Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne, 6, 2008 – S.B.F.C., C.B.N.F.C.

Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

par Gilles et Max André

Gilles André, 76 rue du Hurepoix, 91470 Limours Courriel : [email protected] Max André, 30 rue Pergaud, 25300 Pontarlier Courriel : [email protected]

Résumé – les analyses polliniques montrent que l'installation des pinèdes denses à Pin à crochets sur les hauts-marais jurassiens est récente. Dans un premier temps liée à des réintroductions au XIXe siècle (REILLE, 1991), elle est, aujourd'hui, considérée comme la conséquence de l'exploitation de la tourbe (Än XVIIe siècle), qui aurait favorisé à la fois la germination des pins dans les anciennes fosses et la croissance des peuplements existant en bordure des hauts-marais (BÉGEOT et RICHARD, 1996 ; FRELÉCHOUX et al., 2000b). Nos recherches historiques valident en partie ce modèle explicatif, mais en modiÄent très sensiblement la chronologie. Des pins à crochets (cros) et des pinèdes (crossats) sont en effet clairement mentionnés dans les tourbières jurassiennes dès le XVIe siècle. Les différentes actions anthropozoogènes dans les tourbières, analysées et évaluées dans cette publication, ont débuté au moins dès le XIVe siècle et se sont intensiÄées aux XVe et surtout XVIe siècles ; elles sont cer- tainement en grande partie responsables de cette dynamique des hauts-marais jurassiens. L'exploitation des tourbières ne peut être considérée que comme un phénomène ampliÄcateur récent.

Mots-clés : Pin à crochets (Pinus uncinata), haut-marais, toponymie, tourbière, intervention anthropi- que, , Franche-Comté.

Introduction le plateau des Franches-Montagnes uncinata sur les tourbières étaient arrivaient à la conclusion suivante : essentiellement le résultat d’une epuis fort longtemps, les « l’invasion des tourbières par le action anthropique et notamment palynologues ont remar- Pin de marais relève la courbe au le fruit de réintroductions : « Dans D qué que les pourcentages sommet de presque tous les dia- les régions où a existé une « époque de pollen de Pinus montrent une grammes ». À partir de ce constat du Pin », telles que les Pyrénées, très forte augmentation dans les et de nombreuses nouvelles don- le Jura et les Vosges, Pinus unci- derniers centimètres des carottes nées collectées, Reille (1989, 1991) nata a pu végéter sur la tourbière de tourbe prélevées dans nos tour- mettait la communauté des bota- sous forme d’individus isolés et il bières jurassiennes ; ainsi, dès 1942, nistes jurassiens dans un certain a été favorisé ou réintroduit à une les travaux précurseurs de Joray sur émoi en concluant que les peu- époque récente… dans le Jura et l’étang de la Gruyère (= Gruère) sur plements denses actuels de Pinus à Pinet, où les plus vieux arbres

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vivants n’ont pas plus de 150 ans, miquement. Pour autant, l’inter- cienneté, non seulement de la pré- c’est seulement à partir du milieu rogation de Reille reste valide et sence du taxon Pinus uncinata, mais du 19e siècle » (Reille, 1991). Pour il faut trouver une explication à ce des pinèdes à crochets sur le massif résumer, selon Reille, les pinèdes brusque développement des pinè- jurassien, et d’autre part il propose denses des tourbières jurassiennes des sur les hauts-marais jurassiens une nouvelle corrélation tempo- seraient postérieures à 1850 environ. à une époque historique récente. relle avec les actions anthropiques Cette conclusion pouvait surpren- Bégeot et Richard () appor- directes ou indirectes, expliquant dre non seulement du fait de l’im- tent des éléments de réponse inté- la colonisation rapide des hauts- portance actuelle des petits peuple- ressants : « L’important développe- marais jurassiens. ments existants sur une multitude ment récent des pollens de Pinus, de tourbières du massif, mais éga- qui apparaît indiscutablement dans Après une première partie consa- lement en raison des données his- le diagramme pollinique de Frasne crée au statut actuel de Pinus unci- toriques que nous avions déjà col- (Reille, 1991), serait la consé- nata Ramond var. rotundata (Link) lectées sur les tourbières jurassien- quence de l’exploitation intensive Antoine sur le massif jurassien, nous nes, recherches traduites par un pre- de la tourbe à partir des XVIIe et présenterons la dimension histori- mier article relatant l’histoire très XVIIIe siècles. Pinus uncinata aurait que de nos travaux. mouvementée de la dite « Grande été involontairement favorisé par tourbière de Pontarlier « (André l’action de l’homme sur la dynami- et André, 2004). Une phrase du que récente des tourbières ». Position systématique célèbre archiviste Droz, reconnu du Pin à crochets comme une personne d’une très Ce point de vue est aujourd’hui grande rigueur, dans son Histoire largement partagé par les palynolo- Le Pin à crochets fait partie des de Pontarlier publiée en 1760, nous gues, botanistes et phytosociologues pins dits « de montagne « et il n’y avait déjà frappés et interrogés : « Le jurassiens. Les travaux très intéres- a guère de taxons du monde végé- pin qu’on ne trouve plus que dans sants sur la dynamique des peuple- tal plus malmenés par les botanis- les bois de Frâne, était ancienne- ments de Pin à crochets des équipes tes ; en faire l’historique déborde- ment l’arbre de nos marais ». Cette des laboratoires d’Écologie végétale rait très largement de notre propos. simple phrase, écrite à une époque et de Phytosociologie de l’univer- Signalons simplement que dans bien antérieure aux périodes de sité de Neuchâtel et du laboratoire une thèse relativement récente,

reboisement du XIXe siècle, voire de Chrono-Écologie (aujourd’hui Recherches taxonomiques, biogéo-

de la fin du XVIIIe siècle, apporte Chrono-Environnement) de l’uni- graphiques et phytoécologiques sur déjà, pour la tourbière de Frasne versité de Franche-Comté suggè- les principaux conifères subalpins des (25) étudiée par Reille, un pre- rent que les Pins à crochets peuvent Alpes : Mélèze d’Europe, Pin cembro, mier démenti à une réintroduction survivre durant des décennies sur le Pin à crochets et Pin mugho, Sandoz récente, mais suggère également une bord des tourbières, en milieu très () y consacre pas moins d’une extension bien plus importante du humide, niche de survie à partir de cinquantaine de pages. Dans le Pin à crochets sur les hauts-marais laquelle une rapide colonisation Bulletin de la Société Dendrologique jurassiens, notamment dans le sec- des hauts-marais a pu avoir lieu de , Hickel (1932) avait teur de Pontarlier. suite aux drainages et à l’exploita- déjà réalisé une remarquable syn- tion de la tourbe (Freléchoux et thèse, intitulée Le Pin de montagne En se basant notamment sur une al. 2000a-b, 2004). de Miller. Dans les années 1920, étude des archives forestières récentes Gaussen () a également fait concernant la tourbière de Frasne, Depuis maintenant quelques années, partie de ces botanistes qui ont le Bégeot et Richard (1996) mon- nous rassemblons des données plus fustigé la surabondance d’épi- trent que les reboisements effectués historiques pour vérifier les dires thètes latines relatives aux différen- au tout début des années 1900 n’ont d’E. Droz et déterminer l’impor- tes formes du pin de montagne et jamais comporté de Pinus uncinata tance des peuplements de Pin à de ses alliés. et que les forestiers de l’époque ont crochets à différentes époques de plutôt systématiquement cherché la période historique. Cet article Les raisons de cet imbroglio tien- à éliminer le pin, essence considé- présente une partie de nos recher- nent à de nombreuses causes. Tout rée comme non rentable écono- ches. D’une part, il confirme l’an- d’abord, une séparation tardive

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des différents taxons de Pinus vaillé sur le genre Pinus ont utilisé On a en effet cru observer de nom- par les botanistes les plus renom- des critères d’identification diffé- breuses variations importantes au més : C. von Linné ne fait men- rents : ou la forme des apophyses sein de ce taxon et est apparue tion d’aucune espèce de Pinus qui des écailles du cône (Willkomm, toute une série d’épithètes visant puisse se rapporter au Pin à cro- 1887) ou seulement le port de l’in- à caractériser différentes formes : chets et il faudra attendre Miller dividu (von Tubeuf, 1912) ou pin nain, pin des marais, bois tordu,

() qui, dans la 8e édition de ces deux caractères réunis (Rouy, bois genouillé ou coudé ou divers son Dictionnaire du Jardinage (tra- 1913) (cf. clichés 1 et 2 H. T.). habitus du cône. duction française de 1785), énu- Bien sûr chacune de ces classifica- mère les espèces suivantes : tions comporte des variétés et des Dans l’état actuel des connaissan- sous-variétés et essayer de syno- –Pinus silvestris, mais la descrip- ces, de nombreux auteurs propo- nymiser ces différentes classifica- tion ne correspond pas au Pin syl- sent de ne conserver que les deux tions s’avère pratiquement impos- espèces reconnaissables par tout vestre de Linné mais au Pin mari- sible. Hartig (1861) ne distin- time (P. pinaster) ! le monde à partir du port de l’in- gue pas moins de 62 variétés si on dividu : –Pinus pinea L., traite l’espèce collective P. montana Miller (1768). Nos botanistes juras- –Pinus uncinata Ramond, le Pin –Pinus rubra, qui correspondrait siens (Thurmann, Babey, Godet, à crochets, arborescent, aux cônes au P. silvestris L., Michalet, Grenier...) n’échappent asymétriques et à écusson proémi- –,Pinus tartarica pas à la confusion des binômes nent. Espèce centrée sur l’Europe Pinus montana, mais comportant latins et la revue Billotia (Bavoux de l’Ouest ; une description bien difficile à et al.,1864-1878) relate quelques –Pinus mughus Scopoli (1772), le interpréter comportant des réfé- prises de bec fameuses... Pin rampant, aux cônes symétri- rences au Pinax theatri botanici ques et à écusson plat. Espèce à de Gaspard Bauhin (1560-1624) Ajoutons enfin que toutes ces espè- répartition est-européenne. Pour (frère de Jean Bauhin), synonymi- ces de Pinus possèdent une variabi- ce dernier taxon, un débat existe sant son espèce au Pinus silvestris lité extrême, comme la forme des sur le choix de l’épithète « mughus », montana altera mais ajoutant aus- apophyses des écailles, et qu’elles « mugho » et « mugo ». sitôt : « another wild montain Pine, peuvent s’hybrider très facilement avec toutes les formes d’introgres- called mugho ». De plus quand on À l’intérieur de ces deux unités sions possibles. consulte le Pinax, G. Bauhin ren- systématiques bien distinctes, on voie son espèce au Pinus sylvestris peut opter pour reconnaître cer- mugo de Mathiole (1554) qui dési- Ce n’est qu’en 1805 qu’apparaît le taines subdivisions infraspécifi- binôme Pinus uncinata Ramond gne lui sans équivoque possible le ques, élevées suivant les auteurs au (in DC. Fl. Fr. 3, p. 726) dans les Pinus mugho : « il ne forme aucune rang de sous-espèce ou de variété ; Additions et Corrections de la Flore tige mais jette, de la racine, à fleur en ce qui concerne P. uncinata Française1 rédigées par Lamarck de terre, ses rameaux… ». Ramond, certains auteurs distin- et de Candolle. C’est ce binôme guent un P. uncinata « pur » cor- que retiendront beaucoup de bota- On pourrait continuer ainsi sur plu- respondant à la sous-espèce (ou nistes jurassiens, à l’exception de sieurs pages et on comprend que variété) uncinata Ramond (= ros- Michalet (1864), qui préfère le l’utilisation du P. montana Miller 3 Pinus pumilio Haenke2 pour parler trata Antoine ) et une sous-espèce ne pouvait conduire les botanistes de notre Pin à crochets des tour- (ou variété) introgressée rotundata qu’aux confusions les plus extrêmes ; Link (= rotundata Antoine = uligi- bières jurassiennes et des crêtes jusqu’à l’orée du XIXe siècle, la caco- rocheuses. nosa Neumann). C’est ce dernier phonie règne, même si, par ailleurs, taxon que nous rencontrons sur le d’autres auteurs, Jean Bauhin en massif jurassien. particulier, dès 1600, distinguent 1. Dans la Flore Française, T. III, Lamarck et de Candolle désignent le Pin à crochets, P. mugho et parfaitement, dans le massif juras- cette erreur sera par la suite largement propagée, augmentant encore la confusion. 3. In Die Coniferen, Vienne 1840, Antoine se basant sien, le Pin sylvestre et le Pin à cro- sur la proéminence de l’écusson sur les différentes chets, comme nous le verrons. Par 2. Une étude de la diagnose de Haenke indique parties du cône pour séparer les deux taxons. Plus que ce pin doit être rattaché au P. mughus Scopoli récemment Cantegrel (1983) montre que le cône ailleurs, les botanistes qui ont tra- (Sandoz, 1987). est plus gros pour la sous-espèce rostrata.

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 59 13/07/09 11:13:01 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

Dans de nombreux secteurs d’Eu- tris et des hybrides entre ces mêmes = sylvestris var. uncinata (Ramond rope centrale, on rencontre de taxons ; suivant les secteurs géo- ex DC.) Loud. 1838 nombreuses formes intermédiai- graphiques, les influences généti- = sanguinea Lapeyr.1813 res entre les deux pôles extrêmes ques respectives de chacun de ces Pour la variété rotundata (Link) constitués par le Pin à crochets taxons varient. Antoine 1840 type (des Pyrénées) et le Pin ram- = mugo var. rotundata (Link) Zenari pant type (d’Europe orientale) ; on Cette longue errance du Pin de 1921 reconnaît classiquement la succes- montagne a donc duré plusieurs = uncinata ssp. rotundata (Link) sion suivante : siècles et a eu parfois de curieuses Janch. et Neumayer 1942 P. uncinata var. rostrata Antoine conséquences bien évoquées par = Pinus rotundata Link 1830 (du 5 = P. uncinata Ramond > P. unci- le forestier P. Guinier : « À l’épo- fait du statut hybride reconnu, on nata var. rotundata Antoine = que, que l’on peut appeler héroïque, trouve P. x rotundata Link) P. uliginosa Neumann > P. pseu- de la restauration des montagnes, = sylvestris var. rotundata (Link) dopumilio Willkomm > P. pumi- après la loi du 4 avril 1882, on l’a Link 1841 lio Haenke > P. mughus. Dans un beaucoup planté. Heureusement = P. uliginosa Neumann ex Wimmer même endroit, on peut rencontrer la majorité des graines semées en 1838 (du fait du statut hybride plusieurs types. pépinières a été récoltée dans les reconnu, on trouve P. x uliginosa Pyrénées orientales ou les Alpes Link) Ajoutons que tous ces taxons peuvent françaises (Pinus uncinata type) : s’hybrider avec le Pin sylvestre. on a planté du Pin à crochets. Mais, certaines années, on a eu recours à Répartition du Pin à Enfin, pour le massif jurassien, on des graines achetées à l’étranger, et crochets s’est demandé si le Pin à crochets particulièrement en Autriche (Pinus Comme nous venons de le voir le colonisant certaines crêtes calcai- Mughus) ». On peut donc trouver Pin à crochets appartient au com- res est identique à celui qui peuple en France des peuplements de Pin plexe des Pins de montagne. C’est un assez grand nombre de tourbiè- rampant (Vercors, Auvergne...) et une espèce pionnière, héliophile, res. Les essais de culture (1908) de on peut imaginer la déception des très résistante à la sécheresse, au plants provenant du marais des Ponts, forestiers s’il s’agissait de peuple- vent, au froid, mais qui supporte dans une combe rocheuse exposée au ments de production... très difficilement la concurrence gel, faits par A. Pillichody, forestier, des autres arbres. Il colonise donc semblent prouver la non-existence Quelques repères synonymiques : des milieux très spécifiques où les de deux prétendues formes biolo- autres essences n’arrivent pas à giques : « moins de dix ans plus Pinus uncinata Ramond ex DC. s’installer. tard, ces pins “rabougris”, non seu- = mugo ssp. uncinata (Ramond ex lement avaient parfaitement repris, DC.) Domin 1935 mais présentaient un port droit et = mughus var. uncinata (Ramond L’aire de répartition comprend, élancé » in Chastain (1952). ex DC.) K. Koch 1840 dans la partie sud-ouest de l’Europe, = montana var. uncinata (Ramond les Sierras de Gúdar et Cebollera (Espagne), puis de très importants Les études récentes de reconnais- ex DC.) Heer 1862 peuplements dans les Pyrénées espa- sance chimique et de génétique = montana ssp. uncinata (Ramond gnoles et françaises ; quelques sta- confirment le polymorphisme géné- ex DC.) Celak. 1867 tions isolées, en tourbières, existent tique de P. uncinata et ses affini- = montana var. rostrata Antoine dans le Massif Central6. L’espèce tés avec P. mughus et P. sylvestris4. 1840 couvre de grandes surfaces à l’ouest La variété rotundata, notre Pin = mugo var. rostrata (Antoine) de tourbière, est le résultat, isolat Hoopes 1941 actuellement fixé, d’introgressions = mugo ssp. rostrata (Antoine) 6. Un certain nombre d’auteurs, dont Reille (1989, E. Murray 1983 1991), considère les peuplements du Massif Central multiples impliquant P. uncinata et des Vosges comme non autochtones. Le récent var. rostrata, P. mughus, P. sylves- Atlas de la flore d’Auvergne se montre plus prudent concernant le Massif Central ; pour les Vosges 5. Guinier P., 1960. Un traquenard botanique pour signalons que le Pin à crochets y a été signalé sur les forestiers, les notions d’espèce et d’essence, dans des tourbières vers 1710 par le botaniste Mappus 4. On consultera les flores classiques pour les Forêts de France et action forestière, janvier 1960, (1666-1738) dans son ouvrage posthume Historia caractéristiques spécifiques de chaque taxon. n° 92. plantarum alsaticarum (Mappus, 1742).

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Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes. Gilles et Max André

Cliché 1 : port de Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata. Max André

Cliché 2 : cône de Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata. Max André

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Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes. Gilles et Max André

Cliché 3 : œil de la tourbière, gouilles (tourbière des Mortes, Chapelle-des-Bois, 25). Max André

Cliché 4 : tourbière vivante de Frasne, 25. Max André

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Figure 1 : répartition de Pinus uncinata s.l. in RICHARDSON, 1998.

de l’arc alpin à l’étage subalpin. La sous-espèce (ou variété) ros- exposés au nord (Vercors, Creux Son aire se poursuit par le massif trata, centrée sur les Pyrénées et du Van...). jurassien, les Vosges où il est très les Alpes, est en contact avec la rare, la Forêt Noire et se termine sous-espèce (ou variété) d’Europe Le Pin à crochets peut se rencon- en Europe de l’Est, avec un cer- centrale, rotundata, au niveau de trer encore dans d’autres milieux, tain nombre de stations margina- la Suisse, où s’observent de nom- combe à froid notamment, mais les dans l’ex-Allemagne de l’Est. Il breuses populations intermédiai- cela semble faire suite à des intro- est absent du sud-est de l’Europe, res, d’où les débats sans fin évo- ductions par les forestiers, à comp- remplacé par d’autres taxons. qués précédemment sur la place à ter du XIXe siècle. donner à ces taxons d’origine hybri- C’est presque exclusivement dans dogène. Notons également que le Répartition actuelle sur le nord-est de son aire que le Pin à massif alpin abrite P. mugo sensu crochets colonise les hauts-marais, stricto (= P. mughus), qui s’hybride l’arc jurassien les tourbières alpines et pyrénéen- également avec les deux variétés nes abritant Pinus uncinata étant d’uncinata. Pour les stations saxicoles, le Pin à très peu nombreuses. En Europe crochets fréquente presque exclu- centrale, il occupe encore de gran- Contrairement à ce que l’on peut sivement des arêtes rocheuses qui, des surfaces, près de 181 km² selon voir écrit parfois, le Pin à crochets grâce à leur orientation SSW- un rapport de 2001 du WWF sur n’est pas une espèce boréo-arcti- NNE, offrent des contrastes très la protection des forêts européen- que, mais une orophyte sud-euro- nets (opposition de versants) : si nes. Lorsque les conditions devien- péenne et même si les ressemblan- la chaleur et la sécheresse du ver- nent moins extrêmes, comme dans ces physionomiques sont évidentes, sant sud peuvent être marquées par les tourbières de basse et moyenne on ne peut assimiler nos tourbiè- la présence de Pinus silvestris, Acer altitudes, c’est le Pin sylvestre7 res jurassiennes aux grands espaces opalus, Achnatherum calamagrostis, (Pinus sylvestris) qui le remplace et tourbeux nordiques peuplés par le Carex humilis et Potentilla caules- forme également de jolies pinèdes Pin sylvestre. cens, le climat froid et humide du naturelles (Vaccinio uliginosi-Pine- versant nord est traduit par Pinus tum), comme sur les grès du Pays C’est avant tout une espèce de uncinata, Salix grandifolia, Carex de Bitche (Muller, 2005). haute altitude (1 000-2 700 m) qui brachystachys, Cystopteris fragilis et peut « se réfugier » à plus basse alti- de nombreuses mousses (Richard, tude (jusqu’à 200 m en Allemagne) 1972). Il colonise les plus hauts 7. À notre connaissance, il n’existe, aujourd’hui, aucun peuplement naturel de Pin sylvestre dans les dans des milieux très particuliers sommets du massif, avec notam- tourbières du massif jurassien mais plusieurs auteurs que sont les tourbières et le bas ment un beau peuplement, sur- ont noté la présence d’hybrides (P. x digenea Beck) entre les deux taxons. de rares éboulis de pied de falaise, tout en face Nord, au Crêt de la

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 63 13/07/09 11:13:03 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

Figure 2a : la vallée des Ponts-de-Martel. Extrait de la thèse d'Adolphe Ischer, Les tourbières de la vallée des Ponts-de- Martel, 1935. En pointillé : les régions recouvertes par les forêts de marais en 1935.

Figure 2a : la vallée des Ponts-de-Martel. Extrait de la thèse d'Adolphe Ischer, Les tourbières de la vallée des Ponts-de- Martel, 1935. En pointillé : les régions recouvertes par les forêts de marais en 1890.

Neige (1 718 m). Dans ce même Dans cette situation, il est assez fré- La répartition du Pin à crochets contexte, il colonise, en descen- quent sur toute la partie orientale dans les tourbières est, quant à elle, dant jusqu’à 500 m d’altitude, de l’arc et sa limite méridionale à envisager en fonction du temps, des falaises du Jurassique, dans est le Reculet et le Mont Vuache8 car, les interventions humaines y les gorges de l’Areuse, de Moutier (Magnin, 1896). ayant été plus importantes que sur et de Court. les crêtes calcaires, celles-ci l’ont, comme on le montrera, beaucoup 8. Non revu récemment (Prost, 2000). affectée. De nombreuses pinèdes de

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tourbières se sont clairement déve- chets ne se présente actuellement Aperçu loppées au cours des derniers siècles, que sous forme de petites pinèdes phytosociologique mais certaines ont visiblement dis- relictuelles, à l’exception des beaux paru dans le même laps de temps. peuplements de l’étang de la Gruère et dynamique de la Pour ce milieu, il faut donc bien et du Bois des Lattes dans la vallée végétation distinguer la répartition actuelle des Ponts. C’est Früh & Schroter de la répartition avant toute action (1904) qui établissent les premières Le groupement végétal auquel appar- anthropique. listes exhaustives des forêts de tour- tient le Pin à crochets, la pinède de bières. Parmi les plus beaux ensem- haut-marais, a déjà été décrit par de nombreux auteurs : Schröter, in Dans la partie introductive, nous bles, citons les Franches-Montagnes Früh & Schröter (1904), Spinner avons cité les propos d’un célèbre (Fornet, Plain-de-Seigne, Bellelay, (1926), Oberdorfer (1934, 1936, archiviste, E. Droz, sur la distri- Chaux-d’Abel), les Pontins, Diesse, 1957, 1992), Ischer (1935), Höhn bution ancienne du Pin à crochets Les Ponts avec le célèbre Bois des (1936), Bartsch (1940), Lüdi dans les tourbières ; citons mainte- Lattes, Pont-Martel, Combe Varin, (1945), Moor (1947), Chastain nant un botaniste reconnu : « C’est les Eplatures, la vallée de la Brévine, (1952), Kuoch (1954), Guinochet la forêt de pins de montagne et de la Chatagne, les Varodes, le val (1955), Richard (1961), Matthey bouleaux qui recouvrait la plupart de Joux jusqu’à Bois-d’Amont, la (1964, 1965), Royer et al. (1978), des tourbières du Haut-Jura, avant Trélasse et Sainte-Croix (d’après Gillet et al. (1980). leur exploitation. Il n’en reste que Magnin,1896). des vestiges. » (Richard, 1961). Ces Dans le massif jurassien, la dynami- propos peuvent également être rap- En France, les pinèdes sont net- que de cet écosystème turfigène est prochés des écrits du célèbre Léo tement plus importantes dans le essentiellement basée sur la présence Lesquereux, auteur des premières département du Doubs que dans de bryophytes du genre Sphagnum. études scientifiques sur les tourbiè- celui du Jura. Pour A. Magnin, la Il s’agit d’un groupement caracté- res jurassiennes : « Il croît ordinai- limite sud se situe à Prénovel et risé par ses exigences d’oligotro- rement en forêts assez épaisses, pres- Prémanon (Les Jacobeys). Malgré phie, d’acidophilie très marquée et que partout sur nos marais tourbeux l’absence de données dans la Flore par sa pauvreté en oxygène, condi- (Jura suisse) et est d’autant moins de l’Ain de Bolomier & Cattin tions réalisées le plus souvent dans haut que le sol est plus humide. » (1999) et dans la Flore jurassienne le fond des hautes vallées et combes (Lesquereux, 1844a). de Prost (2000), il semble bien que jurassiennes. La pinède sur tourbe quelques tourbières plus méridio- constitue un ensemble bien délimité Une grande partie de nos recher- nales abritent encore le Pin à cro- où le sol du marais bombé à plan ches a consisté à étayer ces dires chets : près de Lélex dans la vallée d’eau élevé est purement organique par des documents historiques, de la Valserine et encore plus au et constitué d’une tourbe oligotro- par là même infirmant l’hypothèse sud, dans la tourbière du Goulet phe gorgée d’eau, d’épaisseur très d’une introduction anthropique au au Loup (ZNIEFF n° 1130004), variable et reposant sur un sous-sol XIXe siècle. commune de Brénod, dans le imperméable. Cette tourbe est très Bugey (Ain). acide (pH compris entre 2,7 et 4,1 Pour le Jura suisse, Pinus unci- [Richard, 1961]) et peut subir un nata est présent dans les cantons À l’initiative du conseil régional de desséchement estival en surface. Les de Vaud, Neuchâtel, Berne, Jura, Franche-Comté, un Programme racines des différentes plantes du Soleure, Bale, Argovie (altitude maxi- Régional d’Actions en faveur des groupement sont concentrées dans male de 1 480 m ! dans les tourbiè- Tourbières (PRAT), conduit par les 20 ou 30 cm supérieurs. Nous res du Haut-Jura selon Schinz & Espaces Naturels Comtois (ENC), a avons d’ailleurs remarqué sur le ter- Keller9, ). Connaissant l’im- permis de recenser un grand nombre rain que cet enracinement superfi- portance des destructions complè- de tourbières de Franche-Comté, ciel des pins pouvait engendrer des tes de tourbières sur le Jura suisse avec leurs cortèges floristiques. Cet « verses » suite à des précipitations (cf. fig. 2a et fig. 2b), le Pin à cro- organisme nous a aimablement de « neiges lourdes »10. communiqué les données concer- nant la répartition actuelle du Pin 9. Nous pensons que cette donnée correspond plutôt 10. Edelman (1985), dans la tourbière de La Goutte à des pins à crochets des crêtes rocheuses. à crochets (cf. tableau I et II) Loiselot (Vosges) et Feldmeyer-Christe (1990),

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Tableau I : répartition actuelle du Pin à crochets dans le département du –Pino Mugo - Sphagnetum Kästner Doubs, d'après E.N.C., 2008. et Flössner 1933 em Neuhäusl Commune Nom du lieu N° PRAT 1969, Plaimbois-du-Miroir La Seigne Dessous 356 Narbief La Seigne 362 –Sphagno - Pinetum mugi E. & K. Le Russey-Bonnétage Le Verbois sud 82 Saint-Julien-lès-Russey La Seigne (Bois du Vernois) 304 1972, Saint-Julien-lès-Russey La Seigne Grosjean 92 –Pino rotundatae - Sphagnetum Noël-Cerneux Ruisseau des Seignes 78 Noël-Cerneux Les Rondes Seignes 361 Kästner et Flössner 1933, Le Mémont La Seigne (Les Monins Dessous) 185 Les Ecorces-Fournet-Blancheroche- –Vaccinio - Pinetum rotundatae Les Seignes (Les Cerneux Gourinots) 69 Frambouhans Oberd. 1934. Fournet-Blancheroche - Les Berçots 352 Frambouhans Frambouhans Est Seigne des Guinots 351 Freléchoux et al. (2000a-b) Frambouhans Sur les Seignes 70 Le Bélieu-Noël-Cerneux Ruisseau des Seignes (rive gauche) 79 montrent que l’on peut identi- Le Bizot-La Chenalotte-Narbief Ruisseau des Seignes (rive droite est) 114 fier aujourd’hui différents groupe- Le Bizot Les Guillemins 663 Bonnétage Ferme des Guinots 566 ments comportant du pin et liés à Bonnétage-Frambouhans-Le La Seigne des Guinots 81 Russey la hauteur de la nappe d’eau, cette Bonnétage-Saint-Julien-lès-Russey Les Creugnots 63 dernière étant fonction de l’évolu- Montlebon Le Gardot 293 Montlebon Le Seignolet – Meix-Seignoulet 294 tion naturelle du milieu et/ou d’in- Gilley Bois de la Joux Dessous 632 fluences anthropiques. Chapelle-des-Bois Les Côtes Martin 398 Chapelle-des-Bois Le Creux 400 Chapelle-des-Bois Chez Michel 280 Chapelle-des-Bois La Madone 5 Cette large amplitude écologique Chatelblanc Vers Chez Huguenin 389 du Pin à crochets peut expliquer Mouthe Le Moutat 490 Les Pontets-Reculfoz Lac du Trouillot 13 un positionnement très variable du Les Pontets Les Chasaux 12 groupement au sein de la classifica- Reculfoz Les Combes 395 La Cluse-et-Mijoux Sous la Roche Sarrazine 335 tion phytosociologique suivant les Oye-et-Pallet En Béton 17 Malpas Lac de Malpas 14 auteurs : classe des Vaccinio-Piceetea Malpas Le Petit Malpas 89 ou classe des Oxyccoco - Sphagnetea ; Malpas-La Planée Le Petit Malpas 88 Frasne Le Forbonnet* 34 à titre d’exemple, la classification Frasne Queue de l’étang 64 retenue par l’union européenne Bief du Fourg (39)-Frasne Creux Balland 71 Bonnevaux-Bouverans-Frasne Chesevry 22 (version EUR 15, 1999) : Boujailles Pont du Jura Vert 610 Remoray Le Crossat 386 Classe : Vaccinio myrtilli-Piceetea Labergement-Sainte-Marie La Louvetière 388 abietis Labergement-Sainte-Marie Beauregard sud 10 Labergement-Sainte-Marie Le Crossat 394 Ordre : Sphagno-Betuletalia Labergement-Sainte-Marie La Clusette 366 Alliance : Betulion pubescentis Labergement-Sainte-Marie** Derrière le Mont 91 Brey et Maisons-du-Bois-Gellin Les Essarts 8 Association : Sphagno-Pinetum uncinatae * le Forbonnet : ensemble tourbeux comprenant plusieurs pinèdes bien individualisées. ** Labergement-Sainte-Marie : une pinède supplémentaire au bord du massif C’est l’une des associations juras- de la Grand-Côte, derrière la Grange du Lac. siennes les plus pauvres en espèces, mais ce point est largement com- Dans la littérature, le groupement – Sphagno - Mugetum Kuoch 1954, pensé par une physionomie si parti- dense de Pin à crochets est décrit Pinetum uncinatae Kästner et Flössner culière que l’on peut apprécier sur- 1933, sous différentes appellations, dont tout à l’automne, avec les couleurs – Sphagnetum medii pinetosum unci- chatoyantes des Vaccinium et des on peut extraire les principales : natae Guinochet 1955, Sphagnum, associées à la monoto- nie des troncs de pins recouverts pour les tourbières des Franches-Montagnes (canton du Jura, Suisse) signalent des phénomènes similaires. de lichens.

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Tableau II : répartition actuelle du Pin à crochets dans le département du Jura, de taille moyenne et d’âge très dif- d'après E.N.C., 2008. férent (maximum mesuré 375 ans) ; Commune Nom du lieu N° PRAT le manque de lumière entrave la Bellefontaine – Chapelle-des-Bois Lac de Bellefontaine et Les Grands 27 (25) Pins* régénération des pins ; Fort-du- Pont de Lemme 51 Lac-des-Rouges-Truites Sous la Côte (Les Martins) 401 – en bordure du haut-marais ou à Lac-des-Rouges-Truites Lac des Rouges Truites 55 proximité des murs d’exploitation, Prémanon Les Jacobey 246 les arbres sont grands (10-15 m), Grande-Rivière – Prénovel Le Cotat Bossu 601 Prénovel Prénovel de Bise 455 plutôt jeunes (maximum mesuré Prénovel La Joux Derrière 603 150 ans) et avec un taux de crois- Les Rousses d’Amont (Lac) 54 Les Rousses Les Bertets, Le Gravier 45 sance élevé. Presque aucune régé- Bois d’Amont Entre les Meuniers et le Village 58 nération n’est observée dans ce Les Barbouillons 482 11 Bief-du-Fourg Champ de la Claive 487 secteur .

* Lac de Bellefontaine et les Grands Pins : deux pinèdes bien séparées en Selon Freléchoux et al. (2000a), réalité. ce sont ces groupements de bor- dure et en position intermédiaire Sur ce haut-marais bombé, un qui présente le plus souvent une qui auraient le plus profité des inter- peuplement relativement clair- mosaïque de groupements éta- ventions humaines liées à l’extrac- semé de Pin à crochets côtoie une blis sur des buttes de sphaignes de tion de la tourbe. strate de chaméphytes particu- différentes hauteurs, des gouilles, lièrement importante, composée des chenaux, voir des dépressions presque exclusivement des trois d’une certaine importance (cf. cli- Cette organisation particulière, sou- Vaccinium (V. uliginosum, V. myr- chés 3 et 4 H. T.). Dans ces condi- vent concentrique, des peuplements tillus, V. vitis idaea), de la callune tions extrêmes, où la nappe d’eau de Pins à crochets sur les hauts- (Calluna vulgaris), très rarement affleure presque partout et ne pré- marais est déjà bien notée dans les de Betula nana, caractéristique sente pratiquement aucun batte- documents historiques comme on d’association (Richard, 1961), ment, des pins rabougris, s’instal- le verra dans la légende du Plan de 12 et d’un tapis presque continu de lent péniblement sur les buttes de la descente de l’an VI du bois du mousses où différentes espèces de Sphagnum. Forbonnet (1798). Sphagnum dominent. L’airelle des marais (V. uliginosum) trouve ici Comme l’ont bien montré divers Dans une autre étude, Freléchoux des conditions optimales caractéri- auteurs (Freléchoux et al., 2000a ; et al. (2004) démontrent que la sées par son abondance et sa vitalité Béguin et al., 2001), la dynamique structure des arbres (hauteur, dia- (Chastain, 1952). Les herbacées des pins est différente en fonction mètre) est nettement liée au gra- ne sont présentes que sous forme de la zone considérée (idée égale- dient hydrique du milieu et que de pieds isolés. À côté du Pin à ment de polyclimax de Neuhäusl les Pins à crochets peuvent survi- crochets, on peut trouver quelques [1992]) : vre durant des décennies avec une rares épicéas souffreteux et chloro- – en zone centrale, très humide, on croissance très réduite en milieu tiques et des bouleaux pubescents. rencontre des peuplements dissé- très humide. La hauteur et la densité des arbres minés de petits pins, d’âge inégal diminuent lorsque l’on se dirige (certains atteignant plus de 200 ans) D’une manière générale, indiquons vers le centre de la tourbière. Les et avec une bonne régénération ; que la germination des pins est références bibliographiques citées dès que le système racinaire entre favorisée par un milieu humide en début de cette partie présentent en contact avec la nappe d’eau, les (Grünig, 1955 ; Schulthess, de nombreux tableaux de composi- pins réduisent leur croissance. Un 1990 ; Schweingruber, 1996), tion floristique auxquels on pourra abaissement de la nappe de quel- la croissance des pins adultes aug- se référer. ques centimètres peut améliorer les

conditions de croissance ; 11. Nous l’avons signalé, les verses ne sont pas rares Le Pin à crochets a beaucoup de – en situation intermédiaire, le peu- et peuvent ainsi créer des puits de lumière. difficultés à coloniser le centre du 12. Plan levé dans le cadre d’un litige entre les plement est plus dense, les arbres communes de Frasne et Bonnevaux concernant les bombement, l’oeil de la tourbière, limites du Forbonnet.

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mentant dans les secteurs les plus considèrent comme la commu- (Betula pubescens) qui colonise en secs. Freléchoux et al. (2000a-b) nauté végétale climacique (Ischer, premier la fosse et forme ce que cer- ont montré que, dans certaines 1935 ; Richard, 1961 ; Matthey, tains auteurs proposent de consi- tourbières, par l’analyse des chan- 1965 ; Royer, 1978 ; Buttler et al., dérer comme un paraclimax secon- gements de rythme de croissance 1983), mais sa physionomie exacte daire13 (Royer et al., 1978). des pins, la période de colonisa- restera toujours difficile à établir en tion des arbres peut être mise en raison des profondes modifications Lorsque des incendies parcourent rapport avec les drainages. anthropozoogènes qui ont affecté la pinède, et, comme nous le ver- l’ensemble des tourbières bombées rons, ils ont été très nombreux, des Comme l’ont noté Chastain et du massif jurassien depuis plu- groupements de substitution s’ins- Martins, dans la partie centrale sieurs siècles, voire plusieurs millé- tallent, comme l’Eriophoro vaginati de la tourbière, une compétition naires. À titre d’exemple, 90% des - Trichophoretum cespitosi (Zlatnik, surfaces figurant à l’inventaire des semble s’installer entre les sphai- Rübel) Dierßen in Oberdorder gnes et les pins : « quand on cher- hauts-marais du canton du Jura en 1977 (= Sphagnetum magellanici che à dégager ces arbres nains, on Suisse concernent soit des milieux trichophoretosum Oberdorfer 1938), reconnaît que la végétation des secondaires, soit des zones dites observable à Frasne à la grande mousses, plus rapide que celle du de « contact », plus ou moins pro- tourbière communale (tourbière pin, l’a gagnée de vitesse et que fondément modifiées par les acti- de la Grangette), incendiée le 11 le tronc et les branches inférieu- vités humaines (Grosvernier et res ont été déjà enfouis par elles » al., 1992). D’une manière géné- juillet 1949 (Royer et al., 1978). (Martins, 1871). La croissance rale, il sera toujours très difficile Notons qu’actuellement, sur cer- forte des sphaignes provoque une d’affirmer qu’un haut-marais n’a tains secteurs uniquement, des Pins subsidence du substrat dont la plus subi aucune intervention humaine à crochets se sont à nouveau ins- grande conséquence, pour les plan- sans une exploitation minutieuse tallés sur cette lande et suggèrent tes vasculaires, est l’enfouissement de l’ensemble des textes histori- un retour très lent vers le groupe- des racines et des parties aérien- ques disponibles. ment climacique boisé. nes dans les zones saturées en eau (Goubet et al., 2004). De plus, Dans les tourbières perturbées En périphérie, dans des parties peu la présence d’arbres est responsa- par l’homme, notamment par le ou pas bombées, on trouve cou- ble de l’affaissement de la tourbe drainage, la densité des pins aug- ramment une pessière sur tourbe sous le poids de ces derniers, pro- mente progressivement au centre mince14 (Sphagno - Piceetum abietis voquant une saturation hydrique de la tourbière, ces derniers sor- Richard 1961), nettement séparée fatale. Ajoutons un commentaire de tant vainqueurs de leur compéti- de la pinède (Freléchoux et al., Spinner : « Le Haut-Jura présente tion avec les sphaignes du fait de 2002) et caractérisée par un sous- les conditions optimales du déve- l’abaissement du niveau de la nappe. bois riche en sphaignes et autres loppement de la forêt de tourbière, La tourbière s’assèche progressive- bryophytes et en Ericacées où elle serait le stade climax définitif ment et la callune (Calluna vulga- Vaccinium myrtillus domine large- du haut-marais si elle ne se tuait ris), espèce de lande ouverte, peut ment. Cette forêt fait la transition elle-même. Nous avons constaté un prendre une certaine importance. vers des forêts où les sols sont nette- peu partout dans notre dition que Dans les cas extrêmes de dégrada- ment plus riches en matières nutri- le complexe de génération musci- tion, on peut passer à des landes à tives et en sels minéraux solubles. nal est en pleine action agressive molinie (Molinia caerulea) où végè- Pour certains auteurs (Chastain, contre le complexe forestier, mais tent encore quelques espèces carac- 1952 ; Roussel, 1953 ; Guinochet, l’action humaine est actuellement téristiques du haut-marais. Suite 1955), la pessière sur tourbe consti- si décisive que sans doute tous à l’exploitation de la tourbe, on deux disparaîtront bien avant la assiste à une colonisation progres- fin de leur lutte. » (Spinner, 1932, sive des anciennes fosses, par des 13. On peut rencontrer des boulaies humides méso- basiphiles à Sphagnum girgensohnii et Salix cinerea, des p. 143-144). groupements dits cicatriciels d’affi- boulaies humides acidophiles à Sphagnum rubellum et Carex rostrata et des boulaies sèches acidophiles à nités boréoarctiques très marquées. Hylocomiun splendens et Vaccinium myrtillus. Cette description correspond à ce Quand les arbres s’installent, c’est 14. Parfois épaisse mais à la faveur d’une qu’un certain nombre d’auteurs bien souvent le bouleau pubescent minéralisation partielle de la tourbe.

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tue le terme ultime de la dynami- et de tourbières humides ouvertes, semble des tourbières jurassiennes). que de la tourbière15. évolution cyclique constatée dans D’une part ont été dépouillées des des tourbières non jurassiennes. « Il sources publiées comme les flores Louis Roussel, forestier, montre, est improbable qu’un tel processus et dictionnaires linguistiques, aussi en se basant sur l’étude des plans cyclique ait eu lieu sur une grande bien régionaux que généraux, les successifs de la forêt communale échelle dans les petites tourbières monographies villageoises, les récits de Frasne (Doubs-France), que des jurassiennes. Néanmoins, cela pour- de voyageurs, les cartes régiona- parcelles recensées initialement en rait bien être le cas de petites taches les, les articles de toponymie... Pin à crochets en 1865 dans le pre- éphémères (transitoires) de forêts D’autre part, et surtout, des sour- mier plan de gestion de la com- de pins qui se seraient développées ces manuscrites inédites d’archives, mune avaient évolué vers des pessiè- dans le passé. » (Freléchoux et portant notamment sur des procé- res sur tourbe en un siècle : «… on al., 2000b). dures judiciaires entre communau- doit se souvenir du bel exemple de tés, des actes notariés, des arpen- la parcelle 24 qui, il y a moins de Les documents historiques que tements de territoires, des acense- 100 ans, était “peuplée de pins à nous étudierons confirmeront que ments monastiques, des dossiers crochets chétifs sur sol mouvant”, le Sphagno - Pinetum uncinatae est de concessions de tourbières, des et qui, drainée, a naturellement bien l’association climacique du comptes d’échevins de commu- évolué vers une pessière qui est loin haut-marais jurassien du fait de la nautés, les cadastres napoléoniens, d’être certes remarquable, mais qui grande stabilité de la pinède à Pin des plans des bois et possessions devient cependant déjà dense...» à crochets au cours des siècles (500 des communautés villageoises ou (Roussel, 1953). Comme l’a déjà ans au moins) et que ce sont des monastiques, des études de l’Acadé- bien signalé J.-L. Richard, cette interventions anthropiques ancien- mie des Sciences de Besançon (sur évolution n’a pu se réaliser sans la nes, dont certaines antérieures à la disette des bois, la tourbe, la bota- mise en place de drains importants l’exploitation de la tourbe, qui sont nique), des dictionnaires de patois autour de la parcelle 24 et sans la probablement responsables d’évo- de villages… ont été consultés et présence d’épicéas déjà âgés sur la lutions secondaires des tourbières mis à profit. Géographiquement, parcelle (Richard, 1961). bombées. nous avons concentré nos recher- ches sur des secteurs abritant des Concluons en disant que le Pin à complexes tourbeux importants et crochets s’accommode de conditions Les pins des tourbières hébergeant encore aujourd’hui des plus extrêmes que l’Épicéa. jurassiennes, à la peuplements de Pinus uncinata : lumière de l’histoire régions de Frasne, de Remoray, de Enfin, l’affaissement et la compa- Maîche et de Pontarlier. cité des sols tourbeux au cours du Notre démarche a consisté à recher- temps pourraient expliquer une alter- cher les différentes mentions his- Même si le pin de tourbière reste nance de tourbières sèches boisées toriques de Pins à crochets sur les un arbre discret dans les textes, du tourbières jurassiennes dans un fait de sa rareté et de son intérêt ensemble de sources documentai- économique très relatifs, il ressort 15. Pour d’autres auteurs encore, le haut-marais non boisé peut être considéré comme un stade climacique, res aussi vaste que possible. Bien cependant que nos ancêtres juras- le boisement étant consécutif d’une perturbation siens, dans les zones concernées, le allogène d’origine climatique ou anthropique qu’essentiellement de nature his- (Zobel, 1988 ; Ohlson et al., 2001). « À conditions torique, cette recherche peut être connaissaient très bien, au point de environnementales constantes, la tourbe peut s’accumuler jusqu’à ce que la production à la surface qualifiée d’interdisciplinaire tant les lui réserver souvent une appellation égale la décomposition sur toute la de textes nécessitent un appel conti- spécifique (cro et ses variantes) et tourbe. L’état devient alors stationnaire, mais les conditions limitant l’invasion des compétiteurs nuel à la botanique, à la linguisti- des usages également bien particu- restent les mêmes à toutes les étapes de l’édification liers ; en ce sens, paradoxalement, le et à l’état d’équilibre. Si les conditions deviennent que et à la toponymie. Les docu- moins favorables lors de l’édification (baisse des ments consultés ne peuvent bien « traquenard botanique », comme précipitations, de la nébulosité, etc.), seule la vitesse d’accumulation varie. Si c’est au niveau d’équilibre sûr prétendre à l’exhaustivité, vu le définit le forestier Guinier, posé que le changement dans les conditions intervient, l’amplitude chronologique de la aux botanistes par la position taxo- la décomposition devient plus importante, la colonne de tourbe diminue en hauteur et trouve période historique envisagée (du nomique de ce pin, faisait place donc une nouvelle forme d’équilibre tout en Moyen-Âge à nos jours) et l’éten- à une classification souvent non restant suffisamment turfigène pour exclure les compétiteurs... » Goubet et al., 2004. due géographique concernée (l’en- ambiguë, fine, précise du pin de

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tourbière chez nos ancêtres qui le Dans les régions des tourbières de vidés (souvent cro en patois). Seul côtoyaient et l’utilisaient au quo- la montagne jurassienne, à côté du un examen attentif des formes lin- tidien. Cet arbre souvent chétif et nom générique commun de pin, le guistiques anciennes et du contexte rabougri faisait à l’évidence partie de pin de tourbière était plus souvent permet de les différencier. leur univers et cela perdure depuis désigné autrefois par deux termes au moins cinq siècles. Plus surpre- patois : daille et cro. Le terme daille Avant de livrer dans la partie pro- nant encore, dans une région certes (voir le Glossaire des Patois de la prement historique l’ensemble localisée, le haut-doubs pontissa- Suisse Romande, GPSR), dénom- des mentions anciennes relevées, lien entre Pontarlier et Remoray, les mant toutes les espèces de pins, est par régions géographiques, nous villageois nommaient de manière plutôt présent dans la zone linguis- allons donner quelques éléments particulière et unique (les crossats) tique dite franco-provençale, qui sur la situation linguistique de ce les peuplements constitués de Pin comprend, dans la chaîne juras- terme cro. Quelles sont son éty- à crochets sur les tourbières bom- sienne, la partie sud-est des dépar- mologie, son origine et sa réparti- bées. Ces noms vernaculaires patois tements du Doubs et du Jura et le tion géographique ? ont finalement laissé, sur l’ensemble canton de Vaud. La daille est ainsi des documents mis à jour, de nom- présente dans les régions de tour- Cro (ou une de ses variantes), pin breux indices, notamment dans la bières autour des Fourgs et dans la de tourbière, est encore connu et toponymie, au point de nous per- vallée de Joux. Le terme cro, spé- vivant de nos jours, ou l’était encore mettre d’envisager au niveau bota- cifique au pin de tourbière, est lui assez récemment au XXe siècle, nique des évolutions historiques utilisé surtout dans la zone lin- dans plusieurs zones de la monta- de certaines pinèdes depuis le XVe guistique dite comtoise, située au gne jurassienne : autour de Frasne- siècle environ. nord-ouest de la précédente, com- Bief-du-Fourg, de Remoray, de prenant le Haut-Jura neuchâtelois Bonnétage-Maîche, dans les mon- Dans un premier temps, nous trai- et les principales régions de tour- tagnes des cantons de Neuchâtel terons des dénominations régiona- bières du département du Doubs, et du Jura. les particulières et spécifiques du zones sur lesquelles a porté l’essen- pin de tourbière d’une part et des tiel de nos recherches. Sur le site Internet actuel de la tourbières boisées de Pin à cro- commune de Frasne, sous la rubri- chets d’autre part, en s’attachant à Cette dénomination particulière a que Flore des tourbières, on trouve relever leurs mentions historiques laissé des traces précieuses et ins- ainsi : « Le pin à crochets ou “croc” anciennes dans les documents d’ar- tructives dans de nombreux docu- est un pin particulièrement résis- chives. Dans un deuxième temps, ments, en particulier ceux qui dési- tant ». Une étude manuscrite iné- nous élargirons notre recherche gnent les microtoponymes ou lieux- dite sur le village de Frasne et son de mentions historiques de pins dits relatifs à de petites unités géo- patois de Michel Rousselet, datée de tourbière à toutes les autres graphiques. de 1926, enregistre déjà : « crot, sources documentaires publiées prononcé krò : pin ». En 1932, à disponibles. Ce nom patois de cro, dans le sens Bief-du-Fourg (Jura), commune de pin de tourbière, présente tout contiguë à Frasne, Victor Charton d’abord de nombreuses variantes (Charton, ) note « …ils se Le cro ou le pin de géographiques et orthographiques croyaient en droit de faire de la tourbière dont les principales sont les suivan- tourbe et de couper des arbres tes : cro, kro, croc, crot, cret, cras, dans ces cantons [de seignes] où la Le Pin à crochets est dénommé crein, écregnot. En ce qui concerne chose avait été tolérée jusqu’alors. en France par toute une série de les lieux-dits, en particulier, on ne […] au point de vue pâturage et noms vernaculaires dont les plus doit pas confondre cette appellation liberté d’y couper des crêts ». Il communs sont Pin à crochets, Pin avec les termes souvent très voisins y a une cinquantaine d’années, le de Briançon, Pin alpestre, Torche- orthographiquement qui désignent forestier Louis Roussel, dans sa Pin, Baumier de Hongrie, Pin crin, soit les petites éminences de terrain 2ⁿd thèse restée manuscrite, inti- Pin de montagne, Pin de tourbière, (les crêts), soit les creux de terrains, tulée Les tourbières de Frasne, leur Pin suffis (cf. Rolland, 1967) pour soit le croc, outil à deux dents, et évolution sous l’action de l’homme, une liste plus exhaustive). enfin ceux qui identifient les cor- citait les forestiers Mourgeon et

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Mangenot qui, dans leurs aména- Enfin, toujours dans cette région, gements des tourbières en 1865, une citation particulièrement pré- indiquaient déjà : « … le peuple- cieuse nous est fournie par le grand ment est composé de pin mugho botaniste Jean Bauhin dans son ou pin chétif, variété de pin à cro- Historia plantarum. Ce fameux chet que l’on appelle vulgairement ouvrage, posthume (il meurt en dans le pays : “croc” ». En réalité, 1612), n’est publié qu’en 1651, ce pin est le Pin à crochets typi- mais les notes manuscrites de Jean que (Pinus uncinata), précise Louis Bauhin, qui en constituent l’essen- Roussel (Roussel, ). tiel, datent de 1570 à 1610 environ ; s’il est bien connu qu’il a parcouru Pour la région de Remoray- les environs de Montbéliard, ce qui Labergement Sainte-Marie, citons nous intéresse plus, c’est qu’à l’évi- dence il a lui-même herborisé dans la linguiste franc-comtoise Colette Figure 3 : le Pin de tourbière d'après Dondaine qui a relevé le terme toute la région voisine de Maîche, Bauhin. « kro », pin de tourbière, au terme et plus précisément dans les tour- d’enquêtes à Remoray (dans les bières avoisinantes. Écoutons-le les des Seignes, des Seignes des années 1959-1972 ; Dondaine, nous décrire le pin de tourbière Guinots, des Seignes Gourinots, ). (Bauhin, ) (fig. 3) : « L’arbre de la Seigne de Pré ; la montagne qu’on appelle le Crein en Franche- du Pré est « le Mont de Pré « actuel Comté croît dans les montagnes Au voisinage du Locle, William de la carte IGN 1/25 000e de cette dites Franche-Montagne, parti- Pierrehumbert (Pierrehumbert, région et qui domine le complexe ) note le terme « cras , pin des culièrement sur la montagne dite tourbeux. Si l’on doutait encore de marais, Pinus uncinata Ram. » et du Pré, au lieu dit Malsaigne, à un la localisation de ce Malsaigne, Jean cite pour l’illustrer cet extrait d’ar- mille de la citadelle de Maîche ; Bauhin nous le reprécise dans son chives : « Dans les sagnes rouges i il appartient à l’espèce de Pinus observation de l’airelle des marais croît beaucoup de cras ». C’est ce Silvestris Matthioli, occupe le pied (Vaccinium uliginosum) : « Nous même terme crâ qui est encore de la montagne, arbre petit et nain l’avons observé dans des endroits employé de nos jours aux Ponts au regard des autres résineux et du montagneux et froids de Franche- de Martel (Vauthier B., comm. pin silvestre taier… ». Il parle à Comté, et au pied de la montagne pers.). Le GPSR signale également nouveau de ce crein, à l’occasion du Pré, dans les marécages de la l’emploi du terme « creugna, écreu- de sa description du pin sylvestre, Malsaigne, où les Franc-Comtois gna : avorton, nain ; arbre rabou- car il a précisément observé et dif- l’appellent Davernier ». En résumé, gri ; pin de tourbière » sur la com- férencié ces deux espèces voisines Jean Bauhin a donc personnelle- mune des Bois dans le canton du de pins dans cette même zone tour- ment observé des Pins à crochets, Jura au début du XXe siècle. beuse de Malsaigne. Laissons lui la dénommés alors creins, sur les parole : « Le pin que je nomme syl- tourbières voisines de Maîche à la Dans la zone du complexe tourbeux vestre et surnomme taeda est appelé fin du XVIe siècle. de Maîche-Le Russey-Bonnétage, Taier en Franche-Comté… où il le linguiste Michel Thom (Thom, pousse autour du Mont du Pré, Les études linguistiques menées par ) a relevé, au terme d’une au lieu dit Malsaigne, à un mille Thom (1974), Dondaine (), enquête personnelle en 1974, à du château de Maîche, aux mêmes les auteurs du GPSR (-) Bonnétage précisément, « kregno : endroits qu’une autre espèce de pin et du FEW (Wartburg, - sapin rabougri et mal venu ». Non sylvestre qu’ils appellent Crein, et ) démontrent que toutes ces loin de là, à Damprichard, en qui est le Mugho... ». Ce lieu-dit variantes, cro, crein, kregno, etc. 1901, Maurice Grammont relevait Malsaigne correspond au lieu-dit et de dénomination du pin de tour- dans son ouvrage « Le patois de la fief de Malseigne (étymologiquement bière sont apparentées et semblent Franche-Montagne et en particu- la mauvaise seigne ; il y eut autre- descendre d’une racine étymologi- lier de Damprichard » (Grammont, fois des seigneurs de Malseigne), que commune ; cependant, même ), « écregno : espèce de petit qui désigne la région marécageuse si les avis divergent sur la nature sapin de marais ». comprenant les tourbières actuel- précise de cette racine, tous s’accor-

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dent à dire que son noyau séman- qui apparaissent notamment dans d’Altdorf la présence de pins dès tique, son sens premier est rabou- les dictionnaires d’histoire natu- 1662. Cette localisation de crein gri, chétif. C’est ce caractère parti- relle et les flores du XVIIIe siècle dans les tourbières allemandes voi- culier, spécifique des pins des tour- au XXe siècle, ne sont que des reco- sines de Nuremberg est confirmée bières jurassiennes que nos ancê- pies, sans usage réellement avéré, par la mention, vers 1820, de cette tres ont retenu dans leur déno- daté, localisé du crein de l’Histo- dénomination crein dans une liste mination : un cro est d’abord un ria plantarum de Jean Bauhin qui de 28 noms vernaculaires du Pin arbre rabougri, qui n’est pas de aurait « en quelque sorte officialisé à crochets (à l’article Pinus pumi- belle venue comme peuvent l’être ce nom ». À son avis « il s’agirait lio) dans un dictionnaire en 2 les arbres des hautes futaies juras- donc d’un mot bien étroitement volumes de termes forestiers alle- siennes. C’est d’ailleurs une idée localisé dans notre région, ici spé- mands (Guimpel et al., -) ! voisine, plus générale, d’« arbre de cialement la Franche-Montagne ». Ainsi, pour conclure, le terme cro peu de valeur » (car très branchu, En fait, nous en avons mis à jour et ses variantes ont connu autre- noueux) que recouvre la dénomi- quelques mentions inédites inté- fois une extension géographique nation « cro de pâture », expression ressantes montrant que cet appel- beaucoup plus vaste. familière de notre enfance et qui latif était autrefois utilisé sur une est encore utilisée de nos jours par zone beaucoup plus étendue que Ces noms patois utilisés pour dési- les agriculteurs et les forestiers pour le Jura : le grand botaniste helvé- gner le pin de tourbière ont bien sûr désigner les épicéas ou arbres isolés tique Haller (1768), dans son aussi servi à former des toponymes. dans les pâtures du Haut-Doubs et Historia stirpium, raconte ainsi à En voici quelques exemples : la tour- sous lesquels les vaches s’abritent du propos du « Pinus sylvestris Mugho bière dite des Creugnots (Bonnétage- tonnerre et des intempéries. seu Crein » de Jean Bauhin : « Missa Saint-Julien-les-Russey), couverte mihi Altdorfio J. Gesneri beneficio, d’une belle pinède de Pins à cro- Concernant la répartition géogra- ubi populare nomen Crein retinuit, chets, voit son nom directement phique de ce terme cro, pin de tour- nihil visa est diversi habere a Pino issu de kregno (Thom, ). Un bière, nos recherches permettent vulgari ; folia simillisima, coni pari- arpentement du 25 mai 1766 du d’élargir les deux zones restrein- ter sessiles & cernui » ; transcription territoire de Saint-Julien-lès-Russey tes et disjointes connues précédem- française : « Envoyé à moi d’Al- le signale déjà comme « un canton ment des linguistes. Aux régions de tdorf par les faveurs de J. Gesner, en marrais dénommé le canton Remoray, de Maîche-Bonnétage, où il a conservé le nom populaire des cregnots ». Dans la tourbière il faut ajouter comme on l’a vu de Crein, il est remarqué n’avoir voisine des Guinots est représenté les environs de Frasne ; c’est éga- aucune différence avec le Pin vul- un lieu-dit « les crots » sur un plan lement ce qu’avait remarqué, sans gaire : les feuilles très semblables, manuscrit de 1832 des limites de trop de détails, Richard Moreau les cônes pareillement sessiles et Frambouhans-Bonnétage. La tour- (Moreau, ) : « En Franche- courbés ». Nous avons d’ailleurs bière de Dos le cras, dans le canton Comté et comme le notait Gurnaud, retrouvé, dans sa volumineuse cor- du Jura en Suisse, et La Seigne des la localisation la plus évidente des respondance (Sigerist, ), une Crocs (signalée par Merle, ), Pins à crochets est édaphique : c’est de ses lettres envoyées de Berne à à Passonfontaine, doivent proba- celle des tourbières dont le Jura est Gessner où le 23 mai 1767 il lui blement avoir la même explica- si riche. Ils y sont connus locale- écrit : « Pinus illa Altdorfina Crein tion. Signalons d’ailleurs que, si ment sous le nom de “crin”, “croc” mihi non videtur a vulgari dissi- ces tourbières de Passonfontaine- (Frasne, d’après Roussel L., ) dere », « Ce pin Crein d’Altdorf Longemaison ne portent plus de ou de “craignot” et forment de la ne me semble pas être éloigné du Pins à crochets aujourd’hui (inven- sorte un élément caractéristique de pin commun ». Bref, le botaniste taire PRAT), Jules Thurmann les y certains paysages haut-jurassiens ». Gessner a noté qu’au XVIIIe siècle signale en 1849 et Antoine Magnin À propos de la forme crein, citée le terme crein était encore en usage semble avoir été un des derniers en premier par Jean Bauhin dans à Altdorf (voisin de Nuremberg) en botanistes à les y avoir observés en les Franches-Montagnes comtoi- Allemagne actuellement, dans une 1896 (Magnin, 1896) ; en 1907 ses, Thom () pense que les région où abondent les tourbières (Magnin, 1907), ce même auteur nombreuses mentions, sous les et où Hofmann, cité par Haller n’évoque plus la présence du Pin formes crein ou crin ou pin crin (1742), avait noté dans sa flore à crochets.

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À côté de ce terme spécifique cro documentaire très riche constituée La légende du plan de la et de ses variantes, le nom français par de très nombreuses pièces de descente du Forbonnet (fig. 4 commun pin était parfois lui aussi procédure d’un conflit de territoire H. T.) utilisé pour nommer le pin de tour- touchant la forêt du Forbonnet qui Une pièce importante de ce procès bière, mais il s’agit essentiellement opposa les communautés de Frasne, de mentions assez récentes et souvent est constituée par l’établissement, de Bonnevaux, certains particu- employées par des lettrés (notaires, par des experts, en présence des liers et le prince d’Isenghien, en géomètres…). Avant d’en citer plus représentants de toutes les parties, bas plusieurs exemples historiques, tant qu’héritier des Chalon . d’un plan des propriétés contes- signalons par exemple deux topo- Comme l’a très bien décrit Michel tées accompagné d’une volumi- nymes : un champ du pin comme Renaud, dans son mémoire de neuse légende explicative de la nom de parcelle du cadastre napo- maîtrise sur les lieux-dits cadas- descente effectuée par ces experts léonien de Remoray en 1839 (il traux de la commune de Frasne au cours du mois de fructidor de est contigu à la pinède de la tour- (Renaud, 1984), ces procès durè- l’an VI (septembre 1798). Les par- bière du Crossat de Remoray) ; de rent des années 1720 jusqu’à un celles de ce plan sont numérotées même à Bellefontaine, un lieu-dit arrêt du 13 mars 1830 de la cour de 1 à 769. Les Grands Pins, qui existe encore royale de Besançon ; pour résumer, aujourd’hui, couvert d’une pinède De ce document, il ressort qu’à le contentieux portait à la fois sur sur tourbière, figurait déjà sur le cette époque (1798), de nombreu- des contestations de territoires et cadastre napoléonien de 1824. ses parcelles en marais de cette forêt sur des droits d’usage, en particu- sont peuplées de pins, mélangés Voyons maintenant jusqu’où nous lier sur les prés ou propriétés de souvent à des épicéas et à des bou- pouvons suivre, dans les documents particuliers enclavés à l’intérieur de leaux : « l’agent de Bonnevaux a d’archives, la trace des Pins à cro- ce vaste massif tourbeux et fores- dit que c’était une continuation chets ou cros de tourbières sur un tier. Les mémoires des différentes du marais d’écorche-vache (97), secteur bien précis, la région de parties s’opposant dans ces procès qui n’est peuplé que de quelques Frasne, où ils sont encore connus citent de nombreux actes, certains arbustes, dont la plupart ne sont aujourd’hui. très anciens, relatifs aux droits et que des pins d’une essence rabou- aux usages, aux dénominations des grie et ne peuvent être identifiés et moins encore faire liaison à la pré- différentes entités, marais, peu- tendue forêt ». Documents d’archives plements forestiers de cette forêt. sur les pins des Un point central des conflits était Les tourbières portent également de tourbières du secteur de notamment de savoir si les marais beaux pins, qui forment des peuple- Frasne-Bonnevaux-Bief- du Forbonnet étaient productifs ment « fournis » ; les plus gros pins du-Fourg et en nature de forêts, c’est-à-dire sont régulièrement coupés, certains produisant des bois, et alors qui autres n’ont pas été coupés depuis Dès 1865 et jusqu’à aujourd’hui, avait le droit de les exploiter, ou longtemps et les observations sont, nous avons vu que différents auteurs n’étaient que des terrains maréca- par leur précision, presque dignes avaient relevé une dénomination geux tout juste capables de servir de botanistes : « le terrain de part patoise particulière du pin de tour- de terrain de pâture au bétail et de et d’autre de ladite ligne territo- bière dans ce secteur : croc par fournir un peu de mauvaise herbe riale est très marécageux, qui va en Mourgeon et Mangenot en 1865, de fauche. Nous en avons extrait et augmentant du côté de vent et en cret par Charton en 1932, crot par diminuant du côté de bise ; que ce transcrit ci-après les éléments qui Rousselet en 1926. même terrain à droite est peuplé de nous paraissent les plus instruc- bois pins, fuës [= épicéas], vernes Pour les périodes antérieures, nous tifs à propos de l’existence de Pins [= aulnes], boules [= bouleaux] et avons pu consulter16 une source à crochets sur ce vaste complexe autres qui n’ont point été coupés tourbeux et nous avons reporté en depuis très longtemps : tandis qu’à annexes quelques documents com- gauche il n’est peuplé que d’arbres 16. Nos vifs remerciements à Lucien Bole, ancien maire de Frasne. plémentaires. pins moins élevés à mesure que

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mais bien un pepin17, ressemblant en tout à une fue, ce qui avait trompé le sens du garde ; que ce pepin pro- venait d’une portion de commu- nal en marais ». Plus anciennement, nous avons relevé le procès, le 6 sep- tembre 1719, de Louis Marmier, lui aussi condamné à l’amende, pour avoir coupé cent-cinquante pieds de crets, d’un pied de tour (soit environ 10 cm de diamètre), dans Figure 5 : extrait de la légende du plan de la descente du Forbonnet, archives communales de Frasne. le marais de Mouilleseule sans avoir demandé l’autorisation à sa com- l’on s’éloigne du côté de vent » et sans aucun mélange d’autres bois munauté (voir en Annexe la copie « cette partie est peuplée de quel- sapins ou fuës, n’y ayant que des de son procès). Ces 150 crets, char- ques jeunes fuës et sapins rares et pins avec quelques autres arbustes gés sur deux pleines voitures de bois, peu élevés proches de cette même marécageux ». montrent à l’évidence que, déjà en ligne qui comprend tous ceux qu’on 1719, les pins n’étaient pas si rares appelle de haute futaie ; mais que et de belle dimension. dans toute son étendue, il est peuplé Mésus forestiers de beaucoup de pins plus fournis Par une autre sentence du 30 mai proches de ladite ligne et qui sont Parmi les pièces jointes au procès 1714, Edme Sebile, de Frasne, fut aussi grands que ceux du marais à pour la cause de Frasne figurent des aussi condamné, pour avoir coupé droite, lesquels diminuent d’éléva- copies de jugements pour mésus une voiture de crets (1), dans le tion en s’en éloignant et que dans (forfaits) forestiers condamnant des marais du Creux-au-Lart. [(1) note certains endroits on ne voit que particuliers qui ont coupé des arbres en bas de l’acte : C’est une autre de fort petits pins, les autres qui dans les marais du Forbonnet. espèce d’arbre qui vient aussi dans étaient beaucoup plus gros, ayant été coupés depuis quelque temps ; les marais : il est de la classe des pins]. La commune de Frasne a seule le on n’en voit que les troncs ». Le même jour, Antoine Sebile fut droit de couper les fues et sapins condamné pour avoir coupé trois sur les propriétés particulières encla- Nous retrouvons également le voitures de crets dans le marais vées dans le Forbonnet ; les proprié- terme patois désignant ce pin de de Mouilleseule, appartenant à la tourbière sous la forme Craz et un taires ont toutefois le droit de les communauté de Frasne. bel arrangement concentrique des décombrer de toutes autres essen- peuplements (fig. 5) : ces qui, beaucoup moins précieu- Le 11 février 1712, même condam- ses, leur sont abandonnées. On nation de Jacques Barbaud pour « Parcelle 12 : Terrain en nature de pense évidemment au Pin à cro- avoir coupé « 39 arbres de pins ;… forêt, ou de bois, où est la tranchée chets présent sur les hauts-marais. on sait que le pin ne croît que dans (13). Les experts l’ont dit un terrain Les accusés souvent se défendent les parties marécageuses ». marécageux peuplé des mêmes espè- d’avoir coupé des fues, mais seu- ces de bois, à droite et à gauche de lement des cros, expliquant que Un nommé Jacquet de Frasne fut la ligne E, de Bonnevaux, jusqu’à de tout temps ils ont eu le droit condamné à l’amende, le 2 mars l’entrée des prés et prétendu com- de les couper. 1701, pour avoir fait quatre voi- munal (14 et 15) ; lesdits bois, nature tures de bois sans marque, dans le de pin (vulgairement appelé dans En l’an 5, la cour de justice crimi- marais de la forêt banale dit aux le pays Craz) avec quelques fuës nelle juge un délit commis dans le Oyettes. assez élevées à l’entrée de la tranchée canton de Chesevry (Forbonnet) ; rapetissant par gradation insensible il est dit que « la femme Baudoz [la jusqu’aux dits prés et communal, 17. Il est précisé, dans un mémoire du procès de prévenue] n’avait pas coupé une fue, 1828, que pepin voulait dire pin.

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Enfin, plusieurs documents (voir documents 6 et 7 en annexe sur Frasne) précisent un usage spécifi- que pour ce bois de Pin à crochets. Il servait à Frasne principalement comme lattes et chevrons pour les toitures de maisons : « qu’il n’est pas une des quatre-vingt maisons de Frasne, dont quelques-unes ont plus de deux siècles, où l’on ne trouve des lattes fabriquées avec les pins Figure 6 : extrait d’un mémoire de Frasne daté de 1812, archives communales qui proviennent de ces marais, et de Frasne. qui servent à supporter les ancel- les des couverts ». Cet extrait d’un Le crossat ou la Aujourd’hui, seulement deux topo- mémoire de Frasne daté de 1812 tourbière boisée de Pins nymes crossat figurent sur les cartes fait ainsi remonter l’utilisation de de la région de Remoray : le Crossat lattes de Pin à crochets à Frasne au à crochets dit de Remoray qui jouxte la rive sud du lac et le lieu-dit Le Crossat début des années 1600 (fig. 6). Ce terme particulier et rare cros- situé à Derrière-le-Mont. Tous sat (avec des variantes crosat, deux sont des tourbières peuplées croisat, croissat, crossac) nous Ventes de bois de Pins à crochets. Les documents intrigue depuis quelque temps ; d’archives de cette région mention- nous avions déjà remarqué la pré- Au cours de ces procès, Frasne invo- nent de très nombreux crossats et sence d’un microtoponyme cros- que, comme preuve que les marais éclairent le sens de ce mot. Cette sat, signalé anciennement, depuis du Forbonnet étaient productifs de appellation est employée aussi bien au moins 1697, dans la grande bois, l’existence ancienne de ventes comme toponyme, c’est-à-dire tourbière de Pontarlier (André de bois, citant notamment l’année comme nom propre dénommant 1769, en provenance de marais et André, ). Nous en avions un lieu-dit particulier (le crossat de tels que le Rang de la Pene ou La donné alors une explication pro- Remoray ou celui de Derrière-le- Grangette. Nous avons retrouvé bable : « une tourbière déjà exploi- Mont), que comme nom commun. ces « rôles de ventes de bois en la tée » à partir d’un texte de l’inten- Elle désigne un type de terrain bien forêt du Forbonnet » qui existent dant de Franche-Comté, Lacoré, particulier, spécifique. Les crossats depuis 1696 et en particulier celle en 1770, qui précisait : « tous les figurent dans les actes anciens à côté de 1769 : cette année-là, 152 arbres terrains où il y a de la terre propre d’autres types de terrains, tels des au total furent marqués, la plupart à brûler sont appelés indifférem- prés, des champs et des bois, dans étant qualifiés de sèches et séchons ment Crossat ou Seigne… ». De des descriptions de biens fonciers. (cf. cliché 5 H. T.), distinguant nouveaux textes complémentaires Ainsi, par exemple, (voir annexe séparément 4 crocs. L’importance et beaucoup plus explicites que le document [9]), dans la région de numérique des sèches et séchons, précédent et venant de la région Champs Nouveaux, à Labergement- lors de toutes ces ventes, semble voisine de Remoray, nous permet- Sainte-Marie, en 1626, le notaire indiquer que les arbres coupés et tent d’en proposer une nouvelle va indiquer un crossat (et pas le vendus dans ces tourbières étaient définition. Ce travail est facilité crossat) joignant un pré : « … une souvent secs et dépérissants sur car, aujourd’hui encore, un cer- pièce de prel scituée en devers vent pieds ; cette constatation nous ren- tain nombre de ces toponymes deladite grange du Champnouveau, voie à l’observation de Christophe ont été conservés dans les docu- contenant envyron quatre Soiptures Poupon sur le dépérissement actuel ments cadastraux et cartes IGN ce qui est plus ou moins, avec ung de la pinède de Pins à crochets sur 1/25 000e (cf. tableau de réparti- grand croissat y joignant, touchans la tourbière jurassienne des Enfers tion des tourbières dans le dépar- de tous costelz la terre de labbaye (Poupon, 2004). tement du Doubs). de mont Sainte marie. » (fig. 7).

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Figure 7 : sources, archives départementales du Doubs.

Quel est le sens exact de crossat à luer (disparition des pins, transfor- plutôt comme un milieu hétéro- Remoray-Labergement ? Clairement, mation de la tourbière...), bien que gène, intermédiaire entre un milieu il n’est pas équivalent à seigne, l’appellation crossat se maintienne, forestier et un milieu humide. Il terme générique et bien connu de il ne correspondra plus alors à la est excessivement rare de trouver, toute la montagne jurassienne, uti- réalité du milieu. Cette remarque, sur les cartes ou plans anciens des lisé pour désigner un terrain maré- de portée générale en toponymie, zones tourbeuses, une représenta- cageux ou tourbeux. Dans cette nous permettra d’ailleurs de com- tion aussi précise : le plus souvent région de Remoray, le terme seigne prendre pourquoi, en 1770, dans ces zones apparaissent peu diffé- et ses dérivés se retrouvent en effet, la région de Pontarlier, cette signi- renciées ou vides de tous symbo- et distinctement, dans les mêmes fication n’était plus comprise. les. Dans la légende d’un des plans, actes que ceux où l’on trouve le Pistre Castellet se sent obligé de terme crossat. Plusieurs autres documents décou- préciser que ces croissats (orthogra- verts dans nos recherches, plus phiés croisats) désignent « … 2 petit Un document manuscrit inédit, un anciens, datant de 1724, le confir- Bois de pins appelez Croisat… ». dictionnaire du patois de Remoray, ment (clichés 8a, 8b et 8c H. T.) : Il précise également leurs surfaces écrit par Onésime Gautier, origi- il s’agit de plusieurs jolis plans et leurs dénominations : Bois de naire de Remoray, datant de la fin manuscrits des possessions (gran- Croisat et Bois de Croisat dessus du 19e siècle, va nous donner la solu- ges et bois) de l’abbaye de Mont- l’estang ; ces deux parcelles sont tion. Il établit, de plus, clairement Sainte-Marie (située autrefois à toujours bien présentes aujourd’hui, un lien entre les cros étudiés plus Labergement-Sainte-Marie au avec des contours très similaires, et haut et les crossats en définissant : lieu-dit actuel L’abbaye) précisant sont en nature de tourbières boi- « crossa = marais ou tourbière où la disposition et le nom des dif- sées de Pins à crochets. L’une (par- poussent des cro, espèces de pins » férentes parcelles. Ces plans ont celle 71 du plan) est encore appelée (Gautier, arch. pers.). Ainsi, un été établis par l’arpenteur géomè- Le Crossat de nos jours sur la carte

crossat est une tourbière peuplée tre Pistre Castellet, apparemment IGN 1/25 000e de la région. de Pins à crochets. Plus précisé- non originaire de la région ; sur ces ment, au moment où nos ancêtres plans sont figurés notamment deux Ainsi, dans la région de Remoray- ont dénommé sous le terme cros- crossats situés à Derrière-le-Mont, Labergement-Sainte-Marie, le sat ces unités géographiques, celles- hameau de Remoray. Leur représen- terme crossat a désigné, autrefois ci étaient des tourbières boisées de tation sur les plans est très instruc- et jusqu’au moins vers 1900, une Pins à crochets ; si dans les années tive car spécifique : ces 2 parcelles tourbière boisée de Pins à cro- ou les siècles suivants pour une y apparaissent dessinées ni comme chets. Concernant l’origine éty- raison ou une autre les caractéristi- les forêts ou les bois en futaies voi- mologique de ce terme, absent de ques de ces milieux venaient à évo- sins, ni comme des marais, mais tous les dictionnaires et traités lin-

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Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes. Gilles et Max André Gilles André

Figure 4 : extrait du plan de la descente du Forbonnet, secteur de la « tourbière vivante », archives communales de Frasne.

Cliché 5 : séchons, tourbière vivante de Frasne, 25. Max André

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NAFJ2008_planches_nvellEntete.indd 77 13/07/09 11:08:32 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes. Gilles et Max André Gilles André

Figure 8a et 8b : extraits plans manuscrits des possessions de l’abbaye de Mont-Sainte-Marie (1724), archives départementales du Doubs. Gilles André

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NAFJ2008_planches_nvellEntete.indd 78 13/07/09 11:08:35 Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne, 6, 2008 – S.B.F.C., C.B.N.F.C.

Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes. Gilles et Max André

Figure 8c : extrait plans manuscrits des possessions de l’abbaye de Mont-Sainte- Marie (1724), archives départementales du Doubs. Gilles André

Figure 11 : extrait du Plan géométrique de la commune de Mont-des-Lacs Sainte-Marie (1807), archives départementales du Doubs.

Gilles André Figure 10 : extrait du Plan géométrique de la Figure 9 : extrait cadastre napoléonien (1827), commune de Mont-des-Lacs Sainte-Marie (1807), archives départementales du Doubs. archives départementales du Doubs. Gilles André Gilles André

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NAFJ2008_planches_nvellEntete.indd 79 13/07/09 11:08:37 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes. Gilles et Max André

Figure 12 : extrait du Plan de délimitation entre les biens de l’abbaye de Mont-Sainte- Marie et la communauté de Malbuisson (1781), archives départementales du Doubs.

Cliché 6 : pinède très dégradée, Champs Nouveaux (ouest lac Saint-Point). Gilles André Max André

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guistiques, figurant uniquement apparaît divisée en de très nom- désigner le crossat de Derrière-le- dans Pegorier () et dans breuses parcelles et y est déclarée Mont dit vers les Patus, le géomè- Manneville (), nous pen- en nature de pré. Deux parcelles tre utilise l’expression « Crossac sons toujours qu’elle est à chercher ont des noms significatifs sur les- ou Bois de pins » (fig. 10 H. T.). du côté de la racine « creux » ; c’est quels nous reviendrons : les prés des À côté du crossat de Bonnavette ce sens que le terme crossat pos- Lattes (parcelle n° 27 du Crossat) (appelé Crossac) figure, séparé, un sède encore dans les régions alpi- et contiguë au Crossat, au Nord- petit Bois de Pin ; la parcelle 107 nes. Dans la région de tourbiè- Ouest, la parcelle n° 38 de la section du cadastre des Granges de 1827 res de Remoray, il aurait pris un voisine, les champs du Pin. y apparaît bien caractérisée, qua- sens plus spécifique de tourbière, lifiée de « Marais, Pins, Crossat » terrain comportant des creux (les Sur le cadastre des Granges-Sainte- (fig. 11 H. T.). gouilles ?), peuplé de Pins à cro- Marie de 1827 est figurée avec pré- chets depuis au moins 1533, élé- cision la petite tourbière de forme Le 24 mars 1788, « les révérands ment important en faveur de l’in- circulaire enclavée dans l’angle du seigneurs, Prieurs et religieux » de digénat des pinèdes de Pins à cro- Bois de la Grande Côte, parcelle l’abbaye du Mont-Sainte-Marie chets sur les hauts-marais de cette 107 d’une grande parcelle dite à établissent pour 9 ans un bail pour région de Remoray. La Grange du Lac ; cette zone est leur domaine de Derrière-le-Mont déclarée en bois et tourbières. à trois frères Malfroy et préci- sent : « Pourront les seigneurs lais- Documents d’archives Sur ce même cadastre apparais- sants lorsqu’ils le jugeront a propos sur les crossats du sent deux crossats à Derrière-le- faire tirer de la tourbe pour eux et Mont, dénommés le Crossat de pour qui ils voudront en tel endroit secteur Remoray- Bonnavette et le Crossat vers les du Croissat de derrière le mont ils Labergement-Sainte- Patus (parcelles 36 et 46) ; dans les trouveront convenir même chaque Marie états de section de la matrice cadas- année où ils auront la liberté de trale correspondante, il est précisé faire écouler les eaux des marais Nous allons remonter le temps en que ces deux crossats appartien- tant pour faciliter le tirage des parcourant quelques documents nent à un Colonel d’artillerie à la tourbes que pour la faire secher choisis couvrant la période anté- dans tel endroit du terrein ils sou- retraite, Picoteau. Leurs surfaces rieure à 1850 du XIXe au XVIe sont données et, indication pré- haiteront ». siècles (voir en annexes un cer- cieuse, la nature de ces parcelles a tain nombre des textes originaux changé entre le moment d’établis- Le 26 octobre 1781 est dressé un avec commentaires), et qui décri- sement du cadastre (1827) et les plan de délimitation entre les biens vent les biens sous la dépendance années suivantes : ainsi, en 1827, de l’abbaye de Mont-Sainte-Marie de l’abbaye cistercienne de Mont- une portion de presque 7 arpents et la communauté de Malbuisson ; Sainte-Marie, ou des commu- (soit 3,5 hectares) du Crossat de la pinède de Pins à crochets qui nautés villageoises de Remoray, Bonnavette est déclaré en nature existe encore aujourd’hui sur une de Labergement-Sainte-Marie et de Bois de Pin, indication barrée petite éminence entre les deux lacs des Granges-Sainte-Marie (com- pour faire place à celle de Pré marais de Remoray et Saint-Point y appa- munauté aujourd’hui rattachée à quelques années plus tard. Il en est raît, bien dessinée et dénommée le Labergement-Sainte-Marie). de même pour le Crossat vers les crossat (fig. 12 H. T.). Patus (fig. 9 H. T.). Pour ces trois communautés, le Le 24 mars 1761, un autre contrat cadastre napoléonien a été établi Le 1er octobre 1807, le géomètre de bail pour la grange de Derrière- entre les années 1827 et 1839 ; mortuacien Henry Rolland ter- le-Mont est établi avec trois frères nous y avons relevé de nombreux mine un plan manuscrit, détaillé Paillard : « … Les dits laissants pour- toponymes crossats. et de très grande taille, intitulé ront jouir de deux colsats [=cros- « Plan géométrique de la commune sats], ou ils pourront faire tirer de Ainsi, à Remoray, en 1836, l’appel- de Mont-des-Lacs Sainte-Marie ». la tourbe annuellement, faire faire lation Crossat recouvre largement On y trouve la confirmation de la des fossés, pour escouler les eaux la tourbière boisée actuelle ; elle y définition du terme crossat : pour des tourbières, et jouiront du ter-

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 81 13/07/09 11:13:18 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

rein necessaire, pour pouvoir faire crossat/crossat neuf permet égale- sats, bois dense ou clairiéré, par letendre et seicher les dittes tourbes ment de dire que les peuplements exemple. Cependant, ces diffé- dans les dits endroits… ». de pins de ces 2 parties de tour- rents croissats correspondent tous bière étaient alors très certaine- aujourd’hui à des tourbières, certai- Le 15 mars 1727, la communauté ment d’âges différents ; la cohorte nes étant de très faible surface. On de Malbuisson établit un arpente- de pins du crossat neuf était sem- est étonnamment surpris de consta- ment de son territoire dans lequel ble-t-il plus récente. ter qu’il est relativement aisé d’éta- est signalé l’existence du crossat blir une correspondance entre les déjà noté en 1781 : « Deux soiptu- Dans les années 1621 à 1648 7 pinèdes à crochets que l’on peut res un tiers moins dix neuf perches sont conservés de nombreux actes observer de nos jours et la plupart au prels du rondelet, que touche de d’achats, d’échanges de terres entre des crossats connus dès 1533, date vent luy mesme et le Croussat, bise des particuliers et l’abbaye de Mont- des premiers relevés du terme cros- claude rousselet et plusieurs bout de Sainte-Marie qui agrandit alors ses sat dans les documents d’archives champ, jurant le grand chemin et domaines de Derrière-le-Mont et de l’abbaye. Des pinèdes (crossats), de saunoise pierre antoine martin de Champs Nouveaux ; dans ces bien identifiées dans le secteur des taxé 215 F ». deux secteurs, plusieurs crossats, Champs Nouveaux (partie ouest du parfois alors orthographiés croi- lac de Saint-Point), ont aujourd’hui sats, certains de taille très réduite, En 1724, nous avons déjà signalé disparu et sont remplacées par des peuvent être identifiés et localisés plus haut sur les plans de Pistre milieux très dégradés ; nos recher- Castellet les deux Crossats de sur la carte. Nous avons déjà cité ches sur le terrain n’ont permis de Derrière-le-Mont. et montré plus haut un acte de localiser qu’une zone tourbeuse 1626 décrivant un grand crossat contenant encore quelques Pinus En 1683, un différend, à propos sur Champs Nouveaux ; en voici uncinata en mauvais état sanitaire d’impôts, éclate entre les communau- plusieurs autres cités dans un gros (cf. cliché 6 H. T.). tés de Remoray et de Labergement- registre terrier des possessions de Sainte-Marie ; le litige porte sur la l’abbaye daté du 18 décembre 1621 propriété des terrains situés dans concernant le crossat de Remoray, le canton dit des Destourbes18 un crossat (certainement Bonavette) Les crossats dans qui comprend l’actuel Crossat de à Derrière-le-Mont, un petit cros- d’autres secteurs Remoray. Un procès-verbal très sat situé en limite de Malbuisson géographiques détaillé de descente sur les lieux liti- entre les deux lacs de Remoray et gieux (cf. annexe [1]) nous apporte Saint-Point et un Champ Croisat de précieux renseignements sur la sur Champs Nouveaux (fig. 13). Vaux et Chantegrue configuration et la nature des ter- Non loin du Crossat de Bonavette rains traversés ; en particulier, le Les documents antérieurs se raré- sur Derrière-le-Mont, une vaste crossat actuel était à l’époque dif- fient progressivement et les mentions zone tourbeuse, sans pinède, s’étend férencié en deux crossats distincts, les plus anciennes de Crossat rele- actuellement sur la commune de voisins, appelés le viel croissat (ou vés concernent un prel du crouset grand croissat) et le croissat neuf en 1547 que l’on retrouve encore Vaux et Chantegrue. Elle est connue (ou petit croissat), en nature de dans une amodiation du domaine pour avoir subi de nombreuses Bois, qui ne peuvent être que du de Champ Nouveau, pour 12 ans, dégradations au cours des années Pin à crochets. La distinction vieux passée le 6 juin 1533. Ce prel du passées. Nous avons pu relever plu- crouset correspond, au niveau loca- sieurs toponymes crossats locali- lisation, au champ croisat signalé en sés sur ces tourbières avant 1839. 18. Ce terme d’ancien français n’a rien à voir avec la tourbe ; le verbe destorber signifiait troubler, 1621 dans le même secteur. À cette date, est établi le cadastre perturber. Ce toponyme Destourbes conserve la trace napoléonien de la commune sur de la première dénomination du Lac de Remoray. Ce dernier s’est auparavant appelé le Lac Savoureux et Ces textes historiques ne permet- lequel apparaissent trois toponymes bien avant, une bulle papale concernant l’abbaye de Mont-Sainte-Marie, de l’année 1201, citée par tent pas de définir, malheureuse- différents Le crossat ou Les crossats Locatelli (1967) nomme une « piscina Destorbet » ment, avec plus de précisions au regroupant au total 13 parcelles qui, non identifiée : cette piscina (= lac) Destorbet ne peut être que le lac actuel de Remoray. niveau botanique quelle était la à l’époque, sont en nature de pré physionomie générale de ces cros- ou de labour ou de pâture.

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Figure 13 : extrait du registre d'un terrier des possessions de l’abbaye daté du 18 décembre 1621, archives départementales du Doubs.

Dans deux actes judiciaires retrou- Pontarlier-Les Granges a commencé à susciter, au début vés et datés du 21 juin 1778, des Narboz-Houtaud- du XVIIIe siècle, des conflits liés « mésus » sont constatés sur les Dommartin en partie au début de l’exploitation de la tourbe dans cette zone. Ces crossats de ce secteur : « ait vu et Dans tout ce secteur de la Chaux conflits ont donné lieu à de nom- trouvé un bœuf qui appartenoit d’Arlier, il n’existe plus aujourd’hui, breuses pièces de procédures judiciai- a pierre denis Maisiere de Vaux à notre connaissance, de lieux-dits res détaillées que nous avons retrou- qui paturoit et faisoit Mesus dans crossats, ni d’ailleurs de tourbières vées et qui nous ont permis de pré- une planche appartenant a Jean boisées de Pins à crochets. Nous ciser des points importants. Ainsi, Antoine Decourviere de Vaux lieu avions déjà signalé, en 2004, la pré- en 1731, dans les archives d’Hou- dit appelé aux croisat qui est sur le sence d’un toponyme « Le Crossat » taud, nous avons pu noter, en fait, apparaissant en concurrence d’une territoire et seigneurie de Vaux et l’existence de deux toponymes cros- autre dénomination, « La Grande sats bien individualisés nommés : Chantegrue ». Le même jour, un Seigne », apparaissant avant 1770 Le Crossat de Maumont (Momont deuxième bœuf appartenant à un dans un secteur de tourbières à la aujourd’hui) et le Crossat du Mont autre propriétaire était pris, pâtu- limite des territoires des commu- de la Prévoté. Le premier semble rant au même endroit. nautés de Pontarlier-Les Granges correspondre à la tourbière actuelle Narboz-Houtaud-Dommartin ; dite des Barbouillons, située juste cette zone, auparavant indivise au nord-ouest de cette petite émi- entre les différentes communautés, nence qu’est le Momont. Le Crossat

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 83 13/07/09 11:13:20 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

dit au Mont de la Prévoté s’identi- 1717 il a coupé des arbustes dans nous révèle la présence ancienne fie lui avec le Grand Crossat ou La ce Grand Croissat ; parmi les dizai- d’un troisième crossat dans cette Grande Seigne que nous connais- nes de dépositions que nous avons plaine de la Chaux d’Arlier. En voici sons, situé au sud-est de la petite dépouillées, c’est le seul à parler un extrait :« … ladvenir Touls les éminence qu’est la Prévoté. Nous d’arbustes (pins ou bouleaux ?) dans Bois qui sont a present et qui seront avons d’ailleurs retrouvé l’acte ori- cette tourbière et à évoquer le fait a ladvenir et touls les prels et prai- ginal de 1697 (un arpentement de que les gens venaient les y couper. ries tant dudit vuillecin d’housteaud Jacque Girardet du 5 juin 1697 déli- Notre interprétation est que ces et Dommartin pour en jouyr par mitant les communaux), que citait deux crossats étaient, au moment ensemble comme du passé, quand l’ordonnance de Lacoré de 1770 (cf. où les habitants les ont nommés, au bois du crosat estant au mouray André et André., ) et men- comme dans la région de Remoray dudit vuillecin lesdits d’housteaud tionnant ce crossat. voisine, des tourbières boisées de et Dommartin en pourront pren- Pins à crochets. Plus tard, au début dre en chargeant le foing de leurs Les documents les plus instruc- des années 1700, au moment où, prels y estant pour faire Cerps et tifs sont cependant constitués on le verra, débutèrent les premiè- tennet pour les charriots et non par les dépositions des nombreux res exploitations de tourbe dans la autrement… ». Ce texte parle clai- témoins qui viennent déposer région de Pontarlier, il ne devait rement d’un « crosat » boisé situé dans ces procès ; en particulier en rester que quelques lambeaux des « au mouray » de Vuillecin où les 1764, nous avons extrait celle de pinèdes originelles. On peut sup- gens avaient des droits d’usage par- Pierre Simon, laboureur demeu- poser que celles-ci ont été victimes, ticuliers, comme celui d’y couper le rant à Adam-lès-Vercel, âgé d’en- soit de coupes pour le chauffage des bois, mais pour des usages bien spé- viron 56 ou 57 ans « … il y a envi- habitants de la ville de Pontarlier cifiques. Ce « mouray de Vuillecin » ron 47 à 48 ans [vers 1716-1717] voisine, soit de déboisement avant est à l’évidence le Moray actuel de qu’il etoit patre d’houtaux ou il a exploitation de la tourbe, comme Vuillecin et le « crosat » était très demeuré pendant quatre à cinq ans, cela est attesté dans de nombreux probablement à l’emplacement de la qu’il n’a d’autre connoissance des écrits (cf. exploitation de la tourbe). tourbière résiduelle actuelle au nord- Bornes dans le terrein contentieux Pierre Simon serait donc parmi les est du Moray, nommée tourbière des […] que pendant qu’il a été Pâtre derniers à avoir vu et coupé des Ebattis sur le cadastre napoléonien. au lieu d’Houtaux il conduisoit pins sur ces tourbières. Même si la nature du bois poussant le Betail de la dite Communauté encore sur ce crossat de Vuillecin en dans toute l’étendue de la Seigne du En tout cas, ces parcelles en nature 1702 n’est pas précisée (pin, bou- Croissat sans oposition, qu’il a ouy de crossat attestent de la présence leau ?), comme pour les crossats voi- dire par Claude Bourgon d’houtaux très ancienne de deux pinèdes à sins de Pontarlier, il apparaît qu’il que ledit Croissat apartenoit à ceux l’ouest des complexes tourbeux était anciennement boisé et que son nom même y trahit la présence d’houtaux, qu’il y a vu faucher de du bassin du Drugeon. Signalons ancienne de Pins à crochets. l’herbe et de la mousse par lesdits d’ailleurs dans un relevé pollinique habitants dans les endroits ou ils en de la Seigne des Barbouillons, corres- trouvoient, que luy même a coupé pondant au crossat du Momont, la Oye-et-Pallet-La-Cluse-et- des arbustes dans ledit Croissat présence d’un épisode assez marqué Mijoux sans Reclamation, qu’il n’a pas de de pollens de pins historiquement centré sur les années 860 ± 40 BP connoissance que ceux des Granges Nous avions déjà signalé, en 2004, (Gauthier et al., ). en ayent coupé ny fait paturer du un autre toponyme crossat, présent betail, a ajouté qu’il a vu faire à sa encore aujourd’hui et qui est en mère et à d’autres des Tourbes de Vuillecin nature de forêt communale (futaie), Creux en Creux dez le mont de la à cheval sur les communes d’Oye- prevosté dans l’etendue du Croissat Un document, du 14 novembre et-Pallet et de La Cluse-et-Mijoux. vis à vis les petits crests… ». 1702, récemment découvert, relatif Ce lieu-dit s’applique à une vaste à la gestion des bois communaux de parcelle qui ne recouvre et n’a pu Ainsi, en dehors des informations Vuillecin et des usages que peuvent recouvrir à l’évidence aucune tour- sur l’extraction de la tourbe, ce y avoir les deux communautés voi- bière. Nos recherches nous ont jeune pâtre révèle qu’en 1716- sines de Dommartin et Houtaud, permis de montrer l’existence de ce

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Figure 14 : extrait du registre cadastral napoléonien (1827), commune de Labergement-Sainte-Marie, archives départementales du Doubs.

lieu-dit crossat à cet emplacement Frasne-Labergement-Sainte-Marie- matrice cadastrale napoléonienne dans de nombreux documents : Pontarlier, aux 13 pinèdes recensées de Bonnétage, cette parcelle, quali- sur les cadastres napoléoniens de aujourd’hui, nous pouvons ajouter fiée de bois communal, est déclarée ces deux communes, sur des plans 9 pinèdes historiques, attestées par en nature de bois, mention visible- manuscrits des bois de la commu- des documents écrits et disparues19. ment barrée par la suite pour faire nauté d’Oye-et-Pallet de 1729 et Si l’on tient compte des écrits de place à celle de pré marais. dans des arpentements conservés Droz (cf. supra) et de nos recher- et très détaillés de la communauté ches, la destruction de ces pinèdes Cela permet donc, pour ces trois de La-Cluse-et-Mijoux datant de proches de Pontarlier, est interve- tourbières, de mettre en évidence 1703 et de 1652. Pour l’instant, nue très tôt (avant 1760), certai- une succession de deux généra-

seule la présence d’une petite tour- nement à la fin du XVIIe siècle et tions de pins depuis le XVIIe siècle bière comportant aujourd’hui des au début du XVIIIe siècle, lors des environ. Pins à crochets, directement à ses premières extractions de tourbe. pieds au bord du Doubs, pourrait Nous avons également découvert lui avoir donné son nom pour une des preuves indirectes de ces suc- Autres mentions raison encore inconnue. Bref, ce cessions de pinèdes sur les hauts- historiques de Pins à crossat signalerait toutefois l’exis- marais en analysant l’évolution des crochets sur les hauts- tence antérieure à 1652 d’une tour- affectations des parcelles en Crossat marais jurassiens dans bière boisée de Pins à crochets dans des Granges-Sainte-Marie dans les ce secteur. registres cadastraux de l’époque les sources publiées napoléonienne (1827) : par deux Des écrits anciens de toute nature Un premier constat s’impose sur la fois, l’affectation « bois de pins » (flores, dictionnaires d’histoire très grande stabilité de ces pinèdes est barrée et modifiée en « pré et naturelle, récits de voyage, récits à crochets, au moins 470 ans sur le marais » ce qui suppose une défo- secteur de Remoray, information d’érudits régionaux…) évoquant restation du Crossat. Aujourd’hui, cette présence sont très abondants intéressante si l’on veut voir dans ces deux tourbières de Derrière-le- la pinède à crochets le groupement et permettent de penser que les Mont sont de nouveau colonisées forêts installées sur des hauts-marais climacique des hauts-marais juras- par une pinède (fig. 14). Même étaient autrefois plus importantes. siens. On peut donc penser que observation pour la tourbière Signalons ceux qui nous semblent plusieurs générations de pins et des Creugnots sur Bonnétage-St- les plus intéressants. Les documents de bouleaux se sont succédées sur Julien-lès-Russey : en 1832, sur la sont classés par secteur géographi- ces tourbières, expliquant peut- que et par date. être les nombreux macrorestes ren- contrés lors de l’exploitation arti- 19. D’autres pinèdes historiques sont certainement à découvrir sur les communes de Bannans-La Rivière- sanale de la tourbe. Sur le triangle Drugeon.

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 85 13/07/09 11:13:22 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

Figure 15 : extrait carte géographique de la souveraineté de Neuchâtel et Valangin (1670), Bibliothèque Municipale de Besançon (BMB).

Jura suisse de Neuchâtel, ou en tout cas un brulent… Croiroit on que dans un très semblable ». Il s’agit à notre pays qui en étoit autrefois entière- –1670, Bonjour. Carte géographi- connaissance de la première men- ment couvert (de forêts), la cherté que de la souveraineté de Neuchâtel tion de Pin à crochets sur les tour- actuelle & toujours progressive et Valangin, 1670 (cf. Graf, 1892). bières du Jura neuchâtelois. du bois ait réduit ces peuples à se Cette carte, la plus ancienne connue servir de tourbe & à tirer de leurs du pays de Neuchâtel, datée de –1745, D’Ivernois. Spinner (1932) marais des racines de sapins20 à 1670, réalisée par le père capucin indique que Pinus mughus a été demi pouries... ». Bonjour, originaire de Pontarlier, noté par d’ Ivernois à La Brévine représente, certes faiblement, des dans sa liste de 1745-1746. –1786, Rozier. Tome 7, Pin, pp. bois sur les tourbières du bois des 679-706. Du Pin Mugho ou Crin : Lattes actuel (fig. 15). –1761, Stapfer : « Sur la superficie « on le trouve en Suisse près du vil- des marais, qui contiennent de la lage de la Ferrière entre Valangin et –1713, David de Merveilleux. Carte tourbe, on trouve de l’herbe rude La Chaux-de-Fond ; c’est un vilain de la principauté de Neuchatel et et dure, ou de la mousse, aussi de arbre qui s’élève à la hauteur de 10 Valangin. On y distingue très net- la broussaille de pin, à proportion à 12 pieds au plus, et même c’est tement des bois dans les tourbiè- que le marais est plus ou moins très rare ; sa hauteur ordinaire est res des Ponts de Martel et notam- humide, ou à proportion que la de six à sept pieds, et il fructifie ; & ment au niveau du Bois des Lattes couche de tourbe est plus ou moins ces arbres sont toujours rabougris. (fig. 16). épaisse ». Il est bien difficile de marquer un caractère constant & distinctif entre –1742, Haller à Pinum sylves- –1766, Ostervald : « au Nord Est ses feuilles et ses cônes et ceux du trem Mugho sive Crein J. Bauhin : du village de la Brévine, est un pinus silvestris ; sa feuille est seule- « Celui qu’Hofmann et Volcamer grand marais tremblant qui fournit ment plus courte ; mais cette légère autour de Nuremberg, Bromel en de la tourbe & où l’on trouve une différence ne tient-elle pas à ce que Suède, J. Bauhin dans les monta- grande quantité de sapins enfon- l’arbre entier est plus petit & plus gnes de Bourgogne disent natif, et cés à quelque profondeur dans la [celui que] trouva Gagnebin dans terre. Les habitans les en tirent par 20. Il paraît assez évident qu’il y a confusion avec le les terrains marécageux du comté morceaux, et les font sécher & les Pin à crochets.

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Figure 16 : extrait carte de la principauté de Neuchatel et Valangin (1713), site cartographique internet de David Rumsey. mal conditionné dans les marais que –1841, Huguenin : « La plus grande –1844a, Lesquereux : « En effet, il dans les terrains ordinaires où croît partie de ces marais est encore en suffit de suivre un instant l’exploi- le pin ? Cependant la grande diffé- friche et ne produit que des pins tation d’un seul de nos dépôts tour- rence du port du mugho ou crin, les et des bouleaux qui y font forêt, beux jurassiques, pour se convaincre lieux fangeux & marécageux dans très rarement le sapin... Les marais que la matière combustible repose lesquels il végète, le feraient regar- renferment une assez grande quan- d’ordinaire sur une terre noire dans der comme une espèce particulière, tité de bois fossiles, enfouis dans laquelle on trouve déjà enfouis une s’il est vrai que sa petite croissance, toutes les profondeurs… Ces bois grande quantité de troncs et d’ar- son air rabougri, sont la suite de fossiles sont appelés corbes par les bres entiers de même espèce que l’humidité du sol… Près du village gens du pays ; ce sont des racines, ceux qui croissent encore sur les de La Brévine, dans les montagnes des branches, des souches et des marais ou dans les forêts voisins. de Neufchâtel, les marais tourbeux tiges de pins et de bouleaux qui En s’élevant du fond vers la partie en sont couverts ». ont résisté à la décomposition. Très supérieure d’une tourbière, on souvent l’écorce et l’aubier n’exis- reconnaît encore facilement que –1787, Droz, Abrégé chronologique tent plus, le bois formé reste. On ces arbres et ces troncs sont mêlés de l’histoire du Comté de Neuchâtel trouve une multitude de souches à la masse entière, non point sous et Valengin : « plus loin est un ter- qui, paraissant avoir été coupées à la forme de débris flottés, mais tels rein marécageux, parsemé de sapins une hauteur égale, sont séparées qu’ils ont dû croître, avec leurs fila- rabougris, et d’où l’on tire de la des tiges qui existent encore. On en ments radiculaires, leurs rameaux tourbe utile par le dépérissement trouve dans toutes les profondeurs, les plus faibles, les plus fragiles, et des forêts… ». et quelquefois des tisons charbon- sans présenter aucune de ces formes nés… On coupe ces corbes, on les émoussées qu’on voit toujours plus –1827, Friche-Joset et Montandon, sèche et on les brûle, mais il faut ou moins sur les bois qui ont été 1856 ; P. Mugho, observé en 1827 avoir soin de séparer soigneuse- entraînés par les eaux… On trouve sur les tourbières du Jura. ment les cendres ; comme celles de souvent au fond des marais des tourbe, elles tachent le linge d’une troncs d’arbres qui portent évidem- couleur nankin ». ment l’empreinte de la hache. J’ai

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vu moi-même ces empreintes sur dictionnaire est un des plus anciens Grenier dans les années 1850 est des troncs extraits de nos tourbières dictionnaires comtois, écrit par un étonnante par sa date tardive. jurassiques… Dans les marais des chapelain originaire des Lavottes, Ponts, des hommes dignes de foi près de Maîche ; il donne le premier –1870, Tissot : « Le pin et le bou- ont vu aussi, au fond des exploita- la forme patoise écregnot, variante leau ne sont que des exceptions ; ils tions des arbres dont le tronc avait de cro, crein. n’existent même que dans les ter- été visiblement coupé […] Ce sont rains exceptionnels eux-mêmes, les d’abord les pins, en particulier le –1805, David de St Georges : « ... Les terrains tourbeux. Encore sont-ils Pinus pumilio de Haenke, qu’on couches de tourbe, résultant de ces dans un état si chétif qu’il est aisé confond d’ordinaire avec le Pinus superpositions continuelles, s’éle- de voir que ce n’est pas leur vraie sylvestris L., et qui me paraît consti- voient quelquefois, avec une telle patrie… Un phénomène végétal tuer une espèce distincte, autant par rapidité, qu’elles ont couvert des assez curieux, c’est qu’on trouve la forme des cônes plus arrondis, forêts entières de sapin renversées dans les tourbières de la Beuffarde que par sa stature beaucoup plus par quelques ouragans ou quelque des débris de pin. D’où il paraî- humble, et surtout par son habitat. tremblement de terre, de manière à trait que le sol tourbeux, qui s’ex- Ce pin ne s’élève guère à plus de 20 préserver les bois du contact de l’air, ploite aujourd’hui sous forme de pieds, sa hauteur moyenne est de 6 et de les conserver depuis un temps terre végétale noire, et comme len- à 8 pieds. Il croît ordinairement en dont il n’existe pas de mémoire. On tement carbonisé par des sucs par- forêts assez épaisses, presque par- trouve de ces troncs d’arbre dans ticuliers, a été couvert de pins ; que tout sur nos marais tourbeux et est presque toutes les tourbières du ces pins ont subi une action analo- d’autant moins haut que le sol est Jura ; et il y a environ trente ans que gue à celle qui a converti en houille plus humide. Les sphaignes se plai- l’on retira de celle de bois d’Amont des forêts entières… Quoiqu’il en sent à l’ombre de ces arbres, dont des sapins tellement sains, que l’on soit, le pin n’existe plus sur notre la présence paraît ainsi considéra- put les fendre et en faire d’excel- territoire que dans les tourbières ; blement activer la croissance de la lents bardaux. Ils avoient pris la ou plutôt il n’y existe plus du tout : tourbe. Leurs débris se mêlent à la couleur de l’acajou… ». On peut j’ai vu le dernier dans celle de la matière, parfois en si grande quan- légitiment penser qu’il y a erreur Beuffarde. Il était chétif et de peu tité que l’extraction de la tourbe, sur l’essence forestière, il s’agit du d’apparence. Un autre qui n’avait dans toute l’étendue de la couche, Pin à crochets. pas plus de vigueur se voyait à la en devient fort difficile... » même époque dans la tourbière de –1810, Girod de Chantrans : « Pinus l’Auberson. Mais ce qui prouve que –1942, Joray : il nous apprend qu’en sylvestris. Lin., Pin sauvage. Dans cette nature de sol est bien celle qui 1873 la tourbière de l’étang de la les tourbières de nos montagnes » convient le mieux dans nos climats Gruyère portait le nombre impres- et « L’on trouve assez souvent en à cette essence, c’est que la tourbière sionnant de 14 140 Pins à crochets fouillant dans nos tourbières, et par- de la Vracone, dans le voisinage, en de plus de 15 cm de diamètre. ticulièrement dans celle située au porte un grand nombre et qu’on voisinage du château de Joux, des n’en trouve pas sur les autres espè- arbres enfouis à la profondeur de ces de terrains avoisinants. » Jura français dix à douze pieds, que l’on recon- –1763, Manuscrit Barbaud (BMB) : naît aisément pour des pins. Ils –1897, Maison : « … Citons encore « il est probable aussi que les marais sont d’un noir d’ébène et suscepti- les bouleaux et surtout le pin des étaient autrefois fructueux et qu’ils bles d’un poli qui les fait employer marais, Pinus uncinata, dont les produisaient des arbres car on enlève avantageusement à des ouvrages de troncs forment un obstacle si grand de leur intérieur des racines d’une marqueterie. » à l’exploitation de la tourbe à la grosseur prodigieuse, des troncs de bèche, que les lots où il est le plus la longueur de dix pieds et plus, sur –1854, Contejean, Supplément abondant sont très dépréciés. Cet 3 et quatre pieds de contour. Ce p. 153 : « Pinus Mughus. Scop. (la arbre croît surtout sur les bords fait est facile à vérifier. » variété uliginosa. K.)- Pontarlier, des marais tourbeux là où le sol Grenier ; Boujailles, Garnier ». est le moins humide ; il n’atteint –1786, Besançon : « Pin : En patois Cette mention de Pin à crochets jamais de bien grandes dimen- du tayer, de l’écregnot, du crecet ». Ce à Pontarlier qu’y aurait observé sions : les sphaignes, qui croissent

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plus vite que lui, l’envahissent et Obscure ; absent de tous les diction- dont l’eau douce & agréable, que finissent par submerger son tronc. naires. Recueilli à Damprichard l’on pourroit tirer au Printems par C’est une espèce rabougrie dont en juin 1991 chez M. et Mme incision, seroit propre pour les gou- les branches s’étiolent et qui bien- H. Guillaume. » teux, les graveleux & les phthisiques, tôt meurt... » pour ôter les taches du visage, pour rendre la peau belle &c. de la même –1910, Beauquier : Cite le patois Les atteintes manière qu’on la tire du Bouleau ecrognot, variante de cro ; on anthropiques sur les commun, dont les balais ne sont pas si recherchés que ceux de ce emploie le pin sauvage comme hauts-marais jurassiens bois de charpente. petit Bouleau… Je ne sache pas qu’aucun Botaniste avant moi ait La très grande majorité des auteurs découvert cette espèce de Bouleau –1932, Charton : « Vu, que pour s’intéressant à la dynamique passée en Suisse, où il est très-commun... » raison de la rareté des bois, il importe des hauts-marais et à la brusque Gagnebin, Acta Helvetica, 1751. aux habitants de conserver les ter- mise en place des forêts de Pins rains qui leurs compètent [appar- à crochets à une époque histori- tiennent] et où ils puissent tirer des que conclut à une modification Peut-on établir les débuts de tourbes pour leur chauffage ; que des hauts-marais suite aux draina- l’exploitation de la tourbe toutefois, par un abus intolérable, ges et à l’exploitation de la tourbe plusieurs particuliers s’immiscent à qui en a suivi, les nouvelles condi- sur le massif jurassien ? en vendre aux étrangers, ainsi que tions écologiques créées étant net- Il est classiquement admis que l’ex- des racines de pins et autres bois tement plus favorables au Pin à cro- ploitation de la tourbe a commencé qui se trouvent dans les dits lieux... chets (cf. partie phytosociologie et au XVIIe siècle (voire au XVIe pour Pour obvier à ces abus, il est décidé dynamique). certains auteurs), s’est profondément que, il est interdit de vendre ou de accélérée au XVIIIe siècle sur l’en- donner des tourbes ni du bois de Si nous partageons entièrement ce semble du massif et a culminé au marais à des étrangers, même d’en point de vue, il paraît aujourd’hui XIXe. Concernant les débuts pro- distribuer à qui que ce soit, car on évident, suite aux documents his- prement dits de cette exploitation, ne doit en faire que pour son usage toriques rassemblés, que les actions les auteurs indiquent malheureuse- particulier, à peine de dix livres anthropiques, qui ont certainement ment rarement les documents précis encourue de plein droit au profit grandement accentué la colonisa- leur ayant servi à avancer ces dates. de la chapelle. » tion naturelle des hauts-marais par Il est vrai que les documents indi- les pins, doivent être trouvées plu- quant explicitement les premières –1958, Guinier : « Il est vraisem- sieurs siècles avant les débuts d’ex- exploitations de tourbe dans une blable que le Pin à crochets a jadis ploitation de la tourbe. zone particulière de tourbières sont existé dans presque toutes les tour- par essence relativement uniques bières à Sphagnum du Jura. Dans Nous sommes convaincus, que et donc difficiles à dénicher ; il est bon nombre d’entre elles, il a dis- dans le passé, d’une manière géné- par contre plus facile de trouver des paru du fait de l’homme, mais il rale, les hommes ont cherché à documents prouvant qu’à une date en est encore beaucoup où il forme utiliser, à « rentabiliser » tous les donnée l’exploitation a déjà com- des peuplements d’étendue diverse. milieux, même ceux qui apparais- mencé. Une recherche méticuleuse, Il est bien connu des habitants qui sent aujourd’hui comme très hos- mais forcément non exhaustive de le dénomment “crin” ou “craignot”. tiles. Le récit de la découverte du preuves écrites, nous permet de Magnin et Hétier mentionnent bouleau nain (Betula nana) dans fixer d’ores et déjà certaines dates seize stations ; il y en a sans doute les tourbières du Jura suisse par de premières mentions d’exploi- davantage, les unes petites, d’autres Abraham Gagnebin peut nous servir tation de la tourbe en fonction de au contraire de surface assez consi- d’exemple : « Les plus grandes de certains secteurs géographiques du dérable, telle la tourbière boisée ses feuilles n’excèdent pas la largeur massif jurassien. Remontons à nou- de Frasne. » d’un liard ou d’un sol, & les plus veau le temps. petites celle d’une lentille, & sont –1992, Colin : « cro, n.m., arbre un peu amères au goût, & parois- –1780-1789 : dans le département mal venu ou mal taillé, tordu. Etym. sent imprégnées d’un volatil nitreux, du Jura, pour les secteurs de Saint-

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Claude et de Poligny, l’exploita- minée, non seulement pour son ne remontent pas au-delà de 1713. tion est tardive, comme l’atteste usage, mais pour en vendre aux Un nommé Abram Sandoz, de la D. St Georges (1805) : « … Ce étrangers. Ce ne fut guère que vers Brévine, qui avait été au service de n’est que dans le premier de ces 1650, quand les bois se firent rares, Hollande22 comme simple soldat, cantons (Le GrandVaux) que l’on qu’on songea à exploiter la tourbe. de retour cette année dans sa com- a commencé à faire usage de la On se rendit bientôt compte qu’il mune, ouvrit aux environs du vil- tourbe quelques années avant la fallait en réglementer l’usage » ne lage de la Brévine la première tour- révolution ». s’appuie sur aucun document mais bière pour l’usage de son poêle et elle apporte une indication inté- de son foyer… et peu à peu, mais –1771 : auprès de Morez (Jura) ressante : les tourbières boisés ont bien lentement, l’usage de la tourbe (BMB, Ms 36, n° 1). été une source de bois de chauf- s’établit à la Brévine, d’abord chez fage, avant toute exploitation de les pauvres gens et ensuite chez –1766 : Frasne ; premier rôle de tourbe ; en 1743, il cite une vente ceux qui étaient aisés, mais seule- distribution de tourbes apparais- de tourbes. ment pour chauffer les chambres, sant dans les comptes d’échevins ensuite dans le reste de la vallée et (remarque : ces comptes sont lacu- –1740 : dans les environs de Morteau depuis le renchérissement des bois naires de 1720 à 1765 ; l’exploita- (tourbières situées à Montlebon dans tout le pays… ». tion a probablement débuté, après vers la frontière suisse), l’exploi- 1719, et dans les mêmes années qu’à tation n’a pas encore commencé –1709-1711 : région de Zurich ; le Bief-du-Fourg voisin, c’est-à-dire (BMB, Ms 36, n °1). naturaliste Johann Jakob Scheuchzer avant 1743 (EAC 2034). suggère, en 1709-1711, d’extraire –1734 : environs de St Hippolyte : la tourbe du marais de Hüllistein –1762 : Bulle ; Christine Karche indi- tourbes fournies pour le corps de près de Rüti (ZH) et de brûler ce que que la vente de tourbes à Bulle garde de St Hippolyte (1C2147). « bois souterrain ». En 1712, il repro- se pratique depuis au moins l’année duit le processus d’extraction de la 169621 ; la consultation aux archi- –1726 : Saône-La-Vèze-Morre : tourbe dans une vignette de sa célè- ves départementales (AD. Doubs, la veuve Compain de Fontain y bre carte de la Suisse. L’exploitation ancienne cote : C1347, carton 949 ; exploite de la tourbe pour les quatre de la tourbe ne tarda pas à se répan- nouvelle cote : 1C2425) des comp- corps de garde de la citadelle de dre dans tout le pays. tes d’échevins originaux prouve, en Besançon (1C2147). fait, qu’il s’agit de vente d’herbes et –1710 : la région de Pontarlier ; non de tourbes en 1696 ; la vente –1722 : Les Granges-Narboz ; cette région est souvent citée comme de tourbes n’y figure qu’à partir marché de fourniture de tour- une des premières à avoir entrepris l’exploitation de la tourbe. Elle de 1762. Dans cette zone, l’ex- bes au vicaire des Granges (ADD, est également donnée, vers 1789, ploitation a cependant dû démar- G2047). Dans cette zone, l’ex- comme modèle exemplaire d’ex- rer comme pour toute la zone de ploitation a cependant dû démar- ploitation intelligente : « En effet, Pontarlier autour de 1700. rer comme pour toute la zone de de St Claude à Morteau, il n’existe Pontarlier autour de 1700. aucune tourbière qui soit exploitée –1748 : Chatelblanc (EAC 1197 avec intelligence, à l’exception de S28). –1718 : environs de Blamont : tour- celles qui appartiennent à la ville bes fournies pour le corps de garde de Pontarlier et aux villages voisins » de Blamont (1C2147). –1743 : Bief-du-Fourg ; la date (Chavetnoir in CUER n° 7). Nous avancée, 1650, par V. Charton : avons déjà vu (André et André, « ... On coupa d’abord au long et –1713 : vallée de la Brévine (Canton 2004) qu’une exploitation de la au large tous les pins qui recou- de Neuchâtel) et Jura neuchâtelois ; Grande Tourbière, organisée par vraient ces terrains. Puis, chacun les informations sont précises et de la ville de Pontarlier, y est avérée où bon lui semblait, allait extraire première main. Huguenin (1841) depuis au moins 1731. Les dépo- de la tourbe en quantité indéter- évoque la manière dont l’exploita- tion de la tourbe a débuté dans sa vallée : « La connaissance et l’usage 22. Dans ce pays, l’extraction de la tourbe y est déjà 21. In CUER n° 2. L’homme et les zones humides dans signalée par Tacite, cité par Mr Pfeiffer (1787) dans la vallée du Drugeon à l’époque moderne : 323-346. de la tourbe dans les montagnes Histoire du charbon de terre et de la tourbe.

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Figure 17 : extrait comptes d’échevins de la communauté de Labergement-Sainte-Marie, archives départementales du Doubs.

sitions des témoins, en 1764, dans de valeur que l’on n’en tenoit pas le Jura et ce aussi bien en France les procès entre les communautés grand Compte. » qu’en Suisse. Il semble y avoir un de Pontarlier-Houtaud-Dommartin lien entre les débuts de son exploi- déjà cités plus haut nous ont fourni Ce document précise donc que tation, imposée, et le monde mili- depuis des éléments précieux : plu- Jacques Bourgon avait commencé taire. Signalons également que les sieurs indiquent qu’ils ont exploité à tirer des tourbes dans le crossat villageois ont eu beaucoup de mal à de la tourbe sur les crossats depuis en 1710 et qu’en 1705 ce terrain accepter d’utiliser la tourbe comme au moins 25 ans, soit depuis 1739 n’avait encore que peu de valeur, ce moyen de chauffage, comme en environ ; la déposition de Jean que l’on peut interpréter comme témoigne D. St Georges en 1805 : Baptiste Gagelin, 75 ans, a parti- « n’était pas encore exploité en « Même insouciance, même préjugé, culièrement retenu notre attention tourbière ». régnoient dans l’arrondissement « en mil sept cent dix Alexandre et de St.-Claude, quoique le bois de Claudine Bourdin enfants de Jean –1696 : région allant de La-Cluse-et- chauffage y fut d’une rareté, d’une Bourdin d’Houtaux etoient domes- Mijoux à Labergement-Sainte-Marie ; cherté extrêmes. En 1786, mon tiques chez le deposant luy dirent dans ce secteur nous connaissions père, alors maire de la ville [Saint- qu’un nommé Jacquot autrement déjà la première mention publiée Claude], fit extraire de la tourbe aux Jacques Bourgon dudit Houtaux et fiable, en 1702, d’exploitation prés de Vualfin : la municipalité en que le déposant a connu et qui de tourbe pour le château de Joux fit amener à ses frais bien sèche et etoit un vieillard avoit commancé (Mathez, 1932). Depuis, nos recher- bien conditionnée. A peine les pau- à tirer des tourbes à la Tourbière ches dans les comptes d’échevins de vres, à qui elle fut distribuée gratis du Croissat et qu’elle appartenoit la communauté de Labergement- à l’entrée de l’hiver, toujours rude auxdits de dommartin et houtaux, Sainte-Marie nous ont révélé que en ce climat, daignèrent-il l’accep- lesdits Bourdin domestiques du cette fourniture de tourbes pour la ter et en faire usage... » deposant etoient pour lors agés de forteresse de Joux, imposée par l’in- quarante à cinquante ans. En 1705 tendant de Franche-Comté, avait Remarquons enfin, que la corréla- Claude Gagelin, pere du deposant débuté pour cette commune ainsi tion faite par de nombreux auteurs fut appellé de la part de Ceux de que pour celle de St Antoine, dès entre les débuts de l’exploitation de Dommartin pour les ayder dans le 1696 (fig. 17). la tourbe en Franche-Comté avec partage qu’ils devoient faire avec les la publication de l’ordonnance des habitants d’houtaux de leurs com- Pour conclure, on peut penser que eaux et forêts de 1669 réglemen- munaux et à son retour il dit au l’exploitation de la tourbe a dû tant les domaines forestiers pour

deposant que ceux de Dommartin commencer à la toute fin du XVIIe contenir la pénurie croissante de avoient un Vaste terrein derriere siècle, en premier dans cette région bois nous paraît excessive : cette Houtaux mais qu’il etoit de peu de la forteresse de Joux, puis dans ordonnance ne sera d’abord publiée

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en Franche-Comté qu’en 1694 et, comme on le crut pendant long- actes de vente dès le XIIIe siècle ; de plus, comme l’a bien montré temps (Gresser, 2000). ainsi, en 1270, un chevalier de la Vion-Delphin (, ), elle région reprend en fief, entre autres n’a commencé à être vraiment Bien évidemment, les documents biens, deux tiers du « puits de saynes » mise en application dans les com- écrits sont rares et d’interpréta- sis à Bannans et en 1339, par deux munautés que bien plus tard, vers tion difficile, mais il nous semble achats successifs, l’abbaye de Mont- 1730-1760. se dégager un certain nombre de Sainte-Marie acquiert le quart des points importants. seignes de la Rivière, Bouverans et En résumé, la présence de peuple- Dompierre. L’intérêt que porte l’ab- ments de Pinus uncinata est attestée Comme le souligne admirable- baye de Mont-Sainte-Marie par ses par des documents historiques, dans ment Daveau (1959), « Les sei- achats de 1339 prouve qu’une des le secteur de Pontarlier-Remoray gnes sont des clairières naturelles puissances locales s’intéresse à l’ex- depuis au moins 1530, dans le secteur dans la forêt. Il n’est pas impossi- ploitation, mais aussi aux ressour- du plateau de Maîche depuis 1600 ble pourtant qu’elles aient attiré ces propres aux étangs et à leurs environ, dans le secteur de Frasne les premiers habitants parce qu’el- abords : joncs, gibier et poissons depuis 1600 environ, pour le Jura les leur offraient l’amorce d’une (Fétier, 1978). Ces interventions neuchâtelois depuis 1670 environ, clairière, un espace découvert où humaines sont certainement mul- soit environ deux siècles avant une la circulation était plus facile que tiples et les textes historiques nous exploitation un peu conséquente dans la grande forêt vierge. Il est permettent seulement d’en perce- de la tourbe (vers 1730). troublant de constater que la plu- voir quelques-unes. part des agglomérations-mères, éta- blies en pionnières au sein de can- Les preuves historiques tons non encore défrichés, se sont Lieu de pâture, cultures d’interventions installées au bord d’un lac si pos- et récoltes d’herbes et de anthropozoogènes dans sible sans doute, mais, à défaut, en mousses. les tourbières avant toute bordure même d’un marais, tels Afin d’améliorer les pâturages et de exploitation de la tourbe Mouthe, Morteau, Le Locle, La Brévine… Les marais fournissaient faciliter la récolte d’herbes dans les Nous ne nous intéresserons ici qu’à l’eau, rare dans la montagne. Dans marais et les tourbières, les habi- la période historique, les palyno- l’acensement de la grange Rollier par tants ont non seulement pratiqué logues ayant montré que les inter- le comte de Neuchâtel à l’abbaye des défrichements, mais rapide- ventions humaines dans le secteur de Montbenoit en 1342, il est dit ment creusé des rigoles. des tourbières commencent dès à propos de « la petite saigne étant le Néolithique (thématique abor- dessus le mont de Say » que « la Les plus anciennes traces écrites de dée dans l’Histoire de la Grande fontaine de ladite saigne est et doit drainage dans les marais et tourbiè- Tourbière de Pontarlier, André et être communal à notre gens et aux res nous viennent du Jura suisse. André, 2004). La période qui gens de ladite église pour […] abreu- nous semble la plus intéressante ver sans faire dommage à autrui et Dans l’ouvrage d’Henri Bülher, Aux est celle souvent appelée le « beau y doit-on laisser chemin pour aller origines de la Chaux-de-Fonds, on Moyen Âge » (XIe-XIIIe siècles), et venir les gens et les bêtes ». Peut- trouve, dans un acte de 140123, le voire la première moitié du XIVe être aussi les marais fournirent-ils toponyme « ès terrelx » : l’auteur siècle, où on assiste à une recru- les premières prairies de fauche, l’identifie à terreaux (= fossés). Par descence de l’anthropisation puis comme dans l’ancienne économie ailleurs, parmi les toponymes liés un fléchissement lié aux difficul- scandinave où la population pas- aux sagnes, on trouve « Sagniez tés – guerres, épidémies de peste – sait tout l’été à faucher la végéta- corberant » ; Bülher pense que des XIVe et XVe siècles, puis une tion des marécages répandus dans Corberant est vraisemblablement un nouvelle intensification jusqu’à les grandes forêts ». nom d’homme, mais il n’a cepen- nos jours (Gauthier, 2001). Ce dant pas retrouvé ce nom ailleurs. « beau Moyen Âge » ne fut que la Les tourbières et marais sont des seconde rupture anthropique de milieux économiques comme les 23. Acte de reconnaissances de terres sur le territoire l’environnement et non la première autres et ce fait est attesté par des de la Chaux-de-Fonds (Bühler, 1927).

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On peut se demander s’il ne faut Le 8 juillet 1526, on accorde d’autres Exemples de la commune de pas plutôt y voir une sagne où l’on sagnes à Pierre Chambrier et ses suc- Frasne récolte des corbes, cette récolte de cesseurs, avec cette fois la condition corbes étant attestée en 1434 à qu’ils ne seront pas tenus d’entre- Le toponyme toureau (= terreau Neuchâtel (cf. ci-dessous). tenir les chemins, les ponts sur les = fossé de drainage) est très ancien biez, ni les terraux. dans la commune. Il y a 2 lieux- Louis Thèvenaz24 indique que les dits de ce nom à Frasne : l’un à l’ouest de l’étang de Frasne (cf. accensements furent nombreux à En 1579, il a été dépensé 168 IGN 1/25 000e), l’autre juste à partir de 1444 ; certaines de ces terres livres 6 sols « pour la vuidange l’ouest de Métalin. Le premier est étaient situées le long du bief, dans des dits fossez a raison… ». À l’an- cité dès 1535, le second dès 1659 les tourbières. En 1512, des dimes née 1528, dans les Annales histori- (Renaud, 1984). Ce toponyme (impôts) y étaient levées, y compris ques de Jonas Boyve, celui-ci indi- existe également dans la commune « en la partie devers les grandes sai- que « qu’il y avait encore en ce temps, voisine de Bief-du-Fourg (bail de gnes ». À cette date, « la plupart des aux Ponts-de-Martel, que très peu 1713, Charton, ) : domaine terres étaient accensées, perchoyées, d’habitants. Il y a plusieurs accen- du Valdahon et des Terreaux. En sissements [acensements] qui font bornées… Il y avait pourtant encore 1600 à Labergement est localisé un voir qu’on défrichait pour lors ce des endroits que le seigneur n’avait lieu-dit tarraux : « pièce de prel sise lieu là. Cette terre était très diffi- attribués à personne pour tenter au territoire dudit Labergement cile à bonifier, parce qu’il y avait d’en tirer parti ou que personne, au lieu dit Soub les vaynes aul- non seulement des bois et de la sans doute, ne voulait essayer de trement la Saigne ou Soipture du broussaille à extirper, mais aussi cultiver. Il se présenta tout de tarraux… » même quelqu’un pour entrepren- des marais à saigner ; cest pour- quoi l’on accensait à des conditions dre l’amélioration des plus mauvais Dans la légende du Plan de la descente très favorables. » lieux de la vallée (Pierre Chambrier, de l’an VI du bois du Forbonnet, on homme d’état)… Bernard Schiesser, trouve à plusieurs reprises la men- bailli à Neuchâtel pour les Douze Ce texte est très intéressant et tion de fossés anciens (antérieurs Cantons des Ligues, lui accensa, le prouve qu’à partir du début du à l’exploitation de la tourbe qui a 22 mai 1526, « toutes les saignes XVIe siècle les marais et les tourbiè- commencé à Frasne dans d’autres qui ne seront mises ny accensees a res sont exploités comme les autres secteurs à partir de la moitié du personne, icelles gesant a Martel… terrains dans la vallée des Ponts- XVIIIe siècle) : « Il A dit Encore, pour ce que le lieu est inutille et de-Martel : les seignes ou sagnes Que le pré du Citoyen - Droz (90), infertille, que n’est memoyre d’hu- étaient drainées pour assainir les à Saônoise du Chemin (89) et à bise mains y avoir jouissance ny usance terrains afin entre autre d’y faire du point (77), où l’on était, Qu’il d’aulcungs biens, tant boys, pastu- pâturer les bêtes et d’y exploiter le a Dénommé la Grande Goute, n’a rages que aultrement, a cause que bois et les corbes, d’y établir des Jamais été Cultivé ; qu’il est possible les gens ny bestes n’y peuvent aller moulins ou engins utilisant l’eau, de le mettre en Nature de Labour en la pluspart du dict lieu… donc- d’y pêcher… Comme les portions de marais qui ques, pour iceluy dict lieu reduyre l’ont été & déjà reconnus (321, 366, d’inutille à utille, convertir d’in- Pour la France, on trouve également 368), en y pratiquant des fossés fertille à fertille, et mettre de riens des acensements importants pour & des Adossemens pour l’écoule- a valleur, pourra iceluy lieu ter- valoriser les marais et les tourbières, ment des eaux : Travail qui laisse railler25 tout a l’entour de bons et comme sous Jean 1er de Chalon- des traces e(t) qui ne Subsistant groz terraulx, et partout ou bon Arlay (1267-1315), où Laure de pas Au Local dont il S’Agit, n’y luy semblera… » Commercy multipliait les conces- Autres Vestiges de Culture, l’ont sions de terrains incultes ou boisés déterminé à dire que le fond n’a pour être défrichés ou servir de jamais été Cultivé. » 24. À la recherche des Ponts de Martel, Musée Neuchâtelois, 1929. pâturages. L’existence de drainage

25. Terrailler = creuser, travailler à l’entretien des et également de quelques usages « Rigole d’écoulement des eaux pro- fossés ; terrau : fossé, en particulier « fossé pratiqué ayant précédé l’exploitation de la venant des marais à Saônoise du dans les endroits humides afin d’égoutter le terrain » (Pierrehumbert, 1926). tourbe est avérée. Chemin (64), que les Experts ont

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dit Se jetter dans le ruisseau de la neuf, sous le nom de Jean-Charles fournissent un usage particulier fontaine du fourchaut ( 63) ». et Jacques Vorbe, frères, et pour y comme litière pour le bétail : Jean avoir vu faucher, quelques années Claude Barthelet, 69 ans, demeure « à l’embouchure du Bief, ou rigole auparavant, par les Bouveret, fer- à Houtaud depuis 50 ans, dépose : d’écoulement (73), des eaux du miers desdits Vorbe. » « il a fait des tourbes près de la marais de Bouverans (74) ». Seigne de Messieurs du magistrat Cette pratique de faire pâturer les [Le crossat de Pontarlier] […] et « L’une des rigoles d’écoulement troupeaux dans les marais et tour- les particuliers dudit lieu fauchent du marais Supérieur (460), & Son bières est encore bien présente au de la mauvaise herbe pour faire de Entonnoir dans la forêt A, ou dans XIXe siècle à l’occasion des années la litière… ». Antoine Besand, 57 sèches. En mai 1836, le maire de le Canton (456) ». ans : « il y a 38 à 39 ans [en 1725- Frasne expose au conseil « qu’il 1726] [...] [vient] y faucher de s’était transporté il y a quelques Extrait du mémoire de Bonnevaux l’herbe pour faire litière au bétail... ». (~1810) : « Les experts nous ont fait jours dans les marais de la Sarre 26 Cette récolte d’herbes s’accompa- rapport que, dans le local indiqué à Cordier et des Levresse pour reconnaître si les fossés qui exis- gne même parfois, comme on l’a par les habitans de Bonnevaux, sous vu dans les crossats de la région la dénomination d’Essart Michiel tent dans les marais pour l’assai- de Pontarlier, de récolte de mous- [ou Michel], ils ont reconnu qu’il nissement des terrains et l’écoule- ses, pour un usage qui nous reste y avait deux petites plaines en ter- ment des eaux étaient en bon état. inconnu. rain sec et uni, sans bois, l’une vers Il les a reconnus en bien mauvais l’angle méridional, et l’autre à l’oc- état et en grande partie rebou- chés. Qu’il fallait absolument et cidental; qu’entre ces deux plaines, D’une manière peut-être plus anec- de toute nécessité en faire curer et sur le terrain solide, il y avait des dotique, signalons que certaines en construire de nouveaux afin de arbres fuës et sapins ; que, dans la tourbières jurassiennes ont peut- faciliter l’écoulement des eaux, l’as- partie marécageuse touchant aux être été transformées en champs sainissement des terrains et l’extrac- frères Voinet, précédemment recon- de « patate », comme l’affirme tion de la tourbe pour le chauffage nue au canton de Fontaine des De St Georges en 1805 : « une des habitants de la commune. » Un Quartiers, et à la partie en bois sur grande partie du terrain qu’occu- fait intéressant est la cause avancée un revers à bise, il y avait des arbres pent les tourbières pourroit être pour expliquer le mauvais état des de marais mêlés de petites fuës dont rendu à la culture après quelques fossés : « c’est la faute des sécheres- quelques-unes sont rabougries ; le préparations ; [...] on pourroit ses qui a fait les années précéden- tout un peu clair semé, et par des- faire encore une sorte d’emprunt tes qui a forcé le bétail de pacager sous une herbe lèche indiquant un dans les marais vu que les commu- à la tourbière en lui confiant des lieu marécageux où l’on ne peut naux qui les avoisinent ne produi- pommes de terre qui y multiplient mettre le terrain en culture qu’en saient plus l’herbe ou du moins étonnamment et y acquièrent le le desséchant par des fossés ; et la très peu à cause de grandes cha- meilleur goût... » partie du revers à bise du marais, leurs et sécheresses qu’il a fait pen- touchant en partie le nommé Jean- dant les quatre années précéden- Les tourbières et marais, des Baptiste Longchamp aussi au canton tes. » (Bole, 2005). ressources précieuses en eau de Fontaine des Quartiers, est en nature de bois sapins fuës, qu’ils ont On peut également noter que dit en nature de forêt dans l’un de Du fait d’un environnement kars- dans les documents écrits, précé- tique omniprésent, rappelons que leurs précédens rapports. Interrogés dant souvent l’exploitation de la sur la dénomination de ce local, les les disponibilités en eau dans la tourbe, on mentionne également des montagne jurassienne sont rela- experts nous ont dit, savoir l’expert ventes d’herbes (Pontarlier, Frasne, tivement faibles et que les zones de Frâne, qu’il dépendait du canton Bannans). Les procès évoqués entre humides offraient à la fois des pay- des Quartiers et Goutedor, et celui Houtaud et Dommartin nous en de Bonevaux, qu’il s’appelait L’Essart sages relativement ouverts et une Michel dans toutes ses parties, pour ressource en eau importante. Les l’avoir compris au rôle des imposi- 26. Dans des documents antérieurs, il est précisé écrits concernant les premières ins- que l’on a été obligé de faire couper des pins pour tions, en mil sept cent cinquante- exploiter la tourbe dans ces deux lieux-dits. tallations humaines sont évoca-

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teurs ; ainsi les chartes de 133727 visibles sur une carte non datée30 s’exprime ainsi : « Des incendies et 1368 concernant le secteur des (fin XVIIe siècle) dans le secteur de cette nature ont dû être jadis Fourgs (Seigneurie de Joux) évo- Pontarlier-Granges-Narboz : le grand assez fréquents, puisqu’il le sont quées par J. Tissot28 soulignent et le petit Vassieux. Au début du encore maintenant ». Ce même bien cet aspect : « Il est très présu- XVIIIe siècle, on y pratique encore auteur signale avoir observé dans mable, d’après la distinction dont la pêche31. Remarquons qu’à cette la tourbière des Ponts, dans une nous avons parlé, entre le Four-Gy- époque seule l’eau est figurée sur exploitation de tourbe vis-à-vis le-Mare et le Four-Viffard, que la la partie correspondant aux zones des Coeudres, des dépôts de cen- Beuffarde [commune des Fourgs, humides32. Dans un autre acte, il dres d’une épaisseur de un ou deux 25], hameau situé à l’extrémité sud- est évoqué qu’il existe des fossés pouces [un pouce = 2,7 cm] sous est de notre territoire, non loin des venant de la tourbière et qui ser- lesquels la tourbe est carbonisée à Pontets, fut un des points les plus vent à alimenter les étangs en trois pouces de profondeur et recou- anciennement habités. La charte de question. Apparemment, le souci vertes de huit pieds [un pied = 32 1368 ne laisse même aucun doute n’était pas uniquement de drainer cm] de tourbe. à cet égard. On remarque dans son le marais et la tourbière pour le voisinage deux très bonnes sour- pâturage ou pour la récolte d’her- Ischer (1935) indique qu’en 1910 ces… Ces deux sources sont rap- bes, mais d’alimenter en eau des les marais de Martel ont été rava- prochées l’une et l’autre d’une tour- étangs pour y pratiquer la pêche gés par un grave incendie et qu’en bière intermédiaire, et les premières ou d’autres activités. 1932 la pinède du Marais de Petit- habitations de la Beuffarde étaient Martel a été gravement endomma- bâties à peu près à égale distance Thèvenaz () indique qu’en gée. Il ajoute que les propriétai- de l’une et de l’autre, tout près de 1528, Pierre Chambrier obtient res de marais détruisent réguliè- la tourbière… » « l’autorisation d’édifier des mai- rement par la hache ou par le feu sons et des fours, et des moulins, des surfaces boisées sur les marais. Il ne faut pas oublier également rasses, batteurs et autres engins sur Graber (1923) signale qu’avant l’importance des obligations reli- les cours des eaux des bieds, ter- toute exploitation de tourbe les gieuses à cette époque : « D’un bout reaux des sagnes de Martel [Ponts arbres sont coupés et les buissons de l’année à l’autre, le vendredi et de Martel, Suisse], pêcher dans les brûlés. On peut voir dans ces buis- le samedi, localement le mercredi, dits cours d’eau, les empoissonner sons les peuplements denses d’Eri- sont des jours sans viande. En ajou- et y mettre des écrevisses. » cacées qui accompagnent les pins tant à ce compte les Rogations, les et les bouleaux. Quatre-Temps et certaines vigiles de fêtes nous arrivons à un total de Le feu, facteur important De Saint-Georges (1805) souli- cent quarante huit jours maigres par d’évolution des hauts- gne, pour les tourbières du canton an en moyenne »29. Le creusement marais de , qu’en période de séche- d’étangs avec des drains parcourant resse elles subissent des incendies Lorsque l’on étudie les écrits anciens les marais et tourbières pour les ali- qualifiés de naturels par les habi- de toutes les personnes qui ont menter devait être fréquents. tants du pays, mais qu’il attribue étudié les tourbières jurassiennes, à « l’étourderie33 » des bergers qui on est frappé par l’abondance des fréquentent les tourbières. Nos recherches sur la Grande citations concernant les incen- Tourbière de Pontarlier attestent dies des tourbières. Lesquereux Le dépouillement d’une partie des de telles pratiques. Deux étangs, (a), dans son introduction, aujourd’hui disparus, sont bien archives de la commune de Frasne confirme l’importance et la fré- 30. AC Pontarlier DD 14. quence de ces incendies : incen- 27. Charte de Jean de Blonay et de Jacques ou Jacquette de Joux. 31. AC Pontarlier, FF 22, procès de descente des die spectaculaire de la Grande lieux, 1747. 28. Tissot, 1870. Les Fourgs et accessoirement les environs, Les événements, Les lieux. Besançon, 32. Ce constat peut être fait sur la plupart des cartes, Réédition 1978. plans disponibles à cette époque : plan de 1665 33. On peut se demander si cette technique n’est pas du père Claude Bonjour, originaire de Pontarlier à rapprocher de ce qui se pratique encore aujourd’hui 29. Chevalier, 1983. L’alimentation carnée à la fin (consultable sur le site Internet de la BNF, www. en Norvège où les landes à Ericacées, en bordure de du XVe siècle, réalité et symboles, in Pratique et discours gallica.bnf.fr) ; carte de Cassini, levée entre 1757 et mer, sont régulièrement brûlées pour fournir à des alimentaires à la Renaissance. Actes du colloque de 1759 et publiée en 1762 : certains marais sont figurés, troupeaux de moutons, des jeunes pousses tendres Tours, 1979, Paris. pas ceux qui nous intéressent. de bruyères et de callune.

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Seigne (tourbière à cheval sur les L’abondance de ces écrits relatant cation de la végétation des hauts- communes de Frasne et Bief-du- l’existence d’incendies nous laisse à marais en favorisant les graminées, Fourg) en août 1911, avec inter- penser que ce facteur doit être davan- la molinie tout particulièrement. vention de l’armée pour creuser des tage pris en compte dans l’évolution Nous citons une trace écrite de fossés autour de la tourbière [pour des hauts-marais jurassiens. Nous cette pratique dans un document contenir la zone incendiée], tandis pensons que le Pin à crochets a été de 1761 de la société économique que les habitants de Frasne abat- une des espèces qui a tiré bénéfice de Berne (cf. annexe). Des cultu- taient les pins. Aujourd’hui, cette de ces feux naturels ou anthropi- res sur brûlis ont-elles été égale- tourbière correspond à une lande ques : les pins sont des arbres qui ment possibles ? à Éricacées, dépourvue de Pin à résistent mieux que d’autres essen- crochets. Le colossal incendie en ces aux incendies. Toute l’évolution 1949 de la tourbière des Grangettes du genre Pinus est marquée par La fabrication de la poix sur durera plus d’un mois, du 11 juillet cette « dépendance » vis-à-vis des les hauts-marais jurassiens au 20 août (Bole, 2005). incendies, comme l’exprime le spé- et la récolte de bois, de cialiste James K. Agge : « Widland racines Ces feux semblent si fréquents fires and trees of the genus Pinus are que les collectivités ont bien sou- inextricably linked over space and Il est bien évident que l’extraction vent interdit de faire du feu dans time » in Ecology and Biogeography de la tourbe des hauts-marais s’est les tourbières : « Art. 7 Défense est of Pinus, Richardson (ed.), 2001. traduite par la destruction de gran- faite sous quelque prétexte que ce Ce n’est effectivement pas un hasard des surfaces de pinèdes35, sachant soit de faire du feu dans la tour- si le pourtour méditerranéen est que les documents historiques sem- bière. » ville de Pontarlier, vente dominé par le genre Pinus. Dans blent montrer que les premières des tourbes, année 1881. une moindre mesure, nous pen- extractions se sont faites dans des sons que ces feux répétés sur les secteurs peu boisés pour des rai- La fréquence de ces incendies est tourbières depuis certainement sons évidentes. également attestée par des topony- une époque très reculée ont favo- mes spécifiques, tels Seignes brû- risé cette espèce pionnière qu’est le Les documents montrent que la lées (Noël-Cerneux) et Prés brûlés Pin à crochets34, la minéralisation récolte des Pins à crochets à divers (Bief-du-Fourg). d’une partie de la matière organi- usages est très ancienne et anté- que étant favorable à la rhizosphère rieure de plusieurs siècles à l’extrac- Les sondages effectués en tourbière du pin, les myccorhizes assurant tion de la tourbe. (Les tourbières françaises, 1949) et les un transfert rapide des sels miné- études palynologiques confirment raux. Reille (1991) met en évi- Une première utilisation, non également la fréquence des niveaux dence par exemple, dans la tour- encore évoquée, semble avoir été contenant des macrorestes carboni- bière du Pinet (Aude), l’existence la fabrication de la poix (= pège). sés (charbons). Ils témoignent des d’un landnam (mot scandinave qui Rappelons que la poix était clas- phases de défrichement par le feu signifie « prise de terre » = culture siquement fabriquée, dans nos des milieux environnant la tour- sur brûlis) au Néolithique. contrées, à partir de la résine de bière, mais aussi vraisemblablement sapin et d’épicéa, mais il semble de la tourbière elle-même. Une Nous pensons que ces feux, associés bien que les pins très riches en approche spécifique de ces niveaux à des drainages, étaient pour la plu- résine aient également été utilisés permettrait peut-être d’évaluer les part volontaires et qu’ils correspon- à cette fin et pour faire également conséquences sur la dynamique daient à des pratiques agropastora- des torches avec leurs branches. végétale du haut-marais. On voit les ancestrales : les bergers incen- par exemple à Frasne que la vaste diaient volontairement les marais 35. Ainsi, à Frasne, à partir de 1802, de nombreuses tourbière des Grangettes, ancien- et les tourbières pour offrir à leurs délibérations attestent de coupes de pins pour compenser le manque d’extraction de tourbe nement boisée, s’est transformée troupeaux des pâturages renou- certaines années, pour la pratique du lattage des en une vaste lande à scirpe cespi- velés avec également une modifi- toitures, pour préparer de nouveaux cantons de tourbe : 6 avril 1871, vente de « 115 cantons de pins teux (Trichophorum cespitosum) et destinés à pourvoir en chauffage les habitants les que le retour à la pinède est parti- plus nécessiteux » ; 31 juillet 1871, 122 lots de pins ; 34. Les petites Éricacées sont également favorisées 1881, vente de 371 lots de pins... (Sources archives culièrement lent. par des feux modérés. communales, Lucien Bole).

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Huguenin () évoque cette uti- bière occupée anciennement par une jouissait depuis plus de quarante lisation en ces termes : « Dans ces pinède (Tissot, 1870). Remarquons ans, sans avoir jamais été troublée forêts, dans la vallée même [vallée encore que les Sires de Joux haber- dans cette jouissance au point de de la Brévine], surtout sur les grands gent (charte de 1337 de Jean de vue pâturage et liberté d’y couper marais qui la couvrent en partie, Blonay et de Jacques ou Jacquette des crêts. » (Charton, 1932). on allait extraire la résine des pins de Joux ) : «… la Seigne Varescone qui les couvrent. C’était une des et la Seigne Vuiffers... », c’est-à- Dans les nombreux documents rela- industries de ces siècles reculés. On dire la tourbière de la Vraconnaz, tifs au procès opposant Frasne et coupait les arbres pour en extraire grande tourbière boisée de pins, Bonnevaux sur le bois du Forbonnet, cette substance. Près des Varodes, située à quelques kilomètres de la nous avons noté l’usage très parti- il existe une petite éminence qu’on Beuffarde. La proximité de tous ces culier du Pin à crochets comme appelle le crêt de la Poix, où l’on lieux est intrigante et on a du mal lattes de toiture. L’utilisation de ce réduisait cette résine en goudron. à comprendre la raison de tant de terme nous incite à le rapprocher Le seigneur accordait ce droit à ses sollicitude pour des lieux si inhos- de quelques toponymes comme le sujets contre une redevance qui se pitaliers. Pré des Lattes à Remoray (1683), payait en nature. Plusieurs titres contigu au Crossat, le pré des lattes anciens font mention de ce Droit Si cette exploitation pouvait être d’un arpentement d’Oye-et-Pallet de la poix. Cette industrie doit être confirmée par d’autres documents des années 1720 ou le célèbre Bois fort ancienne dans cette contrée ; car écrits, nous serions certainement des Lattes dans la vallée des Ponts, en creusant aujourd’hui dans ces en présence des premières traces en Suisse. marais pour en extraire la tourbe, écrites d’exploitation des hauts- on trouve à de grandes profondeurs marais jurassiens. De même, cette citation pour Bief- une multitude de pins séparés de du-Fourg semble confirmer cette leurs troncs, évidemment coupés Le Pin à crochets a toujours été une utilisation de lattage des toitures : à des hauteurs égales, quelquefois essence très décriée par les autori- « Le 7 août 1732, les habitants des tisons à demi brûlés et d’autres tés et les populations locales. On [de Bief-du-Fourg] firent marché choses qui annoncent la présence constate que lorsque des réglemen- avec Claude et Jean Trouttet, de et le travail de l’homme dans des tations limitent la récolte de bois Dompierre, en leur vendant, dans siècles assez reculés pour avoir pro- en forêt, systématiquement le Pin le bois Mourey, autrement dit au duit les couches de tourbe qui les à crochets est exclu des restrictions. Vernon, pour la somme de 260 couvrent. » On peut donc facilement imaginer livres monnaye de France, tout le que les gens les plus démunis ont bois propre à bâtir qu’y s’y trou- On ne sait pas à partir de quelle largement profité de cette absence vait sur un espace de six arpents époque cette récolte a commencé ; de réglementation et ont longtemps [2 hectares et demi]. Les sieurs elle s’arrête en 1585 dans le secteur contribué à la raréfaction des Pins Trouttet s’engageaient seulement à des Fourgs36 (Gauthier, 2001). Ce à crochets sur les hauts-marais (cf. y laisser les petits pieds d’arbres qui dernier auteur souligne que c’est les procès à Frasne). ne seraient pas propres à faire des dans le but d’extraire la poix des lattes. » (Charton, 1932). sapins et des épicéas qu’est construit En 1770, à Bief-du-Fourg (39), un four au lieu-dit « sur l’étang », des franchises et des privilèges étant Charles Chapeau et Jean-Estienne Enfin, notons que dans le dépouille-

accordés par les Sires de Joux (XIIe Jantet sont accusés et condamnés ment des centaines de sondages siècle) pour favoriser le peuplement. pour avoir exploité de la tourbe exécutés dans le cadre du travail La maison des Chalon, propriétaire dans un secteur de la Grande Seigne monumental d’inventaire des tour- de la Combe du Voirnon, fait égale- non comprise dans les usages de la bières françaises (Les tourbières fran- ment construire un four au lieu-dit commune. À l’audience, les accu- çaises, 1949), on trouve une multi- « la Seigne Viffart ». Curieusement, sés firent appel du jugement en tude d’informations attestant qu’un ce lieu-dit correspond à une tour- expliquant qu’« ils se croyaient en grand nombre de hauts-marais droit de faire de la tourbe et de étaient couverts d’arbres à différen- couper des arbres dans ces can- tes époques ; à titre d’exemple, sur 36. Dans d’autres secteurs jurassiens, l’exploitation tons où la chose avait été tolérée les 213 sondages exécutés dans le se poursuit bien au-delà : à Foncine-39, on trouve encore des « marchands de poix » au XVIIIe siècle. jusqu’alors... elle [la commune] secteur de Frasne, 71 comportent

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 97 13/07/09 11:13:32 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

des restes de bois. Ces sondages – corbe (Le Locle, la Chaux-de- également que les actions anthro- révèlent souvent plusieurs niveaux Fonds), kerbe (Neuchâtel), n. f. : piques sur ces hauts-marais sont de présence de bois37. tronc ou racine de pin, de bou- précoces. Elles ont certainement leau ou d’autre arbre qu’on trouve grandement fluctué en fonction de L’exploitation de ces troncs enfouis enfoui dans les tourbières à l’état la démographie locale, des épidé- mais surtout celle des racines des demi-fossile (Pierrehumbert, mies, des guerres et s’intensifient à arbres38 (pin et bouleau) était très 1926). Ce mot était employé à partir des XVe et surtout XVIe siè- importante et a même certaine- Neuchâtel au XVe siècle déjà. Les cles. Elles concernent aussi bien le ment précédé l’exploitation de la comptes de l’époque le mention- milieu lui-même que les arbres qui tourbe elle-même. Un vocabulaire nent en 1434 : « Encloz et delli- peuplent le haut-marais. Malgré spécifique se rencontre sur l’en- vrer pour unze cher (=chars) qui des conditions de valorisation très semble du massif pour désigner sont alés querir les corbes, pour difficiles, les hommes ont cherché cette récolte : chascun cher deux solz, ainsy vint à tirer profit des tourbières boisées et clairiérées de l’époque : très cer- – casse, n. f. : racine et branche pro- et deux solz ». « Encloz dellivrer à tainement récolte de résine pour la venant des tourbières. Ces casses ceulx qui hont fait les corbes, au fabrication de la poix, récolte de sont des débris de bouleaux, de pins, retour pour leur despens quatre bois et racines enfouis, abattage des et d’épicéas provenant des tourbiè- solz ». (Recettes diverses, vol. 43, res ; elles servaient de bois de chauf- fol. xxx, v° (Lozeron, ). pins pour la fabrication de lattes et fage pendant les longs mois d’hiver comme bois de chauffage, lieu de (Manuscrit de Chapelle-des-Bois, On a ici une preuve certaine de pâture et de récolte d’herbes et de 1894). Les anciens arrachaient une l’exploitation des tourbières bien mousses, drainage pour alimen- casse dès qu’ils la voyaient (Robbez- avant l’usage de la tourbe. ter des étangs et même quelques Ferraris, ) ; cultures. Les multiples preuves Le toponyme mystérieux « les cher- d’incendies (défrichement , amé- –sase : « … pendant l’extraction bes », relevé sur le cadastre napo- lioration des pâturages , culture sur il était courant de trouver dans le léonien de Vaux-et-Chantegrue brûlis , fours à poix et à charbon banc de tourbe des souches de bou- en 1839 pour une parcelle voi- de bois ?) sont également à pren- leaux appelées “sases”. Imprégnées sine des crossats de la tourbière, est dre en compte. Nous pensons que d’eau et très molles elles étaient une trace manifeste de ces corbes toutes ces actions ont largement ramassées et séchées pour servir de ou kerbes. contribué à accélérer une dyna- bois de chauffage » (Michel R., les mique naturelle des hauts-marais Tourbières de Bouverans, in CUER conduisant à la pinède, l’exploita- n° 2, 1978) ; tion de la tourbe à l’extrême fin du Conclusion – seignon, n. m. : morceau de bois XVIIe siècle et surtout au XVIIIe dans les seignes. Les seignons sont Cette approche historique apporte siècle ayant amplifié secondaire- des morceaux de bois récoltés dans quelques éléments nouveaux à la ment cette évolution. les tourbières, ils servent à entrete- compréhension de la dynamique nir le feu (Manuscrit de Chapelle- des hauts-marais jurassiens et sur le Peut-on corréler ces faits historiques des-Bois, 1894) (Robbez-Ferraris, caractère naturel des peuplements avec les nombreuses données paly- ) ; de Pin à crochets. Elle montre tout nologiques disponibles ? Comme il d’abord l’étendue et l’ancienneté a été déjà évoqué en introduction, de ces peuplements dans les sec- la vitalité nouvelle du Pin à crochets 37. De nombreux auteurs indiquent l’exploitation de troncs de chênes peu altérés, à la base des sondages teurs où aujourd’hui encore exis- est évidente à une époque histori- (Guinots...). tent des pinèdes de haut-marais. que ; malheureusement, les data- 38. L’identification des macrorestes est loin d’être L’ancrage linguistique de l’essence tions au carbone manquent pour évidente, en particulier pour atteindre le niveau spécifique. Reille (1991), pour la tourbière de « Pin de tourbière » sur l’ensemble cette période et elles sont souvent Frasne (25) : « Tous les macrorestes observés sont des bois, exceptionnellement un cône femelle dans la du massif jurassien et de la pinède, incohérentes certainement du fait zone e et appartient au type P. silvestris. Selon Thinon sur un secteur géographique plus même des nombreuses interventions qui a déterminé ces restes, cette attribution n’exclut pas qu’il puisse s’agir de P. uncinata ». Buttler et al. limité cette fois, est une preuve cer- anthropiques. Il semble très difficile (2002) montre que certains macrorestes récoltés dans taine de l’indigénat du Pin à cro- de trouver un haut-marais qui n’ait la tourbière de Praz-Rodet (Suisse), attribués à Pinus uncinata, sont datés de 1500 ans BP. chets. Nos recherches montrent pas subi de perturbations humai-

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 99 13/07/09 11:13:33 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 103 13/07/09 11:13:37 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

1C 1384. Id. Demandes d’autorisation. entre les biens de l’abbaye de Mont- Pontarlier du père Claude Bonjour, États des tourbières dans les Sainte-Marie et la communauté de 1665. bailliages d’Ornans et de Pontarlier. Malbuisson 1781. 1778-1789. Oye-et-Pallet : 1534 DD 6, Plans des Archives communales de 1C 2143. États des fournitures de bois bois communaux, 1729 ; 1534 DD4, Frasne de chauffage, tourbe et lumière Procès tourbières, 1766 ; 1532 CC1, affectés aux troupes stationnées arpentement s.d. ~ 1720. B 1 : Titres originaux du Forbonnet dans la province. 1718-1753. (Nombreux mémoires et pièces Plans cadastraux napoléoniens. 1C 2425. Bulle, Comptes d’échevins, diverses, plans…) 1685-1788. (ancienne cote : C 1347, Bonnétage : 3P 75 et 3P 75/1, 1832. B 6 : « Légende du plan de la descente carton 949). et vue des lieux, faite en la forêt Granges-Sainte-Marie : 3P 296 et 3P 1 C 2453. La-Cluse-et-Mijoux, Comptes de Forbonnet et autres terreins 296/1, 1827. d’échevins, parts de marais, 1729- environnans », commencée le 13 1789. Labergement-Sainte-Marie : 3P 322, fructidor An VI (30 août 1798) et et 3P 322/1, 1839. terminée le 4 vendémiaire An VII Archives communales déposées (25 septembre 1798). La-Cluse-et-Mijoux : 3P 158 et 3P (EAC). 158/1, 1826. Sites Internet Bonnétage : 1008 G3, Procès-verbal Oye-et-Pallet : 3P 443 et 3P 4443/1, de délimitation de la commune de 1826. http://gallica.bnf.fr/: nombreux Bonnétage en 1832. Remoray : 3P 487 et 3P 487/1, ouvrages botaniques numérisés : Haller, Bauhin… Chaffois : 1154 N3, Vente 1839. tourbes, 1791-1829 ; 1154 N 6, Vaux et Chantegrue : 3 P 593 et 3P Commune de Frasne : http://www. Dessèchement des marais, 1771- 593/1, 1839. frasne.net/tourbieres/tourbiere_Åore. 1863. htm. Vuillecin : 3P 637 et 3P 637/1, Chatelblanc : 1197 S 28, Tourbières, 1826. WWF : http://www.wwf.se 1748-1788 ; 1193 N 11, Tourbières, an XII-1855. Carte de la Souveraineté de Neuchâtel Archives départementales et Valangin dressée sur les Mémoires Dommartin : 2003, Procès Houtaud- du Jura du Sr D. F. de Merveilleux, 1713, Dommartin pour les communaux, Paris, G. Delisle : http://www. 18e. davidrumsey.com/maps4601.html. Plans cadastraux napoléoniens : Frasne : 2034, Comptes d’échevins, Bellefontaine, 3P 170, 1824. ROUSSELET M., 1926. Étude sur le patois 1648-1791 ; 2046, Ventes de bois de Frasne, manuscrit inédit localisé dans le Bois du Forbonnet, 1696- Bibliothèque Municipale de grâce à Michel Renaud de Frasne 1788. et aimablement communiqué aux Besançon (BMB) auteurs par son petit-Äls Bruno Houtaud : 2058 DD1-2, Biens Rousselet et mis en ligne. http:// communaux, Accords avec genealogie.rousselet.free.fr/ Dommartin, Délimitations, Manuscrits PatoisDeFrasne/diplome.pdf. Arpentage, 1630-1780 ; 2058 FF1-5, Procès avec Dommartin au sujet des Fonds général : Ms 440, Mémoire limites du territoire, 1703-1768. pour servir à l’histoire naturelle de Labergement-Sainte-Marie : très cette province, particulièrement des riche, cotes importantes : 3424 BB villes et bailliage de Pontarlier par 6 (Dénombrement, 1624), 3424 CC Antoine Barbaud, 1763. 1-4 (Taxes des terres, Arpentements, Fonds de l’Académie : Tome 36, 1695-1778), 3426 CC 18 (Comptes Mémoires au concours sur le d’échevins, 1696-1700), 3440 FF 59 meilleur aménagement des forêts, (Procès avec Remoray, 1683-1685), 1771-1773 3451 GG 69 (Acquisitions de terres, 1622-1662), 3453 II 5 (Ventes de Cartes et plans terres, 1622-1630). La-Cluse-et-Mijoux : 1180 S1, Ge E. Suisse 11 : Carte géographique Arpentement, 1652 ; 1180 S2, de la souveraineté de Neuchâtel et Arpentement, 1703. Valangin du père Claude Bonjour, 1670. Malbuisson : 1760 G1, Arpentement de 1727 ; 1762 S 14, Plan de délimitation Ge c F84 à 88 : Description chorographique du bailliage de

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 104 13/07/09 11:13:38 Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne, 6, 2008 – S.B.F.C., C.B.N.F.C.

Annexes ceux de l’abergement, Du costé de de Remouraÿ touchant devers vent Jurant duquel quartier J’ay remar- les Bressand et des autres costes le qué un autre bois separé du prece- communal chargee de deux blans Mentions historiques de dent d’environ cinquante pas, que Le surplus dudit prel tire sur la taille toponymes ou appellations lesdits de Remoray ont dit s’appe- de Labergement pource. » liés aux Pins à crochets ler le petit Croissat, ou le Croissat relevées dans le secteur neuf appartenant a plusieurs particu- Terres dépendant de Labergement liers de l’abergement et de Remoray. Remoray – Labergement- p. 167 verso ; Crestienne baverey Lesdits habitans de l’abergement ont Sainte-Marie. vesve de fut Mre richard Bressand dit qu’il s’appelle Croissat simple- notaire de labergement (tient) : ment ainsy que le precedent ; Tirant [1] : Archives communales de tousiours contre bize et suivant ledit p. 168 resto ; « Envyron trois Labergement-Sainte-Marie, moslard en contournant de temps Soiptures de prel dit es Isles des des- ADD, EAC 3440 FF 59, 1683, a autre Je suis arrivé a un murgier tourbes touchant devers Sannoise Procès en matières d’impôts de Pierres distant de Cent cin- le communal. » contre les gens de Remoray quante pas du Lac Savoureux, J’ay p. 168 verso ; « de Remouray quest « Au lieu de Remoray […] le 13 reconu que ledit moslard continue le Croissat Jurant le biefs du mitan septembre 1683 […] les cantons devers Saunoise dudit lac devers vent les heritiers fut Anthoine denommez…, Les Lattes, …es Isles l’Eglise saint Theodule, lesdits de Bressand chargees de Six blans ou prels des lattes […] Ensuite tirant l’abergement ont dit que dez ledit pource. » tousiours contre bize, Je suis arrivé, Murgier ils quittent le moslard et detournant sur la gauche d’envi- tirent en droitte ligne Jusques au p. 181 verso ; Mre pierre bressand ron quarante pas au bout de ladite lac par des prels appartenans a la notaire de Labergement (tient) : Chieve ou moslard sur un Canton grange Cuynet et a des particuliers p. 185 recto ; « Es Isles des destorbes de prel de la largeur de vingt cinq de Remoray que ceux de l’aber- vers la planche du biefz du mitan pas, ou finit ledit moslard, Lesdits gement ont dit leur avoir vendu, Envyron trois Soiptures de prel de Remoray ont dit que ledit prel laquelle vente a esté inficiée par ceux touchant devers Jurant ledict biefs s’appelle le passage de la bonne de Remoray […] plusieurs deno- Sannoise le croissat de Remoraÿ fontaine, qui est devers saunoise a minations […] le prel des mottes, chargez dun groz et demÿ pource trois cent pas plus haut, pour aller [… ]seigne Damidiere... » pource. » au Bois de Croissat qui est devers Jurant a Cent quatre vingt dix pas Commentaire : ce « viel croissat » et ont soutenu que ledit prel pro- s’identifie exactement, au niveau [3] : Archives de l’abbaye Notre- vient de leurs Communaux et que localisation, avec « Le croissat » Dame du Mont-Sainte-Marie, ledit Bois qu’ils appellent le viel de Remoray, au bout du lac, de la ADD, 64 H 189, 1645, Granges- Croissat dépend encor de leurs carte IGN actuelle. Ste-Marie, Derrière-le-Mont, Communaux. Ceux de l’aberge- Acensements et reconnaissances ment ont dit qu’ils avoüent que (1407-1761). ledit prel s’appelle le Passage, et ont [2] : Archives de l’abbaye Notre- « Et premierement Un prel scitué inficié, qu’il fust des Communaux Dame du Mont-Sainte-Marie, Soubz le village de remoray Lieudict de Remoray non plus que ledit ADD, 64 H 91, Terrier de au passage du passage contenant Bois qu’ils ont dit s’appeler simple- l’abbaye, 1621-1625. envyron trois soiptures plus ou ment Croissat. J’ai reconnu en sui- Terres dépendant de Remoray moins touchant devers vent et vant ledit moslard qui finit en cet Jurant La terre de la communauté p. 102 verso ; Mre pierre Bressand endroit et contournant a droitte, dudit Remoray de laquelle il at de labergement notaire tient : puis a gauche en plusieurs endroits esté acquis et retiré par droict de ie suis arrivé sur un Canton que p. 103 recto ; « Item envyron une retenue de Blaise Besancon qui en les Commis ont convenu s’appe- soipture de prel au lieu dit au pas- estoit achepteur, Estans iceluy prel ler le quartier dessous que ceux de sage proche le croissat acquise de revenu annuel de vingt quatre Remoray ont dit provenir de leur de Denys chagrot qui precedam- frans, appart par Les Lettres d’achapt Communal ce qu’a esté inficié par ment lavoit achetee des habitant dIceluy du septiesme Juin mille

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NAFJ2008_corpus_nvellEntete.indd 105 13/07/09 11:13:39 Le Pin à crochets (Pinus uncinata Ramond ex DC. var. rotundata [Link] Antoine) des tourbières : preuves historiques de son indigénat dans le massif jurassien et dynamique des peuplements suite aux actions anthropozoogènes.

Six centz trente Sept, receues et ment à l’emplacement du crossat Mentions historiques de cros sygnees dudit Compagny notaire, du cadastre ; elle est notée sur ce et de pins sur les tourbières en marge desquelles est lacte de la plan : « crossac marais tourbiere du secteur de Frasne- retenue du quinziesme Juin dudit et Bois de pins ». Bonnevaux an, portans le remboursement des deniers et pris du vendage audit Blaise besancon. » [6] : Plan des domaines de [1] Extraits de documents du l’abbaye du Mont-Sainte-Marie, procès Frasne-Bonnevaux « Un aultre prel Joignant Le prece- ADD, 1Fi 699, 1724 (Partie – 1.« le 13 octobre 1717, Jacques dant acquis de ladite communauté du Lac de Remoray : Granges du Ecureux, de Bonnevaux, éprouve de Remoray appellé Les quartiers Lac, de Derrière-Le-Mont, de une amende de 15 livres, et pareille contenant Envyron Six ou Sept la Taverne, par Pistre Castellet, somme de dommages et intérêts soiptures touchant de tous costelz géomètre). envers la Commune de Frasne, La terre de Labbaye Saufz de Jurant Sur ce plan, la parcelle numérotée pour avoir coupé dans un bois de Le croissat et la terre de Ladite 71, sur la zone de Derrière-le-Mont, la Communauté de Frasne, appar- communanté appart par Les Lettres est nommée : « Bois De Croisat », tenant et bannal à icelle, appelé d’achat du neufiesme Juillet mille superficie 12 : 7/8 journaux42, aux Maucrets ». Ce lieu-dit signi- Six centz quarante Cinq receues et 0 ouvriers, 16 perches ? 0 pieds. fie très probablement les mauvais Sygnées dudit Compagny notaire crets, les mauvais pins. Estant Le revenu annuel dIceluy de Dans un cartouche, est pré- Cinquante quatre frans. » cisé : « … La grange derrière le – 2. Pontarlier, le 24 décembre 1818 : mont consiste en 11 champs qui « A la demande de Monsieur Le Documents concernant « Le cros- font 63 journaux 2 perches 37 Maire de la Commune de Frasne, le sat de Bonnavette » (orthographe pieds, 18 prelz qui font 154 jour- Sous Inspecteur des Eaux et forêts actuelle Bonavette) à Derrière-Le- naux ½, 2 perches, et un commu- de l’Arrondissement de Pontarlier, Mont. nal qui fait 107 journaux, 2 petit Certifie que les parties de la forêt Bois de pins appelez Croisac qui Communale du Forbonnet, dites font 20 journaux 3/8… » les Marais, Sont généralement peu- [4] : Cadastre napoléonien des plées d’un taillis de Bois blancs, Granges-Ste-Marie, ADD, 3P mêlés de sapins et de pins ». 296, 1827 Commentaire : ce plan de 1724 est le plus ancien plan connu sur Toponyme indiqué sur le plan, sec- lequel est figurée une tourbière – 3.1812 : « Partout dans cette tion B de la Grand Côte. Sur l’état boisée, avec une représentation spé- partie de la forêt, il peut croître du de sections 3 P 296.1, ancienne- cifique, différente des bois et diffé- bois ; partout, il y en a, ou il y en ment il y avait 2 parcelles numé- rente des marais. Le terme crois- a eu, ou il y en peut avoir ; chaque rotées 35 et 36 ; la 35 en nature de sat y est défini comme appellation espèce d’arbre choisit le terrein qui pré marais de superficie 1 arpent lui convient le mieux ; le sapin et locale de bois de pins. 97 perches 30 mètres de classe 5 préfèrent le sol aride ; le et la 36 en nature de Bois de pin pin mélèze se plait dans les marais ; Sur ce plan de 1724 les unités de de superficie 6 arpents 88 perches, mais partout il y a des arbres et il y surface sont les mesures anciennes 30 mètres de classe 5. en peut croître. C’est, sans doute, de Bourgogne ; il est précisé par le pour n’avoir pas fait cette réflexion, même géomètre, Pistre Castellet, sur que les premiers juges n’ont point un document (1 Fi 711), de 1724 [5] : Plan géométrique de la accordé à Frasne les parties de la également, qui concerne une autre commune de Mont-des-Lacs- forêt qui sont marécageuses. Ils n’ont partie des dépendances de l’abbaye, Sainte-Marie, ADD, P 4, 1807 pas fait attention que les marais que le journal est de 360 perches, Sur ce plan une grande tourbière étaient couverts d’arbres comme le la perche de 9 pieds et ½ , le pied figure avec une forme très sem- reste de la forêt ; ils n’ont pas fait de 12 « poulces enciens ». blable au contour du bois maré- attention, surtout, qu’au milieu cageux nommée le crossat de la d’une place de vingt mètres carrés carte IGN actuelle, située exacte- 42. 1 soiture = 1 journal = 35,5 ares en marais, il s’en trouvera quel-

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quefois une partie où le terrein un tels que du bouleau, du saule, de [2] Procès Marmier peu plus sec, aura vivifié un sapin, la verne, etc. ». (transcription) tandis que tous les alentours sont Extrait des Registres de la Justice remplis de mélèze [=pin]: enfin, ils – 6.1809 : « Il est tellement vrai que de la Gruerie au Département des n’ont pas fait attention qu’ils mor- les habitants de Frasne possèdent Nozeroy celaient la forêt, et qu’ils en ren- le Forbonnet de toute ancienneté daient et la possession et le par- que les chevrons et les lattes de leurs Entre le Sieur Pierre Chaillet de Nozeroy, demeurant au Bief du tage impraticables entre les deux maisons sont presque tous en bois Fourg, docteur aux droits, procu- propriétaires ». de Pin, et qu’on n’en voit pas dans reur fiscal de la justice de la grue- les charpentes de Bonnevaux. Ce rie au département du dit Nozeroy, bois comme on le sait croit dans les – 4.1821 : « Il faut observer aussi, demandeur, aux fins d’un exploit marais, et il ne peut venir que de que ces places marécageuses ne peu- signé du sergent Millet du vingt la forêt de Forbonnet, Bonnevaux vent point être considérées comme neuf août dernier, par lequel il n’ayant que des forêts sèches de des marais proprement dits, dans conclut à ce que le dit défendeur sapin, s’abstient par cette raison le sens que l’entend la loi du 26 ci après nommé soit condamné d’employer des pins aux toits de Décembre 1790. Les articles 1 et 2 aux peines et amendes conformé- ses maison, ou plutôt il est dans de cette loi portent, qu’on ne doit ment aux ordonnances des eaux considérer comme Marais, que les l’impossibilité de le faire ». et forêts au profit du Seigneur de lacs, et terres incultes, habituelle- Nozeroy aux intérêts et aux dépens, ment inondées… Or, il n’existe – 7.1812 : « mais encore, que la pour, les dix neuf juin dernier et les ni lacs ni terres incultes, ou stéri- Commune de Frasne en a toujours jours précédents, les valets domes- les, habituellement inondées, dans joui [des marais], à l’exclusion de tiques du dit défendeur, avoir été aucune partie du Forbonnet de tous autres ? [sic] c’est qu’il n’est pas trouvés, conduisant et amenant Frasne. Cette forêt est assise sur un une des quatre-vingt maisons de sur leurs chariots en plusieurs fois, sol plat, il est vrai ; mais les eaux n’y Frasne, dont quelques-unes ont plus cent cinquante pieds de bois appe- sont stagnantes nulle part. Quoiqu’il de deux siècles, où l’on ne trouve lés des crets propres à faire des y ait quelques places marécageuses, des lattes fabriquées avec les pins lattes, de la grosseur d’environ un cependant, comme ces places pro- qui proviennent de ces marais, et pied de tour chacun, sans marque, duisent des bois de toutes espèces, qui servent à supporter les ancelles ayant été coupés et provenant d’un tels que des sapins, pesses, mélè- des couverts : notez que Frasne n’a endroit dit en mouilleseul, terri- zes et pins, plus ou moins mélan- pas d’autres marais où croissent des toire de Frasne, bannal à la com- gés de bois taillis, l’administration pins ; on peut aussi vérifier celles de munauté du dit lieu, suivant qu’en forestière les a toujours considérées Bonnevaux, et l’on reconnoitra si justifiera le dit demandeur compa- comme étant en nature de forêt, et la même chose existe. Ce fait, qui rant en personne, contre le Sieur est certain, prouve mieux, que tous Louis fils de fut Guillaume Marmier les a fait constamment aménager autres encore, que les marais du de Frasne, défendeur comparant en comme telles ». Forbonnet produisent des arbres, personne, assisté de Maitre Jean et que c’est Frasne qui en a tou- Baptiste Garnier son procureur. – 5.1819 : « il faut observer que jours joui. Au reste, c’est une vérité Parties ouies vu l’exploit du Sieur cette dernière partie, quoique dis- que Bonnevaux ne peut sérieuse- demandeur, contrôlé le trente août tincte de la première, à raison de ce ment combattre, que les marais dernier par Pajot, et vu le rapport qu’elle n’est pas d’une aussi grande produisent des arbres, et même fait par les gardes des bois bannaux valeur, ne doit cependant pas être en grande quantité ; veut-on que de Frasne, nommés André Barbaud considérée comme un marais stérile, le droit d’usage n’ait dû s’étendre et Claude Febvre contre lesquels le ou une place vaine et vague, ainsi que sur les places peuplées en bois ? défendeur comparant en personne, que la commune de Bonnevaux vou- les marais y seront encore compris a dit pour reproche, savoir contre drait le persuader. Il est constant au le dit André Barbaud qu’il avait parce qu’ils sont productifs et que contraire, qu’elle est peuplée géné- des arbres y croissent ». été son granger et que pendant le ralement de sapins, pesses, mélèzes grangeage ils avaient eu beaucoup et pins, qui, dans certaines locali- de procès et difficultés par ensem- tés, sont mélangées de bois blancs, bles, dont il était encore souve-

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nant et gardait une animosité qui trouvé les valets du dit défendeur y tenante le six septembre mil sept n’était pas éteinte et que par ce le conduisant deux chariots de crets cent dix neuf . Signé à la minute, dit Barbaud voulait se venger contre qui provenaient d’un endroit appelé Panel,D Jannin. le défendeur. la mouille seule, bannal à la com- munauté de Frasne, suivant que Sentence de la gruerie de Nozeroy Sur lequel reproche ayant inter- les conducteurs des dits chariots pour les habitants de Frasne contre rogé le dit Barbaud de la vérité les leurs déclarèrent, et suivant le Louis Marmier de Frasne, condamné du dit reproche, a répondu qu’il ratronchement qu’ils ont dit en à l’amende et aux intérêts de la n’avait aucune rancune ni animo- avoir fait d’une partie sur la véri- communauté pour un délit fait sité contre le dit Marmier, et que fication duquel rapport le défen- dans les bois bannaux de Frasne s’il avait lieu de lui rendre service deur précédent en principal a dit lieu dit en Moilleseule, territoire il le ferait et quant au dit Fevre le que, supposé sans l’avouer qu’il du dit lieu, confins de Chevresy, dit défendeur a dit n’avoir aucun ait fait les crets en question sans du 6 septembre 1719. reproche à fournir contre lui, mais avouer le nombre ni la qualité, a en général a dit contre l’un et l’autre soutenu avoir eu droit de le faire pour reproche, qu’ils étaient sim- comme les habitants de Frasne, et Mémoire de la société ples habitants et originels de la que tous les autres habitants du économique de Berne, communauté de Frasne, et qu’ils dit lieu indifféremment ont tou- 1761 n’étaient point jurés gardes des bois jours usé du droit de couper des communaux de la communauté du crets dans l’endroit en question dit lieu, étant l’un et l’autre inté- lorsqu’ils ont eu besoin de bâtir, Dissertation sur la seconde ressés dans le fait et que par consé- sans marque, sur lequel fait ayant question proposée par la quent la vérification de leur rapport interrogé le dit Jacques Pelletier Société Oeconomique de était infirmé, sur lesquels repro- prud’homme de la dite commu- Berne, pour l´année 1760. ches les dits Barbaux et Febvre ont nauté a répondu que les habitants Quelle est la meilleure dit qu’ils avaient été nommés par du dit Frasne, lorsqu’ils faisaient méthode de rendre fertiles la communauté pour gardes des quelques bâtiments, allaient couper toutes sortes de terres bois bannaux d’icelle, ensuite de des lattes et autres menus bois dans quoi ils en faisaient les fonctions le dit endroit, sans marque, mais marécageuses ? au plus près de leurs conscience, qu’auparavant ils en demandaient « …mais il y a encore d’autres choses pour justification de quoi ils ont la permission à la dite communauté, que l’on peut employer en place de dit être appuyés judiciellement de à quoi le défendeur n’avait satis- fumier. Par exemple des cendres Jacques Pelletier, prud’homme du fait, mais avait envoyé ses chariots maintenues sèches y font un excel- dit Frasne, duquel ici présent nous de son autorité; et tout considéré, lent effet, si le paysan n’en a pas ou avons reçu le serment, par lequel nous avons condamné et condam- qu’il n’en ait suffisamment, il n’a il a dit que la communauté du dit nons le défendeur à l’amende de qu’à arracher la mousse avant de Frasne avait donné commission et cinq livres au profit du Seigneur labourer sa terre, l’envelioter [sic], pouvoir aux dits Barbaux et Febvre de Nozeroy, à pareille somme pour mettre dessous quelque broussaille, de soigner à la garde de leurs bois les intérêts de la communauté de quelque branche de bois inutiles, communaux, et qu’en conséquence Frasne, et aux dépens de l’instance ou un peu de tourbe, y mettre le

de cette commission s’étant, les dits que nous avons réglés judicielle- feu & répandre ensuite les cendres gardes, présentés à Nozeroy pour ment à cinq livres, extrait, signi- sur le fond ; cela fera un engrais très y faire leurs serments par devant fication et contrôle de la présente avantageux. Je ne suis pas d’avis Monsieur Jouffroy, icelui ayant été non compris, fait et prononcé par qu’on brule fortement la terre ; mais empêché pour affaire et n’ayant pu nous François Panel, juge châtelain si l’on s’y prend avec modération, y vaquer, les dits gardes se seraient de la Chaux des Crotenais, procu- qu’on ne laisse subsister le feu que retirés, nonobstant quoi ils avaient reur es justice de Nozeroy, comme jusqu’à ce que le gazon soit pour continué à leur commission, ensuite plus ancien praticien non suspect ainsi dire légèrement grillé, l’effet de laquelle ils ont prêté serment en la gruerie du dit lieu à cause de qui en résultera ne manquera pas que le contenu en présentation l’absence de Monsieur le juge lieu- d’être favorable à la terre, comme était véritable, sauf qu’ils avaient tenant de la dite gruerie, l’audience je l’ai remarqué souvent. Quand un

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paysan a préparé de cette manière laisser en pré. Il en recueillera plu- soin de ses fossés pour que la terre la première année le marais qu’il a sieurs années de suite du foin en ne reprenne pas sa nature maré- désséché, il peut déjà la seconde la abondance, pourvu qu’il prenne cageuse. »

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