 5,5 million refugees that have been registered in 2014, the dispersion of this people through territorial enclaves in the Occupied Palestinian Territories, in or in Gaza force the recognition of a paradox: it seems that the - despite everything - kept a strong feeling of unity thanks to the identification to the same imaginary referents, called here identification to palestinity. An approach through the arts of Palestinians from different geographical origins is set here to understand better the interactions that links individual identity and collective culture but also the way that art empowers Palestinians to assert, to define themselves and to influence on their conditions despite their weak situation in the Israeli-Palestinian conflict. The symbols of the land of Palestine and the multitude of territories on which dwell Palestinians are the hinges between culture and identity, past and future. Mots-clefs / key words : identification, performativité, palestinité, territoires, Palestine / identification, performativity, palestinity, territories, Palestine.

Sommaire

Introduction

Le contexte de la Palestine Hypothèses Artistes, territoires, Palestine, palestinité Choix des supports Approche du sujet

Première partie : histoire, palestinité, culture

A) LA PALESTINE AUJOURD’HUI, ISOLEMENT, DESESPOIR, ET DIVISION 1) Oslo et le désespoir Oslo, la paix sans justice 1993-2014, vingt ans acculés au désespoir 2) Le morcellement du territoire Les accords de Taba, verrouillage du territoire palestinien L’archipel mondial des Palestiniens 3) Les Palestiniens aux yeux des Palestiniens

B) LA « PALESTINITE » 1) Identification et identité L’identité et la multitude L’imaginaire comme ancrage Identification à la palestinité 2) Une palestinité enracinée dans le temps : terre, résilience et idéal Le revirement du récit national après la Nakba (1948) Récit national, opposition de deux idéaux Résilience et résistance

3) Une palestinité suspendue à l’avenir : résistance, retour et pragmatisme Définir la Résistance Projets politiques et culture à l’épreuve de l’avenir Droit au retour, approche pragmatique et révision de la perspective nationaliste

C) LA SINGULARITE DU PALESTINIEN 1) Palestiniens et Arabes L’arabité des Palestinien L’identification arabe à la Nakba La condition palestinienne 2) Le contexte de la création artistique en Palestine Tensions dans la paix et tensions dans la guerre Réhabiliter la culture dans les TPO Ambitions locales et dépendance extra-territoriale des TPO et de Gaza Israël et la diaspora 3) Les figures d’une excellence reconnue Indépendance du récit national Richesse et illustration de la production cinématographique palestinienne Rayonnement de la littérature Ambitions et reconnaissance des arts plastiques palestiniens

Deuxième partie : des artistes et des territoires

A) DESTRUCTION ET ENFERMEMENT, L’ART GAZAOUI ET LE BESOIN

D’HUMANITE 1) Des conditions propres à Gaza Situation humanitaire Le quotidien gazaoui

2) Du cinéma sans cinémas Gaza, territoire des enfants Le décalage artistique, cinéma et œuvres plastiques des frères Abu Nasser 3) S’exprimer : transcender et humaniser Gaza 100 Days of Solitude, apporter un autre regard sur l’espace Gazaoui Voir Gaza à travers son humanité

B) L’ESPACE ET L’IDENTITE : LE CINEMA DANS LES TERRITOIRES OCCUPES 1) La question de l’espace L’espace palestinien : rappels Traiter la question de l’espace dans le cinéma Cinéma Tora Bora 2) Les Roadblock Movies, l’occupation à l’écran S’identifier dans des expériences individuelles S’approprier les symboles de leur fragmentation La temporalité du présent 3) Une réalité-fiction Une réalité dévorante Une réalité suggestive

C) RYTHMES SUBVERSIFS D’AILLEURS : HIP-HOP ET REGGAE EN PALESTINE 1) Naissance et évolution du groupe DAM « I’m the negro of the » Culture globalisée et culture palestinienne Répliquer à la réalité 2) Naissance du reggae en Palestine ? Prémices d’une dynamique reggae-dub arabe en Israël Toot Ard, reggae Syrien du plateau du Golan « Dub, Dub-Key, dabkeh »

3) La subversivité inhérente des rythmes Solidarité outre-Atlantique et culture hip-hop Le reggae et la lutte universelle contre Babylone

D) « ET LA TERRE COMME LA LANGUE », DARWICH, L’IDENTITE, L’EXIL 1) « Sajjil! Ana ‘Arabi - Inscris! Je suis Arabe », La langue, racine de la palestinité La langue, première marque d’identité Exister : occuper la terre par la culture et par l’esprit 2) « L’épopée poétique palestinienne » Engagements et appréhensions de la réalité par la poésie Exil, altérité, identité 3) « La Palestine comme Métaphore », reflet de l’épopée humaine Echange mutuel de sens entre la terre et le poème Portée universelle du poème

Troisième partie : le fruit de la recherche esthétique, la nation palestinienne

A) LA PALESTINE, EN SORTIR ET Y RESTER 1) La nécessité de s’extraire du contexte S’émanciper pour une démarche uniquement artistique Dynamique d’ouverture 2) La réintégration dans le contexte L’expression artistique ou déplacer l’accès à la réalité La glocalisation, application au contexte 3) Transmettre un message universel Le langage de l’art Devenir une référence culturelle pour le monde

B) AGIR SUR LE REEL, LA PERFORMATIVITE DE L’ART 1) « L’intifada artistique » La pratique artistique La bataille pour l’espace culturel Etre Homme-Habitant 2) Performativité de l’art, subvertir les discours imposés Performativité linguistique Performance artistique et discours performatif 3) Cristallisation et échos de l’identité : « l’acte nécessaire de la performance » Performance et performativité Performance et médiation

C) L’ART ET LA CULTURE : ATTRIBUTS ET OUTILS DES PALESTINIENS 1) « Transgresser » les frontières « Hyphenated identity » ou identité « trait d’union » Rassembler les Palestiniens dans un même espace créatif 2) Extraterritorialité de la nation Palestinienne La nation, concept ethnique et biologique La Palestine, reconnue par sa culture comme nation 3) La paix, l’Etat, l’unité : mesures d’un peuple illustre La paix L’Etat L’unité

Conclusion

Table des sigles

OLP : Organisation de Libération de la Palestine. AP : Autorité Palestinienne. TPO : Territoires Palestiniens Occupés. ONU : Organisation des Nations Unies. UNOCHA : United Nations Office for Coordination of Humanitarian Affairs UNRWA : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near-East, Organisme crée en 1948 consacré exclusivement aux réfugiés Palestiniens. UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization.

Introduction

« What do we have that is that special ? Why people want to know about Palestinian artists ? Are we that different from the other artists ? It’s just a question I ask you, I don’t have the answer personally1 ».

De prime abord, l'art palestinien peut être effectivement comparé à tous les autres, comme n'ayant rien de particulier en soi, étant avant tout une production à vocation artistique. Or, la question de la Palestine renferme une multitude de questions, de paradoxes, de processus, propres à tous les humains mais qui ont lieu dans un contexte précis. L'intérêt d'étudier le cas des Palestinien consiste à tenter de saisir comment, d'après ce qui leur est spécifique, ils accèdent à des questions universelles.

LE CONTEXTE DE LA PALESTINE

1948 marque la création de l'Etat d'Israël et à la fois le jour de la Nakba pour les Palestiniens. Cet épisode traumatique de la mémoire collective marque le déplacement de 800 000 Palestiniens, fuyant la guerre, qui deviendront des réfugiés. La Nakba est la perte de leur patrie. Elle n'est pas un événement traumatique pour les Palestiniens uniquement. La question de la Palestine et des Palestiniens marque le monde arabe et le Moyen-Orient depuis 1948. En 1967, une autre guerre avec Israël, qui se solde par la défaite des armées coalisées arabes, va réduire encore plus le territoire sous contrôle des Palestiniens. Depuis, l'armée israélienne occupe militairement la Cisjordanie et la colonisation dans ces territoires va se développer. Dans les années 1980, le soulèvement populaire de la première intifada crée de nouvelles dynamiques : Israël veut renforcer sa sécurité et l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) accepte de négocier la paix contre la constitution d'un Etat Palestinien en Cisjordanie. Les accords d'Oslo vont concrétiser cette dynamique. Ils sont le véritable tournant historique qui marque la période sur laquelle cette étude va se concentrer.

1 Témoignage du cinéaste Gazaoui Mohammad « Arab » Abu Nasser, Rennes, 15 mars 2015.

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Avec la mise en application des accords de Taba (ou Oslo II, en 1995) et l'échec des négociations de Camp David II (2000), la situation en Palestine va passer de l'espoir à la résignation en quelques années. Les accords d'Oslo promettaient la mise en place d'un calendrier pour aboutir à la paix. Ils ont permit la création d'une Autorité Palestinienne en Cisjordanie qui va bénéficier de pouvoirs d'administration civile. En 1995, les accords de Taba définissent quelles zones en Cisjordanie seront sous le contrôle de l'armée israélienne et lesquelles seront sous le contrôle de l'Autorité Palestinienne (AP). Dans les faits, l'AP n'aura de véritable contrôle nulle part mais son rôle d'administration civile sera effectif principalement dans les grandes villes de Cisjordanie. L'AP, en tant qu'administratrice publique des villes palestiniennes va pouvoir commencer un travail qui n'avait pas pu être entrepris avant : la création de lieux publics dédiés à la culture. Ces accords de Taba marquent surtout la division du territoire qui est censé devenir le futur Etat palestinien. A cela s'ajoute que la colonisation de la Cisjordanie n'est pas gelée mais au contraire s'accélère. Elle se développe d'une façon avant tout stratégique, qui récupère les ressources naturelles de la Cisjordanie, qui divise le territoire et entrave la circulation des Palestiniens. Les années 1990, années de la mise en place du processus de paix, se déroulent en réalité dans un contexte extrêmement tendu et violent. Des attentats et des violences ont lieu des deux côtés. En juillet 2000 se tient le sommet de Camp David II aux Etats-Unis pour tenter de débloquer de nouvelles avancées diplomatiques entre l'Autorité Palestinienne et Israël. Ce sommet échoue très rapidement et la crainte de Yasser Arafat, qui dirige alors l'OLP, que cet échec ne conduise les Palestiniens au désespoir, se réalise peu de temps après. En octobre 2000, la deuxième intifada éclate. Un nouveau soulèvement populaire des Palestiniens en Cisjordanie, à Gaza et en Israël va renforcer encore la séparation en plusieurs espaces du peuple Palestinien. En 2002, Israël entreprend la construction d'un mur de séparation entre les territoires israéliens et palestiniens. Les Palestiniens de Cisjordanie ne pourront plus accéder au territoire israélien, ni même à Jérusalem. Pour les citoyens israéliens, incluant les Palestiniens restés sur le territoire Israélien même après 1948 et 1967, il est illégal de se rendre en Cisjordanie, puis en zone contrôlée par l'Autorité Palestinienne (zone A d'après les accords de Taba). La même année, l'administration de l'AP est assiégée dans la ville en guerre de Ramallah. D'autres grandes villes connaissent des combats violents et de nombreuses victimes : Naplouse, Jénine et

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Hébron en particulier. En 2005, les colonies israéliennes de Gaza sont démantelées. Lorsque le remporte les élections législatives en 2006, un blocus est imposé à la bande de Gaza. Entrer ou sortir de ce territoire demande des autorisations rarement accordées. Depuis, rien n'évolue vraiment. Aucune négociation ne reprend, le statu quo semble s'être imposé. C'est dans un tel contexte où les Palestiniens voient leur présence menacée et niée depuis 1948 que la culture collective a pris une importance déterminante. En effet, depuis la Nakba, la Palestine est aussi un territoire rêvé et fantasmé, par tous les Palestiniens, Gazaouis, Israéliens, de Cisjordanie, exilés et réfugiés. Le récit national de l'OLP des années 1950 aux années 1980 a contribué à relayer tous les symboles de cette terre fantasmée auprès de tous les Palestiniens. La perte de la terre a vu émerger des symboles d'identification très pastoraux, paysans. Le véritable traumatisme des Palestiniens n'est pas celui des morts du fait des guerres et de la Nakba, il est celui de la perte de la terre. La période de 1993 à nos jours marque une culminance de l'éclatement, de la division des Palestiniens. Les dissensions politiques qu'Oslo a étouffées se font ressentir. L'abandon dans les revendications de la création d'un Etat sur la Palestine "historique" (Gaza, Territoire Palestiniens Occupés et Israël) porte un coup à la résolution de la question du retour des réfugiés qui sont plus de cinq millions de nos jours. La seconde intifada n'a fait que confirmer l'absence de toute possibilité de règlement diplomatique du conflit. Gaza est sous blocus. Les dernières générations des réfugiés et des exilés partagent de moins en moins la nostalgie de la patrie de leurs aînés. La Cisjordanie est un archipel de zones d'habitation palestiniennes entourées de checkpoints, de routes réservées aux Israéliens, de colonies, de zones militaires et surtout, d'un mur de huit mètres de haut. L'unité des Palestiniens, dans leur identité comme dans leurs relations entre eux semble voler en éclat. La définition même de ce qui permet de se qualifier encore de "Palestinien" est remise en question. Comment se considérer comme nation alors que l'unité du peuple est si fortement remise en cause? Comment considérer que les cultures ne sont pas radicalement différentes lorsque certains n'ont plus de contact avec la Palestine depuis plus de soixante ans?

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HYPOTHESES

Ce mémoire est fondé sur plusieurs hypothèses de départ : Les Palestiniens ne forment plus une nation et ne peuvent revendiquer la création d'un Etat, leur unité culturelle faisant défaut et le territoire qu'ils occupent n'ayant plus de continuité. - L'"identité palestinienne" est fortement affaiblie et dissoute dans la multitude des cultures spécifiques, développées sur des territoires qui sont certes occupés par des Palestiniens de culture, mais qui ont développé une identité plus forte, liée à leur territoire. L'hypothèse sous-jacente est qu'une culture et une identité se développent par l'habitation d'un territoire, par les liens entretenus avec celui-ci. - Les Palestiniens n'ont plus les moyens culturels pour se définir comme tels. - La Palestine, au singulier, n'existe plus.

Pour confirmer ou infirmer ces hypothèses, le choix a été fait de passer par l'étude des expressions artistiques provenant des différents territoires, principalement depuis 1993. Les artistes sont au même titre que les autres, les habitants d'un territoire. Les liens qu'ils entretiennent avec celui-ci constituent une culture qui leur est propre. Les Palestiniens vivent dans différents territoires et la culture qu'ils développent est donc différente et propre à chacun de ces territoires. Une opposition semble alors se former entre la culture collective palestinienne et la culture locale, liée au territoire. L’art est une production de l’esprit et en tant que tel, il est la réduction d'une subjectivité exprimée dans une forme empirique figée. Le postulat ici est qu'une œuvre est un condensé de tout ce qui compose la subjectivité de l'artiste au moment du processus créatif. Cette subjectivité est composée de la culture de l’artiste, de son identité individuelle, de ses souvenirs. Il est lui-même plongé dans un contexte qui pourrait être approché par d’autres voies que celle de ces œuvres : la géographie, la sociologie, la géopolitique, etc. Il est considéré comme témoin de ce contexte et ses œuvres comme le témoignage. L’intérêt d’entreprendre l’approche d’un contexte historique par les œuvres artistiques et les artistes c’est de comprendre la dialectique qui s’opère entre la réalité et son reflet dans les œuvres, entre les artistes et ce qui les entoure. Etudier les arts d’un peuple sur une période, entreprendre une approche par l’histoire culturelle, c’est en étudier les représentations d’une réalité exprimées à

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travers le prisme d’une subjectivité. Etudier l’œuvre d’un artiste est une exploration de son intimité : comment il voit la réalité, ce qui l’obsède, le marque, l’intéresse. Aussi, explorer l’art de plusieurs artistes sur une certaine période c’est essayer de mettre en évidence à la fois ce qui est commun et ce qui diffère chez eux, d'après les événements de la période. L'idée centrale de ce qui est à explorer ici est donc celle de l'identité, de la présence et du traitement de la culture collective. Dans les expressions artistiques seront donc recherchées deux tendances : ce qui unit les Palestiniens d'un territoire à ceux des autres territoires et à l'inverse, ce qui dégage une spécificité liée au territoire.

ARTISTES, TERRITOIRES, PALESTINE, PALESTINITE

Une telle approche exige donc que chaque territoire soit étudié dans le mémoire. Le terme territoire est justifié ici par l'hypothèse qu'il est à l'origine du développement des spécificités culturelles qui fractionnent l'identité palestinienne. Le lien entre artistes et territoires est que les premiers expriment, et donc révèlent, les liens subjectifs qu'ils entretiennent avec leur territoire et avec celui des autres. La question de la Palestine se pose. N'étant plus vécue comme une, territoire fractionné, la Palestine au singulier existe-t-elle encore? Puisqu'il n'y a plus d'expérience faite d'une Palestine unie par les Palestiniens, cette acception est-elle encore pertinente? La palestinité, terme non-institué, permettrait de décrire ce qui relève et/ou contient "du palestinien". Ce terme est le lien qui définit une chose investie, chargée de la terre de Palestine, plutôt dans sa définition idéale que dans sa définition empirique. Il qualifie le lien subjectif entre un territoire idéalisé et sa manifestation dans le monde physique. Le sujet ici consistera donc à traiter une dialectique de plusieurs échelles : celle que les artistes entretiennent avec leur territoire, avec la Palestine physique ou métaphysique, et avec la palestinité.

CHOIX DES SUPPORTS

Pour traiter une approche de l'identité, de la culture et des territoires habités par les Palestiniens à travers le prisme des arts, une multitude de supports était envisageable. Devant la quantité d'œuvres, de territoires, d'artistes et de définitions de l'identité et de la culture, un tri est obligatoire pour une telle production. Les territoires retenus sont les plus généraux et les plus évidents : la bande de Gaza, la Cisjordanie (ou TPO), Israël et toutes les communautés exilées. Les

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territoires ayant des spécificités pourtant très marquées ont du être abandonnés, l'approche se voulant globale. Les camps de réfugiés, l'espace urbain, l'espace rural, la vallée du Jourdain, Hébron, les Palestiniens de Galilée, les Palestiniens des banlieues Israéliennes, la diaspora palestinienne au Chili, au Liban, en Jordanie, aux Etats-Unis, etc., pourraient être des territoires tout aussi pertinents. Il existe une multitude d'espaces habités par des Palestiniens qui manifestent des spécificités propres et extrêmement diversifiées. Les corpus artistiques des territoires étudiés sont de genres différents : musique pour Israël, poésie pour la diaspora, cinéma et arts plastiques pour Gaza et cinéma uniquement pour les TPO. Pour Israël, le choix de la musique est justifié par l'importation et l'adaptation de nouveaux genres : le reggae-dub et le hip-hop. L'intérêt est de comprendre pourquoi ces genres apparaissent d'abord en Israël, puisqu'ils n'ont pas émergé dans d'autres espaces palestiniens avant. Il a été choisi d'étudier le groupe DAM au vu de leur importance, de leur caractère précurseur et de l'abondance de sources et de littérature à leur sujet. Depuis le début des années 2000 les groupes de hip-hop palestiniens se multiplient et il aurait pu être choisi de faire une étude comparative entre les différentes expressions, cela aurait cependant occupé du temps et de l'espace au détriment de la réflexion. Les groupes de reggae sont les seuls se produisant en Palestine qui ont été reconnus. Une étude Qatari très récente sur le Ministry of Dub- Key1 a permit de bénéficier indirectement d'entrevues menées avec les membres du groupe. Cela pu diversifié mon approche qui était exclusivement fondée sur une appréciation personnelle des textes, des rythmes ainsi que sur une lecture de la presse, peu diversifiée, aussi bien pour Toot Ard que pour le Ministry. La période de 1993 à nos jours voit beaucoup de films être tournés dans les TPO. Le fractionnement de l'espace en fait un lieu privilégié pour des interprétations audiovisuelles. Les films qui traitent principalement de cette réflexion sur l'espace sont appelés les "Roadblock Movies". Un certain nombre d'entre eux ont pu être visionnés alors que d'autres sont demeurés inaccessibles comme Like Twenty Impossibles d'Annemarie Jacir. L'analyse des films s'est beaucoup reposée sur le livre

1 ABUGHAIDA Yazan, "Dub, Dub-Key and Dabkeh: Palestinian Resistance through Reggae Music in Israel", Journal of Georgetown University-Qatar Middle Eastern Studies Student Association, 2015, consulté le 6 mai 2015, [En ligne]

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Palestinian Cinema, Landscape Trauma and Memory1 ainsi que sur les entrevues que les réalisateurs ont eux-mêmes données par différents moyens : revues, presse, diffusion en ligne. Il est nécessaire de relever ici que les sources et la bibliographie les plus pertinentes concernant le cinéma et la musique étaient anglophones. Gaza est un territoire fermé qui ne dispose pas de lieux dédiés aux projections cinématographiques. Il est intéressant de voir que le cinéma s'y développe pourtant. Les arts plastiques y subissent les mêmes conditions. L'enjeu à Gaza est de pouvoir s'exprimer et diffuser cette expression alors que le territoire est confiné et fermé sur lui-même. Monsieur Anthony Bruno, directeur de l'Institut Français de Gaza a répondu à des questions sur l'état du cinéma à Gaza. Ici encore, les court métrages des frères Abu Nasser, principaux artistes analysés dans cette partie, n'étaient que partiellement accessibles. J'ai pu voir deux fois Arab Nasser à Rennes, mais celui-ci était malheureusement très pris par son travail. Les entrevues que les frères cinéastes ont données sur plusieurs supports ont été précieuses pour comprendre leur démarche. L'étude de l'œuvre et de la vie du poète Mahmoud Darwich est la façon la plus canonique d'aborder la production artistique de l'exil. Ce poète, depuis l'exil, était reconnu pourtant comme la voix poétique de son peuple. Ce paradoxe méritait d'être examiné. Pour cette partie, une partie de l'œuvre de Mahmoud Darwich a été lue. Les documents les plus significatifs a été le documentaire de Simone Bitton et Elias Sanbar qui lui est dédié, Et la Terre, Comme la Langue2. Les livres consacrés à réunir ses entrevues et des études sur ses poèmes ont été aussi très importants. Cependant, le sens de ses poèmes et de son œuvre en général a été apprécié également à l'aune de sa biographie. Le croisement de sa biographie et de son œuvre avec des études et des réflexions psychanalytiques et philosophiques a permit une réflexion enrichie, plus distancée. Une série de recherches a dû concerner les œuvres mêmes de tous les artistes mobilisés pour pouvoir les analyser. Leurs disponibilités n'étant pas toujours assurées, elle a été compensée par des appréciations indirectes, des réflexions ou des extraits trouvés parfois par hasard.

1 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Palestinian Cinema, Landscape, Trauma and Memory, Oxford University Press, 2008, 256 p. 2 BITTON Simone et SANBAR Elias, Et la Terre Comme la Langue, [DVD], sous la direction de Simone Bitton, France, 1998, (59 min).

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L'étude de la spécificité de leurs territoires à dû être faite pour être à même de déceler leurs particularismes dans les œuvres et pour porter une réflexion plus nuancée et critique. Par exemple, le rapport entre la culture et le territoire provient de travaux de géographie des années 1950. Les opinions des artistes sur leur identité, sur leurs œuvres, sur leur rapport à la réalité ont été activement recherchées. Interviews, chroniques, reportages, dossiers de presse, articles de presse, sites internet ont été étudiés pour ne pas être dépendant uniquement des œuvres seules. Une série d'études générales on également du être faites pour pouvoir comprendre quels mécanismes, documentés de façon générale, sont applicable au sujet. Plusieurs notions sont mobilisées dans différents domaines : la géographie, la sociologie, la psychologie, la philosophie, l'histoire, la linguistique, l'ethnologie, l'anthropologie, l'éthique, la cartographie, etc. Le croisement de conclusions applicables dans des domaines scientifiques diversifiés a pu enrichir la dimension donnée au sujet. La majorité des sources spécialisées dans l'étude des arts palestiniens n'étaient accessibles dans aucune bibliothèque. Les livres On Palestine1, Palestinian Music and Song2, My Voice is My Weapon3, Palestinian Cinema4 on tous dû être achetés en ligne auprès des universités américaines et britanniques qui les publient. La source la plus utile et la plus riche a été la Revue d'Etudes Palestiniennes. Bien que sa publication ait été interrompue en 2008 pour des raisons budgétaires, elle a constitué un véritable puits d'informations permettant de porter des regards croisés sur mon sujet. Ses archives étaient en partie accessibles à la bibliothèque universitaire de Sciences Po Rennes. Cependant, le seul lieu qui puisse assurer la consultation de la totalité des archives des la Revue d'Etudes Palestiniennes est la Bibliothèque Nationale de France à Paris. Les entretiens et les témoignages directement reçus par courrier électronique ou par des discussions ont été principalement utiles pour orienter ma réflexion plutôt

1 CHOMSKY Noam, PAPPE Ilan et BARAT Frank, On Palestine, Haymarket Books, Chicago, Illinois, Etats-Unis, 2015, 218p. 2 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Palestinian Music and Song : Expression and Resistance since 1900, Indiana University Press, Bloomington et Indianapolis, Etats-Unis, 2013, 232 p. 3 McDONALD David A., My Voice Is My Weapon: Music, Nationalism, and the Poetics of Palestinian Resistance, Duke University Press, Durham et Londres, 2013, 360p. 4 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit.

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que comme source directement exploitable dans la réflexion. Les seuls entretiens envisagés avec des artistes palestiniens vivant en France ont été abandonnés pour favoriser les artistes sur lesquels existent une littérature et des sources déjà riches en réflexion.

APPROCHE DU SUJET

En avançant dans les recherches, il s'est avéré qu'il était impossible, ni en terme de temps ni en terme de moyens, d'embrasser la totalité de la première idée qui était "L'art et les artistes Palestiniens de 1993 à 2014". Le choix de la période était trop pertinent pour être abandonné, une étude à travers les territoires a été favorisée. Plus tard, il s'est révélé que le nombre d'acteurs, d'artistes et d'œuvres qui entraient dans le sujet était bien trop vaste. Les angles possibles pour traiter le sujet étaient également trop nombreux. Le paradoxe de l'éclatement et de l'unité culturelle a semblé être le plus intéressant à explorer finalement. Le sujet est approché par plusieurs angles. Une approche par plusieurs dimensions de la question Palestinienne permet de lui donner un relief très riche. Pour traiter spécifiquement le sujet, trois angles ont été envisagés : - Le partage de la culture collective et les processus d'identification qui en sont issus pour répondre à la question de l'union ou désunion du peuple palestinien. - L'approche par les œuvres issues de territoires spécifiques pour dégager les similitudes et les spécificités des espaces. - La capacité de l'art à ne pas être qu'un reflet subjectif du monde empirique et sa capacité à peser sur la réalité physique.

En effectuant des recherches sur le sujet, il devient manifeste que le domaine de l'art et de la culture tient aujourd'hui une place centrale dans la question palestinienne. Dans l'éclatement de la nation, l'incapacité qu'elle a à se déterminer et se définir, la faiblesse de ses institutions politiques et le développement de particularismes culturels, comment l'art parvient-il à résoudre sur un plan métaphysique ce que les capacités d'action des Palestiniens sur le plan physique ne permettent d'accomplir?

La question de la nation palestinienne ne peut être abordée sans faire un rappel de sa situation générale, c'est pourquoi il constituera la première partie de ce

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mémoire. Y seront abordés d'abord son histoire et son contexte depuis 1993 en dégageant les repères les plus importants pour le sujet : les accords d'Oslo I et II et l'effet qu'ils ont eu sur la division des Palestiniens. Les processus d'identifications seront ensuite analysés et préférés à la notion inadéquate d'identité figée. Les référents principaux de cette identification seront évoqués, ce qui permettra de comprendre leur place lorsque seront analysées les œuvres artistiques, plus en avant dans la réflexion. Enfin, il sera discuté de ce qui fonde la singularité du Palestinien, ce qui le distingue des autres, dans sa culture arabe, dans son contexte propre de création artistique et dans la production artistique reconnue mondialement.

Ensuite, les territoires évoqués seront étudiés dans leurs spécificités à travers un corpus d'œuvres choisies pour leur pertinence. D'abord, la bande de Gaza sera étudiée par sa production cinématographique et plastique. Il sera distingué un besoin impérieux pour les artistes Gazaouis d'apporter un nouvel angle, de décaler le discours qui est fait à leur propos pour réaffirmer leur humanité, leur identification en tant qu'humains avant toute autre définition. Les Territoires Palestiniens Occupés seront approchés également par le cinéma. Il sera d'abord analysé la capacité du cinéma à s'approprier la réalité de la discontinuité du territoire pour traiter de la question de l'espace. Les obstacles physiques et les entraves à la circulation devenant les références les plus nettes dans la réalité, leur omniprésence a donné lieu aux "Roadblock Movies". Il sera enfin pris en compte que la réalité, pendant les tournages, peut être d'une telle intensité qu'elle submerge les réalisateurs et dévore l'espace de la fiction qui veut pourtant s'en distancer. L'attention sera ensuite portée sur l'émergence de nouveaux genres musicaux en Israël et sur leur appropriation par des Palestiniens Israéliens. L'évolution du groupe de rap DAM sera analysée, en tant que précurseur et symbole de la naissance du hip-hop Palestinien Israélien. Il sera ensuite tenu compte d'une timide mais bien réelle naissance d'une dynamique reggae et dub arabe en Israël. Le choix de l'analyse de ces deux genres musicaux sera appuyé par l'appréciation de leur caractère essentiellement subversif. Pour conclure l'approche des territoires par les œuvres, le territoire abstrait de l'exil sera observé à travers l'œuvre du poète Mahmoud Darwich. Il sera considéré que la langue arabe est un des fondements de la palestinité puis il sera apprécié la

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façon dont le poète, de l'exil, traite les questions, essentielles pour le sujet, de l'engagement ainsi que de l'altérité et de la distance dans la formation de l'identité. La dernière approche de l'œuvre de Darwich sera concentrée autour des dynamiques entre le poème et la terre, puis sur la question de l'universalité du message artistique, chère au poète.

La troisième et dernière partie du développement sera consacrée aux "fruits de la recherche esthétique". L'art a des effets tangibles importants qui sont analysés ici. Il sera d'abord vu que les artistes palestiniens suivent tous une démarche qui vise d'abord à transmettre un message artistique. Pour y parvenir, ils suivent un processus commun à tous : il s'extraient d'abord du contexte pour s'en émanciper et ouvrir leur inspiration, puis ils réintègrent le contexte de la Palestine avec une approche artistique originale. Il sera discuté ensuite du pouvoir performatif de l'art, soit sa capacité à agir sur les représentations du réel. L'art est un moyen de mener une opposition populaire au projet sioniste et à l'occupation israélienne, par une pratique artistique ou encore par l'entretien de liens forts avec le territoire. Il sera vu ensuite que l'art, en tant que transmission d'un message, a le pouvoir de subvertir des discours qui enferment les Palestiniens dans une certaine vision de la réalité et de leur condition. Enfin, la performance artistique sera appréhendée comme un espace performatif (où s'effectue le pouvoir performatif) et de diffusion de la culture palestinienne au public. L'art et la culture seront enfin vus comme des outils dont les Palestiniens disposent pour transgresser les frontières qu'ils ne peuvent franchir. Ils sont aussi la manifestation évidente du fait que la nation palestinienne ne peut se constituer en Etat-nation du fait, entre autres, de son extra-territorialité. Pour finir, il sera vu que dans l'art se posent des questions réellement inhérentes à la nation palestinienne, aux grands défis qu'elle doit relever : parvenir à la paix, fonder un Etat, s'unir.

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Première partie : Histoire, Palestinité, Culture

A) LA PALESTINE AUJOURD'HUI, ISOLEMENT, DESESPOIR, ET DIVISION

1) Oslo et le désespoir

"Nous devons examiner point par point les questions de fond et de détail avant de nous lancer dans cette entreprise. J'ajoute que cette étude devra nécessairement inclure tous les fractions et courants du peuple palestinien sans exception1".

Mahmoud Darwich, déclaration de sa démission de l'OLP

OSLO, LA PAIX SANS JUSTICE

L'année 1993 est une marque temporelle incontournable de l'histoire de la Palestine. Avec la signature des accords d'Oslo I entre l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et Israël, représentés respectivement par Yasser Arafat et Itzhak Rabin, sous l'égide des Etats-Unis, le monde entier croit en la paix entre les Palestiniens et les Israéliens. Les négociations ont aboutit à une déclaration sur des accords de principe et l'adoption d'un calendrier pour les mettre en œuvre. Ces accords ont été accueillis avec enthousiasme de la part de la communauté internationale, se félicitant que les deux parties aient trouvé un terrain d'entente pour parvenir à une paix durable. Les principes établis dans cet accord sont pourtant très vivement critiqués. Le peuple Palestinien, même certains membres de l'OLP, des diplomates, des formations politiques dissidentes de l'OLP nourrissent la critique d'Oslo I. Il est entendu qu'à terme Israël redéploiera ses troupes pour abandonner les TPO et Gaza. Les Israéliens vivant en Cisjordanie ou à Gaza devront être évacués, certaines colonies démantelées et d'autres laissée en l'état. Gaza et la Cisjordanie

1 DARWICH Mahmoud, "L'OLP a Cessé d'être", in Gaza-Jéricho, une signature historique, édition de l'Aube, 1994, 176p.

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devront former un Etat qui sera doté de compétences législatives, administratives, judiciaires et exécutives. Les accords de principe de 1993 semblent adaptés aux attentes des deux parties. La volonté la plus forte du côté israélien est de garantir sa sécurité ; du côté palestinien c'est de pouvoir jouir d'un Etat libre et indépendant d'Israël. Ce qui compromit la possibilité d'advenir pour ces principes était inhérent et volontairement présent1 dans les accords. Oslo I n'était pas un accord de paix mais un accord pour un processus pour paix. La question du calendrier d'application des principes était déjà fragilisée par plusieurs aspects. En 1995, dans un climat de tension, se concrétise la poursuite des négociations avec les accords dits de Taba (ville Egyptienne) ou accords d'Oslo II. Ces accords avaient pour objet l'autonomie économique, politique et territoriale des Palestiniens. Ils consacrent notamment la création des zones administratives A, B et C2. Ces accords sont retenus comme une "capitulation de l'OLP3" et n'annoncent pas "l'émancipation, mais l'émasculation de la Palestine4". Les négociations portant sur des points fondamentaux comme le statut des réfugiés, de la vallée du Jourdain, le droit au retour et le statut de Jérusalem ont été reportés jusqu'au sommet de Camp David II en juillet 2000. Ces derniers ont rapidement échoué5. Il est donc compréhensible que ces sujets aient été reportés en 1993 et 1995 : si ces questions avaient été abordées avant, le processus de paix aurait été immédiatement enrayé. De même, la question du statut de la ville d'Hébron n'a jamais abouti à une solution définitive après les accords de Taba. Les accords d'Oslo mettent un terme à la première Intifada (1987-1993) et ouvrent la décennie 1990 sur un espoir de paix. Ils ont dans les faits été conduits dans

1 "Israeli PM Netanyahu: "I stopped Oslo peace process", extrait d’une diffusion de la chaîne israélienne Channel 10 News, diffusé par Youtube, mise en ligne le 19 juillet 2010, consultée le 18 avril 2015. 2 "En Désespoir de Paix", extrait d’un rapport d’une mission d’enquête organisée par la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) en Palestine et Israël, du 14 au 22 décembre 1996, dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°16 (nouvelle série), été 1998, p.100-124. 3 FINKELSTEIN Norman G., Mythes et Réalités du Conflit Israélo-Palestinien, Bruxelles, Aden, 2007, 441 p. 4 Idem. 5 HANIYYE Akram, Ce qui s’est réellement passé à Camp David, 11-25 juillet 2000, Washigton DC, USA, Documents de la Revue d’Etudes Palestiniennes, 2001, 64 p.

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la précipitation, en instituant définitivement une situation sensée être temporaire et en repoussant et bâclant les négociations essentielles de Camp David II1.

1993-2014, VINGT ANS ACCULES AU DESESPOIR

La nature des accords d'Oslo I et II, puis de Camp David II n'a pas permis de garantir une paix effective. Le calendrier d'application du processus de paix a été conduit dans un contexte de tension extrême avant, pendant ou après sa négociation officielle. De prime abord, ces tensions apparaissent comme absurdes et entravant le processus de paix entamé par Oslo. L'historien américain Norman G. Finkelstein rappelle que Taba aboutit à :

"La réduction des humiliations arbitraires, des couvre-feux, et autres pratiques typiques de la domination israélienne et, de l’autre, Arafat qui organise –selon les termes de [Edward] Saïd- « un système de contrôle dictatorial […] dans lequel les droits des citoyens, en particulier dans le domaine des libertés civiles, font défaut2".

Ce qu'il faut saisir dans la citation de Finkelstein c'est que les accords d'Oslo ne peuvent être satisfaisants pour la société Palestinienne dans son ensemble. D'une part, Israël ne fait que redéfinir son occupation : "Israël est désormais prié de se retirer seulement des parties de la Cisjordanie et de Gaza, et en réalité, de parties dont il ne veut pas3". D'autre part, la représentation du peuple Palestinien est réduite à l'OLP, ce qui étouffe l'expression des autres tendances représentatives de la société : le Front Démocratique de Libération de la Palestine, le Front Populaire de Libération de la Palestine, le Hamas, etc. L'OLP, confondue avec le parti politique du Fatah, constituera l'essentiel de la bureaucratie de l'Autorité Palestinienne (AP). La représentativité des hommes politiques locaux est limitée au profit des returnees, membres de l'OLP qu'Israël autorise à rentrer de l'exil pour constituer un corps administratif4. Cette configuration crée de nombreuses frustrations au sein de la société, qui s'exprime de façon parfois violente.

1 HANIYYE Akram, Op. Cit. 2 FINKELSTEIN Norman G., Op. Cit. 3 Idem. 4 CHALLAND Benoît, "Les mutations du leadership Palestinien (1993-2007)", A Contrario, 2008/1 Vol. 5, p. 52-75.

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La configuration du processus de paix tel qu'établie par Oslo I était vouée à l'échec 1 et ne pouvait que provoquer l'insatisfaction des Palestiniens. La multiplication des échecs des négociations les pousse à adopter une attitude désabusée quant à Oslo. La classe politique Palestinienne en est consciente au début de la seconde intifada (2000-2008). Yasser Arafat s'adressait ainsi à Bill Clinton le 19 Juillet 2001 à Camp David : "Je ne cesse de vous le répéter, si ce sommet échouait, notre peuple perdrait tout espoir dans la paix. Ne nous acculez pas au désespoir". La redéfinition de l'occupation militaire israélienne, légitimée de façon temporaire par les accords de Taba, est un des outils les plus marquants et manifestes de l'occupation.

2) Le morcellement du territoire

LES ACCORDS DE TABA, VERROUILLAGE DU TERRITOIRE PALESTINIEN

Oslo II redéfinit donc l'occupation israélienne à Gaza et dans les Territoires Palestiniens Occupés (TPO) en 1995. Ces territoires sont définis en trois zones : A, B et C. "La zone A comprend les six principales villes (Jinin, Naplouse, Toulkarm, Qalqilya, Ramallah et Bethléem). Elle couvre 3% du territoire de la Cisjordanie et représente 20% de sa population2". Elle est sous contrôle exclusif Palestinien sauf en cas de patrouille commune de la police palestinienne et des forces de sécurité israéliennes. Dans les faits, les forces israéliennes pénètrent dans ces zones régulièrement pour procéder à des arrestations. "La zone B comprend 27% du territoire et la quasi-totalité des 450 villages palestiniens. Ce sont des territoires sous contrôle mixte3". La police israélienne garde un droit d'intervention unilatéral dans ces zones. 90% de la population de Cisjordanie habite en zone A ou B.

"La zone C, plus de 70% du territoire, reste sous contrôle Israélien. Elle représente 73% de la Cisjordanie et 42% de la bande de Gaza. Elle comprend les zones faiblement peuplées, les « zones stratégiques », et les colonies reliées entre elle par les « routes de contournement » ou by-pass road4".

1 DARWICH Mahmoud, "L'OLP a Cessé d'être", Op. Cit. 2 « En Désespoir de Paix », Op. Cit. 3 « En Désespoir de Paix », Op. Cit. 4 « En Désespoir de paix », Op. Cit.

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Il est utile de préciser que le rapport sur lequel s'est appuyé l'article "En désespoir de paix" est le fruit d'une enquête menée en 1996. Depuis, la bande de Gaza n'est plus sous contrôle israélien. Les colonies et le tracé des zones B et C, dites également "zones militaires", ont évolué considérablement. En cours d'édification depuis 2002, le mur de séparation a été construit de façon à absorber environ 10% du territoire de l'AP. Il couvre aujourd'hui plus de 700km et 500 000 Palestiniens vivent à moins d'un kilomètre du mur1. Il est tout à fait frappant de relever que lorsque l'on étudie une carte de la Cisjordanie, le territoire ne connaît aucune continuité. Certaines routes sont interdites aux Palestiniens, les colonies verrouillent le paysage et les points stratégiques. Les deux principales, Ariel et Ma'aleh Adumim sont situés et développées de telle façon qu'elles séparent les TPO en trois blocs : nord, centre et sud. La Cisjordanie et Gaza sont cernées de points de passages contrôlés par l'armée israélienne. Les obstacles à la circulation sont nombreux : postes de contrôle, barrières, tranchées, blocs de béton, tas de gravats. En 2014, le United Nations Office For Coordination of Humanitarian Affairs (UNOCHA) dénombrait plus de 490 obstacles2. Il existe trois niveaux de bouclage. Le bouclage "général" est permanent depuis 1967. Plus restrictif, le bouclage est dit "strict". Le bouclage "total" correspond à un arrêt total de la circulation des biens et des Palestiniens ; les frontières sont fermées. "Entre le 13 Septembre 1993 et le 24 Juin 1996, soit depuis les accords d’Oslo, ce sont 300 jours de bouclage qu’ont connus les Palestiniens : 200 bouclages "totaux", 100 bouclages "stricts 3 "". Les restrictions de circulation, parfois drastiques, entraînent des incertitudes et ont des conséquences économiques et sanitaires.

1 "Preliminary Analysis of the Humanitarian Implications of February 2005 Barrier Projections", Office for Coordination of Humanitarian Affairs (UNOCHA) . 2 ", Access Restrictions, Septembre 2014", UN OCHA, août 2014. 3 "En désespoir de paix", Op. Cit.

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L'ARCHIPEL MONDIAL DES PALESTINIENS

"On sait que le maillage viaire a pour conséquence la rupture de la continuité géographique palestinienne, par la limitation des échanges entre blocs nord (Ramallah, Naplouse) et blocs sud (Béthléem, Hébron, Gaza) et des flux en provenance des villages1".

Sylvaine Bulle parle ici des TPO. La construction du mur, l'évacuation des colons de Gaza, le maillage des obstacles à la circulation, les périodes de bouclage, le contrôle de toute la frontière, tous ces faits conduisent à la formation d'un archipel. Celui-ci est constitué depuis 2004 de la totalité de la bande de Gaza, des Palestiniens Israéliens, de la multitude d'îlots des TPO, formés par les zones A et B entourées de zone C, des habitations comprises entre le mur de séparation et la ligne verte, des camps de réfugiés présents sur les territoires palestiniens et à l'étranger et enfin des communautés palestiniennes vivant en diaspora. Le fractionnement du territoire conduit à un éclatement de ceux qui l'habitent. Avec le développement du téléphone mobile et de ses nouvelles fonctions audiovisuelles et de l'internet, la communication entre les différentes communautés palestiniennes est plus aisée mais ces outils ne permettent pas de partager les expériences. Le partage entre Gaza et le reste des communautés palestiniennes est quasi-inexistant. Celui entre les Palestiniens Israéliens et les Palestiniens de Cisjordanie est très réduit. Il est possible de citer d'autres fractures moins évidentes mais bien réelles : la fracture entre les camps de réfugiés et les autres espaces, celle entre l'espace rural et l'espace urbain, entre les habitants palestiniens des zones C et ceux des autres zones, entre les Hiérosolymitains de l'Est et tous les autres, entre les villages compris entre le mur et la ligne verte, entre le district d'Hébron et les autres, sa vieille ville et son nouveau centre, etc. En cas de bouclage total, chaque lieu est une enclave et les villes sont divisées en plusieurs parties contrôlées par des checkpoints. Il est indispensable de comprendre d'ores et déjà qu'à part quelques rares exemples, le plus souvent des événements ponctuels, il est impossible pour les Palestiniens de partager la même expérience. Leur vie est très souvent liée à un territoire restreint et il leur est difficile de se rencontrer, de se sentir similaires tant les espaces sont clos.

1 BULLE Sylvaine, "Identités urbaines et identités nationales", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°22 (nouvelle série), hiver 2000, p.35-47

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3) Les Palestiniens aux yeux des Palestiniens

Les Palestiniens sur le territoire de la Palestine (Israël, Gaza, TPO), forment une multitude de communautés. Elles constituent une sorte de micro-identité, liée aux conditions et aux événements ayant lieux dans son sein. Par exemple, les habitants des camps de réfugiés sont identifiés comme tels et perçus d'une façon spécifique. Eux- mêmes considèrent les habitants des villes d'une façon qui leur est propre. Entre chaque ville, les particularismes comme les accents sont souvent relevés. Les modes de vie sont différents, certaines villes sont considérées comme plus conservatrices comme Naplouse ou Hébron, d'autres moins comme Ramallah. Toutes ces différences conduisent chaque espace à avoir une opinion de l'autre. La structure sociale de la société palestinienne repose même en partie sur les clivages existants entre différents espaces. Les Gazaouis ont la particularité d'être complètement isolés de tous les autres et de subir la situation la plus difficile : blocus, pénuries et phases intenses de bombardement. Les Palestiniens Israéliens subissent une discrimination double : ils conservent une image de traîtres qui sont restés sur le territoire israélien ainsi que de privilégiés qui disposent d'un passeport au yeux des Palestiniens des TPO, tout en étant marginalisés et rejetés par la société israélienne dans laquelle ils vivent. Dans les TPO, les rapports de domination peuvent être approchés à travers le triptyque : les camps, la bourgeoisie urbaine, la bureaucratie. Les paysans sont, eux, clientélisés et subissent des rapports de force qui viennent des villes1.

"Dans tous les incidents, où l’ordre, la propriété et l’application de la loi sont mis à dure épreuve, on reconnaît la configuration spécifiquement palestinienne de l’universelle lutte des classes : celle qui oppose, non pas seulement les possédants aux démunis, mais, plus précisément, les habitants des camps aux citadins2".

Les rapports des Palestiniens de Palestine avec ceux de la diaspora sont également traversés de jugements complexes : lâches ayant abandonné le territoire, émissaires de la cause palestinienne dans le monde, communautés d'un Etat devenu aussi extra-territorial3, etc. La diaspora palestinienne de Jordanie n'est pas considérée

1 HALEVI Ilan, « D’une Intifada l’autre », dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°84 (nouvelle série), été 2002, p.98-110 2 HALEVI Ilan, Idem. 3 HANAFI Sari, "Spatio-cide, réfugiés, crise de l'État-nation", Multitudes, 2004/4 no 18, p. 187-196.

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non plus comme celle du Chili. L'identité palestinienne se nourrit d'expériences, de références et d'histoires partagées. Cependant des particularismes liés à l'éclatement de sa population et à certains rapports de domination sont propices à l'émergence de projections, fondées ou non, des Palestiniens d'un espace sur les Palestiniens appartenant à un autre espace.

Le contexte général de la Palestine et des Palestiniens de nos jours est en grande partie conséquence des accords d'Oslo I et II. Les négociations et la communauté internationale ne semblent pouvoir apporter de solution au problème fondamentalement politique de l'opposition israélo-palestinienne et encore moins au besoin d'expression démocratique des Palestiniens, qui se fatiguent de ne pas voir la fin du conflit. Ces accords entérinent l'impossibilité d'une quelconque unité du territoire ou du peuple. Ces fragmentations et cette situation se reflètent dans la formation d'identités ou de projections entre les différentes communautés.

B) LA "PALESTINITE"

L'identité, notion des plus complexes et multiples, ne peut faire office de terme générique pour désigner tous les Palestiniens, encore moins dans un contexte qui évolue vers la fragmentation dans des espaces de plus en plus confinés et restreints. Plus adéquate, la différence entre identité et identification doit être relevée et appliquée à l'expérience des Palestiniens.

1) Identification et Identité

L’IDENTITE ET LA MULTITUDE

La multitude est le terme approprié pour définir l'identité Palestinienne. L'obsession de l'unité n'est pas seulement une quête des nationalistes, elle semble faire office de béquille solide sur laquelle s'appuyer pour appréhender la question de la Palestine. Une quantité importante d'articles sur les Palestiniens comporte une analyse de l'identité, confondue dans l'acception élargie de leur culture. Souvent, sans que cela ne soit explicite, il se dégage une approche de l'identité par un prisme spécifique : les femmes, la résistance, la terre, l'exil, les réfugiés. Dans la bibliographie retenue se

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dégagent plusieurs exemples : "Identité des origines, identité de devenir1", "L'identité dans l'exil2", "Culture et Résistance3", "Identités urbaines et identités nationales4" et d'autres encore. Le magazine Qantara, édité par l'Institut du Monde Arabe à Paris, a publié en 1997 un numéro consacré à la Palestine. Son titre, est tout à fait éloquent : "Identité : Palestine5". Il questionne finalement très bien l'unicité des représentations de la Palestine et la pluralité des identités qui s'y rattachent. Le dossier de ce numéro ne répond pas d'ailleurs à la question. Il constitue un catalogue d'articles sur la culture palestinienne, son histoire, son patrimoine. Son titre, de façon assez juste, exprime la dimension essentielle du territoire, de la terre comme définition suffisante de l'identité palestinienne. Une idée répandue à propos de l'identité palestinienne est qu'elle s'est forgée en opposition au sionisme, idée qui a été réfutée par l'historien Rashid Khalidi6. L'identité palestinienne a également été confondue avec l'ensemble arabe. La confusion des protagonistes et de leur rôle pendant les premiers conflits de 1948 (Guerre D'Indépendance et Nakba), 1967 (Guerre des Six Jours), 1973 (Guerre du Kippour) et 1979-1982 (Guerre du Liban) a assimilé les Palestiniens aux autres puissances dans ces conflits dits "Israélo-Arabes". Cet amalgame est aussi entretenu, à la fois à propos et de façon même inconsciente, par Israël et par la dénomination des Palestiniens. L'exemple des Palestiniens Israéliens, définis très largement comme "Arabes Israéliens" illustre cette confusion. Nous avons vu que le peuple Palestinien est fortement divisé, en Palestine comme à travers le monde. Il n'est cependant pas inexact de dire que quelque chose de commun existe. Il n'est pas inexact non plus de dire que la réaction au sionisme fait partie de cette chose commune, que le patrimoine en fait partie aussi, ainsi que le fait qu'ils soient arabes, qu'ils soient une diaspora reconnue.

1 SANBAR Elias, Figures du Palestinien : Identité des origines, identité de devenir, Paris, coll. NRF Essai, Gallimard, 2004, 304 p. 2 DESPLECHIN François, "L'identité dans l'exil : entre crainte de l'oubli et fantasme inconscient de trahison. Le travail clinique auprès de demandeurs d'asile", L'Information Psychiatrique, 2015/1 Volume 91, p. 45-52. 3 SAÏD Edward, Culture et Résistance : entretiens avec David Barsamian, Ed. Fayard, 2004, 248p. 4 BULLE Sylvaine, Op. Cit. 5 "Identité : Palestine", Qantara, magazine des cultures arabes et méditerranéenne, n°23, printemps 1997, 82p. 6 KHALIDI Rashid, L'Identité Palestinienne - La construction d'une conscience nationale moderne, La Fabrique, 2003, 402p.

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L'IMAGINAIRE COMME ANCRAGE

Le chercheur Robin Cohen, spécialiste de la diaspora écrit en 1997 Global Diaspora, une étude qui vise à définir définitivement ce qu'est une diaspora. Il reprend les critères que William Safran1 proposait en 1991 :

"Leur dispersion, ou celle de leurs ancêtres, à partir d’un « centre », vers au moins deux régions périphériques étrangères ; le maintien d’une mémoire collective concernant le lieu d’origine (homeland) ; la certitude de leur impossible acceptation par la société d’accueil ; le maintien du lieu d’origine, souvent idéalisé, comme objectif de retour ; la croyance dans l’obligation collective de s’engager pour la perpétuation, la restauration ou la sécurité de leur pays d’origine ; et le maintien de relations, à titre individuel ou collectif, avec le pays d’origine2"

Mais Robin Cohen ajoute quatre critères :

"La migration volontaire (commerce, travail, colonisation), une conscience ethnique entretenue sur une longue période, l’émergence d’une créativité nouvelle, et un sentiment d’empathie et de solidarité avec les « co-ethniques » présents dans d’autres pays3".

Il produit ainsi une liste neuf critères communs aux diasporas. Il les classe par trait principal et inclut les Palestiniens dans les diasporas des "victimes". Il est possible de relever ici ce qui se rapproche selon Thierry Menissier de la définition de culture, qui permet de comprendre non une identité, mais une "appartenance culturelle4". Thierry Menissier distingue ainsi l'identité de la culture :

"La culture n’est pas seulement l’ensemble des caractères de civilisation qui préexiste à l’apparition des identités, elle est également le socle proprement personnel de l’identité […]. Si nul n’est sans culture, c’est que la notion de culture se confond avec la formation de l’individualité à partir du moment où on la comprend comme appropriation réfléchie des valeurs5".

Les Palestiniens sont un peuple qui compte une diaspora très élargie. Au sein même de son territoire, l'appartenance culturelle est visible mais il est impossible de parler d'identité tant le terme ne peut être apposé à un groupe sans nier les différences internes. Identité est un terme qui est également figé et il a été expliqué que par le morcellement du peuple, certaines communautés ne vivent pas les mêmes

1 Chercheur en sciences politiques. 2 Cité par DUFOIX Stéphane, in "Qu'est-ce qu'une diaspora ?", Les Diasporas, Paris, Presses Universitaires de France, "Que sais-je ?", 2003, 128 pages. 3 DUFOIX Stéphane, Idem. 4 MENISSIER Thierry, "Culture et identité : Une critique philosophique de la notion d'appartenance culturelle", Le Philosophoire, 2000/3 n° 13, p. 211-231. 5 Idem.

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expériences, elles ne sont pas marquées de la même façon. Les Palestiniens ont une culture collective forte, indéniablement. C'est ce que nous appelons à tort son identité. Au terme figé d'identité, celui d'identification est préférable. Thierry Menissier ajoute que "L’identité n’existe pas comme une entité acquise une fois pour toutes, elle semble plutôt le résultat jamais totalement achevé d’un processus1".

IDENTIFICATION A LA PALESTINITE

Il ne convient donc pas de parler d'identité palestinienne. Sa nature éparse, divisée, multiple, n'autorise pas l'emploi de ce terme. Ce qui est au contraire saisissant, c'est que ce peuple jouit d'une culture collective très forte qui permet, plus qu'une identité, l'identification comme un processus dynamique et discursif entre un individu et cette culture collective. "En réalité il n'y a donc pas d'identité(s), mais seulement des identifications. Soit à l'institution elle-même, soit à d'autres objets par l'intermédiaire de l'institution2". Etienne Balibar nomme "institution" le "référent imaginaire" qui est visé par le processus d'identification3. Le référent imaginaire étant une nébuleuse chargée de symboles variés issus en partie de la culture collective et intégrant chaque jour de nouvelles perspectives et de nouveaux événements, il est impossible d'en faire une liste exhaustive. Les sujets récurrents et emblématiques du référent palestinien sont par exemple l'exil, la Nakba, le droit au retour, l'olivier, les réfugiés, l'attachement à la terre (Sumûd), la résistance au sionisme, etc. La notion d'identité palestinienne utilisée dans cette recherche répondra donc à la définition d'un processus d' "identification au référent imaginaire d'identification des Palestiniens", ou, la palestinité".

1 MENISSIER Thierry, Op. Cit. 2 BALIBAR Etienne, "Culture et identité" Notes de recherche, NAQD, 1992/1 N° 2, p. 9-21. 3 Idem.

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2) Une palestinité enracinée dans le temps : terre, résilience et idéal

"La construction d'une identité nationale requiert l'historicité d'un territoire et la territorialisation de l'histoire" Nicos Poulantzas1

LE REVIREMENT DU RECIT NATIONAL APRES LA NAKBA (1948)

La Nakba et la Naksa (guerre de 1967), de même que les prémices de l'opposition au sionisme au début du XXe siècle, ne sont pas les éléments déclencheurs d'un sentiment populaire d'unité en Palestine mais d'un bouleversement de ce sentiment2. L'identité palestinienne précédant ces deux événements n'a pas disparu mais l'intensité du traumatisme de cette expérience partagée qui a poussé à l'exil, occupe une place centrale dans la culture collective et donc dans la palestinité. Avant la Nakba, l'identité nationale palestinienne se forgeait autour des villes. La terre, les paysans et leurs attributs étaient dénigrés et exclus du récit national3. Après que les Palestiniens ont été chassés de leurs terres, le récit national connaît un revirement. Ce qui incarne parfaitement l'expulsion du territoire et le lien physique perdu avec celui-ci est justement la figure ignorée jusqu'alors : le paysan. L'apparition et la prédominance de références à la terre, mais surtout à la terre cultivée, aux arbres et particulièrement à l'olivier, aux villages, dans la culture collective fait référence à un idéal perdu. Les récits des réfugiés sur la Palestine intègrent des souvenirs de culture paysanne inséparables d'une vision paradisiaque, idyllique. Il est fondamental de comprendre que le récit d'une terre habitée, cultivée dont les arbres sont aussi la métaphore de l'enracinement de la culture collective dans le territoire, n'est pas seulement une marque de reconnaissance entre les Palestiniens. Cette marque de reconnaissance fait aussi partie de la constitution d'un idéal palestinien opposé à celui à celui du sionisme.

1 Philosophe français. 2 KHALIDI Rashid, Op Cit. 3 PIRINOLI Christine, "Entre terre et territoire : enracinement de l'identité palestinienne", Etudes Rurales, 2002/3 n° 163-164, p. 91-107.

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RECIT NATIONAL, OPPOSITION DE DEUX IDEAUX

Ce récit adopté par la totalité du peuple, diasporique, réfugié ou resté sur place, est un récit idéal d'opposition à un autre idéal : le mythe sioniste d' "une terre sans peuple pour un peuple sans terre".

"C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les récits palestiniens : en insistant sur la terre, ils infirment explicitement le récit sioniste tout en articulant la mémoire collective au discours nationaliste1".

L'''indépendance de l'Etat de Palestine, proclamée par Yasser Arafat le 15 novembre 1988 à Alger, contient des références explicites à l'attachement du peuple Palestinien à la terre de Palestine et à la terre comme fondement de l'identité nationale et comme opposition au sionisme.

"Terre des messages divins révélés à l'humanité, la Palestine est le pays natal du peuple arabe palestinien C'est là qu'il a grandi, qu'il s'est développé et qu'il s'est épanoui. Son existence nationale et humaine s'y est affirmée, dans une relation organique ininterrompue et inaltérée, entre le peuple, sa terre et son histoire […]. [En dépit] des ambitions et des invasions qui ont empêché le peuple arabe palestinien de réaliser son indépendance politique, l'attachement permanent de ce peuple à sa terre a néanmoins imprimé au pays son identité et au peuple son caractère national2".

RESILIENCE ET RESISTANCE

Il faut ajouter à ces descriptions celle d'un mot palestinien difficilement traduisible mais essentiel : le sumûd. Ce terme désigne la résilience, l'opiniâtreté, la volonté ferme de demeurer sur un territoire. Aussi la symbolique de la terre est également interprétée comme l'impératif moral des Palestiniens de Gaza et des TPO de tenir, d'occuper et de cultiver la terre qui reste en leurs mains. L'exemple des oliviers est des plus éloquent : ils sont la marque d'une présence centenaire de ceux qui les ont plantés et sont un symbole fort d'affirmation de l'appartenance des Palestiniens à la terre de Palestine. Ils demeurent un enjeu de la lutte symbolique entre Israël et les Palestiniens lors des destructions d'oliveraies en Cisjordanie, souvent opérées pour étendre le territoire d'une colonie. Christine Pirinoli exprime parfaitement la place de la terre comme charnière essentielle dans son article "Entre terre et territoire : l'enracinement de l'identité palestinienne":

1 PIRINOLI Christine, Op. Cit. 2 Déclaration d'Indépendance de l'Etat de Palestine (Alger, 15 novembre 1988), [En ligne],

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"Autrement dit, la terre est ici bien plus qu’un élément naturel : elle est une médiation essentielle entre la nature (l’agriculture comme mode de vie) et la culture (l’identité nationale enracinée dans la terre), entre le passé (avant la Nakbah) et le futur (le retour à la terre), entre le village et la Palestine1".

3) Une palestinité suspendue à l'avenir : résistance, retour et pragmatisme

DEFINIR LA RESISTANCE

La résistance est désignée par le terme générique muqâwama. Décrire de façon exhaustive la multiplicité de la résistance palestinienne ne serait pas ici pertinent. Il faut cependant en cerner globalement sa définition et certains enjeux en termes d'identité et de société. La résistance palestinienne fait partie des références de la culture collective de la palestinité et possède elle-même une charge importante de symboles. Ces symboles ont évolué à travers les événements et à travers les discours et formations politiques. Elle peut réunir des définitions islamiques (Umma, fidèles, jihad, Hamas, Hezbollah, Jihad Islamique, …), panarabes (surtout dans les années 50- 60 : "La Palestine est la patrie du peuple arabe palestinien ; elle constitue une partie inséparable de la patrie arabe et le peuple palestinien fait partie intégrante de la nation arabe 2 ".), marxistes-léninistes (Front de Libération Démocratique de la Palestine ou FDLP, Front Populaire de Libération de la Palestine ou FPLP), nationalistes (Commandos Fedayin, …), chrétiennes3, etc. Les Palestiniens se sont approprié le terme et l'ont dépolitisé. Aussi la résistance peut être non-violente, féministe4, estudiantine, armée, politique, passive, etc. Planter des arbres est une action de résistance organisée non-violente récurrente, habiter et demeurer dans certains endroits est une forme passive de résistance ; les manifestations hebdomadaires le sont aussi, la grève générale de la première intifada, l'organisation de coopératives agricoles et de systèmes de garantie des prix, la

1 PIRINOLI Christine, Op. Cit. 2 Charte Nationale palestinienne (17 juillet 1968), [En ligne], 3 BISTOLFI Robert, "Les Chrétiens dans la résistance palestinienne", Confluences Méditerranée, 2010/1 N°72, p. 135-137 4 POUZOL Valérie, "Refuser le cycle de la violence. Quand les femmes disent non à la guerre (Israël- Palestine 1987-2013)", Diogène, 2013/3 n° 243-244, p. 140-159.

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(re)construction1, les fêtes et les événements culturels2, etc. La muqâwama consiste à entraver et contester tout ce qui est considéré comme acte illégitime de la part d'Israël mais aussi depuis 1994, conséquence directe des accords d'Oslo et du partenariat de sécurité avec Israël, de la part de l'Autorité Palestinienne. Elle se confond dans le sumûd, dans les luttes politiques internes, dans le droit au retour et plus discrètement, dans n'importe quel geste manifeste des réfugiés ou des Palestiniens de Palestine pour mener une vie "normale".

PROJETS POLITIQUES ET CULTURE A L'EPREUVE DE L'AVENIR

Toute forme de résistance est fondamentalement tournée vers l'avenir. Elle est réaction à une situation qui évolue certes, mais qui est combattue depuis les premières oppositions au sionisme au début du XXe siècle. Depuis la désillusion qui a suivi les accords d'Oslo I et II, la résistance palestinienne appelle à un changement de la situation. Le Hamas, parti majoritaire au conseil législatif palestinien, a officiellement abandonné pour un temps l'objectif de destruction de l'Etat d'Israël et la libération totale de la Palestine historique (TPO, Israël et Gaza3). L'OLP en 1993, et donc le Fatah ensuite, deuxième parti représenté au conseil législatif de nos jours, ont reconnu l'existence d'Israël et son droit à la sécurité et à la paix4. Dans le contexte récent, les élections démocratiques ne sont pas renouvelées (la dernière élection législative date de 2006), l'Autorité Palestinienne vient de révoquer en mars 2015 le partenariat de sécurité avec Israël, la dernière guerre à Gaza n'a pas changé les positions de la communauté internationale. Après le rejet du conseil de sécurité de l'ONU d'une proposition pour la reconnaissance d'un Etat palestinien en septembre 2014, l'Autorité Palestinienne reprend son offensive diplomatique par l'adhésion à des traités internationaux comme la Cour Internationale de Justice appliquée dès le 1er avril 2015. La résistance est d'une certaine façon obligée de considérer de nouvelles configurations. Après l'échec d'Oslo, les guerres répétitives à Gaza, l'immobilisme

1 HANAFI Sari, Op. Cit. 2 HALEVI Ilan, "D’une Intifada l’autre", Op. Cit. 3 JARBAWI Ali et alii, "Le Hamas, un parti politique pragmatique", Confluences Méditerranée, 2005/4 N°55, p. 105-112. 4 Lettres de reconnaissance mutuelle échangées entre MM. Arafat et Rabin (9 et 10 septembre 1993), [En ligne],

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international, la résistance des Palestiniens est de plus en plus pensée pour s'opérer sur d'autres terrains que la diplomatie, la lutte armée et les attentats, ces derniers n'étant finalement que la partie la plus médiatisée, pour leur violence mais aussi parce qu'ils sont la justification de l'argument sécuritaire de l'occupation. Il est impossible par avance de déterminer quelles seront les nouvelles voies majeures de résistance, les courants symboliques et/ou efficaces. Parmi ces voies, la production culturelle et artistique, en tant qu'expression, en tant que transmission d'un message, en tant qu'humanité, en tant que pure production esthétique et en tant qu'enracinement dans les consciences collectives de l'existence d'une culture identifiée comme celle d'un peuple particulier, est un des plans incontournables de la résistance palestinienne. Elle constitue l'affirmation des Palestiniens comme existants, comme affirmation de ce qu'Israël tente d'effacer, comme opposition aux récits et politiques sionistes. Cette façon de résister, à la façon du lien avec la terre, articule le passé et l'avenir des Palestiniens.

DROIT AU RETOUR, APPROCHE PRAGMATIQUE ET REVISION DE LA PERSPECTIVE NATIONALISTE

Le droit au retour est une notion clef de la question palestinienne. Ce droit est reconnu par la résolution 194 de l'ONU 1 , il fait ainsi partie des atouts diplomatiques des Palestiniens dans les négociations. De 1948 jusqu'à la fin des années 80, le droit au retour est lié à la vision du territoire et de l'identité nationale portée par les Palestiniens et qui sera entre-temps endossée par l'OLP. Le territoire national palestinien était considéré dans sa totalité "historique" et comprenait la Cisjordanie, Gaza et toute la partie contrôlée par Israël. Le droit au retour était exigé y compris dans les territoires d'Israël. A la fin des années 80, avec l'avancée des négociations qui aboutiront aux accords d'Oslo, l'OLP reconnaît Israël. Le droit au retour et la vision du territoire national palestinien changent. S'opère alors un revirement de la perspective nationaliste : le territoire revendiqué se limite à la Cisjordanie des frontières de 1967, le retour devenant un droit s'appliquant au territoire de la Cisjordanie2. Pour ceux qui ne désireraient pas revenir, le droit à une compensation financière trouve de plus en plus d'échos, aussi bien dans l'intelligentsia

1 Résolution n°194 de l'ONU, relative à la question de la Palestine , 11 décembre 1948, [En ligne], , consulté le 2 mai 2015. 2 PIRINOLI Christine, Op. Cit.

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que chez les réfugiés palestiniens1. Israël ne reconnaît cependant toujours pas sa responsabilité dans le problème des réfugiés car il porte un poids symbolique considérable :

"Si le sens premier du «droit au retour» – soit le retour effectif aux foyers d’origine – s’est pour de nombreux réfugiés vidé de son caractère opérationnel, il reste encore pleinement revendiqué par les réfugiés, comme par l’OLP, comme un principe de droit se devant d’être totalement reconnu par Israël en tant que tel […]. Plus concrètement, le «droit au retour» est resté un des seuls marqueurs identitaires de la présence d’une spécificité palestinienne dans les pays arabes d’accueil. À ce titre, il demeure encore un des éléments constitutifs de la construction nationale palestinienne, autour duquel l’ensemble des Palestiniens, réfugiés ou non, continuent de s’identifier, quel que soit leur pays de résidence, profil socio- économique ou allégeance politique2".

Le droit au retour se devait d'être cité ici en tant qu'il est hautement symbolique et qu'il tient une part importante dans la culture collective et dans l'identification des Palestiniens. Il est un attachement et une revendication de "l'histoire territorialisée", il est la reconnaissance des exilés et des réfugiés comme faisant partie du peuple palestinien malgré leur éloignement de la terre de Palestine. Le droit au retour est une projection perpétuelle des Palestiniens dans l'avenir. Il est consubstantiel à la structure et à la composition imaginée du peuple et se confronte à la contingence des négociations et des événements futurs, qui sont eux, essentiellement suspendus à l'avenir. Les thèmes d'identification présentés ici (terre, Palestine, exil, retour, résistance, sumûd, etc.) ne sont pas exhaustifs. Il est clair qu'il gravite autour d'eux toute une arborescence de symboles consubstantiels de la palestinité. L'approche par les arts nécessite de comprendre l'importance de ces thèmes et de ce qu'ils articulent : l'imaginaire et le réel, le passé et l'avenir. La figure du Palestinien est complexe et intègre de nombreuses perspectives. Son image relève parfois plus du fantasme qui dérive d'une expérience et de symboles qui lui sont attribués. Bien que sa culture arabe soit manifeste et revendiquée, il s'en démarque aussi bien dans le monde arabe qu'ailleurs. Il sera maintenant considéré ici ce qui constitue sa singularité, dans le monde arabe, dans les conditions d'expressions culturelles propres à la Palestine et dans la reconnaissance internationale d'artistes palestiniens.

1 AL-HUSSEINI Jalal, « Visions palestiniennes du « droit au retour » des réfugiés, sept ans après le début de la seconde Intifada (2000-2007) », A contrario, 2008/1 Vol. 5, p. 37-51. 2 AL-HUSSEINI Jalal, Op. Cit.

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C) La singularité du Palestinien

« Quiconque voudrait relire la littérature arabe, notamment Palestinienne, verra dans 1948 [La Nakba] et 1967 [La Guerre des Six Jours] deux grands repères, auxquels il conviendra d’ajouter ceux de 1987 [La première Intifada] et 1993 [Les accords d'Oslo]1 » Jihad Kadhim Hassan2

Les Palestiniens se distinguent et doivent être distingués pour comprendre leurs spécificités. Les Palestiniens, de culture arabe, ne peuvent être réduits à cette définition mais les inscrire dans le contexte plus large du monde arabe permet de mieux saisir leurs particularismes. De même, le contexte dans lequel ils vivent et produisent est particulier. La reconnaissance internationale d'artistes palestiniens est également une différence qui les caractérise.

1) Palestiniens et Arabes

L'ARABITE DES PALESTINIENS

La culture collective palestinienne intègre son arabité. Par la langue, de façon évidente, mais aussi dans un ensemble de pratiques sociales et culturelles. Le peuple palestinien est dans sa majorité musulman et comprend des minorités religieuses faisant intégralement partie de cette culture. A travers les époques, l'identification des peuples arabes autour d'événements et de lieux est demeurée une réalité (la perte d'Al- Andalus et l'expulsion de la péninsule Ibérique en 1492, la structure des villes, la Mecque, la Nakba, le Printemps Arabe, etc.). Les Palestiniens se considèrent comme partie du peuple arabe élargi3. La lutte contre Israël fait partie de ce qui unit le Moyen-Orient jusqu'au premier traité de paix et de reconnaissance Israélo-Egyptien en 19794, puis celui de la Jordanie en 1994 qui s'inscrit dans les concessions et efforts d'accompagnement du processus de paix. La cause palestinienne comme impérative et commune aux Etats arabes s'étiole fortement depuis les années 70. La question de la Palestine, son peuple, ses intellectuels, ses artistes ont néanmoins une influence considérable dans le monde arabe. Il existe dans les faits une réelle différence de

1 JIHAD HASSAN Kadhim, "La Nakba dans la littérature Arabe", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°108 (nouvelle série), été 2008, p.81-100. 2 Jihad Kadhim Hassan est poète, traducteur, critique littéraire et maître de conférences au département d'études arabes à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris. 3 Charte Nationale palestinienne, Op. Cit. 4 FINKELSTEIN Norman G., Mythes et Réalités du Conflit Israélo-Palestinien, Bruxelles, Aden, 2007, 441 p.

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traitement de ce sujet entre les sphères politiques et les sphères plus populaires, culturelles et sociales. La différence entre Palestiniens et Arabes est souvent marquée mais elle ne peut empêcher les fortes influences des uns sur les autres. Les événements de Palestine ont résonné dans le monde arabe comme la perte d'Al-Andalus, symbole du fleuron de leur civilisation. Ceci ayant entraîné la dissémination des juifs et des musulmans dans tout le bassin méditerranée, leur art, leur poésie, leur large connaissance technique, en chimie ou encore en médecine ont été redéployées, répandues à travers cet espace. La dissémination des Palestiniens peut être l'objet d'une lecture analogique avec Al-Andalus.

L'IDENTIFICATION ARABE A LA NAKBA

A partir de la Nakba mais surtout après la guerre des Six Jours et la perte du contrôle de Jérusalem (1967), l'expression culturelle d'une large partie du monde arabe s'empare du sentiment de perte et s'y identifie. Favorisée par le développement des transistors dans les années 60 et 70, la musique se diffuse au-delà des frontières nationales. Du Liban, Marcel Khalife, la chanteuse Fairouz ou encore les frères Rahbani endossent et transmettent dans leurs chansons "la nostalgie et le deuil1" des Palestiniens. Fairouz chantera par exemple le retour des Palestiniens dans des airs très célèbres comme "Sanarjiou Yawman" ("Nous reviendrons un jour"), ou la perte de Jérusalem dans "Zahrat al Mada’in" ("La fleur des villes"). D'autres villes palestiniennes comme Jaffa ou Bisan2 sont aussi chantées. Marcel Khalife a mis en musique des poèmes de Mahmoud Darwich, voix poétique par excellence de la Palestine, par exemple "Rita wa al-bunduqiyyah" ("Rita et le fusil"). George Qurmuz, chanteur libanais, a lui repris "Bitaqat hawiyah" ("Carte d'Identité"), poème devenu référence de l'identité arabe dans le monde. Umm Kulthum, chanteuse égyptienne emblématique du monde arabe a également chanté la Palestine.

1 MASSAD Joseph, "Chansons pour la liberté : la Palestine en Musique", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°88 (nouvelle série) été 2003, p.60-73. 2 Aujourd'hui rebaptisée Beït Shéan.

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"Alors que les chansons qui parlaient de la Palestine à la fin des années 50 et au début des années 60 exprimaient leur confiance dans la révolution nassérienne, celles de l’après guerre de 1967 exprimaient à la fois le désespoir lié à la défaite et l’espoir que représentait l’émergence des mouvements palestiniens de résistance. La guerre civile libanaise puis l’invasion du Liban par les Israéliens donnèrent naissance à une nouvelle vague de chansons sur la résistance, qui parlaient aussi de la perte encore récente de Jérusalem. Jusqu’aux années 70, la majorité des chanteurs arabes n’étaient pas palestiniens ; puis des artistes palestiniens montèrent au créneau. Plus récemment, et surtout depuis 1988, les chansons pour la Palestine ont exprimé un regain d’enthousiasme, à la fois chez les Palestiniens et les autres Arabes1".

LA CONDITION PALESTINIENNE

Salma Khadra Jayyusi2 fait écho à ce que disait Jihad Kadhim Hassan sur les liens entre culture palestinienne et arabe/régionale :

"Il existe […] une différence notable entre la façon dont l’écrivain palestinien a réagi face aux facteurs extérieurs et celle dont n’importe quel écrivain du monde arabe les aurait traités […]. Les écrivains palestiniens, doivent passer leur vie en exil, ou, s’ils sont restés dans leur pays d’origine, sont destinés à être des citoyens de seconde classe en Israël ou à n’avoir aucune nationalité en Cisjordanie".

Par l'exil des uns et l'expression artistique des autres, l'arabité et la palestinité s'embrassent sans se confondre complètement. L'expression de particularismes n'empêche en rien la considération d'une unité, d'un destin commun. Les intellectuels et les artistes palestiniens, par leur exil notamment, ont contribué au renouveau et à une stimulation culturelle importante du Moyen-Orient et du monde arabe. Les conditions de production artistique sur les territoires Israéliens, les TPO et Gaza sont aussi des éléments à considérer dans la singularité de l'expression des Palestiniens.

1 JIHAD HASSAN Kadhim, Op. Cit. 2 Salma Khadra Jayyusi est poète, critique, historienne, fondatrice et directrice de la East-West Nexus / PROTA, le Projet pour la diffusion de la littérature arabe et arabo-islamique.

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2) Le contexte de la création artistique en Palestine

"Malheureusement il y a des individus dans le camp de Jénine qui ne peuvent accepter le succès du Théâtre de la liberté ni le travail qu’il fournit auprès d’un grand nombre d’enfants et de jeunes. Ils ont le sentiment que le Théâtre de la liberté menace leurs positions de pouvoir et détourne d’eux l’attention des médias1". Juliano Mer Khamis2

TENSIONS DANS LA PAIX ET TENSIONS DANS LA GUERRE

Le contexte agit sur la production culturelle. Les artistes palestiniens de la diaspora ne bénéficient pas des mêmes conditions que les artistes demeurés en Israël et en Palestine. Il sera examiné ici le contexte de création dont bénéficient ces derniers. Les fondamentalismes religieux, l'extrémisme politique, le conservatisme de certaines franges de la société palestinienne ralentissent certains projets. Le théâtre de la liberté de Jénine ou l'association Al-Kamandjâti, dont l'objet commun et d'apporter une éducation, une ouverture d'esprit et un goût pour la musique et le théâtre en Palestine, sont l'objet de pressions permanentes venant de Palestiniens. Ceci se traduit par des agressions, des tentatives d'incendie de leurs locaux, des intimidations voire des assassinats3. Les moyens alloués au développement général de la culture et des arts sont faibles considérant les besoins et la demande. La deuxième intifada (2000-2008) et plus spécifiquement les combats, sièges et bombardements urbains, ont entraîné la destruction parfois méthodique de lieux et de matériel de création et de diffusion culturelle :

"Les propriétaires de la chaîne TV Al-Nasr, et des radios Manara, Ajyal et Angham ont confirmé le même désastre. Ils avaient pu entrer dans leurs locaux et constater que tout leur matériel avait été mis par terre – totalement, irrémédiablement saccagé : magnétos, cassettes, CD, moniteurs, consoles de mixage, etc. […]4".

1 Déclaration de Juliano Mer Khamis, directeur du Freedom Theatre, le Théâtre libre de Jénine, 25 avril 2009, [En ligne], 2 Juliano Mer Khamis était acteur, réalisateur, directeur du Freedom Theatre de Jénine et militant politique Israélien. Il est mort assassiné le 4 avril 2011 à Jénine. 3 Déclaration de Juliano Mer Khamis, Ibidem. 4 NOM INCONNU, Rita, témoignage du 10 avril 2002 exprimé dans "Messages d’une Guerre", Revue d’Etudes Palestiniennes, n°84 (nouvelle série), été 2002, p. 8-97.

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"Il y a eu encore des bombardements hier soir dans différents coins de la ville, y compris la destruction d’une partie de la cinémathèque du centre Qassaba au centre ville de Ramallah1".

"Le centre culturel Khalil Sakakini a été détruit le samedi 13 avril 2002 par l’armée israélienne à 10h50 du matin. L’armée est arrivée avec deux chars et quatre véhicules blindés de transports de troupe. Ils sont passés par le portail de devant et ont forcé la porte blindée du deuxième étage. Les fenêtres et les deux étages ont été saccagés. Les soldats sont restés quarante minutes et sont repartis à 11h30 […]2".

A Gaza, les pressions israéliennes et palestiniennes s'additionnent de façon encore plus accentuée :

"Il n'y a effectivement plus de cinémas à Gaza - ils ont tous fermé ou ont été détruits. […] Le seul centre culturel qui offre une programmation cinéma régulière (et surtout libre) est le nôtre - l'Institut français de Gaza, qui est toutefois actuellement fermé au public3".

REHABILITER LA CULTURE DANS LES TPO

Bien que les initiatives culturelles puissent connaître des obstacles importants, elles se multiplient depuis 1993, et, pour la plupart de celles qui ont subi des revers, elles reprennent leur travail. Le centre culturel Khalil Sakakini, fondé en tant que branche du ministère palestinien de la culture en 19964, a été réhabilité après son saccage lors de la deuxième intifada. L'organisation RIWAQ, basée à Ramallah depuis 1991, a pour objet de réhabiliter le patrimoine des TPO, entre autres pour qu'ils puissent être utilisés comme lieux de culture5. Le conservatoire national a été crée en 1993, puis rebaptisé conservatoire national Edward Saïd en 2003, en hommage à l'intellectuel et théoricien littéraire palestino-américain. Son directeur, Suhail Khoury est à l'origine du projet qui a mené à la création du Palestine National Orchestra ainsi qu'au Palestine Youth Orchestra. Le conservatoire a établi plusieurs branches à Jérusalem, Naplouse, Gaza, Ramallah et Bethléem6. Elles sont nécessaires pour recruter et toucher le plus de personnes

1 LAYDI Adila, directrice en 2002 du centre culturel Khalil Sakakini (Ramallah), témoignages du 2 et 13 avril 2002 exprimés dans "Messages d’une Guerre", Revue d’Etudes Palestiniennes, n°84 (nouvelle série), été 2002. 2 Idem. 3 BRUNO Anthony, directeur du Centre Culturel Français (CCF) de Gaza, 25 mars 2015. 4 Site internet du KSCC : http://sakakini.org 5 Site internet de l'organisation RIWAQ : http://www.riwaq.org 6 Site en anglais du conservatoire national Edward Saïd : http://ncm.birzeit.edu/en

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possibles mais aussi pour assurer la continuité de son fonctionnement en cas de bouclage. La fondation Al-Qattan est également devenue un acteur culturel des plus actifs et des plus importants en Palestine. Elle est au cœur d'une forte dynamique d'ouverture de la culture palestinienne et arabe sur le monde1. Située à Ramallah, elle a été fondée en 1993 et est enregistrée au Royaume-Uni en tant que "charity". En 1998, elle enregistre une branche en Palestine2. L'association Al-Kamandjâti, basée à Ramallah, est un des protagonistes les plus dynamiques avec des événements et un fonctionnement délocalisés entre la France, plusieurs villes des TPO, Jérusalem-Est et Gaza. L'ONG Yabous est basée à Jérusalem-Est. Son projet a été lancé en 1995 et a abouti en 1997. Elle continue de se développer et a consolidé son action par la construction et la réhabilitation d'espaces qui lui sont propres et dont elle peut disposer : salles de réunion, théâtre, cinéma, salle de réception/exposition3. Les organismes cités ci-dessus, dont la liste n'est pas exhaustive, sont permanents. Les réseaux culturels et artistiques qui concernent la Palestine sont plus étoffés, complexes et parfois, provisoires. Les projets culturels émanant des organismes peuvent aussi avoir des impacts très forts en étant moins visibles. D'autres initiatives sont plus petites, disséminées et par conséquent difficiles à identifier. Elles nécessiteraient une étude de terrain relativement longue, à actualiser régulièrement.

AMBITIONS LOCALES ET DEPENDANCE EXTRA-TERRITORIALE DES TPO ET DE GAZA

Tous ces organismes ont des objectifs, des buts et des visions très similaires voire complémentaires. Ils disposent de différents moyens et sont de différentes tailles. Il est notable que leurs visions et leurs objectifs veulent porter des valeurs universelles. Ces organismes sont cependant créés pour les objectifs prioritaires de dynamisation et de démocratisation culturelle. Ils souhaitent à la fois diffuser et répandre les pratiques artistiques et culturelles et diffuser les œuvres locales au public

1 SLITINE Marion, "L'art Palestinien contemporain hors les murs. Le cas de Londres", Orient XXI, publié le 13 décembre 2013, consulté le 4 mai 2015, [En ligne], . 2 Site internet en anglais de la fondation Al-Qattan : http://www.qattanfoundation.org/en 3 Site internet en anglais de l'ONG Yabous : http://yabous.org/en/

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local et international. Tous relèvent que l'éducation artistique et culturelle fait défaut à la population. L'exemple des objectifs du conservatoire national est significatif1 :

"The dissemination of a lively and creative musical culture in every home, that would contribute towards the consolidation of Palestinian identity and the education of future generations".

"Teaching and promoting music to all Palestinians wherever they are within the framework of strengthening the cultural and national identity".

Il faut aussi noter que malgré la proximité de ces structures avec la population locale, leurs moyens, aussi bien humains que financiers ou matériels, sont dépendants de l'occident. Par exemple, le personnel académique du conservatoire compte des étrangers à des postes clef. Leurs partenaires financiers sont pour la plupart étrangers. Il faut noter que les partenaires financiers principaux de l'ONG Yabous sont en 2012 et 2013 des institutions étrangères ou internationales. En 2014, une part bien plus importante de partenaires arabes et palestiniens en compose la liste. Le centre Khalil Sakakini répond ainsi sur son site internet à la question "How is the center financed?" :

"Past and current projects are funded by grants from private individuals, and also from organizations such as: The Ford Foundation, the Prince Claus Fund, the Heinrich Boll Foundation, the German Fund for Palestinian NGOs, the Swiss Development Corporation, The Australian Aid Agency, the Ramallah Representative Office of the Netherlands, the French Consulate General, the Pontifical Mission to Palestine, UNESCO, UPA, etc.".

ISRAËL ET LA DIASPORA

Anne Bourlond fournit un témoignage éloquent de la différence de vie culturelle entre la partie israélienne et la partie palestinienne de Jérusalem.

"La vie culturelle à Jérusalem-Est reste confinée dans l’ordre de l’événementiel. Elle évolue au gré des festivals ou concerts organisés sur base de financements internationaux, dans des salles de spectacle de fortune - elles sont dépourvues d’équipement technique ou d’insonorisation ad hoc – amputée de toute assise structurelle lui permettant de se développer de façon permanente2".

Il faut rappeler que cette chronique a été écrite en 1999, soit dans un contexte où le mur de séparation n'existait pas encore, où la seconde intifada n'avait pas encore commencé et où les organismes palestiniens cités ici n'étaient pas encore parvenus à

1 Site en anglais du conservatoire national Edward Saïd. 2 BOURLOND ANNE, "Les "saisons" de Jérusalem-Est", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°21 (nouvelle série), automne 1999, p118-120.

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la maturité dont ils jouissent de nos jours. Cependant, les Palestiniens Israéliens, lorsqu'ils peuvent bénéficier du système israélien en dépassant les discriminations, disposent de bourses, d'équipements, de matériel, de locaux et de conditions meilleures que les Palestiniens de Gaza ou des TPO.

Depuis 1993, le développement culturel des Palestiniens et de la Palestine est de plus en plus visible et efficace malgré des obstacles très difficiles à surmonter : les conditions de l'occupation, les bouclages, les conservatismes et la difficulté à toucher la population, en particulier ceux vivant dans les conditions les plus difficiles, notamment dans les camps de réfugiés. De plus en plus d'institutions, palestiniennes, arabes ou internationales dynamisent la production et la démocratisation artistique en Palestine. Depuis la Palestine ou les communautés de la diaspora, quelques artistes palestiniens ont rayonné et sont devenus des références internationales dans leur domaine. Ainsi, ils revendiquent et font reconnaître de fait l'existence d'une culture palestinienne manifeste, capable d'épater, de s'imposer, de susciter l'admiration.

3) Les figures d'une excellence reconnue

INDEPENDANCE DU RECIT NATIONAL

Les années 80 marquent le passage d'un art enraciné dans le mouvement national, porteur de la culture collective des Palestiniens, à un art dont le sujet, l'individu devient la source d'inspiration. Pendant la première intifada, l'OLP, par manque de moyens, s'est vu contrainte de dissoudre ses structures dédiées à la culture. Ainsi l'exportation et la production palestinienne vont se privatiser peu à peu. C'est à partir des accords d'Oslo que des fonds internationaux vont être investis dans le développement artistique palestinien. Les dispositifs golfiotes et Jordaniens sont parmi les plus actifs12. Ce revirement coïncide avec la reconnaissance dans le monde de plus en plus importante des artistes liés à la Palestine. Dans le cinéma, dans la musique, dans les arts plastiques, dans la littérature et même, fait assez rare, dans la poésie, des Palestiniens vont gagner en notoriété.

1 BRUNO Anthony, courrier électronique du 25 mars 2015. 2 SLITINE Marion, Op. Cit.

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RICHESSE ET ILLUSTRATION DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE PALESTINIENNE

Dans le cinéma, les réalisateurs palestiniens ont été par exemple régulièrement présentés dans des festivals internationaux. Le festival international du film de Dubaï, recense plus 30 films présentés par des réalisateurs palestiniens1. Le festival de Cannes a présenté en 1981, La Mémoire Fertile, de Michel Khleifi. Depuis, la sélection officielle en compétition ou hors-compétition du festival a présenté des réalisateurs devenus emblématiques : - Michel Khleifi (4 films présentés dont 1 dans la catégorie "Un certain regard", 2 dans la "Quinzaine des réalisateurs", 1 en section parallèle). - Elia Suleiman (4 films présentés, dont 2 en compétition, 1 hors compétition, 1 dans "Un certain regard"). A été membre du jury en 2006 pour les longs métrages. En 2002, Intervention Divine gagne le prix du Jury. - Sameh Zoabi remporte en 2005 la troisième place du prix Cinéfondation avec Be Quiet. - Rashid Masharawi (2 films, "Un certain regard" et "Semaine de la critique"). - Mohammed "Arab" et Ahmad "Tarzan" Abunasser sont en compétition officielle en 2015 pour leur long métrage Degrade, dans la Semaine de la Critique. En 2013, ils étaient en compétition pour leur court métrage Condom Lead. - Hany Abu-Assad reçoit le prix du jury en 2013 pour Omar. De nombreux documentaires, courts métrages et longs métrages palestiniens s'illustrent dans leur catégorie. C'est le cas par exemple du documentaire 5 Broken Cameras, d'Emad Burnat et Guy Davidi, sorti en 2011. Il reçut 5 prix dont "Prix du public" et "Prix spécial du jury" (Festival international du film documentaire d'Amsterdam 2011), "Meilleur documentaire" (Emmy Awards 2013) et fut nominé pour le "Meilleur documentaire" aux Oscars 2013.

RAYONNEMENT DE LA LITTERATURE

Intellectuels et hommes de lettre palestiniens sont également internationalement connus. C'est le cas par exemple d'Elias Sanbar, Emile Habibi ou encore Edward Saïd. La figure littéraire la plus éminente est incontestablement celle

1 Site internet en anglais du Festival International du film de Dubaï, consulté le 4 mai 2015: https://dubaifilmfest.com/en

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du poète Mahmoud Darwich, traduit dans plus de 20 langues. En 1969, il obtient le prix Lotus de l'union des écrivains africains et asiatiques, en 1983 le prix Lénine de la paix de l'Union Soviétique, l'ordre du mérite des arts et des lettres français en 1993, le prix du prince Claus en 2004. Une place de Paris (dans le VIe arrondissement) porte son nom et son œuvre est de nos jours encore l'objet de rétrospectives.

AMBITIONS ET RECONNAISSANCE DES ARTS PLASTIQUES PALESTINIENS

Les plasticiens palestiniens, dont les œuvres sont souvent réservées à un public moins populaire que les œuvres cinématographiques ou musicales1, sont également reconnus dans leur milieu et leur production est fortement convoitée, que ce soit par des galeries privées ou des musées publics tels que le British Museum ou, plus récemment, le nouveau département du Victoria and Albert Museum de Londres dédié à l'art contemporain du Moyen-Orient2. De grands noms deviennent récurrents comme Hani Zurob, originaire de Gaza et ayant fait ses études artistiques dans les TPO, Khaled Hourani, directeur artistique de l'International Academy of Art Palestine de Ramallah et qui a fait aboutir le projet d'y exposer Picasso3. D'autre part, de nouveaux noms émergent et présentent des œuvres reconnues. C'est le cas de Larissa Sansour qui a participé aux biennales de Busan, Istanbul et Liverpool et qui a exposé dans des lieux illustres comme le Tate Modern à Londres, le centre George Pompidou à Paris, le Brooklyn Museum à New York, le LOOP de Séoul, le Queen Sofia Museum de Madrid, etc. Née à Jérusalem, elle a étudié les arts à Copenhague puis à Londres. Son œuvre revendique sa culture et son identité palestinienne : son site internet comporte des paysages de Palestine, on y distingue un personnage qui porte un keffieh4, elle apparaît en cosmonaute portant un écusson du drapeau palestinien sur le bras. Ses œuvres récentes, comme Space Exodus, les Palestinautes ou Nation Estate, abordent des questions fondamentales : l'Etat, l'espace national, la terre, l'affirmation d'une existence5.

1 SLITINE Marion, Doctorante en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), témoignage, 15 mars 2015, Rennes. 2 SLITINE Marion, Idem. 3 Site en anglais de l'International Academy of Arts, Palestine, consulté le 4 mai 2015 : http://www.artacademy.ps 4 Ce terme peut s'écrire de plusieurs façons. C'est une pièce de tissu carrée, traditionnellement blanche et noire. C'est un des symboles populaires palestiniens. 5 Site internet de l'artiste Larissa Sansour, consulté le 4 mai 2014 : http://www.larissasansour.com

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Le contexte culturel gravitant autour de la Palestine est lié, inextricablement, à un ensemble de réalités politiques, culturelles et historiques par lesquelles il est déterminé et desquelles il s'inspire. Il les transcende, les questionne, les explore. L'identité, la culture collective, les clivages, le territoire, l'occupation, les restrictions de mouvement, les combats, les saccages, la dépendance financière, l'éclatement de la population, etc. sont autant de faits qui vont constituer les spécificités intrinsèques des Palestiniens. Les artistes palestiniens produisent des œuvres très liées au territoire dans lequel ils produisent. Chaque territoire, depuis 1993, connaît des évolutions significatives et très distinctes des autres. Il sera exploré la façon dont ces artistes font résonner dans leurs œuvres la particularité de leur espace.

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Deuxième partie : des artistes et des territoires

A) DESTRUCTION ET ENFERMEMENT, L'ART GAZAOUI ET LE BESOIN D'HUMANITE

1) Des conditions propres à Gaza

SITUATION HUMANITAIRE

Gaza est une enclave territoriale sous contrôle politique du Hamas. Sa superficie est de 365km2. Sa largeur varie entre 6 et 12 kilomètres. La population totale est de 1 760 037 habitants dont 1 240 082 réfugiés, pour une densité moyenne de 4 889 hab/km2. Environ 770 000 enfants ont moins de 15 ans soit presque 44% de la population. Le taux de chômage atteint 40,8%. En 1994, les pêcheurs de Gaza étaient autorisés à circuler dans une limite de 20 miles nautiques. Depuis 2006, cette limite varie entre 6, 3 et 0 miles. 57% de la population ne peut se fournir correctement en nourriture1. Une recherche du mot-clef "Gaza" sur le moteur de recherche Google fournit dans la catégorie "actualité" une immense majorité d'articles ayant pour sujet les pénuries, les risques sanitaires, des chiffres mesurant l'impact des dernières opérations militaires. Elle fournit également dans la catégorie "images" des photographies d'explosion, de destruction, de cortèges funèbres, de blessés, de victimes, d'enfants au milieu de ruines. Trois opérations militaires israéliennes ont particulièrement touché les Gazaouis : "Plomb Durci" en 2009 (environ 1300 morts au total du côté palestinien), "Pilier de Défense" en 2012 (environ 120 morts et 800 blessés palestiniens) et

1 Carte de l'UNOCHA ", access and movement (Gaza crisis), September 2014", UN OCHA, juillet 2014.

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"Bordure Protectrice" en 2014 (environ 2200 morts dont 1480 civils dont 520 enfants, 11 000 blessés et 108 000 n'ont plus de logement)1. Tous ces chiffres, reflets d'une difficile réalité, sont justement l'image que les artistes Gazaouis tentent de dépasser.

LE QUOTIDIEN GAZAOUI

La situation de Gaza est très particulière. Le poids de la situation pèse sur le quotidien et sur les aspirations de sa population. Vincent Schneegans, avocat, a vécu entre 1998 et 2000 à Gaza et a fournit un témoignage du quotidien Gazaoui sur cette période.

"Cette ville étonne d'abord l'étranger - il y en a si peu - du fait de ce paradoxe : à la plus grande pauvreté se mêle la plus grande dignité. Point de mendiants ici, mais une foule innombrable à l'austérité souriante, point d'enfants déguenillés mais des envolées d'écoliers vivaces en tabliers uniformes, pas de cinéma mais un centre culturel et une bibliothèque en cours d'installation, peu de rues goudronnées, mais quelques avenues fières de leurs boutiques de mode […]. L'essentiel vient d'Israël, tout coûte très cher, mais la production locale en fruits et légumes est importante et l'on trouve aisément viandes et poissons. Il reste que le plat national, la courgette farcie au riz, constitue trop souvent le repas obligé des familles. Si l'eau (non potable) coule au robinet, on sait qu'il faut en user avec parcimonie ; quant à l'électricité, méfiance : les coupures sont longues et quotidiennes. Dans un premier temps donc, la vie de tous les jours, à Gaza, ne semble pas si différente de la vie en Egypte ou en Jordanie2".

Les témoignages de Vincent Schneegans paraît bien se recouper avec l'expérience que l'on peut faire des villes de Cisjordanie. Il semble cependant que la situation se soit détériorée depuis l'an 2000. Les témoignages qu'il recueille font aussi état d'une politisation omniprésente, contenue dans chaque acte et dans chaque lieu. Le fait même de demeurer à Gaza étant vu comme "un acte de foi3". Ils font aussi état d'une très forte présence et pression de la tradition qui encadre les rapports sociaux jusque dans l'intimité, qui dénature la religion et qui en empêche une autre lecture. La tradition est critiquée par la jeunesse, qui cependant comprend son rôle stabilisateur dans une société qui n'a quasiment aucun contact avec l'extérieur. Une jeune fille, Bothaya, critique l'immobilisme des traditions :

1 Site de l'OCHA pour les Territoires Palestiniens Occupés et Gaza : http://www.ochaopt.org/index.aspx 2 SCHNEEGANS Vincent, « Gaza au quotidien », Confluences Méditerranée, 2001/2 N°37, p. 25-34. 3 Idem.

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"Il est temps maintenant de passer à autre chose. On doit pouvoir se détendre, s'amuser. Il nous manque des lieux de culture pour les gens, pour qu'ils puissent s'ouvrir l'esprit. Mais pour cela, seul le gouvernement pourrait donner une impulsion et il ne le fait pas1".

Dans ces témoignages comme dans la réalité du contexte, il est manifeste que la situation de Gaza semble étouffer toute expression, toute déviation de ce qui est, soit urgent : travailler, se loger, se nourrir, voire survivre ; soit réprimé : toute pratique s'éloignant trop des traditions, remettant en cause l'hégémonie du Hamas à Gaza, pouvant ouvrir la voie à des courants de pensée réformateurs. A travers la bande de Gaza, les lieux de culture institués sont très peu nombreux. Si certaines projections peuvent être organisées, les cinémas en tant que lieux qui lui sont dédiés n'existent pas2. Pourtant à Gaza, parmi des initiatives populaire pour l'art et la culture, le cinéma est bien présent. Parallèlement à cela, le cinéma Gazaoui en tant que support artistique a trouvé récemment une résonance internationale dans l'œuvre des frères Abu Nasser, dont le long métrage Degrade est en compétition pour le festival de Cannes de 20153. Le genre documentaire tente également d'émerger, plus difficilement, par exemple dans l'œuvre de Wesam A. S. Mousa, Playground.

2) Du cinéma sans cinémas

« [Le cinéma] ce n’est pas un langage mais un art original. Il ne dit pas autrement mais autre chose » Eric Rohmer, réalisateur

La situation du cinéma à Gaza semble paradoxale. Alors que les projections publiques de films y sont rares, c'est un support délibérément utilisé par des artistes Gazaouis.

GAZA, TERRITOIRE DES ENFANTS

Wesam A. S. Mousa est réalisateur. Il est fondateur du projet Initiative "Youth Cinema for Change", co-financé par l'agence européenne EUROMED4. Ce projet dont les informations sont difficiles à trouver a pour but d'encadrer "un programme de formation qui développe la culture cinématographique des enfants et

1 SCHNEEGANS Vincent, Op. Cit. 2 BRUNO Anthony, courrier électronique du 25 mars 2015. 3 Site internet du festival de Cannes, consulté le 4 mai 2015 : http://www.festival-cannes.fr/fr.html 4 Page facebook du projet Initiative Youth Cinema for change, consultée le 4 mai 2015 : https://www.facebook.com/pages/Initiative-Youth-cinema-for-change.

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des adolescents de Gaza1". Deux projets phares sont identifiables : Playground et Breaker. Le premier, dont la bande annonce est disponible sur le site du International Movie Trailer Festival2 porte la caméra sur les jeux des enfants de Gaza.

"Ce film présente les jeux très particuliers inventés par les enfants de Gaza pendant la Nakba et le siège israélien, mais aussi leur transformation suite à la révolution du Hamas. Ces jeux reflètent le désir des enfants de mener une vie normale, loin de la réalité hostile. Ces jeux sont aussi une cristallisation de la lutte de pouvoir au sein de la société palestinienne, et une manifestation de la résistance contre l’oppression israélienne3".

La bande-annonce du film est très éloquente et se divise en plusieurs parties. Elle présente d'abord des enfants par le contexte dans lequel ils sont immergés : famille fondamentaliste religieuse, interdiction pour les filles de jouer avec les garçons, admirateurs du Hamas ou du Fatah. Puis les parties suivantes sont des plans qui illustrent les jeux et qui s'ouvrent par les noms qu'ils portent : "Arab Vs. Jews" se traduit par des jets de pierres contre les enfants qui jouent les militaires israéliens. "Catch the traitor" consiste à arrêter et à interroger un "traître4". Pour jouer à "Fatah Vs. Hamas", les enfants constituent deux bandes qui s'affrontent. Les enfants parodient également des cortèges funèbres de martyrs dans la bande-annonce. La captation audiovisuelle est utilisée par Wesam A. S. Mousa pour montrer, avec toute la puissance des images, la part fondamentale du contexte dans le jeu des enfants. Si, dans le monde entier, les enfants jouent à la guerre, à travers ce documentaire, il est manifeste que les enfants de Gaza ne jouent pas à la guerre comme les autres. Wesam A. S. Mousa met directement en lien ce qu'enregistre la caméra et le lieu où elle enregistre. Breaker, le projet en cours du même réalisateur porte sur la vie des enfants qui abandonnent l'école pour travailler dans les tunnels clandestins qui contournent le blocus et relient Gaza à l'extérieur. Les projets de Wesam Mousa sont profondément enracinés dans le territoire Gazaoui. Il tendent à offrir un œil, non pas critique, mais descriptif, rétrospectif et réflexif sur la réalité de Gaza, sur la façon dont les événements, les faits généraux ont un impact sur des identités individuelles, la manière dont elles sont façonnées par ce qui pèse sur elles.

1 Site de Cinémas du Monde, consulté le 4 mai 2015: http://www.lescinemasdumonde.com/ 2 Site internet du International Movie Trailer Festival, consulté le 4 mai 2015 : http://www.internationalmovietrailerfestival.com 3 Site de Cinémas du Monde, Ibid. 4 L'exécution par le Hamas de "traîtres", accusés de collusion avec Israël, est une réalité de Gaza.

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LE DECALAGE ARTISTIQUE, CINEMA ET ŒUVRES PLASTIQUES DES FRERES ABU NASSER

Mohammad et Ahmad Abu Nasser, plus souvent appelés par leurs surnoms "Arab" et "Tarzan" Nasser, percent dans le cinéma artistique. Ils sont à l'origine des courts métrage Gaza 36mm et Condom Lead1. Ils ont également produit en 2010 une série de fausses affiches de films intitulée Gazawood (parodie du nom Hollywood), s'inspirant des noms donnés aux opérations militaires israéliennes sur Gaza. Gazawood est toujours exposé et a parcouru plus de 20 pays différents2. Certaines ont été les affiches de leurs courts métrages comme A Colourful Journey. Le titre du court métrage Condom Lead est directement inspiré du nom anglais de l'opération israélienne de 2009, qui dura 22 jours et fut la plus traumatisante jusqu'à celle de 2014. Le film se déroule dans un contexte de guerre.

"Toute tentative de faire l'amour est une vaine résistance pour surmonter sa peur et s'accorder une pause afin de mettre à distance le danger. Les machines de guerre, les avions, les missiles, les tanks, leur bruit assourdissant, le sol ébranlé par les explosions finissent toujours par coloniser l'âme et le corps ; triomphent de la volonté humaine. Au moment où nous avons le plus besoin de la puissance de guérison de l'intimité, l'amour et le désir deviennent de simples ballons qui n'attendent que d'être éclatés. Quel préservatif pour protéger de cela3 ?"

Les frères Nasser décalent le point de vue que l'on peut avoir du conflit. Dans la section "Point de vue du réalisateur" du dossier de presse, il est expliqué que le film a délibérément adopté le point de vue le plus intime possible tout en laissant flou le contexte de guerre, celui-ci n'étant pas propre à Gaza mais à toute situation extrême.

"Notre objectif était de produire une intense étude a la fois sombre et comique de ce que deviennent les passions ordinaires d’un homme et de sa femme quand ils essaient de se rapprocher à travers les interstices d’une réalité intensifiée par la guerre".

Condom Lead est la possibilité par le cinéma de décaler le point de vue habituel du cliché. Il est offert aussi bien aux Palestiniens qu'au reste du monde. La phrase qui clos la bande-annonce de Condom Lead ne se réfère pas à Gaza mais au monde : "un rêve d'espoir, d'intimité et d'amour dans un monde de brutalité et de

1 Aucun des deux courts métrages n'a pu être visionnés, aucun moyen pour ce faire n'ayant été trouvé. 2 Site internet du Made in Palestine Project, consulté le 4 mai 2015 : http://madeinpalproj.tumblr.com 3 Synopsis du court métrage Condom Lead, tiré du site officiel du festival de Cannes, consulté le 4 mai 2015.

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discorde1". Arab Nasser insiste lors de son interview sur TV5 Monde2, leur intention à Cannes était de porter le message d'une expérience humaine avant tout.

Les projets des frères Nasser et de Wesam Mousa ont en commun d'offrir une approche empathique du sujet à partir d'un contexte dont ils sont issus. Le contexte de la guerre et des autres difficultés liées à la condition Gazaouie s'impose aux individus. Playgrounds ou Condom Lead, voire même Gazawood, traitent de la façon dont les individus vont appréhender, rejeter ou intérioriser, réagir au contexte. Wesam Mousa regarde Gaza par les jeux des enfants, les frères Nasser par les relations amoureuses. Les deux offrent un point de vue, qui fondamentalement, humanise leurs sujets. Ils traitent de ce processus intime et complexe de la façon dont chacun vit une situation. C'est une empathie du spectateur qu'ils recherchent. Les jeux et l'amour ne sont que les angles utilisés pour filmer ces processus intimes, cette interface entre le contexte et l'individu, l'objectif et le subjectif.

3) S'exprimer : transcender et humaniser Gaza

100 DAYS OF SOLITUDE, APPORTER UN AUTRE REGARD SUR L'ESPACE GAZAOUI

Dans "L'éducation artistique et les émotions démocratiques 3 ", Carole Desbarats4 traite des attributs de l'art qui sont utiles pour faire société. Elle conjugue les concepts d'"imagination narrative" de Martha Nussbaum5 et d'"état émotionnel réflexif" de Julie Grèzes6 pour porter une réflexion sur les résultats de la dialectique entre le réel et la fiction.

1 Message apparaissant à la fin de la bande annonce de Condom Lead, ABU NASSER Mohammad "Arab" et Ahmad "Tarzan", Bande Annonce du court métrage Condom Lead, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] 2 NASSER Mohammad : "L'expérience de la guerre ce n'est pas propre à Gaza" , extrait de l'émission Maghreb Orient-Express diffuse sur TV5 Monde, mise en ligne le 25 mai 2014, consultée le 2 mai 2015, [En ligne], < https://www.youtube.com/watch?v=qb53-6hQROU> 3 DESBARATS Carole,« L'éducation artistique et les émotions démocratiques », Esprit, 2012/12 décembre, p. 35-48. 4 Agrégée en lettres, maître de conférence, spécialiste du cinéma. 5 Philosophe américaine, spécialiste du droit et de l'éthique. 6 Département d'études cognitives de l'Ecole Normale Supérieur de Paris.

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"[…] La fiction telle qu’elle se déploie dans le récit fait naître par l’émotion une activité cérébrale qui engrange du savoir ou peut générer une réflexion. Ou encore que l’imaginaire n’est pas déconnecté du savoir, la question de la vérité restant par ailleurs entière1".

La question de la vérité transcende la réalité. L'expression artistique à Gaza est toute entière liée à cette nécessité de transcendance, de vérité alternative au réel. L'artiste plasticienne Gazaouie Nidaa Badwan a su créer une expression très subtile sur le contexte où elle vit. Après une altercation violente avec des membres du Hamas, elle s'est enfermée chez elle, ce qui a aboutit au projet 100 Days of Solitude2 (en référence aux Cien Años de Soledad de Gabriel Garcia Marquez).

" I told them I’m an artist ; they said, ‘What does this mean?’ She recalled. “I said, ‘I make films and videos.’ They said, ‘ We don’t know what you are talking about, and what do you wear? Why do you look so different?’ They hit me. The next day, Ms. Badwan retreated to her room3".

Dans ce projet photographique, elle se met en scène dans une multitude de situations créatrices : dessin, sculpture, danse, cuisine, couture, etc4. Un reportage lui est consacré par la chaîne de télévision Al-Hurra dans lequel la jeune artiste est interviewée. La journaliste conclut son entrevue ainsi : "[Nidaa] agrees with [the young people in the Gaza strip] in their dreams and ambitions which related to freedom and the way to express themselves as they will5". Nidaa Badwan s'est heurtée à la réalité de Gaza qui l'a empêchée, physiquement, de s'exprimer comme elle le souhaitait. Elle a retrouvé, dans l'espace confiné de sa chambre, la "liberté infinie dont les artistes ont besoin6". C'est un espace qu'elle contrôle, qu'elle exploite comme bon lui semble. Le directeur de l'Institut Français de Gaza, Anthony Bruno, s'exprime dans un article du New York Times dédié à Nidaa. Pour lui, le blocus, la guerre et l'occupation sont inhérents aux

1 DESBARATS Carole, Op. Cit. 2 BADWAN Nidaa, 100 Days of Solitude, consulté le 5 mai 2013, [En ligne], 3 AL WAHEIDI Majd, "A Gaza Artist Creates 100 Square Feet of Beauty, and She’s Not Budging", The New York Times, 27 février 2015, consulté le 5 mai 2015, [En ligne], 4 TAGHRID Abdallah "A prosperous isolation in Gaza", Al-Akhbar English, 6 mars 2015, consulté le 5 mai 2015, [En ligne], 5 "Nidaa Badwan", extrait d'un reportage de la chaîne de télévision Al-Hurra, mise en ligne le 28 avril 2014, consultée le 5 mai 2015, [En ligne], https://www.youtube.com/watch?v=E1kI3olb-Yc 6 Idem.

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approches souvent peu subtiles des artistes Gazaouis. Chez Nidaa, ces thèmes sont au fondement de son travail, du but qu'il poursuit : "If you dig deeper in the meaning of her works, it’s definitely there, but it tries to transcend that1". M. Rayyan, directeur du centre artistique Al-Hoash où 100 Days of Solitude a été exposé, relève lui aussi la transcendance de la réalité dans le travail de Nidaa : "the dialogue, the contradiction between her image and the image we have of Gaza in our heads, which makes it very interesting2". La création d'un certain espace par Nidaa faisant aussi partie du questionnement de ce que Gaza pourrait être. Cet espace clos est en fait très fortement lié à la représentation intime que Nidaa a de Gaza.

VOIR GAZA A TRAVERS SON HUMANITE

Il a été dit à Arab Nasser, lors d'une émission diffusée sur TV5 Monde3 : "Vous, quelque part, vous ré-humanisez une population qui finalement était déshumanisée et qu'on ne voit qu'à travers des bombardements et des tirs de roquettes". Ce à quoi il répond :

"Lorsque l'on parle d'amour, on parle de cette chose vécue. On nous traite souvent en tant que Palestiniens dans un contexte d'occupation et de blocus. C'est difficile de prendre cette identité sous cet angle là […]. J'ai voulu que le visage de l'expérience Palestinienne ait beaucoup plus d'aspects […]. Ce que j'ai voulu, c'est changer cette image, ces clichés de la souffrance Palestinienne."

A Gaza, pour les artistes, l'enjeu et l'envie qui poussent à s'exprimer prend racine dans le dépassement de la condition de victime que l'extérieur leur impose; par la réalité ou par l'image d'eux-mêmes qui leur est renvoyée. La création d'œuvres de fiction, au sens où elles sont issues d'une mise en scène, permet de déplacer le point de vue, transcender la réalité, apporter une vérité alternative au réel4. Les artistes Gazaouis semblent de concert exprimer le besoin que la vie culturelle de Gaza-même et que ses représentations partagées soient étoffées, enrichies, multipliées. Ils souhaitent permettre, par des émotions, une approche empathique, humanisée de Gaza. Une approche humanisée c'est ici une approche par des moyens profondément

1 AL WAHEIDI Majd, Idem. 2 Idem. 3 NASSER Mohammad : "J'ai voulu changer ces clichés de la souffrance palestinienne" extrait de l'émission Maghreb Orient-Express diffuse sur TV5 Monde, mise en ligne le 25 mai 2014, consultée le 2 mai 2015, [En ligne], < https://www.youtube.com/watch?v=qb53-6hQROU> 4 DESBARATS Carole,"L'éducation artistique et les émotions démocratiques", Op. Cit.

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humains : l'art ; et sur des questions profondément humaines: l'intimité, le jeu des enfants, l'expression.

B) L'ESPACE ET L'IDENTITE : LE CINEMA DANS LES TERRITOIRES OCCUPES

Une caractéristique importante des TPO est leur discontinuité due à la multiplication des colonies et des obstacles physiques imposés par l'occupation israélienne : checkpoints, mur de séparation, routes interdites, tranchées, etc. La constitution de l'espace des TPO est liée à l'application des accords de Taba de 1995 et a été progressive. La réflexion sur l'espace des TPO est donc liée non seulement au morcellement mais aussi aux bouleversements de cet espace qui sont advenus sur un temps relativement court de quelques années, modifiant les perceptions de l'espace, les repères auxquels les Palestiniens peuvent se raccrocher.

1) La question de l'espace

"Le peuple palestinien est divisé en divers segments sans aucune frontière réelle. Ce statut chaotique offre une certaine liberté et est un lieu privilégié pour la réflexion sur l’espace". Elia Suleiman1

L'ESPACE PALESTINIEN : RAPPELS

La Nakba peut se traduire par la perte d'une grande partie de leur patrie pour les Palestiniens. C'est aussi la borne temporelle qui marque l'éclatement du peuple palestinien à travers le monde, le début de la question des réfugiés. La période historique qui va de la Guerre des Six Jours (1967) à nos jours marque la désagrégation de la Cisjordanie comme territoire des Palestiniens. Après la première intifada et avec les accords d'Oslo, l'acception du territoire national palestinien passe de la "Palestine, dans les frontières du mandat Britannique2" aux lignes des positions des armées arabes coalisées et israéliennes au cessez-le-feu de 1967: l'actuelle Cisjordanie. Les Palestiniens se voient de plus en plus confinés dans des enclaves territoriales, rapidement coupées les unes des autres en cas de bouclage. Entre 1980 et la fin de la deuxième intifada, la géographie physique des TPO se

1 SULEIMAN Elia, "Elia Souleiman, Un Cinéma de Nulle Part" (propos recueillis et traduits de l’anglais par Anne Bourlond, Jérusalem, juillet 1999), dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°21 (nouvelle série), automne 1999, p.91-97. 2 Charte Nationale palestinienne (17 juillet 1968), [En ligne],

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métamorphose : construction du mur de séparation (2002), expansion urbaine des colonies, abandon de certaines parties du territoire par leurs habitants palestiniens, aménagement du territoire délibérément contraignant. Il a été expliqué ici que la culture collective palestinienne, depuis la Nakba, est liée à la terre de Palestine, réelle comme symbolique. La Nakba est d'ailleurs plus la référence à une terre perdue qu'à la mort. Si des massacres et des déportations ont eu lieu en 19481, le sionisme en tant que stratégie coloniale s'est inscrit dans un spacio- cide plus que dans un génocide2. L'intérêt pour Israël est plutôt de contrôler la terre et l'espace que de faire disparaître les Palestiniens3. Avec la fragmentation des TPO et l'échec du processus de paix, la culture collective se fragilisent et un sentiment de désunion apparaît, notamment au début des années 2000.

TRAITER LA QUESTION DE L'ESPACE DANS LE CINEMA

"Palestinians have emerged as disoriented people not only in the sense that they don’t know where they are going but also in the sense that they know where they want to go but can never reach there. To combat this loss, Palestinians resort to poetic and imaginary means such as those found in the arts, religion, and digital media. These provide Palestinians with the virtual worlds they need in order to negotiate their loss and confinement4".

Traiter de la question de l'espace dans le cinéma revient pour les réalisateurs palestiniens à traiter de la réalité de la situation. Comme le dit Sobhi Al-Zobaidi, l'incertitude et le trouble qui concerne les TPO conduit à une sorte de désorientation, de perte de repères, d'incertitude des Palestiniens. Ajouté à cette désorientation, le territoire est bouclé, impossible à parcourir physiquement. Les équipes de tournage ne peuvent physiquement plus fournir de tels plans. Le cinéma palestinien ne peut plus produire d'image du territoire entier. Il n'est d'ailleurs pas question de faire semblant d'en fournir une : les réalisateurs concernés par cette période étaient présents en Israël, en Cisjordanie ou dans les camps pendant la deuxième intifada et ont partagé cette expérience. Les obstacles sont ce qui reste intact après la confusion et la disparition des repères géographiques. Ils sont ce qui divise toute la société, toute l'unité des

1 FINKELSTEIN Norman G., Op. Cit. 2 HANAFI Sari, Op. Cit. 3 Idem. 4 AL ZOBAIDI Sobhi, "Tora Bora cinema", Jump Cut n°50, printemps 2008, [En ligne], .

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Palestiniens des TPO. Ils divisent autant l'espace géographique que l'esprit d'unité en une multitude de fragments1.

" By the end of the film, the entire thing falls apart; with sound separated from image, the actor arrested, and the director leaving. I found that cinema was a perfect metaphor for what is happening in Palestine today and has been happening for the last 57 years. By the end of the film, because all the elements are torn from each other – there is no film. There cannot be a film2".

Dans cet état de fait, pour les Palestiniens il est urgent de manifester une unité nationale qui transcende les divisions internes physiques et symboliques ; et pour les réalisateurs d'en trouver les points d'ancrage, les nouveaux repères devant la menace de la fragmentation.

CINEMA TORA BORA

Tora Bora est un complexe de tunnels et de réseaux situé dans les montagnes d'Afghanistan, quartier général présumé de Ben Laden. Dans son article, "Tora Bora Cinema" Sobhi Al-Zobaidi justifie l'utilisation de ce terme. En Palestine, les "Tora Bora" sont devenus les surnoms de lieux imprécis, des points de passages surveillés par l'armée israélienne. Dans les années 2000, y aller impliquait une incertitude totale :

"Tora Boras are those kinds of passages that one is not sure whether one can or cannot reach: both possibilities always equally exist. The line forks and one never knows which way one will end up — dead, arrested, or free3".

Ces Tora Bora ne sont pas uniquement les checkpoints, ils sont quelque chose de complexe. Ils sont présents dès que l'on décide de les emprunter, ils sont les lieux de tous les possibles, heureux ou funestes. L'image du Tora Bora d'Afghanistan prend ici tout son sens, on ne sait pas ce qu'il va en sortir, ce qu'il renferme. Et pour le réalisateur Sobhi Al-Zobaidi, le cinéma palestinien fournit au public et au peuple cet espace où tout est possible. Il fait partie des moyens pour créer des nouveaux repères pour remplacer ceux que la mémoire et le territoire permettent habituellement. Le cinéma palestinien de la première intifada va tenter de transformer en repères les manifestations de l'occupation et les obstacles à la circulation. Les seuls

1 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit 2 Dossier de presse du court-métrage Like Twenty Impossibles. Citation tirée de la "note du réalisateur". 3 AL ZOBAIDI Sobhi, Op. Cit.

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espaces de référence deviennent les roadblocks : checkpoints, points de passage, miradors, etc. Les réalisateurs palestiniens de ces années là, comme Elia Suleiman, Hany Abu Assad, etc. sont issus de camps de réfugiés et de la diaspora, soit d'espaces qui marquent de fortes discontinuités. Les films palestiniens de cette époque incluent tous des plans qui comprennent les barrières physiques. Les checkpoints peuvent même devenir les lieux où se déroule tout le film. C'est le cas du court métrage Twenty Impossibles, d'Annemarie Jacir 1 . Intervention Divine, d'Elia Suleiman utilise le checkpoint comme un lieu central du film, interface entre Jérusalem et Ramallah, lieu où se manifeste la tendresse des deux personnages principaux. Le traitement de l'espace dans le cinéma palestinien est le traitement d'un espace confiné, sectionné, incertain, flou. Il est le traitement d'un territoire dont les habitants sont dépossédés par une occupation militaire. Il n'est tangible et certain que dans les lieux qui marquent sa discontinuité : Tora Bora et roadblocks.

2) Les Roadblock Movies, l'occupation à l'écran

S'IDENTIFIER DANS DES EXPERIENCES INDIVIDUELLES

Michel Khleifi, réalisateur palestinien, a pu dans les années 80 dresser dans son cinéma une carte de la Palestine, "dont les frontières sont à l'horizon et dont le cœur est la maison2". Avec l'évolution de l'occupation et de la colonisation, l'espace interne des TPO est bouleversé. Les liens physiques et sociaux avec les territoires d'Israël se limitent, s'effritent, particulièrement après la construction du mur de séparation. Avec la fragmentation du territoire et de la population, les références collectives manquent dans le présent. Les réalisateurs palestiniens qui se succèdent chronologiquement dans les moments où ils émergent sur la scène internationale (Khleifi, Masharawi, Suleiman, Abu Assad), se voient comme une suite qui exploite la même piste : dans leur cinéma, ils approchent d'abord et de plus en plus des expériences individuelles à partir desquelles ils montrent l'appartenance à un ensemble plus général. Les identifications à des expériences individuelles deviennent

1 JACIR Annemarie, Like Twenty Impossibles, Palestine, Etats-Unis, 2003, (17 min). 2 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit.

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le moyen d'une identification de tous à une même condition. Par exemple, la prison, la suspicion, la clandestinité dans Omar1, de Hany Abu-Assad.

S'APPROPRIER LES SYMBOLES DE LEUR FRAGMENTATION

"Over the years, the borders of the Palestinian space, uncertain to begin with, have become increasingly blurred and threatened, violated by the Israeli settlements and army, and replaced by roadblocks, controlled by checkpoints, and closures which bisected Palestinian space and identity, severing and deconstructing them2".

Depuis 1993, la question de l'espace est continuellement traitée dans le cinéma contemporain palestinien, sans être nécessairement au premier plan. La question des frontières et du territoire se trouble, celle du confinement apparaît en parallèle. Tout un ensemble de films sont référencés comme roadblock movies. Les marques les plus sûres du paysage que les Palestiniens des TPO ont en commun n'appartiennent plus au paysage naturel : ce sont les manifestations physiques des entraves à la circulation, soit, les checkpoints, miradors, barrages, tranchées, et, la figure la plus éminente, le mur de séparation3. Sobhi Al-Zobaidi aborde cette question sous un angle très direct : "If the Palestinian is a prisoner, digital media has made it possible to make a film about his life in his prison cell". La référence est éloquente : le cinéma des roadblock movies est un cinéma des prisonniers sur leur enfermement. Grâce aux nouveaux médias, le cinéma palestinien va faire la mise en récit de l'enfermement. "Such a time of distress unites people, merging them into a single community with one story and one hope4". La référence collective qu'est l'expérience du checkpoint ou de l'obstacle va être appréhendée, transformée et utilisée comme support esthétique. Pour reprendre les termes de Carole Desbarats, la mise en fiction des roadblocks va permettre le décalage du point de vue sur leur réalité et en offrir une nouvelle définition. De la réalité du confinement auquel se confrontent tous les Palestiniens des TPO, les roadblocks vont être mis en récit dans des expériences individuelles, et par le Tora Bora qu'est le cinéma, soit l'infinie possibilité de "l'espace poétique5", ils vont

1 ABU-ASSAD Hany, Omar, [DVD], Palestine, 2013, (96 min). 2 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit. 3 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit. 4 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit. 5 D'après les termes d'Elia Suleiman GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit.

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transformer la réalité des obstacles : ils ne sont plus infranchissables et deviennent des lieux imaginaires de référence collective.

LA TEMPORALITE DU PRESENT

La temporalité est bouleversée dans les films de la période de l'intifada. Les bouclages et les restrictions changent les préoccupations et les trains de vie de façon significative. Le cinéma palestinien change également de temporalité. Dans la période des années qui précèdent les accords de Taba et leur application de plus en plus poussée, la temporalité dans le cinéma avait une certaine "douceur1", les films étant chargés d'une histoire élargie de la Palestine et des Palestiniens. Avec l'éclatement de la deuxième intifada, la temporalité du cinéma change. "It has become static, stagnant time, such as that experienced in the narrow apartment, during the curfew 2 ". S'émanciper d'un passé traumatique qui apparaît comme une image embarquée dans le présent est une des caractéristiques de ces films. Ils remplacent un temps historique par un temps personnel. Une histoire lourde omniprésente n'est plus pertinente pour exprimer la situation, les espoirs des Palestiniens des TPO. La transposition au cinéma d'un temps émancipé de l'Histoire se fait par des témoignages, des expériences personnelles, des événements anecdotiques et par conséquent, une temporalité fortement ancrée dans le présent. Cette distanciation par rapport au passé hérité est nécessaire pour exprimer un quelconque message ayant pour arrière-plan les TPO du début des années 2000. Elle n'empêche pas de découvrir à nouveau cette histoire passée, ni de l'invoquer. La temporalité, liée aux conditions auxquelles l'espace est soumis crée une distance entre quotidien et histoire, entre réalité et allégorie. "In this way, the movies venture to replace a complete sealed history that can be revived in the present with a quest that must be constantly renewed3". Les réalisateurs, dans le tournant de la fin des années 90, vont se rapprocher rapidement du traitement du présent et des expériences individuelles, des anecdotes dans leurs films. Bien que les messages et les codes cinématographiques ne soient pas évidents, que l'expression de la réalité puisse passer par des expressions absurdes, métaphoriques, le lien entre réalité et fiction dans le cinéma palestinien se rétrécit à

1 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit. 2 Idem. 3 Idem.

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cette période. Au milieu des troubles de l'intifada et au moment de se confronter aux différents publics, ce qui sépare les deux mondes devient ténu.

3) Une réalité-fiction

UNE REALITE DEVORANTE

Elia Suleiman est connu pour rejeter "l'identité palestinienne" dans l'analyse de ses films, il la trouve "asphyxiante1". Elia Suleiman s'adresse ainsi à Anne Bourlond pendant un entretien en 2000 : « Pourquoi devrais-tu aborder la question de mon identité palestinienne lorsqu’il s’agit d’analyser mon cinéma ? ». Elle commente : "Frustration d’un artistes talentueux voyant son œuvre engloutie dans le questionnement identitaire… Sans doute avait-il raison…2". Elia Suleiman, sans revenir sur ses propos, admet dans "Carnets du sous-sol" qu'il a été rattrapé d'une certaine façon par la réalité de l'intifada : "Pendant les journées, l’explosion de la situation nous oblige à nous arrêter de travailler, souvent durant des heures3". Il a en effet tourné dans les TPO pendant cette période. Les films de cette période n'échappent donc pas à la réalité, trop importante, provoquant trop d'empathie pour que les réalisateurs les plus détachés puissent s'en défaire. Au contraire, elle les oblige, d'une certaine manière, à s'identifier au contexte. Elle englobe, dévore l'espace de recul avec la réalité, nécessaire dans une démarche artistique. Ce fut le cas lors du tournage d'Intervention Divine en 2000-2001. Elia Suleiman recherchait des acteurs pour le rôle des soldats du checkpoint. Lors du casting en Israël, il demandait aux personnes se présentant s'ils avaient déjà servi dans les TPO et s'ils avaient servi à un checkpoint. Comme c'était le cas, il observait leurs réactions. Certains avaient honte des "brutalités", d'autres exagéraient leurs actes : tous dans le même but de décrocher le rôle. Elia Suleiman reconnaît lui-même que cet exercice comportait quelque chose de "sadique" de sa part4.

1 BOURLOND Anne, « Obsessionnelle quête d’identité », dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°23 (nouvelle série), été 2000, p.114-116. 2 Idem. 3 SULEIMAN Elia, "Carnets du sous-sol" dans Revue d’Etudes Palestiniennes n°26 (nouvelle série), hiver 2001, p.117-120. 4 GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Op. Cit.

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UNE REALITE SUGGESTIVE

Sur le même tournage, Elia Suleiman explique qu'avec son producteur, Humbert Balsan, ils tentent de visualiser une scène. Ils sont à Bethléem et doivent monter un faux point de contrôle pour les besoins du film. Alors qu'ils sont en train de manger en extérieur avec l'attaché culturel français du consulat général de Jérusalem, le personnel leur demande de rentrer. Peu de temps après, l'attaché culturel est évacué par des jeeps de l'Autorité Palestinienne. Elia Suleiman et Humbert Balsan sortent du restaurant et continuent de chercher une bonne inspiration pour un plan où doit arriver une ambulance en urgence.

"Là, assis dans la voiture, nous nous efforçons de visualiser la scène quand, soudain, une aide nous est fournie, venue du véritable poste de barrage. Toutes les deux ou trois minutes, des ambulances passent à toute vitesse. Un énorme nuage de fumée noire s’élève non-loin de nous. Le vent nous apporte des bouffées de gaz lacrymogènes. Nous ne pouvons plus voir, alors nous imaginons. Les yeux remplis de larmes, nous ne pouvons même plus regarder à travers le gonoscope : Eyes Wide Shot".

"Eyes Wide Shot" n'est pas ici que l'évocation du film de Stanley Kubrick et de Steven Spielberg. Elia Suleiman et Humbert Balsan en ont "plein les yeux" : ils sont immergés dans un nuage de gaz lacrymogène, mais surtout, ils ont compris comment ils allaient tourner leur scène. Elia Suleiman conclut cette chronique d'une façon bien différente de celle par laquelle il terminait son entretient avec Anne Bourlond en 19991, purement dédié à la question esthétique de son cinéma.

"A Nazareth, ceux qui brûlent des pneus, des drapeaux israéliens et des grands magasins, sont ceux-là même qui sont doublement enragés – pour avoir été des nègres ghettoïsés et pour avoir été des Palestiniens de plus en plus Palestinisés2".

La réalité de l'intifada conjuguée aux nécessités du tournage semble avoir des effets non négligeables sur les approches cinématographiques. Le cinéma qui est tourné et qui concerne les TPO intègre l'espace-temps dans une réflexion sur la situation. Il ne s'adapte pas mais évolue, pour mieux apporter une vision décalée nécessaire, artistique, de la réalité. Le cinéma et les réalisateurs palestiniens, depuis la fin des années 90, proposent un cinéma dont la temporalité, l'acception du temps, la narration, l'insertion de symboles et de références unificateurs, sont beaucoup plus

1 SULEIMAN Elia, « Elia Souleiman, Un Cinéma de Nulle Part », Op. Cit. 2 SULEIMAN Elia, "Carnets du sous-sol", Op. Cit.

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proches d'une réalité vécue que d'une réalité fantasmée à partir du passé ou d'une culture collective lourde et imposée. Il est aussi nécessaire d'essayer d'adopter le point de vue des réalisateurs : le tournage d'un film, par la composition de son équipe, de ses figurants, de ses acteurs, de ses décors ne peut ignorer le contexte qu'il veut faire passer de la réalité à la fiction. Dans un pareil cas, fiction et réalité s'entremêlent dans de nombreuses étapes de la réalisation d'un film.

C) RYTHMES SUBVERSIFS D'AILLEURS : HIP-HOP ET REGGAE EN PALESTINE

Le hip-hop et le reggae sont des genres musicaux considérés comme transnationaux tant leur capacité à être réadaptés localement est forte. Leur émergence en Israël chez les Palestiniens correspond à la transposition de références, déjà contenues dans leur genre même, à la situation spécifique des Palestiniens Israéliens.

1) Naissance et évolution du groupe DAM

"I'M THE NEGRO OF THE MIDDLE EAST"

Le groupe DAM est fondé en 1999 par Mahmoud Jrere et les frères Tamer et Suhail Nafar. Les trois sont Palestiniens Israéliens, originaires de Lyd ( en Hébreu), devenue banlieue de Tel-Aviv. Lyd était devenue une des villes au taux de criminalité le plus élevé au Moyen-Orient (en 2001). La ville est majoritairement habitée par des juifs Ethiopiens et Russes et des Palestiniens chrétiens et musulmans, tous considérés comme minorités ethniques en Israël. L'idée originelle du groupe était de devenir le premier groupe de rap palestinien au Moyen-Orient, de mélanger leurs influences culturelles arabes et leur amour pour la culture urbaine et hip-hop des Etats-Unis. L'écho qu'ils trouvaient entre les conditions décrites par le rap américain et la leur était au centre de cet amour particulier. "The imagery of urban neglect, racial discrimination, ethnic inequality, and minority empowerment was all too familiar to the group1".

1 McDONALD David A., Op. Cit.

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Tamer Nafar, pendant une interview donné à David A. McDonald avant un concert à Ramallah en 2005, explique que son modèle d'inspiration, le rappeur emblématique peut être vu comme un martyr palestinien.

“His experiences are our experiences. His struggles with the police are our struggles with the police. His ghetto is my ghetto. If you listen all he talks about is the ghetto, revolution, politics. And he died because he was willing to speak out for his beliefs… That makes him [a] shahīd, and that makes him Palestinian1”.

Le hip-hop est une forme d'expression particulière. Réinterprétée et recontextualisée sans cesse, elle est celle d'une jeunesse qui s'inspire de la culture afro-américaine pour à son tour exprimer ses problèmes, ses craintes, etc. Le hip-hop était le mode d'expression logique qui s'offrait à eux dans ce contexte d'inégalités et de racisme et ils se le sont approprié. Au début de leur carrière, les paroles de leurs chansons concernaient surtout la condition propre aux Palestiniens Israéliens, leur mode de vie imposé par un double rejet : des Israéliens et des Palestiniens. Chanter en hébreu et en arabe revêtait l'objectif de toucher à la fois le public palestinien (de culture) et le public israélien. En hébreu, ils dénoncent le racisme à leur encontre dans "Posh’im Ḥafim Mi’pesha" (Criminel Innocent). Cette chanson enregistrée quelques semaines seulement après l'éclatement de la deuxième intifada, marque cependant leur lassitude à se produire devant un public israélien peu réceptif à leurs messages. La période qui s'ouvre et se poursuit jusqu'à nos jours les verra littéralement réinterpréter et redynamiser une culture propre aux Palestiniens, par l'outil du hip-hop et de son esprit de subversion et, fondamentalement, d'expression. Plus récemment, le groupe DAM va se servir de sa notoriété grandissante à travers le monde pour aborder des sujets évités, tabous, ou universels comme le rôle de la femme2, certains discours israéliens et internationaux3 ou encore les mouvement de boycott mené par des activistes contre le gouvernement israélien4.

1 McDONALD David A. Op. Cit. 2 "DAM - #Who_You_R (Official Video)", produit par Fresco Films et réalisé par Scandar Copti, mise en ligne le 26 mars 2015, consultée le 6 mai 2015, [En ligne] 3 "Israel vs Palestine - feat. DAM & Norman Finkelstein [RAP NEWS 24]", écrit et réalisé par Giordano Nanni & Hugo Farrant, mise en ligne le 24 avril 2014, consultée le 6 mai 2013, [En ligne], < https://www.youtube.com/watch?v=U3by9FoEFB8> 4 "Tamer Nafar min DAM - Scarlett Johansson Has Gas", mise en ligne le 6 mars 2014, consultée le 6 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=6XHZ4OaWbn0&spfreload=10>

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CULTURE GLOBALISEE ET CULTURE PALESTINIENNE

Le hip-hop a été employé dans de nombreux contextes impliquant des minorités ethniques. En Israël, l'imagerie d'origine noire-américaine a été réutilisée par le groupe DAM. Ils l'ont cependant réadaptée à une situation et à un contexte qui leur est propre. Le groupe DAM parle de la condition palestinienne à travers un discours transnational de culture jeune et de racisme. Le hip-hop est sujet à la "glocalisation", terme issue de la sociologie et de la géographie : d'une culture globalisée est crée une culture caractéristique d'une situation locale1. Tamer Nafar, souvent porte-parole du groupe DAM, rappelle qu'ils font du "protest rap2", mais que ça ne se limite pas à cette dimension : "We've learned from Arab poets how to use metaphors. Instead of stealing them from books, we develop our own images using our street slang3". La culture et la condition propre aux Palestiniens, et plus précisément aux Palestiniens Israéliens vont donc être doublées d'une culture globalisée, transnationale. DAM chante également en anglais et le groupe, lorsqu'il s'exprime dans ses chansons ou ses vidéos, privilégie cette langue. Les deux cultures ne s'annulent pas et créent une culture hybride. Les deux sont présentes chez les artistes qui les expriment ensemble. Ainsi, cette nouvelle expression, avec des codes mélangés, permet la réception des références palestiniennes par ceux qui sont familiers avec les références du hip-hop, et vice-versa. Le premier concert qu'ils ont donné à Ramallah en 2005, a été de l'ordre de l'expérimental. Le rap était un style inconnu pour une grande partie des personnes présentes. Certains membres du public ont commencé à chanter des chants populaires politiques palestiniens4. Le chanteur Tamer Nafar les fait cesser et a commencé par expliquer, à travers une première chanson, ce que le rap était. La façon dont le groupe DAM a mené son concert, et de façon plus générale, la façon dont ils se produisent permet une double identification puisqu'ils portent deux cultures : l'identification aux références du hip-hop (injustice, racisme, drogue, zones urbaines ghettoïsées, voire

1 SAFIEH Randa, "Identity, Diaspora, and Resistance in Palestinian hip-hop", in KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Palestinian Music and Song : Expression and Resistance since 1900, Indiana University Press, Bloomington et Indianapolis, Etats-Unis, 2013, 232 p. 2 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit. 3 Idem. 4 McDONALD David A., Op. Cit.

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même vêtements larges, etc.) et l'identification aux références de la palestinité (langue arabe, résistance, sionisme, terre, sumûd, etc.). Une conséquence de cette hybridité peut être le rejet par le public de la mise en récit des référents de la palestinité dans le style du hip-hop. Comme il a été vu ici, le conservatisme, le poids des traditions est parfois lourd. La fidélité aux référents de la palestinité, tels qu'ils sont traditionnellement mis en récit, peut également créer des rejets d'autres interprétations, de forme ou de fond1. Ainsi, DAM a pu être sifflé lors de concerts en Cisjordanie. D'autre part, Randa Safieh dans son article "Identity, Diaspora, and Resistance in Palestinian Hip-Hop" intègre des sous-titres éloquents : "The development of the Palestinian hip-hop : from the Bronx to the West Bank and back again", puis "Hybridized identity in Palestinian American hip-hop" et "The question of identity : redfinition and representation of the self". Avec l'émergence et la notoriété d'un hip-hop palestinien, des communautés diasporiques palestiniennes ont redécouvert et réinterprété leur identité2.

REPLIQUER A LA REALITE

Le groupe DAM, très récemment et par l'outil de son succès médiatique et populaire, va embrasser beaucoup plus clairement la lutte palestinienne et d'autres sujets plus généraux. Les chansons précédentes qui étaient leur façon d'exprimer leur condition et leur culture d'une manière générale laissent plus récemment la place à des chansons et à des partenariats avec d'autres artistes pour traiter de sujets précis. La chanson de DAM, de leurs partenariats et des projets solo (qui sont référencés cependant dans le site officiel du groupe DAM3) changent de portée. Elles sont presque systématiquement en anglais et visent à porter largement le message de la cause palestinienne. Certaines sont encore en arabe, l'hébreu semble abandonné, bien qu'en chantant en anglais, ils atteignent également les publics israéliens. Les productions récentes abordent des sujets récurrents. Les chansons "If I could go back in time" (avec Amal Murkus, chanteuse palestinienne, sortie en

1 ALAJAJI Sylivia, "Performing Self : Between tradition and modernity in the west bank" in KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit. 2 SAFIEH Randa, "Identity, Diaspora, and Resistance in Palestinian hip-hop", in Palestinian Music and Song, Op. Cit. 3 Site officiel du groupe de rap Palestinien Israélien DAM, consulté le 6 mai 2015 : http://www.damrap.com/lyrics

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novembre 20121), et "Who you are2?" (mars 2015) traitent de la condition de la femme et sont faites en partenariat avec un programme spécifique de l'ONU. Ils ont également publié une photo, le groupe se mettant en scène pour le droit des femmes à conduire en Arabie Saoudite. Le partenariat avec Rachid Taha3 (2013), chanteur Algérien, concerne une approche unie du monde arabophone : la vidéo officielle ne présente que le symbole du groupe DAM et une carte du bassin méditerranéen sur laquelle les pays arabophones sont en rouge. Avec les étudiants du Théâtre de la Liberté de Jénine, ils produisent une chanson et un clip musical sur son directeur Juliano Mer Khamis et s'en prennent aux fondamentalistes qui l'ont assassiné : "Juliano's Way4" (2012). Tamer Nafar, en solo, tourne en ridicule l'actrice américaine Scarlett Johanson après qu'elle a accepté d'être l'ambassadrice d'une marque israélienne d'appareil pour gazéifier des boissons5 (mars 2014). Le groupe va même jusqu'à participer à une coproduction musicale australienne sur Israël. Dans le clip musical de cette coproduction apparaît l'historien Norman G. Finkelstein, auteur de Mythes et Réalités du Conflit Israélo Palestinien67 (avril 2014). Les rappeurs de DAM se sont également engagés dans la création d'un collectif musical international arabophone, principalement de hip-hop. Il inclus des artistes Londonien, Libanais, Algérien, Jordaniens, Américains, etc8. Dans deux de leurs partenariats, le groupe DAM collabore avec le chanteur de reggae palestinien Bruno Cruz. Alors que le hip-hop semble s'être implanté solidement dans les nouvelles références culturelles qui concernent la Palestine, le reggae, musique également chargée d'un caractère subversif, ne perce pas autant. Certaines expériences semblent annoncer que le reggae pourrait prendre place dans les prochaines années dans le paysage musical palestinien.

1 "DAM featuring AMAL MURKUS - If I Could Go Back In Time", mis en ligne le 6 novembre 2012, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] 2 "DAM - #Who_You_R (Official Video)", Op. Cit. 3 "DAM feat - WHY ", mise en ligne le 14 septembre 2013, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] 4 " DAM feat Juliano's students - Juliano's way", produit par Jethro, mise en ligne le 4 avril 2012, consultée le 10 mai 2015, [En ligne] 5 "Tamer Nafar min DAM - Scarlett Johansson Has Gas", Op. Cit. 6 FINKELSTEIN Norman G., Op. Cit. 7 "Israel vs Palestine - feat. DAM & Norman Finkelstein [RAP NEWS 24]", Op. Cit. 8 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit.

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2) Naissance du reggae en Palestine ?

PREMICES D'UNE DYNAMIQUE REGGAE-DUB ARABE EN ISRAËL

Le groupe de hip-hop DAM a enregistré plusieurs chansons en partenariat qui intègrent des rythmes propres au reggae : "Green Revolution1" en 2011, "Dumyeh Plastikieh2" en 2012 (toutes les deux avec le chanteur Haïfaoui Bruno Cruz) et enfin "Oh Ghaza" en 2014 avec Hannah Cinthio3. Ces partenariats se font le plus souvent avec plusieurs artistes, qui tour à tour présentent leur style, leur façon de chanter, leurs paroles, à la caméra. L'objectif de la diffusion de ces partenariats semble être double : celui d'abord de produire un titre avec d'autres artistes Palestiniens Israéliens et celui de les présenter, de les faire accéder à une diffusion plus importante à travers le site officiel du groupe DAM, à travers leur participation. Dans ces partenariats, notamment dans "Dumyeh Plastikieh", le morceau aux sonorités reggae les plus évidentes, apparaissent Bruno Cruz et la chanteuse Daw. Tous deux en 2012 faisaient partie du groupe Ministry of Dub-Key. Ce groupe de Palestiniens Israéliens de reggae et dub a également travaillé avec le groupe arabe Syrien du Golan Toot Ard. Une dynamique reggae arabe semble se renforcer en Israël.

TOOT ARD, REGGAE SYRIEN DU PLATEAU DU GOLAN

Le groupe Toot Ard ("fraise") est originaire du village de Majdal Shams, sur le plateau du Golan en Syrie. C'est un territoire disputé et colonisé illégalement à l'instar des TPO. Il est composé par les frères Hassan et Rami Nakhleh, Shadi Awidat, Amr Mdah et Yezan Abrahim. Le groupe Toot Ard parcourt régulièrement Israël, les TPO et la Jordanie pendant leurs tournées. Leur origine, du Golan, permet une analogie entre leur situation et celle des Palestiniens en exil ou des TPO. La fondation Al-Qattan accepte les demandes de bourses de Syriens du Golan, bien qu'ils ne soient

1 "Green Revolution - Bruno Cruiz, Mahmoud Jrere, Walaa Sbeit, Terez Sliman, Toot Ard ", produit par Bruno Cruz, mis en ligne le 15 février 2011, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] 2 " Ministry Of Dub-Key - Dumyeh Plastikieh" , produit par Bruno Cruz, mis en ligne le 22 octobre 2012, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=8pGNRc8tCYg> 3 Chanteuse arabe basée en Suède. Elle a participé à des partenariats en musique avec des groupes du Moyen Orient, notamment en hip-hop et reggae.

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pas Palestiniens, considérant qu'ils souffrent de l'occupation israélienne 1 . Leur influences musicales sont variées : de Bob Marley à Tupac Shakur en passant par une formation musicale arabe classique (Fairouz, Umm Kulthum, etc.). Le Cool-Jazz de Miles Davis fut également important et aujourd'hui, Tinariwen (musique Saharaoui) et Gnawa Diffusion (groupe français mélangeant musique d'Afrique du Nord, reggae et dub) sont parmi leurs favoris. Ils tiennent à se détacher de leur identité Druze pour empêcher toute amalgame. "Nous ne représentons pas les Druzes et les Druzes ne nous représentent pas" affirment-ils dans la version en ligne du journal israélien Haaretz2. Le même article essaie de définir leur musique, qui serait située entre "la frontière Jamaïcaine et Algérienne". Les membres du groupe Toot Ard sont sensibles à la situation globale sur le territoire d'Israël et des TPO. L'article d'Uri Zer Aviv traite autant de la façon dont ils vivent dans le contexte spécifique d'Israël que de leur musique. La question de la catégorisation par origine ethnique et religieuse est tournée en dérision par un des membres du groupe "Nous avons fait des prises de sang. Elles n'indiquent pas que nous sommes Druzes 3 ". Ils abordent également rapidement la question de la discrimination quand le journaliste (Israélien) leur demande s'il peut venir les voir à Ramallah : "The people there are dying to go to the beach but they can't. You can come and enjoy it along with them, but they'll envy you". Le journaliste demande pourquoi ils ne parlent pas de sujets plus spécifiques que la nature en général. Ils répondent que d'autres sujets seraient trop compliqués pour eux. Ils n'aspirent qu'à la liberté et ajoutent : "We live in the middle of the Middle East and have never visited any Arab country. We're trapped in what is called Israel". Ces sujets "larges" et "peu spécifiques" sont finalement, dans la même phrase, ramenés à la situation géopolitique, de même que le racisme, la discrimination. Ces sujets larges, de simplicité, de retour à la nature, sont plus précisément des sujets qui veulent dépasser la complexité de la situation dans laquelle ils sont nés.

1 HAMSHARI Amina, directrice de l'Institut Culturel Franco-Palestinien (ICFP), courrier électronique du 21 mars 2015. 2 ZER AVIV Uri, "Music that straddles the Jamaica-Algeria 'border', live from the Golan Heights", paru dans Haaretz, 27 septembre 2011, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] 3 Idem.

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Le groupe Toot Ard, bien qu'il ne soit pas Palestinien, s'identifie à la situation générale des arabes et Palestiniens d'Israël comme de Cisjordanie. Sans jouir de la notoriété de DAM, leur message, moins explicite, traite également du contexte, des injustices, des difficultés. La façon dont ils décalent la réalité de la situation appelle à son dépassement par un retour à la simplicité de sentiments humains : rapport à la terre, la paix et l'amour.

"DUB, DUB-KEY, DABKEH"

Le groupe Ministry of Dub-Key est un groupe palestinien de reggae et dub basé à Haïfa. Il est composé de Maysa Daw, Walaa Sbeit, et Bruno Cruz. Leur style est unique par le mélange de musique palestinienne et d'influences reggae-dub. Mis à part ses sessions en Sound System, les deux seules chansons enregistrées par le Ministry of Dub-Key sont celles des partenariats avec des membres du groupe DAM : "Dumyeh Plastikieh" ("Poupée de plastique") et "Thawra El-Khadra" ("La révolution verte"). Cette dernière est un message de soutien au soulèvement tunisien du Printemps Arabe en 2011. Le nom de Ministry of Dub-Key contient plusieurs références faisant partie des référents d'identifications pour les Palestiniens : la sonorité de Dub-Key en fait un homophone de Dabka (ou Dabkeh), qui est à la fois une musique et une danse folklorique arabe. David A. McDonald interroge l'archiviste 'Abd al-Aziz Abu Hadba (Abu Hani) au sujet de cette danse qui littéralement signifie "fouler du pied".

"They have stolen our land, forced us out of our homes, but our culture is something they cannot steal. When we stamp our feet we are saying that no matter how far we have been scattered, Palestine will always remain under our stamping feet1".

"Key", ("clef" en français) est une référence symbolique : les Palestiniens ont emporté les clefs de leur maison lorsqu'ils devaient l'abandonner en 1948, dans l'espoir du retour. "Dub" et "Ministry" font référence simplement à la production musicale et au mode de fonctionnement du groupe2. La musique dub est issue du reggae. Elle rend une pratique musicale plus simple en enregistrant préalablement une bande instrumentale dont les basses sont amplifiées. Un rythme et des instruments

1 DAVID A. McDONALD, Op. Cit. 2 ABUGHAIDA Yazan, "Dub, Dub-Key and Dabkeh: Palestinian Resistance through Reggae Music in Israel", Journal of Georgetown University-Qatar Middle Eastern Studies Student Association, 2015, [En ligne]

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propres au reggae sont ajoutés par-dessus. Ministry of Dub-Key y incorpore des instruments et une rythmique caractéristiques de la culture palestinienne : rythme de Dabka et flûte traditionnelle. La chanson "Dumyeh Plastikieh" mobilise toute la philosophie du groupe Ministry of Dub-Key. Bruno Cruz particulièrement utilise des références de la religion rastafari. D'origines africaines et éminentes en Jamaïque, la religion rastafari et le reggae sont très généralement associés. Ministry of Dub-Key utilisent le reggae et la dub palestiniens comme dans sa tradition afro-jamaïcaine : elle est un appel non- violent pour libérer les opprimés de Babylone, soit le système de contrôle des opprimés, dirigé par les oppresseurs1 . En Jamaïque, l'oppresseur était le colon Britannique ; en Israël l'enjeu est de briser les stéréotypes sur les Arabes et les Palestiniens2. Le groupe compte sur ses performances publiques pour transmettre sa musique et son message qu'elle enregistre très peu et pour financer leur projet. Ils ont été confrontés à la censure en Israël (arrestation et interrogatoire3) et dans les TPO, la représentation étant assurée par une femme, non-voilée, sur une musique encore inconnue et heurtant trop frontalement la tradition4. A l'instar de DAM, en fusionnant la tradition, la culture palestinienne ainsi que des courants musicaux et spirituels extérieurs, Ministry of Dub Key exprime des idées uniques, qui lui sont propres. Elles questionnent aussi bien la situation dont les Palestiniens (et les Arabes, par extension, dans le contexte qui suit le Printemps Arabe) sont victimes, que les situations qui créent des systèmes d'oppression dans les sociétés palestiniennes ou arabes dont la misogynie, le sécularisme. Les référents de la tradition et de la culture sont ainsi réinterprétés. Comme dans d'autres exemples explorés ici, le décalage du point de vue dans l'art est primordial pour permettre une pensée réflexive.

1 ASANTE DARKO Kwaku, "Reggae rethoric and the Pan-African risorgimento", Mots Pluriels n°16, décembre 2000, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] < http://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP16OOkad.html> 2 ABUGHAIDA Yazan, Idem. 3 Idem. 4 Idem.

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L'utilisation du reggae et du hip-hop n'est pas anodine en Palestine. Ces courants musicaux incarnent par eux-mêmes une subversion des minorités à l'égard d'un oppresseur.

3) La subversivité inhérente des rythmes

SOLIDARITE OUTRE-ATLANTIQUE ET CULTURE HIP-HOP

Il est étonnant qu'un projet américano-palestinien autour de la question de la discrimination raciale et de la répression n'ait pas encore vu le jour. Des liens de plus en plus récurrents se créent, notamment entre Gaza et les manifestations et les émeutes de Ferguson (après qu'un noir américain, Michael Brown, a été abattu par la police en août 20141) puis celles de Baltimore (dans des conditions similaires en avril 20152). Des photos montrent des manifestants noirs porter l'écharpe palestinienne ou des tee-shirts "Palestine". La dernière attaque sur Gaza coïncidait avec les événements de Ferguson en 2014 et des messages de soutien étaient échangés entre les deux communautés. Des conseils des Gazaouis aux manifestants de Ferguson pour résister au gaz lacrymogène étonnent la presse internationale3. En 2008, des manifestations en Cisjordanie ont lieu pendant une visite diplomatique des Etats-Unis. Les manifestants palestiniens portent des masques de Martin Luther King et arborent des banderoles

1 DROUET Camille, "Meurtre de Michael Brown : tout comprendre à l'affaire qui secoue les Etats- Unis", Le Monde, paru le 14 août 2014, consulté le 8 mai 2015, [En ligne] 2 "Nuit d'émeutes à Baltimore, aux Etats-Unis", Le Monde, mis en ligne le 27 avril 2015, consulté le 8 mai 2015, [En ligne] 3 "Palestinians share tear gas advice with Ferguson protesters", Al Jazeera, 14 août 2014, consulté le 6 mai 2015, [En ligne]

MOLLOY Mark, "Palestinians tweet teargas advice to protesters in Ferguson", The Telegraph, 15 août 2014, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ALFRED Charlotte, "Protesters says Ferguson feels like Gaza, Palestinians tweet back advice", The Huffington Post, 14 août 2014, consulté le 6 mai 2015, [En ligne]

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renvoyant au Civil Rights Movement des années 60 aux Etats-Unis, comme la célèbre phrase "I have a dream1". "Gharib fi bladi", "Etranger dans mon pays" est un titre du groupe palestinien de hip-hop DAM, tiré de l'album Dedication (Ihda')2 . Il est emblématique de l'engagement du groupe contre les discriminations dont ils sont eux-mêmes victimes. Comme il a été expliqué, la culture hip-hop est une culture qui s'enracine dans l'expression des noirs américains des inégalités et des ségrégations qu'ils subissent dans les années 90 aux Etats-Unis. Invoquer la culture hip-hop revient à invoquer une référence internationalement reconnue comme celle d'une expression subversive d'une population victime d'une injustice.

LE REGGAE ET LA LUTTE UNIVERSELLE CONTRE BABYLONE

Le reggae est très étroitement lié au concept de résistance. La musique reggae était un outil pour exprimer la lutte historique des peuples descendants des Africains disséminés sur les continents américains. Elle a été popularisée en Jamaïque en tant qu'elle était une réaction au régime colonial Britannique3. Bruno Cruz utilise dans sa musique des références à la religion Rastafari pour décrire l'oppression des Palestiniens. Il fait appel au concept de Babylone, propre au Rastafari et au reggae, comme système d'oppression organisé, pouvant définir toute oppression à travers le monde. Ainsi, les Palestiniens peuvent s'identifier aux Jamaïcains. Lors d'une interview, Bruno Cruz déclare : “We all want to live our lives freely, to make music in our own way without being bound by rules and regulations. At the end of the day, music is revolutionary4.”

1 DAWBER Alistair, "'Come here Obama, and visit the museum of apartheid' : pro-Palestinian clash with army in West Bank as US president arrives in ", The Independant, 20 mars 2013, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] 2 DAM, Ihda' Dedication, novembre 2006, Red Circle Music, 3 ASANTE DARKO Kwaku, Op. Cit. 4 ABUGHAIDA Yazan, Op. Cit.

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D) « ET LA TERRE COMME LA LANGUE », DARWICH, L'IDENTITE, L'EXIL

Mahmoud Darwich, poète en exil pendant la majeure partie de sa vie, est le poète qui incarne la voix de son peuple. Toute son œuvre évolue de façon à poser des questions fondamentales pour l'ensemble de la nation Palestinienne : la palestinité et l'arabité, la langue comme fondement d'une définition positive par les individus, l'altérité comme nécessaire au processus d'identification individuel. Il s'est rarement engagé directement et explicitement dans ses poèmes, revendiquant dans son œuvre un message poétique d'ordre universel.

1) "Sajjil! Ana 'Arabi - Inscris! Je suis Arabe", La langue, racine de la palestinité

LA LANGUE, PREMIERE MARQUE D'IDENTITE

Mahmoud Darwich a toujours écrit des poèmes en arabe. Il a appris l'hébreu dès l'école et a vécu en Israël. Il connaissait bien d'autres langues comme le français et l'anglais. Il pensait que la poésie pouvait être traduite et conserver son sens1. La langue arabe, langue d'écriture du poète, est utilisée et revendiquée comme faisant partie du sens. Dans ses premiers poèmes, il distinguait moins "la vie" du "politique2" et la langue pouvait être perçue comme chargée politiquement lorsque les lecteurs de Darwich s'appropriaient se les appropriaient. La langue arabe des poèmes de Darwich, si elle peut atteindre une portée plus large, est surtout liée à sa propre identité. La poésie de Darwich est à lire en faisant presque abstraction du contexte : elle est à lire à travers l'individu, l'intimité seule du poète. D'après Darwich, la poésie n'est pas une voie collective, elle ne peut pas l'être3. La langue, partie du sens du poème et liée à l'identité de Darwich en tant qu'homme, est un angle par lequel peut être observé le lien entre culture, identité et expression. Philosophiquement, le langage permet à la conscience d'accéder à elle-même. D'après les termes de Merleau-Ponty, "Le cogito tacite n'est cogito que lorsqu'il s'est

1 La Palestine comme Métaphore, Entretiens avec Mahmoud Darwich, Babel, 2002, 192p. 2 Idem. 3 Idem.

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exprimé à lui-même1". Le langage, en tant que moyen de nommer et désigner un objet, permet à la conscience de s'éveiller, tant sur elle-même que sur l'extérieur. Dans une poésie des sens comme celle de Mahmoud Darwich, sa langue lui permet de se penser, et la langue arabe, de se penser arabe. Etant né en 1941, il a des souvenirs de 1948, de son premier exil au Liban, de son retour dans son village natal de Birwa et de la vie clandestine qui s'ensuit en Israël, puis de l'exil. La langue arabe de Darwich est déjà, porteuse de sa conscience et de sa définition de lui-même en tant qu'Arabe. Ceci est important justement dans le contexte de sa relation avec les Israéliens.

"Le langage (le fait d’exprimer et de communiquer) n’acquiert pour l’homme son effectivité que comme langue particulière (à savoir comme fait de s’exprimer et de communiquer dans un idiome défini) ; or toute langue est le produit d’une culture, dans sa spécificité irréductible aux autres cultures2".

La langue arabe résonne dans les poèmes de Darwich comme cette spécificité irréductible qui appartient à la culture palestinienne. Elle s'oppose, indirectement, à toute autre langue, notamment l'hébreu, et définit positivement son identité. Mahmoud Darwich est indissociable dans les mémoires collectives, particulièrement des personnes de culture arabe, de son poème : "Carte d'Identité", en 1964. Le titre de ce poème est souvent confondu et il est alors désigné par "Inscris! Je suis Arabe". Chaque strophe de ce poème commence ainsi :

"Inscris Je suis Arabe3"

Il intègre également une strophe qui décrit les traits physiques caractéristiques de l'archétype arabe :

"Inscris Je suis Arabe Mes cheveux… couleur du charbon Mes yeux… couleur du café Signe particuliers Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré4"

1 MENISSIER Thierry, Op. Cit. 2 MENISSIER Thierry, Idem. 3 DARWICH Mahmoud, Poèmes Palestiniens, Chronique de la Tristesse Ordinaire, Ed. du Cerf, 1989, 208p. 4 Idem.

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Pour ces raisons, le poème a pu être érigé en manifeste de l'arabité. Il intègre également des strophes qui placent l'arabe en victime, mais en victime indomptable.

"Mon adresse : Je suis d'un village perdu, sans défense Et tous les hommes sont au champs et à la carrière… […] Tu m'as spolié des vignes de mes ancêtres Et de la terre que je cultivais1"

Et ainsi se conclut le poème :

"Inscris En tête du premier feuillet Que je n'ai pas de haine pour les hommes Que je n'assaille personne Mais que si j'ai faim Je mange la chair de mon usurpateur Gare! Gare! Gare A ma fureur2"

Ecrit dans le contexte où Mahmoud Darwich, vivant en Israël, avait une carte nationale d'identité qui comportait la mention : "Arabe", il retourne dans ce poème l'identité d'"Arabe" qui lui est imposée et dans laquelle la carte d'identité l'enferme. Il la retourne au sens où il la fait sienne. Par un acte de poésie, donc de parole, il détruit l'identité imposée et se définit lui-même, positivement, arabe. Ce poème, comme beaucoup d'autres, a enfermé son œuvre dans une acception politique, la confinant dans une expression politique et non se suffisant à elle-même en tant qu'expression artistique. Cette connivence langue-identité est plus évidente dans le poème "Une Rime pour les Mu 'allaqât":

"Qui suis-je ? C’est la question que les autres me posent Et elle est sans réponse Moi ? Je suis ma langue. Et je suis Ce que les mots ont dit Sois notre corps, et je fus un corps pour leur timbre".

"Je suis ce que les mots ont dit" reflète la définition de l'identité par le fait de la dire, de l'écrire, de la faire passer par la langue.

1 Idem. 2 DARWICH Mahmoud, Poèmes Palestiniens, Op. Cit.

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EXISTER : OCCUPER LA TERRE PAR LA CULTURE ET PAR L'ESPRIT

La poésie de Mahmoud Darwich est un véritable souffle qui a beaucoup contribué à faire exister culturellement la Palestine. Il en était conscient et s'exprime ainsi dans Et la Terre, Comme la Langue1 :

"Je ne sais pas pourquoi je suis autant lu. Mais je constate que des générations de Palestiniens font connaissance avec leur terre et leur maison en intériorisant le paysage de mes poèmes. Mes poèmes ne distribuent pas qu’images et métaphores mais des paysages, des villages, des champs. En un mot, un lieu…2"

Darwich relève ici la fonction onomastique qui a pu être celle de toute forme d'expression culturelle palestinienne, notamment des années 60-70. Le fait de nommer des lieux, des repères géographiques et de décrire des paysages comme des fleuves ou des villages permettait de transmettre une image de la Palestine ancrée dans une réalité et pas seulement fantasmée3.

"Ils donnent ainsi à celui qui est absent de la géographie mais obsédé par elle, le pouvoir d’élire demeure dans le poème comme s’il résidait sur la terre. Le poète ne peut exiger bonheur plus grand que de voir les gens user de ses vers comme de véritables demeures. A ce propos, la langue arabe recèle une belle et rare homonymie entre le vers poétique et la maison. L’un et l’autre se disent « bayt » comme si l’être humain pouvait habiter cette maison4".

Comme il a été expliqué, l'invocation de culture et de références symboliques partagées comme l'olivier, la terre, etc., ont permis de construire une résistance au mythe sioniste de la "terre sans peuple". Darwich est lui-même conscient que son œuvre a fait partie de ce qui a permis aux Palestiniens d'exister et d'affirmer leur présence et la mémoire de leur présence. La résistance au projet sioniste s'est faite dans la transmission des mythes qui ont déjà été abordés ici et aussi dans la transmission d'une culture, d'une expression artistique qui crée des repères, des marques dans le temps et l'espace à l'instar de la Dabkeh telle qu'elle a été décrite dans son sens profond par Abu Hani5. "J’ai alors écrit : Celui qui écrit son histoire hérite la terre des mots, et possède Le Sens. Entièrement !6". L'espace où se déploie la

1 BITTON Simone et SANBAR Elias, Op. Cit. 2 Idem. 3 MASSAD Joseph, Op. Cit. 4 BITTON Simone et SANBAR Elias, Op. Cit. 5 Mc DONALD DAVID A. Op. Cit. 6 BITTON Simone et SANBAR Elias, Op. Cit.

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culture, l'art et le langage est métaphysique. Il n'est pas contradictoire de considérer cependant qu'il est un espace avec une profondeur et qu'il n'est pas dissociable de l'espace physique. Pour Darwich, l'expression se déploie dans "la terre des mots", et sa conquête passe par une inscription temporelle et culturelle de sa propre l'identité. Laisser l'extérieur écrire son "histoire", c'est perdre le contrôle de cet espace et perdre le contrôle du "Sens" que l'on donne à sa propre identité.

"Et l’on peut comprendre alors comment la langue arabe put constituer le seul refuge de cette identité perdue. […]. La poésie était devenue maison, refuge, et la langue, un nom après que Palestinien fût devenu le seul Arabe dans la langue israélienne dominante. C’est ce qui explique comment le premier vers de « Pièce d’Identité » tiré du recueil Feuilles D’Olivier (1964), Inscris ! Je suis Arabe ! devint le cri de ralliement d’une poésie en cours de formation1."

Mahmoud Darwich est un pilier de la culture palestinienne. Par ses poèmes, issus de sa vie, de la Palestine et de son exil, Mahmoud Darwich donne à la langue arabe la capacité d'abriter l'identité fragilisée et niée des Palestiniens, et à ces derniers, le pouvoir de déployer et de faire exister une culture dans un lieu où la raison du plus fort n'accède pas.

2) "L'épopée poétique palestinienne"

ENGAGEMENTS ET APPREHENSIONS DE LA REALITE PAR LA POESIE

La poésie de Darwich est métaphorique. Il est très rare que le sujet du poème soit évident. "Passant parmi des paroles passagères" a été écrit par Darwich après qu'il ait vu à la télévision la façon dont des soldats brisaient les bras de Palestiniens à coup de pierres. "J'ai écrit ce poème comme si je mettais une pierre dans la main d'un enfant. Je me foutais de sa valeur artistique. Mais je ne l'ai inclus dans aucun de mes livres2". Ces poèmes très rares dans l'œuvre de Darwich sont la manifestation d'une émotion débordante, d'une transgression de ses propres règles. "Le poème politique ne veut rien dire pour moi. Ce n'est qu'une harangue […]3". "Avant je croyais que la

1 KHOURY Elias, « Mahmoud Darwich : Rita et la poétique du couple », dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°81 (nouvelle série), automne 2001, p.58-69. 2 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 3 Entretiens sur la Poésie, entretiens avec Mahmoud Darwich, avec Abdo Wazen et Abbas Beydoun, Actes Sud, 2006, 128p.

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poésie participait de la lutte, aujourd'hui je ne pense pas qu'elle ait une fonction immédiate1". Deux poèmes de Darwich font référence à des faits aisément identifiables "Muhammad2" et "Si nous le voulons3". Ils pourraient être ce qu'il nomme une "harangue" et non des poèmes. Il les a pourtant écrit avec une structure poétique. "Muhammad" est dédié à la mort du jeune Mohammad al-Durah, tué dans la bande de Gaza alors que son père essayait de le protéger. Il est le symbole de l'enfant martyr innocent de la deuxième intifada. La scène, filmée pendant de longues minutes, montre le jeune garçon et son père pris sous le feu, ne pouvant quitter leur abri pour un endroit sûr.

" Muhammad se niche dans l’étreinte de son père : protège-moi De l’envol, père, mon aile est encore Petite pour le vent… et la lumière est noire […] Muhammad Fait face à une armée, sans pierre ou éclats De planètes et il n’a pas remarqué le mur pour y écrire : « Ma liberté ne mourra pas ». Il n’a pas encore de liberté Pour la défendre, pas d’horizon pour la colombe De Picasso et il n’a pas fini De naître dans un nom qui lui fait porter la malédiction du nom… Combien Encore, naîtra-t-il de lui-même, enfant Privé d’un pays… d’un rendez-vous avec l’enfance ? […]

1 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 2 DARWICH Mahmoud, Le Lanceur de Dés et Autres Poèmes, Actes Sud, 2010, 96p. 3 DARWICH Mahmoud, "Mahmoud Darwich, Les derniers poèmes", La Pensée de Midi, 2008/4 N° 26, p. 237-242.

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Une heure déjà Que la caméra capte chacun des mouvements du garçon Qui s’assemble dans son ombre. Son visage, telle l’aube, est net. Son cœur, telle une pomme, est net. Ses dix doigts, telles des bougies, sont nets Et la rosée, sur son pantalon, est nette… Son chasseur aurait pu s’accorder un instant de réflexion, Se dire : je l’épargnerai en attendant qu’il apprenne A épeler correctement sa Palestine… Je l’épargnerai maintenant, en gage de ma conscience, Et l’abattrai, plus tard, quand il se révoltera !

Muhammad, Petit Jésus endormi et rêvant à l’intérieur D’une icône Faite de cuivre, D’un rameau de l’olivier Et de l’âme d’une peuple renaissant

Muhammad Sang superflu pour la quête des prophètes, Monte donc au Jujubier céleste Ô Muhammad"

Le style de Darwich est reconnaissable par son rythme, par ses références propres à une période tardive de son œuvre (les prophètes, par exemple). Cependant, une référence aussi directe à la réalité, une portée politique, aussi peu métaphorique et directe, est rare chez ce poète. Avec "Si nous le voulons", ces poèmes sont parmi les rares exemples où Mahmoud Darwich fait de sa poésie une tribune pour s'exprimer directement sur un événement. "Si nous le voulons" est un poème qui ressemble à un souhait pour l'avenir auquel son auteur ne pourra participer : il est écrit peu avant sa mort en 2008. Il résonne à la fois comme une mise en garde et comme une série de conseils bienveillants. Il laisse assez peu de place à l'interprétation ; les métaphores de Darwich dans cet exemple sont presque absentes.

"Nous serons un peuple lorsque la police des mœurs protégera la prostituée et la femme adultère contre les bastonnades dans les rues.

Nous serons un peuple lorsque le Palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades, dans les concours de beauté et lors des commémorations de la Nakba. Seulement".

L'auteur semble exprimer ses souhaits les plus importants, les plus indicibles. Il ne pouvait confronter aussi directement ses souhaits "politiques" à son public et cela n'était pas son objectif, lui qui voulait que son œuvre ne soit jugée qu'à l'aune de sa portée poétique. Il sait qu'il va bientôt mourir et qu'il n'aura pas le temps

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d'être jugé par son public. Sa mort a fait l'objet de funérailles nationales et les images accessibles des cérémonies montrent une foule en pleurs, comme s'il avait été un membre de la famille de tous les Palestiniens1. Il met ici sous forme poétique tout ce qu'il aurait voulu adresser au peuple si sa poésie n'avait pas été celle qu'elle a été. Un tel discours de sa part, quelque années avant, l'aurait replongé dans l'image que "Carte d'identité" a imprimé sur son œuvre en 1964. Il est manifeste que lorsqu'il prétendait qu'il aurait voulu que plus jeune, il puisse mieux dissocier la politique et la vie, il sous-entendait par là qu'il le faisait au moment où il prononce ces mots, ce qui n'était pas tout à fait exact2 (1996). Mahmoud Darwich a fait partie du comité exécutif de l'Organisation de Libération de la Palestine. Il le quitte en 1993 et justifie sa démission dans un discours.

"Pour ma part je me plaignais sans cesse du primat tyrannique de l'action politique sur l'activité créatrice dans la conscience du commandement qui classait tout dans le même registre…3"

La sphère politique manquait manifestement de profondeur créatrice, de recul, d'une pensée sur la dimension métaphysique du rôle de l'OLP. Si ces exemples de poèmes sont particuliers c'est que Mahmoud Darwich présente des poèmes beaucoup plus complexes, plus métaphoriques, dont le langage et les références se répondent. Mahmoud Darwich a posé dans l'ensemble de sa poésie des thèmes fondamentaux qui sont des questions qu'ils se pose à lui-même et qui sont liées à la façon dont sa vie s'est déroulée. Dans sa poésie et dans les nombreux entretiens qu'il a accordé, Mahmoud Darwich répond à cette interrogation :

"D'un exil à un autre?

[…] Je ne peux pas dire que je vais d'un exil à un autre, car je suis exilé d'une manière ambiguë. Aujourd'hui l'exil est psychique, un exil intérieur4"

1 "The Funeral of Mahmoud Darwich", extrait d'une diffusion de la chaîne de télévision Ash-shams, mis en ligne le 17 août 2008, consulté le 8 mai 2015, [En ligne] 2 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 3 "L'OLP a cessé d'être", Op. Cit. 4 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit.

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EXIL, ALTERITE, IDENTITE

"On peut penser la situation migratoire comme une sorte de « précipité » de l’identité, c’est-à-dire comme une situation où s’aiguise cette question et comme une situation privilégiée pour penser l’identité d’un point de vue conceptuel1".

L'exil peut être pensé comme "La maladie de l'homme déplacé2". Dans une étude clinique auprès de demandeurs d'asile à Marseille, François Desplechin observe le rapport que les exilés ont avec leur identité. Il est manifeste que la poésie de Darwich, depuis l'exil, physique ou psychique, travaille la question de l'identité à travers l'altérité. En comparant certains passages de l'étude de François Desplechin, il ressort que la poésie de Darwich est un questionnement propre à l'exil, et, logiquement, à la Palestine. L'exil psychique qui peut être difficile à comprendre de prime abord chez Darwich est explicité par des recherches en psychologie :

"F. Benslama écrit que « l’exil est la condition universelle reconnue depuis la nuit des temps comme étant celle de l’être psychique même ». Il rappelle aussi que « l’exil ontologique est la situation de tout existant parlant, (au point que) les philosophes arabes ont surnommé la psyché “exil3” ".

Cette citation, notamment la référence au terme arabe de la psyché, est très utile pour comprendre la démarche de Darwich sur l'identité. Dans ses poèmes, l'identité se déploie dans la dualité, dans le miroir de l'Autre. L'altérité, c'est-à-dire la présence et le regard d'un autre humain, mais aussi l'altérité de soi à soi, la capacité réflexive intérieure, est ce qui permet la formation de l'identité. Darwich interprète ceci comme l'exil en lui-même4. L'identité se forme par rapport à un objet et dans l'espace discursif qui se crée entre les deux. Le personnage de Rita chez Darwich est mystérieux. Il est aussi très rare dans la poésie de Darwich d'avoir un personnage qui soit récurrent, tel que Rita, et qui porte les mêmes attributs. La question est posée lors des entretiens que Darwich accorde5 et étudiée dans un article d'Elias Khoury, qui saisit en Rita la dimension de la dualité et de l'altérité : "Rita et la poétique du couple6". Le plus célèbre des poèmes

1 DESPLECHIN François, Op. Cit. 2 Idem. 3 Idem. 4 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 5 Idem. 6 KHOURY Elias, Op. Cit.

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qui mentionnent Rita est "Rita et le fusil1", repris en musique par l'artiste libanais Marcel Khalife. Rita a réellement existé et fut l'amante juive de Mahmoud Darwich en Israël pendant sa jeunesse. La guerre entre leur deux peuples les a séparés. Dans ses poèmes, Rita est le "miroir des contradictions entre soi et l'Autre2". M.J. Sauret3, cité dans l'étude de Desplechin, décrit le lien entre l'altérité et l'identité : "L’autre, l’étranger, me renvoie le négatif de ma propre identité ; je ne sais pas qui je suis sauf que je ne suis pas comme lui". Ainsi chacun nécessite la présence d'un Autre pour se définir. "La femme-miroir fait face à l’homme-miroir et ils forment à eux deux une image infinie faite de leurs reflets répercutés à l’infini4". Dans "Rita et le fusil", cela se traduit ainsi :

"Entre toi et moi est un million d'oiseaux et d'images, Et des rendez-vous à foison, mais un fusil […] Deux années je me perdis en Rita Qui deux années sommeilla au creux de mon bras Nous faisions serment sur la coupe la plus jolie Et nous nous consumions au vin de nos lèvres Pour naître deux fois!5"

Desplechin cite ensuite P. Laburthe-Tolra6 et son mot d'"anthropopoiesis", illustrant le fait que l'identité est un "processus de "fabrication de l'homme par l'homme pris dans la relation sociale". Darwich l'exprime ainsi :

"Je ne peux me définir que dans le rapport dialectique entre moi et l'Autre. Si je suis seul, sans l'Autre, que puis-je comprendre? Je ne serais plein que de moi-même, de toute ma vérité, sans dualisme7".

Elias Khoury rappelle que Rita apparaît chez Darwich avant "que le duel ne se précise comme approche poétique déterminante de l’identité". Il ajoute que Darwich, peu de temps après la première apparition de Rita, commence à employer dans son œuvre la forme du "noun". En grammaire arabe, l'utilisation du noun (lettre de l'alphabet) correspond à la forme duelle. Elle n'existe pas en français et s'emploie dans

1 "Rita et le fusil" in DARWICH Mahmoud, Poèmes Palestiniens, Chronique de la Tristesse Ordinaire, Ed. du Cerf, 1989, 208p. 2 KHOURY Elias, Op. Cit.. 3 Psychanalyste et professeur de psychopathologie Clinique. 4 Idem. 5 "Rita et le fusil", Op. Cit. 6 Anthropologue africaniste. 7 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit.

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un contexte où l'objet complément du verbe est une paire. Par l'introduction de cette forme duelle, écho de la poésie antéislamique, Mahmoud Darwich introduit le dialogue et la dualité dans l'identification. La psychanalyse et l'anthropologie mobilisées par Desplechin définissent aussi cet exil que Darwich ressent en lui-même. Cet exil en lui-même est d'ailleurs ce qui lui permet d'écrire, ce qui lui permet d'entretenir une dualité créatrice1, définissant perpétuellement son identité.

"Ainsi, peut-être, peut-on penser que pour la psychanalyse, « savoir qui est-on » ne se soutiendrait pas d’un rapport de connaissance, mais plutôt d’un rapport dialectique lié au maintien du dialogue avec l’autre-de-nous-même2".

La poésie de Darwich l'exprime autrement : "Rita est un miroir qui brise son poète en deux et le pousse à trouver sa voix entre l’être et son ombre, entre le récit et la façon de le dire3". Rita, en partant ainsi (le "fusil" et la guerre les séparant), laisse Mahmoud Darwich face à sa propre altérité. L'homme-miroir devient deux miroirs. L'identité du poète se définissant dans l'espace entre les deux bouts de miroirs qui sont en lui, entre "l'être et son ombre", entre lui et "l'autre-de-[lui]-même". Mahmoud Darwich considère la terre de Palestine comme objet permettant la dualité et la réflexivité propices à la création poétique. Il veut l'embrasser dans toutes ses cultures, autant Arabe et Hébraïque que Cananéenne4. Il n'exclut pas l'Israélien comme étant un Autre et affirme ne pas nourrir un stéréotype, lui-même en ayant rencontré beaucoup et reconnaissant les différences existantes entre eux5. Lors d'un entretient avec la poétesse Israélienne Helit Yeshurun, il réaffirme cependant la profonde arabité de son identité :

"Si je m'absente de ce moment historique précis, je me retrouve au Maroc ou au Yémen. Sachez donc que l'Israélien, celui d'hier ou le nouveau, n'a pas la puissance de me faire sortir de moi-même. Car j'ai une carte d'identité immense qui va de l'océan Atlantique jusqu'au Yémen6".

1 Idem. 2 DESPLECHIN François, Op. Cit. 3 KHOURY Elias Op. Cit. 4 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 5 Idem. 6 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit.

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Si Mahmoud Darwich parle de lui-même dans ses poèmes, c'est que la poésie, comme il le disait, ne peut utiliser le "nous" pour exprimer quelque chose : ce qu'il écrit est universalisable. La tragédie qui le sépare de Rita, vue à travers ses yeux, est aussi celle de son peuple. La question de l'altérité, de l'identité et de l'identification est aussi celle de son peuple.

"Le miroir de Rita nous dévoile une histoire scindée sur elle-même, celle d’un peuple, celle d’une tragédie collective dite dans la langue du singulier/duel. […] Ces hypothèses ne doivent pas nous masquer la voix collective que Darwich personnifie et qui a fait de sa poésie l’archive de la cause palestinienne, mais je pense néanmoins que c’est précisément cette déchirure intime, cet art de la pluralité d’une même voix, qui a permis à Darwich d’être l’auteur de l’épopée poétique de son peuple1".

3) "La Palestine comme Métaphore", reflet de l'épopée humaine

ECHANGE MUTUEL DE SENS ENTRE LA TERRE ET LE POEME

Mahmoud Darwich semble avoir suivi deux dynamiques en ce qui concerne la Palestine. Une première période correspond au moment où la Palestine nourrissait ses poèmes, remplissant de sens ses écrits. La seconde période correspond à un mouvement inverse, où la dynamique des poèmes va vers la Palestine, plutôt que d'être le réceptacle de son image. Le poème "Sur cette terre2" fait partie du corpus poétique des débuts de Mahmoud Darwich (1965-1980). Ce poème, de la terre de Palestine, crée une Palestine métaphorique, chargée des parfums de tout ce qui s'y passe.

"Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’incertitude d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle, les prémices de l’amour, l’herbe sur les pierres, les mères se tenant debout sur un filet de flûte, et la peur que les souvenirs inspirent aux conquérants.

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : la fin de septembre, une dame qui entre, de toute sa sève, dans la quarantaine, l’heure du soleil en prison, un nuage imitant une foule d’êtres, les acclamations d’un peuple accompagnant ceux qui montent vers la mort avec le sourire, et la peur que les chansons inspirent aux tyrans.

1 KHOURY Elias, Op. Cit. 2 DARWICH Marhmoud, Poèmes Palestiniens, Op. Cit.

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Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : sur cette terre, il y a la maîtresse de la terre, mère des commencements, mère des aboutissements. Elle s’appelait Palestine. Puis on l’appela Palestine. Dame, je mérite, parce que tu es ma Dame, je mérite la vie1".

Elle est plus qu'un territoire perdu, elle est un territoire rêvé, elle accède par les poèmes de Darwich, notamment celui-ci, à un espace du rêve, du fantasme, "du ciel" d'après Darwich. Elle est décrite comme corps fertile, abondant de symboles, source de signifiants.

"Il est vrai que le poète a fait partie de ce courant littéraire arabe qui, à une certaine période, rapprocha les concepts de la femme et de la terre, transformant la femme en métaphore de la Palestine et le corps de la femme (mère ou amante) en métaphore de la Patrie2".

Ainsi la Palestine symbolique de Darwich enfante littéralement des Palestiniens, s'identifiant comme tels car se considérant comme descendants, s'identifiant aux symboles de la Palestine rêvé : "La terre est ma première mère3". Comme il a été dit plus haut, Darwich raconte cette Palestine symbolique, et, ce faisant, il consolide la référence la plus éminente de l'identification de tous les Palestiniens, celle de la terre. Cette consolidation est permise car elle est ancrée dans un espace métaphysique, cultivé par les expériences collectives du peuple Palestinien. Ainsi, plus les Palestiniens cultivent cet espace en entretenant la vivacité de leur histoire et de leur culture, plus cet espace est inamovible, présent et solide.

"Si l’histoire individuelle s’écrit dans la culture, ce n’est pas l’histoire de la culture qui intéresse le psychologue, mais le lien que le sujet entretient avec cette histoire4".

L'œuvre de Mahmoud Darwich connaît un tournant. Sans que ce tournant soit violent ou radical, le rapport à la terre de Palestine change. Les études sur Mahmoud Darwich conviennent que ce changement s'opère dans le recueil Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude? (1996). La dynamique des poèmes de ce recueil va le mener vers la Palestine. Mahmoud Darwich habite alors de nouveau en Palestine, à Ramallah. Il est cependant toujours contraint de demeurer dans les TPO, comme ses concitoyens.

1 DARWICH Marhmoud, Poèmes Palestiniens, Op. Cit. 2 KHOURY Elias, Op Cit. 3 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 4 DESPLECHIN François Op. Cit.

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"Avant ce recueil, la poésie venue de Palestine, chargée des traits du lieu disparu, apportant à la poésie arabe mémoire et légende et la faisait ainsi accéder à l’espace de la poésie/prise de conscience. […] Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? Proposera l’itinéraire inverse et plutôt que de nous offrir la poésie trempée de la rosée du lieu, nous fera chevaucher un cheval qui nous porte vers ce lieu. Les mots ne nous amenaient plus les parfums d’une terre mais nous la faisaient découvrir1".

Le rapport à la terre de Palestine, dans les poèmes de Mahmoud Darwich, est de l'ordre d'une dynamique. Darwich considère son exil comme ce qui permet une distanciation, et cette distanciation comme la condition nécessaire à créer un espace propice à la poésie. Ses poèmes sont d'abord une façon de recevoir ce que la terre offre, depuis sa dimension fantasmée, à ceux qui on du quitter son sein. Ils deviennent ensuite une exploration de la Palestine. Mahmoud Darwich a déclaré, à propos de son retour en Palestine : "Je ne reviens pas, je viens2". Aucun endroit n'est retrouvé comme il a été laissé. Ainsi Darwich sait que pour la plus grande partie de sa vie, il n'a pas fait l'expérience de la Palestine comme s'il y avait vécu.

PORTEE UNIVERSELLE DU POEME

"Le message, pourtant, fondamental est celui du poète, et c'est une perception impitoyable de la condition humaine, à la fois destin de mort, espoir de résurrection dans et par la mort, attente énorme et pourtant sans issue prévisible, désespoir foncier donc, avec une expérience croissante d'incommunicabilité, exprimée par le final de son Introduction au recueil sur la "condition d'attente", au sens où l'on parle de la "condition ouvrière", ou de la "condition humaine", tout simplement3".

Le poète souffrait de ce que sa poésie avait été enfermée dans une acception militante, politique. Depuis "Carte d'identité" puis par quelques exemples disséminés, les lecteurs et critiques ont souvent confondu l'œuvre de Darwich avec ses préoccupations politiques. Il raconte par exemple l'anecdote d'un universitaire syrien qui donna une série de conférences à la Sorbonne sur la poésie contemporaine arabe. Darwich avoue que c'est la blessure la plus puissante jamais infligée à sa poésie. L'universitaire syrien n'a cité Mahmoud Darwich qu'en rapport avec la cause palestinienne et non avec la poésie arabe contemporaine. En lisant la poésie de

1 KHOURY Elias, Op. Cit. 2 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 3 Tiré de l'introduction d'O. Carré pour Poèmes Palestiniens, Chronique de la Tristesse Ordinaire, Op. Cit.

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Darwich à travers le prisme de la cause palestinienne, la plus grande partie de la richesse de ses poèmes s'évanouit. Pour Darwich, même l'évocation de la Palestine est déjà de l'ordre de l'universel. Son symbole est bien trop important, bien trop idéalisé, pour qu'il soit exclusif.

"Le thème de la Palestine est la terre, la mer et l'Histoire. Mais la terre n'est pas toujours celle de la mère patrie, elle devient l'immensité sans frontières, la tourbe, l'argile qui façonne l'homme, le sel et l'huile, le vin et l'eau, loin des identités définies […]. Tout comme ses personnages qui sont à la fois tous et un, la mère, la femme et l'amante. L'univers darwichien est un halo de sanctification et d'adoration dans lequel se fondent les différences entre l'Homme et la terre1".

La dialectique entre Mahmoud Darwich et la Palestine semble se faire à plusieurs échelles. D'abord l'échelle de l'individu qui fait siens les symboles de la Palestine idyllique, l'échelle du poète qui entretien un lien symbolique pour tout un peuple et qui porte sa voix, puis enfin une dialectique qui transcende ces échelles, celle d'une personne qui renferme toutes ces facettes, poète, homme, voix d'un peuple, pour transmettre un message à vocation universelle. "J'aspire à enraciner ma vérité dans l'humain et l'universel et non dans une quelconque interprétation ponctuelle et limitée2".

Tous les territoires habités par des Palestiniens développent des particularismes qui sont exprimés dans les œuvres. L'art parle d'humanité à Gaza, d'espace dans les TPO, de discrimination en Israël, de nostalgie, de patrie et d'identité en exil. Si les œuvres et les sujets exprimés dans chaque territoire ne peuvent être présentés de façon exhaustive ici, ceux qui le sont reflètent à la fois ces particularismes et, manifestement, un désir d'universalité. Les œuvres palestiniennes ont une portée qui s'inscrit dans plusieurs échelles : locale, nationale, universelle. La production artistique peut apparaître comme un luxe, un superflu devant l'urgence d'autres préoccupations dans des contextes brutaux et difficiles. Il est cependant important de ne pas négliger son importance, voire même sa nécessité dans ces contextes où la population palestinienne a tendance justement à s'enfermer dans l'urgence du monde physique, se laissant déterminer par des événements qu'elle subit.

1 DARWICH Mahmoud, Poèmes Palestiniens, Op. Cit. 2 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit.

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Troisième partie : le fruit de la recherche esthétique, la nation palestinienne

A) LA PALESTINE, EN SORTIR ET Y RESTER

1) La nécessité de s'extraire du contexte

S'EMANCIPER POUR UNE DEMARCHE UNIQUEMENT ARTISTIQUE

Malgré la forte production culturelle palestinienne, les territoires et l'image de la Palestine ne sont pas nécessairement propice à une expression libre, ni à une expression libérée de l'étiquette "Palestine", de son contexte religieux, social, du conflit, du Moyen-Orient, de l'image de victime, etc. L'exemple du discours hégémonique et de la résistance est donné par Sylvia Alajaji dans Palestinian Music and Song :

"The hegemonic narratives serves, in a sense, as a limitating, factor : it produces a mode of resistance that in turn produces the discourse against which alternate expressions of the (Palestinian) Self exist - the resistance, then, becoming its own limitating factor1".

La vie culturelle et la création artistique peuvent être considérées comme une forme de résistance. Cependant, enfermer la vie culturelle en général dans une finalité subversive produit un effet d'exclusion et empêche le renouvellement. Cet acception de la vie culturelle la fige et amène à vouloir la conserver comme telle, de peur d'altérer son pouvoir de subversion. Mahmoud Darwich, lorsque son œuvre a mûri vers une expression plus difficile d'accès, plus métaphorique et vers une portée politique indirecte, a reçu des critiques sévères. Il était considéré que son œuvre abandonnait la cause Palestinienne. Son deuxième exil physique, vers le Caire, était déjà vu comme sa mort artistique : "Ils m'avaient condamné à mort avant même de

1 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit.

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connaître ce qui allait naître de l'exil et de la distance1". Tout de suite, il ajoute qu'il faut dépasser cette interprétation exclusivement politique d'une expression artistique, même si elle provient d'une population opprimée : "La fidélité d'un poète aux siens ne se concrétise pas par son action politique directe mais la sincérité de son œuvre2". Le cinéaste Elia Suleiman, qui répète régulièrement que son identité palestinienne est secondaire dans son cinéma, le disait à Anne Bourlond : " Pourquoi devrais-tu aborder la question de mon identité palestinienne lorsqu’il s’agit d’analyser mon cinéma ? ". Certes, son identité palestinienne s'y reflète, mais l'analyse artistique d'une œuvre ne se fait pas en premier lieu à travers la nationalité du l'auteur. Frank Barat, lors d'une entrevue par visioconférence avec le réalisateur Hany Abu Assad, pose la question suivante : "Do you think that having a festival, and showing a sort of palestinian culture, can also be a way of talking about the issue and the suffering of the Palestinian people?3". Le cinéaste, dès qu'il comprend où mène la question, roule des yeux, puis répond :

"Well, I don't believe that the main goal of movies is to show the suffer of the Palestinians. If it's not clear for people that we are still under occupation, and we lost our land and we are under discrimination, I don't think a movie will change that. If you don't know, you will never know".

Pour Hany Abu-Assad, même si le sujet de son film, ses décors, son scénario concernent et la Palestine des Palestiniens, à l'instar de Mahmoud Darwich, l'objet principale de son œuvre, c'est l'œuvre elle-même ; et l'objet de sa diffusion, c'est la transmission d'un message, non pas politique mais artistique, et la diffusion d'une culture.

"I think the main goal of the movie is to live a story, any story. You can live with it emotionally and think about it. I mean it's important to any culture in the world, under occupation or not, to communicate with other culture, because you can create open-minded people, for the one who show and for the one who receives4".

1 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 2 Idem. 3 "Director Hany Abu-Assad talks Festival Cine-Palestine", interview par Frank Barat, mise en ligne le 22 avril 2015, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=404PsMjUsmQ&feature=youtu.be> 4 "Director Hany Abu-Assad talks Festival Cine-Palestine", interview par Frank Barat, mise en ligne le 22 avril 2015, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=404PsMjUsmQ&feature=youtu.be>

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Le propre d'une œuvre est d'être émancipée d'un message politique inhérent. Mahmoud Darwich le rappelle, si un message politique est possible, il ne doit pas être le prisme par lequel une œuvre est vue, il doit être "indirect1". Une œuvre est également l'interface des cultures lorsqu'elle est diffusée. Diffuser une œuvre, c'est créer des esprits ouverts.

DYNAMIQUE D'OUVERTURE

Pour les artistes palestiniens, un mouvement en trois temps peut être décrit. D'abord ils s'éloignent du contexte dans lequel ils sont plongés et dans lequel les Autres les plongent, puis il y a une phase de mise en marge et enfin une phase de réintégration. Les Palestiniens recherchent de plus en plus la mobilité. Cette volonté est doublement motivée : en tant qu'artistes ils ont besoin de moyens et d'ouverture, de "l'infinie liberté" dont parlait Nidaa Badwan. En tant qu'hommes, ils ont l'opportunité de quitter une situation difficile, d'aspirer à une vie normale.

"Ces expériences représentent pour les artistes en question un rite de passage, ce qu’Arnold Van Gennep2 appelle des « espaces de liminalité ». Il en distingue trois temps : la phase de séparation vis-à-vis du groupe (en l’occurrence de la Palestine, le lieu d’origine) ; la liminalité ou la phase de mise en marge ; et enfin la réincorporation qui est la phase de réintégration, au sein du groupe, dans une nouvelle situation sociale3".

La mobilité, à la façon de l'exil de Darwich, accorde une distance qui permet ces trois phases, ces "espaces de liminalité". Ils sont essentiels à la dissociation du sens artistique et de l'interprétation contextualisée dans les œuvres des artiste Palestiniens.

"Ainsi, dans l’exposition Points of Departure qui a lieu en juin 2013 en plein centre de Londres, des artistes de Jérusalem et de Cisjordanie ayant pu bénéficier d’une résidence à Londres montraient, à travers leurs installations artistiques, l’évolution de leur situation4".

Hany Abu Assad rappelle la nécessité de la rencontre des culture par leur diffusion et leur inspiration mutuelle : "It's important to any culture in the world […],

1 La Palestine comme Métaphore, Op. Cit. 2 Ethnologue et folkloriste Français. 3 SLITINE Marion, Op. Cit. 4 Idem.

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to communicate with other culture, because you can create open-minded people, for the one who show and for the one who receives1".

Cette dynamique ressemble fort à toute dynamique de conscience en phénoménologie. La perception imprime la conscience, la conscience l'assimile et la transforme par ce qui occupe déjà l'intériorité, puis, porte à nouveau un attention unique et nouvelle sur l'objet. L'expression fait partie de la troisième étape de la liminalité décrite par Arnold Van Genepp, elle correspond à une "réintégration" au sein du groupe.

"Les mobilités et la séparation d’avec le groupe d’origine, préalables à la liminalité et à la réincorporation, loin d’éloigner les artistes de leur patrie, semblent au contraire leur permettre de renouer avec la Palestine, tout en s’agrégeant au groupe d’accueil2".

Par cette maturation des perceptions dans l'intériorité, le regard sur l'objet change et toute expression se référant à celui-ci est alors enrichie d'une dimension inexplorée. L'expression artistique, crée un décalage, déplace, fabrique un nouveau point de vue sur l'objet. Elle crée du sens.

2) La réintégration dans le contexte

L'EXPRESSION ARTISTIQUE OU DEPLACER L'ACCES A LA REALITE

Par une mobilité physique ou par un exercice de l'esprit, les artistes Palestiniens qui revendiquent un sens essentiellement artistique dans leurs œuvres opèrent la même dynamique : distanciation, différenciation-inspiration, expression- retour. Dans la différenciation se fait l'inspiration purement esthétique, artistique ; et dans l'expression elle est réintroduite dans un contexte qui est marqué par leur culture palestinienne. La dynamique est comparable à un mouvement de respiration. Le décalage est dans l'expression. Une œuvre artistique permet la création d'un troisième point entre l'œuvre et le sujet qui la reçoit."On ne cherche pas à aller d’un point A à un point B mais à

1 "Director Hany Abu-Assad talks Festival Cine-Palestine", interview par Frank Barat, mise en ligne le 22 avril 2015, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=404PsMjUsmQ&feature=youtu.be> 2 SLITINE Marion, Op. Cit

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provoquer l’apparition d’un point non prédéterminé, celui qui naît de la rencontre d’un sujet avec l’art […]1". L'expression artistique crée un décalage en créant un point supplémentaire. Le public crée un point supplémentaire aussi lorsqu'il questionne l'œuvre. Ce point supplémentaire est le "décalage". Pour les artistes palestiniens, la création du décalage est une sorte de réinterprétation enrichie de ce qui fait partie de leur culture collective. Les exemples du cinéma des frères Nasser ou des œuvres de Larissa Sansour sont significatifs. Pour Larissa Sansour, la distanciation par rapport au contexte et à la palestinité s'est faite lors de ses études à Copenhague et à Londres. Elle choisit de réintégrer sa culture, de la faire apparaître explicitement dans ses œuvres dont Nation Estate, qui traite du paradoxe de la volonté de créer un Etat palestinien et du peu d'espace qui lui est laissé. Elle imagine cet Etat créé en hauteur, sur un minimum d'espace au sol dans une grande tour moderne renfermant à chaque étage des références de la palestinité. Elle réinvestit complètement la question politique en créant d'abord, une réinterprétation de la réalité, un décalage, permis par les études et l'inspiration qu'elle a rencontrée dans un espace détaché de la Palestine.

LA GLOCALISATION, APPLICATION AU CONTEXTE

La distanciation peut se faire par l'identification à une autre culture. Cette distanciation permise par un exercice de l'esprit est manifeste dans l'émergence du hip-hop et du reggae-dub palestiniens. Le groupe DAM a d'abord écrit et chanté en anglais, calquant la culture noire américaine du hip-hop des années 1990. Cette période correspond au début de leur distanciation du contexte: "So for me to be Palestinian means that I have to sing wedding songs about olive trees or farming or goats? What does that have to do with my life here and now ?2". Avec l'éclatement de la deuxième intifada, le groupe s'interroge sur son identité. Il s'identifie comme Palestinien et son style d'écriture évolue3. D'une culture répandue dans le monde comme anglophone, afro-américaine, issue d'un contexte social difficile, DAM va en faire une interprétation arabophone et palestinienne, dont le contexte est proche de celui d'origine du hip-hop. D'une culture

1 DESBARATS Carole, Op. Cit. 2 My Voice is my Weapon, Op. Cit. 3 Idem.

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largement perçue comme propre aux Etats-Unis, ils vont porter un message spécifique. D'une culture globalisée, ils vont créer une culture locale, spécifique à un contexte et à une culture. La démarche du Ministry of Dub-Key et du reggae est comparable à celle de DAM dans le hip-hop : un reggae palestinien, spécifique à cette culture, chargé de palestinité, est né.

3) Transmettre un message universel

LE LANGAGE DE L'ART

Par un dialogue entre une culture globalisée, une culture collective et une identité individuelle, les artistes créent des formes artistiques spécifiques qui peuvent être considérées comme art palestinien. Art contemporain palestinien, hip-hop palestinien, reggae palestinien, cinéma palestinien, etc. Un autre mouvement est encore à ajouter après ce résultat : la diffusion et la transmission du sens des œuvres. La transmission d'un sens relève généralement du domaine linguistique. Une œuvre possède et exprime pourtant un sens. Ce sens n'a pas besoin de l'intervention de la linguistique pour être interprété, transmis, exprimé.

"[Arab:] Mais qui va penser à faire un film [dans les conditions de Gaza]? Pourtant le travail artistique est plus important que tout le reste […]. Parce que vraiment, il libère l'esprit.

[Tarzan:] En plus, cela te permet de parler de ton message, en tout cas pour nous en tant que Palestiniens, nous parlons de nos souffrances à travers l'art. Moi c'est comme ça que je le vois. Car c'est l'art qui se situe au plus proche de tous les humains sur cette planète. Le message le plus proche, le moyen le plus proche afin de transmettre un message1".

L'expression artistique palestinienne revêt les mêmes attributs que n'importe laquelle. Elle constitue en elle-même un message et transmet un sens en utilisant un moyen universel, l'œuvre. Sans pour autant avancer que le message soit évident, accessible à tous, l'œuvre en demeure chargée.

1 "Arab and Tarzan Abunasser, Palestinian directors", interview des frères Nasser, cineastes, à Cannes, par Euromed Audiovisal, publiée le 21 août 2013, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=mLe9E1ab-hI>

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"Si l’ensemble des artistes se réfèrent donc d’une manière ou d’une autre à la Palestine, c’est en des termes plus universels. La ressource "Palestine" est souvent pour les artistes une manière de parler de sujets plus globaux, comme les droits fondamentaux, la liberté, la justice…1"

Les artistes palestiniens ne revendiquent pas leurs œuvres comme palestiniennes. Ils les revendiquent comme des œuvres universelles, au même titre que des œuvres de n'importe quel art dans le monde. La désignation des œuvres, de l'art, comme "palestinien" est une désignation nationale. Elle permet de comparer le corpus des artistes appartenant à la nation palestinienne mais en aucun cas le but est de voir en premier lieu dans l'œuvre la nationalité de l'artiste. Le message artistique prime.

DEVENIR UNE REFERENCE CULTURELLE POUR LE MONDE

Par cette volonté des artistes, en tant qu'artistes, de ne pas appartenir d'abord à une nation, ils affirment que leurs œuvres ont d'abord une portée universelle et qu'eux doivent être considéré comme anonymes au moment de la réception du sens. Par exemple, le choix de la piste de fond choisie par le Ministry of Dub-Key pour leur chanson "Dumyeh Plastikieh" n'a rien à voir avec la Palestine.

"Dumyeh Plastikieh is a dub over an instrumental track known as ‘Prison Break’. It is unclear where this instrumental track originated, but it is widely shared between dub musicians and is free of copyright2".

Le Reggae palestinien, avant d'enrichir le corpus de l'art palestinien, enrichit le corpus du reggae, le cinéma palestinien, celui du cinéma, etc.

"Il est arrivé que, lors d’une projection en de Chronique d’une Disparition en Italie, les spectateurs m’avouent avoir trouvé le film très Italien. La même chose s’est produite en Russie ou en Suède. Pour moi, c’est cela être Palestinien. Cela devient un prétexte pour faire un film qui soit un langage de communication pour n’importe qui, n’importe où. Sans cet aspect de "nous" et "eux3"".

Les artistes créent des œuvres qui sont d'abord incluses dans des genres. Leur art devient une référence de style, en tout cas d'un particularisme artistique et non culturel. Il peut être analysé, référencé, comparé, comme n'importe quelle autre production. La définition comme "palestinien" n'est pertinente que lorsque l'ont ne

1 SLITINE Marion, Op. Cit 2 ABUGHAIDIA Yazan, Op. Cit. 3 SULEIMAN Elia, "Un cinéma de nulle part", Op. Cit.

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veut plus analyser que le sens artistique mais le contexte culturel de la création. Par ailleurs, l'étude de la démarche artistique, du processus de création qui précède l'œuvre finie, peut être un moyen de mieux comprendre l'œuvre. Elle ne permet cependant que de comprendre la démarche propre à une œuvre, le sens variant entre chaque œuvre, même tirées d'un même contexte et produites par un même artiste.

B) AGIR SUR LE REEL, LA PERFORMATIVITE DE L'ART

L'art est considéré par lui-même comme une pratique subversive. Il est une activité hors du temps et hors de la production utile. Dans le contexte de la question palestinienne, l'art est subversif en soi par le fait qu'il ne réagit pas à la difficulté physique par des actes et des attitudes. La réponse de l'art au monde physique se fait sur un autre plan dont la réelle force d'influence sur le plan physique est souvent omise.

1) « L’intifada artistique »

LA PRATIQUE ARTISTIQUE

La pratique artistique permet une certaine forme d'éducation qui consiste à faire pour comprendre. En cela, elle remet les clefs de leur formation entre les mains de ceux qui pratiquent. C’est par ce développement d’un goût pour l’art que peut naître le goût pour la création, la volonté de produire soi-même de l’art. L'éducation à la pratique cherche l'éveil d'une volonté de s'exprimer, de créer à son tour, de produire des décalages, des interprétations, de nourrir de sens originaux le réel perçu. L'intérêt d'une telle éducation en Palestine n'est pas anodine. Dans des conditions difficiles où une réalité dure s'impose, elle permet de s'en détacher. L'association Al-Kamandjâti, basée à Ramallah, concentre particulièrement son activité dans les camps de réfugiés pour ces raisons1. Le Théâtre de la Liberté de Jénine embrasse les mêmes objectifs2.

L'art peut également avoir une portée politique au sens où sa pratique et son expression mettent en branle des émotions. Ces émotions ressenties sont des formes d'empathie, de partage. Elles contribuent à générer un esprit d'unité, de société, à ce que l'Autre voit en lui une part de l'Autre. Carole Desbarats cite Martha Nussbaum et

1 Site en français de l'ONG Al-Kamandjâti : http://www.alkamandjati.com 2 Site en anglais du Théâtre de la Liberté : http://www.thefreedomtheatre.org

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son ouvrage Les Emotions Démocratiques. Comment Former le citoyen du XXIe siècle ? :

"La logique ou la connaissance factuelle seules ne suffisent pas à mettre les citoyens en rapport avec le monde complexe qui les entoure. Une troisième capacité du citoyen, étroitement liée aux deux premières, est ce que l’on peut appeler l’imagination narrative. J’entends par là la capacité d’imaginer l’effet que cela fait d’être à la place d’un autre, à interpréter intelligemment l’histoire de cette personne, à comprendre les émotions, les souhaits et les désirs qu’elle peut avoir1 ». Capacité qui ne peut être développée que par une éducation participative qui « éveille et affine la capacité à voir le monde avec les yeux d’autrui2".

Cet appel pour l’éducation à l’empathie, s’accompagne d’une découverte scientifique récente par l’équipe de "Cognition Sociale" du laboratoire de Cognition Sociale, réalisée sur des macaques. Cette étude a permis de travailler sur le partage des représentations chez l’homme "à partir d’un fondement physiologique". "L’observation des actions d’autrui implique des mécanismes qui nous permettent de reproduire ces mêmes actions. De la même manière, l’observation de certaines sensations et émotions chez autrui engage des processus qui sont également mis en jeu lorsque nous ressentons nous-même ces émotions, ces sensations. Autrement dit, il semble que nous utilisions spontanément notre propre perspective pour comprendre celle d’autrui". Le fondement scientifique qui prouve que l’homme est capable de "métareprésentation 3 " ou représentation des représentations d’autrui est une nouveauté. Les propriétés de l’art sont vectrices d’empathie, d’émotions et de réflexion quant au réel. C’est cette combinaison que l’art permet qui conduit Martha Nussbaum à nommer ce qu’il suscite : « émotions démocratiques ». L’éducation, la confrontation, la pratique de l’art ne sont pas des nécessités isolées de la société. Elles sont inhérentes à une éducation politique des citoyens.

LA BATAILLE POUR L'ESPACE CULTUREL

La Palestine, comme il a été expliqué précédemment, possède une sorte de double, chargé des références d'identification à la palestinité. Ce double est un territoire métaphysique de la Palestine qui est le lieu où la culture collective palestinienne est à l'abri de toute agression ou disparition physique du territoire

1 DEBARATS Carole, Op. Cit. 2 Idem. 3 Ibid.

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Palestinien. Il faut rappeler ici que ce territoire fantasmé n'est pas dissocié de l'espace physique du territoire de la Palestine. Le contrôle de ce territoire, sanctuaire, au sens littéral de sacré, s'il ne se fait pas sur un plan physique, ne peut être réalisé que par des actions de l'esprit, dont l'art et la culture font partie. Sa constitution par un récit national (années 60) puis par un développement artistique fondé sur les mémoires et les expériences individuelles (de 1980 à nos jours), a permis de construire une résistance au mythe sioniste du peuple sans terre. C'est beaucoup plus souvent cette Palestine métaphorique qu'habitent les Palestiniens, notamment les réfugiés, les communautés diasporiques et les exilés. Cette approche d'une résistance par la culture était déjà mise en valeur par Yasser Arafat. Il est cité et commenté par Randa Safieh:

""The Palestinian National Movement is not only the gun of the freedom fighter but mainly the pen of the writer, the brush of the painter, the words of the poet. Now that the Palestinian side has abandonned the dialogue by arms and resorts to the arms of dialogue, the Palestinians' cry for freedom will express itself more and more through the poets, the composers, and the musicians". Until then, where many Palestinians are concerned, a song will never be only a song, but an act of resistance1".

Dans l'interview qu'il accorde à Frank Barat en mars 20152, le cinéaste Raed Andoni utilise les termes de "victoire" et situe la production culturelle palestinienne dans le cadre plus général du conflit Israélo-Palestinien.

"We have no victory. But if you talk to the cultural scene, many things are happening, many things going in advance, many things evolving. New ways of expression, new tools, all kind of arts is developping, so I think what the political didn't manage to achieve, the cultural activists and artists already achieved".

Raed Andoni fait référence ici à la présence et à la reconnaissance par les autres peuples de l'existence des Palestiniens. Il doit être rappelé ici que l'étude de l'ethno-musicologue David. A. McDonald s'intitule : My Voice is my Weapon : Music, Nationalisme, and the Poetics of Palestinian Resistance. "My Voice is my Weapon" est une citation de l'artiste palestinien vivant en Jordanie Kamal Khalil.

1 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit. 2 "I am not sure people know Palestinians", interview du cinéaste palestinien Raed Andoni par Frank Barat, mise en ligne le 19 mars 2015, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=N1kgCfnpCjg>

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ETRE HOMME-HABITANT

La culture est aussi la caractéristique d'un territoire. L'homme, en tant qu'il habite un territoire s'y enracine culturellement. Développer cette culture est une façon d'habiter le territoire. Les liens entre territoire, habitant et culture son explorés notamment dans des concepts appartenant à la géographie, tels que ceux de l'espace vécu (Armand Frémont) ou de la relation entre le paysage-matrice et le paysage- empreinte (Augustin Berque). Le plus pertinent à mobiliser ici semble être celui d'Homme-habitant, de Maurice Le Lannou. Il décrit cette notion comme "la relation existant entre l'homme et l'espace délimitant son enracinement culturel1 ". Cette relation se manifeste dans la façon dont l'homme et le territoire interagissent et se transforment mutuellement. Il faut noter que l'espace délimitant son enracinement culturel peut incarner des formes variées d'"espace". L'utilisation du terme "habitant" met en évidence que demeurer sur un territoire et développer des liens culturels forts avec celui-ci relève d'un processus continu, semblable à celui de l'identification. Le territoire physique est enrichi par un territoire "vécu", idéalisé. Ce rapport entre l'homme et le territoire qu'il habite rappelle les liens qui existent entre les Palestiniens et la Palestine, notamment depuis Nakba. Il est intéressant de voir que Christiane Pirinoli décrit l'importance de ces liens

"La terre est ici bien plus qu’un élément naturel : elle est une médiation essentielle entre la nature (l’agriculture comme mode de vie) et la culture (l’identité nationale enracinée dans la terre), entre le passé (avant la Nakbah) et le futur (le retour à la terre), entre le village et la Palestine. Ce va-et-vient entre le local et le national est d’ailleurs facilité par le terme arabe balad qui signifie à la fois "village" et "patrie, pays2"".

La production culturelle est résistance au sens qu'elle est, comme il a été dit précédemment, expression d'une identification à la palestinité réfléchie dans la singularité d'une personne ; soit un indissociable lien entre territoire historialisé réel comme fantasmé, identité collective et identité individuelle habitante.

1 BETHEMONT J. et COMMERÇON N.,"La géographie de Maurice Le Lannou", Revue de Géographie de Lyon, vol. 68, n°4, 1993, p. 209-211. 2 PIRINOLI Christine Op. Cit.

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2) Performativité de l'art, subvertir les discours imposés

PERFORMATIVITE LINGUISTIQUE

La performativité est une notion fondée dans le domaine de la linguistique. M. Foucault, J.Derrida et Judith Butler sont parmi les figures essentielles de la définition de cette notion. Derrida définit cette notion dans sa conception de ce qu'est le pouvoir, ou plutôt dans la façon qu'a le pouvoir de légitimer son pouvoir. Pour Derrida, il n'est fondé sur rien d'autre que lui-même. Rien ne pré-existe à sa légitimité qui n'est d'ailleurs consacrée que par lui-même. Le pouvoir fonde cette légitimité par des actes et des déclarations répétées qui l'affirment. Cette répétition, Derrida la nomme "itérabilité". Il est intéressant de relever que ce terme est d'étymologie latine et vient du mot iter, itineris qui signifie "chemin". Le pouvoir n'a pas de référence qui le fonde, ainsi, il crée un chemin de toute pièce et ce chemin ne se compose que de références à lui-même, par autoréférence : "Se prétendant fondé, il se fonde1". Ainsi, les discours issus du pouvoir sont légitimés et peuvent imposer des normes, notamment la définition de ce qui est "naturel" et de ce qui ne l'est pas. Quelque chose de défini par le discours issu du pouvoir, doit se répéter dans cette définition pour exister d'après cette définition. Si cette répétition n'advenait pas, ou qu'elle advenait différemment, sa réalité serait remise en cause. La notion de performativité, telle que la définit Judith Butler2 n'est autre que le pouvoir d'un discours à fonder la réalité de ce qu'il définit aux yeux de tous. Judith Butler utilise cette question de performativité dans la définition du genre, de la sexualité et du sexe. Cette définition est le fruit d'un discours chargé de la légitimité du discours de la société : tout le monde s'accorde à désigner un homme ou une femme par des attributs, des goûts. Ce discours non seulement fige la définition mais fonde sa légitimité car il est repris, ce qui correspond au fondement de la légitimation par autoréférence que Derrida évoque.

1 AMBROISE Bruno,« Judith Butler et la fabrique discursive du sexe », Raisons Politiques, 2003/4 no 12, p. 99-121. 2 BUTLER Judith, Trouble dans le Genre, le Féminisme et la Subversion de l'Identité, Ed. La Découverte, 2006, 294p.

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"Le genre s’avère être performatif, c’est-à-dire qu’il constitue l’identité qu’il prétend être… Il n’y a pas d’identité de genre derrière l’expression ; cette identité est performativement constituée par les “expressions” mêmes qu’on dit être son résultat1".

" Il faut donc comprendre que les normes de la sexualité ont ce pouvoir performatif d’amener au jour ce dont elles parlent. Définissant la sexualité masculine, elles inscriraient en même temps celle-ci dans la réalité. Les normes sexuelles auraient donc le pouvoir de se mettre à exécution, ou plus exactement d’amener au jour la réalité qu’elles norment. Bien mieux, c’est parce qu’elles norment que la réalité normée adviendrait. Butler réinterprète ici la formule de Foucault selon laquelle les normes ne sont pas restrictives mais constructives, ce qui l’amène à penser le sujet comme normativité qu’il s’impose2."

La performativité est donc itérabilité, autoréférentialité, elle est le pouvoir de réaliser la référence à elle-même. Cette capacité du discours peut être transposé à toute forme de message. Le sens des œuvres artistiques, les symboles de la palestinité, la culture collective, toutes ces définitions, ces choses pleines de sens, se réalisent et se définissent comme telles par leur répétition, et cette répétition légitime leur réalité. Pourquoi la terre est-elle un symbole de la palestinité? Parce que depuis qu'un discours l'a instituée comme telle, cette réalité n'a jamais été interrompue ou modifiée par un quelconque discours assez légitime pour ébranler cette réalité. La seule énonciation d'un discours différant est en soi un acte subversif en tant qu'il interrompt l'autoréférentialité qui réalise la définition de l'objet.

PERFORMANCE ARTISTIQUE ET DISCOURS PERFORMATIF

David A. McDonald explore la performativité des notions propres à la palestinité. Il fait l'approche de cette performativité, non à travers les discours mais à travers les "performative media (music, dance, poetry, drama, graffiti, and so on)3". Il justifie cette approche en affirmant que ces performative media n'étaient pas que le reflet d'un sentiment populaire. Ils ont bel et bien participé à la façon dont ces sentiments populaires se sont forgés. Ils ont été constitutifs des identités nationales et politiques. McDonald cite l'étude ethnographique de Nimr Sirhan sur la culture populaire palestinienne pendant la première intifada. Ses recherches mènent à la conclusion que la première intifada était avant tout un soulèvement culturel qui

1 BUTLER Judith Op. Cit. 2 AMBROISE Bruno,« Judith Butler et la fabrique discursive du sexe », Raisons Politiques, 2003/4 no 12, p. 99-121. 3 Mc DONALD David A., Op. Cit.

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répondait plus aux angoisses des Palestiniens de perdre leur "racines" et leur identité1 ("cultural anxieties") qu'aux difficultés de la vie quotidienne ("material anxieties"). Le soulèvement populaire avait plus profondément pour but de sauver la Palestine métaphysique que de contester les conditions que la réalité physique imposait aux Palestiniens. Cette performativité se manifeste dans les changements de symboles : du fusil et du "fedayin" (guerrier de la liberté) à la pierre et à la fronde de la jeunesse et des enfants2. Le pouvoir de la performativité est essentiel dans le contexte. Il résout des questions fondamentales à propos de l'identité subjective, de l'intermédiation et de la formation de la palestinité. La performativité des différentes formes d'art permet l'articulation de ces questions autour des performances artistiques.

3) Cristallisation et échos de l’identité : « L’acte nécessaire de la performance »

PERFORMANCE ET PERFORMATIVITE

La performance artistique de différents genres, où qu'elle soit, fournit des "espaces performatifs3". Dans ces espaces, les discours sont nuancés, changés. Les symboles sont réinterprétés devant une audience. Dans ces espaces performatifs, les performances artistiques deviennent des actes de subversion au discours. Au changement de sa mise en récit, la réalité change, les signifiants changent de sens. Chaque sens nouveau porté par une œuvre, quelle qu'elle soit, peut potentiellement subvertir le discours et ainsi changer l'appréhension de la réalité. Il a été vu précédemment que la dabkeh, danse traditionnelle palestinienne est porteuse d'un symbole fort d'après Abu Hani : "When we stamp our feet, we are saying that no matter how far we have been scattered, Palestine will always remind under our stamping feet4". Lorsqu'un groupe de reggae-dub Palestinien Israélien décide de se baptiser "Ministry of Dub-Key" et joue sur l'homophonie "dabkeh-Dub- Key", il fait sien tout le symbole de la Dabka. En tant que reggae palestinien, il est à

1 Mc DONALD David A. Op. Cit. 2 Idem. 3 Idem. 4 Idem.

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la fois de la culture reggae et de la culture palestinienne. Partout où résonne le reggae du Ministry of Dub-Key résonnent alors aussi les pas des Palestiniens qui dansent la dabkeh, voire même partout où résonne tous "les reggaes" si le public a intégré dans son acception du reggae, celle de ce groupe. Alors les deux sont associés. Chaque œuvre, chaque performance qui reprend les symboles de la palestinité effectue cet acte de performativité et redéfinit toute leur portée. La Palestine, dorénavant, c'est aussi le reggae, et vice-versa. D'une façon plus marquante, les frères Nasser participent à la subversion du discours sur les Gazaoui en les mettant en scène dans un certain contexte, dans leur impossibilité de faire l'amour quand les bombes tombent. Le groupe DAM, lorsqu'il chante "Etranger dans mon propre pays" participe à la subversion de son identité Israélienne qui est imprimée sur sa carte d'identité. Le chanteur Tamer Nafar du groupe DAM va d'ailleurs utiliser cette carte d'identité et subvertir tout le sens qu'elle charrie lors d'un concert à Ramallah en 2005. Par des systèmes de différentes couleurs et de différentes inscriptions ("Arabe", "Gaza", Territoires Palestiniens", "Israélien", etc.), ces cartes d'identité sont un des plus forts symboles du discours performatif quotidien du pouvoir israélien, qui enferme les détenteurs de la carte dans la façon par laquelle ils y sont définis, dans la façon dont elle leur accorde ou refuse des droits de passage. David McDonald nomme le chapitre de la description de ce moment "Hawiya [identité], Hegemony and Performative Rituals of Subordination1". Lorsque Tamer Nafar sort sa carte d'identité pour la montrer au public, il leur demande s'ils savent ce que c'est. Tous répondent par des expressions de dégoût, en huant et en sifflant. La carte de Tamer, en tant qu'Israélien, est bleue. Le public, instinctivement présente sa carte. En tant que Ramallaouis, Palestiniens des TPO, leur carte est verte. Cette carte d'identité, de fait, ou plutôt, de façon performative, divise l'identité palestinienne en plusieurs zones géographiques : Gaza, TPO, Israël (avec l'inscription "arabe") voire même "de Naplouse", "de Jérusalem", "réfugié", les trois n'étant pas soumis aux mêmes restrictions de déplacement. Cette carte d'identité bleue confère à Tamer le droit de circuler partout. Cependant, comme au public Ramallaoui, elle lui est demandée sans cesse, à chaque point de passage ou à n'importe quel moment par un policier ou un soldat. Par cette opération, Tamer subvertit le discours d'éclatement de l'identité Palestinienne : tous sont soumis aux mêmes contrôles et tous

1 Mc DONALD David A. Op. Cit.

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souffrent de ces contrôles et des restrictions imposées. Tamer renverse le symbole de la carte d'identité, il interrompt la répétition quotidienne, l'autoréférencement de cet éclatement. Pourquoi les Palestiniens ne sont pas les mêmes? Parce que leur carte d'identité n'ont pas la même couleur. Pourquoi les Palestiniens font-ils partie d'une même nation? Parce que la carte d'identité leur impose la même soumission.

PERFORMANCE ET MEDIATION

La performance artistique ne remplit pas qu'un rôle de subversion des discours. Elle n'est pas remise en question perpétuelle des symboles, elle est aussi intermédiation entre la culture collective, la palestinité et l'identité individuelle ; les trois s'enrichissant mutuellement. Après la Nakba, la littérature Palestinienne a remplit une fonction de reconstitution de l'identité collective, préalable essentiel à tout discours pouvant entériner une culture collective dans une identité individuelle. Cette reconstitution, comme il a été vu ici, était également une nécessité pour que les Palestiniens ne soient pas effacés de l'histoire, des mémoires collectives.

"Assumant les fonctions d’une ethnographie de récupération de soi face au déni de leur existence par les autorités de l’occupation et leur historiographes, la littérature de la Nakba leur a également permis de mettre en évidence leur passé historique, et en relief leurs arts et coutumes, accomplissant par là même l’archivage d’une mémoire et la sauvegarde d’une identité […]. C’était donc un vaste programme consistant à absorber le trauma de la catastrophe et des exils consécutifs, à dire l’être-là d’un peuple, à raconter sa vie dans sa dimension matérielle aussi bien que spirituelle1".

Cette histoire, ces références ont créé un discours performatif qui a permis et qui permet toujours l'identification des Palestiniens à la palestinité. Les performances artistiques peuvent aussi bien subvertir le discours en interrompant l'autoréférencement, l'itérabilité, qu'entériner son caractère performatif en participant à cette itérabilité, s'inscrivant dans la longue suite des autoréférencements, ainsi creusant un sillon toujours plus profond et net. La reprise de rythmes ou sonorités arabes dans des musiques de culture hybride sont des exemples d'autoréférencement : invoquer ces symboles de la palestinité font partie de la revendication certes, d'une culture hybride, mais chargée de la culture palestinienne. Des exemples d'institutions culturelles palestiniennes peuvent être repris ici. Le centre culturel Khalil Sakakini se donne trois domaines d'activités : "The visual

1 JIHAD HASSAN Kadhim, Op. Cit.

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arts, Palestinian identity & narrative, and holding regular public activities1". Il se donne également trois missions dont :

"Recording and disseminating palestinian narrative : Organizing projects that express intimately and creatively the Palestinian experience. Developing programs exploring Palestinian cultural heritage, and collective memory2".

Le conservatoire national Edward Saïd a pour vision : "The dissemination of a lively and creative musical culture in every home, that would contribute towards the consolidation of Palestinian identity and the education of future generations3". Et pour mission : "Teaching and promoting music to all Palestinians wherever they are within the framework of strengthening the cultural and national identity4". Le centre culturel Yabous de Jérusalem-Est a une mission similaire aux institutions précédentes : "Mission : Develop and promote arts that enhance and assert cultural, national and human values5", et des valeurs, dont : "Promote and preserve Palestinian heritage, identity and culture6". Il est intéressant de noter que l'ONG Yabous a pour vision : "Al-Quds is the center of cultural life in Palestine7". Tous ces sites sont en anglais, et sur toutes les pages du site internet de l'ONG Yabous peut être lu le nom hébreu, approprié par tous, de "Jérusalem". Partout sauf sur cette définition de ses missions où le nom arabe de Jérusalem est employé : "Al-Quds". Il est manifeste que toutes ces institutions insistent sur la transmission de l'héritage culturel palestinien, sur la protection de l'identité palestinienne. En ce qui concerne l'ONG Yabous, cet emploi de l'arabe est éloquent et cherche à affirmer le caractère et la culture arabe de Jérusalem en la désignant par son nom arabe. Le fait que tous les sites soient en anglais montre aussi qu'ils s'adressent au monde entier et qu'il est impératif de montrer que la culture palestinienne est bien vivante, présente. En tant qu'elles sont lieux de médiation et de rencontre entre les œuvres, la culture et le public, ces lieux sont à considérer comme des espaces performatifs, outils

1 Site en anglais du Centre Culturel Khalil Sakakini de Ramallah, consulté le 8 mai 2015 : http://sakakini.org 2 Idem. 3 Site en anglais du conservatoire national Edward Saïd : http://ncm.birzeit.edu/en 4 Idem. 5 Site internet en anglais de l'ONG Yabous, consulté du 1er janvier au 1er mai 2015 : http://yabous.org/en/ 6 Idem. 7 Idem.

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d'autoréférencement. Ces institutions, étant reconnues, ont un discours qui jouit d'une véritable légitimité. L'art pour les Palestiniens est un moyen très puissant pour agir sur la réalité qui s'impose à eux. Il est peut-être même celui qu'ils maîtrisent maintenant le plus et auquel les artistes et les institutions culturelles palestiniennes croient. Il est un moyen d'agir et d'unir les Palestiniens.

C) L'ART ET LA CULTURE : ATTRIBUTS ET OUTILS DES PALESTINIENS

Il sera vu ici que se rassembler autour de l'art est une raison supplémentaire pour les Palestiniens de transgresser les espaces clos dans lesquels ils sont confinés. En plus de cela, il sera considéré que l'art agit comme un produit révélateur en photographie. Maurice Merleau-Ponty dit que l'art "rend visible". Il permet aux Palestiniens d'affronter la question politique de la revendication d'un territoire qui leur est propre et d'aborder les autres défis qui les concernent : la paix, l'unité.

1) "Transgresser" les frontières

"HYPHENATED IDENTITY" OU IDENTITE "TRAIT D'UNION"

Le peuple Palestinien est un peuple disséminé, dans le monde comme sur son propre territoire. Cette dissémination, cet exil, crée chez les individus des rapports complexes, incertains quant à leur identité. Mahmoud Darwich l'a exprimé tout au long de son œuvre poétique et ce rapport complexe au territoire d'origine est exploré comme nous l'avons vu en psychologie1. A travers les exemples qui ont été vus, du hip-hop et du reggae-dub, les Palestiniens ne s'identifient pas à l'origine de ces cultures, ils ne se considèrent pas Américains ou Jamaïcains. Leur expression artistique, elle, mélange les codes, l'identité de la culture qu'ils empruntent, avec la leur. C'est l'expression artistique qui est empreinte d'hybridité et non les artistes eux-mêmes. Ce n'est pas le cas des communautés diasporiques. La diffusion dans le monde d'une production artistique, de la culture des Palestiniens des TPO, d'Israël et de Gaza a favorisé le retour de la question de l'identité chez les dernières générations des descendants de Palestinien en

1 DESPLECHIN François, Op. Cit.

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diaspora. Elle coïncide avec la volonté des minorités ethniques de se redéfinir, particulièrement dans un contexte politique considéré antagoniste ou inégal1. Les Palestiniens de la diaspora, auxquels il est constamment rappelé qu'ils ont perdu leur terre etc., vont se saisir de cette définition imposée pour redéfinir positivement leur identité. Le refus d'être défini par les Autres, ceux en général du pays d'accueil, est un trait caractéristique des "hyphenated identities2", ou identités "trait-d'union". Les plus célèbres identités trait-d'union sont les "African-American". La culture Afro- Américaine a crée un espace propre à une culture partagée par laquelle beaucoup d'Américains noirs se reconnaissent et se définissent. Les Palestiniens-Américains ont fait de même. Il est important de souligner ici que l'impulsion du développement du hip-hop en Palestine, qui a aboutit à la création d'un hip-hop palestinien orignal, contribue à la définition de cette identité Palestinienne-Américaine. Le hip-hop américain a été transformé en Palestine pour devenir le hip-hop palestinien et ce hip- hop palestinien est retournée aux Etats-Unis et a été perçu comme un des moyens les plus adaptés pour illustrer cette identité trait-d'union. Un nouveau hip-hop s'est encore développé : le hip-hop palestinien-américain3. Les productions du hip-hop palestinien-américain sont un moyen de redéfinir positivement leur identité. L'appropriation du mot "Américain" est une résistance, une opposition à ce qu'ils soient définis par un autre groupe qu'eux-mêmes. Le coupler à "Palestinien" fait qu'il revendiquent et portent toujours leur attachement identitaire à la palestinité4. Un groupe de hip-hop américain-palestinien, composé de deux frères, s'est appelé "The Philistines". Randa Safieh leur demande d'expliquer le choix de ce nom :

"The definition of a "philistine" is taken directly from the Webster's dictionary… a philistine is "an enemy of Israel". We chose the name to reclaim it, as we believe the dictionary definition fits stereotypes of modern-day Palestinians. Out first album is called Self Definined, because we reject that definition5".

1 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit. 2 Bhabba, professeur américain, figure des études dites "post coloniales", cité par Randa Safieh in KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit 3 Idem. 4 Idem. 5 Idem.

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Randa Safieh ajoute qu'ils refusent d'être définis par rapport à quelque chose, par rapport à Israël. Ainsi, à l'image des "African-American", les Palestiniens de la diaspora peuvent choisir de se définir comme "Palestiniens-Américains", "Américain pouvant être remplacé par n'importe quel gentilé, Chilien, Français, Suédois, etc. L'émergence des "hyphenated-identities" correspond bien à la volonté d'autodétermination de son identité originale. L'union de deux gentilés par un trait d'union est une façon de marquer à la fois leur intégration dans le pays d'accueil et l'attachement à leur patrie.

RASSEMBLER LES PALESTINIENS DANS UN MEME ESPACE CREATIF

La création d'expressions culturelles liées à la palestinité permet à tous les Palestiniens qui s'y identifient, qui reçoivent le sens, de s'inclure dans un même ensemble, toujours par les effets performatifs des expressions, linguistiques ou artistiques. Même unis par un trait d'union à une autre culture collective, ils se reconnaissent comme Palestiniens. Le hip-hop palestinien est un moyen, plus que de franchir les frontières, de les transgresser1. Il les transgresse dans le sens où il les dépasse, certes, mais dans le contexte de la question palestinienne, il est interdit, comme il a été vu ici, pour beaucoup de Palestiniens de franchir une quelconque frontière. Les moyens actuels du numérique et de l'internet permettent de survoler ce qu'il est interdit de franchir. La chanson "Madinati", ("Ma ville") a été écrite par un rappeur Gazaoui, Ayman Mghamis. Il n'avait pu sortir de Gaza pour rencontrer Tamer Nafar qu'une seule fois en 2008. Les bombardements de l'opération Plomb Durci de 2009 sur Gaza ont causé la destruction de sa maison et la mort de son père. Suite à cela il écrivit cette chanson. Elle est chantée par trois personnes : Shadia Mansour, chanteuse Palestinienne basée à Londres, Tamer Nafar depuis sa ville de Lyd en Israël et Ayman Mghamis, depuis Gaza. Une rencontre physique étant impossible, la collaboration s'est donc faite grâce à internet. "The internet is obviously the superglue of the segregated Palestinian hip-hop scene2". Le projet "HipHopKom" est un autre exemple significatif. Il a été conçu après que la chaîne MTV Arabia a diffusé une émission intitulée "HipHopNa" ("Notre hip-

1 KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Op. Cit. 2 Idem.

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hop"), qui n'avait représenté aucun Palestinien. HipHopKom, "votre hip-hop", était un concours de rap se déroulant à Ramallah en juin 2009. Le jury était composé de rappeurs palestiniens reconnus, venant des Etats-Unis, du Royaume-Uni, d'Israël, du Danemark. Il a été cependant interdit à une équipe compétitrice de Gaza, Darg Team, de passer la frontière. Leur participation n'a pas pour autant été compromise : elle s'est faite en direct, en vidéoconférence, leur permettant par ailleurs de remporter le concours1. Le sociomusicologue Simon Frith, cité par Janne Louise Andersen, exprime la façon dont la musique lie espace et identité : "What makes music special - what makes it special for identity - is that it defines a space whithout boundaries. Music is thus the cultural form best able to cross borders… and to define spaces". L'expression artistique palestinienne a su être un moyen efficace de définition positive de l'identité, de sa réappropriation. Alors que le peuple Palestinien est disséminé à travers le monde et enfermé dans des définitions et des frontières qui entravent son sentiment d'unité, il s'est montré capable de revendiquer cette unité en redéfinissant par lui-même son identité, en survolant des frontières physiques et en brisant les discours des Autres qui le définissait à sa place.

2) Extraterritorialité de la nation Palestinienne

LA NATION, CONCEPT ETHNIQUE ET BIOLOGIQUE

L'étymologie en français, suédois, et anglais vient du latin "natio" : "progéniture, engeance, peuple" 2 . En grec, "ethnie" se traduit par "ethnos" et "nationalisme par "ethnikismos". En turc, nation se dit "millet" et sous l'empire ottoman, les "nationalités" ou "milliyet" correspondaient à des groupes ethniques3. Le terme nation est un terme qui définit d'abord quelque chose de biologique, provenant de la naissance et définissant des groupes par les caractéristiques liées à leur naissance. Il a cependant une acception, non biologique, mais plutôt politique. En français, le mot nation est défini comme un : "groupe social établi sur un territoire

1 Idem. 2 Définition en français de l'encyclopédie participative en ligne Wikipédia, consultée le 9 mai 2015, [En ligne] 3 KUÇURADI Ioanna, « Nation et nationalisme », Revue de métaphysique et de morale, 2014/1, N°81, p. 5-9.

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défini et présentant une unité historique, politique et culturelle" ou comme "ensemble des individus de ce groupe1". Le concept de l'Etat-nation met en relation le fait biologique et la définition politique. L'Etat, en français étant l'"autorité souveraine sur un peuple et un territoire déterminés2". La "patrie", à la différence de la nation, entretient un rapport anthropologique à un territoire. Ce rapport anthropologique se ressent fortement dans l'œuvre de Darwich par exemple mais aussi dans la définition que donne Maurice Le Lannou à l'"homme-habitant" qui entretient des liens forts avec son territoire.

"[La patrie] révèle non seulement le lieu de naissance de quelqu'un, mais aussi le sol/la terre où l'on a établi des liens comme enfant, avec un arbre ici, un immeuble là, un fleuriste au coin d'une rue, une personne, une route, un musée3".

Si le concept d'Etat-nation enferme la conception de l'Etat, comme celle de la nation, dans un lien entre territoire, autorité et ethnie, cela signifie que d'autres formes d'Etat et nation peuvent être conçues. La notion de la patrie permet d'élargir la façon d'appréhender cette question et de penser d'autres liens entre les ethnies, l'Etat et le territoire. Les accords d'Oslo et les négociations autour du processus de paix se fondent sur le principe de l'Etat-nation, où la nation palestinienne devrait avoir le droit de posséder un Etat, soit une "autorité sur une ethnie dans un territoire". La dissémination du peuple palestinien semble rendre impossible, et surtout insatisfaisante, la définition d'une nationalité Palestinienne qui serait propre uniquement à Gaza ou à la Cisjordanie, voire aux Palestiniens Israéliens. La critique du paradigme de l'Etat-nation comme forme d'oppression des différentes cultures qui le composent, mais aussi des groupes d'autres territoires qui le considèrent comme leur patrie et s'identifiant à lui, est donc fondée. L'exemple seul des identités trait- d'union est significatif :

1 Définition de l'Encycopedia Universalis, consultée le 9 mai 2015, [En ligne] 2 Idem. 3 KUÇURADI Ioanna Op. Cit.

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"The emergence of "hyphenated identity" has been hailed as a force undermining the oppressive identity-producing apparatus of the nation-state, and putting into play new, inclusive, and open-ended notions of belonging. No longer can one safely assume that globalization produces cultural homogenezation or acquiescence to the poltical status quo, as proponents of the cultural imperialism hypothesis once argued1".

Une des principales raisons pour laquelle l'Etat Palestinien n'est pas reconnu est une question de définition claire des frontières. Cette impossibilité d'accéder à un Etat reconnu internationalement, notamment par l'ONU est considérée comme l'échec de la politique palestinienne. La politique échoue à récupérer, ne serait-ce qu'un bout de la patrie, pour en faire le territoire reconnu des Palestiniens. Si l'Etat de Palestine était reconnu sur le territoire de la Cisjordanie, une des questions que cela poserait serait celle de l'autorité, du rapport entre l'Etat de Palestine et tous les Palestiniens disséminés dans le monde. Quelle nationalité leur serait attribuée? Et cette nationalité et cet Etat correspondraient-ils à ce qui permet aux Palestiniens de s'identifier comme tels?

LA PALESTINE, RECONNUE PAR SA CULTURE COMME NATION

La Palestine n'est pas reconnue en tant qu'Etat. Il peut être observé malgré cela qu'il y a une forme de reconnaissance internationale de la nation palestinienne. Si l'Etat, en tant qu'autorité sur un territoire, n'est pas reconnu, le drapeau de l'OLP, par exemple, représente bien les Palestiniens dans différentes institutions internationales. Il a fallu catégoriser des acteurs lorsqu'ils étaient présents sur la scène internationale. La seule façon pour que tous puissent se représenter et lier entre eux certains événements, certaines choses, a été de leur accorder cet adjectif de "palestinien". Golda Meir, alors première ministre d'Israël, fit cette déclaration en 1961 au Sunday Times : "Il n’y a pas de peuple palestinien en soi Ce n’est pas comme si nous étions arrivés, les avions jetés dehors et pris leur pays. Ils n’existaient pas2". Elle fondait cette déclaration sur l'argument que les Palestiniens n'étaient pas différenciés des autres peuples arabes, qu'ils faisaient partie soit de la Grande Syrie, soit de la Jordanie. Cet argument, historiquement réfuté de nos jours, résonne avec le présent où la Palestine est reconnue d'abord par sa culture, qui lui est reconnue comme spécifique, différenciée de celle des autres Etats ou nations.

1 Martin Strokes, ethnomusicologue, cité par Randa Safieh dans Palestine Music and Song, Op. Cit. 2 FINKELSTEIN Norman G. Op. Cit.

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Lorsque sont parcourus les sites internet de festivals internationaux d'art, des rubriques de recherche par nationalité sont possibles. Le festival international de cinéma de Cannes présente effectivement cette rubrique. Plus précisément, la recherche est possible par plusieurs entrées : par "édition", par "palmarès", par "personne" ou, non par nation, mais par "pays1". Ces pays incluent "Palestine" au côté de la République Arabe de Syrie, du Liban, de la Jordanie mais aussi de la France, des Etats-Unis et d'Israël. La Palestine, en 2011, avait renouvelé sa demande d'adhésion au Nations Unies, qui fut rejetée2. Elle devient en 2012, membre observateur aux Nations Unies avec neuf votre "contre" dont Israël, les Etats-Unis et le Canada. En 2011, elle était intégrée comme membre de l'UNESCO. L'intégration de la Palestine à l'UNESCO était une reconnaissance de la nation palestinienne et surtout de sa présence culturelle. Cette adhésion est la reconnaissance d'un fait qui ne peut plus être ignoré. En réaction, Israël et les Etats-Unis ont suspendu leurs subventions à l'UNESCO soit un quart du budget total de l'organisation3. Les déclarations du ministre israélien des affaires étrangères, Danny Ayalon, montrent que ce vote des membres de l'UNESCO est pour lui un acte politique qui remet en cause le processus de paix4. Cette déclaration ne tient pas compte du fait que l'UNESCO est d'abord une organisation internationale de coopération culturelle pour le développement et la paix et qu'elle ne remet pas en cause le fait que la Palestine ne soit pas reconnue en tant qu'Etat. Il faut expliquer ici pourquoi cette reconnaissance de la nation (et non de l'Etat) palestinienne est un événement beaucoup plus important qu'il peut paraître. Raed Andoni, le cinéaste palestinien considère que "les artistes", les "activistes culturels", ont réussi ce que la politique palestinienne n'avait pu accomplir :

1 Site internet du festival de Cannes, Op. Cit. 2 Site Internet de l'Organisation des Nations Unies, Op. Cit. 3 "Israël et les Etats-Unis perdent leur droit de vote à l'UNESCO", Libération, 8 novembre 2013, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] 4 "La Palestine devient membre à part entière de l'UNESCO", Le Monde, 13 octobre 2011, consulté le 6 mai 2015, [En ligne]

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"If you want to build a kind of Palestinian state in cinema I think you can, and it's not limited to a piece of land. If you look to the Palestinian filmmakers, they are the real Palestine for me. Some of them are coming from the United States, from south America, they are living in Europe, in Lebanon, in Palestine, in Gaza, in Israel itself, in everywhere. And that is for me the real soul of Palestine : the individual, the people, etc. And I think the cinema can reflect that easily but if you want to talk about the political situation, now we are talking about West Bank and Gaza, which is twenty percent of the "historical Palestine" ; then West Bank is divided in area A and area B and area C, and Gaza is devided to another side, and Jerusalem is something, and for me this is a real mess, but the real soul of Palestine is what you can see in films […], this is the real identity I think1".

Raed Andoni exprime ce que Marion Slitine relève également : l'exellence artistique, la reconnaissance internationale n'est pas coupée du peuple palestinien. Ils n'évoluent pas dans des bulles indépendantes l'une de l'autre et qui s'ignorent. Au contraire, "en général, c’est la reconnaissance à l’international des artistes palestiniens qui les légitiment au niveau local2". Le ministre Ayalon ne commente même pas le fait que l'UNESCO ne donne aucune existence politique concrète à la Palestine. Elle est considérée comme ayant assez d'importance, comme étant une réalité assez concrète dans la sphère culturelle (académique, artistique, scientifique, etc.) pour être reconnue comme spécifique. Il comprend, à raison, que la reconnaissance de la Palestine comme membre de l'UNESCO, à l'égale des Etats-nation, marque l'échec le plus irréversible du projet sioniste : la Palestine et les Palestiniens ne peuvent plus être effacés de l'Histoire. Le mythe sioniste d'"une terre sans peuple pour un peuple sans terre" s'effondre, et par la reconnaissance de la sphère culturelle palestinienne comme égale et aussi légitime que les autres nations, les palestiniens ont, en quelques sortes, gagné la bataille qui fait qu'ils sont reconnus aux yeux du monde comme nation, le reste dépendant de considérations et d'enjeux politiques. La nation palestinienne, reconnue et affirmée, unie par sa culture, habitant un territoire métaphysique de la Palestine, est confrontée à la réalité en permanence. Bien qu'elle ne possède pas d'Etat ni de territoire elle est jugée dans la façon dont elle a affronté des questions qui lui sont propre. Elle-même, et tout ceux qui s'intéressent à son sort, s'interrogent sur la façon dont elle va affronter les grandes difficultés qui s'imposent encore à elle, celles de l'unité, de la quête d'un Etat et de parvenir à la paix.

1 "I am not sure people know Palestinians", Op. Cit. 2 SLITINE Marion, Op. Cit.

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3) La paix, l'Etat, l'unité : Mesures d'un peuple Illustre

LA PAIX

La paix avec Israël est une condition essentielle pour que chacune des deux nations, et des autres indirectement touchées par le conflit, puissent s'atteler aux questions internes à leur société. Elle est nécessaire pour que la question de Gaza, de ses conditions et de son sort soient traitées et pour que les Gazaouis puissent prendre en charge librement leur vie, se concentrer sur les questions qui minent leur société : sécularisme, économie, reconstruction, eau potable, etc. Sans la paix, la question du racisme et de la discrimination des Palestiniens et des minorités en Israël ne peut être affrontée complètement par sa société. Les Palestiniens apparaissent comme ennemis internes et externes. Ceux de l'intérieur sont vus par certains comme une "cinquième colonne", menaçant l'existence d'Israël et la sécurité de son peuple. Tant que durera le conflit, l'apaisement et le recul nécessaires au dépassement de cette xénophobie ne pourront être mis en œuvre. Parvenir à la paix est essentiel pour que les Palestiniens des TPO puissent occuper l'espace qui leur est dû, jouir de ses ressources et disposer d'eux-mêmes ; pour que les réfugiés puissent être reconnus comme des victimes, qu'ils puissent choisir de revenir ou d'être indemnisés et qu'ils puissent faire les démarches pour être considérés comme citoyens à part entière d'un Etat. La poursuite de la paix comme objectif de toute la nation est une réalité. La culture et les arts leur permettent petit à petit de remporter des batailles symboliques mais de plus en plus réelles. Cette présence et ce foisonnement encerclent petit à petit le domaine qu'ils ne contrôlent pas mais qu'ils peuvent doucement infiltrer par une sorte de soft power : le domaine politique et diplomatique. La poursuite de la paix ne peut aboutir sans des négociations satisfaisantes sur la constitution d'un Etat. Le processus qui devait mener à sa constitution d'après les accords d'Oslo était déjà controversé, non seulement sur le fait que les garanties qu'Israël accordait pour mener à bien le processus pouvait être douteuses, mais aussi parce que la sphère politique palestinienne n'était pas prête à fonder un Etat qui soit satisfaisant dans son fonctionnement et dans sa constitution pour accueillir une véritable démocratie, une véritable représentation et expression de la nation

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Palestinienne dans son ensemble. La sphère politique palestinienne doit relever un double défi : celui de constituer un Etat reconnu internationalement par des négociations avec Israël, et fonder un système politique et des institutions capables d'embrasser la complexité de la nation palestinienne.

L'ETAT

Le modèle de l'Etat-nation ne peut être appliqué à la nation palestinienne. Une des difficultés qui s'imposent à la constitution d'un Etat palestinien est celle de concevoir une nouvelle forme efficace et reconnue qui articulerait un territoire, incertain d'après l'état des négociations, et une nation diasporique dispersée. Le modèle de l'Etat-nation est celui qui prédomine toute les négociations concernant la Palestine. Tous les Etats, dont les Etats-Unis, appellent à un retour aux frontières de 1967 et à une séparation stricte des territoires entre Israël et ce qui serait la Palestine, en Cisjordanie. Sans compter que l'avancement de la colonisation et les économies inextricablement nouées l'une à l'autre rendent impossible une telle résolution. D'autres solutions restent inexplorées par les sphères politiques mais des spécialistes comme Eric Hazan ou Noam Chomsky, jugent qu'en l'état actuel de la situation, seule la solution d'un Etat binational peut aboutir. Ceci pose des questions profondes sur la constitution de l'Etat d'Israël en tant qu'Etat juif, etc. Ioanna Kuçuradi rappelle les limites de l'Etat-nation qui, par son essence même, ne peut embrasser complètement la déclaration universelle des droits de l'Homme. Elle imagine la possibilité d'un Etat qui ne serait pas fondé sur un lien ethnologique ou biologie mais sur des principes universels.

"Plusieurs États ont certes inclus les droits de l'homme dans leur constitution, mais la plupart de ces États n'ont pas pu faire de grands progrès dans la réalisation de ces droits, tant qu'ils sont limités par la conception courante de l'État-nation. L'État-nation est un État fondé sur la nation, c'est-à-dire sur un groupe qui possède certaines caractéristiques communes, principalement des caractéristiques communes d'ordre ethno-biologique ; au lieu de cela, l'État fondé sur les droits de l'homme est un État dont la constitution prend comme fondement les principes des droits humains, dont un méta-principe est exprimé à l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme :

Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation1".

1 KUÇURADI Ioanna, Op. Cit.

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D'après Ioanna Kuçuradi l'Etat palestinien n'a pas intérêt à imiter les autres Etats dans sa conception future. Il doit se penser comme institution légale, garante des droits universels de ceux qui vivent sur son territoire, et de ceux qui veulent en être citoyen. Il doit aussi pouvoir se donner les moyens d'embrasser toute la complexité et la diversité de la nation palestinienne et prévoir d'affronter toutes les difficultés qui on tendance à être occultées par l'omniprésence de préoccupations directement liées au conflit, à des causes extérieures de la société palestinienne. Ce désir d'universalité et cette capacité de rassembler sans discrimination se retrouve dans la volonté des artistes palestiniens de d'abord offrir un message artistique et non politique. Ce rejet de la nationalité, qui n'est pas un rejet de leur culture ni de leur identité, est une aspiration à l'universalité. Elle est la manifestation de leur volonté d'être considérés comme "hommes universels" avant d'être perçus comme "Palestiniens", puis, "individus".

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L'UNITE

Mahmoud Darwich, dans un de ses derniers poèmes, "Si nous le Voulons", dresse la liste de ce qui doit être affronté pour assurer l'unité et la pérennité d'une nation palestinienne qui aura dépassé le conflit avec Israël.

"Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n’est pas l’apanage des autres.

Nous serons un peuple lorsque nous ne dirons pas une prière d’action de grâces à la patrie sacrée chaque fois que le pauvre aura trouvé de quoi dîner.

Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan sans être jugés.

Nous serons un peuple lorsque le poète pourra faire une description érotique du ventre de la danseuse.

Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu…, que l’individu s’attachera aux petits détails.

Nous serons un peuple lorsque l’écrivain regardera les étoiles sans dire : Notre patrie est encore plus élevée… et plus belle !

Nous serons un peuple lorsque la police des mœurs protégera la prostituée et la femme adultère contre les bastonnades dans les rues.

Nous serons un peuple lorsque le Palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades, dans les concours de beauté et lors des commémorations de la Nakba. Seulement.

Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psalmodier un verset de la sourate du Rahmân dans un mariage mixte.

Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l’erreur1".

1 DARWICH Mahmoud, "Mahmoud Darwich, Les derniers poèmes", Op. Cit.

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Conclusion

En 1948, les Palestiniens subissent la Nakba, catastrophe traumatique de leur peuple. En 1993 semblent enfin se profiler des accords entre Israël et les représentants politiques palestiniens. Le processus de paix que les accords d'Oslo devaient permettre s'enlise rapidement et se fige dès le début des années 2000 par l'éclatement d'un deuxième soulèvement populaire, l'intifada. Les accords d'Oslo ont d'abord entériné le morcellement physique des Territoires Palestiniens Occupés en Cisjordanie. Ce morcellement du territoire s'ajoute à la dissémination des exilés et réfugiés palestiniens à travers le monde. Cette fraction accentue les particularismes et l'impression de désunion du peuple dans son ensemble. L'identité palestinienne qui semble être vouée à s'émietter, s'ancre en réalité dans un territoire métaphysique, un double symbolique de la Palestine, chargé des symboles de leur culture collective. Ces symboles sont les garants d'une continuité et d'un lien d'unité entre tous les Palestiniens. Leur identité ne leur est pas inculquée, elle n'est pas imprimée et figée biologiquement ni socialement en eux, ces symboles sont des référents qui permettent à chacun de s'identifier, d'entreprendre continuellement un processus d'identification. Ces symboles, par leur ancrage temporel dans le passé, mais aussi dans le futur, vont permettre aux Palestiniens d'affirmer leur présence, contestée par le récit national israélien issu du projet sioniste.

Disséminés dans quatre espaces généraux : Gaza, Israël, la Cisjordanie et le reste du monde, les Palestiniens partagent une culture qui les unit. Cependant, l'identité des individus est également liée à une série d'expériences, de rapport à un territoire. L'analyse de la démarche et des œuvres d'artistes palestiniens provenant de ces différents territoires va permettre d'entrevoir comment la culture collective palestinienne et les particularismes liés aux territoires vont se manifester. Les artistes Gazaouis vont chercher à décaler le point de vue sur la façon dont ils sont perçus. La nécessité est d'humaniser leur existence. Leur démarche, d'abord artistique, réintègre néanmoins un contexte spécifique à Gaza concernant l'enfermement et les conditions de vie. S'ils créent des œuvres d'abord artistiques, même dans décor coupé de Gaza : la chambre personnelle pour Nidaa Badwan et

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l'appartement et l'intimité pour les frères Nasser, la raison de cette coupure et de l'œuvre sont liées au contexte. Dans le cas des Territoires Occupés, les cinéastes ont continué à tourner des films pendant les périodes très tendues et violentes de l'écroulement des accords d'Oslo et de l'éclatement la seconde intifada. Les barrières physiques et visuelles sont omniprésentes et les déplacements sont impossibles. La situation des Palestiniens est celle d'un confinement dans quelques kilomètres carrés ; en ville, dans les camps de réfugiés ou en campagne. Les cinéastes vont rendre ce fractionnement dans leurs films et vont se servir du symbole et de l'image des nombreuses barrières physiques comme points de repère sûrs et partagés. Ils vont s'approprier ces divisions. Dans la volonté, toujours éminente, de créer d'abord des œuvres artistiques, les cinéastes palestiniens vont être confrontés à la charge émotionnelle que provoque l'intifada chez eux. Le temps du tournage sur les lieux les confronte sans cesse à une réalité à laquelle ils ne peuvent échapper. La difficulté pour eux est alors de transmettre un message artistique personnel alors que leur personne est justement émotionnellement engloutie par la réalité. Sur le territoire d'Israël, les Palestiniens subissent une discrimination comparable à celle des noirs américains dans les ghettos des années 90. Les artistes palestiniens vont se servir de genres musicaux largement répandus dans le monde pour les réadapter au contexte dans lequel ils vivent, à leur propre expérience. Ils vont créent des branches uniques du reggae et du hip-hop en les mélangeant à leur culture et à leur identité. Par l'utilisation de genres musicaux essentiellement subjectifs, les Palestiniens Israéliens utilisent les codes propres à ces genres pour dénoncer leur situation. Les Palestiniens de l'exil vont eux devoir construire leur identité à partir d'une terre appartenant au domaine du rêve, du fantasme. L'exemple de l'œuvre de Mahmoud Darwich est significatif de la question de l'identité des exilés. La formation intime de l'identité se fait dans la confrontation à l'Autre, l'altérité permettant une dialectique féconde, nourrissant l'identité. Si ce processus est propre à tout le monde, il est particulier pour les exilés dont la culture collective n'est pas partagée avec le pays d'accueil, celui-ci n'étant pas la patrie, l'exilé ne peut développer de culture dans les relations qu'il entretient avec le territoire dans lequel il est physiquement : il en entretient par le fantasme avec la patrie abandonnée.

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Le développement de la culture et des arts palestiniens a permis à son peuple d'affirmer sa présence et sa consistance. Elle a été le trait d'union entre toutes les communautés palestiniennes, disséminées à travers différents territoires, inaccessibles les uns aux autres. Les artistes ont tous une démarche artistique semblable par rapport à la Palestine : ils empruntent un chemin qui peut être défini comme "espaces de liminalité" : avant de réintégrer le contexte de la Palestine, ils s'en émancipent physiquement ou par un exercice de l'esprit, pour d'abord donner à leur œuvre un sens artistique. Leur façon de réintégrer la Palestine dans leur œuvre crée un décalage dans la relation binaire entre la réalité et le discours dominant qui définit la réalité. Ils approchent ainsi la Palestine par un angle nouveau, enrichissant la réalité de nouvelles acceptions. Cet effet qui consiste à briser la continuité d'un discours qui définit la réalité, a des répercussions sur la réalité même. Des effets performatifs du langage, l'art s'approprie le pouvoir performatif de son sens. Par le nouveau sens que les œuvres donnent à la réalité, elles bouleversent cette réalité et permettent aux Palestiniens de maîtriser le discours qui les définit, et ainsi de se définir positivement, c'est-à-dire, de ne pas être définis négativement, par quelque chose d'extérieur. La maîtrise du discours et de leur définition leur permet de clarifier la question de leur identité alors que la réalité et les discours leur renvoie l'image un fractionnement de leur peuple. A l'instar des Afro-Américains, ils vont pouvoir s'identifier par une "hyphenated identity" ou "identité trait d'union". L'exemple des Palestiniens-Américains est significatif : ils s'intègrent dans leur pays d'accueil et embrassent leur culture collective, créant une identité qui se situe dans un nouvel espace qui inclus les deux cultures : Palestine et pays d'accueil. Le fractionnement physique du peuple palestinien est comblé par des processus d'identification et la diffusion d'une culture qui transcende les frontières. Ce morcellement est aussi transgressé, littéralement, notamment grâce à internet. Les outils de communication permettent une participation via internet à des événements communs ou à des œuvres communes. La culture et les arts palestiniens connaissent un foisonnement et une reconnaissance internationale de plus en plus importante. Leur présence dans tous les genres artistiques attire la reconnaissance des élites pour la qualité de leurs œuvres. Cette omniprésence ajoutée au fait d'appartenir à l'élite culturelle internationale leur a

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permis non seulement de construire une nation reconnue culturellement égale aux Etats-nation membres de l'UNESCO, mais aussi d'être légitimés par le peuple palestinien qui reconnaît leur palestinité. Cette excellence artistique, même reconnue par le monde entier, ne peut cependant masquer des grands défis sociaux et politiques que doivent encore affronter le peuple palestinien.

L'enjeu ici était de comprendre comment l'art pouvait résoudre sur un plan métaphysique les difficultés que les Palestiniens ne pouvaient résoudre sur un plan physique. Il a été vu que l'art est une des clefs de voûte qui maintient soudé tout l'édifice de la nation palestinienne : l'art et la culture articulent l'ensemble de la nation autour de références collectives, tout en permettant à ses particularismes de s'exprimer dans cet espace collectif et en constituant un véritable levier d'action efficace pour agir sur la réalité et compenser le faible poids dont ils dispose dans le rapport de force avec Israël. Le pendant de ce mémoire qui aurait pu être considéré en parallèle aurait été l'étude des rapports existants entre Palestiniens et Israéliens dans le domaine de l'art et de la culture.

A l'analyse de la constitution et des effets de l'art palestinien peut se dégager des sentiments presque euphoriques. Ils donnent l'impression d'un succès total et presque de la toute puissance, que rien n'est impossible pour l'expression artistique, qu'elle à la pouvoir de bouleverser la réalité. Le développement de la culture et des arts palestiniens, par l'activité de la diaspora et par la diffusion de ce qui se crée en Palestine, porte sur elle toujours plus l'attention du monde. Les Palestiniens ont une maîtrise du terrain culturel bien plus importante que les Israéliens. La voix de la culture a permis aux Palestiniens de s'imposer à Israël comme étant un fait incontournable. Mais sur le plan de la force et de la diplomatie, Israël ne craint plus les Etats arabes, ni les Palestiniens. La culture et les arts ont permis de changer beaucoup de choses mais s'impose toujours la réalité d'un apartheid, de la discrimination, des colonies, du racisme, de la violence, de la guerre, de la loi martiale, des restrictions, etc. Cette réalité est quotidienne et brutale et il serait naïf de prétendre qu'elle cessera bientôt et que l'art en serait l'explication. Il

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est souvent omis que l’art a toujours été une nécessité dans les conditions et les contextes les plus difficiles qu’il soit. Les poèmes de Nelson Mandela, le théâtre algérien pendant la guerre d’indépendance, les prières et les pratiques artistiques des camps de concentration, les negro spirituals, Guernica et bien d’autres exemples sont éloquents. Quand le monde physique brutalise un humain, l'art est le refuge de l'esprit face à la réalité. Il est la réponse urgente à une situation, le besoin impérieux et nécessaire de s’exprimer.

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Sources

Sources manuscrites

⋅ PORTIER Elie, Le Cinéma Palestinien Contemporain (2000-2010), une palestinité en question, mémoire sous la direction de Dominique Maliesky, [non-édité], Sciences Po Rennes, 2010, 107p.

Sources Imprimées

PRESSE INTERNATIONALE

⋅ "Palestinians share tear gas advice with Ferguson protesters", Al Jazeera, 14 août 2014, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ AL WAHEIDI Majd, "A Gaza Artist Creates 100 Square Feet of Beauty, and She’s Not Budging", The New York Times, 27 février 2015, consulté le 5 mai 2015, [En ligne], ⋅ ALFRED Charlotte, "Protesters says Ferguson feels like Gaza, Palestinians tweet back advice", The Huffington Post, 14 août 2014, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ DAWBER Alistair, "'Come here Obama, and visit the museum of apartheid' : pro- Palestinian clash with army in West Bank as US president arrives in Tel Aviv", The Independant, 20 mars 2013, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ MOLLOY Mark, "Palestinians tweet teargas advice to protesters in Ferguson", The Telegraph, 15 août 2014, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ TAGHRID Abdallah "A prosperous isolation in Gaza", Al-Akhbar English, 6 mars 2015, consulté le 5 mai 2015, [En ligne], ⋅ ZER AVIV Uri, "Better the debka you know", paru dans Haaretz, 6 juin 2012, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ ZER AVIV Uri, "Music that straddles the Jamaica-Algeria 'border', live from the Golan Heights", paru dans Haaretz, 27 septembre 2011, consulté le 6 mai 2015, [En ligne]

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PRESSE NATIONALE

⋅ "Israël et les Etats-Unis perdent leur droit de vote à l'UNESCO", Libération, 8 novembre 2013, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ "La Palestine devient membre à part entière de l'UNESCO", Le Monde, 13 octobre 2011, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ "Nuit d'émeutes à Baltimore, aux Etats-Unis", Le Monde, mis en ligne le 27 avril 2015, consulté le 8 mai 2015, [En ligne] ⋅ DROUET Camille, "Meurtre de Michael Brown : tout comprendre à l'affaire qui secoue les Etats-Unis", Le Monde, paru le 14 août 2014, consulté le 8 mai 2015, [En ligne] ⋅ LONS Camille, "De la terre fantasmée au territoire national", MENA Post, [En ligne] 27 décembre 2014, consulté le 29 avril 2015. ⋅ LONS Camille, "La terre et l'exil dans la mémoire collective palestinienne", MENA Post [En ligne] 23 décembre 2014, consulté le 29 avril 2015. ⋅ SLITINE Marion, "L'art Palestinien contemporain hors les murs. Le cas de Londres", Orient XXI, publié le 13 décembre 2013, consulté le 4 mai 2015, [En ligne]

REVUES

⋅ "Identité : Palestine", Qantara, magazine des cultures arabes et méditerranéenne, n°23, printemps 1997, 82p.

DECLARATIONS, DISCOURS, RESOLUTIONS

⋅ "Un moment de vérité : Une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne", déclaration des théologiens chrétiens Palestiniens à Bethléem, 11 décembre 2009. ⋅ Accord Gaza-Jéricho (4 mai 1994), consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ Accords D'Oslo (13 septembre 1993), consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ Accords Intérimaires sur l'Autonomie – Oslo II (28 septembre 1995), consulté le 28 avril 2015, [En ligne]

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⋅ Charte Nationale palestinienne (17 juillet 1968), consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ DARWICH Mahmoud, "L'OLP a cessé d'être", in Gaza-Jéricho, une Signature Historique, édition de l'Aube, 1994, 176p. ⋅ Déclaration d'Indépendance de l'Etat de Palestine (Alger, 15 novembre 1988), consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ Déclaration de Juliano Mer Khamis, directeur du Freedom Theatre, le Théâtre libre de Jénine, 25 avril 2009, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ Discours de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité Palestinienne, 26 septembre 2014, consulté le 6 mai 2015, ⋅ Lettres de reconnaissance mutuelle échangées entre MM. Arafat et Rabin (9 et 10 septembre 1993), consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ Résolution n°194 de l'ONU, relative à la question de la Palestine , 11 décembre 1948, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] , consulté le 2 mai 2015. ⋅ Résolutions 242 et 338 de l'ONU (22 novembre 1967 et 22 octobre 1973), consulté le 28 avril 2015, [En ligne]

RAPPORTS, ETUDES

⋅ Extrait d’un rapport d’une mission d’enquête organisée par la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) en Palestine et Israël, du 14 au 22 décembre 1996, in "En Désespoir de Paix", Revue d’Etudes Palestiniennes, n°16 (nouvelle série), été 1998, p.100-124. ⋅ "Preliminary Analysis of the Humanitarian Implications of February 2005 Barrier Projections", Office for Coordination of Humanitarian Affairs (UNOCHA)

DOSSIERS DE PRESSE

⋅ Dossier de presse du court-métrage Condom Lead. ⋅ Dossier de presse du court-métrage Like Twenty Impossibles.

Sources iconographiques

CARTOGRAPHIE

⋅ "Gaza Strip, access and movement (Gaza crisis), September 2014", UN OCHA, juillet 2014.

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⋅ "Occupied Palestinian territory : West Bank, June-august 2014, Concern over excessive use of force", UN OCHA, septembre 2014. ⋅ "The West Bank, Settlements and the Separation Barrier, November 2014", B’Tselem, novembre 2014. ⋅ "West Bank Closure – Hebron Old City, october 2010", UN OCHA, octobre 2010. ⋅ "West Bank Restrictions – Nablus, December 2011", UN OCHA, août 2011. ⋅ "West Bank, Access Restrictions, September 2014", UN OCHA, août 2014.

ŒUVRES PLASTIQUES

⋅ BADWAN Nidaa, 100 Days of Solitude, consulté le 5 mai 2013, [En ligne],

Sources cinématographiques/audiovisuelles/musicales

ŒUVRES CINEMATOGRAPHIQUES

⋅ ABU-ASSAD Hany, Omar, [DVD], Palestine, 2013, (96 min). ⋅ JACIR Annemarie, Like Twenty Impossibles, Palestine, Etats-Unis, 2003, (17 min). ⋅ SOULEIMAN Elia, Intervention Divine, [DVD], France, 2002, (92 min).

DOCUMENTAIRES

⋅ BITTON Simone et SANBAR Elias, Et la Terre Comme la Langue, [DVD], sous la direction de Simone Bitton, France, 1998, (59 min). ⋅ SIVAN Eyal et KLHEIFI Michel, Road 181. Fragment of a Journey in Palestine- Israel, [DVD], France, 2004, (270 min).

CLIPS MUSICAUX

⋅ " DAM feat Juliano's students - Juliano's way", produit par Jethro, mise en ligne le 4 avril 2012, consultée le 10 mai 2015, [En ligne] ⋅ "DAM - #Who_You_R (Official Video)", produit par Fresco Films et réalisé par Scandar Copti, mise en ligne le 26 mars 2015, consultée le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ "DAM feat Rachid Taha - WHY ", mise en ligne le 14 septembre 2013, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] ⋅ "DAM featuring AMAL MURKUS - If I Could Go Back In Time", mis en ligne le 6 novembre 2012, consulté le 10 mai 2015, [En ligne]

128

⋅ " Green Revolution - Bruno Cruiz, Mahmoud Jrere, Walaa Sbeit, Terez Sliman, Toot Ard ", produit par Bruno Cruz, mis en ligne le 15 février 2011, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] ⋅ "Israel vs Palestine - feat. DAM & Norman Finkelstein [RAP NEWS 24]", écrit et réalisé par Giordano Nanni & Hugo Farrant, mise en ligne le 24 avril 2014, consultée le 6 mai 2013, [En ligne], < https://www.youtube.com/watch?v=U3by9FoEFB8> ⋅ " Ministry Of Dub-Key - Dumyeh Plastikieh" , produit par Bruno Cruz, mis en ligne le 22 octobre 2012, consulté le 10 mai 2015, [En ligne] ⋅ "Tamer Nafar min DAM - Scarlett Johansson Has Gas", mise en ligne le 6 mars 2014, consultée le 6 mai 2015, [En ligne]

AUTRE AUDIOVISUEL

⋅ "The Funeral of Mahmoud Darwich", extrait d'une diffusion de la chaîne de télévision Ash-shams, mis en ligne le 17 août 2008, consulté le 8 mai 2015, [En ligne] ⋅ "Israeli PM Netanyahu: "I stopped Oslo peace process"", extrait d’une diffusion de la chaîne israélienne Channel 10 News, diffusé par Youtube, mise en ligne le 19 juillet 2010, consultée le 18 avril 2015. ⋅ ABU NASSER Mohammad "Arab" et Ahmad "Tarzan", Bande Annonce du court métrage Condom Lead, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] ⋅ ABU NASSER Mohammad "Arab" et Ahmad "Tarzan", Bande Annonce du court métrage Gaza 36mm, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] < https://vimeo.com/48401858> ⋅ Bande Annonce du documentaire Breaker, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] < http://www.voicesofyouth.org/en/users/30039> ⋅ Bande annonce du documentaire Playground, consulté le 28 avril 2015, [En ligne] < http://www.internationalmovietrailerfestival.com/all-trailers/playground- playground/>

ŒUVRES MUSICALES

⋅ DAM, Ihda' Dedication, novembre 2006, Red Circle Music ⋅ Ministry of Dub-Key – Are you dubbed? Page Soundclound, ⋅ Toot Ard, Nuri Andaburi, 2011, Island Def Jam Digital Distribution

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Poèmes et recueils de poèmes

⋅ DARWICH Mahmoud, "Mahmoud Darwich, Les derniers poèmes", La Pensée de Midi, 2008/4 N° 26, p. 237-242. ⋅ DARWICH Mahmoud, "Muhammad", poème paru dans Revue d’Etude Palestiniennes, n°26 (nouvelle série), hiver 2001, p.3-4. ⋅ DARWICH Mahmoud, Anthologie (1992-2005), Babel, 2009, 320p. ⋅ DARWICH Mahmoud, Le Lanceur de Dés et Autres Poèmes, Actes Sud, 2010, 96p. ⋅ DARWICH Mahmoud, Le Lit de l'Etrangère, Actes Sud, 2000, 84p. ⋅ DARWICH Mahmoud, Poèmes Palestiniens, Chronique de la Tristesse Ordinaire, Ed. du Cerf, 1989, 208p. ⋅ Entretiens sur la Poésie, entretiens avec Mahmoud Darwich, avec Abdo Wazen et Abbas Beydoun, Actes Sud, 2006, 128p. ⋅ La Palestine comme Métaphore, Entretiens avec Mahmoud Darwich, Babel, 2002, 192p. ⋅ LAÂBI Abdellatif, La Poésie Palestinienne Contemporaine, Anthologie, Ed. Messidor, 1990, 240p.

Sources Internet

ONG, ORGANISATIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES

⋅ Digithèque MJP (Matériaux Juridiques et Politiques), site de ressources documentaires en ligne : http://mjp.univ-perp.fr/mjp.htm ⋅ Présentation des Territoires Palestiniens par la diplomatie française, consulté le 6 mai 2015 : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires- palestiniens/presentation-des-territoires/article/presentation-10767 ⋅ ReliefWeb, site d’information et de ressources numériques, notamment rapports et cartographie, mis en place par l’OCHA : http://reliefweb.int ⋅ Site de l'OCHA pour les Territoires Palestiniens Occupés et Gaza : http://www.ochaopt.org/index.aspx ⋅ Site de l'ONU (Organisation des Nations Unies) : http://www.un.org/fr/ ⋅ Site de l'UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) : http://en.unesco.org ⋅ Site de l'UNOCHA (United Nations Office for Coordination of Humanitarian Affairs) : http://www.unocha.org ⋅ Site de l'UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near-East, Organisme crée en 1948 consacré exclusivement aux réfugiés Palestiniens) : http://www.unrwa.org

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INSTITUTIONS CULTURELLES :

⋅ Page facebook du projet Initiative Youth Cinema for Change, projet de promotion de la culture, dédié aux jeunes Gazaouis et porté par le cinéaste Gazaoui Wesam Mousa, consultée le 4 mai 2015 : https://www.facebook.com/pages/Initiative-Youth- cinema-for-change ⋅ Site de Institut du Monde Arabe, dédié à la promotion de la culture arabe, au dialogue entre l'orient et l'occident, en France et en Europe, consulté du 1er octobre 2014 au 1er mai 2015 : http://www.imarabe.org ⋅ Site de l'Institut Culturel Franco-Palestinien, dédié à la promotion en France des divers aspects de la culture et de la création artistique de Palestine et des Palestiniens de la Diaspora, consulté du 1er octobre 2014 au 1er mai 2015 : http://www.institut- icfp.org ⋅ Site de l'ONG Palestinienne RIWAQ, dédié à la conservation et à la restauration du patrimoine historique dans les Territoires Palestiniens Occupés : http://www.riwaq.org ⋅ Site de la Fabrique des Cinémas du Monde, programme professionnel développé par l’Institut français avec le soutien de l’Organisation internationale de la francophonie pour favoriser l’émergence de la jeune création des pays du sud sur le marché international, consulté le 4 mai 2015: http://www.lescinemasdumonde.com/ ⋅ Site de la plasticiennes palestinienne Larissa Sansour : http://www.larissasansour.com ⋅ Site du festival international du film de Dubaï : https://dubaifilmfest.com/en ⋅ Site du Institue for Palestine Studies, institut américano-palestinien dédié à la recherche, l'analyse et la publication sur le conflit israélo-palestinien : http://www.palestine-studies.org ⋅ Site en anglais de l'International Academy of Arts, Palestine, dédiée à la promotion et à la démocratisation de la pratique artistique et des œuvres plastiques en Palestine, consulté le 4 mai 2015 : http://www.artacademy.ps ⋅ Site en anglais de la fondation Al-Qattan, organisme privé dédié à la promotion et au soutien de la culture arabe et principalement palestinienne, consulté le 8 mai 2015 : http://www.qattanfoundation.org/en ⋅ Site en anglais du Centre Culturel Khalil Sakakini de Ramallah, centre culturel dédié à la médiation et la démocratisation du patrimoine culturel et artistique palestinien, consulté le 8 mai 2015 : http://sakakini.org ⋅ Site en anglais du conservatoire national Edward Saïd, conservatoire national de Palestine, consulté le 8 mai 2015 : http://ncm.birzeit.edu/en ⋅ Site en anglais du Théâtre de la Liberté, ONG et théâtre dédié à la promotion de l'art dramatique et à sa capacité à favoriser les échanges sociaux, consulté le 8 mai 2015 : http://www.thefreedomtheatre.org ⋅ Site en français de l'ONG Al-Kamandjâti, dédiée à l'éducation et à la promotion de la musique pour la jeunesse palestinienne, notamment celle des camps de réfugiés : http://www.alkamandjati.com

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⋅ Site internet du Made in Palestine Project, projet de rassemblement et de promotion des nouvelles œuvres plastiques et cinématographiques palestiniennes, consulté le 4 mai 2015 : http://madeinpalproj.tumblr.com ⋅ Site internet en anglais de l'ONG Yabous, centre culturel basé à Jérusalem-Est et dédié à la diffusion artistique et à la dynamisation de la vie culturelle Hiérosolymitaine, consulté du 1er janvier au 1er mai 2015 : http://yabous.org/en/ ⋅ Site officiel du festival de Cannes, festival international de cinéma, consulté le 4 mai 2015 : http://www.festival-cannes.fr/fr.html ⋅ Site officiel du groupe de rap Palestinien Israélien DAM, consulté le 6 mai 2015 : http://www.damrap.com/lyrics

Témoignages

ENTRETIENS

⋅ ABU NASSER "Arab" Mohammad, cinéaste Gazaoui, témoignage, 15 mars 2015, Rennes. ⋅ Frank Barat, ancien coordinateur du Tribunal Russel pour la Palestine, organisateur du festival Ciné Palestine, témoignage, 8 avril 2015, Rennes. ⋅ HAMSHARI Amina, directrice du centre culturel franco-palestinien, entretiens, 30 octobre 2014 et 30 janvier 2015, Paris. ⋅ SLITINE Marion, Doctorante en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), témoignage, 15 mars 2015, Rennes.

CHRONIQUES, TEMOIGNAGES

⋅ "Arab and Tarzan Abunasser, Palestinian directors", interview des frères Abu Nasser, cineastes, à Cannes, par Euromed Audiovisal, publiée le 21 août 2013, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=mLe9E1ab- hI> ⋅ "Director Hany Abu-Assad talks Festival Cine-Palestine", interview du cinéaste Palestinien Hany Abu-Assad par Frank Barat, mise en ligne le 22 avril 2015, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] ⋅ "I am not sure people know Palestinians", interview du cinéaste palestinien Raed Andoni par Frank Barat, mise en ligne le 19 mars 2015, consultée le 8 mai 2015, [En ligne] ⋅ "Nidaa Badwan", extrait d'un reportage de la chaîne de télévision Al-Hurra, mise en ligne le 28 avril 2014, consultée le 5 mai 2015, [En ligne], ⋅ ABU NASSER "Arab" Mohammad : "J'ai voulu changer ces clichés de la souffrance palestinienne" extrait de l'émission Maghreb Orient-Express diffuse sur TV5 Monde, mise en ligne le 25 mai 2014, consultée le 2 mai 2015, [En ligne],

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⋅ ABU NASSER "Arab" Mohammad : "L'expérience de la guerre ce n'est pas propre à Gaza" , extrait de l'émission Maghreb Orient-Express diffuse sur TV5 Monde, mise en ligne le 25 mai 2014, consultée le 2 mai 2015, [En ligne], ⋅ BOURLOND ANNE, "Les "saisons" de Jérusalem-Est", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°21 (nouvelle série), automne 1999, p118-120. ⋅ BOURLOND Anne, "Obsessionnelle quête d’identité", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°23 (nouvelle série), été 2000, p.114-116. ⋅ HANIYYE Akram, Ce qui s’est réellement passé à Camp David, 11-25 juillet 2000, Washigton DC, USA, Documents de la Revue d’Etudes Palestiniennes, 2001, 64 p. ⋅ LAYDI Adila, directrice en 2002 du centre culturel Khalil Sakakini (Ramallah), témoignages du 2 et 13 avril 2002 exprimés dans "Messages d’une Guerre", Revue d’Etudes Palestiniennes, n°84 (nouvelle série), été 2002, p. 8-97. ⋅ NOM INCONNU, Rita, témoignage du 10 avril 2002 exprimé dans "Messages d’une Guerre", Revue d’Etudes Palestiniennes, n°84 (nouvelle série), été 2002, p. 8- 97. ⋅ SCHNEEGANS Vincent, "Gaza au quotidien", Confluences Méditerranée, 2001/2 N°37, p. 25-34. ⋅ SIVAN Eyal, "La Palestine est notre terre commune", interview du cinéaste Israélien Sivan Eyal par Frank Barat, mise en ligne le 28 avril 2015, consultée le 3 mai 2015, [En ligne], < https://www.youtube.com/watch?v=0HdT- wQQj3E&feature=youtu.be> ⋅ SULEIMAN Elia, "Carnets du sous-sol", dans Revue d’Etudes Palestiniennes n°26 (nouvelle série), hiver 2001, p.117-120. ⋅ SULEIMAN Elia, "Elia Souleiman, Un Cinéma de Nulle Part" (propos recueillis et traduits de l’anglais par Anne Bourlond, Jérusalem, juillet 1999), dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°21 (nouvelle série), automne 1999, p.91-97. ⋅ ZUROB Hani, "S’il y a de grands artistes, il y aura de grands hommes politiques", avec Hani Zurob, réalisé et traduit de l’arabe par Rachid Akel, dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°103 (nouvelle série), printemps 2007, p.85-90.

COURRIERS ELECTRONIQUES

⋅ BRUNO Anthony, directeur du Centre Culturel Français (CCF) de Gaza, courriers électroniques du 25 mars et du 7 mai 2015. ⋅ HAMSHARI Amina, directrice de l'Institut Culturel Franco-Palestinien (ICFP), courrier électronique du 21, 25, 26 mars 2015. ⋅ SLITINE Marion, Doctorante en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), courrier électronique du 23 mars 2015. ⋅ KABBAL Maati, Institut du Monde Arabe à Paris (IMA), chargé des "Jeudis de l'IMA", courrier électronique demeuré sans réponse, 29 octobre 2014.

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Bibliographie

Instruments de Travail

⋅ Encyclopédia Universalis, consultée du 1er octobre 2014 au 9 mai 2015, [En ligne] ⋅ Wikipédia, encyclopédie participative en ligne, consultée le 9 mai 2015, [En ligne]

Ouvrages généraux

DIASPORA, IDENTITE, CULTURE

⋅ AOUILLE Sophie, "Jacques Hassoun, Les contrebandiers de la mémoire", Essaim, 2012/1 n° 28, p.209-211. ⋅ BALIBAR Etienne, "Culture et identité" Notes de recherche, NAQD, 1992/1 N° 2, p. 9-21. ⋅ BETHEMONT J. et COMMERÇON N., "La géographie de Maurice Le Lannou", Revue de Géographie de Lyon, vol. 68, n°4, 1993, p. 209-211. ⋅ BORDES-BENAYOUN Chantal, "La diaspora ou l’ethnique en mouvement", Revue Européenne des Migrations Internationales [En ligne], vol. 28 - n°1 | 2012, mis en ligne le 01 mars 2015, consulté le 20 avril 2015. e ⋅ CUCHE Denys, La Notion de Culture dans les Sciences Sociales, 4 ed., Paris, La Découverte "Repères", 2010, 128 p. "De l'expatriement fondateur à la déchirure en abîme", Che vuoi? , 2007/3 HS02, p. 76-76. ⋅ DESBARATS Carole, "L'éducation artistique et les émotions démocratiques", Esprit, 2012/12 décembre, p. 35-48. ⋅ DESPLECHIN François, "L'identité dans l'exil : entre crainte de l'oubli et fantasme inconscient de trahison. Le travail clinique auprès de demandeurs d'asile", L'Information Psychiatrique, 2015/1 Volume 91, p. 45-52. ⋅ DI MEO Guy, "Identités et territoires : des rapports accentués en milieu urbain ?", Métropoles [En ligne], 1 | 2007, mis en ligne le 12 février 2007, consulté le 29 avril 2015. ⋅ DUFOIX Stéphane, "Qu'est-ce qu'une diaspora ?", Les Diasporas, Paris, Presses Universitaires de France, "Que sais-je ?", 2003, 128 p. ⋅ KUÇURADI Ioanna, "Nation et nationalisme", Revue de métaphysique et de morale, 2014/1, N°81, p. 5-9. ⋅ MENISSIER Thierry, "Culture et identité : Une critique philosophique de la notion d'appartenance culturelle", Le Philosophoire, 2000/3 n° 13, p. 211-231.

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LA NOTION DE PERFORMATIVITE

⋅ AMBROISE Bruno, "Judith Butler et la fabrique discursive du sexe", Raisons Politiques, 2003/4 no 12, p. 99-121. ⋅ JUBIN Olivier, "L’affaire Matthew Shepard aux États-Unis. Mémoires plurielles et performativité dans la sphère publique", Émulations, n°11, 2013. (mise en ligne 3 janvier 2013), consulté le 28 avril 2015. ⋅ BUTLER Judith, Trouble dans le Genre, le Féminisme et la Subversion de l'Identité, Ed. La Découverte, 2006, 294p.

Etudes particulières autour de la Palestine

IDENTITE ET CULTURE

⋅ CARRÉ Olivier, "La résistance : lutte nationale et révolution de classes", in L’idéologie Palestinienne de Résistance, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.),"Académique", 1972, 166 p. ⋅ HANAFI Sari, "Spatio-cide, réfugiés, crise de l'État-nation", Multitudes, 2004/4 no 18, p. 187-196. ⋅ KHALIDI Rashid, L'Identité Palestinienne - La construction d'une conscience nationale moderne, La Fabrique, 2003, 402p. ⋅ KHOURY Elias, "De la patrie-camp à la patrie-exil", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°23 (nouvelle série), printemps 2000, p.3-6. ⋅ PIRINOLI Christine, "Entre terre et territoire : enracinement de l'identité palestinienne", Etudes Rurales, 2002/3 n° 163-164, p. 91-107. ⋅ SAÏD Edward, Culture et Résistance : entretiens avec David Barsamian, Ed. Fayard, 2004, 248p. ⋅ SANBAR Elias, Figures du Palestinien : Identité des origines, identité de devenir, Paris, coll. NRF Essaie, Gallimard, 2004, 304 p.

OCCUPATION, POLITIQUE ET SOCIETE

⋅ BISTOLFI Robert, "Les Chrétiens dans la résistance palestinienne", Confluences Méditerranée, 2010/1 N°72, p. 135-137 ⋅ BULLE Sylvaine, "Identités urbaines et identités nationales", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°22 (nouvelle série), hiver 2000, p.35-47 ⋅ CHAGNOLLAUD Jean-Paul, "Intifada ou lutte de libération?", Confluences Méditerranée, 2001/2 N°37, p. 11-18. ⋅ CHOMSKY Noam, PAPPE Ilan et BARAT Frank, On Palestine, Haymarket Books, Chicago, Illinois, Etats-Unis, 2015, 218p.

135

⋅ HALEVI Ilan, "D’une Intifada l’autre", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°84 (nouvelle série), été 2002, p.98-110 ⋅ JARBAWI Ali et al., "Le Hamas, un parti politique pragmatique", Confluences Méditerranée, 2005/4 N°55, p. 105-112. ⋅ POUZOL Valérie, "Refuser le cycle de la violence. Quand les femmes disent non à la guerre (Israël-Palestine 1987-2013)", Diogène, 2013/3 n° 243-244, p. 140-159.

HISTOIRE

⋅ CHALLAND Benoît, « Les mutations du leadership Palestinien (1993-2007) », A Contrario, 2008/1 Vol. 5, p. 52-75. ⋅ FINKELSTEIN Norman G., Mythes et Réalités du Conflit Israélo-Palestinien, Bruxelles, Aden, 2007, 441 p. ⋅ MOCHON Jean-Philippe, « Le Consul Général de France à Jérusalem ; aspects historiques, juridiques et politiques de ses fonctions », dans Annuaire Français de Droit International, volume 42, 1996. p.929-945. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066- 3085_1996_num_42_1_3421

DROIT AU RETOUR

⋅ AL-HUSSEINI Jalal, "Visions palestiniennes du "droit au retour" des réfugiés, sept ans après le début de la seconde Intifada (2000-2007)", A contrario, 2008/1 Vol. 5, p. 37-51. ⋅ AVNERI Uri, "Le retour, droit inaliénable", Confluences Méditerranée, 2001/2 N°37, p. 83-90. ⋅ DE WANGER Sylviane, "Le droit au retour des réfugiés", Confluences Méditerranée, 2008/2 N°65, p. 145-158. ⋅ DHOQUOIS-COHEN Régine et DHOQUOIS Guy, "Réflexions contradictoires sur le droit au retour", Confluences Méditerranée, 2001/2 N°37, p. 115-120.

ART

⋅ ABUGHAIDA Yazan, "Dub, Dub-Key and Dabkeh: Palestinian Resistance through Reggae Music in Israel", Journal of Georgetown University-Qatar Middle Eastern Studies Student Association, 2015, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] ⋅ AL ZOBAIDI Sobhi, "Tora Bora cinema", Jump Cut n°50, printemps 2008, [En ligne], ⋅ ASANTE DARKO Kwaku, "Reggae rethoric and the Pan-African risorgimento", Mots Pluriels n°16, décembre 2000, consulté le 6 mai 2015, [En ligne] < http://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP16OOkad.html>

136

⋅ BEN ABDA Saloua, "Le vent, l’ombre et l’oiseau, les espaces de Mahmoud Darwich", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°14, (nouvelle série), hiver 1998, p.92-103. ⋅ GERTZ Nurith et KHLEIFI George, Palestinian Cinema, Landscape, Trauma and Memory, Oxford University Press, 2008, 256 p. ⋅ JIHAD HASSAN Kadhim, "La Nakba dans la littérature Arabe", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°108 (nouvelle série), été 2008, p.81-100. ⋅ KANAANEH M., THORSEN S-M., BURSHEH H., McDONALD D. A., Palestinian Music and Song : Expression and Resistance since 1900, Indiana University Press, Bloomington et Indianapolis, Etats-Unis, 2013, 232 p. ⋅ KHADRA JAYYUSI Salma, "La littérature Palestinienne après 1948", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°24 (nouvelle série), été 2000, p.64-104. ⋅ KHOURY Elias, "Mahmoud Darwich : Rita et la poétique du couple", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°81 (nouvelle série), automne 2001, p.58-69. ⋅ MASSAD Joseph, "Chansons pour la liberté : la Palestine en Musique", dans Revue d’Etudes Palestiniennes, n°88 (nouvelle série) été 2003, p.60-73. ⋅ McDONALD David A., My Voice Is My Weapon: Music, Nationalism, and the Poetics of Palestinian Resistance, Duke University Press, Durham et Londres, 2013, 360p. ⋅ XAVIER François, Mahmoud Darwich dans l'Exil de sa Langue, Ed. Autres Temps, 2004, 176p.

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Index

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Table des matières

REMERCIEMENTS 11

RESUMES/SYNOPSIS 12

SOMMAIRE 13

TABLE DES SIGLES 18

INTRODUCTION 10

Le contexte de la Palestine 10 Hypothèses 13 Artistes, territoires, Palestine, palestinité 14 Choix des supports 14 Approche du sujet 18

PREMIERE PARTIE : HISTOIRE, PALESTINITE, CULTURE 21

A) LA PALESTINE AUJOURD'HUI, ISOLEMENT, DESESPOIR, ET DIVISION 21 1) OSLO ET LE DESESPOIR 21 Oslo, la paix sans justice 21 1993-2014, vingt ans acculés au désespoir 23 2) LE MORCELLEMENT DU TERRITOIRE 24 Les accords de Taba, verrouillage du territoire palestinien 24 L'archipel mondial des Palestiniens 26 3) LES PALESTINIENS AUX YEUX DES PALESTINIENS 27 B) LA "PALESTINITE" 28 1) IDENTIFICATION ET IDENTITE 28 L’identité et la multitude 28 L'imaginaire comme ancrage 30 Identification à la palestinité 31 2) UNE PALESTINITE ENRACINEE DANS LE TEMPS : TERRE, RESILIENCE ET IDEAL 32 Le revirement du récit national après la Nakba (1948) 32 Récit national, opposition de deux idéaux 33 Résilience et résistance 33

11

3) UNE PALESTINITE SUSPENDUE A L'AVENIR : RESISTANCE, RETOUR ET PRAGMATISME 34 Définir la Résistance 34 Projets politiques et culture à l'épreuve de l'avenir 35 Droit au retour, approche pragmatique et révision de la perspective nationaliste 36

C) LA SINGULARITE DU PALESTINIEN 38 1) PALESTINIENS ET ARABES 38 L'arabité des Palestiniens 38 L'identification arabe à la Nakba 39 La condition palestinienne 40

2) LE CONTEXTE DE LA CREATION ARTISTIQUE EN PALESTINE 41 Tensions dans la paix et tensions dans la guerre 41 Réhabiliter la culture dans les TPO 42 Ambitions locales et dépendance extra-territoriale des TPO et de Gaza 43 Israël et la diaspora 44 3) LES FIGURES D'UNE EXCELLENCE RECONNUE 45 Indépendance du récit national 45 Richesse et illustration de la production cinématographique palestinienne 46 Rayonnement de la littérature 46 Ambitions et reconnaissance des arts plastiques palestiniens 47

DEUXIEME PARTIE : DES ARTISTES ET DES TERRITOIRES 49

A) DESTRUCTION ET ENFERMEMENT, L'ART GAZAOUI ET LE BESOIN D'HUMANITE 49 1) DES CONDITIONS PROPRES A GAZA 49 Situation humanitaire 49 Le quotidien Gazaoui 50 2) DU CINEMA SANS CINEMAS 51 Gaza, territoire des enfants 51 Le décalage artistique, cinéma et œuvres plastiques des frères Abu Nasser 53 3) S'EXPRIMER : TRANSCENDER ET HUMANISER GAZA 54 100 Days of Solitude, apporter un autre regard sur l'espace Gazaoui 54 Voir Gaza à travers son humanité 56

B) L'ESPACE ET L'IDENTITE : LE CINEMA DANS LES TERRITOIRES OCCUPES 57 1) LA QUESTION DE L'ESPACE 57 L'espace palestinien : rappels 57 Traiter la question de l'espace dans le cinéma 58 Cinéma Tora Bora 59 2) LES ROADBLOCK MOVIES, L'OCCUPATION A L'ECRAN 60

12

S'identifier dans des expériences individuelles 60 S'approprier les symboles de leur fragmentation 61 La temporalité du présent 62 3) UNE REALITE-FICTION 63 Une réalité dévorante 63 Une réalité suggestive 64 C) RYTHMES SUBVERSIFS D'AILLEURS : HIP-HOP ET REGGAE EN PALESTINE 65 1) NAISSANCE ET EVOLUTION DU GROUPE DAM 65 "I'm the negro of the Middle East" 65 Culture globalisée et culture palestinienne 67 Répliquer à la réalité 68 2) NAISSANCE DU REGGAE EN PALESTINE ? 70 Prémices d'une dynamique reggae-dub arabe en Israël 70 Toot Ard, reggae Syrien du plateau du Golan 70 "Dub, Dub-Key, dabkeh" 72 3) LA SUBVERSIVITE INHERENTE DES RYTHMES 74 Solidarité outre-Atlantique et culture hip-hop 74 Le reggae et la lutte universelle contre Babylone 75 D) « ET LA TERRE COMME LA LANGUE », DARWICH, L'IDENTITE, L'EXIL 76

1) "SAJJIL! ANA 'ARABI - INSCRIS! JE SUIS ARABE", LA LANGUE, RACINE DE LA

PALESTINITE 76 La langue, première marque d'identité 76 Exister : occuper la terre par la culture et par l'esprit 79 2) "L'EPOPEE POETIQUE PALESTINIENNE" 80 Engagements et appréhensions de la réalité par la poésie 80 Exil, altérité, identité 84 3) "LA PALESTINE COMME METAPHORE", REFLET DE L'EPOPEE HUMAINE 87 Echange mutuel de sens entre la terre et le poème 87 Portée universelle du poème 89

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TROISIEME PARTIE : LE FRUIT DE LA RECHERCHE ESTHETIQUE, LA NATION PALESTINIENNE 91

A) LA PALESTINE, EN SORTIR ET Y RESTER 91 1) LA NECESSITE DE S'EXTRAIRE DU CONTEXTE 91 S'émanciper pour une démarche uniquement artistique 91 Dynamique d'ouverture 93 2) LA REINTEGRATION DANS LE CONTEXTE 94 L'expression artistique ou déplacer l'accès à la réalité 94 La glocalisation, application au contexte 95 3) TRANSMETTRE UN MESSAGE UNIVERSEL 96 Le langage de l'art 96 Devenir une référence culturelle pour le monde 97 B) AGIR SUR LE REEL, LA PERFORMATIVITE DE L'ART 98 1) « L’INTIFADA ARTISTIQUE » 98 La pratique artistique 98 La bataille pour l'espace culturel 99 Etre Homme-Habitant 101 2) PERFORMATIVITE DE L'ART, SUBVERTIR LES DISCOURS IMPOSES 102 Performativité Linguistique 102 Performance artistique et discours performatif 103

3) CRISTALLISATION ET ECHOS DE L’IDENTITE : « L’ACTE NECESSAIRE DE LA

PERFORMANCE » 104 Performance et performativité 104 performance et médiation 106 C) L'ART ET LA CULTURE : ATTRIBUTS ET OUTILS DES PALESTINIENS 108 1) "TRANSGRESSER" LES FRONTIERES 108 "Hyphenated Identity" ou Identité "trait d'union" 108 Rassembler les Palestiniens dans un même espace créatif 110 2) EXTRATERRITORIALITE DE LA NATION PALESTINIENNE 111 La nation, concept ethnique et biologique 111 La Palestine, reconnue par sa culture comme nation 113 3) LA PAIX, L'ETAT, L'UNITE : MESURES D'UN PEUPLE ILLUSTRE 116 La paix 116 L'Etat 117 L'unité 119

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CONCLUSION 120

SOURCES 125

BIBLIOGRAPHIE 134

INDEX 138

TABLE DES MATIERES 11

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